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Full text of "Nouvelle Géographie universelle, le monde nouveau, les aspects de la nature, les ressources agricoles, industrielles, et commerciales, la vie des hommes"

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GEOGRAPHIE  l-NIVERSELLE,  FRONTISPICE 


NOUVELLE  GÉOGRAPHIE 
UNIVERSELLE  S  S  ê  S  S 

LE  MONDE  NOUVEAU  t  $  les  aspects  de  la 

NATURE  S  LES  RESSOURCES  AGRICOLES  INDUSTRIELLES 
ET  COMMERCIALES  i  »  LA  VIE  DES  HOMMES  S  3  S  3 

PAR  ERNEST  GRANGER  S  professeur  agrégé 

D'HISTOIRE  ET  DE  GÉOGRAPHIE.  iS^isiStSÈS 
CET  OUVRAGE  EST  ILLUSTRÉ  DE  PLUS  DE  S50gRAVURE$&160cARTIES 


V* 


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TOME     I 


LIBRAIRIE  HACHETTE 
À  PARIS  &  À  LONDRES 


Tous  droits  de  traduction,  de  reproduction 
et  d'adaptation  réservés  pour  tous  pays. 
Copyright  by   Librairie  Hachette  1922. 


PRÉFACE 


LA  Grande  Guerre  a  brusquement  et  profondément  troublé  l'évolution  régulière  des  sociétés  humaines. 
Des  Etats,  autrefois  puissants,  ont  disparu  de  la  carie  ;  d'autres  perdent  de  vastes  territoires,  des  millions 
de  sujets  ;  d'autres  encore  voient  se  prolonger  chez  eux  un  régime  anarchique  dont  on  ne  saurait  pré- 
voir la  fin.  Pour  ces  vaincus  il  y  a  éclipse  totale  ou  partielle  d'une  antique  prospérité,  réduction  momentanée  ou 
durable  des  forces  productrices.  Par  contre,  tandis  que  les  vainqueurs,  eux-mêmes  durement  atteints,  souvent, 
par  les  péripéties  du  long  combat,  cherchent  à  recueillir  des  bénéfices  tangibles  de  leur  triomphe,  on  voit,  sur  les 
ruines  du  passé,  surgir  des  nations  nouvelles  qui,  fières  de  leur  liberté  reconquise,  réclament  leur  large  place  au 
soleil.  Ainsi  tous  les  groupements  humains  se  trouvent  placés  inopinément  en  face  de  circonstances  pour  le  moins 
imprévues.  Il  leur  faut  s'en  accommoder  au  mieux  de  leurs  intérêts  et  bâtir,  sur  le  roc  ou  sur  le  sable,  les  fon- 
dements de  leur  cité  future. 

Même  en  temps  normal,  peu  d'années  suffisent  pour  transformer  en  riches  cultures  telle  ou  telle  région  dé- 
sertique, drainer  des  marais,  défricher  des  forêts,  percer  des  isthmes  et  des  tunnels.  Les  terres  vierges  se  peuplent 
d'émigrants,  les  voies  de  transport  se  multiplient.  On  voit  naître  de  nouveaux  foyers  industriels,  se  dessiner  des 
courants  commerciaux  inattendus.  Enfin  la  connaissance  — fort  imparfaite  sur  bien  des  points  —  que  nous  avons 
de  notre  planète,  se  précise  chaque  jour  un  peu  plus.  Non  seulement,  des  pôles  à  l'Equateur,  on  explore  les  régions 
les  moins  accessibles,  on  escalade  les  montagnes  les  plus  hautes,  on  perfectionne,  on  complète  les  cartes,  mais  encore 
on  dorme  des  faits  géographiques  de  nouvelles  explications,  on  élabore  des  théories  plus  ingénieuses  et  qui,  fondées 
sur  im  nombre  plus  grand  d'observations,  serrent  de  plus  près  la  réalité. 

Donner  de  ce  monde  en  continuelle  transformation  une  image  aussi  complète,  aussi  vivante  que  possible, 
tel  est  le  but  de  la  Géographie  Universelle. 

Les  questions  géographiques  sont  de  celles  qui  se  posent  chaque  jour  et  dont  la  solution  nous  concerne 
tous,  La  multiplication  des  moyens  rapides  de  communication  a  comme  rétréci  le  domaine  terrestre.  Tous  les 
hommes  se  trouvent  désormais,  et  se  trouveront  de  plus  en  plus,  intellectuellement  et  matériellement,  dans  une 
étroite  dépendance  les  uns  des  autres.  Il  suffit  d'un  instant  de  réflexion  pour  constater  qu'un  Français,  un 
Anglais  se  nourrissent,  se  vêtent,  se  servent,  en  toutes  circonstances,  d'objets  et  de  denrées  venus  des  quatre  coins 
du  monde.  Aussi  les  affaires  de  l'Egypte  et  de  l'Inde,  de  l'Argentine  ou  de  la  Chine,  nous  préoccupent  au  même 
degré  que  celles  de  nos  voisins  irrvnédiats.  Le  plus  médiocre  journal  a  sa  rubrique  étrangère.  Les  périodiques,  les 
revues  —  surtout  dans  le  domaine  industriel  et  commercial  —  se  remplissent  d'articles  dans  lesquels  la  géogra- 
phie tient  la  plus  large  place.  Une  sécheresse  anormale  dans  les  districts  cotonniers  des  Etats-Unis,  les  prairies 
australiennes,  aux  rives  de  la  Plata,  a  pour  un  Européen  le  même  intérêt  que  présentaient,  par  exemple,  au 
Parisien  d'autrefois,  les  conditions  de  la  récolte  en  Beauce.  Personne  ne  peut  vivre,  désormais,  dans  un  splendide 
I 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


PREFACE 


isolement,  sotts  pein  de  se  voir  taxé  de  coupable  et  honteuse  ignorance,  et  surtout  distancé  dans  la  lutte  pour 
l'existence  par  un  concurrent  mieux  informé. 

La  géographie  économique  est  à  la  base  de  l'éducation  professionnelle  de  tous  les  hommes  d'affaires,  grands 
et  petits. 

Industriels  et  commerçants,  pour  élargir  le  cercle  de  leur  action,  peur  conquérir  les  marchés  mondiaux,  ont 
chaque  jour  un  besoin  plus  pressant  de  mieux  connaître  les  pays  lointains  et  proches  qu'ils  s'efforcent  de  pénétrer. 

Par  ailleurs  cette  science,  si  éminemment  utile,  n'est  point  rébarbative.  S'adressant  à  la  fois  à  l'imagination 
et  à  la  raison,  elle  sait  aujourd'hui  se  faire  attirante  et  persuasive.  On  ne  demande  pas  seulement  au  vrai  géo' 
graphe  de  solides  connaissances  techniques,  le  don  de  l'observation,  une  curiosité  avisée  et  sans  cesse  en  éveil, 
toutes  les  qualités  qui  font  le  savant  complet,  mais  on  veut  aussi  qu'il  ait  une  âme  sensible  au  moindre  frémissement 
de  la  nature.  Le  nuage  qui  passe  attire  d'abord  ses  regards  par  la  beauté  de  ses  nuances  changeantes,  ses  formes 
mobiles,  sa  course  lente  ou  rapide  sur  l'écran  du  ciel.  Puis  il  songe  à  l'origine  de  ces  masses  vaporeuses,  il  calcule 
la  force  du  vent  qui  les  entraîne  ;  il  évoque  l'image  des  monts  qui  vont  briser  leur  marche,  des  neiges,  des  torrents 
nourris  de  leurs  gouttelettes  aqueuses  ou  cristallines,  des  forêts, des  prairies,  des  champs  que  ces  eaux  vont  féconder, 
des  usines  qui  puiseront  en  elles  une  force  peu  coûteuse...  S'occupe-t-il  d'un  fleuve?  Il  le  voit  à  la  fois  comme  un 
ruban  argenté  déroulant  ses  sinuosités  parmi  la  Verdure  des  coteaux,  à  l'ombre  des  arbres  penchés  sur  ses  ondes, 
et  comme  un  être  vivant  ayant  sa  jeunesse  impétueuse,  son  âge  mûr,  sa  vieillesse  apaisée.  Il  étudie  son  régime, 
sonde  sa  profondeur,  calcule  le  volume  de  ses  eaux  aux  diverses  saisons,  cherche  la  raison  de  ses  crues  bienfai- 
santes ou  dévastatrices,  montre  comment  l'homme  a  su  l'accommoder  à  ses  besoins  pour  l'irrigation,  le  flottage, 
la  navigation,  scrute  jusque  dans  le  passé  le  plus  lointain  les  pulsations  de  sa  vie.  Pour  le  géographe  comme  pour 
le  poète,  il  n'est  point  de  paysages  insignifiants.  La  plaine  la  plus  monotone,  la  plus  mince  bourgade,  la  ruine  la 
plus  informe  parlent  à  son  imagination  et  à  sa  pensée.  Il  les  replace  dans  le  cadre  plus  vaste  dont  ils  font  partie, 
devine  leurs  secrets,  écoute  leurs  humbles  confidences.  Ainsi  comprise,  la  Géographie  est  une  science  vivante  entre 
toutes  qui,  dès  le  collège,  sait  attirer,  passionner  même  l'attention  des  enfants  et  qui,  dans  l'âge  mûr,  ne  cesse 
point  de  s'offrir  aux  méditations  de  tout  homme  cultivé. 

C'est  à  ce  vaste  public  de  lecteurs  de  tout  âge  et  de  toutes  catégories,  curieux  de  s'instruire,  désireux  de 
mieux  faire,  que  s'adresse  cet  ouvrage  qui  résume  vingt-cinq  années  d'observations  personnelles,  de 
longs  voyages  et  d'études  consacrées  sans  arrêt  à  l'analyse  des  phénomènes  d'ordre  géographique. 

E.  G. 


Nota.  —  Pour  les  renseignements  statistiques  industriels  ou  commerciaux,  nous  donnons  toujours  non 
seulement  les  chiffres  les  plus  récents  (1919  ou  1920),  mais  aussi  les  chiffres  de  la  dernière  année  normale 
(1912  ou  1913).  En  1913,  en  effet,  les  statistiques  annuelles  représentaient  les  résultats  d'une  activité 
économique  régulière.  D'une  année  à  1  autre  les  oscillations  étaient  relativement  faibles,  la  quantité  ou  le 
prix  des  principaux  objets  d'échange  ne  variaient  que  dans  des  proportions  restreintes.  Enfin  les  monnaies 
—  or  ou  papier  —  de  tous  les  grands  Etals  s'échangeaient  au  pair.  On  pouvait  tabler  sur  la  moyenne 
des  statistiques.  On  sait  comment  la  Grande  Guerre  a  modifié  tout  cela  :  perturbations  profonries  dans 
les  achats  et  les  ventes,  hausse  formidable  des  prix,  variations  continuelles  des  changes,  etc.  Aussi  con- 
vient-il de  considérer  les  chiffres  des  statistiques  d'après  guerre  comme  éminemment  transitoires.  Nous  n'en 
donnerons  qu'un  seul  exemp  e.  Pendant  les  10  premiers  mois  de  l'année  1920,  la  France  acheta  pour  : 
41.779.364.000  francs.  Pendant  les  10  prem  ers  mois  de  l'année  1921,  ce  chiffre  s'est  réduit  à 
18.060.479.000  francs,  soit  23.718.885.000  francs  de  moins  que  l'année  précédente.  11  est  devenu 
impossible  de  tabler  sur  des  bases  aussi  incertaines. 


GEOGRAPHIE   UNIVERSELLE 


L'EUROPE 


CHAPITRE  PREMIER 


NOTIONS    GÉNÉRALES 


SITUATION  ET  CONFIGURATION,  aa 
On  a  pu  se  demander  si  l'on  devait  considérer  l'Europe 
comme  un  continent  spécial,  distinct  des  autres,  ou  comme 
une  simple  péninsule  asiatique.  Ses  limites,  très  nettes 
au  Nord,  à  l'Ouest,  au  Sud  où  des  mers  la  baignent,  ne 
le  sont  point,  en  effet,  à  l'Est  :  ni  les  monts  Oural  — 
de  faible  altitude,  et  très  aisément  franchissables  —  m, 
à  plus  forte  raison,  le  fleuve  Oural  ne  forment  de  barrières 
naturelles.  Les  forêts  russes  continuent  directement  la 

taïga  "  sibérienne,  et  les  steppes  kirghizes  ont  comme 
prolongement  immédiat  les  steppes  de  la  Volga.  Aussi 
les  Anciens  arrêtaient-ils  l'Europe  au  Don  et  à  la  mer 
d'Azov.  Aux  temps  modernes  longtemps  la  Russie 
demeura,  aux  yeux  des  Occidentaux,  plus  asiatique 
qu'européenne  et,  même  à  la  fin  du  XVIII^  siècle,  sur  les 
cartes  géographiques,  Perm  et  Astrakhan  étaient  attn- 
buéesà  l'Asie. 

La  question  n'a,  du  reste,  qu'une  importance  purement 
théorique.  Quel  que  soit  le  nom  qui  la  désigne,  l'Europe 
a  une  individualité  géographique  et  surtout  historique 
assez  forte  pour  qu'on  la  distingue  nettement  des  autres 
masses  continentales  ;  et  puisqu'aucune  limite  naturelle 
ne  s'impose  d'une  façon  absolue,  nous  donnons  comme 
frontière  orientale  au  continent  européen  les  anciennes 
frontières  administratives  de  la  Russie  d'Europe  :  au 
Sud-Est,  la  dépression  du  Manytch  ;  à  l'EUt,  une  ligne 
presque  entièrement  artificielle  zigzaguant  de  la  Cas- 
pienne à  la  mer  de  Kara. 

Ainsi  délimitée  l'Europe,  avec  ses  10  000  000  de  kilo- 
mètres carrés  (en  chiffres  ronds),  est,  après  l'Australie, 
le  plus  petit  des  continents  (Asie  :  44  000  000  de  kilomètres 


carrés  ;  Afrique  :  30  000  000  de  kilomètres  carrés  ;  Amé- 
rique du  Nord  :  23  000  000  de  kilomètres  carrés  ;  Amé- 
rique du  Sud  :  18  000000  de  kilomètres  carrés).  Mais, 
malgré  sa  petitesse,  nulle  autre  terre  n'a  pu  jusqu'à  nos 
jours  lui  être  comparable  par  l'ensemble  des  avantages 
naturels  qu'elle  offrait  aux  établissement  humains.  On  ne 
trouve  en  Europe  ni  les  immenses  plateaux  désertiques, 
ni  les  montcignes  infranchissables,  ni  le  climat  hostile,  ni  la 
rareté  des  plantes  et  des  animaux  domesticables  qui,  soit 
en  isolant  les  hommes,  soit  en  leur  rendant  la  vie  maté- 
rielle particulièrement  difficile,  anêtèrent,  ailleurs,  ou 
retardèrent  les  progrès  de  la  civilisation.  Un  mélange 
harmonieux  de  montagnes,  de  collines  doucement  ondu- 
lées, de  larges  plaines  propices  à  la  vie  sédentaire  ;  des 
côtes  dentelées,  articulées  comme  une  œuvre  d'art:  une 
intime  pénétration  des  terres  et  des  mers  qui  rendent 
éminemment  faciles  les  rapports  entre  les  groupements 
humains  ;  enfin  une  extrême  variété  de  ressources  due  à 
la  variété  du  climat  et  du  relief,  à  la  fertilité  des  terres 
cultivables,  à  la  richesse  du  sous-sol,  tout  cela  explique 
l'avance  que  l'Europe  sut  prendre  de  bonne  heure  sur 
les  autres  continents.  C'est  en  Asie  pourtant,  et  en 
Afrique,  aux  bords  de  l'Euphrate  et  du  Nil,  que,  par 
suite  de  circonstances  spéciales,  furent  faites  les  premières 
et  décisives  découvertes.  Mais  ces  premiers  germes  ne 
devinrent  vraiment  féconds  qu'en  prenant  racine  aux 
rives  européermes. 

Sans  doute,  aujourd'hui,  les  conquêtes  de  la  science 
ont  bnsé  en  partie  les  forts  liens  qui  unissaient  étroite- 
ment l'homme  à  la  terre,  et  la  supénorité  que  l'Europe 
dut  longtemps  à  ses  avantages  géographiques  s  atténue 


L'EUROPE 


d'une  manière  sensible.  On  sait  percer  les  montagnes, 
franchir  avec  rapidité'  les  plus  vastes  espaces,  tirer  parti 
des  ressources  les  moins  apparentes  ou  les  plus  lointaines. 
Les  "  zones  d'humanité  "  s'étendent  chaque  jour,  car  la 
distance  n'est  plus  un  obstacle.  Des  terres  vierges,  long- 
temps presque  inhabitées,  voient  accourir  par  millions  les 
immigrants  et  prennent  place  parmi  les  grandes  nations 
du  monde  :  Etats-Unis,  Canada,  Argentine,  Australie. 
D'autres,  où  l'homme  ne  manquait  point,  mais  où  il 
demeurait  dans  un  état  de  civilisation  inférieure,  comme 
la  Chine,  le  Japon,  l'Inde,  renaissent  à  une  vie  nouvelle 
et  prétendent  égaler,  voire  surpasser  à  bref  délai,  les 
peuples  de  la  '  vieille  Europe  ".  Mais  cette  renaissance 
universelle  est  l'œuvre  d'Européens,  et  la  place  éminente 
de  l'Europe  s  affirme  par  cela  même  que  ses  rivaux  les 
plus  actifs,  ses  détracteurs  mêmes,  ne  font  rien  de  grand 
qu'en  appliquant  ses  méthodes,  en  perfectionnant  ses 
découvertes,  en  se  mettant  à  son  école. 

LE  RELIEF.  £l^  Il  y  aen  Europe  des  montagnes 
très  vieilles,  des  montagnes  vieilles  et  des  montagnes 
jeunes. 

Les  premières  datent  de  l'époque  silurienne  (milieu  de  l'ère 
primaire).  On  les  trouve  au  Nord  de  l'Irlande,  en  Ecosse,  en 
Norvège.  Elles  furent  formées  par  un  plissement  (le  plisse- 
ment calédonien  des  géologues)  qui  s'étendait  de  l'Amérique  du 
Nord  à  la  Scandinavie  à  travers  un  continent,  l'Atlantide,  aujour- 
d'hui disparu. 

Les  secondes  remontent  à  l'époque  carboniférienne  (fin  de 
l'ère  primaire).  Elles  comprennent  les  hauteurs  de  l'Irlande 
méridionale,  de  la  Cornouaille,  de  notre  Bretagne,  du  Massif 
Central,  de  l'Ardenne,  des  Vosges,  de  la  Forêt-Noire,  de  l'Alle- 
magne du  Sud,  de  la  Bohême,  des  plateaux  espagnols,  des 
Maures-Esterel,  et  de  la  Thrace.  On  désigne  le  plissement  qui  leur 
donna  naissance  sous  le    nom  de  plissement  hercynien. 

Soumises  depuis  une  époque  prodigieusement  reculée 
à  une  érosion  intense,  ces  montagnes  ne  sont  plus  que 
la  racine  de  ce  qu'elles  furent  jadis.  La  Cornouaille, 
la  Bretagne  eurent  des  sommets  aussi  hauts  que  les 
Alpes.  L'Ecosse,  la  Scandinavie,  l'Ardenne,  réduites  à 
l'état  de  pénéplaines  ",  ont  perdu  les  deux  tiers  de 
leur  hauteur  primitive.  Le  Massif  Central  et  les  Vosges 
auraient  presque  entièrement  disparu  si,  aux  temps  ter- 
tiaires, les  plissements  alpins  ne  les  avaient  redressés  en 
butant  contre  leur  masse  résistante.  Mais  leur  ancien- 
neté se  traduit  encore  aux  yeux  d'une  façon  saisissante  par 
leurs  contours  émoussés,  leurs  sommets  arrondis,  la 
largeur  de  leurs  vallées,  les  longues  ondulations  de  leurs 
croupes  uniformes. 

Les  roches  qui  forment  leur  ossature  sont,  comme 
elles,  d'origine  fort  ancienne.  Les  granits,  les  schistes, 
les  gneiss,  les  porphyres,  les  grès  et  calcaires  d'âge  pri- 
maire y  dominent  presque  exclusivement.  Il  faut  y 
joindre  les  dépôts  houillers  dont  un  climat  chaud  et 
4 _ 


humide,  une  végétation  puissante  favorisèrent  la  lente 
formation  au  fond  des  lacs  qui  bordaient  les  massifs  her- 
cyniens (gisements  d'Angleterre,  du  Massif  Central,  de 
Belgique,  de  Westphalie,  de  Saxe,  etc.). 

Presque  tous  les  massifs  montagneux  de  l'Europe  méridionale 
sont  au  contraire  de  date  récente  —  au  moins  relativement.  Ils 
doivent  tous  leur  formation  au  puissant  mouvement  de  contraction 
qui  se  fit  sentir  dans  le  monde  entier  aux  temps  tertiaires  après  la 
longue  période  de  repos  relatif  qui  remplit  l'époque  secondaire. 
De  l'éocène  au  pliocène  apparurent  les  Pyrénées,  la  Sierra  Nevada, 
les  Alpes,  le  Jura,  les  Carpates,  les  Balkans,  l'Apennin,  les  chaînes 
dinariques,  le  Pinde,  auxquels  il  faut  joindre,  hors  d'Europe, 
l'Atlas,  le  Caucase,  l'Hymalaya,  les  Rocheuses,  les  Andes  et  les 
montagnes  de  la  Nouvelle-Zélande.  Leur  jeunesse  explique  leur 
altitude  considérable,  la  raideur  de  leurs  pentes,  l'étroilesse  de 
leurs  vallées,  les  arêtes  vives,  les  aiguilles,  les  cornes  que  l'éro- 
sion n'eut  point  le  temps  d'arrondir.  Les  courbes  qu'elles  décrivent 
presque  toutes  (Alpes,  Carpates,  Apennin,  etc.)  sont  dues  à  l'obli- 
gation où  elles  se  trouvèrent  de  se  modeler  comme  une  matière 
plastique  sur  les  massifs  anciens  qui  jouaient  le  rôle  de  butoirs. 
Enfin  des  plissements  d'une  telle  ampleur  n'allèrent  point  sans 
cassures,  failles,  effondrements,  par  lesquels  se  firent  jour  avec 
une  activité  nouvelle  les  matières  ignées  de  l'intérieur.  De  là  pro- 
viennent, par  exemple,  les  volcans  italiens  et  auvergnats. 

Ces  montagnes  du  plissement  alpin  jouent  en  Europe 
un  rôle  essentiel.  Par  leurs  glaciers,  leurs  champs  de 
neige,  leurs  lacs,  les  abondantes  précipitations  atmosphé- 
riques qu'elles  provoquent,  elles  sont  comme  le  gigan- 
tesque château  d'eau  où  s'alimentent  fleuves  et  rivières. 
Longtemps,  il  est  vrai,  elles  constituèrent  entre  les  terres 
méditerranéennes  et  l'Europe  du  Nord  une  barrière 
difficilement  franchissable  et  les  tribus  qui,  fuyant  un 
agresseur  ou  passionnées  d'indépendance,  se  réfugièrent 
dans  leurs  hautes  vallées,  restèrent  sans  rapports  avec 
le  reste  des  hommes.  Mais  aujourd'hui,  sillonnées  de 
routes  et  de  voies  ferrées,  percées  de  tunnels,  envahies 
par  les  usines  et  les  touristes,  réserve  précieuse  de  forêts 
et  de  pâturages,  elles  sortent  de  leur  magnifique  isolement 
et  jusque  sur  leurs  sommets  longtemps  inviolés  monte 
comme  le  frémissement  d'une  vie  nouvelle. 

Les  plateaux  sont  rares  en  Europe,  et  c'est  tant 
mieux.  Un  plateau,  surtout  dans  les  zones  tempérées  et 
subtropicales,  se  trouve  presque  toujours  soustrait  par 
les  montagnes  qui  le  bordent  à  la  bienfaisante  influence 
des  vents  marins  :  d'où  faiblesse  des  pluies,  brusques  et 
profondes  variations  des  températures,  végétationmédiocre 
ou  nulle.  La  plupart  des  grands  déserts  du  monde  (Iran, 
Mongolie,  Colorado,  Sahara,  Australie  intérieure) 
occupent  des  plateaux.  En  Europe,  l'Espagne  seule 
offre  dans  les  deux  Castilles  de  vastes  espaces  tabulaires, 
élevés  de  700  à  1  000  mètres,  ceints  de  monteignes,  fort 
semblables  aux  plateaux  asiatiques  ou  africains.  Aussi 
les  Castilles  comptent-elles  parmi  les  régions  les  moins 
productives  et  les  moins  peuplées  du  continent.  Certaines 


L'EUROPE 


LE  GLACIER  D'ARCENTIERE.  Us  montafnes  de  type  alpestre  sont  les  plus 
jeunzs  et  partant,  les  plus  élevzes  de  l'Europe.  Comme  elles  arrêtent  la  course  cagabontU 
des  n-jaga.  elles  reçoivmt  un:  trh  grande  quantité  de  t^tàe  et  de  neige,  et  par  leurs 
névés,  Imts  glaciers,   leurs  tacs,  elles  jouent  pour  notre  continent  le  rôle  de    Château 


tTEau.  La  vue  ci-dessus,  prise  en  Savoie,  montre  l'Aiguille  du  Chardcrmel  et  Pexlré- 
mité  du  glacier  d'Argentière,  —  l'un  des  plus  longs  du  Massif  du  Mont-Blcnc,  — 
dont  la  langue  terminale  incurvée  entre  deux  puistants  remparts  de  morainet,  nourrit 
le  torrent  de  VArve,  Q.  Granceh. 


L'EUROPE 


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ECOSSE  :  LE  LAC  ACHRAY.  Aux  montagnes  jeunes  comme  les  Pyrénées  et 
les  Alpes  s'opposent  les  vieux  massifs  de  Scandinavie,  d'Armorique,  d'Ecosse,  dûs 
à  des  plissements  tTès'anciens.  Derrière  le  rempart  multiple  des  moraines  anciennes 
dorment  des  lacs  ptofcnds  Cl.  PHILIPPE  HuNT  CoPyiigKt. 


LES  BORDS  DU  RHIN  A  ROLANDSECK.  U  Rhin  a  toujours  tenu  dans  rbis- 
loire  de  l'Europe  une  place  de  premier  langtsoil  comme  frontière  de  peuples,  soit 
comme  voie  de  communication.  Sa  vallée,  généralement  large,  ne  se  rétrécit  qu'au 
passage   du    Massif  schisteux    rhénan,    entre    Bingen    et    Bonn.     Cl.   Stencel. 


-«^flMSpMsai» 


LES  BORDS  DE  LA  LOIRE  ;  AMBOISE.  Mo.ns  romantique  que  la  vallée  du 
Rhin  héroïque   ',  la  gracieuse  suite  de  "  vais  ",  où  la  Loire  roule  ses  eaux  entre 
Orléans  et  Angers,  n'est    pas  moins  attrayante,  grâce  à  ses  riants  coteaux,   aux 
châteaux  magnifiques  qui  l'accompagnent  sur  chaque  rive.  Cl.  Neurdfin. 


LA  STEPPE  RUSSE.  A  l  Europe  des  montagnes  et  des  plateaux  s'oppose  l'Eu- 
TOpe  des  plaines  qui.  de  la  Flandre  à  l'Oural,  déroule  ses  vastes  espaces 
monotones.  Parfois  extrêmement  fécondes,  ces  plaines  sont  ailleurs,  soit  maréca- 
geuses et  boisées  soit  sablonneuses  et  vêtues  des  maigres  herbes  de  la  steppe. 


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iS^UJZ  DE  PRESSA.  MACÉDOINE.  La  péninsule  des  Balkans  fut  l'objet  de 
PoaitlJfrïmiÊrifî /j^c.'ciWçj'iCJ  çiJi  lui  valent  un  relief  fort  capricieux.  Au  pied  de  mas- 
sait par  des 
.  BoiSSONNAS. 


.  ^wv>>^i.-'i>^'iL.>  1  .i.uiiitji  c.^  vi  (u'  I.UICU  un  Tciic/  jori  capncteux.  /\u  pu 
sifs.  !!cuis  d-200G  i  3000  m.,  t  effondrent  des  tassimfermés,  occupés,  j 
hcs^stntpaTdetàépStsaïluviciLX oùseconcenlrent  les hommes.Ci.  Fred.  B( 


CORSE  :  LE  GOLFE  DE  PORTO.  Type  de  côte  méditerranéenne.  Dans  lesT  ca- 
lanques "  étroites  que  bordent  des  roches  rutilantes,  murmure^/a  chanson  des  flots 
a  >o  ses.  Sous  la  pure  lumière  d'un  ciel  sans  nuages  éclate  la  symphonie  des  bleus, 
des  verts  sombres,  des  rouges  écarlotes.  des  jaunes  ambres.  Cl.  Boulanger. 


NOTIONS  GENERALES 


parties  du  Massif  Central,  l'Ardeime,  la  Bavière  me'ri- 
dionale,  enfin  quelques  régions  de  la  pe'ninsule  balka- 
nique complètent  la  série  des  plateaux  européens. 

Si  les  plateaux  sont  pour  l'homme  des  pôles  répulsifs, 
les  plaines  apparaissent  au  contraire,  par  l'abondance  de 
leurs  ressources  agricoles  et  la  facilité  qu'elles  offrent  aux 
communications,  comme  des  centres  attractifs,  des  zones 
d'humanité.  Or  les  plaines  occupent  chez  nous  de  si 
vastes  étendues  (les  deux  tiers  de  la  superficie  totale),  que, 
grâce  à  elles,  l'altitude  moyenne  de  l'Europe  (330  mètres 
environ)  est  la  plus  faible  de  tous  les  continents  (Aus- 
tralie :  360  mètres  ;  Amérique  du  Sud  :  550  mètres  ; 
Amérique  du  Nord  :  600  mètres  ;  Afrique  :  660  mètres  : 
Asie  :  1  010  mètres). 

Un  simple  coup  d'oeil  sur  la  carte  nous  montre  deux 
séries  de  plaines  européennes,  l'une  d'un  seul  tenant, 
l'autre  morcelée  en  bassins  isolés. 

La  première  commence  aux  Pyrénées  occidentales,  se 
contmue  par  les  bassins  de  Paris  et  de  Londres,  la  Bel- 
gique flamande,  la  Hollande,  l'Allemagne  du  Nord,  le 
Dememark,  la  Suède  méridionale,  et,  par  delà  les  plaines 
polonaises  et  russes,  s'en  va  rejoindre  en  Asie  l'immense 
plate-forme  sibérienne. 

A  cette  zone  de  plaines  continues  s'ajoutent  et  s'oppo- 
sent les  plaines  fermées,  nettement  circonscrites,  du  Centre 
et  du  Sud  :  Hongrie,  Lombardie,  Roumélie,  et  les 
petits  bassins  de  Thessalie,  d'Apulie,  de  Campanie,  de 
Toscane,  les  Huertas  espagnoles.  l'Andalousie,  le  Por- 
tugal. 

Toutes  ne  furent  pas  également  favonsées  par  la 
nature. 

Celles  du  Nord  se  virent  en  majeure  partie  recou- 
vertes, au  début  des  temps  quaternau-es,  par  une  immense 
calotte  de  glace,  une  "  inlandsis  "  partie  des  monts 
Scandinaves.  Lorsque  la  glace  fondit,  les  moraines 
énormes  qu'elle  charriait  demeurèrent  en  place.  Elles 
formèrent  ainsi  sur  le  socle  de  roches  anciennes  une 
couche  plus  ou  moins  épaisse  de  blocs  erratiques,  de 
boues,  de  graviers  généralement  très  pauvres  en  pnncipes 
fertilisants.  Sur  les  argiles  grises  se  multiplièrent  les 
marais,  les  tourbières,  les  lacs,  tandis  que  la  forêt  s'empa- 
rait des  sables.  Telles  apparaissent  encore  la  Russie  du 
Nord,  la  Finlande,  le  Norriand  suédois,  les  pays  qui 
bordent  la  Baltique  méridionale.  L'utilisation  fragmen- 
taire de  ces  plaines  infécondes  n'a  pu  se  faire  qu  à  grand  - 
peine  et  depuis  peu  de  temps.  Elle  exige  de  longs  efforts, 
de  grosses  dépenses,  pour  des  résuhats  médiocres. 

Au  contraire,  les  plaines  du  Centre  et  du  Sud,  épar- 
gnées par  les  glaciers,  se  vêtirent  généralement  non  de 
sables  infertiles,  mais  de  riches  terreaux  d'origines 
diverses  :  lœss  d'Alsace,  de  Hongrie,  de  Roumanie, 
limons  de  Beauce  et  de  Hesbaye.  "  Tchernozom        ou 


terre  noire  de  la  Russie  méridioneJe,  atluvions  fluviales 
de  Lombardie,  laves  décomposées  de  Campanie  et  de 
Limagne,  etc.  Depuis  l'apparition  de  l'homme  sur  la 
terre,  ces  plaines  dont  le  sol,  peu  favorable  à  la  végéta- 
tion arbustive,  convenait  merveilleusement  aux  céréales, 
formèrent  dans  la  forêt  primitive  d'immenses  clairières  où 
nos  lointains  ancêtres  se  fixèrent  de  préférence  dès  qu'ils 
surent  s'improviser  agriculteurs.  Les  migrations  succes- 
sives dont  l'Europe  fut  le  théâtre  suivirent  aussi  ces  zones 
attirantes  beaucoup  plus  que  les  rives  marécageuses  des 
fleuves.  Par  là  s'acclimatèrent  de  bonne  heure  chez  nous 
plantes  comestibles,  arbres  fruitiers,  animaux  domesti- 
cables.  Encore  aujourd'hui  —  et  plus  que  jamais  —  ce 
sont  les  terres  nourricières,  celles  où  les  villages  se  tou- 
chent, où,  sur  le  damier  bariolé  des  champs,  se  répète 
uniforme,  de  Lisbonne  à  l'Oural,  le  "  geste  auguste 
du  semeur  '". 

LES  CÔTES,  LES  ILES,  LES  MERS.  00 
Plaines,  plateaux  et  montagnes  aboutissent  à  la  mer  ; 
non  pas  en  lourdes  masses  aux  bords  rectilignes  comme 
l'Afrique  et  l'Australie,  mais  avec  une  variété  si  capri- 
cieuse, une  fantaisie  si  habilement  nuancée,  que  le 
dessin  des  côtes  européennes  semble  tracé  par  la  main 
bienveillante  d'un  Dieu. 

L'Europe  compte,  en  effet,  I  kilomèlre  de  côtes  pour  260  kilo- 
mètres carrés.  C'est  la  plus  Forte  proportion  qui  soit  au  monde 
(Amérique  du  Nord  ;  1  kilomètre  pour  407  kilomètres  carrés  : 
Amérique  du  Sud  :  I  kilomètre  pour  686  kilomètres  carrés  ; 
Asie  :  I  kilomèlre  pour  700  kilomètres  carrés  ;  Afrique  ;  I  kilo- 
mèlre pour  1041  kilomètres  carrés).  C'est,  aussi,  par  les  avantages 
climatiques  ou  commerciaux  qu'une  si  intime  pénétration  des  terres 
et  des  mers  donne,  à  notre  conlinent,  la  meilleure  raison  de  sa  supé- 
riorilé. 

La  topographie  des  côtes  varie  à  I  infini,  mais  leurs 
différents  types  peuvent  prendre  place  dans  deux  caté- 
gories :  côtes  basses,  côtes  élevées. 

Au  type  des  côtes  basses,  plates,  boueuses  ou  sablon- 
neuses, appartiennent  une  grande  partie  des  rivages  de 
la  Mer  Blanche,  de  la  Baltique,  de  la  Mer  du  Nord, 
des  golfes  de  Gascogne  et  du  Lion,  de  la  Mer  Noire, 
de  la  Caspienne,  sans  compter  une  notable  proportion 
des  côtes  italiennes  et  espagnoles.  Là  se  trouvent  ces 
Marschen,  ces  Polders,  ces  Moëres,  ces  Maremmes, 
ces  Limans,  plages  indécises  souvent  malsaines,  où  alter- 
nent la  dune  changeante  et  le  roseau  des  marais.  Inhos- 
pitalières en  général,  battues  de  plein  fouet  par  le  vent 
et  les  vagues,  donnant  sur  des  mers  sans  profondeur  et 
fort  pauvres  en  rades  naturelles,  ces  côtes  furent  longtemps 
délaissées  par  l'homme.  Elles  le  sont  encore  en  maints 
endroits  et  leur  solitude  contraste  avec  le  four- 
millement de  vie  des  rivage»  plus  favorisés.  (Cf.  en 
France  les  côtes  landaises  ou  languedociennes  en  regard 


L'EUROPE 


des  côtes  bretonnes  ou  provençales.)  Mais,  tout  au  moins 
sur  la  façade  atlantique,  cette  faiblesse  se  trouve  heu- 
reusement et  largement  compense'e  par  l'abondance  des 
estuaires  que  remontent  les  marées.  Ces  estuaires,  débou- 
chés naturels  des  régions  intérieures  ou  mène  le  ruban 
argenté  des  fleuves,  répondent  aux  exigences  des  grands 
ports  modernes  ;  par  eux  le  domaine  de  la  mer  se  pro- 
longe au  sein  du  continent,  et  d'Arkhangelsk  à  Lisbonne, 
par  Riga,  Danzig,  Hambourg,  Brème,  Londres,  Rotter- 
dam, Anvers,  Nantes,  Bordeaux,  etc.,  ils  attirent  et  cris- 
tallisent la  vie. 

Les  côtes  élevées  apparaissent  au  contraire  et  tout 
naturellement,  soitaux  lieux  où  des  montagnes,  de  hautes 
collines  bordent  immédiatement  le  rivage,  soit  dans  les 
régions  où  des  plateaux  de  faible  élévation  sont  tranchés 
à  pic  par  la  mer.  Les  vagues  attaquent  avec  un  inégal 
succès  les  roches  de  dureté  variable.  Ici  (au  pays  deCaux, 
dans  l'Angleterre  méridionale,  à  l'île  de  Rugen,  etc.) 
de  roides  falaises  calcaires  dressent  leurs  murailles  rigides 
qui  s'abattent  par  pans  entiers  et  qu'interrompent  de 
rares  valleuses.  Là  (en  Bretagne,  en  Provence,  en 
Norvège,  en  Ecosse,  sur  le  pourtour  de  la  péninsule 
balkanique),  la  mer  creuse  ses  calanques,  ses  anses, 
ses  criques  dentelées,  envahit  les  fjords  et  les  rias,  use, 
lime,  mord,  perce  la  roche  dure,  l'émiette  en  galets,  en 
sable  fin  que  les  courants  du  large  emportent  vers  les 
abîmes,  ou  déposent  au  fond  des  golfes. 

Là  les  abus  naturels  sont  innombrables;  là  se  Irouvent  les  plus 
belles  rades  en  eau  profonde  (Brest, Toulon,  fjords  de  Norvège,  etc.) 
et  c  est  sur  des  rivages  de  celte  sorte  que  naquit,  aux  temps  anciens, 
la  vie  maritime.  Mais  il  convient  de  remarquer  que  la  plupart  de 
ces  refuges,  qui  se  prêtaient  admirablement  aux  conditions  requises 
par  les  petits  navires  d'autrefois,  ne  répondent  plus  aux  nécessités 
de  la  navigation  moderne,  soit  qu'ils  manquent  d'ampleur  et  de 
profondeur,  soit  qu'ils  bordent  un  arrière-pays  montagneux,  pauvre, 
à  population  clairsemée,  et  sans  moyen  de  communications.  Le 
fait  est  frappant  en  Ejéide,  en  Dalmatie.  en  Ligurie,  en  Provence, 
en  Bretagne.  Aux  lieux  mêmes  où  les  avantages  d'une  situation  conti- 
nentale privilégiée  ont  assuré,  aux  temps  contemporains,  la  persis- 
tance et  le  développement  continu  d'une  activité  maritime  de  vieille 
date  comme  à  Gênes  et  à  Marseille,  la  rade  primitive  ne  joue  plus 
qu  un  rôle  secondaire  :  c'est  le  port  nouveau,  créé  de  toutes  pièces, 
qui  accueille,  à  l'abri  de  ses  digues  puissantes,  les  navires  géants 
dont  nous  avons  besoin. 

Ces  côtes  ont  leur  prolongement  dans  les  îles.  Grandes 
ou  petites,  rochers  dénudés  ou  fertiles  terroirs,  briàlées 
de  soleil  ou  noyées  dans  les  brouillards  du  Nord,  elles 
complètent  la  riche  ciselure  des  rivages  continentaux, 
elles  ajoutent  leurs  ressources  à  celles  de  la  terre  ferme. 
Les  unes  (lies  Britanniques,  Corse,  Sardaigne,  Crète) 
sont  assez  vastes  et  leur  isolement  est  assez  grand  pour 
qu'elles  aient  toujours  tenu  dans  la  vie  de  l'Europe  une 
place  a  part.  Les  caractères  spéciaux  de  leur  civilisation, 
de  leurs  langues  ou  dialectes,  des  mœurs  de  leurs  habi- 

8 


tants  leur  donnent  ou  leur  ont  donné  longtemps  une 
physionomie  originale.  Ce  sont  comme  des  raccourcis  de 
continent.  D'autres,  telle  la  série  d'îles  qui  bordent 
la  Norvège  et  la  Dalmatie,  eurent  surtout  pour  effet  de 
protéger  la  côte  qui  leur  fait  face  contre  les  assauts 
de  la  mer.  D'autres  enfin  (îles  Danoises,  Sicile,  îles  de 
l'Archipel  grec)  forment  les  piliers  d'un  pont  naturel 
qui  prolonge  le  continent  et  l'unit  aux   terres  voisines. 

Les  mers  qui  baignent  l'Europe  diffèrent  fortement 
entre  elles  par  leur  topographie,  leur  profondeur,  leur 
régime,  leur  importance  économique. 

Tout  d'abord  l'Europe  a  sur  l'Amérique  et  l'Asie 
ce  très  grand  avantage  de  n'ouvrir  aucune  façade  sur  des 
mers  tout  à  fait  inutilisables.  Grâce  au  Gulf-Stream,  dont 
I  heureuse  influence  se  fait  sentir  jusqu'au  Spitzberg  et  à 
la  Nouvelle-Zemble,  l'Océan  Glacial  Arctique  lui-même 
est  libre  de  glacesau  largede  laLaponie.  La  Mer  Blanche, 
qui  échappe  à  l'action  bienfaisante  du  courant,  se  trouve 
prise,  il  est  vrai,  huit  mois  sur  douze.  Encore  demeure- 
t-elle  accessible  pendant  un  tiers  de  l'année  à  la  naviga- 
tion. 

L'Atlantique  et  ses  annexes  (Baltique,  Mer  du 
Nord,  Manche)  ont  été  formés,  aux  temps  tertiaires, 
par  des  séries  d'effondrements  ou  d'affaissements  d'une 
ampleur  plus  ou  moins  considérable  selon  les  lieux. 
Tandis  que  dans  le  golfe  de  Gascogne  la  sonde  atteint 
5099  mètres,  et  3667  entre  l'Islande  et  le  Spitzberg, 
la  Baltique  n'a  que  150  mètres  de  profondeur  moyenne, 
la  Mer  du  Nord  une  centaine,  la  Manche  et  la  Mer 
d'Irlande  60,  le  Pas  de  Calais  30.  Parcouru  à  la  surface 
par  le  Gulf-Stream,  protégé  dans  les  profondeurs  contre 
l'afflux  des  eaux  glacées  par  un  seuil  sous-marin  de  moins 
de  100  mètres  qui  va  de  l'Ecosse  à  l'Islande  et  porte 
les  îles  Fâr-Oer,  l'Atlantique  est,  sur  nos  côtes, 
beaucoup  plus  chaud  que  la  latitude  ne  semble  le  com- 
porter. Aussi  ne  gèle-t-il  jamais,  même  pai  72°  de  latitude 
Nord,  tandis  que  la  côte  américaine  gèle  par  45°  de  latitude 
Nord,  (cf.  la  latitude  de  Bordeaux),  et  la  limite  Sud 
des  glaces  flottantes,  qui  dérivent  en  Amérique  jusqu'au 
cap  Hatteras  (35°  latitude  Nord),  ne  dépasse  pas  chez  nous 
le  70^  degré.  Les  marées  y  sont  très  fortes,  fréquentes 
les  brumes,  et  violentes  les  tempêtes  amenées  par  les 
vents  d'Ouest.  Mais  ces  mers  abondent  en  poissons  de 
toutes  espèces  (morues,  maquereaux,  sardines,  harengs)  ; 
de  plus  elles  baignent  les  côtes  des  nations  les  plus 
actives,  les  plus  commerçantes  du  monde.  Aussi  la  vie 
maritime  y  est  intense.  Le  nombre  des  passagers,  des 
navires,  des  pêcheurs  qui  circulent,  par  exemple,  sur 
la  Manche,  est  tel  que  la  densité  kilométrique  de  sa 
population  flottante  dépasse  celle  de  maints  territoires 
continentaux. 

A  l'Atlantique,  mer  ouverte,    s'oppose  la  Méditer- 


NOTIONS  GÉNÉRALES 


ranée,  tj-pe  des  mers  continentales  ou  mers  fermées. 
Contemporaine  des  plissements  alpins  et  formée  par 
fractures  successives,  c'est  une  zone  de  dislocation,  un 
des  points  faibles  de  l'écorce  terrestre,  ce  qui  explique 
1  activité'  des  phénomènes  volcaniques  et  la  fréquence 
des  tremblements  de  terre  dans  les  pays  qui  la  bordent. 

Ellle  se  divise  en  deux  parties  bien  nettes,  séparées  par  le  seuil 
étroit  qui  unit  la  Sicile  à  l'Atlas  tunisien.  A  l'Ouest,  la  sonde 
atteint  3149  mètres  près  des  Baléares  et  3730  mètres  dans  la 
Mer  Tyrrhénienne.  -A  l'Est,  la  fosse  de  la  Pola,  près  du  cap 
Matapan,  descend  à  4404  mètres,  celle  de  Candie  à  3347  mètres. 
La  Mer  Noire  elle-même  a  des  profondeurs  de  2000  mètres  et 
plus.  Par  contre,  l'Adriatique  et  la  Mer  Egée  varient  entre  200  et 
1500  mètres  et  la  Mer  d'Azov  est  une  vaste  lagune  qui  ne 
dépasse  pas    14  mètres  de  fond. 

Soumise  à  'une  évaporation  intense,  et  ne  recevant 
qu'une  insuffisante  quantité  d'eau  douce  (car  les  pluies 
y  sont  rares  comme  les  grands  fleuves),  la  Méditerranée 
se  dessécherait  tout  entière  en  moins  dequatre  cents  ans,  si 
l'Atlantique  et  la  Mer  Noire  ne  venaient  rétablir  l'équi- 
libre en  lui  envoyant,  parle  détroit  de  Gibraltar,  le  Bos- 
phore et  les  Dcu-danelles,  les  eaux  dont  elle  a  besoin.  Les 
marées  y  sont  à  peine  sensibles  sauf  en  quelques  points 
de  l'Adriatique  et  des  Syrtes  (0  m.  70  à  Trieste, 
1  m.  80  à  Sfcix).  La  température  de  l'eau  se  maintient 
élevée  jusqu'aux  plus  grandes  profondeurs  grâce  au  seuil 
de  Gibraltar  qui  arrête  l'afflux  des  eaux  froides  et  ne 
laisse  pénétrer  que  les  eaux  tièdes  de  la  surface.  Aussi 
la  Méditerranée  peut  elle  être  considérée  comme  un 
immense  bassin  d'eau  chaude  qui  agit  puissamment  sur 
le  climat  des  régions  voisines.  Beaucoup  moins  riche  que 
l'Océan  en  espèces  animales  (thon,  anchois,  auxquels 
s'ajoutent  les  éponges  et  le  corail),  la  pêche  ne  joue  qu'un 
rôle  restreint  dans  la  vie  des  populations  riveraines,  et, 
malgré  les  dentelures  de  leurs  rivages,  bien  des  îles  ou 
des  presqu'îles  méditerranéennes  :  la  Corse,  la  Sardaigne, 
l'Elspagne  même,  sont  peuplées  d'agriculteurs  beaucoup 
plus  que  de  marins. 

Pendant  de  longs  siècles  la  Méditerraoée  (ut  la  mer  européenne 
par  excellence  :  "  mare  noitrum  ",  disaient  les  Latins.  Les 
Cretois,  les  Egyptiens,  les  Phéniciens,  les  Grecs  la  sillonnèrent  de 
leurs  légers  navires,  bâtirent  sur  ses  rives  leurs  comptoirs  et  les 
colonnes  de  leurs  temples.  Au  Moyen  Age,  Venise,  Gènes,  Pise, 
Amalfi,  Marseille,  Constantinople  n'avaient  pas  de  rivales  comme 
entrepôts  commerciaux.  Les  grandes  découvertes  des  XV^  et  X^.l*^  siè- 
cles favorisèrent  au  contraire  les  ports  océaniques,  en  relations 
plus  naturelles  avec  l'Amérique,  les  côtes  d'Afrique,  l'Extrême- 
Orient  même.  Mais  cette  décadence  s'arrêta  du  jour  où  le  canal 
de  Suez  (ut  creusé,  porte  ouverte  sur  un  immense  horizon.  La  vie 
renaquit  sur  ces  eaux  d'améthyste  et  de  saphir  où  les  tempêtes  sont 
rares,  les  brouillards  inconnus.  Le  développement  économique  des 
pays  d'Orient,  de  l'Egypte,  de  l'Afrique  Mineure  augmcnlechaque 
jour  l'intensité  du  trafic  et  la  Méditerranée  a  largement  regagné  le 
rang  qu'elle  avait  perdu. 

LES  CLIMATS.  ^^  Grandement  favorisée  par 


la  nature  de  son  relief,  l'étendue  de  ses  côtes,  et  le 
régime  de  ses  mers,  l'Europe  I  est  encore  par  son  climat. 
Sa  situation  en  latitude  (du  35°  au  71°),  l'influence 
adoucissante  des  eaux  tièdes  qui  la  pénètrent,  des  vents 
qui  la  parcourent,  enfin  la  variété  et  la  modération  de 
son  relief  lui  assurent  un  climat  sain,  généralement  exempt 
des  extrêmes  de  chaleur  ou  de  froid,  de  la  sécheresse 
ou  de  l'humidité  excessives  que  l'on  trouve  en  d'autres 
continents. 

En  tenant  compte  de  la  répartition  des  températures 
et  des  précipitations  atmosphériques,  on  peut  diviser 
l'Europe  en  plusieurs  zones  climatiques  assez  nettement 
tranchées. 

1°  Toute  la  bordure  occidentale  du  continent  (Portugal, 
France  sauf  la  région  méditerranéenne.  Hollande,  lies 
Britanniques,  Nord-Ouest  de  I  Allemagne,  côtes  de 
Norvège)  est  soumise  au  régime  océanique  ou  maritime. 

L'influence  prédominante  est  celle  de  la  mer,  du 
Gulf-Stream  et  des  vents  tièdes  de  l'Ouest.  Tous  agissent 
dans  le  même  sens  :  ils  modèrent  la  chaleur  de  l'été  et 
le  froid  de  l'hiver,  donnent  en  toutes  saisons,  mais 
surtout  en  hiver,  des  pluiesabondantes,  rendent  fréquents 
les  jours  de  brume  et  multiphent  les  brusques  variations 
de  la  pression  atmosphérique,  causes  des  tempêtes. 


Stations. 


Lisbonne 

Brrat 

Valentia  (liUncJe) 
Nor')Berffen  .... 
vèse.  (Tromsoe.. . 


Lati- 
tude. 


38°43 
48°23 
51°54 
60°23 
69°39 


Alti- 
tude en 
mètres 


102 

65 
7 
17 
15 


TempénUure  moyenne 


l'année    Jan\ier   Juillet 


I5»6 
ll»7 
10°6 

7» 

2'4 


I0°3 
6»3 
Tl 

—  0°9 

—  3°9 


2I«2 
17-^ 
I5«l 
WA 
11° 


Ampli 
lude 


W>6 

\n 
7"9 
I5°3 
U«9 


Pluie; 
et!  mitli 
mètre; 


726 

824 

1  460 

I  856 

I  040 


Brest  peut  être  choisi  comme  type  de  ce  climat.  Il  a 
une  moyenne  de  6°, 3  en  janvier  et  1 7°, 9  en  juillet,  soit  un 
écart  (il  vaut  mieux  dire  une  amplitude)  de  I  1°,6.  Il  y 
tombe,  en  cent  quatre-vingt-cinq  jours,  824  millimètres 
d'eau  répartis  d'une  façon  à  peu  près  égale  entre  tous 
les  mois  de  l'année.  On  n'y  compte  en  moyenne  que 
vingt-:ept  jours  de  gelée  par  an.  En  revanche,  le  ciel  est 
rarement  dégarni  de  nuages  plus  ou  moins  denses  et  des 
brouillards  humides  embuent  trop  souvent  l'atmosphère. 

Au  climat  océanique  s'oppose  le  climat  continental. 
C'est  celui  de  l'Europe  centrale  et  orientale.  Il  se  carac- 
térise par  de  fortes  variations  de  température,  des  hivers 
longs  et  froids,  des  étés  courts  mais  relativement  très 
chauds.  Les  précipitations  atmosphériques  (on  désigne  sous 
ce  nom  les  diverses  formes  :  pluies,  neige,  grêle  sous 
lesquelles  se  produit  la  condensation  de  l'humidité  conte- 
nue dans  l'air)  sont  moins  fortes  que  sur  les  côtes  et 
diminuent  à  mesure  que  l'on  avance  vers  l'Est.  En  hiver. 


L'EUROPE 


la  neige  couvre  le  sol  pendant  des  mois,  mais  c'est  en  e'té 
que  tombe  le  maximum  des  pluies  causées  par  des  orages 
locaux.  Assez  atte'nué  au  Centre  de  l'Europe  (Autriche, 
Pologne,  plaine  du  Pô),  ce  climat  devient  excessif  en 
Russie  comme  en  témoigne  le  tableau  suivant  : 


Stations. 


PrB^e  . . . . 
Budï-Pest . 

Kîew 

Moscou 

Samara .... 
Orenbourg. 


Lonffi- 
lude  Est 
de  Paris 


12° 
17" 
28° 
35° 
48° 
53° 


Janvier. 


•    1°2 

■  1°9 

■  6°2 
■11° 
■13° 
■15° 


Juillet. 


+  19°3 

+  2I°4 
+  19°2 
+  18°6 
+  23° 
+  22° 


Ampli- 
tude. 


20°5 
B»3 

25»4 
29°6 
36» 
37° 


Pluie» 

en    milli' 

mètres. 


443 
611 
535 

534 
400 
400 


Enfin  les  côtes  méditerranéennes  (Espagne  orientale, 
Languedoc  et  Provence,  Italie  péninsulaire,  Grèce) 
forment  une  troisième  zone  climatique  qui  diffère  forte- 
ment des  deux  autres.  Les  étés  y  sont  longs,  chauds  et 
secs,  les  hivers  tièdes.  Peu  ou  point  de  neige  ;  à  peine 
quelques  jours  de  gelée.  Les  pluies  tombent  surtout  en 
automne  ou  à  la  fin  de  l'hiver  par  brusques  et  violentes 
averses  qu'absorbe  promptement  un  sol  desséché.  Le 
nombre  des  jours  pluvieux  est  très  faible  (Montpellier, 
qui  reçoit  au  total  la  même  quantité  d'eau  que  Pans, 
n'a  que  cinquante-cinq  jours  pluvieux  et  Paris  cent 
soixante-cinq),  et  les  mois  d'été  en  sont  à  peu  près 
dépourvus.  Les  vents  d'Ouest  ne  s'y  font  pas  sentir  : 
les  différences  de  pression  entre  la  Méditerranée  et  les 
hautes  terres  voisines  engendrent  des  vents  locaux  (Mis- 
tral, Tramontane,  Vents  Etésiens,  Sirocco,  Bora),  froids 
ou  chauds,  secs  ou  humides  suivant  leur  direction.  L'atmo- 
sphère est  lumineuse,  transparente,  la  nébulosité  très 
faible,  les  brouillards  d'une  extrême  rareté.  L'hiver  est 
doux,  ensoleillé,  parfumé  et,  même  l'été,  on  y  respire 
sans  effort  un  air  léger  attiédi  par  la  fraîche  brise  marine. 


Statioi 


Barcelone 

Nice 

Naples  ... 
Athènes  ., 


Temp^alure  moyenne 


l'année 


16°9 
15° 
15°9 
17°3 


Janx-ier 


8°9 
7° 

8°2 
8°2 


Juillet 


26° 
24° 
24»3 
27° 


Ampli- 
tude. 


18°9 
17» 
16°1 
18°8 


Pluies 


milli- 
mètres 


570 
600 
830 
402 


Saison 

des 
pluies. 


Oct.  à  janv. 
Oct  à  mars. 
Oct.  à  ianv. 
Oct.  à  mai. 


HYDROGRAPHIE,  mut  Du  climat  dépend 
en  partie  le  régime  des  cours  d'eau.  Il  dépend  aussi  du 
relief  et  de  la  nature  des  terrains  traversés. 

Bienque  chaque  cours  d'eau  ait  son  originalité,  son  indi- 
vidualité propres,  et  diffère  par  quelques  traits  même  de 
ceux  qui  lui  ressemblent  le  plus,  on  peut  cependant 
ckïser  les  fleuves  euiopéens  en  plusieurs  catégories. 

A   1  Est,  les  fleuves   russes  et  polonais  naissent  tous 

10  — 


à  très  faible  hauteur  et  drainent  de  vastes  étendues 
de  pays.  Ils  sont  alimentés  uniquement  par  la  fonte 
des  neiges  hivernales  et  les  pluies  d'été.  Leur  pente 
est    insignifiante,    leur  longueur    considérable     (Dvina 

1  700    kilomètres,   Dniestr     I  500   kilomètres,    Dniepr 

2  150     kilomètres.     Don     2  150    kilomètres,     Volga 

3  395  kilomètres),  leur  débit  fort  abondant  et  assez  régu- 
lier ;  mais  ils  gèlent  pendant  les  mois  d'hiver  (la  Volga, 
par  exemple,  est  prise  cent  jours  par  an  à  Astrakhan, 
cent  cinquante-trois  jours  à  Kazan,  et  cent  soixante  jours 
à  Kostroma)  et  cela  diminue  leur  utilité  économique  qui 
reste  pourtant  très  grande. 

A  l'Ouest,  les  fleuves  de  type  océanique  (Scandi- 
navie, Angleterre,  Belgique,  France  occidentale)  sont 
nombreux  et  courts,  de  régime  généralement  régulier 
car  les  pluies  qui  les  alimentent  tombent  égales  en 
toute  saison.  Navigables  lorsqu'ils  coulent  en  plaine 
(Tamise,  Escaut,  Seine),  ils  se  terminent  souvent  par 
des  estuaires  que  remontent  les  marées. 

Au  Centre,  les  fleuves  alpestres  (Rhin  1  298  kilo- 
mètres, Rhône  812  kilomètres,  Pô  631  kilomètres. 
Danube  2850  kilomètres)  et  leurs  affluents  (Isère,  Aar, 
Tessin,  Drave  et  Save)  descendent  rapidement  des 
hautes  montagnes  où  ils  naissent,  puis  s'assagissent  en 
plaine.  Ils  ont,  au  printemps,  comme  les  fleuves  russes, 
des  crues  très  fortes  dues  à  la  fonte  des  neiges,  mais  ne 
connaissent  pas  les  maigres  désastreux,  et  leur  débit  con- 
serve une  belle  constance  grâce  aux  neiges  éternelles, 
aux  glaciers  qui  les  alimentent,  aux  lacs  qui  les  régula- 
risent. 

Enfin  les  cours  d'eau  de  type  méditerranéen  (Jucar, 
Ebre,  Hérault,  Var,  Amo,  torrents  de  Grèce)  se  dis- 
tinguent par  leur  irrégularité.  A  l'automne,  au  printemps, 
quand  s'abattent  les  averses  torrentielles,  quand  fondent 
brusquement  les  neiges,  ils  emplissent  leur  ht  à  pente 
forte  d'une  masse  tumultueuse  d'eau  boueuse  et  dévas- 
tatrice. Mais,  l'été  venu,  un  mince  filet  d'eau  serpente 
au  milieu  des  sables  et  des  cailloux  roulés  ;  parfois  même 
ils  se  dessèchent  complètement.  Impropres  à  la  naviga- 
tion, ils  peuvent  rendre  à  la  culture  d'émments  services 
quand  on  sait  tirer  parti  de  leurs  eaux  capricieuses  par 
des  barrages  et  des  canaux  d  irrigation. 

Les  lacs  sont  nombreux  dans  les  plaines  du  Nord  et  au  pied 
des  montagnes.  Les  uns,  aux  parois  abruptes,  aux  grandes  profon- 
deurs, doivent  leur  origine  aux  dislocations,  aux  effondrements  de 
la  croûte  terrestre,  tels  les  "  lochs  "d'Ecosse  (Loch  Ness:  240  mètres 
au-dessous  du  niveau  de  la  mer),  les  lacs  de  Janina,  d'Ochrida,  de 
Presba  dans  le  Pinde. 

D'autres,  comme  les  innombrables  nappes  d'eau  des  plaines  alle- 
mandes, de  Pologne,  de  Finlande,  et  certains  petits  lacs  alpestres 
ou  vosglens,  sont  des  lacs  de  barrage  dus  à  l'accumulation  des  eaux 
derrière  les  moraines  frontales  des  glaciers  quaternaires.  D  autres 
enfin  Oacs  de  Genève,  de  Zurich,  des  Quatre-Cantons,  d'An- 
necy, etc.),  semblent  être  à  la  fois  des  lacs  de  barrage  et  des  lacs 
d'effondrement. 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE      PL.  2. 


NOTIONS  GENERALES 


VÉGÉTATION.  ele>  La  répartition  et  les  asso- 
ciations des  espèces  végétales  dépendent  étroitement 
du  climat  et,  pour  une  moindre  part,  de  la  nature  du 
sol. 

A  l'extrême  Nord,  sur  les  rives  de  l'Océan  Glacial  e? 
de  la  Mer  Blanche,  où  l 'hiver  dure  huit  mois,  ou  le  sol 
est  constamment  gelé  au-dessous  de  5  à  6  centimètres, 
les  mousses  et  les  lichens  mamtiennent  seuls  un  peu  de 
vie.  C'est  l'immensité  désolée  de  la  Toundra  "  que 
parcourent  les  troupeaux  de  rennes. 

Au  Sud  de  la  toundra  apparaissent  les  forêts  de 
Scandinavie,  de  Finlande,  de  Pologne,  de  la  Russie  du 
Nord.  L'hiver  est  encore  trop  long  et  trop  rude  pour 
permettre  la  croissance  d'arbres  autres  que  les  coni- 
fères (pins,  sapins,  mélèzes)  et  les  bouleaux.  Les 
espèces    végétales  sont    peu   nombreuses.    Le  sous-bois 


n'existe  point  :  les  arbres,  de  hauteur  médiocre,  sont 
séparés  les  uns  des  autres  par  des  espaces  vides.  Mono- 
tones, silencieuses  et  tristes,  ces  forêts  déroulent  à  perte 
de  vue  sur  un  sol  plat  leur  manteau  uniforme  de  fûts 
rigides  qu'interrompent  de  rares  clairières,  le  large  lit 
des  fleuves,  le  sombre  miroir  des  lacs. 

L'Ouest  et  le  Centre  de  l'Europe,  au  climat  doux  et 
humide,  appartiennent  au  domaine  des  forêts  d'arbres  à 
feuilles  caduques.  Les  espèces  dominantes  sont  le  chêne, 
le  hêtre,  l'orme,  le  frêne,  le  tilleul,  le  châtaignier. 
Attaquées  par  un  défrichement  intense  et  souvent  abusif, 
ces  forêts  se  raréfient  sans  cesse;  parfois  (Angleterre, 
Hollande),  elles  ont  à  peu  près  disparu.  Mais,  au  début 
des  temps  historiques,  elles  s'étendaient  du  Nord  de 
l'Espagne   à  la   Russie    centrale.    Les  arbres  robustes 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


II 


L'EUROPE 


atteignent  souvent  une  taille  considérable.  Ils  se  pressent 
les  uns  contre  les  autres  avec  une  telle  vigueur,  et  le 
sous-bois  couvert  de  buissons,  de  ronces,  de  fougère,  de 
bruyères,  de  myrtilles,  est  si  e'pais,  que  la  forêt,  aux  rares 
endroits  où  on  ne  l'exploite  pas  régulièrement,  apparaît 
aussi  impénétrable  que  les  sylves  vierges  de  l'Equateur. 
L'hiver,  qui  la  dépouille  de  ses  feuilles,  luidonneune  gran- 
deur austère  et  solennelle  ;  mais,  vienne  le  printemps, 
elle  reprend  son  éclatante  parure  et  ses  majestueux 
ombrages  que  perce  la  lumière,  qu'égayent  des  chants 
d'oiseaux. 

Les  rives  de  la  Méditerranée  ont  leur  végétation  spé- 
ciale d'arbres  toujours  verts  et  de  plantes  odorantes.  Là 
l'hiver  est  si  tiède  que  la  végétation  n'y  subit  point 
d'arrêt.  L'ohvier  —  l'arbre  caractéristique  de  cette  zone, 
l'arbre  dont  la  limite  végétale  coïncide  presque  exacte- 
■ment  avec  les  frontières  mêmes  du  climat  méditerranéen  — 
le  chêne  vert,  le  chêne-kermès,  le  caroubier,  le  laurier, 
1  arbousier  se  parent  en  toutes  saisons  de  leurs  feuilles 
petites,  luisantes  et  dures.  L'ennemi  n'est  point  le  froid, 
mais  la  sécheresse  des  étés.  Les  plantes  se  défendent 
contre  l'évaporation  par  la  longueur  ds  leurs  racines, 
l'épaisseur  de  leur  écorce,  la  petitesse  de  leurs  feuilles 
souvent  cireuses,  vernissées,  obliques  ou  parallèles  aux 
rayons  solaires.  Les  plantes  bulbeuses,  les  plantes  grasses 
emmeigasinent,  dans  leurs  oignons  ou  sous  l'épiderme 
coriace  de  leurs  feuilles,  les  réserves  d'eau  qui  leur  sont 
nécessaires.  Point  de  prairies  naturelles  aux  tendres 
graminées,  mais  das  bouquets  d'herbes  rigides  et  sèches. 
Point  de  forêts  majestueuses,  mais  un  '  maquis  "  d  ar- 
bustes épineux  aux  vives  senteurs  :  myrtes,  lentisques, 
cystes,  genels,romanns,  oliviers  sauvages,  mimosées.etc, 
que  dominent  les  troncs  élégants  des  cyprès,  des  pins 
d  Alep,  des  pins  parasols.  Parfois  le  maquis  lui-même 
s  appauvnt,  s'espace  et  fait  place  à  la  "  garrigue  "  où  de 
rares  buissons  parsèment  la  roche  nue. 

Enfin  certaines  régions  de   l'Espagne   intérieure,    les 

plaines  hongroises  et  roumaines,  et  toute   la    Russie    du 

Sud,  appartiennent  au  domaine  de  la  steppe.  L'hiver  est 

trop  froid  pour  convenir  à  la  végétation  méditerranéenne 

et  la  sécheresse  trop  grande  ou  le  sol  trop  meuble  pour 

favoriser  la  croissance  des  arbres.  Seules  les  graminées 

s  accommodent  de    pareilles  conditions.   Au  printemps, 

elles  poussent  avec  une  étonnante  vigueur  et  leur   tapis 

bariolé,    semé   de    fleurs    multicolores,  se   déploie   sans 

limites,  ondulant  par  grandes  masses  sous  la  brise.  Mais 

1  tté,  1  herbe  jaunit,  se  dessèche,  et  la  steppe  apparaît 

•ne,  brûlante  et  nue.  Quand  le  sous-sol  est  fertile  on 

^      a  pu  défncher  la  steppe  :  dans  l'Alfôld   hongrois,  dans 

I      le  Tchernozom  russe,  les  champs  de  maïs,  de  betterave 

et  de  blé  remplacent  la  prairie.  Par  contre,  aux  alentours 

de  11  r,.,,,.,,^e,  si  grande  est  la  sécheresse,  si  forte  la 

^'>'  '  que  l'herbe   disparaît  peu  à  peu  et,  par 

—  12 


lentes     gradations,     la    steppe     fait     place    au  désert. 

Les  hautes  montagnes  ont  des  formes  spéciales  de  végétation  ou 
plutôt  elles  présentent,  de  la  base  au  sommet,  la  même  succession 
d'espèces  végétales  que  l'on  trouve  du  Sud  au  Nord  de  l'Europe, 
car  1  altitude  a  des  effets  climatiques  identiques  à  ceux  de  la  lati- 
tude. La  température  moyenne  de  l'année  diminue  d'un  degré 
environ  par  1 50  mètres  de  montée.  Aussi,  dans  les  Alpes  mari- 
times par  exemple,  voit-on  d'abord  les  arbres  à  feuilles  persistantes  : 
orangers,  oliviers,  chênes  verts,  etc.,  s'étager  jusqu'à  500  mètres: 
puis  viennent  les  arbres  à  feuilles  caduques  ;  chênes,  hêtres,  châ- 
taigniers, mêlés  aux  cultures  de  céréales,  aux  prairies  dont  on 
fauche  l'herbe.  Au-dessus  de  1  000  mètres  commencent  les  forêts 
de  conifères.  Vers  2  000  mètres  les  arbres  s'espacent,  se  rabou- 
grissent, puis  disparaissent,  remplacés  par  des  gentianes,  des 
rhododendrons  et  des  graminées  courtes,  aux  fleurs  éclatantes. 
Enfin,  vers  2  700  mètres,  les  mousses  et  les  lichens  s'accrochent 
seuls    aux  rochers    qui   percent    le    tapis    des    neiges  éternelles. 

Ainsi,  en  mettant  à  part  la  zone  des  toundras  et 
des  très  hautes  montagnes,  l'Europe  ne  renferme 
point  de  région  absolument  impropre  à  la  vie  humaine. 
Le  climat  est  tel  que  les  plantes  éminemment  nourri- 
cières croissent  à  des  latitudes  plus  élevées  qu'en 
tout  autre  continent.  L  orge  atteint  le  70",  le  blé  le  63°. 
Nulle  part  le  nz  (Italie  du  Nord)  et  le  raisin  (jusqu'au 
50°)  ne  mûrissent  aussi  près  du  pôle.  Il  n'est  point  aussi 
de  région  où  ne  soit  possible  la  vie  sédentaire,  celle  qui 
se  montre  la  plus  favorable  à  l'acquisition  d'un  certain 
bien-être  indispensable  au  progrès.  Le  nomadisme  n'est 
représenté  —  sous  une  forme  très  atténuée  et  liée, 
du  reste,  étroitement  à  la  culture  —  que  par  la  transhu- 
mance. Mais  qu'ont  de  commun  les  troupeaux  et  les  pas- 
teurs qui,  dans  les  régions  méditerranéennes  surtout, 
vont,  suivant  les  saisons,  de  la  plaine  à  la  montagne  et 
des  alpeiges  aux  vallées,  avec  les  hordes  mongoles,  les 
tribus  kirghizes,   les  bergers  misérables  du  Tibet  et  les 

hommes  du  voile  "  dans  les  solitudes  désertes  du 
Sahara? 

LES  POPULATIONS.  £)il  Les  avantages  géo- 
graphiques de  l'Europe  expliquent  la  dansitéélevée  de  sa 
population(46  hab.  au  kilomètre  carré  contre 20en  Asie, 
5  dans  l'Amérique  du  Nord  et  l'Afrique,  2  dans 
l'Amérique  du  Sud,  0,9  en  Australie).  Mais  cette  den- 
sité est  fort  inégulière,  et  les  460000000  d'Européens 
s'entassent,  suivant  les  lieux,  en  masses  serrées  ou  se 
dispersent  en  petits  groupes  sporadiques  et  clairsemés. 

Les  toundras,  les  hautes  montagnes  n  ont  pas  même 
un  habitant  au  kilomètre  carré.  La  zone  des  forêts 
boréales,  les  steppes  russes,  les  plateaux  espagnols,  les 
montagnes  d'altitude  moyenne  (Ecosse,  Balkans)  n'ont 
aussi  généralement  qu'un  nombre  restreint  d  habitants. 
En  revanche,  les  régions  industrielles  de  l'Ouest  euro- 
péen (Belgique,  Angleterre,  France  du  Nord,  Alle- 
magne occidentale,  Bohême),  les  plaines  très  fertiles,  les 


L'EUROPE 


L-AQUEDUC  DE  CLAUDE  ET  LA  VOIE  APPIENNE.  Dans  h  mdlancoliçLc 
solitude  delAgro  Romano.  çaenccdre  le  cercle  bleuâtre  des  monts  de  la  Sahine,  par- 
dessus la  sleDDc  où  errent,  en  hiver,  quelques  trouneaux  de  brebis,  se  dressent  encore 
tes  raines  dorées  des   13  aqueducs  qui  amenaient  à  Rome  l'eau  pure  des  collines 


lointaines,  tandis  que.  au  tord  de  la  ooie  illustre  constrmle  en  312  aaanl  Jésrn- 
CAnj/  par  leçertscur  Appius  Claudius,  la  loneuc  série  des  tombeaux  patriciens,  om- 
brages (a  et  là  de  pins  parasols,  commémore  depuis  2  millénaires  les  fondateurs  de 
la  grandeur  romaine.  CL  Alinari. 


-        13 


L'EUROPE 


SARAGOSSE.  Tout  le  passé  de  l'Espagne  s^résume  dans  l'histoire  de  Saragosie, 
d'origine  ibérique,  puis   colonie  romaine  (sous  te  nom  de    Cissarea    Augusta)  et 
wisigolhe.    riche  et  puissante  cï'.é   maure,  enfin   capitale   des   rois  d  Aragon,    et    j 
quiiranorlaUsa  le  siège  de  1809.  Cl.  LÊW. 


PARIS  :  LE  JARDIN  DES  TUILERIES  ET  LE  LOUVRE  expriment  à  eux 
seuls  cette  grâce  harmonieuse,  ce  cachet  d'élégance  et  de  bon  ion,  cette  noblesse 
avenante  qui  valent  à  Paris  une  si  éclatante  renommée  et  font  d'elle  la  plus  sédui- 
sante des  capitales.  Cl.  Neludein 


CORINTHE  :  LE  TEMPLE  D'APOLLON.  Le  nom  seul  de  Corinlhe,  cité 
commerçante,  industrielle,  colonisatrice,  et  ces  colonnes  encore  debout,  restes  d'un 
temple  d'Apollon,  symbolisent  le  rôle  que  l'Hellade  a  joué  dans  l'histoire  de  la 
civilisation.  Cl.  Fred  Boissonnas. 


LE  FORUM  ROMAIN.  Dans  la  Rome  moderne,  devenue  la  capitale  d'un  État 
jeune,  orgueilleux,  plein  de  vie  ardente  et  surtout  occupé  de  l  avenir,  le  Forum,  ses 
temples,  ses  basiliques,  ses  arcs  de  triomphe  commémorent  l'impérissable  sou- 
venir des  grands  ancêtres.  .  Cl.  Brogi. 


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PaYSAU£    en    ThE3S\L1E. 
THESSALIE  ET  MACÉpOINE./«  X/E>  siècUes  Turcs  musulmans  envahirent 
l  Eura)-.?.  En  moins  d'un  sièc!e,ils  s'anparèren!  de  Constanlinople  et  de  toute  la  pé- 
r.inrule  hnlkanique  oit  ils  tinrent  sous  le  joug  les  "  raïas  "  grecs,  slaves  et  roumains. 
Au  XVUl^  siècle  seulement  commença  le  lent  mouvement  de  recul  qui  vient  de  se 


Fontaine  en  Macédoine. 
terminer  par  leur  expulsion  définitive.  Mais  leurs  traces  subsisteront  longtemps  encore 
dans  tous  les  pays  balkaniques,  grâce  aux  maisons  à  moucharabyès.  aux  fontaines 
gracieuses,  aux  sveltes  minarets  qui  s'érigent  très  blancs  entre  les  noires  frondaisons 
des  cyprès.  CI.  Fred  Botssonnas  et  CL  Granger. 


14 


NOTIONS  GENERALES 


nves  des  cours  d  eau  navigables  attirent  et  fixent  une 
population  sans  cesse  accrue. 

Par  suite  des  progrès  de  l'hygiène,  de  la  nourriture 
meilleure,  de  la  rareté  des  guerres  et  des  maladies  e'pi- 
de'miques,  la  population  de  l'Europe  avait  fait  en  un 
siècle,  de  1813  à  1914,  des  progrès  très  rapides  passant 
de  175  000  000  à  450  000  000  d'hommes.  Aussi, 
malgré  l'abondance  de  ses  ressources,  et  bien  que 
nombre  de  re'gions  encore  insuffisamment  exploite'es 
puissent  nourrir  une  population  de  densité  très  supérieure 
à  la  population  actuelle,  l'émigration  s'était-elle  imposée 
comme  une  nécessité.  L'Amérique  tout  entière,  l'Aus- 
tralie, l'Afrique  du  Sud  et  du  Nord,  la  Sibérie  sont 
peuplées  d'Européens  et,  chaque  année,  l'on  voyait  plus 
de  2000000  d'émigrants Italiens,  Slaves,  Anglo-Saxons. 
Scandinaves,  partir  pour  les  pays  neufs  où  la  terre  est 
libre,  la  vie  large,  l'avenir  plein  de  promesses. 

Ces  hommes  appartiennent  en  grande  majonté  à  la 
race  blanche.  Seuls,  Hongrois,  Bulgares,  Turcs,  Finnois, 
Samoyèdes  et  Tatars  de  Russie  représentent  les  diverses 
familles  de  la  race  jaune,  msiis,  en  général,  si  fortement 
transformée  par  les  croisements,  que  le  type  primitif 
n  est  plus  reconnaissable,  au  moins  chez  les  plus  civilisés 
d'entre  eux. 

Parmi  les  blancs  eux-mêmes  on  peut  distinguer  plu- 
sieurs types  de  races  dont  les  caractères  spécifiques  sont 
encore  suffisamment  nets  en  dépit  des  mélanges  qui, 
depuis  des  millénaires,  en  ont  altéré  la  pureté  première. 

Les  races  de  type  brun  sont  surtout  concentrées  au  Sud  et  au 
Centre  de  l'Europe.  Ce  sont  (d'après  M.  Deniker)  : 

1°  La  race  ibéro-insulalre  (Espagne,  Portugal,  Corse,  Sardaigne, 
Sicile,  Italie  du  Sud)  :  taille  petite  (I  m.  62),  tête  allongée  (doli- 
chocéphalie),  yeux  très  foncés,  peau  bistrée,  nez  droit. 

2"  La  race  cévenole  (Bretagne,  Massif  Central,  Savoie,  Pié- 
mont, Suisse,  Transylvanie,  Abruzzes)  :  taille  encore  petite 
(I  m.  63),  crâne  très  rond  (brachicéphalie),  cheveux  noirs  ou  châ- 
tains, yeux  bruns,  corps  trapu. 

3°  La  race  littorale  ou  atlanto-méditerranéenne  (Thrace.  Latium. 
golfes  de  Gênes  et  du  Lion,  Catalogne,  Valence,  Andalousie, 
Biscaye,  Pays  Basque)  :  taille  au-dessus  de  la  moyenne  (I  m.  64), 
buste  long  et  jambes  courtes  ;  yeux  et  cheveux  presque  noirs. 

4°  La  race  adriatique  (Pinde,  Bosnie,  Croatie,  Romagne  et 
Vénétie,  Nivernais,  Anjou.  Champagne,  Lorraine,  Carpates  du 
Nord:  grande  taille  (I   m.  72). tête  ronde,  lace  allongée. 

Les  races  de  type  blond  occupent  l'Europe  du  Nord  et  de  l'Est. 
La  Silésie,  la  Pologne,  le  Centre  cl  le  Nord  de  la  Russie  appar- 
tiennent au  domaine  de  la  race  orientale  ;  taille  moyenne,  tête 
plutôt  ronde,  nez  camus.  La  race  nordique  (haute  taille  :  I  m.  H, 
tête  allongée,  nez  droit,  cheveux  souvent  roux  ou  blonds  filasse) 
peuple  la  Hollande,  l'Allemagne  du  Nord,  l'Est  et  le  Nord  de 
l'Angleterre,  les  pays  Scandinaves. 

La  répartition  des  langues  parlées  en  Europe  ne 
coïncide  pas  exactement  avec  celle  des  races.  Des 
peuplés  de  races  différentes  ont  adopté  au  cours  des  âges 
le  même  idiome  et  vice-versa. 


Les  langues  indo-européennes  sont  parlées  par  la 
très  grande  majorité  de  la  population.  Elles  com- 
prennent : 

1°  Les  langues  romanes  dérivées  du  grec  et  du  latin  : 
français,  espagnol,  italien,  roumain,  grec  moderne,  et 
les  divers  dialectes  ou  patois  qui  s'y  rattachent  ; 

2"  Les  langues  germaniques  :  alle.Tiand,  anglais,  fla- 
mand, hollandais,  langues  Scandinaves  ; 

3°  Les  langues  slaves  :  russe,  polonais,  tchèque, 
serbe,  bulgare,  etc. 

Les  langues  ouralo-alta'i'ques  importées  en  Europe  par 


l^^2iï 


L"^'^4rC*>iist.iutinople 


Habitanta.  par kmq-  jp» -n  TÏRfîlïTPIF*  HabitantA  parkmq. 

rn^oàio  DENSITÉ    DE    LA  ffo'i,,,»^ 

'Smàeioa^o  POPULATION  fù,.vJcw«^ 

VLlUa.àt>pluAàC'  I million  t)  habilanUt-n  igiy  Ririso 


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les  peuples  de  race  jaune  sont    le    hongrois,  le  turc    et 
les  différents  dialectes  finnois. 

11  faut  mettre  à  part  le  celte,  qui  se  rattache  peut-être 
aux  langues  indo-européennes  (dialectes  de  Bretagne. 
Irlande,  Pays  de  Galles,  Ecosse),  le  lithuanien,  qui 
conserve  encore  de  grandes  affinités  avec  le  sanscrit, 
et  le  basque  ou  euskarien,  sans  analogie  avec  aucune 
langue  connue. 

Sauf  quelques  rares  fétichistes  (Lapons  et  Samoyèdes) 
5  000  000  à  6  000  000  de  juif  s  dispersés  un  peu  partout 
et  autant  de  musulmans  (dans  les  Etats  balkaniques),  les 
peuples  européens  appartiennent  aux  différents  cultes 
chrétiens.  Les  catholiques  occupent  le  Sud-Ouest  (Es- 
pagne, Italie,  France,  Belgique)  et  le  Centre  (Autriche. 
Hongrie,  Bavière,  Pologne)  avec  quelques  groupes 
sporadiques  en  Irlande,  en  Suisse,  dans  l'Allemagne  de 
l'Ouest.  Les  protestants  sont  concentrés  dans  l'Alle- 
magne du  Centre  et  du  Nord,  en  Hollande,  en  Angle- 
terre, en  Ecosse  et  dans  les  pays  Scandinaves.  Enfin 
Grecs,  Bulgares,  Serbes,  Roumains  et  Russes  ont  adopté 
le  rite  orthodoxe. 

15  


L'EUROPE 


,  ïloibb  dcj  LangueA,  ce/tîquc>. 
;  baéque.'.  aLbanaiée>  cL. 
'  letto- Lithuanienne- 


PRINCIPAUX  GROUPES  DE 
LANGUES  EUROPÉENNES 


LE  PARTAGE  DE  L'EUROPE,  a  a  Les  vlcis- 
situdesdel'histoire  ont  à  maintes  repnses,  depuis  le  Moyen 
Age,  modifié  la  répartition,  l'étendue,  la  situation  poli- 
tique et  économique,  l'importance  relative  des  Etats 
européens.  Longtemps  le  caprice  des  princes  décida  seul 
du  sort  des  peuples  ;  tantôt  pour  maintenir  la  division 
entre  gens  que  tout  paraissait  devoir  réunir  :  langue,  tra- 
ditions, intérêts  (c'était  par  exemple  le  cas  de  l'Italie 
jusqu'en  1859),  tantôt,  au  contraire,  pour  grouper  de  vive 
force  sous  une  même  autorité  des  hommes  très  différents 
les  uns  des  autres  et  qui,  laissés  à  eux-mêmes,  eussent 
vécu  libres  ou  se  fussent  unis  incontinent  à  leurs  frères 
libres.  Ainsi  les  HohenzoUern  ne  s'étaient  pas  contentés 
de  réaliser  à  leur  profit  l'unité  allemande,  mais  ils  main- 
tenaient sous  le  joug  plusieurs  millions  dï  Danois,  de 
Polonais  et  de  Français.  Les  Lorraine-Habsbourg,  qui 
16  — 


i^^iSSI^m 


régnaient  à  Vienne  et  à  Buda-Pest,  imposaient  leur 
volonté  aux  Tchèques  de  Bohême,  aux  Italiens  du 
Trentin  et  de  Trieste,  aux  Serbes  de  Bosnie,  aux  Rou- 
mains de  Transylvanie,  aux  Polonais  de  Galicie.  Les 
Romanof  avaient  pour  sujets  des  Finlandais,  des  Lithua- 
niens, des  Polonais,  des  Roumains,  sans  compter  les 
peuples  du  Caucase.  Les  sultans  Ai  Constantinople, 
enfin,  bien  que  dépossédés  peu  àpeu  de  la  presque  tota- 
lité de  leurs  domaines  européens,  demeuraient  les  maîtres 
despotiques  des  chrétiens  de  la  Thrace  orientale  et  de 
l'Asie  Mineure.  La  tendance  générale  paraissait  être  de 
constituer  des  Etats  de  plus  en  plus  vastes  sans  tenir 
grand  compte  des  nationalités  diverses  englobées  dans  le 
cadre  de  chaque  Etat.  Pangermanisme,  panslavisme, 
panislamisme,  étaient  à  l'ordre  du  jour.  On  voyait  même 
dans  la  constiturion  de  ces    puissants    organismes,    assez 


ROlfAIUMlB  UNI 

lEDlE 
ET 

D'ttIRILANDE 


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CÉOGR/\PHIE   UNIVERSELLE      PL.   3 


ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE 


forts  pour  se  faire  équilibre,    assez    peu    nombreux  pour 
f)ouvoir  s'entendre  sans  trop  de  difficulté,  l'acheminement 
naturel  vers  la  création  de  ces  "  Etats-Unis  d'Europe  ' 
dont  les  '    Pacifistes  "  n'attendaient  rien  de  moins  que 
la  disparition  définitive  des  conflits  armés. 

Toutefois  certaines  petites  nations  —  soutenues,  il  est 
vrai,  par  quelques  grands  Etats  —  avaient  déjà  fait 
reconnaître  leurdroit  à  l'existence.  On  vit  successivement 
renciitre  une  Grèce,  une  Serbie,  une  Roumanie,  une 
Bulgarie,  une  -Albanie  Indépendante,  il  n'y  avait  point 
de  raison  pour  que  les  autres  nationalités  encore  esclaves 
ne  connussent  pas.  elles  aussi,  l'ivresse  de  la  délivrance  et 
les  chers  soucis  de  la  liberté.  La  Grande  Guerre  menée 
par  la  France  et  ses  alliés,  au  nom  de  la  justice  et  du 
droit,  contre  le  despotisme,  a  permis  à  ces  nations  de 
récJlser  un  rêve,"si  longuement  et  vainement  caressé  qu'il 
paraissait  se  confondre  avec  l'impossible  chimère.  Aux 
rives  de  la  \'istule  flotte  à  nouveau  l'étendard  de  la  libre 
Pologne.  Tchèques  et  Slovaques  organisent  leur  jeune 
République.  Les  Roumains  de  Transylvanie  et  de  Bes- 
sarabie ont  rejoint  leurs  frères  de  Moldavie  et  de  Vala- 
chie,  comme  les  Croates,  les  Slovènes,  les  Bosniaques  se 
sont  unis  à  leurs  cousins  de  Serbie.  La  mer  Egée  rede- 
vient une  mer  grecque.  A  Trente,  à  Trieste.  à  Zara,  la 
louve  romaine  complète  sa  nichée.  En  Russie,  Finnois, 
Lettons,  Estoniens,  Lithuaniens  veulent  vivre  leur  libre 
vie.  Enfin,  échappant  à  l'étreinte  germanique,  les 
Danois  du  Schleswig,  les  Français  d'Alsace  et  de  Lor- 
raine ont  retrouvé  la  Patrie  qu'ils  pleureilent. 

Toutes  les   questions   n'ont   pu   recevoir  encore   une 


solution  complètement  satisfaisante.  Le  -sort  réservé  au 
bassin  de  la  Sarre,  à  Danzig,  à  Flume,  n'est  réglé  que 
provisoirement.  Peut-être  le  partage  des  Balkans  sera-t-ll 
modifié.  Surtout  on  ne  sait  ce  qu  il  adviendra  de  l'immense 
Russie.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  espérer  qu'après 
l'effroyable  cataclysme  déchaîné  sur  elle  par  les  ambitions 
germaniques,  l'Europe  connaîtra  une  période  de  calme 
assez  longue  pour  panser  les  plaies  de  la  guerre  et  lutter 
contre  la  menaçante  concurrence  de  ses  jeunes  rivaux  : 
Etats-Unis  et  Japon  surtout,  mais  aussi  Brésil.  Indes, 
Cap,  Australie,  Canada,  Chine,  etc.  On  a  pu  parler 
avec  juste  raison  du  "  déclin  de  l'Europe  "  (voir  le 
beau  llvreécnt  sous  ce  titre  par  M.  A.  Demangeon).  On 
a  énuméré,  chiffres  à  l'appui,  les  marchés  perdus  depuis 
1914,  les  Industries,  les  flottes  qui  se  créent  un  peu  par- 
tout en  dehors  de  nous,  la  restriction  de  nos  ventes,  la 
diminution  de  notre  pouvoir  d'achat,  les  courants  com- 
merciaux qui  cherchent  à  nous  ignroer,  la  prodigieuse 
ascension  économique,  l'énorme  richesse,  l'urimenslté 
des  ressources  de  tels  et  tels  Etats  américains  et  asia- 
tiques, l'ardeur  impatiente  avec  laquelle  les  peuples 
neufs  se  proposent  d'évincer  des  marchés  du  monde  une 
Europe  que  l'on  suppose  vieillie,  fatiguée,  entravée  dans 
sa  marche  par  des  habitudes  routinières,  par  un  attache- 
ment instinctif  aux  méthodes  désuètes  du  passé.  Aux 
Européens  de  montrer  que  ce  déclin  est  chose  passagère 
et  que,  pour  ancienne  qu'elle  soit,  leur  civilisation  est 
encore  capable  de  s'adapter  avec  une  suffisante  sou- 
plesse aux  modalités  infiniment  changeantes  du  progrès 
humain. 


CHAPITRE  II 

ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE 

ET  D'IRLANDE 

GENER.4L1TES 


A  l'Ouest  de  l'Europe,  face  à  l'Océan,  se  dressent, 
sur  un  socle  tabulaire  couvert  d'une  faible  épaisseur 
d'eau,  deux  grandes  iles  :  l'Irlande  et  la  Grande- 
Bretagne,  l'une  de  forme  plutôt  massive,  presque 
carrée,  l'autre  allongée  du  Sud  au  Nord  comme 
une  libellule  au  mince  corselet.  .'\vec  les  archipels, 
les  îlots,  les  écuells.  qui  les  complètent  (iles  Anglo- 
Normandes.  Wight,  Anglesey,  Man.  Mull.  Hébrides. 
Orcades,    Shetlands),     elles    couvrent    314000    kilo- 


mètres carres  en  chiffre  rond,  soit  les  trois  quarts  de 
la  France.  950  kilomètres  séparent  le  cap  Land  s 
End  à  l'extrême  Sud-Ouest,  du  cap  Duncansby  au  Nord- 
Est,  et  c'est  aussi  à  peu  de  chose  près  la  longueur  de 
notre  pays.  Mais  la  largeur  est  faible  et  des  étrangle- 
ments successifs  qui  correspondent  aux  estuaires  des 
fleuves  la  réduisent  à  200,  à  1  50,  à  60  kilomètres  même 
du  golfe  de  la  Clyde  au  golfe  du  Forih. 

L'extrême  longueur  de  l'île  par  rapport  à  sa  largeur 

17  


L'EUROPE 


rendit  le  Nord  et  le  Sud  longtemps  étrangers  l'un  à 
l'autre.  Les  Romains,  maîtres  de  l'Angleterre  méridio- 
nale, ne  le  furent  jamais  des  hautes  terres  d'Ecosse  et 
se  prote'gèrent  contre  les  invasions  des  montagnards  par 
le  fameux  mur  des  Pietés,  oeuvre  d'f-Iadrien.  On  sait 
d'autre  part  que,  jusqu'au  XVl!»  fiècie,  l'Ecosse  forma  un 


royaume  mdépendant  longtemps  en  lutte  contre  l'Angle- 
terre. L  isolement  de  l'Irlande,  victime  de  sa  situation 
géographique,  rattachée,  malgré  qu'elle  en  eût,  à  sa 
puissante  voisine  de  1  Est,  ne  pouvant  ni  se  confondre 
avec  elle  m  la  fuir,  explique  de  même  la  nature  du 
peuple  irlandais  et  sa  douloureuse  histoire. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


LE  RELIEF.  £>£>  Une  li^ne  tracée  d'Exeter  sur 
la  Manche  à  Middlesborough  sur  la  Mer  du  Nord 
sépare  à  peu  près  l'Angleterre  en  deux  régions  dissem- 
blables par  la  nature  des  terrains,  l'altitude  et  la  forme 
du  relief,  le  genre  de  vie  des  populations. 

A  l'Est,  le  sol  est  formé  de  roches  sédimentaires 
(argiles,  calcaires,  marnes,  d'époques  secondaire,  tertiaire 
et  quaternaire)  disposées  en  couches  concentriques 
autour  de  la  vallée  de  la  Tamise  comme  elles  le  sont  en 
France  autour  de  la  vallée  moyenne  de  la  Seine.  C  est 
le  bassin  de  Londres,  analogue  au  bassin  de  Paris  dont 
il  est,  du  reste,  le  complément.  L'altitude  moyenne 
ne  dépasse  pas  une  centaine  de  mètres.  Mais  les 
roches  les  plus  résistantes  font  saillie  au-dessus  des 
terrains  plus  tendres  que  l'érosion  déblaya  plus  aisé- 
lYient,  et  le  bassin  de  Londres  a  ses  falaises  oolithiques 
ou  crétacées  comme  le  bassin  de  Pans  a  les  siennes  en 
Champagne  et  dans  l'Ile-de-France.  Telles  sont 'à 
l'Ouest  les  Cotswold  Hills  (354  mètres),  les  hauteurs 
gréseuses  de  Lincoln  et  d'York  (454  mètres),  les 
collines  calcaires  de  Marlborough  et  des  Chiltern,  — au 
Sud  la  double  croupe  des  Downs  (290  mètres  dans  les 
North  Downs)  que  sépare  la  "  boutonnière"  du 
Weald.  Entre  les  collines  se  creusent  dans  l'argile  les 
dépressions  et  les  vallées.  Cette  variété  du  relief  donne 
un  paysage  aimablement  nuancé.  Les  croupes  -ondu- 
leuses  couvertes  de  prairies  que  dominent  des  bouquets 
d'arbres,  les  vallées  riantes,  les  collines  où  les  maisons 
blanches,  les  toits  rouges  des  villages  se  détachent  en 
points  brillants  sur  l'émeraude  des  gazons,  composent  un 
ensemble  gracieux,  reposant,  qui  rappelle  les  paysages 
modérés  de  notre  Normandie.  Seules  les  alluvions  qua- 
ternaires du  Sufîolk,  du  Norfolk,  et  surtout  la  dépres- 
sion jadis  marécageuse  (Fen  district)  qui  en'.oure  les  bas- 
fonds  du  Wash  —  les  Pays-Bas  de  l'Angleterre  —  se 
déroulent  en  plaines  uniformes  dont  la  fertilité  ne  peut 
faire  oublier  la  monotonie. 

Au  bassin  de   Londres,  aux    plaines  agricoles  de  la 

Vieille  joyeuse  Angleterre  ",  s'opposent  les  hautes 
terres,  les      pays  noirs  "  de  l'Ouest  et  du  Nord. 


Dues  aux  plissements  calédonien  (Ecosse)  el  hercynien  (chaînes 
rennines,    Pays    de    Gatles,    Cornouaille)  et   formées    de  roches 

18  


archéennes  ou  primaires  :  gneiss,  micaschistes,  granits,  grès  rouge, 
schistes,  ardoises,  auxquels  s'ajoutèrent  plus  lard  d'importantes 
coulées  basaltiques,  les  montagnes  anglaises  ont  été  soumises 
depuis  une  époque  prodigieusement  reculée  aux  efforts  de  l'érosion. 
Rongées  par  la  pluie  et  les  torrents,  rabotées  par  les  glaciers  qua- 
ternaires, elles  n'ont  plus  qu'une  hauteur  médiocre  el  des  formes 
émoussées.  Ce  sont  des  ruinés  de  montagnes  qui  ne  forment  même 
plus  une  série  continue,  mais  se  divisent  en  massifs  nettement  iso- 
lés, circonscrits  par  des  dépressions  où  l'homme  s'établit  de  bonne 
heure,  où  la  vie  circula   aisément. 

Au  Sud-OuesÇ,  la  Cornouaille  anglaise  est  fort  sem- 
blable à  son  homonyme  de  Bretagne.  Des  plateaux  gra- 
nitiques déboisés,  couverts  de  landes  et  de  bruyères,  alter- 
nent avec  des  dépressions  oîi  se  concentrent  les  cultures. 
Les  menhirs,  les  dolmens  sont  innombrables.  Le  point 
culminant  dépasse  à  peine  600  mètres. 

Les  monts  Cambriens  forment  l'ossature  du  Pays  de 
Galles.  Plus  élevés  en  moyenne  que  les  hauteurs  de  Cor- 
nouaille, ils  culminent  au  Snowdon  par  1  094  mètres. 
Sauvages  et  rudes,  leurs  vallées  creuses,  leurs  croupes 
dénudées  sont  dominées  çà  et  là  par  d  abrupts  pitons  de 
basalte. 

Par  delà  les  plantureuses  plaines  du  Cl^ester,  s'arron- 
dissent les  rangées  parallèles  des  chaînes  Pennines 
(881  mètres  au  Cross  Fell).  Leur  hauteur  moyenne  est 
médiocre,  et  çà  et  là  des  dépressions  utilisées  par  les  voies 
ferrées  et  les  canaux  interrompent  leur  continuité.  Elles 
se  relient,  au  Nord-Ouest,  au  petit  massif  volcanique  du 
Cumberland  (978  mètres  au  Scaw  Fell)  que  rendent  fort 
pittoresque  ses  bois  et  ses  lacs. 

Entre  Carlisie  et  Newcasile,  la  dépression  que  suivait 
le  mur  des  Pietés  isole  les  monts  anglais  des  premières 
hauteurs  écossaises  :  les  monts  Cheviots  (810  mètres) 
dont  la  barrière,  assez  élevée  au  centre,  s'abaisse  vers  l'Est 
et  livre  passage  aux  routes  qui  unirent  de  tout  temps 
l'Angleterre  et  l'Ecosse. 

Du  golfe  de  la  Clyde  aux  golfes  du  Forth  et  du  Tay, 
les  Basses  Terres  (les  Lowlands)  composent  la  partie  la 
plus  riche,  la  plus  peuplée,  le  centre  vital  du  pays  écos- 
sais. Les  Hautes  Terres  du  Nord,  au  contraire,  séparées 
en  deux  masses  (monts  Grampians  et  monts  de  Ross) 
par  la  profonde  déchirure  du  Canal  Calédonien,  doivent 
à  leur  altitude  (Ben  Nevis,  1343  mètres),  à  leur  relief 
prodigieusement  accidenté,   au  climat  rude,   un  aspect 


ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE 


sévère  et  triste,  une  atiditë.  une  solitude  non  dénués  de 
grandeur. 

Au  large,  une  poussière  d  iles  :  Shetlands.  Orcadec, 
Hébrides,  perdues  dans  les  brumes  éternelles,  sont  for- 
mées des  mêmes  roches  anciennes  et  offrent  des  paysages 
du  même  genre.  Parfois  de  puissants  dépôts  basaltiques 
les  recouvrent  de  leurs  colonnes  régulières,  et,  dans  l'île  de 
Slaffa,  la  grotte  de  Fingal  est  depuis  longtemps  célèbre. 

L'Irlande,  enfin,  se  rattache  direclement  à  l'Angleterre 
occidentale.  Les  roches  secondaires  et  tertiaires  y  font 
presque  complètement  défaut.  Les  schistes,  les  gxhs,  les 
granits  et  les  basaltes  composent  seuls  l'ossature  de  I  ile. 
Meus,  tandis  que,  aux  deux  extrémités  Nord  et  Sud,  les 
plissements  anciens  (calédonien  au  Nord,  hercynien  au 
Sud)  consenent  encore  une  hauteur  assez  con-idérable 
(monts  de  Kerrj',  I  041  mètres  au  Carrantuohill,  —  monts 
de  Wicklow,  926  mètres,  —  monts  de  DonegcJ,  —  pla- 
teau d'Antrim)  et  doivent  à  leurs  roches  amoncelées,  à 
leurs  "  chaussées  des  géants  ",  à  leurs  beaux  lacs,  aux 
torrents  qui  les  ravinent,  à  la  sombre  verdure  qui  les 
recouvre  par  endroits,  une  beauté  un  peu  liiste  pleine  de 
secrète  douceur,  le  centre  de  l'Ile  fut  si  complètement 
abrasé  qu'il  ne  forme  plus  aujourd'hui  qu'une  vaste  plaine 
couverte  de  tourbières  et  de  marais  dont  le  niveau  se 
maintient  au-dessous  de  100  mètres. 

LEIS  COTES.  ^^  La  topographie  des  côtes  est 
en  rapports  directs  avec  le  relief  et  la  nature  des  roches 
qui  bordent  le  rivage. 

Au  Sud,  d'Exeter  au  Norih-Foreland,  les  plateaux 
crayeux  des  Downs.  tranchés  à  pic  par  la  mer  qui  ronge 
incessamment  leur  base,  dressent  en  face  de  la  Manche 
leurs  hautes  falaises  de  blanc  calcaire  zébrées  de  noir  par 
les  lits  de  silex.  Rien  n'est  plus  semblable  aux  côtes  fran- 
çaises de  Boulogne,  de  Dieppe,  d  Etretat  que  les  escar- 
pements de  Portland  Hill,  les  falaises  de  Beachy  Head, 
de  Folkestone  et  de  Douvres.  Les  mêmes  plages  de 
galets  fréquentées  en  été  par  la  foule  des  baigneurs  lon- 
doniens se  mchent  à  leurs  pieds,  au  débouché  des 
valleuses,  et.  pour  que  l'analogie  soit  plus  grande  encore, 
aux  polders  du  Marquenterre  français  correspondent  les 
marécages  du  Romney-Marsh. 

De  l'estuaire  de  la  Tamise  au  cap  Flamborough,  la 
côte  est  plate  et  basse.  Comme  en  Hollande,  les  plaines 
alluviales  de  l'intérieur  se  mêlent  aux  eaux  de  la  Mer 
du  Nord  par  gradations  insensibles  ;  ce  sont  les  clochers 
les  tours  de  1  intérieur  qui  servent  de  repères  aux  marins. 
Autour  du  golfe  du  Wash,  —  sorte  de  Zuyderzée  plus 
évasé,  —  des  digues  protègent  les  basses  terres  des 
Fens.  anciens  marais  tourbeux  transformés  en  champs 
fertiles  par  le  savant  drainage  des  canaux  entre-croisés. 
Le  domaine  de  la  terre  ne  cesse  de  s  étendre  aux  dépens 
de  la  mer.  Les  iles  se  rattachent  à  la  côte  ;  des  villages. 


autrefois  petits  porls,  se  trouvent  aujourd'hui  à  plusieurs 
kilomètres  du  rivage,  et  peut-être  un  jour  viendra  où  le      [ 
Wash  tout  entier  sera  desséché. 

Du  cap  Flamborough  à  Berwick  la  cote  conserve  une 
allure  régulière.  Mais  les  roches  emciennes  apparaissent, 
I  altitude  augmente,  et  le  dessin  du  rivage  prend  ce 
caractère  capricieux,  tourmenté,  qui  est  le  propre  des 
côtes  élevées  où  des  roches  de  dureté  variable  sont 
attaquées  avec  un  inégal  succès  par  les  marées  et  les 
vagues.  Déjà  sur  la  face  orientale  de  l'Ecosse  se 
creusent  dans  les  terrains  schisteux  les  firths  profonds  du 
Forth,  du  Tay,  de  Moray.  Mais  c'est  à  l'Occident  sur- 
tout, sur  la  face  directement  exposée  aux  lames  puis- 
santes gonflées  par  les  vents  d'Ouest,  que  les  côtes  sont  le 
plus  extraordinairement  fouillées,  moi  dues,  déchiquetées, 
etfilochces  comme  une  dentelle  hors  d'usage.  "  La  mer. 
disait  déjà  Tacite,  s'introduit  et  circule  entre  les  mon- 
tagnes et  les  collines  comme  dans  son  lit  naturel. 
Seule  la  Norvège  avec  ses  fjords,  ses  archipels,  ses 
écueiis,  ses  puissantes  falaises,  peut  en  Europe  rivaliser 
avec  les  firths  de  Lorn  et  de  la  Clyde,  les  lochs  qui  les 
prolongent,  les  îles  qui  leur  font  face,  le  chaos  des 
rochers,  les  orgues  géantes  qui  les  bordent. 

Noyées  de  pluies,  baignées  de  brouillards,  consUmmenI  battues 
par  les  teicpêles  et  d'accès  fort  difficile  en  tout  temps,  ces  côtes 
sont  inhospitalières  entre  toute!,  et  de  rares  villages  de  pêcheurs 
se  cachent  à  l'abri  de  leurs  falaises,  dans  les  replis  de  leurs  val- 
lées. Pourtant  iles  et  cotes  furent  habitées  de  longue  datî.  De 
nombreux  mégalithes,  des  pierres  levées,  des  calms,  des  dolmens 
sont  un  des  traits  saillants  du  caysage  dans  les  Orcades  les  Hébri- 
des, et  1  îlot  granitique  de  lona  est  pour  les  Gaëls  d'Ecosse  un 
endroit  saint  entre  tous.  On  l'appelle  l'Eye.  "  l'Ile  "  par 
excellence.  Saint  Columban  y  fonda  au  VI*  siècle  le  plus  célèbre 
monastère  de  la  Grande-Bretagne,  et  plus  de  soixante  rois 
d  Ecosse  ou  d'Irlande  y  dorment  leur  dernier  sommeil. 

Au  Sud  de  la  presqu'île  de  Galloway,  les  côtes  du 
Cumberland,  du  Lancashire  et  du  Pa3's  de  Galles  furent 
relativement  protégées  par  l'écran  que  forme  l'Irlande. 
Pourtant  elles  demeurent  élevées,  rocheuseset  dentelées. 
La  baie  de  Morecambe,  l'estuaire  de  la  Mersey,  la 
large  baie  de  Cardigan,  que  dominent  les  massifs  sombres 
des  monts  Cambriens,  en  sont  les  accidents  les  plus 
notables.  Mais  déjà  la  forme  même  de  la  baie  de  Cardi- 
gan et  sa  direction  Sud-Ouest-Nord-Est  trahissent 
l'influence  prédominante  des  vents  d'Ouest  qui,  par  le 
Sud  de  l'Irlande  et  le  canal  de  Saint-Georges,  mènent  les  j 
vagues  à  l'assaut.  Elles  ont  creusé  dans  les  schistes 
l'énorme  brèche  du  canal  de  Bristol  que  prolonge 
l'estuaire  de  la  Severn,  qu'indentent  les  havres  profonds 
de  Milford  Haven,  de  Caermarthen,  de  Swansea.  Elles 
ont  détaché  de  la  Cornouaille  les  iles  Scylly,  comme 
elles  l'ont  fait  en  France  pour  Jersey  et  Guernesey.  On 
calcule  qu'en  trois  siècles  elles  ont  englouti  en 
Cornouaille  une  surface  égale  à  588  kilomètres  carrés 


19 


L'EUROPE 


(cf.  la  surface  de  l'île  de  Man)  et  les  assauts  qu'elles 
livrent  au  cap  Land's  End,  au  cap  Lizard  n  ont 
d'égaux  que  la  formidable  ruée  des  flots  contre  les 
falaises  du  Conquet.  de  Camartt,  delà  pointe  du  Raz, 
comme  nos  rades  bretonnes  ont  leurs  égales  dans  les 
baies  de  Palmouth,  de  Plymouth  et  d'Exmouth. 

L'Irlande  a  des  côtes  du  même  genre,  car  la  texture 
géologique  des  roches  est  la  même  et  présente  une  égale 
alternance  de  terrains  durs  ou  tendres.  C'est  aussi  la  côte 
occidentale,  directement  exposée  au  choc  des  marées,  qui 


Httiitciir    t^ci 

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S*®»S**i 


présente  l'aspect  le  plus  accidenté,  les  découpures  les 
plus  nombreuses.  Là  se  creusent  les  larges  baies  de 
Donegal,  de  Westport  et  de  Galway,  l'estuaire  capri- 
cieux du  Shannon,  les  "  rias  "  de  Dingle,  de  Kenmare 
et  de  Bantry  dont  des  milliers  de  touristes  viennent  admi- 
rer chaque  été  la  sauvage  grandeur.  Au  Sud,  les  baies 
de  Cork,  de  Waterford  ;  à  l'Est,  celles  de  Wexford, 
de  Dublin,  de  Belfast  sont  d'admirables  rades  naturelles. 
Au  Nord- Est,  les  nappes  volcaniques  du  comté  d'Antrim 
tombent  vers  la  mer,  tantôt  par  de  brusques  escarpements 
calcaires,  tantôt  par  des  terrasses  superposées  que  sou- 
tiennent les  piliers  hexagonaux  du  basalte  (Chaussée  des 
Géants). 


'  L'Océan,  disait  Michelet,  est  anglais  d'inclination.  " 
L  Angleterre,  d'un  quart  plus  petite  que  la  France,  a  des 
côtes  deux  fois  plus  étendues  (7  900  kilomètres  environ), 
et  relativement  beaucoup  plus  riches  en  abris  naturels. 
Aucun  point  de  l'intérieur  ne  se  trouve  à  plus  de  100  kilo- 
mètres de  la  mer.  De  même  qu'en  Grèce,  les  échancrures 
découpées  par  les  golfes  imposant  de  longs  détours  à 
ceux  qui  voudraient  les  tourner,  la  mer,  même  pour  les 
relations  intérieures,  apparaît  souvent  comme  la  voie  la 
plus  directe. 

Pourtant  l'Angleterre  demeura  longtemps  un  pays  de 
terriens.  C'est  à  la  fin  du  XVI*  siècle  seulement,  sous  le 
règne  d'Elisabeth,  que  naquit  sa  vocation  maritime.  Mais 
du  jour  où,  prenant  mieux  conscience  de  ses  véritables 
intérêts  et  du  rôle  que  lui  imposait  sa  situation  insu- 
laire, l'Angleterre  se  lança  à  la  conquête  de  la  mer,  elle 
trouva  dans  la  riche  dentelure  de  ses  rivages  et  l'abon- 
dance de  ses  havres  en  eaux  profondes  un  des  éléments 
essentiels  de  sa  suprématie. 

LE  CLIMAT..^ .fi'  Leclimat  de  la  Grande-Bretagne 
dépend  de  sa  latitude,  de  son  insularité  et  de  son  relief. 

Les  mers  qui  l'entourent  et  la  pénètrent,  le  Gulf- 
Stream  qui  la  baigne  de  ses  eaux  tièdes,  les  vents  d'Ouest 
qui  la  balayent  lui  assurent  dans  l'ensemble  un  climat 
tempéré,  une  température  douce,  peu  variable,  des  pluies 
abondantes  et  qui  tombent  en  un  très  grand  nombre  de 
jours  (237  à  Valentia,  158  à  Londres).  '  Il  tombe  une 
averse  tous  les  jours  de  la  semaine,  dit  un  proverbe  cor- 
nouaillais  ;  mais  il  en  tombe  deux  le  dimanche.  "  C'est  le 
type  des  climats  océaniques  ou  maritimes.  Les  jours  de 
gelée  y  sont  peu  nombreux  et  la  neige  rare,  de  peu  de 
durée,  sauf  sur  les  hautes  montagnes.  Mais  aux  hivers 
très  doux  succèdent  des  étés  sans  chaleur,  éclairés  pcir  un 
soleil  pâle.  Même  aux  beaux  jours,  le  ciel  est  constam- 
ment zébré  d'averses,  '  voilé  comme  d'une  gaze  délicate 
par  les  vapeurs  légères  qui  forment  un  tissu  aérien  de 
minces  flocons  au-dessus  des  plaines  verdoyantes 
(Taine).  Les  tempêtes,  venues  de  l'Ouest  en  suivant  le 
lit  du  Gulf-Stream,  s'abattent  sur  les  îles  avec  une  redou- 
table fréquence.  Les  vents  chargés  d'humidité  dégagent 
des  brouillards  intenses  que  les  Ecossais  considèrent 
comme  un  cinquième  élément,  ce  fog  sinistre  que 
maudissent  les  Londoniens,  ces  brumes  impénétrables, 
causes  de  tant  de  naufrages. 

Bien  qu'assez  uniforme  dans  l'ensemble,  le  climat 
anglais  présente  cependant  du  Sud  au  Nord,  et  surtout 
de  l'Est  à  l'Ouest,  des  différences  bien  nettes  et  qui  ont 
leur  importance. 

D'abord,  tandis  que  les  îles  Scylly,  par  50°  de  latitude 
Nord,  ont  une  température  moyenne  annuelle  de  1  1°,5, 
le  Nord  de  l'Ecosse,  par  59°  de  latitude,  n'a  plus  que 
7°  environ. 


20 


LA  GRANDE-BRETAGNE 


LONDRES  :  PONT  DE  L\  TOUR.  Cal  la  Tamise  cm  cxpiiQoe  toute  l'histoire 
de  Londres,  son  développement  colossal,  la  place  quelle  tient  dans  l'histoire  économique 
dn  monde.  Bien  que  la  mer  se  trouve  à  plus  de  60  kilomètres,  le  flot  de  marée  remonte 
le  fleuve  jusqu'à   l'écluse  de   Teddington  (30   kilomètres  en    amont   de   Londres) 


et  lai  donne  une  profondeur  telle  que  les  plus  grands  navires  accèdent  aisément 
iusqu'aux  quais  de  la  cité.  Parmi  les  ponts  jetés  d'une  rive  à  l'autre,  le  Towerbridge 
ou  Pont  de  la  Tour,  construit  de  1886  à  1894,  est  le  plus  remarquable  par  ses  propor- 
tions monumentales  et  ta  robuste  élégance  CI.  ValENTINE. 


VL;EjUÊNti<.Ai_L  DE  lONDRES.  U  vue  nt^pruc  sur  la  cathédrale  Saml-Pavi 
et  la  Cité  ",  c  at-à-dire  le  coeur  même  de  l'énorme  ville.  C'est  là  que  prit  naissance 
le  vieil  établissement  celtique  qui  forma  le  germe  de  Londres.  Encore  aujourd'hui,  la 
Cité  Doit  se  grouper  VHôtel  de  Ville  (Guildhalt).  les  Cours  de  justice,  les  comptoirs,  les 


agences,  les  sièges  des  grandes  ionipagnia._Pendanl  la  /ouin:e  elle  s'emplit  d'un  foui' 
millement  énorme  qui.  le  soir,  fait  place  à  la  solitude  et  au  silence.  Un  peu  en 
amont  de  la  Cité,  l'Abbaye  de  l'Ouest  ou  Westminster,  fui  le  second  centre  de 
formation,  uni  au  premier  par   le  Sirand.  CI.  LÉVY. 


21 


L'EUROPE 


NEWCASTLE  ON  TïNE.  Newcasile  est  non  seule- 
ment  une  grande  ville  industrielle,  mais,  avec  Cardiff. 
le  plus  puissant  des  po'Vs  charbonnieTs  du  monde,  grâce 
à  la  navigabilité  de  la  Tyne.  CI.  Valentine. 


UN    COTTAGE   ANGLAIS.^  Toute 

l'Angleterre  du  Sud-Est,  la  "  Vieille 
joyeuse  Angleterre  "  est  couverte  de  ces 
cottages  élégants  et  frais. C\.  Valentine. 


LES    DOCKS    DE     MANCHESTER.     Grâce    à 

la  construction  du  Ship  Canal,  la  ville  reçoit  directement 
les  navires  de  mer.  chargés  de  coton  et  prend  rang 
parmi  les  plus  grands  ports  anglais.  Cl.  Valenkne. 


i£ÇA?lAKD'S  END.  A  l'extrême  Sud-Ouest  de  l'Angleterre  le  cap  Land's 
End  ou  "  Finisierre  "  correspond  aux  pointes  terminales  ds  notre  Bretagne  :  Razou 
Penmarch.  Du  reste,  les  grcmites,  les  gneiss,  les  landes,  les  dolmens  de  la  Comouaille 
anglaise  ont  leur  exacte  contre-partie  dans  l'Armorique  française.  CI.  Valentine. 


LES  MONTS  DU  CUMBERLAND.  Us  rr.ontcgnes  du  Cumbcriand  snnt. 
avec  celles  de  l'Eccsse,  la  région  la  plus  pittoresque  de  la  Grande-Bretagne.  Peu 
élevées  par  suite  de  leur  ancienneté,  elles  n'en  présentent  f  ûs  moins  une  remarquable 
variété  de  paysages.  CI.  Photoglob. 


UAi-OKL',  ta  plus  cncicnne  des  villes  universitaires  anglaises,  contient  22  collèges 
d->rd  U  P/~-i^i<:T{u!jondé  m  1249.  La  plupart  de  ces  collèges  sont  de  magnifiques 
.'.:!:ccic~.  ,sll,  ,  }fii'  ""  eî  XV"  siècles,  dor'  les  chapelles,  les  halls,  les  cloîtres,  les 
Ttfcctctres  co.T.irj.-.-:;  r- cTîc-Tst/c  d'un  sédi-tiont  pitloresque.         CLPhotoglob 


LLANBERIS  ET  LE  SNO^'DON.  UPays  de  Galles  a  comme  point  culminant 
le  massif  du  Snowdon  il  180  mètres)  ou  "  mont  neigeux  "  La  neige,  cependant,  n'y 
demeure  que  de  novembre  à  avril.  L' ascension  s'en  fait  aisément  en  partant  de  Llan- 
beris,  jolie  station  estivale  sur  les  rives  du  lac  Padarn.  CI.  ValENTINE. 


ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE 


De  plus,  et  surtout,  les  re'gions  occidentales  sont  à 
la  fois  plus  tempérées  et  beaucoup  plus  anose'es  que  les 
régions  orientales. 

C'est  à  l'Ouest,  en  effet,  que  l'influence  modératrice  du  Gulf- 
Slream  se  fait  sentir  avec  le  plus  de  force.  C'est  à  l'Ouest  aussi 
que  se  dressent  les  hauteurs  les  plus  considérables  qui  provoquent 
la  condensation  des  nuages  charriés  par  les  vents.  Tandis  que 
Valentia.  au  Sud-Ouest  de  l'Irlande,  a  une  moyenne  de  7°2  en 
janvier  (cf.  la  température  de  Nice!)  et  de  IS'^I,  en  juillet,  soit 
un  écart  de  7**,9,  Londres  a  3'\5  en  janvier  et  17*^9  en  juillet  : 
écart  \A"-{.  L'hiver  est  beaucoup  plus  froid  à  Londres  qu'à 
Valentia,  mais  l'été  est  plus  chaud.  C'est  un  climat  à  tendance 
plus  continentale.  De  même,  tandis  que  l'Irlande  occidentale,  la 
Cornouaille,  le  Pays  de  Galles,  le  Cumberland,  l'Ouest  de 
TExosse  reçoivent,  surtout  en  hiver,  de  I  mètre  à  1  m.  50  de 
pluie  (3  m.  54  à  Borowdale  dans  les  monts  du  Cumberland, 
3  m.  60  à  Clencoê,  en  Ecosse).  Edimbourg  n'en  reçoit  que  79  cen- 
timètres et  Londres  65. 

L'HYDROGRAPHIE,  aa  La  disposition  du 
relief  et  l'e'troitesse  de  l'Angleterre  ne  furent  point  favo- 
rables à  la  formation  de  vastes  bassins  fluviaux.  Les 
fleuves  y  sont  nombreux,  mais  courts.  Le  plus  long 
d'entre  eux,  la  Tamise,  n'a  que  344  kilomètres,  et  le 
Shannon,  qui  draine  l'Irlande  centrale,  264  kilomètres. 
En  revanche,  presque  tous  sont  des  fleuves  de  plaines 
(Ouse,  Trent,  Tees,  Tyne,  Clyde,  Mersey.  Severn,etc.). 
au  cours  lent,  au  régime  régulier,  grâce  à  l'égale  répar- 
tition des  précipitations  atmosphériques  qui  les  nour- 
rissent. Ils  ne  connaissent  m  les  crues  dévastatrices,  ni 
les  sécheresses,  ni  les  longs  jours  de  gel.  Les  bateaux 
circulent  aisément  sur  leurs  eaux  calmes,  au  milieu  des 


prairies  ombrcigées  de  peupliers,  et  I  on  a  pu  réunir  leurs 
divers  bassins  par  un  système  très  complet  de  canaux. 
Enfin  tous  se  terminent  par  des  estjiaires  que  la  marée 
remonte  fort  loin  :  jusqu'à  40  kilomètres  dans  la  Tees, 
à  80  kilomètres  dans  le  Humber,  à  125  kilomètres  dans 
la  Tamise!  Comme  en  Bretagne,  des  cours  d'eau  mé- 
diocres ou  insignifiants,  qui  dégringolent  d'abord  de  cas- 
cades en  cascades  sur  les  rocs  de  granit,  se  transforment, 
dans  leur  partie  inférieure,  en  véritables  bras  de  mer. 
-Ainsi  le  domaine  de  la  navigation  maritime  ne  se  borne 
pas  à  la  côte  proprement  dite,  il  s'accroît  de  toute  1  éten- 
due qu'embrasse  à  l'intérieur  la  visite  périodique  du 
flot  ". 

Les  lacs  sont  nombreux  en  Irlande,  au  Cumberland. 
en  Ecosse.  Les  nappes  d'eau  des  plaines  irlandaises  sont 
de  simples  étangs  tourbeux  dus  à  l'imperméabilité  du  sol 
et  sans  profondeur.  Mais  les  lacs  des  districts  monta- 
gneux se  logent  dans  les  cavités  creusées  par  les  glaciers 
d'autrefois  et  limitées  encore  par  leurs  moraines.  Très 
profonds  parfois,  entourés  de  hauteurs  aux  parois  abruptes 
où  s'effilochent  les  traînées  floconneuses  des  nuages,  beau- 
coup d'entre  eux  doivent  à  leurs  forêts,  aux  nappes  de 
bruyères  qui  descendent  jusqu'à  leurs  rives,  au  cadre  ma- 
jestueux ou  riant  qui  les  entoure,  un  charme  secret,  une 
rare  et  pénétrante  séduction.  Les  visiteurs  affluent  sur 
les  bords  des  lacs  de  Derbentwater,  de  Windermere, 
d'Ullswater  en  Cumberland,  des  "  lochs  "  Lomond  et 
Katrine  en  Ecosse,  du  lac  de  Killarney  en  Irlande,  et  de 
grands  poètes  comme  Wordsworth  et  Coleridge  ne  se 
lassèrent  point  de  les  chanter. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


LES  CULTURES  ET  L'ÉLEVAGE,  aa  Le 
climat  humide  et  doux  de  l'Angleterre  convient  aux 
prairies  non  moins  qu'aux  arbres  propres  aux  régions 
tempérées.  En  Cornouaille,  au  Sud-Ouest  de  l'Irlande, 
on  voit  même,  avec  surprise,  croître  en  pleine  terre  les 
lauriers,  les  yeuses,  les  fuchsias,  les  myrtes,  plantes  plu- 
tôt méditerranéennes,  mais  qui  redoutent  avant  tout  les 
hivers  froids  et  s'accommodent  d'une  humidité  surabon- 
dante. Aussi  la  Grande-Bretagne  fut-elle  autrefois,  comme 
la  Gaule,  couverte  de  vastes  foiéts  coupées  de  clairières. 
Sous  les  sombres  ramures  des  chênes,  les  Druides  célé- 
braient  leurs  mystères  ;    plus    tard,   les    proscrits,    les 

outlaws  "  saxons  y  vécurent  leur  vie  aventureuse  cé- 
lébrée par  la  légende.  Ailleurs,  les  croupes  des  hautes 
montagnes  se  vêtaient  de  bruyères  roses  et  d'ajoncs  aux 
fleurs  dorées,  tandis  que  sur  l'argile  imperméable  des 
plaines  d'Irlande  s'accumulaient  lentement  les  couches 
tremblantes  des  tourbières. 

Tourbières  et  landes  subsistent  encore  aux  mêmes 


lieux,  et  leurs  surfaces  improductives  couvrent,  en 
moyenne,  18  pour  100  du  sol  (12  pour  100  en  Angle- 
terre et  au  Pays  de  Galles,  22  pour  100  en  Ecosse, 
24  pour  100  en  Irlande).  Mais  la  forêt  allaquée  par  le 
laboureur,  le  berger,  le  grand  propriétaire,  s'est  réduite 
de  telle  sorte  que»  malgré  des  reboisements  récents  (sur- 
tout en  Ecosse  et  au  Cumberland),  elle  ne  couvre  plus 
que  5  pour  100  du  sol  en  Angleterre  et  en  Ecosse, 
4  pour  100  au  Pays  de  Galles,  I  pour  100  en  Irlande! 
Dans  certains  districts  de  la  veite  Erin,  l'arbre  a  si 
complètement  disparu  que  le  paysan  se  l'imagine  comme 
une  grande  herbe. 

La  prairie  prend,  au  contraire,  de  plus  en  plus  d'ex- 
tension, et  cela  aux  dépens  des  terres  cultivées.  La  raison 
de  ce  fait  est  double  :  elle  tient,  en  effet,  à  des  causes 
à  la  fois  géographiques  et  sociales. 

Tout  d'abord,  dans  toute  l'Irlande  el  dans  la  plus 
grande  partie  de  l'Angleterre,  l'excessive  humidité  et 
l'absence  de  chaleurs  estivales  rendent  difficile,  aléatoire 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


23 


L'EUROPE 


et  de  médiocre  rendement  la  culture  de  la  céréale  essen- 
tielle :  le  blé.  Sans  doute,  aussi  longtemps  que  l'Angle- 
terre dut  se  suffire  à  elle-même,  aussi  longtemps  que  des 
droits  prohibitifs  frappèrent  les  blés  étrangers,  les  An- 
glais durent  s'ingénier  à  produire  dans  de  très  mauvaises 
conditions,  et  en  violation,  pour  ainsi  dire,  des  lois  natu- 
relles, la  quantité  de  grain  qui  leur  était  nécessaire.  Mais, 
du  jour  où,  vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  disparurent 
les  taxes  douanières,  les  blés  de  Russie,  de  l'Amérique, 
de  l'Inde,  affluèrent  et  à  si  bas  prix  que  les  propriétaires 
anglais  n'eurent  plus  intérêt  à  continuer  des  cultures 
coûteuses  et  devenues  mutiles.  Partout  la  prairie  rem- 
plaça le  labour.  Seuls,  les  comtés  du  Sud  et  de  l'Est 
(Essex,  Suffolk,  Norfolk),  favorisés  par  leur  climat  plus 
sec  et  plus  chaud  —  au  moins  en  été  —  conservèrent 
leurs  champs  de  blé.  C'est  la  Beauce  de  l'Angleterre  ; 
la  culture  y  atteint  une  si  rare  perfection  que  le  rende- 
ment moyen  dépasse  33  hectolitres  par  hectare  contre 
1 5  en  France  ! 

L'orge  et  l'avoine,  céréales  plus  résistantes  et  qui 
s'accommodent  de  l'humidité,  couvrent  des  surfaces  beau- 
coup plus  vastes,  surtout  au  Nord  et  à  l'Ouest.  On  les 
utihse  pour  la  nourriture  des  animaux  et  celle  de  1  homme 
même.  La  bouillie  d'avoine  est  demeurée  jusqu'à  nos 
jours  1  aliment  national  du  paysan  écossais,  comme  la 

polenta  "  pour  l'Italien  de  Romagne.  Enfin,  la  pomme 
de  terre  est  encore  la  principale  —  souvent  l'unique  — 
culture  du  pauvre  tenancier  irlandais. 

La  répartition  de  la  propriété  ne  fut  pas  non  plus 
étrangère  à  cette  raréfaction  des  cultures.  L'Anglais 
aime  la  campagne  par  goût  d'abord,  mais  aussi  parce 
que  la  possession  de  la  terre  confère  une  sorte  de  supé- 
riorité sociale.  Aussi  —  comme  autrefois  à  Rome  — 
vit-on,  à  partir  du  XVlll'  siècle  surtout,  se  constituer  ces 

latifundia  ',  ces  grands  domaines  fonciers  qui  absor- 
bèrent peu  à  peu  les  petites  propriétés  des  "  Yeomen". 
Nobles  de  vieille  race,  commerçants,  industriels  enri- 
chis arrondirent  à  l'envi  leurs  possessions.  On  ne 
compte  guère  aujourd'hui  que  300000  propriétaires 
(contre  3  000000  en  France)  et  8  000  d'entre  eux 
possèdent  à  eux  >eul;  la  moitié  du  territoire  !  Tel 
duc  écossais  a  600  000  hectares  d'un  seul  tenant  !  Les 
paysans  appauvris  abandonnèrent  les  campagnes,  attirés 
par  les  villes  industrielles,  et  les  land-lords,  n'ayant  plus 
la  main-d  oeuvre  abondante  que  nécessite  la  culture,  se 
consacrèrent  à  l'élevage,  du  reste  beaucoup  plus  rému- 
nérateur. Les  petits  villages,  les  fermes  disparurent,  le 
pourcentage  des  gens  vivant  de  la  terre  tomba  à 
21  pour  100  (contre  60  en  France).  Partout  s'éten- 
dit le  manteau  uniforme  des  gazons,  des  prairies  à 
l'herbe  haute  et  drue  que  des  haies  ou  des  clôtures 
de  'bois  divisent  en  vastes  enclos. 

Là  paissent  ces  admirables  animaux  qu'une  sélection 
24 — 


ngoureuse,  des  soins  minutieux  ont  su  créer,  pour  ainsi 
dire,  de  toutes  pièces.  L'éleveur  anglais,  disposant  de 
gros  capitaux,  habile  à  découvrir  ou  prompt  à  appliquer 
les  méthodes  les  plus  savantes,  obtient  des  résultats  qui 
n  ont  point  d'égaux  dans  le  reste  du  monde.  11  y  con- 
sacre tous  ses  soins  ;  il  y  met  son  orgueil.  On  sait  la 
renommée  des  pur  sang  anglais,  des  bœufs  de  Durham, 
des  vaches  laitières  du  Devon  et  de  Cornouaille,  des 
moutons  Cheviots,  Dishley  ou  South-Devons,  même  des 
porcs,  des  volailles  et  des  chiens.  Chaque  race  a  ses 
qualités  spéciales,  et  c'est  en  Angleterre  que  les  éleveurs 
étrangers  se  procurent,  à  très  haut  prix,  les  animaux 
reproducteurs  destinés  à  l'amélioration  de  leurs  propres 
troupeaux. 

L'INDUSTRIE.  00  L'agriculture  et  l'élevage 
n  occupent  aujourd'hui  en  Grande-Bretagne  —  l'Ir- 
lande exceptée  —  qu'une  faible  proportion  des  hommes. 
L'Angleterre  est  devenue  avant  tout  un  pays  d'industrie 
et  de  commerce,  une  usine,  un  comptoir  prodigieux.  Elle 
le  doit  aux  ressources  du  sous-sol,  à  sa  situation  géogra- 
phique, à  la  nature  de  ses  côtes,  à  la  tenace  volonté  de 
ses  habitants. 

Longtemps  l'Angleterre  demeura  un  pays  exclusive- 
ment agricole.  Au  Moyen  Age,  c'est  en  Flandre,  en 
Italie,  en  Espagne,  en  France  que  se  développaient  ks 
centres  industriels.  L  Angleterre  se  bornait  à  fournir  aux 
tisseurs  de  Bruges,  d'Ypres,  de  Gand,  les  laines  de  ses 
moutons.  Au  xvf  siècle,  quand  les  persécutions  reli- 
gieuses de  Charles-Quint  et  de  Philippe  II  contrai- 
gnirent à  l'exil  des  milliers  d'ouvriers  hollandais  ou  fla- 
mands, la  reine  Elisabeth  sut  les  attirer  chez  elle,  et  ainsi 
naquit  dans  la  région  de  Leeds  et  de  Bradford  la  plus 
ancienne  des  industries  anglaises  :  celle  des  lainages. 
Pourtant,  jusqu'au  XVIl*^  siècle,  grâce  aux  efforts  de 
Henri  IV  et  de  Colbert,  les  produits  industriels  fran- 
çais n  avaient  encore  point  de  rivaux  chez  nos  voisins. 
Mais,  au  XVlIl"  siècle,  l'Angleterre  prend  conscience  de 
ses  véritables  intérêts  ;  elle  devient,  à  partir  des  traités 
d'Utrecht,  une  puissance  surtout  maritime,  commerciale, 
coloniale.  Ses  ennemis  d'autrefois,  l'Espagne,  la  Hollande, 
sont  réduits  à  l'impuissance  ;  la  France,  mal  gouvernée, 
paralysée  par  de  longues  guerres  continentales,  lui  aban- 
donne l'Inde,  la  Louisiane,  le  Canada.  Sa  flotte  s'accroît 
formidablement  et,  comme  roulier  des  mers,  l'Anglais 
remplace  le  Hollandais. 

Dans  le  même  temps,  pour  fournir  à  ses  navires  le 
fret  nécessaire,  l'Angleterre  développe  son  industrie. 
Elle  exploite  ses  riches  mines  de  fer,  de  plomb,  d'étain, 
de  cuivre.  Elle  ajoute  aux  filatures  de  laine  celles  de 
coton.  Surtout  elle  tire  parti  de  ses  immenses  ressources 
en  charbon  déterre.  Exploitée  depuis  le  Moyen  Age  dans 
la  région  de  Newcastle  pour  les  usages  domestiques,  la 


ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE 


houille  remplaça,  de  I  740  à  1 790.  le  charbon  de  bois 
pour  le  traitement  des  minerais  de  fer.  Mais  elle  ne 
pnt  sa  valeur  véritable  qu'à  partir  de  1  invention  des 
machines  à  vapeur.  Fn  1774.  James  Watt  installait  à  Bir- 
mingham la  première  pompe  à  vapeur  destine'e  à  e'puiser 
l'eau  des  mines.  En  1 789,  on  employait  de'ja  la  vapeur 
pour  mettre  en  mouvement  les  me'tiersà  filer  et  tisser  le 
coton.  Enfin,  dans  les  cinquante  premières  anne'es  du 
XIX®  siècle,  la  création  des  voies  ferrées,  des  lignes  de 
navigation  alla  de  pair  avec  le  perfectionnement  du  machi- 
nisme. Et  l'Angleterre  prit  dès  lors  l'avance  prodigieuse 
qui  lui  assura  jusqu'à  nos  jours  la  première  place  parmi  les 
grandes  nations  industrielles  et  commerçantes  du  monde. 

L'origine  essentielle  et  la  raison  d  être  de  cette  supé- 
nonté  tiennent  à  l'abondance  de  la  houille,  à  l'heureuse 
répartition,  à  la  situation  privilégiée  des  bassins  houillers. 

L'Angleterre  a  produit  230  000  000  de  tonnes  de 
houille  en  1920  (287  000000  en  1913).  Seuls  les 
Etats-Unis  la  dépassent  avec  700  000  000  de  tonnes, 
mais  elle  vient  bien  avant  l'Allemagne  (160  000  000  de 
tonnes),  la  France  (37  000  000).  la  Russie  (27  000  000) 
et  la  Belgique  (23  000  000)  qui  se  classent  après  elle. 
Les  gisements  épais,  puissants,  d'exploitation  généralement 
aisée,  se  sont  formés  à  la  fin  des  temps  primaires  sur  les 
flancs  des  massifs  dus  aux  plissements  calédonien  et  hercy- 
nien. Les  principaux  sontceux  de  Glasgow  (41  OOOCOOde 
tonnes),  de  Newcastle  (32),  du  Lancashire  (23),  du 
Yorkshire  (38),  du  Centre  ou  des  Midlands  (42),  de 
Cardiff  (52),  auxquels  s'ajoutent  les  petits  bassins  de 
Bristol  et  du  Cumberland.  Leur  proximité  de  la  mer 
ou  des  rivières  navigables  facilite  l'extraction,  le  transport, 
et  diminue  le  prix  de  revient.  De  plus  les  minerais  de 
fer,  de  cuivre,  de  plomb,  de  zinc,  détain.  se  mêlent 
étroitement  aux  gisements  houillers.  et  si  certains  d'entre 
leux,  depuis  longtemps  exploités,  n  ont  plus  qu'une  impor- 
tance médiocre  (I  200  tonnes  de  cuivre,  14  000  tonnes 
de  plomb,  5  000  tonnes  d'étain,  7  000  tonnes  de  zinc), 
le  fer,  fort  abondant  et  d  excellente  qualité,  fournit  encore 
près  de  1 5  000  000  de  tonnes  par  an  (France  : 
22  000  000  de  tonnes  en  1913).  Aussi  l'industrie  métal- 
lurgique est-elle.  —  malgré  la  concurrence,  chaque  jour 
plusdangereuse.de  certains  Etats  étrangers. — merveilleu- 
sement active  et  prospère.  Glasgow.  Newcastle.  complé- 
tés par  South-Shields.  Gateshead,  Sunderland,  Middles- 
borough,  Shelfield,  Birmingham,  Nottingham.  Cardiff, 
Swansea,  etc  ,  ne  sont  que  les  plus  importants  des 
groupements  industriels  où  se  fabriquent  machines  de 
toutes  espèces,  navires,  rails,  outils,  chaudronnerie,  quin- 
caillerie, armes,  plumes  métalliques,  etc. 

Les  industries  textiles  sont  plus  importantes  encore. 
Le  coton  vient  en  tête  ;  55  000 LOO  de  broches  (contre 
29  aux  Etats-Unis,  10  en  Allemagne,  7,4  en  France) 
filent   annuellement  près  de  900  000  tonnes  de  colon 


importées  des  Etats-Unis,  de  l'Inde,  de  l'Egypte.  Cela 
représente  environ  la  moitié  de  la  production  cotonnière 
du  monde.  1  000  000  d'ouvriers  vivent  du  "  Roi  Coton  " 
et  I  exportation  nette  de  coton  manufacturé  qui  attei- 
gnait 125000000  de  livres  sterling  en  1913,  soit,  au  pair, 
plus  de  3  milliards  de  francs,  est  montée  à  400000000  de 
livres  sterling  en  1 920.  C'est  le  Lancashire  qui  détient  le 
monopole  de  l'industrie  cotonnière.  La  matière  première 
arrive  par  Liverpool  ou  par  Manchester,  que  relie  main- 


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REGIONS    INDUSTRIELLES       ,)„.„^_^  # 


GRANDES 


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tenant  à  la  mer  un  canal  accessible  aux  grands  navires, 
et  les  usines  s'accumulent  soit  à  Manchester  même,  soit 
dans  les  villes  qui  l'entourent  :  Preston.  Blackburn.  Bol- 
ton,  Oldham,  Saltord,  etc.,  et  qui  forment  avec  elle 
une  unique  et  gigantesque  agglomération.  Le  Yorkshire, 
avec  Leeds  et  Bradford,  Halifax,  Burniey.  demeure 
depuis  le  XVl'  siècle  le  centre  d'élection  des  industries 
lainières,  et  là  erftore  l'Angleterre  l'emporte  sur  ses 
rivales  :  286000  tonnes  de  laine  brute,  dont  une  faible 
part  est  produite  par  le  pays  même,  le  reste  importé 
d'Australie,  de  l'Argentine,  du  Cap  par  le  port  de 
Hull,  fournissent  des  étoffes  et  des  fils  dont  l'exportation 
seule  a  passé  de  25000000  de  livres  sterling  en  1913 
à   I  15000000  de  livres  sterling  en    1920. 

I  .e  lin  se  cultive  et  se  tisse  en  Irlande  dans  la  région 


25 


L'EUROPE 


de  Belfast,  et  le  jute,  importé  de  l'Inde,  est  manufacturé 
à  Dundee,  en  Ecosse.  Quant  à  l'industrie  de  la  soie,  elle 
n'a  qu'une  importance  relativement  médiocre  à  Dublin, 
Londres,  Derby,  Glasgow  et  Nottmgham. 

A  ces  industries  essentielles  s'en  ajoutent  une  foule 
d'autres  groupées  surtout  à  proximité  des  gisements  car- 
bonifères qui  sont  naturellement,  en  pareille  matière, 
l'élément  essentiel  d'attraction. 

Ainsi,  près  des  sources  de  la  Trent,  grâce  à  la  houille  et 
aux  qualités  d'une  argile  particulière,  tout  le  district  de 
Stoke  upon  Trent  se  consacre  aux  poteries  et  à  la  céra- 
mique. Les  industries  chimiques,  sans  avoir  l'importance 
qu'elles  ont  prise  en  Allemagne,  occupent  des  centaines 
d'usines  dans  tous  les  bassins  houillers.  11  en  est  de 
même  des  maroquineries,  huileries,  fabriques  de  papier, 
verreries,  etc.  Enfin  les  industries  alimentaires  (dis- 
tilleries, brasseries,  féculeries,  etc.)  se  concentrent  sur- 
tout à  Londres  et  dans  sa  banlieue,  et  complètent  la 
riche  série  des  industries  anglaises. 

Les  produits  de  la  pêche  ne  sont  point  non  plus  à 
dédciigner.  Les  mers  anglaises,  peu  profondes,  semées  de 
bancs  sous-marins,  sont  particulièrement  poissonneuses, 
et,  depuis  l'adoption  des  chalutiers  à  vapeur,  les  pêcheurs 
fréquentent  également  la  Baltique,  les  mers  d'Irlande  et 
de  Norvège,  même  la  Mer  Blanche,  les  côtes  du  Por- 
tugal et  du  Maroc.  On  estimait  la  valeur  brute  du  pois- 
son débarqué  à  6000000  de  livres  sterling  en  1885,  à 
15000000  de  livres  sterling  en  1913,  à  29000000  de 
livres  sterling  en  1920.  Mais  si  l'on  tient  compte  de 
toutes  les  industries  qui  vivent  des  pêcheries,  du  prix 
réel  atteint  par  le  poisson  frais  vendu  sur  les  marchés 
anglais,  et  de  la  valeur  des  poissons  réexportés  après 
avoir  suti  diverses  préparations,  la  valeur  totale  des 
pêcheries  britanniques  doit  atteindre  aujourd'hui  plus 
de  50000000  de  livres  sterling. 

La  pêche  se  fait  sur  toutes  les  côtes,  mais  l'industrie 
se  centralise  dans  quelques  grands  ports  qui  sont,  par 
ordre  d'importance  décroissante  :  Grimsby,  Hull,  Londres, 
Lowestoft,  Yarmouth,  Fleetwood,  Milford,  North 
Shieldset  Aberdeen,  auxquels  s'ajoutent,  en  Ecosse,  Fra- 
serburgh  et  Banfî,  spécialisés  dans  la  pêche  du  hareng. 

LE  COMMERCE.  00  Grande  nation  indus- 
trielle, l'Angleterre  doit  être  par  cela  même  une  grande 
nation  commerçante.  Il  lui  faut,  en  effet,  exporter  les 
produits  de  ses  manufactures  et  de  ses  usines,  importer 
à  la  fois  les  matières  nécessaires  à  ses  industries,  et  les 
produits  alimentaires  dont  elle  a  besoin.  En  fait,  son 
commerce  n'a  cessé  de  s'accroître  malgré  la  concurrence , 
chaque  jour  plus  active,  des  pays  étrangers.  En  1913, 
par  le  chiffre  total  de  ses  échanges,  I  400  000  000  de 
livres  sterling  soit  au  pair  35  milliards  de  francs, 
1  Angleterre  se   plaçait  largement  à   la  tête  de    toutes 

26    


les  nations  du  monde.  En  1920,  elle  devance  encore 
de  600000000  de  livres  sterling  les  Etats-Unis,  son 
plus  redoutable  concurrent. 

IMPORTATIONS    ANGLAISES 


Principaux  articles. 

Annfc  1913 
Valeur  en  liv.  it- 

Année  1920 
Valeur  en  Uv.  st. 

/  Graines  et  farines 

85  800  000 
57  400  000 
33  600  000 

1 13  600  000 

231  713  000 
159  800  000 
68  571  000 

244  000  000 
63  279  000 

alimen-     )  Beurre,  œufs,  fromasre 

laires.       )  Sucre,    thé,    vins,    produits 
r       coloniaux,  tabac,  fruits. . . 

Total 

290  400  000 

767  363  000 

70  600  000 
34  000  000 

40  000  000 
20  400  000 
34  000  000 

10  000  000 
17  400  000 
20  000  000 

11  000  000 
10  000  000 
14  000  000 

256  765  000 
93  957  000 

36  000  000 
19  225  000 
82  165  000 
33  278  000 
48  000  000 
26  800  000 
66  700  000 
32  611  000 
19    000  000 

Autres    textiles  (soie,    jute. 

Matières    \  Graines  oléagineuses 

Pétrole 

Divers 

Total 

281  400  000 

711  301  000 

53  600  000 

33  000  000 

15  000  000 
13  000  000 
13  000  000 

16  000  000 
8000  000 
8000  000 

33  400  000 

115  000  000 

50  200  000 
37  000  000 
19  500  000 
35  000  000 
77  100  000 
30  000  000 
27  000  000 
64  123  000 

Cotonnades.  lainages,  vète- 

manu-       i  Produits  chimiques 

'    Papier 

Total   général  des  importations. 

193  000  000 

454  823  000 

en  1913 

764  800  000 

dont  213  000  000 

provenant  des  co- 
lonies anglaises. 

en  1920 

1  936  742  000 

dont  560  73 1000 

provenant  des  OO' 
lonies  anglaises 

COMMERCE  DE  TRANSIT 

(Réexportation  de  produits  d'origine  étrangère.) 


Catégories. 

Année  1913 
Valeur  en  liv.  st. 

Année  1920 
Valeur  en  liv.  st. 

15  600  000 
30  400  000 

63  400  000 

44  000  000 
32  000  000 

142  000  000 

Matières     premièies     pour      l'industrie 
(laine,  coton,  peaux,  caoutchouc,  etc.).. 

Total 

109  400  000 

218  000  000 

Les  tableaux  ci-joints  permettront  de  se  faire  une  idée 
assez  détaillée  du  commerce  anglais.  Nous  nous  borne- 
rons ici  à  mettre  en  valeur   quelques   faits   importants. 

1  °  Les  importations  consistent  surtout  en  denrées 
alimentaires  et  en  matières  premières  pour  l'indus- 
trie. Malgré  le  degré  de  perfection  atteint  pas  l'agricul- 
ture et  l'élevage,  la  Grande-Bretagne  ne  produit  pas  la 


ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE 


^^ 


EXPORTATIONS   ANGLAISES 


r«m.r,„»n(  „clu.iv.m-«  /«  ProJu!,,  Je  l.gricvll.,..  Je  hpcchc.  Je  nhva,.. 
J«  mina  tt  Je  I  inJullrie  rfu  Royaumc-Uml. 


Prinâpaux  articlM 

Année  1913 
Valeur  en  liv.  st- 

Année  1920 
Valeur  en  liv.  st 

Denrées    ;    Harenjj.  grains  et   farines. 
«Kmen-      J     spiritueux,     biire.     tabac. 

32  000  000 

50  883  COO 

54  000  000 
16  000  000 

100  000  000 
45  656  000 

premières,  f    Divers 

Xotal          

70  000  000 

145  656  000 

127  000  000 
54  000  000 
37  000  000 
Il  000  000 

26  000  000 
37  000  000 
15  000  000 
22  000  000 
Il  cOOOOO 
86  400  000 

400  000  000 
129  000  000 
111  000  000 
26  000  000 

52  000  000 
115  000  000 
50  000  000 
40  000  000 
60  000  000 
137  732  000 

Navire» •  •  •  ; ;  • y 

dutellerie.  quincaillerie,  articles  en  me- 

Toiles  de  lin.  chanvre,  iute.  soierie 

Tot.1 

427  000  000 

1  120  732  000 

Tnt.l  sMi^ral              

529  000  000 
dont  205  600  000 
destines  aux  pos- 
sessions    britan- 
niques. 

1  317  281  000 
dont  526000000 

destinés  aux  pos- 
sessions     britan- 
niques. 

. 

moitié  des  céréales,  de  la  viande,  des  produits  de  ferme 
qui  lui  sont  nécessaires.  11  lui  faut  importer  chaque  année 


une  quantité  considérable  de  céréales,  viande,  volailles, 
œufs,  beurre,  fromages,  fruits,  vins,  légumes,  sucre,  sans 
compter  les   produits  des  régions  tropicales  (thé,  café, 

épices,  etc.). 

Les  importations  de  matières  premières  sont  de  valeur 
à  peu  près  égale  et  consistent  soit  en  textiles  (coton, 
laine,  lin,  chanvre,  jute),  soit  en  minerais  (cuivre,  fer. 
étain),  soit  en  graines  oléagineuses,  en  cuirs  et  peaux,  en 
bois,  pétrole,  etc.  Par  contre,  les  objets  manufacturés 
qui  consistent  surtout  en  produits  de  luxe  :  soieries, 
articles  démode,  etc.,  ne  représentaient  en  191  3  que  le 
quart  des  achats,  et  considérablement  moms  en  1920. 
A  l'exportation,  ce  sont,  au  contraire,  les  produits 
manufacturés  qui  tiennent  naturellement  le  premier  rang  : 
quatre  cinquièmes  du  total.  Les  textiles  d'abord,  puis  les 
objets  en  métal  (machines,  outils,  fers  et  aciers,  quincail- 
lerie, moteurs,  etc.).  les  produits  chimiques,  les  navires, 
les  vêtements,  etc.  A  cela  s'ajoute  la  houille  qui  assure 
aux  navires  anglais  un  fret  abondant  et  d'écoulement 
toujours  assuré. 

2°  La  valeur  des  importations  est  très  supérieure  à 
la  valeur  des  exportations.  L'Angleterre  achète  normale- 
ment beaucoup  plus  qu'elle  ne  vend.  Elle  a  cela  de  com- 
mun, du  reste,  avec  la  plupart  des  nations  européennes. 
Mais  ce  déficit  est  largement  compensé  d'abord  par  les 
revenus  de  ses  capitaux  engagés  à  l'étranger,  puis  par 
les  bénéfices  qu'elle  retire  du  commerce  de  transit  et  de 

^ 27 


L'EURœE 


cabotage  effectué  par  ses  navires  sur  toutes  les  mers  du 
monde  ;  enfin  par  l'argent  que  gagnent  ses  nationaux 
fixés  aux  colonies. 

3°  Parmi  les  pays  avec  lesquels  l'Angleterre  entretient 
des  relations  commerciales,  les  possessions  britanniques  se 
classent  au  premier  rang. 

Le  quart  environ  des  importations  provient  des  colo- 
nies, le  tiers  des  exportations  leur  est  destiné. 

En  1920,  rinde  vendit  à  r.'Xnglelerre  pour  134000000  délivres 
sterling  et  lui  acheta  pour  210000000.  —  L'Australie  et  la 
Nouvelle-Zélande  lui  vendirent  pour  159000000  et  lui  achetèrent 
pour  95000000.  —  L'Egypte  vendit  pour  79000000  et  acheta 
pour  45000  000.  —  Le  Canada  vendit  pour  92  000000  et  acheta 
pour  48000000.  —  L'Afrique  du  Sud  vendit  pour  20000000  et 
acheta  pour  50000000,  etc. 

On  saisit  ainsi  sur  le  vif  quels  liens  étroits  rattachent 
la  métropole  à  son  immense  empire  colonial  (29854000 
kilomètres  carrés  ;  325  000  000  d'habitants). 

De  ces  colonies,  les  unes,  comme  le  Canada,  le  Cap,  1  Austra- 
lie, jouissent  d'une  autonomie  si  large  qu'elle  équivaut  à  l'indé- 
pendance. D'autres  sont  rattachées  directement  à  la  couronne. 
Mais  toutes  ont  encore,  à  des  degrés  divers,  besoin  de  l'Angle- 
terre autant  et  plus  que  l'Angleterre  a  besoin  d'elles.  Elles 
donnent  au  Royaume-Uni  les  produits  alimentaires  ou  les 
matières  premières  nécessaires  à  ses  usines.  Mais  elles  trouvent, 
dans  la  métropole,  les  capitaux  indispensables  à  leur  développe- 
ment économique  et  les  objets  manufacturés  qu'elles  ne  produisent 
point  encore.  Ainsi  la  Grande-Bretagne  tire  de  ses  capitaux  un 
double  profit,  d'abord  sous  forme  d'intérêts,  en  second  lieu  sous  la 
forme  de  commandes  à  ses  industriels. 

4°  Enfin,  aux  3272000000  de  livres  sterling  qui  repré- 
sentaient en  1920  la  valeur  du  commerce  local  du 
Royaume-Uni  (c'est-à-dire  les  importations  destinées 
uniquement  à  la  consommation  locale,  et  les  exportations 
d'objets  provenant  exclusivement  de  l'agriculture,  de  la 
pêche,  des  usines  de  la  Grande-Bretagne)  il  faut  ajouter 
les  222465800  livres  sterling  du  commerce  de  transit, 
c'est-à-dire  la  réexportation  de  produits  coloniaux  et  étran- 
gers entreposés  dans  les  ports  anglais.  Ainsi  70  p.  1 00  du 
caoutchouc  importé  en  Angleterre,  60  p.  100  des  cuirs 
et  peaux,  35  p.  100  de  la  laine,  27  p.  100  du  lin,  du 
chanvre  et  du  jute,  15  p.  1 00  des  matières  oléagineuses, 
13  p.  100  du  coton  sont  réexportés.  Ce  commerce  de 
transit  a  donc  encore  une  importance  considérable. 

Pourtant  sa  valeur  relative  ne  cesse  de  diminuer.  11  représen- 
tait, en  1 860,  un  tiers  du  commerce  total  :  il  n'en  représentait 
plus,  en  1913,  que  le  douzième,  et  moins  encore  en  1920.  Cela 
témoigne  des  progrès  réalisés  par  les  rivaux  de  l'Angleterre.  Le 
marché  anglais  faisait  la  loi  en  Europe  pour  la  plupart  des 
produits  coloniaux  asiatiques,  américains.  Les  ports  de  France,  de 
Belgique,  d'Allemagne,  d'Italie  ne  recevaient  ces  produits  que 
par  l'intermédiaire  des  importateurs  anglais.  Aujourd'hui,  Le  Havre, 
Dunkerque,  Anvers,  Rotterdam,  Hambourg,  Gênes  importent 
directement  des  pays  d'origine  les  articles  destinés  à  la  consommation 
continentale,  et  ne  paient  plus  à  l'Angleterre  les  frais  de  courtage 
auxquels  elle  était  habituée. 

-  28 


LES  VOIES  DE  COMMUNICATION.  00 
Pour  suffire  aux  multiples  besoins  de  son  industrie  et  de 
son  commerce  l'Angleterre  a  dû  développer  d'une  façon 
exceptionnelle  les  voies  de  communication,  les  moyens 
de  transport,  le  nombre  et  l'outillage  de  ses  entrepôts. 

Contrairement  à  ce  que  l'on  pourrait  supposer,  les 
rivières  et  les  canaux  ne  jouent  qu'un  rôle  assez  médiocre. 
Alors,  par  exemple,  que  les  voies  navigables  de  la 
petite  Belgique  transportaient, en  1905,52  1 62  000  tonnes, 
le  trafic  de  la  navigation  intérieure  du  Royaume-Uni 
ne  s'élevait,  la  même  année,  qu  à  39500000  tonnes.  Pour- 
tant les  rivières  sont  lentes  et  de  régime  régulier,  et  un 
réseau  bien  ramifié  de  canaux,  construits  de  I759à  1830, 
unit  les  différents  bassins  fluviaux. 

Mais  d'abord  les  cours  d'eau,  sauf  dans  leur  partie 
maritime,  sont  peu  profonds  et  peu  abondants.  De  plus, 
les  canaux,  "  construits  par  l'initiative  privée,  de  pièces 
et  de  morceaux,  sans  plan  d'ensemble,  à  mesure  que 
chacun  d'eux  apparut  comme  une  bonne  affaire  ",  sont 
de  dimensions  très  variables  et  dépendent  d'autorités 
administratives  fort  diverses. 

"11  y  a  en  Angleterre  2  643  kilomètres  de  voles  accessibles  aux 
narrowboats  (bateaux  étroits)  et  2  568  de  voies  à  barges  (bateaux 
larges  de  4  mètres).  Mais  chacune  de  ces  séries  de  voies  ne  se 
présente  pas  respectivement  par  de  longs  tronçons  continus  ;  très, 
souvent  des  tronçons  de  l'une  interrompent  des  parties  de  l'autre 
des  bouts  de  dimensions  différentes  se  trouvent  intercalés  les  uns 
parmi  les  autres.  Dans  ce  système  chaotique,  il  est  impossible 
d'établir  des  tarifs  généraux  et  d'organiser  des  transports  à  longue 
distance.  "  (A,  Demangeon.) 

Enfin,  d  une  part,  les  communications  par  mer  sont 
SI  faciles  qu'elles  nuisent  au  trafic  intérieur,  et,  d'autre 
part,  les  compagnies  de  chemins  de  fer,  qui  ont  intérêt  à 
éviter  une  concurrence  dangereuse,  paralysent  autant 
quelles  le  peuvent  le  trafic  par  vote  d'eau,  soit  en 
devenant  propriétaires  des  canaux,  soit  par  tout  autre 
moyen. 

Aussi,  si  1  on  met  à  part  quelques  tronçons  de  canaux 
qui  desservent  les  régions  industrielles  et  transportent  les 
houilles, les  minerais,  les  matériaux  deconstruction  (canaux 
de  Birmingham  :  7  546  000  tonnes  ;  Leeds  and  Liverpool 
Canal  :  2467  000  tonnes  ;  Aire  and  Calder  :  2  810900 
tonnes;  Grand  Junction  Canal  :  I  794000),  le  bel 
ensemble  de  canaux  tracé  sur  la  carte  ne  doit  pas  faire 
illusion.  La  plupart  d'entre  eux  n'ont  qu  un  trafic  tout 
à  fait  insignifiant  ou  même  nul. 

En  fait,  tandis  que,  dans  les  pays  industriels  du 
Continent,  il  se  fait  entre  les  voies  ferrées  et  les  voies 
d'eau  comme  un  partage  équitable,  en  Grande-Bretagne 
les  chemins  de  fer  sont  les  maîtres  des  transports. 

Cent  vingt  compagnies  (dont  24  en  Irlande  et  8  en  Ecosse)  se 
partagent  les  voies  ferrées  dont  la  longueur  atteint  38  000  kilo- 
mètres, soit  12  kilomètres  de  voies  ferrées  par  10  000    kilomètres 


ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE 


carré]  (seule  la  Belgique  dépasse  cette  proportion  :  24,  en  France, 
9  seulement).  De  plus,  une  double  lîgnede  rails  est  la  règle  plutôt 
que  l'exception,  et  souvent  on  en  compte  3  ou  4.  Enfin,  au  lieu 
de  rayonner  d'un  centre  unique,  comme  la  plupart  des  voies 
françaises,  le  réseau  anglais  est  de  trame  très  irrégulière,  et  la 
concurrence  acharnée  que  se  (ont  entre  elles  les  diverses  compagnies 
a  pour  conséquence  la  multiplication  des  gares,  des  voies  paral- 
lèles, et  l'abaissement  des  tarifs.  Il  est  donc  naturel  que,  par  le 
nombre  des  trains  mis  ea  marche  chaque  jour,  par  le  nombre  des 
voyageurs  et  la  valeur  des  marchandises  que  transportent  les  voies 
ferrées,  l' Angleterre  se  classe  à  la  tète  de  toutes  les  nations  euro- 
péennes. 

L'intensité  du'traEc  intérieur  a  pour  corollaire  et  pour 
complément  la  prodigieuse  activité  du  commerce  maritime 
avec  l'étranger.  La  marine  marchande  britannique  attei- 
gnait, en  1913,  un  total  de  12000000  de  tonnes. 
Réduit  à  10000000  à  la  fin  de  1918,  ce  chiffre  est 
remonté  à  14000000  de  tonnes  à  la  fin  de  1921. 
Pourtant  cette  flotte,  si  considérable  soit-elle,  ne  suffit  point 
à  assurer  les  relations  de  l'Angleterre  avec  l'extérieur. 
La  part  que  prélève  la  flotte  nationale  dans  l'ensemble 
des  transactions  effectuées  par  les  ports  anglais  décroît 
même  avec  régularité.  Ainsi  sur  les  164800000  tonnes 
qui  représentaient  le  total  des  entrées  et  sorties  en  1913, 
les  navires  britanniques  ne  comptaient  plus  que  pour 
93  128  000  tonnes  soit  59  pour  100  contre  64,  9  pour 
100  en  1905  et  67,3  pour  100  en  1900.  Après  les 
navires  anglais  se  classaient,  par  ordre  d'importance,  les 
Allemands  (10  pour  100),  les  Norvégien  (6,63pour  100), 
puis  les  Danois,  les  Suédois,  les  Hollandais,  les  Français 
etc.  Par  contre,  il  ne  faut  pas  oublier  qu'une  partie  du 
transit  entre  certains  pays  étrangers  s'opère  par 
bateaux  anglais.  Mais,  là  encore,  la  Grande-Bretagne 
se  heurte  à  des  rivaux  entreprenants  et  redou- 
tables. Si  les  Allemands,  qui  lui  disputaient  autrefois  le 
commerce  de  cabotage  ou  de  long-cours  dans  le  Levant  et 
les  mers  de  Chine,  sont  pour  l'instant  hors  de  cause, 
les  Japonais  ont  développé  considérablement  leurs  rela- 
tions avec  les  pays  du  Pacifique.  Les  Etats-Unis,  surtout, 
travaillent  à  se  réserver  le  monopole  du  commerce  améri- 
ccun  (V.  Chap.  LXHI).  De  ce  fait,  tandis  que  la  propor- 
tion du  commerce  extérieur  anglais,  dans  l'ensemble  des 
transactions  mondiales,  était  de  27  pour  100  en  1830. 
elle  s'est  abaissée  à  24  pour  1 00  en  1 870,  20  pour  1 00 
en  1882,  13  pour  100  en  1900,  9  pour  100  en  1920! 


C'est  encore  une  belle  part  :  ce  n'est  plus' la  part  du  lion. 

Le  tableau  suivant  donne  le  classement  des  principaux 

ports  anglais  en  1 9 1 3  (mêmes  chiffres  à  peu  près  en  1 920)  : 


t-ondres 25  000  000  tonnes. 

Uvtrpool 23000000  — 

Cardia 18000000  — 

NewcMtle.North  and  South  Shield» 15  7%  000  — 

Southampton 13  326  OOO  — 

Hull 9000000  — 

C1m«ow 7905000  — 

Plymouth 7588000  - 

Cork 7454000  — 

Grimsb» 5  254  000  — 

Douvres 4  825  000  — 

Newport 3996000  — 

Uith 2866000  — 

Manchester,  etc. 


Londres  vient  en  tête  des  ports  anglais,  surtout  pour  le 
commerce  d'importation  et  de  transit,  malgré  son  éloi- 
gnement  des  régions  industrielles  et  l'infériorité  que  lui 
confère  sa  situation  trop  continentale,  eu  égard  aux  con- 
ditions requises  par  la  navigation  moderne.  Liverpool 
commande  l'estuaire  de  la  Mersey  :  c'est  le  port  des 
grands  districts  industriels  du  Lancashire.  Cardiff  est  le 
port  des  districts  houiflers  du  Pays  de  Galles  comme  les 
ports  de  la  Tyne  (Newcastle,  North  and  South  Shields) 
le  sont  des  régions  houillères  du  Northumberland. 
Southampton,  bien  qu'elle  ne  soit  pas  reliée  directement 
avec  un  grand  district  industriel,  doit  son  importance  à 
son  magnifique  havre  naturel  et  à  sa  position  centrale 
sur  la  Manche.  Hull  dessert  le  West-Riding  et  le 
Yorkshire.  Bristol,  autrefois  le  premier  des  ports  anglais, 
n'a  plus  qu'une  importance  secondaire,  malgré  la  création 
de  deux  avant-ports  à  Avonmouth  et  Portishead.  Avec 
Liverpool  se  groupent  Birkenhead  et  Manchester  ;  avec 
Cardiff,  Newport  et  Svvansea  ;  Blyth  et  Sunderland  avec 
les  ports  de  la  Tyne  ;  avec  Hull,  Grimsby,  Immingham 
et  Coole.  Douvres,  Folkestone,  Newhaven,  complètent 
Southampton  et  assurent  les  relations  avec  la  France. 
En  Ecosse,  Glasgow  et  Leith  (le  port  d'Edimbourg) 
desservent  la  riche  région  industrielle  des  Lowlands.  En 
Irlande,  enfin,  Dublin  et  Belfast  n'ont  qu'un  trafic  rela- 
tivement très,  faible. 

Aux  ports  de  commerce  s'ajoutent  les  ports  de  pêche 
que  nous  avons  énumérés  plus  haut  et  les  ports  de 
guerre  :  Plymouth,  Portsmouth,  Chatham,  etc.,  points 
d'attache  de  la  formidable  puissance  navale  anglaise. 


LES  HABITANTS  ET  LES  yiLLES 


NOTIONS  HISTORIQUES,  ma  Lorsque  la 
Grande-Bretagne  entre  dans  l'histoire  avec  la  conquête 
deCésetf  au  l*'  siècle  de  notre  ère,  elle  était  peuplée  tout 
entière  de  Celtes  apparentés  de  très  près  aux  Gaulois. 
C'étaient  les  Bretons  dans  les  plaines  du  Sud,  les  Pietés, 
les  Scotts  en  Ecosse,  les    Irlandais,    etc.  A   ces  vieilles 


populations  celtiques  s'ajoutèrent  par  lasuiledes  Romains 
d'abord  (en  très  petit  nombre  et  sans  influence  profonde), 
puis  des  Germains  :  Angles  et  Saxons. 

Dans  la  Grande-Ile,  ces  Angles  et  ces  Saxons  furent  assez  nom- 
breux pour  absorber  les  bretons  ou  les  refouler  dans  les  montagnes 
de  l'Ouest  ;  Comouaille  et  Pays  de  Galles.  Ils  assimilèrent  aussi 


29 


L'EUROPE 


les  Danois  et  les  Norvégiens,  venus  au  K"  siècle  sur  les  côtes  de 
l'Ecosse,  el  les  quelques  Français  qui  accompagnèrent  en  1066 
Guillaume  le  Conquérant.  La  Bretagne  perdit  l'usage  de  sa  langue 
nationale,  et  jusqu'à  son  nom,  transformé  en  Terre  des  Angles  ou 
England.  Par  contre,  la  péninsule  gauloise  d'Armorique,  où  vinrent 
se  réfugier  des  milliers  de  Bretons  chassés  de  leur  île  par  les  inva- 
sions germaniques,  hérita  de  leur  nom  et  vit  se  renforcer  la  masse 
des  populations  celtiques  que  la  civilisation  romaine  avait  à  peine 
effleurées.  EnSn  l'Irlande  échappaaux  Saxons  et  demeura,  jusqu'à 
nos  jours,  le  domaine  des  Celtes.  Seules  ses  côtes  reçurent  un  bon 
nombre  d'émigrants  Scandinaves,  et  ses  districts  du  Nord-Est 
(Ulster)  se  peuplèrent  beaucoup  plus  tard  d'Anglais  et  d'Ecossais 
qui  formèrent  une  sorte  de  colonie  germanique  et  protestante  en 
terre  celtique  et  catholique. 

L'unité  politique  complète  se  fit  assez  tard.  Si  les  sou- 
verains anglais  annexèrent  le  Pays  de  Galles  dès  le 
XIIl*^  siècle,  l'Ecosse  demeura  jusqu'au  XVII*'  siècle  un 
royaume  pleinement  mdépendant,  constamment  en  guerre 
avec  ses  voisins  du  Sud,  et,  par  une  naturelle  consé- 
quence, alliée  des  Français.  En  1603  seulement,  l'avène- 
ment de  la  dynastie  écossaise  des  Stuart  au  trône  d'An- 
gleterre fit  des  deux  royaumes  un  tout.  Quant  à  l'Ir- 
lande, les  Anglais  y  parurent  en  I  1 12,  mais  n'occu- 
pèrent d'abord  qu'une  section  très  restreinte  de  la  côte 
orientale.  En  1  542,  Henry  VI 11  substitua  le  titre  de  roi 
à  celui  de  seigneur  d'Irlande.  Dès  cette  époque,  l'anta- 
gonisme entre  les  deux  races,  avivé  par  la  différence  des 
religions,  se  traduisit  par  des  révoltes  continuelles,  sau- 
vagement réprimées.  En  1649,  Cromwell  entra  en 
Irlande  comme  Josué  chez  les  Chananéens  ',  massacrant 
ou  vendant  comme  esclaves  des  milliers  d'Irlandais,  dis- 
tribuant à  ses  soldats  toutes  les  terres  demeurées 
vacantes.  De  là  la  haine  des  Irlandais  pour  les  Anglais 
et  la  naissance  d'une  question  d'Irlande  '  qui.  après 
de  multiples  péripéties,  des  confliis  sanglants  et  prolon- 
gés, s'est  enfin  résolue,  en  décembre  1 92 1 ,  au  profit  des 
Irlandais  par  l'obtention  d'une  autonomie  politique  aussi 
complète  que  l'est  celle  du  Canada. 

ANGLAIS,  ÉCOSS.-\IS.  IRLANDAIS.  00 
Du  mélange  des  deux  éléments  :  celtique  et  germanique, 
est  né  le  peuple  anglais  auquel  son  "  insularité  "  a 
fini  par  conférer  une  originalité  frappante,  des  caractères 
physiques  et  moraux  qui  le  distinguent  fortement  de 
tous  les  autres  peuples  européens.  Il  y  a  bien  un  "  type 
anglais  '  infiniment  plus  net  que  le  "  type  "  français, 
allemand  ou  italien,  et  si  aisément  reconnaissable  que  l'on 
n  hésite  presque  jamais  à  désigner,  dans  une  foule  cos- 
mopolite, les  fils  et  les  filles  d'Albion. 

Forme  plutôt  anguleuse  du  visage,  teinte  colorée  de 
la  peau  (une  peau  que  le  grand  air  et  le  soleil  ne 
brunissent  point  mais  rougissent  comme  boeuf  saignant), 
cheveux  blonds,  yeux  bleus,  gestes  raides,  démarche 
brusque,  attitude  décidée,  long  corps  musclé  et  vigoureux, 
endurci  par  la  pratique  constante  des  sports,  tels  sont  les 


traits  extérieurs  les  plus  frappants  des  gens  d'outre- 
Manche.  Au  moral,  plutôt  froids,  taciturnes,  même  dédai- 
gneux et  gourmés,  mais  capables  de  brusques  explosions 
d'enthousiasme  ;  lents  à  se  donner,  mais  de  commerce 
très  sûr  ;  d'imagination  médiocre,  de  sensibilité  très  fciible, 
peu  artistes,  mais  pratiques,  tenaces,  d'une  énergie  que 
rien  ne  rebute,  d'une  activité  méthodique  stimulée  par  une 
inébranlable  confiance  en  soi.  Très  orgueilleux,  pleins  de 
mépris  pour  les  races  inférieures  ",  ils  tiennent  tout  ce 
qui  est  anglais  comme  ihe  best  in  the  world  ",  ce  qu'il 
y  a  de  plus  parfait  au  monde.  Les  habitudes  que  le 
jeune  Anglais  prend  dès  l'enfance,  il  les  garde  plus 
jalousement  que  tout  autre  peuple  ;  il  les  transporte  avec 
lui  sous  tous  les  climats  et  met  son  point  d'honneur 
à  ne  pas  vivre  à  Calcutta  autrement  qu'à  York. 
Peu  porté  aux  grandes  vues  synthétiques,  il  s'inté- 
resse aux  faits  beaucoup  plus  qu'aux  idées,  et  le 
peu  de  connaissances  générales  des  Anglais,  leur  élroi- 
tesse  de  vue,  qui  engendre  fréquemment  l'égoïsme  et 
l'intolérance,  leur  paresse  d'esprit,  leur  "  incuriosité  " 
étonnent  les  étrangers  cultivés.  Toutefois  le  bon  sens, 
l'esprit  d'initiative,  le  goût  de  l'action,  qui  sont  les  qualités 
maîtresses  de  l'Anglais,  suppléent,  dans  nombre  de  cas, 
aux  lacunes  de  sa  préparation  intellectuelle.  II  s'instruit 
par  la  pratique  des  affaires  et  le  commerce  des  hommes 
plus  que  par  les  livres,  ^a  psychologie  se  trouve  fré- 
quemment en  défaut,  mais  il  n'hésite  pas  à  reconnaître 
ses  erreurs,  à  modifier  ses  plans.  Il  ne  s'obstine  pas, 
au  nom  des  principes,  contre  l'enseignement  des  faits. 
11  voit  au  contraire  avec  lucidi'.é  ce  qu'il  peut  en 
tirer  et  comment  il  saura  les  utiliser  au  mieux  de  ses 
intérêts. 

L'Ecossais  diffère  quelque  peu  de  l'Anglais  même 
physiquement.  Les  Gaëls  des  Highlands  sont  des  Celtes 
à  peu  près  purs,  et,  dans  les  Basses-Terres  ou  sur  les 
rivages,  Danois  et  Norvégiens  se  mêlèrent  en  forte  pro- 
portion aux  Bretons  et  Anglo-Saxons.  Un  peu  plus  grand 
que  l'Anglais,  plus  maigre,  plus  osseux  ",  parlant  anglais 
avec  un  accent  très  spécial,  l'Ecossais  fait  preuve  dans 
la  lutte  pour  la  vie  d'une  ténacité,  d'une  sagacité  et  d'un 
sens  pratique  au  moins  égaux  à  ceux  de  ses  voisins.  Mais 
il  est  plus  curieux,  plus  causeur,  et  s'accoutume  difficile- 
ment au  silence  dédaigneux  de  l'Anglais.  Il  s'adonne 
aussi  aux  études,  même  désintéressées,  avec  un  zèle,  une 
passion  que  ne  connaissent  guère  les  écoliers  d'Oxford 
et  de  Cambridge.  Malgré  sa  sobriété  (au  moins  relative), 
une  économie  poussée  jusqu'à  l'avarice,  il  trouve  diffici- 
lement à  vivre  'Sur  un  sol  ingrat  et  émigré  proportion- 
nellement beaucoup  plus  que  l'Anglais.  Enfin  il  se  dis- 
lingue par  sa  ferveur  religieuse,  son  rigorisme,  son  goût 
pour  les  discussions  théologiques.  Nulle  part  le  repos 
dominical  n'est  observé  avec  plus  de  respect,  nulle  part 
les  sectes  dissidentes   n'éclosent  avec    plus  de  facilité 


30 


LA  GRANDE-BRETAGNE 


LE  LOCH  KATRINE.  L'un  da  ofcu  cilitia  parmi  ta  laa  inncmlralla  qu,  te 
mchircnl  au  c«iix  </«  rallia  «c5joi«5.  San,  /«  fiiima  da  lacha  opp.o/onAo  pai 
la  slacm>  d'culrtlob.  Dam  k>  eaux  d'un  val  «.mire  se  TcHitçnl  la  açajptmeals 
tmdtt  de  la  monlagm.  Walla  Secll  le  chanla  dans  ion  Ixxme     Ladu  a/  Ihe  Loke    ■ 


Pat  set  rachat,  ta  trvtqua  délours,  il  ressemlle  au  lac  de  Lueerne.Versl  Bl.  Dra  des 
Trossaclit,  la  riva  tant  verla  de  hruuira.  d'ajanet,  miles  de  taillis.  A  I  Uual.ellei 
deviamenl  plus  aeaipia  et  plut  nua.  Clatsow  emprunte  au  lac  laeaux^  pures  nica- 


saira  à  sa  population. 


CI.V*LENT1NE. 


—    31 


L'EUROPE 


^-hfCi 


LE  BEN  NEVIS.  C'esl  le  sommetje  plus  eUvc  de  la  GianJe- 
Bretasne.  Ses  formes  émoussées  trahissent  le  long  travail  de 
l'éroùon.  La  vue  est  prise  du  canal  Calédonien,  profonde 
cassure  qtii  traverse  toute  la  haute  Ecosse.  Cl.  ValENTTNE. 


BALMORAL.  Magnifique 
résidence  de  la  famille  royale 
anglaise  pendant  la"  ^eason  " 
d'Ecosse.  Cl.  Valentine. 


PONT  DU  FORTH.  Construit  de  1833  à  1890.  long  de 
2500  mètres,  haut  de  50.  leForth  Bridgeoii  passe  lavoiefer- 
rêe  d'Edimbourg  à  Aberdeen.  est  un  beau  spécimen  des  travaux 
d'art  accomplis  par  les  ingénieurs  anglais. C\.  ValentINE. 


EDIMBOURG.  La  capitale  de  l'Ecosse  l'emporte  incontestablement  sur  toutes  les 
autres  cités  de  la  Grande-Bretagne  par  sa  magnifique  situalion,  le  pittoresque  des 
rochers  d' Holyrood  et  du  Castle  où  elle  accroche  ses  vîetLX  quartiers.  La  vue  est  prise 
de  la  colline  de  Calton  autour  de  laquelle  a  grandi  la  ville  nouvel  le.  C\.  G.  W.  W. 


GLASGOW  :  LES  QUAIS  DE  LA  CLYDE.  A  Edimbourg,  cité  de  l'histoire  et 
du  passé,  on  oppose  volontiers  Glasgowja  ville  modeme,qui  dut  à  ses  mines  de  charbon 
et  de  fer,  à  son  fleuve  que  peuvent  remonter  les  grands  navires,  une  prospérité  qu'at- 
teste le  chiffre  de  sa  population  (plus  de  1  000  000  d'habitants).  Cl.  Valentine. 


LA  CHAUSSÉE  DES  GÉANTS.  Sur  la  côte  Nord  de  l'Irlande,  un  vaste  plateau 
i  ^a'.!iqttc  qui  ccuvrc  la  plus  grande  partie  du  comté  d' Antrin,tombe  vers  la  mer, tantôt 
par  ci;  trasquss  ezcarpements  calcaires,  tantôt  par  une  série  de  terrasses  que  forment 
/■•-:  pilisT!  hexaxcr.cux  du  basalte.  Cl.  PHOTOGLOB. 


FERME  IRLANDAISE.  L'Irlande  ne  possède  point  de  richesses  minières.  Aussi, 
la  majeure  partie  des  Irlandais  vif.  non  d'industrie  et  de  commerce,  mais  de  l'éle- 
vage et  du  travail  des  champs,  La  terre  appartient  à  de  grands  propriétaires  pour 
lesquels  travaillent  de  pauvres  fermiers  Cl.  Valentine. 


32 


ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE 


et  ne  font  preuve  d'un  prosélytisme  aussi  ardent. 
Quant  à  l'Irlandais,  Celte  pur  ou  Celte  mélange 
d'Anglo-Saxons  et  de  Scandinaves,  s'il  constitue  moins 
une  race  qu'une  nation,  il  a  cependant  "  un  ensemble 
de  qucilités  et  d'habitudes  qui  lui  appartiennent  en 
propre  et  qui  le  rendent,  à  certains  égards,  l'antipode  de 
l'Anglais".  Au  physique,  souvent  brun  au  teint  mat,  aux 
yeux  noirs,  il  est,  quand  la  misère  ne  l'a  point  déformé, 
aussi  grand,  aussi  fort,  aussi  robuste  que  l'Anglais  et 
l'Ecossais.  Les  femmes,  de  l'aveu  même  des  Anglais, 
l'emportent  sur  leurs  voisines  de  la  Grande- lie  par  une 
figure  plus  noble,  par  la  grâce,  la  souplesse  de  la  démarche, 
l'élégance  et  le  goût.  Au  moral  on  reconnaît  aux  Irlan- 
dais de  précieuses  qualités  :  intelligence  facile  et  bril- 
lante, compréhension  vive,  imagination  créatrice.  Sen- 
sibles à  toutes  les  manifestations  de  l'art  et  de  la  beauté, 
naturellement  éloquents,  curieux  de  s'instruire,  très  fins. 
très  spirituels  sous  des  dehors  un  peu  frustes,  ils  ignorent 
l'égoïsme,  la  froideur  dédaigneuse  des  Anglais,  ouvrent 
largement  leurs  portes  à  toutes  les  infortunes,  et  con- 
servent pieusement  le  souvenir  des  bienfaits.  Mais  leur 
amour  naturel  pour  l'art  de  la  parole  aboutit  fréquem- 
ment au  bavardage,  leur  impressionnabilité  les  rend  aussi 
prompts  au  découragement  qu'aux  enthousiasmes.  On 
leur  reproche  aussi  leur  esprit  de  routine,  leur  paresse, 
leur  apathie  qui  les  rend  sans  défense  contre  la  mauvaise 
fortune. 

LANGUES  ET  RELIGIONS.  00  U  langue 
que  l'Anglais  parle  est  fjiite  d'un  mélange  de  mots  d'origine 
germanique  et  latine.  Elle  est  simple,  précise,  très  claire, 
et,  si  l'orthographe  anglaise  est  absurde,  il  faut  reconnaître 
que  nul  autre  idiome  européen  ne  possède  une  gram- 
maire et  une  syntaxe  aussi  peu  compliquées.  C'est  par 
excellence  la  langue  du  commerce,  ce  qui  ne  l'empêche 
nullement,  sous  la  plume  d'un  Shakespeare,  d'un  Shelley, 
d'un  Dickens,  de  s'élever  sans  efforts  au  plus  haut  lyrisme 
comme  de  traduire  les  nuances  les  plus  subtiles  de  "  l'hu- 
mour ".  Dans  le  Royaume-Uni,  l'Anglais  a  supplanté 
depuis  longtemps  les  dialectes  celtiques  de  telle  sorte  que  les 
Irlandais  eux-mêmes  n'emploient  point  d'autre  langue  et 
que  ces  dialectes,  la  où  ils  survivent  encore  comme  dans 
le  Nord-Ouest  de  l'Ecosse  et  l'Ouest  du  Pays  de  Galles, 
ne  sont  guère  usités  que  comme  seconde  langue  et  par 
suite  du  pieux  respect  que  les  gens  d'outre-Manche 
témoignent  à  tout  ce  qui  vient  du  passé.  D'autre  part, 
hors  de  l'Angleterre,  les  colonies  britanniques  anciennes 
(Etats-Unis)  ou  présentes  (Afrique  du  Sud,  Australie. 
Canada,  Indes,  etc.)  sont  les  foyers  naturels  d'où  se 
répand  déplus  en  plus  la  langue  des  Anglo-Saxons.  On 
compte  aujourd'hui  sur  le  globe  plus  de  200  000  OOD  d'in- 
dividus parlant  anglais  et  l'importance  de  ce  chiffre  appa- 
rait  d  autant  plus  grande  que  ces  individus  ne  sont  pas 


concentrés  (comme  les  Russes  par  exemple)  en  un  point 
déterminé,  mais  se  rencontrent  sur  toute  la  surface  des 
terres  et  des  mers. 

Le  catholicisme  demeura,  jusqu'au  xvi''  siècle,  la  reli- 
gion de  tous  les  habitants  du  Royaume-Uni.  A  cette 
date  l'anglicanisme,  forme  particulière  du  protestantisme, 
devint  la  religion  officielle  de  l'Angleterre,  tandis  que 
le  presbytérianisme  s'installait  en  Ecosse  et  que  les 
Irlandais  demeuraient  soumis  à  l'obédience  de  Rome. 
En  1917.  on  comptait  2446000  catholiques  anglo- 
écossais,  3  247  000  catholiques  irlandais.  Quelle  que 
soit  leur  croyance,  les  Britanniques  demeurent  fort  zélés 
pour  les  choses  religieuses,  soit  par  conviction  véritable, 
soit  par  une  sorte  de  snobisme  et  parce  qu'un  gentleman  ' 
ne  saurait  être  athée. 

Chez  les  protestants,  surtout  écossais,  de  nombreuses 
sectes  se  fondent  sans  cesse  et  se  répandent  avec  plus 
ou  moins  de  succès  ;  nul  peuple  n'engage  de  pareilles 
dépenses,  ne  fait  d'aussi  grands  efforts  pour  la  construction 
d'églises  et  de  chapelles,  l'entretien  des  pasteurs,  l'im- 
pression d'ouvrages  de  piété,  l'envoi,  dans  tous  les  pays 
du  monde,  de  missionnaires,  agents  religieux,  politiques 
et  commerciaux  à  la  fois. 

DENSITÉ  ET  RÉPARTITION  DE  LA 
POPULATION.  00  La  Grande-Bretagne  se  range 
parmi  les  pays  du  globe  où  la  densité  est  la  plus  forte.  Elle 
avait,  au  recensement  de  1911,  45  370000  habitants 
(47  000  000  en  1920),  soit  1 44  au  kilomètre  carré,  moins 
que  la  Belgique  et  la  Hollande,  mais  deux  fois  plus  que 
la  France. 

Au  cours  du  XIX"  siècle  la  population  a  quadruplé  en 
Angleterre,  passant  de  9 000 000  à  36000000  (238  au 
kilomètre  carré)  ;  elle  a  triplé  en  Ecosse  (de  I  600000  à 
4  760  000,  soii  60  au  kilomètre  carré).  Seu'e  l'Irlande  a 
vu,  depuis  1841,  sa  population  diminuer  dans  de  fortes 
proportions  par  suite  de  la  faible  quantité  des  naissances 
(23  pour  100,  comme  en  France),  de  la  rarelé  et  de 
l'époque  tardive  des  mariages,  par  suite  surtout  de 
l'émigration,  fruit  de  la  misère.  On  comptait,  en  1841, 
8175  000  Irlandais;  on  n'en  compte  plus  aujourd'hui 
que  4  390000  !  (52  au  kilomètre  carré).  11  y  a  aux 
États-Unis  quatre  fois  plus  d'Irlandais  qu'en  Irlande  I 

La  population  est  très  inégalement  répartie.  Tandis 
que  les  terres  montagneuses  de  la  Haute-Ecosse  et  du 
Pays  de  Galles  sont  à  peu  près  inhabitées,  que  les  pays 
agricoles  d'Irlande  et  de  la  Vie Jle- Angleterre  se  main- 
tiennent entre  50  et  80  personm  s  au  kilomètre  carré,  les 
régions  industrielles  de  la  Basse-Ecos;e,  des  comtés  de 
Lancashire,  d'York,  de  Slafford.  de  Durham  atteignent 
200,  300  et  même  800  habitants  au  kilomètre  carré. 
De  |)lus,  celle  population  vouée  à  1  industrie  et  au  com- 
merce a  une  tendemce  de  plus  en  plus  marquée  à  s'en- 


céOGRAPHIt  UNIVERSELLE. 


33 


L'EUROPE 


lasser  dans  de  vastes  agglomérations  urbaines.  On 
compte  en  Grande-Bretagne  44  villes  qui  de'passent 
100000  habitants  et,  parmi  elles,  le  seul  Londres 
atteint  —  si  l'on  comprend  dans  ce  chiffre  les  faubourgs 
du  "  District  de  police  "  —  le  chiffre  colossal  de 
7  562  000  habitants  ! 

POPUUiTION  DES  PRINCIPALES  VILLES 
DU   ROYAUME-UNI 


Londres ^  '"  52° 

Glasgow 1  072  000 

Birminsham 900  000 

Uverpool 804  000 

Manchester 780  000 

Sheffield 493  000 

Ued, 457  000 

DubUn 400  000 

Belfast 400  000 

Bristol 380  000 

Ediroboui» 140  000 

Bradford 300  000 

Hull 287  000 

Newcïstle 290  000 

Nottingham 264  000 

SlokeonTrent 250  000 

Salford 233  000 

Portsmouth 231  000 

l^icester 247  000 

Cardiff 1B6  000 

Ehmdee 190  000 

Aberdeen 170  000 

Brighton \40  000 

Southampton 135  000 

Plymouth 113  000 

etc. 


habitants. 


Pourtant  l'Anglais  aime  d'un  profond  amour  la  cam- 
pagne et  la  vie  champêlre.  11  s'e'chappe  le  plus  qu'il  peut 
de  la  cité  où  l'appellent  ses  affaires  pour  vivre  dans  de 
riants  cottages  ombragés  de  plantes  grimpantes,  entou- 
rés de  grandi  arbres  et  de  beaux  jard  ns.  La  multiplicité 
des  moyens  de  communication  lui  facilite  cette  vie  en 
partie  double  qui  étend  démesurément  l'extrême  banlieue 
des  villes.  Cela,  il  est  vrai,  n'arrête  point  la  croissance 
régulière  des  centres  urbains,  et  les  campagnes,  où  ne 
vivent  plus  que  les  19  centièmes  de  la  population 
totale  se  vident  chaque  jour  davantage. 

LES  VILLES.  ^0  Autrefois,  avant  le  triomphe 
de  la  grande  industrie,  c'est  l'Angleterre  du  Sud  et 
du  Sud-Est,  l'Angleterre  des  plaines  cigricoles  et  des 
herbages  à  moutons,  qui  l'emportait  pcir  le  nombre,  la 
grandeur  des  villes  et  la  densité  de  la  population. 
Là  se  trouvent  encore  les  centres  historiques  de  la 
Grande-Bretagne,  riches  en  beaux  monumen's,  en  glo- 
rieux souvenirs  :  Winchester,  Salisbury,  Cantetbury, 
Oxford,  Cambridge,  York,  etc.  Mais  ces  villes  demeurent 
stationnaires,  et  dorment  au  pied  de  leurs  collines  et 
de  leurs  vieilles  cathédrales,  dont  les  tours  ogivales 
dominent  un  paisible  et  verdoyant  horizon.  Seuls  les 
ports  de  la  région  histor'que,  de  la  "  vieille  joyeuse 
Angleterre  ",  ont  profité,  comme  il  est  naturel,  de  la 
transformation  de    la  vie  anglaise,    Plymouth,    South- 


ampton, Portsmouth,  Brighton,  Hull,    Londres  surtout, 
aussi  peuplée  à  lui  seul  que  la  Belgique  tout  entière. 

On  a  dit  de  Londres  qu'il  "  n'est  pas,  comme  Paris,  une  per- 
sonne vivante  et  qu'on  puisse  aimer  ".  C'est,  en  effet,  un  agrégat 
d'agg'oméralions  distinctes,  ayant  leur  physionomie  propre  et  res- 
tées longtemps  sans  cohésion  :  la  cité,  centre  des  affaires,  four- 
millant de  vie  fendant  le  jour,  presque  inhabitée  la  nuit  —  le 
Londres  intérieur  où  l'on  trouve  des  quartiers  aussi  disparates  que 
West-End,  avec  ses  beaux  hôtels,  ses  rues  somptueuses,  et  Elast-End, 
à  la  population  misérab'e,  abrutie  par  'a  misère  et  l'a'cocl  —  le 
pli  s  grand  Londres,  enfin,  ii  terminable  banlieue  de  maisons  de  bri- 
que, et  d'ardoises  mêlées  de  cottages.  Dans  la  vie  intellectuelle  de 
la  nation  anglaise  Londres  ne  joue  pas,  malgré  son  Université,  ses 
mu.ée  ,  sa  presse  toute-puissante,  un  rôle  comparable  au  rôle  que 
Paris  joue  en  Fra  ce.  C'est  avant  tout  une  ville  d'affaires,  le  pre- 
mier port  de  commerce  du  mo  de  (après  New  Ycrk),  une  cité  où 
l'on  "  fait  "  de  l'argei.t.  Cette  intensité  de  vie  donne  à  Londres 
sa  physio  omie  spécia'e,  une  beauté  sombre  et  triste  comDarab'e 
aux  grands  ■pectac'es  de  la  natuie.  "  Lorsque  aux  heures  de  l'après- 
midi  la  vie  bat  son  plein,  il  y  a  dans  les  pulsations  de  cet  oiga- 
nisme  quelq  e  cho  e  de  colossal  et  d-»  régulier  qui  fait  penser  aux 
mouvements  de  la  mer  oi  de  la  forêt.  "  (Vidal  de  Lablache.) 

Ta. -dis  que  les  vieilles  villes  d'autrefois,  les  "  bourgs  "  du 
Moye  1  Age,  demeuraient  station  aires  ou  déclinaient  parfois  au 
point  d'être  réduites  à  l'état  de  hameaux  infimes  fles  "  bourgs 
pourris  "),  on  voyait  grandir  les  cité;  des  régions  houillères.  En 
1 693,  Manchester  avait  6  000  habitants,  Leeds  7  000,  Liver- 
pool  4  COO  ;  Sheffield,  habitée  par  quelques  forgerons,  méritait  à 
peine  le  litre  de  bourgade.  Birmingham,  entourée  de  landes  maré- 
cageuses où  l'o.i  chassait  le  renard,  comptait  4  000  habitants  au 
plus.  Presque  toutes  les  grandes  villes  actuelles  du  Northumberland, 
du  Yorkshire,  du  Cumberland,  du  Pays  de  Gal'es,  n'étaient  alors 
que  des  villages  ou  même  n'existaient  point  encore.  Elles  ont 
poussé    tout  a  coup,  à  partir  de  la  fin  du  XVIII''*  siècle.  Ce  sont  c^es 

Villes  Champignons  "  sans  passé,  sans  grâce,  uniformes  tl  quel- 
conques, où  l'on  gagne,  sans  doute,  beaucoup  d'argent,  mais  ou 
l'arti.te  n'a  rien  à  glaner. 

En  Ecosse,  ce  sont  toujours  les  basses-terres,  le» 
Lowlands,  qui  renferment,  aujourd'hui  comme  autrefois, 
la  majeure  partie  de  la  popu'ation  (plus  de  500  habitants 
au  kilomètre  carré).  A  l'Oueît,  la  puissante  cité  indus- 
trielle de  Gla-gow,  en'ourée  d'un  esscùm  de  villes 
manufacturières  (Greenock,  Dumbarton,  etc.),  resserr.ble 
à  Birmingham  ou  à  Liverpool.  A  l'Est,  Edimbourg 
passe  au  contraire  pour  la  plus  pittoresque  des  cités 
britanniques,  grâce  aux  rocs  de  basaltes  où  se  perche  le 
château  a'Holy.ood,  aux  beaux  parcs,  aux  coUines  ver- 
doyantes qui  l'entouient.  Dundee,  Aberdeen,  tissent  le 
jute  et  arment  pour  la  pêche. 

Les  Highlands,  ou  hautes-terres,  au  sol  stérile,  cou- 
vert de  maigres  pâturages,  de  tourbières,  de  bou- 
quets de  bois,  coupées  de  "  glens  ",  étroits  ravins  où 
miroitent  les  eaux  des  lacs,  forment  un  contraste  absolu 
avec  les  Lowlands.  Un  petit  nombre  de  prop.-iétaires 
se  partagent  ces  solitudes,  moins  peuplées  que  les 
plus  pauvres  de  nos  régions  cévenoles  et  alpestres. 
Point  de  viles,  sauf  le  petit  port  d'Inverness;  des 
hameaux  formés  de  huttes  rustiques  aux  murs  de  pierres 


34 


ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE 


brutes,  couvertes  de  chaumes  ;  des  ruines  de  forteresses 
accrochées  aux  rochers.  Mais,  pendant  l'e'te'et  l'automne, 
des  milliers  d'Anglais  viennent  en  Ecosse  chasser  !a 
grouse  et  le  renard,  pêcher  truites  et  saumons.  La  famille 
royale  y  possède  le  splendide  palais  de  Balmoral,  et 
partout  s'e'lèvent  hôtels  et  villas,  où  l'on  se  repose  des 
fatigues  de  la  "  season  "  londonienne  en  menant  une 
existence  agreste,  débarrasse'e  des  soucis  du   "  Cant' . 

En  Irlande,  la  population  est  assez  également  répartie 
sur  tout  l'ensemble  du  territoire,  et,  comme  elle  vit  sur- 
tout des  produits  du  sol,  on  y  trouve  peu  de  grandes 
villes.  Les  plus  notables  sont  les  ports  de  Dublin,  paroù 
se  fait  la  majeure  partie  des  transactions  avec  l'Angle- 
terre, Belfast,  qui  tisse  le  lin  et  construit  des  navires, 
Cork.  Limerick,  Londonderrj". 

L'ÉMIGRATION.  0Û  La  forte  natalité  de  la 
Grande-Bretagne  explique  l'importance  et  la  continuité 
d'une  émigration  que  facilitent  l'institution  du  majorât  et 
certains  traits  du  caractère  anglais  :  désir  de  gagner  par 
soi-même  une  large  aisance  —  confiance  en  soi  —  esprit 
de  famille  beaucoup  moins  développé  que  chez  nous  — 
patrie  ardemment  aimée,  certes,  mais  où  le  climat  rend  la 
vie  moins  agréable  et  moins  douce,  etc. 

On  compte  que,  de  181  5  a  1910,  21  000 000 d'hommes 
ont  quitté  leur  pays  pour  se  fixer  à  l'étranger,  dont 
13500000  aux  États-Unis,  3800000  au  Canada, 
2  200  000  en  Australasie.  Chaque  année,  de  300  000  à 
400  000  Anglais,  Écossais,  Irlandais  vont  rejoindre 
leurs  aines  aux  Etats-Unis,  au  Canada,  en  Australie, 
Nouvelle-Zélande,  ou  commencent  à  mettre  en  valeur 
les  terres  vierges  de  l'Afrique  Australe  et  Orientale,  de 
la  Nigeria,  même  des  régions  tropicales  de  l'Inde  et  de  la 
Birmanie,  pourtant  peu  favorables  a    l'acclimatation  des 


blancs.  Et  si  I  emigrant  se  dirige  de  préférence  par 
grandes  masses  vers  les  colonies  anciennes  ou  récentes 
de  la  mère-patrie,  il  sait  aussi  mettre  à  protit  les  ressources 


Hamtiiersï^h  i\    , 
,'<■,.' V:-_t;;-—iJfertsin(îton 

C'hèJsea   ( 
■Il     ^    1>'1! 


ET    SES    ENVIRONS 


^ses^ 


^. 


des  pays  étrangers.  En  quelque  point  du  globe  que  Ion 
se  trouve,  on  rencontre  par  petits  groupes,  ou  même  com- 
plètement isolés,  des  colons,  des  commerçants,  des  ma- 
rins, des  industriels,  des  agriculteurs,  des  missionnaires, 
des  explorateurs  anglais.  Cette  dissémination  de  ses 
enfants  n'est  pas,  pour  la  Grande-Bretagne,  la  moindre 
raison  de  son  influence  mondiale,  la  moindre  source  de  sa 
prodigieuse  fortune. 


CONCLUSION 


Quels  sont  pour  la  Grande-Bretagne  les  résultats 
immédiats,  quelles  seront  les  conséquences  lointaines  du 
nouvel  état  de  choses  créé  par  la  Grande  Guerre  ?  En 
pareille  matière,  moins  encore  qu'en  tout  autre,  on  aurait 
mauvaise  grâce  à  trancher  du  prophète  !  Constatons  seu- 
lement que  l'Angleterre  est  sortie  de  la  guerre  dans  des 
conditions  singulièrement  plus  favorables  que  ses  alliés  du 
Continent.  Elle  a  fait,  certes,  un  magnifique,  un  prodi- 
gieux effort,  elle  a  donné  sans  compter  son  argent,  ses 
hommes  et  ses  navires.  Mais,  une  fois  de  plus,  son  insu- 
larité lui  assure  des  avantages  hors  de  pair.  Ses  usines, 
ses  chantiers,  ses  mines  sont  intacts.  Sa  flotte  marchande 
ou  militaire,  en  dépit  des  sous-marins  allemands,  s'est 
trouvée,  dès  1921 ,  aussi  forte  sinon  plus  qu'en  1914.  La 
livre  sterling  n'a  point  connu  la  désastreuse  dépréciation 


de  la  lire,  du  rouble  et  du  franc.  Les  liens  qui  l'unissent 
à  son  immense  empire  colonial  se  sont  fortement  conso- 
lidés sur  les  champs  de  bataille  d'Europe  et  d'Asie. 
Aussi  s'est-elle  trouvée  prêle  avant  tout  autre,  d'abord  à 
rétablir  chez  elle  un  état  de  choses  normal,  puis  à 
poursuivre  dans  le  monde  ses  projets  d'autrefois,  enfin  à 
en  entreprendre  de  nouveaux  qui  lui  permettent  de  ré- 
cupérer ses  débours.  Elle  n'a  pas,  comme  nous,  toujoursà 
sa  porte  l'ennemi  d'hier — et  de  demain.  Pleinement  débar- 
rassée du  double  péril  économique  et  militaire  dont  les 
menaçaient  les  cimbitions  germaniques,  certains  Anglais 
considèrent  assez  volontiers  que  tout  danger  est  pour 
longtemps  écarté,  et  qu'il  leur  est  légitime  désormais  de 
profiter  des  circonstances  nouvelles  nées  de  la  guerre,  au 
mieux  de  leurs  intérêts  propres,  sans  trop  se  soucier  du 


35 


L'EUROPE  ^ 


sort  de  leurs  alliés.  Toutefois  le  bon  sens  et  la  probité  de 
la  niasse  du  peuple  le  préserveront,  il  le  faut  fermement 
espérer,  contre  un  retour  à  cette  doctrme  du  superbe 
isolement  "  qui  risquait  de  le  conduire  tout  droit  au 
désastre.  L'entente  cordiale  et  féconde  qui  prépara  notre 


commune  victou-e  répond  trop  sûrement  aux  tendances 
mstinctives  de  nos  deux  nations,  elle  repose  sur  des 
nécessités  trop  impérieuses,  sur  des  intérêts  généraux  trop 
évidents,  sur  des  principes  trop  élevés,  pour  disparaitre 
du  fait    même  de  cette  victoire. 


CHAPITRE   III 


LA   NORVÈGE  ET  LA  SUÈDE 


APERÇU  GENERAL 


La  presqu'île  Scandinave  est  comprise  entre  l'Océan 
Glacial  au  Nord,  la  Finlande  et  la  Baltique  à  l'Est;  au 
Sud,  les  détroits  du  Sund,  du  Kattegat  et  du  Skagerrak 
qui  la  séparent  du  Démemark  ;  à  l'Ouest,  la  Mer  du 
Nord  et  l'Atlantique.  Sa  superficie  totale  est  d'envi- 
ron 775000  kilomètres  carrés  partagés  entre  le  royaume 
de  Suède  (450000)  et  le  royaume  de  Norvège 
(325000). 

L'extrême  Sud  (province  suédoise  de  Scanie)  est  à  la 
même  distance  de  l'Equateur  que  la  région  anglaise  de 
Newcastle.  Mais  la  partie  septentrionale  s'étend  large- 
ment au  delà  du  cercle  polaire  et  connaît  les  longues 
périodes  hivernales  de  nuit  continue,  ainsi  que  les 
périodes  correspondantes  de  l'été  pendant  lesquelles  le 
soleil  ne  disparaît  pas  de  l'horizon.  Cette  situation  géo- 
graphique, l'ampleur  des  espaces  occupés  par  des  mon- 
tagnes, de  hauts  plateaux  glacés,  la  rareté  des  terres 
cultivables  sont  la  cause  de  la  faible  densité  de  la  popu- 
lation :  2  700  000  habitants,  soit  8  au  kilomètre  carré 
en  Norvège  ;  5  847  000  habitants,  soit   13  au    kilomètre 


carré  en  Suède.  Cependant,  comme  il  arrive  pour  la 
Suisse  et  la  Belgique,  on  ne  saurait  juger  du  rôle  joué 
par  les  habitants  de  la  péninsule  en  ne  tenant  compte  que 
de  leur  nombre  ou  de  la  pauvreté  de  leur  territoire.  Les 
ancêtres  des  Norvégiens  d'aujourd'hui  ont,  sous  le  nom 
de  Normands  ou  Vikings,  tenu  dans  l'histoire  laplaceque 
l'on  sait.  Les  Suédois  furent  au  XVII^  siècle,  sous  Gustave- 
Adolphe  et  Charles  X 1 1 ,  la  première  puissance  militaire  de 
1  Europe,  et  leurs  possessions  s'étendirent  sur  la  majeure 
partie  des  rivages  de  la  Baltique.  Présentement  encore, 
grâce  à  leurs  qualités  physiques,  morales  et  intellec- 
tuelles, à  la  valeur  de  leurs  écrivains,  à  la  hardiesse  de 
leurs  explorateurs.  Norvégiens  et  Suédois  comptent,  à 
des  titres  divers,  parmi  les  premières  nations  du  monde 
civilisé. 

Bien  que  depuis  l'année  1905  la  péninsule  soit 
divisée  en  deux  Etats  indépendants,  elle  forme  un  tout 
géographique  dont  il  convient  d'étudier  les  caractères 
généraux  avant  d'examiner  la  situation  particulière  de 
chacun  des  Etats. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE  DE  LA  PENINSULE 


LE  RELIEF.  ^£J  La  péninsule,  de  formes  plu- 
tôt massives,  tourne  le  dos  à  l'Atlantique  et  s'incline 
vers  le  bassin  très  peu  profond  de  la  Baltique. 

Tout  1  Ouest  est  couvert  d'un  puissant  système  mon- 
tcigneux  plissé  à  l'époque  calédonienne,  comme  les  hau- 
teurs d  Irlande  et  d'Ecosse,  puis  usé  par  une  longue 
érosion  qui  a  réduit  de  plusieurs  milliers  de  mètres  la 
hauteur  primitive.  Aussi  trouve-t-on  rarement  des  mon- 
tagnes escarpées,  des  pics  dentelés,  des  pointes,  des 
aiguilles,  comme  dans  les  Alpes.  Des  paysages  de  ce 
genre  n'apparaissent  guère  que  dans  l'extrême  Nord  oîi 
les    monts  du  Lyngenfjord,   par   exemple,    formés    de 

36 


roches  volcaniques  très  dures,  ont  mieux  résisté  à  1  usure 
du  temps  et  revêtent  l'apparence  d'une  chaîne  alpine. 
Ailleurs,  lorsque  l'on  a  grimpé  la  raide  paroi,  haute  de 
800  à  1  800  mètres,  par  quoi  les  monts  Scandinaves 
bordent  l'Atlantique  d'un  mur  continu,  on  voit  s'étaler 
de  larges  plateaux  mamelonnés,  coupés  de  cassures  pro- 
fondes par  les  fjords  et  les  vallées  fluviales,  semés  de  lacs 
innombrables,  de  tourbières,  de  champs  de  neige  et  de 
glaciers.  Ce  haut  pays  désolé,  privé  de  végétation  et 
vide  d'hommes,  vrai  '  pôle  répulsif  "  de  la  péninsule, 
comprend  deux  groupes  de  massifs  que  sépare  la  dé- 
pression du  Jâmtland  dont  nous  verrons  plus  loin  l'im- 


i'm^^Q^^ 


CtOCRAPHIE  LNI\'ERSEI-LE      PL.   4 


LA  NORVEGE  ET  LA  SUÈDE 


portance  économique.  Au  Sud,  les  Fjelde  cou\Tent 
toute  la  Nonège.  entre  Trondhjem,  Bergen  et  Chris- 
tiania. Leur  hauteur  moyenne  varie  de  1  500  à  1  900 
mètres.  Les  points  culminants  :  Snehelta  (2294  mètres), 
Galdhoepig  (2560  mètres)  dominent  de  fort  peu  le 
socle  qui  les  supporte  et  les  glaciers  inunenses,  tel  le 
Jostedalsbraë.qui  s'e'talent  à  leurs  pieds  comme  un  frag- 
ment d  inlandsis.  Au  Nord,  les  monts  Kioelen  ont  une 
épaisseur  moindre.  Us  sont  divisés  en  compartiments  par 
des  cassures  transversales  et  longitudinales.  Leurs  som- 
mets :  Sulitielma(1903  mètres),  Kebne  Kaisse  (2  123). 
ont  assez  souvent  l'aspect  de  crêtes  ruiniformes,  d'arêtes 
minces  et  déchiquetées.  Les  glaciers  (Swàrtis)  y  couvrent 
une  étendue  plus  faible  que  dans  les  Fjelde,  car  les  pré- 
cipitations neigeuses  y  sont  beaucoup  moins  abondantes. 
Pcur  contre,  au  lieu  de  demeurer  suspendus  au-dessus  des 
fjords,  ils  descendent  dans  les  vallées  et  poussent  leurs 
pointes  extrêmes  jusqu'à  quelques  mètres  de  l'Océan.  ■ 

Tandis  que,  vers  l'Ouest,  l'effondrement  de  l'Atlantique 
a  tranché  comme  à  1  emporte-pièce  les  hautes  terres  Scandi- 
naves dont  le  rebord  domine  immédiatement  les  flots,  le 
versant  orientaJ  s'abaisse  par  larges  terrasses  vers  les 
bas-pays  suédois.  On  gagne  ainsi,  de  gradins  en  gradins, 
les  plaines  du  Norrland  qui,  sur  une  largeur  de  200  a 
300  kilomètres,  bordent  les  rivages  de  la  Baltique  et  se 
continuent  au  Sud  par  la  dépression  lacustre  du  Swea- 
land  ou  Suède  centrale.  C'est  un  ancien  détroit  que  la 
mer  occupa  temporcureme nt  au  début  des  temps  quater- 
naires, mais  qu'un  relèvement  du  sol  a  fait  émerger 
depuis  lors.  L'aspect  général  de  ces  plaines  est  assez 
varié,  grâce  à  leur  subdivision  en  petits  compartiments,  en 

cuvettes  Juxtaposées  "  que  séparent  des  collines  de 
faible  altitude. 

L'extrémité  méridionale  de  la  Suède,  enfin,  est  occupée 
d'abord  par  un  plateau,  le  Smaland,  couvert  de  débris 
morainiques,  de  tourbières  et  de  petits  lacs,  puis  par  les 
plaines  de  Scanie  et  de  Bleckingie  qui  se  rattachent 
étroitement  par  leur  aspect,  la  nature  de  leur  sol  et  de 
leur  climat,  aux  plaines  danoises  et  allemandes. 

LES  EFFETS  DE  L'ANCIENNE  GLACIA. 
TION.  00  Montagnes,  plateaux  et  bas  pays  sont 
constitués  presque  exclusivement  de  roches  cristallines  : 
granits,  gneiss,  schistes,  auxquelles,  dans  la  région  des 
hautes-terres,  se  mêlent  des  calcaires  cristallins,  des  grès, 
des  conglomérats  d'époque  primaire.  Des  roches  ignées 
de  très  antique  origine  :  gabbros,  diabases,  amphiboliles 
apparaissent  aussi  çà  et  là  le  long  de  la  cassure  de 
l'Atleui  tique. 

Le  "  bouclier  Scandinave  '  ,  comme  l'appellent  les  géologues,  esl 
donci  une  des  parties  de  l'écorceierreslre  les  plus  anciennement  émer- 
gées. Les  grands  mouvements  tectoniques  des  époques  secondaire 
et  terliaiie     ne    l'ont    nullement    affecté.   C'est    un    des  points    les 


plus  solides  de  notre  globe,  l'un  de  ceux  qui  ont  subi,  dans  leur 
configuration  générale,  le  moins  de  modifications.  Les  mers  secon- 
daires et  tertiaires  n'en  recouvrirent  qu'une  très  minime  partie,  et 
leurs  dépôts  fragmentaires  n'apparaissent  qu'en  quelques  points  de 
la  Suède  méridionale.  Ces  dépôts,  pour  rares  qu'ils  soient,  ont,  du 
reste,  une  grande  importance  économique,  car  ils  donnent  des  sols 
beaucoup  plus  fertiles  que  les  granits  et  les  schistes  ;  ils  attirent 
et  concentrent  la  population,  et  constituent,  avec  les  alluvions 
marines  de  très  récente  origine,  les  grandes  régions  agricoles  de  la 
Péninsule. 

Mais  si  l'architecture  générale  de  la  Scandinavie  n'a 
subi  que  d'insignifiantes  modifications  depuis  le  plisse- 
ment calédonien,  l'aspect  extérieur  du  sol,  le  modelé  de 
sa  surface  doivent  leurs  caractères  spécifiques  aux  phéno- 
mènes glaciaires  qui,  contemporains  des  premiers  hommes, 
pnrent  dans  la  Péninsule  une  étonnante  ampleur.  Par 
suite  d'un  abaissement  général  de  la  température  et  sur- 
tout d'une  considérable  recrudescence  des  précipitations 
atmosphénques,  la  Scandinavie  se  trouva  recouverte 
d'une  carapace  de  glace  épaisse  de  plusieurs  milliers  de 
mètres  qui,  débordant  au  delà  de  la  Péninsule,  com- 
blant les  mers  peu  profondes  qui  l'entourent,  alla  recou- 
vrir l'Ecosse,  une  partie  de  l'Angleterre,  la  Hollande, 
toute  l'Allemagne  du  Nord,  la  Finlande,  une  partie  de 
la  Russie.  Seuls  le  Groenland  et  les  terres  australes 
peuvent  nous  donner  une  idée  de  ce  que  fut  ce  prodi- 
gieux continent  de  glace,  cette  inlandsis  "  qui  charria 
ses  moraines  et  ses  blocs  erratiques  jusqu'aux  rives  de 
la  Volga,  de  l'Elbe  et  du  Rhin. 

A  plusieurs  reprises,  des  modifications  du  climat  ame- 
nèrent soit  une  fusion  partielle  des  glaces,  soit  de  nou- 
veaux progrès,  jusqu'au  jour  ou  l'inlandsis  Scandinave 
disparut  tout  entière.  Mais  partout  subsistent  les  traces 
vivantes  de  son  passage.  Agissant  à  la  façon  d'un  prodi- 
gieux rabot,  les  glaciers  en  mouvement  nettoyèrent  le  sol 
meuble,  mirent  à  nu  les  roches  dures  sous-jacentes, 
en  arrondirent,  en  polirent  les  contours,  les  strièrent  de 
rainures  profondes.  Ils  élargirent  la  base  des  vallées  pré- 
existantes, leur  donnèrent  cette  forme  en  U  caractéris- 
tique des  thalwegs  soumis  à  leur  action.  Après  leur 
retrait,  leurs  moraines  frontales  et  latérales,  les  traînées 
de  cailloux  amoncelés  par  les  eaux  de  fond,  se  déposèrent 
sur  le  sol  rajeuni.  Les  unes,  barrant  les  vallées,  modi- 
fièrent la  direction  des  cours  d'eau  et  firent  naître  ces  lacs 
innombrables  qui  sont  une  des  parures  de  la  péninsule. 
D'autres,  remaniées  par  les  pluies  et  les  torrents,  s'éta- 
lèrent dans  les  bas-fonds.  D  autres  encore  conservèrent 
leurs  formes  premières  et  constituèrent  ces  étranges 
digues  naturelles,  ces  remparts  rectilignes,  les  oesars 
hauts  de  10  a  30  mètres,  larges  de  50  à  100  mètres,  que 
l'on  voit  dans  les  plaines  suédoises  s'allonger  sur  des 
centaines  de  kilomètres  et  qui  divisent  le  sol  en  une  série 
de  petits  compartiments  fermés. 

LES   COTES.   0  0   W  n'est   point    de  rivages  au 

37 


L'EUROPE 


monde  qui,  sur  une  pareille  étendue,  soient  aussi  découpés, 
aussi  capricieusement  ciselés,  déchiquetés,  effilochés  que 
les  rivages  de  la  Péninsule.  Alors  que  la  ligne  exté- 
rieure des  côtes  norvégiennes,  par  exemple,  mesure 
2800  kilomètres,  si  l'on  ajoute  bout  à  bout  les  dente- 
lures des  fjords  et  des  Grandes-Iles,  on  obtient  une  lon- 


LE   SOGNE   FJORD 


^***®as* 


gueur  de  plus  de  20  000  kilomètres,  soit  la  moitié  de  la 
circonférence  terrestre. 

Lorsque  l'effondrement  de  l'Atlantique  Nord  entraîna 
sous  les  flots  une  partie  de  la  plate-forme  Scandinave,  les 
vallées  étroites  qui  descendaient  sur  le  versant  occidental 
furent  envahies  par  les  eaux  marines.  Puis  les  glaces  les 
occupèrent  à  leur  tour,  augmentèrent  leur  profondeur, 
enlevèrent  les  alluvions  qui  les  remplissaient,  donnèrent 
à  leur  modelé  une  fraîcheur  nouvelle  et  protégèrent  leurs 
flancs  contre  l'action  érosive  des  torrents  et  des  pluies. 
Après  la  fusion  des  glaces,  la  mer  pénétra  de  nouveau 
dans  cea  vallées  approfondies,  rajeunies.  Ainsi  se  for- 
mèrent ces  fjords  célèbres  qui,  de  Christiania  au  Cap 
Nord,  allongent  leurs  eaux  tranquilles  entre  les  parois  s. 
pic  des  monts  qui  les  surplombent.  Le  plus  long,  le 
Sognefjord,  s'enfonce  à  180  kilomètres  dans  l'intérieur  des 
terres,  et  sa  profondeur  maxima  n'est  pas  moindre  de 
1  245  mètres.  Les  autres  :  Stavanger  fjord,  Hardanger 
fjord,  fjord  de  Trondhjem,  Varanger  fjord,  Ofoten 
fjord,  Alten  fjord,  etc.,  plus  ou  moins  ramifiés,  plus  ou 
moins  larges,  offrent  tous  des  caractères  semblables:  pro- 
fondeur de  la  cuvette  centrale,  seuil  sous-marin  constitué 
à  1  entrée  par  le  dépôt  d'anciennes  moraines  frontales, 
prodigieuses  falaises  d'où  giclent  les  cascades,  ceintures 
de  rochers  lisses  ou  de  sombres  forêts.  Ils  attirent  chaque 
été  un  nombre  croissant  de  touristes  qui  vont  de  fjords 
en  fjords  contempler  leur  beauté  sévère  et  grandiose,  et  qui 
dans  les  solitudes  sauvages  du  Cap  Nord,  par  71  <>,  1  1  de 
lat.  N.,  admirent  la  solennelle  grandeur  d'un  paysage 
faiblement,    mais    continuellement  éclairé  par  le  rouge 

soleil  de  minuit". 

38 


Cette  côte  dentelée  est  bordée  d'une  ceinture  d'îles  et 
d  îlots  :  le  '  Skiârgaard  "  point  culminant  du  socle 
sous-marin  qui  prolonge  la  terre  Scandinave  jusqu'à  la 
brusque  apparition  des  abîmes  de  l'Atlantique.  Il  y  en  a 
de  toutes  les  tailles  et  de  toutes  les  formes,  vraie  pous- 
sière d'îlots,  d'écueils,  de  simples  cailloux,  dont  le 
nombre  total  dépasse  peut-être  150000. 

Les  îles  les  plus  grandes,  au  Nord,  constituent  le  groupe  des 
Lofoten  et  des  Vesteraalen.  Elles  se  hérissent  de  monts  sauvages 
aux  (ormes  abruptes  et  fantastiques.  D'autres,  arrondies  et  polies 
par  1  action  glaciaire,  dépassent  à  peine  la  surface  des  fiels. 
Presque  complètement  dépourvues  de  végétation,  même  herbacée, 
ces  lies  —  au  moins  les  plus  vastes  —  ont  cependant  une  popula- 
tion assez  dense  de  marins  et  de  pêcheurs.  Les  fameux  courants 
tourbillonnaires  —  tel  le  Maelstrœm  —  qui  naissent  du  jeu  des 
marées  dans  les  chenaux  étroits,  ne  son!  pas  un  danger  bien  redou- 
table, et,  d'autre  part,  le  Skiârgaard,  en  brisant  les  lames  pous- 
sées par  les  vents  du  large,  protège  le  long  chenal  qui  sépare 
les  îles  du  rivage  continental  et  en  fait  une  voie  très  sûre  pour  la 
navigation. 

Les  côtes  suédoises  sont,  elles  aussi,  fort  découpées, 
notamment  sur  le  littoral  de  la  Baltique,  entre  l'île 
d'Oeland  et  le  golfe  de  Botnie,  et  un  cortège  d'îlots  les 
accompagne.  Mais  les  fjords  suédois,  au  lieu  de  s'enfon- 
cer entre  les  hautes  parois  d'un  puissant  massif  monta- 
gneux, dentellent  un  rivage  aplani,  où  des  plaines,  des 
collines  peu  élevées,  couvertes  de  prairies  et  de  bois,  se 
mirent    d^ns     leurs    eaux   limpides.  On    dirait     un 

immense  parc  découpé  d'énormes  pièces  d'eau.  Sous  la 
claire  lumière  d'un  jour  d'été  cette  forêt  inondée  laisse 
la  sensation  de  l'éternel  printemps  de  la  Walkyrie. 
(Ch.  Rabot.) 

RIVIÈRES  ET  LACS.  ^£1  On  aurait  une  idée 
fort  incomplète  de  la  Scandinavie  et  de  la  splendeur  de 
ses  paysciges  si  l'on  n'ajoutait  aux  fjords,  aux  rochers 
sauvages,  aux  glaciers,  aux  montagnes  désolées  qui  la 
couvrent  en  partie,  les  innombrables  facettes  du  miroir 
de  ses  lacs,  l'écume  de  ses  cascades,  la  chanson  de  ses 
torrents.  Les  lacs  se  trouvent  partout.  Ils  remplissent 
toutes  les  cavités,  s'allongent  dans  chaque  vallée,  s  accu- 
mulent derrière  chaque  rempart  de  moraines  anciennes. 
Les  plus  grands  :  lacs  Vener  (6  000  kilomètres  carrés), 
Wetter,  HjalmaretMàlar,dan$les  plaines  de  la  Suède  cen- 
trale, forment  une  voie  d'eau  presque  continue  entre  le 
Kattégat  et  la  Baltique.  Ceux  du  Norrland  Suédois  et 
de  la  Norvège  s'étagent  les  uns  au-dessous  des  autres  sur 
les  gradins  des  monts,  dorment  au  cœur  des  cavités  que 
dominent  les  escarpements  dénudés  des  hautes  terres, 
ou  reflètent  dans  leurs  eaux  transparentes  les  grands 
sapins,  les  bouleaux  au  grêle  feuillsige  des  forêts  sans 
lin. 

Pas  de  grands  fleuves  :  les  plus  longs,  le  Glommen 
en  Norvège  qui  traverse  le  lac  Micesen,  le  Dal  elf,  le  Ume 


LA  NORVEGE  ET  LA  SUEDE 


elf,  le  Lule  elf,  leTomelf  enSuède  ne  dépassent  guère 
300  kilomètres.  Mais  partout  des  rivières  qui,  à  brève 
dislance  les  unes  des  autres,  dégringolent  sur  les  pentes. 
Oes  s'apaisent  tout  à  coup  en  arrivant  aux  nappes  la- 
custres qui  les  absorbent  au  passcige  :  mais  elles  s'en 
échappent  vite,  et,  de  gradins  en  gradins,  dévalent  vers 
la  plaine,  franchissant  chaque  marche  de  ce  gigan- 
tesque escalier  par  des  chutes  grandioses,  des  rapides, 
des  catciractes,  inépuisables  réservoirs  de  force  motrice 
et  merveilleux  speciacles  offerts  par  la  nature  dans  le 
cadre  silencieux  des  bois. 

LE  CLIMAT.  0 0  l^e  climat  de  la  Scandinavie 
diffère  grandement  suivant  que  l'on  envisage  le  littoral 
occidental  ou  les  régions  de  l'intérieur  : 


Statio 


Uti- 
tude. 


AIU- 
tudeen 
mitres. 


Tempéntuns  moyennes 
Ann<e.   Janvier    Juillet. 


Pluies 
en  centimètres 


Côtts   ocàdenlala. 

Bergen 1  60°23  1       17     1     7        |-0°9|  UM 

Trocdhiera 63°26        II         4°7     -2°9  U°0 

TroBisoé !  69»39  I      15    I    2°4    |-3"9   |  ll°0 


Renions  oriaitalfi. 


Oiriitisnia 1  59°55 

Uwal. 59°52 

Côleborg 57°42 

S:o<ihJm    I  59°2I 

Filun 60°}â 

Haparan,). '  65°50 

Karesuando i  68*^26 


25 

5»5 

24 

4° 

8 

7»l 

44 

5»3 

116 

3'=9 

9 

a-z 

330 

3°0 

-4°5 
-4'>7 
-  1» 
-3-4 
-6°2 

-\V7 


17° 

16-1 

16°7 

I6»4 

16»3 

I4°9 

I2»l 


186 
145 

104 


58 
45 
76 
44 
42 
40 
35 


Les  côtes  norvégiennes,  baignées  par  le  Gulf-Stream 
et  les  vents  tièdes  du  Sud-Ouest,  ont  le  climat  océanique 
typique  caractérisé  par  des  hivers  relativement  très  doux, 
même  à  très  haute  latitude,  des  étés  peu  chauds,  de 
faibles  écarts  de  température,  des  pluies  abondantes 
tombant  en  un  très  grand  nombre  de  jours  et  surtout  en 
hiver,  un  ciel  presque  constamment  couvert,  des  vents 
violents,  de  fréquentes  tempêtes.  Même  au  Cap  Nord 
la  mer  ne  gèle  jamais  et  la  clémence  relative  de  la  tem- 
pérature apparaît  d'autant  plus  frappante  si  l'on  consi- 
dère les  autres  régions  du  monde  sises  à  semblable  dis- 
tance du  pôle  :  Groenland,  îles  américaines  du  Nord 
couvertes  d'un  éternel  linceul  de  glace. 

Mais  ce  type  de  climat  est  limité  au  SIciàrgaeu'd  et  à  la 
région  des  fjords.  Dès  que  l'on  s'élève  sur  les  hautes 
terres,  la  température  moyenne  décroît  si  vite  que  la 
limite  inférieure  des  neiges  éternelles  se  rencontre 
à  I  500  mètres  dans  le  Sud  et  800  mètres  dans  le  Nord. 
De  même  les  terrasses  et  les  plaines  de  l'intérieur,  qui 
ne  subissent  plus  l'inHuence  des  vents  ou  des  courants 
marins,  ont  un  climat  continental  très  net,  caractérisé 
par  des  hivers  froids  et  longs  (125  jours  de  gelée  dans 
la  Suède  centrale),  des  étés  relativement  chauds,  de 
grands  écarts  de  température,  des  précipitations  atmo- 


sphériques peu  abondantes  et  tombant  surtout  pendant 
les  mois  d'été.  A  Falun,  par  exemple,  sous  la  même 
latitude  que  Bergen,  la  moyenne  de  janvier  est  de  —  6",  2 
au  lieu  de  0\  9  ;  celle  de  juillet  est  de  16",  3  au  lieu  de 
14°,  4,  et  les  pluies  ou  les  neiges  annuelles  ne  donnent 
que  44  centimètres  d'eau  alors  que  Bergen  en  re(;oit  186. 
Si  les  côtes  norvégiennes  sont  toujours  libres  de  glaces 
même  au  Cap  Nord,  le  golfe  de  Bo'.nie,  les  détroits 
danois  sont  parfois  entièrement  gelés,  et  des  armées 
ont  pu  passer  à  pied  sec  de  la  Finlande  à  Stockholm  ou 
de  la  Scanie  au  Jutland. 

Il  faut  enfin  tenir  compte,  naturellement,  de  l'exten- 
sion en  latitude  qui  vaut  aux  régions  méridionales  de  la 
Suède  un  climat  analogue  à  celui  du  Danemark  et  de 
l'Allemagne  du  Nord,  tandis  que  le  Norrland  et  la 
Laponie  connaissent  les  froids  intenses,  les  hivers  inter- 
minables de  la  Russie  septentrionale  ou  du  haut  Canac^a 
(comparez  le  climat  de  Goteborg  avec  le  climat  d'Hapa- 
randa  et  de  Karesuando). 

LA  VÉGÉTATION.  00  Trois  domaines  végé- 
taux se  partagent  la  péninsule  Scandinave  :  la  toundra, 
la  foré;,  la  zone  des  pâturages  et  des  cultures. 

La  toundra  occupe  l'extrême  Nord  de  la  Laponie. 
Ses  mousses,  ses  lichens  que  broutent  les  rennes,  se 
mêlent  de  bouleaux  nains  et  de  pins  rabougris.  On  peut 
lui  adjoindre  toute  la  zone  des  hautes  terres  sises  au- 
dessus  de  la  limite  supérieure  des  arbres  (de  450  à 
800  mètres  suivant  la  latitude),  c'est-à-dire  la  majeure 
partie  des  fj'clde  de  Norvège  et  des  monts  Kiôlcn. 

La  forêt  couvre  à  peu  près  la  moitié  de  la  superficie 
toteJe  de  la  Suède  et  toutes  les  régions  de  Norvège  où 
l'arbre  peut  vivre.  Dans  le  Sud,  quelques  essences  à 
feuilles  caduques  :  hêtres,  chênes,  érables,  charmes,  appa- 
raissent çà  et  là,  mais  ce  sont  des  exceptions.  Les  coni- 
fères :  pins  et  sapins  mêlés  de  bauleaux,  constituent  la 
presque  totalité  des  futaies  Scandinaves  Ces  futaies  sont 
parliculièrement  denses  dans  le  Norrland  et  la  Dalécju-lie, 
ou  elles  couvrent  près  de  90  pour  1 00  de  la  surface  du 
sol.  C'est  une  portion  de  l'immense  ceinture  forestière 
boréile  qui,  à  travers  la  Russie,  la  Sibérie,  l'Alaska  et 
le  Canada,  encercle  toutes  les  terres  de  l'hémisphère 
Nord.  Forêts  majestueuses,  mais  mornes  et  tristes,  sans 
sous-bois,  toujours  semblables  à  elles-mêmes;  leurs  troncs 
épais  s'élèvent  au-dessus  d'un  tapis  de  mousses  blan- 
châtres. Des  troupeaux  d'élans,  des  hermines,  des  martres, 
des  renards,  des  ours,  des  loups  vivent  dans  leurs  soli- 
tudes silencieuses  que  trouble  seul  le  fracas  lointain  dune 
cataracte,  le  long  murmure  d'un  torrent. 

Au  sud  du  Dal  elf,  dans  le  Svealand,  la  Gothie,  la 
Norvège  méridionale,  la  forêt,  plus  touffue  et  plus  variée, 
a  été  en  partie  défrichée  et  se  coupe  de  larges  clai- 
rières occupées  par  les  prairies  et  les  champs.  C'est  une 


39 


L'EUROPE 


zone  coiiespondanl  à  la  Russie  centrale  entre  Pétrograd 
et  Moscou.  L'orge,  l'avoine,  le  seigle  y  mûrissent  grâce 
à  la  température  relativement  élevée  des  étés  continen- 
taux et  de  la  longueur  des  jours.  On  trouve  même  des 
champs  de  seigle  jusqu'au  fond  du  golfe  de  Botnie, 
sous  le  68"  degré  de  lat.  N.,  et  l'orge  monte  plus 
haut  encore  puisqu'elle  atteint  en  Laponie  le  JO''. 
Comme,  à  pareille  latitude,   le  soleil  demeure  pendant 


deux  mois  entiers  au-dessus  de  l'horizon,  la  continuité 
de  la  lumière  permet  une  évolution  extrêmement  rapide 
de  la  plante  et  l'on  moissonne  trois  mois  après  avoir 
semé. 

Quant  au  froment,  sa  limite  extrême  ne  dépasse  pas, 
en  Suède,  le  63"  degré  et  il  ne  donne  de  récoltes  régulières 

et    suffisantes   que    dans    les     provinces    de   l'extrême 

Sud. 


LES  POPULATIONS   DE  LA  PENINSULE 


La  Scandinavie  est  habitée  : 

I  "  Par  des  populations  de  races  finno-ongnennes  : 
Lapons  et  Finnois  apparentés  aux  peuples  mongoliques 
comme  les  Tatars,  les  Turcs,  les  Hongrois; 

2°  Par  des  Scandinaves,  de  race  indo-européenne,  et 
qui  constituent  un  rameau  de  la  famille  germanique. 

LAPONS  ET  FINNOIS,  e^er  On  compte  en- 
viron 19  000  Lapons  en  Norvège  et  de  7000  à  8  000  en 
Suède.  Us  habitent  les  régions  de  l'extrême  Nord  : 
Finmark,  Laponie  proprement  dite,  Norrland,  où  les 
foiêts  se  mêlent  aux  tourbières  et  aux  toundras. 

Les  uns,  possesseurs  de  grands  troupeaux  de  rennes,  mènent  la 
vie  nomade  du  pasteur,  passant  l'hiver  dans  les  régions  fores- 
tières où  le  renne  trouve  aisément  le  lichen  dont  il  se  nourrit,  et 
montant  l'été  sur  les  plateaux  des  monts  Kiolen.  Les  autres  chassent 
les  animaux  à  fourrure,  cultivent  quelques  champs  d'orge  ou  de 
seigle,  ou  se  livrent  à  la  pêche  dans  les  lacs,  les  rivières  et  les  fjords. 
Pasteurs  et  sédentaires  "habitent  la  ^o/a, la  tente  classique  des  peuples 
ouralo-altaîques",  formée  de  quelques  perches  couvertes  de  peaux. 
Ils  se  nourrissent  de  viande  et  de  lait  de  renne,  de  poissons» 
et  font  un  large  usage  du  café,  '*  tonique  excellent  sous  les  froids 
polaires  **.  De  petite  taille,  mais  robustes  et  résistants,  ils  ne 
sont  plus  des  primitifs,  et,  tout  en  conservant  les  usages  transmis 
par  leurs  ancêtres,  ils  ont  adopté  la  religion  luthérienne,  savent 
presque  tous  lire  et  écrire  leur  langue,  et  tendent  à  se  confondre 
avec  les  Scandinaves. 

Les  Finnois  (6000  à  7  000  en  Norvège,  20  000  en 
Suède),  venus  de  Finlande,  ont  émigré  dans  le  Nord  de  la 
Péninsule  er.lre  le  XVl''  et  le  XVili*  siècle.  Les  plus  an- 
ciennes colonies  établies  dans  la  vallée  du  Glommen  et 
de  la  Dalécarlie  se  sont  complètement  fondues  dans 
la  masse  de  la  population  norvégienne  et  suédoise. 
Les  autres  constituent,  dans  le  Norrland  elle  Finmark, 
des  petits  groupes  isolés  de  pasteurs  et  de  bûcherons 
qui  conservent  leur  langue  et  l'usage  des  ustensiles,  des 
constructions  en  écorces  de  bouleaux,  ceiractéristiques 
de  leur  race. 

LES  SCANDINAVES,  e^er  Les  Scandinaves 
forment  la  presque  totalité  de  la  population.  On  compte 
2  400  000  Norvégiens  et  5  560  000  Suédois  qui  appar- 
tiennent à  la  même  race,  parlent  des  langues  très  voi- 

40 — ^ ^ 


sines  1  une  de  l'autre,  se  ressemblent  par  nombre  de 
traits  de  caractère,  mais  diffèrent  aussi  profondément 
les  uns  des  autres,  ce  qui  explique  leur  division  en  Etats 
distincts  malgré  l'unité  géographique  du  cadre  où  ils 
vivent. 

Ils  constituent,  avec  les  Anglo-Saxons,  les  Hollan- 
dais, les  Flamands  et  les  Allemands,  l'une  des  fractions 
de  la  grande  famille  germanique.  De  très  haute  taille 
(Im.  70  en  moyenne  en  Suède,  lm.72  en  Norvège), 
très  robustes,  fortement  charpentés,  ils  ont  presque  tous 
la  peau  très  blanche,  les  cheveux  très  blonds,  les  yeux  d  un 
bleu  adouci.  Le  climat  rude,  mais  salubre,  de  leur 
patrie,  diminue  le  taux  de  la  mortalité  de  telle  sorte 
que  la  longueur  de  la  vie  humaine  en  Scandinavie 
^dépasse  cinquante  ans,  alors  qu'en  France  elle  est  de 
quarante-trois  à  peine.  Sérieux,  pondérés,  ennemis  de 
la  routine,  très  travailleurs,  appliquant  avec  ponctualité 
les  prescriptions  concernant  l'hygiène  publique,  ils  ont 
su,  en  Suède  surtout,  supprimer  presque  radicalement 
le  fléau  de  l'alcoolisme.  Nulle  part,  sauf  au  Danemark, 
l'instruction  n'est  aussi  répandue.  On  ne  compte, 
autant  dire,  point  d'illettrés,  et  cela  même  en  Norvège,  où 
la  dispersion  de  la  population  en  fermes  isolées,  que 
sépcirent  de  grandes  distances,  obligea  à  créer  des  ins- 
tituteurs itinérants  "  qui  passent  quelques  semaines  dans 
chaque  ferme,  donnent  les  éléments  de  l'instruction 
et  laissent  aux  parents  le  soin  d'achever  leur  œuvre. 
Tous  sont  luthériens,  et  luthériens  pratiquants,  très  atta- 
chés à  leur  religion  qui  est  la  seule  officiellement  recon- 
nue par  l'Etat,  et  que  tous  les  fonctionnaires  doivent 
obligatoirement  adopter.  Enfin  les  uns  et  les  autres, 
poussés  à  la  fois  par  l'esprit  d'aventures,  le  goût  des 
expéditions  lointaines,  et  aussi  par  la  pauvreté  de  leur 
sol,  n'ont  jamais  hési  é  à  quitter  leurs  fjords  et  leurs 
forêts  pour  courir  le  vaste  monde. 

C'étaient  des  Norvégiens,  ces  Vikings  ou  Normands,  qui,  au 
début  du  Moyen  Age,  mirent  en  coupe  réglée  la  Grande-Bretagne, 
la  France,  l'Italie,  créèrent  le  duché  de  Normandie,  s'installèrent 
sur  les  trônes  d'Angleterre  et  de  Sicile.  Norvégiens  encore,  les  hardis 
navigateurs  qui,  entre  le  VII 1°  et  le  XII*  siècle,  parcoururent  l'Océan 
Glacial,  découvrirent  l'Islande,  le  Groenland,  le  Spitzberg,  attei- 
gnirent l'Amérique  quatre  cents  ans  avant  Christophe  Colomb.  A  la 


LA  NORNEGE  ET  LA  SUÈDE 


1  .£>  ILEib  LUForÈ_\,  La  iôlet  occifienlaUl  de  la  ptcmutU  icandmait  lont  oc 


^gncts,  mr  toute  leur  longueur,  d'une  ceinture  ccntinue  tTUei.  (filofi,  tfécuals  au 
nomhre  ée  ptustcurs  trùllien  et  dent  l'ejutmUe  porte  le  nom  de  Skiargaard.  L'arcJûpel 
dn  Lo/olen,  m  en  face  du  Westfjord.  un  peu  au  deià  du  eercle  polaire  arctique,  ext 


comprit  danj  cette  bordure  insulaire.  De  jancier  à  avril,  les  pécheurs  de  monte  s't/ 
rendent  en  foule.  En  été,  des  milliers  de  touristes,  en  roule  pour  le  Cap  Nord,  y  vont 
admirer  la  grandeur  sauvage  du  paysage,  le»  étranges  rtfiels  de  lumière  sur  la  rocke 
inacceuiUe  et  nue.  CI.  W.  DltECStN. 


41 


L'EUROPE 


LE  LAC  DE  LANGELAND  ET  LES  NÉVÉS  DE  JUSTEDAL.  La  roule  qm 

conduit  du  Sognefjord  au  Nordfjord  par  Vadheim  et  Nèdre  contourne  ou  longe  un 
grand  nombre  de  lats,  de  même  origine  que  les  fjords  dont  ils  reproduisent  la  direction 
générale  et  tes  formes  dentelées. Ces teaux  laa  aux  eaux  somlres  qui  dorment  aumîtitu 


des  prairies  et  des  forêts,  sont  le  grand  charme  de  la  Norvège.  L'horizon  est,  ici.larré 
par  une  puissante  muraille  rocheuse  qui,  s'élevant  à  plus  de  2000  mètres,  supporte 
l'immense  névé  de  Justedal,  dernier  témoin  de  l'aniienne  "  inlandsis  "  qui  recouvrît 
autrefois   toute  la  Standinavie.  CI.  VaLENTINE. 


HAMMERFEST.  La  latitude  de  ce  petit  port  de  pêche  peuplé  de  3000  habitants 
et  situé  par  78"40.  à  l'ejcfrême-Nord  de  la  Norvège,  en  fait  la  ville  la  plus  septen- 
trionale du  monde  Le  soleil  ne  s'y  ccuche  pas  entre  le  13  mai  et  le  21  juillet,  mais 
il  ne  se  lève  pas  du  IS  novembre  au  23  janvier.  Cl.  ChI'SSEAU-Flaviens. 


BERGEN.  Fondée  au  XII*  siècle,  l'ancienne  Bjorgoin.  la  "  ville  des  montagnes" 
acquit  une  remarquable  prospérité  du  jour  où  lesHanséatesy  créèrent,  auXV^siècle, 
un  de  leurs  comptoirs.  Elle  monopolisa,  dés  lors,  les  produits  de  la  pêche  sur  toute  la 
côte  occidentale  de  la  Norvcpe.  CL   PhOTOGLOB. 


?;:C!-'.AGE  DE5  FOINS.  Même  en  été  le  climat 
t'cfiiv'-ir^  toujours  d'une  telle  humidité  que.  pour 
o.Dcr-:.'  U  séchage  des  foins,  il  faut  disposer  l'herbe 
ziiT  cj.j  supr^orts  de  hois.  C!.  Chusseau-Flaviens. 


FABRICATION   DU  CHARBON   DE    BOIS. 

Point  de  houille  en  Scandinavie.  Par  contre,  le 
bois  abonde  et  la  fabrication*  du  charbon  prend  Us 
proportions  d'une  vérilalle  industrie.  CI.NlLSSON. 


GUDBRANDSDAL.  C'est  une  grande  et  belle 
vallée  dont  les  lacs  reflètent  les  sombres  parois  de 
la  montagne.  Elle  ouvre  un  passage  commode  entre 
Christiania  et   le   Nordfjord.        Cl.  ValENTINE, 


42 


LA  NORVEGE  ET  LA  SUEDE 


même  époque,  les  Suédois  s'installaient  sur  les  côtes  de  Finlande, 
atteignaient  les  rives  de  la  \'olga,  fondaient  la  principauté  de 
Novgorod,  descendaient  le  Dniepr  jusqu'à  la  mer  Noire  et 
se  mettaient  à  la  solde  des  Empereurs  de  Constanlinople. 
Au  XV'Il»  siècle,  aux  temps  héroïques  de  Gustave-Adolphe  et  de 
Charles  XII,  les  armées  suédoises  parcoururent  victorieusement 
l'Allemagne  entière  et  firent  de  la  Suède  la  première  puissance 
militaire  de  l'Europe. 

On  retrouve  aujourd'hui  encore  la  marque  de  ce 
caractère  aventureux  dans  l'abondance  des  grands  explo- 
rateurs Scandinaves  :les  Nansen.les  Amundsen,  les  Nor- 
denskiôld.  les  Sven  Hedin  ;  on  la  retrouve  aussi  dans  la 
facilité  avec  laquelle  Suédois  et  Norvégiens  émigrent,  et 
pour  toujours.  Au  XIX'  siècle,  500  000  Norvégiens, 
I  200  000  Suédois,  —  proportion  formidable  si  l'on  tient 
compte  de  la  faiblesse  de  la  population,  —  sont  allés  se 
hxer  à  l'étranger,  aux  Etats-Unis  surtout,  dans  le  Min- 
nesota, rillinois,  le  Wisconsin. 

Ils  s'emploient  dans  les  mines,  les  fabriques,  les  exploi- 
tations forestières,  et  par  leur  vigueur,  leur  intelligence, 
l'ensemble  de  leurs  qualités  morales  et  physiques,  leur 
goût  aussi  pour  la  vie  libre  et  solitaire,  si  précieux  dans 
les  pays  neufs,  ils  constituent  un  des  éléments  les  plus 
"  désirables  "  du  groupe  des  émigrants  européens. 

Mais  à  cette  communauté  de  race,  de  traditions,  de 
religion,  d'habitudes,  s'opposent  fortement  des  différences 
profondes  de  caractères,  de  conceptions  sociales  et  poli- 
tiques. Le  peuple  suédois,  "  terrien  et  monarchique  ', 
aime,  comme  l'Allemand,  la  règle,  l'ordre,  la  discipline. 
Bien  qu'en  Suède  comme  dans  les  autres  pays  européens 
les  idées  libérales  et  socialistes  aient  fait  de  notables  pro- 
grès, "  l'esprit  public  conserve  comme  une  empreinte 
d'ancien  régime  ".  les  nobles  possesseurs  de  vastes 
domaines,  le  haut  clergé  luthérien  ont  encore  une  influence 
politique  et  sociale  incontestée. 


Le  Norvégien,  au  contraire,  "  marin  et  démocrate  "• 
est  passionné  d'indépendance,  de  liberté  individuelle,  im- 
patient du  joug  le  plus  léger  de  l'autorité.  Alors  que  la 
population  rurale  suédoise  se  groupe  le  plus  ordinairement 
en  villages,  le  goût  du  Norvégien  pour  l'isolement  est  tel 
qu'il  ne  connaît  pas  cette  forme,  pourtant  primitive,  de 
1  habitat  humain.  Sa  langue  même  ignore  le  mot  :  village. 
Cultivateurs,  éleveurs,  pêcheurs,  habitent  des  fermes 
ou  des  maisons  isolées,  largement  séparées  les  unes  des 
autres.  Le  plus  souvent,  dans  les  campagnes,  il  n'y  a 
point  de  centres  administratifs,  et  les  semces  publics  sont 
disséminés  dans  l'étendue  des  communes.  Dans  une  loca- 
lité se  rencontrent  l'église  et  le  presbytère,  complètement 
solitaires  ;  dans  une  seconde,  le  représentant  de  l'admi- 
nistralion  ;  dans  une  troisième,  I  école,  etc.  "  (Ch.  Rabot  ) 
El  cette  liberté,  celle  indépendance  individuelles,  le  Nor- 
végien les  veut  non  seulement  pour  lui,  mais  pour  la  col- 
lectivité dont  il  fait  partie.  Il  ne  tolérerait  pas,  comme  le 
Suédois,  d'obéir  au  mot  d'ordre  d'une  caste  dirigeante. 
Les  usages  gouvernementaux  comptent  parmi  les  plus 
démocratiques  qui  soient  au  monde. 

Du  reste,  si  le  peuple  entier  tient  à  prendre  une  part 
immédiate  et  réfléchie  à  la  confection  des  lois,  il  n'est 
besoin  d'aucune  contrainte  pour  le  décider  à  les  appli- 
quer strictement. 

Ces  différences  de  caractères  expliquent  la  scission  qui  s'est 
produite  en  1905  entre  la  Suède  et  la  Norvège,  unies  depuis  1814 
en  un  seul  Etat.  C'était  un  "  mariage  de  raison  auquel  a  mis  fin 
un  divorce  par  consentement  mutuel  ".  Les  deux  pays  ont  repris 
leur  indépendance  et  forment  maintenant  deux  royaumes  consti- 
tutionnels qui  ont  des  formes  gouvernementales  à  peu  près  sem- 
blables, mais  avec  des  tendances  démocratiques  très  accusées  en 
Norvège,  des  tendances  beaucoup  plus  conser\'alriccs  en  Suède. 
Rappelons  pour  mémoire  que  la  dynastie  qui  règne  présentement  en 
Suède  eut  comme  fondateur  le  général  français  Bernadolte. 


GEOGRAPHIE  POLITIQUE  ET  ECONOMIQUE 

Le  Royaume  de  Norvège 


Les  2  400  000  habitants  de  la  Norvège  sont  répartis 
d'une  façon  très  inégale.  Alors  que  les  monts  Kiolen  et 
les  Fjelde  sont  complètement  vides  d'hommes,  la  région 
relativement  basse  qui  entoure  Christiania  et  la  zone  lit- 
torale renferment  la  quasi-totalité  de  la  population. 

AGRICULTURE  ET  ÉLEVAGE.  XH/H  L'a- 
griculture ne  dispose  que  de  0.8  pour  100  de  la  super- 
ficie totale.  Les  terres  arables  les  plus  étendues  et  les  plus 
productives  se  trouvent  dans  les  pays  méridionaux  autour 
du  fjord  de  Christiania,  le  long  du  Glommen  et  du  lac 
.Miôsen.  Ailleurs,  dans  le  fond  des  fjords,  dans  les  parties 
les  plus  élargies  des  vallées,  on  n'aperçoit  que  de  rares 


parcelles  cultivées,  donnant  une  récolte  médiocre  et  aléa- 
toire. L'orge  peut  mûrir  jusqu'à  Tromsoë  ;  le  froment  est 
à  peine  cultivé.  C'est  le  seigle,  l'avoine  surtout  et  la 
pomme  de  terre  qui  s'accommodent  le  mieux  des  condi- 
tions climatiques  :  pommes  de  terre  et  bouillie  d'avoine 
sont  les  mets  les  plus  courants  du  paysan  norvégien. 

Les  prairies  occupent  5  pour  100  environ  du  sol.  Les 
pluies  fréquentes,  les  terrains  imperméables  leur  convien- 
nent et  le  troupeau  bovin  compte  I  100  000  têtes,  ce  qui 
est  beaucoup  étant  donné  le  petit  nombre  des  habitants. 
Beurre,  fromage  et  lait  sont  du  reste  consommés  en 
grande  quantité  dans  le  pays  même.  Le  reste  s'exporte  à 
l'étranger. 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE 


43   - 


L'EUROPE 


La  propriété  est  extrêmement  morcelée  ;  cela  lient  non 
seulement  aux  habitudes  démocratiques  du  pays,  mais 
surtout  à  la  petitesse  et  à  la  dispersion  des  parcelles  de 
terrain  utilisables.  De  plus,  le  paysan  est  généralement 
propriétaire  du  sol  qu'il  cultive.  On  compte  304  000  pro- 


priétés pour  1  1  000  kilomètres  carrés  de  terres  arables 
et  de  prairies,  soit  3  hectares  en  moyenne  pour  chaque 
panure.  La  ferme  ou  '  gaard  ",  construite  en  bois,  est 
confortable  et  propre.  Peinte  en  couleurs  vives  :  jaune, 
blanc,  rouge,  elle  met  la  seule  note  un  peu  riante  sur 
la  palette  des  verts  sombres  et  des  gris  monotones. 

L'EXPLOITATION  DES  FORÊTS,  si  a 
L'exploitation  des  forêts  s'ajoute  aux  profits  que  le  paysan 
retire  de  l'agriculture.  Les  bois,  coupés  en  hiver,  sont  traî- 
nés sur  la  neige  durcie  jusqu'aux  rives  des  torrents.  Lors 
de  la  fonte  des  neiges  et  de  la  débâcle  printanière,  bûches 
et  troncs  d  arbres  sont  charriés  par  le  courant  jusqu'aux 
scieries  du  bas-pays  et  aux  ports  de  la  côte.  Une  partie 
s  emploie  dans  le  pays  même  et  sert  notamment  à  cons- 
truire ou  répsirer  la  très  importante  flotte  commerciale  du 
royaume.  Le  reste,  transformé  en  chevrons,  douves,  plan- 


ches, en  pâte  à  papier,  en  cellulose,  etc.,  s'expédie  en 
Angleterre  et  en  France. 

MINES  ET  INDUSTRIES.  00  Si  les  carrières 
de  granit  ont  quelque  importanceet  fournissent  aux  navires 
un  précieux  freï  de  retour,  le  sous-sol  est  pauvre  en 
minerai.  On  exploite  des  mines  d'argent  à  Kangsberg,  des 
mines  de  fer  et  de  cuivre  à  Rôraas  et  au  Sulitjelma 
(valeur  totale  de  la  production  :  8  500  000  couronnes 
en  1913,  la  couronne  valant,  alors,  I  fr.  39,  — 
42  000  000  de  couronnes  en  1 9 1 7)  ;  mais  la  houille, 
qui  permettrait  la  création  des  industries  métallurgiques, 
manque  totalement.  Par  contre,  la  "houille  blanche" 
abonde  et  l'énergie  électrique  peut  êlre  obtenue  à  très 
bon  compte.  Aussi,  depuis  une  quinzaine  d'années 
surtout,  de  grandes  usines  électro-chimiques  (celles  de 
Rjukan,  de  la  Svaelgfoss,  de  Vamma,  etc.)  se  sont-elles 
établies  pour  produire,  notamment,  des  nitrates  artificiels 
par  la  fixation  de  l'azote  atmosphérique. 

Les  autres  établissements  industriels  de  Norvège,  oj 
bien  utilisent  les  bois  des  forêts  (scieries,  fabriques  de  cel- 
lulose, de  papier,  de  pâte  à  papier)  ou  bien  sont  en  rap- 
port immédiat  avec  les  ressources  nées  de  la  mer  :  con- 
serves de  poissons,  fabriques  d'huile  de  foie  de  morue, 
ateliers  de  constructions  navales,  etc. 

LA  VIE  MARITIME.  00  C'est  l'exploitation 
de  la  mer,  en  effet,  qui  est  l'industrie  nationale  des  Nor- 
végiens, et  cela  sous  deux  formes  :  pèche,  trafic  maritime. 
La  pêche  se  pratique  sur  toute  la  côte,  depuis  le  Ska- 
gerrack  jusqu'au  Cap  Nord.  L'abondance  du  poisson 
dcms  les  fjords,  les  chenaux  et  au  large  du  Skiargaard 
a  fixé  un  bon  tiers  de  la  population  norvégienne  sur  les 
rocs  dénudés  des  îles  et  sur  tous  les  points  du  littoral  où 
une  mince  bande  de  terre  permet  d'édifier  les  maisons 
des  pêcheurs  et  les  sécheries  de  poisson.  D'un  bout  à 
l'autre  de  la  Norvège  occidentale  on  ne  vit  que  pour  la 
pêche,  par  la  pêche  et  les  industries  qui  en  dérivent  ;  et, 
aux  marins  de  profession,  vient  s'ajouter,  dans  la  Sciison 
particulièrement  favorable,  un  fort  contingent  de  Finnois, 
de  Lapons  ou  d'agriculteurs  norvégiens  qui  abandonnent 
temporairement  leurs  troupeaux  ou  leurs  champs  pour 
s'approvisionner  de  poissons  frais  et  fumés. 

Dans  les  "  villes  "  maritimes,  comme  dans  les  bourgades  des 
îles,  dans  les  humbles  maisons  isolées  au  long  des  plages 
rocheuses,  on  ne  voit  que  barques  rentrant  ou  sortant,  lilety  qui 
sèchent,  poissons  que  l'on  décharge  et  qui  s'entassent  sur  les  quais, 
étals  de  bois  où  pendent  les  morues  éventrées.  Le  bétail  même,  au 
moins  dans  les  régions  du  Nord  où  le  fourrage  est  très  rare, 
devient  ichtyophage  ;  on  le  nourrit  pendant  trois  mois  par  an  de 
têtes  de  morues  bouillies  avec  un  peu  l'herbe.  Partout  une  odeur 
nauséabonde  de  poisson  gâté  poursuit  le  visiteur,  s'attache  à  ses 
vêtements,  emplit  l'air  qu'il  respire.  Et  la  pêche  ne  chôme  jamais, 
car,  si  la  morue  qui  donne  les  plus  beaux  revenus  se  capture  sur- 
tout de  février  à  mai  (côtes  de  Lofoten,  de    Romsdal  et    de  Fin- 


—  44 


LA  NORVEGE  ET  LA  SUEDE 


marck),  le  hareng  et  le  maquereau  en  janvier  et  au  cœur  de  l'été, 
en  toute  Saison  les  sardines,  les  sprats,  les  saumons,  les  raies,  les 
congres,  elc  .  emplissent  les  filcls. 

Si  considérable  est  la  quantité'  de  poi&sons  capturés 
par  140000  pêcheurs,  que  la  Norvlge.  non  seulement 
suffit  aux  besoins  de  ses  habitants  grands  consommateurs 
de  poisson  sous  toutes  ses  formes,  mais  peut  venJre  an- 
nuellement pour  plus  de  100000000  de  couronnes  de 
morue,  d'huile,  de  rogue,  de  harengs,  de  sprats,  etc. 

Ayant  acquis  de  très  bonne  heure  Ihabitude  de  la  mer, 
et  d  une  mer  difficile,  sur  une  côte  pleine  d'écueils,  en- 
vahie par  les  brouillards,  les  Norvégiens  sont  devenus  des 
marins  accomplis.  Aussi  leur  flotte  commerciale  a-t-elle 
pris  une  importance  telle  que,  avec  ses  3  600  navires  en 
bois  et  en  fer,  jaugeant  plus  de  I  300000  tonnes  nettes, 
elle  se  classait  en  1920  au  cinquième  rang  des  grandes 
flottes  du  monde,  ne  le  cédant  qu'à  la  Grande-Bretagne, 
aux  Etats-Unis,  à  la  France  et  au  Japon. 

Ces  navires  ne  se  consacrent  évidemment  point  au 
transport  des  seules  marchandises  d'origine  norvégienne 
ou  nécessaires  aux  Norvégiens.  Le  plus  grand  n-mbre  est 
affrété  par  les  pays  étrangers  :  France.  Belgique.  Russie. 
Amérique  du  Sud.  C'est  un  capilal  qui  jusqu'en  1913 
rapportait  bon  an,  mal  an,  aux  armateurs  et  aux  marins 
du  royaume,  un  revenu  net  de  95  000  000  à  1 00  000  000 
de  couronnes. 

LE  COMMERCE,  a  a  Les  produits  de  la  pèche, 
les  bois,  un  peu  de  minerai  et  de  granit,  les  nitrates  ar- 
tificiels, tels  sont  les  principaux  objets  exportés  de  Nor- 
vège. Leur  valeur  atteignait,  en  1913,  381  000  000  de 
couronnes  (781  000000  de  couionnes  en  1919).  A  l'im- 
portation, les  denrées  alimentaires  tiennent  la  tête;  puis 
viennent  les  produits  manufacturés  :  machines,  vête- 
ments, textiles,  elc.  (352  000  000  de  couronnes  en  1913  ; 
1580000000  de  couronnes  en  1919).  Comme  on  le 
voit,  les  achats  dépassent  largement  les  ventes.  Mais 
la  balance  se  rétablit  en  faveur  de  la  Norvège  si  l'on 
tient  compte  des  profits  qu'elle  retire  de  la  location 
de  ses  navires  et  des  sommes  considérables  que  laissent 
chaque  année  les  touristes.  "  Les  Norvégiens  sont  par- 
venus à  se  faire  de  très  belles  renies  avec  le  soleil  de  mi- 
nuit et  les  fjords.  En  trente  ans  ils  ont  su  adapter  leur 
pays  rébarbatif  aux  exigences  des  voyageurs,  et  sont  arrivés 
à  concunencer  la  Suisse.  "  (Ch.  Rabot.) 

LES  VILLES.  00  La  prépondérance  de  la  vie 
maritime  se  marque  encore  par  la  répartition  des  centres 
urbains.  Sur  64  localités  auxquelles  la  loi  donne  le  titre 
de  ville,  57  sont  placées  sur  le  littoral  et  vivent  de  la  pêche, 
du  commerce  des  bois,  de  l'armement. 

De  ces  64  agglomérations  qui  absorbent  environ 
28  pour  100  delà  population  totale.  6 seulement  méritent 
vraiment  le  nom  de  ville  :  Christiania  avec  260000  âmes. 


Bergen  avec  90 000. Trondh jem  5 5 000 . Stavanger 44 000, 
Drammen  25  000  et  Christiansand  16000.  Les  autres  ne 
sont  guère  que  de  gros  bourgs,  et  l'on  en  compte  même  8 
qui  n'atteignent  pas  1  000  habitants. 

Christiania,  placée  au  fond  d'un  long  fjord  aux  bords 
évasés,  est  le  débouché  naturel  de  la  région  la  plus 
fertile  du  royaume,  et  des  vallées  :  Osterdal,  Gud- 
brandsdal,  Hallindal,  qui  desservent  les  régions  minières 
et  forestières  des  Pjelde  ou  livrent  passage  aux  routes 
menant  vers  la  côte  occidentale.  C'est  la  capitale  de  la 
Norvège  en  même  temps  que  son  plus  grand  entrepôt 
commercial  et  son  port  le  plus  actif. 

Autour  de  Christiania.  14  petits  ports:  Drammen, 
Horten,  Tonsberg,  Laurvick,  etc.,  s'échelonnent  sur  les 
rives  du  Skagerrak.  tandis  que,  à  l'intérieur,  Kongsvingc, 
Kongsberg  (6000 habitants),  Gjovik,  Hamar.  Lillchamer, 
etc.,  sont  les  centres  agricoles  de  la  région  des  lacs. 

Par  Christiansand,  à  l'extrême  Sud,  et  Stavanger  on 
gagne  la  grande  région  maritime  des  fjords  et  du  Skiar- 
gaard.  Sur  une  côte  âpre  et  nue.  bordée  de  hautes 
murailles  rocheuse.»,  s'échelonnent  des  ports  de  pêche 
que  l'énorme  rempart  des  Fjelde  isole  de  l'intérieur. 
Bergen  en  est  le  plus  important.  Elle  fut.  au  Moyen  Age, 
l'un  des  grands  centres  d'échange  de  la  ligue  Hanséa- 
tique  ;  aujourd'hui  ses  90  000  habitants  en  font  la  seconde 
des  villes  norvégiennes.  Une  voie  ferrée  et  deux  routes 
carrossables  fort  pittoresques  l'unissent  à  Chri.-tiania  en 
franchissant  les  solitudes  sauvages  des  Hauts  Plateaux. 

Aalesund  et  Christiansund,  placées  sur  des  iles  du  Skiar- 
gaard,  nous  conduisent  à  Trondhjem.  La  ville  est  placée 
sur  les  rives  d  un  fjord  largement  ramifié,  bordé  —  chose 
rare  —  de  tenes  fertiles  propres  à  la  culture  et  a  l'élevage. 
De  plus,  ce  fjord  correspond  à  la  dépression  du  Jàmtland, 
qui,  entre  les  hauteurs  continues  des  Pjelde  et  les  monts 
Kiolen,  constitue  le  seul  passage  naturel  et  facile  menant 
des  rivages  de  l'Atlantique  à  l'intérieur  de  la  Scandinavie. 
A  ces  circonstances  Trondhjem  dut  son  importance  d'au- 
trefois, attestée  par  sa  charmante  cathédrale  ogivale  du 
xiif  siècle,  par  son  titre  d'ancienne  capitale  du  royaume, 
—  et  son  rôle  économique  d'aujourd'hui.  Reliée  par 
voie  ferrée  non  seulement  avec  Christiania  mais  avec 
Stockholm,  elle  dessert  une  partie  de  la  Suède  centrale  et 
sa  population  atteint  53C00  habitants. 

Au  Nord  de  Trondhjem.  dans  les  départements  du 
Norrland.  de  Tromsôe,  et  dans  la  Finlande,  si  les  bour- 
gades de  pêcheurs  sont  encore  assez  nombreuses,  les  villes 
disparaissent.  Les  agglomérations  les  plus  importantes 
sont  les  ports  de  Tromsoë  (7  000  habitants),  Narvik 
(5000  habitants),  ville  de  bois  créée  en  1902  pour 
servir  de  débouché  à  la  voie  ferrée  qui  traverse  la  La- 
ponie  et  dessert  les  riches  gisements  de  fer  de  la  Suède 
septentrionale,  puis  Bodoë,  Vaidoë  et  Hammerfe?!,  la 
ville  la  plus  septentrionale  du  monde. 


45 


L'EUROPE 


Le  Royaume  de  Suède 


Bien  que  les  côtes  du  Royaume  de  Suède  atteignent, 
avec  leurs  multiples  indentations,  plus  de  8000  kilo- 
mètres, et  que  la  flotte  marchande,  avec  ses  2900  navires 
jaugeant  un  million  de  tonnes,  se  classe  au  sixième  rang 
des  flottes  européennes,  le  pays  tire  de  la  mer  des  res- 
sources infiniment  moindres  que  sa  voisine  norve'gienne. 
La  valeur  totale  des  produits  de  la  pêclie  (saumons, 
harengs,  maquereaux  du  Skagerrak  et  de  la  Baltique), 
ne  dépasse  pas  annuellement  280 000  000  de  couronnes. 

Par  contre,  l'agriculture  et  l'élevage,  l'exploitation 
des  bois,  les  mines  et  l'industrie  ont,  en  Suède,  une 
tout  autre  importance  qu'en  Norvège,  grâce,  soit  à 
l'étendue  beaucoup  plus  considérable  des  terres  produc- 
tives et  des  forêts,  soit  à  la  richesse  du  sous-sol,  soit  à 
la  facilité  plus  grande  des  communications  intérieures. 

AGRICULTURE.  ÉLEVAGE,  FORÊTS. 
a  a  La.  Suéde  dispose  de  plus  de  50000  kilomètres 
carrés  de  terres  arables  et  de  prairies,  soit  le  neuvième  de 
la  superficie  totale,  et  48  pour  100  de  la  population 
s'occupe  d'agriculture  et  d'élevage.  Les  terrains  les  plus 
fertiles  se  trouvent  à  l'extrême  Sud  du  pays,  dans  la  pro- 
vince de  Scanie.  Puis  vient  la  dépression  lacustre  de  la 
Suède  centrale,  où  des  dépôts  d'alluvions  marines  récentes 
et  quelques  lambeaux  de  calcaires  secondaires  donnent 
un  sol  beaucoup  plus  productif  que  les  sables  morainiques 
ou  les  granits  décomposés.  Au  nord  du  Dal  elf,  les  cul- 
tures deviennent  rares,  par  suite  de  la  rigueur  du  climat 
et  du  petit  nombre  des  habitants  ;  la  forêt,  mêlée  de  tour- 
bières, couvre  la  presque  totalité  du  sol. 

Le  froment  (5  pour  100  des  terres  cultivées)  ne  mû- 
rit régulièrement  que  dans  la  Scanie.  L'orge,  très  résis- 
tante, est  la  culture  principale  du  Norrland(12  pour  100). 
Le  seigle  (24  pour  100)  et  l'avoine  (48  pour  100)  se 
récoltent  principalement  dans  la  Suède  centrale.  Le  pain 
national  du   pays  est    une  mince    galette    de  seigle,  le 

knackebrod  ",  et  le  paysan  suédois  consomme  autant  de 
bouillie  d'avoine  que  le  Norvégien.  Enfin  la  pomme  de 
terre  se  cultive  un  peu  partout,  car  chaque  Suédois  en 
absorbe,  en  moyenne,  200  kilogrammes  par  an.  La  bette- 
rave à  sucre  a  pris  de  l'extension  en  Scanie. 

L'élevage  trouve  en  Suède  des  conditions  plus  favo- 
rables encore  qu'en  Norvège,  et  le  troupeau  bovin  est  si 
nombreux  que  l'on  compte,  en  certains  districts  du  Sud, 
1 40  bêtes  à  cornes  par  1 00  habitants.  La  moyenne  est 
de  50  animaux  pour  1 00  habitants.  Aussi  la  Suède  peut 
exporter  une  partie  de  son  bétail  vers  l'Allemagne  et 
l'Angleterre.  De  plus,  des  laiteries  coopératives  se  sont 
créées,  à  l'exemple  du  Danemark,  et  des  quantités  consi- 
dérables de  beurre  se  vendent  à  l'étranger. 


L  exploitation  des  forêts  constitue,  après  l'agriculture 
et  1  élevage,  la  principale  ressource  de  la  Suéde.  Comme 
en  Norvège,  les  arbres  coupés  en  hiver  sont  jetés  au 
printemps  dans  les  torrents  qui  les  charrient  jusqu'aux 
scieries  et  aux  ports  de  la  côte.  En  191 3,  l'exportation  du 
bois  sous  toutes  ses  formes  rapporta  au  royaume  plus 
de  360  000  000  de  couronnes  (83 1  000000  de  couronnes 
en  1919).  Nul  pays  au  monde  n'atteint  un  pareil  chiffre. 

MINES  ET  INDUSTRIES,  aa  LaSuèdepos- 
sède  de  très  riches  gisements  de  fer.  Les  plus  ancienne- 
ment exploités  se  trouvent  dans  la  région  des  grands  lacs  : 
Dannemora,  Cerebo,  Groengesberg.  Mais  ce  sont  les 
mines  de  Laponie  :  à  Gellivara,  Kirunavara,  qui  donnent 
de  beaucoup  le  minerai  le  plus  abondant  et  le  plus  ap- 
précié. Malheureusement,  la  houille  manque.  Les  char- 
bonnages de  Scanie  ne  fournissent  annuellement  que 
430000  tonnes  de  combustible  de  mauvaise  qualité. 

Autrefois,  quand  le  minerai  se  traitait  au  charbon 
de  bois,  les  fers  de  Suède  avaient  une  réputation  euro- 
péenne. Aujourd'hui  la  Suède,  en  achetant  à  l'étranger 
la  houille  qui  lui  manque,  parvient  encore  à  produire 
d'appréciables  quantités  de  fonte,  de  fer  et  d'acier.  Mais 
il  lui  est  difficile  de  lulter  contre  la  concurrence  des  na- 
tions productrices  de  charbon,  et  elle  doit  exporter  à 
l'état  brut  la  majeure  partie  de  ses  minerais  (production 
totale  :  6  000  000  à  7  000  000  de  tonnes). 

Les  mines  de  cuivre  de  Falun,  exploitées  depuis  le 
Xin  siècle,  sont  aujourd'hui  fort  appauvries.  Les  autres 
industries  extractives  :  or,  argent,  plomb,  zinc,  ne  valent 
pas  d'être  mentionnées. 

Dans  le  groupe  des  industries  proprement  dites,  celles 
qui  travaillent  le  bois  :  scieries,  papeteries,  fabriques  de 
pâte  à  papier,  etc.,  tiennent  de  beaucoup  la  première 
place  (valeur  de  leur  production  :  900  000  000  de  cou- 
ronnes en  1918).  11  faut  y  ajouter  les  filatures  et  tissages 
de  laine,  de  lin,  de  coton  (à  Norrkôping,  Boras,  etc.),  les 
aciéries,  coutelleries,  fabriques  de  machines  (à  Oerebro, 
Eskiltuna,  Malmoë,  Goteborg,  etc.),  les  fabriques 
d'allumettes  (lônkôping),  les  industries  électriques  et 
électro-chimiques  enfin,  que  favorisent  l'abondance,  le 
bon  marché  de  la  "  houille  blanche  "  et  qui  ont  devant 
elles  un  avenir  plein  de  promesses. 

LE  COMMERCE  ET  LES  VOIES  DE  COM- 
MUNICATION. 0tJ  Le  commerce  intérieur  de  la 
Suède  dispose  d'un  ensemble  de  voies  de  communications 
très  supérieur  à  celui  de  la  Norvège.  La  longueur  totale 
des  voies  ferrées  dépasse  1 4  000  kilomètres. 

Les  régions  méridionales  sont  nalurellemenl  les  mieux  desservies  :  la 


46 


LA  NORXEGE  ET  LA  SUEDE 


FJAERLASD  ET  LE  GOLFE  DE  MLNDAL  DANS  LE  SOGNEf      , 

Type  de  ce^  golfa  étroils  rœmfiés.  aux  eaux  profondes,  qui  portent  le  nom  de  i  . 
et  çiâ  Jenicllait  toute  la  côte  ocd^aitaJe  de  la  PàtinsiJe  Scandmavt.  ils  doityen!  init 
naàaanct  et  les  partiailaritis  de  leur  ttruetare  aa  doaUe  traoa^  des  torrents  et   des 


lueji  qin  les  emplirent  autrefois.  De  hatdes  muratUes  de  roches  verdoyantes  ou 
■.cnudèes  uiTplombent  leun  eaux  calmes,  et,  des  névés  ffui  eoucrent  les  parties  les  plus 
élevées.  jailUssent  des  cascades.  L'ensemble  compose  des  paysofes  d'une  beauté  jrfon- 
diose,  mais  levère,  et  toute  pleine  de  trtélancolie.  Q.  Photociob. 


47     — 


L'EUROPE 


j               f                                        1 

« 

^TêiH'.uiâ 

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'     /"  V'    -  ■*■  T'       "  *" 

UNE  FERME  SUEDOISE  est  comtTuite. 
dans  leCentre  et  le  Nord,  en  bois  de  sapin  di 
couleur  sombre,  mais  que  relève  la  teinte 
blanche  des  fenêlres.O.CHVSSlAV -F LKvnss. 


STOCKHOLM.  Située  entre  l'extrémité  orientale  du  lac  Mdlar  et 
uns  baie  de  la  Baltique,  bâtie  sur  deux  presqu'îles  et  plusieurs  Ues 
couvertes  de  riantes  villas,  Stcckftolm  offre,  de  quelque  côté  qu'on 
icbserve,  un  ravissarit  aspeit.  Cl.    LiN'DAHLS. 


ÉGLISE  DE  HATTERDAL.  InUrnsmi 

Spécimen  d  un  type  de  construction  anté- 
rieur à  la  Réforme,  que  l'on  trouve  dans 
toute  la  Scar>dinavie.       Cl.  VaientINF. 


GROUPE  DE  PAYSANNES  EN  DALÉCARLiE.  La  province  de  Dalécarlie. 
au  Nord-Ouest  de  Stockholm,  peut  être  considérée  comme  le  cœur  de  laSuèds.  Traversée 
par  les  deux  branches  du  Dal  Elf,  couverte  d'unmélange  de  plaines  aux  belles  prairies 
et  de  collines  boisées,  embellie  par  des  cascades,  des  lacs  nombreux,  elle  offre  en  raccourci 


tous  les  aspects  caractéristiques  des  paysages  suédcis.  Ses  habitants,  renommés  pour  leur 
esprit  d'indépendance  et  leur  bravoure,  passent  pour  représenter  le  type  le  plus  pur  des 
Svear  'ou  Suédois.  Leurs  femmes  demeurent  encore, en  général,  fidèles  aux  costumes 
du  temps  passé. 


.*Ê'*Î^^ 


..^^tëSÈ^ 


\'ERMEDALSFOS.  Sur  les  monts 
en  gradins  croissent  d'épaisses  forêts 
de  conifères  que  strie  U  ruban  des 
eaux  torrentielles.     CL  Valentine. 


VISBY  :  ENCEINTE  FORTIFIÉE.  Capitale  de  l'île  de  Cotland.  Visly 
s  affilia  à  la  Ligue  hanséatique  et  fut,  jusqu'au  XV^  siècle  le  principal 
entrepôt  (commercial)  de  la  Baltique.  Elle  conserve  de  ce  glorieux  passé  un 
puissant  rempart  et  de  fort  curieuses  églises  à  demi  ruinées. 


TROLLHATTAN.  La  plus  célèbre 
des  puissantes  chutes  d'eau  que  la  Suède 
peut  utiliser  pour  la  production  de  la 
houille  blanche. CI.ChVSSEAU -F LA\ILKS. 


48 


LA  NORVEGE  ET  LA  SUEDE 


densité  du  réseiu  (erré  y  alteint  19  kilomètres  par  100  kilomètres 
carrés,  proportion  plus  élevée  que  celle  de  l'Allemagne.  Des  bacs  à 
vapeur  ou  (erry-boats,  parlant  d'Helsingborg,  de  Malmoê  et  de 
Trellaborg,  transportent  directement  les  trains  jusqu'aux  ports 
danois  de  Copenhague  et  d'Elseneur  et  jusqu'à  l'ile  allemande  de 
Riigen,  permettant  ainsi  aux  voyageurs  de  se  rendre  sans  changer 
de  wagon  à  Hambourg  ou  à  Berlin. 

La  région  centrale  également  bien  desser\'ie  communique  direc- 
tement avec  Christiania  et  Trondhjem.  De  plus,  le  canal  de  Gothic 
unit  Gôleborg  à  Stockholm  par  les  lacs  Vener  et  Weller. 

Au  nord  du  Dal  Elf,  une  seule  voie  ferrée  court  à  travers  le 
Norriand,  parallèlement  à  la  côte,  jusqu'au  fond  du  golfe  de 
Botnie  où  elle  s'unit  au  réseau  de  Finlande.  EnBn  le  Trans- 
lapon, audacieusement  jeté-  par-dessus  les  monts  Kiolen,  dessert 
les  riches  gisements  de  fer  de  Kirunavara  et  de  Gellivara  dont  les 
minerais  s'exportent,  soit  par  Lulea  sur  la  Baltique,  soit  par  Nar- 
vik  sur  la  côte  norvégienne  de  l'Atlantique. 

Le  commerce  extérieur  atteignait,  en  1913,1e  total  de 
1  665  000000  de  couronnes.  Il  s'est  élevé  en  1 920  jusqu'à 
5  70 1  000000  de  couronnes.  La  Suède  vend  surt  .ut  du 
bois  sous  toutes  ses  formes  :  bois  brut,  pâte  à  papier,  pa- 
pier, etc.  (831  000000  de  couronnes),  des  minerais  et 
métaux  (353  000000),  des  animaux  vivants,  du  beurre  et 
du  fromage  (66000000).  Elle  achète  des  denrées 
alimentaires  :  céréales,  café,  sucre,  de  la  houille,  des 
matières  premières  pour  ses  industries  textiles,  et  des 
objets  fabriqués.  L'importance  de  sa  flotte  commerciale 
lui  permet  de  louer,  comme  la  Norvège,  une  partie  de 
ses  navires  aux  armateurs  étrangers.  Le  profit  qu'elle 
retire  de  ces  affrètements,  les  sommes  d'argent  envoyées 
par  ses  émigrants  comblent  le  déficit  produit  par  l'excédent 
de  sesachats,  3395000000  de  couronnes,  sur  le  chiffre  de 
ses  ventes,  2306000000  de  couronnes.  De  plus,  la  Suède 
a  su,  comme  la  Norvège,  attirer  chez  elle  les  touristes  qui 
commencent  d'être  pour  le  pays  une  source  de  profits. 

RÉPARTITION  DE  LA  POPULATION. 
LES  VILLES.  ^^  La  Suède  est  peuplée  de 
5  560  000  habitants,  soit  1 3  au  kilomètre  carré.  L'accrois- 
sement de  la  population  est  lent,  malgré  la  faible  morta- 
lité. Le  taux  de  la  natalité,  en  effet  (24,7  pour  I  000  ha- 
bitants), ne  dépasse  la  moyenne  française  (  1 9  pour  1  000) 
que  de  quelques  unités,  et  l'émigration,  du  reste  en  dé- 
croissance, enlève  chaque  année  au  pays  20  000  à  25  000 
de  ses  enfants  (40000  en  moyenne  vers  1890). 

La  Suède  possède  97  agglomérations  qualifiées  léga- 
lement du  titre  de  "  ville  ".  Mais  7  seulement  ren- 
ferment plus  de  30000  habitants,  et  la  plupart  des  autres 
ne  sont  que  des  bourgades.  La  grande  majorité  de  la 
population  habite  des  villages  et  la  dispersion  en  fermes 
isolées  est  beaucoup  plus  rare  qu'en  Norvège.  Les 
maisons,  construites  en  buis  dans  les  pays  forestiers  du 
Norrlémd  et  du  Svealand,  sont  peintes  en  rouge  avec  des 
ouvertures  blanches.  Dans  le  Sud,  prévaut  l'usage  de  la 
pierre. 

La  répartition  de  la  population  est  extrêmement  iné- 


gale. La  Laponie  suédoise,  les  pentes  boisées  des  monts 
Xiôlen  sont  presque  vides  d'hommes.  Seule  l'exploita- 
tion des  mines  de  fer  amena  la  création  de  deux  centres 
urbains,  à  Gellivara  (5  000  habitants)  et  Kirunavara 
(7  000  habitants).  Dans  le  Norriand,  c'est-à-dire  la 
région  qui  s'étend  au  Nord  du  62"  latitude,  l'intérieur 
ne  renferme  que  quelques  bourgades,  placées  aux  rives 
des  torrents,  aux  débouchés  des  lacs,  et  où  vivent  des 
Lapons,  des  Finnois,  un  petit  nombre  de  Suédois  qui 
s  occupent  surtout  de  l'abatagedes  bois.  Mais  la  côte. sur 
une  largeur  de  30  à  50  kilomètres,  est  déjà  plus  peuplée. 
La  présence  d'alluvions  inarines  recouvrant  les  dépôts 
morainiques  permet  la  culture  de  l'orge,  du  seigle,  et  l'éle- 
vage des  bêtes  à  cornes.  De  plus,  tous  les  fleuves  qui 
dévalent  des  monts  Kiôlen  charrient  les  bois  flottés. 

Aussi,  à  chaque  embouchure  se  loge  une  petite  ville 
où  I  on  apprête  et  d'où  l'on  exporte  les  produits  des  forêts  : 
Haparanda,  célèbre  par  son  obser\'atoire,  Lulea  (10000 
habitants),  d'où  partent  non  seulement  des  planches  et 
des  madriers,  mais  aussi  les  minerais  de  fer  de  Gellivara  ; 
Unica  (5000  habitants),  Hernôsand  (10000  habitants), 
Sundswall  { 1 7  000  habitants),  etc.  Ces  régions  du  Norr- 
iand, longtemps  ignorées  des  Suédois  eux-mêmes,  attirent 
de  plus  en  plus  leur  attention.  On  s'est  aperçu  que  leurs 
ressources  naturelles  (minerai,  bois,  agriculture  et  éle- 
vage), sont  beaucoup  plus  considérables  qu'on  ne  le 
supposait,  et  une  véritable  colonisation  intérieure  y  en- 
traîne peu  à  peu  une  partie  des  émigrants  qui  se  diri- 
geaient autrefois  vers  les  pays  d'outre-mer. 

La  Suède  centrale,  ou  région  des  lacs,  groupe  la  ma- 
jeure partie  des  habitants  du  royaume,  grâce  à  la  fertilité 
de  sjn  sol  (65  pour  100  de  la  superficie  totale  est  mise 
en  cultures),  à  la  facilité  des  communications  par  eau  et 
par  terre,  à  l'exploitation  des  mines  (fer  et  cuivre),  à 
1  abondance  des  chutes  d'eau  qui  favorise  l'industrie. 
Stockholm  (415000  habitants),  la  capitale  du  royaume, 
est  joliment  située  au  débouché  du  lac  Malar  ;  on  l'appelle 
la  Venise  de  la  Baltique  ",  car  ses  maisons,  ses  beaux 
jardins,  se  dispersent  sur  un  grand  nombre  d'iles  et  les 
blanches  façades  de  ses  palais  se  mirent  dans  les  eaux 
calmes.  Au  Nord  de  Stockholm,  la  vieille  et  paisible  cité 
universitaire  d'Upsal  (28  000  habitants)  est  groupée  sur 
une  colline  que  surmonte  une  belle  cathédrale  ogivale, 
construite  au  XI 11'  siècle  par  un  architecte  français.  C'est 
la  mélropole  religieuse  et  intellectuelle  du  royaume. 

Falun  (12000  habitants),  connue  par  ses  mines  de 
cuivre,  a  pour  pjrt  Galle  (37  000  habitants),  sur  la  Bal- 
tique. A  l'intérieur.  Norrkfiping  (53000  habi  ants)  tisse 
la  laine.  Oerebro  (35000  habitants)  est  au  centre  d'un 
riche  bassin  métallifère;  Eskisiluna  (30000  habitants) 
fabrique  de  la  coutellerie  et  des  ouiils  en  acier;  lônkSping 
(27  000  habitants),  des  allumettes;  Boras  (27000  habi- 
tants), des  toiles  de  lin  et  de  coton. 


49 


L'EUROPE 


Sur  la  côte  occidentale.  Gôteborg  ou  Gothembourg 
(200  000  habitants) ,  est  la  seconde  ville  et  le  premier  port 
de  la. Suède,  en  relations  aisées  avecl'intérieur  et  même  la 
Baltique  par  plusieurs  voies  ferrées  et  le  canal  de  Gothie. 

Enfin,  au  sud  du  plateau  tourbeux  et  presque  inhabité 
du  Smâland,  la  riche  province  de  Scanie,  très  peuplée, 
presque  entièrement  couverte  de  cultures,  et  qui  contient 
les  seuls  gisements  houiliers  du  royaume,  a  comme  débou- 
ché les  ports  et  cités  industrielles  de  Helsingborg 
(45  000  habitants),  Malmoë  (1  1  1  000  habitants)  etTrel- 
leborg  (lOOOJ  habitants),  tandis  qu'à  l'intérieur,  Lund 


(22  000  habitants),  qui  possède  la  seconde  Université  du 
royaume,  dort  dans  un  cadre  de  verdure. 

LES  ILES  DE  GOTHLAND  ET  OELAND.  0  0  K\i 
Suède  centrale  se  rattachent  les  deux  îles  de  Gothland  et  d'Oeland. 
Leur  sol,  formé  de  calcaires,  est  généralement  fertile  et  se  prêle 
aussi  bien  à  l'agriculture  qu'à  l'élevage.  Gothland  nourrit 
55.000  habitants  et  Oeland  25.000.  Gothland  eut  même,  au 
Moyen  Age,  une  importance  commerciale  considérable,  car  elle 
servait  à  la  Hanse  Germanique  d'entrepôt  pour  les  marchandises 
venues  de  Russie.  Sa  petite  capitale  Visby  conserv-e.  en  souvenir 
de  ce  brillant  passé,  une  ceinture  de  remparts  qui  est  un  bon  spé- 
cimen de  l'architecture  militaire  du  XllI®  siècle. 


CHAPITRE  IV 


LE   DANEMARK 


GENERALITES 


Le  Royaume  de  Danemark  complète  la  série  des 
Etats  Scandinaves.  Il  est  habité  par  des  populations  de 
même  race,  de  même  origme,  de  même  caractère  que 
la  Suède  et  la  Norvège. 

Parmi  les  fameux  Vikings  ou  pirates  normands  qui  dévaslèrent 
entre  le  VUI^  et  le  X®  sièc'e  les  côtes  d'Angleterre  et  de  France, 
les  gens  du  Jutland  et  des  Iles  Danoises  rivalisaient  d'ardeur 
aventureuse  avec  leurs  compatriotes  des  fjords  norvégiens.  Plus 
tdrd,  les  rois  danois  devenus  maîtres  de  toute  la  péninsule  Scan- 
dinave, des  Iles  Fâroër,  de  l'Llande,  du  Groenland,  pouvant  à 
leur  gré  barrer  les  détroits  (Sund,  Grand  et  Petit  Belt)  qui 
mènent  de  !a  Mer  du  Nord  à  la  Baltique,  jouèrent  un  rôle  pré- 
pondérant dans  l'Europe  boréale.  La  Suède  leur  échappa  la  pre- 
mière dès  le  XVl^  siècle.  En  1815,  pour  punir  le  Danemark  de 
son    attachement   inébranlable    à    la   cause     de    la    France    napo- 


léonienne, le  Congrès  de  Vienne  lui  enleva  la  Norvège.  En 
1864,  la  Prusse  et  l'Autriche  lui  arrachèrent  les  duchés  de 
Schleswig,  de  Holstein,  de  Lauenbourg  que  la  Prusse  conserva 
pour  elle  seule  après  Sadowa.  La  construction  du  canal  de  Kiel 
annula  en  partie,  au  profit  exclusif  de  l'Allemagne,  les  avantages 
que  le  Danemark  relirait  du  trafic  des  Détroits.  Aînsï  mutilé,  se 
trouvant  par  sa  position  même  à  la  merci  d'une  Allemagne  toute- 
puissante,  le  Danemark  sut  néanmoins  faire  preuve  d'une  admirable 
vitalité  qui  se  traduisit,  pendant  cinquante  ans,  par  un  développe- 
ment économique  proportionnellement  supérieur  à  celui  de  tout 
autre  Etat  européen,  par  un  remarquable  accroissement  de  la 
population,  par  l'acquisition  d'un  bien-être  matériel  que  pourraient 
lui  envier  les  plus  riches  parmi  les  grandes  nations. 

La  victoire  de  l'Entente,  à  laquelle  il  ne  put,  du  reste,  colla- 
borer, a  récompensé  la  constance  de  ses  efforts  en  lui  permettant  de 
rentrer  en  possession  de  la  partie  du  Schleswig  habitée  par  des 
Danois. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


LE  RELIEF  DU  JUTLAND  ET  DE  L'AR- 
CHIPEL. J0 £}  Le  Danemark  comprend  :  1"  Une 
région  continentale  :  la  presqu'île  du  Jutland  ou  Jyliand 
d'ancienne  péninsule  Cimbnque),  prolongement  septen- 
trionej  des  plaines  allemandes  du  Nord  ; 

2°  Une  région  insulaire  formée  de  92  îles  dont  les 
plus  grandes  :  Alsen,  Fionie,  Seeland,  Laaland, 
Falster,  Moën,  etc.,  unissent,  comme  un  pont  naturel. 
l'Europe  centrale  à  la  presqu'île  Scandinave.  Ces  îles  sont 
isolées  les  unes  des  autres  ou  séparées  du  Con'.inent  par 
des  détroits,  d'origine  très  récente,  puisque  leur  création 
définitive  est  postérieure  à  la  fusion  des  masses  de  glaces 
qui,  venues  des  hautes  terres  norvégiennes,  recou- 
vrirent le  Danemark  entier.  Les  plus  importants  de  ces 
passages  sont  le  Petit  Belt,  entre  le  Jutland  et  Fionie 
(650  mèlres  au  point    le  plus   étroit),  le  Grand    Belt, 


entre  Fionie  et  Seeland  (large  de  18  à  30  kilomètres),  et 
surtout  le  Sund,  entre  Seeland  et  la  Scanie  Suédoise 
(45C0  mètres  de  large  au  goulet  d'Elseneur).  Très  peu 
profonds  (de  10  à  50  mètres),  il  leur  ai  rive,  pendant  les 
hivers  rigoureux,  d'être  entièrement  pris  par  les  glaces, 
grâce  à  la  faiblesse  des  marées  et  à  la  petite  proportion  de 
sel  contenue  dans  les  eaux  de  la  Baltique. 

Le  Danemark  est,  avec  la  Hollande,  le  pays  européen 
dont  l'altitude  moyenne  est  la  plus  faible.  Si  le  niveau 
de  l'Océan  s'élevait  dune  trentaine  ds  mètres,  la  moitié 
du  royaume  disparaîtrait  sous  les  eaux.  Le  sous-sol  est 
formé  d'assises  calcaires  rabotées  et  aplanies  par  les 
glaciers  Scandinaves,  mais  qui  n  apparaissent  au  jour 
qu'en  quelques  points  du  littoral  (falaises  de  1  île  de  Moën, 
par  exemple).  Partout  ailleurs,  en  effet,  les  moraines, 
charriées  par  les  glaciers  et  laissées  en  place  après  leur 


50 


LE  DANEMARK 


fusion,  ont  recouvert  le  territoire  danois  d'une  couche  de 
boues,  de  sables,  de  blocs  erratiques,  dont  l'e'paisseur 
at.eint  jusqu'à!  75  mètres.  Parfois,  surtout  dans  les  lies, 
ces  dépôts  morainiques,  remanies  par  les  eaux  courantes, 
se  sont  largement  e'talés  en  plaines  uniformes.  Ailleurs. 
des  moraines  plus  e'paisses,  plus  conside'rables,  ont  mieux 
résisté  à  l'érosion.  Elles  apparaissent  aujourd  hui  sous  la 
forme  de  collines  arrondies,  divisées  en  petits  groupes  par 
les  vallées  fluviales,  et  qui  constituent  les  seuls  accidents 
topographiques  notables  du  Danemark,  Le  Jutland,  où 
ces  collines  sont  parliculièrement  nombreuses,  entre 
Veile  et  Viborg,  leur  doit  quelque  variété,  et  même  un 
certain  pittoresque,  qu'accentuent  les  petits  lac»  nichés 
au  creux  des  cirques,  les  landes  de  bruyères,  les  hètraies 
qui  couvrent  leurs  flancs. 

A  l'Ouest  d'Horsens  et  d'Aarhus,  le  Ejerbawnehoj . 
point  culminant  du  Danemark,  atteint  1 74  mètres,  et  le 
Himmelbjerg,  le  mont  du  ciel  ",  163  mètres.  Dans 
Fionie  et  Seeland,  les  collines  les  plus  élevées  ne 
dépassent  pas  1 30  mètres.  Elles  forment  des  observa- 
toires naturels  d'où  la  vue  embrasse  une  vaste  étendue 
de  plames  mollement  ondulées,  où  les  prairies,  les 
champs,  les  bouquets  d'arbres  alternent  comme  dans  les 
con'rées  de  l'Angleterre  méridionale.  Pas  de  grands 
horizons,  pas  de  paysages  grandioses,  mais  une 
étonnante  variété  de  sites  et  de  points  de  vue,  bois  soli- 
taires ombragés  par  les  larges  rameaux  des  chênes  et  les 
branches  flottantes  des  saules,  vastes  pelouses  vertes  et 
fleuries, champs  debléqu'un fermier  de  laBeauceenvierait, 
forêts  de  hêtres  les  plus  magnifiques  du  monde,  habita- 
tions agricoles  avec  leurs  enclos  d'arbres  fruitiers,  leurs 
beaux  attelages,  leurs  murailles  de  briques  et  leurs 
fenêtres  luisantes,  châteaux  édifiés  par  les  nobles  et  les 
rois,  vénérables  églises,  monuments  tumulaires  des 
anciens  âges...  el,  de  tous  côtés,  la  mer.  "  X.  Mar- 
mier.) 

LES  RIVAGES.  00  I.-a  mer,  en  effet,  est  une 
partie  intégrante  du  Danemark,  Elle  le  pénètre  de  se? 
baies  innombrables  que  l'on  appelle  là-bas  des  fjords. 
bien  que  leurs  bas-fonds  vaseux  ne  ressemblent  en  rien 
aux  puissantes  déchirures  des  falaises  norvégiennes.  Ellle 
influe  fortement  sur  son  climat  ;  elle  modifie  sans  cesse  la 
forme  de  ses  rivsiges  soit  en  accumulant  les  sables  des 
dunes  littorales,  soit  en  rongeant  sournoisement,  en  arra- 
chant brutalement,  des  lambeaux  de  ce  rempart  pro- 
tecteur. 

C'est  à  l'Ouest  du  Jutland,  face  à  la  Mer  du  Nord, 
que  la  lutte  entre  la  terre  et  l'eau  se  poursuit  avec  le 
plus  d'âprelé.  Des  rangées  de  dunes,  hautes  de 
30  mètres  en  moyenne,  s'allongent  de  la  rade  d'Esbjerg 
à  la  pointe  de  Skagen.  Des  plantations  de  joncs  et  de 
pins  tâchent  de  fixer  les  sables  mouvants.  Derrière  elles. 


comme  sur  nos  côtes  landaises,  dorment  des  étangs.  Sur 
300  kilomètres,  pas  un  port,  pas  le  moindre  abri.  Les 
navires  fuient  ces  rivages  hostiles,  constamment  battus 
par  les  tempêtes  et  témoins  de  tant  de  naufrages.  Par- 
fois, l'Océan  rompt  le  cordon  des  dunes  littorales. 
.Ainsi  les  îles  Frisonnes  ne  sont  que  des  fragments  déta- 
chés du  Jutland.  Ainsi  la  pointe  septentrionale  de  la 
fircsqu'ile  se  trouva,  en  1825,  transformée  en  île  par 
I  irruption  des  eaux  marines  dans  le  dédale  des  étangs 
intérieurs  (le  Lim  Fjord), 

.Ailleurs,  au  contraire,  utilisant  les  fragments  détachés 
du  continent,  les  vagues  comblent  les  golfes,  édifient  des 
dunes  nouvelles,  de  longues  flèches  de  sable  qui  se  con- 
fondent, de  loin,   avec    les    teintes  arJoisées  des  flots. 

Sur  les  rivages  du  Jutland  oriental  et  dans  les  lies, 
protégées  par  la  péninsule  même  contre  les  assauts 
directs  des  vagues,  la  mer  se  fait  plus  calme,  plus 
accueillante.  Les  dunes  rectilignes  disparaissent,  avanta- 
geusement remplacées  par  les  multiples  dentelures  de 
fjords  aux  rives  plates  où  jusqu'aux  racines  des  grands 
arbres  vient  chuchoter  la  voix  de  l'océan.  Dans  cer- 
taines îles,  comme  à  Laaiand,  le  sol  domine  de  si  peu 
le  niveau  de  la  mer  que  l'on  a  du,  à  l'exemple  des  Pa>s- 
Bas  hollandais,  protéger  par  des  digues  les  côtes  méri- 
dionales. Par  contre,  l'île  de  Moën  dresse  jusqu'à 
135  mètres  de  hauteur  de  blanches  falaises  calcaires 
striées  de  lits  de  galets,  découpées  en  aiguilles,  déchirées 
par  des  ravins  boisés,  unique  exception  des  plats  rivages 
danois  et,  par  cela  même,  grandement  célèbres. 

LE  CLIMAT.  00  Comme  il  ressort  du  tableau 
suivant,  le  climat  du  Danemark  est  de  type  océanique 
atténué  : 


'                 Swiioa» 

Latitude. 

jj 

Pluio         i 

ai    cenU    ' 
mètre*. 

de 
rtnoie. 

en 
Janvier. 

en 
Juillet. 

Sldsen 

57°*» 
55»23 
55°41 

7»4 
7°5 

0»8 
0°l 
0»l 

IW 
I6»3 
I6°4 

68 
61 
57 

'  Odense 

! 

L'influence  de  la  mer  et  des  vents  d'Ouest  modère  la 
rigueur  de  l'hiver,  adoucit  la  température  des  étés.  Sous 
la  même  latitude  que  Moscou,  Copenhague  a  des  hivers 
analogues  à  ceux  de  Nancy,  des  étés  semblables  à  ceux 
de  Londres.  Ce  type  de  climat  prévaut  dans  l'ensemble 
du  royaume,  mais  est  surtout  accentué  sur  les  rivages 
occidentaux  du  Judand.  Vers  l'Elst,  et  dans  l'intérieur  des 
îles,  l'hiver  est  un  peu  moins  doux  et  les  étés  nettement 
plus  chauds.  L'absence  de  hauts  reliefs  raréfie  les  préci- 
pitations atmosphériques  (60  centimètres  de  pluie  en 
moyenne),   mjus  on  compte  de  cent   cinquante  à  cent 


5! 


L'EUROPE 


soixante  jours  pluvieux.   11  faut  aussi   ne  pas  oublier  la  ment  à  deux  ans  de  distance  un  hiver  très  rude,  qui  gèle 

fre'quence  des  brumes,  la  violence  des  vents  qui  courbent  pendant  deux  mois  les  lacs  et  les  détroits  eux-mêmes, 

uniformément  vers  l'Est  les  cimes  des  arbres,  les  irrégu-  peut  succéder  à  un  hiver  tiède,   mais  dans  le  courant 

larités   enfin    d'un  climat  ou   les   influences  océaniques  d'une  même  année  les  oscillations  de  la  température  sont 

luttent  contre  les  influences  continentales.    Non  seule-  aussi  brusques  que  fréquentes. 

GÉOGRAPHIE  ÉCONOMIQUE 


ÉLEVAGE  ET  AGRICULTURE  ma  Le 
Danemark  se  distingue  fort  avantageusement  de  sa  voisine 
la  Péninsule  Scandinave  par  le  fait  que  les  terrains 
improductifs  :  sables  des  dunes  et  des  collines  (surtout 
dans  le  Jutland),  landes,  tourbières,  étangs,  ne  représen- 
tent que  19  pour  100  de  la  superficie  totale.  Les  forêts, 
très  réduites  et  morcelées  en  futaies  de  peu  d'étendue, 
couvrent  4  pour  100  du  sol.  Tout  le  reste,  soit  77  pour 
100,  est  acquis  à  la  culture  sous  forme  de  champs  de 
céréales  ou  de  prairies.  C'est  là  une  proportion  très 
élevée  et  qui  suffirait  déjà,  seule,  à  nous  faire  pres- 
sentir l'importance  agricole  du  royaume. 

Le  Danemark  est,  en  effet,  essentiellement  un  pays 
d'agriculture  et  d'élevage.  La  grande  industrie,  faute 
de  houille,  de  minerais,  de  chutes  d'eau,  est  à  peu  près 
inexistante.  A  peine  convient-il  de  mentionner  les  fours 
à  ciment  de  Seeland,  la  porcelaine  de  Copenhague,  la 
fabrication  de  la  bière  et  du  sucre  de  betterave  néces- 
saires au  pays.  La  pêche,  même,  malgré  la  situation 
maritime  du  Danemark,  malgré  la  réputation  justifiée 
des  marins  danois,  n'occupe  qu'un  petit  nombre  d  habi- 
tants, notamment  dans  le  Jutland,  et  la  valeur  totale  des 
pêcheries  ne  dépasse  pas  50  000  000  de  couronnes  (la 
couronne  valant  au  pair  1  fr.  39)  par  an. 

Le  Danemark  tout  entier  peut  être  qualifié  d'un  mot  : 
une  ferme  modèle,  une  ferme  qui  produisait,  autrefois, 
surtout  des  céréales  :  blé,  orge,  avoine,  mais  qui,  depuis 
la  concurrence  insoutenable  des  blés  russes  et  américains, 
s'est  orientée  vers  l'élevage  sous  toutes  ses  formes  et  y  a 
merveilleusement  réussi.  Mettant  à  profit  les  avantages 
d'un  climat  humide  et  doux,  d'un  sol  sablonneux  où  les 
plantes  fourragères  croissent  avec  une  magnifique  vigueur, 
le  paysan  a,  depuis  1882,  diminué  de  telle  sorte  la  sur- 
face des  terres  ensemencées  en  céréales  que  le  Danemark 
achète  à  l'étranger  la  majeure  partie  du  blé  dont  il  a 
besoin.  Mais  dans  le  même  temps  la  production  du  bétail 
de  boucherie,  des  animaux  de  basse-cour,  du  beurre, 
des  œufs  augmentait  dans  une  étonnante  propor- 
tion. En  juillet  1920,  on  comptait  en  Danemark 
2300000  bêtes  à  cornes  (surtout  vaches  laitières), 
1000000  de  porcs,  563  000  chevaux,  504000  mou- 
tons, 15  000000  de  poules,  1000000  de  canards, 
1 62  000  oies.  En  1913,  l'exportation  des  animaux  vivants 
représentait  une  valeur  de  69000000  de  couronnes,  et 


la  vente  du  beurre,  des  œufs,  du  lard,  de  la  viande  de 
porc  et  de  bœuf  atteignait  460  000  000  de  couronnes 
(29  000  000  en  1882). 

Une  semblable  prospérité  est  due,  pour  la  plus  grande  part,  aux 
qualités  du  paysan  danois  :  intelligence,  esprit  d'initiative,  téna- 
cité, habileté  à  varier  la  production  suivant  les  exigences  du  mar- 
ché extérieur.  Elle  est  due  aussi  à  sa  culture  intellectuelle  très 
supérieure  à  celle  des  ruraux  d'autres  pays.  Non  seulement  on  ne 
trouve  plus,  en  Danemark,  un  seul  illettré,  mais  la  majeure  partie 
des  enfants  fréquentent  les  écoles  primaires  ou  les  écoles  techniques 
qui  leur  donnent  une  instruction  théorique  et  pratique  dont 
1  esprit  naturellement  sérieux,  pondéré,  du  Danois,  tire  le  meilleur 
profit.  Enfin  ce  paysan  fut  le  premier  en  Europe  à  comprendre  les 
avantages  de  l'association  en  fait  de  produits  agricoles.  Qu'il 
s'agisse  de  la  fabrication  du  beurre,  de  la  récolte  et  de  la  vente 
des  œufs,  de  la  préparation  des  viandes  de  boucherie,  des  achats 
de  machines,  de  matériel  de  beurrerie,  d'engrais,  de  semences,  de 
la  représentation  à  l'étranger,  le  cultivateur  danois  agit  rarement 
seul.  Il  se  groupe  en  coopératives  sagement  dirigées  qui  suppriment 
les  intermédiaires,  traitent  directement  et  par  grandes  quantités 
avec  les  acheteurs  ou  les  fabricants  étranger?,  sont  a  l'affût  de  tout 
perfectionnement  utile  qu'elles  peuvent  expérimenter  sur-le-champ, 
empêchent  les  fraudes,  se  portent  garantes  de  la  qualité  des  pro- 
duits et  donnent  aux  clients  la  certitude  de  n'acheter  que  des 
denrées  de  choix.  Leî  chiffres  cités  plus  haut  prouvent  éloquem- 
ment  la  grandeur  des  résultats  obtenus.  Du  reste,  le  Danemark 
a  fait  école.  La  Suède  et  la  Norvège  ont  leurs  "  fruitières 
conçues  sur  le  modèle  des  beurreries  danoises,  et  même  en  France, 
malgré  l'esprit  particulariste  et  routinier  de  nos  paysans,  on 
commence  —  notamment  dans  les  beurreries  coopératives  de  la 
Charente  —  à  appliquer  un  système  d'où  dépend  dans  une  large 
mesure  l'avenir  agricole  de  notre  pays. 

LE  COMMERCE.  £}£>  Le  commerce  total  du 
Danemark  atteignait  en  1913:  1  580000000  de  cou- 
ronnes, soit  780  francs  environ  par  tête  d'habitant,  pro- 
portion deux  fois  plus  élevée  qu'en  France.  Les  ventes 
et  les  achats  s'équilibraient.  En  1920,  ce  commerce  s'est 
élevé,  d'après  les  statistiques  anglaises,  à  4563  000  000 
de  couronnes  dont  2  974  000  000  pour  les  achats  et 
1  589  000  000  seulement  pour  les  ventes. 

Les  exportations  consistent  à  peu  près  uniquement  en 
beune,  œufs,  lards,  viande  et  animaux  vivants.  Aux 
importations,  les  céréales,  la  houille,  les  textiles,  les 
objets  fabriqués  en  métal  et  en  bois,  les  produits  colo- 
niaux se  suivent  dans  cet  ordre.  L'Angleterre  absorbait 
a  elle  seule,  en  1913,  la  moitié  des  produits  danois 
(410000000  de  couronnes).  En  1920,  elle  en  a  pris  un 


52 


LE  DANEMARK 


LES  LANDES  DU  JUTLAND.  La  uction  onaitale  de  la  praou'iU  <fa  Jut- 
land.  couverte  d'un  mélange  d'argile,  de  marne  et  de  tables  d'origine  morainique, 
a  tme  grande  fertilité  naturelle  et  contient  aux  prairies  non  moiru  qu  aux  champs 
de    céréales.    L'Cuesl   rappelle,  au   contraire,   nos  landes  gasconnes  par  les  plaques 


d'  •  alios  *  imperrrtéaUe  (sable  mélangé  d'oxyde  de  fer)  qui  se  maintiermait  encore 
sur  de  vastes  espaces  et  ne  portent  que  des  fourrés  de  bruyères  ou  de  maigres  gra- 
minées. Toutefois,  une  partie  de  ces  landes  a  été  déjà  amendée  et  transfoTmée,  soit 
en  pâturages,  soit  en  forêts  de  pins. 


PÊCHEURS  DE  LA  C01"E  ORIENTALE  DE  BORNHOLM.  L>U  de  Bom- 
holm  n'est  qu'un  fragment  détaché  de  la  Suède.  Elle  se  compose,  comme  la  presqu'ile 
Scandinave,  de  rocftei  anciennes  :  grès,  schistes  et  granits.  Peu  fertile,  en  partie  cou- 
verte de  bois,  elle  n'a  fKU  les  ressources  agricoles  et  pastorales  des  autres  iles  dartoises. 


Aussi  ses  habitants  —  à  l'encontre  de  leurs  compatriotes  —  se  livrent-ils  en  grand 
nombre  à  la  pêche.  Ils  capturent  dans  les  eaux  de  la  mer  Baltique  des  harengs  et  des 
saurrtons  qu'ils  transportent  à  SwirtemOnde  d'où  on  le»  expédie  sut  les  îmarcftés 
allemands. 


53 


L'EUROPE 


UN   VILLAGE   EN  FIONIE.    Us    Ucs    danoises    sont 

comme  une  immense  prairie,  coupée  de  touquets  de  bois,  où 

un  peuple  de  paysans-pTOpriélaires  vil  dispersé  en  nombreux 

hameaux  el  fermes  rustiques,  mais  propres  et  conJorlaUes. 


COPENHAGUE  ;  L'ÉGLISE 

SAINT-ALBAN  étend  l'ombre  de 
son  haut  clocher  sur  ia  vieille  citadelle 
de  Frederikshavn.  CL  W.  Trydes. 


CHAMBRES    FRIGORIFIQUES.    U    Danemark    doit 

sa  prespérilé  économique  au  développement  de  l'élevage  in- 

teniif  et  aux  soins  que  l  on  apporte  à  la  préparation  et  à 

l'expédilion  de  ses  produits  :  Leurre    a:ufs,  viande. 


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BASSIN  ET  DOUANE  D'ESBJERG.  Sur  {a  côte  orientale  du  Jutland.  découpée 
et  abritée,  les  ports  sont  nombreux.  Par  contre,  les  rivages  de!  Ouest  sablonneux  et 
plats,  n'ont  qu'une  seule  rade.  Esijerg,  aménagée  aTtificiellement  pour  l'expédition 
des  produits  danois  destines  au  marché  anglais. 


COPENHAGUE.  La  capitale  danoise  a  grandi  à  partir  du  XII  "^  siècle,  dans  une 
situation  maritime  d'exceptionnelle  importance,  sur  le  détroit  du  Sund.  Elle 
commande  ainsi  le  passage  de  la  Mer  du  Nord  à  la  Baltique.  C'est  une  belle  ville 
avec  de  larges  avenues,  de  nombreux  parcs,  des  quais  animés.  Cl,  Rudal^x. 


ISL'-vNDE  :  LE  SEYDiSFJORD.  U  grande  île  d'Islande.sise  entre  le  Groenland 
ef  la  Sc-^ndinavis,  aux  c?wà  du  Cer-.le  polaire,  est  entièrement  constituée  de  roches 
tcifûniçuM  aneiermcs  ou  récenta,  dont  les  couches  épaisses  forment  de  vastes  plateaux 
i^ominù  t^  el  Vu  par  î^s  cônes  do,  volcans.  Sur  les  côtes  du  Nord  el  de  l'Est,  ces  plateaux 

54 


tombent  enpenles  roides  vers  l'océan,  et  leurs  rives  s'indaitent  de  fjords  analogues  aux 
fjords  norvégiens.  La  seule  végétation  de  ces  l^eux  désolés  consiste  en  chétives  bruyères 
en  mousses  et  lichens.  La  population  vit  uniquement  sur  la  cote,  dispersée  en  petits 
hameaux,  et  se  livre  à  la  pêche  de  la  morue.  CL  PlERRE  PlOBB. 


LE  DANEMARK 


peu  plus  du  tiers  (363000000  de  couronnes).  Le  reste 
va  à  l'Allemagne,  à  la  Suède  et  à  la  Norvège,  aux 
pays  russes,  etc. 

Le  principal  fournisseur  du  Danemai'k  a  toujours 
été  l'Allemagne  qui  lui  donne  la  houille  et  la 
majeure  partie  des  objets  fabriqués.  L'Angleterre  vient 
en  second  lieu,  puis  la  Suède,  les  Etats-Unis,  la 
France,  etc. 

Les    rapports    commerciaux    avec    l'étranger     sont 

!  assurés  d'abord  par  une  flotte  commerçante  comprenant 
3638  navires  (les  4  3  à  vapeur  jaugeant  562000  ton- 
neaux). Ce  sont  là  des  chiffres  relativement  très  supérieurs 
à  ceux  que  nous  obtenons  en  France.  Aussi  le  Danemark 
se  charge-t-il,  non  seulement  d  assurer  sous  son  propre 
pavillon  le  transport  de  toutes  ses  marchandises,  mais 
encore,  à  l'exemple  de  la  Norvège  et  de  la  Suède,  peut-il 
louer  aux  armateurs  étrangers  bon  nombre  de  ses  navires. 
Le  profit  qu'il  retire  de  ses  affrètements  compense 
en  partie  l'infériorité  de  ses  ventes  comparées  à  ses 
achals. 

De  plus,  son  réseau  ferré  (3  445  kilomètres)  complète 
avantageusement  les  transports  par  voie  d'eau.  De  Ham- 
bourg et  de  Berlin,  des  lignes  directes  gagnent  les  iles 
danoises  et  la  Suède  soit  par  le  Jutland,  Fredericia  et 
Fionie,  soit  par  WeimemOnde  (près  Rostock)  et  Falster. 
Les  trains  franchissent  les  détroits  sur  des  ferry-boats,  et 

^      l'on  peut,  sans   transbordements  ennuyeux  et  coûteux. 


se  rendre  de  Cologne  ou  de  Mumch  à  Copenhague 
Stockholm  et  Christiania. 


GEOGRAPHIE  POLITIQUE 


DENSITÉ  ET  RÉPARTITION  DE  LA 
POPULATION,  aa  D'après  le  recensement  de 
février  1 92 1 ,  la  superficie  du  Danemark  —  y  compris 
le  territoire  du  Schleswig —  est  de  42919  kilomètres 
carrés,  et  sa  population  s  élève  à  3268000  habitants,  ce 
qui  donne  une  densité  de  76  habitants  au  kilomètre  carré, 
légèrement  supérieure  à  celle  de  la  France. 

L'archipel  renferme  la  majeure  partie  des  Danois 
(146  habitants  au  kilomètre  carré  dans  Fionie.  90  dams 
Seeland).  Tout  le  Jutland  occidental  au  contraire,  pays 
de  landes  et  de  tourbières  infertiles,  ne  compte  guère  en 
moyenne  plus  de  30  habitants  au  kilomètre  carré. 

L'accroissement  décennal  (12,5  pour  100)  est  plus 
élevé  qu'en  Norvège  et  en  Suède.  La  mortalité,  en  effet, 
n'y  est  pas  plus  forte,  grâce  à  la  setlubnté  du  climat  et 
surtout  aux  habitudes  d'hygiène,  et  le  Danemark  est.  avec 
les  deux  autres  Etats  Scandinaves,  le  pays  d'Europe  où  l'on 
vit  le  plus  vieux.  Mais  le  taux  de  la  natalité  danoise 
dépasse  largement  celui  de  la  grande  péninsule  voisine. 
et  l'excédent  régulier  des  naissances  sur  les  décès  peui 
permettie  au  royaume,  non  seulement  d  augmenter 
normalement  chaque  année  le  chiffre  de  sa  population. 


mais  aussi  d'envoyer  a  l'étranger,  aux  Etats-Unis  surtout' 
8000  émigrants  doués  des  mêmes  qualités  et  aussi 
recherchés  par  les  patrons  américains  que  les  Norvégiens 
ou  les  Suédois. 

Comme  les  aulres  Scandinaves,  le  Danois  esl  généralemenl  de 
laille  élevée  ;  il  a  la  peau  très  blanche,  le»  yeux  bleus,  le»  che- 
veux blonds  tirant  sur  le  roux,  Lei  3/5  des  gens  vivent  à  la  cam- 
pagne. Ce  sont  de  pelils  propriéuires  paysans,  très  attachés  à  leur 
sol,  relativement  très  instruits,  ennemis  de  la  routine,  travailleurs 
tenaces,  mais  (rancs  et  gais,  hospitaliers,  aimant  leurs  aises.  Le» 
ferme»  danoises,  bàlies  en  briques  claires,  souvent  ombragées  de 
quelque»  beaux  arbres,  ont  un  aspect  riant  et  propre  que  ne 
dément  point  le  réel  confortable  des  appartements  intérieurs.  Du 
reste,  l'influence  des  coopératives,  soucieuses  d'éviter  les  épizooties 
et  d'obtenir  des  produit»  de  qualité  parfaite,  a  conduit  le  paysan 
à  prendre  de  ses  étabics,  de  ses  animaux,  un  soin  aussi  grand  que 
de  sa  propre  maison. 

LESV'ILLES.  ^^  Sur  76  agglomérations  qualifiée» 
légalement  de  "  villes",  une  seule,  Copenhague,  mérite  le 
titre  de  grande.  8  autres  comprennent  de  20000  à 
60  (XX)  habitants  :  le  reste  n'est  que  gros  bourgs  ou  villages. 
Copenhague,   la    capitale,   compte  avec  ses    faubourgs 


55 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELS. 


L'EUROPE 


610000  habitants,  soit  le  1,5  delà  population  totale. 
Place'e  dans  l'île  de  Seeland  sur  le  détroit  du  Sund  qu'elle 
commandait,  elle  dut,  de  bonne  heure,  à  cette  situation 
une  importance  commerciale  que  la  création  d  un  port 
franc  a,  depuis  1895,  considérablement  augmentée.  C'est 
le  premier  port  du  royaume  (3  500  000  tonnes)  ;  c'est 
aussi  une  cité  industrielle  (brasseries),  un  centre  intellec- 
tuel et  artistique  aux  riches  musées,  aux  nombreuses 
sociétés  savantes.  La  ville,  par  ailleurs  assez  banale,  est 
animée  et  bien  vivante.  Autour  d'elle,  une  campagne 
verdoj'ante,  semée  de  bouquets  de  bois,  de  prairies,  de 
petits  lacs,  lui  compose  un  cadre  charmant  où  s'élèvent 
châteaux  et  villas  (tel  le  château  de  Friedrichsborg, 
résidence  habituelle  de  la  famille  royale). 

Les  autres  cités  noiables  de  Seeland  sont  :  Elseneur 
(13  000  habitants),  bâtie  au  point  le  plus  étroit  du  Sund, 
en  face  de  la  ville  suédoise  d'Helsingborg.  Son  vieux 
château  de  Kronborg,  hérissé  de  clochetons  et  de  tourelles, 
évoque  le  souvenir  d'Hamlet,  car  Shakespeare  y  plaça 
le  théâtre  de  son  drame  ;  Roskilde  (9600  habitants) 
conserve    les   tombes   des  anciens    rois   de    Danemark  ; 


Kërsôr  (7  000  habitants)  est  un  port  d'embarquement 
pour  Fionie  ou  Kiel. 

Odense  (45  000  habitants)  est  la  seule  villeimportante  de 
Fionie.  Au  sud  de  Falster,  Gjedser  est  le  lieu  de  passage 
de  la  ligne  Copenhague-Berlin  par  Warnemiinde. 

Sur  la  côte  orientale  du  Jutland  s'échelonnent,  du  Nord 
au  Sud,  les  ports  de  Frederikshavn,  Aalborg  (40000  ha- 
bitants), à  l'entrée  du  Limfjord,  Randers,  Aarhus 
(70000  habitants),  Horsens (25 000 habitants),  Fredericia, 
où  les  ferry-boats  franchissent  le  Petit  Belt,  Haderslev 
et  Sonderberg  (  1 2  000  habitants),  récemment  acquis  par 
le  Danemark.  Sur  la  côte  occidentale,  Esbjerg  (  1 6  000  ha- 
bitants), seul  mouillage  de  ces  rivages  déshérités,  a  pris 
en  quelques  années  une  considérable  importance  comme 
point  de  départ  des  navires  qui  transportent  en  Angle- 
terre le  beurre,  les  oeufs  et  le  lard  danois. 

Enfin,  un  peu  a  l'écart  de  l'archipel,  l'île  granitique 
de  Bornholm,  relativement  très  peuplée,  et  où  l'agri- 
culture, l'élevage  donnent  d'aussi  bons  résultats  qu'à 
Fionie  ou  Seeland,  a  pour  capitale  la  gracieuse  petite 
ville  de  Rônne. 


LES  ILES    DANOISES    DE    L'ATLANTIQUE    NORD 


Le  Danemark  possédait,  avant  la  guerre,  trois  petites 
Antilles  :  Saint-Thomas,  Saint- Jean  et  Sainte-Croix,  le 
Groenland,  l'Islande,  l'Archipel  des  Fàrôer.  11  a  vendu  aux 
Etals-Unis,  en  1 9 1 6,  ses  colonies  des  Antilles,  et  l' Islande, 
en  1918,  s'est  fait  accorder  une  complète  autonomie.  Le 
Groenland,  que  nous  étudierons  dans  le  chapitre  consacre 
aux  régions  polaires,  et  Its  Fàroer  constituent  présentement 
les  seules  dépendances  immédiates  du  Royaume  danois. 

LES  ILES  FÀROER.  J^/H  L'Archipel  des 
Fârôer  comprend  22  îles  placées  à  300  kilomètres  au 
Nord  de  l'Ecosse.  Formées  de  basaltes,  elles  dressent  au- 
dessus  de  l'Océan  leurs  puissantes  et  sombres  falaises 
qui  supportent  des  plateaux  hauts  de  600  à  800  mètres. 
Le  Gulf-Stream  les  baigne  de  ses  eaux  tièdes  et  leur 
vaut  un  climat  exceptionnellement  doux  :  les  moyennes 
de  janvier  (3°, 5)  sont  d'un  degré  plus  élevé  que  celles 
de  Pciris,  mais  les  étés  (11°  en  moyenne)  sont  sans  cha- 
leur. Il  y  pleut  279  jours  par  an  !  Constamment  envelop- 
pées de  brumes,  battues  par  des  vents  furieux,  elles 
n  en  sont  pas  moins  habitées  par  une  population  très 
vigoureuse,  intelligente,  cultivée,  très  attachée  à  ce  sol 
ingrat  entre  tous.  Les  Fâroyens  (18000  âmes)  vivent 
de  la  pêche,  de  la  chasse  aux  oiseaux  de  mer,  de 
l'élevage  du  mouton.  Le  chef-lieu  est  Thorshavn 
(2  000  habitants). 

L'ISLANDE,  a/a  L'Islande  s'étend  du  63°,30  de 


latitude  Nord  jusqu'au  Cercle  Polaire  sur  une  étendue 
de  100000  kilomètres  carrés  environ  (le  sixième  de  la 
France),  à  300  kilomètres  des  côtes  orientales  du  Groen- 
land, à  500  kilomètres  au  Nord-Ouest  des  îles  Fârôer. 
Elle  repose  sur  un  socle  sous-marin  peu  profond  que 
bordent  au  Nord  et  au  Sud  les  grandes  fosses  de  l'Océan 
Boréal  et  de  l'Atlantique,  et  représente,  avec  les  Fârôer, 
les  Shetlands  et  les  Orcades,  les  seules  parties  encore 
émergées  de  l'ancien  pont  terrestre  qui,  aux  époques 
primaire  et  secondaire,  unissait  l'Europe  a  l'Amérique. 

L'Islande  se  présente  sous  la  forme  d'un  haut  pla- 
teau dont  l'altitude  varie,  suivant  les  régions,  entre  200  et 
800  mètres,  et  que  dominent  çà  et  là  des  pics  isolés 
atteignant  jusqu'à  2  000  mètres.  Sur  les  côtes  du  Nord 
et  de  l'Est,  ces  plateaux  tombent  sur  l'Océan  par  des 
falaises  verticales  qu'indentent  des  fjords  analogues  aux 
fjords  norvégiens.  Au  Sud,  les  alluvions  de  fleuves  courts 
mais  puissants,  nourris  par  les  glaciers,  ont  comblé  les 
anciennes  dentelures  du  rivage  et  ne  cessent  d'accroître 
un  littoral  bas,  indécis,  fait  de  sables  mouvants  et  d'ar- 
giles tremblantes,  inabordable  aux  navires. 

L'île  est  entièrement  constituée  :  1  °  de  roches  volca- 
niques anciennes  :  les  basaltes,  dont  les  couches  épaisses 
de  3  000  mètres  s'épanchèrent  lors  de  l'effondrement  de 
l'Atlantique  Nord  ;  2"  de  roches  volcaniques  récentes  : 
laves,  tufs,  cendres  dues  aux  éruptions  dont  l'Islande  na 
point  cessé  d'être  le  théâtre. 

L'île  renferme  en  effet  un  nombre  considérable  de 


56 


LE  DANEMARK 


volcans.  L'Hecla.  le  Katia,  l'Orafa-Jokull  ne  sont  que 
les  plus  connues  des  bouches  éruptives  qui,  soit  a  1  air 
libre,  soit  sous  les  glaciers,  projettent,  dans  leurs  époques 
de  paroxysme,  de  formidables  masses  de  matières  ignées, 
ou,  par  la  brusque  fusion  des  glaces,  sont  la  cause  de 
débâcles,  d'inondations  boueuses  d'une  étonnante  et  dan- 
gereuse ampleur.  I-a  fréquence  des  tremblements  de 
terre,  l'abondance  des  sources  sulfureuses  et  des  geysers 
sont  en  rapports  directs  avec  l'intensité  du  volcanisme. 

L'Islande  fut  recouverte  autrefois  tout  entière  par 
d'énormes  masses  de  glaces  analogues  à  "  l'inlandsis 
qui  s'étend  aujourd'hui  encore  sur  le  Groenland.  Par- 
tout apparaissent,  sous  forme  de  roches  moutonnées  et 
polies,  de  dépôts  morainiques,  dœsars,  etc.,  les  traces 
de  cette  ancienne  glaciation.  Malgré  la  disparition  de 
cette  épaisse  carapace  cristalline,  glaciers  proprement 
dits  et  névés  couvrent  encore  1/7  de  l'île.  Un  seul 
d'entre  eux,  le  Vatna-Jôkull.  s'étend  sur  8000  kilomètres 
carrés,  superficie  sensiblement  égale  à  celle  de  tous  les 
glaciers  de  l'Europe  réunis. 

Grâce  à  l'influence  des  eaux  tièdes  du  Gulf-Slream. 
le  climat  est  beaucoup  plus  doux,  au  moins  sur  les  côtes, 
qu'on  ne  pourrait  l'attendre  d'une  terre  sise  aussi  près 
du  pôle.  A  l'Ouest  et  au  Sud-Ouest,  l'hiver  n'est  pas 
plus  froid  qu'à  Hambourg  ou  Berlin  !  Mais  les  étés,  très 
frais,  sont  comparables  à  ceux  des  toundras  qui  envi- 
ronnent la  Mer  Blanche.  De  plus,  les  oscillations  des 
courants  polaires  et  des  vents  ont  pour  conséquence 
de  rendre  le  climat  très  variable.  Tandis  que  la  moyenne 
du  mois  de  mars  en  1846  fut  de  -r  4"  5  à  Slykkisholm, 
elle  descendit  à  —  I0"9  en  1866,  soit  un  écart  de  plus 
de  1  3  degrés.  Le  pnntemps  est  la  saison  la  plus  dés- 
agréable de  l'année.  Les  tempêtes  se  succèdent  alors 
avec  une  fréquence,  une  violence  sans  égales.  L'hiver, 
fort  long,  est  rendu  plus  pénible  par  la  longue  durée 
des  nuits  que  par  le  froid.  En  été,  "  le  crépuscule 
rejoint  l'aurore,  et  les  neiges,  éclairées  par-dessus  l'ho- 
rizon, grâce  aux  reflets  du  ciel,  resplendissent  d'une 
lumière  écarlate  :  tout  semble  flamboyer,  les  mon- 
tagnes, les  plateaux,  et  la  plaine  elle-même  ".  Mais,  bien 
plus  souvent,  une  brume  dense  pèse  sur  les  terres  et  les 
mers  ;  comme  aux  Fàroer,  un  jour  clair  est  un  accident. 

Sous  un  pareil  climat  la  végétation  est  naturellement 
fort  pauvre.  Pas  d  arbres,  sauf,  en  quelques  coins  des 
fjords  bien  abrités  et  bien  exposés,  des  buissons  de  bou- 
leaux nains,  des  sorbiers  aux  troncs  moussus  et  tordus. 
Les  régions  basses  se  vêtent  de  landes  oîi  croissent  des 
bruyères  chétives.  quelques  graminées,  des  mousses,  des 
lichens.  Au-dessus  de  400  mètres  d'altitude,  la  roche  est 
entièrement  nue. 

Naguère,  les  Islandais,  comme  les  autres  peuples 
hyperboréens.  ne  connaissaient  d'autre  bois  que  les 
arbres  flottés  apportés  par  les  courants  du  Sud.  ils  en  trou- 


vaient, du  reste,  en  quantité  suffisante  pour  la  fabrication 
de  leurs  meubles,  la  construction  et  le  chauffage  de  leurs 
maisons.  Présentement,  le  combustible  de  leurs  tourbières, 
la  houille  anglaise,  la  sapin  de  Norvège  remplacent  les 
bois  flottés  dans  I  économie  domestique  de  la  contrée. 

C'est  au  ix''  siècle  que  l'Islande  fut  découverte  et 
colonisée  par  les  Norvégiens.  Au  Xl\*  siècle,  le  Dane- 
mark en  prit  possession.  Elle  compte  aujourd  hui 
95  000  habitants  concentrés  sur  les  côtes  où  ils  vivent 
dans  de  petits  hameaux,  des  bourgades  faites  de  maisons 
très  frustes  construites  en  galets  et  en  mo'.tes  de  gazon. 
La  capitale  Rejkiavik  abrite  16000  habitants.  L'inté- 
rieur de  I  île  est  inhabité  et  en  partie  inconnu. 

La  grande  ressource  des  Islandais  est  la  pêche  de  la 
morue,  de  concert  avec  les  marins  français,  anglais, 
danois,  norvégiens,  qu'attire  la  richesse  des  bancs  de  la 
côte  orientale.  Ils  tirent  également  quelques  prolits  de 
I  élevage  du  mouton,  du  poney,  et  cultivent  quelques 
champs  de  pommes  de  terre.  La  vente  des  poissons,  de 
la  laine,  des  peaux  et  cuirs  leur  permet  d'acheter  en 
Europe  les  denrées  alimentaires,  les  vêtements,  les 
outils,  etc.,  dont  ils  ont  besoin. 

L'iîolement  forcé  de  l'Islandais,  les  longues  claustra- 
tions imposées  par  le  climat  lui  ont  donné  des  caractères 
très  originaux.  Vigoureux,  robuste,  vivant  plus  longtemps 
que  tout  autre  Européen  (la  durée  moyenne  de  la  vie 
serait  de  61  ans.  contre  43  en  France!),  il  possède  une 
culture  générale  très  étendue,  acquise  soit  à  l'école,  soit 
par  la  lecture  au  cours  des  longues  soirées  d  hiver  :  il 
n'y  a  point  d'ignorants  en  Islande.  Tout  le  monde  lit  et 
savoure  les  '  Eddas",  les  Sagas",  ces  chants  nationaux 
des  anciens  colons  Scandinaves  dont  les  recueils  se 
sont  transmis  de  générations  en  générations.  Tout  le 
monde  parle  avec  une  remarquable  pureté  une  langue 
qui  ne  s'est  point  altérée  depuis  le  x*  siècle.  Le  nombre 
des  journaux,  des  revues  et  des  livres  qui  se  publient 
dans  le  pays  même,  indépendamment  de  tout  ce  qui 
arrive  de  l'étranger,  est  relativement  plus  élevé  qu'en 
aucun  autre  Etat  du  monde.  Enfin,  tous  les  Islandais 
professent  un  véritable  culte  pour  la  nature  et  un  sen- 
timent de  la  liberté  extraordinairement  développé. 
(D'après  O.  Nordenskjold.) 

C'est  ce  besoin  d'indépendance  qui  les  a  portés  à  ne  plus 
se  contenter  des  très  larges  concessions  politiques  faites  en 
1874  par  le  Danemark,  et  à  obtenir  en  1918,  par  un 
accord  amiable,  leur  complète  autonomie.  L  Islande 
est.  depuis  le  l*"^  décembre  1918.  un  Etat  souverain  se 
gouvernant  lui-même  et  réglant  seul  sa  politique  étran- 
gère. Toutefois,  elle  reconnaît  comme  roi  le  roi  de 
Danemark.  Danois  et  Islandais  jouissent,  dans  les  deux 
pays,  de  droits  civiques  et  politiques  égaux,  et  des 
commissions  mixtes  doivent  résoudre  en  commun  les 
questions  litigieuses. 


57 


L  EUROPE 


CHAPITRE  V 


L'ALLEMAGNE 


GENERALITES 


LES  ORIGINES  DE  L'ALLEMAGNE  CON- 
TEMPORAINE. J0J0  Nous  nommons  Allemagne 
ou  pays  des  Alamans,  et  les  Allemands  appellent 
Deutschland  ou  pays  des  Teutons,  une  région  que 
d  autres  peuples  européens  désignent  plus  exactement 
par  le  terme  de  Germanie  (Germany,  Germania).  Ala- 
mans et  Teutons  n'étaient,  en  effet,  avec  les  Seixons. 
les  Francs,  les  Thuringlens,  etc.,  que  l'une  des  fractions 
nombreuses  dont  l'ensemble  constituait  le  groupe  des 
peuples  germains.  Etablis  entre  le  Rhin  et  l'EJbe,  la 
Mer  du  Nord  et  les  Alpes,  les  Germains  eurent  de 
tout  temps  une  tendance  naturelle  à  déborder  hors  de 
ces  hmites.  L'Empire  romain  les  attira  d'abord  par  ses 
richesses,  l'heureuse  fertilité  de  ses  terres,  la  séduction 
du  del  méditerranéen,  si  différent  du  rude  climat  du 
Nord.  Amsi,  cmq  siècles  après  l'échec  des  Cimbres  et  des 
Teutons  se  produisirent  les  vastes  migrations  de  peuples 
germaniques  connues  sous  le  nom  de  Grandes  Invasions. 
Mais  ceux  des  Germeuns  que  l'esprit  d'aventure  et  la 
soif  du  pillage  entraînèrent  trop  loin  de  leurs  forêts 
natales  se  perdirent  dans  la  masse  des  Latins,  des 
Celtes,  des  Ibères  romanisés.  A  peine  si  les  noms  de 
Bourgogne  (pays  des  Burgondes),  de  France,  d'Anda- 
lousie (pays  des  Vandales),  de  Lombardie,  d'Angle- 
terre rappellent  encore  leur  souvenir.  Ceux  d'entre  eux 
qui  se  fixèrent  à  proximité  du  Rhin  et  du  Danube  con- 
servèrent au  contraire  la  pureté  de  leur  race,  leur 
langue,  leur  civilisation  particulière  :  telles  furent  les 
tribus  germaniques  du  Rhin  inférieur  (Flamands  et 
Frisons),  de  la  basse  Moselle,  des  Alpes  Centrales  et 
Orientales.  Au  cours  des  siècles,  certaines  de  ces  tribus 
entrèrent  dans  des  groupes  politiques  distincts  de  la 
Germanie  et  contribuèrent  à  former  les  nations  belge, 
hollandaise,  suisse.  Les  autres,  d'abord  unies  dans  le 
corps  du  Saint-Empire,  se  divisèrent  au  XIX»  siècle  en 
deux  Etats  distincts  :  Empire  d'Autriche,  Confédération 
Germanique  transformée  en  1871  en  Empire  d'Alle- 
magne. 

Les    Allemands    d'Autriche,    de    concert   avec  les 

Hongrois,    maintinrent  sous  le  joug  les  éléments  slaves. 

'•-vTiauis  et   italiens  qui   composaient  la  masse  princl- 

des  sujets  des  Habsbourgs.  De  leur  côté,  les  Alle- 

^ 58 


mands  d  Allemagne  n'avaient  pas  cessé,  depuis  le 
\  III»  siècle,  de  travailler  à  la  germanisation  des  tribus 
slaves  (Vendes,  Sorabes,  Borusses)  établies  à  l'Est  de 
I  Elbe,  et  avaient,  de  ce  fait,  notablement  accru  l'éten- 
due du  domaine  teuton  en  Brandebourg,  Mecklem- 
bourg,  Poméranie,  Prusse  et  Sllésie. 

A  ce  groupe  compact  de  Germains  de  race  pure  ou  de 
Slaves  complètement  germanisés,  les  annexions  brutales 
des  XVIII*  et  XIX*  siècles  ajoutèrent  :  à  l'Est,  les  Polo- 
nais de  la  Posnanie,  de  la  basse  Vistule,  de  la  Haute- 
Silésie;  au  Nord,  les  Danois  du  Schleswig;  à  l'Ouest, 
ies  Français  de  Lorraine  et  ces  Gallo-Gerftiains  qui. 
sous  le  nom  d'Alsaciens,  étaient  si  Français,  sinon  par 
la  langue,  du  moins  par  leur  histoire,  leur  tempérament 
et  leur  volonté. 

Cela  ne  suffisait  point  encore  à  1  appétit  démesuré  du 
Teuton.  Il  en  étîiit  venu,  au  début  du  XX*  siècle,  à 
considérer  comme  légitime  et  nécessaire  l'annexion, 
sous  une  forme  ou  sous  une  autre,  de  tous  les  territoires 
qui,  à  un  moment  quelconque  de  l'histoire,  avalent 
reçu  des  émigrants  germains  ou  avalent  fait  partie  du 
Saint- Empire.  Le  reste  de  la  Lorraine,  la  Bourgogne, 
même  le  Dauphiné  et  la  Provence,  sans  compter 
l'Italie  du  Nord,  la  Belgique,  la  Hollande,  la  Suisse, 
devaient,  dans  la  pensée  des  pangermanistes.  être  unis 
de  gré  ou  de  force  au  Reich  allemand. 

La  Grcuide  Guerre  a  remis  les  choses  au  point.  Tan- 
disque  s'effondrait  l'Empire  hétéroclite  des  Habsbourgs. 
I  Empire  des  HohenzoUern,  privé  de  ses  sujets  alsaciens- 
lorrains,  danois  et  polonais,  s'est  vu  réduit  aux  limites 
que  lui  traça  non  pas  la  nature,  mais  l'ethnologie.  11  avait, 
en  1914,  une  superficie  de  540  743  kilomètres  carrés 
(4000  de  plus  que  la  France)  et  une  population  de 
68  000000  d'habitants.  Il  ne  couvre  plus  que  450  000 
kilomètres  carrés  environ  et  compte  61  000000  d'habi- 
tants. 11  n'en  demeure  pas  moins,  après  la  Russie  et 
la  France,  le  plus  vaste  des  Etats  européens. 

LE  PEUPLE  ALLEMAND.  —  PARTICU- 
LARISME ET  UNITÉ.  —  QUALITÉS  ET 
DEFAUTS.  ^£f  De  tous  les  groupes  ethniques 
européens  qui,  au  cours  des  siècles,  ont  fini  par  consti- 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE      PL.  5 


L'ALLEMAGNE 


tuer  une  grande  nation,  le  groupe  tudesque  est  celui 
dont  l'habitat  correspond  le  moins  à  ce  que  l'on  est 
convenu  d'appeler  une  re'gion  naturelle. 

Il  n'y  a  point  là.  comme  en  France,  en  ELspiigne. 
en  Italie,  en  Angleterre,  en  Scandinavie,  de  cadre 
géographique  tout  fait  pour  circonscrire  une  race,  mar- 
quer les  bornes  d'un  Etal.  Rien  de  commun,  en  effet, 
entre  les  plaines  monotones  du  Nord  et  les  pays  mou- 
vementés du  Centre  et  du  Sud.  Par  la  vallée  du 
Danube  et  les  couloirs  des  Alpes,  la  Germanie  s'incline, 
au  Sud-Est.  vers  l'Europe  Centrale.  .A  l'Ouest  et  à 
l'Est,  vers  la  France,  la  Belgique,  la  Pologne,  nul 
accident  de  terrain  ne  fixe  une  limite  aux  peuples  tu- 
desques.  Au  centre  même,  le  mélange  de  plaines  sablon- 
neuses dénudées  et  de  vastes  forêts  coupées  de  maré- 
cages, l'alternance  de  massifs  boues  et  de  larges 
dépressions  préparaient  autant  de  cellules  relativement 
isolées  où  chaque  clan  pouvait   vivre  de  sa  vie  propre. 

Ce  manque  d'unité  géographique  explique,  pour 
une  bonne  part,  l'histoire  "  des  Allemagnes  ".  comme 
on  disait  autrefois  chez  nous.  Chaque  fraction  du  ter- 
ritoire germain  eut.  jusqu'au  .XIX*  siècle,  ses  princes  ou 
ses  gouvernements  particuliers,  jouit  en  somme  d'une 
indépendance  complète  sous  la  suzerciineté  purement 
nominale  d'un  empereur,  chef  de  l'Empire  romain  ger- 
manique. L'unité  allemande  se  fit,  non  pas  comme  en 
France,  en  Espagne,  en  Italie,  par  le  simple  jeu  des 
lois  naturelles  et  le  libre  consentement  des  peuples, 
mais,  suivant  le  mot  de  Bismarck,  "  par  le  fer  et  par  le 
feu  ".  Elle  se  fit  au  profit  d'un  des  Etats  allemands,  la 
Prusse,  malgré  la  longue  opposition  des  autres. 

Toutefois,  si  l'.AIIemagne  manquait  de  cohésion,  si 
des  habitudes  invétérées  de  particularisme  la  rendirent 
longtemps  réfractaire  à  la  constitution  d'un  Ejnpire 
unique,  si  l'on  peut  relever  entre  Allemands  du  Nord 
et  du  Sud,  de  l'Elst  et  de  l'Ouest,  de  notables  différences 
dans  le  type  physique,  le  caractère,  les  mœurs,  la 
tournure  d'esprit,  les  dialectes  (Platf-Deutsch  ou  bas- 
allemand  du  Nord.  Hoch-Deutsch  ou  haut-allemand 
du  Sud),  la  religion  même  (protestante  dans  les  plaines 
septentrionales,  catholique  dans  les  vallées  et  les  pla- 
teaux méridionaux),  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
d'autres  éléments  contre-balançaient  efficacement  ces 
causes  de  division.  Par  la  langue,  par  les  traditions 
historiques,  la  communauté  des  goûts  et  des  aptitudes. 
Prussiens.  Bavarois.  Saxons.  Hessois.  Hanovnens.  etc.. 
sont  faits  pour  s'entendre  entre  eux  et  former  bloc  contre 
tout  ce  qui  n  est  pas  teuton.  Un  Brandebourgeois  et  un 
Badois  diffèrent  l'un  de  l'autre  infiniment  moins  qu'un 
Provençal  d'un  Lorrain,  un  Breton  d'un  Gascon.  Ils 
peuvent,  mutuellement,  se  prodiguer  ces  brocards,  ces 
plaisanteries  traditionnelles  qui  sont  d'usage  entre  voi- 
sins.   Mais  il   convient   de  n'attacher  qu  une  bien  petite 


importance  à  ces  manifestations  plus  ou  moins  spiri- 
tuelles du  '  Witz  ".  de  l'humour  germain.  Défait, 
d  un  bout  à  l'autre  du  Reich.  ils  apparaissent  avec  les 
mêmes  qualités  et  les  mêmes  défauts. 

Tout  le  mondereconnaît  leur  ardeur  au  travail,  leuréncr- 


..-*.*v       '  Aiutuci* 


Habitante  au  kma         .  Hahilunl.l  iinUinq 

^  «/<-5tfd  wa       REPARTITION   DE      j,/u.m.  Je  zoo  ^^ 
LA  POPULATION 

*  fîftrA.    Jr filu.i-  t'e  .'tu-  et'*'  lui liantv  Kiclo 


^ 


i^OSS 


^ 


gie  patiente,  leur  patriotisme,  leur  courage,  leur  sens  de 
la  discipline,  le  parti  qu'ils  surent  tirer  de  I  esprit  d  asso- 
ciation si  caractéristique  de  leur  race  et  qui  s'oppose  à 
l'individualisme  des  Latins.  Dans  tous  les  domaines.  l'Al- 
lemand s'est  taillé  une  large  place.  On  sait  le  rôle  que  ses 
poètes,  ses  philosophes,  ses  artistes,  ses  savants  ont 
)oué  dans  l'histoire  delà  pensée.  On  sait  mieux  encore  les 
prodigieux  succès  que  lui  valurent  l'ingénieuse  ténacité  de 
ses  industriels,  la  hardiesse  de  ses  commerçants,  soutenus 
dans  leur  oeuvre  par  la  collaboration  consciente  du  peuple 
entier,  par  l'aide  efficace  d'un  gouvernement  dont  les  su- 
jets oubliaient  volontiers  le  despotisme  en  considération 
des  services  rendus  à  la  nation. 

Par  contre,  on  s'accorde,  et  depuis  longtemps,  à  signaler 
lalourdeur,  labrutalitéde  l'Allemand,  son  faux  mysticisme, 
son  sentimentalisme  bête,  sa  goinfrerie,  son  manque  total  de 
tact  et  de  goût,  la  facilité  avec  laquelle  il  passe  de  l'arro- 
gance injuneuse  à  la  platitude  nauséabonde,  sa  tendance 
naturelle  à  l'espionnage,  à  la  délation,  le  peu  de  créance 
que  l'on  doit  avoir  en  ses  promesses,  son  respect  aveugle 
de  la  force.  L'Allemand,  disait  Georges  Herwegh.  aime 
à  servir  "  ;  il  a  besoin  d'un  maître  et  d'une  consigne.  De 
son  maître  il  accepte  tout  (  '  il  semble,  écrivait  H.  Heine, 
se  moquant  de  la  raideur  et  de  la  morgue  prussiennes. 
porter  toujours  en  lui  le  bâton  dont  on  le  rossait  jadis  "  ) 
et.  pour  faire  respecter  la  consigne,  il  est  prêt  à  tout.  Sa 
très  réelle  intelligence,  obnubilée  par  son  orgueil  déme- 


-    59 


L'EUROPE 


sure,  ne  le  met  point  à  l'abri  des  plus  lourdes  erreurs,  lors- 
qu'il s'agit  pour  lui  de  comprendre  la  psychologie  de  ses 
adversaires,  de  mesurer  leur  capacité,  de  deviner  leurs 
desseins,  de  déterminer  même  quels  sont,  en  une  circon- 
stance donnée,  ses  véritables  intérêts.  S'il  a  1  esprit  géo- 
métrique, il  manque  "  d'esprit  de  finesse  ".  Aveuglé- 
ment persuadé  de  la  supériorité  de  sa  race  et  de  sa  Kul- 
tur  ",  se  considérant  volontiers  comme  le  peuple  élu  par 
Dieu  pour  imposer  sa  volonté  au  reste  du  monde,  il  ne 
voit  pas  ce  que  le  simple  bon  sens  devrait  suffire  à  lui  ré- 
véler. Toutel'histoire  de  l'Allemagne  contemporaine,  celte 


guerre  absurde  et  criminelle,  déclenchée  au  moment  même 
oii,  par  le  simple  jeu  des  lois  économiques,  le  Reich  ac- 
quérait pacifiquement  dans  le  monde  entier  une  place  hors 
de  pair,  la  façon  même  dont  il  se  conduit  depuis  la  si- 
gnature de  l'Armistice,  la  mauvaise  foi  dont  il  fait  preuve, 
1  obstination  qu'il  apporte  à  ne  point  reconnaître  sa  dé- 
faite, ses  mensonges  maladroits,  ses  violentes  protesta- 
tions contre  toute  mesure  prise  à  son  égard,  ses  intrigues 
grossières  pour  éluder  l'expiation  légitime  et  semer  la 
discorde  entre  ses  vainqueurs,  illustrent  les  conséquences 
de  ce  défaut  capital  du  Teuton. 


Les   régions   naturelles   de  rAllemagne. 


Les  deux  grandes  régions  naturelles  que  révèle  un 
simple  coup  d'oeil  jeté  sur  la  carte  sont  :  au  Nord  la 
plaine,  au  Sud  les  plateaux  et  les  massifs  montagneux. 
Toutefois,  pour  plus  de  commodité,  on  peut  diviser  l'Al- 
lemagne du  Sud  en  deux  zones  suffisamment  distinctes 
que  sépare  approximativement  le  cours  du  Main.  Nous 
aurons  ainsi  une  Allemagne  centrale  formée  delà  Hesse, 


de  la  Thuringe,  de  la  Saxe,  et  une  Allemagne  méridio- 
nale comprenant  la  Bavière  et  le  Wurtemberg.  D'autre 
part,  les  pays  rhénans  constituent  une  quatrième  région 
qui,  participant  à  la  fois  de  la  montagne  et  de  la  plaine,  a 
cependant  ses  caractères  propres  et  peut  être  envisagée  sé- 
parément. L'histoire  des  pays  allemands  confirme  la  réalité 
de  ces  divisions  fondées  sur  des  données  géographiques. 


Les  Plaines    allemandes  du   Nord 


SABLES.— MARAIS.  — LIMONS.  00  De 
la  frontière  hollandaise  aux  limites  du  nouvel  Etat  polo- 
nais, l'Allemagne  possède  une  partie  considérable  de  la 
grande  zone  de  plaines  qui  commence  en  Flandre  et  se 
termine  à  l'Oural.  Ces  plaines  s'adossent,  par  leur  bordure 
méridionzde,  aux  massifs  anciens  de  l'Europe  centrale  (Ei- 
fel,  Thuringe,  Saxe,  Bohême).  Elles  s'inclinent,  au  Sep- 
tentrion, vers  les  faibles  dépressions  de  la  Baltique  et  de 
la  Mer  du  Nord.  Elles  furent,  autrefois,  recouvertes  en- 
tièrement par  les  glaciers  Scandinaves  qui,  au  moment  de 
leur  fusion,  y  laissèrent  les  masses  d'argile,  de  sable,  de 
cailloux  et  les  blocs  erratiques  de  leurs  moraines  gigantes- 
ques. Ainsi  s  explique  la  topographie  particulière  de  ces 
régions  déprimées. 

Au  Nord,  où  les  glaciers  séjournèrent  plus  longuement, 
la  nature  revêt  l'aspect  typique  des  paysages  morainiques  : 
au  Mecklembourg,  en  Poméranie,  en  Prusse,  les  croupes 
lacustres  de  la  Baltique  se  composent  de  mamelons  sa- 
blonneux, dispersés  sans  ordre,  sans  orientation  définie. 
Des  rivières  incertaines  zigzaguent  entre  leurs  flancs  arrondis 
que  vêtent  des  bruyères  et  des  forêts  de  sapins.  Des  lacs 
par  milliers  miroitent  au  creux  des  sables. 

Au  centre,  les  graviers  des  moraines  furent  étalés  sur 
le  sol  par  les  puissants  cours  d'eau  de  l'époque  glaciaire. 
Ces  ancêtres  de  la  Vistule,  de  l'Oder,  de  l'Elbe,  cent 
fois  plus  abondants  qu'aujourd'hui,  drainaient  toute  la 
plaine  médiane  et  s'unissaient  entre  eux  pour  aboutir  à 
la  Mer  du  Nord  par  l'estuaire  de  l'Elbe.  On  voit  encore. 


nettement  tracés  sur  le  terrain,  les  talus  de  leurs  vastes  veil- 
lées où  se  logent  la  Wartha,  la  Netze,  la  Havel.  Ils  ba- 
layèrent les  monticules  des  moraines  les  plus  anciennes, 
mais,  par  contre,  entassèrent  à  leur  tour  soit  de  longues 
traînées  de  sable,  soit  des  dépôts  épais  d'argile  grasse  ou 
de  fertile  limon.  C'est  l'alternance  de  ces  terrains  divers, 
beaucoup  plus  que  les  accidents  du  sol,  qui  donne  à  la 
plaine  allemande  quelque  variété. 

Les  sables,  qu'ils  soient  d'origine  glaciaire  ou  fluviatile, 
se  distinguent  par  leur  infertilité.  Dans  la  '  Geest  "  (la 
Gâtine)du  Hanovre  et  de  l'Oldenbourg,  sur  leslandesde 
Lunebourg,  entre  Elbe  et  Weser,  comme  sur  les  plateaux 
du  Flàming  au  Sud-Ouest  de  Berlin,  de  maigres  bruyères 
coupées  de  bois  de  pins,  de  bouquets  de  bouleaux,  s'éten- 
dent à  perte  de  vue  sous  le  ciel  triste.  Les  dépressions 
argileuses,  en  retenant  l'eau  de  pluie  à  la  surface  du  sol, 
donnent  ces  marais,  ces  tourbières  (les  Moors)  qui  oc- 
cupent des  surfaces  particulièrement  étendues  aux 
confins  de  la  Hollande  (le  Burtanger  Moor  constitua 
même  une  barrière  infranchissable  à  l'abri  de  laquelle  les 
Germains  de  Néerlande  vécurent  isolés  de  leurs  frères 
orientaux  et  se  créèrent  une  existence  politique  indépen- 
dante), mais  que  l'on  retrouve  un  peu  partout  dans  les 
diverses  provinces  prussiennes. 

Seuls  les  limons  fertiles  des  vcdiées  se  prêtèrent  aisément 
à  la  culture  lorsque  des  travaux  de  drainage,  poursuivis 
pendant  des  siècles,  les  eurent  asséchés. 

Si  peu  productive,  en  effet,  que  soit  encore  la  plaine 


60 


L'ALLEMAGNE 


germanique  conside'rée  dans  son  ensemble,  elle  apparaît 
comme  une  véritable  conquête  de  1  homme  sur  une  nature 
particulièrement  ingrate.  Lorsque  Tacite  nous  décnvait  la 
Germanie,  il  notait  avec  une  sorte  d'effroi  le  contraste  qui 
existait  alors  entre  les  riants  pays  méditerrane'ens,  pleins 
de  lumière  et  de  soleil,  et  ces  terres  sauvages,  vêtues  de 
forêts  immenses,  de  marais  impénétrables,  endormies  sous 
la  neige  et  la  glace  par  la  rigueur  d'un  hiver  redoutable, 
et,  même  en  belle  saison,  ne  reflétant  dans  les  eaux  de 
leurs  lacs  innombrables  que  les  pâles  reflets  d'un  soleil 
voilé  de  nuages.  Le  climat,  certes,  n'a  point  changé.  Si 
le  centre  et  l'Ouest,  encore  soumis  à  l'influence  —  d  ail- 
leurs fortement  atténuée  —  de  l'Océan,  ont  des  hivers  et 
des  étés  semblables  à  ceux  de  Nancy  (Berlin  0°,  1  en 
janvier,  IÇ^.O  en  juillet),  la  Poméranie,  la  Prusse,  la  Si- 
lésie  connaissent  les  longues  froidures  des  pays  continen- 
taux. La  moyenne  de  janvier  à  Kônigsberg,  pourtant  aux 
rives  delà  Baltique,  n'estque  de  —  3°, 3,  et  chaque  hiver, 
rivières,  étangs,  marais  se  cristallisent  plus  ou  moins  com- 
plètement pendant  trois  mois.  Mais  sous  1  énergique  et  te- 
nace impulsion  des  moines  d'abord,  puis  des  seigneurs,  des 
villes  libres,  et  plus  tard  des  princes  de  la  Maison  de 
Hohenzollem,  une  œuvre  formidable  a  étéaccomplie.  Les 
cartes  à  grande  échelle  de  l'Allemagne  du  Nord  révèlent 
fartout  la  trace  de  l'opiniâtre  labeur  qui  défricha  les  fo- 


rêts, draina  et  assécha  les  marais,  colmata  les  étangs,  ré- 
duisit le  domaine  des  tourbières,  amenda  les  sables,  mit 
en  valeur  les  dépôts  alluviaux  des  vallées  et  ces  limons  par- 
ticulièrement fertiles,  d'origine  à  la  fois  éolienne  etfluvieJe 
qui,  sous  le  nom  de  "  Borde  ",  s'allongent  de  Hanovre  à 
Gërlitz.  Partout  le  sol  apparaît,  comme  en  Néerlande,  sil- 
lonné de  stries  parallèles  se  recoupant  avec  régularité  :  ce 
sont  les  canaux  de  drainage  limitant  les  champs  cultivés. 
Frédéric  II  considérait  le  dessèchement  de  1'  Oder 
Bruch  "  (vallée  moyenne  de  l'Oder  en  aval  de  Kustrin) 
comme  l'une  des  œuvres  maîtresses  accomplies  sous  son 
règne.  Combien  d'autres  travaux  de  ce  genre  furent  len- 
tement menés  à  bien  sous  l'habile  direction  d'ingénieurs 
hollandais  spécialisés  de  longue  date  dans  la  conquête 
des  terres  amphibies  !  Certes,  l'œuvre  est  loin  d'être  ache- 
vée. SI  rebelles  se  montrent  en  trop  d'endroits  le  sol  et 
le  climat  que  des  milliers  de  kilomètres  carrés  demeurent 
encore  en  friche,  livrés  aux  marais,  aux  tourbières,  aux  bois 
souffreteux,  aux  landes  monotones,  et  que  la  plaine  alle- 
mande est,  dans  son  ensemble,  la  moins  peuplée,  la  plus 
pauvre  des  régions  germaniques.  La  densité  moyenne 
varie  de  moins  de  23  à  moins  de  50  habitants  au  kilomètre 
carré.  Seules  les  vallées  au  sol  plus  fécond  et  que  favorise 
le  trafic  fluvial  ont  une  densité  supérieure  mais  qui  dépasse 
rarement  75  habitants  au  kilomètre  carré. 


Les  Rivages  de  la  Baltique   et   de  la   Mer  du   Nord.   Les  Fleuves. 


La  plaine  se  termine  sur  la  Mer  du  Nord  et  la  Bal- 
tique (l'Ost  See  ou  Mer  Orientale  des  Allemands)  par 
des  rivages  généralement  bas,  sablonneux,  que  la  nature 
ne  disposait  point  au  développement  d'une  vie  manlime 
intense.  A  l'Ouest  du  Jutland,  la  côte  prolonge  et  rappelle 
de  tous  points  le  littoral  néerlandais.  Même  lutte  con- 
tinue entre  une  mer  sauvage,  constamment  battue  par 
les  tempêtes,  et  la  terre  plate  livrée  sans  défense  aux 
assauts  des  vagues  que  le  vent  du  Nord  mène  à  la 
charge.  Même  cordon  d'îles  (îles  Frisonnes,  Helgoland) 
rongées  chaque  année  un  peu  plus  par  la  morsure  du 
flot  ;  mêmes  golfes  évasés,  sans  profondeur,  sortes  de 
Zuyderzée  de  moindre  taille  (golfes  du  Dollart,  de  la 
Jade,  larges  estuaires  delà  Weser  et  de  l'Elbe),  mêmes 
polders  fertiles,  appelés  ici  "  marschen  ",  qu'il  faut 
défendre  par  des  digues  contre  l'envahissement  des 
eaux. 

Sur  la  Baltique,  les  rivages  du  Holstein  et  du 
Mecklembourg  sont  mieux  articulés.  Des  golfes  étroits, 
les  "  Fôhrden  ",  des  échancrures  aux  contours  irrégu- 
liers, les  "  Bodden  ",  les  entaillent  profondément,  et  les 
falaises  n'y  sont  pas  rares  (les  plus  célèbres  se  dressent 
sur  les  côtes  de  l'île  de  Rùgen).  Mais  à  l'Est  du  golfe 
de  Steltin.  que  closent  les  îles  d'Usedom  et  de  Wollin.  les 


côtes   poméraniennes  et    prussiennes  s'allongent   plates. 


1^ /,/«.t  <*- Aw  *  COURS   D'EAU 

dc^anàioco'-       NAVIGABLES, ET 
moùi.i,  .V-^iv'      VOIES    FERRÉES 


f 


iunaur 

jtrojrteU. 
lotra. 
ferrée^,- 


^&;^^ 


^&k 


rectilignes,   uniformément  bordées  de  dunes    monotones 
en  arrière  desquelles  stagnent  des  lagunes.  Les      Haff 
ou  golfes    en  croissant    de  lune  qui    les    indentenl  aux 


L'EUROPE 


bouches  de  la  Vistule  et  du  Nie'men  (Frisches  Haff, 
Kurisches  Haff,  presque  fermés  par  les  étroits  cordons 
sablonneux  appelés  Nehrungen)  n'ont  pas  davantage 
de  ports  naturels.  Ce  n'est  pas  sur  les  rives  marines 
que  s'établirent  les  grands  '  '  emporia  "  de  1  Allemagne 
ancienne  ou  contemporaine.  Konigsberg,  Danzig  (aujour- 
d'hui internationalisée),  Stettin,  Lùbeck,  Hambourg, 
Brème,  se  développèrent  à  distance  plus  ou  moins 
grande  de  l'Océan  sur  les  estuaires  des  fleuves  que  le 
flot  de  marée  remonte  à  des  heures  régulières  et  qui 
(Lùbeck  et  Konigsberg  exceptés)  ouvrent  vers  l'intérieur 
des  communications  aisées. 

Mais  là  encore  l'homme  eut  à  perfectionner  ce  que 
la  nature  n'avait  fait  qu'ébaucher.  Ces  fleuves,  Weser, 


Elbe,  Oder,  Vistule,  et  leurs  affluents  principaux,  avaient 
autrefois  des  rives  incertaines,  un  cours  capricieux,  des 
vallées  trop  larges  où  s'épandaient  leurs  flots  de  crue, 
où  se  perdaient  leurs  maigres  eaux  d'élé.  11  a  fallu  les 
assagir  et  les  dompter,  leur  assurer,  dans  un  lit  rétréci 
par  des  digues  submersibles  (les  "  Buhnen  "  ou  épis), 
une  profondeur  constamment  suffisante  pour  les  grands 
chalands  d'acier.  L'œuvre  aujourd'hui  est  à  peu  près 
achevée.  De  Brème  à  Casse!,  de  Hambourg  au  cœur 
de  la  Bohême,  de  Stettin  à  la  Haute-Silésie,  circulent 
les  navires,  les  marchandises,  la  richesse,  et,  dans  le  sens 
transversal,  les  affluents  des  grands  fleuves  (Havel,  Sprée, 
Warthe,  Netze),  les  canaux  qui  les  unissent,  complètent 
un  des  plus  utiles  réseaux  navigables  qui  soient  au  monde. 


Les  Pays  et  les  Grandes  Villes  de  la  Plaine 


Les  peuples  qui  vivaient  au  temps  de  Gharlemagne  sur  ces 
plaines,  le  long  des  côtes  et  des  fleuves,  se  partageaient  entre  Ger- 
mains (Saxons  et  Frisons)  à  l'Ouest  de  l'Elbe  et  Slaves  à  l'Est.  Les 
Marches  militaires  créées  par  le  Grand  Empereur  pour  protéger  les 
frontières  orientales  de  son  Empire  (Marche  des  Billungs  ou 
Holstein,  Marche  du  Nord  ou  de  Brandebourg,  Marches  de 
Lusace  et  de  Misnie  dans  la  Saxe  d'aujourd'hui)  furent  le  point 
de  départ  de  la  germanisation  des  pays  slaves.  Elle  s'étendit 
d'abord  entre  l'Elbe  et  l'Oder,  puis,  gagnant  vers  l'Est,  mais 
avec  plus  de  difficulté,  parvint  jusqu'à  la  limite  présente  de  l'Etat 
polonais.  Au  delà  de  la  Vistule,  les  conquêtes  des  Chevaliers 
Teutoniques,  sécularisées  au  XVl®  siècle  et  transformées  en  duché 
héréditaire  par  un  Hohenzollern,  parvinrent  même  à  constituer  un 
solide  noyau  allemand  :  le  pays  des  Borussiens  ou  Prussiens, 
enclavé  au  milieu  du  domaine  slave.  On  sait  quels  furent  les  des- 
tins particulièrement  brillants  de  la  Marche  de  Brandebourg - 
Débordant  hors  de  ses  limites  primitives,  elle  parvint  sous  la 
direction  des  Hohenzollern,  margraves  ou  marquis  de  Brandebourg 
depuis  le  XIV^  siècle,  puis  rois  de  Prusse  depuis  171  1 ,  à  grouper 
autour  d'elle  la  presque  totalité  de  la  plaine  allemande  avant  de 
réaliser,"  en  1871,  l'unité  de  l'Empire  entier. 

BRANDEBOURG.  00  Le  rôle  joué  par  le 
Brîmdebourg  s'explique  non  seulement  par  la  valeur  des 
princes  qui  le  dirigèrent  du  XVU*  au  XX*  siècle,  mais 
aussi  par  des  causes  géographiques.  Placé  au  centre 
même  de  la  plaine,  commandeml  le  cours  moyen  de 
l'Elbe  et  de  l'Oder,  traversé  par  la  Havel  et  la  Sprée 
navigables,  il  est  l'intermédiaire  obligé  entre  les  pays  de 
la  Baltique  et  l'Europe  CentraJe,  entre  les  régions  rhé- 
nanes et  la  Slavie.  Certes  la  "  sablière  "  de  l'Allemagne, 
où  les  landes  alternent  avec  les  marais,  est  un  terroir  fort 
ingrat.  Encore  aujourd'hui,  si  l'on  exempte  le  groupe 
formé  par  Berlin  et  sa  banlieue,  la  densité  de  sa  popu- 
lation est  fort  inférieure  à  la  moyenne  de  l'Allemagne,  et 
les  voyageurs  qui  se  rendent  à  la  capitale  n'oublient 
jamais  1  aspect  mélancolique,  la  pauvreté  des  campagnes 
qu'il  leur  faut  traverser  jusqu'aux  abords  immédiats  de  la 
cité.  Mais  les  grandes  voies  commerciales  y  convergent 
naturellement,  et.  à  partir  du  jour  où  les  peuples   des 


Allemagnes.  prenant  conscience  de  leur  unité,  se 
laissèrent  condmre  par  la  Maison  de  Hohenzollern,  la 
capitale  brandebourgeoise  apparut  comme  la  métropole 
naturelle  et  nécessaire  de  l'Empire. 

Berhn,  qui  n'était  encore  au  XVU*  siècle  qu'une 
pauvre  bourgade,  dut  aux  protestants  français  chassés  par 
la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes  les  premiers  élé- 
ments de  sa  grandeur.  Pourtant  elle  resta,  jusqu'au 
milieu  du  XIX^  siècle,  une  ville  exclusivement  prussienne, 
peuplée  surtout  de  fonctionnaires,  et  dont  le  rôle  était 
relativement  médiocre  en  comparaison  des  antiques 
capitales  de  la  vieille  Allemagne  :  Dresde,  Munich, 
Francfort,  etc.  Depuis  1871  Berlin  n'est  plus  seulement 
une  capitale  prussienne,  mais  la  capitale  du  Reich.  De 
toutes  parts  les  hommes  y  affluèrent,  et  l'ensemble  formé 
aujourd'hui  par  la  cité  proprement  dite  et  ses  annexes 
dépasse  3  000  000  d'habitants. 

Le  centre,  où  se  croisent  l'Avenue  Unter  den  Lioden  (Soas  les 
Tilleuls)  et  la  Friedrichslrasse,  rappelle,  par  son  animation,  ses  ma- 
gasins luxueux,  les  quartiers  parisiens  de  l'Opéra  et  de  la  Bourse. 
A  rOuest,  le  Tiergarten  fait  pendant  au  bois  de  Boulogne»  tandis 
que  les  quartiers  de  la  périphérie  :  CharlottCnburg,  Moabit,  etc., 
renferment  les  usines,  les  ateliers,  la  nombreuse  p>opulation 
ouvrière.  Ville  neuve,  rapidement  construite,  Berhn  n'a  rien  du 
charme  des  vieilles  cités  allemandes.  Ses  maisons  modernes,  ses 
bâtiments  "  colossaux  ",  presque  toujours  construits  en  ciment,  stu- 
péfient par  leur  mauvais  goût  plus  qu'ils  n'étonnent  par  leur  gran- 
deur. Mais  un  flot  de  vie  ardente  circule  dans  ses  artères,  droites, 
propres,  emplies  d'une  foule  qui  se  porte  vers  la  conquête  de  la 
fortune  avec  la  même  force  brutale  que  vers  les  jouissances  maté- 
rielles. Berlin  est  aujourd'hui  la  première  cité  industrielle  de 
l'Allemagne,  spécialisée  dans  les  produits  de  luxe  qui,  sous  le 
nom  d'articles  berlinois,  s'efforcent  de  lutter  contre  1'  "article 
de  Paris  ".  Elle  est  aussi  le  plus  grand  centre  commercial 
financier,  le  port  le  plus  actif.  Enfin,  scn  Université,  fondée  en 
1810  seulement,  mais  qui  joua  un  tel  rôle  dans  la  formation  de 
l'unité  allemande,  ses  musées,  ses  institutions  scientifiques,  litté- 
raires, artistiques,  lui  assurent  une  primauté  désormais  incontestée 
sur  ses  rivales  d  autrefois. 


62 


L'ALLEMAGNE 


BEHLIN  ;  LA  PUR  i  E  DE  BRANDEBOURG.  Bcrlm  «/  un^  </«  plui  lames  capi- 
tales de  l'EuTOfte.  Aa  XV'}!''  siècle,  quand  elle  reçut  iet  réfugiés  protestants  français, 
çin  douUèrent  sa  population  et  lui  donnèrent  lea  premières  manf^actures^  elle  ne 
eumptail  que  Quelques  milliers  J'hatritants.  Encore  en  181  S.  elle  n'en  avait  poâ  100.000. 


Aussi  n'y  trouve-t-cn  pas  ces  beaux  monumctils  du  passe  gut  donnent  tant  de  charme 
à  la  plupart  des  vieilles  villes  allemandes.  L'une  des  plus  anciennes  constructions 
est  cette  Porte  de  Brandebourg,  bâtie  à  la  fin  du  X^^lll'  siècle,  entre  le  Tiergarten 
et  la  famatst  aoenae:  Vnier  den  Linden.  Q.  Trenkler. 


LA  SPR££  a  BERLIN.  Bien  que  la  Sprée  ne  soit  gu  une  rivière  assez  médiocre, 
efle  a  toujours  joui  un  râle  de  première  importance  dans  ta  vie  de  Berlin.  Elle  s'unit, 
en  effet,  à  toutes  les  voies  d'eau  de  la  plaine  allepiande.toit  directement,  tior  le  canal 
Frédéric-CttiUaume,  soil  par  l'intermédiaire  de  la  Havet  où  elle  se  jette  en  aval  de 


Berlin.  Au  temps  de  la  Hanse,  la  petite  ville  quêtait  alors  Berlin  tus  dut  une  certaine 
activité  commerciale.  Aujourd'hui,  approfondie  et  eanalisie,  elle  voit  t>asser  entre 
les  rives  étroites  un  nombre  de  cfuil<ffuU  tel  ^ae  Berlin  est  le  premier  port  fluvial  de 
l'Allemagne.  Cl.  Sophus  Williams. 


63 


L'EUROPE 


LE  PORT  DE  PILL/\U.  5e  trouve  BUT  l'élroil  poulet  qui  met  le  FmchiS  Haffen 
communicalion  avec  la  Ballinue.  Il  serf  d  avant-porl  à  KonigsbeTg.  capitale  de  la 
Prusse  orientale  ;  mais  r7  cntrelienf  aussi  des  relations  directes  et  fort  activer  avec 
les  régions  Uthuanienncs  et  russes  Cl.  TrenkLER. 


LE  SFPEEWALD  est  une  ancienne  forêt  marécageuse,  traversée  par  les  bras 
multiples  de  la  Sprée.  Aujourd'hui  drainée  et  cultivée,  elle  se  couvre  de  prairies, 
de  jardins  maraîchers  qui  alimentent  le  marche  de  Berlin.  Des  populations  slaves, 
les   Vendes,  y  conservèrent  jusqu'à  nous  leur  langue  et  leurs  usages. 


HAMBOURG.  Le  premier  des  ports  allemands  et  l'un  des  premiers  du  monde,  a 
grandi  sur  l'estuaire  de  l'Elbe,  à  près  de  100  kilomètres  de  ta  Mer  du  Nord,  mais 
au  point  où  convergent  toutes  les  voies  de  communication  fluviales  ou  terrestres 
desservant  l'Allemagne  centrale.  CI.Trenkler. 


LE  CANAL  DE  KIEL.  Le  canal  qui  coupe,  à  sa  base,  la  presqu'île  du  Jutland, 
unit  directement  la  Baltique  à  la  Mer  du  Nord  et  évite  aux  navires  le  long  détour 
par  les  détroits  danois.  Son  importance  commerciale  se  double  d'un  intérêt  stratégique 
que  la  Grande  Guerre  a  mis  en  lumière.  C!.  TrenKLER. 


ROMERBERG  est  la  place  la  plus  vénérable  de 
tTanCfCTf  Dans  l'antique  demeure  que  montre  la  pho- 
tographie, tes  sept  Electeurs  choisissaient  l'Empereur 
d'Allcrr^apr?.  Cl.  SCHAAR  ET   DaHLE. 


64 


LUBECK  fut  autrefois  la  plus  puissante 
des  villes  hanséatiqucs.  Elle  conserve 
d  intéressants  souvenirs  de  ce  passé. 

CI.  Soc.  nouv.  de  phot    Berlin. 


BRÈME  fin 

,  comme 

Lubeck    et 

Hambourg,  l'un  des 

premiers  rangs  parmi  les  cités  de  la 

Hanse.  Son  Rathaus. 

ou  Hôtel  de  V 

lle.est  une  belle  construction  du  Xl'^  siècle.     \ 

a. 

Soc.  nouv 

de  phot,  Berlin. 

L'ALLEMAGNE         -. 


Potsdam,  le  '  "  Versailles  des  Hohenzollern  ",  joliment 
placé  aux  rives  des  lacs  où  se  perdent  les  eaux  de  la 
Havel  ;  Spandau,  la  forteresse  qui  protège  les  abords 
delà  capitale,  s'unissent  à  ses  faubourgs  comme  Versailles 
à  Paris. 

En  dehors  de  Berlin,  plus  de  villes  d'importance,  sauf 
Francfort-sur-Oder  (69000  habitants),  qui  commande  le 
passage  du  fleuve.  Brandebourg,  première  capitale  de 
l'Altmcurk.  Prenzlau.  Kottbus,  Kustrin  végètent  médio- 
crement. 

OLDENBOURG,  HANOVRE.  MECKLEM- 
BOURG,  POMÉRANIE.  PRUSSE,  ûa  il  faut 
sortir  du  Brandebourg  et  descendre  vers  la  mer  pour 
retrouver  à  l'estuaire  des  Heuves  les  grandes  cités  com- 
merçantes qui  règlent  la  vie  économique  du  Reich. 

Certes,  dans  les  diverses  provinces  qui  s'échelonnent 
de  l'Ems  au  Niémen  :  Oldenbourg,  Hanovre,  Holstein. 
Mecldembourg,  Poméranie,  Prusse  (cette  dernière  encla- 
vée dans  la  République  Polonaise  et  isolée  de  nouveau, 
comme  elle  le  fut  jadis,  du  reste  de  l'Empire),  le  sol  est 
en  général  moins  fertile  encore  qu'au  centre  de  la  plaine. 
Le  seigle,  l'avoine,  la  pomme  de  terre  poussent  avec 
difficulté  sur  les  petits  champs  conquis  de  haute  lutte 
aux  dépens  des  lacs  et  des  tourbières.  Des  forêts  de  pins 
alternent  avec  les  landes  et  les  champs.  Les  villages,  très 
dispersés  à  travers  les  grands  domaines  des  '  Junker  ". 
ont  assez  triste  mine.  Les  seules  régions  productives  sont 
les  grasses  prairies  des  "  Marschen  "  qui  bordent  les 
côtes  plates  de  la  Mer  du  Nord  et  les  riantes  campagnes 
découpées  en  damiers  par  les  haies  d'aubépines  qui  cernent 
les  'fôhrden  "  du  Schleswig-Holstein. 

Mais  ces  "  fohrden  ".  ces  golfes  étroits  et  bien 
abrités,  formaient  avec  les  estuaires  des  fleuves  les  seuls 
pomts  des  nvages  germains  qui  se  prêtassent  à  la  vie 
maritime.  Les  pêcheurs  des  îles  donnaient  aux  arma- 
teurs des  équipages  excellents.  Aussi,  dès  le  début  du 
Moyen  Age,  on  vit  grandir  de  Emden  à  KSnigsberg  la 
série  des  ports  de  la  Hanse  étroitement  unis  pour  dé- 
fendre leurs  intérêïs,  traitant  de  puissance  à  puisscmce 
avec  les  plus  grands  princes,  et  qui  parvinrent  à  main- 
tenir dans  l'Allemagne  anarchique  d'autrefois  une  réelle 
prospénté  économique. 

Les  conditions  présentes  du  grand  commerce   mon- 


dial réservaient  à  ces  ports  des  destinées  différentes.  Ceux 
qui  ne  pouvaient  compter  que  sur  le  trafic  maritime  ont 
feiit  peu  de  progrès.  C'est  le  cas  de  Flensbourg, 
Schles^^^g.  Wismar.  Rostock  (65  000  habitants),  Stral- 
sund.  Greisswald,  de  Lùbeck  même  (116000  habi- 
tants), jadis  la  plus  riche  et  la  plus  puissante  des  villes 
hanséatiques,  aujourd'hui  largement  distancée  par  ses 
rivales.  Kiel  seule  doit  son  très  rapide  accroissement 
(2 1 5  000  habitants)  à  son  aménagement  en  port  de 
guerre  et  au  aeusement  du  fameux  canal  qui,  coupant 
la  péninsule  cimbrique,  ouvre  aux  navires  une  voie 
directe  entre  la  Mer  du  Nord  et  l'Ostsee. 

Il  n'en  fut  point  de  même  des  ports  d'estuaire  qui. 
profitcmt  à  la  fois  du  commerce  de  mer  et  du  transit  par 
voie  fluviale,  desservant  directement  quelques-unes  des 
régions  les  plus  productives  et  les  plus  peuplées  de 
l'Empire,  se  sont  trouvés  prêts  à  recueillir  les  fruits  de 
la  neuve  puissance  allemande. 

Sur  la  Baltique,  Danzig  n'est  plus  un  port  allemand. 
Mais  Kônigsberg  (260000  habitants),  bien  qu'elle  soit 
avant  tout  la  capitale  administrative,  intellectuelle  et  mi- 
litaire de  la  Prusse  orientale,  profite  de  l'important 
mouvement  de  navires  qui,parlaVistule,  le  Niémen  et  la 
Pregel,  aboutit  aux  "  Frisches  "et  "  Kurisches  Haffe  ". 
Stettin  (236  (XX)  habitants)  n'est  pas  seulement  le  port 
de  Berlin  :  c'est  aussi,  par  l'Oder,  le  débouché  des 
riches  régions  industrielles  et  agricoles  de  la  Silésie. 

Sur  la  Mer  du  Nord,  Hambourg  et  Brème  n'avaient 
point,  jusqu'en  1914,  connu  d'airêt  dans  l'histoire  ma- 
gnifique de  leurs  progrès.  Sises  fort  loin  des  nvages 
marins  (Brème  est  à  80  kilomètres  de  l'embouchure  de 
la  Weser  et  Hambourg  à  100  kilomètres  de  celle  de 
l'Elbe),  mais  pourvues  d'avant-ports  (Cuxhaven,  Bre- 
merhaven)  où  s'arrêtent  les  géants  de  leurs  flottes  puis- 
santes, unies  à  la  Saxe,  au  Hanovre,  à  la  Westphalie 
par  un  réseau  très  complet  de  voies  ferrées  et  fluviales, 
elles  occupent,  comme  Rotterdam,  Anvers,  Rouen,  le 
Havre  ou  Chang-Hai,  un  de  ces  points  privilégiésoù  la 
nature  traça  d'avance  la  place  d'un  grand  port.  Ham- 
bourg (  I  200  000  habitants  avec  Altona)  se  classait  en  1 9 1 3 
au  premier  rang  des  villes  commerçantes  de  l'Europe 
(2800000  de  tonnes)  et  n'était  dépassée,  dans  le  monde, 
que  par  New  York.  Brème  (257  000  habitants)  la 
suivait  de  loin  avec  8(XK)000  de  tonnes. 


L'Allemagne    Centrale. 


LE  RELIEF.  00  La  pUiine  allemande  s'adosse, 
dans  sa  partie  méridionale,  à  l'ensemble  complexe  de 
hauteurs,  séparées  les  unes  des  autres  peu  de  larges  dé- 
pressions, qui  prolongent  en  terre  germanique  les  pla- 
teaux des  Ardennes.  Il  y  eut  là,  aux   temps  primaires. 


de  hautes  chaînes  de  montagnes  ducs  aux  plissements 
dits  "  hercyniens  "  et  qui  subirent  le  sort  des  massifs 
anciens  de  France  et  d'Angleterre.  Usées  par  une  longue 
érosion,  disloquées  par  le  contre-coup  des  plissement» 
alpestres,  elles  se  présentent  sous  la  forme  de  mamelons 

65  


CtoCRAPHIE  irNIVERSELUE. 


L'EUROPE 


peu  élevés,  généralement  boisés,  aux  pentes  douces,  où 
les  roches  primitives  :  gneiss,  granits,  schistes,  s  accom- 
pagnent par  endroits  de  formations  volcaniques  contem- 
poraines de  nos  vieux  volcans  du  Cantal. 

Droit  au-dessus  de  la  plaine  où  repose  Magdebourg  s'érige 
d'abord  le  massif  du  Harz  dont  le  sommet  chauve,  le  Brocken 
(1141  mètres),  fréquemment  voilé  de  nuages,  servait  de  rendez- 
vous  aux  sorcières  du  Walpurgis.  En  lijant  vers  l'Ouest,  voici  le 
Rhoen  âpre  et  sauvage  (950  mètres)  et  l'énorme  cône  basaltique 
du  Vogelsberg  (972  mètres)  que  prolongent  jusqu'au  Main  les 
croupes  boisées  du  Spessart.  Puis  la  forêt  de  Thuringe  (Thûrin- 
ger  Wald)  et  la  forêt  de  Franconie  (Franken  Wald)  s'allongent,  du 
Nord-Ouest  au  Sud-Est,  à  la  rencontre  du  quadrilatère  bohémien. 
Au  château  de  la  Wartburg,  caché  sour  la  ramure  des  forêts, 
les  Minnesânger  concouraient  pour  le  prix  du  chant,  et 
Luther  sauvé  du  bûcher  écrivit  en  paix  sa  traduction  de  la  Bible 
en  langue  allemande.  "  La  Thuringe  est  le  pays  des  fables,  une 
vie  mystérieuse  plane  sur  la  contrée  tout  entière  ;  les  rochers,  les 
sources  et  les  grottes,  les  ruines  de  châteaux  et  d'abbayes,  les 
vieux  murs,  les  grands  arbres  isolés,  les  nuages,  le  vent  même, 
tout  a  sa  légende.  C'est  en  Thuringe  que  l'on  entend  et  que  l'on 
voit  la  nuit  passer  les  **  chasseurs  sauvages  "  fuyant  en  longues 
bandes  mêlées  aux  nuées  du  ciel  "  (E.  Reclus).  Le  couloir  que 
l'Elbe  se  creuse  à  travers  les  rochers  fantastiques  de  la  "  Suisse 
Saxonne  '',  les  pentes  orientales  des  Riesengebirge  ou  Monts  des 
Géants,  n'ont  pas  un  moindre  atlrait. 

Le  pittoresque  de  ces  régions  mouvementées,  pleines 
de  forêts,  de  ruisseaux  aux  vives  eaux,  coupées  de 
vallées  où  les  prairies  et  les  champs  fertiles  se  mêlent 
aux  bouquets  de  hêtres,  contraste  de  la  plus  heureuse 
façon  avec  la  monotonie,  la  tristesse  des  landes  maréca- 
geuses des  pays  prussiens.  Le  ciel  même  s'y  fait  plus 
riant.  La  vie  apparaît  plus  ouverte,  plus  facile,  et  le 
charme  de  la  nature  '  se  traduit  chez  les  habitants  par 
cette  espèce  de  gaieté  et  d'abandon  expansif  qu'exprime 
le  mot  Gemùtlichkeil,  trait,  de  caractère  étranger  à 
l'Allemagne  du  Nord  ". 

CULTURES,  INDUSTRIE.  ROUTES.  £>£) 
La  transition  entre  les  sables  de  la  plaine  septentrionale 
et  les  massifs  du  Centre  se  fait  par  les  riches  limons  de 
la  Borde  "  couverts  de  belles  cultures  où  les  champs 
de  betteraves  alternent  avec  les  champs  de  blé.  La  Borde 
débute  aux  environs  de  Hanovre,  atteint  sa  plus  grande 
largeur  dans  la  région  de  Magdebourg  et  se  prolonge  à 
travers  la  Saxe  par  les  fertiles  alluvions  de  la  Silésie. 

Mais  les  ressources  de  l'agriculture  n'auraient  pas 
suffi  à  provoquer  l'afflux  des  hommes  que  l'on  remarque 
en  de  tels  lieux  et  qui  valent  au  Brunswick,  à  la  Thu- 
ringe, à  la  Saxe,  à  la  Haute-Siiésie  une  densité  de  po- 
pulation variant  de  1 00  à  400  habitants  au  kilomètre 
carré.  De  très  bonne  heure  l'industrie  s'établit  sur  les 
pentes  du  Harz,  de  la  forêt  de  Thuringe,  dans  les  Monts 
Métalliques  (Erzgebirge)  et  les  Sudètes. 

On  y  trouvait  l'argent,  le  plomb,  le  fer,  le   cuivre.  Les  vieilles 

66 


cités  de  Quedlinburg  et  Gozlar  au  pied  du  Harz,  celles  de 
Schneeberg  et  Freiberg,  en  Saxe,  durent  à  leurs  mines  une  véri- 
table célébrité.  Plus  lard,  leur  importance  diminua  devant  la  con- 
currence des  minerais  étrangers,  mais  le  tissage  du  lin  et  du 
chanvre,  l'exploitation  des  terres  à  porcelaine  maintinrent  une 
activité  qui  centupla  au  XIX*  siècle  avec  la  mise  en  valeur  des 
houillères  de  Saxe  et  de  Silésie,  et  le  prodigieux  développement 
des  industries  textiles  (coton, soie),  chimiques  (potasses  de  Stassfurt), 
alimentaires  (distilleries  et  raffineries  de  Magdebourg),  etc. 

D'autre  part,  les  couloirs  qui  s'ouvrent  entre  les 
différents  massifs,  et  qu  empruntent  en  sens  inverse  la 
Kinzig  qui  se  rend  au  Main,  la  Fulda  et  la  Werra  dont 
l'union  forme  la  Weser,  l'Unslrut  qui  descend  vers  la 
Saale,  affluent  de  l'Elbe,  ouvraient  des  communications 
faciles  entre  les  pays  rhénans  et  l'Allemagne  du  Nord, 
tandis  que  les  brèches  des  Monts  Métalliques  et  des 
Sudètes  donnaient  accès  aux  pays  danubiens.  Les 
marchands  suivirent  de  bonne  heure  ces  voies  naturelles, 
se  rendant  aux  foires  de  Fulda,  de  Leipzig,  de  Breslau. 
Plus  tard,  le  chemin  de  fer  s'y  établit  aisément. 

LES  VILLES.  /H^  De  là  le  pullulement  des 
hommes,  le  nombre  et  l'importance  des  villes,  de  vieille 
illustration  ou  de  récente  renommée.  A  l'Ouest,  Hanovre 
(310  000  habitants)  où  se  croisent  les  votes  Paris-Berlin 
et  Hambourg- Francfort,  et  Magdebourg  (280  (KX)  habi- 
tants), centrede  l'industnesucrière,  ont  distancé  Brunswick 
(143  000  habitants).  Hildesheim  et  Paderborn,  sièges 
d'évêchés  créés  par  Charlemagne,  comptèrent  parmi  les 
centres  les  plus  influents  d'où  le  christianisme  et  la 
civilisation  rayonnèrent  en  Germanie.  Elles  conser- 
vent, comme  Halberstadt,  Gozlar,  Quedlinburg,  bon 
nombre  de  pittoresques  témoignages  de  leur  grandeur 
passée.  Gottingen,  célèbre  par  son  Université,  Cassel 
(162000  habitants),  Marbourg  jalonnent  la  route  qui 
mène  de  Berlin  à  Coblence,  comme  Fulda,  Eisenach. 
Gotha,  Erfurth  (129000  habitants),  Weimar,  Merse- 
bourg.  Halle  (180000  habitants)  s'alignent  sur  la 
dépression  thuringienne  entre  Francfort  et  Leipzig. 

Dans  le  triangle  saxon  compns  entre  la  forêt  de 
Thuringe  et  le  Massif  Bohémien,  industrie,  agriculture, 
commerce  s'unissent  pour  favoriser  la  concentration  des 
hommes.  C'est  un  de  ces  carrefours  naturels  où  con- 
vergent les  marchands  et  les  armées,  une  des  terres  qui 
s'enrichirent  le  plus  tôt,  mais  qui,  au  cours  de  l'his- 
toire de  l'Europe,  burent  le  plus  de  sang.  Leipzig 
(604  000  habitants)  prit  dès  le  Moyen  Age  la  suprématie 
qu'elle  a  conservée  jusqu'à  nous.  Après  Berlin  et  Ham- 
bourg, c'est  la  plus  importante  place  de  commerce  de 
l'Allemagne  (pelleteries  et  fourrures,  librairie,  etc.)  et 
ses  foires  continuent,  comme  par  le  passé,  d'être  fré- 
quentées par  des  négociants  de  tous  les  pays.  Dresde 
(548000  habitants),  d'origine  slave  comme  Leipzig,  a 
moins  d'activité  mais  plus  d'élégance.  Hledut  sa  fortune 


L'ALLEMAGNE 


et  les  magnifiques  collections  de  ses  musées  à  la  Maison 
de  Wettin,  qui  la  choisit  comme  capitale  du  duché  de 
Saxe,  plus  tard  électorat,  royaume  enfin  par  la  grâce  de 
Napoléon.  Au  débouché  des  VcJlées  qui  descendent  des 
Monts  Métalliques,  iéna,  sur  la  Saale,  rappelle  l'anéan- 
tissement des  armées  prussiennes  en  1806.  Plauen 
(121  000  habitants),  sur  l'Elsler,  Zwickau  (74000  ha- 
bitants) sur  la  Mulde.  Chemnitz  (303  000  habitants) 
doivent  leur  très  récente  mais  considérable  importance 
économique  aux  filatures  et  tissages  de  coton  et  de  soie. 


A  l'Est  enfin,  par  Bautzen  sur  la  haute  Sprée,  on  atteint 
la  série  des  villes  industrielles  de  Silésie  :  Gôrliz 
(85  000  habitants),  Liegnilz  (66000),  Schweidnitz. 
Glatz,  Neiàse  qui  conduisent  soit  à  Breslau  (528 000 habi- 
tants), l'active  et  puis-ante  métropole  de  la  Silésie,  soit 
aux  districts  du  Haut-Oder  ou  la  houille  a  fait  naitre,  en 
territoire  tchèque,  allemand  et  polonais,  les  multiples 
usines  et  fabriques  de  Konigshùtte  (72  000  habitants). 
aeiwitz(69000),  Beuthen(7i  000),  Ratibor,  Troppau. 
Dombrowa,  etc. 


L'Allemagne     du   Sud. 


VALLEE  DU  MAIN.  PLATEAUX  FRAN- 
CONIENS ET  B.AVAROIS.  a  a  On  peut  consi- 
dérer la  vallée  du  Main  comme  la  limite  entre  l'Allemagne 
Centrale  et  l'.Xllemagne  du  Sud.  Non  pas  que  cette 
nvière  "  coulant  d'une  allure  égale  dans  un  ht  régulier 
ait  jamais  servi  de  frontière  naturelle  aux  populations  fixées 
sur  ses  rives,  mais  Franconiens,  Bavarois  et  Souabes 
ont  toujours  constitué  dans  les  .^llemagnes  un  groupe  à 
part,  et  les  trois  Etats  de  Bade,  Wurtemberg,  Bavière, 
qui  se  constituèrent  au  cours  des  siècles  entre  Main,  Rhin  et 
-Alpes,  n'ont  jameiis  cessé  de  prétendre  à  sauvegarder,  au 
moins  théoriquement,  leur  autonomie.  Ce  sont  eux  qui 
luttèrent  avec  le  plus  d'énergie  en  1 866  contre  l'emprise 
prussienne,  et,  même  après  leur  défaite,  ils  conservèrent 
dans  l'Empire  allemand  une  situation  spéciale,  des 
tendances,  non  pas  sépciratistes  mais  particularistes,  qui 
s'affirment  présentement  dans  les  multiples  manifestations 
de  leurs  gouvernements   et  de  leurs  peuples. 

Deux  plateaux  inclinés  du  Midi  au  Septentrion  :  pla- 
teau Franconien  au  Sud  du  Main,  plateau  Bavarois  au 
Sud  du  Danube,  forment  le  cadre  naturel  de  l'Allemagne 
méndional^. 

Le  plateau  Franconien  s'adosse  à  la  Rauhe  Alp,  ou 
Jura  Souabe,  qui  prolonge  le  Jura  Franconien.  L'un  et 
l'autre  continuent  en  terre  germanique  les  plissements 
jurassiques  français  et  suisses.  La  Rauhe  Alp  domine 
immédiatement  la  vallée  supérieure  du  Danube  par  de 
hautes  terrasses  boisées  fort  pittoresques,  où  de  nom- 
breuses forteresses  féodales,  dont  lesburgsde  Hohenzollern 
et  de  Hohenstaufen,  commandaient  les  passages  qui 
mènent  au  Danube  ou  au  Rhin.  Il  se  rattache  directe- 
ment vers  l'Ouest  aux  granits  et  aux  grès  de  la  Forèl 
Noire  (Schwarz  Wald),  exacte  répétitionde  nos  Vosges, 
auxquelles  elle  s  unissait  autrefois.  Le  Feldberg 
(1493  mètres)  est  le  pendant  du  Ballon  de  Guebwiller, 
comme  le  Feldsee,  le  Titisee.  bien  d  autres  vasques  aux 
eaux  noires  dormant  à  l'ombre  des  sapins,  rappellent  par 
leur  origine  glaciaire  nos  lacs  vosgiens.  Partout  des  eaux 
vives,  des  vallées  riantes  ou  sauvages  (Hôllenthal), 
d'admirables  forêts  que  peuplent  cerfs  et  sangliers,   des 


chalets  épeu's  au  milieu  des  prairie;,  et,  quand  vient  le 
soir,  la  chanson  des  clochettes  qui  tintent  au  cou  des 
vaches  regagnant  avec  lenteur  leurs  enclos  nocturnes. 

Le  Jura  Franconien  est  moins  élevé  et  de  pénétration 
plus  aisée  que  la  Rauhe  Alp.  Les  vallées  de  la 
Womitz,  de  l'Altmùhl,  du  Naab  conduisent  sans  effort 
du  Danube  au  Main  et  mê.ne  à  la  Bohême  du  Nord- 
Ouest  par  les  passes  du  Fichtelgebirge.  De  là  l'impor- 
tance ancienne  et  présente  des  routes  qui,  venant  de 
Wurtzbourg,  de  Nuremberg.  d'Eger,  convergent  vers 
Ratisbonne.  On  a  même  pu  sans  difficulté  unir  le  réseau 
navigable  du  Danube  à  celui  du  Main-Rhin  par  le  canal 
Louis  (de  la  Pegnitz  à  l'Altmùhl). 

Le  plateau  Franconien  est  généralement  suffisamment 
fertile  et  bien  cultivé.  Les  champs  de  céréales  alternent 
avec  les  prauies,  les  jardins  pleins  d'arbres  à  fruits  ;  la 
vigne,  même,  apparaît  sur  les  pentes  ensoleillées  du 
Neckar.  C  est  une  des  régions  allemandes  où  la  popu- 
lation est  le  plus  fortement  attachée  au  sol  et  résiste  à 
l'attraction  des  grandes  villes  industrielles. 

Les  plateaux  méridionaux  (plateau  Souabe  et  plateau 
Bavarois)  remplissent  le  triangle  délimité  par  le  cours  du 
Danube  et  les  Alpes.  Les  glaciers  qui  dévalaient  autre- 
fois des  meissifs  alpestres  les  recouvrirent,  au  moment  de 
leur  fusion,  d'une  nappe  épaisse  de  débris  morainiques 
et  1  on  y  retrouve  les  traits  les  plus  caractéristiques  de 
cette  topographie  glaciaire  dont  les  pays  baltiques  nous 
donnent  tant  d'exemples  :  sol  caillouteux,  marécageux, 
peu  fertile,  dont  les  mamelons  portent  des  forêts  et  des 
landes  tandis  que  les  dépressions  s'emplissent  d'eaux 
stagnantes.  A  la  base  des  montagnes,  de  beaux  lacs 
(Kônigsee,  Chiemsee,  Wùrmsee  etc.)  donnent  quelque 
pittoresque  a  ces  régions  par  ailleurs  fort  monotones, 
froides,  tristes  et  maigrement  peuplées.  Le  Lech,  l'iscur, 
rinny  coulentdansdesvalléeslargesbordéesdemarais.  Le 
Danube  lui-même,  avant  d'être  rectifié,  se  divisait  en 
bras  nombreux,  errant  irrésolus  au  milieu  des  roseaux. 

LE  WURTEMBERG,  a  iS  Jusqu'au  début  du  XIX»  siècle. 
l'Allemagne  du  Sud  demeura  morcelée  ëo  un  très  grand  nombre 
d' Etats  indépendants  :  vastes  domaines  ecclésiastiques  relevant  des 


67 


L'EUROPE 


évêques  et  abbés  de  Mayence,  Wiirtzbouig,  Bamberg.  Fulda,  Spire, 
Ratisbonnne,  Augsbourg,  etc.,  seigneuries,  principautés,  margraviats, 
dnchés  de  Hohenlohe,  Ansbach,  Fûrsiemberg,  Bade,  Wurtem- 
berg, Bavière,  etc.  Le  "  Recez  "  de  1 803  et  la  politique  napoléo- 
nienne mirent  fin  à  cet  état  de  choses  en  sécularisant  et  "médiatisant" 
les petitsdomainesauprofitdes  trois  maisons  de  Bade,  Bavière  et  Wur- 
temberg, pourvues  par  surcroît  du  titre  royal  ou  grand-ducal.  Rois  et 
grands-ducs  ont  perdu  leurs  trônes  en  1918  comme  tous  les  autres 
princes  germains,  mais  leurs  Etats  subsistent  et  composent  trois 
individualités  nettement  distinctes. 

Le  pays  de  Bade  se  rattache  à  l'ensemble  des 
régions  rhénanes,  que  nous  étudierons  plus  loin. 

Le  Wurtemberg  naquit  dans  la  vallée  moyenne  du 
Neckar  qui,  issu  des  flancs  orientaux  de  la  Forêt 
Noire,  décrit,  comme  la  Moselle,  une  longue  courbe 
avant  de  se  joindre  au  Rhin.  Une  large  et  fertile  val- 
lée aux  chauds  étés,  des  communications  faciles  avec 
le  Rhin,  soit  par  la  trouée  de  Pforzheim,  soit  par  le 
cours  navigable  du  Neckar,  fixèrent  de  bonne  heure  les 
hommes  en  ces  lieux  privilégiés.  Les  Romains  y  éta- 
blirent des  colonies  de  vétérans.  Au  Moyen  Age,  les 
comtes  de  Wurtemberg  groupèrent  autour  de  leur  châ- 
teau (près  de  Cannstadt)  paysans  et  bourgeois  de  la 
vallée.  Aujourd'hui,  le  bassin  du  Neckar  est  une  des 
régions  les  plus  peuplées  de  l'Allemagne,  et  sa  forte 
densité  (de  100  à  250  habitants  au  kilomètre  carré) 
contraste  fortement  avec  le  petit  nombre  des  habitants 
épars  sur  les  plateaux  voisins.  Stuttgart  (309  000  habi- 
tants avec  Cannstadt)  en  occupe  le  centre.  En  amont, 
Esslingen  et  Tubingen  mènent  aux  coteaux  de  la  Rauhe 
AIp,  où  de  riants  villages  se  groupent  au  pied  d'an- 
tiques forteresses.  En  aval,  par  Ludwigsburg  et  Heil- 
bronn  qu'entourent  de  beaux  vignobles,  on  gagne  le 
pittoresque  défilé  où  le  Neckar  s  incurve  avcmt  de 
déboucher  à  Heidelberg,  sur  les  plaines  du  Rhin. 

LA  BAVIERE.   00  C'est  au  contraire  sur  la  par- 


tie la  plus  plate,  la  plus  laide,  la  plus  déshéritée  des 
plateaux  du  Sud  que  les  ducs  de  Bavière,  de  la  maison 
de  Wittelsbach,  établirent  au  XIII*  siècle  leur  ville 
capitale  :  Munich.  Ils  furent  sans  doute  "  séduits  par 
la  position  centrale  qu'occupait  en  effet  Munich  avant 
les  annexions  qui  ont  déplacé  l'axe  politique  de  la 
Bavière  ". 

Longtemps  dépassée  par  Augsbourg  (154C00  habi- 
tants), ville  impériale  qui  fut,  au  Moyen  Age,  la  plus 
opulente  cité  commerçante  de  l'Allemagne  du  Sud. 
Munich  (630000  habitants)  l'emporte  de  beaucoup 
aujourd'hui  sur  son  ancienne  rivale.  On  y  vient  admirer 
les  plus  riches  musées  de  l'Empire,  et  les  brasseries 
célèbres  qu'emplit  nuit  et  jour  la  foule  bruyante  des 
buveurs. 

A  l'extrême  Sud-Ouest,  Lindau  et  Friedrichshafen 
sont  les  ports  allemands  du  lac  de  Constance.  Hohen- 
linden,  Landshut,  Eckmiihl  rappellent,  ainsi  qu'Ulm, 
Elchingen,  Nordlingen,  Ratisbonne,  l'importance  histo- 
rique du  plateau  bavarois  et  de  la  vallée  du  Danube. 
De  plus,  Ulm  (56000  habitants)  et  surtout  Ratisbonne 
(Regensburg)  sont  les  têtes  de  ligne  de  la  navigation 
temporaire  ou  permanente  du  grand  fleuve,  artère 
maîtresse  de  l'Europe  Centrale. 

Dans  la  Bavière  du  Nord,  Nuremberg  (352  000  ha- 
bitants), tout  en  conservant  l'ensemble  si  merveilleuse- 
ment pittoresque  de  ses  remparts,  de  ses  vieilles  maisons 
où  peignit  Albert  Diirer,  où  chanta  Hans  Sachs,  voit 
grandir  ses  faubourgs  industriels  d'où  sortent  jouets 
d'enfants,  crayons,  bronzes,  bimbeloterie,  etc.  A  ses 
portes,  FUrth  atteint  68  000  âmes.  Sur  le  Main  enfin 
Bayreuth  paradis  des  Wagnériens  ",  Bamberg,  Wiirtz- 
bourg  (86000  habitants)  naquirent  à  chaque  coude  de 
la  rivière  capricieuse  qui,  Aschaffenbourg  franchi,  quitte 
la  Bavière  pour  pénétrer  dans  la  large  vallée  du  Rhin. 


Les  régions  rhénanes. 


LE  RHIN  DANS  L'HISTOIRE.  00  Quand 
le  Rhin  abandonne,  à  quelques  kilomètres  en  aval  de 
Bâle,  le  territoire  suisse,  il  s'incline  brusquement  vers 
le  Nord  et  s'engage  dans  la  vaste  dépression  ouverte 
entre  Vosges  et  Forêt  Noire,  Hardt  et  Odenwald.  A 
Mayence,  il  vient  butter  contre  le  massif  schisteux 
rhénan,  se  courbe  d'abord  devant  l'obstacle,  puis  le 
franchit  par  une  longue  cluse,  le  '  '  Rhin  héroïque  ",  qui 
s'ouvre  définitivement  en  amont  de  Bonn  sur  les  plaines 
de  l'Europe  du  Nord.  11  y  sépare  le  Rheinland  ou 
province  prussienne  du  Rhin,  de  la  Weslphalie  et,  quit- 
tant le  territoire  allemand  un  peu  en  aval  d'Emmerich, 
pénètre  en  Hollande  où  s'achève  sa  course. 

De  tout  temps  la  vallée  de  ce  grand  fleuve  attira  et 
concentra  les  hommes. 


A  l'époque  romaine,  il  servait  de  frontière  à  la  Gaule  contre 
les  barbares  de  Germanie,  et  les  postes  militaires  qui  surveillaient 
cette  frontière  furent  l'origine  de  quelques-unes  des  cités  maîtresses 
de  sa  vallée  :  Coionia  Agrippina  (Cologne),  Confluentes  (Co- 
blence), Mogontiacum  (Mayence),  Argentoratum  (Strasbourg).  Au 
Moyen  Age,  la  facilité  du  trafic  fluvial  sur  le  Rhin  et  ses  principaux 
affluents  développa  la  prospérité  économique  des  villes  rhénanes, 
prospérité  que  favorisaient  par  ailleurs  un  climat  ensoleillé,  des 
plaines  au  sol  fertile  (Alsace,  Palatinat,  Westphalie),  des  coUines 
où  le  raisin  mûrissait  à  côté  du  houblon  (vins  de  Moselle  et  du 
Rhin).  Avec  la  richesse  apparurent  des  préoccupations  artistiques 
auxquelles  nous  devons  tant  de  cathédrales,  d'hôtels  de  ville,  de 
belles  maisons  bourgeoises,  orgueil  des  vieilles  cités  rhénanes,  et 
cette  lignée  de  grands  peintres  (école  de  Cologne  par  exemple) 
dont  on  admire  dans  les  musées  germains  les  œuvres  naïves,  égales 
parfois  aux  chefs-d'œuvre  des  primitifs  italiens  par  leur  grâce  tou- 
chante, l'exacte  précision  des  détails.  Si  les  régions  rhénanes, 
constant  objet  de  conflits  entre    la    France    et    l'Allemagne,    sans 


68 


L'ALLEMAGNE 


HElDELBfcJ^G  VU  Ul  l'HILOMJPHLNW  h(-..  —  Ha.fdUtg  /ul  d'aUrd  un 
t>ùste  milifoire  romain  gardant  la  valléf  du  .\eckor.  Au  Xfoytn  Attr.  les  comtes  Palatins 
fixèrent  leur  résidence  dans  son  château  dont  on  voit  les  ruines  romantiques  te  dresser 
au  miliaa  da  grandi  aitre$  comme  un  palais  de  conte  de  fées.  La  cille  est  itwdeme  el 


uin;  ffrand  attrait.  Mais  elle  contient  une  des  plui  cclèf>rei  universHés  de  I  Allemagne, 
De  h/m.  fet  bromenadfi  delirieuses  atondenf  sur  les  colline.^  hoisées  (Konigsluhl,  Heili' 
genffrp,  (fr  )  QUI  \  inclinent  vers  les  eaux  du  !\'eikor,et  le  "  chemin  des  Philosophes  " 
f  '  frtquenlées.  Q.  Trenkleb. 


69 


L'EUROPE 


LE  HARZ.  Petit  massif  boisé  très  pittoresque,  riche 
en  mines  d'argent,  de  plomh  et  de  fer,  dont  U  sommet,  le 
Brocken,  domine  comme  un  promontoire  lei  plaines 
de  VAUemasne  centrale-  C!     LÉV>'. '^,' 


CASCADE  DE  TRIBERC.  La  Forêt 

Noire  doit  son  nom  à  la  masse  des  sapins 
et  des  hêtres  au  milieu  desquels  dégrin- 
golent les  torrents.  Cl.    KURVEBWALTUNG. 


LA  WARTBOURG.  Parmi  les  lieux  hisloriquci  ou 
légendaires  dont  la  Thuringe  est  remplie,  l'un  des  plus 
célèhres  est  le  château  de  la  U'artbourg  où  Tannhauser 
chanta,     où     vécut    Luther  Cl.   Léw 


LE  HOLLENTHAL  OU  VAL  D'ENFER.  U  val  d'Enfer,  immortalisé  par 
la  retraite  de  Moreau  en  1796.  est  un  étroit  passage  ouvert  à  travers  le  massif  de 
la  Forêt  Noire  et  qui  fournit  un  passage  direct  entre  Frihourg  et  Donaueschtngen, 
le  Rhin   et  le  Danube.  CL  RoBEKE. 


SANKT-BLASIEN.  Ce  joli  bomg.situé  par  750  mètres  d'altitude  dans  un  repli 
de  la  Forêt  Noire,  et  comme  assiégé  de  tous  côtés  par  la  masse  sombre  des  sapins, 
naquit,  ainsi  que  tcml  d'autres  villes  de  l'Europe  occidentale,  autour  d'une  abbaye 
bénédictine  fondée  en  940.  C!.  DU  KuRHAUS. 


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II.. 

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OE  HOHENZOLLERN.  Cette  mcgnifiqve  demeure  est   une 
.  l'ff-  1^50  et  1867,  de  la  forteresse  féodale  qui  fut  le  berceau  de 
:  .  Prusse. Elle  s'élève  sur  un  contrefort  du  Jura  Souabe,dans  une 
cf .-.-;. 'tji/  les  burgs  médiévaux.  Cl.  Daiker. 


L'EIBSEE  ET  LA  ZUGSPITZE.  L'Allemagne  ne  possède  qu'une  petite  partie 
de..  Alpes  :  le  versant  Nord  des  chaînes  calcaires  bavaroises  dont  le  point  culmi- 
nant est  la  Zugspitze  {2963  m.).  A  son  pied,  VEitsee  est  une  des  nombreuses  nappes 
lacustres  d'origine  glaciaire  qui  parsèment  la  Haute-Bavière. 


70 


L'ALLEMAGNE 


cesse  parcourues  et  ravagées  par  les  armées,  soufirirent  maintes  fois 
airocement  de  ces  luttes  sans  merci,  elles  se  relevèrent  toujours 
promptement  de  leurs  ruines,  tant  étaient  grandes  leurs  ressources, 
tant  leur  situation  au  point  de  contact  de  deux  races,  de  deux 
formes  de  civilisation,  sur  un  fleuve  aisément  navigable,  leur  assu- 
rait d'éléments  naturels  de  prospérité. 

La  naissance  de  la  grande  industrie,  la  découverte  des  houillères 
de  Westphalie  et  de  la  Sarre  vinrent  prodigieusement  accroître,  au 
XIX*^  siècle,  leur  capacité  de  production  et,  par  contre-coup,  la 
masse  de  leur  population.  Peuplées  de  200  à  300  habitants  au 
kilomètre  carré,  elles  sont  aujourd'hui  un  des  "  foyers  d'humanité", 
un  des  pôles  attractifs  les  plus  remarquables  du  monde,  et  le  Rhin 
qui  les  unit  apparaît  comme  l'artère  colossale  qui  règle  les  pulsa- 
tions de  leur  vie. 


LE  REGIME  DU  FLEUVE.  SA  NAVIGA- 
BILITE. —  Jusqu'au  port  de  Kehl,  en  Face  de  Stras- 
bourg, le  Rhin  conserve  une  pente  forte  et  tous  les 
caractères  d'un  torrent  alpestre  :  cours  rapide  et  chan- 
geant, maigres  d'hiver  correspondant  à  1  arrêt  de  la 
fusion  des  neiges,  longues  traînées  d'alluvions  qui 
encombrent  son  lit.  diminuent  sa  profondeur,  le  mor- 
cellent en  bras  nombreux  et  modifient  sans  cesse  le  tracé 
de  ses  rives.  Malgré  les  efforts  tentés  pour  le  rendre 
utilisable  à  la  batellerie  de  Kehl  à  Bâle,  la  navigation 
n'a  et  n'aura  sans  doute  longtemps  encore,  .«ur  cette 
section,  qu'une  bien  minime  importance. 

Mais,  à  partir  de  Kehl,  le  fleuve  assagi,  approfond', 
régularisé  par  des  travaux  qui  se  poursuivent  depuis  de 
longues  années,  devient  une  magnifique  voie  d  eau 
accessible  sans  arrêt  (sauf  pendant  des  périodes  très 
courtes  qui  varient  de  six  jours  à  Mannheim,  à  vingt- 
deux  jours  à  Cologne)  d'abord  aux  grands  chalands 
d'acier,  puis  même,  à  partir  de  Cologne,  aux  navires 
de  mer.  En  1913,  12453  bateaux  de  plus  de  15  tonnes 
(allemands,  hollandais,  belges), montés  par35000  hommes 
d'équipage  assuraient  le  transport  des  houilles  delà  Ruhr, 
des  minerais  de  fer  de  Suède,  d'Espagne  et  de  France, 
des  céréales  de  Russie,  des  bois,  des  matériaux  de 
construction.  Le  tonnage  total  des  ports  rhénans  en  aval 
de  Strasbourg  atteignait  83000000  de  tonnes,  et  l'on  vit 
passer  à  Coblence  57  000  bateaux,  à  Cologne  70  000, 
à  Wesel  84000.  à  Lobit  (frontière  hollandaise)  91  000. 
(D'après  Emm.  de  Martonne.) 

Par  la  variété  de  son  trafic  et  par  le  nombre  des  grands 
Etats  qui  sont  intéressés  à  ce  trafic  (Suisse,  Francs, 
Allemagne,  Belgique.  Hollande,  Angleterre,  Russie, 
pays  Scandinaves,  Etats-Unis,  etc.),  le  Rhin  apparaît 
vraiment  comme  un  fleuve  d'importance  non  pas  seule- 
ment allemande,  comme  il  le  fut  jusqu'àlaGrandeGuerre. 
mais  européenne  et  même  mondiale.  La  Prance  maî- 
tresse de  Strasbourg,  c'est-à-dire  du  point  où  commence 
et  se  termine  la  grande  navigation,  occupe  sur  le  fleuve 
une  situation  privilégiée  dont  il  ne  tient  qu'à  elle  de  tirer 
le  plus  large  profit. 


LE  PAYS  DE  BADE,  aa  Les  plaines  badoises 
font  d'abord  pendant,  sur  la  rive  allemande  du  fleuve, 
aux  riantes  plaines  d'Alsace.  Des  champs  de  céréales,  des 
houblonnières,  des  vignobles,  des  vergers  occupent  les 
sols  les  plus  riches.  Sur  les  dépôts  de  sable  croissent  des 
bois  de  pins.  Les  villes,  désertant  les  rives  incertaines 
du  Rhin  inutilisable,  grandirent  au  pied  de  la  Forêt 
Noire  :  Fribourg  (87  000  habitants),  charmante  capitale 
du  Brisgau,  au  débouché  du  Val  d'Enfer  qu'immorta- 
lisa la  retraite  de  Moreau  (  i  796)  ;  Bade,  ville  d'eaux  et  de 
plaisir  universellement  connue;  Karlsruhe  (135  000  ha- 
bitants), cité  de  récente  création,  mais  que  l'industrie  enri- 
chit, et  qui  de  plus  commande  la  trouée  de  Pforzheim 
(ligne  Paris-Munich-Vienne)  ;  Heidelberg.  allongée  près 
des  eaux  sombres  du  Neckar,  au  pied  des  coteaux  boi- 
sés où  les  bandes  d'étudiants  se  promènent  en  chantant 
des  lieder  de  Schumann. 

Le  pays  de  Bade  s'arrête  à  Mannheim  (229  000  habi- 
tants), à  la  fois  grand  marché  rhénan  et  puissante  cité 
industrielle  (industries  chimiques  surtout).  Au  delà,  sur 
la  rive  droite,  dans  la  Hesse  électorale,  s'élèvent  Darm- 
stadl  (87  000  habitants),  puis,  sur  le  cours  inférieur  du 
Main,  Francfort  (433000  habitants),  la  ville  des  banques, 
l'une  des  premières  places  commerçantes  de  l'Europe. 
Offenbach  (75  000  habitants),  Hanau,  Wiesbaden 
(110  000  habitants)  ont  grandi  elles  aussi  à  ce  carrefour 
de  routes  d'où  l'on  peut  gagner  non  moins  aisément 
Cologne  que  Nuremberg,  Hambourg  et  Berlin  que  Bâle 
et  Strasbourg. 

Sur  la  rive  gauche,  tandis  que  les  vieilles  cités  de 
Worms  et  de  Spire  somnolent  à  l'ombre  de  leurs  cathé- 
drales, entre  leurs  remparts  désuets  transformés  en  jar- 
dins fleuris,  Ludwigshafen  (90  000  habitants),  en  face 
de  Mannheim,  prend  sa  large  part  du  trafic  du  fleuve, 
et  Mayence  (1  10003  habitants),  sur  la  voie  directe  de 
Metz  à_Berlin,  conservenmportance_stratégique_qu'elle 
eut  de  tout  temps. 

LE  MASSIF  SCHISTEUX  RHÉNAN.  S» û 
A  Bingen,  le  Rhin  s'échappe  des  plaines  palatines  et 
s'enfonce  dans  le  massif  schisteux  rhénan.  11  y  coule 
jusqu'à  Bonn,  dans  une  cluse  étroite,  fort  pittoresque 
grâce  aux  ruines  féodales  qui  surmontent  les  collines, 
aux  jolis  villages  qui  allongent  leurs  maisons  riantes  entre 
le  fleuve  et  ses  pentes  couvertes  de  vignobles  célèbres. 

De  part  et  d'autre  de  la  vallée  s'étalent  des  plateaux, 
hauts  de  500  à  800  mètres  :  Hunsriick  et  Eifel  sur  la  rive 
gauche,  Taunus  et  Westerwald  sur  la  rive  droite.  Ils 
prolongent  l'Ardenne  et  lui  ressemblent  par  leur  âpreté, 
leur  tristesse,  leur  population  clairsemée  qui  élève  mou- 
tons et  chevaux  de  petite  taille,  et  cultive  de  maigres 
champs  d'avoine  perdus  au  milieu  des  landes,  des  taillis 
et  des  tourbières. 


71 


L'EUROPE 


Mais  les  vallées  de  la  Moselle,  de  la  Sarre,  de  la  Lahn, 
de  la  Sieg,  profondes,  bien  abritées,  de  climat  plus  doux, 
ont  attiré  de  bonne  heure  les  hommes.  Trêves  (53000  habi- 
tants), illustre  dès  l'époque  romaine  ;  Coblence  (56  000  hâ- 
tants), Wetzlar,  Marbourg  ne  sont  que  les  principales 
des  agglomérations  urbaines  nées  à  chaque  méandre  des 


AILILEMAîdME 
le  bassin  de  la  ruhr 


% 


rivières  capricieuses.  De  plus,  l'exploitation  des  houillères 
de  la  Sarre,  qui  rendait  aisée  la  mise  en  œuvre  des 
minerais  de  fer  lorrains,  fît  naître,  de  Sarrebriick 
(105000  habitants)  et  Sarrelouis  a  Kaiserslautem 
(54000  habitants),  un  puissant  foyer  industriel  que  la 
France  détient,  présentement,  en  gage,  et  qui  peut-être 
lui  restera. 

RHEINLAND     ET    WESTPHALIE.    M>£J 
Toutefois,  c'est  seulement  sur  le  revers  Nord  des  plateaux. 


dans  le  Rheinland  et  la  Wes'phalie,  qu'apparaît  le  '"  pays 
noir  "  allemand,  le  royaume  de  la  houille,  de  l'acier,  des 
industries  textiles  et  chimiques,  la  colossale  fabrique, 
1  usine  sans  fin.  Tissages  et  fonderies  y  naquirent  au 
xvu^  siècle,  grâce  a.  la  présence  simultanée  des  minerais 
de  fer  et  de  cuivre,  du  bols  fourni  par  les  forêts  du 
Westerwaid,  des  eaux  pures  que  roulaient  les  ruisseaux. 
Au  XIX®  siècle,  la  découverte  de  gisements  carbonifères 
extrêmement  riches,  notamment  dans  la  vallée  de  la 
Ruhr,  vint  donner  à  ces  industries  un  essor  prodigieux. 
Les  antiques  cités  de  la  province  rhénane,  comme 
Cologne,  Aix-la-Chapelle,  leur  durent  une  vie  nouvelle, 
et  près  d'elles  surgirent  du  sol  une  pléiade  de  villes, 
autrefois  simples  villages,  aujourd'hui  métropoles  du  fer 
et  de  l'acier  :  Essen  (439000  habitants),  Rem- 
scheid,  Solingen,  Iserlohn,  Dortmund  (295  000  habi- 
tants), Bochum  (136  000  habitants),  Gelsenkirchen 
(169  003  habitants);  de  la  soie  :  Crefeld  (129000  habi- 
tants); de  la  laine  :  Aachen  (156000  habitants): 
du  coton  :  Barmen  (169000  habitants),  Elberfeld 
(170000  habitants),  tandis  que  Cologne  (633  000  habi- 
tants), Dusseldorf  (407  000  habitants),  Ruhrort.  Duis- 
bourg  (244  000  habitants),  échelonnées  aux  rives  du  grand 
fleuve,  reçoivent  et  distribuent  la  masse  des  matières 
premières  et  des  denrées  alimentaires  nécessaires  à  ce 
gigantesque  organisme,  ou  procèdent  à  I  expédition  des 
produits  industriels. 

Le  débouché  des  rsgionî  rhénanes  n'esl  pas,  i[  est  vrai,  en  terre 
allemande,  et  les  Pays-Bas  prélèvent  un  courtage  onéreux  sur  le 
trafic  du  Rhin.  Pour  remédier  à  cet  inconvénient  on  élabora,  en 
1905,  un  projet  de  canal  central  (Mittelland  Kanal)  qui,  partant  de 
Dortmund,  devait  rejoindre  la  Weser  et  l'Elbe.  Ainsi  la  Wesl- 
phalie  serait  reliée  directement  par  voie  d  eau  à  I, Allemagne  cen- 
trale et  aux  ports  allemands  de  la  Mer  du  Nord  ;  Brème  et  Ham- 
bourg prendraient,  au  moins  en  partie,  la  place  de  Rotterdam.  Ce 
projet,  longtemps  différé,  parait  avoir  reçu,  pendant  la  guerre,  un 
sérieux    commencement  d'exécution. 


L'ALLEMAGNE  POLITIQUE  ET  ECONOMIQUE 


L'ORGANISATION  POLITIQUE  DE  L'ALLE- 
MAGNE. £0  Depuis  la  Révolution' intérieure  de  1918-1919 
consécutive  a  la  défaite  des  Empires  Centraux,  l'Allemagne  n'est 
plus  un  Empire  fédéral  dirigé  par  un  prince  prussien,  mais  une  Répu- 
blique, également  fédérale  (ce  que  les  Anglais  nomment  Common- 
weallh),  qui  consene  toutefois  le  nom  officiel  de  Reich.  Tous  les 
princes  régnants  ont  abdiqué  de  gré  ou  de  force.  Les  divers  États  de 
la  Fédération  jouissent  d'une  autonomie  plus  large  qu'autrefois 
mais  doivent  obligatoirement  se  donner  un  gouvernement  républicain 
nommé  au  suffrage  universel. 

Le  pouvoir  exécutif  du  Reich  est  confié  à  un  Président,  élu 
pour  sept  ans  par  l'ensemble  du  peuple  allemand  et  assisté  de 
mmistres  responsables.  Le  pouvoir  législatif  appartient  à  deux 
chambres  :  le  Reichsral  formé  de  représentants  de  chacun  des 
Etats  de  la  Confédération  (55  en  tout,  dont  22  pour  la  Prusse, 
7  pour  la  Bavière,  5  pour  la  Saxe,  3  pour  Bade,  3  pour  le 
Wurtemberg,  etc.),  et  le  Reichstag,  élu  pour  quatre  ans  au  suffrage 

72 


universel  et  directpartous  les  Allemands  desdeux  sexes.  Tout  projet 
de  loi,  avant  d'être  soumis  au  vole  du  Reichstag,  doit  être  approuvé 
par  !e  Reichsrat.  Le  pouvoir  central  règle  seul  les  questions  diplo- 
matiques, militaires,  douanières,  dirige  les  chemins  de  fer  et  perçoit 
des  taxes  pour  les  dépenses  du  Reich. 

Tous  les  privilèges  de  naissance,  de  caste,   de   religion,  etc.,  ont 
été  abolis  dans  l'ensemble  de  l'Empire. 

On  comptait,  avant  la  Grande  Guerre,  25  États  souverains  et 
une  Terre  d'Empire  :  l'Alsace-Lorraine.  Le  nombre  des  Etats' 
souverains  se  trouve  présentement  réduit  à  18  ;  l'ancien  duché 
de  Cobourg  s'est  uni  à  la  Bavière,  et  les  petites  principautés  de 
Thuringe  se  sont  groupées  en  un  seul  Etat.  Tous  conservent  le 
même  territoire  qu'ils  possédaient  avant  la  guerre,  sauf  la  Prusse, 
qui  perd  quelque  6  000  000  d'habitants  (Posnanie,  Prusse  orien- 
tale, Schleswig.  Silésie,  etc.). 

Voici  la  liste  des  diverses  Républiques  dont  l'ensemble  compose 
!e  Reich  (d'après  le  recensement  du  8  octobre  1919)  : 


Ankak 331  000  hd>ibi>i.. 

B«de .230000      - 

Baviirc 7  150000  - 

Brème 300  000  - 

Bfuinwiclc 49-1000 

Hâmbour» I  050  000  -  • 

HeiK 1290000  - 

Upp>  150000  - 

Lobeclc I20C00  - 

MecJcIcmbours-Schwerin 650  OOO  — 

Meckkmboun-Slrelill 106  000 

Oldenbourg 517003  - 

Piu.« Î7726000  - 

Sue 4663000  - 

Sduiunbourr-Lippe 46  000  — 

"Hniringe  1510  000  — 

WJdeck 66  OOO  - 

WurttmberB 2  518  000  — 


LÉVOLUTION       ÉCONOMIQUE      DE 
I     L'ALLEMAGNE,  SES  CAUSES,  SES  RÉSUL- 
I      TATS.     £l£f    Jusqu'au  dernier   quart    du  XIX®  siècle, 
.  l'Allemagne  demeura  un   pays  surtout  agricole  et  ter- 
rien. Elle  exportait  des  denrées  alimentaires  et  importait 
des  produits  fabriqués.  La  majeure  partie  de  ses  habi- 
tants s'occupait  de  culture  et  d  élevage,  se  dispersait  en 
nombreuses  petites  villes  ou  villages,  vivait  chichemeni 
de  pommes  de  terre,  de  pain  de  seigle,  de  viande  de  porc. 
Peu  de  capitaux,   peu  d'épargne.    Chaque    année  une 
foule  d'émigrants  (jusqu  à  200  000  parfois),  chassés  par 
la  misère,  devaient  quitter  leur  patrie.  Faute  de  colonies, 
ils  se  rendaient  surtout  en  Amérique  :  au  Chili  (régions 
de  Valdivia,  Araucanie),  au  Brésil  (Etats  du  Sud),  aux 
Etats-Unis  (Chicago.  Cincinnati,    Saint-Paul),    puis  en 
moindre  quantité  au  Transvaal,  en  Australie,  dans  les 
I      divers  pays  européens.  En  1913,  on  estimait  à  près  de 
I       I  000000  les  Brésiliens    de     nationalité     ou     d'origine 
allemande,  à  8000000  les  Américains  du  Nord.  Il  y 
I      en  avait  près  de  2000000  en  Russie,  des  centaines  de 
mille  en  France,  en  Suisse,  en  Hollande,  en  Italie. 

Cette  situation  s'est  radicalement  transformée  en 
quarante  ans.  A  l'Allemagne  agricole  et  terrienne,  repliée 
sur  elle-même,  où  le  Junker  "  était  roi,  s'est  substituée, 
surtout  à  partir  de  1895,  l'Allemagne  industrielle,  com- 
merçante et  mantime,  l'Allemagne  riche  et  prospère, 
l'Allemagne  des  entreprises"  colossales  ",  de  la  "  Welt- 
politik  "  et  du  "  Deutschiand  ùbcr  Ailes  ".  Le  parti 
agrarien  a  dû  s'incliner  devant  les  exigences  des  hommes 
d'affaires,  des  banquiers,  des  usiniers,  des  armateurs, 
des  chefs  de  grandes  firmes  commerciales.  Une  Alle- 
magne nouvelle  est  née,  et  elle  s'est  révélée  tout  à 
coup  si  puissante,  douée  d'une  telle  vitalité,  d'une 
telle  6èvre  d  expansion,  d'appétits  si  démesurés  que 
l'Europe  devint  trop  étroite  pour  elle  et  que  son 
domaine  parut  ne  pas  admettre  d'autre  limite  que  les 
limites  mêmes  du  monde.  Cette  évolution  s'explique  par 
les  raisons  suivantes  : 

1  °  D  abord  1  Allemagne  trouvait  sur  son  propre  sol 
les  facteurs  essentiels  de  la  grande  industrie  moderne  : 


L'ALLEMAGNE 

combustibles,  minerais,  moyens  de  transports,  main- 
d'œuvre.  En  1913,  elle  produisait  191  000000  de  tonnes 
de  houille  et  87  000000  de  tonnes  de  lignite  (33  000  000 
en  France.  280000000en  .Angleterre)  dans  ses  bassins  de 
Westphalied  10000000  de  tonnes),  du  Rheinland,  de 
laSarre,  deSaxe,deHaute-Silé6ie.  Cette  houille,  par  suite 
de  la  disposition  géologique  des  couches,  s'extrayait  à 
meilleurcompte  que  les  charbons  français;  elle  se  trans- 
portait aisément  par  les  canaux  et  les  rivières  navigables. 

A  la  houille  s'ajoutaient  :  le  fer  (28  000000  de 
tonnes  valant  plus  d'un  milliard  de  francs)  grâce  surtout 
aux  gisements  lorrains,  le  cuivre  (947  000  tonnes),  le 
zinc  (641000  tonnes),  les  sels  de  potasse  (13000000 
de  tonnes),  le  plomb  et  l'argent. 

Les  moyens  de  transport  étaient  abondants,  peu  coû- 
teux. Même  dans  l'Allemagne  du  Sud  il  n'est  point 
d'obstacle  qui  s'oppose  à  la  cons'.ruction  des  voies  fer- 
rées. Dans  les  plaines  du  Nord  on  peut  les  multiplier 
autant  qu'il  est  nécessaire.  Avec  ses  63  000  kilomètres 
de  lignes,  exploitées  presque  exclusivement  par  l'Etat, 
l'Allemagne  possédait  un  réseau  ferré  qui,  par  rapport 
au  chiffre  de  ses  habitants,  l'emportait  sur  toutes  les 
autres  nations  européennes,  la  Belgique  exceptée. 
Quant  aux  voies  d'eau  (14000  kilomètres  navigables), 
nous  savons  déjà,  par  l'exemple  du  Rhin,  ce  que  les 
.Allemands  doivent  à  leurs  fleuves,  à  certains  de  leurs 
affluents,  aux  canaux  qui  les  unissent  aisément.  Il  n'est 
pas  jusqu'à  la  rareté  même  des  ports  maritimes  qui 
n'ait  contribué  à  la  prospérité  économique  de  l'Alle- 
magne. Au  lieu  de  disperser,  comme  nous  le  fîmes 
en  France,  sur  un  grand  nombre  de  havres,  des  cré- 
dits forcément  insuffisants,  on  put  les  concentrer  sur 
quelques  places  commerciales  que  l'on  dota  avec  une 
sage  prodigalité  des  immenses  bassins  à  flots,  des  kilo- 
mètres de  quais  spacieux,  des  entrepôts  colossaux,  de 
l'outillage  perfectionné  qu'exigent  les  conditions  pré- 
sentes du  grand  commerce  de  mer.  C'est  sur  eux  que 
l'on  orienta  le  réseau  des  voies  fluviales.  On  évita  ainsi 
toute  déperdition  de  force,  tout  gaspillage  onéreux,  et 
les  quatre  ou  cinq  grands  ports  allemands  :  Hambourg, 
Brème,  Lùbeck,  Stcttin,  Danzig  rendirent  au  Reich 
plus  de  services  que  n'eussent  pu  le  faire  vingt  ports 
naturels  insuffisamment  outillés  et  mal  desservis. 

Enfin,  tandis  que  de  1870  a  1914  la  France  pcissait 
péniblement  de  360000D0  à  39600000  habitants. 
l'Allemagne,  dans  le  même  temps,  parvenait  presque  à 
doubler  le  chiffre  de  sa  population  (68000000  au  lieu 
de  41  000000.  En  1914,  le  chiffre  des  naissances  l'empor- 
tait de  800000  unités  sur  le  chiffre  des  décès.  Celle  heu- 
reuse prolificité  est  une  des  vertus  les  plus  incontestables 
de  la  race  germanique.  Lorsque  naquit  la  grande  indus- 
trie, l'Allemagne  put  suffire  aisément  aux  demandes 
de    main-d'oeuvre   extraordinairement  accrues.   Ses  fils 

73 


L'EUROPE 


n'eurent  plus  besoin  de  franchir  les  mers  pour  gagner 
largement  leur  vie.  L'émigration  tomba  à  20000  ou 
25  000  unite's  annuellement  et  ceux  qui  partaient  n  étaient 
plus,  comme  autrefois,  contraints  à  l'exil  par  la  misère, 
mais,  contremaîtres,  ouvriers  spécialistes,  techmciens, 
ils  allaient  presque  tous  appliquer  à  l'étranger  les 
méthodes  allemandes,  et,  grâce  au  système  "  Del- 
briick  ",  conservaient  leur  nationalité. 

2°  En  second  lieu,  bien  loin  d'être  '  handicapée  " 
pcU  le  retard  de  son  entrée  en  lice,  l'Allemagne 
arriva  juste  b  temps  pour  mettre  à  profit  les  progrès 
réalisés,  l'expérience  acquise  par  les  autres  nations  qui 
l'avaient  précédée.  Comme  ce  fut  le  cas  pour  le  Japon, 
elle  n'a  pas  eu  à  inventer,  à  tâtonner,  à  multiplier  les 
expériences  coûteuses  :  elle  a  pu  incontinent  faire 
grand  ",  se  donner  l'outillage  le  plus  perfectionné, 
employer  les  meilleurs  procédés,  ceux  qui  avaient  fait 
leurs  preuves  hors  de  chez  elle. 

3  De  plus,  le  caractère  de  l'industrie  moderne, 
qui  vise  à  produire  par  grandes  masses  et  en  séries  des 
articles  dénués  de  qualités  artistiques,  mais  à  bon  mar- 
ché, est  celui  qui  convenait  le  mieux  au  tempérament 
de  l'Allemand,  peu  inventif,  manquant  de  goût,  mais 
travailleur,  attentif,  discipliné,  qui  toute  sa  vie,  sans  se 
lasser,  s'occupera,  avec  la  même  application  soutenue,  de  la 
même  besogne  mécanique,  si  fastidieuse  soit-elle.  Pour 
que  cette  besogne  produise  son  maximum  d'effet,  les 
patrons  allemands  ont  su  réduire  chez  eux  les  dangers 
de  la  concurrence  en  utilisant  le  goût  inné  de  leurs 
nationaux  pour  l'association,  leurs  aptitudes  naturelles  à 
l'espionnage,  leur  habileté  de  contrefacteurs.  Surtout  ils 
ont  su  mettre  la  science  au  service  de  l'industrie.  Tout  a 
été  dit  sur  la  participation  directe  —  et  rémunéra- 
trice —  que  les  savants  des  universités  allemandes 
prennent  aux  affaires  industrielles,  sur  la  multiplication 
des  laboratoires  parfaitement  outillés  et  disposant 
d  abondantes  ressources  pécuniaires,  sur  les  centaines 
d'ingénieurs  occupés  à  des  recherches  techniques 
qu  une  seule  fabrique  entretient  pendant  des  années 
sans  profit  immédiat,  mais  avec  la  certitude  de  regagner 
au  centuple  ses  débours  grâce  aux  découvertes  de  deux 
ou  trois  d'entre  eux.  (Voir  les  livres  de  J.  Huret  et 
H.  Hauser).  La  conquête  économique  du  monde  est 
apparue  au  Teuton  sous  le  même  angle  qu'une  conquête 
militaire.  Procédant  tantôt  par  attaque  directe  en 
grandes  masses,  plus  souvent  par  lentes  infiltrations,  usant 
habilement  du  "  camouflage  "  et  des  mouvements  tour- 
nants, il  préparait  ses  opérations  industrielles  et  commer- 
ciales avec  cette  méthode  savante,  cette  minutie  judicieuse 
qui  limitent,  autant  qu'il  est  humainement  possible,  la  part 
de  1  imprévu,  puis  allait  à  l'assaut  hardiment,  sans  se 
soucier  des  pertes,  sachant  que  la  victoire  le  paierait 
largement  des  sacrifices  indispensables.  L'institution  des 


cartels  ",  les  ententes  qui  se  créaient  entre  les  chefs 
des  grandes  banques,  des  usines,  des  compagnies  de  navi- 
gation assuraient  l'unité  de  commandement  et  de  direc- 
tion. Chaque  position  conquise  servait  aussitôt  de  point 
de  départ  pour  une  attaque  nouvelle,  soutenue  par  des 
réserves  habilement  ménagées  et  qui  s'engageaient  à 
fond.  La  reconnaissance  du  front  ennemi  était  confiée 
a  une  véritable  armée  de  spécialistes,  voyageurs,  tech- 
niciens, habiles,  entreprenants,  qui  parleiient  les  langues 
étrangères,  qu  aucune  rebuffade  ne  décourageait,  qui 
étudiaient  le  fort  et  le  faible  des  défenses  adverses,  et 
triomphaient  de  toutes  les  résistances  par  leur  souplesse, 
leur  patience,  leur  ténacité.  Cette  armée  trouvcùt, 
d'ailleurs,  partout  comme  collaborateurs  naturels  les 
Allemands  émigrés  demeurés  les  fidèles  clients  de  leur 
ancienne  patrie,  toujours  prêls  à  célébrer  sa  gloire,  sa 
force,  la  supériorité  de  ses  produits  et  de  sa  Kultur. 

Ainsi  renseignée  sur  les  besoins  du  marché  étranger, 
pouvant  tenir  constamment  à  jour  les  fiches  où  s'inscrit  et 
se  résume  l'état  économique  du  monde,  l'industrie  alle- 
mande ne  cherchait  pas  à  imposer  aux  acheteurs 
chinois,  péruviens,  turcs  ou...  français  tel  ou  tel  produit  de 
la  métropole  ;  elle  savait  s'adapter  à  leurs  goûts,  mettre 
en  leurs  mains  des  catalogues  admirablement  faits,  leur 
épargner  toute  peine  inutile.  Elle  n'hésitait  jamais  à  mo- 
difier son  outillage  pour  répondre  à  des  besoins  nou- 
veaux ou  imprévus.  Elle  consentait  de  larges  crédits, 
acceptait  toutes  les  commandes  même  insignifiantes,  les 
exécutait  avec  une  rapidité,  une  ponctualité  sans  égales. 
Elle  savait  se  contenter,  au  moins  au  début,  de 
bénéfices  très  médiocres,  et  admettait  même  de  travailler 
à  perte  pour  conquérir  un  marché  qui  serait,  plus  tard, 
profitable. 

4" Enfin  industriels,  commerçants,  armateurs  trouvaient 
dans  l'État  allemand  le  soutien  le  plus  averti,  le  plus 
constant,  souvent  le  plus  efficace.  Il  mettait  à  leur  ser- 
vice le  prestige  que  lui  assuraient  ses  victoires  anciennes 
et  sa  formidable  puissance  militaire.  Il  intervenait  sans 
cesse  dans  leurs  affaires,  canalisait  leurs  efforts,  équili- 
brait leur  production,  encourageait  et  soutenait  pécu- 
niairement leurs  initiatives.  Les  célèbres  voyages  de 
l'Empereur  au  Maroc  et  aux  Lieux  Saints,  ses  entrevues 
fréquentes  avec  les  souverains  étrangers,  les  déplacements 
de  sa  flotte  de  guerre,  avaient  un  objet  économique  non 
moins  que  politique.  Les  alliés,  les  obligés  de  l'Alle- 
magne devaient  devenir  ses  clients.  Les  prêts  qui  leur 
étaient  faits  devaient  servir,  avant  tout,  à  payer  les  com- 
mandes passées  à  Krupp,  à  Thyssen  et  autres  magnats 
de  l'industrie.  Les  fonctionnaires  avaient  l'ordre,  au- 
quel ils  obéissaient  avec  leur  discipline  coutumière,  de 
ne  jamais  tolérer  que  les  intérêts  d'un  seul  Allemand,  à 
l'étranger,  fussent  lésés  ou  simplement  méconnus.  Les 
agents  consulaires,  bien  recrutés,  demeuraient  très  long- 


74 


L'ALLEMAGNE 


LE  CHATEAU  DE  GUTENFELS  ET  LE  RHIN.  Aprl,  avoir  Ircomé  la 

plaines  fécondes  de  l'Alsace  et  du  Palaltnat.  le  Rhin  s'engage  dans  Vélroit  dé/ïlè  que, 
de  Bingen  à  Bonn,  ies  eaux  creusirenl  à  travers  une  t><nèt>laine  schisteuse  surélefee. 
Il  u  roule  *(s  onJrs  ax%aeies  entre  de\  coteaux  aux  flâna  roidei  qui  portent  des  vignoiles 


céièhret  et  que  courorment  des  mines  romantiques.  Cette  section  de  son  cours  est  connue 
sous  le  nom  de  "Rhin  héroïque".  On  y  peut  évoquer, avec  une  saisissante  vigueur, 
les  temps  lointains  où.  abrité  par  les  mura  de  son  donjon,  chaque  seigneur  allemand 
ne  connmtsait  d'autre  loi  que  le  "  Fcnnirecht  ",  le  droit  du  poing.  Cl.  LÉVY. 


75 


L'EUROPE 


lÈ^-'S' 


MUNICH  ;  L'HOTEL  DE  VILLE.  La  capitale  bavaroise,  créée  par  la  maison 
de  Wittelsbach.  n'est  pas  seulement  l'un  des  grands  centres  commerciaux  et  indus- 
triels de  l'Allemagne  ;  elle  est  aussi  surtout  et  justement  célèbre  par  sort  université, 
les  trésors  de  ses  musées,  les   représentations  de  son  Opéra.  CL  WuRTHLE. 


NUREIMBERG.  Tout  en  devenant  une  importante  cité  industrielle,  la  vieille  ville 
de  Hans  Sachs  et  d'Albert  Durer  a  conservé,  avec  son  'enceintedes  XlV^etXV'^  siècles, 
une  foule  d'édifices  publics  ou  privés  dont  l'aspect  permet  une  saisissante  évocation 
dupasse.  C'est  la  plus  séduisante  des  grandes  villes  germaniques.        CI.  Mebtens  . 


COLOGNE.  Ancienne  "  Colonie"  militaire  romaine  comme  Strasbourg  et  Coblence. 
Cologne  devint,  dès  le  Moyen  Age,  la  métropole  delà  riche  contrée  que  traverse  le 
Rhin  au  sortir  du  massif  schisteux.  Le  trafic  fluvial  qui  fil  sa  fortune  aux  temps 
delaHanse.  continue  d'être  la  source  principale  de  saprospérité.     CI.Steglitz. 


KREUZNACH.  Jolie  petite  ville  lalnéaire  sise  aux  rives  de  la  Nahe  entre  Metz 
et  Mayence.  Elle  fait  partie  de  la  série  des  stations  thermales  (Wiesbaden.  Aix-lo' 
Chapelle,  Spa,  etc.)  échelonnées  sur  le  rebord  du  massif  schisteux  rhénan  en 
territoire  belge  et  allemand.  CI.  DE  LA  KuR-DiRECTiON. 


3.^RAÎEN  :  CHEMLN  DE  FER  ÉLECTRIQUE.  Barmen  forme  avec  Elber- 
fcld  UP.5  ^fs  principales  agglomérations  industrielles  du  bassin  weslphalien.  Leurs 
T7xci;z^.-,  f-^rs  fabriques,  leurs  usines  s'étendent  sur  neuf  kilomètres  de  long  dans  la 
vallée  ds  la  H'vpj^er  que  domine  une  voie  électrique  aérienne. 

76 


ACIÉRIES  A  DUISBOL'RG.5/5ecrmen  de  ces  puissantes  usines  quiabondent  dans 
tout  le  "  pays  noir  ",  dans  toute  la  région  houillère  et  industrielle  de  la  Rhur, 
et  dont  les  ports  rhénans  de  Cologne.  Dusseldorf,  Duisbourg  sont  les  principaux 
débouchés.  CI.  Rheinische  Stahlwebke.  Duisburg. 


L'ALLEMAGNE 


I  Jtéqiond,  ûe/ 


AILLEMAGI^E 

CARTE  ÉCONOMIQUE 


Régiowh 
inJujirieUeA 


^^^ 


î^SE^ 


temps  au  même  poste,  disposaient  d'un  budget  très  supe'- 
rieur  aux  cre'dits  misérables  que  nous  donnons  aux 
nôtres,  se  consacraient  exclusivement  à  leur  besogne  éco- 
nomique au  lieu  de  trancher  du  diplomate. 

Certes  la  tutelle  administrative,  la  "  véritable  domes- 
tication "  imposées  par  l'Etat  aux  particuliers  dans  le 
domcùne  économique  comme  dans  les  autres  ne  peuvent 
guère  se  concevoir  hors  de  l'Allemagne  et  ne  convien- 
draient d'aucune  fa<;on  aux  Anglais  et  aux  Français.  Il 
n'en  demeure  pas  moins  que  l'étroite  union  de  la  finance, 
de  l'industrie  et  de  la  politique,  apparaît  en  dernière 
analyse  comme  l'un  des  facteurs  primordiaux  de  la  puis- 
sance allemande. 

Nous  avons  vu  les  causes  de  l'évolution,  en  voici  les 
résultats. 

L'INDUSTRIE,   aa   Après    les    États-Unis,   et 


presque  sur  le  même  rang  que  l'Angleterre,  l'Alle- 
magne se  classait  en  1914  à  la  tète  des  grandes  nations 
industrielles.  Nul  pays  d'Europe  ne  produisait  plus  de 
fer  (19309000  tonnes),  plus  d'acier  (19000000  de 
tonnes),  plus  de  sucre  (2632000  tonnes),  plus  d'alcool 
(4000000  d'hectolitres),  plus  de  bière,  plus  depapier. 
Elle  détenait  en  quelque  sorte  le  monopole  de  certaines 
industries  chimiques  :  matières  colorantes,  parfums,  pro- 
duits pharmaceutiques,  sans  compter  les  goudrons, 
l'acide  sulfurique,  l'ammoniaque,  le  chlore,  etc.  Pour 
les  fils  et  tissus  de  coton,  l'Angleterre  seule  la  dépas- 
sait. Son  industrie  lainière  était  presque  l'égale  de  celle 
de  la  France,  et  les  soieries  allemandes  de  Crefeld 
faisaient  une  âpre  concurrence  aux  produits  de  Lyon, 
Zurich,   Milan. 

A  cela  s'ajoutaient   les  toiles  de  lin  et   de  chanvre, 
les    articles    en    cuir,    en   caoutchouc,     en     bois,    les 


77 


GÉOGRAPHIE  ISIVtRSELU. 


L'EUROPE 


engrais  minéraux,  les  porcelaines   et  faïences  de  Saxe, 
les  livres,  les  fourrures,  etc. 

Voici  du  reste  quelle  était  en    1913  la  valeur  des 
principales  industries  : 


essentiels  concernant  l'agriculture  et  l'élevage  du  Reich 


Industries  alimentaires 23  500  000  000  de  franci 

—  textiles  et  tinctoriales 5  000  000  000  — 

Combustibles .' 4  000  000  000  — 

Industries  métallurgiques 2  500  000  000  — 

—  du  cuir.. 1000  000  000  — 

—  du  caoutchouc 690  000  000  — 

Engrais  minéraux 660  000  000  — 


Certes  les  prcduils  de  l'industrie  allemande  avaient  eu  long- 
temps une  assez  fâcheuse  réputation.  Visant  au  bon  marché,  pour 
supplanter  les  articles  similaires  des  Français  et  des  Anglais,  il» 
méritaient  trop  souvent  le  nom  de  '*  camelote  ".  Toutefois  il  est 
juste    de    remarquer  qu'en    bien    des    genres,  la    devise  fameuse 

Billig  und  schlecht  —  mauvais  et  pas  cher  "  avait  cessé  d'être 
exacte.  L'Allemagne  savait  fabriquer  des  articles  d'excellente 
qualité  tout  en  parvenant  à  maintenir  des  prix  de  vente  inférieurs 
à  ceux  de  ses  concurrents.  Et  les  progrès  constants  de  ses  ventes 
en  pays  européens  (objets  en  fer  et  en  acier,  machines  et  appareils 
de  toute  espèce,  moteurs,  locomotives,  automobiles,  instruments  de 
précision,  etc.)  étaient  la  preuve  la  plus  démonstrative  de  cette  heu- 
reuse transformation.' 

L'AGRICULTURE,  e) Û  L'agriculture eye-même 
s'était  industrialisée.  Les  campagnes  se  vidaient  en  effet 
au  profit  des  villes.  Chaque  année  un  demi-million  de 
paysans  quittaient  la  terre  pour  l'usine,  et  la  proportion 
des  Allemands  vivant  d'agriculture  était  tombée  de 
50   pour    100   en    1895,   à    40   pour    100    en    1914. 

Habitués  que  nous  sommes,  nous  autres  Français,  à 
situer  dans  le  paysage  agricole  la  silhouette  du  labou- 
reur qui  enfonce  le  soc  dans  la  terre,  du  bouvier  qui 
pique  ses  bœufs,  du  faucheur,  de  la  laitière,  du  vigne- 
ron, nous  cherchons  le  paysan  par  la  portière  du  wagon 
allemand  et  nous  ne  le  trouvons  pas".  (H.  Hauser.) 
11  fallait,  pour  suffire  aux  travaux  des  champs,  faire  un 
large  appel  à  la  main-d'œuvre  étrangère,  surtout  slave. 

Malgré  cet  exode  rural,  malgré  l'inclémence  du  cli- 
mat, le  peu  de  fertilité  du  sol  considéré  dans  son 
ensemble,  l'Allemand  était  parvenu  à  mettre  en  valeur 
94  pour  100  des  54  000  000  d'hectares  qui  consti- 
tuaient son  domaine  en  1914.  Et  cela  grâce  à  l'appli- 
cation des  procédés  les  plus  modernes  de  culture,  à 
l'emploi  intensif  des  engrais,  des  machines  agricoles,  à 
l'extension  des  drainages  dans  les  régions  marécageuses, 
à  la  collaboration  des  savants  et  des  agriculteurs,  aux 
encouragements  de  l'État.  Certes,  l'Allemagne  impor- 
tait, en  1913,  pour  3000000000  de  francs  de  denrées 
alimentaires,  au  lieu  de  1  400000000  en  1896.  Cepen- 
dant l'étonnante  façon  dont  elle  a  pu  résister  aux  effets 
d  un  blocus  qui  dura  cinq  années  prouve  quels  progrès 
elle  avait  faits,  dans  ce  domaine  comme  dans  les  autres. 
Voici  quels  étaient,  à  la  veille  de  la  guerre,  les  chiffres 


Récoltes. 

Quantité  en  tonnes  métriques. 
4  655  000  tonnes. 

Seigle 

Orge 

12  222  000     — 

...      3  673  000     — 
....      9  713  000     — 

54  121  000     — 

.....       29  000  000     — 

Pommes  de  terre 

10  617  000     — 

9  000  000     — 

Vin  (hectolitres) 

10  000  nnn    — 

Cheptel  en  1912  :  4  523000  chevaux,  20  000  000  de 
bovidés,  5  803  000  moutons  et  agneaux,  3410000  chèvres, 
22000000  de  porcs,  82000000  de  volailles. 

Forêts  :  1 4  000  000  d'hectares  ayant  donné,  en  191 3, 
20  000  000  de  mètres  cubes  de  bois. 

En  étudiant  les  régions  naturelles  de  l'Empire,  nous 
avons  vu  comment  se  répartissaient  les  cultures,  quelles 
terres  étaient  les  plus  propres  au  froment,  au  seigle,  à  la 
betterave,  à  la  vigne.  Bornons-nous  à  noter  ici  quelques 
données  complémentaires. 

D'abord  la  prédominance  du  seigle  et  de  l'avoine  sur  le  fro- 
ment. Les  deux  premiers  s'accommodent  en  effet  de  terres  relatives 
ment  pauvres  et  froides  qui  ne  conviennent  pas  au  blé.  C'est  le  cas 
notamment  pour  la  majeure  partie  des  plaines  du  Nord,  les  régions 
montagneuses,  les  plateaux  bavarois,  l'Eifel,  etc. 

Puis  1  importance  du  houblon  (46  pour  100  de  la  production 
du  monde)  et  de  l'orge,  nécessaires  à  la  fabrication  de  la  bière, 
boisson  nationale  de  l'Allemand. 

La  récolte  des  pommes  de  terre  estenmoyennele  quadrupledela 
récolte  française.  Elle  supplée  en  partie  à  l'insuffisance  des  céréales 
(on  sait  le  rôle  qu'elle  a  joue  dans  l'alimentation  allemande  pen" 
dant  la  guerre),  et  permet  l'élevage  en  grand  du  porc.  De  plus,  les 
trois  quarts  des  alcools  allemands  sont  faits  avec  elle. 

La  production  de  la  betterave  à  sucre  (Bade,  Saxe,  Silésie, 
bassin  du  Neckar)  égalait  à  elle  seule  celle  de  la  France  et  de 
'Autriche-Hongrie. 

Pour  le  tabac  (Bade,  Palatinat,  vallée  de  l'Oder),  l'Allemagne 
arrivait  au  troisième  rang  en  Europe,  après  l'Autriche  et  la 
Russie. 

Le  lin  et  le  chanvre  étaient  en  décroissance  marquée. 

L'élevage  du  gros  bétail  disposait  des  pâturages  des  Alpes 
(race  bavaroise),  des  prairies  naturelles  du  Hanovre,  du 
Schleswig-Holstein,  des  prairies  artificielles  de  Saxe,  Silésie, 
Alsace-Lorraine.  Avec  ses  20  000  000  de  bétes  à  cornes  l'Alle- 
magne n'était  dépassée  en  Europe  que  par  la  Russie  (39  000000). 
Elle  l'emportait  largement  sur  la  France  (14  000  000),  l'Angleterre 
(1  I  000  000)  et  l'Autriche  (9  000  000).  Les  chevaux  (de 
guerre  et  de  trait)  provenaient  surtout  des  provinces  du  Nord  ■ 
Prusse,  Pcméranie,  Mecklcmbourg,  Brandebourg.  L'Allemagne  en 
avait  beaucoup  moins  que  la  Russie  (21  00000),  mais  autant  que 
l'Autrlche-Hongrie  et  un  peu  plus  que  la  France.  L'élevage  du 
mouton  (terres  pauvres  du  Lunebourg,  de  Poméranie)  déclinait, 
comme  partout  en  Europe,  devant  la  concurrence  des  laines  de 
l'Argentine,  de  l'Australie,  etc.  (19000  000  en  1883,  9  000000 
en  1903).  Par  contre,  seuls  les  Etats-Unis  possèdent  un  troupeau 
porcin  plus  considérable  (65  000  000) et  l'Allemagne  distançait  de 
beaucoup  la  Russie  (12  000000),  la  Hongrie  (7  000  000),  la 
France  (6000  000). 


78 


L'ALLEMAGNE 


Les  forêu  enfin,  beaucoup  plus  étendue*  qu  en  France  et  sa- 
vamment exploitéeç,  constituent  une  très  précieuse  réserve  de  boi£. 
de  pâte  à  papier,  de  térébenthine,  etc.  Elles  couvrent  la  majeure 
partie  des  montagnes  du  Centre  et  du  Sud  (forêts  de  Thuringe, 
de  Hesse,  Forêt  Noire)  et  de  vasieç  espaces  dan*  le?  plaine* 
*ablonneuse$  du  Nord . 

3'  LE  COMMERCE,  a  a  V.t  formidable  déve- 
loppement des  mdustnes  allemandes  avait  eu  comme 
corollaire  la  rapide  croissance  des  trêmsactions  commer- 
ciales. De  7  375  000000  de  francs  en  1890.  elles 
avaient   passe  à  26  500  000  000  en  1913. 

Aucune  statistique  ne  nous  a  encore  donne  le  tableau  détail)  r 
des  transactions  allemandes  depuis  la  (in  de  la  Grande  Guerre.  — 
Citons,  simplement  à  titre  documentaire,  les  chifres  globaux  indi- 
qués par  les  statistiques  anglaises  pour  le  commerce  allemand 
de  1919  (AchaU  :  1618003003  de  livres  sterling.  —  Venlej  : 
502000000)  et  des  5  premiers  mois  de  1920  (Achats  : 
1  424000000  de  livres  sterling.  —  \'ente<  :    I  184000000). 

COMMERCE  DE  LALLEMAGNF. 

26  500  000  000  de    francs 

en  1913. 


PRINCIPAUX  CULNTS  DE  L'.ALLEMACNE 


Imporlationt 
M  000  000  000  de  fninct. 


Céràk< 
C.(i  . . 
Œu{i 

Beunr 

Lwd 

TiUc 

Coton  brut 

Oàn   et    peaux 

Lame 

HmJe  <ie  ïn 

Soie  trêve 

Caoulc}iouc  .. 

Cuivre 

Minerai  de  lef 

Nitrate 

Bois  de  CQRttruction 
Qievaun 
etr 


(e. 


I  230  000 
312  000 
240  000 
15}  000 
l-tOOOO 
ItJ  000 
734  000 
i65  OOO 
365  000 
221  000 
180  000 
IIS  000 
439  000 
290  000 
200  000 
406  000 
130  000 


£zpor(â/ioru 
12  500  000  000  de  Iranc.   ' 


Ariul<^. 

Houille   et   «oke. . . . 

Vlacliine* 

Produit!    cfaimiqur* 

Colonnadet 

Papier     et     livre* 

Couleurs 

Froduiu  élcctro-techniquct 

Lainaces 

Soere 

Obietj   en  ciâvrc . ,  . 

VêtemenI» 

Obieti  en  aàr 

Sortie*    

Jouets 


I  671  000  000 
902  000  000 
850  000  000 
822  000  000 
557  000  000 
420  000  000 
375  000  000 
3«2  000  000 
338  000  000 
332  000  000 
165  000  000 
165  000  000 
135  000  000 
130  000  000 
125  000  000 


ele. 


Acheteur  de  matières  premières  nécessaires  a  l'indus- 
trie (51  pour  100  des  importations)  et  de  denrées  ali- 
mentaires (30  pour  100).  l'Empire  vendait  surtout  des 
produits  fabriques  (67  pour  100).  Les  achats  dépassaient 
enc»re  les  ventes  d'un  peu  plus  d'un  milliard  de  marks, 
mais  cet   écart,  beaucoup   plus  considérable  quin2e  ans 


1 

Par.. 

1913. 

ExportatioM  en 

1913. 

Ru»« 

1  781  000  000  de  (rana 
1  090000000        — 

1    100  OOO  000  de  (ranea 
1  770000000        - 

Grande-Breu^r  . 

ÉuU-UnU 

2  138  000  000 



891  000  000 



Autriche-Htnffrk 

1  034  000  000 



1  380  000  000 



Frmnce  

730  000  000 

■^ 

966  000  000 



P»yi  Bm    

416  000  000 

— 

866  000  000 



Beliigue 

430  000  000 

— 

688  000  000 

— 

Sui.« 

266  000  000 



670  000  000 



R^uUiqueA^.    . 

617  000  000 



456  000  000 



Italie 

396  000  000 



.   366  000  000 



Iodes  AngUtse» . . . 

676  000  000 

— 

187  000  000 

— 

i 

Col>a)lefnandes  . . 

66  000  000 

~ 

71  900  000 

plus  tôt,  ne  cessait  de  diminuer,  et  se  trouvait  déjà  large- 
ment compensé  par  l'intérêt  des  capitaux  allemands  placés 
à  l'étranger,  les  bénéfices  du  commerce  de  transit,  les 
gains  réalisés  hors  d'Allemagne  par  les  nationaux  alle- 
mands . 

Tout  contribuait  aux  succès  du  commerce  allemand  : 
l'accroissement  de  la  population,  dont  la  capacité  de 
travail  et  la  capacité  de  consommation  augmentaient 
parallèlement  ;  la  puissance  d'une  flotte  de  haute  mer, 
passée  de  656000  tonnes  en  1890  à  plus  de  3000000 
en  1914,  le  nombre  et  les  qualités  des  commerçants 
allemands,  l'appui  efficace  qu'ils  trouvaient  dans  les 
banques,  surtout  l'intense  production  des  usines,  aboutis- 
sant même  parfois  à  la  surproduction,  et  qui  exigeait  sans 
cesse,  sous  peine  d'anèt,  de  faillites  désastreuses,  l'ou- 
verture de  marchés  nouveaux. 

De  la  l'expansion  indéfinie  du  Deutschtum  ",  du 
domaine  économique  allemand. 

La  banque  allemande,  le  commerce  allemand,  les  lignes 
allemandes  de  navigation,  les  services  allemands  d'information 
tendaient  à  enserrer  le  globe  d'un  inextricable  r^«u.  l  a 
Russie  comme  le  Guatemala,  Rotterdam  comme  Constantinople, 
devenaient  économiquement  des  colonies  allemandes.  Partout  le 
commis  voyageur  allemand  apportait  le  produit  allemand  qui  cessait 
de  plus  en  plus  d'être  de  la  camelote  et  qui  venait,  grâce  à  la 
modicité  des  prix  d'importation,  aux  conditions  de  livraison  et  de . 
paiement,  concurrencer  jusque  sur  leur  propre  terrain  les  industries 
nationales.  El  quand  cela  ne  suIBsait  p".  c'était  l'usine  allemande  | 
(métallurgie,  produits  chimiques,  électricité)  qui  venait  elle- 
même  s'installer  en  pays  étranger,  comme  en  pays  conquis.  L'in- 
dustrie italienne,  la  suisse,  l'espagnole  devenaient  des  filiales  de 
l'industrie  allemande-  Anvers  était  un  port  allemand,  Zurich  et 
V.ilan  des  places  allemandes,  et  la  France  elle-même  assistait, 
impuissante  et  résignée,  à  cette  mainmise  de  l'industrie  allemande  j 
sur  sa  Lorraine  et  sur  sa  Normandie,  bientôt  «ur  ses  gisements  de  | 
l'Ouenra.  "  (H    Hauser.)  ' 

Cette  prodigieuse  transformation  se  traduisait  aux  yeux 
du  voyageur  le  moins  prévenu  par  le  développement  du  I 
luxe.  L'Allemagne  n'était  plus  le  pays  pauvre,  aux 
salaires  mesquins,  à  l'économie  proverbiale.  Ouvriers, 
employés,  fonctionnaires,  plus  largement  rétribués  qu'en 
France,  dépensaient  sans   compter.    "  En  vingt  ans,  les      ! 

-     79 


L*  EUROPE 


habitudes  allemandes,  même  dans  la  moyenne  et  la  petite 
bourgeoisie,  avaient  subi  une  complète  métamorphose. 
Avec  l'avidité  d'un  parvenu,  l'Allemand  se'précipitait 
vers  de  nouvelles  jouissances  comme  s'il  y  avait  vu  le  sym-' 
bole  de  son  entrée  définitive  dans  le  cercle  des  civilisations 
plus  raffinées  de  l'Occident  ".  (H.  Hauser.)  En  1895,  le 
revenu  total  des  fortunes  de  l'Empire  était  évalué  à 
21  000  000  000  de  francs;  en  1913,  les  estimations  flot- 
taient entre  40  000000  000  et  50000000  000,  et  la 
richesse  allemande  s'était  accrue  dans  le  même  laps 
de  temps  de  200  000  000  000  à  320  000  000  000. 

Elle  se  traduisait  aussi  par  la  croissance  extrêmement 
rapide   des    grandes    agglomérations   urbaines.    L'Alle- 


magne comptait,  en  1914,  44  villes  de  plus  de  100  000 
habitants,  43  de  50  000  à  100  000,  137  de  20  000  à 
50000. 

Malgré  le  goût  contestable  qui  présidait  souvent 
à  leurs  "  embellissements  ",  il  faut  reconnaître  que  ces 
villes  étaient  en  général  bien  administrées,  d  une  remar- 
quable propreté,  abondamment  pourvues  de  tout  ce  qui 
est  nécessaire  à  la  vie  moderne,  et  que  leurs  universités, 
leurs  hôpitaux,  leurs  laboratoires,  tous  leurs  services 
publics  (voirie,  transports,  postes,  etc.)  fonctionnaient 
avec  une  régularité,  une  discipline  que  certains  étran- 
gers pouvaient  trouver  quelque  peu  abusives,  mais  dont 
les  bDns  résultats  n'étaient  pas  moins  patents. 


CONCLUSION 


Tel  était  l'état  de  l'Allemagne  en  1914.  H  serait  hors 
de  propos  de  rechercher  ici  avec  détails  pour  quelles 
raisons  l'Allemagne  ne  s'est  pas  contentée  de  laisser 
aller  les  choses  "  et  a  voulu  brusquer  une  évolution  qui 
paraissait  devoir  pacifiquement  aboutir  a  l'hégémonie 
économique  du  monde.  Ces  raisons,  nombreuses,  ont  été 
suffisamment  analysées  dans  les  multiples  ouvrages  relatifs 
à  la  Grande  Guerre.  La  principale  est,  selon  nous, 
l'insuffisance  d'un  Empire  colonial  formé  trop  tard  et 
composé  de  terres  tropicales  ou  équatonales  impropres 
au  peuplement  européen.  Cherchart-elle  —  au  Maroc, 
en  Asie  Mineure,  en  Syrie,  en  Mésopotamie  —  d'autres 
territoires  qui  lui  convinssent  mieux,  partout  l'Allemagne 
se  heurtait  à  des  droits  acquis  et  trouvait  la  porte  barrée. 
Elle  sentait  cependant,  comme  toutes  les  grandes 
nations  modernes,  l'impérieuse  nécessité  de  s'appuyer 
sur  un  puissant  domaine  d'outre-mer.  11  le  lui  fallait  pour 
absorber  le  trop-plein  de  sa  production  industrielle,  pour 
lui  assurer  les  denrées,  les  matières  premières  nécessaires 
à  sa  vie  :  coton,  sucre,  soie,  caoutchouc,  céréales,  etc., 
pour  donner  à  ses  émigrants,  à  ses  hommes  d'affaires  un 
vaste  champ  d'opération  libre  de  toute  entrave.  Ainsi, 
pour  1  aigle  teuton,  la  tentation  devint  irrésisuble  de 
happer  la  proie  magnifique  offerte  non  seulement  par 
toutes  les  possessions  françaises  d'Afrique  et  d'Asie, 
mais  par  l'Inde  anglaise,  l'Asie  Mineure,  la  Syrie, 
l'Egypte,  l'Afrique  des  Grands  Lacs,  etc. 

Ajoutons  à  cela  l'attrait  d'une  colossale  indemnité  de 
guerre  qui  permettrait  d'équilibrer  une  situation  financière 
peu  saine  ;  —  le  désir  de  mettre  la  main  sur  tout  le 
bassin  ferrifère  de  Lorraine,  sur  la  Belgique  et  le  Pas- 
de-Calais;  —  la  volonté  de  ruiner  la  prépondérance 
m.antime  anglaise,  de  dominer  sans  conteste  l'Orient  et 
la  Méditerranée,  de  se  débarrasser  de  l'obsession  russe, 
etc.  Tout  cela,  une  guerre  victorieuse  devait  le  donner,  et 
comme  la  victoire  ne  faisait   de  doute   pour  personne. 


1  Allemagne  tout  entière,  l'Allemagne  des  grands  indus- 
triels, des  hommes  d'affaires,  des  banquiers,  non  moins 
que  l'Allemagne  des  Junker",  des  intellectuels  et  jusqu'à 
1  Allemagne  ouvrière  et  paysanne,  s'est  trouvée  unanime 
pour  applaudir,  en  juillet-août  1914,  au  geste  du  kaiser 
donnant  le  signal  du  combat. 

Nous  savons  ce  qui  est  advenu  de  ce  rêve.  Vaincue, 
désarmée,  privée  de  ses  navires  de  guerre,  de  la  majeure 
partie  de  sa  flotte  commerciale,  physiquement  affaiblie 
par  un  blocus  de  cinq  années,  amputée  de  territoires  qui 
comptaient  parmi  les  plus  productifs  de  son  Empire, 
condamnée  au  paiement  d'une  indemnité  formidable, 
ayant  laissé  plus  de  2  000  000  de  ses  fils  sur  les  champs 
de  bataille,  l'Allemagne  expie  justement  son  crime.  Mais 
il  ne  faut  jamais  oublier  que  la  plupart  des  facteurs  aux- 
quels elle  dut  sa  puissance  d'autrefois  subsistent  dans  leur 
intégrité.  Ses  usines,  ses  mines  sont  intactes,  ses  voies 
ferrées  et  fluviales  sont  prêtes  à  fonctionner  comme  par 
le  passé.  Surtout  l'Allemand  conserve  ou  reprendra,  après 
une  éclipse  passagère,  ses  qualités  maîtresses  et  ses 
méthodes  de  travail  :  discipline,  patience,  application  au 
labeur,  association  des  savants  et  des  hommes  d'affaires, 
concentration  des  efforts  en  vue  d'un  objet  commun.  Sa 
prolificité  lui  permettra  de  combler  rapidement  les  vides 
causés  par  la  guerre.  Très  certainement,  dans  un  delà 
plus  ou  moins  long,  l'Allemagne,  reconstituée,  occupera 
de  nouveau  parmi  les  grandes  nations  une  place  de  pre- 
mier rang.  Nous-mêmes,  les  vainqueurs,  sommes  inté- 
ressés à  cette  renaissance  qui  peut  seule  permettre  aux 
Germains  de  réparer,  dans  une  certaine  mesure,  le  mal 
qu'ils  nous  ont  fait.  11  nous  appartiendra  seulement  — 
après  avoir  exigé  avec  une  juste  rigueur  le  paiement  de 
ce  qu'on  nous  doit  —  de  contrôler  avec  vigilance  leurs 
faits  et  gestes  de  telle  sorte  que  l'Allemagne  ne  risque 
jamais  de  redevenir  pour  la  paix  du  monde  le  plus  redou- 
table de;  dangers. 


80 


LA  HOLLANDE 


CHAPITRE  17 

LA  HOLLANDE 

GENËR.ALITES 


La  Hollande  est  un  des  plus  petits  Etats  de  1  Eu- 
rope (34  186  kilomètres  carre's).  Elle  est  aussi  celui  où  les 
conditions  naturelles  opposaient  le  plus  d  obstacles  aux 
établissements  humains,  à  la  formation  et  au  déve- 
loppement d'une  nation.  Terre  d'alluvions,  de  sable  et 
de  boue,  immense  delta  mare'cageux,  en  partie  infe'rieur 
au  niveau  des  hautes  marées,  sillonné  de  rivières  aux  cours 
incerlcùns,  constamment  menacé  par  les  irruptions  de  la 
mer,  par  les  crues  des  fleuves,  la  Néerlande  (le  Pays- 
Bas)  est,  à  la  lettre,  une  conquête  de  l'homme  sur  le 
domaine  des  eaux.  L'eau  est  encore  partout  :  dans  le 
fous-sol  spongieux,  à  la  surface  sous  forme  de  canaux,  de 
rivières,  de  tourbières,  de  bras  de  mer,  dans  l'atmo- 
sphère chargée  d'humidité,  voilée  de  vapeurs  aqueuses, 
dans  le  ciel  où  courent  sans  cesse  les  lourds  nuages  chassés 
par  les  vents  d'Ouest.  Il  a  fallu  une  longue  suite  d'efforts 
obstinés,  d'abord  pour  fixer,  assécher  le  sol  mouvant, 
le  protéger  contre  les  raz  de  mirée,  les  inondations,  la 
morsure  sournoise  des  eaux  souterraines,  puis  accroître 
patiemment  sa  superficie  aux  dépens  des  mers.  .Mais  ces 
efforts  n'ont  pas  été  vains.  Les  gens  des  Pays-Bas,  fa- 
çonnés par  cette  lutte  opiniâtre,  surent  ac:]uénrde  bonne 
heure  la  richesse,  la  hberté  et  la  puissance.  Au  -Wll  siècle. 


ils  n'avaient  point  de  rivaux  pour  le  commerce  des  mers. 
I-eurs  artistes  :  les  Rembrandt,  les  Ruysdaël,  les  Hob- 
bema,  les  Terburg,  étaient  les  premiers  du  monde.  Ils 
purent  même  tenir  tê:e.  et  avec  succès,  à  l'Angleterre 
d  abord,  puisàla  Francetriomphantede  LouisXIV.Sans 
doute  cette  magnifique  prééminence  ne  s'est  pas  main- 
tenue, et  la  Hollande  contemporaine  a  repris  le  rang 
plus  modeste  que  sa  petitesse  lui  assigne  forcément.  Mais, 
par  la  densité  de  sa  population  (6831  000  habitants 
en  1919,  soit  198  au  kilomètre  carré),  par  l'importance  de 
ses  transactions  commerciales  (7  000000000  de  florins 
valant  plus  de  14000000000  de  francs  en  1913;  — 
5  11  5  000  000  de  florins  en  1 920,  valant  plus  de  20  mil- 
liards de  francs),  par  la  valeur  de  son  empire  colonial,  par 
les  solides  qualités  de  ses  fils,  elle  tient  dans  le  monde  une 
place  singulièrement  plus  grande  que  l'exiguité  de  son 
territoire  ne  semblerait  le  comporter. 

De  plus,  efle  est  une  des  rares  na'.ions  européennes 
qu'épargna  la  Grande  Guerre.  Plus  heureuse  que  sa 
voisine  belge,  sa  neutralité  n'eut  pas  à  être  violée.  Elle 
t'enrichit,  au  lieu  de  se  ruiner,  et  se  trouva  prête,  dès 
la  cessation  des  hostilités,  à  mettre  à  profit  les  avantages 
d'une  situation  aussi  favorisée. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE  ET  POLITIQUE 


LE  RELIEK.  ^£l  La  Hollande  n'est  qu'un  frag- 
ment de  l'immense  plaine  qui  court,  sans  solution  de  con- 
tinuité, de  la  Flandre  française  à  l'Oural.  Nul  pays  eu- 
ropéen, sauf  le  Danemark,  n'est  aussi  plat,  aussi  dénué 
de  roches  solides.  Le  point  culminant  des  Pays-Bas  pro- 
prement dits  n'atteint  que  107  mètres  dans  les  dépots 
sablonneux  de  la  \'elu\ve.  Pour  trouver  une  altitude 
supérieure  à  200  mètres,  de  vraies  collines  et  la  roche 
en  place,  il  faut  remonter  la  Meuse  jusqu'au  Limbourg 
hollandais,  au  pays  de  Maëstricht  qui.  gc'ographiquement, 
fait  partie  de  la  Belgique. 

Partout  ailleurs,  on  ne  trouve  que  des  terres  meubles 
de  deux  origines  différentes.  A  l'Est  et  au  Sud.  dans  le 
pays  de  Drenthe.  la  Gueldre.  la  Campine  brabançonne, 
prédominent,  comme  dans  toute  l'.Allemagne  du  Nord, 
les  sables  et  graviers  laissés  par  les  glaciers  Scandinaves 
lors  de  leur  plus  grandeextension.  Absorbant  les  eaux  de 


pluie,  ils  forment  des  îlots  de  terres  sèches,  mais  peu 
fertiles,  vêtues  généralement  de  landes  de  bruyères  et 
de  genêts.  Des  maisonnettes  d'argile,  couvertes  de  grands 
toits  de  chiume.  abritent  une  population  clairsemée  qui 
cultive  le  seigle,  la  pomme  de  terre,  élève  des  abeilles 
et  des  troupeaux  de  moulons.  Entre  les  ondulations 
s'étalent  des  marais,  des  tourbières  aux  eaux  noires  ou 
violet  sombre.  La  tourbière  de  Bourtange  couvre  une 
partie  des  provinces  de  Groningue,  Drenthe  et  O  ver- Ijssel 
(plus  de  4000  kilomètres  carrés,  dont  un  tiers  en  .'Mle- 
magne).  Elle  fut  la  barrière  naturelle  isolant  les  peu- 
plades germaniques  des  Pays-Bas  de  leurs  soeurs  alle- 
mandes. Dans  le  Brabant  oriental,  les  marais  de  Peel 
jouèrent  un  rôle  analogue. 

A  l'Ouest,  les  trois  provinces  entières  de  la  Hollande 
Nord  et  Sud  et  de  Zélande,  une  partie  de  la  province 
d'Utrecht.  de  la  Gueldre  (la  Betuwe).  de  la  Frise  et 


L'EUROPE 


MOILILANIDE. 

LA  Z.ONE  DES   POLDERS 


^SSf^ 


du  Groningue,  en  tout  59  pour  1 00  environ  de  la  superficie 
totale,  sont  exclusivement  forme'es  des  alluvions  charriées 
par  le  Rhin,  la  Meuse  et  l'Escaut.  Plus  de  collines, 
d'ondulations  sableuses,  mais  l'immensité  des  terres  plates, 
des  argiles  noires  et  grises  mêlées  de  débris  végétaux. 
La  majeure  partie  de  ces  alluvions  se  trouve  à  un  niveau 
inférieur  au  niveau  moyen  des  hautes  marées  et  des 
fleuves.  D  autres,  plus  basses  encore,  les  polders,  étaient 
d  anciens  golfes  ou  lacs  saumàtres  que  l'on  dessécha  arti- 
ficiellement. 11  faut  les  protéger  contre  le  lent  envahisse- 
ment des  eaux  d'infiltration.  De  là,  la  multitude  des 
canaux,  des  fosses  qui  découpent  le  sol  en  deunier,  la  mul- 
titude aussi  de  ces  moulins  aux  ailes  bigarrées,  hissés 
sur  une  plate-forme  de  bois,  qui  actionnent  sans  relâche 
les  pompes  d'épuisement  et  que  l'on  retrouve  sur  tant  de 
paysages  des  maîtres  hollandais.  Ces  terres  asséchées 
deviennent  merveilleusement  fécondes.  A  perte  de  vue 
se  succèdent  les  vergers  pleins  de  fruits,  les  champs  de 
blé,  de  betteraves,  de  colza,  d'oignons,  de  navets, 
qu  égayé,  par  endroits,  le  rouge  éclatant  des  tulipes. 
Ailleurs,  et  plus  souvent,,  la  prairie  domine.  Derrière 
le  mince  rideau  des  ormes,  des  saules,  des  peupliers  qui 
bordent  routes    et  canaux,   les   troupeaux   de   vaches  à 


robe  blanche  et  noire  passent  l'année  presque  entière  en 
plein  air  dans  l'herbe  aussi  savoureuse  que  celle  de  nos 
prairies  normandes.  Le  long  des  digues  se  groupent  les 
maisonnettes  de  briques,  au  toit  pointu,  éclairées  de 
larges  fenêtres  munies  de  petits  carreaux,  et  reluisantes 
de  cette  propreté  légendaire  qui  est  une  des  vertus  de  la 
race. 

LES  EAUX.  ^  £)  La  moitié  des  terres  hollandaises 
n  est  autre  chose  que  le  delta  commun  de  trois  grands 
fleuves  :  Rhin,  Meuse,  Escaut. 

Le  Rhin  traverse  la  frontière  hoUando-allemande  un 
peu  en  aval  d'Emmerich.  11  est  alors  large  de  700  mètres 
et  profond  de  4  mètres.  Il  se  divise  promptement  en 
deux  bras  et  perd  jusqu'à  son  nom.  Le  bras  de  droite, 
appelé  d'abord  Lek,  puis  Nouvelle-Meuse,  emporte  un 
tiers  environ  des  eaux.  11  arrose  Arnhem,  Rotterdam 
et  débouche  dans  la  Mer  du  Nord  près  de  Hoek  van 
Holland.]  Trois  émissaires  secondaires  s'en  détachent  : 
rijssel  et  la  Vecht  qui  aboutissent  au  Zuyderzée.  le 
Vieux-Rhin  qui,  par  Utrecht  et  Leyde,  atteint  la 
mer    aux    écluses   de   Katwyck. 

Le  bras  gauche  écoule  les  deux  tiers  des  eaux.  Sous 
le  nom  de  Waal,  il  passe  à  Nimègue  et  est  rejoint  à 
Gorinchem  par  la  Meuse,  qui,  entrée  en  Hollande  à 
Maëstricht,  décrit  une  grande  courbe  et  court  parallèle- 
ment au  Rhin  avant  de  s'unir  à  lui.  La  masse  des  eaux 
ainsi  réunies  aboutit  à  la  mer  par  une  série  d'embouchures 
en  partie  artificielles.  Les  unes  se  déversent  directement, 
par  Gertruydenberg,  dans  le  bras  de  mer  appelé 
Hollandsch  Diep  ;  d'autres  arrivent  au  même  HoUandsch 
Diep  par  le  dédale  des  canaux  du  Biesboch.  Le  resîe. 
enfin,  contourne  le  Beijerland  et  va  rejoindre  la  Nouvelle- 
Meuse  en  aval  de  Rotterdam.  En  multipliant  les  canaux 
de  décharge,  les  Hollandais  sont  pctfvenus  à  conjurer  le 
danger  qui  résultait  de  l'accumulation  des  eaux  de  crue, 
des  glaces  de  débâcle,  sur  un  espace  insuffisant. 

L'Escaut  n'appartient  à  la  Hollande  que  par  les  deux 
bras  de  mer  qui  constituent  son  estuaire,  et  que  séparent 
les  îles  de  Walcheren  et  de  Bévéland.  La  branche  Sud,  le 
Hond,  est  celle  qu'empruntent  les  navires  se  rendant  à 
Anvers. 

Des  digues  puissantes  accompagnent  tous  les  cours 
d'eau  et  protègent  les  campagnes  contre  le  danger  des 
inondations.  Parfois  même  (à  Katwjk,  à  Muiden,  etc.) 
des  écluses  règlent  la  sortie  des  eaux  suivant  le  jeu  alter- 
natif des  marées.  Dans  les  régions  les  plus  basses  au 
voisinage  des  embouchures,  le  niveau  des  eaux  fluviales 
resserrées  entre  ces  levées  se  trouve  supérieur  aux 
terres  qu'elles  traversent,  et  l'on  voit  de  loin,  sous  le  ciel 
gris  tendre,  les  voiles  des  navires  dominer  les  toits  des 
maisons  construites  en  contre-bas  des  digues. 

Une     série  de    canaux    de  toutes  dimensions,  d  une 


82 


LA  HOLLANDE         -^ 


conslniclion  si  aisée  djuis  ce  pays  sans  relief,  complète 
le  réseau  des  fleuves.  Amsterdam,  par  exemple,  est  reliée 
au  Rhin  par  le  canal  de  iMeerwede,  a  la  Mer  du  Nord 
par  le  canal  du  Helder  et  surtout  le  profond  canal 
d'Ijmuiden.  Les  provinces  du  Nord  :  Frise.  Gronmgue, 
Drenlhe  ont  aussi  leur  réseau  particulier  de  voies  navi- 
gables. Près  de  la  moitié  du  trafic  intérieur  emprunte  la 
voie  d'eau,  lente,  mais  commode  et  peu  coûteuse. 

LES  COTES.  ^^  "  Deus  marc,  Balavus  litlora 
Jccil.  "  Dieu  fit  la  mer,  le  Hollandais  se  chargea  du 
rivage.  Vieille  et  fière  devise,  parfaitement  exacte.  Au 
début  des  temps  historiques,  il  semble  que  les  terres 
hollandaises,  protégées  peir  des  dunes  de  sable,  occu- 
paient un  espace  plus  vaste  qu'aujourd'hui.  Les  îles 
Zéiandaises.  les  îles  Frisonnes  formaient  corps  avec  le 
continent.  A  la  place  du  Zuyderzée,  un  lac  saumâtre, 
le  lac  Flevo.  communiquait  avec  la  mer  par  un  "  grau  " 
étroit.  Mais,  au  Moyen  Age,  par  suite  peut-être  d'un 
lent  affaissement  du  sol  alluvial,  la  mer  fit  de  considérables 
progrès.  Se    ruant  a  l'assaut  des    terres,  élargissant    les 

graus",  les  es'uaires,  détruisant  une  partie  des  dunes, 
elle  fragmenta  les  cotes  Sud  et  Nord  en  une  série  d'îles, 
transforma  le  lac  Flevo  en  un  vaste  golfe  marin,  creusa 
les  golfes  du  Dollart  et  du  Lauwerzée.  Des  villages  par 
dizaines,  des  centaines  de  milliers  de  personnes  dispa- 
rurent en  quelques  nuits  de  tempête. 

De  très  bonne  heure,  les  Bataves  cherchèrent,  en  cons- 
truisant des  digues,  à  limiter  le  domaine  des  eaux  (le 
mot  *  Dam  "  qui  revient  si  fréquemment  dans  la  termi- 
nologie des  Pays-Bas  signifie  "  digue  ").  Mais  cette 
œuvre  ne  commença  d'être  réellement  efficace  qu'à  par- 
tir de  la  création,  en  1579,  du  Waterstaat,  littérale- 
ment Etat  de  I  Elau,  ou  Ministère  des  Elaux.  Composé 
d'ingénieurs  spécialistes  choisis  avec  le  plus  grand  soin. 
le  Waterstaat  est  chargé,  d'une  part  de  maintenir  ce  qui 
est,  et  d'autre  part  de  reconquérir  peu  à  peu  le  terrain 
perdu. 

LÀ  où  euilc  le  leoip^il  naluiel  des  dunes  de  sable  (par 
exemple  de  la  pointe  du  Helder  à  la  Zclande,  dans  certaines  îles 
iclandaises,  clc),  il  augmente  leur  solidité  en  les  revêtant  d'une 
\critable  cuirasse  de  dalles  de  granit  ;  il  les  protège  par  des  brise- 
lames,  il  sun'cille  les  dangereuses  infiltrations  qui  pourraient  les 
miner.  Ailleurs,  il  construit  de  toutes  pièces  des  digues  monumen- 
tales, telles  la  levée  de  Weîtkapelle  dans  l'île  de  Walcheren,  les 
dignes  du  Helder,  clc.  11  doit  parer  avec  non  moins  de  soin  aux 
périls  des  inondationsRuviales. C'est  lui  quia  approfondi,  régularisé 
le  lit  des  cours  d'eau,  qui  les  a  munis  de  déversoirs  artificiel!  et 
d'écluse.',  qui  a,  par  endroits,  complctemenl  modifié  leur  cours  na- 
turel, qui  les  a  endigués  de  telle  sorte  que  leurs  crues,  leur» 
débâcles  sont  devenues  inoffensives.  Œuvre  colossale,  si  l'on  songe 
à  l'ampleur  de  pareils  travaux  et  à  l'impossibilité  presque  absolue 
de  trouver  sur  place  les  matériaux  de  construction  indispensables. 
C'est  la  Norvège  qui  a  fourni  le  granit,  le  gneiss,  les  bois.  Aussi 
dit-on    proverbialement  en  Hollande  que   certaine*  digues,  où  l'on 


travaille  depuis  trois  siècles,  eussent  motm  coulé  "  si  elles  avaient 
été  construites  toutes  en  or". 

La  seconde  tâche  du  W^aterstaai  fui  d'agrandir  le  domaine  de« 
terres  cultivables  en  desséchant  les  régions  lacustres  au  moyen  de 
pompes  actionnées  par  des  moulins  ou  par  la  vapeur.  Ainsi,  de 
1 8-40  à  1 8-48,  la  mer  de  Haarlem,  au  Sud-Ouest  d'Amsterdam, 
(ut  ccmplètemeni  vidée  et  ses  18000  hectares  de  grasses  terre' 
furent  livrées  à  la  charrue.  On  calcule  que,  dans  les  provinces  de 
Hollande,  Zélandc,  Groningue  et  Frise,  plils  de  400000  hectares 
ont  été  de  la  sorte  repris  peu  à  peu  sur  les  eaux,  et  un  seul  coup 
d'œil  jeté  sur  des  cartes  à  grande  échelle,  par  exemple  pour  les 
régions  comprises  entre  La  Haye  et  la  pointe  du  Helder,  suffit  à 
le  démontrer.  La  légularité  mathématique  des  parcelles  de  sol 
mises  en  culture,  des  canaux  et  fossés  qui  les  bordent,  des  levées 
qui  les  circonscrivent,  indiquent  immédia  emenl  l'emplacement  de 
ces  "  mers  "  d'autrefois  transformées  en  "  polders  "  productifs. 

Les  succès  obtenus  ont  même  permis  d'envisager  une  oeuvre 
d'une  envergure  singulièrement  plus  vaste  :  l'assèchement  partiel 
du  Zuyderzée.  Lorsque  les  travaux,  déjà  en  cours  d  exécution. 
îcroiA  terminés,  quatre  polders  nouveaux,  d'une  superficie  totale  de 
plus  de  2000  kilomètres  carrés,  s'ajouteroni  au  domaine  utilisable 
des  Pays-Bas. 

Enfin  le  Waterstaat  a  encore  dans  ses  attributions  la 
construction  des  canaux,  des  ponts,  des  écluses,  l'aména- 
gement des  ports,  la  mise  en  valeur  des  polders  par  des 
amendements  appropriés,  et  l'exploitation  des  tourbières 
dans  les  provinces  orientales.  Le  dessèchement  des 
tourbières  est,  pour  la  Drenlhe,  la  Gueidre,  le  Brabant, 
presque  aussi  importante  que  la  création  des  polders  peut 
l'être  pour  les  pays  de  l'Ouest,  et,  malgré  les'  progrès 
déjà  réalisés,  il  reste  encore  beaucoup  k  faire  pour  trans- 
former en  prairies  ou  en  terres  cultivables  les  vastes 
espaces  couverts  d'eaux  noires  sur  lesquels  le  vent  du 
Nord  fait  frissonner  les  sphaignes  et  les  touffes  trem- 
blantes des  joncs. 

LE  CLIMAT.  ^£>  Comme  il  apparaît  par  le 
tableau  suivant,  le  climat  de  la  Hollande  est  inter- 
médiaire entre  le  climat  de  type  purement  océanique 
et  le  climat  continental  : 


Slalions 


Ahitule. 


i  I  Ulledit    . . 
1 1  Groningue 


13  m. 
ISn. 


Tonp^rali 


lires  moycniies. 


de 
t'annje.      Janvier. 


9"4 


Jûllet. 


I8«4 
I8°l 


Pluie 


66 
69 


Protégée  contre  l'influence  modératrice  des  vents 
d'Ouest  et  du  Gulf-Stream  par  le  rempart  de  l'Angle- 
terre, la  Hollande  a  des  écarts  assez  grands  entre  les 
températures  d'hiver  et  d'été.  L'hiver  est  assez  froid, 
surtout  dans  les  provinces  du  Nord,  pour  que  les  mares  et 
les  canaux  gèlent  pendant  plusieurs  semaines  consécutives. 
C'est,  du  reste,  un  des  sujets  souvent  traités  par  les 
vieux  maîtres  hollandais  que  celui  de  groupes  de  femmes 

-  — ~  83 


L'EUROPE 


et  de  jeunes  hommes  se  rendant  au  marché  en  gh'ssant  sur 
leurs  patins  au  bec  courbe.  Les  e'te's  sont  suffisamment 
chauds  pour  permettre  partout  la  culture  du  blé,  des  fruits 
et  des  fleurs.  Il  tombe  relativement  peu  d'eau  (67  centi- 
mètres en  moyenne),  mais  en  un  très  grand  nombre  de 
jours,  il  "  crachine  ",  comme  on  dit  en  Bretagne,  deux 
jours  sur  trois.  De  plus,  l'abondance  des  eaux  de  sur- 
face entretient  une  humidité  persistante,  des  brumes 
qui  traînent  sur  les  campagnes  mélancoliques.  Enfin, 
les  grands  nuages  venus  du  large  envahissent  trop 
continûment  un  ciel  bien  rarement  pur  ;  et,  l'hiver  sur- 
tout, le  vent,  soufflant  en  rafales  violentes,  ne  contribue 
pas  à  rendre  fort  agréable  un  climat  par  ailleurs  très  sain. 
La  Hollande  n'est  point  triste  pourtant.  Le  spectacle 
toujours  changeant  d'un  ciel  sans  limites,  les  échappées 
de  lumière  à  travers  les  vapeurs  ouatées  qui  montent  du 
sol  détrempé,  l'aspect  riant  des  maisons  de  bnquesrouges, 
un  moulin  de  bois  sombre,  patiné  par  le  temps,  près  des 
saules  inclinés  sur  le  calme  miroir  des  eaux,  les  monu- 
ments du  passé  et  l'activité  bien  réglée  du  temps  présent, 
les  navires  qui  vont  et  viennent,  les  carrioles  filant  sur 
les  routes  soigneusement  pavées  de  briques,  çà  et  là,  dans 
les  îles  notamment,  des  costumes  pittoresques,  et  partout 
un  air  de  robustesse,  de  santé  fleurie,  d'aisance  solide- 
ment assise,  de  confiance  en  soi,  tout  cela  compose  un 
ensemble  qui,  dès  l'abord,  attire  et  intéresse,  et  qui' 
après  un  séjour  prolongé,  finit  pas  exercer  une  réelle 
séduction. 

LES  HABITANTS.  NATIONALITÉ  ET 
CARACTERE.  00  Le  peuple  est  formé  d'un 
mélange  de  Celtes  et  de  Germains.  Frisons  au  Nord, 
Francs  et  Bataves  au  Sud,  Saxons  à  l'Est  furent  les 
peuplades  germaniques  qui  se  fixèrent  les  premières  sur 
le  sol  néerlandais  et  y  supplantèrent  les  anciennes  popu- 
lations celtiques  sans  toutefois  les  anéantir.  Encore 
aujourd'hui,  les  provinces  du  Sud  (Brabant,  Limbourg, 
partie  de  la  Zélande)  ont  conservé  une  forte  proportion 
d'individus  à  cheveux  noirs  ou  châtains,  aux  yeux  bruns. 
Ailleurs  prédominent  presque  exclusivement  les  blonds 
aux  yeux  bleus.  D'autres  différences  sont  encore  sensibles 
entre  les  usages,  les  caractères,  la  forme  des  habitations, 
les  costumes,  les  dialectes  même  des  divers  groupes 
ethniques  qui  se  sont,  cependant,  fortement  amalgamés 
au  cours  de  longs  siècles  de  vie  commune  sous  un  même 
climat. 

Le  Hollandais  est  généralement  grand,  fortement 
charpenté,  flegmatique  et  d'aspect  froid,  bien  qu'il  se 
plaise  aux  kermesses  bruyantes,  aux  ripailles  plantureuses. 
C  est  un  bourgeois  dans  toute  la  force  du  terme,  peu 
porté  aux  rêveries  mystiques,  mais  ayant  les  vertus  uti- 
litaires qui  font  les  maisons  solides.  Ingénieur  adroit, 
excellent  marin,  commerçant  perspicace,  sachant  être 
84  = 


tour  à  tour  un  individualiste  forcené  ou  le  membre  disci" 
pliné  d'une  association,  il  apporte  dans  tout  ce  qu'il 
entreprend  un  esprit  de  suite,  une  volonté  lucide,  un 
sens  des  réalités  qui  sont  des   gages  certains  de  succès. 

Sa  langue,  le  néerlandais,  qui  est  un  des  dialectes  du 
bas-allemand,  est  peu  répandue.  Aussi  la  majeure 
partie  des  Hollandais  qui  sortent  du  commun  parlent-ils 
avec  aisance  deux  ou  trois  des  langues  européennes  les 
plus  courantes. 

En  fait  de  religion,  le  protestantisme  domine  :  les 
trois  cinquièmes  de  la  nation  appartiennent  à  la  religion 
réformée.  Les  catholiques  (  1  800  000)  habitent  surtout 
les  provinces  du  Sud.  Quelques  dizaines  de  milliers 
d'israélites  d'origine  allemande  ou  portugaise  vivent  dans 
les  grandes  villes  et  notamment  à  Amsterdam,  où  leur 
richesse,  leur  habileté  commerciale,  leur  assurent  une 
influence  disproportionnée  avec  leur  nombre. 

Hislcire  et  gouvernement.  —  Lorsque  les  Bataves  entrent 
dans  l'histoire,  ils  font  partie  de  l'Empire  romain.  C'est  Rome  qui 
civilisa  leurs  peuplades  encore  barbares,  bien  qu'elle  ait  laissé  peu 
de  traces  de  sa  domination.  Après  les  Grandes  invasions,  leur 
pays,  d'abord  compris  dans  l'Empire  franc,  puis  rattaché  à  la 
Lotharingie,  fit  partie  successivement  du  Samt-Empire  germanique, 
puis  des  domaines  de  la  maison  de  Bourgogne.  Au  XVi^  siècle,  les 
Hollandais  qui  s'étaient  enrichis  par  la  pêche,  l'industrie  des  toiles. 
le  commerce  des  mers  et  qui  avaient  pris  des  habitudes  d'auto- 
nomie très  large,  se  convertirent  en  majorité  au  protestantisme. 
Atrocement  persécutés  par  Charles-Quint  et  Philippe  II,  ils  s'in- 
surgèrent en  1579,  se  constituèrent  en  République  fédérale  des 
Provinces-Unies,  et  firent  par  !a  suite  reconnaître  leur  indépendance 
par  les  grands  Etals  européens.  Le  XV!l'  siècle  vit  l'apogée  de  leur 
puissance  politique,  commerciale,  coloniale,  artistique.  Le  X\'ni'' 
siècle  en  vit  le  déclin.  Au  XDC''  siècle,  après  avoir  été  République 
Batave  sous  la  Révolution  française,  la  Hollande  forma  un  royaume 
dirigé  par  le  prince  Louis,  puis  fit  partie  intégrante  de  l'Empire 
Français.  Une  décision  du  Congrès  de  Vienne  en  1815  créa  un 
Royaume  des  Pays-Bas  comprenant  non  seulement  les  anciennes 
Provinces-Unies,  mais  aussi  la  Belgique.  La  Révolution  de  1830 
rendit  a  la    Belgique  son  indépendance. 

Depuis  lors,  la  Hollande  forme  un  royaume  constilutionnel  dont 
le  souverain  partage  le  pouvoir  législatif  avec  les  Etals-Généraux 
composés  de  deux  Chambres  :  une  Chambre  haute  analogue  au 
Sénal  français  et  une  seconde  Chambre  dile  Chambre  des  députes, 
composée  de  1  00  membres  élus  au  suffrage  censitaire.  Bien  que  le 
souverain  —  qui  peut  être  une  souveraine  —  ait  théoriquement 
des  pouvoirs  étendus,  c'est  la  bourgeoisie  riche  et  éclairée  qui 
dirige  réellement  les  affaires  de  la  nation. 

POPULATIONS,  PROVINCES  ET 
VILLES.  00  La  population  totale  des  Pays-Bas 
atteignait,  en  1919,  6831  000  habitants,  soit  198  au 
kilomètre  carré.  De  tous  les  Etats  européens,  seule  la 
Belgique  a  une  densité  plus  forte.  Très  clairsemée  dans 
les  provinces  de  l'Est,  ou  prédominent  les  landes,  les 
tourbières,  les  sables  infertiles,  la  population  s'entasse 
dans  les  riches  territoires  de  Hollande,  de  Zélande,  du 
Bétuwe,  où  la  densité  dépasse  200  et  même  300  habi- 
tants au  kilomètre  carré.   Malgré  cette  forte   densité. 


LA  HOLLANDE 


CANAL  A   DORDRECHT.   Comme  Ulrechl.   Dordttcht  est  née  d'une  ationie 

nmaine  ètahlie  à  l'un  des  Ooin/f  de  pauage  du  Rfân  inférieur.  File  %e  dévelofitxi  eonsi- 
dérahlement  à  partir  du  XIII'  siècle^  grâce  aux  rtlations  quelle  entretenait  pat  eau 
avec  les  villes  rhénanes.  Elle  a  dû.  de  nos  jours,  s' incliner  devant  l'érmiante  rnnnirrenre 


de  Rollerdam  directement  acctsaiUe  aux  plus  grands  navires  de  haute  mer.  Toutefoà, 
c'est   encnre  un  port  fort    actif,  et   ce   canal  oit  glissent  les   barques,    ces  hautes    \ 
maisons  étroites  mais  confortables  qui  se  pressent  sur  les  rives,  symbofisent  V  "  aqua^ 
ti<ïiK  "  Hollande,  enrichie  par  le  commerce  fluvial  et  maritime.  ' 


85 


L'EUROPE 


LE  LANDGUIDIK,  digue  en  forme  de  gradins,  est  un 
exemple  typiQue  des  prodigieux  Iravaux  auxquels  durent,  de- 
puis des  sièJes,  s'astreindre  les  Néerlandais  pour  protéger  leur 
sol  contre  l'irruption  de  la  mer. 


PAYSANNES   HOLLANDAISES 

demeurées,  en  Zélande  et  dans  les 
ilesdu  Zuyderzée.  heureusement  fidè- 
lesà  leur  charmant  costume  national. 


MARKEN.  Sous  le  ciel  gris,  au  ras  de  la  mer  apaisée,  fem- 
mes et  filles  de  pêcheurs,  en  bonnets  blancs  et  jupes  courtes,  se 
hâtent,  sur  l  étroite  chaussée  de  briques,  vers  le  petit  port 
où  se  balancent  les  barques. 


■^jHf^  **^?^*ïi*iJ 


PAYSAGE  HOLLANDAIS  si  souvent  rcuroduil  ions  les  tableaux  des  grands 
maUres  du  XVII'  siècle  :  canaux  drainant  les  eaux  des  polders,  pont  arqué,  mcuhns 
actionnant  les  pompes  d'épuisement,  beaux  troupeaux  de  vaches  laitières  paissant 
l'berbe  savoureuse  des  prés-salés.  ^''  Lev\  . 


CHAMP  DE  JACINTHES  PRrS  DE  HAARLEM. Ma/jre  la  rareté  des  jours 
ensoleillés,  les  Hollandais  ont  su  mettre  à  profit  l'humidité  de  leur  climat  el  la  fécon- 
dité de  leurs  alluvions  pour  obtenir  de  magnifiques  champs  de  fleurs,  jacinthes  et 
tulipes  surtout,  mais  aussi  orchidées  et  autres  plantes  rares. 


A.\1STERDAM.  La  "  Venise  du  Nord  "  s'est  édifiée  sur  les  rives  marécageusesdu 
Ziiyderzée.  Elle  est  sillonnée  tout  entière  par  un  réseau  de  canaux  concerrtriques  qtii 
marquent  comme  les  étapes  de  sa  fortune,  due  d  abord  à  la  pêche  du  hareng,  puis  au 
grande  '  Cl.  ChUSSEAU-FiaMENS. 


ALKMAAR  ■  MARCHÉ  AUX  FROMAGES.  Pays  d'élevage  intensif,  atteignant 
un  haut  degré  de  perfection,  la  Hollande  des  polders  tire  de  beaux  revenus  de  la 
vente  de  ses  bemres  et  de  ses  fromages  ronjî.  dits  "  tête  de  mort  .  qms  exportent 
dis  l'Europe  entière.  CL   Chusseau-Flaviens. 


LA  HOLLANDE 


malgré  un  accroissement  re'gulier  annuel  de  80000àmes 
dû  aux  exce'dents  des  naissances  sur  les  décès,  la 
Hollande  ne  fournit  qu'un  nombre  infime  d'émigrants 
(2000  en  moyenne  chaque  année).  Grâce  à  l'extension 
régulière  des  terres  cultivables,  à  la  perfection  des 
méthodes  d'exploitation  rurale,  aux  profits  assurés  par 
les  opérations  commerciales,  1  industrie,  etc.,  le  Hollan- 
dais trouve  chez  lui  assez  d  emplois  rémunérateurs  pour 
ne  point  abandonner  une  patrie  à  laquelle,  du  reste,  il 
est  passionnément  attaché.  De  plus,  le  magnifique 
domaine  colonial  que  possèdent  encore  les  Pays-Bas 
dans  les  Indes  orientales  (Java.  Sumatra,  Célèbes,  etc.) 
ne  se  prête  qu  à  l'exploitation  et  non  pas  au  peuplement 
européen. 

La  Hollande  est  présentement  divisée  en  onze  pro- 
vinces gouvernées  par  des  '  "  Commissaires  de  la  Reine  ". 
Les  plus  riches,  les  plus  peuplées  se  trouvent  àl  Ouest, 
dans  la  zone  des  polders  situés  au-dessous  du  niveau 
des  hautes  marées. 

La  Zélande  (pays  de  la  mer)  comprend,  outre  une 
bande  continentale  au  Nord  de  la  Flandre  belge,  un 
groupe  de  six  îles  :  Walcheren,  Nord  et  Sud  Beveland, 
Schouwen,Tholen,  Saint- Philipsland,  qui  forment  comme 
le  delta  fractionné  de  l'Escaut.  Terre  de  pêcheurs  et  de 
marins  hardis,  patrie  des  amiraux  Tromp  et  Ruyier,  la 
Zélande  a  peu  de  villes.  Middelbourg,  la  capitale,  est 
sans  importance  ;  Flessingue  (30000  habitants). qui  rêva 
d'être  le  grand  débouché  de  I  Escaut,  ne  peut  lutter 
contre  la  concurrence  d'Anvers. 

La  Hollande  méridionale  est  traversée  par  le  cours 
inférieur  de  la  Meuse  et  du  Rhin.  La  capitale  de  la  pro- 
vince est  La  Haye  (359000  habitants), de  son  vrai  nom 
S'Gravenhage  ou  la  Haie  du  Comte.  .A.ncien  rendez- 
vous  de  chasse  des  comtes  de  Hollande.  La  Haye  est 
la  résidence  de  la  famille  royale  et  le  siège  du  gouverne- 
ment néerlandais  ;  ville  aristocratique,  paisible,  élégante, 
aux  larges  avenues,  que  complète  la  station  balnéaire  de 
Scheweningen .  Leyde(6l000  habitants)  mire  ses  hautes 
maisons  a  pignons  dans  les  eaux  du  Vieux- Rhin.  Elle 
fut,  au  xvri^  siècle,  fort  réputée  pour  ses  draps  et  ses 
lainages,  pour  son  Université  aussi,  l'une  des  plus  an- 
ciennes de  l'Europe.  Les  meilleurs  peintres  hollandais  y 
naquirent  ou  y  vécurent  :  Lucas  de  Leyde,  Rembrandt, 
Gérard  Dow,  Gabriel  Metzu.  etc.  Deift  (38000  ha- 
bitants), aux  célèbres  faïences  imitées  des  porcelaines  de 
Chine,  Gouda  (26000  habitants),  vieille  cité  un  peu 
morte,  contrastent  par  leur  calme  avec  l'intensité  de  vie 
qui  afflue  à  Rotterdam. 

Rotterdam  (506000  habitants)  doit  sa  croissance 
extrêmement  rapide  et  le  merveilleux  développement  de 
son  activité  commerciale  à  la  place  qu  elle  occupe  au 
débouché  du  Rhin  et  de  la  Meuse. 

Dans  ses    bassins  profonds   de     10  mètres,  sur  une    longueur  de 


35  kilomètres,  elle  reçoit  les  plus  grands  navires  dé  mer.  D'autre 
pari,  elle  est  la  tête  de  ligne  de  la  navigation  fluviale  qui  dessert 
les  régions  industrielles  deWesIphalie,  de  la  Ruhr,  delà  Sarre,  etc. 
Sans  passé,  sans  intérêt  artistique,  Rotterdam,  comme  Manchester 
ou  Liverpool,  n'intéresse  que  par  son  activité,  l'ampleur  et  le  per- 
fectionnement de  son  outillage  maritime,  les  ponts  gigantesques 
jetés  sur  la  Meuse,  la  variété  des  affaires  qui  s'y  traitent,  des  mar- 
chandises qui  s'entassent  dans  ses  docks. 

Près  de  Rotterdam,  Schiedam  (39000  habitants)  est 
une  ville  industrielle  renommée  pour  ses  distilleries. 
Dordrecht  (53000  habitants),  vieille  cité  célèbre  au 
xvu®  siècle  par  l'intensité  de  sa  vie  religieuse,  fait  le 
commerce  des  bois  de  la  Foret  Noire  et  de  la  Bal- 
tique. 

La  Hollande  septentrionale,  resserrée  entre  la  Mer 
du  Nord  et  les  côtes  découpées  du  Zuyderzée,  n'est 
qu'un  immense  polder.  Sa  capitale,  Amsterdam 
(647  000  habitants),  après  avoir  été  au  XVl"  et  au 
XVll*  siècle  la  première  place  commerciale  de  l'Europe, 
faillit  être  ruinée  par  le  Blocus  Continental  d'abord,  puis 
surtout  par  1  accroissement  du  tonnage  des  navires  qui 
ne  pouvaient  plus  utiliser  les  eaux  très  peu  profondes  du 
Zuyderzée.  Elle  para  à  cette  infériorité  d'abord  en 
creusant  le  canal  du  Helder.  puis  le  large  canal 
d  Ijmuiden  qui  l'unit  directement  à  la  Mer  du  Nord  et 
qui,  accessible  aux  navires  de  haute  mer,  lui  a  rendu  son 
ancienne  prospérité. 

Sans  avoir  l'importance  de  Rotterdam,  à  laquelle  sa  situation  au 
débouché  du  Rhm  assure  un  avantage  indéniable,  Amsterdam 
n  en  demeure  pas  moins,  grâce  sur  oui  à  ses  relations  avec  les 
colonies  de  l'Insulinde,  le  premier  marché  du  monde  pour  le  quin- 
((Uina  et  I  élam,  I  un  des  premiers  pour  le  cacao,  le  sucre,  les 
épices,  le  café,  le  tabac,  etc.  De  plus,  une  florissante  industrie  s'y 
est  développée.  A  la  taille  du  diamant,  d'antique  renommée,  et 
t)ui  emploie  à  elle  seule  30000  ouvriers,  s'ajoutent  des  ateliers  de 
consiruclion  navale,  des  raffineries  de  sucre,  des  distilleries,  etc. 
Enfin  Amsterdam,  la  "  Venise  du  Nord  ",  bâtie  tout  entière  sur 
pilotis,  doit  une  réelle  originalité  à  ses  nombreux  canaux  concen- 
triques où  glissent  des  barques  lourdes,  aux  vieilles  maisons 
étroites,  à  pignons  pointus,  qui  se  penchent  sur   les  eaux    glauques. 

Haaricm  (77000  habitants)  exporte  dans  le  monde  entier 
les  tulipes,  les  glai'euls,  les  jacinthes  produits  par  les  jar- 
dins de  son  polder.  Zaandam  (28000  habitants),  Allcmaar 
(23000  habitants)  sont  des  centres  de  riche  agriculture 
cl  délevage.  Les  pêcheurs  de  Volendam.  d  Edani.  de 
l'Ile  Marken  ont  conservé  leur  pittoresque  costume 
d'autrefois. 

Les  provinces  de  Frise  et  de  Gromngue  élèvent  de 
magnifiques  troupeaux  de  bœufs  et  de  chevaux,  exportent 
leur  viande,  leur  beurre,  leur  fromage,  Leuwarden 
(42000  habitants),  Groningue  (89000  habitants)  en  sont 
les  paisibles  capitales. 

La  Drenlhe  (chef-lieu  :  Assen),  rOver-ijssel  (villes 
principales  :  Zwolle  |35  000  habitants],  Kampen, 
Deventer),  ont  une  partie  de  leur  sol  couvert  de   tour- 


87 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELU. 


L'EUROPE 


bières  et  de  landes  qu'elles  travaillent  obstinément  à 
améliorer. 

La  province  de  Gueldie  doit  son  surnom  hyperbo- 
lique de  "  Suisse  hollandaise  "  au  fait  qu'elle  possède 
quelques  riantes  collines  et  des  bois  assez  étendus, 
chose  fort  rare  en  Hollande.  Sa  capitale,  Arnhem 
(71  000  habitants)  sur  le  Lck,  la  vieille  cité  de  Nimègue 
(66000  habitants)  sur  le  Waal,  le  nouveau  centre  de 
Apeldorn  (46  000  habitants)  sont  la  résidence  favorite 
des  rentiers,  des  retraités,  des  commerçants  enrichis  aux 
Indes  orientales  :  MMrs.  du  sucre. 

Dans  la  province  d'Utrecht,  la  capitale  est  Utrecht 
{Trajectum  ad  Rhenuw),  d'ongme  romaine  comme 
Arnhem.  Nimègue  et  Maëstricht.  C'est  une  pittoresque 
cité  de  138000  habitants  qui  fut,  en   1579,  le  berceau 


des    Provinces-Unies   et  en  est  restée  le  grand  centre 
intellectuel. 

Le  Brabant  Hollandais,  la  plus  vaste  des  provinces, 
servait  de  boulevard  militaire  à  la  République.  Berg 
op  Zoom,  Bréda  (30000  habitants),  Bois-le-Duc 
(38000  habitants),  Tilburg  (61000  habitants)  jouèrent 
un  rôle  fameux  dans  les  guerres  d'autrefois.  Elles  s'oc- 
cupent plus  pacifiquement  aujourd'hui  de  développer 
des  industries  de  vieille  renommée  :  toiles,  métallurgies, 
brasseries,  etc. 

Enfin  le  Limbourg  est  un  morceau  de  Belgique  rat- 
taché aux  Pays-Bas,  Maëstrischt  (41  000  habitants), 
pittoresquement  assise  aux  rives  de  la  Meuse,  près  de 
charmantes  collines  boisées,  en  est  la  capitale. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


Nous  avons  montré  précédemment  comment  s'est 
constituée  la  Hollande,  par  quelle  lutte  longue  et  diffi- 
cile elle  est  parvenue  à  arracher  aux  flots  une  terre 
qu'ils  envahissaient.  Ce  combat  séculaire  contre  les  forces 
de  la  nature  a  donné  aux  gens  des  Pays-Bas  des  habi- 
tudes de  labeur  obstiné,  de  volonté  tenace,  qu'ils  ont 
appliquées  a  toutes  les  branches  de  1  activité  économique. 
Leur  domaine  est  exigu  ;  le  sous-sol  ne  recèle  qu'une 
très  petite  quantité  de  houille  (3400000  tonnes  dans  le 
Limbourg  en  1919)  et  point  déminerais;  trente  cen- 
tièmes de  la  surface  se  composent  de  marais,  de  tourbières, 
de  sables  improductifs.  Pourtant  nul  pays  au  monde  n'a 
su  se  donner  ingénieusement  plus  de  ressources  et  en 
tirer  un  meilleur  parti  ;  nul  ne  fait,  proportionnellement, 
un  commerce  plus  considérable,  nul  n'est  plus  riche, 
d'une  richesse  solide,  capable  non  seulement  de  résister 
victorieusement  à  des  crises  passagères  qui,  pour  tout 
autre,  seraient  la  cause  d'inéluctables  catastrophes,  mais 
de  les  mettre  à  proht  pour  s'orienter  vers  de  nouvelles 
sources  de  gain. 

AGRICULTURE  ET  ÉLEVAGE.  £)£}  Plus 
du  tiers  de  la  population  des  Pays-Bas  s'adonne  à 
l'agnculture  et  à  l'élevage.  L'Etat  et  les  particuliers 
ont  multiplié  les  écoles  spéciales,  les  tournées  de 
conférences,  les  cours  du  soir  destinés  à  répandre  l'usage 
des  procédés  les  plus  avantageux.  Les  ingénieurs  du 
Waterstaat  s'occupent  eux-mêmes  d'amender  le  sol  des 
polders.  L'Etat  surveille  aussi  de  très  près  la  qualité  des 
produits  destinés  à  l'exportation  et  ne  donne  son  estam- 
pille officielle  qu'aux  denrées  exemptes  de  toute  critique. 
Enfin  le  sens  du  groupement,  très  développé  aux  Pays- 
Bas,  a  multiplié  les  associations  agricoles  pour  le  plus 
grand  bien   des  propriétaires  et  petits   fermiers.    Aussi 


I  agriculture  et  l'élevage  emploient-ils  en  Hollande  des 
méthodes  scientifiques,  intensives,  qui  donnent  de  sur- 
prenants résultats. 

Par  exemple,  ni  le  sol,  ni  le  climat  trop  humides  ne 
sont,  par  nature,  très  favorables  à  la  culture  des  céréales. 
Et,  en  fait,  les  Pays-Bas  doivent  acheter  à  l'étranger  la 
plus  grosse  part  du  blé,  de  l'orge,  du  seigle  même  qu'ils 
utilisent.  Seules,  l'avoine  et  la  pomme  de  terre  sont  cul- 
tivées en  quantité  suffisante  pour  la  consommation.  Mais, 
sur  les  terres  emblavées,  le  rendement  moyen  à  l'hectare 
est  supérieur  d'un  tiers  au  rendement  moyen  des  terres 
françaises.  De  plus,  on  a  su  adapter  le  sol  arable  à  des 
cultures  moins  délicates  ou  plus  rémunératrices  :  la  bette- 
rave à  sucre,  l'oignon,  la  chicorée,  le  navet.  L  horticul- 
ture, en  très  grands  progrès,  produit  en  abondance  les 
fruits,  les  légumes,  les  fleurs,  les  graines,  les  plants  de 
pépinière  destinés  à  l'Angleterre,  à  l'Allemagne,  aux  pays 
du  Nord,  et  ce  n'est  pas  un  des  résultats  les  moins 
étonnants  de  l'ingéniosité  hollandaise,  que  cette  envolée 
d'admirables  fruits,  de  fleurs  somptueuses  venant  d  une 
terre  que  le  soleil  boude  si  souvent. 

L'élevage  et  ses  produits  ne  doivent  pas  moins  à  la 
science  des  agronomes  hollandais.  Certes,  les  conditions 
naturelles  se  prêtent  merveilleusement  à  1  établissement 
des  prairies  et  des  pâturages  qui  couvrent  40  pour  100 
du  sol.  Mais  les  beaux  résultats  obtenus  sont  dus.  en 
grande  partie,  à  la  perfection  des  méthodes  et  au 
contrôle  sévère  de  l'Etat.  Le  troupeau  bovin  est  de 
beaucoup  le  plus  important.  Sélection  de  races,  croise- 
ments savants,  propreté  méticuleuse  des  étables,  soins 
intelligents,  rien  n'est  négligé  pour  accroître  non  seule- 
ment le  nombre  des  animaux,  mais  la  qualité  de  la  chair 
et  le  rendement  en  lait.  Le  bétail  sur  pied,  le  beurre,  le 
fromage  gras  ou  maigre,  donnent  lieu  à  une  exportation 


88 


qui  se  chiffre,  chaque  année,  par  des  centaines  de  mil- 
h'ons  de  florins.  Les  chevaux,  de  race  robuste,  excellente 
pour  le  gros  Irait,  s'élèvent  surtout  dans  les  provinces 
du  Nord  et  de  l'Est.  Le  nombre  des  moutons  diminue 
par  suite  de  l'extension  des  terres  cultivées  et  du  bas 
prix  relatif  des  laines  étrangères.  Par  contre,  l'élevage 
des  porcs  est  en  pleine  prospérité,  et  les  produits  de 
basse-cour,  volailles  et  œufs,  concurrencent  sur  le  mMché 
de  Londres  les  produits  similaires  venus  de  France  et  du 
Danemark. 

LES  INDUSTRIES.  00  Les  Pays-Bas  ont  eu, 
dans  le  passé,  une  prospérité  et  une  renommée  indus- 
trielles égales  à  leur  prospérité  commerciale.  Il  suffira  de 
citer  les  toiles  de  Fnse,  les  velours  d'Utrecht,  les  faïences 
de  Deift,  les  lainages,  les  cuirs,  les  papiers,  les  liqueurs, 
les  ateliers  de  constructions  navales,  que  Pierre  le  Grand 
venait  visiter  comme  des  modèles,  etc.  A  partir  du 
XVlll*  siècle,  la  Hollande  fut  largement  distancée  par 
d'autres  pays  européens  qui  possédciient  ce  qu  elle  ne 
possédait  point  :  la  houille,  les  minerais,  le  bois  ;  et,  de 
nos  jours,  il  est  incontestable  que  l'industrie  joue  dans 
la  vie  économique  des  Pays-Bas  un  rôle  de  second 
ordre.  Cependant  un  renouveau  d'activité  s'est  manifesté 
depuis  un  demi-siècle.  De  vieilles  industries  se  main- 
tiennent ou  prennent  de  l'extension  :  celle  des  faïences, 
par  exemple,  de  la  maroquinerie,  de  la  taille  des  dia- 
mants, etc.  Les  tissages  de  la  Twenthe  (province 
d'Over-ljssel)  fabriquent  des  cotonnades  destinées  sur- 
tout aux  indigènes  des  possessions  hollandaises.  Tilburg, 
Utrecht  produisent  des  lainages,  des  velours,  des  tapis. 
Amsterdam,  Rotterdam.  Dordrecht  construisent  des  na- 
vires, des  machines  agricoles,  des  pompes  pour  l'épui- 
sement des  eaux.  Dans  les  provinces  de  l'Elsl,  on  emploie 
la  tourbe  pour  nombre  de  produits  industriels  ou  agri- 
coles :  vêlemenls,  engrais,  etc.  Les  industries  alimen- 
taires, enfin,  sont  multiples  et  en  pleine  prospérité  :  hui- 
leries utilisant  les  graines  de  lin.  de  colza,  de  navette  : 
raf&nenes  de  sucre  traitant,  soit  le  sucre  de  canne  venu 
des  colonies,  soit  le  sucre  de  betterave  ;  chocolateries 
(Van  Houten).  distilleries  et  fabriques  de  liqueurs  (Lu- 
cas Bols,  fondée  en  (573,  Wynand  Fockink,  en  1679); 
brasseries,  surtout  dans  les  provinces  du  Sud  :  fabnques 
de  cigares,  de  margarine,  de  sulfate  de  quinine,  de 
conserves  de  viande;  féculcries  et  amidonneries,  etc.. 
sont  dispersées  un  peu  partout,  et  le  total  de  leur  pro- 
duction se  chiffre,  chaque  année,  par  des  milliards. 

LA  PECHE.  00  La  pèche  fut  la  première  indus- 
trie nationale  des  Hollandais,  la  première  source  de 
leur  fortune.  On  connaît  le  dicton  symbolique,  d'après 
lequel  '  Amsterdam  serait  bâti  sur  des  carcasses  de 
harengs".  Des  petits  ports  de  Zélande,  du  Zuyderzée. 


LA  HOLLANDE 


des  iles  Frisonnes,  partent  encore  des  flottilles  de  chalu- 
tiers à  la  recherche  des  bancs  de  harengs,  de  soles 
(Maasluis.  Scheveningue.  Wlaardingen),  d'anchois  (île 
d'Urk).  tandis  que  le  saumon  se  pèche  dans  les  estuaires 
des  fleuves  et  que  les   coquillages  s  élèvent  ou    se    ré- 


coltent  surtout   à    l'embouchure    de  l'Escaut   (ports  de 
Bruinisse,  de  Yerseke,  de  Vere). 

LE  COMMERCE.  00  En  courant  les  mers 
comme  pêcheurs,  les  Hollandais  devinrent  des  marins 
accomplis  et  surent  mettre  à  profit  leurs  qualités  nau- 
tiques pour  se  donner  de  très  bonne  heure  une  marine 
marchande  de  première  importance.  Au  XVir  siècle,  au 
moment  de  leur  apogée,  ils  méritaient,  à  juste  titre,  leur 
surnom  de  '  '  rouliers  des  mers  ".  Non  seulement  ils  se 
chargeaient  du  commerce  de  transit  entre  pays  euro- 
péens, mais,  profitant  de  la  décadence  hispano-portu- 
gaise, ils  acquéraient  un  magnifique  domaine  colonial,  et 
les  navires  de  leur  Compagnie  des  Indes  assuraient  la 
majeure  partie  des  transports  entre  les  pays  tropicaux  et 
l'Europe.  La  France  au  temps  de  Colbert,  l'Angleterre 

89  •        -^ 


L'EUROPE 


à  la  même  époque,  s'affranchirent  de  leur  tutelle  et  leur 
enlevèrent  une  supre'matie  passagère.  Puis,  au  XIX"  siècle, 
le  nombre  de  leurs  concurrents  s'accrut  de  tous  les  grands 
Etats  du  monde. 

Pourtant,  par  le  chiffre  total  de  son  commerce  exte'- 
rieur  (7  000  000  000  de  florins,  soit  1 4  700  000  000  de 
francs  en  1913),  la  Hollande  se  classait,  après  l'Angle- 
terre, les  Etats-Unis,  l'Allemagne  et  la  France,  au 
cinquième  rang  des  nations  commerçantes  de  l'Univers; 
de'passant  largement  des  pays  comme  l'Italie,  l'Autriche, 
la  Russie,  le  Japon,  qui  l'emportent  de  si  considérable 
façon  sur  elle  par  le  chiffre  de  leur  population  et  l'éten- 
due de  leur  territoire. 

Cette  étonnante  prospérité  est  due  d'abord  aux  qua- 
lités mêmes  du  Hollandais. 

It  passe  avec  raison,  depuis  des  siècles,  pour  un  commerçant 
accompli,  ayant  à  la  lois  de  la  prudence  et  de  l'initiative,  le  sens 
pratique  des  réalités,  la  ténacité  mais  aussi  la  souplesse,  le  coup 
d'œil  sûr.  le  jugement  rapide  dii  grand  brasseur  d'affaires.  Le 
nombre  des  personnes  ^'adonnant  au  commerce  n'est  pas  considé- 
rable :  un  cinquième  environ  des  individus  inscrits  comme  exerçant 
une  profession.  Mais  la  majorité  des  transactions  est  faite  par  de 
puissantes  maisons  disposant  de  gros  capitaux.  Ces  maisons,  souvent 
de  fondation  fort  ancienne,  inspirent  confiance,  jouissent  d'un  juste 
crédit,  peuvent  se  risquer  hardiment  aux  nouvelles  entreprises, 
faire  face  aux  crises  momentanées.  Elles  savent  aussi  se  prêter  une 
aide  mutuelle  et  trouvent  auprès  des  banques  un  intelligent  appui. 


COMMERCE  DES   PAYS-BAS 


Principaux  articles 


Année  1913 
Valeur  en  florins 
I  florin  2  =  fr.  09. 


Année  1920 
Voleur  en  florins. 


Importations 


Fers  et  aciers 

Textiles  (bruts  et  manufacturés)  . 

Céréûies  et  farines 

Riz 

Tabac 

Charbon 


Cuivre 

Pétrole 

Graisses     et    huiler . 

Café 

Sucre 

Papier 

Engrais 

Efain  . 

Peaux  et  cuirs 

etc. 


548  000 

228  000 

657  000 

123  000 

16  000 

139  000 

137  000 

168  000 

16  000 

180  000 

64  000 

26  000 

Il  000 

68  000 

22  000 

54  000 


300 

338 

284 

1  319 

87 

230 

187 

33 

103 

66 

65 

27 

60 

40 

2 

46 


Exporlations 


Céréales  et  farines 

Fers   et   aciers 

Textiles   (bruts   et   manufacturés). 

Cuivre 

Papier 

Sucre 

Riz 

Margarine 

Huiles  et  graisses 

Beurre  et  fromage 

Café 

Tabac  

Produits  colorants ■ 

Peaux  et  cuirs 

etc. 


437  000  000 

329  000  000 

200  000  000 

145  000  000 

88  000  000 

77  000  000 

74  000  000 

67  000  000 

51  000  000 

37  000  000 

40  000  000 

13  000  000 

27  000  000 

56  000  000 


000  000 
000  000 
000  000 
000  000 
000  QJO 
000  000 
000  000 
000  000 
000  000 
000  000 
000  000 
000  000 
000  000 
000  000 
752  000 
000  000 


75  267  000 

50  204  000 
259  409  000 

2  796  000 
69  600  000 

51  000  000 

15  000 
101  000  000 
25  000  000 
120  000  000 

17  000  000 
31  760  000 

18  000  000 
25  000  000 


De  plus,  la  situation  européenne  des  Pays-Bas,  au 
débouché  des  grandes  voies  fluviales  de  la  Meuse  et  du 
Rhin,  fait  des  Hollandais  les  intermédiaires  obligés  entre 
toute  l'Allemagne  occidentale,  une  partie  de  la  Suisse 
et  de  la  Belgique,  d  une  part,  et  leurs  clients  de  l'étran- 
ger. Les  matières  premières  (laines,  cotons  bruts,  etc.), 
destinées  aux  régions  industrielles  de  la  Westphalie,  de 
la  Sarre,  de  l'Alsace,  les  produits  fabriqués  provenant 
de  ces  riches  régions,  sont  entreposés  dans  les  ports  hollan- 
dais avant  de  gagner  leur  destination  définitive.  Au  transit 
par  voie  d'eau  s'ajoute  le  transit  par  voies  ferrées  :  d'Am- 
sterdam et  de  Rotterdam,  des  lignes  se  dirigent  sur  la 
Belgique  et  l'Allemagne.  Elles  complètent,  pour  les 
denrées  de  peu  de  poids  et  de  VcJeur  élevée,  le  trafic 
assuré  par  les  grands  chalands  de  la  Meuse  et  du  Rhin. 

11  ne  faut,  enfin,  oublier  ni  la  multiplicité  et  la  valeur 
des  produits  que  la  Hollande  doit  à  son  agriculture,  à 
son  élevage,  à  son  industrie,  et  qui  alimentent  une  partie 
de  son  commerce  d'exportation,  ni  l'appoint  fourni  par 
les  ressources  de  ses  colonies,  soixante  fois  aussi  grandes 
et  sept  ou  huit  fois  aussi  peuplées  que  la  métropole.  La 
valeur  des  denrées  coloniales  de  toutes  sortes  (quin- 
quina, cacao,  sucre  de  canne,  tabac,  riz,  café,  caoutchouc, 
coprah,  étain,  pétrole,  etc.),  que  la  Hollande  tire  de  ses 
possessions  de  rinsulinde(Java,  Sumatra,  Célèbes,  partie 
de  Bornéo  et  de  la  Nouvelle-Guinée)  et  des  Indes  occi- 


Au  total,  les  Pays-Bas  ont  vendu  en  1  9 1  3  pour  3  083  OOO  000  de 
florins  et  ils  ont  acheté  pour  3918000000  de  florins.  En  1920, 
nous  ne  possédons  que  les  chiffres  du  commerce  spécial,  c'est-à- 
dire  la  valeur  des  importations  destinées  à  la  consommation  du 
pays  et  des,  exportations  de  jîroduits  du  pays,  sans  faiie  entrer  en 
ligne  de  compte  le  commerce  de  transit.  Ces  chiffres  sont  :  aux 
achats,  3360000000  de  florins,  aux  ventes.  1748000000  de 
florins. 

PRINCIPAUX  CLIENTS    DES   PAYS-BAS 


Année  1913 
Valeur  en  florins. 


p.  100 


Année  1919 

Valeur  en  florins. 


Importations  venant  de  : 
(pour  la  consommation  locale   seule). 


Allemagne 

Iles  de  la  Sonde  . 

États-Unis 

Belgique 

Russie 

Grande-Bretagne  . 
Inde  Anglaise  . .  . 

Espagne  

France  


I  126  000  000 
528  000  000 
443  000  000 
352  000  000 
366  000  000 
341  000  000 
100  000  000 
99  000  000 
33  000  000 


28.7 

13 

11 
9 
9 
8 

2.6 
2.5 
0.8 


Exporialions  allant  à 


Allemagne  ....... 

Grande-Bretagne  . 

Belgique 

Iles  de  la  Sonde  . . 

Etats-Unis 

France 


1  478  000  000 

48 

683  000  000 

22  ^ 

340  000  000 

II 

163  000  000 

5.3 

131  000  000 

4 

31  000  000 

1 

833  000  000 
328  000  000 

24  000  000 
221  000  000 
549  000  000 
592  000  000 

42  000  000 
? 

55  000  000 


578  000  000 
485  000  000 
184  000  000 
163  000  000 
57  000  000 
47  000  000 


p.  100 


30 
II 

0.08 
7 
19 
20 
0.04 

0.05 


40 

35 

13 

12 
0.6 
0,5 


90 


^ 


Altitudes    en  mcircs 

t>r     .ioty^    à    1000*^ 

_     :oo .    .    }oo. 

lOO.      .      300^ 
O..      ..      lOO. 

Oe  ^  mer 

cO  SO  k 


CÉOCRAPHIE  UNIVERSELLE      PI.  6 


LA  BELGIQUE  ET  LE  GRAND-DUCHË  DE  LUXEMBOURG 


dentales  (Guyane  hollandaise.  Curaçao,  Saint-Eustache). 
s'élevait  à  plus  de  1  000000000  de  francs  en  1913. 
et.  parmi  les  meilleurs  clier.ts  des  Pays-Bas.  les  Indes 
ne'erlandaises  tenaient  alors  le  second  rang  aux  impor- 
tations, le  quatrième  aux  exportations. 

Les  trois  cinquièmes  environ  du  transit  dans  les  deux 
sens  sont  absorbes  peir  Rotterdam,  siège  du  Lloyd  hollan- 
dais et  de  la  Compagnie  des  pétroles  améncains. 
Amsterdam,  siège  de  la  "  Nederland  ",  en  relations 
directes  avec  l'Insulinde,  en  absarbe  un  cinquième.  Le 


reste  se  partage  entre  Dordrecht,  Flessingue,  Terneuzen 
et  les  petits  ports  côtiers. 

La  marine  marchande  comprenait,  à  la  fin  de  1919, 
853  navires  à  voile  ou  à  vapeur  jaugeant  831000  ton- 
neaux, chiffre  relativement  élevé  et  qui  permet  aux  Pays- 
Bas  d'assurer,  par  leurs  propres  moyens,  le  transport 
dune  bonne  partie  des  produits  qu  ils  entreposent. 

Les  tableaux  ci-joints  permettront  de  se  (aire  une  idée 
plus  détaillée  de  ce  qu'est  le  commerce  extérieur  des 
Pavs-Bas. 


CHAPITRE  VU 


LA  BELGIQUE 
ET  LE  GRAND-DUCHÉ  DE  LUXEMBOURG 


Limiiéc  paï  la  Hollande, la  France.  l'Allemagne  elle  grand-duchc 
de  Luxembourg,  la  Belgique  couvre  29  451  kilomètres  carrés,  soil 
l'étendue  de  cinq  de  nos  départements  mo)'ens.  Il  ne  fiut  jamais 
perdre  de  vue  son  exiguilc  pour  apprécier  à  leur  juste  valeur  la 
variété  de  ses  caractères  géographiques,  la  densité  de  sa  population, 
la  facilité  et  la  brièveté  des  voies  intérieures  de  communication, 
et  le  degré  très  élevé  de  son  importance  économique.  Il  laul  aussi, 
pour  comprendre  son  histoire  et  le  rôle  qu'elle  joua  dans  l'évolution 
des  peuples  européeiu,  avoir  sans  cesse  présente  à  l'esprit  sa 
situation  au  point  de  contact  de  deux  races,  de  deux  civilisations  : 


latine  et  germanique,  sur  la  route  naturelle  menant  des  terres 
françaises  aux  rives  du  Rhin.  Ce  dualisme  de  races,  de  langues, 
de  cultures,  cette  position  intermédiaire  entre  deux  grands  foyers 
d'attraction  expliquent  tout  le  passé  du  peuple  belge,  sa  longue 
soumission  à  des  maîtres  étrangers,  la  date  tardive  ou  il  put 
constituer  une  nation  libre.  Ils  expliquent  aussi  que  la  Belgique 
fut  de  tout  temps  un  des  champs  de  bataille  de  l'Europe.  L'his- 
toire de  la  Grande  Guerre,  le  long  martyre  que  la  Belgique 
souffrit  pendant  tant  de  mois,  les  ruines  encore  accumulée 
d'Vpres  à  Louvain  en  sont   un  trop  éloquent  témoignage. 


L'HISTOIRE 


Le  royaume  de  Belgique  n'est  qu'une  petite  paitie 
de  l'ancienne  '  '  Gaule  Belgique  "  dont  César  marquait 
les  limites  à  la  Seine,  à  la  Mcirne  et  au  Rhin.  Les 
populations  celtiques  de  la  Belgique  furent  romaniiées 
comme  celles  du  reste  de  la  Gaule.  Cependant,  à  la 
suite  des  invasions  germaines,  la  civilisation  et  la  langue 
latines  ne  se  maintinrent  que  dans  la  région  des  hautes 
plaines  fertiles. sèches,  et  des  plateaux  boisés  quiforment  la 
moitié  Sud  du  pays  :  Hainaut.  Hesbaye.  .Ardennes.  Là 
passait  la  grande  voie  romaine  (elle  subsiste  encore  sous 
le  nom  de  chaussée  de  Brunehaut)  qui,  de  Bavay. 
menait  à  Tongres,  Maëstricht  et  au  Rhin  ;  voie 
constamment  suivie  par  les  armées  et  les  marchands.  Le 
Nord  :  plaines  basses  de  Flandre,  d'.Anvers,de  Brabant. 
alors  couvert  de  marais  et  de  forêts,  et  à  peine  peuplé, 
fut  aisément  germanisé  jusqu'aux  confins  de  l'Artois. 
Ainsi  s'explique  la  division  de  la  Belgique  en  deux  groupe- 
ments de  populations  :  les  Flamands  parlant  un  dialecte 
germanique  très  voisin  du  hollandais,  et  les  Wallons,  de 


langue  française.  Une  ligne  tirée  de  Courtrai  à  Tongres 
par  Bruxelles  et  Tirlemont  marque  la  limite  des  deux 
groupes. 

Rattachée  au  royaume  d'Austrasie,  puis  À  la  Lotharingie,  la 
Belgique  vit,  à  partir  du  Xl"  siècle,  se  constituer  sur  son  sol,  comme 
dans  presque  toute  l'Europe  occidentale,  des  Etats  féodaux  :  duchés 
de  Flandre,  de  Hainaut.  de  Brabant.  de  Limbourg,  de  Luxem- 
bourg, de  Namur,  évêché  de  Liège,  etc.,  les  uns  vassaux  du  Saini- 
Empire.  les  aulres  mouvant  de  la  couronne  de  France.  Mais  I  au- 
torité des  seigneurs  fut  promplement  limitée  ^par  les  franchises  des 
communes.  Les  bourgeois  des  grandes  villes,  enrichis  par  I  indus- 
trie et  par  le  commerce,  arrachèrent  à  leurs  maîtres  une  autonomie 
à  peu  près  complète.  Ce  fut  l'âge  d'or  de  la  Flandre  (xill''- 
xv'^  siècles),  l'époque  oïl  les  marchands  de  l'Europe  se  don- 
naient rendez-vous  à  la  foire  de  Bruges,  oii  le  luxe  des  Flamandes 
arrachait  à  la  reine  Jeanne,  femme  de  Philippe  le  Bel,  ce  cri  de 
dépit  :*' Je  croyais  être  seule  reine  et  j'en  vois  ici  plus  de  six  cents!  " 
oïl  s'élevaient  dans  chaque  cité  ces  magnifiques  monuments  : 
lieifrois,  holels  de  ville,  halles  aux  draps,  églises,  abbayes  qui 
attestent  la  richesse,  le  goùl  et  l'orgueil  des  républiques  commu- 
nales ;  où  les  frères  \'an  Eyck,  Hans  Memling,  Quentin 
Metsys,  etc.,  créaieni  un  an  d'une  puissante  originalité. 


91 


L'EUROPE 


A  la  fin  du  XV '^  siècle Ja  Belgique  fut  acquise  par  la  Maison  de 
Bourgogne,  puis  passa  par  héritage  à  la  Maison  d  Autriche- 
Espagne.  Les  villes  perdirent  leurs  anciennes  franchises,  et  le  pays 
belge  devint  le  théâtre  favori  de  longues  guerres  entre  la  France 
et  ses  adversaires  espagnols,  autrichiens,  anglais  même,  guerres 
au  cours  desquelles  nous  obtînmes  la  Flandre  méridionale  (notre 
département  du  Nord).  La  prospérité  économique  des  cités 
flamandes  se  maintint  cependant  fort  grande,  et  au  XVîl*^  siècle,  les 
peintres  flamands  :  Van  Dyck.  Rubens.  Téniers.  etc.,  furent  les 
rivaux  des  grands  maîtres  hollandais. 

Espagnole  jusqu'au  traité  d'Utrecht  (1715),  puis  autrichienne, 
la  Belgique  devint  française  en  1795  et  le  demeura  jusqu'en  1814. 
A  cette  date,  le  sentiment  de  la  nationalité  belge,  déve'oppé  par 
l'influence  des  idées  françaises,  était  devenu  très  vif.  Les  Belges 
aspiraient  à  former  enfin  un  Etat  indépendant.  Le  Congrès  de 
Vienne  (1815)  en  décida  autrement  et  unit  la  Belgique  à  la 
Hollande  pour  constituer  un  royaume  des  Pays-Bas  destiné  à  sur- 
veiller la  France.  Cette  union  forcée,  contre  quoi  protestaient  en 
vain  les  Belges  que  tout  séparait  des  Hollandais  :  langue,   religion. 


intérêts  économiques, etc.,  fut  rompue  par  la  Révolution  de  1830. 
Avec  l'aide  de  la  France,  les  Belges  chassèrent  les  garnisons 
hollandaises,  reprirent  Anvers  en  1832  et  formèrent  depuis  lors 
un  royaume  indépendant  dont  la  neutralité  fut  garantie  par  le 
traité  de  Londres.  Sagement  gouverné  par  des  princes  de  la  Mai- 
son de  Saxe-Cobourg,  le  royaume  de  Belgique  atteignit  une 
étonnante  prospérité  et  devint  un  des  foyers  industriels  les  plus  actifs 
de  l'Europe.  En  1914,  ïl  n'hésita  pas  à  s'opposer  par  la  force  à 
1  odieuse  violation  de  sa  neutralité  et  préféra  noblement  s'exposer 
aux  bombardements,  aux  incendies,  aux  massacres,  à  la  dévastation. 
au  pillage  systématique  de  ses  richesses  accumulées,  plutôt  que  de 
se  soumettre  aux  sommations  de  1  Allemagne.  Depuis  sa  délivrance, 
la  Belgique,  agrandie  des  territoires  d'Eupen  et  de  Malmédy,  dé- 
barrassée des  entraves  que  lui  imposaient  les  règlements  concernant 
l'embouchure  de  l'Escaut,  s'est  remise  au  travail  avec  une  ardeur 
nouvelle.  Les  anciennes  rivalités  entre  flamingants  et  wallons,  con- 
servateurs et  socialistes,  catholiques  et  libéraux,  tendent  à  s  effacer 
devant  de  communes  épreuves,  et  la  nation  belge  est  sortie  plus 
forte,  plus  vivace,  d'une  crise  où  elle  faillît  périr. 


LE  PAYS 


Il  y  a  une  Belgique  de  plaines  et  une  Belgique  de 
plateaux.  La  première,  qui  s'étend  de  la  Mer  du  Nord 
au  sillon  de  Sambre-et-Meuse,  n'est  qu'une  tranche  de 
l'immense  pays  plat  qui  va,  sans  solution  de  continuité, 
de  l'Artois  à  l'Oural.  La  seconde,  la  Belgique  arden- 
naise,  fait  partie  des  vieux  massifs  primaires  depuis  très 
longtemps  émerge's  et  use's  par  l'e'rosion,  qui,  par 
l'Eifel,  le  Massif  schisteux  rhénan,  le  Taunus,  etc.,  se 
prolongent  jusqu'à   la   Thunnge    et  a  la  Saxe.  Comme 


les  limites  de  1  Etat  belge  ont  été  fixées  par  traités  et 
d'après  des  considérations  exclusivement  politiques, 
aucune  barrière  naturelle  ne  sépare  la  Belgique  de  ses 
voisins  :  France.  Hollande,  .'Allemagne.  La  Flandre, 
par  exemple,  se  partage  de  telle  sorte  entre  la  France  et 
la  Belgique,  que  certains  villages  sont  à  moitié  belges  et 
a  moitié  français.  Du  côté  hollandais  et  germanique, 
seuls  les  poteaux  frontières  et  les  postes  douaniers 
indiquent  la  ligne  de  démarcation. 


La   Région   Côtière 


La  Belgique  s  ouvre  sur  la  Mer  du  Nord  par  une 
bande  littorale  longue  d'une  soixantaine  de  kilomètres,  à 
peu  près  rectiligne,  et  identique  à  nos  côtes  de  France 
entre  Calais  et  Nieuport.  Un  cordon  de  dunes,  dont 
la  largeur  moyenne  est  de  200  à  300  mètres,  mais  peut 
atteindre  deux  kilomètres,  protège  l'arnère-pays.  On  les 
fixe  par  des  plantations  d'  oyat  ",  sorte  de  grammée 
rude  au  toucher  :  on  les  consolide  parfois  au  moyen  de 
digues  artificielles.  Des  écluses  règlent  l'écoulement  des 
eaux  fluviales.  Au  large,  une  mer  sombre,  semée  de 
bancs  de  sable  à  fleur  d'eau.  En  arrière,  '  un  pays  de 
niveau  inférieur  au  niveau  des  hautes  marées,  autrefois 
vaste  marécage,  aujourd'hui  drainé  par  des  Water- 
gangs  ",  asséché  par  les  pompes  qu'actionnent  des  mou- 
lins à  vent,  transformé  en  "  Moëres  ",  ou  polders  d'une 
remarquable  fertilité.  Les  petites  maisons  basses,  uni- 
formes, à  grands  toits  fortement  inclinés,  s'alignent  sous 
la  protection  des  dunes  ou  le  long  des  canaux.  Au 
milieu  des  prairies,  des  champs  de  céréales,  se  dissé- 
minent les  fermes  ombragées  de  peupliers.  Tel  est  le 
paysage  de  Nieuport,  de  Fumes,  de  Bruges. 

Au  Moyen  Age,  la  mer   poussait  bien  plus  avant  à 


l'intérieur  des  terres.  Lombartzyde,  Damme,  Sluis 
(l'Ecluse),  Bruges  surtout,  furent  des  ports  de  grande 
importance.  La  lente  invasion  des  sables  les  ruina.  La 
vie  maritime  se  concentre  de  nos  jours  à  Ostende 
(45  OCOhabitants),  non  seulement  ville  de  bains  fort  acha- 
landée, mais  port  de  commerce  en  relation  avec  l'Angle- 
terre. Nieuport,  Blankenberghe  sont,  l'été,  des  plages 
animées.  Bruges  (54  000  habitants)  n'a  plus  pour  elle  que 
le  charme  pénétrant  de  ses  monuments  d  autrefois  ; 
halles,  beffroi,  hôtel  de  ville;  de  ses  musées,  de  ses 
vieilles  maisons  sculptées  penchées  sur  le  miroir  glauque 
des  canaux  ;  de  ses  rues  silencieuses  que  bordent  les 
hautes  murailles  des  couvents  et  des  béguinages. 

Cependant  un  gros  effort  a  élé  fait  pour  redonner  à  Bruges  un 
peu  de  vie  :  un  canal  profond  de  8  mètres  relie,  depuis  1907,. 
Bruges  à  Zeebruges.  qui  lui  sert  de  port  maritime,  en  relations 
régulières  avec  l'Angleterre,  et  qui  joua,  on  le  sait,  un  tel  rôle 
dans  la  Grande  Guerre  comme  repaire  des  sous-manns  allemands. 
Il  est  difficile  de  prévoir  si  cette  lenlaùve  aura  un  succès  réel. 
Ostende,  Anvers  surtout,  sont  de  trop  redoutables  concurrents  et  il 
ne  paraît  pas  que  la  Belgique,  étant  données  les  conditions  pré- 
sentes du  grand  commerce  international,  ait  intérêt  à  fractionner  un 
transit  qui  trouve  sa  limite  obligée  dans  l'exijuité  même  du  territoire. 


92 


LA  BELGIQUE  ET  LE  GRAND-DUCHÉ  DE  LUXEMBOURG 


Les  Plaines  ;  Flandre,  Brabant,  Hainaut 


NATURE  DU  SOL.  a  a  tin  arrière  de  Furnes 
et  de  Bruges  le  terrain  se  relève  insensiblement  vers 
l'Est.  Son  altitude,  cependant,  est  si  faible  qu'il  conserve 
à  peu  près  partout  l'aspect  d'une  plaine  aux  horizons 
imprécis,  mais  d  aspect  variable  suivant  la  nature  du  sous- 
sol.  A  1  Ouest,  la  Flandre,  au  sol  de  sable  mêle' d'argiles 
noires  et  blanches,  assez  peu  fertile  par  nature  mais  mise 
tout  entière  en  culture  depuis  de  longs  siècles,  alterne 
les  prairies  avec  les  champs  de  céréales,  de  betteraves, 
de  graines  oléagineuses.  De  grands  arbres  :  ormeaux, 
peupliers,  chênes,  bordent  les  terrains  cultivés,  accom- 
pagnent le  réseau  très  serré  des  routes.  La  population, 
d'une  extrême  densité  (plus  de  300  habitants  au  kilo- 
mètre carré,  en  certains  points),  se  disperse  a  travers  les 
campagnes  plutôt  qu'elle  ne  se  groupe  en  gros  centres 
urbains.  Comme  I  eau  se  trouve  partout  à  faible  profon- 
deur, les  fermes  isolées,  les  hameaux,  les  villages  aux 
petites  maisons  sans  étages  parsèment  la  plaine  de  leurs 
taches  rougeâtres.  Dans  les  districts  où  l'industrie  s'ajoute 
à  l'agriculture,  villes  et  villages  sont  reliés  les  uns  aux 
autres  par  une  série  presque  ininterrompue  de  maisons 
ouvrières,  d'estaminets.  Aussi  la  Flandre  mérite-t-elle 
plus  que  jamais  ce  surnom  de  "  Ville  continue"  que 
l'historien  italien  Guichardin  lui  donnait  dé)à  au 
XV1«^  siècle. 

Les  plaines  de  Flandre  se  prolongent  au  delà  de 
Gand  par  le  pays  de  Waës  (de  Gand  à  Anvers  sur  la  rive 
gauche  de  1  Escaut),  jadis  marais  pestilentiel  ou  landes 
infertiles,  aujourd  hui  le  jardin  de  la  Belgique  '  grâce 
à  la  richesse  de  ses  campagnes  transformées  par  le  labeur 
fécond  des  générations. 

La  C  impine,  qui  succède  au  pays  de  Waës,  couvre  une 
partie  des  provinces  d'Anvers  et  de  Limbourg.  Elle  se 
compose  de  collinettes  sablonneuses,  hautes  de  50  à 
60  mètres  au  maximum,  très  perméables  et  d'une  natu- 
relle infertilité.  Des  ajoncs,  des  genêts,  des  bois  de  pins 
en  recouvrent  la  majeure  partie.  Cependant  là  aussi,  en 
fixant  les  dunes,  en  ramenant  à  la  surface  l'argile  enfouie 
sous  le  sable,  de  sérieux  progrès  ont  été  réalisés,  et  les 
prairies  artificielles,  les  champs  de  pommes  de  terre  et 
d'avoine  ne  cessent  de  s'étendre  aux  dépens  des  landes 
mélancoliques. 

Entre  la  Flandre  et  la  Campine  d'une  part,  cl  d'autre 
part  le  sillon  de  Sambre  et  Meuse,  les  plaines  du  Brabant. 
du  Hainaut.  de  la  Hesbaye.  forment  une  région  inter- 
médiaire qui  rappelle  par  bien  des  points  nos  campagnes 
du  pays  chartrain  et  de  la  Brie.  Une  couche  de  terreau 
noir  très  fertile  recouvre  les  calcaires  du  sous-sol.  C'est 
par  excellence  le  domaine  des  grandes  cultures  de 
céréales  et  de  plantes  industrielles.  Peu  de  bois,  sauf  aux 


environs  de  Bruxelles  et  de  Louvain,  peu  de  prairies, 
excepté  dans  le  Hainaut  méridional  et  le  riant  Tournaisis. 
Dans  les  campagnes  largement  ondulées  où  frissonnent 
les  chaumes,  des  fermes  monumentales  forment  des 
groupes  de  bâtiments  carrés  aux  murs  épais  percés  de  rares 
ouvertures  entourant  une  cour  intérieure  où  l'on  accède 
par  une  porte  solide  :  vraies  forteresses  qui  jouèrent  un 
rôle  important  dans  les  guerres  d'autrefois.  Il  suffit  de  se 
rappeler  les  fermes  de  Papelotte,  de  la  Belle-Alliance, 
de  la  Haic-Sainte,  si  rudement  disputées  entre  Anglais 
et  Français  à  Waterloo  (20  kilomètres  Sud- Est  de 
Bruxelles).  Ces  plaines  sèches,  riches,  de  circulation  aisée, 
furent  du  reste  un  couloir  naturellement  suivi  par  les 
armées  désireuses  d'éviter  à  l'Ouest  les  marais  de  Flandre, 
à  I  Est  les  forêts  des  Ardennes.  De  Jemmapes  à  Liège, 
par  Seneffe,  Charleroi,  Fleurus,  Ligny,  Waterloo, 
Ramillies,  Neerwinden,  il  n'est  guère  de  localité  qui 
n  ait  attaché  son  nom  à  quelque  bataille.  La  seule  plaine 
de  Fleurusen  vit  quatre  (1622,   1690,  1794,   1815). 

CLIMAT.  00  Les  plaines  belges  ont  un  climat 
nettement  maritime,  fort  semblable  à  celui  de  la  France 
du  Nord.  Les  moyennes  de  température  à  Ostende  et 
Bruxelles  sont  les  mêmes  qu'à  Calais  et  à  Pans.  L'in- 
lluence  prédominante  des  vents  d'Ouest  modère  les  froi- 
dures hivernales  et  les  chaleurs  de  l'été.  On  compte,  en 
moyenne,  70  centimètres  de  pluie  répartis  en  cent 
quatre-vingts  jours.  Moins  fortes  que  dans  l'aquatique 
Hollande,  la  neljulosité,  la  fréquence  des  brumes  et  des 
brouillards  ne  laissent  pas  que  de  gâter  un  climat  où  huit 
jours  de  beau  temps  consécutif  sont  une  grande  rareté. 

COURS  D'EAUX  ET  CANAUX.  00  La 
Flandre  occidentale  a  son  petit  fleuve  :  l'V  ser,  dont  le 
nom,  presque  inconnu  avant  la  Grande  Guerre,  s'est 
élevé  à  la  dignité  des  plus  illustres.  11  coule  entre  des 
rives  endiguées,  facilement  inondables,  dans  la  plaine 
maritime  de  Roulers  et  .Nieuporl. 

Le  Heuve  belge  par  excellence  est  l'ELscaut  (Schelde, 
en  flamand).  Néen  France  où  il  arrose  Cambrai,  Denain, 
Condé,  il  entre  en  Belgique  en  amont  de  Tournai,  et, 
grossi  de  la  Lys(Courtrai),  d'origine  également  française, 
il  arrive  à  Gand.  Recueillant  par  la  suite  les  eaux  venues 
du  Hainaut,  du  Brabant,  de  la  Campine,  par  tout  un 
éventail  de  rivières  :  Dendrc,  Ruppel,  formée  de  la  Senne 
(Bruxelles),  de  la  Dyle(Maline3ct  Louvain),  de  la  Nèthe, 
l'Escaut  se  termine  par  un  large  et  profond  estuaire  à 
l'origine  duquel  s'est  placée  Anvers.  Type  parfait  du 
fleuve  de  plaine  en  pays  de  climat  océanique,  l'Escaut, 
fort  semblable  à  quelque  large  fossé  artificiel ,  décrit  avec 


93 


L'EUROPE 


lenteur  des  séries  de  me'andres  entre  les  digues  qui  accom- 
pagnent ses  eaux  bourbeuses.  Son  régime  régulier 
Ignore  les  crues  dévastatrices  et  les  maigres  préjudiciables 
à  la  navigation.  La  marée,  qui  porte  à  15  mètres  la  pro- 


fondeur  du  fleuve  devant  les  quais  d'Anvers,  se  fait  sentir 
jusqu'à  Gand,  à  plus  de  100  kilomètres  de  la  haute  mer, 
jusqu'à  Mahnes,  et  à  peu  de  distance  de  Bruxelles.  Ses 
affluents,  endigués  eux  aussi,  approfondis,  canalisés,  reliés 
aux  réseaux  de  la  Flandre  française  et  de  la  Meuse,  com- 
plètent un  système  de  voies  fluviales  dont  Anvers  est  le 
naturel  débouché  et  dont  l'importance  est  d'autant  plus 
grande  qu'il  dessert  un  pays  de  riche  industrie,  d'agricul- 
ture florissante  et  de  population  extrêmement  dense. 

AGRICULTURE  ET  ÉLEVAGE.  00  Depuis 
de  longues  générations.  Brabançons  et  Flamands  surent 
mener  de  front  les  travaux  agricoles  et  les  occupations 
industrielles. 

Les  régions  où  la  culture  était  à  la  fois  la  plus  aisée 
et  la  plus  rémunératrice  furent  d'abord  mises  en  valeur  : 
hautes  plaines   limoneuses  du  Brabant,  du  Hainaut,  de 


la  Hesbaye.  Puis  on  s'attaqua  aux  terres  pauvres,  sablon- 
neuses, des  Flandres,  aux  marais  de  la  zone  côtière. 
Aujourd  hui,  sauf  quelques  landes  de  la  Campine,  il  n'est 
pas  un  pouce  du  sol  qui  ne  soit  utilisé.  Les  résultats 
obtenus  sont  tels  qu'on  pouvait  les  attendre  d'un  peuple 
patient,  méthodique,  acharné  au  labeur,  d'esprit  ouvert 
aux  méthodes  scientifiques.  La  division  de  la  propriété, 
I  abondance  des  engrais  chimiques  et  la  facilité  de  leur 
transport,  un  enseignement  agricole  très  perfectionné,  le 
bon  marché  des  machines  et  de  la  main-d'œuvre  ne 
contribuent  pas  peu  à  rendre  intensive  une  culture  dont 
les  rendements  comptent  parmi  les  plus  élevés  de 
l'Europe. 

Les  plus  belles  récoltes  de  blé  s'obtiennent  dans  les 
régions  sèches  du  Brabant  et  de  la  Hesbaye.  C'est  aussi 
le  domaine  préféré  de  la  betterave  sucrière.  Les  sols  sa- 
blonneux de  la  Flandre,  de  la  Campine  conviennent  mieux 
au  seigle,  à  l'avoine,  à  la  pommade  terre. Sur  les  grasses 
terres  des  polders,  dans  le  pays  de  Waës,  prospèrent 
1  orge,  les  cultures  maraîchères  et  horticoles  destinées  soit 
au  marché  local,  soit  à  l'Angleterre.  Le  houblon  (Pope- 
nnghe,  Alost,  Courtrai),  le  lin  (Tournaisis  et  rives  de  la 
Lys),  le  chanvre,  le  tabac,  le  colza,  la  chicorée  complè- 
tent la  série  des  cultures  industrielles. 

L  élevage,  sauf  celui  du  mouton  (Hainaut,  Campine), 
est  en  grand  progrès  aux  dépens  même  de  la  production 
agricole.  La  concurrence  des  céréales,  des  lins,  des 
chanvres  venus  de  l'étranger  a  conduit  nombre  de  pro- 
priétaires belges  à  resteindre  l'étendue  de  leurs  terrains 
arables  pour  augmenter  leurs  prairies  naturelles  et  artifi- 
cielles. C'est  un  phénomène  du  même  genre  qui  s'observe 
en  Angleterre,  en  Hollande,  dans  les  pays  où  l'humidité 
du  climat  est  éminemment  favorable  à  la  croissance  des 
graminées.  Les  vaches  laitières  flamandes,  les  chevaux 
de  gros  traits  flamands  et  brabançons  ont  une  renom- 
mée universelle.  Le  porc  s'élève  dans  toutes  les  fermes 
en  même  temps  que  les  animaux  de  basse-cour. 

Peu  de  forêts.  On  ne  peut  citer  que  les  bois  de  pins 
qui  croissent  sur  les  sols  pauvres  de  la  Flandre  occiden- 
tale et  de  la  Campine,  les  chênes,  les  hêtres,  les  tilleuls 
de  la  forêt  de  Soigne,  près  de  Bruxelles,  et  les  boqueteaux 
du  Hainaut  au  nord  de  Mons. 

INDUSTRIE.  00  L'usine  et  la  fabrique  voisinent 
avec  la  ferme.  Elles  se  complètent  même  par  le  fait  que 
nombre  d'ouvriers  sont  aussi  propriétaires  de  parcelles 
cultivables  et  alternent  leurs  travaux  suivant  le  jeu  des 
saisons.  On  connaît  la  vieille  renommée  des  toiles  et  des 
draps  de  Flandre,  des  dentelles,  des  tapisseries  et  velours 
de  Bruxelles,  de  Malines,  de  Bruges  ;  on  sait  le  rôle  que 
jouèrent  dans  les  communes  d'autrefois  tisseurs,  teinturiers, 
foulons,  etc.  Bruges,  par  exemple,  avait  au  XV®  siècle 
80  corporations  et  3  000  ouvriers  employés  au  seul  tra- 


94 


LA  BELGIQUE 


\  


i  r 


BRUXELLES  :  PLACE  DE  L'HOTEL  DE  VILLE.  Bnue/les  n'at  p<a  une  da 

p/ca  antûjaei  cites  de  la  Bdj[iQue.\faiM,dèslexn* ûêdcelle  te  ditiinguaif  t^TfacUvite, 
Fetprit  Simiiatice  tl  d'indépendance  de  lei  hai\*ants;  puû,  à  tatlir  ^u  x^'  tiède,  tout 
Jes  prince»  de  la  inaiton  dt.  Botatogne,  elle  tint  le  rôle  de  captlaie  da  Pays-Bai.  La 


grand'plau  ccafie  à  peu  pris  le  centre  de  la  ville  basse,  la  plus  ancienne  et  la  ptta 
animée.  La  rnauont  des  corporatioru  lui  font  an  cadre  fort  piHoreaa^te  que  romoièlenl 
tplendidement  l'HoIel  de  cille  tdibre  et  la  Tour  harmorùeuse  haute  de  105  mètres, 
élevés  an  XV*  siècle.  CL  LivY. 


95 


L'EUROPE 


DINANT  La  Meuse  s'est  frayée  à  ttavers  les  ArJennes  Ulges  une:  voie  étroite 
que  bordent  des  versants  raides,  escarpés,  pittor:iSi}ucs.  La  petite  ville  de  Dinant 
s'est  logée  entre  les  rochers  et  la  rivière,  au  pied  d'une  tolline  que  couronne  une 
antique  citadelle.  Cl.  LÉVY. 


BRUGES  fut.  avant  Anvers,  la  métropole  ccrruneriiale  de  la  Flandre  maritime. 
Une  longue  déchéance  lui  valut  le  surnom  de  Bruges  la  Morte.  Mais  ses  maisons 
anciennes,  ses  béguinages,  ses  églises  ses  monuments  civils:  halles,  hôtel  de  ville. 
bc0roi,  en  font  la  plus  exquise  des  viùes  belges.  CI.  LÉVY. 


ANVEJ^.  Anven  doit  à  l'Escaut  d'être  devenue  l'un  de*  premiers  ports  du 
continent  Européen  et  du  monde.  Le  fleuve  est  large  de  300  à  600  mètres,  profond  de 
15  mètres  à  marée  haute,  et  tout  un  éventail  de  canaux,  de  rivières  navigables  de 
voies  ferrées  converge  vers  les  quais  de  l'opulenle  cité.  Cl.  Neurdein. 


TOURNAI  L'une  des  plus  anciennes  parmi  les  villes  flamandes,  l'une  de  celles, 
aussi,  qui  subirent  le  plus  de  sièges.  Tournai  dut  de  tout  temps  aux  industries  de 
tissage  une  prospérité  qu'atteste,  entre  autres  monuments,  cette  splendide  église 
romane,  du  plus  pur  style  français.  Cl.  LÉvv. 


j     VALLÉE  DE  LA  SEMOY     Excellent  type  de  paysage 
dora  l'Arder.ne  belge.  La   Semoy  y  décrit  des  méandres 
'     entre   deux    rices   dissemblables,   l'une   abrupte   et   boisée, 
I     /  autre  à  pente  douce,  couverte  de  champs.  CI.  Nels. 

96   


MARCHIENNE  lait  /Jor/re  du 
groupe  minier  et  irrdustriel  de  Char- 
leroi,  dans   le  "  Pays  noir  "   belge. 

C.  S'«  Phot.  Armée  Belge. 


COXYDE-SUR-MER.  Les 

plaines 

tasses 

de  la  Flandre     1 

maritime  sont  naturellement 

protégées 

contre 

/  envahisse - 

ment  de  la  mer  par  des  cor 

dons  de 

dunes 

en 

arrière  des- 

quelles  s'étalent  les   "  Moëres" 

CI.  Nels. 

LA  BELGIQUE  ET  LE  GRAND-DUCHE  DE  LUXEMBOURG 


vail  de  la  laine.  Les  industries  textiles  sont  encore  au- 
jourd'hui les  plus  prospères  dans  toute  la  plaine  flamande. 
Le  charbon,  fourni  par  les  bassins  belges  de  Mons,  Char- 
leroi  et  les  mines  françaises  de  Valenciennes.  Denain, 
Anzin,  est  transporté  à  bon  compte  par  le  réseau  des  cours 
d'eau  navigables  et  des  canaux.  Si  le  travail  de  la  lame  a 
plutôt  émigré  vers  Liège  et  Verviers,  le  coton  a  pris  sa 
place  et  Gand  en  est  le  grand  centre.  Le  lin,  le  chanvre, 
le  jute  se  tissent  à  Tournai,  Alost,  Saint-Nicolas,  .Aude- 
narde.  La  dentelle  occupe  plus  de  50  000  ouvrières  dans 
la  région  de  Bruxelles.  Bruges  et  Maline?. 

Aux  industries  textiles  s'ajoutent,  dans  le  Hainaut,  les 
industries  métallurgiques.  La  province  est.  en  effet,  traver- 
sée par  la  grande  bande  de  terrains  carbonifères  qui  s  étend 
en  bordure  des  massifs  anciens,  depuis  l'Artois  jusqu'à 
Aix-la-Chapelle.  Elle  fournit  à  elle  seule  les  trois  cin- 
quièmes des  23  000  000  de  tonnes  de  houille  extraites  du 
sol  belge  en  1 920.  Mons  est  le  centre  du  '  '  Borinage  ",  du 
pays  noir,  ou  les  hauts  échafaudages  des  puits  de  mine, 
les  cheminées  d  usines  dominent  les  corons  uniformes 
alignés  le  long  des  routes.  Une  véritable  fourmilière 
humaine,  répartie  en  agglomérations  qui  se  touchent 
toutes,  sous  un  ciel  de  suie,  s'occupe  à  l'extraction  de  la 
houille,  à  la  confection  des  objets  en  métal,  de  la  verre- 
rie, des  produits  chimiques. 

Enfin  la  fabrication  du  papier,  surtout  dans  la  région 
comprise  entre  la  Seine  et  la  Dyle.  le  traitement  des  cuirs 
et  peaux,  la  brasserie,  les  industries  alimentaires  (raffine- 
ries notamment)  disséminées  dans  les  diverses  provinces, 
les  carrières  de  pierres  du  Tournaisis.  occupent  encore 
un  rang  fort  honorable  parmi  les  diverses  sources  de  la 
richesse  nationale. 

LES  VILLES.  00  Malgré  la  densité  très  grande 
de  la  population,  on  ne  trouve  pas  en  Belgique,  —  comme 
par  exemple  dans  les  régions  industrielles  de  la  Wesl- 
phalie  ou  de  l'Angleterre,  —  une  série  de  grosses  agglo- 
mérations urbaines  sur  un  espace  restreint. 

Dans  le  Hainaut,  Mo.ns,  la  capitale  du  Borinage,  n'a 
que  27000  habitants.  Mais  une  poussière  de  petites 
villes  ou  de  gros  bourgs  industriels  lui  forment  comme  une 
banlieue  continue  :  Jemmapes.  Pâturages,  etc.  Tournai,  à 
l'écart  du  Pays-Noir,  ne  groupe  que  37  000 âmes  à  l'ombre 
de  son  beffroi,  le  plus  ancien  de  la  Belgique,  et  de  sa 
magnifique  cathédrale. 

Dans  la  Flandre  occidentale,  Courtrai  eut,  au  Moyen 
Age,  80  000  habitants,  Bruges  1  50000,  Yprcs200000! 
Courtrai  n'a  plus  que  37  000  habitants  occupés  surtout  au 
tissage  du  lin.  Nous  connaissons  le  sort  de  Bruges  la  Morte, 
bien  déchue  de  son  Importance  passée.  Nous  ne  savons 
que  trop  le  tragique  destin  d'Ypres,  déjà  réduite  avant 
la  guerre  à  17  000  habitants  seulement,  et  maintenant 
écrasée,  presque  anéantie  sous  les  bombes  allemandes. 


pleurant  à  jamais  la  splendeur  de  ses  halles  célèbres. 

La  Flandre  Orientale  a  su  conserver  beaucoup  plus 
intense  une  activité  non  moins  ancienne.  Gand 
(167000  habitants)  en  est  lareine.  Au  xv'^^  siècle,  elle  fut 
peut-être  la  première  cité  du  monde.  C'est  encore  une  des 
plus  grandes  villes  industrielles  de  la  Belgique,  en  relations 
directes  avec  la  mer  non  seulement  par  l'Escaut,  mais  par 
le  canal  de  Terneuzen,  profond  de  5  mètres,  large  de  60, 
qui  lui  permet  d'échapper  a  l'entremise  d'Anvers.  On  y 
tisse  le  coton  et  le  jute  ;  ses  jardins,  ses  pépinières  lui 
font  une  ceinture  toute  fleurie  et  de  riche  profit.  Bâtie 
sur  des  îlots,  au  confluent  de  la  Lys  et  de  l'Escaut,  elle 
est  coupée  de  canaux,  remplie  de  béguinages,  de  vieilles 
maisons  pittoresques  au  milieu  desquelles  de  larges  voies 
nouvelles,  de  vastes  places  ont  apporté  l'air  et  la  lumière 
indispensables  à  la  vie  moderne.  Alost  (35  600  habitants). 
Saint-Nicolas  (35  000  habitants),  Audenarde  (22000  ha- 
bitants), Termonde  participent  à  la  vie  industrielle  de  la 
région. 

Dans  la  provinced'Anvers.Malines (60  000  habitants), 
ancienne  métropole  religieuse  de  la  Belgique,  Lierre 
(26000  habitants),  sont  éclipsées  par  la  gloire  d'Anvers. 

Anvers  connut  dans  le  passe  des  périodes  d'extrême 
prospérité  suivies  de  longs  déclins.  Au  XVi''  siècle,  les 
Anversois,  comme  exportateurs,  banquiers,  manufactu- 
riers, l'emportaient  sur  tous  leurs  rivaux  européens.  Le 
traité  de  Westphalie  (1648),  qui  leur  ferma  les  bouches 
de  l'Escaut,  les  ruina  au  profit  d'Amsterdam.  Sous  la 
Révolution  et  l'Empire,  Anvers  reprit  une  activité  qui, 
de  nouveau  languissante  entre  1815  et  1853.  ne  cessa 
plus  de  croître  depuis  le  rachat  des  droits  perçus  par  la 
Hollande,  et  fit  d'Anvers  (322  000  habitants)  non  seu- 
lement le  premier  port  belge,  mais  l'un  des  premiers  du 
monde. 

C'est  le  type  même  des  ports  d'estuaires,  accessibles  aux  plus 
grands  navires  de  mer,  cl  débouchés  naturels  d'un  reseau  complet 
de  voies  navigables  que  doublent  des  voies  ferrées  cl  qui  des- 
servent des  régions  très  productives  el  1res  peuplées.  Roticrdam, 
l'iambourg,  le  Havre  occupent  des  positions  similaires,  Anvers  s'est 
donnénaturellement  tout  l'outillage  nécessaire  auxgrands  "emporta  " 
modernes  :  bassin),  docks,  réesrvoirs,  entrepôts,  etc.  Sa  clientèle 
s'étend  non  seulement  à  la  Belgique,  mais  à  la  France  du  Nord  el 
de  l'Est,  el  jusqu'à  la  Suisse,  tandis  que  des  services  régulrers  de 
vapeurs  l'unissent  à  la  plupart  des  grands  ports  de  l'univers.  Elle 
s'est  (ait  une  spécialité  des  cafés  du  Brésil,  des  pétroles  et  des 
cotons  américains,  des  laines  de  la  Plala,  du  caoutchouc  et  de 
l'ivoire  fournis  par  le  Congo.  La  grande  prospérité  d'Anvers 
n'avait  point  manqué  d'exciler  les  convoitises  germaniques,  el, 
avant  la  Grande  Guerre,  l'Allemagne  y  avait  acquis  une  place 
prépondérante  qui  ne  devait  être  que  le  prélude  de  l'occupation 
effective.  Délivrée  de  ce  danger,  Anvers  voit  s'ouvrir  devant  elle 
un  avenir  magnifique  et  d'autant  plus  assuré  qu'il  a  sa  raison  d'être 
dans  une  situation  géographique  dont  rien  ne  saurait  diminuer  la 
valeur. 

Au  centre  même  des  plaines  belges,  la  province  de 


97 


GEOGRAPHIE   INIVERSELLE 


10 


L'EUROPE 


Brabant  a  pour  capitale  Bruxelles  (685  000  habitants)  avec 
la  banlieue).  Bien  que  Bruxelles  ait  pris  une  part  active  à 
toute  Ihistoire  des  Communes  flamandes.  —  histoire  dont 
témoigne  encore  son  hôtel  de  ville  au  beffroi  ajoure'  et 
les  maisons  pittoresques  de  ses  anciennes  corporations,  — 
elle  était  fort  distancée  par  Ypres,  Bruges,  Anvers,  etc., 
lorsque  les  ducs  de  Bourgogne  la  choisirent  comme  rési- 
dence pour  des  raisons  surtout  politiques  et  stratégiques. 
Ellle  se  trouve,  en  effet,  au  point  de  croisement  des 
grandes  routes  qui  se  dirigent  vers  la  mer,  la  Hollande, 
la  France  et  l'Allemagne.  De  plus,  elle  est  si  exactement 
à  la  limite  des  deux  lemgues  parlées  en  Belgique  que  la 
ville  haute,  vers  l'Est,  est  française,  tandis  que  la  ville 
basse,  la  plus  ancienne,  est  flamande.  Très  vivante,  très 
animée,  très  cosmopolite,  résidence  de  la  Cour,  ayant, 
comme  il  sied  à  toute  capitale,  d'importants  établissements 
scientifiques,  littéraires  et  artistiques,  de  riches  musées, 
un  conservatoire  de  musique  renommé,  etc.,  elle  manque 
de  ces  traits  saillants  qui  caractérisent  tant  d'autres  vieilles 
cités  belges  et  se  gravent  fortement  dans  le  souvenir. 

Louvain  (42000  habitants)  n'a  plus  guère  que  la  moitié 
de  la  population  qui  s'entassait,  au  Moyen  Age,  dans  son 
enceinte.  Son  Université,  fondée  en  1 426,  est  la  plus 
fréquentée  du  royaume  après  celles  de  Liège  et  de 
Bruxelles.  Son  hôtel  de  ville,  du  style  ogival  fleuri,  un 
des  joyaux  de  la  Belgique,  échappa,  par  grande  chance, 
aux  incendies  allumés  en  1914  par  les  soldats  allemands. 

Dans  le  Limbourg  belge,  chef-lieu  Hasselt,  et  dans 
les  parties  des  provinces  de  Liège  et  de  Namur  sises  sur 
la  rive  gauche  de  la  Meuse,  les  petits  centres  urbains  : 
Tongres,  Neerwinden,  Ramillies,  servent  de  marchés 
aux  campagnes  fécondes  qui  les  entourent. 

LE  SILLON  DE  SAMBRE  ET  MEUSE.  0e) 
Les  plcunes  belges  se  terminent  au  sillon  régulier,  orienté 
Sud-Ouest  Nord-Est,  qui  suit  la  Sambre  jusqu'à  son 
confluent,  qu'emprunte  la  Meuse  entre  Namur  et  Liège, 
et  que  la  vallée  de  la  Vesdre  prolonge  dans  la  direction 
du  Rhin.  C'est  une  fracture  naturelle  de  l'écorce  terrestre 
que  les  eaux  fluviales  ne  creusèrent  point  de  toutes  pièces, 
mais  se  contentèrent  d'approfondir  et  de  modeler. 

Ce  trait  SI  net  du  relief  belge  a  une  importance  double. 
D  abord  c  est  une  voie  de  communication  toute  tracée 
entre  la  France  du  Nord  et  la  Westphalie.  Le  chemin 
de  fer  Paris-Cologne-Berlin  ne  quitte  la  vallée  de  l'Oise, 
près  de  Guise,  que  pour  suivre  fidèlement  le  val  de 
Sambre  et  Meuse.  Sur  la  Sambre,  unie  par  canaux 
à  1  Escaut  et  à  l'Oise,  glissent  les  grands  chalands  char- 
gés de  charbon  destiné  surtout  à  la  région  parisienne. 
La  Meuse,  profonde  de  trois  à  quatre  mètres,  dessert  les 
riches  régions  industrielles  de  Namur,  Seraing  et  Liège, 
qu'elle  met  en  rapport  facile  avec  Rotterdam. 

En  second  lieu,  la  zone  de  terrains  carbonifères,  que 


nous  vîmes  traverser  le  Hainaut,  atteint  le  sillon  de 
Sambre  à  Charleroi,  suit  la  Meuse  jusqu'au  delà  de 
Liège,  et  se  continue  par  Aix-la-Chapelle  jusqu'au 
fameux  bassin  allemand  de  la  Ruhr.  Des  mines  de  fer 
et  de  très  importants  gisements  de  zinc  (Huy,  Seraing, 
Moresnet)  accompagnent  les  dépôts  houillers.  Ainsi 
s'explique  le  développement  industnel  d'une  zone  où  la 
matière  première  abonde  et  où  les  moyens  de  transport 
sont  aisés. 

Charleroi  (33  000  habitants),  sur  la  Sambre,  est,  comme 
Mons,  une  ville  maussade  d'usines,  de  fabriques,  de 
hauts  fourneaux  que  complètent  de  nombreuses  éigglo- 
mérations  industrielles  toutes  voisines  :  Jumet,  Mar- 
chiennes,  Châtelet,  Chatelineau,  Courcelles,  etc. 

Namur  (33  000  habitants)  occupe  au  confluent  de  la 
Meuse  et  de  la  Sambre  une  position  stratégique  qui  lui  lit 
jouer  autrefois  un  rôle  mihtaire  fort  important.  On  y 
fabrique  de  la  verrerie,  de  la  coutellerie.  Andenne  et 
Floreffe,  ses  voisines,  ont  des  papetenes  et  des  verreries. 

Au  delà  de  Namur,  la  Meuse  suit  un  couloir  fort 
encaissé,  bordé  cependant  d'établissements  industriels 
qui  se  multiphent  aux  approches  du  carrefour  de  routes 
où  Liège  naquit. 

Une  cité  d  importance  devait  nécessairement  se  for- 
mer en  ces  lieux  favorisés  où  l'Ourthe  venue  des 
Ardennes,  la  Vesdre  venue  des  pays  rhénans,  et  la 
Meuse  confluent,  où  se  croisent  les  routes  des  Pays-Bas. 
de  France  et  d'Allemagne,  où  les  terres  à  blé  de  la 
Hesbaye  touchent  aux  prairies  du  Pays  de  Hervé,  aux 
bois  du  Condroz,  aux  gisements  métallifères  de  la  Meuse 
et  de  la  Vesdre.  De  très  ancienne  origine,  puisqu'elle 
se  vante  d'avoir  vu  naître  Charlemagne,  Liège  prit 
rang  au  Moyen  Age  parmi  les  Communes  les  plus 
industrieuses,  les  plus  batailleuses  aussi  de  la  Belgique. 
Dès  le  XV*  siècle,  on  y  comptait  une  population  nom- 
breuse d'artisans  souvent  en  lutte  avec  le  prince-évèque. 
C'est  aujourd'hui  une  cité  de  170000  habitants,  fort 
agréable,  très  vivante,  très  gme,  entourée  de  riantes 
collines  semées  de  maisons  de  plaisance,  tandis  que  les 
usines,  les  fonderies  de  canons,  les  manufactures 
d'armes,  etc.,  remplissent  la  vallée.  Une  florissante 
Université,  un  Conservatoire  de  musique  maintiennent 
la  vieille  réputation  intellectuelle  et  artistique  des 
Liégois. 

Seraing  (42  000  habitants),  le  Creusot  de  la  Belgique, 
fondé  en  1 907  par  John  Cockerill,  n'est  qu'un  faubourg  de 
Liège.  Dans  la  vallée  de  la  Vesdre,  Chênée  et  Angleur 
ont  des  fonderies  de  zinc  appartenant,  comme  celles  de 
Moresnet,  à  la  Société  dite  de  la  Vieille-Monteigne. 
Verviers  (46  000  habitants),  ville  moderne,  concentre  la 
majeure  partie  des  industries  lainières  de  la  Belgique. 
Herstal  (Heristal)  et  Landen,  voisines  de  Liège,  furent 
le  berceau  de  la  famille  des  Carolingiens. 


-   98 


LA  BELGIQUE  ET  LE  GRAND-DUCHE  DE  LUXEMBOURG 


La  Haute-Belgique 


Au  Sud  du  sillon  de  Sambre  et  Meuse,  la  nature 
et  l'aspect  du  sol  se  modifient.  Aux  terrains  tertiaires 
et  quaternaires  de  la  Belgique  des  plaines,  succèdent 
les  grès,  les  schistes,  les  calcaires  primaires  du  Massif 
Ardennais.  C'est  une  pénéplaine  ",  c'est-à-dire  une 
région  qui  fut  couverte  de  hautes  montagnes  dépendant 
du  plissement  hercynien,  mais  qu  une  longue  érosion 
usa,  rabota  jusqu'à  la  racine,  et  réduisit  à  ne  plus  être 
qu'une  succession  de  plateaux  dont  l'altitude  maxima 
atteint  65 1   mètres  seulement. 

Ces  plateaux  portent  d'abord  le  nom  de  Fagnes 
entre  la  Sambre  et  la  Meuse,  de  Condroz  et  Famenne 
entre  la  Meuse  et  la  Vesdre,  de  Pays  de  Hervé  au 
Nord  de  la  Vesdre.  Les  bois  y  sont  déjà  nombreux  ; 
mais  une  altitude  qui  ne  dépasse  guère  200  à  300  mètres, 
un  sol  argileux  assez  fertile,  sont  encore  favorables  non 
seulement  aux  pâturages,  mais  même  aux  cullures  de 
seigle  et  d'avoine. 

L'Ardenne  proprement  dite,  qui  compose  la  majeure 
partie  de  la  province  appelée  le  Luxembourg  belge, 
est  la  région  la  moins  productive,  la  moins  peuplée  de 
la  Belgique.  Une  immense  forêt  {Ar  Dean,  la  forêt 
en  langue  celtique)  la  recouvrait  autrefois  tout  entière, 
terrain  de  chasse  favori  de  nos  premiers  rois  et  lieux 
propices  aux  exploits  légendaires  des  paladins.  Dans  la 
suite  des  temps,  la  forêt  se  coupa  de  clairières  ;  des 
landes  d'ajoncs  et  de  genêts,  des  taillis  souffreteux  rem- 
placèrent en  maints  endroits  les  majestueuses  futaies  où 
les  hêtres  et  les  chênes  alternaient  avec  les  bouleaux.  Sur 
les  dépressions  argileuses  où  stagnent  les  eaux  de  pluie, 
s'étendent  des  tourbières  noirâtres  (Venn  en  allemand 
Veen   en  flamand,   Joignes    en   français)  qui    donnent. 


leur  nom  à  plusieurs  des  régions  ardennaises.  Coupant 
brusquement  la  morne  surface  des  plateaux,  d'étroites 
vallées  où  chantent  les  rivières  apportent  un  élément  de 
gaieté  et  de  vie  :  la  Meuse  d'abord,  belge  depuis 
Civet,  et  qui  arrose,  avant  Namur.  la  pittoresque 
Dinant,  "tout  à  l'étroit  entre  les  rocs  qui  la  surplombent 
et  la  rivière  qui  létremt  "  ;  puis  laSemoy,  aux  méandres 
innombrables  ;  la  Lesse,  que  rendirent  célèbre  les  grottesde 
HanetdeRochefort  ;  l'Ourthequi,  née  entre  Neuf  château 
et  Saint-Hubert,  va  rejoindre  la  Meuse  sous  les  murs  de 
Liège.  Un  climat  rude,  des  hivers  longs  et  froids,  d'a- 
bondantes chutes  de  neige  et  de  pluie  s'opposent,  beau- 
coup plus  que  l'altitude,  à  la  mise  en  valeur  du  sol 
et  à  l'accroissement  des  populations.  Sauf  à  1  extrême 
Sud-Est  du  Luxembourg  belge  où,  dans  les  pays  de 
Virton  et  d'Arlon,  un  climat  plus  doux,  plus  ensoleillé 
permet  la  culture  des  céréales  riches  et  des  arbres  frui- 
tiers, les  plateaux  ardennais  ne  portent  guère  que  des 
champs  maigres  de  seigle  et  d'avoine,  des  prairies  que 
tondent  les  moutons  et  des  chevaux  de  petite  stature 
mais  très  robustes. 

Les  habitants  sont  peu  nombreux  (de  30  à  55  au 
kilomètre  carré),  mais  de  race  saine,  vigoureuse,  endurcie 
par  l'âpre  climat.  Ils  vivent  dispersés  dans  des  hameaux 
ou  de  petites  agglomérations  rurales  dont  les  plus  impor- 
tantes :  Neufchâteau,  Bouillon,  Rochefort,  Saint-Hu- 
bert, etc.,  ne  dépassent  pas  4000  ou  5  000  habitants. 

Spa,  au  Sud  de  Verviers,  est  une  ville  balnéaire  très 
fréquentée.  Chimay,  Philippeville  et  Marienbourg,  dans 
les  Fagnes.  furent  autrefois  d'importantes  forteresses 
commandant  la  route  de  Pans  a  Namur  par  Laon, 
Hirson  et  Dinant. 


CARACTERES  GENERAUX  DE  LA   VIE  BELGE 


.\u  dernier  recensement  (1921),  la  population  totale  de 
la  Belgique,  y  compris  lespays  récemment  annexés,  s'éle- 
vait à  8  000  000  d'habitants  soit  260  au  kilomètre  carré. 
C'est  la  plus  forte  densité  atteinte  par  un  Etat  européen. 
Cette  densité  s'explique  non  seulement  par  la  prolificité 
de  la  race,  mais  aussi  par  les  diverses  raisons  d  ordre 
géographique  ou  économique  que  nous  avons  analysées 
dans  les  pages  précédentes  : 

1°  Agriculture  savante,  intensive,  obtenant  de  forts 
rendements  sur  un  étroit  espace  ; 

2'  Industrie  très  active,  due  pour  une  part  à  la  per- 
sistance d'anciennes  traditions,  et  pour  une  autre  part, 
beaucoup  plus  importante,  à  l'abondance  de  la  houille 
(23  000000  de  tonnes),  du  fer  (2  500  000  tonnes)  et  du 
zinc  ;  à  la  multiplicité  et  au  bon   marché  des  moyens  de 


transport  (8  000   kilomètres  de  voies  ferrées,  nombreux 
canaux  et  rivières  navigables)  ; 

3"  Commerce  d'une  telle  ampleur  qu'il  atteignait,  à  la 
veille  de  la  Grande  Guerre,  1  1  340000000  de  francs, 
soit  un  quart  de  moins  seulement  que  le  commerce  de 
la  France  et  près  du  double  du  trafic  de  l'Italie,  pourtant 
cinq  fois  plus  peuplée. 

Dans  ce  chiffre  de  plus  de  11000  000000  de  francs, 
8  900  000  000  représenlaienl  la  valeur  du  commerce  spécial,  c'esl- 
à-dire  des  objets  et  denrées  produits  par  la  seule  Belgique  ou 
nécessaires  à  ses  besoins.  Les  2  437  000  000  restants  se  rapportent 
aux  marchandises  en  transit.  Sans  occuper,  en  effet,  une  place  aussi 
privilégiée  que  la  Hollande  pour  la  concentration  et  la  distribution 
des  articles  venant  de  lextérleur  et  destinés  aux  marchés  étrangers, 
la  situation  du  Royaume  belge,  entre  l'Anglelcrre,  la  France,  les 
Pays-Bas,  l'Allemagne,  la  Suisse  même,  les  grandes  lignes  Interna- 


99 


L'EUROPE 


lionales  qui  le  traversent,  les  cours  d'eau  navigables  qui  l'unissent 
à  ses  voisins,  en  font  un  intermédiaire  naturel,  une  sorte  de  courtier 
qui  prélève  un  pourcentage  appréciable  sur  les  produits  qui  trouvent 
inlérêl  à  emprunter  son  territoire.  C'est  Anvers,  par  exemple,  qui 
dessert  une  partie  de  la  Lorraine,  etc. 

.    TABLEAU  DU  COMMERCE  SPÉCIAL 

Importations 


PRINCIPAUX    PAYS    DE    PROVENANCE 
ET    DE    DESTINATION 


En  1913 
4  958  000  000  de  francs. 

En  1920 
11    171  467  000  francs. 

Laine 428  000  000 

Blé 402  000  000 

Denrées          )  2  543  000  000 
alimentaires.      ) 

Matières        '   5  153  qoO  000 
premières.       ' 

Produits         i  3  J70  0ÛO0OO 
manufactures.     * 

Coton 211  000  000 

Peaux 180000000 

Charbon 148  000  000 

Mais 139  000  000 

Caoutchouc 134  000  000 

Bois 123  000000 

Produiu  chimiques  . .     120  000  000 

Un 108  000  000 

Caii 85000000 

etc. 

Exportations 


En  1913 
3  951  000  000  de  francs. 

En  1920 
8  708  000  000  de  francs. 

Lainages 457  000  000 

,.°'"'^"       i       663  000  000 

alimentaires.     \ 
Matières        J    3  3,3  oOO  000 

Produits                         )             ^      ^^g      QQQ      QQQ 

labriques.        ' 

Fers  et  aciers 262  000  000 

Toiles  et  (ils  de  lin  .  .  .     252  000  000 
Matériel     de     chemin 

de  fer           .                 120  000  000 

Zinc 120  000  000 

Caoutchouc  ouvré  ....      109  000  000 
Machines 94  000  000 

Charbon 92  000  000 

Cotonnades 92  000  000 

Verre    et    glaces,    pa- 
pier, sucre,  etc. 

Comme  on  le  voit,  la  prospe'rité  de  la  Belgique  est  due 
surtout  au  magmfique  développement  de  ses  industries. 
Elle  achète  des  produits  alimentciires  (blé,  café,  maïs)  et 
des  matières  premières  nécessaires  à  ses  usines  (laine, 
coton,  peaux,  caoutchouc,  lin,  etc.).  -Elle  vend  presque 
uniquement  des  produits  fabriqués. 


' 

En  1913. 

En  1920. 

Importations 

France 

Grande -Bretapie 

Allemagne 

États-Unis / 

Venant  de  : 

908  000  000 
505  000  000 
503  000  000 
413  000  000 
355  000  000 
305  000  000 
272  000  000 
200  000  000 

2  200  000  000 

1  923  000  000 

903  000  000 

1  941  000  000 

703  000  000 

530  000  000 

? 

? 

Pays-Bas 

République  Argentine 

Exportations 

allant  à  : 
I  077  000  000 

1  281  000  000 

752  000  000 
594  000  000 
357  000  000 
185  000  000 
92  000  000 
63  000  000 

2  508  000  000 

1  350  000  000 

1  025  000  000 

304  000  000 

137  000  000 

î 

Grande-Bretagne 

Pays-Bas  . 

Ce  sont  naturellement  les  quatre  voisins  de  la  Belgique 
qui  entretiennent  avec  elle  les  relations  commerciales  les 
plus  importantes.  11  faut  noter  cependant  le  chiffre  élevé 
des  importations  provenant,  avant  la  guerrre,  de  1  Ar- 
gentine, de  la  Russie  et  de  la  Roumanie.  Elles  fournis- 
saient aux  usines  et  à  la  population  belges  la  majeure 
partie  des  laines,  du  Im,  des  céréales,  des  cuirs  qui 
débarquaient  à  Anvers. 

Le  pavillon  belge  ne  prenait  qu  une  bien  faible  partie 
du  trafic  par  voie  de  mer.  En  1913,  la  Belgique  ne  possé- 
dait, en  effet,  qu  une  centaine  de  navires  marchands  jau- 
geant 180000  tonneaux.  Ce  sont  des  bateaux  étrangers  : 
anglais,  hollandais,  norvégiens,  allemands  surtout,  qui  se 
chargeaient  du  transport  des  marchandises  et  des  passa- 
gers. Anvers  tendait  de  plus  en  plus  à  devenir  une  sorte 
de  succursale  des  grands  armateurs  de  Brème  et  de 
Hambourg.  La  Belgique  paraît  aujourd'hui  décidée  à 
mettre  à  profit  1  affaiblissement  momentané  de  la  marine 
de  commerce  allemande  pour  se  donner  la  flotte  nationale 
indispensable  à  sa  prospérité  économique. 


LE   GRAND-DUCHE  DE   LUXEMBOURG 


La  province  belge  du  Luxembourg  se  complète  par  le 
Grand-Duché  du  même  nom.  Lorsque,  aux  siècles 
passés,  les  deux  temtoires  se  trouvaient  réunis,  ils  for- 
maient un  Etat  féodal  mouvant  tantôt  de  la  Couronne  de 
France,  tantôt  du  Saint-Empire  Germanique.  Si  la 
Maison  de  Luxembourg  ne  donna  pas  à  l'Allemagne 
moins  de  quatre  Empereurs,  elle  envoya  aussi  les  plus 
braves  de  ses  fils  combattre  pour  nos  rois  sur  les  champs 
de  Bouvines,  de  Crécy,  d'Azincourt.  Sous  Louis  XIV, 
le  hasard  des  guerres  nous  rendit  maîtres  du  duché  pen- 
dant un  quart  de  siècle  et  Vauban  fortifia  sa  capitale. 
Bien  plus,  de  1793  à   1815,  le  Luxembourg,  incorporé 


au  territoire  français,  devint  le  département  des  Forêts, 
et  les  conscrits  luxembourgeois,  mêlés  à  leurs  frères  de 
France,  coururent  l'Europe  sous  les  plis  du  drapeau  trico- 
lore. En  1815,  on  attribua  le  Grand-Duché,  comme  bien 
patrimonial,  au  Roi  de  Hollande  qui  prenait  aussi  la 
Belgique.  Mais,  en  1830,  la  Belgique  devint  libre,  et, 
du  territoire  du  Grand-Duché,  on  fit,  en  1839,  deux 
parts  :  l'une  belge,  1  autre  qui  demeura  autonome,  fut 
neutralisée  et  confiée  à  une  branche  cadette  de  la  famille 
de  Nassau. 

La  position    géographique     du    Grand-Duché,    aux 
confins    de    la  Lorraine,  de  la  Belgique  et  de  la  Prusse 


100 


S?@*J 


GÉOGRAPHIE  l'NfVXRSELLE      PL    7 


LA  FRANCE 


rhénane,  lui  confère  une  importance  stratégique  que  la 
Grande  Guerre  a  mise  en  pleine  lumière.  L'Alle- 
mcigne  qui,  au  XIX®  siècle,  avait  fait  des  efforts  continus 
pour  annexer,  directement  ou  mdirectement,  le  Luxem- 
bourg, viola  sa  neutralité  dès  les  premiers  jours  du  conflit 
et  l'occupa  jusqu'en  1918.  Depuis  lors,  le  Grand-Duché 
est  pacifiquement  administré  par  une  princesse  de 
Nassau  sous  le  contrôle  étroit  d'une  Chambre  des 
Députés.  L'ancienne  union  douanière  avec  le  Zollverein 
allemand  a  été  rompue  et  remplacée  par  une  union  éco- 
nomique avec  la  France.  Du  reste,  les  sympathies  de  la 
grande  majorité  des  Luxembourgeois  nous  sont  acquises. 
Bien  que  la  population  emploie  surtout  un  dialecte  alle- 
mand, le  français  est  non  seulement  la  langue  des  gens 
les  plus  cultivés,  mais  aussi  la  langue  officiellement 
employée  à  la  Chambre  et  devant  les  tribunaux.  C'est  en 
France,  et  surtout  à  Paris,  que  se  fixent  la  majorité  des 
Luxembourgeois  de  toutes  conditions  qui  quittent  tempo- 
rairement leur  pays,  soit  pour  exercer  une  profession  quel- 
conque, soit  pour  parfaire  leur  éducation. 

Le  territoire  du  Grand-Duché  ne  couvre  que  2386 
kilomètres  carrés;  mais  il  nourrissait,  en  1920, 
265000  habitants,  soit  100  au  kilomètre  carré,  chiffre 
fort  élevé  si  l'on  songe  que  tout  le  Nord  du  pays  appelé 
Oesling  ou  Eisling  (la  glacière)  n'est  qu'une  portion  de 
l'Ardenne  dont  il  a  les  hauts-plateaux  de  schistes  noirs, 
les  vallées  très  creuses,  les  sombres  taillis,  le  climat  rude, 
le  sol  ingrat.  Au  fond  des  méandres  encaissés  scintillent 
les  eaux  argentées  de  rivières  rapides  :  la  Sure,  1  Our, 


là  Wiltz.  Au  sommet  des  rocs,  les  ruines  de  forteresses 
féodales  :  Brandenbourg,  Vianden,  Bourscheid,  Laro- 
chette,  Stolzembourg,  etc.,  ajoutent  encore  au  pittoresque 
d'un  paysage  que  les  Français  connaissent  trop  peu, 
mais  que  savent  depuis  longtemps  apprécier  les  touristes 
d'Allemagne  et  de  Belgique.  Le  Sud  doit  une  fertilité 
beaucoup  plus  grande  à  son  climat  plus  tiède,  plus 
ensoleillé,  et  surtout  à  un  sol  où.  comme  en  Lorraine, 
prédominent  les  calcaires  et  les  marnes.  C'est  le  Gutland, 
le  "  Bon  Pays".  On  y  cultive  le  blé,  les  fruits,  la  vigne 
même,  et,  sur  les  coteaux  mollement  ondulés,  dans  les 
vallées  plus  largement  ouvertes,  villages  et  fermes  se 
multiplient  au  milieu  des  prairies  et  des  labours.  Les 
ressources  du  sous-sol  complètent,  par  ailleurs,  celles  que 
l'on  tire  de  l'agriculture  et  de  l'élevage.  Les  gisements 
de  fer  lorrains  se  prolongent,  en  effet,  sur  le  territoire  du 
Grand-Duché.  Quatre-vingt-six  mines  ont  donné,  en 
1913,  7  000000  de  tonnes  de  minerai,  et  les  hauts 
fourneaux  du  district  d'Esch-sur-Alzette  livrèrent  la 
même  année  2200000  tonnes  de  lingots  de  fer  et 
1  200000  tonnes  d'acier. 

Point  d'autre  cité  digne  de  ce  nom  que  Luxembourg, 
la  capitale  (21000  habitants),  autrefois  puissante  forte- 
resse, aujourd'hui  agréable  et  très  pittoresque  petite 
ville,  perchée  aux  rives  de  l'Alzette.  Diekirch,  Vianden. 
Wiltz,  Clervaux  concentrent  les  produits  de  l'Eisling 
(seigle,  pommes  de  terre,  bois,  ardoises),  comme 
Echternach,  Esch.  Dudelange,  le  font  pour  ceux  du 
Bon   Pays. 


CHAPITRE   VIII 

LA  FRANCE 


GÉNÉRALITÉS,  a^f  Depuisquela  victoire  nous 
a  rendu  l'Alsace  et  la  portion  de  Lorraine  qui  nous  fut 
arrachée  en  1870,  la  France  couvre  550000  kilomètres 
carrés.  Elle  eit  donc  aujourd'hui,  après  la  Russie,  le  plus 
vaste  des  États  européens.  Ses  limites  naturelles  sont  très 
nettement  indiquées  à  l'Ouest,  au  Sud  et  à  1  Est  par  la 
mer,  les  Pyrénées,  les  Alpes,  le  Jura  et  le  Rhin.  Mais, 
au  Nord,  nulle  barrière  ne  l'isole  de  la  Belgique  et  de 
l'Allemagne  rhénane.  Aussi  est-ce  là,  comme  le  démontre 
toute  notre  histoire,  le  point  faible  d'une  frontière  par 
ailleurs  parfaitement  protégée.  C'est  la  porte  large  ouverte 
par  où  déferlèrent  tant  de  fois  les  hordes  barbares  se  ruant 
à  la  curée  d'une  terre  vers  laquelle  l'amincissement  pro- 
gressif de  l'Europe,  d'Est  en  Ouest,  les  portait  naturelle- 
ment. 


La  situation  à  la  fois  maritime  et  continentale  de  la 
France,  la  disposition  de  ses  côtes,  de  son  relief,  lui 
assurent  un  certain  nombre  d'avantages. 

D'abord  elle  se  trouve  exactement  a  mi-dislance  de 
l'équateur  et  du  pôle  arctique  (entre  le  42  et  le  31'.  ■ 
lat.  N.).  Les  vents  marins,  les  tièdes  effluves  du  Gulf- 
Stream  et  de  la  Méditeiranée  s'y  marient  aisément  avec 
la  bise  sèche  qui  souffle  de  l'Est.  Cela  lui  vaut  un  climat 
généralement  tempéré  qui  ne  connaît  ni  les  froids  rigou- 
reux de  l'Europe  centrale  et  orientale  à  pareille  latitude, 
ni  l'humidité  persistante  de  l'Angleterre,  ni  la  torride  ari- 
dité de  l'Espagne.  Par  ailleurs,  d'infinies  nuances  locales 
donnent  a  ce  climat  une  variété  qui  se  traduit  par  l'heu- 
reuse diversité  de  la  végétation,  des  cultures  et  des  formes 
de  vie.  La  vigne  et  le  houblon,  l'olivier  et  le  pommier, 

101  


L'EUROPE 


le  maïs  et  le  blé,  les  maquis  toujours  verts,  les  sylves  à 
feuilles  caduques,  les  sombres  forêts  de  conifères  trouvent 
à  la  fois  chez  nous  les  conditions  climatiques  qui  leur 
conviennent  le  mieux. 

En  second  lieu,  grâce  à  sa  double  ou  même  quadruple 
façade  maritime,  très  suffisamment  pourvue  de  bonnes 
rades  naturelles,  la  France  a  toujours  pu  diriger  aise'ment 
son  activité  vers  toutes  les  mers  du  globe.  Par  Mcirseille, 

Porte  de  l'Orient  ",  elle  est,  depuis  la  plus  haute  anti- 
quité, en  relation  avec  la  Grèce,  l'Egypte,  l'Asie  et 
l'Afrique  Mineure,  à  quoi  s'ajoutent  aujourd'hui,  par  delà 
le  canal  de  Suez  et  la  mer  Erythrée,  les  lointaines  et  long- 
temps fabuleuses  contrées  de  l'Extrême-Orient.  Bor- 
deaux, La  Rochelle,  Nantes.  Rouen,  le  Havre  regardent 
vers  l'Amérique,  comme  Dunkerque  vers  les  pays  que 
baignent  les  sombres  mers  du  Nord. 

La  France  est  en  même  temps  un  pays  terrien,  pro- 
fondément engagé  dans  le  bloc  continental  de  l'Europe. 
C'est  chez  elle  que  se  sont  opérés  la  rencontre,  le  heurt 
et  parfois  le  mélange  des  peuples  germaniques  et  des 
peuples  latins,  des  hommes  grands  et  blonds  et  des 
hommes  petits,  aux  yeux  bruns,  à  la  noire  chevelure- 
Pendant  toute  son  histoire  elle  a  pris  position  dans  toutes 
les  grandes  questoins,  s'est  mêlée  à  tous  les  mouvements 
de  races  et  d'idées,  à  tous  les  conflits  européens.  Elle  n'est 
jamais  demeurée  isolée.  C'est  d'elle,  au  contraire,  quesont 
parties  les  conceptions  les  plus  généreuses,  les  théories 
politiques  ou  sociales  les  mieux  faites  pour  apporter  aux 
hommes  la  liberté,  l'égalité,  la  justice. 

Si  l'on  envisage  maintenant  la  structure  de  notre  pays, 
on  voit  qu'elle  résume,  ei)  quelque  manière,  le  relief  de 
l'Europe  entière.  Au  Nord  et  à  l'Ouest,  les  bas  pays  de 
Flandre,  du  bassin  Parisien,  du  Poitou,  de  l'Aquitaine, 
prolongent  et  terminent  les  vastes  plaines  qui  s'étalent 
sur  la  Russie,  la  Pologne,  l'Allemagne.  Les  vieux  massifs 
.abrasés  d'Armorique,  d'Auvergne,  des  Vosges,  des 
Ardennes  se  relient,  d'une  part,  aux  monts  de  Grande- 
Bretagne,  d'autre  pari,  à  la  Forêt-Noire,  à  la  Thuringe, 
au  quadrilatère  bohémien.  Pyrénées,  Alpes,  Jura  font 
enfin  partie  de  cet  immense  plissement  qui  bouleversa 
l'écorce  terrestre  au  milieu  des  temps  tertiaires  et  à  quoi 
1  Europe  méridionale  doit  la  longue  série  de  ses  hautes 
chaînes  :  Sierra  Nevada,  Apennins,  Carpates,  Pinde, 
Balkans,  etc. 

Il  y  a  déjà  dans  ce  seul  fait  les  principaux  éléments 
d'une  variété  structurale  qui  est  un  des  caractères  essen- 
tiels de  la  France  physique.  Plaines,  collines,  montagnes 
jeunes  et  vieilles  se  pénètrent  et  se  complètent  har- 
monieusement, fournissant  chacune  leur  apport  distinct 
aux  besoins  de  l'homme.  Partout  la  vie  circule  aisément  par 
des  couloirs  de  faible  altitude.  Le  long  sillon  du  Rhône  et 
de  la  Saône  mène  du  Rhin,  de  la  Moselle  et  de  la  Seine  à 
la  Méditerranée  par  les  seuils  de  Bourgogne,  de  Lorraine 

102 ^ 


et  de  Langres.  Entre  Massif  central  et  Armorique  la 
porte  du  Poitou  fait  communiquer  le  bassin  Parisien  et 
I  Aquitaine.  Au  Sud,  la  trouée  du  Lauragais  ou  de 
Naurouze  conduit  du  Midi  toulousain  au  Midi  de  Nîmes 
et  de  Marseille.  Dans  les  massifs  montagneux  eux- 
mêmes,  les  cultures  riches,  la  population  dense  s'insinuent 
jusqu  au  pied  des  cimes  les  plus  hautes  par  les  riantes 
vallées  du  Graisivaudan,  de  la  Tarentaise,  de  la  Mau- 
rienne,  du  Forez,  de  la  Limagne,  etc.  Il  n'est  pas 
jusqu  à  nos  plaines  où  les  caprices  de  1  érosion,  la  diffé- 
rence des  terrains,  les  nuances  du  climat  n'introduisent 
la  plus  heureuse  variété.  Rien  chez  nous  qui  ressemble 
aux  mornes  étendues  de  l'Allemagne  du  Nord,  de 
l'immense  Russie,  des  '  '  pusztas  "  hongroises.  Tantôt  ce 
sont  des  vallées  qui,  entamant  profondément  les  plates- 
formes  calcaires,  y  créent  de  longues  oasis  de  verdure 
et  de  fraîcheur  :  vaux  de  Loire,  rives  de  la  Seine  nor- 
mande, du  Clam,  des  affluents  garonnais.  Tantôt  c  est 
1  alternance  des  argiles,  des  sables,  de  la  craie,  des 
limons  qui  suffit  à  faire  naître,  à  même  altitude  et  sous  un 
climat  à  peu  près  uniforme,  les  différences  que  l'on 
relève  entre  Champagne  humide  et  Champagne  pouil- 
leuse, Beauce  et  Hurepoix,  Pays  de  Bray  et  Pays  de 
Caux,  Berry  et  Sologne,  Péngord  et  Bordelais. 

Ainsi,  tout  en  possédant  les  éléments  géographiques 
nécessaires  à  la  constitution  d'une  nation  bien  unifiée  : 
harmonie,  équilibre  et  justes  proportions  des  formes,  fron- 
tières en  grande  partie  naturelles  et  fortes,  heureuse  dis- 
position du  relief,  communications  intérieures  faciles,  etc., 
la  Fiance  trouvait  aussi  en  elle  les  éléments  d'une  diver- 
sité qui  s'est  manifestée  à  toutes  les  époques  de  son 
histoire  et  se  traduit  à  la  fois  par  la  merveilleuse  variété 
de  ses  ressources  et  par  l'originalité  des  multiples  régions 
naturelles  qui  subsistent  dans  le  cadre  de  la  patrie. 

Ces  régions  portent  presque  toutes  des  noms  très 
anciens.  Au  temps  de  César,  les  Gaulois  se  répartissaient 
déjà,  suivant  les  conditions  géographiques  du  sol  et  du 
climat,  en  une  soixantaine  de  peuplades  dont  le  territoire 
avait  des  limites  nettement  indiquées  par  la  nature  : 
Benarnenses  (Béarnais),  Arvernes  (Auvergnats),  Bitu- 
riges  (Berrichons),  Lemovices  (Limousins),  Remi 
(Rémois),  Carnutes  (Chartrains),  Vénètes  (Vanne- 
tais),  etc. 

Plus  tard,  l'apport  de  nouveaux  éléments  étrangers 
(Francs,  Flamands,  Burgondes  d'origine  germanique. 
Normands  de  souche  Scandinave,  Bretons  émigrés  de 
Grande-Bretagne)  vint  superposer  aux  anciens  noms  de 
pays  "  gaulois,  des  termes  nouveaux  embrassant  un 
vaste  territoire  :  Bourgogne,  Normandie,  Flandre, 
Bretagne,  France.  Puis  apparurent  le  Languedoc  (le 
pays  où  le  mot  '  '  oui  "  se  dit  "  oc  "  que  I  on  prononce  ô), 
la  Lorraine  (Lotharingie  ou  pays  de  Lothaire),  l'Al- 
sace (pays  de  l'Ell  ou  de  llll),  la  Franche-Comté,  etc. 


LA  FRANCE 


Quelle  que  soit  son  origine  géographique  el  historique, 
chacune  de  ces  de'nominations  correspond  à  une  région, 
vaste  ou  de  dimensions  restreintes,  qui  a  ses  caractères 
spéciaux  et  qui.  au  cours  des  âges,  vécut  de  sa  vie 
propre,  petite  patrie  dans  la  grande.  Encore  aujour- 
dhui.  cent  trente  ans  après  la  création  des  départements. 
on  ne  se  dit  pas       Gersois  "ou    '     Maine-et-Loirais  ". 

Dordognais  'ou  '  Puy-de-Dômois  ",  mais  Gasconet 
Angevin.  Péngourdin  et  Auvergnat.  Le  "  pays",  la 
provmce.  voilà  les  vraies  cellules  de  notre  organisme 
complexe. 

A  ces  causes  purement  géographiques  de  diversité  : 
relief,  sol  et  climat,  se  sont  ajoutées  des  raisons  ethno- 
graphiques. Dans  le  creuset  formé  par  le  cadre  naturel 
des  mers  et  des  monts  de  notre  pays  sont  venues  se 
fondre  tour  à  tour  des  populations  d'origine  très  variée. 
Ce  furent  d  abord  les  tribus  préhistoriques  dont  nous 
retrouvons  les  traces  dans  les  grottes  de  la  Vézère  (les 
Eyzies,  le  Moustier.  la  Madeleine),  du  Mas  d'.Azil.  de 
Solutré.  dans  les  sables  de  Saint-.Acheul.  dans  les  pala- 
fittes,  ou  habitations  sur  pilotis,  du  lac  du  Bourget.  Puis 
les  Ibères,  ancêtres  directs  des  Basques  ;  les  Ligures, 
dont  les  Niçois  seraient  les  descendants  les  moins  métis- 
sés. Après  eux.  les  Celtes,  venus  de  l'Europe  centrale 
vers  le  V*  siècle  avant  notre  ère,  occupèrent  toute  la 
région  comprise  entre  Rhin.  .Alpes  et  Pyrénées.  Ils 
refoulèrent  dans  les  montagnes  (Auvergne.  Pyrénées 
Occidentales)  une  partie  des  autochtones  et  s'unirent 
étroitement  aux  autres.  Des  Phéniciens  d'abord  (Monaco. 
Port-Vendres).  puis  des  Grecs  (Marseille.  Nice.  Agde) 
colonisèrent  les  rivages  méditerranéens.  Les  Romains, 
apparus  dès  le  II*  siècle  avant  Jésus-Christ,  inondèrent  la 
Gaule  de  leurs  marchands  et  de  leurs  soldats.  ,Au  V  siècle 
de  notre  ère  accoururent  des  Germains.  Francs.  Bur- 
gondes.  Wisigoths.  Flamands.  Peu  nombreux,  ils  se 
fondirent  promptement  dans  la  masse  des  Gaulois  roma- 


nisés.  Que  l'on  ajoute  à  cela  les  Bretons  arrivés  en 
.-\rmorique  vers  le  VI''  siècle,  quelques  .Arabes  ou  Sarra- 
sins demeurés  en  Gaule  après  la  victoire  de  Charles-Mar- 
tel (Castelsarrasin.  Monts  des  Maures),  les  Normands 
descendus  de  Scandinavieenlre  le  VIIl''et  le  X"  siècle,  enfin 
les  unions  qui  se  produisirent  au  cours  des  siècles  entre 
Français  et  étrangers  —  car  notre  peuple  n'a  point  de 
préjugés  ni  de  race  ni  de  couleur  —  et  l'on  aura  une 
idée  à  peu  près  complète  des  éléments  multiples  que 
résume  ce  seul  mot  :   le  peuple  Français. 

Du  reste,  quels  contrastes  entre  nous  !  Quelles  opposi- 
tions de  caractères,  detempéraments,  de  types  physiques, 
de  langues  même  !  11  y  a  d'abord  une  France  du  Nord  et 
une  France  du  Midi  demeurées  longtemps  étrangères 
l'une  à  l'autre,  parlant  l'une  des  dialectes  de  langue  d'oc, 
1  autre  de  langue  d  oïl.  Au  Midi,  une  nature  ensoleillée, 
plus  généreuse,  donne  au  teint  un  coloris  plus  foncé,  aux 
gestes  plus  d  exubérance,  à  la  voix  plus  de  chantante  sono- 
rité, mais  à  l'esprit  moins  de  séneux  et  de  profondeur.  Par 
ailleurs,  il  n'y  a  pas  un  Midi,  mais  des  Midis,  et  c'est 
toute  une  gamme  de  patois,  d'accents,  de  façons  d'être 
et  d  agir  que  l'on  parcourt  deTarbesàTulleet  de  Nice  à 
Bordeaux.  Au  Nord,  même  dissemblance  entre  Lorrains 
et  Berrichons,  Lyonnais  et  Picards.  Bretons  et  Francs- 
Comtois.  Dans  cette  magnifique  création  qu'est  la  civili- 
sation française,  chacun  apporte  sa  marque  propre, 
son  génie   particulier. 

Mais,  depuis  Jeanne  d'Arc,  la  diversité  ne  nuit  pas  à 
l'unité.  S'il  n'y  a  pas  de  race  française,  il  y  a  une  nation 
française  qui  a  appris  à  vivre,  à  souffrir,  à  vaincre  en 
commun.  Il  y  a  un  génie  français  fait  de  l'harmonieuse 
fusion  de  toutes  les  traditions  provinciales.  C'est  cette 
unité  qui  fait  notre  force.  C'est  à  elle  que  nous  dûmes, 
de  fort  bonne  heure,  la  place  de  premier  rang  que  nous 
n'avons  jamais  cessé  d'occuper  dans  l'.Asîemblée  des 
grands  peuples. 


LES  GRANDES  RÉGIONS  FRANÇAISES 

LA  REGION  RHENANE 


Le  Rhin  formait,  au  Nord  et  au  Nord-Est.  la  limite 
naturelle  de  la  Gaule.  Au  cours  de  notre  histoire  nous 
ne  cessâmes  jamais  de  revendiquer  tout  ou  partie  des 
régions  sises  sur  la  rive  gauche  du  grand  fleuve.  Nous  ne 
parvînmesqu'uninstant.  entre  1794et  181 4,  à  la  réalisation 
complète  de  ce  rêve.  Notre  récente  victoire  nous  a  permis 
à  tout  le  moins  de  remettre  la  main  sur  les  régions  vrai- 
mentfrançaises  de  la  Rhénanie,  celles  qui  s  étaient  don- 
nées à  nous  volontairement  et  depuis  des  siècles  :  l'Alsace 
et  la  Lorraine. 

LES  VOSGES.    £>£>    L'une  ci  l'autre  s'appuient 


sur  les  Vosges.  C'est  un  très  vieux  massif  né,  à  l'époque 
primaire,  du  plissement  hercynien,  puis  usé,  raboté,  réduit 
à  I  état  de  plateau  de  médiocre  altitude,  enfin  légèrement 
surélevé  aux  temps  tertiaires,  par  contre-coup  du  plisse- 
ment alpin.  A  l'EUt,  il  tombe  roidement  sur  la  dépression 
d  Alsace,  née  de  la  fracture  qui  sépara  les  Vosges  de 
leur  sœur  jumelle  la  Forêt-Noire.  A  l'Ouest,  il  s'abaisse 
avec  plus  de  douceur  vers  les  plateaux  lorrains.  Son  al- 
titude est  faible  (1424  mètres  au  Ballon  de  Guebviiler. 
1  250  au  Ballon  d'Alsace.  1  366  au  Hohneck.  1  013  au 
Donon)  et  des  passages  nombreux  unissent  les  deux  ver- 


103 


L'EUROPE 


sants  :  cols  de  Bussang,  de  Schirmeck,  delaSchlucht,  de 
Saales,  de  Saverne  surtout,  le  plus  bas  et  le  plus  ancien- 
nement utilisé.  Au  delà  de  Saverne,  les  plateaux  de  la 
Haardt  (400  à  500  mètres  d'altitude  moyenne),  qui  pro- 
longent les  Vosges,  laissent  des  routes  plus  nombreuses 
encore  s'insinuer  à  travers  leurs  croupes  boisées. 

De  quelque  côté  qu'on  les  aborde,  les  Vosges  étalent 
l'opulente  draperie  de  leurs  forêts  sous  laquelle  les  ondu- 
lations des  montagnes  sont  enveloppées  et  comme  amor- 
ties. Hêtres  et  sapins  croissent  avec  une  vigueur  magni- 
fique sur  le  sol  de  grès  rouge  ou  de  noir  granit.  Autrefois 
beaucoup  plus  vastes,  ces  forêts  servirent  de  refuge  à  de 
très  anciennes  populations  celtiques.  Dolmens,  abris  sous 
roches,  enceintes  fortifiées  (Mur  des  Païens  à  Sainte-Odile) 
conservent  leurs  traces  et  perpétuent  leur  souvenir.  Au 
Moyen  Age,  des  moines  s'établirent  les  premiers  au  milieu 
de  leurs  solitudes  redoutables.  Prairies  et  champs  cultivés 
entourèrent  les  couvents  de  Saint-Dié,  Remiremont, 
Munster,  etc. ,  et  les  essarts  se  multiplièrent  sur  les  pentes  des 
monts,  tandis  que  les  "  '  Marcaires"  ou  bergers  alsaciens  al- 
laient estiver  sur  les  '  '  chaumes  '  ' ,  c'est-à-dire  les  alpages  des 
hauts  sommets.  Puis  l'industrie  apparut.  Abondamment 
arrosées,  les  Vosges  nourrissent,  en  effet,  de  leurs  averses 
et  deleursneiges  fondues,  des  lacs  charmants(Noir,  Blanc, 
de  Longemer,  de  Gérardmer)  et  des  rivières  aux  eaux  pures 
qui  dégringolent  au  milieu  des  prés  et  des  bois.  Il  y  a  là 
une  source  précieuse  de  force  motrice  qu  utilisent  scieries, 
papeteries,  tanneries,  tissages  et  filatures  de  coton.  Par 
ailleurs,  les  verreries  et  cristalleries  trouvaient  dans  les 
grès  vosgiens  une  matière  de  rare  qualité.  Aussi,  tout  le 
long  de  la  Haute- Moselle,  de  la  Moselotte,  de  la 
Meurthe,  de  la  Plaine,  delà  Vezouze,  de  la  Sarre,  comme 
aux  rives  alsaciennes  de  la  Fecht,  de  la  Thur,  de  la 
Bruche,  bourdonnent  les  métiers,  grincent  les  scies,  flam- 
boient les  coulées  de  verre  fondu.  Remiremont,  Epinal, 
Baccarat,  Cirey,  Raon-l'Etape,  Schirmeck,  Sainte- 
Marie-aux-Mines,  Munster,  Massevaux  ne  sont  sur 
chaque  versant  que  les  centres  principaux  de  ces  indus- 
tries multiples  et  florissantes  qui  accumulent  au  fond  des 
vallées  jusqu  à  300  habitants  au  kilomètre  carré  et  égrènent 
leurs  usines,  leurs  manufactures,  leurs  scieries  bruissantes 
de  vie  à  l'ombre  des  forêts  vides,  sombres,  pleines  de 
silence. 

L  ALSACE.  00  Au  pied  des  Vosges,  vers 
l'Onent,  repose  la  plaine  d'Alsace. 

Le  Rhin,  les  torrents  descendus  des  montagnes  voi- 
sines, la  comblèrent  de  leurs  alluvions,  puis  y  tracèrent 
leurs  lits  parallèles.  Sur  les  sables  et  les  graviers  s'ins- 
tallèrent des  forêts.  Ailleurs,  aux  rives  du  Rhin,  de  l'ill, 
collecteur  principal  de  la  plaine,  s'étendirent  de  vastes 
zones  inondables  couvertes  de  roselières  et  de  prairies 
(la  Ried).  Ailleurs  encore,  un  limon  analogue  au  '  '  loess  " 


chinois  revêtit  de  son  fertile  manteau  la  portion  occiden- 
tale de  la  dépression.  Enfin,  sur  les  coteaux  calcaires  qui, 
face  au  soleil,  longent  le  rebord  de  la  montagne,  arbres 
fruitiers,  vignes  même,  trouvèrent,  quand  on  le  voulut,  un 
habitat  de  choix. 

Ce  mélange  heureux  de  bois,  de  prairies,  de  terres 
faciles  à  cultiver  était  bien  fait  pour  attirer  les  hommes. 
D'autres  conditions  également  favorables  les  y  fixèrent  : 
le  climat  d'abord,  aux  hivers  assez  froids,  aux  printemps 
précoces,  aux  étés  chauds,  ensoleillés,  aux  automnes 
lumineux,  aux  pluies  deux  fois  moins  copieuses  que  sur 
les  plateaux  et  les  monts  voisins  ;  climat  dont  s  accom- 
modent non  seulement  les  céréales  nobles,  blé  et  orge,  le 
houblon,  la  pomme  de  terre,  le  tabac,  mais  le  noyer,  la  ' 
vigne,  le  châtaignier  même  et  le  maïs  qui  atteignent  là 
leur  extrême  limite  septentrionale. 

De  plus,  la  plaine  d'Alsace  est  une  sorte  de  carrefour 
où  se  croisent  quelques-unes  des  routes  les  plus  ancienne- 
ment fréquentées  de  1  Europe  :  celles  qui,  venant  des 
mers  du  Nord,  gagnent  le  Midi  parla  vallée  rhénane  et 
celles  qui,  du  bassin  Parisien,  vont  au  Danube  par  la 
double  porte  de  Saverne- Pforzheim. 

Aussi,  de  très  bonne  heure,  la  plaine  f\it-elle  habitée 
et  défnchée  par  des  populations  celtiques,  les  mêmes  qui 
dressèrent  les  dolmens  et  les  oppida  des  Hautes-Vosges, 
les  tumuli  de  la  forêt  de  la  Hart.  Dès  l'époque  romaine, 
des  colons  germains  franchirent  le  Rhin  et  se  mêlèrent 
aux  Celtes.  Ainsi  se  forma  le  peuple  d'Alsace  qui  parle 
sans  doute  un  dialecte  allemand,  mais  qui  diffère  si  pro- 
fondément des  gens  d'outre-Rhin,  et  qui  doit  à  son  ori- 
gine gauloise  les  traits  les  plus  saillants  de  son  caractère, 
les  meilleures  de  ses  qualités. 

11  y  a  une  haute  et  une  basse  Alsace.  La  première 
s'étend  de  la  frontière  suisse  à  Thann  et  Guebwiller. 
Elle  laisse  plutôt  une  impression  de  tristesse  avec  ses 
vastes  étendues  de  terres  froides,  imperméables,  parse- 
mées d'étangs,  où  dominent  les  prairies  marécageuses  et 
la  forêt.  C'est  l'industrie,  et  non  pas  les  cultures,  qui 
constitue  la  grande  ressource. 

Née  au  XVllI^  siècle  dans  les  vallées  vosgiennes  à  Massevaux. 
Wesserling.  Saint-Amarin,  cette  industrie  déborda  bientôt  sur  la 
plaine  où  parvenaient  aisément  les  charbons  de  la  Sarre  et  de 
Weslphalie.  Mulhouse  dut  aux  cotonnades  peintes  sa  renommée 
universelle  et  sa  très  remarquable  prospérité.  Autour  d'elle, 
d'Altkirch  à  Guebwiller,  partout  fabriques  et  manuïactures  dressent 
leurs  hautes  cheminées.  Colmar  elle-même,  la  charmante  Colmar, 
sort  d'une  longue  torpeur  et  s'adonne  à  l'industrie  avec  d'autant 
plus  d'ardeur  qu'elle  y  demeura  plus  longtemps  réfraclaire.  II  y  a 
là  un  des  foyers  de  vie  intense  les  plus  remarquables  de  l'Europe, 
et  la  découverte,  en  1909,  de  gisements  de  potasse  plus  étendus 
encore  que  ceux  de  Stassfijrth,  augmente  largement  la  valeur  écono- 
mique de  ces  riches  régions. 

En  Ba£se-.Alsace,  l'industne  n'est  point  absente.  Elle 
contribue  même  grandement  à  la  prospérité  des  centres 


104 


LA  FRANCE 


LA  VALLtEDE  LA  MOStLLEAU-DESSLS  DE  REMIREMUNT.Lcj  Toiki 
vnl  de  tris  vieilUi  montagneM  Je  granit  et  de  grès  umcj  pat  t'éroiion.  Des  vatlét» 
•orfcs,  à  fond  plat,  i  insinuent  jut^'au  arur  du  massif,  et  des  pentes  douces  mènent 
usns  effort  aux  croupes  longuement  oodultes.   Hêtres  et  sapins  couvrent   encore  la 


maieure  partie  des  monli.  On  Us  exploite  pendant  le  rude  et  long  hiver  où  pluies  et 
neiges  toaéent  abondamment  sut  le  venant  lorrain.  Mais,  dam  les  ttairièta  des 
vaflées,  les  prairies,  les  champs  se  multiplient,  et  les  filatures  de  coton,  le»  pape- 
teries, ta  verreries  utilisent  ta  force  vive  des  torrents.  CI.  SiMON. 


105 


L'EUROPE 


LE  LAC  DE  GÊRARDMER.  L'une  da  charmantes  petites  nappes  lacustres  qu'un 
harrage  de  moraines  anciennes  fit  naître  au  pied  des  Vosges.  Il  se  complète  par  les 
lacs  de  Reloumemer  et  de  Longemer  qu'encadrent  également  les  pentes  boisées  de  la 
montagne.  CL  NeuPDEIN. 


LES  DAMES  DE  LA  MEUSE.  A  travers  les  plateaux  schisteux  des  Ardennes 
qui  barraient  sa  route,  la  Meuse  s'est  frayée,  de  Mézières  à  Namur,  un  che  nalétroit. 
Les  méandres  nombreux  de  la  rivière  s'incurvent  entre  des  versants  ravinés,  couverts 
de  bois  et  de  taillis  de  chênes.  CL  \3Cinlinc. 


i 

««T' 

^0"^ 

METZ 

LES 

THERMES. 

Un  des 

vieux 

quartiers 

de  la  très 

vieille 

cité  messine  qui  s'était 

donnée  à 

nous 

dès  le  XVI'-   siècle,  et  que  la 

victcire 

vient 

de 

nous 

rendre 

LE  BEFFROI  DE  BERGUES  rapMlle 

la  vie  indépendante  que  surent  mener 
au  Moyen  Age  les  riches  corrmtunes  fla- 
mandes. Cl.  BOULAN-GER. 


STRASBOURG.  Un  des  coins  pittoresques  de  la  "  Cité 
des  routts  "  qui  conserve,  à  l'ombre  de  sa  cathédrale  de 
grès  rouge,  nombre  de  vieilles  maisons  inclinées  :.ur  les 
eaux   tranquilles   de  l'ill.  Cl.    LÉVY. 


]     DENAIN  :  lA  FOSSE  EiNCLOS.  Us^  bassins  houillers   de   la  Flandre  et  de 
'     l  Ari'Az,  les  plus    produdifs  de  France,  s'exploitent  aisément,  grâce  au  réseau  de 
-.■kihc.  naiigahles  et  Je  canaux  qui  permettent  aux  chalands  de  s'amarrer  à  faible 
;     diz-lfr-.'-^  de.  i:mlT  d'extraction.  CI.  Beck 

100 — 


EN  BEAUCE  :  LA  MOISSON.  Les  limons  fertiles  qui  recouvrent  la  craie  de 
Beauce  portent  les  plus  beaux  champs  ae  froment  de  notre  pays.  Une  culture  inten- 
sive et  fort  soignée  sait  mettre  à  profit  trs  machines  agricoles  dont  l'emploi  est,  du 
Teste,  facilité  par  l'horizontalité  parfaite  de  ces  vastes  plaines.  Cl.  Neurdein. 


LA  FRANCE 


urbains.   Toutefois  la  population,  très  dense,  s  adonne 
surtout  à  l'agriculture. 

Sur  les  collines  du  vignoble  ou  les  fertiles  terrasses  du  loess,  des 
rangées  de  gros  villages  alignent,  de  Sélestat  à  Haguenau,  leurs 
pittoresques  maisons  de  bois  cl  pisé,  avec  poutres  entre-croisées, 
balcons  sculptés,  fenêtres  fleuries,  grands  auvents  en  saillie,  toits 
pointus  où  se  superposent  les  lucarnes.  Même  charme  décoratif, 
même  séduisante  variété  dans  nombre  de  petites  villes  qui  con- 
servent sous  la  protection  de  leurs  murs  vénérables  des  hôtels  de 
ville,  des  églises  aux  précieuses  verrières,  des  quantités  de  vieux 
logis  sculptés,  écussonnés,  dont  les  pignons  aigus  se  proBlent  en  dents 
de  scie.  Telles  apparaissent  Rouffach,  patrie  du  maréchal  Lefcbvre, 
Ejisisheim,  capitale  des  domaines  alsaciens  des  Habsbourg. 
Turckheim  où  Turenne  vainquit  les  Impériaux,  Ammmerschwir, 
iCientaheim,  Kaysersberg,  Obernai  au  pied  du  sanctuaire  de  Sainte- 
Odile,  etc. 

Au-dessus  d'elles,  dominant  la  plaine  et  surveillant 
les  valle'es,  s'e'rigent  les  ruines  des  forteresses  fe'odales  : 
Haut-Kœnigsbourg,  châteaux  d'Eguisheim  et  de 
Flibeauville',  Hohlandsberg,  Andlau,  Rathmanshau- 
sen,  etc.,  dont  les  hautes  murailles  de  grès  rouge  flam- 
boient sous  les  rayons  du  soleil.  Enfin  au  centre  de  la 
plaine,  au  point  où  la  route  de  Saverne  débouche  sur 
rill  et  le  Rhin  et  oîi  le  fleuve,  jusqu'alors  torrent  rapide, 
s'ouvre  à  la  grande  navigation,  naquit  et  grandit  Stras- 
bourg. D'origine  romaine  (Argentoratum),  la  "  Cité  des 
Routes  "  fut  dès  le  Moyen  Age  une  ville  libre  et  puis- 
sante enrichie  par  le  commerce  et  l'industrie.  Elle 
demeure  aujourd'hui,  en  même  temps  qu'un  grand  centre 
intellectuel,  l'une  des  cités  les  plus  actives  de  France,  et 
l'une  des  plus  attachantes  aussi  par  le  charme  de  ses 
vieux  quartiers  aux  ruelles  sinueuses  s'ouvrant  sur  les  bras 
de  rill,  ses  hautes  maisons  dentelées,  sa  cathédrale  en 
grès  rouge  des  Vosges  patiné  par  les  siècles,  qui  dresse 
à  142  mètres  sa  flèche  unique,  magnifique  belvédère 
d'où  la  vue  plane  très  loin  sur  les  campagnes  vaporeuses. 

L\  LORRAINE,  aa  La  Lorraine  occupe  tout 
l'espace  compris  entre  le  Massif  vosgien,  la  Meuse,  les 
plateaux    allemands    de  l'Eifel,   et    les    collines   de   la 

Vôge  ".  Des  bandes  concentriques  de  terrains  diffé- 
rents et  d'inégale  dureté  :  grès,  marnes,  calcaires,  la 
partagent  en  sections  du  Nord  au  Sud.  De  là  vient 
la  traditionnelle  division  du  pays  :  '  plateau  "  à 
l'Est,  "  plaine  "  au  Centre,  "  côtes  "  à  l'Ouest.  Mais  la 
Moselle,  qui  les  traverse  et  les  draine,  établit  entre  ces 
terrains  une  sorte  d'unité  que  confirme  le  climat. 

On  ne  trouve  point  ici  le  ciel  clair,  les  jours  ensoleillés 
d'Alsace.  L'hiver  y  est  long  et  rude,  le  printemps  tardif,  l'automne 
précoce.  Des  pluies  copieuses  s'abattent  avec  fréquence  et  de 
grands  nuages  gris  paraissent  rejoindre  les  brouillards  qu'exhale  le 
sol  imperméable.  Si  l'on  excepte  certains  coteaux  de  la  Moselle 
exposes  au  Levant,  el  où  les  pampres  mûrissants  mettent  comme  une 
caresse,  le  reste  du  pays  a  quelque  chose  de  rude,  d'austère,  qui 
se  traduit  dans  la  disposition  des  villages,  l'aspect  des  maisons,  le 


caractère  même  des  gens,  tenaces,  laborieux  et  braves,  mais 
froids,  têtus,  silencieux,  et  qui  semblent  ignorer  la  douceur  du 
sourire. 

Le  Plateau  allonge  ses  ondulations  monotones  sur- 
montées çà  et  là  de  quelques  buttes  isolées  :  côtes  de 


L'  ALSACEetlaLORRAINE 


Virine,d'Essey,  de  Saint-Avold,  etc.  Le  sol  lourd,  peu 
fertile,  porte  encore  de  vastes  forêts (Haardt  en  Basse- 
Lorraine,  la  Vôge  entre  Plombières  et  Vittel).  Ailleurs 
les  eaux  stagnent  en  multiples  nappes  lacustres  (étangs 
de  Gondrexange,  Fénétrange,  etc.).  Au  centre,  dans 
la  Plaine  subdivisée  en  petites  régions  naturelles  : 
Vermois,  Xaintois,  Saulnois,  Pays  Messin,  des  vallées 
plus  amples,  un  sol  plus  varié  où  se  mêlent  marnes  et 
calcaires,  permettent  la  multiplicité  des  cultures  :  blé, 
chanvre,  houblon,  vignes,  vergers.  Les  Côtes  enfin 
bordent  Moselle.  Meuse  et  Woëvre  de  leurs  murailles 
calcaires  sommées  de  forêt.  Commandant  les  routes  qui 
de  Metz  à  Nancy  conduisent  à  Paris  par  Commercy  et 
Verdun,  ce  double  rempart  était  destiné  par  la  nature 
à  jouer  un  rôle  militaire  qu'illustre  toute  son  histoire. 
Les  donjons  de  Vaudémont,  d'Aspremont,  d  Hatton- 
châtel  y  précédèrent  les  forts  à  coupoles  de  Vaux  et  de 
Douaumont. 


107 


CÉOCRAPHIE  UNIVERSELLE. 


L'EUROPE 


Malgré  les  conditions  assez  peu  favorables  en  général 
que  lui  valaient  la  rudesse  de  son  climat  et  la  pauvreté 
moyenne  de  son  terroir,  la  Lorraine  demeura  très  long- 
temps occupée  uniquement  d'agriculture  et  d'élevage. 
Seules  les  salines  du  Saulr.ois  (vers  Dombasles,  Marsal, 
Château-Salins)  donnèrent  lieu  à  une  exploitation  dont 
l'origine  se  perd  dans  les  pénombres  de  la  pré-histoire. 
Fréquemment  parcourue  et  dévastée  par  les  armées. 
elle  avait  des  villes  fortes  à  l'épreuve  des  sièges  ;  Phals- 
bourg,  Bitche,  Toul,  Metz,  Verdun,  etc.,  mais  point  de 
grandes  cités  populeuses,   commerçantes  et  ricl.es. 

L'industrie  commença  par  les  vallées  où  l'exemple  de 
l'Alsace  eut  une  influence  très  heureuse.  D'Epinal  à 
Sarreguemines  par  Baccarat,  Saint-Dié,  Sarrebourg, 
Forbach,  on  vit,  à  la  fin  du  xviii^  siècle,  naître  filatures 
et  tissages,  verreries,  fabriques  de  porcelaines,  brasseries, 
papeteries,  etc.  Au  XIX*  siècle,  ces  diverses  industries  se 
développèrent  grandement  grâce  à  l'apport  des  houilles 


de  la  Sarre.  Enfin,  et  surtout,  la  découverte  autour  de 
Nancy,  de  Briey,  de  Longwy,  des  plus  riches  gisements 
de  fer  connus  en  Europe  vint  donner  aux  industries 
lorraines  un  essor  prodigieux.  Grâce  à  eux,  la  France 
—  à  qui  la  victoire  a  permis  de  remettre  la  main  sur 
les  mines  volées  en  1871  —  se  classe  aujourd'hui, 
aussitôt  après  les  Etats-Unis,  au  premier  rang  des  États 
producteurs  de  fer,  de  fonte  et  d'acier. 

Les  deux  métropoles  de  la  Lorraine  sont  Metz  et 
Nancy.  A  Metz,  une  magnifique  cathédrale,  illuminée 
de  verrières  qui  l'enveloppent  comme  d'une  muraille 
transparente,  étend  son  cmbre  sur  les  sombres  mauons, 
les  rues  étroites  et  tor:ueuses  qui  se  pressent  entre  la 
Seille  et  la  Moselle.  Nancy,  infiniment  plus  vivante,  joue 
le  rôle  non  pas  seulement  d  un  grand  centre  industriel 
et  commercial,  mais  aussi  d'une  cité  où  les  préoccu- 
pations intellectuelles  et  artistiques  n'ont  pas  cessé,  depuis 
le  XVIII*  siècle,  de  tenir  une  place  d'honneur. 


ARDENNES  FRANÇAISES 


La  Meuse  rectiligne  et  solitaire  forme  à  l'Ouest  la 
limite  naturelle  et  historique  de  la  Lorraine.  C'est  son 
cours  qui,  au  Moyen  Age,  marquait  la  frontière 
même  du  Royaume  de  France.  Elle  arrose  Neufchâ- 
teau,  puis  Domrémy,  où  s'écoula  l'enfance  de  Jeanne 
la  Pucelle,  et  Vaucouleurs,  où  l'héroïne  s'arma  pour 
aller  accomplir  son  merveilleux  destin  !  Par  Commercy, 
Saint-Mihiel,  les  tragiques  campagnes  de  Verdun, 
où  dorment  par  dizaines  de  milliers  les  morts  de  la  Grande 
Guerre,  elle  vient  se  heurter,  de  Sedan  à  Mézières- 
Charleville,  contre  le  sombre  rempart  des  plateaux  Ar- 
dennais.  Le  long  et  large  couloir  qu'elle  dégagea,  aidée 
de  ses  affluents  Chiers  et  Sormonne,  avant  de  se  creu- 


ser une  voie  difficile  à  travers  les  schistes  des  Ardennes, 
doit  à  son  climat  relativement  doux  et  ensoleillé  le  surnom 
un  peu  ambitieux  de  Petite  Provence  ".  L'élevage 
et  les  cultures  y  réussissent  également.  Par  contre, 
l'Ardenne  française  n'est  pas  plus  riche  que  l'Ardenne 
belge.  Ce  sont  les  mêmes  hauts  pLteaux,  au  climat 
rude,  au  sol  humide,  tourbeux,  infertile,  couvert  de 
taillis  coupés  de  maigres  pâturages.  La  vie  se  concentre 
toute  dans  la  vallée,  aux  nves  des  méandres  pittoresques 
décrits  PEU- la  Meuse.  Sedan,  Charleville,  Fumay,  Revin, 
Givet  tissent  des  draps,  fondent  le  fer,  fabriquent  des 
machines,  exploitent  les  ardoises  violettes.  L'illuitre 
Rocroy  demeure  isolée  dans  la  solitude  des  hautes  terres. 


HAINAUT,  CAMBRESIS,  FLANDRE 


La  rude  et  pauvre  Ardenne  domine  immédiatement, 
vers  l'Ouest,  les  plaines  fécondes,  surpeuplées  du 
Hainaut,  du  Cambrésis  et  de  la  Flandre.  Elles  déroulent 
jusqu'à  la  Mer  du  Nord  leurs  grandes  étendues  mono- 
tones que  drainent  la  Sambre,  l'Escaut,  la  Scarpe,  la 
Lys,  l'Aa,  rivières  lentes,  paitibles,  régulières,  navigables 
jusqu'à  leurs  sources,  aisément  unies  entre  elles  par  un 
lacis  de  canaux.  Çà  et  là,  quelques  buttes  isolées  :  monts  des 
Cats,  montagne  deCassel,  demeurent  en  saillie,  témoins  de 
l'ancien  niveau  qu'atteignaient  au'refois  ces  terres.  Sur  la 
côte,  derrière  les  dunes,  les  Moeres  et  Wateringues, 
anaens  marais  saumâtres  transformés  en  prairies  et 
en  champs,  rappellent  les  polders  hollandais.  La 
côte,  rectiligne,  basse,  s'ouvrant  sur  une  mer  sans 
profondeur,  manque  de  havres  naturels.  A  grand'pèine 

— : 108 — 


et  à  grands   frais  a-t-on    pu    y  creuser   lès  bassins    de 
Dunkerque. 

Sous  un  ciel  trop  souvent  gris,  brumeux,  noir  de  suie, 
dans  une  atmosphère  de  laideur  et  de  tristesse,  la  f  landre 
nourrit,  depuis  le  Moyen  Age,  une  population  très  active, 
très  dense,  enrichie  par  l'agriculture,  le  commerce  et  l'in- 
dustrie. 

Le  sol,  naturellement  fertile,  parfaitement  travaillé,  donne  de 
plantureuses  récoltes.  Blé,  orge,  avoine,  betteraves  à  sucre,  lin, 
colza,  tabac,  chicorée,  houblon  alternent  avec  les  prairies  naturelles 
oîi  paissent  les  beaux  animaux  qui  font  la  renommée  de  la  race 
flamande  L'industrie  :  draps,  toiles,  dentelles,  velours,  valut  à  la 
Flandre,  dès  le  XIII^  siècle,  une  merveilleuse  prospérité  qui  se 
développa  bien  plus  encore  du  jour  où  le  coton  s'ajouta  à  la  laine 
et  au  lin,  du  jour  surtout  où  l'on  exploita  les  gisements  houillers  de 
Valenciennes  et  de  Lens.    L'abondance  de  la  main-d'œuvre  (fran- 


LA  FRANCE 


çaisc  ou  belge),  des  capitaux,  la  (acililé  des  IransporI'  et  des  com- 
munications s'unirent  au  bon  marché  du  combus  ibic  pour  grouper. 
à  p  oximilé  des  puits  de  mine  et  des  canaux,  non  seulement  Ëla- 
lures  et  tissages,  mais  hauts  fourneaux,  forge?,  fabrique-  de  machine;, 
aciéries  utijsant  le  fer  de  Lorraine,  verreries  et  glaceries,  sucreries, 
distilleries,  brasseries,  e:c. 

On  ne  compte  qu'une  seule  lies  grosse  agglomération 
urbcune  :  le  groupe  Lille,  Roubaix,  Tourcoing.  Les 
autres  sont  d'importance  bien  moindre.  Citons,  dans  le 
Hainaut  etleCambrésis  :Maubeuge,  Fourmies,  Avesncs, 
Cambrai;  sur  la  bande  houillcre  :  Valenciennes,  Anzin, 
Denam,  Douai,  Lens,  Béthune  ;  puis,  entre  Lille  et  la 
mer,  Armenticres,  Hazebrouck,  Saint-Omer.  enfin  Calais 


et  Dunkerque,  le  premier,  port  de  voyageurs,  le  deuxième, 
grand  entrepôt  de  toute  la  région. 

Mais  la  Flandre  française,  tout  comme  sa  voisine 
de  Belgique,  est  une  "  ville  continue  ".  Partout,  dans 
la  campagne,  les  fermes  voisinent  avec  les  usines  ;  les 
gros  bourgs  de  mineurs  et  d'ouvriers  allongent  le  long 
des  routes  boueuses  et  des  canaux  puants  leurs  petites 
maisons  de  briques  noires,  les  "  corons  ",  leurs  estami- 
nets trop  nombreux.  Aussi  en  1 9 1 3,  la  densité  de  la  popu- 
lation atteignait-elle  330  habitants  au  kilomètre  carre', 
chiffre  comparable  aux  autres  grands  foyers  industriels  de 
l'Europe  :Lancashire  anglais,  Borinage belge,  Westpha- 
lie.  Saxe,  etc. 


LE  BASSIN  PARISIEN 


Par  le  seuil  du  Vermandois,  où  Saint-Quentin  renaît 
à  la  vie,  on  quitte  les  plaines  flamandes  et  le  versant  de 
la  Mer  du  Nord  pour  entrer  dans  le  bassin  Parisien. 

C'esi  une  vaste  cuvttle  qui,  dès  l'époque  primaire,  se  creusa 
entre  les  massifs  d'Armoriquc,  de  l'Ardenne,  des  Vosges  ei  de 
l'Auvergne.  Elle  se  combla  peu  à  peu.  aux  époques  lecondairc  cl 
tertiaire,  de  sédiments  très  variés  (calcaires  de  diverses  sortes,  marnes, 
sables,  limrns  lacustres)  dont  l'alternance  explique  la  subdivision  du 
bassin  en  bon  nombre  de  régions  naturelles.  Par  endr  il;,  au  point 
de  contact  des  couches  superposées,  l'érosion  fluviale,  en  entraînant 
les  panics  les  plus  meubles,  a  dégagé  les  roches  plus  résistantes 
qui  se  dressent  comme  de,  falaises  au-dessus  des  plaines  étalées  à 
leur  pied.  Telle  est  l'origine  des  principaux  mouvements  du  sol 
qui  accidentent  un  relief  par  ailleurs  médiocre,  collines  d'Artois, 
de  l'Argonne.  de  la  Forêt  d'Othe,  du  Sanccrrois  :  du  Perche,  puis 
falaises  de  l'Ile-de-France,  entre  Fcntainebleau  et   La  Fère. 

Le  climat,  très  humide  et  doux  sur  les  côtes  nor- 
mandes et  picardes,  devient  à  l'inte'rieur  un  peu  plus  con-- 
tinental.  A  Paris,  la  moyenne  de  janvier  est  de  Z"?, 
celle  de  juillet  de  18°8.  50  à  60  centimètres  de  pluie 
tombent  en  cent  soixante-cinq  jours,  en  hiver  par 
peti'es  averses  très  fines,  en  été  par  gros  orages.  Dans 
la  partie  Nord-Oue^t  du  bassin  la  vigne  ne  peut  mûrir  ses 
fruits.  Au  Sud  d'une  ligne  Nantcs-Piris-Mé.  ières,  elle 
donne  au  contraire  en  Champagne,  en  Bourgogne,  dans 
la  vallée  de  la  Loire,  des  produits  justement  renommés. 
Çà  et  là,  à  Fontainebleau,  Chan'illy,  Rambouillet,  etc., 
sur  les  plaques  de  sable  que  les  fleuves  d'aulrcfois  éta- 
lèrent à  la  surface  des  calcaires,  des  forêts  subsistent  : 
chênes,  hêtres,  charmes,  tilleuls,  ormes,  châtaigniers 
même,  témoins  de  la  sylve  immense  qui,  mêlée  de  marais, 
couvrait  à  I  époque  gauloise  la  ma;eure  partie  de  la 
cuvette  parisienne.  Mais,  sauf  de  raies  exceptions,  tout 
le  reste  du  sol  est  mis  en  cultures,  une  culture  minu- 
tieuse et  avante  ou  alternent  céréales  nobles,  betteraves, 
vergers  et  prairies. 

Les  rivières  convergent  toutes  vers   le  centre  de  la 


dépression,  c'est-à-dire  vers  Paris.  La  Loire  même,  avant 
le  coude  d'Orléans,  coule  parallèlement  à  l'Yonne,  et  l'on 
doit  comprendre  dans  le  bassin  Parisien  les  régions 
qu'elle  traverse  ou  que  drainent  ses  affluents  au  sortir  du 
Massif  Central.  Sauf  l'Yonne,  qui  doit  ses  crues  fort 
brusques  aux  granits  imperméables,  aux  fortes  chutes  de 
pluies  du  Morvan,  la  Seine,  la  Marne,  l'Oise  ont  une 
pente  faible,  une  alimentation  régulière  qu'égalise  encore 
la  nature  généralement  perméable  des  terrains  traversés. 
Ce  sont  de  précieuses  voies  de  transport  que  des  canaux 
unissent  à  l'Escaut,  àlaSambre,  à  la  Meuse,  à  la  Saône 
et  au  bassin  de  la  L  oire.  Celle-ci,  par  contre,  est  le  plus 
fantasque  et  le  moins  utile  de  nos  fleuves,  tour  à  tour 
roulant  à  pleins  bords  des  flots  furieux  mal  contenus  par 
une  double  série  de  digues,  ou  réduit  à  une  maigre  et 
mince  traînée  d'eau  ruisselant  sur  le  sable  blond.  Peut- 
être  se  décidera-t-on  un  jour  à  entreprendre  les  travaux 
de  correction  indispensables  pour  lui  permettre  de  jouer 
dans  la  France  centrale  le  magnifique  rôle  économique 
qui  devrait  être  le  sien. 

ARTOIS,  PICARDIE  ET  LEURS  AN- 
NEXES. £J^  Entre  les  plaines  flamandes  et  le  pays 
de  Caux,  l'Artois  et  la  Picardie  étalent  Iturs  pla- 
teaux de  creiie  vêtus  de  fertiles  limons.  Ce  sont  surtout 
des  pays  de  riches  cultures  :  blé,  avoine,  betterave,  lin, 
etc.,  et  délevage,  mais  l'industrie  n'en  est  point  absente 
grâce  à  la  proximité  des  bassins  houillers.  Aussi,  sans 
atteindre  la  densité  du  Nord,  la  population  y  dépasse  lar- 
gement la  moyenne  française.  Sur  la  c'te,  au  pied  des 
hautes  falaises  du  Blanc  et  du  Gris-Nez,  se  creuse  la 
verte  dépression  du  Boulonnais  avec  Boulogne,  grand 
port  de  pêche  en  Islande  et  de  voy  geur=  pour  l'Angle- 
terre. Elle  se  continue  parles  Bas-Champs  du  Marquen- 
terre,  sorte  de  polder  des  plus  fertile  (Berck,  le  Cro- 
toy.  Saint- Valéry).  En  Artois,  Arras  ruinée  par  Ij  guerre. 


109 


L'EUROPE 


Saint-Pol  sont  les  principaux  marchés  agricoles.  Dans  la 
région  picarde  :  Péronne.  Corbie,  Amiens  à  la  magni- 
fique cathédrale,  Abbeville  s'échelonnent  aux  rives  tour- 
beuses de  la  Somme.  Elles  s'adonnent,  ainsi  que  Doullens, 
Montreull,  Roye  et  Montdidier  (dans  le  Santerre),  à  de 
multiples  industries  :  toiles,  velours,  cotonnades,  draps, 
sucreries.  Aux  confins  de  la  Normandie,  le  pays  de  Bray 
(Neufchâtel)  trôuisforme  en  fromages  le  lait  de  ses  trou- 
peaux. Les  villageois  du  Beauvaisis  (capitale  Beauvais) 
conservent,  à  côté  de  leurs  occupations  agricoles,  de  très 
anciennes  industries  familiales  :  fabriques  -de  boutons, 
brosses,  peignes.  Au  delà  des  terres  fécondes  du  Ver- 
mandois  (Saint-Quentin),  l'humide  Thiérache  (Vervins) 
vit  d'élevage  et  de  vannerie. 

LE  CENTRE  DU  BASSIN  PARISIEN.  00 
Le  centre  de  la  cuvette  parisienne  fut  rempli  à  l'époque 
tertiaire  par  des  calcaires,  des  marnes,  des  sables  et 
des  grès.  Les  calcaires  donnent  un  sol  généralement 
très  fertile,  surtout  quand  ils  portent  une  couverture 
de  limons.  C'est  le  cas  des  riches  terres  à  blé  et  à  bette- 
raves de  la  Brie  (Provins,  Coulommiers),  du  Valois 
(Senlis,  Creil,  Villers-Cotteret),  du  Soissonnais  (Sois- 
sons,  Noyon,  Laon,  Compiègne),  de  la  Beauce  (Pithi- 
viers,  Etampes,  Chartres),  avec  leurs  grandes  fermes 
monumentales,  leurs  populations  d'agriculteurs  instruits, 
prompts  à  mettre  en  pratique  les  procédés  les  plus  per- 
fectionnés. Sur  les  marnes  et  les  argiles  on  entretient  de 
grasses  prairies  (fromages  de  Brie).  Les  sables  portent 
ces  forêts  magnifiques  qui,  de  Fontainebleau  à  Chantilly 
et  de  Rambouillet  a  Villers-Cotteret,  sont  une  des  plus 
précieuses  parures  de  la  région  parisienne.  Enfin,  si  la 
Beauce,  fort  plate,  fort  monotone  et  très  sèche,  manque 
tout  à  fait  de  rivières,  partout  ailleurs  les  cours  d'eau 
grands  ou  petits  ont  creusé  des  vallées  larges  dont  le 
fond  se  couvre  d'alluvions  qui  conviennent  aux  cultures 
maraîchères,  tandis  que  sur  leurs  flancs  croissent  les  bois 
encore,  ou  les  vergers  d'arbres  à  fruits.  Ainsi,  au  Sud  de 
Paris,  l'Essonnes,  l'Yvette,  l'Orge  ont  découpé  le  Hure- 
poix  de  ravissantes  vallées  (Chevreuse,  Dourdan,  Ver- 
sailles, etc.).  Aux  rives  de  la  Marne,  de  l'Oise,  de 
lOurcq.  de  l'Aisne  s'allongent  les  bourgs  prospères, 
s  égrènent  les  coquettes  villas  enfouies  sous  la  verdure. 
Enfin,  au  cœur  même  du  bassin,  la  Seine,  aidée  de  ses 
affluents,  a  déblayé  une  assez  vaste  étendue  de  terres  que 
dominent  quelques  buttes  isolées  (Mont-Valérien,  Mont- 
martre, collines  de  Montmorency,  etc.).  C'est  a  cette 
région  qu'il  faut  réserver  le  nom  d'Ile-de-France,  et 
c'est  là  que  grandit  Paris. 

Si  Lutèce,  la  minuscule  bourgade  gauloise  enfermée 
dans  l'étroit  espace  d'une  île  de  la  Seine,  eut  le  mer- 
veilleux destin  que  l'on  sait,  elle  le  doit  à  des  causes  à 
la  fois  géographiques  et  historiques. 

110 


Géographiquement,  il  était  impossible  qu'une  grande  cité  ne  se 
développât  point  en  cet  ombilic  de  la  cuvette  parisienne,  au  carre- 
ïou  des  routes  terrestres  et  fluviales  qui,  suivant  a  pente  du  'ol,  y 
convergent  de  toute  part.  Rien  ne  manquait  de  ce  qui  est  indis- 
pensable à  la  vie  d'une  puissante  aggloméiation.  On  trouvait  sur 
place  ou  à  proximité  j'excellente  pierre  a  bâtir  Qes  calcaires  des 
Catacombes),  du  plâtre,  du  sable,  du  bois,  des  terres  propres  aux 
céréales,  aux  fruits,  aux  prairies,  aux  cul:ures  maraîchères,  à  la 
vigne  (Champagne  et  Bourgogne).  Mais  Paris  aurait  pu  i.e  pas 
dépasser  en  importance  telle  ou  telle  autre  cité  dotée  d'avantages 
naturels  du  même  ordre  :  Lyon,  par  exemple,  ou  Toulouse,  ou  Bor- 
deaux. Ce  qui  la  mit  hors  de  pair  ce  fut  l'arrivée  au  tr.'ne,  en 
987,  du  Comte  de  Paris,  Hugues  Capet.  La  capitale  capétienne 
grandit  avec  la  dynastie  dont  elle  symbolisa  en  quelque  sorte  la 
durable  puissance.  C'est  autour  d'elle  que  se  fil  peu  à  peu  l'unité 
de  la  patrie  française.  C'est  chez  elle  que  s'installa  à  demeure  le 
gouvernement  central,  qu'accoururent  artistes,  savants,  écrivains, 
philosophes,  que  le  génie  français  se  synthétisa  ;  c'est  d'elle  que 
partirent  tous  les  mots  d'ordre,  toutes  les  idées  neuves,  tous  les 
grands  mouvements  dont  les  effets  ne  se  limitaient  pas  à  la  France 
seule,  mais  eurent  leur  répercussion  sur  le  monde  tout  entier.  Ainsi 
s'explique  le  rôle  que  joua  Paris  dans  notre  vie  d'abord,  puis  dans 
sa  vie  même  de  l'humanité. 

Plus  de  4000000  d'habitants  composent  aujourd'hui 
l'agglomération  parisienne  qui,  débordant  bien  au  delà 
de  la  ville  proprement  dite,  s'étend  sur  tout  le  départe- 
ment de  la  Seine.  Celte  masse,  sans  cesse  accrue  ou 
renouvelée  par  l'afflux  des  provinciaux  et  des  étran- 
gers, fait  naturellement  de  Pans  le  plus  grand  centre  com- 
mercial et  industriel  de  la  France.  C'est  de  Pans  que 
part  le  réseau  de  voies  ferrées  qui  s'étend  comme  les 
mailles  d'un  filet  sur  la  France  presque  entière.  Par  la 
Seine,  la  Marne,  l'Oise,  un  tel  nombre  de  chalands 
déversent  sur  ses  quais  charbon,  vins,  bois,  matériaux  de 
construction,  etc.,  que  de  tous  nos  ports,  c'est  Paris  qui 
reçoit  le  tonnage  le  plus  élevé  ;  —  et  la  réalisation  du 
projet  Paris-Port  de  mer  accroîtrait  encore  ce  trafic 
dans  d'étonnantes  proportions.  Nos  industries  de 
luxe,  notamment  ces  fameux  articles  de  Paris  qui 
doivent  leur  inimitable  perfection  au  goût  affiné  de  l'ou- 
vrier français,  s'associent  à  la  production  artistique  et 
intellectuelle,  à  la  splendeur  des  monuments,  à  la 
renommée  des  institutions  scientifiques,  des  théâtres,  à 
l'élégance,  à  l'esprit,  à  l'intensité  de  la  vie  parisienne 
pour  donner  à  la  capitale  cette  invincible  attraction  à 
laquelle  nulle  autre  cité  au  monde  ne  saurait  prétendre. 

CHAMPAGNE.  00  De  la  Brie  et  du  Valois  on 
descend  sur  la  Champagne  en  franchissant  la  falaise  de 
l'Ile-de-France.  Il  y  a  deux  Champagnes  courbées  toutes 
deux  en  arc  de  cercle  de  l'Aisne  à  l'Yonne.  La  pre- 
mière, la  plus  large,  est  dite  "  Pouilleuse  "  par  allusion 
à  son  infécondité.  La  craie,  dépourvue  de  toute  couverture 
de  hmons,  boit  comme  une  éponge  l'eau  des  pluies,  et  sur 
ce  sol  desséché  aucune  culture  n'est  possible.  Des  moutons 
trouvent  à  vivre  cependant,  en    broutant  1  herbe  courte 


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CÉOCRAPHIE  UNIVïRSELLE     PL.    B 


LA  FRANCE 


et  rase.  Quelques  plantations  de  pins  rompent  çà  et  là 
l'uniformité  des  plaines  poussiéreuses.  La  vie  se  réfugie, 
soit  à  1  Ouest,  sur  les  flancs  de  la  t alaise  où  séploie  le 
manteau  ondoyant  des  vignobles  fameux,  soit  dans  les 
vallées  :  Seine,  Aube,  Meu-ne,  Aisne,  aux  riches  allu- 
vions,  aux  sources  nombreuses  et  fortes.  Troyes,  ancienne 
capitale  des  comtes  de  Champagne,  Reims,  une  des 
plus  illustres  de  nos  cités  françaises,  mais  si  cruellement 
traitée  par  l'ennemi,  Rethel  sur  l'Aisne,  ont  de  très 
anciennes  industries  (draperies,  bonneteries)  qui  mettent 
en  œuvre  la  laine  des  moutons  champenois.  Epernay, 
Châlons-sur-Marne,  Arcis-sur-Aube  sont  des  centres 
viticoles  ou  des  marchés  régionaux. 

L'autre  Champagne,  dite  '  Humide  ",  allonge  le 
mince  ruban  de  ses  terres  argileuses  où  stagne  l'eau  de 
pluie  et  que  couvrent  les  prairies,  les  saulaies,  les  bois 
de  peupliers  entremêlés  d'étangs.  Par  endroits,  quelques 
plaques  d'alluvions  sèches  et  particulièrement  fertiles  se 
prêîent  à  la  culture  des  céréales  :  plaine  de  Brienne. 
Perthois  avec  Vilr>'-le-François,  Val  d'Aisne  avec 
Vouziers.  Samt-Dizier  et  Vassy,  ont  encore  quelques 
forges,  derniers  témoins  d'une  industrie  métallurgique 
qui  fut,  aux  temps  anciens,  la  grande  ressource  du 
pays. 

Entre  l'Aisne  et  son  affluent  l'Aire,  les  hautes  et 
sombres  collines  de  l'Argonne  terminent,  au  Nord,  la 
Champagne  Humide.  Sur  leur  sol  de  '  gaize  "  imper- 
méable croissent  d'immenses  forêts  de  chênes.  Les 
passages  fameux  :  Islettes,  Croix-au-Bois,  Grandpré, 
Chêne  Populeux,  les  Thermopyles  de  la  France  " 
mènent  d'un  versant  à  l'autre.  Clermont  d'Argonne  et 
Varennes  sur  l'Aire,  Sainte-Menehould,  sur  l'Aisne, 
servent  de  centres  de  ravitaillement  aux  bûcherons  de 
la  forêt. 

EnBn,  de  la  Champagne  à  la  Lorraine,  la  transition  e&t  ménagée 
par  un  certain  nombre  de  petites  régions  naturelles  dont  l'indivi- 
dualité ne  (ut  jamais  assez  forte  pour  constituer  une  grande  pro- 
vince. Tel  apparaît  d'abord  le  Barrois  (Bar-le-Ouc),  avec  le  Blois. 


1  Ornois,  le  Pays  de  Vaux,  qui  complètent  cet  ancien  duché, 
promplemeni  partagé  entre  ses  deux  puissantes  voisines,  la  Lorraine 
et  la  Champagne.  Des  bois  couvrent  la  majeure  partie  du  sol.  Sur 
les  coteaux  mijrissent  les  raisins  dont  on  lait  un  vin  gris  fort  agréable. 
Le  Bassigny  va  de  la  Marne  à  la  Meuse,  de  ChaumonI  à  Neuf- 
château.  Dans  ce  "  bas  pays  "  les  prés  d'embouche  interrompent 
momentanément  de  leurs  larges  et  riches  clairières  le  long  ruban 
de  forêts  qui,  venu  de  l'Argonne,  s'éploie  à  l'aise  sur  les  hauts 
plateaux  calcaires  du  pays  de  Langres  (forêts  de  la  Chaume,  de 
Châtillon,  de  Clairvaux.  etc.).  Un  climat  humide  et  froid,  une 
terre  pauvre  font  de  ces  plateaux,  où  naissent  Marne,  Aube  et 
Seine,  1  une  des  régions  françaises  les  moins  productives  et  les 
moins  peuplées. 

LES  PAYS  DE  L'YO.NNE  ET  LE  MOR- 
VAN.  00  La  Champagne  se  termine  au  Sud  par  le 
pays  d  Othe,  dont  les  bois  clairsemés  croissent  sur  des 
collines  où  le  sable  se  mêle  à  la  craie.  De  là  on  passe  à  la 
région  quedrainent  1  Yonne  et  ses  affluents  :  Cure,  Serein, 
Armançon.  Moitié  bourguignonne,  moitié  champenoise, 
cette  région  s'appuie  aux  dômes  élevés  du  Morvan 
(905  mètres  au  Haul-Folin)  qui,  par  la  nature  de  ses 
roches  cristallines  et  son  histoire  géologique,  fait  partie 
du  Massif  Central,  mais  qui,  incliné  vers  la  cuvette  pa- 
risienne, ne  saurait  en  être  détaché.  Très  boisé,  très 
pittoresque,  le  Morvan  expédie  vers  Paris  ses  "  margo- 
tins  "  et  ses  bûches  qu'entraînent  les  eaux  rapides  des 
rivières.  Il  élève,  dans  des  prairies  assez  maigres,  un 
bétail  vigoureux  qui  descend  ensuite  aux  gras  pâlurages 
de  l'Auxois  (Semur),  de  l'Avallonnais  (Avallon),  du 
Bazois  (Clamecy),  où  on  le  met  en  état  pour  la  bou- 
cherie. Déjà,  sur  les  coteaux  calcaires  qui  dominent  les 
dépressions  marneuses,  croissent  la  vigne  et  le  blé.  Ces 
riches  cultures  prennent  une  extension  plus  grande  dans 
l'Auxerrois  (Auxene,  Chablis,  Tonnerre,  Joigny)  et  le 
Sénonais  (Sens)  que  traversent  par  ailleurs  les  grandes 
routes  menant  de  Paris  à  Dijon  et  Lyon.  Aussi  la 
région  fut-elle  de  bonne  heure  fort  prospère,  et  les  beaux 
monuments  qui  font  la  parure  et  l'orgueil  d'Auxerre,  de 
Sens,  de  Montréal,  de  Vézelay,  témoignent  de  celle 
antique  prospérité. 


LES  PAYS  DE  LA  LOIRE 


Tandis  que  les  bois  du  Gâtmais  (Montargis,  Pithi- 
viers),  mêlés  de  landes  et  de  champs  de  céréales,  con- 
duisent à  la  forêt  d'Orléans  et  aux  terres  fécondes  de  la 
Beauce,  la  Puisaye  et  le  Bazois  font  déjà  partie  du 
Nivernais.  Il  s'étend  entre  le  Morvan  méridional 
(Château-Chinon)  et  la  Loire  qui  le  sépare  du  Berry. 
Les  bois  y  alternent  avec  les  prairies,  les  vignes 
(coteaux  de  Pouilly)  et  les  champs  de  blé  que  labourent 
les  triples  attelages  de  grands  bœufs  blancs.  Aux  rives 
de  la  Loire,  Nevers,  Pourchambault,  Imphy,  Decize, 
etc.,    s'occupent    de    céramique   cl    de    métallurgie. 


Au  delà  de  Cosne,  la  vallée  du  fleuve  s'élargit. 
C'est  le  début  de  cette  succession  de  Vaux  :  de  Loire, 
d'Orléans,  de  Blois,  de  Touraine.  d'Anjou,  justement 
célèbres  par  leur  fécondité,  l'heureuse  variété  et  la  qua- 
lité de  leurs  productions  agricoles  (vins  de  Vouvray 
de  Bourgueil,  d'Anjou  ;  fruits  délicieux,  fleurs  et 
pépinières,  légumes,  céréales,  etc.),  le  charme  de 
leurs  paysages  modérés,  la  splendeur  des  châteaux  qui 
se  mirent  dans  les  eaux  des  rivières  ou  dont  les  hautes 
tou  elles  pointent  au  milieu  des  grands  arbres.  Long- 
temps, ces  rives  de  Loire  jouèrent  dans  notre  histoire  et 


-"  m 


L'EUROPE 


notre  vie  économique  un  rôle  essentiel.  Elles  perdirent 
de  leur  importance  du  jour  où  nos  rois,  cloîtrés  à  Ver- 
sailles, cessèrent  de  héquenter  Chambord  et  Chenon- 
ceaux,  Blois  et  Azay-le- Rideau,  du  jour  aussi  où  la 
Loire  ne  fut  plus  utilisée  comme  moyen  de  transport. 
Les  villes  :  Orléans,  Blois,  Amboise,  Tours,  Saumur. 
Loches,  Chinon,  etc.,  paisibles  et  accueillantes,  déli- 
cieusement échelonnées  tout  au  long  de  ce  Jardin  de 
la  France",  a'.tendent,  pour  sorlir  d'une  longue  stagna- 
tion, que  des  travaux  d'amélioration  aient  rendu  à  la 
Loire  cette  '  '  majesté  de  navires"  qu'admirait  La  Fontaine, 
i  Les  cultures  riches,  les  populations  denses  ne  vont  pomt 

du  reste  au  delà  du  cadre  étroit  formé  peu  le  Val.  Une 
fois  par\'enu  au  sommet  des  coteaux  de  craie  qui  l'enser- 
rent et  que  percent  les  grottes  des  troglodytes,  on  ne 
trouve  plus  guère  en  Touraine,  comme  dans  le  Blaisois  et 
l'Orléanais,  que  du  sable  et  de  l'argile,  des  terres  maigres 
et  des  marais. 


Au  Nord  du  fleuve,  c'est  d'abord  la  pauvre  Gàline  lourangelle 
qui  s'étend  jusqu'au  Bas-Maine  et  à  la  riante  vallée  du  Loir  (Chà- 
teaudun,  Vendôme),  puis  les  bois  de  Marchenoir  et  d'Orléans.  Au 
Sud,  les  landes  du  plateau  de  Sainte-Maure  (camp  du  Ruchard). 
la  mélancolique  Champeigne  de  Touraine,  contrastent  avec  les  ra- 
vissants paysages  des  basses  vallée  de  la  Vienne(Cninon),de  1  Indre 
(Loches  et  Montbazon),  du  Cher  (Chenonceaux).  Dans  le  grand 
coude  de  la  Loire,  la  Sologne  (La  Molhe-Beuvron,  Romoranlin). 
longtemps  marécageuse,  insalubre,  presque  déserte,  se  transforme 
peu  à  peu  grâce  au  drainage,  au  chaulage,  à  l'extension  des 
forêts. 

De  la  Sologne  au  Massif  Central  le  Berry  étale  ses 
étendues  monotones  de  calcaires  très  secs  que  traversent  les 
eaux  lentes  de  l'Indre  et  du  Cher.  Les  routes  courent  tout 


droit  à  travers  les  campagnes  nues  pcu-tagées  en  très  greuids 
domaines  où  l'on  cultive  le  blé,  où  l'on  élève  le  mouton. 
Quelques  carrés  de  bois  isolés  rompent  seuls  la  monotonie 
du  paysage.  Bourges,  Châteauroux,  Issoudun,  Vierzon. 
sont  les  principales  agglomérations  urbaines  de  ce  plat  pays . 
Au  Sud,  les  sables  du  Boischaut  (La  Châtre,  Argenton), 
couverts  de  landes  et  de  bois  coupés  par  la  vallée  profonde 
de  la  Creuse,  apparaissent  comme  le  vestibule  des  plateaux 
granitiques  de  la  Marche.  A  l'Ouest,  les  étangs,  les  rose- 
hères  de  la  Brenne  terminent  le  Berrj'. 

Aux  pays  de  la  Loire  compris  dans  le  bassin  Parisien  se 
rattachent  encore  le  Maine  et  l'Anjou.  La  moitié  orien- 
tale de  ces  deux  provinces  se  compose,  en  effet,  de  terrains 
sédimentaires,  calcaires  et  sables  d'époques  secondaire  et 
tertiaire,  tantôt  fertiles  et  se  prêtant  a  la  grande  culture 
des  céréales,  tantôt  secs  et  de  médiocre  valeur.  Ce 
sont  encore  les  vallées  qui  constituent  les  zones  d'attrac- 
tion. Le  Mans  sur  la  Sarthe,  Nogent-le-Rotrou  sur 
l'Huisne,  La  Flèche  sur  le  Loir,  Angers  sur  le  Maine, 
(un  peu  en  aval  du  point  où  confluent  Sarthe,  Loir  et 
Mayenne) ,  au  milieu  de  florissantes  cultures  de  vigne,  de 
légumes  et  de  fleurs,  concentrent  les  produits  de  l'agri- 
culture et  de  l'élevage. 

Le  Maine  et  l'Anjou  occidentaux  sont  déjà  inclus  dans 
le  bloc  de  schistes  et  de  granit  du  Massif  Armoricain.  Ils 
en  ont  le  sol  imperméable,  les  sources  nombreuses,  les 
noirs  ruisseaux,  les  prairies  cerclées  de  haies  épaisses  que 
dominent  de  petits  chênes  étêtés.  Les  principales  cités  de 
ces  Bocages  manceau  et  angevin,  où  l'élevage  et  la  cul- 
ture du  lin  forment  la  grande  source  de  revenus,  jalonnent 
les  rives  de  la  Mayenne  :  Chàteau-Gontier,  Laval, 
Mayenne,  puis,  un  peu  à  l'écart,  Segré. 


LA  NORMANDIE 


Avec  la  Normajidie  se  clôt  le  cycle  des  territoires  qui 
se  rattachent  au  bassin  Parisien.  Encore  cela  n'est-il  exact 
—  comme  pour  le  Maine  et  l'Anjou —  que  d  une  partie 
de  la  province,  la  plus  importante  il  est  vrai.  Tout 
l'Ouest,  en  effet,  n'est  qu'un  morceau  du  Massif  Armo- 
ricain, un  Bocage,  en  tout  semblable  au  Bocage  man- 
ceau qu'il  continue  direc  ement.  On  l'appelle  la  Basse- 
Normandie,  bien  qu'elle  contienne  la  dorsale  la  plus 
élevée  des  pays  normands  :  collines  pittoresques  de 
l'Avranchin,  forêt  d'Ecouves  (417  mètres  au  Mont  des 
Avaloirs),  collines  du  Perche.  L'élevage,  la  grande 
ress.,urce,  est  sur  ce  sol  médiocre  de  moindre  profit 
que  dans  le  reste  de  la  province,  et  le  '  Bocain  "  de 
Domfront  ou  du  Cotentin  fait  un  peu  figure  de  parent 
pauvre  à  côté  de  son  compatriote  du  Lieuvin  ou  du 
pays  d'Auge.  Avranches,  Mortain,  Domfront,  Vire, 
Saint-Lô,  Coutances,   Valognes  servent  de    'foirails"  et 

112  


de  marchés.  Aux  rives  de  la  mer,  Granville  se  perche  sur 
un  promontoire  de  granit  tandis  que  Cherbourg  s'est  lo- 
gée dans  l'anse  que  les  vagues  creusèrent  entre  les  môles  ré- 
sistants de  la  Hague  et  de  Barfleur. 

La  Normandie  nche  commence  aux  marnes  du  Bessin, 
vêtues  de  prés  salés  (Bagneux,  Uigny).  Elle  se  continue 
par  les  "campagnes"  de  Caen,  d'Argentan  et  d  Alençon, 
que  traverse  l' Orne,  et  qui  portent  sur  leurs  calcaires 
d'opulentes  moissons,  des  champs  de  betteraves  mêlés  aux 
prairies  et  aux  pommeraies.  Le  pays  d'Auge,  le  Lieuvin. 
le  Roumois  fabriquent  des  fromages  et  des  beurres  (Li- 
sieux.  Livarot,  Camembert,  Pont-Lévê:jue,  Bernay). 
Au  Sud-Est,  le  pays  d'Ouche  et  le  Thimerais,  plus  secs, 
conservent  des  forêts  étendues  (de  Couches,  d'Évreux). 
que  coupent  les  champs  de  blé  (Dreux,  Evreux,  Lou- 
viers).  Puis,  par  delà  les  méandres  de  la  basse  Seine,  les 
plateaux  limoneux  du  pays  de  Caux  et  du  Vexin  se 


LA  FRANCE 


couvrent  de  magnifiques  champs  de  céréales  mêlés  de 
praines,  tandis  qu'au  pied  des  hautes  et  blanches  falaises, 
dans  les  valleuses  étroites,  se  nichent  Dieppe,  Fécamp. 
Étretat. 

La  Normandie  agricole  se  complète  par  la  Normandie 
mduslrielle  et  commerciale.  Aux  lainages  et  draperies  de 
Louviers  et  d'Elbeuf  il  faut  ajouter  d'abord  les  coton- 
nades de  Rouen  et  de  ses  alentours,  puis  les  forges  de 
Laigie,  Sourdeval,  Tinchebray,  enfin  les  puissants  gise- 
ments de  minerai  de  fer  que  l'on  exploite  dans  la  région 
de  Caen. 

Le  commerce  de  mer,  qui  prolonge  le  trafic  fluvial 
de  la   Seine,  a  comme  points  d'attache  Le  Havre  et 


Rouen,  l'une  des  plus  séduisantes  de  nos  villes,  en  même 
temps  qu'un  de  nos  plus  grands  ports. 

Entre  les  régions  si  diverses  dont  l'ensemble  compose  la  pro- 
vince historique  de  Normandie,  il  y  a,  loulelois,  des  éléments 
d'unité.  C'est  d  abord  le  climat  humide  et  doux,  aux  pluies  fré- 
quentes, la  même  absence  de  viynes,  la  même  verdeur  de  paysage, 
la  même  prédominance  du  pommier.  C'est  aussi  el  surtout  la  race 
normande,  fille  des  Vikings.  Malgré  d'inévitables  mélanges  avec 
les  Gallo-Romains,  le  vieux  sang  des  hommes  du  Nord  coule 
encore  à  lorte  dose  dans  les  veines  de  leurs  descendants.  Physique- 
ment, ils  ont,  très  souvent,  un  type  spécial.  Moralement,  ils  se 
distinguent  encore  ncllcment  des  autres  Français  par  1  ensemble  de 
leurs  qualités  (intelligence  subtile,  esprit  d'entreprise,  entente  des 
affaires)  et  de  leurs  défauts  (duplicité,  instincts  matériels  et  grossiers, 
âprcté  au  gain,  ivrognerie,  etc.). 


LA  BRETAGNE 


Les  Bocages  normand  et  manceau  nous  annonçaient 
déjà  l'apparition  d'un  sol  nouveau,  cette  "terre  de  granit 
recouverte  de  chênes  "  qui  pointe  vers  l'Océan  en  large 
péninsule  et  ou  la  race  celtique,  renforcée  au  Vi^  siècle 
par  les  émigrés  bretons,  s'est  maintenue  jusqu'à  nous  dans 
sa  rude  pureté. 

La  Bretagne  commence  à  la  baie  du  mont  Saint-Michel  et  se 
termine  à  l'embouchure  de  la  Loire.  Sa  structure  est  simple. 
Parallèlement  à  la  côte,  deux  lignes  de  hauteurs  relatives  corres- 
pondent aux  roches  les  plus  dures,  aux  gneiss,  aux  granits  qu'une 
longue  usure  n'est  pas  encore  par\enue  à  niveler  complètement  : 
monts  d'Arrée  (391  mitres)  et  du  Mené  au  Nord,  Montagne- 
Noire,  Landes  de  Lanvaux,  Sillon  de  Bretagne  au  Sud.  Ejitrc  les 
deux  se  creusent  dans  les  schistes  plus  tendres  les  bassins  de 
Rennes  et  de  Chàteaulm  unis  par  le  léger  bombement  du  plateau 
de  Rohan. 

Le  climat  se  caractérise  par  la  tiédeur  des  hivers  (7oà  Brest),  le 
peu  de  chaleur  des  étés  (16°  à  17°),  surlout  par  l'abondance  des 
jours  de  pluie  (220  à  Brest),  la  violence  des  vents,  l'extrême  nébu- 
losité d'un  ciel  qui  ne  sait  guère  sourire. 

La  côte  ou  "  Ar  mor  "est  la  partie  la  plus  vivante  de 
la  Bretagne  et  de  beaucoup  la  plus  peuplée.  Ciselée, 
déchiquetée  par  vagues  et  marées,  elle  se  hérisse  de  pro- 
montoires aigus,  se  creuse  d'anses  multiples,  se  borde 
de  récifs,  d'îles  et  d  îlots,  tandis  que  les  petits  ruisseaux 
de  l'intérieur  s'achèvent  par  de  larges  et  profonds  estuaires 
que  remonte  la  marée. 

La  vie  maritirfie  y  naquit  de  très  bonne  heure  d'abord 
au  Sud,  dans  le  pays  des  Vénètes  (V'annctais).  puis  à 
rOuest  et  au  Nord,  où  la  mer  était  plus  dure,  les  tem- 
pêtes plus  violentes,  les  courants  plus  redoutables,  mais 
où  la  nécessité  même  de  triompher  de  tels  obitacles 
engendra  une  race  de  pêcheurs  plus  hardis,  plus  aventu- 
reux :  corsaires  de  Saint-Malo  et  deMorlaix,  '"  Islandais 
et  Terre-Neuvas  '"  de  Paimpol  et  Bréhat. 

Aux  ressources  de  la   pêche,    hauturière   ou  côtière. 


petite  ou  grande,  qui  nourrit  aisément  des  familles  nom- 
breuses et  entretient  d"actives  industries  (conserves  de 
Concarneau,  Nantes,  etc.),  se  joignent  d'abord  les  profils 
de  la  culture  des  primeurs  que  favorisent  à  la  fois  la  pré- 
cocité du  printemps,  la  tiédeur  humide  du  climat  el 
l'emploi  d'engrais  marins  (varechs,  tangues,  maërl),  puis 
1  exploitation  des  touristes  et  baigneurs  qui  affluent,  en 
belle  saison,  au  fond  de  toutes  les  criques  bretonnes. 

Aussi  est-ce  sur  les  rives  ou  à  proximité  de  la  mer 
que  se  trouvent  la  majeure  partie  des  villes.  Saint- 
Malo,  Dinaid  et  Dinan  sur  le  "  rias  "  de  la  Rance, 
Saint-Brieuc  et  son  avant-port  du  Légué,  Paimpol, 
Tréguier,  Lannion,  Morlaix,  Saint-Pol  de  Léon  s'ali- 
gnent aux  bords  de  la  Manche,  dans  les  pays  de  Pen- 
ihièvre,  du  Trégorrois.  du  Léonnois.  Brest,  Landerneau, 
Châteaulin,  Douarnenez,  Audierne  font  face  à  l'Océan: 
Quimper,  Quimperlé.  Lorient,  Vannes,  le  Croisic  sont 
les  ports  de  Cornouaille  et  du  Vannetais.  A  l'extrême 
Sud,  la  basse  Loire  qui,  depuis  Ancenis,  a  pénétré  dans 
le  Massif  Armoricain,  se  termine  par  un  estuaire  où  le 
trafic  de  mer  et  diverses  industries  font  la  fortune  de 
Nantes  et  Saint-Nazaire. 

La  Bretagne  intérieure  méritait  autrefois  son  nom  de 
Ar  Coat  (la  forêt).  Aujourd'hui  il  ne  reste  que  d'assez 
médiocres  lambeaux  (forêt  de  Paimpont)  de  la  syive 
légendaire  de  Brocéliande.  A  l'Est,  dans  le  bassin  de  la 
Vilaine,  la  Bretagne  française  remplaça  les  forêts  par 
de  belles  prairies  et  des  champs  de  céréales.  La  densité 
de  la  population  (qui  sur  les  côtes  dépasse  150  habi- 
tants au  kilomètre  carré)  s'y  maintient  encore  entre  75  et 
100.  Rennes,  Fougères.  Vitré,  Monfort,  Châteaubriant 
sont  les  principaux  marchés  de  celte  région  qui,  la  pre- 
mière, se  mêla  directement  à  la  vie  de  la  patrie  fran- 
çaise, modifia  ses  mœurs,  ses  croyances  anciennes  et 
perdit  l'usage  de  la  langue  celtique.  Le  reste  de  la 
péninsule,  ou    Bretagne   bretonnante,  se  vêt  de  landes 


113 


L'EUROPE 


mêlées  de  maigres  champs  de  seigle',  de  pommes  de 
terre  et  de  sarrasin.  Pays  mélancolique,  pauvre,  arriéré, 
où  une  population  de  paysans  peu  nombreux  se  disperse 
dans  des  métairies  perdues  au  bout  des  chemins  creux. 
Peu  de  villes,  et  bien  médiocres  :  Pontivy,  Loudéac, 
Carhaix,  etc.,  et  peu  de  ressources.  Mais  une  floraison  de 
légendes,  de  traditions  naïves,  une  abondance  merveilleuse 
de  chapelles,  de  calvaires,  de   lieux    de  pèlerinages  qui 


succédèrent  aux  cromlechs  et  menhirs  des  temps  très 
anciens.  C'est  là  que  survit  la  vraie  race  bretonne, 
attachée  à  ses  croyances,  à  son  costume,  à  la  langue  de 
ses  ancêtres,  race  à  la  fois  mystique  et  sensuelle,  naïve 
et  brutale,  capable  aussi  bien  de  se  perdre  en  un  rêve 
sans  fin  que  de  montrer  dans  le  danger  le  semg-froid  le 
plus  lucide,  un  courage  tranquille  poussé  jusqu'à  l'absolu 
mépris  de  la  mort. 


VENDEE,  POITOU,  CHARENTE 


Vers  l'embouchure  de  la  Loire  la  vigne  apparaît. 
C'est  le  début  d'une  région  :  Vendée,  Poitou,  territoire 
Charentais,  qui,  tout  en  demeurant  fort  arrosée  et  d'hivers 
assez  doux,  a  déjà  des  étés  plus  chauds,  plus  ensoleillés. 
Elle  fait  transition  entre  l'humide  Bretagne  et  l'Aqui- 
taine, les  pays  à  cidre  et  les  pays  à  maïs  et  à  vin. 

La  Vendée  termine,  au  Sud,  le  Massif  Armoricain. 
Sur  les  gneiss  et  les  granits  de  la  Gâtine  (285  mètres  au 
Mont  Mercure)  qui  prolonge  le  Sillon  de  Bretagne,  ne 
croissent  guère  que  des  landes  et  des  fourrés  d'ajoncs. 

Dans  ces  lieux  tristes  et  sauvages,  en  se  glissant  dans 
le  dédale  des  chemins  fangeux,  obscurcis  par  l'ombre 
des  chênes  étêlés,  qui  mènent  aux  vieilles  métairies 
cachées  et  comme  accroupies  au  creux  des  ravins,  on 
peut  évoquer  et  comprendre  la  Vendée  d'autrefois,  la 
Vendée  de  Cathelineau  et  de  Stofflet,  de  Charette  et 
de  La  Rochejaquelein.  Mais  les  schistes  mêlés  de  granits 
décomposés,  qui  s'élèvent  au  Nord  jusqu'à  la  Loire 
(Pays  des  Mauges),  à  l'Ouest  jusqu'aux  abords  de 
l'Océan  (Bocage  vendéen),  permettent  l'entretien  de 
belles  prairies  ceintes  de  haies  épaisses.  Les  cultures 
même  font  chaque  jour  des  progrès  grâce  au  chaulage 
et  aux  engrais  artificiels.  Les  foires  de  Cholet,  Bau- 
préau,  La  Roche-sur-Yon,  Parthenay,  Bressuire, 
réunissent  un  bétail  qui  se  classe  parmi  les  plus  beaux 
de  notre  pays. 

Le  Bocage  se  complète  par  la  Plaine  (Fontenay-le- 
Comte,  Luçon),  bande  de  calcaires  très  propres  aux 
céréales,  et  le  Marais,  Marais  breton,  autour  de  la 
baie  de  Bourgneuf,  Marais  poitevin,  entre  Niort  et  la 
mer,  —  tous  deux  vrais  polders  de  récente  création, 
riches  en  cultures   maraîchères  et   en  prés  salés. 

Le  nom  de  Poitou  —  auquel  la  Vendée  se  rattachait 
administrativement  —  doit  être  réservé  pour  la  dépres- 


sion ouverte  entre  les  massifs  cristallins  d'Armorique  et 
d'Auvergne.  11  y  a  là,  depuis  la  fin  de  l'époque  primaire, 
une  fracture,  un  détroit  par  quoi  communiquaient  les 
mers  du  Nord  et  du  Sud.  Ce  détroit,  transformé  en  seuil 
par  les  sédiments  des  époques  secondaire  et  tertiaire, 
est  encore  un  des  traits  les  plus  notables  de  la  structure  de 
notre  pays.  Il  livre  passage  aux  routes  menant  de  Pans 
à  Bordeaux,  et  les  batailles  de  Vouillé,  de  Poitiers, 
montrent  quel  fut  autrefois  son  rôle  militaire. 

En  dehors  de  sa  fonction  comme  zone  de  passage,  le 
Poitou,  grâce  aux  calcaires  de  son  sous-sol,  se  prête  fort 
bien  à  la  grande  culture  des  céréales.  Par  ailleurs,  les 
larges  vallées  du  Clain,  de  la  Vienne,  de  la  Haute-Cha- 
rente se  bordent  de  prairies  où  l'on  engraisse  le  bétail 
venu  de  Vendée  et  du  Limousin.  A  l'Est  Montmorillon , 
au  Centre  Poitiers,  au  Nord  Châtellerault  et  Loudun. 
au  Sud  Melle  et  Civray  centralisent  les  produits  de  la 
région. 

Aunis,  Angoumois,  Saintonge,  traversés  ou  limités 
par  les  eaux  pures,  Ccdmes  et  profondes  de  la  Cheu'ente, 
ont  tous  les  trois  un  sol  de  craie,  perméable  et  sec,  peu 
fertile,  où  la  vigne  réussit  (eaux-de-vie  de  Cognac). 
Angoulême,  joliment  perchée  sur  un  haut  escarpement 
de  calcaire  dur.  Cognac,  Saintes,  Rufîec,  Barbezieux, 
sont  les  villes  les  plus  notables  de  l'intérieur.  Sur  les 
côtes,  prolongées  par  les  îles  de  Ré  et  d'Oléron,  envahies 
par  des  alluvions  de  la  Garonne,  de  la  Seuidre,  de  la 
Charente,  on  s'occupe  surtout  d'élevage,  de  la  fabrica- 
tion du  beurre  (Marans)  et  d'ostréiculture  (Marennes). 
Rochefort  sur  la  Charente,  La  Rochelle  doublée  de  la 
rade  neuve  de  La  Palice,  maintiennent  quelque  activité 
à  une  vie  maritime  qui  connut  des  périodes  prospères 
mais  qui  végète  aujourd'hui  faute  de  moyens  de  com- 
munication avec  l'arrière-pays. 


LE  MASSIF  CENTRAL 

Angoumois     et     Poitou  touchent,    à  TEst,   au    Massif        primaires)  que  le  Massif  Armoricain,  mais  qui,  ayant  subi  le  rude 
r^é^nfral  contre-coup  des  plissement  alpins,  se   trouva  fortement    relevé   vers 

l'Est.  Déjà  transformée    et  comme  rajeunie  par  cet    exhaussement. 
C'est  un  ensemble  de  hautes  terres  de  même  origine  (plissement        l'ancienne    "  pénéplaine  "  arverne  le  fut    plus  encore  par  les  frac- 
hercynien),  de    même    formation  (roches  cristallines    ou  sédiments        tures  multiples    qui  l'accompagnèrent.    Les    plus  apparentes   mar- 


114 


LA  FRANCE 


PARIS  :  LA  PLACE  DE  LA  CONCORDE.  Tracée  sous  Louis  XV  dont  tlU  porta 
d  abord  te  nom.  un  moment  appeUe  place  de  la  Révolution  et  réiervée  sous  la  Terreur 
auxextculions  capitales,  celte  place  fameme.V  une  des  plus  h^lUi  de  l'Europe,  encadrée  de 
palais  et  de  Hanches  terrastes,  sobrement  ornée  de  statues  monumentales,  de  Jontaines, 


d'un  obélisque  de  granit  rose,  se  complète  harmonieusement  par  les  frondaisons  des 
Chamtis-Elutées.  des  Tuileries,  et  par  les  magnifiques  perspectives  qui  s'ouvrent  sur 
les  hautes  colonnes  de  la  Madeleine,  le  Palais-Bourbon,  le  Louvre,  les  quais  ombreux 
de  la  Sdne.  la  masse  lointaine  de  l'Arc  de  Triomphe.  Cl.  NtunDElN. 


FARIb:  LE  PALAIS  UL  JLM  U_L1. 1  I  -\- 'MML-CnAFtLLE.Z.//cJWaCi7r. 
ceinte  parles  bras  inégaux  de  la  Sane.  p^rta  d'abord  les  httttet  de  la  Lutc<e  gauloite. 
oppidum  "  des  Partsii.  Les  Romairu  l'embellirent,  mais  les  tnrasioru  barbares  la  rui- 
nèrent, et  les  souverains  des  deux  pranières  dynaaties  y  aéf'oumiïent  rarement.  Par 


contre,  a  fwjr/if  du  jour  ou  la  couronne  Pana  dtim  la  famille  da  Comta  tic  Pain,  la 
Cité  devint  la  résidence  halktuelle  dei  rois  Capétiens.  L'ile  conserve  de  cette  époque  trois 
des  plus  belles  œuvres  architecturales  que  nous  légua  le  passé  :  Moire 'Dame,  la  Sainte- 
Chapelie,  le  Palais  de  Justice.  CI.   NeURDElN. 

115 


L'EUROPE 


L'INDRE  A  MONTBAZON.  Type  de  ces  '"  paysages  modérés  "  si  nombreux 
dans  le  B!aisois,  la  Totiraîne,  l'Anjou,  et,  en  général,  dans  tout  le  bassin  parisien 
oîi  les  eaux,  les  arbres,  les  maisons  de  pierre  blanche,  les  châteaux,  les  ruines  de  for- 
teresses s'unissent  en  un  séduisant  tableau.  Cl.  Boulanger. 


LE  CHATEAU  DE  CHAUMONT.  Les  derniers  Valois  vécurent  de  préférence 
aux  rives  charmantes  de  la  Loire  et  de  ses  affluents.  Pour  eux  et  les  plus  fastueux 
de  leurs  amis,  les  architectes  de  la  Renaissance  élevèrent  ces  magnifiques  demeures 
qui  comptent  parmi  les  chefs-d'œuvre  les  plus  originaux  de  l'art  français. 


I.F.S 

MENHIRS.     Dressent    | 

leurs 

silhouettes 

fantastiques 

dans 

la    solitude 

des     landes 

bretonnes. 

LA  POINTE  DU  RAZ.  Sur  la  façade  occidentale  de  la  Bretagne,  la  mer  a  rongé  inégalement 
schistes,  granits,  gneiss,  calcaires.  Aux  roches  plus  tendres  correspondent  les  baies  de  Brest,  Douar- 
nenez,  Audieme  ;  les  plus  dures,  à  Saint -Mathieu,  à  Morgai,  au  Raz,  à  Penmarch,  demeu- 
rent en  saillie  et  leurs  sombres  falaises  semblent  braver  les  assauts  de  l'Océan. 


LE  CALVAIRE  DE  MEL- 

LERAND.  Symbolise  les 
pieuses  croyances  de  la  Bre- 
tagne mystique 


..M... 

I-- 

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■■".«t- 

i — ,  PuY  DE  DOME.  Les  basaltes  et  les  laves,  que  vomirent  autrefois  les  volcans 
arvcrres,  donnmt  un  sol  poreux,  riche  en  principes  fertilisants  qui,  dans  les  régions 
cesses,  convicml  aux  fruits  et  aux  céréales,  et  porte  sur  les  sommets  des  prairies  d'une 
Tarzrjii-Mîi.  CI.  Neurdein. 


LA  VÉZÈRE  AU  SAILLANT.  Dans  tout  l'Ouest  du  Massif  Central:  Bourbonnais. 
Marche,  Limousin,  de  fortes  pluies,  tombant  sur  un  sol  imperméable,  nourrissent  un 
éventail  de  rivières  rapides,  aux  eaux  so.-nbres,  qui  burinent  dans  la  roche  dure  leurs 
vallées  profondes.  Cl.  BoULANGER. 


16  - 


LA  FRANCE 


quèrcnl  l'emplacemenl  de»  cours  d'eau  (vallées  de  la  Loire,  de 
l'Allier,  etc.),  el  des  bassins  plus  ou  moins  larges  que  les  hommes 
peuplèrent  les  premiers  (V  elay.  Forez,  Limagne,  etc.).  Les  autres 
livrèrent  passage  à  ces  puissantes  coulées  de  laves,  à  ces  amon- 
cellements de  cendres,  de  tufs  qui  coiffèrent  le  soubassement  cris- 
tallin soit  de  "  planc;cs  "  basaltiques,  soit  de  hauts  volcans  (Can- 
tal, Monl-Dore,  chaînes  du  Puy-de-Dôme).  Par  les  (ailles  innom- 
brables jaillirent  les  sources  thermales. 

Le  Massif  Central  dut  à  ces  phénomènes  une  variété  que  ne  con- 
naissent ni  l'Armorique  ni  les  Ardennes.  Variété  géologique  el 
structurale  que  complètent  des  nuances  très  sensibles  de  climat  el 
qui  permet  de  reconnaître  dans  cet  ensemble,  d'apparence  confuse. 
des  régions  naturelles  nettement  individualisées. 

Vers  l'Orient,  le  Massif  Central  (dresse  une  muraille 
fort  raide  qui  surplombe  imire'dlatemer.t  le  sillon  Saône 
et  Rhône.  Tout  dabord  les  monts  du  Charolais,  du 
Maçonnais,  du  Beaujolais  et  du  Lyonnais  ne  de'passent 
guère  en  moyenne  7(X)  a  800  mètres,  llspoilent  sur  leurs 
flancs  des  vignobles  fameux.  Leurs  sommets  aplatis  nour- 
rissent des  prés  où  s'engreiissent  de  grands  bœufs  blancs. 
Dans  les  dépressions  qui  les  séparent,  1  industrie  a  pu 
mettre  à  profit  des  gisements  houillers  et  des  minerais  de 
fer  qui  expliquent  le  très  remarquable  développement 
pris  par  la  métallurgie  au  Creusot,  à  Montceau-les-Mines. 
à  Saint-Chamond,  etc..  les  tissages  de  soie  à  Saint- 
Etienne,  à  Tarare,  .Amplepuis,  etc. 

Mais  la  pyramide  du  mont  Pilât  (1434  mètres) 
marque  le  début  d'une  zone  beaucoup  plus  élevée  : 
monts  du  Vivarais  avec  le  Mézenc  (I  754  mètres)  et  le 
Gerbier-de-Jonc  (1  531  mètres)  puis  Cévennes  avec  le 
mont  Lozère  (I  702  mètres)  et  l'AigouaUl  567  mètres), 
enfin  monts  de  l'Espinouze  et  Montagne-Noire.  Au  bas 
des  pentes  le  climat  méditerranéen  permet  la  culture  du 
mûrier,  de  la  vigne,  de  l'olivier.  On  exploite  la  houille  à 
Alais  et  Graissesac.  On  s'occupe  de  diverses  industries 
(papeteries,  filatures)  à  Privas,  Aubenas,  Annonay,  etc. 
Plus  haut,  les  racines  robustes  des  châtaigniers 
s'accrochent  aux  anfractuosités  du  roc.  Plus  haut  encore, 
paissent  les  brebis  venues  du  Languedoc.  Des  orages 
formidables  s  abattent  sur  ces  sommets  exposés  à  la 
double  action  des  vents  océaniques  et  méditerranéens. 
D  oïl  le  régime  prodigieusement  irrégulier  et  les  crues 
soudaines  de  l'Ardèche,  du  Gard,  de  l'Hérault,  de 
rOrb,  dégringolant  au  fond  de  leurs  vallées  étroites. 

Derrière  cet  ourlet  de  monts  en  gradins,  le  centre 
du  Massif  comprend  d'abord  une  série  de  hauteurs 
qui  remplissent  la  Mésopotamie  forézienne  :  monts 
du  Velay  (1423  mètres),  du  Forez  (1640  mètres),  du 
Livradois,  de  la  Madeleine,  couverts  de  brandes  et  de 
bois.  Puis,  à  l'Ouest  de  l'Allier,  après  les  âpres  granits 
de  la  Margeride  (  1 492  mètres)  el  les  monts  déserts  du 
Gévaudan,  la  Haute-Auvergne  doit  au  volcanisme 
l'attrait  de  ses  paysages  et  la  fertilité  de  son  sol.  Sur  les 
plateaux    de   l'Aubrac,    du    Cézallier,    de  Saint- Flour. 


comme  sur  les  pentes  de  ces  anciens  cônes  démantelés 
que  sont  le  Cantal  (1858  mètres),  le  Mont-Dore 
(1886  mttres  au  Sancy)  et  les  Monts  Dôme 
(1465  mètres  au  Puy-de-Dôme),  des  herbages  magni- 
fiques coupés  de  lacs  aux  eaux  sombres  nourrissent  des 
troupeaux  nombreux  (fromages  du  Cantal).  Baigneurs 
et  touristes  affluent  à  Royat.àSamt-Nectaire.à  Vie,  dans 
la  riante  vallée  de  la  Cère,  à  la  Bourboule  et  au  Mont- 
Dore,  tandis  que  les  éleveurs  du  pays  se  rassemblent  aux 
foires  de  Saint-Flour.  Aurillac.  etc. 

La  Haute-Auvergne  se  complète  par  les  bassins  du  Velay  (Le 
Puy),  du  Forez  (Monibrison  el  Roanne),  de  la  Limagne  surtout 
(Clermont-Ferrand,  Riom,  Thiers)  que  traversent  Loire  et  Allier. 
Un  sol  généralement  très  fertile,  sauf  en  quelques  coins  du  Forez, 
un  climat  chaud,  l'abondance  de  l'eau  font  de  ces  bassins  de  véri- 
tables oasis  où  affluent  les  hommes  attirés  non  seulement  par  la 
variété  et  l'abondance  des  ressources  agricoles  (céréales,  fruits  dé- 
licieux, vignes), mais  aussi  par  les  profils  de  l'induslii;  :  coutellerie 
de  Thiers,  bassin  houiller  de  Brassac,  caoutchouc  de  ClermonI, 
filatures  de  Monibrizon,  Roanne,  etc.  Vers  le  Nord,  au  confluent 
de  la  Loire  el  de  l'Allier,  le  Bourbonnais  (Moulins)  étale  ses 
sables  et  ses  marais  infertiles  qui  semblent  annoncer  déjà  la 
Sologne  proche. 

Le  Sud  du  Massif  est  surtout  remarquable  par  les 
hauts  plateaux  des  Causses,  couches  épaisses  de  cal- 
caires jurassiques  surélevés,  puis  découpés  comme  à 
l'emporte-pièce  par  les  eaux  du  Tarn,  du  Lot  et  de 
leurs  affluents.  Les  "  caiions  "  que  la  Dourbie,  la  Jonte, 
le  Tarn  burinèrent  entre  les  Causses  de  Larzac,  Noir, 
Mé;ean  et  de  Sauveterre.  les  "  avens  "  ou  gouffres, 
les  grottes,  les  perles  de  nvières,  les  lacs  souterrains 
qui  abondent  en  de  tels  lieux  comme  en  toutes  régions 
de  calcaires  fissurés,  attirent  les  visiteurs  étrangers.  Quant 
aux  indigènes,  les  Caussenards,  ils  vivent  de  l'élevage 
du  mouton  et  de  la  fabrication  du  fromage  (Roque- 
fort). 

A  l'Ouest  et  au  Sud  des  Causses,  les  plateaux  du 
Rouergue,  de  l'Elscandorgue,  de  Lacaune,  du  Sidobre. 
ont  un  sol  de  granit  sur  lequel  on  cultive  avec  diffi- 
culté le  seigle  (d'oîi  le  nom  de  Ségalas  donné  au  pla- 
teau du  Rouergue)  et  le  châtaignier.'  Mais  partout  les 
vallées  profondes  et  chaudes,  aux  riches  alluvions,  con- 
trastent vivement  avec  l'infécondité  et  la  tristesse  des 
hauts  lieux.  Là  seulement  la  population  atteint  une 
certaine  densité  et  se  groupe  en  petites  villes  :  Mende 
sur  le  Lot,  Rodez  sur  l'Aveyron,  Florac,  Millau  sur  le 
Tarn,  Mazamet,  Castres  sur  l'Agout,  où  l'on  s'adonne 
à  diverses  industries  dérivées  de  l'élevage  du  mouton 
(peignages  de  laine,  ganterie,  fromageries). 

L'Ouest  du  Massif  est  aussi  une  région  de  plateaux 
qui  rappellent,  par  bien  des  trjuts,  les  ségalas  du 
Rouergue.  Ils  s'appuient  aux  monts  d'Auvergne, 
s'inclinent  vers  les  plaines  berrichonnes  et  charentaises 


CXOCRAPHIE  tTJIVElSELLE. 


117 


12 


L'EUROPE 


et  portent  le  nom  de  Combrailles,  de  plateaux  de 
Millevaches,  de  la  Marche  et  de  Limousin,  Tout  un 
éventail  de  rivières  aux  gorges  pittoresques  (Sioule, 
Creuse,  Vienne,  Corrèze,  Dronne)  descendent  de  ce 
château  d*eau  très  arrosé  dont  le  sol  de  granit  imper- 
méable se  vêt  de  brandes,  de  prairies  humides,  de  bois 
de  châtaigniers. 

Dans  rensemble,  la  région  limousine  et  marchoise  est  pauvre, 
arriérée,  peu  peuplée.  Des  métairies  très  frustes  se  cachent  au  fond 
des  bois.  Les  gens  doivent  demander  un  supplément  de  ressources  à 


rémigration  saisonnière  (les  ouvriers  du  bâtiment  à  Paris  comptent 
un  bon  nombre  de  Limousins  et  de  Creusols).  Toutefois,  de  grands 
progrès  ont  été  réalisés  dans  les  régions  plus  accessib'es  du  pour- 
tour, à  proximité  des  voies  ferrées,  des  routes,  des  villes.  La 
majeure  partie  du  Limousin  occidental  est  aujourd'hui  couverte 
de  superbes  prairies  où  l'on  élève  un  bétail  a  robe  rousse  dont  la 
chair  n'a  pas  de  rivale  en  France.  Les  champs  de  blé  prennent 
peu  à  peu  la  place  du  seigle  et  du  sarrasin.  Le  bassin  de  Brive, 
en  Bas-Limousin,  est  une  véritable  '*  huerta  "  riche  en  légumes 
et  en  fruits.  L'industrie,  enfin,  s'est  implantée  de  longue  date  à  Tulle 
(manufacture  d  armes),  à  Commentry  et  à  Montiuçon  (métallurgie 
et  glaceries),  à  Aubusson  (tapis),  à  Limoges,  la  vieille  capitale 
limousine  (porcelaines,  émaux,  fabriques  de  chaussures). 


LE  BASSIN  D'AQUITAINE 


Entre  le  Massif  Central  et  les  Pyrénées  s'ouvre  le 
bassin  triangulaire  d'Aquitaine.  Il  a  sur  1  Océan  une 
façade  large,  mais  rectiligne,  bordée  de  hautes  dunes, 
inhospitalière  entre  toutes.  Au  Nord,  il  communique  par 
le  seuil  du  Poitou  avec  le  bassin  Parisien.  A  l't.st,  la 
porte  du  Lauragais  donne  accès  aux  pays  méditer- 
ranéens. 

C'est  une  région  naturelle  parfaitement  individualisée  non  seule, 
ment  par  son  relief  peu  élevé,  par  son  climat  cfiaud  et  fiumide 
propre  au  maïs  et  au  cfiâtaignier  comme  au  blé,  à  la  vigne,  aux 
arbres  fruitiers,  par  son  hydrographie  qui  comprend  une  artère 
maîtresse,  la  Garonne,  vers  laquelle  convergent  les  eaux  venues 
des  Pyrénées  et  du  Massif  Central,  mais  aussi  par  la  race  qui 
l'habite,  mélange  d'Ibères,  de  Celtes  et  de  Romains,  presque  pure 
de  tout  alliage  germanique,  par  la  langue  qu'on  y  parle,  la  tournure 
d'esprit,  les  qualités  et  les  défauts  propres  au  Gascon.  L'Aquitaine 
s'est,  du  reste,  fondue  tard  et  difficilement  dans  la  nationalité 
française.  Plus  précoce  que  le  Nord,  elle  excita  des  Jalousies  et 
fut,  au  début  du  Xli:^  siècle,  la  victime  sanglante  de  la  croisade  des 
Albigeois.  Plus  tard,  elle  demeura,  en  partie,  possession  anglaise 
jusqu'au  milieu  du  XIV®  siècle.  Tout  cela  est  oublié  depuis  bien 
longtemps.  A  peine  peut-on  noter  comme  trace  caractéristique  de 
l'isolement  relatif  où  l'Aquitaine  se  trouve  par  rapport  au  reste  de 
la  France  ce  fait  que.  seule  de  toutes  les  régions  françaises,  elle 
possède  un  réseau  ferré  qui  n'a  pas  a  Paris  son  point  de  départ. 

Toute  1  Aquitaine  vit  de  la  culture  du  sol.  L'indus- 
trie ne  compte  à  peu  près  point,  si  l'on  excepte  le  petit 
bassin  houiller  de  Carmaux  en  Albigeois,  quelques 
minotenes  dans  le  Toulousain,  l'exploitation  des  forêts 
landaises  (résine,  goudron,  térébenthine)  et  la  fabrica- 
tion du  matériel  vinicole  dans  le   Bordelais. 

Les  terres  les  plus  riches  occupent  le  centre  du  bas- 
sin. Ce  sont  des  limons  tertiaires  et  quaternaires,  des 
alluvions  déposées  par  la  Getfonne  et  ses  affluents.  Dans 
les  plaines  du  Lauragais,  du  Toulousain,  de  la  Limagne, 
de  l'Agenais, croissent  le  blé,  le  maïs,  les  légumes,  le 
sorgho  à  balais.  Sur  les  coteaux  qui  les  entourent 
mûrissent  la  vigne  et  les  fruits.  Près  de  la  mer,  les  gra- 
viers et  les  calcaires  du  Bordelais  portent  les  célèbres 
vignobles    du    Médoc,  de    Graves,    de  Sauternes,    etc. 


Toulouse  est  la  capitale  terrienne  de  ces  riches  régions 
dont  Bordeaux  exporte  les  produits.  Muret,  Moissac, 
Montauban,  Agen,  Libourne  participent  à  la  prospérité 
que  fait  naître  la  savante  mise  en  valeur  du  sol. 

Au  Nord-Est  et  à  l'Est,  le  bassin  Aquitain  s'entoure 
de  plateaux  calcaires  qui  couvrent  le  Périgord,  le 
Quercy  et  l'Albigeois.  Ceux  du  Quercy  sont  assez  élevés 
(500  à  600  mètres)  pour  faire  ligure  de  vraies  causses  (de 
Martel,  de  Gramat,  de  Rocamadour).  Ils  en  ont  les 
mêmes  surfaces  caillouteuses,  les  gouffres,  les  "  canons". 
Le  Périgord  et  surtout  l'Albigeois,  plus  bas,  se  prêtent 
mieux  à  laculture.  Toutefois, là  encore  ce  senties  vallées 
qui  concentrent  et  fixent  les  hommes.  Les  rives  de  la 
Dordogne,  de  l'isle,  de  la  Dronne,  de  la  Vézère,  du 
Lot,  du  Celé,  avec  leurs  champs  de  maïs  et  de  blé,  leurs 
noyers,  les  vignes  de  leurs  versants,  les  bois  de  chênes 
et  de  châtaigniers  qui  les  dominent,  les  riantes  bourgades, 
les  innombrables  châteaux  qui  se  perchent  sur  leurs 
falcuses  ocreuses,  comptent  parmi  les  plus  séduisants  de  nos 
paysages.  Périgueux,  Bergerac,  Sarlat,  Cahors,  Figeac 
tirent  d'appréciables  profits  de  la  fabrication  des  con- 
serves et  pâtés  dont  la  truffe  est  l'élément  essentiel. 

Vers  l'Ouest,  la  région  landaise  et  le  pays  d'Albret 
ont  vu  disparaître  en  partie  les  marais  fiévreux  qui  les 
couvraient.  Les  plantations  de  pins  ont  transformé  la 
physionomie  de  ces  régions  qui  demeurèrent  si  longue- 
ment inutiles  et  vides.  De  nants  villages,  peuplés  de 
"résiniers  "  se  multiplient  entre  les  troncs  saignants  des 
arbres,  près  des  étangs  poissonneux  de  Carcans,  Laca- 
nau,  Parentis,  etc.  Toutefois  ces  plaines  se  classent 
encore  parmi  les  moins  peuplées  de  France,  et,  Arcachon 
mise  à  part,  n'ont  point  pu  donner  naissance  à  la  vie 
urbaine. 

La  Chalosse  et  l'Armagnac  terminent  au  Sud  l'Aqui- 
taine. La  première,  traversée  par  l' Adou  r  et  quelques- 
uns  de  ses  affluents,  cultive  le  maïs,  élève  les  volailles. 
C'est  un  '  '  bon  pays  "  dont  Mont-de-Marsan,  Dax  et  Saint- 
Sever  concentrent  les  produits.  L'Armagnac  est  le  cœur 


118 


Ij\  FRANCE 


delaGascogne  dant  il  contient  l'ancienne  capitale,  Auch, 
et  les  villes  principales  :  Lombez,  Lectoure,  Nérac, 
Condom,  Mirande.  Ses  argiles,  mêle'es  de  sables,  se 
prê'.ent  à  l'érosion.  Aussi  Gers,  Gimone,  Save  et  Baïse 
purent-ils  s'y  tailler  aise'ment  de  larges  valle'es,  où  la 
vigne  (eaux-de-vie  d'Armagnac)  se  mêle  aux  vergers  et 


aux  champs.  Mais,  entre  deux  vaux,  les  croupes  pierreuses 
ne  portent  guère  que  les  genêts,  les  ajoncs  de  la 
"  fouya",  ou  lande  gasconne,  qui  prend  une  particulière 
ampleur  à  l'extrême-Sud  dans  les  mornes  solitudes  du 
plateau  de  Lannemezan,  immense  cône  de  débris  mo- 
rainiques   étalés   par    les  torrents. 


LES  PYRENEES 


Du  fond  des  plaines  gasconnes  on  voit  partout,  barrant 
l'horizon,  la  haute  muraille  des  Pyrénées. 

EJle  s'allonge  sur  450  kilomètres  environ  du  golfe  de 
Gascogne  au  cap  Cerbère.  Toute  sa  partie  médiane, 
entre  les  cols  du  Somport  (Oloron-Jaca)  et  de  Puymo- 
rens  (Foix-Puygcerda),  se  maintient  en  moyenne  à  plus 
de  3  000  mètres  et  est  pratiquement  infranchissable.  Là 
se  dressent  les  pics  les  plus  élevés  :  Vignemale 
(3298  mètres)  mont  Perdu  (3  392 mètres),  pics  du  Midi 
d'OssauetdeBigorre,  Balaïtous,  Néouvielle,  picd'Aneto. 
le  point  culminant  de  tout  le  système  (3  304  mètres)  dans  le 
Massif  delaMaiadetta,montVallier.  mont  Calm  (3080 
mètres).  Des  neiges  éternelles  les  recouvrent  au-dessus  de 
2800  mètres,  et  quelques  glaciers  suspendus  y  subsistent, 
derniers  témoins  des  grandes  nappes  cristallines  qui  les 
coiffèrent  autrefois,  approfondirent  leurs  vallées,  sculp- 
tèrent leurs  cirques  grandioses  (Gavarnie,  Marboré), 
charrièrent  jusqu'en  Gascogne  les  moraines  énormes 
faites  de  leurs  débris.  Très  arrosées,  car  leur  écran  barre 
la  route  aux  vents  du  Nord-Ouest,  elles  nourrissent  une 
multitude  de  torrents,  les  "  gaves  ".  diamantine  parure 
de  la  montagne,  et  conservent,  avec  des  pâturages  d  été, 
des  fragments  trop  clairsemés  d'antiques  forêts. 

Des  communautés  pastorales  s'établirent  de  bonne 
heure  dans  chaque  vallée.  Certaines  d'entre  elles  se 
transformèrent  en  Etats  féodaux  qui  débordèrent  hors  de 
la  montagne.  Telle  lut  longine  des  comtés  de  Béarn 
(Pau,  Orthez,  Oloron),  du  Bigorre  (Tarbes),  de  Com- 
minges(Saint-Gaudens),  de  hoix  et  Pamierssurl'Ariège. 
La  petite  République  d'Andorre  demeure  comme  le  témoin 
de  ce  passé  où  le  manque  de  communications  aisées  cloî- 
trait les  gens  dans  l'horizon  borné  de  leurs  vallées  natales. 


La  nature  n'a  point  aménagé  commodément  les  Hautes-Pyré- 
nées pour  faciliter  l'habitat  humain.  Les  pentes  y  sont  raidet  et 
continues.  On  n'y  trouve  pas  ces  gradins,  ces  replats  étages  k  loulei 
altitudes  entre  600  et  2  000  mètres  qui,  dans  les  Alpes,  perracUenl 
la  multiplicité  des  hameaux  et  des  villégiatures  estivales.  Aussi  la 
montagne  pyrénéenne  est-elle  faiblement  peuplée  et  rclaliveroeni 
peu  visitée.  Touristes  et  baigneurs  naf.^ucnl  que  dans  les  basses 
vallées  où  jaillissent  les  sources  thermales  :  Luchon.  Argeles, 
Bagnères,  Ax,  Salies ,  Cautcrets.  etc. 


Aux  deux  extrémités  l'altitude  décroît  et  les  passages 
se  multiplient  :  cols  de  Roncevaux,  de  Belate,  d'idiaza- 
bal  à  l'Ouest  (ces  deux  derniers  en  territoire  espagnol), 
cols  de  la  Perche  et  du  Perthus  à  l'Est  empruntés  par 
de  bonnes  routes  carrossables  et  les  voies  ferrées  qui  vont 
à  Madrid  et  Barcelone.  Aussi  Basques  et  Catalans 
ont-ils  pu  s'établir  sur  les  deux  versants  des  monts.  Les 
premiers  peuplent  la  Navarre  :  pêcheurs  sur  la  Côte 
d'Argent  "de  Bayonne à  Saint-Sébastien  par  Biarritz  et 
Saint-Jean-de-Luz,  cultivateurs  dans  les  basses  vallées 
(Mauléon,  Saint-|ean-Pied-de-Port),  éleveurs  et  contre- 
bandiers dans  la  montagne.  Les  autres  se  retrouvent 
dans  les  deux  Cerdagnes,  la  française  et  l'espagnole,  et 
pratiquent,  aussi  bien  dans  le  Roussillon  que  dans  l'Am- 
purdan,  la  culture  par  irrigation.  Toute  la  vallée  infé- 
rieure de  la  Têt  et  du  Tech,  les  plaines  de  la  Salanque 
aux  rives  méditerranéennes,  apparaissent  comme  la 
dernière  des  "  huertas  ".  Perpignan,  Prades,  Port- 
Vendres,  Banyuls  concentrent  et  exportent  ses  vins 
et  ses  primeurs.  Se  détachant  nettement  sur  le  bleu  du 
ciel,  la  magnifique  pyramide  du  Canigou  (2  785  mètres) 
se  dresse  au-dessus  des  plaines  roussillonnaises,  borne 
colossale  du  monde  pyrénéen. 


LANGUEDOC,  PROVENCE,  CORSE 


Avec  le  R,.ussillon  nous  sommes  déjà  en  pleine  région  de  climat 
méditerranéen.  Hivers  courts  cl  lièdes,  étés  longs,  1res  chauds,  très 
secs,  pluies  rares  tombant  uniquement  de  l'automne  au  printemps, 
ciel  lumineux,  venis  netlemeni  localisés  :  misiral,  tram  nianc, 
sirocco,  tels  en  apparaissenl  les  caractères  essentiels.  Les  torrents 
îrréguhers  passent,  suivant  les  saisons,  de  l'extrême  maigreur,  voire 
de  la  siccité  complète,  aux  débordements  furieux.  Plus  de 
forêts  majestueuses,  mais  les  arbustes  de  courte  taille,  les  buissons 
^ioeux  du  maquis,  parfois  même,  sur  les  sots  les  plus  pauvres,  les 
maigres  touffes  espacées  de   la  garrigue.    Peu  ou  point    d'arbres    à 


feuilles  caduques,  mais  des  oliviers,  des  arbousiers,  des  len- 
tisques.  des  chênes-lièges,  des  yeuses,  des  cystes,  des  lauriers-roses, 
des  pins  d'Alep  et  des  pins  parasols,  toutes  plantes  qui  gardent 
durant  l'année  entière  leur  parure  de  feuilles  ou  d'aiguilles,  rési- 
neuses, petites,  parfumées.  El  même,  sur  les  côtes  les  mieux  abritées 
apparaissent  les  feuilles  métalliques,  les  boutons  argentés  et  les 
fruits  d'or  de  l'oranger. 

Languedoc,   Provence,  Corse  se  partagent  nos  terres 
méditerranéennes. 


119 


L'EUROPE 


Le  Languedoc  va  des  Corbières  et  du  seuil  de 
Naurouze  au  Bas-Rhône.  11  s'appuie  sur  les  flancs  des 
Cévennes  par  une  zone  de  plateaux  calcaires  très  per- 
méables, très  secs,  souvent  arides,  les  garrigues  , 
que  traversent  les  valle'es  torrentielles  de  l'Orb,  de 
l'He'rauil,  de  la  Vidourle  et  du  Gard.  Seul  le  Miner- 
vois  et  la  région  d'Uzès  ont  des  vignes,  des  champs  de 
blé.  de  bons  pâturages  à  moutons  (vieilles  industries 
lainières  à  Bédarieux  et  Lodève)  et  des  plantations  de 
mûners.  Il  se  termine  sur  les  eaux  peu  profondes  du 
golfe  du  Lion  par  une  côte  plate,  sablonneuse,  bordée 
d'étangs  (Leucate,  Sijean,  Thau,  Magueionne),  très 
peu  propice  à  la  navigation  et  que  les  hommes  évitent. 
Entre  plateaux  et  rivage  les  plaines  alluviales  de  la 
Coustière  "  sont  entièrement  couvertes  de  vignobles, 
donnant  avec  une  remarquable  abondance  un  vin  de 
qualité  fort  ordmaire.  C'est  la  grande  —  mais  aussi 
1  unique  —  source  de  revenus.  Les  centres  urbains 
s  cJignent  de  Carcassonne  à  Nîmes  par  Narbonne, 
Béziers  et  Montpellier,  toutes  cités  bâties  par  les  Romains 
sur  les  routes  d'Espagne  et  de  l'Océan  :  la  Maison - 
Carrée,  les  arènes  de  Nîmes,  le  pont  du  Gard,  com- 
mémorent leur  souvenir.  Sur  la  côle  Agde,  d'origine 
grecque,  n  est  plus  rien.  Cette  monopolise  le  trafic  de 
cette  riche  et  vineuse  région. 

Le  Rhône  franchi,  nous  sommes  en  Provence.  Dans 
la  vallée  du  grand  fleuve,  la  limite  Nord  de  la  Provence 
coïncide  avec  celle  de  l'olivier  au  défilé  de  Donzères. 
Elle  débute  par  les  plaines  du  comtat  Venaissin  qu'ir- 
riguent une  série  de  rivières  (Ouvèze,  Sorgues,  etc.). 
nées  aux  pieds  du  Ventoux  (I  912  mètres)  et  les 
canaux  dérivés  de  la  Durance.  Les  champs  de  primeurs 
s  alignent  d'Orange  à  Cavaillon  et  Château- Renard 
entre  les  haies  de  cyprès,  protection  nécessaire  contre 
le  souffle  glacé  du  "  magistraou  "  ou  mistral.  Aux 
rives  du  Rhône  veillent  encore  les  remparts  et  le 
puissant  château  d'Avignon. 

Après  Tarascon,  Beaucaire  et  Arles,  doublement 
séduisante  par  sa  beauté  propre  et  le  charme  légen- 
daire de  ses  filles  aux  grands  yeux  sombres,  le  Rhône 
se  divise  en  deux  branches  qu'enserrent  les  solitudes 
sableuses  et  marécageuses  de  la  Camargue.  Le  nord 
commence  à  être  mis  en  cultures.  Mais  les  "  sansouires  " 
qui  entourent  l'étang  de  Vaccarès  ne  peuvent  encore 
nourrir  que  quelques  troupeaux  de  moutons  et  de  tau- 
reaux à  demi  sauvages.  Aigues-Mortes  sommeille  entre 
ses  hautes  murailles.  Aux  Saintes- Maries-de-la- Mer, 
Mireille  vint  mourir. 

Puis  la  Crau  éploie  ses  solitudes .  caillouteuses  et 
fauves  que  l'olivier,  l'amandier,  les  prairies  même 
commencent  à  trouer  de  vertes  oasis.  A  Miramas,  les 
eaux  bleues  du  golfe  de  Berre  luisent  entre  les  collines 
dorées.  C'est  le  début  de  la  Provence  maritime  dont  la 

120  — 


courbe  hcu'monieuse  s'arrondit  de  Martigues  à  Menton- 
Point  de  sables  et  d  élangs  mélancoliques,  comme  en 
Languedoc,' mais  les  mille  caprices  d'une  côte  que  borde 
la  montagne  et  où  la  mer  découpa  des  calanques  " 
étroites,  cisela  des  promontoires  et  des  îles,  creusa  de 
sûrs  abns  entre  les  blancs  calcaires  et  les  rouges  por- 
phyres. Côte  merveilleusement  propice  à  la  vie  maritime, 
comme  en  témoignent  toute  son  histoire  et  le  rôle  que 
jouent  encore  chez  nous  et  Marseille  et  Toulon,  et  les 
pêcheurs  et  marins  de  tous  les  petits  havres  provençaux 
(Martigues,  La  Ciotat,  Saint-Tropez,  etc.).  Mais  aussi 
côte  pleine  de  lumière  et  de  soleil,  rivages  accueillants, 
délicieux,  parfumés,  séduisante  Riviera,  qui  attire  et 
retient  tous  les  heureux  de  ce  monde  dans  les  replis  de 
sa  ceinture  azurée.  Hyères,  Cavalaire,  Saint-Tropez  au 
pied  des  Maures  vêtus  de  forêts.  Saint- Raphaël  et  Agay 
sur  les  confins  de  l'Esterel,  Cannes,  Antibes,  Grasse, 
Vence,  Nice,  Viilefranche,  Monaco,  Menton,  telles 
sont  les  stations  les  plus  connues  de  ces  lieux  qui  déroulent 
jusqu'au  fond  du  golfe  de  Gênes  le  ruban  de  leurs  parcs, 
de  leurs  champs  de  fleurs,  de  leurs  petits  ports  où  se 
balancent  les  tartanes,  tandis  que  là-haut,  sur  la  mon- 
tagne qui  les  surplombe,  de  très  vieux  villages  fortifiés 
achèvent  de  s  écrouler,  témoins  inquiets  d'un  passé  de 
brigandages  où  les  pirates  barbaresques  jouèrent  le  rôle 
essentiel. 


La  Provence  maritime  se  complète  par  la  Provence  terrienne, 
gonflée  de  plateaux  pierreux  qui  sont  de  vrais  causses,  sillonnée  de 
montagnes  nues,  de  formes  aussi  pures,  parfois,  que  les  sommets  de 
l'Hellade,  et  creusée  de  vallées  larges  i.îi  croissent  le  blé,  la  vigne, 
l'olivier,  le  mûrier.  Aix,  que  domms  magnifiquement  l'éperon 
de  la  Sainle-Victoire,  Brignoles  au  pied  de  la  Sainte-Baume, 
Draguignan  dans  la  conque  de  l'Argens,  Mirabeau,  Manosque. 
Forcalquier,  Digne,  Sisteron  dans  le  val  de  la  Durance  sont  les 
principaux  centres  urbains  d'une  régi  tn  où  les  gens,  d'humeur  so- 
ciable, répugnent  à  l'isolement  et  se  groupent  volontiers  en  gros 
bourgs  d^nt  les  maisons  coiffées  de  tuiles  rousses  s'étagent  aux 
pentes  des  collines. 


La  Corse  n'est  qu'un  fragment  détaché  delà  Provence. 
Ses  granits  et  ses  porphyres  s'unissaient  autrefois,  avant 
l'effondrement  de  la  Méditerranée,  aux  Maures  et  à 
l'Esterel,  comme  à  la  Sardaigne  et  à  l'Espagne.  Cou- 
verte d'un  chaos  de  montagnes  magnifiques  et  sau- 
vages, creusées  de  gorges  profondes,  qui  atteignent 
2  709  mètres  au  mont  Cinto,  elle  n'a  de  plaines 
—  marécageuses,  fort  inscJubres  —  que  sur  sa  frange 
orientale.  Les  côtes  de  l'Ouest  capricieusement  décou- 
pées par  les  golfes  et  Ctdanques  de  Bonifacio,  Ajaccio, 
Sagone,  Porto,  etc.,  ruisselantes  de  lumière,  dominées 
par  des  escarpements  raides  couverts  d'un  épais 
maquis,  ont  une  beauté  qui  ne  connaît  guère  de  rivales 
en    Méditerranée.  L'intérieur    ne    présente    pas    moins 


LA  FRANCE 


LE  MONT  SAINT-MICHEL. /^JOïwofi  réttétû  éc3  vagues  et  iejett  alterné  Ja 
tnariti.  usant  les  roches  Je  résistance  moindre,  laistant  en  taillt'e  tes  parties  les  plus 
dures,  ■iétachèrait  peu  à  peu  du  massif  armoricain  une  multitude  d'écueiU.  d'ilôts  et 
iTUe»  qui,  d'Attritmf  à  Noirmoulien,  Ventoarent  comme  S  une  ceinture.  L  un  de  ces  tlols. 


piaeé  aux  confins  de  la  Normandie  et  de  la  Bretagne,  joua  tm  rôle  illustre  dans  l'histoire 
religieuse  et  mililaÏTe  de  noi  provinces  de  l'Ouest.  Cal  le  Mont  Saint-Michel,  à  la 
foi%  petit  bourg  de  pêcheurs,  forteresse  puissante  et  sanctuaire  vénéré,  A  marée  basse, 
des  grioea  de  sable  et  une  route  carrossable  l'unissent  au  continent.  Cl.  LévY. 


121 


L'EUROPE 


LA  BARRE  DES  ÉCRINS  {4103  m.)  dresse  au  cœur  du  Massif  de  Pelvoux  son 

éventail  d'aiguilles  déchiquetées  dent  les  murailles  alruples  surplcmlent  un  teste 
névé.  Pour  atteindre  la  cime,  il  faut  suivre,  au  prix  de  très  grandes  di0icullés.  l'arête 
dentelée  gui  part  de  l'angle  gauche  de   la   photographie.         CL  NeltïDIIN. 


GRENOBLE.  "  Typede  ville  de  confluent  ",  Grenoble  a  grandi  à  la  jonction  de 
l  Isère  et  du  Drac.  La  fertile  vallée  du  Graisivaudan  assurait  sa  subsistance.  De 
nos  jours,  la  multiplication  desusines,  utilisant  la'Jorce  vive  des  eaux  courantes,  a 
fait  de  Grenoble  un  grand  centre  industriel.  CL  RoY. 


ViLLER5-LE-LAC  :  BASSIN  DU  DOUES.  Type  de  paysage  dans  les  monts 
du  Jura.  Des  assises  régulières  de  roches  calcaires  dominent  par  des  parois  verticales 
le  val  étroit  que  le  Doubs  remplit  momentanément  tout  entier.  Forêts  et  prairies 
couvrent   le   plateau.  CL    BcULANGER. 


DUINGT  ET  LE  LAC  D'ANKECY. Ce  beaulac.  aux  eaux  bleues,  serti  dans 
un  écrin  de  roches  calcaires,  dent  les  blanches  parois  se  strient  de  traînées  de  verdure 
concentre  ime  partie  des  eaux  du  massif  des  Aravis.  Le  Fier  s'en  échappe  à  Armecy 
et  gagne  le  Rhône  en  traversant  des  gorges  en  forme  de  canon.   CLBoULANHER. 


'/■ADVC  DE  G.'^RXSIT,  hardiment  jeté  sur  la  vallée  de  la  Truyère,  porte 
■scie  A^.•«^■  çià  va  de  Marvejoh  à  St-Flour.  Il  forme  un  contraste  instructif 
-.  I  :  ■~\c:iy.  fjn;  de  pierre  à  deux  arches,  vers  lequel  ta  route  charretière  descend 

cric^  -^T,^,.'î.  CL  Neubdon. 

Vf'}      


LE  PONT  DU  GARD.  Construit  au  I^  siècle  de  notre  ère  pour  amener  à 
Nimes'les  eaux  de  la  source  d'Eure,  près  d'Uzès,  ce  magnifique  aqueduc,  patiné 
par  la  longue  caresse  du  soleil,  est  un  éloquent  témoignage  de  la  science  et  du 
goût  des  architectes  gallo-romains.  CL  NeuRDEIN. 


LA  FRANCE 


de  pittoresque  par  ses  vallées  étroites  bordées  de 
rochers  fauves  et  nus,  ses  forêts  de  châtaigniers  et  de 
pins  (Vizzavona,  Aïtone),  ses  villages  aux  grandes 
maisons  noires,  les  mœurs,  les  traditions  de  ses  habitants, 
bergers,  petits  propriétaires  ou...  fonctionnaires  retraités. 
Faute  de  moyens  de  communications,  faute  surtout  d'ar- 
deur au  travail,  le  pays  est  pauvre,  à  peine  cultivé.  Les 
villes  :   Ajaccio,    Bastia,    Calvi,    Sartène,    Corte    n'ont 


qu  une  bien  médiocre  importance.  Les  insulaires  doivent 
émigrer  en  grand  nombre  sur  le  continent  où  ils  recher- 
chent de  préférence  les  emplois  qui  confèrent  une  certaine 
autorité,  permettent  de  revêtir  un  uniforme  et  assurent 
une  petite  retraite.  Puis  ils  reviennent  achever  leur  vie 
près  de  la  terre  chaude  et  sèche,  pleine  de  plantes  odo- 
rantes dont  le  parfum  subtil,  dilué  par  les  vents,  flotte 
très  loin  sur  la  mer  caressante. 


LES  ALPES 


De  la  Méditerranée  au  lac  de  Genève  les  Alpes 
françaises  s'étendent  sur  plus  de  300  kilomètres  de 
longueur.  C'est  aussi,  à  peu  de  chose  près,  la  largeur 
qui  sépare  la  plaine  du  Pô  du  sillon  rhodanien. 

Les  plus  hauts  sommets  se  trouvent  dans  les  Massifs 
du  Nord  et  du  Centre-Est  :  mont  Blanc  (4810  mètres), 
Vanoise  (3860metres),  Grandes- Rousses  (3  505  mètres), 
Barre  des  Ecrins(4  103  mètres),  Pelvoux  (3  954  mètres), 
où  prédominent  les  roches  cristallines.  Vers  le  Sud  et 
l'Ouest  l'altitude  décroît.  Les  Alpes  de  Haute-Pro- 
vence ne  dépassent  guère  en  moyenne  2  500  mètres.  Les 
Préalpes,  c'est-à-dire  la  zone  de  plateaux  et  de  monts 
calcaires  (Chablais,  Chartreuse,  Vercors,  Diois)  qui 
bordent  à  I  Ouest  les  massifs  centraux,  se  maintiennent 
entre  1  000  et  2000  mètres. 

Aux  différences  d'altitude  s'ajoutent  les  veu'iétés  de 
climat.  En  Savoie,  l'hiver  est  plus  rude,  surtout  l'humi- 
dité beaucoup  plus  grande.  De  là  l'abondance  des  neiges, 
éternelles  ou  non,  l'ampleur  des  glaciers,  la  verdeur  des 
prairies,  la  densité  et  la  vigueur  des  forêts,  la  masse  des 
eaux  que  roulent  en  toutes  saisons  les  torrents.  De  là 
aussi  l'élevage  des  bêtes  à  cornes,  la  fabrication  des  fro- 
mages, la  multiplication  —  récente  —  des  usines  hydro- 
électriques, le  nombre  chaque  année  croissant  des  sta- 
tions estivales  ou  hivernales,  bref  une  utilisation  métho- 
dique et  complète  de  toutes  les  ressources  de  la 
montagne. 

En  Provence,  un  ciel  plus  clair,  des  étés  plus  secs  ont 
comme  résultat  la  disparition  des  glaciers,  même  des 
neiges  persistantes,  la  raréfaction  des  forêts  et  des  alpages, 
l'irrégularité  des  torrents,  la  substitution  du  mouton  aux 
vaches  laitières,  une  montagne  plus  pauvre,  moins 
visitée,  moins  utile,  et,  qui  plus  est,  dévastée  par  des 
siècles  de  pâture  imprévoyante. 

Entre  Savoie  et  Provence,  le  Dauphiné  sert  de 
transition.  La  Chartreuse,  l'Oisans  sont  presque  aussi 
verts  que  les  pays  de  Savoie.  Mais  le  Dévoluy  ne  le 
cède  point  en  aridité  aux  plus  désolés  des  monts  proven- 
çaux. 

Au  cœur  des  massifs  s'insinue  tout  un  réseau  de 
vallées  longitudinales  ou  transversales.  Elargies  par  les 


glaciers  d'autrefois,  emplies  d'alluvions  fluviales  et  de 
dépôts  lacustres  anciens,  elles  se  prêtent  aux  cultures 
riches  :  vignes,  noyers,  légumes,  blé,  aussi  bien  qu'à 
1  élevage  intensif  sur  des  prairies  bien  irriguées.  Ce  sont 
naturellement  les  grands  centres  de  circulation  et  de  vie, 
ceux  où  la  population  s'accumule,  ceux  où  se  consti- 
tuèrent autrefois  des  individualités  ethniques  et  politiques 
telles  que  la  Savoie,  le  Dauphiné,  le  Briançonnais,  le 
comté  de  Nice,  commandant  les  passages  alpestres. 
Elles  communiquent,  soit  entre  elles,  soit  avec  leurs 
sœurs  italiennes  et  suisses,  par  des  cols  d'accès  assez 
faciles,  où  les  routes  carrossables,  parfois  doublées  d'une 
voie  ferrée,  s'établirent  aisément. 

Ainsi  du  Chablais  (vallée  de  la  Dranse  avec  Thonon),  du  Fau- 
cigny  (vallée  de  TArvc  avec  Chamonix  el  Bonnevillc),  du  Genevois 
(Annecy  el  son  lac),  de  la  Tarenlaise  (haute  vallée  de  l'Isère  avec 
Moulicrs  et  Albertville),  les  cols  de  Balrae,  de  la  Tête-Noire,  du 
Petit  Saint-Bernard  mènent  au  Rhône  suisse  ou  à  l'italienne  vallée 
d'Aoste.  Les  gens  des  Bauges  (Chambéry  cl  son  lac,  Aiji-les- 
Bains),  de  la  Maurienne  (vallée  de  l'Arc  avec  Saint-Jean),  du 
plantureuxGraisivaudan  (valléemoyennede  l'Isère  avec  Grenoble), 
et  de  la  verdoyante  Chartreuse  ont,  pour  se  rendre  à  Turin,  la 
route  du  mont  Cenis  et  le  chemin  de  fer  du  Fréjus  (Modane- 
Bardonnèche).  S  ils  veulent  simplement  gagner  la  Durance,  la 
vallée  de  la  Romanche  les  mène  au  Laularet,  celle  du  Drac  au 
col  de  la  Croix-Haute.  Enfin, du  Briançonnais  et  de  la  Haute-Pro- 
vence, on  gagne  le  versant  du  P6  par  les  cols  du  mont  Gcnèvre, 
de  Larche  el  de  Tende. 

Presque  toutes  les  eaux  des  Alpes  françaises  s'écoulent 
au  Rhône.  A  Genève  même  il  reçoit  l'Arve,  collecteur 
des  glaciers  du  mont  Blanc.  Puis  il  pénètre  chez  nous, 
traverse  l'extrémité  du  Jura  par  une  étroite  et  profonde 
cluse,  se  gonfle  chemin  faisant  du  Fier,  du  Guier,  etc., 
dégringole  en  plein  Sud,  remonte  longuement  vers  le 
Nord,  puis  se  courbe  vers  l'Ouest,  se  cogne  à  Lyon 
contre  le  Massif  Central  et,  continuant  le  trajet  indiqué 
par  la  Saône  nonchalante,  prend  sa  course  yers  la  loin- 
taine Méditerranée. 

L'Isère,  la  Drôme,  la  Durance.  quelques  afiluents  cévenols  lui 
jettent  des  eaux  régulières  ou  intermittentes  dont  la  masse  porte 
son  volume  à  2  000  mètres  cubes  d'eau  en  moyenne  sous  le  pont  de 
Beaucaire.    Mais    la    raideur  de  sa    pente   l'empêcha,  jusqu'à  nos 


123 


L'EUROPE 


jours,  de  rendre  aux  hommes  de  réels  ser\ices.  Les  gigantesques 
travaux  qui,  du  barrage  de  Génissiat  à  la  dernière  écluse  arlé- 
sienne,  vont  morceler  son  trajet  en  une  série  de  biefs  à  niveau  plan, 
porteront  à  ce  regrettable  état  de  choses  un  triple  remède.  Le 
Rhône  deviendra  d'abord  une  voie  navigable  de  premier  ordre.  De 
plus,  chaque  écluse  se  doublera  d'une  usine  productrice  d  électri- 
cité. Enfin,  des  canaux  de  dérivation  permettront  à  la  fois  d'amorlir 


la  violence  des  flots  de  crue  et  d'irriguer  les  plaines  de  Valence, 
de  Montélimar,  du  Trïcastin  et  du  Vaucluse.  De  magnifiques 
perspectives  s'ouvrent  ainsi  pour  toutes  les  cités  qui  s'égrènent  au 
long  de  sa  vallée,  et  de  Marseille  à  !a  Suisse,  par  Lyon,  puissante 
métropole  de  !a  soie,  un  souffle  de  vie  nouvelle  s'engouffrera 
dans  ce  large  couloir,  où  depuis  tant  de  siècles  passe  un  des  plus 
forts  courants  économiques  du  vieux  monde. 


LE  COULOIR  DE  LA  SAÔNE  ET  LE  JURA 


Comme  région  de  passage,  Saône  et  Rhône  ne  font 
qu'un.  Si  l'on  veut  gagner  l'Alsace,  les  plateaux  lor- 
rains, la  cuvette  parisienne,  il  faut  d  abord  suivre  la  large 
dépression  ouverte  entre  le  Jura  et  les  derniers  contre- 
forts ou  prolongements  du  Massif  Central,  puis  em- 
prunter la  Dheune  qui  mène  à  la  Loire,  l'Ouche  et  la 
Vingeanne  qui  vont  à  la  Seine  et  à  la  Marne,  la 
Saône  elle-même  et  le  Coney  d'où  l'on  passe  à  la 
Moselle  par  le  seuil  de  Lorraine,  le  Doubs  enfin  qui 
conduit  à  la  plaine  rhénane.  Une  série  de  canaux  (du 
Centre,  de  Bourgogne,  de  Lorraine,  du  Rhône  au  Rhin), 
sans  compter  les  voies  ferrées,  démontrent  la  facilité  de 
ces  passages. 

La  partie  méridionale  du  couloir  de  la  Saône  fut 
recouverte  par  des  graviers  argileux,  d'origine  morainique, 
qui  donnent  un  sol  imperméable  où  stagnent  les 
innombrables  étangs  des  Dombes,  pauvre  pays  maigre- 
ment peuplé,   malgré  d'incontestables  progrès. 

Puis  la  Bresse  (Bourg,  Louhans)  étale  jusqu'au  delà 
du  Doubs  ses  marnes  fécondes,  anciennes  alluvions 
déversées  par  les  torrents  jurassiens  dans  un  vaste  lac. 
Blé,  maïs,  betteraves,  légumes  enrichissent  les  fermiers 
bressans  qui  trouvent  une  autre  source  de  profits  dans 
l'élevage  des  porcs  et  de  la  volaille.  Le  Nord  de  la 
dépression  —  calcaires  et  marnes,  coupés  de  sables  venus 
des  Vosges,  —  est  de  fertilité  beaucoup  moins  grande. 
Mais  de  Chalindrey  à  Belfort  et  Montbéliard  par 
Vesoul  et  Lure,  l'industrie  (métallurgie,  automobiles, 
tissages,  quincaillerie)  occupe  une  bonne  part  de  la 
population. 

Vers  1  Ouest,  au  pied  des  coteaux  de  Langres, 
fleurit  le  houblon  que  la  vigne  remplace  quand  appa- 
raît laCôte-d'Or.  C'est  la  grande  richesse  de  l'illustre 
Bourgogne.  Les  crus  fameux  se  pressent  de  Dijon  à 
Chagny  (Chambertin,  Musigny,  Clos-Vougeot,  Nuits, 
Beaune,  etc.)  et  se  prolongent  par  le  Maçonnais  et  le 
Beaujolais  (Mercurey,  Pouilly,  Moulin-à-Vent)  jusqu'aux 
portes  de  Lyon. 

A  1  Est,  c'est  aussi  par  de  fertiles  et  riants  coteaux  : 
le  Revermont,  le  Lomont,  que  le  système  montagneux 
du  Jura  s'abaisse  sur  les  plaines  de  Saône.  Les  vignes 
(Arbois)  s'y  mêlent  aux  champs  de  maïs,  aux  prairies 
logées  dans  les   "  reculées  ".  La  population  s'y  presse 

124^ 


et  des  centres  d'échange,  des  villes  fortes,  se  créèrent 
de   bonne  heure  au  point  de   contact  des  hauts  et  des 
bas-pays  :  Beaume-Ies-Dames  et  Besançon  sur  le  Doubs, 
Salins,  Arbois,  Lons-le-Saulnier  dans  le  "  Vignoble  ". 
Puis,  jusqu'aux  plaines  suisses,  s'étagent  les  plateaux, 
se  succèdent  les  voûtes  et  les  vais,  les  combes,  les  cluses, 
les  crêts  dont  l'ensemble  compose  le  Jura.  Il   décrit  du 
Rhône  au  Rhin  une  courbe  régulière  et  domine  assez 
fièrement   la    dépression    suisse    de   Neuchâtel   et    de 
1  Aar    par    une   barre    rigide,    continue,   de    chaînons 
successifs,  hauts  de   1  400  à  1  700  mètres  (Crêt  d'Eau, 
Reculet,  Crêt  de  la  Neige,  Dôle,  mont  Tendre,  etc.). 
Derrière  ces  chaînes  fortement  plissées  —  surtout  au 
Sud  et    au    Nord  —  les   plateaux  de   Nozeroy,    de 
Champagnole,  d'Ornans,  etc.,  descendent  en  gradins  de 
900  à  500  mètres.    Les    vents    d'Ouest  apportent   au 
Jura  une  quantité  encore  considérable  de  neiges  et  de 
pluies.  Le  sol,  de  calcaire  très  perméable,  absorbe  cette 
eau    par   d'innombrables     cavités,  les         emposieux  ", 
—  analogues  aux    '  igues  "  caussenardes,  aux     dolines 
du  Karst  illyrien  —  puis  la  restitue  par  des  sources  du 
type    vauclusien     aux    rivières  :    Doubs,    Loue,     Ain, 
Valserine,  qui  se    glissent  de   val    en  val,  au  fond  des 
cluses  étroites.  Cette   humidité  ajoute   ses   effets  à  la 
naturelle   fertilité   des    calcaires.    Partout  des    prairies 
d'excellente   qualité,  des  forêts  de  hêtres  et  de  sapins, 
coupées  d'alpages  (les  prés-bois)  couvrent  plateaux  et 
montagnes.  Le    paysage,   sévère    et    mélancolique   en 
général,   n'est  égayé  que  par  le  va-et-vient  des   trou- 
peaux autour   des  chalets   où   l'on  fabrique  le  gruyère 
et  le  fromage  de  Septmoncel.  Dans  les  vais,  une  popu- 
lation énergique,  intelligente,  pleine  d'initiative,  s  occupe 
de  cultures  ou  de  multiples  industries  (horlogeries,  tissages, 
taille  du  diamant,  tabletteries,  etc.)  que  favorise  l'abon- 
dance de  la  "  houille  blanche  ".  Grâce  aux  profits  que 
l'on   tire  de    la   laiterie,  des  forêts,  des  divers   travaux 
industriels,  le  Jura  est   de   beaucoup  la  plus  peuplée 
des   montagnes    françaises   (58    habitants   au    kilomètre 
carré).  Il  ne  renferme  pas  de  grandes  cités,  cela  va  de 
soi,  mais  de  nombreux  bourgs  et  d'activés  petites  villes 
sises  au  débouché   des  cluses  :    Pontarlier,    Morteau, 
Nantua,  et  dans  le  fond  des  vais  bien  abrités  :  Oyonnax, 
Morez,  Saint-Claude,  etc. 


LA  FRANCE 


Toulon 


■  VILLE  JeptujiJun 
million,  i)  batitanij. 

#  Ville  Jejituj.  Je  SoooooP. 

•  Ville    Jeplu.Lje  lao  ooo^ 
o  Ville       àe plua.  Je.  ^o.ooo'' 


FRAHCIE 

DENSITÉ   DE 
LA  POPULATION 


Rccc. 


ciiL     Je    /n^i 


Nombre^  à  ' babilantv 
par  kilomèlrcj  carréj. 

Je,  lo  à  20^ 
Je.  20  à  40''. 
Je  40  à.  60 '^ 
Je  60  à  loo'' 
100  *  eLpluit, 


% 


ï»?r^ 


GEOGRAPHIE  HUMAINE  ET  ECONOMIQUE 


LES  POPULATIONS,  aa  Nous  savons  com- 
ment et  de  quels  ële'menis  biganés  s'est  constitue'e  la 
nation  (rançeiise  (Voir  page  101).  Nous  n'y  reviendrons 
pas.  Bornons-nous  à  ajouter  que,  si  l'on  parle  en- 
core en  France  des  langues  eu  des  dialectes  tels  que 
le  provençal,  le  basque,  le  breton,  le  flamand,  l'alsa- 
cien, hors  de  France,  et  sans  compter  nos  colonies,  le 


français  est  la  langue  d'une  bonne  partie  des  Belges, 
de  tous  les  Suisses  "  romands  ".  de  2000000  de  Ca- 
nadiens et  même  des  Italiens  fixe's  dans  quelques  hautes 
vallées  alpestres  (val  d'AosIe).  De  plus,  les  quali'.e's 
propres  à  la  langue  française  en  ont  fait  depuis  le 
Moyen  Age  une  sorte  d'idiome  internationsJ  que  posièdent 
plus  ou  moins  complètement   le    plupart    des  étrangers 


125 


L'EUROPE 


cultivés.  Dans  les  pays  du  Levant  :  Grèce,  Syrie, 
Egypte,  côtes  d'Asie-Mineure,  la  connaissance  du 
français  s'étend  même  aux  classes  moyennes  et  l'on  est 
surpris  d'être  aussi  aisément  compris  par  un  Athénien, 
un  Smyrniote,  un  petit  commerçant  de  Beyrout. 

En  1 9 11 ,  la  population  de  noire  pays  s'élevait  à 
39500000  habitants,  soit  74  au  kilomètre  carré.  La 
Grande  Guerre  nous  fit  une  rude  saignée  de  près  de 
2000000  d'hommes.  Le  retour  à  la  patrie  de  l'Alsace 
et  de  la  Lorraine  du  Nord  compense  heureusement  cette 
perle  déplorable.  Il  n'en  reste  pas  moins  que,  de  toutes 
les  grandes  nations,  la  France  est  celle  où  les  naissances 
sont  le  moins  nombreuses  et  où  la  population  s'accroît 
le  plus  lentement.  Alors  que  l'Allemagne  acquérait  en 
une  seule  année  700000  à  800000  âmes,  nous  avons  mis 
dix  ans  (1901-1911)  pour  en  gagner  600000,  et 
encore  ces  600000  nouveaux  '  Français  "  sont-ils  pour 
une  bonne  part  des  étrangers  nalurahsés.  Dans  beaucoup 
de  nos  déparlements  (Normandie,  vallée  de  la  Ga- 
ronne, etc.),  le  nombre  des  décès  l'emporte  constam- 
ment sur  le  nombre  des  naissances.  Il  y  a  là  un  fait 
très  grave,  dont  ce  n'est  pas  le  heu  de  rechercher  les 
causes,  mais  qui  apparaît,  à  coup  sûr,  comme  le  plus 
redoutable  danger  qui  puisse  menacer  notre  peuple. 

Un  vieux  proverbe  germanique  disait,  en  parlant  des 
gens  heureux  :  Il  vit  comme  le  Seigneur  Dieu  en 
France  ".  Celte  douceur  de  vivre  explique  à  la  fois 
l'attrait  que  notre  pays  exerce  sur  les  étrangers  et  la 
grande  peine  qu'éprouve  un  Français  s'il  lui  faut  le 
quitter.  Tandis  que  nous  hospitalisons  en  temps  normal 
1 200000  Italiens,  Belges,  Espagnols,  Suisses,  Alle- 
mands, Russes,  etc.,  fixés  chez  nous  à  demeure,  sans 
compter  les  centaines  de  milliers  '  d'oiseaux  de 
passage  "  venus  en  touristes,  à  peine  1 5  000  des 
nôtres  —  et  souvent  beaucoup  moins  — •  vont  annuel- 
lement chercher  fortune  en  Amérique  du  Sud  (Basques 
et  Béarnais),  au  Mexique  (montagnards  de  l'Ubaye)  et 
dans  nos  colonies.  Encore  la  plupart  de  ces  émigrants 
reviennent-ils  vieillir  et  mourir  au  pays  natal. 

La  densité  la  plus  forte  est  atteinte  soit  dans  les  pays 
de  grande  industrie  (Nord,  Lyonnais,  région  pari- 
sienne, etc.),  soit  sur  les  côtes  poissonneuses  où  abondent 
les  abris  naturels  (Bretagne,  Provence),  soit  dans  les 
plaines  et  les  vallées  de  riche  agriculture  (cuvette  pa- 
risienne, Alsace,  vignobles  du  Languedoc,  vallées  du 
Rhône,  de  la  Loire  et  de  la  Garonne,  Artois  et  Picar- 
die, etc.).  Ce  sont  au  contraire,  et  tout  naturellement,  les 
massifs  montagneux,  les  landes,  les  marais,  les  craies 
infertiles,  qui  nourrissent  le  moins  grand  nombre 
d'hommes  :  Massif  Central,  Alpes,  Sologne,  Landes, 
Champagne  pouilleuse,  etc. 

Malgré  l'attrait  que  la  vie  urbaine  exerce  de  plus  en 
plus  sur  les  populations  rureJes,  ces  dernières  composaient 


encore,  en  1913,  58  pour  100  du  total  (33  pour  100  en 
Allemagne,  23  pour  100  en  Grande-Bretagne).  On  ne 
comptait  chez  nous  que  cinq  villes  de  plus  de 
200000  habitants  et  dix  de  plus  de  100000,  alors  que 
1  Angleterre  en  avait  quarante-trois  et  l'Allemagne  qua- 
rante-sept. 

La  guerre  a  eu  comme  double  résultat  d'abord  de 
diminuer  très  sensiblement  le  nombre  de  nos  paysans 
(sur  1  500000  tués  on  compte  près  de  1  000  000  de  cam- 
pagnards), puis  d'accroître  dans  des  proportions  assez 
sensibles  le  chiffre  des  habitants  des  villes.  Toute- 
fois les  profits  que  les  ruraux  retirent  de  leurs  emblavures, 
de  leurs  élables,  de  leurs  jardins,  de  leurs  vignes  seraient 
de  nature  à  les  retenir  aux  champs,  d'autant  plus  que  le 
nombre  des  paysans  propriétaires,  déjà  fort  élevé  avant 
la  Grande  Guerre,  s'accroît  chaque  jour  et  très  vite. 

AGRICULTURE,  INDUSTRIE.  00  Enétu- 
diant  les  régions  naturelles  de  la  France,  nous  avons 
noté  au  passage  la  nature  de  leur  activité  économique 
normale.  Cela  nous  dispense  d'entrer  ici  à  nouveau  dans 
le  détail  des  choses  et  nous  permet  de  nous  borner  à 
quelques  idées  générales.  Du  reste,  la  longue  occupation 
d'une  partie  de  notre  territoire  —  et  la  plus  riche,  la 
plus  productive  — ,  les  dévastations  systématiques  accom- 
plies par  l'ennemi,  les  pertes  de  vies  humaines,  la  dimi- 
nution du  cheptel,  les  bouleversements  apportés  à  l'exis- 
tence habituelle  par  l'obligation  où  nous  nous  trou- 
vâmes d'acheter  au  dehors  infiniment  plus  que  nous 
ne  vendions  et,  conséquence  inéluctable,  la  diminution 
du  pouvoir  d'achat  de  notre  monnaie,  tout  cela  in- 
troduit dans  les  anciennes  statistiques  agricoles,  indus- 
tnelles,  commerciales,  de  telles  modifications,  et  ces  mo- 
difications sont  elles-mêmes  destinées  à  évoluer  si  vite, 
que  les  chiffres  sur  lesquels  nous  pourrions  nous  appuyer 
risqueraient,  dans  un  laps  de  temps  fort  court,  de  paraître 
tout  à  fait  erronés. 

Il  est  probable  que  la  France  demeurera  toujours  un 
pays  d'activité  mixte  tirant  ses  ressources  à  la  fois  d'oc- 
cupations agricoles,  industrielles  et  commerciales. 

La  fécondité  naturelle  d'un  sol  que  l'on  ne  cesse 
point  d'améliorer  (drainage  des  marais,  irrigation  des 
terres  trop  sèches  du  Midi  méditerranéen,  chaulage  des 
sols  siliceux,  emploi  des  machines  pour  suppléer  à  la 
déficience  de  la  main-d'œuvre,  etc.),  la  variélé  des  cul- 
tures que  permet  la  diversité  des  climats,  tels  sont,  avec 
la  multiplicité  de  la  petite  propriété,  les  éléments  essen- 
tiels de  la  richesse  agricole  de  notre  pays.  En  temps 
normal  et  dans  les  années  de  bonne  récolle,  il  produit 
assez  de  blé,  d'orge,  d'avoine,  de  maïs,  de  seigle,  de 
pommes  de  terre  pour  suffire  à  ses  besoins.  Il  exporte 
ses  vins  et  ses  eaux-de-vie,  le  sucre  qu'il  tire  de  ses 
betteraves,  une  partie  des  légumes  et  des  fruits  que  lui 


126 


LA  FRANCE 


I    U  VIADUC  DES  HOUCHES  ET  LE  DOME  DU  GOUTER.  U  ne  cl  priu. 

ttar  ÏOOO  mitretSatlilaée  environ,  au  txiinttmla  coït  ferrée,  ijm  monte  Je  Saltanthes, 

aihowne  dam   l  ancien  lanin  latuttre  de  Chamonix.  Les  eaux  lailetuet  de  r,Ari'e, 

I    nourrie»  par letvastesflaeiertdu Mont-Blanc,  »e  précipitent  tau»  ta  archea  du  haut 


uo./irc  cl  ..V,,  ,„un,-.tr  Clui  'u.  Ici  lutlmc^  Je  .V„o.-rMr  {.hcj.lc.  De,  /.jrcis  Je 
tapmt  et  de  méliza  narniaenl  la  pente-,  iuva'à  liOO  mctrej,  puit  vient  la  zone  det 
alpasei.  Ja  momtet  et  lichen! .  enfin,  vert  2  SOO  rnètrei,  la  neige  ne  fond  plua  et  recouvre 
toata  la  penla  qui  ne  umt  pai  à  anflt  droit.  Q.  BouLANcO». 


127 


L'EUROPE 


LE  CIRQUE  DE  GAVARNIE.  Le  plus  célèbre  des  amobUfiéâlres  naluTcls  que 
l'érosion  glaciaire  et  torrentielle  burina  dans  les  massifs  pyrénéens.  Des  plaques  de 
neige  reposent  sur  ses  assises  monumentales  ;  elles  nourrissent  les  cascades  qui  strient 
ses  parois  éclatantes  et  nues.  CL  Boulancer. 


BERGEHS  LANDAIS.  Pour  se  déplacer  aisément  sur  les  marais  qui  couvraient 
autrefois  la  majeure  partie  des  pays  landais,  les  bergers  se  servaient  de  hautes  échasses. 
C'est  un  usage  qui  s'en  va  à  mesure  que  des  canaux  assèchent  le  sol  et  que  la  forêt 
de  pins  gagne  en  étendue.  CI.  NeurdEIN. 


MONACO.  Sur  la  côte  pleine  de  lumière,  ciselée  comme  itne  œuvre  d'art,  le  rocher 
de  Monaco,  de  défense  aisée  et  flanqLé  d'un  double  port,  devait  attirer  les  horrunes. 
ïl  fut  peut-être  comptoir  phénicien,  et  sûrement  colonie  marseillaise,  avant  de  devenir 
au  Moyen  Age  la  petite  capitale  d'une  principauté.  CI.  Neurdein. 


BOCCOGNANO  (CORSE).  5isà800  mètres  d'altitude  au-dessus  d'Ajaccio. 
le  bourg  de  Boccognano  est  entouré  et  comme  assiégé  par  les  hautes  ramures  des  châ- 
taigniers atLxquels  succèdent,  sur  les  pentes  des  monts,  les  lentisques,  les  arbousiers, 
lescystes,  etc.,  qui  se  pressent  en  un  impénétrable  maquis.      CI.  S,  Damiani. 


LE  CHATEAU  DE  CRUSSOL.  Ce  qui  reste 
é'vTti  pvzssoAie  forteresse  féodale  qui,  perchée 
comme  un  nid  d'aigle  sur  une  roche  cévenole,  sur- 
cdllail  la  vallé-'  du  Rhône.      Cl.  BoULANGER. 

— —   128   


LES  CALANQUES  DE  L'ESTÊREL.  Type  de 
côte  provençale  où,  de  Marseille  à  la  Napoule.  la 
mer  cisela  dans  la  roche  dure  ces  anses  étroites 
que  l'on  nomme  "  Calanques  "    CI.  Boulanger. 


LES  GORGES  DU  TARN.  Le  Tam  et  sa  af- 
fluents :  Dourlie,  Jonle.  Dourdoa,  ont  taillé  dans 
les  tables  calcaires  des  Causses  de  véritables  cations 
aux  parois   verticales.  Cl.   BoiLANGER. 


LA  FRANCE 


DÉPARTEMENTS  FRANÇAIS 


AIN:  Boinic.  20191    hJ>  :  Belley.  6  536:  G«i. 

2  030  :  N.niu..  2  835  :  Ttévou».  2  941. 
AISNE:   UoN.    18  904:  ChJtMU-Thicrry.  7  751: 

S.im-Qucniin.  37  345  ;  Vervins.  3  119:Soi.- 

wnfc   14  391. 
ALLIER:  M01XIN5.  22  968:  G«.n.t.  4  524;  L« 

PJiuc.  2  732  :  Moniluçoa.  36  114 
ALPES  (BASSES-)  :  Dicst,  6  302  :  BtrcJonneiie. 

2  216  :  OalelUnc.  1  254  ;  Forcmlquitr.  2  552  ; 
Stilcron,  3  341. 

ALPES  (HAUTES-)  :  Gap.  9  859  :  BHwon.  5  013: 

Embn.n.  2  407. 
ALPES-MARITIMES:     Nici.     155  839:    Gim»-. 

16  923  ;  Pugtt-Thénitr.,  I  252:  Canna. 30  907. 
ARDÊCHE:  PmvAS.  6  412;   Urtentiim.   1887: 

Toumon,  5  037. 
ARDENNES:    MtziÙKS.   9  318:    Scihtl.    4  813: 

Rocroi.     2  127  :    Scdun.     17  509  :     Vounen, 

3  328. 

ARIÈCE:    Foix.    6  165;   Ptnùen.    12  012:  Sainl- 

Giroofc  5  749. 
AUBE:  T«oYts.   55  215:  Ardi-iur-Aube.  2  690: 

Bv-fur-Aubc,  4  074  :  Bu-tur-Scine,  2  710  : 

Noffcn(-5ur-Scine,  3  373. 
AUDE:      CjutCASSONNt.      29  314:      Cutelnauckry. 

7  921:   Limoux.   6640;   Nortonne.   28956; 
AVEYRON:    Rodii     14  201:    E>p.llon.    3  492: 

MilUu.  15  528:  S«mt-Aflriquc.  6  211  :  Villc- 

(ranchc.  7  423. 
BOUCHES-DU-RHONE  :   MamfilU!,      586  341: 

Ai«.  29  879;  Arlc.  30  994. 
CALVADOS  ;     Caen.     53  743  :     8.ytux.     7  206  : 

FiUiK.  5  589  :  U.ieui.  15  341  :  Poni-l'£v«iuc. 

2  790  :  Vire.  5  949. 
CANTAL:    Armi.ijic.    16  389;    Mauri.c.    3  417: 

Mural.  2  717  :  Saint-Rour,  5  134. 
CHARENTE  :    AscociIme.    34  895  :  BarUrieu». 

4  106;  Conuc   18  876:  C:onloleni.  2  551  : 
Rufl«.3  231. 

CHARENTE-INFÉRIEURE:  La  Rociinxt.  39950; 

Joeiiac   2  8%  :   M.rcnn«,   3  900  ;  Rochefort. 
29  473;    Sunio,     19  152:    S«inl-J«an-<lAn- 
tilr.  6  541 . 
CHER  :  Bot.1)CC5.45  942  :  Su'nl.Amuid-Mant-Roixi. 

8  351  :  Suicerrc.  2  406. 

CORRÈZE  :  Tuux.  13  732  ;  Brive.  21  711  ;  Ui«l. 

5  520. 

CORSE  :  AjAccio.  22  614  ;   But».  33  094  ;  CJvi. 

2  387  :  Corw.  5  094  :  Suiènt.  6  135. 
COTE-D'OR:   Dijon.   78  578:   B<»uik.    11661; 

ChÂtillon-niT-Seinc,  4  413  ;  Scmur-cn-Auxois, 

3  009. 

COTES-DU-NORD  :  S«iNT-B«rtir:.  24  51 1  ;  Diiun, 

10  161  :  Cuinnmp   7  923  :  Luuiion   6  047  ; 

Loudoc.  5  560. 
OIEUSE:     GufaŒT.    7%3:    Aul>u.»o.    6  485; 

Bouronruf.  3  659  :  Bouiuc.  2  367. 
DORDOGNE:Ptmciinn(.33  144  ;Bcr»cr»c  17  041  ; 

Nontroo,    3  059  :    Rib^nc  3  567  :    SuUt . 

6  469. 

DOUBS  :    Bemncon.  55  652  :  Beauinc-ln-D>mn. 

3  147:       Monlb<liud     10063:     Ponurlicr, 

10203. 
DROME  :  VAiiNCT.  28  654  :  Di,,  3  232  :  Mont*. 

I.mv.  Il  7l6:Nrcn>.  3  150. 
EURE:    Éintiot.    18234:    Ui    Andely..    5  237; 

Benur.   7  440  ;  Louvieri.    10  345  :  Pont-Au- 

irmtr,  5  946. 

EURE-ET-LOIR  :  OuirTra.  23  349  :  Chitaudun. 

6  587:    Dnux.    10  908:    Nocmi-le-Roirou. 

7  475. 

FINISTERE  :    QiiMPM.    18  444  ;  Brci.    73  960; 

Chilraulin.  4  005;  Morlaii.    13  931  ;  Qmm. 

ftrU.  8  995. 
GARD  :  NiMO.  82  774  :  Alâii.  36  455  ;  Uzè..  4  098  ; 

UV;ct>..4  22I. 


(GARONNE  (HAUTE-)  :  Toulousï.  175  434  :  Mu- 
rei.  3  218:  Soini-Caudcns.  6  429:  Villc- 
Innchc.  2  033. 

GERS  :  AiCH.  1 1  825  :  Condom.  5  773  :  Lectoura, 

3  726  ;  LomUi.  I  341  :  Mlnuids.  2  559. 
GIRONDE:    Bordeaux.    267  409:    Bazaa.    4  372: 

Blaye.    4  274  ;     Lesporrc.    3  267  ;    Lîboume. 

18  083  :L4iRëolc,  3  644. 
HÉRAULT  :  .MoNn-ELLit».  81  548  :  Bizicr..  56  008  : 

Lodive,    6  508;   Suni-Poi».    2  638;    Ccllt. 

36  503. 
ILLE-ET-VIL\INE  :   Re.snes.  82  241  :   Foueèrw. 

21167;     Montfort,     2  171;     Rtdon,     6  640; 

Saint-MJo.   12  390;  Vitri.  8  154. 
INDRE  :  Chattauroux.  26  566  :  U  Blanc  5  284  : 

U  CMtre.  3  931  :  Isaodun.  1 1  893. 
INDRE-ET-LOIRE  :  Toi'RS.  75  0%  ;  Chinon.  5  349; 

Loche..  4  652. 
ISÈRE  :  Gre.noble.  77  409  :  &iint-MarceIlin.  3  312  : 

U   Tour-du-Pin.     3  959:   Vienne.    23  732. 
JURA:  Loss-le-Saulnieh.  13  152:  Dôle.  16  208; 

PoUitny.  3  576  :  SaInt-CUude,  12  631 . 
LANDES  :  Mont-de-Marsan.  10  836  ;  Dax.  1 1  047  : 

Saint-Sever,  3  %7. 
LOIR-ET-CHER  :    Blois.    23  989  ;    Romoraniin. 

7  754  :  Vendôme.  9  035. 
LOIRE:     Saiot-Étienne.     167  967;    Monibrison, 

7  800  ;  Roanne.  37  752. 
LOIRE   (HAUTE-):    U  Puv.    18  488:   Brioude. 

4  754  ;  Ysstnffeaux.  6861. 
LOIRE-INFÉRIEURE  :  Nanto.  147  079:  Anrenis, 

4  222  ;     Châteaubrianl.     7  692  ;      Paimbocuf, 

2  454  :  Saint-Namire.  41631. 
LOIRET  :   ORLtANS.  69  048  ;  Cien.   7  823  ;   Mon- 

tani».  12  564  ;  Pithi^ers.  5  726 
LOT  :  Cakors.   Il  866  ;  Fiieac    5  487  ;  Gourdon, 

4  129. 
LOT-ET-GARONNE  :  Acen.  23  391  :  Mamianda 

9  148:    Nérac    5993;    VilUeuve-iur-Lot. 

11350. 
LOZÈRE  :  Mînde.  6  109  ;  Rorac.  I  648  .  Marve- 

iok  3  813. 
MAINE-ET-LOIRE:    Ancers.    87  158;    Be.u8i 

2  868  :    Cholet.    19  542  ;   Saumur.    15  936  ; 

Sexré.  4  485. 
MANCHE:  SA1NT-L5,  10661  ;  Avranches.  6  597; 

Cherbourg.  38  281  ;  Coutances,  6  248  ;  Mor- 

uin.  1  603  :  Valotnes.  4  894. 
MARNE;   CHAIX>ss-SLrR-MAPNE,    31  194;  Épemay. 

21806:    Reimi.    76  645;  Saime-Menehould. 

4  1 10  :    Vitry-le-Fr»ncol5.    8  568. 
MARNE  (HALTE-)  :  Chaumost.  16  210  :  Lanzrei. 

9  616;  ViMy.  3  353. 
MAYENNE:     Uvau     27  464;     Chileau-GonUer. 

6  097;  Mayenne.  9  271. 
MEURTHE-ET-MOSELLE:      Nancy,    113  226; 

Briey.  2  686  ;  Lunéville.  24  366  ;  Toul.  12  363. 
MEUSE  :  Bar-u-Dic.  16  261  ;  Commercy.  7  352  : 

Mootmédy.  2  525  ;  Verdun-.ur-Mcuie.  12  788. 

MORBIHAN:  Vannes,  21402;  Lorieni,  46314; 
Ploirmel.   5  237  .  Ponlivy.  9  442. 

MOSELLE  :  Mrrz-ViLU.  62  31 1  ;  ranton  de  Bou- 
Uy.  1 1  704  :  onlon  de  Châteu-Sallns,  8  236  ; 
canton  de  Forb*ch.  42  059  :  canton  de  Sarre- 
bourv.  21  730  ;  canton  de  Sarre^ruemines, 
32  716  :  canton  de  ThionviUe.  23  684. 

NIÈVRE  :  Nevxjb.  29  754  ;  Chiteau-Chinon.  2  852  ; 
Clamecy.  4  607  ;  C:onie,  7  158. 

NORD  :  LlLli  202  952  ;  Aveuie.,  4  980  ;  CJutibrai, 
26  023  :  Douai.  34  803  :  Dunkerque.  34  748  : 
Hazcbroucic.  14  584:  Valendennes.  34  425: 
Routaix.    113  265:    TmaroOlt.   78  600. 

OISE  :  BtAUVAIS.  19  270  ;  aerroont,  5  488  ;  Com- 
piejne.  16  179  :  Senli..  6  472. 

ORNE  :  Alinçon,  16  249  ;  Arjentai..  6  753  :  Dom. 
front,  4  01 1  ;  Mortame.  3  509 


PAS-DH.i  \l.AIS:A«i<AS.  24  835;BétIiune  16  795: 

BouIoifnc-aur-Mcr,  55336;  MontreujI-9ur-Mer, 

3  182  :  Sainl-Omer,  19  238  ;  Saint-Pol    4  846. 
PUY-DE-DOME  :Clehmont-Ffbrand  82  577  ;Am. 

ben.  7  091  :  I$»ire.  5  660;  Riom    10  435; 

Thier».  16  239. 
PYRÉ.\ÉES   (BASSES-):   Pau.   35  665;  Bayonne 

28  215:     Maul^n,     4  220;    Oloron-Saime. 

Marie,  8  976  ;  Orthez.  5  850. 
PYRÉNÉES  (HAUTES-)  :  Tarbes.  26  535  :  Arjelès, 

1632;     Ba^ères-de-Biiforrc-.     8  261. 

PYRÉNÉES-OR  IE.NTALES  :  Perpignan.  53  742; 
Céret.  4  472  ;  Pradei.  3  856. 

RHIN  (BAS-):  SnusBouRG-ViLLE.  166  767:  can- 
ton d'Entein,  14  028;  canton  d'Haguenau. 
26  572  ;  canton  de  Molshein.  18  608  ;  canton 
deSaveme.  17  529  ;  canton  deSclesUt,  18  570  ; 
canton  de  Wissemboure,  15  014. 

RHIN  (HAUT-);  canton  deCoLMAR.  43  525  :  canton 
d'AIlkirch.  14  610;  canton  de  Guebw-ijlcr, 
20  804:  canton  de  Mulhouse.  121674; 
canton  de  Ribcauvillé,  1 1  384  ;  canton  de 
Thann,    15  379. 

RHIN  (HAUT-):  Beuort.  39  301. 

RHONE:    Lvov,    561592;    V.lletranche,    16588. 

SAONE  (HAUTE-)  :  Vesoui,  10  471  ;  Gr»y,  6  631  : 

Lure.  6  062. 
SAONE-ET-LOIRE  :     Maçon.    16  207  ;  Autun  . 

13  856;  Chalon-»ur-Sa6nc.  31609  ;  Cha- 
rolles,  3  397  ;  Louhans,  4  1 16  ;  Le  Creusât, 
34  505  ;  Monlcau-les-Mma.  24  629. 

SARTHE:  Le  Mans.  71783;  b.  Fliche.  9  522; 

Mameri.  4  380  :  Saint-Calais.  3  414. 

SAVOIE:  Chambérv.  20617;  Albcr^/ille.  5  654: 
Moutlers.     2  339  ;    Saint- Jean-de-Maurienne. 

3  794. 

SAVOIE  (HAUTE-):  Annecy,  15  004  :  Bonneyille, 

2  084;   Saint-Julien.    1313;   Thonon.    8042. 

SEINE:   Paiîis.   2  906  472:  Saim-Deni^   76  358; 

Sceaux.  6  207. 
SEINT-INFÉRIEURE  :  Rouen,    123  712;  Dieppe. 

24  402:    Le    Havre.     140  736;    Neufchitel. 

4  013  ;  Yvciot.  7  010. 
SEINE-ET-MARNE:    Melun.    14  657;    Couiom- 

miers.  6  129  ;  Fontainebleau.  16  070  ;  Meaux. 
13  541  ;  Provin».  7  926. 
SEINE-ET-OISE  :    Versaili.es.    64  753;    Corbeil. 

10  937  :  Étampe..  9  925  :  Mante«-«ur-Seine. 
9  329  :  Pontoise.   9  915  ;   Rambouillet,   6  223 

SÈVRES    (DEUX-):    Niort,    23  559,    Bre«uire. 

5  174  ;  Mellc,  2  444  :  Parthenay.  6  582. 
SOMME  :    Amie-ns.    92  780  ;    Abbeville.    21  472  ; 

Doullens.  5  804  :  Montdidier.  3  565  ;  Péronne. 

3  185. 

TARN  :  Aui.  26  628  ;  Ouxnt.    25  943  ;    Gaillac. 

6  987:    Lavaur    5+43. 
TARN-ET-C1\R0NNE  :  Montauban.  26  094  ;  Cai- 

telsarrasin.  6  707;  Moisaac.  7  219. 
VAR  :     Dracuicnan.     9  199  ;     Brienoles.      3  916  ; 

Toulon.  106  331. 
VAUCLUSE  :  Avignon,  48  177  ;  Api,  5  662  ;  Car- 

penlras.  1 1  191  ;  Orante,  10  766. 
VENDÉE:    u    RociiE-suR-YoN.    13  629;    Fonie- 

nay-le-Comte.  8  903  ;  Sables-d'Olonne,  13  387. 
VIENNE  :  Poitiers.  37  663  :  Chïtellerauli    17  600  ; 

Gvrav.  2  362  ;   Loudun.  4  836  ;  Montinoril- 

lon.  4  583. 
VIENNE   (HAUTE-):    Limoges.   90  187;   Bellac 

3361;    Rochechouart,     4  092;    Saint-Yrid». 

7  296. 

VOSGES  :    ÊPINAU    28  352  :    Mirecourt.    5  436  ; 

Neufch.îleau.     4  026;     Remiremont,     9605: 

Saint-Dié,   20  315. 
YONNE  :  AuxEERE,  21  203  ;  Avallon.  5  235  ;  Joigny. 

5  697:  Senfc   15  311  :  Tonnerre,  4  373. 
ALGÉRIE  :  A1.CER.  206  595  :  Oran.  146  156  ;  Coni- 

lanline,  78  220. 


Les   chiffres   des   populations,    donnés   à   la   suite    des  noms    des    villes,   sont   ceux    du  recensement   de 
on  a  mis  en  italique  les  noms  des  villes  importantes  qui  ne  sont  pas  des  sous-préfectures. 


C^OCRAPHIE  imnXRSELU. 


129 


1921 


13 


L'EUROPE 


donnent  ses  vergers  magnifiques  et  ses  champs  de  pri- 
meurs. 11  a  du  houblon  pour  la  bière  que  boivent  les 
gens  du  Nord,  des  pommiers  pour  le  cidre  des  océa- 
niques ",  et  la  plus  fine  huile  d'olive  des  pays  méditer- 
ranéens. Son  troupeau,  bien  que  fortement  diminué 
par  la  guerre,  est  encore  l'un  des  plus  considérables  et 
l'un  des  plus  beaux  qui  soient  au  monde  (en  1 920  : 
13000000  de  bêtes  à  cornes,  9000000  de  moutons, 
4000000  de  porcs,  2400000  chevaux,  70000000  de 
volailles)  et  lui  fournit  les  animaux  de  labour,  de  trait  et 
de  boucherie,  la  laine,  le  cuir,  le  beurre,  le  fromage,  les 
œufs,  etc.,  sans  compter  le  miel  de  ses  abeilles  et  la 
soie  de  ses  cocons.  Il  trouve  enfin  dans  ses  forêts 
une  partie,  malheureusement  insuffisante,  du  bois  qui 
lui  est  nécessaire,  et,  de  Gravelines  à  Menton,  ses 
100000  pêcheurs  capturent  sur  nos  côtes,  ou  vont  cher- 
cheraux  mers  de  Terre-Neuve  et  d'Islande,  la  presque 
totalité  des  poissons,  des  crustacés  et  autres  frutti  di 
mare"  dont  il  a  besoin. 

Ce  qui  caractérise  les  produits  de  notre  sol,  c  est 
moins  encore  leur  quantité  que  leur  qualité.  La  France 
ne  fabrique  rien  "  en  série  ".  Elle  s'applique  à  ne 
donner  que  des  denrées  de  choix.  Elle  l'emporte  sans 
conteste  sur  toutes  les  autres  régions  de  climat  tempéré 
par  la  finesse,  la  saveur,  la  perfection  de  ses  vins,  de 
ses   fruits,  de  ses  légumes,  de  ses  fromages,    des  mille 

harnois  de  gueule  "  spéciaux  à  chaque  province  : 
pâtés,  conserves,  confits,  sucreries,  etc.  Ses  bœufs,  ses 
moutons,  ses  volailles,  ses  porcs,  donnent  une  viande 
qui  supporte  aisément  la  comparaison  avec  les  meilleurs 
produits  des  fermes  anglaises.  Et  tout  cela  se  condense 
dans  cette  chose  exquise,  sans  rivale  au  monde,  création 
spontanée  du  terroir,  savamment  entretenue  par  les 
générations  de  gourmets,  œuvre  à  la  fois  de  science, 
d'expérience,  mais  surtout  d'intuition  :  la  cuisine  fran- 
çaise. 

Le  même  caractère  de  perfection  distingue  la  majeure 
partie  des  produits  industriels  français.  Faute  de  houille 
et  de  main-d'œuvre,  la  France  ne  peut  guère  lutter, 
pour  la  fabrication  en  masse  d'objets  à  bon  marché,  avec 
des  pays  tels  que  l'Angleterre,  l'Allemagne,  les  États- 
Unis.  Mais  elle  se  spécialise,  et  cela  depuis  fort  long- 
temps, depuis  Henri  IV  et  Colbert,  dans  la  fabrica- 
tion des  articles  qui  exigent  de  l'initiative  individuelle,  le 
sens  de  la  grâce,  de  l'harmonie,  et  cette  qualité  indéfi- 
nissable qu'est  le  goût.  Notre  ouvrier  répugne  à  n'être 
qu'un  simple  manœuvTe  ;  chaque  fois  qu'il  peut,  il  cherche 
a  faire  œuvre  d'art  et  il  le  prouve  par  la  beauté,  le  fini, 
la  grande  valeur  des  objets  sortis  de  ses  mains  :  mer- 
veilleuses soieries  de  la  région  lyonnaise,  automobiles, 
parfums,  articles  de  couture  et  de  mode,  dentelles  et 
fourrures,  meubles,  bijoux,  précieuses  reliures,  bibelots, 
cuirs  travaillés,  outils  et  instruments  de   précision,   etc. 

130 


Nos  filatures  de  coton,  de  laine,  de  lin,  au  lieu  de  viser 
à  la  production  d'articles  de  grande  consommation,  se 
distinguent  en  général  par  leur  variété,  leur  originalité  : 
articles  de  fantaisie,  cachemires,  nouveautés  de  luxe, 
fines  batistes,  dentelles  et  broderies  de  coton,  etc.  A 
cela  s'ajoutent  les  industries  alimentaires  :  conserves  de 
poisson,  de  légumes  et  de  viande,  huileries,  sucreries, 
beurreries  et  fromageries,  minoteries,  brasseries,  vinifica- 
tion, etc.,  elles  aussi  productnces  de  denrées  de  quahté 
supérieure.  La  séné  se  clôt  par  les  industries  métallurgiques 
qui  pourraient  l'emporter  sur  toutes  leurs  rivales  au 
monde  si,  à  la  richesse  de  nos  gisements  ferrifères  de 
Lorraine  et  de  Normandie  correspondait  une  égale 
ampleur  de  nos  gisements  hcuiUers.  Malheureusement, 
nous  ne  produisons  en  temps  normal  que  35  000000  de 
tonnes  de  houille  (chiffre  de  1913),  alors  que  cette  année- 
là  les  Etats-Unis  en  extrayaient  600  000  000  de  tonnes, 
l'Angleterre 297  000000,  l'Allemagne  191  000  000,  plus 
80  000  000  de  tonnesde  lignite.  Même  si  nous  devenions 
définitivement  propriétaires  des  1 0  000  000  de  tonnes 
fournies  par  le  bassin  de  la  Sarre,  nous  serions  toujours 
incapables  de  traiter  nous-mêmes  tout  notre  minerai  de  fer 
et  devrions  en  exporter,  à  l'état  brut,  la  majeure  partie. 
On  pourra,  il  est  vrai,  suppléer  dans  une  large  mesure 
à  la  rareté  du  charbon  par  une  utilisation  intensive  de 
nos  torrents  et  de  nos  rivières  :  la  houille  blanche  et  la 
houille  verte.  De  grands  progrès  ont  été  faits  pendant  et 
depuis  la  guerre,  surtout  dans  les  régions  alpestres  et 
pyrénéennes.  Ce  n'est  que  le  début  d'une  période  où  les 
forces  hydro-électriques  sont  appelées  à  jouer  un  rôle  de 
plus  en  plus  étendu  dans  la  reconstitution  progressive  et 
le  développement  régulier  des  industries  françaises. 

LE  COMMERCE.  /Hm  On  ne  peut  chiffrer  le 
commerce  intérieur  de  la  France.  Il  est  incontestablement 
fort  important  ;  beaucoup  plus,  par  exemple,  que  ne 
peut  l'être  le  commerce  intérieur  de  la  Grande-Bretagne. 
Les  ressources  de  la  France,  singulièrement  plus  variées 
que  celles  de  sa  voisine,  suffisent  en  effet,  en  temps  nor- 
mal, à  une  grande  partie  de  ses  besoins.  D'où  un  conti- 
nuel mouvement  d'échanges  entre  les  diverses  régions 
françaises  :  plaines  et  montagnes.  Nord  et  Midi,  pays 
industriels  et  pays  agricoles  qui  se  complètent  harmo- 
nieusement. 

Un  réseau  ferré  de  plus  de  40  000  kilomètres  où  la 
vitesse  commerciale  bat  tous  les  records  ;  un  réseau 
routier  infiniment  ramifié  et  sans  rival  au  monde,  rendent 
aisées  les  communications  même  avec  les  districts  les  plus 
reculés  de  nos  hautes  montagnes.  Quant  au  réseau  fluvial, 
il  ne  rend  de  considérables  services  que  dans  les  plaines 
du  Nord  et  du  bassin  parisien  où  la  Seine,  l'Oise,  la 
Meuse,  l'Escaut,  la  Marne,  le  Rhin  et  les  canaux  qui  les 
unissent   connaissent  une  activité  comparable  aux   voies 


LA  FRANCE 


-1  Région/u  J inJujftie^i, 

I  métaUur^tfftw.v.ciùnu/ur 

irrrrrte^v,  ê^nrre.L  11/imentairc.v. 


d'eau  de  Belgique  et  d'Allemagne.  On  sait  que  ni  la 
Loire,  m  la  Garonne,  ni  le  Rhône  ne  sont  encore  réelle- 
ment utilise's. 

Avec  i'exte'rieur,  la  France  entretenait  des  relations 
commerciales  qui.  en  1913,  se  chiffraient  par  plus  de 
1  5  000  000 000  de  francs,  soit  8  42 1  000 000  aux  impor- 
tations et  6880000000  aux  exportations.  Le  de'ficit, 
relativement  minime  du  reste,  e'tait  largement  comblé  par 
la  seule  valeur  des  multiples  objets  de  grand  prix  :  bijoux, 
toilettes,  œuvres  dart,   etc.,  que  nos  hôtes  de  passage 


emportaient  dans  leurs  msJles  en  rejoignant  leur  patrie 
et  qui  ne  figurent  pas  dans  les  statistiques  douanières. 
La  guerre  a  bouleverse'  profondément  les  conditions 
normales  du  tra6c,  soit  en  nous  obligeant  à  augmenter  nos 
achats  et  à  diminuer  nos  ventes,  soit  en  haussant  le  prix 
des  objets  parfois  dans  la  proportion  de  1  à  10,  soit  enfin 
en  donnant  à  notre  franc  un  pouvoir  d'achat  très  infé- 
rieur à  la  livre  anglaise,  au  dollar  américain,  au  florin 
hollandais,  à  la  peseta  espagnole,  à  la  piastre  argen- 
tine, etc. 


131 


L'EUROPE 


Aussi,  depuis  1916,  le  déficit  annuel  a-t-il  atteint  des 
proportions  dont  témoigne  trop  éloquemment  la  situation 
financière  actuelle  de  notre  pays. 


EXPORTATIONS 


Années. 

Importations. 

Exportations. 

Déficit. 

1916 

fr. 

20  640  000  000 
27  554  000  000 
22  306  000  000 
35  800  000  000 
35  404  000  000 

h. 

6  214  000  000 
6  012  000  000 
4  722  000  000 
Il  879  000  000 
22  434  000  000 

h. 

14  426  000  000 
21  542  000  000 
17  584  000  000 
23  921  000  000 
12  970  000  000 

1917 

1918 

1919. 

1920 

Cette  situation  tend,  heureusement,  à  s'améliorer 
considérablement.  Déjà,  le  déficit  de  1920  fut  inférieur 
de  moitié  au  déficit  de  1919.  Pour  1921,  les  résultats 
globaux  des  transactions  des  1 0  premiers  mois  (les  seules 
que  nous  possédions  à  l'heure  présente)  nous  donnent 
une  balance  commerciale  infiniment  plus  avantageuse 
encore,  puisque  les  export  ations(  I  7622000000  de  francs) 
ne  furent  inférieures  aux  importations  (18  060000000  de 
francs)  que  de  438000000  de  francs. 

Voici  les  tableaux  des  importations  et  exportations 
en  1913  et  en  1920  (d'après  les  documents  statistiques 
publiés  par  l'Administration  des  Douanes)  : 

IMPORTATIONS 


Prindpales  catégories. 


Année  1920. 


Année  1913. 


Matières  nécessaires  à  l'industrie  : 


fr. 


Houille 

l-aines 

Coton 

Graines  oléa^neu 
Huiles  minérales.. 
Fonte,  fer,  ader.  . 

Soie  grège 

Bois 

Peaux  brutes .  . 
Pâte  à  papier 

Cuivre 

etc. 

Total 


4  202  000  000 

2  087  000  000 

1  567  000  000 

1  147  000  000 

1  040  000  000 

941  000  000 

811  000  000 

677  000  000 

582  000  000 

280  000  000 

248  000  000 


16  800  000  000 


fr. 
583  000  000 
701  000  000 
577  000  000 
387  000  000 
164  000  000 

38  000  000 
361  000  000 
235  000  000 
248  000  000 

67  000  000 
192  000  000 


Machines  et  mécaniques 

Produits  chimiques 

Outils  et  ouvrages  en  métaux. . . 

Voitures  de  toute  sotte 

Tissus  de  laine 

Fils 

Tissus  de  coton 

Embarcations 

Poteries,    verres,    pelleteries,   ou- 
vrages en  cuir  et  peau,  etc. 


Objets  fabriqués  ; 

••I 


TotJ 


2  070  000  000 
820  000  000 
854  000  000 
844  000  000 
687  000  000 
664  000  000 
469  000  000 
432  000  000 


9  993  000  000 


4  945  000  000 


321  000  000 
163  000  000 
95  000  000 
40  000  000 
50  000  000 
64  000  000 
56  000  000 
39  000  000 


Céréales  el  t 

Sucre 

Viande  et  animaux 

afé 

Vins 

Eaux-de-vlc  et  alcools. 

Poissons 

B-iirre-fromagc 


Produits    alimentaires  : 

3  127  000  000 
1  123  000  000 
683  000  000 
659  000  000 
619  000  000 
589  000  000 
400  000  000 
316  000  000 


ToiJ. 


8  018  000  000 


1  658  000  000 


630  000  000 
34  000  000 
67  000  000 
207  000  000 
275  000  000 
20  000  000 
71  000  000 
71  000  000 


1  817  000  000 


Principales  catégories. 


Année   1920. 


Année   1913. 


Produits  fabriqués  : 


Soieries 

I-ingerie-vêtements 

Cotonnades 

Automobiles  et  voitures 

Produits  chimiques 

Objets  en  cuir  et  peau 

Lainages 

Outils  el  ouvrages  en  métaux. . . 

Ris 

Machines  et  mécaniques .*. . . 

Ouvrages  en  caoutchouc 

Parfumerie  et  savons 

Papier 

Pelleteries 

Tabletterie,  brosserie,  armes    et 

poudres,    ouvrages  de   modes, 

fleurs  artificielles,  etc. 

Total 


fr. 

1  819  000 
I  656  000 
I  261  000 


260  000 
119  000 
662  000 
618  000 
548  000 
538  000 
528  000 
462  000 
384  000 
360  000 
331  000 


000 
000 
000 
000 
000 
000 
000 
000 
000 
000 
000 
000 
000 
000 


fr. 

385  000  000 
252  000  000 
385  000  000 
244  000  000 
211  000  000 

88  000  000 
220  000  000 
137  000  000 
211  000  000' 
123  000  000 
100  000  000 

48  000  000 
167  000  000 

86  000  000 


14  252  907  000 


3  617  000  000 


Matières  nécessaires  à  l'industrie,  brutes    ou    demi-ouvrées  : 


Laines  ou  déchets  de  laine. 

Peaux 

Fonte,  fer,  acier 

Minerais <. . . 

Huiles    et    dérivas 

Soie  et  bourres  de  soie 

Cuivre 

etc. 


Total  . 


964  000  000 
840  000  000 
709  000  000 
365  000  000 
385  000  000 
294  000  OOO 
187  000  000 


310  000  000 
324  000  000 
87  000  000 
84  000  000 
104  000  000 
179  000  000 
64  000  000 


4  772  000  OOO 


Matières  alimentaires  : 


Vins 

Eaux -de-vie  et  alcools. 

Légumes 

Céréales  et  farines . 

Sucre 

Poissons 

Fruits 

I-ait,  beurre,  fromage. . 
Bonbons  et  confitures. 

Conserves,  pâtés 

etc. 


Total  . 


531  000  000 
264  000  000 
200  000  000 
173  000  000 
160  000  000 
133  000  000 
105  000  000 
102  000  000 
100  000  000 
83  000  000 


1  858  000  000 


203  000  000 
42  000  000 
80  000  000 
10  000  000 
74  000  000 
33  000  000 
76  000  000 
84  000  000 
16  000  000 
14  000  000 


2  211  000  000 


838  000  000 


LA  CLIENTELE  DE  LA  FRANCE  EN   1920. 

• 

importations 
venant  de  : 

Valeur. 

Pour 
100. 

21 
20 

7 

7 

6 

3 

2 

2 

1 
22 

9 

Exportations 
allant  à  . 

Valeur. 

Pou. 
100 

17 
16 

8 

6 

5 

4,5 

4 

2 

1.5 
21 

15 

États-Unis 

Angleterre 

Allemagne 

Belgique 

Républ   Argent.. 
lulie 

7  061  000  000 

6  746  000  000 
2  658  000  000 
2  568  000  000 

2  052  000  000 
891  000  000 
849  000  000 
802  000  000 
652  000  000 

7  893  000  000 
960  000  000 
218  000  000 
152  000  000 

1  894  000  000 

3  225  000  000 

Belgique 

Angleterre 

États-Unis 

3  913  000  000 

3  511  000  000 
1  770  000  000 
1  441  000  000 
1  180  000  000 
1  061  OOO  000 

883  000  000 
379  000  000 
118  000  000 

4  602  000  000 
1  928  000  000 

318  000  000 
493  000  000 

647  000  000 
3  385  000  000 

Allemagne 

Italie 

Espagne 

Espagne  

Républ.  Argent.. 
Brésil 

Autres  pays  étr. 

Algérie 

Tunisie 

Autres  pays 

Algérie 

Tunisie 

Maroc 

Autres     colonies 
françaises 

Tôt.  des  colonies. 

Autres     colonies 
françaises 

Tôt.  des  colonies 

LA  CLIENTELE  DE  LA  FRANCE  EN  191 3. 

Importations 
venant  de  : 

Valeur. 

Pour 
100. 

Exportations 
allant  à  : 

Valeur. 

Pou. 
100. 

21 
16 
13 

6 

6 

4 

4 

Gr.-Bretagne  . . . 

Allemagne 

États-Unis 

ïîelgique 

Russie 

Indes  Anglaises.. 
Argentine 

Colonies      fran- 
çaises   

1  115  000  000 
1  069  000  000 
895  000  000 
556  000  000 
458  000  000 
388  000  000 
369  000  000 

304  000  000 

13,25 
12.60 
10,60 
6.60 
5,44 
4.49 
4,44 

3.61 

Gr.-Bretagne  . .  . 

Belgique 

Allemagne 

1  454  000  000 
1  108  000  000 
867  000  000 
426  000  000 
423  000  000 
306  000  000 

284  000  000 

Etats-Unis 

Italie 

Argent . ,  Espagne, 
elc 

Colonies       fran- 
çaises  

132 


LA  FRANCE 


■  RèqtonA.  de  culturel 
ricbtA.  ou  ùttenJt^eA, 


FRANCE 

( frofurnt.ttgne .  cuit  '^^marat  ■ 

jM,>^.«<,„X^r««Mr-y«u„c^RTE2     AGRICOLE    ET   PASTORALE 


&^'  ^ 


^ 


•«IBS^ 


^ 


Nous  ne  commenterons  pas  autrement  ces  tableaux, 
dont  les  indications,  très  significatives,  apparaissent 
clairement.  Par  ailleurs,  les  transactions  commerciales 
subissent  d  une  anne'e  à  l'autre  de  telles  variations  que 
toutes  les  observations  que  nous  pourrions  faire  à  propos 
de  notre  commerce  ou  de  notre  clientèle  en  1920  risque- 
raient de  se  trouver  contredîtes  par  les  chiffres  que  nous 
donneront  1921  ou  1922. 

Bsrno.is-.ioa I    a    ajouter    que.    en     1913,    la    floUc    marchande 


chargée  d'assurer  no^  relations  avec  l'étranger  était  fort  inférieure 
a  !a  tâche.  Nous  nous  voyions  distancés  non  seulement  par  l'A-igle- 
terre,  mais  par  l'Allemagne,  le  Japon,  la  Norvège,  les  Etats-Unis. 
Notre  pavillon  n'apparaissait  que  trop  rarement  sur  des  rivages  où 
nos  concutrents,  mieux  pou'vus  de  navires,  accaparaient  peu  a  peu 
tout  le  trafic,  cl  nous  devions,  pour  nos  propres  besoins,  louer  à 
haut  prix  des  bateaux  anglais  ou  Scandinaves. 

Malgré  les  pertes  subies  par  notre  matinc  pendant  la  guerre, 
nous  nous  trouvons  aujourd'hui  en  bien  meilleure  posture.  Giâce 
aux  confiscations  de  bateaux  allemands,  aux  achats,  aux  consiruc- 
tions  nouvelles,  nous  disposons,  en  effet,  de  4  500000  tonneaux  de 


133 


L'EUROPE 


C(D)LONnE§    FMANQMSES 


=«!S!S* 


p  p^5^ 


navires,  soit  2000000  de  plus  qu'en  1913.  Cela  doil  nous  suffire 
pour  éviter  de  payer  aux  étrangers  des  frets  très  lourds  et  nous 
permettre  la  conquête  de  marchés   nouveaux. 


La  marchandise  suit  le  pavillon.  "  C'est  là  un  axiome  que 
nos  armateurs,  nos  commerçants,  nos  industriels,  ne  devraient  jamais 
perdre  de  vue. 


CONCLUSION 


La  France  européenne  se  complète  harmonieusement 
par  la  France  coloniale,  la  France  d'Outre- Mer,  vingt 
fois  grande  comme  elle  et  peuplée  de  52000000  d'ha- 
bitants. Les  tableaux  précédents  nous  ont  révélé  la 
médiocrité  des  relations  commerciales  que  nous  entre- 
tenions en  1913  avec  nos  colonies  (3,61  p.  100  de  nos 
achats,  4  p.  100  de  nos  ventes  !).  Mais  ils  nous  ont 
montré  aussi  qu'en  1920,  il  y  avait  sur  ce  point  une  fort 
notable  amélioration,  puisque  nos  colonies  nous  donnèrent 
9  p.  100  des  produits jmportés  et  absorbèrent  15  p.  100 
de  nos  exporiations.  Il  faut  que  celte  amélioration  per- 
siste et  s  accentue.  Si  certaines  portions  de  notre  mer- 
veilleux domaine  africain,  asiatique,  américain  sont  déjà 
en  plein  rendement,  d'autres  commencent  à  peine  d'être 


utilisées.  Un  Français  ne  doit  jamais  oublier  que  la  mise 
en  valeur  rationnelle  de  notre  empire  colonial  nous  per- 
mettrait à  elle  seule  de  nous  affranchir  presque  complè- 
tement du  lourd  tribut  que  nous  payons  aux  nations 
étrangères  productrices  de  coton,  de  caoutchouc,  de  café, 
de  soie,  etc.  Elle  assurerait  du  même  coup  un  marché 
étendu  aux  produits  de  nos  industries.  Nous  avons  toutes 
les  qualités  qui  distinguent  le  bon  colonial.  Nulle  autre 
nation  au  monde  n'aurait  pu  obtenir  en  Algérie  et  au 
Maroc  les  résultats  que  nous  y  avons  atteints,  en  un  laps 
de  temps  aussi  court.  Il  ne  tient  donc  qu'à  nous  de  rem- 
plir un  programme  que  nos  grands  coloniaux  ont  dressé 
depuis  longtemps  et  auquel  tout  Français  averti  doit 
naturellement  se  rallier. 


134 


M^^jT 


■?^; 


f"'>ii<i.*-   ^*       1)ic.\I'\-i:kt 

TlB^ThLii!f>      JU  l'orUiij'al) 


CÉOCKAPIUE   UNIVERSELLE      PL.    9 


L'ESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


CHAPITRE  IX 


L'ESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


SITUATION 


A  l'extrémité  Sud-Ouest  de  l'Europe,  la  péninsule 
Ibérique  étale  sa  masse  trapézoïdale  entre  l'Atlantique 
et  la  Méditerranée.  Aussi  vaste  que  la  France  (avant 
1919),  la  Belgique  et  la  Suisse  réunies,  elle  couvre  une 
superficie  de  596856  kilomètres  csurés,  en  comprenant 
dans  ce  chiffre  les  Baléares,  les  Canames  espagnoles 
et  les  deux  archipels  des  Açores  et  de  Madère  qui 
dépendent  adminislrativement  de  la  République  portu- 
gaise. Un  isthme  de  420  kilomètres  la  rattache  au  reste 
du  continent,  mais  les  Pyrénées  s'y  dressent  comme  une 
barrière  menaçante  et  si  malaisée  à  franchir,  qu'elles 
semblent  rejeter  la  péninsule  hors  de  l'Europe.  Par  contre, 
le  détroit  qui  l'isole  du  Maroc  n'est  large  que  de  1  5  à 
20  kilomètres.  Du  roc  de  Gibraltar,  on  aperçoit  à  l'oeil 
nu  les  blanches  maisons  de  Ceuta,   et  du  cap  Trafalgar 


au  cap  de  Palos  la  côte  espagnole  court  parallèlement  à 
la  côte  d'Afrique  dont  200  kilomètres  à  peine  la  sé- 
parent. Les  affinités  naturelles  sont  donc  aussi  grandes 
entre  la  pénmsiile  et  le  continent  noir  qu'avec  l'Europe, 
et  l'on  a  dit  depuis  longtemps  que  l'Espagne  était  plus 
africaine  qu'européenne.  Sans  attacher  à  pareille  for- 
mule plus  d'importance  qu'il  ne  convient,  il  est  juste  de 
remarquer  que,  par  ses  côtes  presque  reclilignes  qui 
contrastent  fortement  avec  le  dessin  des  deux  autres 
grandes  presqu'îles  méditerranéennes,  par  sa  structure, 
son  chmat,  sa  végétation,  son  histoire  enfin,  et  le  sang 
même  qui  coule  dans  les  veines  d'une  partie  de  ses  habi- 
tants, la  péninsule  apparaît  bien  en  Europe  comme  une 
individualité  nettement  distincte,  comme  une  terre  de 
transition,  un  pont  naturel  jeté  entre  deux  mondes. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 
Le    Relief 


La  majeure  partie  de  la  péninsule  est  constituée  par 
un  immense  plateau,  la  "  Meseta  ",  haut  de  600  à 
800  mètres,  que  bordent,  traversent  et  dominent  des 
montagnes  beaucoup  plus  élevées.  C  est  le  plateau  des 
Castilles  divisé  en  deux  compartiments  :  Vieille-Castille 
au  Nord,  Nouvelle-Castiile  au  Sud,  par  une  ligne  de 
sierras  auxquelles  manque  un  nom  d'ensemble  et  qui, 
sous  le  nom  de  Sierras  da  Estrella  (I  993  mètres),  de 
Gata(l  735  mètres), de Gredos.deCuadjuTama (2 405 mè- 
tres), courent  des  plaines  portugaises  aux  monts  Ibériques. 
Formée  d'un  socle  de  roches  anciennes  où  domine  le 
granit,  émergée  dès  les  temps  primaires,  plus  tard  recou- 
verte en  partie  de  dépôts  secondaires  et  tertiaires  (sables, 
gypses,  argiles),  fortement  relevée  enfin  aux  temps  ter- 
tiaires (comme  notre  Massif  Central),  lors  de  la  surrection 
des  Cordillères  pyrénéenne  et  bétique,  cette  masse 
tabulaire  est,  par  son  ampleur,  son  etltitude,  son  aspect 
sauvage  et  désole,  ses  andes  parameras  ',  une  excep- 
tion unique  en  Europe.  On  ne  peut  la  comparer  qu'aux 


plateaux  d'Algérie  et  d'Asie-Mineure.  Elle  en  a  le  cli- 
mat tour  à  tour  torride  et  glacé,  la  végétation  broussail- 
leuse, les  efflorescences  salines,  les  fleuves  irréguliers,  et 
les  hommes  y  sont  également  rares  et  pauvres. 

Au  Nord,  le  bourrelet  des  monts  Cantabriques  borde 
le  plateau  et  le  sépare  du  golfe  de  Biscaye.  Ils  s'élèvent 
à  2  665  mètres  aux  Peiias  de  Europa.  Assez  simple  au 
Centre  et  tombant  à  pic  sur  la  mer,  la  chaîne  s'abaisse 
et  s  épanouit  à  1  Ouest  en  ramifications  nombreuses  qui 
couvrent  la  Galice,  le  Portugal  du  Nord  et  le  pays  de 
Léon.  A  l'Est,  elle  se  relie  aux  Pyrénées  par  l'enche- 
vêtrement confus  des  montagnes  basquaises,  âpres  et 
sèches  sur  leur  versant  méridional,  riantes,  bien  cultivées 
et  pittoresques  sur  leur  face  Nord.  Là  se  trouvent  les 
passages  les  plus  aisés,  menant  de  France  au  cœur  de 
l'Espagne  :  cols  de  Vélate  (868  mètres),  d'Aspiroz 
(567  mètres),  d  Idiazabal  (657  mètres)  emprunté  par 
la  voie  ferrée  de  Paris-Madrid. 

A  l'Est,  les  monts  Ibériques  (2349  mètres),  la  Sierra 


135 


L'EUROPE 


de  Cuenca  (1  800  mètres),  centre  important  de  disper- 
sion des  eaux,  et  les  croupes  arides,  les  chaînes  dénudées 
de  Valence  et  de  Murcie  isolent  la  Meseta  de  la  de'- 
pression  aragonaise  et  des  côtes  méditerranéennes. 

Au  Sud,  la  haute  muraille  de  la  Sierra  Morena,  longue 
de  400  kilomètres,  haute  de  I  4(l0  à  i  600  mètres,  do- 
mine la  plaine  andalouse.  Elle  se  présente  sous  forme  de 
mamelons  bombés,  groupés  sans  ordre  apparent  à  des 
niveaux  presque  uniformes,  et  doit  son  nom  de  Montagne 
Noire  aux  maquis  de  genêts,  d'arbousiers,  de  myrles 
et  de  bruyères  qui  recouvrent  ses  flancs.  La  célèbre 
brèche  de  Despeiia  Perros  (Précipite-chiens),  ouverte  à 
son  extrémité  orientale,  livre  passage  à  la  ligne  Madrid- 
Séville.  Par  là  les  Maures  s'élancèrent  à  la  conquête 
des  Castilles;  à  ses  pieds,  en  1212,1e  roi  Alphonse  Xll 
remporta  sur  eux  la  victoire  décisive  de  Las  Navas  de 
Tolosa.  C'est  une  des  portes  historiques  de  l'Espagne. 

A  l'Ouest,  la  Meseta  n'a  pas  de  limites  aussi 
nettes.  Elle  s'abaisse  vers  les  plaines  portugaises  par 
gradins  successifs  :  terrasses  deTras-os-montesetde  Beira. 
Serra  da  Estrella,  hauteurs  de  l'Alemtejo  et  de  l'Al- 
garve,  qui  forment  comme  les  marches  d'un  gigantesque 
escalier.  Mais,  pour  être  moins  apparente,  la  barrière 
qui  sépare  les  plaines  côtières  du  plateau  mténeur  n  en 
est  pas  moins  malaisée  à  franchir,  et  cet  isolement  naturel 
du  Portugal  fut  la  meilleure  raison  de  sa  forte  individualité. 

Au  Sud-Ouest  et  au  Nord-Est  de  la  Meseta  s'ouvrent 
les  plaines  andalouse  et  ciragonaise  :  la  première  large- 
ment ouverte  sur  l'Océan,  golfe  marin  lentement  comblé 
par  les  sédiments  alluviaux  ;  la  deuxième,  bassm  fermé, 
ancien  lac  qui  se  vida  peu  à  peu  par  l'étroite  coupure 
où  l'Ebre  zigzjigue  au  fond  de  sa  gorge.  Toutes  deux 
sont  en  étroite  corrélation  avec  la  poussée  des  Cordil- 
lères pyrénéenne  et  bétique,  nées  aux  temps  tertiaires 
comme  les  autres  montagnes  de  plissement  alpin. 

Les  Pyrénées  —  qui  se  rattachent  aux  Alpes  par  les 
hauts  fonds  du  golfe  du  Lion  et  les  chaînes  provençales 
—  s'étendent  sur  420  kilomètres  environ  du  cap  Cer- 
bère au  col  de  Velate.  Des  cols  les  franchissent  à  leurs 
deux  extrémités  :  ceux  du  Perthus,  de  Puymorens, 
unissent  le  Roussillon  à  la  Catalogne.  Les  cols  de  Somport, 
de  Roncevaux,  de  Velate,  mènent  du  Béarn  et  de  la 
Navarre  française  à  la  Navarre  espagnole  et  à  l'Aragon. 

Mais,  du  col  de  Puymorens  au  Somport ,  sur 
250  kilomètres  de  longueur,  aucune  route  carrossable  ne 
peut  franchir  la  barrière  dentelée  des  monts.  Seuls  les 
contrebandiers,  les  pasteurs,  les  tâcherons  espagnols  uti- 
lisent les  ports",  simples  sentiers  muletiers  imprati- 
cables six  mois  de  l'année.  Là  se  trouvent  en  territoire 
espagnol  les  plus  hauts  sommets  :  pic  des  Posets 
(3  367  mètres),  mont  Perdu  (3  352  mètres),  pic 
d'Aneto  (3  404  mètres),  dans  le  massif  de  la  Maladetta. 
Peu  de  glaciers  aujourd'hui  et  de  faible  étendue,  mais 


ceux  d  autrefois  creusèrent  de  larges  cirques  :  val  d'An- 
dore,  val  d  Aran,  identiques  par  l'origine  aux  cirques 
de  Gavarnïe  ou  d'Estaubé,  mais  d'ampleur  beaucoup 
plus  considérable.  Tandis  que  sur  le  versant  français  la 
chaîne  s'abaisse  brusquement  vers  les  plaines  d'Aqui- 
taine et  du  Languedoc,  les  Pyrénées  espagnoles  des- 
cendent par  échelons  vers  la  dépression  aragonaise.  Des 
sierras  de  calcaire  et  de  marne  effroyablement  dénu- 
dées, aux  flancs  abrupts,  rongées  par  l'érosion  éolienne, 
traversées  de  barrancas  ",  de  caiions  étroits  et  sauvages, 
courent  parallèlement  à  l'arête  principale.  Au  fond  des 
vallées  dégringolent  les  torrents  :  Aragon,  Gallego, 
Sègre,  LIobrégat,  Ter,  affluents  de  l'Ebre  ou  petits 
fleuves  côtiers.  Leurs  hautes  vallées,  presque  inacces- 
sibles, servirent  de  refuge  aux  chrétiens  chassés  par 
les  Maures.  En  Catalogne,  les  roches  déchiquetées 
du  Montserrat  abritèrent  le  célèbre  couvent  du  Saint- 
Graal,  et  Jaca,  sur  le  haut  Aragon,  fut  la  capitale  primi- 
tive du  royaume  de  ce  nom. 

Au  Sud-Est,  enfin,  la  Cordillère  bétique  se  déploie 
en  arc  de  cercle,  du  détroit  de  Gibraltar  à  la  province 
de  Murcie.  Elle  se  rattache  directement  au  Riff  maro- 
cain qui  lui  fait  face.  Divisée  en  plusieurs  massifs  qu'isolent 
des  vallées  profondes,  elle  a  ses  plus  hauts  sommets  dans 
la  Sierra  Nevada,  où  le  Mulhacen  atteint-3  481  mètres, 
dépassant  ainsi  le  point  culminant  des  Pyrénées. 

Le  puissant  effort  de  plissement  auquel  la  chaîne  dut 
sa  naissance  se  manifeste  encore  par  la  fréquence  des  i 
tremblements  de  terre  et  l'abondance  des  sources  ther- 
males. De  pénétration  fort  malaisée  par  suite  de  la  rai- 
deur des  pentes,  de  l'étroitesse  et  de  la  profondeur  des 
gorges,  les  massifs  de  la  Cordillère  donnèrent  un  abri 
aux  dernières  populations  arabes  après  la  chute  du 
royaume  de  Grenade,  et  les  Moriscos  y  conservent 
dans  la  région  des  AIpujarras  leur  type  oriental  et  leur 
dialecte  spécial,  sorte  d  arabe  corrompu. 

Des  plaines,  il  n'en  est  guère  dans  la  péninsule  ;  pla- 
teaux et  montagnes  couvrent  les  neuf  dixièmes  de  la  su- 
perficie. Seules,  les  plaines  d'Andalousie  et  du  Portugal 
s'étalent  sur  d'assez  vastes  étendues.  A  l'Est,  en  dehors 
du  bassin  fermé  de  Saragosse,  des  petits  bassins  côtiers 
isolés  les  uns  des  autres,  les  célèbres  "  huertas  "  ou  jar- 
dins de  Malaga,  Carthagène,  Murcie,  Alicante,  Valence 
et  Tortose,  occupent  l'étroite  zone  alluviale  qui  sépare  de 
la  mer  les  dernières  pentes  des  monts. 

Ainsi  se  manifestent,  dans  la  structure  même  de  la 
péninsule,  ce  morcellement,  ce  défaut  de  liaison  natu- 
relle entre  les  diverses  régions  qui  ont  si  fortement  influé 
sur  son  histoire  et  expliquent  encore  aujourd'hui  le 
manque  d'unité,  la  puissance  du  régionalisme,  la  survi- 
vance des  dialectes  locaux,  les  difîér_ences  profondes  entre 
les  habitants,  les  jalousies  même  et  les  défiances, 
parfois  les  haines  qui  les  séparent. 


136 


L'ESPAGNE  ET  L.E  PORTUGAL 


Les  Côtes 


Les  mers  enveloppent  la  péninsule  sur  les  sept  huitièmes 
de  son  pourtour,  et.  comme  la  France,  elle  a  1  avan- 
tage de  fWDsse'der  une  façade  double  sur  l'Océan  et  la 
Méditerranée. 

Cela  explique  l'importance  que  surent  prendre  autre- 
fois les  mckrins  espagnols  et  portugais. 

Au  milieu  du  Moyen  Age.  les  Catalans  rivalisaient  d'activité 
avec  les  Marseillais,  les  Génois,  les  Vénitiens  et  dressaient  les  cartes 
les  plus  exactes  que  nous  possédions  pour  ces  époques  lointaines. 
Plus  tard,  les  Portugais  découvrirent  les  îles  et  les  côtes  de 
l'Afrique,  la  route  du  Cap.  l'Inde,  les  îles  de  la  Sonde,  tandis 
que  l'Espagne  se  réservait  l'Amérique.  Au  XVl"  siècle,  Lisbonne 
et  Cadix  furent  les  premiers  ports  du  monde.  Mais  ces  années  de 
gloire  n'eurent  point  de  lendemain,  et  la  péninsule  se  laissa  promp- 
lement  dépasser  par  ses  rivales  mieux  armées  pour  la  lutte. 

En  dépit  de  l'apparence,  ses  2825  kilomètres  de  côtes 
se  prêtent  assez  mal  à  la  vie  maritime.  Elles  ont  pour- 
tant, ça  et  là.de  bons  ports, des  rades  abritées  et  profondes. 


Au  Nord,  les  côtes  du  pays  basque,  des  Asturies,  de 
Galice,  serrées  de  près  par  les  montagnes,  sont  entaillées 
de  golfes  étroits,  les  "  rias  ",  analogues  à  ceux  de  la  Bre- 
tagne française,  et  qui  constituent  de  précieux  abris  na- 
turels :  rias  de  Bilbao,  de  Santander,  du  Ferrol,  de  la 
Corogne,  de  V'igo.  Lisbonne,  sur  le  magnifique  estuaire 
du  Tage,  Cadix,  Algésiras,  Carthagène,  Barcelone, 
offrent  aux  navires  de  sîirs  refuges.  Mais,  trop  souvent, 
la  côte  est  basse,  sablonneuse,  bordée  de  dunes  et 
d  étangs  :  c'est  le  cas  en  Portugal,  en  Andalousie,  dans 
la  province  de  Murcie.  Surtout  la  bande  fertile  du  litto- 
ral est  étroite,  les  communications  avec  l'intérieur  sont 
rares  et  difficiles,  et  cet  intérieur  même  domine  de  trop 
haut  la  mer,  il  en  est  séparé  par  des  barrières  trop  mal- 
aisées pour  entretenir  avec  elle  des  rapports  naturels. 
Exception  faite  pour  le  Gallego,  l' Asturien  et  le  Catalan. 
I  habitant  de  la  péninsule  est,  avant  tout,  un  terrien  que 
des  racines  trop  profondes  attachent  au  sol  où  il  vit  pour 
qu'il  lui  préfère  les  vastes  horizons  des  mers. 


Climat  et  Végétation 


ZONE  DE  CLIMAT  CONTINENTAL.  00 

La  structure  massive  de  l'Espagne  intérieure,  son  alti- 
tude, la  barrière  de  montagnes  qui  arrêtent  les  nuages  et 
la  soustraient  à  I  influence  adoucissante  des  vents  marins 
lui  donnent  un  climat  fortement  continental  qui  contraste 
avec  le  climat  de  la  périphérie.  "  Trois  mois  d'enfer, 
neuf  mois  d  hiver  ",  dit  un  proverbe  castillan  souvent 
cité.  Tout  le  plateau  central  et  le  bassin  de  l'Ebre  sont, 
en  effet,  soumis  à  de  brusques  variations  de  température 
journalière  et  annuelle.  Les  extrêmes  moyens  sont,  à 
Madrid,  de  39",6  et  —  6",9  ;  à  Valladolid,  38",  1  et 
—  I0",7;à  Saragosse,  41°, 6  et — T'A.  L'hiver  est  long 
et  rude,  la  ne.ge  couvre  les  plateaux  pendant  des  semaines 
entières,  et  le  terrible  vent  du  Nord,  le  '  '  norte".  analogue 
à  notre  mistral,  ajoute  encore  à  la  rigueur  du  froid.  Par 
contre,  après  quelques  agréables  semaines  de  printemps, 
I  été  apparaît  tout  'a  coup  torride  et  desséchant.  Une 
lumière  intense  aveuglante,  est  réfractée  par  les  roches 
nues.  Parfois  le  solano  ",  une  sorte  de  sirocco  venu 
d  Afrique,  élève  brusquement  la  température  de  plusieurs 
degrés,  la  rend  étouffante  comme  l'haleine  d'un  four  et 
remplit  1  atmosphère  d'une  sorte  de  brume  poudreuse,  la 
câlina  ,  qui  voile  d'une  teinte  plombée  l'azur  du  ciel. 
Les  précipitations  atmosphériques  sont  naturellement 
rares  et  très  irrégulièrement  réparties.  Il  tombe,  en 
moyenne,  dans  l'intérieur  de  l'Espagne,  moins  de 
400  millimètres  d'eau  (contre  700  en  France),  et 
cette  quantité  déjà  si  faible  se  réduit  à   300  à  Sara- 


gosse, à  275  à  Salamanque,  à  beaucoup  moins  encore 
dans  le  plateau  de   Murcie  où  des  années  se  passent 


^ 


PLUIES   ET  TEMPERATURES 


iSSS^ 


sans  une  averse.  De  plus,  ces  pluies  ne  se  produisent 
guère,  sous  forme  d'ondées  torrentielles  et  vite  écoulées, 
que  pendant  quelques  semaines  d'automne  et  de  prin- 
temps. Le  reste  de  l'année,  sauf  de  rares  orages,  est 
absolument  privé  d'eau. 


CEOCRAPHIE  LNIVEHSELU. 


137 


14 


L'EUROPE 


Ce  climat,  qui  rappelle  le  climat  des  hauts  plateaux 
algériens,  est  peu  favorable  à  la  vie  végétale.  Dans  que  - 
ques  régions  privilégiées  de  l'Estremadoure  et  de  1  Al- 
garve.  des  bouquets  clairsemés  de  chênes  verts,  de  châ- 
taigniers, d  oliviers  sauvages,  croissent  encore  sur  le  sol 
pierreux.   La    dépression   de    Palenaa    (la    T.erra   de 
Campos),  qu'arrosent  la  Plsuerga  et  le  canal  de  CasfUe. 
a  de  beaux  champs  de   blé   et  des  vignes  v^oureuses 
dont  les   fruits  mûrissent  aisément  en  dépjt  des  hivers 
froids,  grâce  aux  fortes  chaleurs  de  1  été.  11  en  est  de 
même  du  bassin  fermé  de  Saragosse,  là  du  moins  ou  par- 
viennent les  eaux  fécondantes  de  l'Ebre  par  des  canaux 
d'Irrigation.  Mais  partout  ailleurs  domment  les  steppes  : 
'■parameras"  de   Cast.lle.   "campos"   de  la  Manche, 
•  '  las  Bardenas  et  Uanos"  de  Urgel  en  Aragon.  Sur  d  im- 
menses espaces  ne  croissent  que  des  buissons  epmeux, 
des    chardons,  des   salicornes,   des   graminées   dures   et 
sèches.  Entre  leurs  touffes  espacées  apparaît  le  roc  vit. 
Parfois,  au  fond  des  dépressions,  scintillent  les  efflores- 
cences  salines  comme  dans  les  Sebkkas  algériennes. 

Tristes  et  monotones  campagnes  où  l'homme  manque 
comme  la  verdure  et  les  eaux,  où,  pendant  des  lieues  et 
des  lieues,  se  déploient  sous  le  ciel  incendié  les  mêmes 
solitudes  désolées,  si  belles  pourtant  dans  leur  aprete 
sauvage  et  leur  saisissante  nudité. 

CLIMAT  OCÉANIQUE.    00   Sur  les  côtes-,  le 
climat,   la  végétation    sont   tout    autres.    Le  littoral  du 
golfe  de  Biscaye,  de  la  Galice  et  du  Portugal  jusquà 
Usbonne.  baigné  par  une  branche  descendante  du  Gult- 
Stream.  directement  battu  par  les  vents  marins,  reçoit 
des  pluies   abondantes  et  mieux  réparties   que   partout 
ailleurs.   Cette   humidité   constante,    les  brumes   même. 
'      "  bretlmas  ",  qui  voilent  souvent  le  ciel  de  la  Galice 
donnent  à  cette  province  quelque  ressemblance  avec  notre 
Bretagne,  ressemblance  encore  accentuée   par  le  dessin 
capricieux  de  la  côte,  les  falaises  qui  la  bordent,  les  pla- 
teaux   granitiques    qui  se  relèvent  vers  l'intérieur.   De 
Saint-Sébastien  à  Porto,  l'eau   ruisselle  sur  les   pentes 
rapides  des    monts  Cantabres    à  travers  des    prairies 
luxuriantes,  des  forêts  de  chênes,  de  hêtres,    de  châtai- 
gniers, les    seules    que   possède    la    péninsule.   L'hiver 
est  doux,  l'été  tempéré.   Précieux  avantages  qui  valent 
au  pays  Basque,  a  la  Galice,  aux  provinces  portugaises  du 
Nord,  de  belles  cultures  et  une  forte  densité  de   popu- 
lation . 


CLIMAT    MÉDITERRANÉEN     ET    SUB- 
TROPICAL.  00   1.6  reste  de  la  péninsule,  c'est-à- 
dire  le  Portugal  du  Sud,  l'Andalousie  et  les  rivages  de 
la   Méditerranée,  appartiennent   au  climat  du   type  dit 
méditerranéen.   Les  hivers  ne  connaissent  ni  la  neige  m 
les  jours  de  gel.  La  moyenne  du  mois  de  janvier  est^de 
+  9°  à    Barcelone,    de   "+-  12'    à  Lagos,   de  -+•  13"  à 
Malaga   (10  degrés  de  plus   qu'à   Paris!).    L'été,   par 
contre,  est  long  et  chaud,  très  chaud  même,  et  plus  afri- 
cain qu'européen  sur  le  versant  Sud,  du  cap  de  la  Nao 
à  Lisbonne.  Dans  le  jour,  à  SéviUe.  a  Malaga.  à  Mur- 
cle.  on  ne  sort  guère  passé   10  heures  du  matin,  et  l'on 
tend  au-dessus  des  rues  de  larges  toiles  qui  tamisent  les 
rayons  du  soleil.  Parfois  le  "  solar.o  "  ou  le  "  levante '' 
souffle  et  rend  plus  insupportable  une  température  déjà 
excessive.  Pourtant  la  brise  de  mer  monte  chaque  soir 
et  sa  caresse  ravive  les  sens. 

Malgré  la  proximité   des  monts   qui   condensent  les 
nuages,  il   pleut   fort  peu   sur  les  côtes,  et  seulement 
d'octobre  à  mars.  D'avril  à  septembre  rien  ne  ternit  la 
splendeur  du  ciel.   Aussi,   partout  où  n'intervient  point 
l'irrigation,  seules  croissent  les  herbes  ou  les  plantes  des 
steppes  tropicales  :  palmiers  nains,  aloès,  agaves,  cac- 
tus,  spartes,  auxquelles  se    mêlent,  dans  les   fonds  plus 
humides  ou  les  pentes  abritées,  des  pins  parasols,  des 
cyprès,  de  grands  lauriers-roses  et  les  buissons  parfumés 
du  maquis.  Mais  si  l'on  prend  soin  de  capter  par  des 
barrages  les  eaux  qui  descendent  en  hiver  de  la   mon- 
tagne,   et    si   l'on    distribue    ces   eaux   par  des  canaux 
savamment  étages,  au  débit  réglé  avec  minutie,  la  cam- 
pagne déserte  se  transforme  soudain  en  un  immense,  un 
plantureux  jardin.  Telles  sont  les  "  huertas  "  {horlus  - 
jardin)  de  Catalogne.  d'AlIcante,  de  Valence,  de  Mur- 
cle.  les  "  vegas  "  d'Andalousie,  splendides  oasis  ceintes 
de  roches  desséchées,  où  se  pressent  arbres  et  légumes, 
fleurs  et  fruits,  où  se  rencontrent,  au  moins  à  partir  de 
Valence,  les  flores  mélangées  de  l'Europe,  de  l' Afrique 
et  de  l'Asie  tropicale,  où  l'oranger,  les  citronniers,  les 
grenadiers,   l'olivier   mûrissent  leurs    fruits  à  côté  des 
bananiers,  du  cotonnier  et  de  la  canne  à  sucre,  où  des 
rizières  s'étendent   près  des  vignes  et  des  champs  de 
maïs,  où  l'on  volt  même,  à  Elche.  les  dattes  mûrir  dans 
les  palmeraies  les  plus  septentrionales  du  monde.  Verte 
ceinture,   jardins  embaumés,    fécondité   inépmsable   qui 
rendent  plus  saisissante  encore  la  désolation  de  1  Es- 
pagne intérieure. 


Les  cours  d'eau 

Le  relief  et  le  climat  de  la  péninsule  ne  se  prêtaient  considérable  du  plateau  central,  où  prennent  naissance 
gui  1  lÏllssement  d'un  rJseau  hydrographique  lar-  la  plupart  des  fleuves,  les  chaînes  de  «je  .u  . 
gement  ramifie,  au  débit  important,  régulier,  et  dont  doivent  franchir  non  loin  de  leur  -l^^-^^;-  '« 
f  homme  soit  en  mesure  de   tirer  bon  parti.  L'altitude      obligent  à  se  creuser  des  lits  profonds,  étroits,  coupes 

138 ~ 


_  L'ESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


seuils  rocheux,  où  leurs  eaux  dégringolent  trop  rapides 
pour  être  utilisables.  De  plus,  la  rareté  des  plu.es,  1  eva- 
poration  forte  rendent  leur  régime  particulièrement  irre- 
gulier  Réduits  à  peu  de  chose,  parfois  à  nen,  pendant 
les  longs  mois  d'été,  les  pluies  d'orages  les  transforment 
brusquement  en  torrents  redoutables.  '^f^^PPf^''^^'"' 
le  Douro  (780  kilomètres),  le  Tage  (900).  le  Gua- 
diana  (780),  TÈbre  (616)  et  les  petits  fleuves  cotiers  du 
versant  méditerranéen  :  Guadalaviar,  Jucar.  Segura. 

Le  Douro  draine  la  VieiUe-Castaie.  mais  doit  aux 
neiges  aux  pluies  des  monts  Cantabres  le  plus  clair  de 
ses  eaux  grâce  à  ses  affluents  de  droite  :  Pisuerga  et 
Esla  Le  Tage  grossi  du  Hénarès  et  du  Manzanares, 
Tégout  plutôt  que  la  rivière  de  Madrid,  coule  encaissé 
au  fond  d'un  étroit  couloir,  baigne  Aranjuez,  Tolède, 
Alcantara.  et  se  termine  dans  les  plaines  portugaises  par 
l'admirable  estuaire  où  Lisbonne  repose. 

Le  Guadiana  vient  de  ces  hautes  steppes  de  la 
Manche  que  hantera  éternellement  la  silhouette  de  Don 
Quichotte.  Il  disparaît  d'abord  sous  les  fissures  du  sol 
et  reparaît  plus  bas  en  sources  bouillonnantes  :  les  yeux 
du  Guadiana.  A  travers  le  plateau  de  l'Estremadoure 
et  la  Sierra  Morena  il  se  fraie  un  passage  difficile  jusqu  au 
golfe  de  Cadix.  U  Segura.  le  Jucar,  le  Guadalaviar. 
les  plus  pauvres,  les  plus  capricieux  de  tous,  sont  cepen- 
dant précieux,  car  leurs  eaux  irriguent  les  huertas  de  la 
côte.  Quant  à  l'Èbre.  fleuve  de  dépression   plutôt  que 


de  plateau,  il  doit  à  ses  affluents  pjTénéens  :  Aragon, 
Gallego,  Sègre,  les  130  mètres  cubes  qu'il  roule  à 
l'ordmaire.  Mais,  pas  plus  que  les  autres,  les  bateaux  ne 
l'utilisent  :  seule  l'imgation  met  ses  eaux  à  profit. 

Au  Nord- Ouest,  les  petits  fleuves  côtiers  qui  dévalent 
des  monts  Cantabriques    :   Bidassoa.    Nervion.    Nalon. 
Minho  (500  kilomètres),  n'ont  pas  pour  la  navigation 
une  valeur  plus  grande,  car  leur  pente  est  fort  raide.  mais 
des  pluies  abondantes  les  nourrissent  en  tout  temps.  Enfin, 
au  Sud-Ouest,  le  Guadalquivir  (600  kilomètres)  mérite 
une  place  à  part  et  ce  nom  de  grand  fleuve  :  Ouad-al- 
Kébir.  que  lui  donnèrent  les  Arabes.  D'abord,  depuis  An- 
duiar,  il  coule  en  plaine  à  travers  l'Andalousie.  De  plus,  les 
neiges  de  la  Cordillère  bélique  et  les  violentes  averses  qui 
s'abattent  sur  ses  flancs  lui  envoient,  soit  directement, 
soit  par  l'intermédiaire  du  Génil,  assez  d'eau    pour  lui 
assurer,  même  au  cœur  de  l'été,  un  débit   fort  raison- 
nable. Enfin,  grâce  à  la  marée  qui  se  fait  encore  sentir 
à  1 20  kilomètres  de  la  côte,  les  gros  navires  peuvent  le 
remonter   jusqu'à  Séville.  et  c'est  là  un  fait  unique  dans 
la  géographie  de  l'Espagne. 

"  Deux  mois  de  cours,  dix  mois  de  vacances  ",  disent 
de  leurs  fleuves  les  Espagnols  qui  les  comparent  plaisam- 
ment aux  vieux  étudiants  deSalamanque.  Cette  formule 
lapidaire  caractérise  fort  justement  les  cours  d'eau  de  la 
péninsule  et  nous  dispense  à  leur  sujet  de  plus  longs 
commentaires. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


LES  POPULATIONS  DE  LA  PÉNINSULE.  - 
CARACTERES  GÉNÉRAUX,  a  a  Les  premiers  habitanis 
de  la  péninsule  dont  ^hi^loire  nous  ait  transmis  les  noms  sont  les 
Ibères,  puis  les  Celles.  Dm  une  époque  fort  reculée,  les  Pfiéni- 
ciens.  altirés  par  les  ricliesses  minières  de  l'Espagne  méridionale, 
londèrent  sur  les  cotes  des  pays  de  Tarshish  ou  de  Tarlesse  des 
comptoirs  importants  :  Abdera.  Malaca  (Malaga).  Cadès  (Cadix) 
surtout.  Carthage  v  a|Outa  Carihagène.  et  son  influence  s'étendit 
même  i  l'intérieur. 

Après  les  guerres  puniques.  Rome  entreprit  la  conquête  de 
l'Ibérie.  Elle  fut  lente  et  difficile,  mais  ses  résultats  furent  grands. 
Comme  les  Gaulois,  les  Ccltibères  adoptèrent  la  langue,  les 
dieux,  les  mœurs,  la  civilisation  de  leurs  vainqueurs.  Us  eurent  des 
villes  ricfies.  bien  bâties,  des  monuments  grandioses,  un  réseau 
complet  de  voies  militaires:  les  mines  lurent  activement  exploitées; 
l'agriculture  et  l'industrie  prospérèrent  et  le  christianisme  remplaça 
peu  à  peu  l'idolâtrie.  Puis  vinrent  au  V*  siècle  les  conquérants 
germains:  Suèves,  Alains.  Vandales  (qui  donnèrent  leur  nom  : 
Vandalousie  ou  Andalousie,  à  l'ancienne  Bélique),  Wisigoths 
surtout,  qui  se  fondirent  dans  la  masse  de  la  population  romanisée 
et  constituèrent,  du  Vl«  au  VIII»  siècle,  un  vaste  royaume  goth  dont 
Tolède  fut  la  capitale. 

Au  V1I1«  siècle  arrivèrent  les  Arabes  el  les  Berbères,  suivis 
d'une  foule  de  juifs  et  de  gitanes.  Vainqueurs  des  Wisigoths 
en  711  à  Jérès  de  la  Frontera.  ils  occupèrent  promplemeni  la 
pémnsule  presque  entière.  Leur  long  séjour  en  Espagne  fut  pour 
elle  un  bienfait.  Non  seulement  ils  élevèrent  dans  leurs  capitales  : 
Tolède.  Cordoue,  Séville.  Grenade.  Valence,  de  jplendides  monu- 


ments, mais  ils  introduisirent  en  Espagne,  avec  des  cultures  nouvelles  : 
riz  coton,  canne  à  sucre,  etc.,  les  savants  procédés  d  irrigation  qui 
firent  la  richesse  des  huertas.  Les  cuirs  de  Cordoue  les  aciers 
de  Tolède,  furent  célèbres  dans  l'Europe  entière.  Enfin  d  actives 
relations  commerciales  unirent  la  péninsule  aux  pays  d  Orient_ 

Mais,  dans  les  vallées  sauvages  des  Pyrénées  et  des  monts  Can- 
tabres, de  petites  communautés  chrétiennes  parvinrent  à  maintenir 
leur  indépendance.  Là  s'organisèrent  les  premiers  royaumes  :  Ga- 
lice Aslurie.  Navarre,  Aragon.  Portugal,  puis  Léon  el  CasI.lle. 
qui  dès  le  K»  siècle,  entreprirent  contre  les  musulmans  une  ulte 
sans  merci.Celte  lutte,  la  "  reconquista  ",  dura  sept  siècles.  Elle  se 
termina,  en  1492.  par  la  prise  de  Grenade  et  la  chute  du  dernier 
royaume  musulman.  ,     t     ■  i 

Dès  lors  l'Espagne,  à  peu  près  unifiée  par  la  fusion  en  un  seul 
État  des  diverses  royaumes  chrétiens  (seul  le  Portugal  demeura., 
indépendant),  suivit  ses  changeantes  destinées.  D  abord  triom- 
phante  sous  Charles-Quint  et  Philippe  II.  maîtresse  d  une  par- 
lie  de  l'Europe  et  d'immenses  territoires  coloniaux,  elle  connut 
promp-ement  les  défaites  et  la  déchéance  que  lui  imposèrent 
l'ambition  démesurée,  le  fanatisme  étroit  de  ses  princes,  la  paresse 
et  l'orgueil  de  ses  habitanis.  Cette  décadence,  commencée  sou» 
le  règne  même  de  Philippe  II,  ne  s'est  pas  arrêtée  jusqu  à  nos  |our,. 

11  semblerait  que  la  communauté  d'origine,  de  souve- 
nirs, d'habitudes,  de  passions,  et  l'isolement  même  de  la 
péninsule  eussent  dû  créer  entre  les  divers  groupes  de 
la  population  une  fusion  complète.  Il  n'en  est   rien.  Le 

— 139  


L'EUROPE 


morcellement  géographique,  la  division  du  pays  en  com- 
partiments distmcts,  en  régions  naturelles  accolées,  mais 
non  soudées  les  unes  aux  autres,  ont  maintenu  entre  ces 
groupements  des  différences  profondes. 

D'abord  le  Portugal,  isolé  de  l'Espagne  par  la  barrière 
des  monts,  eut  de  bonne  heure  sa  langue  propre,  ses 
intérêts  spéciaux,  et  conçut  pour  sa  puissante  voisine  une 
jalousie,  une  antipathie  qui  dégénérèrent  parfois  en  haine 
véritable.  Mais,  même  en  Espagne,  il  y  a  entre  Castillans . 
Aragonais,  Galiciens,  Catalans,  Andalous,  plus  de  dis- 
semblances que  de  traits  communs.  Au  Nord,  les  Gali- 
ciens ou  Gallegos,  les  Basques  et  les  Catalans  sont  les  plus 
actifs,  les  plus  travailleurs  de  la  péninsule  (cf.  Piémon- 
tais.  Lombards  et  Vénitiens  en  Italie).  Les  Gallegos 
rappellent  nos  Auvergnats  par  leur  robustesse,  leur 
sérieux,  leur  ardeur  au  travail,  leur  sens  de  1  économie. 
Les  Basques,  plus  vifs,  plus  gais,  se  plaisent,  comme 
ceux  de  chez  nous,  aux  réunions,  aux  danses,  aux 
prouesses  des  "  pelotaris",  à  la  vie  aventureuse  du 
contrebandier.  Le  Catalan,  peu  propre  aux  spéculations 
intellectuelles,  pas  du  tout  mystique,  est  un  homme  d  es- 
prit pratique  et  positif,  acharné  à  l'effort  et  au  gain.  11 
sait  faire  du  pain  avec  des  pierres  ",  disent  de  lui  ses  voi- 
sins d'Aragon,  froids,  sombres,  fanatiques,  entêtés  et 
paresseux.  Les  populations  méridionales,  en  Andalousie, 
à  Murcie,  au  Portugal,  fortement  mélangées  de  sang 
arabe,  diffèrent  des  gens  du  Nord  non  seulement  par 
leur  type  physique,  mais  par  leur  caractère.  La  douceur 
un  peu  énervante  du  climat  les  incite  à  jouir  de  la  vie. 
Comme  les  lazzaroni  de  Naples,  ils  passeraient  aisément 


leurs  journées  à  rire,  fumer,  chanter,  danser,  travailler  le 
moins  possible.  Quant  au  Castillan,  presque  aussi  taci- 
turne que  1  Aragonais,  il  se  considère  comme  supérieur 
aux  autres  et  déguise  sa  paresse  native  sous  le  voile  d'une 
hautaine  fierté. 

Malgré  ces  différences  qui,  loin  de  s'atténuer,  se  ren- 
forcent plutôt  et  aboutissent  parfois,  en ,  Catalogne 
notamment,  à  des  tendances  nettement  séparatistes,  il  y  a 
un  fonds  commun,  '  '  une  médaille  très  fortement  frappée 
qu  on  peut  appeler  le  caractère  espagnol  "  et  qui  fait  que 

ces  populations  sont  encore  plus  séparées  du  reste  de 
1  Europe  qu  elles  ne  sont  isolées  entre  elles  ".  Etroite- 
ment attaché  à  ses  coutumes  propres,  et  très  fier  de  lui- 
même,  l'Espagnol  demeure  indifférent  aux  choses  et  aux 
gens  de  l'étranger.  11  a  ses  défauts  certes  :  sa  vanité,  son 
fanatisme,  son  goût  pour  la  violence  et  les  spectacles 
sanglants,  trop  souvent  aussi  son  ignorance  et  sa  paresse  ; 
mais  de  rares  qualités  compensent  largement  ces  tares 
qu'expliquent  et  qu'excusent  en  partie  le  climat  de  la 
péninsule  et  1  histoire  même  de  l'Espagne.  La  '  recon- 
quista  '  .  cette  lutte  de  sept  siècles  contre  l'Infidèle,  habitua 
les  Espagnols  à  mépriser  tout  autre  métier  que  celui  des 
armes,  tout  service  autre  que  celui  de  Dieu  et  du  Roi. 
Soldat,  fonctionnaire  et  moine,  tel  fut  l'idéal  du  hidalgo. 
Cet  idéal,  évidemment  trop  absolu,  est  encore  celui 
de  bon  nombre  d  Espagnols.  Ils  lui  doivent  leur  courage 
tranquille,  leur  piété  profonde,  leur  dignité,  leur 
générosité  et  cette  noblesse  naturelle  que  l'on  trouve 
chez  l'homme  du  peuple  aussi  bien  que  chez  le  grand 
seigneur. 


LE  ROYAUME  D'ESPAGNE 


DENSITÉ,  ÉMIGRATION,  RÉPARTITION 
DE  LA  POPULATION.  00  Le  royaume  d'Es- 
pagne, en  y  comprenant  les  Cananes,  avait,  en  1910, 
19  61!  000  habitants,  soit  39  seulement  au  kilomètre 
carré  (estimation  au  31  décembre  1920  :  20800000). 
Certaines  régions  sont  pourtant  fortement  peuplées  :  les 
Pays  Basques,  la  Galice,  quelques  districts  des  Asturies 
et  de  Catalogne,  les  riches  huertas  de  la  côte,  les 
Baléares,  ont  une  densité  qui  varie  entre  80  et  150  habi- 
tants au  kilomètre  carré.  Par  contre,  les  Castilles,  1  Estre- 
madoure.le  Léon,  l' Aragon,  les  steppes  de  Murcie,  attei- 
gnent à  peine  20  habitants  en  moyenne,  et  de  vastes 
espaces,  les  "  despoblados  ",  ont  été  complètement 
dépeuplés  par  le  régime  néfaste  de  la  grande  propriété 
et  les  abus  de  la  "  Mesta  "  (V.  plus  loin). 

Malgré  la  faible  densité  de  la  population,  l'émigration 
est  très  forte.  Chaque  année,  en  temps  normal,  plus  de 
200000  Espagnols  quittent  leur  pays,  et  s'il  est  vrai 
qu  une  partie  de  ces  émigrants  —  ceux  du  Pays  Basque 


surtout  et  de  la  région  méditerranéenne  —  reviennent 
plus  ou  moins  enrichis  dans  la  mère-patne,  les  autres, 
beaucoup  plus  nombreux,  se  fixent,  sans  esprit  de 
retour,  aux  pays  étrangers  :  Antilles,  Argentine,  Brésil 
(en  augmentation),  Algérie  (légère  diminution).  Cet 
exode  est  d'autant  plus  fâcheux  qu'il  pnve  l'Espagne, 
non  pas  de  vagabonds  ou  d'aventuriers,  mais  surtout 
d'agriculteurs  :  les  deux  tiers  des  émigrants  sont,  en 
effet,  des  paysans  chassés  de  leur  pays  par  la  misère. 

PROVINCES  DU  NORD.  00  L'Espagne 
se  divise  en  1 5  grandes  unités  territoriales  conformes  à 
la  fois  à  l'histoire  et  à  la  géographie  de  la  péninsule. 

Au  Nord,  la  Galice,  les  Asturies,  une  partie  de  la 
Vieille-Castille,  et  les  Provinces  Basques,  que  complète 
la  Navarre,  bordent  le  littoral  de  l'Atlantique.  Protégés 
par  les  hauteurs  des  monts  Cantabres,  ces  pays  échap- 
pèrent à  l'invasion  arabe  ainsi  qu'à  la  civilisation  musul- 
mane.   Des   royaumes    chrétiens    s'y   fondèrent    et   la 


140 


L'ESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


GRENADE:  lA  COUR  DES  LIONS  AU  PALAIS  DL  LALHAMBRA..4,nt« 

en  t%r>aene  au  VIW  ùècU,  îet  Aiahei  u  dcmeurèTcnt  /usqu'au  AI"  .DcsJiveis  royau- 
mci  q-j'ih  fondèrent  dans  la  t>:nintule,  celui  de  Grenade  fui  le  dernier  <iui  résista  à  la 
"  jecanqunta"  chrétienne.  Lts  Maures  donnèrent  une  vive  impulsion  à  l'agriculture. 


ù  l  industrie,  au  commerce.  Surtout  iU  créèrent  un  art  nouveau,  d'une  in>piration 
délicate,  d'une  parfaite  élégance,  dont  témoigncnl,  non  Hulcmenl  leurs  grandes  œuvres 
architecturales,  mats  aussi  les  armes,  les  cuirs,  les  faïences,  les  cuivres  ciselés  sortis 
des  ateliers  de  Tolède,  Cordoue,  Séville,  des  lies  Baléares,  ttc.      Cl.  Anderson. 


141 


L'EUROPE 


^GRENADE.  L'ardeur  d'un  soleil  firesque  tropuai  et  /e*  eaux  abondantes  dênifées 
.du  Genil  /ont  de  la  "  Véga  "  de  Grenade,  comme  des  "  huertas"  de  la  côte  médi' 
ierran'enne,  un  immense  et  merveilleux  jardin  où  dei  hmes  de  cacha  el  de  figuiers 
de  Barbarie  ceignent  les  vergers  el  les  bots  d'orangers.  Cl.  Lev'Y. 


COURSE  DE  TAUREAUX  Seul  de  tous  les  EuTofiéens.^  l'Espagnol  raffole  de 
ce  sanglant  spectacle.  L'annonce  d'une  "  corrida  de  muerte  '*  attire  aux  arènes  une 
foule  enthousiaste,  où  se  mêlent  toutes  les  classes  de  îa  soHéte  et  qui  appiaudit 
avec  passion  aux  dangereux  exploits  de  ses      ^orreros"  favoris. 


LE  MONTSERRAT.  Sur  le  versant  espagnol,  les  hauts  massifs  pyrené-ns  sont 
flanqués  d'une  séné  de  chaînes  qui  descendent  en  gradins  jusqu'à  lo  dépression  de 
l'Ebre.  L'un  de  ces  chaînons,  le  Montserrat.  déchiqueté  par  l'érosion,  abnte  l'un  des 
monastères  les  plus  anciens  de  la  péninsule.  CL  Liw. 


MADRID  :  LE  PALAIS  ROYAL  symbolise  h  rôle  purement  administratif  el 
politique  aue  joue  dans  la  péninsule  ta  Cité  sans  passé,  sans  industrie,  sans  com- 
merce, entourée  de  vastes  solitudes,  jui  devint  au  Xl'^  siècle,  par  la  seule  vertu  de  sa 
situation  centrale,   ta  eapilale  de  l'Espagne  unifiée.  Cl.  Lévy. 


** 


slville  :  ij:  patio  de  las  donce. 

L-L.AS  est  un:  cour  entourée  d'une  merveîl- 
hu:€  snhrie  sue  dan:  VAlcazar,  forteresse 
cl  palcii  des  rois  marnes.     Cl.  Bol'LANGER. 


142 


GIBRALTAR.  /Incâ'Tine  "  colonne  d'Hercule",  ce  rocher  fa- 
meux  domine  la  baie  d'Algésiras  et .  face  au  Maroc,  commande 
l'entrée  de  la  Méditerranée.  Les  Anglais  s'en  emparèrent  en  1709 
et  la  transformèrent  en  imprenable  forteresse.  Cl.  LÉVV. 


CORDOUE  :  LA  MOSQUÉE.  L'un  des  plus 
merveilleux  édifices  dus  aux  architectes  arabes. 
Cordoue  fut,  du  reste,  pendant  trois  siècles, 
l'opulente  capitale  des  Califes.  CI.LacOSTT 


L'ESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


reconquista  "  partit  de  là.  La  Galice,  les  Asturies  et  le 
Pays  Basque,  fort  pittoresques,  bien  arrose's  et  ge'nérale- 
ment  bien  cultivés,  sont  à  la  fois  de  fertiles  re'gions  agri- 
coles, des  pays  d'industrie  et  de  vie  maritime  active. 

Les  portsde  la  Corogne  (47 000  habitants),  de  Vigo,  du 
Ferrol  en  Galice,  se  livrent  à  la  pêche  côtiere  et  servent 
d'escales  aux  paquebots  de  certaines  grandes  compagnies 
europe'ennes.  Gijon  (55000  habitants).  Santander 
(72000),  Bilbao  (99000)  surtout,  doivent  à  la  richessemi- 
nièredes  régions  qu'ils  desservent  des  industries  prospères 
et  un  intense  mouvement  commercial.  Saint-Sébastien 
(37000  habitants),  Fontarabie,  ne  sont  guère  que  d'agréa- 
bles villes  de  bains.  Les  cités  de  l'intérieur  ont  moins  d'im- 
portance. La  vie  se  porte  en  effet  de  plus  en  plus  vers  les 
côtes.  Santiago  de  Compostela,  l'ancienne  capitale  de  la 
Galice,  n'attire  plus  les  pèlerins  par  milliers  comme  elle 
le  faisait  autrefois.  Oviedo  (55000  habitants)  perd  de 
l'importance  au  profit  de  Gijon.  Toiosa,  Vitona(32000 
habitants)  se  maintiennent  grâce  à  leur  situation  sur  la 
ligne  Paris-Madrid.  Pampelune  (30000  habitants),  dont 
la  citadelle  a  subi  tant  de  sièges,  commande  le  débouché 
des  cols  pyrénéens  depuis  le  passage  des  Aldudes  jusqu'à 
celui  d'Idiazabal. 

LÉON,  C.ASTILLES,  ESTREMA- 
DOURE.  0 et  Entre  Vitoria  et  Burgos  la  voie  ferrée 
grimpe  péniblement  les  pentes  des  monts  Ibériques, 
s  enfonce  dans  la  gorge  sauvage  de  Pancorbo  et,  s'élevant 
à  près  de  1000  mètres  d'altitude,  débouche  sur  les  hauteurs 
solitaires  du  plateau  ou  commencèrent  à  se  développer  les 
destinées  du  peuple  espagnol.  Le  royaume  de  Léon  fut 
d'abord  conquis,  puis  la  Vieille-Castille  qui  doit  son  nom 
aux  forteresses  innombrables  dont  on  voit  çà  et  là  la  lière 
silhouette  s'ériger  sur  le  roc  nu.  En  1083,  la  chute  du 
royaume  de  Tolède  agrandit  le  royaume  de  toute  la 
région  comprise  entre  les  sierras  de  Guadarrama  et 
Morena,  et  ce  fut  la  Nouvelle-Castille,  à  laquelle  l'Estre- 
madoure  servit  de  marche-frontière  contre  les  royaumes 
arabes  du  Sud. 

L  empreinte  de  ce  passé  héroïque  reste  visible  dans  la 
distribution  et  l'aspect  des  villes.  Tandis  qu'en  Galice, 
au  Pays  Basque,  les  gens  se  dispersent  dans  des 
fermes  isolées,  des  hameaux  minuscules,  en  Castille  l'in- 
sécurité habitua  la  population  à  se  concentrer  en  quelques 
points  choisis  faciles  à  fortifier  et  à  défendre.  Pas  de 
grandes  villes  pourtant,  Madrid  exceptée,  mais  de  nom- 
breuses cités,  '  "  ciudades  ",  fières  de  leur  passé  de  gloire  et 
de  leurs  privilèges  anciens,  ceintes  de  tours  et  de  murs 
crénelés,  dominées  par  les  clochers  de  leurs  églises  innom- 
brables et  les  hautes  murailles  de  leurs  alcazars  ou  châ- 
teaux forts.  Cités  silencieuses  et  comme  mortes,  où  des 
rues  étroites  et  tortueuses  serpentent  entre  des  murs  de 
couvent  et  de  maisons  nobles  aux  écussons  sculptés,  cités 


où  tout  respire  le  passé,  véritables  reliques  d'un  autre 
âge. 

Telles  sont,  dans  le  royaume  de  Léon  :  d'abord 
Léon,  la  capitale  (25  000  habitants),  d'origine  romaine, 
(elle  servait  de  cantonnement  à  la  septième  légion)  et  dont 
1  église  de  Saint-Isidore  renferme  le  tombeau  des  anciens 
rois  chrétiens;  Salamanque  (33000  habitants),  célèbre 
autrefois  par  son  Université,  une  "  des  quatre  reines  de  la 
science  "  avec  Paris,  Oxford  et  Bologne,  par  ses  beaux 
édifices  des  XV*  et  XVI*  siècles  et  par  le  pont  magnifique 
qu'éleva  Trajan  ;  Zamora  la  "  bien  enceinte  ",  illustrée 
par  les  chants  du  Romancero  et  les  assauts  multiples 
qu  elle  soutint  contre  les  musulmans. 

En  Vieille-Castille.  Burgos  (32000  habitants),  toute 
remplie  des  souvenirs  du  Cid  né  dans  le  voisinage, 
et  qui,  entre  autres  monuments  de  sa  grandeur  passée, 
conserve  une  des  plus  belles  cathédrales  ogivales  qui 
existent  au  monde  ;  Palencia.  la  "  Pallantia  "  des  Ro- 
mains; Valladolid  (7 1000  habitants),  l'ancienne  "  Belad 
Oualid  ',  longtemps  capitale  de  la  monarchie  espa- 
gnole, où  naquit  Philippe  II,  où  vécut  Cervantes, 
où  mourut  Christophe  Colomb  ;  Simancas,  qui  possède  les 
archives  générales  du  royaume  ;  Penafiel,  dominée  par  un 
magnifique  château  ;  Soria  (1050  mètres  d'altitude), 
près  de  l'emplacement  où  s'élevait  Numance  ;  Avila,  la 
patrie  de  sainteThérèse,et  Ségovie,  qui  comptent  toutes 
deux  parmi  les  cités  les  plus  pittoresques  de  l'Espagne 
grâce  à  leur  situation  fopographique,  leurs  enceintes  de 
murs  et  de  tours,  leurs  éghses,  leurs  maisons  anciennes, 
et  le  robuste  aqueduc  romain  qui  alimente  Ségovie. 

En  Castille-Nouvelle  :  Siguenza,  la  "  Segontia  "  cel- 
tibère,  imposante  forteresse  qui  commandait  la  route  de 
Saragosse  ;  Alcala  de  Henarès,  la  patrie  de  Cervantes  ; 
Ciudad-Real  (  1 6  000  habitants),  capitale  de  la  Manche  ; 
Tolède  enfin  (20  000  habitants  au  lieu  de  200  000, 
dit-on,  au  temps  des  Maures),  juchée  sur  un  roc  de 
granit,  bien  déchue  de  son  ancienne  importance,  mais 
qui  s  est  conservée  à  peu  près  telle  qu'elle  était  au 
XIII*  siècle  avec  ses  remparts,  ses  fours,  son  Alcazar, 
ses  couvents,  sa  magnifique  cathédrale,  ses  petites  rues 
tortueuses,  ses  deux  ponts  hardiment  lancés  sur  le 
Tage  et  dont  nulle  description  ne  saurait  rendre  la 
prodigieuse  splendeur. 

En  Estremadoure  :  Trujillo  ;  Badajoz,  célèbre  par  ses 
deux  sièges  en  1811  et  1812;  Plasencia;  Alcantara, 
la  "  Norba  Caesarea  "  des  Romains,  où  le  Tage  est 
franchi  par  un  pont  de  188  mètres  que  construisit 
Trajan  ;  Caceres  (Castra  Cœcilia)  ;  Mérida  (Augusta 
Emerita).  riches  en  ruines  romaines  de  toutes  sortes, 
car  r Estremadoure.  aujourd'hui  si  pauvre,  si  dépeuplée, 
était  à  I  époque  romaine  une  sorte  de  grande  colonie 
militaire  destinée  à  protéger  la  Bélique  contre  les  popu- 
lations mal  soumises  du  Nord-Ouest  de  la  péninsule. 


143 


L'EUROPE 


Seule  Madrid  (652  000  habitants)  n'a  ni  passé,  ni 
souvenirs  illustres,  ni  monuments  grandioses.  C  est  au 
XVI®  siècle  seulement  que  Charles-Quint,  et  surtout  Phi- 
lippe II,  firent  d'une  villette  insignifiante  la  capitale  de  la 
monarchie  espagnole. 

Placée,  comme  Tolède,  au  centre  géographique  de  la  péninsule, 
Madrid  avait  sur  sa  rivale,  aux  yeux  des  rois  absolus,  le  grand 
avantage  d'être  sans  traditions,  sans  esprit  local,  de  ne  renfermer  ni 
aristocratie,  ni  bourgeoisie  capables  de  porter  ombrage  au  pouvoir 
monarchique.  La  campagne  qui  Pentoure  est  pauvre,  aride  et  nue, 
et  sa  rivière,  le  Manzanarès,  n'est  qu'un  "  oued  "  insignifiant. 
Mais  elle  est,  depuis  trois  siècles,  la  résidence  des  rois,  le  siège  des 
administrations,  des  académies,  des  grandes  Ecoles,  des  banques  : 
la  plupart  des  journaux  politiques  importants  s'y  publient  ;  son 
musée  est  un  des  plus  riches  du  monde  et  l'influence  de  Madrid 
sur  la  littérature,  la  vie  intellectuelle  de  la  péninsule,  est  incontes- 
table. De  plus,  le  réseau  de  routes  et  des  voies  ferrées  y 
converge  de  toutes  parts,  et  les  industries,  surtout  de  luxe,  s'y  déve- 
loppent comme  dans  toutes  les  capitales. 

A  quelques  lieues  de  Madrid  s'élèvent  les  résidences 
royales  de  l'Escurial  —  sombre  édifice  à  la  fois  cloître, 
palais  et  tombeau  ou  revit  le  souvenir  de  Philippe  1 1  — , 
delaGranja,  le  "Versailles  "  des  rois  d'Espagne,  d'Aran- 
juez,  verte  oasis  au  milieu  des  steppes  de  Castille. 

LE  MIDI  ESPAGNOL.  i2/i2/AuSuddelaSierra 
Morena  et  du  cap  de  la  Nao  apparaissent  une  autre  na- 
ture, un  autre  climat.  C'est  le  Midi  espagnol,  a  la  tem- 
pérature semi-tropicale,  à  la  flore  africaine.  Les  Arabes 
y  maintinrent  pendant  des  siècles  leur  domination  qui  par- 
tout a  laissé  son  empreinte  ineffaçable.  Dans  les  veines 
des  habitants  coule  une  bonne  part  de  sang  oriental  ; 
les  noms  de  leurs  fleuves,  de  leurs  montagnes,  de  leurs 
villes  sont  en  partie  d'origine  arabe.  Comme  en  Onent, 
des  maisons  aux  toits  plats  s'ouvrent  sur  une  fraîche 
cour  intérieure  :  le  "patio",  et  ce  sont  les  monuments  de 
l'Islam  qui  font  encore  aujourd'hui  la  gloire  et  le  grand 
attrait  de  leurs  cités. 

Le  versant  méditerranéen  est  une  sorte  de  longue 
côte  d'azur"  espagnole,  presque  aussi  belle  que  la 
'Riviera"  française,  par  ses  admirables  jardins,  sa  riche 
végétation,  les  hautes  montagnes  qui  la  dominent,  les  caps, 
les  baies  qui  1  indentent,  la  tiédeur  presque  chaude  de  ses 
hivers,  l'extrême  pureté  de  son  ciel,  la  splendeur  de  sa 
mer  azurée.  Des  villes  prospères  étagent  leurs  maisons  blan- 
ches sur  les  pentes  des  colhnes  ;  une  population  industrieuse 
exploite  les  richesses  des  huertas.  Telles  sont  Alicante 
(57  000  habitants),  Elche,  Orihuela,  Murcie  (1 33 000 ha- 
bitants), Carthagène  (102000  habitants),  excellent  port  en 
relations  régulières  avec  Oran  (huit  heures  de  traversée),  la 
Union  qui  exporte  du  plomb  argentifère,  Lorca  (ZOOOOha- 
bitants),  Alméria  (48000  habitants),  Motril,  Malaga. 
(141  000  habitants)  entourées  de  bananeraies,  de  champs 
de  cannes  à  sucre,  de  vignobles,  d'olivettes  et  de   bois 


d'orangers.  A  l'extrême-Sud,  le  rocher  anglais  de  Gibral- 
tar, qui  commande  le  détroit,  fait  face  à  Aigesiras. 
A  l'intérieur  de  la  Cordillère  bétique,  des  petits  bassins 
fermés,  irrigués  par  les  eaux  venues  des  sierras  neigeuses, 
sont  transformés  en  immenses  jardins,  les  "vegas".  Là 
se  trouvent  Antequera  (25  000  habitants),  dans  le 
haut  Guadalhorce,  et  Grenade  (82  000  habitants),  dans 
la  vallée  du  Genil,  célèbre  par  le  charme  de  son  site, 
la  splendeur  de  son  Alhambra,  de  son  Géneralife,  de 
sa  cathédrale. 

Danslaplaineandalousesesuccèdent  la  pittoresque  Jaën 
(30  000  habitants),  ancienne  capitale  d'un  petit  royaume 
arabe;  l'illustre  Cordoue  (72000  habitants),  dont  les 
Maures  avaient  fait  une  des  villes  du  monde  les  plus 
savantes  et  les  plus  industrieuses  à  la  fois  ;  Séville  "  l'en- 
chanteresse "  (  1 64  000  habitants),  fière  de  ses  monuments 
anciens  :  cathédrale  que  surmonte  la  Giralda,  Alcazar, 
maison  de  Pilate,  etc.,  ville  de  plaisirs,  de  danses,  de 
ferias  ",  de  courses  de  taureaux  et  de  processions,  mais 
aussi  ville  industrielle  et  port  actif.  Sur  la  côte.  Jerez 
(62  000  habitants)  exporte  son  vin  excellent  (le  Xérez 
des  français,  le  Sherry  des  Anglais),  Cadix  (67  000  habi- 
tants), l'ancienne  Gadès  des  Phéniciens,  longtemps  le 
premier  port  de  l'Espagne,  conserve  de  l'importance 
grâce  à  son  avantageuse  situation,  à  la  sûreté  de  sa  rade, 
mais  la  perte  des  colonies  espagnoles  lui  enleva  le  plus 
clair  de  ses  ressources.  Huelva  (34000  habitants)  exporte 
les  minerais  du  Rio-Tinto.  Quant  à  San-Lucar  Barra- 
meda,  d'où  partit  Magellan,  Palos  oîi  s'embarqua  Chris- 
tophe Colomb,  Puerto  de  Santa-Maria,  Moguer,  elles 
eurent  leurs  époques  de  gloire,  mais  ne  sont  plus  rien 
aujourd'hui. 

...  De  PaloSf  àe  Moguer,  routiers  et  capitaines 
Partaient,  ivres  d'un  rêve  héroïque  et  brutal. 

PAYS  DE  LA  COURONNE  D'ARAGON. 
J!) /!f  Au  Nord-Est  de  l'Espagne,  le  royaume  chrétien 
d'Aragon  se  constitua  à  la  même  date  que  le  royaume 
de  Castille  et  s'étendit  peu  à  peu  dans  la  plaine  de 
l'Ebre,  puis  sur  la  cote,  par  l'annexion  de  la  Catalogne 
en  1162,  et  la  conquête  du  royaume  de  Valence  en 
1237.  11  se  réunit  définitivement  à  la  Castille  en  1516,  à 
la  mort  de  Ferdinand  le  Catholique. 

L'Aragon  proprement  dit  se  compose  des  sierras  et 
des  plateaux  qui  prolongent  les  Pyrénées  jusqu  a  la  vallée 
de  l'Ebre  et  au  bassin  de  Saragosse.  Le  haut  Aragon 
est  une  triste,  âpre  et  rude  contrée,  très  faiblement  peu- 
plée, où  de  misérables  bourgades  étagent  leurs  maisons 
grises  au  flanc  des  monts  décharnés.  Le  bassin  de  Sara- 
gosse lui-même  est  une  steppe  mal  cultivée,  sauf  dans  la 
partie  irriguée  par  le  Canal  impérial.  La  seule  ville  im- 
portante est  la  sombre   Saragosse  (  1 24  000   habitants). 


144 


L'ESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


illustrée  par  son  héroïque  défense  contre  les  troupes  fran- 
(;aises  (1808  et  1809). 

La  Catalogne,  au  contraire,  sauf  dans  la  province  de 
Le'rlda,  présente  un  aspect  d'activité,  de  prospérité  bien 
rare  en  Espagne.  Le  cultivateur  catalan,  que  son  ardeur 
au  travail  rapproche  des  peuples  septentrionaux,  a  su 
tirer  de  ses  montagnes  et  de  ses  cours  d'eau  le  meilleur 
profit  possible.  Sur  les  terrasses  étagées  que  soutiennent 
des  murs  de  pierre  sèche,  il  cultive,  suivant  l'altitude, 
l'oranger,  l'olivier,  le  châtaignier,  la  vigne  et  le  blé.  Il 
est  également  apte  aux  travaux  industriels,  et  le  paysan 
se  transforme  aisément  en  habile  ouvrier.  Aussi,  dans  les 
trois  provinces  maritimes  de  Gérone,  Barcelone'  et 
Tcirragone,  les  villes  sont  nombreuses  et  la  densité  très 
forte. 

A  l'intérieur,  Gérone,  X'ich,  Olot,  Manresa,  Saba- 
della  sont  des  centres  agricoles  et  industriels  à  la  fois.  Sur 
la  côte,  parmi  de  nombreux  petits  ports,  Barcelone 
(618000  habitants),  supplantant  l'antique  Tarragone,  a 
pris  une  telle  importance  qu'elle  est  aujourd'hui  le  premier 
port  de  commerce  et  la  plus  grande  ville  industrielle  de 
l'Elspagne.  Tortose  enfin,  et  les  villes  du  royaume  de 
Valence,  Vinaroz,     Benicarlo.    Castellon,     Murviedro, 


VcJence   (243  000  habitants)    sont    les    débouchés    de 
riches  hucrtas  productrices  de  vins  et  de  fruits. 

LES  BALÉARES.  00  A  l'Aragon  se  rattache 
l'archipel  des  Baléares,  longtemps  sultanat  arabe,  puis 
royaume  chrétien  incorporé  en  1  343  à  la  couronne  d'Ara- 
gon. 11  est  formé  de  deux  groupes  d  îles  :  les  Pityuses,  avec 
Fermentera  et  Ibiza,  et  les  Baléares  proprement  dites 
avec  Majorque,  Minorque  et  Cabrera.  Couvertes  de  mon- 
tagnes pittoresques  qui  atteignent  jusqu'à  I  500  mètres, 
jouissant  d'un  charmant  climat,  ces  lies,  surtout  Majorque 
et  Minorque,  ont  une  population  active  et  dense  qui  cul- 
tive la  vigne,  l'oranger,  l'olivier,  les  primeurs,  l'amandier, 
et  se  livreau  commerce  de  mer  avec  l'Espagne,  l'Algérie  et 
la  France  surtout.  Les  Mahonnais  de  Minorque  se  fixent 
même  en  grand  nombre  dans  la  province  d'Oran,  ou 
tiennent  dans  nos  villes  françaises  des  magasins  de  pro- 
duits espagnols.  Les  ports  principaux  sont  ceux  d  Ibiza, 
de  Palma  (67  000  habitants)  et  l'excellente  rade  de  Port- 
\Iahon. 

(Notons  en  passant  que  Tarchipel  des  Canaries,  bien  qu'à 
I  230  kilomèlres  de  Cadix,  est  rattaché  administrativement  au 
royaume  d'ELspagne.  -—  Nous  l'étudierons  au  chapitre  consacré  aux 
îles  africaines.) 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


Le  bref  aperçu  que  nous  avons  donné  de  la  géo- 
graphie physique  de  l'Espagne,  de  son  histoire  et  du 
caractère  de  ses  habitants,  explique  l'état  arriéré  où  se 
trouvent  son  agriculture,  son  industrie  et  son  commerce. 

L'cxtrcme  sécheresse  et  Tlnfertilîté  naturelle  de  vastes  régions 
les  rendent  à  peu  près  inutilisables.  La  difficulté  des  communica- 
tions paralyse  en  partie  l'exploitation  des  richesses  minières  ou 
des  produits  agricoles.  L'apathie  de  l'Espagnol,  sa  torpeur  spirituelle 
("  el  empatanamiento  esptntual  '  ),  son  mépris  atavique  pour  toute 
occupation  manuelle,  son  ignorance  (près  de  la  moitié  de  la  popu- 
lation est  illettrée),  le  détournent  des  métiers  utiles  et  multi- 
plient le  nombre  des  mendiants,  des  vagabonds,  des  parasites  de 
toute  espèce.  A  ces  causes  de  faiblesse  s'ajoutèrent  enfin  la  déplo- 
rable politique  extérieure  ou  intérieure  de  la  plupart  des  rois,  les 
guerres  civiles  et  les  "  pronunciamientos  "  du  XIX*  siècle,  les  abus 
d  un  fonctionnarisme  énorme,  d'une  bureaucratie  absorbante  et  sté- 
rile, les  erreurs  d'une  politique  douanière  ultra-protectionniste, 
I  incurie  des  pouvoirs  publics,  la  mauvaise  répartition  de  l'impôt 
et  le  gaspillage  des  ressources  financières  au  profit  exclusif  des 
"  caciques  ",  c'est-à-dire  des  politiciens  de  clocher,  tout -puissants  en 
matière  d  élection.  Telles  sont,  d'après  les  Espagnols  eux-mêmes, 
les  raisons  essentielles  d'une  décadence  qui  dure  depuis  Irois  siècles 
et  réduisit  au  rang  de  puissance  de  second  ordre  ce  noble  pays 
autrefois  le  premier  du   monde. 

AGRICULTURE.  00  L'agriculture  est  la  princi- 
pale source  de  richesse  de  l'Espagne.  Pourtant  5  (X)0(X)0 
de  personnes  seulement,  le  quart  de  la  population  totale, 
s  adonnent  a  l'agriculture,  alors  qu'en  France,  par  exemple, 
elle  en  occupe  près  de  20  000  000,  soit  la  moitié  des 


habitants.  La  raison  en  est  que  les  bonnes  terres  sont 
rares.  De  l'avis  des  pouvoirs  publics,  10  pour  100  seulement 
du  territoire  rentrent  dams  cette  catégorie.  Ce  sont  les 
huertas  de  la  cote  et  certaines  régions  bien  arrosées 
des  provinces  du  Nord.  50  pour  100  restent  en  friche 
(9  pour  100  en  France)  !  Le  surplus,  40  pour  100,  com- 
prend des  terrains  peu  ou  moyennement  productifs,  soit  en 
rcuson  de  leur  altitude  excessive,  de  leur  mauvaise  compo- 
sition, du  manque  d'eau,  soit  aussi  de  la  routine  et  des 
préjuges  étranges  des  paysems. 

Dans  la  province  de  Zamora,  par  exemple,  nombre  de  travaux 
hydrauliques  ont  dîj  cire  abandonnés  devant  l'hostilité  des  gens 
de  la  campagne  prétendant  que  "  l'irrigation  ferait  du  tort  à  la 
généralité  des  cultures  ".  En  Elstremadoure,  le  canal  de  Gevora. 
qui  traverse  la  province  de  Badajoz,  a  un  débit  de  1300  mètres 
cubes,  mais  personne  ne  veut  en  profiter  !  Ces  préjugés  datent  de 
loin.  Au  XVII*  siècle,  une  commission  spéciale,  nommée  pour  étu- 
dier un  plan  de  canalisation  du  Tage  et  du  Manzanarès,  repoussa 
ce  projet  sous  le  prétexte  que  "  si  Dieu  avait  voulu  que 
CCS  deux  fleuves  fussent  navigables,  il  lui  aurait  suffi  d'un  fiai 
pour  réaliser  sa  volonté:  ce  serait  donc  attenter  aux  droits  de  ta 
Sainte  Providence  que  d'améliorer  ce  qu'elle  a  voulu,  pour  des 
raisons  insondables,  laisser  imparfait  ". 

Le  problème  de  l'eau  est,  comme  dans  tous  les  pays 
aux  pluies  rares  et  irrégulières,  le  plus  important  de  tous. 
Les  neuf  dixièmes  du  territoire  appartiennent  à  la  zone 
sèche  où  l'irrigation  est  indispensable.  Les  Maures  avaient 


145 


L'EUROPE 


introduit  dans  la  péninsule  les  méthodes  d'utilisation 
et  de  répartition  de  l'eau  en  usage  depuis  toujours  dans 
les  pays  d'Orient.  Leur  expulsion  aux  xv"  et  XV  f  siècles  fut 
une  cause  de  ruine  pour  nombre  de  régions  oui  on  cessa 
d'entretenir   barrages,    aqueducs    et    canaux.   Seules  les 


petites  plaines  côtières,  et  certains  bassins   fermés  de  la 
Cordillère  bétique,  conservèrent  leur  système  d'arrosage. 
Ce  sont  aussi  les  régions  les  plus  productives  de  l'Espagne. 
La  vigne  donne  à  Alicante,  Malaga,  Jerez,  des  vins  de 
choix.  L'olivier  recouvre  les  pentes.   Les  arbres  fruitiers: 
orangers,  citronniers,  grenadiers,  figuiers,  amandiers,  sont 
cultivés  en  grand  dans  les  huertas  de  Valence,    Elche, 
Orihuela,  Murcie,  etc.  A  leur  ombre  croissent  le  froment, 
le  mais,  les  cultures  maraîchères.   Le  riz  et  la  canne  à 
sucre  prennent  de  l'importance  dans  la  basse  Andalousie, 
à  Malaga,  à  Motril,  etc.  A   l'intérieur,  la  vigne  réussit 
fort  bien  dans  les  campos  de  Calatrava  (vins   de  Valde- 
petias)  et  en  Aragon  ou    elle   donne  des    vins  forts  en 
couleur  et  en  alcool  consommés  comme    vins    de    table 
ordinaires    ou    expédiés  à  l'étranger  pour  le   coupage. 
Le  maïs,  le  seigle  se  cultivent   surtout  dans  les  régions 
du  Nord  (Galice,   provinces  Basques)  où  les  pluies  ne 
manquent    pas.   Le  blé,  enfin,  cultivé   un  peu  partout, 
ne  prend  une  réelle    importance   que  dans    les  plaines 
d'Aragon,   d'Andalousie,    et    surtout   dans    les    fertiles 
"  tierras  "  de  Campos  en  Vieille-Castille.  Encore  les  pro- 
cédés de  culture  sont-ils  si  rudimentaires  que  la  production 
moyenne  à  l'hectare  atteint  à  peine  10  hectolitres  contre  15 
à  20  en  France,  et,  de  ce  fait,  l'Espagne  est  tributaire 
de   l'étranger  pour   une  part   notable    de    sa  consom- 
mation. 


LES  FORÊTS.  /lf£)  Les  forêts  sont  rares  en 
Espagne.  On  n  en  trouve  plus  guère  que  dans  quelques 
provincesdu  Nord: Galice,  Asturies,  Pays  Basques,  Cata- 
logne, et  sur  les  pentes  des  sierras.  Le  chêne  vert,  le  chêne 
kermès ,  le  chêne-liège  surtout  sont  les  essences  dominantes, 
avec  le  châtaignier  et  diverses  sortes  de  pins.  Ailleurs, 
les  broussailles  du  maquis,  les  buissons  de  cystes,  de 
romarins,  de  myrtes,  de  lentisques,  de  fougères,  croissent 
en  touffes  espacées.  Ailleurs  encore,  l'arbre  a  complè- 
tement disparu.  Au  Moyen  Age,  pourtant,  le  plateau 
de  Castille  était  une  forêt  presque  continue  où  les  bêtes 
sauvages  :  sangliers,  cerfs,  ours,  erraient  plus  nombreuses 
que  les  hommes.  Mais  les  paysans  ont  un  préjugé,  une 
sorte  de  haine  séculaire  contre  les  arbres  dont  le  feuillage 
abrite  les  petits  oiseaux  mangeurs  de  grains.  De  plus,  les 
bergers,  pour  accroître  leurs  domaines  de  pâture,  incen- 
diaient méthodiquement,  ici  comme  en  Sicile,  en  Corse, 
en  Grèce,  les  bois  et  les  maquis.  Cette  destruction  a  si 
bien  réussi  qu  en  maints  endroits  on  marcherait  pendant 
des  journées  sans  apercevoir  un  seul  arbre,  et  la  campagne 
est  réduite  à  une  telle  nudité  que  "  l'alouette  traversant 
les  Castilles  doit  emporter  son  grain  ". 

L'ÉLEVAGE  (chiffres  de  1919).  £JJ!J  La  séche- 
resse du  climat  et  la  rareté  des  bons  pâturages  ne 
sont  point  favorables  à  l'élevage  des  bêtes  à  cornes. 
Seules  les  régions  bien  arrosées  qui  bordent  le  golfe 
de  Biscaye  nourrissent  d'importants  troupeaux  de  boeufs 
et  de  vaches  (3  396000  têtes).  Les  campagnes  de 
Séville  et  de  las  Bardenas,  en  Aragon,  ont  la  spécialité 
des  taureaux  pour  corridas.  Les  chevaux  peu  nombreux 
(594  000),  mais  pleins  de  feu,  s'élèvent  surtout  en  An- 
dalousie. Les  porcs  (4  200000)  sont  la  grande  res- 
source du  paysan  dans  les  chênaies  clairsemées  de 
l'Estremadoure  et  du  pays  de  Léon. 

Par  contre,  les  animaux  qui  s'accommodent  d  une 
maigre  nourriture  prennent  une  particulière  importance. 
Les  mulets  (  1  042  000),  les  ânes  (1016  000)  sont  précieux 
dans  ces  régions  où  les  bonnes  routes  sont  rares,  où  la 
majeure  partie  des  transports  se  fait  à  dos  d'animaux.  Les 
chèvres  (3  970  000)  et  les  moutons  (  1 9  330  000)  surtout, 
constituent,  comme  dans  les  autres  pays  méditerranéens, 
la  ressource    fondamentale. 


On  sait  la  renommée  des  mérinos  d'Espagne.  Passant  l'hiver 
dans  la  vallée  de  l'Ébre,  en  Andalousie,  dans  la  Manche,  la  pro- 
vince de  Valence  et  l'Estremadoure,  les  troupeaux,  composés  cha- 
cun de  10000  brebis,  parlaient  au  prinlemps  sous  la  conduite  d'un 
mayoral  assisté  de  "  rabadanes  ".  Ils  traversaient  l'Espagne  du 
Nord  au  Sud,  de  l'Est  à  l'Ouest,  sur  des  chemins  gazonnés  larges 
de  80  mètres,  les  "  canadas  reaies  ".  unis  entre  eux  par  d'innom- 
brables "  veredas  ".  "  cordeles  ",  "  descansaderos  ",  et  allaient 
passer  la  belle  saison  dans  les  monts  de  Ségovie,  d'Avila,  de 
Cuenca,  d'Aragon,  de  la  Sierra  Nevada,  même  dans  lesCantabres  ; 


146 


L'ESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


L'ESCURIAL.  Après  l'abdication  fie  Chatla-Quint.  Philippe  II.  ion  fils,  régna  sur 

Us  Espagna  ".  de  1555  à  1598.  Bien  loin  de  courir  conune  son  pire  les  terres  et  les 

mcTS  de  l'Europe,  il  ne  quitta  guère  la  peniruile  et  se  fit  aynslruire  à  •juelgues  lieues  de 

Xladrid,  dans  l'aride  solitude   des  plateaux   de  Castille,  an  pied  de  la  Sierra  de 


Guadarrama.  un  vaste  palais,  VEseurial,  dont  la  forme  générale  affecte  celte  d'un 
gril,  en  souiYnir  du  martt/re  de  saint  Laurent.  Il  y  avait  une  sorte  d'harmonie  entre 
la  sombre  humeur,  le  caractère  fanatique  de  ce  roi  et  l'austère  grandeur  du 
paysage  qui  l'enfouraH.  CI,  I.fw 


1  ULLL'L.- liii  bords  de  lanurgcclrcitc  ou  murmurent  les  eau^  lubriueuics  du  Tage, 
sur  U%  rochadsrèzs  Par  l'éclatant  soleil.  Tolède  repose.  Au  temps  des  Maures,  ce  fut 
une  active  et  riche  cille,  spîcialiKe  dans  la  fabrication  des  armes  et   peuplée  de  , 
200  000  habitants.  Elit  est  am'otuJ'hai  bien  déchue.  Mais,  de  jon  illustre  pas^ellc. 


^om^f  i<  une  foule  d'éloquents  témoins  :  paiats.  eglisei.  couvents.  Dont  fortifie,  mai- 
}oos  pittoresques,  efc.,  et.  comme  pour  tant  d'autres  antiques  cites  de 
f  Espagne  intérieure,  sa  médiocrité  présente  ajoute  à  sa  beauté  une  sorte  de  poignante 
tirnihir.  c\.  Chusscau-Fuvilns 


147 


L'EUROPE 


VIGNERONS  D'ESTRAMADOURE.  La  vigne. 

dont  on  tire  les  vins  fameux  de  Porto,  est  avec  les 
fruits  :  oranges,  dirons,  amandes,  olives,  etc.,  la 
grande  ressource  du  Portugal.  Cl.  de  Beaurecard. 


LES  MINES  D'ALJUSTREL.  Moins  bien  pourvu 
que  VEsfjagne  en  richesses  minières,  le  Portugal  ex- 
ploite cependant  dans  l'Ale'rtteio  quelques  ()ioduclifs 
gisements   de   cuivre.  Cl.  DE  BeaurecarD. 


■ 

1 

V-^ 

- 

-  '. 

;:1 

LA  _F01RE  DE  VILLAFRANCA.  Rendez-vous 
des  '  Campinhos  '  ou  paysans  d'Estramadoure,  dont 
la  plupart,  comme  nos  Corses,  ne  se  déplacent  guère 
qu'à     cheval  Cl.  DE  Beauregard. 


LISBONNE  a  grandi  à  l'eiluaire  du  Tage,  sut  l'une  des  plus  belles  rades  qui 
existent  au  monde.  Elle  fui  un  instant,  au  XVI^  siècle,  le  port  le  plus  actif  de 
l'Europe,  après  la  fondation  de  l'Empire  colonial  portugais.  Elle  n'a  plus  qu'une  im- 
portance assez  petite,  par  suite  de  la  médiocrité  économique  delà  péninsule.  Cl.  LÉVY 


PÊCHE  DU  THON  EN  ALGARVE.  L'Algarve  est  la  plus  méridionale  des  pro- 
vinces portugaises.  On  y  fait  avec  succès  la  pèche  de  la  sardine,  de  l'anchois,  surtout 
du  thon.  La  vue  est  prise  au  moment  où  les  poissons,  cernés  par  la  flottille  des  bar- 
ques, se  déballent  au  milieu  des  filets  qui  les  élreignent.     Cl.  DE  S.  M.  Manuel  II. 


CiNTPA  :  CHATEAU  DE  LA  PENA.  L'estuaire  du  Tage  est  domine  au  Nord- 
)  Oiicsl  îjcr  de  Laftes  collines  aux  flâna  raides  que  pare  une  magnifique  végétation. 
I  De  izu'.K  tes  bzUcs  demeures  qui  se  pressent  sur  cette  "  Riviera" portugaise,  la  plus 
I     piitCTCSqiic  csi  le  château  de  la  Pena.  CI.   LÉVY. 


LA  TOUR  DE  BELEM.  Dans  la  banlieue  de  Lisbonne,  et  sur  les  rives  du  Tage, 
attenant  à  un  ancien  couvent,  la  tour  de  Belem,  masse  puissante,  mais  richement 
ornée,  fut  construite,  à  la  fin  du  XV^  siècle,  près  de  l'emplacement  d'où  Vasco 
de  Gamafit  voile  en  149S  pour  les  Indes  Orientales.  Cl.  LÉVY. 


148 


LESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


puis,  à  la  fin  de  septembre,  ils  revenaient  à  leur  point  de  dépari, 
ayant  franchi  parfois  plus  d'un  millier  de  kilomètres. 

Cette  transhumance  n'allait  pas  sans  de  grands  inconvénients 
pour  la  végétation  arbustive  et  les  cultures.  Avant  1836.  la  puis- 
sante corporation  de  la  Mesta  (grandes  maisons  princières  et  com- 
manautés  relîgîeases  associées)  avait  même  usurpe  pour  les  trou- 
peaux des  privilèges  tels'que  toute  culture  se  trouvait,  en  (ail. 
interdite  dans  les  zones  de  parcours.  "  Les  bergers  faisaient  U 
solitude  devant  eux. 

Mais,  en  1837,  le  privilège  de  U  Mesta  fut  aboli.  Le  nombre 
des  transhumants  diminua  si  vite  qu'il  représente  à  peine  aujour- 
d'hui le  dixième  du  troupeau  espagnol.  Les  ïoies  pastorales  envahies 
par  les  *'  labradores  "  ou  cultivateurs  di*paruren1  même  en  bien 
des  points.  Cependant  les  conditions  du  climat  rendent  encore  la 
transhumance  indispensable  à  certaines  provinces  (.•\vila,  Ségovie. 
Teruel,  Salamanque.  Léon,  Badajoz)  Mais,  depuis  le  début 
du  XX*  siècle,  le  transport  des  troupeaux  s'opère  surtout  par  voies 
ferrées.  Moutons,  chevaux,  mulets  et  bergers  gagnent  ainsi  très  vite, 
<t  à  bon  compte,  les  pâturages  où  les  "  leones  ",  les  pasteurs 
renommes  des  montagnes  du  Léon,  vivent  avec  leurs  bctcs  dans 
des  cabanes  de  pierres  sèches,  au  toit  de  chaume,  couchant  sur  un 
lit  d  herbes,  se  nourrissant  de  lait,  de  fromage  et  de  pain  noir."  Le 
chemin  de  fer  a  résolu  ce  problème,  qui  parut  longtemps  insoluble  : 
utiliser  les  pâturages  d'hiver  de  la  steppe,  les  landes,  les  llanos, 
utiliser  les  pâturages  d'été  de  la  montagne  sans  nuire  à  la  culture 
des  terres  fertiles.  "  (A.  Fribourg.  Ann.  de  Géog.^  1910). 

MINES  ET  INDUSTRlES(chiffres  de  1919).  iï'iî' 
Si  la  surface  du  sol  est  peu  productive,  le  sous-sol  recelé 
de  considérables  richesses.  Des  lanliquite,  Strabon  affir- 
mait qu  en  aucun  pays  du  monde  on  ne  pouvait  trouver 
l'or,  l'argent,  le  cuivre,  l'étain,  le  plomb  et  le  fer  en 
aussi  grande  quantité  et  de  pareille  qualité.  Les  Phéni- 
ciens, les  Grecs,  les  Romains  exploitèrent  ces  mines  pen- 
dant de  longs  siècles,  et  l'on  traite  encore  avec  profit 
les  énormes  amas  de  scories  dont  ils  ne  savaient  point 
extraire  tout  le  métal  utilisable.  Considérablement  ralentie 
pendant  le  Moyen  Age,  celte  exploitation  ne  cessa  jamais 
complètement.  Mais  c'est  de  nos  jours  seulement  qu'elle 
a  repris  toute  son  activité.  Le  fer  (5  000  000  de  tonnes), 
très  répandu  et  d'excellente  qualité,  provient  surtout  des 
mines  de  Biscaye  (région  de  Bilbao),  des  Asturies  (Santan- 
der),d'Huelva  et  dAlmeria.  Le  cuivre  (864000  tonnes), 
qui  fournit  une  des  plus  grosses  productions  du  monde. 
s  exploite  dans  la  Sierra  Morena  où  les  mines  de  Rio- 
Tinto  et  de  Tharsis  sont  les  plus  célèbres. 

Le  plomb  argentifère  (177  000  tonnes)  est  particu- 
lièrement abondant  dans  la  région  de  Linarès  et  de 
Lorca.  Almaden  (la  mine)  est  la  plus  riche  mine  de 
mercure  du  monde  après  celles  des  États-Unis.  Enfin  le 
manganèse,  le  cobalt.Je  zinc  (103000  tonnes),  l'etain.  se 
trouvent  en  quantités  notables  en  Galice  et  dans  les 
provinces  basques. 

Nous  devrions  donc  nous  allendre  à  trouver  en  Elspagnc.  Irèi 
largemcnl  développées,  le»  indusiries  mélallujgiques  de  loul  genre. 
Il  n  en  est  rien  cependant  el  la  majeure  parlic  du  minerai  s'exporte 
à  l'état  brut.  Sur  5.000  000  de  tonnes  de  minerai  de  fer 
1  Espagne  n  en  transforme  guère  en  fonte,  (er   ou  acier  plus    d'un 


demi-million  de  tonnes  dans  les  usines  et  les  forge  i  de  Biscaye 
el  de  Catalogne!  C'est  que  l'Espagne  manque  de  hoaille. 
Les  6009000  de  tonnes  produites  par  les  petits  bassins  d'Oviedo. 
de  Palencia  e(  de  Belmez  sont  tout  à  fait  insuffisantes  pour  les 
besoms  d'une  industrie  active,  et  l'utilisation  de  la  force  motrice 
fourme  par  des  cours  d'eau  maigres,  irréguliers  —  utilisation  à 
peine  commencée  du  reste  —  ne  peut  compenser  cette  pauvreté. 
De  plus,  la  rareté  des  voies  de  communication  est  un  gros 
obstacle  au  transport  des  malicres  lourdes  et  nuit  grandement  non 
seulement  au  développement  de  l'exploitation  minière,  mais  à 
I  extension  des  industries  qui  en  dérivent.  Enfin  là,  comme  ailleurs, 
il  faut  tenir  compte  de  la  mauvaise  administration,  de  l'incurie 
gouvernementale,  de  l'indiTérence  et  de  l'ignorance  des  habilanl;. 
de  la  disparition  des  déboudiés  coloniaux  à  la  suite  de  la  guerre 
hispano-américaine  et  de  la  rareté  ou  de  la  timidité  des 
capitaux  espagnols.  Ce  sont  surtout  des  sociétés  étrangères  qui 
exploitent  les  mines  et  fondent  les  usines  métallurgiques  avec  des 
capitaux  étrangers,  des  ingénieurs,  des  contremaîtres  et  même  de 
^imples  ouvriers  également  étrangers. 

Les  autres  industries  souffrent  des  mêmes  malaises. 
La  plus  ancienne  et  la  plus  importante  est  celle  du 
coton  (2  700000  broches),  surtout  concentrée  à  Bar- 
celone. Puis  viennent  les  lainages  en  Catalogne  et  à 
Palencia  (662000  broches),  l'industrie  des  conserves, 
qui  se  développe  sur  les  cotes  poissonneuses  du  golfe 
de  Biscaye  à  la  Corogne,  Vigo.  Santander,  Irun,  etc.. 
les  industries  électriques,  les  verreries,  les  fabriques 
d  armes,  de  papier,  de  chaussures,  les  tissages  de  soie- 
ries, les  fabriques  de  bouchons,  etc..  concentrées  sur- 
tout dans  les  provinces  du  Nord  ou  les  grands  ports. 
Mais  la  plupart  des  fabriques  sont  petites,  mal  outillées, 
incapables  de  produire  des  articles  "  finis  "  et  dépas- 
sant la  qualité  commune.  Si  quelques  progrès  ont  été 
réalisés  dans  certaines  industries  (la  fabrication  des 
armes,  des  conserves,  la  verrerie  et  l'industrie  électrique 
notamment),  c'est  encore  grâce  à  l'importation  d'un 
matériel  étranger  et  au  concours  permanent  d'ingénieurs 
et  d'ouvriers  étrangers. 

LE  COMMERCE.  ajl>  Le  commerce  de  rE.spa- 
gne.  soit  intérieur,  soit  extérieur,  est  très  inférieur  à  ce 
qu'il  pourrait  être  et  cela  pour  diverses  raisons. 

D'abord  l'Espagne,  même  au  temps  de  sa  splendeur, 
ne  fut  jamais  une  nation  commerçante.  '  Ses  relations 
avec  l'Amérique  et  1  Océanie  furent  toujours  des  rela- 
tions officielles  organisées  par  une  bureaucratie  et  sur  la 
base  de  privilèges.  "  L'Espagnol  n'a  point,  sauf  rares 
exceptions,  d'aptitudes  mercantiles.  Même  avec  ses  an- 
ciennes colonies  d'Amérique  et  le  peu  qui  lui  reste  de 
ses  possessions  coloniales,  l'Espagne  n'entretient  que  des 
relations  peu  importantes.  Séparée  du  Meu-oc  par  une 
distance  de  1  5à  20  kilomètres,  elle  n'occupe  dans  le  com- 
merce général  de  ce  pays  que  le  troisième  ou  le  quatrième 
rang  ! 

A  1  intérieur   de   la  péninsule  le  commerce  souffre  en 


GEOGRAPHIE  L'NIVUSELIjE. 


149 


15 


L'EUROPE 


outre  de  l'insuffisance  des  moyens  de  transports  et  de  la 
cherté  excessive  des  tarifs  de  chemins  de  fer. 

L"Espagne  compte  seulement  1 4  800  kilomètres  de  voies  ferrées, 
soit  298  kilomètres  par  10  000  kilomètres  carrés  contre  580  en 
Italie,  762  en  Autriche,  874  en  France,  1  623  en  Belgique,  etc.  Il 
y  a  de  vastes  contrées,  comme  la  province  de  Cuenca,  où  ne  pénètre 
pas  le  chemin  de  fer,  où  les  routes  existent  à  peine.  Pas  de  com- 
munications directes  entre  Huelva  et  Cadix,  Malaga  et  Alméria, 
Alméria  et  Carthagène  Alicante  et  Valence,  les  ports  de  la  Galice 
et  Santander,  etc.  De  plus,  les  chemins  de  1er,  dune  lenteur  et  d'une 
irrégularité  proverbiales,  maintiennent  des  tarifs  si  élevés  qu"ilséqui- 
valent  à  la  suppression  pure  et  simple  des  transports  à  longue  dis- 
lance. Par  exemple,  à  Barcelone,  le  blé  du  Danube  venu 
par  mer  coûte  moins  cher  que  le  blé  de  Castille.  Pour  expé- 
dier des  oranges  de  Valence  ou  de  Murcie  à  Bilbao  il  est 
plus  économique  de  les  adresser  d'abord  en  Angleterre,  d'où 
on  le»  réexporte  ensuite  à  Bilbao  !  Les  Espagnols  ne  peuvent 
guère  consommer  les  produits  agricoles  de  Valence,  de  Murcie  el 
de  Malaga,  à  cause  des  tarifs  de  chemins  de  fer  qui  constituent  une 
barrière  plus  infranchissable  que  les  tarifs  de  douane  les  plus  élevés. 
(D'après  A.  Marvaud,  L'Espagne  au  X\'  siècle.) 


Enfin  l'état  arriéré  ou  embryonnaire  de  l'agriculture  et 
de  l'industrie,  le  manque  de  capitaux,  la  pauvreté  géné- 
rale, ne  sont  point  des  facteurs  favorables  au  développe- 
ment d'activés  relations  commerciales  soit  entre  natio- 
naux, soit  avec  l'étranger.  L'Espagnol  qui  produit  peu 
ne  peut  vendre  ou  acheter  beaucoup. 

Aussi  n'est-il  point  étonnant  que  le  chiffre  total  du  com- 
merce extérieur  soit  encore  peu  élevé.  En  1913,  il 
dépassait  à  peine  2  500  000  000  de  francs,  soit  1 00  francs 
par  habitant  (cf.  en  France  400  francs,  en  Belgique 
I  200  francs),  et  consiste  surtout  :  à  l'importation,  en 
coton  brut,  machines,  charbon,  produits  chimiques, 
bois  et  denrées  alimentaires  ;  à  l'exportation,  en  mine- 
rais et  métaux,  fruits,  vins,  cotonnades,  liège,  conserves. 


huiles,  légumes,  etc.  Ses  ports,  même  les  meilleurs 
et  les  plus  actifs  (Bilbao  3  000000  de  tonnes,  Barce- 
lone 4000000),  Cadix,  Séville,  Gijon,  Santander,  ne 
peuvent,  faute  de  moyens  de  communications  rapides 
et  économiques  avec  l'intérieur,  prétendre  à  un  bien 
grand  avenir.  Enfin  sa  marine  marchande  (830  000  tonnes 
en  1920)  est  insuffisante  au  point  que  plus  des  deux  tiers 
des  marchandises  importées  ou  exportées  le  sont  par  des 
navires  étrangers.  Ajoutons  que  si  des  progrès  réels  ont 
été  réalisés  depuis  une  dizaine  d'années,  notamment  dans 
le  commerce  des  fruits,  des  vins,  des  conserves  et  des 
minerais,  ces  progrès  sont  dus  presque  exclusivement 
aux  commissionnaires  d'autres  pays,  anglais,  allemands 
ou  français. 

Depuis  la  guerre,  nous  ne  possédons  encore  de  chiffres  précis 
que  pour  I  année  1919.  D'après  les  statistiques  anglaises,  f  Espagne 
a  acheté,  cette  année-là,  pour  43375  000  livres  sterling  de 
marchandises  diverses,  et  en  a  vendu  pour  52440  000  livres.  Eln 
pesetas,  ces  chiffres  peuvent  s'exprimer  ainsi:  1000000  000 
d'achat,  1  200  000  000  de  ventes.  La  valeur  des  transactions  n'a 
donc  que  peu  varié,  mais  la  balance  commerciale  s'établit  en 
faveur  des  ventes,  ce  qui  n'était  pas  le  cas  en  1913.  Parmi  les 
produits  exportés  en  1919,  le  vin  tenait  le  premier  rang  (7  822000 
livres  sterling).  Puis  venaient  les  autres  denrées  alimentaires  :  fruits, 
huile,  poissons,  etc.  (16  000000  de  livres  sterling),  les  cotonnades 
(4  832000  livres  sterling),  la  laine  et  les  lainages  (4  269000  livres 
sterling),  les  animaux  vivants  elles  cuirs  (3669000  livres  sterling), 
les  minerais,  verres  et  poteries  (3  000000  de  livres  sterling),  les 
métaux,  manufacturés  ou  non  (3  736000  livres  sterling),  etc. 
Aux  importations,  les  denrées  alimentaires  (blé,  farine,  produits 
coloniaux)  venaient  en  tête  (8  582  000  livres  sterling).  Puis  se 
classaient  l'or,  en  barre  ou  monnayé  (7  362000  livres  sterling), 
fait  significatif  et  qui  montre  l'importance  des  achats  onéreux  faits 
à  l'Espagne  par  des  nations  comme  la  France;  le  coton  brut 
(4814000  livres  sterling),  les  machines  (4  862  000  livres  sterling), 
les  peaux,  cuirs  et  autres  produits  animaux  (3000000  de  livres 
sterling),  les  produits  chimiques  (3000000  de  livres  sterling),  le 
tabac   (1  543000  livres  sterling),  etc. 


CONCLUSION 


L'Espagne  est  loin  d'occuper  dans  le  monde  la 
place  qu'elle  y  pourrait  tenir.  Son  armée  compte  peu 
d'hommes,  mais  beaucoup  trop  d'officiers.  Sa  marine 
de  guerre  est  faible;  ses  finances,  mal  administrées,  ont 
peine  à  subvenir  aux  besoins  les  plus  pressants,  malgré 
le  poids  croissant  des  impôts  et  l'augmentation. formi- 
dable de  l'encaisse  or  de  la  Banque  d'Espagne,  passée 
de  567000000  de  pesetas  en  1914  à  plus  de 
2  000000000  en  19i8.  11  y  a  beaucoup  trop  de  fonc- 
tionnai-es,  beaucoup  trop  de  "  caciques"  ou  politiciens 
de  clochers,  beaucoup  trop  d'illettrés  et  de  paresseux. 
Elle  manque  de  moyens  de  communications,  elle  laisse 
trop  souvent  aux  étrangers  le  soin  d'exploiter  ses 
mines,  de  créer  des  usines  et  des  maisons  de  commerce, 
d'exporter  ou  d'importer  les  objets  qu'elle  produit  ou 

150 : 


dont  elle  a  besoin.  Enfin  la  perte  de  ses  dernières 
colonies  tropicales  :  Cuba,  Porto- Rico,  les  Philippines, 
n'est  pas  compensée  par  ses  récents  essais  d'expansion 
africaine  au  Rio  de  Oro  et  au  Maroc.  Depuis  une  quin- 
zaine d'années,  pourtant,  des  efforts  sérieux  ont  été  faits 
pour  enrayer  une  décadence  lamentable,  et  on  peut  espé- 
rer que  l'Espagne  connaîtra  bientôt  la  vigoureuse  renais- 
sance que   méritent    les   rares    qualités    de  ses  fils. 

Du  haut  des  Pyrénées  se  découvre  la  noble 
Espagne.  C'est  la  tête  de  l'Europe.  Sa  gloire  et  sa 
puissance  ont  subi  de  nombreuses  révolutions.  On  l'a 
vue  plus  d'une  fois  au  bas  de  la  roue  de  la  fortune  ; 
mais  jamais  l'inconstance  du  sort,  jamais  la  force  ni 
l'adresse  ne  sauront  abattre  ou  flétrir  les  cœurs  géné- 
reux qu'elle  enfante.  "  (Camoëns,  Les  Lusiades,  111). 


L'ESPAGNE  ET  LE  PORTUGAL 


LA  REPUBLIQUE  PORTUGAISE 


Portugal.  —  Superficie  :  89  1 06  kilomètres  carre's  : 
habitants  :  3  335000. 

Nous  connaissons  déjà  les  traits  essentiels  de  la  ge'o- 
graphie  physique  du  Portugal. Ce  n'est  pas.à  proprement 
parler,  une  région  naturelle  au  même  titre  que  les  Castilles  ou 
l'Andalousie.  Au  Nord,  les  âpres  montagnes  qui  couvrent 
une  partie  des  provinces  du  Minho,  de  Tras  os  Montes, 
de  Beira,  sont  le  rebord  occidental  de  la  Meseta  espa- 
gnole et  continuent  les  sierras  de  Galice  et  de  Léon. 
Ellles  contrastent  fortement  avec  les  plaines  côtières  de 
l'Estremadoure  et  de  l'Alemlejo,  de  même  que  ces 
plaines  n'ont  nen  de  commun  avec  la  province  monta- 
gneuse de  l'Algane.  11  existe  aussi  des  différences  sen- 
sibles entre  le  climat  oce'anique  des  pays  septentrionaux, 
aux  pluies  abondantes,  a  la  riche  verdure,  et  le  climat 
semi-tropical  du  Sud. 

Les  populations  même  présentent  entre  elles  des  dis- 
semblances telles  qu'un  "  type  national  "  portugais  n'a 
pu  s'établir.  Au  Nord,  la  domination  arabe  fut  trop 
courte  pour   prendre  racine,  et   le  type    celtibère  subit 


peu  d'altération.  Au  Sud,  par  contre,  les  croisements 
furent  nombreux  et  l'habitant  de  l'Algarve  se  rapproche 
beaucoup  plus  de  l'Andalou  que  du  Bragançais. 

Pourtant  il  se  créa  de  bonne  heure,  sur  cette 
façade  océanique  de  la  péninsule,  une  nationalité  nette- 
ment distincte  des  autres.  La  '  recanquista  ",  partie 
de  la  province  du  Minho  et  dirigée  vers  le  Sud  par 
des  rois,  des  chevaliers  d'origine  française,  se  fit  en 
même  temps  que  la  reconquista  espagnole  et  dans 
le  même  sens,  mais  tout  à  fait  en  dehors  d'elle. 
L  idiome  portugais,  détaché  vers  le  XIIl^  siècle  du 
tronc  commun  des  dialectes  romans,  s'éleva  peu  à  peu 
à  la  dignité  de  langue  littéraire,  créatrice  d'oeuvres 
immortelles.  Sans  cesse  menacé  par  l'ambition  des 
rois  d'Espagne,  le  Portugal  dut  lutter  durement  pour 
maintenir  son  indépendance,  et  le  souvenir  persistant 
de  ces  luttes,  la  crainte  vague  qu'elles  ne  recommen- 
cent encore,  expliquent  la  défiance,  l'antipathie  instinc- 
tive, la  haine  même  qu'éprouve  le  Portugais  pour  son 
voisin  d'Espagne. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


AGRICULTURE,  aa  Bien  que  46  pour  100 
du  sol  soient  considérés  comme  terrain  improductif,  le 
Portugal  est  essentiellement  un  pays  agricole.  On  peut 
le  diviser  en  quatre  zones. 

La  première  comprend  les  régions  montagneuses  du 
.Nord  et  du  Nord-Est  :  provinces  du  Minho,  de  Tras  os 
Montes  et  partie  de  la  province  de  Beira.  Le  paysage 
est  mouvementé,  le  climat  très  variable,  la  végétation 
abondante.  Le  pin,  le  chêne-liège,  l'amandier,  le 
châtaignier,  l'yeuse  couvrent  les  pentes.  Dans  les  plciines 
on  cultive  le  mais,  le  seigle. 

La  deuxième  comprend  tout  le  littoral,  de  Sétubal  à 
Lisbonne.  C  est  une  contrée  de  petites  ondulations,  for- 
mée de  terrains  argilo-calcaires,  d'aspect  calme,  au 
paysage  verdoyant,  au  climat  tempéré.  C'est  aussi  la 
région  la  mieux  cultivée,  surtout  en  vignes  (à  Porto)  et 
en  arbres  fruitiers. 

La  troisième  zone  est  formée  par  la  province  de 
I  Alemtejo  et  une  partie  de  l'EUtremadoure.  Région  en 
général  plate,  monotone.  \i}\  pays  ingrat,  des  steppes 
baignées  d  une  lumière  aveuglante,  un  terrain  très  sec 
où  l'on  cultive  surtout  l'olivier  et  le  blé. 

Enfin  la  province  d'Algarve.  très  montagneuse, 
réunit  sur  un  étroit  espace  une  grande  variété  de  ter- 
rains et  de  végétation.  Le  climat  semi-tropical,  le  sol 
riche  conviennent  à  toutes  les  cultures  :  oliMers.  aman- 


diers, châtaigniers,  orangers,  vignes,  mais  la  poduction 
est  faible  par  suite  des  procédés  arriérés  et  c'a  la  faible 
densité  de  la  population. 

De  toutes  les  cultures  la  vigne  est  la  plus  répandue, 
et  le  vin  (7  500000  hectolitres),  qu'il  s'agisse  du 
Porto  ou  de  vins  de  table  ordinaires,  constitue  le 
pnncipal  article  des  échanges  avec  l'étranger.  Le  pays 
souffre  même  d  une  surproduction  que  pourrait  seule 
enrayer  une  meilleure  politique  douanière  ou  la  limita- 
tion obligatoire  des  vignobles. 

Les  céréales  :  seigle  et  mais  dans  le  Nord  (ce  dernier 
formant  la  base  presque  exclusive  de  l'alimentation  des 
classes  pau\Tes),blé  dans  le  Centre,  riz  dans  les  plaines 
côtières  bien  irriguées,  ne  suffisent  pas  à  la  consomma- 
tion du  pays.  Le  rendement  moyen  à  l'hectare  est  faible 
(8  à  10  hectolitres  pour  le  blé)  et  l'irrégularité  du  climat 
fait  varier  du  simple  au  quintuple  la  production  annuelle. 
Les  cultures  de  fruits,  de  légumes,  de  primeurs  sont 
loin  d  avoir  1  importance  qu  elles  pourraient  prendre. 
Seul  l'olivier  donne  lieu  à  une  industrie  oléicole  assez 
prospère  et  à  un  actif  commerce  d'exportation.  Les 
forêts,  sans  être  bien  nombreuses,  car  le  Portugal  a 
souffert,  comme  tous  les  pays  méditerranéens,  d'une  défo- 
restation  irraisonnée,  couvrent  cependant  des  espaces 
proportionnellement  plus  vastes  qu'en  Espagne.  De 
plus,  le  gouvernement   et   les  particuliers  ont  entrepris. 


151 


L'EUROPE 


depuis  quelques  années,  le  reboisement  méthodique  de 
certains  districts.  On  exploite  surtout  le  chêne-liège,  le 
pin  pour  les  étais  de  mmes,  et  le  chêne  rouvre  comme 
bois  de  construction.  L'élevage  enfin,  surtout  celui  des 
moutons  (3000000),  des  chèvres  (936000),  des  porcs 
(  I  000  000)  est  une  source  de  profits  notables.  L'âne 
et  le  mulet  rendent  au  Portugal  les  mêmes  services 
qu'en  Espagne.  Les  bœufs  (624000)  trouvent  dans  les 
pro\nnces  du  Nord  le  climat  humide,  les  grasses  prairies 
dont  ils  ont  besoin. 

SOUS-SOL  ET  INDUSTRIES,  aa  11  sem- 
blerait, d'après  certaines  recherches  récentes,  que  le  sous- 
sol  du  Portugal,  sans  ê;re  proportionnellement  aussi 
riche,  certes,  que  celui  de  l'Espagne,  recelât  des 
gisements  métalhfères  étendus,  mais  le  rendement  actuel 
est  encore  fort  peu  de  chose.  Quelques  compagnies,  la 
plupeut  étrangères,  exploitent  des  mines  de  cuivre,  de 
plomb, de  charbon,  de  fer,  d'arsenic,  etc.,  surtout  dans 
l'Algcurve  et  dans  les  districts  de  Beira,  Aveiro,  Evora 
et  Porto.  Mais  le  nombre  total  des  ouvriers  employés 
ne  dépasse  pas  2000  !  et  ce  chiffre  suffit  à  indiquer  le 
peu  d'importance  des  exploitations. 

Quant  à  l'industrie,  gênée  par  des  règlements  doua- 
niers ultra-protectionnistes,  elle  végète  sans  plus  et  est 
loin  de  suffire  aux  besoins  locaux.  La  principale  est 
1  mduslne  du  coton  qui  occupe  30000  ouvriers  environ. 
Puis  vieni  ent  les  lainages  (  1 2  000  ouvriers),  les  tanneries, 
la  métallurgie,  les  tabacs,  etc.  Seule  l'industrie  des  con- 
serves (  1 0000  ouvriers)  est  vraiment  prospère,  notamment 
à  Setubal,  Espincho,  et  dans  l'Algarve,  grâce  à  l'abon- 
dance du  poisson  sur  les  côtes  portugaises  et  marocaines. 

LE  COMMERCE,  ma  Le  développement  de 
ses  côtes,  la  facilité  d'accès  de  ses  ports,  sa  situation 
géographique  à  l'extrémité  occidentale  de  l'Europe,  qui 
en  fait  le  point  le  plus  rapproché  de  l'Amérique, 
expliquent  la  grandeur  de  l'histoire  meiritime  du  Portu- 
gal et  la  place  qu'il  occupe  encore  aujourd'hui  dans  la 
navigation  internationale. 

Si  l'on  ne  tient  compte  que  du  tonnage  total  des 
entrées  et  sorties  dans  les  différents  ports  de  la  Répu- 
blique, on  constate,  en  effet,  que  le  Portugal  occupe  le 
quatrième  rang  en  Europe,  dépassant  la  Russie,  l'Es- 
pagne, l'Italie,  la  Hollande,  etc.  De  1898  à  1916, 
l'augmentation  fut  de  357  pour  100!  la  plus  forte  du 
monde  après  celle  du  Japon  (867  pour  100). 

Mais  ces  chiffres  ne  doivent  pas  faire  illusion.  D'abord, 
en  effet,  le  pavillon  national  ne  prend,  qu'une  bien  petite 
part  à  ce  mouvement  (9  pour  1 00  seulement)  et  la  marine 
marchande  portugaise  est  en  pleine  décadence.  Qa  flotte 
est  fort  peu  nombreuse  (  1 03  OOO  tonnes)  et  les  navires 
qui  la  composent  n'ont  qu'un  tonnage  très  faible.  De  plus, 

152- 


les  grands  navires  étrangers  qui  font  escale  à  Lisbonne  ou 
Porto  ne  chargent  ou  déchargent  qn'une  quantité  insigni- 
fiante de  marchandises.  Ils  embarquent  surtout  des  passa- 
gers et  les  derniers  paquets  de  lettres  venus  par  voie 
ferrée.  Comment  en  pourrait-il  être  autrement  ?  Le  Por- 
tugal est  un  tout  petit  pays,  faiblement  peuplé,  sans 
industrie,  qui  a  peu  de  produits  à  vendre  et  moins  encore  à 
acheter.  Derrière  lui,  au  lieu  d'un  hinterland  riche,  actif, 
bien  desservi,  se  dresse  comme  une  barrière  l'aride 
Meseta  espagnole.  Le  chiffre  élevé  du  tonnage  total  n'est 
donc  point  le  signe  d'une  activité  considérable,  et  le 
bref  stationnement  aux  quais  des  ports  ne  peut  être  la 
source  d'importants  revenus. 

La  valeur  totale  du  commerce  extérieur  qui  atteignait, 
en  1913,  26000000  de  livres  sterling,  s'est  élevée  en 
1919  à  77  000  000  de  livres.  Le  Portugal  achète  de 
la  morue,  du  charbon,  du  caoutchouc,  du  coton  brut,  du 
riz,  des  produits  fabriqués.  Il  vend  surtout  du  vin  (plus 
de  8000000  de  livres  en  1919),  des  peaux  brutes, 
des  sardines,  du  liège,  de  la  laine  brute,  de  l'huile 
d'olive  et  des  fruits.  11  vend,  du  reste,  beaucoup  moins 
qu'il  n'achète  (8000000  de  livres  sterling  contre  18 
en  1913,  25000000  contre  52  en  1919)  et  ce  n'est 
pas  là  une  des  moindres  raisons  de  sa  mauvaise  situation 
financière. 

Le  grand  port  est  Lisbonne,  une  des  rades  les  plus 
sûres,  les  plus  belles  du  monde.  11  absorbe  à  lui  seul  les 
deux  tiers  des  importations  et  le  tiers  des  exportations. 
C'est  plus  encore  un  port  de  transit  qu'un  port  national. 
Plus  de  la  moitié  des  produits  qu'il  exporte,  en  effet,  sont, 
ou  bien  des  denrées  coloniales  :  caoutchouc,  café, 
cacao,  provenant  des  colonies  et  du  Brésil,  ou  bien  des 
articles  manufacturés  venus  d'Europe  et  réexpédiés  en 
Afrique  ou  au  Brésil.  Beaucoup  de  passagers  européens 
embarquent  ou  débarquent  à  Lisbonne  pour  raccourcir 
leur  voyage  en  utilisant  le  plus  possible  les  voies  de  terre. 

Après  Lisbonne  se  classent  Porto  et  Leixoës,  grands 
exportateurs  de  vins,  Setubal,  Villa- Real,  Vianna  do 
Castello,  Aveiro,  etc. 

Le  meilleur  client  du  Portugal  est  l'Angleterre.  Elle 
absorbe  40  pour  1 00  des  exportations  et  33  pour  1 00  des 
importations.  Puis  viennent  le  Brésil,  et,  loin  derrière  lui, 
l'Allemagne,  l'Espagne,  laFrance,les  colonies  portugaises. 

Enfin  le  commerce  extérieur  est  gêné  par  l'insuffisance 
et  la  cherté  des  moyens  de  communication.  Malgré  les 
gros  sacrifices  faits  par  l'Etat  depuis  une  soixantaine 
d'années,  il  n'existe  encore  que  12000  kilomètres  de 
routes,  et  2800  kilomètres  de  voies  ferrées  (soit  0  '"",  66 
par  1  000  habitants,  contre  9  kilomètres  en  France, 
125  en  Belgique),  presque  toutes  à  une  seule  voie. 

POPULATION  ET  VILLES.  00  Le  Portu- 
gal est   peuplé  de  5  500000  habitants,  environ,  soit  une 


r^ 


^it^e&gt^ 


CéoCRAPHIE   UNIVERSELLE      PL.    10 


L'ITALIE 


densité  moyenne  de  35  habitants  au  kilomètre  carré.  Les 
régions  les  plus  peuplées  sont  celles  du  Nord.  Une  partie 
del  Elstremadoure  et  de  l'.-\Iemtejo  n'ont,  par  contre,  qu  une 
densité  très  faible.  L'augmentation  est  lente  malgré  la 
fécondité  des  familles,  à  cause  de  l'émigration  qui  enlève 
chaque  année  à  la  mère-patrie  plus  de  40000  de  ses 
enfants.  La  plupart  des  émigrants  se  rendent  en  Amé- 
rique, surtout  au  Brésil.  Très  peu  se  fixent  dans  les 
colonies  portugaises  où  ils  ne  sauraient  gagner  leur 
vie. 

Il  n'existe  en  Portugal  que  deux  villes  de  plus  de 
100000  habitants.  Ce  sont  Lisbonne  (433000)  et  Porto 
(194000).  La  première  doit  sa  beauté  non  pas  à  ses 
monuments  anciens,  ceu-  la  ville,  sauf  le  célèbre  couvent 
de  Belem,  fut  entièrement  détruite  par  le  tremblement  de 
lerre  et  l'inçendie  en  1735.  mais  à  son  climat  charmant, 
à  sa  merveilleuse  situation  sur  "'  la  mer  de  paille  ",  à  la 
riche  végétation  qui  couvre   les  collines   de  Cintra,  de 


Cascaès  et  Terres  Vedras.  Porto  est  pittoresquement 
situé  sur  les  collines  qui  descendent  vers'  le  Douro  au 
débouché  des  riches  vignobles  du  Paiz  de  Vinho.  Braga 
(24000  habitants),  le  joli  petit  port  de  Vianna  do 
Castello.  Bragance,  qui  donna  son  nom  à  1  ancienne 
famille  régnante,  Cuimaraës,  Coimbre  (20000  habitants), 
anciennes  capitales  des  rois  de  Portugal,  Thomar,  au 
couvent  fameux.  Covilha.  où  l'on  tisse  la  laine,  et  Sentarem, 
au  milieu  de  forêts  d'oliviers,  sont  les  plus  notoires  des 
cités  au  Nord  du  Tage.  Au  Sud,  les  villes  de  l'Alemtejo  : 
Elvas,  Beja,  Evora,  qui  eut  son  époque  de  gloire  et  montre 
encore  avec  quelque  orgueil  d'importantes  ruines  romaines, 
sont  de  gros  bourgs  insignifiants.  Le  port  de  Setubal 
(30000  habitants)  a  seul  quelque  activité.  Enfin,  sur  les 
pentes  pittoresques  et  au  fond  des  calanques  de  l' Algarve. 
une  série  de  petites  villes  ou  de  ports  de  pêche  :  Tavira, 
Lagos,  Sagrès  mirent  au  soleil  leurs  maisons  blanches 
qu'ombrassent  le»  palmes. 


CONCLUSION 


Le  Portugal  souffre  des  mêmes  maux  que  l'Espagne  :  inslabililc 
du  gouvernement,  révolutions  nombreuses,  mauvaise  administration, 
caciquisme  ",  indolence  cl  paresse  des  habitants,  manque  d'ins- 
truction (60  pour  100  environ  desPortugaissont  illettrés),  pénurie  cl 
timidilé  des  capitaux,  etc.  Il  a  pu  conserver  jusqu'à  nos  jours  une 
part  encore  fort  considérable  de  son  immense  empire  colonial 
(Madère,  Açores,  Ilesdu  Cap-Veri,  Guinée,  Iles  de  Sao-Thoméet 
Sao- Principe,  Angola,  Mozambique.  Goa  et  Diu  dans  l'Inde.  Macao, 


Timor,  en  tout  2  065  375  kilomèlies  carrés  et  8  300  000  habitant»). 
Mais  ces  possessions  sont  si  mal  administrées,  et  la  métropole  en 
lire  si  peu  de  profits,  qu'à  diverses  reprises  il  fut  question  de  les 
vendre.  De  plus,  il  semble  que,  même  dans  les  classes  dirigeantes,  se 
produise  une  sorte  d'indifférence,  de  fatigue  morale,  de  dégoût  pour 
l'action,  de  pessimisme  aigu,  de  désespérance  même  qui  aboutit 
souvent  au  suicide,  cl  serait  de  nature  à  faire  naître  les  craintes  les 
plus  graves  pour  l'avenir  de  ta  nation  portugaise. 


CHAPITRE  X 


LMTALIE 


GENER.ALITES.  £>£>  Comme  un  pont  gigan- 
tesque jeté  entre  l'Orient  et  l'Occident,  l'Italie  s'allonge 
de  la  Mer  Ionienne  aux  Alpes.  Des  trois  péninsules  médi- 
terranéennes elle  est  la  moins  étendue  :  303000  kilo- 
mètres carrés  (Espagne  396856,  péninsule  Balkaniquc 
450000  kilomètres  carrés),  mais  la  mieux  placée,  la  plus 
fertile,  la  plus  peuplée,  celle  pour  laquelle  les  dieux 
semblent  avoir  réservé  leurs  grâces  les  plus  singulières, 
celle  qui  tint  le  premier  rang  dans  l'histoire  du  monde. 
Nul  pays  ne  fut  plus  longuement .  plus  âprement  convoité, 
et  cela  se  comprend,  car  il  n  en  est  point  d  autre,  peut- 
être,  qui  exerce  sur  l'étranger  un  plus  fort  attrait  et  qui. 
si  peu  quon  l'ait  connu,  inspire  un  désir  plus  ardent  de 
ne  le  point  quitter. 

L'Italie  se  divise  naturellement  en  trois  régions  :  con- 
tinentale, péninsulaire,   insulaire. 


I_ 


L'Italie  continentale  est  uhe  vaste  plaine  fermée  au 
Nord  et  à  l'Ouest  par  les  Alpes,  au  Sud  par  l'Apennin, 
et  qui  s'ouvre  vers  l'Est  sur  l'Adriatique.  Ancien  golfe 
marin,  surhaussé,  puis  comblé  par  les  alluvions  des  cours 
d'eau  descendus  des  Alpes  et  de  l'Apennin,  elle  se 
rattache  directement  à  l'Europe  centrale  non  seulement 
par  sa  situation  géographique,  mais  aussi  par  son  climat, 
le  régime  de  ses  cours  d'eau,  sa  végétation,  son  histoire, 
le  genre  de  vie  que  l'on  y  mène.  Elle  possède  une  partie 
notable  des  chaînes  alpines.  Elle  a  donc  sa  pari  de  gla- 
ciers, de  hautes  prairies  d'été,  de  torrents  abondants 
nourris  par  les  neiges  et  les  pluies  alpestres.  Elle  a, 
comme  la  Suisse,  ses  beaux  lacs  aux  eaux  bleues,  ceints 
de  moraines  anciennes.  Si  les  étés  sont  plus  chauds  qu'à 
Montpellier,  les  températures  hivernales  sont  inférieures 
à  relies  de  Pans,,  et  rien  dans  la  végétation  (sauf  quelques 

' 153  - 


L' EUROPE 


exceptions  nettement  localisées)  ne  rappelle  la  flore 
méditerrane'enne.  Du  reste,  habite'e  primitivement  par 
des  populations  de  race  celtique,  elle  fut  longtemps  con- 
sidérée comme  distincte  de  l'Italie  proprement  dite  et 
porta  le  nom  caractéristique  de  Gaule  Cisalpine.  Cest 
elle  que  Allemands,  Autrichiens,  Français  se  disputèrent 
le  plus  âprement.  C'est  chez  elle  qu'ils  demeurèrent  le 
plus  longuement  installés.  Et  c'est  elle  qui,  depuis  le 
"  Risorgimento  ",  favorisée  par  un  contact  direct,  par 
des  communications  sans  cesse  accrues  avec  les  grands 
États  de  l'Europe  centrale  et  occidentale,  s'est  déve- 
loppée, s'est  industrialisée,  s'est  enrichie  avec  le  plus  de 
promptitude  et  de  succès.  Turm,  Milan  sont  les  plus 
eurof)éennes,  ou  plutôt  les  moins  italiennes  des  grandes 
villes  d'Italie,  et  le  Français  venant  de  Lyon,  par 
exemple,  y  trouve  une  atmosphère,  une  activité,  des 
préoccupations  analogues  à  celles  qu'il  connaît  chez  lui. 
Il  n'est  point  jusqu'à  la  couleur  des  cheveux  et  des  yeux 
(notable  proportion  de  blonds  aux  yeux  bleus),  jusqu'à 
la  langue  même  (usage  de  \'u  français  ou  allemand,  de 
diphtongues  nasales  dans  le  dialecte  piémontais)  qui  ne 
marquent  ce   caractère  européen  de  l'Italie  du    Nord. 

L'Italie  péninsulaire  et  insulaire  est,  au  contraire, 
essentiellement  méditerranéenne. 

L'Apennin  forme  l'ossature  de  la  presqu  île  et  de  son 
prolongement  naturel,  la  Sicile. 

C'est  une  chaîne  jeune,  lormée  de  terrains  tertiaire  et  secondaire, 
qui  se  moulèrent  sur  le  rebord  oriental  d'un  ancien  continent  comme 
le  Pinde  balkanique  se  moula  sur  l'ancienne  Egéide,  ou  la  Sierra 
Nevada  sur  le  *'  Horst  "  castillan.  Cet  ancien  continent,  la  Tyrrhé- 
nide  des  géologues,  est  aujourd'hui  en  grande  partie  disparu,  et  a 
fait  place  aux  fosses  profondes  de  la  Mer  Tyrrhénienne.  Seules, 
les  roches  primitives  de  la  Corse,  de  la  Sardaigne,  de  la  pointe 
orientale  de  Sicile,  du  massif  de  Sila,  sont  les  témoins  encore 
debout  de  son  ancienne  extension. 

Peu  de  plaines,  et  petites  comme  en  Grèce  ;  partout 
le  moutonnement  des  collines  ou  les  pentes  pittoresques 
des  monts  étages.  Grâce  à  l'étroitesse  de  la  péninsule 
frappée  de  toute  part  par  les  vents  marins,  grâce  a 
l'absence  de  hauts  plateaux  intérieurs,  il  y  pleut,  en 
moyenne,  beaucoup  plus  que  dans  les  presqu'îles  Ibé- 
rique ou  Balkanique.  Mais  on  y  trouve  partout  le  ciel 
lumineux,  l'atmosphère  pure,  l'absence  de  brouillards, 
les  tièdes  hivers,  les  longs  étés  chauds  et  secs  propres  au 
climat  méditerranéen.  Le  régime  des  eaux  courantes 
(petits  fleuves  côtiers  rapides,  très  irréguliers,  tour  a 
tour  presque  desséchés  ou  roulant  des  flots  d'eau  trouble, 
chargée  de  limons  qu'ils  déposent  à  leur  embouchure), 
est  analogue  au  régime  de  nos  rivières  provençales,  des 
fleuves  grecs,  des  ouaddys  algériens.  L'olivier,  l'arbre 
caractéristique  des  terres  méditerranéennes,  couvre  les 
plaines  et  les  coUines,  mêlé  à  nombre  de  plantes  toujours 
vertes.  Le  citronnier,  l'oranger  mûrissent  leurs  fruits  de 
Gênes  à  Syracuse. 


Le  volcanisme  et  son  corollaire  habituel  :  les  trem- 
blements de  terre,  a  peu  près  absents  de  l'Italie  conti- 
nentale, jouent,  au  contraire,  le  premier  rôle  dans  la 
péninsule.  De  la  Toscane  à  la  Campanie,  des  masses 
de  tufs,  de  laves  anciennes,  flanquent  les  bases  occiden- 
tales de  l'Apennin  et  constituent  la  majeure  partie  des 
plateaux  toscans,  des  plaines  et  des  collines  du  Latium 
et  de  Campanie.  Les  éruptions  du  Vésuve,  de  l'Etna, 
du  Stromboli  ne  marquent  que  le  stade  présent  d'une 
activité  volcanique  fort  ancienne.  Les  tremblements  de 
terre,  habituels  aux  rives  de  la  Méditerranée,  cette 
fosse  profonde,  ce  point  faible  de  l'écorce  terrestre, 
atteignent,  dans  l'Italie  méridionale  et  en  Sicile,  leur 
maximum  de  fréquence  et  d'effets  destructifs. 

Enfin,  SI  les  rapports  naturels  de  l'Italie  continentale 
se  sont  toujours  établis,  volontairement  ou  non,  avec  les 
pays  de  l'Europe  centrale,  ce  sont  les  régions  méditer- 
ranéennes qui  entretinrent  de  tout  temps  les  plus  étroites 
relations  avec  la  péninsule  et  les  îles  qui  l'accompagnent. 
Dès  le  VIÎI^  siècle  avant  J.-C  les  premiers  colons  grecs 
vinrent  s'établir  sur  les  rivages  de  Sicile,  de  Calabre,  de 
Campanie.  Agrigente,  Syracuse,  Catane,  comme  Sybaris, 
Tarente,  Naples,  Cumes  furent,  pendant  des  centaines 
d'années,  les  capitales  de  la  Grande  Grèce  ".  Même 
au  centre  de  la  péninsule,  les  Etrusques  furent  en  rapports 
constants  avec  l'Hellade.  Plus  tard,  les  Arabes  fon- 
dèrent en  Sicile  des  établissements  durables,  avant  que 
les  Aragonais  vinssent  mettre  la  main  sur  le  royaume 
de  Naples.  Encore  aujourd  hui,  les  communications  sont 
peu  commodes  entre  Italie  du  Nord  et  Italie  du 
Sud. 

La  température,  la  manière  de  vivre,  les  dialectes  ont 
des  caractères  spéciaux.  Tandis  que,  par  exemple,  entre 
Français  du  Nord  et  Français  du  Midi,  la  pénétration 
est  intime  et  constante,  il  est  relativement  très  peu  de 
Piémontais,  de  Lombards  ou  de  Vénitiens  qui  connais- 
sent la  Calabre,  la  Sicile,  les  Pouilles.  Quant  à  la  Sar- 
daigne, les  Italiens  du  continent  avouent  eux-mêmes 
qu'elle  est  une  sorte  de  terre  vierge,  inconnue  et  trop 
longtemps  délaissée. 

Ainsi  l'Italie,  bien  que  séparée  de  l'Europe  par  de  hautes  mon- 
tagnes et  paraissant  constituer  une  unité  géographique  parfaite,  se 
divise  cependant  en  régions  naturelles  nettement  individualisées.  A 
la  différence  essentielle  qui  sépare  l'Italie  continentale  de  l'Italie 
péninsulaire,  s'ajoutent,  en  effet,  dans  le  corps  même  de  la  pénin- 
sule, des  divisions  locales  imposées  par  la  nature.  La  Toscane. 
l'Ombrie,  les  Marches,  le  Latium,  les  Fouilles,  la  Campanie,  la 
Calabre  ont  chacune  leurs  caractères  particuliers  et  cette  diversité 
même,  aggravée  par  la  difficulté  des  communications  entre  Nord  et 
Sud,  Est  et  Ouest,  explique  ce  que  fut  l'histoire  de  l'Italie,  et 
pourquoi  l'unité  politique  s'y  réalisa  si  tardivement.  Elle  justifie  du 
mcme  coup  la  nécessité  où  l'on  se  trouve,  si  l'on  veut  avoir  une 
idée  exacte  et  claire  de  ce  que  sont  vraiment  les  régions  italiennes, 
de  consacrer  à  chacune  d  elles  une  étude  particulière  et  comme 
une  sorte  de  monographie. 


154 


L' ITALIE 


L'ITALIE    CONTINENTALE 


LES  ALPES.  00  Que  l'on  arrive  de  France. 
I  de  Suisse  ou  d'Autriche,  on  ne  parvient  en  Italie  qu'en 
franchissant  la  barrière  des  Alpes. 

Les  massifs  alpestres,  qui,  suivant  une  convention 
communément  adoptée,  se  séparent  de  I  .Apennm 
Ligure  au  col  de  Cadibonne,  décrivent  autour  de  la 
plaine  Padane  un  double  arc  de  cercle.  Le  premier  va 
des  Alpes  Maritimes  au  lac  de  Garde,  le  second  du  lac 
de  Garde  aux  plateau.\  du  Carso. 

Dans  la  première  partie,  peu  d heures  suffisent,  la 
ligne  de  crêtes  franchie,  pour  gagner  la  plaine.  L'effon- 
drement de  la  dépression  piémontaise  et  lombeu'de,  en 
effet,  a  fait  disparaître  cette  série  de  massifs  et  de  chaînes, 
formes  en  majorité  de  roches  secondaires  et  tertiaires, 
qui,  en  France  et  en  Suisse,  s'étalent  sur  300  kilomètres 
de  large  et  constituent  lesPréeJpes.  C'est  le  cœur  même 
du  plissement  sJpin,  où  dominent  les  granits,  les  gneiss 
et  autres  roches  anciennes,  qui  surplombe  imme'diatement 
la  plame.  Aussi  l'Italie  ne  possède-t-elle  qu  une  faible 
partie  des  hauts  massifs  :  le  V'iso  (3863  mètres),  le 
Grand  Paradis  (4  061  mètres),  les  flancs  méridionaux  du 
mont  Blanc  et  des  Alpes  Pennines.  A  l'Est  du  lac  de 
C'ôme,  au  contraire,  les  chaînes  subalpines,  qui  flanquent 
les  massifs  cristallins  centraux,  se  sont  conservées  au  Sud 
comme  au  Nord  de  l'Ortler,  de  l'Oezthal.  des  Tauern. 
Aux  Alpes  calcaires  de  Bavière  correspondent  les  Alpes 
du  Bergamasque  (2  911  mètres).  l'Adamello  (3  561  mè- 
tres), les  Alpes  Dolomitiques  du  Tyrol.  célèbres  par 
leurs  (ormes  étranger,  leurs  pics  déchiquete's.  les  teintes 
éblouissantes  de  leurs  roches  blanches  que  le  soleil 
couchant  illumine  de  rose  tendre,  de  violet,  de  rouge 
pourpre  ;  les  Alpes  du  Cadore.  enfin,  et  les  Alpes 
Carniques  qui,  par  les  Alpes  Juliennes,  se  confondent 
peu  a  peu  avec  les  plateaux  du  Carso  et  les  rides  pa- 
rallèles des  monts  Dalmates. 

Tandis  que.  à  l'Ouest,  les  vallées  alpestres  italiennes 
n  eurent  point  I  ampleur  nécessaire  pour  donner  nais- 
sance a  des  groupements  humains  indépendants  et 
vivant  de  leur  vie  propre,  au  Centre  et  à  l'Est  les  larges 
vallées  du  Tessin,  de  l'Adda.  de  l'Adige  virent  se 
constituer  des  unîtes  ethniques  qui  ont  conservé  jusqu'à 
nos  jours  leur  individualité  :  canton  suisse  du  Tessin. 
Valteline,  Trenfin  et  Tyrol  italien.  Ces  vallées  ont  joue 
dans  1  histoire  un  rôle  important.  Les  races  germaniques, 
latines,  slaves  même  s'y  heurtèrent  et  s'y  disputèrent  la 
pre'éminence.  Encore  aujourd'hui,  si  les  victoires  de  la 
Grande  Guerre  ont  rendu  à  l'Italie  l'entière  vallée  de 
l'Adige,  si  longtemps  possédée  par  la  Bavière,  puis  par 
1  Autriche,  la  Suisse   conserve  le  canton  du  Tessin    et 


pousse  sa  trontiere  jusqu'aux  abords  de  Côme.  à  moins 
de  10  lieues  de  Milan. 

Cette  disposition  et  ces  variations  mêmes  des  limites 
politiques  prouvent  que  les  Alpes,  malgré  leur  largeur, 
leur  altitude,  l'ampleur  de  leurs  glaciers,  de  leurs  neiges 
éternelles,  ne  constituent  pas  une  barrière  fort  difficile 
a  franchir.  Sur  les  deux  versants,  les  têtes  des  vallées 
opposées  se  rencontrent  à  brève  distance  et  communi- 
quent par  des  cols  d'accès  assez  aisé  en  tout   temps. 

Aussi,  depuis  Tcpoquc  préhistorique,  une  circulation  régulière 
s'établit.  Peup'es  migrateurs,  commerçants,  armées  romaines,  car- 
thaginoises, germaniques,  françaises,  autrichiennes,  allongèrent  leurs 
colonnes  vers  les  passages,  les  "  Monts  ".  où  les  bonnes  roules 
carrossables  remplaçaient  peu  à  peu  les  sentiers  muletiers.  De  nos 
jours,  les  progrè»  de  la  technique  ont  permis  aux  voies  ferrées  de 
frnachir  à  leur  tour  ce  rude  obstacle.  A  l'Ouest,  par  les  cols  de 
Tende  (I  873  mètres),  de  Largenlière  (I  870  mètres),  du  mont 
Genèvre  (I  864  mclrcs).  du  mont  Cenis  (2  030  mètres),  du  Petit 
et  du  Grand  Saint-Bcr.;ard  (2  I  57  et  2  472  mètres),  par  le»  voies 
ferrées  de  1  ende  et  do  Fréjus  (tunnel  dit  du  mont  Cenis,  13  052 
mètres),  loules  les  voies  de  communications  convergent  ralurelle- 
mcnt  vers  Turin.  Au  Centre,  les  roules  et  les  chemins  de  fer  du 
Simplon (tunnel  de  19  531  mètres),  du  Saint-Golhard  (tjnncl  de 
14  943  mètres),  les  cols  du  Splugen  (2  117  mètres)  et  de  la 
Malola  (I  811  mètres),  le  col  et  le  tunnel  du  Bernina  (2  330 
mètres),  la  route  du  Stelvio  (2  756  mètres,  la  plus  haute  route 
carrossable  de  l'Lurope)  mènent  à  Milan  par  les  vallés  du  Tessin 
cl  de  l'Adda.  A  l'Est,  le  Brenner  (I  362  mètres)  est  emprunté 
par  la  roui;  cl  la  voie  frrrée  qui,  venant  d'innsbruck,  dévalent 
sur  Vérone  par  la  vallée  de  l'Adige,  tandis  que  Venise  communique 
avec  Vienne  par  la  route  et  la  voie  ferrée  du  Tar\'is  (816  mètres), 
auxq  elles  se  joignent  les  lignes  parties  de  Triesie  et  de  Fiume  par 
Lljubljana  et  Graz. 

Nous  verron  plus  loin  de  qutlle  importance  fut.  pour  la  vie  éco- 
nomique de  l'Italie,  la  multiplication  de  ces  grandes  artèr?s  trans- 
alpines. 

APENNINS.  0 0  \^3.  bordure  méridionale  de  la 
plaine  Padane  est  formée  par  1  Apennin  Ligure  et 
l'Apennin  Toscan  qui,  du  col  de  Cadibonne  à  Rimini 
sur  l'Adriatique,  allongent  en  direction  Nord-Ouest- 
Sud-Est  leurs  croupes  de  serpentine,  de  marne  et  de 
calcaire.  La  pente,  brusque  sur  le  versant  Sud,  est 
modérée  sur  le  versant  Nord,  et  c'est  par  une  série 
d'ondulations  maigrement  boisées  que.  des  crêtes  du 
Penna  (1  732  mètres),  du  Succiso  (2017  mètres),  du 
Mont  Cimone  (2  163  mètres),  on  gagne  les  plaines  de 
Romagne.  L'Apennin  constitua  longtemps  une  véri- 
table barrière  entre  la  Gaule  Cisalpine  et  l'Italie  pro- 
prement dite.  Les  armées  d'Annibal  le  franchirent 
avec  difficulté,  et  la  Voie  Emilienne  dut  le  contourner 
par  1  Est.  De  nos  jours  encore  routes  et  voies  ferrées 
n'y  sont    j^as  nombreuses.    Les  principales    empruntent 


I7J 


L'EUROPE 


les  cols  de  Cadibonne  (490  mètres),  de  la  Bocchetta, 
(775  mètres),  du  Giovi  (470  mètres)  qui  mènent  de 
Savone  et  de  Gênes  à  Turin  et  Milan,  le  défilé  de 
Ponlremoli  ou  de  la  Cisa  entre  Spezia  et  Pctfme,  le  col 
de  la  Poretta  qui  conduit  de  Florence  a  Bologne. 

LA  PL.AINE.  aa  Longue  de  plus  de  400  kilo- 
mètres, large  dune  centaine  de  kilomètres  en  moyenne, 
la  plaine  s'étend  du  pied  des  Alpes  et  de  l'Apennin 
jusqu'à  l'Adriatique  et  aux  plateaux  du  Carso.  Cest 
une  sorte  d'immense  delta  analogue  aux  plaines  du 
Gange  ou  du  Hohang-Ho.  de  pente  insensible,  d'une 
horizontalité  presque  absolue,  où  les  routes  ne  rencontrent 
d'autres  obstacles  que  les  rives  incertaines  des  fleuves. 
Au  pied  des  Alpes,  une  zone  de  transition  est  ména- 
gée, sur  ceriams  points,  par  les  moraines  des  glaciers 
anciens  qui  remplissaient  les  vallées  alpestres.  Telle  est 
l'origine  des  collines  pierreuses  d'Ivrée.  au  débouché 
du  val  d'Aoste,  des  ondulations  de  la  Brianza  près  du 
lac  Majeur,  de  l'amphithéâtre  de  mamelons  qui  ceint 
le  lac  de  Garde  et  que  domine  la  tour  de  Soiférino.  A 
l'Ouest,  les  riantes  collines  du  Montferrat,  couvertes  de 
vignes,  de  taillis  de  châtaigniers,  coupées  de  vallons 
ombreux,  éperon  détaché  de  l'Apennin  par  la  faille 
profonde  du  Tanaro.  forment  une  sorte  d'île  que  le  Pô 
contourne  sans  pouvoir  l'entamer.  A  l'Est,  entre  Vicence 
et  Padoue,  les  monts  Berici  (419  mètres)  et  Euganei 
(586 mètres),  dont  les  pittoresques  ondulations  sedetachenf 
en  bleu  sombre  sur  le  gris  argenté  des  plaines  noyées  de 
brume,  sont  de  très  anciens  volcans  qui  jaillirent,  avant 
même  la  nciissance  des  Alpes,  sur  le  bord  de  l'effondre- 
ment Adriatique.  Sauf  rares  exceptions,  leurs  formes  pré- 
sentes ne  décèlent  plus  guère  leur  origine.  Elle  se  manifeste 
cependant  peu'  les  sources  thermcdes  et  gazeuses  qui 
jaillissent  à  leurs  pieds.  Les  jets  d'hydrogène  (fontaines 
ardentes),  les  volcans  de  boue  ("  bombi  "  de  Querzola, 
de  Nirano,  de  Sassuolo),  que  l'on  observe  sur  les  der- 
nières pentes  de  l'Apennin  entre  Modène  et  Faenza. 
s'expliquent  de  la  même  façon. 

LE  CLIMAT.  00  Le  climat  de  la  plaine  est  net- 
tement continental.  La  ceinture  des  Alpes,  et  surtout  de 
1  Apennin,  s'oppose  à  l'influence  adoucissante  des  vents 
marins.  L'hiver  est  long  et  froid.  On  a  constaté  des 
minima  absolus  de  18°  à  Alexandrie,  de  1  5  à  Turin,  de 
12  à  Milan,  et  la  moyenne  de  janvier  à  Turin  (0°,2)  et 
Milan  (0°,5)  est  la  même  que  celle  de  Nancy.  Venise, 
même,  aux  rives  de  l'Adriatique,  n'a  pas  une  moyenne 
de  janvier  supérieure  à  celle  de  Paris  (2°,7),  et  le  thermo- 
mètre peut  y  marquer  9  et  10  degrés  sous  zéro.  Par 
contre,  les  étés  y  sont  brûlants.  En  juillet,  il  fait.à  Milan,  à 
Vicence,  à  Bologne,  aussi  chaud  qu'à  Palerme  (24°,7  à 
Milan,  25''.5  à  Bologne).  Et  cette  chaleur   est  rendue 


fort  pénible  par  l'instabilité  de  la  pression,  l'état  constam- 
ment orageux  d  une  atmosphère  chargée  d'électricité, 
surtout  1  humidité  de  l'air  qui  donne  l'impression  de  vivre 
dans  une  serre  surchauffée.  II  pleut,  en  effet,  abondam- 
ment et  en  toute  saison  dans  la  zone  alpine  et  subalpine 
ou  la  région  des  lacs,  celle  du  Frioul,  reçoivent  plus  de 
l'",50  d'eau  (Lugano  P\57,  Udine  1 '",55),  Milan. 
Brescia.  Vérone,  plus  de  1  mètre.  L'Apennin  Ligure  et 
i  Apennin  Toscan  ne  sont  pas  moins  arrosés.  La  quan- 
tité d  eau  qui  s'abat  sur  le  centre  de  la  plaine  n'est  pas 
aussi    forte,    mais    cette    diminution   est  compensée  par 

I  évaporation  des  rivières,  des  lacs,  des  canaux.  Aussi 
ne  faut-il  point  chercher  en  Lombardie  ou  en  Vénétie 
les  beaux  ciels  purs,  l'atmosphère  nette  et  transpa- 
rente, les  horizons  lumineux  que  l'étranger  mal  informé 
s  attend  à  trouver  partout  en  Italie.  Certes  les  beaux  jours 
ne  sont  pas  rares,  soit  en  été  pendant  la  brève  période 
qui  suit  une  averse  d'orage,  soit  en  hiver  où  le  froid 
est  vif  mais  sec,  et,  pendant  ces  beaux  jours,  la  lumière 
nne,  nuancée,  caressante,  qui  inspira  tous  les  peintres 
de  Venise,  est  d'une  émouvante  séduction.  Pourtant 
beaucoup  plus  nombreuses  apparaissent  les  journées  grises 
où  la  plaine  se  noie  déms  une  mer  de  brouillard,  où  des 
semaines  se  passent  sans  qu'apparaissent  dans  le  lointain 
la  crête  des  monts. 

Seule  la  mince  lisière  où  se  logent  les  lacs  à  des  con- 
ditions climatiques  un  peu  différentes.  Protégées  contre 
les  vents  alpestres  par  de  hautes  parois  rocheuses,  sou- 
mises à  l'influence  adoucissante  des  eaux,  les  rives  des 
lacs  Majeur,  de  Côme,  de  Garde  ont  des  hivers  plus 
doux,  des  étés  moms  pénibles  que  la  plaine  qui  les  pro- 
longe. L'olivier,  l'amandier,  le  citronnier  même  y  mûrissent 
leurs  fruits.  C'est,  pour  qui  vient  du  Nord,  une  sorte  de 
témoin  avancé  du  monde  méditerranéen  et  comme  le 
premier  sourire,  vite  évanoui,  d'une  nature  nouvelle. 

LES  FLEUVES  ET  LES  LACS.  00  Le  Pô 
draine  à  l'Adriatique  la  majeure  partie  des  eaux  de 
l'Italie  continentale.  Long  de  672  kilomètres,  il  naît  au 
pied  du  Viso,  arrive  très  vite  en  plaine  et,  en  décrivant 
des  méandres  nombreux  comme  tous  les  fleuves  de 
plaine,  il  s'achemine  avec  lenteur  vers  la  mer.  Sa  lar- 
geur, qui  atteint  900  mètres  à  Crémone,  1  300  à  Guas- 
talla,  se  réduit  plus  loin  à  quelques  centaines  de  mètres. 

II  roule  en  moyenne  1  750  mètres  cubes  d'eau,  presque 
autant  que  le  Rhône  à  Avignon,  moyenne  considérable 
si  1  on  songe  au  peu  d'étendue  de  son  bassin  (70  000  kilo- 
mètres carrés).  Le  fleuve  reçoit,  en  effet,  le  tribut  des 
pluies,  des  neiges,  des  glaciers  des  Alpes  par  tout  un 
cortège  d'affluents.  Le  Tanaro  grossi  de  la  Stura,  le 
Chisone,  la  Maira,  la  Doire  Ripaire  venant  d'Alpes 
moins  hautes  et  moins  froides,  n'ont  qu'un  débit  assez 
restreint.   Mais   la  Doire  Baltée.    la  Sésia  sont  nourries 


I3t> 


L'ITALIE 


LAC  DE  COME  :  BELLAGGIO.  Aux  lacs  suiues  corrapondeni,  sur  le  versant 
méridional  des  Alpes,  les  lacs  italiens  (Majeur,  de  Lugano,  de  Côme,  de  Garde),  nés 
au  débouché  des  principales  vallées,  dans  de  profondes  euvclles  que  barrent  des  cirques 
de  moraines  anciennes.  Un  magnifique  amphilhcàlre  de  montagnes  se  mire  dans  leurs 


eauxcalmes  elleurs  rives  ensoleillées  Ocrdoyantes,  audoux  climat,  où  mûriaeni  Volive 
et  le  citron,  n'ont  point  cessé,  depuis  les  tanps  antiques,  d'attirer  les  hommes.  Bellaggio 
est  la  plus  fréquentée  des  villégiatures  qui  s'échelonnent  aux  abords  du  tac  de  Côme 
trafersé  par  l'AdJa.  CL   BoulanCCB. 


PAYSAGE  DU  TYROL  ITALIEN.  Cette  magnifique  photographie  donne  une  idée 
très  complète  des  divers  tvPcs  de  pat/sages  que  l'on  rencontre  dans  le  Tyrol  italien  : 
au  premier  plan,  un  grand  Christ  en  bois  tcvhté,  tumbole  de  la  foi  naiit  et  profonde 
du  montagnard  ;  —  pm'i  des  ùrairies  dont  Chethe  t'engrange  dans  un  chalet  de  boit. 


—  Ausecond  plan,  des  forêts  de  mélèzes,  splendïda  quand  elles  te  vêtent  des  teintes 
rousses  «  i  automne  ;  derrière  le  rideau  des  arbres  te  dissimulent  les  alpages,  ou  pâ- 
turages dcté;  enfin,  barrant  l'horizon,  les  parois  verticales,  les  arêtes  déchiquetées 
des  Dolomites'  CI.  SltNGEL. 


157 


—        L'EUROPE 


LE  MONT  VERMEL.  L'une  des  deux  cimes  de  la  Marmolata,  magnifique  bel- 
védère des  Alpes  Dolomitiques,  dont  le  point  culminant  atteint  3.  344  mèlres.  L'an- 
cienne  jrontièTe  austro-italienne  suit  exactement  la  crête  de  ces  montagnes  qui 
maintenant  appartiennent  en  entier  à  l'Italie. 


LA  VALLEE  DU  PIAVE.  La  vue  est  prise  au  point  où  le  fleuve  se  dégage  de 
l  étreinte  des  monts  et  débouche  sur  la  plaine  Padane.  Là  se  livra  le  dernier  et  vic- 
torieux assaut  mené  par  les  troupes  franco-italiennes  contre  les  A ustro- Hongrois. 
(Notez  le  pont  coupé  et  les  villages  en  ruines  )  ^ 


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UNE  FERME  PRES  DE  VICENCE.  Dans  les  plaines 
merveilleusemenl  fécondes  qu  irriguent  le  Pô  et  ses  affluents. 
les  bâtiments  agricoles  revêtent  souvent  un  aspect  monu- 
mental où  survit  la  tradition   romaine.    CL  Grancer 


LAIVALLÉE    DE    L'ISONZO 

marque  à  peu  pris  la  limite  entre 
la  plaine  Padane  et  les  plateaux  du 
Carso.    Cl.  Chusseau-Fla VIENS. 


PAYSAGE    DANS    LES    MONTS     BERICL     Gra- 

cieuses  collines  dominant  la  plaine  de  l^icence,  les  monts 
Beri ci  s'ornent  d'une  rare  parure  de  villas,  de  sanctuaires 
et  incelant  au  milieu  des  graruis  arbres.        CI.  GranCER. 


1 

A»; -J^H~^^HB^^^^H. ..'. 'H^^^H 

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^i-'.^^^..-^J^^:it^^^^ 

''^KH^Ê 

».^ 

t-lo.VL  :  LES  QL.-.!  .  .   Grande  Guerre,  Fiume,  au  fond  du  golfe  du 

Qaarnero.  était  un  port  ncn§rois.  en  plein  essor,  qui  rivaltsatl  avec  l'autrichienne 
.  r;<si>.  ^fais  sa  population  se  compose  presque  uniquement  d'Italiens  et  de  Slaves. 
Aussi,  aarès  d>i  multiples  péripéties,  en  a-t-onjait  une  petite  République  autonome. 


GOUFFRE  DE  LA  TROIBA.  La  victoire  a  donné  a  l'Italie  la  presqu'île  d'Iilrie 

et  les  plateaux  du  Carso  dont  les  calcaires  perméables  sont  troués  comme  une  écu- 
moire  par  une  multitudé-de  gouffres  et  de  dépressions  appelles  dolines  ou  poljés, 
où  se  perdent  les  eaux.  Cl.  AlOIS  BeER. 


158 


L'ITALIE 


par  les  glaciers  du  Grand- l^aradis,  du  moni  Blar.c.  du 
mont  Rose.  Le  Tessin,  qui  concentre  les  eaux  des 
Alpes  Pennines.  du  Saint-Gothard,  de  l'Adula,  peut  se 
comparer  par  la  masse  d'eau  qu'il  de'bite  aux  prmcipaux 
fleuves  de  l'Euroiie  occidentale.  L  Adda.  venu  de 
I  rOrtler,  est  à  peine  moins  puissant.  L'Oglio.  alimenté 
par  les  glaciers  de  l'Adamello.  le  Mmcio,  déversoir  du 
lac  de  Garde,  complètent  la  série  des  grands  affluents 
alpestres. 

Une  partie  de  ces  rivières  sont  heureusement  régula- 
risées par  les  lacs  qu'elles  traversent.  Cependant,  si  le 
Mincio  varie  peu  et  "  coule  d'un  flot  toujours  tranquille 
et  pur  sous  les  noires  arcades  de  Peschiera  ",  la  quan- 
tité d'eau  qui  se  déverse  parfois  dans  les  lacs  de  Ccme  et 
Majeur  est  telle  que  leur  niveau  peut  s'élever  de  plu- 
sieurs mètres  et  que  le  débit  du  Tessin  et  de  l'Adda  peut, 
à  leur  sortie,  varier  dans  la  proportion  de  I  à  80  (de 
16  mètres  cubes  à  817  pour  l'Adda.  de  50  à  4  000  pour 
le  Tessin). 

Beaucoup   plus    irréguliers    encore  sont   les  affluents 

,      venus  de  l'Apennin  :  Trebbia.  Taro,  Secchia,  Panaro, 

\      à  sec  en    été.   torrents  furieux  après  une   pluie  d'orage, 

"  tour  à  tour  bénis  pour  leurs    ailuvions  fertilisantes  ou 

mau'lits  pour  leurs  crues  dévastatrices  ". 

De  là  le  régime  du  Pô.  l'amplitude  considérable  de 
ses  variations  (de  156  à  5000  mètres  cubes),  la  masse 
formidable  d'alluvions  (46000000  de  mètres  cubes) 
qu'il  entraîne  annuellement  vers  la  mer  et  qui  lui  servent 
à  pousser  toujours  plus  avant  son  immense  delta.  De  là 
les  précautions  que  l'homme  a  dû  prendre  depuis  la  plus 
haute  antiquité  pour  limiter  les  inondations,  assécher  les 
marécages  des  terres  basses,  régulariser  l'écoulement 
des  eaux. 


Commencée  par  les  Etrusques,  continuée  pendant  toute  l'époque 
romaine,  un  moment  compromise  à  la  suite  des  invasions  barbares, 
celleœuvre  colossale  (ut  reprise  au  Xll'  siècle  et  ne  s'est  plus  arrêtée 
depuis  lors.  Un  système  complet  de  digues  accompagne  le  Pô  cl  se^ 
df6uenls.  Elles  ont,  il  est  vrai,  l'inconvénient  d'obliger  les  cours 
d'eau  à  déposer  dans  leur  lit  même  une  par  lie  des  ailuvions  qu'ils 
ne  peuvent  plus  disperser  sur  une  aire  très  vasie  d'inondation.  Le  lit 
s'exhausse  peu  à  peu  et  son  niveau  finit  par  être  supérieur  à  celui 
des  terres  environnantes,  danger  redoutable  en  cas  de  rupture.  Mais 
ce  danger,  du  reste  prévu  et  paré  dans  la  mesure  du  possible  par 
des  contre-digues,  tics  canaux  d'écoulement,  etc..  est  peu  de  chose  en 
comparaison  des  avantages  obtenus  ;  conquête  à  la  culture  de  mil- 
lions d'hectares,  protection  assurée  aux  villes  et  aux  campagnes, 
constitution  d'un  réseau  navigable,  fort  peu  utilisé  jusqu'à  nos  jours, 
mais  qui  va  l'être  dans  un  délai  assez  bref  (projet  Milan- Venise). 

A  ces  travaux  de  protection  s'en  ajoutèrent  d'autres  destinés  à 
tirer  parti  de  l'action  fertilisante  des  eaux  par  la  construction  de 
canaux  et  rigoles  d'irrigation.  Il  en  existait  déjà  au  lemps  de  Vir- 
gile, comme  en  témoigne  ce  vers  dctCéorgiquei  :  "ClauJitc  jam  riï'os, 
pueri,  sal  prala  bikeruni,  —  fermez  maintenant  les  rigoles,  enfants, 
les  prés  ont  assez  bu  ".  Mais  c'est  à  partir  du  X:i^  siècle  surtout  que 
se  multiplièrent  les  travaux  de  ce  genre.  Le  Naviglio  Grande,  du 
Tessin  à  Milan,  est  contemporain    de     Frédéric    Barberousse;    le 


tanal  de  la  Martesana.  qui  relie  l'Adda  à  Milan,  le  Naviglio 
Inlerno  furent  creusés  sous  Ludovic  le  More  et  François  Sforza. 
Le  canal  de  Milan  à  Pavie  date  de  la  période  napoléonienne.  Le 
cinal  Cavour,  achevé  en  1863,  arrose  la  Lomellina  entre  Chivasso 
^ur  le  Pô  et  Turbigo  sur  le  Tessin.  Une  série  d'autres  artères 
d'importance  moindre,  répandent,  par  une  multitude  de  rigoles.  les 
eaux  empruntées  aux  rivières  ou  aux  canaux  principaux.  Du  Pié- 
mont au  Frioul,  il  n'est  pas  un  seul  domaine  peut-être  qui  ne  pos- 
sède son  large  fossé  d'irrigation  ou  d'assèchement  :  et  l'on  voit,  tout 
le  long  des  routes,  à  l'ombre  des  haies  épaisses  de  saules  cl  de  peu- 
pliers, courir  les  eaux  silencieuses. 

Le  domaine  du  Pô  est  complété  par  celui  des  fleuves  côlicrs  de 
N'énétie  :  Adige,  Brenta,  Piave,  Livenza,  Tagliamento,  Izonzo. 
L'Adigc,  venu  de  l'Oczlhal,  draine  les  eaux  de  tout  le  Tyrol  méri- 
dional. Long  de  410  kilomètres,  il  roule  en  moyenne  500  mètres 
cubes  d'eau;  mais,  lors  de  la  fonte  des  neiges  ou  après  les  pluies 
d'automne,  son  débit  peut  atteindre  2  500  mètres  cubes  à  la  seconde. 
Les  autres,  beaucoup  plus  courts. dévalent  en  pente  forte  des  Alpes 
Dolomitiques.  Carniques  et  Juliennes,  où  la  hauteur  des  pluies 
dépasse  partout  l'''.50  cl  atteint  par  endroits  2"'. 50.  Très  irré- 
guliers, coulant  dans  de  larges  lits  semés  d'iles,  aux  rives  constam- 
ment changeantes,  ils  enlrainent  dans  leurs  crues  subites,  parfois 
dévastatrices,  une  masse  énormcd'alluvions  qui  complèlcnl  l'œuvre 
de  colmatage  accomplie  par  le  Pô. 

LES  COTES.  t)£l  Le  caractère  des  fleuves  et  l'his- 
toire même  de  la  plaine  Padane  exphquent  1  aspect  pré- 
sent des  cotes  italiennes  de  l'Adriatique  entre  Trieste  et 
Rimini.  C'est  le  type  de  la  côte  lagunairc  en  voie  d'ac- 
croissement constant.  Les  sables  et  les  boues  charriées 
par  les  fleuves  continuent  le  comblement  lent  de  l'ancien 
golfe  Adriatique.  Ils  prennent,  sous  l'action  de  la  marée 
assez  forte  (I  mètre),  la  forme   de  dunes  allongées,  les 

lidi  ".  Derrière  les  dunes  s'étalent  des  lagunes  peu  pro- 
fondes, les  "  palui  "  ou  valli  ".  qui  se  transforment  en 
marais  saumâtres  couverts  de  roseaux,  puis  s'assèchent, 
se  comblent, et  sont  enfin  conquis  par  la  culture.  Depuis 
l'époque  romaine  la  terre  a  gagné  une  bande  de  sol  qui 
varie  de  5  à  20  kilomètres  de  large.  Ravenne  Adria  se 
trouvaient  alors  auxrivesmêmes  d'une  mer  dont  plusieurs 
kilomètres  les  séparent  aujourd'hui,  et  l'on  voit  encore, 
fort  loin  des  eaux  marines,  s'allonger  a  travers  les  cam- 
pagnes les  digues  naturelles  constituées  par  les  dunes  d'au- 
trefois. 

Les  lagunes  de  Venise-Chioggia.  de  Commachio. 
auraient  en  grande  partie  disparu  si  l'on  ne  s'était  de  très 
bonne  heure  préoccupé  de  les  préserver  par  des  travaux 
appropnés  :  maintien  de  chenaux  libres  (  gradi  ".  porli  ") 
donnant  accès  aux  eaux  marines,  détournement  des 
rivières  comme  la  Brenta,  protection  des  '  lidi  "  par 
des  palissades  ou  des  murs,  etc.  Ainsi  Venise  maintient 
sa  position  insulaire  et  son  activité  mantime,  tandis  que 
Ravenne,  parexemple,  autrefois  construite  comme  Venise 
sur  pilotis  le  long  de  canaux  étroits,  Ravenne,  station 
navale  de  l'Empire  romain,  est  aujourd'hui  une  vieille 
cité  morte  séparée  de  la  mer  par  les  solitudes  mélanco- 
liques de  sa   '  Pineta  ". 


159 


ctoCRXPHIE  liNIVEIISaj.r. 


16 


L'EUROPE 


RESSOURCES  AGRICOLES.  00  Lorsque, 
audébouchédu  mont  Cenis,  du  Saint-Gothard,  duStelvio, 
le  voyageur  arrive  dans  les  hautes  vallées  alpestres  du  ver- 
sant italien,  il  est  surpris  par  l'heureux  contraste  que  forment 
ces  vallées  avec  celles  qu'il  vient  de  quitter.  Sous  un  ciel 
plus  riant,  un  soleil  plus  chaud,  les  cultures  se  sont  déve- 
loppées aux  dépens  des  pâturages.  Certes,  dans  la  zone 
supérieure  à  1 200  ou  1 500  mètres,  la  vie  pastorale 
domine  et  les  villages  alpestres  du  Piémont,  du  Berga- 
masque,  du  Tyrol,  du  Cadore,  éparpillent  leurs  chalets  de 
bois  au  milieu  des  prairies,  dans  les  clairières  des  forêts  de 
sapins.  Mais  les  champs  de  céréales,  soutenus  par  des  murs 
de  pierres  sèches,  s'étagent  jusqu'à  1 500  métrés  et  la 
vigne  mûrit  ses  fruits  jusqu'à  plus  de  900  mètres.  Tan- 
dis que  le  maïs  et  le  mûrier  s  ifismuent  fort  avant  dans 
les  vallées  ouvertes,  le  châtaignier  garnit  les  pentes  des 
avant-monts.  L'olivier  même  et  l'amandier,  auxquels  le 
citronnier  s'unit  par  endroits,  apparaissent  dans  la  zone 
particulièrement  favorisée  qui  s'étend  du  lac  Majeur  au 
lac  de  Garde.  Mais  ce  n'est  là  qu'une  exception,  et  les 
rudes  hivers  de  la  plaine  limitent  étroitement  à  la  région 
des  lacs  cette  timide  apparition  d'une  végétation  propre- 
ment méditerranéenne. 

Cette  plaine  apparaît,  des  dernières  collines  alpestres, 
comme  un  immense  et  verdoyant  damier,  semé  de 
fermes,  de  villages  aux  campaniles  roses,  qui  se  perd  au 
loin  dans  les  brumes  bleuâtres  de  l'horizon  et  dont  le 
trait  caractéristique  est  constitué  par  des  rangées  recti- 
lignes  d'arbres  peu  élevés.  Si  nombreux  sont  ces  arbres 
qu'ils  donnent  de  loin  au  paysage  entier  l'apparence  d  un 
bois  continu.  En  fait,  les  forêts,  les  boqueteaux  même 
ont  depuis  longtemps  disparu  d'un  sol  dont  la  surface 
entière  est  mise  en  culture.  Mais  des  haies  épaisses  de 
peupliers,  de  saules, de  platanes  bordent  d'un  vert  rideau 
toutes  les  voies  de  communication  et  les  innombrables 
rigoles  d'irrigation.  C'est  entre  deux  murs  de  verdure, 
aux  rares  échappées,  que  courent  les  routes,  que  zig- 
zaguent les  chemins,  et,  ce  mur  franchi,  ce  sont  encore  des 
rcmgées  innombrables  d'arbres  ététés,  mûriers  et  ormeaux, 
que  l'on  voit  alterner  avec  régularité,  reliés  entre  eux  par 
les  guirlandes  des  vignes  '  in  filari  ".  Si  fécondes  appa- 
rjiissent  ces  noires  terres  alluviales  que  la  mise  en  jachère 
n'existe  point  et  que  les  cultures  se  succèdent  sans  arrêt. 
Bien  plus,  comme  dans  les  oasis  sahariennes,  plusieurs 
récoltes  se  superposent  et  mûrissent  à  la  fois;  car,  au-des- 
sus du  ma'is,  du  blé,  des  luzerniéres,  la  vigne  suspend 
ses  grappes  elles-mêmes  protégées  contre  la  brûlure  du 
soleil  par  les  feuilles  du  mûrier. 

Prairies  (en  Piémont  surtout  et  dans  toutes  les  régions 
particulièrement  humides),  ma'is,  dont  les  habitants  con- 
somment la  farine  sous  forme  d'une  sorte  de  gâteau  mal 
cuit,  la  polenta  ",  blé,  vignes  (les  meilleurs  crus  :  Asti, 
Barolo,     Barbera,    se   récoltent    dans   les   collines    du 


Montferrat),  mûrier  pour  l'élevage  des  vers  à  soie,  tels 
sont  les  produits  principaux  de  la  plaine  Padane.  11  faut  y 
ajouter  le  riz,  de  qualité  supérieure,  que  les  facilités  d'irri- 
gation et  la  grande  chaleur  des  étés  permettent  de  culti- 
ver dans  toute  la  basse  Lombardie  (Pavie),  dans  une 
partie  du  Piémont  (Verceil,  Novare),etdansles  '  golènes  " 
du  Pô  ;  le  lin  (Crémone),  le  chanvre,  très  répandu  dans 
le  Bolonais,  la  betterave  à  sucre,  en  grand  progrès  dans 
les  plaines  d'Emilie. 

RESSOURCES  INDUSTRIELLES.  00  L'Ita- 
lie  continentale  n  est  pas  seulement  merveilleusement 
abondante  en  produits  agricoles,  elle  est  aussi  le  centre  des 
industries  les  plus  florissantes  et  qui  se  développent  avec 
le  plus  de  sûreté. 

Cette  industrie  est  de  date  ancienne,  du  reste.  Les  den- 
telles, les  glaces  de  Venise  sont  célèbres  depuis  des 
siècles.  Au  temps  des  Visconti,  les  manufactures  de  Milan 
(armes,  soies,  lainages)  acquirent  une  renommée  euro- 
péenne, et  la  cité  vit  s'accumuler  une  telle  quantité  de  capi- 
taux que  le  mot  de  Lombard  devint  synonyme  de  ban- 
quier et  que  les  pièces  d'or  frappées  à  l'effigie  du  duc 
de  Milan  circulèrent  dans  le  monde  entier  sous  le  nom 
de  ducats.  Pourtant  elle  manque  de  matières  premières  : 
métaux,  combustibles  minéraux  n'existent  pas  (si  l'on  fait 
exception  d'un  peu  de  cuiv/e  à  Socco  en  Lombardie,  de 
mercure  et  de  zinc  dans  le  Frioul)  et  doivent  être  tirés 
du  dehors.  Mais  elle  a,  dans  les  masses  d'eau  qui  dégrin- 
golent des  Alpes,  une  inépuisable  source  d'énergie  que 
l'on  a  su  mettre  à  profit.  Parmi  les  nations  du  monde 
qui  utilisent  avec  science  la  houille  blanche  ",  l'Italie 
se  classe  au  premier  rang,  et  c'est  au  pied  des  hautes 
montagnes  que  l'industrie  tend  à  se  localiser.  Dès  l'origine 
des  vallées  on  voit  courir  au  flanc  des  pentes  raides  les 
gros  tubes  d'adduction  ;  on  entend  au  fond  des  gorges, 
sous  les  toits  rouges  des  fabriques  neuves,  ronfler  les 
moteurs  puissants  dont  un  écheveau  compliqué  de  fils 
électriques  transmet  l'énergie  à  des  centaines  de  kilo- 
mètres. Dans  les  cités  d'ancienne  renommée  comme  Ber- 
game,  Brescia,  Côme,  ou  de  développement  récent  comme 
Biella,  Schio,  manufactures  de  coton,  de  lame,  de  soie 
surtout  se  sont  multipliées,  et  c'est  encore  à  l'industrie 
que  les  villes  capitales  du  Piémont  et  de  la  Lombardie, 
Turin  et  Milan,  doivent  leurrapide  extension  et  leur  magni- 
fique prospérité. 

LES  HABITANTS.  00  Par  sa  situation,  sa 
richesse,  la  facilité  des  communications,  la  plaine  du  Pô 
forme  un  centre  d'attraction  naturelle  à  laquelle  n'échap- 
pèrent point  les  populations  moins  favorisées  qui  1  entou- 
raient. ''  Elle  était  destinée  à  exciter  les  convoitises  des 
hommes.  Il  y  furent  attirés  des  points  les  plus  divers,  et 
la  convergence  des  passages  alpestres  les  conduisit  comme 
par  la  main  à  ce  rendez-vous  de  peuples. 


160 


L'ITALIE 


moyenne  > 


DTAOE   Pr  NOiRP 

INDUSTRIES 


ifCt'eJoppceuxj      ^^ 


%^ 


Si 


-■iSissi 


V^oèlu,  Etrusques,  Gaulois  furent  les  premiers  possesseurs  du 
sol.  Plus  tard.  Rome  leur  donna  sa  langue,  sa  civilisation,  et  le-^ 
fondit  dans  la  grande  unité  latine  en  installant  chez  eux  non  seule- 
ment ses  fonctionnaires,  mais  aussi  ses  colonies  de  vétérans.  Encore 
aujourd'hui,  en  Emilie,  près  de  Faenza,  dans  la  région  de  Padoue 
(Gralicolato  Romano).  etc.,  la  disposition  géométrique  des  champs 
d'une  même  superficie  est  la  survivance  de  l'ancienne  "  centurie  " 
attribuée  à  chaque  vétéran.  Les  Germains  arrivèrent  à  leur  tour  et, 
si  les  premières  hordes  tcutoniqucs  furent  anéanties  par  Marius  à 
Verceil,  cinq  siècles  plus  tard,  l'Empire  affaibli,  ne  put  s'opposer 
aux  invasions  des  Golhs  et  des  Lombards.  Pendant  tout  le  Moyen 
Age  la  plaine  connut  encore  les  chevauchées  des  reîlres  et  les 
dévastations  effroyables  qui  s'ensuivaient.  Champ  de  bataille  de 
l'Europe,  elle  vil  les  Français,  les  Allemands,  les  Autrichiens,  les 
E'pagnols  5e  disputer  la  possession  de  ses  riches  territoires. 

Pourtant,  au  point  de  vue  ethnique,  ces  passages 
d  arme'es  ne  laissèrent  que  peu  de  traces.  La  civilisation 
Italienne,  he'ritière  de  celle  de  Rome,  triompha  aisément 
des  influences  étrangères  et  absorba  les  éléments  spora- 
diques  établis  a  demeure  sur  le  sol  latin,  telles,  par 
exemple,  ces  colonies  de  paysans  allemands  (les  Treize 
elles  Sept-Communes),  appelées  aux  Xl''  et  XII*^  siècles 
dans  la  Marche  de  Vérone  par  |es   patriarches  d'Aqui- 


lée.  Aujourd'hui,  si  l'on  parle  encore  français  ou  provençal 
dans  quelques  hautes  vcJlées  piémontaises,  ce  n'est  que 
comme  seconde  langue,  et  il  en  sera  de  même,  a  bref 
délai,  pour  les  populations  du  Haut-Adige,  récemment 
arrachées  aux  Autrichiens. 

GROUPES  ETHNIQUES.  00  Piémontais. 
Lombards,  Vénitiens,  Romagnols  forment  les  quatre 
groupes  ethniques  de  la  Plaine.  Le  Tessin  marque  à  peu 
près  la  limite  orientale  du  Piémont  ;  le  cours  du  Mincio 
et  les  marais  qui  l'accompagnent  séparent  la  Lombardie  de 
la  Vénétie.  Les  pays  romagnols  sont  compris  dans  le 
triangle  formé  par  le  Pô,  l'Apennin  et  l'Adriatique. 

Ces  quatre  groupes  diffèrent  peu  comme  type  physique. 
La  proportion  des  hautes  tailles,  des  cheveux  blonds  et 
des  yeux  bleus  est  cependant  un  peu  plus  forte  en 
Vénétie  qu'en  Piémont  et  en  Lombardie.  Mais  chaque 
pays  a  son  dialecte  propre,  son  accent  spécial.  A  1  Ouest, 
on  prononce  l'u  à  la  française,  on  use  des  diphtongues 
nasales,  du  son  "  eu  "  étranger  au  reste  de  l'Italie.  La 
dernière  syllabe  non  accentuée  dispareiil.  Nombre  de 
mots,  d'expressions,  sont  presque  identiques  au  provençal. 


161 


_  L'EUROPE 


A  l'Est,  on  supprime,  au  contraire,  les  sons  nasaux  et 
gutturaux,  on  adoucit  les  consonnes,  on  transforme  en  z 
ou  en  cz  les  h  aspirées,  les  c  et  les  g  durs.  Cela  donne 
cette  langue  chantante,  musicale,  dans  laquelle  les  gondo- 
liers de  Vemse  vous  décrivent  les  mer^•ellles  des  pala.s 
du  Grand  Canal  et  vous  racontent  les  histoires  amou- 
reuses ou  héroïques  des  "  Sior  Doze    . 

A  ces  différences  d'accent  et  de  dialectes,  s  ajoutent 
certaines  différences  de  mentalité  et  de  caractère. 

Le  Piémontais.  grand  Irava.llear.  mais  sans  beaucoup  dml.ia- 
>nve.  a,  au  moins  dans  les  villes,  du  goC>l.'da  "  ch>c  ,  une  araab.- 
li,é  toute  française,  ma.s  sous  laquelle  se  dissimule  souvent  une 
indifférence  certaine  pour  ce  qui  ne  concerne  pas  d.rectement  ses 
intérêts.  Très  têtu,  surnommé  "  bug.anen  -,  .1  tient  fortement  a  .on 
indépendance  et.  même  à  Tétranger.  se  mêle  peu  aux  Italiens 
d'autres  provinces. 

Le  Lombard  a  du  goit.  bien  qu'il  a.me  à  fa.re  parade  de  son 
lu«  et  de  ses  richesses.  Mais  .1  a  beaucoup  de  cœur,  de  géné- 
rosité de  courtoisie,  de  sociabilité.  C'est  auss.  un  commerçant,  un 
homme  d-affa.res  de  premier  ordre  qui  sait  prévo.r,  qu,  a  de  1  >n.- 
liative  et  n'hésite  pas  à  engager  d'importants  capitaux  dans  des 
entreprises  à  long  terme.  ,       ,  t-  ,  m 

Le  Ligure  est,  en  affaires,  le  rival  du  Lombard.  Très  travailleur, 
très  sérieux,  âpre  au  gain,  avare  même,  il  a  moins  de  largeur  de 
vue  que  le  Milanais.  De  plus,  il  est  assez  égoïste,  très  terre  a 
terre,  peu  sociable,  mais  sincère. 

Le  caractère  essentiel  du  Romagnol  est  la  violence  et  la  passion, 
surtout  pour  les  questions  politiques  et  sociales.  Nulle  part,  en 
Italie,  les  grèves,  les  mouvements  populaires  ne  dégénèrent  plus 
facilement  en  émeutes  sanglantes. 

Le  Vénitien  est,  au  contraire,  un  aimable  sceptique,  un  philo- 
sophe auquel  un  long  contact  avec  l'Orient  a  même  souvent  infusé 
une  certaine  dose  de  fatalisme.  Esprit  lucide  et  clair,  comprenant 
très  vite,  il  est  porté  à  la  satire  et  ne  manque  point  d  un 
"  humour  "  que  traduisent  fort  justement  les  comédies  de 
Goldoni. 

Mais  partout  l'étranger  est  reçu  avec  une  courtoisie, 
une  politesse  avenante  et  gracieuse  qui  ne  sont  pas  seule- 
ment le  privilège  des  classes  cultivées,  car  on  les  trouve 
à  un  égal  degré  chez  le  plus  pauvre  des  "  contadini  . 
On  se  sent  en  présence  d'une  civilisation  qui,  suivant  la 
remarque  de  Henri  Heine,  "  se  distingue  des  nôtres  en 
ce  qu'elle  n'est  pas  issue  de  la  barbarie  du  Moyen  Age, 
qu'elle  se  rattache  encore  au  temps  des  Romains  et  n  a 
!  jamais  été  complètement  éteinte  ".  Et  la  race  est  belle. 
1  Blondes  ou  brunes,  les  paysannes  au  teint  d'ambre,  au 
visage  de  madone  encapuchonné  d'un  mouchoir  bleu, 
rouge  ou  noir,  qui  s'en  vont  en  chantant  par  les  sentiers 
pleins  d'ombre,  ne  sont  pas  moins  charmantes  dans  leur 
élégante  simplicité  que  les  citadines  vêtues  à  la  mode  de 
France,  ou  les  filles  de  pêcheurs  vénitiens  drapées  dans 
les  plis  de  leurs  longs  châles  de  sole. 

RÉPARTITION  DE  LA  POPULATION. 
£l^  L'halle  du  Nord  est  extrêmement  peuplée  comme 
il  est  naturel  dans  une  région  de  riches  cultures  et 
d'activé  industrie.  Plus  de  la  moitié  de  la  plaine  a  une 

162 


densité  supérieure  à  1 30  habitants  au  kilomètre  carré 
(densité  moyenne  de  l'Italie  :  113  habitants),  et  cette 
densité,  qui  s'élève  a  300  habitants  entre  Vicence  et 
Venise,  atteint  436  habitants  dans  les  provinces  de  Milan 

et  de  Côme. 

Au  lieu    de    se    concentrer    exclusivement    dans    les 


J/(l/itùi/'/~t.  au  l'-nuf. 

^  un. 


JfahitantA'  nu  /(mt/. 

DENSITE  DE  LA      ife-oi-ô^oo 
POPULATI  ON         ""  'V-'^«-^'''V-"«| 


ii€0S 


villes  et   les  gros    bourgs,  comme  il    est  de  règle   dans 
l'Italie  du  Sud,  les  gens  du  Nord  se  dispersent  volontiers 
à  travers  la  campagne.  Dans  les  chiffres  fournis  par  les 
statistiques  officielles  pour  les  habitants  de  chaque  com- 
mune, il  faut  toujours  distinguer  avec  soin  la  population 
agglomérée   et     la    population    éparse.  Il    suffit  d'errer 
quelques  heures  a  travers  les  plaines  lombardes  ou  vé- 
nitiennes pour  voir  la  multiplicité  des  fermes  isolées,  des 
villes,  des  hameauxou  des  bourgades  dont  les  quelques 
maisons  se  groupent  autour  d'un  haut  et  mince  clocher. 
La    plupart    des    petites    agglomérations  de    la  plame. 
formées  de  hautes  malsons  de  briques,  mal  bâties  et  sales, 
sont  fort  insignifiantes  d'aspect  et  n'ont  ni  le  charme  de 
nos  vieux    villages    français,  ni  le  pittoresque    des   très 
anciens    bourgs    fortifiés     qui     abondent    dans     l'Italie 
péninsulaire.   Mais  de   belles    villas,  datant  parfois    de 
plusieurs  siècles  et  décorées  de  fresques  par  les  peintres 
vénitiens,  se    cachent  au  milieu    des   grands   arbres,   et 
les   fermes    monumentales,    où    de    longs    portiques    à 
colonnades   abritent  le    bétail   et    les    récoltes,   repro- 


LITALIE 


duisent  encore  le   type  classique  de    la    terme  romaine. 

Les  grandes  agglomérations  urbaines  de  lltalie  con- 
linentale  n'ont  pas  recherche'  les  rives  du  fleuve  princi- 
pal, au  moins  en  aval  de  Turin.  La  navigation  du  Pô 
fut  toujours  insignifiante,  et  la  large  zone  d'inondation, 
les  marais  fie'vreux  qui  le  bordent,  éloignent  les  hommes 
plus  qu'ils  ne  les  attirent.  Seules  font  exception  Crémone 
et  Plaisance,  auxquelles  on  peut  ajouter  Pavie.sur  le 
bas-Tessin,  et  Mantoue,  près  du  confluent  du  Mincio  ; 
cités  militaires,  têîes  de  ponts  qui  eurent  autrefois  de 
l'importance  et  trouvaient  un  avantage  dans  la  difficulté 
même  de  leurs  abords. 

Par  contre,   les   zones   sub-alpines  et   sub-apennines 


se  prêtent  fort  bien  à  l'établissement  des  villes.  Un  sol 
plus  résistant,  plus  sec  favorisait  la  construction  des  routes. 
.Ainsi  l'ancienne  Voie  Emilienne,  qui  longe  l'Apen- 
nin de  Rimini  à  Plaisance,  fut  jalonnée  à  intervalles 
réguliers  de  postes  militaires  devenus  plus  tard  des  centres 
urbains  :  Forli,  Faenza,  Imola,  Bologne,  Modène. 
Reggio,  Parme.  Au  Nord  du  Pô  :  Verceil,  Novare. 
Milan,  Brescia,  Vérone,  Vicence,  Udine  occupent  une 
position  similaire.  Ce  furent  aussi  les  routes  naturelles 
suivies  par  les  armées,  désireuses  d'éviter  les  sols  maré- 
cageux de  la  vallée  centrale,  et  les  noms  de  Novare,  de 
Lodi,  Magenta.  Castiglione,  Solférino,  Custozza.  Goi'.o, 
Arcole  en  sont  un  témoignage  suffisant. 


Les   Villes 


PIEMONT.  0 à  Le  nom  de  Piémont  designepro- 
prement  la  lisière  orientale  des  Alpes.  Il  s'est  étendu 
peu  à  peu,  pour  des  raisons  politiques,  à  l'ensemble  de  la 
province  qui,  de  la  frontière  française  et  suisse,  s'élargit 
jusqu'au  Tessin  et  embrasse  toute  la  région  du  Mont- 
f  errât. 

On  sdil  comment  la  Maison  française  de  Savoie,  issue  de  l.i 
Maurienne,  acquit  peu  à  peu  les  vallées  alpestres  des  deux  ver- 
«anis  et  comment  ces  '*  portiers  des  Alpes  "  furent  contraints,  par 
la  formation  de  I  unité  française,  à  concentrer  toutes  leurs  ambi- 
tions et  leur  activité  sur  le  versant  italien  des  Alpes.  Par  de  suc- 
ce«ivc-  acquisitions,  les  ducs  de  Savoie,  créés  en  17N  rois  de 
Sardaigne,  agrandirent  peu  à  peu  leurs  domaines  aux  dépens  de 
la  Lombardie  et.  devenus  au  XIX*  siècle  les  champions  de  l'unitr 
italienne,  virent  leurs  efforts  couronnés  par  la  transformation  du 
royaume  sarde  en  royaume  d*llaiie. 

Les  premières  petites  villes  que  l'on  rencontre,  en  des- 
cendant les  vallées  alpestres,  rappellent  toutes  des  pas- 
sages d'armées,  des  sièges,  d  illustres  souvenirs  de  guerre. 
Coni,  Saluces,  Pignerol,  Fénestrelles,  Suse  surveillaient 
lus  routes  venues  des  cols  de  Tende,  de  l'Argentiere, 
du  mont  Genèvre,  du  mont  Cenis.  Au  Nord  du  mas- 
sif du  Grand- Paradis,  la  large  et  pittoresque  vallée 
d'.Aosle.  semée  de  châteaux,  barrée  par  le  fort  de  Bard. 
mène  au  Grand  et  au  Petit  Saint-Bernard. 

.Au  point  où  les  routes  venues  des  Alpes  s'unissaient 
aux  rives  du  Po,  naquit  Tunn. 

Ancienne  colonie  romaine  (Augusta  Taurinorum),  mais  de  Ion 
médiocre  importance  dans  l'antiquité  et  -su  Moyen  Age,  Turin  nr 
compta  dans  l'histoire  qu'à  dater  du  jour  oii  les  ducs  de  Savoie 
v  installèrent  leur  capitale  (N84).  Elle  n'a  ni  monuments  anciens, 
ni  palais,  m  églises  qui  vaillent  la  peine  d'êlre  notés,  et  ses  vastes 
avenues,  ;es  rues  régulières  qui  se  coupent  toujours  \  angle  droit, 
•es  belles  maisons  modernes  lui  donnent  un  aspect  plus  américain 
qu  Italien.  Mais  son  L'niversilé  est  une  des  premières  du  royaume. 
Surtout  Turin  est  devenue  une  grande  cité  industrielle  (manufactures 
de  soieries,  de  cotonnades,  de  lainages,  produits  métallurgiques, 
etc)  et  sa  population,  rapidement  accnir  ,  tm..:  <Je  180  000  habi- 
tants en  1861  \  plus  de  4$0  0]0 


A  I  Est  de  Turin,  les  pittoresques  collines  du  Mont- 
ferrat,  semées  d'une  multitude  de  '  cascine  ",  de  châteaux, 
de  villages,  portent  sur  leurs  flancs  les  vignobles  célèbres 
d  Asti,  de  Barolo,  de  Barbera,  tandis  que  les  prairies  et 
les  châtaigniers  occupent  les  parties  les  plus  élevées  :  les 
langhe   '. 

Au  delà  du  Mont[errat,  la  vallée  du  Tanaro,  où  con- 
vergent les  routes  venues  de  Savone  et  de  Gênes,  con- 
duit à  Alexandrie  (78  000 habitants).  L'importance  mili- 
taire de  la  région  est  attestée  par  les  noms  de  Novi,  Ceva, 
Millesimo,  Marengo,  Montebeilo. 

Au  Nord  et  à  l'Est  de  Turin,  Verceil  (31  000  habi- 
tants. Novare  (46  000  habitants)  sont  à  la  fois  de  grands 
marchés  agricoles  et  des  villes  de  fabriques.  Biella,  au 
pied  des  Alpes  (22  030  habitants),  doit  sa  prospérité 
récente  au  développement  des  industries  textiles. 

LA  LO.MBARDIE.  00  La  Lombardie,  dont  le 
nom  rappelle  la  principale  des  tribus  germaniques  qui 
vinrent  se  fixer  à  demeure  sur  le  sol  italien,  a  pour 
métropole  naturelle  Milan. 

Si  Turin  se  trouve  au  point  de  convergence  des  roules 
venues  des  Alpes  occidentales.  Milan  occupe  une  situa- 
tion analogue  par  rapport  aux  voies  qui  descendent  de 
Suisse  et  d'Allemagne  par  le  Tessin  et  la  Valteline, 
Mais  sa  prospérité  est  de  date  singulièrement  plus 
ancienne. 

Fondée  par  les  Gaulois  (Mcdiolanum)  Irois  siècles  avant  l'ère 
chrétienne,  devenue  l'une  des  premières  cités  de  l'Empire  romain, 
résidence  même  des  empereurs  (Maximien,  Constance,  etc.),  elle 
connut,  à  partir  du  XII*  siècle,  sous  lei  Visconti  et  les  Slorza,  une 
ère  de  prospérité  qui  ne  s'est  plus  arrêtée  depuis  lors.  Elle  est 
moins  pauvre  qce  Turin  en  monuments  intéressants.  C'est  aussi 
une  ville  intellectuelle,  un  centre  artistique  (pour  la  musique 
suitoul)  de  premier  ordre.  C'est,  en6n.  la  piemière  cité  commer- 
ciale et  industrielle  de  l'Italie,  la  rivale  de  Lyon  pour  la  fabri- 
cation des  étoffes  de  soie.  Très  vivante,  très  animée,  ville  dj  luxe 
et  de  plaisir,  fort  accueillante  àj'étranger.  elle  a  vu  sa  population 


163 


L'EUROPE 


croître  avec  une  élonnanle  rapidité,  et  ses  670  000  habitants  la 
classent,  après  Naples,  au  second  rang  des  grandes  agg'oméralions 
urbaines  du  royaume. 

Au  Nord  de  Milan,  les  riantes  collines  de  la  Brianza, 
couvertes  de  mûriers  et  de  vignes,  mènent  aux  rives 
enchantées  des  lacs  dont  la  splendeur  pittoresque,  le 
doux  climat,  ont  de  tout  temps  attiré  et  fixé  les  hommes. 
Les  riches  Romains  y  possédaient  déjà  des  villas  somp- 
tueuses. Aujourd'hui,  Pallanza,  Baveno,  les  îles  Borro- 
mées  sur  le  lac  Majeur,  Cernobbio  et  Bellagio  sur  le 
lac  de  Côme  sont  des  lieux  de  villégiature  de  printemps 
et  d'automne  universellement  célèbres. 

Côme  (46  000  habitants),  pittoresquement  située  a  la 
pointe  de  son  lac,  Bergame  (58  030  habitants)  dont  la 
haute  ville  aux  rues  étroites  bordées  de  vieilles  maisons 
contraste  avec  la  ville  basse  toute  neuve,  Brescia 
(89000  habitants)  filent  et  tissent  la  soie  dans  de 
grandes  fabriques  qui  remplacent  peu  à  peu  les  antiques 

filande  "  disséminées  autrefois  dans  les  bourgs.  Plus 
au  Nord,  la  belle,  large  et  fertile  Valteline,  riche  en 
vignobles,  mène,  par  Sondrio,  aux  cols  du  Stelvio  et  de 
la  Bernina. 

Dans  la  Basse-Lombardie,  le  pays  des  rizières,  des 
prairies  irriguées  (les  "  marcite  "),  des  champs  de  maïs, 
Pavie  (40000  habitants)  sur  le  Tessin,  Lodi  (27  000  habi- 
tants) sur  l'Adda,  évoquent  des  souvenirs  de  bataille  ; 
Crémone  (42  000  habitants)  gardait  un  des  ponts  du 
Pô,  et  Mantoue  (34  000  habitants),  ceinte  de  remparts, 
protégée  mieux  encore  par  les  marais  du  bas-Mincio, 
constituait,  avec  Peschiera,  Legnago  et  Vérone,  le  fameux 
quadrilatère  commandant  les  passages  entre  Lombardie 
et  Vénétie. 

LA  VÉNÉTIE.  aa  Par  le  lac  de  Garde,  aux 
rives  couvertes  d'oliviers,  d'amandiers,  de  vignes,  et  dont 
les  eaux  transparentes  reflètent  les  neiges  des  monts,  par 
les  collines  morainiques  de  Solférino  et  le  cours  maré- 
cageux du  Mincio,  on  passe  de  Lombardie  en  Vénétie. 
Cette  zone  excentrique  de  la  plaine  italienne  qui  borde 
le  fond  de  l'Adriatique  eut  toujours  une  individualité 
propre.  Habitée  dans  l'antiquité  par  un  peuple  particu- 
lier, les  Vénètes,  d'origine  sans  doute  illynenne,  elle  ne 
fut  pas  entamée  par  les  invasions  gauloises,  et,  même 
après  son  incorporation  dans  l'unité  romaine,  elle  conserva 
sa  personnalité. 

Cette  personnalité  s'affirma  de  magnifique  façon,  après 
les  invasions  barbares  et  le  haut  Moyen  Age,  par  l'his- 
toire merveilleuse  de  Venise  (168  000  habitants). 

Née  dans  les  îles  de  sa  lagune,  sûr  refuge  contre  les  violences 
des  hordes  germaniques,  la  ville  des  doges  entra  dans  l'histoire  à 
partir  des  Croisades  qui  lui  ouvrirent  les  portes  de  l'Orient.  Maî- 
tresse des  côtes  dalmales,  d'une  partie  des  îles  grecques  (Crète, 
Eubce.   etc.)    et  des    ports    du     Levant,  elle   étendit  ensui:e    son 


domaine  continental  et,  poussant  même  au  delà  du  Mincio,  lut 
maîtresse  de  Bergame  et  de  Brescia.  La  politique  habile  de  son 
gouvernement  aristocratique,  l'intelligence  et  la  hardiesse  de  ses 
commerçants,  la  Bnesse  de  ses  diplomates  lui  assurèrent  à  la  fois 
la  richesse,  la  puissance  et  une  influence  telle  que  les  grands  Etats 
de  I  Europe  se  disputaient  son  alliance.  Avec  la  richesse  naquirent 
le  goût  du  luxe  et  des  plaisirs,  le  sens  et  le  besoin  de  la  beauté. 
Les  palais  des  patriciens  s'élevèrent  aux  rives  du  Grand  Canal  ;  la 
demeure  somptueuse  des  doges  grandit  sur  la  Piazzetta  à  l'ombre 
de  Saint-Marc  et,  s'inspirant  de  la  tendre  lumière  moirée  qui 
baigne  les  lagunes,  les  Bellinl,  les  Giorgione,  les  Titien,  les  Cor- 
rège,  les  Tintorel.  les  Véronèse,  les  Tiepolo  firent  chanter  aux 
murs  des  églises,  aux  voûtes  des  palais,  la  gloire  de  Venise,  reine 
de  l'Adriatique. 

Puis  la  décadence  commença.  A  la  suite  des  grandes  décou- 
vertes des  xv''  et  XVl*  siècles,  de  nouvelles  routes  commerciales 
s'ouvraient  à  travers  un  monde  agrandi.  Venise  perdait  à  la  fols 
ses  comptoirs  du  Levant  pris  par  les  Turcs,  et  sa  suprématie  mari- 
time. L  occupation  autrichienne  qu'elle  dut  subir  longuement  fui 
pour  elle  une  autre  cause  de  déclin  ;  et,  lorsque  l'ouverture  du  canal 
de  Suez  vint  offrir  aux  ports  méditerranéens  un  nouveau  champ 
d'activité,  Venise  trouva  dans  Marseille,  Gênes,  Triesle, 
des  concurrents  avec  lesquels  la  lutte  était  impossible.  Elle 
s'efforce,  cependant,  de  conserver  un  rang  au  moins  honorable,  et 
la  création  d'une  grande  voie  navigable  qui  l'unirait  à  Milan 
pourrait  singulièrement  développer  son  activité.  Mais  la  vraie 
richesse  de  Venise,  ce  sont  les  trésors  d'art  dont  elle  regorge,  ce 
sont  les  couchers  de  soleil  sur  la  lagune,  c'est  le  charme  de  ses 
canaux  étroits  qu'enjambent  une  multitude  de  ponts  ;  la  vraie 
richesse  de  Venise,  c'est  sa  beauté. 

Parmi  les  autres  cités  de  Vénétie,  Vérone  (86000  ha- 
bitants), Vicence  (57 000),  Padoue  (105000)  tiennent  le 
premier  rang.  Elles  aussi  participèrent  à  la  grandeur 
de  Venise,  et  la  multitude  de  leurs  palais,  de  leurs 
oeuvres  d'art,  des  villas  qui  les  encadrent  ou  les  pro- 
longent sont  le  vivant  témoignage  de  leurs  richesses  pas- 
sées. Beaucoup  plus  attrayantes  que  les  villes  lombardes 
ou  piémontaises,  elles  se  classent  au  premier  rang  dans 
le  cortège  de  ces  cités  que  l'Italie  offre  avec  une  magni- 
fique abondance  à  l'amour  de  tous  les  artistes,  à  l'admi- 
ration de  tout  homme  de  goût. 

Castelfranco,  Cittadella,  Trévise  (43  000  habitants), 
Udine,  Cividale  del  Friuli  sont  aussi  de  vieilles  cilés  fort  pit- 
toresques sur  les  routes  qui  mènent  à  Vienne  et  a  Trieste. 
Au  pied  de  la  raide  muraille  par  laquelle  on  grimpe  au 
plateau  d'Asiago,  théâtre  fameux  de  tant  de  combats 
dans  la  Grande  Guerre,  Schio  (20  000  habitants)  est  au 
contraire  une  ville  neuve  ou  l'on  tisse  la  laine.  Par  Bellune 
et  le  haut  Piave,  les  touristes  gagnent  le  Cadore  et 
Cortina  d'Ampezzo,  point  de  départ  des  excursions 
dans  les  Alpes  Dolomitiques,  tandis  que,  au  Sud  de 
Venise,  Rovigo  et  Adria  mènent  aux  plaines  fécondes 
de  l'Emilie. 

L'ÉMlLlE.  £l^  La  partie  de  la  plaine  Padane,  qui 
s'étend  entre  le  Pô,  l'Adriatique  et  l'Apennin,  forme  la 
province  administrative  de  l'Emilie,  du  nom  de  la  Voie 
Émiliennequi  longeait  l'Apennin.  L'Emilie  comprend  les 


164 


L'ITALIE 


anciens  duchés  de  Parme  et  de  Modène.  et  la  Romagne 
qui,  jusqu'en  1860,  fit  partie  des  Etats  Pontificaux.  Dans 
la  plaine,  Ferrare  (33  000  habitants)  et  Ravenne  (35  000) 
nont  plus  que  le  souvenir  de  leur  illustre  passe'.  Ferrare 
connut  aux  xv"  et  .\Vl''  siècles,  sous  la  domination  de  la 
Maison  d'Esté,  des  jours  brillants.  Ravenne  fut  pendant 
cent  cinquante  ans  la  résidence  des  Exarques  ou  vice- 
rois  représentant  les  empereurs  de  Constantinople  (le 
nom  de  Romagne  perpétue  le  souvenir  de  cette  Re- 
manie d'Occident).  EJle  a  conservé  de  cette  époque 
lointaine  une  série  de  monuments  bjTtantins  qui  font 
d'elle  lune  des  cités  les  plus  intéressantes  d'Italie.  Parme 
(54000  habitants),  Reggio  (23000  habitants),  Modene 
(27000  habitants).  Faenza  (25000  habitants)  où  l'on  fa- 
brique encore  la  poterie  appelée  faïence,  Forli  (20000  ha- 
bitants), Rimini  (21  000  habitants)  sont  toutes  placées  au 
pied  même  de  l'Apennin,  le  long  de  la  voie  ferrée 
Milan-Ancône-Bnndisi  qui  suit  exactement  le  tracé  de 
la  Voie  Emilienne.  11  en  est  de  même  de  Bologne 
(189000  habitants)  à  laquelle  sa  situation,  au  point  de 
croisement  des  routes  Venise-Florence  et  Milan-Brindisi. 
a  permis  de  développer  considérablement  son  commerce 
et  ses  diverses  industries.  Bologne  est  aussi  une  ville 
pittoresque,  riche  en  belles  églises,  en  palais,  en  rues  à 
portiques.  C  est  enfin  le  siège  d'une  Université  célèbre 
et  l'une  des  cités  les  plus  intellectuelles  de  l'Italie. 

LA  LIGURIE.  00  On  désigne  sous  le  nom  de 
Ligurie  (d'après  1  ancienne  race  ligure)  la  région  côtièrc 
qui  s'étend  de  la  frontière  française  au  golfe  de  Spezia. 
Elle  forme  la  transition  naturelle  entre  l'Italie  continen- 
tale et  I  Italie  péninsulaire,  car  si,  par  sa  position  au  Sud 
de  l'Apennin,  par  son  climat  et  sa  végétation,  elle  est 
essentiellement  méditerranéenne,  ses  relations  naturelles 
l'unissent  étroitement  au  Piémont,  à  la  Lombardie,  et, 
par  delà  les  Alpes,  à  la  Suisse  et  à  l'Allemagne  du  Sud. 

La  cote,  ou  Rivière  de  Gènes,  se  divise  en  Rivière  du 
Ponent  à  l'Ouest  et  Rivière  du  Levant  à  l'Est.  Comme 
notre  Riviera  française,  dont  elle  est  l'immédiat  prolon- 
gement, elle  comprend  une  mince  bande  littorale,  dominée 
par  les  pentes  brusques  des  Alpes  et  de  l'Apennin,  et 
divisée  en  une  série  de  petits  compartiments  par 
l'alternance  régulière  des  anses  sableuses,  des  vallées 
étroites,  des  promontoires  que  percent  d'innombrables 
tunnels.  Dans  chaquebaie,  à  chaque  débouché  de  vallée, 
se  nichent  une  bourgade,  un  petit  port,  une  villette  dont 
les  hautes  maisons,  parfois  ceintes  de  remparts  anciens, 
s  accrochent  au  rocher.  Le  climat  est  celui  de  notre  Côte 
d  Azur.  L'hiver  même  est  plus  tiède  encore  puisque  la 
moyenne  de  janvier  à  San  Remo  (9°4)  est  de  deux 
degrés  supérieure  à  celle  de  Nice.  Le  mistral  ne  s'y  fait 
point  sentir  et  les  pluies,  quoique  fortes,  surtout  sur  la  Ri- 
vière du  Levant  frappée  de  plein  fouet  par  les  vents 


d  Ouest,  tombent  par  violentes  averses  en  peu  de  jours 
(quarante-cinq  jours  de  pluieàSan  Remo).  Sous  lacarcsse 
du  soleil,  l'olivier  couvre  jusqu'à  700  mètres  les  pentes  des 
montagnes,  mêlé  aux  plantes  toujours  vertes  propres  au 
climat  méditerranéen  :  pins  d'Alep,  pins  parasols, 
caroubiers,  chênes  verts,  arbousiers, mimosas,  myrtes,  etc., 
auxquels  s'ajoutent,  dans  les  lieux  les  mieux  exposés. 
1  oranger  et  le  palmier.  .\\x  milieu  des  jardins  étages,  les 
villas,  les  hôtels  mettent  leurs  taches  lumineuses.  On  con- 
naît la  renommée  mondiale  de  San  Remo,  Bordighera. 
Porto-Maurizio,  Nervi,  Chiavari,  Sestri- Levante.  Ra- 
pallo,  Viaresgio,  fréquentés  d'octobre  à  avril  par  les  hi- 
vernants de  tous  les  pays,  et  l'été  par  les  Italiens  amateurs 
de  bains  de  mer. 

De  plus,  les  Ligures  furent  de  tout  temps  une  race  de 
marins  aventureux  et  âpres  au  gain.  Tous  les  petits 
havres  de  la  côte  ont  leur  flottille  de  pêche  ou  de  cabotage 
et  fournissent  à  l.i  manne  marchande  du  royaume  une 
bonne  part  de  ses  meilleurs  matelots.  Ces  aptitudes  ma- 
ritimes ont  trouvé  leur  plus  forte  expression  dans  l'his- 
toire de  Gênes. 

La  République  Gcnoijc  (ul,  pendant  tout  le  Moyen  Age.  la 
rivale  souvent  heureuse  de  Venise.  Elle  eut  comme  elle  ses  riche» 
comptoirs  du  Levant  et  concentra  entre  ses  mains  une  partie  du 
commerce  des  épices.  Comme  Venise,  elle  eut  aussi  son  domaine 
de  terre  ferme,  et,  par  l'absorption  successive  de  ses  voisines  •. 
Vinlimille,  .-Xlbcnga,  Savone,  moins  favorisées  et  moins  bien  pla- 
cées, elle  étendit  ses  frontières  depuis  le  comté  de  Nice  jusqu'à 
la  Toscane.  Elle  fut  même  suzeraine  de  la  Corse  et  conserva  son 
indépendance  jusqu'au  début  du  XIX°  siècle.  Elle  n'est,  il  est  vrai, 
en  rien  comparable  à  Venise  dans  le  domaine  de  l'art  et  de  la 
beauté.  Certes,  sa  situalion  est  fort  pittoresque.  Ses  hautes  maisons 
en  amphithéâtre  qui  se  pressent  au  long  de  ruelles  étroites,  les 
palais  de  ses  patriciens,  son  vieux  port  plein  de  soleil,  composent 
un  ensemble  qui  rappelle,  sans  l'égaler,  la  vue  de  Marseille,  sa 
rivale  provençale.  Mais  elle  n'eut  jamais  d'école  d'art.  Il  semble 
que  la  race  Ligure  soit  assez  peu  portée  aux  spéculations  désinté- 
ressées et  se  soucie  médiocrement  de  faire  œuvre  de  beauté.  Ainsi 
s'explique  l'étonnante  infériorité  artistique  de  toutes  les  cités  qui. 
de  Gènes  à  Barcelone,  bordent  la  Méditerranée,  si  on  les  compare 
,H  tant  d'autres  cités  italiennes  ou  françaises  qui  n'avaient  cepen- 
dant ni  leur  richesse,  ni  les  séductions  de  leur  ciel  et  de  leur 
lumière,  ces  divins  inspirateursdu  génie. 

Apres  une  éclipse  passagère  due,  comme  celle  de  Venise,  au 
déplacement  des  grandes  routes  commerciales,  Gênes  reprit  dans 
la  seconde  moitié  du  XK®  siècle,  une  importance  sans  cesse  accrue. 
Elle  le  dut  moin*  à  l'excellence  naturelle  de  son  port,  qu'il  fallut 
agrandir  considérablement  et  à  grar  ds  frais,  qu'à  sa  position  euro- 
péenne qui  fait  d'el'e  !e  débouché  naturel  non  seulement  de  la 
partie  la  plus  productive  de  l'Italie,  mais  aussi  d'une  partie  de 
l'Europe  centrale,  depuis  le  percement  des  grands  tunnels  alpestrfs 
du  mont  Cenis,  du  Saint-Gothard  et  du  Simplon.  Siège  de 
grandes  lignes  de  ravigation  (C*  Florio-Bubattino),  en  relations 
régulières  avec  tout  le  bassin  méditerranéen,  l'Amérique  du  Sud, 
l'Extrême-Orient,  elle  devient  de  p'us  en  plus,  comme  la  plupart 
des  grands  p>ri3,  un  centre  industriel.  Lorsqu'on  vient  de  France 
par  la  ligne  de  Vinlimille  on  ne  traverie,  entre  Sdvonc  et  Gênes, 
qu'une  si.ite  ininterrompue  d'usines  et  d'ateliers  (à  San  Pierd'Arena, 
Sestri.  etc.)  où   l'on  tisse  le  colon,  où    l'on   fabrique  des    pro^tits 


165 


L'EUROPE 


chimiqies,  où  l'on  travaille  surtout  le  1er.  Aussi  Gênes,  qui  n  avait 
que  128  000  habitantsen  1861,  en  a  maiiilenanl  plus  ce  300  000,  et 
son  tonnage  passa  de  I  156  000  tonnes  en  1880  à  14  510  000 
en  1913,  classant  la  \i\]e  au  huitième  rang  des  ports  européens. 


Spezia  (70  000  habitants),  au  fond  d'une  des  plus  belles 
et  des  plus  sûres  rades  me'diterranéennes,  est,  depuis  1 869, 
devenu  le  premier  port  militaire  du  royaume. 


TRENTIN  ET  TYROL    ITALIEN 


La  Grande  Guerre  a  permis  à  l'Italie  de  réaliser  le 
rêve  des  patriotes  "irrédentistes"  et  d'acquérir  les  terres 
qui  lui  manquaient  encore  pour  achever  son  unité  terri- 
toriale. Désormais  toutes  les  vallées  —  sauf  celle  du 
Tessin —  qui,  du  faîte  des  Alpes,  s'inclinent  vers  la  plaine 
Padane  et  les  rivages  de  l'Adriatique,  font  partie  inté- 
grante du  royaume.  Le  tracé  de  la  frontière,  si  défavo- 
rable jusqu'alors  à  nos  voisins,  est  heureusement  rectifié 
de  telle  sorte  que,  de  l'Oezthal  à  Fiume  par  le  seuil  du 
Brenner,  les  massifs  du  Zillerthal  et  des  Defîereggen,  le 
passage  de  Toblach,  les  Alpes  Carniques  et  Juliennes, 
les  plateaux  du  Carso  enfin,  les  Italiens  se  trouvent  ins- 
tallés sur  les  crêtes  les  plus  élevées  et  les  cols  principaux 
qui  sont  à  la  fois  la  clef  et  le  rempart  de  leur  patrie. 

La  vallée  moyenne  de  l'.Adige,  avec  le  cours  du  Sarca 
affluent  du  Pô,  forment  le  Trentin,  subdivisé, comme  il 
est  d'uscige  dans  les  Alpes,  en  nombreuses  petites  régions 
naturelles  qui  correspondent  à  chaque  vallée  :  Lagarine, 
Valsugana,  Val  di  Fiemme,  Val  di  Non,  Giudicaria,  etc. 
Longtemps  gouverné  par  des  évêques  princes  du  Samt-Em- 
pire,  puis  rattaché  directement  à  l'Autriche  qui  en  fit  un 
simple  district  de  la  province  du  Tyrol,  le  Trentin  couvre 
environ  6000  kilomètres  carrés,  et  ses  400  000  habitants  en 
chiffres  ronds  sont  entièrement  italiens.  1 3  pour  !  00  seule- 
ment de  la  population  se  concentrent  dans  les  villes  :  Trente 
la  capitale  (30  000  habitants),  où  abondent  les  souvenirs 
d'un  glorieux  passé:  cathédrale,  palais,  tours,  château 
des  princes-évêques,  etc.,  Rovereto  (10000  habitants), 
où  Bonaparte  défit  une  armée  autrichienne,  Levico,  Riva 
(8  000  habitants),  sur  les  rives  exquises  du  lac  de  Gcu-de, 
etc.  Le  reste  se  disperse  dans  de  nombreux  bourgs  ou 
petits  villages  échelonnés  le  long  des  rivières,  près  des 
ruines   pittoresques  d'antiques  forteresses. 

Dociles,  conserv'ateurs,  respectueux  du  principe  d'au- 
torité, élément  d'ordre  par  excellence  ",  les  paysans  du 
Trentin  cultivent  avec  soin  la  vigne  surtout  (près  d'un 
million  d  hectolitres  annuellement),  puis  le  mûrier,  le 
blé,  le  maïs  et  les  arbres  fruitiers  qui  donnent  des  pro- 
duits excellents  au  fond  des  vais,  sur  les  pentes  ensoleil- 
lées des  monts.  Plus  haut,  on  exploite  les  forêts  de  châ- 
taigniers, de  frênes,  de  mélèzes,  de  sapins  ;  on  élève 
bœufs,  moutons,  chè\Tes  dans  les  "maighe"  ou  alpages 
que  fréquentent  aussi  les  troupeaux  transhumans  venus 
des  plaines  Vicentines.  Contrairement  à  ce  qui  existe 
dans  le  reste  de  l'Italie,  la  petite,  la  très  petite  propriété 
est  dérègle.  Dans  beaucoup  de  villages  on  ne  trouve  pas 


un  seul  paysan  qui  ne  soit  propriétaire.  Cependant  la  ra- 
reté des  espaces  cultivables,  et  surtout  les  procédés  tyran- 
niques  de  1  administration  autrichienne,  le  peu  d'attention 
qu'elle  accordait  systématiquement  à  ses  sujets  italiens, 
empêchaient  la  province  de  prospérer  comme  elle  aurait 
dû.  La  population  locale  s'accroissait  avec  une  extrême 
lenteur,  et  chaque  année  20000  émigrants  quittaient,  gé- 
néralement pour  toujours,  leur  petite  patrie. 

Ces  conditions  vont  se  modifier  sans  doute.  Si  les  cul- 
tures ne  peuvent  guère  s'étendre,  l'exploitation  des 
mines  et  carrières  (plomb,  cuivre,  marbre,  etc.),  trop 
négligée  jusqu'alors,  et  surtout  l'utilisation  des  forces 
hydrauliques  (44  chevaux  hydrauliques  par  kilomètre 
carré  contre  18  pour  le  reste  de  l'Italie)  peuvent  donner 
un  vif  essor  aux  industries  (filatures  et  tissage  de  la 
soie,  puis  de  la  laine  et  du  coton,  papeterie,  travail  du 
bois)  encore  dans  l'enfance,  mais  auxquelles  les  beaux 
résultats  obtenus  à  Schio,  Brescia,  Biella,  etc.,  pro- 
mettent un  avenir  assuré. 

Toute  la  partie  supérieure  du  bassin  de  l'Adige 
forme  la  section  méridionale  du  Tyrol.  Elle  fut  autrefois 
peuplée,  comme  le  Trentin,  de  Latins,  et  les  dialectes 
romans  s'y  maintinrent  jusqu'au  milieu  du  Moyen  Age. 
Encore  aujourd'hui  on  pcirle  surtout  italien  dsms  tout  le 
district  de  Bolzano  (Bozen).  Seules  les  hautes  vallées 
de  l'Adige  (Passeierthal),  de  l'Etsch  ( Vintschgau) , 
de  l'Eisach  ont  été  germanisées.  Par  son  climat  doux, 
plein  de  soleil,  par  ses  cultures,  l'c^chitecture  de 
ses  maisons  et  de  ses  églises,  etc.,  ce  TjTol  méridional 
n'est  guère  moins  italien  que  le  Trentin  dont  il  est  le 
prolongement  naturel.  Aussi  malgré  les  réclamations  des 
quelques  groupes  de  Tjroliens  allemands  fixés  au  Sud 
du  Brenner,  le  Gouvernement  italien  avait-il  toutes  les 
raisons  du  monde  d'annexer  des  territoires  qui,  par 
ailleurs,  lui  sont  absolument  indispensables  pour  assurer 
la  sécurité  de  sa  frontière. 

Culture  dans  les  vallées,  élevage  et  exploitation  des 
forêts  sur  les  hauteurs,  telles  sont  les  ressources  essen- 
tielles des  Tyroliens,  qui  tirent  également  bon  parti  de  la 
masse  de  touristes  attirés  par  la  splendeur  des  Alpes 
Dolomitiques. 

Les  seules  agglomérations  urbaines  que  1  on  peut 
citer  sont  Bolzano,  Brixen  et  Sterzin  sur  la  grande  voie 
ferrée  du  Brenner,  Bruneck  sur  la  ligne  qui  mène  à 
la  vallée  de  la  Drave  par  le  col  de  Toblach,  Méran  à 
l'entrée  du  Vintschgau. 


166 


L'ITALIE 


VENISE  :  LA  PIAZZFTTA.  LE  PALAÏS  DES  DOGES.  LE  CAMPANILE.  (è  étoite  A  h  photographie),  la  BMothèQuc.  le  l'aiais  »c^l'focufa^tci  et  U  notwtau 

l'atiit  s'est  céiftcc  t>cu  à  t>cu  sut  un  grotibc  de  pttUc»  ifrisanêcs  dan:  une  lagunt  que  ta  CamfxiniU édifie  ^nr  le  modèle  du  cloehei  primitif  (qui  t'r'croula  en  1902).  La  iplen-  \ 

langue  de  tahfe  du  Lido  iet>are  de  ta  mer.  La  plu»  large  de  ces  tics  porte,  a  l'entrée  du  deur  de  cet  eruemllc  aichitcclural,  que  baigne  une  exquiic  lumière,  suffit  à  révéler  la  . 

Grand  Canal  deux  places  eneadrét*  par  U  Palais  da  Doges,  l'Égliif  Saint  Mare  richesse  et  le  goût  des  Vénitiens  du  temps  passé.  CI.  PHOTO-GlOB.  1 


167 


L'EUROPE 


SAN  REMO.  Bâfie  en  amohilhéâtre  sur  les  pentes  d'une  colline,  dans  un  cadre 
exquis  de  montagnes  boisées,  aux  pentes  couvertes  de  villas  et  de  parcs,  San  Remo 
est  la  perle  de  la  Ridera  du  Ponant,  qui  prolonge  notre  Cale  d'Azur  aux  rives 
courhes  du  golfe  de  Gênes.  Cl.  ChusSEAU-FuaviENS. 


POLA  :  LE  PORT  ET  LES  ARENES.  A  l'extrême  pointe  de  ristrie.  Pola  fut. 
jusqu'en  J91iS,  le  grand  port  de  guerre  de  l'Autriche.  Ancienne  colonie  romaine, 
elle  conserve  de  précieux  monuments  du  passé:  temple  d'Auguste,  Porte  Dorée 
arènes  immenses.  CI.  Alois  Beer. 


BERGAME  :  LE  PALAIS  VIEUX.  Bergame.  comme  nombre  d'autres  cités 
anciennes,  a  dû  s'accommoder  à  des  conditions  économiques  nouvelles.  La  haute 
ville  conserve  ses  rues  étroites  et  silencieuses  et  ses  monuments  dupasse.  Au  bas 
de  la  colline,  la  ville  neuve  est  devenue  le  centre  du  commerce       CI.  BoULANGER. 


SAN  GIMIGNANO.  Cette  étonnante  villette  de  Toscane  surnommée  la  "  Pom- 
péi"  du  Moyen  Age,  permet  d'évoquer  le  temps  où  les  luttes  fratricides  entre  Guelfes 
et  Gibelirjs  obligeaient  chaque  famille  nolle  à  faire  de  sa  maison  une  forteresse. 
Pour  4  000  habitants  on  compta  60  tours.  Il  en  subsiste  13.     CI.  BoULANCER. 


?lSZ:LE.DOy£Er  LE  BAPTISTÈRE.  Pise  gui  fut,  duXl'^  au  XIII^  siècle. 
'  uiedzspluz  riches  républiques  de  la  péninsule,  fut  aussi  l'une  des  premières  à  se  don- 
r^r  lil«  SQ-uptutiise  parure  d'art.  L'ensemble  formé  par  le  Dôme,  le  Baptistère,  la 
lO-Jf  Penzfiéi  et  U  Campa  Scnto  est  justement  célèbre.  Cl.  Maurel. 


168 


PÉROUSE  :  LE  PALAIS  PUBLIC.  L'ancienne  cité  étrusque  de  Pérouse  eut,  au 
Moyen  Age,  comme  toutes  les  républiques  italiennes,  une  vie  fort  mouvementée. 
Centre  des  écoles  d'Ombrie.  patrie  du  Pérugin,  elle  occupe  uneplace  de  premier  rang 
dans  l'histoire  de  l'art  italien.  CI.  Maurel. 


LITALIE 


PROVINCES  DE  LADRIATIQUE  :  GORI- 
ZIA.  TRIESTE.  ISTRIE.  DALMATIE.  0  0 
Si  "  l'italianilé  "  du  Trenlin  n'a  pas  besoin  dêtie 
démontrée,  celle  de  la  valle'e  de  l'isonzo  et  des  côtes 
de  ristrie  n'est  pas  moins  certaine.  A  Gorizia  comme  à 
Monfalcone,  si  durement  éprouvés  par  la  guerre,  à 
Tneste  comme  à  Pela,  tout  est  italien  :  le  ciel,  la  végé- 
tation et  les  hommes. 

Au  delà  du  golfe  de  Quarnero,  "  che  itaiia  chiude  o 
s-uoi  termini  bagna  ",  la  côte  et  les  iles  Daimates,  isolées 
de  l'intérieur  par  de  hautes  terres  difficiles  à  fremchir, 
sont  aussi  tout  italiennes  d'aspect  et  leurs  relations  natu- 
relles s  établirent  de  tout  temps  avec  les  rivages  italiens 
qui  leur  font  face.  Rome  les  colonisa  (Spalato  doit  son 
nom  au  palatium  de  Dioclétien).  Venise,  qui  les  gou- 
verna pendant  huit  siècles,  y  laissa  partout  sa  forte 
empreinte. 

Mais  la  vague  slave  qui,  à  partir  du  IX'  siècle  de 
notre  ère,  vint  déferler  sur  toute  l'Europe  du  Sud-Est. 
s'étala  jusqu  à  l'Adriatique,  jusqu'aux  plaines  du  Frioul. 
limitant  ainsi  étroitement  le  domaine  des  Latins.  Si  l'on 
parie  italien  ci  Gorizia,  à  Duino,  à  Trieste,  les  plateaux 
calcaires  qui  les  dominent  immédiatement  sont  unique- 
ment peuplés  de  Slaves.  A  partir  de  Fiume,  Slovènes. 
Croates,  Daimates  se  sont  même  établis  aux  rives  de 
r.Adriatique  dans  les  îles  qui  le  bordent,  et  les  com- 
munautés italiennes  de  Zara,  Sebenico,  Spalato,  etc..  ne 
forment  plus  que  des  ilôts  perdus  dans  la  masse  du 
peuple  slave. 

De  là  lc5  grandc5  cli(6cultcs  que  l'on  eul,  après  la  Grande 
Guerre,  à  faire  un  partage  équitable  entre  les  populations  qui  se 
réclamaient  de  l'Italie  et  celles  qui  voulaient  cire  unies  au  nouveau 
royaume  yougo-slave  des  Serbes.  Croates,  Slovènes. 

La  solution,  adoptée  après  de  longs  atermoiements,  n'a  satisfait 
—  et  ne  pouvait  satisfaire  —  ni  les  Slaves,  qui  voient  attribuer  à 
l'Italie  400000  ou  500  000  de  leurs  frères  fixés  en  Istrie  et  sur  le 
Carso,  ni  les  Italiens  qui,  pour  des  raisons  à  la  fois  historiques. 
'  géographiques,  économiques  el  stratégiques,  auraient  tenu  à  conser- 
ver la  Dalmatie  tout  entière. 

Les  nouvelles  acquisitions  de  l'Italie  n'ont  point  par 
elles-mêmes  une  valeur  économique  bien  grande.  Si 
l'on  met  à  part  la  vallée  fertile  de  l'isonzo  el  la  mince 
bande  littorale  propre  à  certaines  cultures  méditerra- 
néennes, telles  que  la  vigne  et  l'olivier,  tout  le  reste  se 
compose  de  plateaux  calcaires  appelés  "  carso  "  {karsl  en 
allemand),  secs,  déboisés,  fort  arides,  balayés  par  le 
souffle  glacé  de  la  "  bora.",  criblés  de  gouffres,  d'enton- 
noirs innombrables  ("  foibe  "  des  Italiens.  "  dolines  " 
des  Slovènes),  où  la  roche,  partout  à  nu,  ne  saurait 
nourrir  les  plantes  les  moins  exigeantes.  Peu  ou  point 
d'eau  k  la  surface,  mais,  dans  les  profondeurs  des 
assises   calcaires,    des     rivières     souterraines,     des    lacs 


obscurs,  bref  toute  la  série  des  phénomènes,  appelés  du 
reste  carstques  ou  karstiques,  que  l'on  observe  en 
tant  d'autres  pays  (Causses,  Jura.  Grèce,  etc.)  de  même 
formation  géologique.  Les  petits  villages,  très  dispersés, 
faciles  à  confondre  de  loin  avec  les  rocs  qui  les  sur- 
montent, se  logent  dans  les  foibe  "  les  plus  vastes, 
à  l'abri  du  vent,  à  proximité  des  champs  minuscules 
que  l'ingéniosité  des  paysans  aménagea  au  fond  des 
entonnoirs  les  plus  accessibles. 

Mais  d'abord  la  possession  du  Carso  donne  à  l'Italie 
une  excellente  frontière  stratégique  appuyée  sur  la  crête 
des  Alpes  Juliennes  et  le  Monte-Nevoso,  vraies  bornes 
naturelles  de  la  péninsule,  commandant  la  seule  brèche 
qui  mène  de  Trieste  et  Fiume  vers  l'Europe  Centrale 
par  le  col  d'Oberlaibach,  le  "  Nauporlus  "  de  Strabon. 

De  plus  si,  sur  les  plateaux  du  Carso,  la  population 
est  de  petite  densité,  la  vallée  de  l'isonzo  et  les  rivages 
de  l'Adriatique  nourrissent,  au  contraire,  plus  de  100  ha- 
bitants au  kilomètre  carré,  grâce  soit  à  la  fertilité  du 
sol,  soit  au  produit  de  la  pêche  et  du  commerce  mari- 
lime.  C'est  en  Istrie,  en  effet,  non  moins  qu'en  Dalmatie. 
que  l'Autriche  recrutait  les  meilleurs  marins  de  ses 
flottes  de  commerce  et  de  guerre. 

Enfin  la  possession  de  Trieste  et  l'activité  de  la  colonie 
italienne  qui  vit  dans  Fiume  autonome  assurent  à  l'Italie 
les  débouchés  maritimes  les  plus  importants  de  la  Yougo- 
slavie, de  l'Autriche,  de  la  Hongrie,  de  la  Tchéco- 
slovaquie même.  C'est  là,  en  effet,  qu'aboutissent  les 
votes  ferrées  venant  de  Vienne,  de  Prague,  de  Buda- 
pest, de  Zagreb.  (La  ligne  plus  méridionale,  qui  atteint 
Raguse  par  Sarajevo,  n'a  présentement  qu'une  minime 
valeur.) 

Trieste  (l'ancienne  Tergeste),  longtemps  gênée  par  la 
difficulté  des  communications  avec  l'intérieur,  a  fait  de 
très  remarquables  progrès  depuis  la  construction  des 
voies  ferrées.  Son  double  port,  profond  et  très  sûr, 
considérablement  eigrandi  dans  les  dernières  années  qui 
précédèrent  la  guerre,  reçut,  en  1913,  12000  navires 
jaugeant  9000000  de  tonneaux.  Elle  occupait  alors, 
après  Marseille,  Naples  et  Gênes,  le  quatrième  rang  des 
ports  méditerranéens,  et  ses  247000  habitants  faisaient 
d'elle  la  troisième  cité  de  l'Empire  autrichien. 

Fiume  est  une  création  du  Royaume  hongrois  désireux 
de  posséder,  en  dehors  de  Trieste,  un  port  qui  lui  appar- 
tint en  propre.  Elle  compte  50000  habitants  environ, 
dont  20000à  25  000  Slaves,  et  reçut,  en  1913.  16000 
navires  jaugeant  6000000  de  tonneaux. 

A  la  pointe  Sud  de  l' Istrie,  Pola  (60000  habitants) 
était  le  grand  port  militaire  de  la  double  monarchie. 

L'Italie  possède  aussi  quelques  iles  Daimates  et  le  territoire  de 
Zara.  (V.  le  chapitre  consacré  à  la  Yougo-Slavie.) 


CioCRAPHtE  l'NIVEJISELL£. 


169 


17 


L'EUROPE 


L'ITALIE  CENTRALE 


Au  delà  de  Spezia,  la  roule,  venant  de  Gênes,  fran- 
chit le  torrent  de  la  Magra  qui  limite  la  Ligurie.  A  l'Est, 
au  flanc  des  Alpes  Apuanes,  contrefort  de  l'Apennin,  des 
taches  d'un  blanc  éblouissant  qui  tranchent  sur  le  ton 
sombre  des  bois,  révèlent  les  carrières  fameuses  d'où 
s'extrait  le  marbre  de  Carrare.  Puis,  peu  à  peu,  les 
montagnes  s'écartent  de  la  mer,  et,  par  l'ancien  duché 
de  Massa,  la  riante  V'ieireggio,  on  entre  dans  la  plaine 
de  Pise,  vestibule  de  la  Toscane. 

LA  TOSCANE.  e>  fl  Avec  la  Toscane  nous 
pénétrons  dans  la  partie  la  plus  belle,  la  plus  variée,  la 
plus  pittoresque  de  l'Italie,  celle  que  l'on  aime  du  plus 
profond  amour,  celle  que  rêvent  ceux-là  même  qui  ne 
l'ont  point  connue  et  qui  ne  peuvent  que  se  l'unaginer 
d'après  les  chants  des  poètes,  les  louanges  des  voyageurs, 
l'admiration  des  artistes.  C'est  l'Italie  que  Virgile  saluait 
en  vers  triomphants  et  qu'il  nous  montrait  "  chargée  de 
villes  superbes  et  de  monuments  du  travail  humain,  avec 
ses  bourgs  fortifiés  sur  les  rocs  abrupts  et  ses  fleuves 
baignant  d'antiques  murailles  "  ;  l'Italie  du  soleil  et  de 
la  lumière,  de  l'olivier  et  de  la  vigne,  l'Italie  où,  comme 
dans  les  tableaux  qu'elle  inspira  au  Poussin,  le  paysage 
se  marie  avec  les  édifices,  l'œuvre  de  la  nature  avec 
celle  des  hommes,  si  bien  qu'il  est  difficile  de  dire 
laquelle  des  deux  prête  à  l'autre  plus  de  grandeur  et  de 
charme  ".  (Vidal  de  Lablache.) 

La  Toscane  tire  son  nom  des  anciens  Etrusques,  ou 
Tusci,  qui  établirent  le  centre  de  leur  puissance  dans  la 
zone  de  plateaux  et  de  collines  comprise  entre  la  mer, 
les  vallées  de  l'Arno  et  du  Tibre. 

On  ne  sait  à  peu  près  rien  sur  les  origines  el  l'hisloire  de  ce 
peuple,  el  les  inscriptions  qu'il  laissa  demeurent  jusqu'ici  indéchif- 
frables. Mais  les  traces  vivantes  du  haut  degré  de  civilisation  auquel 
il  était  parvenu  subsistent  encore  sur  tout  le  sol  de  la  Toscane  el 
confirment  les  déclarations  des  historiens  romains.  D  une  part,  les 
Etrusques  entretinrent  d'étroites  relations  commerciales  avec 
l'Orient  :  Phénicie  et  Hellade.  La  majeure  partie  des  vases  dits 
étrusques,  trouvés  dans  les  nécropoles  de  Tarquinii,  de  Vulci, 
d'Orvieto,  etc.,  sont  des  vases  grecs  sortis  du  Céramique 
d'Athènes  ou  des  ateliers  de  Corinthe  ;  et  ce  sont  sans  doute  des 
artistes  grecs  qui  couvrirent  les  parois  des  chambres  funéraires  de 
figures  et  d'ornements  peints  du  style  le  plus  élégant.  D'autre  part, 
les  Etrusques  lurent  très  certainement  d'habiles  agriculteurs  et  des 
constructeurs  de  premier  ordre.  Ils  détrichèrent  et  assainirent  les 
marais  de  la  côte,  multiplièrent  les  aqueducs,  les  ponts,  trans- 
mirent aux  Romains,  leurs  vainqueurs,  le  goût  des  édifices  colos- 
saux, l'usage  de  la  voûte  et  de  l'arcade  inconnu  des  Grecs.  Les 
murailles  qui  défendaient  leurs  cités  maltresses  subsistent  encore, 
après  trente  siècles,  à  Fiesole,  à  Volterra,  à  Cornelo,  etc.,  et  leurs 
riches  hypogées,  semblables   aux  nécropoles    égyptiennes,   forment 

170 


par  endroits,  à  Cometo  notamment,  de  véritables    villes  funéraires, 
éloquent  témoignage  de  leur  grandeur. 

Le  cœur  de  la  Toscane  est  la  vallée  de  TAmo 
(280  kilomètres),  le  fleuve  le  plus  important  de  la 
pe'ninsule  après  le  Tibre. 

Né  dans  TApennin,  TArno  se  dirige  d'abord  vers  le 
Sud  à  travers  une  vallée  riante,  vêtue  de  forêts,  le  vert 
Casentm,  très  fréquenté  comme  villégiature  estivale,  el 
qui  fut  autrefois  un  centre  de  vie  monastique  intense 
(abbaye  des  Camaldules,  couvent  franciscain  de  la 
Verna).  A  Arezzo  (  1 6  000  habitants),  patrie  de 
Pétrarque  et  de  TArétin,  l'Arno  se  recourbe  vers  le 
Nord,  laissant  au  Sud  la  dépression  du  Val  de  Chiana, 
ancien  lac  transformé  en  marais  pestilentiel,  qui  ne  fut 
colmaté  et  assaini  qu'au  XV^  siècle.  Puis,  longeant  la 
base  des  monts  de  Chianti,  dont  les  flancs  sont  couverts 
de  vignobles  fameux,  et  ceux  du  Prato  Magno,  où 
labbaye  bénédictine  de  Vallombrosa  se  cache  sous  les 
grands  chênes,  il  débouche  dans  la  conque  ensoleillée 
où  Florence  naquit. 

Florence  résume  et  symbolise  toute  la  Toscane  et 
tout  le  génie  toscan,  fait  de  force  et  de  grâce  à  Timage 
du  pays  où  il  s'est  formé. 

A  l'époque  romaine,  les  routes  qui  unissaient  la  Ville  Eternelle 
d  la  Gaule  Cisalpine  évitaient  l'Apennin  toscan  :  aussi  la  vieille 
forteresse  étrusque  de  Fiesole  suffisait  à  veiller  sur  la  vallée  de 
l'Arno.  Mais,  au  Moyen  Age,  des  relations  directes  s'établirent 
entre  le  centre  de  l'Italie  et  les  pays  du  Nord  par  les  cols  toscans, 
et,  au  pied  de  la  colline  de  Fiesole,  grandit  la  Ville  des  Fleurs. 
Devenue,  dès  le  XIII*^  siècle,  une  république  puissante,  enrichie  par 
l'industrie  de  la  laine  et  le  commerce  de  l'argent,  elle  étendit  peu 
à  peu  sa  domination  sur  les  autres  cités  toscanes,  ses  rivales,  et, 
sous  la  direction  éclairée  des  Médicis,  joua  un  des  rôles  essentiels 
dans  la  vie  politique  de  la  péninsule.  Dans  le  même  temps,  elle 
donnait  le  jour  ou  l'hospitalité  à  toute  une  pléiade  d'écrivains,  de 
poètes  (Dante,  Pétrarque,  Boccace,  etc.)  qui  fixaient  la  langue 
italienne  en  assurant  au  dialecte  toscan  la  prééminence  sur  tous  les 
autres,  tandis  qu'une  admirable  série  d'artistes  de  génie,  depuis 
Giotto.  Brunellesco  et  Masaccio  jusqu'à  Léonard  de  Vinci  el  à 
Michel-Ange,  la  comblaient  de  leurs  chefs-d  œuvre  et  servaient  de 
modèles  non  seulement  à  l'Italie  mais  au  monde. 

Aujourd'hui  Florence  n'est  plus  une  grande  cité  industrielle  et 
un  grand  centre  d'échanges.  Sa  population  stable  (242000  habitants) 
s'accroît  fort  lentement.  Mais  elle  reste  un  foyer  de  culture  déli- 
cate, d'études  désintéressées,  la  ville  d'Italie  qui  parle  le  plus  à 
l'esprit,  et  des  milliers  d'étrangers  viennent  chaque  année  visiter 
ses  musées  incomparables,  ses  palais»  ses  églises,  errer  sur  les 
collines  de  Fiesole  ou  de  S^n  Minlato,  goûter  le  charme  unique  et 
céder  à  la  prenante  séduction  d'un  des  lieux  du  monde  les  mieux 
faits  pour  le  bonheur. 

Dans  le  même  bassin  de  Florence,  Prato 
(20000  habitants),  Pistoja  (28000  habitants)  forment 


L-  ITALIE 


comme  la  grande  banlieue  industrielle  de  la  ville  capitale. 
Puis  la  vallée  de  l'Arno  se  resserre  à  nouveau  avant  de 
déboucher  au  delà  dEmpoli  sur  la  plaine  que  1  Arno  con- 
struisit de  SCS  alluvions.  Pise  (24  000  habitants)  qui  fut  aux 
XII*  et  XIH"  siècles  une  puissante  cité  maritime,  rivale  de 
Gènes  et  de  Florence,  se  trouve  aujourd  hui  loin  de  la  mer 
et  somnole  entre  ses  vieilles  murailles,  mais  elle  conserve 
de  son  glorieux  passé  l'étonnant  ensemble  du  Baptistère, 
de  la  Tour  Penchée,  du  Dôme,  du  Campo  Santo,  I  une 
des  merveilles  de  l'Italie.  Au  Sud  de  Pise,  Livourne 
(108000  habitants)  est  une  des  rares  villes  de  Toscane 
qui  ne  présente  aucun  intérêt  artistique.  C  est  une  cité 
neuve,  en  effet,  qui  a  remplacé  Pise  comme  débouché 
maritime  de  la  Toscane.  Très  active,  elle  se  classe  au  qua- 
trième rang  parmi  les  ports  italiens.  .Au  Nord,  Lucques 
(79000  habitants)  complète  la  série  des  cités  marquantes 
de  la  basse  Toscane.  Elle  sert  de  point  de  départ  pour  la 
pittoresque  région  de  la  Garlagnana,  drainée  par  le 
Serchio,  et  où  des  sources  thermales  et  la  beauté  des 
sites  attirent  en  été  nombre  d  étrangers. 

Au  Sud  de  la  vallée  de  l'Arno  s'étendent  les  plateaux 
toscans.  Ils  se  composent  d'un  ensemble  de  collines  et 
de  montagnettes  arrondies  d'une  altitude  moyenne  de 
500  à  600  mètres,  et  dont  le  sol  d'argile  grise  se  ravine 
aisément  sous  l'action  des  eaux.  A  l'époque  des  pluies 
d'automne,  les  ravins  (Cecino,  Ombrone.  etc.)  se  trans- 
forment en  coulées  épaisses  de  boue  jaunâtre,  et  les 
glissements  de  terrain  sont  fréquents.  Jadis  couvertes  de 
forêts,  les  montagnes  apparaissent  aujourd'hui  presque 
nues  ou  vêtues  de  broussailles  maigres.  Mais  des  oli- 
vettes garnissent  leurs  flancs.  De  vieilles  forteresses,  des 
bourgades  aux  murs  crénelés  s'érigent  sur  les  som- 
mets. Çà  et  là  de  noirs  cyprès  fuselés,  quelques 
pins  en  boule  abritent  une  ferme  aux  murs  bariolés  de 
rose,  et  tranchent  par  leurs  tons  sombres  sur  le  bleu 
des  collines  lointaines.  On  retrouve  ainsi  à  chaque  pas, 
sous  la  fine  lumière  d'un  ciel  limpide,  ces  paysages 
maigres,  nels,  sobres  que  I  on  voit  se  profiler  derrière 
les  madones  dans  les  tableaux  des  vieux  maîtres  toscans. 

San  Cimignano,  la  ville  aux  cent  tours,  qui  a  conservé 
presque  intact  son  aspect  du  XI\''  siècle  (Massirno 
d'Azeglio  l'appelait  :  la  Pompéï  du  Moyen  Age)  ; 
Sienne  (40000  habitants),  l'adorable  Sienne,  qui  déploie 
sur  sa  triple  colline  l'amphithéâtre  de  ses  palais,  de  ses 
églises,  de  ses  musées  si  riches  en  chefs-d'œuvre  des 
Primitifs  ;  Volterra,  l'antique  Velathri.  ceinte  d'un  rem- 
part où  les  murailles  florentines  se  relient  aux  murailles 
étrusques  sont  les  cités  les  plus  intéressantes  du 
plateau  toscan. 

La  côte,  où  se  déposent  les  alluvions  charriées  par 
les  petits  fleuves  qui  dégringolent  du  plateau,  serait 
extrêmement  fertile  et  productive  si  la  meilaria  "  n'y 
régnait   encore   en  maîtresse.  Ces     '    maremmes  "  tos- 


canes au  sol  spongieux,  mal  drainé,  se  présentent  comme 
une  succession  de  marais,  de  bois  très  épais,  de  prairies 
mêlées  de  roseaux  ou  descendent  pendant  l'hiver  les 
pâtres  de  la  monljigne.  On  voit,  çà  et  la,  leurs  huttes  de 
branchages  groupées  à  l'orée  des  bois,  et  les  buffles 
aux  cornes  gigantesques  vautrés  jusqu'au  cou  dans  la 
boue  des  marais.  Cependant  l'œuvre  d'assainissement  et 
de  défrichement  est  commencée  avec  de  bons  résultats. 
De  plus,  des  mines  de  cuivre  et  de  borcix,  groupées 
dans  la  région  de  Volterra,  sont  activement  exploitées. 
Au  large,  l'Archipel  toscan  dont  l'île  d'Elbe,  riche 
en  gisements  de  fer,  est  la  reine,  forme  un  pont  naturel 
entre  la  Toscane  et  la  Corse  (lies  de  Capraja,  Monte- 
Christo,  Pianosa,  Ciglio). 

L'OMBRIE.  00  Comme  la  vallée  de  l'Arno  est 
le  cœur  de  la  Toscane,  la  vallée  supérieure  et  moyenne 
du  Tibre  est  le  cœur  de  l'Ombrie. 

Le  Tibre  (403  kilomètres),  le  second  fleuve  de  l'Ita- 
lie, naît  dans  l'.-Xpennin  Emilien,  mais  pénètre  prompte- 
ment  dans  l'Apennin  Ombrien  par  un  étroit  couloir 
dominé  de  monts  boisés.  Une  série  de  très  vieilles  villes 
que  signalent,  de  loin,  les  tours  élancées  de  leurs  palais 
communaux,  ont  conservé  sans  grandes  modifications 
leurs  enceintes  de  murailles,  leurs  rues  étroites,  leurs 
sombres  demeures  d'autrefois  et  constituent  un  ensemble 
d'un  pittoresque  rare.  Telles  sont  Borgo-san-Sepolcro. 
.■\nghiari,  Citta  di  Castello,  Gubbio  aux  faïences 
célèbres. 

A  Pérouse,  la  vallée  s'élargit  quelque  peu,  et  l'hori- 
zon se  déploie  avec  la  même  grandeur,  sous  une  lumière 
aussi  séduisante  qu'en  Toscane,  mais  avec  une  douceur 
plus  profonde.  Les  monts,  plus  arrosés,  ont  mieux  con- 
servé leur  vclure  de  bois  et  de  prés.  Cela  donne  au  pay- 
sage moins  d'élégante  et  de  nerveuse  sobriété,  mais  un 
charme  plus  aimable,  plus  nant.  Il  faut  avoir  erré,  au 
printemps,  dans  les  tendres  campagnes  ombriennes  pour 
comprendre  pleinement  la  vie  d'un  François  d'Assise, 
l'œuvre  d'un  Pérugin.  Pérouse  (70000  habitants),  si 
riche  en  souvenirs  d'art;  Orvieto  (8000  habitants),  per- 
chée sur  son  acropole  de  tuf  volcanique;  Assise, dominée 
superbement  par  sa  basilique  franciscaine,  sont  les  étap>es 
obligées  de  tout  pèlerin  d'art  en  Ombrie.  Plus  au  Sud. 
Spolète,  Terni  (20000  habitants)  ont  pu,  grâce  à  la 
houille  blanche  de  leurs  cascades,  développer  l'industrie 
métallurgique,  tandis  que  Foligno  et  Rieti  sont  d'im- 
portants marchés  agricoles  où  se  concentrent  l'industrie 
de  leurs  bassins,  anciens  lacs  comblés  et  transformés  en 
fertiles  terroirs. 

LE  LATIUM.  00  .Au-dessous  d'Orvieto.  le 
Tibre  pénètre  dans  le  Latium  (Lazio).  Sa  vallée,  res- 
serrée entre  les  monts  de  la  Sabine  à  l'EUt,  les  hauteurs 

171 


L'EUROPE 


volcaniques  du  Cimino  et  du  Soracte  à  l'Ouest,  demeure 
e'troile  jusqu'au-dessous  de  Cortese  où  le  fleuve  s'incline 
vers  le  Sud-Ouest  et  débouche  peu  après  dans  la 
Campagne  Romaine. 

La  partie   Nord  du  Latium  est  le  prolongement  des 
plateaux  toscans.  Mêmes  paysages  lourmente's  et  char- 


IROME 

ET    SES    ENVIRONS 


*es®ï 


mants,  même  succession  de  collines  arrondies,  de  vallées 
creuses  où  chantent  les  rivières.  Les  terrains  d'origine 
volcanique  composent  la  majeure  partie  de  la  région 
placée  entre  le  Tibre  et  la  mer.  Sur  les  hauts  promon- 
toires de  tuf  aux  raides  parois  se  perchent  les  bourgs,  et 
de  belles  nappes  d'eau  :  lacs  de  Bolsena,  de  Vico,  de 
Bracciano  surtout,  comblent  le  fond  d'anciens  cratères. 
Peu  de  villes  importantes  :  seule  la  vieille  cité  de 
Viterbe  (18000  habitants)  mérite  d'être  nommée. 

Dans  le  Sud  de  la  province,  les  roches  volcaniques 
sont  représentées  par  les  monts  Albins,  dont  on  voit, 
de  Rome,  les  sommets  bleus  se  profiler  dans  le  lointain 
par  delà  la  campagne  monotone.  Lieux  charmants  où  la 
fièvre  ne  monte  pas,  où,  de  tout  temps,  les  Romains 
vinrent  chercher  la  fraîcheur  et  le  repos  aux  rives  des  lacs  : 
Nemi,  Albano,  à  l'ombre  des  grands  chênes,  en  face 
des  plus  beaux  horizons  qui  soient  au  monde.  A  Albano, 
Ariccia,  Castel-Gandoifo,  Frascati,  Tivoli,  les  ruines 
des  villas,  des  temples  antiques,  se  mêlent  aux  somp- 
tueuses demeures  construites  par  les  papes  et  les  hauts 


personnages  qui  les  entouraient.  Dans  des  jardins  de 
rêve,  les  roses  s'enlacent  au  tronc  colossal  des  cyprès  ; 
de  nobles  escaliers  conduisent  aux  arceaux  de  verdure 
sombres  où  luisent  dans  l'ombre  les  reflets  des  statues, 
et  les  eaux  des  cascades  bruissent  dans  leurs  vasques 
solitaires.  On  plaint,  avec  Goethe,  les  femmes  d'Albe 
contraintes  d  abandonner  ces  beaux  lieux  pour  suivre 
leurs  ravisseurs  aux  rives  marécageuses  du  Tibre. 

Plus  au  Sud,  les  monts  Lepini  (1536  mètres) 
dominent  la  vallée  du  Sacco  et  vont  mourir  aux  rives 
de  la  mer  où  leurs  dernières  pentes  surplombent  le 
golfe  aimable  de  Terracine.  Au  Nord  du  Sacco,  une 
région  plus  mouvementée,  plus  sévère,  la  Ciociara,  fut, 
dans  I  antiquité,  le  domaine  des  Volsques  et  des  Her- 
niques,  ces  premiers  adversaires  de  Rome  naissante. 
Ferentino,  Aiatri  possèdent  encore  leurs  enceintes 
cyclopéennes.  Anagni  rappelle  le  drame  célèbre  où 
Boniface  VIII  reçut  le  soufflet  de  Colonna.  Dans  la 
\allée  solitaire  de  l'Anio,  Subiaco  fut  le  berceau  de 
1  ordre  de  Samt-Benoit.  Les  gens  des  montagnes  ont 
conservé  très  pur  le  type  du  Romain  classique  :  le  pro- 
fil régulier,  le  large  front,  les  grands  yeux  noirs,  la 
bouche  et  le  menton  fortement  dessinés,  la  stature  un  peu 
ramassée,  trapue,  solide  ;  aussi  les  '  ciocian "  foumissent- 
ils  la  majeure  partie  des  modèles  que  se  disputent  les  ate- 
liers de  Rome,  et  dont  on  voit  les  groupes  pittoresques 
îe  masser  sur  l'escalier  de  la  Place  d'Espagne  qui  monte 
au  Pmcio. 

Entre  les  dernières  ondulations  des  plateaux  élrusques, 
au  Nord,  les  monts  de  la  Sabine  à  l'Est,  au  Sud  les 
monts  Albains,  se  creuse  une  dépression  que  comblèrent 
en  pcirtie  des  nappes  d'un  tuf  volcanique  très  compact  et 
difficile  à  cultiver.  Ils  forment  une  sorte  de  plateau  aux 
larges  ondulations,  entaillé  de  ravins  aux  flancs  raides  : 
c'est  l'Agro  Romano,  la  Campagne  Romaine.  11  ne  fut 
jamais  fertile,  et,  aujourd'hui  encore,  malgré  les  travaux 
de  défirichement,  malgré  l'extension  des  vignes,  des 
champs  de  blé  qui  remplacent  peu  à  peu  les  steppes 
d'autrefois  (notamment  le  long  de  la  voie  ferrée  Rome- 
Naples),  l'Agro  Romano  conserve,  sur  de  vastes 
espaces,  la  solitude,  la  nudité  qui  font  sa  grandeur.  Les 
aqueducs  ruinés  dressent  leurs  arcades  de  briques  rouges 
au-dessus  des  grandes  herbes.  Le  long  des  voies  antiques, 
les  tombeaux  des   patriciens  dorment  dans  la  lumière. 

L'été,  la  chaleur  est  humide  et  malsaine,  la  malaria 
redoutable  ;  le  silence  n'est  troublé  que  par  le  chant  des 
cigales  ou  le  galop  lointain  d'une  troupe  de  chevaux  à 
demi  sauvages.  L'hiver,  ces  solitudes  s'animent  quelque 
peu,  car  des  centaines  de  milliers  de  moutons  descendent 
de  la  montagne  sous  la  garde  de  bergers  taciturnes.  Tel 
est  le  cadre  sévère  et  grandiose  qui  entoure  la  majesté  de 
la  Cité. 

Elle  naquit  sur  les  sept  colliri'es,  promontoires  amincis 


172 


L'ITALIE 


du  plateau  de  tuf  que  le  Tibre  contourne  avant  de  se 
diriger  vers  l'Ouest,  vers  la  mer.  Chacun  connaît  son 
histoire,  sa  naissance,  ses  débuts  difficiles,  ses  conquêtes 
sans  arrêt,  les  succès  prodigieux  qui  lui  valurent  l'empire 
du  monde,  le  rôle  qu'elle  joua,  au  Moyen  Age  et  dans 
les  temps  modernes,  comme  métropole  de  la  chre'tiente'  : 
enfin  la  vie  nouvelle  que  lui  infusa,  depuis  le  20  sep- 
tembre 1870,  son  élection  au  rôle  de  capitale  du 
Royaume  italien.  Trois  villes  se  superposent  ou  se  jux- 
taposent dans  l'immense  espace  circonscrit  par  les  rem- 
partsd'Aurélien.  longsde25  kilomètres.  La  Romeantique, 
dont  les  monuments  encore  debout  sont  particulièrement 
nombreux  au  Sud  dans  la  zone  solitaire  du  Forum, 
du  Colisée,  du  Célius  et  de  l'Aventin  que  traverse  la 
Via  Appia  ;  la  Rome  pontificale,  au  Nord  du  Capi- 
tole  et  du  Forum,  dans  l'ancien  Champ  de  Mars  et  le 
quartier  du  Vatican  :  la  Rome  moderne  enfin,  qui  se 
développe  sur  l'Esquilin  et  le  Viminal  près  de  la  gare 
centrale.  A  côté  des  larges  avenues  nouvelles  bordées 
de  magasins  élégants,  pleines  de  la  foule  banaJe  des 
grandes  villes,  s  étendent  les  solitudes  exquises  où  les 
ruines  des  amphithéâtres,  des  temples,  des  thermes,  les 
arcs  de  tnomphe,  les  colonnes  gisant  parmi  les  herbes 
folles  chantent  l'impérissable  gloire  des  ancêtres.  Tandis 
que  la  place  et  la  coupole  de  Saint-Pierre,  le  Château 
Saint-Ange,  les  palais,  les  villas  entourées  d'admirables 


jardins,  les  fontaines  monumentales,  les  églises  innom- 
brables rappellent  les  splendeurs  de  la  Rome  papale,  la 
Rome  contemporaine  ne  peut  opposer  à  tant  de 
merveilles  que  le  souci  du  confort  et  de  l'hygiène, 
le  besoin  de  lumière  et  d'air  libre  dont  notre  vie  ne  peut 
se  passer. 

Malgré  son  titre  de  capitale,  malgré  l'accroissement 
de  sa  population  qui,  de  220  000  habitants  en  1871  a 
atteint  590000  en  1916,  Rome  est  dépassée,  en  Italie 
même,  par  Milan  et  par  Naples,  et  ne  paraît  point 
capable  de  devenir  jamais  un  centre  d'attraction  compa- 
rable aux  autres  capitales  du  monde.  Elle  est  trop 
éloignée  du  foyer  de  vie  qu'est  la  plaine  du  Pô,  elle  est 
plus  mal  desservie  par  des  voies  ferrées  insuffisantes,  sans 
communication  avec  la  mer.  Son  ancien  port  d'Ostie  est 
depuis  longtemps  comblé  par  les  alluvions  du  Tibre,  et 
la  cote  du  Latium,  bordée  de  marais  (marais  pontins), 
insalubre,  presque  dépeuplée,  n'a  d'autre  débouché  que 
le  mauvais  port  de  Civita-Vecchia.  Elle  n'a  donc  rien 
de  ce  qui,  aujourdhui,  attire  et  concentre  les  capitaux, 
les  grandes  entreprises  industrielles  et  commerciales. 
Mais,  à  toutes  les  critiques,  Rome  oppose  une  réponse 
sans  réplique,  son  nom.  Réponse  qui  en  vaut  bien  une 
autre  pour  un  peuple,  c'est-à-dire  pour  un  être  qui  ne  vit 
pas  seulement  d'intérêts  matériels,  mais  d'idéal  et  de 
souvenirs.  ' 


LES  MARCHES  ET  LES  ABRUZZES 


A  la  Toscane,  à  l'Ombrie  et  au  Latium  correspondent, 
à  l'Est,  les  provinces  des  Marches  et  des  Abruzzes. 
Elles  s'étendent  de  l'Apennin  à  l'.Adriatique  et  sont 
entièrement  couvertes  par  les  plis,  les  diramations,  les 
contreforts  de  la  longue  chaîne  péninsulaire.  La  côte 
même  est  privée  de  ces  petites  plaines  riveraines  qui 
s'ouvrent  à  l'Ouest  sur  la  mer  Tyrrhénienne.  Elle  s'étend 
en  ligne  presque  droite,  sans  havres,  sans  indentations  pro- 
pices a  l'étabhssement  des  ports.  La  bora,  ce  mistral  de 
l'Adriatique,  y  fait  rage,  et  seul  le  port  d'Ancône  s'y  put 
établir. 

Du  littoral,  des  pentes  assez  régulières,  découpées  en 
chainons  parallèles  par  l'érosion  des  petits  fleuves 
côtiers,  conduisent  à  la  crête  maîtresse  qui,  sous  le  nom 
d'Apennin  des  Marches  et  d'Apennin  des  Abruzzes, 
prolonge  vers  le  Sud  l'Apennin  Toscan.  Là  se  dressent 
les  plus  hauts  sommets  de  la  péninsule  :  le  massif  de  la 
Sibille  (2  478  mèties),  le  Gran  Sasso  (2914  mètres),  le 
Ferminillo,  le  Velino  (2487  mètres).  Ces  derniers 
dominent  une  sorte  de  haut  plateau,  la  '  conca  Aqui- 
lanea,  '  qui  forme  le  cœur  du  paysdes  Abruzzes  :  région 
sauvage  et  d'accès  difficile,  généralement  déboisée,  ou 
de  petites  villes  fortifiées,  des  bourgs  très  anciens  perchés 


sur  la  psinte  des  rocs  somnolent  solitaires  et  tristes.  Des 
pâtres  gardent,  l'été,  leurs  troupeaux  sur  les  croupes  à 
I  herbe  odorante,  et  descendent,  l'automne  venu,  vers 
les  plaines  littorales.  Des  bûcherons  et  des  charbonniers 
exploitent  les  quelques  forêts  de  sapins  qui  échappèrent 
au  déboisement. 

De  l'Ouest  à  l'Est,  les  communications  sont  rares  et 
difficiles.  Deux  voies  ferrées  seulement  unissent  Rome  à 
la  côte  orientale  par  Foligno  (c'est  à  peu  près  l'ancien 
trajet  de  la  Voie  Haminienne)  et  Sulmona. 

Peu  de  villes  et  de  médiocre  grandeur.  Dans  la  Pro- 
vince des  Marches,  qui  fit  jusqu'au  XIX^  siècle  partie  des 
Etats  Pontificaux,  le  port  d'Ancône  (68  000  habitants) 
tire  son  importance  de  ce  qu  il  est  la  seule  bonne  rade  de 
!  Adriatique  entre  Brindisi  et  Venise.  Urbino  vit  naître 
Raphaël.  Macerata,  Ascoli,  Fermo,  Camerino,  Pesaro 
sont  des  marchés  agncoles  ou  des  centres  administratifs. 
Au  Nord,  la  minuscule  République  de  Saint-Marin, 
enclavée  entre  les  Marches  et  la  Romagne.  se  conserve 
comme  le  souvenir  des  temps  lointains  ou  l'Italie,  par- 
tagée en  une  multitude  de  petits  gouvernements,  n'était 
qu'une     expression  géogr.iphiquc  ". 

Dans  les  .'\bruzzes,  les  villes  sont  moins  nombreuses 


173 


L'EUROPE 


encore.  On  peut  citer  Aquila,  au  pied  du  Gran  Sasso, 
Sulmona,  qui  est  un  croisement  de  routes  important, 
Chieti,  Avezzano  enfin,  près  de  l'ancien  lac  Fucin, 
aujourd'hui  complètement  desse'che. 

Du  reste,  malgré  l'absence,  naturelle  en  de  telles 
régions,  de  grands  centres  urbains,  la  population  attemt, 
dans  les  Marches  et  les  Abruzzes,  une  densité  surpre- 
nante de  80  à  90  habitants  au  kilomètre  carré.  Le 
climat  est  rude,  pourtant,  l'hiver  long,  neigeux,  la  cul- 
ture difficile  dans  les  basses  régions,  et  presque  impos- 


sible au-dessus  de  800  mètres.  Mais  la  race,  trempée  par 
le  climat,  est  vigoureuse,  endurante,  obstinée  à  l'effort. 
Elle  fournit  une  part  notable  de  ces  émigrants  tempo- 
raires qui  vont  faire  la  moisson,  la  fenaison,  les  semailles, 
les  vendanges  dans  les  plaines,  ou  que  l'on  retrouve 
comme  terrassiers,  hommes  de  peine  à  l'étranger,  tandis 
que  la  femme,  les  enfants  surveillent  le  troupeau  dans 
les  villages  de  la  montagne,  cultivent  le  maigre  lopin  de 
terre  et  reçoivent  les  subsides  fidèlement  envoyés  par 
l'exilé. 


L'ITALIE  MERIDIONALE 


VUE  D'ENSEMBLE,  aa  Au  Sud  du  Latium 
et  des  Abruzzes  commence  l'Italie  méridionale  divisée 
.  en  quatre  provinces  :  Campante,  Pouilles,  Basilicate  et 
Calabre. 

L'Apennin  s'écarte  de  l'Adriatique  et  se  rapproche 
de  la  mer  Tyrrhénienne.  Il  change  aussi  de  caractère  et 
de  forme.  Plus  de  chaînes  continues,  mais  des  massifs 
isolés  par  des  dépressions  que  les  routes  peuvent  utiliser. 
Tels,  en  Campanie,  le  Matese  (2050  mètres),  l'ancien 
pays  des  Samnites,  ces  redoutables  adversaires  de  Rome  ; 
le  mont  Volturino  (1836  mètres)  en  Calabre.  De 
plus,  tandis  que  les  roches  secondaires  (les  calcaires  et 
les  marnes)  se  prolongent  jusqu'au  Pollino  et  à  la 
dépression  du  Crati,  la  Sila  et  l'Aspromonte  sont  formés 
de  roches  primitives  :  granits,  gneiss,  micaschistes  qui  se 
rattachment  à  l'ancienne  Tyrrhénide. 

A  l'Ouest,  les  terrains  volcaniques  composent  une 
partie  du  sol  de  la  Campanie.  Près  de  Naples, 
l'étrange  région  des  Champs  Phlégréens  (Misène. 
Pouzzoles)  n'est  qu'une  succession  de  petits  cratères,  de 
solfat£u"es,  d'émanations  gazeuses.  Au  Sud-Est,  le 
Vésuve  est  en  pleine  activité.  On  conneut  son  histoire 
depuis  le  jour  fameux  de  l'an  79  après  Jésus-Christ  ou, 
s'éveiUant  tout  à  coup,  après  une  période  de  repos  dont 
on  ignore  la  durée,  il  ensevelit  sous  les  cendres  et  les 
laves  Herculanum  et  Pompéï.  Depuis  lors,  nombre  de 
ses  éruptions  furent  désastreuses  pour  les  villes  et  les 
villages  qui  se  pressent  à  ses  pieds.  Mais  les  bienfaits  du 
volcanisme  sont  ici  incomparablement  plus  grands  que 
ses  dangers.  Le  sol,  en  effet,  formé  non  pas  de  tufs 
très  compacts  comme  dans  l'Agro  Romano,  mais  de 
cendres  et  de  laves  pulvérulentes  faciles  à  travailler,  est 
d'une  extraordinaire  fertilité.  C'est  l'élément  essentiel 
de  la  richesse,  légendaire,  des  terres  campaniennes. 

A  l'Est  de  l'Apennin,  l'aspect  est  tout  autre.  Au 

pied  de  la  montagne  s'étend  d'abord  la    "  Tavolière  ", 

!      vaste  plaine  dont  Foggia  occupe  le  centre.  Le  sol,  assez 

analogue  à  celui  de  la  Beauce  ou  de  la    Picardie,  est 

couvert  d'un  terreau  noir  très  fertile,  et  particulièrement 

-174-  


favorable  à  la  culture  des  céréales.  Au  Sud  de  la  Tavo- 
lière, les  Murge  ou  Murgie  se  présentent  sous  forme  de 
plateaux  calcaires  très  secs,  coupés  de  ravins  aux  parois 
abruptes.  Seul  l'olivier,  parfois  l'amandier  et  la  vigne, 
parviennent  à  vivre  sur  le  roc  presque  nu.  De  Tarente 
à  Bari,  la  route  circule  au  milieu  d'une  immense  forêt 
d'oliviers.  D'étranges  bâlisses  de  pierres  brutes,  en 
forme  de  troncs  de  cône  superposés,  apparaissent  à 
l'ombre  des  arbres.  Ce  sont  les  demeures  des  paysans 
au  moment  de  la  récolte  des  fruits.  De  loin  en  loin,  au 
sommet  des  collines,  des  villes  toutes  blanches,  aux 
toits  plats,  flamboient  sous  la  lumière  crue  d'un  ciel  tout 
oriental. 

Orientale,  l'Italie  du  Sud  l'est  par  son  climat,  son  ciel,  ses  pay- 
sages, jon  histaire,  certains  traits  du  caractère  de  ses  habitants.  Les 
hivers  de  Naples  et  de  Tarente  sont  plus  tièdes  que  ceux 
d'Athènes,  les  étés  aussi  chauds.  L'oranger,  abient  de  l'ItaUe  cen- 
trale, reparaît  à  partir  de  Gaëte,  et  ses  beaux  fruits  mûrissent  à 
merveille  de  Naples  à  Reggio.  On  retrouve  çà  et  là,  sur  les  rives 
exquises  de  Sortente,  sur  les  pentes  de  l'Aspromonte,  les  traits  nets 
et  purs  des  paysages  de  l'Hellade.  On  se  rappelle  enfia  que  tonte 
l'Italie  du  Sud  s'appela  la  Grande  Grèce,  qu'elle  lut  hellén  sée 
dès  le  VIU'  siècle  avant  notre  ère,  que  Tarente,  Métaponte,  Syba- 
ris,  Crotone,  etc.  furent  puissantes  et  riches  alors  que  Rome  n'était 
qu'une  bourgade.  Et  il  n'est  pas  jusqu'aux  colonies  albanaises 
encore  vivantes  dans  certains  villages  des  Fouilles  et  de  Calabre 
qui  ne  témoignent  du  lien  étroit  qui  unit  l'Italie  du  Sud  aux  rivages 
orientaux  qui  lui  font  face,  par  delà  l'Adriatique,  à  moins  de 
1 00  kilomètres  de  Brindisi. 

Les  habitants  sont  fort  différents,  suivant  qu'on  les 
étudie  dans  la  plaine  ou  dans  la  montagne.  Comme 
l'Abruzzais,  le  montagnard  de  la  Basilicate,  celui  de  la 
Calabre  est  grave,  taciturne,  robuste,  dur  au  travail, 
bon  soldat.  La  vie  n'est  pas  aisée  pour  lui  dans  ces 
hautes  régions  infertiles,  sans  communications  avec  le 
dehors,  et  dont  l'Italie  contemporaine  s'est  trop  peu 
préoccupée.  De  tout  temps  altiré  par  les  richesses  du 
bas  pays,  habitué  à  sa  vie  sauvage,  fruste,  mais  indé- 
pendante, il  s'adonnait  volontiers  au  brigandage  et  trou- 
vait un  abri  sûr  dans  les  replis  de  la  Sila,  de  l'Aspro- 


L' ITALIE 


monte,  dans  les  forêts  de  sapins  et  de  hêtres  qui  les 
couvrent  jusqu'au  sommet.  De  nos  jours,  il  est  à  pcme 
besom  de  dire  que  la  sécurité  est,  en  Calabre,  aussi 
parfaite  qu'en  toute  autre  re'gion  de  l'Italie.  L'émigra- 
tion fournit,  du  reste,  au  montagnard,  le  moyen  d'échap- 
per à  l'emprise  d'un  sol  ingrat.  Nulle  province  d'Italie 
n  envoie  aux  deux  Amériques  autant  de  travailleurs 
manuels. 

L  habitant  des  plaines,  surtout  dans  l'heureuse  Cam- 
panie,  a  la  vie  singulièrement  plus  facile,  plus  riante. 
Certes,  tous  les  Napolitains  ne  sont  point  les  lazza- 
roni  "  que  d'aucuns  s'imaginent.  Les  beaux  jardins,  les 
vignes,  les  champs  plantureux  de  la  Campanie  en 
témoignent,  comme  aussi  le  développement  des  indus- 
tries et  la  grande  activité  commerciale.  Cependant,  sous 
ce  ciel  heureux,  où  tout  abonde,  il  est  doux  de  se 
laisser  vivre  sans  trop  d'efforts.  La  gaieté  insouciante, 
une  certaine  indolence  qui  n'exclut  pas  de  violentes 
poussées  de  passion  sauvage,  l'amour  du  chant,  de  la 
danse,  du  jeu,  les  superstitions  enfantines  caractérisent 
encore  le  Napolitain  et.  d'une  façon  générale,  tous 
les  Italiens  des  plaines  méridionales.  Les  '  délices 
de  Capoue,  les  séductions  de  la  "  molle  "  Sybaris 
n  étaient-elles  point,  du  reste,  aux  temps  antiques,  un 
sujet  à  la  fois  de  réprobation  et  d'envie  ? 

Enfin,  si  déjà  dans  l'Italie  centrale  on  constate  que 
1  Italien  répugne  à  l'isolement,  à  la  dispersion,  ce  trait 
de  caractère  s'accentue  étrangement  dans  l'Italie  du  Sud. 
Les  fermes  isolées,  les  hameaux,  les  petits  villages 
deviennent  une  rareté.  Par  atavisme,  et  comme  souve- 
nir des  temps  où  l'insécurité  était  la  règle,  les  gens  se 
groupent  dans  les  "  borghi  ",  gros  bourgs  ou  petites 
villes.  Le  paysan  lui-même  est  la  plupart  du  temps  un 
citadin.  '  Il  loge  en  ville,  écrivait  Paul-Louis  Courier, 
et  laboure  la  banHeue.  "  Nombre  d'entre  eux  possèdent 
un  petit  champ,  une  olivette  situés  à  plusieursdizaines  de 
kilomètres  de  leur  "  borgo  ".  La  famille  s'y  transporte 
aux  temps  de  la  récolte  ou  des  travaux  essentiels,  avec 
une  charrette,  quelques  provisions,  et  couche  en  plein 
air  ou  dans  une  cabane  de  pierres  sèches,  puis,  la  tâche 
faite,  revient  au  logis  et  laisse  pour  des  mois  son  petit 
domaine  à  la  garde  de  Dieu. 

CAMPANIE.  00  On  entre  généralement  en 
Campanie  par  la  route  qui,  venant  de  Rome,  emprunte 
la  vallée  du  Sacco,  puis  celle  du  Garigliano,  Elle  passe 
au  pied  du  mont  Cassin,  que  couronne  le  célèbre 
monastère  de  Saint-Benoît,  et  débouche,  peu  avant 
Capoue,  dans  la  plaine  de  Caserte  (20000  habi- 
tants) où  des  palais,  des  parcs  majestueux,  de  larges 
avenues  rappellent  le  souvenir  des  Bourbons  de  Naples, 
dont  Caserte  fut  le  Versailles.  Au  fond  de  l'horizon  se 
détache    le  double    cône    du    Vésuve    empanaché   de 


fumée.  Vers  l'Est,  l'Apennin  Napolitain  est  escaladé 
parla  voie  qui  mène  à  Bénévent  et  à  l'Apulie.  Et  la 
campagne  plantureuse,  la  "  Terre  du  Labour  ",  mer- 
veilleusement cultivée,  semée  de  "borghi  "aux  blanches 
maisons,  s  étend,  comme  un  immense  jardin,  jusqu'aux 
rives  du  golfe  où  Naples  se  mire. 

Fille  et  héritière  de  la  colonie  grecque  de  Cumes, 
qu'elle  supplanta  dès  l'antiquité,  Naples  (Neapolis  :  Ville 
neuve)  a  toujours  joué  un  rôle  de  premier  ordre  dans 
I  histoire  de  l'Italie  du  Sud  dont  elle  fut  pendant  six 
siècles  la  capitale  politique  (1265-1851)  et  dont  elle  est 
encore  la  grande  métropole  intellectuelle  et  commerciale. 

Elle  doil  celle  importance  à  sa  posilion  marilime.  D'une  pari, 
en  effet,  elle  commande  la  mer  Tyrrhénienne  et  est  en  relations 
naturelles  et  faciles  avec  toutes  les  rives  de  celle  mer,  à  220  kilo- 
mètres de  la  Sicile,  'i,  240  de  la  Sardaigne.  D'autre  part,  si  les 
côtes  de  la  Toscane  et  du  Latium,  entre  Livoume  et  Gaëte,  sont  | 
complètement  dépourvues  de  rades  naturelles  et  à  peu  près  ' 
désertes,  les  rivages  de  la  Campanie,  de  la  Calabre,  de  la  Sicile, 
bien  articulés,  découpés  par  des  golfes  nombreux  (Gaëte,  Naples, 
Salerne,  Policastro,  Santa  Eufemia,  Palerme,  etc.),  se  prêtent  au 
développement  de  la  navigation.  La  population  riveraine  est 
presque  aussi  pressée  qu'aux  bords  du  golfe  "Ligure.  La  pêche  (du 
ihon,  du  corail),  le  cabotage  furent  de  tout  temps  très  actifs,  et  les 
flottilles  des  marins  de  Salerne,  d'Amalli  allaient,  et  vont  encore, 
jusqu'aux  iles  grecques,  jusqu'aux  côtes  africaines.  Il  y  avait  là  un 
milieu  géographique  très  favorable  à  la  naissance  d'un  grand  pori, 
et  l'ouverture  du  canal  de  Suez,  l'extension  de  l'émigration,  la  mise 
en  valeur  des  richesses  agricoles  (fruits,  vins),  la  création  ou  le 
perfectionnement  de  certaines  industries  (constructions  navales  à 
Caslellamare,  objets  dits  de  Naples,  etc.)  ont  accru  encore  dans 
de  considérables  proportions  l'importance  commerciale  de  Naples. 
Elle  est  aujourd'hui  le  premier  port  de  l'Italie  (18  503  000 
tonnes  en  1920)  et  la  ville  la  plus  peuplée  (700  000  habitants), 
l'une  des  plus  pittoresques  aussi,  en  dépit  "  d'embellissements 
fâcheux,  grâce  à  la  beauté  de  sa  rade,  de  ses  iles  (lachia,  Capri, 
Procida),  grâce  aux  fertiles  campagnes  qui  l'entourent  et  lui  fou'- 
nissent  en  abondance  les  vins  célèbres  (Lacryma-Christi,  Capri), 
les  fruits  de  toute  sorte:  grâce  à  la  bruyante  exubérance,  à  la  gaieté 
communicalive  de  ses  habitants,  q  ji  passent  une  partie  de  Itur  vie 
en  plein  air,  hors  des  hautes  maisons  noires  de  leurs  ruelles  grim- 
pantes. Elle  occupe,  enfin,  une  place  éminenle  parmi  les  cités  intellec- 
tuelles de  l'Italie,  et  son  Université  est  la  plus  fréquentée  du 
royaume. 

Des  paysages  splendides  l'environnent.  Que  l'on  se 
promène  sur  les  pentes  du  Pausilippe,  semées  de  villas, 
sous  les  oliviers  d'Ischia  et  de  Capri,  parmi  les  cra- 
tères multiples  des  Champs  Phlégréens,  le  long  de  la 
côte  divine  où,  de  Sorrente  à  Amalli,  les  bois  d'orangers, 
les  pins  parasols  s'étagent  sur  les  pentes  pleines  de 
soleil  ;  que  l'on  aille  rêver  dans  la  solitude  de  Pompéï 
et  sous  les  colonnades  des  temples  de  Paestum,  que 
I  on  escalade  les  parois  du  Vésuve,  d'abord  couvertes 
de  champs,  de  jardins,  de  vignobles,  de  villes  populeuses 
(Portici,  Résina,  Torre  del  Greco,  etc.),  puis  noires  de 
coulées  de  laves  et  de  cendres  qui  fuient  sous  le  pied, 
ni  loeil,  ni  1  esprit  ne  se  lassent  jamais  d'une  contem- 
plation toute  pleine  d  une  secrète  et  tendre  volupté. 

J75  


L'EUROPE 


LAPULIE  OU  RÉGION  DES  FOUILLES. 
a£l  De  Naples  on  gagne  l'Apulie  par  deux  voies 
ferrées  :  celle  de  Be'névent-Foggia,  et  celle  qui,  par 
Potenza,  descend  sur  Tarente. 

La  première   ne   s  élève  qu'à  600  mètres   d'altitude- 


Peu   de  travaux  d'art.  On  ne  perd    jamais    de  vue  les 
vignes,  les    champs  de   maïs  ;  des  prairies  couvrent  les 
pentes  arrondies.  Be'névent  (17  500  habitants),  qui  com- 
mandait  le  passage,  fut  au  Moyen  Age  le  siège  d'une 
Marche  militaire.  A  Bovino,  on  entre  dans  les  plaines 
delà  Tavolière,  couvertes  de  céréales,  un  des  greniers  à 
blé    de  l'Italie.    Foggia    (50000  habitants),    Cerignola 
(40  000  habitants)  en  sont  les  centres  principaux  et  les 
grands  marchés.   Puis  la  route  se  rapproche  de  1  Adria- 
tique. Au  Nord ,  l'éperon  du  mont  Gargano  (  I  056  mètres) 
peut  êlre  considéré,  par  la  nature  de  ses  roches  calcaires, 
comme    un    fragment  détaché   des  côtes   dalmates.    Le 
golfe  de  Manfredonia,  qu'il  protège  contre  les  vents  du 
Nord,  a  des  rives  trop  marécageuses  pour  se  prêter  a  la 
vie    maritime.    Par  contre,  à  partir  de    l'Ofanto    (près 
duquel    Annibal    veiinquit    les  Romains  à  Cannes     en 
216  avant  Jésus-Christ),    une  série  de  ports    actifs    se 
succèdent  à  peu  de    distance  les  uns  des  autres  :  Bar- 
letta   (40500     habitants),     Trani    (32000),    Bisceglie 
(31000),  Molfetta  (40000).     Bari  (109000),  Mono- 
poli  (25  000).  Les  oliviers,    les  vignes,  les    figuiers,   les 
amandiers   couvrent  la  campagne.  Partout  les  blanches 
maisons  aux  toits  en  terrasses  flamboient  au   soleil.    A 
l'intérieur,  de  grosses  agglomérations  s'alignent  au  pied 
des  collines  des  Murgie  :  Andria    (50000  habitants), 


Ruvo  (25  000),  Bitonto  (27  000).  C'est  une  des  régions 
les  plus  peuplées  de  l'Italie  et  celle  qui  produit  le  plus 
d  huile  et  de  vin. 

Au  delà  de  Monopoli,  la  fertilité  est  moins  grande. 
Des  steppes  pierreuses  s'étendent  autour  de  Brin- 
disi  (22  000  habitants).  Mais  l'antique  Brundusium,  la 
Brindes  des  Francs,  a  le  meilleur  port  de  la  côte,  le 
plus  proche  de  la  Grèce  et  du  canal  de  Suez.  Les 
armées,  les  fonctionnaires  de  Rome  s  y  embarquaient 
pour  les  pays  d'Orient.  Aujourd'hui,  elle  est  la  tète  de 
ligne  de  la  Malle  des  Indes. 

La  pointe  extrême  du  talon  de  la  botte  "  italienne 
forme  le  pays  d'Otrante,  terminé  par  le  cap  de  Santa- 
Maria.  Les  deux  rades  d'Otrante  et  de  Gallipoli  sont 
sans  importance.  Mais,  à  l'intérieur,  la  région  de  Lecce 
est  fertile,  bien  cultivée,  riche  en  olivettes,  en  vignobles, 
en  jardins  fruitiers,  et  fort  peuplée.  Tarente  (50  000  habi- 
tants), située  sur  une  sorte  d'isthme  entre  la  mer  pro- 
prement dite  et  un  double  golfe  intérieur  (Mare  Piccolo), 
possède  l'une  des  meilleures,  des  plus  sûres  rades  de 
l'Europe.  Elle  joua  dans  la  Grande  Guerre  un  rôle  de 
premier  ordre  comme  base  des  transports  destinés  à 
l'Armée  d'Orient,  mais  son  importance  commerciale  est 
petite. 

LA  BASILICATE  ET  LA  CALABRE.  £ia 
Une  ligne  fort  pittoresque  conduit  de  Naples  au  golfe 
de  Tarente  à  travers  les  montagnes  et  les  plateaux  delà 
Basilicate,  l'ancienne  Lucarne,  le  "  pays  des  loups  : 
gorges  profondes,  pentes  abruptes  couvertes  de  brous- 
sailles, villages  haut  perchés  dans  la  solitude  dun  pays 
sauvage.  Potenza,  sur  le  Basento,  n'a  que  12  000  habi- 
tants ;  elle  est  cependant  la  cité  la  plus  populeuse  de 
ce  pays  de  montagnards  et  de  bergers,  l'un  des  plus 
pauvres,  des  moins  peuplés  de  1  Italie. 

La  Calabre,  le  pays  des  Bruttiens  (le  mot  veut  dire  : 
révoltés),  qui  fait  suite  à  la  Basilicate,  est,  elle  aussi,  cou- 
verte dé  montagnes  et  fort  mal  pourvue  de  moyens  de 
communication.  Aussi  ne  la  connait-on  guère,  même  en 
Italie,  et  bien  rares  sont  les  touristes  qui  escaladèrent  les 
pentes  de  la  Sila,  errèrent  sous  l'ombrage  des  chênes, 
des  hêtres,  des  sapins  gigantesques  ou  contemplèrent  la 
vue  prodigieuse  que  l'on  a,  des  sommets  de  1  Aspromonte, 
sur  la  Sicile,  l'Etna,  le  golfe  de  Messine,  la  mer  ou 
chantaient  les  Sirènes. 

Pourtant  la  Calabre  a  une  densité  de  population  qui, 
au  moins  dans  l'Ouest  et  au  Sud,  atteint  jusqu'à 
150  habitants  au  kilomètre  carré.  Les  ressources  natu- 
relles (forêts,  culture  des  agrumes  et  de  la  vigne, 
pêche,  etc.)  n'y  font  point  défaut.  La  race  est  laborieuse 
et  économe.  Mais  il  faudrait  construire  des  voies  ferrées, 
des  routes  carrossables  pour  desservir  les  gros  villages  de 
l'intérieur.  Il  faudrait  surtout  assainir  et  rendre  à  la  culture 


l/(j 


L'ITALIE 


LE  riBRE.  UE  CHATEAU  SALNT-ANGE  SAINT-PIERRE.ta  eauxlenia  a 

houanadu  Tibre  dûntxnl  à  tractn  la  Ville  EtemdU  une  large  courbe  EUej  étaient, 
aux  temSti  antique,  acusùbles  aux  navires.  Ella  ne  tant  t>lus  aujourj'hui  —  en  atten- 
dant la  réalisation  du  projet  Rome-Port  de  mer  —  fréquentées  que  par  les  barques  des 


pêcheurs.  Le  château  Saint-Ange  est  l'ancien  mausoiée  d'Hadrien,  énorme  monument 
funéraire  transforme,  au  \fouen  Age,  en  forteresse  où  les  paPcs  durent,  mainte» 
fois,  ic  réfugier.  Des  souterrains  l'unissaient  aux  jardins  et  au  Palais  du  Vatican  que 
Vtm  devine  à  droite  du  dôme  de  St-Pierre.  CI.  Andebson 


177 


L'EUROPE 


FLORENCE   :    LE   DOME  FLORENCE  :  LE   PONTE   VECCHIO  FLORENCE  :    LE   PALAIS  PITTI 

FLOÏiEHCE.  La  viUe  des  fleurs  repose  au  fond  du  val  d'Amo  qu'entourent  les  collines  CoUi,  dans  les  jardins  étages  qu'ombragent  les  cyprès  et  les  lauriers;  que  l'on  admire 
de  Fi(SoIe  et  de  San  Miniato,  tandis  que  la  muraille  de  1  Apennin  haiTe  l'horizon.  C'est  les  chefs-d'œuvre  de  l'architecture  florentine  églises  et  palais,  les  jours  s'écoulent  sans 
un  des  lieux  du  monde  les  mieux  faits  pour  le  bonheur.  Que  l  on  erre  sur  les  quais  enso-  que  l'en  y  songe,  dans  une  fête  perpétuelle  pour  les  yeux  et  comme  une  sorte 
leiUés  de  l'Arno,  sur  le  vieux  pont  bordé  de  boutiques  d  orfèvres,  sur  le  fameux  viale  dci         d'enchantement .  CI,  AlinarI  et  Broci. 


ROME:  ?lACESM>iT-?\ERHE.  L'Église  Sainl-Piejre.édifiéesuT  les  plans  dt 
Bramante  et  de  Michel-Ange,  a  comme  magnifique  vcsiitule  une  place  immense 
qu'encadrent  les  colonnades  construites  par  Le  Bemin  en  1667.  Un  obélisque  et 
deux  fontaines  harmonieuses  la  décorent  sobrement.  CI.  Alinari. 


ROME  :  PLACE  DU  CAPITULE.  Le  mont  Capitolin  est  la  plus  célèbre  des  sept 
collines  sur  lesquelles  s'élève  la  Ville  Eternelle.  Autrefois,  dominée  par  la  citadelle 
et  le  Grand  Temple  de  Jupiter,  elle  porte  aujourd'hui  plusieurs  palais  encadrant 
une  place  que  Michel-Ange  dessina.  Cl.  MauREL 


KOiME  :  LE  COLISÉE.  La  tue  est  prise  da  jar- 
dins dv  Palatin.  Elle  embrasse  la  majeure  partie  de 
î'AmthaJJâtje  colossal,  et  l'Arc  de  Triomphe  érigé 
cnS12par  Constantin.  CI.AlinaBI. 


riwiÉii  l. 


-■  Trrwrtîfci 


TIVOLI  :  VILLADESTE. Depuis  les  lemus  anli- 
que3,les  collines  e^cqtiises  qui  enlourenl  l'Agro  Romano 
portenl  a  Altano  à  Tivoli,  une  couronne  de  villas 
aux  magnifiques  jaràins.  CI.  Alinari, 


ROME  :  LE  FORUM  DE  TRAJAN  itcii  une 

agglomération  d'édifices  somptueux  encadrant  ime 
place  que  dominait  une  colonne  de  marbre  couverte 
de    précieux     bas-reliefs.  Cl.     MaUBEL. 


178 


L'ITALIE 


les  rivages  que  désole  et  que  vide  la  malaria.  Toute  la 
côte  du  golfe  de  Tarente  lut,  aux  temps  antiques,  par- 
faitement cultivée  et  fort  peuplée.  Tarente,  Liris, 
Sybaris,  Métaponte.  Crotone  étaient  les  puissantes  métro- 
poles de  ces  riches  régions.  Mais,  à  la  suite  des  invasions 
barbares,  les  travaux  de  drainage,  les  canaux  disparurent. 
Les  eaux  stagnantes  engendrèrent  la  fièvre.  Des  roseaux, 
des  maquis  épais  de  mjTtes  et  de  lauriers-roses  rempla- 
cèrent les  champs.  La  population,  fuyant  à  la  fois  la 
6èvre  et  les  pirates,  se  réfugia  dans  la  montagne.  On 
commence  aujourd'hui,  mais  bien  lentement,  à  s'occuper 
de  ces  pays  déshérités.  Des  plantations  d'eucalyptus 
apparaissent  çà  et  là.  Quelques  cultures  se  développent 
autour  de  ce  qui  fut  Métaponte  et  Sybaris.  Peu  de  choses 
encore  !  Cortone  (l'ancienne Crotone,  la  patrie  de  l'athlète 
Milon)  n'a  que  7  000  habitants  et  elle  est  cependant, 
avec  Catanzaro  (22000  habitants),  la  plus  forte  agglo- 
mération de  la  Calabre  orientale.  A  l'Ouest,  bien  que  le 
fond  des  golfes  de  Policastro  et  de  Santa  Eufemia  soit 
aussi  malsain,  et  que  les  grandes  villes  fassent  aussi  défaut, 
les  villages,  les  petits  ports  apparaissent  fort  nombreux. 
La  vallée  du  Crati,  au  fond  de  laquelle  se  cache 
Cosenza(  I  5  000  habitants),  parcourue  par  une  voie  ferrée, 
a  plus  de  1  50  habitants  au  kilomètre  carré.  L'extrême  Sud, 
enfin,  de  Pizzo  (où  Murât,  devenu  roi  de  Naples,  fut 
fusillé  en  1815),  à  Reggio  di  Calabria  par  Palmi  et 
Bagnara,  est  un  jardin  continu  d'orangers,  d  amandiers, 
de  figuiers,  mais  où,  malheureusement,  les  tremblements 
de  terre  sont  fréquents.  On  se  souvient  du  séisme  du 
28  décembre  1 908  qui  détruisit  complètement  Reggio  et 
fit  périr,  dans  la  seule  Calabre,  40000  personnes  environ. 

LA  SICILE.  00  Par  delà  le  détroit  de  Messine 
(8  kilomètres  au  point  le  plus  étroit),  tout  embaumé  du 
parfum  des  orangers,  la  Sicile  s'allonge  vers  l'Ouest,  vers 
l'Afrique  du  Nord,  dont  la  séparent  120  kilomètres  seu- 
lement dune  mer  peu  profonde.  Sa  forme  triangulaire 
lui  valut  le  nom  antique  de  Frinacria  (l'ile  aux  trois 
pointes).  Sa  superficie  est  de  25  758  kilomètres  carrés 
(cf.  la  Belgique  29  455  kilomètres  carrés),  presque  entiè- 
rement couverts  de  montagnes  et  de  plateaux.  Au  Nord, 
bordant  la  mer  T>Trhénienne,  les  roches  cristallines  des 
monts  Péloritains  (1312  mètres),  les  calcaires  des 
monts  Nebrodie  (1846  mètres),  Madonie  (1975  mètres) 
et  Panormitains  prolongent  les  chaînes  Apennines.  Au 
Centre  et  au  Sud,  un  ensemble  confus  de  petites  chaînes, 
de  massifs  orientés  Nord-Sud  ou  Nord-Ouest-Sud-Est 
comprennent  des  calcaires,  des  marnes  et  des  terrains 
d'origine  volcanique.  A  l'Est,  le  puissant  massif  de 
l'Etna  érige  à  3219  mètres  son  cône  régulier,  bardé  de 
coulées  de  lave,  percé  de  cratères  adventifs  et  tout  res- 
plendissant de  neiges. 

La  Sicile  se  trouve  à  la  même  latitude  que  l'Anda- 


lousie, le  Péloponèse,  les  côtes  méridionales  de  l' Asie- 
Mineure.  Nulle  part,  en  Italie,  les  hivers  ne  sont  aussi 
tièdes.  Par  contre,  l'été  n'y  est  guère  plus  chaud  qu'à 
Florence  ou  Bologne  et  la  brise  de  mer  tempère 
l'ardeur  du  soleil. 


Suiiont. 

Janvier 

Juillet 

Nombre  de  jourt 

pluvieux 

Climat  de  Palerme. 

,       —    de  Syracuse. 

-    de  Malle... 

-1-  ll°0 
H-   I3°0 

H-  25<'4 
+  26°5 
+  26°2 

47 
43 
42 

Les  étés  sont  absolument  secs  ;  mais,  en  automne  et 
au  printemps,  il  pleut  suffisamment  pour  permettre  toutes 
les  cultures  de  la  zone  méditerranéenne  et  semi-tropicale. 
L  oranger,  le  citronnier,  le  cotonnier  même  prospèrent  à 
côté  de  la  vigne  et  du  mûrier  comme  dans  les  huertas 
espagnoles.  Ce  sent,  du  resîe,  de  véritables  jardins  que 
l'on  trouve  tout  au  long  des  côtes  orientales  et  septentrio- 
nales sur  les  pentes  de  l'Etna,  dans  la  plaine  de  Catane, 
autour  de  Messine,  dans  la  "  Conca  d'Oro  ",  de  Pa- 
ïenne, etc.  Les  fruits  (oranges,  citrons,  figues,  amandes, 
raisins  secs,  olives),  les  vins  (Marsala,  Zucco,  Syracuse) 
forment  une  part  prépondérante  des  exportations.  Il  y  faut 
ajouter  le  blé  (déjà,  dans  l'antiquité,  la  Sicile  était  un  des 
pourvoyeurs  de  la  Grèce  d'abord,  puis  de  Rome), 
l'huile,  le  coton,  la  soie  grège.  Enfin,  dans  un  autre 
ordre  d'idées,  les  soufrières  de  Sicile  (région  de  Caltani- 
setta)  comptent  parmi   les    plus   importantes  du  monde. 

Sa  position  intermédiaire  entre  les  deux  grands  bas- 
sins de  la  Méditerranée  valut  à  la  Sicile  d'être  occupée 
par  des  représentants  de  toutes  les  races  qui  peuplaient 
les  rives  de  cette  mer. 

Aux  Sicanes  autochtones  s'ajoulèreni,  dès  la  plus  haute  anti- 
quilc,  les  Sicules  émigrés  d'Italie.  Puis  vinrent,  à  partir  du 
VIll"  siècle,  les  Grecs  qui  fondèrent  Naxos,  Syracuse,  Catane, 
Himera,  Gela,  Sclinonte,  etc.,  et  firent  de  la  Sicile  l'un  des  foyers 
les  plus  vivants  de  la  civilisation  hellénique.  Les  Carthaginois 
s'emparent  \  leur  tour  de  la  majeure  partie  de  l'ile.  Ils  en  sont 
chasses  par  les  Romains  et  la  Sicile  se  fond  dans  la  grande  unité 
romaine.  Lors  des  invasions  barbares,  les  Goths  sont  un  instant 
maîtres  de  l'île.  Les  Sarrasins  leur  succèdent  en  650,  mais  doivent, 
au  XI"  siècle,  céder  la  place  aux  rois  normands.  Tour  à  tour 
soumise  à  la  domination  des  empereurs  germaniques  (sous  le  règne 
brillant  de  Frédéric  II),  puis  de  Charles  d'Anjou,  frère  de  saint 
Louis,  la  Sicile  se  débarrassa  des  Français  par  le  massacre  des 
Vêpres  Siciliennes  (1 282)  et  se  donna  aux  Espagnols.  Depuis  cette 
date,  l'île  fit  partie  d'abord  de  la  monarchie  espagnole  puis  fut 
réunie  au  royaume  de  Naples  gouverné  par  une  branche  de 
la  famille  des  Bourbons.  Au  XIX°  siècle,  elle  se  révolta  \  maintes 
reprises,  mais  sans  succès,  contre  la  tyrannie  des  rois  de  Naples. 
Il  fallut  l'arrivée  de  Caribaldi  (I  I  mai  1860),  la  prise  de  Palerme 
et  de  Messine,  pour  la  libérer  du  joug  et  l'unir  au  nouveau 
Royaume  d'Italie. 

De  la  Sicile  hellénique,  de  la  place  qu'elle  tint  dans 
le  monde  grec,  seuls  subsistent  les  légendes  de  ses  dieux 


ctoCRAPHIE  UNIVERSELLE. 


179 


18 


L'EUROPE 


le  renom  de  ses  poètes,  les  enceintes  de  ses  métropoles, 
les  ruines  de  ses  temples,  les  admirables  monnaies,  les 
bas-reliefs,  extraits  de  son  sol  à  Ségeste,  Sélinonte. 
Agrigente,  Syracuse,  Taormine,  etc.  Au  Moyen  Age,  le 
mélange  des  traditions  grecques,  arabes,  byzantines,  nor- 
mandes, valut  à  la  Sicile  un  art  fort  original  dont 
témoignent,  entre  cent  autres,  les  basiliques  de  Cefalu 
et  de  Monréale,  la  chapelle  Palatine  de  Palerme,  etc. 
A  ces  richesses  d'art,  non  moins  qu'à  la  splendeur  de 
son  ciel,  au  charme  de  ses  paysages,  la  Sicile  doit  d'être 
l'une  des  régions  de  l'Italie  qui  méritent  le  mieux  qu'on 
les  connaisse  et  qui  laissent  à  l'espnt  les  plus  chers  sou- 
venirs. 

Elle  se  trouve  encore,  il  est  vrai,  mal  pourvue  de  voies 
de  communications,  et  une  visite  complète  des  régions 
intérieures  n'est  point  chose  aisée  !  mais  les  côtes,  riches 
en  ports  et  pourvues  de  petites  plaines  très  fertiles,  furent 
de  tout  temps  les  parties  les  plus  productives  et  les  plus 
peuplées.  Sur  les  4000000  d'habitants  qui  vivent  dans 
l'ile,  les  trois  quarts  se  pressent  sur  les  rivages,  surtout  au 
Nord,  de  Trapani  à  Palerme.  et  à  l'Est,  de  Milazzo  a 
Syracuse.  Comme  tous  les  Italiensdu  Sud,  le  Sicilien  aime 
peu  la  dispersion  et  vit  dans  les  '  borghi  ",  les  grosses 
agglomérations  urbaines  ou  paysannes. 

Palerme  (l'antique  Panorme),  la  capitale  de  l'île,  a 
324000  habitants.  EJle  repose  au  fond  d'un  golfe  arrondi 
que  dominent  les  falaises  du  mont  Pellegrino  et  qu'en- 
tourent les  jardins  enchantés  de  la  Conca  d'Oro.  Moins 
bruyante  que  Naples,  elle  est  aussi  pittoresque  et  fort 
riche  en  œuvres  d'art. 

A  l'extrémité  occidentale,  Trapani  (60000  habitants) 
est  en  relations  actives  avec  la  Sicile.  Marsala  (27000 
habitants)  fabrique  un  vin  connu.  CastellaméU'e  et 
Castelvetrano  sont  les  points  de  départ  obligés  pour  la 
visite  des  ruines  fameuses  de  Ségeste  et  de  Sélinonte. 

A  l'Est  de  Palerme,  une  route  ravissante  longe  la 
côteet.par  Termini,  Cefalu,  Milazzo,  conduit  à  Messine 
(l'ancienne  Zancle  :  la  faucille),  le  premier  port  de  la 
Sicile  avant  le  tremblement  de  terre  de  1908  qui  rasa 
complètement  la  ville  et  fit  périr  plus  de  80000  personnes. 
Messine  avait  alors  150000  habitants.  Elle  est,  aujour- 
d'hui, parvenue  à  réparer  presque  complètement  les  effets 
désastreux  du  cataclysme  et  renaît  à  une  vie  nouvelle. 

De  Messine  à  Catane,  les  pentes  des  monts  Pélori- 
tciins  et  de  l'Etna,  couvertes  d'oliviers,  d'orangers,  de 
palmiers,  offrent  une  série  de  paysages  qui  comptent 
pîirmiles  plus  harmonieux  de  l'Italie.  Taormine  en  est  le 
bijou.  Catane  (21  7000  habitants),  souvent  ravagée  par  les 
tremblements  de  terre  et  les  laves  de  l'Etna.'offre  l'aspect 
d'une  ville  rebâtie  plusieurs  fois  et  d'une  façon  provisoire  ". 
Syracuse  (44000  habitants),  port  excellent,  n'occupe 
qu'une  bien  petite  partie  de  l'emplacement  de  l'antique 
cité  qui  compta,  dit-on,  plus  de  500000  habitants. 

180 


Sur  la  côte  Sud,  Girgenti  (22000  habitants)  est  bâtie 
dans  un  site  admirable,  près  des  ruines  de  l'ancienne 
Agrigente. 

A  l'intérieur,  enfin,  CcJtanisetta  (43000  habitants) 
concentre  le  produit  de  l'exploitation  des  mines  et  carrières 
de  soufre,  et  une  série  de  grosses  agglomérations  (Mo- 
dica,  Caltagirone,  Alcano,  etc.),  qui  dépassent  toutes 
45000  habitants,  servent  de  marchés  agricoles  et  de 
centres  administratifs. 

LES  ILES  ANNEXES.  00  A  la  Sicile  se 
rattachent  géographiquement  l'Archipel  des  îles  Eoliennes 
ou  Lipan,  l'archipel  des  Egades,  Pantellana,  les  îles 
Pélagie  et  Malte.  Sauf  Malte,  toutes  les  autres  appar- 
tiennent politiquement  à  l'Italie  et  font  administrativement 
partie  des  provinces  de  Messine,  Trapani,  Girgenti. 

L'archipel  des  Lipari,  d'origine  volcanique,  comprend  quaU'e  îles 
principales  :  Vulcano,  Lipari,  Salina,  Stromboli,  et  quelques  îlols. 
Les  Grecs  y  plaçaient  la  demeure  d'Eole,  dieu  des  vents,  et  les 
appelaient  Hephestiades,  du  nom  d'Héphaistos.  le  Vulcain  de  la 
mythologie  romaine,  à  cause  de  leur  nature  volcanique.  Des  nom- 
breuses bouches  éruptives  qui  hérissent  leur  sol,  seul  le  Stromboli 
(936  mètres)  est  en  activité  constante,  mais  sans  danger.  Les  bateaux 
qui  se  dirigent,  la  nuit,  vers  le  détroit  de  Messine,  connaissent  bien 
le  point  de  repère  formé  par  les  reflets  rougeâtres  des  laves  qui 
bouillonnent  au  fond  de  son  cratère.  On  y  exploite  de  la  pierre 
ponce,  du  soufre:  on  y  cultive  l'olivier,  les  fruits  et  la  vigne  (vins 
de  Malvoisie  à  Salina). 

Les  îles  Egades  (iles  des  chèvres),  à  l'Ouest  de  Trapani,  ne 
sont,  comme  nos  îles  bretonnes,  que  des  fragments  rocheux,  escar- 
pés, détachés  de  la  grande  île  par  l'érosion  marine.  La  violence  et 
l'irrégularité  des  courants,  des  marées,  l'abondance  des  récifs  et  des 
bancs  à  fleur    d'eau  y  rendent  la  navigation    fort    périlleuse. 

Pantellaria,  au  large  de  la  Sicile,  doit  encore  sa  naissance  au 
volcanisme  qui  fit  surgir  près  d'elle,  en  I83I  et  en  1862,  une 
petite  île  éphémère,  Ferdinandea  ou  Julia,  sommet  de  volcan  sous- 
marin  dont  les  roches  friables  furent,  au  bout  de  quelques  mois, 
rasées  par  les  flots. 

Les  îles  Pélagie  (Lampedusa,  Limosa)  se  composent,  au  contraire, 
de  roches  calcaires.  Avec  leur  vêture  de  maquis  toujours  verts, 
les  petites  maisons  blanches  étagées  sur  leurs  pentes,  elles  évoquent 
les  Cyclades  et  semblent  détachées  d'un  archipel  grec. 

L'archipel  maltais  comprend  deux  îles  :  Malle  et  Cozzo,  et  un 
îlot  :  Comino.  Sa  situation,  au  point  de  jonction  de  la  Sicile  et  de 
l'Afrique  sur  la  route  des  navires  qui  vont  d'un  bassin  à  l'autre  de 
la  Méditerranée,  avait  une  importance  que  comprirent  et  qu'exploi- 
tèrent ses  différent  maîtres  :  Phéniciens,  Carthaginois,  Romains, 
Grecs,  Arabes  de  Tunisie,  Chevaliers  de  Samt-Jean  (de  I  522  à 
I  798),  Français,  Anglais  enfin.  Les  multiples  fortifications  qui  se 
superposent  et  s'entre-croisent  autour  du  port  de  la  Valette,  la 
capitale,  marquent  les  stades  successifs  de  son  histoire  guerrière. 
Cette  rade  profonde,  bien  ramifiée,  est  non  seulement  une  position 
militaire  dont  il  est  superflu  de  souligner  la  valeur,  c'est  aussi  un 
port  de  transit  extrêmement  actif  (mouvement  du  port  de  la 
Valette  en  1913  :  Il  000000  de  tonneaux),  où  les  cargos  anglais 
chargent  les  céréales  venues  du  Levant. 

A  l'intérieur,  malgré  les  difficultés  dues  à  l'absence  de  terre 
végétale,  à  la  sécheresse  du  climat,  les  îles  ont  été  mises  en  culture 
par  le  travail  patient  des  Maltais.  C'est  une  race  d'hommes  assez 
spéciale,  provenant  du  mélange  de  tous  les  peuples  qui  coururent  les 


L"  ITALIE 


eaux  méditerranéennes,  el  qui  a  subi  forlemeni  l'cmprciole  »arra- 
sine.  Le  dialecte  maltais,  de  fond  italien,  comprend  nombre  de 
mola  arabes.  ExtrèmemenI  dense  (426  habitants  au  kilomètre 
carre),  celte  population,  malgré  un  travail  acharné,  malgré  l'appoint 
de  la  pêche  et  du  cabotage,  ne  saurait  vivre  des  seules  ressources 
qu  elle  lire  de  ses  iles.  Elle  s'expatiie  donc  volonliers  en  Tunisie, 
en  Algérie,  en  Egypte.  Jardiniers,  bouchers,  pelils  commerçants,  les 
Mallais  réussissent,  grâce  à  leur  ardeur  au  travail,  à  leur  àpreté  au 
gain. 

En  hiver  toutefois,  l'île  est  fréquentée  par  de  nombreuses 
familles  anglaises  qu'attirent  un  climat  sec,  tiède,  un  ciel  très 
pur. 

LA  SARDAIGNE.  00  La  Sardaigne est  un  peu 
moins  grande  que  la  Sicile  (23 799  kilomètres  carrés). 
Oeenest  se'parée,  ainsi  que  de  l'Italie,  par  les  abîmes  de 
la  mer  Tyrrhénienne.  Par  contre,  elle  se  rattache  directe- 
ment à  là  Corse,  dont  l'isole  le  détroit  mince  et  peu  pro- 
fond de  Bonifacio. 

Des  montagnes  recouvrent  les  neuf  dixièmes  de  sasuper- 
ficie.  A  l'Est,  une  chaîne  de  roches  cristallines,  orientée 
Nord-Sud,  et  dont  le  Gennargentu  (1834  mètres)  est  le 
point  culminant,  borde  la  côte  rectillgne.  C'est  le  prolonge- 
ment des  chaînes  corses.  Mats,  tandis  que  dans  l'île  fran- 
çaise les  pentes  les  plus  raides  font  face  à  l'Occident,  en 
Sardaigne,  les  versants  abrupts  dévalent  vers  le  Levant, 
vers  l'Italie,  à  laquelle  l'île  semble  tourner  le  dos. 

A  I  Ouest,  une  série  de  massifs  d'origines  diverses 
(granits,  calcaires,  trachytes  et  laves)  étalent  primitive- 
ment des  îles  distinctes  qui  furent,  dans  la  suite  des  âges. 
unies  les  unes  aux  autres,  ainsi  qu'a  la  chaîne  principale. 
p<u' un  exhaussement  du  sol.  par  lesalluvlonsdes  torrents, 
surtout  par  des  coulées  de  roches  éruptives.  Tel.  par 
exemple,  le  massif  d'Iglesias,  au  Sud-Ouest,  qu'isole 
la  plaine  de  Campidano.  entre  les  golfes  de  Cagliîirl  et 
d  Oristano.  Tous  les  volcans  de  Sardaigne  sont,  du  reste, 
depuis  longtemps  éteints  ;  des  villages  se  nichent  dans 
leurs  cratères,  et  l'île  contraste  par  sa  stabilité  avec  sa 
voisine  sicilienne. 

Climat,  végétation,  régime  des  eaux  sont  du  type 
méditerranéen  si  souvent  décrit.  Hivers  tièdes.  étés  très 
chauds  et  très  secs  ;  pluies  d'automne  el  de  printemps  ; 
alternance  du  frais  mistral  et  du  brûlant  sirocco  ;  torrents 
à  sec  une  partie  de  l'été.  La  malaria,  entretenue  par  les 
marais  et  les  étangs  de  la  côte,  désole  toutes  les  terres 
basses  et  exerce  ses  ravages  même  dans  certains  districts 
montagneux.  Déjà,  aux  temps  antiques,  la  Sardaigne 
était  renommée  pour  son  Insalubrité,  et  l'on  y  expédiait 
en  exil  les  gens  dont  on  voulait  se  débarrasser.  Des 
forêts  d'érables,  de  chênes  verts,  de  pins  larlcio,  de 
hêtres  subsistent  encore  dans  les  districts  reculés.  Ailleurs, 
elles  sont  remplacées,  comme  en  Corse,  par  d'épais 
maquis  de  lentisques,  d'arbousiers,  de  cystes.  d'oliviers 
sauvages,  de  hautes  bruyères  et  de  palmiers  nains. 

L'île  e»t  faiblement  peuplée  (870(XX)  habitants    en 


1913,  soit  37  au  kilomètre  céurré).  A  ce  point  de  vue,  elle 
constitue  une  exception  remeirquable  parmi  les  grandes  iles 
européennes  qui  ont  généralement  une  densité  moyenne 
supérieure  aux  réglons  continentales  dont  elles  dépen- 
dent. Bien  qu'elle  ait  reçu  des  colonies  étrangères  (Phéni- 
ciens, Carthaginois.  Génois,  Espagnols,  Berbères  même) 
elle  dut  à  son  isolement,  à  la  difficulté  de  la  pénétra- 
tion à  l'intérieur,  de  conserver  une  très  forte  indivi- 
dualité. 

Le  Sarde  est  de  petite  taille,  mais  robuste  et  souple, 
très  brun.  Il  parle  un  dialecte  tout  à  fait  Incompréhen- 
sible à  l'Italien  du  continent,  dialecte  très  proche  du  latin, 
et  qui  a  aussi  beaucoup  de  points  communs  avec  l'espa- 
gnol. Il  est  fidèle  aux  usages,  aux  coutumes  d'autrefois. 
Comme  tous  les  Italiens  du  Sud,  Il  évite  l'Isolement  et 
vit  exclusivement  dans  ses  bourgs.  Même  les  bergers 
des  montagnes  groupent  leurs  huttes  en  villages  Informes  : 
les  stazzi  .  Pourtant  on  ne  trouve  pas  en  Sardaigne 
les  immenses  domaines,  les  "  latlfundl  ",  qui  sont  un  des 
vices  du  régime  agraire  de  l'Italie  continentale  et  de  la 
Sicile.  Le  paysan  est  propriétaire  de  son  domaine,  et  le 
sol  est  partage  en  une  quantité  de  petites  parcelles  soi- 
gneusement clôturées  de  haies. 

Les  ressources  naturelles  de  la  Sardaigne  seraient 
grandes  si  elles  étalent  rationnellement  exploitées.  Toutes 
les  céréales,  tous  les  fruits  de  la  Méditerranée  y  réus- 
sissent à  merveille.  Comme  la  Sicile,  la  Sardaigne  fut  un 
des  greniers  de  Rome.  Les  côtes  sont  très  poissonneuses. 
Le  sous-sol  recèle  d'importants  gisements  de  fer  et  de 
plomb  argentifère,  connus  et  utilisés  depuis  une  haute 
antiquité.  L'élevage  du  mouton,  du  cheval,  de  l'âne,  du 
porc  est  SI  facile  que  dans  aucune  autre  région  d'Italie  le 
nombre  des  animaux  domestiques  par  tête  d'habitant 
n  est  proportionnellement  aussi  élevé. 

Mais,  si  l'on  excepte  les  exploitations  minières  du 
Sud,  presque  rien  n'a  été  fait  pour  mettre  en  valeur  les 
ressources  de  l'Ile,  assalnu-  les  plaines,  combler  les  marais, 
triompher  de  la  routine  et  de  méthodes  fort  arriérées. 
Faute  de  moyens  de  transport,  les  produit  du  sol  se  con- 
somment en  grande  partie  surplace,  à  vil  prix.  La  pêche 
et  le  cabotage  sont  aux  mains  des  étrangers,  car  le  Sarde 
est  un  terrien  qui  répugne  à  la  vie  maritime,  comme,  du 
reste,  à  1  émigration.  Les  fruits  (oranges  surtout),  un  peu 
de  vin  et  d'huile,  des  peaux  de  moutons  forment,  avec 
le  plomb  et  le  fer.  les  principaux  articles  d'exportation. 
La  capitale  est  Cagllari  (61  (XX)  habitants),  sur  la 
côte  Sud,  ville  d'aspect  tout  oriental,  aux  jolies  malsons 
blanches  garnies  de  moucharablès.  Elle  est  en  rapports 
naturels  avec  Napics  et  Tunis.  Iglesias,  au  centre  des 
régions  métallifères,  exporte  des  minerais  de  fer  et 
d  argent  soit  par  Cagllari.  soit  par  le  petit  havre  de  Porto- 
Scuro.  Oristano  est  le  débouché  d'une  plaine  malsaine, 
couverte  de  bois  d'orangers.  Sassari  (44  (XX)  habitants) 

~  181 


L' EUROPE 


était  la  capitale  du  "  Cap  Nord  "  comme  Cagliari  l'e'tait 
du  "  Cap  Sud  ".  A  rintérieur,  Tempio,  Nuoro,  etc., 
ne  sont  que  de  grosses  bourgades  insignifiantes. 

Au  Nord-Est.  sur  une  côte  dentelée  et  semée  d'îles, 
s'ouvre  le  petit  port  de  Terranova,  en  relation  avec 
Civila-Vecchia,  et  l'excellente  rade  formée  par  les  îles  de 
la  Maddalena  et  de  Caprera  dont  l'Italie  a  fait  une  base 
pour  sa  flotte  de  guerre. 


On  ne  saurait  parler  de  la  Sardaigne  sans  mentionner  une  des 
curiosités  de  l'île  ;  les  *'  nuraghi  ",  constructions  de  formeconlque 
en  grosses  pierres  assemblées  sans  ciment,  que  l'on  trouve  un  peu 
partout,  notamment  à  proximité  des  régions  les  plus  fertiles.  La 
plupart  des  nuraghi  datent  de  l'époque  paléolithique  et  néolithique, 
mais  il  est  probable  que  l'on  en  construisit  aussi  aux  temps  histo- 
riques. On  a  longtemps  discuté  sur  leur  usage.  Il  semble  qu'elles 
furent,  suivant  les  cas,  des  tours  de  guet,  des  forteresses,  ou  sim- 
plement des  maisons  d'habitation  fort  analogues  aux  constructions 
du  même  genre  qu'élèvent  encore  les  paysans  d'Apulie. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


La  description  détaillée  que  nous  donnâmes  de 
chaque  région  de  l'Italie  nous  permet  de  résumer,  main- 
tenant, avec  brièveté  les  traits  essentiels  de  sa  vie  éco- 
nomique. 

Le  développement  économique  de  l'Italie  date  du 
jour  où  elle  naquit  à  l'unité.  Certes,  elle  fut  dans  le  passé, 
du  XIl^  au  XVI*^  siècle  surtout,  un  centre  de  civilisation, 
de  commerce,  d'industrie  qui  n'avait  point  d'égal  en 
Europe.  Mais,  par  la  suite,  la  persistance  des  divisions 
politiques,  les  conflits,  ou  tout  au  moins  les  jalousies  qui 
en  résultaient,  peut-être  aussi  une  certaine  lassitude 
physique  et  morale,  mirent  l'Italie  dans  un  état  d  infé- 
riorité manifeste  à  l'égard  des  grandes  puissances  ses  voi- 
sines. Jusque  dans  la  seconde  moitié  du  XIX  siècle. 
l'Italie  demeura  sans  armée,  sans  flotte  de  guerre,  sans 
colonies,  scms  industries,  sans  capitaux,  sans  moyens  de 
communication  aisés,  et  la  majeure  partie  de  sa  popula- 
tion paysanne,  travaillant  sur  de  grands  domaines  partagés 
entre  un  petit  nombre  de  propriétaires  insouciants,  vivait 
dîms  l'ignorance,  dans  la  routine,  trop  souvent  aussi  dans 
la  misère. 

Au  lendemain  du  jour  ou  l'unité  fut  faite,  il  fcJlut  tout 
créer  à  la  fois,  ou  tout  au  moins  tout  entreprendre.  Les 
débuts  furent  difficiles  ;  il  y  eut  des  flottements,  des  arrêts, 
une  situation  financière  longtemps  pénible  ;  de  graves 
erreurs  pohtiques  furent  commises  ;  l'Italie  parut  trop 
souvent  aveuglée  par  une  jalousie  regrettable,  entraînée 
par  une  ambition  démesurée  qui  ne  cadrait  pas  avec  les 
moyens  encore  petits  dont  elle  disposait.  De  là  des 
alliances  contraires  à  la  logique,  une  politique  qui  n'en- 
traîna guère  que  des  mécomptes.  Cependant,  lorsque  la 
Grande  Guerre  éclata,  de  très  beaux  progrès  avaient  été 
réalisés.  L'industrie  avait  pris,  dans  les  régions  du  Nord 
surtout,  un  développement  considérable  ;  l'armée,  la  flotte 
de  guerre  étaient  capables  de  faire,  sur  les  champs  de 
bataille,  brillante  figure.  Les  terrains  mis  en  culture 
s  étaient  fort  étendus  et  la  production  à  l'hectare  avait 
doublé  grâce  à  de  nouvelles  méthodes,  à  la  suppression 
d  anciens  droits  de  pacage  ruineux  pour  le  colon,  au  dé- 
veloppement des  voies  de  communication  intérieures  et  de 
l'exportation.  La  situation  financière  s'était    notablement 

-   182   — 


améliorée  par  suite  de  l'accroissement  même  des  res- 
sources du  pays,  par  suite  aussi  des  arrivages  réguliers 
d'or  et  d'argent  envoyés  par  les  émigrants  ou  apportés 
par  les  étrangers.  Enfin  le  total  du  commerce  exté- 
rieur, qui  n'était  que  de  2000000000  en  1871  et  de 
3000000000  en  1901.  avait  brusquement  passé  à 
4  700  000  000  en  1908  et  à  6 123  000  000  en  1913. 

C'est  aux  progrès  réalisés  dans  une  période  relative- 
ment si  courte  que  l'Italie  dut  de  pouvoir,  en  191-T-19i3, 
d'abord  rejeter  une  alliance  qui  lui  pesait,  puis  entrer 
dans  la  lutte  à  côté  de  ses  alliés  naturels.  Elle  y  gagna 
d'abord  la  conquête  des  "  terres  irrédentes  ".  du  Tyrol 
entier,  de  Triesle.  del'Istrie.  ce  qui  lui  donnait  non  seu- 
lement de  nouveaux  sujets,  un  accroissement  de  popula- 
tion qui  se  chiffre  par  millions,  mais  aussi  des  frontières 
naturelles  très  sûres  et  le  principal  débouché  maritime 
de  l'Europe  centrale.  Elle  y  gagna  encore  le  prestige  de 
la  victoire  qui  l'égala  à  ses  alliés  et  devait  singulièrement 
faciliter  son  développement  futur.  Elle  y  gagna,  enfin, 
d'échapper  à  l'emprise  germanique  qui,  là  comme  en 
Belgique,  en  Hollande,  en  France  même,  devenait  un 
redoutable  danger.  Libérée  désormais  de  toute  crainte 
immédiate  de  péril  extérieur,  elle  a  pu.  dès  le  lendemain 
de  la  guerre,  se  remettre  au  travail  avec  une  ardeur 
nouvelle.  Les  bras  ne  lui  manquent  pas  ;  sa  natalité,  l'une 
des  plus  fortes  du  monde,  lui  permettra  de  combler 
promptement  les  vides  faits  par  le  canon.  Elle  peut  se 
concentrer  sur  elle-même  mieux  qu'elle  ne  le  fit  jadis,  et 
s'occuper  avec  plus  de  suite  et  de  méthode  d'achever  la 
mise  en  valeur  de  son  propre  sol. 

AGRICULTURE.  XHa  L'Italie  est  avant  tout  un 
grand  pays  agricole  et  les  trois  quarts  de  ses  habitants 
travaillent  la  terre.  Malgré  la  place  occupée  par  les 
montagnes  et  les  marais,  40  pour  100  du  sol  sont  mis  en 
culture ,  et  l'on  ne  compte  guère  plus  de  1  1  pour  1 00  de 
terrains  improductifs.  Une  bonne  part  du  sol  cultivé  est 
d'une  très  grande  fertilité  naturelle  :  telles  les  alluvions 
de  la  plaine  padane,  la  Tavolière  d'Apulie,  les  cendres 
et  les  laves  pulvérulentes  de  la  Campante  et  de  la  Sicile. 
De  plus,  même  aux  lieux  moins  favorisés  par  la  nature,  la 


L'ITALIE 


A^^  =    P'^^'O'^N^   ""S  DU  VO.MERO.  Z.W™,  M  ,.ca,u,  <fc 
'^''-'^-  »-•'""  >'"  t/t-A,  .  Cnar,)  ai  Jibiuchl  de  nchr,  olain^  A   C„m»a„ic 


(«.r  a  roar  cn^onn,.  .(»roJ,„>„,^.^,  liante.  nonchalanU  ,1 0m,;onncZlU Z2 
•vr  lou,  ctux  qui  la  milml  unt  immidigle  UJuMm.  Cl.  E.  oÉ  Luc. 


183 


L'EUROPE 


LA  VOIE  DES  TOMBEAUX  A  POMPE!.    Aux 

abords  de  l'iVitstre  cité  que  dei  fouilles  fialientes  ont 
rendue  à  la  lumière,  les  iomhes  des  riches  Pompéiens 
ont  retrouiv  l'ombre  amie  des  cyprès. 


DE    SALERNE  A    AMALFl,    la    rou/e 

sinueuse  domine,  en  corniche,  le  S^lfe  de 
Naples  baignée  de  lumière,  embaumée  du 
Parfum  des  orangers.  Cl.  BoUlANCER. 


PAESTUM.  Dans  la  plaine  solitaire  et  vide,  les  hautes 
colonnes  rouges  des  temples  de  Paestum  rappellent  que 
toute  l'Italie  du  Sud  fut  colonisée  par  des  Hellènes  et 
s  appela  la  Grande  Crèce.  Cl.  Fbed  BoISSOWAS. 


NAPLES  :  LA  ROUTE  DU  PAUSILIPPE.  La  colline  du  Pamilwpe  forme 
comme  un  Irait  d  union  entre  Naples  et  les  régions  de  Pouzzoles,  des  Champs 
PnlégTêens,  du  cap  Misène.  Villas  princières  et  maisons  rustiques  s'étagent  sur  ses 
flancs,  dans  un  désordre  piiloresque  et  coloré.  C!.  Boulanger. 


AGRIGENTE.  Au  sommet  de  la  colline  couverte  d  oliviers  et  de  buissons  toujours 
verts,  les  blanches  maisons  de  ta  moderne  Girgenli,  héritière  de  l'antique  .Akragas. 
flamboient  dans  la  lumière.  C'est  un  type  de  paysage  fréquent  dans  toute  l'Italie 
du  Sud  :  Sicile.  Calabre,  Apulie.  CL  BOULANGES. 


M 


RAND.AZZO.  ViâlU  petite  ville  sise  à  754  mètres 
^'ah''t:Jt  surlrsflcncs  de  l'Etna,  au  milieu  d'une  riche 
;  '"':'• '■'^■"- '-■''^'s'^' ï/«  mûriers  cl  de  vignes  que  favorise 
.i  j^nùndilê  du  zoi  volcanique.  Cl.  BOULANGER. 

184 


LE  CLOITRE  DE  MONREALE.  Dans  la 
banlieue  de  Palerme,  Monreale  conserve  de 
l  époque  normande  une  magnifique  cathédrale 
et  un  cloître  élégant.  Cl.  Boulanger. 


PALERME.  Sur  la  côte  Nord  de  Sicile.  Palerme  repose    \ 

au 

fond   d'un    golfe    arrondi 

dans  une   petite  plaine. 

la 

"  Conca  d'Oro  ",  envahie 

par   les  jardins,   encadrée 

par 

les  pentes  nues  des  monts. 

Cl.  Boulanger. 

L'ITALIE 


chaleur  du  climat  permet  des  cultures  très  productives 
pour  peu  que  l'on  sache  amener  l'eau  indispensable.  De 
là,  comme  en  tant  d'autres  régions  méditerrane'ennes, 
l'importance  qu'a  prise  l'irrigation  en  Piémont,  en  Lom- 
bardie,  en  Vénétie,  en  Toscane,  en  Calabre,  en 
Sicile,  etc.  Inversement,  le  drainage  ou  le  colmatage  des 
marais  aboutit  au  même  résultat,  et  des  centaines  de  mil- 
liers d'hectares  ont  été  conquis  de  cette  façon  aux  dépens 
des  marais  du  Pô,  de  l'ancien  lac  Fucin,  des  Maremmes 
toscanes,  du  Val  de  Chiana,  etc. 

Mais  l'une  et  l'autre  tâche  sont  bien  loin  d'être  ter- 
minées et  nous  avons  vu  quel  champ  fécond  en  résultats 
s'ouvre  aux  efforts  des  agriculteurs  et  des  ingénieurs, 
spécialement  en  Italie  méridionale  et  dans  les  îles.  On 
a  dit  avec  raison  que  si  l'Italie  avait  consacré  à  de 
tels  travaux  le  quart  de  ce  que  lui  coiltèrent  des  expé- 
ditions coloniales  inutiles,  elle  eût  pu  mettre  en  valeur 
jusqu-'à  la  dernière  parcelle  utilisable  de  son  sol,  suppri- 
mer la  malaria  et  retenir  chez  elle  les  millions  d'émigrants 
que  la  misère,  le  manque  de  terres  arables  contraignent  à 
s'exiler. 

Céréales  (blé.  maïs,  riz),  vin.  huile,  mûriers,  telles 
sont  les  productions  essentielles. 

Le  blé,  dur  ou  tendre,  se  cultive  partout,  mais  en 
plus  grande  quantité  dans  la  plaine  du  Pô,  l'Apulie  et 
la  Sicile. 

La  terre  d'élection  du  mais  est  la  plaine  humide  et 
chaude  du  Pô  ou  la  "  polenta  "  est  la  base  de  la  nour- 
riture du  paysan.  Il  est  moins  répandu  dans  le  Sud  par 
suite  de  la  sécheresse  des  étés. 

L'orge,  l'avoine,  le  seigle  ne  prennent  quelque  impor- 
tance  que  dans  les  districts  peu  fertiles  de  la  montagne. 

Le  riz  trouve  seulement  dans  les  basses  régions  irri- 
guées de  la  plaine  du  Pô  les  conditions  de  chaleur  et 
d'humidité  qui  lui  sont  indispensables.  La  récolte,  très 
variable ,  osalle  entre  3  000  000  et  1 0  000  000  d'hectolitres. 
Le  '  risotto  "  est,  en  Italie,  un  mets  aussi  national  que 
les  pâtes  ou  la  polenta. 

La  vigne  mûrit  partout  ses  fruits,  du  Piémont  à  la 
Sicile,  et  dans  d'excellentes  conditions.  Les  Anciens 
n'appelaient-ils  pas  déjà  l'Italie  :  Œnotrie  ou  pays  du 
vin?  La  production  varie  de  30000000  à  40000000 
d  hectolitres,  ce  qui  place  l'Italie  au  second  rang,  après 
la  France,  des  pays  vinicoles  du  monde. 

Nous  a\ons  cilé,  au  cours  de  celte  élude,  ses  crus  les  plus 
connus  :  Asti  el  Baralo  en  Piémont,  Chianti  en  Toscane,  Casielli 
Romani  dans  le  Latium,  Lacryma-Christi,  Capri  en  Campanie, 
Marsala,  Zucco,  Syracuse  en  Sicile.  Il  est  regrettable  que  des 
procédés  de  fabrication  trop  routiniers  nuisent  à  la  conservation  et 
i  la  qualité  des  vins  ordinaires.  On  trouve  rarement  en  Italie  le 
vigneron  spécialiste  qui  est  un  des  types  les  plus  familiers  de  nos 
pays  de  France.  La  vigne  est,  presque  partout,  associée  à  d'autres 
cultures  ;  les  unes  el  les  autres  se  nuisent  réciproquement.  Avec 
plai  de  soin,  plus  de  méthode,  plus  de  science,   l'Italie    pourrait 


égaler  U  France  et  même  la  surpasser  aisément  comme  pays  expor- 
tateur de  vin- 

L'olivier  n'est  absent  que  de  la  plaine  du  Pô  ;  par- 
tout ailleurs,  jusqu'à  700  mètres  d'altitude,  son  feuillage 
léger,  d'un  gris  tendre,  son  tronc  tourmenté  sont  un  des 
éléments  les  plus  caractéristiques  des  paysages  italiens. 
La  Toscane  l'emporte  par  la  qualité  des  fruits,  l'Apulie 
par  I  abondance.  On  consomme  sur  place  la  majeure  par- 
tie de  la  production  d'huile  ;  le  reste  s'exporte  en  France, 
en  Suisse,  en  Autriche,  etc. 

Comme  elle  est  un  pays  de  vin,  l'Italie  est  aussi  un 
pays  de  fruits.  Tous  réussissent  à  merveille,  et,  d'un 
bout  à  l'autre  de  la  péninsule,  les  magnifiques  étalaiges 
des  fruitiers,  les  bas  prix  de  leurs  marchandises, 
témoignent  de  cette  abondance.  On  exporte  en  quantité 
les  agrumes  (oranges,  citrons,  cédrats,  mandarines),  les 
figues,  les  raisins  secs  et  les  amandes.  La  culture  de 
I  oranger  a.  notamment,  pris  une  extension  considérable 
en  Sicile,  en  Sardaigne,  en  Campanie  et  en  Apulie. 

Le  mûner  se  cultive  spécialement  dans  la  haute 
Italie.  Son  rôle  dans  l'économie  générale  est  fort  impor- 
tant, puisque  la  soie  grège  et  les  cocons  forment  de  beau- 
coup l'élément  principal  des  exportations  iteJiennes  (pro- 
duction moyenne  de  1910  à  1914  :  40  000  000  de 
kilogrammes  de  cocons). 

Les  autres  cultures  ont  une  valeur  moindre.  Le  chanvre 
dans  le  Bolonais,  le  lin  en  Lombardie,  le  coton  en 
Sicile  passent  cependant  pour  être  d'excellente  qualité. 
La  betterave  à  sucre  fait  des  progrès  dans  l'Italie 
du  Nord. 

Le  tabac,  peu  cultivé,  est  loin  de  suffire  à  la  consom- 
mation locale,  fort  grande  du  reste. 

ÉLEVAGE  ET  PRODUITS  DE  L'ÉLE- 
VAGE. £f£f  On  ne  trouve  de  prairies  étendues  que 
dans  les  plaines  irriguées  de  l'Italie  du  Nord  et  les 
régions  alpestres.  Ce  sont  les  seules  ou  l'on  puisse  faire 
en  grand  l'élevage  du  gros  bétail,  et  où  la  fabrication 
des  fromages  (Parmesan,  Gorgonzola),  du  beurre  (dans 
le  Milanais)  soit  développée. 

Dans  la  péninsule  et  les  îles,  un  climat  plus  sec  ne  se 
prêîe  qu'à  l'élevage  des  moutons  et  des  chèvres.  Comme 
dans  tous  les  pays  méditerranéens,  la  transhumance  se 
pratique  depuis  la  plus  haute  antiquité.  Les  bergers  des 
Abruzzes,  de  la  Basilicate,  de  la  Calabre,  de  la 
Sardaigne  passent  l'été  dans  la  montagne  et  redes- 
cendent en  automne  par  de  larges  pistes  herbeuses,  les 

tratturi  "  (cf.  les  "  drailles  "  du  Languedoc)  dans  les 
plaines  littorales. 

Le  cheval,  de  petite  taille,  mais  bien  fait  et  robuste, 
s'élève  dans  la  Campagne  Romaine,  dans  les  Pouilles, 
en  Sardaigne.  L'Italie  en  possède  un  nombre  insuffi- 
sant pour  ses  besoins  et  doit  en  acheter  à  l'étranger. 
,35 


L'EUROPE 


7^  Réffioaetj  à agriculturcy 
i^  jyarficuiièremenU  tnienâii'e.^ 


ITALIE 


JétJ  :  Pïgnobi^A,  renomment 


Re^iofiA,àa0ru:uIfure,'      WWM 
particulièrement.  inïen^Lt'ej>.  W////Â 

PRODUITS     DU    SOL    ET     CULTURES        n^noUe.,.nenenune^.ML 


^&SIS' 


Le  mulet,  l'âne  surtout,  rendent  de  grands  services 
dans  les  régions  montagneuses.  Nul  pays  d'Europe 
n'emploie  plus  d'ânes  que  l'Italie  du  Sud.  On  le 
considère  presque  comme  un  membre  de  la  famille 
et,  chez  les  pauvres  gens,  il  partage  la  chambre  de  ses 
maîtres. 

Les  animaux  de  basse-cour,  très  re'pandus,  per- 
mettent une  exportation  croissante  de  volailles  et 
d'œufs. 


LA  PÈCHE.  £> £J  L'Italie  ne  peut  être  comprise 
parmi  les  pays  où  la  pêche  joue  un  rôle  vraiment  impor- 
tant dans  l'économie  nationale.  Cependant,  les  eaux  de 
la  Mer  Tyrrhénienne  sont  fort  poissonneuses.  Le  thon, 
la  sardine  se  capturent  en  quantité  sur  les  côtes  de 
Sicile  et  de  Sardaigne.  Les  coquillages,  '  frutti  di 
mare  ",  les  mollusques,  les  crustacés  entrent  pour  une 
part  appréciable  dans  le  menu  des  riverains.  Au  fond 
de  l'Adriatique,  les  lagunes  de  Venise,  de  Comacchio 


186 


L'ITALIE 


approvisionnent  de  poisson  de  mer  les  villes  de  la 
plaine  Padane  qui  reçoivent  d'autre  part  les  truites. 
les  brochets,  les  anguilles  produits  par  les  lacs  al- 
pestres. 

Entin.  une  récolte  spéciale,  celle  du  corail,  est  le 
monopole  des  pêcheurs  napolitains  et  siciliens  qui 
exploitent  les  bancs  des  côtes  tunisiennes. 

L'INDUSTRIE,  a  a  L'Italie  n'a  pas  une  seule 
mine  de  houille.  En  fait  de  métaux,  elle  ne  possède  que 
les  gisements  de  fer  de  l'île  d'Elbe  (756000  tonnes  en 
1919).  du  borax,  un  peu  de  cuivre  en  Toscane,  du 
plomb  argentifère  et  du  zinc  (1  10  000  tonnes)  en  Sar- 
daigne.  Elle  semble  donc  mcuiquer  des  conditions  néces- 
saires à  la  grande  industrie  ;  et  au  reste,  nous  l'avons  dit, 
elle  est  avant  tout  un  pays  d'agriculture. 

Mais,  d'une  part,  le  grand  développement  de  ses 
côtes  lui  permet  de  recevoir  par  mer,  à  peu  de  frais 
en  temps  normal,  les  houilles,  les  minerais,  les  cotons, 
les  laines  brutes  venus  de  l'étranger.  D'autre  part,  l'a- 
bondance des  chutes  d'eau  met  à  sa  disposition  des 
réserves  inépuisables  de  "  houille  blanche"  et —  nous 
l'avons  noté  surtout  dans  l'étude  de  l'Italie  continen- 
teJe  — l'Italie  se  classe  au  premier  rang  des  pays  euro- 
péens pour  l'exploitation  de  l'eau  comme  force  motrice. 
Enfin  elle  trouve  très  aisément  chez  elle,  et  à  bon 
compte,  la  main-d'œuvre. 

Aussi  la  production  industrielle  de  l'Italie  est-elle  en 
voie  constante  d'augmentation.  D'ores  et  déjà,  elle  se 
suffit  à  elle-même  pour  les  industries  textiles  (cotonnades, 
lauiages,  toiles  de  lin  et  de  chanvre,  soieries)  pôuticu- 
lièrement  actives  en  Lombardie,  Piémont,  Vénétie,  et 
peut  même  expédier  a  l'étranger  une  part  importante 
de  ses  produits  fabriqués.  Les  industries  métallurgiques 
et  chimiques,  en  grand  progrès  (Turin,  Gênes  et  envi- 
rons. Terni,  Naples).  ne  peuvent  cependant  donner 
encore  à  l'Italie  toutes  les  machines,  tous  les  objets  en 
métal  dont  elle  a  besoin,  et  elle  demeure,  pour  ces 
matières,  tnbutaire  de  l'étranger.  Les  industries  alimen- 
taires, très  développées,  produisent  des  pâtes,  des  huiles, 
des  vins,  pour  la  consommation  locale  et  l'exportation. 
A  cela  s'ajoutent  les  industries  d'arl,  d'origine  fort 
ancienne,  surtout  en  Toscane,  à  Venise,  a  Rome,  en 
Campanie  :  verrenes.  dentelles,  mosaïques,  bijoux  de 
corail,  bronzes  et  marbres,  porcelaines,  majoliques. 
faïences,  albâtres,  etc.  Ces  divers  articles  sont,  du  reste, 
fort  souvent  de  goût  et  de  fabrication  médiocres,  ils  ne 
rappellent  que  de  fort  loin  les  chefs-d'œuvre  sortis  des 
ateliers  italiens  du  Moyen  Age  et  de  la  Renaissance, 
et  ne  peuvent  même  pas  se  comparer  aux  objets  de 
même  genre  créés  par  les  ouvriers  français. 

LE   COMMERCE.   00  Le  commerce   intérieur 


de  l'Italie  se  fait  presque  exclusivement  par  les  voies 
ferrées  et  les  routes  carrossables.  Le  transport  par 
canaux  et  voies  navigables  est  insignifiant. 

La  plaine  du  Pô  possède  un  réseau  très  complet  de 
chemins  de  fer  et  de  routes,  routes  admirables  qui 
peuvent  être  classées  parmi  les  meilleures  de  l'Europe 
et  que  doublent  souvent  des  tramways  ou  des  lignes  à 
voie  étroite. 

L  Italie  péninsulaire  et  insulaire  est  beaucoup  moins 
bien  desservie.  Peu  de  voies  ferrées,  moins  en- 
core de  bonnes  routes.  Alors  qu'en  Lombardie,  par 
exemple,  on  compte  environ  800  mètres  de  route  carros- 
sable par  kilomètre  carré,  la  Calabre,  la  Basilicatc,  la 
Sicile  en  comptent  à  peine  250  et  la  Sardaigne  190. 
Bien  qu'une  partie  du  trafic  de  région  a  région  puisse 
emprunter  la  voie  de  mer,  cette  insuffisance  des  moyens 
de  communications  terrestres  est,  nous  l'avons  vu,  l'une 
des  raisons  qui  s'opposent  à  la  mise  en  valeur  de  l'Ita- 
lie du  Sud  et  la  maintiennent  en  état  très  net  d'infério- 
rité économique. 

Le  commerce  extérieur  se  partage  assez  également 
entre  la  voie  de  terre  et  la  voie  de  mer.  La  construc- 
tion des  lignes  ferrées  alpestres  a  facilité  les  transac- 
tions avec  les  pays  de  l'Europe  centrale  et  occiden- 
tale qui  sont  les  clients  naturels  de  l'Italie.  D'autre  part, 
la  péninsule  entretient  des  relations  très  actives  avec 
les  Etats-Unis,  l'Angleterre,  les  régions  du  Levant,  la 
Russie  et  l'extrême-Orient.  Une  flotte  marchande  de 
5  600  navires  jaugeant  1  230  000  tonneaux  en  1914  lui 
permettait  alors  d'assurer  sous  son  propre  pavillon  le 
transport  des  deux  tiers  des  marchandises  importées  ou 
exportées. 

En  décembre  1920,  la  flotte  de  commerce  italienne  comptait 
559  navires  jaugeant  2091000  tonneaux. 

COMMERCE  DE  L'ITALIE 
Imparlatiom 


Calésories 

Année  1913. 
Valeur  en  lires. 

Année  1920. 
Valeur  en  lires 

]!  Ble 

406  000  000 
389  000  000 
324  000  000 
145  000  000 
120  000  000 
125  000  000 
III  000  000 
92  000  000 
83  000  000 
58  000  000 
SI  000  000 
50  000  000 
40  000  000 
etc. 

2  542  000  000 
1  111  000  000 
1  634  000  000 
621  000  000 
268  000  000 
372  000  000 
938  000  000 
271  000  000 
943  000  000 
161  000  000 
312  000  000 
174  000  000 
295  000  000 

etc. 

1  Charbon 

Bail 

C(i 

T.1>M 

«c. 

3  637  000  000 

15  850  000  000 

187 


L'EUROPE 


Exporlatiom 


Cat^torin. 

Annie  1913. 
Valeur  en  lires. 

Année  1920. 
Valeur  en  lires. 

358  000  000 
108  000  000 
208  000  000 
146  000  000 
101  000  000 
75  000  000 
73  000  000 
58  000  000 
48  000  000 
42  000  000 
37  000  000 
55  000  000 
45  000  000 
31  000  000 
etc. 

985  000  000 

337  000  000 

982  000  000 

200  000  000 

228  000  000 

25  000  000 

12  000  000 

315  000  000 

2000  000 

50  000  000 

97  000  000 

72  000  000 

161  000  000 

307  000  000 

etc. 

Vins          j 

Œufs      

Marbre.  aJbâtre,  coraî! 

etc. 

Au  total 

2  500  000  000 

7  800000  000 

PRINCIPAUX  CLIENTS 


Importations  venant  de 

Allema^e 

Grande-Bretagne 

États-Unis 

France 

Autriche-Hongrie 

Russie 

République  Argentine 

Indea  Anglaises 

Pays  Balkaniques 

Suisse 

Japon 

Exportations  allant  à  ; 

Allemagne 

États-Unis 

Grande-Bretagne 

Suisse 

France 

Autriche-Hongrie 

République  Argentine 

Pays  Balkaniques 

Indes 

Russie 


Année  1913. 
Valeur  en  lires. 


Année  1920. 
Valeur  en  lires. 


612  000  000 
591  000  000 
522  000  000 
283  000  000 
264  000  000 
237  000  000 
166  000  000 
166  000  000 
135  000  000 
86  000  000 
60  000  000 


343  000  000 

267  000  000 

260  000  000 

249  000  000 

231  000  000 

221  000  000 

185  000  000 

73  000  000 

62  000  000 

60  000  000 


821  000  000 
2  368  000  000 
4  788  OOO  000 
1  333  000  000 


1  676  000  000 
744  000  000 


336  000  000 
170  000  000 


380  000  000 
655  000  000 
884  OOO  000 
898  000  000 
1  095  000  000 
443  000  000 
419  000  000 

160  000  000 


POPULATION  ET  ÉMIGRATION.  £)£> 
Depuis  les  annexions  récentes,  la  population  de  l'Italie 
atteint  38000000  d'habitants  environ,  soit  125  habi- 
tants au  kilomètre  carré.  Cette  population  s'accroit 
rapidement,  car  l'Italie  prend  rang  parmi  les  pays  les  plus 
prolifiques  du  monde.  Mais  elle  ne  demeure  pas  tout 
entière  sur  le  sol  natal,  et  l'émigration  est  un  des  phéno- 
mènes les  plus  caractéristiques  de  la  vie  économique  de 
la  péninsule. 

De  tout  temps,  il  y  a  eu,  à  l'intérieur  même  de  l'Ita- 
lie, des  migrations  régulières  de  populatioiis,  et  ces  mi- 
grations continuent  au  temps  présent. 

Le  voisinage  immédiat  de  hautes  montagnes  et  de  plaines  fer- 
tiles, c'est-à-dire  de  régions  fort  différentes  par  le  climat  et  le  genre 
de  vie,  les  rendent  faciles  et  naturelles.  Nous  avons  noté  à  maintes 
reprises  la  transhumance  qui  entraîne  le  déplacement  annuel  des 


bergers  et  de  leurs  troupeaux.  Ces  déplacements  ne  sont  point  les 
seuls.  C'est  la  montagne  encore  qui  fournil  aux  grands  proprié- 
taires des  plaines  la  main-d'œuvre  dont  ils  ont  besoin  à  des 
époques  déterminées  :  vendanges,  semailles,  moissons,  entretien  des 
canaux  et  des  fossés.  Les  "  ciociari  "  des  Abruzzes  et  du  Matese 
vont  en  Campanie  semer  le  blé  et  travailler  la  vigne.  Les  Cala- 
brais descendent,  en  hiver,  dans  les  plantations  de  Sicile.  Les 
Piémonlals  des  régions  alpestres  s'emploient  à  la  culture  délicate  du 
riz  de  Lombardie.  Les  Lucquois  passent  la  mer  pour  semer  et 
moissonner  dans  les  plaines  orientales  de  la  Corse,  etc. 

De  telles  habitudes  ont,  évidemment,  facilité,  non  plus 
des  migrations  intérieures,  mais  l'émigration  à  l'étranger, 
le  jour  où  l'Italie  s'est  trouvée  dans  l'impossibilité  de  don- 
ner du  travail  et  du  pain  à  une  population  qui  s  accroissait 
plus  vite  que  ne  se  multipliaient  les  ressources  locales. 
Chassés  par  la  misère,  les  Itahens  franchirent  les  Alpes 
et  allèrent  offrir  leurs  bras  sur  les  chantiers  de  France, 
de  Suisse,  d'Autriche,  d'Allemagne.  Ou  bien  ils  four- 
nirent à  l'Algérie,  à  la  Tunisie,  à  l'Egypte,  une  main- 
d'oeuvre  abondante  et  fort  appréciée,  car  l'Italien  est 
un  rude  travailleur,  très  sobre,  et  l'un  des  meilleurs 
ouvriers  du  monde  pour  des  travaux  tels  que  les  terrasse- 
ments, la  construction  des  routes  et  des  ponts,  les  carrières, 
les  mines,  etc. 

Dans  le  même  temps,  l'Amérique  s'ouvrait  à  l'émigration 
italienne  et,  par  centaines  de  mille,  Abruzzais,  Calabrais, 
gens  de  Campanie  et  de  Sicile  s'embarquèrent  pour  les 
Etats-Unis,  le  Brésil,  l'Argentine,  l'Uruguay. 

Nombre  des  Italiens  résidant  à  l'étranger  en  1910  ;  5  558  000. 

Nombre  des  émigrants  en  1913  :  872  000,  dont  313  000  en 
Europe  ou  dans  les  pays  riverains  de  la  Méditerranée,  et 
559  000  oulre-mer.  La  Grande  Guerre  arrêta,  naturellement, 
l'émigration,  et  provoqua  au  contraire  un  nombre  considérable  de 
retours.  Depuis  la  paix,  les  difficultés  économiques  ont  amené  la 
reprise  de  l'exode.  Nous  ne  possédons  encore  que  les  chiffres  de 
1919  :  243000  émigrants,  dont    100000  pour  l'Amérique. 

Cette  émigration  est  soit  temporaire,  soit  définitive. 
En  général,  l'Italien  du  Nord  ne  passe  à  l'étranger  que  les 
quelques  années  nécessaires  à  la  constitution  d'un  petit 
pécule.  L'Italien  du  Sud,  habitant  un  sol  plus  ingrat,  où 
triomphe  le  régime  de  la  grande  propriété,  part  souvent 
sans  esprit  de  retour,  emmenant  avec  lui  sa  femme  et 
ses  enfants.  Il  suffit  d'une  mauvaise  récolte,  dun  tremble- 
ment de  terre,  d'une  crise  économique  quelconque  pour 
dépeupler  des   districts  entiers. 

La  Ligurie  et  la  Sardaigne,  puis  les  Pouilles,  la 
Lombardie,  le  Latium  fournissent  la  plus  faible  propor- 
tion d'émigrants.  La  Calabre,  la  Basilicate,  les  Marches, 
les  Abruzzes,  la  Vénétie  en  envoient  la  plus  forte 
part. 

S'il  est  excellent  qu'une  nation  essaime  à  l'étranger,  et  envoie 
un  grand  nombre  de  ses  enfants  répandre  au  loin  sa  culture,  sa 
civilisation,  sa  langue,  fasse  connaître  la  valeur  de  ses  produits 
industriels,  un   exode  aussi  formidable  que  l'émigration  italienne 


188 


«Q$<««i 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE     PL. 


LA  SUISSE 


témoigne  évidemment  d'un  éidt  de  malaise  legrettable  et  se  traduit 
par  une  perte  sèche  pour  la  mère  patrie.  Perdus  dans  l'immensité 
des  pays  neufs  où  ils  se  rendent,  les  émigrants  définitifs  cessent, 
au  bout  d'une  génération,  d'être  Italiens  pour  devenir  Américaine, 
Brésiliens,  Argentins  ou  Français. 

Ce  problème  fut  déjà,  avant  la  guerre,  l'une  des  grosses  préoccu- 
pations du  gouvernement  italien.  Ne  pouvant  arrêter  les  départs,  il 
s'est  efforcé,  du  moins, de  5ur\eiller,  de  protéger  ses  nationaux.  La 
société  "  Dante  Alighieri  "  s'est  donnée  spécialement  pour  lâche 
de  maintenir  "  l'italianisme  "  des  émigrés,  par  la  multiplication 
des  écoles,  des  journaux  italiens,  par  une  propagande  patriotique 
active. 

D'autre  part,  et  tout  naturellement,  l'Italie  a  rêvé  la  constitu- 
tion d'un  empire  colonial  qui  serait  capable  d'absorber  une  pari 
notable  de  sa  population  surabondante.  Mais  quand  elle  fut  assez 


forte  pour  se  mettre  à  la  tâche,  le  partage  du  monde  était  déjà 
fait.  Elle  dut  se  rejeter  sur  des  régions  telles  que  les  cotes  de 
l'Erythrée  et  de  la  Somalie,  la  Tripolitaine,  régions  désertiques 
où  tout  est  à  créer,  qui  ne  valent  certainement  pas  les  millions 
dépen?é.*i  pour  les  conquérir,  et  où  les  émigrants  ne  sauraient 
vivre. 

La  solution,  au  moins  pailiellc,  du  problème  consiste  évidem- 
ment dans  la  mise  en  valeur  des  terres  encore  improductives  de  la 
péninsule  et  dans  le  développement  des  industries.  L'exemple  de 
l'Allemagne,  où  le  nombre  des  émigrants  se  réduisit  de  200  003 
(moyenne  de  1885  â  1895)  â  23  000  (moyenne  dt  I909à  1913), 
malgré  un  accroissement  considérable  dépopulation,  montre  à  l  Ita- 
lie victorieuse  la  roule  à  suivre. 

(D'après  P.-G.  Brenna  :  VEmigrazione  llaliana 
nel  perioio  anie  bellico.) 


CHAPITRE  XI 


LA  SUISSE 


SITUATION,  SUPERFICIE,  FRONTIERES 


La  Suisse  (en  allemand  Schweiz,  en  italien  Soi'zzera) 
tire  son  nom  du  canton  alpestre  de  Schwytz  qui,  avec  les 
cantons  d'Un  et  d'Unterwalden,  proclama  le  premier  son 
inde'pendance.  On  l'appelle  aussi  Helvétie  en  souvenir 
des  populations  celtiques  qui  l'habitaient  au  temps  de  Ce'- 
sar.  Son  territoire  necouvre  que  4 1  324  kilomètres  carrés. 
C'est  donc  un  des  plus  petits  Etats  de  l'Europe.  Maigre 
son  exiguité,  le  faible  nombre  de  ses  habitants  (3861  000 
en  1920),  elle  a  su  acquérir  de  très  bonne  heure,  con- 
server et  faire  respecter  des  libertés,  des  habitudes  démo- 
cratiques dont  elle  est  justement  fière.  Elle  a  su  dé- 
velopper savamment  les  ressources  de  son  sol,  créer  de 
florissantes  industries,  entretenir  un  commerce  particu- 
lièrement actif.  La  splendeur  de  ses  paysages  attire  chez 
elle  une  foule  de  visiteurs  enthousiastes.  Enfin,  sa  situa- 
tion centrale,  aux  points  de  croisements  des  grandes  roules 
européennes  dirigées  de  l'Ouest  à  l'Est  et  du  Nord 
au  Sud,  à  travers  les  plateaux  suisses  et  par  les  cois 
alpestres,  accroît  singulièrement  l'importance  de  son  rôle 
européen. 

Du  reste,  la  Suisse,  malgré  l'idée  erronée  que  pour- 


rait faire  naitre  un  trop  rapide  coup  d'œil  jeté  sur  la 
carte  de  l'Europe,  n'est  pas  du  tout  fermée  :  c'est  plu- 
tôt "  un  pays  sans  frontières  ". 

Ses  limites,  en  effet,  ne  coïncident  que  de  loin  en  loin  avec  les 
barrières  dressées  par  la  nature  :  lignes  de  crêtes  ou  larges  cours 
d'eau.  C'est  le  cas,  par  exemple,  pour  les  Alpes  Valaisanes,  le 
massif  du  Bernina,  le  Rhin  entre  Sargans  et  le  lac  de  Constance 
ou  dans  la  section  de  son  cours  en  amont  de  Bàle.  Par  contre, 
dans  la  région  du  Tessin,  le  territoire  de  la  Confédération  pousse 
une  pointe  avancée  jusqu'aux  plaines  padanes,  à  quelques  lieues 
de  Milan.  Dans  la  vallée  de  l'Inn,  rien  ne  sépare  l'Engadine 
suisse  du  Tyrol  autrichien.  A  l'Ouest  du  lac  de  Constance,  tan- 
dis que  "  la  vieille  ville  impériale  de  Constance  assure  à  l'Alle- 
magne une  tête  de  poni  menaçante  vers  la  Suisse  ",  tout  le  canton 
suisse  de  Schaffhousc,  une  partie  du  canton  de  Bâlc  sont  situés  sur 
la  rive  droite  du  Rhin  et  forment  des  enclaves  arrondies  au  milieu 
de  pays  allemands.  Dans  lejura,  une  frontière  paradoxale  zigzague 
de  telle  sorte  qu'elle  laisse  à  la  Suisse  lout  le  pays  très  français 
de  Porrentruy  et  la  boucle  extrême  décrite  par  le  Doubs  à 
Saint-Ursanne,  mais  permet  à  la  France  de  conserver  le  pays 
de  Gex.  "  Enfin,  il  n'est  pas  un  touriste  qui  ne  connaisse  le  capri- 
cieux dessin  de  la  frontière  franco-suisse  autour  du  Léman,  sur- 
tout autour  de  Genève.  De  Saint-Gingolph  à  Bcllegardc,  il  faut 
Irois  fois  déplacer  les  aiguilles  de  sa  montre."  (H.  Hauser.) 


LES  GRANDES  REGIONS  NATURELLES 


La  Suisse  est  partagée,  par  la  disposition  de  son  relief, 
son  his'.oire  géologique,  les  traits  essentiels  du  climat  et 
de  la  vie  économique,  en  trois  grandes  régions  naturelles  : 

\°  La  région  alpestre  qui  couvre  la  majeure  partie  du 


territoire  au  Sud  d  une  ligne  allant  de  Lausanne  a  Saint - 
Gall,  par  Thoune,  Lucerne  et  Zurich  ; 

2°  Le  Jura  ; 

3°  Le  Plateau. 


189 


CEOCRAPHIE  UNIVERSEUJE. 


19 


L'EUROPE 


Les  Régions  alpestres 


GÉNÉRALITÉS,  aa  Sur  les  42  000  kilomètres 
carrés  en  chiffres  ronds  que  couvrent  en  Europe  les  massifs 
des  Alpes,  28  000  environ  appartiennent  à  la  Suisse.  C'est 
à  peu  près  les  trois  quarts  de  sa  superficie  totale.  La 
Suisse  estdonc  avant  tout  un  pays  alpestre.  C'est  cela  qui  a 
fait  sa  renomme'e  etl'on  ne  s'imagine  guère  la  Suisse  autre- 
ment que  sous  la  forme  de  monts  neigeux  d'où  descendent 
glaciers  et  torrents,  de  cimes  vertigineuses  où  s  aventurent 
les  hardis  grimpeurs,  de  petits  chalets  dispersés  dans  les 
prairies  en  forte  pente  à  l'orée  des  forêts  de  sapms.  Nous 
verrons  cependant  que  si  cette  Suisse-là  est  incontestable- 
ment la  plus  séduisante  pour  le  touriste,  le  Plateau,  avec 
ses  riches  cultures,  ses  grandes  villes,  ses  fabriques,  joue 
un  rôle  autrement  important  que  les  monts  dans  la  vie 
économique  de  la  Confédération. 

Lorsque  l'on  regarde  pour  la  première  fois  une  carte 
des  régions  alpestres,  il  semble  que  rien,  dans  la  masse 
confuse  de  hautes  terres  étalées  sur  275  kilomètres 
de  longueur  et  sur  une  largeur  moyenne  de  130  à 
1 50  kilomètres,  ne  permette  d'orienter  la  vision,  de 
distinguer  où  commence,  où  finit  tel  ou  tel  massif.  Un 
examen  plus  attentif  fait  alors  discerner,  au  milieu  des 
monts  enchevêtrés,  une  série  de  couloirs  qu'empruntent 
les  fleuves  et  les  rivières  principales  :  Rhin,  Rhône, 
Tessin,  Inn,  Aar,  Reuss,  Limmat,  etc.,  les  uns  paral- 
lèles, les  autres  perpendiculaires  à  l'axe  des  chaînes 
maîtresses.  Ces  couloirs,  qui  se  rapprochent  les  uns  des 
autres  par  leur  partie  supérieure,  délimitent  les  massifs 
principaux.  Ils  aboutissent  fréquemment  à  des  cols  qui 
mènent  de  l'un  à  l'autre.  Routes  et  chemins  de  fer  les 
remontent  et  peuvent  ainsi  s'insinuer  jusqu'au  cœur  des 
districts  les  plus  reculés.  11  ne  faut  jamais  perdre  de  vue, 
dans  l'étude  des  Alpes,  le  rôle  capital  des  vallées  et  des 
dépressions  qui  les  unissent.  Elles  frappent  moins  l'ima- 
gmation  et  l'esprit  que  les  neiges,  les  glaciers,  les  pics 
majestueux,  mais  elles  sont  les  vraies  sources  de  vie,  et 
l'on  a  pu  écrire  fort  justement  que  "  le  massif  alpin 
est  plus  important  par  ses  hautes  vallées  et  par  ses  cols 
que  par  ses  sommets,  par  ses  chemins  que  par  ses  obs- 
tacles ". 

LE  SAINT-GOTHARD.  00  Le  massif  du 
Saint-Gothard,  d'où  dévalent  le  Rhône,  la  Toce,  le  Tes- 
sin, le  Rhin,  la  Reuss  et  l'Aar,  est  le  point  de  jonction 
des  grandes  vallées  et  des  grands  massifs  alpestres.  Il 
est  relativement  peu  élevé  (3  000  mètres  en  moyenne), 
bien  qu'on  lui  ait  attribué  longtemps  une  altitude  su- 
périeure à  celle  du  mont  Blanc,  altitude  que  l'on 
jugeait  seule  compatible  avec  son  rôle  de  "  château 
d'eau  "   de  l'Europe.  En  fait,  très  usé  par  l'érosion,  il 

190 


fait  plutôt  figure,  vis-à-vis  des  hautes  cimes  voisines,  de 
dépression,  et  c'est  même  à  cela  qu'il  doit  son  importance 
d'autrefois  et  d'aujourd'hui.  On  le  '  découvrit  "  au 
XIII®  siècle.  On  s'aperçut  qu'il  était  le  seul  passage 
alpestre  (entre  le  Léman  oriental  et  Coire)  où  "  il  n'y 
ait  qu'un  col  à  franchir  pour  passer  du  versant  brumeux 
et  froid  au  pays  de  la  lumière  ".  Une  route  le  franchit. 
Aujourd'hui,  un  tunnel  le  perce  de  Goschenen  à  Airoio, 
où  depuis  1882  passe  une  des  lignes  maîtresses  de 
l'Europe  :  celle  qui  unit  les  régions  rhénanes  à  la  vallée 
du  Pô  et  au  golfe  de  Ligurie. 

Partons  du  Saint-Gothard  et  dirigeons-nous  d'abord 
vers  l'Ouest.  La  vallée  du  Rhône  orientée  Nord-Est- 
Sud-Ouest  va  nous  servir  de  ligne  de  démarcation  bien 
nette  entre  deux  des  masses  montagneuses  les  plus  consi- 
dérables de  la  Suisse  :  Alpes  Valaisanes  au  Sud,  Alpes 
Bernoises  ou  Oberland  Bernois  au  Nord. 

LA  VALLÉE  DU  RHONE.  00  Le  Rhône 
coule  en  Suisse  pendant  223  kilomètres.  11  tire  son  ori- 
gine première  du  beau  glacier  de  la  Furka  que  contourne 
une  route  menant  par  le  Saint-Gothard  au  Rhin  supé- 
rieur. Nourri  abondamment  par  les  neiges,  les  glaciers, 
les  torrents  qui  lui  arrivent  du  Nord  et  du  Sud,  il  des- 
cend rapidement  par  Brigue,  Viège  et  Sion  vers  Marli- 
gnyoù,  décrivant  une  courbe  brusque  vers  le  Nord-Ouest, 
il  pénètre  dans  le  delta  que  ses  alluvions  construisirent  aux 
dépens  du  lac  Léman.  Il  traverse  le  lac,  s'en  échappe 
à  Genève  et  entre  en  France  presque  aussitôt. 

Sa  vallée,  le  Valais,  fut  à  l'époque  glaciaire,  comme  tous  les 
grands  couloirs  alpestres,  remplie  tout  entière  par  une  énorme  masse 
de  glaces  en  mouvement,  épaisse  de  2  000  mètres  et  qui,  par-dessus 
les  crêtes  méridionales  du  jura,  atteignait  la  région  lyonnaise. 
D'où  la  forme  en  U  que  donne  le  profil  transversal  du  thalweg,  les 
moraines  latérales  qui  le  jalonnent,  les  formes  moutonnées  des 
"  verrous  "  rocheux  qui,  à  Sion  par  exemple,  barraient  la  vallée. 
De  là  aussi  un  surcreusement  du  couloir  primitif,  surcreusement 
qui  eut  pour  effet,  après  la  fusion  des  glaces,  de  laisser  les  vallées 
latérales  comme  suspendues  au-dessus  de  la  vallée  maîtresse.  On 
s'en  aperçoit  lorque,  partant  du  fleuve,  on  veut  gagner  les  oasis 
alpestres  du  Val  d'EntremonI,  du  Val  d'Hérens,  du  Val  d'Anni- 
viers,  etc.,  par  des  routes  en  lacets,  à  pente  très  forte,  surplombant 
les  gorges  inaccessibles  où  mugissent  les  cascades.  Ce  sont  là,  du 
reste,  phénomènes  communs  à  toutes  les  montagnes  où  l'érosion 
glacière  s'exerça  pendant  une  série  de  périodes  fort  longues  et 
avec  une  particulière  intensité.  Nous  les  relatons  ici  pour  nous 
dispenser  d'y  revenir  dans  la  suite  des  études  consacrées  aux  pays 
alpestres. 

LÉS  ALPES  DU  SUD-OUEST.  00  Au  Sud 
du  Rhône  s'étend  un  premier  groupe  de  massifs  qui 
comprennent  : 

1  °  Le  versant  Nord-Est  du  mont  Blanc,  entre   le  col 


LA  SUISSE 


de  Balme.  qui  mène  de  Chamonix  à  Martigny,  et 
le  col  du  Grand  Saint-Bernard.  Le  mont  Dolent 
(3  850  mètres)  y  sert  de  borne-frontière  à  la  France,  à 
la  Suisse  et  à  l'Italie.  Les  glaciers  du  Saleinaz.  du  Trient 
descendent  vers  les  pittoresques  vallées  de  la  Dranse  et 
du  Trient  ; 

2°  Les  Alpes  V'alaisanes  entre  le  Grand  Saint- 
Bernard  et  le  Simplon.  C'est  le  massif  le  plus  long, 
le  plus  élevé  de  la  Suisse,  l'un  des  plus  attrayants  par 
la  splendeur  de  ses  cimes,  l'étendue  de  ses  glaciers,  la 
vie  de  ses  montagnards,  la  variété  de  ses  paysages.  De 
nombreux  sommets  y  dépassent  4  000  mètres  :  le  Grand- 
Combin(4  3 1  7 mètres),  la  Dent  Blanche  (4  364  mètres), 
le  Weisshom  (4312  mètres),  la  pyramide  élancée  du 
Cervin  ou  Matterhorn  (4482  mèlres),  le  mont  Rose, 
dont  le  pic  Dufour  (4  638  mètres)  égale  presque  le 
mont  Blanc,  le  groupe  des  Mischabels  (4  354  mètres),  le 
Fletschhorn  (4403  mètres),  etc. 

Des  vallées  ravissantes  :  val  de  Bagnes,  val  d'Hcrens,  d'Anni- 
vicrs,  de  Tourlemagne.  de  Saint-Nicolas,  de  Saas,  etc.,  poussent 
jusqu'au  pied  des  glaciers  leurs  prairies  semées  de  chalets,  leurs 
forêt)  de  sapins  et  d'aroUes  qu'encadre  le  cirque  étincelant  des 
monts. 

Evolène,  AroUa,  Zermalt,  Saas-Fee,  à  différentes  altitudes,  re- 
çoivent les  touristes  et  servent  de  point  de  départ  aux  grimpeurs 
que  tente  l'escalade  des  cimes,  les  unes  accessibles  sans  de  trop 
grandes  dilEcultés,  les  autres,  tels  le  Grand-Combin  et  le  Cervin, 
exirèmement  difficiles  et  fort  dangereuses  comme  en  témoignent 
trop  de  catastrophes  dues  aux  vertiges,  aux  glissements  de  neige, 
aux  avalanches,  aux  orages  subits.  Du  Grand  Combin  au 
Simplon,  les  champs  de  glace  se  succèdent  sans  interruption  : 
les  plus  amples  et  les  plus  beaux  sont  ceux  du  Cervin,  du  mont 
Rose  et  des  Mischabels  que  l'on  admire  du  fameux  observatoire  du 
Gornergrat  sis  au-dessus  de  Zermatt,  à  3136  mètres,  et  accessible 
par  voie  ferrée. 

La  hauteur  moyenne  de  la  crête  centrjJe  ne  s'abaisse 
pas  au-dessous  de  3  000  à  3  500  mètres.  Aussi  n'y 
trouve-t  on  pas  d'autres  passages  que  des  cols  de  glaciers 
utilisés  par  les  seuls  alpinistes.  De  là  l'importance  du 
Grand  Saint-Bernard  (2472  mètres)  qui  mène  de  Mar- 
tigny à  la  viJlée  d'Aoste,  et  du  Simplon  (2010  mètres) 
entre  Brigue  et  Domo  d'Ossola.  Le  premier,  déjà 
connu  des  Celtes,  fut  très  fréquenté  par  les  Romains  qui 
y  construisirent  une  route,  un  temple  et  un  lieu  de  refuge. 
Au  Moyen  Age,  saint  Bernard  de  Menthon  y  édifia  un 
hospice  fameux.  Les  légions  romeiines,  les  hordes  de 
Frédéric  Barberousse,  les  armées  républicaines  conduites 
par  divers  généraux  et  notcuiunent  petf  Bonaparte 
(15-21  mai  1800)  le  franchirent.  Aujourd'hui,  une 
bonne  route  carrossable  est  utilisée  chaque  année  par 
5  000  touristes  et  voyageurs  aisés  auxquels  s'ajoutent 
20  000  ouvriers  piémontais  allant  chercher  du  travail  sur 
les  chantiers  de  Suisse  et  de  France.  Le  Simplon,  connu 
lui  aussi,  et  utilisé  depuis  une  époque  fort  reculée,  mais 
moins  fréquenté  que  le  Saint-Bernard,  doit  son  impor- 


tance présente  au  tunnel  long  de  près  de  20  kilomètres, 
creusé  de  1895  à  1905,  et  où  passe  la  ligne  la  plus 
directe  entre  le  Nord-Ouest  de  l'Europe  et  Milan. 

3°  Le  groupe  du  Monte-Leone  entre  le  Simplon 
et  le  Saint-Gothard,  et  les  monts  du  Tessin  qui  rem- 
plissent l'espace  compris  entre  les  veillées  du  Tessin, 
de  la  Toce  et  du  lac  Majeur,  ont  une  altitude 
moyenne  beaucoup  plus  faible  que  les  Alpes  Valaisanes 
(1  800  à  3  000  mètres).  Ils  se  partagent  à  peu  près 
également  entre  la  Suisse  et  l'Italie,  et  leurs  hautes  val- 
lées :  Vcd  d'Antigorio,  Maggia,  Leventina,  contrastent, 
par  leur  luminosité,  le  caractère  méridional  de  leur 
flore,  avec  les  couloirs  qui  dévalent  sur  le  flanc  Nord 
des  monts. 

LES  ALPES  DU  NORD-OUEST,  aa 
Elles  s'étendent  du  Léman  au  cours  supérieur  de  la  Reuss 
et  au  lac  des  Quatre-Cantons.  EUIes  comprennent  trois 
groupes  principaux  : 

1°  Sur  la  rive  gauche  du  Rhône,  le  massif  de  la  Dent 
du  Midi  (3  260  mètres),  quidominedesescrétesdentelées 
la  trouée  du  fleuve  à  Martigny  ; 

2  Oberland  Bernois.  Au  delà  du  Rhône  et  jus- 
qu  à  la  vallée  supérieure  de  l'Aar  se  dressent  les  Alpes 
Bernoises  ou  Oberland  Bernois,  magnifique  pendant  des 
alpes  Valaisanes.  La  Dent  de  Mordes  (2972  mètres),  le 
massif  des  Diablerets  (325 1  mètres),  le  Wildhom 
(3268  mètres),  et  le  Wildstrubel  (3258  mètres),  se  main- 
tiennent à  des  altitudes  relativement  faibles,  et  leurs  gla- 
ciers n'ont  qu'une  petite  étendue.  Mais  au  delà  du  col  de 
la  Gemmi  (2302  mètres),  emprunté  par  une  route  que 
double  depuis  191 1  lavoieferréedeThoimeàLouèchepar 
Kandersteg  et  le  tunnej  du  Loetschberg  (  1 4536  mèlres  de 
longueur),  l'altitude  augmente  tout  a  coup.  Sans  atteindre 
la  hauteiu"  du  Cervin  ou  du  mont  Rose,  les  groupes  du 
Breithorn,  de  l'.'Metschorn  (4207  mètres),  de  la  Jung- 
frau  (4166  mètres),  du  Mœnch  (4104  mètres),  du 
Schreckhorn  (4080  mètres),  du  Finsteraarhorn 
(4274  mètres),  etc.,  ne  sont  pas  moins  célèbres  par  la 
splendeur  de  leurs  dômes,  de  leurs  cornes  (/lorn  en  alle- 
mand), dcleurs  neiges  éblouissantes  que  le  soleil  couchant 
revêt  de  gaze  rose,  par  l'étendue  de  leurs  glaciers  qui 
s'abaissent  au  Nord  jusqu'aux  pâturages  de  Grindelwald 
et  de  la  Kander,  tandis  qu'au  Sud  ils  alimentent  le  Rhône 
naissant.  (Glacier  d'Aletsch  long  de  24  kilomètres,  le 
plus  considérable  des  Alpes). 

Vers  le  Nord,  les  hauts  massifs  cristallins  de  l'Ober- 
land  sont  flanqués,  par  delà  les  cluses  étroites  de  la 
Sarine  et  de  la  Simmen,  d'une  zone  de  Préalpes  :  les 
Alpes  Fribourgeoises  qui,  formées  de  marnes,  de  grèset 
de  schistes  argileux,  dépourvues  de  glaciers  et  de  neige 
persistante,  car  leurs  sommets  ne  dépassent  guère 
2000  mètres,    constituent  comme   une  zone  de  transi- 


191 


L'EUROPE 


tion  entre  les  régions  proprement  alpestres  et  les  espaces 
découverts  du  Plateau  ; 

3°  Les  Alpes  des  Quatre-Cantons.  La  vallée  supérieure 
de  l'Aar,  qui  conduit  au  col  de  Grimsel  (2  1 65  mètres), 
sépare  l'Oberland  du  groupe  de  montagnes  qui  s  étend 
jusqu'à  la  Reuss  et  au  lac  des  Quatre-Cantons. 

Les  massifs  du  Damma  (3630  mètres),  du  Titlis 
(3239  mètres),  l'Uri  Rothstock  (2930  mètres),  encore 
vêtus  de  neiges  éternelles  et  de  glaciers,  en  constituent,  au 
Sud,  les  points  culminants.  Puis,  à  mesure  quel'on  remonte 
versle  Nord,  la  hauteur  diminue  et,  dans  la  région  comprise 
entre  le  lac  de  Thoune  et  la  partie  médiane  du  lac  des 
Quatre-Cantons,  les  Alpes  de  l'Emmenthal,  d'Unter- 
walden,  de  Luceme  et  de  Zug  forment  un  ensemble 
assez  confus  de  croupes  boisées  ou  gazonnées  qui  se 
maintiennent  entre  )  500  et  2000  mètres  et  repré- 
sentent, par  la  nature  de  leurs  roches  et  le  caractère 
de  leur  topographie,  une  zone  de  Préalpes  analogue  aux 
Alpes  Fribourgeoises.  Le  Rigi  (  I  800  mètres),  le  Pilate 
(2132  mètres),  qui  se  reflètent  dans  les  eaux  du  plus 
beau  des  lacs  suisses,  sont  des  observatoires  aisément 
accessibles  par  voie  ferrée  et  universellement  célèbres. 

LES  ALPES  DU  NORD-EST.  00  Les  Alpes 
du  Nord-Est  sont  situées  entre  la  Reuss  et  le  lac  de  Cons- 
tance. La  dépression  où  se  logèrent  les  lacs  de  Walen 
et  de  Zurich  les  divise  naturellement  en  deux  sections  : 
Alpes  de  Glaris,  Alpes  de  Saint-Gall. 

Les  Alpes  de  Glaris  s'allongent  parallèlement  au  cours 
supérieur  du  Rhin,  comme  une  haute  et  large  barrière 
dépourvue  de  cols  et  fort  malaisée  à  franchir.  Le  Tôdi 
(3623  mètres),  le  Hausstock  (3156  mètres),  le  Ringel- 
spitz  (3251  mètres),  en  sont  les  points  culminants.  Elles 
se  complètent,  elles  aussi,  par  les  Préalpes  du  Glàrnisch 
(2920  mètres)  que  traverse  l'étroit  couloir  de  laLinth,  du 
Druss,duWeggis,  du  Rossberg,  dont  les  dernières  ondu- 
lations expirent  aux  rives  des  lacs  de  Zug  et  de  Zurich. 

Enfin, les  Alpesde  Saint-Gall  et  d'Appenzell  débutent 
aux  bordsdu  lac  deWallen  que  les  Churfisten  (2309  mètres) 
dominent  de  leurs  escarpements  abrupts  ;  elles  se  conti- 
nuent vers  l'Est  et  le  Nord  par  le  bel  observatoire  du 
Sentis  (2504  mètres)  et  descendent  par  gradins  étages, 
aisément  accessibles,  jusqu'à  la  nappe  du  lac  de  Constance. 

La  dépression  où  dorment  les  eaux  du  Walensee  et 
du  lac  de  Zurich  doit  une  importance  particulière  à  la 
facilité  des  communications  qu'elle  établit  entre  la  région 
de  Zurich-Bàle  d'une  part,  et,  d'autre  part,  la  vallée  supé- 
rieure du  Rhin,  par  le  seuil  très  bas  de  Sargans.  Elle 
est  empruntée  par  la  grande  voie  transcontinentale  qui 
mène  de  Paris  à  Vienne  par  Bàle,  le  tunnel  de  l'Ari- 
berg  et  le  Tyrol  autrichien. 

LES  ALPES  DU  SUD-EST.  0/3  La  dernière 
section  des  Alpes  suisses  s'étend  de  la  vallée  supérieure  du 

192  — — 


Rhin  àl'Engadine  ou  haute  vallée  de  l'Inn  et  comprend 
trois  groupes  de  massifs;  Adula,  Alpes  Grisonnes, Bernina. 

Le  massif  de  l'Adula  se  loge  entre  les  deux  vallées  où 
coulent  le  Rhin  antérieur  et  le  Rhin  postérieur  qui 
s'unissent  à  Reichenau.  Le  Rhin  antérieur  naît,  comme 
le  Rhône,  au  Saint-Gothard  et  utilise  un  couloir  exacte- 
ment symétrique  à  celui  du  Rhône,  couloir  d'abord  étroit, 
coupé  de  seuils  et  d'étranglements  rocheux,  puis  qui  s'élar- 
git peu  à  peu,  et,  au  delà  de  Coire,  aboutit  à  une  plaine 
alluviale  construite  aux  dépens  du  lac  de  Constance.  Le 
Rhin  postérieur,  sorti  des  glaciers  du  Rheinwaldhom, 
s'échappe  par  l'étroit  et  sauvage  défilé  de  la  Via  Mala.  Le 
massif  proprement  dit  de  l'Adula  (3398  mètres)  est  moins 
étendu,  moins  élevé,  moins  compact,  percé  de  plus  de 
brèches  que  les  grands  massifs  de  l'Ouest.  Il  correspond 
à  une  sorte  de  point  faible  des  Alpes.  Aussi  des  voies 
de  communication  relativement  nombreuses  utilisent  les 
cols  de  Lukmanier  (1917  mètres),  de  San  Bernardino 
(2063  mètres),  du  Splugen  (21 17  mètres)  quimènentde 
Dissentiset  de  Coire  aux  lacs  italiens. 

Les  Alpes  Grisonnes  (ou  Alpes  Rétiques)  sépcu-ent  le 
bassin  du  Rhin  d'un  long  couloir  où  coulent  en  sens 
inverse  l'Inn,  qui  se  rend  au  Danube,  et  la  Maïra  (Val  Bre- 
gaglia),  qui  va  au  lac  de  Côme.  Ce  sont  de  hautes  mon- 
tagnes et  dont  l'altitude  moyenne  dépasse  3000  mètres  ; 
points  culminants  :  le  pic  d'Err  (3395  mètres),  le  pic  Linard 
(3416  mètres),  la  Silvretta  (3248  mètres),  etc.  Peu  de 
glaciers  les  recouvrent  cependant,  et  trois  cols  ouvrent 
des  passages  relativement  aisés  :  cols  de  Septimer 
(2311  mètres),  de  Julier  (2287  mètres),  de  l'Albula 
(2315  mètres),  ce  dernier  percé  peur  un  tunnel  qu'em- 
prunte la  voie  ferrée  de  Saint- Moritz.  Le  seuil  de  la 
Maloja  (1811  mètres)  conduit  sans  difficulté  de  l'Enga- 
dineauVal  Bregaglia. 

Tous  ces  passages  :  Lukmanier,  San  Bernardino,  Splugen,  Sep- 
limer,  Julier,  Albula  sont  connus  et  fréquentés  depuis  une  très 
haute  antiquité.  C'étaient  les  chemins  naturels  qui  menaient  des 
pays  germaniques  aux  plaines  italiennes,  objet  de  tant  de  convoi- 
lises.  Après  les  Celtes,  qui  les  utilisèrent  les  premiers,  les  Romains 
y  tracèrent  des  roules,  y  construisirent  des  refuges  et  des  ouvrages 
détensifs.  Au  Moyen  Age,  les  empereurs  germains  les  franchis- 
saient pour  aller  se  faire  couronner  à  Rome  ou  mener  leurs  armées 
au  sac  des  riches  villes,  des  terroirs  féconds  pleins  de  soleil.  De 
nos  jours,  ces  passages  ne  servent  plus  guère  qu  aux  touristes  qui 
vont  à  Davos,  à  Samaden,  à  Saint-Moritz  (aire  des  cures  d'air 
et  d'altitude.  L'axe  des  transaclions  commerciales  s'est  déplacé  à 
la  fois  vers  l'Ouest  (voies  du  Simplon  et  du  Saint-Gothard)  et  vers 
l'Est  O'gn^  à^   Brenner). 

Le  groupe  du  Bernina  limite  au  Sud-Elst  le  territoire 
suisse,  et  ses  massifs  principaux  :  Monte  délia  Disgra- 
zia  (3080  mètres),  Bernina  (4092  mètres),  pic  Can- 
ciano  (3107  mètres),  pic  Languard(3266mètres)  se  par- 
tagent entre  la  Suisse  et  l'Italie.  Le  col  du  Bernina 
(2330  mètres)  conduit  de  l'Engadine  à  la  Valteline. 


LA  SUISSE 


LE  CER\  W.L'ctonnante  PUTamiJe(iuCcTL(n,ûuMallerbom.s'cUvc  d'un  jet  jus<iu'a 
4482  mélici,  au-dessus  des  glacitr^  ft  dts  ehamiu  de  neige  qui  recouvrent,  à  partir  tfe 
2  SOQ  mitres,  tout  le  massif  des  Alpes  Valaisanes.  La  raideur  de  ses  murailles  semble 
difter  toute  escalade  et,  de  hit-  l'alpinate  anglais  ïf  A|/mAer.  aidé  de  plusieurs  guides. 


employa  8  campagnes  d'ete  à  trouver  le  seul  pai*age  par  ou  l'on  puisse  ■ —  au  prix 
d  incroyables  difficultés  —  atteindre  In  pointe  suprême.  Depuis  lors,  des  crampons,  des 
chaînes  de  fer,  facilitent  l'ascension  qui  n'en  denieu/e  pas  moins  l'une  des  plus 
malaisées  et  da  plus  dangereuses  qui  se  puisse  tenter.  Cl.  VÏ'ehru. 


193 


L'EUROPE 


SAINT-MORITZ.  La  haute  vallée  de  l'inn,  ou  Engadine.  s'évase  en  un  long  et 
large  couloir,  à  fond  plat,  semé  de  lacs,  dont  l'altitude  moyenne  atteint  l&OO 
mètres.  Elle  se  prête  merveilleusement  à  l  établissement  de  sanaloria,  de 
stations  d'hiver  et  d'été,  tels  que  Saint-Morilz.  CI     SoMMER. 


LE  GLACIER  D'ALETSCH,  sur  le  fianc  méridional  de  iOberland  bernois, 
est  la  plus  longue  (25  kilomètres)  des  nappes  de  glace  mouvante  qui  emplissent  les 
hautes  vallées  alpestres.  Noter  les  nombreuses  moraines  Qui  strient  de  noir  la  blan- 
cheur du  glacier.  C\.   FreD.   BoissONNAS. 


GRINDELWALD.    Ces(    le     Chamonix     des    Alpes 
Bernoises,   point   de   départ   des    courses,    qui,  une  fois 
franchie  la  zone  des  prairies  semées  de  chalets,  mènent  à 
l'escalade  des  grands  massifs.                      CI.  WehrLI. 

" 

FRIBOURG  étage  sur   les  bords    de  la 

Sarine  ses  hautes  maisons  qui  se  pressent 

à  l'ombre  de  la  cathédrale. 

Cl.  Fred.  Boissonnas. 

EGGISALP.  L'  "  Alpe"  cest  le  pâturage  de  haute 
montagne,  entre  /  -400  et  2  000  mètres  où  les  trou- 
peaux passent  l'été,  de  la  Saint-Jean  à  la  Saint-Michel. 

CI.  Fred.  Boissonnas. 


:-^*^  f  '-\ 

^.a'*-  '''wc^i^^I^^^H 

^^^J^jmi'-y-MM, 

^ — : 

^. 


UNE  ROUTE  ALPESTRE.  Des  routes  de  ce  genre  se 
multiplient  dans  toute  la  chaîne  des  Alpes  et  font  cesser 
l  irclcjr.cnl  où  vivaient  autrefois  les  montagnards  des 
hautes  vallées.  Cl.  Wehrli. 


194 


SPORTS  D'HIVER.  Courses  et  sauts 
en  ski,  bobsleigh,  ludge,  patinage  se 
pratiquent  dans  toutes  les  stations  d'hiver. 
Cl.  A.  Steiner  St-Moritz(Engadine). 


LE  LAC  DE  BRIENZ,  et  son  voisin  le  lac  de  Thoune 
ceints  de  montagnes  verdoyantes,  régularisent  le  cours 
supérieur  de  l'Aar.  Entre  les  deux  s'est  nichée  la 
charmante  villelte  d'Interlaken.  Cl.  WehbLI. 


LA  SUISSE 


Les    conditions    de    vie    dans    les    hautes    Régions 


LE  CLIMAT.  00  Malgré  la  facilité  de  péné- 
tration due  a  la  pre'sence  des  vallées  transversales  et  lon- 
gitudinales, la  Suisse  alpestre  constitue  un  petit  inonde 
spécial  ou  les  gens  ont  dû  s'adapter  à  des  conditions  cli- 
matiques peu  favorables  et  ont  vécu  longtemps  isolés  du 
bas-pays.  Encore  aujourd'hui,  les  cantons  alpestres  sont  en 
général  les  moins  peuplés,  les  moins  productifs  de  la  Con- 
fédération, ceux  aussi  où  se  conservent  le  plus  fidèlement 
les  usages,  les  costumes,  les  dieJectes  d'autrefois.  Cepen- 
dant, la  beauté  de  leurs  paysages,  la  salubrité  de  leurs 
hautes  vallées  exercent  une  forte  attraction  sur  les  oisifs. 


Altitude. 


Températures 
moyenne» 

de 

>an. 
vier 


P.'uie 


mitlU 
mctrcs 


Son 

Coîre 

Sunt-Oill  . 


i 

Boues  calléa  aheatres  du  oenant  Nord. 
...I      540m.|    9»6]-I°Il  I9°5|       634 
...       610m.     8^  -1°6    I7°5         803 
...1      703ro.l    r\\-2'\\  \b%\    \  341 


Jours 

de 
pluie 


clairs 


Lu^ano 

CuUsegna  (val  Bre- 
gaglia) 

Saînt-Beatenberg  . . 

Davos 

Graechen  (VataU)  . . 
Beve«(EniîBdine). . 


Btaaa  valUea  du  venant  Sud. 
I     275  m-l  IlMl     l''3!  2I»5| 


700  r 


..1    9^71 -0»5|  Ï8<*91 
Hautes  Vallées. 


I  70S 
I  438 


i  150  m. 

6'^ 

-2°9 

14"« 

1  453 

153 

89 

1  560  m. 

2"7 

-T'A 

12«2 

930 

143 

97 

1  620  m. 

4°0 

^"3 

ri''4 

528 

74 

92 

1  712  m. 

1-2 

-909 

U°8 

838 

127 

89 

89  I  108  I    84 

116  87     112 

160  I  64  I  155 

120  I  124  I  103 

116  I  102  !  105 


Riti 

Col  de  S«n  Benur. 

(£no 

ColduSt-Bem&rd  . 
Sentis 


1  787  m. 

2  073  m. 
2  475  m. 
2  500  m. 


Co/s  tl  ummets. 

1.!    Z-OM'S     9°9I 


0»6  -6'9 

-1°7  -8°7 
-2°ô-8<9 


1  730 

2  294 
I  278 
2300 


M4  :    83 


142 


les  touristes,  les  malades  des  deux  mondes,  et  fournissent 
à  la  gent  montagnarde  à  la  fois  une  source  de  revenus 
et  un  motif  puissant  pour  ne  point  délaisser  des  lieux, 
par  ailleurs  peu  séduisants. 

Dans  l'ensemble,  le  climat  des  régions  alpestres  est 
fort  naturellement  caractérisé  par  la  faiblesse  des 
moyennes  annuelles,  la  rudesse  et  la  longueur  de  la 
période  hivernale,  l'abondance  des  précipitations  atmo- 
sphériques sous  forme  de  pluies  et  de  neiges.  Mais  les 
différences  d'altitude,  de  latitude,  d'exposition  y  intro- 
duisent de  grandes  variétés. 

Verticalement,  la  température  diminue  en  moyenne 
de  0'',58  par  100  mètres.  Cette  diminution  est  plus 
accentuée  sur  les  versants  Sud  (0°,68)  que  sur  les  ver- 
sants Nord  (0°,  55).  De  plus,  à  mesure  que  l'on  s'élève, 
l'hiver  est  plus  précoce  et  plus  long.  Dans  les  stations 
sises  aux  alentours  de  2  000  mètres  (à  Arolla,  par  exemple, 
dans  le  Valais),  il  neige  encore  parfois  jusqu'au  I  5  juil- 
let, et  la  saison  d'été  ne  se  prolonge  pas  au  delà  du 
r"^  septembre.  Dans  une  même  vallée,  le  versant  exposé  au 


iNord  (Schattenseite)  est  plus  Iroid  que  le  versant 
exposé  au  Midi  (Sonnenseite),  et  tous  les  cJpinistes  savent 
combien,  dans  les  hauteurs,  le  contraste  est  grand  entre 
un  coin  d'ombre  où  l'on  grelotte  et  les  lieux  découverts 
où  l'ardeur  cuisante  du  soleil  brille  et  tanne  la  peau. 
Une  vallée  large,  qui  reçoit  plus  longtemps  les  rayons 
solaires,  est  plus  tiède  qu'une  cluse  étroite.  Toutefois, 
par  une  curieuse  inversion  des  températures,  les  fonds 
des  vallées  protégées  contre  le  vent,  et  où  les  couches 
d'air  froid  peuvent  s'accumuler,  ont  souvent  en  hiver 
des  températures  beaucoup  plus  basses  que  les  sommets. 
Dans  l'Engadine,  par  exemple,  Bevers,  à  1712  mètres 
d'altitude,  a,  en  janvier,  une  moyenne  de  —  9",9,  cJors 
que  le  Rigi,  par  I  787  mètres,  n'a  que  —  4°, 5  et  le  Sen- 
tis (2500  mètres)  — 8", 9.  Enfin,  à  égale  altitude,  les 
vallées  et  les  pentes  ensoleillées  qui  descendent  vers  la 
plaine  du  Po  sont  plus  chaudes  que  les  versants  du 
Nord  (comparez,  par  exemple,  les  températures  de 
Saint-Gall  et  de  Castasegna). 

Même  variation  dans  les  précipitations  atmosphénques 
et  la  nébulosité.  Les  régions  alpestres  reçoivent  en  géné- 
ral de  fortes  quantités  de  pluie  et  de  neige  car  les 
nuages  venus  de  l'Océan  ou  de  la  Méditerranée  s'y 
condensent  forcément.  Le  tableau  précédent  donne 
les  chiffres  des  principales  stations.  Pour  qu'il  fût 
complet,  il  conviendrait  d'y  joindre  l'épaisseur  de  la 
couche  neigeuse  qui  joue  un  tel  rôle  dans  I  économie 
alpestre  comme  obstacle  aux  communications,  alimenta- 
tion des  glaciers  et  des  rivières,  etc.  Mais  c'est  un  élé- 
ment qu'il  est  fort  difficile  d'apprécier.  Bornons-nous  à 
noter  que  la  limite  inférieure  des  neiges  persistantes  varie 
de  2  500  mètres  environ  dans  les  Alpes  de  Saint-Gall 
à  3  000  mètres  dans  les  Alpes  du  Valais,  et  que  l'on 
estime  à  12  mètres  et  davantage  l'épaisseur  du  blanc 
linceul  qui  s'étale  annuellement  sur  les  hauts  sommets 
exposés  aux  vents  humides. 

Les  couloirs  longitudinaux  abrités  des  vents  par  1  écran 
des  hautes  chaînes  reçoivent  des  quantités  de  pluie  rela- 
tivement faibles  comme  en  témoignent  les  chiffres  de 
Sion,  de  Graechen,  de  Bevers.  Le  nombre  des  jours 
clairs  y  est  souvent  élevé.  Sion,  par  exemple,  ne  compte 
annuellement  que  quatre-vingt-quatre  journées  où  le  ciel 
demeure  complètement  voilé  de  nuages  ou  de  brumes, 
tandis  que  les  jours  où  l'atmosphère  reste  tout  à  fait 
pure  se  montent  à  cent  huit,  presque  autant  qu'à  Lu- 
gano.  La  sécheresse  du  climat  a  même  conduit,  depuis 
des  siècles,  les  habitants  du  Valais  à  créer  tout  un  sys- 
tème de  rigoles  d'irrigation,  les  '  bisses  ",  qui  arrosent 
leurs   prés  et  leurs  champs. 

Dans    l'arrière-automne   et    en    hiver,  les    hauteurs 


195 


L'EUROPE 


au-dessus  de  1  000  mètres  et  certaines  vallées  favorise'es 
(région  des  lacs  de  Brienz,  des  Quatre-Cantons,  Valais) 
contrastent  fortement  par  leur  ciel  lumineux,  leur  air  sec, 
avec  le  plateau  suisse  enseveli,  pendant  des  semaines  en- 
tières, sous  un  brouillard  opaque,  épais  de  700  à  800  mètres. 
Cette  clarté  et  cette  sécheresse  de  l'air,  très  agréables 
et  salubres,  et  qui  rendent  aisément  supportables  des 
froids  très  vifs,  ont  favorisé  la  création  des  stations 
d'hiver,  notamment  dans  les  Grisons,  à  Davos,  Sama- 
den,  Saint-Moritz.  Même  en  été,  tous  les  amoureux  de 
la  haule  montagne  connaissent  le  saisissant  spectacle  que 
présentent,  au  lever  du  soleil,  les  vallées  inférieures 
emplies  d'une  mer  de  nuages  ",  tandis  que  les  champs 
de  neige,  les  glaciers,  les  aiguilles  dentelées  étincellent 
sous  la  lumière  virginale  d'un  ciel  immaculé. 

11  faut  enfin,  pour  se  faire  une  idée  à  peu  près  complète  du 
climat  alpestre,  tenir  compte  des  différents  phénomènes  météoro- 
logiques qui  le  caractérisent  non  moins  fortement  que  les  moyennes 
de  température,  de  pluie  ou  de  nébulosité.  Tels  sont  les  change- 
ments subits  de  température  provenant  d'une  saute  de  vent,  les 
orages  qui  éclatent  avec  une  brutalité  déconcertante  et  une  incroyable 
violence,  —  les  tempêtes  de  neige  qui.  en  quelques  heures,  rendent 
pour  de  longs  jours  impraticables  des  passages  relativement  faciles, — 
le  verglas,  l'un  des  plus  grands  obstacles  qui  s'opposent  à  l'esca- 
lade des  parois  de  rochers,  —  les  vents  locaux  dont  le  plus  connu  est 
le  fôhn,  vent  chaud  qui  accélère  la  fonte  des  neiges,  fait  multiplier 
les  avalanches,  gonfle  en  peu  d'instants  les  torrents,  etc. 

CULTURES,  FORÊTS,  PRAIRIES.  00  Des 

vallées  aux  neiges  éternelles  se  succèdent  une  série  de 
zones  végétales  qui  sont  en  rapport  immédiat  avec  le 
climat  et  règlent  les  conditions  d'existence  du  monta- 
gnard. 

Les  cultures  de  céréales  occupent  les  régions  basses 
ou  les  versants  ensoleillés.  Le  froment  ne  dépasse  guère 
700  à  00  mètres,  sauf  dans  la  région  plus  chaude  du 
Tessin  où  il  se  mêle  à  la  vigne,  au  ma'i's,  aux  arbres 
fruitiers.  Le  seigle,  l'orge,  l'avoine,  la  pomme  de  terre 
montent  jusqu'à  1  300  mètres  en  moyenne,  ainsi  que  les 
châtaigniers  et  les  cerisiers.  Parfois  même,  aux  lieux 
particulièrement  favorisés,  l'avoine  et  le  seigle  parviennent 
à  mûrir  jusqu'à  2  000  mètres  (versant  du  Tessin). 

Mais  ces  cultures  ne  jouent  aujourd'hui  qu'un  rôle 
effacé  dans  la  vie  économique  de  la  montagne.  Elles 
sont  pénibles  par  suite  de  la  raideur  des  pentes,  de  petit 
rapport  et  de  rendement  fort  aléatoire.  Aussi  ont-elles 
considérablement  diminué  d'étendue  depuis  que  la  mul- 
tiplication des  routes  permet  aux  céréales  étrangères  de 
monter  jusqu'aux  districts  les  plus  isolés. 

La  forêt  couvrait  autrefois  la  presque  totalité  des 
monts.  Elle  a  reculé,  dans  des  proportions  parfois  dan- 
gereuses, devant  l'extension  des  cultures  d'abord,  puis, 
plus  récemment,  des  pâturages.  Cependant  elle  revêt 
encore  une  portion  appréciable  des  versants,  notamment 
sur  les  côtés  de  l'ombre,  exposés  au  Nord. 

196  


Entre  500  et  I  300  mètres  environ,  les  arbres  à  feuilles  ca- 
duques :  hêtres,  chênes,  frênes,  charmes,  ormeaux,  tilleuls,  châtai- 
gniers sont  encore  nombreux  bien  que  déjà  ils  se  mélangent  aux 
conifères  :  épicéa,  sapin  blanc,  mélèze,  dans  une  proportion  variable 
suivant  les  lieux  et  l'altitude.  A  partir  de  1  300  mètres,  ces 
derniers  composent  seuls  la  forêt  alpestre  jusqu'à  la  zone  supé- 
rieure (I  560  mètres  dans  le  Sentis.  I  900  mètres  dans  l'Ober- 
land,  2  000  mètres  dans  le  Tessin,  2  200  mètres  dans  le  Valais  et 
I  Engadine)  où  la  rigueur  du  climat  s'oppose  à  la  croissance  nor- 
male des  arbres.  L'épicéa  ou  sapin  rouge  joue  le  rôle  le  plus 
important  ;  il  s'élève  ju=qu'à  la  limite  des  neiges  éternelles  et  des- 
cend jusqu'à  la  zone  inférieure  où  à  lui  seul  il  constitue  souvent 
d  immenses  forêts.  "  Di  très  lom.  la  forêt  d'épicéas  se  reconnaît  à 
sa  teinte  sombre  qui  contraste  d'une  façon  si  tranchée  avec  celle 
des  pâturages.  Dans  les  prairies  basses,  où  l'épicéa  croît  en  pieds 
isolés,  il    prend  une    ampleur    magnifique  et    forme  ces   superbes 

gogants  "  (Wettertannen.  Schirmtannen)  sous  lesquels  le  bétail 
aime  à  s  abriter.  "  Le  sapin  blanc  se  mélange  à  l'épicéa  sur  les 
versants  ombreux  à  sol  de  calcaires  ou  dé  schistes  ardoisés.  Le 
mélèze  apparaît  aussi  rarement  en  forêts  pures  et  s'unit  à  l'épicéa 
et  à  l'arolle.  L'arolle  enfin,  aux  formes  trapues,  aux  puissantes 
racines,  est  disséminé  sur  toute  la  chaîne  des  Alpes,  mais  ne  cons- 
titue de  vraies  forêts  que  dans  l'Engadine  et  le   Haut- Valais. 

Lorsque  la  forêt  s'arrête,  elle  fait  place  d'abord  à  des 
formations  buissonneuses  composées  d'arbres  rabougris  et 
nains  (épicéas  vieux  de  cent  années,  mais  hauts  de 
I  mètre,  aulnes,  saules,  genévriers),  de  bruyères,  de 
rhododendrons,  etc.  Puis  apparaissent  les  alpes  "  ou 
alpages,  c'est-à-dire  les  pâturages  élevés  formés  d'herbes 
courtes  et  savoureuses  que  couvre  pendant  de  longs  mois 
une  épaisse  couche  de  neige,  et  qui,  pendant  la  brève 
période  estivale,  se  hâtent  de  donner  leurs  fleurs  écla- 
tantes :  gentianes,  lis  martagon,  orchis,  anémones,  saxi- 
frages, edelweiss,  etc.  Enfin  des  mousses,  des  lichens 
revêtent  les  roches  jusqu'à  la  zone  ou  la  neige  ne  fond 
jamais. 

LES  HABITANTS.  00  Les  alpages  des  hautes 
régions  elles  prairies  cultivées  des  zones  inférieures  cons- 
tituent la  vraie  richesse  du  montagnard.  11  passe  des  uns 
aux  autres  suivant  les  saisons,  et  sa  vie  n'est  qu  une 
suite  de  migrations  dont  les  dates  sont  fixées  depuis  un 
temps  immémorial  par  le  retrait  ou  l'avance  des  neiges. 
L'hiver,  il  demeure  dans  les  villages  des  vallées  basses 
ou  moyennes.  C'est  là,  entre  800  et  1  500  mètres,  qu'il 
a  son  chalet  le  plus  confortable,  au  grand  toit,  aux  mul- 
tiples petites  fenêtres,  construit  en  sapin  rouge  sur  un 
socle  de  pierre  ;  c'est  là  qu'il  édifie  ses  granges  les  plus 
vastes,  où  il  entasse  le  foin  des  prairies  cultivées  et  fumées 
qui  entourent  le  village.  Le  printemps  venu,  il  conduit 
ses  vaches,  fatiguées  et  amaigries  par  la  longue  claus- 
tration hivernale,  dans  la  zone  moyenne  (  1  500- 
1800  mètres),  la  première  libre  des  neiges,  et  où  des 
chalets  très  simples,  des  '  mayens  "  (habitations  du  mois 
de  mai)  abritent,  la  nuit,  pasteurs  et  troupeaux.  Puis  en 
juin,  à  la  Saint-Jean,  tandis  qu'une   partie  de  la  famille 


LA  SUISSE 


redescend  au  village  pour  couper  et  engranger  le  foin 
du  bas-pays,  le  reste  monte  à  i'alpe,  aux  pâturages  des 
hautes  cimes  (2000  à  2  600  mètres),  ou  jusqu'à  la  lin  de 
septembre  le  bétail  vit  en  plein  air,  tandis  que  le  berger 
se  contente  de  l'abri  sommaire  offert  par  des  cabanes 
frustes  dont  l'ustensile  essentiel  est  la  grande  marmite  de 
cuivre  rouge  oîi  bout  le  lait.  A  la  Saint-Michel,  les  trou- 
peaux, aux  clochettes  tintinnabulantes,  douce  harmonie 
des  hauts  lieux,  descendent  à  la  zone  interme'diaire  où 
ils  passent  quelques  semaines,  broutant  le  regain  et 
fumant  les  prairies.  Les  neiges  de  novembre  les  obligent 
enfin  à  s'enfermer  dans  l'étable  chaude  du  village  d'en 
bas  où  bêtes  et  gens  vivent  avec  patience  les  mois  glacés 
pendant  lesquels  les  colonnes  de  fume'e  s'e'chappant  des 
chalets  enfouis  sous  la  neige  témoignent  seules  que  la  vie 
persiste  sous  ce  linceul  immaculé. 

Elevage  du  bétail,  fabrication  du  beurre  et  du  fromage,  voilà 
l'occupation  du  montagnard,  et  longtemps  il  n'en  eut  point  d'autres 
Quand  la  montagne  ne  sufBsait  plus  à  le  nourrir,  il  se  faisait  sol- 
dat et  s'en  allait  guerroyer  pour  le  compte  du  roi  de  France  ou 
de  l'empereur  d'Allemagne.  Cette  source  de  revenus  est  aujour- 
d'hui tarie,  et  le  pasteur  qui  cède  à  l'esprit  d'aventure  va  tout 
bonnement  exercer  quelque  métier  dans  les  grandes  villes  d'Europe 
ou  d'Amérique,  puis  revient  au  pays  avec  un  petit  capital,  se  fail 
construire  un  beau  chalet,  achète  un  troupeau  et  achève  sa  vie  à 
l'ombre  aimée  de  sa  montagne.  Par  ailleurs,  depuis  l'extension  du 
tourisme,  les  Alpes  offrent  aux  villageois  d'autres  sources  très 
appréciables  de  profits.  La  multiplication  des  hôtels  à  toutes  alti. 
tudes,  des  centres  de  villégiatures  estivale  ou  hivernale,  le  dévelop- 
pement de  l'alpinisme  et  des  sports  propres  à  la  montagne  (esca- 
lades ou  "  varappe  "  en  été,  ludge,  bobsleigh,  patinage  en  hiver) 
donnent  un  emploi  rémunérateur  à  la  petite  armée  des  guides, 
garçons  et  filles  d'hôtels,  aubergistes,  vendeurs  de  "  souvenirs",  etc. 
Les  simples  pasteurs  eux-mêmes  n'y  perdent  point,  car  ils  appro- 
visionnent les  hôtels  de  lait,  de  beurre  et  de  fromages,  de  viande, 
de  miel,  et  glanent,  de  façons  aussi  multiples  qu'ingénieuses,  une 
part  de  la  manne  dorée  que  l'étranger  sème  sur  sa  route. 

Aussi  la  montcigne  est-elle  relativement  très  peuplée, 
—  moins  que  ne  pourrait  le  faire  croire  le  nombre 
considérable  de  chalets  éparpillés  sur  tous  les  versants, 
mais  beaucoup  plus  qu'on  ne  l'attendrait  de  lieux  fort 
âpres,  où  le  sol  utilisable  est  de  petite  étendue,  où  la 
culture  se  réduit  à  peu  de  chose,  où  l'hiver  dure 
de  sept  à  neuf  mots.  On  calcule,  en  effet,  que  sur 
3  700000  habitants.  666000,  soit  1  sur  5,  habitent  au- 
dessus  de  800  mètres  d  altitude.  Dans  le  canton  des  Gri- 
sons, la  moitié  des  gens  vivent  au-dessus  de  I  000  mètre?. 


Les  régions  alpestres  n'ont  pas  une  seule  grande  ville. 
Les  agglomérations  les  plus  notables  habitées  en  perma- 
nence par  les  gens  du  pays  sont  toutes  placées  dans  les 
vallées  les  plus  larges  où  la  culture  est  encore  possible. 
Les  villages  de  la  montagne  occupent  de  préférence  les 
versants  ensoleillés,  les  cônes  de  déjection  amoncelés  par 
les  torrents,  les  confluents  des  vallées,  le  débouché 
des  cols,  les  '  plans  ",  terrasses,  replats  aménagés  par  la 
nature  au-dessus  des  gorges.  Beaucoup  d'entre  eux 
doivent  à  la  multiplicité  des  hôtels,  des  pensions,  des 
chalets  de  plaisance  qu'on  loue  aux  étrangers,  l'aspect  de 
petits  centres  urbains,  et,  en  fciit,  pendant  les  mois  d'été, 
leur  population  augmente  du  simple  au  centuple  et  davan- 
tage. Mais  hôtels  et  villas  se  ferment  huit  à  neuf  mois 
sur  douze,  et  la  majeure  partie  des  lieux  habités  en  per- 
manence ne  comptent  guère,  en  moyenne,  que  quelques 
dizaines  de  familles,  à  la  vérité  fort  nombreuses. 

Dans  le  Valais,  Martigny,  Saxon,  Sion  (6000  habi- 
tants), Louèche,  Viège,  Brigue  s'alignent  le  long  du 
F^Jiône  d'aval  en  amont,  tandis  que  Orsière,  Evolène,  Zer- 
matt,  Saasfee  sont  les  villages  les  plus  connus  des  hautes 
vallées  adjacentes.  Domo  d'Ossola  (3800  habitants), 
Bellinzona(  10000  habitants),  Lugano  (MOOOhabitants), 
sur  les  rives  de  son  lac  charmant,  sont  les  petites  capitales 
du  Tessin.  Le  vaste  canton  des  Grisons,  qui  s'étend  du 
Todi  au  Bernina,  a  pour  chef-lieu  Coire  (14000  habi- 
tants), aux  rives  du  Rhin  ;  Davos  (8000  habitants)  dans 
la  haute  vallée  de  la  Landwasser,  Saint-Moritz,  Pon- 
tresina,  Samaden  dans  l'Engadine,  sont  des  lieux  de 
villégiature  et  de  cure  d'air  universellement  célèbres. 
Dans  rOberland  Bernois,  Interlaken  (6000  habitants) 
s'est  placée  sur  l'isthme  alluvial  qui  sépare  le  lac  de 
Brienz  du  lac  de  Thoune.  C'est  le  point  de  départ  des 
routes  et  des  lignes  à  voie  étroite  qui  mènent  à  Lauter- 
brunnen,  à  Grindeiwald,  à  Méringen,  etc.  Autour  du  lac 
des  Quatre-Cantons,  on  peut  citer  Sarnen  (4  000  habi- 
tants), Altdorf,  Fiuelen,  Schwytz  (8000  habitants), 
Glaris  (5000  habitants),  Emsicdeln,  heu  de  pèlerinage 
très  fréquenté.  11  faut  ajouter  à  cette  liste  de  villettes  ou 
de  gros  villages  tous  les  centres  de  villégiature  entre  les- 
quels se  disperse  la  foule  des  étrangers  et  dont  les 
guides  spéciaux  vantent  à  juste  titre,  en  termes  d'ailleurs 
identiques,  la  salubrité,  le  confort,  le  pittoresque  surtout, 
qui  est  monnaie  courante  en  de  tels  paysages. 


Le  Jura  Suisse 


Des  dernières  pentes  de  l'Oberland  on  aperçoit  au 
loin,  barrant  I  horizon,  par  delà  la  dépression  vaporeuse 
des  lacs  de  Neuchatel  et  de  Bienne,  la  ligne  rigide  et 
grise  du  Jura.  Il  s'étend  en  arc  de  cercle,  du  Rhône  au 
Rhin,  et  contraste  fortement  avec  les  Alpes  non  seule- 
ment par  son  altitude  beaucoup  plus  basse  (  1 723  mètres 


au  point  culminant),  l'absence  de  glaciers  et  de  neiges 
éternelles,  mais  aussi  par  la  rigidité,  l'uniformité  de  son 
architecture  due  au  peu  de  variété  des  roches  qui  le  com- 
posent, la  succession  monotone  de  ses  plis  parallèles,  la 
rareté,  l'étroitesse  des  couloirs  (vais,  combes  ou  cluses) 
qui  le  pénètrent  ou  le  traversent. 


197 


L'EUROPE 


La  Suisse  possède  la  majeure  partie  de  la  crête 
maîtresse  qui  domine,  par  des  pentes  raides,  la  longue 
dépression  où  se  logèrent  les  lacs  de  Genève,  de  Neu- 
châtel,  de  Bienne,  et  qu'emprunte  1  Aar  dans  son 
cours  inférieur.  La  Dôle  (1678  mètres),  le  Noirmont 
(1560  mètres),  le  mont  Tendre  (1650  mètres),  le 
mont  Suchet  (1585  mètres),  le  mont  Chasser  on 
(1611  mètres),  le  Chasserai  (  1 609  mètres)  sont  les  points 
culminants.  \'ers  le  Nord,  l'altitude  s'abaisse  peu  à  peu  ; 
le  Weissenstein,  au-dessus  de  Soleure,  n'a  plus  que  1398 
mètres,  le  mont  Terrible,  contre  lequel  bute  le  Doubs 
à  Saint-Ursanne,  n'en  a  que  998.  Enfin,  par  le  Passwang, 
le  Hauenstein.  le  Bœtzberg  et  les  Lâgem,  les  dernières 
collines  du  Jura  suisse  s'inclinent  aux  rives  du  Rhm  qui 
les  sépare  de  leur  prolongement  naturel  :  la  Rauhe 
Alp  de  Souabe. 

Malgré  l'altitude  relativement  basse  de  ses  sommets 
principaux,  le  Jura  n'en  forme  pas  moins  une  barrière 
difficile  à  franchir.  La  ligne  faîtière,  en  effet,  se  maintient, 
sur  1 80  kilomètres  de  longueur,  à  la  hauteur  moyenne  de 
1300  mètres.  Et,  derrière  elle,  d'autres  crêtes  parallèles, 
des  plateaux  étendus  élargissent  considérablement  et 
multiplient  les  obstacles.  Les  passages  transversaux  (cols 
de  la  Faucille  sur  territoire  français,  de  Saint-Cergues, 
cluse  de  Joux  empruntée  par  la  voie  ferrée  Paris-Lau- 
sanne) sont  fort  rares.  Plus  nombreux  heureusement 
apparaissent  les  vais  parallèles  aux  chaînes  :  val  de 
l'Orbe  avec  le  lac  de  Joux,  val  Travers,  val  de  Délé- 
mont,  où  les  voies  de  communication  ont  pu  trouver 
place.  Ce  n'est  cependant  qu'au  prix  de  travaux  d  art 
considérables  et  par  des  pentes  fortes,  des  détours  qui 
allongent  la  durée  des  voyages  et  ralentissent  la  vitesse 
des  trains,  que  les  voies  ferrées,  peu  nombreuses,  fran- 
chissent le  Jura. 

La  roche  dominante  est  un  calcaire  très  perméable 
qui  a  donné  son  nom  à  toute  une  époque  géologique 
(époque  jurassique)  où  abondent  les  dépôts  de  même 
genre.  Tantôt  elle  s'étend  en  hauts  plateaux  mamelonnés, 
en  croupes  arrondies,  tantôt  elle  forme,  au-dessus  des 
cluses  étroites  taillées  par  les  nvières,  de  raides  murailles 
blanches  que  prolongent  vers  la  base  des  talus  d'éboulis. 
Une  multitude  de  petites  dépressions,  des  bassins 
ronds  aux  fonds  marécageux  et  tourbeux,  se  creusent 
sur  toute  la  surface  des  monts  et  plateaux.  Ce 
sont  des  dolines  "  analogues  à  celles  que  l'on  trouve 
sur  tout  le  Carso  "  lUyrien.  Les  eaux  de  pluie  s'y 
accumulent  ou  s'en  échappent  par  des  fissures  souter- 
raines et  des  goufres,  les  emposieux  ",  puis  ressortent 
au  fond  des  vais  sous  forme  de  fontaines  '  vauclusiennes  " 
a  fort  débit.  Ce  sont  là  des  phénomènes  communs  à 
toutes  les  régions  de  calcaire  compact  et  perméable. 

Le  climat  est,  en  moyenne,  plus  rude  que  ne  l'est 
celui  des  Alpes  à  même  altitude.  Les  vallées  surtout. 


où  1  inversion  de  la  température  se  fait  particulièrement 
sentir,  ont  des  moyennes  hivemcJes  de — ^4°  et —  5"  et  le 
thermomètre  s  abaisse  parfois  à  30°  sous  zéro.  Les  pluies 
et  les  neiges  tombent  abondamment,  en  particulier  sur 
les  versants  exposés  a  l'Ouest,  et  la  limite  supérieure 
des  forêts  ne  dépasse  pas   1400  mètres. 

Malgrélafortepluviosité,  ces  hauteurs  sont  plutôt  sèches  ; 
elles  n'ont  pas  ces  ruisselets,  ces  sources  qui  chantent 
sur  toutes  les  pentes  des  Alpes,  car  le  sol  calcaire  boit, 
comme  une  éponge,  les  eaux  versées  par  les  nuages.  Les 
pasteurs  doivent  construire  des  citernes  pour  eux  et  leurs 
troupeaux.  Les  pâturages  même  sont  plus  maigres,  moins 
nourrissants  que  les  alpages  du  VcJais  ou  de  l'Oberland. 

Les  forêts  de  conifères,  sapin  blanc  et  épicéa  surtout, 
couvrent  une  partie  du  Jura.  Forêts  sombres,  tristes, 
presque  dépourvues  de  sous-bois,  et  que  n'égeùent  ni 
chant  d'oiseau  m  le  frais  murmure  d'une  source.  Le 
reste  est  occupé  par  des  prairies  mêlées  de  bouquets 
d'arbres.  Les  cultures,  dont  l'aire  est  étroitement  limitée 
par  la  ngueur  du  climat,  n'apparaissent  guère  qu'au 
fond  des  vais  élargis  où  mûrissent  le  blé,  le  seigle,  la 
pomme    de    terre,  quelques  arbres  fruitiers. 

Ces  vallées  basses  furent,  jusqu'au  XIV*^  siècle,  les  seuls  lieux 
habités  du  Jura.  Puis  les  hautes  vallées  et  les  plateaux  se  peuplèrent 
de  pâtres  qui  les  déboisèrent  en  partie,  construisirent  leurs  chalets 
au  pied  des  pentes  protectrices,  groupèrent  leurs  hameaux  au  fond  des 
dolines  les  plus  vastes  ou  aux  points  de  passage  les  plus  fréquentés. 
Ils  menaient,  sur  ces  hauts  lieux,  une  vie  pauvre  mais  très  indépen- 
dante, comme  en  témoigne  encore  le  nom  de  "  franches  montagnes 
donné  à  la  région  de  Délémont.  Au  début  du  XVIIl^  siècle,  l'in- 
troduction de  l'industrie  horlogère  augmenta  considérablement  les 
ressources  des  jurassiens  en  leur  permettant  d'employer  utilement 
les  mois  du  long  hiver.  Chaque  famille  forma  un  petit  atelier  où 
l'on  fabriquait  tel  ou  tel  organe  de  la  montre  :  ressorts,  vis,  boi- 
liers,  etc.  Des  fabricants  en  gros  acquéraient,  à  la  fin  de  la  saison 
d'hiver,  lous  les  produits  de  cette  industrie  familiale.  Encore 
aujourd'hui,  au  moins  dans  le  Jura  septentrional,  rares  sont  les  fermes 
qui  n'ont  pas  un  "établi  ".  bien  que  la  création  des  grandes  usines 
ail  porté  quelque  préjudice  à  la  dissémination  des  ateliers. 

C'est  à  l'industrie  horlogère  qu'est  du  le  dévelop- 
pement de  deux  villes  importantes  à  une  altitude  où  seul 
le  pâturage  est  possible.  Le  Locle  sis  à  948  mètres  et  La 
Chaux-de-Fonds  à  1000  mètres  (ligne  de  Besançon  à 
Neuchâtel  et  Bienne).  La  première  a  13000  habitants, 
la  seconde  42000;villes  de  fabriques  qui  ont  su  cependant 
"ne  pas  perdre  complètement  leur  aspect  rural,  garder 
leurs  mœurs  simples  et  leur  renom  d'hospitalité.  "  (P. 
Clerget.)  Saint-lmier  (8000  habitants)  à  795  mètres, 
Sainte-Croix  (6000  habitants)  à  1069  mètres,  sont  aussi 
des  villettes  industrielles  qui  produisent  l'une  desmontres, 
l'autre  des  phonographes,  gramophor.es,  boites  à  mu- 
sique, etc.  Les  autres  petits  centres  jurassiens,  Délé- 
mont et  Saint-Ursanne  dans  le  Nord,  Noiraigue  à 
l'entrée  des  magnifiques    gorges  de  l'Areuse.  Travers, 


1% 


LA  SUISSE 


LA  CHUTE  DU  RHIN  A  SCHAFFHOUSE.  Après  avoir traverie  lelacde  Conj- 
ianet  où  il  s'étHire  el  se  régularise,  le  Rhin  se  heurte  aux  prolongements  extrêmes  éa 
Jura  franco-Suisse  que  des  collines,  orienleti  Sud-Ovest  —  Nord-Est.  unissent  au 
Jura  scuabe  ou  Rauhe  Alp.  Aussi,, à  partir  de  Sr.haffhouse,  le  cours  du  fleuve  s'acci- 
dente de  rapides,  Recueils  et  comporte  même  une  chute  grandiose  où  la  ma&fc  des  eaux 


se  précipite  d'une  hauteur  de  15  à  20  mètres,  sur  \00  mettes  de  larpe.  Cette  hute, 
iuencadre  un  intéressant  paysage  de  bois,  de  vignobles  de  châteaux,  n'^t  pas  seule- 
ment un  sbedacle  pittoresque  qui  attire  des  millie's  de  touristes,  elle  fournil  encore 
une  force  motrice  considérable  qu'utilisent  les  grands  établissements  industriels  éche- 
tonnes  sur  la  rive  droite  du  fleuve.  Cl.  WehhlI. 


LE  LAC  DES  QUATKE-CANT0N5  VU  DU  R\GH\. Parmi  le»  nappes  la.mtrcs 
dont  les  ondes  traruparentes  reflètent  les  rochers,  les^neiges  et  les  forets  des  monts 
Heivi-tes.  le  lac  de  Luceme.  nourri  Par  les  eaux  de  la  _  Retas  qui  dévale  du  Gothard, 
oeestpe  loni  conteste  le  premier  rang  par  sa  furme  tourmentée,  la  variété  de  ses  pay- 
uxges.  les  illustres  louvenin  qui  te  rattachent  à  ses  rives,  où  les  montagruzrdâ  des  quatre 


Cantons  :  Zug,  Uri.  Schwvtz  et  Unierwalden  s'unirent  pour  jurer  de  défendre 
leurs  libertés,  el  où  l'on  se  piaîl  à  évoquer  l'ombre  légendaire  de  Giallaumc  Tell.  Ici 
la  tue  est  prise  du  sommet  du  Rishi  U  8S0  m.).  Elle  embrasse  un  immense 
horizon  qui  s'étend  depuis  les  massifs  géants  des  Alpes  Bernoises  jtiSQuà  la  ligne 
Heutée  dit  Jura.  Cl.  Wehbli. 


199 


■EUROPE 


WASSEN.  Le  fond  des  vallées  de  moyenne  altitude  et  le 
has  des  pentes  se  couvrent  de  Drairies  et  de  petits  cliarnps 
étages  Au-dessus,  /es  IotcIs  coupées  de  clairières  s'élèvent 
jusqu'à  2  000 mit fe:>.  Cl.  Photoglob. 


VAL  D"HERENS.  Dans  le  g>  and  silence 
des  n-:iges  élernelles.ralpiniste  et  ses  guides 
cheminent,  en  route  pour  l  escalade  des 
"  Bouquetins  ",  Cl.  Fred.  Boissonnas. 


VAL  D'AROLLA.  lue  prise  vers  2  200  mètres,  à 
l'extrême  limite  atteinte  Par  l^s  arhret.  Quelques  moutons 
pâturent  l'herbe  rase.  Au  fond  apparaît  la  pyramide  du 

mont  Collon  {3644  m  ).  Cl.  Grangeh. 


GEINEVE.  La  séduisante  capitale  de  la  Suisse  romande  occupe,  à  l'extrême  pointe 
du  Léman,  une  position  symétrique  à  celle  que  tiennent  Lttceme  et  Zuriih  sur  leurs 
lacs  Tesptcriifs  C'était  un  point  de  passage  obligé,  et,  de  tout  temps,  ponts  et  liacs 
unirent  les  deux  rives  du  Rhône  renaissant.  CI.  JULLIEN    fr. 


BERNE  :  LA  RUE  ZEITGLOCKENTURM.  Bordée  d'arcades  à  l'italienne, 
ornée  de  fontaines  anciennes,  dominée  par  la  tour  où  la  Grosse  Hnilvge  chante  les 
heures,  est  l' artère  la  plus  animée  de  la  pittoresque  capitale  que  ceinture 
étroitement  une  houclc  de  l'Aar.  Cl.  Fred.  Boissonnas. 


UNGFRAU  :  MONCH.  EIGER.  points  culminants  des 
A-y*^  I2cTnoi^LS  ditssîs  comme  un  synode  de  géants,  déta- 
t  su/  îi.  Lieu  profond  du  ciel  l'éclat  des  neiges  éternelles 
{:•:  u îciir:  fyi,!:i7>-id£s  trapues.   CI.  Fked.  Boissonnas. 


SUR  LE  LLMA-N  glissent  comme 
de  bhnches  mouettes  les  doubles 
voiles  triangulaires  des  barques  de 
pêche  ou  de  cabotage. 


LE  MASSIF  DU  BERNINA.  Au  premier  plan,  un 
lac  formé  par  l'accumulation  des  eaux  derrière  un  barrage 
de  moraines  anciennes.  Sur  la  montagne,  de  vastes  névés 
d'oii  s'échappent   les   langues  des  glaciers. 


200 


Vallorbe,  le  Pont  (1014  mètres)  aux  rives  charmantes 
du  lac  de  Joux,  Saint-Cergues  (1046  mètres)  sur  la  route 
de  Moret  à  Gex,  etc.,  ajoutent  aux  profits  de 
l'élevage  et     de    lexploitation  des  bois    ceux    que  leur 


LA  SUISSE 


apportent  les  touristes  attirés  par  les  promenades  faciles 
sous  le  dôme  des  forêts,  au  fond  des  cluses  sauvages 
ou  dans  les  prairies  ondulées  qui  s  élèvent  en  pentes 
douces  jusqu'aux  sommets. 


Le  Plateau   Suisse 


Entre  le  Jura  et  les  Alpes,  le  Plateau  est  la  partie 
vitale  de  la  Suisse,  la  région  des  grands  lacs,  des 
cultures,  des  voies  de  communication  nombreuses  et 
faciles,  des  industries  florissantes,  celle  aussi  où  la  popu- 
lation est  de  beaucoup  la  plus  dense,  où  les  villes  les  plus 
importantes  se  sont  naturellement  développées. 

LE  RELIEF  DU  PL.ATEAU.  SES  COURS 
D'EAU  ET  SES  LACS,  a  a  Le  nom  de  Plateau, 
souvent  remplacé  par  le  terme  plus  exact  de  collines 
suisses (Hugelland),  ne  doit  pas  (aire  illusion  sur  l'aspect 
des  paysages  dont  se  compose  la  Suisse  centrale.  Rien 
de  semblable  aux  '  mesetas  "  espagnoles,  par  exemple, 
ou  aux  solitudes  monotones  des  Ardennes. 

Entre  les  plissements  alpins  et  jurassiens  se  creusait  une  dépres- 
sion orientée Sud-Ouesl-Nord-Est  et  qui  s'inclinait  doucement  vers 
le  Nord-Est.  Cette  dépression  fut  envahie  et  en  grande  partie  com- 
blée par  les  débris  de  toutes  sortes  que  l'érosion  fluviale  et  surtout 
glaciaire  arracha  aux  Alpes,  Partout  apparaissent  les  conglomérats, 
les  argiles,  les  molasses  déposés  par  les  cours  d'eau,  les  moraines, 
les  blocs  erratiques  laissés  en  place  par  les  énormes  glaciers 
d'autrefois.  Après  la  fusion  des  glaces,  les  torrents  travaillèrent 
activement  sur  ce  sol  meuble,  y  creusèrent  des  vallées  larges,  y 
découpèrent  les  collines,  y  burinèrent  un  modelé  capricieux  dont 
l'altitude  générale  s'abaisse  du  Sud-Est  au  Nord-Ouest.  La 
région  de  Neuchâtel,  de  Bienne,  de  Soleure,  de  Winterlhur  est 
comprise  entre  400  et  500  mètres.  Mais,  à  mesure  que  l'on  se 
rapproche  des  Alpes,  la  hauteur  augmente.  Le  Jorat,  qui  domine  le 
Léman,  le  mont  Gibloux,  entre  la  Sarine  et  la  Glane,  les  collines 
bernoises  de  Gurten.  du  Belpberg,  etc.,  le  massif  arrondi  du  Napf. 
l'Aldis  que  longent  la  vallée  de  la  Sihl  et  le  lac  de  Zurich,  le 
Hôrrli,  etc..  ont  leurs  points  culminants  entre  800  et  I  200  mètres. 
On  ne  trouve  donc  à  peu  près  nulle  part  de  plaines  ou  de  plateaux 
à  proprement  pa/ler,  mais  une  succession  charmante  de  vallées  et  de 
collines  couvertes  de  cultures,  de  prairies,  de  bouquets  d'arbre»,  un 
paysage  gracieux,  très  vivant,  très  varié,  où  les  lacs  mettent  leurs  taches 
bleues  sur  le  tond  de  verdure,  où  partout  courent  et  chantent  les 
rivières  comme  heureuses  d'échapper  à  l'étreinte  des  hauts  monts. 

Les  lacs,  d'origine  à  la  fois  tectonique  et  glaciaire, 
sont  une  des  plus  rares  parures  de  la  Suisse.  Tous 
occupent  les  points  les  plus  profonds  des  vallées  barrées 
par  d  anciennes  moraines  l^rontales.  Au  pied  du  Jura, 
les  nappes  d'eau  de  Neuchâtel,  de  Bienne,  de  Moral 
manquent  un  peu  de  pittoresque,  mais  les  rives  du  Léman, 
les  lacs  de  Thoune,  de  Brienz,  des  Quatre-Cantons. 
de  Walen,  de  Zurich,  etc. ,  sont  universellement  célèbres. 
De  tous  temps  ils  attirèrent  el  fixèrent  les  hommes,  comme 
en  témoignent  les  découvertes   de   '     palafittes    '  ,    de 


nombreux  villages  lacustres  remontant  aux  époques  de 
la  pierre  polie.  De  nos  jours  encore,  la  densité  kilomé- 
trique de  la  population  qui  vit  sur  leurs  rives  ou  dans 
leur  voisinage  immédiat  dépasse  très  largement  celle  des 
districts  plus  éloignés.  Ils  ne  se  bornent  point,  du  reste, 
à  être  pour  la  Suisse  un  élément  de  pittoresque,  ils 
régularisent  le  débit  des  cours  d'eau  qui  les  traversent, 
en  absorbant  le  trop-plein  de  leurs  crues,  en  les  nourris- 
sant aux  époques  de  maigre. 

Ces  cours  d'eau  aboutissent  tous  au  Rhin  par  l'Aar, 
le  grand  collecteur  des  lacs  et  des  torrents  qu'alimentent 
les  glaciers,  les  neigesdes  montagnes,  lespluies  du  plateau. 
Longue  de  485  kilomètres,  l'Aar,  au  sortir  deMeiringen, 
traverse  les  lacs  de  Brienz  et  de  Thoune,  passe  à  Inter- 
laken,  à  Berne,  et  reçoit  d'abord  sur  la  rive  gauche,  par 
la  Lutschine,  la  Simmeet  la  Sarine  (Fribourg),  toutes  les 
eaux  de  l'Oberland.  Puis  la  Thièle  lui  apporte  le  tribut 
du  Jura  (lacs  de  Neuchâtel,  Bienne,  Morat).  Elle  longe 
fidèlement,  par  Soleure  et  Aarau,  le  pied  des  dernières 
crêtes  jurassiennes,  se  grossit  en  chemin  de  l'Emme 
(Emmenthal),  de  la  Reuss,  née  au  Gothard  el  déversoir 
des  lacs  de  Zug  et  des  Quatre-Cantons,  de  la  Limmaf- 
Linth,  qui  lui  apporte  les  eaux  des  lacs  de  Walen  et  de 
Zurich,  puis,  perçant  les  collines  des  Lâgern,  elle 
aboutit  à^Waldshut  dans  le  Rhin,  qu'elle  dépasse 
sinon  par  la  longueur,  du  moins  par  son  débit  inoyen 
(508  mètres  cubes  à  la  seconde  contre  425). 

LE  CLIMAT  DU  PLATEAU 


Stations 


Bile... 
Genève. 
Luceme 
Zurich  . 
Berne  . . 


Allitwle 

en 
mitre*. 


278 
<t05 
453 
493 
572 


Tempcratwes 
moyennes. 

de     ^^ 
t'an.  Jan.  JuîU 


-0«l 
0°0 
-1»3 
-l»4 
-2°0 


19°1 
I9°3 
I8°3 
I8"4 
18°0 


Plina 
en 

milli' 
mètres. 


825 

867 

I  153 

I  139 

927 


Morenne 
des  joura 


COQ- 

verti 

145 
157 
153 
148 
150 


Qucmt  au  Rhin  (376  kilomètres  en  Suisse  sur  1  320), 
dont  nous  connaissons  le  cours  alpestre,  il  se  purifie  et 
se  régularise  dans  le  Bodensee  ou  lac  de  Constance, 
dont  la  Suisse  possède  la  rive  occidentale.  Puis  il  se 
fraie  un  chemin  difficile  (chutes  de  Schciffhouse)  à  tra- 
vers les  derniers  pointements  du  Jura,  reçoit,  par  la  Thur 
et  la  Tœss,  les  eaux  venues  des  Alpes  de  Saint-Gall 
et    descend    avec    rapidité     vers    Bâle    où,    par     un 


cioClUPHIE  UNIVERSELLE. 


201 


20 


L'EUROPE 


coude  brasque,  il  pénètre  dans  les   plaines    d'Alsace. 

Le  Plateau  suisse  a  le  climat  continental  atténué  de 
l'Europe  centrale.  Les  moyennes  d'hiver  et  d'été  sont 
comparables  à  celles  de  Vienne,  de  Prague,  de  Breslau, 
de  Berlin,  de  Nancy.  Les  variations  locales  sont  dues  soit 
à  l'influence  modératrice  des  lacs  (comparez  Genève  et 
Berne),  soit  à  l'exposition,  soit  à  la  prédominance  des 
vents  plus  tièdes  de  l'Ouest  ou  des  "  bises  "  froides 
qui  soufflent  du  Nord-Est. 

Le  maximum  de  pluie  tombe  pendant  les  mois  d  été, 
mais  nulle  saison  n'en  est  exempte.  Plus  faibles  au  pied 
du  Jura,  la  quantité  des  pluies  et  le  nombre  des  jours 
pluvieux  augmentent  à  mesure  que  l'on  se  rapproche 
des  Alpes.  La  proportion  des  journées  claires  ne 
dépasse  pas  un  sixième.  Pendant  la  moitié  de  l'année 
environ,  le  ciel  demeure  complètement  couvert,  et,  entre 
Neuchâtel  et  Constance  surtout,  des  brouillards  denses 
pèsent  sur  le  sol  pendant  des  semaines  entières. 

Enfin,  au  printemps,  de  brusques  retours  de  froid,  des 
chutes  intempestives  de  neige,  des  orages  mêlés  de 
grêle  sont  toujours  à  redouter. 

VÉGÉTATION  ET  CULTURE.  00  Le  Pla- 
teau fut  autrefois  entièrement  couvert  de  forêts  et  de 
tourbières.  Cultures  et  prairies  ont  creusé  peu  à  peu  de 
larges  vides  dans  le  sombre  manteau  des  bois.  Néan- 
moins, il  en  subsiste  assez,  notamment  sur  le  flanc  des 
collines,  pour  donner  à  toute  la  Suisse  centrale  l'aspect 
d'un  vaste  parc. 

Sur  les  rives  du  Léman,  et  en  quelques  territoires 
particulièrement  favorisés,  mûrit  encore  le  raisin,  mais 
c'est  là  un  fait  exceptionnel.  Les  champs  de  blé,  d'orge, 
d'avoine,  les  pommes  de  terre,  les  jardins  de  pommiers, 
poiriers,  cerisiers  trouvent  au  contraire,  dans  toute  la  zone 
inférieure  à  700  mètres,  les  conditions  climatiques  qui 
leur  conviennent,  lisse  mêlent  aux  prairies  qui  là  encore, 
conime  dans  le  Jura  et  les  Alpes,  sont  la  vraie  richesse 
du  pays  et  tendent,  du  reste,  à  gagner  sans  cesse  du 
terrain  aux  dépens  des  champs  cultivés.  On  connaît 
la  renommée  mondiale  des  pâturages  de  Gruyère  et  de 
l'Emmenthal. 

ÉTABLISSEMENTS  HUMAINS.  00  Le  Pla- 

leau  suisse,  largement  ouvert  au  Sud-Ouest  et  au  Nord-Est,  (ai' 
partie  de  ce  grand  terrain  de  parcours  que  les  peuples  européens  ont 
(oulé,  depuis  les  temps  les  plus  reculés,  entre  la  région  du  Danube 
et  la  Porte  de  Bourgogne.  11  fut  habité  de  très  bonne  heure,  comme 
le  prouvent  les  multiples  découvertes  d'armes,  d'ustensiles,  d'habita- 
tions se  rapportant  aux  époques  de  la  pierre  éclatée  ou  polie.  Les 
Romains  y  tracèrent  des  routes  qui,  venant  de  Milan  par  les  cols 
alpestres,  ou  de  Lyon  par  le  seuil  de  Genève,  aboutissaient  au 
Rhin.  Les  relais  de  postes,  les  péages  établis  lelongde  ces  roules, 
les  forteresses  édifiées  pour  les  détendre  furent  l'origine  d'une 
pallie  des  cités  suisses  d'aujourd'hui. 

Ces  cités  s'alignent  à  la  base  des  monts,  au  débouché 

202 — 


des  rivières  et  des  lacs.  De  très  ancienne  origine,  riches 
en  souvenirs  du  passé  qu'elles  conservent  avec  un  soin 
jaloux,  propres,  bien  tenues,  fort  accueillantes,  elles  ont 
toutes  leur  originalité  et  doivent  au  cadre  qui  les  entoure, 
à  la  facilité  des  oromenades,  à  leur  activité  intellectuelle 
ou  économique,  un  attrait  qui  s'exerce  fortement  au 
dehors  de  la  Confédération  et  attire  chez  elles  un  nombre 
sans  cesse  croissant  de  résidents  étrangers. 

A  l'Ouest,  Genève  (132  500  habitants)  et  Lausanne 
(67  000  habitants)  sont  les  métropoles  du  Léman. 
Genève  s'est  bâtie  à  cheval  sur  le  Léman  et  le  Rhône. 
La  vieille  ville,  la  Genève  de  Calvin,  la  Rome  pro- 
testante", entasse  sur  une  colline,  autour  de  la  cathé- 
drale,ses  hautes  maisons,  ses  rues  étroites  et  zigzagantes. 
La  ville  neuve  développe,  sur  la  rive  droite  du  fleuve, 
ses  quais  fleuris,  ses  jardins,  ses  larges  avenues,  ses 
hôtels,  villas,  casinos  et  autres  lieux  de  plaisirs  destinés 
aux  étrangers,  qui  forment  un  bon  tiers  de  la  population. 
Grand  centre  de  1  horlogerie  et  de  la  bijouterie,  Genève 
n  en  demeure  pas  moins  une  cité  intellectuelle  et  uni- 
versitaire qui,  avec  Lausanne  et  Fribourg,  défend  la  tra- 
dition et  la  culture  romandes,  c'est-à-dire  françaises,  contre 
l'extension  des  méthodes  et  de  la  civilisation  allemandes. 
Lausanne,  bâtie  sur  trois  collines  que  séparent  les 
ravins  du  Flon,  est  une  cité  calme,  reposante,  très  pitto- 
resque, un  grand  centre  universitaire.  Aux  rives  du  lac, 
Clarens,  Montreux,  Territet,  Chillon,  Villeneuve  for- 
ment une  agglomération  continue  d'hôtels,  de  villas, 
de  jardins  étages  qui  se  mirent  dans  les  eaux  bleues. 

Au  pied  du  Jura,  Neuchâtel  (23000  habitants), 
Bienne  (22  000  habitants),  Soleure  (10600  habitants), 
Aarau  (10000  habitants)  jalonnent  le  couloir  de  l'Aar. 
Bâle  (Basel,  132000  habitants)  a  grandi  autour  d'un 
château  fort  construit  par  les  Romains  au  point  où  le 
Rhin  pénètre  dans  les  plaines  d'Alsace,  où  se  croisent 
les  routes  venues  de  l'Ouest  par  la  trouée  de  Belfort  et 
le  val  de  Délémont,  du  Nord  et  de  l'Est  par  le  Rhin. 
Cité  d'industrie  et  de  commerce,  Bâle  est  avec  Genève 
la  plus  active  et  la  plus  riche  des  viUes  suisses.  Elle  le 
deviendra  d'autant  plus  que  l'amélioration  récente  de  la 
navigabilité  du  Rhin  prolonge  désormais  jusqu'à  elle  — 
quoique  encore  malaisément  —  le  trafic  fluvial  qui  s'arrê- 
tait à  Kehl  et  Strasbourg. 

Au  centre  du  Plateau,  Fribourg  (25000  habitants), 
sur  une  boucle  de  la  Sarine,  et  Berne  (85  000  habitants), 
la  capitale  fédérale,  sur  une  boucle  de  l'Aar,  ont  une 
position  analogue  et  un  pittoresque  dû,  dans  l'une  et  l'autre 
cité,  aux  ponts  qui  enjambent  leurs  rivières,  aux  mul- 
tiples témoins  (tours,  murailles,  églises,  maisons,  fon- 
taines, etc.)  qu'elles  gardent  de  leur  passé.  Lucerne 
(40000  habitants)  et  Zurich  (  1 90  000  habitants)  étagent 
leurs  maisons  sur  les  rives  de  leurs  lacs  aux  points 
d'effluence  de  la  Reuss  et  de  la  Limmat.  La  première. 


LA  SUISSE 


non  moins  riche  que  Berne  ou  Fribourg  en  souvenirs 
d'autrefois,  est  surtout  une  ville  de  plaisance,  un  centre 
de  villégiature.  Zurich  est.  au  contraire,  la  cité  la  plus 
industrielle  de  la  Suisse  et  la  plus  peuplée.  Ses  établis- 
sements d'instrucb'on  théorique  et  pratique  (Université, 
Polytechnicum)  font  de  Zunch  la  vraie  capitale  de  la 
Suisse  allemande.  Enfin  Saint-Gall  (31  000  habitants). 
Winterthur  (25000  habitants).  Hérisau  (13  500  habi- 
tants). Shaffhouse  (18000  habitants), villes  defabriques, 
complètent  la  région  industrielle  de  Zurich . 

HISTOIRE    ET    GOUVERNEMENT,    aa    L'HcKéiic. 

d  abord  romanisée,  puis  envahie  par  des  peuples  barbares, 
Alamans  et  Burgondes,  fut  rallachée  à  l'Empire  franc  de  Charle- 
magne,  puis  au  Saint-Empire  Romain  germanique.  Sagement 
gouvernée  pendant  deux  siècles  par  la  maison  féodale  des  Zahnn- 
gen.  qui  laissa  aux  communautés  suisses  de  larges  libertés,  elle  passa 
aux  mains  de  la  maison  impériale  de  Habsbourg,  lorqu'un  seigneur 
suisse.  Rodolphe  de  Habsbourg,  fui  élu  empereur  en  1273.  Dès 
lors,  elle  se  vit  menacée  de  perdre  ses  franchises,  et,  en  1291.  les 


gens  des  Waldslâtlen.  c'est-à-dire  des  cantons  forestiers  d'Un* 
Schwylz  et  Unterwalden,  signèrent  une  alliance  perpétuelle  pour 
la  défense  de  leurs  libertés.  Telle  est  l'origine  de  la  République 
suisse,  origine  qui  s'entoura  plus  lard  de  légendes  fameuses  symbo- 
lisées dans  l'hisloire  de  Guillaume  Tell.  Aux  trois  Cantons  primitif* 
s'ajoutèrent  parla  suite  d'autres  communautés  helvétiques  d'origines 
diverses.  En  1648,  les  traités  de  Westphalie  reconnurent  solennel- 
lement rindé[>endancedes  treize  Cantons.  Des  acquisitions  nouvelles 
ont  porté  ce  nombre  à  vingt-deux,  dont  trois  (Appenzell,  Bâle  cl 
Unterwalden)  subdivisés  en  demi-cantons. 

Après  de  longues  discussions,  voire  de  guerres,  entre  les  partisans 
de  I  indépendance  cantonale  absolue  et  ceux  de  l'unité,  les  Suisses  se 
sont  rois  d'accord  en  1 848  pour  organiser  leur  pays  en  une  République 
fédérale  dans  laquelle  chaque  canton  jouît  d'une  large  autonomie, 
mais  où  les  affaires  d'intérêt  commun  sont  du  ressort  exclusif 
du  gouvernement  central,  résidant  à  Berne.  Le  pouvoir  législatif 
appartient  à  deux  chambres  :  le  Conseil  des  Etats,  comprenant 
-14  membres  (2  par  canton),  et  le  Conseil  national,  composé  de 
167  membres  élus  au  suffrage  universel  direct.  Le  pouvoir  exécu- 
tif est  exercé  par  un  Conseil  fédéral  de  7  membres,  dont  le  Président, 
élu  pour  un  an  et  non  rééligible  l'année  suivante,  porte  le  titre 
de  Président  de  ta  Confédération. 


POPULATIONS,  LANGUES,  RELIGION 


D'après  le  recensement  du  1^"^  décembre  1920,  la 
Suisse  compte  3861  000  habitants,  soit  une  densité 
moyenne  de  92  habitants  au  kilomètre  carré.  (Le  recen- 
sement de  1910  avait  donné  3  753  000  habitants.)  Cette 
densité,  du  reste,  est  extrêmement  variable,  et  les  régions 
de  hautes  montagnes,  qui  couvrent  la  plus  grande  par- 
tie du  pays,  contrastent  par  le  petit  nombre  de  leurs 
habitants  permanents  avec  les  régions  agricoles  et  indus- 
trielles du  Plateau  et  des  lacs. 

Les  familles  suisses  sont  très  polihques  (plus  de  quatre 
enfants  en  moyenne  par  ménage)  ;  aussi  l'excédent 
annuel  des  naissances  sur  les  décès  est-il  de  30000  à 
35000.  Depuis  1871.  la  population  totale  a  plus  que 
doublé.  Il  est  VTai  que.  sur  les  3  753000  habitants 
recensés  en  1910,  il  fallait  compter  565000  étrangers 
(412000  en  1920),  chiffre  considérable  et  qui  n'est 
atteint,  toutes  proportions  gardées,  dans  aucun  autre 
pays  d'Europe.  Sur  ce  nombre,  les  Allemands  l'em- 
portent de  beaucoup  ;  ils  sont  aidés  naturellement  par 
la  communauté  de  langue,  de  culture  et  les  nécessités 
économiques  qui  lient  étroitement  la  Suisse  à  l'Alle- 
magne pour  ses  approvisionnements  en  charbon,  mine- 
rais, coton  brut,  etc.  Les  Italiens  viennent  ensuite,  et 
leur  nombre  s'accroit  si  vite  qu'il  a  triplé  entre  1900 
et  1910.  Les  Français  enfin  comptent  55000  à  60000 
des  leurs,  surtout  à  Genève  et  en  Suisse  romande. 

Aux  étrangers  fixés  en  Suisse  s'opposent  les  Suisses 
vivant  à  l'étranger.  Le  Suisse  se  déplace  aisément. 
même  chez  lui  (un  Suisse  sur  cinq  demeure  dans 
un  canton  autre  que  son  canton  d'origine).  Entre  1 880 
et  1885,  on  comptait  chaque  année  une  dizaine  de  mil- 


liers d'émigrants.  Entre  1900  et  1920.  la  moyenne  a 
baissé  de  moitié.  Cela  suffit  pour  que  les  colonies  suisses 
des    Etats-Unis,    de    France,    d'Ailemcigne    comptent 


SUISSE 

VOIES  FERRÉES    ET  LANGUES 


^^ 


sgSiSi 


^ 


respectivement  100000.  80000  et  60000  personnes  en 
chiffres  ronds,  auxquelles  s'ajoutent  les  colonies  de  la 
République  Argentine  (20000),  de  ritalie(IOOOO),etc. 
Cette  émigration  ne  ressemble  en  rien  à  ce  qu'elle  est  en 
Italie,  par  exemple,  ou  dans  les  pays  slaves.  Ce  n'est 
pas  la  misère  qui  chasse  le  Suisse  de  chez  lui,  et  la 
majeure  partie  des  émigrants  appartiennent  à  la  caté- 
gorie des  ouvriers  spécialistes,  des  contremaîtres,  des 
ingénieurs,  des  gens  d'hôtel  qui  pourraient  vivre  aisément 
chez  eux,  mais  qu'attire  à  l'étranger  l'appât  de  salaires 
ou  de  traitements  très  élevés. 


203 


L'EUROPE 


On  parle  en  Suisse  trois  langues,  officiellement 
reconnues  par  l'Etat  :  français,  allemand,  italien,  et  un 
dialecte,  le  romanche. 

L'allemand  vient  en  tête,  avec  2600000  individus 
groupés  dans  tout  le  Centre,  le  Nord  et  le  Nord-Est, 
c'est-à-dire  dans  les  régions  qui  furent  occupées  dès  le 
v^  siècle  par  la  tribu  germanique  des  Alamans. 

La  Suisse  française,  ou  Suisse  romande,  compte 
800000  individus  cantonnés  à  l'Ouest  d'une  ligne  qui 
passe  approximativement  par  Soleure,  Bienne,  Fribourg, 
Gesseney,  Sierre  et  le  val  d'Anniviers.  Ces  régions 
étaient  beaucoup  plus  fortement  romanisées  que  la  Suisse 
orientale,  et  absorbèrent  aisément  les  éléments  burgondes 
qui  s'y  installèrent. 

L'italien  est  parlé  par  305000  personnes  groupées 
dans  le  canton  duTessin. 

Enfin,  dans  les  Grisons,  les  Rhètes  romanisés  avaient 
aussi  adopté  la  langue  latine  qui  se  transforma  en  un 
dialecte,  le  romanche  ou  rhéto-roman,  parlé  aujourd'hui 
par  40  000  personnes. 

Au  point  de  vue  religieux,  le  recensement  de  1920 
indique  2210000  protestants  (57  0/0  de  la  population), 
1  586000  catholiques  (41  00)  et  21  000  juifs  (2  0/0). 


Les  protestants  sont  particulièrement  nombreux  à 
Genève,  dans  le  canton  de  Vaud,  la  vallée  de  l'Aar, 
les  régions  industrielles  du  Nord-Est  ;  les  cantons  mon- 
tagneux du  Valais,  du  Tessin,  d'Unterwalden,  Uri, 
Lucerne,  Zug  sont  au  contraire  presque  exclusivement 
catholiques.  Ailleurs,  catholiques  et  protestants  se 
mélangent  étroitement. 

Malgré  l'aulonotnie  de  chaque  canton  et  les  variétés  de  leurs 
gouvernements  locaux,  malgré  les  différences  de  langue,  de  religion, 
d'intérêts  économiques,  de  culture,  de  penchants,  de  sympathie, 
différences  particulièrement  sensibles  entre  Suisse  romande  et  Suisse 
alémanique,  il  y  a  cependant  une  nation  et  une  patrie  suisses 
auxquelles  chaque  habitant  de  la  Confédération  est  passionnément 
attache  et  qu'il  s'entraîne  dès  sa  jeunesse  à  défendre  par  les  armes 
SI  la  neutralité  de  son  pays  était  violée.  Il  y  a  aussi  non  pas  une 
race,  mais  un  caractère  suisse  qui  se  distingue  par  le  bon  sens,  "un 
SOUCI  profond  des  questions  morales,  une  habitude  de  prendre  les 
choses  au  grand  sérieux,  un  respect  de  la  pudeur  allant  jusqu'à  la 
pruderie  ,  1  esprit  d  association,  le  goût  des  fêtes,  des  réjouis- 
sances, des  excursions  en  commun,  des  concours  de  chant,  de  lu, 
de  gymnastique,  etc.,  surtout  par  un  amour  profond  de  la  liberté. 
Toute  question  de  liberté  touche  pour  nous  à  une  question  d'exis- 
tence. La  nature  nous  a  octroyé  ce  dangereux  privilège  de  ne  pou- 
voir être  que  si  nous  savons  être  libres.  Elle  a  préparé  sur  noire 
sol  le  plus  beau  des  triomphes  de  la  liberté  ou  la  plus  sensible  de 
ses  défaites.  "  (E.  Rambert  cité  par  P.  Clerget.) 


LA  VIE  ECONOMIQUE 


AGRICULTURE  ET  ÉLEVAGE.  £)£)  Tout 
est  subordonné,  dans  la  vie  rurale  de  la  Suisse,  à  deux 
facteurs  essentiels  :  d'abord  la  forte  proportion  des  sur- 


feifS^r     SUISSE 

r;^Zû/ietiyrù-a/c-'       ^  CARTE 

i^^eljmJtaraltL'      ÉCONOIVIlQ,UE 

/«/ty/«/tfy-e*L    et  Janatoria   i)e  bauteA.  montai^neA  • 


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faces  complètement  inutilisables:  28  pour  100  du  total, 
représentant  les  glaciers,  les  neiges,  les  roches  et  les 
eaux  ;  —  en  second  lieu,  la  prédominance  de  l'élevage 
(39  pour  100)  sur  l'agriculture  (  1 3  pour  100).  piédo- 

204 


minance  qui  s  explique  par  les  conditions  physiques  que 
nous  avons  analysées  plus  haut  et  sur  lesquelles  nous  ne 
reviendrons  pas. 

La  zone  culturale  est  limitée  au  Plateau  et  aux  basses 
vallées  alpestres.  Elle  produit  du  froment,  du  seigle,  des 
pommes  de  terre,  un  peu  de  tabac,  du  houblon,  des 
betteraves  et  du  vin.  Mais  tout  cela  en  quantité  insuffi- 
sante pour  les  besoins  du  pays.  Les  cultures  maraîchères 
et  fruitières  donnent  de  meilleurs  résultats,  notamment 
dans  la  vallée  du  Rhône,  entre  Martigny  et  Sion. 

En  revanche,  la  zone  consacrée  à  l'élevage  s'étend  sur 
la  Suisse  entière,  depuis  les  alpages  des  hauts  sommets 
jusqu'aux  prairies  cultivées,  naturelles  ou  artificielles,  des 
vallées  basses  et  du  Plateau.  Le  troupeau  bovin,  en  pro- 
gression constante,  comptait  2  1 00  000  tètes  environ 
en  1920,  appartenant  soit  à  la  race  brune  de  Schwytz, 
soit  aux  races  tachetées  du  Sinimenthal  et  de  Gruyère. 
C'est,  par  rapport  au  chiffre  des  habitants,  la  plus  forte 
proportion  des  pays  européens  après  le  Danemark. 
L'élevage  se  fait  non  pas  surtout  en  vue  de  produire 
des  animaux  de  boucherie,  mais  d'obtenir  du  lait.  On 
estimait  en  1913  le  total  de  la  production  laitière  à 
25  000  000  d'hectolitres  valant  400  000  000  de  francs. 
Une  partie  de  ce  lait  est  consommée  sur  place.  Une 
autre  est  transformée  en  beurre  et  fromage  ;  le  reste  sert 
à  l'alimentation  du   bétail  ou  est  utilisé  par  les  fabriques 


LA  SUISSE 


de  lait  condensé,  de  chocolat  lacté',  de  farines  lac- 
tées, etc. 

Au  troupeau  bovin  il  faut  ajouter  les  porcs 
(600  000  environ)  qui  s'engraissent  aisément  avec  le 
pelii-lait,  340000  chèvres.  237  000  moutons  et 
125000  chevaux. 

Les  forêts  couvrent  21  pour  100  de  la  superficie 
totale  (en  France  16  pour  100).  La  Suisse  occidentale 
(Jura,  Valais)  peut  exporter  du  bois  en  France,  mais 
les  régions  du  Nord  en  importent  d'Allemagne  et  d'Au- 
triche. 

L'INDUSTRIE,  aa  Dès  le  XIV"  siècle,  Zurich  lissait  la 
Soie  et  Bâie  la  laine.  Sainl-Gall  et  Beme  fabriquaient  des  toiles  de 
lin.  Au  temps  des  guerres  religieuses,  de  nombreux  huguenots,  sur- 
tout français,  réfugiés  en  Suisse,  donnèrent  à  ces  industries  un  essor 
plus  grand  ou  en  créèrent  de  nouvelles  :  tissage  de  coton  et  horlo- 
gerie. Au  XVIII*  siècle,  la  broderie  naquit  dans  U  région  de 
Saint-Gall.  puis  l'industrie  des  machines  à  Zurich  et  Winterihur. 
Elnfin,  au  XIX^  siècle,  se  fondèrent  les  industries  chimiques  et  ali- 
mentaires. Aujourd'hui,  la  valeur  totale  de  la  production  industrielle 
suisse  dépasse  largement  I  000  000  000  de  francs  par  an,  el 
laisse  bien  loin  derrière  elle  la  valeur  des  produits  de  l'agriculture 
et  de  l'élevage. 

La  Suisse  paraissait  cepsndant  peu  faite  pour  devenir  un  pays 
de  riche  et  grande  industrie.  Elle  n'a  pas  de  houille,  pas  de  mine- 
rais, aucun  débouché  maritime.  Toutes  les  matières  premières 
doivent  lui  venir  de  l'étranger  par  la  voie  coûteuse  des  chemins  de 
fer.  Mais  elle  fut  aidée  par  les  qualités  de  ses  fils  :  ténacité,  appli- 
cation au  travail,  esprit  d'initiative,  etc.,  par  le  développement 
de  l'enseignement  professionnel  et  de  l'instruction,  par  sa  neutralité 
même  qui  lui  permet  de  se  consacrer  tout  entière  à  des  oeuvres  de 
paix.  De  plus,  les  industries  suisses  se  classent  en  partie  dans  la 
Catégorie  des  industries  de  luxe,  employant  une  matière  première 
(soie,  or,  argent,  etc.)  dont  le  haut  prix  peut  s'accommoder  de  frais 
de  transport  élevés,  ou  bien  à  qui  la  main-d'œuvre  donne  une  énorme 
plus-value  (broderies  de  colon  par  exemple,  machines  de  préci- 
sion. e:c.). 

Enfin,  l'abondance  de  la  "  houille  blanche  "  supplée  dans  une 
large  mesure  au  défaut  de  combustible  et  l'utilisation  des  chutes 
d'eau,  dé)à  très  répandue  dans  le  Jura  et  le  Plateau,  gagne  de  plus 
en  plus  les  vallées  alpeslres. 

Au  premier  rang  se  classent  les  industries  textiles 
concentrées  autour  de  Zurich,  Bâle  et  Saint-Gall. 
Zurich  est,  avec  Lyon  et  Milan,  l'une  des  métropoles 
européennes  des  tissus  de  soie.  Bâle  se  spécialise  dans 
la  fabncatton  des  rubans  et  1  utilisation  des  déchets  de 
soie.  Les  filés  et  tissus  de  colon  proviennent  aussi  de 
la  région  de  Zurich,  mais  la  broderie  est  l'apanage 
presque  exclusif  des  cantons  de  Saint-Gall,  Appenzell 
et  Thurgovie.  On  estime  à  600  000  000  de  francs  envi- 
ron la  valeur  totale  de  la  production  annuelle  des  indus- 
tries textiles. 

Lindustne  horlogére  (  1  70  000  000  k  200  000  000  de 
francs)  se  localise  dans  la  Suisse  romande.  La  Chaux- 
de-Fonds,  Le  Locle,  Sienne.  Neuchâtel.  Genève  en 
sont   les  centres  principaux. 

L'industrie  des  michines    (  1  30  000  000    de    francs) 


a  suivi  une  marche  parallèle  aux  progrès  réalisés  dans 
les  domaines  de  l'hydraulique  et  de  l'électricité.  Elle  s'est 
considérablement  développée  depuis  1895,  ainsi  que  les 
industries  chimiques  el  électro-chimiques,  matières  colo- 
rantes, médicaments,  carbure  de  calcium,  aluminium,  etc.. 
à  Zurich  et  à  Bâle,  puis  à  Winterthur,  Sainl-Gall  et 
Genève. 

Les  industries  alimentaires  comprennent  surtout  la 
fabrication  du  fromage  (Gruyère  ou  Emmenthal),  celle 
du  lait  condensé  et  du  chocolat. 

Nous  avons  enfin  signalé  déjà  l'importance  de  l'in- 
dustne  hôtelière  née  du  tourisme. 

Elle  représente  un  capital  de  près  de  1  000  000  000  de 
francs  et  fait  vivre  40  000  personnes  des  deux  sexes. 

LE  COMMERCE.  Û0  Le  commerce  de  la 
Suisse  avec  les  pays  étrangers  atteignait,  en  1913. 
3  296215  000  francs  dont  19198)8000  francs  aux 
importations  et  I  376  397000  fremcs  aux  exportations, 
chiffre  considérable  si  l'on  se  rappelle  le  petit  nombre 
des  habitants  de  la  Confédération.  En  1920.  ces  chiffres 
ont  atteint  respectivement  :  4  242  000  000  et  3  277  000 
de  francs  (suisses). 

TABLEAU  DU  COMMERCE  SUISSE 


Cu^sori». 

Annie  1913 

Valeur  en  frmnci 

(français). 

Annie  1920 

Valeur  en  francs 

(suisses). 

352  000  000 
295  000  000 
138  000  000 
58  000  000 

318  000  000 
339  000  000 
573  000  000 

201  000  000 

> 

711  000  000 
695  000  000 
306  000  000 
281  000  000 

62  000  000 

/iROorfa 
Crt«Irt 

ions. 

239  000  000 

102  000  000 
60  000  000 
49  000  000 

191000  000 
131  000  000 
I2SO0OOOO 

103  000  000 
lOSOOOOOO    1 

ion». 

271  000  000 
260  000  000 
183  000  000 
98  000  000 

!2I  000  000 

Exporta 

PRINCIPAUX  CLIENTS  DE  LA  SUISSE 


,  Importations  venant  de 

^  ^  Allema^e 

France 

'    Italie 

Autrîchc-Honfrie 

1  Angleterre 

I  Etats-Unis 

!£xporutions  allant  â  : 
Alkma^ne 
Anfflelerre 
^  France 

'.    ÉtaU-Unis 

:  Italie 


Année  1913 

Valeur  en  francs 

(français). 


647  000  000 
376  000  000 
192  000  000 
122  000  000 

116  000  000 

117  000  000 


305  000  000 
236  000  000 
161  000  000 
I36O0O0O0 
89  000  000 


Année  1920 
Valeur  en  francs 


sœoooooo 

603  000  000 
325  000  000 
71  000  000 
465  000  000 
864  000  000 


252  000  000 
645  000  000 
521  000  000 
283  000  000 
166  000  000 


205 


L'EUROPE 


Ce  commerce  est  facilité  péir  l'ampleur  du  réseau 
ferré  qui  dépasse  5  000  kilomètres,  densité  inégalée 
en  Europe,  sauf  par  la  Belgique.  La  position  géogra- 
phique de  la  Suisse  en  fait,  en  quelque  sorte,  la 
,  plaque  tournante  "  de  l'Europe,  car  les  grandes 
lignes  internationales  Ouest-EUt  et  Nord-Sud  s'y 
croisent  forcément,  depuis  l'ouverture  des  tunnels 
alpestres  (Simplon,  Lôtschberg,  Gothard,  Arlberg). 
Ainsi,  non  seulement  la  Suisse  est  en  relations  di- 
rectes et  faciles  avec  ses  voisins  immédiats,  mais  elle 
communique  aisément  avec  les  grands  ports  européens 
de  Gênes,  Marseille,  Anvers,  Rotterdam  et  Hambourg. 
Elle  peut  donc  se  procurer  sans  difficulté  les  pro- 
duits dont  elle  a  besoin  :  charbon,  minerais,  soie  grège, 
coton,  céréales,  vin.  etc.,  et  vendre  ses  fromages,  ses 
broderies,  ses  machines,  ses  tissus  de  soie,  ses  laits  et 
chocolats.  De  plus,  elle  perçoit  des  bénéfices  appré- 
ciables pour  le  transport  des  marchandises  qui  ne  font 
que  transiter  sur  son  territoire. 

Le  réseau    ferré  suffit  donc  largement  aux  besoins  de  la  Confé- 
dération et  semble    avoir    atteint  à  peu    près  le   maximum    de  son 


développement.  Aussi  l'attention  se  porte-t-elle  maintenant  surtout 
sur  le  problème  des  voies  navigables.  Depuis  peu  d'années,  le  cours 
du  Rhin  a  été  amélioré  entre  Kehl  et  Bâie  de  telle  sorte  que, 
"  en  1914,  la  tonne  de  céréales  ne  coûtait  que  21  fr.  80  de  Rot- 
terdam à  Bâle  contre  25  fr.  10  de  Gênes  à  Berne  ",  et  l'on  espère 
pouvoir  prolonger  ce  trafic  fluvial  jusqu'au  lac  de  Constance  au 
moyen  d'écluses  et  de  canaux  latéraux.  C'est  la  Suisse  du  Nord  et 
du  Nord-Est,  la  Suisse  allemande,  par  conséquent,  qui  bénéficiera 
le  plus  de  ces    travaux.  La  Suisse  romande  à  son    tour  demande  : 

1 0  Que  l'on  unisse  le  Rhin  au  Léman  par  une  voie  navigable  qui 
emprunterait  le  cours  de  l'Aar,  les  lacs  de  Blenne  et  de  Neuchâtel, 
et  l'ancien  canal  d'Entreroche  (aujourd'hui  comblé)  entre  le  lac  de 
Neuchâtel  et  le  lac  de  Genève. 

2°  Que  l'on  rende  navigable  le  cours  du  Rhône  entre  Genève  et 
Lyon. 

Ainsi,  "  entre  les  influences  venues  de  la  Mer  du  Nord  et  celles 
de  la  Méditerranée  s'établirait  un  réel  et  durable  équilibre.  A 
Bâle,  arrière-port  de  Rotterdam,  correspondrait  Genève  arrière- 
port  de  Marseille.  La  Suisse  s'ouvrirait,  dans  des  conditions  toutes 
nouvelles,  les  marchés  du  Levant  et  de  l'Extrême-Orient,  même 
de  l'Amérique.  Elle  acquerrait,  pour  son  approvisionnement  en  den- 
rées alimentaires  et  matières  premières,  une  sécurité  qu  elle  n'a 
jamais  connue.  EUIe  était  déjà  la  plaque  tournante  de  l'Europe,  elle 
en  deviendrait  la  gare  d'eau.  "  (H.  Hauser.) 

NOTA.  £>£)  Nous  avons  vu  plus  haut  que,  d'ici  peu  d'années, 
le  Rhône  sera  navigable  entre  Genève  et  Marseille. 


CHAPITRE  XII 

L'AUTRICHE 

L'ANCIEN  EMPIRE  AUSTRO-HONGROIS 


L  Europe  Centrale  comprend  une  série  de  régions 
naturelles  qui  furent,  jusqu'à  la  Grande  Guerre,  le 
domame  de  la  Maison  d'Autriche.  Chacune  de  ces 
régions  :  Bohême,  Autriche,  Yougo-Siavie,  Transyl- 
vanie, Hongrie,  Galicie,  etc.,  forme  une  unité  géogra- 
phique distincte.  Avant  de  s'agréger,  par  le  hasard  des 
héritages,  des  traités,  des  conquêtes,  aux  possessions  pri- 
mitives des  Habsbourg,  elles  eurent  fort  longtemps  une 
existence  pleinement  indépendante.  Les  peuples  qui  les 
habitent  diffèrent  fortement  les  uns  des  autres  par  leurs 
races  (Allemands,  Magyars,  Slaves  du  Nord  et  du  Sud, 
Roumains,  Italiens),  leurs  langues,  leurs  religions,  leurs 
traditions,  leur  vie  économique.  Que  ces  peuples,  natu- 
rellement incapables  de  constituer  une  nation,  fussent 
encore  au  début  du  XX®  siècle  groupés  en  un  tout,  c'était 
là  une  sorte  de  paradoxe  dont  on  pouvait  prévoir  avec  une 
quasi-certitude  qu'il  ne  durerait  pas.  Seuls  demeuraient 
incertains  la  date  et  le  mode  de  la  rupture  d'une  associa- 
tion qui,  favorable  aux  deux  races  dominantes,  l'alle- 
mande et  la  hongroise,  apparaissait  aux  autres  comme 
une  intolérable  sujétion.  La  Grande  Guerre  a  brisé 
l'édifice,  plus  brillant  que  solide,  construit  par  les  Lorraine- 
Habsbourg.  Chaque  région  géographique  est  redevenue 

206 


le  cadre  d'un  Etat  indépendant  (Républiques  d'Autriche, 
de  Tchéco-Slovaquie,  de  Hongrie)  ou  s'est  unie  volon- 
tairement aux  pays  voisins  peuplés  d'hommes  du  même 
sang  (ce  fut  le  cas  pour  les  Italiens  du  Trentin  et  de 
Trieste,  les  Croates  et  Slovènes  frères  des  Serbes,  les 
Roumains  de  Transylvanie,  les  Polonais  de  Galicie).  Ce 
morcellement  d'un  vaste  territoire,  cette  brusque  rupture 
entre  gens  qui,  malgré  tout,  se  trouvaient  depuis  plu- 
sieurs siècles  associés  dans  la  bonne  comme  dans  la 
mauvaise  fortune,  n'apparaissent  pas  seulement  comme 
un  des  résultats  immédiats  les  plus  considérables  du 
conflit  européen,  mais  soulèvent  une  foule  de  pro- 
blèmes (rapports  mutuels  entre  ces  divers  Etats,  voies 
de  communication,  douanes,  débouchés  sur  les  mers,  etc.) 
dont  la  solution,  fort  malaisée,  est  d'importance  primor- 
diale pour  le  développement  harmonieux  et  la  paix  de 
l'Europe  Centrale. 

En  1914,  Autriche  et  Hongrie  formaient,  depuis  1867,  deux 
Etals  distincts  ayant  chacun  sa  langue  officielle,  son  administration , 
ses  lois,  sa  constitution,  son  armée,  etc.  Mais  tous  deux  obéissaient 
à  un  même  souverain,  l'Empereur- Roi,  et  les  affaires  communes 
aux  deux  Etats,  disculées  par  les  "  Délégations  ",  ressortissaienl  à 
trois  ministères  d'Empire  ;  affaires  étrangères,  guerre,  finances. 


L'AUTRICHE       — 


L'Empire  d'Autriche  s'élendail,  en  arc  de  cercle,  de  l'Adria- 
tique à  la  Russie.  Il  comprenait  17  provinces,  peuplées,  au  recen- 
sement de  1910,  de  28  571  000  habitants.  Les  principales  étaient  : 
la  Dalmatie,  l'istrie,  les  Pays  Alpestres  (Trentin,  Tyrol,  Carniole» 
Carinthie.  Slytie),  l'Autriche  proprement  dite,  la  Bohême,  la 
Moravie,  la  Galicie  et  la  Bukovine.  D'après  les  statistiques  offi- 
cielles, de  source  autrichienne,  on  y  comptait  9  950  000  Allemand», 
6  435  000  Tchèques  et  Slovaques,  5  000  000  de  Polonais. 
3  500  000  Ruihènes,  2  000  000  de  Slovènes,  Croates  et  Serbes. 
768  000  Italiens,  275  000  Roumains,  1 0  000  Hongrois. 

Le  Royaume  de  Hongrie,  ayant  comme  centre  les  vastes  plaines 
du  Danube  moyen  et  de  la  Tisza,  poussait  une  pointe  vers 
l'Adriatique  par  la  Croatie-SIavonic,  embrassait  au  Nord  le 
massif  des  Tatras,  à  l'Est  les  hauts  plateaux  de  Transylvanie. 
Les  recensements  hongrois  dénombraient  en  1 900  :  1 0  000  000 
de  Hongrois  ou  Magyars,  3  000  000  de  Roumains,  2  000  OOU 
d'Allemands.  2  000  000  de  Slovaques,  1  800  000  Croates. 
I  100  000  Serbes,  472  000  Ruthènes,  470  000  individus  de 
diversesnationalités (Tziganes,  Juifs, etc.), en  tout  20  886  000  âmes. 

A  cela  s'ajoutait  la  Bosnie-Herzégovine,  enlevée  aux  Turcs 
en  1878,  et  considérée  comme  territoire  d'Empire,  au  même 
litre,  par  exemple,  que  l'Alsace-Lorraine  dans  le  Reich  allemand. 


En  1914,  clic  clail  peuplée  de  I  931  000  habitants.  Croates  et 
Serbes. 

Cela  donnait,  au  total,  51  390  000  individus  répartis  sur 
676  000  kilomètres  carrés,  soit  une  densité  moyenne  de  76  habi- 
tants au  kilomètre  carré,  légèrement  supérieure  à  celle  de  la  France 
(97  pour  l'Autriche,  64  pour  la  Hongrie,  37  pour  la  Bosnie- 
Herzégovine). 

L'émigration,  très  considérable,  jetait  chaque  année  hors  de 
l'Empire  de  250  000  à  310  000  individus  appartenant  surtout  aux 
races  opprimées  ;  Slaves  du  Sud  et  du  Nord,  Roumains,  Italiens. 
Les  quatre  cinquièmes  des  émigrants  se  rendaient  aux  Etats-Unis 
par  Fiume,  Triesie,  Hambourg  et  Anvers.  Le  reste  se  partageait 
entre  l'Argentine  et  le  Canada. 

Le  commerce  extérieur,  relativement  minime,  atteignait,  en 
191  3,  6  500  000  000  de  francs,  dont  3  500  000  000  aux  impor- 
tations et  3  000  000  000  aux  exportations,  11  est  vrai  que,  les 
diverses  régions  austro-hongroises  se  complétant  les  unes  par  les 
autres,  des  échanges  très  actifs  avaient  lieu  entre  elles.  La  Hon- 
grie, par  exemple,  vendait  à  l'Autriche  73  pour  100  de  ses  pro- 
duits (céréales,  viandes,  chevaux,  vins,  etc.)  el  lui  achetait 
71  pour  100  des  articles  dont  elle  avait  besoin  (objets  en  métal  et 
en  bois,  cotonnades  de  Bohême,  bière,  sucre,  etc.). 


L'AUTRICHE  ALPESTRE 


LES  ORIGINES  DE  L'AUTRICHE.  00 
Les  Alpes  Orientales  et  la  vallée  supe'rieure  du  Danube 
eurent  d'abord,  très  probablement,  des  populations  appar- 
tenant à  la  grande  famille  des  Celtes.  Les  Romains  y 
fondèrent  les  provinces  de  Norique  et  de  Pannonie  que 
surveillaient  des  forteresses  postées  au  pied  des  cols  ou 
échelonnées  aux  rives  du  grand  fleuve.  A  partir  du 
V  siècle,  des  tribus  germaniques  venues  de  Bavière 
remontèrent  les  vallées  de  l'Inn  et  de  la  Salzach.  puis,  par 
le  Brenner,  débordèrent  sur  le  Haut-Adige  :  ce  fut  l'ori- 
gine du  Tyrol  allemand.  Au  VU®  siècle,  des  populations 
slaves  s'installèrent  dans  les  vallées  de  la  ,Mur.  de  la 
Save  et  de  la  Drave.  tandis  que  des  hordes  d'origine 
mongolique  :  Huns.  Avars,  Hongrois  et  Magyars,  cam- 
paient dans  les  steppes  du  Danube  Moyen.  Pour  faire 
face  à  ces  Barbares,  Charlemagne  et  ses  successeurs 
créèrent,  aux  frontières  de  leur  Empire,  une  série  de 
Marches  militaires  qui  allaient  du  Danube  à  l'Adriatique  : 
Osttnark  ou  Marche  de  l'Est,  Marche  de  Carinthie  (plus 
tard  divisée  en  duchés  de  Styrie  et  de  Carinthie),  Marche 
de  Camiole  et  d'Istrie.  Ainsi,  le  domaine  du  germanisme 
finit  par  s'étendre  sur  toutes  les  Alpes  Orientales,  mais 
ne  put  déborder  hors  de  leurs  derniers  contreforts.  La 
plaine  centrale  demeura  aux  mains  des  Hongrois,  tandis 
que  les  larges  vallées  du  Sud  et  les  plateaux  du  Karsl 
illyrien  conservaient  leur  peuplement  slave. 

L'Oslmarlc,  devenue  l'Oesterreich  (Autriche),  passa 
en  1273  aux  mains  d'un  petit  seigneur  de  la  Suisse  alle- 
mande, Rodolphe  de  Habsbourg.  Telle  fut  l'origine  de 
celte  puissante  Maison  d'Autriche  qui,  groupant  d'abord 
autour  d'elle  les  pays  allemands  des  Alpes,  ajouta  par  la 


Suite  à  ses  domaines  les  royaumes  de  Bohême,  de  Hon- 
grie, de  Croatie,  déborda  au  delà  des  Carpates  par  la 
prise  de  la  Galtcie  et  de  la  Bukovine.  fixa  chez  elle,  jus- 
qu'en 1 806,  la  couronne  impériale  germanique,  puis,  après 
avoir  lutté  avec  acharnement  contre  les  Hohenzollern  de 
Prusse,  ha  son  sort  au  leur  et  fut  entraînée,  en  1918, 
dans  leur  chute  retentissante. 

Le  Congrès  de  Versailles  a  réduit  l'Etat  Autrichien 
aux  limites  que  lui  fixent  la  nature  et  la  répartition  des 
races.  Privé  de  ses  annexes  slaves  et  italiennes,  il  est 
devenu  un  Etat  exclusivement  allemand  et  alpestre,  sans 
débouché  sur  la  mer.  Son  territoire  ne  couvre  plus  que 
1 00  000  kilomètres  carrés,  peuplés  de  6000  000  d'habi- 
tants. Il  est  limité  au  Nord  par  le  Reich  allemand  et  la 
République  Tchéco-Slovaque,  à  l'Est  par  la  Hongrie 
et  la  Yougo-Slavie,  au  Sud  par  l'Italie,  à  l'Ouest  par  la 
Suisse. 

Deux  régions  naturelles  se  partagent  l'Autriche  :  les 
Pays  Alpestres  (Vorariberg,  Tyrol,  Carinthie,  Salzbourg, 
Styne),  les  pays  Danubiens  (Haute  et  Basse-Au- 
triche). 

LES  PAYS  ALPESTRES.  00  L'Autriche 
Alpestre  comprend  d'abord,  au  Centre,  une  série  de  mas- 
sifs et  de  chaînes  formés  de  roches  cristallines  qui  débutent 
par  rOctzlhal(}770mètresau  Wildspitze),  se  continuent 
par  les  Hauts-Tauern  (Gross  Glockner  :  3797  mètres; 
Gross  Venedigcr,  etc.),  les  Bas-Tauern  (2 863 mètres, au 
Hoch  Golling),  puis  se  divisent  en  deux  branches  dont 
l'une  (Alpes  Styriennes)  s'incline  au  Sud- Est  vers  les 
plainec  de  Carniole,  tandis  que  l'autre  (Hoch-Schwab, 

— 207  


L'EUROPE 


monts  de  la  Leitha)  vient  mourir  aux  rives  du  Danube 
dans  la  banlieue  de  Vienne.  Les  granits,  les  gneiss,  les 
micaschistes  qui  les  composent  expliquent  leur  altitude  et 
leurs  formes,  identiques  à  celles  des  montagnes  de  la  Suisse 
centrale.  Les  massifs  les  plus  élevés  ont  encore  de  vastes 
névés,  des  glaciers  majestueux.  Les  autres  ne  conservent 
plus,  au  cœur  de  l'été,  que  des  plaques  de  neige  marque- 
tant le  sombre  support  des  rocs.  Les  rivières  qui  naissent 
sur  leurs  flancs  ont  creusé  de  l'Ouest  à  l'Est  une  série 
de  vallées  longitudinales  (Inn,  Salzach,  Enns  au  Nord, 
Haut-Adige.  Eisak,  Drave  au  Sud)  qui  communiquent 
entre  elles  sans  trop  de  difficulté.  Du  Nord  au  Sud,  à 
travers  la  haute  barrière  de  la  zone  médiane,  le  passage 
est  plus  malaisé,  et  le  col  du  Brenner,  qui  mène  de 
Bavière  en  Italie  par  Innsbruclc  et  Trente,  fut  longtemps 
la  seule  voie  fréquentée.  Aujourd'hui,  outre  la  ligne  du 
Semmering  (Venise  à  Vienne  par  Klagenfurth),  d'assez 
nombreuses  routes  carrossables  et  plusieurs  chemins  de  fer 
franchissent  les  Tauern. 

Cette  zone  médiane  est  flanquée,  au  Nord  et  au  Sud, 
de  deux  glacis  formés  de  roches  calcaires.  Le  glacis 
méridional  :  Alpes  Dolomitiques  et  Ccuniques,  monts 
Karavanken,  n'appartient  plus  à  l'Autriche.  Hle  possède 
encore,  par  contre,  la  majeure  partie  des  Alpes  du  Vorarl- 
berg  et  de  Bavière  entre  le  lac  de  Constance  et  l'inn, 
des  Alpes  de  Salzbourg  qui  dominent  à  droite  et  à 
gauche  l'étroite  cluse  de  la  Salzach,  enfin  la  totalité  des 
Alpes  d'Autriche  dont  le  dernier  contrefort,  le  Wiener- 
wald,  domine  de  ses  coteaux  boisés  la  petite  conque 
danubienne  où  Vienne  naquit.  On  y  retrouve  soit  les 
arêtes  vives,  les  parois  abruptes  flanquées  d'éboulis  blan- 
châtres, soit  les  masses  tabulaires  semées  de  cailloux 
(Todtesgebirge  ou  montagne  morte,  Steinernesmeer  ou 
mer  de  pierre)  que  présentent  les  Prealpes  françaises  dans 
la  Grande-Chartreuse,  le  Vercors  et  les  monts  du  Diois. 
Couvertes  d'humides  prairies,  de  forêts  presque  vierges, 
semées  de  lacs  aux  eaux  pures,  ces  montagnes,  surtout 
dans  le  Salzkammergut,  égalent  par  leur  charme  rus- 
tique les  paysages  les  plus  séduisants  des  Alpes  suisses 
et  françaises. 

Climat,  végétation,  hydrographie  sont  tels  qu'on  peut 
les  attendre  de  cette  fraction  continentale  de  la  zone 
alpestre. 

Même  dans  les  vallées,  l'hiver  est  long  et  rude.  La 
moyenne  de  janvier,  à  Innsbruck,  par  574  mètres  d'al- 
titude, n'est  que  de  —  3^,4  ;  elle  descend  à  —  6",  2  à 
Klagenfurth (442 mètres  d'altitude).  Des  températures  de 
20  à30°souszéros'observentfréquemmentpar  temps  sec 
et  calme,  lorsque  les  couches  d'air  glacé  s'accumulent  dans 
les  bas-fonds.  Par  contre,  les  courts  étés  connaissent  des 
moyennes,  relativement  élevées,  de  18°  à  21".  Pluies 
et  neiges  tombent  en  masses  copieuses  (de  I  *",  50  à 
2  mètres  sur  les  flancs  exposés  aux  vents  humides).  Toute- 

208 — 


fois,  comme  il  est  naturel,  les  VcJlées  bien  protégées 
reçoivent  en  général  moins  de  1  mètre  d'eau. 

Prairies  et  forêts  couvrent  la  majeure  partie  du  sol  jus- 
qu'à 1  800  mètres  d'altitude.  Des  champs  de  seigle, 
d'avoine,  de  pommes  de  terre  se  logent  sur  les  cônes  de 
déjection  des  torrents,  les  moraines  anciennes,  ou  s'étagent 
sur  les  pentes  que  le  soleil  visite  sans  trop  de  parci- 
monie. 

Les  rivières,  appauvries  pendant  la  saison  froide  où  la 
neige  ne  fond  pas,  se  réveillent  au  printemps.  Elles  em- 
plissent leurs  cluses  étroites  d'un  flot  tumultueux,  blan- 
châtre, qu'alimentent  les  cascades  et  le  ruissellement  des 
eaux  chantantes  courant  très  vite  à  travers  les  prés.  La 
Lech,  rinn  et  son  aflluent  la  Salzach,  l'Enns,  la  Leitha 
s'inclinent  au  Nord  vers  la  Bavière  et  l'Autriche  et 
glissent  au  Danube  après  s'être  arrachées  par  d'héroïques 
trouées  à  l'étreinte  des  Alpes  calcaires  qui  leur  barraient 
la  route.  La  Mur  et  la  Drave  descendent  à  l'Est  sur  les 
plaines  hongroises. 

Comme  dans  les  Alpes  de  France,  de  Suisse  et  d'Ita- 
lie, ces  VcJlées,  larges  parfois  de  plusieurs  lieues,  formèrent 
une  série  de  petites  individualités  géographiques  ayant 
leur  nom  spécial,  leurs  coutumes  particulières,  leur  vie 
économique  distincte.  Autour  d'innsbruck,  dans  la  belle 
et  fertile  dépression  de  l'Inn  Moyen,  grandit  le  comté 
du  Tyrol.  Les  princes-évêques  de  Salzbourg  eurent 
comme  domaine  propre  le  Salzkammergut  et  le  Pinzgau 
(haute  VcJlée  de  la  Salzach),  tandis  que  les  duchés  de 
Styrie  et  de  Carinthie  naissaient  aux  rives  de  la  Mur  et 
de  la  Drave  supérieure.  Partout,  les  ruines  des  burgs 
féodaux  semblent  encore  monter  la  garde  à  l'orée  de 
chaque  val,  et  l'histoire  nous  apprend  de  quels  privilèges 
jouissaient  les  communautés  de  paysans  qui  menaient  au 
cœur  des  hauts  massifs  leur  vie  rude  meus  libre. 

Ces  paysans,  de  langue  allemande  et  de  religion  catho- 
lique, avaient  fini,  toutefois,  par  montrer  un  attachement 
profond,  un  loyalisme  absolu  à  la  Maison  des  Habsbourg. 
Leurs  "chasseurs",  adroits  et  braves,  formèrent  pendant 
la  Grande  Guerre  quelques-uns  des  plus  solides  régi- 
ments de  la  double  monarchie. 

La  vie  des  montagnards  tyroliens  ou  styriens,  réglée  par 
le  milieu  géographique,  ne  diffère  point  de  ce  qu'est  Texis- 
tence  d'un  VcJaisan  ou  d'un  Savoyard.  Ils  paissent 
leurs  troupeaux  de  vaches  dans  les  alpages  des  hauts 
monts,  cultivent  leurs  petits  champs,  exploitent  les  forêts. 
Beaucoup  émigrent  temporairement,  comme  nos  Auver- 
gnats ou  nos  Limousins,  et  se  livrent,  en  hiver,  au  com- 
merce du  bétail,  du  fer,  des  étoffes.  D'autres  s'emploient 
dans  les  mines  de  sel  du  Salzkammergut  (Hallein, 
Hallstatt),  les  mines  de  fer  (2500  000  tonnes  par  an) 
et  de  plomb  de  Styrie  et  de  Carinthie  (hautes  vallées 
de  l'Enns  et  de  la  Mur)  ou  travaillent  dans  les  filatures 
et  les  fabriques  du  Vorarlberg  et  de  Styrie  (région  de 


L'AUTRICHE 


INNSBRUCK.  La  capitale  du  Tf/rot  allemand  fut  Sabord  une  colonie  militaire  ro- 
maine. l'alJidena,  oui  commandait  l'accès  du  col  du  Bramer  entre  l'Adige  et  Vlnn. 
Elle  prit  au  Moyen  Age  le  nom  de  '  Pont  ici  Inn"  .lonque  t  y  iisfallèrent  des  marchands 
oui  fattairnt  If  f'j'iV  entre  Fltalie  et  l' Allemagne.  Elle  cit  admiruhle-nent  olat^fe  au 


point  le  plus  large  de  la  vallée  moyenne  de  Vïrm  qae  dortùne  un  ampfâtlKâtre  de  mon- 
tagnes hautes  de  plus  de  2  000  mètres.  Sa  situation,  au  croitemeni  de  plusieurs  grandes 
routes  alpestres,  sonoriginaliU.la  splendeur  du  paysage  qui  l'entoure,  en  font  une  station 
d  ete    et    d  hitcr    extrêmement   fréquentée.  Q.    CHAMPAGNE. 


I-K  i_V  HL(.MLNLtfc.N  IMVS  Lh  >AL7:K  VMMtRf.l  T,/^  .^uL-iumm^ffu' 
eit  la  partie  de  la  haute  Autriche  compriie  entre  la  Sti/rie  et  le  payi  de  SalzhouTt. 
Il  dotl  ton  nom  cttx  riches  mutes  de  tel  que  renferment  set  monlagneset  qui  tant  ejploi- 
lée$  —  rmtammatt  à  HaUstalt  —  depuis  la  plus  lointaine  antiquité.  De  nombreux  tact. 


G mun Incite.  -Mtcn^e.  AUruc,  etc..  jue  diLinenl  la  Tiuun  et  ses  affluents,  repo- 
sent au  pied  de  montagne*  hautes  de  l  yOO  à  .?  000  mètres,  et  le  mélange  des  blancs 
calcaires,  des  forêts  sombres,  des  eaux  limpides  compose  une  série  de  paysages  qtâ  com- 
ptent parmi  les  plus  alirayants  des  pays  ^paires. 


209 


L'EUROPE 


LE  MASSIF  DU  TRIGLAV.  La  nouvelle  Autriche,  dans  les  limites  qui  lui  furent 
assignées  par  le  traité  de  1919,  est  un  Etat  presque  exctusivemer\t  alpestre,  dont  les 
ressources  essentielles  reposent  sur  t  exploitation  des  forêts  et  des  pâturages.  Le  Tri- 
glav,  point  culminant  des  Alpes  Juliennes,  s'élève  à  2864  mètres.  Cl.  Leicetporer. 


LE  DANUBE  ENTRE  ENGELHARTSZELL  ET  WESENUFER.  De  Passau 

à  Linz,  la  vallée  du  Danube  autrichien  n'est  pas  moins  acddentée  et  pittoresque  que 
le  cours  du  Rhin  entre  Bingen  et  Bonn.  Le  fleuve  court  rapide  en  décrivant  de  grands 
méandres  au  pied  de  collines  escarpées  et  verdoyantes.  CI.  LÉw. 


VIENNE  :  LE  KARNINLRRING.  L'une  des  sections  du  fameux  ensemble  de 
boulevards  circulaires,  le  Ring,  qui  a  pris  la  place  des  anciennes  fortifications. 
Ces  boulevards  forment  l'une  des  parties  les  plus  caractéristiques  de  la  Vienne 
moderne,  trop  grande  capitale  d'un  petit  État.  CI.  LÉVY, 


LE,'  KONIGSSEE,  sis  à  peu  de  distance  de  Salzbourg,  est  le  plus  charmant  des 
nombreux  lacs,  d'origine  glaciaire  surtout,  qui  dorment  dans  tes  vallées  du  Salz- 
kammergut.  Des  forêts  se  mirent  dans  ses  eaux  limpides,  et  des  bandes  de  cha-nois 
courent  sut  les  flancs  raides  du  Walzmann.  CI.  Wurthlf. 


LE  COL  DU  SEMMERING  est  emprunté  par  la  grande  route  qui  de  Vienne 
mèn:  à  Ttitiît  ou  V*nise.  C'est  un  d-s  passages  les  plus  anciennement  connus  et 
fTi:t.r-iti'.  c'r:  maisifi  alpestres.  En  7797,  Bonaparte,  marchant^ur  Vienne,  //  con- 
th:'.:':'.  tcz  trcvpzs  victorieuses.  Cl.  Levy. 

2;o 


UN  GLACIER  DANS  LES  TAUERN.  Les  hauts  massifs  des  Alpes  autri- 
chienn<!S  renferment  des  glaciers  qui,  pour  être  moins  vastes  que  ceux  des  Alpes 
occidentales,  n'en  ont  pas  moins  une  belle  ampleur.  Remorquer  les  deux  moraines 
latérales  qui  encadrent  la  masse  cristalline,  CI.  WuRTHLE. 


L'AUTRICHE 


I 


Graz).  Déplus,  la  multiplication  des  routes  Ccirrossables, 
des  voies  ferre'es,  a  considérablement  accru  l'importance 
du  tourisme.  C'est  par  centaines  de  mille  que  les  excur- 
sionnistes, surtout  allemands,  s'abattent  en  e'te'  sur  ces 
lieux  où  Ion  trouve  à  la  fois  l'attrait  des  ascensions 
pe'rilleuses,  la  splendeur  des  paysages  grandioses,  le 
charme  des  villégiatures  paisibles.  Aussi,  l'émigration 
des  montagnards  s'est-elle  fort  réduite  depuis  qu'ils 
gagnent  largement  leur  vie  comme  hôteliers,  guides, 
muletiers,  etc. 

Les  principjJes  agglomérations  urbaines  s'établirent 
soit  au  cœur  des  vjjlées  les  plus  larges,  soit  au  débouché 
de  ces  vallées  sur  les  plaines  du  pourtour.  Innsbruck 
(55  000  habitants),  le  '  Pont  sur  l'Inn  ",  charmante 
capitale  du  T>Tol  qu'entoure  un  amphithéâtre  de  monts 
neigeux,  et  JClagenfurth  (30  000  habitants),  sur  la  Drave. 
chef-lieu  de  la  Carinthie.  appartiennent  à  la  première 
catégorie.    Par   contre,    Salzbourg  (40000  habitants). 


cuicienne  colonie  romaine  comme  Innsbruck  et  Klagen- 
furth.  patrie  de  Mozart,  et  l'une  des  plus  séduisantes  cités 
de  l'Europe  Centrale,  naquit  à  la  limite  des  Alpes  et  du 
plateau  bavarois,  à  la  sortie  de  l'étroite  cluse  où  bouillonne 
la  Salzach.  Graz  (157  030  habitants),  capitale  delà 
Slyrie,  occupe  une  situation  du  même  ordre,  aux  rives 
de  la  Mur,  à  l'orée  des  plaines  hongroises.  Beaucoup 
moins  ancienne  que  les  précéden'.es,  elle  doit  ses  pro- 
grès récents  et  le  chiffre  élevé  de  sa  population  aux 
industries  de  toutes  sortes  (filatures  de  coton,  métallurgie, 
etc.)  qui  se  sont  développéîs  autour  d'elle.  Les  autres 
villettes  alpestres  :  Feldkirch  et  Bregenz  dans  le  Vorarl- 
berg.  Landeck  dans  le  T>ToI,  Gastein,  Ischl,  Leoben  où 
Bonaparte,  arrivé  à  30  lieues  de  Vienne,  signa  en  1  797 
l'armistice  qui  précéda  la  paix  de  Campo-Formio,  doi- 
vent, elles  aussi,  une  certaine  activité  soit  à  leurs  fabriques, 
soit  à  l'afBuence  des  touristes  et  des  baigneurs,  attirés 
par  la  beauté  du  cadre  qui  les  entoure. 


L'AUTRICHE  DANUBIENNE 


Le  Danube  entre  en  Autriche  au-dessous  de  Passau 
et  la  quitte  un  peu  en  amont  de  Bratislava  (Presbourg). 
Pincé  entre  les  derniers  contreforts  des  Alpes  et  le 
rebord  méridional  du  Massif  bohémien,  il  lui  faut  tra- 
verser une  série  de  défilés  qui  unissent  des  bassins  plats 
et  fertiles  :  bassin  de  Linz,  de  Tulln,  de  Vienne  (Cf.  les 
bassins  du  Velay  et  du  Forez  sur  la  Loire  supérieure). 
Le  fleuve,  navigable  en  toutes  sausons  depuis  Ratisbonne, 
roule  majestueusement  des  eaux  que  les  crues  d'été  ren- 
dent limoneuses  et  troubles  ;  mais,  à  l'étiage,  elles  ont 
cette  limpidité  azurée  qui  justifie  la  double  épithète  de 
"  Beau  Danube  bleu  ".  Par  ailleurs,  le  pittoresque  de 
ses  rives,  surtout  dans  la  percée  de  Grein  à  Kremz,  ne 
le  cède  point  aux  attraits,  plus  vantés  cependant,  du 
Rhin  héroïque.  "  Les  pentes  y  sont  plus  vertes,  les 
coteaux  moins  uniformes  d'aspect,  les  vallées  latérales 
nombreuses.  Par  ses  constructions  diverses,  ses  châteaux 
perchés  sur  les  pointes  du  roc,  ses  villes  aux  tours  inégales, 
sesvillages  à  demi  cachés  dans  la  verdure.l'homme  ajoute  à 
la  beauté  naturelle  des  paysages  du  Danube.  "  (E.  Reclus). 
Dans  les  plaines,  particulièrement  étendues  sur  la  rive 
droite,  le  fleuve  se  divise  en  bras  multiples  enserrant  des 
îles  verdoyantes,  ombragées  de  peupliers.  Toutefois,  la 
zone  d'inondation  a  été  fort  réduite  par  la  construction 
de  digues  puissantes,  et  les  grasses  alluvions,  autrefois 
couvertes  de  roseaux,  se  transforment  de  plus  en  plus  en 
champs  cultivés.  Ces  bassins  de  Linz,  de  Tulln,  de 
Vienne  constituent  désormais  les  seules  terres  vraiment 
productives  de  l'Etat  autrichien.  Mêmesurla  rive  gauche, 
dans  le  Marchfeld  ou  plaine  de  la  Morava,  sables,  ma- 
rais et  bruyères  ont  cédé  la  place  aux  cultures,  et  la  mer 
ondoyante  des  blés  frissonne  sur  les  champs  de  Wagram. 


La  création  par  Charlemagne  de  l'Ostmeu-k  '  ou 
Marche  de  l'Elst,  devenue  plus  tard  Oesterreich  ou 
Autriche,  marqua,  nous  l'avons  indiqué,  le  début  de  la 
germanisation  de  cette  vallée  moyenne  du  Danube  jus- 
qu'alors peuplée  de  Slaves.  Saxons.  Franconiens.  Bava- 
rois surtout  s'avancèrent  peu  à  peu  vers  l'Est  comme 
entraînés  par  la  pente  naturelle  du  terrain.  De  riches 
monastères  :  Sankt-Florian,  Molk,  Saint-Pôlten,  Kloster- 
neuburg.  groupant  autour  d'eux  une  foule  de  serfs, 
contribuèrent  puissamment  a  1  absorption  des  îlots 
slaves.  Cependant  le  domaine  allemand  ne  s'étendit  pas, 
au  Nord,  au  delà  de  Gmund  et  de  Nikolsbourg,  où  il  se 
heurtait  à  des  groupes  compacts  de  Tchèques,  tandis 
que,  à  l'Est  de  Vienne,  Hongrois  et  Slovaques  se  main- 
tinrent sur  les  deux  rives  du  fleuve. 

Ce  mélange  de  Germains  et  de  Slaves,  doù  est  issu 
le  peuple  autrichien,  explique  pour  une  grande  part  les 
différences  que  l'on  relève  entre  un  Viennois,  par  exemple, 
et  un  homme  de  Francfort  ou  de  Hambourg.  Les 
Allemands  du  Sud  ont  le  caractère  plus  souple  et  plus 
gai,  la  démarche  plus  gracieuse,  les  traits  plus  mobiles, 
la  forme  du  crâne  plus  ronde  que  leurs  frères  de  l'Ouest 
et  du  Nord.  "  Ils  manifestent  des  goûts  plus  délicats,  un 
sens  artistique  plus  délié  qui  se  traduisent,  notamment, 
par  l'élégance  de  leurs  produits  industriels.  L'  article 
de  Vienne"  est  le  seul  qui  puisse,  à  certains  égards, 
se  comparer  à  1'  "  article  de  Paris  ".  Tous  les  Français 
qui  ont  résidé  à  Vienne,  après  avoir  connu  les  grandes 
villes  allemandes,  ont  t  té  frappés  de  l'amabilité  souriante, 
de  la  bonne  humeur,  de  la  cordialité  d'une  population 
qui  sait,  dans  ses  plaisirs  comme  dans  les  occupations 
ordinaires  de  la  vie,  faire  preuve  d'une  tenue,  d  une  dis- 

211   


CioaUPHIE  UNIVERSELLE. 


21 


L'EUROPE 


tinction  que  l'on  est  peu  accoutumé  à  rencontrer  en 
territoire  germain. 

Les  deux  cite's  principales  de  l'Autriche  danubienne  : 
Unz  et  Vienne,  sont  d'origine  romaine. 

Linz,  l'cmcienne  Lentia,  chef-lieu  de  la  Haute-Au- 
triche,   "  occupe  aux  rives  du  Danube  l'endroit   précis 


VlllEÎ^HlE 

ET    SES   ENVIRONS 


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où  viennent  aboutir  la  route  de  Salzbourg  par  la  vallée 
de  la  Traun  et  celle  de  la  Bohême  par  les  brèches 
ouvertes  entre  le  Bohmerwaid  et  le  plateau  de  Mora- 
vie ".  Elle  compte  93  000  habitants. 

Vienne  (la  Vmdobona  romaine)  est  placée  à  lun 
des  principaux  points  de  croisement  de  tout  le  continent 
européen.  Elle  commande  à  la  fois  les  routes  qui  mènent 
de  l'Occident  en  Orient  par  la  vallée  du  Danube,  et 
celles  qui  unissent  l'Allemagne  et  la  Pologne  à  l'Adria- 
tique par  la  Porte  Morave  (entre  les  Sudètes  et  les 
-Carpates),  les  cols  alpestres  du  Semmering  et  du 
Tarvis. 

Elle  joua  longtemps  le  rôle  de  citadelle  de  la  chrétienté 
contre  les  assauts  des  Turcs  (sièges  mémorables  de  1529  et  1683) 
avant  de  devenir  l'un  des.  centres  de  l'Europe  civilisée.  Par  son 
heureuse  situation,  près  d'un  des  principaux  fleuves  navigables  de 
notre  continent,  au  pied  des  collines  boisées  du  Wienervi-ald,  par 
1  élégance  ou  la  sompluosité  des   monuments  qui  bordent  le  fameux 

Ring  ",  boulevard  circulaire  établi  à  la  place  des  remparts  d'au- 
trefois, par  la  richesse  de  ses  musées  et  de  ses  collections  particu- 
lières, 1  inlensité  et  la  valeur  de  sa  vie  artistique  (musicale  surtout) 
ou  intellectuelle,  le  bon  goût  de  ses  ouvriers,  la  nature  même  des 
produits  qui  sortent  de  ses  ateliers  (bronzes,  meubles  de  luxe, 
pianos,  maroquinerie,  gants,  chaussures,  etc.),  enfin  par  l'abondance 


de  ses  lieux  de  plaisir,  de  ses  restaurants  et  cafés  célèbres,  par  l'ani- 
mation joyeuse  de  ses  rues  (Prater,  Graben,  etc),  Vienne  est,  de 
toutes  les  capitales  européennes,  celle  qui  rappelle  le  mieux  notre 
Paris.  On  y  comptait,  en  1914,  2  150  000  habitants,  parmi  les- 
quels plus  de  400  000  Tchèques,  80  000  Hongrois,  1 00  000  Juifs, 
et  des  dizaines  de  milliers  de  Slovaques,  Polonais,  Croates  ou  autres 
représentants  des  races  multiples  de  la  double  monarchie.  Au  recen- 
sement de  1920,  Vienne  n'avait  plus  que  1  842  000  habitants. 

En  dehors  de  Vienne  et  de  Linz,  on  ne  peut  men- 
tionner que  les  villes  industrielles  de  Wiener  Neustadt 
(35  000  habitants),  Steyer  (25  000  habitants),  Krems 
(15000   habitants)  et  Saint-Pôlten  ( 1 3 000  habitants). 

Au  lendemain  de  la  Grande  Guerre,  le  nouvel  État 
Autrichien  s'est  trouvé  dans  une  situation  économique 
fort  précaire.  Il  ne  peut  vivre  des  seules  productions  agri- 
coles de  son  sol,  aux  trois  quarts  couvert  de  hautes  monta- 
gnes. Ses  industries,  très  développées  avant  1914,  grâce  à 
la  richesse  des  gisements  métallifères,  ont  besoin  de  houille 
qui  fait  presque  totalement  défaut.  Privé  de  débouchés 
maritimes,  entouré  de  nations  nouvellement  émancipées 
et  qui  ont  assez  à  faire  à  s'occuper  d'elles-mêmes,  il  ne 
parvint  à  vivre  que  grâce  aux  secours  généreux  de  ses 
vainqueurs.  Toutefois,  les  divers  Etats  de  l'Europe  Cen- 
trale ne  peuvent  se  passer  les  uns  des  autres.  Une 
union  économique  librement  consentie,  fondée  sur  la  com- 
munauté des  intérêts,  vaut  mieux  qu'une  union  politique 
imposée  par  la  force.  Alors  se  dessinera  la  véritable 
destinée  de  l'Autriche  allemande,  riche  en  minerais,  en 
chutes  d'eau,  commandant  toutes  les  routes  des  Alpes 
Orientales  et  la  grande  voie  du  Danube.  L'industrie 
doit  demeurer  la  forme  principale  de  son  activité.  Avec 
une  population  trois  fois  moindre,  un  sol  aussi  dépourvu 
de  gisements  carbonifères  et,  par  surcroît,  complètement 
privé  de  minerais,  la  Suisse  est  devenue  l'un  des  Etats 
les  plus  prospères  de  l'Europe.  Rien  n'empêchera  l'Au- 
triche allemande,  une  fois  les  mauvais  jours  passés,  de 
connaître  une  prospérité  du  même  ordre. 

D'après  les  statistiques  publiées  en  octobre  1921,  voici  les 
premiers  renseignements  précis  que  nous  ayons  sur  le  commerce 
de  l'Autriche  nouvelle. 

De  juin  1919  à  juin  1920,  l'Autriche  importa  4502  000  tonnes 
de  marchandises  diverses  et  en  exporta  977000.  C'est  l'Allemagne 
qui  fut  naturellement  —  par  suite  de  la  faible  valeur  du  mark  et 
de  la  facilité  des  communications  —  son  principal  fournisseur  : 
1  802  000  tonnes  (soit  40  p.  100  du  total)  valant  14500000000 
de  couronnes.  Le  Reich  fut  aussi  le  plus  fort  acheteur  de  marchan- 
dises autrichiennes,  toutefois  dans  une  proportion  bien  moindre 
(190000  tonnes,  soit  20  p.  100,  valant  environ  7000000000  de 
couronnes). 

L'Autriche  demanda  à  l'étranger  2200000  tonnes  de  charbon 
(I  613000  tonnes  livrées  par  l'Allemagne);  —  168  000  tonnes  de 
pommes  de  terre,  43  000  tonnes  de  produits  chimiques,  1  35  000 
tonnes  d'objets  en  métal,  machines,  instruments  ;  —  des  vêlements, 
des  cotonnades  et  lainages,  des  cuirs  bruts,  de  la  soie  et  des  soie  - 


212 


LA  TCHËCO-SLOVAQUIE 


ries;  —  plus  une  quantité  considérable  de  céréales,  de  viande,  de  Elle  vendit  presque  uniquement  du  bois  (245000  tonnes),  du  fer 

conserves  alinientaires.de  denrées   coloniales,  etc.,  dont  le    détail  (157000),  et  des  produits   fabriqués  :  objets   en  métal,  machines, 

ne  figure  pas   dans    les  statistiques,   mais  dont  l'ensemble  atteint  objets  en  cuir,  fourrures,  chapeaux,  papier,  bois  travaillés,  automo- 

1  600000  tonnes  environ.  biles,  etc. 


CHAPITRE  XIII 


LA   TCHÉCO-SLOVAQUIE 


Le  Nouvel  Etat  Tchéco-Slovaque  comprend  les 
trois  anciennes  provinces  autrichiennes  de  Bohêmï,  de 
Moravie  et  de  Silésie,  plus  une  vingtaine  de   comitats 


du  Nord  de  la  Hongrie  peuplés  de  Slovaques  et  de 
Ruthènes.  C'est,  comme  la  Suisse,  l'Autnche  et  la 
Hongrie,  un  Etat  exclusivement  terrien. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


LA  BOHÊME.  £J^  Le  plateau  bohe'mien  forme 
un  quadrilatère  re'gulier  que  circonscrivent  de  trois  côtés 
des  chaînes  de  montagnes  bien  caractérisées.  Ce  sont  : 
à  l'Ouest,  le  Bshmerwald  ou  Forêt  de  Bohême  (Sumava 
en  tchèque),  dont  les  croupes  magnifiquement  boisées 
de  sylves  presque  vierges  séparent  la  Bohême  de  la 
Bavière  (mont  Arber  :  1 458  mètres),  ;  au  Nord,  l'Erz- 
gebirge  ou  Rudo  Hori,  c'est-à-dire  monts  métallifères 
(  1 244  mètres  au  Keilberg),  dont  le  versant  Nord  s'incline 
doucement  vers  les  plaines  saxonnes,  tandis  qu'au  Sud 
leurs  pentes  brusques  dévalent  vers  la  dépression  de 
rE.ger  ;  à  l'E^t,  le  long  de  la  Silésie  prussienne,  une 
succession  de  hauteurs  auxquelles  les  géographes  donnent 
le  nom  d'ensemble  de  monts  Sudètes  (dénomination 
ignorée  des  habitants),  et  où  le  Schneekoppe  dans  les 
Riesengebirge  (en  tchèque  :  Krkonose  ou  monts  des 
Géants)  s'élève  à  1603  mètres  d'altitude. 

Ces  montagnes,  de  même  origine  et  de  même  nature 
que  nos  Vosges  (plissement  hercynien),  présentent,  en 
général,  des  paysages  du  même  ordre  :  croupes  arron- 
dies, larges  VcJlées,  rivières  aux  eaux  sombres  dégringolant 
à  l'ombre  des  forêts,  hautes  prairies  ou  les  bergers  paissent , 
l'été,  leurs  troupeaux  de  vaches  laitières.  Elles  ne  forment 
nulle  part  de  barrière  infranchissable.  Des  couloirs  aisé- 
ment accessibles  (col  de  Taus,  passages  du  Fichtelgebirge, 
trouée  de  l'Elbe,  dépression  de  Glatz.  etc.), qu'empruntent 
routes  et  voies  ferrées,  unissent  Prague  à  Ratisbonne. 
Nuremberg,  Leipzig,  Dresde  et  Breslau. 

La  face  méridionale  du  quadrilatère  est  occupée  par 
les  collines  de  Moravie.  Elles  séparent  le  bassin  de  1  Elbe 
du  bassin  de  la  Morava,  affluent  du  Danube.  Toutefois, 
elles  ne  se  peuvent  comparer  aux  montagnes  précédentes 
ni  par  leur  altitude  (800  mètres  au  maximum),  ni  par 
leur  topographie.  Ce  sont  des  croupes  largement  ondu- 
lées,   cultivées  ou   boisées  jusqu'à  leur  sommet,  et  qui 


n'ont  jamais  opposé  d'obstacle,  si  faible  soit-il.  aux 
communications.  Bohême  et  Moravie  se  peuplèrent 
d'hommes  de  même  race  et  partagèrent  presque  toujours 
les  mêmes  destinées  politiques. 

L'intérieur  de  la  Bohême  est  occupé  soit  par  des 
dépressions  mollement  ondulées,  soit  par  des  terrasses, 
d'une  altitude  moyenne  de  400  à  500  mètres,  inclinées  du 
Sud  au  Nord,  et  que  les  ri%'ières  découpèrent  en  coteaux 
et  promontoires  suivant  l'inégale  dureté  des  roches. 
Granits  et  schistes  cristallins  prédominent  dans  la 
moitié  méridionale.  Vers  Prague  et  Pilsen  apparaissent 
des  grès,  des  calcaires  marneux  recouverts  de  limons  du 
type  du  loess.  La  dépression  de  l'Eger,  qui  longe  le 
pied  de  l'Erzgebirge,  est  un  petit  bassin  d'effondrement 
autrefois  rempli  par  les  eaux,  aujourd'hui  comblé  de 
riches  alluvions.  Une  poussée  de  roches  éruptives  accom- 
pagna, comme  il  est  d'usage,  cette  déchirure  de  l'écorce 
terrestre.  Tout  le  Mittelgebirge  de  part  et  d'autre  de 
l'Elbe,  entre  Leitmeritz  et  Schandau.  présente  un  amon- 
cellement de  cônes  plus  ou  moins  ébréchés,  de  pla- 
nèzes"  basaltiques,  de  pitons  de  laves  sommés  de  ruines 
pittoresques.  C'est  une  sorte  d'Auvergne  bohémienne  à 
laquelle  ne  manquent  ni  les  sources  thermales  (Teplilz, 
Karlsbad,  Sedlilz,  Marienbad,  Pullna),  ni  les  campagnes 
fécondes  et  la  forêt  des  arbres  fruitiers  poussant,  comme 
en  Limagne,  sur  les  basaltes  décomposés. 

La  situation  continentale  du  pays  tchèque,  plus 
que  son  altitude,  lui  vaut  un  climat  aux  contrastes  accusés 
sans  avoir  rien  d'excessif  (Prague  :  —  I"  en  janvier, 
+  19  3  en  juillet).  Les  pluies  arrêtées  par  les  montagnes 
du  pourtour,  qui  reçoivent  plus  de  l'",50  d'eau,  ne  par- 
viennent qu'en  faible  quantité  au  cœur  du  bassin  (Prague  : 
44  centimètres  d'eau). 

Elles  tombent,  il  est  vrai,  surtout  en  été,  c'est-à-dire 
à  répKtque  la  plus  favorable  aux  cultures.  Cependant, 


213 


L'EUROPE 


les  longues  sécheresses  sont  la  calamité  la  plus  redoutée 
du  paysan. 

Toutes  les  eaux  du  quadrilatère  s'écoulent  vers  la  mer 
du  Nord  par  l'Elbe  qui,  née  sur  les  pentes  occidentales 
du  Schneekoppe,  décrit  une  courbe  régulière  en  demi- 
cercle  et  s'échappe  des  pays  tchèques  par  les  gorges 
grandioses  qu'elle  creusa  dans  les  grès  de  l'Erzgebirge. 
Un  peu  en  amont  de  Prague,  elle  reçoit  la  Vltava  ou 
Moldau  qui,  par  l'ampleur  de  son  bassin  et  le  volume 
de  ses  eaux,  l'emporte  de  beaucoup  sur  elle  et  constitue 
l'artère  maîtresse  de  la  Bohême.  Sa  vallée,  orientée 
Nord-Sud,  conduit  directement  de  Prfigueà  Linz.  L'Eger 
ou  Ohre,  autre  affluent  notable  de  l'Elbe,  ouvre  une 
voie  transversale  vers  les  passes  du  Fichtelgebirge  et 
les  pays  allemands  du  Haut-Main. 

LA  MORAVIE.  00  Entre  les  pentes  méri- 
dionales des  collines  moraves  et  les  premiers  chaînons 
des  Carpates  se  creuse  une  large  dépression  où  coulent 
la  Morava  et  ses  affluents.  Au  Nord-Est,  cette  dépres- 
sion communique  directement  avec  les  bassins  supérieurs 
de  l'Oder  et  de  la  Vistule  par  le  couloir  de  la  Porte 
Morave,  analogue  à  ce  que  sont  chez  nous  la  trouée 
de  Belfort  ou  le  seuil  du  Lauragais.  Dès  la  plus  haute 
antiquité,  marchands,  peuples  migrateurs,  armées  con- 
quérantes empruntèrent  cette  voie  largement  ouverte 
entre  les  pays  danubiens  et  les  plaines  de  l'Europe  du 
Nord.  Par  là  s'engouffra  le  flot  des  Slaves.  Les  Russes 
y  subirent  en  1805,  sur  les  coteaux  d'Austerlitz,  une 
défaite  fameuse,  et  la  route  qu'ils  suivirent  est  doublée 
aujourd'hui  par  la  grande  ligne  internationale  Vienne- 
Varsovie-  Pétrograd. 

Plaines  et  collines  se  partagent  le  territoire  de  la 
province  dont  le  sol,  formé  surtout  de  calcaire  et  d'ar- 
gile d  époque  tertiaire,  convient  admirablement  à  la 
culture  des  céréales,  du  houblon,  de  la  betterave  à  sucre. 
Le  climat,  de  régime  continental  avec  des  hivers  assez 
rudes  et  de  chauds  étés,  ne  diffère  de  celui  de  la  Bohême 
que  par  une  légère  diminution  des,pluies  (40  centimètres 
en  moyenne). 

LA    SLOVAQUIE.    0 0   On    désigne   sous    ce 


nom  les  chaînes,  les  massifs  et  les  plaines  peuplés  en 
majorité  de  Slovaques,  compris  entre  la  dépression 
morave,  le  Danube,  les  plaines  hongroises  et  les  Car- 
pates. 

Petites  Carpates,  Carpates  blanches,  Lissahora, 
Beskides  occidentales  et  orientales  forment  une  première 
série  de  plissements  qui  se  raccordent  aux  Alpes  et,  du 
Danube  aux  sources  de  la  Tisza,  décrivent  un  arc  de 
cercle  à  peu  près  régulier.  Leur  altitude  moyenne  se 
maintient  entre  800  et  1  200  mètres  ;  des  passages 
faciles  (Vlarapass,  cols  de  Jablunka,  de  Novy-Targ,  de 
Dukla,  d'Uzsok,  etc.)  unissent  leurs  versants. 

Mais,  au  Sud  de  ces  plissements,  le  massif  des  Tatras 
dresse  à  plus  de  2  000  mètres  (point  culminant  :  le  Ger- 
lachfalva,  2663  mètres)  l'amoncellement  de  ses  pics  aux 
parois  escarpées,  aux  arêtes  vives,  de  ses  pyramides,  de  ses 
crêtes  en  dents  de  scie  qui  lui  donnent  aussi  fière  allure 
que  les  plus  réputées  des  montagnes  alpestres.  Une  foule 
de  petits  lacs,  les  '  yeux  de  la  mer  ",  emplissent  de  leurs 
eaux  pures  les  vasques  de  granit.  Les  rivières  :  Waag, 
Poprad,  Dunajec,  Hernad,  qui  naissent  au  cœur  du 
massif  et  entraînent  ses  eaux  vers  la  Baltique  ou  la  Mer 
Noire,  le  divisent  en  plusieurs  groupes  :  Tatra  propre- 
ment dite,  Nitza  Tatra,  Grande  Tatra,  etc.,  où  abondent 
les  sites  pittoresques,  les  paysages  grandioses,  tandis 
que  les  petites  plaines  intérieures,  richement  cultivées 
fourmillent  de  villages.  C'est  une  des  plus  attrayantes 
régions  de  l'Europe  Centrale,  un  des  lieux  de  villégiature 
les  plus  appréciés  de  la  haute  société  austro-hon- 
groise. 

Au  Sud-Ouest,  les  dernières  pentes  des  montagnes 
sont  séparées  du  Danube  par  une  large  plaine  qui  faisait 
autrefois  partie  de  la  Haute-Hongrie  (comilat  de  Poz- 
sony).  Elle  est  arrosée  par  le  Gran,  le  Waag,  la  Nitra  et 
des  dérivations  du  Danube  qui  enserrent  l'île  de  la 
Grande  Schiitt.  Par  sa  monotonie  et  sa  fécondité,  elle 
annonce  déjà  l' Alfôld.  Vers  l'Est,  la  frontière  capricieuse 
laisse  à  la  Hongrie  les  hauteurs  du  Matra,  mais  attribue 
à  la  Tchéco-Slovaquie  le  bassin  supérieur  de  la  Tisza, 
zone  d'effondrement  que  dominent  les  crêtes  boisées  des 
Beskides. 


GEOGRAPHIE  POLITIQUE  ET  ECONOMIQUE 


HISTOIRE.  £j£J  Les  limons  de  la  Bohême  centrale  etdes  plaines 
moraves,  peu  favorables  a  la  croissance  des  arbres  mais  exirêmement 
fertiles, formèrent  depuis  la  plus  haute  antiquité  des  clairières  naturelles 
où  I  homme  se  fixa.  Les  gîtes  préhistoriques  abondent  dans  le  bassin  où 
convergent  Elbe,  Vltava  et  Beraun.  Us  s'étendent  à  l'Ouest  jusqu'à 
Pilsen  ou  Plzen.au  Sud  jusqu'à  Budejovice,  "suivant  l'axe  des  voies 
de  commerce  vers  les  pays  du  sel  et  du  fer  dans  les  Alpes".  D'autres 
ont  été  découverts  en  grand  nombre  dans  le  bassin  d'Olmûlz.  A  ces 
lointaines  populations  autochtones  succédèrent  d'abord  des  Celtes. 
Une  de  leurs  tribus,  les  Boïi,  établie  aux  rives  de  la  Vltava,  a  laissé 

214 


son  nom  au  quadrilatère  (Boîenheim,  Bbhmen,  Bohême).  Les  Celtes 
furent  chassés  ou  absorbés  par  diverses  populations  germaniques  : 
Quades»  Marcomans,  Lombards;  puis,  à  partir  du  VI®  siècle  de 
notre  ère,  les  Germains  durent  céder  la  place  aux  Slaves  :  Tchèques, 
Moraves»  Slovaques.  Tandis  que  les  Slovaques  se  trouvaient,  en 
majorité,  annexés  dès  le  X*^  siècle  au  royaume  de  Hongrie,  les  Slaves 
de  Bohême,  de  Moravie  et  de  la  Silésîe  méridionale  constituèrent 
un  royaume  indépendant  qui,  au  XVI®  siècle,  passa  aux  mains  des 
Habsbourg.  Depuis  lors,  ils  ne  cessèrent  de  lutter  contre  les  tenta- 
tives   de  germanisation,  brutales  ou  sournoises,  dont  leur  pays    fut 


LA  TCHÊCO-SLOVAQUIE 


r 


PRAGUE:  LA  VLTAVA  ET  LA  COLLINE  DE  HRAEXTHAM    f'^r  .on  ftn. 

loirt.  ta  titoation  pilloTotjw.  ta  Uatu  édifices  ifautttfoit  :  pont,  églws.  loun, 
palais,  eîc,  la  ca>tlale  de  l'Etat  tchèco'doiaqut  est.  ums  contredit,  l'une  des  cités 
k»  pha  intmnantts  de  l'Earope  eenirate.  C'est  axmi  tVK  cille  inidUctuttle,  fihe  de  u 


très  annenne  ^  r'rrr.t.V.  de  %c:  A^adcrmcs.dc  ui  Jm!tluU,  nr.c  ulU  d'ati  t:uiu^nnce 
de  musi.jue.  C  rit  enfin jm  stand  centre  industriel  et  commercial  que  la  Vltaca^navi- 
gahle  met  en  relation  avec  l'EJhe  et  les  ports  allemands,  et  que' de  nombreuus  voies 
ferrétt  mu'amt  aux  ttatn  coiiùu. 


215 


L'EUROPE 


LA  SCHNEIE  KOPPE.Z-es  monts  des  Géants  (Krltonose),  qui  bordent  l'un  des  côtés 
du  quadrilatère  bohémien,  atteignent  I  603  mètres  à  la  Schnee  Koppe.  C'est,   en 
dehors    des  Cévennes.  l'altitude  îa  plus  considérable  à  laquelle    parviennent,    en 
Europe,  les  montagnes  dues  au  plissement  hercynien. 


TEIMNÉ  SMRCINY.  Au  milieu  des  massifs  des  Tatras  hérissés  de  pics  escarpés, 
aux  arêtes  vives,  aux  crêtes  en  dents  de  scie,  les  vasques  de  granit,  approfondies  par 
les  glaciers  anciens,  s'emplissent  d'une  foule  de  lacs,  petits,  mais  fort  pittoresques, 
surnommés  les  '   yeux  de  la  mer  ", 


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MAISONS  DE  PAYSANS.  Type  fort  curieux  de  maisons  paysannes.  Surplom- 
bant le  rez-de-chaussée,  oii  s'ouvre  largement  la  porte  charretière,  de  vastes  gre- 
niers bâtis  en  tlanche^,  couverts  d'un  toit  à   double  façade  en  retrait,  servent  à 
emmagainer  le  fourrage  et  la  provision  de  bois  pour  l'hiver. 


BANSKA  BYSTRICA.  Sise  dans  la  pittoresque  vallée  du  Hron,  au  cœur  des 

massifs  montagneux  et  boisés  de  la  Slovaquie.  Banska  Bystrica  est  une  petite  ville 

industrielle  où  plusieurs  établissements  métallurgiques  traitent  le  minerai  de  fer 

retiré  des  gisements  voisins. 


TREMCÎN  occupe  une  importante  situation  stratégique  au  point  où  la  vallée 
d'j  Vah  s'échappe  des  massifs  slovaques  et  pénètre  dans  la  plaine  danubienne.  Aussi 
fut-elle  jadis  une  place  forte   dont  le  château  —  que  l'on  voit  au  second  plan  — 
passait  pour  imprenable. 


NOVO  MESTO.  Type  de  ville  industrielle  tchécoslovaque.  Dans  un  paysage 

mouvementé  et  gracieux,  qui  rappelle  les  régions  françaises  du  Morvan  et  de 

l  Autunois,  les  bâtiments  uniformes,   les  hautes  cheminées  des   usines  occupent  la 

vallée  que  domine  fièrement  la  masse  imposante  d'une  antique  demeure. 


216 


LA  TCHECO-SLOVAQUIE 


constamment  l'objet.  Lors  de  la  Guerre  de  Trente  Ans,  notamment, 
l'Empereur  Ferdinand  II  livra  la  Bohème  comme  une  proie  aux 
mercenaires  de  Wallenstein.  La  noblesse  (chèque  fut  décimée  ;  ses 
biens  distribués  à  des  soldats  ou  à  des  seigneurs  de  l'Autriche  alle- 
mande. Plus  tard,  par  les  trois  frontières  de  l'Ouest,  du  Nord  et 
de  l'Est,  Bavarois,  Saxons,  Silésiens s'infiltrèrent  sur  tout  le  pourtour 
du  massif  el,  soutenus  par  le  gouvememcnl  de  Vienne,  jouèrent 
jusqu'à  nos  jours  un  rôle  sans  rapport  avec  leur  nombre.  Cependant, 
les  Tchèques  résistèrent  victorieusement  à  la  poussée  germanique. 
Dans  la  seconde  moitié  du  XIX°  siècle  surtout,  des  historiens  comme 
Fr.  Palacky,  des  grammairiens,  des  ethnographes,  des  poêles  (Hanka, 
Paul  Safarik,  etc.)  contribuèrent  puissamment  au  réveil  du  senti- 
ment national  et,  lorsque  éclata  la  Grande  Guerre,  Tchèques  el 
Slovaques  étaient  prêts  à  faire  triompher  leurs  légitimes  désirs 
d  indépendance.  On  sait  quelle  part  brillante  leurs  divisions  prirent 
à  la  fin  des  opérations  militaires,  aux  côtés  des  Alliés,  et  commeni 
ils  en  furent  récompensés  au  Congrès   de  Versailles. 

LES  POPULATIONS.  00  L"ÉtatTchéco-Slo- 
vaque  compte  environ  13  700000  habitants  re'partis  sur 
140000  kilomètres  carrés.  Cela  donne  une  densité' 
moyenne  de  97  habitants  au  kilomètre  carré,  notable- 
ment supérieure  à  celle  de  la  France. 

Les  régions  les  plus  peuplées  sont  les  districts  agricoles 
et  industriels  du  quadrilatère  bohémien  (plus  de  1 30  habi- 
tants au  kilomètre  carré)  ;  puis,  en  Moravie,  les  bassins 
d'Olomouc  (Olmùtz)  et  de  Bmo  ;  enfin  toute  la  Silésie 
dite  autnchienne  ;  en  Slovaquie,  les  plaines  qui  s'étendent 
sur  la  rive  gauche  du  Danube  et  les  vallées  qui  des- 
cendent des  Tatras  ou  des  Carpates  vers  laTisza. 

Les  habitants  comprennent  d'abord  des  Slaves  : 
Tchèques.  Slovaques  et  Ruthènes  (la  Ruthénie,  c'est-à- 
dire  l'angle  exttême  orientcJ  de  la  Tchéco-Slovaquie, 
entre  la  crête  des  Carpates  et  le  cours  supérieur  de  la 
Tisza,  forme  une  province  autonome  rattachée  à  l'Etat 
Tchéco-Slovaque),  puis  des  allogènes  :  Allemands, 
Hongrois  et  Juifs. 

Les  Allemands  occupent  une  partie  de  la  Silésie  (dis- 
tricts de  Schônberg,  Stemberg,  etc.)  et  toutes  les  régions 
du  quadrilatère  bohémien  voisines  du  Bôhmenvald,  de 
l'Erzgebirge  et  des  Sudètes. 

Leur  nombre  est  assez  grand  pour  que,  aux  élections  de  1920, 
ils  aient  fait  entrer  à  la  Chambre  de  Prague,  74  des  leurs  aux  côtés 
de  199  Tchéco-Slovaques  el  de  8  Magyars.  Les  négociateurs  du 
Traité  de  Versailles  n'hésilèrcnl  pas,  cependant,  à  les  annexer  à 
l'Elat  Tchèque,  car  on  ne  pouvait  concevoir,  pour  la  nouvelle  Répu- 
blique, d'autre  frontière  stratégique  que  la  ligne  de  faite  des  monts 
qui  l'entourent.  De  plus,  une  bonne  moitié  de  ces  "  Allemands  ' 
ne  soni  que  des  Slaves  germanisés.  Enfin,  la  Constitution  Ichéco-slo- 
vaque  garantit  aux  minorilés  nalionales  toutes  les  libertés  compa- 
tibles avec  la  sécurité  de  l'Etal.  On  peut  ajouter  que  Germains  el 
Slaves  de  Bohême,  vivant  en  commun  depuis  plusieurs  siècles, 
sont  nécessairement  unis  par  des  liens  économiques  qui  doivent  pré- 
valoir sur  la  question  nalionalilé.  Les  propriétaires  fonciers,  les 
industriels,  les  commerçants  des  deux  races,  jusqu'alors  rivales  el 
ennemies,  ont  désormais  à  défendre  des  intérêts  semblables,  à  orga- 
niser leur  existence  dans  un  même  cadre  géographique  el  sous 
une  direction  politique  commune  11  est,  de  ce  fait.  Si  prévoir 
que  si  quelques  inlellecluels  pangermanisles  s'obstinent  encore  plus 


ou  moins  longtemps  dans  une  opposition  systématique  au  nouveau 
régime,  l'immense  majorité  des  Allemands  de  Bohême  ne  risquera 
pas  de  compromelire,  par  une  obstruction  malhabile,  le  présent  el 
1  avenir  d'un  pays  à  la  fortune  duquel  sont  liés  leurs  intérêts  les 
plus  immédiats. 

Quant  aux  ÎVl2ig>'ars  de  la  Slovaquie,  ils  se  trouvent  en 
majonté  fixés  dans  la  plaine  danubienne  entre  Bratislava 
et  le  coude  du  grand  fleuve.  Leur  emnexion  s'explique 
par  l'impérieuse  nécessité  de  donner  au  nouvel  Etat  un 
large  accès  à  cette  artère  maitresse  de  l'Europe  CentreJe. 
Ils  forment  là  un  groupe  assez  compact.  Toutefois,  la 
slavisation  de  leur  pays  s'effectuera  vraisemblablement 
assez  vite  et  l'on  peut  tenir  pour  négligeable  l'irrédentisme 
présent  de  leurs  représentants. 

Tchèques  et  Slovaques  diffèrent  physiquement  de 
leurs  voisins  allemands  par  leurs  pommettes  plus  saillantes, 
leurs  yeux  plus  enfoncés,  les  fortes  dimensions  de  leur 
crâne.  Robustes,  énergiques,  persévérants  deins  leurs  des- 
seins, excellents  soldats,  industriels  et  agriculteurs  avisés, 
ils  manifestent  le  goût  le  plus  vif  pour  l'art  musical,  les 
études  littéraires  et  scientifiques.  C'est  à  Prague  que  se 
fonda,  vers  le  milieu  du  XIV^  siècle,  la  première  Université 
de  l'Europe  Centrale,  où  l'on  vit  accourir,  dit-on, 
jusqu'à  30000  étudiants.  Leurs  savants,  leurs  historiens, 
leurs  poètes,  leurs  publicistes,  ont  pris  une  large  peirt  au 
mouvement  des  idées  contemporaines,  et  l'instruction 
publique  est  assez  répandue,  au  moins  en  Bohême  et 
Silésie,  pour  que  l'on  y  compte  moins  d'illettrés  qu'en 
toute  autre  région  de  l'ancien  Empire  austro-hongrois. 
Entre  Tchèques  et  Slovaques  on  ne  peut  guère  noter 
d'autres  différences  que  celles  qui  proviennent  des  condi- 
tions géographiques  dissemblables  où  ils  ont  vécu.  Bien 
qu'il  existe,  depuis  1850,  une  langue  littéraire  slovaque, 
les  dialectes  parlés  sont  si  rapprochés  que  l'on  se  comprend 
aisément.  Par  ailleurs,  les  Slovaques,  enfermés  dans  leurs 
montagnes  des  Tatras,  ont  mieux  conservé  que  leurs 
frères  de  l'Ouest  les  costumes  et  les  usages  d'autrefois. 
Enfin,  la  pauvreté  de  Ifeur  pays  les  contraignait  à  émigrer 
en  grand  nombre.  Comme  les  Tyroliens  et  les  Auvergnats, 
ils  allaient  en  groupes  compacts  exercer  divers  métiers 
traditionnels  (marchands  d'étoffe,  de  fromage,  d'objets  en 
bois)  dans  les  villes  autrichiennes  et  allemandes.  D'autres 
ont  pris,  depuis  une  vingtaine  d'années,  le  chemin  du 
Nouveau  Monde,  fuyant  à  la  fois  la  misère  et  le  joug 
fort  lourd  que  faisait  peser  sur  eux  le  gouvernement 
hongrois.  Il  est  probable  que  la  renaissance  politique  de 
la  Tchéco-Slovaquie  arrêtera  cet  exode  pour  le  plus  grand 
profit  du  nouvel  Etat. 

LES  RESSOURCES.  00  La  Tchéco-Slovaquie 
a  ce  rare  avantage  de  posséder  à  la  fois  des  ressources 
agricoles,  minières  et  industrielles  qui  se  complètent  harmo- 
nieusement. C'est  un  Etat  moderne  tout  formé. 


217 


L'EUROPE 


GranOea.  réqiorh:h 

aqrUoïe-a,: 
Cêréa/f4t  eL  beiieravea. 


TCeECO-§LO\"^QyilE, 

CARTE  ÉCONOMIQUE 


Principales  rê^ion/h 
minierea. 
eL  iaJii^trœUeà, 


^ 


*^ws*» 


Les  terres  les  plus  fécondes  se  trouvent  dans  les  plaines 
de  Moravie  et  du  Danube,  sur  les  bords  de  l'Elbe  supé- 
rieure, dans  la  vallée  de  l'Eger,  le  bassin  de  Prague  et 
les  terrasses  baseiltiques  du  Mittelgebirge.  Elles  con- 
viennent aussi  bien  aux  céréales  qu'au  houblon  (la 
meilleure  espèce  de  l'Europe  continentale  provient  de 
Saaz  ou  Zatec),  k  la  pomme  de  terre,  aux  arbres  fruitiers  : 
pommiers,  poiriers,  pruniers  qui  forment  aujourd'hui  l'un 
des  principaux  éléments  de  l'exportation,  à  la  betterave 
sucrière  dont  la  culture  a  pris,  depuis  trente  ans,  une 
extension  considérable  (3  à  7  pour  100  de  la  surface 
cultivée). 

L'élevage  se  pratique  soit  dans  les  alpages  de  la 
Slovaquie  et  des  monts  du  quadrilatère,  soit  dans  les 
prairies  artificielles  du  plateau  bohémien.  Avec  ses 
4700000  bêtes  à  cornes,  ses  1600000  moutons,  ses 
3000000  de  porcs,  ses  800000  chevaux,  le  cheptel 
de  la  Tchéco-Slovaquie  ne  le  cède  en  importance  relative 
à  aucun  des  Etals  voisins.  Quant  aux  forêts,  elles  ont 
disparu  des  campagnes  agricoles,  mais  couvrent  quatre 
millions  d'hectares  {il  pour  100  de  la  superficie  totale 
du  pays)  soit  dans  le  Sumava,  soit  surtout  dans  les  Tatras 
et  les  Carpates  occidentales. 

Mais  le  sous-sol  est  plus  riche  encore.  Les  charbon- 
nages de  Bohême  (Pilsen,  Kladno,  Teplitz)  et  de  Silésie 
morave  (Polnish,     Ostrava)    fournissaient,    en    1913, 

218 


1 3  000  000  de  tonnes  de  houille  et  24  000  000  de  tonnes 
de  hgnite.  C'étaient  lesdeuxtiersdelaproductiontotalede 
l'Empire  austro-hongrois.  Le  fer  (2  000  000  de  tonnes) 
abonde  dans  la  région  de  Prague,  au  pied  de  l'Erzge- 
birge  et  sur  le  pourtour  des  Tatras.  Ni  l'étain  (Erzgebirge), 
ni  le  plomb  (Pribram),  ni  le  graphite  (Budejovice)  ne  font 
défaut. 

Aussi,  les  ressources  de  l'industrie,  que  favorisent  par 
ailleurs  l'abondance  et  la  valeur  de  la  maiii-d'ceuvre, 
priment-elles  aujourd'hui  celles  que  l'on  doit  à  l'agricul- 
ture. Plus  de  la  moitié  des  habitants  —  au  moins  en 
Bohême  proprement  dite  et  en  Silésie  —  s'occupent 
dans  les  mines,  les  ateliers,  les  usines,  ou  s'adonnent  aux 
opérations  commerciales  dont  le  champ  s'agrandit  dans 
la  mesure  où  s'accroît  la  quantité  des  objets  fabriqués. 
Aux  verreries  et  cristalleries  d'antique  et  illustre  renommée 
(Forêt  de  Bohême,  Monts  des  Géants,  plateau  Morave) 
s'ajoutent  les  faïences  et  les  céramiques  à  Carlsbad 
(Karlovy  Vary),  Pilsen,  etc.,  les  forges,  les  hauts 
fourneaux,  les  usines  de  produits  chimiques  près  des 
mines  de  houille,  les  raffineries  (la  Bohême  fournissait, 
en  1913,  17  pour  100  de  la  production  mondiale  du 
sucre  de  betterave),  les  brasseries  (Pilsen),  les  ateliers 
de  préparation  pour  les  cuirs,  les  filatures  de  coton,  de 
soie,  de  jute  concentrées  dans  la  région  de  Reichenberg, 
les  tissages  de  laine  en  Moravie,  Silésie,  etc. 


LE  COMMERCE  ET  LES  VOIES  DE  COM- 
MUNICATION, aa  Comme  l'Autriche  et  la 
Suisse,  la  Tchéco-Slovaquie  n'a  pas  de  débouché  direct 
sur  la  mer.  '  Elle  ne  peut  atteindre  les  grands  ports  ou 
les  pays  alliés  qu'en  passant  par  le  territoire  d'Etats  dont 
les  circonstances  mêmes  de  sa  constitution  font,  sinon  des 
ennemis,  dumoinsdes  voisins  peu  encHns  à  la  sympathie.  " 
(De  Martonne.) 

Mais,  d'abord,  cet  inconvénient  doit  forcément  s'atténuer  par  la 
conclusion  d'ententes  économiques  avec  les  autres  pays  de  l'Euro[>e 
Centrale.  D'autre  part,  le  Traité  de  Versailles  a  prévu  l'internatio- 
nalisation de  la  navigation  sur  l'EJbe  et  l'Oder  et  l'octroi  au  Gou- 
vernement Tchéco-SIovaque  de  quais  et  d'installations  maritimes  à 
Hambourg  et  Stettin,  ce  qui  assure,  en  tout  étal  de  cause,  à  la 
Tchéco-Slovaquie  le  libre  accès  aux  mers  les  plus  proches.  Vers  le 
Sud,  la  possession  de  Bratislava  (Presbourg)  et  d'une  section  du 
Danube  permet  de  recevoir  aisément  les  produits  hongrois,  serbes, 
roumains  même  (céréales,  pétrole,  etc.)  el  d'expédier  les  produits 
métallurgiques,  les  machines,  les  engrais,  les  sucres,  etc.,  des  usines 
bohémiennes.  Enfin,  il  est  depuis  longtemps  question  d'unir,  au 
moyen  de  canaux  aisés  à  construire,  l'Elbe  et  l'Oder  au  Danube  par 
la  Morava  et  la  Vltava. 

Les  relations  du  Nouvel  Etat  avec  l'étranger  sont  donc  très  suffi- 
samment assurées  soil  par  voie  d'eau,  soit  par  voie  ferrée.  Il  n'en 
est  pas  encore  de  même  à  l'intérieur  du  territoire,  démesurément 
allongé  de  l'Est  à  l'Ouest,  et  dont  les  conditions  d'échanges  se 
trouvent  profondément  modifiées  par  la  réunion  de  la  Slovaquie  à 
la  Bohême  et  sa  séparation  d'avec  la  Hongrie.  Les  chemins  de  fer 
sont  nombreux  dans  le  sens  du  méridien,  mais  aucune  ligne  directe 
ne  mène,  par  exemple,  de  Prague  à  Kosice  et  Ungwar.  11  faudra  né- 
cessairement combler  cette  lacune  pour  établir  les  relations  indispen- 
sables entre  les  districts  industriels  surpeuplés  de  Bohême,  el  de 
Silésîe  et  les  groupements  agricoles  ou  pastoraux  de  la  Slovaquie. 

Quant  à  la  nature  du  trafic  que  la  Tchéco-Slovaquie 
fciit  et  fera  avec  les  nations  étrangères,  on  la  peut  com- 
parer assez  exactement  à  celle  de  la  Belgique.  Il  lui  faut 
acheter  d'abord  un  supplément  appréciable  de  denrées 
alimentaires  pour  les  populations  surabondantes  de  sa 
zone  industrielle,  puis  les  matières  premières  :  laine, 
coton,  jute,  fer  de  Suède,  potasse,  graines  oléagineuses, 
cuir  brut,  etc.,  nécessaires  à  ses  usines.  En  échange. 
elle  expédie  des  fruits  et  légumes  provenant  des  riches 
vergers  du  quadrilatère  ;  puis  des  bois  et  de  la  houille: 
enfin,  et  surtout,  la  foule  d'articles  de  toute  espèce  sortis 
de  ses  districts  industriels  ;  sucre  (8000000  de  quintaux 
en  1913),  verres  et  cristaux  (plus  de  100000000  de 
francs  en  1913),  porcelaines,  bière  (la  fameuse  bière  de 
Pilsen),  papier,  produits  chimiques,  machines  agricoles, 
outils,  cotonnades  et  lainages,  etc. 

Voici,  pour  l'année  1919,  les  chiffres  essentiels  du  commerce 
tchéco-slovaque. 

Les  achats  atteignirent  6555000000  de  couronnes.  Les  princi- 
paux articles  importés  furent  des  céréales  (1450000000).  du 
coton  el  des  cotonnades  (917000  000),  de  la  laine  el  des  lainages 
(550000000).  de  la  soie  grége  (123000000)  et  du  cuir 
(229000000). 


-^         LA  TCHECO-SLOVAQUIE  

Les  ventes,  relativement  tréi  importâmes  (5  325000000  de 
couronnes),  portèrent  surtout  sur  le  sucre  (I  571  000000),  les  fruits 
(564000000),  le  bois  (614000000),  le  verre  (370  000000). 
le  fer  (314000000),  la  bière,  le  papier.'les  produits  chimiques,  les 
cotonnades,  lainages  el  soieries,  etc. 

Le  plus  important  acheteur  de  produits  tchéco-slovaques  fut 
l'Autriche  (1  535000000  de  couronnes).  Après  elle,  venaient 
l'Allemagne  (800000000),  la  France  (600000000).  la  Pologne 
(45 1  000000).  la  Norvège  (302 000000), la  Hongrie  (252 000 000). 
la  Yougo-Slavie  (243000000),  l'Angleterre  (238000000),  l'Italie 
(21  1  000000),  etc.  —  Ses  fournisseurs  se  classaient  ainsi  : 

Etats-Unis  (I  862000000  de  couronnes),  Allemagne 
(789000000),  Autriche  (686000000),  Italie  (683000000), 
Suisse  (531000000),  Angleterre  (328000000),  Belgique 
(306000000),  Hollande  (263  000000).  France  (236000000). 
Yougo-Slavie  et  Hongrie  (168000000  chacune),  etc. 

LES  VILLES.  00  La  capitale,  Prague  ou  Praha 
(730000  habitants  avec  les  faubourgs),  s'élève  sur  les 
rives  de  la  Vltava.  exactement  au  centre  du  quadrilatère 
bohémien. 

C'est  une  très  ancienne  cité,  fort  pittoresque,  et  qui,  quoique  trop 
modernisée,  renferme  encore  nombre  de  monuments  intéressants  : 
Pont  Charles,  Cathédrale,  Tour  aux  Poudres,  etc.  Sur  la  rive  droite, 
l'ancienne  et  la  nouvelle  ville  (Stara  et  Nové  Mesto)  contiennent 
les  quartiers  les  plus  animés.  Sur  l'autre  bord,  la  colline 
de  Hradiany  porte  le  Château  Royal,  les  casernes,  de  vastes 
monastères,  quelques  beaux  palais.  Autour  de  la  ville  proprement 
dite  s'étend  une  vaste  banlieue  pleine  d'usines,  de  manufactures, de 
hautes  cheminées,  car  Prague  n'est  pas  seulement  le  centre  admi- 
nistratif, intellectuel,  artistique  et  national  du  peuple  tchèque,  c'en 
est  aussi,  et  de  beaucoup,  la  première  cité  industrielle.  Les  char- 
bonnages de  Kladno  fournissent  le  combustible  nécessaire.  D'autre 
part,  la  Vltava  navigable  et  le  réseau  ferré  qui  unissent  directe- 
ment Prague  aux  ports  allemands  favorisent  le  développement  des 
industries  les  plus  variées. 

Au  Sud  de  Prague,  Budejovice  (Budweiss),  avec 
50  000  habitants,  est  le  principal  entrepôt  de  la  vallée  de 
la  Vltava.  A  l'Ouest,  PIzen  (Pilsen),  qui  compte 
81  000  habitants,  fabrique  une  bière  blonde  et  forte  dont 
la  renommée  égale  celle  des  brasseries  munichoises. 
Marienbad,  Karisbad,  Teplitz  attirent  par  centaines  de 
mille  touristes  et  baigneurs  au  pied  de  l'Erzgebirge. 
Dans  l'angle  Nord-Est  du  quadrilatère,  Reichenberg 
(65  000  habitants),  que  les  Tchèques  nomment  Libérée, 
est  le  centre  d'un  district  industriel  très  actif,  très  peuplé 
(d'Allemands  surtout),  où  l'on  tisse  le  coton. 

En  Moravie,  Brno  (Brùnn)  doit  aussi  à  ses  fila- 
tures florissantes  le  chiffre  élevé  de  sa  population 
(200000  habitants).  Ostrava  (Ostrau)  avec  60000  habi- 
tants,Olomouc  (Olmùtz)  avec  55  000  habitants,  Opava 
(Troppau)(35C)00  habitants),  Jihiava  (Iglau),  Teschen, 
sont  encore  toutes  des  cités  industrielles  où  l'on  travaille 
le  fer,  où  l'on  tisse  la  laine  et  le  CDlon. 

La  Slovaquie,  en  grande  partie  couverte  de  montagnes, 
a  p>cu  de  villes  populeuses.  La  principale,  Bratulava 
(80  000  habitants),  appelée  Presbourg  pjir  les  Allemands 


219 


L'EUROPE 


et  Poszony  par  les  Hongrois,  d'illustre  et  guerrière 
renommée,  mire  dans  les  eaux  du  Danube  l'énorme 
masse  ruinée  de  son  château  et  les  nombreux  palais  des 
magnats  magyars.  Kosice  (ou  Kassa)  (45  000  habitants) 
Eperies,  Ungwar,  Munkacz,  sur  les  voies  ferrées  qui 
conduisent  de  Budapest  à  Cracovie  et  à  Lwow,  sont 
les  intermédiaires  du  commerce  entre  la  plaine  hon- 
groise   et   le  versant  polono-ruthène  des  Carpates. 

En  résumé,  avec  une  surface  de  1 43  000  kilomètres 
carrés,  une  population  de  près  de  14000000  d'habitants, 
la  Tchéco-SIovaquie  est  une  puissance  comparable  à  la 
nouvelle  Roumanie,  à  la  Yougo-Slavie,  à  la  Pologne 
reconstituée.  Elle  a  des  ressources  économiques  telles 


—  aussi  bien  en  produits  agricoles  qu'en  objets  manu- 
facturés —  qu'elle  pourrait,  à  la  rigueur,  se  suffire  à  elle- 
même.  Toutefois,  l'accroissement  très  rapide  de  sa  popu- 
lation, le  développement  même  de  ses  industries  exigent 
à  la  fois,  d'une  part  un  supplément  de  denrées  alimen- 
taires et  un  fort  appoint  de  matières  premières,  d'autre 
part  une  exportation  régulière  des  produits  sortis  de  ses 
usines.  '  Etat  national,  s'il  en  fut,  par  son  origine,  la 
Tchéco-SIovaquie  semble  donc  pourtant  ne  pouvoir  vivre 
que  dans  un  large  courant  de  relations  internationales. 
C'est  dans  un  pareil  milieu  qu'elle  peut  acquérir  stabi- 
lité et  cohésion,  en  devenant  une  pièce  essentielle  de 
l'organisme  économique  européen.   "  (E.  de  Martonne). 


CHAPITRE  XIV 


LA  HONGRIE 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


La  Hongrie  occupe  la  majeure  partie  de  la  vaste 
plaine  creusée  entre  les  Alpes  à  l'Ouest,  le  massif  des 
Tatras,  les  Carpates  et  les  monts  de  Transylvanie  à 
l'Est,  les  plateaux  et  les  chaînons  de  Croatie-Slavonie- 
Bosnie  au  Sud. 

Les  plissements  qui,  aux  temps  tertiaires,  donnèrent  naissance 
aux  Alpes,  aux  Carpates  et  aux  monts  d'IIIyrie,  eurent  comme 
contre-coup  l'effondrement  du  bassin  hongrois.  Des  roches  volca- 
niques fusèrent  sur  les  lèvres  de  la  fracture  :  elles  apparaissent  dans 
les  Tatras,  les  monts  Hargita,  la  pointe  Sud  des  monts  Bakony,  etc. 
La  dépression  fut  remplie  d'abord  par  les  eaux  d'une  mer  intérieure 
qui  communiquait  avec  la  *'  Mer  Sarmatique  *  des  géologues 
(Roumanie,  Russie  méridionale.  Mer  Noire).  Puis  cette  mer  se 
dessécha  et  se  combla  par  l'accumulation  des  matériaux  que  dépo- 
saient les  rivières.  L'épaisseur  de  ces  alluvions  est  comprise  entre 
20  mètres  dans  les  régions  septentrionales  et  200  mètres  à  l'embou- 
chure de  la  Tisza.  Leur  nature  varie  suivant  les  lieux.  Tantôt  les 
sables  prédominent,  tantôt  ce  sont  de  fines  argiles  jaunâtres,  non 
stratifiées,  analogues  au  lœss  chinois  et  probablement  d'origine 
éolienne  comme  lui.  Ailleurs,  un  terreau  noir,  semblable  au  Tcher- 
nozom  russe,  provient  à  la  fois  des  limons  étalés  par  les  rivières 
après  le  dessèchement  des  plaines  et  de  la  décomposition  sur  place 
des  herbes  de  la  steppe. 

Le  cœur  de  la  Hongrie  est  l'Alfôld,  la  plaine  absolu- 
ment unie  que  limitent  a  l'Est  et  à  l'Ouest  les  deux  lits 
parallèles  du  Danube  et  de  la  Tisza.  "  De  la  terre,  de 
la  terre  fruste  ou  cultivée,  toujours  aplanie,  de  la  terre  et 
du  sable  parfois,  jamais  le  rocher,  jamms,  semble-t-il 
presque,  un  caillou;  jamais  un  monticule,  un  plissement 
autre  que  les  imperceptibles  tumuli,  ces  boursouflures 
arrondies  sous     lesquelles    dorment   les     plus    anciens 


maîtres  de  la  Puszta...  Rien  à  l'horizon,  sinon,  çà  et  là, 
la  silhouette  sèche  du  T  incliné,  formé  de  deux  poutres, 
qui  domine  le  puits  hongrois...  Point  d'autres  arbres  que 
de  maigres  acacias  alignés  aux  bords  des  routes.  "  (René 
Gonnard.)  Là  où  les  pâturages  subsistent,  témoins 
chaque  jour  plus  réduits  de  la  steppe  primitive,  on  voit 
errer,  à  travers  un  nuage  mouvant  de  poussière,  d'im- 
menses troupeaux  de  moutons,  des  bandes  de  porcs  noirs 
à  la  toison  laineuse,  des  hordes  de  boeufs  blancs  aux 
immenses  cornes  aiguës  ou  de  chevaux  poursuivis  par 
les  '  czikos  ",  ces  dignes  rivaux  des  gauchos  de  la  pampa. 
Mais  presque  partout  le  sol  est  cultivé.  Les  landes 
ont  été  défrichées,  les  marais  desséchés,  et  l'Alfôld 
apparaît  tantôt  comme  une  mer  ondoyante  de  blé,  de 
maïs,  de  seigle  mêlés  aux  vignes  et  aux  champs  de 
betteraves,  tantôt,  après  les  moissons  faites,  il  donne, 
avec  ses  chaumes  roux,  les  teintes  neutres  de  ses  guérets 

une  imposante  impression  de  désert,  saisissante  surtout 
à  l'heure  pourpre  du  soleil  couchant  ". 

A  l'Est  de  la  Tisza  et  à  l'Ouest  du  Danube,  l'Alfôld 
conserve  sur  de  vastes  espaces  sa  platitude,  sa  nudité, 
sa  grandiose  monotonie.  Toutefois,  à  mesure  que  l'on 
s'approche  de  la  Transylvanie,  la  ligne  d'horizon  cesse 
d'être  absolument  régulière  ;  quelques  vallonnements  la 
brisent.  On  distingue  au  loin  de  hautes  montagnes.  On 
rencontre  des  bois,  des  forêts  de  chênes,  de  sapins,  de 
charmes.  Les  cultures  laissent  un  peu  plus  de  place  aux 
landes  semées  de  mares  saumâtres.  Les  rivières,  com- 
plètement absentes  de  l'Alfôld  central,  se   multiplient. 


220 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE      PL.    12 


LA  HONGRIE 


Au  couchant,  en  bien  des  points,  des  collines,  extrême 
prolongement  des  Alpes,  se  mêlent  à  la  plame  :  tels  les 
monts  Bakony  (757  mètres  au  point  culminant),  allonges 
du  lac  Balaton  au  grand  coude  du  Danube.  Les  e'tangs, 
plus  nombreux,  s'entourent  de  peupliers,  de  saules,  de 
grands  roseaux  où  s'abattent  en  masses  floconneuses  les 
vols  d'outardes  et  d'oies  sauvages.  Si  le  lac  deNeusiedl, 
vaste  lagune  que  remplissent  les  eaux  de  crue  du 
Danube,  est  aujourd'hui  compris  dans  le  territoire  autri- 
chien, le  lac  Balaton  demeure  hongrois.  C'est  le  dernier 
te'moin  de  la  mer  qui  recouvrait  autrefois  la   dépression 


■Puszla 


LES   MÉANDRES     DE  LA    TIS'AA 


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î«SSs* 


■  inîra 


tout  entière.  Aussi  e'tendu  que  le  lac  de  Constance,  mais 
très  peu  profond  (25  mètres  au  maximum),  bordé 
tantôt  de  rives  plates  et  maréceigeuses,  tantôt  de  collines 
vêtues  de  vignes,  il  abonde  en  poissons  de  chair  très 
fine  :  sterlet-,  esturgeons,  ombres,  saumons,  etc.,  qui 
s'expédient    aux  mcirchés  de    X'ienne  et    de  Budapest. 

CLIMAT  ET  COURS  D'E-AU.  aa  Le  climat 
est  de  type  nettement  continental.  L'hiver,  a  Budapest, 
est  plus  froid  qu'à  Berlin  ( —  2°),  les  étés  aussi  chauds 
qu'à  Toulouse  (-r21  °,4).  Toute  l'année  on  voit  se  pro- 
duire de  brusques  écarts  entre  les  températures.  A  de 
brûlantes  journées  en  succèdent  d'autres  presque  froides. 


Les  pluies,  arrêtées  de  tous  côtés  par  des  écrans  mon- 
tagneux, ne  donnent  que  50  à  60  centimètres  d'eau. 
Elles  tombent  surtout  en  mai  et  juin  par  violents  orages 
accompagnés  de  tempêtes  de  vent.  L'été  et  l'automne 
sont  secs,  condition  favorable  à  la  maturation  des  céréales 
et  du  raisin.  La  faible  quantité  des  pluies  et  leur  inégale 
répartition  annuelle  rendent  nécessaire,  partout  où  on  le 
peut,  l'irrigation  artificielle.  Elles  expliquent  aussi  l'usage 
des  puits  artésiens,  extrêmement  répandu,  notamment 
dans  la  région   transtiszane. 

L'Etat  hongrois  n'a  plus  de  bassin  hydrographique 
qui  lui  appartienne  en  entier.  Les  cours  pareJlèles  du 
Danube- Moyen  et  de  la  Tisza  traversent  l'Alfôld.  L'un 
et  l'autre,  faute  de  pente,  décrivent  une  multitude  de 
méandres,  et  leur  lit  majeur  s'accompagne  d'un  réseau 
de  bras  morts,  de  marais,  que  les  crues  régulières  du 
printemps,  dues  à  la  fonte  des  neiges,  ou  les  hausses 
brusques  que  font  naître  les  orages  d'été,  unissent  en 
une  nappe  d'inondation  large  parfois  de  plusieurs  dizaines 
de  kilomètres.  Seule  la  section  du  Danube  comprise 
entre  Gran  et  Budapest  voit  les  eaux  du  fleuve  couler 
dans  un  chenal  relativement  étroit  que  bordent  les 
hautes  collines  des  Bakony.  Partout  ailleurs  les  lits  de 
rivières  ne  sont  que  de  simples  fissures  du  sol  où  les 
eaux  lentes  affleurent  le  niveau  de  la  plaine. 

Pour  accroître  l'étendue  des  champs  cultivés  aux 
dépens  des  zones  inondées,  les  nverains  du  Danube,  de 
la  Tisza  et  de  leurs  affluents  (Szamos,  Kôrôs,  Maros,etc.) 
ont  été  conduits  à  enserrer  les  eaux  fluviales  entre 
des  digues  qui  ont  plusieurs  milliers  de  kilomètres 
de  longueur.  Mais  ce  système  ne  va  pas  sans  inconvé- 
nients car,  outre  les  ruptures  fréquentes  dues  aux  crues 
ordinaires,  il  arrive,  en  temps  de  hausse  particulièrement 
forte,  que  le  Danube,  collecteur  de  toute  la  plaine 
hongroise,  ne  puisse  écouler  par  l'étroit  défilé  des  Portes 
de  Fer  la  masse  formidable  des  flots  accourus.  Les  eaux 
refluent  alors  jusqu'à  plusieurs  centaines  de  kilomètres 
entre  les  digues,  et  leur  pression  fait  éclater  le  mince  rem- 
part prévu  pour  les  contenir.  Un  phénomène  de  ce 
genre  amena,  en  1879,  la  destruction  de  la  ville  de 
Szegedin. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE  ET  ECONOMIQUE 


LE  PASSÉ  DE  LA  HONGRIE.  £f£;  Vers  le* premiers  siècles 
de  1ère  chrétienne,  l'Alfôld  tout  entier,  que  les  Romains  appelaient 
la  Pannonie.  n'était  qu'une  immense  steppe,  une  prairie  sans  fin.  où 
les  herbes.croissant  avec  vigueuraprès  les  pluies  de  printemps, se  dessé- 
chaient sous  la  brillante  ardeur  de  l'été.  Aussi  des  envahisseurs  nomades 
de  race  mongole,  venus  de  l'Asie  occidentale  à  travers  les  steppes 
russes  et  les  défilés  des  Carpales,  s'y  fixèrent-ils  à  demeure  car  ils  re- 
trouvaient en  ces  lieux  des  conditions  géographiques  semblables  à  celles 
de  leur  lointaine  patrie.  Les  Huns  d'abord,  puis  les  Avars,  enfin 
les  Hongrois  et  les  Magyars  conduits  par  Arpad,    dressèrcnl  leurs 


tentes  de  feutre  aux  rives  du  Danube,  de  la  Tisza,  du  tac  Bala- 
ton. Jusqu'au  XI*  siècle  ces  hordes  mongoliques  firent  trembler 
l'Europe  sous  la  menace  continue  de  leurs  razzias  dévastatrices.  On 
sait  le  renom  que  laissèrent  dans  les  souvenirs  des  hommes  de  ce 
temps  les  exploits  d'Atlila,  et  comment  les  ogres  de  nos  contes  de 
fées  tirent  leur  nom  du  nom  même  du  peuple  hongrois.  Mais,  à  (par- 
tir du  x"  siècle,  les  nomades  se  transformèrent  en  sédentaires,  adop- 
tèrent le  catholicisme,  fondèrent  un  royaume  puissant.  Ils  se  mêlèrent 
même  de  telle  sorte  aux  diverses  populations  de  l'Europe  Centrale, 
Slaves.  Germains,  etc.,  que  leur  type  primitif  disparut  presque  entiè- 


221   - 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


22 


L'EUROPE 


rement  et  que,  sauf  rares  exceptions, aucun  trait  du  moderne  Magyar 
ne  rappelle  l'aspecl  extérieur  du  Mongol  ou  du  Finnois.  Ils  surent 
maintenir  leur  nationalité  à  la  fois  contre  les  entreprises  des  Alle- 
mands d'Autriche  et  contre  le  joug  turc  qui  pesa  lourdement  sur 
eux  du  XV. '  au  début  du  XV 111°  siècle.  Au  X1X°  siècle,  après  avoir 
vainement  tenté,  en  1848,  de  se  libérer  des  Habsbourg,  ils  finirent, 
en  1867,  par  conclure  avec  eux  un  compromis  qui  créait  un  Etalhon- 
grois  autonome.  Mais  cet  Etat  renfermait,  à  côté  de  la  race  domi- 
nante, des  millions  de  Slaves  et  de  Roumains  ;  et  si  les  Magyars 
tenaient  à  maintenir  leur  indépendance  à  l'égard  de  l'Autriche,  ils 
ne  concevaient  point  que  Slaves  ou  Roumains,  sujets  de  l'Etat  hon- 
grois, pussent  revendiquer  un  semblable  privilège!  De  là,  l'ardeur 
dont  ils  firent  preuve,  de  1914  à  1918,  de  concert  avec  l'Autriche 
allemande  contre  les  Alliés.  Vaincus,  ils  se  virent  imposer  par  la 
force  des  armes  ce  qu'ils  n'avaient  point  voulu  accorder  de  leur 
propre  gré  :  les  Roumains  de  Transylvanie,  les  Serbes  de  Croatie, 
de  Slavonie,  du  Banat,  les  Slovaques  des  Tatras,  échappèrent  enfin 
à  leur  joug,  et  l'Etat  hongrois  se  réduit  aujourd'hui  à  la  portion  de 
territoire  que  peuplent  les  seuls  Magyars. 

LES  MAGYARS  :  QUALITÉS  ET  DE- 
FAUTS. 00  Ce  territoire,  vaste  de  91  000  kilo- 
mètres carrés  et  peuplé  de  7840000  habitants  (recen- 
sement de  1921),  n'a  plus  d'autres  limites  naturelles 
qu'une  petite  section  du  cours  du  Danube  au  Nord- 
Ouest,  et  de  la  Drave  au  Sud-Ouest.  Partout  ailleurs, 
les  frontières,  établies  uniquement  d'après  la  répartition 
des  nationalités,  sont  tout  à  fait  artificielles,  et  seule 
l'étude  détaillée  de  la  carte  permet  de  s'en  faire  une 
exacte  idée. 

En  dehors  de  ces  frontières,  on  compte  encore 
10000  Magyars  en  Autriche,  200000  ou  300000  en 
Tchéco-Slovaquie,  un  peu  plus  encore  en  Roumanie 
(V.  Chap.  Xix). 

Tout  vaincus  qu'ils  soient,  et  privés  de  leurs  posses- 
sions extérieures,  les  Magyars  n'en  paraissent  pas  moins 
capables  de  tenir  une  place  fort  honorable  dans  l'en- 
semble des  Etats  de  l'Europe  Centrale.  Ils  ont,  en  effet, 
de  brillantes  qualités  personnelles.  De  plus,  les  ressources 
de  leur  sol  fécond  non  seulement  leur  assurent  aisément 
la  vie  matérielle,  mais  en  font  les  fournisseurs  naturels 
des  pays  voisins  :  Bohême,  Autriche,  Suisse,  Alle- 
magne, etc. 

On  leur  reprochait  leur  orgueil  intransigeant,  le 
mépris  qu'ils  affectaient  pour  tous  ceux  :  Allemands, 
Italiens,  Russes,  etc.,  qu'ils  n'estimaient  point  appartenir 
à  une  race  noble  "  ;  leur  mégalomanie,  leur  goût  pour 
la  pompe,  le  luxe,  tout  ce  qui  frappe,  ce  qui  peut  rete- 
nir 1  attention  ;  leur  amour  immodéré  du  jeu,  des  spécu- 
lations hasardeuses  qui  les  livre,  magnats  ou  paysans,  à 
l'usurier  juif,  cette  plaie  des  régions  austro-hongroises. 
On  peut  légitimement  penser  que  les  leçons  de  l'adver- 
sité corrigeront  dans  une  large  mesure  ces  défauts.  Par 
contre,  ils  conserveront  leur  courage  légendaire,  leur 
franchise,  leur  bonne  humeur,  leur  ardent  patriotisme,  la 
confiance  qu  ils  ont  dans  les  vertus  et  l'avenir  de   leur 

—  222 


race,  et,  comme  ils  savent  allier  à  l'enthousiasme  cheva- 
eresque  une  conception  fort  positive  et  pratique  de  l'exis- 
tence, il  est  à  présumer  que,  sans  s'attarder  à  de  veiines 
récriminations  contre  le  passé,  ils  sauront  vite  s'accom- 
moder, au  mieux  de  leurs  intérêts,  du  nouvel  état  de 
choses  créé  par  la  Grande  Guerre. 

LES  RESSOURCES.  00  L'agriculture  qui, 
dans  l'ancien  royaume  de  Hongrie,  était  de  beaucoup  la 
grande  richesse  du  pays,  l'est  plus  encore  aujourd'hui 
depuis  que  l'Etat  hongrois  a  perdu  les  régions  métalli- 
fères et  industrielles  des  Tatras  et  de  la  Transylvanie. 

Les  terres  jaunes  ou  noires  de  l'Alfôld,  le  climat  con- 
tinental, aux  printemps  mouillés,  aux  étés  chauds  et  secs, 
conviennent  à  merveille  à  la  culture  des  céréales.  Comme 
le  Tchemozom  russe,  les  plaines  roumaines,  le  centre 
américain,  les  campagnes  argentines,  la  Hongrie  est  un 
des  greniers  du  monde.  Le  blé  vient  en  têie,  puis  le 
maïs  (surtout  dans  les  régions  méridionales),  l'avoine,  le 
seigle,  l'orge,  le  méteil,  le  millet,  avec  des  rendements 
moyens  égaux  à  ceux  des  bonnes  terres  françaises.  A 
cela  s'ajoutent  les  plantes  industrielles  et  le  tabac,  puis  le 
mûrier  pour  l'élevage  des  vers  à  soie,  le  chanvre  (région 
de  Szegedin),  le  lin,  le  colza,  ces  deux  derniers  plutôt 
en  régression.  La  vigne  a  fait  de  tels  progrès,  depuis 
qu  on  a  planté  avec  plein  succès  des  cépages  non  plus 
seulement  sur  les  collines  mais  dans  les  sables  des  plaines, 
que  nulle  région  du  monde  ne  produit  autant  de  vin, 
exception  faite  de  la  France,  de  l'Italie  et  de  l'Espagne. 
La  vigne  est  l'objet  d'un  culte  en  Hongrie.  Nul 
Magyar  ne  parlera  sans  une  fierté  presque  pieuse  des  crus 
royaux  de  Tokay,  ni  sans  orgueil  des  caves  Palugyay,  de 
Poszony  (aujourd'hui  tchéco-slovaque),  et  le  paysan 
magyar  a,  pour  sa  vendange,  la  même  dilection  que  le 
vigneron  français,  cet  attachement  à  la  fois  vaniteux  et 
attendri  que,  seul  entre  les  produits  de  la  terre,  le  vin 
fait  éprouver  au  cultivateur.  "  (R.  Gonnard.) 

Malgré  l'extension  des  labours  qui  réduisit  fortement 
les  prairies  naturelles,  l'élevage  tient  une  place  encore 
très  appréciable  dans  la  vie  économique  du  pays.  Les 
prairies  artificielles,  en  effet,  se  sont  multipliées.  De  plus, 
les  betteraves  fourragères,  l'abondance  des  pailles  et  des 
grains  d'orge,  d'avoine,  de  maïs  permettent  un  élevage 
intensif  et  la  multiplication  d'animaux  de  choix  que  1  on 
n'obtenait  point  à  un  égal  degré  sur  les  steppes  d'autre- 
fois. Porcs  et  chevaux  occupent  de  beaucoup  le  premier 
rang.  Les  haras  de  Hongrie  ont  une  réputation  mon- 
diale :  ils  servaient  à  la  remonte  non  seulement  des  régi- 
ments de  cavalerie  de  la  double  monarchie,  mais  aussi 
des  uhlands  et  des  hussards  allemands.  Les  porcs,  de 
race  locale  ou  anglaise,  partout  répandus,  sont  particu- 
lièrement nombreux  dans  les  terres  qui  conviennent  au 
maïs.    Peu   de  chèvres  ;  relativement   peu  de  moutons. 


LA  HONGRIE 


Quant  aux  bêtes  à  cornes,  bien  qu'on  en  compte  propor- 
tionnellement moms  qu'en  France,  elles  repre'sentent  une 
part  élevée  des  exportations  hongroises. 

L'Etat  hongrois  avait  fait,  dans  les  années  qui  pré- 
cédèrent la  Grande  Guerre,  de  très  remarquables  efforts 
pour  accroître  le  rendement  des  terres  et  améliorer  la 
valeur  des  troupeaux.  Des  "  Académies  "  et  des  Ecoles 
pratiques  d'agriculture  répandirent  leurgement  l'usage  des 
méthodes  scientifiques  et  des  machines  cigricoles.  Du 
reste,  la  nature  même  du  sol  hongrois,  sa  platitude, 
la  prédominance  remarquable  de  la  grande  ou  très 
grande  propriété,  les  capitaux  dont  disposaient  les 
magnats,  etc.,  favorisaient  le  développement  des 
méthodes  modernes.  De  plus  en  plus,  en  Hongrie, 
on  assiste  à  la  transformation  du  paysan  d'autrefois  en 
ouvrier  agricole.  Peir  ailleurs,  les  émigrants  revenus  des 
Etats-Unis  —  et  ils  sont  nombreux  —  montrent  une 
tendance  naturelle  à  répandre  chez  eux  les  procédés  en 
usage  au  Nouveau-Monde. 

D'autre  part,  on  a  cherché  à  tirer  industriellement 
parti  des  ressources  du  sol.  La  Hongrie  n'entendait  pas 
rester  nation  purement  agricole  ;  elle  visait  '  à  réaliser 
chez  elle  le  type  de  la  nation  normale  à  économie  com- 
plexe et  aux  forces  productives  harmonieusement  déve- 
loppées ".  L'Etat  donna  l'exemple  en  créant  sur  ses 
domaines  propres  des  sucrenes,  des  féculeries,  des  mino- 
teries, des  distilleries,  des  briqueteries,  des  chanvrenes, 
des  filatures  de  soie,  etc.  Les  particuliers  en  firent 
autant.  Toutefois,  et  malgré  les  résuhats  encourageants 
obtenus  même  dans  les  limites  présentes  du  territoire 
hongrois,  il  paraît  peu  probable  que  ce  pays  sans  com- 
bustible, sans  minerais,  sans  houille  blanche,  ait  grand 
intérêt  à  entrer  délibérément  en  lutte,  sur  le  terrain 
industriel,  contre  ses  voisins  d'Autriche,  de  Tchéco- 
slovaquie, d'Allemagne,  de  Pologne,  etc.  Mieux  lui 
vaudra  sans  doute  se  borner  à  leur  fournir  les  denrées 
alimentaires  qu'il  a  en  surabondance  et  obtenir  en  échange 
les  articles  manufacturés  qui  lui  font  défaut. 

RÉPARTITION  DE  LA  POPULATION. 
00  Bien  que  la  population  de  la  Hongrie  soit  en 
grande  majorité  rurale  et  tire  sa  subsistance  du  travail 
des  champs,  elle  ne  se  disperse  point  en  fermes  ou 
groupes  de  fermes  isolées,  mais  se  concentre  en  de 
grosses  agglomérations  que  séparent  de  vastes  étendues 
de  terrains  inhabités.  Le  "  village  "  hongrois  renferme, 
à  l'ordinaire,  plusieurs  milliers  d'habitants.  Même  des 
"  villes  "  peuplées  de  40000,  30000,  80000  âmes,  con- 
servent l'aspect  rural,  et  les  agriculteurs  y  prédominent. 

£par5  dan!  la  plaine,  sans  qu'aucun  accident  de  Icrrain  ne  vienne 
limiter  leur  expansion  ou  les  forcer  de  serrer  leurs  habitaiions  les 
unes  contre  les  autres,  ces  grands  villages  s'étendent  sur  des  super- 
ficies considérables,  presque   chaque    maison    étant    entourée    d  un 


enclos;  les  rues,  qui  ne  sont  que  la  continuation  des  roules  de  la 
puszta,  ont  une  largeur  extraordinaire  ,  les  places  sont  immenses, 
propices  à  l'installation  des  marchés,  aux  grandes  foires  à  bestiaux. 
Les  maisons  bâties  en  briques  non  cuites  n'ont,  en  général,  qu'an 
rez-de-chaussée.  Tout  est  en  largeur,  rien  en  hauteur,  sinon  les  clo- 
chers et  les  dômes  orientaux  des  synagogues  qui  dominent  de  très 
haut  et  signalent  de  très  loin  la  ville  aplatie  à  leur  pied.  A  ce  type 
répondent  en  très  grande  partie  Kecskemel  avec  ses  60  000  habi- 
tants, Szegedin  qui  en  a  plus  de  100  000,  et  beaucoup  d'autres 
encore.  (R.  Gonnard.) 

Cependant,  sur  les  grands  domaines  encore  fort  nom- 
breux, malgré  les  lois  agraires  récemment  promulguées 
en  faveur  de  la  petite  propriété,  des  fermes  isolées  appa- 
raissent :  il  est  vrai  que  chacune  d'elles  est  aussi  vaste, 
aussi  peuplée  qu'un  village  français  ordinaire.  D'autre 
part,  quand  les  terres  du  paysan  sont  par  trop  éloignées 
du  village,  il  construit  sur  place  une  '  '  tanya  ",  habitation 
fort  exiguë  où  il  vient  passer  quelques  semaines  durant 
les  périodes  de  gros  travaux. 

* 

LES  VILLES.  00  La  seule  ville  hongroise  qui 
ne  réponde  pas  à  la  description  donnée  plus  haut  est  la 
capitale  Budapest. 

Elle  tire  son  origine  d'une  forteresse  romaine  bâtie  sur  les  collines 
qui  dominent  la  rive  droite  du  Danube  au  point  ou  le  fleuve 
échappe  à  l'étreinte  des  monts  Bakony  pour  s'engager  dans  l'Alfôld. 
Longtemps  cette  forteresse,  à  laquelle  les  Magyars  donnèrent  plus 
tard  le  nom  de  Buda,  c:nslilua,  à  elle  seule,  toute  la  cité.  Mais,  à 
partir  du  jour  où  les  invasions  musulmanes  ne  furent  plus  à  craindre, 
des  faubourgs  grandirent  sur  la  rive  gauche,  dans  la  vaste  plaine 
oïl  les  maisons  pouvaient  se  multiplier  aisément.  Telle  fut  l'origine 
de  Pest,  aujourd'hui  la  partie  la  plus  pteuplée,  la  plus  vivante,-  la 
plus  riche  de  la  double  ville  qu  unissent  en  un  tout  les  ponts 
hardis  jetés  sur  le  fleuve.  Les  Magyars  ont  tenu  à  faire  de  leur 
capitale  la  rivale  de  Vienne.  Ils  y  ont  multiplié  les  construc- 
tions vastes  et  magnifiques,  les  musées,  les  instituts  scientifiques,  les 
collections  d'art  et  d'ethnographie,  les  bibliothèques,  etc.,  tandis 
qu'usines  et  fabriques  s'élevaient  aux  alentours.  Budapest  est,  du 
reste,  incontestablement  une  ville  plaisante  et  gaie,  où  abondent  les 
magasins  élégants,  les  cafés  luxueux  qu'anime  l'ensorcelante  musique 
des  tziganes.  C'est  aussi  la  seule  ville  pittoresque  de  la  Hongrie, 
grâce  au  beau  fleuve  qui  la  traverse,  aux  collines  chargées  d'arbres 
et  de  blanches  villas  qui  se  mirent  dans  i^t,  eaux.  C'est  enfin  une 
ville  d'affaires,  de  banques,  d'opérations  commerciales,  d'où  diverge 
en  éventail  un  réseau  complet  de  voles  ferrées.  Elle  comptait,  en 
1914,  880  000  habitants,  dont  630  000  Magyars  et  plus  de 
200000  JuKsI  Au  recensement  de  1921.  elle  atteignait  1  184000 
habitants.  Beaucoup  mieux  placée  que  Vienne,  elle  peut  et  elle  doit, 
avec  Prague,  Bucarest,  Belgrade,  devenir  "  1  un  des  centres  régula- 
teurs de  la  vie  économique  et  financière  de  l'Europe  Centrale  et 
orientale  ".    (L.    Eisenmann.) 

En  dehors  de  Budapest,  on  ne  peut  qu'indiquer, 
dans  l'ordre  de  leur  importance  numérique,  une  série  de 
grands  irarchés  agricoles,  semés  dans  l'Alfôld,  que  rien 
ne  distingue  les  uns  des  autres  et  qui  étalent  sur  une 
aire  démesurée  leurs  maisonnettes  d'argile  ceintes  d'en- 
dos verdoyants .  Tels  sont,  à  l'Ouest  du  Danube,  Szom- 
bathely  et  Gyôr  dans  le  bassin  du   Raab,  Szelcesfejervar 


223 


L'EUROPE 


(37  000  habitants)  entre  le  lac  Balaton  et  Budapest, 
Pecz  (30  000  habitants)  dans  l'angle  formé  par  la  Drave 
et  le  Danube  ;  entre  Danube  et  Tisza,  Kecskemet 
(66000habitants),Czegled(35  000  habitants),  Miskolcz 
(32000  habitants),  au  pied  des  monts  Tatras, non  loin  des 


collmes  qui  portent  les  vignobles  Fameux  de  Tokay, 
Szegedin  (118000  habitants),  aux  rives  de  la  Tisza  ; 
enfin,  dans  la  plaine  transtiszane,  Hod  Mezo  Va- 
sarhe'ly  (62000  habitants),  Debreczen  (92000  habi- 
tants), Nyiregyhaza  (38000  habitants),  etc. 


CHAPITRE   XV 

LA  YOUGO  SLAVIE 

ou  ROYAUME  DES   SERBES,  CROATES  ET  SLOVÈNES 


ORIGINE  ET  FORMATION  DE  LA  YOUGOSLAVIE 


On  appelle  Yougo-Slavie  l'ensemble  des  territoires 
occupés  par  les  Slaves  du  Sud  ou  Yougo-Slaves  :  Slo- 
vènes, Croates,  Dalmates,  Serbes,  Monténégrins,  sépa- 
rés des  Slaves  du  Nord  par  les  trois  groupes  compacts 
des  Allemands  d'Autriche,  des  Magyars  et  des  Rou- 
mains. Ces  Slaves  se  sont  établis  tous  ensemble,  vers  le 
VI'  siècle  de  l'ère  chrétienne,  dans  les  massifs  et  les  pla- 
teaux compris  entre  l'Adriatique,  les  Alpes  orientales, 
la  Drave,  le  Danube,  les  Balkans,  les  pays  albanais  et 
grecs.  Si,  à  l'Ouest,  ils  reculèrent  quelque  peu  devant 
les  colons  allemands  qui  descendaient  les  vallées  supé- 
rieures de  la  Drave  et  de  la  Mur,  au  Nord-Est  ils 
débordèrent  au  delà  du  Danube  et  peuplèrent  tout  le 
Sud  des  plaines  hongroises  (moitié  Ouest  du  Banat  et 
Bachka  ' ,  c'est-à-dire  angle  formé  par  le  grand  coude 
méridional  du  Danube  et  la  Tisza).  A  l'Est,  ils  entrèrent 
en  contact  avec  un  autre  peuple  de  langue  slave,  mais  de 
race  mongolique  :  les  Bulgares,  établis  sur  les  deux  ver- 
sants des  chaînes  balkaniques.  Au  Sud,  enfin,  descen- 
dant la  vallée  du  Vardar,  ils  occupèrent  la  majeure 
partie  de  la  Macédoine,  tandis  que,  dans  les  âpres  mon- 
tagnes albanaises,  ils  se  mêlaient  plus  ou  moins  avec 
les  descendants  directs  des  vieilles  populations  illy- 
riennes. 

La  nature  même  des  lieux  où  lU  s'établirent  :  hautes  montagnes, 
plateaux  coupés  de  profondes  dépressions  fermées,  vallées  isolées 
les  unes  des  autres,  amena  la  division  des  Yougo-Slaves  en  groupes 
distincts  dont  les  destinées  historiques  furent  différentes.  Les  Slo- 
vènes de  la  Carniole,  de  la  basse-Carinthie,  de  la  Styrie,  de  l'Istrie, 
annexés  dès  le  X"  siècle  au  Saint-Empire  Romain  Germanique,  firent 
partie  des  possessions  immédiates  des  empereurs  franconiens  et 
souabes.  puis  des  domaines  héréditaires  de  la  Maison  de  Habs- 
bourg. Les  Croates  et  Esclavons,  établis  entre  le  golfe  du  Quaineio 
el  la  vallée  de  la  Drave,  formèrent  d'abord  un  royaume  indépen 
dant  qui,  dès  le  Xll''  siècle,  passa  aux  mains  des  rois  de  Hongrie. 
Les  Serbes  de   Bosnie,  d'Herzégovine,  de    la    Serbie    proprement 


dite  et  de  la  Macédoine,  unis  au  temps  de  Douchan  le  Grand 
(xiv''  siècle)  en  un  royaume  puissant,  devinrent  sujets  turcs  après  le 
désastre  de  Kossovo  Poljé  (le  champ  des  Merles)  en  1389.  Les 
Monténégrins,  préservés  par  leurs  montagnes  impénétrables,  parvinrent 
au  contraire  à  sauvegarder  constamment  leur  indépendance.  Quant 
aux  Dalmates  de  la  côte  et  des  îles  de  l'Adriatique,  ils  demeu- 
rèrent, du  Xlll°  au  XIX^  siècle,  sujets  de  la  République  de  Venise, 
puis,  à  partir  de  1815,  furent  rattachés  à  l'Empire  d'Autriche. 

Le  XIX*^  siècle  vit  d'abord  l'affranchissement  des  Serbes  de  la 
Choumadia  et  de  la  Vallée  de  la  Morava.  Ils  constituèrent,  sous 
la  double  dynastie  des  Karageorge  et  des  Obrenovitch,  une  prin- 
cipauté de  Serbie  qui  se  transforma,  de  1878  à  1883,  en  royaume 
pleinement  indépendant.  A  la  même  date,  les  Monténégrins  faisaient 
également  reconnaître  officiellement  par  l'Europe  une  indépendance 
qu'ils  n'avaient,  en  fait,  jamais  perdue.  Quant  aux  Serbo-Croates 
de  Bosnie-Herzégovine,  le  Congrès  de  Berlin  ne  les  enleva  aux 
Turcs  que  pour  les  donner  aux  Habsbourg. 

A  la  veille  de  la  Grande  Guerre,  les  Yougo-Slaves 
se  trouvaient  donc  ainsi  répartis  : 

a)  Les  Serbes  du  royaume  de  Serbie,  agrandi  depuis 
1913  de  toute  la  haute- Macédoine  (bassin  supérieur 
et  moyen  du  Vardar,  région  de  Monastir,  moitié  du 
Sandjak  de   Novi- Bazar)  :  4615  000  habitants; 

b)  Les  Serbes  de  la  Crna  Gora,  c'est-à-dire  de  la 
Montagne  Noire  ou  Monténégro,  d'abord  principauté, 
puis  royaume  (depuis  1 9 1 0)  :  450  000  habitants  ; 

c)  Les     Serbo-Croates    de     Bosnie-Herzégovine    : 

2  000000  d'habitants.  Leur  territoire,  d'abord  simple- 
ment occupé  et  administré  "  par  1  Etat  austro-hon- 
grois, avait  été,  en  1908,  annexé  définitivement  à  cet 
Etat  en  qualité  de  Terre  d'Empire  ; 

d)  Les  Serbo-Croates  et  Slovènes  du  royaume  de 
Hongrie   (Croatie,  Slavonie,  Syrmie,  Bachka,  Banat)  : 

3  000000  d'habitants  environ  ; 

e)  Les  Serbo-Croates  et  Slovènes  de  l'empire  d'Au- 
triche (Dalmatie,  Istrie,  Carniole,  Carinthie,  Styrie)  : 
2  000000  d'habitants   environ. 


224 


LA  HONGRIE 


i^J.*    rtf^ 


BERGER  HONGROIS  ET  SON  TROUPEAU.  U  Hongrie  «(  mt  imn«mt 
plaine  ajluiialt  dont  le  sol,  fait  d'argile  lallontieme  et  de  limon  nm6lre.  se  monlre 
remarquablement  (atile.  Aassi.  presque  patonl.  la  steppe  primitive,  la  steppe  aax 
grandes  herkes  oui  com-oil  le  pm/s  entier,  a-l-clle  cédé  la  place  cmx  champs  de  Ué, 


de  mois,  de  tetteraoa  et  aux  vignobles.  ToulefoU.  l'élevage  intensif  complète  les  res-    ' 
sources  tirées  de  l  agriculture,  et.  sur  les  pâturages  naturels  ou  bien  dans  les  guérets, 
v"l!_?  "'°'°°^  °"  "^'  '""  'frmmaats  troapeaui  de  moulons,  deslanda  de  porcs 
detceufsauxlongaeseamesoadeclievaaipoarmvisparles  "CzUcs".   CI.EltDn.Yl. 


UNE  ROULOTTE  DE  TZIGVNES  DA.NS  LA  PLZT.-\.  Les  plaines  hongrcse, 

forment,  en  Eurooe.  te  frai  centre  géograpltique  des  Tziganes,  te  peuple  errant  dont 
en  fie  eomait  pas  encore  exactement  l'origine  mais  qui  parât  être  venu  de  VInde. 
firancin0  Sentre  au  ont  fini  par  se  eenfondre  avee  la  Magvort  dont  ils  ont  adoplt 


225 


L'EUROPE 


MONASTIR  ou  Bitolj,  capitale  de  la 
Macédoine  série,  est  un  centre  d  échanges 
très  actifs  ent^e  moniagnards  et  gens  des 
plaines.  Cl.  Grakcer. 


BELGRADE.  La  capitale  du  Royaume  des  Serbes.  Croates  et  Slovènes 
occupe,  au  confluent  du  Danube  et  de  la  Save,  une  très  belle  situation  straté- 
gique et  économique.  Ses  maisons  s'étagent  en  amphithéâtre  sut  une  colline 
arrondie  que  couronnent  les  ruines  de  la  citadelle.        Cl.  Photoclob, 


PILEUSES  A  BOUKOVO.  Dans  louU 

la  Macédoine,  se  perpétuent,  avec  les 
pittoresques  costumes  d'autrefois,  les 
coutumes    patriarcales.  Cl.  Grancer. 


*rr 

^ 

h 

1 

1 

4c 

1 

i 

3 

■ 

L-\  MILJACKA  PRÈS  DE  SARAJEVO.  La  Bosnie  est  une  région  de  montagnes 
e*  de  co!!:i:s  bMsze^,  fort  pittoresaue.  traversée  par  de  nombreuses  rivières  qui  dégrin- 
^o'cni  en  icrrcr.is  ver^  la  Save.  L'une  de  ces  rivières,  la  Miljacka,  traverse  Sarajevo, 
'-■h-ÎpcW    cité   dc3   pays    bosniaques.  CL    ChusseaU-FlaVIENS  . 


CATTARO.  Le  golfe  ramifié  qui  porte  le  nom  de  "bouohes  de  Cattaro"  est  la  rade 
la  plus  s^ûre  de  l'Adriatique.  Tout  au  fond  du  dernier  bassin,  la  petite  ville  de  Cattaro 
:-e  niche  au  pied  de  hauts  escarpements  qu'escaladent  par  g^onds  lacets  route  car- 
rossable et  chemins  muletiers  menant  aux  plateaux  monténégrins,  CI.Lafobest. 


226 


L.\  YOUGO-SLAVIE .. 


Quel  que  fût  le  ncm  sous  lequel  on  les  désignât  et 
le  régime  politique  auquel  elles  fussent  soumises,  ces 
populations  formaient  un  tout  ethnographique  incontes- 
table. Elles  présentaient,  évidenunent,  des  différences 
facilement  explicables  de  ccu-actère,  de  mœurs,  de  dia- 
lectes. Les  unes  (en  Slovénie,  Dalmatie  et  Croatie) 
avaient  embrassé  la  religion  catholique  et  écrivaient  en 
caractères  latins.  Les  autres,  converties  à  l'orthodoxie, 
utilis<uent  lalphabet  cyrillique.  On  trouvait  même,  en 
Bosnie,  500000  a  600000  Slaves  musulmans.  Mais  ces 
différences  comptaient  peu,  en  comparaison  d'autres 
facteurs  qui  tous  tendaient  à  unir  les  \'ougo-Slaves  en 
une  seule  nation  :  communauté  de  race,  de  souvenirs, 
de  souffrances  et  d'espoirs,  fond  psychique  semblable. 
Peu  à  peu,  les  différences  diadectales  —  d'ailleurs  insi- 
gmlîantes  —  s'effaçaient  et  la  langue  littéraire  serbe  se 
parlait  de  Zagreb  à  Slcopljé.  Depuis  que  la  Serbie 
moravienne,  échappant  au  joug  turc,  avait  su  conquérir 


son  indépendance,  son  exemple  avait  eu  la  plus  heu- 
reuse influence  sur  tous  les  autres  Yougo-Slaves  qui 
reconnaissaient  en  elle  le  pays  chargé  de  la'  '  Mission 
nationale  ",  le  "  Piémont  des  Balkans  ".  Malgré  les 
obstacles  venus  de  Vienne  et  de  Fudapest,  malgré  les 
persécutions  sournoises  ou  violentes,  les  emprisonnements, 
les  exécutions  sommaires,  savants,  écrivains,  artistes, 
hommes  politiques,  membres  du  clergé,  élat>oraient,  en 
Croatie-Slavonie.  un  programme  d'union,  coordonnaient 
leurs  efforts,  fondaient  des  journaux  et  des  revues,  des 
sociétés  secrètes,  exprimaient,  à  toute  occasion,  leur  vo- 
lonté inébranlable  de  '  former  avec  les  Serbes  une  seule 
nation  ".  La  Grande  Guerre  leur  a  permis  de  réaliser 
leur  rêve.  Le  roi  de  Serbie  est,  depuis  1918,  le  roi  des 
Serbes,  Croates  et  Slovènes.  "  L'unité  yougo-slave  a 
été  définitivement  scellée  par  les  souffrances  communes  : 
on  ne  pourra,  désormais,  ni  la  disloquer,  ni  la  détruire.  " 
(J.  Cvijic.) 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 

Les  régions  naturelles  de  la  Yougo-Slavie 


On  peut  distinguer,  dans  le  territoire  du  jeune  Etat 
yougo-slave,  quatre  régions  naturelles  :  la  Montagne 
(Planina  ou  Brda  de  Carniole,  Croatie,  Bosnie-Herzé- 
govine. Monténégro,  Serbie  occidentale)  :  —  la  côte  de 
l'Adriatique  (Quarnero,  Dalmatie,  îles  lUjTiennes)  :  — 
lis  plaines  du  Nord  (Slavonie,  Syrmie,  Bachka,  Banat)  ; 
—  le  couloir  Morava-\'ardar  (Serbie  centrale  et  Macé- 
doine serbe). 

,LA    MONTAGNE 

La  Montagne  recouvre  la  majeure  partie  de  la  ^'ougo- 
Slavie.  C'est  elle  qui,  malgré  sa  division  en  massifs  isolé? 
ou  "Zupa",  confère  à  l'Etat  yougo-slave  une  véritable 
unité  géographique. 

CHAINES  ET  MASSIFS  CENTRAUX. 
PHÉNOMÈNES  CARSIQUES.  aa  La  Mon- 
tagne se  compose  d'une  série  de  plateaux  et  de  chaînes 
oii  dominent  les  calcaires  jurassiques  perméables,  et  qui 
se  plissèrent  en  même  temps  que  les  Alpes.  Ces  mon- 
tagnes, orientées  Nord-Ouest-Sud-Est,  parallèlement  à 
la  côte  Adriatique  qu'elles  serrent  de  très  près,  uniscent 
les  Alpes  orientales  aux  chaînes  du  Pinde.  Elles  dé- 
butent, en  Carniole,  Istrie  et  Croatie,  par  le  Karst  ou 
Carso  (d'un  vieux  mot  celtique  qui  signifie  pierre,  champ 
pierreux),  hauts  plateaux  étages  en  terrastes  que  dominent 
les  arêtes  régulières  du  \'elebit  (I  756  mètres)  et  du 
Ka[>ela.  Leur  largeur,  réduite  à  une  cinquantaine  de  kilo- 


mètres entre  le  golfe  du  Quarnero  et  le  bassin  supérieur 
de  la  Save,  s'accroît  considérablement  a  mesure  que  l'on 
s'avance  vers  le  Sud-Est.  Les  chaînes  se  multiplient.  De 
l'Adriatique  au  Danube  et  au  couloir  Morava-Vardar, 
elles  sillonnent  la  Dalmatie,  la  Bosnie-Herzégovine,  le 
Monténégro,  la  Serbie,  entourcuit  des  plates-formes  éle- 
vées, des  bassins  fermés.  Les  géographes  les  désignent 
sous  le  nom  d'ensemble  d  Alpes  Dinanques,  de  chaînes 
lllyriennes,  de  monts  de  Bosnie,  de  Serbie,  etc.  Dans  le 
pays,  ces  noms  sont  inconnus.  Les  principaux  massifs, 
isolés  par  des  ravins  inaccessibles,  ont  leur  terminologie 
spéciale  :  Troglav  (1918  mètres),  Vrcin  (2074  mètres), 
Maglic  (2387  mètres),  en  Bosnie-Herzégovine;  Lovcen 
(I  789  mètres),  Durmitor  (2528  mètres),  Kom,  au  Mon- 
ténégro ;  Char  (2  519  mètres),  Korab  (2050  mètres), 
en  Vieille  Serbie,  etc. 

Ailleurs,  les  paysans  et  les  bergers  emploient  simple- 
ment le  nom  générique  de  Planina  ou  Brda  (prononcer 
Beurda)  :  montagnes,  ou  bien  désignent  un  ensemble 
montagneux  par  une  appellation  significative  :  Crna  Gora 
(Montagne  Noire),  Stari  Vlah  (Vieille  Vlachie),Zagora 
(Outre-Monts),  Prokletjé.  Bachka,  etc. 

Le  trait  le  plus  caractéristique  de  toute  la  région  mon- 
tagneuse dinarique  est  l'abondance  des  phénomènes  car- 
siques  ou  karstiques,  que  nous  eûmes  déjà  1  occasion  de 
décrire  en  parlant  du  Carso  italien. 


Ils  sont,  nalurellemenl,  parliculièrementdéveloppe5  dans  les  pays 
formés  de  calcaires  perméables,  mais  on  les  retrouve  souvcnl  —  sous 


227 


L'EUROPE 


une  forme  un  peu  dissemblable  il  est  vrai  —  même  aux  lieux  où 
apparaissent  des  roches  d'une  autre  nature,  par  exemple  en  Bosnie 
centrale  et  en  Macédoine.  Le  sol  est  criblé  de  dépressions  fermées, 
de  cuvettes,  d'effondrements  analogues  comme  origine,  aux  '  avens  , 
de  nos  Causses,  aux  "emposieux"  du  Jura.  Les  plus  petites  de 
ces  dépressions,  appelées  "  Dolines  ",  ne  dépassent  guère  quelques 
dizaines  de  mètres  de  diamètre;  les  "  Uvalas  "  atteignent  un  kilo- 
mètre, les  "  Poljés  "  s'étendent  sur  50,  60  kilomètres  de  longueur,  1 0 
à  15  kilomètres  de  largeur  (Poljés  de  Crkvice  en  Carniole,  de  Lika 
en  Croatie,  de  Livno,  Duvno,  Gacko  en  Bosnie-Herzégovine,  de 
Nikichich  et  Cetinjé  au  Monténégro,  de  Kosovo,  Tetovo  en 
Serbie). 

La  décomposition  chimique  des  calcaires  donne  une 
sorte  d'argile  rouge  (terra  rossa)  qui  recouvre  le  fond  des 
cuvettes,  se  mélange  de  détritus  végétaux  et  se  prête  à 
la  culture.  Parfois,  des  lacs  temporaires  ou  permanents 
(lacs  de  Scutari,  d'Ochrida,  de  Presba)  occupent  tout 
ou  partie  de  la  dépression. 

Les  poljés  sont,  naturellement,  les  régions  les  plus 
peuplées  de  la  montagne,  véritables  oasis  où  les  hommes 
se  réfugient,  car  ils  y  trouvent  à  la  fois  de  l'eau,  une 
terre  féconde,  un  abri  contre  les  vents  terribles  qui  ba- 
laient ces  hauts  lieux  :  tels  la  Bora,  qui  descend  en 
rafeJes  sur  la  côte  adriatique,  la  Kosava,  spéciale  aux 
vallées  de  la  Choumadia,  le  vent  du  Vardar,  qui  déferle 
sur  les  plaines  macédoniennes,  etc.  Partout  le  climat  est 
rude,  l'hiver  très  long,  les  neiges  abondantes.  En  été, 
l'altitude  corrige  les  effets  de  la  latitude  qui  est  celle  de 
l'Italie  et  de  l'Espagne.  Toutefois,  dans  les  vallées 
creuses,  les  '  Uvalas  ",  bordées  de  rochers  nus  qui 
réfractent  les  rayons  solaires  et  où  l'air  ne  se  renouvelle 
pas,  les  midis  paraissent  torrides. 

LA  ZONE  SÈCHE  DE  L'OUEST  OU 
Z AGORA.  00  Dans  toute  la  zone  occidentale, 
les  vallées  normales  manquent  presque  complètement. 
Seules,  font  exception  la  Narenta  ou  Neretva  en  Her- 
zégovine, la  Zêta  inférieure  au  Monténégro  et  le  Drin, 
venu  du  lac  d'Ochrida.  Les  autres,  encaissées  dans  les 
calcaires  en  forme  de  caiions,  se  perdent  dans  les  vastes 
plates-formes  karstiques  ou  n  apparaissent  un  instant 
au  fond  des  poljés  et  des  uvalas  que  pour  s'en- 
gouffrer dans  les  "  ponors  "  (gouffres,  ce  que  les  Grecs 
appellent  des  katavothres).  "  Les  sources  sont  très 
rares;  celles  que  l'on  trouve  sortent  souvent  des  grottes 
et  ont  le  caractère  des  sources  vauclusiennes.  De  vastes 
contrées  manquent  de  fontaines  et  de  cours  d'eau.  Les 
hommes  et  le  bétail,  surtout  pendant  l'été,  souffrent 
cruellement  de  cette  absence  d'eau  fraîche."  (J.  Cvijic). 

Cette  zone  dénudée,  très  sèche,  presque  désertique, 
porte  le  nom  d'ensemble  de  Zagora  (outre-monts).  C'est 
celle  qui  borde  l'Adriatique  de  l'Istrie  au  Monténégro, 
sur  une  largeur  qui  varie  de  50  à  1 00  kilomètres. 

Partout,  sur  les  hauts  monts,  la  roche  est  à  nu,  sans  un  buisson, 
sans  un  brin  d'herbe.  Un   peu  plus  bas,  des  garrigues   clairsemées 


formées  de  noisetiers,  de  genévriers  rabougris  alternent  avec  des 
steppes  pierreuses  que  le  printemps  revêt  d'une  éphémère  parure 
de  graminées,  de  lavande,  de  crocus,  mais  que  brûle  le  dur  soleil 
d  été.  Seules  les  dépressions  abritent  de  maigres  champs  d'orge,  de 
seigle,  de  maïs.  Là  se  nichent  villages  et  hameaux.  Elncore  faut-il 
parer  au  double  danger  de  la  sécheresse,  l'été,  et  de  l'inondation 
au  printemps  quand  les  exutoires  naturels  ne  peuvent  suffire  à 
1  absorption  des  masses  d'eau  que  la  fonte  des  neiges  et  les  averses 
diluviennes  jettent  en  quelques  heures  au  fond  des  poljés. 

FORÊTS,  CHAMPS  ET  VERGERS  DE  LA 
ZONE  ORIENTALE.  00  La  zone  orientale,  celle 
à  laquelle  appartiennent  la  majeure  partie  de  la  Croatie, 
la  Bosnie,  la  Serbie,  a  conservé  d'immenses  et  superbes 
forêts  d'arbres  à  feuilles  caduques  (chênes  surtout)  et 
de  conifères  qui  grimpent  jusqu'à  1  600  ou  1  700  mètres. 
Au-dessus,  des  prairies  alpines  se  peuplent  de  "  katuns", 
chalets  où  vont  estiver  les  bergers.  C'est  la  zone  verte, 
celle  à  laquelle  on  réserve  d'ordinaire  le  nom  de  '  '  pla- 
nina  ".  Les  rivières  (Una,  Vrbas,  Bosna,  Drina,  Ibar) 
qui  dévalent,  suivant  la  pente  générale  du  terreùn,  vers  la 
Save  et  la  Morava,  demeurent  profondément  encaissées 
entre  les  parois  abruptes  de  leurs  gorges  étroites.  Elles 
décrivent,  comme  le  Doubs,  des  coudes  brusques, 
s'échappent  de  veJ  en  val  par  des  cluses  qui  leur  don- 
nent un  cours  extrêmement  capricieux.  Les  routes  et  les 
pistes  les  évitent,  en  général,  et  empruntent,  de  préfé- 
rence, les  arêtes  des  monts.  Cependant,  elles  ne  se 
perdent  plus  —  ou  ne  se  perdent  que  très  rcirement  — 
dans  les  fissures  de  la  roche.  Les  montagnes  elles-mêmes 
prennent  des  profils  plus  adoucis  et  leur  altitude  décroît 
à  mesure  que  l'on  se  rapproche  des  plmnes  danubiennes 
et  moraviennes.  Aux  profits  de  l'élevage,  qui  sont  la 
grande  et  presque  l'unique  ressource  des  montagnards  de 
la  Planina,  s'ajoutent  de  plus  en  plus  ceux  que  le  payszm 
retire  de  son  champ  et  de  son  verger.  Dans  la  Rachka" 
(partie  centrale  de  la  Vieille  Serbie),  les  grands  poljés  de 
Metochia  (Prizrend  et  Diakova),  de  Kosovo  (avec 
Pristina  et  Mitrovitza),  de  Tetovo,  se  couvrent  de  cé- 
réales, de  pommiers,  poiriers,  châtaigniers.  Le  Stari  Vlah 
(Novi  Bazar,  vallées  du  Lim  et  de  l'Uva),  toute  la 
Bosnie  centrale  et  septentrionale  présentent  le  même 
mélange  pittoresque  de  forêts,  de  prairies,  de  champs  et 
de  jardins  touffus  où  les  maisons  disparaissent  sous  la 
ramure  des  pruniers. 

LA  VIE  DANS  LA  PLANINA.  00  Ces 
montagnes  ont  joué  un  rôle  primordial  dans  la  vie  des 
Yougo-Slaves.  Elles  furent  leur  refuge  naturel  en  cas  de 
danger,  leur  forteresse,  leur  centre  d'action. 

C'est  dans  la  Ràchka,  le  royaume  de  Rascie  des  documents  occi- 
dentaux, que  se  trouvaient,  au  Moyen  Age,  les  capitales  du  royaume 
serbe  \  Ras  près  de  Novi  Bazar,  Prichtina,  Prizrend.  C'est  dans 
la  Crna  Gora  que  les  Serbes  "  Monténégrins  "  maintinrent,  à  tra- 
vers les  siècles,  une  indépendance  chèrement    disputée.    C'est    àl 


228 


LA  YOUGO-SLAVIE 


que  l'Autriche  recrutait  aulrefois  les  soldats  :  Haydouks,  Ouscoques, 
chargés  de  défendre  ses  frontières  contre  les  razzias  musulmanes. 
C'est  là  que  se  conservent  le  plus  pieusement  les  usages,  les 
moeurs,  les  traditions  du  passé.  La  "  zadrouga  ".  ou  dan  formé, 
par  tons  les  membres  et  les  clients  d'une  même  famille,  y  demeure 
la  cellule  sociale  la  plus  répandue.  Les  "  pesmés  ",  chants  popu- 
laires slaves,  célèbrent  les  exploits  des  héros,  tel  Marco  Kraliévic- 
qui  succombèrent  au  Moyen  Age  dans  une  lutte  inégale  contre  les 
Turcs. 


La  Vie  simple,  frugale,  passée  presque  tout  entière  au 
grand  air,  donne  une  race  robuste,  solide,  non  de'pourvue 
de  finesse  et  d'éle'gjince.  Les  Monténégrins,  notamment, 
ont  presque  tous  celte  fierté  dans  l'attitude  et  la  dé- 
marche, cette  noblesse  naturelle,  propres  aux  races  de 
guerriers  et  de  pasteurs.  Leiissant  aux  femmes  les  rudes 
travaux  domestiques,  ils  n'admettent,  assez  volontiers, 
d'autres  besognes  que  la  garde  des  troupeaux  dans  la 
montagne,  la  chasse  et  la  guerre. 

Mais  la  montagne  est  pauvre  :  elle  ne  peut  suffire 
aux  besoins  d'une  population,  même  raréfiée  et  peu  exi- 
geante. Aussi,  de  tout  temps,  les  gens  de  la  Planina 
eurent  une  tendance  naturelle  à  descendre  vers  les 
plaines  fécondes  du  pourtour.  Ce  sont  eux  qui  peuplèrent 
—  ou  repeuplèrent  après  les  dévastations  turques  —  la 
Choumadia  serbe,  le  couloir  moravien,  les  rives  de  la 
Save  et  du  Danube.  Dans  le  dernier  quart  du  Xix»  siècle, 
ils  allèrent  même  plus  loin,  et,  par  milliers,  les  monta- 
gnards de  la  Zagora,  de  la  Crna  Gora,  prirent  l'habitude 
d'émigrer  en  Amérique.  Les  uns  revenaient,  avec  un 
petit  pécule,  finir  leurs  jours  au  villeige  natal.  Les  autres, 
beaucoup  plus  nombreux,  se  fixaient  pour  toujours  dans 
leur  patrie  nouvelle.  Il  est  légitime  de  penser  que  la 
constitution  du  nouvel  Etat  yougo-slave  et  la  liberté, 
désormais  assurée,  arrêteront,  ou  du  moins  restreindront, 
dans  une  large  mesure,  un  exode  que  des  motifs  écono- 
miques n  étaient  point  seuls  à  provoquer. 

Les  agglomérations  urbaines  sont,  naturellement,  en  de 
tels  lieux,  de  petite  importance.  Les  montagnards  vivent 
dispersés  en  villages,  aux  maisons  assez  frustes,  construites 
en  pierres  brutes  ou  en  bois.  Dans  la  Planina  boisée  et 
pastorale,  ces  villages,  où  chaque  maison  s'uole  largement 
des  autres,  s'établirent  sur  les  flancs  des  vallées  et  les 
plates-formes  vêtues  de  prairies.  On  y  pratique  l'élevage 
du  bœuf,  du  porc,  de  la  chèvre  et  du  mouton  que  l'on 
échange  contre  le  blé  et  le  maïs  des  plaines.  Dans  les 
poljés  du  Karst  et  les  grandes  cuvettes  lacustres  du  Sud- 
Est  ou  la  culture  est  possible  et  fructueuse,  les  maisons 
se  rapprochent  les  unes  des  autres.  Les  villages  prennent 
une  importance  plus  grande  et  se  transforment  même  en 
petites  villes,  loriqu'ils  marquent  les  étapes  principales 
des  routes,  très  rares,  que  suivent  les  marchands.  Ainsi 
s'explique  la  croissance  de  Prizrend  (22000  habitants), 
Diakova,  Ipek,  dans  le  poljé  de  la  Metochia,  sur  la  piste 


menant  de  la  Vieille  Serbie  à  Scutari  d'Albanie  et  à  la 
côte  Adriatique:  de  Pricl.tina  (18000  habitants).  Novi 
Bazar  (13000  habitants)  et  Mitrovitza  (10000  habi- 
tants), étapes  de  la  route  Ouslcoub-Sarajevo  ;  de  Sara- 
jevo (51000  habitants)  et  Mostar  (16000  habitants), 
sur  1  unique  voie  ferrée  qui  franchisse  les  chaînes  et  les 
plateaux  dinariques  par  le  couloir  Narenta-Bosna  ;  de 
Ljubljana  ou  Laibach  (60000  habitants),  en  Camiole, 
qui  commande  la  cluse  de  Nauportus  ou  Oberlaibach, 
menant  de  Trieste  à  la  vallée  de  la  Save.  Au  Monté- 
négro, Cetinjé  et  Niktchitch  ne  groupent  guère  plus  de 
5  000  âmes.  Potgoritza  atteint  1  5  000  habitants,  grâce 
à  la  fertilité  delà  cuvette  où  dort  le  lac  de  Scutari. 

LA  CÔTE  DALMATE  OU  PRlMORjE 

L'effondrement  de  l'Adriatique  coupa,  comme  à  l'em- 
porte-pièce,  les  montagnes  et  les  plateaux  du  '  bloc 
continental  "  dinarique.  Cependant,  les  parties  les  plus 
élevées  des  chaînes  externes  demeurèrent  émergées. 
.Ainsi  s'explique  le  double  caractère  des  rivages  dal- 
mates. 

D'une  part,  une  série  d'îles  (Veglia,  Cherso,  Lussin, 
Longa,  Brazza,  Lissa,  Lésina,  etc.)  s'allongent  parcJlè- 
lement  à  la  côte,  entre  la  presqu'île  d'istrie  et  Raguse. 
Elles  ne  sont  autre  chose  que  les  témoins  des  arêtes  cal- 
caires qui  faisaient  corps,  autrefois,  avec  les  hautes  terres 
de  la  Yougo-Slavie. 

D'autre  part,  le  rivage  lui-même  est  dominé  immédia- 
tement —  sauf  en  quelques  rares  points  —  par  le  glacis 
abrupt  des  Planinas.  Vu  de  la  mer,  ce  glacis  apparaît 
comme  une  barrière  continue,  sans  fissures,  âpre,  revêche 
et  nue,  sillonnée  presque  géométriquement  de  ravins 
aux  flancs  à  pic  dont  les  coulées  de  pierres  blanches 
s'étalent  jusqu'aux  eaux  de  l'Adriatique.  Là  haut,  c'est 
le  rude  climat  de  l'Europe  Continentale,  les  longs  hivers, 
la  neige  pendant  cinq  mois.  Aux  rives  de  la  mer,  ce  sont 
les  tièdes  hivers  méditerranéens,  les  longs  jours  enso- 
leillés, qu'interrompent  soit  des  averses  diluviennes  mjus 
courtes,  soit  le  souffle  glacé  de  la  Bora.  C'est  aussi  dans 
les  petits  coins  abrités,  sur  les  terrasses  étroites  pénible- 
ment édifiées,  la  culture  de  l'olivier  et  de  la  vigne,  du 
grenadier,  du  mûrier,  du  figuier  et  de  l'amandier.  Deux 
mondes  se  rencontrent  là,  séparés  l'un  de  l'autre  par 
quelques  kilomètres  à  peine,  et  pourtant  si  différents,  de 
pénétration  réciproque  si  malaisée,  que  leurs  destinées 
demeurèrent,  jusqu'à  nos  jours,  indépendantes  l'une  de 
l'autre. 

Jamais  le  croissant  de  l'Islam  ne  s'implanta  sur  le  Primorje  adria- 
tique,  c'est-à-dire  sur  les  rivages  et  les  iles  du  Quarnero,  de  la 
Dalmatie,  de  la  Crna  Gora.  En  revanche,  des  1203,  Venise  s'ins- 
tallait à  Zara,  et,  jusqu'à  la  Révolution,  l'histoire  de  la  Dalmatie  se 
confondit  avec  celle  de  la  Sérénissime  République.  "  Peu  de  pays 


229 


L'EUROPE 


ont,  plus  que  le  rivage  oriental  de  l'Adriahque»  conservé  l'empreinte 
de  Venise.  De  l'Empire  Vénitien,  la  Dalmatie  était  la  pièce  la 
plus  nécessaire  et  comme  la  condition  indispensable  de  la  domina- 
tion maritime  de  la  République.  Ses  rivages  offraient  des  ports 
admirables,  escales  ménagées  à  souhait,  relâches  précieuses  et  sures 
pour  les  flottes  de  la  cité  de  Samt-Marc.  Dans  sa  rude  et  belli- 
queuse population,  Venise  recrutait  d'autre  part  des  soldats  mer- 
veilleux, ces  Esclavons  dont  le  souvenir  vit  encore  aujourd'hui  dans 
la  ville  des  lagunes.  Et  de  ces  quatre  siècles  de  domination  inin- 
terrompue, tout  le  long  du  littoral  dalmate,  on  retrouve  partout  le 
vivant  souvenir.  Des  citadelles  d'abord,  que  blasonne  l'image  du 
lion  de  Saint-Marc,  à  Knin,  à  Klissa,  sur  les  hauteurs  de    Sebc- 


nico,  aux  approches  de  Trau,  de  Budua,  d'Antivari  ;  puis  des 
églises,  des  palais  charmants,  des  loggias,  tout  un  ensemble  de  cons- 
tructions qui  font  de  Zara,  de  Sebenico,  de  Trau,  de  Raguse,  de 
Curzola  autant  de  petites  Venises.   "  (D'après  Ch.  DiehI.) 

Cependant,  les  Slaves  venus  des  Planinas  descendirent 
sur  le  Primorje,  se  (i.\èrent  dans  les  îles,  et  de  bergers 
se  firent  marins.  Les  mille  ciselures  du  rivage,  le  "  rias  " 
de  Sebenico, les  "  bouches"  fameuses  de  Cattaro,  offraient 
de  sûrs  asiles  aut  navires  marchands,  comme  aux  barques 
des  pêcheurs  et  des  contrebandiers. 

Si  les  relations  avec  l'arnère-pays  eussent  été'  moins 
malatse'es,  une  intense  vie  maritime  se  fiât  de'veloppe'e  au 
XIX»  siècle  sur  ces  rivages  étroits.  iVlais,  seules,  Triette 
et  Fiume  (Rieka)  se  trouvaient  bien  placées  pour  servir 
de  débouchés  à  l'Europe  Centrale.  Et,  seules,  elles  ont 
grandi,  grâce  aux  voies  ferrées  qui  les  unissent  à  Vienne 
et  Budapett.  La  ligne,  plus  récente,  qui  va  de  Castel- 
nuovo  (à  l'entrée  des  bouches  de  Cattaro)  au  Danube 
par  Fort  Opus,  Mostar  et  Sarajevo,  n'eut  jusqu'ici  qu'un 
trafic  fort  médiocre. 

Ni  Zengg,  ni  Zara  (36000  habitants),  ni  Sebenico 
(30000  habitants),  ni  Spalato  (31000  habitants),  ni 
Dulcigno,  ni  même  Raguse  (14000  habitants),  ne  com- 
muniquent avec  la  Planina  autrement  que  par  des  pistes 
difficiles.  Au  Monténégro,  une  ligne  à  voie  étroite,  partie 
d'Antivari,  s'arrête  à  Virpazar  sur  le  lac  de  Scutari. 


Tels  quels,  ces  rivages  sont  indispensables  au  développement  éco- 
nomique de  la  Yougo-Slavie.  et  l'on  comprend  l'obstination  avec 
laquelle  les  Yougo-Slaves  s'opposèrent  aux  prétentions  italiennes 
sur  la  Dalmatie.  Les  Italiens  ne  forment  dégroupes  compacts  qu'à 
Trieste,  sur  les  côtes  occidentales  de  l'istrie,  à  Fiume  et  à  Zara; 
ailleurs,  ils  ne  sont  que  d'infimes  îlots  noyés  dans  la  masse  des 
Slaves.  Même  à  Trieste.  si  la  ville  est  incontestablement  italienne 
pour  les  deux  tiers  de  sa  population, les  villages  environnants  perchés  sur 
les  plateaux  du  Carso  sont  enlièremenl  slaves.  Tout  l'intérieur  de 
I  Istrie  est  slave;  slaves  aussi  les  îles  Dalmates,  la  moitié  des  habi- 
tants de  Fiume  et  tous  les  villages,  sans  exception,  étages  sur  les 
pentes  du  Primorje. 

On  sait  comment  le  litige  fut  tranché  par  le  traité  de  Rapallo 
(12  novembre  1920).  L'Italie  renonça  à  ses  prétentions  historiques 
sur  1  ensemble  de  la  Dalmatie.  Elle  n'y  conserve  que  le  territoire 
de  Zara,  les  îles  de  Pelagosa,  Lagosta,  Lussin  et  Cherso.  Le  ter- 
ritoire de  Fiume  fut  déclaré  indépendant.  En  revanche,  la  Yougo- 
slavie abandonna  définitivement  les  400  000  à  500000  Croates  et 
Slovènes  d'istrie,  de  Trieste  et  du  Comté  de  Goriza. 

LES  PLAINES  DU  NORD .-  CROATIE, 
SLAVONIE,  SYRMIE,  BACHKA,  BAN  AT 

A  la  montagne  s'oppose  la  plaine.  Elle  commence  à 
Zagreb  (Agram)  et  se  continue  vers  l'Est  par  la  large 
vallée  de  la  Save,  les  territoires  de  Slavonie-Syrmie, 
entre  Save  et  Drave,  la  Baranja  (angle  Drave,  Danube), 
la  Bachka  (du  Danube  a  la  Tisza),  et  la  partie  occiden- 
tale du  Banat  de  Temesvar.  Sur  les  collines  (Papuk, 
Fruska-Gora)  qui  prolongent  en  Slavonie-Syrmie  les 
plissements  alpins,  ou  bien  sur  les  dernières  pentes  des 
montagnes  de  Bosnie  et  du  Karst  de  Carniole,  les  forêts 
de  chênes  croissent  avec  vigueur,  mêlées  aux  prairies, 
aux  vergers  touffus  où  le  prunier  est  rot.  Mais  le  reste 
du  pays  se  confond  avec  l'Alfôld  hongrois.  On  y  retrouve 
les  horizons  monotones,  la  terre  d'alluvions  grasses  et  fé- 
condes, couvertes  jusqu'à  l'horizon  de  champs  de  maïs 
et  de  blé.  Save,  Drave,  Danube,  Tisza,  déroulent  leurs 
méandres  innombrables  entre  des  rives  plates  que  les 
crues  de  printemps  inondent  sur  de  vastes  espaces. 

A  1  Ouest,  la  Carniole  et  la  Styrie  méridionale  sont 
peuplées  de  Slovènes,  en  majorité  catholiques. 

Longtemps  demeurés  quelque  peu  à  I  écart  des  autres  Yougo- 
Slaves  et  fortement  germanisés,  ils  eurent,  dès  le  début  du  XLX*^ siècle, 
leur  réveil  national  et  firent  cause  commune  avec  leurs  frères  de 
Croatie  et  de  Serbie.  Mais  ils  conservèrent  les  habitudes  d  or- 
ganisation, de  discipline,  de  labeur  méthodique  empruntées  à  leurs 
maîtres  allemands.  Ils  leur  doivent  une  remarquable  prospérité 
économique,  le  développement  des  associations  agricoles,  des 
entreprises  industrielles.  la  multiplication  des  écoles.  En  contact  à 
la  fois  avec  des  Italiens,  des  Allemands  d'Autriche  et  des  Magyars, 
ils  forment  comme  le  boulevard  occidental  de  la  \  ougo-Slavie, 
et  leurs  qualités  propres,  autant  que  leur  position  géographique  sur 
les  grandes  voies  ferrées  qui  mènent  à  l'Adriatique,  les  destinent 
à  jouer  un  rôle  de  premier  ordre  dans  le  nouvel  Etat. 

Ljubljana  (60  000  habitants)  ou  Laybach  est  le  centre 
d'action  et   la   capitale  des  Slovènes.  Celi  et   Maribor 


230  - 


LA  YOUGO-SLAVIE 


(Marburg),  jalonnent  la  vole  ferrée  montant  sur  Graz 
et  Vienne. 

En  Slovénie  et  Syrmie,  les  Serbo-Croates  constituent 
la  presque  totalité  de  la  population.  Il  n'en  est  pas  de 
même  dans  les  régions  sises  au  delà  de  la  Drave  infé- 
rieure et  du  Danube  :  Baranja,  Bachka  et  Banat,  où 
des  groupes  compacts  d'Allemands,  de  Magyars,  et  même 
de  Roumains,  se  mêlent  aux  Serbes. 

Les  habitants,  de  quelque  nationalité  qu'ils  soient, 
s'adonnent  presque  exclusivement  à  l'agriculture.  C'est 
la  région  la  plus  fertile  et  la  plus  productive  de  la 
Yougo-Slavie.  Aussi  trouve-t-on,  chez  ces  paysans  en- 
richis, des  goûts,  des  habitudes  de  vie  inconnus  aux  rudes 
montagnards  de  la  Planina  :  ardeur  au  plaisir,  déchaî- 
nement de  la  sensualité,  morale  féminine  fort  relâchée, 
ils  n'en  étaient  pas  moins,  sous  le  régime  hongrois,  d'ar- 
dents patriotes  serbes.  '  Les  paysans  venaient,  comme 
en  pèlerinage,  assister  aux  fêtes  nationales  de  la  Serbie 
pour  voir  "  leur  roi  "  et  "  leur  armée  ",  malgré  les 
difficultés  et  les  dangers  qui  les  attendaient  au  retour. 
(J.  Cvijic.) 

En  Croatie,  Zagreb  (80000  habitants)  était,  depuis 
le  XII'  siècle,  la  résidence  du  Ban  et  le  grand  centre 
politique  de  la  vie  croate. 

Lorsque  la  Croalie-Slavonie  eut  obtenu  du  Gouvcrnemenl  Hon- 
grois une  large  autonomie,  Zagreb,  en  relations  constantes  avec 
les  Yougo-Slaves  de  Carniole,  de  l'Adriatique  et  de  Serbie, 
devint  comme  la  capitale  de  la  Yougo-Slavie  occidentale.  Son 
Université  fondée  en  1874,  son  Académie  des  sciences  et  des 
arts,  ses  savants,  ses  poètes,  ses  prêtres  même,  travaillèrent  avec 
une  magnifique  ardeur  à  lutter  contre  le  régime  magyar.  Par  le 
chiffre  de  sa  population,  elle  se  classe  au  troisième  rang  des 
principales  cités  du  Royaume  des  Serbes,  Croates  et  Slovènes, 
et  sa  position,  au  point  de  croisement  des  voies  ferrées  venues 
de  Trieste,  Fiume,  Budapest  et  Belgrade,  non  moins  que  la 
fertilité  des  campagnes  qui  l'entourent,  lui  assurent  un  avenir 
plein  de  promesses. 

Les  autres  agglomérations  dépassent  rarement  quelques 
milliers  d'habitants.  Kostajnica  Sisak,  Gradiska,  Mitro- 
vitsa,  sont  les  principaux  marchés  de  la  vallée  de  la 
Save.  En  Slavonie-Syrmie,  Osjek,  Djakova,  Novi-Sad 
(40000),  Karlovci  furent  des  lieux  d'intense  propagande 
yougo-slave.  Novi-Sad,  notamment,  joua,  pour  les  Serbes 
de  Syrmie-Banat,  un  rôle  analogue  à  celui  de  Zagreb 
pour  les  Croates  et  Slovènes. 

Dans  la  Bachka  et  le  Banat,  Subotica  (le  Szabadka 
hongrois)  n'est,  malgré  ses  90000  habitants,  qu'un 
immense  village  où  se  concentrent  les  produits  de  l'agri- 
culture et  de  l'élevage  de  ces  riches  régions. 

LE  COULOIR  MORAVA-VARDAR 

HISTOIRE  ET  PARTAGE.  jz>£>  Entre  les 
plissements  pindo-dinariques  à  l'Oueit  et  les  massifs  ou 

cioCRAPHlE  UNIVERSELLE. 


les  chaînes  balkaniques  à  l'Est  (Stara-Planina.  Rho- 
dope)  se  creuse,  de  Belgrade  à  Salonique,  une  dépres- 
sion orientée  Nord-Ouest-Sud-Est,  qu'empruntent,  en 
sens  inverse,  la  Morava  et  le  Vardar.  Ces  deux  cours 
d  eau  prennent  leur  source  dans  le  bassin  de  Kouma- 
novo,  à  moins  de  200  mètres  d'altitude.  Aucun  seuil  ne 
les  sépare.  Ils  traversent  l'un  et  l'autre  une  série  de 
cuvettes  larges  et  fertiles,  creusées  par  effondrements  au 
milieu  des  roches  anciennes  (schistes,  granits,  calcaires- 
marbres),  qui  remplacent  ici  les  terrains  plus  récents  des 
plissements  dineuiques.  Ils  ouvrent  donc  une  voie  toute 
tracée,  de  parcours  aisé,  entre  l'Europe  Centrale  et  la 
Mer  Egée.  De  là,  l'importance  géographique  et  histo- 
rique du  couloir  Morava- Vardar.  SI  les  pays  du  Vardar 
virent  naître,  dans  les  temps  antiques,  le  royaume  de 
Macédoine,  c  est  dans  la  vallée  moravienne  que  se 
fixèrent,  dès  le  Moyen  Age,  les  destinées  du  Royaume 
serbe. 

11  semblerait  naturel  que  cette  longue  dépression  appartint  à  un 
seul  Etat.  Toutefois,  et  bien  que  l'on  parle  un  dialecte  slave 
jusqu'aux  portes  de  Salonique,  l'influence'  grecque  se  fit  toujours 
fortement  sentir  dans  les  régions  qui  avoisinent  la  Mer  Egée. 
Aussi,  lorsqu'en  1913,  Serbes  et  Grecs  eurent,  par  leurs  efforts 
communs,  arraché  la  Macédoine  aux  Turcs,  on  laissa  au  Royaume 
hellénique  les  plaines  du  bas-Vardar,  jusqu'au  lac  de  Doiran 
et  à  Guevguéli.  Quant  aux  Bulgares,  qui  réclamaient,  eux  aussi, 
la  possession  de  cette  artère  maîtresse  des  Balkans,  on  sait  com- 
menl  la  guerre  de  1913.  puis  la  Grande  Guerre,  les  déboutèrent 
de  leurs  prétentions. 

LA  VALLÉE  DE  LA  MORAVA.  jUjH  La 
vallée  de  la  Morava  et  les  montagnes  ou  collines  qui 
l'accompagnent  forment  une  unité  géographique  bien 
nette.  Au  centre,  les  bassins  de  Vranjé,  de  Leskovatz, 
de  Nisch,  d'Alexinatz  mènent  à  la  large  plaine  del- 
taïque de  Pojarevatz,  où  la  Morava  s  unit  au  Da- 
nube. 

Le  sol  alluvial  se  prête  à  la  culture  du  blé  et  du  maïs, 
non  moins  qu'à  celle  des  arbres  fruitiers.  Le  climat,  de 
type  continental  atténué,  avec  des  hivers  froids  et  neigeux 
et  de  chauds  étés,  se  c£uactérise  d'abord  par  l'abondance 
et  l'égale  répartition  des  pluies,  puis  par  la  longueur  de 
l'automne,  qui  se  prolonge  souvent,  après  une  courte 
période  de  frimas,  jusqu'en  décembre.  "  La  douceur  un 
peu  molle  de  l'automne  s'harmonise  admirablement  avec 
les  ondulations  de  la  plate-forme  et  les  grandes  lignes 
de  terrain  qui  vont  se  perdre  au  loin  à  l'horizon.  Noyé 
dans  les  brumes  lièdes  et  légères,  le  paysage,  d'un  bleu 
foncé,  prend  alors  un  aspect  plus  vague  et  plus  indécis 
encore.  Les  formes  des  objets  s  estompent  dans  une  va- 
peur grisâtre.  "  (G.  Gravier.)  En  hiver  et  au  printemps, 
on  redoute  particulièrement  la  "kosava",  vent  froid  et 
sec,  extrêmement  violent,  qui  souffle  une  ou  deux 
semaines  et  cause  de  grands  dommages  à  la  végétation. 


231 

23 


L'EUROPE 


LA  CHOUMADIA.  00  A  l'Est,  la  vallée  de 
la  Morava  est  bordée  de  fort  près  par  les  hauteurs 
dénudées,  grises  et  laides,  qui  la  séparent  des  plaines 
danubiennes  et  du  bassin  de  Sofia  (Golubinjé,  Stara  et 
Osegovo  Planina). 

Mais,  à  l'Ouest,  elle  se  relie  lentement  aux  mon- 
tagnes de  Bosnie  par  les  plateaux  et  les  collines  de  la 
Choumadia. 

Le  mot  veut  dire  "  pays  de  forêts",  et  il  est  vrai  que, 
jusqu'au  premier  tiers  du  XIX»  siècle,  la  Choumadia  fut 
une  immense  chênaie  difficilement  pénétrable  où  quelques 
rares  villages  s'espaçaient  dans  les  clairières  entre  les 
troncs  énormes  d'arbres  plusieurs  fois  centenaires.  Au- 
jourd'hui, presque  toute  la  région  est  déboisée  et  défri- 
chée. Les  villages  se  sont  multipliés  sur  les  terrasses  cou- 
vertes d'un  humus  extrêmement  fertile.  Blé,  seigle, 
avoine,  maïs  surtout,  y  viennent  à  souhmt,  mêlés  aux 
vergers  plantés  de  pruniers,  aux  prairies  où  1  on  élève  le 
plus  beau  bétail  des  pays  serbes.  Chaque  ferme  a  son 
troupeau  de  porcs,  noirs  et  râblés,  que  1  on  engraisse 
avec  du  maïs  et  du  petit-lait.  Avant  l'acquisition  des 
riches  terres  de  la  Bachka  et  du  Banat,  la  Choumadia 
était  le  grenier  de  la  Serbie.  Chaque  automne,  des  cara- 
vanes de  chevaux  en  partent,  partant  aux  montagnards 
les  sacs  de  maïs  et  de  blé.  Malgré  une  densité  de  popu- 
lation qui  atteint,  par  endroits,  plus  de  100  au  kilomètre 
carré,  l'émigration  ne  s'y  produit  pas.  Au  contraire,  les 
pasteurs  des  hauts-pays  s'y  fixent  volontiers  et  deviennent, 
à  leur  tour,  des  colons. 


LES  VILLES  DE  LA  VIEILLE  SERBIE. 
00  Les  neuf  dixièmes  de  la  population  vivent  d'agri- 
culture et  d'élevage.  Aussi  les  villes,  Belgrade  exceptée, 
n'ont-elles  qu'une  médiocre  importance.  Les  principaux 
centres  urbains  sont  Vranjé  (  I  I  000  habitants)  et  Lesko- 
vatz  (15  000  habitants),  sur  la  haute  Morava;  Nich 
(25000  habitants),  au  point  de  croisement  des  lignes 
Belgrade-Salonique  et  Belgrade-Constantinople  par 
Pirot  (1 1000  habitants)  et  Sofia;  Alexinatz  et  Krou- 
chevatz,  près  de  la  jonction  des  deux  Moravas,  la  serbe 
et  la  bulgare  ;  Kragoujévals  (18000  habitants),  au  coeur 
de  la  Choumadia  ;  Pojarevatz  (13000  habitants),  dans 
la  plaine  de  la  basse  Morava  ;  Valiévo,  Chabats,  dans 
l'angle  Drina-Save,  etc.  Belgrade  enfin  (Beograd,  la 
cité  Blanche),  au  confluent  de  la  Save  et  du  Danube, 
sur  les  dernières  pentes  des  collines  de  la  Choumadia,  et 
en  communication  aiiée  avec  la  vallée  de  la  Morava, 
occupe  une  de  ces  positions  exceptionnelles  que  la  na- 
ture semblait  désigner  aux  établissements  humains.  Camp 
romain  (Singidunum),  puis  forteresse  slave  et  turque, 
devenue,  au  Xix*  siècle,  la  capitale  du  Royaume  serbe, 
elle  commande  les  routes  de  l'Orient.  Elle  comptait,  en 
1918,    120000  habitants. 

232 


Le  reste  de  la  population  se  disperse  en  gros  villages,  aux  mai- 
sons de  pierres  réparties  en  quartiers  (mahatas)  isolés  par  de» 
jardins  et  des  champs.  Ces  paysans  de  la  Choumadia  forment  le 
vrai  cœur  de  la  nation  serbe.  Apres  et  tenaces  au  travail,  gais  et 
sociables,  passionnés  de  liberté,  robustes  et  merveilleusement  braves, 
ce  sont  eux  les  grands  artisans  de  l'indépendance  serbe,  des  vic- 
toires de  1912,  1914  et  1918.  Ils  sont  de  beaucoup  l'élément  le 
plus  sympathique  d'un  peuple  dont  les  citadins  et  les  "  bourgeois  ", 
superficiellement  européanisés,  nous  choquent  trop  souvent  par 
leurs  prétentions  et  leurs  façons  d'être,  qui  semblent  copiées  sur  les 
plus  mauvais  modèles  teutons. 

LA  MACÉDOINE  SERBE.  00  Lorsque  l'on 
passe  de  la  Morava  au  Vardar,  l'aspect  du  pays  se 
modifie  peu  à  peu.  Toute  la  Macédoine  serbe  est  encore 
couverte  de  hautes  montagnes  :  Char  (2519  mètres), 
Karadagh,  Babouna,  Peristeri  (2532  mètres),  Kajmakt- 
chcJan  (2  525  mètres),  qui  entourent  les  vastes  dépres- 
sions de  Skoplje  (Ouskoub),  de  Vélés,  de  Tetovo,  de 
Prilep-Bitolj  (Monastir),  ou  se  reflètent  dans  les  lacs 
d'Ochrida  et  de  Presba.  Mais  les  influences  méditerra- 
néennes pénètrent  par  la  vallée  jusqu'aux  bassins  inté- 
rieurs. Elles  se  traduisent  par  des  étés  plus  longs  et 
plus  chauds,  par  la  diminution  des  pluies,  par  certaines 
cultures  comme  la  vigne,  le  mûrier,  le  tabeic,  le  pavot. 

A  des  hivers  très  froids,  neigeux,  où  le  "  vent  du 
Vardar  "  glace  jusqu'aux  os,  succèdent,  après  un  prin- 
temps très  court,  les  journées  brûlantes  de  l'été.  (Du 
15  juin  au  15  juillet  1916,  —  année  de  chaleur  excep- 
tionnelle, il  est  vrai,  —  l'auteur  de  ce  livre  nota 
chaque  jour,  dans  la  région  de  Doïran,  des  températures 
de  +  40°  à  l'ombre.)  Les  rares  sources,  les  ruisselets 
tarissent.  Les  cours  d'eau  plus  importants,  et  le  Vardar 
lui-même,  se  réduisent  a  de  minces  filets  d'eau.  Plus  de 
forêts,  mais  aux  lieux  les  plus  favorisés  (pentes  orientales 
du  Peristén,  par  exemple),  des  maquis  de  chênes  nains 
et  de  noisetiers.  Partout  ailleurs,  le  roc  effroyablement 
nu,  flamboyant  sous  l'ardente  lumière,  ou  bien,  sur  les 
sommets,  de  maigres  alpages  où  les  bergers  aromounes 
pussent  leurs  troupeaux  de  moutons,  de  mai  à  octobre. 

Les  hommes  eux-mêmes  sont  différents.  Si  les  gens 
de  Skoplje  et  de  Vélès  sont  de  vrais  Serbes,  les  Slaves 
de  Prilep,  de  Bitolj,  de  Stroumitza,  du  bas  Vardar, 
n'avaient  point,  jusqu'à  nos  jours,  le  sentiment  d'appar- 
tenir à  une  nation  bien  définie. 

A  la  question;"  Es-tu  Serbe?  es-tu  Bulgare?  es-tu  Grec?  ou 
Albanais  ?  "  ils  répondaient  :  "  Je  suis  Macédonien.  "  En  fait, 
sous  le  régime  turc  qui  se  perpétua  jusqu'en  I9I3,  la  notion  de 
patrie  se  confondait  pour  eux  avec  la  religion  qu'ils  professaient. 
On  se  disait  Turc,  c'est-à-dire  Musulman,  même  lorsqu'on  pro- 
venait de  familles  de  race  slave  converties  à  l'Islam.  Parmi  les 
chrétiens,  les  uns  appartiennent  à  l'orthodoxie  grecque,  d  autres 
à  l'exarchat  bulgare,  d'autres  encore  à  l'orthodoxie  serbe.  Il  y 
a  des  Albanais  catholiques,  d'autres  musulmans,  d'autres  ortho- 
doxes. Un  même  village  contient  à  la  fois  des  représentants  de 
toutes  les  races  et  de  tous  les  cultes  des  Balkans.  Ainsi  s'expliquent 


LA  YOUGO-SLAVIE 


les  diiférences  prodigieuses  que  l'on  relève  dans  les  staiisllqucs 
relatives  à  la  population  de  la  Macédoine,  chaque  Etat  intéressé 
grossissant  à  plaisir  le  nombre  de  ses  nationaux. 

La  Macédoine,  répartie  entre  Grecs  et  Serbes,  va 
connaître,  enfin,  un  régime  de  stabilité  et  de  paix  auquel 
elle  n'était  pas  habituée.  Les  bandes  d'irréguliers,  de 
'  comitadgis  ",  qui,  sous  couleur  de  luttes  nationales, 
mettaient  les  paysans  en  coupe  réglée,  ont  disparu  ou 
vont  disparaître.  Les  Turcs,  qui  possédaient  la  plus 
grande  et  la  meilleure  partie  des  terres,  ont  commencé, 
dès  1913,  un  exode  que  la  Grande  Guerre  a  momen- 
tanément interrompu,  mais  qui  ne  s'arrêtera  plus.  Ils  ne 
veulent  pas,  ils  ne  peuvent  pas  se  soumettre  à  la  loi  des 
chrétiens  et  connaître  à  leur  tour  1  humiliation  d'obéir, 
là  oîi,  depuis  quatre  siècles,  ils  commandaient  en  maîtres. 
Ilsvendent  "  tchifiiks  "  (grands  domaines)  et  troupeaux, 
les  réalisent  autant  que  faire  se  peut  en  monnaie  d'or  et 
gagnent  I  Asie  Mineure.  C'est  la  suite  naturelle  de  cette 
émigration  de  mohadjirs  "  qui  commença  en  Roumanie, 
en  Grèce,  en  Serbie,  dès  que  ces  pays  se  furent  libérés 
du  joug  turc. 


La  disparition  des  Turcs  laisse  le  champ  libre  aux 
chrétiens.  Devenus  possesseurs  du  sol,  ils  vont  cesser 
d  émigrer  en  masse  à  destination  de  l'Amérique,  comme 
ils  le  faisaient  depuis  une  vingtaine  d'années  (en  1917, 
le  seul  village  de  Boukovo,  près  de  Monaslir,  peuplé 
de  250  familles,  avait  aux  Etats-Unis  200  de  ses  habi- 
tants mâles  !).  Si  la  montagne  est  condamnée  à  demeurer 
improductive,  les  bassins  de  Tetovo,  de  Skopljé,  de 
Prilep,  de  Bitolj,  du  Vardar,  de  Stroumitza,  peuvent 
transformer  leurs  steppes  et  leurs  marais  en  champs 
d  une  exceptionnelle  fertilité.  Il  y  a  là  des  terres  presque 
vierges  qui  se  prêteront  à  merveille  à  la  colonisation,  du 
jour  où  les  gouvernements  serbe  et  grec  voudront  entre- 
prendre sérieusement  leur  mise  en  valeur. 

Comme  dans  tous  les  Balkans,  la  population  de  Ma- 
cédoine, exclusivement  agricole  et  pastorale,  vit  dispersée 
en  villages  qui,  pour  la  plupart,  se  situent  au  débouché 
des  vallées  latérales  donnant  sur  les  dépressions  fermées. 
Les  maisons,  bâties  en  pierres  et  en  torchis,  comportent, 
en  général,  un  rez-de-chaussée  assez  bas  et  un  étage 
pourvu  d'une  galerie  ou  loggia  que  soutiennent  des  co- 


233 


L'EUROPE 


lonnes  de  bois.  C'est  là  que  la  famille  passe  toute  la  belle 
saison.  Les  femmes  tissent  sur  des  métiers  grossiers  des 
étoffes  rudes  et  solides  ;  les  hommes  fument  et  se  reposent. 
A  l'automne,  des  guirlandes  de  maïs  et  de  piments 
rouges  se  suspendent  aux  colonnes  et  aux  balcons. 

Chaque  bassin  a  sa  ville  principale  placée  aux  pomts 
de  croisement  des  routes.  Sur  le  Vardar,  Skoplje 
(Ouskoub)  commande  les  passages  qui  mènent  à  la  fois 
vers  la  vallée  de  la  Morava  par  Koumanovo,  la  vallée 
serbe  de  l'Ibar  et  la  Bosnie  par  Mitrovitza  et  Novi 
Bazar,  l'Albanie  septentrionale  par  Tetovo-Prizrend,  et 
le  bassin  de  Sofia  par  Krakovo-Kustendil.  Elle  compte 
50000  habitants  environ.  En  aval  de  Skoplje,  Vélès 
(15000  habitants),  Négotin,  Kavadar,  Guevguéli,  sont 
les  principales  étapes  de  la  voie  ferrée  qui  descend  à 
Salonique.  Dans  le  large  bassin  que  traverse  la  haute 
Tchema,  Prilep  a  perdu  de  son  importance  au  profit  de 


Bitolj  (Monastir),  qu'une  voie  ferrée  relie  à  Salonique. 
Bitolj  a,  de  plus,  l'avantage  de  communiquer  sans  trop 
de  difficultés  avec  la  région  des  lacs  et  l'Albanie  Cen- 
trale. Elle  fut,  dans  l'antiquité,  une  des  étapes  principales 
de  la  Via  Egnatia  qui  conduisait  de  Dirrachium  (Du- 
razzo)  à  Thessalonique  et  Constantinople.  C'est  de  là 
que  se  distribuent,  dans  toutes  les  montagnes  de  l'Ouest, 
les  produits  européens  (pétrole,  sucre,  cotonnades,  etc.), 
là  que  se  concentrent  les  cuirs,  les  laines  de  la  Planina. 
Elle  avait,  en  1913,  60000  habitants,  mais  a  été  en 
grande  partie  détruite  par  les  bombardements  bulgares 
entre  1916  et  1918.  Enfin  Resen  (ou  Resna),  près 
du  lac  de  Presba.  Ohrid  (Ochrida,  1 1  000  habitants) 
et  Strouga,  aux  rives  du  lac  d'Ochrida,  Debar  ou 
Dibra  (10000  habitants),  sur  le  Drin  noir,  peuplées 
en  majorité  d'Albanais,  sont  les  dernières  agglomérations 
notables  de  l'Albanie  serbe. 


LE  PRESENT  ET  L'AVENIR  DE  LA  YOUGOSLAVIE, 


L'État  Yougo-Slave  est  formé  par  la  juxtaposition  de 
territoires  très  différents  les  uns  des  autres  et  qui  ont 
vécu  jusqu'à  nos  jours,  d'une  vie  politiquement  et  éco- 
nomiquement indépendante.  11  est  donc  impossible  de 
préjuger  ce  que  donnera  l'union  toute  récente  de  ces 
territoires  sous  une  direction  commune. 

Le  principal  effort  portera  sans  doute,  d'abord,  sur  la 
multiplication  des  moyens  de  communication. 

11  s'agit  d'intensifier  les  rapports  par  voies  ferrées  entre  la  c6te 
et  r.ntérieur  là  où  ,1s  existent  déjà  (lignes  de  Ljubl|ana  à  Tr-esle. 
de  Zagreb  à  Fiume.  de  Subotica  à  Fort  Opus  et  Cattaro,  de  Subo- 
tica  k  Salonique  par  Belgrade.  Nich.  Skopl,e).  de  les  créer  là  ou 
ils  n'existent  pas  encore,  par  exemple  à  travers  la  Croatie  et  la 
Bosnie,  ou  bien  entre  la  Vieille  Serbie  et  l'Adriatique  (ligne 
depuis  longtemps  projetée  allant  de  Skoplje  à  Saint-Jean-de- 
Medua  par  Prizrend  et  Scutari).  11  faut  aussi  joindre,  suivant  la 
direction  générale  du  relief,  les  pays  du  Nord-Ouest  à  ceux  du  Sud- 
Est  Il  n'existe,  pour  l'instant,  qu'une  seule  grande  ligne  allant  de 
Ljubljana  à  Belgrade  par  la  vallée  de  la  Save.  11  convient  de  la 
doubler  par  une  autre  voie  parallèle,  dont  quelques  parties  sont 
déjà  laites,  du  reste,  et  qui  desservirait  la  Planina  entre  Zagref> 
et  Skoplje  par  Banvalouka,  Sarajevo.  Novi  Bazar  et  Mitrovitza.  1! 
faut  encore  créer  le  réseau  de  routes  carrossables  accessibles  aux 
automobiles,  qui  pourrait,  dans  une  large  mesure,  suppléer  a  la 
pénurie  des  voies  ferrées,  la  majeure  partie  des  pays  Yougo- 
slaves ne  connaissent  encore  que  la  piste  muletière.  1  étroit  sen- 
tier zigzaguant  de  montagnes  en    montagnes,  de  poljés  en    poljes. 

En  facilitant  la  circulation  à  l'intérieur  du  bloc 
continental,  et  en  lui  donnant  de  faciles  débouchés  sur 
l'Intérieur,  on  "  européanisera  "  du  même  coup  des 
régions  qui  sont  demeurées  fort  arriérées.  Certes, 
le  pittoresque  y  perdra  !  Il  n'est  point,  en  Europe,  de 
pays  qui  ait  su  garder  jusqu'à  nous  avec  une  telle  fidélité 
les  mœurs,  les  usages,  les  coutumes,  les  croyances  d'au- 


trefois.  Dans  la  plupart  des  villages  éloignés  des  rares 
voies  ferrées,  on  vit  aujourd'hui,  à  peu  de  choses  près, 
comme  on  vivait  il  y  a  sept  ou  huit  siècles.  Chaque  vil- 
lage, chaque  famille  même    subvient  à  tous  ses  besoms, 
n'achetant  guère,  en  fait  de  produits  étrangers,  qu'un  peu 
de  sucre,  de  café,  de  pétrole  et  des  armes.  Point  d'autres 
meubles  que  quelques  escabeaux  en  bois  grossièrement 
taillés  à  coups  de  hache,  quelques  plats  de  terre.  On  se 
vêt  des  étoffes  que  les  femmes  tissent  sur  leur  métier 
primitif  et  qu'elles  savent  décorer  de  broderies  charmantes. 
On  dort  à  même  le   sol   sur  des   couvertures  que  l'on 
replie  pendant  le  jour,  et  l'on  mange  le  mais,  les  piments, 
les  haricots,  les  courges,  produits  par  les  champs  et  les 
vergers  entourant  la  maison,  en  y  ajoutant  des  œufs,  du 
lait,  un  peu  de  volaille  ou  du  mouton.  Pour  tous  ceux 
qui' aiment  la  simplicité  des  mœurs  patriarcales,  qui  sont 
sensibles  à  la  beauté  des  attitudes,  de  la  démarche,  au 
chatoiement  des  teintes  vives  brodées  en  arabesques  sur 
le  fond  laiteux  des  laines  blanches,  un  voyage  s'impose 
avant  qu'il  soit  trop  tard  en  ces  lieux  à  la  fois  si  près 
et  si  loin  de  nous.  Mais  si  le  pittoresque  doit  y  perdre, 
le  bien-être  général  et  la  puissance  du  nouvel  Etat  ga- 
gneront grandement,  sans  nul  doute,  à  la  multiplication 
des  échanges  entre  la  montagne  et  la  plaine,  à  la  mise 
en  valeur,  avec  des  méthodes  modernes,  des  riches  ter- 
rains qui  restent  encore  à  coloniser.  La  population,  cruel- 
lement éprouvée  par  la  guerre,  les  maladies  épidémiques, 
et   que  décimait,  en  certains    districts,  une    émigration 
presque  maladive,    peut   et   doit  trouver  sur  place  des 
conditions  d'existence  suffisantes  pour  la  fixer  au  sol  en 
lui  assurant  des  ressources  régulières. 

Ces  ressources  proviennent  et  proviendront  longtemps 


234 


LA  VOUGO-SLAVIF 


UNE  RUE  DE  STROUGA.  La  petite  ville  de  Strougo  se  trouve  sur  les  confins  de 
la  Mac'jdoine  serbe  et  de  l'Albanie,  au  pom!  où  le  Drin  noir  ^'échappe  du  grand  lac 
d'Ochtida.  Comme  sa  voisine,  Ochrida,  clic  est  en  relation,  d'une  part  avec  le  bassin 
de  Monastir,  d'autre  part  avec  les  régions  albanaises  de  Dibra  et  d'El  Basson.  Atissi 


a-t-elle  une  certaine  actinie  griue  aux  eclangcs  tut  se  font  cnirc  la  montagnards 
et  les  gens  des  plaines.  La  population,  1res  bigarrée,  comprend  une  forte  majorité 
d'Albanais  auxquels  se  mêlent  des  Macédoniens  slaves,  des  Valagues,  un  petit  nombre 
de  Turcs  et  de  Grecs. 


RAGUSE  eut.  au  Motien  Age,  une  période  de  grande  prospérité.  C'était  une  petite 
République  indépendante,  rivale  de  Venise  et  de  Gènes,  gui  entretenait  d'activés  rela- 
tions avec  toutes  les  escales  de  la  Méditerranée  et  expédiait  directement  us  marchan- 
dises jusqu'aux  Indes.  C'était  aussi,  par  l'intensité  de  sa,  vie  intellectuelle,  un  centre 


de  civitiiation  pour  les  tribut  slaves  de  l'intérieur.  Elle  n'a  plus,  aujourd'hui,  qu'une 
m'en  minime  importance  ;mais  une  voie  ferrée  l'unitauxpays  du  Danube,  et  la  création 
récente  du  Royaume  i/ougo-tlaoe,  dont  elle  est  l'unique  débouché  maritime,  peut  lui 
donner  une  activité  nouvelle  Cl.  L*F0UEST. 


235 


L'EUROPE 


.M>. 


GRENIERS  A  MAIS  DANS  UN  V1LL,\GE  SERBE.  La  homllie  et  h  pain  de 
mats  forment  la  base  de  la  nourrifure  dans  certaines  régions  de  la  You^o-Slanie. 
Pour  mettre  les  épis  à  l'abri  de  l'humidité  et  des  rongeurs,  on  Its  entasse,  près  de 
la  maison  d'habitation,  dans  des  greniers  de  clayonnage.  juchés  sur  pilotis. 


PAYSAGE  MONTÉNÉGRIN.  Cette  photographie  donne  une  image  saisissante 
des  formes  du  paysage,  non  seulement  dans  la  Tcherna  Gora.  mais  dans  toute  la 
"  zagora  ",  c'est-à-dire  dans  les  régions  de  calcaire  Perméable  qui  bordent  l' Adria- 
tique. Sol  criblé  de  "  dolines  "  ;  pas  d'eau  de  surface  ;  maigre  végétation  buissonneuse. 


UN  MARCHÉ  EN  SERBIE  Les  Serbes  sont,  en  grande  majorité,  des  paysans, 
éleveurs  de  porcs  et  de  bêtes  à  cornes,  cultivateurs  de  blé,  de  maïs,  d'arbres  fruitiers, 
et  la  plupart  de  leurs  villes  ne  doivent  quelque  imoortance  qu'à  leurs  marches 
où  s'échangent  les  produits  de  la  plaine  et  de  la  montagne. 


PAYSAGE  EN  DALMATIE.  La  piste  cailloultuse  zigzague  au  flanc  des  mon- 
tagnes qui  plongent  sur  l'Adriatique.  Des  pins  d'AleO,  des  chênes  Verts  dominent 
çà  et  là.  les  buissons  du  maj/uis.  les  feuilles  larges  et  pointues  des  agaves.  Un  moine, 
assis  sur  son  âne,  regagneians  hâte  son  couvent  niihi  dans  quelque  loin  plus  fertile. 


SCUTAR!  D'ALBANIE.  La  capitale  du  petit  État  albanais  est  admirablement 
située  au  bord  du  lac  de  son  nom,  dans  un  cadre  grandiose  de  montagnes,  au  pied 
d  une  lutte  calcaire  qui  porte  les  ruines  d'une  antique  citadelle.  La  plaine  quil'cn- 
(ot'fc  est  le  lartie  la  plut  fertile  et  la  plus  peuplée  de  l'Albanie,  Cl.  MarUBBI. 


DURAZZO  D'ALBANIE.  Durazzo  fut,  dans  l'antiquité,  sous  le  nom  de  Dyrra- 
chium  l'un  des  ports  lesplus  importants  de  la  péninsule  balkanique.  De  làparlait 
la  "  Via  Fgnatia  "  qui  se  rendait  à  Salonique  et  Constantinople.  Ce  n'est  plus 
aujourd'hui  qu'un  fort  médiocre  mouillage  albanais.    Cl.  Chusseau-FlaviFNS. 


?56 


LA  YOUGO-SLAVIE 


encore  à  peu  près  exclusivement  de  la  culture  et  de 
l'élevage.  L'industrie  me'tallurgique  et  textile,  qui  peut 
utiliser  çà  et  là  un  peu  de  houille  ou  de  lignite  (3  500000 
tonnes),  de  cuivre  (40000  tonnes),  de  fer,  de  plomb,  de 
mangcinèse  et,  un  peu  partout,  la  force  motrice  des 
torrents,  ne  joue,  dans  tous  les  pays  yougo-slaves,  qu'un 
rôle  très  médiocre. Seules,  les  mdustnes  agncoles (sucreries 
brassenes,  laitenes  coopératives)  commencent  à  prendre, 
surtout  dans  les  riches  plaines  du  Nord,  une  réelle  im- 
portance. 

La  Yougo-Slavie  est  donc  tributaire  de  l'étranger 
pour  la  majeure  pctftie  de  ses  produits  fabriqués.  Elle 
lui  livre,  en  éc'heuige,  les  céréales  des  plaines  pannoniques 
et  de  la  Choumadia,  les  prunes  de  Bosnie  et  Serbie, 
les  boeufs,  les  chèvres  et  les  moutons  des  Planmas,  les 
porcs  d'un  peu  partout,  les  cuirs  et  peaux,  les  laines, 
les  bois  de  Bosnie  et  de  Carniole,  les  \anset  les  poissons 
de  Dalmatie,  les  tabacs  de  Macédoine,  etc. 

Voici  quelle  était  en  1912.  dernière  année  normale, 
la  valeur  du  trafic  pour  les  trois  pays  qui  avaient  leurs 
statistiques  propres   : 

Serbie.  —  (Avant  l'annexion  de  la  Vieille  Serbie  et 
de  la  Macédoine  serbe)  :  Importations,  107000000  de 
francs  (cotonnades  16,  machines  6,  lainages  1);  — 
exportations.  100  000  000  de  francs  (Prunes  17,  cé- 
réales 25,  peaux  brutes  7,5,  animaux  vivants  7). 

Monténégro.  —  Importations  :  7  500  000  francs  (sel, 
pétrole,  maïs,  sucre,  cotonnades)  ;  —  Exportations  : 
2  500000  francs  (sumac,  moutons). 

Bosnie-Herzégooine.  —  Importations  :  175000000 
de  francs  (cotonnades  et  lainages,  machines,  sucre, 
pétrole,  etc.);  — Exportations:  1 35  000  000  de  francs 
(bois  35,  prunes  et  marmelades  8,5.  animaux  vivants  4). 

A  cela  s'ajoute  toute  la  production  des  régions 
annexées  à    la    Serbie  et    au   Monténégro    en    1913 


(Vieille  Serbie,  Macédoine  Serbe,  Sandjak  de  Novi 
Bazar),  plus,  naturellement,  celle  de  la  Croatie-Slavo- 
nie,  de  la  Carniole,  de  la  Dalmatie,  de  la  Syrmie,  de  la 
Bachka  et  du  Banat.  Or  quelques-unes  de  ces  régions 
comptaient  parmi  les  plus  fertiles  et  les  plus  riches  de 
1  Empire  Austro-Hongrois. 

Les  seuls  renseignemeols  plus  récents  qu;  nous  ayons  présente- 
ment concernent  les  importations  et  les  exportatio^is  globa'es  en 
Yougo-Slavie  pendant  les  9  premiers  mois  de  1920.  Les  achats 
(2  577  000  000  de  dinars)  portèrent  surtout  sur  les  textiles,  les 
machines  et  les  objets  de  métal,  les  produits  chimiques,  etc.  Les 
\entes  (716  000000  de  dinars)  consistèrent  en  mais,  blé,  avoine, 
liu;ts.  bois,  animaux  vivants,  etc. 

En  résumé,  avec  ses  12000000  d'habitants,  ses 
249  000  kilomètres  carrés,  la  variété  de  ses  ressources,  sa 
large  façade  maritime,  ses  populations  parfois  arriérées, 
mais  robustes,  braves,  saines  de  corps  et  d'esprit,  ardem- 
ment patriotes,  la  Yougo-Slavie  apparaît  comme  une  des 
plus  heureuses  créations  dues  au  triomphe  des  Alliés  et 
à  1  application  du  principe  des  nationalités.  C'est  assuré- 
ment l'un  des  jeunes  Etats  européens  auquel  l'avenir  peut 
réserver  les  plus  réconfortantes  surprises,  à  la  condition 
qu  il  sache  régler  pacifiquement  ses  rapports  avec  ses 
voisins  d'Italie,  de  Grèce,  d'Autriche  et  de  Hongrie,  à 
la  condition  aussi  qu'il  évite,  à  l'intérieur,  les  querelles 
épuisantes  de  partis,  les  conflits  d'influence,  les  luttes 
religieuses,  qu'il  sache,  en  un  mot,  parfaire  cette  union 
nationale  à  laquelle  il  doit  la  vie. 

Nota.  Û  Û  Depuis  la  mort  du  roi  Nicolas  1",  en  mars  1921.  le 
Monténégro,  dont  la  situation  demeurait  jusqu'alors  mal  définie, 
a  été  définitivement  uni  à  l'Etat  Yougo-Slave.  II  forme  l'une  des 
9  provinces  autonomes,  chacune  possédant  sa  d.è:e  et  ses  lois, 
enire  lesquelles  se  partage  le  territoire  du  Royaume.  Les  autres 
sont  :  Sîrbie,  Vieil'e  Serbie,  Syrm'.e,  Banat,  Bachka,  Croatie-Slo- 
vénie, Dalmatie,  Herzégovine. 


237 


L'EUROPE 


CHAPITRE  XVI 


L'ALBANIE 


L'Albanie  est  la  région  montagneuse  comprise  entre 
l'Adriatique,  le  Monténégro,  la  Grèce  et  la  Macédoine. 
Ses  limites  naturelles  sont  indiquées  assez  nettement 
au  Nord  par  le  puissant  massif  des  Alpes  Albanaises, 
à  l'Est  par  les  monts  du  Char,  de  Stegovo,  et  la 
dépression  des  lacs  (lacs  de  Presba  et  d'Ochrida),  qui 


la  séparent  de  la  Macédoine.  Mais,  au  Sud,  aucune 
barrière  n'isole  l'Albanie  de  l'Epire  grecque,  et,  d'autre 
pcu-t,  la  race  albanaise  a  essaimé  depuis  longtemps,  en 
groupements  plus  ou  moins  sporadiques,  hors  de  son 
domame  primitif,  se  mêlant  aux  populations  slaves  ou 
hellènes  ses  voisines. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


LA  RÉGION  LITTORALE.  ^^  L'Albanie, 
qui  demeura  jusqu'à  nos  jours  une  région  si  fermée,  si 
farouchement  hostile  aux  étrangers  et,  par  cela  même,  si 
mal  connue,  s'ouvre  cependant  assez  largement  sur  la 
mer,  de  Saint-Jean-de-Medua  a  Sanli-Quaranta,  par 
une  série  de  plaines  littorales  que  prolongent  à  l'intérieur 
des  vallées  d'accès  facile. 

Sauf  à  l'exlrême-Sud  (chaîne  cotière  de  la  Chimara,  entre 
Valona  et  Santi-Quaranta),  on  ne  trouve  pluî,  ici,  les  hautes 
chaînes,  parallèles  au  rivage  et  le  dominant  immédiatement,  qui 
caractérisent  les  côtes  Dalmates  et  Monténégrines.  Les  massifs 
importants  n'apparaissent  qu'à  grande  distance  de  la  mer  et  leurs 
prolongements  occidentaux  se  présentent  obliquement  au  littoral. 
Entre  leurs  pointes  extrêmes,  d'anciens  golfes  marins,  semés  d'îles, 
ont  été  comblés  par  les  alluvions  des  fleuves.  Ainsi  sont  nées  la 
plaine  de  Zadrina,  que  traverse  la  Bojana,  déversoir  du  lac  de 
Scutari,  la  plaine  de  Bregoumatia.  formée  par  les  apports  du 
Drin  et  du  Mati,  la  plaine  du  Skjack  ou  de  Durazzo,  et  la  plaine 
de  Mouzakia  due  aux  argiles,  aux  sables  roulés  par  le  Skourabi, 
le  Semeni  et  la  Voïousa. 

Ces  plaines  alluviales  présentent  toutes  des  caractères 
semblables.  En  partie  inondées  chaque  hiver,  couvertes 
tantôt  de  marais,  de  leigunes  plus  ou  moins  saumâtres, 
tantôt  d'une  vraie  jungle  où  tamaris  et  grands  roseaux 
alternent  avec  des  fourrés  de  chênes  verts,  désolées  pai  la 
mcJaria,  elles  éloignent  l'homme  au  lieu  de  l'attirer.  Une 
faible  partie  de  leur  sol,  si  naturellement  fertile  pour- 
Uunt,  est  cultivée  en  céréales,  lin  et  tabac.  Ejicore  ces 
cultures  n'apparaissent-elles  qu'assez  loin  de  la  mer,  au 
pied  des  montagnes,  dans  les  parties  les  plus  sèches  et 
les  moins  malsaines,  aux  alentours  de  Kroja,  Tirana, 
Kavaja,  Fieri.  L'hiver,  quelques  tribus  de  montagnards 
et  des  pâtres   Valaques  viennent  y   paître   leurs  trou- 

238  ■ : ^ 


peaux,  'puis,  le  printemps  venu,  regagnent  les  hauteurs 
libres  de  neiges. 

MONTS  ET  PLATEAUX  INTÉRIEURS. 
^^  C'est  la  montagne  qui  est  le  domaine  naturel  de 
l'Albanais.  Elle  commence  au  Nord  pas  les  Alpes 
Albanaises,  formidable  barrière  qui,  de  Scutciri  à  Ipelc. 
dresse  jusqu'à  près  de  3  000  mètres  ses  pics  déchiquetés, 
creusés  de  cirques,  de  ravins  sauvages,  vêtus  jusqu  a 
1  500  mètres  de  forêts  d'érables,  de  hêtres,  de  sapins 
alternant  avec  les  pâtursiges  au-dessus  desquels  étincellent 
également  l'éclat  des  neiges  hivemcJes  et  la  blancheur 
éblouisscmte  des  calcaires.  Elle  se  continue,  au  Sud  du 
Drin  Noir,  par  un  ensemble  de  plateaux  et  de  hauteurs 
assez  mal  connus  dont  l'altitude  moyenne  varie  de  600  à 
1  500  mètres.  C'est  le  Massif  mirdite  dont  les  calcaires 
se  couvrent  encore  de  forêts  presque  vierges,  au  milieu 
desquelles  les  serpentines  et  les  diorites  ouvrent  de 
larges  clairières  stériles.  L'Albanie  méridionale,  qui  com- 
mence à  la  vallée  du  Skoumbi,  renferme  quelques  hauts 
massifs  (Tomor,  Kamia,  Chimara)  qui  tous  dépeissent 
2000  mètres,  mais  qu'isolent  les  uns  des  autres  les 
vallées  assez  larges  du  Skoumbi,  du  Devoii,  de  l'Ossoum, 
de  la  Voiousa.  Vers  l'Est,  au  contact  des  chaînes 
plissées  où  prédominent  les  roches  calcaires,  et  des  gra- 
nits, des  micaschistes  du  Massif  macédonien,  se  creusent 
trois  cuvettes  closes  d'une  ceinture  de  monts.  L'une,  celle 
de  Koritsa,  est  en  partie  desséchée  et  cultivée.  Les 
deux  autres  renferment  les  lacs  de  Presba  (300  kilo- 
mètres carrés)  et  d'Ochrida  (270  kilomètres  carrés). 
Leurs  eaux,  très  poissonneuses,  sont  d'une  limpidité,  d'une 
transparence  exceptionnelles,  et  la  pure  lumière  d'Orient, 


L'ALBANIE 


se  joucutt  sur  les  neiges  ou  les  roches  mauves  des  crêtes 
qui  les  entourent,  adoucit  l'âpreté  naturelle  d'un  cadre 
sévère  et  nu.  Enfin,  aux  bords  de  la  longue  cluse,  sou- 
vent inaccessible,  où  le  Drin  Noir,  issu  du  lac  d'Ochrida, 
précipite  ses  eaux,  les  crêtes  du  Tablanica  (2319  mètres), 
du  Korab  (2  050  mètres),  du  Char  (2  526  mètres) 
dressent  une  barrière  presque  infranchissable  entre  l'Al- 
hanie  Centrale  et  la  Haute-Mace'doine. 

CLIMAT  ET  VÉGÉTATION,  aa  D'une 
mcinière  générale,  les  plames  littorales,  et  les  vallées 
ouvertes  qui  les  prolongent  quelque  peu  à  l'intérieur, 
ont  le  climat  et  les  cultures  propres  aux  régions  méditer- 
rjinéennes.  La  tiédeur  des  hivers  (moyenne  de  janvier 
+  4°  à  Scutari,  +  8°  à  Durazzo)  n'est  interrompue 
que  par  le  souffle  glacé  delà  Bora  "venue  des  monts 
neigeux.  Les  étés  sont  très  chauds  et  secs.  Ces  caractères 
s'accentuent  naturellement  du  Nord  au  Sud.  Ainsi 
l'cranger  et  le  citronnier  ne  mûrissent  leurs  fruits  que  sur 
la  côte  bien  abritée  qui  s'étend  au  pied  de  la  Chimara. 
Mais  l'olivier,  le  mûrier,  le  figuier,  la  vigne  se  trouvent 
partout  jusqu'à  600  ou  700  mètres  d'altitude  dans  les 
bassins  de  Scutari,  Kroja,  Tirana,  EJbassan,  Berat, 
Argyrocastro,  etc.,  et  ce  sont  les  plantes  ordinau-es  du 


maquis  :  chênes  verts,  arbousiers,  myrtes,  buissons  épi- 
neux et  toujours  verts,  qui  couvrent  les  collines  et  les 
avant-monts. 

Les  plateaux  et  les  montagnes  de  l'intérieur  (plus  de 
la  moitié  de  l'Albanie  est  au-dessus  de  !  000  mètres) 
ont,  au  contraire,  des  hivers  rudes  pendant  lesquels  la 
neige  tombe  avec  abondance.  Les  pluies,  amenées  surtout 
à  I  automne  et  au  deliut  du  printemps  par  le  sirocco, 
vent  du  Sud-Ouest,  s'abattent  en  grosses  averses  qui 
donnent  un  total  de  plus  d'un  mètre  en  moyenne  par  an. 
Mais  l'été  demeure  très  sec  et  la  chaleur  est  grande,  au 
moins  dans  les  vallées  et  les  dépressions.  De  là  les 
fortes  oscillations  des  cours  d'eau,  tour  à  tour  torrents 
furieux,  profonds  et  larges,  constituant  d'infranchissable» 
barrières,  ou  simples  lits  de  cailloux  que  l'on  passe  par- 
tout à  gué. 

Au-dessus  de  700  mètres,  oliviers  et  maquis  toujours 
verts  disparaissent  brusquement  et  cèdent  la  place  aux 
ormes,  aux  platanes,  aux  chênes,  puis  aux  hêtres  et  aux 
sapins.  Mais  la  vraie  forêt  est  rare,  et  là  même  où,  de 
loin,  apparaissent  de  grandes  taches  de  verdure  sombre, 
on  ne  trouve  trop  souvent  en  s'aprochant  que  des 
taillis  souffreteux,  des  broussailles,  des  touffes  d'herbes 
dures. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


Les  Albanais,  appelés  Arnaoutes  par  les  Turcs,  se 
donnent  à  eux-mêmes  le  nom  de  Skipétars.  Leur  origine 
est  fort  controversée.  On  tend  cependant  à  les  considérer 
comme  les  descendants  directs  des  lllyriens.  Ce  serait 
donc  une  des  races  autochtones  les  plus  anciennes  de 
l'Europe,  que  la  montagne  protégea  contre  les  invasions 
étrangères  (Cf.  les  Basques  descendant  des  Ibères).  Le 
type  le  plus  pur  se  trouve  dans  l'Albanie  du  Nord  : 
haute  taille,  tête  ronde,  face  large,  front  carré,  nez 
aquilin.  Les  bruns  forment  la  majorité,  bien  que  les  blonds 
ne  soient  pasrares.  Dansl'Albanie  méridionale,  au  Sud  de 
la  rivière  Skoumbi,  les  croisements  avec  les  étrangers  ont 
altéré  la  pureté  du  typeoriginel.  Les  Albanais  se  divisent, 
du  reste,  eux-mêmes  en  Guègues  ou  Albanais  septen- 
trionaux, et  en  Tosques  ou  Albanais  méridionaux.  Nous 
retrouvons  ainsi,  dans  la  répartition  des  populations,  cette 
diitinclion  entre  le  Nord  et  le  Sud  que  la  description  du 
sol  nous  fit  déjà  connaître.  Et  cette  distinction  est 
ancienne,  puisque  Slrabon  indiquait  déjà  la  Via 
Egnatia",  qui  emprunte  la  vallée  du  Skoumbi,  comme  la 
frontière  entre  les  lllyriens  et  les  Epiroîes. 

On  retrouve  en  Albanie  des  formes  d'une  vie  sociale 
très  archaïque  qui  a  depuis  longtemps  disparu  du  reste 
de  l'Europe,  et  que  l'on  peut  comparer  à  l'organisation 
des  tribus  du  Rif  marocain. 

Les  Guègues  de  l'Albanie  du  Nord,  souvent  désignés 


sous  le  nom  de  Malisores  ou  Montagnards,  ont  con- 
servé jusqu  à  nos  jours  une  complète  indépendance.  Au 
temps  où  ils  étaient  soumis,  nominalement,  à  la  domina- 
tion turque,  ils  n'ont  jamais  été  astreints  au  service 
militaire.  Ils  se  groupent  en  une  cinquantaine  de  tribus 
(les  Mirdites,  KJementi,  Hoti,  Kastrati,  Poulti,  Shoshi, 
Dibra,  Mati,  etc.),  dont  les  unes  comptent  plusieurs 
milliers  d'hommes  en  état  de  porteries  armes,  tandis  que 
d'autres  sont  réduites  à  quelques  groupes  de  maisons. 
Chaque  tribu  comprend  un  nombre  variable  de 
Bajraks  ",  ensemble  de  familles  reconnaissant  l'autoritë 
d'un  conseil  de  notables  appelés  Bajraktcu-s  (porte- 
étendards).  Dans  chaque  famille,  enfin,  l'ancêtre  con- 
serve un  pouvoir  très  fort  sur  tous  ses  descendants  habi- 
tant sous  le  même  toit  que  lui. 

L'élat  de  guerre  existe  presque  constamment  entre  tribus  voi- 
sines et  se  manifeste  non  par  des  attaques  en  bandes,  mais  par  des 
razzias  isolées,  des  guets-apens,  des  attaques  individuelles.  A  l'in- 
térieur même  de  la  tribu  il  y  a  hostilité  permanente  entre  familles 
et  stricte  obligation,  pour  tous  les  membres  de  la  famille,  de 
"  reprendre  le  sang  '*  sur  n'importe  quelle  personne,  les  femmes 
exceptées,  de  la  famille  ennemie.  Ce  devoir  de  vendetta, 
de  tribu  à  tribu  et  de  famille  à  famille,  est,  en  somme,  le  Irait 
essentiel  de  la  vie  sociale  albanaise.  Ainsi  s'explique  la  proportion 
très  élevée  des  morts  violentes  (21  pour  100  chez  les  Orosi. 
2-1  pour  100  chez  les  Kasnedili,  32  pour  100  chez  les  Spalchi. 
39  pour  tOO  chez  les  Toplana),  le  caractère  sauvage,  soupçonneux 

_ 239 


L'EUROPE 


de  l'Albanais,  son  ignorance,  son  mépris  du  travail  manuel,  son 
amour  de  l'indépendance  complète,  son  individualisme  excessifs  (1). 
ses  habitudes  de  brigandage,  sa  bravoure  indéniable.  L'Albanais  est 
toujours  sur  ses  gardes.  Sa  maison  est  une  forteresse  :  la  '*  Koula  '  (la 
tour)  aux  murs  épais  percés  de  meurtrières  ou  de  rares  et  petites 
fenêtres  ne  s'ouvrant  qu'au  ras  du  toit.  Ces  Koulas  ne  se  groupent 
point  en  villages,  mais  sont  largement  isolées  les  unes  des  autres.  A 
la  nuit  tombante,  la  maison  est  soigneusement  close  et  nul  ne  se 
hasarde  à  en  sortir.  On  cite  des  exemples  de  familles  où,  pendant 
des  années,  les  mâles  n'ont  pas  quitté  l'intérieur  de  leur  Koula  ! 
La  vendetta  est  parfois  tempérée  ou  momentanément  suspendue 
par  la  "  Bessa  "  (sauvegarde).  Par  exemple,  les  femmes  jouissent 
toutes  du  privilège  de  Bessa  et  ne  sont  pas  atteintes  par  la  ven- 
detta. De  même  l'agriculteur  qui  irrigue  sa  terre  à  son  tour  d'eau. 
Parfois,  le  conseil  des  Bajrakiars  décrète  la  Bessa  entre  deux 
familles  ou  deux  tribus  ennemies.  Enfin,  suivant  un  usage  que  l'on 
retrouve  chez  nombre  de  peuples  primitifs,  la  Bessa  est  conférée  obli- 
gatoirement à  quiconque  a  franchi  le  seuil  de  son  ennemi,  car  nul  n'a 
le  droit  de  refuser  l'hospitalité  à  qui  la  demande.  La  Bessa  ne 
cesse  de  le  protéger  que  lorsqu'il  s'est  éloigné  à  plus  d'une  portée 
de  fusil. 

Le  Tosque,  ou  Albanais  du  Sud,  diffère  à  maints 
égards  du  Guègue.  La  langue  qu'il  parle  s'e'loigne  du 
dialecte  guègue  autant  que  le  provençal  du  français. 
11  est  de  race  moins  pure,  par  suite  d'alliances  fréquentes 
avec  les  Valaqueset  les  Grecs.  Plus  mou,  plus  louvoyant, 
moins  fidèle  dans  ses  amitiés,  il  a  atteint  un  stade  de  civi- 
lisation plus  avancé.  Sans  doute,  dans  les  districts  monta- 
gneux et  éloignés  de  la  côte,  les  mœurs  du  Tosque  ne 
diffèrent  guère  de  celles  du  Guègue.  Il  a  conservé  le 
régime  de  la  tribu  et  l'habitude  de  li  vendetta.  Mais, 
dans  la  région  qui  s'étend  d'Elbassan  à  Argyrocastro, 
et  où  dominent  les  Albanais  musulmans,  le  régime   du 

clan  "  remplace  le  régime  de  la  tribu.  La  terre 
appartient  à  un  petit  nombre  de  grands  propriétaires, 
Beys  ou  Pachas,  qui  la  font  cultiver  par  des  métayers  à 
demi-part.  Ces  métayers  sont,  non  pas  des  serfs,  mais  des 
clients  dévoués  au  maître  jusqu'à  la  mort,  et  qui,  au 
premier  signal,  accourent  avec  leurs  fusils  vers  sa  koula. 
Ces  Beys,  parfois  assez  instruits,  forment  ainsi  une 
véritable  aristocratie  féodale  dont  l'autorité  s'exerce, 
même  en  dehors  de  leur  clientèle,  par  l'intermédiaire  de 
personnages  religieux,  "cheicks"  ou  "hodj'as",  vénérés 
dans  le  pays.  En  cas  de  besoin,  ils  prennent  à  leur 
solde  des  condottieri  de  métier. 

La  koula  est  encore  une  forme  d'habitation  fort 
employée.  Les  koulas  des  beys,  des  riches  propriétaires, 
se  transforment  même  parfois  en  véritables  châteaux  forts 
avec    large    cour  intérieure  ceinte  de  hautes  murailles 

(1)  Voici  quelques  exemples  significatifs  de  ces  habitudes  d'indi- 
vidualisme: 1"  Dans  le  bataillon  albanais  d'Essad  Pacha,  qui 
combattit  à  nos  côtés  en  Macédoine,  on  ne  put  jamais  apprendre  aux 
hommes  à  marcher  par  quatre  et  l'on  eut  grand'peine  à  les  faire 
aller  par  deux.  —  2°  Les   hommes  ne  mangeaient  point  ensemble 

cl  chacun  faisait  sa  cuisine  pour  sol  dans  sa  gamelle.  3°  On  eut 

fort  à  faire  pour  les  persuader  de  la  nécessité  de  monter  leurs 
lentes  par  groupes  de  trois  ou  de  six  ;  chacun  s'en  allait  avec  sa 
toile  de   tente  et  s'installait    de   son    mieux,    individuellement. 

240  — ■ 


et  de  tours.  Mais,  comme  la  sécurité  est  beaucoup  plus 
grande,  et  que  la  vendetta  s'est  fort  atténuée,  la  petite 
maison  de  pierre  à  vérandah  est  la  demeure  ordinaire 
du  paysan,  et,  au  lieu  de  se  disperser  çàet  là,  ces  maisons 
se   groupent  en   hameaux,   en    villages   paisibles. 

Déjà  divisés  par  la  langue  et  les  habitudes  de  vie,  les 
Albanais  le  sont  plus  encore  par  la  religion. 

Au  Nord,  les  catholiques  forment  un  groupe  compact 
allant  des  Alpes  Albanaises  aux  environs  de  Tirana. 

C'est  la  confédération  des  Mirdites,  dont  les  chefs  religieux 
sont  les  évêques  ou  archevêques  de  Scutari,  Durazzo  et  Oroshi.  La 
religion,  tout  extérieure,  se  borne  à  l'observance  rigoureuse  des 
jeûnes  et  des  pèlerinages,  mais  est  demeurée  sans  influence  sur  la 
vie  morale,  ils  entrent  à  l'église  sans  quitter  leurs  armes  et 
se  fusillent  à  la  sortie.  Les  Mirdites  étalent  depuis  un  temps 
immémorial  sous  le  protectorat  moral  de  la  France  qui  leur  avait 
même  fait  confirmer,  au  Congrès  de  Berlin,  leurs  privilèges  (auto- 
nomie intérieure  sous  le  régime  turc).  Mais  l'Autriche  sut  gagner 
à  sa  cause  leurs  chefs  religieux  et  civils,  et  ces  catholiques  Alba- 
nais, par  une  véritable  trahison,  se  rangèrent,  dans  la  dernière 
guerre,  aux  côtés  de  nos  ennemis. 

La  grande  majorité  des  Albanais  adopta  l'Islam.  Mais 
ils  sont  divisés  en  Musulmans  d'observance  régulière,  et 
Bektaschites  (région  de  Tirana  et  d'Elbassan).  De  plus, 
ils  vivent  dans  des  conditions  sociales  très  diverses  qui 
modifient  leur  mentalité.  Les  plus  fanatiques,  ceux  du 
Nord,  mêlés  aux  catholiques,  ont  conservé  le  régime  de 
la  tribu.  Les  Bektaschites  sont,  au  contraire,  pacifiques 
et  fort  tolérants. 

Les  Orthodoxes,  enfin,  sont  nombreux  dans  la  région 
de  Durazzo,  la  Chimara,  le  pays  de  Koritsa  et  de  Bérat, 
et,  en  général,  dans  l'Albanie  du  Sud. 

Aux  purs  Albanais  il  convient  d'ajouter  quelques  élé- 
ments hétérogènes,  assez  peu  nombreux  du  reste  : 
Koutso-Valaques  de  la  région  de  Koritsa  et  du  Tomor, 
menant  ici,  comme  dans  tous  les  Balkans,  la  vie  de  ber- 
gers transhumants  ;  Grecs  commerçants  habitant  surtout 
les  villes  :  Delvino,  Argyrocastro,  Durazzo  et  Valona, 
enfin  des  Tziganes  disséminés  un  peu  partout. 

SITUATION  ÉCONOMIQUE.  00  Aucune 
statistique  ne  nous  permet  de  donner  une  idée  exacte  des 
ressources  de  l'Albanie.  Du  reste,  ces  ressources  sont 
fort  minimes,  comme  il  est  naturel  dans  un  pays  couvert 
presque  en  entier  de  montagnes  et  de  hauts  plateaux. 

L'Albanais  est  avant  tout  un  pasteur.  Chaque  famille 
possède  son  troupeau  de  chèvres  et  de  moutons  élevés 
moins  pour  la  viande  que  pour  le  lait,  qui  sert  à  la  fabri- 
cation des  fromages,  pour  la  laine  et  la  peau.  De  même, 
partout  où  la  culture  est  encore  possible,  chacun  a  ses 
champs  de  maïs,  d'orge,  de  seigle  et  de  tabac,  et  son 
jardin  où  l'on  cultive  surtout  le  haricot,  l'ail,  l'oignon  et 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE      PL.    13 


LA  GRECE 


le  piment.  Peu  de  blë  ;  on  fait,  avec  la  farine  de  meiis,  un 
pain  grossier  qui  est,  avec  les  laitages  et  les  œufs,  la 
nourriture  presque  unique  du  montagnard. 

Les  parties  de  la  région  littorale  qui  ont  pu  être 
mises  en  cultures  sont  les  plus  riches  et  les  plus  produc- 
tives. Les  arbres  fruitiers,  la  vigne,  le  mûrier,  l'olivier 
surtout  y  trouvent  les  conditions  de  toi  et  de  climat  qui 
leur  conviennent.  Le  mais  est  cultivé  sur  d'assez  vcistes 
surfaces,  et,  aux  moutons,  s'ajoutent,  en  petit  nombre 
du  reste,  boeufs  et  buffles  nécessaires  aux  labours  et 
aux  charrois.  Au  total,  tout  cela  est  peu  de  choses  et  ne 
donne  lieu  qu'à  un  trafic  des  çlus  réduit.  L'Albanie 
exporte  vers  Trieste,  Venise,  l'Egypte,  des  laines,  des 
peaux,  un  peu  de  bétail,  du  bois  de  construction  et  de 
chauffage,  de  l'huile  d'olive.  Elle  reçoit  du  café,  du  riz, 
des  armes,  des  métaux  travaillés  et  des  tissus.  L'absence 
de  voies  ferrées,  l'extrême  rareté  des  routes  carrossables 
sont  un  obstacle  majeur  au  développement  des  relations 
de  l'Albanie  avec  l'extérieur,  et  même  au  trafic  intérieur- 
Il  n'existe  pas  une  seule  route  unissant  le  Nord  et  le  Sud 
du  pays.  De  l'Ouest  à  l'Est,  la  seule  voie  utilisable  pour 
les  voilures  est  celle  qui,  partant  de  Santi-Quaranta. 
parvient  à  Florina  et  Monastir  par  Liaskovicet  Koritsa. 
Quelques  tronçons  de  routes  mènent  de  Durazzo  à 
Tirana,  Elbassan  et  Bérat.  Partout  ailleurs,  de  mauvais 
sentiers  muletiers,  souvent  impraticables  en  hiver,  sont  les 
seuls  moyens  de  communication. 

LES  VILLES.  /ïJ^  La  meilleure  rade  de  la  côte 
est  Valona  (10000  habitants),  sur  une  baie  profonde 
et  bien  abritée.  Durazzo  (l'ancienne  Dyrrachium,  point 
de  départ  delà  "  Via  Egnatia",  l'unique  voie  romaine 
traversant  d'Est  enOuestIa  péninsule  des  Balkans),  n'est 
qu'un  mouillage  médiocre.  Par  contre.  Santi-Quaranta. 


au  Sud,  etSaint-Jean-de-Medua,auNord,  peuvent  rece- 
voir les  plus  grands  navires  et  prendront  de  l'importance 
quand  les  voies  ferrées  les  uniront  l'une  à  la  Serbie, 
l'autre  àlaThessalie  grecque  et  à  l'Epire,  dont  elles  sont 
les  débouchés  naturels. 

Dans  la  région  littorale,  Scutari  (Skodra  en  alba- 
nais), 45000  habitants,  est  la  plus  importante  ville 
d  Albanie.  Elle  résume,  du  reste,  les  caractères  du  pays 
tout  entier  avec  sa  population  bigarrée  (26000  musul- 
mans, 14000  catholiques,  4000  orthodoxes,  quelques 
juifs  et  tziganes),  son  Bazar  "  dominé  par  la  citadelle, 
ses  maisons  isolées  les  unes  des  autres,  ayant  chscune 
leur  jardin  entouré  de  hautes  murailles,  ses  rues  étroites, 
tortueuses,  bordées  de  murs  sans  ouvertures,  propices 
aux  embuscades  et  aux  guets-apens. 

Alessio  (3  000  habitants),  près  de  l'embouchure  du 
Drin,  Kroya  (ôOOOhabitants),  Tirana  (  1 7000  habitants), 
dans  la  plaine  de  Bregoumatia,  Kavaja  (5000  habitants), 
Pekmjé,  Fieridans  la  Mousakja,  Delvino,  sur  la  route  de 
Santi-Quaranta  à  Janina,  sont  entourés  de  belles  cultures 
et  de  bois  d'oliviers. 

A  l'intérieur,  Bérat  (  I  5  000  habitants),  sur  le  Lioumi, 
Ellbassan  (20  000  habitants),  Argyrocastro  (6000  habi- 
temts),  habités  surtout  par  des  Albanais  musulmans  et 
des  Valaques  orthodoxes,  sont  les  capitales  desTosques, 
comme  le  bourg  misérable  d'Oroshi  est  le  centre  religieux 
et  politique  des  Mirdites  catholiques.  Dibra  (4000  habi- 
tants) sur  le  Drin,  Struga,  Ochrida,  bien  que  purement 
albanaises,  appartiennent  à  la  Serbie  nouvelle.  Koritsa 
(20000  habitants)  enfin,  où  à  l'élément  albeinais  se  mêlent 
des  Macédoniens,  des  Grecs,  des  Valaques,  est  la  ville 
la  plus  européanisée  —  oh  !  très  relativement  —  d'Al- 
banie, grâce  à  l'influence  exercée  par  les  émigrants,  sur- 
tout Valaques,  revenus  d'Amérique. 


CHAPITRER  XVII 

LA  GRÈCE 


Le  Royaume  de  Grèce  est  né  en  1 830  lorsque,  avec 
l'aide  de  la  France,  de  l'Angleterre  et  de  la  Russie,  les 
insurgés  Hellènes  parvinrent  à  s'arracher  au  jou  j  turc 
qui  pesait  sur  eux  depuis  quatre  siècles.  D  abord  réduit  à  la 
presqu'île  de  Morée,  à  la  Grèce  centrale  (Etolie,  Pho- 
cide,  Attique)  et  aux  Cyclades,  il  obtint  successivement 
les  lies  Ioniennes  en  1863,1a  Thessalie  en  1883, 1  Epire, 
la  Macédoine  grecque,  la  Chalcidique  et  la  Crète  en 
1913. 

Enfin,  la  Grande  Guerre,  à  laquelle  des  divisions  hellé- 
niques prirent  une  part  tardive  mais  intéressante,  permit 


au  peuple  grec  d'acquérir,  avec  les  lies  Elgéennes  qui  lui 
manquaient  encore  (Chios,  Lesbos,  Lemnos,  etc.),  la 
majeure  partie  de  la  Thrace,  c'est-à-dire  le  littoral  Nord 
de  la  Mer  Egée  et  de  la  Mer  de  Marmara  jusqu'au  delà 
d'Andrinople,  jusqu'aux  rivages  de  la  Mer  Noire  et  aux 
portes  de  Stamboul.  Bien  plus,  Smyrne  et  une  impor- 
tante portion  de  l'Anatoiie  OccidenSale  échappèrent  aux 
Osmanlis  et  furent  rattachées  à  l'HelIade.  Ainsi  a  pris  fin 
le  régime  anormal,  intolérable,  qui  maintenait  des  millions 
d'Hellènes  sous  la  domination  étrangère.  Certes,  tous  les 
Grecs  ne  sont  pas  encore  '  rachetés  ".  Ceux  de  Byzance, 


241 


CfocRAPHIE  UNrVERSELLE. 


24 


L'EUROPE 


de  Rhodes,  de  Chypre,  des  rivages  Sud  et  Nord  de 
l'Asie  Mineure  demeurent  hors  de  la  patrie.  Mais  cette 
situation  qui,  au  reste,  peut  se  modifier,  se  trouve  en 
quelque  sorte  compensée  par  le  fait  que  les  nouveaux 
territoires  attribue's  au  royaume  (notamment  dans  la 
Thrace  méridionale  et  l'intérieur  du  vilayet  de  Smyrne) 


renferment  une  minorité  sérieuse  d'allogènes  :  Bulgares, 
Turcs,  Juifs,  Aromounes,  etc.  Dans  l'ensemble,  le  nou- 
vel Etat  grec  doit  comprendre  environ  6  000000  d'Hel- 
lènes et  2  000000  d'allogènes,  alors  que  la  Grèce 
de  1912  comptait  2  600  000  habitants  seulement  !  et 
celle  de  1914  :  4820;000.!I 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE  ~  TRAITS  GENERAUX 


RELIEF.  ^£>  Si  l'on  regarde  une  carte,  même  à 
très  petite  échelle,  des  pays  Grecs,  ou  plus  exactement 
des  pays  Egéens,  on  est  incontinent  frappé  par  la  com- 
plication du  relief  sur  un  étroit  espace,  le  grand  nombre 
de  petits  bassins,  clos  de  hautes  montagnes,  les  dente- 
lures infinies  d'un  rivage  déchiqueté  comme  une  dentelhe, 
la  multitude  des  îles  et  des  îlots  qui  prolongent  la  terre 
ferme  et  l'unissent,  comme  les  piliers  d'un  pont  gigan- 
tesque, soit  à  l'Italie  par  les  Iles  Ioniennes,  soit  à  l'Asie 
par  les  Cyclades.  Cette  architecture  de  lEgéide  s'explique 
par  son  passé  géologique. 

Dès  l'époque  primaire  il  y  eut,  sur  l'emplacement  actuel  de  la 
Macédoine,  de  la  Roumélle  et  de  la  Mer  Egée,  un  continenl 
(granités,  micachistes,  gneiss,  marbres)  sur  les  flancs  duquel, 
aux  temps  tertiaires,  vinrent  se  mouler  les  chaînes  plissées  des 
Alpes  Albanaises  et  du  Pinde,  formées  de  roches  calcaires.  Ces 
plissements  furent  accompagnés  et  suivis  d'une  série  d'effondre- 
ments qui  se  prolongèrent  jusqu'au  début  des  temps  quaternaires. 
Tandis  que  les  tièdes  eaux  méditerranéennes  envahissaient  les 
fosses  les  plus  profondes,  se  glissaient  entre  les  murailles  des 
hauts  monts,  s'insinuaient  par  mille  lézardes  dans  la  moindre 
anfractuosité  des  rocs,  rejoignaient  même  les  sombres  mers  du 
Nord  par  la  double  entaille  des  Dardanelles  et  du  Bosphore, 
certaines  parties  de  l'ancien  continent,  épargnées  par  les  boulever- 
sements du  sol,  demeuraient  en  saillie.  Ainsi  naquirent  les  îles 
grandes  et  petites,  et  les  hauts  promontoires  où  tremble  parfois 
la  blancheur  d'une  colonne;  et  les  écueils  où  tant  de  navires  se 
brisèrent  depuis  que  Sidoniens  et  Tyriens  commencèrent  à  fré- 
quenter les  mers  grecques;  et  les  plaines  vastes  comme  la  Thrace 
et  la  Thessahe  ou  larges  de  quelques  centaines  de  mètres,  com- 
plètement fermées  par  une  ceinture  de  montagnes  (bassins  du  lac 
Copals  en  Phocide,  de  Janina  en  Épire,  de  Tégée  et  du  Stym- 
phale  en  Arcadie),  ou  s'ouvrant  par  une  brève  façade  sur  la  mer 
caressante,  telles  les  plaines  de  Messénie,  de  Laconie,  de 
1  Attique,  etc.  Aux  bords  des  fosses  marines  jaillirent  çà  et  là  — 
même  à  l'époque  historique  —  des  volcans,  tels  les  cônes  de  Koumi 
en  Eubée  et  ceux  de  Santorin,  dont  les  falaises  de  laves  entourent, 
comme  d  un  mur  prodigieux,  l'ancien  cratère  envahi  par  la  mer. 
Et  pour  compléter  la  ressemblance  —  si  naturelle  d'ailleurs  — 
avec  les  rives  de  la  Mer  Tyrrhénienne,  les  tremblements  de  terre 
ne  manquent  pas  plus  en  Grèce  qu'en  Sicile  ou  en  Campanie.  11 
ne  se  passe  point  d'année  où  le  sol  ne  tremble  à  maintes  reprises 
de  façon  fort  sensible,  et  si  les  séismes  désastreux  sont  heureuse- 
ment rares,  ceux  de  1893  à  Zanle,  de  1894  en  Locride  et  en 
Eubée  ont  laissé  dans  l'âme,  des  survivants  un  ineffaçable  souvenir. 

Ainsi  formée  de  compartiments  multiples,  la  Grèce  se 
prêtait  à  merveille  au  particularisme  de  la  cité  antique, 
petite  mais  libre  république  qui,  du  haut  de  son  acropole, 

242 


embrassait  aisément  l'étendue  de  son  territoire  ;  et,  comme 
nombre  de  ces  compartiments  s'ouvrent  sur  la  mer,  comme 
le  moyen  le  plus  aisé  d'aller  de  l'un  à  l'autre  est  de  se 
confier  au  sourire  innombrable  des  flots  ",  les  Hellènes 
devinrent  très  vite  et  très  tôt  des  marins,  des  colonisa- 
teurs qui,  de  Chypre  à  Marseille,  de  Cyrène  à  Olbia, 
couvrirent  de  leurs  comptoirs  les  côtes  méditerranéennes. 

CLIMAT  ET  VÉGÉTATION.  X!f£l  Les  con- 
trastes que  l'on  observe  à  brève  distance  entre  plaines  et 
montagnes,  l'étonnante  variété  du  relief  et  de  l'exposition 
se  traduisent  par  de  sensibles  différences  dans  le  climat 
et  la  végétation  des  diverses  régions  grecques.  Sans  doute 
elles  sont  en  général  comprises  dans  la  zone  climatique 
dite  méditerranéenne  ou  subtropicale,  dont  nous  con- 
naissons d'ailleurs  les  caractères  généraux  :  hivers  tièdes, 
étés  longs,  chauds  et  secs,  pluies  médiocres  tombant  en 
peu  de  jours  et  presque  uniquement  de  l'automne  au  début 
du  printemps  ;  végétation  spéciale  ou  prédominent  les 
plantes  toujours  vertes  capables  de  supporter  sans  mou- 
rir les  longues  sécheresses  des  étés,  etc. 


Tempér.  moyennes 

1 

du  mois 

Locafités. 

S 

3 

S 
•s 
5 

4i 
J 

j 

■y 

a 

■5 

J 

'i 
g 

Saison  tîes  pluie». 

3 

a 

-à 

s 

Athènes 

37°58 

103  m. 

I7''3 

8°2 

27-0 

\m 

402 

Octobre-Aviil, 

Syra 

37''26 

18''2 

904 

26°8 

WA 

503 

— 

Corfou  ; 

39°38 

— 

17«2 

905 

2507 

I5'>2 

1  245 

-~ 

Mais  cela  n'est  tout  à  fait  exact  que  pour  les  plaines 
côtières  et  les  îles.  Les  monts,  les  hauts  bassins  fermés 
de  l'intérieur  doivent  à  leur  altitude  un  climat  hivernal 
singulièrement  plus  froid,  une  moyenne  analogue  à  celle 
de  l'Europe  Centrale.  Oranges  et  mandarines  mûrissent 
mal,  même  à  Athènes,  et  disparaissent  au  Nord  de  l'At- 
tique.  L'olivier  est  absent  des  plaines  thessaliennes  ou 
macédoniennes.  En  hiver,  peu  d'heures  suffisent  pour  pas- 
ser des  rivages  ensoleillés  aux  monts  couverts  de  neige. 
Par  contre,  pendant  les  journées  accablantes  du  torride 
été,  quand  l'atmosphère  des  plaines    basses  vous    brûle 


LA  GRECE 


"^m?^ 


Pajjaron 


Daûone-f 


\bQUA 

NV-Lacinos  .> 


E  L  1  M^  *  7  iP        Olympe    ^-  ^rTTTFmjrmQ^t 

'^         oOtoojjon,  ] 

■%,  ^  ^  M'Ossa 


'^'t^menit^  n^J 


TflRACF. 


'«^ 


Skialhos  , 


■7,o„^   É  T  O 


Péparéthos 


M^Œta 


rDORl 


'O 


Képîiallé 


^  0   Chirroncc^'\^j^^^\f''n^P'' 

rf>t^— •     <V^  -~^j'-^<^^^-}^>^      l  fX  «TB  e   o    t  Io  e 


-^^/ry,      -^erxé.   Manlinee    /''■'■'^trV''V/'<':Qjt,  ^\/JC^^"^^^!^ FœtcMi^Xaii/is:^ 


GIRECE,  Aî^CIIIENNIE 


iTO"  ' 


îses* 


comme  un  souffle  de  fournaise,  vous  trouvez  aisément 
là-haut,  dans  la  montagne,  les  eaux  jaillissantes  des  fon- 
taines qui  murmurent  à  l'ombre  des  platanes,  et  la  brise 
fraîche  qui  monte  de  la  mer. 

Les  pluies  mêmes  ne  tombent  point  partout  d'égale 
façon.  Sur  les  pentes  occidentales  du  Pinde,  des  Monts 
d  Etoile^  du  Lycée  Arcadien,  dans  les  lies  Ioniennes 
aussi,  les  vents  d'Ouest  amènent  de  copieuses  averses 
(1  245  millimètres  à  Corfou.  1  351  à  Argosloli,  I  245 
à  Karpenisi  en  Etolie,  997  à  Kyparissia  d'Arcadie). 
Ellles  suffisent  à  nourrir  sans  trop  de  parcimonie  l'Ache- 
loUs  et  l'Alphée,  entretiennent  les  sources,  pourvoient 
aux  besoms  de  pâturages  verdoyants  et  de  forêts  assez 
touffues  où  prédominent,  suivant  l'altitude,  pins  d'Alep, 
chênes,  châtaigniers,  mélèzes  ou  sapins.  L'Est  de  l'Hellade 
est  singulièrement  plus  sec.  L'Argolide,  l'Attique,  les  lies 
Egéennes  ne  reçoivent  guère  plus  de  40  centimètres  d'eau. 


en  soixante  ou  quatre-vingts  jours.  L'été,  quand  les  vents 
étésiens  glissent  avec  douceur  sur  la  mer  soyeuse,  trois  et 
quatre  mois  se  passent  sans  qu'un  nuage  ne  vienne  voiler 
l'azur  profond  du  ciel.  Aussi  les  torrent  s'épuisent,  les 
bonnes  sources  deviennent  une  rareté.  Sur  les  pentes  des 
montagnes,  le  maquis  (Longos)  d'arbousiers,  de  cystes, 
de  lentisques,  etc.,  remplace  la  forêt.  11  doit  même  céder 
la  place,  en  bien  des  lieux,  à  la  maigre  végétation  des 
garrigues  (Phrygana),  dont  les  buissons  parfumés  d'as- 
phodèles, de  sauges,  de  lavandes,  que  butinent  les 
abeilles,  s'accrochent  au  roc  dépouillé.  Enfin,  cette  frêle 
parure  est  même  refusée  aux  monts  les  plus  déshérités, 
et,  de  Cythère  à  Florina,  ils  érigent  dans  la  lumière 
l'absolue  nudité  de  leurs  cimes  dont  rien  ne  voile  la 
robuste  architecture,  le  dessin  tracé  par  la  main  d'un  dieu. 

LE  PAYSAGE  GREC.   00  Le  paysage    grec 

243 


L'EUROPE 


est  généralement  de  dimensions  restreintes.  On  sétonne 
de  voir  combien  petites  étaient  les  acropoles  les  plus 
célèbres,  et  les  rares  plaines^  fertiles  si  âprement  dis- 
putées entre  cités  rivales.  On  devine  qu'il  faut 
réduire    dans  de  fortes    proportions    les    exploits    des 


ET    SES   ENVIRONS 


î«asi 


^^^^ 


guerriers  chantés  par  les  poètes,  racontés  avec  un  tel 
luxe  de  détails  par  les  historiens.  Mais,  dans  son  cadre 
étroit,  ce  paysage  est  le  plus  beau  du  monde.  Montagnes, 
plaines,  rochers,  îles  lointaines,  et  la  mer  et  le  ciel  y  com- 
posent une  merveilleuse   symphonie  de  formes  harmo- 


nieuses, de  couleurs  riantes,  de  parfums  subtils.  Nulle 
part  la  lumière  n'est  plus  pure,  l'air  plus  léger.  Nulle 
part  on  ne  se  sent  entouré  de  plus  de  noblesse  et  nulle 
pjirt  il  n  est  plus  doux  de  laisser  couler  les  heures  dans 
la  seule  contemplation  des  teintes  diverses  que  revêt  la 
nature  quand  le  soleil  s'éveille  aux  premiers  frissons  de 
l'aube,  ou  qu'il  devient  roi",  comme  disent  les  Hellènes, 
dans  l'éblouissement  pourpre  du  couchant. 

Certeà,  paar  goûter  pleinement  les  joies  p^oionJes  que  réserve 
le  pèlerinage  de  l'HelIade,  il  n'est  point  inutile  de  s'être  fait 
quelque  peu  **  une  âme  antique  "  et  de  connaître  avec  de  suffi- 
sants détails  le  merveilleux  passé  de  ces  lieux  illustres.  Ainsi  l'on 
vivifie  les  ruines  les  plus  insignifiantes,  on  donne  une  âme  au 
moindre  rocher,  on  replace  les  Nymphes  sous  le  miroir  des  sources, 
les  Dryades  à  l'ombre  des  forêts.  On  croit  deviner  encore,  au 
milieu  des  nuées  de  l'Olympe,  l'auguste  assemblée  des  Immortels* 
et  l'on  cherche  dans  la  nuit  transparente  le  croissant  argenté  qui 
brille  au  front  d'Artémis.  11  n'est  pas  jusqu'aux  Croisés  francs 
du  Xin®  siècle,  aux  rudes  compagnons  d'un  Geoffroy  de  Villehar- 
douin,  d'un  Guillaume  de  Champlitte,  barons  d'Achaïe,  ducs 
d'Athènes  et  de  Sparte,  dont  un  Français  ne  doive  être  capable 
de  retrouver  les  traces  aux  puissantes  forteresses  campées,  de  Mis- 
Ira  et  Malvoisie  à  Salonique,  sur  la  crête  des  rocs.  Mais,  même 
en  dehors  de  toute  réminiscence  classique,  la  Grèce  vaut  par 
elle-même,  par  la  seule  eurythmie  de  ses  formes,  la  variété 
de  ses  paysages,  la  magie  de  sa  lumière.  11  faut  la  voir  len- 
tement, amoureusement  pourrait-on  dire,  avec  la  tendre  passion 
que  l'on  vouerait  à  la  plus  belle  des  créatures  mortelles.  Il  faut 
errer  à  pied  ou  a  mulet  à  travers  ses  montagnes,  ses  maquis 
où  chantent  les  cigales,  ses  gorges  sèches  qu'embaument  myrtes 
et  lauriers-roses,  il  faut  coucher  dans  les  "  Khani  ",  chez  les 
paysans  hospitaliers,  ou,  mieux  encore,  à  la  belle  étoile  ;  il 
faut  connaitre  les  heures  uniques  des  levers  de  soleil  sur  les  pla- 
teaux arcadiens,  les  rivages  de  l'Eubée,  les  blanches  colonnes  du 
capSunion;  il  faut  encore  avoir  erré  d'île  en  île,  comme  Ulysse, 
à  bord  d'une  barque  de  pêcheurs,  et  dormi  à  l'aiguade,  sur  le 
sable  tiède  de  la  plage,  bercé  par  le  murmure  assourdi  de  la 
mer.  Alors  on  saura  ce  qu'est  l'Hellade,  on  comprendra  les  rai- 
sons du  "  Miracle  grec  "  et  pourquoi  ce  pays  de  si  médiocre  sur- 
face tient  i:re   telle  place  c'ars  l'hisloire  des  hcirmes. 


LES   RÉGIONS   PRINCIFALES  DE  L'HELLADE 


lies  Ioniennes,  Morée  ou  Péloponèse,  Grèce  Cen- 
trale, Thessalie  et  Epire,  lies  de  l'Archipel,  Macédoine 
et  Thrace,  Smyrne  enfin,  telles  sont  aujourd'hui  les 
grandes  divisions  naturelles  des  pays  grecs. 

LES  ILES  IONIENNES,  aa  Les  Iles  Ioniennes 
forment,  pour  le  voyageur  venu  de  l'Occident,  la  pre- 
mière escale  et  comme  une  transition  heureusement 
ménagée  par  la  nature  entre  l'Italie  et  l'Hellade.  C'est 
par  elles  que  l'antique  civilisation  grecque  se  glissa  dans 
la  péninsule  voisine.  En  revanche,  ce  sont  elles  qui,  de 
tous  les  pays  égéens,  demeurèrent  le  plus  longuement 
possession  vénitienne.  On  retrouve  dans  la  physionomie 
des  Corfiotes  la  grâce  langoureuse,  dîins   leur  esprit  le 


goût  de  l'ironie,  la  vivacité  moqueuse  qui  caractérisent 
tant  d'habitants  de  la  République  Sérénissime,  de  même 
que  la  végétation  luxuriante,  la  verdeur  de  Corfou  et  de 
Zante  tiennent  plus  de  la  Sicile  ou  de  la  Grande  Grèce 
que  de  la  Grèce  proprement  dite. 

Corfou  (Kerkyra),  l'ancienne  Corcyre,  allonge  en  face 
de  l'Epire  son  corps  mince,  taillé  en  faucille,  que  recou- 
vrent en  partie  les  plus  belles  olivettes  du  monde.  L'oran- 
ger, l'cunandier  et  la  vigne  mûrissent  leurs  fruits  à 
l'ombre  frêle  des  grands  arbres.  Céphalonie  et  Zante 
(Zakinthos)  en  face  du  golfe  de  Patras,  rivalisent  avec 
Corfou  par  la  fécondité  des  terres,  l'exubérance  magni- 
fique de  leur  flore  :  "  Zante  fior  di  Levante  ",  disaient  les 
Vénitiens.  Leucade  et  Ithaque  complètent  avec  quelques 


244 


LA  GRECE 


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ATHÈNES  :  L'ACROPOLE.  L' Athènes  pHmilwe  Unaii  tout  entière  sur  celte  w/rc 
aux  Panes  abrupts,  citaJelle  dressée  par  la  nature  au  centre  de  la  plaine  altiquc.  Plus 
tardiAaopole  deoint  un  immense  sanctuaire  protégeant  la  ville  nouvelle  qui grmdissatt 
autour  de  lui.  Sa  parfaite  heauté  a  résisté  aux  injuresdu  temps,  aux  ravages  des  hommes. 


Au  premier  plan,  les  oliviers  de  la  "  blanche  Colone  "  célébrés  par  les  chœurs  de 
Sophocle  ;  puis  les  quartiers  du  Céramique  et  de  l'Agora,  tes  ruines  ambrées  des  temples  où 
"  les  cavaliers  de  Phidias  célèbrent  leur  fêle  éternelle",  enfin,  fermant  l'horizon,  la 
barrière    bleuâtre  de  l'Hymette  Cl.  FreD.  BoissONNas. 


245 


L'EUROPE 


COUVENT  DU  MÉGASPILÉON.  Le  plus  célèbre  des  monas- 
tères du  Pélot>onèse,  accroché,  comme  les  alvéoles  d'une  ruche,  aux 
parois  de  la  montagne,  et  entouré  d'une  oasis  d'oliviers,  de  vignes, 
de  petits  champs  en  ferrasses.  Cl.   Fred.    BoISSONNAS. 


NÉMÉE.Du  temple  de  Zeus 
seules  subsistent  trois  colon- 
nes se  détachant  sur  le  ciel 
bleu.  Cl.  Fred.  Boissonnas. 


LES  GORGES  DU  STYX.  Au  nord  du  plateau  d'Arcadie.  ce 
paysage  tourmenté,  celte  gorge  profonde  et  sombre,  où  les  eaux 
noires  d  un  torrent  se  perdent  dans  les  fissures  de  la  roche,  symbo- 
lisèrent l'entrée  du  monde  infernal.      CI.  FrED.   EoISSONNAS. 


LES  MÉTÉORES.  ,4  l'angle  Nord-Ouesl  de  la  plaine  Thessalienne.  l'érosion  isola 
une  série  de  masses  rocheuses,  aux  formes  fantastiques.  Sur  leurs  somiitels.les  moines 
du  Moyen  Age  parvinrent  à  construire  des  couvents  d'accès  t^tfrêmement  malaisé, 
lieux  merveilleusement  choisis  pour  la  retraite  et  la  vie  contemplative.  CI  GraNCER, 


. 


DELPHES  :  LE,  TRÉSOR  DES  ATHENIENS.  A^rpkds  de,  hautes  pnois  du 

Parnasse,  près  de  l'antre  sacré  où  prophétisait  la  Pythie,  les  fouilles  de  l'Ecole  fran- 
çaise d'Athènes  ont  mis  au  jour  les  ruines  grandioses  de  Delphes:  temples,  trésors,  stade, 
voie  sacrée,  statues  et  bas-reli^s,  inscriptions  par  milliers.    Cl.  F.  BoiSSONNAS. 


LE  MONASTÈRE  DE  DAPHNI.  Précieux  sanc- 
fuaire  byzantin,  omhragéde  cyprès  et  de  pins,  sur  h 
f.uîe  ianciame  Voie  Sacrée)  qui  mène  d'Athènes 
à   Elmsis.  Cl  Fred.  Boissonnas 


246 


LA  TROUÉE  DU  VICOS.  L'un  des  rares  cl 
difficiles  passages  transversaux  que  les  eaux  ont 
taillé  à  travers  les  chaînes  calcaires  du  Pinde, 
entre  l'Épire  et  la  Thessatie.  CL  F.  Boissonnas. 


UN  BOURG  ÉPIROTE.  Dans  la  fraîcheur  du 
matin,  près  de  la  fontaine  qu'ombrage  un  platane 
vénérable,  "  pappas  "  (prêtres)  et  paysannes  devisent 
avec  calme.  CI.  BoiSSONNAS. 


LA  GRECE 


îlots  (Paxos,  Antipaxos)  le  groupe  des  Sept  lies,  l'Hepta- 
nèse  des  Grecs.  Les  archéologues  y  cherchent  la  trace 
du  palais  d'Ulysse,  des  porcheries  du  bon  Eume'e,  se 
querellent  sur  l'exact  emplacement  de  la  fontaine  où  le 
héros  apparut  à  Nausicaa.  Peuplées  de  260  000  habitants, 
soit  109  au  kilomètre  carré,  densité  très  supérieure  à 
celle  que  l'on  trouve  dans  les  autres  régions  du  royaume, 
les  Iles  Ioniennes  ont  comme  principales  cités  :  Corfou 
(20000  habitants).  Argostoli  (10000  habitants),  sur 
l'une  des  rades  les  plus  vastes,  les  plus  sûres  de  la  Médi- 
terranée, chef-lieu  de  Céphalonie,  et  Zante  (  1 4  000 
habitants),  dont  les  blanches  maisons  s'étagent  au  pied 
d'une  hautaine  forteresse. 

LE  PÉLOPONÉSE.  00  De  IHeptanese  au 
Péloponèse  la  distance  est  courte,  même  si  l'on  se  con- 
fie à  l'un  des  petits  voiliers  qui  glissent  comme  une  mouette 
vers  Patras  ou  Corinthe.  On  voit  à  l'horizon  se  profiler 
les  hautes  cimes  des  monts  qui  couvrent  la  majeure  peirtie 
de  la  presqu'île  :  l'Erj-manthe  (2  355  mètres)  et  le 
Cyllène  (2  374  mètres),  le  Lycée  (1  420  mètres)  et  le 
Mont  Ithôme,  le  Taygète  (2  -K)9  mètres)  et  le  Pamon, 
entre  lesquels  se  creusent  les  golfes  d'Arcadie,  de  Mes- 
sénie,  de  Lacome,  de  Nauplie,  et  que  terminent  à 
l'extrême  Sud  les  hauts  promontoires  du  Malée  et  de 
Matapan,  en  face  de  Cythère  où  Aphrodite  naquit. 

A  l'intérieur,  les  plateaux  d'Arcadie  se  vêtent  encore 
de  forêts  de  chênes  où  les  bergers  paissent  leurs  mou- 
lons. Partout  un  hérissement  de  montagnes  âpres  et  sau- 
vages, que  l'hiver  blanchit  longuement,  où  le  sol  pauvre 
nourrit  des  hommes  maigres,  mais  robustes,  agiles,  dont 
le  type  le  plus  parfait  se  trouve  chez  les  Maïnotes  du 
Taygète.  Par  contraste  avec  les  hauts  lieux,  les  plaines 
côtières,  petites  mjus  fertiles,  se  couvrent  de  vignobles 
(les  fameux  reusins  de  Corinthe),  de  champs  de  blé  et  de 
maïs,  de  mûriers  et  figuiers,  d'oliviers,  d'amandiers,  a 
quoi  se  mêlent,  en  Messénie,  l'orange  et  le  citron. 
Quelques  dolines  et  poljes.  dépressions  effondrées  au 
milieu  des  monts  calcaires,  se  prêtent  aussi  aux  cul- 
tures (bassin  de  Tripolis)  ;  l'une  d'elles  enferme  les  eaux 
noires  du  lac  Stymphale,  encore  hantées  par  l'ombre 
d'Héraclès. 

La  ville  principale,  Patras  (37  000  habitants),  active 
et  prospère,  sans  grand  pittoresque,  exporte  vins  et  rai- 
sins. Partout  autour  d'elle,  dans  les  plaines  d  Elide 
comme  aux  rives  mouvementées  du  golfe  de  Corinthe, 
les  ceps  vigoureux,  taillés  assez  bas,  mais  vieux  parfois 
de  plus  de  cent  années,  poussent  sur  le  sable  et  le  caillou  ; 
le  gris  argenté  des  oliviers,  le  vert  sombre  des  c>'près 
très  nombreux  tranchent  sur  la  teinte  rougeâtre  ou  am- 
brée des  collines  pierreuses.  Vers  l'Elst,  par  le  Château 
de  Morée  et  par  Aigion,  on  gagne  Corinthe,  les  ruines 
de  son  acropole  et  son  isthme  étroit,  clé  de  la  Morée. 


aujourd'hui  percé  d'un  canal.  A  l'Ouest,  négligeant  la 
moderne  Pyrgos  (13  000  habitants),  on  va  aux  bords  de 
1  Alphée  contempler  ce  qui  reste  d'Olj-mpie  et  rêver 
longuement  devant  la  Victoire  de  Pasonios,  l'Hermh 
de  Praxitèle,  l'enceinte  sacrée  de  l'Altis  où  s'affirmait 
tous  les  quatre  ans,  par  la  célébration  des  grands  jeux, 
1  unité  de  l'hellénisme  en  face  de  la  barbarie.  De  là, 
par  Andritséna,  Karytèna,  les  ruines  de  Phigalie,  le 
temple  de  Bassae,  le  mieux  conservé  des  sanctuaires 
grecs,  d'un  charme  si  mélancolique  dans  la  solitude  des 
bois  où  il  repose,  on  gagne  la  riante  plaine  de  Messénie 
(ville  principale  Kalamata,  15  000  habitants),  riche  en 
produits  de  toutes  sortes,  le  mont  Ithôme,  les  restes  de 
Messène  et  de  Mégalopolis,  la  rade  fameuse  de  Nava- 
rin. Une  étroite  et  sauveige  coupure  ou  "  langada 
entaille  le  Taygète  en  face  de  Kalamata.  Elle  conduit 
à  Mistra,  étonnante  Pompéï  bj-zantine  étagée  au  pied 
d  un  château  des  Villehardouin,  puis  à  Spcute,  autre- 
fois puissante  rivale  d'Athènes,  aujourd'hui  médiocre 
petite  ville  endormie  sur  les  bords  de  l'Eurotas,  tout  par- 
fumés de  lauriers-roses.  Au  Sud-E^t,  Monemvasia  ou 
Malvoisie  n'a  plus  de  vignes,  mais  conserve  de  son  bril- 
lant passé  d'intéressantes  fortifications  vénitiennes.  Au 
Nord,  par  Tripolis  (10  009  habitants),  les  ruines  de 
Tégée  et  de  Mantinée,  on  descend  sur  la  plaine  sèche 
de  l'Argolide.  Là  grandirent,  aux  premiers  âges  de 
l'histoire  grecque,  les  puissantes  acropoles  de  Mycènes, 
de  T>'rinthe,  d'Argos  et  le  royaume  d'Agcimemnon. 
Aujourd'hui,  peu  de  paysages  au  monde  égalent  la 
majesté  du  cadre  fauve,  aride  et  nu  au  milieu  duquel 
s'érigent  les  remparts  colossaux  de  l'antique  Mycènes. 
.Argos  survit  dans  la  petite  ville  moderne  (8  000  habi- 
tants) qui  remplaça  la  vieille  capitale  du  "  Roi  des 
Rois  '  .  Sur  la  côte,  l'aimable  Nauplie  sourit  au  pied  du 
roc  Palamède. 

LA  GRECE  CENTRALE.  00  Axx  delà  du 
golfe  et  de  l'isthme  de  Corinthe,  la  Grèce  Centrale 
s'étend  jusqu'aux  golfes  opposés  d'Arta  et  de  Lamia. 
La  route  longe  la  côte  dentelée  du  golfe  d'Egine  rem- 
pli d'îles  lumineuses,  passe  à  Mégare,  à  Eleusis,  et,  par 
le  col  deDaphni,  atteint  le  cœur  del'Attique,  la  petite 
plaine  triangulaire  où  Athènes  naquit.  Autour  d'elle. 
l'Hymette,  le  Parnès  et  le  noble  fronton  du  Pentélique 
bau'rent  de  leurs  croupes  marmoréennes  les  trois  quarts 
de  l'horizon.  Vers  le  Sud,  la  plaine  s'ouvre  sur  la 
mer  en  face  de  Salamine  par  une  série  de  havres 
naturels,  berceau  du  Pirée.  Des  oliviers  centenaires, 
quelques  vignes  croissent  comme  autrefois  sur  les 
argiles  de  la  blanche  Colonne  que  le  Céphise  et 
rillissos  traversent  encore  mais  n'arrosent  plus!  Nulle 
part  en  Grèce  l'atmosphère  n'est  aussi  transparente, 
la  lumière   plus    nuancée,  plus  délicate,  nul   cadre  ne 


247 


L'EUROPE 


paraît  mieux  fait  pour  sertir  cet  incomparable  joyau  qu  est 
le  rocher  ambré  de  l'Acropole  où  lame  d'Athéna 
hante  encore  les  colonnades  du  Parthénon. 

Après  avoir  connu  dans  l'antiquité  la  gloire  la  plus 
insigne  qu'une  cité  puisse  rêver,  celle  d'être  1  Ecole  du 
monde,  Athènes,  ruinée  par  les  invasions  barbares, 
devint  une  fort  médiocre  bourgade  où  quelques  centaines 
de  maisonnettes  se  pressaient  au  pied  de  l'Acropole,  et 
elle  demeura  telle  jusqu'à  la  fin  du  régime  turc.  Mais, 
outre  l'impérissable  souvenir  de  sa  gloire  passée,  elle 
parvint  à  garder  jusqu'à  nous  ces  magnifiques  témoms  du 
génie  de  ses  fils  :  le  Temple  d'Athéna  Parthénos, 
l'Erechtheion,  le  sanctuaire  de  la  Victoire  Aptère,  les 
Propylées,  le  Theseion,  les  colonnes  solitaires  et  colos- 
sales du  grand  temple  de  Zeus.  Aussi  les  Grecs  devenus 
libres  firent-ils  tout  naturellement  de  ce  bourg  misérable 
la  capitale  de  leur  royaume.  Et  c'est  aujourd'hui  une 
fort  agréable  ville,  bâtie  de  marbre  blanc,  un  peu  trop 
chaude  l'été,  un  peu  trop  venteuse  en  tout  temps,  mais 
avenante  et  d'aimable  accueil.  La  cité  nouvelle  n'a  pu 
grandir  sur  l'emplacement  exact  de  l'ancienne.  Elle  s'est 
développée  plutôt  sur  l'autre  flanc  de  l'Acropole,  vers 
le  Céramique  et  le  rocher  du  Lycabette,  que  les  mai- 
sons pressent  chaque  année  plus  étroitement. 

Peuplée  de  44  000  habitants  en  1 870,  elle  en  avait 
167000  au  recensement  de  1907.  A  la  même  date,  le 
Pirée,  qui  complète  Athènes,  en  avait  73  000. 
(En  1920,  Athènes  et  le  Pirée  réunis  dépassent  Je 
chiffre  de  300  000  habitants.) 

A  mesure  que  s'accroît  l'étendue  du  royaume,  l'influence 
d'Athènes  grandit  et  tend  à  se  hausser  au  rôle  que  l'antique  cité 
de  Périclès  jouait  dans  la  Méditerranée  occidentale.  C'est  la  vraie 
capitale  de  l'héllénisme  au  triple  point  de  vue  de  la  politique, 
de  la  vie  intellectuelle  et  des  affaires  industrielles  et  commerciales. 
C'est  à  elle  que  les  "  Evergètes  ",  les  Hellènes  enrichis  à  l'étran- 
ger, font  leurs  donations  les  plus  généreuse,.  C'est  elle  qui  con- 
serve pieusement  les  plus  précieux  trésors  de  l'antiquité.  C'est 
chez  elle  que  demeurent  les  diplomates  étrangers,  que  s'élèvent  les 
grandes  écoles  archéologiques.  C'est  d'elle  que  les  Grecs,  soumis 
à  la  domination  des  "  Barbares  "  Bulgares  ou  Turcs,  attendaient 
leur  rédemption.  Certes,  l'ambition  de  bien  des  Hellènes  ne 
s'arrête  pas  là,  et  ce  ne  sont  point  les  nobles  frontons  du  temple 
d'Athéna  qui  hantent  seuls  leurs  rêves,  mais  la  lourde  coupole  de 
Sainte-Sophie  en  exil  aux  rives  du  Bosphore.  L'auront-ils  un 
jour?  C'est  le  secret  des  dieux. 

Au  delà  du  Parnès  et  des  champs  broussailleux  que 
domine  le  lumulus  de  Marathon  se  creusent  les  plaines 
de  Béotie  dont  le  lac  Copaîs  —  aujourd'hui  desséché 
et  transformé  en  fertile  terroir  planté  de  cotonniers  — 
occupait  une  large  part.  Thèbes,  l'illustre  patrie  d'Épa- 
minondas,  y  somnole  à  l'ombre  des  platanes,  non  loin  de 
Platées,  où  la  fortune  perse,  déjà  rudement  atteinte  à 
Salamine,  connut  l'irréparable  désastre.  A  Leuctres,  les 
Spartiates,  jusqu'alors  invincibles,  ne  purent  résister  au 

248 : 


choc  de  la  phcilange  thébaine.  Les  ruines  d'Orchomène, 
celles  de  Goulas  nous  ramènent  aux  temps  héroïques  de 
la  Grèce  primitive.  Au  Sud,  dans  les  forêts  du  Cithé- 
ron  (1411  mètres),  retentissaient  les  hurlements  des 
Bacchantes,  tandis  qu'un  ravin  secret  de  l'Hélicon  abri- 
tait les  chœurs  harmonieux  des  Muses. 

Vers  l'Est,  la  grande  île  d'Eubée,  que  les  Vénitiens 
appelaient  Négrepont,  fait  corps,  pour  ainsi  dire,  avec  le 
continent  dont  la  sépare  un  canal  (canal  d'Atalanti  et 
de  l'Euripe),  réduit  à  moins  de  30  mètres  de  large  en 
face  de  Chalcis  (10  000  habitants).  C'est  une  des  plus 
pittoresque  régions  de  l'Hellade,  où  les  petites  plair.es 
fertiles  et  bien  cultivées  (Mantoudi,  Achmet-Aga, 
Koumi)  se  mêlent  heureusement  aux  monts  vêtus  de 
forêts  de  pins  odorants  et  de  maquis.  Qu'il  est  doux 
au  printemps  d'errer  dans  les  clairières  fleuries  de  rouges 
anémones,  d'escalader  les  flancs  du  Daphni  (  1 900  mètres) 
et  du  Saint- Elie,  de  longer  les  hautes  falaises  dentelées, 
et  de  rêver,  quand  vient  le  soir,  en  face  de  la  mer  sou- 
riante, moirée  de  violet,  de  rose  et  d'améthyste,  sous 
les  derniers  rayons  du  soleil  ! 

A  l'Ouest,  les  montagnes  couvrent  la  Phocide  presque 
entière,  l'EtoIie,  l'Acarnanie,  une  partie  de  la  Locride 
et  de  la  Phtiotide.  Elles  atteignent  2  459  mètres  au 
Parnasse,  2  512  mètres  au  Kiona,  2  450  mètres  au 
mont  Œta,  magnifique  piédestal  du  bûcher  d'Héraclès. 
Point  d'autres  plaines  que  le  petit  bassin  de  Lamia, 
arrosé  par  le  Sperchios,  et  la  dépression  où  l'Acheloiis 
déposa  ses  grasses  alluvions.  Pas  de  centres  urbains 
autres  que  Lamia  (10000  habitants)  la  commerçante, 
la  pittoresque  Naupacte  ceinte  de  murailles  franques, 
l'illustre  Missolonghi  (8  000  habitants),  la  paisible  Agri- 
nion(8000  habitants).  Point  de  routes  carrossables,  mais 
de  charmants  villages  égrènent  leurs  maisons  au  bord  des 
chemins  ombragés  de  chênes,  de  châtaigniers,  de  noyers. 
Les  torrents  bondissent  sur  les  pentes  raides  des  monts, 
et  dans  les  gorges  sauvages  de  Delphes,  près  des  ruines 
grandioses  mises  au  jour  par  les  archéologues  français  de 
l'Ecole  d'Athènes,  semble  retentir  encore,  dans  le  fra- 
cas de  la  foudre,  la  voix  formidable  d'un  Dieu. 

Laissant  aux  rives  de  la  mer  le  défilé  des  Thermo- 
pyles,  autrefois  clé  de  la  Grèce  Centrale,  aujourd'hui 
élargi  par  les  alluvions  du  Sperchios,  et  franchissant  les 
croupes  maigrement  boisées  du  mont  Othrys,  on  pénètre 
dans  la  double  dépression  thessalienne,  la  plaine  la  plus 
vaste  du  royaume.  Elle  pourrait  aussi,  —  elle  devrait  — 
en  être  le  grenier  si  ses  riches  alluvions  étaient  mises 
tout  entières  en  culture.  Mais  une  faible  partie  du  sol  se 
couvre  de  moissons.  Le  reste,  que  l'hiver  transforme  en 
immenses  marais,  l'été  en  steppe  fauve  et  torride,  n  est 
utilisé  que  par  les  troupeaux  errants  des  bergers  Valaques 
dont  on  voit  çà  et  là  les  huttes  de  roseaux  semblables  à 
des    paillotes   africaines.    Les  monts  du   Pélion   et  de 


LA  GRÈCE 


rOssa isolent  la  Thessalie  de  la  Mer  Ége'e.  Leur  sommet 
est  nu,  mais  sur  leurs  flancs  jaillissent  des  sources,  et  des 
villages  délicieux  :  Portaria,  Makrinitza,  Kissos,  etc., 
disparaissent  sous  les  branchages  touffus  des  oliviers,  des 
platanes,  des  arbres  fruitiers.  L'étroite  déchirure  de  la 
vallée  de  Tempe  livre  passage  aux  eaux  troubles  du 
Pénée,  collecteur  de  la  plaine  thessalienne.  Elle  con- 
serve encore  les  beaux  ombrages  et  la  fraîcheur  qui,  par 
contraste  avec  la  brûlante  nudité  des  steppes,  lui  valut 
d'être  si  longuement  magnifiée  par  les  poètes.  Au  Sud- 
EUt,  Volo  (23000  habitants),  l'un  des  ports  les  plus 
actifs  du  royaume,  exporte  les  grains,  les  tabacs,  les 
laines.  A  l'intérieur,  Larissa  (  1 8  000  habitants)  commence 
à  tirer  profit  de  la  voie  récemment  achevée  qui  l'unit 
à  Salonique.  Pharsale  n'est  plus  qu'une  viilette  dont 
le  nom  rappelle  le  désastre  des  Pompéiens.  Kar- 
ditzadO 000  habitants),  Trikala  (18000  habitants),  sur 
la    rivière  du   Léthé,  servent  de   lieux    d'échanges  aux 

Karagounidès  ",  ou  paysans  de  la  plaine,  et  aux  mon- 
tagnards du  Pinde.  EJles  attendent,  pour  prendre  un 
nouvel  essor,  que  des  voies  ferrées  remplacent  les  mau- 
vaises pistes  muletières  qui  les  unissent  soit  à  l'Epire,  soit 
à  la  Macédoine  intérieure. 

On  gagne  l'Epire  par  Kalambaka,  si  joliment  nichée 
au  pied  des  Météores  ",  ces  roches  fameuses  aux  parois 
abruptes  que  couronnent  d'antiques  monastères,  puis  par 
le  col  du  Zygos  (I  400  mètres),  la  curieuse  Metsovo, 
centre  des  Koutso-Valaques  du  Pinde,  et  les  gorges  du 
Haut-Arta.  Du  sommet  de  la  montagne  la  vue  embrasse 
tout  à  coup  un  lac  aux  eaux  bleues,  une  ville  blanche 
où  pointent  les  minarets,  un  cirque  continu  de  hautes 
collines  dénudées.  C'est  le  cœur  de  l'Epire  et  sa  gra- 
cieuse capitale  :  Yanina  (17000  habitants),  héritière  de 
1  antique  Dodone,  dont  les  ruines  se  cachent  au  fond 
d  un  ravin  où  croissent  avec  vigueur  des  yeuses  véné- 
rables. L'Epire  est  une  des  plus  récentes  acquisitions  de 
l'Etat  Grec,  et  la  barrière  du  Pinde  semble  la  maintenir 
à  l'écart.  Mais  les  Epirotes  se  distinguent  entre  tous  les 
Grecs  par  l'ardeur  de  leur  patrioîisme,  leur  activité, 
leur  intelligence,  et,  en  attendant  la  future  voie  ferrée  du 
Zygos,  un  intéressant  courant  d'échanges,  favorisé  par 
de  bonnes  routes  carrossables,  gagne  les  ports  de  Santi- 
Quaranta  en  face  de  Corfou,  de  Prevesa  et  d'Arta  aux 
bords  du  golfe  de  ce  nom. 

LA  MACÉDOINE,  a  a  Au  Nord  de  la  Thes- 
salie, une  masse  confuse  de  montagnes  assez  arides,  de 
gorges  étroites  où  coulent  l'Haliacmon  ou  Vistritza  et 
ses  affluents,  de  dépressions  plus  ou  moins  vastes,  sans 
écoulement  vers  la  mer,  représentent  la  moitié  occidentale 
de  la  Macédoine  cédée  aux  Grecs  en  1913.  Dans  ces 
hautes  terres,  au  rude  climat,  se  forma  aux  temps 
antiques   la  forte   race  des  compagnons  de  Philippe  et 


d  Alexandre.  C'est,  de  nos  jours  un  pays  de  bergers,  de 
charbonniers,  gens  très  frustes,  vivant  de  peu  dans  leurs 
villages  pittoresques  où  les  maisons  de  pierre  brute 
s  égaient  d'une  loggia  qu'ornent  les  rouges  guirlandes  du 
piment  et  des  épis  de  maïs.  Kastoria,  dont  les  chapelles 
byzantines  se  mirent  dans  les  eaux  d'un  lac  arrondi. 
L'albanaise  Koritza  (40000  habitants),  Florina 
(10000  habitants)  dans  le  bassin  de  Monaslir,  Kozani 
(9  000  habitants)  et  Servia  sur  la  piste  qui  mène  à 
Larissa,  servent  de  lieux  d'échanges  aux  gens  de  races 
fort  mêlées  (Grecs,  Albanais,  Turcs,  Valaques,  Serbo- 
Bulgares)  qui  forment  la  population  hétéroclite  de 
la  Macédoine  presque  entière,  justifiant,  par  leur  bigar- 
rure, leur  mélange  étroit,  les  prétentions  de  tous  les 
grands  Etats  balkaniques,  et  qui,  ne  sachant  trop  eux- 
mêmes  à  quel  drapeau  leur  intérêt  bien  compris  leur 
conseillait  de  donner  la  préférence,  se  qualifiaient  avant 
la  Grande  Guerre  tout  simplement  de  "  Macédoniens  ". 

La  partie  orientale  de  la  Macédoine  grecque  com- 
prend la  vallée  inférieure  du  Vardar,  la  presqu'île  de 
Chalcidique,  les  plaines  côtières  de  Serrés  et  de  Kavala. 
Au  Sud,  la  splendide  pyramide  de  l'Olympe,  qui 
s'élève  d'un  jet  jusqu'à  près  de  3  000  mètres  d'altitude, 
étend  quand  vient  le  soir  sa  grande  ombre  sur  le  golfe, 
où  les  navires  glissent  sans  hâte  vers  Thessalonique.  La 
ville  aux  cent  minarets  étage  son  fouillis  de  maisons  roses, 
vertes  et  blanches  sur  les  flancs  d'une  colline  que  cou- 
ronnent et  que  ceignent  les  murs  en  ruines,  les  tours 
lézardées  d'une  inoffensive  forteresse.  C'était,  avant  le 
désastreux  Incendie  de  1917,  une  des  villes  le  plus  éton- 
namment pittoresque  du  Levant.  Dans  la  pénombre  de 
son  bazar,  ou  sur  les  quais  étincelants  de  lumière,  se 
pressaient,  de  la  Tour  Blanche  à  la  Mosquée  des  Der- 
viches, la  foule  la  plus  bigarrée,  la  plus  colorée,  la  plus 
amusante  qui  puisse  se  voir. 

D'autre  part,  la  profondeur  et  la  sûreté  de  sa  rade  — 
quelque  peu  menacée.  Il  est  vrai,  par  les  alluvions  du 
Vardar  — ,  la  situation  qu'elle  occupe  au  débouché  de 
l'unique  voie  naturelle  unissant  l'Europe  Centrale  \  la 
Mer  Egée,  la  jonction  récente  de  son  réseau  ferré  avec 
le  réseau  grec,  enfin  l'activité  et  le  talent  commercial  des 
juifs  d'origine  espagnole  qui  composent  les  huit  dixièmes 
de  sa  population  (plus  de  250  000  habitants),  sont  la  ga- 
rantie assurée  de  son  avenir  économique. 

Autour  de  Salonique,  c'est,  sur  des  lieues  et  des  lieues, 
le  "bled  ",  la  steppe  verte  ou  jaune  suivant  la  saison, 
mervellleuîe  terre  k  labour  quand  on  le  voudra,  présen- 
tement occupée  £cit  par  de;  roselières  immenses,  des 
étangs  vaseux,  soit  par  de  maigres  broussailles,  decourles 
graminées  que  paissent  l'hiver  les  moutons  des  bergers 
Valaques.  Çà  et  là  se  dressent  les  cônes  réguliers  des 
"  tumuli"  antiques.  De  rares  et  misérables  villages  aux 
murs  de  boue  sèche  se  confondent  avec  le  sol  sur  lequel 


249 


L'EUROPE 


ils  se  tapissent.  L'hiver,  le  vent  du  Vardar  glace  jusqu'aux 
os.  L'été',  c'est  une  fournaise  que  des  myriades  de  mous- 
tiques rendent  plus  intolérable  encore  et  dont  les  méfaits 
se  marquen'  aujourd'hui  aux  milhers  de  tombes  où  dorment 
les  "impaludés"  de  la  Grande  Guerre.  Il  faut  gagner  les 
hauteurs  voisines  pour  trouver  à  Verria  (14  000  habi- 
tants), Vodena  (9000  habitants),  dans  le  Krousha 
Balkan,  le  Korlatch,  etc.,  de  beaux  arbres,  des  eaux 
vives,  un  air  pur  et  salubre. 

A  l'Est  du  golfe  de  Salonique,  l'étrange  Chalcidique 
allonge  comme  des  pinces  de  crabe  trois  minces  près-- 
qu'îles  dont  1  une  renferme  les  couvents  célèbres  du  Mont 
Athos,  l'Haghion  Oros  ou  montagne  sainte  des  ortho- 
doxes. Des  moines  paresseux  et  ignorants  y  mènent  une 
vie  somnolente  dans  un  des  plus  beaux  paysages  de  1  Hel- 
lade.  Enfin,  par  delà  les  eaux  fangeuses  du  lac  où  la 
Strjuma  (le  Sîr>'mon  des  anciens)  s'épure  avant  de  se 
perdre  dans  la  Mer  Egée,  Serres  (20  000  habitants), 
Drama  (12  000  habitants),  Kavala  (23  000  habitants), 
concentrent  et  exportent  les  tabacs  les  plus  parfumés  qui 
existent  au  mor.de. 

LA  THRACE.  a iS  Au  delà  de  la  Macédoine,  les 
Hellènes  n'avaient  point  cessé  depuis  l'antiquité  d  occu- 
per les  rivages  de  la  Thrace.  c'est-à-dire  de  toute  la  région 
comprise  entre  les  pentes  orientales  du  Rhodope,  la  Mer 
NoiieetlaMer  de  Marmara.  Leurs  colonies  poussaient 
même  à  l'intérieur,  et  si  leur  goût  naturel  pour  le  trafic 
les  conduisait  plutôt  à  résider  dans  les  villes,  bon  nombre 
d'entre  eux,  dispersés  dans  Us  campagnes,  s'occupaient 
d  agriculture  et  d'élevage  comme  les  paysans  bulgares  ou 
turcs  auxquels  ils  se  mêlaient  en  proportions  variables. 
Qu'ili  fussent  ou  non  la  majorité,  ils  représentaient  incon- 
testablement l'élément  le  plus  intelligent,  le  plus  cultivé, 
le  plus  actif  —  sinon  le  plus  sympathique  —  du  pays,  et 
furent  de  ce  fait  trop  souvent  en  butte  aux  persécutions 
systématiques  de  leurs  maîtres.  Désormais,  la  Thrace  en- 
tière est  grecque.  La  Bulgarie  perd  tout  accès  direct  à 
la  Mer  Egée,  et  la  Turquie,  privée  jusqu'à  Tchataldja 
du  dernier  lambeau  de  territoire  qu'elle  poss:'dait  en  Eu- 
rope, se  voit  réduite,  même  à  Stamboul,  à  subir  le  con- 
trôle de  1  étranger. 

La  majeure  partie  de  la  Thrace  se  compose  de  plaines 
largement  ondulées,  complètement  déboisées,  traversées 
par  le  cours  inférieur  de  la  Maritza  (l'Hèbredes  anciens) 
et  son  affluent  1  Ergène.  Sur  les  sables  et  les  cailloux 
croissent  les  maigres  graminées  de  la  steppe.  Jusqu'aux 
portes  de  Constantinople  s'étendent  ces  solitudes  mono- 
tones et  vides  dont  de  nombreux  tumuli  rompent  seuls 
i  uniformité.  Pourtant  les  plaines  alluviales  des  cours  d'eau, 
les  terrasses  de  loess  du  Strand;a-Dagh  ont  une  remar- 
quable fertilité  naturelle.  Partout  où  de  fortes  sources 
permettent  l'inigation,  les  villages  s'entourent  de  vergers 


lou^s  pleins  de  fruits  et  de  légumes,  et  qui  donnent,  au 
milieu  de  ces  vastes  espaces  nus,  l'impression  de  véritables 
oasis.  Le  blé  dur,  le  maïs,  l'avoine  croissent  à  merveille. 
La  vigne  a  pris  une  réelle  importance  autour  d'Eregli  et 
de  Rodosto.  L  olivier,  absent  des  plaines  intérieures  d'où 
l'exile  la  rudesse  relative  des  hivers,  couvre  une  partie 
de  la  presqu'île  de  Gallipoli.  Le  tabac,  surtout  dans  les 
districts  voisins  de  la  Macédoine  (Goumouldjina,  Xan- 
thi,  Karasou),  égcJe  en  valeur  celui  de  Kavala.  Enfin,  à 
l'élevage  du  mouton  auquel  suffisent  les  steppes  les  plus 
sèches,  peut  s'ajouter  l'élevage  des  bœufs  et  surtout  celui 
des  chevaux  qui  fit  dans  l'antiquité  le  renom  des  plaines 
thraces. 

La  capitale,  Andrinople,  fut  fondée  par  l'Empereur 
Hadrien  en  un  point  particulièrement  bien  choisi,  au  con- 
fluent de  la  Maritza  et  de  ses  deux  affluents  principaux  : 
le  Toundja  qui  vient  du  Balkan,  et  l'Arda  qui  descend 
du  Rhodope.  A  l'Est,  la  vallée  de  l'Ergène  meneau  Bos- 
phore. La  facilité  des  communications,  la  feriilité  des 
terres  qui  l'entourent  assurèrent  de  tout  temps  à  la  cité 
une  importance  qu'atteste  le  chiffre  de  sa  population.  Elle 
avait,  en  1 9 1 0, 1 60  000  habitants,  ce  qui  lui  donnait,  après 
Stamboul,  le  second  rang  parmi  les  cités  de  l'Empire 
Turc. 

A  l'embouchure  de  la  Marilza,  Dédéagatch,  port 
assez  médiocre,  mais  unique  débouché  de  la  Thrace  et 
de  la  Roumélie  bulgare,  exporte  vins  et  tabacs.  GallipoU 
(  1 7  000  habitants)  à  l'extrême  Nord  des  Dardanelles,  Ro- 
dosto (42  000  habitants)  et  Eregli  sur  les  riantes  collines 
qui  s'inclinent  vers  la  Mer  de  Marmara,  s'entourent  d'oli- 
vettes, de  vignes,  de  beaux  jardins.  Au  pied  des  collines 
du  Strandja-Dagh,  qui  séparent  les  plaines  de  Thrace  des 
rivages  de  la  Mer  Noire,  de  grosses  sources  très  espacées 
ont  fait  naître  des  agglomérations  urbaines  pittoresquement 
enfouies  sous  les  ombrages  de  leurs  grands  arbres  :  Kirk- 
kilissé  (15000  habitants),  Tirnovo,  Uskup,  Bounar- 
Hissar,  etc. 

LES  ILES  ÉGÉENNES.  00  Si  la  Macédoine 
et  plus  encore  la  Thrace  nous  éloignaient  des  contrées 
proprement  grecques  et  nous  rapprochaient  du  monde 
'barbare",  les  îles  Egéennes  nous  ramènent  au  coeur 
même  de  l'hellénisme,  aux  lieux  où  se  forma  la  plus 
ancienne  civilisation  de  l'HelIade,  où,  sur  les  flots  apai- 
sés, Aphrodite  naquit  pour  la  volupté  des  hommes  et 
des  dieux. 

Ces  îles,  en  dépit  de  leur  nom  :  Cyclades,  qui  signi- 
fie cercle,  se  disposent  plutôt  en  guirlandes  qui  pro- 
longent et  unissent  les  uns  aux  autres  les  pointemenls 
extrêmes  des  deux  continents,  1  asiatique  et  1  européen. 

Au  Nord,  Thasos,  Samothrace,  Lemnos,  Imbros  et 
Ténédos  s'allongent  de  la  Chalcidique  à  la  Troade. 
Les  Sporades  septentrionales  rejoignent,  par  Skyros,  la 


250  - 


LA  GRECE 


ATHENES  :  L'INTÉRIEUR  DU  PARTHÉNON.  U  plus  parfait  des  temples  dû 
av  mercedlaix  génie  des  Hellènes  du  temps  passé.  Il  était  consacré  à  la  proteclrice  de 
la  cité:  Alhéna  Parthénos.et  abritait  la  statue  colossale  de  la  Déesse,  chef-d'œuvre 
de  Phidias.  Transformé  en  église  par  les  chrétiens  du  Moyen  Age.  puis  en  mosquée  par 


les  musulmans,  en  partie  détruit  par  l'explosion  d'un  dépôt  de  poudre  que  firent 
sauter  les  bombes  du  i'énilien  iXforosini.  il  se  vit  encore  dépouiller  par  lord  Elgin  de 
ses  métopes,  des  statues  de  ses*  frontons,  de  sa  frise  presque  entière.  Ce  qui  reste 
cependant  est  beau,   beau  "  comme  un  rêve  de  pierre".      C|.  FrÉD.  Boissonnas. 


ATHÈNES:  L'ERECHTHÉION  ET  LES  PROPYLÉES.  Uplate-forme  delAcro- 

5/  "  *'"!/  f"^^^^^  ""^  *'"  '^ôté  Sud.Périclès  remplaça  les  vieilles  portes  fortifiées 
delà  atadelle  primitivs  par  les  Propylées  (à  gauche  de  la  photographie),  portique 
monumental  où  aboutissait  la  voie  triomphale  que  suivait  la  procession  des  Panathénées. 


—  Outre  le  Parthénon.  l'Acropole  supt>orfail  un  grand  nombre  de  statues,  de  colonnes 
votives  et  plusieurs  temples.  On  voit  ici  ce  qui  reste  du  triple  sanctuaire  dédié  au  héros 
Erechthée:  de  charmantes  colonnes  ioniques  et  la  loggia  célèbre  dont  l'architrave 
7e0ose  SUT  les  têtes  légèrement  indif^es  des  Caryatides.      Cl.  FftÉD.    BoiSSONNAS. 


251 


L'EUROPE 


EDESSA  OU  VODENA.  De  pittoresques 
maisons  à  galeries  et  moucharabyès  se  penchent 
svT  la  rue  étroite  où  court  un  ruisseau  d'eaux 
vives.  CI.  Fréd.  BorssoNNAs. 


SALONIQUE:  VIEILLE  ÉGLISE  BYZANTINE.  Un  coin 

charmant  de  l'illustre  cité  gui  n'est  pas  seulement  un  grand  port, 
débouché  de  la  Macédoine  et  d'une  partie  de  l'Europe  centrale, 
mais  une  ville  du  pittoresque  le  plus  rare.  CI.   GranCER. 


KASTORIA  mire,  dans  les  eaux  pures  de 
son  lac  arrondi,  ses  Itanches  maisons  étagées 
en  amphithéâtre  et  la  colonne  élégante  des 
minarets.  Cl.  Fréd.  Boissonnas. 


SANTI-QUARANTA. 

Type  de 

pe 

il  haire  ou  d 

échelle" 

du  Levant 

le  port     1 

de  Santi-Quaranta,  place 

en  face 

de 

Corfou 

sur  une 

côte  étro 

te,  rocheuse 

et  nue.     ' 

est  le  débouché  naturel  dt 

l'Epire 

du 

Nord. 

de  certaines  régions  albar\aises 

et  du     j 

bassin  de  Koritsa. 

CI.  Oranger. 

FAMILLE  ET  HUTTE  DE  KOUTSO-VALAQUES.  D'origine   thraco-rou- 

maine,  les  Kout^o-Valaques  ou  Aromounes  mènent,  en  Tbessalie,  dans  lePinde,  en 
Macédoine,  en  Bulgarie,  la  vie  errante  et  fruste  du  pasteur  nomade,  paissant  leurs 
brebis  l'hiver  dans  les  plaines,  VéUdans  la  montagne-  CI     GranGER. 


LE  liATTAGE  DU  BLE  EN  MACEDOINE  se 

fait  tr.cre,  comme  dans  l'antiquité,  par  le  moyen 
■ —  p<rtî  pratique  mais  reposant  —  d'un  lourd  irai- 
r:-:!'  c?  Iciiincr'islédf  silex  aigus.  CI.GranGER. 


TYPE  DE  MAISON  DE  PAYSAN  très  répandu 

en  Macédoine,  l'ue  prise  au  village  d'Arapli.  dans 
la  plaine  marécageuse  du  bas  Vardar,  à  trois  lieues 
de  Salonique.  Cl.  GraNGER- 


BERGER  MACEDONIEN.  L'élevage  du  mouton 
est  une  des  ressources  essentielles  des  régions  mon- 
Iciineuses.  sèches  et  pauvres,  qui  bordent  la  Méditer- 
ranée. CI.  Granger 


Î52 


LA  GRECE 


riante  Lesbos  et  Chios  la  parfumée.  Au  Centre,  les 
Cyclades  proprement  dites  et  les  Sporades  du  Sud 
égrènent  leurs  centaines  d'îles  et  d'îlots  :  Andros,  Tincs, 
Parcs.  Délos,  Naxos,  Mlle,  Santorin,  Samos,  etc., 
entre  l'Eubée  et  l'Attique  d'une  part,  de  l'autre  les 
promontoires  de  Cnideet  d'Halicarnasse.  Enfin  Cythère, 
la  Crète,  Karpathos  et  Rhodes  décrivent  un  arc  régu- 
lier entre  le  cap  Malée  et  l'Anatolie. 

La  Crète,  appelée  aussi  Candie,  prend  rang  parmi  les 
grandes  îles  européennes.  C  est  du  reste,  incontestable- 
ment, la  moins  bien  connue,  quoique  I  une  des  plus 
belles.  Mais  les  routes  carrossables  y  font  totalement 
défaut.  C'est  à  pied  ou  à  mulet  qu'il  faut  parcourir  les 
montagnes  chaotiques  qui  la  recouvrent  en  majeure 
partie,  les  hauts  plateaux  d'Omalo,  les  massifs  boisés  du 
mont  Ida  (2  485  mètres)  où  Zeus  fut  nourri  par  la 
chèvre  Amalthée  et  les  gorges  grandioses  où  se  cachent 
les  villages  des  Sphakioîes  indomptables. 

La  guerrilla  sans  merci,  accompagnée  de  dévastations 
sauvages,  que  musulmans  et  chrétiens  se  firent  pendant 
tout  le  Xix'^  siècle  avait  ruiné  une  partie  des  plantations 
d'arbres  à  fruits  qui  sont  la  richesse  et  la  parure  de 
l'île.  Elles  reparaissent  peu  à  peu  partout  où  l'eau, 
toujours  rare,  permet  d  assurer  l'irrigation.  Les  oranges 
de  Crète  n'ont  point  d'égales  en  Méditerranée  ;  la 
vigne  donne  un  vin  coloré  chargé  d'alcool  qui  rappelle 
les  meilleurs  crus  de  Corse.  Toutefois,  les  champs 
cultivés  n'occupent  encore  qu'un  espace  bien  restreint, 
et  l'on  peut  voyager  à  l'intérieur  de  l'île,  pendant  des 
jours  entiers,  sans  quitter  les  solitudes  des  steppes  ou 
des  maquis  épais. 

Elape  nalurelle  entre  lEgypIe.  la  Phénicie  et  les  pays  grecs,  la 
Crète  fui,  dans  la  plus  haute  aniiquilé  (xx'^-XV"  siècles  avant  J.-C), 
le  siège  d'une  brillante  et  originale  civilisation  qui  rayonna  sur 
toute  la  Méditerranée  orientale.  Les  fouilles  fameuses  de 
Cnossos,  Phaistos,  Haghia-Triada,  etc.,  ont  mis  au  jour  les  palais 
aux  chambres  multiples,  décorées  de  fresques,  où  vécurent  les 
contemporains  légendaires  du  roi  \linos,  d'Ariane  el  de  Thésée. 
Elle  ne  joua  aucun  rôle  marquant  dans  l'histoire  grecque  et 
romaine,  fui  occupée  successivement  par  les  Vénitiens,  puis  par  les 
Turcs,  devint  libre  en  1897  et  grecque  en  1913.  Ses  habitants, 
grands,  sveltes,  très  beaux  el  très  braves,  très  hospitaliers,  comptent 
parmi  les  plus  sympathiques  des  Hellènes. 


La  cote  Sud  n'a  que  des  havres  insignilianls.  Au  Nord,  les  ports 
charmants  de  la  Canée  (250  JO  habitants).  Rethymno (10 000  habi- 
tants), Candie  (22000  habitants),  entourés  de  fortifications  véni- 
liennes,  étalent  au  soleil  leurs  blanches  maisonnettes,  leurs  bazars 
pittoresques  emplis  d'une  foule  multicolore.  Mais  le  meilleur  abri 
se  trouve  dans  la  profonde  baie  de  la  Sude  que  dominent,  au  Nord, 
la  pierreuse  presqu'île  d'Acrotiri,  au  Sud  les  remparts  millénaires 
de  l'Acropole  d'Aptéra. 

Les  autres  îles  Egéennes  mériteraient  toutes  une 
étude  particulière,  tant  elles  sont  chargées  d'histoire, 
tant  le  seul  énoncé  de  leur  nom  évoque  de  souvenirs. 
De  Santorin  à  Mylilène,  de  Milo  à  Chios,  de  Délos  et 
Paros  à  Samothrace,  il  faudrait,  à  bord  d'un  caîque 
sentant  le  goudron  et  l'orange,  errer  lentement  d'ai- 
guade  en  aiguade,  de  marine  en  marine  ",  enivré  par  le 
triple  enchantement  de  la  mer,  du  ciel,  des  grands  rochers 
d  un  bleu  sombre,  d'un  blanc  éblouissant,  d'un  rouge 
de  pourpre  qui  surgissent  du  sein  des  eaux.  Qu'elles 
soient  nues  comme  Cythère,  Délos,  Myconos  et  bien 
d  autres,  ou  qu'elles  se  vêtent  encore,  comme  Lesbos  et 
Andros,  d'olivettes,  de  pins  résineux,  de  myrtes,  de 
lentisques,  de  lauriers-roses,  elles  sont  toutes  belles,  et 
le  cœur  le  plus  sec,  l'esprit  le  plus  obtus  ne  sauraient 
échapper  à  leur  séduction. 

Un  peu  d'huile,  du  vin  (à  Santorin),  du  "  mastic  ", 
de  la  cire,  des  poissons  sèches,  des  fruits,  voilà  ce  que 
donnent  les  îles.  Mais  leurs  marins  comptent  parmi  les 
plus  adroits,  les  plus  entreprenants  des  Grecs.  Aux 
temps  antiques,  Délos,  que  les  fouilles  de  l'Ecole  fran- 
çaise ont  rendue  à  la  lumière,  fut  un  moment  le  princi- 
pal entrepôt  commercial  de  la  Méditerranée  orientale. 
De  nos  jours,  Hermoupolis,  dans  l'île  de  Syra,  connut 
une  prospérité  du  même  ordre,  et  bien  que  la  concur- 
rence du  Pirée,  en  portant  un  coup  sensible  à  son  tra- 
fic, ait  réduit  sa  population  de  27  000  habitants  en 
1870  à  18000  en  1920,  elle  n'en  demeure  pas  moins 
le  siège  de  quelques-unes  des  plus  importantes  com- 
pagnies de  navigation  grecques.  En  face  des  côtes 
d'Anatolie,  Vathy,  Chios  et  Mytilène  (45  000  habitants) 
sont  les  aimables  capitales  des  Wet  de  Samos,  Chios  et 
Lesbos. 

Pour  Smyrnc,  voir  le  chapitre  consacré  à  l'Asie  Mineure. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


Les  Grecs  d'aujourd'hui  se  considèrent  volontiers 
comme  les  descendants  directs  de  Miltiade  .et  de  Péri- 
clés  ;  ils  n'aiment  point  qu'on  mette  en  doute  celte  très 
naturelle  prétention.  Mais  l'histoire  implacable  démontre 
que  l'Hellade  entière  fut  envahie  et  longuement  occupée 
à  partir  du  III '^  siècle  de  notre  ère  par  des  Goths.  des 
Hérules,  des  Vandales,  des  Avars,  des  Slaves  surtout 
qui  adoptèrent,  il  est  vrai,  la  langue  et  la  religion  des 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


vaincus,  mais,  en  se  mêlant  étroitement  à  eux,  donnèrent 
naissance  à  une  race  véritablement  nouvelle.  Les  croi- 
sés Francs,  arrivés  au  xili''  siècle  après  la  prise  de  Cons- 
tantinople,  se  partagèrent  tout  le  pays,  y  construisirent 
de  forts  châteaux,  et  ne  laissèrent  point,  pendant  les 
cent  cinquante  années  que  dura  leur  Empire,  d'ajouter  à 
ce  peuple  slavo-grec  une  bonne  dose  de  sang  occidental. 
Les  Vénitiens,  maîtres  de  l'Eubée,  de  la  Crète,  des  Iles 


253 


25 


L'EUROPE 


Ioniennes,  des  côtes  du  Péloponèse,  etc.,  en  firent 
autant.  Si  les  Turcs,  établis  en  Heliade  depuis  le 
XIV®  siècle,  ne  se  mêlèrent  point  aux  rayas  ",  au  vil 
troupeau  de  leurs  sujets  chrétiens,  des  migrations  suc- 
cessives de  montagnards  albanais  fixèrent,  du  xiv^  au 
XVIII*  siècle,  dans  le  Péloponèse  et  la  Grèce  Centrale, 
un  si.  fort  contingent  de  Skipéteirs  qu'encore  aujourd'hui 
leur  hellénisation  n'est  point  achevée  et  que,  dans 
l'Eubée  méridionale,  en  Argolide,  en  Attique  même, 
les  paysans  de  maints  villages  emploient  couranunent 
le  dialecte  albanais. 

Ainsi  les  Grecs  de  nos  jours  —  semblables  en  cela 
aux  Français,  aux  Italiens,  aux  Anglais,  aux  Espagnols 
—  forment  une  race  composite  où  se  mêlent  à  doses 
inégales  des  éléments  d  origines  diverses.  La  veiriété 
même  des  types  que  l'on  rencontre  en  Heliade  — 
variété  aussi  grande  qu'en  tout  autre  pays  de  l'Europe 
Occidentale  —  suffirait  à  le  démontrer.  Toutefois,  il 
petrait  incontestable  que  l'influence  de  l'élément  propre- 
ment grec  l'emporta  sur  les  autres.  La  Grèce  ne  fut  pas 
slavisée  ou  albanisée  :  c'est  elle  qui  hellénisa  les  "  bar- 
bares "  comme  elle  l'avait  fait  autrefois  des  Romains. 

Au  physique,  le  Grec  est  en  général  brun  de  poil  et 
de  peau  avec  de  beaux  yeux  noirs  bien  fendus,  un  nez 
droit  parfois  busqué  en  bec  d'aigle.  De  taille  moyenne 
mais  bien  pris,  il  ne  manque  ni  de  robustesse  ni  d'agi- 
lité et  résiste  fort  bien  à  la  fatigue,  tout  en  observant 
une  extrême  sobriété. 

Les  plus  beaux  types  d'Hellènes  doivent  se  chercher 
dans  les  îles,  en  Crète  notamment,  où  la  race,  demeurée 
exclusivement  pastorale  et  guerrière,  ne  s'est  point 
alourdie  et  vulgarisée  dans  les  travaux  agricoles.  Pres- 
que toujours  l'homme,  au  moins  à  partir  de  vingt  ou 
vingt-cinq  ans,  se  conserve  infiniment  mieux  que  la  femme 
à  laquelle  il  réserve  comme  une  chose  toute  naturelle  les 
travaux  les  plus  pénibles. 

Comme  ses  grands  ancêtres,  le  Grec  est  un  orateur 
né.  Il  se  plaît  aux  discussions  où  l'art  de  la  parole  sert 
non  seulement  à  mieux  exprimer  sa  pensée,  mais  au 
besoin  à  la  déguiser,  et  il  sait,  avec  une  étonnante 
aisance,  une  logique  impeccable,  accumuler  les  argu- 
ments en  faveur  d'une  cause  quelle  qu'elle  soit.  Il  est 
aidé  en  cela  par  sa  langue. 

C  est  1  une  des  plus  riches  qui  soient  au  monde.  Il  y  a,  en  effet, 
uce  langue  parlée  et  une  langue  écrite  que  l"on  emploie  simultané- 
ment La  première,  la  "  romaique  ",  dérive  directement  de  la 
langue  commune  en  usage  dans  tout  le  monde  grec  à  l'époque 
d" Alexandre.  Bariolée  de  mots  turcs,  italiens,  albanais,  elle  a 
toute  la  verdeur,  la  saveur,  le  coloris  des  créations  spontanées.  La 
seconde,  la  "  katharévousa  ",  c'est-à-dire  "  l'épurée  ",  sorte  de  com- 
promis entre  le  grec  de  Démosthène  et  celui  du  paysan  moderne, 
est  une  création  artificielle  due  aux  professeurs  de  l'Université 
d'Athènes.  On  l'emploie  dans  les  journaux,  à  la  Chambre,  dans 
le»    discassions  entre   gens  très   cultivés  —   et  pour   rédiger   les 

254 ■ 


enseignes  des  boutiques.  Un  étranger,  qui  sait  bien  le  grec  ancien, 
lit  la  "  katharévousa  "  presque  sans  apprentissage,  mais  s'il  veut 
comprendre  parfaitement  la  romaique,  c'est  une  autre  affaire  !  II  y 
faut  plus  de  temps  —  et  plus  de  dispositions  naturelles  —  qu'à 
tout  autre  dialecte  européen. 

Quelque  peu  abâtardis  par  quatre  ou  cinq  siècles  d'es- 
clavage et  de  misère,  les  Grecs  n'ont  encore  pu  prendre 
qu'une  part  insignifiante  au  mouvement  des  idées  con- 
temporaines, mais  il  n'est  point  de  raison  pour  que 
leurs  écrivains,  leurs  artistes,  leurs  poètes  ne  parviennent 
un  jour  à  tenir  une  place  sinon  comparable  à  celle  des 
contemporains  d'Aicibiade,  du  moins  fort  honorable. 
Pour  l'instant,  leurs  qualités  natives  :  vivacité  de  l'intel- 
ligence, compréhension  prompte,  assimilisation  aisée, 
vif  désir  de  s'instruire,  n'ont  encore  fait  d'eux  que  des 
politiciens  diserts,  des  diplomates  consommés,  des  com- 
merçants, des  hommes  d'affaires  sans  rivaux.  Le  Grec  ne 
semble  vraiment  chez  lui  que  derrière  un  comptoir,  sur 
le  pont  d'un  navire,  ou  au  café  parlant  politique  en 
buvant  de  grands  verres  d'eau.  Il  manie  les  chiffres 
avec  la  même  dextérité  qu'il  conduit  un  caïque  ou  fait 
plier  l'adversaire  sous  le  poids  de  sa  faconde.  La  pau- 
vreté du  sol  sur  lequel  il  vit,  jointe  à  une  naturelle  ciu'io- 
sité  pour  les  choses  étrangères,  au  désir  vague  de 
l'aventure,  le  portent  à  émigrer  facilement.  Dans  la 
petite  Grèce  d'avant  1913,  on  comptait  annuellement 
de  30  000  à  40  000  émigrants  pour  une  population  totale 
de  2  69 1  000  habitants.  Or,  de  tous  ces  émigrants,  quelle 
que  soit  leur  origine,  il  n'en  est  peut-être  pas  un  seul 
qui  s'adonne  à  l'agriculture. 

D'Odessa  à  Johannesburg,  d'Alexandrie  à  New 
York,  simple  "  bakal  "  (épicier,  marchand  de  vin)  ou 
négociant  millionnaire,  le  Grec  trafique.  Comme  le  Chi- 
nois, il  trouve  moyen  de  réussir  là  où  tout  autre  échoue- 
rait. Ainsi  se  sont  formées  ces  florissantes  colonies  hellé- 
niques dont  les  membres,  demeurés  ardemment  patriotes, 
ont  tant  feiit  pour  le  mieux-être  du  petit  royaume.  Sup- 
pléant à  la  pénurie  du  trésor,  ils  consacrent  souvent  une 
bonne  part  de  leur  fortune  à  l'érection  d'un  collège,  à  la 
construction  d'une  route  ou  d'un  navire  de  guerre,  à  la 
fondation  d'un  hôpital,  d'un  Institut  scientifique,  etc.  Ces 

Evergètes  "  ou  bienfaiteurs  représentent,  par  leur  lar- 
geur d'esprit,  l'étendue  de  leurs  connaissances,  l'en- 
semble de  leurs  qualités  intellectuelles,  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur  dans  le  monde  grec. 

Les  bergers  de  la  montagne,  les  paysans  des  vallées, 
lespêcheurgde  la  côte  sont,  eux  aussi,  fort  sympathiques. 
Il  faut  avoir  vécu  au  milieu  d'eux,  avoir  dormi  sous  leur 
humble  toit,  partagé  leurfrugjJ  repas  d'herbes  cuites" 
et  de  Imtage,  répondu  aux  questions  multiples  qu'ils 
posent  au  '  Lordos  ",  au  "  seigneur  étranger  ",  pour 
apprécier  leur  intelligence,  leur  curiosité  d'esprit,  leur 
sens  de  l'hospitalité,  les  liens  d'cJfection,  de  tendresse  qui 


-  LA  GRÈCE 


unissent  les  membres  de  la  famille.  Très  démocrates, 
passionnés  de  liberté  individuelle,  les  plus  pauvres,  les 
plus  arriérés  d'entre  eux  font  figure  d'aristocrates  en  com- 
paraison de  la  plupart  des  paysans  du  reste  de  l'Europe. 
Ils  demeurent,  en  bien  des  cjmipagnes  de  la  Vieille  Grèce, 
fidèles  au  costume  pittoresque  qu'ils  empruntèrent  aux 
Albanais  :  fustanelle  blanche,  guêtres  bleues,  "  papout- 
sias  "  (babouches)  aux  pompons  rouges,  cape  de  bure 
blanche  ou  brune.  Leur  religion  est  le  christianisme  ortho- 
doxe ayant  pour  chef  suprême  le  patriarche  de  Cons- 
tcujtinople.  Comme  dans  tout  l'Orient,  religion  et  patrie 
se  confondent  ;  le  Grec  est  fortement  attaché  à  une  forme 
decroycmcequi  le  distingue  à  la  fois  du  musulmem  et  des 
autres  chrétiens  orientaux.  Il  observe  rigoureusement  les 
prescriptions  cultuelles,  jeûne  autant  qu'il  le  faut  (deux 
cents  jours  par  an),  se  rend  à  l'église  avec  régulante. 
Cependcmt  il  se  contente  de  démonstrations  purement 
extérieures  :  signes  de  croix  répétés,  baisement  d'icônes, 


cierges  allumés,  gâteaux  bénis  et  partagés  en  famille,  etc. 
Il  ne  sait  pas  prier,  et  ce  n'est  pas  son  clergé  régu- 
lier ouséculier,  ignorant,  paresseux,  fréquemment  ivrogne, 
qui  pourrait  lui  donner  une  conception  plus  élevée,  plus 
mystique,  des  rapports  que  l'homme  peut  entretenir  avec 
la  divinité. 

L  élément  le  plus  médiocre,  en  Grèce  comme  dans  les  autres 
Etats  balkaniques,  est  représenté  par  le  politicien  de  clocher,  le 
grand  homme  *'  de  village,  le  Grec  qui,  ayant  reçu  une  certaine 
instruction,  étant  même  quelque  peu  sorti  de  chez  lui,  n'est  plus 
tout  à  fait  un  Oriental  et  n*est  pas  encore  complètement  "  euro- 
péanisé '.  II  dissimule  sous  un  verbiage  facilement  insolent 
la  médiocrité  de  son  esprit,  se  croit  apte  à  tout,  alors  qu'il 
n  est  bon  qu'à  pérorer  entre  les  quatre  murs  d'un  café,  se  voue 
corps  et  âme,  non  pas  même  à  un  parti  politique,  mais  à  un  homme 
dont  il  attend  quelque  sinécure  chichement  rétribuée.  Le  malaise 
intérieur  dont  la  Grèce  a  souffert  trop  longtemps,  la  mauvaise 
administration,  l'état  fort  arriéré  —  pour  ne  pas  dire  plus  —  des 
voies  de  communication,  de  l'agriculture,  de  l'élevage,  sont  dus 
pour  une  large  part  à  la  néfaste  influence  de  ces  "  trublions  ". 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


Les  quatre  cinquièmes  du  sol  grec  sont  couverts  de  hautes 
collines  ou  de  montagnes.  Le  cinquième  restant,  qui  repré- 
sente le  plat  pays,  ne  se  prête  toujours  pas  aisément  aux 
cultures  profitables,  faute  d'irrigation  ou  dedrainage.  Ajou- 
tons que  les  méthodes  généralement  très  arriérées  (excep- 
tion faite  pour  quelques  grands  dometines),  le  manque 
d'engreùs,  le  très  petit  nombre  de  routes  carrossables  sont 
autant  d'obstacles  au  développement  des  champs  cultivés 
et  à  l'augmentation  de  leur  rendement.  Enfin,  si  dans 
maintes  régions  du  Péloponèse,  de  la  Grèce  Centrale,  de 
la  Thrace,  le  paysan,  petit  propriétaire,  montre  une  belle 
ardeur  au  travail,  cultive  au  flanc  des  monts  le  moindre 
bout  de  terrain,  ailleurs,  en  Thessalie,  en  Macédoine  (pays 
de  Tchifliks  ou  grandes  propriétés),  en  Crète,  etc.,  il  se 
ressent  encore  fortement  du  déplorable  régime  turc,  et 
conserve  des  habitudes  de  nonchalante  paresse  fort  pré- 
judiciables à  la  mise  en  valeur  de  ces  riches  régions. 

L'AGRICULTURE,  a^  C'est  cependant  l'agri- 
culture qui  fait  vivre  la  majorité  des  Hellènes.  Le 
blé  se  cultive  un  peu  partout  et  donne  le  meilleur  ren- 
dement en  Thessalie,  en  Eubée,  en  Achaîe,  en  Thrace. 
Avant  l'annexion  de  cette  dernière  province,  la  Grèce 
devait  chaque  année  acheter  en  Russie  et  Roumanie  pour 
une  trentaine  de  millions  de  francs  de  froment.  Elle  doit 
pouvoir  aisément  aujourd'hui  suffire  à  ses  besoins.  Le 
maïs  (Thessalie  et  Macédoine)  ne  nourrit  pas  seulement 
les  animaux,  mais  aussi  les  hommes,  sous  forme  de  galettes 
mal  cuites  :  la  "  bobota  ".  L'orge  réussit  bien  dans  le 
PéloDonèse  et  les  îles.  Le  riz  (terrain  marécageux deThes- 
salie,  Béotie,  Thrace),  le  seigle,  l'avoine,  le  sorgho,  les 
pommes  de  terre  n'ont  qu'une  très  minime  importance. 


Après  les  céréales,  ce  sont  les  vignobles,  les  olivettes, 
les  champs  de  tabac  et  les  vergers  qui  tiennent  la  plus 
large  place.  Le  beau  ciel  lumineux,  les  brûlants  étés,  le 
sol  sec  et  caillouteux  de  l'Hellade  conviennent  merveil- 
leusement à  la  croissance  des  pampres,  à  la  maturité  des 
raisins.  L'espèce  dite  de  "  Corinthe  "  est  spéciale  à  la 
Grèce.  On  la  cultive  surtout  dans  le  Péloponèse  et  c'est 
sur  la  vente  des  raisins  secs  que  reposait  en  partie 
toute  l'économie  du  royaume  avant  les  récentes  annexions 
(50000000  de  francs  sur  un  total  de  112000000 
en  1913).  Les  autres  espèces  donnent,  pour  peu  qu'on  en 
prenne  la  peine,  des  vins  secs  ou  liquoreux  tout  à  fait  exquis 
(Malvoisie,  Santorin,  Muscat,  Côtes  de  Parnès,  etc.), 
mais  c'est  bien  l'exception.  Faute  de  soins,  de  bonnes 
caves,  etc.,  les  vins  courants  ne  valent  rien  ou  bien,  for- 
tement mélangés  de  résine,  ne  peuvent  plaire  qu'aux  gens 
du  pays. 

L'olivier,  l'arbre  d'Athéna,  couvre,  en  Vieille  Grèce 
seulement,  250000  hectares,  surtout  dans  les  Iles 
Ioniennes,  la  Laconie,  l'Eubée.  Les  Hellènes  font  unetrès 
large  consommation  d'olives  vertes  et  noires,  et  d'huile.  Ils 
exportent  le  reste  en  Italie  et  en  Turquie.  Là  aussi  il  y 
aurait  de  grands  progrès  à  réaliser  pour  perfectionner  la 
fabrication  de  l'huile  indigène,  beaucoup  trop  "  fruitée" 
au  goût  des  Occidentaux. 

Le  tabac  réussit  partout,  mais  les  espèces  cultivées  en 
Vieille  Grèce  (Karditza,  Missolonghi,  etc.)  sont  fort 
loin  de  valoir  celles  de  la  Macédoine  et  de  la  Thrace. 
On  en  vendait  cependant  en  1912  pour  une  dizaine 
de  millions  de  francs  annuellement.  Aujourd'hui  que 
l'Hellade  possède  Kavala,  Drama.  Xanthi,  etc.,  c'est-à- 
dire  les  "  crus  "  les  plus  célèbres,  ceux  avec  lesquels 

255  


L'EUROPE 


sont  fabriquées  les  meilleures  cigarettes  turques  et  égyp- 
tiennes, les  ressources  qu'elle  tirera  de  cette  culture  doivent 
être  au  moins  égales  à  celles  que  les  vignobles  lui  pro- 
curent. 

Quant  aux  vergers,  ils  donnent  d'abord  les  légumes 
(fèves,  haricots,  ails,  oignons,  piments,  épinards,  cucur- 
bitacées  surtout),  que  les  Grecs  consomment  en  grande 
quantité  soit  par  sobriété  naturelle,  soit  par  pauvreté,  scit 
enfin  à  cause  du  nombre  considérable  de  jours  de  jeûne 
que  compte  l'Eglise  orthodoxe.  Ils  donnent  aussi  quelques 
fruits,  mais  peu,  faute  de  soins  et  de  patience,  si  l'on 
fait  exception  des  Iles  Ioniennes  et  de  la  Messénie,d'où 
figues,  oranges,  citrons  s'exportent  vers  la  Yougo-Sla- 
vie  et  les  pays  Turcs. 

LES  FORETS  ET  L'ÉLEVAGE.  00  Les 
forêts,  ou  ce  que  l'on  qualifie  de  ce  nom,  mal  exploitées, 
livrées  sans  défense  aux  déprédations  des  pasteurs  et  des 
charbonniers,  ne  comptent  guère  parmi  les  sources  de 
revenu.  On  en  tire  cependant,  outre  le  bois  de  brûle  et 
le  charbon,  pour  quelques  millions  de  drachmes  de  résine, 
de  vallonée,  d'écorce  de  tannin,  etc. 

L'élevage  revêt  encore  à  peu  près  uniquement  la  forme 
semi-nomade  de  la  transhumance,  que  facilite  le  mélange 
étroit  des  plaines  où  les  bergers  passent  l'hiver  et  des 
montagnes  où  ils  grimpent  en  été.  Dans  le  Péloponèse 
et  les  îles,  les  bergers  sont  de  purs  Hellènes.  Dans  le 
reste  du  royaume,  ils  appartiennent  presque  tous  à  une 
race  particulière,  les  Vlaques  ou  Koutso-Valaques, 
proches  parents  des  Roumains,  spécialisés  dans  le  métier 
de  pasteurs.  On  compte  relativement  peu  de  bétès  à 
cornes,  bœufs  ou  buffles,  peu  de  chevaux  et  de  porcs. 
Les  ânes,  les  mulets,  fort  beaux,  rendent  les  plus  pré- 
cieux services  en  de  tels  pays  privés  de  routes  carros- 
sables. Moutons  et  chèvres  représentent  naturellement, 
comme  dans  toutes  les  autres  contrées  méditerra- 
néennes, la  vraie  richesse  de  l'éleveur.  Dans  la  petite 
Grèce  de  1912,  on  comptait  déjà  4500000  brebis  et 
3400000  chèvres.  Les  acquisitions  faites  depuis  cette 
date  ont  peut-être  doublé  ces  chiffres. 

Parmi  les  autres  ressources  du  pays,  il  ne  faut  oublier  ni  l'éle- 
vage du  ver  à  soie,  ni  la  pêche  (notamment  la  pêche  des  éponges 
sur  les  côtes  de  Crète  et  d'Afrique),  ni  les  produits  du  sous'sol. 
Les  mines  du  Laurion,  exploitées  depuis  l'antiquité,  donnent  du 
plomb,  du  zinc,  un  peu  d'argent,  de  la  calamine,  du  minerai  de 
fer  d'excellente  qualité.  D'autres  gîtes  minéraux  (fer,  brome, 
manganèse,  soufre),  mais  d'imporlance  bien  moindre  et  d'une 
exploitation  fort  irrégulière,  se  trouvent  en  Thessalie,  en  Eubée, 
dans  les  îles. 

Les  marbres  splendides  de  Paros,  du  Pentéiique,  de  l' Eubée 
méridionale  s'exportent,  en  petite  quantité,  vers  l'Amérique. 

Malheureusement  la  houille  fait  défaut,  et  les  gisements  de 
lignite  de  l'Eubée  (160000  tonnes  en  1920) ne  peuvent  la  rempla- 
cer. C  est  là  une  des  raisons  qui  expliquent  le  médiocre  dévelop- 
pement des    industries  grecques.    En  fait,   pour  la    majeure  partie 


des  objets  fabriqués,  la  Grèce  demeure  tributaire  de  l'étranger,  et 
les  usines  et  manufactures  du  Pirée  —  seule  ville  industrielle  du 
royaume  —  ne  fournissent  qu'une  minime  partie  des  textiles,  des 
machines,  des  objets  en  métal,  en  bois,  en  cuir,  etc.,  nécessaires 
aux  besoins,  d'ailleurs  restreints,  de  la  population. 

LE  COMMERCE.  .£'.£'  Le  commerce  intérieur 
souffre  du  manque  de  voies  de  communication.  Point  de 
routes  carrossables,  m^is  des  pistes  muletières.  Les 
lignes  ferrées  à  voie  unique,  où  circulent  avec  lenteur 
un  petit  nombre  de  trains,  ne  desservent  qu'une  portion 
très  restreinte  de  l'Hellade  continentale.  Cependant, 
depuis  1916,  la  Grèce  n'est  plus  isolée  comme  elle  le 
fut  SI  longtemps  :  la  jonction  est  faite  entre  le  réseau 
grec  et  les  grandes  lignes  européennes,  et  l'on  va,  en  un 
jour,  d  Athènes  à  Salonique  par  la  vallée  de  Tempe. 

Mais  le  vrai  domaine  commercial  de  l'Hellène  est  la 
mer.  Il  excella  de  tout  temps  au  métier  de  marin,  et, 
débordant  au  delà  de  l'Egéide.  son  domaine  propre,  on 
rencontre  aujourd'hui  ses  navires  non  seulement  dans  la 
Méditerranée  entière,  mais  jusqu'aux  rivages  lointains 
des  Amériques.  Le  Pirée,  d'abord  et  surtout,  puis  Syra, 
Andros,  Argostoli  senties  points  d'attache  des  armateurs. 

COMMERCE  DE  LA  GRÈCE. 


Année  1912. 
(c'est-à-dire  avant  les  annexions  qui 
ont  doublé  le  territoire  srec). 
Valeur  en  drachmes, 
(la  drachme  étant  égale  au  franc). 


1919. 


Valeur  en  drachmes, 
(la  drachme  valant  1   fr.  30). 


Blé 

Tissus,. . 
Charbon  . 

Bois 

Poissons, 
etc. 


Importations 

39  000  000 
22  000  000 
13  000  000 

8  000  000 

6  000  000 


Au  toial 160  000  000 


Produits  agricoles. . . 

Fils  et  tissus 

Minéraux  bruts 

Produits  chimiques  . 

Poissons 

Papiers,  livres 

etc. 


371  000  000 
442  000  000 
157  000  000 
122  000  000 
97  000  000 
41  000  000 


Exportations. 


Raisins  secs.. . . 

Vin 

Tabac  

Plomb 

Zinc 

Fi^es  ... 

Olives 

Fer... 

Soie  et  cocons, 
etc. 


40  000  000 
15  000  000 
12  000  000 
10  000  000 
5  000  000 
5  000  000 
5  000  000 
3  000  000 
2000  000 


Au  loial 144  000  000 


Produits  agricoles  (sur- 
tout raisin) 

Peaux,  cuirs,  lain's.  ■ . 

Minéraux  bruts 

Huile  d'olive 

Wns 

etc. 


605  000  000 


456-000  000 
44  000  000 
38  000  000 
22  000  000 
20  000  000 


726  000  000 


PRINCIPAUX  CLIENTS  DE  LA  GRECE  EN  1919. 


Importations 

États-Uni? 

Grande-Bret.igne  . 
Italie 

venant  de  : 

drachmes. 
....     445  000  000 
....     388  000  000 
....     142  000  000 

Exportations 

Gi'ande-Bretagne  .  ,  . 

Pays-Bas 

Etats-Unis     ( 
Turquie           ' 

allant  à  : 

drachmes. 
.    175  000  000 
.      97  000  000 

.      80  000  000 

51  000  000 

45  000  000 

.      44  000  000 

France  

É?ypte 

....     133  000  000 

....      83  000  000 

72  000  000 

256 


LA  BULGARIE 


En  1920,  la  flotte  marchande  hellénique  comptait  1  000 
voilieis  jaugeant  108000  tonneaux,  et  228  vapeurs  jau- 
geant 1 90  000  tonneaux.  C'est  sous  paWllon  grec  que  se 
transportent  du  Levant  en  Occident,  d'abord  les  pro- 
duits de  1  Hellade  :  tabac,  vm.  soie,  peaux  brutes,  etc.. 
puis  une  partie  des  blés  de  Russie  et  de  Roumanie, 
des  bois  de  Bosnie-Croatie,   des  fruits,  des  laines,  des 


cuirs  venus  d'Asie  Mineure.  Peu  confortables,  mais 
roulant  infatigablement  la  mer  par  tous  les  temps,  des- 
servant les  plus  médiocres  "  marines  "  du  Levant,  fort 
habilement  conduits,  ces  bateaux  rapportent  à  leurs  au-ma- 
teurs  des  revenus  largement  supérieurs  a  ceux  des  com- 
pagnies occidentales.  Ils  représentent  une  des  sources 
les  plus  sûres  de  la  prospérité  du  Royaume  Grec. 


CHAPITRE  XVIII 


LA   BULGARIE 


Réduite  a  peu  près  aux  frontières  qu'elle  avait  en 
1912.  la  Bulgarie  a  comme  limites  :  au  Nord  le 
Danube  et  la  Dobroudja  roumaine,  a  l'Ouest  l'Etat 
Yougo-Slave,  au  Sud  la  Macédoine  et  la  Thrace  grec- 
ques appuyées  au  Massif  du  Rhodope.  A  l'Est,  elle 
s'ouvre  sur  la  Mer  Noire  par  une  façade  longue  de 
1  30  kilomètres  environ.  Cela  donne  une  superficie  totale 


de  102  000  kilomètres  carrés  (au  lieu  des  121000 
qu'elle  avait  atteint  à  la  suite  de  ses  victoires  de  1912- 
1913).  peuplée  de  5000  000  d'habitants.  .Après  l'Alba- 
nie, la  Bulgarie  se  trouve  donc  être  aujourd'hui  le  moins 
étendu  et  le  moins  peuplé  des  Etats  balkaniques  ;  dure 
expiation  des  '  erreurs  "  commises  depuis  1913  par 
un  gouvernement  mégalomane,  maladroit  et  perfide. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 
Les    régions    naturelles    de    la    Bulgarie 


La  chaîne  incurvée  des  BeJkans  divise  la  Bulgarie  en 
deux  grandes  régions  naturelles  :  au  Nord,  les  plateaux 
et  terrasses  bulgcu-es  qui  s'inclinent  vers  la  vallée  du 
Danube  ;  au  Sud,  une  série  de  bassins  (Sofia,  Kazan- 
hk,  Samakov.  Kustendil,  Philippopoli,  etc.)  effondrés 
entre  des  massifs  montagneux  très  anciens  (Anti-Balkan. 
Rila-Dagh,  Rhodope.  etc. 

LE  B.4LKAN 

Les  Turcs  donnent  le  nom  de  BcJkan  à  toutes  les 
montagnes  de  la  Péninsule.  Les  Européens  le  réservent 
a  la  chaîne  que  les  Anciens  appelaient  l'Hémus.  Longue 
de  660  kilomètres,  large  en  moyenne  d'une  trentaine 
de  kilomètres,  cette  chaine  prolonge,  sur  la  rive  Sud  du 
Danube,  l'arc  des  Carpates.  On  la  divise  communément 
en  trois  sections. 

Le  Balkan  occidental  va  du  Danube  aux  gorges 
fameuses  par  lesquelles  l'isker  s'échappe  du  haut-bassin 
de  Sofia.  Au  début,  les  hauteurs  sont  faibles  et  la  vallée 
du  Timok  s'y  fraye  aisément  un  passage  qu'empruntait 
la  voie  romaine  allant  de  Nissa  (Nisch)  a  la  Dacie 
transylvaine.  Mais  immédiatement  au  Sud  du  Timok. 
dans  la  Stara  Planina  (montagne  de  l'Ouest),  l'altitude 
se   hausse    aux    environs    de    2  000    mètres    (Midjour 


2  166  mètres.  Kom  2  010  mètres),  et  les  cols  ne  sont 
jamais  inférieurs  à  1  200  mètres. 

Dans  le  Balkan  central,  ces  conditions  ne  se  modifient 
pas.  La  hauteur  moyenne  des  sommets  demeure  sensi- 
blement la  même  (Youmrouktchal  2  374  mètres),  et  celle 
des  passages  oscille  entre  I  1 00  et  I  600  mètres.  Ces  pas- 
sages sont,  du  reste,  fort  nombreux  et  très  facilement  utili- 
sables. Plus  de  trente  routes  carrossables  vont  d'un  ver- 
sant à  l'autre.  Une  voie  ferrée  emprunte  même  aujour- 
d'hui le  fameux  col  de  Chipka  que  frcinchirent  à  maintes 
reprises  lesarmées  russes  en  marche  vers  Constantinople. 

Dans  la  troisième  section,  que  l'on  peut  faire  com- 
mencer au  col  de  Demir  Kapou  (route  Slivno-Tirnovo). 
le  Balkan  s'élargit  et  se  divise  en  chaînons  multiples, 
mais  de  faible  hauteur.  Il  ne  fait  plus  du  tout  figure  de 
montagne,  et  les  routes  fort  nombreuses  zigzaguent  sans 
effort  au  milieu  des  ondulations  boisées,  mêlées  de  plaines 
assez  larges,  que  draine  le  Kamtchik.  Aussi  dut-on. 
autrefois,  protéger  sur  ce  point  la  Roumélie  en  com- 
plétant le  rempart  du  Balkan  central  par  les  places  fortes 
du  quadrilatère  bulgare  :  Roustchouk,  Silistrie.  Choumia, 
Varna.  La  chaine  balkanique  se  termine  sur  la  côte  de 
la  Mer  Noire  par  le  cap  Eminé.  où  des  monastères  grecs 
d'antique  origine  forment  comme  l'extrême-pointe  d'avant- 
garde  de  l'hellénisme. 


:3/ 


L'EUROPE 


Bien  que  le  Balkan  ait  été  plissé  à  la  même  époque  que  les 
Alpes,  il  ne  leur  ressemble  point  et  revêt  plutôt  l'apparence  de 
nos  Vosges  ou  de  notre  Massif  Central.  Le  versant  méridional  a, 
il  est  vrai,  des  pentes  fortes  ;  une  heure  de  marche  suffit  pour 
descendre  de  la  crête  aux  vallées  supérieures  de  l'isker,  de  la 
Slriéma,  de  la  Toundja  et,  vers  le  Sud,  les  flancs  boisés  de  la 
montagne  ne  manquent  pas  d'une  certaine  grandeur  imposante. 
Mais  quand  on  vient  du  Nord,  on  s'élève  par  des  pentes  si  faibles 
que  l'on  atteint  l'arête  terminale  sans  même  que  l'on  s'en  doute. 
Point  de  parois  verticales,  d'amas  d'éboulis,  de  pics  et  de  pointes, 
de  glaciers  et  de  neiges  étemelles,  mais  des  dômes  à  faible  cour- 
bure, des  surfaces  lourdement  étalées  dont  d'épaisses  forêts  de 
chênes,  de  hêtres,  de  sapins,  de  tilleuls  argentés,  copieusement 
nourries  par  des  pluies  abondantes,  dissimulent  et  amortissent 
encore  les  lentes  ondulations.  Dans  les  clairières  apparaissent  les 
pauvres  chaumières  couvertes  de  terre  glaise  où  gîte  le  monta- 
gnard bulgare.  L'été,  les  bergers  Aromounes  ou  Koutzo-Valaques 
conduisent  leurs  troupeaux  dans  les  chaumes  ou  alpages  des  hauts 
sommets. 


LES  PLATEAUX  BULGARES 

Sur  le  versant  Nord,  les  tnontagties  du  Balkan  se 
confondent  rapidement  avec  de  greindes  terrasses  cal- 
caires qui  s'inclinent  vers  le  Danube  par  une  pente  régu- 
lière et  douce.  Le  rebord  septentrional  de  ces  terrasses 
fut  recouvert  des  mêmes  limons  quaternaires  qui  forment, 
sur  l'autre  rive  du  Danube,  les  plaines  de  Valachie. 
L'altitude,  cependant,  est  un  peu  plus  conside'rable  et  la 
rive  biJgare  du  Danube,  au  lieu  de  s'étaler  en  marécages 
couverts  de  roseaux,  se  présente  en  général  sous  l'aspect 
de  falaises  jaunâtres  hautes  d'une  centaine  de  mètres. 

La  surface  de  ces  terrasses  est  extrêmement  mono- 
tone. ELxception  faite  pour  le  pays  forestier  de  Deli 
Orman,  elles  ne  diffèrent  en  rien  des  steppes  qui  couvrent 
la  Dobroudja  roummne  et  la  Russie  du  Sud.  Les  rivières  : 
Isker,  Vid,  Osma  ou  Osem,  Yantra,  etc.,  s'y  sont 
creusé  des  vallées  étroites  et  si  profondes  qu'elles 
gênent  les  conununications  beaucoup  plus  qu'elles  ne  les 
favorisent. 

Pendant  l'hiver,  long  et  rude,  la  neige  tombe  abon- 
damment, des  vents  glacés  soufflent  librement  du  Nord 
et  du  Nord-Est.  L'été,  par  contre,  est  relativement  très 
chaud  et  suffisamment  arrosé  par  des  pluies  d'orage  pour 
que  la  culture  du  maïs  soit  possible  à  côté  de  celles  de 
l'avoine  et  du  blé. 

Ces  terrasses  calcaires,  à  sol  d'ailleurs  fertile,  et  qui 
sans  doute  présentèrent  toujours  de  larges  espaces  déboi- 
sés, attirèrent  et  fixèrent  les  premières  hordes  bulgares 
venues  de  la  Russie  du  Sud.  Tandis  que  les  villages  se 
dispersaient  un  peu  partout  profitant  des  points  d'eau 
assez  rares,  les  agglomérations  urbaines  se  créèrent  soit 
sur  les  rives  ou  à  proximité  immédiate  du  Danube, 
grande  voie  commerciale  que  bordent  de  riches  terres  à 
blé  soit  au  débouché  des  vallées,  à  mi-chemin  de  la 
montagne  et  de  la  plaine,  là  où  se  croisent  les  routes  Nord- 
258  - 


Sud  et  Est-Ouest,  où  s'échangent  les  produits  du 
forestier,  de  l'éleveur  et  de  l'agriculteur,  soit  enfin  dans 
le  Balkan  même,  à  l'entrée  des  principaux  cols. 

Au  premier  groupe  appartiennent,  de  l'Ouest  à  l'Est, 
Vidin  (17  000  habitants),  entourée  de  mûriers  et  de 
vignes,  Lom-Palanka  (  I  1  000  habitants),  Orechovo, 
Nikopol,  Sistov  (14  000  habitants),  Roustchouk 
(45  000  habitants),  Toutrakan  (10  000  habitants), 
presque  toutes  d'origine  romaine,  perchées  sur  les 
falaises  qui  dominent  le  fleuve  en  face  des  cités  valaques 
qui  leur  correspondent  sur  l'autre  rive.  Un  peu  en 
arrière,  Plevna  (23000  habitants)  rappelle  le  siège 
fameux  de  1877. 

Parmi  les  cités  du  second  groupe,  les  plus  importemtes 
sont  Berkovitza,  Vratsa  (15  000  habitants),  Lowretsch 
ou  Lovtcha  (lOOOO  habitants)  sur  l'Osem,  Sevliévo 
(10000  habitants),  Tirnovo  (14000  habitants),  ancienne 
capitale,  ville  sainte  et  puissante  forteresse  des  Bulgares, 
pittoresquement  étagée  dans  une  boucle  de  la  Yantra, 
Choumla  (24  000  habitants),  autre  ville  forte  qui  com- 
mandait la  route  menant  en  Roumélie. 

Enfin  les  "  villes  "  du  troisième  groupe  :  Etropol, 
Gabrowo,  Elena,  etc.,  ne  sont  que  de  gros  villages  vivant 
des  produits  de  l'élevage  ou  s'occupant  de  petites 
industries  domestiques. 

DÉPRESSIONS  ET  MASSIFS  DE  MÉSIE- 
ROUMÉLIE 

Au  Sud  du  Balkan  s'étend  une  région  fortement 
disloquée  où  des  bassins  effondrés  se  logent  entre  les 
fragments  demeurés  en  saillie  d'une  pénéplaine 
archéenne,  c'est-à-dire  d'un  très  ancien  massif  formé 
de  roches  cristallines  dont  l'érosion  avait  eu  le  temps 
d'user  les  aspérités. 

L'ANTl-BALKAN  ET  LA  GRANDE 
VALLÉE  LONGITUDINALE.  /H/â  Le  rebord 
septentrional  de  cette  "  pénéplaine  "  apparaît  sous  la 
forme  d'un  dos  de  pays  assez  étroit,  allongé  de  l'Ouest 
à  l'Est,  en  face  même  du  Balkan.  Il  porte,  suivant  les 
heux,  les  noms  de  Karadja  Dagh,  de  Stredna-Gora,  de 
Massif  du  Vitosch,  de  Souva  Planina,  etc.  ;  les  géo- 
graphes le  désignent  du  terme  d'Anti-Balkan.  Elntre 
Balkan  et  Anti-Balkan  s'ouvre  une  grande  vallée  longi- 
tudinale, qui  rappelle  les  grandes  vallées  alpestres  de 
même  orientation.  Elle  commence  en  territoire  serbe 
par  les  hautes  vallées  du  Timok  et  de  la  Nichava,  se 
continue  en  Bulgarie,  pas  les  bassins  supérieurs  de 
risker,  de  la  Striéma,  de  la  Toundja,  et  se  poursuit 
depuis  la  baie  de  Bourgas  jusqu'à  la  Crimée  par  la 
remarquable  dépression  marine,  le  long  de  laquelle  on 
passe  brusquement  des  profondeurs  de  70  à  80  mètres 


LA  BULGARIE 


Frincipalea,  arèteu. 
W^  Afonta^nea,  eL 


BASSM  DE  SOF]A 

ET  RÉGIONS  VOISINES 


riauie-h  et  bouta* 
bassuiA.Jerm  ea. 

Ihie^ferrccv 


^ 


i^nsï 


du  golfe  d'Odessa,  à  des  fonds  de  I  000  à  1  800  mètres. 
Cette  valle'e  se  compose  de  brèches  successives,  d'une 
série  d'effondrements  qu'accompagnèrent,  suivant  la 
norme,  d'importantes  coulées  de  roches  volcaniques  et 
que  jalonnent  encore  de  nombreuses  sources  chaudes. 

Le  plus  élevé  de  ces  bassins  est  celui  où  grandit 
Sofia.  La  romaine  Serdica,  chef-lieu  de  la  province  de 
Mésie,  était  admirablement  placée  au  centre  mathéma- 
tique de  la  péninsule,  au  lieu  où  se  croisent  les  routes 
Macédoine-Danube,  par  les  vallées  de  la  Strouma  et  de 
l'isker,  et  Nissa  (Nisch)-Constantinople,  par  la  vallée 
de  la  Nichava,  le  défilé  des  portes  de  Trajan,  la  large  et 
fertile  dépression  de  l'Hèbre  (la  Maritza).  Toutefois 
elle  n'était  encore,  au  milieu  du  xv"  siècle,  qu'une  insigni- 
fiante villeite  turque,  et  ne  prit  une  réelle  importance  que 
du  jour  où  les  Bulgares  se  libérèrent  des  Ottomans.  C  est 
aujourd'hui  une  cité  de  plus  de  100000  habitants,  d'as- 


pect tout  à  fait  moderne,  point  pittoresque,  mais  propre 
et  confortable.  La  croupe  majestueuse  et  nue  du  Mont- 
Vitosch  (2  281  mètres)  lui  compose  un  cadre  qui  ne 
manque  point  de  grandeur  :  partout,  du  reste,  un  cercle 
de  montagnes  environne  la  plaine  allongée  que  traverse 
risker.  Elles  arrêtent  les  vents  marins  et  valent  à  Sofia 
des  hivers  aussi  rudes  que  ceux  de  Kônigsberg  ( —  3° 
moyenne  de  janvier),  des  étés  où  la  brûlure  du  soleil 
est  pénible  à  supporter. 

Par  les  petits  bassins  de  Zlalista  et  de  Karlovo,  on 
gagne  le  Toulovsko  Polie  ou  bassin  de  Kazanlik  que 
draine  la  Toundja,  principal  affluent  de  la  Maritza.  De 
la  passe  de  Chipka,  une  heure  suffit  pour  atteindre  celte 
large  vallée,  ri-he  en  eaux  courantes,  chauffée  par  les 
rayons  d'un  soleil  qui  a  déjà  quelque  chose  de  médi- 
terranéen. Le  contraiste  est  frappant  entre  les  triites 
solitudes  forestières,  les  misérables  chaumières  que  l'on 

259 


L'EUROPE 


laisse  derrière  soi  sur  les  terrasses  du  Nord,  et  les  nom- 
breux villages  d'aspect  riant,  bien  bâtis,  les  villes  aux 
minarets  élégants  qu'entourent  des  noyers  magnifiques, 
des  vignes,  des  champs  de  céréales,  des  roseraies  sur- 
tout, ces  fameux  champs  de  roses  qui  ont  fait  la  renom- 
mée de  Maglich  et  Kazanlik  (12000  habitants).  Ce 
sont  des  contrastes  du  même  ordre  qui  s'offrent,  dans 
nos  Alpes,  entre  les  versants  opposés  du  Samt-Gothard, 
du  Stelvio,  du  Brenner. 

LE  RHODOPE  ET  LE  RI  LA.  aa  Vers 
l'Ouest  et  le  Sud-Ouest,  l'Anti-Balkan  se  relie  directe- 
ment aux  massifs  :  Osogovo,  Rila,  Rhodope,  qui  se 
dressent  aux  confins  de  la  Roumélie,  de  la  Macédoine, 
et  du  couloir  Morava-Vardar. 

Le  Rhodope  ou  Despoto-Dagh  (la  montagne  des 
prêtres,  ainsi  désignée  à  cause  du  grand  nombre  de 
monastères  chrétiens  qui  s'élevaient  sur  ses  pentes) 
serait  comparable,  comme  aspect  général,  au  Massif  Cen- 
tral. Sur  une  plate-forme  de  roches  cristallines  entaillées 
par  des  fractures  se  dressent,  jusqu'à  plus  de  2  000  mètres, 
des  hauteurs  postiches  formées  de  laves  et  de  basaltes. 
Autrefois  réduit  à  une  altitude  voisine  du  niveau  de  la 
mer,  il  se  vit,  à  la  fin  de  l'époque  tertiaire,  relevé  en 
bloc;  aussi  présente-t-il,  au  Nord  comme  au  Sud,  des 
pentes  fort  raides  qui  en  rendent  l'abord  malaisé.  Quelques 
forêts  de  chênes  et  de  hêtres  se  maintiennent  sur  une 
partie  des  croupes  monotones  qui  ondulent  jus- 
qu'à l'horizon.  Mais  les  déprédations  millénaires  com- 
mises par  les  bergers  insouciants  et  par  leurs  troupeaux 
de  chèvres  ont  dénudé  tout  le  reste.  C'est  une  des 
régions  les  plus  sauvages,  les  plus  fermées  de  la  pénin- 
sule, un  des  domaines  favoris  des  pasteurs  Koutzo- Va- 
laques  qui  passent  l'hiver  dans  les  plaines  rouméliotes 
ou  macédoniennes  et  montent  au  printemps  par  les 
vallées  de  l'Arda,  de  la  Mesta,  du  Tchepelare . 

Le  Rila-Dagh,  à  la  pointe  Nord-Ouest  du  Rhodope, 
atteint  près  de  3  000  mètres.  De  majestueuses  forêts  de 
chênes  d'abord,  puis  de  tilleuls,  de  hêtres  et  de  conifères 
revêtent  ses  flancs  jusqu'à  2  000  mètres  environ.  Elles 
font  alors  place  aux  prairies  alpines  où  la  neige  subsiste, 
dans  les  dépressions  abritées,  jusqu'au  coeur  de  1  été. 
Sur  ses  pentes  septentrionales,  striées  de  vallées  creuses, 
une  centaine  de  petits  lacs  se  cachent  sous  les  chênes 
ou  miroitent  au  milieu  des  sables  d'origine  glaciaire. 

Enfin,  entre  le  Rila  et  les  massifs  (Osogovo  Planina, 
2  263  mètres  ;  Ucha,  1  950  mètres  ;  Strecha,  1  929 
mètres)  ou  court  la  frontière  Serbo-Bulgare,  une  série  de 
dépressions  ont  donné  naissance  aux  bassins  de  Kustendil 
(15  000  habitants),  Dupnitsa  (1 2000  habitants), Samakov 
(11000  habitants),  Radomir,  Ichtiman,  emciens  lacs, 
petites  oasis  de  bonnes  terres  cultivables  que  drainent 
incomplètement    l'Isker    affluent    du    Danube,    et    la 


Strouma  tributaire  de  la  Mer  Egée.  Là  convergent, 
avant  de  gagner  Sofia,  les  routes  venant  d'Ouskoub  par 
Egri  Palanka  et  de  Salonique-Sérès  par  la  vallée  de  la 
Strouma,  l'ancien  Strymon  des  Grecs. 

LA  ROUMÉLIE.  00  Entre  Rhodope  et  Antl- 
Balkan  s'éploie  la  plus  large  des  dépressions  tectoniques 
de  la  péninsule.  Elle  se  divise  en  deux  bassins  que  sépa- 
rent les  dernières  terrasses  orientales  du  Rhodope  et 
les  hauteurs  du  Strandja-Dagh.  C'est,  au  Nord,  la  Rou- 
mélie bulgare  ;  au  Sud,  la  Thrace  grecque,  que  les  eaux 
rapides  et  changeantes  de  la  Maritza  (l'Hèbre  des 
Anciens)  unissent  l'une  à  l'autre.  Une  épaisse  couverture 
de  limon  noirâtre,  analogue  au  Tchernozom  russe,  donne 
à  la  section  rouméliote  du  bassin  de  l'Hèbre  une  très 
remarquable  fécondité.  Non  seulement  le  froment,  l'orge, 
le  tabac,  les  légumes  de  toutes  sortes,  la  vigne,  le 
mûrier  y  réussissent  à  merveille,  mais,  grâce  à  la  tem- 
pérature élevée  de  l'été,  les  rizières  s'étendent  sur  des 
milliers  d'hectares  aux  environs  de  Phihppopoli.  Le 
cotonnier  même  y  donne  un  produit  apprécié. 

Par  ailleurs,  la  plaine,  complètement  privée  d'arbres, 
est  d'une  lassante  monotonie.  11  faut  atteindre  le  rebord 
des  monts  qui  l'encadrent  pour  retrouver,  à  la  sortie 
de  chaque  vallée,  groupés  autour  de  sources  fortes,  de 
beaux  villages,  des  petites  villes  pittoresques  entourées 
de  vignobles,  de  vergers  que  dominent  les  dômes 
des  platanes  gigantesques.  Tels  sont  Tatar  Pazardjik 
(20  000  habitants)  au  débouché  des  gorges  de  la  Haute 
Maritza,  Stanimaka  et  Haskovo  (  1  5  000  habitants)  sur 
les  flancs  du  Rhodope,  Stara  Zagora  (22  000  habitants). 
Nova  Zagora,  Yamboli  (16  000  habitants),  Slivno 
(25000  habitants)  au  pied  de  l'Anti-Balkan,  etc. 
Par  exception,  la  cité  maîtresse  de  la  Roumélie,  PhiHp- 
popoli  ou  Plovdiv,  fondée  par  le  père  d'Alexandre, 
a  grandi  aux  rives  mêmes  de  la  Maritza,  mais  en  un 
point  où  des  collines  de  gneiss  et  de  granit  percent 
la  mince  couverture  des  limons.  C'est,  après  Sofia,  la 
ville  la  plus  peuplée  (60  000  habitants)  et  le  plus  grand 
marché  agricole   de  l'Etat  Bulgare. 

Sur  la  Mer  Noire,  Bourgas  (13  000  habitants)  est 
le  débouché  naturel  des  riches  plaines  rouméliotes.  Elle 
n'a  toutefois  qu'une  rade  médiocre,  et  les  marais  qui 
l'entourent  la  rendent  fort  insalubre.  C'est  sur  Varna 
(40  000  habitants),  située  à  80  kilomètres  plus  au  Nord, 
que  les  Bulgares  ont  concentré  tous  leurs  efforts.  Une 
société  française  y  construisit,  avant  la  Grande  Guerre, 
un  bon  port  en  eaux  profondes,  et  la  ville  neuve,  d  aspect 
entièrement  européen,  exporte  40  pour  100  des  pro- 
duits bulgares  destinés  à  l'étranger. 

Nola.  a  d  Le  Trailé  de  Neuilly  (novembre  1919)  autorise  la 
Bulgarie  à  uliliser  le  pori  grec  de  Dédéagalch  sur  la  Mer  Egée. 


260 


LA  BULGARIE 


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NICOPOLIS  ET  LES  BORDS  DU  DANUBE.  L«  Imossa  de  Buliaric  domina,! 

a  une  centaine  de  mcties  la  rive  droile  du  Danuhe,  tandis  qu'en  face,  sur  la  rive  rou- 
maine, une  zone  plus  ou  moins  large  de  plaines  marécageuses  accompagne  le  couru  du 
fieuce.  Sur  les  pentes  ca'caires  recouvertes  delimon.cn  cultive  les  céréales  et  la  tifine. 


Aux  débouchés  des  vallées  qu'ont  crtusées  les  torrents  descendus  de  Fore  balkanique 
se  situent  les  villes  :  Vidin.  Lom-Palanka  Orechovo.  Nicopclis  ouNiltopol,  Sistovo.  etc. 
f.lles  exoédient,  par  la  voie  du  Danuke,  les  blés  et  les  maîs  récolté»  sur  les  fertiles  ter- 
rasses bulgares.  Ci.CwussEAU-Foivirjss. 


LA  CULTURE  DES  ROSES  DANS  LA  REGION  DE  KAZANLIK.  Au  ^ud 

du  Balkan,  s'ouvre  une  série  de  petites  dépressions  riches  en  eaux  courantes,  chauffées 
par  les  rayons  d'un  soleil  qui  a  déjà  quelque  chose  de  méditerranéen. Lonque,  quittant 
la  Bulgarie,  on  descend  vers  la  Roumélie  par  la  passe  de  Chipkja,  le  contraste  est 


frappant  entre  U-i  truies  solitudes  forestières  que  l  on  laisse  derrière  toi  sur  les  terrasses 
du  Nord  et  les  plaines  riantes,  couvertes  de  champs  de  vignes  et  de  céréales  dt  roseraies 
surtout,  les  fameux  champs  de  tous  qui  ont  foit  la  renommée  de  Maglich  et  de  Kazan- 
Hk.  dans  le  Touloosko  Poljé  que  draine  la  Toundja  supérieure. 


261 


L'EUROPE 


LA  PASSE  DE  BELOGRATCHIK.  La  chaîne  <ies'Ba!kans  qui  forme  l'ossalure 
des  pays  bulgares  esl  traversée  par  un  assez  grand  nombre  de  routes  empruntant 
des  cols  faciles  qui  mènent  des  plateaux  danubiens  aux  plaines  Touméliotes  et 
à  la  dépression  de  la  Morava.  Cl.  Chusseau-Flaviens. 


TROUPEAU  DE  BUFFLES  EN  BULGARIE.La  oue  est  prise. auN or d~Est 

du  Balk<in,  SUT  les  pentes  boisées  Qui  descendent  par  longues  ondulations  vers  les 
plaines  de  la  Dobroudja.  Le  buffle,  animal  d'aspect  asse::  farouche,  mais  de  naturel 
très  doux,  est  d'emploi  courant  dans  tout  l'Orient. 


LE  MONASTERE  DE  PREOBR.AJENSKY.  ^/eVess^n/ 

spécimen  des  couvents  encore  nombreux  qui  se  cachent  au 
fond  des  vallées  du  Riladagh  et  du  massif  du  Rhodope  sut- 
nommé"le  Mont  des  prê.res".    CI.ChusSEAU-Flaviens. 


LES   PAYS.ANNES  SOFIOTES 

:e  vêtent  d'une  longue  chemise  ri- 
chement brodée,  recouverte  d  une 
épaisse   robe  brune. 


LA  TOUNDJA  rassemble  les  eaux  du  Balkan  méridional 
et  les  porte  à  la  Maritza.  Dans  son  cours  supérieur,  elle 
traverse  et  irrigue  les  champs  de  roses  de  la  riante  vallée 
de  Kazanlik. 


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SOFU. 

La 

m^içuét:  de 

Banjo 

Bacfii,  encore 

affectée  au 

culte 

mahométan,  rap- 

1  j>t'?:c-- 

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roî:.' 

d:  tic  l 

cBulg 

aric  orthodoxe 

ancienne  colonie 

militaire  romaine. 

'-':v.îtirc 

frc 

u'c-, 

quQ'.'ù 

siècU. 

la    résidence 
Roumélie. 

des  Beylc 

beys 

DU  gouverneurs  de 

BOURG.^S:  TZIGANES  PRÈS  D'UNE  SOURCE.  .Malgré  la    médiocrité 

de  sa  rade,  l'insalubrité  de  son  climat  et  surtout  la  rude  concurrence  de  sa  voisine 

et  rivale  Varna,  le  port  de  Bourgas  a  pour  l'Etal  bulgare  une  très  grande  importance, 

car  il  est  le  débouché  le  plus  naturel  des  riches  plaines  rouméiiotes. 


LA  BULGARIE 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


HISTORIQUE.  £Ï£J  Les  Bulgares  arrivèrent  dans  ta  pénin- 
sule balkanique  vers  le  VII°  siècle  de  notre  ère,  «presque  les  Serbes 
et  autres  Slaves  en  eurent  occupé  la  majeure  partie.  Les  Bulgares 
étaient,  à  l'origine,  de  euples  de  race  jaune,  proches  parents  des 
Huns,  des  Finnois,  des  Turcs  et  Tatars.  lis  vécurent  longtemps 
aux  rives  de  la  Volga  avant  de  franchir  les  steppes  russo-rou- 
maines, puis  le  Danube,  et  de  s'établir  sur  les  terrasses  du  Balkan 
où  les  rejoignirent  plus  tard  d'autres  nomades  asiatiques  :  les  Kou- 
manes  et  les  Petchénègues.  Là,  ils  entrèrent  en  contact  avec  les 
Slaves  et  se  confondirent  si  bien  avec  eux  qu'on  ne  saurait  aujour- 
d'hui les  séparer  du  groupe  Yougo-Slave  ou  Slave  du  Sud.  Ils 
parlent  une  langue  lort  voisine  du  serbe  et  le  type  mongoloïde 
ne  se  retrouve  plus   chez  eux  que  tout    à  fait  exceptionnellement. 

Ils  eurent,  du  IX®  au  XII1°  siècle,  sous  les  tsars  Siméon.  Asen  et 
Peter,  Johannitsa,  etc.,  une  période  brillante.  On  les  vit  lutter 
avec  avantage  contre  les  empereurs  byzantins,  conquérir  et  coloni- 
ser les  vallées  de  la  Maritza  et  du  Vardar.  Ils  infligèrent  même 
plus  d'une  défaite  aux  Francs  de  la  4^  Croisade,  fondateurs  de 
l'Empire  latin  de  Constantinople,  et  la  renommée  des  "  Boulgres  " 
s'étendit  jusqu'à  l'Occident. 

Mais  ils  durent  d'abord  s'incliner  au  XIV°  siècle  devant  la  supé- 
riorité de  leurs  voisins  serbes,  puis,  à  partir  de  1 389  (défaite  serbe 
du  Champ  des  Merles),  ils  passèrent,  comme  tous  les  chrétiens  des 
Balkans,  sous  le  joug  turc.  Ce  sont  eux  qui  supportèrent  ce  joug  le 
plus  longtemps.  La  domination  ottomane,  fort  dure,  les  avilit  de 
telle  sorte  qu'ils  perdirent  tout  souvenir  de  leurs  grands  ancêtres. 
Bien  différents  des  Serbes,  ils  n'avaient  aucune  fierté  guerrière, 
ne  célébraient  point  les  batailles  d'autrefois,  vivaient  dans  la  te  reur 
et  le  respect  du  "  Zaptié  "  ou  gendarme.  Incapables  de  conquérir 
par  eux-mêmes  la  liberté,  ils  ne  durent  leur  indépendance  en  1 878 
qu'à  l'intervention  et  aux  victoires  russes. 

En  revanche,  à  peine  libres,  ils  ne  se  contentèrent  point  des  terri- 
toires que  leur  avait  attribués  le  Congrès  de  Berlin,  et  leurs  ambi- 
tions n'envisagèrent  rien  de  moins  que  la  possession  de  toute  la 
Thrace  jusqu'à  Constantinople  incluse,  de  toute  la  Macédoine, 
d'une  partie  de  la  Serbie  et  delà  Roumanie.  Ils  parvinrent  d'abord 
à  occuper  la  Roumélie  orientale;  puis,  en  1913,  alliés  aux  Grecs 
et  aux  Serbes,  s'ouvrirent  un  débouché  sur  la  Mer  Egée.  Mais 
l'attaque  perfide  qu'ils  déclenchèrent  dès  1913  contre  leurs  alliés 
de  la  veille,  et  surtout  la  politique  stupide  de  leur  tsar  Ferdinand 
pendant  la  Grande  Guerre,  ont  anéanti  leurs  espoirs.  Non  seulement 
les  Bulgares  doivent  renoncer  définitivement  à  réaliser  en  Macé- 
doine, en  Serbie,  dans  la  Dobroudja  roumaine,  les  vastes 
aimexions  qu'ils  rêvaient,  mais  ils  se  sont  vus  privés  en  1919,  au 
profit  de  l'Hellade,  de  la  portion  de  Thrace  qu'ils  avaient  acquise 
en  1913. 

DENSITÉ  ET  RÉPARTITION  DE  LA 
POPULATION.  /Ha  La  population  de  l'État  Bul- 
gare atteint  environ  5  000  000  d'habitants,  soit  une  densité 
moyenne  de  49  au  kilomètre  carré.  Les  plaines  fertiles  qui 
bordent  le  Danube,  certaines  parties  des  terrasses  calcaires 
du  Nord,  les  bassins  de  Philippopoli,  de  Kazanlik,  de 
Sofia,  ont,  comme  il  est  naturel,  fixe'  la  majeure  partie 
des  habitants.  Toutefois,  les  vicissitudes  dont  le  pays  fut 
l'objet  expliquent  certaines  apparentes  anomalies.  Par 
exemple,  la  densité  de  la  population  est  plus  forte  entre 
500  et  900  mètres  d'altitude  qu'entre  200  et  500.  Les 


Turcs  en  effet,  notamment  dans  tout  l'E^t  de  la  Rou- 
mélie, prirent  les  terres  les  meilleures  sises  dans  les  plaines 
et  refoulèrent  dans  la  montagne  les  Bulgares  chrétiens. 
Mais  la  proclamation  de  l'indépendance  bulgare  amena 
l'émigration  d'une  quantité  considérable  de  musulmans, 
soit  Turcs,  soit  Slaves  islamisés.  Ainsi  se  vidèrent  les 
fertiles  régions  de  Yamboli,  de  Bourgas,  de  Varna,  de 
Choumla  qu'une  immigration  régulière  de  montagnards 
ou  de  Bulgares  accotirus  de  l'étranger  (Turquie,  Macé- 
doine, Roumanie)  n'est  pas  encore  parvenue  à  recolo- 
niser. 

LES  BULGARES,  /aa  80  pour  100,  environ, 
de  la  population,  se  composent  de  purs  Bulgares. 
C'est  une  race  de  paysans  robustes,  trapus,  de  taille  au- 
dessus  de  la  moyenne,  à  la  tête  ronde,  aux  yeux  bruns 
très  foncés,  aux  cheveux  châtains.  Ils  ont  de  précieuses 
qualités  :  ardeur  au  travail,  sobriété,  patience,  discipline, 
et  se  transforment  aisément  en  excellents  soldats  très 
braves,  mais  sans  témérité,  sans  enthousiasme.  On  a 
observé  que  c'est  la  seule  armée  qui  ne  sache  pas  de  chan- 
sons de  route.  "  La  longue  servitude  à  laquelle  ils  furent 
soumis  explique  d'autres  traits  de  leur  caractère  :  le 
manque  d'idéal  et  de  sensibilité,  la  vulgarité  et  la 
violence,  l'égo'isme,  le  profit  matériel  mis  au-dessus 
de  tout. 

Moins  généreux,  moins  rêveurs,  moins  fins,  moins 
slaves  en  un  mot  que  les  Serbes,  ils  réussissent  souvent 
mieux  que  leurs  voisins  grâce  à  leur  ténacité,  à  leur  labeur 
qui  ne  s'arrête  jamais,  à  leur  économie  poussée  facilement 
jusqu'à  l'avarice.  "  Doux  et  accueillants  si  on  les  laisse 
tranquilles,  cette  douceur  tout  apparente  se  change  en 
une  rudesse  quelquefois  terrible  si  on  les  trouble  dans 
leur  travail.  Même  dans  la  classe  aisée,  j'ai  connu  à  Sofia, 
à  Varna,  des  hommes  instruits,  ayant  toutes  les  apparences 
d'une  complète  urbanité,  qui  devenaient  très  rudes  dès 
que  leurs  intérêts  étaient  menacés.  "  (A.  Muzet.) 

La  presque  totalité  des  Bulgares  appartient  au  chris- 
tianisme orthodoxe.  Longtemps  soumis  au  patriarchat 
grec,  ils  parvinrent,  en  1 870,  à  se  détacher  de  l'Église 
hellénique  et  reconnurent  l'autorité  suprême  d'un 
exarque  autonome  résidant  à  Constantinople.  Point  fana- 
tiques et  assez  peu  respectueux  de  leur  clergé,  en  dehors 
des  offices,  ils  montrent  cependant,  comme  tous  les  Bal- 
kaniques, un  très  profond  attachement  à  une  forme  de 
croyance  qui,  pour  eux,  est  synonyme  de  l'idée  de  patrie. 
Les  seuls  Bulgares  qui  ne  soient  pas  chrétiens  portent 
le  nom  de  Pomaques.  Ces  Slaves,  convertis  à  l'islamisme 
au  XVII^  siècle,  habitent,  au  nombre  d'une  vingtaine  de 
mille,  les  pentes  boisées  du  Rhodope.  Un  grand  nombre 


—  263 


GÉOGRAPHIE  tiNIVEKSELLE- 


26 


L'EUROPE 


d'entre  eux,  du  reste,  chez  qui  la  force  de  la  religion 
l'emportait  sur  les  instincts  de  la  race,  ont  suivi  les 
musulmans  turcs  dans  leur  exode  vers  l'Anatolie  et  se 
sont  éloignés  sans  retour  d'une  terre  qu  ils  ne  considéraient 
plus  comme  leur  patrie  véritable. 

LES  ALLOGÈNES.  00  En  dehors  des  Bul- 
gares on  trouve  en  Bulgarie  des  Turcs,  des  Grecs,  des 
Tziganes,  des  Roumams  et  quelques  autres  représentants 
de  peuples  divers. 

Les  Turcs  seraient  encore  au  nombre  d'un  demi- 
million  environ,  dans  toute  la  partie  orientale  de  la  Bul- 
garie Nord  et  Sud.  Les  Grecs,  presque  tous  adonnés  au 
commerce  (70000  environ),  peuplent  les  ports  de  la 
côte  (Vasiliko,  Sezopol,  Anchialos,  Bourgas,  Varna) 
et  ont  d'importantes  colonies  à  Philippopoli,  Stanimaka, 
sur  la  Basse-Toundja.  Les  Tziganes,  arrivés  à  la  suite  des 
Turcs,  en  partie  sédentaires,  comptent  une  centaine  de 
milliers  d'individus  (surtout  à  Kotel,  Sliven,  Tatar- 
Pazardjik).  75000  Roumains  ont  franchi  le  Danube 
pour  se  fixer  dans  les  districts  de  Vidin  et  Kula.  Une 
douzaine  de  milliers  de  Zinzares  ou  Koutzo-Valaques, 
tous  bergers,  passent  pour  descendre  en  ligne  directe 
des   anciennes    populations    thraces    romanisées.    Enfin 


40000  juifs,  d'origine  espagnole  comme  leurs  frères 
de  Salonique,  trafiquent  dans  les  villes,  surtout  à  Sofia  ; 
10000  Gagauses,  de  langue  turque  mais  de  religion 
orthodoxe,  sont  considérés  comme  les  derniers  repré- 
sentants des  Koumanes  et  Petchénègues.  Quelques 
milliers  d'Arméniens  font  aux  commerçants  grecs,  aux 
usuriers  juifs,  une  concurrence  souvent  victorieuse. 

S'il  est  facile  d'énumérer  ainsi  les  allogènes  qui  vivent  dans  les 
limites  de  l'Etat  Bulgare,  il  apparaît  comme  beaucoup  plus 
malaisé  d'estimer  le  nombre  des  Bulgares  qui  demeurent  hors  de 
ces  limites.  Les  statistiques  de  Sofia  annexaient  en  effet,  sans  autre 
ïorme  de  procès,  tous  les  Slaves  de  Macédoine  et  bon  nombre  de 
Serbes  du  district  de  Pirot!  De  pareilles  prétentions,  auxquelles  la 
guerre  a  mis  bon  ordre,  étaient,  il  est  vrai,  facilitées  par  le  fait  que 
la  plupart  des  Macédoniens  n'étaient  ni  tout  à  fait  des  Serbes,  ni 
tout  à  fait  des  Bulgares,  et  que,  d'autre  part,  c'est  par  transitions 
insensibles  que  l'on  passe  du  Serbe  pur  de  la  Choumadia  au  pur 
Bulgare  de  Sofia  et  Tirnovo.  Quoi  qu'il  en  soit,  et  tout  en  réduisant 
dans  de  considérables  proportions  les  chiffres  provenant  de  source 
uniquement  bulgare  (1800  000!),  il  faut  reconnaître  que  d'im- 
portants groupements  bulgares  (peut-être  400000  à  500000  indi- 
vidus) se  trouvent  englobés  aujourd'hui  dans  l'Etal  Hellénique. 
D  autres  encore  vivent  dans  la  Bessarabie  et  la  Dobroudja  rou- 
maine, dans  le  Banat  de  Temesvar.  On  en  rencontre  même  en 
Amérique,  où  une  émigration  relativement  forte  jetait  annuellement 
20  000  à  25000  individus. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


Les  BulgcU'es  sont  avant  tout  un  peuple  de  paysans 
cultivateurs,  de  terriens  attachés  à  la  glèbe.  L'industrie 
ne  compte  pas.  Le  commerce  est  pour  partie  concentré 
entre  les  mains  des  allogènes  :  (Urecs,  Arméniens, 
sociétés  étrangères.  L'élevage  même  a  pour  le  Bulgare 
beaucoup  moins  d'attrait  que  pour  le  Serbe. 

Les  trois  quarts  des  gens  vivent  dans  des  hameaux 
ou  de  gros  villages,  aux  maisons  de  pierre  et  de  bois,  que 
décorent  en  automne  des  guirlandes  de  piments  et  d'épis  de 
ma'is.  Maisons  fort  rustiques,  qui  tantôt  se  pressent  les  unes 
contre  les  autres,  tantôt  s'écartent  à  portée  de  la  voix 
et  se  dispersent  au  milieu  des  vergers.  Dans  les  agglo- 
mérations plus  considérables  on  relève,  malheureusement, 
un  fâcheux  parti  pris  de  modernisation  à  outrance  qui 
tend  à  faire  disparaître  le  pittoresque  des  vieux  logis  à 
1  orientale  et  les  remplace  par  des  bâtisses  inélégantes  et 
quelconques.  Même  transformation  regrettable,  quoique 
plus  lente,  dans  le  costume  des  paysannes  qui,  aux  alen- 
tours des  villes,  commencent  à  quitter  leurs  chemises 
délicatement  brodées  de  teintes  vives,  leurs  doubles 
tabliers  bariolés,  leurs  "  opintze  "  (sandales)  et  leurs 
bas  épais  tricotés  en  laines  multicolores. 

Un  changement  plus  heureux  est  dû  aux  efforts  du 
gouvernement  pour  développer  l'instruction.  En  1887,  on 
comptait  90  pour  100  d'illettrés  ;  en  1900,  ils  n'étaient 
plus   que  77  pour  100,  et  aujourd'hui,  sur  100  recrues, 

264  — 


90  savent  lire,  proportion  singulièrement  plus  forte  que 
dans  les  pays  voisins  (70  en  Grèce,  49  en  Serbie,  38  en 
Roumanie). 

Cirâce  à  une  instruction  plus  développée,  à  la  multi- 
plication des  écoles  d'agriculture,  des  fermes-modèles,  à 
la  création  d'une  Banque  eigricole  prospère,  le  paysan  bul- 
gare commence  à  secouer  une  routine  séculaire.  11 
apprend  à  fumer  son  champ  avec  science,  à  user  d'ou- 
tils et  de  machines  agricoles.  Comme  la  propriété  est  très 
morcelée  (on  partagea  en  effet  entre  les  paysans  chré- 
tiens les  '  '  tchifliks  "  ou  grands  domaines  possédés  autre- 
fois par  les  musulmans) ,  il  pallie  les  inconvénients  de  ce 
fait  en  s'associant  et  en  répartissant  les  frais  d  exploitation 
et  les  bénéfices  proportionnellement  à  l'étendue  de 
chaque  propriété. 

La  culture  des  céréales  (2  400  000  hectares)  comprend 
d'abord  et  surtout  le  blé,  puis  le  ma'i's.  L'orge,  le  seigle, 
l'avoine,  le  riz  ont  une  importance  moindre.  80  000  hec- 
tares sont  consacrés  aux  plantes  industrielles  :  tabac, 
coton,  lin  et  chanvre,  betteraves  à  sucre,  à  peu  près 
autant  aux  vignobles.  Les  vergers  et  jardins  potagers 
couvrent  sensiblement  la  même  superficie.  7000  hectares 
dans  la  région  de  Kazanlik  ne  portent  que  des  champs  de 
roses.  On  compte  environ  1  000000  d'hectares  de  forêts 
et  2000000  ou  3  000  000  d'hectares  de  pâturages  natu- 
rels ou  prairies  artificielles,  où  s'élèvent  7000000  de  mou- 


LA  ROUMANIE 


tons,  I  400000  chèvres.  2  200000  bovins.  500000  buf- 
fles, autant  de  chevaux  et  de  porcs.  140  000  ânes  et 
mulets. 

Les  ressources  du  sous-sol  (un  peu  de  fer,  de  cuivre, 
de  houille)  paraissent  médiocres,  et  leur  exploitation  est 
insignifiante.  Comme  industrie,  on  ne  peut  mentionner 
que  la  fabrication  d  essence  de  roses  à  Kazanlik 
et  Maglich,  quelques  sucreries  (Sofia,  Philippopoli), 
brasseries,  tanneries,  tissages  de  soie  (Philippopoli, 
Choumla,  Roustchouk)  et  de  lames  (Slivno,  Gabrovo, 
Samakov). 

La  Bulgarie  a  fait  un  gros  effort  pour  se  pourvoir 
de  moyens  de  communication.  Depuis  1880  elle  a  qua- 
druplé le  réseau  de  ses  routes  carrossables  (8000  kilo- 
mètres au  lieu  de  2  000)  et  fort  amélioré  leurs  conditions 
de  viabilité.  Le  réseau  ferré  dépasse  2  000  kilomètres. 
Les  Balkans  sont  traversés  en  deux  points,  et  presque  toutes 
les  prmcipales  villes  du  royaume  se  trouvent  reliées  les 
unes  aux  autres  par  chemins  de  fer  ou  bateaux  à  vapeur. 

Le  commerce  extérieur  de  l'Etat  Bulgare  atteignait 
en  1912,  dernière  année  normale,  le  chiffre  de 
368  000  000  de  francs,  dont  1 56  000  000  pour  les 
exportations  et  212  000000  pour  les  importations.  11 
achetait  surtout  de  la  houille,  du  pétrole,  des  objets 
fabriques  :  cotonnades,  machines,  wagons,  locomotives, 
produits  chimiques,    parfumerie,   etc.,   e^    vendait    des 


céréales  (110000  003.  dont  55 000 000  pour  le  blé, 
30000000  pour  le  maïs),  des  animaux  sur  pied,  des 
œufs,  des  cuirs  et  peaux,  de  l'essence  de  rose. 

Ses  meilleurs  fournisseurs  étaient  l'Autriche-Hongrie 
(52  000  000).  l'Allemagne  (33  000  000),  la  Grande- 
Bretagne  (28  000  000).  la  France  (22  000  000).  etc. 
Les  principaux  acheteurs  de  denrées  bulgares  se  classaient 
ainsi  :  Belgique  (40  000000).  Allemagne  (23  000000). 
Turquie  (20000000),  Angleterre  (19000  000).  Au- 
triche-Hongrie ( i 8 000 000).  Grèce  (8  000 000).  France 
(7  000  000). 

Voici,  en  livres  sterling,  d  après  le  Slaleiman's  Year-Book  de 
1921.  quelques  chiffres  concernant  les  transactions  commerciales  de 
la  Bulgarie  en   1919. 

Les  importations  ont  aUeinl  38  557000  livres  sterling  (au 
lieu  de  9  600000  livres  sterling  en  1914).  et  les  exportations 
22000000  de  livres  sterling  (au  lieu  de  6  180000  livres  sterling). 
Le  détail  des  ventes  et  des  achats  n'est  pas  indique  en  chiffres. 
Mais,  comme  dans  la  période  d"avant-guerre.  ce  sont  les  objets 
fabriqués  qui  représentent  la  plus  grosse  pari  des  importations, 
tandis  que  les  céréales,  Tejsence  de  rose,  le  tabac.  les  produits  ani- 
maux prennent  le  premier  rang  aux  exportations. 

Parmi  les  principaux  fournisseurs  de  la  Bulgarie  d'après  guerre, 
c'est  l'Italie  qui  vient  en  tête  (si.  toutefois,  le  chiffre  indiqué  par 
les  statistiques  anglaises  n'est  pas  erroné?),  avec  13835000  livres 
sterling.  soit  le  tiers  du  total.  Puii  se  classent  la  Turquie 
(5880000  livres  sterling),  la  Grande-Bretagne  (4200000  livres 
sterling),  les  Etats-Unis  (784  000  livres  sterling),  la  France 
(231000  livres  sterling),  etc. 


CONCLUSION 


La  Bulgarie  paraît  s'être  résignée  loyalement  aux  dures 
conséquences  de  ses  défaites.  Le  peuple  bulgare  a  trop 
de  bon  sens,  trop  d'esprit  pratique  pour  reprendre  sur 
nouveaux  frais  la  politique  mégalomane  de  1  ex-tsar  Fer- 
dinand. D'autre  part,  le  pays  peut  pourvoir  seul  à  la 
plupart  de  ses  besoins  essentiels,  et  I  acharnement  au 
travail,  les  habitudes  d'économie  du  paysan  arriveront 
assez  vite  à  pallier  les  désastreux  résultats  économiques 


dune  guerre  qui  se  prolongea,  presque  sans  interruption, 
pendant  sept  années.  H  ne  faut  désormais  à  la  Bulgarie 
que  la  paix  extérieure  et  l'ordre  intérieur.  Elle  ne  tiendra 
pas  évidemment,  dans  les  Balkans  et  en  Europe,  la 
large  place  qu'elle  rêvait.  EAe  ne  sera  qu'un  petit  pays 
et  un  petit  peuple.  Peut-être  sera-ce,  pour  sa  prospérité 
et  le  bien-êlre  de  ses  habitants,  ce  qui  pouvait  lui  arriver 
de  plus  heureux. 


CHAPITRE   XIX 

LA   ROUMANIE 


GENERALITES 


En  1914,  le  Royaume  de  Roumanie  se  restreignait  au 
territoire  compris  entre  les  Carpates,  le  Danube,  le 
Prout  et  la  Mer  Noire.  Il  couvrait  145  000  kilomètres 
carrés,  peuplé  de  7  500  000  habitants.  Mais  l'étude  d'une 
carte    ethnographique    de   l'Europe  Orientale    révélait 


aussitôt  que  la  nationalité  roumaine  débordait  largement 
hors  de  ces  limites.  La  Bessarabie  russe,  la  Bucovine 
autrichienne,  la  Transylvanie  hongroise  contenaient  une 
très  forte  proportion  de  Roumains  dont  le  plus  cher 
désir  était   d'échapper  à  la  domination  étrangère  et  de 

—  265 


L'EUROPE 


s'unir  à  leurs  frères  libres.  La  part  brillante  que  la 
Roumanie  prit  à  la  Grande  Guerre,  ses  souffrances,  ses 
sanglants  sacrifices  ont  permis  de  réaliser  ce  rêve.  Du 
Dniestr  aux  plaines  de  Hongrie,  de  la  Dobroudja 
aux  sources  de  la  Tisza,  l'Etat  Roumain  englobe  désor- 
mais presque  la  totalité  de  la  nation  roumaine.  Par 
l'étendue  de  son  territoire  (293  324  kilomètres  carrés), 
par  le  chiffre  de  sa  population  (  1 7  300  000  habitants) ,  il  se 
classe  en  bon  rang  parmi  les  Etats  européens.  Un 
mélange  harmonieux  de  montagnes  pastorales  couvertes 
de  forêts,  riches  en  ressources  minéreJes,  et  de  plaines 
au  sol  merveilleusement  fécond,  lui  assurent  un  avantage 
marqué  sur  la  plupart  des  Etats  secondaires  de  l'Europe 
Centrale,  trop  exclusivement  montagneux  (Autriche, 
Yougo-Slavie)  ou  plats  (Hongrie,  Pologne).  Il  ne  s'étend 
pas  démesurément  en  longueur  comme  la  Tchéco- 
slovaquie et  la  Yougo-Slavie,  mais  se  concentre  en 
luie  masse  compacte,  arrondie,  dont  les  diverses  sections 
communiquent  aisément  les  unes  avec  les  autres  grâce 
aux  nombreux  passages  des  monts,  au  réseau  largement 
ramifié  des  vallées  fluviales  qui,  prenant  leur  origine  à 
faible  distance  les  unes  des  autres,  divergent  ensuite  vers 
les  plaines  hongroises,  moldaves,  valaques.  Les  monts 
Oirpates,  flanqués  des  plateaux  Transylvains ,  donnent 
à  l'Etat  une  architecture  solide,  et  constituent  pour  les 
Roumains  comme  une  puissante  forteresse,  un  refuge  où  ils 


pourreiient  défier  les  assauts  d'un  ennemi  éventuel.  Enfin, 
précieux  privilège  qui  manque  à  la  Suisse,  à  la  Tchéco- 
slovaquie, à  la  Hongrie,  la  Roumanie  est  dotée  d'une 
façade  maritime  ouverte  sur  la  Mer  Noire,  entre  les 
frontières  bulgare  et  russe.  Cette  façade  n'est  point  d'accès 
difficile,  comme  le  sont  les  côtes  Dalmates,  par  exemple, 
pour  la  Yougo-Slavie.  Sur  elle,  au  contraire,  débouche, 
outre  le  Dniestr,  la  masse  formidable  des  eaux  que  le 
Danube  draine  à  travers  toute  l'Europe  Centrale.  Son 
delta  prolonge  et  augmente  chaque  année  les  plaines 
inrmienses  qui  descendent  par  une  pente  insensible  des  col- 
lines subcarpatiques.  Toutes  les  grandes  voies  commer- 
ciales l'empruntent  ou  suivent  une  direction  parallèle  à 
sa  vallée.  La  Roumanie  se  trouve  donc  à  même  non 
seulement  d'écouler  aisément  et  à  peu  de  frais  ses  cérécJes 
et  ses  pétroles,  mais  encore  de  contrôler  une  bonne  partie 
du  trcific  destiné  aux  autres  puissances  de  l'Europe 
Centrale. 

Ainsi  appeuaissent,  au  premier  coup  d'œil  jeté  sur  la 
carte,  les  traits  les  plus  caracténsques  de  ce  que  l'on 
pourrait  appeler  la  physionomie  géographique  du  Royaume 
roumain.  C'est  un  bastion  carré  de  hautes  montagnes 
flanqué  d'un  large  glacis  de  plaines  dont  le  Danube 
rassemble  les  eaux.  L'étude  plus  détmllée  des  régions 
naturelles  va  nous  révéler  la  variété  qui  se  cache  sous 
cette  division  fort  simple  du  sol  roumain. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 
Les  régions  naturelles  de  la  Roumanie 


LES  CARRATES.  ajU  La  chaîne  des  Carpates 
décrit  à  travers  la  Roumanie  un  arc  double  qui  partage  le 
territoire  en  deux  sections  :  l'occidentale  avec  la  Transyl- 
Vcuue  et  la  portion  roumaine  des  plaines  hongroises  ; 
l'orientale  avec  la  Moldo-Valachie,  la  Bucovine,  la 
Bessarabie  et  la  Dobroudja.  11  est  naturel  de  commencer 
l'étude  du  sol  roumain  par  ce  trait  saillant  du  relief, 
robuste  support  et  château  d'eau  des  régions  déprimées 
qui  s'appuient  sur  ses  flancs. 

Les  Carpates  roumains  débutent  en  Bucovine  par 
le  massif  de  la  Tcherna  Hora  (2  306  mètres).  Ils  se 
dirigent  d'abord  vers  le  Sud- Est  et,  sur  une  longueur  de 
300  kilomètres  environ,  se  présentent  sous  forme  de 
massifs  calcaires  de  structure  fort  monotone,  dépourvus 
de  toute  individualité  géographique,  isolés  les  uns  des 
autres  par  des  coupures  nombreuses  où  passent  rivières 
et  routes.  L'altitude  moyenne  de  ces  Carpates  moldaves 
ne  dépasse  pas  1200  à  1  500  mètres.  Puis  uncoudeextrê- 
mement  brusque  infléchit  la  chaîne  vers  l'Ouest.  Elle 
porte  alors  le  nom  d'Alpes  de  Transylvanie  ou  de 
Carpates    Valaques.  L'altitude  s'accroît  fortement.  De 

266  


vraies  barrières  aux  flancs  raides  se  dressent  entre  les 
terrasses  de  Mounténie  au  Sud,  et  les  bassins  Transylvains 
au  Nord.  En  même  temps,  la  composition  géologique 
très  complexe  donne  aux  formes  structurales  une  variété 
intéressante.  A  l'Est,  les  Massifs  du  Lotru,  du  Bucegiu, 
dont  les  gigantesques  parois  dominent  la  coquette  ville 
de  Sinaïa,  s'élèvent  à  2  528  mètres.  Au  centre,  la  chaîne 
des  Fogarash  allonge  sur  80  kilomètres  un  véritable 
mur  d'une  altitude  moyenne  de  2  200  mètres.  A  l'Ouest, 
le  Massif  du  Paringu  atteint  2  529  mètres.  Puis  la  chaîne 
se  recourbe  vers  le  Sud,  et  la  liaison  des  Carpates  avec 
les  Balkans  se  fait  par  le  massif  de  schistes  cristallins  du 
Vulcan  (1870  mètres)  et  les  monts  calcaires  de  la 
Cerna  (2  229  mètres). 

Malgré  la  raideur  et  l'élévation  de  leurs  parois,  les 
Carpates  Valaques  sont  traversés  par  des  passages,  à  la 
vérité  moins  nombreux  que  dans  les  Carpates  Moldaves, 
mais  aussi  aisés.  Bon  nombre  de  rivières  en  effet  :  Buzeu, 
OItu,  Jiu,  Cerna,  naissent  au  Nord  des  Alpes  Transyl- 
vaines et,  pour  gagner  le  Danube,  sont  obhgées  de  se 
creuser  à  travers  la  montagne  des  gorges  d  une  impres- 


LA  ROUMANIE 


sionnante  profondeur.  La  plupart  des  routes,  d'usage 
fort  ancien,  utilisent  ces  coupures  naturelles  (cols  de 
Prédéal,  de  la  Tour  Rouge,  du  Vulcan,  du  ThSmSs, 
Porta Orientalis),  où  s'insinuent  également  quelques  voies 
ferrées. 

Les  Carpates  doivent  leur  origine  aux  plissements  alpins.  Toute- 
fois, jusqu'à  I  500  ou  1  800  mètres,  leur  aspect  général  rappelle  non 
pas  les  Alpes  ou  les  Pyrénées,  mais  bien  plutôt  les  formes  tra- 
pues, arrondies,  des  Vosges  ou  des  monts  de  Bohême.  Seules  les 
parties  les  plus  élevées  des  massifs,  notamment  dans  les  monts 
Paringu,  offrent  quelque  ressemblance  avec  les  crêtes  savoisiennes 
ou  pyrénéennes  grâce  surtout  aux  cirques  glaciaires  qui  s'y  creusent 
entre  des  parois  abruptes,  aux  nombreux  lacs  qui  miroitent  à  tra- 
vers les  masses  d'éboulis.  Des  forêts  immenses  les  recouvrent 
jusqu'à  I  600  ou  1  700  mètres.  Au-dessus,  des  alpages  reçoivent 
en  été  les  bergers  ou  "  ciobans  "  et  leurs  troupeaux  de  moulons 
qui  ont  hiverné  dans  les  plaines  danubiennes.  Ils  donnent,  de 
juin  à  septembre,  un  peu  de  vie  à  ces  montagnes  par  ailleurs  sau- 
vages, tristes,  fermées,  inhospitalières,  mais  qui  jouèrent  un  tel  rôle 
dans  l'histoire  du  sol  roumain  et  des  sociétés  humaines  qui  s'y 
fixèrent.  C'est  aux  Carpates  cristallins  en  effet  que  les  torrents 
arrachèrent  ces  sables,  ces  argiles  qui  composent  une  bonne  pan 
du  territoire  moldo-valaque.  C'est  aux  neiges,  aux  p'uies,  aux 
sources  de  la  montagne  que  les  rivières  puisent  assez  d'eau  pour 
traverser,  malgré  les  brûlants  étés,  les  plaines  desséchées  du  pour- 
tour, vouées  sans  elles  à  la  stérilité  et  à  l'abandon.  C'est  enfin  dans 
les  solitudes  inviolables  de  la  montagne  que  la  race  daco-romaine 
parvint  à  conserver  la  pureté  de  son  sang  et  de  son  langage,  alors 
que  les  barbares  de  toutes  races  s'installaient  dans  les  plaines.  Et 
plus  tard,  ce  sont  les  montagnards  roumains  des  Carpates  qui,  sui- 
vant les  vallées,  colonisèrent  à  nouveau  les  vastes  glacis  des  bas- 
pays. 

LA  TRANSYLVANIE.  00  L'angle  inscrit 
dans  la  courbe  des  Carpates  est  occupé  en  entier  par  un 
plateau  —  plus  exactement  un  haut-bassin  —  très  mou- 
vementé où  des  dépressions,  des  effondrements  comblés 
pjur  les  mers  tertiaires  se  logent  entre  les  massifs  de  roches 
cristallines  (monts  Bihar,  1850  mètres)  et  volcaniques 
(monts Hargita,  I  758  mètres).  Ce  haut-bassin  est  l'Erdé- 
ly  des  Magyars,  l'Ardealul  des  Roumains,  la  Transylvanie 
des  Occidentaux,  ainsi  nommé  des  immenses  forêts  qui 
couvraient  autrefois  les  montagnes  du  pourtour.  Difficile- 
ment abordable  par  le  Sud  ou  par  l'Est,  la  Transylvanie 
s'ouvre  au  contraire  largement  siu  la  face  occidentale  où 
les  larges  vallées  du  Szamos,  des  deux  Koros,  de  la 
Maros,  du  Ternes  s'inclinent  vers  la  Tisza  et  le  Danube. 
Farces  valléess'infiltrèrent  au  cœur  du  plateau  les  éléments 
Magyars  et  Allemands  que  l'on  trouve  aujourd'hui  can- 
tonnés au  milieu  de  la  masse  des  populations  roumaines. 
Par  contre,  des  montagnards  roumains  descendirent  par 
ces  mêmes  vallées  vers  les  vastes  plaines  hongroises  et 
peuplèrent  si  bien  leur  bordure  orientale  que  l'on  a  dû 
légitimement  attribuer  au  royaume  de  Roumanie  les  ter- 
ritoires de  Temesvar,  d'Arad  et  de  Nagyvarad  (Oradia 
Mare). 

Ces  territoires  de  la  plaine  ne  diffèrent  en  rien,  naturel- 


lement, de  l'Alfôld  hongrois  dont  ils  fontgéographiquement 
partie.  Mêmes  étendues  plates,  monotones,  déboisées  où 
l'on  cultive  blé,  maïs,  betterave,  où  paissent  en  liberté 
des  troupeaux  de  porcs,  de  moutons,  de  chevaux  à  demi- 
sauvages.  Mêmes  fortes  agglomérations  mi-villageoises, 
mi-urbaines,  peuplées  en  majorité  de  paysans  roumains, 
mêlés  de  Juifs,  de  Magyars,  d'Allemands  et  de  Tziganes  : 
Temisoara  (Temesvar)  80  000  habitants,  Arad  65  000. 
Oradia  Mare  (Nagy  Varad)  70  000  habitants,  etc. 

L'intérieur  transylvain  est  singulièrement  plus  varié. 
Montagnes  et  collines  ont  conservé  en  partie  le,ur  parure 
de  forêts,  leurs  beaux  alpages  que  parcourent  en  été  les 
troupeaux  de  vaches  laitières.  De  plus,  les  monts  Bihar 
ou  Monts  Métallifères  transylvains  renferment  de  nom- 
breux gisements  d'or,  d'argent,  de  fer,  de  cuivre,  de  sel, 
exploités  depuis  une  haute  antiquité.  Enfin,  des  plaines 
intérieures,  fonds  d'anciens  lacs  comblés  petf  les  alluvions, 
forment  des  oasis  de  riches  cultures  entre  les  escarpements 
des  monts  :  tels  sont  le  Gyergye,  le  Barc  Zasag  ou  plaine 
de  Kronstadt,  le  Csik,  le  Haromszèk,  la  magnifique  val- 
lée de  Fogaras,  le  bassin  de  Sibiu,  etc. 

Ces  ressources  abondantes  et  variées,  la  facilité  relative  des 
communications,  l'indépendance  même  dont  la  Transylvanie,  bien 
protégée  par  son  rempart  de  montagnes,  a  joui  pendant  des  siècles, 
expliquent  l'attrait  qu'elle  exerça  sur  les  hommes.  Aux  Daco-Rou- 
mains,  qui  représentaient  les  aborigènes,  se  joignirent  d'abord,  à  par- 
tirdulX®siècle,desgroupesdeMagyars  appelés  Szekely  ou  Szeklers 
dont  les  descendants  sont  encore  aujourd'hui  cantonnés  dans  le 
grand  coude  des  Alpres  Transylvaines  et  des  Carpates  Moldaves. 
Puis,  dès  le  XII®  siècle,  des  colons  allemands,  attirés  par  les  rois 
de  Hongrie,  vinrent  se  fixer  dans  la  plaine  de  l'Aluta,  autour  de 
Brasso  (Kronstadt)  et  de  Sibiu  (Hermannstadi).  sur  le  haut- 
Szamos,  etc.  Ces  "  Saxons  ",  comme  on  les  appelle  là-bas,  par- 
vinrent à  maintenir  pendant  six  siècles  leur  nationalité  et  l'usage 
de  leur  langue.  Toutefois,  bon  nombre  d'entre  eux  finirent  par  se 
magyariser  ou  se  roumaniser,  et  l'on  n'en  compte  plus  guère  que 
200000  environ,  auxquels  il  faut  ajouter  un  nombre  égal  de 
"  Souabes  "  de   même    origine  fixés  dans  le  Banal  de  Temesvar. 

La  ville  capitale  transylvaine  est  Cluj  (Kolozvar),  an- 
cienne colonie  romaine  sur  la  haute-Szaraos.  Elle  compte 
65000  habitants.  Brasso  (Brasov)  45000  habitants, 
Sibiu  (35000  habitants)  commandent  les  principaux 
passages  des  Alpes  Transylvaines.  Les  autres  cités  : 
Fejervarou  Belgradou,  Maros  Vasarhely,  Fogaras, etc., 
servent  aux  échanges  entre  les  montagnards  et  les  gens 
des  plcunes. 

LA  BUCOVINE.  00  Au  delà  des  Carpates,  les 
Habsbourg  avaient  acquis  en  1775  le  territoire  de  la 
Bucovine,  dé'aché  de  la  Moldavie  alors  turque. En  récu- 
pérant la  majeure  partie  de  cette  province,  la  Roumanie 
n'a  donc  fait  que  reprendre  son  bien,  un  bien  auquel  elle 
tenaiit  d'autant  plus  que  la  Bucovine  (le  pays  des  hêtres), 
berceau  de  l'Etat  Moldave,    contient   encore   ses    mo- 

267 ' 


L'EUROPE 


nastères  les  plus  vénérables  et  les  tombeaux  de  ses  an- 
ciens rois. 

Adossée  aux  pentes  des  Carpates,  la  Bucovine  s  in- 
clineauSud-Estversles  plaines  moldaves  etbessarabiennes 
LeSereth,  le  Prout  la  traversent  dans  leur  cours  supé- 
rieur et  le  Dniestr  lui  sert  de  limite  septentrionale. 

De  vastes  forêts  où  se  mêlent  chênes,  hêtres,  conifères, 
bouleaux  recouvrent  encore  le  tiers  de  la  superficie.  Le 
reste  est  occupé  par  de  bonnes  terres  à  labour  et  des 
prairies. 

Sur  1 0000  kilomètres  carrés  environ  vivaient,  en  1910, 
800  000  habitants,  de  races  extrêmement  mélangées.  Les 
Roumains  composaient  à  peu  près  la  moitié  du  total.  Le 
leste  se  répartissait  entre  Ruthènes  (300000),  Magyars, 
Allemands,  Polonais,  Tchèques,  Tziganes,  Juifs,  etc. 

Une  seule  ville  importante,  Tchernaoutsi  (Czernowitz) , 
la  capitale,  compte  une  centaine  de  milliers  d'habitants. 
Elle  a  depuis  longtemps  supplanté  Suceava  qui  fut, 
jusqu'au  milieu  du  XVl^  siècle,  la  capitale  de  la  Moldavie. 

LA  MOLDAVIE  ET  LA  VALACHIE.  aa 
Entre  Carpates,  Danube  et  Prout,  les  grandes  pro- 
vinces de  Moldavie  et  de  VeJachie  composent  à  elles 
seules  la  région  à  laquelle  on  réservait  jusqu'en  1914  le 
nom  de  Roumanie.  Ce  sont  elles  qui,  les  premières,  arra- 
chèrent aux  Turcs  une  large  autonomie,  puis  qui  s'unirent 
pour  former  un  Etat  Roumain  indépendant.  C'est  autour 
d'elles  que  gravitaient  naturellement  les  espoirs  de  tous 
les  Roumains  irrédimés.  Elles  sont,  du  reste,  la  partie  la 
plus  prospère,  la  plus  civilisée  du  royaume. 

Elles  débutent,  au  pied  des  Carpates,  par  une  bande 
concentrique  de  colhnes  qui  s'abaissent  vers  le  Sud  en 
pentedouce.  Les  Roumains  appellent  Podgoria  (Piémont) 
cette  zone  dont  la  largeur  atteint  au  maximum  80  kilo- 
mètres en  Valachie,  mais  qui  couvre  sur  près  de  200  kilo- 
mètres la  totalité  de  la  Moldavie  et  de  la  Bessarabie  sep- 
tenti'ionales.  Des  argiles,  des  marnes,  des  sables  arrachés 
par  les  torrents  aux  monts  Carpatiques  forment  un  gla- 
cis dont  l'altitude  passe  lentement  de  600  à  200  mètres 
et  qui  serait  tout  à  fait  uniforme  si  les  cours  d'eau  qui  dé- 
valent des  Carpates  n'y  burinaient  de  longues  vallées. 

La  Podgoria  fut  autrefois  couverte  d'immenses  forêts. 
Il  nen  reste  plus  que  des  lambeaux,  à  la  vérité  fort  nom- 
breux, dispersés  sur  les  collines  qui  ondulent  entre  chaque 
vallée  parallèle.  Mais  partout  les  champs  de  maïs,  les 
vergers  se  mêlent  aux  boqueteaux.  Les  villages  se  suc- 
cèdent sur  les  pentes  ensoleillées.  C'est  la  région  la  plus 
riante  et  la  plus  peuplée  des  deux  provinces. 

A  mesure  que  l'on  s'éloigne  de  la  montagne,  le  relief 
s  abaisse,  les  vallées  s'élargissent,  les  forêts  disparaissent, 
la  végétation  s'appauvrit.  On  arrive  ainsi  à  la  seconde 
des  zones  naturelles  qui  se  partagent  la  Moldavie- Vala- 
chie :  la  zone  des  terrasses  diluviales  ou  des  steppes.  Elle 

-" 268 


commence  vers  Craïova,  Ploiesti,  Focsani  et  s'étend  jus. 
qu'à  la  dépression  danubienne.  Le  sol  est  formé  soit  de 
cailloutis  charriés  par  le  Danube  et  les  torrents  carpa- 
tiques, soit  d'épaisses  couches  de  loess  d'origine  éolienne. 
La  composition  chimique  de  ces  terres,  leur  perméabilité, 
s  unissent  à  la  sécheresse  du  climat  pour  proscrire  les 
arbres.  On  peut  cheminer  des  heures  sur  les  mornes 
étendues  de  ces  steppes  poudreuses  sans  voir  autre  chose 
qu  un  maigre  bouquet  d  acacias.  Mais  ces  mêmes  terres, 
pour  peu  qu'on  les  travaille  et  qu'on  les  irrigue,  se 
montrent  merveilleusement  fertiles.  C'est  sur  elles  qu'a 
porté  le  principal  effort  du  colon  roumain  venu  de  la  mon- 
tagne, et  le  damier  des  champs  de  ble  s'étend  chaque 
année  davantage  autour  des  gros  villages,  peuplés  de 
2  000  âmes  et  plus,  groupés  autour  des  puits  rares  et 
profonds. 

Aux  approches  du  Danube,  ces  villages  se  multiplient 
sur  le  rebord  de  la  terrasse  limoneuse  qui  domine  de 
quelques  mètres  la  vallée  majeure  du  grand  fleuve.  Cette 
vallée,  large  de  10  à  25  kilomètres  et  que  limitent  au 
Sud  les  hautes  falaises  de  la  rive  bulgare,  constitue  un 
petit  monde  à  part,  une  zone  spéciale  mi-aquatique,  mi- 
terrienne,  la  lunca  ',  que  le  fleuve  monde  à  peu  près 
entièrement  lors  de  ses  grandes  crues  printanières.  Le 
Danube  y  pénètre  après  s'être  arraché  à  l'étreinte 
de  l'arc  Carpato- Balkanique  par  le  défilé  fameux  des 
Portes  de  Fer  où  ses  eaux,  gagnant  en  élévation  ce 
qu'elles  perdent  en  largeur,  atteignent  jusqu'à  50  mètres 
de  profondeur.  A  Turnu  Severin,  le  fleuve  n'est  plus 
qu'à  36  mètres  d'altitude,  il  lui  reste  cependant  encore 
955  kilomètres  à  franchir. 

Tantôt  divisé  en  bras  muhiples  par  des  îles  plates,  tantôt  rou- 
lant ses  eaux  limoneuses  en  une  seule  nappe  large  de  900  à 
2000  mètres,  profonde  de  4  à  25  mètres,  il  s'accompagne  d'une 
multitude  de  lacs,  de  bras  morts,  de  marais,  de  fourrés  de  saules 
et  de  roseaux  géants.  Cette  zone  amphibie  qui  le  borde  sur  sa  rive 
gauche  atteint  sa  plus  grande  étendue  à  partir  de  Silislrie.  C'est 
la  "  Balta  "  entre  les  collines  de  la  Dobroudja  et  les  steppes  de 
Baragan.  Des  nuées  d'oiseaux  aquatiques  :  cygnes,  flamands  roses,  ^ 
pélicans,  hérons  à  aigrettes,  tourbillonnent  au-dessus  des  eaux  que 
peuplent  des  quantités  prodigieuses  de  poissons  :  esturgeons, 
sterlets,  sandres,  carpes  de  taille  colossale,  etc. 

Des  Carpates  et  du  Balkan  arrivent  au  fleuve 
nombre  de  torrents  :  Timok,  Isker,  Yantra  sur  la  rive 
droite  ;  Jiu,  Oltu,  Dimbovitsa,  Jalomitza,  Seret,  Prout 
sur  la  rive  gauche.  Sauf  les  deux  derniers  qui  sont  de 
vrais  fleuves,  larges  de  200 à  300  mètres,  profonds  de  4  à 
6  mètres,  roulant  en  tout  temps  des  eaux  abondantes,  ces 
affluents  danubiens,  surtout  ceux  de  Roumanie,  sont  de 
simples  torrents,  au  régime  extrêmement  irrégulier.  Mais 
tous,  dans  leurs  crues  formidables  de  printemps,  en- 
traînent au  Danube  des  masses  d'alluvions  qui  s'ajoutent 
au  limon  venu  des  Alpes  lointaines.  Aussi  le  fleuve  a-t-il 


LA  ROUMANIE 


édifié  aux  dépens  de  la  Mer  Noire  un  delta  dont  l'avance, 
depuis  l'antiquité,  n'a  pas  été  moindre  d'une  centaine  de 
kilomètres!...  11  s'y  divise  en  trois  branches  principales 
dont  la  médiane,  appelée  bouche  de  Sulina,  fui  spéciale- 
ment aménagée  pour  permettre  l'accès  des  grands  navires 
de  mer  jusqu'aux  ports  d'Ismail,  de  GcJatz  et  de  Braila 
où  éiffluent  par  wagons  et  chalands  la  masse  dorée  des 
blés  et  des  mais  roumains. 

Ce  beau  fleuve,  magnifique  voie  d'eau  dont  le  débit 
moyen  n'est  pas  inférieur  à  9000  mètres  cubes  (cf.  la 
Seine  à  Paris  300  mètres  cubes),  se  prête  toute  l'année  à 
la  navigation,  exception  faite  pour  le  cœur  de  l'hiver  où, 
pendcuitunecinquantainede  jours,  les  glaces  et  la  débâcle 
arrêtent  la  circulation  des  bateaux. 

L'hiver  des  plaines  roumaines  est  en  effet  très  rigoureux, 
avec  des  moyennes  de  —  3  ',  5  en  janvier  à  Bucarest, 
de  —  4  ,  5  à  lassy  et  Kichineff,  des  minima  qui  peuvent 
descendre  à  35'  sous  zéro!  On  compte  chaque  année 
plus  de  cent  jours  de  gelée  à  Bucarest,  et  les  vents  : 
Crivetz  (vent  du  Nord-Est  venu  des  steppes  russes), 
.■\ustru  (vent  d'Ouest),  qui  balaient  sans  obstacles  les 
plaines  rases,  ajoutent  à  la  morsure  du  froid.  Par  contre, 
au  cours  de  l'été,  le  thermomètre,  du  1 5  juin  au 
1  5  août,  ne  descend  guère  au-dessous  de  25"  et  s'élève 
fréquemment  à  plus  de  40°.  Sous  un  ciel  presque  aussi 
limpide  qu'aux  nves  méditerranéennes,  le  soleil  flambe 
et  brûle,  et  le  Crivetz,  alors  torride,  est  aussi  pénible  à 
supporter  que  le  Khamsin  d'Egypte  ou  le  Harmattan 
Saharien.  Puis  la  température  décroit  très  vite  au  cours 
d'un  bref  automne. 

N  "  En  moins  d'un  mois,  avec  les  jours  plus  courts,  les  feuilles 
qui  tombent  en  masse,  les  nuits  sereines  et  glacées,  on  voit  1  aspect 
de  la  campagne  changer  comme  par  enchantement.  La  ville  aussi  se 
transforme,  se  replie  sur  elle-même,  vide  ses  boulevards  où  les 
cafés  et  les  étalages  cessent  d 'envahir  les  trottoirs,  et  le  grand 
poêle  de  faïence  qui  brûlera  pendant  quatre  à  cinq  mois  s  allume 
dans  chaque  famille.  "  (De  Martonne.) 

Ce  caractère  nettement  contmentaJ  du  climat  moldo- 
VcJaque  se  retrouve  avec  des  modalités  légèrement  diffé- 
rentes d'un  bout  à  l'autre  du  royaume,  dans  les  hauts 
bassins  transylvains,  dans  les  plaines  du  Banat,  non  moins 
qu'aux  rives  du  Danube  et  du  Prout.  Toutefois  le  régime 
des  pluies  varie  fc»tement  lorsqu'on  passe  de  la  montagne 
à  la  plaine.  La  première  reçoit  une  masse  fort  copieuse 
de  neige  en  hiver,  Je  pluies  en  toutes  saisons.  La  seconde 
doit  se  contenter  de  583  millimètres  d'eau  à  Bucarest  en 
cent  SL\  jours,  de  moins  de  400  millimètresdans  les  steppes 
de  Baragan.  Parfois  des  mois  se  passent,  en  été  et  en 
automne,  sans  une  averse,  et  ces  longues  sécheresses  ne 
vont  pcis  sams  de  gros  inconvénients  pour  1  agriculture, 
source  presque  unique  de  richesse  en  de  tels  lieux  où  la 
terre  féconde  donne,  quand  la  nature  n'y  met  point 
d'obstacles,  de  si  magnifiques  moissons. 


Ni  la  Moldavie  ni  la  Valachie  ne  possèdent  de  villes 
fortes,  de  villes  citadelles  closes  de  hautes  murailles.  La 
topographie  ne  s'y  prê'.ait  point,  et  de  tout  temps  les 
incursions  ennemies  ont  pu,  sans  obstacles,  déferler  sur 
l'immensité  des  steppes.  Par  contre,  de  bonne  heure  des 
villes-marchés  s'établirent  soit  au  débouché  des  hautes 
vallées  ceupatiques,  soit  au  carrefour  des  routes  qui,  de 
l'Est  à  l'Ouest  et  du  Nord  au  Sud,  se  croiseuenl  entre  le 
Danube  et  les  Carpafes.  ' 

Ainsi  naquirent  Targu  Jiu,  Rammicu-Valcea,Campu- 
lung,  Piatra,  Neamtsu,  etc.,  où  se  réunissaient,  autrefois, 
les  plus  célèbres  foires  (balciu)  des  terrasses  roumaines, 
puis  Craiova  (52  000  habitants),  Pitesci,  Ploiesti 
(56000  habitants),  Focsani  (25000  habitants),  lassy 
(75  000  habitants),  Botosani  (32000  habitants),  Barlad 
(26  000  habitants),  ces  dernières  plus  importantes  et  plus 
peuplées  peurce  qu'elles  grandirent  au  point  de  contact 
de  la  Podgona  et  des  terrasses  diluviales,  des  collines 
boisées  et  des  vastes  steppes. 

Bucarest  se  plaça  au  centre  même  de  ces  steppes. 
Elle  réalise  "  le  type  de  ces  villes  de  plcunes  qui  naissent 
sans  qu'aucune  raison  naturelle  détermine  d'une  façon 
précise  leur  emplacement,  au  sein  d'un  groupe  de  popu- 
lation assez  dense,  par  la  fusion  d'un  certain  nombre  de 
petits  villages  très  rapprochés    . 

Elle  dut  sa  fortune  particulière  à  des  circonstances  plus  histo- 
riques que  géographiques  et  ne  prit  avantage  sur  les  autres  cités 
roumaines  que  du  jour  oîi  les  princes  de  Mounténie  la  choisirent 
comme  résidence  d'été  au  XIV®  siècle,  et  surtout  du  jour  où  les 
hospodars  phanariotes  y  inslaUèrenl,au  XVI  l''  siècle,  le  siège  perma- 
nent du  gouvernement  de  la  Valachie.  Elle  compte  aujourd'hui 
340000  habitants,  et.  tout  en  conservant  dans  certainsde  ses  quar- 
tiers excentriques  le  caractère  propre  aux  vieilles  cilés  roumaines 
(vastes  étendues  de  maisonnettes  entourées  de  jardins  alignés  sans 
ordre  au  long  de  pistes  tortueuses),  elle  présente  partout  ailleurs 
l'aspect  et  l'animation  d'une  grande  ville  d'Occident. 

Ce  caractère  occidental  et  moderne  se  retrouve  peut- 
être  plus  nettement  encore  dans  une  seconde  série  de 
cités  roumaines  :  les  villes-ports,  nées  sur  les  nves  du 
Danube,  soit  comme  Calafat,  Tumu  Magurelé,  Zimnicea, 
Giurgiu,  Calarasi,  aux  rares  endroits  où  le  courant  fluvial 
rétréci  baigne  à  la  fois  la  haute  falaise  bulgare  et  la 
berge  des  terrasses  .valaques,  soit  comme  Braila 
(65  033  habitants),  Gala'.z  (75033  habitants),  Tulcea, 
Ismiil,  au  point  où  la  navigation  "fluviale  fait  place  aux 
navires  de  haute  mer.  Le  développement  récent  pris  par 
ces  cités  grâce  au  commerce  des  grains  a  transformé  leur 
aspect  d'autrefois.  "  On  est  étonné,  en  débarquant  à  Ca- 
larasi, Calafat,  Giurgiu,  de  voir  de  grandes  avenues,  régu- 
lièrement percées,  des  places  et  carrefours  spacieux,  des 
jardins  bien  disposés.  On  trouve  là  le  cadre  plus  ou  moins 
complet  d'une  grande  ville  moderne.  "  (De  Martonne.) 
Sur  les    quais  de  Braïla  des    files  de    lourdes  péniches 

269 


L'EUROPE 


déchargent  les  blés  et  les  maïs  del'Olténie,  de  la  Moun- 
ténie,  de  la  Bulgarie,  de  la  Dobroudja.  Galatz  est  plus 
spécialement  l'entrepôt  des  céréales  moldaves. 

LA  DOBROUDJA.  00  L'espace  compris  entre 
le  Danube  inférieur  et  la  Mer  Noire  porte  le  nom  de 
Dobrodgeaou  Dobroudja.  Au  Nord,  des  collines  ondulées, 
formées  soit  de  granits  déboisés,  soit  de  calcaires  vêtus 
de  forêts  (Babadagh),  donnent  une  région  assez  mouve- 
mentée et  pittoresque  d'une  altitude  moyenne  de  400  à 
500  mètres.  Le  centre  est  occupé  par  le  vaste  plateau  de 
Medjidia  uniformément  couvert  d'une  épaisse  couche  de 
loess,  sans  arbres,  sans  eaux  courantes,  monotone  et  laid, 
mais  où  la  steppe  primitive  a  été  en  grande  partie  trans- 
formée en  champs  de  céréales.  Au  Sud-Ouest,  les  col- 
lines parfois  boisées  du  Dell  Orman  annoncent  la  proxi- 
mité des  Balkans. 

La  Dobroudja  s'ouvre  sur  la  Mer  Noire  par  une  côte 
qui,  au  Sud,  est  rectiligne  et  assez  élevée,  mais  qui,  au 
Nord,  s'indente  de  lagunes  peu  profondes,  les  limans  ", 
que  des  cordons  de  sable  isolent  du  flot  marin.  A  la 
limite  des  deux  zones,  les  Roumains  ont  créé  de  toutes 
pièces  le  port  de  Constantsa  (30  000  habitants). 

La  population,  très  mélangée,  renferme  encore  une 
forte  proportion  de  Turcs,  Tartares,  Bulgares,  Tziganes 
qui  rendent  ce  coin  de  pays  d'un  haut  intérêt  pour  l'ethno- 
graphe. 

Mais  la  colonisation  roumaine,  très  active,  a  déjà 
fixé  sur  les  terres  cultivables  une  proportion  élevée  de 
paysans  moldo-valaques  et  transylvains. 


LA  BESSARABIE.  00  Enfin.  pardelàleProut, 
la  Grande  Guerre  a  restitué  à  la  Roumanie  cette  Bessa- 
rabie que  la  Russie  détenait  indûment  depuis  1878. 
Elle  s'étend  jusqu'au  Dniestr,  couvre  44  000  kilomètres 
carrés  et  comptait,  en  1913,2  600  000  habitants. 

La  Bessarabie  septentnonale  est  comprise  dans  la 
grande  zone  du  Tchernozom,  ce  riche  humus  qui  se 
montre  si  merveilleusement  favorable  aux  céréales.  Au 
Sud,  dans  la  Bugeac,  la  sécheresse,  plus  grande,  favorise 
le  maintien  des  steppes  herbeuses  où  paiissent  les  trou- 
peaux de  brebis,  de  bœufs  et  de  chevaux.  Les  deux  tiers 
du  sol  sont  mis  en  cultures  et  donnent  de  belles  récoltes 
de  blé,  seigle,  avoine,  maïs,  auxquelles  s'ajoutent  des 
vins  et  des  tabacs  de  bonne  qualité.  Des  forêts  de  chênes 
subsistent  sur  quelques  lambeaux  du  sol  couverts  de 
sable  gris,  oasis  de  verdure  au  milieu  des  labours. 

Les  Roumains  forment  la  grosse  majorité  de  la  popu- 
lation (2  000000  environ).  Le  reste  se  partage  entre  les 
Ukrainiens,  les  Russes,  les  Grecs ,  les  Arméniens,  les  Alle- 
mands (descendants  de  colons  établis  là  dès  le  XVI 1 1  *  siècle), 
les  Bulgares  autrefois  émigrés  de  Turquie,  les  inévitables 
Tziganes,  les  Juifs  enfin  qui,  malgré  une  très  forte  émi- 
gration en  Amérique,  ne  comptent  pas  moins  de 
270000  âmes.  L'élément  Moldo-Valaque  est  constitué 
surtout  par  des  paysans,  d'autant  plus  ignorants  et 
arriérés  que  les  Russes,  par  politique,  les  privèrent  de 
tout  moyen  de  s'instruire.  Les  villes  renferment,  au  con- 
traire, une  proportion  élevée  d'allogènes,  surtout  Juifs  et 
Russes.  La  principale,  et  la  seule  qui  vaille  d'être  citée, 
est  Kichinew,  immense  village  de  125000  habitants. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


Sur  les  17300000  habitants  qui  forment  la  population 
totale  du  royaume,  on  compte  13000000  de  Roummns 
purs  et  4  300000  allogènes. 

HISTORIQUE.  £l£l  Les  Roumains  ont  comme  ancêtres  un 
peuple  de  montagnards  :  les  Daces.dont  la  capitale,  Sarmizegetusa» 
se  cachait  dans  les  replis  des  plateaux  transylvains.  Soumis  par 
Trajan,  ces  Daces  reçurent  de  nombreuses  colonies  de  vétérans 
romains  qui  se  mêlèrent  étroitement  aux  indigènes.  Plus  tard,  des 
Bulgares,  des  Talares,  des  Slaves,  des  Hongrois  occupèrent  suc- 
cessivement une  partie  du  territoire  des  Daco-Roumains.  Ceux-ci 
ou  bien  demeurèrent  dans  les  plaines  moldo-valaques  et  s'unirent 
de  gré  ou  de  force  aux  nouveaux  venus,  ou  bien  se  réfugièrent 
dans  les  forêts  carpatiques  où  ils  conservèrent  plus  purement  leurs 
caractères  originels.  Ce  sont  ces  pâtres  de  la  montagne  qui,  redes- 
cendant plus  tard  dans  les  plaines  du  pourtour,  infusèrent  à  leurs 
habitants  des  doses  renouvelées  de  sang  daco-romain  et  parvinrent, 
en  dépit  de  tous  les  croisements,  a  assurer  jusqu'à  nos  jours  à  la 
nation  roumaine  un  caractère  latin  incontestable. 

Tandis  que  les  Roumains  de  Transylvanie  et  du  Banat  devaient, 
à  partir  du  X®  siècle,  passer  sous  la  domination  hongroise,  ceux 
des  plaines  valaques  et  moldaves  constituèrent  deux  principautés 
qui  demeurèrent  indépendantes  jusqu'au  XV°  siècle,  date  à  laquelle 


il  leur  fallut,  comme  tous  les  chrétiens  des  Balkans,  subir  la  suzerai- 
neté turque.  Elles  conservaient,  il  est  vrai,  une  certaine  autonomie 
et  l'usage  de  leurs  lois.  Mais  les  hospodars.  Grecs  phanariotes, 
désignés  par  la  Sublime-Porte  pour  gouverner  les  provinces,  mirent 
le  pays  en  coupe  réglée,  aidés  en  cela  par  le  haut  clergé  également 
grec,  et  quelques  centaines  de  grands  propriétaires  fonciers,  les 
Boïars.  Le  peuple  roumain,  misérable,  vivait  dans  une  étroite  ser- 
vitude sur  des  champs  qui  ne  lui  appartenaient  pas.  Le  clergé  grec 
et  les  boïars  possédaient  la  presque  totalité  de  la  terre;  le  commerce 
était  entre  les  mains  des  Grecs,  des  Arméniens,  plus  tard  des  Juifs. 
Au  XV1I°  siècle,  les  livres  des  philosophes  français  parvinrent  en 
terre  roumaine.  Ils  éveillèrent  dans  l'âme  de  plus  d'un  bolar,  sur- 
tout en  Transylvanie,  la  notion  de  liberté  humaine  et  de  patrie. 
Des  Roumains  se  mirent  en  grand  nombre  à  apprendre  le  français 
qui  devint  dès  lors  comme  la  seconde  langue  du  pays.  Aussi  le 
peuple  roumain  se  trouva-t-il  prêt,  au  début  du  XIX"  siècle,  à  se 
joindre  aux  autres  chrétiens  balkaniques  pour  échapper  à  l'emprise 
des  Osmanlis.  En  1 82  ,  le  traité  d'Andrinople  donna  aux  princi- 
pautés de  Moldavie  et  de  Valachie  le  droit  d'élire  leurs  hospodars 
à  vie,  sans  autres  liens  avec  la  Turquie  qu'un  tribut  annuel  de  vas- 
salité. En  1856,  le  Congrès  de  Paris  rendit  la  Bessarabie  à  la 
Moldavie.  En  1 859,  les  deux  principautés  s'entendirent  pour  élire 
un  même  hospodar,  le  prince  Çouza,  et  réaliser  ainsi  leur  union 
politique  complète. 


270 


H- 


LA  ROUMANIE 


UN  VILLAGE  DANS  LES  PLAINES  ROUMAINES.  La  grande  mahrité  de 
la  population  roumaine  vit  de  l'agriculture  {blé,  mais,  t^gne)  et  de  l'élevaye.  Aussi 
comple-l'On  peu  de  villes,  et  encore  la  plupart  des  agglomérations  urbaines  revêtent- 
elles  l'aspect  de  grands  villages.  Dans  la  plaine,  les'/naiscms  se  construisent  eirjfriques 


et  en  pisé.  Elles  sont  petites  et  généralement  assez  peu  confortaUes,  Les  gais  des 
campaptes  ont  partout  conservé  leur  costmne  national,  toujours  pittoresque,  souvent 
fort  joliment  orné  de  Broderies  aux  dessins  très  variés.  Remarçuer  I  enseigne,  en 
français,  de  la  Librairie.  Cl.   P.    LabBÉ. 


LE^  PUITS  DE  PÉTROLE  PRÈS  DE  C-VMPINA.  La  Roumanie  a  extrait  de 
SOT  sï/.OT  1913,  2  000  000  de  tonnes  de  pétrole,  ce  qui  la  classait  alors,  après  les 
Etats-Unis  et  la  Russie,  au  troisième  rang  des  pays  producteurs.  Le  matérield  exploi- 
tation n'a  pas  trop  soa0erl  de  ta  Grande  Guerre,  comme  en  témoigne  le  paysage  très 


caractéristique  que  monlrela  photographie,  et  que  l'on  retrouve,  presque  idcnlique.daru 
toutes  les  régions  pétrolifèref  :  Galicie.  Bakou,  Etals-Lnis.  etc.  Chaque  haute  (heminée 
de  hois  correspond  à  un  tuyau  de  fonle  par  lequel  le  liquide  s' élèn.  de  lui-même  jusqu'à 
la  surface  du  sol.  CI.    ChussEAU-FlavieNS. 

271    


j^i: 


'EUROPE 


I  F5i  VENDANGFS.  La  culture  de  la  vigne  a  fait,  en 
Roumanie,  de  conxidtraLles  progrès.  Non  seulement  le 
pays  suf^t  a  ses  besoins  mais  il  peu!  exporter  une  partie 
de  sa  récolte.  CI.CHUSSEAU-FLwrtNS. 


PAYSANNEALLANTAUX  CHAMPS 

chaussée  de  sandales,  velue  d'une  jupe, 
de  coultur  sombre,  d'un  gilet  largement 
ouvert   d'une  chemise  élégamment  brodée. 


SCÈNE  RURALE.  Les  hommes  rapportait  à  la  maison 
les  guirlandes  d'epis  de  maïs,  qui  serviront  à  confec- 
tionner l'épaissi  bouillie  ou  "  mamaliga  ",  base  de  la 
nourrituredu  paysan  roumain.  Cl.ChV-iiYAL'-FlAVl^îiS. 


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BUCAREST  Née  du  groupement  de  plusieurs  villagts.  Bucarest  manifeste  encore 
son  origine  rurale  par  le  vaste  espace  qu'elle  recouvre,  Véparpillement  de  ses  maisons 
au  milieu  des  jardins  et  des  terrains  vagues.  Toutefois,  elle  possède  aussi  de  oeaux 
quartiers  neufs  semblables  à  ceux  des  grandes  villes  occidentales       CI.  FhOTOGLOB. 


UN  VILLAGE  DE  U\  MON!  AGNE.  La  nouvelle  Rcumanie  embrasse  non  seule- 
ment les  vastes  plaines  agricoles  de  la  Moldo-Valachie  et  de  la  Bessarabie,  mais 
aussi  les  monts  et  les  plateaux  des  Carpathes  et  de  la  Transylvanie  oii  l  élevnge, 
l'exploitation  des  forêts  sont  les  ressources  essentielles.     CI.  ChuSSE4U-FlavIENS. 


B'.'frLx--.  AUX  ENVIRONS  D'ARAD.  Vue  prise  au  point  oit  les  plaines  de 
.  '.:,:,•:.■  ^ru-nues  en  Partie  roumaines)  confinent  aux  premières  ondulations  des  hautes 
L'-t:.:  '.rcns-jhaities.  Le  buSle,  d'aspect  quelque  pat  farouche,  mais  d'humeur  très 
^T'.:!^!:,  e:!  t'ri^jlùy^,  dans  tout  l'Orient,  comme  animal  de  trait. 


MINES  DE  SEL  DESLANIC.  La  Roumanie  possède,  sur  la  bordure  méridionatt 
des  Carpathes  de  très  importantes  mines  de  sel  gtimme.  Elles  correspondent  aux 
mines  du  même  genre  que  l'on  exploite,  depuis  les  temps  préhistoriques,  en  Caliae. 
sur  le  versant  Nord  de  Tare  carpathique.  Ci.  Chusseau-Flaviens. 


2/2 


LA  ROUMANIE 


En  1866,  le  pnnce  Çouza  fui  remplacé  par  un  Hohenzollern, 
Charles,  devenu  depuis  1881  le  roi  Carol.  On  sait  enfin  comment 
la  Roumanie  pnl,  en  1877-1878,  une  pari  glorieuse  à  la  guerre 
russo-turque,  fit  reconnaître  son  Indépendance  complète,  acquit  la 
Dobroudja,  mais  perdit  la  Bessarabie  rétrocédée  aux  Russes;  com- 
ment, en  191  3.  elle  s'unit  aux  Grecs  et  aux  Serbes  contre  les  Bul- 
gares, ce  qui  lui  valut  une  avantageuse  rectification  de  la  frontière 
dobroudjienne,  quel  fut  enfin  son  rôle  magnifique  et  douloureux 
dans  la  Grande  Guerre  et  comment  elle  en  fut  récompensée  par 
l'obtention  de  toutes  les  terres  roumames  irrédimées  :  partie  du 
Banat,  Transylvanie,  Bucovine  et  Bessarabie.  Dans  toute  l'histoire 
de  sa  rédemption,  la  Roumanie  eut  toujours  la  France  comme 
alliée  fidèle,  comme  soutien  efficace.  De  solides  liens  spirituels  unis- 
sent l'un  à  l'autre  les  deux  pays,  liens  qui  se  renforcent  chaque  année 
davantage  du  fait  qu'une  bonne  partie  de  la  jeunesse  studieuse 
roumaine  a  pris  l'habitude  de  venir  achever  son  éducation  dans 
nos  universités. 

MŒURS  ET  COUTUMES.  RELIGION. 
00  On  ne  peut  pas  dire  qu'il  existe  un  type  physique 
roumain  bien  net.  Enlevez  le  costume  national,  l'an- 
thropologue le  plus  habile  ne  saura  reconnaître  le 
Valaque  du  Bulgare,  du  Hongrois  ou  du  Petit-Russe.  " 
Dans  les  collines,  '  le  type  le  plus  fréquent  est  de  sta- 
ture plutôt  élevée,  les  épaules  larges,  les  jambes  relative- 
ment courtes,  les  cheveux  noirs  ou  foncés,  le  crâne 
sphénque,  les  traits  réguliers  avec  une  coupe  de  figure 
plutôt  ronde  qu'ovale,  les  yeux  gris  ou  bruns,  le  front 
bombé,  le  nez  droit  et  ferme.  La  démarche  est  lente  et 
digne,  mais  le  regard  très  vif,  et  le  geste  prompt  comme 
l'éclair  lorsqu'il  en  est  besoin.  Les  enfants,  les  jeunes 
femmes  et  les  jeunes  hommes  ont  parfois  des  visages 
d'une  beauté  calme  qui  attire  l'attention.  "  (De  Mar- 
tonne.) 

Ces  traits  généraux  varient  du  reste  extrêmement 
si  l'on  passe  de  la  colline  à  la  plaine  ou  aux  montagnes, 
du  viUcige  à  la  ville,  des  lieux  où  l'influence  grecque  se 
fit  fortement  sentir  à  ceux  où  prédomina  l'influence  bul- 
gare, ou  hongroise,  ou  slave. 

Même  métissage,  si  l'on  peut  dire,  de  la  langue  que 
parle  le  Roumain.  Elle  est  incontestablement  d'origine 
et  de  tournure  romaines.  Toutefois,  on  n'y  compte  guère 
plus  de  40  pour  100  de  racines  latines.  Le  reste  se 
partage  entre  les  racines  turques,  hongroises,  grecques 
et  slaves  (particulièrement  nombreuses  dans  les  termes 
apphqués  à  l'agriculture,  au  monde  physique,  à  la  topo- 
graphie, aux  coutumes  et  croyances  populaires). 

Hommes  et  femmes  portent  encore  des  costumes  pitto- 
resques, surtout  en  Transylvanie,  où  se  conservent  mieux 
les  usages  d'autrefois.  La  câciula  ou  bonnet  à  poil,  le 
cojoc,  manteau  de  laine  ;  un  gilet  de  peau  de  mouton 
sans  manches,  un  pantalon  de  laine  étroit  ou  flottant 
serré  à  la  taille  par  une  large  ceinture  sont  les  pièces 
essentielles  des  vêlements  masculins.  Les  femmes  se 
plaisent,  comme  toutes  les  Balkaniques,  à  orner  de  brode- 
ries en  lame   ou  en    soie,  de    teintes  vives,  les  larges 


manches  de  leurs  chemises,  et  le  double  tablier  qui  leur 
sert  de  jupon. 

Dans  la  montagne  et  la  région  des  collines,  les  paysans 
se  groupent  en  caluns  ou  hameaux  comptant  de  200 
à  jOO  habitants.  Dans  le  campu,  c'est-à-dire  dans  les 
grandes  plaines  sèches  et  sans  arbres,  la  rareté  des 
points  d'eau  oblige  les  habitants  à  se  concentrer  en  gros 
villages,  les  5a/,  peuplés  de  1  000  à  2000  âmes,  parfois 
davantage.  D'une  façon  générale,  le  Roumain,  comme 
1  Italien  du  Sud,  a  l'instinct  "  grégaire  "  ;  l'isolement 
1  effraie.  Aussi  rencontre-t-on  fort  peu  d'habitations 
isolées. 

Qu'elles  soient  construites  en  bois  (Transylvanie- Pod- 
goria)  ou  en  terre  battue  (Plaines),  les  maisons  paysannes 
sont  presque  toujours  étroites,  mal  éclairées  et  fort  mal- 
faines, surtout  en  hiver  où  "  tout  le  monde  se  rassemble 
autour  du  poêle  dans  la  linda  et  où  l'on  peut  voir  cinq 
ou  six  personnes  dormir  dans  une  chambre  large  de 
3  ou  4  mètres,  avec  les  chiens,  les  porcs,  les  moutons 
roulés  sous  la  table  et  les  lits.  "  (De  Martonne.) 

Ces  misérables  demeures  abrileni,  du  reste,  des  gens  dont  la 
condition  matérielle  n'est  rien  moins  que  brillante.  Certes,  à  la 
suite  des  mesures  énergiques  prises  par  le  prince  Çouza,  qui  con- 
fisqua les  grands  domaines  du  clergé  grec  et  les  partagea  entre  les 
paysans,  bon  nombre  de  ceux-ci  devinrent  propriétaires.  Mais  leur 
propriété,  très  petite,  leur  donnait  à  peine  de  quoi  vivre,  d'autant 
plus,  que  de  longs  siècles  de  servitude  ont  rendu  le  campagnard 
roumain  prodigieusement  routinier,  apathique,  sans  inilialive.  De 
plus,  la  population  paysanne  a  considérablement  augmenté  depuis  le 
milieu  du  Xix"  siècle,  et  les  nouvelles  générations  demandaicnl,  elle» 
aussi,  des  terres.  Or,  en  1914,  une  notable  partie  du  sol  appar- 
tenait encore  à  un  bien  petit  nombre  de  Bolars,  voire  de  Juifs 
(Moldavie).  De  là  l'acuité  prise  par  la  question  agraire  en  Rou- 
manie. Déjà,  de  1888  à  1907,  de  sanglantes  émeutes  avaient  con- 
traint le  gouvernement  à  adopter  un  certain  nombre  de  mesures  en 
faveur  de  la  petite  propriété.  Depuis  1919,  on  semble  résolu  à 
agir  d'une  façon  beaucoup  plus  radicale.  De  même  qu'en  Tchéco- 
slovaquie et  en  Hongrie,  les  *'  Latifundia  "  sont  sérieusement 
menacés,  et  une  répartition  plus  juste  des  terres  est  d'ores  et  déjà 
en  voie  de  réalisation.  i 

Dans    sa   maison    inconfortable,    le   paysan    rourhain      ' 
vit  de  peu.    Presque   pas  de  meubles,    point   d'autre  lit 
qu'une    sorte  de    banc  couvert  d'un  tapis,  et  encore  le      1 
réserve-t-on  aux  femmes,  les  hommes  couchant  tout  uni-      i 
ment  sur   la  terre  battue.  La  même  famille  qui  portera, 
.  les   jours  de  fêle,    des    vêlements    presque  somptueux,      , 
valant  plusieurs  centaines  de  francs,  vivra  toute  l'année 
de   mamaliga,   grossière  bouilhe   de  maïs   à    l'eau,  de 
piments  rouges,  d'oignons  crus,  auxquels  on  ajoutera  de 
temps  à  autre  un  peu  de  fromage,  de  poisson  sec,  et,  les 
jours  de  très  grande  liesse,  un  ragoût   de  poulet  assai- 
sonné de  lait  caillé.  On  peut  assurer  d'une  façon  générale 
que  le  paysan  est  insuffisamment  nourri,  et  les  deux  cent 
deux  jours  de  jeûne  imposés  par  la  religion  orthodoxe, 
dont  il  respecte  scrupuleusement  les  pratiques,  ne  contri- 


CEOCRAPHIE .  UNIVERSELLE. 


273         

27 


L'EUROPE 


buent  pas  peu  à  cette  incontestable  dénutrition.  Si  la 
race  fait  preuve  d'une  remarquable  vitalité,  dont  témoigne, 
entre  autres,  le  chiffre  très  élevé  des  naissances,  les 
adultes  "  sont  loin  d'avoir  la  vigueur  qu'on  pourrait 
attendre  d'enfants  élevés  à  la  dure  ".  Ils  se  fatiguent 
vite,  sont  incapables  de  poursuivre  pendant  plusieurs  jours 
des  travaux  un  tant  soit  peu  pénibles.  Par  ailleurs,  la  pro- 
portion des  exemptions  de  service  militaire  pour  défaut 
de  taille,  d'infirmités,  etc.  est  plus  élevée  en  Roumanie 
que  dans  tous  les  Etats  voisins. 

Si  le  paysan  vit  assez  mal,  il  est,  de  sa  nature, 
sensiblement  plus  gai,  plus  insouciant  que  son  voisin 
Bulgare.  Des  siècles  de  misère  et  d'abjection  ont 
mis,  il  est  vrai,  sur  sa  face  comme  une  môirque  de 
méfiance,  de  tristesse  ou  d'inquiétude.  "  Interrogez  le 
Roman  qui  guide  la  charrue,  ou  la  femme  qui  ramasse 
les  épis  de  maïs,  vous  verrez  se  tourner  vers  vous  un 
visiige  défiant  et  triste  ;  vous  n'obtiendrez  qu'une  réponse 
Vcigue  comme  si  l'on  craignait  de  se  compromettre.  Pai- 
lez-lui  même  des  choses  qui  l'intéressent  le  plus,  de  la 
récolte,  du  temps,  de  sa  vie,  vous  n'en  tirerez  rien  qui  puisse 
révéler  une  tendance  quelconque.  "  (De  Martonne.) 
Mais  il  n'y  a  là  qu'une  apparence.  Les  jours  de  fête, 
lorsque  retentit  le  violon  du  "  lautar  "  tzigane  et  que  les 
fioles  de  tzuica  (eau-de-vie  de  prunes)  circulent  de  mains 
en  mains,  le  {>aysan  "  se  montre  tel  qu'il  est,  gai,  insou- 
ciant, prodigue,  vaniteux  et  grand  parleur,  observateur 
ironique,  sensible  au  ridiciJe,  aussi  passionné  dans  ses 
haines  que  dans  son  amour.  "  (De  Martonne.)  Par  ailleurs 
très  attaché  à  tout  ce  qui  vient  des  ancêtres,  plus  supersti- 
tieux que  religieux,  généralement  illettré,  en  somme  un 
être  assez  primitif,  et  dont  un  étranger,  aura  toujours  les 
plus  greuides  peines  à  comprendre  le  caractère  vrai. 

LES  ALLOGÈNES.  X!>£t  En  étudiant  les  régions 
naturelles  du  royaume,  nous  avons  noté  au  passage  les 
principaux  groupements  de  populations  non  roumaines  : 


Hongrois  ou  Szeklers  en  Transylvanie,  Allemands  en 
Transylvanie  et  Bessarabie,  Bulgares  en  Bessarabie  et 
Dobroudja,  Serbes  dans  le  Banat,  Ukrainiens  et  Russes 
en  Bessarabie  et  Bucovine,  Turcs  et  Tatares  en 
Dobroudja,  Tziganes  un  peu  partout.  Grecs  et  Armé- 
niens trafiquant  dans  les  villes,  surtout  dans  les  ports 
danubiens,  Juifs  enfin,  notamment  en  Bessarabie  et  en 
Moldavie,  en  tout  4300000  individus,  soit  un  quart 
d^  la  population  totale.  De  tous  ces  étrangers  les 
Juifs  se  montrent  de  beaucoup  les  plus  réfractaires  à 
l'assimilation.  D'origine  galicienne,  polonaise,  russe  et 
allemande,  parlant  le  yidish,  ou  dialecte  hébréo-allemand, 
conservant  jalousement  leurs  mœurs,  leurs  traditions,  leur 
foi,  leurs  superstitions,  ils  se  sont  infiltrés,  à  partir  du 
XIX^  siècle,  dans  tout  l'Est  de  la  Roumanie,  et  ont  fini 
p2ur  y  pulluler  de  telle  sorte  que  l'on  n'en  compte  pas 
moins  de  270 000 en  Bessarabie  et  450 000  en  Moldavie. 
lassy,  la  capitale  moldave,  avait,  en  1911,  40000  habi- 
tants juifs  contre  38000  Roumains  !  Les  richesses  qu'ils 
ont  acquises  par  la  pratique  de  l'usure,  le  mépris  qu'ils 
témoignent  aux  chrétiens,  la  concurrence  insoutenable 
qu'ils  leur  font  dans  les  villes  où  ils  s'installent,  tout  cela 
explique,  sans  toujours  les  justifier,  les  haines  dont  ils 
sont  l'objet.  La  "  question  Juive"  en  Roumanie  apparaît 
comme  aussi  difficile  à  résoudre  que  la  question 
Nègre  "  aux  Etats-Unis. 

Si  la  Roumanie  ne  renferme  pas  que  des  Roumams,  bon  nombre 
de  Roumains  habitent  encore  hors  des  frontières  du  royaume.  On 
en  compte  plusieurs  centaines  de  mille  en  Ukraine,  dans  la  section 
comprise  entre  les  cours  moyens  du  Dniestr  et  du  Dniepr. 
D'autres  se  sont  fixés  sur  la  rive  droite  du  Danube,  soit  en  Bulgarie, 
soit  dans  la  Kraina  serbe.  La  partie  Yougo-Slave  du  Banat  de 
Temesvar,  la  Hongrie  orientale  ont  aussi  leur  population  roumaine. 
Enfin  les  ethnologues  roumains  rattachent  volontiers  à  la  patrie 
roumaine  ces  .^romounes,  Zinzarès,  Koutzo-Valaques  et  autres 
tribus  de  pasteurs  semi-nomades  dont  nous  signalâmes  maintes  fois 
la  présence  dans  le  Pinde  grec,  comme  dans  les  steppes  de  Macé- 
doine, le  Rhodope  et  les  Balkans. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


L'Etat  Roumain  est  un  de  ceux  que  la  nature  combla 
de  plus  de  dons.  Il  possède  à  la  fois  les  pâturages  et  les 
forêts  de  la  montcigne,  les  vergers  et  les  vignobles  des 
collines,  les  immenses  terres  à  céréales  des  plaines, 
des  fleuves  poissonneux,  un  sous-sol  où  abondent  pétrole 
et  sel  gemme,  où  ne  manquent  ni  le  cuivre,  ni  le  fer,  ni 
même  les  métaux  précieux.  Quand  toutes  ces  ressources 
s»ont  mises  pleinement  en  valeur  par  des  procédés 
scientifiques,  la  Roumanie  pourra  nourrir  aisément  trois  et 
quatre  fois  plus  d'hommes  qu'elle  n'en  contient  aujour- 
d'hui. 

L'AGRICULTURE.    a/H  C'est  la  culture  des 


céréales  qui  constitue  la  grande  richesse  des  pays  rou- 
mains. Déjà  la  petite  Roumanie  de  1912  se  classait 
parmi  les  greniers  du  monde  avec  ses  5  000  000  d'hec- 
tares déterres  labourables  produisant  32  000  (XK)  d'hec- 
tolitres de  maïs  (surtout  dans  la  région  des  collines), 
21000000  d'hectolitres  de  blé  (terrasses  diluviales), 
6  000  000  d'hectolitres  d'orge  (surtout  en  Dobroudja), 
4000000  d'hectolitres  d'avoine,  etc.  Ces  chiffres  ont 
aujourd'hui  plus  que  doublé  par  le  produit  des  récoltes 
que  donnent  les'  terres  récemment  annexées.  Des  sta- 
tistiques roumaines  estiment  en  effet  à  4  000  000  d'hec- 
teires  l'étendue  des  labours  dans  le  Banat,  la  Transyl- 
vanie et  la  Bucovine  (35  pour   100  en  blé,    32   pour 


274 


LA  ROUMANIE      


100  en  maïs,  9  pour  100  en  avoine,  le  reste  en  seigle, 
orge  et  pommes  de  terre).  A  cela  s'ajoutent  les  re'coltes 
bessarabiennes  (environ  5  000  000  d'hectolitres  de  blé, 
6  000000  d'hectolitres  de  seigle,  I  000 000  d'hectolitres 
d  avoine,  etc.). 

Pcirmi  les  cultures  secondaires,  la  vigne  couvre 
71000  hectares  en  Moldo-Valachie.  30  000  hec- 
tares dans  les  anciennes  possessions  austro-hongroises 
(surtout  le  Banat).  La  production  moyenne  atteignait  en 
1913  une  valeur  totale  de  190000000  de  francs 
environ.  La  même  année,  la  Bessarabie  ne  donnait  pas 
moins  de  1000000  d'hectolitres  d'un  vin  qui  trouvait 
en  Russie  un  débouché  assuré  et  fort  rémunérateur. 

Les    vergers  où  mûrissent    pommes,  poires,  cerises, 


prunes  surtout  (pour  la  fabrication  de  l'eau-de-vie  ou 
tzuica),  les  champs  de  tabac,  de  betteraves  (en  grands 
progrès),  de  L"n,  de  chanvre,  de  colza,  de  pommes  de 
terre,  complètent  la  riche  série  des  ressources  agricoles 
de  l'Etat  Roumain. 

L'ÉLEVAGE.  LES  FORETS.  LES  PÈCHE- 
RIEIS.  £)/!l  L'élevage  se  pratique  un  peu  partout  à 
cause  de  la  transhumance  qui  mène,  suivant  les  saisons, 
les  troupeaux  et  leurs  bergers  des  steppes  de  la  plaine 
aux  frais  alpages  de  la  montagne.  Toutefois,  les  bêtes  à 
cornes,  les  vaches  laitières,  sont  particulièrement  nom- 
breuses dans  les  hautes  régions,  tandis  que  les  moutons 
et  les  chèvres  prédominent  en  Dobroudja,  en  Bessîu'a- 


275 


L'EUROPE 


bie,  dans  les  chaumes  de  Moldo-Valachie  et  du  Banat. 
La  Roumanie  de  1913  nourrissait  5  600000  brebis, 
200000  chèvres,  2  580  000  bêtes  à  cornes,  864 000  che- 
vaux, 1  700000  porcs.  La  même  année,  les  pays  rou- 
mains d'Autriche-Hongrie  posse'daient  2300000  bêtes  à 
cornes,  4  000  000  de  brebis,  2  000  000  de  porcs, 
700000  chevaux,  et  la  Bessarabie  :  790000  bœufs 
ou  buffles,  1900000  moutons,  345  000  chevaux, 
380000  porcs. 

Autres  sources  de  richesses  :  les  forêts  et  les  pêche- 
ries. 

Les  forêîs  couvrent  7000000  d'hectares  dans  l'en- 
semble du  royaume.  Le  chêne,  le  hêtre,  le  sapin  sont 
les  essences  dommantes.  Certames  d'entre  elles,  sur  les 
flancs  reculés  des  Carpates,  ont  échappé  à  la  hache  du 
bûcheron  et  conservent  leur  magnifique  virginité. 
D'autres,  régulièrement  exploitées,  fournissent  la  matière 
de  ces  longs  trams  de  bois  qui  descendent  les  rivières 
des  Carpates.  Quant  à  la  pêche,  elle  se  pratique  avec 
mtensité  tout  le  long  du  Danube,  et  cela  depuis  la  plus 
haute  antiquité.  Les  plus  belles  captures  se  font  après 
les  grandes  crues,  dans  les  lagunes  et  bras-morts  ou 
s  engagent  esturgeons,  sterlets,  carpes,  tanches,  sandres, 
souvent  d'une  taille  monstrueuse.  Le  poisson  frais,  fumé 
ou  salé,  prend  en  Roumanie  une  importance  particuliè- 
rement grande  dans  la  consommation  courante  par  suite 
des  très  nombreux  jours  de  jeûne  prescrits  par  le  christia- 
nisme orthodoxe. 

INDUSTRIE  ET  MINES.  0e)  L'industrie  ne 
tient  encore  qu'une  place  relativement  effacée  en  de 
telles  régions  vouées  presque  exclusivement  à  l'agricul- 
ture et  à  l'élevage.  Ce  que  l'on  trouve  surtout  d'un  bout 
à  l'autre  du  royaume,  c'est  le  métier  rustique  où  chaque 
famille  tisse  l'étoffe  dont  elle  se  vêt,  c'est  le  petit  atelier 
où  le  forgeron  tzigane  fabrique  marmites,  faux,  socs  de 
charrues.  Toutefois  les  grandes  villes  se  sont  donné 
peu  à  peu  les  établissements  industriels  :  tanneries,  bras- 
series, fabriques  de  machines  agricoles  et  de  meubles, 
féculeries,  forges,  papeteries,  etc.,  indispensables  aux 
besoins  locaux.  D'autre  part,  l'acquisition  du  Banat 
oriental  et  de  la  Transylvanie  va  permettre  l'utilisation 
des  mines  de  fer,  de  cuivre,  d'argent,  d'or  que  renfer- 
ment les  monts  Bihar.  Si  la  houille  est  assez  rare 
(I  000000  de  tonnes),  le  lignite  (4  000  000  de  tonnes) 
peut  dans  une  certaine  mesure  y  suppléer,  et,  surtout,  les 
torrents  qui  dévalent  des  Carpates  représentent  une 
source  d'énergie  encore  à  peine  utilisée  (vallée  de  la 
Prahova),  presque  inépuisable  pourtant.  Enfin  des 
couches  énormes  de  sel  gemme,  d'une  rare  pureté, 
s  exploitent  au  pied  des  Carpates,  dans  la  région  même 
où  les  puits  de  pétrole  de  la  Prahova,  du  Buzeu,  de  la 
Dimbovitza,  etc., donnèrent,  en  1913,  près  de  2  000000 

■  276  


de  tonnes  d'huile  minérale  (920000  tonnes,  seulement, 
en  1919). 

LE  COMMERCE,  el 0  L'heureuse  variété  des 
régions  roumaines  engendre  nécessairement  entre  elles 
d  actives  relations  commerciales.  Carpates  et  Transylva- 
nie fournissent  leur  bois,  leur  bétail,  leurs  produits  laitiers 
aux  steppes  agricoles  de  Mounténie,  de  Bessarabie,  du 
Banat,  mais  reçoivent  en  échange  blé,  pétrole,  fruits  et 
sucre.  Le  réseau  ferré  nécessaire  à  ce  trafic  est  dessiné 
dans  ses  grands  traits.  11  se  complète  par  des  voies  navi- 
gables dont  le  Danube  demeure  naturellement  l'artère 
essentielle,  mais  au  nombre  desquelles  il  faut  faire  une 
place  fort  honorable  au  Maros  Transylvain,  au  Prout,  au 
Dniestr  surtout,  déjà  accessible  aux  vapeurs  jusqu'aux 
rapides  de  Yampol  et  dont  on  pourrait  décupler  la  valeur 
économique  par  quelques  travaux  de  correction. 

Le  commerce  extérieur  de  l'ancienne  Roumanie  avait 
atteint,  en  1913,  1  260  000000  de  francs.  11  dépassait 
donc  le  chiffre  des  échanges  faits  par  la  Serbie,  la  Bul- 
garie et  la  Grèce  réunies. 

Les  tableaux  qui  suivent  montrent  quelle  était  à  cette 
date  la  physionomie  du  commerce  roumain  : 
COMMERCE  DE  LA.  ROUMANIE 


Métaux  el  ouvrages  en 

Importations  en  1913 
590000000  de  francs. 

Francs. 
168  000  000 

64  000  000 

64  000  000 

33  000  000 

23  000  000 

21  000  000 

16  000  000 

Exportations 
670  000  000  de  francs. 

450  000  000 

Pétrole  . 

131  000  000 

34  000  000 

Bois 

23  000  000 

17  nnn  nnn 

_ 

PRINCIPAUX  FOURNISSEURS 


Francs. 

Allemagne 237  000  000 

Autriche-Hongrie 138  000  000 

Grande-Bretagne 55  000  000 

France 34  000  000 

Turquie 25  000  000 

Iulie 21  000000 

Belgique 16000000 

Autres  pays 40  000  000 


PRINCIPAUX  ACHETEURS 


Francs. 

Belgique 182  000  000 

Autriche-Hongrie 95  000  000 

Italie 70  000  000 

France 63  000  000 

Allemagne 52  000  000 

Grande-Bretagne 44000000 

Turquie 36  000  000 

Autres  pays 125  000  000 


Pour  la  période  d'après  guerre,  nous  ne  possédons 
encore  que  les  chiffres  de  1919,  c'est-à-dire  d'une  époque 


LA  POLOGNE 


CRACOVIE:  LA  VISTULE  ET  LE  Z.4MECK.  Cranak  fui  la  capilaU  </e  la 
Pologne  jusqu'au  début  du  A  I  //'  siècle.  Détenue  ville  autrichienne  lors  du  partage 
de  la  Pologne,  elle  fit  partie,  sous  l' Empire,  du  Grand-Duché  de  Varsovie,  puis,  de 
1815  à  1848,  devirït  une  petite  république  autonome.  Reprise  par  l'Autriche  en  1848, 


elle  est  de  nouveau  polonaise  depuis  1919.  Trèi  bien  située  sur  la  Vislule  elle  prodtàl 
un  bel  effet,  grâce  à  ses  tours,  ses  clochers,  ses  nombreuses  églises,  son  ancien  château 
le  Zameck.  dont  les  rempaiti  ont  été  transformés  en  promenades  ombreuses.  C'est  à  la 
fois  une  ville  commerçante  et  un  grand  centre  intellectuel.  Cl.  RoL. 


GROUPE  DE  GALICIENNES.  La  Galicie  du  Nord  et  de  l'Ouest  est  peuplée 
presque  uniquement  de  Polonais.  Mais,  à  mesure  que  l'on  s'avance  vers  i  Est  et  le  jud' 
Est.  d'autres  éléments  se  mêlent  à  la  population  polonaise  :  ce  sont  surtout  des  Ruthènes 
ou  Petits- Russiens.  et  des  Roumains.  l.es  Juifs  composent  aussi  une  forte  proportion 


de  l'élément  urbain.  Presque  tous  pausans,  les  Galiciens  sont,  en  général,  grands, 
robuste.',  de  tempérament  gai,  bienveillant  et  hospitalier.  Les  femmes  ont  de  beaux 
traits  réguliers;  elles  se  coiffent  d'un  mouchoir  blanc  ou  rouge,  et  se  vêtent  d'étoffes 
blanches  ou  teintes  de  couleurs  vives. 


277 


L'EUROPE 


POZNAN  :  L'HOTEL  DE  VILLE.  La  Posnanie  faisait  partie  de  ces  terriloires  que 
la  Prusse  anacha  par  une  criminelle  violence  à  la  Pologne  démembrée-  Le  chef-lieu 
de  la  province  est  Poznan  {Posen  en  allemand),  l'une  des  plus  anciennes  villes 
historiques  de  la  Pologne  et  qui.  jusqu'en  1296,  fut  la  résidence  de  ses  rois. 


VARSOVIE  :  ÉGLISE  SAINTE-ANNE.  Beaucoup  moins  ancienne  que  Poznan 
ou  Cracovie.  l  arsovie  l'emporta  sur  ses  rivales  par  les  avantages  de  sa  situation 
stratégique  et  économique  au  point  où  se  croisent  de  nombreuses  routes  terrestres 
ou  fluviales.-  Q.  Photoglob. 


]^fk  ':-  ""•' 


m^ 


0^ 


PAYSAGE   POLONAIS 


FEMMES  POLONAISES 


PAYSAGE   POLONAIS 


LA  POLOGNE  est  presque  tout  entière  composée  de  grandes  plaines  absolument 
horizontales  ou  mollement  ondulées  qui  établissent  la  transition  entre  les  plaines 
allemandes  et  l'immense  plate-forme  russe.  D'épaisses  forêts,  des  marécages  en  couirrent 
une  parti" .Le  reste  du  sol,  souvent  très  fertile,  surtout  dans  les  terrasses  de  Galicie,  est 


consacré  aux  champs  de  céréales  et  aux  pâturages.  Malgré  le  développement  conâdérahle 
de  l'industrie,  la  majorité  de  la  population  est  encore  formée  de  paysans,  cultivateurs 
et  éleveurs.  Toutefois,  la  proportion  des  paysans  est  beaucoup  plus  faible  que  dans  les 
régions  russes  limitrophes. 


L.7S  T^RR-\SSES  DE  G.kL\C\E  comt>osenl  une  des  régions  les  plus  fertiles  de 
i'tisi  pch'-i^jiz  Ls  sot  l'jut  entier  est  mis  en  culture:  blé.  seigle,  plantes  fourragères, 
f-:?.';-cr  f  ;,  etc.,  et  iaspfxt  général  du  paysage  rappelle  celui  de  nos  campagnes 

frrLiç::i:u.  Dans  lefor.d.  la  chaîne  des  Carpales  barre  l'hcrizon. 


DANZIG .  Gdansk  ou  Danzig  est  une  très  ancienne  place  de  commerce  vers  laquelle 
converge  tout  le  trafic  des  régions  drainées  par  la  Vistule  et  ses  affluents.  Débouché 
naturel,  et  unique,  de  l'Etat  polonais,  elle  devrait  lui  appartenir.  Toutefois,  le  traité 
de  î  91 9  ej\  a  fait  provisoirement  une  république  autonome.  Soc.  N'"^depHOT.BERLIN. 


27S 


LA  POLOGNE 


où  la  Roumanie,  à  peine  délivre'e  de  l'occupation  alle- 
mande, prive'e  d'une  partie  de  son  mate'riel  de  chemin 
de  fer,  épuise'e  par  d'impitoyables  réquisitions,  se  trouvait 
dans  des  conditions  tout  a  fait  anormales.  D'après  les 
statistiques  anglaises,  elle  dut,  cette  année-là,  acheter 
des  vêtements,  des  machines,  des  denrées  alimentaires 
même,  pour  une  valeur  totale  de  1 43  000  000  de  livres 
sterling,  alors  qu  elle  ne  put  vendre  qu'une  petite  quan- 
tité de  pétrole  (44000  tonnes),  de  céréales  et  farines 
(10000  tonnes),  de  bois  (22000  tonnes)  et  de  sel 
{22  000  tonnes)  dont  la  valeur  globale  ne  dépassa  pas 
4000000  de  livres  sterling.  Le  bilan  commercial  qui, 
en  1913,  s'établissait  au  profit  de  la  Roumanie,  s'est 
donc  soldé  en  1919  par  un  formidable  déficit.  Et,  bien 
que  cette  situation  se  soit  fort  améliorée  depuis,  il  faudra 
attendre  assez  longtemps  encore  pour  qu'un  régime  nor- 
mal et  stable  puisse  apparaître. 

En  toutcas,la  physionomie  du  trafic  —  malgré  l'énorme 
disproportion,  momentanée,  entre  les  ventes  et  lesachats — 
demeure,  dans  la  nouvelle  Roumanie,  ce  qu'elle  était 
dans  l'ancien  royaume.  Le  pays  dispose  toujours  d'un 
excédent,  plus  ou  moins  considérable,  de  blé,  de  pétrole. 


de  bois,  de  sel  ;  il  a,  et  il  aura  longtemps  encore,  besoin 
de  textiles,  de  machines,  bref  d'objets  manufacturés. 

Certes,  à  la  suite  des  perturbations  profondes  qui 
résultent  de  la  Grande  Guerre,  des  changements  dans 
la  direction  des  courants  d'échanges  sont  possibles  et 
même  désirables.  Si  les  acheteurs  de  produits  roumains  : 
Belges,  Italiens.  Français,  Egyptiens,  etc..  demeureront 
vraisemblablement  les  mêmes,  la  France  et  l'Angleterre, 
peut-être  la  Tchéco-Slovaquie,  peuvent  supplanter  l'Alle- 
magne et  l'Autriche  comme  fournisseurs  de  machines, 
de  fers  ouvrés,  de  confections,  etc.  Mais  "  ces  change- 
ments seront  moins  le  résultat  d'une  situation  nouvelle  que 
celle  d'efforts  conscients,  inspirés  par  des  sympathies  ou 
des  liaisons  d  intérêt  spéciales  ".  Or  '  '  les  sympathies  ne 
sont  qu  un  élément  de  décision  dans  les  relations  commer- 
ciales et  ne  peuvent  à  la  longue  prévaloir  contre  les 
intérêts  "  (De  Martonne).  Tâchons,  au  moment  où  la 
Roumanie,  débarrassée  de  l'emprise  germanique,  ouvre 
à  ses  alliés  un  magnifique  champ  d'action,  de  comprendre 
et  de  mettre  à  profit  l'avertissement  voilé  et  le  sage 
CDnseil  que  nous  donne  ainsi  1  un  des  Français  qui 
connaissent  le  mieux  le  peuple  roumain. 


CHAPITRE  XX 


LA  POLOGNE 


HISTOIRE 


Rameau  occidental  de  la  grande  famille  slave,  le 
peuple  polonais  naquit  et  se  développa  de  très  bonne 
heure  sur  les  deux  rives  de  la  Vistule  dans  les  vastes 
plaines  ou  "  polska  "  auxquelles  il  doit  son  nom.  Il  eut 
longtemps  de  glorieux  destins  et  compta  parmi  les  grands 
Etats  de  l'Europe.  Encore  au  milieu  du  XViil"  siècle,  et 
malgré  certaines  amputations  déjà  faites  au  profit  des 
Allemands  de  Prusse,  des  Turcs  et  des  Cosaques,  le 
Royaume  comprenait  non  seulement  la  Pologne  propre- 
ment dite,  mais  toute  la  Lithuanie,  la  Courlande,  la 
Russie  Blanche,  la  Volhynie,  la  presque  totahté  de 
l'Ukraine  et  la  Galicie-Podolie  (en  tout,  près  de 
800000  kilomètres  carrés).  Il  s'était  illustré  par  ses 
combat.^  héroïques  contre  les  Tartares  et  les  Musulmans. 
De  plus,  il  était  le  seul  de  tous  les  pays  slaves  qui  fût 
entré  en  contact  étroit  avec  l'Europe  Occidentale,  eiJt 
joué  un  rôle  actif  dans  son  histoire,  eût  adopté  certaines 
formes  extérieures  de  sa  ci\ilisation.  Mais  dépourvue  de 
frontières  naturelles,  d'armées  permanentes,  d'approvi- 
sionnements, de  trésor  de  guerre,  fort  mal  gouvernée  par 


des  rois  électifs  sans  autorité,  livrée  aux  caprices  d'un 
nombre  relativement  considérable  de  familles  nobles  qui 
ne  savaient  ce  qu'est  le  vrai  patriotisme,  la  Pologne 
devint,  à  partir  de  1772,  la  victime  de  ses  puissants 
voisins  :  Russie,  Prusse  et  Autriche.  "  Chacun  selon 
ses  dents  se  partagea  la  proie  ",  et  trois  partages 
(1772-1793-1795)  la  firent  disparaître  de  la  carte  de 
l'Europe.  A  deux  reprises  elle  y  reparut,  considérable- 
ment amoindrie,  d'abord  en  1807  après  Tilsitt  sous  la 
forme  d'un  Grand-Duché  de  Varsovie,  puis  de  1 825  à 
1  830,  sous  le  nom  de  Royaume  autonome  de  Pologne, 
enclavé  dans  l'Etat  Russe  et  protégé  par  le  Tsar.  En 
I  830,  à  la  suite  d'une  révolte,  elle  perdit  cette  autonomie 
et  jusqu'à  son  nom  transformé  officiellement  en  "  Pays 
de  la  Vistule  ".  Mais,  qu  ils  fussent  soumis  aux  Russes, 
aux  Prussiens  (Posnanie)  ou  aux  Autrichiens  (Galicie), 
et  en  dépit  de  toutes  les  menaces,  de  toutes  les  ten- 
tatives insidieuses  ou  brutales  faites  pour  les  russifier  ou 
les  germaniser,  les  Polonais  demeuraient  profondément 
attachés  à  leur  langue,  à  leurs  traditions,   aux  glorieux 


279 


L'EUROPE 


souvenirs  de  leur  histoire.  Comme  il  arrive  souvent,  les 
persécutions  ne  faisaient  qu'aviver  leur  désir  d'être  libres. 
S'ils  n'existaient  plus  en  tant  qu'Etat,  ils  n'en  consti- 
tuaient pas  moins  une  nation  cohérente  et  vivante,  comp- 
tant en  I  913  plus  de  15  000000  d'âmes.  Les  vainqueurs 


de  la  Grande  Guerre  n'ont  eu,  en  1919,  qu'à  procla- 
mer son  indépendance,  pour  qu'elle  reprenne  incontinent 
la  place  qui  lui  était  due  parmi  les  Etats  secondaires  de 
la  Nouvelle  Europe,  trop  juste  réparation  d'un  des  plus 
grands  crimes  que  mentionne  l'Histoire. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


La  structure  de  la  Pologne  est  fort  simple.  Au  Nord 
et  au  Centre,  un  large  couloir,  ouvert  entre  les  collines 
baltiques  de  la  Prusse  et  le  glacis  septentrional  des  Car- 
pates,  développe  les  mornes  étendues  d'une  plaine  sans 


1772 
1795 


„^ ,„     Luntte  Oe? 

SIECLE     la  fblaqnc 

en  ifoo 


*©»s* 


limite,  prolongement  immédiat  de  l'Allemagne  du  Nord 
et  vestibule  des  plaines  russes.  Le  sol,  formé  de  graviers 
et  de  sable  argileux  d'origine  morainique,  n'est  pas  d'une 
fertilité  naturelle  bien  grande.  Toutefois,  les  champs  de 
seigle,  de  betteraves,  de  pommes  de  terre  et  de  lin  se  multi- 
plient au  milieu  des  marais  et  des  bois.  Vers  le  Sud,  le 
sol  se  relève.  Des  collines  ondulent  à  la  surface  des  pla- 
teaux de  Lublin  et  de  Lodz  et,  sur  la  rive  gauche  de  la 
Vistule,  le  massif  du  Lysa  Gora  ou  "  Chauve  Mont  " 
dépasse  600  mètres.  Les  roches  crétacées,  triasiques, 
carbonifères  succèdent  aux  graviers  quaternaires.  Elles 
renferment  du  fer,  du  plomb,  de  l'étain  et  du  charbon. 
C  est  la  grande  zone  industrielle  de  la  Pologne.  Puis,  au 
delà  de  la  large  vallée  que  la  Vistule  supérieure  couvrit 
de  ses  alluvions, -les  terrasses  de  Galicie  s'élèvent  lente- 

280   


ment  jusqu'aux  Carpates,   limite  méridionale  de  l'État 
Polonais. 

Entre  Lemberg  et  Cracovie,  la  triste  plaine  de  Pologne  déve- 
loppe, sous  un  ciel  toujours  bas,  ses  prés  mouillés,  ses  mornes 
étangs,  sa  boue  et  ses  bois  qui  s'ennuient.  Fragiles  acacias,  grêles 
et  tremblants  bouleaux,  sapins  dont  les  branches  lassées  semblent, 
même  au  cœur  de  l'été,  attendre  encore  la  neige...  De  loin  en  loin, 
quelques  maisons  de  chaume  badigeonnées  de  couleurs  vives,  déla- 
vées par  la  pluie;  une  meule  de  paille  entre  quatre  piquets  coiffés 
d  un  toit  pourri  ;  et  à  tous  les  carrefours  des  chemins,  au  sommet 
des  monticules  qui  viennent  animer  parfois  l'uniformité  de  la  plaine, 
une  haute  croix  barbare  avec  un  Christ  peint  sur  la  tôle...  Ces 
hautes  croix,  debout  dans  le  vaste  horizon,  étendent  leur  douleur 
sur  cette  Galicie.  Elles  la  peuplent,  elles  la  dominent.  On  dirait 
que  le  ciel  bas,  chargé  d'une  perpétuelle  menace  de  pluie,  s'appuie 
sur  leurs  grands  bras  tendus  pour  ne  pas  toucher  à  la  terre.  "  (J.  et 
J.  Tharaud.) 

La  Pologne  possède  un  climat  nettement  continental, 
bien  qu  elle  subisse  encore  l'influence  atténuée  des  vents 
d'Ouest  qui  modèrent  les  froidures  et  les  rend  à  la  fois 
moins  longues  et  moins  tudes  que  dans  les  pays  russes 
de  même  latitude.  On  compte  en  moyenne  quatre  à  cinq 
mois  de  gelée  et  deux  à  trois  mois  de  neige.  En  hiver, 
les  températures  les  plus  basses  s'observent  naturellement 
dans  les  régions  les  plus  éloignées  des  mers  :  la  Galicie 
Orientale  a  des  moyennes  de  janvier  qui  varient  entre 
40  et  6°  sous  zéro  (—  4°,6  à  Lwow,  —  5°,9  à  Tar- 
nopol).  Cracovie  et  Varsovie,  un  peu  moins  froides,  bien 
que  plus  septentrionales,  ne  dépassent  pas  —  3°, 4,  Byd- 
zosgez  (Bromberg)  remonte  à  —  2°, 5  et  Poznan  (Posen) 
à  —  1  ° ,  3.  Les  étés  se  maintiennent  d'un  bout  à  l'autre  du 
territoire  à  la  température  sensiblement  uniforme  et  rela- 
tivement élevée  de  18°.  Le  caractère  continental  du 
climat  se  marque  encore  par  l'écart  que  l'on  observe  entre 
les  températures  extrêmes  ( —  22°, +33°  à  Varsovie). 
Quant  aux  pluies,  elles  nedonnent  pas  plus  de  50  à  60  cen- 
timètres d'eau,  sauf  en  Galicieoùle  voisinage  des  Carpates 
en  augmente  sensiblement  l'abondance.  L'hiver  a  le  plus 
grand  nombre  de  jours  pluvieux.  Mais  c'est  pendant  l'été 
que  s'abattent  les  plus  copieuses  averses,  comme  dans 
toute   l'Europe  Continentale. 

Le  fleuve  national  de  la  Pologne  est  la  Vistule  dont 
elle  possède  aujourd'hui  le  cours  entier  et  qui  baigne  ses 
deux  capitales,  Cracovie  et  Varsovie.  Longue  de 
I  067  kilomètres  (un  peu  plus  que  la  Loire),  la  Vistule 
naît  sur  les   pentes   Nord  des   monts   Beskides,   dreùne 


LA  POLOGNE 


toutes  les  eaux  des  Terrasses  de  Galicie  (Dunajec, 
San),  puis  de'cnt  une  immense  et  double  courbe  avant 
d'aboutir  a  la  baie  de  Dar\zig  par  deux  bras  enserrant  un 
riche  delta,  "  le  Werder  ",  que  les  Chevaliers  Teuto- 
niques  asse'chèrent  et  mirent  les  premiers  en  culture.  De 
l'Elst  lui  arrivent  la  Wienrz,  puis  le  Boug  grossi  de  la 
Narew  et  uni  au  Dniepr  par  le  Canal  Royal.  La 
Pologne  occidentale  est  arrosée  soit  par  la  Pilica. 
affluent  de  la  Vistule,  soit  pai  le  cours  supérieur  de  la 
Warthe  et  de  la  Netze  qui  vont  grossir  l'Oder  allemand, 
mais  dont  les  eaux  communiquent  avec  la  Vistule  par  un 
double  canal.  Au  Nord,  le  Niémen  (876  kilomètres)  se 


partage  entre  Pologne,  Lithuanie  et  Prusse  orientale. 
L  ensemble  de  ces  voies  d'eau  forme  un  beau  réseau 
largement  utilisable  pour  la  navigation.  Si  la  \'istule  est, 
en  effet,  prise  par  les  glaces  ou  encombréee  par  la 
débâcle  pendant  quatre  mois  de  l'année,  elle  demeure  tout 
le  reste  du  temps  accessibleaux chalands,  auxradeaux,  aux 
barques  de  toutes  sortes.  Par  ailleurs,  des  travaux  appro- 
priés, surtout  dans  les  territoires  qui  appartenaient  à 
1  Allemagne,  ont  approfondi  son  chenal,  et,  en  le  bor- 
dant d'une  double  série  de  digues,  ont  rendu  à  la  cul- 
ture une  bonne  part  des  basses  terres  que  les  redouteJ^les 
crues  de  printemps  inondaient  autrefois. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE  ET  ECONOMIQUE 


Les  qualités  et  les  défauts  des  Polonais  expliquent 
pour  une  bonne  part  les  vicissitudes  de  leur  histoire. 

De  taille  élégante  et  de  figure  gracieuse,  spirituels  et  gais,  par- 
lant avec  aisance  et  aimant  à  parler,  d'un  courage  qui  peut  aller 
jusqu'à  l'héroïsme,  ils  ont  aussi,  à  l'occasion,  toute  la  nonchalance, 
toute  la  séduisante  "  morbidezza  "  de  la  race  slave.  Mais  on  peut 
leur  reprocher  leur  manque  de  suite,  de  ténacité  dans  les  desseins, 
une  inconstance  qui  va  jusqu'à  l'indifférence.  "  Ils  ont,  en  général, 
plus  de  dons  naturels  que  de  qualités  profondes  acquises  par  un 
travail  persévérant.  Impétueux,  violents,  habiles  à  flatter,  désireux 
de  plaire,  ils  plaisent  en  effet,  mais  ils  n'ont  pas  toujours  souci  de 
mériter  l'estime  par  leur  conduite.  Chez  eux,  l'ambition  est  rare- 
ment soutenue  par  la  force  d'agir,  l'imagination  est  supérieure  à  la 
volonté,  le  caprice  succède  au  caprice. 


Il  faut  toutefois  se  garder  de  confondre  les  Polonais 
d'aujourd'hui  avec  leurs  ancêtres  du  XVIIl*  siècle,  grands 
seigneurs  fastueux  et  égoïstes  ou  pauvres  paysans  abêtis 
par  un  dur  servage.  En  perdant  sa  Uberté  le  Polonais  a 
acquis  une  notion  plus  vivace  et  plus  forte  du  patriotisme. 
Il  l'a  montré  par  l'héroïsme  qu'il  déploya  en  1 830 
dans  sa  lutte  contre  les  Russes,  par  la  ténacité  avec 
laquelle  il  résista  aux  tentatives  de  germanisation  et  de 
russiScation.  Devenus  à  la  fois  libres  et  propriétaires  par 
les  décrets  de  1863,  les  paysans  ont  acquis  un  bien-être, 
au  moins  relatif,  qu'ils  n'avaient  encore  jamais  connu. 
De  leur  côté,  la  bourgeoisie  et  la  noblesse  profitaient  de 
la  plus-value  acquise  par  la  terre  et  du  développement 
rapide  de  l'industrie.  Aussi,  dès  le  lendemain  de  sa  déli- 
vrance, la  Pologne  a-t-elle  trouvé  aisément  chez  elle,  dans 
toutes  les  classes  de  la  narion,  les  hommes  d'une  \axge 
intelligence  et  d'une  haute  valeur  morale  nécessaires 
pour  commander  ses  troupes,  diriger  ses  relations  exté- 
rieures, veiller  à  ses  intérêts  économiques  et  présider  à 
1  aurore  d'une  destinée  que  l'on  voudrait  illustre. 

Aux  Polonais  de  pure  race,  tous  catholiques,  s  ajoutent 
de  nombreux  allogènes,  Juifs  d'abord  et  surtout,  puis 
Allemands,  Ruthènes,  Russes  et  Lithuaniens. 


Les  Juifs  sont  accoutumés  de  longue  date  à  jouer  un  rôle  de 
premier  plan.  Dans  l'ancienne  Pologne  ils  se  chargeaient  à  peu 
près  seuls  du  trafic.  Ce  sont  encore  les  opérations  commerciales,  la 
banque  et  l'usure  qui  les  attirent  aujourd'hui.  Mais  ils  n'y 
trouvent  point  tous  la  fortune,  ou  même  l'aisance!  et  la  misère 
pousse  nombre  d'entre  eux  à  émigrcr  en  Europe  Occidentale  ou 
aux  Etats-Unis  Ceux  qui  restent,  "  aussi  pauvres  que  Job,  aussi 
maigres,  aussi  agités  que  l'araignée  d'eau  sur  sa  mare,  exerçant 
tous  les  commerces,  toutes  les  petites  industries  nécessaires  aux 
paysans  chrétiens,  polonais  ou  ruthènes,  demeurent  soumis,  dans 
leurs  ghettos  campagnards,  à  une  vie  fantastiquement  lointaine, 
si  réglée  dans  ses  moindres  détails  par  la  plus  stricte  loi  hébraïque, 
qu'elle  peut  encore  offrir  l'image  de  l'existence  que  l'on  menait,  il 
y  a  quelque  deux  mille  ans.  dans  un  faubourg  de  Jérusalem. 
(J.  et  J.  Tharaud.) 

Comme  sa  voisine  Tchéco-Slovaque,  la  Pologne  a 
cessé  depuis  longtemps  déjà  de  s'adonner  exclusivement 
à  l'agriculture,  à  l'élevage,  à  l'exploitation  des  forêts, 
pour  se  consacrer  aussi,  avec  une  remarquable  activité, 
à  des  industries  multiples.  Elle  dispose  donc  d'une 
double  source  de  profits  qui  explique  la  densité  élevée  de 
sa  population  (75  habitants  au  kilomètre  carré,  un  peu 
plus  que  la  France),  le  très  rapide  accroissement  de  cette 
population  (elle  a  plus  que  quadruplé  depuis  le  début  du 
XIX*  siècle)  et  qui  justifie  les  espérances  que  l'on  peut 
fonder  sur  l'avenir  de  la  République. 

60  pour  100  des  Polonais,  enwon,  vivent  de  la  terre 
(de  80à  90 pour  100  dans  la  Russie  voisine).  Le  froment 
ne  se  cultive  sur  de  vastes  étendues  que  dans  la  basse 
vallée  de  la  Vistule  au  sol  d'alluvions  fertiles  et  dans 
les  plaines  de  Galicie  ou  l'été  est  plus  chaud.  Le  seigle, 
comme  dans  toute  l'Allemagne  du  Nord  et  la  Russie 
Centrale,  est  la  céréale  la  plus  répandue,  puis  viennent 
l'orge  et  l'avoine  auxquelles  s'ajoutent  la  pomme  de  terre 
(qui  se  plait  dans  les  tenes  légères  et  sablonneuses  du 
"podzol  "),  la  betterave  à  sucre,  le  chanvre,  le  lin,  le 
tabac  et  les  légumes,  etc. 

Il  n'est  point  douteux  que  la  Pologne  puisse  un  jour 
ru>n  seulement  subvenir  à  ses    besoins,   mais    encore 


281 


L'EUROPE 


disposer   d'un    large   excédent   qui     lui    permette    une 
exportation  rémunératrice. 

11  en  est 'de  même  des  produits  de  l'élevage  et  fores- 
tiers. Les  œufs,  le  beurre,  la  volaille,  la  viande  de  porc 
s'expédiaient  avant  la  guerre  vers  l'Allemagne  et  la 
Grande-Bretagne.  Les  forêts  couvrent  encore,  malgré  les 
défrichements,  plus  de  35  pour  100  du  sol,  surtout  dans 
la  Mazourie.  la  Galicie,  sur  les  flancs  des  Carpates.  Leur 
bois  descend  en  radeaux  immenses  le  cours  de  la  Vis- 
tule  et,  après  un  voyage  de  plusieurs  mois,  s'amoncelle 
sur  les  quais  de  Danzig  où  on  le  transforme  en  planches, 
en  pâte  à  papier,  etc. 

L'industrie  dispose  des  riches  gisements  houillers  et 
métallifèresdes  bassins  de  Dombrowa,  Cieszyn  (Teschen) 
et  des  régions  de  la  Haute-Siléiie  qui  ont  été  attribuées 
à  la  Pologne,  conformément  aux  résultats  du  plébis;ite 
de  1921 .  Les  puils  de  Galicie  (région  de  Boryslaw)  ont 
donné,  en  1912,  1  700000  tonnes  de  pétrole,  et  l'on  récol- 
tait, surtout  à  Wieliczka  et  Bochnia,  près  de  Cracovie, 
200000  tonnes  de  sel. 

Aux  industries  métallurgiques  et  chimiques,  dérivées 
directement  de  l'exploitation  minière,  s'en  ajoutent  beau- 
coup d'autres  favorisées  par  la  proximité  des  bassins 
houillers  et  surtout  par  l'abondance  et  le  bon  marché 
de  la  main-d'œuvre. 

C'est  d'abord  l'industrie  textile  (districts  de  Lodz  sur- 
tout, puis  de  Tarnow,  Cracovie  et  Varsovie)  occupant 
250000  ouvriers  dans  les  filatures  et  tissages  de  coton, 
laine  et  soie.  Ce  sont  ensuite  les  industries  alimentaires  : 
sucre  (1  000000  de  tonnes),  alcool  de  seigle  et  pommes 
de  terre  (2000000  d'hectolitres)  qui  emploient  150000 
ouvriers,  soit  dans  la  Posnanie,  soit  autour  de  Varsovie 
et  dans  l'ancienne  Prusse  polonaise.  Ce  sont,  enfin,  les 
industries  céramiques,  les  verreries,  la  tabletterie,  les 
papeteries  et  autres  industries    du  bois. 

Au  total,  on  estimait  à  près  de  5  000  000  000 de  francs 
en  19131a  valeur  de  la  production  industrielle  dans 
l'ensemble  des  pays  polonais,  soit  2240000000  pour  la 
Pologne  russe,  2020  000000  pour  la  Pologne  prus- 
sienne et  634000000  pour  la  Galicie. 

Dans  les  exportations  polonaises  ce  sont,  du  reste,  les 
articles  manufacturés  qui  tiennent  de  beaucoup  le  premier 
rang.  On  ne  saurait  encore  traduire  ce  fait  économique 
en  chiffres  qui  vaillent  pour  l'Etat  tout  entier.  Pour 
la  période  d'après-guerre,  nous  n'avons  en  effet  que  des 
renseignements  tout  à  fuit  fragmentaires  et  incomplets 
donnant  — en  milliers  de  kilos  et  sans  indication  de  valeur 
—  les  importations  et  exportations  du  1^' novembre  1919 
au  1"  février  1920,  et  du  1"  avril  au  31  juillet  1920, 
c'est-à-dire  dans  une  époque  où  la  Pologne,  manquant 
de  tout  et  en  pleine  lui  te  contre  les  bolchevistes  russes, 
achetait  beaucoup  (587  000  000  de  kilos)  et  vendait  fort 


peu  (90000000).  Mais  déjà  l'ancienne  Pologne  russe 
vendait  pour  360  000  000  de  francs  de  tissus  et  vê- 
tements, 23  000000  de  sucre,  12  000  000  d'alcool, 
13  000000  de  fer  et  d'acier  manufacturés,  1  1  000  000 
de  zinc.  Et  ces  chiffres  vont  se  grossir  de  toute  la  pro- 
duction industrielle  des  régions  prussiennes  (Posnanie, 
Prusse  polonaise,  Haute-Silésie)  et  autrichiennes  (Gali- 
cie) restituées  à  la  République. 

Exception  faite  pour  les  anciennes  provinces  prus- 
siennes, les  moyens  de  communication  ne  sont  point 
encore  égaux  à  ceux  dont  dispose  l'Europe  Occidentale. 
Des  voies  ferrées  peu  nombreuses  desservent  insuffisam- 
ment les  régions,  même  les  plus  actives  et  les  plus  peu- 
plées, de  la  Pologne  proprement  dite  et  de  la  Galicie. 
De  plus,  les  routes  dites  cairossables  ne  sont  trop  sou- 
vent que  des  pistes  défoncées  où  les  charrettes  s'enlisent 
dans  la  redoutable  boue  polonaise.  Pourtant  le  relief 
n'oppose  aucun  obstacle  à  la  multiplication  facile  et 
relativement  peu  coûteuse  des  moyens  de  transport.  Ce 
sera  là  une  des  tâches  les  plus  urgentes  que  l'Etat 
Polonais  devra  se  proposer. 

On  peut  énumérer  en  Pologne  une  quantité  élevée 
de  villes  dont  la  population  atteint  de  5  000  à  25  000  et 
30  000  habitants.  Dépourvues  de  tout  pittoresque,  elles 
étalent  sur  la  plaine  leurs  maisons  uniformes  et  basses 
groupées  autour  de  l'église  ou  de  la  synagogue.  La 
plupart  d'entre  elles  laissent  l'impression  d'un  grand 
village  malpropre. 

Bornons-nous  à  citer  :  en  Galicie,  de  l'Ouest  à  l'Est  : 
Cracovie  (  1  76  000  habitants),  la  vieille  capitale  polonaise 
célèbre  par  le  nombre  de  ses  églises  et  le  rôle  natio- 
nal joué  par  son  Université,  l'une  des  plus  anciennes 
de  l'Europe  ;  Tarnow  (40  000  habitants),  Przemysl 
(54000  habitants),  qui  soutint  pendant  la  Grande  Guerre 
un  siège  mémorable  ;  Léopol  ou  Lwow  ou  Lemberg 
(206  000  habitants),  chef-lieu  de  la  Galicie,  importante 
cité  industrielle  et  commerciale,  au  point  de  croisement  de 
plusieurs  voies  ferrées  ;  Tarnopol,  Halicz,  Koloméa,  etc. 

En  Posnanie  et  Prusse  polonaise  :  Posen  ou  Poznan 
(156000  habitants),  sur  la  Warthe,  important  entrepôt 
de  denrées  agricoles  et  centre  d'industries  dérivées  de 
l'agriculture  ;  Gnesen  ou  Gniezno  où  l'on  couronna  jus- 
qu'en 1 320  les  rois  de  Pologne  ;  Bromberg  ou  Bydzosgez 
(58  000  habitants),  fondée  par  les  Chevaliers  Teutoniques 
comme  la  plupart  des  villes  et  forteresses  de  la  Basse- 
Vistule  et  de  la  Prusse;  Thorn  ou  Torum,  Kulm  ou 
Chelmo,  Graudenz,  échelonnées  sur  la  Vistule.  Danzig, 
la  Gdansk  polonaise  (  1 80  000  habitants),  provisoirement 
détachée  de  la  Pologne,  et  autonome,  mais  qui  doit 
inévitablement  redevenir  un  jour  partie  intégrante  de 
l'Etat  Polonais  dont  elle  est  l'unique  et  naturel  débouché 
maritime. 


282 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE      PL.    14 


LES  PAYS  RUSSES  ET  LES  ÉTATS  BALTES 


En  Pologne  russe  :  Varsovie,  sur  la  Vistule,  l'une  des 
cités  les  plus  peuple'es  du  monde  (980000  habitants, 
dont  300  000  Juifs),  est  a  la  fois  la  capitale  de  la  Répu- 
blique Polonaise  et  un  centre  industriel  de  premier  rang 
(linge  fin,  ganterie,  articles  de  luxe). 

Lodz,  simple  village  en  1820,  renferme  aujourd'hui 
plus  de  430  000  habitants  grâce  à  ses  florissantes  industries 
textiles.  Radom  (70  000  h.),  Piotrkow,  Czestochow 
(100  000  h.),  Kielce,  Sosnowiels  (120  000  h.),  Dom- 
browa,  à  l'Ouest  de  la  Vistule.  Lublin  (55  000  habi- 


tants), Brest-Litowsk,  Plotsk,  Pultusk  à  l'Est, complètent 
la  série  des  plus  notables  agglomérations  urbaines. 

i\OTA,  00  Les  frontières  de  l'Elal  Polonais  ne  sont  pas 
encore  fixées  définitivement.  Si,  depuis  mai  1921,  la  Pologne  s'est 
entendue  sur  ce  point  ave;  la  Rustie,  et  si  la  question  de  Haute- 
Sibérie  est  tranchée  depuis  septembre  1921,  les  négociations  qui 
se  poursuivent  entre  la  Pologne  et  la  Lithuanie  n'ont  pas  encore 
abouti  (décembre  1921).  Dans  tous  les  cas,  sa  superficie  ne  sau- 
rait être  moindre  de  300  000  kilomètres  carrés,  et  sa  population 
dépassera  25  000  000  d'habitants,  ce  qui  la  classera,  entre  l'Italie 
et  1  Espagne,  au  sixième  rang  des  Etals  européens. 


CHAPITRE  XXI 


LES  PAYS  RUSSES  ET  LES  ÉTATS  BALTES 

GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


Quel  que  soit  le  sort  que  l'avenir  réserve  à  la  Russie 
proprement  dite  et  aux  Etats  qui  se  sont  —  en  théorie 
ou  en  fait  —  détachés  d'elle  :  Finlande,  Esthonie,  Letto- 
nie, Lithuanie,  Ukraine,  etc.,  l'ensemble  de  ces  territoires 
forme  un  tout  géographique  dont  il  convient  d'abord 
de  reconnaître  les  traits  généraux  avant  de  procéder  à 
l'étude  de  chaque  groupement  ethnographique  ou 
politique. 

Ce  qui  domine  dans  la  physionomie  des  terres  russes, 
et  malgré  les  immenses  espaces  qu'elles  recouvrent, 
c  est  l'uniformité.  Rien  qui  ressemble  à  l'architecture 
mouvementée,  aux  ciselures  du  relief  et  des  côtes,  aux 
nuances  infinies  du  climat,  de  la  végétation,  de  l'hydro- 
graphie qui  donnent  à  l'Europe  Occidentale  une  si  sédui- 
scmte  variété.  En  Russie,  la  nature  ne  s'est  point  mise 
en  frais  d'imagination  !  et  ses  rares  créations  se  répètent 
sans  fin  comme  les  articles  en  séne  sortis  d'une  colossale 
usine  américaine.  Aussi  la  description  des  pays  russes 
peut-elle  se  résumer  en  p«u  de  mots. 

LE  RELIEF.  ^J^  La  Russie  n'a  point  de  relief. 
Dans  son  histoire  géologique,  elle  n'a  jamais  connu, 
depuis  une  époque  prodigieusement  reculée,  les 
soubresauts,  les  convulsions  si  fréquents  à  l'Occi- 
dent de  l'Europe.  Plaine  elle  est  aujourd'hui,  piétine 
elle  fut  de  tout  temps.  Les  grands  plissements  des  ères 
primaire  et  tertiaire  l'effleurèrent  sans  troubler  la  magni- 
fique stabilité  de  ses  assises  profondes.  A  l'Est,  l'Oural, 
contemporain  des  Vosges  et  des  Massifs  bohémiens, 
leur  ressemble  par  sa  hauteur  médiocre  (  I  688  mètres  au 
point  culminant),  ses  formes  arrondies,  la  douceur  de  ses 
versants,  la  facilité  des  passages  qui  s'abaissent  à  moins 


de  500  mètres.  A  l'Ouest,  les  Carpates,  nées  en    même 
temps  que  les  Alpes,'  s'infléchirent  en  butant  contre  la 


Rétfwrui,  où.  ta  

CIÏ'^S^    ireirssiDE  E)'ieiukoipie/'=M'«-  e 

CLfiMATS  ■    moÛLiJexm. 


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Je  ôàSmoûh 
^^  ûe  ç  à  àmoùb 
Le*  clùffrta^inJiif lient  Ua.Umjxnxùârta^ouHfennea,  thJaiwUr  et  JuHieLs 


*?@3^ 


^^ 


robuste  plate-forme  russe.  A  rextrême-Sud,les  monts  de 
Crimée  (  1 52  !  mètres),  de  même  âge  et  de  même  silhouette. 


CéOGRAPHIC  UNIVERSELLE. 


283 


28 


L'EUROPE 


marquent  la  jonction  entre  les  Balkans  et  le  Caucase- 
Partout  ailleurs,  c'est  la  plaine  infinie,  tantôt  absolument 
plate  comme  la  Puzta  hongroise,  tantôt  très  largement 
ondule'e  en  plateaux  monotones,  en  collines  insignifiantes 
dont  l'altitude  se  hausse  rarement  au-dessus  de  300  mètres 
(plateau  du  Valdaï  :  32  i  mètres  ;  collines  de  la  Volga  : 
343  mètres).  Le  seul  élément  variable  dans  ces  mornes 
espaces  uniformes  est  la  composition  du  sol  superficiel. 
Tout  le  Nord  et  le  Centre  du  pays  jusqu'à  Kiew  et  Kazan 
s'est  recouvert,  comme  les  plaines  allemandes  et  polo- 
naises, de  débris  morainiques  :  argiles,  graviers,  blocs 
erratiques  charriés  par  les  immenses  glaciers  quaternaires 
descendus  de  Scandinavie.  C'est  le  domaine  de  la  forêt, 
des  marais  et  des  lacs.  Le  Sud,  épargné  par  les  glaces, 
se  vêt  soit  d'un  limon  merveilleusement  fertile,  la  fameuse 
terre  noire  ou  '  Tchernozom  "  (mélange  de  sables,  de 
fines  argiles,  et  d'éléments  organiques  provenant  de  la 
décomposition  sur  place  —  pendant  des  milliers  de 
siècles  —  des  herbes  de  la  steppe),  soit  de  sables  purs 
plus  ou  moins  chargés  de  particules  salines. 

Autant  que  la  platitude  du  relief,  la  division  natu- 
relle du  sol  russe  en  trois  ou  quatre  grandes  zones  : 
dépôts  glaciaires,  terres  noires,  sables  des  steppes  et 
des  déserts,  est  le  fait  capital  de  sa  géographie  non 
seulement  physique,  mais  aussi  biologique,  historique  et 
économique. 

CLIMAT  ET  VÉGÉTATION,  aa  Autre 
fait  d'importance  presque  égale,  et  qui  dérive,  du  reste, 
du  premier  :  les  caractères  du  climat  et  de  la 
végétation. 

Par  sa  masse,  son  éloignement  des  grands  océans 
tièdes,  l'absence  de  toute  barrière  pouvant  faire  obstacle 
aux  vents  glacés  ou  torrides,  la  Russie  est  vouée  au  cli- 
mat continental  excessif  marqué  par  de  considérables 
écarts  de  température  entre  les  saisons,  et  la  faiblesse 
moyenne  des  précipitations  atmosphériques. 


Températures 

g 

ûj 

ù 

moyennes 

— 

-D 

Stations 

H 

3 

-S 

£ 

= 

Saison  des  pluies. 

-3 

5 

s 

S  f 

'3 

s 

, 

■-■ 

Ui 

3 

-13 

" 

o. 

Arkangelsk.. 

640^1 

15m, 

m 

-13-7 

15»8 

2905 

400 

Toutes      saisons. 

Pétrograd  ... 

'i9'>'i6 

m  m 

w 

-  9°3 

17°; 

II" 

460 

Automne. 

Mittava 

'Î6°39 

10  m. 

6<'3 

-  2°7 

16°7 

191.4 

560 

Juillet   à    novembre. 

Moscou  .... 

^SMft 

160  m. 

3-9 

-II" 

I8°9 

29"9 

540, 

Samara 

svw 

60  m. 

4'>2 

-12°8 

21''3 

34"! 

400/ 

Orenbourg. . 

51^6 

llOm 

3«3 

-I5«4 

21°6 

37° 

400.    Mai  à  septembre. 

I50\ 
400i 

Astrakhan  .. 

46«?I 

20  m. 

<)»4 

-  7»2 

2b°i 

32''7 

Odessa 

46«?9 

70  m. 

9-8 

-  i'-l 

22°6 

26"3 

Yalta 

44^30 

41m. 

BM 

+  3"i 

24''2 

20"'7 

8001  Septembre    à    déc. 

Dans  la  majeure  pcutie  des  pays  russes,  l'hiver  com- 
mence tôt  et  finit  tard.  La  neige  pèse  longuement  sur 
les  arbres  qui  plient  sous  son  poids,  sur  les  terres   des 


steppes  où  glissent  les  traîneaux,  sur  les  fleuves  et  les 
lacs  pris  par  la  gelée  de  novembre  à  la  mi-avril.  Puis, 
après  la  soudaine  et  triomphante  explosion  du  printemps, 
les  jours  interminables  de  l'été  connaissent  la  cuisante 
brûlure  du  soleil.  Enfin,  un  bref  automne,  que  rendent 
fort  désagréable  les  brusques  soubresauts  du  thermomètre, 
se  hâte  d'annoncer  le  retour  de  l'hiver. 

Toutefois,  une  observation  plus  attentive  laisse  dis- 
tinguer, sous  cette  esquisse  à  grands  traits,  des  nuances 
qu  explique  l'ampleur  même  du  domaine  russe. 

Du  Nord  au  Sud  et  de  l'Ouest  à  l'Est,  l'intensité  du  froid  et 
surtout  sa  durée  varient  sensiblement.  Aux  rives  de  l'Océan  Gla- 
cial, on  compte  six  à  huit  mois  de  gelée  ;  on  en  compte  de  quatre 
à  six  vers  Pétrograd  et  Moscou,  de  deux  à  quatre  dans  les  steppes 
du  Sud  ;  et  l'on  trouve  même,  sur  les  rives  méridionales  de  la 
presqu'île  de  Crimée,  une  vraie  Côte  d'Azur  où  les  moyennes  ther- 
momélnques  de  janvier  ne  s'abaissent  pas  au-dessous  de  3°.  Les 
pluies  diminuent  du  Nord-Ouest  au  Sud-Est.  Tandis  que  lespro- 
vinces  baltes  reçoivent,  surtout  en  automne,  70  centimètres  d'eau, 
les  orages  de  l'été  n'en  donnent  au  Centre  russe  que  40  à  50  cen- 
limètres,  et  Astrakhan  doit  se  contenter  de  beaucoup  moins  encore. 
La  neige,  épaisse  et  durable  dans  l'Ouest,  ne  suffit  pas  toujours 
dans  les  provinces  méridionales  à  protéger  les  semences  d'automne 
contre  les  effets  des  gelées  profondes.  Enfin,  tandis  que  les  nuages 
voilent  l'azur  du  ciel  pendant  cent  quatre-vingts  jours  en  Finlande, 
et  cent  soixante  jours  à  Pétrograd,  Samara  n'est  privée  de  soleil 
que  pendant  soixante  jours  en  moyenne  chaque  année. 

Suivant  les  indications  du  sol  et  du  climat,  la  végéta- 
tion et  les  cultures  se  répartissent  en  quelques  grandes 
zones  parallèles  se  succédant  du  Sud  au  Nord  dans 
l'ordre  que  voici  : 

D'abord  la  Toundra  ".  Nous  la  vîmes  naître  en 
Scandinavie  ;  nous  la  retrouverons  en  Sibérie  et  au 
Canada.  Elle  borde  l'Océan  Arctique  de  ses  étendues 
désolées  où  la  durée  et  la  rigueur  de  l'hiver,  un  sol 
éternellement  gelé  (en  été,  la  surface  seule  dégèle  jus- 
qu'à 50  centimètres  de  profondeur),  ne  permettent  pas 
la  croissance  des  grands  arbres.  Des  mousses,  des  lichens 
que  broutent  les  rennes,  et,  par  endroits,  des  touffes 
d'arbrisseaux  nains  (saules  de  trois  centimètres,  bouleaux 
de  six),  parviennent  seuls  à  vivre. 

Puis,  sur  toute  l'étendue  que  recouvrent  les  argiles  et 
les  graviers  morainiques,  la  forêt  :  sapins,  mélèzes  et 
bouleaux  au  Nord,  charmes,  chênes,  hêtres,  érables, 
trembles  au  Sud  et  à  l'Ouest.  Encore  presque  vierges 
dans  les  bassins  de  la  Dvina,  de  la  Petchora,  de  la 
haute  Kcima,  ces  forêts  immenses,  silencieuses,  abritent 
les  derniers  animaux  à  précieuses  fourrures,  martres, 
renards  échappés  au  piège  du  trappeur,  et  des  bandes 
formidables  de  loups.  Mais,  dans  les  provinces  baltes  et 
la  région  de  Moscou,  un  climat  moins  rude  laisse  mûrir 
le  seigle  et  la  pomme  de  terre,  le  chanvre  et  le  lin.  Aussi 
la  forêt,  largement  essartée,  n'y  subsiste  plus  guère  aujour- 
d'hui que  sous  forme  de  bosquets  épars  au  milieu  des 
champs. 


284. 


Vers  Kiew,  Toula  et  Kazan  les.  derniers  lambeaux 
de  fotèts  disparaissent  en  même  temps  que  les  dernières 
traces  de  l'ancienne  glaciation.  Sur  le  riche  humus  du 
"  Tchemozom  "  la  mer  ondoyante  des  épis,  mêlée  de 
champs  de  betteraves,  a  remplacé  les  prairies  aux  herbes 
hautes,  aux  fleurs  éclatantes,  chantées  par  les  poésies 
populaires.  C'est,  sur  une  surface  deux  fois  vaste 
comme  la  France,  le  grenier  de  la  Russie  et  —  en 
temps  normal  —  l'un  des  greniers  du  monde. 

Aux  approches  de  la  Mer  Noire,  un  sol  moins  natu- 
rellement fécond,  une  sécheresse  qui  s'accentue  forte- 
ment, s'opposent  à  la  culture  en  grand  des  céréales. 
Aux  lieux  les  plus  favorisés,  la  vigne,  le  maïs,  le  tabac 
profitent  des  fortes  chaleurs  estivales.  Partout  ailleurs,  la 

steppe  grise  ",  parsemée  de  '  Kourganes  "  ou  tumuli, 
tombeaux  de  chefs  de  très  anciennes  populations  no- 
mades, ne  se  prête  qu  à  1  élevage  du  mouton.  Enfin,  sur 
les  rives  de  la  Caspienne,  la  "  steppe  blanche  "  au  sol 
chargé  de  sel,  impropre  à  la  croissance  des  plus  humbles 
graminées  (l'absinthe  exceptée),  apparaît  comme  le 
vestibule  des  déserts  turkmènes. 

HYDROGRAPHIE.  00  A  la  simplicité  de  la 
structure  et  du  climat  correspond  la  simplicité  de  l'hy- 
drographie. 

Le  réseau  fluvial  russe  est  l'un  des  plus  considé- 
rables du  monde  par  le  nombre  des  fleuves,  l'ampleur 
de  leur  bassin,  le  volume  de  leurs  eaux,  leur  longueur, 
leur  rôle  économique.  Mciis  ils  se  ressemblent  tous,  ont 
un  régime  identique,  et  leurs  ondes  paresseuses  s'écoulent 
à  travers  les  mêmes  paysages.  Ils  ont  rendu  de  tout 
temps  et  ils  rendent  encore  au  peuple  russe  d  inappré- 
ciables services. 


LES  PAYS  RUSSES  ET  LES  ÉTATS  BALTES 

PRINCIPAUX  FLEUVES  RUSSES 


Verjanl. 


Ljonffucur  du  coim. 


'  Océsn  ffUdal . 


Mer  Baltique.. 


iPelchora  :      I  630  Icil. 

-'Oviiu  1725  — 

I 

^Né»-.  584  - 

■  iDuna  970  — 

'Niiraen  :        876  — 

iDnieilr  :     I  350  — 

Mer  Noire  ; Dniepr  ;     2140  — 

'Don  :      1810  — 

Vol».  :     3  395- 

V  (Principaux  &fHuenU  :) 

Mer  Caspienne Olm  I  480  — 

/Kama  ;      1886- 

, Oural  :      2  150  — 


Débit  moyen. 


,   (dévenoir  des 
3  000  m.  cubes]  Ua       Ladosa 

f  et  On^). 
500        - 
525       - 

I  200       - 

400      — 

10000       - 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


HISTORIQUE.  0£>  Terre  moitié  asiatique, 
moitié  européenne,  la  Russie  nous  apparaît,  dès  l'aurore 
des  temps  historiques,  peuplée  à  la  fois  de  jaunes  (Fin- 
nois et  Turco-Mongols)  et  de  blancs.  Les  Finnois 
vivaient  de  chasse  et  de  pêche  dans  les  forêts  du  Nord 
et  les  Toundras.  Ils  sont  représentés  aujourd'hu 
encore  par  les  Esthoniens,  les  Finlandais,  les  Lapons  et 
les  Samoyèdes.  Les  Turco-Mongols,  pasteurs  nomades, 
parcouraient  les  immenses  zones  découvertes  de  la  Russie 
du  Sud-Est  où  leurs  descendants  :  Kirghiz,  Tatars, 
Bachkjrs  sont  encore  nombreux.  Entre  les  deux,  les  blancs, 
Scjlhes  et  Sarmates  des  auteurs  gréco-latins.  Russes, 
Polonais,  Lithuaniens  d'aujourd'hui,  tribus  d'agriculteurs 
sédentaires,  cultivaient  le  blé  et  le  seigle  dans  les  steppes 
sud-occidentales  et  les  clairières  de  la  forêt  centrale. 
Après  de  longs  siècles  de  luttes  continues,  ce  sont  les 
Slaves  Russes  qui,  servis  par  une  étonnante  prolilicité  et 


l'avantage  de  leur  situation  au  centre  même  de  la  plaine, 
aux  sources  des  grands  fleuves,  ont  établi  leur  préémi- 
nence sur  tous  les  autres.  En  vain,  les  Turco-Mongols 
reçurent-ils  au  Moyen  Age  le  fort  appoint  de  leurs 
frères  d'Asie  :  les  hordes  hunniques  d  abord,  puis  bul- 
gares, puis  encore  les  cavaliers  terribles  des  Gengis- 
Khan  et  desTamerlan.  En  vain,  les  princes  de  Moscou 
durent-ils,  pendant  deux  siècles,  payer  tribut  aux  sou- 
verains mongols.  En  vain,  les  peuples  slaves  ou  finnois 
riverains  de  la  Baltique  furent-ils  christianisés  et  con- 
quis par  les  Allemands  (Chevaliers  Teutoniques)  et  les 
Suédois.  Avec  l'irrésistible  force  d'une  lame  de  fond, 
le  flot  des  Slaves  déferla,  a  partir  du  XVI^  siècle,  hors 
de  son  domaine  primitif,  la  région  des  clairières  sise 
entre  Kiew  et  Moscou.  D'Ivan  le  Terrible  a  Catherine  II 
on  les  vit,  descendant  par  étapes  le  Don  et  la  Volga, 
atteindre  l'Oural,  la  Caspienne,    la  Mer  Noire,   tandis 

285 


Bien  que  la  glace,  puis  de  formidables  débâcles  accompagnées 
de  larges  inondalions  arrétenl  lout  trafic  pendant  une  période 
moyenne  de  quatre  à  six  mois  (deux  cents  jours  pour  la  Pelchora, 
cent  cinquante  jours  pour  la  Neva,  cent  *ingt  jours  pour  le  I 
Dniepr),  bien  que  les  sécheresses  prolongées  de  l'été  soient  aussi, 
dans  certains  cas,  une  gêne  sensible,  ils  n'offrenl  pas  à  la  navigation 
moins  de  28000  kilomètres  de  voies  utilisables  que  des  canaux 
très  courts  et  très  faciles  à  construire  ont  unies  les  unes  aux  autres. 
Dans  les  immenses  espaces  de  la  Russie,  où  l'ennemi  le  plus  difficile  I 
à  vaincre  est  la  distance,  ces  fieuves  apparaissent,  pendant  les  mois 
d'été,  comme  les  artères  essentielles  de  ce  grand  corps  mal  articulé. 
Vapeurs  à  passagers,  chalands  chargés  de  pétrole  et  de  blé,  train 
de  bois  longs  d'un  kilomètre  montent  et  descendent  leurs  eaux  ' 
entes  et  profondes.  Ils  sont  le  lien  indispensable  entre  la  Russie 
des  forêts  et  la  Russie  des  steppes  nourricières,  mais  ce  Jon»  eux 
aussi  qui  conduisent  en  partie  à  la  mer  les  produits  russes  destinés 
aux  marchés  étrangers.  La  plupart  des  villes  qui  comptent  dans 
l'histoire  slave  grandirent  sur  leurs  rives  monotones  et  d  inégale 
hauteur.  C'est  enfin  en  suivant  leurs  vallées  que  le  Christianisme 
orthodoxe,  venu  de  Constanlinople,  s'implanta  parmi  les  populations 
païennes  primitives,  puis  que  la  colonisation  russe  s  infiltra  parmi 
les  peuples  asiatiques  qui  nomadisaient  autrefois  sur  les  deux  tiers 
du  territoire. 


L'EUROPE 


qu'au  Nord  ils  parvenaient  à  la  Mer  Blanche,  à  l'Ouest 
s'emparaient  des  pays  baltes  et  démembraient  la  Pologne, 
à  l'Est  enfin,  prenant  leur  revanche  des  chevauchées 
mongoles,  ils  plaçaient  sous  le  sceptre  de  leurs  tsars 
l'immense  Sibérie. 

Au  XIX®  siècle,  l'avance  fut  moins  rapide.  Toutefois 
le  Turkestan,  la  Caucasie  s'ajoutèrent  au  domaine  russe. 
Surtout  le  nombre  des  Slaves  augmenta  formidablement. 
On  comptait  50000000  de  Russes  en  1850:  en  1914, 
l'ensemble  de  l'Empire  en  renfermait  1 30  000  000  aux- 
quels s'ajoutaient  43  000  000  de  non-Russes  (Polonais, 
Juifs,  Finnois,  Arméniens,  Géorgiens,  etc.).  La  plupart 
des  autres  Slaves  avaient  une  tendance  naturelle  et  bien 
compréhensible  à  se  grouper  autour  de  ce  puissant 
orgômisme,  et  le  slavisme  russe,  par  l'adhésion  morale 
des  Tchèques,  des  Bulgares,  etc.,  cherchait  à  se  trans- 
former en  panslavisme.  A  l'mtérieur  même  de  l'ELmpire, 
la  russification  s'exerçait  avec  l'mtensUé  d'une  force 
naturelle,  et  par  millions  les  colons  de  la  Petite  et  de  la 
Grande  Russie  se  déversaient  sur  les  terres  à  blé  de  la 
Sibérie,  les  terres  à  coton  du  Turkestan.  A  la  veille  de 
la  Grande  Guerre,  il  y  avait  là  —  et  il  y  a  toujours  — 
de  la  Baltique  au  Pacifique,  un  prodigieux  réservoir 
d'hommes,  de  richesses  agricoles  et  minières,  une  puis- 
sance d'une  ampleur  si  colossale  que  les  autres  Etats 
européens,  même  les  plus  grands,  paraissaient  médiocres 
en  comparaison  de  ce  géant. 

Mais  des  causes  de  faiblesse  subsistaient  sous  cette 
apparence  trompeuse. 

La  première  est  le  caractère  même  du  peuple  russe. 
Ce  n'est  pas  en  vain  que,  pendant  des  siècles.  Asiatiques 
et  Slaves  demeurèrent  en  contact  étroit.  Un  métissage 
inévitable,  et  qui  apparaît  nettement  dans  certains  traits 
de  la  physionomie  (yeux  légèrement  bridés,  pommettes 
saillantes)  a  donné  aux  Moscovites  un  tempérament,  une 
forme  d'esprit,  une  âme  où  se  mêlent  bizarrement  la 
langueur,  la  finesse,  le  charme  un  peu  morbide  du  Slave, 
et  la  brutalité,  l'entêtement  sauvage,  les  explosions 
d'aveugle  colère  propres  à  l'Oriental. 

Paresseux  avec  délices,  fataliste  à  l'égal  d'un  musulman,  d'une 
résignation  qui  touche  à  l'indifférence,  complètement  illettré,  plus 
superstitieux  que  profondément  religieux,  l'homme  du  peuple 
paysan  ou  ouvrier  (95  pour  100  de  la  population)  devient  la  proie 
naturelle  de  tous  ceux  qui  savent  le  mener  à  coups  de  fouet.  Après 
avoir  supporté  pendant  des  siècles  le  rude  despotisme,  le  gouver- 
nement pourri  des  Tsars,  il  s'est  courbé  non  moins  docilement 
sous  la  poigne  sanglante  d'une  bande  de  terroristes.  Cherche-t-il 
en  effet  à  s'  "  européaniser  ",  veut-il  échapper  à  l'étreinte  de 
sa  race,  de  sa  religion,  de  son  passé,  il  bondit  d'un  seul  coup 
vers  les  théories  les  plus  extrêmes,  parle  de  faire  table  rase 
de  tout  ce  qui  existe,  et  devient  nihiliste  avec  la  même  facilité 
qu'il  était,  la  veille,  un  moujik  servile.  Il  semble  qu'il  ne  puisse 
connaître  d'autre  conception  politique  que  le  despotisme  ou  l'anar- 

286 


chie,  au  reste  deux  aspects  différents  de  la  même  mentalité 
asiatique.  Son  imagination  débordante  lui  cache  sans  cesse  la 
réalité.  11  n  a  que  faire  de  la  raison,  du  moins  au  sens  où 
nous  entendons  ce  mot  en  Europe  Occidentale.  Il  se  laisse 
uniquement  guider  par  son  instinct,  et  cet  instinct  est  si  différent 
du  nôtre,  qu'il  ne  cesse  de  nous  déconcerter.  Placés  en  face  d'une 
situation  déterminée,  un  Français,  un  Allemand,  un  Italien  pren- 
dront une  décision  du  même  ordre  et  que  l'on  peut  prévoir.  Le 
Russe,  ou  bien  ne  se  décidera  pas,  ou  bien  ira  choisir  une  solu- 
tion contraire  à  toutes  prévisions.  Il  nous  produit  constamment 
l'effet,  malgré  sa  robustesse  physique,  ses  épaules  carrées,  sa 
barbe  formidable,  d'un  être  incomplet,  mal  équilibré.  Et  cette 
impression  se  retrouve  même  dans  les  oeuvres  de  ces  hommes  que 
l'on  voit,  de  temps  à  autre,  surgir  hors  de  la  foule  grossière  et 
barbare  —  comme  un  flot  de  lumière  éclatante  dans  les  ténèbres 
d'une  longue  nuit  —  :  un  Gogol,  un  Tolstoï,  un  Gorki,  un  Tchai- 
kowsky,  un  Borodine,  dont  les  vers.  les  romans,  la  musique 
s  unissent  cependant  pour  parler  à  l'humanité  une  langue  jusqu'alors 
inconnue. 

Ainsi  prodigieusement  arriérée  et  dans  le  même  temps 
plus  avancée  que  toute  autre,  enfantine  et  vieillotte,  naïve 
et  sauvage,  capable  des  élans  les  plus  généreux,  des 
sacrifices  les  plus  désintéressés,  mais  aussi  de  la  plus 
coupable  indifférence,  des  plus  honteux  abandons,  l'âme 
russe  donne  à  1  Occidental  l'impression  d'im  chaos  plein 
sans  doute  de  germes  féconds,  de  forces  latentes,  d'idées 
curieuses,  mais  où  rien  n'est  organisé,  où  l'équilibre 
manque  absolument,  où  la  lumière  et  l'air  ne  circulent 
pas. 

Seconde  cause  de  faiblesse  :  il  n'y  avait  pas  en  1914 
une  Russie,  mais  des  Russies,  comme  le  constatait  offi- 
ciellement le  titre  même  des  Tsars  :  "  souverains  de  toutes 
les  Russies  ".  Les  Blancs-Russes  du  haut  Dniepr,  les 
Petits-Russes  de  l'Ukraine,  les  Grands-Russes  de 
Moscou  diffèrent  les  uns  des  autres  beaucoup  plus  qu'on 
ne  le  suppose  généralement.  Des  différences  plus  pro- 
fondes encore  les  séparent  des  Cosaques,  Slaves  mâtinés 
de  Caucasiens,  qui,  après  avoir  lutté  longtemps  contre 
les  Moscovites,  devinrent  leurs  meilleures  troupes  d'avant- 
garde,  leurs  gendarmes  les  plus  zélés.  Ni  les  Polonais  de 
la  Vistule,  ni  les  Finnois  de  Finlande  et  d'Esthonie,  ni 
les  Lithuaniens  et  les  Lettons  des  provinces  baltes  ne 
faisaient  corps  avec  la  race  dominante.  Et  que  dire  des 
millions  de  Juifs  dispersés  dans  les  provinces  de  l'Ouest, 
desTatars  de  la  Volga,  des  Kalmouks  de  la  Caspienne, 
des  innombrables  tribus  caucasiennes  et  sibériennes,  des 
Géorgiens,  des  Turcs,  des  Arméniens  de  la  Transcau- 
casie?  Malgré  les  efforts  du  Gouvernement,  l'unification 
de  tous  ces  peuples  n'était  point  faite.  Certains  d'entre 
eux,  tels  les  Polonais  et  les  Finnois  de  Finlande,  résis- 
taient avec  vigueur  à  toutes  les  tentatives  de  russification. 
D'autres  les  subissaient  avec  une  impatience  mal  conte- 
nue, et  cela  d'autant  plus  que  l'administration  russe  ne  se 
distinguait,  en  général,  ni  par  son  intelligence,  ni  par  son 
zèle,  ni  surtout  par  son  honnêteté  !  Un  autocratisme 
absurde  faisait  peser  sur  les  terres  russes  un  régime  de 


LES  PAYS  RUSSES 


FORÊT  ET  "  HARJU  "  EN  FINLANDE.  La  Finlande  appartient  tout  entière  à 
la  grande  zone  forestière  arctique  qui  commence  sur  les  côtes  occidentales  de  Norvège 
et  se  poursuit  ums  interruption  à  tracers  la  Scandinacie.  la  Russie  et  la  Sibériej'usqu' aux 
rives  du  Pacifique.  Sapins,  mélèzes  el  bouleaux  la  couvrent  de  letns  troncs  minces,  de 


leur  grêle  ramure,  à  Vomhre  de  laqueUe  ne  croit  auam  sous-hois.  D'autre  part,  lesgla' 
tiers  Scandinaves  qui  séjournèrent  longuement  sur  son  sol  y  déposèrent  des  moraines 
hautes  de  10  à  80  mètres  et  qui  se  poursuivent  sxtr  des  centaines  de  kilomètres.  Ces  traî- 
nées morainiqucs  identiques  aux  "  osar  '  '  de  Suède  s' appellent,  en  Finlande,  des  "  Harju  '  ' . 


HELSINGFORS.  C'est  la  capitale  et  le  port  le  plus  actif  de  la  République  Finlan- 
daise, l'un  des  nouveaux  États  formés  depuis  la  Révolution  de  1917  —  en  même  temps 
que  l'Esthonie,  la  Lettonie,  la  Litfaxanie  el  la  Pologne  —  aux  dépens  de  Fanden  Em- 
pire russe  L'intérieur  du  pays  lui  envoie  du  bois,  du  lin,  de  la  pâle  à  papier,  les  pro- 


duits mantifacturés  de  Tavastehus  et  Tammerfors.  Tout  cela  s'expédie  à  l'étranger 
de  mai  à  novembre,  caries  glaces  bloquent  en  hiver  l'accès  du  port.  Helsingfors  possède 
aussi  une  florissante  Université  qui  a  joué  un  rôle  important  dans  l'histoire  de  la 
Finlande  et  de  sa  longue  lutte  pourji' indépendance.  Cl.  PHOTOCLOB. 


287 


'EUROPE 


ARKHANGELSK.  Le  plus  ancien  des  ports  russes.  Mais  il  donne  sur  la  Mer 
Blanche  dont  les  glaces  interdisent  l'accès  pendant  huit  à  neuf  mois  chaque  année 
Les  mois  d'été  sont  activement  employés  à  l'expédition  des  hois,  des  résines,  des  four- 
rures, du  chanvre,  destinés  surtout  à  l'Angleterre  et  à  la  Hollande. 


LA  NEVA  EN  HIVER.  La  rigueur  des  hivers  russes  est  passée  en  proverbe.  A 
Pétrograd,  la  saison  froide  dure  plus  de  six  mois,  et  la  Neva,  déversoir  des  grands 
lacs  Onega  et  Ladoga,  est  prise  par  les  glaces  cent  cinquante  jours  par  an.  On  y 
circule  en  traîneau:  on  pose  même  sur  la  glace  lesrailsdes  tramways.  Cl.  BULLA. 


PÉTROGRAD  :  L4PERSPECT1VE  NEWSKY.  C«/  la  t,lus  célitre  des  vastes 
avenues  qui  traversent  Pétrograd,  ville  artificielle  créée  par  Pierre  le  Grand,  lorsqu'il 
voulut  donner  une  capitale  nouvelle  à  la  nouvelle  Russie,  à  la  Russie  européanisée 
qu'il  rêvait. 


KIEW.  La  plus  ancienne,  la  plus  sainte  des  villes  russes,  surnommée  la  Mecque 
orthodoxe  " .  Là  vécurent  les  premiers  apôtres  des  pays  slaves  :  Cyrille  et  Méthode, 
venus  de  Constantinople  par  la  route  du  Dniepr.  Les  églises  de  Kiew.  surtout  la 
Lavra,  sont  visitées  chaque  année  par  des  centaines  de  milliers  de  pèlerins. 


ODS'^îSA  :  :;F5ÇAi.iER  RICHELIEU.  Odessa,  principal  débouché  des  pays 
Tus::c  ;.  r  ta  :-.zt  ;  .■::r^  c'  l'une  des  cités  les  plus  peuplées  de  l'Empire,  n'était, en 
.'.?'  ""  P''^''-'-  oiltagc  tartare  perdu  dans  la  steppe.  L'énergique  initiative  d'un 
é,T..^::jr:n;yi'i,  ^-2  cvz  ^f  Rîelislieu,  le  tira  du  néant.  Cl.  Photoglob, 


YALTA,  La  côte  méridionale  de  Crimée,  protégée  contre  les  vents  du  Nord  ,_^t 
les  monts  de  Tauride,  joue  pour  les  Russes  le  rôle  de  notre  Riviéra.  Le  climat  y 
est  relativement  tiède,  et  les  villes  de  plaisance:  Livadia,  Yalta.  Féodosia.  etc.,  se 
succèdent  sur  cette  Corniche  ensoleillée. 


LES  PAYS  RUSSES  ET  LES  ÉTATS  BALTES 


terreur,  de  concussion  éhontée,  de  résistance  aveugle  à 
toute  évolution  raisonnable. 

Ainsi  s'expliquent  et  la   poussée   révolutionnaire  qui, 
après  avoir  ébranlé  à  diverses  reprises  le  trône  des  tsars. 


a  fini  pas  l'emporter  en  1917  dans  une  tourmente  d'une 
sauvagerie  sans  nom,  et  les  mouvements  séparatistes  qui 
se  sont  depuis  lors,  avec  plus  ou  moins  de  succès, 
manifestés  dans  l'Elmpire  fout  entier. 


GEOGRAPHIE  REGIONALE 
Les  Nouvelles  Républiques  de  la  Bedtique 


Scuis  compter  la  Pologne,  qui  a  repris  sa  pleine  indé- 
pendance, quatre  Républiques  nouvelles  se  sont  dégagées 
du  bloc  russe,  sur  les  rives  de  la  BcJtique  :  la  Finlande, 
l'EUthonie,   la  Lettonie  et  la  Lithuanie. 

LÀ  FINLANDE,  a  a  La  Finlande  (325  000  ki- 
lomètres carrés),  surnommée  le  "  pays  aux  mille 
lacs  ",  occupe  au  Nord-Ouest  de  la  Russie  la  majeure 
partie  d'une  pénéplmne  "  granitique  usée  jusqu'à  la 
racine  dès  la  fin  des  temps  primaires  et  oii  les  glaciers 
Scandinaves  laissèrent  des  traces  particulièrement  sen- 
sibles :  direction  des  vallées  Nord-Ouest-Sud-Est, 
creusement  des  lacs,  bcurages  moréuniques,  traînées  de 
cailloux  (  les  harjus  ")  analogues  aux  œsju^s  "  de 
Suède,  etc.  Des  forêts  sauvages  de  bouleaux  et  de 
sapins,  semées  de  rochers  blancs  aux  formes  eu'rondies, 
des  mareus  immenses,  des  lacs  en  nombre  incalculable, 
aux  ondes  pâles  et  sans  rides,  et  dont  les  émissaires 
ruissellent  en  cascades  ;  des  paysages  froids,  austères, 
Scuis  horizon, telle  est  la  Finlande.  "  (E.  Taris  :  La  Russie 
et  ses  richesses.}  Ses  habitants  (3  300000  en  1918),bien 
que  métissés  de  Slaves  et  surtout  de  Scandinaves,  attestent 
nettement  leurs  origines  finnoises  par  leurs  faces  plates, 
leurs  pommettes  saillantes,  leurs  yeux  bridés,  leur  nez 
aplati.  Ils  sont  en  général  graves,  froids,  entêtés,  profon- 
dément religieux  (luthériens  pour  la  plupart),  de  tour- 
nure peu  élégante  et  de  visage  plutôt  ingrat,  mais  très 
travciilleurs  et  relativement   très  instruits. 

..s  cultivent  de  meugres  champs  d  avoine,  de  seigle, 
d'o'  'e,  de  pommes  de  terre,  exploitent  les  bois  de  leurs 
forêts  immenses,  se  livrent  à  la  pêche  sur  les  côtes  poisson- 
neuses de  la  Baltique  et  dans  les  eaux  froides  de  leurs  lacs. 
Ils  élèvent  aussi  un  bétail  assez  beau  et  s'adonnent  de  plus 
en  plus  aux  industries  (scieries,  papeteries,  filatures  de 
cotop)  que  favorise  l'utilisation  hydro-électrique  des 
rapides  et  des  cascades. 

En  I9I3,  les  exportations  fiijandaiscs  dépassaient  400000  000 
de  francs  (227  000  000  de  bois  sous  diverses  formes,  35  000  000 
de  b'"- Te,  7 1  000  000  de  papiers,  pâte  à  papiers  et  cartons,  le 
reste  ésenté  par  des  colonnades,  un  peu  de  poisson  et  du  cuir). 

Les  achats  un  peu  plus  élevés  (495  000  000)  consistaient  surtout 
en  céréales  (100  000  000  de  trancs\  calé  (23  000  000),  sucre 
(20000  ''10),jnachines  et  objets  en  fer  (63000  000),  colon  brut 
(17  OO0lKj0),"etc.  Principaux  clients  :  Russie  et  Allemagne 
d'abord,  puis  Grande-Bretagne. 


En  1920,  les  importations  se  montèrent  à  3620  000000  de 
marks  finlandais  (la  valeur  nominale  du  mark  finlandais  est  égale 
à  celle  tlu  franc),  et  les  exportations  à  2  906  000  000.  Comme 
dans  la  période  d'avant-guerre,  la  Finlande  eut  surtout  besoin  de 
céréales  (534  000000  de  marks),  de  café,  thé,  sucre  et  produits 
coloniaux  (522  000  000),  de  machines  et  objets  en  métal  (plus  d'un 
milliard  de  mark*).  Elle  vendit  presque  uniquement  du  bois, 
(1  633  000  030),  de  la  pâle  de  bois  et  du  papier  (1  080  000  000). 
Les  exportations  de  beurre  ont  cessé. 

Pour  ses  achats,  la  Finlande  s'adressa  surtout  à  l'Angleterre 
(676  millions  de  marks),  aux  Etats-Unis  (638  millions),  puis  à  la 
Suède  (315  milliards),  au  Danemark  (276)  ei  à  l'Allemagne 
(157).  Les  ventes  se  firent  en  Angitterre  (375  milliards),  en  Alle- 
magne (82  ,  en  Suisse  (68),  en  Danemark  (47),  etc. 

La  flotte  de  commerce  finlandaise  comptait,  au  31  décembre 
1919,  5  538  navires  à  vapeur  ou  à  voile,  jaugeant  620  000  ton- 
neaux, chiffre  plus  que  suffisant  pour  les  besoins  du  pays. 

La  majorité  de  la  population  se  concentre  sur  les  rivages 
de  la  mer  bordés  d'îlots  innombrables.  Là  aussi  se  trouvent 
les  principales  cités  finlandaises  :  Helsingfors,  la  capitale, 
(187000  habitants),  bâtie  de  granit  et  de  porphyre  rose, 
Abo  ou  Turku  (56000  habitants),  Viipuri  ou  Viborg 
(27  000  habitants),  Nikolaistadt,  Uléaborg,  etc.  A  l'in- 
térieur, Tampere  ou  Tammerfors  (45  000  habitants) 
est  le  type  des  villes  industrielles  de  la  Finlande  où  l'on 
a  poussé  déjà  très  loin  les  applications  de  la  houille 
blanche,  Kuopio,  Tavastehus,  Saint-Michel  font  de 
même  avec  plus  ou  moins  de  succès. 

Le  Grand-Duché  de  Finlande  demeura  possession  suédoise 
jusqu'en  1 809,  date  à  laquelle  il  fut  cédé  à  la  Russie.  Mais,  mal- 
gré maintes  tentatives  de  russification,  il  sut  conserver  obstinément 
des  privilèges  et  des  institutions  spéciales  qui  lui  garantissaient  une 
précieuse  autonomie.  Le  Tsar  n'était  que  Grand-Duc  en  Finlande, 
et  la  "  Diète  ",  ou  Parlement  élu  au  suffrage  universel,  votait  les 
lois  et  les  impôts.  En  proclamant  en  1917  sa  complète  Indépen» 
dance  et  en  prenant  le  titre  de  République  Finnoise,  la  Finlande 
n'a  donc  fait  que  confirmer  un  état  de  choses  qui  existait  depuis 
de  longues  années. 

ESTHONIE.LATVIA.  LITHUANIE.  >Si2/ Au 
Sud  du  golfe  de  Finlande  s'échelonnent  l'Esthonie, 
peuplée  de  Finnois  de  même  race  et  de  même  type  que 
les  Finlandais,  puis  la  Latvia  ou  Lettonie  (union  de  la 
Livonie  et  de  la  Courlande),  enfin  la  Lithuanie  qui,  après 
avoir  eu  longtemps  une  vie  indépendante,  s  unit  au 
royaume  de  Pologne  et  partagea  ses  destinées.  Lettons 
et    Lithuaniens  sont   un  rameau   distinct   de   la  grande 


289 


L'EUROPE 


famille  indo-européenne,  et  leurs  langues  très  voisines  1  une 
de  l'autre,  mais  tout  à  fait  différentes  des  dialectes  slaves 
ou  germaniques,  se  rapprochent  curieusement  du  sanscrit. 

Leur  pays,  parsemé  de  lacs  petits  et  grands  (lac  Pei- 
pous),  de  tourbières,  de  collines  morainiques,  est  triste  et 
pauvre.  Des  champs  de  lin,  de  seigle,  de  pommes  de 
terre,  des  chènevières,  des  prairies  assez  belles  se 
mêlent  aux  forêts  sous  un  ciel  souvent  maussade.  Mais 
les  provinces  baltiques  sont  une  des  rares  façades  mari- 
times de  la  Russie.  En  temps  normal,  voies  ferrées  et 
fleuves  navigables  (Duna  surtout,  puis  Niémen)  déversent 
dans  leurs  ports  les  bois,  les  lins,  les  peaux,  le  beurre 
(100000  000  de  francs  en  une  seule  année  exportés  par 
Riga),  les  œufs,  les  fromages  provenant  de  la  Russie 
Centrale  ou  de  la  lointaine  Sibérie.  Aussi  conçoit-on 
difficilement  que  les  Moscovites  puissent  tenir  poiir 
définitive  la  perte  de  cette  "  fenêtre  "  de  la  maison 
russe  si  largement   ouverte  sur  le   monde  occidental. 

Les  "  Chevaliers  Teutoniques  "  fondateurs  de  la 
Prusse  demeurèrent  longtemps  maîtres  de  toute  la  côte 
entre  Danzig  et  le  golfe  de  Finlande.  Partout  apparais- 
sent les  traces  de  leur  domination  :  forteresses,  murailles, 
vieilles  maisons,  églises  de  style  ogival.  Après  eux  vinrent 
les  commerçants,  les  industriels,  les  hommes  d  affaires, 
voire  les  grands  propriétaires  fonciers  d'origine  germa- 
nique.Ce  fut  l'extrême  avant-garde  de  cette  colonisation 
allemande  en  terre  slave,  origine  du  Brandebourg,  de 
la  Poméranie  et  de  la  Prusse.  Avant  la  Guerre, 
les  Allemands  abondaient  à  Libau,  Réval,  Mittau, 
Dorpat.à  Riga  surtout.  "  Tout  est  allemand  dans  Riga  : 
souvenirs  historiques,  architecture,  mœurs,  noms  des 
rues,  etc.  L'allemand  est  la  langue  qu'on  entend  à 
chaque  pas  ;  l'influence  allemande  s'y  manifeste  dans 
les  étalages,  les  inscriptions,  les  annonces,  les  modes, 
les  journaux.  "  La  plupart  des  transactions  commer- 
ciales des  trois  provinces  se  faisment  par  l'intermédiaire 
des  commissionnaires  allemands.  "Un  écran  allemand 
intercepte  ainsi  dans  les  pays  baltiques  toutes  relations 
directes  entre  les  peuples  de  l'Ouest  et  les  Russes 
tenus  a  l'écart  et  en  tutelle  par  des  fournisseurs  entre- 
prenants et  obstinés.  "  (Tans.) 

On  ne  saurait  dire  encore  si  cette  influence  allemande 
se  maintiendra,  se  développera,  ou  bien,  au  contraire,  ira 
en  s'afîaiblissant  à  mesure  que  les  petites  Républiques 
baltes  prendront  de  l'expérience  et  se  trouveront  plus  ca- 
pables de  gérer  seules  leuis  affaires. 

L'Esthonie,  compriseentre  les  golfes  de  Finlande  et  de 
Riga,  couvre  une  superficie  d'environ  60000  kilomètres 
carrés.  Elle  compte  I  750000  habitants  dont  95  p.^  100 
d'Esthoniens,  2  p.  1 00  d'Allemands,  3  p.  1 00  de  Lettes, 
Suédois,  Juifs,  etc.  Les  quatre  cinquièmes  de  la  popula- 
tion adhèrent  au  culte  luthérien. 


La  capitale  est  Taflinn  ou  Reval  (160  000  habitants), 
excellent  port,  à  l'entrée  du  golfe  de  Finlande.  Les  glaces 
ne  l'encombrent  que  pendant  quelques  semaines.  Aussi 
servait-il  d'avant-port  a  Pétrograd.  A  l'intérieur,  Tartu 
ou  Dorpat  (60  000  habitants)  possède  une  Université 
renommée,  et  Narva  (35000  habitants)  où  Charles  XI 1 
vainquit  Pierre  le  Grand,  s'occupe  d'industries  di- 
verses. 

La  grande  majorité  des  Esthoniens  tire  ses  ressources 
de  l'agriculture,  de  l'élevage  et  de  l'exploitation  de  forêts 
qui  couvrent  environ  20  p.  1 00  de  la  surface  totale.  Le 
seigle,  l'orge,  le  lin,  les  pommes  de  terre  donnent  d'inté- 
ressantes récoltes.  Sur  les  125  000  tonnes  de  marchandises 
exportées  en  1920  on  comptait  67000  tonnes  de  bois, 
25000  tonnes  de  pommes  de  terre,  14000  tonnes  de 
papier,  3000  tonnes  de  lin.  Les  importations,  beaucoup 
moins  élevées  (64000  tonnes),  consistaient  surtout  en 
sel,  charbon,  engrais,  sucre,  café,  lainages,  etc. 

La  Latvia  ou  Lettonie  se  compose  de  l'ancienne  Cour- 
lande  et  de  quelques  districts  des  anciennes  provinces 
russes  de  Livonie  et  de  Vitebsk.  Un  peu  plus  étendue 
que  l'Esthonie  (65  000  kilomètres  carrés),  elle  ne  comp- 
tait, au  recensement  de  juin  1920,  que  1  503  000  habitants, 
soit  une  densité  de  23  habitants  au  kilomètre  carré.  La  pro- 
portion des  Allemands  — citoyens  lettons  ou  étrangers, 
atteignait  environ  6  p.  100,  celle  des  Russes  9  p.  100, 
celle  des  Juifs  5  p.  1 00.  La  religion  dominante  est  le  pro- 
testantisme. 

La  capitale,  Riga,  a  passé  de  60  000  habitants  en 
1830à  570000  en  1919.  Siseà  l'embouchure  de  la  Duna. 
c'est  à  la  fois  un  des  ports  importants  de  l'Europe  et  une 
puissante  vifle  industrielle  (papeteries,  filatures  de  lin, 
matériel  de  chemin  de  fer).  Dvinsk  ou  Dunabourg, 
(110000  habitants),  Mitava  ou  Mittau  (47000  habi- 
tants), le  port  très  actif  de  Libava  ou  Libau  (9 1  000  habi- 
tants), complètent,  avec  Windau,  Wenden  et  Wolmar, 
la  série  des  principales  cités  lettones. 

Nous  ne  possédons  encore  aucun  chiffre  concernant 
les  transactions  commerciales  de  la  Latvia.  Le  pays  ne 
peut  guère  exporter,  comme  produits  locaux,  que  du  bois 
(brut  ou  travaillé),  de  la  pâte  à  papier,  du  papier  et  du 
lin.  Mais  lorsque  la  Russie  sera  revenue  à  des  conditions 
économiques  à  peu  près  normales,  les  ports  lettons  rede- 
viendront les  grands  exportateurs  des  produits  russes  ou 
même  sibériens  :  bois,  lins,  sucre,  beurre,  céréales,  etc. 
(lignes  directes  Riga-Tsaritsyne ,  et  Libau-Moscou). 

Les  frontières  de  la  Lithuanie  ne  sont  pas  encore  défi- 
nitivement fixées.  Les  Polonais  réclament,  en  effet,  cer- 
tains districts  que  les  Lithuaniens  se  refusent  à  leur  céder. 
D'autre  part,  le  territoire  de  Memel,  détaché  de  la 
Prusse,  et  qui  est  indispensable  à  l'Etat  lithuanien, 
puisqu'il  constitue  son  unique  débouché  maritime,  demeure 


290 


LES  PAYS  RUSSES  ET  LES  ETATS  BALTES 


encore  administre'  par  les  Puissances  Alliées.  En  gros, 
on  peut  admettre  d'ores  et  déjà  que  la  nouvelle  Répu- 
blique couvre  une  superficie  d'environ  155  000  kilomètres 
carrés  peuplés  de  4800000  habitants.  Les  Lithuaniens 
proprement  dits  composent  70  p.  100  de  la  population 
totale,  les  Juifs  13  p.  100,  les  Polonais  8  p.  100,  lesRusses 
et  les  Ukrainiens  7  p.  100. 

La  capitale  est  Vilnius  (Vilna),  sur  la  grande  ligne 
Varsovie-Pétrograd.  Elle  comptait  2 1 4  000  habitants  en 
1914.  Autres  villes  notables  Kaunas  ou  Kowno  (90  000 
habitants),  Gardinasou  Grodno  (61  000  habitants),  Kiai- 
peda  ou  Memel  (32  000  habitants),  Souwalki  (3 1  000  ha- 
bitants), Siauliai  ou  Shavli  (31000  habitants). 


Comme  ses  voisines,  la  Lithuanie  tire  ses  ressources 
de  l'agriculture,  de  l'élevage  et  de  l'exploitation  du  bois. 
Les  champs  cultivés  couvrent  45  p.  100  de  la  superficie 
totale  ;  24  p.  100  sont  occupés  par  les  prairies  et  les  pâtu- 
rages, 20  p.  100.  par  les  forêts. 

Les  seuls  chiffres  que  nous  possédions  pour  la  période 
d'après-guerre  concernent  l'année  1920.  La  Lithuanie 
importa  pour  420000000  de  marks  (le  mark  lithuanien 
avait  alors  la  même  valeur  que  le  mark  allemand)  d'articles 
manufacturés,  d'engrais  et  de  machines  agricoles.  Elle  ex- 
porta des  grains,  du  bétail,  de  la  volaille,  des  œufs, 
du  bois ,  des  peaux,  etc. ,  pour  une  somme  de  32 1  000000 
de  marks. 


La  Russie  Septentrionale. 


Toundras  et  forêts  couvrent  tout  le  versant  russe  de 
la  Mer  Blanche  et  de  l'Océan  Arctique.  La  rigueur 
de  la  température,  l'exiguité  des  ressources  font  de  ces 
immenses  espaces  une  terre  presque  inhabitable  et  dont 
l'intérêt  économique  est,  jusqu'ici,  à  peu  près  nul. 


Aux  rives  de  la  mer,  Lapons  et,  Samoyèdes,  pêcheurs,  chas- 
seurs, éleveurs  de  rennes,  mènent  la  dure  vie  de  toutes  les  tribus 
boréales.  Les  Zirianes,  sur  la  haute  Petchora  et  la  haute  Kama, 
poursuivent  les    animaux    à   fourrures    ou   coupent    les  arbres  qui 


descendent  ensuite  par  eau  soit  vers  les  steppes  de  la  Russie  méri- 
dionale, soit  vers  Arkangelsk  (40  000  habitants). 

Ce  port  (gros  exportateur  de  bois  et  de  chanvre),  qu'une  voie 
ferrée  unit,  par  Vologda,  à  la  Russie  centrale,  a  le  gros  désavantage 
de  n'être  libre  de  glaces  que  pendant  trois  à  quatre  mois  chaque 
année.  Aussi,  pendant  la  Grande  Guerre,  a-t-on  jeté  à  travers  les 
lacs,  les  forêts,  les  marais  qui  s'étendent  de  Pétrograd  à  la 
presqu  île  de  Kola,  une  ligne  nouvelle  qui  aboutit  à  Mourmansk, 
sur  une  côte  où  l'influence  du  Gulf-Slream  est  encore  sensible.  Des 
bateaux  brise-glaces  suffisent  à  maintenir,  même  au  cœur  de  l'hiver 
un  passage  libre  à  travers  la  mince  couche  cristalline  qui  s'accroche 
au  rivage  pendant  quelques  semaines  sculemenl. 


La  Région   des  Lacs- 


A  la  fois  finlandaise,  esthonienne  et  russe,  la  région 
des  lacs  entoure  le  fond  du  golfe  de  Finlande  de  ses 
plaines  meuécageuses  où  s'étalent  quelques-unes  des 
nappes  lacustres  les  plus  vastes  du  globe  :  le  Ladoga 
(18000  kilomètres  carrés,  soit  trente-cinq  fois  l'étendue  du 
Léman),  l'Onega,  les  lacs  llmen  et  Peïpous.  Sur  la 
Neva,  qui  emporte  à  la  Baltique  le  trop-plein  de  leurs 
eaux,  Pierre  le  Grand  fonda  en  1 705  Pétrograd,  la  capi- 
tale de  cette  Russie  nouvelle,  européenne,  qu'il  voulait 
opposer  à  la  vieille  Russie  mi-asiatique  dont  Moscou  était 
le  centre. 

La  ville  (2073  000  habitants  en  1913),  construite  avec 
dif^culté  sur  un  soi  mouvant,  n'a  pas  grand  intérêt.  Ses  vastes 
palais  rouges,  ses  maisons  banales  peintes  en  couleurs  vives,  s'alignent 
au  long  de  voies  régulières  et  larges  dont  la  plus  connue  porte 
le    nom    de     "     Perspective    Newsky  ".      Avant    la    Révolution, 


Pétrograd  se  distinguait  nettement  de  Moscou  ou  de  Kiew  non 
seulement  par  l'absence  de  monuments  anciens  et  de  vieux  souve- 
nirs, mais  surtout  par  son  caractère  de  résidence  officielle  ;  "  Ville 
de  fonctionnaires,  ville  d'Etat,  instrument  d'une  puissante  centrali- 
sation administrative,  militaire  et  religieuse,  Pétrograd  est  tout  cela, 
rien  que  cela,  et  elle  en  garde  cette  raideur  et  cet  abord  glacial, 
sous  lequel  disparait  en  partie  la  physionomie  nationale  du  peuple 
russe.  "  La  vie  y  était  fort  brillante,  pendant  toute  la  saison 
d'hiver.  Le  printemps  venu,  la  noblesse  regagnait  ses  châteaux  à  la 
campagne,  et  nombre  de  gens  appartenant  aux  classes  moyennes  se 
dispersaient  dans  les  bicoques  de  planches,  semées  aux  rives  de  la 
Neva,  du  golfe  de  Finlande,  dans  les  clairières  des  forêts  voisines. 
Autour  des  quartiers  "  bourgeois  "  s'étendent  des  faubourgs  très 
vastes  peuplés  d'usines  métallurgiques,  de  filatures,  de  fabriques  de 
toute  sorte.  Plus  loin,  dans  la  "  grande  banlieue  "  pétrogradicnne, 
Tsarkoïe-Selo,  Poulkovo,  Krasnoïé-Sélo,  Pcterhof  servaient  de 
résidence  d'été  à  la  famille  impériale  et  s'entouraient  de  villas 
fastueuses.  La  forteresse  et  le  port  de  guerre  de  Kronstadt 
(70000  habitant.^)  protègent  l'estuaire  de  la  Neva. 


La  Grande-Russie. 


La  Russie  Centrale  ou  Grande-Russie  comprend  :  au 
Nord  une  zone  de  forêts  mêlées  de  clairières,  au  Sud  une 
large  portion  de  Terres-noires.  C'est  là,  aux  sources  des 
grands  Heuves,  autour  de  la  sainte  Moscou,  que  la  Russie 
prit  vraiment  conscience  d'elle-même.    C'est  de  là   que 


partit  la  croisade  russe  destinée  à  soumettre  aux  Mosco- 
vites leurs  voisins  Slaves  ou  Tatars.  Le  Russe  classique, 
le  moujik  petit  (en  dépit  du  nom  de  Grand-Russe), 
trapu,  à  la  face  de  Kalmouk  envahie  par  une  barbe 
hirsute,  aux  longs  cheveux  graisseux,  le  moujik  ignorant , 


291 


L'EUROPE 


superstitieux,  sale,  paresseux  et  ivrogne,  se  trouve  là,  de 
Koslroma  à  Voronej.  Il  y  vit  dans  de  misérables  isbas 
en  troncs  de  sapins  ou  en  argile  séchée,  couvertes  de 
chaume,  puantes,  abondamment  garnies  de  cancrelats,  se 
nourrit  de  bouillie  ou  de  galettes  de  seigle  et  d'avoine, 
cultive  les  terres  communales  du  mir  et,  lorsque 
l'espace  manque,  émigré  en  Sibérie  ou  se  transforme 
en  ouvrier  d'usine  promptement  gagné  aux  doctrines 
anarchistes. 

Moscou  contraste  fortement  avec  Pétrograd.  D'abord  elle 
abonde  en  monuments  anciens,  églises,  palais,  couvents,  groupés 
surtout  dans  le  Kremlin,  monuments  d'un  art  grossier,  maladroit  et 
barbare,  mais  qui  frappent  l'imagination  par  leur  entassement,  les 
violentes  enluminures  qui  les  revêtent,  l'accumulation  invraisem- 
blable des  objets  précieux  à  1  ombre  parfumée  des  sanctuaires.  De 
plus,  "  autant  Pétrograd  est  froide  et  compassée,  autant  Moscou 
est  vivante,  grouillante,  pittoresque,  éminemment  russe  et  familière". 
Dans  les  rues,  tortueuses  et  accidentées,  se  presse  une  foule 
bariolée  où  se  coudoient  des  spécimens  de  tous  les  types,  de  toutes 
les  races  de  l'immense  Empire.  Enfin,  si  Pétrograd  était  la  ville 
des  fonctionnaires,  Moscou  est  celle  des  marchandset  des. industriels, 
fort  bien  placée  au  cœur  même  de  la  Russie,  au  point  de   concen- 


tration des  grandes  voies  ferrées,  à  proxinùté  du  district  houiller 
et  ferrifère  de  Toula.  Qle  tisse  le  coton  et  la  soie  du  Turkestan, 
le  lin  des  provinces  baltiques,  la  laine  des  steppes  méridionales, 
tanne  le  cuir,  fabrique  de  la  bière  et  de  l'alcool.  Sa  population, 
rapidement  accrue,  comptait  en  Ï9I3,  1  800000  Habitants  (environ 
1121000  en  1919). 


Au  Sud  de  Moscou.  Toula  (  1 36  000  habitants),  Ria- 
zan  (49000  habitants)  et  Kalouga  (56000  habitants) 
s'occupent  surtout  d'industries  métallurgiques  et  textiles, 
tandis  que  Orel  (97000habitants),  Tambov  (7 1  000  habi- 
tants), Koursk  (89000  habitants),  Voronej  (94  000  habi- 
tants), Penza  (80  000  habitants),en  pleineTerre-noire,  ne 
sont  guère  autre  chose  que  des  marchés  de  céréales.  Au 
Nord,  Ivanovo  (170  000  habitants),  Tver  (64000  habi- 
tants), Rybinsk(30000habitants),Yaroslaw(  120  000  ha- 
bitants), Kostroma  (73  000  habitants)  ont  aussi  des  fila- 
tures de  coton  et  de  lin.  Déplus,  elles  font,  par  la  Volga, 
un  commerce  fort  actif  de  bois,  de  blé  et  de  pétrole. 

Nota.  0Û  Chiffres  et  situation  économique  d'avant-guerre. 


La  Russie  Blanche. 


Comprise  entre  la  Pologne,  la  Lithuanie,  la  Grande 
et  la  Petite-Russie,  la  région  appelée  Russie  Blanche, 
insuffisamment  drainée  par  le  Dniepr,  la  Duna,  le  Nié- 
men et  leurs  affluents,  est  une  des  plus  pauvres  de  l'Em- 
pire. Un  maigre  sol  de  sables  gris  (le  Podzol),  d'immenses 
marais  (les  marais  de  Pinsk  ou  Podliécé)  coupés  de 
forêts  vierges  opposent  aux  établissements  humains  des 
obstacles  dont  des  travaux  d'assèchement  entrepris 
depuis  de  longues  années  n'ont  point  encore  complète- 
ment triomphé.  La  voie  ferrée  de  Varsovie  à  Moscou 


traverse  pendant  des  centaines  de  kilomètres  la  portion 
septentrionale  de  ce  triste  pays  où  les  paysans  les  plus 
arriérés,  les  plus  frustes  de  Russie  vivent  chichement 
dans  leurs  tanières  sombres.  Quelques  villes  d'impor- 
tance ont  prospéré  cependant  sur  les  fleuves  ou  bien  à 
la  lisière  des  marais  :  telles  sont  Minsk  (117  000  habi- 
tants), Bobrouisk  (60000  habitants),  puis  Vitebsk 
(108000  habitants)  sur  la  Duna,  Smolensk  (76000  ha- 
bitants) et  Mohilew  (54  000  habitants)  sur  le  haut 
Dniepr. 


Ukraine  ou  Petite- Russie. 


Les  bassins  du  Dniepr,  du  Boug  et  du  Donetz, 
affluent  du  Don,  servent  de  cadre  à  la  Petite-Russie  ou 
Ukraine.  Elle  comprend,  au  Nord  et  au  Nord-Est,  une 
large  portion  de  Tchernozom  où  l'on  fait  en  grand  la  cul- 
ture de  la  betterave  et  du  blé.  Au  Sud,  près  des  rives 
de  la  Mer  Noire  et  de  la  Mer  d'Azovvr,  dans  la  Crimée 
septentrionale,  les  '  steppes  grises  "  nourrissent  de  con- 
sidérables troupeaux  de  moutons  et  de  chevaux.  Elles  se 
prêtent  aussi,  par  endroits,  à  la  culture  du  tabac,  de  la 
vigne,  du  maïs,  des  arbres  à  fruits,  qui  donnent  leurs 
meilleurs  produits  sur  les  pentes  méridionales  des  monts 
de  Tauride  entre  Sébastopol  et  Théodosie.  De  plus,  la 
région  du  Donetz  renferme  le  plus  important  bassin 
houiller  des  Terres  russes  (25000000  de  tonnes  en 
1913),  tandis  que  les  gisements  de  Krivoi  Rog  et 
de    Kertch    donnaient,    la    même    année,     plus     de 


7000000  de  tonnes  de  minerai  de  fer.  Enfin  les  ports 
ukrainiens,  héritiers  d'antiques  comptoirs  helléniques, 
jouent  un  rôle  capital  dans  la  vie  économique  de  la 
Slavie. 

Bien  pourvue  de  ressources  abondantes  et  variées, 
1  Ukraine  pourrait  eiisément  vivre  l'existence  indépen- 
dante qu'elle  renvendiqua  dès  le  lendemain  de  la  Révo- 
lution de  1917. 

Les  Ukrainiens  diffèrent  très  nettement  des  Russes  proprement 
dits  et  des  Polonais.  Leur  taîlle  élevée,  leur  visage  arrondi,  leurs 
cheveux  et  leurs  yeux  généralement  bruns  les  rapprochent  plutôt 
des  Serbo-Croates  et  des  Tchèques.  Ils  parlent  un  dialecte  spécial, 
ont  un  caractère  plus  gai,  plus  vif,  plus  ouvert  que  les  Moscovites» 
et  leurs  maisons,  plus  proprement  tenues,  s'entourent  de  jardins  ou 
se  fleurissent  de  plantes  grimpantes.  Ils  furent  les  premiers  des 
Slaves  à  embrasser  le  Christianisme  ;  le  Grand-Duché  de  Kiew, 
leur   ville  capitale,    précéda    de    plusieurs  siècles  l'apparition    du 


292 


—     LA  RUSSIE 


29 


, L'EUROPE 


PAYSAGE  DE  L'OURAL.  D'origine  très  ancienne,  et  considérablemenl  usé 
par  l'érosion.  l'Oural  rappelle  nos  vieilles  montagnes  de  l'Europe  occidentale. 
Il  en  a  les  formes  émoussées,  les  larges  vallées,  les  rivières  aux  eaux  sombres,  l'épaisse 
couverture   forestière. 


FALAISES  DE  LAWOLGA. Au-dessous  de  Kazan,  larive  droitedela  Volga  est 
barrée  de  hautes  falaises  —  les  Jégouli —  formées  de  calcaires  friables  et  de  marnes 
dont  le  fleuve  ronge  la  base.  C'est  un  des  rares  accidents  de  terrain  qui  inter- 
rompent l'uniformité  des  plaines  russes. 


UNE  ISBA  AUX  ENVIRONS  DE  RIAZAN.  Maison  Je  pausans  en  Russie 
centrale,  dans  la,  zone  des  forêts-clairières.  L'humlle  logis  est  construit  en  troncs 
d'arbres  équarris  et  couvert  de  paille  de  seigle.  La  grand'mère  conte  des  légendes 
aux  enfants  attroupés. 


LA  FOIRE  DE  NIJNl-NOVGOROD,  Placée  aux  canfim  Je  l'Europe  el  Je 
l'Asie.  SUT  un  grand  fleuve  navigaite,  Nijni- Novgorod  devint,  après  Kazan.  le 
siège  d'une  foire  universellement  célèbre  (thé.  cuirs,  fourrures,  fers,  laine),  mais 
aujourd'hui  en  décadence. 


i 


I  - 


''~^K.-\.  A  Nijni-Novgorod,  la  Volga  se  grossit  de  l'Oka.  longue 
'■'lus  que  U  Rhin).  Ses  eaux  lentes  et  profondes  forment  en 
•r.able  qui  mène  vers  Moscou.  Mais  on  doit,  en  automne,  dé- 
dcG'jjc  qu  emporterait  la  débâcle  du  printemps.  Q.  ThÉBEAUX. 


:94 


UN  VILLAGE  UKRAINIEN.  L'Ukraine,  ou  Petite-Russie,  appartient  à  la 
zone  des  Terres  Noires  et  des  steppes.  Les  maisons,  construites  en  torchis,  — 
car  le  bois  est  rare  —  sont  plus  propres,  plus  gaies  que  les  isbas  du  Nord.  Cette 
gaieté  apparaît  aussi  dans  le  caractère  des  habitants.  Cl.  Vérascope  Richard. 


LES  PAYS  RUSSES  ET  LES  ETATS  BALTES 


_^ TounJra.i. 

{'       1  Forèta, 

r-r^-  ForiùL  et 

L->*— J  cuUurctL  meiangceA, 

■'  ;  -  •  '.  Zone  Ocla.  Terre  Ncire 


RUSSIE  B'Er^^OFE 


CARTE  ECONOMIQUE 


fc 


Sleppea^salinea.  de  tsoJvN 
7a  (Àujnennej    f:^^  i 

Rétjiona,  inJu/itrieUe/h  C      J 

Fronttere.t        


i€a«^ 


Duché  de  Moscou.    Ils  ont  leur  histoire    propre,   Uite    de     luttes  n'est  point  de  raison  pour  que   la  "  République  Ukrainienne    "  — 

acharnées  contre  les  Polonais,  les  Russes,  le;  Tatar;  elles  Turcs,  si  toutefois  elle  parvient  à  vivre  —  ne  tienne,  parmi  les  Etatslibres 

luttes    dans    lesquelles     les     Cosaques     Zaporogue:     (Ukrainiens  de  l'Europe,  la  large  place  que  lui  assurent   ses  40  000000  d'ha- 

nomades  "  d  au  delà  des  chutes    ")  jouèrent  un  rôle    particulière-  bitants,  la  richesse  de    son     sol  et     de  son   sons-sol,  sa    situation 

ment  brillant    Ils  ont  donc   tout  ce  qui  constitue   une  nation,  et   il  maritime  privilégiée. 


295 


CEOCRAPHIE  UNIVERSELLE. 


29 


L'EUROPE 


La  métropole  religieuse  et  politique  de  l'Ukraine  est 
Kiew  (600000  habitants),  sur  le  Dniepr.  Les  pèle- 
rins russes  y  viennent  par  centmnes  de  mille  visiter  les 
églises  vénérées  et  le  fameux  couvent  de  la  Lavra  où 
vécurent  les  premiers  apôtres  du  monde  slave.  Son  Uni- 
versité, ses  foires,  ses  diverses  industries,  le  trafic  qui  se 
fait  soit  parle  Dniepr,  soit  par  voies  ferrées,  ajoutent  encore 
à  son  antique  prospérité.  A  l'Ouest,  Jitomir  (92  000  habi- 
tants), Berditchev  (78  000  habitants),  Byelaya  Tser- 
kov  (60000  habitants),  Kamenets  Podolsk  (50000  ha- 
bitants) concentrent  les  céréales  des  terrasses  limoneuses 
de  Volhynie  et  Podolie.  Krementchoug  (  1 00  000  habi- 
tants), Yékaterinoslav  (220000  habitants),  Alexandrovsk 
(50  000  habitants)  s'échelonnent  sur  les  rives  du  grand 
fleuve  qui  demeure,  malgré  des  rapides  gênants,  l'artère 
vitale  de  l'Ukraine.  A  l'Est,  Poltava  (83  000  habitants) 
rappelle  la    célèbre  victoire   de   Pierre  le  Grand  sur 


Charles  XII.  Kharkov  (258000  habitants)  a  grandi 
avec  une  étonnante  rapidité  grâce  aux  mines  et  aux 
industries  du  bassin  du  Donetz.  Enfin,  Odessa  (631  000 
habitants),  Nikolaïew  (108  000  habitants),  Kherson 
(98000  habitants)  sur  la  Mer  Noire,  Taganrog 
(68000  habitants),  Rostov  (204000  habitants),  Novo 
Tcherkask  (55000  habitants)  sur  la  Mer  d'Azov  et  le 
Don,  exportent  les  céréales  du  Tchemozom,  les  œufs, 
les  volailles,  les  cuirs,  les  minerais  de  fer,  et  reçoivent 
en  échange  des  vms,  des  denrées  coloniales,  des  produits 
fabriqués  venus  de  l'Europe  Occidentale,  du  pétrole  de 
Batoum,  etc.  Simféropol  (71  000  habitants)  est  le  chef- 
lieu  de  la  Crimée  ;  Sébastopol  (77  000  habitants),  le 
point  d'appui  de  la  flotte  de  guerre  en  Mer  Noire.  Liva- 
dia  et  Yalta,  sur  les  rives  méridionôJes  de  la  presqu'île, 
servent,  en  temps  normal,  de  villégiature  d'été  et  d'au- 
tomne à  la  haute  société  russe. 


Russie  Orientale. 


Les  régions  traversées  par  le  Don  au-dessous  de  Voro- 
nej  et  par  la  Volga  en  aval  de  Kostroma,  appartiennent 
entièrement  au  domaine  de  la  steppe,  et  leur  proximité 
de  l'Asie  leur  valut  autrefois  une  population  exclusive- 
ment mongole  et  finnoise.  L'Oka,  affluent  de  la  Volga, 
marquait  la  limite  entre  sédentaires  slaves  et  nomades  de 
race  jaune.  Une  ligne  de  postes  fortifiés,  sorte  de  '  Grande 
Murmlle  européenne,  accompagnait  le  cours  de  la 
rivière  entre  Riazan  et  Nijni  Novgorod.  A  partir  du 
XV®  siècle,  les  Russes  se' jetèrent  hors  de  cette  frontière, 
et  le  flot  irrésistible  de  leurs  paysans  déferla  jusqu'à 
l'Oural,  jusqu'au  Caucase.  Mais  la  russification  des 
peuplades  asiatiques,  bien  que  fort  avancée,  n'est  pas 
encore  complètement  achevée,  et  une  carte  ethnogra- 
phique de  la  Russie  montre,  éparpillés  dans  tout  le 
bassin  de  la  Volga  et  du  fleuve  Oural,  une  quantité  de 
petits  groupes  de  population  se  rattachant  soit  à  la 
farmlle  finnoise  (Tchouvaches  et  Mordves  dans  la 
boucle  de  la  Volga,  Tchérémisses  et  Votiaks  entre 
Volga  et  Kama),  soit  à  la  famille  turco-mongole  (Tatars 
de  Kazan  et  delà  Biélaïa,  Bachkirs  de  l'Oural,  Kirghiz 
et  Kalmouks  nomadisant  encore  dans  les  steppes  salées 
de  la  Caspienne).  Au  vreù,  le  nombre  total  de  ces  Asia- 
tiques ne  dépasse  guère  4000000  d'individus,  et 
leur  fusion  définitive  dans  la  masse  du  peuple  russe 
n'est  qu'une  question  de  temps. 

Toutes  les  grandes  villes  du  bassin  de  la  Volga  s'éche- 
lonnent aux  rives  du  fleuve.  Elles  furent,  au  début,  de 
simples  forteresses  élevées  par  les  souverains  moscovites 
contre  les  Tatars  et  les  Cosaques,  et  la  date  de  leur 
fondation  marque  les  étapes  de  la  conquête  russe.  Puis 
elles  devinrent  —  et  elles  sont  demeurées  —  d'impor- 
tantes  places  commerciales  où  se  concentrent  les  pro- 

296 


duits  agricoles  du  Tchernozom  oriental,  où,  pendant  six 
mois,  une  vie  intense  anime  les  eaux  majestueuses  de  la 

Matouchka  "  (la  "  Petite  mère  ",  surnom  familier 
donné  à  la  Volga  par  les  Moujiks  russes).  La  plus 
ancienne,  Nijni-Novgorod  (1 10000  habitants),  au  con- 
fluent de  la  Volga  et  de  TOka,  est  universellement  con- 
nue, depuis  de  longs  siècles,  par  ses  foires  où  des  mar- 
chands de  toutes  races  échangeaient  les  produits 
asiatiques  (thé,  tapis,  cuirs  et  peaux,  fourrures,  etc.)  contre 
les  produits  européens.  Kazan  (  1 90  000  habitants)  fut 
longtemps  la  capitale  d'un  Khanat  tartare  ;  elle  s'est 
spécialisée  dans  la    fabrication  des    objets  en  cuir   dit 

de  Russie  ".  Simbirsk  (66000  habitants),  Samara 
(145000  habitants),  Syzran  (50000  habitants),  Sara- 
tof  (235  000  habitants),  sur  les  collines  qui  dominent 
1  une  des  rives  de  la  Volga,  ne  sont  que  d'immenses 
entrepôts  de  blé.  A  Tsaritsyn  (  1 00  000  habitants),  ces 
blés  quittent  la  Volga  pour  se  diriger  par  voie  ferrée 
vers  les  ports  du  Don.  Astrakhan  (163  000  habitants) 
s'occupe  de  pêche  fluviale,  reçoit  et  distribue  les  naphtes 
de  Bakou. 

La  Russie  agricole  de  l'Est  se  complète  par  les 
domaines  forestiers  et  miniers  de  l'Oural,  avec  lesquels  la 
Kama  et  ses  affluents  la  mettent  en  relations  faciles.  Sur 
les  deux  flancs  de  la  montagne  on  exploite  la  houille,  le 
fer,  le  cuivre,  l'or  et  le  platine,  et  des  villes  s'y  déve- 
loppent d'autant  plus  vite  qu'elles  servent  de  stations 
aux  grandes  voies  ferrées  unissant  l'Europe  à  l'Asie  : 
Perm  (65000  habitants),  Oufa  (103000  habitants), 
Orenbourg  (95000  habitants)  sur  le  versant  russe, 
Nijni  Taguilsk  (45  000  habitants),  Yékatérinbourg 
(70  000  habitants).  Tchéliabinsk  (70000  habitants)  et 
Zlatooust  (35  000  habitants)  sur  le  versant  sibérien. 


LES  PAYS  RUSSES  ET  LES  ETATS  BALTES 


CONCLUSION 


Les  conditions  nornicJes  de  la  vie  russe  ont  été  com- 
plètement bouleversées  d'abord  par  la  guerre,  puis  sur- 
tout par  la  révolution  de  1917  d'où  est  issu  le  régime 
"bolcheviste".  Les  relations  commerciales  avec  l'étranger 
ont  à  peu  près  cessé,  au  grand  détriment  à  la  fois  de  la 
Russie  et  de  l'Europe  Occidentale.  En  1913,  voici  com- 
ment se  répctrtissaient  les  ventes  et  les  achats  de  l'Em- 
pire (en  millions  de  roubles  :  le  rouble  valait  alors  2  fr .  66)  : 


Imtxrtations 
1220000000  roubles. 

Madères  premières  ou  demi-ou\Té«s  pour  l'industrie  ....     600  906  000 

Articles  manufacturés 453  000  000 

Denrées  alimentaires 163  000  000 

Exporlalions 
I  420  855000  roubles. 

DenMcs  alimentaires 806000000 

(dont  590000000  de  céréales.  90  000  d'ocufi.  71  000000  de 

beune). 
Matière,  premières 550  000  000 

(dont  63000000  de   bois,  86  000  000  de  lin,  52000000  de 

cuir,  34  000  000  de  métaux  bruts). 

Produits  manulacturés 30  000  000 

Animaux  vivants ; 32  000^000 


Parmi  les  clients  de  l'Empire,  l'Allemagne  tenait  de  beaucoup 
le  premier  rang;  elle  lui  vendait  pour  642  000000  de  roubles  de 
produits  manufacturés  et  lui  achetait  pour  452000  000  de  roubles 
de  denrées  alimentaires  ou  de  matières  premières.  Puis  venaient  la 
Grande-Bretagne  (170000000  et  266000000).  la  France 
(56000  000  et  100000  000),  les  Pays-Bas.  les  Etats-Unis. 
l'Italie,  l'Aulriche-Hongrie.  etc. 

Seule  de  toutes  les  nations  européennes,  la  Russie 
vendait  donc  sensiblement  plus  qu'elle  n  achetait,  et 
malgré  les  méfaits  d'une  administration  calaraiteuse,  mal- 
gré l'état  encore  arriéré  des  méthodes  de  culture,  la 
rareté  des  voies  de  communication,  la  nonchalance,  le 
manque  d'instruction  du  paysan,  la  situation  économique 
n'était  pas  mauvaise.  On  signalait  un  peu  partout  des 
progrès  sensibles  faits,  notamment,  dans  les  grands 
domaines  de  la  région  du  Tchernozom,  par  l'emploi  de 
plus  en  plus  étendu  des  machines  agricoles.  La  question 
agraire,  d'une  importance  si  capitale  dans  cet  Empire 
peuplé  de  paysans,  se  résolvait  peu  à  peu  grâce  au  par- 
tage progressif  des  Domaines  communaux  ou  '  Mirs  ", 
grâce  surtout  à  l'émigration  qui  jetait  annuellement  plus 
de  1 000  000  de  moujiks  sur  les  terres  vierges  de  Sibérie 
et  du  Turkestan,  ou  les  entraînait  jusqu'à  l'Amt'rique 
lointaine.  Guidée  soit  par  des  Russes  éclairés,  soit  par 
des  étrangers  (surtout  Allemands  qui  remplissaient  une 
foule  de  fonctions  de  première  importance),  soutenue  par 
les  capitaux  que  la  France,  entre  autres,  lui  confiait  sans 
compter,  l'immense   Russie  développait    ses  industries 


(tissages,  métallurgie,  sucre,  alcool  de  grains,  etc.),  procé- 
dait à  l'inventeùre  progressif  de  ses  ressources,  se  déga- 
geait peu  à  peu  de  ce  long  Moyen  Age  où  elle  s'enlisa 
jusqu'à  l'aube  du  XX®  siècle. 

On  ne  sait  que  trop  ce  que  le  régime  de  commu- 
nisme intégral  et  d'anarchie  sauvage  qui  l'opprime 
depuis  1917  a  fait  de  la  Russie.  On  le  sait  toutefois 
d'une  façon  forcément  incomplète,  puisque  les  maîtres 
du  peuple  russe  n'ont  guère  facilité  les  enquêtes  des 
étrangers  trop  curieux. 

On  constate  que  la  valeur  du  rouble  est  tombée 
à  rien,  que  le  paysan  réduit  ses  semailles  au  strict 
nécessaire,  que  les  moyens  de  transport,  déjà  fort  insuf- 
fisants avant  la  guerre,  sont  complètement  désorga- 
nisés, que  de  continuelles  tentatives  de  contre-révolution, 
cruellement  réprimées,  éclatent  sur  tout  le  territoire  sans 
parvenir  à  secouer  l'inertie  de  ce  grand  corps  amorphe, 
que  la  Russie  décimée  par  une  cruelle  famine  est,  présente- 
ment, à  peu  près  incapable  d'acheter  ou  de  vendre  quoi 
que  ce  soit,  etc.  Et  les  effets  de  cette  situation,  si  déplo- 
rable pour  les  Russes,  ne  laissent  point  d'être  fâcheux 
pour  les  autres  Européens  privés  du  blé,  de  l'orge,  du 
lin,  du  bois  que  l'EJnpire  leur  fournissait  autrefois  en 
masse  et  à  faible  prix.  Tout  pronostic  concernant  l'avenir 
de  ce  malheureux  peuple  serait  vain,  étant  donnée, 
surtout,  la  façon  étrange,  incompréhensible  pour  un 
cerveau  d'Occidental,  dont  un  Slave  russe  se  comporte  et 
agit  en  face  de  certains  événements.  Mais  il  est  à 
crmndre  que,  même  après  le  rétablissement  d  un  état 
de  choses  normal,  la  Russie,  privée  des  Etats  Baltes, 
de  la  Pologne,  de  l'Ukraine  (?),  de  la  Caucasie,  peut- 
être  du  Turkestan  et  de  la  Sibérie,  ne  demeure  bien 
longtemps  encore  si  affaiblie  et  languissante  qu'elle  r.e 
puisse  de  sitôt  reprendre  dans  la  hiérarchie  des  peuples 
le  rang  éminent  qui  était  le  sien. 

Nota.  00  Les  seuls  chiffres  «xicls  concernant  le  commerce 
extérieur  de  la  Russie  soviétique  se  rapportent  aux  transactions 
faites  avec  la  Giande-Brelag.ne.  L'exportation  de  produits  russes 
destinés  à  l'Angleterre  se  montèrent  à  £6710000  en  1918, 
£  16  370  000  en  1919,  £  34  103  000  en  1920.  —  Les  importa- 
tion» de  Grande-Bretagne  en  Russie  ont  passé  de  £  298  000 
en  1918  à  £  12  000  000  en  1919  et  1920.  —  Les  ventes 
russes  consistèrent  surtout  en  poteaux  de  mines  et  traverses  de 
chemins  de  (er  (£  1 1  000).  tabac  (£  759  000),  lin  (£  725  000), 
pâte  à  papier  (£  230  000).  —  Les  Anglais  vendirent  aux  Russes 
des  armes  et  de»  munitions  (£  1  374000),  des  colonnedes 
(£  2  000000),  de»  lainages  (£  2  535  000).  du  charbon  (£  561  000), 
des  chaussures  (£470  000),  du  poisson  (£370  000).  —  Ces 
chiffres  paratiront  —  à  plut  d'un  litre  —  fort  intéressants  pour 
le  lecteur  français. 


297 


L'ASIE 


L'ASIE 


CHAPITRE  XXII 


NOTIONS  GÉNÉRALES 


LA  GRANDEUR    DE    L'ASIE.  /H/D  Entre 
l'Europe,    l'Afrique,   les    Océans    Indien.  Pacifique   et 
Boréal,  l'Asie  étale  la  masse  formidable  et  compacte  de 
ses  terres,  si   vastes  que  leurs  44  000000  de  kilomètres 
carrés  leur  donnent  une  superficie  quatre  fois  et  demie 
supérieure   à  celle  de  la  "  petite  Europe  ".  8  500  ki- 
lomètres   séparent   le   Bosphore    de    la   Corée,   le   cap 
Tchéliouskine    du     détroit    de     Malacca.    C'est    cette 
ampleur  du  continent  asiatique  qui  attire  d'abord  1  atten- 
tion au    premier    coup    d'oeil    jeté    sur   la  carte.  Notre 
France  y  tiendrait  quatre-vingts  fois  !  Aussi  devons-nous, 
pour  juger  avec  exactitude  des  choses  d'Asie,  ne  jamais 
perdre  de  vue  ce  fait  essentiel  :  leur  grandeur.  Les  dis- 
tances  auxquelles  nous  sommes  habitués  n'ont  plus  en 
Asie  leur  valeur  normîJe.  Tout  y  est  vaste,  tout  y  est 
démesuré  :    les  montagnes  coIosscJes,  les  plateaux  sans 
fin,  les  plaines  immenses  et  les  fleuves,  elles  forêts,  et  les 
steppes,    et   les  déserts.    Ici,  dans  l'Inde,  en  Chine,  au 
Japon,  à  Java,    des  sociétés  humaines   ont  trouvé  des 
conditions   naturelles    si   propices    à    la    vie    sédentaire 
qu'elles  forment  à  elles  seules  plus  du  tiers  de  la  popu- 
lation  totale  de   notre    planète.  ("  En  Europe,  disait 
Bonaparte,   on  ne  règne  que  sur  des  taupinières.  Seule 
l'Asie   renferme  des    Empires   dignes    de    ce  nom.  ") 
Ailleurs,  par  contre,  sur  des   millions  et  des  millions  de 
kilomètres  carrés,  en  Mongolie,  en  Sibérie,  au  Tibet,  au 
Turkestan,  en  Perse,  en  Arabie,  le  désert,  la  forêt,  la 
Toundra,  ne  peuvent  nourrir  que   quelques   misérables 
tribus   de   pasteurs    ou    de  chasseurs  nomades.  Peu  ou 
point  de  ces  gradations  insensibles,  de  ces  nuances  déli- 
cates entre  petites  régions  voisines,   de  ces   modalités 
infinies   dans    le    climat,    dans    la     végétation,   dans  les 
formes  de  la  vie  humaine  que  nous  offre  l'Europe  occi- 
dentaJe,     mais    des    conditions    identiques   se  répétant, 
uniformes,    sur   des  espaces    immenses,     courbant    les 

-  298 


hommes  sous  la  nécessité  d'une  même  loi;  et  puis,  entre 
ces  régions  démesurées,  de  brusques  contrastes,  de 
saisissantes  oppositions  ;  en  tout,  une  sorte  d'excès  qui 
élimine  de  la  terminologie  géographique  ces  mots  : 
mesuré,  modéré,  tempéré,  qui  caractérisent  si  lustement 
nos  pays  d'Occident.  Les  cartes  de  nos  atlas  nous 
dérobent,  en  quelque  sorte,  la  claire  vision  de  tout  cela. 
Elles  nous  donnent  dans  un  même  cadre  l'Europe  et 
l'Asie,  la  Suisse  et  l'Inde,  la  Belgique  et  la  Chine.  Les 
échelles,  naturellement,  diffèrent,  mais  il  faut,  pour  se 
faire  une  exacte  idée  de  cette  différence,  de  la  réflexion, 
des  comparaisons  minutieuses,  un  effort  auquel  répugne 
trop  souvent  l'esprit. 

LA  RECONNAISSANCE  DU  CONTINENT 
ASIATIQUE,  an  Cette  immensité  même  de  l'Asie 
fut  la  raison  majeure  de  l'obscurité  qui  déroba  si  longue- 
ment aux  peuples  de  l'Europe  les  trois  quarts  de  son 
domaine.  Et  pourtant  l'Ouest  du  Continent  asiatique  se 
soude  au  nôtre  d'étroite  façon.  Les  monts  Oural,  que 
l'on  franchit  aisément  par  des  seuils  de  moins  de 
400  mètres,  ne  forment  nulle  part  une  barrière.  Les 
steppes  de  la  Russie  méridionale  se  continuent  immédia- 
tement par  celles  du  Turkestan.  Caspienne,  Mer  Noire, 
Mer  de  Marmara,  Mer  Egée,  Méditerranée,  sont  asia- 
tiques autant  qu'européennes.  Et  n'est-ce  point  en  Chai- 
dée,  en  Perse,  en  Anatolie,  en  Phénicie  que  naquirent 
les  premières  civilisations?  N'est-ce  point  chez  les 
Asiates  qu'Égyptiens  et  Grecs  puisèrent  les  premiers 
éléments  de  leur  culture  matérielle,  religieuse,  artistique, 
intellectuelle  et  morale  ?  Mais  si.  pendant  de  longs 
siècles,  l'Asie  agit  sur  les  pays  d'Occident  ;  si,  après  leur 
avoir  donné  peut-être,  avec  les  Aryens,  les  plus  ancien- 
nes de  leurs  races,  elle  y  ajouta  plus  tard  ses  Arabes,  ses 
Turcs,  ses  Mongols;    si   le  christianisme,  né  en  Judée, 


"% 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE      PL.    iD 


NOTIONS  GENERALES 


trouva  chez  nous  la  masse  de  ses  adorateurs,  en  atten- 
dant que  l'islam  s'installât  à  son  tour  sur  les  deux  rives  de 
notre  mer  inte'rieure.  la  seule  re'action  de  l'Europe,  jus- 
qu'à la  fin  du  Moyen  Age.  se  borna,  après  l'éphe'mère 
conquête  d'Alexandre,  à  1  occupation  de  l'Asie  Mmeure 
par  le»  Gréco- Romains,  puis  aux  chevauchées  épiques 
des  Croisés. 

Aussi,  lorsque  le  20 mai  1498,  Vascode  Gama,  venu 
du  Portugal  par  le  cap  de  Bonne- EUpérance,  aborda  à 
Calicut,  ouvrant  ainsi  I  ère  féconde  des  gréindes  décou- 
vertes, nos  connaissances  asiatiques  étaient-elles  extrême- 
ment courtes.  Pas  les  géographes  ctnciens  et  les  Arabes 
nous  a\'ions  quelques  notions  des  pays  de  l'Ouest  jus- 
qu'aux frontières  de  l'Inde.  .Au  delà,  sur  les  régions  à 
demi-légendaires  d'où  nous  venaient,  après  des  années  de 
voyage,  les  épices  et  la  soie,  sur  les  Indes,  le  Cathay,  la 
Sénque  (la  Chine),  le  Zipangou  (le  Japon),  quelques  mis- 
sionnaires et  marchands  aventureux  :  les  Guillaume  de 
Rubrouk,  les  Plan  Carpin.  les  Marco  Polo,  avaient 
raconté  maintes  '  Merveilles"  qui  trouvaient  autant  d'in- 
crédules que  d'admirateurs.  A  partir  du  XV  siècle,  au  con- 
traire, le  voile  se  déchire,  et  l'Asie  mystérieuse  livre  un 
à  un  tous  ses  secrets.  Nous  ne  ferons  point  l'histoire  de 
cette  longue  découverte,  nous  réservant,  par  ailleurs,  de 
donner  pour  chaque  pays  d'Asie  un  bref  aperçu  de  son 
passé.  11  nous  suffit  de  marquer  ici  combien  dure,  combien 
meurtrière  fut,  pour  les  découvreurs,  cette  sorte  de  viol. 

Attaquée  à  la  fois  par  le  Sud  où  les  Portugais  d'abord, 
puis  les  Hollandais,  les  Anglais  et  les  Français  s'ms- 
tcdlent  aux  Indes,  en  Indo-Chme,  dans  l'Insulinde.  etpar 
le  .Nord  où  s'étale  la  vague  slave,  I  Asie  intérieure  oppose, 
aux  conquérants  comme  aux  explorateurs  désintéressés,  la 
hauteur  de  ses  bastions  inaccessibles,  l'ampleur  de  ses  dé- 
serts, la  xénophobie  de  ses  habitants.  Encore  aujourd'hui, 
les  régions  complètement  et  scientifiquement  connues, 
c  est-à-dire  celles  pour  lesquelles  nous  avons  des  cartes  à 
grande  échelle  levées  par  triangulation,  se  limitent  à  l'Inde 
anglaise,  à  Java,  au  Japon,  à  certames  portions  de  I  Asie 
Mineure,  de  la  Cochinchine,  de  la  Caucasie,  du  Ton- 
kin,  du  Turkestan  et  de  la  Sibérie  occidentale.  Sur  le 
reste  de  l'Asie  turque,  la  Perse  occidentale,  la  Chine, 
le  Siam,  la  Sibérie  centrale,  il  faut  nous  contenter  de 
notions  beaucoup  moins  précises  dues  à  des  voyageurs 
isolés,  à  la  vérité  fort  nombreux.  Quanta  r.A.sie  centrale, 
à  la  Sibérie  du  Nord  et  de  l'Est,  à  l'.-Xrabie  inténeure. 
quelques  rares  itinéraires,  fort  distants  les  uns  des  autres, 
raient  seuls  les  cartes,  où  des  espaces  relativement  con- 
sidérables demeurent   même  tout  à  fait  inconnus. 

LE  RELIEF  ET  LES  COTES,  aa  L'.Asie 
n'est  pas  seulement  le  plus  vaste,  c'est  aussi  le  plus  élevé 
des  continents.  On  évalue  à  plus  d'un  millier  de  mètres 
son  altitude   moyenne  (Afrique  :  600.    Europe  330). 


Cela  tient  d'abord  à  la  hauteur  de  ses  puissantes  chaînes 
de  montagnes,  puis  surtout  à  l'ampleur  de  ses  plateaux. 
Les  plissements  alpins  qui.  au  cours  de  l'époque  ter- 
tiaire, donnèrent  naissance  soit  directement,  soit  par  contre- 
coup, aux  montagnes  de  l'Europe,  eigirent  en  .Asie  avec 
une  particulière  intensité.  Contre  les  anciens  massifs  éro- 
dés.  transformés  en  "pénéplaines"  (Sibérie.  Inde),  vin- 
rent se  mouler  en  arc  de  cercle  une  séné  de  chaînes  dont 
la  longueur,  la  largeur  et  l'altitude,  laissent  bien  loin  der- 
rière elles  tout  ce  que  nous  connaissons  chez  nous. 

Les  plus  jeunes,  partant  les  plus  considérables,  jaillirent  entre 
l'Inde  et  la  Sibérie  :  ce  sont  les  Himalayas  où  le  mont  Everest 
porte  à  8  840  mètres  le  culmen  du  monde  :  le  Kara  Koroum. 
l'Hindou-Kouch,  l'Alal.  les  Tian-Chan.  le  fCouen-Loun.  les  monts 
du  Tibet  oriental,  etc.  D'autres  du  même  âge.  mais  moins  élevées, 
sont  encore  égales,  sinon  supérieures. à  nos  Alpes  :  tels  le  Caucase 
les  monts  de  l'Iran,  le  Taurus.  D'autres  encore,  de  formation  dif- 
férente, non  plus  chaînes  de  plissements,  mais  simples  rebords 
surélevés  de  plateaux:  telles  les  montagnes  de  la  Sibérie,  de  l'Annam. 
de  l'Arabie,  les  GKàtes  de  l'Inde,  etc.,  rappellent  nos  Cévennes  et 
les  massifs  de  la  Scandinavie.  D'autres  en&n.  jalonnant  les  grandes 
lignes  de  fracture  qui  accompagnèrent  obligatoirement  la  surrection 
des  plis,  doivent  leur  naissance  à  la  poussée  des  roches  ignées.  Ces 
roches  :  basaltes,  laves,  trapps.  créèrent  presque  de  toutes  pièces 
la  guirlande  d'îles  volcaniques  qui  sépare  le  socle  asiatique  des 
abîmes  du  Pacifique  et  de  l'Océan  Indien  :  Kouriles.  Japon.  Phi- 
lippines, lies  de  la  Sonde.  Elles  revêlent  une  partie  de  l'Inde 
péninsulaire  et.  du  Kamtchatka  à  l'Asie  Mineure  par  l'Elfxjurz. 
l'Azerbaldjan.  l'Arménie,  elles  surajoutèrent,  au  socle  de  roches 
plus  anciennes,  les  cônes  géométriques  du  Klioutchen,  du  Dema- 
vend.  de  r.\rarat. 

Mais  plus  encore  que  les  hautes  chaînes,  ce  sont  les 
hauts  plateaux  qui  caractérisent  le  relief  de  l'Asie.  Géné- 
ralement encadrés  d'arêtes  montagneuses,  par  cela  même 
abrités  des  vents  pluvieux  et  voués  à  la  stérilité,  ils 
recouvrentl'.Anatolie,  r.Arabie,  l'Iran,  leTibet.  la  Mongo- 
lie, près  des  trois  cinquièmes  du  continent.  Leur  altitude 
varie  de  1000à4000et  même  à  5000  mètres.  Leur  com- 
pacité, leurs  conditions  climatiques  spéciales,  leur  aridité 
en  font  des  obstacles  assurément  plus  redoutables  que  les 
chaînes,  si  hautes  soient-elles.  Comparé  au  Tibet.  1  Hi- 
malaya est  d'accès  relativement  aisé  ! 

Ce  sont  eux  qui  forment  la  vraie  barrière  entre  le  Nord 
et  le  Sud.  l'Est  et  l'Ouest  du  Continent.  Les  plaines  reje- 
tées sur  le  pourtour  en  Sibéne  occidentale,  en  Chine,  en 
Indo-Chine,  dans  l'Inde,  en  Mésopotamie,  ont.  quelque 
grandes  soient-elles,  une  superficie  relativement  bien 
moindre  que  nos  plaines  d'Europe.  De  plus,  elles  ne  com- 
muniquent point  entre  elles,  et.  si  l'on  excepte  le  bassin 
de  lEuphrale,  les  sociétés  humaines  qui  s'y  dévelop- 
pèrent demeurèrent  isolées  à  la  fois  les  unes  des  autres 
et  du  monde  extérieur  :  d'où  leur  stagnation  rapide, leur 
arrêt  brusque  sur  la  voie  régulière  du  progrès. 

A  défaut  de  faciles  communications  intérieures,  l'Asie 
299  


LASIE 


trouvait-elle  dans  la  nature  de  ses  rivages  les  éléments 
d'une  vie  maritime  intense  ?  Evidemment  non.  Certes, 
son  grand  corps  n'a  pas  les  contours  trapus,  massifs  et 
grossiers  de  la  lourde  Afrique.  La  "  beu're  "  ne  déferle 
point  sur  ses  côtes  avec  la  redoutable  régularité  que  nous 
apprendrons  plus  loin  à  connaître.  Elle  a  ses  péninsules 
(Anafolie.  Arabie,  Inde,  Chine,  Corée,  Kamtchatka)  ; 
ses  golfes  (Persique,  d'Oman,  du  Bengale,  du  Siam,  du 
Tchéli)  ;  elle  a  même,  sur  sa  façade  Pacifique,  des  mers 
intérieures  (Okhotsk,  du  Japon,  de  Chine,  de  Java,  etc.)  ; 
des  archipels  aux  îles  multiples  où  pouvaient  grandir  des 
peuples  de  marins  ;  mais  rien  de  comparable  aux  riches 
articulations  de  notre  Europe,  à  ces  étroits  couloirs  liquides 
qui  vont  au  cœur  des  continents  apporter  ou  solliciter  la 
vie.  Chez  nous,  en  dehors  de  la  Russie,  pas  de  point 
qui  soit  à  plus  de  400  kilomètres  de  la  mer  la  plus  proche  : 
en  Asie,  c'est  par  milliers  de  kilomètres  que  l'on  mesure 
cette  distance.  Même  les  lieux  voisins  de  l'Océan  n'ont 
jamais  subi  sa  puissante  attraction.  Au  Nord,  les  glaces 
emprisonnent  les  mers  arctiques  ;  à  l'Est,  le  Japon,  la 
Chine  du  Sud  ont  bien  des  côtes  découpées  à  souheiit  où 
abondent  les  havres  naturels,  mais  l'immensité  vide  du 
Pacifique  interdirait  tout  vaste  effort.  Au  Sud,  —  l'Insu- 
linde  exceptée  qui  vit  naître  le  peuple  errant  des  Malais  — 
les  pénmsules  compactes,  très  pauvres  en  abris,  donnent, 
elles  aussi,  sur  les  espaces  sans  fin  de  l'Océcm  Indien.  A 
l'Ouest  seulement,  aux  bords  étroits  de  la  Mer  Rouge, 
sur  les  rivciges  dentelés  de  l'Asie  Mineure,  Phéniciens, 
Grecs,  Arabes  osèrent  se  confier  à  des  mers  dont  les 
bornes  n'étaient  jamais  bien  loin.  Peu'tout  ailleurs,  l'Asie 
se  referma  sur  elle-même.  Elle  fut  exclusivement  ter- 
rienne. Pendant  des  dizaines  de  siècles.  Chinois,  Japo- 
nais, Cambodgiens,  Hindous,  Persans  virent  déferler  sur 
leurs  rivages  la  longue  caresse  de  la  houle  que  poussait  la 
mousson,  sans  être  jeonais  tentés  de  partir  à  la  recherche 
de  l'inconnu.  Et  les  premiers  grands  navires  qui  sillon- 
nèrent leurs  océans  vinrent,  non  pas  de  leurs  chantiers 
inexistants,  mais  de  cet  inconnu  même,  de  cette  Europe 
si  lointaine  où,  sur  des  mers  qui  savent  se  faire  attirantes, 
5e  lancèrent  les  hommes"  forts  comme  le  chêne,  à  la  poi- 
trine bardée  d'un  triple  airain".  Illi  robur  el  aes  triplex... 

LE  CLIMAT.  ^£>  Les  contrastes  si  nets  que  nous 
relevons  entre  l'Europe  et  l'Asie  se  traduisent  aussi  for- 
tement par  les  caractères  de  son  climat  qui  est  lui-même, 
pour  une  si  grande  part,  fonction  du  relief,  de  l'archi- 
tecture continentale,  des  mers  qui  baignent  la  masse 
émergée. 

Par  la  presqu'île  de  Malacca  et  l'insulinde,  l'Asie 
touche  à  l'Equateur  ;  par  la  Sibérie  septentrionale,  elle 
déborde  largement  au  delà  du  cercle  polaire,  et  le  cap 
Tchélicuskine  n'est  qu'à  12  degrés  du  pôle.  C'est  la 
distance  qui  sépare  le  Congo  du  Spitzberg. 

~  300  


Nous  trouverons  donc,  en  Asie  comme  en  Afrique 
et  en  Amérique  Centrale,  des  terres  soumises  aux 
climats  équatorial  et  tropical  humide  caractérisés  par 
leurs  hautestempératuresel  leurs  pluies  abondantes.  Nous 
y  trouverons  aussi,  et  sur  des  surfaces  combien  vastes  ! 
des  déserts  plus  arides  encore  que  le  Sahara.  Enfin,  le 
climat  polaire  de  la  Russie  du  Nord  ou  du  Canada 
règne  sur  l'immense  Sibérie.  Mais  la  zone  du  climat 
méditerranéen  se  limite  à  l'étroit  littoral  de  l'Anatolie,  et 
le  climat  tempéré  de  l'Europe  occidentale  fait  totalement 
défaut.  Aux  latitudes  qui  correspondent  à  celles  de  l'Ita- 
lie, delà  France,  de  l'Angleterre,  de  l'Allemagne,  del' Au- 
triche, s'étendent  les  déserts  tour  à  tour  torrides  et  gla- 
cés du  Turkestan  et  du  Gobi.  Même  sur  le  littoral  du 
Pacifique,  les  courants  froidi  venus  des  mers  polaires  par 
le  détroit  de  Bering,  et  surtout  la  mousson  glacée  qui 
souffle,  de  septembre  à  mars,  de  la  terre  vers  la  mer, 
valent  à  la  Mandchourie,  à  la  Chine  du  Nord,  des  hivers 
aussi  rudes  que  ceux  de  Laponie,  succédant  à  des  étés 
aussi  chauds  que  les  étés  du  Caire  ! 

Excessive  par  sa  masse,  l'Asie  l'est  donc  aussi  par  son 
climat.  Elle  renferme  à  la  fois  les  lieux  les  plus  arrosés 
du  monde  (à  Tcherrapoundji,  dans  l'Assam,  il  tombe 
en  moyenne  plus  de  1 2  mètres  d'eau  en  six  mois),  et 
ceux  qui  reçoivent  les  chutes  de  pluies  les  plus  faibles 
(Arabie  intérieure,  Iran).  Tandis  que  les  étés  de  Bag- 
dad, de  Mascate  ou  de  Lahore  re  rangent,  avec  leurs 
35°  de  moyenne,  parmi  les  plus  torrides  de  notre  planète, 
les  hivers  de  Verkoïansk  (Sibérie  du  Nord-Est)  font  de 
cette  petite  ville  le  pôle  de  froid  du  globe  (extrême  ab- 
solu —  76°).  Si  l'on  exempte  l'insulinde,  les  côtes  de 
l'Inde,  de  l'Indo-Chine  et  les  côtes  méditerranéennes, 
toutes  les  moyennes  de  températures  observées  en  Asie 
frappent  par  le  chiffre  de  l'amplitude,  c'est-à-dire  des 
écarts  entre  les  saisons.  C'est  là  un  fait  capital  qui  a  sa 
répercussion  immédiate  sur  la  nature  de  la  végétation 
et  les  multiples  manifestations  de  la  vie  humaine. 

Un  autre  fait  d'importance  égale  est  le  phénomène 
des  moussons.  Il  s'explique,  lui  aussi,  par  l'énormité  de  la 
masse  continentale. 

En  été,  à  la  surface  de  l'Asie  brûlée  de  soleil,  l'air  s'échauffe 
et  s'élève  dans  l'atmosphère,  d'où  la  naissance  d'une  zone  de 
basses  pressions,  d'un  immense  foyer  d'appel  vers  lequel  accourent 
les  vents.  Soufflant  de  la  mer  relativement  fraîche  vers  la  terre,  ils 
poussent  devant  eux  les  nuées  qui  se  condensent  au  contact  des 
montagnes  et  crèvent  d'avril  à  septembre.  Eln  octobre,  la  mousson 
change  de  direction;  elle  se  "  renverse  *'.  Pendant  tout  I  hiver,  en 
effet,  l'Asie  intérieure  est  soumise  à  des  températures  de  plusieurs 
dizaines  de  degrés  au-dessous  du  point  de  glace  ;  par  contre,  les 
Océans  qui  l'entourent  conservent  leur  température  relativement 
élevée.  Le  continent  cesse  d'être  un  foyer  d'appel  pour  se  trans- 
former en  centre  de  dispersion  de  l'air,  en  zone  de  haute  pression 
d'où  les  vents  glacés  et  secs  se  précipitent  vers  l'Est  et  le  Sud. 

Cette  alternance  de  la  mousson  règle  toute  la  vie  de 


NOTIONS  GENERALES 


I         I  Porètt  ûe^  conifère.  ù 


ASIE 

ZONES   DE  VÉGÉTATION 


Zone- mec hierra/u<,fuiti  ^  'jyji^ 
Déâertv  l':::::) 

Zone  JcitolaiCéV 
ûe  mouJJû/i 

Direction  Jej  fe/iLt  en.  éU,  • 


^^^= 


p^^3S5^^*~ 


^ 


1  Asie  méridionale  et  orientcJe.  Cest  elle  qui  partage  l'an- 
née en  deux  Sciisons  nettement  tranchées  :  séiison  sèche 
d  hiver,  saison  humide  de  l'été.  Unique  véhicule  des  nuées, 
cest  elle  seule  qui  donne  l'eau  nécessaire,  qui  rythme  le 
régime  des  fleuves,  qui  fait  croître  la  forêt  vierge  et  la 
savane,  le  riz  et  le  blé.  Aux  heux  où  elle  ne  parvient 
pas,  règne  le  désert.  C'est  elle  enfin  qui,  au  temps  delà 
navigation  à  voiles,  favorisa  les  rapports  réguliers  entre 
les  côtes  de  l'Inde  et  les  rivciges  orientaux  de  l'Afrique, 
et  c  est  la  mousson  Sud-Ouest  qui  porta  de  Zanzibar  à  Ca- 
licut  la  caravelle  de  Vasco  de  Cama. 

LA  FLORE  ET  LA  FAUNE,  aa  Flore  et 
faune  se  modèlent  sur  le  climat. 

L'insulinde,  l'Indo-Chine,  l'Inde,  très  chaudes  et  très 
humides,  sont,  à  l'état  vierge,  le  domaine  de  la  forêt  tro- 


picale ou  de  la  "jungle"  peuplées  de  grands  fauves, 
d'oiseaux  à  l'éclatant  plumage.  On  y  cultive  le  riz  et  la 
canne  à  sucre,  l'arbre  à  thé  et  le  cotonnier,  les  arbres  'k 
épices  et  à  caoutchouc. 

Chine  et  Japon  forment  une  région  intermédiaire  entre 
la  zone  tropicale  et  la  zone  polaire.  La  forêt,  aux  pomts 
où  elle  subsiste  encore,  se  rapproche  quelque  peu  de  nos 
forêts  françaises,  mais  avec  des  différences  très  sensibles 
qu'explique  le  caractère  déjà  fortement  continental  du 
climat. 

Au  riz,  au  mûrier,  au  bananier,  à  l'arbre  à  thé.  se 
mêlent  d'abord,  puis  succèdent  peu  à  peu,  le  maïs,  le 
blé,  I  orge,  nos  légumes  et  nos  arbres  à  fruits. 

Tout  le  reste  de  l'Asie  (si  l'on  met  à  part  les  cotes  mé- 
diterranéennes, identiques  aux  rivages  de  Grèce  etd'Italie 
par  leurs  maquis,  leurs  arbres  à  feuilles  persistantes,  leurs 

—301    - 


L'ASIE 

oliviers,  leurs  vignes,  leurs  figuiers)  appartient  soit  à  la 
steppe  et  au  désert,  soit  à  la  forêt  polaire. 

Steppeset  désert  couvrent  l'Arabie,  l'intérieur  de  l' Ana- 
tolie,  l'Iran,  le  Turkestan,  la  Mongolie,  le  Tibet,  la 
Mandchourie  occidentale.  Sauf  dans  les  oasis  créées  autour 
des  points  d'eau,  le  sol  est  tout  à  fait  stérile  ou  ne  porte 
que  les  rares  graminées,  les  buissons  épineux  dont  se  con- 
tentent gazelles,  antilopes,  ânes  sauvages  ou  domestiques, 
moutons,  chevaux  et  chameaux. 

La  forêt  polaire  s'étend  de  l'Oural  au  détroit  de  Bérmg. 
Elle  continue  directement  la  sylve  immense  de  bouleaux 
et  de  conifères  que  nous  vimes  naître  en  Norvège  sur  les 
rives  de  l'Atlantique,  et  se  prolonge  elle-même  en  Amé- 
rique par  l'Alaska  jusqu'au  Labrador.  Monotone  et  triste 
infiniment,  elle  abrite  le  peuple  des  animaux  à  précieuse 
fourrure  :  renards,  martres,  zibelines,  etc.  Mais,  tuée 
par  le  froid,  elle  s'amoindrit,  s'éclaircit  à  mesure  que  l'on 
se  rapproche  de  l'Océan  polaire,  et  l'extrême-Nord  Sibé- 
rien ne  connaît  plus  que  les  mousses,  les  lichens  de  la 
toundra  que  parcourent  les  troupeaux  de  rennes. 

L'HYDROGRAPHIE,  aa  A  ces  trois  zones 
climatiques  correspondent  trois  sortes  de  fleuves  :  fleuves 
polaires,  fleuves  de  moussons,  fleuves  de  steppes  et 
déserts. 

Dans  l'immense  Sibérie,  l'Ob,  1  lénisséi,  la  Lena, 
l'Amour,  leurs  affluents  et  leurs  voisins  de  moindre  im- 
portance composent  un  des  réseaux  hydrographiques  les 
plus  vastes,  les  mieux  articulés  du  globe.  Lents  parce 
qu'ils  coulent  en  plaine,  larges  et  profonds  parce  qu'ils 
drainent  une  surface  une  fois  et  demie  aussi  étendue  que 
l'Europe,  ils  formeraient  un  admirable  ensemble  de  voies 
navigables  s'ils  n'étaient  pris  par  les  glaces  de  novembre 
à  mai  et  s  ils  ne  débouchaient  (sauf  l'Amour)  sur  une 
côte  que  la  banquise  polaire  rend  maccessible. 

L'Asie  de  l'Est  et  du  Sud- Est  voit  naître,  elle  aussi,  de 
puissants  cours  d'eau  :  Hohang-Ho,  Yang-Tseu,  Mé- 
kong, Iraouaddy,  Brahmapoutra,  Gange,  etc.  La  mous- 
son règle  leur  régime.  Les  pluies  d'été  leur  valent  d'énor- 
mes crues,  mais,  même  en  hiver,  ils  conservent  des  eaux 
abondantes  que  nulle  glace  n'emprisonne.  Aussi  certains 
d  entre  eux  jouent-ils  un  rôle  économique  de  premier  ordre. 
Le  Yang-Tseu,  par  exemple,  est  la  grande  artère  de  la 
Chine  centrale.  Le  Ménamau  Siam,  l'Iraouaddy  en  Bir- 
manie, même  le  Brahmapoutra  et  le  Gange  peuvent  por- 
ter bateaux  sur  des  milliers  de  kilomètres.  D'autres  :  tels 
le  Mékong,  leSi-Kiang,  leSong-Khoï,  coupés  de  rapides, 
ne  sont  accessibles  que  sur  les  biefs  compris  entre  deux 
barres  rocheuses,  ou  dans  leurs  cours  inférieurs.  D'autres 
enfin  (le  Hohang-Ho,  la  Salouen,  les  rivières  des  Archi- 
pels) ont  une  pente  trop  forte  pour  se  prêter  utilement  à 
la  navigation.  Mais  tous,  petits  ou  grands,  ont  construit  de 
leurs  alluvions  les  plaines  fécondes  où  se  pressent  les 

302   — 


hommes,  et  leurs  eaux,  dérivées  par  mille  canaux,  donnent 
à  ces  plaines  l'humidité  indispensable  pour  supporter  les 
longues  sécheresses  de  la  mousson  d'hiver. 

L'Asie  de  l'Ouest,  celle  des  steppes  et  des  déserts, 
possède  elle  aussi  ses  fleuves,  mais  beaucoup  moins  longs 
puisqu'elle  est  moins  large,  et  beaucoup  plus  irréguliers 
puisqu'ils  s'alimentent  avec  difficulté.  Les  uns  :  Indus, 
Tigre  et  Euphrate,  cours  d'eau  d'Asie  Mineure, 
parviennent  jusqu'à  la  mer.  D'autres,  tels  le  Tarym, 
l'Amou  elle  Syr  Daria,  l'ili,  l'Hilmend,  le  Jourdain,  etc., 
se  perdent  dans  des  lagunes  sablonneuses  ou  des  lacs 
(Aral,  Balkach,  Lob-Nor,  Mer  Morte).  Les  pluies  d'hi- 
ver, les  fontes  des  neiges  en  été,  leur  valent  des  crues  su-  j 
bites  auxquelles  succèdent  de  longues  périodes  de  basses  ' 
eaux.  Ne  cessant  de  s'appauvrir  par  évaporation  à  mesure 
qu'ils  s'éloignent  des  montagnes  nourricières,  incapables 
de  rendre  de  réels  services  comme  voies  de  transport,  ils 
n  en  sont  pas  moms  précieux  aux  riverains  qui,  plus  encore 
que  les  Chinois  ou  les  Hindous,  ne  sauraient  vivre  sans 
inigations. 

LES  HOMMES.  £l£l  L'Asie  nourrit  800000000 
d'habitants,  plus  de  la  moitié  des  hommes  qui  peuplent 
la  Terre. 

Cela  ne  donne,  il  est  vrai,  qu'une  densité  moyenne  de  18  habi- 
tants au  kilomètre  carré,  alors  que  l'Europe  en  compte  39.  De  plus, 
la  répartition  est  si  prodigieusement  inégale  qu'à  elles  seules,  l'Inde, 
la  Chine  orientale.  Java  et  le  Japon  renferment  les  sept  huitièmes 
du  total  !  Les  trois  quarts  de  l'Asie  sont  vides  (1  habitant  par  3, 
4,  ÎO  ou  20  kilomètres  carrés),  mais  les  plaines  alluviales  des  pays 
de  mousson  voient  plusieurs  centaines  d'êtres  humams  se  presser 
sur  chaque  kilomètre  carré  de  leur  sol  âprement  disputé. 

Ces  hommes  se  répartissent,  au  point  de  vue  races,  en 
deux  groupes  principaux  qui  se  subdivisent  eux-mêmes 
en  de  nombreuses  familles  distinctes  par  les  caractères 
physiques,  la  langue,  la  religion. 

Ce  sont  des  jaunes  surtout,  au  Centre  et  à  l'Est  (Chi- 
nois, Coréens,  Japonais,  Annamites,  Thaïs,  Tibétains, 
puis  Tatares  et  Turcs  d'Asie  Mineure),  et  des  blancs  au 
Sud-Ouest  et  à  l'Ouest  (Indo- Aryens  de  l'Inde  et  de 
l'Iran,  Sémites  d'Arabie  et  de  Syrie). 

Les  peuples  hyperboréensde  l'extrême  Nord,  les  Dra- 
vidiens  noirs  de  l'Inde  méridionale,  les  Malais  de  l'in- 
sulinde,  qui  ne  peuvent  entrer  dans  les  catégories  précé- 
dentes, complètent  la  série  des  Asiatiques. 

Les  uns  emploient  des  idiomes  appartenant  aux  langues 
monosyllabiques  (Chinois,  Annamites,  Tibétains),  d'autres 
aux  langues  agglutinantes  (Japonais,  Turcs),  d'autres  aux 
langues  à  flexion  analogues  à  celles  que  parlent  les  Aryens 
d'Europe  (dialectes  hindous,  persans,  arabes,  etc.). 
Leurs  religions  essentielles  —  en  dehors  du  fétichisme 
ou  chamsuiisme  des  tribus  les  plus  arriérées  —  sont  le  brah- 
manisme dans  l'Inde,  le  bouddhisme  en  Indo-Chine,  en 


L'.^IE 


LE  MONT  SINIOLCHUN.  —  SIKKIM  (HIMALAYA).  —  Cale  magnifique 
photographie,  prise  pendant  l'expédition  fameuse  du  Duc  des  Abruîzes  rrtontre  d  une 
façon  saisissanle  l'aspect  que  revêtent  les  hauts  sommets  himalauens.  Sur  le  ciel  d  un 
bleu  presque  noir  se  détachent  les  aiguilles  immaculées.  De  formidables  coulées  de 


ntige.  striées  par  les  avalanches,  se  plaquent  sur  la  roche.  Des  glaciers  suspendus  se 
logent  entre  les  replis.  On  devine  l'incrot/able  difficulté  des  cucensions  en  de  tels  lieux, 
difficultés  singulièrement  accrues  par  la  raréfaction  de  l  air,  puisque  l  on  compte  par 
centaines  la  âmes  qui  dépassent  7  000  cl  même  8  000  mètres.  CL  ViTTORio  Sella. 


303 


L'ASIE 


UN  VILLAGE  AU  JAPON.  Des  paysages  de  ce  genre  où  le  feiâllage  des  grands 
arbres,  les  toits  des  petites  maisons  blanches  se  reflètent  dans  les  eaux  rapides 
d'une  rivière  peu  profonde,  rappellent  à  s'y  méprendre  les  "  paysages  modérés  " 
de  l'Europe  occidentale. 


LA  FÊTE  DU  DRAGON  A  OU-TCHÉOU.  La  photographie  montre  à  ta 
fois  de  quelle  importance  sont  pour  les  Chinois  /es  grands  fleuves  et  leurs  affluents 
navigables,  et  aussi  la  survicance  de  .outumes  très  anciennes  tenant  à  ces  croyances 
supeistilieuses  auxquelles  les  Fils  de  Han  demeurent  profondément  attachés. 


UNE  RUE  DEDJEIPOURE.  L'Inde  (320  000  000  d'habitants)  est.  avec  la 
Chine,  le  foyer  d'humanité  le  plus  considérable  du  mvnde.  Elle  eut  autrefois  une 
trèsbrillante  histoire, et'se  couvritde  vilUs.  de  palais  et  de  temples  magnifiques. Puis 
vint  un  long  déclin,  une  sorte  de  léthargie  d'où  elle  tend  à  sortir  aujourd'hui. 


UN  PAYSAGE  AU  TIBET.  L'intérieur  de  l'Asie  est  couvert  de  plateaux  qui 
doivent  à  leur  altitude,  à  leur  éloignemenl  des  mers,  à  leurs  ceintures  de  hautes 
montagnes,  unclimat  extrêmement  rude  et  très  sec.  Les  caravanes  qui  les  traversent 
utilisent  comme  animaux  de  bât,  soit  les  chameaux,   soit  les  yaks. 


i\i^  l-E  C  lESlPHON. 


Pagode  a  Rancoum. 


:,;  c  IL- pa.'.i^  Its  plus  cncî^nnes^  et  les  principales  religions  auxquelles  l'humanité 
K-^rî  ^;.';:c/[tc.  Le  pagani^^me  d'abord,  avcnt  l'Egypte,  la  Grèce  et  l'Italie,  créa 
.:;-.';^  - .-  :c:  'JocLvks  cl  c;  zes  rites  dans  les  plaines  de  Chaldée  où  Ctésiphon 
-.  c  z:r.  ir.zi-r\!  C-   le  rldre  de  Bahylone.  Le  Boudc^sme  et  le  Brahmanisme  se 


La  Voie  DOULOUREUSE  A  Jérusalem, 


formèrent  dans  l'Inde  d'où  ils  gagnèrent  l'Indo-Chine,  la  Chine  et  le  Japon.  Ils 
comptent  aujourd'hui  pim  de  700000000  de  sectateurs,  suit  près  de  la  moitié 
de  l'humanité.  Enfin,  c'est  par  les  rues  étroites  de  Jérusalem  que  Jésus  gravit  la  wie 
douloureuse  du  Golgoiha.  CI.  Underwood  et  UnderWOOD  el  CI.  FoRBIN. 


NOTIONS  GENERALES 


Chine,  au  Japon,  au  Tibet,  l'isUmisme  en  Arabie, 
Syrie,  Asie  Mineure,  Perse,  Turkestan,  avec  d'impor- 
tantes ramifications  dans  l'Inde  anglaise,  l'Insulinde,  la 
Chine  même.  Le  christianisme,  né  en  Judée,  n'eut  au- 
cune prise  sur  les  peuples  asiatiques  et  n'est  représenté 
que  par  quelques  millions  d'Arméniens,  de  Grecs  (en  Asie 
Mineure),  et  de  Russes  (en  Sibérie). 

Mais  ces  distinctions  de  races,  de  religions,  de 
langues,  quelque  importantes  qu'elles  soient  par  ailleurs, 
ont  un  intérêt  géographique  moindre  que  la  diversité 
des  conditions  d'existence  imposées  à  l'homme  par  la 
nature. 

Blancs  ou  jaunes,  musulmans  ou  bouddhistes  ont  dû 


s'adapter  d'égale  façon  au  cadre  dans  lequel  ils  se  trou- 
vaient contraints  d'évoluer.  Les  uns  sont  devenus  de  très 
bonne  heure  des  agriculteurs  sédentaires,  les  autres  ont 
mené  dans  les  steppes  la  vie  errante  du  pasteur. 

Les  plaines  alluviales,  les  deltas  virent  naître  les  pre- 
miers foyers  d'une  civilisation  basée  sur  la  culture  du 
sol.  la  domestication  des  animaux  de  ferme,  la  créa- 
tion de  sociétés  humaines  soumises  volontairement  "k  des 
lois. 

Nous  trouvons  ces  sociétés  instcJlées  dans  la  basse 
Chaldée,  aux  rives  de  l'Euphrate  et  du  Tigre,  4000  à 
5000  ans  avant  Jésus-Christ.  Un  peu  plus  tard  (vers  le 
troisième  millén£iire),  des  groupes  humains  du  même 
genre  s'établissaient  dans  les  grandes  plaines  deltaïques  du 


céOGSAMIIK  UNIVERSELLE. 


303 


30 


L'ASIE 

Hohang-Ho  et  du  Yang-Tseu.  11  est  probable,  sans  que 
nous  puissions  l'affirmer,  que  la  plaine  Indo-Gangé- 
tique  vit,  à  la  même  époque,  se  fixer  ses  premiers  séden- 
taires. 

Ils  trouvaient  en  Asie,  à  l'état  sauvage,  la  majeure 
partie  des  animaux  domesticables  et  des  plantes  nourri- 
cières que  nous  utilisons  aujourd'hui  :  blé,  riz,  millet, 
orge  ;  des  légumes  tels  que  la  lentille,  la  fève,  le  pois 
chiche  ;  des  arbres  à  fruits  :  vigne,  oliviers,  pêchers , 
pruniers,  etc.  ;  des  plantes  textiles  :  lin,  chanvre,  coton, 
et  la  canne  à  sucre,  et  les  épices  et  le  mûrier.  Dems  les 
grandes  herbes  des  savanes  vivaient  l'âne  et  le  bœuf,  la 
chèvre,  le  mouton,  le  cheval,  le  chameau,  le  porc,  le 
chien. 

La  terre,  pour  peu  qu'on  l'arrosât,  se  révélait  mer- 
veilleusement féconde.  Elle  ne  donneut  rien  sans  efforts, 
mais  tout  effort  se  trouvait  magnifiquement  récompensé. 
L'homme  fut  donc  conduit  à  multiplier  ses  efforts,  à 
s'ingénier  pour  accroître  son  bien-être.  Sa  puissance 
cérébreJe  se  développa.  Au  lieu  de  se  soumettre  passi- 
vement à  la  volonté  de  la  nature,  il  lutta  contre  elle 
pour  dompter  ses  caprices  ou  provoquer  ses  bienfaits. 
La  seule  nécessité  d'irriguer  ses  champs  fit  de  lui  un 
ingénieur  et  un  géomètre,  en  même  temps  qu'elle 
l'obligeait  à  s'unir  à  ses  voisins  pour  les  grémds  travaux  : 
creusement  de  canaux,  construction  de  digues,  puis  à 
régler  en  commun  les  contestations  nées  du  partage  de 
l'eau  et  du  sol  :  d'où  l'invention  des  premiers  éléments 
des  sciences,  la  formation  des  royaumes  les  plus  anciens, 
I  élaboration  des  premiers  codes  de  lois. 

Mais  ces  sociétés,  dont  les  progrès  allèrent  tout 
d'abord  du  même  pas,  eurent  dans  la  suite  des  destinées 
différentes.  Celles  de  l'Ouest  entrèrent  aisément  en 
rapports  avec  le  monde  méditerranéen.  Les  semences 
créées  par  les  Chaldéo- Assyriens  trouvèrent  en  Elgypte 
en  Phénicie,  en  Asie  Mineure,  puis  en  Grèce  et  en 
Italie,  des  terrains  de  choix.  Chaque  peuple  nouvelle- 
ment initié  aux  idées  et  aux  connaissances  des  Asiates 
réagit  et  les  perfectionna  suivant  son  tempérament 
propre  et  les  ressources  naturelles  de  son  génie.  Nul 
obstacle  ne  les  séparait  les  uns  des  autres.  Une  décou- 
verte faite  par  l'un  d'eux  était  vite  connue  et  complétée 
par  les  voisins.  Il  y  avait  ainsi  une  circulation  continue, 
une  fermentation  sans  arrêts,  éminemment  favorables  au 
progrès.  En  fait,  ce  progrès  put  subir  des  éclipses  :  il 
ne  s  arrêta  pas  et  aboutit  aux  formes  présentes  de  la 
civilisation  dite  Européenne. 

Il  n'en  fut  pas  ainsi  des  groupes  chinois  et  hindous. 
Entourés  de  montagnes  colossales,  d'Océans  immenses, 
de  déserts  plus  infranchissables  encore,  ils  ne  purent 
établir  avec  d'autres  groupes  humains  ces  relations 
étroites  qui  leur  eussent  permis  de  compléter,  de  renou- 

306 -— 


vêler,  détendre  sans  cesse  leurs  connaissances,  leur 
stock  national  ".  Aussi  s'arrêtèrent-ils  très  tôt  et  très 
vite.  Les  germes  qu'ils  avaient  semés,  poussant  toujours 
sur  un  même  sol,  d'après  des  méthodes  identiques,  ne 
purent  donner  neiissance  à  cette  merveilleuse  variété 
que  le  concours  de  tant  d'ingénieux  travailleurs  fit 
fleurir  en  Europe.  Ils  s'immobilisèrent,  se  momifièrent  en 
quelque  sorte,  et,  devenus  incapables  d'invention,  ils 
vécurent  jusqu'à  nos  jours  tels  que  leurs  ancêtres 
avaient  vécu. 

Dans  le  même  temps,  la  vie  nomade,  qui  fut,  sans 
doute,  celle  de  tous  les  hommes  primitifs,  en  quels 
lieux  qu  ils  se  soient  trouvés,  se  perpétuait  forcément 
dans  les  vastes  espaces  occupés  par  les  steppes  et  les 
déserts.  Tandis  que  l'Europe,  partout  suffisamment 
arrosée  pour  être  cultivable,  vit,  bien  longtemps  avant 
l'ère  chrétienne,  le  nomadisme  dispîu-aître  et  céder  la 
place  aux  sédentaires,  les  pasteurs  errants  demeurèrent 
les  seuls  maîtres  de  l'Arabie,  de  l'Iran  intérieur,  du 
Turkestan,  du  Tibet,  de  la  Mongolie,  de  la  Mandchou- 
rie.  Endurcis,  aguerris  par  leur  rude  existence,  ils  se 
rendirent  redoutables,  malgré  leur  petit  nombre,  aux 
paisibles  cultivateurs  des  plaines  dont  ils  enviaient  la 
richesse  et  qu'ils  razziaient  presque  impunément. 

A  toutes  les  époques  de  l'histoire  de  l'Asie,  nous  retrouvons 
cette  lutte  du  nomade  contre  le  sédentaire.  Les  Hyksos,  qui 
envahirent  le  delta  du  Nil  à  la  fin  de  la  XII^  Dynastie,  étaient  des 
Bédouins  arabes.  Les  Juifs,  en  marche  vers  la  Terre  Promise,  erraient 
au  désert  sous  la  conduite  de  leurs  chefs  de  tribus.  les  Patriarches, 
avant  de  conquérir  les  fertiles  vallées  de  Chanaan.  Nomades  encore 
les  Perses  avant  leur  conquête  de  la  Chaldée,  et  les  Osmanlis 
lorsqu'ils  quittèrent  leurs  steppes  du  Turkestan  pour  marcher  vers 
l'Asie  Mineure  et  l'Europe  Orientale.  C'est  pour  se  protéger  des 
bergers  Mongols  ou  Mandchous  que  les  Chinois  élevèrent  leur 
Grande  Muraille,  du  reste  si  souvent  violée.  Enfin,  il  suffit  de 
quelques  chefs  énergiques  pour  grouper  momentanément,  en  une 
seule  masse,  les  tribus  dispersées  et  les  entraîner,  au  galop  de  leurs 
chevaux,  vers  la  conquête  du  monde.  Souvenez-vous  des  Huns 
d'Attila,  des  Arabes  successeurs  de  Mahomet,  des  Hongrois,  les 
"  Ogres  "  de  nos  contes  de  fée,  des  Turco-Tatares  de  Gengis- 
Khan,  des  Mongols  de  Tamerlan,  des  Turcs  de  Mahomet  II. 
A  certaines  époques,  l'Asie  entière  plia  sous  le  joug,  et  l'Europe 
terrifiée,  vit  leurs  hordes  dévastatrices  courir  d'abord  d'une 
traite  jusqu'aux  Champs  Catalauniques,  jusqu'au  seuil  du  Poitou, 
puis  se  fixer  en  Ibérie,  dans  les  steppes  du  moyen  Danube,  aux 
rives  du  Don  et  de  la  Volga,  dans  les  plaines  de  la  péninsule 
Balkanique. 

A  peine  çà  et  là,  dans  les  montagnes  sauvages  du 
Kourdistan  ou  de  l'Afghanistan,  subsiste-t-il  encore, 
comme  au  Maroc  ou  au  Sahara,  quelques  tribus 
pillardes  adonnées  au  brigandage.  Mais,  malgré  leurs 
méfaits  locaux,  elles  ne  sont  plus  un  danger,  et  si  le 
Kirghiz,  le  Mongol,  le  Tibétain,  le  Turkmène,  l'Arabe, 
vivent  encore  sous  la  tente,  menant  de  pâturages  en 
pâturages  leurs  troupeaux  de  brebis,  de  chèvres  et  de 
chameaux,  ils  ne  jouent  plus  en  Asie  qu'un  rôle  effacé. 


LA  SIBÉRIE 


Leur  nombre  même,  qui  fut  de  tout  temps  très  restreint, 
ne  cesse  de  diminuer  car,  refoulés  aux  lieux  les  plus 
déshe'rite's  du  continent,  il  leur  faut  ou  bien  disparaître 
ou  bien  se  résoudre  eux  aussi  à  la  vie  sédentaire.  C'est 
l'histoire  présente  des  Mandchous,  des  Kirghiz,  des 
Turkmènes. 

Elnfin,  après  avoir  agi  avec  tant  de  force  sur  l'Europe, 
1  Asie  se  voit  à  son  tour  envahie  par  les  idées  et  la  civi- 
lisation occidentales.  L'Inde,  l'insulinde,  la  majeure  par- 
tie de  r Indo-Chine,  la  Sibérie,  le  Turkestan  sont 
même  devenus  de  simples  annexes  pohtiques  des  Etats 
européens.  Et  ceux  de  ses  peuples  qui  parvinrent  à 
conserver  leur  indépendance  (Chine,  Japon,  Siam, 
Perse,  Arabie,  etc.)  se  modèlent  plus  ou  moins  vite,  plus 
ou  moins  complètement  sur  les  exemples  que  nous  leur 


donnons.  L'Europe  refait  l'Asie  à  son  image.  Sera-ce 
pour  son  bien  ?  et  les  vieilles  nations  asiatiques,  éveillées 
à  une  nouvelle  vie,  ne  sortiront-elles  point  de  leur  long 
engourdissement  que  pour  retourner  contre  leurs  ins- 
tructeurs les  connaissances  scientifiques  et  les  méthodes 
perfectionnées  que  nous  avons  nous-mêmes  mises  entre 
leurs  mains  ? 

Le  péril  jaune  "  ou,  plus  largement,  le  péril 
asiatique,  envisagé  non  plus  sous  la  (orme  d'une  invasion, 
mais  d'une  insurmontable  concurrence  économique,  sera- 
t-il  un  jour  une  réalité  ? 

Les  chapitres  consacrés  à  la  Chine,  au  Japon,  à 
1  Inde  permettent  d'envisager  les  données  multiples  du 
problème,  et  fourniront  les  données  nécessaires  pour 
le  résoudre. 


CHAPITRE  XXIII 


LA  SIBERIE 


GENERALITES 


Toute  la  peirtie  septentrionale  du  continent  asiatique 
présente  des  similitudes  frappantes  avec  le  Nord  de 
l'Amérique.  Même  situation  en  latitude,  même  ampleur 
des  plaines  ou  tout  au  moins  des  régions  à  relief  très 
émoussé,  même  solidité  architecturale  qu'aucun  mou- 
vement de  l'écorce  terrestre  n'a  troublé  depuis  de  très 
longues  époques  géologiques  (au  "boucher  "  Canadien 
s'oppose  le  "  bouclier  "  Sibérien),  même  climat  de  type 
continental  très  froid,  mêmes  fleuves  immenses  at)outissant 
en  partie  à  des  mers  éternellement  gelées,  même  suc- 
cession des  zones  végétales  (Toundras,  Forêts,  Steppes), 
mêmes  ressources  agricoles  et  minières ,  même  rareté  de 
populations  aborigènes,  même  colonisation  récente  par 
des  Européens.  Mais,  tandis  que  le  Canada  est  séparé 
de  l'Europe  surpeuplée  par  toute  l'étendue  de  l'Atlan- 
tique Nord,  la  Sibérie  est  en  contact  immédiat  avec  elle. 
Les  immigrants  Canadiens  appartiennent  à  des  races 
diverses  ;  ils  ont  besoin  de  s'acclimater  à  des  conditions 
nouvelles  fort  différentes,  souvent,  de  celles  auxquelles 
ils  étaient  habitués  chez  eux.  Le  peuplement  Sibérien 
se  fait  uniquement  par  des  Russes  qui  ne  se  dépaysent 
pas  en  franchissant  l'Oural,  et  retrouvent,  en  Asie,  un 
ciel,  une  terre,  des  eaux  identiques  à  ce  qu'ils  laissent 
au  villêige  natal.  L'Asie  russe  est  le  prolongement  natu- 
rel, le  complément  harmonieux  de  la  Russie  euro- 
péenne. 

La  nature  a  fixé  nettement,  au  Nord  et  à  l'Elst,  les 


frontières  de  la  Sibérie.  Ellle  borde  l'Océan  Glacial 
depuis  la  mer  de  Kara  jusqu'au  détroit  de  Bering,  et  le 
Pacifique  (mers  de  Bering,  d'Okhotsk,  du  Japon) 
jusqu'à  Vladivostok.  Au  Sud,  les  limites,  moins  nette- 
ment indiquées,  coïncident  en  partie  avec  le  fleuve 
Amour,  puis  avec  les  chaînes  montagneuses  (monts 
Kentéï,  Saïan,  Altaï)  de  la  Mongolie  septentrionale. 
Au  Sud-Ouest,  de  simples  démarcations  administratives, 
tracées  à  travers  les  steppes  Kirghizes,  séparent  la 
Sibérie  du  Turkestan  russe.  A  l'Ouest,  enfin,  bien  que 
l'Oured  ne  forme  nullement  une  barrière,  puisque  les 
voies  ferrées  peuvent  le  franchir  par  moins  de  400  mètres 
d'altitude,  on  le  considère,  très  naturellement,  comme  la 
borne  occidentale  du  Continent  asiatique. 

L'espace  ainsi  délimité  n'est  pas  moindre  de 
1 4  600  000 kilomètres  carrés,  soit  plus  du  tiers  de  l'Asie, 
une  moitié  de  plus  que  l'Europe  tout  entière. 

Au  Sud  et  au  Sud-Est,  la  Sibérie  touche  au  43*  degré 
et  même  au  43®  degré  de  latitude  Nord  (cf.  Bordeaux 
et  Marseille).  Pcir  contre,  le  cap  Tcheliouskine,  à 
l'extrémité  de  la  presqu'île  de  Taïmyr,  se  trouve  sous 
le  77®  degré  5,  c'est-à-dire  qu'il  dépasse  les  latitudes 
les  plus  septentrionales  de  l'Europe  et  du  Continent 
américain.  D'autre  part,  d'Ouest  en  Est,  on  compte 
plus  de  130  degrés  de  longitude,  ce  qui,  sous  le 
60®  parallèle,  donne  une  longueur  de  plus  de  7  000  ki- 
lomètres. 


307 


L'ASIE  — 

11  ne  faul  jamais  perdre  de  vue  ce  fait  capital  que 
dissimulent,  pour  le  lecteur  peu  averti,  les  cartes  à 
petite  échelle  de  nos  atlas. 

En  Sibérie,  tout  est  vaste,  tout  échappe  aux  mesures 
qui   nous  sont   familières.   Telle   rivière   secondaire  qui 


nous  paraît  d'importance  à  peme  égale  à  l'Indre  ou  au 
Doubs,  se  trouve,  en  réalité,  plus  longue  que  la  Loire, 
et  telles  agglomérations  que  nous  croirions  toutes  voi- 
sines les  unes  des  autres  ont  entre  elles  100  kilomètres 
de  forêts. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


Les  conditions  géographiques  de  ces  espaces  déme- 
surés présentent,  il  est  vrai,  bien  peu  de  variété.  Les 
mêmes  phénomènes  se  répètent  inlassablement.  Ni 
dans  les  formes  du  relief,  ni  dans  le  climat,  ni  dans  le 
régime  des  fleuves  et  la  répartition  des  zones  végétales 


â^ 


KUSSEE   U'ASIIIB 
LE  LAC  BAÏKAL 


f&XSi 


nous  ne  trouvons  ces  différences  frappantes  ou  simple- 
ment ces  nuances  infinies  qui  diversifient  si  grandement 
les  aspects  de  la  nature  en  Europe  occidentale,  même 
en  des  lieux  très  voisms  les  uns  des  autres,  et  qui  ont 
leur  répercussion  immédiate  sur  l'existence  humaine. 

Rien  ne  ressemble  à  un  paysage  sibérien  comme  un 
autre  paysage  sibérien.  D'Ouest  en  Est  surtout,  la 
nature  et  les  hommes  apparaissent  toujours  semblables 
à  eux-mêmes,  sur  des  milliers  de  verstes  de  distance. 
Et  cette  lassante  monotonie,  cette  répétition  infime  des 
mêmes  forêts,  des  mêmes  steppes,  des  mêmes  maisons 
de  bois,  des  mêmes  types  humains  ajoutent  encore  à 
l'impression  d'écrasement,  de  fatigue,  d'ennui  pour  tout 
dire,  que  l'Occidental  éprouve  immanquablement  dès 
son  premier  contact  avec  la  terre  sibérienne.  Le  Russe 
ne  l'éprouve  d'aucune  façon.  11  est  fait  à  cela  chez  lui, 
et  il  n'a  peur  ni  de  l'espace  ni  de  la  solitude.  Les 
paysages  sibériens  ne  lui  paraissent  pas  plus  monotones 


ou  plus  tristes  que  ceux  de  l'Ukraine  ou  de  la  haute 
Volga,  et  il  s'y  attache  peur  cela  même  qu'ils  ressemblent 
à  ceux  de  sa  vieille  patrie. 

LE  RELIEF.  JS^  La  plaine  occupe  tout  l'Ouest 
du  territoire  sibérien.  Elle  s'incline  insensiblement  du 
Sud  au  Nord  et  atteint  son  horizontahté  la  plus  grande 
dans  l'espace  compris  entre  l'Oural  et  l'Iénisséï.  Ellle 
débute  au  Sud-Ouest  par  les  steppes  Kirghizes  semées 
de  lacs  d'eau  douce  ou  salée,  se  continue  d'abord  paur 
une  zone  de  terres  noires  semblables  au  Tchemozom 
russe  et  dotées  des  mêmes  qualités  agricoles,  puis  par 
d'immenses  surfaces  marécageuses  où,  sur  un  sol  de 
tourbe,  croît  la  forêt  sans  fin.  Elle  se  termine  au  Nord 
par  les  toundras  de  la  presqu'île  lalmal  et  celles  qui 
bordent  le  double  estuaire  de  l'Ob.  A  l'Est  de  l'Ié- 
nisséï, le  sol  demeure  généralement  fort  plat.  Forêts  et 
toundras  le  recouvrent  presque  en  entier.  Cependant 
l'horizontalité  est  moins  absolue.  C'est  moins  une  plaine 
qu'un  plateau  ondulé  où  de  Icirges  zones  basses  sont 
encadrées  soit  par  des  croupes  massives,  soit  par  des 
cônes  dénudés,  les  "  goltsy  "  (d'un  mot  russe  qui  veut 
dire  chauve),  soit  même  par  de  hautes  collines  auxquelles 
l'érosion  donna  un  aspect  ruiniforme  qui  rappelle  les 
sommets  des  Vosges  gréseuses.  Cette  immense  péné- 
plaine "  aboutit  aux  rives  de  l'Océan  Glacial  par  les 
solitudes  désolées  de  la  presqu'île  de  Taïrayr,  les  deltas 
marécageux  de  la  Lena,  de  la  Jana,  de  l'Indighirka 
que  borde  la  banquise  éternelle. 

Le  Sud  et  l'Est  Sibériens  ont  un  relief  singulièrement 
plus  accidenté.  Aux  sources  de  l'Ob  et  de  l'Irtych,  le 
Massif  de  l'Altaï  (la  haute  forêt),  formé  de  roches 
cristallines  riches  en  gisements  minéraux,  culmine  par 
4500  mètres  au  mont  Bieloukha.  Ses  neiges,  ses  puis- 
sants glaciers,  les  lacs,  les  vallées  boisées  qui  l'entaillent, 
lui  donnent  un  attrait  éged  à  ceux  de  nos  beaux  pay- 
sages cJpestres.  De  l'Altaï  au  lac  Baïkal,  les  monts 
Saïan  (3  500  mètres  au  point  culminant),  analogues  à 
l'Altaï  comme  composition  géologique,  décrivent  une 
courbe  régulière  dont  la  convexité  est  tournée  vers  le 
Nord.  C'est  au  contraire  vers  le  Sud  que  s'incurvent,  à 
partir  du  Baïkal,  les  arcs  des  monts  de  Transbaïkalie, 
des  monts  Kentéï,  lablonovoï,  Stanovoï  dont  les  derniers 
chaînons  dominent  par  2  800  mètres  les  eaux  froides  du 
détroit  de  Bering.  Ces  montagnes,  (Icinquées  de  hauts 


308 


plateaux  (du  Vitim,  de  l'Aldan,  de  l'Omekon),  pré- 
sentent à  l'explorateur  de  considérables  difficultés  moins 
par  leurs  altitudes,  qui  ne  dépassent  guère  i  000  à  I  500 
mètres,  que  par  l'inextricable  forêt  qui  les  recouvre,  les 
masses  d'éboulis  écroulés  sur  leurs  flancs,  les  dépres- 
sions tourbeuse»  logées  entre  leurs  ramifications.  Elles 
isolent  de  la  Sibérie  proprement  dite  les  territoires  du 
Pacifique  :  presqu'île  du  Kamtchatka,  rivages  de  la 
mer  d'Okhotsk,  province  de  l'Amour,  Province  Mari- 
time. 

Dans  le  Kamtchatka,  de  puissants  volcans  éteints  ou 
actifs  (Itchinsk  5  130  mètres,  Klioutchev  4  804  mètres) 
forment  les  premiers  anneaux  de  la  fameuse  "  ceinture 
de  feu  "  du  Pacifique.  Les  côtes  de  la  mer  d'Okhotsk, 
généralement  accidentées,  bordées  de  falaises,  donnent 
sur  une  mer  que  les  glaces  immobilisent  sept  mois  de  l'an. 
La  province  de  l'Amour,  où  des  affluents  du  fleuve 
ont  tracé  de  larges  vallées  au  milieu  de  plateaux  boi- 
sés, et  la  Province  Maritime,  sillonnée  par  les  chaînes 
du  Sikhota  Aline  (I  575  mètres  au  point  culminant), 
évoquent  l'idée  de  ce  que  pouvaient  être  les  paysages 
de  l'Allemagne  centrale  au  temps  des  premiers  Ger- 
mains :  marais,  tourbières,  sombres  forêts  de  conifères 
mêlés  d'arbres  à  feuilles  caduques  croissemt  sur  les 
pentes  assez  douces  de  montagnes  très  usées.  C'est 
aussi  l'aspect  de  Sakhaline,  la  grande  île  sibérienne 
dont  les  Japonais  pvossèdent  la  moitié  méridionale. 

LE  CLIMAT.  eJ0  \^3,  Sibérie  appartient  tout 
entière  à  la  zone  de  climat  continental  excessif  carac- 
térisé par  la  rudesse  et  la  longueur  des  hivers,  la  tem- 
pérature relativement  élevée  d,es  étés,  la  faible  quantité 


Moyennes  de  températures 

, 

— -K^         ^^ — 

r  r 

-S 

3 

2 
5 

1 

M 
le  plus 

cis. 
le  plus 

r 

Eli 

Jl 

valions. 

— 

m. 

-T3 

froid. 

chaud. 

■UJ 

Obdorsk(«- 

\     tuaire    de 

Ouot.     rob)  ... 

66° 

36 

-«« 

-27» 

+  14° 

41° 

340 

Max.  Août. 

iToboUk  .. 
'TomJc  ... 

M» 

50 

0"2 

—19» 

+  19° 

38» 

%■> 

70 

—  1° 

-2U» 

+  19° 

39° 

(Bamaoul  ... 

W 

140 

0«4 

-19» 

+  19» 

38° 

Centre j Iricouuk    ... 

',7P 

490 

0<'4 

—21» 

+  18» 

39» 

(Kiakhta.  ... 

Vf 

770 

—  1» 

-27° 

+  19° 

46» 

270 

Mai.  Juillet. 

N-^'ii^oti-; 

6?«1 

100 

— Il°l 

— »2»9 

+  I8°8 

61°7 

67» 

110 

-17«7 

-5I»2 

+  15° 

66» 

Amoui  1  Khabarovsk 

«" 

80 

0«5 

—25° 

+20° 

45» 

440  Mue.  Juillet. 

Cate     (Petropav'osl 

53» 

10 

2° 

-8» 

+  15» 

23» 

1  OOOJMai.  Août. 

Est.      (VWivortok 

43» 

20 

4» 

-15° 

+  21° 

36»  1 

490 1    septembre. 

des  précipitations  atmosphériques  (pluies  et  neiges). 
Sans  doute  la  différence  des  latitudes  amène  quelques 
variétés  entre  les  régions.  L'hiver  commence  un  peu  plus 
tard  et  se  termine  un  peu  plus  tôt  au  Sud  qu'au  Centre 
et  au  Nord  ;  mais,  comme  l'indique  le  tableau  précédent. 


-  LA  SIBERIE 

partout  les  moyennes  hivernales  sont  extrêmement 
basses,  elles  atteignent  leur  minimum  non  pas,  comme 
on  pourrait  le  croire,  sur  les  rives  de  l'Océan  Glacial, 
mais  dans  le  bassin  moyen  de  la  Lena.  La  moyenne  de  jan- 
vierà  Iakoutsk  est  de —  42°,9  ;  elle  s'abaisse  à  Verkoïansk 
à  —  51  2,  et  l'on  a  observé  en  ce  point  l'effrayante  tem- 
pérature de  76°  au-dessous  de  zéro  !  C'est  le  pôle  de 
froid  du  monde.  A  leikoutsk,  les  premières  gelées 
apparaissent  vers  le  I  7  septembre,  les  dernières  vers  la 
fin  de  mai.  On  ne  compte  donc  guère  plus  de  trois  à 
quatre  mois  relativement  chauds. 

Les  grands  froids  du  plein  hiver  se  supportenl.  du  reste,  fort 
aisément  grâce  à  la  transparence,  à  la  sécheresse  et  surtout  à  la 
iranquilHlé  de  l'atmosphère.  "  Si  l'on  est  pourvu  de  vêlements  chauds, 
on  dort  parfaitement  dans  im  traîneau  découvert,  par  des  nuits  où 
gèle  le  mercure  du  thermomètre.  Dans  les  villes  sibériennes  comme 
en  Russie,  l'hiver  est  la  saison  joyeuse,  l'époque  des  courses  en 
traîneau,  des  sports  violents,  des  gaies  réunions.  De  bonnes  four- 
rures, un  peu  de  mouvement,  une  nourriture  suffisante  protègent 
parfaitement  l'homme  contre  les  froids  les  plus  rudes.  "  (J.  Hann.) 
Le  commencement  et  la  fin  de  la  saison  froide  s'accompagnent,  au 
contraire,  fréquemment  d'ouragans  de  neige,  les  "  bourancs  ",  pen- 
dant lesquels  une  température  relativement  beaucoup  moins  basse 
( —  1 5"  à  —  20°)  apparaît  cependant  comme  extrêmement  pénible 
à  supporter. 

Le  printemps  ne  dure  que  trois  semaines  :  on  passe 
de  l'hiver  à  l'élé  avec  une  soudaineté,  une  brusquerie  que 
traduit  le  subit  épanouissement  de  la  végétation.  Nos 
longs  printemps  européens  ne  peuvent  donner  une  idée 
de  cette  étormante  transformation  du  paysage.  La  neige 
disparaît  aux  premiers  rayons  du  soleil.  Partout  l'eau 
ruisselle  sur  un  sol  qui,  à  une  faible  profondeur  au-des- 
sous de  la  surface,  demeure  éternellement  gelé.  Ln 
quelques  jours,  les  bourgeons  se  forment,  se  gonflent, 
éclatent.  Les  arbres  se  couvrent  de  neuve  verdure,  des 
fleurs  jaillissent  du  sol.  En  juin  et  juillet,  le  thermomètre 
marque  à  l'ombre  jusqu'à  35"  et  des  myriades  de  mous- 
tiques bourdonnent  au-dessus  des  marais. 

Puis,  en  septembre,  l'automne  arrive  aussi  brusque, 
aussi  court  que  le  printemps  (sauf  dans  la  province  de 
l'Amour  où  il  se  prolonge  davantage).  Dès  le  milieu 
du  mois,  il  gèle  chaque  nuit.  Les  premières  chutes  de 
neige  se  produisent  en  octobre.  Les  arbres  se  dépouillent 
de  leurs  feuilles,  les  fleuves  s'immobilisent  sous  leur  cara- 
pace de  glace.  Traîneaux  et  patins  sortent  des  isbas,  et  la 
Sibérie  s'endort  sous  le  blanc  linceul  qui  la  vêt  tout 
entière. 

Linceul  fort  mince  du  reste,  car  le  caractère  conti- 
nental du  climat  se  manifeste  aussi  par  la  rareté  des 
pluies  et  des  neiges.  En  bien  des  points  de  la  Sibérie 
orientale,  la  couche  neigeuse  es!  à  peine  assez  épaisse 
pour  supporter  les  traîneaux.  Si  la  Province  Mantime 
et  le  Kamtchatka,  exposés  aux  vents  de  mousson,  reçoivent 
I  mètre  et  plus  d'eau  de  pluie,   le  reste  de  la  Sibérie 

309  


L'ASIE  

doit  se  contenter  de  38.  de  36  et  même  de  23  centi- 
mètres. Ces  pluies  tombent,  heureusement,  surtout  en 
été,  à  l'époque  la  plus  favorable  pour  la  végétation,  et 
la  fonte  des  neiges  sur  un  sol  plat  assure  à  la  terre 
arable  une  humidité  généralement  suffisante.  Cependant 
les  régions  de  l'Ouest,  les  plus  fertiles  et  les  plus  peu- 
plées, souffrent  parfois  d'une  sécheresse  qui  s'accentue 
à  mesure  que  l'on  s'éloigne  vers  le  Sud,  vers  les  steppes 
et  les  déserts  du  Turkestan. 

LES  EAUX.  00  L'Ob  ou  Obi,  ampleur  du  bassin  : 
3  300  000  kilomètres  carrés  (le  tiers  de  l'Europe)  ;  longueur  : 
5  000  kilomètres  (5700  jusqu'aux  sources  de  l'Irtych);  profondeur 
moyenne  :  5  à  6  mètres;  largeur  :  I  à  5  kilomètres;  débit 
moyen  :  1 0  000  mètres  cubes  ;  réseau  navigable  :  1 6  000  kilo- 
mètres. 

L'/énissêt,  ampleur  du  bassin  :  3  000  000  de  kilomètres  carréà  ; 
longueur  :  5  000  kilomètres  • 

La  Lena,  ampleur  du  bassin  :  2  280  000  kilomètres  carrés 
(plus  de  quatre  fois  la  France);   longueur  :  4  900  kilomètres. 

\-.'Amour,  ampleur  du  bassin  :  2  000  000  de  kilomètres  carrés  ; 
longueur  :  5  000  kilomètres. 

La  Sibérie  contient  quelques-uns  des  fleuves  les  plus 
considérables  du  globe.  Malgré  le  peu  d'humidité  reçue 
par  le  pays,  le  domaine  qu'ils  drainent  est  si  vaste,  leurs 
affluents  si  nombreux,  le  sol  éternellement  gelé  laisse 
filtrer  si  peu  d'eau  et  l'évaporation  agit  si  faiblement, 
que  de  formidables  masses  liquides  s'amassent  peu  à  peu 
dans  leur  lit.  Ils  coulent  lentement,  sauf  dans  leur  par- 
tie supérieure  ;  peuvent  porter  bateau  à  faible  distance 
de  leurs  sources  ;  aucun  rapide  n'interrompt  leur  marche 
majestueuse.  Les  affluents  qu  ils  reçoivent  sont  souvent 
eux-mêmes  de  véritables  Heuves  larges,  profonds,  tran- 
quilles, et  leurs  têtes  sont  si  proches  que  l'on  pourrait 
aisément  les  réunir  les  unes  aux  autres  par  une  série 
de  canaux.  Ils  constitueraient  donc  le  plus  magnifique 
réseau  navigable  qui  existe  au  monde  s'ils  n'avaient  pas 
de  très  graves  inconvénients. 

D'abord,  ils  sont  pris  par  les  glaces  d'octobre  à  mai. 

En  second  lieu,  ces  glaces  ne  fondent  pas  à  la  fois 
sur  toute  la  longueur  du  fleuve.  Le  cours  supérieur  est 
libre  le  premier.  Les  eaux  se  précipitent,  entraînent  des 
glaçons,  des  arbres  arrachés  aux  rives  qui  s'écroulent. 
D  où  une  embâcle  colossale,  qui  se  prolonge  pendant 
"  plusieurs  semaines,  et  des  inondations  qui  s'étalent  sur 
chaque  rive  à  plusieurs  dizaines  de  kilomètres  de 
distance. 

Enfin  si  l'Amour  donne  sur  une  mer  tout  à  fait  libre 
pendant  les  mois  d'été,  l'Ob,  l'Iénisséï,  la  Lena 
débouchent  sur  l'Océan  Glacial.  Le  delta  de  la  Lena 
est  inaccessible  en  tout  temps.  Quant  à  l'Ob  et  à  l'Ié- 
nisséï, de  nombreuses  tentatives  ont  été  faites  pour 
triompher  des  banquises,  des  glaces  flottantes  de  la  Mer 
de    Kara.  Quelques-unes  ont  réussi  ;    il  apparaît   bien 

310 ^ 


cependant  que  l'on  ne  saurait  songer  à  établir  des  com- 
munications régulières  entre  leurs  estuaires  et  les  ports 
européens. 

Quoi  qu'il  en  soit,  quelques-uns  de  ces  fleuves  sibé- 
riens rendent  déjà  de  grands  services  pendant  les  mois  oîi 
la  navigation  est  possible.  L'Ob,  qui  porte  bateau 
depuis  Barnaoul,  et  ses  affluents  ou  sous-affluents  de 
gauche  :  l'Irtych,  l'Ichim.  le  Tobol.  l'Iset,  la  Toura,  la 
Tavda,  tous  navigables, .parcourent  les  régions  les  plus 
productives  et  les  plus  peuplées  de  l'Ouest  Sibérien. 
L'Amour,  accessible  depuis  Strietensk,  portait,  avant  la 
Guerre,  une  flotte  d'une  centaine  de  vapeurs.  Ses  affluents 
Mandchouriens,  la  Soungarietl'Oussouri,  ouvrent  d'inté- 
ressants débouchés  vers  le  Sud.  L'Iénisséï  rend  moins  de 
services  car  le  fleuve  lui-même  et  ses  affluents  (les  trois 
Toungouska)  traversent  des  zones  en  majeure  partie  inha- 
bitées. A  plus  forte  raison  en  est-il  de  même  de  la  Lena 
et  des  autres  cours  d'eau  de  la  Sibérie  septentrionale  : 
Khatanga,  lana,  Indighirka,  Kolyma. 

Les  lacs  nombreux  du  Sud-Ouest  (Tehang,  Koulounda,  Teniz) 
appartiennent  à  la  catégorie  des  nappes  de  surface,  peu  profondes, 
maigrement  alimentées  par  les  ouaddys  de  la  steppe.  Le  BaKkal  se 
classe,  au  contraire,  parmi  les  grands  lacs  du  monde.  Il  occupe  le 
fond  d'une  longue  cassure,  d'une  zone  effondrée  entre  les  hautes 
parois  des  montagnes  surplombantes.  Long  de  600  kilomètres,  large 
en  moyenne  de  80,  profond  au  maximum  de  I  700  mètres,  c  est 
une  véritable  mer  intérieure  dont  la  faune,  très  spéciale,  présente 
nombre  de  caractères  de  la  faune  marine.  11  est  pris  par  les  glaces 
de  décembre  à  mai.  Le  plus  copieux  de  ses  affluents,  la  Selenga,  lui 
apporte  les  eaux  de  la  IVIongolie  septentrionale.  Son  seul  effluent. 
l'Angara,  échappe  à  l'étreinte  des  montagnes  par  une  brèche 
énorme  qu'un  géant,  dit  la  légende,  ouvrit  d'un  seul  coup.  Il  passe 
à  Irkoutsk  et  rejoint  l'Iénisséï  sous  le  nom  de  Toungouska  supé- 
rieure. 

LES  ZONES  DE  VÉGÉTATION.  iz>iz/ Nous 
retrouvons  en  Sibérie  la  même  succession  de  zones  végé- 
tales que  nous  observâmes  en  Russie  ;  toundras,  forêts, 
steppes  s'échelonnent  du  Nord  au  Sud.  suivant  les  con- 
ditions du  climat. 

Toute  la  bordure  de  l'Océan  Glacial  est  occupée  par 
la  toundra.  La  longueur  et  la  rudesse  de  la  saison 
froide,  l'interminable  nuit  polaire,  le  sol  constamment 
gelé,  le  peu  de  chaleur  des  étés  ne  permettent  pas  la 
croissance  des  arbres. 

Tantôt  marécageuse  et  couverte  de  mousses,  tantôt 
pierreuse  et  vêtue  de  lichens  de  couleur  rousse  ou  d  un 
blanc  sale,  la  toundra  étale  ses  mornes  solitudes  silen- 
cieuses et  vides,  de  la  presqu'île  d'ialmal  au  détroit  de 
Bering. 

A  mesure  que  l'on  s'avance  vers  le  Sud,  la  végétation 
prend  plus  de  force  et  plus  de  variété.  D'abord  appa- 
raissent, surtout  aux  rives  des  cours  d'eau,  des  buissons 
bas  et  rampants  :  genévriers,  andromèdes,  ledums,  des 
arbustes  nains  semblables  à  ceux  que  l'on  trouve  dans  nos 


LA  SIBERIE 


montagnes  européennes,  à  la  limite  des  alpages  et  des 
forêts.  Puis  les  cirbres  deviennent  plus  nombreux,  plus 
vigoureux.  D'abord  dispersés  en  maigres  bouquets,  ils  se 
rapprochent  peu  à  peu,  finissent  par  constituer  une  forêt 
continue,  la  plus  vaste  du  monde.  C'est  la  Taïga,  dont 
le  sombre  manteau  couvre  la  Sibérie  entière  de  l'Oural 
au  Kamtchatka  et  à  l'Amour.  Sur  7  000  kilomètres  en 
longitude  le  voyageur  peut  ne  jamais  quitter  l'ombre  de 
cette  sylve  prodigieuse.  Pins,  sapins,  mélèzes,  cèdres  de 
Sibérie,  telles  sont  d'abord  les  seules  espèces  dominantes. 
Vers  le  Sud  seulement,  quelques  arbres  à  feuilles 
caduques  :  bouleaux,  trembles,  aunes, peupliers,  se  mêlent 
aux  conifères.  Le  bassin  de  l'Amour,  grâce  a  la  chaude 
humidité  de  la  saison  estivale,  a  même  des  chênes,  des 
noyers,  des  pommiers  sauveiges,  des  érables.  En  général, 
les  arbres  de  la  Taiga  sont  médiocres  de  taille  et  de  dia- 
mètre. Cependant,  surtout  au  Sud  et  àl'Elst,  il  n'est  point 
aisé  de  se  frayer  un  passage  à  travers  leurs  futaies,  car  les 
troncs  abattus,  les  buissons,  les  eirbustes  enchevêtrés  pous- 
sant sur  un  sol  spongieux,  pénétré  d'humidité,  opposent 
à  la  marche  des  obstacles  sans  cesse  renouvelés. 

Dans  les  bassins  de  l'Ob,  de  l'Irtych  et  de  l'Iénisséï, 
on  voit,  entre  les  57®  et  58*  parallèles,  la  forêt  s'espacer,  se 
couper  de  clcùrières  de  plus  en  plus  nombreuses.  C'est 
le  deljut  de  la  zone  agricole  correspondant  à  la  région  de 
Moscou  et  au  Tchemozom  russe.  Un  riche  humus,  épais 
de  50  centimètres  à  3  mètres,  couvre  le  sol  dans  les 
provinces  de  Tobolsk,  Omsk,  Tomsk,dans  les  vallées  de 
l'Altaï,  et,  par  Irkoutsk,  jusqu'en  Transbaïkalie.  Les 
conifères  disparciissent  ;  le  bouleau,  "  l'arbre  du  tsar 
blanc  ",  forme  seul  des  bosquets  au  milieu  des  prairies 
aux  herbes  vigoureuses.  Ce  parc  immense,  d'abord  assez 
plaisant  à  l'oeil,  puis  à  la  longue  fort  monotone,  est  par 
excellence  la  région  fertile,  celle  qui  reçoit  la  plus  grande 
masse  des  immigrcmts  et  qu'attend  le  plus  bel  avenir. 
Comme  la  Russie  centrale  et  le  Ceuiada  occidentjJ.  il  se 


prête  aussi  bien  à  l'élevage  qu'à  la  culture  en  grand  des 
céréales. 

Enfin,  dans  les  provinces  d'Akmolinsk,  deTourgaï,  de 
Semipalatinsk,  les  bouleaux  eux-mêmes  se  font  plus  rares, 
puis  disparaissent.  A  peine  quelques  saules,  trembles  et 
peupliers  se  montrent-ils  çà  et  là  aux  nves  des  ouaddys 
qui  se  perdent  dans  les  sables  ou  les  lagunes  s<Jées.  Si 
les  hivers  demeurent  très  froids,  les  étés  sont  longs,  brû- 
lants et  desséchés.  C'est  le  domaine  de  la  steppe  par- 
courue par  les  bergers  FGrghiz.  La  partie  septentrionale 
de  ces  steppes  est  encore  utilisable,  car  l'humus  n'y 
manque  pas,  les  herbages  ont  de  la  vigueur,  de  la  conti- 
nuité, et  l'irrigation  artificielle  peut  y  permettre  des  cul- 
tures rémunératrices.  Aussi  devient-elle  un  objet  d'âpres 
contestations  entre  nomades  et  paysans  russes  immigrés. 
L'extrême  Sud,  psir  contre,  se  confond  avec  les  déserts 
du  Turkestan.  Il  a  les  mêmes  dunes  de  sable,  les  mêmes 
terres  salines  où  lentement  s'évaporent  les  lacs,  les  mêmes 
vastes  espaces  nus,  complètement  stériles,  la  même 
végétation  rare  et  souffreteuse  de  buissons  épineux, 
de  saksaouls,  d'acadas,  de  graminées  rudes  croissant  en 
touffes  espacées  autour  desquelles  s'amoncellent  les 
sables. 


LA  FAUNE.  0a  Comme  le  Canada,  el  pour  les  mêmes  rai- 
sons, la  Sibérie  est  par  excellence  le  domaine  des  animaux  à 
fourrure.  Ours,  renards,  zibelines,  hermines,  loutres,  écureuils, 
lièvres  argentés  peuplent  la  lalga.  Le  loup,  en  bandes  nombreuses 
et  redoutables,  y  pourchasse  les  cerfs,  le  chevreuil,  l'élan. 

Les  forêts  de  l'Amour  renferment  encore  des  tigres  à  poils  longs 
et  feutrés.  Dans  la  toundra,  et  à  la  lisière  des  forêts  septentrio- 
nales, le  renne  et  le  chien  sont,  comme  en  Laponie,  la  plus  précieuse 
ressource  des  indigènes.  Boeufs,  chevaux,  moutons,  chèvres  paissent 
les  herbes  touffues  des  clairières  ou  les  graminées  plus  maigres  de 
la  steppe-  Les  fleuves  regorgent  de  poissons  de  toute  espèce  et  de 
toute  taille.  Enfin,  au  printemps,  des  bandes  innombrables  d'oiseaux 
migrateurs  s'abattent  sur  les  toundras  et  reprennent,  à  l'automne,  le 
chemin  du  Midi. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


DÉCOUVERTE  ET  CONQUÊTE  DE  LA 
SIBERIE.  J0£)  Des  bandes  de  Cosaques,  d'abord 
établis  sur  la  Volga,  franchirent  l'Oural  en  1  580,  con- 
duits par  un  des  leurs,  l'ataman  lermak.  Ils  attaquèrent  les 
Tatars  de  l'Irtych,  les  vainquirent,  s'emparèrent  de  leur 
capitale,  Sibir  (d'où  le  nom  de  Sibérie),  et  offrirent  au 
tsar  Y  van  IV  la  domination  du  pays  conquis.  Par  la 
suite,  leurs  successeurs,  descendcmt  le  cours  des  grands 
fleuves  jusqu'à  l'Océan  Glacial,  ou  remontant  leurs 
affluents,  parvinrent  en  moins  d'un  siècle  à  Ienisseï,  puis 
à  la  Lena,  enfin  au  détroit  de  Bering,  à  la  mer  d'Okhotsk 
et  au  Kamtchatka.  Eln  1644,  les  Russes  apparurent  aux 
rives  de  l'Amour.  Cependant  la  résistance  des  Mandchous 
les   contraignit  à  signer  le  traité   de  Nertchinsk  (1689) 


par  lequel  la  Russie  renonçait  provisoirement  à  la  con- 
quête de  cette  région.  Au  XIX®  siècle  seulement,  à  la 
suite  des  échecs  subis  par  la  politique  russe  dans  ses 
efforts  pour  atteindre  Constantinople,  le  gouvernement 
des  tsars  chercha  en  Extrême-Orient  l'accès  aux  mers 
libres  qu'il  ne  trouvait  pas  en  Occident.  Le  traité 
d'Aigoun  en  1858  (peu  après  la  guerre  de  Crimée) 
donna  à  la  Russie  toute  la  province  de  l'Amour,  puis  le 
bassin  de  l'Oussouri  ou  Province  Maritime.  On  y  fonda 
Vladivostok,  dont  le  nom  "  la  domination  de  l'Orient" 
renfermait  tout  un  progreunme.  On  sait  comment  le 
programme  faillit  se  réaliser  lorsque,  à  la  suite  de  la  guerre 
sino-japonaise  de  1895,  la  Russie  annexa  la  presqu'île 
de   Liao-Toung  avec  Dalny  et  Port-Arthur,  acquit  le 

311  


L'ASIE 

droit  de  construire  des  chemins  de  fer  en  Mandchourie, 
et  se  prépara  a  mettre  la  main  sur  la  Mandchourie  et 
la  Corée.  Le  Japon  interrompit  brutalement  ce  beau  rêve, 
et  la  Sibérie  dut  se  contenter  des  frontières  établies  au 
traité  d'Aigoun.  Les  14  000  000  de  kilomètres  carrés 
qui  constituent  son  domaine  offrent  du  reste  au  peuple 
russe  un  champ  d'activité  assez  vaste  pour  rendre  inutiles 
de  nouvelles  acquisitions. 

Grâce  aux  voyages  accomplis  dans  toute  la  Sibérie  par  les  Co- 
saques, les  marchands,  les  chasseurs  de  fourrures,  les  explora- 
teurs, grâce  aussi  aux  observations  scientifiques  poursuivies  par  les 
exilés  politiques,  la  reconnaissance  générale  des  terres  sibériennes 
est  à  peu  près  terminée.  Nous  avons  même,  pour  toute  la  zone 
agricole  de  l'Ouest,  les  rives  de  TAmour,  les  régions  du  Centre  tra- 
versée» par  le  Transsibérien,  des  cartes  à  grande  échelle  aussi  pré- 
cise» que  notre  carte  d' Etat-Major.  Cependant,  à  mesure  que  l'on 
avance  vers  le  Nord,  les  itinéraire»  se  font  plu=  rares  et  l'extrémité 
Nord- Est  du  Continent  apparaît  encore  en  blanc  même  sur  le» 
cartes  de  nos  atlas.  Quant  à  la  côte  de  l'Océan  Glacial,  elle  a 
été  reconnue  avec  assez  de  précision  soit  de  l'intérieur,  soit  pen- 
dant le  mémorable  voyage  accompli  en  1878  à  bord  de  la  Véga 
par  Nordenskiôld. 

LES  INDIGÈNES.  a/H  La  conquête  et  la  colo- 
nisation de  la  Sibérie  se  firent  avec  d'autant  plus  de  faci- 
lité que  les  rares  habitants  aborigènes  se  trouvaient  bien 
incapables  d'opposer  quelque  résistance,  si  faible  fût- 
elle,  aux  envahisseurs.  On  les  répartit  en  Paléasiatiques 
(Tchouktches  du  détroit  de  Bering,  Koriaks  et  Kamt- 
chadales  du  Kamtchatka,  Youkagirs  de  l'Indighirka, 
Guiliaks  de  Sakhalin),  Finnois  (Vogouls,  Samoyèdes, 
Ostiaks  de  l'Ob  et  de  l'Iénisséï),  Mongols  (Toungouses 
depuis  riénisséi  jusqu'à  l'Amour  et  k  la  mer  d'Okhotsk, 
Bouriates  et  Kalmouks  de  l'Altaï  et  des  monts  Saïan)  et 
Turcs  (Iakoutes  de  la  Lena,  Tatars  entre  Tobolsk  et 
Tomsk,  Kirghiz  des  steppes  du  Sud-Ouest).  De  mœurs 
généralement  douces  et  inoffensives,  ils  mènent  presque 
tous  l'existence  pauvre,  difficile,  imposée  pM  le  climat. 
Ceux  de  l'extrême  Nord  et  ceux  de  la  Taïga  campent, 
suivant  la  seiison,  dans  la  toundra  ou  la  forêt,  se  vêtent 
de  peaux  de  bêtes,  élèvent  le  renne  et  le  chien,  passent 
leur  vie  entière  à  chasser  et  pêcher.  Considérés  officielle- 
ment par  les  statistiques  russes  comme  chrétiens,  ils  ont 
conservé  toutes  les  pratiques  du  chamanisme  ou  culte  des 
esprits.  Les  Bouriates  de  la  province  d'Irkoutsk  et  de 
la  Baïkalie  ont  atteint  un  niveau  de  civilisation  plus  élevé. 
La  plupart,  au  contact  des  Russes,  abandonnant  la  vie 
nomade,  se  transforment  en  sédentaires  agriculteurs. 
Comme  leurs  voisins  de  Mongolie,  ils  ont  adopté  le  boud- 
dhisme lamaïque  et  entretiennent  un  nombreux  clergé 
(couvents  du  lac  des  Oies,  d'Aga,  de  Trougal,  etc.). 
Les  Tatars  musulmans  s'adonnent  au  commerce  et  à 
l'usure  dans  les  grandes  villes  de  l'Ouest.  Enfin  les 
Kirghiz,  convertis  eux  aussi  à  l'islam,  mènent  la  vie  de 
bergers  nomades. 

312 


Ils  passent  l'hiver  dans  des  huttes  à  demi-creusées  en  terre,  l'été 
sous  la  tente  ronde  (yourte  ou  kibitka)  faite  d'un  treillis  de  boi» 
recouvert  de  feutre.  Il»  possèdent  des  troupeaux  considérable»  de 
chevaux,  chameaux  et  m  ;utons  (les  fameux  moutons  Kirghizes  dont 
les  queues  contiennent  des  réserves  de  graisse  pesant  parfois  plusieurs 
kilogrammes).  Chaque  tribu  a  dans  le  désert  des  puits  qui  sont  sa 
propriété.  Elle  va  de  l'un  à  l'autre,  campe  vingt  jours  ici,  trente 
jours  là,  et  toutes  les  caravanes  accomplissent  chaque  année  un 
voyage  circulaire,  de  la  maison  d'hiver  à  la  maison  d'hiver,  toujours 
le  même  de  génération  en  génération. 

On  estimait,  en  1913,  le  nombre  total  des  indigènes  à 
moinsde  I  000  003  d'âmes.  Si  lesTurco-Tatars  (Iakoutes, 
Tatars  et  Kirghiz)  comptaient  encore  476  000  indi- 
vidus et  les  Mongols  (Toungouses,  Bouriates,  Kal- 
mouks) 358000,  les  Finnois  (Vogouls,  Samoyèdes, 
Osticiks)  n'étaient  plus  que  72  000,  les  Tchou- 
ktches 1 1  (XK),  les  Koriaks  et  les  Guiliaks  6  000,  les 
Kamtchadales  4000  les  Youkagirs  moins  d'un  millier. 
Tous  pcu"aissent  destinés  à  subir,  à  plus  ou  moins  brève 
échéance,  le  sort  de  tous  les  peuples  primitifs  mis  en  con- 
tact avec  des  hommes  de  civilisation  supérieure.  Les 
uns,  décimés  pal  l'alcool  et  les  maladies  épidénuques, 
disparaîtront  complètement.  Les  autres  se  confondent 
par  mariages  avec  les  nouveaux  venus  et  cela  d'autant 
plus  aisément  que  le  Russe  est,  de  tous  les  Européens, 
celui  qui  montre  le  plus  de  facilité  à  s'unir  avec  les 
étrangères  I  Déjà,  aux  lieux  où  les  immigrants  sont  nom- 
breux, les  unions  de  ce  genre  se  produisent  normalement, 
et  c'est  en  partie  à  cela  que  les  Sibériens  doivent  la 
mentalité  particulière  qui  fait  dire  aux  Russes  fraîche- 
ment débarqués  :      Ces  gens-là  ne  sont  pas  des  nôtres  ". 

LA  COLONISATION  RUSSE,  /stj^  A  peine 
la  Sibérie  était-elle  connue  et  conquise,  que  des  Russes, 
fuyant  le  servage,  le  recrutement  militaire,  les  persécu- 
tions dirigées  contre  certaines  sectes  religieuses,  vinrent 
s'y  fixer  volontairement.  En  échange  de  prestations 
locales,  on  leur  accordait  quelques  secours  en  blé  et  en 
argent.  Ce  furent  les  ancêtres  des  Sibériens  d'aujourd'hui- 

Puis,  à  la  colonisation  libre  s'ajouta,  à  partir  de  1 593, 
la  déportation  des  condamnés  politiques  et  des  criminels 
de  droit  commun.  On  ignore  leur  nombre  exact  qui  paraît 
avoir  été  considérable.  On  les  répartissait  entre  les  dis- 
tricts les  plus  éloignés,  ou  bien  on  les  employait  aux  tra- 
vaux publics,  surtout  à  l'exploitation  des  mines.  Beau- 
coup d'entre  eux  succombctient,  d'autres  rentraient  en 
Russie  après  l'expiration  de  leur  peine.  D'autres  enfin 
se  fixaient  définitivement  dans  leur  nouvelle  patrie  et 
s'ajoutaient  aux  colons  libres. 

L'accroissement  régulier  et  considérable  de  la  popu- 
lation paysanne  en  Russie  d'Europe  amena,  à  partir  de 
1 850,  une  recrudescence  du  nombre  des  émigrants  attirés 
parla  fertilité  des  terres,  l'ampleur  des  domaines  que  l'on 
mettait  à  leur  disposition,  la  similitude  des  conditions 


LA  SIBERIE 


vv 


rAïbA.Nb    blBEKlEX:^     ETiLEUR    ISBA.    A    peine    la    SiUrie    ilaU-elU  coionisatton  itère  prit  de  considerahies  proporlions.  turfoul  depuis  l'ouoerturc  éa 

connue  et  conduise.  Que  des  Runes,  fuyant  le  sercase.  le  recrutement  militaire,  les  Transsibérien.  Les  neuf  dixièmes  des  colons  sont  des  paysam  qui  s'adonnent  à  Vagri- 

t^secultons  dirigées  contre  certaines  sectes  religieuses,  vinrent  s'y  fixer  volontairement.  culture,  à  l'élevage,  à  l'exploitation  des  forêts.  Latrt  maisons,  ou  isixa.  lont  faites  de 

rlus  tard,  on  y  déporta  des  condamnés  de  droit  commun.  Enfin   au  XIX*  siècle,  la  troncs  d'arbres  non  équarris. 


313 


31 


L'.ASIE 


LE"  TRANSSIBÉRIEN.  La  voie  ferrée  qui  traverse  la  Sibérie,  de*  l'Oural  au 
Pacifiçuet  a  joué  un  rôle  essentiel  dans  le  développement  économique  et  le  peuplement 
de  ces  immenses  espaces.  Partout  le  même  paysage  :  prairies  semées  de  bosquets  de 
bouleaux,  ou  forêts  de  sapins  peu  élevés,  aux  troncs  minces. 


FORÊT  DE  L'ALTAl  Les  montagnes  qui  séparent  la  Sibérie  des  déserts  mongol^ 
se  vêtent  elles  aussi  de  forêts  de  conifères  et  de  mélèzes.  Mais  un  climat  moins  rude, 
une  humidité  plus  grande  permettent  aux  arbres  d'atteindre  des  proportions  beaucoup 
plus  considérables  que  dans  la  "  Taiga  "  du  Nord  CI.  Paul  LaêBÉ. 


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TOBOLSK.  Situé  sur  le  Tobol.  affluent  de  l'Irtych,  Tobohk  est  un  spécimen 
typique  de  ville  sibérienne,  où  le  bois  joue  un  rôle  essentiel  pour  la  construction  des 
maisons,  des  ponts,  le  pavage  des  chaussées,  etc.  Dans  le  fond,  des  églises,  toujours 
nombreuses,  et  des  bâtiments  offlciels:  casernes,  prisons,  etc.       CI.  Paul  Labbé. 


VLADISVOSTOK.  Fui  créé  par  les  Russes  sur  la  côte  duPacifique,  à  l'extrémité 
du  Transsibérien  Le  port,  accessible  toute  l'année  aux  navires  de  tout  tonnage, 
est  vaste,  profond,  bien  abrité.  D'activés  relations  l'unissent,  en  temps  normal,  au 
Japon,  aux  Étals-Unis  et  à  la  Chine.  CI.  Paul  Labbé. 


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SUR  L'AMOUR.  Long  de'JOOO  kilomètres.  l'Amour  est  un  des  plus  grands  fleuves 
àamande.L^glacesV  emprisonnent  pendant  quatre  mois  d'hiver,  mais  il  forme,  le  reste 
de  l  année,  une  magnifique  voie  navigable  oit  circulent  une  centaine  de  vapeurs,  et 
aue  corr.plèlent  ses  offlumH  :  Soungari  et  Oussouri.  CL  Paul  LabBÉ. 


ÉMIGRANTS  RUSSES  DANS  UNE  STATION.  La  Sibérie  s'esl  ouverle 
largement  à  la  colonisation  russe,  à  partir  du  jour  oit  le  Transsibérien  fut  construit. 
Avant  la  guerre,  chaque  année  plusieurs  centaines  de  milliers  de  paysans  étaient 
acheminés  vers  les  riches  terres  à  blé  des  steppes  méridionales.    Cl.  PauL  LabeÉ. 


3'4 


LA  SIBÉRIE 


de  vie  de  part  et  d'autre  de  l'Oural.  Malgré  les  diffi- 
cultés d'un  voyage  qui  durait  parfois  deux  et  trois  ans,  c'est 
par  dizaines  de  milliers  qu'ils  vinrent  chaque  année  se 
fixer  le  long  du  trakt  ",  la  route  postale  qui  traversait 
de  l'Est  à  l'Ouest  toute  la  Sibérie  (entre  Tioumen  et 
Khabarovsk  sur  l'Amour).  Un  moment  ralenti  par  l'abo- 
lition du  servage  en  1 86 1 ,  l'exode  reprit  et  s'amplifia  à 
partu-  de  1880.  En  seize ans(de  1880  à  1896).  1  200000 
colons  arrivèrent.  A  cette  date,  le  Transsibérien  atteignait 
déjà  rOb.  Quelques  années  plus  lard,  le  rail  unissait 
Moscou  à  Vladivostok,  et  cette  voie  ferrée,  con(;ue 
d'abord  dans  un  intérêt  purement  stratégique,  se  révéla 
dès  le  début  comme  l'agent  le  plus  efficace  du  peuple- 
ment de  la  Sibérie.  En  peu  de  jours,  pour  une  somme 
infime  (4  roubles,  soit  10  francs,  de  Moscou  a  Omsk, 
2  900  kilomètres!  le  transport  des  enfants  gratuit),  une 
famille  d'émigrants  se  trouvait  à  pied  d'oeuvre.  Aussi,  de 
!896  à  1903,  le  chiffre  des  arrivées  atteignait-il  en 
moyenne  129  000  par  an.  Interrompue  de  1903  à  1905 
par  la  guerre  russo-japonaise,  l'émigration  reprit  en  1906. 
année  où  l'on  compta  218000  colons.  En  1907,  ils 
étaient  572  OCO.  De  1907  à   1911,  ils  furent  3  000000. 

Cet  exode  formidable,  d'abord  simplement  toléré  par  l' Adminis- 
tration russe,  fut  ensuite  encouragé,  facilité  el  réglementé.  Un 
Département  de  la  colonisation,  créé  en  1906,  doté  de  pouvoirs 
étendus  el  d'un  budget  annuel  de  I  000  000  000,  étudia  les  condi- 
tions géographiques  de  la  Sibérie,  dressa  le  cadastre  des  terres 
arables,  les  répartit  entre  les  nouveaux  venus,  aménagea  les  lots  (en 
moyenne  16  hectares  par  personne),  construisit  maisons  et  églises, 
avança  aux  colons  I  argent  nécessaire  comme  première  mise  de 
fonds,  leur  vendit  à  très  bas  prix  instruments  agricoles  et  animaux 
reproducteurs.  Avant  de  quitter  leur  village  natal,  les  futurs  émi- 
grants  purent  envoyer  en  Sibérie  des  éclaireurs.  les  "  khodoks  ", 
chargés  de  se  mettre  en  rapport  avec  l'Administration,  d'examiner 
à  loisir  les  lots  assignés  et  de  fournir  à  leurs  concitoyens  tous  les 
renseignements  nécessaires.  Grâce  à  ces  précautions,  à  la  tutelle 
salutaire  exercée  sur  les  colons,  à  des  lois  bienfaisantes  qui  ont 
donné  à  l'immigrant,  d'abord  simple  usufruitier,  la  pleine  posses- 
sion de  son  domaine,  le  nombre  des  retours  dus  aux  décourage- 
ments, aux  déboires  causés  par  quelques  mauvaises  récoltes,  à  la 
nostalgie  qui  atteint  plus  particulièrement  les  femmes,  n'a  pas 
dépassé,  de  1907  à  1913.  A  et  même  3  pour  100  annuellement 
C  est  là  un  chiffre  insignifiant  qui  prouve  la  solidité  de  l'oeuvre 
accomplie. 

La  majorité  des  émigrants  provient  de  la  Ruesie 
Blanche  (Tchernigow,  Mohilew,  Vitebsk).  delà  Petite- 
Russie  ou  Ukraine  (Poltava,  Kiev,  Kharkow,  Ekate- 
rinoslaw),  de  la  Crimée,  des  Gouvernements  de  Koursk, 
Orelet  Tambow.  La  Russie  centrale  (Petrograd,  Moscou, 
Novgorod,  Tver,  Jaroslav.  Kostroma),  le  Caucase,  l'an- 
cienne Pologne  russe,  les  provinces  baltiques  n'ont 
donné  qu'un  chiffre  insignifiant. 

La  répartition  des  immigrants  ne  se  fait  naturellement 
pas  d'égale  façon  pour  tout  le  temtoire  sibérien.  Le 
plus  fort  contingent  se  fixe  à  l'Ouest  dans  la  zone  des 


terres  noires  appartenant  aux  Gouvernements  de  Tomsk 
et  Tobolsk,  soit  à  cause  de  la  fertilité  du  sol,  soit  par 
suite  de  la  proximité  de  la  mère-patrie,  soit  enfin  parce 
que  les  paysans  ont  trouvé  dans  l'ancien  domaine  impérial 
de  I  Altaï  des  conditions  particulièrement  avantageuses. 
La  Sibérie  centrale  (Sud  des  Gouvernements  d'Iéniséisk 
et  Irkoutsk)  est  moins  bien  partagée,  car  la  bonne  terre 
s  y  fait  plus  rare.  La  Transbaïkalie  n'a  reçu  que  quel- 
ques milliers  de  colons.  Toutes  les  régions  du  Nord 
(Taïga  et  Toundra)  sont  encore  complètement  délaissées. 
Par  contre,  la  province  de  l'Amour  et  la  Province  Mari- 
time, où  la  Russie  avait  intérêt  à  créer  un  important 
foyer  de  civilisation  et  d'activité  slaves,  se  sont  rapidement 
peuplées  de  1906  à  1913.  Enfin  le  Gouvernement  des 
steppes  (Tourgaï,  Atmolinsk,  Semipalatinsk)  exerce  sur 
les  colons  une  attraction  qui  s'est  traduite,  dans  les  der- 
nières années  d'avant-guerre,  par  un  afflux  subit  et  con- 
sidérable d'immigrants  (province  de  Tourgaï  :  1 7  000 
immigrants  en  1907,  49000  en  1908  ;  province  d'Ak- 
molinsk  :  II  000  en  1903,  62  000  en  1906,  76000  en 
1907,  140  000  en  1908.  108  000  en  1909;  province 
de  Semipalatinsk  :  4  000  en  1906,  10  000  en  1907, 
23  000  en  1908,  35  000  en  1909).  La  construction  de 
nouvelles  voies  ferrées  (voir  plus  loin),  l'aménagement 
des  eaux  surtout,  enfin  le  règlement  de  la  question  diffi- 
cile du  partage  des  steppes  entre  nomades  Kirghiz  et 
agriculteurs  russes,  ne  peuvent  manquer  d'accroître 
encore  fortement  ce  mouvement  de  colonisation. 

LES  VILLAGES  ET  LES  VILLES,  /^a  Le 
plus  récent  recensement  de  la  population  sibérienne  date 
de  1897  !  En  prenant  pour  base  les  chiffres  de  cette 
époque,  on  arrivait  en  1 9 1  3  à  8  700  000  Russes  auxquels 
s'ajoutaient  900000  indigènes,  —  bien  peu  de  chose  si 
l'on  songe  à  l'ampleur  d'un  territoire  une  fois  et  demie 
grand  comme  l'Europe. 

Les  neuf  dixièmes  des  colons  sont  des  paysans  qui  s  adon- 
nent à  l'agriculture,  à  l'élevage,  à  l'exploitation  des  forêts. 
Ils  vivent,  comme  en  Russie,  agglomérés  en  villages  ou 
hameaux.  Les  maisons,  faites  de  troncs  d'arbres  non 
équarris,  s'alignent  en  longues  files  de  chaque  côté  de  la 
route,  largement  séparées  les  unes  des  autres  par  crainte 
de  l'incendie. 

"  Sur  la  teinte  sombre  et  triste  des  façades,  tranchent  seulement 
les  boiseries  saillantes,  le  plus  souvent  peintes  en  blanc,  des  petites 
fenêtres,  et  parfois  le  ton  frais  d'une  isba  neuve  que  les  intempéries 
d'une  ou  deux  années  ne  tarderont  pas  à  rendre  semblables  à  ses 
voisines.  Tout  cela  a  l'air  rude,  plus  rude  encore  qu'en  I-^ussie 
d'Europe,  peut-être  à  cause  de  ces  maisons  en  poutres  brutes, 
peut-être  à  cause  de  l'aspect  sauvage  drs  animaux  qui  errent  sur 
la  route,  des  chiens  à  mines  de  loups,  des  porcs  noirs  qui  ressem- 
blée! à  des  sangliers.  Le  paytan  sibérien  a  plus  d'aitance  que  le 
paysan  ru!se,  mais  il  est  encore  plus  primitif,  plus  gros<ier,  plus 
ignoraol  de  toute  règle  d'hygiène  el  de  propreté.   Paresseux,  apa- 


315 


CeOCRAPHIE   UMVERSELLI. 


31 


L'ASIE 


tliique  au  delà  de  tout  ce  qu'on  peut  imaginer,  presque  toujours 
illettré,  il  limite  son  travail  à  ce  qui  est  strictement  indispensable, 
aime  mieux  se  passer  de  superflu  que  de  peiner  pour  l'avoir,  et  ne 
conçoit  que  deux  plaisirs  :  dormir  ou  rêver  en  fumant  sa  pipe  et 
boire  du  vodka,  boire  non  pas  pour  s'égayer  mais  pour  être  ivre- 
mort.  "  (P.  Leroy-Beaulieu.) 

Les  villes  ressemblent  aux  villages  et  se  ressemblent 
toutes  entre  elles.  Mêmes  maisons  de  bots,  mêmes 
longues  et  larges  rues  non  pavées,  pleines  de  fondrières, 
bordées  de  trottoirs  en  planches  disjointes.  Pas  de  cana- 
lisation, peu  ou  pas  de  service  de  voirie.  Cependant 
l'accroissement  considérable  de  certains  centres  urbains, 
les  grosses  fortunes  amassées  par  les  commerçants,  le 
goût  du  luxe  tapageur  et  la  prodigalité  insouciante  propres 
aux  Slaves  ont  provoqué  à  Omsk,  Tomsk,  Irkoutsk, 
Vladivostok,  la  construction  de  maisons  plus  somptueuses 
que  confortables,  de  magasins  aux  étalages  séduisants, 
en  même  temps  que  se  multipliaient  les  églises  peintes 
de  couleurs  vives  et  les  édifices  publics  (casernes  et  pri- 
sons d'abord,  puis  banques,  postes,  hôpitaux,  écoles), 
de  sorte  que  les  villes  sibénennes,  comme  les  cités  neuves 
du  Far- West  américain  ou  du  Transvaal,  présentent  le 
curieux  mélange  de  la  simplicité  la  plus  primitive  et  du 
luxe  ostentatoire  qui  plait  aux      nouveaux  riches    ". 

Voici  la  liste  des  principales  agglomérations  sibé- 
riennes :  au  pied  de  l'Oural  ;  lekaterinbourg  (60000  ha- 
bitants), important  centre  minier,  et  Tcheliabinsk 
(70  000  habitants),  où  sont  installés  les  pnncipaux 
bureaux  d'émigration.  Puis,  en  allant  vers  l'Est,  Irbit  où 
se  tiennent  les  plus  grandes  foires  à  fourrures  du  monde  : 
Tioumen  sur  la  Toura  (33  000  habitants),  ville  indus- 
trielle avec  des  tanneries,  des  fabriques  de  savons  et  de 
chandelles,  des  minoteries  ;  Tobolsk  (20000  habitants) 
dans  une  position  très  avantageuse,  au  confluent  du  Tobol 
et  de  l'Irtych,  mais  à  l'écart  du  Transsibérien  et,  de  ce 
fait,  fort  délaissée  ;  Kourgane  (I  I  000  habitants),  grand 
marché  de  beurre  ;  Petropavlosk  (43  000  habitants),  où 
se  concentrent  les  produits  des  steppes  kirghizes  ;  Omsk, 
énorme  village  de  1 30  000  habitants,  qui  doit  au  Trans- 
sibérien sa  croissance  rapide.  11  communique  par  l'Irtych 
avec  Pavlovar  (  1 7  000  habitants)  et  Semipalatinsk 
(35  000  habitants).  Dans  le  Gouvernement  de  Tomsk, 
relativement  le  plus  peuplé  et  le  plus  productif  de  tous, 
la  ville  de  ce  nom  compte  157000  habitants. 

Elle  donne  bien  l'impression  d'une  grande  ville  avec  ses  jar- 
dins, ses  rues  pavées,  ses  belles  maisons  de  pierre,  ses  vingl-trcis 
églises.  Capitale  intellectuelle  de  la  Sibérie,  siège  d'une  Université 
d'oii  sortirent  des  travaux  remarquables  sur  la  géologie,  la  Bore  et 
la  faune  de  I  Altaï,  elle  est  aussi  une  cité  industrielle  et  commer- 
çante loti  active,  bien  qu'elle  :e  trouve  à  80  kilomètres  au  Nord 
du  Transsibérien.  "  (P.  Labbé.) 

Novo-Nikolaïevsk,  au  point  où  la  voie  ferrée  franchit 
rOb,  née  d'hier,  abrite  déjà  62  000  âmes.  Plus,  au  Sud, 


Barnaoul  (60  000  habitants)  et  Béisk  (20  000  habitants), 
centresdesriches  régions  agricoles  et  minières  de  l'Alta'i, 
n'attendent  que  l'arrivée  du  rail  pour  grandir  avec  la 
même  rapidité. 

Krasnoiarsk  (80000  habitants),  chef-lieu  de  la  province 
d'Iéniseïsk,  s'élève  sur  une  cclime  pittoresque  (la  mon- 
tagne de  la  Sentinelle),  au  point  où  la  voie  ferrée  fran- 
chit l'Iénisséî.  Minousinsk  (12  000  habitants)  au  pied  des 
monts  Saïan,  Atchinsk  (7  000  habitants),  Kansk 
(8000  habitants),  léniseïsk  (  1 2  000  habitants)  près  du 
confluent  de  l'Angara,  sont  les  principaux  marchés  des 
districts  du  Sud,  les  seuls  où  se  porte  la  colonisation. 

En  Sibérie  centrale,  Irkoutsk  (I  10000  habitants), chef- 
lieu  de  la  province  de  ce  nom,  se  VcUite  d'être  la  capitale 
de  la  Sibérie.  Située  sur  l'Angara  à  peu  de  distemce  du 
lac  Bai'kal,  la  ville  renferme  bon  nombre  de  maisons  en 
pierre,  trente  églises,  d'importants  établissements  d'inc- 
truction,  de  nombreuses  usines,  des  magasins  vastes  et 
luxueux.  Par  ailleurs  elle  est  aussi  malpropre  et  mal 
entretenue  que  les  autres  agglomérations  sibériennes. 

En  tirant  vers  le  Nord  on  pénètre  dans  l'immense 
province  d'Iakoutsk,  presque  vide  d'hommes.  Le  chef-lieu, 
Iakoutsk,  sur  la  Lena,  où  se  donnent  annuellement  ren- 
dez-vous les  marchands  de  fourrures,  comptait,  en  1913, 
10000  habitants  dont  6  000  déportés. 

Vers  l'Est,  par  la  province  de  Transbaïkalie,  on  gagne 
les  provinces  de  l'Amour  et  Maritime.  Kiakhta,  à  la 
frontière  Mongole,  est  le  point  où  aboutissent  les  cara- 
vanes chargées  de  ballots  de  thé  venant  de  Chine.  Tchita 
(68  000  habitants),  Nertchinsk  (5  000  habitants),  Strié- 
tensk  (  I  5  000  habitants)  s'alignent  dans  la  vallée  de 
ringoda-Chilka,  l'une  des  deux  branches  maîtresses  du 
fleuve  Amour.  Blagovietchensk  (70000  habitants)  et 
Khabarovsk  (60  000  habitants)  sur  l'Amour  grandissent 
vite  grâce  à  l'exploitation  des  mines,  à  l'essor  de  la 
colonisation,  à  l'important  trafic  assuré  par  les  vapeurs 
de  la  flottille  fluviale. 

Sur  la  section  inférieure  du  fleuve  Amour,  redressée 
vers  le  Nord,  à  travers  une  région  très  humide  où  les 
céréales  ne  réussissent  pas,  Alexandrovsk  et  Nikolaïevsk 
végètent  pauvrement.  Plus  au  Nord,  dans  la  province 
du  Kamtchatka,  les  ports  d'Okhotsk,  de  Petropavlosk, 
simples  bourgades,  reçoivent  en  été  la  visite  des  bateaux 
de  pêche  américains  et  japonais.  C'est  au  Sud  que  se 
porte  la  vie.  Dans  la  vcJlée  de  l'Oussouri,  Nikolsk- 
Oussourisk  compte  plus  de  40  000  habitants  russes,  chi- 
nois, japonais,  et  Vladivostok,  point  terminus  du  Trans- 
sibérien, havre  excellent,  toujours  accessible  aux  navires, 
dépasse  100000  âmes.  Une  importante  colonie  étran- 
gère (Américains  et  Japonais  surtout)  s'occupe  d'opéra- 
tions commerciales,  de  banques  et  vend  aux  colons  russes 
des     machines    agricoles,  des    céréales,    du    thé. 

Enfin   Sakhaline  (chef-lieu  Alexandrovsk)   reçoit   les 


316 


LA  SIBERIE 


^ 


Zone  €^ea>  ^rani?e.v  cuiturea.. 

iBLé.seigCc,  afoine.pomjneOeterre) 

2on&iV  minièrtA  et-inûuà- 
tri^lUa,  (  Or.fer.  caiyre.fitatlnt 
h.ouiUe,ptomè,praphUe  iC 


SIBERIE 


XonjtA  minièreA  eLiiu)u.'lrti  II,  i 
Jej  i  '  Oural  ' 
ûej  C  JUai  ri. 
'                                                        Ja  BatJial            2.3  «•l'J 

CARTE  ÉCONOMIQUE  Jf-rAmvur         ^do 


Ihie/v  Jerrée/v 


^^SfSSm 


condamnés  de  droit  commun  que  l'on  a  cessé  d'expédier 
en  Sibérie. 

LA  MISE  EN  VALEUR,  a  a  Agriculture,  éle- 
vage, forêts,  pèche,  chasse,  exploitation  des  mines,  telles 
sont  les  ressources  multiples  de  la  Sibérie.  On  peut  dire 
que  leur  mise  en  valeur  est  à  peine  commencée,  ce 
qu'expliquent  suffisamment  le  petit  nombre  des  habitants, 
l'apathie,  les  habitudes  routinières  des  immigrants,  tous 
Russes,  le  fait  que  la  colonisation  en  grand  est  de  date 
récente,  enfin  et  surtout  la  rareté  des  voies  de  commu- 
nication. 

L'agriculture  et  l'élevage  ont  devant  eux  un  immense 
avenir.  Les  terres  arables  couvrent,  au  Sud  de  la  Taïga, 
une  superficie  que  d'aucuns  estiment  cinq  fois,  d  autres 
douze  fois  aussi  étendue  que  la  France  \  Blé,  seigle,  orge, 
avoine,  sarrasin,  lin,  chanvre,  pommes  de  terre  trouvent 
au  Sud  du  38^  degré  en  Sibérie  occidentale,  du  57'  de- 
gré sur  l'Iénisséï.  du  55*  degré  en  Transbaïkalie,  du 
54*^  degré  dans  la  province  de  l'Amour,  non  seulement 
des  terres  excellentes,  mais  surtout  la  quantité  de  chaleur 
et  de  lumière  dont  ils  ont  besoin  pour  parvenir  à  maturité. 
Les  Tchernozoms  de  l'Ouest  produisent  déjà,  en  temps 
normal,  beaucoup  plus  de  céréales  que  leurs  habitants 
n'en    consomment.    A    l'Est    seulement,    les     récoltes. 


fréquemment  déficitaires  par  suite  de  la  grande  humi- 
dité de  la  saison  estivale,  nécessitent  l'importation  des  blés 
venant  soit  de  l'Ouest,  soit  de  la  Mandchourie.  La  cul- 
ture extensive,  faite  suivant  des  méthodes  très  arriérées, 
sans  engrais,  donne  un  faible  rendement  à  l'hectare.  De 
plus,  l'inconstance  du  climat,  les  gelées  tardives  ou 
précoces,  les  sécheresses,  les  brouillards  d'automne,  les 
sauterelles  même  compromettent  souvent  les  récoltes. 

L'élevage  se  pratique  à  la  fois  dans  les  régions  agri- 
coles et  dans  les  steppes  du  Sud-Ouest.  Les  chevaux 
(6000000)  sont  en  tel  nombre  que  l'on  en  compte  80  et 
même  90  par  100  habitants  dans  les  Gouvernements 
de  Tomsk,  leniseisk  et  Irkoulsk  (en  France,  7  chevaux 
par  100  habitants);  7  000  000  de  moutons  et  chèvres, 
2000000  de  porcs,  7  000000  de  bêtes  à  cornes,  com- 
plètent un  cheptel  qui  prend  rang  parmi  les  plus  impor- 
tants du  monde.  Avant  la  Grande  Guerre,  la  Sibérie  expé- 
diait déjà  du  bétail  vivant  jusqu'à  Moscou  et  Pétrograd. 
Elle  vendait  aussi  des  œufs  et  surtout  du  beurre  depuis  la 
création  en  1909  de  laiteries  coopératives  organisées  sur 
le  modèle  danois.  L'Angleterre  en  acheta  en  1912  pour 
60000000  de  francs.  l'Allemagne  pour  45  000000,  les 
autres  pays  pour  65  000  000.  Le  Danemark  même  impor- 
tait des  beurres  sibériens  qu'il  préparait  plus  proprement 
et  revendait  comme  produit  danois.  La  création  d  usines 


317 


L'ASIE 


de  conserves  et  de  viandes  frigorifiées,  l'utilisation  complète 
des  laines,  des  peaux,  peuvent  augmenter  dans  de  formi- 
dables proportions  le  revenu  fourni  par  le  troupeau  de 
Sibérie.  Que  l'on  songe  seulement  aux  profits  obtenus 
par  les  États-Unis,  le  Canada.  TAustralie,  la  Nouvelle- 
Zélande,  ['.Argentine  ! 

La  pèche  fluviale  ou  maritime  (esturgeons,  sterlets, 
saumons,  harengs,  etc.)  joue  un  rôle  important  dans 
l'alimentation  des  Sibériens,  indigènes  surtout.  Elle  n  est 
pas  encore  organisée  rationnellement  pour  l'exporta- 
tion, et  les  Russes  laissent  aux  Japonais,  voire  aux 
Américains,  le  soin  d'exploiter  les  riches  pêcheries  de 
Sakhaline,  de  la  mer  d'Okhotsk,  du  Kamtchatka.  11  en 
est  de  même  de  l'utilisation  des  forêts.  La  Sibérie  ren- 
ferme de  colossales  réserves  de  bois  (6000  000  à  7000  000 
de  kilomètres  carrés).  Elle  en  consomme  elle-même  de 
grandes  quantités  pour  la  construction  et  le  chauffage 
des  maisons,  les  mines,  le  ravitaillement  des  chemins  de 
fer  et  des  bateaux.  Mais  on  ne  prend  pas  encore  de 
précautions  suffisantes  contre  le  gaspillage,  les  incendies 
dévastateurs  qui  diminuent  fortement  les  surfaces  boisées 
aux  alentours  des  villages,  des  routes,  des  cours  d'eau, 
et  rendent  l'exploitation  plus  difficile.  De  plus,  l'insuffi- 
sance, la  cherté  des  moyens  de  transport  interdisent 
sauf  dans  la  province  de  l'Amour,  la  vente  du  bois  brut 
à  l'étranger. 

L'installation  sur  place  de  fabriques  de  pâtes  à  papier, 
de  papeteries,  d'objets  d'ameublement,  permettra  seule 
de  tirer  un  parti  convenable  des  forêts  sibériennes. 

La  chasse  est  une  autre  source  de  profits.  Elle  se  pra- 
tique surtout  dans  le  bassin  de  la  Lena,  pendant  l'hiver, 
où  les  trappeurs  peuvent  suivre  sur  la  neige  la  trace  des 
animaux  aux  précieuses  fourrures.  Au  début  de  l'été, 
les  peaux  sont  rassemblées  à  Iakoutsk,  puis  expédiées  à 
Irbit  où  les  marchands  européens  se  donnent  rendez- 
vous. 

Enfin,  la  Sif>érie  est  fort  bien  dotée  en  gîtes  miné- 
raux de  toutes  sortes.  L'Oural,  les  steppes  Kirghizes, 
l'Altaï,  les  monts  Saïan,  la  province  d'irkoutsk,  les 
vallées  du  Vitim  et  de  l'Aldan  (affluents  de  la  Lena),  la 
province  de  l'Amour  (vallées  de  l'Amour,  de  la  Boureïa, 
de  la  Zéïa,  de  l'Oussouri)  renferment  de  riches  gise- 
ments d'or,  d'argent,  de  plomb,  de  cuivre,  de  graphite, 
de  fer  et  déteiin.  La  houille  s'exploite  dans  la  steppe 
kirghize,  l'Altaï  (mines  de  Kouznetzka,  de  Koltchou- 
gino),  près  de  Vladivostok  et  à  Sakhaline. 

Jusqu'ici  les  mines  d'or  ont  fait  seules  l'objet  d'une 
exploitation  vraiment  profitable,  bien  que  désordonnée, 
et  la  Sibérie  se  classe  au  quatrième  rang  des  pays  produc- 
teurs du  précieux  métal  (une  centaine  de  millions  de  francs 
ajmuellement,  sans  compter  tout  ce  qui  échappe  au 
contrôle  officiel!).  La  houille  ne  donnait  encore  en  1914 
que  800000  tonnes.  Le  cuivre  a  passé  de  300  tonnes 

318    — 


en  1901  à  3600  tonnes  en  1913.  Le  fer,  d'excellente 
qualité,  provient  surtout  de  l'Altaï,  où  la  récente  arrivée 
du  rciil  (1916)  développera,  dans  la  région  de  Barnaoul. 
Kouznevzk  et  Minousinsk,  les  industries  métallurgiques 
que  favorise  la  présence  de  la  houille.  - 

LES  VOIES  DE  COMMUNICATION,  a 0 
L'avenir  de  la  Sibérie  repose,  pour  une  grande  part,  sur 
la  solution  du  problème  des  transports.  Le  paysan, 
l'industriel,  le  forestier  ne  peuvent  être  incités  à  mieux 
faire  que  s'ils  sont  assurés  d'exporter  leurs  produits.  Or 
on  a  vu,  même  après  la  construction  du  Transsibérien, 
des  millions  de  tonnes  de  céréales  pourrir  dans  les  gares 
faute  de  wagons. 

Le  problème  est  double.  11  faut  d'abord  rapprocher 
les  unes  des  autres  les  diverses  parties  de  l'immense 
Sibérie  qui  peuvent  dans  une  certaine  mesure  se  com- 
pléter. (Les  régions  minières  et  forestières  ont  besoin 
des  régions  agricoles  ou  pastorales  et  réciproquement). 
Il  faut  ensuite  ouvrir  à  la  Sibérie  des  débouchés  sur  le 
monde  extérieur,  la  mettre  en  relations  avec  les  marchés 
qui  ont  besoin  de  céréales,  de  beurre,  de  viande,  de 
bois,  de  poissons.  Ces  marchés  ne  manquent  pas  et  cer- 
tains d'entre  eux  se  trouvent  aux  frontières  mêmes  :  tel 
le  Turkestan  producteur  de  coton  et  de  fruits,  acheteur 
de  blé  et  de  bois,  telle  surtout  la  Chine  surpeuplée, 
déboisée,  et  qui  a  tant  de  peine  à  nourrir  ses 
300000000  d'habitants.  L'Europe  occidentiJe,  le  Japon, 
l'Amérique,  plus  éloignés,  ont  l'avantage  dêtre  non  pas 
seulement  acheteurs  de  denrées  sibériennes,  mais  aussi 
vendeurs  des  produits  fabriqués  nécessaires  à  la  mise  en 
valeur  du  pays. 

L'arrêt  du  trafic  fluvial  d'octobre  à  mai,  et  le  fait 
que  trois  sur  quatre  des  fleuves  sibériens  débouchent 
sur  une  mer  pratiquement  inaccessible  en  tout  temps, 
rendaient  indispensable  la  construction  de  voies  ferrées. 

Certes,  le  magnifique  réseau  navigable  de  Sibérie  rend  en  été  de 
très  grands  services.  Il  en  rendra  plus  encore  lorsque  des  canaux  nom- 
breux uniront  les  uns  aux  autres  les  fleuves  et  les  rivières.  Mais  la  vie 
économique  d'un  pays  ne  peut  être  suspendue  pendant  huit  mois  de 
Tan  et  la  voie  de  fer  doit  compléter  la  voie  d'eau.  Jusqu'ici  un 
seul  canal  existe,  depuis  1889.  11  relie  le  Kas,  affluent  de  l'Iénissél 
à  la  Kel,  affluent  de  l'Ob.  Sa  largeur  et  sa  profondeur  sont  tou- 
tefois insuffisantes.  Un  vaste  programme,  élaboré  en  I9II.  pré- 
voyait d'abord  le  balisage  et  l'amélioration  des  principaux  cours 
d'eau,  notamment  de  l'Angara  entre  Baïkal  et  Ienisseï,  puis  la  trans- 
formation du  canal  Ket-Kas,  enfin  la  construction  de  canaux  unis- 
sant l'Amour  au  Baïkal  par  la  Selenga,  le  Baïkal  à  la  Lena,  et  le 
réseau  de  l'Ob  au  réseau  de  la  Russie  d'Europe  à  travers  l'Oural. 

L'impérieuse  nécessité  des  chemins  de  fer,  et  les  ser- 
vices qu'ils  peuvent  rendre,  furent  pleinement  mis  en 
lumière  dès  la  construction  du  Transsibérien. 

Commencé  en  1893,  à  la  fois  par  Vladivostok  et 
par  l'Oural,  il  fut  achevé  en  1 904.  Son  importance  stra- 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE     PL.    16,   page  318 


LA  CHINE 


tëgique  se  revéli  incontinent  au  cours  de  la  guerre 
russo-japonaise.  Elle  s  est  affirmée  mieux  encore 
pendant  la  Grande  Guerre.  Quant  à  son  rôle  écono- 
mique, nous  n'en  voulons  d'autres  preuves  que  l'affluence 
formidable  des  immigrants  russes  et  la  croissance  subite 
du  trafic  entre  la  Sibérie  et  l'étranger.  Le  beurre,  le 
blé,  les  œufs,  les  animaux  vivants  s'ajoutèrent  aux  four- 
rures et  au  thé,  seules  marchandises  assez  chères  pour 
supporter  le  coiit  de  I  interminable  voyage  d'autrefois  en 
bateau,  en  tarantass,  en  traîneau,  à  dos  de  mulets  ou 
de  chameaux.  Les  voyageurs  européens  à  destination  de 
l'Ejctrême-Onent  eurent  aussi  tout  avantage  à  préférer  à 
la  voie  de  mer  la  route  ferrée,  beaucoup  moins  longue 
(douze  jours  de  Paris  à  Vladivostok  et  Pékin  au  lieu 
de  trente-cinq)  et  moins  chère  (800  francs  en  première 
classe,  y  compris  la  nourriture,  au  lieu  de  1800  francs, 
chiffres  de  1913). 

Depuis  1904,  la  ligne,  d  abord  assez  sommairement  consiruile  et 
à  voie  unique,  s'esl  fort  améliorée.  On  a  doublé  les  voies,  conso- 
lidé la  chaussée,  renforcé  les  rails,  construit  sur  les  fleuves  des 
ponts  gigantesques,  contourné  le  Balkal  que  l'on  franchissait  au 
début  en  ferry-boat  ou  en  traîneau.  A  l'Est,  la  dernière  section  du 
Transsibérien  coupait  la  boucle  de  l'Amour  et  traversai!  la  Mand- 
chourie,  d'où  un  embranchement  atteignait  Port-Arthur,  Pékin  et 
la  Corée  méridionale.  Les  Russes,  écartés  de  la  Mandchourie,  ont 
tenu  à  ce  que  leur  ligne  tout  entière  passât  en  territoire  sibérien. 
Ils  ont  donc,  de  Tchita  à  Khabarovsk,  sur  la  rive  gauche  de 
l'Amour,  construit  une  section  nouvelle  achevée  en  1916.  A 
rOuest,  au  lieu  d'une  seule  voie  d'accès,  ils  en  ont  deux 
depuis  1914,  car  à  la  première  ligne  Moscou-Samara-Oula-Tché- 
liabinsk-Omsk,  s  ajoute  maintenant  la  ligne  Pélrograd-Vialka- 
Perm-Ekaterinbourg-Tioumen-Omsk.  C'est  aussi  pendant  la  guerre 
que  furent  terminés  une  série  d'embranchements  rattachant 
au  Transsibérien  les  régions  minières,  industrielles  et  agricoles  de 
l'Altaï  (voie  de  Novo-Nikolalevsk  à  Semipalalinsk  par  Bamaoul  ; 
voie  de  Tomsk  à  Koltchougino  et  Kouznetska  ;  voie  d'Atchinsk 
à  Minoussinsk).  Beaucoup  d'autres  projets  déjà  complètement  étu. 
diés  en    1914    prévoyaient  la  construction  de  lignes  destinées  soit 


à  mettre  en  valeur  les  steppes  de  Tourgaf  et  d'Akmolinsk  (ligne 
d  Orenbourg  à  Semipalalinsk  par  Tourgal  et  Akmolinsk  :  ligne  de 
Tchéliabinsk  à  Akmolinsk  par  Troltsk  et  Atbasan),  soit  surtout  à 
unir  te  Transsibérien  au  réseau  du  Turkestan  (lign^  ^^  Semipa- 
lalinsk à  Arys,  près  de  Tachkenl,  par  Sergiopol  elle  bassin  de  l'Ili). 
On  songeait  aussi  à  doubler  d'une  voie  ferrée  l'ancienne  route 
de  caravanes  Irkoutsk-Pékin  par  Kiakhia,  Ourga  cl  Kalgan  à 
travers  le  désert  mongol.  Ejifin,  pour  tirer  un  meilleur  parti  de 
I  immense  réseau  navigable  de  l'Ob,  dont  l'utilisation  est  paralysée 
par  les  glaces  flollantes  de  la  Mer  de  Kara,  il  était  question  d'éta. 
blir  une  vole  ferrée  qui,  partant  d'Obdorsk  (à  l'entrée  de  l'esluairc 
du  fleuve),  franchirait  aisément  l'Oural  et  aboutirait  sur  les  rivages 
de  la  Mer  de  Barents  (au  golfe  de  Khalpoudyr)  à  l'Est  de  l'em- 
bouchure de  la  Pelchora),  en  un  point  que  l'influence,  certes  Irès 
atténuée,  encore  sensible  pourtant,  du  Gulf-Stream,  rend  libre  de 
glaces  pendant  plusieurs  mois.  Celte  ligne  est  la  seule  qui  permcl- 
trait  aux  marchandises  lourdes  (bois  et  céréales)  de  pouvoir  prendie 
le  chemin  de  l'Europe  occidentale. 

Tout  cela  se  fera  avec  le  temps.  La  Sibérie  s'ouvrait 
à  peine  à  la  vie  lorsque  éclata  la  Grande  Guerre.  Nous 
ne  pouvons  même  pas  savoir  les  chiffres  exacts  qu  attei- 
gnaient, a  cette  date,  sa  production  et  ses  transactions 
Aux  170000000  de  francs  de  beurre,  aux  100000000 
de  francs  d'or  mentionnés  plus  haut  s  ajoutaient  peut- 
être  80000000  de  francs  de  fourrures.  Le  reste, 
céréales,  lin,  peaux  et  cuirs,  biis,  poissons,  œufs,  viande, 
animaux  vivants,  minerais,  se  confond  de  telle  sorte  dans 
les  statistiques  russes  avec  les  denrées  de  même  espèce 
provenant  de  la  Russie  d'Europe  que  l'on  ne  saurait 
distinguer  ce  qui  revient  à  lune  et  à  l'autre.  Il  en  est 
de  même  des  importations.  Ce  qu'il  faut  se  rappeler,  c  est 
que  la  Sibérie,  comme  le  Canada,  n'est  pas  seulement  le 
royaume  de  la  neige  et  du  froid,  mais  une  immense 
étendue  de  terres  vierges  au  climat  rude  mais  sain,  et 
dont  les  richesses  agricoles,  pastorales,  forestières, 
minières  sont  une  des  réserves  les  j)lus  considérables  sur 
lesquelles  l'humémité  puisse  compter. 


CHAPITRE   XXI  y 


LA  CHINE 


L'ensemble  des  terres  placées  sous  la  domination  immé- 
diate ou  indirecte  du  Gouvernement  Chinois  couvre 
environ  1 1  000  000  de  kilomètres  carrés,  soit  un  million 
de  plus  que  l'Iiurope  entière.  Il  comprend  : 

1°  Les  Dépendances  et  États  vassaux  :  Turkestan 
chinois,  Tibet,  Mongolie,  Mandchourie,  7  000000  de 
kilomètres  carrés,  en  grande  partie  désertiques  (la 
Mandchourie  mise  à  part),  à  peine  peuplés,  aux  trois 
quarts  inexplorés  ; 

2°    La     Chine     proprement     dite    ou     Chine   des 


1 8  provinces,  entre  la  Mandchoune  au  Nord,  la  Mongo- 
lie et  le  Tibet  à  l'Ouest,  la  Birmanie  et  le  Tonkin  au 
Sud,  à  l'Est  la  mer.  Elle  s'étend  sur  4000000  de  kilo- 
mètres carrés  (sept  à  huit  fois  la  France)  entre  le  20®  de- 
gré et  le  42*  degré  de  latitude  Nord  (cf.  Nevk-  York  et 
Cuba,  Constantinople  et  le  Sud  de  l'Egypte).  EUIe  fut 
le  siège  d'une  des  plus  anciennes  ciMiisations  du  monde. 
Ses  ressources  sont  immenses  et  ses  300  ou  310000000 
d'habitants  représentent  h.  peu  près  le  cinquième  de  la 
population  totale  de  notre  planète. 

3t9 


L'ASIE 


LA  CHINE  PROPREMENT  DITE 


GENERALITES 


Les  Chinois  n  emploient  pas  le  nom  que  les  Occiden- 
taux donnent  à  la  Chine  et  qui  provient,  sans  doute,  de 
1  appellation  hindoue  de  Tchina  dérivée  de  la  très 
ancienne  dynastie  des  Tsin.  Ils  ignorent  aussi  l'épithète 
de  Céleste  "  et  désignent  leur  patrie  sous  le  nom  de 
Tchoung  Kouo,  c'est-à-dire  le  "  Royaume  du  Milieu  " 
ou  r  Empire  Central  "',  sans  doute  par  suite  de  la 
croyance,  commune  à  tous  les  peuples  primitifs,  que  leur 
pays  est  vraiment  le  milieu  des  terres  habitables.  Eux- 
mêmes  s'appellent  "  Hanjin  "  ou  "  Hantsé  "  :  hommes 
ou  (ils  de  Han. 

Le  domaine  propre  des  fils  de  Han  a  vers  l'Ouest  des 
limites  incertaines.  La  ligne  frontière  zigzague  à  travers 
les  hautes  chaînes  du  Tibet  oriental,  les  massifs  et  les 
plateaux  mongols.  C'est  au  pied  de  ces  bastions  formi- 
dables que  commence  la  Chine  véritable,  au  point  où 
les  fleuves  assagis  sortent  de  l'étreinte  des  rocs,  lis  ont 
construit,  de  leurs  alluvions,  une  plaine  immense  d'une 
fécondité  naturelle  prodigieuse.  A  de  rudes  hivers  suc- 
cèdent des  étés  très  chauds  arrosés  par  les  pluies  de 
mousson.  L'homme  n'y  connaît  pas  l'énervement.  les 
langueurs  des  climats  tropicaux.  Il  s'y  maintient  robuste, 
actif,  et  son  corps  se  tonifie  par  les  froidures  hivernales. 
La  nature,  pour  lui,  ne  se  montrait  pas  démesurément 
prodigue.  11  doit  faire  effort  et  s'ingénier  pour  vivre, 
mais  ses  efforts  sont  payés  au  centuple.  Ce  sont  là  des 
conditions  analogues  à  celles  que  présentent  les  bassins 
de  l'Euphrate,  du  Tigre,  du  Nil.  Aussi  la  Chine  fut- 
elle  de  tout  temps  une  zone  d'humanité  comparable  à 
1  Egypte,  à  la  Chaldée,  aux  rives  méditerranéennes. 

De  très  bonne  heure  elle  vit  naitre  et  se  développer 
une  civilisation  égale,  sinon  supérieure,  à  celles  qui 
grandissaient  à  l'Occident.  La  boussole,  le  papier  de 
chiffon,  la  poudre  à  canon  sont,  on  le  sait,  des  inventions 
chinoises  qui  datent  de  plusieurs  siècles  avant  l'ère 
chrétienne.  Et  rien  ne  lui  manqua  pour  développer  harmo- 
nieusement ces  germes  magnifiques  qu'un  contact  plus 
direct  avec  les  autres  peuples.  Mais,  isolée  du  monde 
extérieur  par  les  doubles  barrières  de  l'Océan  immense  et 
des  déserts  sans  lin,  elle  ne  connut  pas  ce  qui  se  passait 
hors  de  chez  elle  ;  elle  ne  put  transmettre  aux  autres  ce 


qu'elle  savait,  ni  profiter  de  leurs  découvertes.  Aussi,  à 
1  aube  splendide  de  sa  jeunesse  succéda  un  prompt 
déclin.  Elle  s'engourdit,  se  cristallisa,  se  momifia,  pour 
ainsi  dire,  ne  sut  ni  tirer  des  prémices  de  ses  connais- 
sances les  conséquences  scientifiques  qu'elles  renfermaient 
en  germe,  ni  élargir  sans  cesse  le  cycle  de  ses  décou- 
vertes. La  boussole  ne  fut,  pour  elle,  quun  Jouet  dont 
elle  ne  songea  point  à  tirer  parti  pour  se  lancer  à  la 
découverte  du  monde.  Le  papier  ne  lui  servit  de  rien, 
puisqu'elle  ignora  l'imprimerie.  La  poudre  à  canon 
n'eut,  en  Chine,  d'autre  emploi  que  la  fabrication  des 
fusées  et  des  pièces  d'artifice.  Et  pendant  plus  de 
deux  mille  ans  elle  vécut,  immuable,  persuadée  qu'elle 
avait  atteint  les  bornes  du  savoir,  les  limites  suprêmes  de 
l'humaine  sagesse.  Les  Européens  s'efforcèrent,  dans  la 
seconde  moitié  du  XIX®  siècle,  de  lui  prouver  qu'elle  se 
trompait.  Elle  commence  à  l'admettre,  de  fort  mauvaise 
grâce  du  reste.  C'est  le  début  d'une  période  nouvelle  de 
son  histoire,  un  enfantement  douloureux,  saccadé,  con- 
vulsionnaire,  dont  le  dénouement  intéresse  toute  la  vie 
économique  du  globe,  sans  que  l'on  puisse  prévoir 
encore  quel  il  sera. 


Abstraction  faite  de  ses  rivages,  de  la  vallée  du  Yang-Tseu  et  des 
grandes  plaines  du  Centre-Nord,  la  Chine  est  encore  peu  et  ma! 
connue.  Les  hautes  montagnes  de  l'Ouest,  toute  la  région  du  Sud  du 
Yang-Tseu  ne  furent  encore  parcourues  que  par  un  petit  nombre 
d'explorateurs  européens.  Sur  bien  des  points,  les  renseignements 
les  meilleurs  que  nous  ayons,  encore  à  l'heure  présente,  nous 
viennent  des  missionnaires,  surtout  jésuites,  qui,  au  XVIl^  et  au 
XVIll''  siècle,  dressèrent  les  premiers  itinéraires  et  les  premières 
cartes.  De  nos  jours,  les  plus  beaux  travaux  d'ensemble  consacrés 
à  l'Empire  du  Milieu  sont  dus  à  l'Allemand  Von  Richthofen,  dont 
l'ouvrage  magistral,  publié  à  partir  de  1877.  est  la  base  fondamen- 
tale de  toute  étude  consacrée  à  la  Chine,  —  et  à  la  Mission  com- 
merciale lyonnaise  qui,  de  1893  à  1897,  se  consacra  spécialement 
à  l'exploration  des  provinces  méridionales.  Chaque  jour,  quelque 
lacune  se  comble.  Ingénieurs,  missionnaires,  consuls,  explorateurs, 
s'efforcent,  souvent  au  péril  de  leur  vie,  de  déchiffrer  un  nouveau 
fragment  de  "  I  énigme  chinoise  ".  Cependant,  l'hostilité  violente 
ou  déguisée  du  fils  de  Han  à  l'égard  des  '*  Barbares  étrangers  ", 
les  obstacles  de  tous  ordres  qu'il  dresse  devant  leurs  pas,  s'opposent 
et  s  opposeront  longtemps  peut-être  à  l'œuvre  de  reconnaissance 
complète,  méthodique,  scientifique  des  terres  chinoises. 


LES  REGIONS  NATURELLES  DE  LA  CHINE 

Des  considérations  tirées  à  la  fois  de  la  géographie  relies  :  Chine  du  Nord  ou  bassin  du  Hohang-Ho,  Chine 
physique,  de  l'histoire  et  de  la  géographie  humaine  per-  du  Centre  ou  bassin  du  Yang-Tseu,  Chine  du  Sud  ou 
mettent  de  diviser  la  Chine  en  trois  grandes  régions  natu-      '  '  Chine  coloniale  "  allant  du  Yang-Tseu  au  Tonkin. 

320 


LA  CHINE 


La  Chine  du  Nord 


LES  MONTAGNES  ET  LES  TERRES 
JAUNES  DE  L'OUEST.  00  La  Chine  du  Nord 
correspond  à  peu  près  au  domaine  drainé  par  le  Hohang- 
Ho  ou  Fleuve  Jaune,  et  le  Pei-Ho,  la  rivière  de  Pékin. 
Elle  est  séparée  de  la  Chine  Centrale  par  les  chaînes 
granitiques  des  monts  Tsin-Ling  (2  000  à  3000  mètres) 
que  les  hauteurs  du  Houaï  prolongent  jusqu'aux  rives  du 
bas  Yang-Tseu. 

A  l'Ouest,  elle  se  compose  de  hautes  terres,  mon- 
tagnes et  plateaux,  qui  relient  les  chaînes  Formidables  du 
Kouen-Lun  et  du  Nan-Chan  à  l'arc  mandchourien  du 
Grand  Khingan. 

L'altitude  moyenne  de  ces  hautes  terres  est  de 
1  500  à  2  000  mètres,  mais  elles  s'abaissent  vers  l'Est  en 
larges  gradins  qu'escaladent  les  pistes  menant  au 
désert.  Elles  ne  portent  point  de  nom  d'ensemble,  mais, 
suivant  l'usage  chinois,  une  multitude  de  désignations 
locales  qui  ont  maintes  fois  varié  au  cours  des  siècles. 
Elles  couvrent  de  leurs  crêtes  dénudées,  de  leurs  vastes 
et  mornes  étendues,  tou'.e  la  province  du  Kan-Sou,  la 
majeure  partie  des  provinces  du  Chen-Si,  du  Chan-Si, 
du  Tché-Li.  Sur  un  socle  de  roches  cristallines  se  sont 
lentement  déposées,  au  cours  des  siècles  innombrables, 
les  poussières  argileuses  charriées  par  les  vents  du 
désert.  Ces  poussières  accumulées,  mêlées  de  débris 
organiques,  forment  le  '  lœss  '  des  géologues,  la  terre 
jaune  des  Chinois.  Leur  épaisseur  peut  atteindre  plu- 
sieurs centaines  de  mètres.  Très  friables,  facilement 
attaquées  par  la  morsure  des  torrents,  elles  se  creusent 
de  rides  profondes,  au  fond  desquelles,  entre  de  hautes 
falaises  ocreuses,  dégringolent  les  eaux  et  s'insinuent 
les  routes  où  grincent  les  roues  des  chariots.  On  circule 
pendant  des  heures,  pendant  des  jours,  sous  l'étreinte  de 
ces  murs  où  l'on  étouffe  aux  brillants  jours  d'été,  mais 
qui  ont  au  moins  l'avantage  d'abriter  le  voyageur  contre 
l'impalpable,  l'insupportable  poussière  que  le  souffle  de 
la  mousson  entraîne  avec  lui.  "  Ici  tout  est  jaune  :  les 
collines,  les  routes,  les  champs,  l'eau  de  la  rivière,  les 
arbres  maigres  et  rares,  les  habitants  qui  construisent 
leurs  maisons  avec  cette  terre  ou  s  y  creusent  des 
cavernes  souterraines  comme  nos  troglodytes  des  rives  du 
Loir.  "  (G.  Maspero.) 

Très  fertiles,  pour  peu  que  l'eau  ne  manque  point,  ces  terres 
jaunes  du  Kan-Sou  et  du  Chen-Si  lurent  la  véritable  patrie  des  fils 
de  Han.  C'est  là  qu'on  les  trouve  au  début  de  leur  histoire,  à 
l'époque  où,  dans  nos  régions,  les  premiers  Pharaons  dressaient 
leurs  pyramides  aux  confins  du  désert.  C'est  (Je  là  que,  suivant  la  pente 
naturelle  du  terrain  et  les  vallées  des  fleuves,  ils  descendirent  vers 
les  grandes  plaines  de  l'Est,  puis  vers  le  bassin  du  Yang-Tseu. 
C'est    encore  là  qu'ils  édifièrent    plus  tard,    pour    se  protéger  des 


razzias  mongoles,  celle  fameuse  "  Grande  Muraille  ",  ce  colossal 
rempart  long  de  3  000  kilomètres,  dont  la  puissante  courtine 
sommée  de  tours  crénelées  se  profile  au  sommet  des  monts  pierreuK 
jusqu  à  l'extrême  horizon. 

LES  GRANDES  PLAINES  DE  L'EST.  00 
A  l'Est  s  étale,  sur  une  surface  grande  comme  la 
France,  la  plaine  chinoise,  construite  aux  dépens  de  la 


CMmE  BIT  NOKID 
Temiijauiu-j.  TERRES  JAUI^ES       Munona.^s^ 
ET  ALLUVIONS 


gVS'  I  «  ' 


^JSS^ 


HS^ 


mer  par  les  alluvions  que  les  fleuves  arrachèrent  en  si 
prodigieuse  quantité  et  continuent  d'arracher  aux  terres 
jaunes  du  pourtour.  Elle  commence  au  Nord-Est  de 
Pékin,  couvre  tout  le  Tché-li  oriental,  une  partie  du 
Ho-nan,du  Ngan-houei,  du  Kiang-Sou,  s'insinue  jusqu'au 
Chen-Si  par  la  large  vallée  du  Wei-Ho,  entoure  de  sa 
nappe  fangeuse  le  double  massif  du  Chan-Toung, 
ancienne  île  rattachée  au  continent,  et  se  confond  au 
Sud-EUt  avec  le  delta  du  Yang-Tseu. 

"  Rigoureusement  plat,  sans  limite  visible,  s'élend  de  toutes  parts, 
comme  une  mer.  le  sol  brun-jaune  sillonné  d'innombrables  stries 
parallèles  que  traça  la  charrue  et  qui  fuient  vers  l'horizon.  Pas  le 
plus  petit  coin  inutilisé,  pas  de  fossés,  pas  de  haies.  A  peine  res- 
pecte-t-on  l'espace  nécessaire  à  d'étroits  sentiers.  Partout  des  vil- 
lages, éloignés  à  peine  de  quelques  minutes  les  uns  des  autres,  tous 
ombragés  d'un  bouquet  de  bambous.  L'aspect  de  ces  îlots  de  ver- 
dure parsemant  la  plaine  infinie  nous  rappelait  les  atolls  des  mers 
du  Sud  et  leur  ceinture  de  palmiers  qui  paraissent  surgir  du  sein 
des  eaux.  On  sent  que  depuis  des  générations  innombrables  ce 
paysage  est  resté  le  même,  et  que  les  gens  y  ont  vécu,  sans  his- 
toire, dans  des  conditions  patriarcales  immuables,  répétant  étemelle- 


321 


L'ASIE 


menl   les   mêmes *gesles,  au   même  mcmcnl,  sur  le   même    sillon.  " 
(G.  Wegener). 

Ces  plaines  s'achèvent  sur  le  golfe  du  Tche'-li  (ou 
Petchili)  et  la  Mer  Jaune  par  des  côtes  plates,  vaseuses, 
borde'es  de  lagunes  saumâtres,  sans  cesse  accrues  par  de 
nouveaux  apports  fluviaux.  On  ne  trouve  quelques 
bonnes  rades  que  sur  les  bords  escarpes  de  la  presqu'île 
duChan-Toung  :  Tchefou.  Weï-haï-Weî,  Kiao-Tcheou. 
Partout  ailleurs  l'homme  fuit  des  rivages  où  rien  ne 
l'attire,  où  la  vie  maritime  n'a  jamais  pu  naître.  Aussi 
le.  Chinois  du  Nord  fut-il  de  tout  temps  un  terrien 
enraciné  au  sol,  sans  un  regard  pour  les  flots  troubles  de 
cette  mer  limoneuse  qui  rebute  au  lieu  d'attirer. 

CLIMAT,  VÉGÉTATION,  CULTURE.  0a 
Malgré  leur  latitude,  qui  est  celle  de  la  Sicile  et  de  l'Al- 
gérie, la  grande  plame,  et  à  plus  forte  raison  les  hautes 
terres  de  l'Ouest,  ont  un  climat  non  pas  tempéré  mais 
nettement  continental.  Pékm,  qui  est  exactement  sous  le 
même  parallèle  que  Lisbonne,  a  des  hivers  aussi  froids 
que  Varsovie  (moyenne  de  janvier  —  4",?).  Le  thermo- 
mètre s'abaisse  à  1 5°,  20°  au-dessous  de  zéro.  Les 
fleuves  sont  pris  par  les  glaces,  et  le  fond  même  du 
golfe  du  Tché-li  se  couvre  d'une  petite  banquise.  Les 
montagnes,  en  effet,  ne  sont  point  assez  hautes  pour  bar- 
rer la  route  à  la  terrible  mousson  d'hiver,  aux  vents  gla- 
cés venus  de  Mongolie  et  de  Sibérie,  et  qu'attire  la 
dépression  du  Pacifique.  En  revanche,  à  des  hivers  très 
froids,  très  secs,  succèdent  de  brûlants  étés.  Pékin  a  la 
même  moyenne  de  juillet  (26", 5)  que  Hong-Kong.  Sai- 
gon et  Singapour.  Le  continent  surchauffé  attire  à  son 
tour  l'air  humide  des  régions  océaniques,  et  la  mousson 
du  Sud-Est  déverse  de  mai  à  septembre  des  ondées 
qui,  sans  être  aussi  copieuses  que  dans  les  régions  plus 
méridionales,  donnent  à  la  plaine  de  60  à  80  centimètres 
d'eau,  à   la  montagne  de   1   à  2  mètres. 

Tel  climat,  telles  cultures.  Ne  cherchez  pas,  dans  la 
Chine  du  Nord,  les  rizières  à  perte  de  vue,  les  planta- 
tions de  thé  et  de  mûriers,  la  canne  à  sucre,  les  arbres 
et  les  fruits  des  tropiques.  Si  la  forte  chaleur  et  l'humi- 
dité relative  de  la  saison  estivale  permettent  encore,  en 
quelques  points,  la  culture  du  riz,  voire  du  cotonnier, 
ce  sont  surtout  les  céréales,  les  légumes,  les  fruits  de 
l'Europe  Centrale  qui  croissent  et  mûrissent  dans  les 
petits  champs  soignés  avec  amour  :  blé,  maïs,  orge, 
différentes  espèces  de  millet,  haricots,  choux,  carottes, 
poires,  pommes,  cerises,  etc.,  tels  sont  les  produits 
essentiels.  De  forê'.s  il  n'en  est  plus  nulle  part.  La 
végétation  arborescente,  dans  la  plaine  aussi  bien  que 
dans  la  montagne,  n'est  plus  guère  représentée  que  par 
l'éternel  bouquet  de  bambous  ombrageant  la  pagode  du 
bonze,  la  maisonnette  du  paysan. 

322 ■ 


LE  PEl-HO  ET  LE  HOHANG-HO.  00 
Cette  déforestation  intense,  poursuivie  sans  arrêt  depuis  des 
siècles,  agit  de  la  façon  la  plus  fâcheuse  sur  le  régime  des 
eaux  courantes.  Déjà  le  Peï-Ho,  qui  draine  les  terrasses 
du  Tché-li,  et  qui,  malgré  sa  faible  longueur  (500  kilo- 
mètres), sert  de  déversoir  à  un  domaine  vaste  comme  le 
quart  de  la  France,  transforme  chaque  été  toute  la  plaine 
de  Pékin  à  Tien-Tsm  en  un  immense  lac  d'eau  boueuse 
d  où  les  villes  et  les  villages,  protégés  par  des  levées  de 
terre,  émergent  comme  des  ilôts.  Bien  autrement  redou- 
tables apparaissent  les  crues  fantaisistes  du  Hohang-Ho. 
Ce  fleuve  jaune  '  prend  rang  parmi  les  plus  grands  du 
monde  tant  par  sa  longueur  (plus  de  4000  kilomètres) 
que  par  son  aire  de  drainage  (I  000  000  de  kilomètres 
carrés).  Tour  à  tour  fleuve  de  désert,  fleuve  de  mon- 
tagne et  fleuve  de  plaine,  il  naît  sur  les  hauts  plateaux  du 
Tibet  oriental,  décrit  une  courbe  immense  à  travers  les 
dunes  sablonneuses  du  pays  des  Ordos  en  Mongolie,  puis 
traverse,  par  des  gorges  profondes,  les  assises  de  lœss  qui 
couvrent  Chen-Si  et  Chan-Si,  reçoit  son  grand  affluent 
de  droite,  le  Weï-Ho,  dont  il  emprunte  la  vallée  et  débou- 
che en  plaine  en  amont  de  Kaï-fong.  Cette  plaine,  il  l'édi- 
fia lui-même  de  ses  alluvions.  Mais  elle  est  si  plate  qu'il 
hésite  sans  cesse  sur  la  route  qu'il  doit  s'y  tracer. 

Dix  fois  depuis  le  Vl^^  siècle  avant  notre  ère,  il  changea  son  lit 
portant  alternativement  son  embouchure  au  Nord  et  au  Sud  de  la 
presqu'île  du  Chan-Toung.  En  vain,  des  milliers  et  des  milliers  de 
travailleurs  s  efforcèrent-ils  sans  arrêt  de  fixer  ses  eaux  vagabondes 
entre  des  digues  formidables.  L'apport  continu  du  limon  exhaussait 
le  lit  du  fleuve  et  une  crue  plus  violente  que  de  coutume  ouvrait 
dans  le  rempart  une  large  brèche  où  s'engouffrait  la  masse  du  flot. 
En  1856,  le  Hohang-Ho  coulait  au  Sud'Est,  se  mêlait  au  Houaï 
et  confondait  les  branches  de  son  délia  avec  celles  du  Yang-Tseu. 
Cette  année-là,  une  rupture  des  digues  de  la  rive  gauche  le  rejeta 
vers  le  Nord,  noyant  5  000  000  d'individus.  En  1887,  nouvelle 
rupture,  celte  fois  sur  la  rive  droite,  et  nouveau  désastre 
(3  000  000  de  victimes).  Depuis  lors,  la  Chine  n'a  pas  connu 
d'alarmes  sérieuses  ;  le  danger  fut  toujours  conjuré  à  temps. 

L'embouchure  présente  se  trouve  au  Sud  du  golfe 
du  Tché-li.  Elle  est  barrée  de  telle  sorte  par  les  dépôts 
de  vase  que  ni  les  vapeurs  ni  même  les  jonques  de  com- 
merce ne  s'y  peuvent  engager.  Aussi  les  services  rendus 
par  ce  '  fléau  des  fils  de  Han  "  sont-ils  moindres  que  ses 
méfaits.  S'il  irrigue  de  vastes  étendues  de  champs,  il  les 
dévaste  plus  encore  qu  il  ne  les  fertilise.  Pas  une  grande 
ville  ne  s'élève  sur  ses  rives.  La  flottille  de  barques  à  fond 
plat,  de  radeaux,  qui  empruntent  ses  eaux  et  remontent, 
par  le  We'i'-Ho,  jusqu'au  Chen-Si,  est  peu  de  chose  en 
comparaison  de  l'intense  mouvement  que  l'on  observe  sur 
le  Yang-Tseu.  Malgré  les  canaux  et  les  lacs  du  Kiang- 
Sou  (zone  deltaïque  du  Houa'i),  la  plaine  du  Nord  n'est 
pas,  et  ne  fut  jamais,  même  au  temps  où  le  Canal  Impé- 
rial la  traversait  tout  entière,  de  Pékin  à  Nankin,  le 
domaine  de  la  barque.  Les  transports  s'y  font  par  char- 


LA  CHINE         — , 


Lj\  grande  MURMLLE/uf  construite  au  lll''  siècle  avant  notre  ère  pour  metlre 
les  Chinois  sédentaires  à  l'abri  des  razzias  exécutées  par  les  nomades  Mongols.  Elle 
fut,  depuis  lors,  maintes  foisremaniée  et  complétée  jusqu'au  XVI^  siècle.  Par  salongueur 
(3300  kilomètres),  la  masse  de  matériaux  qu'il  fallut  y  employer,  lesmillions  de  travail- 


leurs que  nécessita  sa  comlrudion,  la  difficultés  de  foute  sorte  que  piaentait  une  telle 
entreprise  (hautes  montagnes,  précipices,  déserts,  etc.),  la  Grande  Muraille  est  certai- 
nement le  plus  considérable  de  tous  les  travaux  qu'exécutèrent  non  pas  les  Chinois 
seulement  mais  les  hommes. 


LXS  GORGES  DU  YANG-TSEU.  Deson  embouchure  jusqu'à  f-tchang.  le  Yang- 
Tstu  forme.  SUT  plus  de  1  500  kilomètres,  une  admirable  voie  navigable  où  les  grands 
vapears  circulent  aisément.  En  amont  d'I-tchang,  le  fleuve  est  resserré  entre  de  hautes 
parois  Tochaises  et  coafié  de  rapides  qm,  jusqu'à  Tcfwimg-King.  rendent  la  navigation 


beaucoup  plus  malaisée.  Les  jonques,  poussées  patja  mousson  de  l'Est,  _menées_à'^la 
rame  ou  tirées  à  la  corde  par  des  légions  de  coolies,  emploient  plus  d'un  mois  à  franchir 
ce  bief  difficile  et  fort  dangereux.  Depuis  I9J0,  de  petits  vapeurs  parvierment  à  couvrir 
cette  même  dislance  en  une  dizaine  de  jours. 


323 


L'ASIE 


HONG-KONG.  Les  Anglais  sont  maîtres,  depuis  1841,  de  la  petite  île  de  Hong- 
Kong  qui  commande  l'entrée  du  Siki<tng.  Ils  y  construisirent  le  port  de  Victoria, 
dont  ils  firent  d'abord  la  rivale  de  Canton,  puis  la  première  ville  de  banque,  la 
première  place  de  transit  de  l'Extrême-Orient  et  du  Pacifique. 


NANKIN.  -Sue  aux  rives  du  Fleuve  Eleu,  Nankin  fut  jadis,  bien  avant  Pékin,  la 
capitale  de  la  Chine  entière.  Elle  souffrit  cruellement  de  la  révolte  des  Taï-ptngy 
Depuis  lors,  ses  industries  textiles  ont  repris  leur  activité  '.  elle  conserve  aussi  la 
réputation  de  "  métropole  du  beau  langage  et  des  belles  lettres  ".  Cl.  HarlINCIJE. 


UN  MANDARIN  A  SON  TRIBUNAL.  Les  Chinois  ont  toujours  eu  la  passion 
de  s'instruire  et  le  culte  du  "  Lettré  ".  On  ne  devient  mandarin,  c'est-à-dire  fonc- 
tionnaire —  simple  -uge  de  paix  ou  puissant  gouverneur  de  province  —  qu  après 
avoir  subi  avec  succès  des  examens  nombreux. 


INTÉRIEUR  CHINOIS,  l'étues  desoienes  somptueuses,  leurs  petits  pieds  parais- 
sant à  peine  sous  le  large  pantalon,  ces  deux  jeunes  femmes  ont  celte  finesse  de  traits, 
cette  naturelle  élégance,  cette  distinction  innée,  propres  aux  races  de  très  vieille 
civilisation. 


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1 

L.N   COIN   DE  RIVIÈRE.  TRANSPORT  PAR  CHARIOT.  COOLIE. 

LES  MODES  DE  TRANSFORTS  EN  CHINE.  Les  trois  grandes  divisions  nalu-         des  chevaux,  des  ânes.  La  Chine  du  Centre,  grâce  au  Yang-  Tseu  et  à  l'abondance  des 
relies  que  le  relief,  le  climat  et  l'histoire  permettent  de  reconnaître  en  Chine  se  caraclé-  rivières  navigables,  est  essentiellement  le  domaine  de  la  barque.  La  plus  mince  rivière  roit 

risent  par  trois  motio  différents  de  transport.  Dans  les  plaines  du  Nord  où  /es  pistes  car-         se  glisser  jusqu'à  sa  source  même  le  léger  sampang  du  marchand.  Enfin  dans  la  Chine  du 
ross^licss  ctallirent  aisément ,  on  utilise  les  chariots  à  roues  pleines,  traînés  par  des  bœufs.  Sud,  couverte  de  montagnes,  c'est  à  dos  d'homme  que  circulent  toutes  les  marchandises. 


LA  CHINE 


rettes  à  roues  pleines,  que  tirent  des  mules,  ou  qu'en-  terres,  les  convois  de  mules,  de  chevaux,  de  chameaux 
traîne  le  vent  (les  feuneuses  brouettes  à  voiles,  ces  loin-  surtout,  s'acheminent  à  petites  journées  vers  les  pistes  du 
tains  ancêtres  des  véhicules  automobiles).  Dans  les  hautes      désert. 


La  Chine  du   Centre 


La  Chme  du  Centre  est  constituée  par  le  bassin  du 
Yang-Tseu  ou  Fleuve  Bleu. 

MONTS  ET  PLATEAUX  DU  SSEU- 
TCHOUAN.  aa  Elle  comprend  d'abord  à  l'Ouest 
les  hautes  montagnes,  fort  mal  connues,  du  Sseu-Tchouan 
occidental,  longues  chaînes  alignées  Nord-Sud,  sépa- 
rées les  unes  des  autres  par  des  vallées  parallèles  extrême- 
ment profondes  où  se  précipitent  les  eaux  de  la  Salouen, 
du  Mékong,  du  Yang-Tseu  et  du  Yaloung,  son  affluent. 
Les  altitudes  s'y  maintiennent  entre  3000  et  5000  mètres 
(massifs  du  Nenda,  du  Jara,  montagne  sacrée  de  l'Omi. 
couverte  de  temples  et  d'oratoires  bouddhistes)  et  ce  n'est 
qu'au  prix  d'extrêmes  difficultés,  par  des  pistes  à  peine 
tracées  au  flanc  des  précipices,  que  s'établissent  les  rela- 
tions entre  les  terres  chinoises  d'une  part,  de  l'autre  les 
plateaux  tibétîuns  (route  du  Sseu-Tchouan  à  Lhassa  par 
Batang). 

A  de  très  rudes  hivers  qui  couvrent  les  sommets  de 
neiges  éternelles  succèdent  des  étés  relativement  chauds  ; 
les  nuages  charriés  par  la  mousson  se  condensent  sur  le 
flanc  oriental  des  monts  en  averses  copieuses.  Aussi  sur 
ces  hauts  lieux  —  par  ailleurs  faiblement  peuplés  de  tri- 
bus non  chinoises  (Lolos  et  Tibétains)  —  trouve-t-on 
encore  cette  chose  si  rare  dans  toute  le  reste  de  l'Empire, 
de  vraies  forêts  :  chênes,  châtaigniers,  ormes,  ifs,  rhodo- 
dendrons, et  des  prairies  peuplées  d'antilopes,  de  mou- 
flons, de  yaks,  de  moutons  et  de  bœufs. 

A  l'Est  de  la  vallée  du  Min,  l'altitude  décroît.  Toute 
la  région  orientale  du  Sseu-Tchouan  se  présente  sous  la 
forme  d  un  plateau  mouvementé  haut  de  1 000  à 
2000  mètres,  où  de  larges  bassins  au  sol  d'eirgiles  rouges 
et  de  gneiss  se  creusent  entre  des  collines  taillées  en  ter- 
rasses. En  hiver,  l'écrem  des  montagnes  protège  le  pays 
contre  les  vents  glacés  venus  de  l'Ouest.  En  été,  la  mous- 
son du  Sud-Est  pénètre  hbrement  apportant  ses  pluies 
bienfaisantes,  et  la  température  est  assez  élevée  (24"  en 
moyenne  de  mai  à  septembre)  pour  que,  à  côté  des 
légumes,  des  céréales,  des  arbres  à  fruits  propres  aux 
régions  tempérées  (blé,  sorgho,  maïs,  pommes  de  terre, 
poiriers,  abricotiers,  etc.),  prospèrent  le  riz,  le  miirier, 
I  oranger,  l'arbre  à  thé.  C'est,  sur  un  sol  extrêmement  fer- 
tile, tout  entier  mis  en  valeur  par  des  Chinois  qui  ont 
remplacé  peu  à  peu  les  populations  indigènes,  un  domaine 
de  transition  entre  la  Chine  continentale  du  Nord  et  la 
Chine  tropicale  du  Sud  ;  une  de  ces  régions  privilé- 
giées où  la  variation  annuelle  des  conditions  climatiques 


permet  de  s'adonner,  sur  une  même  surface,  à  des  cultures 
qui  partout  ailleurs  exigent,  entre  leurs  domaines  respec- 
tifs, une  large  zone  de  démarcation. 

DÉPRESSIONS  ET  PLAINES  LACUSTRES 
DU  CENTRE.  0 li  Les  plateaux  s'abaissent  peu  à 
peu  vers  1  Orient.  Ils  font  place,  dans  les  provinces  du 
Hou-Nan,  du  Hou-Pé,  du  Kiang-Si,  du  Ngan-Hoeï,  à 
de  larges  dépressions,  anciens  bassins  lacustres  en  grande 
partie  comblés  parles  apports  du  Yang-Tseu,  et  qui,  sur 
la  zone  littorale,  se  confondent  avec  l'extrémité  méridio- 
nale des  plaines  du  Nord.  On  y  retrouve  la  même  plati- 
tude, la  même  terre  d'alluvions  grasse  et  féconde  que  nous 
apprîmes  à  connaître  dans  le  bassin  du  Hohang-Ho. 

CLIMAT  ET  CULTURES  DE  LA  CHINE 
CENTRALE,  a  a  Mais  le  climat  s'est  modifié.  Si 
l'hiver  est  encore  frais,  malgré  la  latitude  méridionale 
(Chang-Haï,  sous  la  latitude  du  Ceiire,  n'a  que  -V  2°  de 
moyenne  en  janvier),  on  n'y  connaît  pas  les  terribles 
froidures  du  Nord.  Le  printemps  est  plus  hâtif,  l'été  très 
long,  très  chaud,  très  humide  (-H  27°  en  juillet,  et  1  m.  10 
de  pluie  à  Chang-Haï).  .'^ussi,  froment,  sorgho  dispa- 
raissent-ils, remplacés  par  le  riz.  De  part  et  d'autre  du 
fleuve,  les  rizières  couvrent  de  leurs  damiers  monotones 
toutes  les  terres  basses,  escaladent  même  les  collines  décou- 
pées en  gradins  étages.  Sur  les  pentes  douces,  sur  les 
levées  qui  séparent  les  champs  de  céréales,  croissent 
l'arbre  à  thé,  le  mûrier,  le  cotonnier.  Pas  un  arbre,  sauf 
l'universel  bambou.  Pas  une  prairie  :  la  terre  est  trop 
précieuse  pour  qu'on  ne  l'utilise  pas  jusqu'à  la  moindre 
parcelle,  et  des  villages  entiers  aux  rives  des  fleuves  n'ont 
d'autres  demeures  que  des  radeaux,  de  vieilles  jonques, 
ménageant  ainsi  l'étroit  espace  que  leurs  maisonnettes 
auraient  enlevé  à  la  charrue.  Cette  Chine  du  Centre  est, 
en  effet,  la  région  la  plus  peuplée  de  l'Empire  (de  400 
à  300  habitants  au  kilomètre  carré  dans  les  terres  à  nz). 
C'est  aussi  le  domaine  propre  des  fils  de  Han,  le  point  où 
leur  race  est  la  plus  pure.  Tandis  qu'au  Nord  ils  se 
mêlaient  aux  Mongols,  aux  Mandchous,  tandis  que  dans 
les  montagnes  de  l'Ouest  et  du  Sud  ils  se  métissèrent 
avec  les  aborigènes  :  Lolos,  Miao-Tsé,  Yaos,  Thaïs, etc., 
aux  rives  du  bas  Yang-Tseu  ils  conservèrent  entiers  leurs 
ceiractères  physiques  et  leur  langue  originelle.  C'est  le 
cœur  de  la  Chine,  le  point  où  l'on  sent  battre  le  plus  forte- 
ment les  sourdes  pulsations  de  l'immense  Empire,  et  le 
Yang-Tseu  en  est  l'artère  maltresse. 


325 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


32 


L'ASIE 


LE  YANG-TSEU.  00  Le  Yang-Tseu  (ou 
Yang-tsé-kiang),  qui  traverse  d'un  bout  à  l'autre  la  Chine 
Centrale  et  donne  à  ses  diverses  régions  quelque  unité, 
prend  rang  parmi  les  plus  grands  fleuves  du  monde,  tant 
par  sa  longueur  (5300  kilomètres)  que  par  son  aire  de 
drainage  (trois  à  quatre  fois  la  France),  son  volume 
moyen,  sa  profondeur,  les  services  que  lui  et  ses 
principaux  affluents  rendent  à  la  navigation. 

Né  au  cœur  du  Tibet,  où  il  porte  le  nom  de  Mour- 
Oussou  (eau  sinueuse),  il  dévale  d'abord  vers  le  Sud-Est 
à  travers  les  chaînes  neigeuses  du  Sseu-Tchouan,  et 
pénètre  dans  le  Yunnan  comme  s  il  voulait  gaigner  direc- 
tement le  golfe  du  Tonkin.  Mais,  détourné  brusquement 
vers  l'Est,  il  commence  à  Li-Kiang  la  courbe  immense 
qui  doit  le  conduire  vers  les  mers  de  Chine. 

A  Souéi-fcheou,  il  est  accessible  aux  petites  barques, 
et  le  Min.  qui  lui  arrive  du  Nord,  ouvre  la  route  du  Sseu- 
Tchouan  central.  Cependant,  jusqu'à  Ltchang,  le  fleuve 
doit  encore  franchir  une  série  de  chaînons  orientés 
du  Sud-Ouest  au  Nord-Est  à  travers  lesquels  il  s'est 
ouvert  une  voie  pénible,  étroite,  encombrée  de  rapides, 
succession  de  gorges,  de  carions  que  les  jonques 
et  les  canots  à  vapeur  ont  peine  à  remonter.  A 
l-tchang  seulement  commence  la  grande  navigation. 
Le  fleuve  y  pénètre  dans  les  dépressions  lacustres  du 
Hou-Pé. 

Ses  rives  s'abaissent  et  s'écartent.  Même  aux 
basses  eaux,  sa  profondeur  dépasse  6  mètres  et  atteint 
par  endroits  30  ou  40  mètres.  Large  de  2  kilomètres  et 
plus,  majestueux  et  lent,  il  roule  des  eaux  a  peine  moins 
limoneuses  que  celles  du  Fleuve  Jaune,  au  milieu  de 
campagnes  plates  que  ses  crues  annuelles  inondent 
largement. 

Une  série  de  lacs,  de  lagunes,  de  marais  l'accompagnent. 
Emplis  par  les  débordements  du  fleuve,  ils  lui  restituent  à  la 
décrue  le  trop-plein  de  leurs  eaux  et  régularisent  ainsi  son  régime. 
Tels  sont,  au  Sud,  les  lacs  Toung-Ting  el  Poyang  analogues  au 
Tonlé-Sap  du  Mékong  :  insignifiants  à  l'époque  des  maigres, 
nappes  de  vase  plutôt  que  d'eau,  à  peine  profonds  de  1  mètre, 
ils  couvrent  tous  deux,  de  juillet  à  octobre,  dix  fois  plus  d'espace 
que  le  lac  de  Constance. 

A  gauche,  le  Han,  long  de  2000  kilomètres,  navi- 
gable sur  1200,  est  la  grande  voie  commerciale  qui 
mène  au  Chen-Si.  A  droite,  le  Yuan,  le  Siang,  le  Kia 


moins  aisément  utilisables,  ont  tous  cependant  leurs  flot- 
tilles de  barques  qui  établissent  la  jonction  avec  la 
Chine  coloniale.  Enfin,  en  aval  de  Nankin,  bras  de  mer 
plutôt  que  fleuve,  le  Yang-Tseu,  où  le  flot  de  marée  fait 
sentir  son  action  jusqu'à  300  kilomètres  à  l'intérieur  des 
terres,  se  termine  à  la  fois  par  un  estuaire  et  un  delta. 

L  estuaire,  malgré  les  dépôts  vaseux  qui  réduisent 
considérablement  la  profondeur  de  sa  bouche,  laisse 
passer  des  navires  de  6  mètres  de  tirant  d'eau.  Le  delta, 
ensemble  d'îles  créées  successivement  par  le  fleuve  et 
rattachées  les  unes  après  les  autres  à  la  terre  ferme,  semé 
de  lacs,  coupé  de  canaux  innombrables,  sorîe  de  Néer- 
lande  prodigieusement  fertile  et  surabondamment  peu- 
plée, étale  de  Tchen-Kiang  à  Hang-'chéou  l'étendue 
monotone  de  ses  rizières  que  des  digues  protègent 
contre  le  double  assaut  des  eaux  du  fleuve  et  des 
vagues  marines. 

Si  la  Chine  du  Nord  est  le  pays  de  la  roule  et  du  char,  la 
Cfiine  du  Centre,  grâce  au  Yang-Tseu,  à  ses  affluents  navigables. 
est  essentiellement  le  domaine  de  la  barque.  Grosses  jonques  à 
l'arrière  surélevé,  sampans,  bateaux  de  bambous,  utilisant  les  voiles 
en  naltes  tissées  ou  se  laissant,  à  la  descente,  entraîner  par  le  cou- 
rant, circulent  sans  cesse,  malgré  les  rapides,  les  remous,  les  écueils 
du  cours  supérieur.  Des  milliers  de  Chinois  vivent  de  ce  trafic  : 
mariniers,  pilotes,  fabricants  de  barques,  vendeurs  de  cordages, 
équipes  de  coolies  qui,  au  long  des  rives  boueuses  ou  de  la  piste 
glissante  taillée  au  ras  des  falaises,  halent  par  de  longs  câbles  les 
jonques  lourdes.  Malgré  la  lenteur  du  trajet,  les  naufrages  fréquents^ 
les  portages  indispensables  aux  eaux  basses,  la  barque  parvient 
aussi  loin,  aussi  haut  qu'elle  peut  atteindre,  el  la  plus  mince 
livière  voit  se  glisser  jusqu'à  sa  source  même  le  léger  radeau  du 
marchand  obstiné. 

De  plus,  tout  ce  réseau  navigable  s  ouvre  largement 
sur  l'Océan.  Tandis  que  la  Chine  du  Nord  lui  tourne 
le  dos  et  demeure  sans  rapport  avec  lui,  le  Centre  de 
l'Empire  semble  recevoir,  jusqu'à  2000  kilomètres  des 
rivages,  le  souffle  vivifiant  venu  du  large.  C'est  là  que 
l'étranger  s'est  installé  le  plus  fortement.  Les  grands 
vapeurs  sillonnent  les  eaux  profondes  du  bas-fleuve. 
Toutes  les  villes  commerciales  qui  s'accumulent  de  Chang- 
Haï  à  Tchong-Kiang  lui  sont  ouvertes,  et  c'est  là,  sur 
les  quais  de  Hang-Tchéou,  de  Tchen-Kiang,  de  Han- 
Kéou,  de  Han-Yang,  que  l'on  sent  le  plus  nettement 
naître  l'aube,  encore  à  peine  distincte,  de  la  Chine  nou- 
velle. 


La  Chine  du  Sud 


Des  plaines  du  Yang-Tseu  aux  frontières  du  Tonkin 
et  de  la  Birmanie  s'étend  la  Chine  du  Sud.  Très  mal 
connue,  non  seulement  des  Européens  mais  des  Chinois 
eux-mêmes,  cette  "  Chine  Coloniale  "  fait  officiellement 
partie  intégrante  de  l'Empire  du  Milieu,  mais  "  n'est  en 


réalité  pas  plus  la  Chine  que  l'Algérie,  la   Tunisie,  le 
Maroc  ne  sont   la  France  ". 

RELIEF  ET  RIVAGES.  00  Elle  se  présente 
sur  une  surface  deux  fois  grande  comme  la  France,   sous 


326 


LA  CHINE 


la  forme  dun  extraordinaire  chaos,  un  inextricable  dédale 
de  montagnes  et  de  collmes  uniformes  séparée >  par  un 
réseau  compliqué  de  vallées  aux  angles  brusques.  A 
l'extrême  Ouest,  dans  le  Yunnan,  les  chaînes  conservent 
l'orientation  Nord-Sud  des  Alpes  du  Sseu-Tchouan. 
Leur  altitude  attemt  jusqu'à  3000  mètres  ;  de  hauts  pla- 
teaux très  mouvementés,  dénudés,  creusés  de  gorges 
profondes,  ondulent  entre  les  crêtes  déchiquetées  des 
sierras.  Mais  à  partir  de  la  province  du  Koueï-tcheou, 
l'orientation  se  modifie  et  l'altitude  décroit.  C'est  du  Sud- 
Ouest  au  Nord-Est  que  courent  les  chaînons  innom- 
brables, hauts  en  moyenne  de  360  à  900  mètres,  des 
deux  Kouang,  du  Hou-nan,  du  Kiang-Si,  du  Fo-kien. 
L'axe  principal  —  les  Nan-Chan  ou  monts  du  Sud  de 
Richthofen  —  sert  de  ligne  de  démarcation  entre  les 
eaux  qui  s'écoulent  au  Nord  vers  le  Yang-Tseu  par  le 
Yuan,  le  Siang.  le  Kia  et  celles  qui  nourrissent  le 
Si-Kiang.  Il  est  franchi  au  col  de  Meï-ling  par  la  route 
mandarine  de  Han-Kéou  a  Canton  (bientôt  doublée 
d'une  voie  ferrée),  seule  grande  voie  commerciale  don- 
nant accès  à  ces  lointaines  possessions  des  fils  de  Han. 
Vers  l'Est,  les  chaînes  arrivent  en  échelons  jusqu'à 
l'Océan.  D'où  une  côte  déchiquetée,  dentelée  par  la 
succession  régulière  des  caps  rocheux  et  des  baies  pro- 
fondes que  barrent  des  îlots.  Ces  rivages  riches  en  bons 
ports  (Ning-Po,  Ouen-tcheou,  Fou-tcheou,  Amoy, 
Chan-teou,  Canton,  Hong-Kong,  Kouang-tcheou),  en 
abns  sûrs,  se  montrent  extrêmement  propices  à  la  vie 
maritime.  C'est  par  eux  que  la  Chine  entra  en  relations 
avec  les  Philippines,  l'insulinde,  l'Indo-Chine.  Cest  de 
là  que  partent  encore  la  presque  totalité  des  émi- 
grants. 

C'est    là   enfin   que  les    pirates   chinois,    les  fameux 
Pavillons  Noirs   ",  trouvaient  les    cachettes   presque 
iflaccessibles  d'où  l'on  eut  grand'peine  à  les  chasser. 

LE  BASSIN  DU  Sl-KIANG.  00  Dans  l'en- 
chevêtrement confus  des  lignes  du  relief  s  ouvre  un 
seul  bassin  suffisamment  large  et  de  pénétration  aisée  : 
celui  du  Si-Kiang  ou  Rivière  de  l'Ouest.  Long  de 
1800  kilomètres,  abondamment  nourri,  au  moins  en 
été,  par  les  pluies  de  mousson,  le  fleuve,  malgré  les 
rapides,  les  étranglements  rocheux,  les  hauts  fonds  de 
vase,  est  accessible  jusqu'au  Yunnan  pour  les  barques 
à  fond  plat,  tandis  que  son  cours  inférieur,  que  la  marée 
remonte  jusqu'à  Woutchêou,  reçoit  des  vapeurs  d'un 
millier  de  tonneaux.  Ses  affluents,  le  Chou,  le  Lieou,  le 
Pé,  ouvrent  des  voies  de  pénétration  vers  le  Koueï-tcheou . 
et  le  Kiang-Si.  Il  y  a  là  un  mouvement  de  navigation 
qui  rappelle,  dans  un  cadre  infiniment  plus  restreint,  la 
région  du  Yang-Tseu.  et  dont  le  terminus  naturel  est  le 
grand  port  de  Canton. 

Toutefois,  dans  toute  la  Chine  du  Sud,  ce  n'est  plus 


la  barque  qui  est  l'élément  essentiel  de  transport  ;  ce 
n  est  pas  non  plus  le  char  à  boeufs  ou.  à  mules, 
comme  dans  les  plaines  infinies  du  Nord.  Les  pistes 
étroites  de  ces  montagnes  russes  "  n'admettent  que 
le  porteur.  Ballots  de  thé,  d'opium,  cotonnades,  plantes 
médicinales,  marchandises  européennes,  même  les  mine- 
rais de  cuivre  du  Yunnan  circulent  à  dos  d'hommes,  et 
Ion  voit  partout,  sur  les  sentiers  zigzagants.  les  longues 
files  de  coolies  courbes,  haletants,  sous  la  double  charge 
(une  charge  de  80  kilogrammes  parfois)  que  supporte 
un  rotin  de  bambou. 

CLIM.AT,  CULTURES  DE  LA  CHINE 
COLONIALE.  00  La  ligne  du  Tropique  passe 
un  peu  au  Nord  de  Canton.  Aussi  la  Chine  du  Sud 
a-t-elle,  au  moins  dans  toutes  les  régions  basses,  un 
climat  semi-tropical.  Toujours  par  suite  des  vents  conti- 
nentaux qui  soufflent  en  hiver,  la  température  d'octobre 
à  mars  est  encore  fort  inférieure  à  celle  que  connaissent, 
à  mêmes  époques,  Calcutta  ou  Mascate,  sises  à  même 
distance  de  l'Equateur  (moyenne  de  janvier  à  Canton 
+  12°, 6).  Mais  les  étés  ne  sont  pas  moins  chauds 
(28", 2).  Les  pluies,  très  copieuses,  donnent  prés  de 
2  mètres  d'eau.  Celte  chaleur  et  cette  humidité  ont 
un  inconvénient  :  l'insalubrité,  surtout  dans  les  vallées 
étroites  où  s'accumulent  les  miasmes.  L'Européen,  qui  vit 
si  aisément  dans  toute  la  Chine  du  Centre  et  du  Nord, 
a  grand'peine  à  s'acclimater  dans  maintes  régions  de 
la  Chine  méridionale.  Les  récits  des  missionnaires,  seuls 
blancs  qui  se  soient  encore  fixés  en  de  tels  lieux,  sont  una- 
nimes à  ce  sujet.  Par  contre,  la  végétation  s'en  accommode 
à  merveille.  Les  forêts,  les  prairies,  sont  toujours  absentes, 
sauf  en  de  rares  districts  du  Koueï-tcheou.  Mais,  au 
riz  qui  tient  toujours  la  place  essentielle,  à  l'arbre  à 
thé,  au  cotonnier,  s'ajoutent  la  canne  à  sucre,  le  bana- 
nier, le  manguier,  à  quoi  se  mêlent  encore,  sur  les 
hauteurs,  la  série  des  légumes,  des  céréales,  des  fruits 
propres  aux  climats  plus  tempérés. 

LES  HABITANTS.  00  Dans  cette  Chine  Colo- 
niale, d'accès  et  de  pénétration  si  malaisés,  les  fils  de  Han 
n'arrivèrent  qu'assez  tard  par  lentes  infiltrations  parties  du 
Yang-Tseu.  Ils  y  trouvèrent  établies  des  peuplades  abori- 
gènes qu'ils  refoulèrent  peu  à  peu  sur  les  plus  hauts  lieux, 
et  dont  les  restes  subsistent  (,à  et  là  en  petits  groupes  spo- 
radiques  :  Miao-Tsé,  Thaïs,  Yaos,  Mans,  etc.  Du  mé- 
tissage prolongé  entre  immigrants  chinois  et  populations 
autochtones  naquit  un  peuple  spécial  :  le  Chinois  du  .Sud. 
le  Cantonnais,  l'homme  du  Fo-Kien,  très  différent,  physi- 
quement et  moralement,  du  Chinois  du  Nord  dont  il  a 
peine  à  comprendre  la  langue.  Ce  dualisme  ethnique  eut 
des  conséquences  politiques  qui  se  manifestèrent  à  maintes 
reprises  dans  l'histoire  de  l'Empire,  et  que  la  Révolution 


327 


L'ASIE  — — — — - 

chinoise    de  1912,  loin  de  l'atténuer,  n'a  fait  que  mettre 
en  pleine  lumière. 

A  l'extrême  Sud,  la  Chine  des  18  provinces  se  ter- 
mine par  la  presqu'île  de  Leï-tcheou  et  son  prolonge- 
ment naturel,  la  grande  île  d'Haïnan,  qui  ferme  le 
golfe  du  Tonkin.  Comme  Formose  dont  elle  a  à  peu      nombreux  immigrants  chinois. 

LES  POPULATIONS 


près  l'étendue,  Haïnan  est  en  partie  couverte  de  mon- 
tagnes où  des  tribus  sauvages  d'origine  incertaine,  les 
Sais  (peut-être  des  Meilcûs  ?)  ont  trouvé  jusqu'à  nos 
jours  un  sûr  refuge.  Les  plaines  littorales  et  les  avant- 
monts  ont  reçu,   depuis  une   époque   fort   reculée,    de 


DENSITÉ, RÉPARTITION,  ÉMIGRATION. 
£lj&  H  est  tout  k  fait  impossible.à  l'heure  présente,  d  éva- 
luer à  peu  près  exactement  le  chiffre  de  la  population 
chinoise.  Aucune  statistique  digne  de  ce  nom  n'a  jamais 
été  dressée.  Longtemps  on  attribua  aux  1 8  provinces  de 
400000000  à  450  000000  d'âmes.  11  semble  que  ces 
chiffres  aient  été  fort  exagérés.  Les  étrangers  qui  les  don- 
nèrent, en  effet,  ne  connaissaient  guère  que  les  régions  les 
plus  fertiles,  les  plus  aisément  accessibles  et  les  plus  peu- 
plées. Aujourd'hui  que  l'on  peut  se  faire  une  idée  moins 
imprécise  de  la  variété  des  lieux,  de  leurs  ressources  et 
de  leur  peuplement,  on  tend  à  réduire  de  beaucoup  les 
évaluations  anciennes,  et  l'on  ne  croit  pas  que  la  Chine 
proprement  dite  compte  plus  de  300  000  000  à 
310000000  d'habitants  (d'après  les  calculs  faits  en 
1911  par  le  Gouvernement  Chinois,  et  contrôlés  par 
M.  Rockhill,  une  autorité  en  ces  matières). 

Du  reste,  les  fluctuations  paraissent  être  considérables  dans  cette 
masse  d'hommes  soumise  presque  sans  défense  aux  caprices  du 
climat,  aux  inondations  des  fleuves,  aux  ravages  des  guerres  intes- 
tines. Nous  avons  vu  les  pertes  de  vies  humaines  causées  par  les 
seules  irruptions  du  Hohang-Ho.  L'irrégularité  des  pluies  de 
mousson,  pour  être  moins  grande  que  dans  1  Inde,  n  en  est  pas 
moins  la  cause  de  famines  fréquentes  entraînant  à  leur  suite  l'habituel 
cortège  de  maladies  épidémiques  désastreuses.  Les  guerres  surtout, 
conduites  avec  une  incroyable  cruauté,  une  soif  de  meurtre,  un 
appétit  de  dévastation  que  rien  n'égale,  ont  à  maintes  reprises 
dépeuplé  des  provinces  entières.  Les  révolutions  musulmanes  de 
1805  à  1808  et  de  1856  à  1873  firent  disparaître  la  moitié  de  la 
population  dans  les  plus  riches  districts  du  Yunnan.  du  Kan-Sou, 
du  Chan-Si,  de  la  vallée  du  Weï-Ho.  Cellç  des  Taïpings,  de  1851 
à  1864,  eut  les  mêmes  effets  dans  les  plaines  du  Fleuve  Bleu. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  Chine  demeure  incontestablement, 
avec  l'Inde,  la  contrée  la  plus  peuplée  du  monde.  Les 
deltas  des  grands  fleuves,  surtout  du  Yang-Tseu,  nourris- 
sent plus  de  300  habitants  au  kilomètre  carré.  Toutes 
les  plaines  du  Nord  et  du  centre,  les  côtes  du  Sud- 
Est,  les  bassins  féconds  du  Sseu-Tchouan  en  renfer- 
ment de  1 50  à  200.  Cette  densité  diminue  peu  à  peu 
à  mesure  que  l'on  s'éloigne  vers  l'Ouest,  que  l'on 
remonte  les  vallées  des  fleuves  et  les  pentes  des  monts. 
Toute  une  partie  de  la  Chine  Coloniale  (Kouei'-tcheou. 
Yunnan),  les  chaînes  et  les  plateaux  du  Tsin-ling,  du 
Chen-Si,   du  Kan-Sou,    du  Chan-Si,   du  Tché-li  ont 


moins  de   30,   parfois   moins  de    10  habitants   au  kilo, 
mètre  carré. 

L'instinct  migrateur    qui  poussa  les  Chinois  à  des- 
cendre du  Kan-Sou  vers  les  plaines  de  l'Elst.puis  à  colo- 


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DENSITE    DE         àuJejiâoa.i.^ejoYZA 
LA  POPULATION 


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niser  toute  la  Chine  propre,  n'a  point  disparu.  Il  se  ren- 
force même  des  nécessités  économiques  nées  de  1  excès 
de  population  et  de  la  misère  qui  s'ensuit.  Refluant  à 
son  tour  sur  les  territoires  presque  déserts  qui  l'entourent 
au  Nord  et  à  l'Ouest,  le  fils  de  Han  gagne  de  proche 
en  proche  le  Tibet  et  la  Mongolie.  On  le  voit  apparaître 
dans  les  plus  hautes  vallées  du  Sseu-Tchouan,  sur  toutes 
les  rives  du  haut  Hohang-Ho,  sur  la  lisière  méridionale 
du  Gobi.  En  Mandchourie,  un  afflux  régulier  jette  annuel- 
lement sur  les  piétines  du  Liao,  de  la  Soungari,  plus  de 


328 


100  000  cultivateurs  venus  du  Chan-Toung  et  du  delta 
du  Hohang-Ho. 

A  ce  peuplement  inte'rieur  s'ajoute  l'émigration  exté- 
rieure, plus  considérable  encore.  Par  Amoy,  Canton, 
Macao,  200000  ou  300000  Chinois  du  Sud  quittent 
chaque  cuinee  leur  patne  pour  chercher  fortune  en  Indo- 
Chine,  au  Sicun,  dans  l'Insulinde,  la  presqu'île  Malaise  (voir 
les  chapitres  consacrés  à  ces  régions).  Aux  Etats-Unis. 
en  Australie,  même  au  Cap,  ils  affluèrent  en  tel  nombre 
que  des  lois  restrictives  durent  être  prises  qui  ont  presque 
annihilé  leur  immigration.  Mais  l'Amérique  du  Sud  leur 
est  encore  ouverte,  et  des  milliers  d'entre  eux  s'emploient 
aux  mines  du  Pérou,  de  Bolivie,  du  Chili.  Leur  sobriété, 
leur  application,  les  gains  minimes  dont  ils  se  contentent . 
leur  incontestable  talent  commercial  en  font  partout  de 
redoutablesconcurrentspourla  mciin-d'ceuvre  blanche.  De 
plus,  la  grande  majorité  des  émigrants  ne  part  pas  sans 
esprit  de  retour.  Les  hommes  seuls  vont  à  l'étranger. 
Ils  ne  cherchent  qu'à  thésauriser  le  plus  possible  pour 
revenir  chez  eux  avec  le  pécule  amassé  à  force  de  pri- 
vations. S'ils  meurent  "en  exil",  leur  cadavre  repasse  la 
mer  pour  reposer  sous  la  terre  des  ancêtres.  On  est  donc 
porter  à  les  considérer  comme  des  parasites  '  indésirables 
et  non  pas  comme  de  vrais  colons  capables  de  se  fondre 
peu  à  peu  dans  la  masse  du  peuple  qui  les  emploie.  De 
là  les  mesures  à  peu  près  prohibitives  prises  contre,  1  in- 
vasion jaune  "  en  Australie,  en  Californie,  aux  Philip- 
pines, etc.,  et  la  politique  d'étroite  surveillance  suivie  à 
leur  égard  en  Insulinde  et  dems  l'Indo-Chine  française. 

LES  RACES  ET  LE  GOUVERNEMENT. 
00  D'après  les  annales  chinoises  qui  remontent 
à  2  500  ans  avant  l'ère  chrétienne,  il  parait  certain 
que  l'habitat  primitif  des  fils  de  Han  fut  la  région  des 
Terres  Jaunes  (Hohang-tou  '  que  traverse  le  Hohang-Ho. 
Ils  y  furent  en  relations,  par  les  routes  du  désert,  avec 
les  peuples  de  l'Occident,  et  peut-être  reçurent-ils 
des  Chaldéens  les  premiers  éléments  de  leur  civilisa- 
tion (écriture  idéographique,  usage  du  métal,  culture  du 
blé,  science  des  nombres,  notions  astronomiques,  etc.). 
Des  terres  jaunes  ils  descendirent  dans  la  grande  plaine 
dehaïque  qui  s'étend  jusqu'au  Yang-Tseu.  Ces  plaines 
devinrent  leur  domaine  essentiel,  le  centre  de  leur  puis- 
sance. C'est  là  que  leur  race  est  la  plus  pure,  parce 
qu'elle  échappa  le  plus  complètement  à  tout  mélange  avec 
l'étranger.  Longtemps  le  Yang-Tseu  servit  de  limite  à 
l'Ejnpire.  Puis,  par  lentes  infiltrations,  les  fils  de  Han  se 
glissèrent  au  long  des  côtes  méridionales,  remontèrent 
les  affluents  du  grand  fleuve,  par\'inrent  d'une  part  au 
bassin  du  Si-Kiang,  de  l'autre  au  Sseu-Tchouan.  Ils  s'y 
trouvèrent  en  contact  avec  des  peuples  de  races  diverses  : 
les  uns,  dont  quelques  exemplaires  subsistent  au  Sseu- 
TchoUtUi,  paraissent  se  rattacher  aux  NégroTdes-pygmées 


LA  CHINE  ^ 

que  l'on  rencontre  çà  et  là  en  tant  d'autres  lieux  de 
l'Asie  et  de  l'Afrique.  D'autres,  les  Lolos,  encore  nom- 
breux au  Sseu-Tchouan  et  au  Yunnan  seraient,  d'après 
le.î  études  du  docteur  Legendre.  de  race  blanche  et 
feraient  partie  de  l'ensemble  des  peuples  Aryens. 
D'autres  enfin,  tels  les  Miao-Tsé,  les  Yaos,  les  Thaïs 
de  la  Chine  Coloniale  sont  eux-mêmes  des  jaunes, 
proches  parents  des  Tibétains,  des  Birmans,  des  Siamois. 

Dans  le  même  temps,  la  Chine  du  Nord  —  malgré  le 
rempart  insuffisant  de  la  Grande  Muraille  —  se  voyait 
à  maintes  reprises  envahie  par  les  nomades  qui  erraient 
sur  ses  frontières  :  Huns,  Mongols,  Toungouses,  Mand- 
chous. Ces  derniers  parvinrent  même  en  1644  à  mettre 
un  des  leurs  sur  le  trône  impérial  et  jusqu'à  la  révolution 
de  1912  la  Chine  obéit  à  des  maîtres  étrangers. 

Les  métissages  inévitables  qui,  pendant  tant  de  siècles, 
se  produisirent  de  gré  ou  de  force  entre  les  fils  de  Han 
et  les  peuples  que  nous  venons  de  nommer,  ont  eu  pour 
naturelle  conséquence  de  modifier  fortement,  au  moins 
à  l'Ouest  et  au  Sud,  le  type  primitif  du  Chinois.  La  dif- 
férence des  climats,  des  conditions  de  vie,  la  difficulté  des 
communications  entre  Chine  du  Nord  et  Chine  du  Sud 
accentuèrent  encore  ces  modifications.  Déjà,  cinq  siècles 
avant  notre  ère,  Confucius  notait  les  contrastes  qu'offraient 
les  traits  physiques  et  les  caractères  moraux  entre  les  di- 
verses populations  de  l'Empire.  Le  Chinois  du  Nord, 
surtout  dins  le  Chan-Toung,  est  en  général  plus  grand 
que  celui  du  Sud.  Ses  traits  sont  plus  accentués.  Il  a  plus 
de  calme,  plus  de  douceur,  plus  de  politesse.  Le  Can- 
tonnais, l'homme  du  Fo-FGen.  du  Kouang-Si,  de  taille 
plus  petite,  l'emporte  sur  les  gens  du  Nord  par  l'éner- 
gie, l'audace,  la  rudesse.  Il  est  plus  turbulent,  plus  porté 
aux  révolutions,  plus  xénophobe  aussi.  Moins  purement 
Chinois  que  ses  frères  du  Yang-Tseu  et  du  Hohang-Ho,  il 
semble  qu'il  veuille  racheter  cette  sorte  d'infériorité  par 
une  manifestation  plus  violente  de  son  mépris  pour  le  '  Bar- 
bare "  d'Occident.  Enfin,  la  langue  primitive  a  subi  de 
telles  transformations  que,  du  Nord  au  Sud  de  l'Empire, 
on  voit  les  patois  se  multiplier,  prendre  peu  à  peu  une 
originalité  propre,  devenir  en  un  mot  de  vraies  langues, 
et  qu'un  Cantonnais  ne  saurait,  sans  interprète,  com- 
prendreun  Pékinois  (cf.  ce  qui  s'est  passé  pour  le  latin  en 
Italie,  en  Provence,  dans  la  Gaule  du  Nord*. 

Ces  contrastes  se  sont  manifestés,  dans  tout  le  cours  de 
l'histoire  chinoise,  par  l'esprit  de  particularisme  des  di- 
verses régions.  Le  Chinois  n'a  jamais  eu  le  sentiment  de 
la  patrie.  Chaque  province  se  considère  comme  indépen- 
dante des  autres.  Ce  qui  se  fait  hors  de  chez  elle  ne 
l'intéresse  aucunement.  La  vraie  cellule  sociale,  la  seule 
à  laquelle  le  fils  de  Han  soit  profondément  attaché,  c'est 
la  famille.  Chaque  famille  forme  un  tout  qui  se  suffit  à  lui- 
même  et  s'inquiète  fort  peu  de  ce  qui  advient  aux  familles 
voisines.  Si  des  associations  se  forment  entre  gens  de  même 

329  — 


L'ASIE 


profession  (et  de  telles  sociétés  sont  nombreuses  en  Chine), 
elles  ont  toujours  un  objet  strictement  matériel,  visant  à 
des  fins  pratiques,  utilitaires,  immédiates.  La  masse  du 
peuple  demeure  donc  profondément  mdifférente  aux 
changements  politiques,  et  la  forme  de  gouvernement 
qu'on  peut  lui  imposer  est  le  moindre  de  ses  soucis. 

Le  gouvernement  n'a  jamais  rien  fdt  du  reste  pour 
créer,  puis  entretenir  le  sentiment  national.  Dans  l'ancien 
Empire,  l'Empereur  était  virtuellement  le  maître  absolu 
de  ses  sujets  innombrables.  En  fait,  il  n'intervenait  point 
dans  leurs  affaires,  et  les  gouverneurs  de  provinces,  ou 
vice-rois,  détenaient  chacun  dans  la  limite  de  son  terri- 
toire la  réalité  du  pouvoir.  Comme  ils  ne  recevaient  qu'un 
traitement  infime,  ils  vivaient  forcément,  eux  et  leurs 
sous-ordres,  d'exactions,  de  concussions  que  le  Chinois 
acceptait  comme  un  mal  nécessaire,  mais  qui  n'étaient 
point  faites  pour  lui  inspirer  le  respect  des  agents  de 
l'autorité  et  lui  démontrer  la  nécessité  de  leur  existence. 
Aussi  évitait-il  soigneusement  tous  rapports  avec  eux  ; 
au  besoin  il  s'assuréiit  contre  leurs  caprices  par  le  paie- 
ment d'une  indemnité  annuelle  fixée  d'un  commun 
accord  entre  les  parties  ! 

De  là  la  facilité  avec  laquelle  les  Chinois  se  plièrent  fréquem- 
ment au  joug  étranger,  et  acceptèrent,  par  exemple,  la  suprématie 
Mandchoue.  De  là  aussi  les  tentatives  si  nombreuses,  et  sou- 
vent heureuses,  des  vice-rois,  des  généraux,  pour  échapper  à 
toute  ingérence  du  pouvoir  central  ;  de  là  les  révoltes,  les  procla- 
mations d'indépendance,  les  guerres  intestines  provoquées,  non  point 
comme  chez  nous,  en  1789,  par  la  volonté  consciente  de  tout  un 
peuple,  mais  par  quelques  ambitieux  qui  savent  mettre  à  profit 
le  vieil  esprit  particulariste  des  provinces  et  comptent  sur  l'apathie 
de  la  masse.  Depuis  1912,  l'anarchie  règne  dans  les  18  provinces 
Le  vieil  Empire  a  fait  place  à  une  jeune  République  dont 
quelques  chefs  de  bandes  se  disputent  la  direction.  L  antagonisme 
du  Nord  et  du  Sud  facilite  leurs  compétitions  dont  l'objet  le 
plus  clair  parait  être  jusqu'ici  la  mise  au  pillage  des  ressources  du 
trésor.  Que  sortira-l-il  de  ces  troubles  ?  Verrons-nous  la  Chine 
se  disloquer,  comme  l'Autriche- Hongrie,  comme  la  Russie,  en 
Etats  indépendants  ?  Ou  bien,  à  défaut  de  véritable  sentiment 
national,  les  (ils  de  Han  trouveront-ils,  dans  la  communauté  des 
traditions,  de  la  religion,  des  mœurs,  de  la  civilisation,  un  élément 
d  union  assez  fort  pour  maintenir,  vaille  que  vaille,  une  cohésion 
durable?  C'est  le  secret  de  l'avenir. 

L'AME  CHINOISE,  aa  L'Européen,  débar- 
quant en  Chine,  est  d'abord  et  surtout  frappé  par  des 
détails  extérieurs,  des  façons  d'être  et  d'agir  fort  diffé- 
rentes de  celles  à  quoi  il  est  accoutumé  chez  lui.  II  les 
trouve  généralement  incompréhensibles,  absurdes  ou 
grotesques,  et  la  signification  prise  en  français  par  le 
mot       chinoiserie   "   traduit    assez    exactement    cette 


impression.  I 


va  de  soi  que 


le  Ch 


mois  porte  sur  nous 


des  jugements  du  même  ordre.  L'usage  de  la  natte  (du 
reste  d'introduction  récente,  puisque  les  Mandchous  ne 
l'imposèrent  à  leurs  sujets  chinois  que  dans  le  cours  du 
xvii''  siècle),  la  mutilation  des  pieds   chez  les  femmes. 


les  goûts  culinaires  du  fils  de  Han.  sa  façon  de  manger, 
de  se  vêtir,  de  se  loger,  son  écriture  qui  nous  semble  — 
et  qui  est  réellement  —  si  prodigieusement  incommode, 
ses  superstitions,  les  mille  détails  de  sa  vie  domestique, 
tout  cela  lui  parait  parfait,  et  il  nous  plaint  ou  nous 
raille  parce  que  nous  ignorons  ce  qu'il  sait,  lui,  depuis 
tant  de  siècles. 

En  fait,  ces  détails  extérieurs  sont  bien  peu  de  chose, 
et  peu  importent  les  jugements,  du  reste  fort  variables 
suivant  les  individus,  que  l'on  émet  sur  eux.  Il  en  est 
autrement  du  caractère  chinois,  de  l'âme  chinoise,  des 
qualités  et  des  défauts  propres  au  fils  de  Han.  Il  faut  les 
bien  connaître  pour  savoir  avec  quelque  chance  de  vérité 
comment  il  comprend  la  vie,  apprécier  ce  qu'il  ^  fait 
dans  le  passé,  deviner  ce  qu'il  fera  dans  l'avenir. 

Ses  qualités  d'abord  :  elles  sont  nombreuses  et  cha- 
cun s'accorde  en  général  à  leur  rendre  hommage  : 
grande  ingéniosité  plutôt  que  véritable  intelligence, 
aptitude  au  commerce,  politesse  presque  excessive, 
patience  étonnante  qui  fait  accepter  avec  un  calme  par- 
fait les  pires  adversités,  honnêteté  scrupuleuse  dans  les 
transactions  commerciales  conclues  avec  des  étrangers, 
sobriété,  ardeur  au  travail,  résistance  à  la  fatigue  et  à  la 
douleur,  gaieté  foncière  qui  se  traduit  par  l'ardeur  avec 
laquelle  il  s'adonne  à  des  jeux  enfantins  (lancement  de 
pétards,  cerfs-volants,  illuminations)  et  la  faculté  d'oublier 
promptement  les  misères  au  moindre  sourire  de  la  for- 
tune ;  horreur  de  la  violence  (dans  la  grande  ville  de 
Han-Kéou,  peuplée  d'un  million  d'habitants,  des  années 
entières  se  passent  sans  qu'un  meurtre  soit  signalé)  ; 
tendre  amour  pour  les  enfants,  surtout  les  garçons  que 
l'on  ne  frappe  jamais  ;  bons  traitements  donnés  aux 
animaux,  etc.  Ce  sont  là  de  précieuses  qualités  que  le 
Chinois  est  souvent  bien  loin  de  trouver  au  même 
degré  chez  ceux  qui  prétendent  être  ses  éducateurs 
et  qui  expliquent  pour  une  large  part,  si  elles  ne 
les  justifient  pas  complètement,  le  dédain  ou  le  mépris 
dont  il  fait  preuve  à  l'égard  du  '  Barbare  "  étranger. 
Mais  cette  belle  médaille  a  son  revers  et  les  défauts 
du  Chinois,  qui  ne  sont  pas  moindres  que  ses  vertus, 
anihilent,  à  son  dam,  leurs  effets  les  plus  utiles,  gâtent 
ou  paralysent  ce  qu'il  y  a  de  meilleur  en  lui. 

Le  plus  grave  de  tous,  celui  dont  découlent  tous  les 
autres,  est  son  orgueil.  Le  fils  de  Han  est  dominé  par  l'ad- 
miration sans  contrôle,  le  respect  le  plus  absolu  du  passé, 
de  son  passé.  Il  a  eu  de  fort  bonne  heure  une  civilisation 
très  avancée.  Nous  savons  qu'il  connut,  bien  avant  les 
Européens,  le  papier  et  l'imprimerie,  la  poudre  à  canon,  la 
boussole.  La  morale  que  lui  donna  Confucius,  500  ans 
avant  le  Christ,  ne  le  cède  en  rien  à  la  nôtre.  Il  fut 
capable,  autrefois,  de  construire  des  ouvrages  prodigieux  : 
Grande  Muraille,  Grand  Canal,  routes  et  ports,  digues 
contre  les  débordements  des  fleuves,  travaux  d'irrigation. 


330 


LA  CHINE 


etc.,  comme  aussi  de  produire  des  œuvres  d'art  d'un  goût 
raffiné  (bronzes,  soieries,  laques,  porcelaines).  Les  plus 
grands  de  ses  Empereurs  ontdommésur  plus  de  la  moitié 
de  l'Asie,  et  la  masse  des  Etats  directs  ou  vassaux  qui 
relèvent  de  Pékin  couvre  I  i  000  000  de  kilomètres 
carrés,  —  plus  que  l'Europe.  Tout  cela  le  Chinois  le  sait 
plus  ou  moins  vaguement.  Il  en  tire  une  incommensurable 
lierté  qui  le  conduit  à  prendre  en  pitié  tout  ce  qu'ont 
fait  les  autres  hommes.  Cet  orgueil,  ce  respect  aveugle 
du  passé  ont  pour  naturelle  conséquence  l'esprit  de 
routine,  l'apathie,  l'horreur  des  nouveautés,  qui  sont  les 
caractéristiques  essentielles  de  sa  civilisation  présente  : 
Tenons-nous-en  à  ce  qu'ont  fait  et  connu  nos  pères, 
cela  seul  est  bon.  "  Malgré  son  ingéniosité  et  une  dose 
réelle  d  intelligence,  il  s'est  arrêté  de  lui-même  dans 
la  marche  vers  le  progrès,  et  s'est  figé,  depuis  deux 
mille  ans,  dans  l'exacte  répétition  des  gestes  accomplis 
par  les  ancêtres.  Il  n'a  jamais  cherché  à  améliorer  ses 
méthodes  de  culture,  à  perfectionner  son  outillage, 
à  se  donner  une  demeure  plus  confortable,  à  modifier 
son  vêtement. 

Riches  el  pau\res  habitent  des  demeures,  souvent  pittoresques, 
mais  ou  l'on  gèle  l'hiver  parce  qu'elles  sont  ouvertes  à  tous  les 
vents.  Ils  s'habillent  uniquement  de  cotonnades  et  de  soieries, 
taillées  sur  des  modèles  immuables,  et  n'ont  point  songé  à  utiliser 
les  laines  des  nomades  leurs  voisins  ;  quand  il  fait  froid,  ils  se 
contentent  d'accumuler  sur  eux  toute  leur  garde-robe.  Leurs  char- 
rues, leurs  jonques,  leurs  brouettes,  leurs  chars,  leurs  ustensiles  de 
ménage  sont  les  mêmes  qu'au  temps  des  premiers  Empereurs. 
L'orgueil,  la  routine,  entretenus  par  tous  ceux  qui  en  profilent, 
bonzes  et  lettrés,  ont  tué  l'esprit  d'initialive,  supprimé  toute  ima- 
gination créatrice. 

Incapable  de  faire  des  réserves,  de  prévoir  l'avenir. 
de  prendre  des  précautions  contre  ses  surprises,  le  fils 
de  Han  vit  au  jour  le  jour  dans  l'indifférence  la  plus 
complète  pour  ce  qui  n'est  pas  l'heure  présente.  Un 
danger  est-il  à  craindre  ?  il  ne  songe  même  pas  à  s'en 
prémunir,  à  faire  le  geste  le  plus  simple  ;  il  compte 
vaguement  sur  le  "  dragon  ",  sur  la  chance,  et  si  le 
malheur  se  produit,  il  l'oublie  vite,  n'en  tire  aucune 
leçon  profitable. 

Autres  résultats  funestes  de  son  respect  pour  le 
passé  :  1  ignorance  complète  de  ce  qu'est  la  science. 
Ignorance  qui  est  bien,  en  dernière  analyse,  la  cause  la 
plus  immédiate  de  sa  longue  stagnation.  11  manifeste 
cependant  le  plus  vif  désir  de  s  instruire  et  l'on  sait 
que  le  "  lettré  ",  l'homme  qui  a  passé  avec  succès  un 
grand  nombre  d'examens,  peut,  quelle  que  soit  son  ori- 
gine, aspirer  aux  plus  hautes  fonctions.  Mais  son  édu- 
cation est  demeurée  exclusivement  littéraire,  et  dans  les 
examens  qui  en  sont  la  consécration  tout  est  donné  à  la 
mémoire,  rien  au  jugement.  L'écriture,  à  elle  seule,  est 
d'une  telle  complication  que  l'étude  de  l'alphabet  (plus 


de  40000  caractères)  remplit  la  vie  presque  entière 
d'un  lettré!  Il  y  ajoute  la  lecture  de  quelques-unes  des 
œuvres  des  très  anciens  poètes  et  philosophes.  Et  dans 
la  persuasion  où  il  se  trouve  qu'on  ne  saurait  faire  mieux 
qu'ils  n'ont  fait,  il  ne  cherche  pas  à  créer  à  son  tour, 
mais  se  contente  de  commenter  à  l'infini  les  textes  sacro- 
saints. 

En  histoire,  en  géographie,  en  médecine,  en  mathé- 
matiques, en  sciences  physiques  et  naturelles...  en  tout,  il 
est  resté  d'une  ignorance  qui  stupéfie.  Il  n'a  jamais  décou- 
vert ce  qu'étaient  l'eau  et  l'air,  ce  que  recelaient  mille 
choses  placées  à  portée  de  sa  main  pour  développer  son 
bien-être,  accroître  sa  richesse.  Bien  plus,  ses  capacités 
cérébrales  se  sont  atrophiées  peu  à  peu.  Trop  de  siècles 
de  culture  littéraire  stériles  pèsent  sur  lui.  Il  manque 
d  idées  générales,  ne  sait  pas  analyser,  encore  moins 
synthétiser.  Il  est  incapable  même  d'une  attention  un  tant 
soit  peu  prolongée.  Placé  en  face  des  inventions  euro- 
péennes, son  manque  absolu  de  jugement  ne  lui  permet 
pas  de  les  comprendre.  L'électricité,  la  vapeur,  dans 
leurs  applications,  lui  apparaissent  comme  très  éloignées 
d'une  conquête  de  l'esprit,  d'une  élaboration  cérébrale. 
Elles  ne  l'étonnent  même  pas.  Elles  tiennent  du  savoir 
de  l'alchimiste,  de  l'astrologue,  d'un  magicien  plus  roué 
que  le  sien,  mieux  inspiré  par  les  esprits;  c'est  le  hasard 
qui  nous  a  favorisés,  le  dragon  bienfaisant  ;  c'est  une 
trouvaille.  La  genèse  de  telles  acquisitions  lui  échappe 
complètement,  et  l'incrédulité  commence  quand  on  lui 
affirme  que  l'exécution  de  pareilles  œuvres  implique  la 
nécessité  absolue  d'étudier  les  livres.  "  (D'  Legendre.) 

Les  qualités  mêmes  que  nous  lui  reconnûmes  tout 
d'abord  apparaissent  souvent  comme  plus  apparentes 
que  réelles.  Sa  patience,  son  égalité  d'humeur,  sa  gaieté 
ne  sont  souvent  qu'une  forme  de  l'égoïsme.  11  ne  fait  pas 
un  pas,  pas  un  geste  pour  venir  en  aide  à  son  voisin  en 
péril,  au  besoin  il  s'en  égaie  et  prend  le  malheur  d  autrui 
comme  thème  à  de  joyeux  brocards.  Il  est  sobre,  il  est 
vrai,  et  ignore  en  général  les  boissons  alcooliques, 
mais  il  s'adonne  avec  passion  à  l'usage  de  l'opium, 
dont  les  effets  ne  sont  pas  moins  pernicieux.  De  plus, 
s'il  mômge  peu  et  mal,  c'est  qu'il  est  pauvre,  d'une 
pauvreté  incroyable,  insoupçonnée  en  Europe.  Dès 
qu'il  le  peut,  il  dévore  comme  un  goinfre,  jusqu'à  la  con- 
gestion. Le  repas  est  la  grande  affaire  pendant  laquelle 
nul  ne  doit  être  interrompu  :  En  vous  saluant,  le  Chi- 
nois vous  dit  :  Enrichis-toi  et  augmente  ton  ventre  ".  Si 
vous  êtes  son  invité,  après  le  repas  il  vous  questionne  : 

Avez-vous  mangé  à  en  être  gonflé  ?  '  Si,  dans  cer- 
taines circonstances,  il  travaille  dur  sous  l'aiguillon  de  la 
nécessité,  il  manifeste,  chaque  fois  qu'il  le  peut,  le  goût  le 
plus  vif  pour  le  farniente  absolu.  Tout  prétexte  lui  est 
bon  pour  quitter  l'ouvrage  en  train,  et  l'ouvrier  chinois  con- 
naît depuis   longtemps  la  journée,  non  pas  même  de  huit 


331 


L'ASIE 

heures,  mais  de  six  ou  de  cinq  !  Bien  que  naturellement 
adroit,  il  est  d'une  négligence,  d'une  inattention  telle  que 
son  travail  —  infime  comparé  à  celui  de  l'ouvrier  blanc  — 
est  par  surcroît  souvent  grossier,  rarement  achevé. 
Depuis  bien  longtemps  du  reste,  la  débilité  physique, 
considérée  comme  la  preuve  la  plus  manifeste  de  la 
supériorité  intellectuelle,  est  érigée  en  honneur.  Le  fils 
de  Han  répugne  étrangement  à  tout  effort  qui  n'est  pjis 
de  nécessité  stricte,  et,  dès  qu'il  le  peut,  il  cesse  presque 
absolument  de  se  mouvoir.  S'il  traite  ses  enfants  avec 
bonté,  s'il  vénère  son  père  comme  un  dieu,  il  n'hésite 
pas,  en  cas  de  disette,  à  vendre  les  uns,  à  laisser  l'autre 
mourir  de  froid  devant  sa  porte  close.  Quant  à  sa  femme, 
il  a  pour  elle  infiniment  moins  d'égards  que  pour  son 
buffle  ou  son  porc.  La  violence  lui  répugne  et  il  tient  le 
métier  de  soldat  pour  le  plus  vil  qui  soit.  Il  est  capable 
cependant  de  révoltes  terribles  où  il  se  livre  aux  excès 
de  la  cruauté  la  plus  effroyable.  Cet  homme  si  doux  a 
fait  de  la  torture  un  est  où  nul  ne  le  peut  surpasser  !  — 
Prodigieusement  économe,  usurier-né,  il  n'hésite  pas  à 
perdre  en  quelques  heures  de  jeu  ce  que  des  mois  de 
travail  lui  auront  permis  d'amasser.  Sa  religion,  ses  tradi- 
tions magnifient  l'œuvre  de  l'agriculture  ;  l'Empereur  lui- 
même  traçait  chaque  année  quelques  sillons.  Pourtant  à 
peine  un  Chinois  a-t-il  passé  quelque  examen  qu'il 
affiche  le  plus  absolu  mépris  pour  le  travail  manuel  et 
laisse  croître  très  longs  ses  ongles  protégés  par  un  étui 
d'argent  ! 

Et  que  dire  de  son  impudeur  légendaire,  de  l'effroyable 
saleté  au  milieu  de  laquelle  il  vit,  de  la  lâcheté  dont  il 
fait  preuve  en  tant  de  circonstances,  de  son  indiscipline, 
fille  à  la  fois  de  la  pusillanimité  et  de  l'orgueil,  des  com- 
promissions, des  bassesses,  des  procédés  délictueux  ou 
l'entraîne  son  désir  de  '  sauver  la  face  "  à  tout  prix  ! 

Religieux  ?  Le  Chinois  ne  l'est  guère.  Il  a  cependant 
trois  religions  officielles  qu'il  peut  pratiquer  à  la  fois  :  le 
confucianisme,  le  taoïsme  (doctrines  de  Confucius  et  de 
Lao-Tsé  qui  vécurent  en  Chine  au  V^  siècle  avant  l'ère 
chrétienne)  et  le  bouddhisme  venu  de  l'Inde  au  iv®  siècle 
de  notre  ère.  Mais  les  doctrines  morales  et  dogmatiques 
de  ces  trois  religions  n'ont  plus  de  signification  pour  lui. 
Le  fils  de  Han  ne  croit  plus  à  la  divinité  :  après  l'avoir 
tant  invoquée  en  vain,  il  a  perdu  confiance  en  elle.  11 
l'a  jugée  trop  capricieuse,  trop  inconstante,  châtiant  à 
tort  et  à  travers,  ayant  encore  moins  que  lui  le  sens  de 
la  justice.  Il  s'est  donc  affranchi  de  la  tyrannie  des  dieux, 
I  les  a  assimilés  à  desimpies  humains  qu'il  récompense  ou 
châtie  selon  qu'il  est  satisfait  ou  mécontent  de  leur 
action.  "  (D'  Legendre.) 

Cependant,  son  ignorance  complète  de  la  science  maintient  en  lui 
une  loule  de  superstitions.  "  II  n'a  jamais  pu  s'affranchir  de  tout 
le  cortège  d  étranges  explications  que  ses  ancêtres  donnèrent  aux 
phénomènes  naturels  ;  et  le  mandarin  aussi  bien  que  le  coolie  sont 

332 : 


en  proie  aux  mêmes  terreurs  de  l'inconnu  mystérieux.  "  De  là 
l'importance  du  culte  des  ancêtres  —  au  fond  la  seule  religion  du 
Chinois,  —  la  crainte  des  vengeances  que  les  morts  peuvent 
tirer  des  vivants,  la  croyance  aux  jours  fastes  et  néfastes,  au 
Dragon,  raille  précautions  puériles  ou  absurdes  prises  contre  les 
caprices  des  '*  esprits  ";  de  là  aussi  l'influence  du  sorcier,  du  géo- 
mancien,  du  bonze  qui  connaissent  les  formules  magiques.  L'ensemble 
de  ces  croyances,  de  ces  pratiques  superstitieuses  rappelle  étonnam- 
ment la  religion  romaine  avec,  cependant,  un  scepticisme  plus  géné- 
ral et  beaucoup  moins  de  gravité  dans  l'accomplissement  des  rites! 

Il  faut  mettre  à  part  les  Chinois  musulmans  et  chré- 
tiens. L'islam,  introduit  par  les  Mongols,  compte  envi- 
ron 10000(X)0 de  sectateurs,  particulièrement  nombreux 
dans  les  provinces  de  l'Ouest  :  Yunnan,  Kan-Sou, 
Tché-Li.  Plus  hardis,  plus  fanatiques  que  leurs  frères 
bouddhistes,  ils  forment  un  élément  turbulent  dont  les 
révoltes  ont  à  maintes  reprises  ensanglanté  l'Empire.  Les 
chrétiens  (I  700000  catholiques,  500000  protestants), 
groupés  autour  des  nombreuses  missions  répandues  dans 
toutes  les  provinces,  pourraient  apporter  une  précieuse 
collaboration  a  l'œuvre  de  modernisation  entreprise  par 
les  Européens. 

LES  EUROPÉENS  EN  CHINE,  aa  Si  le 
Chinois  avait  pu  continuer  à  vivre  dans  le  splendide 
isolement  "  où  il  se  complut  durant  tant  de  siècles,  il 
n'est  point  de  raison  pour  que  des  modifications,  même 
minimes,  se  soient  produites  dans  un  organisme  fort  impar- 
fait sans  doute,  mais  qui  avait  le  mérite  d'exister  par  ses 
propres  forces,  de  se  suffire  à  lui-même  sans  le  secours 
d'aucun  élément  étranger.  Seulement  si  la  Chine  n'avait 
pas  besoin  des  Barbares",  ceux-ci  avaient  besoin  d'elle  ; 
et  c'est  à  coups  de  canon  qu'ils  surent  le  lui  démontrer. 

Les  Anglais,  les  premiers,  lui  firent  la  guerre  pour 
déverser  chez  elle  l'opium  que  produisait  l'Inde.  Plus 
tard,  toutes  les  grandes  puissances  obtinrent  le  droit  de 
commercer  librement  dans  un  certain  nombre  de  cités. 
Puis  elles  se  firent  céder  dans  plusieurs  de  ces  villes 
(Chang-Ha'i,  Han-Kéou,  etc.)  des  terrains  où  leurs 
nationaux  s'établirent  avec  tous  les  privilèges  de  l'exter- 
ritorialité. Enfin,  elles  en  vinrent  à  considérer  la  Chine 
comme  un  domaine  colonial  à  partager.  La  Russie  s'ins- 
talla en  Mandchourie  et  à  Port-Arthur  ;  l'Angleterre 
à  Hong-Kong,  puis  à  Weï-haï-Weï  ;  l'Allemagne  à 
Kiao-tchéou  ;  la  France  à  Kouang-Tchéou-Ouan.  On 
délimita  des  sphères  d'influence,  on  commença  la 
construction  des  chemins  de  fer,  l'exploitation  des  mines 
par  des  compagnies  étrangères,  avec  des  capitaux  et 
des  ingénieurs  étrangers. 

Mais  une  double  résistance,  d'abord  chinoise  puis 
japonaise,  ne  tarda  pas  à  se  dresser  contre  cette  emprise 
de  l'étranger  blanc.  Les  Chinois  s'insurgèrent  contre  des 
ambitions  qui  ne  tendaient  à  rien  moins  qu  à  faire  de 
leur  pays  une  colonie  d'exploitation  pour  le  plus  grand 


LA  CHINE 


ARÇ  DE  TRIOMPHE  SLR  lA  ROUTE  DE  YUNN.-\N-SEi\  A  TCHAD-  puinanls  Empereais  te  dotait  d'une  magm/iiue  parure  d'œuycs  d'art.  Us  lignes  cour- 

Vv!       .     .^'  P'  '^*  monuments  sent  (prt  communs  en  Chine.  On  les  rencontre  bes  que  l'on  retrouve  dans  toutes  les  construciiora  chinoises  s'expliquent  par  la  croyance 

aasi  bien  à  l'inlériem  des  viUes  guc  dmxs  les  campagnes  les  plus  reculées.  Les  plus  à  l'influence  néfaste  des  lignes  droites,  proscrites  par  les  régla  du  '  Feng-Chom  '  ',  et 

teaux  datent  presque  tous  d'époques  fort  anciennes,  alors  que  la  Cfàne  dirigée  par  de  qu'il  faut  redouter  coavne  une  création  des  esprit»  méchants. 


333 


33 


L'ASIE 


LE  SI-KIANG  ENTRE  SAM  SHUI  ET  WOUTCHÉOU.    U  flemc  arrive 

près  du  terme  de  sa  course.  Ses  eaux  profondes  et  lentes  s'ouvrent  à  la  grande 
navigation  qui  a  pourpoint  de  dépait  Canton  et  Hong  Kong.  Sut  ses  rives,  les 
rizières  se  mêlent  aux  bananeraies,  aux  champs  de  canne  à  sucre  et   de  colon. 


CIRQUE  CALCAIRE  A  LOU-VAN  TCHÊOU.  Type  de  paysage  dans  lamon- 
tagnes  du  Yunnan.  Toute  la  Chine  de  TOuest  et  du  Sud  est  couverte  de  chaînes  et 
de  massifs,  généjalemtni  déboisés,  hauts  de  î  000  à  3000  mètres,  et  qui  contrasteni 
avec  les  immenses  plaines  alluviales  du  Nord  et  du  Centre. 


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PAGODE  DU  PALAIS  D'ÉTÉ.. 

L'un    des    plus   précieiLx    spécimens 
de  l'art  chinois,  échappé  au  pillage 
■     et  à  l'incendie  de  1S60. 


KONG-YANG-FOU  :  PORTE  PRINCIPALE.  La  plupart  des  villes  chinoises  sont 

entourées  —  comme  nos  cités  du  Moyen  Age  —  d'épaisses  murailles  de  briques   ou 

de   pierres.  On  y  pénètre  en  franchissant  quelques  portes  monumentales,  élégamment  sur 

montées  d'un  corps  de  bâtiment  couvert  d'un  double  toit  recourbé. 


PAGODE  DE 

BRONZE.  Élevée 

par  VEmpereur 

Kien  loung  dans  le 

parc    de  Wan-c 

hou-chen.    près    de 

Pék 

n. 

ARROSAGE  D'UN  CHAMP.  L'irrigation  artificielle  est  indispensable  en  Chine, 
r<wnî  dons  tcus  les  paits  trdficaux  où  h  saison  sèche  se  prolonge  pendant  six  mois 
cl  pins.  Les  pavsans  hissent  Teau  du  canal  jusqu'au  nweau  de  leurs  champs,  par 
i:r,  tiji'hme  de  godets  fixé^  à  une'  chaîne  que  meut  une  roue. 


UN  VILLAGE  DANS  LA  CHINE  DU  CENTRE.  Les  petites  maisons  uni- 
formes s'alignent  aux  bords  de  la  rivière  où  les  barques  apparaissent  fort  nombreuses 
Nous  sommes,  ene0et,  ici  dans  le  bassin  duVang-Tseu.  à  peu  de  dislance  de  Chang- 
(S-    Haï,  et  le  réseau  ramifié  des  cours  d'eau  facilite  les  transports  par  sampangs. 


334 


LA  CHINE 


profit  des  étrangers.  L'insurrection  des  Boxers  (1900), 
faite  avec  la  compL'cité  du  gouvernement,  traduisit  la 
haine  profonde  que  le  peuple  nourrissait  contre  les 
"  diables  d'Occident  ".  La  de'faite  des  Boxers  par  des 
troupes  interalliées  induisit  la  Chine  à  changer  de 
méthode  !  Beaucoup  de  Chinois,  ayant  voyagé  en  Europe, 
en  Amérique,  au  Japon,  reconnurent  la  nécessité  de 
moderniser  le  vieil  Empire  caduc.  Ils  apprécièrent  l'uti- 
lité des  inventions  scientifiques.  Seulement  ils  énoncèrent 
nettement  leur  prétention  de  se  réformer  eux-mêmes  à 
leur  façon  en  se  passant  de  toute  direction  étrangère. 
Leur  programme  fut  de  racheter  toutes  les  concessions 
déjà  consenties,  chemins  de  fer,  mines,  usines,  etc.,  de 
supprimer  les  zones  d'exterritorialité  et  de  procéder  à  la 
mise  en  valeur  des  ressources  latentes  de  leur  pays.  "  La 
Chine  aux  Chinois  ".  tel  fut  dès  lors,  tel  est  présentement 
leur  mot  d'ordre. 

Malheoieusement  pour  la  Chine,  elle  a,  dans  le  Japon,  un  voi- 
sin qui  la  surveille  de  près.  Les  Nippons  collaborèrent  d'abord 
aux  entreprises  européennes  contre  les  fils  de  Han.  Ils  obtinrent 
pour  leur  part  Formose,  les  iles  Pescadores,  la  Corée.  Puis  ils  se 
posèrent  en  défenseurs  des  peuples  jaunes,  écrasèrent  les  Russes  et..- 
recueillirent  leur  succession  à  Port-Arthur  qui  leur  appartient, 
dans  la  Mandchourie  du  Sud  où  ils  agissent  en  maîtres.  La  Grande 
Guerre  leur  permit  de  s'installer  momentanémeni  à  la  place  des  Alle- 
mands sur  les  côtes  du  Chan-Toung.  Leurs  commerçants  affluèrent 
dans  l'Elmpire  (en  1919  on  comptait,  en  Chine,  171000  Japo- 
nais en  face  de  13  000  Anglais,  6500  Américains,  4  400  Fran- 
çais, 1300  Allemands,  4  000  Belges,  Portugais,  Suisses,  Ita- 
liens, etc.).  Leurs  navires  à  vapeur  ont  pris  dans  les  ports  mari- 
times et  fluviaux  une  place  prépondérante.  C'est  dans  leurs  écoles 
que  vont  de  préférence  s'instruire  les  jeunes  Chinois.  Ils  sont  évi- 
demment mieux  faits  que  quiconque  pour  comprendre  l'âme  chi- 
noise, connaStre  ses  aspirations.  Si  la  Chine  ne  peut  se  transfor- 
mer seule,  comme  elle  le  croit  ou  feint  de  le  croire,  le  Japon  doit 
être  son  guide  —  et,  qui  sait  ?  devenir  son  maître.  Or,  il  apparaît 
avec  évidence  que  la  Chine  est  incapable  de  se  modernis-r  par  ses 
seuls  moyens.  Modifier  l'âme  d'un  peuple  de  300  000  000  d'hommes 
est  une  tâche  qui  dépasse  singulièrement  les  forces  des  quelques 
Chinois  assez  européanisés  pour  en  concevoir  la  nécessité.  Sans 
doute,  parmi  les  commerçants  en  contact  avec  les  étrangers,  parmi 
les  anciens  immigrants,  on  trouve  déjà  nombre  de  fils  de  Han  acquis 
aux  idées  nouvelles.  Le  peuple  lui-même  utilise  volontiers  chemins 
de  fer  et  bateaux  à  vapeur.  Cela  veut-il  dire  qu'il  est  dès  à  pré- 
sent capable  de  les  construire,  de  les  diriger  ?  A-l-il  les  capitaux 
indispensables  >  Les  habitudes  ancesirales  de  vénalité,  l'incapacité 
des  administrations  permettent-elles  d'avoir  confiance  en  des 
entreprises  montées  par  des  Chinois  seuls  ?  Jusqu'ici  tout  ce  qui 
est  moderne  en  Chine  est  l'œuvre  des  élrangers.  S'ils  disparais- 
saient, leur  oeuvre  risque  de  disparaiire  avec  eux.  Cela  le  Japon 
le  sait.  Son  double  jeu  consiste  à  persuader  de  cette  vérité  les 
chefs  de  la  jeune  République,  tout  en  se  réservant  pour  lui  seul 
le  riche  profit  attaché  aux  fonctions  d'éducateur.  La  Chine  aux 
Chinois,  rien  de  mieux, mais  par  —  et  pour  —  les  Nippons. 

LES  VILLES.  .^.É?  La  grande  majorité  de  la 
population  vit  dispersée  dans  d'innombrables  villages  ou 
gros  bourgs  semés  au  milieu  des  champs.  Cependant  les 
villes  populeuses  ne  manquent  pas  en  Chine.  On  leur 


accorda  même  longtemps  un  chiffre  d'habitants  très 
supérieur  à  ce  qu'il  paraît  être  en  réalité.  Lès  villes 
couvrent  en  effet,  presque  toutes,  une  surface  considé- 
rable ceinte  de  murailles  crénelées.  Mais,  à  l'intérieur 
de  1  enceinte,  des  espaces  vides,  des  jardins,  des  champs, 
des  mares  boueuses  occupent  une  notable  portion  de  la 
zone  urbaine.  Beaucoup  d'entre  elles  renferment  de 
précieux  monuments  :  temples,  pagodes,  palais,  pavil- 
lons et  ponts  de  marbre  délicatement  sculptés,  qui 
demeurent  comme  le  vivant  témoignage  de  leur  grandeur 
passée.  Tout  cela  trop  souvent,  faute  d'entretien,  se 
lézarde,  s'effrite,  s'écroule.  Les  rues  étroites,  pleines 
de  trous  fangeux,  d'immondices  innommables  dont  nul  n'a 
cure,  s'encombrent  par  surcroît  d'une  foule  d'échoppes, 
de  boutiques  en  plein  vent.  Les  enseignes  en  papier, 
peint  de  couleurs  vives,  s'agitent  sous  le  vent  de  mous- 
son. Boue  infecte  et  puante,  épaisse  de  deux  pieds, 
poussière  jaune  également  nauséabonde  alternent  sui- 
vant les  saisons.  Seuls  font  exception  les  quartiers  euro- 
péens des  cités  ouvertes  aux  étrangers. 

Tout  le  jour  grouille  la  foule  des  petit»  marchands,  des  ven- 
deurs de  comestibles,  des  barbiers  ambulants,  mêlés  aux  chiens, 
aux  porcs  qui  se  vautrent  dans  les  amas  de  détritus  entassés  d-vant 
chaque  porte.  Les  mendiants,  groupés  en  corporation, étalent  leurs 
plaies  hideuses.  Des  prestidigitateurs,  remarquablement  adroits, 
groupent  autour  d'eux  la  foule  émerveillée  ;  plus  loin,  c'est  1'  "  aède  ", 
le  "  conteur  ",  qui  charme  de  ses  récits  un  cercle  d'auditeurs 
attentifs.  Coolies  aux  côtes  saillantes,  ployant  sous  d'énormes  far- 
deaux, ânes,  mulets,  chameaux  en  longues  files  se  fraient  difficile- 
ment un  passage.  De  temps  à  autre,  le  cortège  d'un  mandarin 
hissé  majestueusement  dans  sa  chaise  laquée,  tendue  de  soie, 
s'ouvre  un  chemin,  à  grands  renforts  de  coups  de  bâton  équila- 
blemenl    distribués  sur    bêtes   et    gens.   Et   de  partout   s'élève  ce 

parfum  '  inoubliable,  fait  de  matières  en  décomposition,  de 
viandes  pourries,  ds  fritures  extraordinaires,  de  tous  les  résidus 
humains,  animaux,  ou  végétaux,  chauffés  par  l'ardent  soleil,  ce 
parfum  auquel  les  fils  de  Han  sont  si  parfaitement  habitués  que 
les  plus  riches,  les  plus  lettrés  d'entre  cix  n'y  prêtent  pas  plus 
d'attention  que  le  dernier  des  paysans!  Quand  vient  la  nuit,  par- 
tout s'allument  les  lanternes  multicolores  ;  les  gargotes  s'emplissent 
non  moins  que  les  luxueuses  maisons  de  thé  ;  et  dans  la  griserie 
des  fumées  d  opium,  dans  la  trouble  atmosphère  des  maisons  de 
jeu,  le  fils  de  Han  achève  une  journée  qui  fut  souvent  bien  mis^ 
rable,  mais  dont  il  a  déjà  perdu  le  souvenir. 

Pékin  (la  résidence  du  Nord)  occupe  une  situation 
fort  excentrique  par  rapport  à  l'ensemble  de  l'Empire. 
Des  considérations  stratégiques  la  firent  cependant  choisir 
de  très  bonne  heure  comme  capitale.  Il  fallait  faire  face 
aux  nomades  du  désert,  sans  cesse  menaçants,  et  les 
Empereurs  tenaient  à  ne  pas  s'éloigner  des  frontières. 
(Des  considérations  du  même  ordre  ne  poussèrent-elles 
point  les  derniers  Empereurs  Romains  à  prendre  comme 
capitîJe  Milan  d'abord,  puis  Trêves  et  Constantinople?) 
De  plus,  Pékin  se  trouvait  à  distance  respectable 
des  foyers  insurrectionnels  du  Sud,  qui  perdent  leur  force 
en  rayonnant  vers  le  Nord  et  s'éteignent  avant  d'em- 


CéOGSAPHIE  UNIVERSELLE. 


335 


33 


L'ASIE 

braser  la  cité  des  Fils  du  Ciel.  "  Elle  fut  conquise  cepen- 
dant par  les  Mandchous,  et  trois  villes  se  succèdent  dans 
sa  vaste  enceinte  (33  kilomètres,  à  peu  près  autant  que 
Paris)  :  la  chinoise,  la  mandchoue  ou  la  tartare,  puis 
la  cité  interdite  où  résidait  l'Empereur.  Malgré  la  pré- 
sence des  principaux  organes  du  Gouvernement,  des  léga- 
tions étrangères,  malgré  les  voies  ferrées  qui  y  abou- 
tissent, Pékin  est  loin  d'avoir  l'activité  de  tant  d'autres 
villes  chinoises  et  ses  650  000  (  ?)  habitants  remplissent 
mal  l'immense  espace  circonscrit  par  ses  hautes  murailles. 

A  l'Ouest  de  Pékin,  Kalgan,  terminus  d'une  voie 
ferrée,  est  le  point  de  départ  des  caravanes  qui  se  rendent 
en  Sibérie  à  travers  la  Mongolie  orientale.  Taï-Yuan 
(200  000  habitants),  dans  le  Chan-Si,  se  trouve  au  centre 
d'un  des  plus  riches  bassins  houillers  de  l'Empire.  A 
l'Est,  Tien-tsin,  reliée  au  golfe  du  Tché-li  par  un  bras 
du  Peï-Ho,  sert  de  débouché  à  tout  le  bassin  du  Hohang- 
Ho.  C'est,  après  Chang-Haï,  le  plus  grand  port  de  la 
Chine  avec  huit  concessions  étrangères,  des  banques, 
l'électricité,  des  tramways,  des  journaux  nombreux,  des 
hôtels  confortables,  de  beaux  magasins.  On  lui  attribue 
de  800000  à  1  200000  habitants. 

Dans  le  Chan-Toung,  riche  province  du  plus  bel 
avenir,  aux  enclaves  encore  étrangères  de  Kiao-tcheou 
(japonais)  et  de  Weï-haï-Wei  (anglais),  s'ajoutent, 
comme  cités  importantes,  les  ports  chinois  de  Tchefou, 
de  Tong-tcheou  sur  la  rive  Nord  de  la  péninsule,  puis 
Tsinan,  près  du  Hohang-Ho. 

La  plaine  du  Nord,  couverte  de  villages  et  de 
petits  marchés  agricoles,  a  peu  de  centres  urbains  dignes 
d'être  mentionnés.  A  l'Ouest  seulement,  sur  les  routes 
qui  mènent  au  Tibet  par  la  vallée  du  We"i-Ho,  appa- 
raissent quelques  cités  d'importance,  soigneusement  closes 
dans  leurs  murailles  de  briques  :  Si-ngan  et  Lan-Tcheou 
(de  400000  à  600000  habitants  ?),  capitales  des  pro- 
vinces du  Chen-Si  et  du  Kan-Sou. 

Par  contre,  la  vallée  du  Yang-Tseu  se  prêtait  merveil- 
leusement au  développement  des  grandes  agglomérations 
grâce  à  la  richesse  du  sol,  à  la  remarquable  densité  des 
populations,  surtout  à  l'importance  du  réseau  fluvial. 
Chang-Haï  (I  000  000  habitants),  débouché  maritime  de 
la  vallée,  est  à  la  fois  le  premier  port  de  la  Chine  (Hong- 
Kong  mis  à  part),  un  centre  industriel  très  actif  et  la  cité 
la  plus  européanisée,  grâce  à  la  vitalité  des  colonies 
étrangères.  Hang-tcheou  (700000  habitants),  décrite 
avec  tant  d'enthousiasme  par  Marco  Polo  sous  le 
nom  de  Quing-Say  (200000  habitants),  Sou-tcheou 
(500000  habitants).  Tchang-Kiang(l  50000  habitants), 
Nan-Kin  (370  OÔO  habitants),  l'ancienne  capitale  de  la 
Chme  du  Sud,  furent  célèbres  autrefois  par  leur  luxe, 
leur  élégance.  Elles  souffrirent  énormément  de  l'insur- 
rection des  Taïpings,  mais  ont  repris  depuis  lors  une 
remarquable  activité. 

336  


En  remontant  le  Yang-Tseu  par  Wou-Hou  (120000 
habitants)  on  arrive  au  Houpéi,  le  cœur  de  la  Chine,  au 
point  de  croisement  des  voies  ferrées  et  des  voies 
d'eau  qui  y  convergent  de  toutes  parts.  La  triple  ville 
de  Han-Kéou,  Han-Yang  et  Wou-tchang  compte  plus 
de  I  500000  d'habitants.  Déjà  pénétrée  d'influences 
étrangères,  accessible  aux  navires  de  mer,  emporium 
de  tout  le  bassin  du  grand  fleuve,  en  relations  par 
voie  ferrée  avec  Pékin  et  bientôt  avec  Canton,  à  proxi- 
mité de  gisements  houillers  et  ferrugineux,  Han-Kéou 
parait  des  mieux  adaptée  pour  établir  peu  à  peu  la 
fusion  indispensable  entre  la  vieille  civilisation  chinoise 
et  la  culture  étrangère.  Elle  peut  et  elle  doit  devenir 
l'une  des  places  de  commerce  et  d'industrie  les  plus 
considérables  du  monde.  Nan-Tchang  (300  000  habi- 
tants), dans  la  province  du  Kiang-Si,  Siang-tan  (200  000 
habitants),  et  Tchang-lcha(  150  000 habitants),  dans  celle 
du  Hou-Nan,  complètent,  avec  nombre  d'autres  cités 
d'importance  un  peu  moindre,  la  série  des  entrepôts  où 
se  concentrent  thé,  soie,  coton,  riz,  porcelaines,  etc.. 
produits  par  ces  riches  régions. 

Al  Ouest,  la  province  du  Sseu-Tchouen,  l'une  des 
plus  vastes  de  l'Empire,  est  considérée  comme  la  plus 
peuplée,  la  plus  abondamment  fournie  de  ressources 
agricoles  et  minières,  Tune  des  plus  saines  aussi.  Mais 
elle  est  encore  d'accès  peu  aisé  par  la  voie  unique  du  haut 
Yang-Tseu  que  remontent  péniblement  jusqu'à  Tchong- 
King  et  Soui-fou  les  jonques  tirées  à  la  cordelle.  L'amé- 
lioration des  conditions  de  navigabilité  et  la  construction 
de  voies  ferrées  unissant  Han-Kéou  à  Tcheng-tou 
(400000  habitants),  capitale  de  la  province,  permettront 
seules  de  mettre  complètement  en  valeur  cette  région 
demeurée  jusqu'ici  trop  excentrique  à  la  vie  chinoise.. 

Les  provinces  du  Sud,  couvertes  de  montagnes 
peuplées  en  partie  de  tribus  barbares,  et  de  densité 
faible,  comptent  peu  de  grandes  villes.  Les  plus  notables 
s'échelonnent  sur  la  côte  :  Fou-tcheou  (1000  000  ? 
d'habitants  avec  sa  banlieue),  Amoy  (130000  habitants), 
exportent  le  thé  du  Fo-Kien.  Swa-toou  (Chan-Teou) 
expédie  le  sucre  du  Chan-Toung,  Canton  (900000 
habitants) ,  débouché  de  la  vallée  duSi-Kiang,  demeura, 
jusqu'au  milieu  du  Xix''  siècle,  le  seul  port  chinois  où  les 
étrangers  pouvaient  commercer.  Principal  entrepôt  des 
soies  du  Midi,  son  activité  présente,  encore  très  vive, 
souffre  cependant  de  la  concurrence  de  Hong-Kong,  sa 
vo'iiine. 

Cette  petite  île  devint  possession  anglaise  en  1 84 1 . 
Elle  compte  aujourd'hui  près  de  400  000  habitants  aux- 
quels s'ajoutent  les  500  000  indigènes  de  la  presqu'île  de 
Kow-loon,  cédée  à  l'Argleterre  en  1861.  Victoria,  sa 
capitale,  est  non  seulement  l'un  des  plus  grands  ports  du 
monde,  une  cité  industrielle  (raffineries  de  sucre  surtout) 
de  premier  ordre,  mais  aussi  une  ville  de  banques,  de 


LA  CHINE 


bourse,  où  les  hommes  d'afieures,  les  directeurs  de 
firmes,  fixent  le  cours  des  denrées  et  soutiennent  de  leurs 
capitaux  des  entreprises  —  européennes  ou  Indigènes  — 
dispersées  dans  tout  1  Ejttrême-Onent.  Macao,  posses- 
sion portugaise  depuis  le  xvr  siècle,  ne  joue  plus  qu'un 
rôle  effacé.  A  l'Intérieur,  Wou-tchéou  (70  000  habitants) 
et  Koueï-lln  (  1 20  000  habitants)  dans  le  Chan-Toung. 
Koueî-Yang  (  100  000  habitants)  dans  le  Koueï-Tcheou. 


Yunnan  (40  000  habitants),  capitale  de  la  province  du 
même  nom  et  unie  au  Tonkln  par  voie  ferrée,  ter- 
minent une  énumération  qui  pourrait  s'allonger  consi- 
dérablement s'il  nous  fallait  citer  toutes  les  villes 
chinoises  qui,  soit  par  le  chiffre  de  leur  population,  soit 
par  leur  histoire,  soit  par  leur  rôle  comme  centres  de 
transactions  locales,  sont  comparables  aux  cités  les  plus 
connues  des  Etats  occidentaux. 


GEOGHAPHIE  ECONOMIQUE 


Les  ressources  de  la  Chine  apparaissent  à  la  fois  d'une 
extrême  richesse  et  d'une  étonnante  variété.  Non  seule- 
ment, grâce  à  la  diversité  des  conditions  climatiques,  les 
produits  végétaux  de  la  zone  tempérée  y  réussissent  non 
moins  bien  que  les  plantes  des  Tropiques,  meus  le  sous- 
sol  s'y  révèle  d'ores  et  déjà,  et  malgré  l'insuffisance  des 
prospections,  comme  l'un  des  nueux  dotés  qui  soient  au 
monde  en  fer,  cuivre,  houille,  zinc,  mercure,  sel,  etc. 

Cependant,  les  fils  de  Han  n'ont  su  tirer  qu'un  parti  médiocre 
ou  nu]  de  tant  de  ressources,  par  suite  de  leur  esprit  routinier,  de 
leur  manque  absolu  de  prévoyance,  de  leur  mauvais;  administra- 
lion,  de  leur  incapacité  physiologique  et  cérébrale,  surtout  de  leur 
ignorance  complète  de  ce  qu'est  la  science.  Aussi  la  masse  du 
peuple  végète-t-elle  misérablement,  sans  aucunes  réserves,  jamais 
assurée  du  lendemain.  La  terrible  plainte  :  —  "  chao-tche,  chao- 
Ichoaan  "  —  peu  à  manger,  peu  pour  se  vélir  —  des  misérables 
n'est  que  l'expression  d'une  stricte  vérité,  et  c'est  un  contraste 
étrangement  pénible  que  celui  de  l'extraordinaire  pauvreté  d'un 
peuple  vivant  avec  tant  de  peine  sur  une  terre  que  la  nature 
combla  de  tous  ses  dons. 

AGRICULTURE,  ÉLEVAGE,  FORÊTS,  jaa 
Les  deux  tiers  des  Chinois  vivent  du  travail  de  la  terre. 
Le  Nord,  les  réglons  élevées  du  Centre  et  du  Sud  pro- 
duisent le  blé,  l'orge,  le  millet,  le  maïs,  le  tabac  et  tous 
les  légumes,  tous  les  fruits  de  nos  climats.  Dans  les  plaines 
du  Centre,  les  vallées  chaudes  du  Sud,  domine  le  riz. 
Sur  les  pentes  douces  des  collines  prospèrent  l'arbre  à 
thé,  le  mûrier,  le  cotonnier  (Sseu-Tchouen,  bassins  du 
Yang-Tseu  et  du  Si-Klang,  Fo-Klen).  La  canne  à 
sucre  apparaît  au  Sud  de  Fou-fcheou.  Le  pavot  à  opium, 
répandu  dans  toutes  les  provinces  méridionales,  tend  à 
disparaître  à  la  suite  des  mesures  rigoureuses  prises  par 
le  Gouvernement  contre  la  récolte  et  la  vente  de  la 
drogue  pernicieuse. 

Et  il  est  vrai  que  le  Chinois  —  presque  partout  pro- 
priétaire de  son  petit  domaine  —  le  cultive  avec  amour, 
avec  une  étonnante  minutie,  bien  plus  en  jardinier 
qu'en  agriculteur  "'.  Cependant  les  résultats  obtenus  sont 
médiocres  et  trop  souvent  aléatoires,  faute  d'instruments 
perfectionnés,  d'engrais  appropriés  (le  Chinois  ne  connaît 
et  n'emploie  que  l'engrais  humjiin),  de  savantes  sélec- 
tions, de  protection  contre  le  double  danger  de  la  séche- 


resse et  de  l'inondation.  De  plus,  pour  augmenter  à  tout 
prix  la  surface  arable,  le  (ils  de  Han  a  déboisé  sa  terre 
avec  une  incroyable  imprévoyance,  traitant  l'arbre  en 
ennemi  qu'il  faut  exterminer. 

Les  funestes  résultats  de  cette  déforestation  sont  mul- 
tiples. D'abord  la  Chine  souffre  du  manque  de  bols  de 
chauffage  et  de  construction.  Elle  est  réduite  à  utiliser 
comme  combustible  —  et  avec  quelle  parcimonie  I  — 
les  brousseiilleô,  les  herbes  sèches,  les  tiges  de  millet  et 
de  maïs.  De  plus,  le  manque  de  couvertures  arbores- 
centes accentue  le  régime  torrentiel  des  cours  d'eau. 
Enfin,  "  avec  la  disparition  de  ces  grands  protecteurs, 
les  couches  fécondes  de  la  terre  sur  les  plateaux  et  les 
pentes  d'immenses  régions  plus  ou  moins  accidentées 
ont  perdu  une  greinde  partie  de  leur  fertilité,  qusmd 
elles  ne  sont  pas  devenues  stériles  ".  Ainsi,  bien  lom  de 
s'accroître,  le  domaùne  agricole  a-t-il  fort  diminué. 

Autre  erreur  non  moins  grande  :  l'afiandon  systéma- 
tique de  tout  élevage,  en  dehors  du  porc,  de  la  voleiille 
et  des  animaux  Indispensables  soit  au  labour,  soit  au 
transport.  Le  Chinois  n'admet  pas  plus  la  prairie  que  la 
forêt,  et  pour  la  même  raison  :  nécessité  d'économiser  la 
terre  ju'able.  Il  s'est  donc  privé  de  ce  gros  appoint  ali- 
mentaire que  sont  non  seulement  la  chair  des  animaux, 
mais  le  lait,  le  beurre,  le  fromage. 

Par  contre,  il  faut  reconnaître  que  depuis  des  millé- 
naires il  a  élevé  la  pisciculture  à  un  haut  degré  de  per- 
fection, neuves,  rivières,  canaux  continuent  d'abonder 
en  poissons  de  toutes  sortes  malgré  la  poursuite  achar- 
née dont  ils  sont  l'objet. 

.  LES  MINES  ET  L'INDUSTRIE.  /S^  La  Chine 
est  depuis  longtemps  célèbre  pour  le  goût  délicat,  la  per- 
fection de  ses  industries  d'art  :  porcelaine,  cloisonnés, 
bronzes,  bijoux,  bois  sculptés  et  laqués,  broderies,  soie- 
ries, etc.  EJIe  en  produit  toujours,  et  la  région  de 
Kingtetchen,  par  exemple,  dans  le  Klang-Si,  est  une 
énorme  agglomération  de  petits  ateliers  familiaux  où  l'on 
travaille  les  porcelaines.  Mais  on  ne  crée  plus.  On  se 
borne  à  rimifatlon  indéfinie  des  modèles  anciens.  De 
plus,  la  nécessité  de  produire  vite  et  beaucoup  pour 
vendre  à  bas  prix  amène,  ici  comme  au  Japon,  la  dispa- 


337 


L'ASIE 


t 


t"i}W(i  Bassina,  houiller/L 
iMtB  en  ejcjiloitaUon. 

il     ■  SecUonA,  aiâémeit  t 
1      navigablai  Jea, 


Cfur.v  J'cau 


CHINE 

CARTE    ÉCONOMIQUE 


Friacipalea. 

i-vie<v  ferréen. 

en  a€tLvit&  . 

en  conâtruction 
ou  en  projet- 


i'SSlSi 


rition  presque  complète  des  belles  œuvres,  résultats  d'une 
longue  patience,  d'une  application  soutenue.  Aux  indus- 
tries d  art  s'ajoute  la  fabrication  d'objets  d'usage  courant  : 
cotonnades,  objets  en  tne'tal,  en  bois,  en  cuir,  nattes, 
feutres,  soieries,  encre,  papier,  etc.  Tout  cela  se  fait  à 
domicile  suivant  des  procéde's  archaïques  et  immuables. 
Flâneur,  paresseux,  inattentif,  toujours  enchanté  de  lui- 
même  malgré  la  médiocrité  de  son  travail,  le  fils  de  Han 
arrive  à  contenter  à  peu  près  les  besoins  très  restreints 
d'une  clientèle  très  pauvre  qui  se  satisfait  à  peu  de  frais. 

Depuis  quelques  décades,  la  grande  industrie,  intro- 
duite par  les  Européens,  a  fait  son  apparition.  Elle  peut 
trouver  en  Chine  tout  ce  qu'il  faut  en  fait  de  main-d'œuvre 
et  de  matière  première  pour  prendre  un  développement 
formidable.  La  main-d'œuvre  inépuisable  est  la  meilleur 
marché  qui  soit  au  monde,  et  cela  compense  les  défauts 
de  l'ouvrier,  son  faible  rendement,  son  indiscipline,  ses 

grèves  de  dignité  ".  La  houille  est  répandue  au  point 

-    338 


que  les  seuls  filons  reconnus  dans  le  Chan-Toung,  le 
Tché-li,  le  Chan-Si,  le  Sseu-Tchouen,  le  Ho-nan,  le 
Yunnan,  etc.,  pourraient  suffire  à  la  consommation  du 
monde  tout  entier  pendant  plus  de  mille  ans.  Le  fer,  le 
cuivre,  le  mercure,  le  sel  gemme,  le  zinc,  l'étain  (dans 
le  Yunnan  notamment).  le  pétrole,  se  rencontrent  dans 
la  majeure  partie  des  provinces  de  l'Ouest  et  du  Sud. 
Soie,  coton,  jute,  ramie  fournissent  les  matières  néces- 
saires aux  industries  textiles.  Le  traitement  de  la  canne  à 
sucre,  la  fabrication  de  la  farine,  des  pâtes  alimentaires, 
la  décortication  du  riz.  la  préparation  des  huiles,  des 
savons,  des  bougies,  des  cigarettes,  des  mille  articles 
nécessaires  à  la  vie  chinoise  ou  destinés  à  l'exportation, 
peuvent  être  l'objet  d'entreprises  scientifiquement  con- 
duites, largement  rémunératrices. 

Les  résultats  présentement  acquis,  pour  intéressants  et 
significatifs  qu'ils  soient,  n'ont  encore  qu'une  importance 
relativement  petite  :  aciéries  d'Han-Yang    employant  le 


charbon  de  Ptnsiang  et  le  fer  de  Tayé,  ateliers  de 
constructions  navales  de  Fou-Tcheou,  filatures  et  tissages 
de  soie  et  de  coton  à  Chang-Hai  et  à  Canton  (45  fa- 
briques, I  200000  broches  à  la  fin  de  1914),  voilà  à 
quoi  se  réduisent  les  grandes  industnes  montées  à  l'eu- 
ropéenne. 11  y  faut  ajouter  l'extraction  de  la  houille  qui, 
—  dans  le Chan-Toung,  le  Chan-Si,  le  Tché-li  surtout, 
grâce  à  la  construction  des  voies  ferrées  et  à  l'em- 
ploi de  techniciens  étrangers,  a  passé  rapidement  de 
quelques  centaines  de  milliers  de  tonnes  en  1908  à 
19000000  en  191 9  (la  même  année,  la  Chine  produisit 

I  000000  de  tonnes  de  minerai  de  fer,  29  000  tonnes 
d'antimoine,  13000  tonnes  de  plomb,  7000  tonnes 
d'étam,  et  10000  toimes  de  cuivre). 

Pour  que  de  pareilles  entreprises  se  multiplient,  il  faut  de  toute 
nécessité  des  capitaux,  des  techniciens,  des  administrateurs  compé- 
tents et  honnêtes.  L'Empire  du  Milieu  n'a  ni  les  uns  ni  les  autres. 

II  prétend  cependant  se  passer  des  étrangers  et  dresse  devant  eux 
tous  les  obstacles  possibles.  Aussi  le  "  péril  jaune  "  conçu  sous  la 
forme  non  pas  d'une  prépondérance  militaire,  mais  d  une  redoutable 
concurrence  faite  aux  produits  européens,  n'est-il  pas  à  envisager, 
au  moins  dans  un  avenir  rapproché. 

LE    COMMERCE    ET    LES    VOIES    DE 

COMMUNICATION,  a^  Detout  temps,  et  pour 
des  raisons  qui  se  conçoivent  aisément,  l'intérieur  de 
l'Ejnpire  a  été  le  théâtre  d'un  trafic  extrêmement  déve- 
loppé. Bien  que  chaque  province,  chaque  petite  région 
fissent  effort  pour  suffire  à  leurs  propres  besoins,  elles  ne 
pouvaient  se  passer  absolument  des  ressources  de  leurs 
voisines. 

Le  fils  de  Han.  du  reste,  manifeste  pour  le  commerce  un  goût 
très  vif.  La  multitude  des  petits  marchands,  des  trafiquants  qui 
pullulent  dans  toute  ville  chinoise  étonne  l'étranger,  non  moins 
que  l'insignifiance  des  affaires  qu'ils  traitent.  Pour  les  achats  en 
gros  et  les  transports  à  longue  distance  nécessitant  une  mise  de 
fonds  assez  considérable,  les  marchands  s'associent,  car  il  est  assez 
rare  qu'un  commerçant  ait  les  capitaux  indispensables  à  de  telles 
entreprises.  Les  plus  aisés  des  Chinois  trouvent  par  ailleurs  dans 
le  prêt  usuraire  (l'argent  rapporte  de  2  à  3  pour  100  par  mois)  un 
placement  exempt  de  risques  qui  les  dispense  de  s'exposer  aux 
aléas  des  opérations  commerciales  de  large  envergure.  D  autre 
part,  si,  dans  ses  relations  avec  des  étrangers,  le  commerçant  chi- 
nois est  généralement  d'une  parfaite  loyauté,  il  n'en  va  pas  de 
même  avec  ses  compatriotes.  L'adultération  des  produits,  la 
tromperie  sur  le  poids  et  la  qualité  (favorisée  par  le  manque  de 
précision  des  instruments  de  pesée,  la  variation  des  mesures  et 
des  poids)  sont  des  pratiques  universellement  répandues. 

Comme  dans  notre  Europe  du  Moyen  Age,  on  utilise 
le  plus  possible  les  voies  d'eau  pour  le  transport  des 
marchandises.  Non  seulement  les  grands  Seuves  et  leurs 
plus  longs  affluents,  mais  les  petites  rivières  sont 
parcourues  jusqu'au  voisinage  de  leur  source  par  une 
flottille  innombrable  de  jonques,  sampans,  radeaux, 
barques  à  fond  plat.  Seul,  il  est  vrai,  le  bassin  du  Yang- 
Tseu  se  prête  aisément  à  la  navigation  fluviale.  Dans  les 


LA  CHINE 

plaines  du  Nord,  les  montagnes  du  Sud  et  de  l'Ouest,  la 
barque  dispareiit  remplacée  par  la  charrette,  l'animal  de 
bât  (mulets,  chameaux)  ou  le  portage  à  dos  l'homme.  Le 
Grand  Canal,  construit  par  les  Empereurs  d'autrefois 
pour  unir  le  Yang-Tseu  au  Pel-Ho,  et  faciliter  le  ravi- 
taillement des  provinces  septentrionales  en  riz  du  Sud, 
n'est  plus  utilisable  de  bout  en  bout  faute  d'entretien. 
Les  anciennes  routes  "  impériales",  larges  de  12  mètres, 
soigneusement  dallées,  pourvues  de  relms  de  postes  et 
d'auberges,  sont  aussi,  et  pour  la  même  raison,  dans  un 
état  tel  que  l'on  évite  généralement  de  suivre  la  chaus- 
sée transformée  en  un  dédale  de  trous  fangeux  cilternant 
avec  d'énormes  pierres  glissantes. 

Dans  la  plupart  des  cas  le  commerce  intérieur  doit 
donc  se  réduire  au  transport  des  matières  de  haute 
valeur  et  de  peu  de  poids  :  opium,  soie,  nattes  de  che- 
veux, thé.  produits  pharmaceutiques,  etc.  Les  den- 
rées pesantes  :  houille,  minerais,  céréales,  bois,  ne  peuvent 
supporter  les  frais  élevés  d'un  transport  à  grande  dis- 
tance. Aussi  la  Chine,  si  richement  pourvue  en  mines 
de  charbon  et  qui  en  connaît  l'usage  depuis  deux  mille 
ans.  n'a-t-elle  jamais  songé  à  les  exploiter  largement.  On 
souffre  cruellement  du  froid  à  50  kilomètres  d'un  gise- 
ment d'anthracite,  et  l'on  meurt  de  faim  en  cas  de  mau- 
vaise récolte  locale,  alors  que  la  province  voisine  a  sura- 
bondance de  blé  ou  de  riz. 

Quant  au  commerce  extérieur  il  se  fit  à  peu  près 
uniquement,  jusqu'au  Xix'^  siècle,  par  terre  avec  les  régions 
de  l'Ouest  :  Sibérie,  Mongolie,  Tibet,  Turkestan.  Le 
Chinois,  qui  excelle  à  la  navigation  fluviale,  ne  fut  jamais 
un  marin  de  haute  mer.  Ses  courses  les  plus  lointaines 
ne  dépassèrent  point  les  Archipels  qui  bordent  son 
Empire:  Japon,  Formose,  Philippines,  Bornéo,  et  sa 
flotte  se  borne  aux  jonques  chargées  du  cabotage  entre 
les  rivages  du  Sud  et  ceux  du  Nord.  Par  contre,  depuis 
une  très  haute  antiquité,  des  caravanes  parties  du  Sseu- 
Tchouen  portaient  au  Tibet  du  thé,  des  étoffes,  des 
porcelaines,  des  objets  fabriqués  et  revenaient  avec  du 
musc,  de  la  rhubarbe,  des  cuirs,  de  la  laine,  etc. 
D'autres,  venant  du  Kan-sou,  gagnaient,  le  Turkestan  par 
le  Gobi,  le  Lob  nôr  et  la  vallée  du  Tarim  (voir  plus 
loin).  Enfin,  de  Kalgan  k  Kiakhta,  à  travers  la  Mon- 
golie, les  ballots  de  thé  "  en  briques"  s'acheminaient 
lentement,  après  deux  ans  de  voyage,  au  marché  russe,  à 
la  grande  foire  de  Novgorod. 

De  ces  anciennes  routes  commerciales  à  grande  dis- 
tance, si  longues,  si  coûteuses,  soumises  à  tant  d  aléas, 
celle  du  Tibet  est  la  seule  ou  le  trafic  ait  encore  quel- 
que importance,  pour  des  raisons  religieuses  (pèlerinages 
à  Lhassa)  autant  qu'économiques.  Les  deux  autres  ont  cessé 
d'être  fréquentées  du  jour  où  les  Européens  se  firent 
ouvrir  les  portes  de  l'Empire. 

339      


L'ASIE 


Depuis  cette  date,  les  progrès  réalisés  ont  été  grands. 
Les  maisons  étrangères  établies  à  Tien-tsin,  Chang-Haï. 
Canton,  Hong-Kong,  Han-kéou  donnent  aux  opéra- 
tions commerciales  une  activité,  une  ampleur  qu'elles  ne 
connaissaient  pas.  Nombre  de  Chinois,  instruits  par  leur 
exemple,  secouant  la  routine  qui  les  paralysait,  ont  mar- 
ché sur  les  traces  des  "  Barbares  ".  Et  de  la  côte  où 
elle  se  cantonna  tout  d'abord,  cette  renaissance  écono- 
mique se  propage  à  l'intérieur,  grâce  à  la  navigation  à 
vapeur,  aux  voies  ferrées.  Les  grands  navires  calant 
6  mètres  remontent  en  trois  jours  le  Yang-Tseu  jus- 
qu'à Han-kéou.  Des  bateaux  de  tonnage  moindre 
atteignent  en  quatre  jours  I-tchang.  Au  delà,  d'I-tchang  à 
Tchong-King,  des  petits  vapeurs  franchissent  en  dix 
jours  (depuis  1910)  la  distance  que  les  jonques  pous- 
sées par  le  vent,  la  rame,  ou  tirées  à  la  corde  mettaient 
trente  jours  et  plus  à  parcourir. 

La  construction  des  chemins  de  fer  se  heurtait  à 
l'opposition  achetfnée  de  la  masse  du  peuple,  soit  par 
haine  irraisonnée  pour  tout  ce  qui  vient  de  l'étranger, 
soit  par  calcul,  les  mandarins  redoutant  l'emprise  des 
Bcirbares  "  sur  les  affaires  de  l'Empire  ;  les  petits  com- 
merçants, les  porteurs,  les  bateliers,  ces  millions  d'êtres, 
qui  vivent  du  portage  à  dos  d'hommes  et  de  la  jonque, 
craignant  de  voir  tarir  la  source  de  leurs  maigres  profits . 
Cependant,  grâce  à  la  complicité  des  hauts  dignitaires, 
que  d'abondants  pourboires  intéressèrent  à  de  telles  entre- 
prises, la  Chme  a  des  voies  ferrées  construites  par  des 
sociétés  françaises,  américaines,  belges,  allemandes,  voire 
chinoises. 

Pékin  fut  d'abord  relié  au  Transsibérien  par  Tien-lsin  et  les 
lignes  de  Mandchourie.  Puis  on  songea  aux  Transchinois  qui  doit, 
de  Pékin  à  Canton,  traverser  le  cœur  des  18  Provinces.  La  pre- 
mière partie  de  la  ligne  de  Pékin  à  Han-keou  ne  se  heurtait  à 
aucune  difficulté  technique.  Elle  fut  terminée  en  1905  et  l'on 
franchit  en  vingt-neuf  heures  les  1  200  kilomètres  qui  séparent 
les  deux  villes.  Le  tronçon  méridional  Han-kéou-Canton  est 
encore  inachevé.  Du  Transchinois,  des  embranchements  gagnent  à 
l'Ouest  Kalgan,  Yi-tchéou,  Taï-Yuan,  Tso-Tchéou  pour  desser- 
vir les  mines  d'anthracite  du  Tché-li  et  du  Chan-Si.  De  Kai- 
fong  une  voie  longe  le  Hohang-Ho,  atteint  Toung-Kouan,  au  coude 
du  grand  fleuve  et  doit  être  prolongée  jusqu'à  Si-Ngan.  DansleChan- 
Toung,  Kiao-Tchéou  est  relié  à  Tsi-Nan.  Chang-Haï  et  Chang- 
Tchéou  communiquent  avec  Nan-Kin,  d'où  une  voie  en  construction 
se  dirige  à  travers  les  plaines  de  l'Est  vers  Tsi-Nan  et  Tien-tsin.  A 
1  extrême  Sud-Ouest,  la  riche  province  du  Yunnan  est,  depuis 
1910,  reliée  directement  au  Tonkin  par  une  voie  ferrée  française, 
chef-d'œuvre  de  hardiesse  et  d'ingéniosité.  Enfin,  entre  autres 
voies  projetées  ou  déjà  commencées,  mentionnons  la  ligne  Han-kéou- 
Tcheng-tou  qui  doit  arracher  le  Sseu-Tchouen  à  son  isolement. 

Le  Chinois  a,  du  reste,  vite  compris  les  avantages 
des  transports  par  vapeur  et  ses  préjugés  ont  cédé  devant 
les  exigences  de  ses  intérêts  matériels.  Les  trains  sont 
assiégés  par  la  foule  des  voyageurs.  Les  compagnies 
de  navigation  fluviale  ne  peuvent  suffire  aux  demandes. 

340 


Tout  laisse  prévoir  que  la  période  d'opposition  systéma- 
tique au  progrès  a  pris  fin  et  que  la  Chine  nouvelle  s'en- 
gagera de  plus  en  plus  résolument  sur  la  voie  que  lui 
ont  ouverte  les      Diables  d'Occident  '. 

Le  commerce  extérieur  est  encore  peu  de  chose  si 
Ion  songe  à  la  grandeur  de  l'Empire,  à  la  masse  de  sa 
population,  à  la  multiplicité  de  ses  ressources.  Cependant 
il  s'est  accru  avec  régularité,  passant  de  I  000  000  000 
de  francs  en  1895  à  2  500000000  en  1906,  à 
3700000  000  en  1913,  à  lOOOOOOOOOO  en  1919.  A 
l'importation  les  colonnades  viennent  en  tête,  puis  le  nz 

TABLEAU  DU  COMMERCE  DE  LA  CHINE 


Principales    catégories. 

Année  1913. 

(Valeur  en  H.  K   taëls.) 

fle  H.  K.  taël  vaut. 

au  pair.  3  fr.  60). 

Année   1919. 
Valeur  en  H.  K.  taëls. 

dtonnades 

Importations, 

I94  000  000detaêk 
51  000  000     — 
31  000000     — 
20  000  000     - 
14000000     — 
12  000  000     — 
10000000     — 
8000000     - 

209  000  000  de  taëls. 

246  000       — 
56  000  000       — 
8000000       - 
Il  000000       - 
21  000  000       — 
12000000       — 

Objets  en  métal 

Riz 

Ggarettes 

Charbon 

etc. 

Totaux 

1    Soie  grège  et  soieries 

Haricots  et  tourteaux 

Thé 

598  000  000     — 
Expoitations. 

1 1 1  000  000  de  taëls. 
55  000  000     — 
35  000  000     - 
24  000  000     - 
17  500  000     - 
15  500  000     ~ 
10  000  000       - 
5  500  000     - 

1  380  000  000       — 

138  000  000  de  taëls. 
72  000  000       — 
22000000       - 
21  OOOOOO       - 
30  000  000       - 
10  000  000       - 
8000000       - 

Huiles  et  graines  oléagineuses 

Étain 

etc. 

423  000  000     — 

1  250  000  000      ^ 

PRINCIPAUX   CLIENTS 


Année  1913. 
(Valeur  en  H.  K.  taëls.) 

Année  1919. 
(Valeur  en  H.  K.  taëls). 

Importations  venant  de: 
Hong-Kong 

177  000  000    de  laëls. 

125  500000       - 
100000000       — 
50  000  000        - 
36  000  000        - 
22  OOOOOO        - 
5000000        - 

119  000  000    de  taëls. 

68  000  000       - 
45  000  000       - 
42  000  000        - 
40  000  000        - 
15  OOOOOO       - 
8  OOOOOO        - 

163  000  000  de  taëls. 
247  000  000      — 
64000000      — 
26  000  000      - 
110  000  000      — 
5000000      -r 
4000000      - 

131  000  000  de  taëls. 

195  000  000      - 
Il  OOOOOO      — 
34  000  000       - 

101  000  000       - 
57  000  000       - 
5000000      - 

Angleterre 

Inde 

Étals-Unis 

Russie-Sibérie 

France  

etc. 
Elxportations  allant  à 

Hontï-Kong 

Japon  

Russie-Sibérie 

États-Unis 

Angleterre 

Italie 

clc. 

Nota. — 11  va  de  soi  que  Hong-Kong,  ville  de  baDquiers,de  courtiers,  de  com- 
missionnaires en  marchandises,  etc.  sert  simplement  d'intermédiaire  entre  la 
Chine  d'une  part  et  la  France,  l'Angleterre,  l'Inde,  l'Australie,  l'Amérique,  etc., 
d'autre  part, 

— 

LA  CHINE 


(d'Indo-Chine  destiné  à  la  Chine  du  Nord),  les  objets 
en  métaux,  les  cigarettes  américaines  et  japonaises,  les 
poissons  secs  d'Indo-Chme,  le  charbon  bitumineux  du 
Japon,  le  pétrole  d'Amérique,  de  Bornéo,  de  Sumatra. 
L'opium  (de  l'Inde),  qui  prenait  encore  la  seconde  place 
sur  le  tableau  des  achats  en  1913,  a  disparu  presque 
totcJement  depuis  1917  à  la  suite  d'une  convention 
conclue  en  1911  entre  le  Gouvernement  chinois  et  la 
Grande-Bretagne. 

Aux  exportations,  la  soie  brute  ou  manufacturée  tient 
de  beaucoup  le  premier  rang.  Mais  déjà  la  Chine  est 
largement  dépassée  peu"  le  Japon.  La  vente  du  thé  ne 
s'accroît  plus  depuis  une  quinzaine  d'années  par  suite 
de  la  concu.'Tence  faite  à  la  Chine  par  les  thés  de  l'Inde 
de  Ceylan,  du  Japon,  qui  plaisent  d'avantage  au  goût 
des  principaux  consommateurs  :  Anglais  et  Américains. 
Les  haricots  "  soyas  "  à  l'état  naturel,  ou  en  tourteaux 
connus  sous  le  nom  de  fromage  de  Chine  ",  le  coton 
brut,  les  huiles  et  graines  oléagineuses,  les  peaux  et  cuirs. 


I  étain,  les  nattes,  les  porcelaines  et  "  chinoiseries  "  com- 
plètent la  série  des  principaux  articles  exportés. 

Parmi  les  clients  delà  Chine,  l'Angleterre,  qui  l'em- 
porta longtemps  sur  tous  ses  rivaux,  est  aujourd'hui  forte- 
ment distancée  par  le  Japon.  La  marine  marchande  japo- 
naise a  profité  de  la  Grande  Guerre  pour  prendre  une 
place  qu'on  ne  pouvait  lui  disputer  et  qu'elle  ne  perdra  plus. 
En  1919.  la  part  du  Japon  dans  le  commerce  extérieur 
de  la  Chine  (importation  et  exportation  réunies)  fui  de 
54  °/o;  celle  de  l'Empire  Britannique  (y  compris  l'Inde, 
les  autres  colonies  anglaises,  et  Hong-Kong)  fut  de 
24  °,  0 seulement.  Puis  venaient  les  Etats-Unis,  en  progrès 
très  rapides  (18%). et  la  France  (2  %). 

Nofa.^.^  A  la  Conférence  interallié:  de  Washington,  qui  j  pris  fin 
en  février  1922,  les  Japonais  se  Sfint  mis  d'accord  ave;  la  Chine 
pour  testiluerau  Gouvernement  de  Pékin,  les  territoires  du  Chan- 
Toung,  aatrefois  concédés  à  l'Allemagne,  et  que  les  Nippons  occu- 
paient depuis  1914.  L'Angleterre  a  pris  de  son  côté  l'enjagemenl  de 
se  dessaissir  de  son  enclave  de  Wel-hal-Wel. 


LA    MANDCHOURIE 


Pcinni  les  dépendances  de  la  Chme,  la  Mandchourie 
est  la  seule  qui  ait,  dès  à  présent,  une  réelle,  une  très 
gremde  VcJeur  économique.  Tandis  que  Tibef,  Turlces- 
tan,  Mongolie,  par  suite,  soit  de  leur  altitude,  soit  de 
leur  situation  continentale,  se  composent  à  peu  près  exclu- 
sivement de  déserts  inhabités  et  inexploitables,  la  Mand- 
chourie a  tout  ce  qu'il  faut  pour  attirer  l'homme.  Malgré 
un  climat  excessif,  tour  à  tour  brûlant  et  glacé,  de  plan- 
tureuses moissons  poussent  à  mer\'eille  dans  les  plaines 
fécondes,  au  sol  vierge.  L'élevage  peut  se  développer  à 
l'cùse  dans  les  steppes  immenses  aux  très  hautes  herbes. 
Des  forêts  denses  garnissent  encore  les  pentes  des  monts. 
Le  sous-sol  se  révèle  comme  particulièrement  riche  en 
minerais.  De  plus,  trait  d'union  naturel  entre  Sibérie. 
Chine  et  Corée  japonaise,  parcourue  par  les  voies  ferrées 
qui  conduisent  d'Europe  à  Pékin,  à  Vladivostok,  à 
Séoul  et  Fousan,  vestibule  terrestre  des  18  Provinces, 
la  Mandchourie  occupe  une  situation  telle  que  sa  posses- 
sion parait  être  égcJement  indispensable  aux  trois  grandes 
puissances  extrême-orientales. 


La  Russie,  une  fois  parvenue  aux  rives  de  l'Amour  et  da  Paci- 
fique, devait  être  fatalement  attirée  vers  les  plaines  mandchoues. 
Elle  y  trouvait  des  terres  pour  ses  paysans,  un  champ  d'action 
pour  ses  hommes  d  affaires,  un  moyen  d'accès  à  des  mers  toujours 
libres  de  glaces,  enfin  une  citadelle  d'où  elle  pourrait  surveiller 
l'Empire  du  Milieu,  lui  imposer  ses  vues  politiques  et  économiques, 
préparer  la  mise  sous  séquestre  de  cette  riche  proie.  Elle  obtint 
aisément  en  1898  la  cession  de  la  presqu'île  du  Kouang-Toung 
avec  les  havres  de  Port-Arthur  et  de  Dainy.  puis  la  cession  des 
voies  ferrées  transmandchouriennes  et  des  droits  de  surveillance  ou 
de  contrôle  qui  devaient  aboutir  assez  promplemcnt  à  l'occupation 
complète.  Mais  le  Japon,  dont  les  ambitions  n'étaient  pas  moindres, 
se  dressa  en  face  des  Slaves.  Il  les  battit  sur  terre  et  sur  mer 
(1934-1905),  et  le  traité  de  Portsmouth,  en  brisant  leur  rêve 
d'hégémonie,  attribua  leur  succession  aux  sujets  du  Mikado. 
Depuis  lors,  les  deux  adversaires  se  sont  réconciliés  sur  le  dos  de 
la  Chine.  Si  celle-ci  demeure  nominalement  souveraine  des  trois 
provinces  :  Cheng-King.  Ghirin.  Héloung-Kîang  qui  composent  le 
territoire  mandchou,  les  Nippons  conservent  en  toute  propriété  le 
Kouang-loung  et  leur  sphère  d'influence   embrasse  tout  le  Sud  du 

L'avenir  dira  si  la  Chine  nouvelle,  obligée  jusqu'ici  d'assister 
impuissante  aux  intrigues  étrangères,  trouvera  jamais  la  force  né- 
cessaire pour  échapper  à  l'emprise  et  secouer  ce  double  joug. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


La  Mandchourie,  appelée  pai  les  Chinois  Loun-san- 
tchen  (les  trois  provinces  du  Nord),  couvre  environ 
940000  kilomètres  carrés.  Elle  forme  dans  l'ensemble 
un  large  couloir  orienté  du  Sud-Ouest  au  Nord-Est.  une 
sorte  de  dépression  très  accentuée  entre  la  chaîne  arquée 
du  Grand  Khingan  à  l'Ouest  (2500  mètres  au  point 
culminant),  à  l'Est,  les  arê;es  du  Chan  Aline  (2700  mè- 
tres environ  au  Tchang-paî-chan)  qui  l'isolent  à  la  fois  de 


la  Corée  et  de  la  province  sibérienne  de  l'Amour.  Ce 
caractère  de  zone  effondrée  entre  deux  massifs  de  résis- 
tance plus  grande  est  bien  mis  en  valeur  par  l'abondance 
des  phénomènes  volcaniques  et  séïsmologiques.  Les 
roches  ignées,  très  répandues  dans  le  Khingan,  couvrent 
dans  le  Chan-Aline  une  surface  évaluée  à  plus  de 
60000  kilomètres  carrés.  Cônes,  cratères  où  dorment 
des  lacs,  se  succèdent  comme   dans   notre   Auvergne. 

■ 341 


L'ASIE  

D'autre  part,  les  tremblements  de  terre  ont,  à  maintes 
reprises,  été  la  cause  de  grands  désastres  que  men- 
tionnent les  anciennes  annedes. 

Le  territoire  des  trois  provinces  ne  correspond  pas  exactement 
aux  limites  indiquées  par  la  nature.  Dans  la  région  septentrionale, 
la  Mandcliourie  déborde  sur  le  flanc  occidental  des  monts  Khin- 
gan/  Au  centre,  c'est,  au  contraire,  la  Mongolie  qui  pousse  une 
large  pointe  jusqu'au  voisinage  de  Kharbin  et  de  Ghirin.  Au 
Sud-Ouest,  tout  le  cours  supérieur  du  Liao-ho  est  englobé  dans  la 
province  chinoise  du  Tdié-Ii. 

Très  montagneuse  au  Nord,  où  le  Khingan  descend 
vers  l'Amour  par  gradins  étages,  boisés,  creusés  de  pro- 
fondes gorges  et  à  l'Elst,  où  les  contreforts  du  Chan-Aline 
se  développent  en  petites  cheûnes  parallèles,  la  Meind- 
chourie  renferme,  néanmoins,  dans  sa  partie  centrale,  des 
piétines  au  sol  d'alluvion  suffisamment  étendues  pour 
nourrir  une  population  à  forte  densité. 

Au  Sud,  ces  piétines  s'inclinent  vers  le  golfe  du  Tché-li. 
C'est  le  bassin  de  Liao-ho,  "  la  rivière  lointaine  ".centre 
de  formation  et  de  dispersion  de  la  puissance  mcindchoue. 
Le  fleuve  qui  traversa  longtemps  des  steppes  à  demi- 
désertiques  est  irrégulier.  11  peut,  cependant,  en  été, 
'dans  son  cours  inférieur,  porter  des  jonques  de  2  à 
3  mètres  de  tirant  d'eau,  et  les  boues  qu'il  charrie,  cons- 
truisant un  vaste  delta,  ont  rejeté  à  50  kilomètres  à  l'in- 
térieur des  terres  l'ancien  port  de  Niou-tchouang. 

Les  plaines  du  Nord  descendent  vers  l'Amour.  Ellles 
sont  drainées  par  le  Soungari,  long  et  puissant  cours 
d'eau  qui,  né  dans  le  Chan-Aline,  reçoit  à  gauche  un 
affluent,  la  Nonni,  vetju  du  Grand-Khingan.  Navigables 
l'un  et  l'autre  sur  plus  d'un  millier  de  kilomètres,  ils 
constituent  une  précieuse  voie  de  pénétration  et  de  tran- 
sit, malheureusement  arrêtée  par  les  glaces  de  novembre 
à  mars. 

Sous  une  latitude  qui  équivaut  à  celle  de  l'Italie  et  de 


la  France  (du  40°  au  54°  latitude  Nord),  la  Mandchourie 
a,  en  effet,  un  climat  continental  à  forts  écarts  entre  les 
saisons.  L'hiver  y  est  long  et  très  rude.  La  moyenne  de 
janvier  à  Moukden  (à  la  même  distance  de  l'Equateur 
que  Naples)  est  de  —  16°,  plus  basse  que  celle  d'Ar- 
kangel  !  et  les  vents  violents,  qui  soufflent  de  Mongolie 
ou  de  Sibérie,  accroissent  terriblement  la  rigueur  du  froid. 
Le  sol  gèle  à  plusieurs  pieds  de  profondeur  ;  rivières  et 
lacs  se  couvrent  d'une  épaisse  couche  de  glace.  Mais, 
après  un  printemps  très  court  sévit  un  été  brûlant 
(  +  26°  en  juillet  à  Moukden).  Les  moustiques  foisonnent 
et  le  vent  du  Sud-Est  soulève  d'aveuglants  tourbillons 
de  poussière.  C'est  ce  vent,  cependant,  qui  amène  aussi 
la  pluie,  car  la  Mandchourie  est  encore  soumise  au  ré- 
gime des  moussons.  Les  plaines  du  Centre  reçoivent,  de 
juin  à  septembre,  de  50  à  75  centimètres  d'eau.  Cela 
suffit  pour  entretenir  une  luxuriante  végétation  de  hautes 
herbes  mêlées  d'arbrisseaux,  savanes  immenses,  presque 
inextricables,  qui  cèdent  peu  à  peu  la  place  aux  cheimps 
labourés  où  croissent  froment,  millet,  maïs,  tabac,  lé- 
gumes et  arbres  fruitiers.  Vers  l'Ouest,  les  pluies  dimi- 
nuent, et  dans  la  Mandchourie  mongole  la  savane  passe 
à  la  steppe  semi-désertique.  Par  contre,  sur  les  flancs  du 
Khingcui  orientaJ  et  sur  toutes  les  chaînes  du  Chan-Aline, 
exposés  directement  aux  vents  de  mer,  les  averses  plus 
copieuses  font  croître  d'épaisses  forêts  où  se  pressent 
ormes,  chcirmes,  chênes,  saules,  mêlés  aux  bouleaux  et 
aux  conifères.  Savanes  et  forêts  abritent  quantité  d'ani- 
maux sauvages  :  panthères,  tigres,  loups,  sangliers,  cerfs, 
daims,  zibelines,  renards  aux  précieuses  fourrures.  C  est 
aussi  dans  les  lointaines  retraites  perdues  au  milieu  des 
montcignes  boisées  que  se  cachent  les  bngands  ou  Khoun- 
gouses,  gens  Scms  aveu,  anciens  forçats  de  toutes  races, 
terreur  et  fléau  des  paisibles  eigriculteurs,  des  caravanes 
de  marchands,  voire  des  troupes  de  soldats  isolés. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE  ET  ECONOMIQUE 


On  ignore  le  chiffre  exact  de  la  population.  Les  esti- 
mations varient  de  6000000  à  29000000  !  Le  chiffre 
de  20000003  est  doimé  par  les  plus  récentes  statistiques 
comme  ayant  le  plus  de  chance  de  se  rapprocher  de  la 
vérité. 

Toungouses,  Mongols  et  Chinois,  tels  sont  les  trois 
groupes  les  plus  importants.  Les  Toungouses,  rcimeau  de 
la  grande  famille  jaune,  se  subdivisent  en  Mandchous. 
Daouriens,  Birars,  Solones,  etc.  Les  premiers  eurent 
longtemps  la  prépondérance  :  on  sait  qu'ils  furent  ca- 
pables, depuis  1644  jusqu'à  la  Révolution  de  1912, 
d'imposer  aux  Chinois  leur  supre'matie  militaire  et  des 
empereurs  de  leur  race.  Mais,  refoulés  à  leur  tour  par 
1  invasion  pacifique  des  fils  de  Han,  avec  lesquels  ils 
se  fondirent  peu  à  peu  au  point  d'qublier  leur  propre 

342  


langue,  ils  ne  sont  plus  guère  aujourd'hui  que  700000  à 
800000.  Daouriens,  Bircirs,  Solones,  Manègres,  Goîdes, 
mènent  dans  les  savanes  et  les  montagnes  une  vie  semi- 
nomade  de  pêcheurs,  éleveurs  et  chasseurs.  Les  Mon- 
gols ne  dépassent  pas  les  steppes  de  l'Ouest  qu'ils  par- 
courent avec  leurs  tro  peaux.  L'élément  prépondérant 
est  donc  le  paysan  chinois  Voici  plus  d'un  siècle  que, 
du  Tché-li,  du  Chan-Toung,  du  beissln  du  Hohang-Ho, 
chassés  par  les  inondations,  la  sécheresse,  la  misère,  les 
fils  de  Han  ont  commencé  leur  exode  vers  le  Nord, 
gagnant  le  delta  du  Liao-ho,  puis  la  vallée  de  ce  fleuve, 
puis  les  plaines  du  Soungari.  Chaque  année,  1 00000  éml- 
grants  nouveaux  vont  rejoindre  leurs  frères.  Bien  que 
certains  d'entre  eux  s'installent  dans  les  villes  et  se  livrent 
au  commerce,  la  plupart  défrichent  un  coin  de  savane. 


LA  CHINE 


RIZIÈRES  DES  MIAO-TSÉ.  U  Hz  est  h  céréale  essaitieUt  de  la  Chine  centrale. 
Dans  les  plaines  chaudes  et  facilement  irrigables,  la  moitié  du  sol  cultivabte  lui  est 
réservée  et  l'on  obtient,  en  moyenne,  deux  récoltes  annuelles.  Mais  les  montagnes  de 
l'Ouest  et  da  Sud  ont  aussi  leurs  rizières  étagées  sur  les  t>entes  des  vallées.  L'eau  de 


la  rivière,  captée  dans  la  partie  supérieure,  est  amenée  Par  des  rigoles  jusqu'aux  champs 
les  plus  élevés  d'où  elle  gagne  les  rizières  d'en  bas.  On  ne  fait  qu'une  récolle,  et  le  ren 
dément  à  l'hectare  est  bien  moindre  <rue  tfoni  les  plaine».  Noter  le  ravinement  intense 

des  monis  déboisés  qui  encadrent  la  vallée. 


DANS  LES  EAUX  DU  YANG-TSEU.  Celte  photographie  prise  à  Han-Kéou 
montre  de  quelle  importance  est  la  navigation  fluviale  dans  la  Chine  du  Centre.  Tous 
les  transports  se  font  par  voie  d'eau.  Grandes  jonques  à  voiles,  petits  sampans  mus 
à  la  rame,  longues  pirogues  tmplot/ées  dans  les  fêta,  radeaux  débordant  de  marcfum' 


dises,  vapeurs  à  hauts  bords  se  pressent  aux  rives  basses  du  grand  fleuve.  Des  milliers 
d'individus,  commerçants,  pécheurs,  marins,  fabricants  de  barques,  de  cordes,  de  toile 
à  ûoilei,  coolies  err^ttlovés  à  remorquer  les  navires,  etc.,  vivent  uniçuanenl  de  la 
pêche,  du  trafic  fhwùil  et  de*  nudtiples  industries  annexe*. 


343 


L'ASIE 


PAYSAGE  DE  MANDCHOURIE.  Si  l'on  met  à  part  les  plaines  gui  occupent 
le  centre  de  la  depjessian'mandchoue,  tout  le  reste  du  pays  est  couvert  de  collines  ou 
de  montagnes  où  les  roches' volcaniques  se  mêlent  aux  granits  et  dont  l'aspect  rappelle 
nos  paysages  familiers   du  Massif  Central.  CI.  Chusseau-Flaviens. 


UN  PONT  DE  LA  LIGNE  TRANSMANDCHOLRIENNE.  Pour  achever 

le  Transsibérien, les  Russes  obtinrent  de  la  Chine  le  droit  de  construire  la  dernière 
section  de  la  voie  à  travers  la  M andchourie.  C'était  un  raccourci  considérable  et  un 
moyen  d'établir  solidement  l'influence  rune  sur  les  riches  terres  de  la  Mandchomie. 


%l^^' 

' 

-  ~~^^JÊÊ^:. 

CORDONNIER  CHINOIS.  L'un  des  innombrables 
artisans  Qui,  mêlés  aux  marchands  ambulants,  aux  men- 
diants, diseurs  de  bonne  aventure,  eic,  exercent  leur 
métier  dans  la  tue.  Cl.  Chusseau-Flaviens. 


i^ 


FEMMES  MONGOLES  D'OURGA. 

Paisibles  descendantes  de  ces  terribles 
Mongols  <jm  jouèrent  un  tel  lôle  dans 
l'histoire    de    la    Chine    et    dit    monde. 


^ï 


t 


UN  ATELIER  DE  CLOISONNER! ES.  La  Chine 

excella  de  très  bonne  heure  dans  l'art  délicat  de  la  porce- 
laine. On  connaît  la  beauté  et  le  prix  des  chefs'd'auvre 
sortis  de  ses  a/e/iers  (Toufre/ow.  CI.  JacqueS  DU  Taufat. 


E.V-B.iJ'vQUEMENT  DU  COTON.  U  climat  et  le  sol  de  la  Chine  conviennent 
fort  bien  à  la  culture  du  colon.  On  en  fait  en  Chine  même  une  énorme  consomma- 
t'cTi,  car  U  Chinois  ne  se  vêt  que  de  cotonnades  et  de  soienes.  Le  reste  est  exporté 
purtaiil  à  destination  des  manufactures  japonaises.  CI.  D^  P.  Richard. 


LES  .ACIÉRIES  D'HAN-YANG.  La  grande  industrie  à  l'européenne  se  développe 
en  Chine,  favorisée  par  l'abondance  du  charbon,  le  bon  marché  de  la  main-d'auvre. 
Outre  les  manufactures  de  soieries  et  colonnades  à  Chang'Htà,  Ccmlon,  etc.,  de 
grandes  aciéries  ont  été  créées  à  Han-Yang  près  de  Han-Kéou.C\    HarLINCUe. 


344 


LA  CHINE 


~  Frontière*}.. 
'  Paient  ferrécv 


LA   MANBCIHIOUMIE 

CARTE  ÉCONOMIQUE 


CounvJeau  II 
navu/ablea,  || 


^^)S^^^ 


construisent  une  cabane  de  roseaux  et  travaillent  la  terre 
féconde. 

Grâce  à  eux,  la  Mandchoune  devient  peu  à  peu  le 
grenier  de  la  Chine  du  Nord  et  de  la  Sibérie  orientale, 
du  Japon  même.  La  seule  plaine  du  Soungari  produit 
déjà  40000000  d'hectolitres  de  blé  (les  deux  tiers  de  la 
production  française).  Le  haricot  '  soya  ",  que  l'on  con- 
somme au  naturel  ou  que  I  on  transforme  en  huile  et 
tourteaux  pour  le  bétail,  l'avoine,  l'orge,  le  gaolian  ", 
espèce  de  millet  à  très  haute  tige  qui  joua  un  grand  rôle 
lors  de  la  guerre  russo-japonaise,  les  pommes  de  terre, 
les  fruits  d'Europe,  le  tabac,  réussissent  à  merveille  sur 
ce  sol  vierge,  où  les  pluies  d'été  tombent  juste  à  temps 
pour  hâter  la  maturation.  Le  riz  lui-même  se  cultive,  au 
moins  dans  les  districts  du  Sud.  L'élevage  (bœufs,  mou- 
tons, chevaux  de  race  robuste,  chameaux  à  longs  poils), 
pratiqué  non  par  les  Chinois,  mais  peu"  les  Toungouses 
et  les  Mongols,  peut  avoir  un  magnifique  avenir,  du  jour 
où  les  troupeaux  seront  protégés  contre  les  épizooties  dé- 
sastreuses qui  les  déciment  trop  fréquemment. 

Enfin,  malgré  une  prospection  tout  à  fait  insuffisante, 
il  apparaît  que  les  ressources  minières  ne  le  cèdent  point 
à  celles  de  la  Chine.  L'or  exploité  par  le  Gouvernement 
chinois,  ou  par  les  bandes  de  brigands  Khoungouses 
qui  se  réservent  le  secret  des  placers  dispersés  dans  la 
montagne,  se  trouve  surtout  dans  les  régions  du  Khingan, 
du  Chan- Aline,  aux  rives  de  l'Amour.  La  houille  s'ex- 
trait aux  environs  de  Ghirin.  Fer,  cuivre,  manganèse, 
plomb,  soufre,  sont  signalés  un  peu  partout. 


La  mise  en  valeur  des  ressources  de  la  Mandchoune, 
déjà  facilitée  parla  longueur  du  réseau  navigable  (Amour. 
Soungari-Nonni,  Oussoun).  s'est  trouvée  grandement 
accélérée  à  partir  de  1909  par  la  construction  d'impor- 
tantes voies  ferrées.  Les  Russes  y  firent  d  abord  passer 
la  dernière  section  de  leur  Transsibérien  qui,  par  Khaïlar, 
Tsitsikar,  Khatbin  et  Ningouta,  gagne  Vladivostok.  De 
Kharbin,  une  bifurcation  se  dirige  vers  le  Sud,  passe  à 
Moukden,  Kintchéou-fou,  pénètre  en  Chine  à  Chan-haï- 
Kouan  et  aboutit  à  Pékin.  Enfin,  de  Moukden  on  peut 
atteindre,  soit  Port-Arthur  \  l'extrémité  du  Kouang- 
Toung  par  Niou-tchouang  et  Daïren  (la  Dalny  russe), 
SDit  la  Corée,  puis  le  Japon,  par  la  ligne  Liao-Yang, 
.'Xntoung,  Séoul,  Fousan.  Ainsi,  la  Mandchoune  appa- 
raît comme  la  '  plaque  tournante  "  de  l'Extrême-Orient, 
et,  de  ce  fait,  ses  progrès  économiques  ont  été  relative- 
ment beaucoup  plus  rapides  que  ceux  de  la  Chine  même. 
Il  y  faut  ajouter,  il  est  vrai,  l'influence  d'un  élément 
étranger  :  russe  au  Nord,  japonais  au  Sud  qui,  à  peu 
près  débarrassé  des  multiples  entraves  que  les  Chinois 
de  Chine  opposent  aux  "  Barbares",  agit  en  maître  et 
donne  aux  affaires  une  activité  encore  inconnue  des  vrais 
fils  de  H  an. 

Moukden  la  "'  florissante",  berceau  de  la  dernière 
dynastie  chinoise,  est  la  cité  la  plus  considérable  de 
Mandchourie.  Elle  renferme  160000  habitants  environ 
dans  sa  vaste  enceinte  close  de  murailles  de  briques,  et 
son  aspect  ne  diffère  en  rien  des  villes  chinoises  précé- 
demment  décrites.    Liao-Yang    (80  000   habitants)   et 


céoCRAPHIE  UNIVERSEIXE. 


345 


34 


L'ASIE 

Antoung,  sur  la  voie  qui  mène  en  Corée,  Niou- 
Tchouang  (50000  habitants),  et  son  avant-port  de  Ying- 
tsé  (60000  habitants),  débouché  des  plaines  du  Liao-ho, 
se  développent  rapidement  grâce  aux  lignes  ferrées  qui 
les  desservent.  Pour  la  même  raison,  Tchang-tchoung, 
hier  encore  médiocre  petite  ville,  et  Kharbin,  simple 
hameau,  ont  atteint  promptement,  l'une  80000,  l'autre 
60000  habitants.  Kharbin  surtout,  aux  rives  du  Soun- 
gari,  au  point  de  croisement  des  voies  ferrées  transmand- 
chouriennes,  entourée  par  les  plaines  les  plus  fertiles  de 
la  Mandchourie,  centre  du  commerce  et  de  l'influence 
russe,  déjà  dotée  de  brasseries,  d'huileries,  de  minoteries, 
parait  destinée  au  plus  brillant  avenir.  Ghirin,  chef-lieu 
de  province  et  vieille  ville  guerrière,  fête  de  ligne  de  la 
navigation  sur  le  Soungari,  reliée  par  un  embranchement 
au  Transmandchourien,  compte  ISOOOOhabitcUits.  Tsit- 
sikar  (80000  habitants),  Bédouné  (20000  habitants), 
Ningouta  (50000  habitants),  anciens  marchés  célèbres 


par  leurs  foires  aux  chevaux,  aux  moutons,  aux  fourrures, 
sont  à  leur  tour  entraînées  dans  le  mouvement  général 
né  de  l'apparition  du  rail. 

En  191 5,  le  commerce  total  de  la  Mandchourie  dé- 
passait I  000000000  de  francs  (315000000  aux  im- 
portations, 7 1 2  000  000  aux  exportations).  Pour  l'année 
1919,  les  chiffres  donnés  par  les  statistiques  anglaises  sont 
de  £  44  800  000.  pour  les  importations,  et  £  40  500  000. 
pour  les  exportations.  Les  blés  et  les  farines  destinés  à 
la  Sibérie  orientale,  à  la  Chine,  au  Japon,  les  huiles,  les 
hciricots  soyas  "  et  les  tourteaux  de  haricots,  les  four- 
rures, les  peaux  et  cuirs,  l'or,  constituent  les  principaux 
cirticles  d'exportation.  Les  denrées  destinées  à  la  Sibérie 
empruntent  naturellement  surtout  la  voie  ferrée  ou  la 
voie  fluviale  (Soungari  et  Amour).  Le  reste  s'expédie 
par  les  ports  mandchous  de  Niou-tchouang-Ying-tsé 
et  d' Antoung  ou  par  le  port  japonais  de  Daïren  (voir 
le  chapitre  consacré  au  Japon. 


CHAPITRE  XXV 


L'ASIE   INTÉRIEURE 

MONGOLIE,   TURKESTAN    CHINOIS,  TIBET 


La  Mandchourie  nous  offrciit  encore  le  spectacle  d'une 
terre  fertile,  déjà  pourvue  d*une  dense  population  d'agri- 
culteurs sédentaires,  dotée  de  voies  ferrées,  ouverte  à 
la  circulation  moderne.  Si,  nous  dirigeant  vers  TOuest, 
nous  franchissons  la  barrière  du  Grand  Khingan,  un 
monde  nouveau  s'ouvre  devant  nos  yeux.  C'est  l'Asie 
intérieure,  couverte  de  steppes»  de  déserts,  de  mon- 
tagnes formidables,  de  plateaux  sans  fin,  domaine  long- 
temps inviolé  du  nomade,  sombre  royaume  de  la  soif, 
des  tempêtes  et  de  la  mort. 


De  multiples  explorations  se  sont  efforcées  d'en  pénétrer  le 
secret.  A  peine  cependant  commençons-nous  à  déchiffrer  les  carac- 
tères les  plus  saillants  de  sa  structure,  à  connaître  avec  quelques 
détails  la  nature.  les  moeurs,  !a  vie,  la  race  de  ses  habitants,  à 
entrevoir    le    passé  de  ces  immensités  mystérieuses  d*où,  par    une 


inexplicable  anomalie,  tant  de  conquérants  sorluent  :  Huns,  Turcs, 
Tatars,  Mongols,  pour  se  ruer  à  la  conquête  du  monde,  et,  du 
Danube  au  Décan,  de  la  Volga  au  Pacifique,  plier  sous  leur  joug 
les  populations  paisibles  des  plaines  riches  en  grain.  L'aridité  du 
sol,  la  rudesse  du  climat,  la  difficulté  et  la  longueur  interminable 
des  pistes  que  peuvent  suivre  les  caravanes,  l'hostilité  des  hommes 
enfin,  tout  s'oppose  à  la  reconnaissance  complète  de  ces  vastes 
espaces  jetés  comme  une  barrière  colossale  entre  les  foyers 
d'huraémité,  les  zones  d'attraction,  de  vie  intense  que  constituent  la 
Chine,  Tlnde,  l'Europe.  Terres  d'élection  pour  les  explorateurs 
aventureux,  leur  importance  économique  est  nulle,  et  rien  ne  fait 
prévoir  qu'elles  pourront  jamais  en  acquérir.  Même  les  caravanes 
qui,  aux  temps  très  anciens.animaientleurs  solitudes,  —  lorsque  la 
Rou.te  de  la  Soie  à  travers  les  déserts  mongols  était  la  seule  voie 
unissant  la  Sérique  à  la  Bactrianc,  le  pays  de  Cathay  à  Trébizonde 
—  ont  à  peu  près  disparu  depuis  que  les  courants  commerciaux 
atteignent  la  Chine  par  la  mer  et  le  Transsibérien.  Plus  rien  ne 
vient  troubler  le  "  silence  éternel  de  ces  espaces  infinis  ".  Aussi 
bien  leur  description  sera-t-elle  brève. 


LA  MONGOLIE 


La  Mongolie,  comprise  entre  la  Sibérie,  le  Turkestan 
chinois,  le  Tibet,  la  Chine  et  la  Mandchourie,  a  des  li- 
mites fort  imprécises  qui,  nulle  part,  ne  correspondent 
exactement  à  ce  que  l'on  appelle  des  frontières  natu- 
relles. Au  Nord,  elle  renferme  les  bassins  supérieurs  de 
1  Irtych,  de  l'iénisséi,  de  l'Amour,  fleuves  sibériens.  A 
l  Est,  elle  déborde  par  delà  le  Grand  Khingan  jusqu'au 


cœur  de  la  dépression  mandchoue.  Au  Sud-Est,  la  ligne 
frontière  sino-mongole  coupe  à  deux  reprises  la  grande 
boucle  du  Fleuve  Jaune.  A  l'Ouest,  le  couloir  de  Dzoun- 
garie,  qui  mène  au  Turkestan  russe,  est  partagé  politi- 
quement entre  Mongolie  et  Kansou-Smkiang  (nouvelle 
dénomination  officielle  du  Turkestan  chinois).  On  estime 
à  3500000  kilomètres  carrés  la  surface  ainsi  délimitée. 


346 


L'ASIE  INTÉRIEURE 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


La  Mongolie  du  Nord  ou  Mongolie  exte'rieure  est 
accidentée  par  de  nombreux  et  puissants  massifs  :  l'Altaï 
qui  porte  à  4500  mètres  ses  pointes  suprêmes  (monts 
Biélouclca.  Tjtfbyn-Bogdo-Ola),  vêtues  de  neiges  e'ter- 
nelles  et  de  glaciers  aussi  considérables  que  ceux  du 
mont  Blanc  ;  les  monts  Saian,  Tannou-Oula  (3000  mè- 
tres), Khangaî  (3  600  mètres  ),  Kenteï  (2  500  mètres) .  etc . 
Des  pluies  suffisantes  entretiennent  au  flanc  des  monts 
dépciisses  forêts  de  conifères  mêlés  de  bouleaux  aux- 
quelles succèdent,  dans  les  vallées,  des  steppes  propres 
à  l'élevage  et  même  à  la  culture.  Ellles  nourrissent  aussi 
tout  un  réseau  de  nvières  rapides  dont  les  unes  se  perdent 
dans  la  dépression  lacustre  de  Kobdo  (lacs  Khara, 
Dourga,  Oubsa),  tandis  que  les  autres  :  Irtych,  lénisséi, 
Selenga,  s'ouvTentun  chemin  vers  les  plaines  sibériennes 
et  le  lac  Baïkal.  C'est  la  partie  vitale  de  la  Mongolie, 
celle  qui  fut  le  centre  de  la  puissance  des  grands  Khans 
(les  ruines  de  leur  capitale  :  Karakoroum,  où  résida 
Marco  Polo,  subsistent  aux  rives  de  l'Orkhon,  affluent 
de  la  Sélenga).  Ses  relations  naturelles  s'établirent  bien 
plutôt  avec  la  Sibérie  qu'avec  la  Chine  et  ceci  explique 
les  efforts  faits  par  les  Russes  pour  y  supplanter  la  do- 
mination chinoise. 

Le  reste  de  la  Mongolie  se  présente  sous  la  forme 
d'un  immense  plateau,  haut  d'un  millier  de  mètres  en 
moyenne,  et  légèrement  incurvé  vers  le  centre.  Les  Chi- 
nois le  nomment  Han-haï  (la  mer  desséchée)  et  il  est 
possible,  en  effet,  qu'une  mer  intérieure,  analogue  à  la 


Caspienne,  en  ait  recouvert  la  majeure  pjutie.  Parfois, 
sur  des  centaines  de  kilomètres,  le  sol  fait  de  sable  et  de 
cailloutis,  amalgeimés  par  des  lits  d'argile,  s'étale  sans  une 
ride  jusqu'à  l'extrême  horizon.  Ailleurs,  surtout  à  l'Ouest, 
des  crêtes  dentelées,  déchiquetées  par  l'érosion,  prolon- 
gements extrêmes  de  l'Altaï  mongd,  accidentent  ces 
mornes  étendues,  tour  à  tour  soumises  aux  froids  terribles 
d'un  long  hiver  ( — 26  de  moyenne  en  janvier  à  Ourga) 
et  aux  cirdeurs  d'un  été  où  la  transparence,  la  sécheresse 
de  l'ciir  rendent  plus  vive  la  brillure  du  soleil. 

La  pluie  n'est  pas  tout  à  fait  absente,  et  les  averses 
orageuses  de  l'été  déversent  même,  au  moins  sur  les  ré- 
gions du  pourtour,  de  25  à  35  centimètres  d  eau.  Aussi 
ce  "  Sahel  "  mongol  a-t-il  quelques  ouaddys  qui  se  perdent 
sous  les  sables,  et  des  steppes  aux  courtes  herbes  où 
nomadisent  les  troupeaux.  Mais  le  centre  est  à  peu  près 
dépourvu  de  pluie.  C'est  le  Gobi  des  Mongols,  le  Chamo 
des  Chinois,  dernier  anneau  de  cette  large  chaîne  de  dé- 
serts, qui,  de  l'Atlantique  au  Pacifique,  traverse  tout 
l'Ancien  Monde,  pas  le  Sahara,  l'Arabie,  l'Iran,  les 
Tiukestans  russe  et  chinois.  De  rares  puits,  creusés  à 
grandes  distances  les  uns  des  autres  au  fond  des  cou- 
loirs de  sable,  marquent  les  élapes  des  caravanes.  Quel- 
ques graminées  dures  :  le  dyrissoun,  un  arbuste  :  le 
saxaoul.  dépourvu  de  feuilles,  aux  branches  revêtues 
d'écaillés,  apparaissent  ça  et  là  aux  revers  des  dunes, 
seules  plantes  qui,  par  une  sorte  de  miracle  perpétuel, 
parviennent  à  vivre  dans  une  telle  aridité. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


Les  habitants  ?  On  estime  leur  nombre  a  2000000 
ou  3000000,  chiffre  insignifiant  pour  un  pays  sept  fois 
grand  comme  notre  France.  Le  fond  de  la  population  se 
compose  de  Mongols  :  Kalmoucks  à  l'Ouest,  Khalkas  à 
l'Elst,  Bouriates  au  Nord.  Ces  descendants  dégénérés 
des  compagnons  d'Attila,  de  Gengis-Khan,  de  Tamer- 
lan,  sont  des  hommes  de  stature  moyenne,  aux  yeux 
légèrement  bridés,  aux  pommettes  sciillcintes,  aux  rudes 
cheveux  noirs,  à  la  peau  brune  ou  jaune  pâle.  Ils  vivent 
en  nomades,  déplaçant  de  pâturages  en  pâturages  leurs 
yourtes,  tentes  rondes  formées  d'un  clayonnage  de  roseaux 
couvert  de  feutre  ou  de  peaux  de  bêtes.  Ils  se  nourrissent 
natureUement  du  lait  et  de  la  chair  de  leurs  troupeaux  ; 
moutons,  bœufs,  chameaux  à  longs  poils,  yacks,  chevaux, 
leur  unique  ressource  et  leur  seul  objet  d'échange.  Ils 
ont  complètement  perdu  les  mœurs  guerrières,  le  goût 
d'aventure  de  leurs  ancêtres.  Du  reste,  le  bouddhisme 
UmaTque,  dont  ils  sont  de  fidèles  sectateurs,  a  multiplié 
chez  eux  les  prêtres  en  nombre  tel  qu'un  tiers  de  la  po- 
pulation mâle  se  compose  de  lamas   fainéants,  vivant 


oisifs  dans  leurs  couvents  fortifies  sous  la  cLrection  du 
Koutoukta  "  ou  Greind  Lama  d'Ourga.  Les  antres  ne 
seraient  plus,  suivant  le  commandant  de  Bouillanne  de 
Lacoste.  "  qu'un  sordide  ramassis  d'ignorants,  de  brutes, 
de  lâches  et  de  paresseux,  sans  curiosité  d'esprit,  dé- 
munis des  connaûssances  les  plus  élémentaires,  et  condam- 
nés à  disparaître  sous  l'afflux  des  Chinois    . 

Les  seules  petites  agglomérations  urbaines  sont  des 
marchés  alignés  au  Nord  et  au  Sud  du  Gobi.  Au  Nord. 
Ourga  (20000  habitants),  "  la  ville  des  millionnaires  du 
thé"  et  le  principal  centre  religieux  des  Mongols,  dut 
une  réelle  prospérité  aux  caravanes  qui.  parties  de  Kal- 
gan.  portaient  en  Sibérie  les  ballots  de  thé  en  briques. 
Ce  transit  est  de%'enu  insignifiant  depuis  que  les  thés  de 
Chine  empruntent  le  Transsibérien.  Ouliasoutaï  et 
Kobdo,  à  l'Ouest  d'Ourga.  jalonnent  une  autre  piste  éga- 
lement désertée  par  où  l'on  gagnait  la  Sibérie  occiden- 
tale. Au  Sud,  les  oasis  de  Lian-Tcheou,  Kan-Tchéou. 
Sou-Tchéou,  Ngan-Si,  Khami,  conduisent  au  Kan-Sou 
chinois  ou  Turkestan. 

347 


L'ASIE — 

Après  avoir  longtemps  fait  trembler  la  Chme  sous  la  menace 
d'invasions  que  la  Grande  Muraille  fut  trop  souvent  incapable  d'ar- 
rêter, la  Mongolie,  déchue,  dut  à  son  tour  se  plier  à  la  suprématie 
des  fils  de  Han.  Elle  devint  une  "  colonie  "  chinoise,  et  les  chefs 
des  tribus  mongoles  prêtèrent  hommage  à  l'Ejnpereur  qui  se  fit 
représenter  par  des  "  ambans  "  ou  résidents.  Au  XIX*^  siècle,  cette 
dépendance,  d'abord  plus  théorique  qu'effective,  tendit  à  devenir 
plus  étroite.  Les  colons  chinois,  en  effet,  arrivèrent  en  grand  nombre 
sur  le  pourtour  méridional  de  la  "  mer  des  herbes  ".  A  force  d'in- 
géniosité, ils  y  créèrent  une  série  de  petites  oasis  où  iU  cultivèrent 
Torge  et  le  blé.  D'autres,  franchissant  le  Gobi,  s'installèrent  dans 
les  vallées  du  Nord,  entre  Ourga  et  la  frontière  sibérienne.  Cette 
"  invasion  pacifique  **,  soutenue  par  le  Gouvernement  de  Pékin, 
inquiéta  la  Russie  qui  n'eût  pas  été  fâchée  de  trouver  en  Mongolie 
des  compensations  à  ses  déboires  de  Mandchourie.  Elle  agit  avec 
vigueur  auprès  des  chefs  Mongols  du  Nord,  auprès  du  Grand 
Lama  d*Ourga,créa  peu  à  peu  un  courant  favorable  à  ses  desseins. 
Aussi,  en  1912,  la  Mongolie  extérieure  profita  de  la  Révolution 
Chinoise  pour  se  déclarer  plemement  autonome,  et,  en  1915,  un 
traité  conclu  entre  la  Chine  et  la  Russie  consacra  celte  autonomie. 

Politiquement  la  Mongolie  se  trouvait  divisée  en  deux  tronçons 


correspondant,  du  reste,  a  d'incontestables  réalités  géographiques. 
La  Mongolie  méridionale  au  Sud  du  Gobi,  peuplée  d'une  majo- 
rité de  Chinois  agriculteurs,  en  relations  naturelles  et  constantes 
avec  les  provinces  du  Kan-Sou,du  Chan-Si,  du  Tché-Li,  demeurait 
soumise  à  l'autorité  de  Pékin.  Le  Nord,  la  région  des  montagnes 
boisées,  des  rivières  qui  descendent  vers  la  Sibérie,  devenait  une 
République  Mongole  ne  conservant  plus  avec  la  République 
Chinoise  que  de  très  vagues  liens  de  vassalité.  La  Chine  renonçait 
au  droit  de  la  coloniser,  d'y  entretenir  des  forces  militaires,  etc. 
Par  contre,  la  Russie  obtenait  des  avantages  économiques,  poli- 
tiques et  commerciaux  qui  devaient,  dans  un  avenir  rapproché, 
transformer  la  nouvelle  République  en  une  simple  dépendance  de 
la  Sibérie.  Depuis  lors  les  événements  de  Russie  ont  modifié  la  situa- 
lion.  En  novembre  19 14,  la  Chine  déclara  nuls  et  non  avenus  les  trai- 
tés précédemment  conclus  aussi  bien  entre  le  gouvernement  chinois 
et  le  gouvernement  russe  qu'entre  la  Russie  et  la  Mongolie.  Elle 
replaça  donc  —  théoriquement  tout  au  moins  —  la  Mongolie 
extérieure  sous  sa  suzeraineté.  Toutefois  le  P^  février  1921,  les 
Mongols  se  sont  donnés  comme  roi  le  Grand  Lama  d'Ourga  et  ont 
proclamé  à  nouveau  l'indépendance  de  leur  pays-  Les  choses  en 
sont  là  présentement  (décembre  1921). 


DZOUNGARIE  ET  TURKESTAN  CHINOIS 


A  l'Ouest,  la  Mongolie  s'ouvre  sur  les  plaines  de 
l'Asie  Occidentale  par  une  série  de  dépressions  comprises 
entre  les  chaînes  de  l'Altaï  et  du  Tian-Chan.  C'est  la 
porte  de  Dzoung£irie,  d'altitude  inférieure  au  plateau 
nwngol,  mais  de  climat  et  de  nature  à  peu  près  sem- 
blables. Son  importance  histonque  fut  considérable  : 
par  cette  trouée  naturelle  se  déversèrent  autrefois  les 
grandes  migrations  hunniques  et  mongoles.  De  nos 
jours,  les  Dounganes  musulmans,  métis  de  Khirgiz, 
de  Turcs,  de  Mongols,  nomadisent  dans  les  steppes 
semées  de  lacs  saumâtres  où  se  perdent  quelques  tor- 
rents descendus  des  monts  voisins.  Assez  nombreux 
pour  constituer  aux  XVII®  et  XVIII®  siècles  un  Etat  puis- 
sant, ils  furent  soumis  par  la  Chine,  puis  en  grande 
pcirtie  exterminés  à  la  suite  d'une  révolte  provoquée  par 
les  exactions  des  fonctionnaires  chinois. 

Les  principaux  marchés  où  s'arrêtent  les  cc^avanes  se 
situent,  soit  au  pied  du  Tian-Chan  et  des  monts  Tarba- 
gataï  (Ouroumtsi,  Manas,  Dourbouldjin),  soit  surtout 
dans  la  haute  vjJlée  de  l'Ili  (Kouldja,  Souidoum),  qui, 
plus  chaude,  mieux  curosée,  a  reçu  un  bon  nombre 
d'émigrants  chinois. 

Au  Sud-Ouest,  le  couloir  du  Peï-chan,  dominé  par 
la  double  muraille  du  Tian-chan  et  du  Nan-chan, 
conduit  au  Turkestan  oriental  qui  porte  aujourd'hui  le 
nom  officiel  de  Kansou-Sinkiang.  C'est  un  immense 
bassin  d  effondrement  d'une  cJtitude  moyenne  d'un  mil- 
lier de  mètres  (1300  à  Kachgar,  780  au  Lob-Nor), 
ceinturé  de  montagnes  qui  prennent  rang  parmi  les  plus 
considérables  du  monde.  Au  Nord,  le  Tian-chan  culmine 
par  7  350  mètres  au  Khan  Tengri.  A  l'Ouest,  le  rebord 
oriental  des  Pamirs  atteint  7  850  mètres  an  Mouz-Tagh- 
Ata,  le      père  des  Monts  de  Glace  ".  montagne  sacrée 


des  mdigènes.  Au  Sud,  le  Kouen-Lunetses  diramations, 
Altyn  Tagh,  Astyn-Tagh,  Oustoun  Tagh,  renferment, 
eux  aussi,  nombre  de  sommets  qui  approchent  ou  dé- 
passent l'altitude  de  7000  mètres,  et  les  cols  qui,  vers 
le  Sud,  mènent  aux  plateaux  tibétains,  ne  sont  jamais 
inférieurs  à  5000  mètres. 

Le  centre  de  la  dépression  est  occupé  en  entier  par 
les  sables  du  Takla-Makan,  l'un  des  déserts  les  plus 
absolus,  les  plus  effroyables  du  monde. 

Le  grand  explorateur  Suédois,  Sven  Hédin,  qui  tenta 
de  le  traverser  dans  la  pasbe  la  plus  étroite,  y  perdit  les 
deux  tiers  de  sa  caravane  et  faillit  y  périr  lui-même  de 
faim  et  de  soif. 

LES  RÉGIONS  HABITEES,  aa  Les  seules 
régions  habitables  se  trouvent  dans  la  zone  sise  entre  la 
base  des  monteignes  et  les  premières  dunes.  Les  torrents 
nourris  péir  les  neiges  et  les  glaaers,  captés,  à  leur 
débouché  des  gorges,  par  des  canaux  d  irrigation,  portent 
la  vie  dans  une  série  d'oasis.  Les  caravanes  qui  viennent 
du  désert  ou  des  montagnes  sauvages  saluent  avec  des 
transports  de  joie  l'éclatante  verdure  des  grands  arbres  ou 
se  nichent  les  petites  maisons  blanches  et  d'où  jaillissent 
les  mincirets  des  mosquées.  Si  l'hiver  est  encore  fort  rude 
(de  6**  à  lO"'  au-dessous  de  zéro  en  moyenne),  l'été 
très  chaud  (de  26°  à  28°  à  Yarkand)  permet  la  culture 
de  toutes  les  céréales,  des  arbres  à  fruits  (abricotiers, 
noyers),  du  mûrier,  du  cotonnier  même.  Les  torrents  du 
Sud  perdent  promptement  dans  les  sables  le  peu  d  eau 
que  les  champs  n'ont  pas  bu.  Ceux  de  l'Ouest  et  du 
Nord-Ouest,  beaucoup  plus  abondants  et  soutenus  par 
les  glaciers  du  Kara-Koroum,  des  Pamirs,  du  Tian-chan 
s'unissent  en  un  seul  collecteur,  le  Tarim. 


348 


L'ASIE  INTÉRIEURE 


TIBÉTAINS.  Les  immenses  soUtudu  du  Tibet  sont  très  faiUanent  pelées  <^e '"*««• 
en  oor/ie  nomades,  appartenant  à  l'un  des  rameaux  de  ta  grande  famille  j'atme.  Endur- 
cis par  la  rudesse  du  climat  et  la  pénible  existence  qu'ils  sont  contraints  de  mener 
le»  Tibétains  sont  robustes,  très  résistants  à  la  fatigue  et  aux  privations.  Par  aillems. 


ils  ont  un  caractère  hospitalier,  aimable,  cl  les  explorateurs  sont  unanimes  à  louer 
leur  douceur,  leur  humanité,  leur  patience.  Ils  se  vêlent  d'étoffes  de  feutre,  de  peaux 
d'animaux  et,  suivant  les  brusques  changements  de  la  température,  ils  découvrent  ou 
abritent  laa  torse.  Tirer  la  lanow  r\f  Ifur  i.unn  <ir  uilurr. 

349 


L'ASIE 


SUR  LES  HMJTS  PLATEAUX.DU  1 IBE  r.  Li  vue  al  prise  par  pim  Je  4  000 

mètres  d'altitude  dans  un  de  ces  larges  (ouloirs.  au  soi.de  caïUoulis,  souvent  spongieux, 
parsemé  de  lacs  généralement  salés,  qui  s'allongent  entre  des  arêtes  neigeuses.  Le  Tibet 
nesl  pas.  ene0et,  une  surface  uniforme^  soulevée  ou  affaissée  en  bloc,  mais  une  succes- 


sion de  chaînes  parallèles  Qui  furent  longuement  attaquées  par  ierosion  et  dont  les 
débris,  demeurés  sur  place,  ont  fini  par  combler  en  partie  les  anciennes  vallées.  Aucune 
trace  de  végétation  sauf  quelques  mousses  et  graminées  sèches  qui  suffisent  à  la  nour- 
riture des  yaks.  Cl.  Brockhaus. 


LE  BOD.ALA   A  LHASSA    Le  Bodala  est    un  gigantesque  couvent,  qui  serf  de 

résidence  au  Datai  Lama,  vivante  incarnation  de  Bouddha,  à  la  fois  pape  de  tous 

les  Bouddhistes  et  roi  du  Tibet.  Les  monastères  de  ce  genre  abondent  dans  tout  le 

Tibet  où  un  tiers  de  la  population  totale  mène  la  vie  conventuelle. 


UNE  RUE  A  YARKAND.  La  plus  peuplée  et  la  plus  productive  des  oasis  du  Tur- 

kestan  chinois  est  celle  de  Yarkand.De  l'époque  gréco-romaine  jusqu'au  X\'ll^  siècle. 

elle  eut.  comme  marché  de  transit  entre  les  produits  d'Extrême-Orient  et  ceux  de 

l'Occident,  une  très  grande  importance  économique. 


MOINES  DU  COUVENT  DE 

MESDOHG.  Types  de  cesinnom- 

hrablei     Tibétains  qui  se  consacrent 

à    la    vie  monastique. 


YAKS   PORTEURS.    Le  yak  est   un  bovidé  accoutumé   aux  très  hautes   alti- 
tudes. Il  est  très  robuste,  a  le  pied  aussi  sûr  qu'un  mulet  et  se  contente  d'une  nour- 
riture fort  médiocre,  fl  rend  donc  les  plus  précieux  services  aux  indigènes  du  Tibet, 
et  les  explorateurs  Tutilisent  comme  animal  de  bât. 


PÈLERINES   AU    TIBET.  Pen- 

dant  de  longs  fours,  elles  cheminent 

ainsi   dans    les  solitudes   glacées,  en 

route  pour  le  sanctuaire  vénéré. 


L'ASIE  INTERIEURE 


Long  de  1 800  kilomètres,  la  fonte  des  neiges  lui 
donne,  en  juin,  des  crues  formidables;  l'hiver,  ses  eaux, 
très  réduites,  sont  prises  par  les  glaces  de  novembre  à 
meu^.  A  mesure  qu'il  avcmce  vers  l'Est,  l'évapioration, 
très  active  dans  une  atmosphère  extrêmement  sèche, 
l'amaigrit  de  telle  sorte  qu'il  n'est  pas  capable  de  nourrir 
un  vrai  lac.  Le  Lob-Nor,  où  il  se  termine,  apparaît,  en 
effet,  comme  une  sorte  de  chott  "  sans  profondeur, 
de  limites  indécises  et  changeantes,  envahi  par  le  sable 
et  les  roseaux,  et  sur  lequel  les  indigènes  trouvent  à  peine 
assez  d'eau  pour  faire  flotter  leurs  canots.  Sans  doute 
n'en  fut-il  pas  toujours  ainsi.  Les  annales  chinoises  parlent 
du  Lob-Nor  comme  d'une  sorte  de  petite  mer  inte'rieure. 
Marco  Polo  nous  le  dépeint  de  la  même  façon ,  et  les  ruines 
de  nombreux  villages  envahis  par  les  sables  témoignent 
qu'une  vie  assez  active  put  se  de'velopper  sur  ses  bords. 

LES  RACES.  i30  Les  habitants  (1000000?) 
appartiennent  à  toutes  les  races  de  l'Asie  :  Mongols. 
Turcs,  Sartes  ou  Teirantchis,  Kalmouks,  Kirghizes, 
Afghcms,  Hindous,  Chinois  se  rencontrent,  depuis  des 
millénciires,  dans  ce  carrefour  naturel  de  l'Asie  Centrale. 
Al'e'poque  gréco-romciine,  les  marchemds  grecs,  franchis- 
sant les  Pcunirs,  venaient  à  Issedon  Senca  (Khotan) 
prendre  la  soie,  les  produits  pharmaceutiques,  les  pierres 
précieuses,  etc.,  cunenés  peu-  les  négociants  chinois.  Duréint 
tout  le  Moyen  Age,  la  "  Kachgarie  "conserva  la  même 
valeur  économique  comme  lieu  d'échange  entre  l'Occi- 
dent et  l'Elxtrême-Orient.  De  nos  jours,  l'importance  du 
trafic  international  a  considérablement  décru.  Cependant, 
des  relations  assez  actives  continuent  entre  les  deux  Tur- 


kestans,  le  russe  et  le  chinois,  pjir  la  passe  de  Terek- 
Davan.  Dans  la  montagne  et  sur  les  rives  du  Teurim, 
réguhèrement  inondées,  de  bons  pâturages  sont  par- 
courus par  les  bergers  Kirghiz  et  les  Kalmouks.  Les 
oasis  du  "  Piedmont  "  renferment  une  population 
d  cigriculteurs  et  de  commerçants.  La  langue  courante 
ne  diffère  pas  du  dialecte  turco-tartare  parlé  au  Tur- 
kestan  russe,  et  la  religion  dominante  est  l'islam  qui 
supplanta  peu  à  peu  le  bouddhisme  à  partir  du  ix"  siècle 
de  notre  ère. 

Yarkand,  avec  100000  habitants,  est  aujourd'hui  la 
plus  importante  des  oasis.  Après  elle,  viennent  Kachgar 
(50000  habitants),  Khotan  (5000  habitants).  Nia, 
Kéria,  Tcherchen  au  pied  du  Kouen-lun,  Maralbachi, 
Aksou,  Koutchar,  etc.,  à  la  base  du  Tian-Chan.  Au 
milieu  des  plateaux  qui  terminent,  a  l'Est,  les  monts 
Tian-Chan,  la  curieuse  dépression  de  Tourfan  se  creuse 
à  50  mètres  au-dessous  du  niveau  des  mers. 

Des  archéologues  français  et  anglais  (MM.  Pelliol.  Aurel 
Stein)  ont  (ait  dans  tout  le  Turkestan  des  fouilles  d'un  considé- 
rable inlérêl.  Sous  les  sables  qui  les  recouvrent  ils  ont  mis  au  jour 
des  temples,  des  maisons  particulières,  qui.  grâce  à  l'extrême 
sécheresse  de  l'air  et  du  sol,  conservaient  intacts  des  documents  de 
toutes  sortes  (manuscrits  par  milliers,  soieries,  bronzes,  bois  Ira. 
vailles,  statuettes,  broderies,  fresques  murales,  etc.).  L'étude  de 
ces  documents  commence  à  projeter  quelque  clarté  sur  l'histoire 
obscure  de  ces  régions  :  tracé  exact  des  anciennes  routes  commer- 
ciales, influence  de  l'art  grec  ou  gréco-bouddhique,  expansion  du 
bouddhisme  avant  l'intrusion  de  l'islam,  déplacements  des  anciennes 
populations  nomades,  etc.  Des  recherches  de  celte  sorte  permet- 
tront peut-être  aussi  de  résoudre  le  problème  fort  controversé  du 
dessèchement  progressif  de  l'Asie  Centrale  pendant  la  durée  des 
temps  historiques. 


LE  TIBET 


Quel  est  donc  le  charme  redoutable  de  ce  pays  ou 
toujours  sont  retournés  ceux  qui  l'avaient  une  fois  en- 
trevu? Pour  retrouver  ses  montcignes  et  ses  hommes,  on 
repasse  la  mer,  on  traverse  des  royaimies  entiers  au  pas 
lent  des  chevaux  et  des  mules.  On  arrive  cJors  dans 
des  déserts  glacés,  si  hauts  qu'ils  ne  semblent  plus  appar- 
tenir à  la  terre,  on  escalade  des  montagnes  affreuses, 
chaos  d'abîmes  noirs  et  de  sommets  blancs  qui  baignent 
dans  le  froid  absolu  du  ciel.  On  y  voit  des  maisons  pa- 
reilles à  des  donjons  massifs,  toutes  bourdonnantes  de 
prières,  et  qui  sentent  le  beurre  rance  et  1  encens.  Ce 
pays  est  le  Tibet,  pays  de  pasteurs  et  de  moines,  inter- 
dit aux  étrangers,  isolé  du  monde  et  si  voisin  du  ciel  que 
l'occupation  naturelle  de  ses  habitants  est  la  prière. 
(J.  Bacot.) 

Pays   étrange:    c'est    incontestable.  Pays  charmeur  : 
c'est  une  autre  affcùre  ! 

Les    premiers    renseignements    que    nous  eûmes    sur    le  Tibet 
proviennent  du  missionnaire  franciscain  Oderic  de   Pordenone  qui 


tenta  de  l'évangéliser  au  Xtv"  siècle.  Du  WIi"^  au  milieu  du 
XIX*  siècle,  d'autres  missionnaires  (Antonio  de  Andrade,  d'Or- 
ville,  délia  Penna.  les  pères  Hue  et  Gabet)  traversèrent  les  régions 
orientales,  séjournèrent  à  Lhassa,  la  capitale,  et  donnèrent  de  leurs 
voyages  de  précieuses  relations  encore  fort  utiles  à  consulter.  Puis 
le  Tibet  se  ferma  aux  étrangers.  L'accès  de  Lhassa  fut  surtout 
jalousement  interdit.  Cependant  une  pléiade  d'explorateurs  euro- 
péens :  les  Russes  Prjevalsky.  Kozioff.  Croum-Grjimallo.  les 
Français  Bonvalot,  Prince  Henri  d'Orléans.  Dutreuil  de  Rhins, 
Grenard.  Bonin.  Bacol,  les  Anglais  Caray.  Dalgleish.  le  Suédois  Sven 
Hédin.  etc..  purent,  en  surmontant  d'incroyables  dilBcultés.  rayer 
de  leurs  itinéraires  les  espaces  inconnus  du  "  Toit  du  Monde 
Des  Hindous,  les  "  pandits",  dressés  à  la  lâche  d'explorateurs  par 
le  service  lopographique  et  désignés,  pour  éviter  les  soupçons,  par 
des  lettres  ou  des  numéros  (A.  K,  N"  7,  elc),  se  joignirent  aux 
caravanes  de  marchands  ou  de  pèlerins,  entrèrent  dans  les  villes 
saintes,  complétèrent  de  la  sorte  les  résultais  obtenus  par  les  Euro- 
péens. Même  une  expédition  militaire  anglaise  pénétra  à  Lhassa 
en  1904.  Certes,  de  vastes  "  blancs  "  subsistent  encore  sur  les 
caries  à  grande  échelle;  les  neuf  dixièmes  du  pays  demeurent  en 
fait  inexplorés.  Néanmoins,  les  principaux  problèmes  géographiques 
(réseaux  hydrographiques,  grandes  chaînes  de  montagnes,  etc.)  se  ^ 
résolvent  peu  à  peu,  et  nous  pouvons  nous  faire  une  idée  générale 
suffisamment  exacte  de  ce  qu'est  le  Tibet, 

351  


L'ASIE 


SQUELETTE  OROGRAPHIOUE 


^ 


»€!3Ss 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


PLATEAUX  ET  MONTAGNES,  j^js)  Du 
Pamir,  nœud  orographique  du  Continent  asiatique,  par- 
tent vers  l'Orient  deux  puissants  systèmes  montagneux  : 
le  Kouen-Iun  au  Nord,  la  Karakoroum  et  l'Himalaya 
au  Sud.  D  abord  confondus  dans  un  formidable  chaos 
de  chaînes  très  rapprochées  que  domine  la  pyramide  du 
Dapsang  (8620  mètres),  ces  deux  systèmes  s'éccirtent 
peu  à  peu  l'un  de  l'autre,  décrivant  deux  gigantesques 
arcs  de  cercle  en  forme  de  pince  de  crustacé.  Ils 
délimitent  ainsi  un  losange  long  de  2600  kilomètres, 
large  de  450  à  I  800,  dont  l'aire  totale  ne  couvre  pas 
moins  de  8000000  de  kilomètres  carrés.  Tandis  que,  à 
1  extérieur  de  ces  rempetfts  colossaux,  s'affeiissent  les  dé- 
pressions du  Turkestan.  de  l'Inde,  des  plaines  chinoises, 
l'intérieur  se  maintient  à  une  altitude  moyenne  de  4  000 
à  5  000  mètres.  Ainsi  se  justifie  l'appellation  de  Toit  ou 
TeiTasse  dn  Monde  donnée  au  Tibet  par  les  Orientaux. 

Le  Tibet  n'est  pas,  à  proprement  parler,  un  plateau, 

352 


c'est-à-dire  une  surface  à  peu  près  uniforme,  soulevée 
ou  affaissée  en  bloc  entre  deux  plissements.  II  apparaît 
bien  plutôt  comme  une  succession  de  chaînes  pareJlèles 
qui  furent  à  l'origine  isolées  les  unes  des  autres  par  des 
vais  profonds.  Mais  l'érosion  les  attaqua  et  leurs  débris 
s'accumulèrent  à  leur  pied.  La  sécheresse  du  climat,  au 
moins  dans  le  Centre  et  le  Nord,  ne  permit  pas  la 
formation  de  cours  d'eau  capables  d'entraîner  vers  la  mer 
ces  produits  de  la  désagrégation  des  roches.  Ils  demeu- 
rèrent sur  place  et  comblèrent  en  partie  les  vallées  dont 
le  niveau  se  haussa  tandis  que  les  chaînes  s'abaissaient. 
Ainsi  la  surface  du  Tibet  central,  primitivement  sem- 
blable à  quelque  colossal  Jura,  se  transforma  en  une 
pénéplaine  ",  une  masse  formidable  de  débris  d'où 
émergent  les  arêtes  des  monts.  Si  l'on  suit  de  l'Ouest 
à  l'Est  le  tracé  des  VcJlées  d'autrefois,  on  peut  cheminer 
pendant  de  longs  jours,  sur  de  larges  couloirs,  très 
évasés,  au  sol  meuble,  souvent  spongieux,  parsemé  de 


lacs  innombrables  généralement  salés,  qui  dorment  entre 
4  000 et  5  000 mètres  d'altitude  sous  le  ciel  glacé.  Mais,  si 
l'on  veut  traverser  le  Tibet  du  Nord  au  Sud,  c'est  par 
diztiines  que  se  dressent  successivement  devant  les 
explorateurs  les  arêtes  aux  rocs  noirs  poudrés  de  neige, 
où  les  caravanes,  épuisées  par  le  froid,  la  faim,  la  rôu"éf ac- 
tion de  l'air,  doivent  se  frayer  un  passage  hassu^deux.  Ces 
arêtes  atteignent  en  moyenne  6000  mètres  et  plus. 
Cependant  elles  ne  dépcissent  guère  que  de  1  000  à 
I  500  mètres  le  niveau  moyen  des  couloirs  logés  entre 
leurs  flancs,  et  leurs  crêtes  émoussées  sont  traversées  de 
cluses  nombreuses. 

A  l'Ouest  et  au  Midi,  ces  conditions  se  modifient.  Les 
vents  de  mousson  apportent  des  averses  suffisantes  pour 
provoquer  la  formation  de  grcinds  cours  d'eau  :  Indus- 
Sutledge,  Tsanpo  ou  Brahmapoutra  supérieur,  Salouen, 
Mékong,  Yang-Tseu.  Poussamt  leurs  têtes  toujours  plus 
avant,  captant  les  lacs,  entraînant  les  débris  que  l'écla- 
tement des  roches,  sous  la  double  action  du  soleil  et  du 
gel,  entasse  au  pied  des  crêtes,  ils  ont  non  seulement 
déblayé,  mais  approfondi  les  vallées  primitives.  Aussi 
retrouve-t-on,  aux  confins  de  la  Chine  et  de  I  Inde,  ce 
caractère  très  net  de  "  veigues  de  plissement  "  que  le 
Tibet  centrcJ  dissimule  sous  l'aunoncellement  de  ses 
propres  ruines.  Les  routes  qui,  partant  du  Sseu-Tchouen, 
se  dirigent  vers  la  Birmanie,  l'Assam.ou  Lhassa,  doivent 
tour  à  tour  escalader  des  arê'.es  hautes  de  6  000  mètres 
et  plus,  puis  descendre  de  2 000  à  3  000  mètres  dans  les 
gorges  étroites  où  les  fleuves  et  leurs  affluents  roulent 
leurs  eaux  tumultueuses.  Les  mêmes  difficultés  attendent 
celui  qui  veut  gagner  le  Tibet  central  et  la  Kachgjirie  en 
prenant  la  plaine  indo-gangétique  comme  point  de  départ. 

Ainsi  le  tiers  environ  du  Tibet  envoie  aux  mers  loin- 
taines le  surplus  des  eaux  qui  pcUT^iennent  jusqu'à  lui.  Le 
reste  appcutient  à  cette  zone  de  bassins  fermés,  sans 
écoulement  vers  la  mer,  dcins  laquelle  se  rangent  la 
Mongolie  centrale,  le Turkestan, l'Iran,  etc.  C'est  d'abord, 
au  Nord-Est,  la  région  du  Koukou-nor,  large  zone 
déprimée  entre  le  Nan-chan  et  les  monts  Marco-Polo. 
Les  mareiis  du  Tsaïdam  en  occupent  le  centre.  Le  lac 
de  Koukou-nor  se  logea  dans  un  cirque  montagneux  à 
la  fjase  du  Nan-chan.  C'est  aussi  et  surtout  le  Tibet 
central  que  limitent  l'Oustoun-Tagh  et  les  monts  Sven- 
Hédin.  Les  arêtes  qui  le  traversent  portent  sur  nos 
cartes  les  noms  des  explorateurs  qui  les  découvrirent  au 
passage  :  monts  Welby,  Dutreuil  de  Rhins,  Bonvalot, 
Henri  d'Orléans,  etc.  On  ne  les  connaît  point  toutes,  et 
celles-là  mêmes  qui  figurent  dans  nos  atlas  n'ont  été 
frcmchies  qu'en  de  rares  points  très  distants  les  uns  des 
autres.  Quant  aux  lacs  alimentés  par  la  fonte  des  neiges, 
il  en  existe  un  tel  nombre  que  bien  des  années  s'écoule- 
ront encore  avant  que  leur  liste  soit  complète.  Les 
phis   gremds  :  Tengri-Nor,    Selling-Tso,    Kiaring-Tso, 


L'ASIE  INTERIEURE 


s  alignent   à  la   base  septentrionale    des   monts  Sven- 
Hédin. 

CLIMAT  ET  VÉGÉTATION,  a  a  L'altitude 
considérable  du  Tibet,  les  montagnes  qui  le  ceignent, 
son  éloignement  de  toute  mer  déterminent  les  condi- 
tions de  son  climat.  La  température  y  est  naturellement 
fort  basse.  Même  au  cœur  de  l'été,  le  thermomètre 
s  abaisse,  la  nuit,  à  plusieurs  degrés  sous  zéro.  En  hiver, 
il  peut  descendre  à  20,  25  et  même  35  degrés  (sous 
une  latitude  semblable  à  celle  de  l'Algérie).  La  sécheresse 
de  1  air,  la  faible  densité  de  l'atmosphère  accroissent, 
par  contre,  l'intensité  de  l'insolation,  et  la  brûlure  du 
soleil  est  plus  pénible  encore  que  celle  du  froid.  Le  vent 
souffle  avec  une  violence,  un  acharnement  tels  que  les 
voyageurs  sont  unanimes  à  le  considérer  comme  le  pire 
des  fléaux.  La  nuit  seule  amène  un  peu  de  calme 
qu  interrompt  le  lever  du  jour.  "  Ses  sifflements  lugubres 
emplissent  sans  trêve  l'oreille  comme  la  voix  désespérée, 
harcelante,  hallucinante  de  ces  déserts  sans  fin.  On  a 
peme  à  se  tenir  à  cheval  :  hommes  et  animaux,  égale- 
ment aveuglés  par  la  mitraille  de  sable  que  chasse 
1  ouragan,  marchent  la  tête  basse,  à  longues  enjambées. 
La  figure  se  crevasse  de  gerçures  profondes  en  dépit 
des  couches  de  graisse  et  de  noir  de  fumée  dont  on 
s'enduit,  et,  malgré  les  fourrures,  le  vent  glacé  s'insinue, 
pénètre  jusqu'à  la  peau,  donne  la  sensation  de  pointes 
d'aiguilles  qui  s'enfoncent  dans  la  chair.  "  Pendant  les 
soixante-dix  jours  que  la  mission  Bonvalot  consacra  à  la 
traversée  du  Tibet  central  pas  une  seule  fois  la  tem- 
pête de  vent  et  de  sable  ne  cessa  de  hurler  ! 

Pluies  et  neiges  ne  tombent  qu  en  très  petites 
quemtités  :  la  beirrière  de  l'Himalaya  arrête  en  effet  les 
vents  de  mousson.  Au  Tibet  central,  la  couche  de  neige 
dépasse  rarement  quelques  centimètres.  EJle  fond  du 
reste  vite,  sous  l'action  directe  des  rayons  solaires  (entre 
deux  points  placés  l'un  à  l'ombre,  l'autre  au  soleil,  ladiffé- 
rence  de  température  peut  atteindre  une  vingtaine  de 
degrés),  s'infiltre  dans  le  sol  spongieux,  ou  se  perd  dans 
les  lacs.  L'évaporation ,  accélérée  par  le  vent,  donne  à 
l'atmosphère  une  telle  sécheresse  que  les  cadavres 
abandonnés  sur  la  piste  ne  s'altèrent  pas  mais  prennent 
la  dureté  et  la  consistance  du  parchemin. 

Ces  caractères  climatiques  ne  se  modifient  que  dans 
les  vjJlées  orientales,  plus  basses  (de 2 800  à  3  800  mètres), 
partant  plus  chaudes  et  surtout  beaucoup  plus  humides, 
car  la  mousson  du  Sud-Est  les  remonte  de  juin  à 
septembre  et  les  arrose  ^'averses  assez  copieuses. 

La  flore  des  régions  les  plus  élevées  ne  se  compose 
que  de  mousses,  de  lichens,  de  petites  herbes  fines, 
dures,  si  sèches  qu'elles  se  brisent  sous  le  pied  et  se 
réduisent  en  poussière.  EJle  suffit  cependant  à  la  nour- 
riture des  animaux  sauvages  qui  parcourent  en  bandes 

353  


.  L'ASIE  -^ 

nombreuses  ces  espaces  déshérités,  où  l'homme  ne  les 
pourchasse  pas  :  yaks,  bœufs,  antilopes,  ânes  sauvages, 
mouflons,  chevrotins  porte-musc,  etc.  Les  indigènes  ont 
domestiqué  le  yak,  le  buffle,  le  chameau,  la  chèvre 
et  le  mouton.  Ils  utilisent  suivant  le  cas  leur  chair,  leur 
lait,  leur  poil,  leur  laine,  ou  les  emploient  comme 
animaux  porteurs.  De  plus,  la  crotte  de  yak,  "  l'argol  ", 
est  le  seul  combustible  en  usage  dans  la  majeure  partie 
du  Tibet. 

A  l'Est  et  au   Sud,  les  vallées  mieux  abritées,   plus 


humides,  plus  tièdes  ont  déjà,  dans  leur  section  supérieure, 
quelques  saules,  quelques  peupliers  rabougris,  des 
prairies  au  gazon  fin  et  tendre.  L'orge  mûrit  parfois 
jusqu'à  4000  mètres.  A  mesure  que  l'on  descend,  la 
végétation  devient  plus  riche,  plus  luxuriante.  Les 
champs  se  multiplient,  et  sur  les  flancs  des  couloirs  du 
Yang-Tseu,  du  Mékong,  de  la  Salouen,  croissent  avec 
vigueur  de  belles  forêts  où  les  camélias,  les  azalées,  les 
rhododendrons  se  mêlent  aux  houx,  aux  cyprès,  aux 
chênes,  aux  cèdres  majestueux. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


Les  Tibétains  appartiennent  au  rameau  Mongol  de  la 
race  jaune.  De  petite  taille,  mais  larges  de  poitrine  et 
d'épaules,  bien  musclés,  endurcis  par  la  rudesse  du 
climat,  ils  se  montrent  d'une  extraordinaire  résistance  à 
la  fatigue,  aux  intempéries,  supportent  avec  une  admirable 
constance  le  froid,  la  faim,  la  douleur,  la  mort  même. 
Presque  tous  les  voyageurs  qui  les  ont  connus  s'accordent 
à  louer  leur  douceur,  leur  humanité,  la  franchise  de  leur 
parole  et  de  leur  conduite,  leur  hospitalité,  leur  patience, 
leur  dignité  san%  ostentation  chez  les  puissants,  sans 
effort  chez  les  gens  du  peuple. 

La  majeure  partie  d'entre  eux  mènent  la  vie  nomade. 
On  les  trouve  par  petits  groupes  épars  dans  les  solitudes 
des  hautes  terres,  paissant  leurs  troupeaux  de  yaks,  de 
moutons  et  de  chèvres,  se  nourrissant  presque  exclusive- 
ment de  viande,  de  lait  et  de  beurre.  Les  rares  caravanes 
qui  traversent  leur  pays  leur  cèdent  du  thé,  de  l'orge, 
du  tabac,  en  échange  du  beurre,  du  cuir,  de  la  laine  que 
produisent  leurs  animaux,  des  fourrures  et  du  musc 
obtenus  par  la  chasse,  de  la  rhubarbe  et  autres  plantes 
pharmaceutiques  cueillies  dans  la  montagne.  Ils  se  vêtent 
de  peaux  de  bêtes  ou  d'étoffes  de  laine  grossières,  mais 
solides,  campent  sous  des  abris  de  pierre  et  de  boue, 
n'ont  d'autre  distraction  que  la  danse,  le  chant,  quelques 
pèlerinages  accomplis  de  loin  en  loin  aux  lamasaries  les 
plus  réputées. 

Les  sédentfiires  des  vallées  orientales  cultivent  l'orge, 
le  scUTasin,  le  miUet.  Ils  se  groupent  en  villages  aux 
petites  maisons  cubiques  à  toits  plats,  tassées  le  long  de 
rues  étroites  souvent  dominées  par  le  "  dzong  ",  sorte 
de  château  fort  aux  grands  murs  de  pierre  brute  qui 
revêlent  la  forme  des  pylônes  égyptiens. 

Le  dzong  est  à  la  fois  la  demeure  des  hauts  fonction- 
naires, une  forteresse  et  un  temple.  Dans  de  vastes 
salles  parfumées  d'encens,  soutenues  par  des  colonnes  de 
bols  sculpté,  aux  murs  peints  de  fresques,  il  recèle 
les  statues  innombrables  des  dieux,  les  livres  sacrés,  les 
multiples  objets  d'un  culte  auquel  le  Tibétain  est  pas- 
sionnément attaché. 

Le  bouddhisme,  qui  s'introduisit   au  Tibet  vers  le 

354 


v'  siècle  de  notre  ère,  trouva  en  effet,  chez  ce  peuple  naïf 
et  crédule,  le  terrain  le  plus  propre  à  son  complet  déve- 
loppement. Déms  une  nature  si  peu  clémente  où  tout  est 
sujet  d'angoisses,  où  la  vie  terrestre  apparaît  comme 
une  longue  suite  de  souffrances  sans  compensations 
immédiates,  la  doctrine  du  renoncement  total,  de  l'eméan- 
tissement  dans  le  nirvana  devait  être  accueillie  avec 
une  particulière  ferveur.  C'était  pour  l'homme  le  seul 
moyen  d'échapper  à  l'étreinte  des  forces  naturelles  qui 
l'oppressent,  de  planer  très  au-dessus  des  misères  du 
monde,  d'entrer  vivant  dans  l'immorteJité. 

Aussi  la  vie  monastique  fleurit-elle,  au  Tibet,  plus 
qu'en  aucun  autre  endroit  de  la  terre.  Le  pays  tout 
entier  n'est  qu'une  immense  Thébaïde,  où,  dans  la 
majesté  sauvage  du  désert,  les  couvents  colossaux 
s'érigent  aux  flancs  des  monts  comme  des  ruches 
d'abeilles  collées  au  roc  nu,  et  où,  sur  6000000  d'habi- 
tants, on  ne  compte  pas  moins  de  2000000  de 
moines  ! 

Certes,  la  pure  doctrine  du  bouddhisme  s'est  avec  le  temps  sin- 
gulièrement altérée.  Pour  le  peuple,  elle  se  réduit  aux  formalités 
minutieuses  d'un  culte  quirappelle  étrangement  les  rites  de  l'Eglise 
romaine,  et  la  grande  majorité  des  "  lamas  "  ne  voient  dans 
l'existence  recluse  des  religieux  que  le  moyen  de  vivre  oisifs  aux 
dépens  des  croyants  laïques  chcirgés  de  leur  entretien.  Ils  distribuent 
des  formules  magiques  destinées  à  se  concilier  "  les  mauvais  esprits  ' 
et  laissent  aux  "  moulins  à  prières  "  le  soin  de  porter  au  Dieu 
suprême  le  tribut  de  leur  adoration.  Mais  il  existe  aussi  des  reli- 
gieux convaincus,  des  âmes  trèi  hautes,  très  nobles,  qui  s  entraînent 
par  une  perpétuelle  méditation  aux  spéculations  mystiques  les  plus 
élevées.  Ils  pratiquent  strictement  le  célibat,  le  jeûne,  s'infligent  des 
macérations  cruelles,  font  de  longs  pèlerinages  et  méritent,  par  la 
parfaite  sincérité  de  leurs  convictions,  raclion  bienfaisante  qu'ils 
exercent  sur  les  Bdèles,  la  noblesse,  l'extrême  pureté  de  leurs  pen- 
sées, d'être  comparés  aux  saints  les  plus  vénérés  des  religions 
occidentales. 

Le  chef  d'un  tel  peuple  ne  pouvait  être  qu'un  Dieu. 
Et  tel  est  bien  le  caractère  du  Dalaï  Lama,  vivante 
incarnation  de  Bouddha,  à  la  fois  pape  et  roi  du  Tibet. 
Il  réside  à  Lhassa  (20000  habitants),  la  Rome  boud- 
dhique, sise  à  3  566  mètres  d'altitude  dans  une  vallée 


-■i.CJJXJ 


GÉOGRAPHIE  fNIVERSEUX  PL.    17,   page  354 


cultivée  qu'arrose  un  tri'.'f.'taire  du  Tsan-Po.  Son  palais. 
le  '  '  Potala  ",  ensemble  ae  fortifications,  de  temples,  de 
monastères,  abritant  plusieurs  milliers  de  lamas  et  de 
serviteurs  est.  depuis  le  Vil  siècle  de  notre  ère.  le  lieu  le 
plus  véne're'  de  l'Asie  Orientale.  100000  pèlerins  y 
affluent  chaque  année,  et  si  l'accès  de  la  cité  est  interdit 
sévèrement  aux  explorateurs  ou  missionnaires  européens, 
les  marchands  hindous,  chmois,  mongols  y  viennent 
commercer  librement. 

En  dehors  de  Lhassa,  les  seuls  lieux  notables  par 
l'importance  de  leurs  foires  annuelles  ou  le  nombre 
et  la  célébrité  de  leurs  lamaseries  sont  Chigatsé 
(  1 3  000  habitants),  résidence  d'un  autre  Bouddha  vivant  : 
le  Tachi  Lama,  et  importante  étape  de  la  route  menant 
au  Bengale  par  Gyantsé  et  Dardjilmg  ;  Gantolc,  sur  le 
haut  Indus,  station  de  la  voie  qui  mène  au  Ladak  et 
au  Kachmire,  Ghianda,  Tsiamdo,  sur  la  piste  ordinaire- 
ment suivie  par  les  caravanes  chinoises  parties  du 
Sseu-Tchouen. 

Le  Dalaï  Lama,  maître  absolu  de  ses  sujets,  délègue  ses  pouvoirs 
politiques  et  administratifs  à  un  vice-roi  assisté  de  quatre  ministres 
et  de  seize  mandarins  qui  choisissent  parmi  les  lamas  les  fonction- 
naires d'ordre  inférieur.  Mais,  depuis  le  XVI  "^  siècle,  le  Tibet  est 
placé  sous  la  suzeraineté  de  la  Chine  que  représentent  deux  rési- 
dents ou  "  Ambans  "  appuyés  sur  des  petites  garnisons.  De  1905 
à  1910,  le  Tibet  parut  vouloir  se  libérer  de  ce  joug.  De?  révoltes 
éclatèrent  dans  cette  région  de  hautes  montagnes  si  ma!  connues, 
véritable  "  marche  "  libéto-chinoise     placée  aux     confins  du   S«eu- 


LE  JAPON  - 

Tchouen  et  du  Tibet  et  dont  Talsienlou,  Balang,  Lilang,  Alentsé 
sont  les  plus  notables  agglomérations.  Après  une  série  d'expéditions 
confuses,  terminées  de  part  et  d'autre  par  d'horribles  massacres, 
une  colonne  chinoise  envahit  le  Tibet,  entra  à  Lhassa  :  le  Datai 
Lama  n  eut  que  le  temps  de  s'enfuir  aux  Indes.  Depuis  lors,  la 
paix  s  est  faite  et  la  Chine  conserve  au  Tibet  ses  anciens  droits, 
beaucoup  plus  théoriques,  du  reste,  que  réels.  De  son  côté, 
1  Angleterre  a  signé  soit  avec  le  Gouvernement  Tibétain,  soit  avec 
Pékin,  des  conventions  qui  assurent  aux  caravanes  parties  de  l'Inde 
le  droit  de  commercer  librement  au  Tibet. 

Il  est  impossible  d'apprécier  la  valeur  des  échanges 
annuels  entre  le  Tibet  et  les  pays  voisins.  Les  seuls 
chiffres  exacts  donnés  par  les  statistiques  anglaises  ne 
concernent  que  les  marchandises  venues  dans  l'Inde  ou 
parties  de  ce  pays  :  1  5  000  000  de  francs  environ  aux 
importations  (laine  brute,  cuirs,  fourrures),  3000000aux 
exportations  (cotonnades  surtout).  Le  commerce  avec  la 
Chine  doit  avoir  une  importance  beaucoup  plus  considé- 
rable. On  estime  en  effet  à  25000000  ou  30  000  000  de 
francs  la  valeur  seule  du  thé  vendu  aux  Tibétains. Le  tabac, 
les  armes,  les  porcelaines,  les  ustensiles  de  métal,  les  soieries, 
l'encens,  les  objets  du  culte  forment,  avec  le  thé,  la 
charge  ordinaire  des  caravanes  qui  gagnent  Lhassa  par 
diverses  routes  parties  soit  du  Sseu-Tchouen,  soit  du 
Kansou.  Au  retour,  les  commerçants  chinois  rapportent 
du  musc,  de  la  rhubarbe,  des  fourrures,  un  peu  de 
laine  et  de  cuir,  des  plantes  médicinales  et  de  la  poudre 
d'or. 


CHAPITRE  XXI 1 


LE  JAPON 


Le  socle  continental  de  l'Asie  ne  s'arrête  pas  aux 
côtes  sibériennes,  chinoises  et  mdo-chinoises.  Il  se 
prolonge  vers  l'Est,  sur  un  millier  de  kilomètres  en 
moyenne,  jusqu'aux  grandes  fosses  abyssales  du  Paci- 
fique. L'espace  intermédiaire  est  occupé  d  abord  par 
des  mers  littorales,  généralement  de  faible  profondeur  : 
Mer  d'Okhotsk.  Mer  du  Japon.  Mer  de  Chine,  puis 
par  une  série  continue  d'îles  et  d'îlots  :  Kouriles. 
Japon.  Formose.  Philippines  qui,  partant  de  la  pointe 
du  Kamtchatka,  forment  une  longue  guirlande  atteignant 
à  son  extrémité  méridionale  les  terres  de  l'Insulinde. 
(Cf.  la  prolongation  du  socle  de  l'Europe  Occidentale 
jusqu'au  large  des  lies  Britanniques.) 

Le  groupe  central,  le  plus  compact  et  le  plus  considé- 
rable de  ces  terres  insulaires,  comprend  4  grandes  îles  ; 
Yeso,  Nippon,  Sikok,  Kiou-Siou,  prolongées  au  Nord  par 
le  mince  collier  des  Kouriles,  au  Sud  par  la  rangée  des 
Riou-Kiou.  C'eit  le  lieu  d'origine  de  la  race  japonaise. 


la  partie  essentielle  de  I  Ejnpire  du  Soleil  Levant.  Mats 
cet  Empire  s'est  accru,  depuis  un  demi-siècle,  grâce  aux 
victoires  remportées  par  le  Japon  moderne  sur  la  Chine 
et  la  Russie.  La  Russie  a  dû  céder  à  ses  vainqueurs  de 
1904  la  moitié  Sud  de  Sakhaline  et  la  presqu'île  du 
Kouang-Toung,  à  l'entrée  du  Golfe  de  Petchili.  La 
Chine  a  perdu  la  Corée,  la  grande  île  de  Formose. 
l'archipel  des  Pescadores.  Enfin  la  guerre  de  1914  per- 
mit aux  Japonais  de  remplacer  provisoirement  les  Alle- 
mands dans  la  baie  de  Kiao-Tchéou  (péninsule  chinoise 
du  Chan-Toung). 

SUPERFICIE 


Japon  propremml  dit* y  compris  le*  Kouriles  et  In  Riou-Kiou.  387  140  long. 

Corfc .  221000    - 

Termine 36  400    — 

Pewdoro 122     — 

Sd<h.li~:.                             33  800    ^ 

Koi«nt-T<,u..r                          3  250     — 

To«d 681    712    lonq. 


CEOCKAPHIE  UNI\1RSELLF. 


355     - 


35 


L'ASIE 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


STRUCTURE.  ^JS/  Le  relief  du  Japon  est  extra- 
ordinairement  mouvementé.  Les  plaines  n'occupent  que 
la  huitième  partie  de  la  superficie  totale.  Tout  le  reste 
est  couvert  de  collines  et  de  montagnes  formées  de  ter- 
rains très  variés,  mais  où  les  roches  éruptives  anciennes 
et  modernes  occupent  une  place  prépondérante. 

Les  grandes  fractures  qui  ont  affecté  à  diverses  époques  l'Asie 
Orientale,  déterminant  cette  structure  en  paliers  affaissés  séparés 
par  des  chaînes  en  arc  qui  caractérise  la  Chine,  la  Corée,  la  Mon- 
golie, ont  agi  avec  une  particulière  intensité  sur  le  rebosd  extérieur 
du  socle  continental.  Tandis  que  se  creusait  jusqu'à  plus  de 
8  000  mètres  les  fosses  du  Pacifique  (fosse  des  Kouriles  prolongée 
jusqu'au  large  de  Hondo),  des  plissements  énergiques,  accompagnés 
d'effondrements,  bouleversaient  la  bordure  externe  du  "  bouclier 
Sibérien  ".  Des  guirlandes  de  chaînes  montagneuses  s'alignèrent  au 
bord  de  l'Océan,  et,  par  les  fissures  du  sol,  jaillirent  les  laves, 
les  basaltes,  qui  s'épandlrenl  en  "  planèzes  "  ou  se  dressèrent  en 
cônes  réguliers. 

De  là  l'extrême  variété  du  relief  et  du  paysage  japo- 
nais. Sans  doute  n'y  trouve-t-on  point  les  rochers  abrupts, 
les  pics,  les  aiguilles,  les  vallées  étroites  et  profondes  de 
nos  montagnes  alpestres.  Les  sommets  des  vieux  massifs, 
usés  par  une  longue  érosion,  ont  en  général  les  formes 
arrondies,  les  pentes  douces,  les  vallées  largement 
ouvertes  des  Vosges  ou  de  la  Forêt- Noire.  Leur  charme 
tient  moins  à  leur  dessin  architectural  qu'à  la  splendeur 
de  la  végétation  qui  les  recouvre,  aux  eaux  qui 
bruissent  sous  les  ombrages  de  leurs  grands  arbres  ou 
dorment  dans  les  vasques  ouvertes  à  leur  pied.  Une 
longue  série  de  volcans  éteints,  ou  toujours  actifs, 
s'aligne  des  Kouriles  à  Formose  (seule  Sakhàline  n'en 
contient  pas)  et  les  formes  géométriques  de  leurs  cônes, 
striés  de  neige  pendant  de  longs  mois,  s'érigent  au- 
dessus  des  collines  moutonnées,  se  reflètent  dans  l'eau 
bleue  des  lacs.  Les  Kouriles  ne  sont  autre  chose  que 
des  volcans  émergés.  On  n'y  trouve  ni  roches  anciennes 
ni  terrains  sédimentaires,  mais  38  cratères  dont  18  en 
activité.  Yéso,  Hondo,  Sikok,  Kiou-Siou,  les  Riou-Kiou 
et  Formose  ont  toutes  leurs  bouches  ignées  (140  au 
total)  dont  la  plus  célèbre,  le  Fouzi-Yama  (3  776  mètres), 
apparaît  comme  fond  de  décor  sur  tant  de  "  Kakémo- 
nos     et  de  céramiques  japonaises. 

Les  éruptions  volcaniques  sont  d'autant  plus  désastreuses  que, 
pour  la  majeure  partie  des  volcans,  les  périodes  de  paroxysme,  géné- 
ralement très  courtes,  sont  suivies  de  longues  périodes  de  repos 
complet  pendant  lesquelles  cultures  et  villages  s'installent  à  nou- 
veau sur  les  pentes  refroidies  (Cf.  l'histoire  du  Vésuve).  Les  explo- 
sions du  Fouzi-Yama  en  1707,  du  Bandaï  San  en  1888,  du 
Kirisima  Yama  en  I  896  eurent  ainsi  pour  résultat  l'anéantissement 
de  dizaines  de  villages  et  la  perte  d'un  grand  nombre  de  vies 
humaines. 


356 


Pour  les  mêmes  raisons  (fractures  du  sol,  activité  des 
feux  souterrains,  faiblesse  relative  de  l'écorce  terrestre 
sur  le  rebord  des  abîmes  du  Pacifique),  les  tremble- 
ments de  terre  ont,  au  Japon,  une  fréquence  qui 
n'est  atteinte,  à  pareil  degré,  en  aucun  lieu  du  monde. 
Depuis  l'installation  en  1883  d'un  service  séismologique, 
on  a  constaté  que  le  sol  de  Hondo  est  secoué  en 
moyenne  vingt  fois  par  mois  !  La  majeure  partie  de  ces 
secousses  n'est  du  reste  perceptible  que  par  les  instru- 
ments de  précision.  Cependant,  le  nombre  des  séismes 
dont  la  population  peut  s'apercevoir  est  assez  considérable 
pour  que  les  Japonais  aient  été  amenés  à  prendre  depuis 
longtemps  des  précautions  contre  leurs  dangers  (petites 
maisons  de  bois  à  un  étage)  et  aient  fini  par  ne  plus 
prêter  aux  tremblements  ordinaires  plus  d'attention  qu'on 
ne  le  fait  chez  nous  aux  orages  d'été.  Enfin  certaines 
secousses  particulièrement  violentes  ont,  de  temps  à 
autre,  des  effets  désastreux,  soit  par  elles-mêmes,  soit  par 
les  raz  de  marée  qui  les  accompagnent.  En  octobre  1891, 
au  Sud-Ouest  du  Fouzi-Yama,  quelques  secondes 
suffirent  à  anéantir  200000  maisons,  à  tuer  ou  blesser 
40000  personnes.  En  1896,  sur  la  côte  Nord- Est  de 
Hondo,  22  000  personnes  disparurent  en  un  seul  raz  de 
marée,  etc. 

LES  EAUX.  £>£J  L'étroitesse  du  Japon  et  la  com- 
plexité de  son  relief  n'ont  point  permis  la  constitution 
de  bassins  hydrographiques  importants.  Le  plus  long 
des  fleuves  japonais  :  le  Schinoné  Gawa,  sur  le  versant 
occidental  de  Hondo,  n'a  que  450  kilomètres,  moins  que 
la  Marne.  Sur  le  versant  oriental,  le  Toné  Gawa  a  une 
longueur  moindre  encore,  mais  une  importance  écono- 
mique un  peu  plus  grande,  car  il  arrose  la  plaine  de 
Tokio,  la  plus  vaste  des  plaines  japonaises.  Les  eaux 
qui  dévalent  sur  les  pentes  des  monts  se  distribuent  en 
une  multitude  de  petits  fleuves  torrentueux  au  débit 
inégal,  au  cours  pittoresque,  utilisés  pour  l'irrigation  des 
rizières,  mais  souvent  redoutables  par  leurs  brusques 
inondations.  Au  fond  des  dépressions,  dans  un  cadre 
admirable  fait  de  rochers,  de  monts  verdoyants,  de 
collines  fleuries,  de  beaux  arbres  dont  la  ramure  se  mire 
dans  les  eaux,  des  lacs  reposent,  tel  le  lac  Biwa  (la  gui- 
tare) au  pied  du  Fouzi-Yama,  et  leurs  rives  prennent 
place  parmi  les  plus  célèbres,  les  plus  visités  des  pay- 
sages japonais. 

LES  RIVAGES.  £ta  A\a  variété  du  relief  cor- 
respond la  dentelure  des  côtes.  Même  les  cartes  à  petite 
échelle  de  nos  atlas  en  donnent  une  idée  que  précise 
et    complète    l'étude  des  cartes   de  détail.   Entre   les 


LE  JAPON 


pointes  recourbées  des  caps  rocKeux  se  creusent  des  baies 
articule'es  où  partout  les  navires  trouvent  un  sûr  abri 
(baie  d'Hakodaté  dans  Yeso  ;  de  Tokio,  de  Nagoya, 
d'Osaka  dans  Hondo  ;  de  Nagasaki  et  Kagosima  dans 
Kiou-Siou,  etc.). 

L'extrême  morcellement  des  rivages  se  manifeste 
surtout  dans  la  Me'diterrane'e  japonaise,  e'troite  mer  inté- 
rieure longue  de  400  kilomètres,  sise  entre  Hondo, 
Kiou-Siou  et  Sikok.  Cette  mer  peu  profonde,  qui  s'ouvre 
sur  le  détroit  de  Corée  par  la  passe  de  Shimonoseki,  et 
sur  le  Pacifique  pair  les  détroits  de  Bourgo  et  de  Lins- 
choten,  est  semblable  à  un  beau  lac  aux  eaux  transpa- 
rentes. Des  îles  sans  nombre  que  décore  sobrement  le 
feuillage  incliné  des  arbres,  les  villages  de  pêcheurs 
nichés  à  l'ombre  des  hauts  rochers,  les  jonques  qui 
glissent  sous  la  pure  lumière  voilée  d'un  ciel  aux  fins 
nuages,  délicate  symphonie  de  couleurs  et  de  formes, 
intime  union  de  la  triple  splendeur  des  eaux,  des  terres 
et  du  ciel,  tout  cela  compose  un  ensemble  unique  où 
les  grands  artistes  nippons  puisèrent  le  plus  clair  de 
leur  génie. 

CLIMAT.  00  Entre  le  Nord  des  Kouriles,  sous  le 
5  1*  degré  de  latitude  Nord,  et  le  Sud  de  Formose  que  tra- 
verse le  Tropique,  la  distance  est  la  même  qu'entre  le  Nord 
de  la  France  et  le  Sud  du  Sahara.  Ce  seul  fait  suffirait  à 
expliquer  les  différences  climatiques  considérables  que  l'on 
observe  suivant  les  lieux  ;  mais  il  faut  encore,  pour  com- 
prendre le  climat  japonais,  tenir  compte  :  1  du  fait  même 
que  le  Japon,  étant  un  archipel,  se  trouve  par  conséquent 
soumis  directement  aux  influences  océaniques  qui  tem- 


pèrent les  chaleurs  de  l'été  non  moins  que  les  froidures 
hivernales  et  assurent  au  Japon  des  pluies  abondantes. 
A  latitude  égale,  les  îles  japonaises  ont  des  étés  moins 
brûlants,  des  hivers   moins  rigoureux  que   le    continent 

CLIMAT  DU  JAPON 


1 

TemPér.  moyenne* 

-i 

-«^^N—i*'^ 

Prde 

■^ 

-o 

Moi» 

Stadoni. 

A 

2 

.8 

OUervBtion» 

3 

3 

< 

J 

M 

3 

■s 

-S 

-g 

3 

a. 

mllll' 

HaJcodalc... 

41°26 

S  m. 

8°3 

2°9 

2I°2 

24-1 

1    130  \ 
1    160 

Tokio 

«°4I 

20  m. 

I3°6 

2°4 

IVb 

22°9 

Maximum    :    juin 

OsJm 

M»4I 

15  m. 

M°6 

3° 

ib"^ 

23»9 

1  250 

et  leplembre. 

N.«u>I>i  .... 

3>'44 

60  m. 

1!>°6 

y 

26-7 

2107 

2  160 

Formose 

21055 

37  m. 

23»7 

I9°8 

27''l 

>l 

2200 

Maximum  :  juillet- 
août. 

asiatique  voisin.  EJIes  reçoivent  partout  une  couche  d'eau 
supérieure  à  1  mètre  et  qui  dépasse  même  2  mètres 
dans  les  hautes  régions  ou  les  latitudes  méridionales  ; 
2°  du  rôle  joué  par  les  vents  de  mousson  :  mousson  froide 
qui  souffle  pendant  l'hiver  du  continent  glacé  vers  les  mers 
plus  tièdes,  mousson  d'été  qui  souffle  en  sens  inverse  ;  3"  de 
l'action  exercée  par  les  courants  marins.  Le  Kouro-Sivo, 
analogue  au  Gulf-Stream,  est  un  large  fleuve  d'eaux 
chaudes  qui,  venu  des  mers  tropicales,  baigne  Sikok, 
Kiou-Siou  et  les  rivages  orientaux  de  Hondo  avant  de 
se  recourber  vers  les  côtes  lointaines  de  l'Amérique. 
L'Oya  Sivo,  qui  descend  du  détroit  de  Behring,  enve- 
loppe au  contraire  de  ses  eaux  froides  toute  l'île  de 
Yeso. 


357 


L'ASIE  . 

Sous  la  double  influence  de  l'Oya  Sivo  et  des  mous- 
sons venues  de  Sibérie,  Yeso,  Sakhaline  et  les  Kou- 
riles ont  des  hivers  très  froids  et  longs.  La  neige  y 
couvre  le  sol  pendant  des  mois.  Par  contre,  les  étés  y 
sont  aussi  chauds  qu'a  Bordeaux  ou  Toulon.  D'épais 
brouillards  dus  à  la  rencontre  des  deux  courants  : 
Kouro  et  Oya  Sivo,  embrument  presque  constamment 
l'atmosphère  (cf.  les  brouillards  de  Terre-Neuve).  C'est 
un  climat  mi-océanique,  mi-contmental  fort  peu  plai- 
sant. Dans  Hondo,  à  mesure  que  l'on  descend  vers  le 
Sud,  l'hiver  devient  moins  rigoureux.  Cependant  Tokio. 
sous  la  même  latitude  que  Tanger,  a  une  moyenne  de 
janvier  analogue  à  celle  de  Londres.  Nagasaki,  à  la 
même  distance  de  l'équateur  qu'Alexandrie,  est  moins 
chaude  d'octobre  à  mais  que  Nice  ou  Menton.  Même 
dans  les  plaines  côtières,  les  chutes  de  neige  sont  fré- 
quentes. Dans  la  montagne ,  et  notamment  sur  les  ver- 
sants occidentaux  battus  par  la  froide  mousson  du  Nord- 
Ouest,  elles  atteignent  une  épaisseur  d'un  mètre  et  plus. 
On  a  très  froid  dans  les  petites  maisons  japonaises  aux 
minces  parois  de  bois  ou  de  papier  et  l'on  se  serre  fri- 
leusement près  du  brasero,  unique  moyen  de  chauffage 
usité  dans  l'Archipel. 

A  ces  hivers  froids  succèdent  des  étés  très  chauds  et  très 
humides  (  +  25°  en  moyenne  dans  les  trois  îles) .  La  mous- 
son d'été  s'établit  à  la  fin  d'avril  déversant  de  copieuses 
averses  qui  donnent  en  cent  ou  cent  trente  jours  une  couche 
d'eau  de  plus  d'un  mètre  dans  les  plaines,  de  2  à  3  mètres 
dans  les  montagnes.  C'est  la  grande  période  des  tra- 
vaux agricoles,  mais  ce  n'est  m  la  plus  saine  ni  la  plus 
agréable,  et  nombre  de  Japonais  vont  chercher  dans  les 
hauts  lieux  une  atmosphère  plus  respirable  que  l'air  moite 
saturé  de  vapeurs  qui  s'exhale  des  rizières  inondées. 
En  automne,  la  mousson  continentale  s'établit  :  les 
nuages  disparaissent,  l'air  devient  limpide  et  frais.  C'est, 
avec  le  début  de  l'hiver,  la  période  de  l'année  la  plus 
belle  et  la  plus  agréable,  au  Sud  et  à  l'Elst.  Les  ver- 
sants occidentaux,  en  effet,  reçoivent  alors  de  nouvelles 
averses  de  pluies  et  de  neige  charriées  par  la  mousson 
du  Nord-Ouest,  qui  s'est  chargée  d'humidité  en  traver- 
sant la  Mer  du  Japon. 

Enfin,  les  Riou-fCiou  et  Formose  ne  connaissent  plus 
i  hiver.  Les  moyennes  du  mois  le  plus  frais  y  varient  de 
1 6"  à  20  ;  celles  du  mois  le  plus  chaud  atteignent  de 
27  à  28°.  Ce  sont  les  seules  régions  japonaises  qui  aient 
un  climat  entièrement  tropical. 

VEGETATION.  £)^  Les  pluies  copieuses  et  le 
nombre  élevé  des  jours  pluvieux  s'unissant  aux  hautes 
températures  de  l'été  valent  au  Japon  une  végétation 
également  merveilleuse  par  sa  grande  abondance  et  par 
son  extraordinaire  variété. 

De  toute  part,  et  quelle  que  soit  la  saison,  l'obser- 

358 


valeur  ne  voit  qu'un  splendide  décor  de  verdure  fraîche  : 
même  aux  alentours  des  villes,  il  se  trouve  en  pleine 
nature,  et  plus  il  voyage  plus  il  lui  semble  qu'il  se  pro- 
mène élernellement  dans  un  jardin  ' .  De  plus,  cette 
végétation  luxuriante  n'a  rien  d  excessif,  elle  n'est  pas 
envahissante  comme  dans  ces  contrées  tropicales  où  la 
forêt  semble  une  menace  constante  pour  la  civilisation 
humaine.  "(Revon.)  Elle  est  sobre,  fine  et  s'harmonise  avec 
le  caractère  modéré  du  relief.  Enfin,  non  seulement  le 
japon  renferme  à  lui  seul  deux  fois  plus  d'espèces  d'arbres 
que  l'Europe  entière  (168  espècescomprenant  66  genres 
contre  85  espèces  divisées  en  33  genres),  mais,  sauf 
dans  les  froides  îles  du  Nord  où  ne  croissent  que  les 
bouleaux,  les  sapins  et  les  mélèzes,  la  flore  présente  sur 
un  étroit  espace  un  surprenant  mélange  d'essences  euro- 
péennes propres  aux  xlimats  tempérés  et  d'essences 
de  caractère  déjà  tropical.  Le  chêne,  le  hêtre,  l'érable, 
le  bouleau,  l'orme,  le  noyer,  le  platane,  le  frêne,  s'y 
mêlent  aux  magnolias,  aux  aralias,  aux  cerisiers  japonais, 
au  santal,  au  camphrier,  aux  cyprès,  aux  pins  noirs 
et  rouges,  aux  cèdres  immenses,  "  orgueil  des  grandes 
routes  nationales,  des  avenues  triomphales  qui  con- 
duisent aux  temples,  des  bois  sacrés  abritant  les  tom- 
beaux des  Shogouns'  .  Des  lianes  s'enlacent  aux  troncs 
des  grands  arbres  et  suspendent  à  leur  ombre  leurs  ma- 
gnifiques guirlandes  de  fleurs. 

Dans  ia  partie  moyenne,  en  un  endroit  quelconque,  vous  avez 
devant  vous,  autour  d'une  plaine  où  la  rizière  de  l'Inde  côtoie  le 
champ  de  blé  français,  des  collines  où  l'arbre  à  thé,  l'oranger,  le 
mûrier  croissent  non  loin  des  pommiers,  des  cerisiers,  des  pru- 
niers :  où  les  sombres  pins  du  Nord  voisinent  harmonieusement 
avec  les  bambous  lustrés  des  tropiques.  Il  semble  qu'on  ait  mis 
dans  un  paysage  européen  des  plantes  de  serre  apportées  des 
quatre  coins  du  monde,  et  cette  flore  étrange  vous  suit  partout, 
sans  relâche,  sur  tous  les  chemins  de  I  Archipel.  '    (Revon.) 


Au-dessous  ou  au  milieu  des  forêts,  sur  les  pentes 
doucement  inclinées  des  collines  el  des  avant-monts,  se 
développe  la  '  hara  ",  la  prairie  japonaise,  sorte  de 
pré-bois  où  des  arbnsseaux  et  des  touffes  de  plantes  se 
détachent  çà  et  là  sur  un  tapis  de  graminées  légères, 
C  est  par  excellence  le  domaine  des  fleurs  :  violettes, 
gentianes,  orchidées,  azalées,  chrysanthèmes,  lis  aux 
immenses  corolles  blanches,  roses,  jaunes,  bleues,  gardé- 
nias, pivoines,  iris,  patrinias  aux  épanouissements 
d'or  '.  Même  les  sols  les  plus  secs  ont  leur  frêle  et 
précieux  tapis  de  roses  sauvages,  d'anémones,  de  légers 
bois  de  pins. 

Lorsque  les   insectes   bourdonnent  sur   toutes  ces    '' 
fleurs,  tandis  que  sous  les  branches  de  pins  les  joyeuses 
cigales  unissent  leur  infatigable  tapage,  cette  nature,  qui 
à   première   vue  semblait  plutôt  indigente,   vous    enve- 
loppe bientôt  de  son  enchantement.      (Revon.) 


LE  JAPON  - 


LE  FOUZI-YAMA  est  U  plus  célèbre  et  le  plus  beau  des  volcans  qui  hérissent  la 
surface  du  Japon.  Il  dresse  jusqu'à  3  778  m'.irei  son  cane  coi0é.  dix  mois  de  l'année. 
d'une  calotte  de  neige  resplendissante  qui  se  lefikle  dans  les  eaux  du  lac  Bica.  Il  est 
présentement  au  repos,  et  sa  dernière  éruption  remonte  â  1707.  Les  Japonais  le  tien- 


nent pour  une  monlasne  sacrée.  Des  milliers  de  pèlerins  cont  chaque  année  visiter  la 
série  des  sanctuaires  édifiez  sur  ses  flancs,  et  les  arfistes  ne  se  lassent  point  de  graver 
ou  de  dessiner  son  brofil  sur  les  kah^^monos,  tes  livret,  les  éventails,  les  poteries,  les 
étoffes,  les  meubles,  les  multiples  objets  sortis  des  ateliers  nippons 


359 


L'ASIE 


LA  FÊTE  DES  CERISIERS  AU  PARC  D'UNEO.  L'âme  japonaise  esl  mer- 
veilleusement sensible  atix  beautés  de  la  nature  ;  aussi  des  fêtes  se  célèbrent,  des 
pèlerinages  s'organisent  pour  goûter  en  commun  la  joie  délicate  qu'inspire  la  contem~ 
plation  des  cerisiers  en  fleurs,  des  azalées  et  des  glycines,  des  lotus  et  des  chrysanthèmes. 


LA  CUEILLETTE  DU  THÉ.  Le  sol  et  le  climat  du  Japon  central  et  méridional 
conviennent  parfaitement  à  la  culture  de  l'arbre  à  thé.  Les  plantations  s'étagent 
sur  les  pentes  douces  des  coltines.  La  majeure  partie  de  la  cueillette  se  consomme 
dans  le  pays  ;  le  reste  s'exporte,  presque  exclusivement  aux  Etats-Unis. 


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LE  DAIBUTAN  DE  ICAMAKOURA.  Kamakoura  est  une  ancienne  capitale 
ruinée.  Elle  conserve  de  son  antique  splendeur  de  nombreux  restes  de  temples,  des 
palais,  des  tombeaux  et  la  célèbre  statue  du  "  Grand  Bouddah  "  à  laquelle  les  fondeurs 
japonais  ont  su  donner  une  admirable  expression  de  douceur  sereine  et  de  majesté. 


TEMPLE  DE  K.IYOMIDZA.  Les  Japonais  excellent  à  donner  à  leurs  temples 
et  autres  lieux  de  prière  un  cadre  harmonieux  fait  de  grands  arbres  touffus,  de  col- 
lines fleuries,  d'eaux  bruissantes.  Ils  ne  séparent  point  les  hommages  que  l'on  doit 
aux  dieux  de  ceux  que  méritent  les  seules  beautés  de  la  nature. 


ONOMiCHJ  ET  UNE  BAIE  DE  LA  MER  INTÉRIEURE.  L'extrême  mor- 

ca*.^'i"rJAf  ci.  ia  icauié  des  rivages  nippons  se  manifestent  surtout  dans  la  "  Médi- 
iy.Tzr.ci  ï  jcpzrxaiit.  Cette  baie  dentelée,  ces  collines  couvertes  d'arbres  et  de 
champs,  ces  montagnes  ciselées  forment  comme  une  synthèse  du  Japon  tout  entier. 


LE  MONT  MORRISON  ou  Niitaka  Yama  0352  mètres)  est  un  des  massifs  les 
plus  élevés  de  la  grande  île  de  Formose,  couverte  de  montagnes  qui  tombent  en  pentes 
brusques  vers  l'est,  tandis  qu'à  l'ouest  elles  s'abaissent  doucement  vers  les  plaines 
littorales  mises  en  valeur  par  des  immigrants  chinois  et  hindous. 


L'abondance  et  la  variété  de  la  flore  indigène,  la  multiplicité  de? 
essences  utilisables,  des  fruits,  des  légumes,  des  céréales,  la  rare 
beauté,  non  seulement  des  fleurs,  mais  des  arbres  eux-mêmes,  ont 
eu  une  influence  décisive  sur  toute  la  vie  économique  des  Japo- 
nais, voire  sur  leur  tempérament  physique  et  leur  psychologie. 
C'est  d'elles  que  dérivent  le  mode  d'alimentation  presque  exclu- 
sivement végétal,  puis  les  matériaux  et  le  mode  de  construc- 
tion des  maisons  (bois  et  papier),  des  temples,  toute  l'architec- 
ture saaée.  publique  ou  privée.  C'est  d'elles  encore  que  procèdent 
le  vêtement  (chanvre,  coton  ou  soie,  à  l'exclusion  de  la  laine  et  du 


LE  JAPON 

cuir)  et  ses  accessoires  :  socques  de  bois  ou  sandales  de  paille, 
chapeaux  de  paille,  parasol  de  papier  huilé.  Ce  sont  elles  enfin  qui. 
en  éveillant  dans  1  âme  japonaise  un  sentiment  profond  de  la  nature,  ' 
un  amour  extraordinaire  pour  les  fleurs,  ont  développé  des  goûts 
artistiques  déjà  très  fins  et  produisirent  d'abord  un  merveilleux  épa- 
nouissement de  la  sculpture  et  de  la  gravure  sur  bois,  de  la  pein- 
ture à  1  aide  de  couleurs  végétales  délicates  et  solides,  puis  ces 
deux  arts  que  les  Japonais  n'hésitent  pas  à  mettre  sur  le  même 
rang  que  les  beaux-aits  ordinaires  :  l'harmonieuse  composition  d'un 
jardin,  la  création  éphémère  d'un  bouquet.  (D'après  M.  Revon.) 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


LE  PASSE  DU  JAPON.  SON  GOUVER- 
NEMENT. J0£>  Jusqu'au  milieu  du  XIX^  siècle,  le 
Japon  demeura  complètement  fermé  aux  Européens.  Le 
premier,  Marco  Polo  entendit  parler  du  royaume  de 
Zipangu  et  raconta,  sur  sa  merveilleuse  richesse,  force 
belles  histoires  qui  ne  furent  pas  étrangères  à  la  fameuse 
entreprise  de  Christophe  Colomb.  Au  XVI®  siècle,  les 
Portugais,  puis  les  Hollandais  firent  dans  ses  ports 
quelque  trafic.  Des  missionnaires  jésuites,  guidés  par 
saint  François  Xavier,  commencèrent  l'évangélisation  des 
indigènes.  Mais  ces  premiers  essais  de  pénétration  s'ar- 
rêtèrent vite.  Les  missionnaires  furent  expulsés  ou  mas- 
sacrés, et  nul  "  barbare  dOccident  "  ne  fut  autorisé  à 
fouler  du  pied  le  sol  nippon.  L'Archipel,  qui  avait  reçu 
de  Chine,  à  une  époque  fort  reculée,  tous  les  éléments 
de  sa  civilisation,  se  développait  dans  une  indépendance 
et  un  isolement  complets.  Les  arts  plastiques  y  atteignaient 
une  perfection  égale  aux  œuvres  les  plus  belles  de  la 
Renaissance  européenne.  La  société  s'y  raffinait  à  légal 
de  la  société  chinoise  ;  l'âme  japonaise  développait  les 
dons  précieux  qui  font  aujourd'hui  la  force  de  1  Empire 
et  justifient  la  supériorité  qu  il  a  su  prendre  sur  tous  les 
autres  peuples  de  l'Ejctrême-Orient.  Meiis  le  Japon 
Ignorait  tout  des  découvertes  et  des  progrès  maté- 
riels faits  en  Occident.  Il  vivait  en  1850  exactement 
comme  ses  ancêtres  avaient  vécu  huit  siècles  plus  tôt. 
C'était  un  Etat  féodal  fort  semblable  à  la  France  des 
derniers  Carolingiens.  Le  chef  nominal,  le  Mikado  ou 
Empereur,  réduit  au  rôle  de  roi  fainéant,  confiné  dans 
son  palais  de  Kioto.  n'éteiit  qu'un  mannequin  déco- 
ratif ".  Le  pouvoir  réel  appartenait  à  une  sorte  de 
Maire  du  palais,  le  Shogoun,  et  aux  grands  propnétaires 
terriens  :  les  Daïmios.  soutenus  par  leurs  chevaliers  ou 
Samouraïs. 

En  1853.  les  Etats-Unis  obligèrent  à  coups  de  canon 
les  Japonais  à  ouvrir  quelques-uns  de  leurs  ports  aux 
navires  étrangers.  Les  grandes  puissances  européennçs 
suivirent  cet  exemple.  Le  Japon  eut  immédiatement 
l'intuition  très  nette,  que  s'il  ne  se  rénovait  pas  de  lui- 
même,  s'il  ne  devenait  point  l'égal  des  étrangers  dont 
il  reconnaissait  brusquement  la  supériorité  matérielle,  il 


était  condatmné  à  perdre  son  indépendance,  sa  person- 
nalité, à  subir  le  sort  misérable  de  tant  d'autres  peuples 
jaunes,  rouges  ou  noirs  tenus  en  étroite  tutelle  par  des 
Européens  qui  les  exploitent.  Il  se  mit  à  l'œuvre  avec 
une  soudaineté,  un  acharnement,  un  sens  des  réédités  et 
un  succès  uniques  dans  l'histoire  du  monde.  La  révolu- 
tion de  1858  balaya  tout  l'ancien  régime,  supprima  le 
Shogounat,  la  féodalité  des  Daïmios,  les  privilèges  des 
Samouraïs.  Le  Mikado  redevint  souverain  de  (ait  et, 
pour  bien  marquer  qu'une  ère  nouvelle  commençait,  il 
quitta  Kioto  pour  s'établir  à  Yedo  qui  prit  le  nom  de 
Tokto.  D'abord  Empereur  absolu,  il  accorda  à  ses 
sujets,  en  1889,  une  constitution,  les  autorisa  à  se  faire 
représenter  par  une  Chambre  des  Députés  chargée  du 
pouvoir  législatif  et  du  contrôle  des  finances,  mais  se 
réserva  le  droit  exclusif  de  choisir  les  ministres,  et  tout 
l'essentiel  du  pouvoir. 

Ces  brusques  réformes  politiques  s'accompsignaient  de 
réformes  plus  considérables  encore  dans  l'administration 
du  pays,  sa  vie  matérielle,  intellectuelle,  économique 
surtout.  Curieux  de  s'instruire,  ayant  à  un  très  haut 
degré  le  sens  de  l'assimilation,  de  l'adaptation,  soutenu 
par  un  patriotisme  qui  est  la  plus  profonde  de  ses  ver- 
tus et  qui  le  rendait  impatient  de  faire  de  son  pays 
l'égal  des  plus  forts,  le  Japonais  appela  chez  lui  des  ins- 
tructeurs européens,  envoya  à  l'étranger  les  plus  intelli- 
gents de  ses  fils.  11  adopta  en  bloc  tous  les  progrès  réa- 
lisés chez  nous,  spécialement  dans  le  domaine  scienti- 
fique :  chemins  de  fer,  navires  à  vapeur,  industries  métal- 
lurgiques et  textiles,  électricité,  téléphones,  etc.  Sa  marine 
de  guerre,  son  armée  devinrent  en  peu  de  temps  com- 
parables, par  l'instruction  et  l'armement,  aux  meilleures 
unités  européennes,  et  une  série  de  guerres  victorieuses 
(guerre  sino-japonaise  de  1895,  expédition  de  Chine  en 
1900.  guerre  russo-japonaise  en  1904-1905,  guerre  de 
1914)  affirmèrent,  aux  yeux  du  monde,  l'incontestable  réa- 
lité de  sa  neuve  puissance.  Devenu  l'allié  des  principaux 
Etats  européens  et  américains,  agrandi  de  Formose,  de 
la  Corée,  d'une  moitié  de  Sakhaline,  de  la  presqu'île  de 
Liao-Toung,  des  Mariannes,  des Carolines,  considérable- 
ment enrichi   par  la    Grande  Guerre,  débarrassé  de    la 


361 


L'ASIE 


concurrence  allemande,  le  Japon  non  seulement  n  a 
plus,  depuis  longtemps,  à  redouter  la  mainmise  e'tran- 
gère,  mais  il  traite  d'égal  à  égal  avec  les  premiers  peuples 
du  monde  et,  devant  lui,  s'ouvre  toute  grande  la  pers- 
pective d'un  magnifique  avenir. 

LE  PEUPLE  JAPONAIS,  aa  Le  Japon  fut 
habité  depuis  la  plus  haute  emtiquité,  comme  en  témoignent 
les  découvertes  d'objets  préhistonques  faites  dans  les 
cavernes  et  les  tumuli.  Les  descendants  directs  de  ces 
aborigènes  paraissent  être  les  Ainos,  peuplades  de  moeurs 
très  primitives,  chasseurs  et  pêcheurs,  remarquables  par 
le  développement  de  leur  système  pileux,  que  l'on 
trouve  encore  en  petit  nombre  dans  le  Nord  de  Yeso,  à 
Sakhaline  et  dans  les  Kouriles  méridioneJes.  Ils  sont 
voués  à  une  extinction  totale  par  métissage  avec  les 
Japonais. 

Formose,  qui  appartint  longtemps  à  la  Chine,  pos- 
sède sur  ses  rivages  une  population  d'émigrants  chinois- 
Les  montagnes  de  l'intérieur  sont  encore  habitées  par  des 
tribus  sauvages,  de  race  malaise  :  les  Ataryals,  qui  modi- 
fient peu  à  peu  leurs  coutumes  barbares  au  contact  des 
étrangers. 

Tout  le  reste  de  l'Archipel  est  peuplé  uniquement 
de  Japonais  ou  Nippons,  peut-être  venus  du  continent 
asiatique  à  une  époque  indéterminée.  Petite  taille,  peau 
plutôt  olivâtre  que  jaune,  jambes  grêles  et  courtes,  buste 
long,  yeux  obliques  et  noirs,  cheveux  épais,  lisses,  très 
noirs,  tels  sont  le;  caractères  physiques  de  la  race.  Ce 
type,  du  reste,  n'est  point  uniforme,  et  l'on  a  noté  depuis 
longtemps  les  différences  très  sensibles  qui  existent  entre 
les  Japonais  de  sang  noble  (taille  plus  élevée,  face  allon- 
gée, nez  fin,  yeux  droits  chez  l'homme,  à  peine  obliques 
chez  les  femmes)  et  la  masse  du  peuple  (corps  trapu, 
face  large,  nez  aplati,  bouche  largement  fendue,  yeux 
très  obliques). 

Il  est  difficile,  pour  un  Européen,  de  porter  sur  le 
Japonais  un  jugement  exact.  La  mentalité  des  Asiatiques 
est  si  différente  de  la  nôtre,  leur  réserve  à  l'égard  des 
étrangers,  leur  froideur  apparente,  leur  dissimulation 
même  s  opposent  si  fortement  aux  investigations  que  l'on 
nsque  de  tomber  dans  un  excès  de  louanges  ou  de  se 
laisser  aller  à  des  critiques  injustifiées.  De  plus,  la  trans- 
formation récente  du  Japon  a  modifié  sur  bien  des  points 
les  caractères  anciens  de  la  civilisation  et  elle  a  fait, 
pour  ainsi  dire,  du  Japonais  un  être  double  :  mi-Euro- 
péen, mi-Asiatique. 

A  l'Europe  le  Japon  emprunta  tout  ce  qui  fait  les  États 
Occidentaux  forts  et  indépendants  :  armée,  marine, 
administration,  commerce,  industrie,  enseignement,  mais  il 
a  conservé  avec  soin  toutes  ses  traditions  sociales  et 
morales,  tout  l'essentiel  de  la  vie  matérielle  et  d'une  cul- 

362 ■■ 


ture  très  ancienne  qu'il  tient  pour  supérieure  à  la  nôtre. 
Le  Japonais  continue  d'habiter  des  maisons  de  bois  et 
de  papier,  n'ayant  qu'un  rez-de-chaussée  ou,  au  meixi- 
mum,  un  étage.  Les  chambres,  d'une  élégante  simplicité, 
d'une  propreté  méticuleuse,  n'ont  point  de  meubles 
encombrants,  mais  quelques  nattes,  des  coussins.  Au,: 
murs,  des  Kakémonos,  que  l'on  change  suivant  les  saison?, 
les  heures  du  jour...  la  couleur  des  pensées.  Dans  le 
fond  de  la  pièce,  sur  une  estrade  basse,  un  beau  vase,  un 
brûle-parfum,  un  plateau  de  laque  d'or,  une  statuette 
d'ivoire,  un  porte-bouquet  garni  de  quelques  branches 
fleuries  "  de  courbure  différente  et  de  hauteur  inégale, 
disposées  suivant  les  règles  d'une  esthétique  minutieuse 
formulées  dès  le  XVI®  siècle  ".  Ses  repas,  où  la  viande 
(poulet,  porc)  n'apparaît  que  rarement,  se  composent  de 
riz,  de  poissons,  d'oeufs,  de  légumes  ;  comme  boisson 
habituelle,  le  thé  et  le  saké  ou  eau-de-vie  de  riz.  Il 
demeure  fidèle  à  l'antique  costume  national  :  kimono, 
ceinture  et  manteau  de  soie,  sandales  de  paille  et 
galoches  ou  socques  de  bois.  Le  vêtement  européen  lui 
parciît  laid,  incommode  ;  on  ne  l'utilise  que  dans  le  monde 
officiel  et  les  bureaux.  Tous  les  useiges  de  la  vie  domes- 
tique :  cérémonies  de  la  naissance,  du  mariage,  des  funé- 
railles, éducation  des  enfants,  se  conservent  intégralement. 
Les  différents  cultes  nationaux  :  schintoïsme,  bouddhisme, 
confucianisme,  qui  sont  moins  une  religion  qu'une  morale 
très  pure,  très  haute,  fondée  sur  le  respect  des  traditions 
et  le  profond  amour  de  la  patrie,  ne  se  sont  jamais  laissé 
entamer  par  les  religions  occidentales.  L'art  japonais, 
auquel  sont  dus  tant  de  chefs-d'œuvre,  connaît  présen- 
tement une  décadence  certaine,  mais  ne  s'européanise 
pas.  La  narion  tout  entière,  depuis  le  simple  paysan  jus- 
qu'au descendant  des  Daimios,  reste  fidèle  à  l'antique 
façon  de  comprendre  la  peinture,  la  gravure,  le  théâtre. 
En  revanche,  "notre  littérature  les  laisse  indifférents; 
notre  musique  leur  semble  inutilement  bruyante  ;  notre 
façon  de  chanter  leur  paraît  si  ridicule  qu'elle  les  fait 
éclater  de  rire  ". 

Enfin,  rien  n'a  disparu  des  traditionnelles  vertus 
japonaises  :  propreté,  politesse  souriante,  respect  pour 
les  vieillards,  intimité  de  la  famille,  domination  de  soi- 
même,  gaieté  faite  de  bienveillance,  d'intelligence  et 
d'humour,  amour  exquis  de  la  nature.  Le  Japonais, 
riche  ou  pauvre,  prend  chaque  jour  au  moins  un  bain 
—  parfois  trois  ou  quatre  —  d'eau  très  chaude,  et  la  foule 
japonaise  est  sans  doute  la  plus  agréable,  la  moins  mal- 
odorante qu'il  y  ait  au  monde.  Sa  politesse,  qui  con- 
traste d'une  façon  si  surprenante  avec  la  rudesse  autori- 
taire de  nos  sociétés  démocratiques  ',  lui  fait  éviter  toutes 
scènes  de  dispute,  toute  violence,  transforme  même  les 
échanges  commerciaux  en  un  assaut  d'amabilité  cour- 
toise. Ignorant  l'alcoolisme,  la  chasse,  la  vie  mondaine, 
il  tiime  passionnément  le  théâtre,  les  assauts  de  lutte  ;  s'il 


est  riche,  il  se  plaît  aux  grands  dîners  animés  par  les 
chants  et  les  danses  des  guéchas.  Surtout  il  aime  les  fêtes 
populaires  et  la  promenade  à  la  campagne.  On  organise 
des  pèlerinages  aux  lieux  consacrés  par  la  double  beauté 
des  édifices  et  du  paysage.  On  va  en  troupes  joyeuses, 
dès  le  mois  de  février,  admirer  les  fleurs  des  pruniers  et 
en  respirer  1  odeur  célébrée  par  d  antiques  chansons  ;  on 
va  voir  fleurir  les  cerisiers  au  début  d'avril,  les  azalées 
et  les  glycines  au  début  de  mai,  les  lotus  au  mois 
d'août,  les  feuilles  rouges  des  érables  en  automne,  en 
novembre  les  chrysanthèmes. 

Ainsi  s'est  opéré,  suivant  une  formule  dictée  par 
l'esprit  même  de  la  race,  un  mélange,  en  proportions 
définies,  de  vieille  civilisation  orientale  et  de  moderne 
civilisation  ^européenne.  Les  Japonais  ne  se  sont  trans- 
formés sur  certains  points  que  pour  pouvoir  conserver 
leurs  chères  habitudes.  L'européanisation  du  Japon  est 
un  hommage  rendu  à  l'excellence  de  la  vie  japonaise  : 
le  Japon  s'est  européanisé  contre  l'Europe  pour  mieux 
rester  Japonais.  (D'après  F.  Challaye.) 

LA  RÉPARTITION  DE  LA  POPULA- 
TION. LES  VILLES,  aa  Le  Japon  comptait,  au 
recensement  de  1920,  56  000  000  d'habitants  (non  com- 
pris la  Corée,  les  indigènes  de  Formose  et  les  Pescadores). 
Cela  donne  une  densité  moyenne  de  1 44  habitants  au 
kilomètre  carré,  un  peu  inférieure  à  celle  de  la  Grande- 
Bretagne.  L'importance  de  ce  chiffre  apparaît  d'autant 
plus  frappante  si  l'on  songe  d'abord  que  le  relief  très 
accidenté  du  Japon  ne  permet  la  culture  vivrière  que 
sur  des  espaces  restreints  et  range  l'Archipel  parmi  les 
pays  du  monde  où  le  sol  cultivé  tient  le  moins  de  place 
(15  pour  100  contre  58  pour  100  en  France),  si  l'on 
réfléchit  ensuite  que  la  grande  industrie,  principale 
cause  des  fourmilières  européennes,  est  de  création 
très  récente  au  Japon  et  n'influe  encore  que  fort  peu 
sur  la  concentration  des  hommes  en  certains  points  favo- 
risés. Cette  densité  de  la  population  s'explique  d'abord 
par  la  fécondité  de  la  famille  japonaise,  puis  par  l'abon- 
dance du  poisson  qui  donne  une  nourriture  peu  coii- 
teuse,  enfin  par  le  degré  de  perfection  de  1  agriculture 
qui  tire  le  maximum  de  rendement  du  peu  de  terres 
disponibles. 

Du  reste,  quelle  que  soit  l'habileté  du  Japonais  à  uti- 
liser les  ressources  de  sa  terre,  elle  ne  suffit  plus  à  le  faire 
vivre.  Chaque  année  les  naissances  dépassent  les  décès 
de  600  000  à  700  000  âmes  et  l'émigration  devient  une 
nécessité.  Cette  émigration  se  dirigea  d  abord  vers  1  Est  : 
Iles  Hawaî,  Californie,  Colombie  britannique.  Depuis 
les  mesures  prises  par  les  Etats-Unis  contre  l'émigra- 
tion jaune  et  les  annexions  territoriales  de  l'Empire,  les 
courants  humains  se  portent  plutôt  vers  Formose,  la 
Chine,  la  Malaisie,  les  îles  océaniennes,  surtout  vers  la 


LE  JAPON       —i 

Mandchourie  et  la  Corée  qui  peuvent  suffire,  pendant 
de  longues  années,  à  abtorber  le  trop-plein  de  la  popu- 
lation japonaise. 

Ajoutons  que  l'Amérique  latine,  où  le  préjugé  de 
couleur  n'existe  pas  et  qui  a  besoin  de  main-d'œuvre, 
reçoit  volontiers  les  Nippons.  Dès  avant  la  Grande 
Guerre,  le  Chili  et  le  Brésil  hospitalisaient  de  petites  mais 
florissantes  colonies  japonaises.  La  disparition  momenta- 
née de  l'immigration  européenne  a  eu  comme  contre-coup 
1  accroissement  rapide  des  Jaunes.  On  en  trouve  25000 
au  Brésil,  plusieurs  milliers  au  Chili,  au  Pérou,  en 
Bolivie,  au  Mexique.  C'est,  pour  les  Etats  américains, 
un  précieux  outil  de  colonisation.  Pour  le  Japon,  c  est 
surtout  le  moyen  le  plus  efficace  d'augmenter  le  mouve- 
ment d'échanges  qui  se  dessine  nettement  entre  les  deux 
rives  du  Pacifique. 

Dans  les  îles  mêmes  de  l'Archipel,  la  densité  est 
fort  inégale  suivant  les  lieux.  Sakhaline  et  les  Kouriles 
n'ont  qu'un  très  petit  nombre  d'habitants.  Yeso,  trop 
froide  pour  la  culturedu  riz,  compte  à  peine  1 7  personnes 
au  kilomètre  carré,  bien  que  l'on  note  depuis  quelques 
années  un  intéressant  afflux  d'émigrants  venus  du  Sud  (le 
chiffre  des  habitants  y  a  triplé  en  dix-sept  ans  :  610000  en 
1898,  1800000  en  1915).  Dans  Hondo.  Kiou-Siou  et 
Sikok  les  régions  montagneuses  ne  peuvent  nourrir  qu  un 
petit  nombre  de  familles.  En  revanche,  les  rivages  pois- 
sonneux, les  petites  plaines  côtières  et  les  collines  arron- 
dies qui  les  encadrent  sont  de  véritables  fourmilières 
d'hommes.  De  Nagasaki  à  la  baie  de  Tokio,  sur  l'une 
et  l'autre  rive  de  la  mer  Intérieure,  la  densité  atteint  et 
dépasse  par  endroits  400  habitants  au  kilomètre  carré  ! 

C'est  aussi  dans  cette  zone  médiane  que  se  trouvent 
les  plus  grandes  villes  japonaises. 

Ces  villes  ont  toutes  des  caractères  communs.  Elles  couvrent 
d'abord  une  énorme  superficie,  puisqu'elles  se  composent  de  petites 
maisons  sans  étages  isolées  les  unes  des  autres  par  des  jardins,  et 
que  les  parcs,  les  terrains  vagues,  les  enclos  sacrés  qui  entourent 
les  temples  y  occupent  de  vastes  espaces.  Tokio,  par  exemple, 
moins  peuplée  que  Paris,  s'étend  sur  une  aire  trois  (ois  plus  grande. 
Parfois  elles  conservent,  comme  Nagoya,  Kioto,  etc.,  d'intéressants 
spécimens  de  la  vieille  architecture  japonaise  :  forteresses  féodales 
dressées  sur  des  murs  en  pierres  énormes  qu  entourent  des  fosses 
profonds,  temples  réputés,  etc.  Ailleurs,  les  vieux  quartiers  se 
doublent  de  faubourgs  industriels  tout  neufs  que  surmontent  les 
hautes  cheminées  des  usines.  L'aspect  général  est  d'ordinaire  propre 
et  gai.  Les  incendies,  extrêmement  fréquents,  obligent  à  rebâtir  sans 
cesse  les  demeures,  du  reste  si  peu  coûteuses.  La  foule,  peu 
bruyante  mais  aimable,  souriante,  velue  d'étoffes  aux  vives  cou- 
leurs, se  presse  tout  le  jour  dans  les  rues  étroites  où  courent  les 
djinriliksas,ces  voiturettes  à  deux  roues  que  traînent  à  toute  vitesse 
d'alertes  coureurs.  Le  soir,  des  lanternes  multicolores,  auxquelles  se 
mêlent  de  plus  en  plus  les  lampes  électriques,  éclairent  joliment 
les  quartiers  de  plaisir,  les  maisons  de  thé,  où  l'on  se  rend  en 
famille.  Les  villages,  surtout  dans  la  montagne  ou  dans  les  petites 
criques  marines,  s'harmonisent  à  merveille  avec  la  splendeur  de  la 

363  


L'ASIE 


végétation  et  des  paysages  qui  les  encadrent.  Partout  des  temples, 
des  chapelles,  à  demi  cachées  sous  l'épaisse  frondaison  des  grands 
arbres,  invitent  smon  au  recueillement,  qui  est  à  peu  près  absent  de 
la  religion  nipponne,  du  moins  au  plaisir  raffiné  d'émotions  esthé- 
tiques que  goûte  profondément  ce  peuple  d'artistes. 

La  moderne  capitale  Toklo  comptait,  en  1920, 
2  173  000  habitants.  C'est  la  résidence  habituelle  de 
l'Eijipereur,  le  siège  des  principales  administrations,  des 
ministères,  etc.  Elle  se  trouve  au  fond  d'une  baie, 
spacieuse  et  sûre,  débouché  naturel  de  la  plus  vaste 
des  plaines  japonaises.  Non  loin  d  elle,  Yokohama 
(422  000  habitants),  petit  village  de  pêcheurs  en  1 830, 
eit  devenu  le  premier  port  de  l'Empire  ;  son  chiffre 
d'affaires  n'est  dépassé  en  Extrême-Orient  que  par 
Hong-Kong  et  Chang-Haï.  Nagoya  (429  000  habitants), 
Osaka  (1  250000  habitants).  Kiolo  (591  000  habitants), 
l'ancienne  capitale,  Kobé  (608000  habitants),  Sakaï,  etc., 
doivent  leur  importance  prétente  au  développement  de 
la  grande  industrie  (filature,  métallurgie,  etc.).  Elles  for- 
ment sur  un  étroit  espace  un  groupement  comparable 
aux      pays  noirs    "  du  Lancashire  ou  de  Westphalie. 

Par      Okayama      (95  OCX)      habitants),      Hiroshima 


(  1 62  OOOhabitants),Kuré(  154  000  habitants).  Shimono- 
seki,  port  d'embarquement  pour  la  Corée,  on  gagne  l'île 
de  Kiou-Siou  où  la  merveilleuse  rade  de  Nagasaki 
(I76(X)0  habitants),  entourée  d'une  ceinture  de  volcans, 
à  proximité  de  mines  de  houille,  est  le  premier  port 
charbonnier  du  Pacifique.  Sasebo  (123  000  habitants), 
Kumamoto  (73  000  habitants).  Kagoshima  (92  000  habi- 
tants) au  Sud  de  Kiou-Siou.  Tokushima  (73  000  habi- 
tants) dans  Sikok,  terminent  la  série  des  grandes  villes 
japonaises  du  Sud. 

En  remontant  vers  le  Nord,  il  faut  encore  citer  Kana- 
zawa  (158000  habitants)  et  Niigata  (97  000  habitants) 
sur  la  côte  occidentale  de  Hondo.  en  relations  directes 
avec  Vladivostok,  Sendaï  (122000  habitants)  sur  la 
côte  orientale,  enfin  Hakodaté  (133  000  habitants),  où 
se  concentrent  les  produits  des  riches  pêcheries  de 
Yeso. 

Sakhaline.dont  les  Japonais  commencentà  peine  à  uti- 
liser les  forêts,  n  a  que  de  misérables  villages  peuplés  de 
Toungouses  et  d'Aînos.  A  l'extrême  Sud.  Kéloung 
et  Tamssouï  sont  les  deux  agglomérations  les  plus 
notables  de   Formose. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


Comme  la  Chine  et  l'Inde,  le  Japon  est  surtout  un 
pays  d'agriculture  :  60  pour  100  de  la  population  vivent 
des  produits  du  sol.  Mais  cette  proportion  était  encore  sm- 
gulièrement  plus  forte  il  y  a  cinquante  ans.  Depuis  l'euro- 
péanisation  du  Japon,  la  grande  industrie  est  née,  s'est 
développée  avec  une  extrême  rapidité,  et  les  usines 
attirent  chaque  année  un  contingent  plus  élevé  d'ouvriers. 

LES  CULTURES.  ^^  Comme  dans  les  plaines 
chinoises  et  poui  les  mêmes  raisons,  la  propriété  est 
extrêmement  morcelée.  L'étendue  moyenne  des  terres 
possédées  par  chaque  famille  ne  dépasse  pas  un  hec- 
tare 1  C'est  donc  à  force  de  soins  minutieux,  et  en 
multipliant  les  récoltes  successives  ou  parallèles  sur  un 
même  terrain  que  1  agriculteur  japonais  parvient  à  vivre. 
Dans  les  plaines,  pas  un  pouce  du  sol  n'est  perdu  ;  sur 
les  pentes  des  collines  s'étagent  les  petits  champs  en 
terrasses.  Des  funjures  abondantes  (déchets  de  poissons, 
engrais  humain)  complètent  les  effets  d'une  savante  irri- 
gation. 

Peirtout  où  le  climat  le  permet,  la  culture  vivrière 
essentielle  est  celle  du  riz  (3  000  000  d'hectares  sur 
5  500000).  Le  froment,  l'orge,  le  seigle  (de  400000  à 
5(X)000  hectares  pour  chaque  sorte)  se  substituent  au 
riz  dans  les  régions  montagneuses  et  à  Yeso.  Le  haricot 
rouge,  le  daikon  ",  sorte  de  navet  géant,  les  patates 
douces  tiennent  aussi  une  place  importante  dans  l'ali- 
mentation. 


L'arbre  à  thé,  dont  la  zone  d'élection  se  situe  sur  les 
collines  qui  entourent  la  Méditerranée  japonaise,  atteint, 
grâce  à  la  douceur  et  a  1  humidité  du  climat,  une  latitude 
beaucoup  plus  septentrionale  qu'en  Chine  :  le  36®  degré 
et  même  exceptionnellement  le  39®  degré  sur  la  côte  Est 
de  Hondo.  11  fournit  aux  Japonais  leur  boisson  nationale 
et  s'exporte  en  quantités  croissantes  vers  les  Etats-Unis. 

Le  tabac,  qui  permet  aux  Japonais  de  vendre  leurs 
cigarettes  dans  tout  l'Extrême-Orient,  gagne  du  terrain. 
Les  champs  de  colon  sont  encore  très  loin  de  suffire  aux 
besoins  locaux.  Par  contre,  partout  les  mûners  bordent 
les  champs  de  riz,  s  intercalent  dans  les  cultures  sèches. 
En  certaines  régions  de  la  montagne  (pentes  Nord  du 
Fouzi-Yama),  les  plantations  de  mûriers  sont  la  grande 
et  presque  I  unique  ressource  des  colons.  Nous  verrons 
plus  loin  quelle  importance  la  sériciculture  a  prise  dans 
l'économie  nationale  du  Japon. 

L'ÉLEVAGE  ET  LA  PECHE.  /DU  L'absence 
de  grasses  prairies  naturelles  qui  prendraient  la  place 
indispensable  aux  cultures,  le  climat  trop  humide,  enfin 
les  prescriptions  religieuses  du  bouddhisme  qui  interdit 
l'usage  de  la  viande,  telles  sont  les  principales  raisons 
qui  expliquent  la  rareté  des  animaux  domestiques,  le 
peu  d'importance  de  l'élevage.  En  1918,  on  ne  comptait 
au  Japon  que  4000  moutons,  100000  chèvres, 
38  000  porcs,  chiffres  tout  a  fait  insignifiants.  Les 
bêtes  à  cornes  (1  400000),  de   taille  petite  et  chétive. 


364 


LE   JAPON 


I.K-S  JARDINS  DE  LA  MER.  La  "  Méditerranée  "  japonaise  qui  iépare  Hondo 
des  deux  grandes  tles  méTidionales  Sikok  et  Kiou  Siou,  eft  la  merveille  du  Japon  et 
l'un  des  plus  beaux  lieux  du  monde.  Des  iles  sans  nombre  que  décore  sobrement  le  feuil' 
lagt  aérien  des  arbres,  les  pirosues  qui  glissent  sous  la  lumière  voilée  d'un  ciel  aux  fins 


nuaves,  les  temples,  les  villages  nichés  au  creux  des  roches,  tout  cela  com/WM  un  ensem- 
ble unique  oit  s'unît,  dans  une  prodigieuse  symphonie,  la  triple  splendeur  des  eaux,  dti 
terres  et  du  ciel,  l  ivant  au  milieu  de  tels  paysages,  il  n'est  pomt  étonnant  que 
les  Nippons  aient  à  un  si  haut  degré  le  sens  et  le  goût  des  formes  harmonieuses. 


TOKIO  :  LA  RUE  DES  THÉÂTRES.  La  rue  japonaise  —  que  n'enlaidissent 
point  encore  les  constructions  "à  l'européenne"  ou  "  à  l'américairie  "  est  une 
fort  jolie  chose.  La  foule,  peu  bruyante,  mais  aimable,  souriante,  très  propre,  vêtue 
détoffesaux  mille  couleurs,  se  presse  tout  le  jour  entre  /«  petites  maisons  de  bois  et  de 


papier,  admirant  les  étalages  ingénieux,  les  mille  produits  de  l'industrie  locale,  les 
grandes  banderoles  qui  seroent  d'enseignes.  Le  soir,  des  lanternes  multicolores,  aux- 
quelles se  mêlent  de  plus  en  plus  les  lampes  électriques,  éclairent  joliment  les  quaitiers 
de  plaisir   les  théâtra.  les  maisons  de  ihéoù  l'on  se  rend  en  famille. 


365 


L'ASIE 


VIEUX  COUPLE  A!NO.  Derniers    ret>ré- 

senfants    de    la    race    aborigène   qui    peuùîa 

avant  l'arrioécdes  Nippons  toutes  les  îles  de 

l'Archipel  japonais. 


LE  TORl     DE    MIYA   JIMA.  Comme  les  Chinois,  les    Ja- 
ponais se   plaisent  à  ériger   dans  le^  rues  des   villes,  à   l'ombre 
des  arbres,  aux  rives  des  lacs,  ces  légers  arcs  de  triomphe  d  une 
élégante  et  sobre   harmonie. 


DÉFILÉ  DE  GEISHAS.  Jeunes  Japonaises, 

savantes   en    fart  de  la  danse,  du  chant,  de 

la^musique.   que   l'on  convie  daiis  les    Jêtes 

pul  liques     ou    privées 


SÉOUL.  Comme  toutes  les  agglomérations  urbaines  de  la  Corée.  Séoul,  la  capitale, 

n'est  guère  qu'un  immense  village  formé  d'une  multitude  de  maisonnettes  de  bots  et 

de  briques  couvertes  de  chaume.  Elle  prend  quelque  activité  depuis  la  constiucUon 

des  voies  ferrées  qui  l'unissent  à  la  mer  et  è  la  Mandchourie. 


FOUSAN.  A  l'extrême  Sud  de  la  presqu'île  de  Corée.  le  portde  Fousan  est  le  ter- 
minus de  la  voie  ferrée  aui  vient  de  Chine  et  de  Sibérie.  Des  services  directs  l  unis- 
sent au  port  japonais  de  Shimonoseki-  -^ussi"  son  trafic  esl-il  déjà  considcrable    et 

semble    destiné    au    plus    brillant    avenir. 


UNE  EXF;,  aurifère  en    CORÉE.    Devenus  complètement 

fr.nf/rc:  de  la  ^c-tc.  us.  juponaii  on!  commencé  avec  ardeur  la    mise  en  valeur  des 

TUiC'jTct:  agricoles,  pastorales  el  minières  de  la  presqu'ile-Le/er,  le  cuivre  et  l  or 

liOrGÎiScnt  abondants  et  donnent  déjà  lieu  à  une  exploitation  rémunCTatricc. 


FORMOSE  :  UNE  USINE  ÉLECTRIQUE  La  grande  île  de  Formose  ou  Tai- 

Ouan.  enlevée  à  la  Chine  en  1895,  constitue  pour  le  Japon  surpeuplé  une  magnifique 

colonie.  L'intérieur  est  encore  couvert  de  Jorêis  vierges,  mais  les  côtes  portent  de 

belles  cultures  de  cannes  à  sucre,  d'arbres  à  thé,  de  cotonniers. 


356 


servent  exclusivement  au  transport  et  à  la  culture;  '"  elles 
sont  si  clairsemées  qu'il  est  possible  de  faire  douze  heures 
de  chemin  de  fer  dans  le  Nord  de  Hondo  sans  voir  un 
seul  bœuf  ".  Les  chevaux  (  1  580  000)  servent  rare- 
ment à  tirer  des  voitures  ou  à  porter  des  cavaliers,  sauf 
à  l'armée.  Ils  sont  léiids  et  peu  résistants.  Les  essais 
tentés  pour  acclimater  des  races  étrangères,  surtout  chi- 
noises, n'ont  pas  abouti. 

Ce  sont  les  pêcheries  qui  donnent  aux  Japonais  le 
complément  de  nourriture  dont  ils  ont  un  absolu  besoin. 
Les  mers  de  l'Archipel,  surtout  au  point  de  contact  des 
courants  froids  et  chauds  de  lOya  et  du  Kouro-Sivo 
(côtes  de  Sakhaline,  de  Yeso,  du  Hondo  septentrional), 
renferment  une  quemtité  prodigieuse  de  poissons,  de  mol- 
lusques, de  crustacés.  On  les  consomme  sous  diverses 
formes,  et  l'on  emploie  le  surplus  à  la  fabrication 
d'engrais  précieux. 

L'INDUSTRIE  ET  LES  MINES.  00  L'in- 
dustrie est  de  date  fort  ancienne  au  Japon.  Mais,  jusqu'à 
la  Révolution  de  1868,  les  atehers  japonais  se  bornèrent 
à  la  fabrication,  par  des  procédés  archaïques,  d'un  petit 
nombre  d'objets  étoffes  de  soie,  bronzes,  meubles 
laqués,  ivoires,  céramiques,  dont  un  goût  affiné,  une 
extrême  habileté  de  main  faisaient  de  précieuses  œu\Tes 
d'art.  Au  contact  de  l'Europe,  la  grande  industrie  est 
née.  Des  étrangers  installèrent  les  premières  usines,  dont 
plus  tard  les  Japonais  purent  assumer  seuls  la  direction. 
Une  main-d'œuvre  très  abondante  et  peu  coûteuse,  la 
présence  dans  le  sous-sol  de  ressources  minérales  suffi- 
santes, le  développement  des  moyens  de  transport  par 
terre  ou  par  mer,  la  facilité  de  se  procurer  sur  place  ou  à 
proximité  les  matières  premières  (soie  grège,  coton, 
soufre,  kaolin,  ciment,  bois,  etc.)  et  les  qualités  d'assi- 
milation, d'habileté  manuelle  de  la  race  nipponne,  tels 
furent  les  facteurs  qui  facilitèrent  le  développement 
moderne  de  l'industrie  et  qui  expliquent  ses  remarquables 
progrès. 

11  faut  y  ajouter  les  efiets  de  la  Grande  Guerre,  qui,  bien  loin  de 
nuire  aj  développement  économique  du  Japon,  lui  a  donné  un  nou- 
vel et  magnifique  essor.  A  partir  de  1914,  le  Japon  a  dû,  en  effet, 
d'abord  parer  au  déficit  des  importations  locales  en  fabriquant 
nombre  de  produits  qu'il  tirait  auparavant  de  l'étranger,  puis  com- 
bler le  déficit  des  ventes  européennes  sur  les  marchés  d'Extrême- 
Orient  et  du  Pacifique.  "  Les  entreprises  industrielles,  comme  en 
une  poussée  de  génération  spontanée,  se  multiplièrent  ;  elles  absor- 
bèrent d'énormes  capitaux.  Toute  la  nation  se  tendit  pour  consolider 
cette  fortune  nouvelle  ;  l'État  assura  et  au  besoin  imposa  son  appui 
à  cette  évolution.  '  Sans  doute,  "  tout  ce  qui  se  créa  ne  durera  pas  ; 
beaucoup  d'ouvriers  manquent  d'éducation  professiormclle,  les  ate- 
liers n'ont  pas  toujours  une  direction  experte,  il  leur  faudra  s'éprou- 
ver dans  la  lutte  internationale  et  résister  à  la  concurrence  univer- 
selle: il  faudra  calmer,  régulariser,  organiser  la  fièvre  d  un  moment 
afin  d'établir  un  régime  stable.  Mais  ce  sont  là  des  désavantages 
que  le  temps    et  l'étude    amoindriront  "  et  il  n'en    reste  pas  moins 


inûuJinclUa, 


CARTE 


iA    Gùtfmeatv 
•  mdaUifértj,       ECONOMIQUE     ..--;.'.^-r" 
(/er.cuuTe)etpéiroU-j  <r^t/r/r<^ 


lùniUa,      '^— 

pruiclpatct,  '",''" 
"cuUùrctt^  .... 
Prificipalea, 


->~<Eaa>^ 


^ 


k 


étrangers.  La  production  du  cuivre  (29000  tonnes 
valant  11  0  000  000  de  francs  en  1 9 1 3,  —  36  600  tonnes 
valant  68000000  de  yen  en  1919)  est  supérieure  à 
celle  de  tous  les  autres  pays  du  monde,  les  Etats-Unis 
exceptés. 

Le  fer  (64000  tonnes),  le  manganèse,  l'antimoine, 
l'étain,  le  plomb  ont  une  importance  moindre.  Le  soufre, 
très  abondant,  comme  il  est  naturel  dans  un  pays  si 
riche  en  volcans,  s'exploite  activement  pour  la  fabrication 
des  allumettes  et  de  l'acide  sulfurique.  Le  pétrole  ne 
fait  point  défaut.  Enfin,  le  grand  nombre  des  torrents  faci- 
lite la  multiplication  des  usines  hydro-électriques  et 
donne  à  bon  comp'e  une  force  motrice  presque  inépui- 
sable. 

Parmi  les  industries  de  nouvelle  création,  les  coton- 
nades et  les  soieries  tiennent  de  beaucoup  le  premier 
rang.  En  1918,  on  ne  comptait  pas  moins  de 
200  000  ouvriers  des  deux  sexes  employés  dans  les  seules 


LE  JAPON 1 

qu'en  précipitant  le  passage  du  sude  agricole  au  stade  industriel  les 
cinq  années  de  guerre  ont  plus  fait  pour  la  prospérité  nipponne  que 
vingt  années  de  paix.  (D'après  A.  Oemangeon.) 

Le  sous-sol  fournit  d'abord  de  la  houille  :  19  000000 
de  tonnes  en  1912,  31  003  000  en  191 9  (Yeso.  Hondo. 
surtout  Kiou-Siou  aux  environs  de  Nagasaki),  de  qualité 
médiocre  il  est  vrai,  mais  qui  suffit  aux  besoins  locaux 
et  sert    même   au  ravitaillement  de  nombreux    navires 


CGOGIUPHIE   UNIVERSELUE. 


367 


36 


L'ASIE  

usines  de  tissage  et  filature  de  coton  (région  d'Osaka- 
Kobé-Tokio),  utilisant  une  matière  première  venue  de 
Chine,  des  États-Unis  et  surtout  des  Indes  anglaises.  La 
production  de  la  soie  a  pris  un  tel  essor  que  le  Japon  se 
classe  depuis  1908  à  la  tête  des  Etats  producteurs  : 
1 2000000  de  kilogrammes  de  soie  grège  sont  en  moyenne 
disponibles  pour  l'exportation  seule,  sans  compter  la 
consommation  locale  (la  Chine  ne  peut  en  vendre 
que  8000000).  "  La  se'riciculture  est  l'occupation  sub- 
sidiaire la  plus  profitable  que  le  paysan  japonais  puisse 
exercer.  Sans  elle,  les  petits  exploitants,  et  notamment 
les  métayers,  ne  parviendraient  pas  à  vivre,  tant  est  res- 
treinte leur  marge  de  gain.  Partout,  dans  les  maisons, 
on  voit  femmes  et  enfants  occupés  au  maniement  et  à 
l'assortiment  des  cocons,  tandis  que,  sur  le  pas  de 
chaque  porte,  une  femme  assise  s'applique  à  dévider 
avec  un  dévidoir  à  main,  avec  un  pot  d'eau  bouillante 
sur  le  hibachi  "  devant  elle,  où  sautillent  les  cocons. 
La  majeure  partie  de  la  soie  s'exporte  à  1  état  brut  : 
cependant  les  tissages  de  soieries  (à  Kioto  et  Sekaï) 
livrent  chaque  année  à  la  consommation  des  étoffes 
d'excellente  qualité  qui  s'achètent  dans  le  pays  même  ou 
s'exportent  dans  tout  l'Extrême-Orient. 

L'industrie  métallurgique,  faute  de  minerais,  ne  suffit 
pas  encore  à  tous  les  besoins  locaux.  Elle  a  fait  néan- 
moins de  considérables  progrès.  Si  le  Japon  doit  acheter 
à  l'étranger  de  l'acier,  du  fer  ouvré  et  des  machines,  il 
cherche  à  s'affranchir  de  cette  sujétion  en  acquérant  des 
mines  chinoises  et  coréennes.  Aussi  peut-il  chaque 
année  diminuer  le  chiffre  de  ses  commandes,  et  le  jour 
n'est  pas  loin  où  les  chantiers  de  construction  navale,  les 
fonderies,  les  soieries,  les  fabriques  de  locomotives,  etc.. 
seront  en  nombre  tel,  qu'elles  permettront  de  se  passer 
de  tout  appoint  extérieur. 

Ejifin,  les  fabriques  d'allumettes,  de  cigju'ettes,  de 
nattes,  de  jouets,  de  ciment,  de  celluloïd,  de  faïences  et 
porcelaines,  les  papeteries  (plus  de  100  000000  de 
francs  en  1914),  les  raffineries,  les  brosseries  sont  en  plein 
essor  et  alimentent  un  commerce  d'exportation  dont  nous 
verrons  plus  loin  I  importance. 

Sans  doute,  cette  transformation  induslnelle  du  Japon  ne  va  pas 
sans  quelques  inconvénients.  Non  seulement  elle  a  modifié,  ià 
comme  ailleurs,  les  anciennes  conditions  sociales,  et  a  créé  un 
prolétariat  ouvrier  qui  manifeste  des  exigences  autrefois  inconnues, 
mais  surtout  elle  a  porté  un  coup  funeste  aux  vieilles  industries 
d*art.  Le  temps  n'est  plus  ou  l'on  mettait  vingt  ou  trente  ans  à 
finir  une  belle  pièce  de  soie,  de  laque  ou  de  porcelaine,  où  des 
ateliers  familiaux  ne  sortaient  qu'un  petit  nombre  d'oeuvres,  très 
chères,  mais  qui  toutes  étaient  des  chefs-d'œuvre.  Plus  de  travail 
familial,  plus  de  secrets  de  corporations.  On  veut  produire  en  très 
grande  quantité,  très  vite  et  à  très  bon  marché.  Peut-être  cette 
décadence  artistique  n'aura-t-elle  qu'un  temps  et  il  n'est  pas  inter- 
dit d'espérer  qu'après  la  période  présente,  où  le  Japon  veut  à  toul 
prix  suffire  à  ses  propres  besoins  et  s'assurer  des  marchés  rémuné- 
rateurs, une  période  nouvelle  viendra  où.   assagis,  enrichis,  certains 


de  l'avenir,  les  Japonais,  dont  les  goûts  personnels  n  ont  du  reste 
point  changé,  retrouveront  les  loisirs  nécessaires  à  la  création 
d'oeuvres  parfaites. 

LE  COMMERCE,  a e)  Les  chiffres  du  com- 
merce traduisent  éloquemment  les  progrès  accomplis  par 
le  Japon  depuis  la  Révolution  de  1868.  Ils  ont  passé  de 
68000  000  de  francs  en  1868,  à  335000000  enl888, 

COMMERCE  DU  JAPON 

(Valeurs  en  yen  ;  au  pair,  le  yen  =  2  fr.  56). 


Principales    catéRories. 

Année  1913. 

Année  1920.          ! 

ImtMrtaiions. 
223  000  000  de  ven. 

25  000  000      ~ 
47  000  000      — 
36  000  000      - 
14  000  000      - 

24  000  000      - 

25  000  000      - 
9000000      - 

721  000  000  de  yen     , 

118  000  000      — 
150  000  000      — 
60  000  000      — 
153  000  000      — 
210  000  000      — 
201  000  000      — 

Riz 

Graines  oléa^neiises 

Sucre 

Fer  en  barre  et  ouvré 

etc. 

i             Tolau\ . 

-1 
.1 

1  Soie  ffrêje 

Fils  de  soie  et  soieries 

1     G>tonnades  «  filés  de  coton. 

1     Cuivre 

'     Charbon 

715  000  000  de  yen. 
ExpoTtatiom. 

161   000  000  de  ven. 

34  000  000      - 
113  000  000      - 
27  000  000      - 
23  000  000      - 
13  000  000      - 

11  000000      - 

12  000  000      — 
6000000      - 

2  000  000      - 

2  284  000  000  de  yen. 
383  000  000  de  yen. 

185  000  000      — 

487  000  000      - 

12000000      — 

45  000  000      — 

30  000  000      — 
28  000  000      — 
17  000000      — 

31  000  000      — 
23  000  000      — 
21  000  000      — 
17  000000      — 

■    Allumettes 

Thé........... 

Poterie  et  céramique 

Verreries 

etc 
Totaux 

620  000  000  de  yen. 

1  909  000  000  de  yen. 

PRINCIPAUX  CLIENTS  DU  J.A,PON 


' 

Année  1913. 

(Valeur  en  yen). 

Année  1920. 

(\'aleur  en  yen). 

Importations  venant  de  : 

173  000  000  de  ven. 

122  000  000      - 

122  000  000      - 

61000  000        - 

60  000  000       - 

37  000  000      - 

24  000  000        - 

15  000  000      - 

6000  000      - 

8  000000      - 

6  000000      - 

5  000  000      - 

450  000  000  de  yen. 

385  000  000      - 

150  000  000      - 
80  000  000      - 
75  000  000      ~ 
70  000  000       - 
20000000      - 
13  000  000      - 
15  000  000      - 
10  000  000      - 
33  000  000      - 
3  000000      - 
5  000000      — 

1 

395  000  000  de  yen. 

232  000  000      - 
873  000  000      -     . 
218  000  000      — 

15  000  000      - 
68  000  000      — 

120  000  000      -- 
62  000  000      - 
14  000000      — 

16  000  000      - 
25  000  000      - 
25  000  000      — 

17  000  000      — 

565  000  000  de  yen. 

410  000  000      — 
71  000  000      - 
98  000  000      - 

192  000  000      — 
6000000      - 
58  000  000      - 

107  000  000      - 
34  000  000      - 
36  000  000      -       ; 
74  000  000      -      \ 
23  000  000      - 
21  000000      - 

1  Indes  néerlandaises 

Indo-Chine  française 

Chili               

Straits  Settlements.  etc 

Exportations  allant  à  : 
États-Unis               

Grande-Bretagne 

Italie            

Indes  néerlandaises 

Straits  SeltlemenUs 

1 

368 


1250000000  en  1900.  1800000000  en  1904. 
3405000000  en  1913  et  ont  atteint,  en  1920. 
4  193000000  de  yen,  ce  qui  au  taux  moyen  du  yen, 
cette  annee-là.  représentait  plus  de  25  milliards  de  francs  ! 
Les  chiffres  des  tableaux  pre'ce'dents  ne  concernent  ni 
Formose  ni  la  Corée  qui  font  cependant  partie  intégrante 
de  1  Empire.  Nous  cor.sacrons  plus  loin  un  chapitre 
spe'cial  à  la  Corée.  Pour  Formose,  bornons-nous  à  dire 
qu'en  1919  elle  vendit  —  surtout  au  Japon,  puis  à  la 
Chineet  aux  Etats-Unis  —  du  thé.  du  sucre,  du  charbon, 
du  camphre,  etc..  pour  un  total  de  140  000 000  de  yen. 
EJle  acheta,  au  Japon  et  a  la  Chine,  de  l'opium,  du  riz. 
des  haricots  soyas.  etc.  pour  90000000  de  yen. 

La  comparaison  des  chiffres  relatifs  aux  deux  années  envisagées 
est  intéressante  à  plus  d'un  titre. 

D  abord  si  l'on  considère  le  tableau  des  importations,  on  voit 
aussitôt  le  progrès  considérable  ïall  par  les  achats  de  matières 
premières  :  colon,  fer,  laine,  graines  oléagineuses,  destinées  a  êlte 
transformées  par  les  usines  et  les  manufactures  nippones.  Cela  con- 
6ime  ce  que  nous  disons  plus  haut  sur  le  développement  croissant 
de  la  grande  industrie. 

Aux  exportations,  le  même  fait  apparaît  plus  clairement  encore- 
Les  ventes  de  jouets  ont  décuplé  ;  celles  de  soieries,  de  poterie  et 
céramique,  ont  plu»  que  quintuplé  ;  celles  des  cotonnades  ont  qua- 
druplé. Les  verreries,  les  machines,  qui  n'apparaissent  pas  sur  le 
tab'eau  de  1913  comptent  respectivement, en  1920.  pour2l  000000 
et  17 000 000  de  yen. 

Les  Etats-Unis  sont  présentement  le  principal  fournisseur  du 
Japon  et  son  plus  gros  acheteur.  Le  Canada,  le  Chili  commencent 
à  donner  quelques  chiffres  intéressants  ;  et  cela  marque  l'attraction 
de  plus  en  plus  vive  qui  se  produit  d'une  rive  à  l'autre  du  PaciSque. 

Toutefois,  l'Asie  reste,  et  restera  toujours,  le  champ  d'action  le  plus 
fa\orable  aux  Nippons.  Près  de  la  moitié  de  leur  commerce  se  fait 
avec  les  pays  delà  zone  des  moussons.  Profitant  de  la  carence  momen- 
tanée des  Européens,  ils  ont  consolidé  la  situation  déjà  prépon- 
dérante qu'ils  avaient  en  Chine  (traités  de  commerce  particulièrement 
avantageux,  création  de  banques,  d'agences  d'information,  de 
sociétés  de  bienfaisance,  achats  de  concessions  minières,  de  voies 
ferrées,  navigation  sur  le  Yang-Tseu,  etc).  La  Chine,  dont  ils  sont 
devenus  les  principaux  banquiers,  doit  leur  fournir  avant  tout  le 
fer  brut  ou  demi  ouvré  dont  ils  manquent  presque  totalement,  puis 
le  coton  brut,  le  riz.  En  échange,  elle  est  le  marché  le  plus  natu- 
rel qui  s'ouvre  aux  produits  de  leurs  usines. 

En  Mandchourie,  ils  se  conduisent  en  maStres  et  sont  en  train  de 
coréaniser  "  ce  qu'ils  considèrent  comme  une  annexe  naturelle  de 
la  Corée.  Au  Chan-Toung.  où  ils  prirent  provisoirement  la  place 
des  Allemands,  ils  ont  quadruplé  en  quelques  années  les  échange? 
du  port  de  Tsing-tao.  Dans  la  Sibérie  orientale,  ils  se  sont  assuré, 
à  Vladivostok  et  sur  l'Amour,  les  gages  lernloriaux  nécessaires 
pour  garantir  la  dette  que  la  Russie  a  contractée  envers  eux.  Dan? 
l'Inde  Anglaise,  l'influence  japonaise  "  s'avance  à  pas  de  géants". 
Non  seulement  de  1914  à  1920  les  exportations  ont  passé  de 
26  000  000  de  yen  à  192  000  000,  les  importations  de 
1 60  000  000  à  395  000000,  ncn  seulement  lesjcutlsiaporais,  la  bière, 
les  machines,  !esallumeltesjaponai:es  remplacent  Icsarticles similaires 
allemands,  et  les  cotonnades  japonaises  font  reculer  les  tissus  bri- 
tanniques, mais  90  pour  100  de  ces  transactions  se  font  par  navires 
japonais,  par  l'intermédiaire  de  banques  et  de  maisons  de  commerce 
japonaises  installées  à  Bombay,  Ceytan,  Madras,  etc.  A  Singapour, 
centre  de  commerce  pour  le  caoutchouc  et  l'étain.  "  le  nombre  des 


LE  JAPON 

Japonais  avait  tellement  augmenté  en  1919  qu'on  ne  pouvait  plus 
s  y  loger.  "  Au  Siam.  aux  Philippines,  le  commerce  nippon  a 
doublé  en  quatre  ans.  Il  a  décuplé  à  Java. 

Notons,  enfin,  les  progrès  réalisés  par  le  trafic  avec  l'Australie 
ou  les  soieries,  les  colonnadei.  les  porcelaines,  les  chapeaux,  les 
jouets  japonais  font  concurrence  aux  articles  similaires  anglais  et 
américains.  L'Afrique  même  n'a  pas  échappé  à  l'emprise  des 
Nippons.  Leur  commerce  avec  le  Transvaal  a  décuplé  en  quatre  ans  ; 
en  Ethiopie,  en  Lgypte,  on  a  vu  apparaître  leurs   produits- 

Ainsi  les  Japonatsont  eu  l'art  de  ne  participer  au  grand 
conflit  mondial  que  dans  la  mesure  où  ils  pouvaient  en  tirer 
le  maximum  de  profits,  avec  le  minimum  de  risques  et  de 
frais.  Aussi  la  situation  Bnancière  de  leur  pays,  qui  n'était 
pas  brillante  au  lendemain  de  la  guerre  russo-)aponaise 
(accroissement  conside'rable  des  charges  fiscales,  emprunts 
onéreux  à  l'étranger,  etc.),  s'est  amélioréede  façon  telle  que 
le  Japon  prend  place  aujourd  hui  parmi  les  plus  riches 
nations  du  globe.  L'excédent  considérable  des  exporta- 
tions sur  les  importations,  les  bénéfices  colossaux  qu'il 
tire  de  sa  flotte  marchande  ont  fait  passer  sa  réserve  d'or 
de 370  000 000 de  yen  en  191 3  à  1600000  000  en  1918 
(près  de  5  000  (XX)  000  de  francs  au  cours  présent  du 
change),  lia  pu  rembourser  unecertaineportionde  sa  dette 
extérieure  et  est  même  devenu  le  prêteur  de  ses  anciens 
créanciers  :  Anglais  et  Français,  Et  le  signe  le  plus 
apparent  de  cette  richesse  nouvelle,  acquise  au  détri- 
ment de  l'Europe,  n'est  pas  seulement  le  formidable 
accroissement  de  ses  entreprises  industrielles  et  commer- 
ciales, de  ses  dépôts  en  banque,  des  dividendes  payés 
aux  actionnaires,  c  est  encore  le  changement  frappant  que 
l'on  observe  aujourd'hui  dans  la  vie  matérielle  des 
Nippons,  surtout  des  nankins  '  ou  nouveaux  riches. 
"  Tokio  rappelle  maintenant,  par  l'intensité  de  son 
mouvement,  la  fièvre  des  cités  de  l'Occident  ;  les  bou- 
tiques de  luxe,  les  maisons  de  style  américain  se  multi- 
plient ;  dans  les  rues,  les  automobiles  se  pressent...  Les 
femmes  déploient  de  magnifiques  vêtements,  des  soieries 
de  couleurs  gaies,  des  ceintures  rutilantes  d'or,  et  l'on 
voit  à  leurs  doigts  des  bagues  qu'elles  n'avaient  jeûnais 
connues  jusqu'ici".  (Bulletin  Asie  française  de  1918). 

La  prospérité  présente  et  future  du  Japon  repose  en 
grande  peirtie  sur  le  développement  de  sa  marine  de  com- 
merce. Déjà,  dans  les  années  qui  précédèrent  la  guerre,  sa 
flotte  commerciale  à  vapeur  avait  passé  de  I  390  navires  jau- 
geant 932  CXX)  tonneaux  en  190?, a  2072  navires  jaugeant 
1514  (XX)  tonneaux  en  1 9 1  3 .  ce  qui  le  plaçait  au  I  roisième 
rang  des  grands  Etats  du  monde  après  l'.Angleterre 
(  1  I  000  000  de  tonneaux)  et  l'Allemagne  (2  600  000  ton- 
neaux) ,  bien  avant  les  Etats-Unis  (  I  1 08  CXX)),  la  Norvège 
(  I  085  (XX)),  la  France  (838  000) .  Ses  grandes  compagnies 
subventionnées  (Nippon- Yusen-Kaïsha  :  94  vapeurs  jau- 
geant 450  (XX)  tonneaux  :  Osaka  Chôsen  K.,  etc.)  assu- 
reiient  les  services  directs  avec  tous  les  ports  du  Pacifique 
et  envoyaient  leurs  bateaux  dans  les  fleuves  chinois,  dans 


369 


: L'ASIE  : 

l'Inde,  jusqu'en  Europe.  D'autres  vapeurs  affrétés  au 
"trafic  vagabond"  ("  Tramps",  "  Outsider-Steamers") 
enlevaient  peu  à  peu  aux  Anglais,  aux  Danois,  aux  Nor- 
végiens le  conimerce  que  ces  pavillons  avaient  jusqu'alors 
monopolisé  dans  toutes  les  mers  de  l'Extrême-Orient. 

Cette  situation  florissante  s'est  encore  fort  améliorée 
depuis  1914,  Débarrassée  de  la  concurrence  allemande 
par  la  prise  de  Kiao-Tchéou  et  la  disparition  du 
pavillon  allemand,  devenue  le  principal  fournisseur  de 
l'Empire  russe  par  Vladivostok  et  Dalny,  ne  trouvant 
plus  en  face  d'elle  qu'un  nombre  fort  réduit  de  bateaux 
neutres,  la  marine  japonaise  a  connu  une  prospérité  inouïe 
dont  témoignent  à  la  fois  les  dividendes  payés  aux  action- 
naires (jusqu'à 600  pour  1 00  en  i  9 1  5)  et  les  2838  vapeurs 


jaugeant  2  700000  tonneaux  (plus  I  200000  tonneaux 
de  voiliers)  qui  composaient  la  flotte  nipponne  en  1920. 
Même  entre  les  divers  districts  de  chacune  des  iles  de 
l'Archipel  Japonais,  les  transactions  se  font  surtout  par 
voie  de  mer  (nombreux  voiliers  ou  petits  vapeurs  de  cabo- 
tage), comme  il  est  naturel  dans  un  pays  étroit,  aux 
ports  multiples,  où  la  population  se  concentre  surtout  près 
des  rivages.  Cela  n'a  point  empêché  les  Japonais  de  cons- 
truire un  réseau  ferré  de  plus  de  10000  kilomètres,  qui 
dessert  d'une  façon  très  suffisante  les  régions  de  l'intérieur 
et  assure  les  relations  terrestres  entrel'Est  et  l'Ouest,  le  Sud 
et  le  Nord  des  grandes  iles.  Seul  le  réseau  routier  est 
médiocre  et  mal  entretenu ,  ce  qu'explique  suffisamment  le 
peu  d'emploi  que  l'on  fait  des  transports  par  voitures. 


LA   COREE 


Dès  que  le  Japon  se  fut  donné  une  marine  de  guerre 
et  une  armée  organisées  à  la  moderne,  il  utilisa  l'une  et 
l'autre  pour  placer  sous_  sa  domination  la  Péninsule  de 
Corée.  Elle  lui  était  indispensable  non  seulement  au  point 
de  vue  stratégique,  mais  surtout  comme  terre  d'exploita- 
tion et  de  peuplement. 

Le  traité  de  Shimonoséki,  en  J895,  enleva  l'Empire  Coréen  à  la 
suzeraineté  chinoise  et  le  plaça  sous  l'influence  japonaise  tout  en 
lui  laissant  une  large  autonomie.  Neuf  ans  plus  tard,  la  Russie 
ayant  manifesté  clairement  l'intention  d'annexer  la  Corée  sous  une 
(orme  ou  une  autre,  le  Japon  n'hésita  pas  à  déclarer  la  guerre  à 
l'Empire  des  Tsars.  Ses  victoires  lui  permirent  d'abord  de  réduire 
à    néant   les    projets  russes,    puis  de    transformer    l'autonomie   en 


protectorat  (traité  de  Portsmouth  1905).  Depuis  lors.de  nouvelles 
conventions  signées  en  1907  et  en  1909  accrurent  les  droits  du 
Japon  qui,  en  août  1910,  supprima  le  protectorat  et  annexa  pure- 
ment et  simplement  le  territoire  coréen.  La  Corée  fait  donc 
aujourd'hui  partie  intégrante  de  l'Empire  du  Soleil  Levant,  au 
même  titre  que  Yeso  ou  Hondo. 

Jusqu'à  1878,  la  Corée  demeura  aussi  jalousement  fermée  aux 
étrangers  que  l'était  le  Japon  en  1850.  Aussi  n'avait-on  sur  ce  pays 
que  des  renseignements  fragmentaires  et  très  vagues  dus  aux  mis- 
sionnaires. Les  côtes  mêmes  étaient  fort  mal  connues.  Depuis  lors, 
grâce  à  l'occupation  japonaise,  à  la  construction  des  voies  ferrées, 
aux  travaux  des  géographes,  des  géologues,  des  ingénieurs,  des 
agronomes  nippons,  nos  connaissances  se  sont  fort  accrues  et  nous 
permettent  de  nous  faire  une  idée  exacte  de  la  géographie  coréenne, 
des  habitants  et  des  ressources  du  pays. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


La  Corée(queles Orientaux  nomment  Tchosen ou  Pays 
du  matin  calme)  est  une  grande  presqu'île  d'environ 
220000  kilomètres  carrés,  sise  entre  la  Mer  Jaune  à 
l'Ouest,  la  Mer  du  Japon  à  l'Est,  les  détroits  de  Broughton 
et  de  ICrusenstem  qui,  au  Sud,  la  séparent  du  Japon.  Elle 
se  rattache  au  continent  asiatique  par  un  large  pédoncule 
montagneux  orienté  Sud-Ouest-Nord-Est  :  la  chaîne  du 
Tchang-paï-chan  ou  du  Chan  Aline  (près  de  3000  mètres 
au  point  culminant)  qui  l'isole  des  plaines  de  Mand- 
chourie.  De  cette  chaîne  se  détache  transversalement  une 
longue  arête  orientée  Nord-Ouest-Sud-Est  qui,  longeant 
de  près  les  côtes  orientales,  s  unissait  autrefois  aux  monta- 
gnes japonaises,  comme  en  témoignent  les  faibles  profon- 
deurs du  détroit  de  Corée  et  le  grand  nombre  d'iles 
et  d'îlots  (île  Quelpaert,  île  de  Tsou-shima,  archipel 
Coréen)  jetés  comme  les  piliers  d'un  pont  naturel  entre 
l'extrém.té  méridionale  de  la  péninsule  et  les  îles  japo- 
naises qui  lui  font  face.  Cette  arête  montagneuse  d'cilti- 
lude  médiocre  (  1 500  à  1 700  mètres  au  point  le  plus  élevé) 
a  son  versant  le  plus  raide  tourné  vers  l'Est  où  s'ouvrent. 


à  peu  de  distance  du  rivage,  les  fosses  profondes  de  la 
Mer  du  Japon.  A  l'Ouest,  la  pente  est  beaucoup  plus 
allongée,  partant  plus  douce.  Une  série  de  contreforts, 
de  mcunelons  boisés,  ondulent  en  s'abciissant  peu  à  peu 
vers  les  plaines  littorales  qui  s'ouvrent  sur  les  hauts  fonds 
de  la  Mer  Jaune  (75  mètres  au  point  le  plus  bas).  Dans 
l'ensemble,  le  pays  est  fort  accidenté  ;  cependant  les 
plaines  cultivables  y  occupent  une  étendue  relativement 
supérieure  à  celle  du  Japon.  De  plus,  la  médiocrité  de 
l'altitude  moyenne  permet  d'utiliser  la  majeure  partie  des 
collines  jusqu'à  1 000  mètres  de  hauteur  et  rend  aisée  la 
création  de  voies  de  communication. 

La  latitude  de  la  Corée  est  la  même  que  celle  de  Hondo. 
Mais  les  influences  continentales  agissent  avec  une  force 
singulièrement  plus  grande.  A  des  hivers  très  froids  suc- 
cèdent des  étés  extrêmement  chauds  (la  moyenne  de  jan- 
vier est,  à  Séoul,  de  —  4  ,  celle  de  juillet  s'élève  à  +  27°). 
Seules  les  régions  du  Sud  ont  un  climat  plus  doux.  Les 
vents  de  mousson  alternent  comme  dans  toute  l'Asie  de 
rE.st  et  du  Sud,  tour  à  tour  glacés  ou  tièdes.  D'abondantes 


370 


chutes  de  neige  se  produisent  de  novembre  à  mai,  et 
sur  le  versant  occidental  les  cours  d'eau  gèlent  pendant 
trois  mois.  En  été,  les  averses  sont  aussi  fréquentes  qu'au 
Japon. 

La  végétation  se  compose  d'essences  arbustives  et  flo- 
rjJes  qui  forment  une  zone  intermédiaire  entre  la  Chine 
et  la  Mandchourie  d'une  part,  et  d'autre  part  l'Archipel 
japonais.  Des  forêts,  où  s'abritent  les  fauves  (tigres  sur- 
tout, ours,  loups),  couvrent  une  partie  des  montagnes.  Les 
conifères  s'y  mêlent  aux  arbres  à  feuilles  caduques,  aux 
camélias  arborescents,  aux  arbres  à  cire  végétale  et  à  ver- 
nis. Les  pentes  inférieures  sont  revêtues  de  fourrés  très 
épais.  Dans  le  Nord-Est,  des  steppes  aux  hautes  herbes 
annoncent  déjà  les  steppes  mandchoues. 


Fleurs  et  fruits  abondent.  "  Pendant  la  saison,  les  champs  sont 
émaillés  de  primevères  de  Chine,  de  lis,  de  pivoines  et  d'autres 
espèces  inconnues  en  Europe.  Mais,  à  part  l'égtantine  et  le  muguet, 
toutes  ces  fleurs  sont  inodores  ou  d'un  parfum  désagréable.  Quant 
aux  fruits,  si  l'on  excepte  la    pastèque  et  le    kaki,  ils  sont  msipides 


LE  JAPON 

el aqueux.  Les  raisins  ont  un  suc  désagréable;  les  fraises,  très  belles 
à  la  vue,  ne  sont  pas  mangeables;  les  pêches  ne  sont  que  des  avor- 
tons véreux. 

Le  littoral  de  l'Est,  presque  recliligne  et  dominé  par 
de  hautes  falaises,  contraste  avec  les  rivages  du  Sud  et 
de  l'Ouest,  dentelés,  déchiquetés,  percés  de  baies  pro- 
fondes, bordés  d'îles  très  nombreuses,  tout  à  fait  sem- 
blables aux  côtes  de  la  Méditerranée  japonaise.  Là  se 
trouvent  les  meilleures  rades  de  la  Péninsule  :  Masampo 
et  Fousan,  fort  bien  placées  pour  assurer  des  relations 
rapides  et  faciles  avec  l'Archipel  Japonais. 

Quant  aux  Heuves,  ils  ne  sont,  en  général,  que  des 
torrents  régulièrement  grossis  par  la  fonte  des  neiges  et 
les  pluies  d'été.  Les  plus  longs  :  le  Yalou  au  Nord  qui 
sert  de  Hmite  à  la  Corée,  et  le  Nak-tong-Kang  au  Sud, 
qui  débouche  à  Masampo.  peuvent  cependant  donner 
accès  à  des  navires  de  faible  tirant  d'eau.  Les  autres,  ou 
bien  n'ont  aucune  utilité,  ou  bien  servent  à  l'irrigation 
des  rizières. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


On  ne  sait  à  peu  près  rien  sur  l'origine  des  Coréens 
et  leur  histoire.  Ils  paraissent  provenir  d'un  mélange 
d'éléments  toungouses,  chinois  et  nippons  fondus  depuis 
très  longtemps  en  une  même  race.  De  taille  un  peu  plus 
élevée  que  les  Chinois  et  les  Japonais,  ils  présentent  une 
grande  variété  de  types,  allant  du  Mongol  (tête  large, 
yeux  obliques,  pommettes  saillantes,  petit  nez  perdu  dans 
la  double  rondeur  des  joues,  lèvres  épaisses,  barbe  rare, 
teint  cuivré)  au  Malais  (figure  ovale,  nez  proéminent, 
barbe  assez  fournie,  peau  fine  au  teint  mat).  Ils  passent 
généralement  pour  être  robustes,  bons  travailleurs,  de 
carac'.ère  doux  et  apathique,  dépourvus  d'initiative  el 
de  volonté,  ce  qui  explique  la  résignation  avec  laquelle 
ils  acceptèrent  alternativement  la  suprématie  chinoise  ou 
japonaise.  Leur  langue,  à  la  fois  polysyllabique  et  agglu- 
tinante, diffère  essentiellement  des  dialectes  de  leurs 
voisins.  Mais  l'usage  du  chinois  est  fort  répandu,  surtout 
parmi  les  castes  supérieures,  et  le  japonais  fait  de  consi- 
dérables progrès.  Le  confucianisme  elle  bouddhisme  sont 
les  religions  officielles  :  il  est  vrai  qu'ils  se  mêlent  de 
nombreuses  pratiques  superstitieuses,  et  que,  d'autre 
part,  il  existe  peu  de  gens  au  monde  qui  soient  aussi 
indifférents  que  les  Coréens  en  matière  de  croyances. 
Les  bonzes  sont  rangés  parmi  les  castes  de  la  dernière 
catégorie,  et  le  mépris  que  l'on  a  pour  eux  s  étend  à 
la  religion  qu'ils  représentent.  Les  institutions  sociales 
des  Coréens,  leur  civilisation  matérielle,  leurs  habitudes, 
leurs  mœurs,  leurs  costumes,  leurs  habitations,  diffèrent 
peu  de  ce  que  nous  avons  vu  en  Chine. 

Le  chiffre  de  la  population  n'est  connu  que  depuis 


le  recensement  de  1914.  11  atteignait  à  cette  date 
1 5  300  000  habitants,  soit  une  densité  de  74  habitants  au 
kilomètre  carré,  exactement  égale  à  celle  de  la  France. 
Le  recensement  de  1920  a  donné  17  284  000  habi- 
tants, soit  78  au  kilomètre  carré.  Les  plaines,  les  col- 
lines fertiles  de  l'Ouest  et  du  Sud  attirent  et  fixent  la 
majeure  partie  des  Coréens.  Grâce  aux  produits  des 
pèchenes,  les  côtes  ont  aussi  une  population  très  dense. 
Par  contre,  les  régions  montagneuses  du  Nord  ne 
nourrissent  qu'un  petit  nombre  d'habitants. 

L'agriculture  est  naturellement  la  pnncipale  ressource. 
Le  riz  tient  la  tête,  grâce  à  la  grande  chaleur  des  étés 
etàla  facilité  de  l'irrigation.  Le  blé,  l'orge,  le  millet,  les 
haricots,  les  pois  se  classent  ensuite.  Les  Coréens 
récoltent  aussi  du  tabac  de  bonne  qualité,  du  chanvre, 
des  plantes  oléagineuses  comme  le  ncin  et  le  sésame, 
une  racine,  le  ginseng,  très  appréciée  des  Chinois  pour 
ses  qualités  toniques.  Le  cotonnier,  encore  peu  répandu, 
parait  devoir  réussir  fort  bien. 

Enfin  les  animaux  domestiques  ont  en  Corée  beau- 
coup plus  d'importance  et  d'avenir  qu'au  Japon.  Bœufs 
et  chevaux,  petits  mais  rustiques  et  résistants,  s'accom- 
modent du  climat  continental  beaucoup  mieux  qu'ils 
ne  le  font  de  l'humidité  de  l'Archipel. 

La  mainmise  du  Japon  sur  la  péninsule  Coréenne  est 
de  date  trop  récente  pour  qu'elle  ait  donné  jusqu'ici  de 
grands  résultats.  Cependant  les  Nippons  se  sont  mis 
résolument  à  l'œuvre.  Ils  avaient  déjà  depuis  longtemps, 
dans  tous  les  grands  centres,  des  colonies  qui  détenaient 


371 


L'ASIE 


la  majeure  partie  des  transactions.  Ces  colonies  s'accrois- 
sent aujourd'hui  d'autant  plus  vite  que  la  Corée  se  prête, 
mieux  que  tout  autre  pays,  au  peuplement  japonais. 

De  vastes  espaces  encore  en  (riche  peuvent  nourrir  des  millions 
d'agriculteurs  nouveaux,  et  même  les  régions  déjà  cultivées  par  des 
Coréens  sont  capables  de  tripler  leur  production  sous  la  direction 
d'hommes  compétents.  Déjà  apparaissent  en  Corée  des  écoles 
d'agriculture,  des  stations  d'études  forestières,  des  fermes  modèles. 
On  perfectionne  peu  à  peu  les  méthodes  très  arriérées  de  sérici- 
culture ;  on  étudie  les  moyens  d'accroître  dans  de  fortes  propor- 
tions le  troupeau  bovin.  Les  capitalistes  japonais  achètent  de  grands 
domaines  où  des  colons  nippons  servent  de  guides  aux  paysan? 
coréens.  Les  richesses  minières,  qui  paraissent  abondantes  (or, 
cuivre,  etc.),  commencent  d  être  exploitées.  Des  industries  locales 
de  vieille  réputation  sont  encouragées  :  fabrication  de  papiers,  pré- 
paration des  cuirs,  tressage  de  nattes.  Enfin  une  grande  voie  ferrée, 
jetée  suivant  l'axe  de  la  Péninsule,  de  Fousan  au  Yalou  par  Séoul, 
se  raccorde  à  Liao-Yang  avec  le  Transmandchourien  d'où  l'on  gagne 
le  Transsibérien  par  Moukden  et  Kharbln.  Cette  artère  centrale 
donne  une  vie  nouvelle  à  toutes  les  régions  du  versant  occidental.  Elle 
doit  servir  de  base  à  d'autres  lignes  transversales  se  dirigeant  d'une 
part  sur  Mokpo,  d'autre   part    sur  Gensan   et    Vladivostok.  Elle  se 

complète  par  l'établissementd'un  réseau  routier,  ou  tout  au  moins 

de  bonnes  pistes  accessibles  aux  animaux  de  bât, dont  la  longueur 

dépasse  déjà  3  000  kilomètres. 


Les  progrès  très  rapides  de  la  mise  en  valeur  du 
pays  coréen  se  manifestent  par  le  chiffre  des  transactions. 

Dans  les  quatre  années  qui  précédèrent  la  Grande 
Guerre,  les  importations  passèrent  de  39000000  de  yen 
(le  yen  valant  2  fr.  56)  à  72000000,  les  exportations  de 
20  000  000  a  30  000000.  Ces  chiffres  se  sont  fort  accrus  de- 
puis; ils  atteignaient,  en  1919,  280000000deyen  pour  les 
achats  et  220000000  pour  les  ventes.  La  Corée  demande 
àl'étranger des  cotonnades  (70000000  deyen  en  1919), 
du  charbon  (14000000),  des  machines  (9  000000),  de 
l'huile,  du  papier,  des  cigarettes,  etc.  Elle  exporte  du  riz 
surtout  (1  10 000 000  de  yen),  puis  des  pois,  haricots  et 
autres  légumes  (23000000),  du  bétail,  des  cuirs,  un  peu 
d'or. 

Le  Japon  est,  naturellement,  le  principal  fournisseur  de 
la  Corée  (185000000  de  yen,  sur  280000000)  et  sur- 
tout son  meilleur  client  (200000000  sur  220000000). 

Parmi  les  principales  agglomérations  coréennes,  grands 
villages  aux  petites  maisons  d'argile  couvertes  de  chaume, 
on  ne  peut  guère  citer  que  les  ports  :   Gensan,  Fousan, 
Masampo,   Mokpo,  Tchemoulpo   et   la  capitale  Séoul" 
peuplée  de  302000  habitants  dont  50000  Japonais. 


LA    PRESQU'ILE   DE   KOUANG-TOUNG 


Depuis  1906,  les  Japonais  ont  pris  la  place  des  Russes 
dans  la  presqu'île  de  Kouang-Toung,  extrémité  méri- 
dionale de  la  Péninsule  de  Liao-Toung,  qui  s  enfonce 
comme  un  coin  entre  le  golfe  de  Petchili  et  la  baie  de 
Corée  au  Sud  de  la  Mandchourie.  Ils  ont  là,  non  en  toute 
propriété  mais  à  bail,  un  territoire  de  3400  kilomètres 
carrés,  peuplé  de  5  !  7  000  habitants.  Un  seul  coup  d'oeil  sur 
la  carte  montre  le  très  grand  intérêt  stratégique  et  écono- 
mique d  une  pareille  possession.  EJle  commande  la  route 
de  Tientsin  et  de  Pékin,  et  est  le  débouché  naturel  des 
immenses  plaines  mandchoues  où  les  Japonais  se  portent 
en  nombre  croissant  (on  en  comptait  plus  de  1  50  000 
en  1920). 

Entre  les  matnsdes  Nippons,  Port-.^rthur  est  devenue 


une  imprenable  forteresse,  Da'iren  (1  ancienne  Dalny)  un 
port  franc,  doté  d'un  outillage  parfait  et  dont  les  eaux 
profondes,  toujours  libres  de  glace,  sont  fréquentées  par 
un  nombre  grandissant  de  navires.  En  1913,  le  com- 
merce de  la  petite  presqu'île  dépassait  en  valeur  celui  de 
la  Corée  :  137000000  de  francs  aux  importations, 
165  000000  de  francs  aux  exportations.  Les  chiffres 
pour  1919  sont  :  aux  importations,  108  000000  de 
taëls  ha'ikwan  (le  taël  valant,  au  pair,  3  fr.  60,  et  presque 
le  triple  en  1919),  aux  exportations  103  000  000  deyen, 
soit  500  000  000  de  francs,  environ. 

Les  50000  Japonais  (non  compris  les  troupes  d'occu- 
pation) fixés  à  Port- Arthur  et  à  Daïren  se  chargent  de 
la  majeure  partie  des  transactions. 


CONCLUSION 


Le  Japon  possède  désormais  tout  ce  qui  fait  la  force 
dun  grand  peuple  :  une  population  surabondante,  la 
puissance  navale  et  militaire,  une  industrie  florissante, 
un  commerce  qui  ne  cesse  de  s'accroître,  des  capitaux, 
des  colonies  de  peuplement  et  d'exploitation  placées  a 
sa  porte,  une  vive  intelligence,  un  sens  aigu  des  réalités, 
de  rares  facultés  d'assimilation  et  d'adaptation.  11  amis  la 
main  sur  la  Corée  ;  il  domine  nettement  en  Mandchourie 
dont  il  prépare  l'annexion  ;  il  vient  d'acquérir  une 
partie  des   colonies    allemandes   du    Pacifique.    Par  les 

372 ^— _ 


Pescadores  et  Port- Arthur  il  commande  toutes  les  routes 
de  mer  qui  mènent  à  la  Chine.  Il  la  considère  du  reste 
comme  une  dépendance  naturelle  de  son  Empire  et  est 
admirablement  placé  pour  recueillir,  de  gré  ou  de  force, 
le  meilleur  profit  d'une  évolution  dont  il  surveille  et 
dirige  les  lents  progrès.  Il  n'a  plus  rien  à  craindre  des 
ambitions  russes.  Ce  sont  au  contraire  les  étrangers,  ses 
anciens  éducateurs,  qui  commencent  a  redouter  1  excès 
de  sa  puissance  économique  et  la  grandeur  de  ses  desseins. 
Le    "  péril  jaune  "  ne  réside  point  dans  la  possibilité  de 


LINDO-CHINE 


conflits  armes  qui  mettraient  aux  prises  l' Extrême-Orient  peuvent  faire  auxproduits  de  l'Amérique  et  de  l'Europe, 

et  le  reste  du  monde  :  il  réside  simplement  dans  l'insou-  L'avenir  nous  dira  si  ces  prévisions,   que  les   Japonais 

tenabie  concurrence  que  Japonais  et  Chinois  réunis,  dis-  ne  craignent  pas  de  considérer  comme  inéluctables,  au 

posant    d  une    masse   énorme   de   matières    premières,  moins  en  ce  qui  concerne  le  monde  Asiatique  et  Paci- 

d'une    main-d  oeuvre    inépuisable    et    à    bon    marché,  fique,  se  réaliseront  jamais. 


CHAPITRE  XXVII 


L'INDO-CHINE 


GENERALITES 


L  Indo-Chme,  autrefois  désignée  sous  le  nom  d'Inde 
Transgangétique.  est  une  vaste  presqu'île  sise  entre  le 
golfe  du  Bengale,  le  détroit  de  Malacca,  la  Mer  de 
Chine  et  I  Empire  Chinois.  Elle  occupe  une  position 
géographique  très  avantageuse,  au  point  de  contact  de 
deux  régions  qui  renferment  les  plus  fortes  aggloméra- 
tions humaines  de  notre  planète,  en  face  de  l'Insulinde 
et  de  l'Australie.  Elle  commande  la  grande  route  de  mer 
qui  mène  d'Occident  en  Extrême-Orient,  et  sa  double 
façade  mantime,  le  développement  de  ses  côtes,  le 
nombre  relativement  élevé  de  ses  ports  naturels  lui 
permettent  d'utiliser  largement  les  profits  d'une  pareille 
situation.  De  plus,  tout  enayant  un  climat  analogue  àcelui 
de  l'Inde,  l'Indo-Chine  ne  connaît  pas  les  sécheresses 
absolues  ou  même  les  dangereuses  irrégularités  d'une 
mousson  capricieuse.  Plus  étroite  que  sa  voisine,  plus 
articulée,  mieux  orientée,  elle  reçoit  à  peu  près  partout 
en  quamtité  suffisamte  l'eau  nécessaire  aux  récoltes.  Enfin, 
la  majeure  partie  de  ses  terres  :  deltas  et  plaines  allu- 
viales du  Tonkin,  du  Cambodge,  du  Siam,  de  la  Birmanie, 
plateaux  du  Laos,  se  prête  aussi  bien  et  parfois  mieux 
que  le  sol  de  l'Inde  à  toutes  les  cultures  de  la  zone  tro- 
picale. 

Cependant  jcimais  l'Indo-Chine  ne  joua  un  rôle  histo- 
rique, économique  et  social  comparable  a  celui  de  ses 
voisines  indienne  et  chinoise.  La  densité  moyenne  de  la 
population  est  quatre  fois  inférieure  à  celle  de  l'Inde.  Une 
assez  forte  proportion  de  ses  habitants  doit  être  classée 
parmi  les  sauvages,  et  le  territoire  qu'ils  occupent 
dépasse  de  beaucoup  en  superficie  celui  des  civilisés  du 
littoral.  Les  raisons  de  cette  anomalie  sont  multiples  et 
encore  assez  mal  expliquées. 

La  plus  importante  peut-être  est  la  disposition  Nord- 
Sud  des  arêtes  montagneuses  et  par  conséquent  des  bas- 
sins fluviaux.  Divisée  en  compartiments  que  séparaient 
des  chaînes  élevées  couvertes  de  forêts  vierges,  l'Indo- 
Chine  ne  put  jamais  constituer  une  grande  unité  nationale. 


capable  de  progrès  rapides,  ayant  une  force  considérable 
d'expansion.  Elle  subit  à  l'Ouest  l'influence  de  l'Inde,  a 
l'Elst  celle  de  la  Chine,  au  Sud  celle  des  peuples  Malais, 
sans  parvenir  jamais  à  réagir.  L  Empire  des  Khmers. 
fondé  dans  les  riches  plaines  du  Cambodge,  n'eut  qu'une 
importance  étroitement  localisée  et  une  durée  éphémère. 
Il  faut  aussi  tenir  compte  dans  une  très  large  mesure 
des  guerres  dévastatrices  qui,  dans  le  pays  des  Chams, 
au  Laos,  au  Tonkin,  au  Cambodge,  se  prolongèrent 
jusqu'au  milieu  du  Xix'  siècle  et  dépeuplèrent  presque 
totalement  des  régions  dont  les  habitants  se  chiffraient 
autrefois  par  dizaines  de  millions.  Ces  guerres  eurent 
pour  l'Indo-Chine  des  conséquences  semblables  aux 
ravages  causés  par  la  chasse  aux  esclaves  dans  l'Afri- 
que Soudanaise. 

Aujourd'hui,  l'Indo-Chine  connaît  enfin  un  régime  de 
paix,  de  sécurité,  qui  est  le  facteur  essentiel  de  son  déve- 
loppement. Anglais  et  Français  complètent  peu  à  peu 
l'exploration  de  ses  territoires,  dressent  le  tableau  de 
ses  ressources  et  commencent  a  les  mettre  en  valeur. 
Roules,  voies  ferrées,  navigation  à  vapeur  pénètrent 
chaque  année  plus  avant.  Le  chiffre  de  ses  habitants 
s'accroît  vite;  les  "  sauvages  "  s'humanisent  et  sont 
gagnés  lentement  à  la  civilisation.  Les  foyers  de  vie 
intense,  jusqu'alors  circonscrits  dans  quelques  régions 
côtières  particulièrement  favorisées,  rayonnent  à  l'inté- 
rieur. L'Indo-Chine  peut  devenir  une  seconde  Inde.  Il 
ne  faut  pour  cela  que  du  temps,  delà  volonté,  d'intelli- 
gentes initiatives,  la  parfaite  connaissance  des  indigènes, 
surtout  la  continuité  méthodique  des  efforts. 

En  mettant  a  part  la  Birmanie,  rattachée  adminis- 
trativement  à  l'Empire  des  Indes,  et  que  nous  étudie- 
rons plus  loin,  la  presqu'île  Indo-Chinoise  couvre 
i -400000  kilomètres  carrés,  peuplés  de  25000000  à 
27000000  d'habitants.  Elle  comprend  : 

1°  Le  royaume  indépendant  du  Siam  :  330000  kilo- 
mètres carrés  (6000000  k  7  000000   d'habitants)  ; 

373  


L'ASIE 


2"  Les  possessions  et  protectorats  anglais  de  la  Pénin- 
sule   Malaise  :    136000  kilomètres    carrés     (2500000 


habitants)  ; 


3°  L'Indo-Chine  française, 
720000  kilomètres  carrés  et 
17000000  d'habitants. 


qui    couvre     environ 
nourrit     16000000    k 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 
Le  relief 


NOTIONS  GÉOLOGIQUES,  aa  L'Indo-Chine,  comme  la 
Péninsule  du  Décan,  est  une  région  très  anciennement  émergée. 
Fortement  plissée  aux  temps  primaires,  puis  soumise  aux  effets 
ordinaires  de  l'érosion  qui  réduisit  considérablement  son  niveau 
moyen,  elle  subit,  aux  temps  tertiaires,  le  contre-coup  des  grands 
mouvements  de  l'écorce  terrestre  qui,  à  cette  époque,  donnaient 
naissance  à  l'Himalaya,  aux  chaînes  Tibétames,  etc.  Cependant, 
seule  la  périphérie  de  l'ancien  massif  fut  affectée  par  ces  mouve- 
ments :  le  relief  primitif  rajeuni  reparut  sous  forme  de  chaîne' 
divergentes  qui,  partant  du  Tibet  oriental,  parcoururent  la  Bir- 
manie et  la  Péninsule  IVIalaise,  le  Haut-Tonkin,  l'Annam,  et  se 
prolongèrent  dans  l'Insulinde  par  les  montagnes  de  Sumatra.  Le 
centre  ne  bougea  pas  et  conserve,  dans  tout  le  Laos,  les  faibles  alti- 
tudes, le  relief  émoussé  propres  aux  vieilles  régions  très  usées. 

On  ne  trouve  donc  dans  l'Indo-Chine  que  des  terrains  fort  anciens 
ou  tout  à  fait  récents.  Les  premiers  sont  représentés  soit  par  des 
roches  cristallines  (granit,  gneiss),  soit  par  des  roches  sédimentaires, 
plus  ou  moins  métamorphosées  appartenant  aux  divers  étages 
de  l'ère  primaire  :  grès,  calcaires,  marbres,  poudingues,  schistes, 
pépôts  houillers,  etc.,  auxquels  se  mêlent  parfois  des  basaltes  et 
des  laves  de  même  époque.  Aux  seconds  appartiennent  les  plaines 
alluviales  bâties  par  les  apports  des  fleuves  aux  dépens  de  golfes 
marins  peu  profonds  :  plaines  deltaïques  du  Siam,  du  Cambodge, 
de  la  Cochinchine,  du  Tonkin. 

La  "  latérite  ",  argile  rouge  provenant  de  la  décomposition 
superficielle  des  roches  cristallines  ou  volcaniques,  n'est  point  absente 
de  l'Indo-Chine.  On  la  trouve  notamment  dans  le  Sud  de  l'Annam 
et  en  Cochinchine  où  elle  est  connue  sous  le  nom  de  pierre  de 
Bienhoa.  Mais  elle  paraît  occuper  une  aire  relativement  beaucoup 
moins  étendue  que  dans  nombre  d'autres  contrées  tropicales  (Ceylan, 
Décan,  Madagascar,  Afrique  Centrale,  etc.). 

LES  MASSIFS  DU  HAUT-TONKIN  ET  DU 
HAUT-LAOS.  jH/!J  Le  Nord  de  rindo-Chine  est 
couvert,  sur  200000  kilomètres  carrés  environ,  d'une  mul- 
titude de  chaînons,  de  massifs,  de  hauts  plateaux  orientés 
tantôt  du  Nord-Ouest  au  Sud-Est  (Tonkin),  tantôt 
du  Nord- Est  au  Sud-Ouea  (Laos),  et  qui  se  rattachent 
immédiatement  aux  régions  similaires  de  Birmanie, 
du  Yunnan,  du  Kouang-Si.  C'est  une  sorte  de  "  houle 
pétrifiée  ",  un  ensemble  extrêmement  tourmenté  et  confus 
qui  couvre  tout  le  Haut-Tonkin,  le  Haut-Laos,  les 
régions  septentrionales  du  Siam. 

L  exploration  est  loin  d'en  être  terminée,  notamment 
en  ce  qui  concerne  les  hauteurs  du  Sip-Song  et  les  pla 
teaux  du  Tran-Ninh,  cette  "  Transylvanie  Laotienne  '' 
qui  s  étale  largement  entre  les  vallées  tonkinoises  et  le 
cours  du  Mé-Kong.  La  hauteur  moyenne  des  massifs 
se  maintient  entre  1500  et  2500  mètres  (point  culmi- 
nant :  l'Aiguille  du  Ta-Yang-ping,  3145   mètres,  près 

374 


de  Lao-Kay,  aux  frontières  du  Yunnan),  et  leur  struc- 
ture, leur  aspect  varient  considérablement  suivant  la 
nature  des  roches,  l'intensité  de  l'érosion,  la  végétation 
qui  les  recouvre.  Des  dômes,  des  ballons  aux  pentes 
douces,  vêtus  d'épaisses  forêts,  rappelant  nos  montagnes 
des  Vosges  ou  d'Auvergne,  voisinent  de  très  près  avec 
des  escarpements  calcaires  très  abrupts,  des  cirques  gran- 
dioses aux  parois  verticales,  des  pics,  des  aiguilles  déchi- 
quetées et  nues.  Les  cours  d'eau  serpentent  au  fond  de 
gorges  étroites,  dominées  par  des  falaises  hautes  de  plu- 
sieurs centaines  de  mètres,  et  les  phénomènes  ordinaires 
aux  régions  de  calcaires  perméables  y  apparaissent  avec 
une  remarquable  ampleur  :  grottes,  gouffres  et  crevasses, 
pertes  de  rivières,  sources  vauclusiennes,  etc. 

LES  CORDILLÈRES  MALAISE  ETANNA- 
MITIQUE.  £>^  De  cet  ensemble  de  hautes  terres 
se  détachent,  à  l'Ouest  et  à  l'Est,  deux  longues  chaînes 
que  l'on  peut  désigner  sous  le  nom  de  Cordillère 
Malaise  et  de  Cordillère  Annamitique. 

La  Cordillère  Malaise  sépare  d'abord  le  bassin  du 
Ménam  du  bassin  de  la  Salouen,  le  Siam  de  la  Birmanie. 
Puis  elle  forme  l'ossature  du  long  et  bizarre  pédoncule  que 
r Indo-Chine  projette,  sous  le  nom  de  presqu'île  Malaise, 
jusqu'au  détroit  de  Malacca.  D'abord  élevée  (  1 200  à 
1  500  mètres)  et  difficile  à  franchir  dans  la  région  du 
Tenasserim,  la  chaîne  s'abaisse  rapidement  pour  ne 
laisser  dans  l'isthme  de  Kra  qu'un  seuil  de  quelques 
dizaines  de  mètres  seulement.  Au  delà  de  cet  isthme,  que 
l'on  pensa  couper  d'un  canal  maritime,  l'altitude  s'accroît 
à  nouveau  en  même  temps  que  la  péninsule  s'élargit.  Le 
mont  Robinson,  dans  l'Etat  de  Kérak,  atteint  2445 
mètres,  et  le  mont  Ophir,  dont  les  dernières  ondulations 
viennent  mourir  aux  environs  de  Singapour,  s  élève 
encore  à  près  de  1  300  mètres. 

La  Cordillère  Annamitique  s'étend  du  Delta  du  Song- 
Koï  au  Delta  du  Mékong  '  '  comme  un  bâton  de  bambou 
portant  deux  sacs  de  riz  ".  C'est  moins  une  chaîne  continue 
qu'une  succession  de  massifs  et  de  hauts  plateaux  sépa- 
rés les  uns  des  autres  par  des  dépressions  :  massifs  de 
Pou-Luang  et  de  Pou-Hac  au  Nord  ;  massifs  de  Pou- 
Atouat,  de  Pou- Dong,  plateau  des  Boloven  au  Centre; 
plateau  de  Lang-Bian  au  Sud.  La  hauteur  moyenne 
est  de  1 500  mètres,    et  nombre  de    pics    y   dépassent 


INDt])aHIIlNB 


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GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE      PL.   18,  pape  374 


L'INDO-CHINE 


2  000  mètres.  La  largeur  du  système  montagneux,  son 
altitude  moyenne  relativement  forte,  les  forêts  malsaines 
qui  le  couvrent,  en  rendent  l'exploration  fort  difficile. 
Les  passages  y  sont  rares  et  malaisés.  Le  plus  impor- 
tant est  le  col  de  Aï-Lao  (360  mètres  d'altitude)  qu'em- 
prunte —  en  attendant  une  voie  ferrée  —  la  piste  de 
Hué  à  Kemmarat.  A  l'Elst,  la  pente  est  raide  vers  les 
rivages  de  la  Mer  de  Chine,  et  les  montagnes  détachent 
une  série  de  contreforts  terminés  par  de  hauts  promon- 
toires, isolant  des  petites  plaines  marécageuses,  des  baies 
profondes  accessibles  aux  grands  navires.  A  l'Ouest,  c'est 
par  de  lentes  ondulations  que  les  plateaux  descendent 
vers  la  vallée  du  Mékong. 

LES  PLATEAUX  DU  L.AOS.  00  L'espace 
compris  entre  .les  chaînes  de  l'Annam  et  de  la  Malaisie 
forme  comme  une  immense  cuvette  dont  la  peirtie  cen- 
trale est  occupée  par  les  plateaux  gréseux  du  Laos  (250 
mètres  d'altitude  moyenne).  C'est  une  "  pénéplaine  ". 
une  plate-forme  soumise  depuis  le  début  des  temps  secon- 
daires aux  effets  d'une  intense  érosion.  Elle  rappelle 
1  Afrique  Occidentale,  les  régions  du  Niger  et  du  Tchad, 
par  sa  structure,  la  nature  de  ses  paysages,  les  cuvettes 
largement  évasées  qui  s'y  creusèrent,  les  "  buttes- 
témoins  ",  les  saillies  rocheuses  qui  en  interrompent  çà 
et  là  l'uniformité  :  monts  Dang-relc  (300  à  500  mètres), 
entre  le  bassin  du  Sémoun  et  la  dépression  du  Tonlé- 
Sap,  monts  des  Cardamomes  (1606  mètres  au  point 
culminant),  en  bordure  du  Golfe  de  Siam.  etc.  Couverts 
de  forêts  claires,  de  savanes,  de  steppes  aux  courtes 
herbes  qu'interrompent  des  lagunes  temporaires,  des 
marais  plus  ou  moins  salés,  ces  plateaux,  mal  connus  et 
faiblement  peuplés,  contrastent  avec  les  riches  plaines 
qui  les  encadrent  :  à  l'Ouest  plaine  du  Ménam.  à  l'Est 
plaine  du  Mékong,  l'une  et  l'autre  anciens  golfes  marins 
lentement  colmatés  par  les  alluvions. 

LES  CÔTES.  00  Le  littoral  Indo-Chinois  dé- 
bute sur  le  Golfe  du  Bengale  par  les  rivages  accidentés 
du  Tenasserim  que  dominent  immédiatement  des  monts 


«.ouverts  de  forêts  vierges  et  que  twrdent  les  iles  nom- 
breuses de  l'Archipel  des  Mergoui.  Au  delà  de  l'isthme 
de  Kra,  l'extrémilé  élargie  de  la  Péninsule  Malaise 
s  allonge  entre  le  détroit  de  Mcilacca  et  les  faibles  pro- 
fondeurs de  la  Mer  de  Chine.  Les  montagnes  s'écartent 
de  la  cote  qui  demeure  cependant  assez  accidentée,  mais 
où  les  petits  fleuves  malais  ont  construit  des  plaines  allu- 
viales larges  de  plusieurs  dizaines  de  kilomètres.  Les 
meilleurs  ports  se  trouvent  dans  les  îles  de  Poulo-Pinang 
(Georgetown)  et  de  Singapour. 

A  l'Est  de  la  presqu'île  Malaise  se  creuse  le  golfe  de 
Siam,  serré  de  près  par  les  hauteurs  du  Tenasserim  et 
les  monts  des  Cardamomes.  Bangkok  y  est  le  débouché 
naturel  des  plaines  du  Ménam. 

Après  le  large  delta  du  Mékong  qui  s'étale  sur  un 
Iront  de  600  kilomètres  entre  la  Pointe  de  Camau  et 
le  Cap  Saint-Jacques  (port  fluvial  de  Saigon),  commence  la 
côte  d'Annam.  Ellle  est  d'abord  très  articulée,  découpée 
par  des  caps  rocheux  (caps  de  Padaram  et  Varella)  qui 
ceignent  des  baies  profondes  et  de  sûrs  abris  (baies  de 
Cam-Ranh,  de  Qui-nhon.  de  Tourane).  Puis  les  mon- 
tagnes s'enfoncent  dans  l'intérieur,  et  le  littoral,  formé  de 
dunes  basses,  s'allonge  rcctiiigne  et  sablonneux  jusqu'au 
delta  du  Tonkin.  Battue  par  la  houle  du  Nord-Est  et 
les  cyclones  de  la  Mer  de  Chine,  cette  côte,  redoutée  des 
pécheurs  annamites,  a  re(;u  le  nom  de  Côte-de-fer. 

Les  rivages  Tonkinois  débutent  d'abord  par  les  plaies 
et  monotones  étendues  des  terres  alluviales  que  char- 
rièrent le  Song-Ca,  le  Song-Ma  et  le  Song-Koï.  Le 
port  fluvial  d'Haïphong  y  lutte  péniblement  contre  l'en- 
vasement. Mais  au  delà  de  Quang-Yen  et  jusqu'à  la 
frontière  de  Chine  s'ouvrent  une  multitude  de  baies 
très  sûres  (baie  d'Along)  abritées  derrière  une  poussière 
d'îles  et  d'îlots  :  iles  Cao-ba,  de  la  Table,  Kefjao,  etc. 
Ces  îles,  formées  de  roches  calcaires  aux  falaises  raides, 
percées  de  grottes,  d'arches  naturelles,  "  surgissant  de  la 
mer  comme  un  bataillon  de  gigantesques  menhirs  ",  ser- 
vaient autrefois  de  repaires  aux  fameux  "  Pavillons- 
Noirs  ".  Elles  sont  une  des  curiosités  naturelles  les  plus 
remarquables  du  Continent  Asiatique. 


Le    Climat 


Le  climat  de  l'Indo-Chine  présente  de  grandes  ana- 
logies avec  celui  de  l'Inde  située  aux  mêmes  latitudes. 
Il  se  caractérise  en  général  par  l'élévation  et  la  consternée 
de  la  température,  la  prédominance  des  vents  de  mous- 
son, l'abondance  des  pluies,  l'humidité  de  l'atmosphère. 

Nulle  part,  dans  les  régions  liasses,  la  moyenne  des 
températures  annuelles  n'est  inférieure  à  23'^,  mais,  sui- 
vant la  latitude  et  la  situation  maritime  ou  continentale 
des  lieux  envisagés,  on  observe  des  différences  sensibles 
entre  les  diverses  régions.  L'extrême  Sud  a  le  régime 


équatorial  normal,  avec  des  écarts  annuels  qui  ne  dépsis- 
sent  pas  1"  à  2''  (Smgapour).  Bangkok  et  Saigon,  plus 
éloignées  de  1  Equateur,  connaissent  des  amplitudes  déjà 
un  peu  plus  fortes.  Les  maxima  et  minima  moyens 
d'hiver  et  d'été  sont  compris  entre  35  et  20  .  L'am- 
plitude augmente  encore  en  Annam  et  surtout  au  Ton- 
kin. A  Hanoï,  il  existe  une  véritable  saison  fraîche,  un 
hiver  —  au  moins  relatif  —  où  la  température  moyenne 
(  1 6")  peut  s'abaisser  exceptionnellement  à  1 0°  et  même 
à  8°.   Le  début  de  cette  période    fraîche  (novembre. 


375 


GEOGRAPHIE  LNIVERSELU 


37 


L'ASIE  —^^ — 

décembre  et  janvier)  qui  succède  à  la  grande  saison 
pluvieuse,  est  sec  et  agréable.  Fe'vrieret  marssesigncJent 
fréquemment,  au  contraire,  par  une  petite  pluie  froide, 
fine,  pénétrante,  le  crachin  ",  parfeiitement  déplaisant, 
il  va  de  soi  que  ces  conditions  se  modifient  grandement 

CLIMAT  DE  L'INDO-CHINE 


*o 

S 

Températures  moyennes 

î 
1 
'Ë 

Stations. 

2 

c 

i 

Mo 

is 

c 

Observa 
lions 

•3 

1 

le 
plus 

le 
plus 

â 

< 

■h 

chaud. 

froid. 

3 

a. 

Singapour 

l-IS 

26»8 

mai   27°7 

25»8 

1»9 

2  340 

Pluies    toute 
l'année. 

Saigon . . . 

in»47 

27<"> 

avril  30»2 

dré.  25"2 

5» 

1  870 

Mai  .octobre. 

Bangkok- 

W^f. 

2h°l 

avril  28°5 

déc.  23"8 

4°7 

1  480 

— 

Hué 

ifi°« 

IVZ 

juin  30°2 

fév.  19»7 

11» 

2  590 

Sept,    janvier. 

Huioi... 

2I°2 

30 

24°1 

juU.  29<'7 

fév.  16°l 

I3°6 

1  600 

Mai-septembre 

Vien-T^an 

(Laos). 

IS°2 

km: 

26° 

avril  28'2 

déc  20»9 

8°7 

1  7')() 

AvriUsept. 

Cao-Bang 

22°4n 

50f 

21-3 

mai    27»9 

déc.  13''6 

I4»3 

1  IW 

Avril-août. 

H*Tonkin 

Xieng- 

Kbouan? 

19° 

1   100 

18«3 

juin     23° 

déc.  13°7 

9°3 

2  500 

Avril-oct. 

(plateau  de 

Tranninh) 

* 

dans  les  régions  élevées  comme  en  témoignent  les  chiffres 
fournis  par  Cao-Bang  et  Xieng-Khouang. 

Les  grandes  pluies  sont  amenées  en  été  d'avril  à 
octobre  par  la  mousson  du  Sud-Ouest.  Seules  la  pres- 
qu'île Malaise  et  la  côte  d'Annam  reçoivent  leurs  plus 
copieuses  averses  d'octobre  à  janvier,  car  la  mousson 
du  Nord-Est,  avant  de  les  atteindre,  s'est  chargée  d'hu- 
midité sur  la  Mer  de  Chine  et  le  Golfe  de  Siam.  Les 
chaînes  Malaises,  la  côte  des  Cardamomes,  les  montagnes 
de  l'Annam,  du  Haut-Laos  et  du  Haut-Tonkin  sont 
les  régions  les  plus  arrosées.  Elles  reçoivent  partout  plus 
de  2  mètres  d'eau,  et  peirfois  5  à  6  mètres.  Les  bas 
plateaux  du  Laos,  entourés  de  montagnes  qui  arrêtent 
ou  ralentissent  les  nuées,  ont  par  contre  des  pluies  moins 
abondcuites  et  plus  irrégulières  (de  0  m.  50  à  1  mètre). 

La  mousson  s'accompagne  parfois  de  typhons  extrêmement  violents. 
Ils  naissent  au  large   des  Philippines,  traversent  d'Est  en   Ouest  la 


Mer  de  Chme,  et  s'abattent  sur  les  côtes  d'Annam  et  du  Tonkin. 
jetant  sur  le  rivage  des  vagues  énormes,  détruisant  les  villages,  le' 
plantations.  Le  typhon  de  1903,  qui  passa  sur  Hanoï,  fit  près  de 
3  000  victimes  dans  les  villages  de  la  côte.  Sa  force  était  telle  sur 
certains  points  que  l'on  vit  des  poteaux  télégraphiques  en  fer  tordus 
à  angle  droit,  d'autres  comme  transformés  en  vis.  En  1904,  un 
millier  d'indigènes  périrent  près  de  Hué,  etc.  On  peut  heureuse- 
ment aujourd'hui,  grâce  aux  télégrammes  de  T.  S.  F.  lancés  par  les 
observatoires  de  Manille  et  d'Hanoï,  prévenir  les  navires  assez  à 
temps  pour  qu'ils  puissent  soit  se  mettre  à  l'abri,  soit  tout  au  moins 
éviter  la  trajectoire  suivie  par  le  cyclone. 

Le  climat  indo-chinois  a  les  inconvénients  habituels 
des  climats  chauds  et  humides.  Les  mois  d'été,  d'août  à 
octobre,  sont  particulièrement  difficiles  à  supporter,  au 
Tonkin  plus  encore  qu'en  Cochinchme.  '  Tout  l'été 
l'exercice  physique  est  impossible,  le  travail  intellectuel 
difficile.  On  est  assoupi,  accablé  par  la  chaleur  humide, 
inondé  d'une  sueur  que  nulle  évaporation  ne  diminue. 
Le  panka  ,  sorte  d  immense  éventail  mis  en  mouve- 
ment par  un  boy,  est  nécessaire  ;  on  ne  goûte  quelque 
repos  qu'à  l'aide  des  ablutions  froides  souvent  répétées. 
II  ne  faut  pas  sortir  si  ce  n'est  de  5  heures  à  7  heures 
du  soir  ou  dans  les  premières  heures  de  la  matinée. 
Dysenteries,  fièvres  pernicieuses,  affections  du  foie,  anémie 
palustre  ne  peuvent  être  évitées  qu  au  prix  de  multiples 
précautions  et  par  une  hygiène  très  stricte.  Les  régions 
les  plus  malsaines  ne  sont  pas,  du  reste,  les  deltas,  tout 
entiers  mis  en  culture,  mais  plutôt  les  montagnes  boisées, 
jusqu'à  1  000  ou  1  200  mètres  d'altitude.  L'accumula- 
tion des  débris  végétaux,  la  persistance  des  brouillards, 
les  mares  stagnantes  où  l'anophèle  pond  ses  larves,  y  sont 
autant  de  causes  d'insalubrité,  et  "  la  fièvre  des  bois 
sévit  durement  dans  les  hautes  régions  de  I  Annam,  du 
Laos,  du  Tonkin,  de  la  Malaisie.  Seules  certaines  régions 
côtières,  balayées  et  vivifiées  par  la  brise  marine,  ou  bien 
encore  quelques  régions  très  élevées,  quelques  sommets 
dénudés  et  bien  exposés,  sont  relativement  salubres.  Les 
plateaux  de  Lang-bian  pour  la  Cochinchine,  ceux  du 
Tran-Ninh  pour  le  Tonkin,  le  Massif  du  Robinson  en 
Malaisie  se  prêteront  particulièrement  bien  à  la  cons- 
truction de  sanatoria  lorsque  l'on  pourra  y  acc«ler 
asément. 


L' Hydrographie 


Les  copieuses  averses  qui  s'abattent  sur  l'Indo-Chine 
alimentent  un  grand  nombre  de  cours  d'eau  qui  pré- 
sentent plusieurs  caractères  communs. 

Soumis  à  1  action  des  moussons,  ils  ont,  sauf  dans  le 
Centre  et  le  Sud  de  l'Annam,  leurs  basses  eaux  en  hiver 
et  leurs  hautes  eaux  en  été.  Les  crues,  très  régulières, 
prennent  une  ampleur  considérable.  Elles  inondent  sur 
de  larges  espaces  les  vallées  voisines,  les  forêts,  les 
jungles  qui  les  recouvrent,  déplacent  les  bancs  de  sable. 


suppriment  les  îles  anciennes,  en  créent  de  nouvelles. 
Parfois,  dans  les  deltas  cultivés,  la  violence  du  courant 
rompt  les  digues  riveraines,  digues  naturelles  nées  des 
dépôts  limoneux  accumulés  par  les  fleuves  ou  digues 
artificielles  qui  protègent  les  rivières.  Lors  du  retrait  des 
eaux,  des  chapelets  de  mares,  de  lagunes,  de  bras  morts 
subsistent  de  chaque  côté  du  lit  principal.  Ce  sont  là 
phénomènes  ordinaires  à  tous  les  grands  fleuves  de 
la  zone  tropicale. 


376 


L'INDO-CHINE 


D'autre  pari,  comme  les  fleuves  indo-chinois  iraversenl 
sur  une  partie  de  leur  cours  des  re'gions  montagneuses  ou 
des  barres  rocheuses.  Ils  sont  fre'quemment  coupe's  de 
cascades,  de  rapides  qui  opposent  un  obstacle  considé- 
rable à  leur  utilisation. 

Enfin  la  plupart  d'entre  eux  rouientdes  masses  énormes 
daliuvions  et  débouchent  sur  des  mers  sans  profondeur. 
Aussi  ont-ils  pu  édifier  des  deltas  qui  ne  cessent  de  s'ac- 
croître avec  une  grande  rapidité.  Au  Vil'' siècle  de  l'ère 
chrétienne,  par  exemple.  Hanoi  était  placée  sur  le 
rivage  même  de  la  mer  :  elle  en  est  aujourd'hui  à  plus 
de  100  kilomètres.  Ces  deltas,  au  sol  mer\eilleusemenl 
fécond  et  d'une  irrigation  très  aisée,  nourrissent  les 
huit  dixièmes  de  la  population  totale. 

De  tous  les  fleuves  Indo-Chinois,  le  Mékong  est  de 
beaucoup  le  plus  considérable.  On  évalue  sa  longueur 
à  plus  de  4200  kilomètres,  son  bassina  1  000000  de  kilo- 
mètres carrés.  Son  débit  varie  de  9000  à  50000  mètres 
cubes  à  la  seconde.  Né  sur  les  plateaux  tibétains,  à 
3  000  mètres  d'altitude,  il  suit  d'abord  un  couloir  encaissé 
entre  des  montagnes  très  élevées  et  fort  mal  connues  qui  le 
séparent  à  l'Ouest  de  la  Salouen,  à  l'Est  du  haut  Yang- 
Tseu.  Il  traverse  les  provinces  chinoises  du  Sseu-Tchouen. 
du  Yunnan.  pénètre  dans  le  Laos  et  subit  une  série  de 
déviations  qui  le  rejettent  à  deux  reprises  vers  l'Est.  Puis, 
en  aval  de  Vten-Tiane,  il  se  dirige  franchement  vers  le 
Sud  entre  les  plateaux  Laotiens  et  les  dernières  pentes 
des  monts  annamiliquesdont  il  lui  faut,  à  maintes  reprises, 
franchir  les  éperons  (rapides  de  Kemmaral,  chutes  de 
Khône,  rapides  de  Préapatang).  11  pénètre  enfin  dans 
l'ancien  golfe  marin  qu'il  combla  de  ses  alluvions.  etdont 
le  grand  lac  ou  Tonlé-Sap  est  le  dernier  témoin.  A 
Pnom- Penh,  il  détache  vers  ce  lac  un  de  ses  bras,  tour 
à  tour  émissaire  du  fleuve  ou  déversoir  du  lac.  dont  la 
superficie  varie  du  simple  au  quintuple  selon  les  saisons. 
Puis  il  pénètre  dans  son  delta  proprement  dit,  s'y  rami- 
fie en  plusieurs  branches  principales  qu  unissent  les  unes 
aux  autres  des  arroyos.  des  marais  immenses,  et  ou  il  est 
rejoint  par  un  petit  fleuve  côtier.  le  DonnaT.  grossi  de 
la  rivière  de  Saigon.  Le  front  du  delta  ne  couvre  pas 
moins  de  600  kilomètres.  Il  a  déjà  rattaché  à  la  terre 
ferme  quelques  ilôts  dont  les  pointements  tranchent  seuls 
sur  l'uniformité  des  basses  terres.  Un  jour  viendra  où  la 
petite  île  de  Poulo  Condor  subira  le  même  sort. 

Le  Mékong  n'est  en  tout  temps  accessible  aux 
vapeurs  que  jusqu'à  Kratié.  En  amont  de  cette  ville, 
par  suite  du  grand  nombre  de  ses  rapides  et  de  l'irrégu- 
larité de  son  régime,  on  ne  peut  l'utiliser  que  sur  cer- 
taines sections,  et  pendant  la  saison  des  hautes  eaux 
(bief  de  Bassac,  en  amont  des  chutes  de  Khône,  bief 
de  Savannakel  à  V'ientiane  en  amont  des  rapides  de 
Kertnmarat).  Ses  affluents.    Nam-hou.    Bé-kong  sur   la 


rive  gauche.  Sémoun  et  Namsi  sur  la  rive  droite,  ne 
jx)rtent  que  des  pirogues  indigènes,  mais  leurs  vallées 
ouvrent  des  voles  de  communication  naturelles  soit  vers 
le  Tonkin  et  les  côtes  annamites,  soit  vers  le  Slam  à 
travers  les  plateaux  laotiens. 

Le  Song-Koï  ou  Fleuve  Rouge  (1300  kilomètres) 
naît  au  Yunnan  par  2500  mètres  d'ahilude.  Il  dévale 
très  vite  au  fond  d'une  vallée  creuse  où  des  rochers 
encombrent  son  lit.  A  Lao-Kay,  il  pénètre  sur  le  territoire 
du  Haut-Tonkin  et  commence  à  porter  des  barques. 
Grossi  de  la  Rivière-Noire  et  de  la  Rivière-Claire  dont 
les  vallées  sont  à  peu  près  parallèles  à  la  sienne,  il  entre 
à  VIetri  dans  le  vaste  delta  qu'édifièrent  ses  alluvions 
aidées  des  apports  des  petits  fleuves  côticrs  voisins  : 
Song-Ca.  Song-Ma.  Thaï-bInh. 

Le  Song-kol  n'est  alimente  que  par  les  pluies  de  mousson.  Il 
n"a  pas,  comme  le  Mékong,  le  puissant  soutien  des  neiges  tibétaines. 
De  plus,  les  montagnes  du  Yunnan  chinois  ont  perdu  leur  revête- 
ment de  forêts.  Aussi  les  crues  du  fleave  et  celles  de  ses  affluents 
ont-elles  une  ampleur,  une  soudaineté,  une  violence  qui  les  rendent 
particulièrement  dangereuses  (jusqu'à  24  000  mètres  cubes  d'eau  à 
la  seconde).  Elles  nécessitent  l'édification  d'un  triple  système  de 
digues  puissantes  que  rexhaussement  contmu  du  lit  sous  l'accumu- 
lation des  limons  oblige  à  surhausser  constamment.  (Cf.  le  régime 
et  les  digues  du  Pô.)  Enfin,  les  bouches  du  Delta  sont  d'accès  diffi- 
cile par  suite  des  vases  qui  les  encombrent  et  de  la  barre  qui  les 
défend. 

Tandis  que  Mékong  et  Song-kol  naissent  hors  de  la 
Péninsule,  le  Mc'nam,  le  fleuve  du  Slam,  est  exclusive- 
ment indo-chinois.  Il  contraste  aussi  avec  les  deux  autres 
par  la  régularité  de  sa  pente,  l'absence  des  rapides,  la 
faible  quantité  de  ses  alluvions  et  le  jieu  d'étendue  de 
son  delta.  Venu  du  Haut-Laos,  il  entre  très  vite  en 
plaine,  y  reçoit  leMé-Ping,  le  Nam-Sak,  traverse  Bang- 
kok et  se  termine  à  Pak-Nam.  Long  de  1200  kilomètres, 
son  débit  moyen  n'est  que  de  200  mètres  cubes  à  la 
seconde  et  ses  hautes  eaux  ne  dépassent  pas  2  500  à 
3500  mètres.  Mais  si  la  barre  oblige  les  grands  navires 
à  mouiller  au  large  de  Pak-Nam,  les  canots  à  vapeur 
remorquant  des  sampangs  remontent  aisément  le  fleuve 
jusqu'à  Ontaradlt. 

Eln  dehors  de  ces  trois  grands  fleuves,  la  Péninsule 
Indo-Chinoise  ne  renferme  que  des  torrents  côtiers 
descendus  de  la  Péninsule  Malaise  (Pahang)  et  de  la 
Cordillère  Annamifique  (rivière  de  Hué,  rivière  de 
Tourane).  Ils  roulent,  les  premiers  surtout,  une  masse 
d'eau  très  considérable,  mais  leur  forte  pente  les  rend 
inutilisables,  sauf  parfois  dans  les  derniers  kilomètres  de 
leur  cours,  à  travers  les  petites  plaines  alluviales  qu'ils 
édifièrent  au  pied  des  monts. 


377 


L'ASIE 


La  Végétation  et  la  Faune 


La  forme  végétale  qui  caractériee  l'Indo-Chine  est  la 
forêt,  comme  il  est  naturel  dans  une  re'gion  constamment 
chaude  et  gëne'ralement  très  arrose'e.  Mais  il  convient  de 
distinguer,  suivant  les  lieux,  plusieurs  types  de  forêts. 

Les  montagnes  et  les  plaines  qui  reçoivent  des  pluies 
particulièrement  copieuses,  et  ou  l'homme  est  rare,  sont 
encore  recouvertes  de  forêts  vierges  très  denses  sem- 
blables aux  sylves  immenses  de  l'Insulinde,  de  l'Annam. 
de  Ceylan.  C'est  le  cas  delà  Péninsule  Malaise,  du  Haut- 
Siam,  d'une  partie  de  la  Cordillère  Annamitique,  du  Cam- 
bodge occidental,  de  certaines  vallées  tonkinoises  basses 
et  humides.  Les  arbres,  d'essences  très  variées,  y  atteignent 
une  taille  considérable  et  se  pressent  les  uns  contre  les 
autres,  unis  entre  eux  par  les  lianes,  les  plantes  parasites 
qui  s'accrochent  à  leurs  troncs. 

Dans  les  districts  forestiers  habités  par  des  populations 
d'indigènes  très  primitifs,  la  pratique  du  "  ray  ",  c'est-à-dire 
de  l'écobuage  (incendies  annuels  destinés  à  défricher  som- 
mairement un  coin  de  forêt  pour  y  semer  un  peu  de  riz 
ou  de  maïs),  a  modifié  le  caractère  de  la  sylve  primitive. 
Quand  l'homme  abandonne  la  clairière  temporau'e  créée 
par  le  feu,  la  forêt  s'en  empare  à  nouveau.  Mais  les  essences 
arbustives  y  manifestent  une  vigueur  moins  grande, 
leur  taille  décroît,  leur  tronc  s'amincit,  les  broussailles, 
les  bambous,  les  fougères,  les  hautes  graminées  prennent 
la  place  des  colosses  abattus.  De  là  un  second  tj'pe  de 
forêt,  de  traversée  aussi  difficile,  mais  d  aspect  moins  impo- 
sant, que  l'on  trouve  un  peu  partout  en  Annam  comme 
au  Tonkin,  au  Cambodge  non  moins  qu'au  -Siam  ou  en 
Malais  le. 

La  quantité  des  pluies  dimmue-t-elle  ou  bien  le  sol, 
gréseux  et  très  perméable,  se  montre-t-il  peu  capable  de 
conserver  près  de  la  surface  une  partie  de  l'eau  déversée 
par  la  mousson  d'été,  la  forêt  séclaircit,  les  essences 
deviennent  beaucoup  moins  nombreuses,  les  arbres  se 
rabougrissent  et  perdent  leurs  feuilles  pendant  la  saison 
sèche.  Ils  s'écartent  les  uns  des  autres,  et,  s  ur  le  sol  infer- 
tile, croissent  de  hautes  herbes  dures,  jaunâtres,  cou- 
pantes. C'est  la  forêt  clairière  "  de  la  Mission  Pavie. 
le     Park"  des  géographes  allemands,  la  "savane  "ou  la 

brousse  "  des  Français.  Elle  couvre  de  vastes  espaces 
sur  les  plateaux  du  Laos,  dans  la  vallée  du  Ménam,dan5 
le  Cambodge  orientcil. 

11  existe  enfin  des  régions  totalement  déboisées  soit  par 
la  pratique  intense  du  "  ray  ",  soit  par  une  exploitation 
désordonnée  de  la  forêt.  Au  Tonkin  notamment,  la  plu- 
part des  sommets  et  beaucoup  de  versants  sont  absolu- 
ments  nus.  .Leurs  croupes  chauves  font  déjà  prévoir  l'as- 
pect des  montagnes  chinoises,  leurs  voisine.-!,  que  de  longs 
siècles  de  déforestation    sans  frein  ont    privées  de  leur 


antique  parure  verte.  Cette  nudité  n  est  pas  sans  avoir  de 
redoutables  conséquences  pour  le  régime  des  rivières  ton- 
kinoises gonflées  en  quelques  heures  par  les  averses  que 
ne  tamise  plus  la  ramure  des  arbres.  Ailleurs,  lorsque  la 
pente  n'est  pas  très  forte,  ou  sur  les  surfaces  planes  des 
plateaux,  le  sol  ne  se  dénude  point  complètement  et  con- 
serve des  prairies  formées  de  petites  fougères,  de  grami- 
nées sèches,  de  roseaux  surtout  {irank,  la  long).  Ces  prai- 
ries qui,  dans  les  savanes  du  Laos,  se  mêlent  aux  bou- 
quets d'arbres,  prennent  une  particulière  extension  dans 
les  massifs  du  Tonkin  et  de  l'Annam  et  sur  tous  les  pla- 
teaux du  versant  laotien  de  la  Cordillère  Annamitique 
(Tran-ninh,  Boloven,  Lang-bian).  Les  espèces  dont  elles 
se  composent  sont  malheureusement  peu  favorables  à 
l'élevage  du  gros  bétail. 

Parmi  les  arbres  des  forêts  indo-chinoises,  un  très  grand  nombre 
présentent  un  intérêt  économique  considérable.  Bornons-nous  à 
citer  le  teck,  très  abondant  dans  les  forêts  du  Siam,  des  cupuli- 
fères.  analogues  à  nos  chênes  et  à  nos  lauriers,  que  les  indigènes 
utilisent  comme  bois  d'ébénisterie.  des  conifères  ("  bois  de  cercueil 
ou  thuyas,  pins  et  cèdres  du  Tonkin),  des  bois  de  1er  (sen,  tan,  etc.) 
des  arbres  à  huile  (abrasin),  à  gomme,  à  laque,  à  gutta-percha,  à 
parfum  (benjoin  et  camphrier),  à  épices  (cannelier,  cardamome, 
badianier  ou  anis  étoile),  bois  d'aloès.  bois  d'aigle,  lianes  à  caout- 
chouc, etc.,  auxquels  s'ajoutent  les  innombrables  variétés  des  pal- 
miers (le  cocotier  surtout  dans  les  régions  littorales,  puis  l'aréquier), 
des  rotins,  des  arbres  fruitiers  (manguiers,  pamplemousses,  bananiers, 
orangers,  goyaviers),  des  palétuviers,  à  la  lisière  des  deltas,  des 
bambous  enfin,  qui  tiennent  dans  la  vie  de  l'indigène  une  place  si 
grande  que  l'on  a  pu  dire  avec  quelque  raison  que  "sans  le  bambou 
cette  vie  serait  impossible  ".  11  n'estpas  de  chose  que  l'indigène  ne 
tasse  avec  lui  :  des  mâts  de  jonques  et  des  cure-dents,  des  maisons 
et  des  marmites,  des  seaux,  des  bouteilles,  des  verres,  des  lasses, 
des  pipes,  des  piquets  et  de?  cordes,  des  gaines  de  couteaux,  des 
torches,  de  la  salade,  etc. 

La  faune  est  aussi  variée,  aussi  riche  que  la  flore  et 
comprend  à  peu  près  les  mêmes  espèces  animales  que 
nous  rencontrâmes  dans  l'Inde.  L'éléphant,  qui  devient  de 
plus  en  plus  rare,  se  capture  encore  au  Siam,  au  Laos, 
au  Cambodge.  On  l'emploie,  une  fois  domestiqué,  sur  les 
chantiers  d'abatage  des  bois  de  teck.  Le  rhinocéros,  plus 
rare  encore,  n'apparaît  qu  en  quelques  distncts  de  la 
Malaisie  et  du  Sud-Annam.  On  lui  fait  une  chasse 
acharnée,  car  la  corne  de  rhinocéros,  à  laquelle  la  supers- 
tition indigène  attache  toutes  sortes  de  vertus,  est  très 
recherchée  par  la  pharmacopée  annamite  et  chinoise. 
Parmi  les  grands  carnassiers,  la  panthère,  le  léopard,  le 
tigre  surtout,  sont'encore  trop  nombreux.  "  Monsieur  le 
Tigre  ",  comme  l'appellent  les  Annamites,  inspire  au.\ 
indigènes  une  telle  terreur  superstitieuse  qu'ils  ne  manquent 
jamais  de  le  désigner  d'une  périphrase  sacramentelle  qui 
dissimule  —  et  traduit  —  leur  effroi  sous   l'enveloppe 


378 


L'INDO-CHINE 


1  \  FAÇADE  PRINCIPALE  DU  TEMPLE  DANCkoRA  AI .  Lu  AWi. 

u',.cit,t,  Ai  C<m>W».OM.  mrci  du  IX'  »u  XIV  ùicU  Je  ml,cc,c  un<r  (r«  MlmU 
cMiaaIion  dont  Imoigna,!  la  „rina  de  Imfla  et  de  palca  „u,  eomDmIficrm,  tel 
ehef^-d-tnwft  de  Icrl  Hindou.    Ces  mine,,  encahiei  tm  fa  /»'«<  el  la  bnulM.  on/ 


ctè  en  puitie  dejtilS^r\  cl  conliniicnl  ./c  /  rire  par  1rs  .u;ifM  dr  i  i.i'Hi-  :  ruri^^rc 
d'Etlréme-Oncnl.  Ellct  ton!  coucertcs  de  tlaluei.  de  bai-reliefi,  de  motifs  décoratifj 
d'an  art  extrêmement  oritinal.  De  plut,  lel  malliplei  injcrio/ionl  ouel'on  u  rencontre 
permettent  d'atiporter  quelque  lumière  daru  Vhàtoire  deV  Indo-Chine  antienne. 


379 


;asie 


MINES  D'ETAIN  A  PFRAK.  La  pTcsquile  de  Malacca  et  les  îles  voisines  de 
Banka  et  Billiton  renferment  les  plus  riches  gisemertls  d'éiain  du  monde.  Les  mines 
s'exploitent  souvent  à  ciel  ouvert  au  milieu  des  forêts  vierges.  La  main-d'œuvre 
est  fournie  par  des  coolies  chinois  ou  hindous. 


PAYSAGE  AU  LAOS  SIAMOIS.  Les  plateaux  intérieurs  de  ta  presqu'île  indo- 
chinoise,  trop  peu  arrosés  pour  se  couvrir  de  forêts,  portent  de  vastes  savanes  aux 
grandes  herbes.  Les  éléphants  capturés  dans  les  forêts  du  haut  pays  s'emplotent 
communément  soit  pour  les  gros  travaux,  soit  pour  le  service  des  gens  de  distinction. 


PIROGUES    DE   COLIRSES   A    LOUANG-PRABANG.    Louang-Praiang 

est  la  capitale  d'un  petit  Etat  duLaos  placé  sous  le  protectorat  français.  Le  Mékong 
y  atteint  déjà  par  endroits  une  belle  largeur,  et  les  indigènes  sont  fort  habiles  à 
naviguer  sur  le  fleuve,  à  bord  de  leurs  longues  pirogues  creusées  dans  un  tronc  d'arbre. 


LE  CHEMIN  DE  FER  DU  YUNNAN.  L'une  des  œuvres  maîtresses  accomplies 
par  les  Français  en  Indo-Chine.  U  a  fallu  en  effet,  triompher  d'énormes  difficultés 
techniaues  pour  construire,  en  pat/s  hérissé  de  montagnes,  cette  voie  ferrée  qui  fait 
du  Tonkin'Je  débouché  naturel  de  la  riche  province  du  Yunnaiï 


^  t'JiPïDES  L^  ..l^!'.<j:\G.  Lt  Mékong  serait  pour  notre  Indo-Chine 
t  aumiiabU  ooieàe  communication  comparable  auYang-Tseu  chinois,  s'il  n'était 
;  ::.  cii;;7/:êr.f  interrompu  par  des  chutes,  des  rapides  qui  sont  tout  à  fait  in- 
r,a:L.^a.:csoune  deviennent  accessillesque  pendant  la  période  des  très  hautes  eaux. 


LA  BAIE  D'ALONG./lu  Nord  des  rives  marécageuses  du  delta  du  Song-Koî, 
la  côte  tonkinoise  devient  fort  accidentée,  et  les  montagnes  de  l'intérieur  se  prolon- 
gent en  mer  par  un  archipel  d'iles  et  d'îlots  aux  formes  fantastiques,  aux  ffcmcs 
abruotst  percés  de  grottes,  anciens  repaires  des  pirates  apeplês  "  Pavillons  Noirs    . 


L'INDO-CHINE 


flatteuse  de  la  formule  adoratrice.  Boeufs  sauvages,  san- 
gliers, cerfs,  chevreuils,  ours  parcourent  les  savanes.  Dans 
les  ctfbres  gambadent  macaques  et  gibbons,  se  pe  chenl 
des  myriades  de  perroquets,  perruclies,  petits  oiseaux  aux 
couleurs  éclatantes,  tandis  que  les  o  seaux  aquatiques  : 
marabouts,  aigrettes,  be'cassines,  pélicans,  p'uviers 
s  abattent  en  masse  sur  les  marais.  Les  eaux  dts  rivières 
et  des  lacs,  d'où  le  crocodile  n'a  point  disparu  (Tonlé- 
Sap,  Mékong,  Ménam)  sont  d'une  extraordinaire  richesse 
en  poissons  de  toutes  sortes.  "  On  en  trouve  même  dins 


les  rizières  et  ce  n'est  pas  un  des  spectacles  les  moirs 
curieux  offerts  au  voyageur  que  ci  lui  des  pêcheurs  à  la 
ligne  irstallés  aux  bords  des  routes  ou  au  milieu  des 
champs.  "  Il  est  presque  inutile  d'ajouter  que  l'on  aurait 
une  idée  fort  incomplète  de  la  faune  ii.do-chinoue  si  l'on 
n'ajoutai'  à  la  liste  précédente  celle  des  animaux  infé- 
rieurs :  rats,  chenilles,  fo'jrmis,  scorpio.is,  cancrelats  mille- 
patte;,  moustiques,  etc.,  ennemis  implacables  des 
plantations,  des  boiseries,  des  étoffes,  et  souvent  aussi 
des  hommes. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


Les  Habitants 


L'HISTOIRE.  ^^  Lethnographieetl'histoireindo- 
chinoisesontétéet  continuent  d'être  l'obj.t  de  travaux  d'un 
haut  intérêt,  poursuivis  surtou'.  par  les  explorateurs,  les 
résidents,  les  officiers  français  et  les  spécialistes  groupés 
dans  notre  Ecole  archéologique  d'Hanoï,  analogue  aux 
Ecoles  françaises  d'Athènes,  de  Rome  et  du  Caire.  Les 
études  anthropologiques  et  linguistiques,  la  lecture  des 
manuscrits  chinois,  des  inscriptions  cambodgiennes 
augmentent  chaque  jour  l'étendue  et  la  précision  de  nos 
connaissances  ;  et,  sans  considérer  encore  comme  tout  à 
fait  définitifs  les  résultats  obtenus,  voici  ce  que  l'on  tient  à 
l'heure  présente  pour  le  plus  près  de  la  vérité. 

La  position  gév,graphique  de  I  InJo-Chine  en  fit  un 
carrefour  où  se  rencontrèrent  et  se  croisèreni  à  des  degrés 
divers  les  races  principales  de  l'Ejclrême-Orient. 

Il  est  probable  que  l'Indo-Chine  (ut  habitée  d  abord 
tout  entière  par  des  Négilos  apparentés  aux  Pygmées 
des  Philippines,  de  l'Insulinde,  des  îles  Andaman.  Ces 
primitifs  se  mélangèrent  très  anciennement  avec  les  pre- 
miers immigrants  venus  de  Chine,  de  l'Inde,  de  la  Malai- 
sie.  Ainsi  se  formèrent  des  tribus  d'aborigènes  q  .i,  fixées 
d'abord  dans  les  parties  les  plus  fertiles  de  la  Péninsule 
(côtes,  deltas,  vallées  des  fleuves),  furent  peu  à  peu  refou- 
lées à  l'intérieur  par  les  grandes  invasions  des  Malais,  des 
Hindous,  des  Thaïs  et  dtfs  Annamites.  Telle  serait  l'ori- 
gine des  Orang-Sakaïs  et  Orang-Semang  de  ta  pres- 
qu'île Malaise,  des  Khas.  des  Moïs,  des  Pnengs  (tous 
ce»  mots  veulen:  dire  :  sauvage),  dispersés  à  travers 
les  forêts  de  la  Cordillère  .Annamitique  et  du  Haut- 
Laos. 

Les  Malais,  peuple  de  marins  onginaires  peut  être 
des  îles  de  la  Sonde  (?),  s'établirent  de  très  bonne  heure 
sur  les  rivages  de  l'Indo-Chine.  depuis  l'isthme  de  Kra 
jusqu'au  golfe  du  Tonkin.  Puis  des  imnugrants  hindous, 
franchissant  la  Cordillère  Malaise,  apparurent  dans  les 
plaines  du  Ménam  et  du  !VIé-kong.  Mêlés  aux  abori- 
gènes et  aux  Malais,  ils  fondèrent  deux  royaumes  puis- 


sants ;  le  royaume  Khmer  ou  Cambodgien  dont  le  centre 
fut  le  bassin  du  Tonlé-Sap,  et  le  royaume  Cham  (pro- 


CA  RTE  jVaJma. 


\  Camboû^Unj. 


^  ^.  ETHNOGRAPHIQUE     ''i  *^'^'"**    \^ 


■  Tbod.  et 


•'  t.'iakaLâ...\frTiança.t'f 

,--    '  .milacca;  Moù.  et 

(  fitfftu-       fO,^  Jf  L'Annam.) 


Tr- 


i^SSSi 


k 


noncer  :  Tsiam)  qui   s'étendit   de  la   Cochinchine  à   la 
porte  d'Annam. 


381 


L'ASIE 


Cambodgiens  et  Chams  eurent,  du  ix'^  au  XII*^  siècle  de  notre  ère. 
une  civilisation  brillante.  "  De  toutes  parts  s'élèvent  d'éléganls 
sanctuaires  de  briques  dont  les  portes  s'encadrent  de  monolithes 
finement  sculptés  ;  une  foule  de  stèles  célèbrent  en  vers  sanscrits  les 
louanges  des  rois  ou  formulent  en  langue  vulgaire  le  détail  de 
leurs  bonnes  oeuvres  :  une  pléiade  d'artistes  s'applique  avec  ardeur 
à  la  recherche  de  formes  neuves  et  plus  belles.  Deux  ou  trois 
siècles  passent,  et  cet  effort,  toujours  accru,  se  réalise  enfin  dans  les 
monuments  d'Angkor  avec  leur  forêt  de  tours,  leurs  immenses 
cloîtres  sculptés  de  bas-reliefs,  leurs  majestueuses  avenues,  leurs 
nobles  escaliers,  tout  ce  magnifique  ensemble  où  l'originalité  du 
plan  s'allie  à  la  pureté  des  lignes  et  à  la  grâce  du  décor.  "  (L.  Finol. 
cité  par  H.  Brenier.) 

Cette  civilisation  fut  étouffée,  à  partir  du  XIII®  siècle, 
par  l'arrivée  des  Tha'i's  et  des  Annamites. 

Originaires  sans  doute  des  confins  du  Tibet  et  de  la 
Chine  méridionale,  ces  deux  peuples  pénétrèrent  en 
Indo-Chme  par  deux  voies  différentes.  Les  Tha'is,  qui 
forment  encore  la  majorité  de  la  population  dans  le 
Kouang-Si  et  le  Yunnan  chinois,  s'étendirent  lentement 
sur  les  monts  du  Haut-Tonkin,  du  Haut-Laos,  puis 
descendirent  les  vallées  du  Mékong  et  du  Ménam. 
Ils  asservirent  les  Khmers,  dont  les  temples,  les  palais 
dispeirurent  sous  la  forêt  envahissante,  et  se  divisèrent  en 
trois  groupes  :  Thos  du  Tonkin,  Laotiens  du  Mékong, 
Siamois  du  Ménam.  Les  Annamites  apparuren. 
d'abord  dans  le  delta  du  Song-Koï,  ou  Bas-Tonkint 
Après  des  luttes  acharnées,  ils  refoulèrent,  détruisirent 
ou  absorbèrent  les  Chams,  puis,  longeant  les  rivages  de  la 
Mer  de  Chine,  ils  atteignirent  le  delta  du  Mékong  (la 
Cochinchme).  Longtemps  asservis  au  joug  des  Empe- 
reurs chinois,  ils  parvinrent,  au  XVl^  siècle,  à  secouer  ce 
joug  et  formèrent  un  Empire  indépendant. 

Ces  multiples  invasions  et  les  conflits  qui  en  résultèrent 
expliquent  pour  une  large  part  la  faible  densité  de  la  population 
indo-chinoise.  Non  seulement  les  guerres  continuelles,  et  les  dévasta- 
lions  qui  les  accompagnaient,  décimaient  vainqueurs  et  vaincus,  mais 
ces  derniers,  obligés  de  fuir  de  la  plaine  à  la  montagne  et  récipro- 
quement, ne  pouvaient  s'accommoder  immédiatement  à  des  conditions 
climatiques  nouvelles  et  perdaient,  avant  d'être  acclimatés,  les  huit 
dixièmes  de  leur  contingent. 

Enfin,  des  colons  chinois  s'établirent  k  diverses  époques 
en  Indo-Chine,  Les  plus  anciens  :  Muongs,  Yaos,  Méos, 
Lolos  se  rencontrent  dans  le  Haut-Tonkin  où  on  les 
confond  souvent  avec  les  "  Sauvages  "  aborigènes  dont 
ils  partagent  la  vie.  D'autres  obtinrent,  en  1680,  le 
droit  de  s'installer  en  Cochinchine,  à  Mytho  et  Bien- 
Hoa.  Ce  fut  l'origine  d'une  immigration  régulière  qui 
se  dirigea  à  la  fois  vers  la  Cochinchine,  le  Siam  et  la 
presqu'île  Malaise  et  s'accentua  fortement  après  l'arrivée 
des  Européens. 

Ces  derniers  furent  d'abord  représentés  par  les  Por- 
tugais qui  fondèrent  quelques  comptoirs  dans  la  pres- 
qu'île de  Malacca.  Ils  y  furent  supplantés  d'abord   par 


les  Hollandais,  puis  à  partir  de  1786  par  les  Anglais 
dont  les  possessions  comprennent  aujourd'hui,  sous 
divers8s  formes,  la  presque  totalité  de  la  Péninsule 
Malaise.  Les  Français  qui,  déjà  sous  le  règne  de 
Louis  XVI,  avaient  envoyé  en  Annam  des  officiers,  des 
ingénieurs  et  des  missionnaires,  furent  amenés,  à  partir 
de  1859,  à  intervenir  directement  dans  les  affaires  indo- 
chinoises.  De  1859  à  1867  ils  occupèrent  la  Cochin- 
chine enlevée  à  l'Empereur  d'Annam.  Le  Cambodge, 
considérablement  réduit  et  menacé  d'une  subversion 
totale  par  l'ambition  des  rois  de  Siam,  se  plaça  sous  leur 
protection.  Enfin,  de  1873  à  1885,  le  Tonkin  et  I  Annam 
devinrent  possessions  françaises.  Le  Laos  se  partagea 
entre  le  royaume  de  Siam  et  les  territoires  français. 
Seul  le  Siam  a  conservé  jusqu'à  nos  jours  son  indé- 
pendance. Et  encore  les  Français  et  les  Anglais  se  sont- 
ils  réservé  deux  zones  d'influence  qui  rendent  illusoire 
1  autorité  des  souverains  siamois  sur  les  confins  occiden-_ 
taux  et  orientaux  de  leur  royaume. 

On  distingue  donc  aujourd'Jiui  en  Indo-Chine,  sans 
compter  les  Européens,  neuf  groupes  ethniques  princi- 
paux :  les  Annamites,  les  Tha'is  subdivisés  en  Thos, 
Laotiens,  Siamois,  les  Cambodgiens,  les  Chams,  les 
Malais,  les  aborigènes  ou      Sauvages",  les  Chinois. 

LES  ANNAMITES.  00  Les  Annamites  for- 
ment la  race  la  plus  nombreuse  (  1 2  000  000  environ)  et 
la  plus  homogène  de  l'Indo-Chine.  On  les  trouve  à 
peu  près  exclusivement  sur  les  côtes  de  l'Annam  et  dans 
les  deltas  du  Tonkin  et  de  la  Cochinchine.  Les  hautes 
régions  les  effraient,  car  l'eau,  disent-ils,  y  est  mauvaise 
et  donne  la  fièvre  ;  ils  y  vont  toujours  à  contre-coeur  et 
n'y  restent  jamais  bien  longtemps. 

Taille  petite,  mais  corps  robuste  et  fortement  musclé, 
peau  jaunâtre,  allant  de  la  couleur  du  vieil  ivoire  au 
blanc  mat,  pommettes  très  saillantes,  front  large  et  bombé, 
nez  épaté,  yeux  noirs  très  expressifs,  chevelure  noire 
abondante  et  rude,  barbe  rare,  dents  belles  mais  noircies 
par  un  laquage  artificiel  et  souvent  gâtées  par  la  masti- 
cation du  bétel,  démarche  souple,  presque  féhne,  petits 
pieds  et  petites  mains,  figure  ouverte,  malicieuse,  tels 
sont  les  caractères  physiques  des  Annamites.  Au  moral, 
on  se  plait  à  reconnaître  leur  activité,  leur  intelligence, 
non  dénuée  parfois  de  fourberie.  Ils  ont  la  passion  des 
courses,  du  théâtre,  et  malheureusement  aussi  du  jeu. 

Peu  portés  au  commerce  qu'ils  laissent  aux  Chinois, 
ils  réussissent  beaucoup  mieux  dans  les  travaux  indus- 
triels et  fournissent  aux  mines  françaises  une  main- 
d'œuvre  appréciée.  Mais  l'agricuhure  demeure  leur 
occupation  préférée.  Leur  genre  de  vie  est  simple. 
Sauf  dans  les  villes  où  l'on  trouve  des  maisons  de 
briques,  ils  habitent  de  simples  cases  en  feuilles  de 
palmiers,    élevées    sur  pilotis  ou   posées  directement  sur 


382 


L' INDO-CHINE 


le  sol.  Ils  se  nourrissent  de  riz  et  de  poisson,  boivent  de 
l'eau  chaude  ou  du  thé  léger.  Hommes  et  femmes  ont 
à  peu  près  le  même  costume  composé  d'un  large  panta- 
lon et  d'une  robe  étriquée  en  cotonnade  noire  (le  blanc 
est  la  couleur  du  deuil),  lis  portent  les  cheveux  longs  et 
les  ramènent  sur  la  tète  en  les  entourant  d'un  turban 
noir. 

Par  suite  de  leur  longue  soumission  aux  Empereurs 
de  Chine,  les  Annamites  reçurent  de  leurs  puissants 
voisins  la  plupart  de  leurs  institutions,  de  leurs  coutumes. 
de  leurs  moeurs.  Leur  religion,  (mélange  de  traditions 
bouddhiques  et  de  confucianisme,  culte  des  ancêtres) 
est  la  même  que  celle  des  Chinois  et  ils  ont,  autant  que 
les  fils  de  Han,  le  respect  de  la  science,  le  goût  immo- 
déré des  emplois  publics,  le  vif  désir  d'acquénr  le  degré 
d'instruction  qui  en  ouvre  I  accès. 

LES  TH.AIS.  J!f £}  Les  Thaïs  constituent,  après 
les  Annamites,  le  groupement  le  plus  important 
(8  OCX)  000  d'individus).  Ils  sont  représentés  par  les 
Thos  et  les  Thaïs  du  Haut-Tonkin,  les  Laotiens  et 
les  Siamois.  Les  uns  et  les  autres  se  sont  fortement 
mélamgés  avec  les  diverses  populations  de  l'Indo-Chine  : 
aborigènes.  Malais,  Khmers,  Chinois.  Annamites  : 
aussi  ne  forment-ils  point  une  race  homogène.  Le  Thaïs 
du  Yunnan  ressemble  au  Chinois,  celui  du  Tonkin  à 
l'Annamite,  celui  du  Laos  et  du  Siam  au  Cambodgien. 
Les  uns  pratiquent  le  bouddhisme  cinghalais,  d'autres 
le  culte  des  ancêtres  ;  les  uns  brûlent  leurs  morts,  les 
autres  les  enterrent.  Langues,  coutumes,  écritiu'e  ont 
été  modifiées  par  l'intrusion  d'éléments  étrangers. 

Il  est  difficile  de  décrire  en  quelques  moti  le  type  physiqued'un 
Tho,  d'un  Siamois  ou  d'un  Laotien,  et  de  dire  en  quoi  il  diffère  de 
l'Annamite.  On  les  dépeint  en  général  comme  plus  grands,  de  taille 
plus  élégante,  de  teint  plus  foncé.  Mais  ces  différences  corporelles 
sont  souvent  peu  marquées.  Ce  sont  plutôt  les  détails  de  la  coiffure 
(cheveux  courts),  du  costume  (Laotiens  et  Siamois  aiment  les  teintes 
vives,  brillantes),  qui  les  diversiËent.  Doux,  enjoués,  insoucianis, 
portés  aux  jeux  et  aux  divertissements,  ils  ont  le  même  genre  de 
vie,  la  même  nourriture,  les  mêmes  habitations  très  simples  que 
leurs  voisins  du  Tonkin  ou  de  la  Cochinchine.  Entre  Siamois  et 
Laotien  le  seul  contraste  que  l'on  puisse  noler  est  que  le  premier 
manifeste  pour  les  travaux  agricoles  les  mêmes  goûts  et  les  mêmes 
aptitudes  que  l'Annamite.  Le  second,  au  contraire,  nonchalant  ei 
paresseux,  abandonne  à  des  mercenaires,  des  esclaves,  ou  aux 
femmes,  le  soin  des  cultures,  et  ne  manifeste  quelque  talent  que 
pour  le  commerce  cl  la  navigation.  Monté  sur  sa  longue  et  étroite 
pirogue  faite  d'un  tronc  d'aibre  ouvert  au  feu,  il  va,  à  de  longues 
distances,  IraËquer  de  loules  sortes  de  marchandises.  Intermédiaire 
naturel  enlre  le  montagnard  et  l'agriculteur  des  plaines,  le  métier  de 
colporteur  qu'il  aime,  et  qui  le  fait  vivre  assez  largement,  ne 
l'occupe  que  quelques  mois  de  l'année.  Après  quoi,  il  retourne  à 
son  long  farniente  qui  est  pour  lui  la  plus  douce  des  voluptés. 

LES    CAMBODGIENS,    CHAMS    ET 
MALAIS.    £>£>   Les  Cambodgiens,  descendants   des 


Khmers,  ont  été  probablement  sauvés  d'une  dispari- 
tion complète  par  l'arrivée  des  Français  qui  les  proté- 
gèrent contre  les  entreprises  des  Annamites  et  des 
Siamois,  Ils  sont  au  nombre  d'environ  2  700000  répar- 
tis entre  le  Royaume  du  Cambodge,  le  Siani  et  la 
Cochinchine.  Au  physique,  ils  présentent  deux  types 
assez  tranchés  qui  semblent  marquer  une  double  origine  : 
l'un  grand  et  svelte  au  nez  droit,  l'autre  massif  et 
courtaud  au  nez  un  peu  écrasé.  Leur  teint  est  inter- 
médiaire enlre  celui  des  races  jaunes  et  celui  des  races 
colorées  de  l'Inde.  Lents,  patients,  durs  à  la  fatigue, 
très  orgueilleux  de  leur  antique  origine,  moins  dociles 
et  serviles  que  l'Annamite,  mais  aussi  véridiques  et  plus 
francs,  ils  sont  d'excellents  agriculteurs  et  pèchent  le 
poisson  qui  foisonne,  après  le  retrait  des  hautes  eaux, 
dans  les  lagunes,  les  marigots,  la  cuvette  vaseuse  du 
Tonlé-Sap.  Leur  religion  est  le  bouddhisme. 

Les  Chams,  qui  reçurent  eux  aussi  leur  civilisation  de 
l'Inde,  et  eurent  un  brillant  mais  coiut  passé,  ne  sont 
plus  représentés  que  par  quelques  milliers  d  individus 
fixés  dans  deux  vaJIées  du  Sud  Annam  et  condamnés  à 
disparaître  dans  un  délai  plus  ou  moins  bref. 

Les  Malais,  parents  des  Chams,  peuplent  encore  la 
Péninsule  de  Malacca.  On  en  compte  environ  1  800000, 
presque  tous  musulmans.  Très  semblables  physiquement 
à  leurs  frères  de  Java,  ils  ne  manifestent  point  la  même 
ardeur  au  travail,  et  laissent  aux  immigrants  hindous  ou 
chinois  le  soin  de  travailler  dans  les  plantations.  Trop 
fainéants  même  pour  faire  des  policemen  "  ,  telle  est  la 
formule  lapidaire  dont  les  qualifie  plaisamment  un  écri- 
vain colonial  anglais. 

LES  "SAUVAGES",  a  a  Parmi  les  aborigènes 
ou  "  Sauvages  "  qui  représentent  le  groupe  ethnique 
le  plus  ancien  de  l'Indo-Chine,  les  plus  primitifs  parais- 
sent être  les  Sakai,  Semâng,  Pangan,  etc.,  de  la  pres- 
qu'île de   Malacca. 

Certains  d'entre  eux  ont  encore  tous  les  caractères 
physiques  des  Négritos  ou  Pygmées  :  taille  très  courte, 
cheveux  laineux,  peau  noire,  etc.  Ils  vivent  nus,  ne 
savent  ni  construire  une  hutte,  ni  cultiver  le  sol  :  leur 
langage  est  des  plus  pauvre,  et  ils  ne  pratiquent  aucun 
culte. 

Les  ""  Sauvages  "  de  l'Indo-Chine  française  :  Mois  de 
1" Annam,  Khas  du  Laos,  sont  relativement  plus  civilisés. 
Ils  savent  défricher  des  coins  de  forêts,  où  ils  sèment  du 
riz  de  montagne,  du  maïs,  des  légumes,  du  tabac.  Ils 
élèvent  buffles  et  chevaux,  porcs  et  volailles,  forgent  le 
fer  pour  fabriquer  leurs  coupe-coupes  et  leurs  pointes  de 
lances.  Leurs  habitations  sur  pilotis,  faites  de  bambous 
et  de  chaumes,  sont  sur  le  type  des  maisons  communes 
dont  deux  ou  trois  siiffisent  quelquefois  à  loger  le  vil- 
lage entier.  Autrefois   très    belliqueux  et  constamment 

383 


L'ASIE 


ea  guerre  avec  les  tribus  voisines,  ils  perdent  peu  à  peu 
ces  mœurs  guerrières,  trafiquent  avec  les  commerçants 
Laotiens  ou  Chinois,  acceptent  même  de  travailler  sur 
les  plantations  européennes,  ils  sont  peu  nombreux 
(600  000  environ  dont  300  000  en  Annam  et  210000 
au  Laos),  mais  robustes,  muscle's,  réfractaires  à  la  fièvre 
des  bois,  ils  pourront  rendre  de  précieux  services  comme 
défricheurs,  bûcherons,  constructeurs  de  routes  en  pays 
forestiers,  etc. 

LES  CHINOIS.  00  Au  groupe  Chinois  et  Tibé- 
tain appartiennent  d'abord  les  Bolos,  Méos,  Man  ou 
Yaoset  Muong  qui,  au  nombre  d'une  centaine  de  mille, 
habitent  le  Haut-Tonkin  où  ils  cultivent  le  riz  et  le  mais, 
et  n'ont  pas  plus  d'importance  que  les  Khas  ou  les 
Thos  leurs  voisins.  Tout  autre  est  le  rôle  joué  dans  le 
reste  de  l'Indo-Chine  par  les  immigrants  de  Canton,  du 
Fo-Kien,  de  Haïnan,  du  Hak-Ka  qui  forment,  surtout 
dans  les  villes,  un  élément  ethnique  d'une  considérable 
importance.  On  en  compte  environ  6000  en  Annam, 
40000  au  Tonkin,  1  15  000  au  Cambodge,  141  000  en 
Cochnchine.  Le  Siam  en  a  reçu  de  400000  à  500  000  et 
la  presqu'île  Malaise  en  héberge  près  de  1  OCOCOO.  Si  le 


dixième  d'entre  eux  s'adonnent  à  l'agriculture,  travaillent 
comme  coolies  aux  plantations  de  caoutchouc,  ou  s'em- 
ploient aux  travaux  des  mines,  tous  les  autres  sont  avant 
tout  des  industriels  et  des  commerçants. 

En  Cochinchine,  comme  à  Singapour  et  à  Bangkok,  la  majeure 
partie  des  grands  établissements  et  tout  le  commerce  de  détail  se 
trouvent  entre  leurs  mains.  Gros  exportateur  de  thé,  de  riz,  de  soie, 
d  épices,  de  caoutchouc,  entrepreneur  de  maçonnerie,  marchand  de 
meubles,  tailleur,  cordonnier,  épicier,  brocanteur,  colporteur,  com- 
mis de  magasin,  ouvrier  d'usine,  photographe,  débardeur,  le 
Chinois  est  apte  à  tout.  On  le  trouve  partout,  depuis  la  maison 
somptueuse  du  millionnaire  jusqu'au  fond  de  la  brousse  où  il  pro- 
mène sur  son  dos  un  ballot  de  pacotille,  couchant  à  la  belle  étoile, 
vivant  d'une  pincée  de  riz.  d'une  chique  de  bétel,  en  attendant  que 
ses  premières  économies  lui  permettent  d'ouvrir  boutique  et  de  se 
hausser  à  la  dignité  de  notable  commerçant.  Ses  qualités  indiscu- 
tables :  sobriété,  honnêteté,  intelligence,  acharnement  au  labeur, 
connaissance  parfaite  des  mœurs  et  de  l'âme  indigène,  en  font  un  col- 
laborateur presque  mdispensable  des  Européens.  Cependant  l'Indo- 
Chine  a  moins  besoin  de  commerçants  que  d'agriculteurs,  et  sans 
prohiber  leur  immigration  (comme  l'ont  failles  Américains  aux  Phi- 
lippines), sans  même  restreindre  les  facilités  qui  leur  sont  accordées 
(ce  qui  est  le  cas  des  Hollandais  à  Java),  les  administrations 
anglaises  et  françaises  cherchent  présentement  un  mode  d'utilisation 
de  la  main-d'œuvre  chinoise  plus  conforme  aux  véritables  intérêts 
de  leurs  possessions. 


GEOGRAPHIE  REGIONALE 
Les  Possessions   Anglaises  dans  la   Presqu'île   Malaise 


Les  Anglais  possèdent  dans   la  presqu'île  Malaise  ; 

1°  Les  Straits  Settlements  ou  Etablissements  des  Dé- 
troits, colonie  de  la  Couronne  comprenant  les  îles  de 
Singapour,  Penong  ou  Poulo  Pinang,  les  territoires  de 
Wellesley,  Dinding  et  Malacca,  en  tout  2  600  kilomètres 
canes  peuplés  de  820  000  habitants  en  !  9 1 8  dont  274 000 
Malais,  432000  Chinois,  94000  Hindous,  8000  Euro- 
péens ; 

2°  Les  Etats  Malais  fédérés  comprenant  les  sultanats 
de  Perak,  Selangor,  Negri  Sembilan  et  Pahang  placés 
sous  le  protectorat  anglais  :  en  tout  70000  kilomètres 
carrés  peuplés  en  1914  de  1  000000  d'individus  : 
420000  Malais,  433000  Chinois,  172  000  Hindous. 
3  200  Européens  ; 

3°  Les  Etats  Malciis  contrôlés  par  l'Ang'eterre  : 
sultanats  de  Kelantan,  Trengganou,  Kedah,  Perlis  et 
Djohor  :  45000  kilomètres  carrés.  720000  habi- 
tants. 

Ces  territoires,  malgré  leur  faible  étendue  relative, 
leur  climat  pénible,  les  forêts  vierges  qui  couvrent  une 
Donne  partie  du  sol,  ont  cependant  une  importance  éco- 
nomique considérable.  D'abord  ils  sont  admirablement 
placés  sur  les  routes  directes  menant  de  l'Europe  et  de 
i'înde  a  l'Eslrême-Orient.  De  plus,  ils  se  classent  àla  tête 

384 


de  tous  les  pays  du  monde  pour  la  production  de  l'étain 
et  du  caoutchouc.  En  1913,  200  000  ouvriers,  presque 
tous  Chinois,  extrayaient  annuellement  50000  tonnes 
de  minerai  valant  *-'  23  000  000  (production  mondiale  : 
90000  tonnes).  En  1919,  la  production  stannifère  ne 
fut  que  de  38000  tonnes  valant  £  25  000000.  Les 
plantations  d'arbres  à  caoutchouc  n'occupaient  en  1905 
que  1 3  000  hectares  :  elles  en  couvraient  1 05  000  en 
1912,  près  de  200000  en  1918.  Les  capitaux  engagés 
sur  ces  plantations  atteignaient  800000000  de  francs 
et  les  ventes  de  caoutchouc  ont  passé  de  1^  10  000  000 
en  1913  à  plus  de  140000000,  soit  2  milliards  de 
francs,  en  1919.  Le  cocotier  (100000  hectares),  dont 
la  noix  donne  le  coprah,  les  épices  (poivre  et  cannelle), 
le  manioc,  le  café,  la  canne  à  sucre,  les  ananas,  com- 
plètent la  riche  sé'rie  des  produits  malais. 

La  capitale,  Singapour,  n'était  en  1820  qu'un  campe- 
ment de  pêcheurs  malais.  Non  seulement  tous  les 
navires  qui  vont  de  l'Inde  et  de  l'Europe  en  Elxtrême- 
Orient  y  font  nécessairement  escale,  mais  encore  elle 
concentre  dans  ses  docks  une  bonne  part  des  marchan- 
dises européennes  destinées  à  l'Indo-Chine,  à  l'Archipel 
Malais  et  une  portion  non  moins  grande  des  produits  en 
provenance  de  ces  mêmes  régions.  Chaque  année  1 1  000 


L'INDO-CHINE 


HAUT  TONKInTgROUPE  DE  MÉOS  a.  ^,*.    j    a 


38 


L'ASIE 


SUR    LES  CONFINS  DE  LA   FORÊT  Les  montagnes  Je 
l'Annam,  le    haut    Tonkin.  une   partie   du   Cambodge  et    du 
Laof  sont    couverts    de  forêts  où  des    tribus  de  "  sauvages 
vivent  dans  des  huiles  de  branchages  perchées  sur  pilotis. 


HOMME    ET    FEMME 

MOI.  Types  des  aborigènes 
les  plus  anciennement  établis 
sur  les  terres  indo-chinoises. 


VILLAGE  CAMBODGIEN.  Des  petites  maisons,  toutes 
semblables  aux  huttes  delà  forêt,  s'alignent  le  long  delà  rivière. 
Les  gens  y  vivent  suitoul  du  produit  de  la  pêche  gui  est  une  des 
principales  ressources  du  Cambodge. 


AU  KRAAL  D'AYOUTHiA.  L'éléphant  sauvage  peuple  encore  les  forêts  vierges 
du  haut  Siam  et  du  haut  Laos.  Capturé  et  domestiqué,  on  l'emploie  comme  dans 
l'Inde,  soit  pour  le  portage,  soit  pour  les  travaux  gui  exigent  de  la  force  et  de  l'adresse, 
notamment   sur  les  chantiers   de  bois  de   teck. 


DÉCORTICATION  DU  PADDY.  On  désigne  couramment  sous  le  nom  de  "paddy  ' 
le  riz  encore  vêtu  de  sa  gaine.  Il  existe  aujourd'hui,  tant  au  Siam  qu'en  Birmanie 
et  en  Cochinchins,  de  grandes  décortiqueries  à  vapeur  où  l'on  traite  surtout  le  riz 
destiné  à  l'exportation.  Mais  les  indigènes  usent  de  procédés  beaucoup  plus  primitifs. 


ENVIRONS  DE  LOUANG-PRABANG.  Charmant  paysage  qui  donne  une 
idée  très  QVaritageuse  du  haut  Laos,  dont  Louang  Prabang  est  une  des  petites  capitales. 
L-a  vue  c  été  prise  en  saison  sèche.  On  distingue  nettement  sur  les  berges  le  niveau 
i}uc  la  riviùrc  atteint  pendant  la  saison  des  pluies  d'été. 

386 


PAYSAGE  DANS  LA  PRESQU'ILE  DE  MALACcA.  Sise  aux  abords  imrnè- 
diats  de  l'Equateur,  constamment  chaude  et  extrêmement  arrosée,  la  presqu  île 
Malaise  se  couvre  naturellement  d'une  végétation  luxuriante  el  tou0ue,  véritable 
"jungle  "  que  dominent  les  troncs  svcltes  des  cocotiers 


à  12000  navires  jaugeant  de  15000000  à  17  000000  de 
tonneaux  jettent  l'ancre  devant  ses  quais  spacieux,  parfai- 
tement aménagés,  où  grouille  la  foule  la  plus  cosmopo- 
lite du  monde  asiatique.  Malacca.  qui  fut  longtemps  le 
principal  entrepôt  du  détroit,  mais  qui  paraissait  vouée  à 
une  décadence  irrémédiable,  a  repris  depuis  une  dizaine 
d  années  quelque  activité,  grâce  au  commerce  du  caout- 
chouc. Georgetown  dans  l'île  de  Poulo  Pinang,  et 
Weliesley  sur  la  côte  opposée,  exportent  directement 
I  étam  et  le  coprah  des  Etats  fédérés. 

La  main-d  œuvre  nécessaire  aux  plantations  se  recru- 
tait autrefois  à  peu  près  exclusivement  en  Chine.  De  là 
le  nombre  considérable  de  Chinois  établis  à  demeure 
dans  la  Péninsule  (près  de  1  000000).  Cette  immigration 
est  toujours  fort  importante,  mais  elle  est  beJancée  aujour- 


L'INDO-CHINE 

d  huipar  un  afflux  de  coolies  hindous  qui  (ournit  en  moyenne 
I  I  10000  travailleurs  aux  colons  européens. 

Le  commerce  total  de  la  Malaisie  anglaise  atteignait  déjà 
1  225  000  000  de  franci  en  1900.  En  1913,  ce  chiffre  était  exac- 
lement  doublé  :  2  525  000  OOO  de  (fana. 

En  1919,  il  a  dépassé  £215  030  000,  soil  au  coun  du  chanpe 
moyen,  près  de  12  milliards  de  Irancs. 

Les  imponalions  (£  95000000  en  1919)  consisleni  soilout  en 
tu  et  céréales  diverses,  cotonnades,  sucres,  poissons,  cig4re(les, 
charbons  et  articles  manufacturés. 

Aux  exportations  (£121  000  000),  le  caoutchouc  se  classe  en 
lèie  (£  40  000000),  puis  viennent  l'élain  (£  19  000  000).  Ie~ 
épices  (£  2  600  000).  le  coprah  (£  1  900  000),  le  tapioca,  etc. 

Quelques  voies  ferrées  et  des  routes  carrossables  déji  nombreuses 
traversent  les  plaines  côtièresde  l'Ouest  pour  le  service  des  planta- 
tions et  des  mmes.  Depuis  1917,  une  ligne  de  chemin  de  fer  unit 
directement  Singapour   à  Bangkok,  capitale  du  Royaume  Siamoi?' 


Le   Royaume  de    Siam 


Seul  Etat  indépendant  de  la  presqu  lie  Indo-Chinoise, 
le  Siam  a  vu  ses  hmites  de'Bnitives  fixées  par  les  Con- 
ventions de  1904,  1907  et  1909  qu'il  signa  avec  la 
France  et  1  Angleterre.  Il  couvre  à  peu  près  550  000  kilo- 
mètres carrés,  entre  la  Birmanie  anglaise,  les  Straits 
Settlements,  l'Indo-Chme  française  et  la  mer.  On  évalue 
à  9000000  le  chiffre  de  ses  habitants  que  le  manque  de 
statistiques  précises  ne  permet  pas  de  connaître  exacte- 
ment. Ils  appartiennent  aux  deux  groupes  principaux  de 
la  famille  Thaï  :  les  Siamois  et  les  Laotiens.  Leur  religion 
est  le  bouddhisme,  et  les  bonzes,  très  nombreux,  ont 
conservé  une  influence  considérable.  Aussi,  malgré  le.s 
efforts  des  missionnaires,  bien  rares  sont  les  Siamois  qui 
adoptent  la  doctrine  chrétienne.  Les  Siamois  se  groupent 
surtout  dans  la  vallée  du  Ménam  et  constituent  l'élément 
ethnique  prépondérant. 

Les  Laotiens  peuplent  les  savanes  et  les  forêts 
cljùres  que  traverse  le  Sémoun  (formé  du  Namsi  et 
du  Ncim-Moun),  affluent  du  Mékong,  et  qui  sont  com- 
prises dans  la  zone  d'influence  française.  L.a  zone  d'in- 
fluence anglaise  embrasse  les  districts  siamois  de  la 
presqu'île  de  Malacca. 

Grâce  aux  conseils  et  aux  efforts  de  spécialistes  étran- 
gers (surtout  anglais)  placés  à  la  tête  des  principaux 
services,  le  Siam  a  fait  depuis  1905  de  grands  progrès. 
Des  voies  ferrées  partant  de  Bangkok  atteignent  Korat 
sur  le  Nam-Moun  (prolongement  futur  jusqu'à  Vien- 
tiane  et  Kemmarat),  Ontaradit  sur  le  Haut-Ménam. 
Raheng  sur  le  Mé-Ping,  affluent  du  Ménam,  Singa[>our 
à  l'extrémité  de  la  Péninsule  Malaise.  Des  canots  à 
vapeur  remorquent  sur  le  Ménam  toute  une  flottille  de 
sampans. 

Des  écoles  se  sont  créées  et  rUniversité  de  Bang- 
kok forme  des  ingénieurs,  des  commerçants,  des  agri- 
culteurs, des  médecins. 


La  production  essentielle  est  celle  du  riz,  décortiqué 
ou  non  (ce  dernier  porte  le  nom  de  "  paddy  ").  Les 
rizières  du  Ménam,  grandement  accrues  grâce  aux 
travaux  d'une  compagnie  angiciise  d'irrigation,  suffisent 
non  seulement  à  la  consommation  indigène  mais  ont 
permis  de  vendre,  en  1919-1920.  441  000  tonnes  de 
riz  valant  .t  10911  000,  soit  les  neuf  dixièmes  du  total 
des  exportations.  Le  reste  consiste  en  bois  de  teck 
(Cl  189000).  en  étain,  en  caoutchouc  et  coprah. 
La  majeure  partie  des  opérations  commerciales  se  fait 
par  l'intermédiaire  de  maisons  ou  de  compagnies 
étrangères,  surtout  anglaises  et  chinoises. 

Bangkok,  la  capitale,  est  sise  sur  le  Ménam 
à  25  milles  de  l'embouchure.  Les  très  grands  navires 
ne  peuvent  franchir  la  barre  de  boue  (moins  de  3  mètres 
de  fond  en  beisse  mer)  qui  obstrue  l'entrée  de  l'estuaire, 
et  jettent  l'ancre  au  large  de  Paknam,  avant-port  de 
Bangkok. 

Mais  la  ville  est  directement  accessible  aux  cargos 
de  tonnage  moyen.  Vers  elle  convergent  par  voie 
d'eau  et  voie  ferrée  toutes  les  richesses  du  royaume  : 
jonques  chargées  de  riz  et  de  peaux,  grands  radeaux 
formés  de  billes  de  teck.  Des  usines  à  décortiquer  le 
nz,  des  scieries  à  vapeur  lui  forment  toute  une  banheue 
industrielle. 

.Aussi  son  activité  est-elle  fort  remarquable  et  ses 
660000  habitanU  (dont  280000  Chinois)  en  font 
une  des  cités  les  plus  populeuses  de  l'Asie. 

En  1913,  le  Siam  vendait  pour  ^  8  858  000  et 
achetait  pour  .C  6962000  de  marchandises  diverses. 
En  1919-1920,  ces  chiffres  ont  a  peu  près  doublé  : 
i:  16000000  aux  exportations  (riz,  teck),  Jl  12  000  000 
aux  imporîations  (cotonnades,  denrées  alimentaires, 
objets  en  métcJ,  sucre,  tabac,  etc.). 


CEOCRAPHIE  UNIVERSELLE. 


387 


L'ASIE 


L'Indo*Chine  Française 

ORGANISATION,  ADMINISTRATION  ET   VILLES  PRINCIPALES 


L'indo-Chine  française  couvre  environ  720000  kilo- 
mètres carres  et  sa  population,  en  1920,  était  estimée  à 
18000000  d'habitants  dont  23000  Européens,  presque 
tous  Français.  Elle  comprend  cinq  Etats  :  Annam,  Cam- 
bodge, Cochinchine,   Tonkin  et  Laos. 

La  CocKinchine  est  une  colonie  administrée  par  un  Lieutenant- 
Gouverneur.  Les  quatre  autres  territoires,  considérés  comme  pays 
de  Protectorat,  ont  a  leur  tête  des  Résidents  Supérieurs.  L'ensemble 
forme,  depuis  1887,  le  Gouvernement  de  l'Indo-Chine  Française 
placé  sous  l'autorité  suprême  d'un  Gouverneur  Général  qui  dépend 
directement  du  Ministre  des  Colonies  et  se  fait  aider  par  un  grand 
nombre  de  collaborateurs  militaires  ou  civils.  Chaque  année,  "  le 
Conseil  Supérieur  de  l'Indo-Chine  "  se  réunit  à  Saigon,  Hanoi, 
Hué  ou  Pnom-Penh.  Il  comprend  tous  les  hauts  fonctionnaires^  lea 
représentants  des  assem'blées  élues  (Conseil  Colonial.  Chambre  de 
Commerce  et  d'Agriculture)  et  de  l'Administration  indigène.  II 
donne  son  avis  sur  les  questions  générales  et  discute  le  budget 
commun  alimenté  par  les  recettes  de  la  douane,  des  régies,  des 
impôts  indirects  (80  000  000  de  francs  en  1913,  157  000  000  de 
piastres  en  1920).  Chaque  colonie  ou  protectorat  a,  d'autre  part, 
son  budget  spécial  provenant  des  impôts  directs.  Recettes  et 
dépenses  s'équilibrent,  mais  l'entretien  des  forces  militaires  (10  000 
Français,  14  000  indigènes  en  1920)  est  à  la, charge  du  budget  de 
la  Métropole. 

COCHINCHINE.  /U/H  Superficie  :  57000  de 
kilomètres  carre's.  Population  en  1919  :  3500000  habi- 
tants ,  dont  I  I  000  Français. 

La  plus  ancienne  des  possessions  françaises,  la  colo- 
nie de  la  Cochinchine  comprend  la  majeure  partie  du 
delta  du  Mékong.  Des  forêts  sèches  ou  inondées,  des 
plciines  marécageuses  (plaine  des  joncs,  plaine  de  Camau) 
occupent  les  trois  cinquièmes  de  sa  superficie.  Le 
reste  est  couvert  de  rizières  (35  pour  100)  et  de 
cultures  diverses  :  maïs,  cocotiers,  eiréquiers,  etc. 

Sur  3  500  000  habitants,  2600  000  sont  des  Anna- 
mites, groupés  dans  les  provinces  du  Centre  et  de  l'Est 
Les  Cambodgiens,  autrefois  maîtres  du  pays,  ne 
comptent  plus  que  200  000  individus  (provinces  de 
l'Ouest).  Le  reste  se  compose  de  Chinois,  de  Minh- 
Huong  ou  métis  de  Chinois  et  d'Annamites  (  i  45  000) 
de   Mois  (25  000),  de  Chams    et  de  Malais. 

La  colonie,  représentée  à  la  Chambre  française  par 
un  député,  est  divisée  en  18  provinces  dent  chacune  est 
placée  sous  l'autorité  d'un  administrateur  français. 
Chaque  province  comprend  un  certain  nombre  de  can- 
tons subdivisés  en  communes.  Cantons  et  communes 
sont  dirigés  par  des  notables  et  des  fonctionnaires  indi- 
gènes. 

Le    Lieutenant-Gouverneur,     assisté   de     plusieurs 


assemblées  (Conseil  privé.  Conseil  du  Contentieux. 
Conseil  Colonial)  et  des  hauts  fonctionnaires,  chefs  de 
services,  réside  à  Saigon.  Sise  à  55  kilomètres  de  la 
mer,  sur  le  large  estuaire  appelé  rivière  de  Saïgon,  la 
capitale  Cochinchinoise  compte  72000  habitants.  Pourvue 
de  larges  rues,  de  quais  animés,  de  boulevards  magni- 
fiquement ombragés,  de  beaux  jau-dins,  sans  oublier  les 
monuments  officiels,  les  casernes,  les  statues,  les  cafés 
luxueux,  elle  parvient  à  "  conserver  une  physionomie 
bien  française  dans  un  décor  asiatique  ".  Tout  près 
d'elle,  Cholon  (  1 90  000  habitants)  est,  au  contraire,  une 
ville  toute  chinoise,  mais  relativement  plus  propre  et 
mieux  tenue  que  ne  le  sont  à  l'ordinaire  les  cités  des  Fils 
de  Han.  En  dehors  de  Saïgon  et  de  Cholon,  les  chefs- 
lieux  des  provinces  forment  de  gros  villages  parfois 
d'aspect  très  coquet  :  Bienhoa  au  Nord-Est  de  Saïgon, 
Mytho.  Winhlong,  Cantho  sur  les  diverses  branches  du 
Mékong,  etc. 

CAMBODGE.  £>£>  Superficie  :  1 50  000  kilo- 
mètres carre's.  Population  en  1919  :  2000000  d'ha- 
bitants environ,  dont  1  710  000  Cambodgiens,  140000 
Chinois,  1 08  000  Annamites,  40  000  Malais. 

Presque  trois  fois  plus  étendu  que  la  Cochinchine, 
mais  deux  fois  moins  peuplé,  le  Cambodge  comprend 
tout  le  bassin  du  Tonlé-Sap  et  la  partie  supérieure  du 
delta  du  Mékong.  Des  forêts  et  des  marais  en  recou- 
vrent encore  la  majeure  partie.  Pays  de  protectorat,  il 
conserve  son  Roi,  ses  ministres,  ses  fonctionnaires  indi- 
gènes. Mais  l'autorité  réelle  appartient  au  Résident 
Supérieur  assisté  de  fonctionnaires  français. 

La  capitale  Pnom-Penh  compte  85000  habitants. 
Fort  bien  située  au  carrefour  des  quatre  bras  du  Mékong, 
elle  est  appelée  à  un  bel  avenir  lorsque  la  navigation  du 
fleuve  sera  améliorée  et  que  les  ressources  de  l'intérieur, 
encore  à  peine  exploitées,  seront  mises  à  profit.  Les 
autres  agglomérations  cambodgiennes  :  Kompong-Cham 
et  Kratié  sur  le  Mékong,  Pursat,  Battambang  à  l'extré- 
mité occidentale  de  la  zone  inondée  par  le  Tonlé-Sap . 
n'ont  encore  qu'un  médiocre   intérêt. 

La  civilisation  Khmera  laissé  un  peu  partout,  nous  le  savons,  de 
ruines  nombreuses  et  importantes.  Les  plus  célèbres  sont  celles 
d'Angkor  Tom  et  Angkor  Vat,  au  Nord  du  Grand  Lac,  près  de 
Siem-Réap,  dans  une  des  provinces  rétrocédées  en  1906  au  Cam- 
bodge par  le  Siam.  L'immense  sanctuaire  d'Angkor  Vat,  construit 
vraisemblablement  au  XII^  siècle  de  notre  ère,  offre  un  spécimen  de 
l'art  brahmanique  plus  partait  peut-être  qu'aucun  de  ceux  qui  sub- 
sistent encore  dans  I  Inde  même. 


388 


ANNAM.  ma  Superficie  :  180090  kilomètres 
carrés.  Population  :  4  900  000 .  habitants  (?),  dont 
90 pour  1 00 d'Annamites  et  lOpour  100  de'"  Sauvages", 
plus  2200  Européens. 

L'Empire  d  Annam, prive'  de  ses  anciennes  annexes  : 
GxJiinchme  au  Sud,  Tonkin  au  Nord,  s'allonge  entre 
ces  deux  provinces,  la  Mer  de  Chine  et  les  pentes  occi- 
dentales de  la  Cordillère  Annamitique.  Nulle  part  ses 
frontières  politiques  ne  correspondent  exactement  avec  ses 
linutes  naturelles.  Cependant  la  prépondérance  très  raeu'- 
quée  de  l'élément  cuinamite  donne  au  pays  une  réelle  unité. 

Les  neuf  dixièmes  de  la  population  se  pressent 
dans  1  étroite  zone  httorale  morcelée  en  petites  plaines 
alluviales.  Les  montagnes,  très  boisées,  d'accès  difficile, 
redoutées  de  l'Annamite,  abritent  quelques  tribus  disper- 
jées  de  '  Sauvages  "  (Mois  divisés  en  Stieng,  Rade 
Djaria.    Boloven,  etc.). 

Pays  de  Protectorat  comme  le  Cambodge,  l'.Annam 
conserve  son  Empereur,  son  administration,  ses  fonction- 
naires indigènes.  Mais  le  Résident  Général  français 
et  le  personnel  français  placé  sous  ses  ordres  ont 
la  haute  main   sur  toutes  les  affaires  du  pays. 

Hué,  la  capitale,  compte  environ  60  000  habitants. 
L'ancienne  citadelle  et,  a  peu  de  distance  de  la  ville, 
les  tombeaux  impénaux  où  reposent  les  princes  de 
la  famille  Nguyen,  présentent  un  réel  intérêt. 

Tourane,  aux  rives  d'une  baie  sûre,  profonde,  magni- 
fique point  de  relâche  pour  des  naviresde  guerre,  est  depuis 
1888  une  concession  française  peuplée  de  28000  habi- 
tants. Vinh  et  Quang-Binh  au  Nord,  Qui-Nhon,  Nha- 
Trang,  Phan-Tiet  au  Sud,  petits  (>orts  de  cabotage,  ne 
prendront  d'importaince  qu'après  1  achèvement  de  la 
voie  ferrée  Hanoï-Saïgon  et  l'ouverture  de  bonnes 
routes  menant  à  la  zone  forestière. 

LE  TONKIN.  aa  Superficie  :  1 03  000  kilomètres 
carrés.  Population  en  1919  :  environ  6  400000  ha- 
bitante,   dont   3  800000    Annamites.    500000    monta- 

1      gnards  (Thos.  Muongs,  Yaos.   Lolos,  etc.),  9  000  Eu- 

i      lopéens. 

Le  Tonkin  se  divise  en  deux  régions  naturelles 
d'importance  fort  inégale  :  le  Bas-Tonkin  ou  région  del- 
taïque, anciengolfe  marin  comblé  par  les  alluvionsduSong- 
Koï,  du  Thaï-Bm,  du  Song-Ma,  — et  leHaut-Tonkin 
couvert  de  collines  et  de  montagnes.  Les  deltas,  surpeu- 
plés, comptent  au  kilomètre  carré  plus  de  300  habitants, 
tous  Annamites.  La  zone  montagneuse  est  le  domaine 
des  "  Sauvages  ",  Thos,  Muongs,  Yaos,  etc.,  de  race 
thaï,  chinoise  ou  tibétaine.  La  densité  y  est  partout 
inférieure  à  10  habitants  au  kilomètre  carré,  sauf  dans 
les  vallées  et  sur  les  versants  inférieurs  des    monts. 

Administrativement.  le  Tonkin  est  encore  considère 
comme  une  dépendance  politique  de  I  Empire  d  Annam 


LINDO-CHINE 

et.  comme  tel.  soumis  au  régime  du  Protectorat.  En 
fait,  l'autorité  du  souverain  annamite  y  est  nulle.  L'emploi 
de  Kinh-Cuoc,  vice-roi  indigène  du  Tonkin.  fut  supprimé 
en  1897- et  le  Résident  Supérieur  dirige  seul  les  affaires 
du  pays  avec  l'aide  de  fonctionnaires  français.  Deux 
territoires  militaires  (Ha-Giang  et  Cao-bang)  subsistent, 
pour  des  raisons  stratégiques,  le  long  de  la  frontière  de 
Chine.  Les  deux  villes  principalej  :  Hanoï  et  Haïphong, 
constituent,  comne  Tourane,  des  concessions  françaises 
détachées  du  Protectorat. 

Les  Annamites  participent  dans  une  certaine  mesure 
a  l'administration.  Ils  nomment  des  conseillers  muni- 
cipaux, envoient  au  chef-lieu  de  chaque  province  des 
commissions  de  notables  élus,  sont  représentés  dans  le 
Conseil  du  Protectorat.  Enfin,  une  Chambré  Consul- 
tahve  indigène  donne  son  avis  sur  les  questions  que  lui 
soumet  le  Gouvernement.  Hanoï  (136000  habitants 
en  1919),  capitale  du  Tonkin.  l'estaussi  del'Indo-Chine 
entière  depuis  1902.  A  130  kilomètres  de  la  mer,  sur 
les  bords  du  Fleuve  Rouge,  elle  se  compose  de  deux 
agglomérations  juxtaposées  autour  du  lac  de  l'Epée  :  la 
ville  indigène  au  Nord  conserve  son  aspect  extrême- 
oriental,  la  ville  française  au  Sud  ressemble  aux  cités  de 
la  Métropole. 

Malgré  sa  situation  au  croisement  de  deux  grandes  voies 
ferrées.  Hanoi  n'est  pas  un  carrefour  comparable  à  Saigon.  Sa 
position  à  l'intérieur  des  terres  l'isole  davantage.  On  n'y  passe  pas. 
il  faut  y  venir.  D'autre  part  on  y  a,  moins  qu  en  Cochinchine.  1  im- 
pression  d'un  contact  lointain  avec  l'Europe;  on  s'y  sent  davantage 
en  province.  Et  comme  à  cet  isolement  naturel  se  joint  la  venue 
périodique  de  l'hiver  qui  rend  nécessaire  les  vitres  aux  fenêtres  et 
les  cheminées  aux  maisons,  ce  qu'on  ne  trouve  pas  à  Saigon,  on 
s'explique  l'aspect  plus  occidental  et  plus  intime,  plus  "  home-like 
de  f^anoT.  "  (H.  Brenier.) 

Haïphong  (30003  habitants),  débouché  maritime 
du  Tonkin,  est  malheureusement  menacé  sans  cesse 
d'un  envasement  contre  lequel  on  lutte  avec  difficulté. 
Nam-Dinh  (40000  habitants),  Ninh  Binh,  Haï  Duong, 
Bac  Ninh,  Sontay  sont  les  principales  agglornérations 
du  delta.  Tuyen-Quang  marque  la  limite  de  la  naviga- 
tion à  vapeur  sur  la  Rivière  Claire.  Langson  au 
.NIord-Est,  Laokay  au  Nord-Ouest,  gardent  les  deux 
principales  entrées  du  Tonkin  sur  la  frontière  chi- 
noise. 

LE  LAOS.  00  Superficie  :  230000  kilomètres 
carrés.  Population  :  700000  habitants  (?). 

Le  Laos  Français  ne  comprend  guère  que  le  tiers  des 
pays  Laotiens.  Il  s'étend  presque  tout  entier  sur  la  rive 
gauche  du  Mékong  entre  le  Tonkin  et  le  Yunnan  au 
Nord,  l'Annam  a  l'Elst,  le  Cambodge  au  Sud,  le  Siam  et 
la  Birmanie  à  l'Ouest. 

Habité  par   une  multitude  de  groupements  Thaïs  ou 


389 


L'ASIE 


Kbas  sans  cesse  en  guerre  les  uns  avec  les  autres, 
le  Laos  se  voyait  menacé  d'une  complète  annexion  par 
lé  Siam,  lorsque  le  Gouvernement  Français  le  prit  sous 
son  protectorat  en  1893. 

il  conserve  plusieurs  souverains  indigènes  :  rois  de 
Louang-Prabang,  de  Bassac.  de  Muong  Sing,  etc. 
L'administration  des  provinces  est  encore  confiée  à  des 
mandarins  ;  villages  et  cantons  ont  aussi  leurs  chefs 
locaux. 

La  France  est  représentée  par  un  Résident  Supérieur, 
douze  commissaires  chefs  de  provinces  et  une  quaran- 
taine de  fonctionnaires. 


Son  ëloignement  de  la  mer,  la  difficulté  des  commu- 
nications, les  montagnes  boisées  qui  le  couvrent  en  partie, 
enfin  le  petit  nombre  de  ses  habitants,  leur  indolence, 
leur  apathie  naturelle,  expliquent  le  peu  d'importance 
économique   du  Laos    Français. 

Les  principales  agglomérations  s'échelonnent  sur  le 
Mékong,  seule  voie  d'accès  relativement  facile.  Le  Rési- 
dent Supérieyr  et  les  chefs  des  services  administratifs  se 
sont  fixés  à  Vientiane.  Louang-Prabang  est  la  capitcJede 
1  Etat  indigène  le  plus  important.  Savannaket,  Kemma- 
ra!,  Bassac  jalonnent  vers  le  Sud  les  rives  du  grand 
Heuve. 


LA  MISE  EN   VALEUR 


AGRICULTURE  ET  PRODUITS  FORES- 
TIERS. J!f£)  L'indo-Chine  est  avant  tout  un  pays 
agricole.  Les  produits  de  ses  champs,  de  ses  forêts 
constituent  de  beaucoup  les  plus  importantes  de  ses 
ressources  présentes.  C'est  sur  leur  développement  pro- 
gressif que  repose  son  avenir. 

La  culture  essentielle  est  celle  du  riz,  base  de  1  alimen- 
tation indigène  et  principal  article  d'exportation.  En 
Cochmchine  et  au  Tonkm,  ou  les  terres  grasses,  facile- 
ment irrigables,  des  deltas  se  prêtent  a  merveille  à  la  crois- 
sance de  la  plante,  les  rizières  occupent  les  trois  quarts  ou  les 
quatre  cinquièmes  des  surfaces  cultivées.  Et  l'on  estime 
à  des  centaines  de  milliers  d'hectares,  surtout  dans  les 
régions  inondées  du  Mékong,  les  terrains  encore  vierges 
qui  pourraient  être  facilement  utilisés.  La  quantité  et  la 
valeur  delà  récolte  varient  beaucoup  suivant  les  années. 
De  plus,  le  rendement  à  l'hectare  est  relativement  faible. 
Enfin,  la  qualité  des  riz  indo-chinois  pourrait  être  fort 
améliorée.  Tout  en  prenant  les  précautions  nécessaires 
contre  les  excès  de  la  monoculture,  le  Gouvernement 
s  efforce  d  accroître  l'étendue  des  rizières,  de  régulariser 
leur  production  par  l'extension  des  canaux  d'irrigation  ou 
de  drainage.  Il  encourage  aussi  les  paysans  annamites  et 
les  colons  européens  à  choisir  leurs  semences  avec  plus 
de  soin,  de  façon  à  lutter  efficacement  sur  les  marchés 
de  1  Europe  contre  la  concurrence  des  riz  de  Birmanie, 
plus  appréciés. 

Eji  dehors  du  riz,  les  cultures  vivrières  comprennent  : 
le  maïs  en  progression  constante,  le  manioc,  diverses 
sortes  de  légumes,  tous  les  fruits  des  contrées  tropicales  : 
bananes,  mangues,  ananas,  oranges,  goyaves,  etc.  La 
canne  à  sucre  réussit  un  peu  partout,  surtout  en  Annam  ; 
le  poivrier  donne  au  Cambodge  et  en  Cochinchine  ses 
gousses  les  plus  renommées.  L'arbre  à  thé  trouve 
sur  les  collines  de  l'Annam  et  du  Tonkin  un  terrain  de 
choix.  Le  caféier  réussit  fort  bien  au  Tonkin  dans  les 
provinces  de  Ninh-Binh  et  de  Hannam.  Le  bétel,  la 
noix     d  arec,    indispensables     à     l'indigène,     le     tabac 


peuvent  encore  se  rattacher  aux  cultures  alimentaires, 
ainsi  que  les  ceirdamomes  du  Cambodge,  la  cannelle 
des  forêts  annamitiques,  la  badiane  ou  anis  étoile  du 
Haut-Tonkin,  etc. 

Parmi  les  cultures  industrielles,  toutes  les  plantes  tex- 
tiles :  coton,  ramie,  jute,  kapok  qui  donne  la  ouate  végétale, 
joncs  à  nattes,  etc.,  réussissent  en  Indo-Chine  aussi  bien 
que  dans  les  pays  voisins  :  Chine  et  Inde.  Le  coton  du 
Cambodge,  notamment,  est  considéré  comme  l'un  des 
meilleurs  du  monde,  et  les  terres  alluviales  surélevées  qui 
bordent  le  Mékong  valent  les  plus  riches  terres  noires  de 
la  Louisiane.  Le  mûrier,  très  commun  dans  le  delta  Ton- 
kinois et  le  Centre- Annam,  nourrit  une  race  de  vers  a 
soie  très  robustes  dont  les  cocons  sont  petits,  mais  donnent 
une  soie  d'un  bel  éclat. 

Enfin,  la  riche  série  des  plantes  oléagineuses,  des 
essences  forestières  utilisables,  complète  la  nomenclature 
des  ressources  végétales  :  cocotier  dont  le  fruit  donne 
l'huile  de  coprah,  sésame,  ricin,  arachides,  arbres  à 
laque  et  à  gomme,  arbre  à  benjoin,  plantes  résineuses  et 
aromatiques  (vétivert,  ylang-ylang),  licmes  à  caoutchouc, 
essences  médicinales  pour  la  pharmacopée  chinoise,  bois 
de  construction  et  d'ameublement,  rotins,  bambous  qui  se 
transforment  en  une  excellente  pâte  à  papier,  etc. 

Ces  produits  divers  ne  donnent  encore  heu  qu'à  une  exploitation 
testreinle.  Tous  apparaissent  sur  les  statistiques  douanières,  mais 
pour  des  sommes  souvent  inBmes.  (Voir  plus  lom  :  tableaux  du  com- 
merce.) Cependant,  l'avenir  de  notre  colonie  repose  en  grande  par- 
lie  sur  leur  mise  en  valeur.  Même  à  ne  considérer  que  le  marché 
de  la  Métropole,  la  France  pourrait  trouver  en  Indo-Chine  la 
presque  lolalilé  de  certaines  denrées  dont  l'achat  à  l'étranger  lui 
coûte  présentement  des  centaines  de  millions  de  francs  :  coton,  jute, 
coprah,  graines  oléagmeuses.  pâte  à  papier,  soie,  thé,  sucre  de 
canne,  café,  etc. 

Déjà  rindo-Chine  nous  envoie  les  quatre  cinquièmes  du  riz,  le 
quart  du  thé  et  du  maïs,  la  presque  totalité  du  poivre  dont  nou5 
avons  besoin.  Les  plantations  d'arbres  à  caoutchouc  couvrent 
1  7  000  hectares  et  donnent  présentement  4  000  tonnes  de  gomme 
d'excellente  qualité.  C'est  là  le  début  d'une  polyculture  qui.s'ajou- 
tant  peu  à  peu  aux  ressource?  de  la  culture  maîtresse,  celle  du  riz. 


390 


LINDO-CHINE 


accroilia  dan<  de  considérables  pioportions   à  Ja  fois  la  prospèiilc 
de  noire  colonie  et  les  services  qu'elle  peul  rendre  à  la  Métropole. 

ÉLEVAGE.  CHASSE  ET  PÈCHE,  aa  L'éle- 
vage n'a  qu'une  importance  restreinte.  D'abord  l'indigène 
ne  mange  qu'une  très  petite  quantité  de  viande  (poulets,  ca- 
nards, parfois  du  porc)  ;  déplus,  le  climat  humide  et  chaud 
des  deltas  ne  convient  pas.  ou  convient  mal  à  la  plupart 
des  animaux  domestiques  européens,  fort  meJ  soignés  par 
les  paysans,  et  que  décime  de  trop  fréquentes  épizooties. 
L'animal  le  plus  répandu  est  le  buffle,  vigoureux,  peu 
délicat,  docile,  et  qui,  demi-aquatique,  convient  à  mer- 
veille au  labour  des  terres  inondées.  Les  boeufs,  les  zébu 
servent  soit  au  travail  des  champs,  soit  au  transport  des 
marchandises.  PKw  Cambodge,  il  existe  même  une  race 
spéciale  de  boeufs  trotteurs  (les  bœufs  '  '  stieng  ")  renommés 
pour  leur  vélocité. 

Si  le  mouton  parait  ne  devoir  jamais  s'acclimater  aisé- 
ment, il  est  certain  que  le  gros  bétail  trouverait  sur  les 
hauts  plateaux  herbeux  et  frais  de  l'intérieur  (Boloven. 
Lang-Bian,  Tra-Ninh,  etc.)  des  conditions  très  favo- 
rables a  sa  multiplication.  Dès  maintenant  le  Service 
Zootechnique  s'efforce  de  lutter  contre  les  épizooties. 
d'acclimater  des  espèces  nouvelles,  d'améliorer  par  croi- 
sements les  espèces  loccJes,  d'enseigner  aux  indigènes 
comment  on  soigne  un  troupeau.  Mais  on  ne  s  improvise 
pas  éleveur,  et  bien  des  années  s'écouleront  encore  sans 
doute,  même  avec  le  progrès  des  voies  de  communication, 
avant  que  i'Indo-Chine  devienne  le  grand  parc  à  bétail 
qu'elle  pourrait  être. 

L'abondance  de  la  faune  terrestre  et  aquatique  rend 
la  chasse  et  la  pêche  aisément  fructueuses.  Les  sau- 
vages "  de  l'intérieur  demandent  à  la  chasse  une  partie 
de  leur  alimentation  carnée  (gazelles,  antilopes,  sangliers, 
singes,  sans  compter  perdrix,  cailles,  bécassines,  etc.). 
Quant  à  la  pêche,  elle  est  dans  l'Indo-Chine  entière  une 
des  principales  ressources  de  l'indigène.  Le  poisson  sou.s 
toutes  ses  formes  :  frais,  séché,  fumé,  pourri  (le  fameux 

nuoc-mam  ,  régal  des  Annamites),  forme  avec  le  riz 
la  base  de  l'alimentation.  Les  pêcheries  de  mer  sont  par 
ticulièremenl  nombreuses  sur  les  côtes  du  Cambodge 
(Kampot,  île  de  Phu-Quoc)et  duSud-Annam(Baclien. 
Phantiet,  Phanri,  etc.).  Les  pêcheries  fluviales  ou 
lacustres,  simple  accessoire  au  Tonkin,  occupent  une 
foule  d'indigènes  dans  les  régions  inondables  du  Meliong 
et  surtout  dans  le  vaste  bassin  sans  profondeur  du  Tonlé- 
Sap.  Chaque  année,  en  dehors  de  la  consommation 
locale,  25  000  à  30000  tonnes  de  poissons  s'exportent  sur 
Singapour  (nourriture  des  coolies  hindous  et  chinois  de  la 
presqu'île  Malaise)  et  sur  Hong-Kong. 

MINES  ET  INDUSTRIES.  a0  L'inventaire 
des  ressources  minérales  est  à  peine  commencé.  Ce  que 


1  on  connaît,   surtout  au  TonLin.   suffit  cependant    pour 
faire  bien  augurer  de  l'avenir. 

D'abord  l'Indo-Chine  possède  delà  houille.  On  l'ex- 
ploite activement  dans  les  îles  de  la  baie  d'.Along  et  sur 
la  côte  voisine  (région  de  Hongay).  La  production  a 
passé  de  288000  tonnes  en  1908,  à  536000  en  1913 
f't  à  630000  en   1918.   Le  zinc,  très  abondant  au  Ton- 


RlzlMaïs  Poivr*- 

<>      'Coton    . 


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r.         .      C'^'nxni-lI'TlIl'VTR     l'uieA.  frrrrr  : 
1!;  ttuement atceai •    X  .K.-\..>  '^^^"Vl  Sslt.  rncomlructioa.  -. 
CARTE  Or  ^aiittirc- 

ÉCONOMIQUE 


;'j  CU^  à  ta  naviga 
'\'    tton  a  iapeur 


'"    ailturc-     p-ri  I 
Jii  riK  .— .^ 


^sr^ 


kin  (région  de  Tuyen-Quang,  Lang-Son,  Taï-Nguyen)  a 
fourni  I4(XX)  tonnes  de  minerai  en  1909,  33000  en 
1913,  43000  en  1916.  L'étain,  associé  au  wolfram, 
s'exploite  dans  la  région  deCao-bang.  Des  gisements  de 
fer.  de  cuivre,  de  plomb  ont  été  reconnus  sur  de  nom- 
breux points  du  Tonkin,  du  Cambodge  et  de  l'Annam. 

La  présence  de  ces  minerais,  de  la  houille  surtout, 
jointe  à  la  quantité  des  produits  agricoles  ou  forestiers 
que  l'on  peut  utiliser  sur  place,  permet  d'entrevoir  de 
fïelles  perspectives  pour  l'industrie  indo-chinoise  : 

D'abord  les  vieilles  industries  d'art  :  broderies,  scul- 
ptures, incrustations,  ciselures,  orfèvrerie,  travaux  d'é- 
caille,  etc..  dans  lesquelles  excelle  l'arti-san  annamite, 
méritent  d'être  conservées  et  perfectionnées  ;  c'est  à  quoi 


391 


L'ASIE 


sefïorcent  les  écoles  d'art  industriel  cre'ées  par  l'adminis- 
tration française,  notamment  en  Cochmchme. 

En  second  lieu,  la  grande  industrie  a  fait  des  débuts 
très  encourageants.  La  Cochinchine  se  spécicJise  dans  la 
préparation  du  riz  :  les  dix  grandes  rizeries  de  Cnolon 
traitent  chaque  jour  plusieurs  milliers  de  tonnes  de 
cette  céréale.  Au  Tonkin,  grâce  à  la  houille  et  à  l'abon- 
dance de  la  main-d'œuvre,  on  a  pu  créer  des  ÉJatures 
de  coton  (Hanoï,  Haïphong,  Nam-dinh),  des  distille- 
ries,  des  fabriques  d'allumettes,  des  usines  à  glaces,  des 
briqueteries,  de  très  importantes  usines  de  ciment 
(Haïphong),  des  fabnques  de  pongés,  de  cellulose,  de 
nattes  en  jonc,  des  scieries,  etc.  L'industrie  métallur- 
gique n'existe  pas  encore,  mais  on  ne  peut  passer  sous 
silence  les  ateliers  de  construction  mécanique  ou  mari- 
time (ateliers  et  arsenaux  de  Saigon  et  d'Haïphong.  ate- 
liers des  chemins  de  fer.  etc.). 

Sur  les  640  000  tonnes  de  charbon  produites  par  le  Tonkin  en 
191 9,  290  000  tonnes  furent  exportées.  II  y  a  donc  excédent  d'un 
combustible  que  l'Indo-Chine  pourrait  conserver  pour  ses  besoins 
propres.  Les  filatures  et  tissages  de  coton  et  de  soie,  les  industries 
du  bois  devraient  être  les  premières  à  en  profiter.  Notre  colonie 
cesserait  ainsi  de  payer  à  l'étranger  un  tribut  tort  lourd  pour  les 
cotonnades,  les  soieries  dont  se  vêlent  les  indigènes.  Elle  trouverait, 
dans  l'immense  Empire  Chinois  totalement  déboisé,  un  marché  iné- 
puisable pour  les  bois  de  construction  et  d'ameublement.  L'Anna- 
mite, adroit  et  intelligent,  devient  aisément  un  bon  ouvrier  d'usine, 
supérieur  au  Chinois  et  à  l'Hindou,  égal  au  Japonais.  Pendant  la 
Grande  Guerre,  l'Indo-Chine  a  fourni  à  la  France  plus  de 
30  000  ouvriers  spécialistes.  La  question  de  la  main-d'œuvre, 
capitale  en  pareille  matière,  ne  se  pose  donc  pas.  11  suffit  désormais 
de  déterminer  les  capitalistes  français  à  s'intéresser  aux  entreprises 
indo-chinoises,  d'attirer  le  personnel  d'ingénieurs  et  de  techniciens 
indispensable,  de  poursuivre  sans  arrêt  l'extension  du  réseau  ferré 
et  fluvial,  pour  donner  à  l'industrie  indo-chinoise,  complément 
nécessaire  de  sa  prospérité  agricole,  l'activité  à  laquelle  elle  peut  et 
doit  prétendre. 

LES  VOIES  DE  COMMUNICATION  ET 
LE  COMMERCE.  00  Avant  l'arrivée  des  Français, 
les  moyens  de  communication  se  réduisaient  à  quelques 
mauvcuses  pistes  presque  inutilisables  en  saison  pluvieuse, 
et  k  la  navigation  peu'  sampan. 

Aujourd'hui,  le  réseau  des  routes  indo-chmoises  couvre 
20000  kilomètres,  dont  5  000  empierrés.  Particulièrement 
nombreuses  dans  les  deltas  très  peuplés  du  Tonkin  et  de 
la  Cochinchine,  elles  ne  correspondent  point  toutes,  évi- 
demment, à  ce  que  nous  avons  coutume  de  considérer  en 
France  comme  une  '  '  bonne  "  route.  Les  terres  meubles, 
souvent  inondées,  sur  lesquelles  il  faut  les  bâtir,  la  violence 
des  averses  d'été  mettent  à  haut  prix  leur  construction  et 
leur  entretien.  Telles  quelles  cependant,  elles  n'en  ren- 
dent pas  moms  d  inappréciables  services,  et  le  développe- 
ment des  transports  par  voitures  automobiles  —  surtout 
en  saison  sèche  —  accroît  leur  rendement  dans  de  fortes 
proportions.  L'Ann-am,  le  Hauî-Tonkin,  le  Cambodge. 


le  Laos,  sont  naturellement  beaucoup  moins  bien  pourvus. 
La  circulation  ne  s'y  fait  guère  que  par  des  pistes  étroites 
accessibles  seulement  aux  chaises  à  porteurs,  aux  caVcJiers, 
ou  même  aux  éléphants. 

Les  transports  par  voie  d'eau  jouent  un  rôle  prépondé- 
rant dans  les  deltas.  Une  nombreuse  flottille  de  sampans 
indigènes  et  les  chaloupes  à  vapeur  de  la  Compagnie  des 
Messageries  fluviales  parcourent  les  bras  des  fleuves,  les 
canaux  qui  les  unissent.  Vers  l'intérieur,  les  fleuves  Indo- 
chinois ouvrent  des  voies  de  pénétration  qui  sont  cepen- 
dant d'une  improtance  moindre  que  la  vue  de  la  carte  ne 
pourrait  le  faire  supposer.  Au  Tonkin,  le  haut  Song-Koï, 
les  Rivières  Claire  et  Noire  ont  une  pente  trop  forte,  un 
lit  trop  encombré,  de  trop  grands  écarts  de  régime  pour 
se  prêtera  la  navigation  à  vapeur  en  amont  deViétri, de 
Tuyen-Quang  et  de  Hoa-binh.  Le  Mékong,  plus  profond, 
plus  régulier,  reçoitjusqu'enavaldes  rapidesdeKhongdes 
navires  d'un  fort  tirant  d'eau  qui  desservent  Cochinchine 
et  Cambodge.  Au  delà,  aprèstransbordementpar  la  petite 
voie  ferrée  qui  traverse  l'île  de  Khône,  un  nouveau  bief, 
coupé  en  deux  tronçons  par  les  rapides  de  Kemmarat, 
s'ouvre  jusqu'à  Vientiane.  Aux  hautes  eaux,  les  cha- 
loupes des  Messageries  fluviales  remontent  le  fleuve  sans 
transbordement  de  Khong  à  Vientiane  en  neuf  jours, 
.^ux  basses  eaux,  on  alterne,  suivant  les  lieux,  chaloupes 
à  vapeur  et  pirogues  à  rames. 

Des  voies  ferrées  complètent  —  mais  en  nombre  en- 
core fort  insuffisant  —  le  réseau  des  routes  et  des  cours 
d'eau  (2036  kilomètres  exploités  au  1^"^  janvier  1919). 
En  Cochinchine,  une  seule hgne  unit  Saïgon  à  Mythosur 
le  Mékong  et  à  Khanh-Hoa  (baie  de  Nha-trang)  dans 
le  Sud-Annam.  L'Annam  ne  possède  qu'un  tronçon  de 
ligne  cillant  de  Tourane  à  Quang-tri  par  Hué.  Au  Ton- 
kin, deux  voies  se  croisent  à  Hanoi  :  l'une,  partant 
d'Haïphong,  remonte  la  vallée  du  Song-Koï  et  atteint 
Yunnan-fou,  chef-lieu  de  la  riche  province  chinoise  du 
Yunnan.  L'autre  part  de  Langson,  sur  la  frontière  du 
Kouang-Si,et  s'arrête  à  Vinh  dans  le  Nord  de  l'Annam. 
On  travaille  à  la  prolonger  le  long  du  littoral  de  façon  à 
unir  par  voie  ferrée  le  Tonkin  et  la  Cochinchine.  Sur  cette 
ligne  future  s'embrancheront  d'autres  tronçons  (notam- 
ment une  voie  allant  de  Quang-tri  à  Savannaket  par  le 
col  d'A'ilao)  pour  desservir  les  monts  annamites  et  atti- 
rer vers  la  côte  les  produits  du  Laos. 

Le  développement  des  voies  de  communication,  l'exten- 
sion des  surfaces  cultivées,  la  mise  en  valeur  des  mines, 
le  bien-être  croissant  des  indigènes,  les  efforts  tenaces  de 
nos  colons  ont  leur  naturelle  répercussion  dans  le  chiffre 
sans  cesse  croissant  du  mouvement  commercial. 

Le  commerce  général  de  l'Indo-Chine  était  en  1891 
de  136000000  de  francs.  Il  passa  à  340000000  en 
1900.  à  453  000000  en  1906.  a  748  000  000  en  1913. 


392 


L'INDO-CHINE 


TABLEAUX  DU  COMMERCE  DE  L'INDO-CHlNE 
FRANÇAISE. 

Imporlations. 


PrindpoIeB  catégories. 

'     Année  1913. 
1  (V«l.  en  frano). 

Année  1920. 
(V«l.  en  (nna). 

50  000  000- 
20  000  000 
19  000  000 
15  000  000 

12  000  000 
9000  000 
7000  000 
8000  000 
7000  000 
5000  000 

140  000  000 
27  000  000 
54  000  000 

112  000  000 
(dont  92  000  OOQ 

en  traRsit) 
23  000  000 
34  000  000 
17  000  000 
32  000  000 
39  000  000 
25  000  000 

RIa 

Pétiole 

Papier 

etc 
Tol<d 

235  000  000 

1  094  956  000 

Exportations, 

Principales  catégories. 

Année  1913. 
(Val.  en  (nuics). 

Année  1920. 
(Val.  en  francs). 

1  227  000  000 

52  000  000 
25  000  000 
9000  000 
27  000  000 
19  000  000 
12  000  000 
3000  000 
3000  000 

39  000  000 

(dont  25  000  000 

de  caoutchouc). 

8000  000 

10  000  000 

15  000  000 

1  000  000 

92  000  000 

Riz. 

Matières  fabricuées  (nattes,  peaux  ou- 
vrée», (ils  de  coton,  etc) 

130  000  000 

15  000  000 
12  000  000 
9  000  000 
8000  000 
6000  000 
4000  000 
4  000  000 
4000  000 

3000  000 

3000  000 
2000  000 
2000  000 
1  000  000 
31  000  000 

M.is 

Charijon 

Zinc 

Huile     et    «ks    végétaux    (caoutchouc. 

Cannelle 

Ëlain  en  transit  venant  du  Yunnan... 
etc. 

Total...                  

285  000  000 

1  611  000  000 

En  1920,  bien  que  le  tonnage  des  marchandises  impor- 
tées ou  exportées  soit  demeure'  sensiblement  e'gal  à  ce 
quile'fait  en  1913,  l'augmentation  des  pri'c  et  la  hausse 
ce  la  piastre  indo-chinoise  ont  accru  considérablement  la 
valeur  des  achats   et  des   ventes. 

Les  premiers  ont  atteint  1  094936000  francs,  les 
secondes  I  81  1000000,  soit  un  total  de  près  de  trois 
milliards  de  francs. 


Suivant  les  riions  ce  commerce  le  décompose  einti  : 


Importations. 

Expoftatiofu. 

Cochinchine  . . . 

i  212  000  000  en  1913. 
(  655  000  000  en  1920. 
{    62  000  000  en  1913. 

161  000  000  en  1913. 

734  000  000  en  1920 

62  000  000  en  1913. 

407  000  000  en  1920. 

10  800  000  en  1913. 

30  000  000  en  1920. 

2  000  000  en  1913. 

8  000  000  en  1920. 

Annam 

Cambodge  . . 

1  411  000  000  en  1920. 
1      6  800  000  en  1913. 

'     16  000  000  en  1920. 

,      4  000  000  en  1913. 
'     1 1  000  000  en  1920. 

Ijb  commerce 
ou  par  le   port 

du  reste  tris  (aibla,  du  Uos   se 
Siamois   de   Bangkok. 

fait  par  la  Cochinchine,   , 

La  France  et  les  Colonies  françaises  prennent  encore 
une  part  trop  faible  au  mouvement  commercial  Indo- 
Chinois.  En  1920,  les  puissances  étrangères  vendirent 
a  rindo-Chine  pour  830  000  000  de  francs  de  mar- 
chandises diverses,  alors  que  notre  part  se  montait  à 
230000000  (à  peine  un  cinquième  du  total)  et  celle 
de  nos  colonies  à  14000000.  La  proportion  de  nos 
achats  fut  plus  faible  encore  :  1 63  000  000  pour 
nous,  14  pour  nos  colonies,  contre  1634  000000  pour 
l'étranger. 


CONCLUSION 


En  dépit  des  attaques  dont  furent  l'objet  ceux  qui  nous 
donnèrent  l'Indo-Chine  et  de  l'indifférence  avec  laquelle 
on  considéra  trop  longtemps  en  France  les  choses  indo- 
chinoises,  notre  colonie  a  su  grandir  et  prospérer.  Elle 
apparaît  aujourd'hui,  après  l'Afrique  du  Nord,  comme  la 
partie  la  plus  importante  —  et  de  beaucoup  —  de  notre 
domaine  colonial,  celle  qui  peut  nous  rendre  le  plus  de 
services  et  qu'attend  le  plus  magnifique  avenir. 

Nous  pouvons  trouver  chez  elle  la  majeure  partie  des 
denrées  coloniales  dont  nous  avons  besoin  et  nous  sous- 
traire ainsi  aulourd  tribut  que  nous  payons encoreàl'Inde, 
à  la  Chine,  à  llniulinde,  au  Japon,  à  I  Amérique.  Il  ne 
tient  qu'à  nous  d'en  faire  notre  grande  pourvoyeuse  de 
soie,  de  coton,  de  caoutchouc,  de  jute,  d'épices,  d'huiles 
végétales,  etc.  Au  marché  français  ou  européen  s'ajoute 
l'immense  marché  chinois,  soit  par  terre  grâce  aux  voies 


ferrées,  présentes  et  futures,  qui  convergent  vers  le  Ton- 
kin,  soit  par  cabotage.  La  main-d'œuvre  ne  manque  pas, 
elle  ne  peut  que  s'accroître  vite  grâce  à  la  cessation  des 
guerres,  aux  mesures  d  hygiène,  al  augmentation  du  bien- 
être  des  indigènes. 

La  situation  financière  est  excellente.  L'Indo-Chine 
n'a  besoin,  pour  mettre  complètement  en  valeur  les  res- 
sources si  multiples  dont  elle  dispose,  que  de  capitaux, 
d'indigènes  plus  instruits,  de  cadres  européens  plus  com- 
plets. 

Les  capitaux,  nous  pouvons  les  lui  fournir:  c'est,  mieux 
que  notre  devoir,  notre  intérêt,  et  les  quelque  200  000  000  de 
francs  engagés  dans  les  entreprises  agricoles  et  industrielles 
représententpourlesbaiileursd'argent.unplacementautre- 
ment  siir  que  de  vagues  mines  sud-américaines  ou  telles 
autres      affaires  "  étrangères  du  même  ordre  !  L'instruc- 


393 


L'ASIE .— 

tion  des  indigènes  est  commencée.  Les  Annamites,  sur- 
tout, nous  donnent  des  collaborateurs  très  appréciés  aussi 
bien  sur  les  plantations  que  dans  les  mines  et  les  di- 
verses industries.  Quant  aux  cadres  européens,  ils  existent 
déjà  mais  en  trop  petit  nombre.  Sur  les  18000  Français 
(sans  compter  les  troupes)  fixés  en  Indo-Chine,  les  fonc- 
tionnaires de  tous  ordres  comptent  pour  près  de  la  moitié  ! 
et  si  l'on  trouve  dans  les  grandes  villes  une  quantité  déjà 
respectable  de  maisons  de  commerce,  d  usines,  d  établis- 
sements français,  les  concessions  de  terrains  réellement 
exploitées  par  nos  colons  sont  encore  peu  de  chose  : 
1 02  000  hectares  en  Cochinchine  (dont  76  pour  1 00  de 


rizières,  23  pour  i  00  de  caoutchouc.  1  pour  100  de  poi- 
vriers); 53  000  hectares  au  Tonkin  (95  pour  100 
en  rizières),  8  000 hectares  en  Annam(jute,  caoutchouc, 
thé),  5000  au  Cambodge.  Il  y  a  cependant  encore, 
sans  compter  les  plus-values  que  de  meilleures  méthodes 
peuvent  donner  aux  espaces  déjà  cultivés,  des  millions 
d'hectares  encore  vierges.  C'est  là  un  champ  magnifique 
qui  s'ouvre  à  toutes  les  initiatives,  à  toutes  les  activités, 
à  tous  les  hommes  de  corps  robuste,  de  tempérament  au- 
dacieux. De  tels  hommes  ne  manquent  pas  en  France. 
Ce  sont  eux  qu'il  faut  attirer  en  Indo-Chine.  L'avenir  de 
notre  colonie  esta  ce  prix. 


CHAPITRE  XXV m 

L'ARCHIPEL  DES  PHILIPPINES 


SITUATION.  SUPERFICIE,  aa  La  guir- 
lande des  îles  Asiatiques,  que  nous  suivîmes  des  Kouriles 
à  Formose,  se  continue  au  Sud  des  Tropiques  par  l'Archi- 
pel des  Philippines.  Il  s'allonge  du  20^  au  5®  degré  de  lati- 
tude Nord  entre  le  Pacifique  et  la  Mer  de  Chine,  et  com- 
prend des  îles  innombrables  (plus  de  3  000)  dont  la  su- 
perficie totale  couvre  environ  300000  kilomètres  carrés. 
Les  principales  sont  :  Luçon  (106 000  kilomètres  carrés). 
Mindanao  (93  000),  Samar  (13000),  Leyte  (7000), 
Cébou  (4  500),  Bahol  (3  700)  et  Masbate  (3  200). 
(On  désigne  sous  le  nom  d'Iles  Visayas  le  groupe  cen- 
tral :  Panay,  Masbate,  Samar,  Leyte,  Negros,  Cebou. 
Bahol,  placé  entre  Luçon  au  Nord  et  Mindanao  au  Sud.) 

Des  seuils  sous-marins  de  très  faible  profondeur,  et  qui 
se  manifestent  à  la  surface  des  eaux  par  des  rangées  d'îles 
et  d'îlots,  relient  directement  les  Philippines  soit  à  For- 
mose, soitàl'Insulinde  :  îles  Batanes  et  Babouyanes  entre 


Formose  et  Luçon  ;  ileParagua,  archipel  deJoloouSoulou. 
entre  Bornéod'unepart,  Luçon  et  Mindanao  d'autre  part  : 
arcKipel  de  Bangi  entre  la  pointe  Sud  de  Mindanao  et 
la  corne  Nord  de  Célèbes.  Ces  seuils,  et  les  hautes  mon- 
tagnes qui  couvrent  l'Archipel,  contrastent  avec  les  grandes 
fosses  marines  qui  s'ouvrent  immédiatement  à  leur  pied  : 
Mer  de  Chine,  4000  mètres;  Mer  de  Jolo,  4  000  mètres; 
Mer  de  Célèbes,  5  000  mètres  ;  fosse  du  Challenger  dans 
le  Pacifique,  9  000  mètres.  Comme  le  Japon  et  la  majeure 
partie  de  l'Insulinde,  les  Philippines  bordent  une  ligne 
de  fracture  de  l'écorce  terrestre  :  elles  correspondent  à  une 
zone  de  faible  épaisseur  et  de  résistance  moindre.  Aussi 
devrons-nous  y  retrouver  la  plupart  des  phénomènes 
physiques  que  nous  fit  connaître  l'étude  du  Japon  :  abon- 
dance des  volcans  et  des  roches  d'origine  interne,  fré- 
quence des  tremblements  de  tene,  relief  chaotique  et 
convulsé. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


RELIEF.  ^£f  On  considère  généralement  les  Phi- 
lippines non  pas  comme  une  vieille  terre  bouleversée  par 
des  effondrements,  mais  plutôt  comme  un  archipel  de  ré- 
cente formation  qui  émergea  peu  à  peu  du  sein  des  eaux  à 
partir  de  la  seconde  moitié  des  temps  ter.  iaires.  Cette  émer- 
sion,  qui  porta  à  2000  pieds  d'altitude  des  formations  co- 
rcJligènes  autrefois  sous-marines,  fut  accompagnée  d'é- 
panchements  éruptifs  continus. 

"  A  côté  de  roches  volcaniques  anciennes  :  diorites,  gabbros. 
diabases,  mêlées  à  des  granits,  à  des  gneiss,  à  des  schistes  cristallins, 
apparaissent  des  basaltes,  des  andésites,  des  tiachytes,  des  laves, 
des  tufs   qui  s'étalent  en  "  planèzes  ",  s'arrondissent  en  dômes,  se 


dressent  en  cônes  isolés  aux  formes  géométriques.  Le  peu  que  I  on 
sait  encore  sur  le  relief  des  îles  ne  permet  pas  de  distinguer  les 
lignes  directrices  des  principaux  mouvements  de  terrain.  Dans  la 
portion  vraiment  insulaire  de  PArchipelchaque  île  est  essentiellement 
constituée  par  un  massif  d'ongme  volcanique  dont  le  grand  axe 
détermine  la  grande  dimension  de  l'île  et  qui  est  bordé  par  une 
bande  relativement  étro  te  de  rivages  faits  surtout  de  sédiments  vol- 
caniques et  de  coraux.  "  (F.  Mauretle.) 


A  Luçon,  une  série  de  massifs  orientés  Nord-Sud  . 
Cordillère  orientale  et  centrale,  Ilocos,  Zambales,  sont 
coupés  par  des  dépressions  profondes,  couvertes  de  sédi- 
ments  volcaniques  et   d'alluvions,   sillonnées  de  rivières 


394 


L'INDO-CHINE 


UN  CANAL  A  BANGKOK.  La  capitale  du  Siam  est  siluée  sur  U  Mcnam,  à  quelifues 
kilomètres  de  la  mer,  au  milieu  du  fertile  delta  construit  par  le  fleuve.  Si  les  très 
grands  navires  doivent  s'arrêter  à  son  avanl-bort  de  Paknam,  tts  vapeurs  de  moyen 
tonnage  remontent  aisément  Jusqu'à  Bangkok-  D'autre  part,  une  nombreuse  ftottille  de 


sampans  remorqués  par  des  canots  à  vapeur  circule  sur  le  Ménam  et  ses  affluents. 
Tout  ce  trafic  conflue  vers  les  quais  de  la  grande  cité  siamoise,  dont  la  population 
atteint  aujourd'hui  plus  de  650  000  individus,  sur  lesiuds  on  ne  compte  pas  moins 
de  240  000  Chino-s.  Cl.  Isonoza. 


DES  FEMMES  ANNAMITES  AU  PUITS  DU  VILLAGE.  Les  Annamites 
forment  le  groupe  le  plus  important  de  nos  sujets  indo-chinois.  Originaires  de  la  Chine 
du  Sud.  ils  se  sont  établis  dans  toutes  les  basses  terres  du  Tonkin,  de  l'Annam  et  de  la 
Cochinchine,  laissant  les  montagnes  aux  Moi,  aux  Khas  et  autres  tribus  de  "  icuvages". 


De  petite  taille,  mais  bien  proportionnés,  souvent  robuilcs  ci  trapus,  iU  s'aaoruicnt 
avec  prédilection  aux  travaux  agrict^es.  Hommes  et  femmes  se  vêlent,  se  coiffent  de 
la  même  façon.  Remarquez  le  grand  rôle  joue  en  Annam  comme  en  tant  d'autres  pays 
"  neufs"  par  les  bidons  de  pétrole  qui  se  substituent  peuàpeuaut  cruches  J'autr^w. 


395 


L'ASIE 


T^^HHp  ^^HH 

aJ 

'^iyË'liiB 

LA  PAGODE  DE  PNOM-PENH.  Pnom-Penh  est  la  ville  principale  du  Cambodge 
et  lu  résidence  du  roi.  Fort  bien  placée,  au  point  de  croisemeni  de  plusieurs  voies  flu- 
viales, elle  est  destinée  à  un  bel  avenir,  lorsque  ta  navigabilité  du  Mékong  sera  amé- 
liorée et  lorsque  l' arrière-pays  sera  mis  en  valeur. 


HANOI  :  LE  MARCHÉ.  Depuis  1902,  Hanoï  a  remplacé  Saigon  comme  capitale 
de  V Indo-Chine  française   Elle  est  peuplée  de  IIO  000  habitants  et  se  divise  en  deux 
quartiers  :  l'un,  très  animé   réservé  aux  indigènes  ;  l'autre  plus  calme,  où  les  EurO' 
péens    vivent    dans    des   demeures   confortables   et   coquettes. 


MAISONS  DE  PÊCHEURS  PHILIPPINS. 
LES  PHILIPPINES.  L'archipel  des  Philippines,  d'abord  peuplé  de  négroïdes  pygmées 
dont  quelques  descendants  subsistent  encore  dans  les  forets  les  moins  accessibles,  fut 
par  la  suite  envahi  par  des  populations  malaisesqui,  pécheurs  sur  la  côte,  agriculteurs 
à  l'intérieur,  composent  aujourd'hui  la  presque  totalité  des  Philippins,  mais  se  répar. 


ENFANTS  MOROS. 
tissent  suivant  leur    degré  de   culture  en   sauvages    (l  000000  environ)    et  civilisés 
{7  000  000).  Parmi  les"  sauvages  "  prennent  place  les  Moros.  Malais  musulmans  qui, 
pendant  des   siècLs,  dévastèrent  et  rançonnèrent   tous  les   rivages  des   îles.  Depuis 
l'occupation  américaine,  leurs  mœurs  se  sont  fort  adoucies.  CI.  Encinas. 


LE  MGN'r.-DAJO  (ILES  PHILIPPINES).  L'un  des  nombreux  volcans  qm  s'ali- 
Snent  dans  l'Archipel  Philippin,  comme  au  Japon  et  à  Java.  Le  climat  tropîccd 
l.tiTnidt  fcvûrist  la  vigueur  et  la  variété  de  la  végétation  naturelle  ainsi  que  les  cul- 
tures dt  riz,  de  tabac,  de  carme  à  sucre,  de  cocotier,  d'abaca,  etc. 

39Ô   ■ 


UN  COIN  DE  MANILLE.  Fondée  par  les  Espagnols  au  Sud-Ouest  de  l'ile  de 
Luçon.  la  capitale  des  Philippines  se  développe  sur  les  rioes  du  Pasig.  au  fond  d'une 
rade  immense  et  profonde.  C'est  le  port  le  plus  actif  et  la  seule  cité  vraiment  indus- 
trielle de  l'ArchipeL  Sa  population  s'élève  à  plus  de  300  000  âmes. 


L'ARCHIPEL  DES  PHILIPPINES 


lentes.  Ces  de'pressions.  très  fertiles,  devaient  attirer  et 
fixer  les  hommes  :  elles  sont  un  des  éléments  géographi- 
ques les  plus  importants  de  l'Archipel.  Mir.danao  a,  elle 
aussi,  des  alignements  et  des  dépressions  Nord-Sud,  mais 
1  île,  couverte  de  forêts  vierges,  habitée  par  des  indigènes 
sauvages,  est  encore  trop  mal  connue  pour  que  l'on 
puisse  donner    sur  son  relief  des  détails  plus  précis. 

Dans  l'ensemble,  il  faut  donc  se  représenter  l'Archipel 
comme  un  groupe  de  terres  montagneuses,  au  relief  très 
confus,  très  déchiqueté,  profondément  ravinées  par  l'éro- 
sion. Les  vraies  plaines  y  sont  fort  rares  et  de  petite  éten- 

CLIMAT  DES  PHILIPPINES 


Températures 

moyennes 

-S 

Mois 

l 

1 

Mabom- 

3 

i 

-e 

1 

; 
■a 

S 
.s 

i. 

OlMefvatians 

Manille 

I4''35 

26M 

24°5 

un 

yQ 

1  915 

20  p. 
80  p. 

100  de  novembre  à  mû. 
100  de  juin  À  octobre. 

AIUt 

I3°9 

25°4 

Zi'A 

27% 

4°2 

2960 

1  59  p. 
'  41  p. 

100  de  mai  i  octobre. 

Do  lia 

10°42 

26°6 

^' 

28<0 

2°9 

1  73 

(  29  p. 
(  71  p. 

100  de  mai  à  octobre. 

due.  Çà  et  là  pointent  des  volccins  (le  plus  élevé,  l'Apo, 
dans  Mindanao,  atteint  3  143  mètres)  dont  une  vingtaine 
en  activité.  De  beaux  lacs  dorment  au  cœur  d  anciens 
cratères.  Pas  de  fleuve  digne  de  ce  nom  :  le  plus  long, 
le  Cagayan,  n'a  que  350  kilomètres  ;  mais  de  nombreux 
torrents  aux  eaux  chargées  d'alluvions  qui  colmatent  peu 
à  peu  le  fond  des  baies.  Les  côtes,  prodigieusement  dé- 
coupées, bordées  de  hautes  fadaises,  d'écueiis  et  de  co- 
raux, ont  tous  les  caractères  des  rivages  japonais.  Enfin, 
les  tremblements  de  terre  se  produisent  avec  une  fréquence 
égale  à  celle  qui  nous   frappa  dans  l'Ejnpire  du  Soleil 
Levant.  Beaucoup,  il  est  vrai,  ne  sont  sensibles  qu'aux 
appareJs  spéaaux  installés  à  l'Observatoire  de  Manille. 
D'autres,  qu'accompagnent  parfois  des  raz  de  marée,  se- 
rvent la   cause   de  catastrophes  trop  fréquentes  si  l'on 
ne  prenait  contre  eux  les  mêmes  précautions  qu'au  Japon  : 
maisons  basses  et  légères,  construites  en  clayonnage  de 
bambous  reposant  sur  des  pilotis  ou  sur  un  socle  de  ma- 
çonnerie épaisse  et  peu  élevée. 

Situé  tout  entier  entre  le  Tropique  et  l'Equateur,  l'Ar- 


chipel Philippin  a  partout  un  climat  très  chaud  et  très 
humide.  Si  l'on  met  à  part  les  sommets  des  plus  hautes 
montagnes,  les  températures  moyennes  annuelles  ne 
s'abaissent  pas  au-dessous  de  25°  quelle  que  soit  la  lati- 
tude. Eln  mai,  qui  est  généralement  le  mois  le  plus  chaud, 
on  note  à  Manille  28°,2.  à  llo-llo  28°,  i  Albay  27°.6. 
En  décembre  ou  janvier,  le  thermomètre,  dans  ces  trois 
stations,  marque  encore  24°,5,  25°,  I  ,et  23°,4.  Partout  la 
hauteur  de  l'eau  amenée  par  les  moussons  du  Sud-Ouest  et 
du  Nord- Est  dépasse  I  m.  70.  Elle  atteint  même  de 
2  m.  50  à  4  mètres  sur  les  versants  du  Pacifique  qui  sont 
arrosés  en  toute  saison,  tandis  que  les  côtes  occidentales 
connaissent,  de  novembre  à  mai,  une  véritable  saison 
sèche  (comparez,  dans  les  observations  du  tableau  précé- 
dent, le  pourcentage  des  pluies  suivant  les  saisons,  à  Al- 
bay sur  la  côte  du  Pacifique  et  à  Manille  ou  llo-llo  sur 
le  versant  opposé). 

Des  cyclones  ou  '  baguios  "  se  déchaînent  trop  sou- 
vent sur  l'Archipel.  Les  uns,  les  moins  importants,  sont 
le  résultat  de  dépressions  locales  qui  se  produisent,  de 
décembre  à  mars,  sur  le  Sud  des  Visayas  et  sur  Minda- 
nao ".  Les  autres,  plus  redoutables,  éclatent  de  juin  à 
septembre  ;  ils  ont  pour  origine  le  Pacifique  et  se  dépla- 
cent vers  la  Mer  de  Chine  et  le  continent  asiatique  en  tra- 
versant Luçon.  En  vingt  ans,  on  ne  compta  peis  moins 
de  397  "  bciguios  "dont  245  passèrent  dans  la  région  de 
Manille.  Navires  jetés  à  la  côte,  plantations  dévastées,  vil- 
lages détruits,  tels  sont  les  effets  ordinaires  des  plus  vio- 
lents de  ces  typhons. 

L'humidité  et  la  chaleur  constemte  du  climat,  jointes  à 
l'extrême  fertilité  naturelle  des  terrains  volcaniques,  favo- 
risent l'exubérance  de  la  vie  végétale.  Sauf  dans  les  ré- 
gions défrichées  par  l'homme,  la  forêt,  de  type  tropical, 
couvre  l'Archipel  tout  entier,  des  sommets  à  la  mer.  Bam- 
bous, peJmiers,  cocotiers,  fougères  eirborescentes  se  mêlent 
aux  arbres  de  haute  futaie,  unis  par  l'inextricable  lacis  des 
lianes.  Sur  les  hauts  lieux,  au-dessus  de  I  800  mètres, 
apparaissent  les  conifères  et  quelques  plantes  alpines. 

On  peut  noler  d"abord  que  nulle  part  il  n'esl  possible  de  dis- 
tinguer les  forêts  à  feuillage  persistant  des  forêts  à  feuillage  caduc, 
car  elles  coexistent  partout  étroitement  ;  en  second  lieu,  que  les 
(ormes  végétales  diffèrent  sensiblement  de  celles  des  archipels  voi- 
sins, ce  qui  prouve  un  isolement  déjà  ancien  de  l'Archipel.  Cet 
isolement  estconfirmé  par  les  études  relatives  à  la  faune  philippine  : 
absence  presque  totale  des  grands  mammifères,  relativement  nombreux 
dans  le  reste  de  la  Malaisie,  et  spécialité  de  la  faune  de  chaque 
lie  :  sur  286  espèces  vivant  à  Luçon,  5 1  lui  appartiennent  en 
propre  et  ne  se  retrouvent  point  ailleurs. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


Du  xvi'^siècle  à  la  fin  du  Xix',  les  Philippines  demeu- 
rèrent aux  mains  des  Espagnols.  EJles  appeu'tiennent  de- 


ctoCKATHii  tntrvnsELLE 


puis  1898  aux  Etats-Unis,  et,  au  recensement  de  1918, 
leur  population  se  montait  à   10  350000  hat>itants. 


397 


39 


-: L'ASIE  : 

LES  RACES.  00  A  l'origine,  les  Iles  ne  durent 
être  peuplées  que  de  négroïdes-pygme'es  à  la  peau  noire, 
au  nez  large  et  plat,  aux  cheveux  crépus,  aux  membres 
très  grêles.  Ces"  Ne'gritos",  appelés  Aetas,  proches  pa- 
rents des  négrilles  d'Andaman  et  de  Nouvelle-Guinée,  se 
trouvent  encore  en  petit  nombre  (20000  au  plus)  dans 
les  régions  les  moins  accessibles  de  Luçon,  de  Négros, 
de  Mindanao  surtout.  Répartis  en  tribus  minuscules  ou 
même  en  familles  isolées,  ils  ignorent  culture  et  commerce, 
vivent  en  chasseurs  nomades  et  fuient  le  civilisé. 

A  une  époque  indéterminée  se  produisirent  des  sénés 
d'invasions  Malaises  qui  anéantirent  les  Négntos  ou  les 
refoulèrent  à  l'intérieur.  Ces  Malais  composent  aujour- 
d'hui la  presque  totalité  des  Philippins. 

Les  statistiques  américaines  les  répartissent  en  sauvages 
et  civilisés. 

Les  "  sauvages  "  (les  Espagnols  disaienl  :"Infieles  ,  c'esl-à-dire 
païens),  au  nombre  de  1  000000,  se  groupent  dans  les  régions 
économiquement  déshéritées  :  montagnes  et  forêts  de  l'intérieur, 
côtes  du  Pacifique  et  de  la  Mer  de  Célèbes.  Ilongos  de  Luçon. 
Mangyan  de  Visoro,  Bukidnon,  Manobo.  Mandata.  Bragobo  de 
Mindanao.  vivent,  comme  les  Négritos,  de  chasse  et  de  pèche,  ou 
bien  ont  déjà  franchi  ce  stade  primitif  et  connaissent  les  éléments 
dune  culture  rudimentaire  qui  leur  donne  une  existence  mi-séden- 
taire,  mi-nomade.  (Cf.,  dans  le  chapitre  consacré  à  l'Afrique  Equa- 
torlale,  la  vie  des  Fangs  dans  les  forêts  congolaises.)  Beaucoup 
d'entre  eux  sont  encore  de  féroces  coupeurs  de  têtes,  et  la  guerre 
est  permanente  de  clairière  à  clairière,  de  tribu  à  tribu. 

Le  Sud  de  Mindanao  et  l'Archipel  de  Soulou  sont  occupés  par 
des  Malais  musulmans  :  les  Moros,  qui  terrorisèrent,  dévastèrent  et 
rançonnèrent  pendant  des  siècles  tous  les  rivages  de  l'Archipel. 
Déjà  contenus  par  les  Espagnols,  l'occupation  américaine  les  a 
réduits  à  l'impuissance. 

Les  civilisés  (appelés  Indios'  parles  Espagnols)  de 
beaucoup  les  plus  nombreux  (plus  de  9000000)  peuplent 
toutes  les  régions  économiquement  favorisées  :  dépressions 
fertiles  de  Luçon,  côtes  intérieures  où  les  échanges  sont 
fréquents  et  faciles,  côtes  Nord-Occidentales,  "  qui  re- 
gardent la  Chine,  foyer  de  commerce  et  de  civilisation  ". 
Leurs  groupes  principaux  portent  le  nom  de  Tagal, 
Vicol  et  Visayas.  Convertis  au  catholicisme,  beaucoup 
d'entre  eux  ont  adopté  le  costume  européen,  parlent  l'es- 
pagnol ou  l'anglais,  lisent  des  journaux  écrits  dans  ces 
langues  ou  en  dialecte  indigène.  Ils  habitent  des  villages 
aux  maisons  propres  et  gaies,  perchées  sur  des  pilotis, 
enfouies  sous  la  verdure  desgrands  arbres.  Chaquefamille 
possède  son  petit  champ  qui  lui  assure  de  quoi  subsis- 
ter sans  grande  peine. 

.^ux  indigènes  s  ajoutent  un  petit  nombre  d  étreingers  : 
20  0(K)  Américains  et  Européens  (y  compris  les  troupes) 
et  50  000  Chinois.  Depuis  1902,  l'arrivée  de  nouveaux 
immigrants  Chinois  est  interdite  aux  Philippines  comme 
aux  Etats-Unis.  Les  Jaunes,  en  effet,  ruinaient  les  indigènes 
par  la  pratique  des  prêts  usuraires  et  tendaient  à  mo- 
nopoliser tout  le  commerce. 


LA  MISE  EN  VALEUR.  00  L'occupation 
espagnole  n'avait  pas  été  très  favorable  à  l'Archipel.  On 
ne  cherchait  qu'à  exploiter  par  tous  les  moyens  une  po- 
pulation tenue  dans  un  demi-esclavage.  Rien  n'était  fait 
pour  explorer  le  pays,  utiliserses  ressources  multiples,  créer 
desvoiesde  communication,  développer  les  relations  com- 
merciales avec  l'Amérique  et  l'Europe.  .Aussi  les  Philip- 
pins accueillirent-iIs  les  .•\mericains  comme  des  libé- 
rateurs. 

Cependant  les  progrès  réalisés  depuis  1902,  quoique 
notables,  ne  sont  point  tels  qu'on  aurait  pu  le  supposer. 
La  cause  en  est  d'abord  au  tempérament  même  des  ha- 
bitants :  souvent  intelligents,  prompts  à  s  assimiler  les 
arts  et  les  métiers  des  blancs,  ils  doivent  au  climat,  à  la 
facilité  de  la  vie  matérielle,  une  indolence,  une  paresse 
dont  on  triomphe  malaisément.  De  plus,  et  surtout,  la 
situation  politique  des  Philippines  n'est  pas  encore  nette- 
ment définie. 

On  ne  sait  si  l'Archipel  demeurera  possession  américaine  ou  s  il 
deviendra  un  Etat  libre  comme  le  demandent  nombre  de  Philippins 
et  conformément  aux  promesses  formelles,  faites,  dès  le  début,  par 
les  Etats-Unis.  Cette  indécision  empêcha  jusqu  ici  les  financiers  et  les 
hommes  d'affaires  américains  de  s  intéresser  fortement  à  la  mise  en 
\  aleur  d'un  archipel  en  grande  partie  peuplé  de  demi-sauvages  chez 
()ui  l'indépendance  complète  serait  sans  doute  synonyme  d  anarchie. 
Les  Américains  n'ont  donc  pu  introduire  aux  Philippines  leurs 
capitaux  comme  ils  l'ont  fait  à  Cuba,  à  Porlo-Rico  ou  aux  Iles 
Hawaï  ;  ils  n'ont  pas  monté  d  importantes  usines,  ils  n  ont  pas  donné 
aux  Iles  l'outillage  nécessaire  à  l'exploitation  intérieure  de  leurs 
richesses  naturelles.  Les  progrès  réalisés  sont  dus  à  peu  près 
exclusivement  aux  efforts  et  aux  subsides  du  Gouvernement  Phi- 
lippin (gouvernement  auquel  participent  directement  les  indigènes)  et 
non  pas  à  l'initiative  des  étrangers. 

.Aussi  les  Philippines  qui,  grâce  a  la  fécondité  de 
leur  sol,  pourraient  devenir  "  un  autre  Japon  ',  ne  jouent- 
elles  qu'un  rôle  restreint  dans  la  vie  économique  du  monde. 
Les  terrains  défrichés  necouvrent  encore  que  1 0  pour  100 
de  la  superficie  totale  (surtout  dans  les  Visayas  centrales 
et  certaines  régions  de  Luçon  :  Mindanao  n  a  que 
2  pour  1 00  de  sa  superficie  mise  en  culture,  et  Paragua 
0,  02  pour  100).  Les  méthodes  demeurent  fort  arriérées 
malgré  la  multiplication  des  écoles  et  le  caractère  pratique 
donné  à  l'enseignement.  Les  animaux  de  ferme  font 
presque  entièrement  défaut.  ' 

L'agriculture  est  naturellement  la  ressource  essentielle 
des  Philippines.  Le  riz.  qui  forme  la  base  de  la  nourri- 
ture et  qui  s'exportait  autrefois  en  Chine,  ne  suffit  pas  à 
la  consommation  :  on  doit  en  importer  de  grandes  quan- 
tités provenant  de  Chine  et  de  l'Indo-Chine.  Par  contre, 
les  plantations  d'  "  '  abaca  "  ou  de  chanvre  de  Manille 
(provenant  d'une  espèce  de  bananier)  et  de  cocotier  dont  le 
fruit  donne  le  coprah,  ont  été  fort  encouragées  et  gagnent 
chaque  année  du  terrain.   11  en  est  de  même  du  tabac,  de 


398 


qualité  presque  aussi  réputée  que  les  tabacs  cubains.  Le 
sucre  de  canne,  principal  article  cl'exportation  jusqu'en 
1 887 .  avait  perdu  de  son  importance  par  suite  de  la  concur- 
rence des  sucres  de  betteraves.  Il  n'en  tenait  pas  moins 
en  1913  la  seconde  place  sur  le  tableau  des  denre'es  ven- 
dues par  l'Archipel,  et  la  période  de  la  Grande  Guerre 
a  fort  accru,  temporairement  sans  doute,  la  surface  des 
plantations.  Le  cotonnier  qui  réussirait  à  merveille,  le 
cacaoyer,  le  caféier  ne  comptent  pas. 

Ni  les  gisements  métallifères,  ni  les  forêts  ne  donnent 
encore  lieu  à  une  exploitation  de  quelque  importance  et 
l'industrie,  concentrée  surtout  à  Manille,  ne  comprend 
qu'un  nombre  restreint  d'établissements  où  l'on  fabrique 
du  sucre,  des  cigares,  des  cordages,  et  des  chapeaux  de 
paille. 

En  191  3,  on  comptait  dans  Luçon  772  kilomètres  de 
chemins  de  fera  voie  étroite,  135  à  Panay,  103  àCébou. 
11  faut  y  ajouter  2  500  kilomètres  de  routes  empier- 
rées. 

Avant  la  Grande  Guerre,  )a  valeur  des  transactions  commer- 
ciales avait  grandi  lentement  mais  régulièrement,  passant  de.« 
65000000  de  dollars  en  1902.  à  77  000000  en  1910  et 
1 09  000  000  en  1913.  partagés  à  peu  près  également  entre  les 
importations  (56)  et  les  exportations  (51).  La  période  de  la  Guerre 
a  été  pour  les  Philippines  l'occasion  et  la  source  d'une  prospérité 
inespérée.  La  valeur  —  sinon  le  volume  —  des  produits  qu'elles 
exportent  s'esl  trouvée,  en  effet,  considérablement  accrue;  d'où  un 
alRux  de  numéraire  qui  a  singulièrement  augmenté  le  bien-être  des 
indigènes  et  leurs  facultés  d'achat. 

Aussi,  en  1920,  les  exportations  se  sont-elles  élevées  jusqu'à 
151  000  000  de  dollars,  et  les  importations  à  150  000  000.  Cela 
donne  par  tète  d'habitants  et  par  an  une  moyenne  de  30  dollars, 
à  peine  moins  forte  que  la  moyenne  du  Japon. 

Aux   exportations,  le  chanvre  de  Manille.  c]Ui   tenait  la   tête  en 


L'INSULINDE 

|yi>  1,4V  p.  luU  du  total),  passe  au  second  rang  en  1920 
(24  p.  100)  lorlcmenl  distancé  par  le  sucre  (20  p.  100  en  191  3. 
33  p.  100  en  1920).  Puis  viennent  les  produits  du  coprah  (18  p.  100). 
le  labac  (15  p.  100),  les  fibres  de  sisal  et  quelqui-s  ohjcis  sorlis 
des  ateliers  indigènes  :  broderies,  chapeaux  de  paille,  etc. 

Les  importations  portent  toujours,  comme  avanl-gucrre,  sut  les 
colonnades  (23  p.  100),  certaines  denrées  alimenlaiirs  (riz  surtout, 
farine,  poissons  14  p.  100  en  tout),  'es  objets  en  fer  et  en  acier,  et 
les  combustibles. 

Les  Etals-Unis  font,  nalurellcmenl.  la  plus  grosse  pari  du  com- 
merce philippin.  Ils  achètent  70  p.  100  des  produits  exportés, 
el  fournissent  62  p.  100  des  importations.  A  leur  suite  —  et  très 
loin  derrière  —  se  classent  le  Japon  (10  p.  100).  le  Royaume- 
Uni  (6  p.  100),  la  Chine  (4  p.   100),  l'Indo-Chine  française,  etc. 

La  capitale  de  l'Archipel,  Manille,  fondée  parles  Espa- 
gnols au  Sud-Ouest  de  Luçon,  se  développe  au  fond 
d'une  rade  immense  et  profonde  sur  les  rives  du  Pasig, 
petit  fleuve  qui  sert  de  déversoir  au  beau  lac  de  Bay. 
Elle  comptait,  en  1918,  283  000  habitants.  La  vieille 
cité  espagnole,  aux  rues  étroites  et  sombres  bordées  de 
couvents,  contraste  avec  les  nouveaux  quartiers  habités 
par  les  Blancs,  les  Chinois  et  les  indigènes.  Manille  est 
non  seulement  le  centre  du  Gouvernement,  mais  aussi  le 
port  le  plus  actif  et  la  seule  ville  vraiment  industrielle  des 
Philippines.  En  été,  la  plupart  des  résidents  étrangers  se 
transportentau  sanatorium  de  Baguio.  dans  les  montagnes 
del'interieur.  Laoag  (46000  habitants).  .'\lbay(43000). 
NuevaCaceres  (40000),  Vigan  (38000).  sont  les  loca- 
lités les  plus  importantes  de  Luçon.  Mais  les  ports  de  Ilo- 
llo  dans  l'île  de  Panay,  et  de  Ctbou  dans  l'île  du  même 
nom),  ont  une  population  plus  grande  (60000  habitants 
chacun),  et  se  rangent  immédiatement  après  Manille  sur 
la  liste  des  places  commerçantes. 


CHAPITRE  XXIX 


L'INSULINDE 


On  donne  le  nom  d'Insulinde  ou  d'Indonésie  (ou 
encore  d'Indes  Orientales  et  d'Archipel  Malais)  à  l'en- 
semble d'îles  grandes  et  petites  comprises  entre  la 
presqu'île  de  Malacca  d'une  part,  les  Philippines,  la 
Nouvelle-Guinée,  l'Australie  d'autre  part.  Elles  couvrent 
plus  de  2  000  000  de  kilomètres  carrés  et  appartiennent 
tout  entières  à  la  Hollande,  sauf  le  Nord  de  Bornéo  et 
la  moitié  orientale  de  Timor.  On  peut  les  répartir  en 
quatre  groupes  principaux  ;  1  '  les  îles  de  la  Sonde 
subdivisées  elles-mêmes  en  grandes  Iles  (Sumatra. 
435000  kilomètres  carres).  Java  (135000),  et  petites 
îles(Bali,  Lombok,  Soumbava,  Soumba,  Florès,  Timor)  ; 
2"  Bornéo,   (746000    kilomètres    carrés);    3"   Célèbes 


(189000  kilomètres  carrés);  4  l'Archipel  des  Mo- 
luques  (55  000  kilomètres  carrés).  Elles  occupent  une 
situation  symétrique  à  celle  de  l'Amérique  Centrale  et 
des  Antilles  sur  une  zone  de  dislocation,  au  point 
de  croisement  des  grandes  lignes  de  fracture  orientées 
Nord-Sud  et  Elst-Ouest,  au  point  de  contact  de  deux 
vastes  océans  et  de  deux  masses  continentales. 
Comme  le  Centre-Amérique,  elles  se  caractérisent 
par  l'abondance  des  volcans,  la  fréquence  des  trem- 
blements de  terre,  la  chaleur  constante  et  l'humidité 
du  climat,  l'exubérance  de  la  végétation,  la  fécondité 
naturelle  du  sol.  Mais  elles  l'emportent  par  l'ampleur 
des  terres  utilisables,  la  densité  de  la  population,  surtout 


399 


L'ASIE 


par  le  fait  qu'elles  ne  forment  point  une  barrière  entre 
deux  oce'ans  égcJement  vides,  méùs  qu'elles  com- 
mandent l'une  des  routes  commerciales  les  plus  impor- 
tantes du  monde,  celle  qui  de  l'Europe  et  de  l'Inde 
mène  à  la  Chine  et  au  Japon  par  le  détroit  de  Malacca. 
Pour  l'instant,  Java  est  la  seule  des  terres  mdonésiennes 
que  l'on  connaisse  p2irfaitement  et  qui  soit  tout  entière 
mise  en  valeur.  Elle  nourrit,  du  reste,  à  elle  seule  les 
quatre  cinquièmes  de  la  population  totale  (34  000  000  sur 
47000000).  Sur  Bornéo.  Célèbes  et  Sumatra,  qui  sauf 


quelques  districts  du  littoreJ,  sont  recouvertes  par  d'im- 
menses forêts  vierges,  nous  n'avons  encore  que  des  no- 
tions fragmentaires  analogues  à  celles  que  l'on  possède 
sur  maints  territoires  du  Centre  Africain.  Lorsque  sera 
achevée  l'exploration  de  l'Insulinde,  lorsque  les  ressources 
innombrables  de  toutes  les  îles  seront  reconnues  et 
exploitées  comme  elles  le  sont  à  Java,  l'Archipel  McJcds 
pourra  prendre  rang  à  côté  de  la  Chine,  de  l'Inde,  du 
Japon,  petfnu  les  foyers  d'humanité  les  plus  peuplés,  les 
plus  productifs  de  l'univers. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


LE  RELIEF.  ^^  L'Insulinde  n'est  qu'un  frag- 
ment détaché  de  l'Asie,  comme  la  Grande-Bretagne 
l'est  de  l'Europe.  Au  Sud  de  l'Indo-Chine,  en  effet,  le 
continent  asiatique  se  prolonge  jusqu'à  Sumatra,  Java  et 
Bornéo,  par  une  large  plate-forme  sous-marine  recou- 
verte de  quelques  dizeiines  de  mètres  d'eau  seulement, 
(cf.  la  Mer  du  Nord  et  la  Manche).  Sur  le  rebord 
extérieur  de  ce  socle  continental  sont  venues  se  mouler, 
aux  temps  tertiaires,  deux  séries  de  plissements  contem- 
porains des  grands  plissements  alpins  :  au  Sud,  l'Arc 
Malais,  orienté  Nord-Ouest-Sud-Est,  prolongement  des 
chciînes  de  Birmanie  et  de  la  presqu'île  de  Malacca, —  à 
YEst,  l'Arc  des  Moluques,  qui  se  relie  aux  Philippines 
et  à  Formose.  Ces  plissements  s'accompagnèrent  d'effon- 
drements, de  cassures  qui  disloquèrent  les  chaînes,  les 
brisèrent  en  fragments,  donnèrent  aux  Moluques  et  à 
Célèbes  leurs  formes  bizarres,  creusèrent  les  profonds 
abîmes  circulaires  de  la  mer  de  Célèbes  ( —  5  024  mètres) 
de  la  mer  de  Banda  ( — 4000  mètres),  de  l'Océan  Indien 
où  la  sonde  descend  à  7  000  mètres  dans  le  voisinage  immé- 
diat de  Java.  En  même  temps,  par  les  fissures  du  sol,  se 
firent  jour  les  roches  en  fusion.  Elles  édifièrent  sur  les  flancs 
des  montagnes  une  série  de  volcans  sans  égcJe  au  monde. 
Sumatra  en  compte  90,  d'une  hauteur  moyenne  de 
3  000  mètres  (Sinoboeng,  3  700  mètres,  mont  Ophir, 
Merapi,  etc.).  Java  n'en  a  pas  moins  de  140  (Salak, 
Gedi.Papandayang  à  l'Ouest,  Slamat,Sindore  au  Centre, 
Sameroe,  3670  mètres,  Tengger  à  l'Est).  Beaucoup 
d'autres  se  dressèrent  au-dessus  des  petites  îles  de  la 
Sonde  et  des  Moluques.  Cette  ampleur  des  phéno- 
mènes volcaniques  récents  est  le  trait  le  plus  caracté- 
ristique des  îles  extérieures.  Tous  les  paysages  de 
Java  ont  comme  fond  de  tableau  un  ou  plusieurs 
cônes  majestueux  vêtus  de  forêts  sombres  d'où  émerge 
leur  cime  dénudée.  L'activité  du  foyer  intérieur  ne 
cesse  de  se  mjmifester  dans  nombre  de  cratères  par 
des  solfatares,  des  fumerolles,  des  jets  de  vapeur  et,  de 
temps  à  autre,  de  violentes  cruptions  dont  la  plus  fameuse, 
auxtemps  contemporains,  fut,  en  1882,  celle  du  Krakataou 
(petite  île  volcanique  sise  entre  Sumatra  et  Java).  Les 


tremblements  de  terre  ont  une  fréquence  égale  à  celle 
que  l'on  observe  en  Amérique  Centrale,  et  pour  les 
mêmes  raisons.  Enfin  la  décomposition  superficielle  des 
laves  donne  un  sol  merveilleusement  fécond  qui  est  un 
des  éléments  essentiels  de  la  richesse  agricole  del'lnsu- 
hnde.  (Cf.  par  exemple,  les  alentours  du  Vésuve  et  de 
l'Etna.) 

Les  deux  grîindes  îles  du  Centre,  Célèbes  et  Bornéo, 
se  distinguent  des  autres  pal  l'absence  à  peu  près  com- 
plète de  volcans  récents  (on  n'en  a,  jusqu'ici,  signalé  qu'un 
seul  à  l'extrémité  Nord-Est  de  Célèbes).  Plus  éloignées 
des  principales  lignes  de  fracture  et  constituées  (autant 
du  moins  qu'on  peut  le  savoir  dems  l'état  rudimentaire 
de  nos  connaissances)  par  des  massifs  compacts  de  roches 
cristallines  depuis  très  longtemps  émergés,  elles  jouèrent 
le  rôle  de  butoir  sur  quoi  vinrent  s  écraser  les  plissements 
du  pourtour.  Le  contre-coup  de  ces  mouvements  eut 
sans  doute  pour  effet  de  redresser  les  couches  de  ter- 
rains anciens,  de  donner  au  relief  une  jeunesse  nouvelle. 
(Cf.  l'exhaussement  de  notre  Massif  Central  sous  le 
choc  des  plissements  alpins.)  Ils  se  traduisirent  aussi,  à 
cette  époque  lointaine,  par  des  brèches,  des  fissures  qui 
livrèrent  accès  aux  roches  ignées  :  on  trouve  en  effet,  à 
Célèbes  et  à  Bornéo,  de  vieux  volcans  analogues  à  nos 
volcans  du  Cantal  et  du  Velay,  de  grandes  surfaces 
couvertes  d'antiques  coulées  de  basaltes,  de  diontes,  d'an- 
désites ;  mais  ces  manifestations  de  l'activité  intérieure 
ont  depuis  longtemps  cessé. 


Aux  divers  pheDomènes  qui  donnèrent  naissance  à  l'Insulinde,  il 
faut  ajouter  les  effets  de  l'érosion.  C'est  elle  qui,  pour  ainsi  parler, 
revêtit  de  chair  le  squelette  des  hautes  montagnes.  Toute  la  partie 
orientale  de  Sumatra,  les  basses  régions  de  Java  et  de  Bornéo  sont 
constituées  par  des  plaines  alluviales  que  créèrent  de  toutes  pièces 
les  torrents  et  les  fleuves  et  qui  ne  cessent  de  s'étendre  peu  à  peu 
aux  dépens  du  domaine  marin.  L'édification  de  ces  plaines  fut 
d'autant  plus  aisée  que  les  nuages  déversent  sur  l'Insulinde  des 
averses  formidables,  que  les  roches  volcaniques  offrent  peu  de  résis- 
tance à  la  morsure  des  eaux,  et  que  les  mers  riveraines  comprises 
entre  Sumatra,  Java,  Bornéo  et  l'Indo-Chine  n'avaient  qu'une 
épaisseur  d'eau  insignifiante.  Le  colmatage  ne  fut  impossible  que 
là  où  se  creusaient  des   fosses  trop   profondes  :  ainsi,  Célèbes  dut 


400 


L'INSULINDE 


IL'llNSUMNBIE 

ET  LE«   PHILIPPINES 


-iû.—  hoUanôoiéF.u  VU-M 


EtatiV  inûépenûaniA^  j 


^ 


%= 


=8375= 


conseivei  ses  (ormes  bizaneraent  articulées  où  des  presqu'îles  mon- 
tagneuses, limitées  par  de  hautes  {alaises,  s'allongent  comme  des 
pattes  de  crabe  entre  les  golfes  très  creux  de  Tomini.  de  Tolo,  de 
Boni,  tandis  qu'à  Bornéo,  dont  la  structure  primitive  était  identique 
à  celle  de  Célèbes.  les  golfes  qui  séparaient  autrefois  les  chaînes 
de  montagnes  se  remplirent  de  dépôts  alluviaux  et  donnèrent  à 
l'île  sa  forme  massive,  ses  rivage!  incertains. 

LE  CLIMAT.  00  Les  terres  de  l'Insulinde  sont 
situe'es.  de  part  et  d'autre  de  l'Equateur,  entre  le  7®  degré 
de  latitude  Nord  et  le  11*  degré  de  latitude  Sud.  Aussi 
présentent-elles  tous  les  caractères  du  climat  c  quatorial  nor- 
mal. Partout  (sauf  bien  entendu  sur  les  hautes  mon- 
tagnes) les  températures  moyennes  de  l'anne'e  de'passent 


25°  et  les  écarts  entre  les  saisons  sont  insignifiants.  Cette 
constcmce  uniforme  de  la  chaleur  est  rendue  pctfticulière- 
ment  pénible  par  l'extrême  humidité  de  l'atmosphère.  Il 
pleut,  en  effet,  avec  une  remarquable  abondance,  et,  dans 
la  majeure  partie  des  îles,  les  averses  se  répartissent  à  peu 
près  également  entre  tous  les  mois  de  I  année.  A  peine 
note-t-on  une  légère  recrudescence  des  pluies  pendant  les 
mois  où  prédomine  soit  la  mousson  d'hiver  (Sumatra, 
Java,  Bornéo),  soit  la  mousson  d'été  (les  Moluques). 
Seules  les  îles  du  Sud-Elst  :  Florès,  Timor,  plus  proches 
de  l'Australie  qui  leur  envoie  des  vents  desséchcmts,  ont 
des  précipitations  moindres  et  connaissent,  de  juin  à 
octobre,  une  véritable  saison  sèche. 


401 


L'ASIE 


H  va  de  soi  que  sur  une  surface  aussi  vaste  (la  moitié  de  !  Eu- 
rope en  y  comprenant  les  mers  intérieures),  de  relief  aussi  tour- 
menté, d'exposition,  de  latitude  et  de  longitude  si  différentes,  on 
observe  bien  des  variations  climatiques  en  des  lieux  souvent  fort 
rapprochés  les  uns  des  autres.  Par  exemple,  à  Java,  une  différence 
d'altitude  de  280  mètres  seulement  vaut  à  Buitenzorg  des  pluies 
trois  fois  plus  abondantes  qu'à  Batavia  sa  voisine.  En  général,  les 
précipitations  atmosphériques  sont  particulièrement  fortes  et  nom- 
breuses sur  le  Hanc  des  montagnes  entre  200  et  2  000  mètres  ;  il 
semble  qu'au-dessus  de  2  000    les  vents  de   mousson    n'aient  plus 

CLIMAT    DE    L'INSULINDE 


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Températures  moyennes 

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'  chaud. 

chaud. 

C 

Palembang 

(Sumatra) . . . 

2°50^- 

27° 

mai  27'"1 

janv.26"6 

0-8 

2  V45 

Toute    1  année 

Bandjerniassinj 

max.  en  déc. 

(Bornéo) 

3034  , 

2/°l 

mai  27''7 

déc.  26°7 

l-C 

2  48; 

Toute    1  année 
max.    en    déc. 

Batavia  (javal  . 

ô-1 1  . 

25«9 

;.a..26o4 

ianv.25<'3 

l»l 

1  836 

Max.  en    janv. 
Sensible  dimi- 
nution de  juil. 
à   sept. 

( 

Buitenzorg 

6«37  » 

280 

25°0 

sepl.25°5 

lév.  24°5 

l-tl 

4  42/ 

Toute  l'année  : 

(Java) 

max.    en    mars 
et  octobre. 

Amboine  QAo- 

3M1 

2603 

tév.  27-2 

juil.  25-2 

2"D 

i  707 

Toute  l'année  : 

luques) 

mai.  en  juin 
et  juillet- 

Soumbava  .... 

8°27 

26° 

mai  27» 

janv.  25° 

2°a 

1  201 

Pluies  de  nov. 
à    avril.    Sé- 
cheresse     le 
reste  de  l'ann. 

I 
1 

d'etïel  el  que  le  sommet  des  volcans  soll  maigrement  arrosé.  Dan* 
les  plaines  basses  de  Java,  lorsque  la  mousson  d'hiver  est  nettement 
établie  (à  partir  de  janvier),  '*  tout  le  cïel  devient  uniformément  gris 
et  les  nuages  déversent  sur  le  sol  des  trombes  d'eau  pendant  vmgt* 
quatre  heures  sans  interruption,  parfois  des  semaines  entières.  A 
l'intérieur  des  maisons,  le  fracas  de  la  pluie  couvre  la  voix  des 
habitants  ;  ruisseaux  et  fleuves  sortent  de  leurs  lits  ;  les  grenouilles 
coassent  jour  et  nuit,  les  reptiles  quittent  leurs  trous  et  se  réfugient 
dans  les  lieux  abrités;  durant  toute  la  nuit  retentit  le  bruissement 
ce  millions  d'insectes,  de  moustiques,  et  il  devient  difficile  de  trou- 
ver, dans  la  maison  entière,  un  endroit  a  peu  près  sec  '  .  En  été. 
du  moins  à  java,  la  mousson  disparaît  el  elle  est  Remplacée  par 
des  brises  alternantes  de  terre  et  de  mer.  Les  chutes  de  pluie 
cessent  d'être  continues.  Elles  se  produisent  sous  forme  d  orages 
violents  qui  éclatent  en  général  dans  l'après-midi.  A  Buitenzorg  et 
sur  les  flancs  des  montagnes,  ces  orages  sont  si  réguliers  que  1  on 
s'étonne  lorsqu'une  journée  se  passe  sans  que  Ion  ait  entendu  le 
grondement  de  la  foudre.  "  (D'après  Junghuhn  cité  par  J.  Hann.) 

LA  VÉGÉTATION  ET  LA  FAUNE.  £>£) 
Comme  aux  Philippines,  et  pour  les  mêmes  raisons  : 
constance  de  la  chcJeur,  humidité  surabondante,  fécon- 
dité naturelle  du  soi  volcanique,  la  végétation  de  l'Insu- 
linde  se  caractérise  par  son  exubérance,  sa  variété,  sa 
vigueur  magnifique.  Partout  où  l'homme  ne  défriche  pas. 
l'arbre  est  roi.  Bornéo  est  vêtue  tout  entière  de  forêts 
vierges  ;  Sumatra,  Célèbes,  les  Moluques  le  sont  encore 


en  grande  partie  ;  Java  conserve  un  peu  partout  d'admi- 
rables restes  de  sa  couverture  forestière.  Dans  les  terres 
humides  et  fécondes  du  littoral,  et  sur  les  pentes  tien 
arrosées,  le  sol  n'offre  plus  assez  d'espace  pour  toutes  les 
plantes  qui  s'y  pressent  ;  palmiers  de  50  espèces  diffé- 
rentes, bananiers,  banians,  tecks,  fougères  arborescentes, 
bambous  colossaux.  Chaque  tronc  d'arbre  se  recouvre 
d'épiphytes,  les  lianes  lient  les  branches  les  unes  aux 
autres  et,  s  échappant  par  les  dômes  de  feuillages, 
s'élèvent  les  hampes  des  palmiers,  deuxième  forêt  se 
dressant  au-dessus  de  la  première    . 

Aux  forêts  se  mêlent  par  endroits  soit  des  jungles, 
impénétrables  fourrés  propres  aux  régions  marécageuses 
des  plaines  basses  (Sumatra  et  Bornéo),  soit  des  savanes 
couvertes  de  très  hautes  herbes.  Les  îles  les  plus  sèches 
du  Sud-Est  :  Soumbava,  Florès,  Timor,  voient  même 
apparaître  les  espèces  et  les  formes  végétales  de  1  Aus- 
tralie :  maigres  taillis  d'acacias,  d'eucalyptus,  d  eu- 
phorbes. Leurs  versants  méridionaux,  notarhment,  sont 
fort  arides  et  rappellent  plus  au  voyageur  le  paysage 
d'Aden  que  la  végétation  luxuriante  des  lies  aux  Epiées. 
Ce  contraste  qui  existe  entre  la  végétation  des  îles  de 
l'Est  et  de  l'Ouest  se  retrouve,  plus  nettement  encore, 
dans  la  faune  indonésienne.  Sumatra,  Java,  Bornéo  ont 
les  mêmes  espèces  animales  que  l' Indo-Chine.  On  y  ren- 
contre la  plupart  des  grands  mammifères  asiatiques  :  élé- 
phants, rhinocéros,  tapirs,  tigres,  léopards,  taureaux  sau- 
vages. Les  singes  abondent  ;  parmi  eux  l'orang-outang, 
le  plus  voisin  de  l'homme,  est  spécial  à  Sumatra  et  à 
Bornéo.  A  l'Est  des  détroits  de  Lombock  et  de  Macas- 
sar  au  contraire,  a  Célèbes,  dans  les  Moluques  et  les 
petites  îles  de  la  Sonde,  la  faune  s'appauvrit  brusquement 
et  change  de  caractère.  Célèbes  n'a  que  21  espèces  de 
mammifères  terrestres,  les  Moluques  10,  Timor  7.  au 
lieu  de  1  70  que  l'on  dénombre  à  Bornéo  et  a  Sumatra. 
De  plus,  tandis  que  disparaissent  les  grands  pachydermes 
et  les  carnivores,  on  y  voit  apparaître  les  espèces  austra- 
liennes :  sarigues,  kangourous,  ornithorhynques.  Mais 
partout  abondent  les  oiseaux  et  les  insectes.  Les 
Moluques,  par  exemple,  possèdent  à  elles  seules  plus 
d'espèces  d'oiseaux  que  l'Europe  entière,  et  la  plupart 
comptent  parmi  les  plus  belles  de  la  zone  tropicale 
en  élégance  de  forme  et  en  splendeur  de  plumage. 
Les  papillons  sont  répandus  en  telle  multitude  "  qu'ils 
en  sont  devenus,  dit  A.  Wallace,  un  des  traits  caracté- 
ristiques du  paysage.  "  Les  crocodiles  infestent  les 
estuaires  des  fleuves,  et  les  forêts  cachent  des  reptiles 
parnrii  lesquels  on  note  le  python  pour  sa  taille  gigantesque , 
le  serpent  à  lunettes  pour  la  mortelle  gravité  de  sa  mor- 
sure. 

L'HYDROGRAPHIE.     £>£>    Nourris    surabon- 
damment par  les  averses  diluviennes,    un  bon   nombre 


M)2 


L'INSULINDE 


de  forts  cours  d'eau  de'gringolent  sur  les  pentes  dès 
monts  et  traversent,  avant  de  se  perdre  dans  l'Océan,  les 
plaines  littorales  qu'ils  e'difièrent  de  leurs  alluvions. 
Célèbes,  les  Moluques,  les  petites  îles  de  la  Sonde  sont 
trop  étroites,  et  leur  relief  est  trop  élevé  pour  contenir 
de  vrais  fleuves  que  les  navires  puissent  utiliser.  Java 
n  offre  pas  non  plus  les  vastes  bassins  aptes  à  entretenir 
un  important  réseau  hydrographique.  Cependant,  la  plus 
longue  des  rivières  javanaises,  le  Kali-Solo  (500  kilo- 
mètres), présente  déjà  des  profondeurs  suffisantes  pour 
les  barques  d'un  fort  tirant  d'eau.  Sumatra  et  Bornéo, 
plus  massives,  sont  pourvues  au  contraire  de  fleuves  larges 
et  profonds;  le  Siak,  I  Indraghiri,  le  Dyambi,  le  Mousi 
à  Sumatra,  le  Rejang.  le  Kapouas,  le  Kahadjan,  le 
Barito,  le  IVIahakkam  à  Bornéo.  Tous  présentent  des 
caractères  communs  :  après  avoir  échappe  à  l'étreinte  des 


montagnes  où  ils  prenne^il  leurs  sources,  ils  zigzaguent 
paresseusement  a  travers  les  plaines  alluviales,  maréca- 
geuses, couvertes  de  jungles  inextricables  que  leurs  crues 
inondent  sur  d'immenses  espaces,  puis  sedivisent  en  bras 
nombreux  et  changeants,  et  poussent  chaque  année  plus 
loin  la  pointe  terminale  de  leurs  deltas.  Ils  reproduisent 
ainsi,  sur  un  modèle  réduit,  la  vie  des  grands  fleuves 
asiatiques  :  Gange,  Ménam,  Mékong. 

Leur  utilité  est,  toutefois,  déjà  fort  appréciable,  car 
ils  présentent  les  seules  voies  d'accès  facile  qui  mènent 
des  côtes  à  l'intérieur.  (Bornéo  contient  plus  de  4000  ki- 
lomètres de  rivières  navigables,  Sumatra  en  a  plus 
de  3000).  Mais,  comme  la  plupart  des  fleuves  à 
deltas,  leur  entrée  est  fréquemment  obstruée  par  des 
bancs  de  vase  que  les  navires  de  mer  franchissent  malai- 
sément. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


LES  RACES  INDIGÈNES.  a/H  Si  l'on  met  à 
part  les  immigrants  chinois,  arabes  et  européens,  l'Insu- 
linde  est  peuplée  tout  entière  d'indigènes  répartis  en 
deux  groupes  principaux  :  les  Indonésiens  (ou  insulaires 
proprement  dits)  et  les  Malais. 

Les  Indonésiens  représentent  l'élément  indigène  le  plus 
ancien.  Ils  occupèrent  sans  doute,  autrefois,  toute  la  sur- 
face des  terres  habitables  où  ils  exterminèrent  les 
Négritos  ;  mais  ils  furent  plus  tard  eux-mêmes  refoulés 
ou  assimilés  par  de  nouveaux  venus,  les  Malais.  Dans  les 
lies  petites,  étroites,  d'accès  facile,  les  Malais,  d'abord 
campés  sur  le  littoral,  remontèrent  les  cours  d'eau, 
prirent  possession  des  plaines  fertiles,  et  absorbèrent 
ou  anéantirent  les  Indonésiens.  Java,  les  petites  îles  de 
la  Sonde,  les  presqu'îles  méridionales  de  Célèbes,  les 
deux  tiers  de  Sumatra  n'ont  pas  d'autres  habitants  que 
les  Malais,  subdivisés  eux-mêmes,  d'après  leurs  positions 
géographiques,  leurs  dialectes,  leur  genre  de  vie,  le  degré 
et  la  nature  de  leur  civilisation,  en  Malais  proprement 
dits,  Soundanais,  Javanais,  Boughis,  etc.  Les  tribus 
indonésiennes  se  sont  maintenues  dans  les  montagnes 
du  Nord-Ouest  de  Sumatra  (les  Battaks).  au  Nord  de 
Célèbes  (les  .Alfourous),  et  dans  tout  l'Intérieur  de 
Bornéo  (les  Dayaks). 

Les  Indonésiens  de  race  pure  ont  en  général  le  teint 
plus  blanc  que  les  Malais  ;  ils  sont  de  taille  plus  haute, 
ont  le  nez  plus  saillant,  le  front  plus  élevé,  la  barbe  et 
les  cheveux  plus  fournis.  Ils  ne  sont  pas  convertis  à 
l'islam  et  conservent  leurs  superstitions  primitives.  Ils 
diffèrent,  du  reste, beaucoup  entre  eux  par  leur  genre  de 
vie  et  leur  degré  de  culture.  Les  Battaks  de  Sumatra 
qui  furent,  depuis  une  époque  fort  reculée,  en  relations 
avec  l'Inde,  savent  cultiver  avec  soin  le  riz  et  le  mais, 
possèdent  de  grands  troupeaux  de  chevaux,  de  buffles. 


de  porcs.  Renommes  pour  leur  habileté  comme  forgerons, 
armuriers,  bijoutiers,  ils  habitent  des  demeures  souvent 
élégantes,  savent  lire  et  écrire,  et  administrent  avec 
équité  leurs  affaires  communes.  Il  en  est  de  même  des 
Minahassans  de  Célèbes,  au  teint  souvent  aussi  blanc 
que  celui  des  Européens,  travailleurs,  laborieux,  pacifiques 
et  déjà  fort  civilisés.  Par  contre,  les  Alfourous  de  cette 
même  Célèbes,  une  partie  des  Dayaks  qui  peuplent  les 
districts  les  plus  reculés  de  Bornéo,  certaines  tribus  des 
hautes  montagnes  de  Sumatra,  comptent  parmi  les  frac- 
tions les  plus  arriérées,  les  plus  sauveiges  de  I  espèce 
humaine.  Vivant  à  peu  près  nus  dans  des  huttes  de 
branchages  ou  dans  le  creux  des  troncs  d'arbres,  igno- 
rant la  culture  même  la  plus  rudimentaire,  ils  se  nour- 
rissent de  fruits,  de  racines,  de  serpents,  évitent  soigneu- 
sement tout  contact  avec  l'étranger,  se  perdent  à  la 
moindre  alerte  sous  le  dôme  insondable  des  forêts,  et, 
armés  d'une  sarbacane  qui  lance  des  flèches  empoisonnées, 
ils  se  livrent  a  leur  sport  de  prédilection  :  la  chasse 
aux  têtes. 

Les  Malais  se  distinguent  des  Indonésiens  par  cer- 
tains caractères  physiques  :  taille  plus  petite  et  plus 
trapue,  teint  plus  foncé  variant  du  jaune  noirâtre  au  brun- 
rouge. 

Du  reste,  le  passage  du  Malais  pur  a  l'Indonésien 
pur  se  fait  par  une  série  de  types  intermédiaires  qui 
témoignent  de  l'importance  et  de  l'extension  des  métis- 
sages entre  les  aborigènes  et  les  nouveaux  venus.  En 
fait,  à  Java  par  exemple,  on  ne  trouve  de  purs  Malais 
que  dans  la  région  qui  entoure  Batavia.  Les  autres  habi- 
tants de'l'Ue,  ceux  qui  constituent  la  plus  grosse  partie  de  la 
population  ;  les  Soundanais  à  l'Ouest,  les  Javanais  au 
Centre,  les  Madourais  a  l'Elst,  ne  sont  autre  chose  que 
des  métis  de  Malais  et  d'Indonésiens. 

403  


L'ASIE 


On  ne  sait  à  peu  près  rien  sur  l'habitat  primitif  de  ces  Malais 
et  les  dates  des  migrations  qui  les  conduisirent  aux  lies.  On  sait  seu- 
lement qu'ils  étaient  d'excellent  marins,  et  qu'ils  le  deviru-ent  plus 
encore  par  suite  de  la  configuration  géographique  des  lieux  où  ils 
se  fixèrent.  Etablis  d'abord  sur  les  côtes,  ils  allaient  d'île  en  ile  sur 
leurs  grands  "  praos  ",  vivant  d'échanges  pacifiques  et  plus  encore 
de  piraterie.  Le  goût  des  aventures,  les  tempêtes,  le  mouvement 
alternatif  des  moussons  les  entraînèrent  vers  l'Ouest  jusqu'à  Mada- 
gascar, vers  l'Est,  jusqu'au  cœur  du  Pacifique  où  ils  peuplèrent  les 
Iles  Océaniennes  et  la  Nouvelle-Zélande  (les  Maoris).  La  langue 
malaise  est  une  de  celles  qui  s'étendent  sur  le  domaine  le  plus 
vaste:  et  encore  aujourd'hui,  plus  ou  moins  corrompue,  elle  est 
'idiome  international  que  l'on  parle  dans  tous  les  ports,  de 
Colombo  à  Manille,  de  Singapour  à  Tahiti. 

Les  relations  des  Malais  avec  l'Inde  développèrent  chez  eux  le 
goût  de  la  culture  perfectionnèrent  leur  civilisation.  L'influence 
hindoue  se  manifeste  core  par  l'abondance  des  mots  sanscrits  passés 
dans  les  dialectes  mala.s,  par  la  survivance  de  traditions  bouddhiques 
et  brahmaniques,  par  des  ruines  souvent  imposantes  de  sanctuaires 
dédiés  aux  dieux  de  l'Inde  (tel  le  temple  de  Boro  Boedoer  à 
Java).  Plus  tard,  des  négociants  arabes,  que  les  vents  de  mousson 
poussèrent  jusqu'à  eux,  les  convertirent  à  l'islam.  C'est  aujourd'hui 
la  religion  dominante  de  l'insulinde.  On  la  pratique  en  général 
sans  aucun  fanatisme,  mais,  comme  elle  est  le  signe  d'une  civilisa- 
tion que  l'on  lient  pour  supérieure,  tout  Indonésien  païen  qui 
adopte  les  croyances  musulmanes  se  qualifie  aussitôt  de  Malais. 

Les  Malais  d'aujourd'hui  —  au  moins  à  Java  et  en 
quelques  régions  de  Ce'Ièbes,  des  Moluques  et  de 
Sumatra  —  façonnés  par  de  longs  siècles  d'obéissance 
soit  aux  princes  indigènes,  soit  aux  fonctionnaires  hollan- 
dcus,   ont   abandonné    leurs    coutumes    guerrières.    Le 

Kris  ' ,  ce  fameux  poignard  à  manche  courbe  qu'ils  ne 
quittent  jamais,  n'est  plus  qu'un  ornement  ou  un  instrument 
de  travail.  Certains  d'entre  eux,  notamment  les  Boughis 
de  Célèbes,  ont  conservé  leurs  aptitudes  nautiques  et 
s  adonnent  au  commerce.  Tous  les  autres  vivent  exclusi- 
vement de  l'agriculture  et  de  l'élevage.  Vêtus  de  coton- 
nades légères  (kaïn,  sarong)  aux  couleurs  éclatantes,  ils 
habitent  des  maisons  de  bois  souvent  juchées  sur  des 
pilotis,  enfouies  sous  la  verdure  des  grands  arbres.  Ils 
travaillent  avec  soin  et  avec  science  leurs  rizières,  leurs 
champs  de  canne  à  sucre  et  de  café.  Doux,  pacifiques, 
d'une  politesse  raffinée  et  qui  touche  à  l'obséquiosité,  ils  ont 
à  un  haut  degré  l'amour  de  la  vie  familiale.  Indiffé- 
rents en  matière  de  morale  et  de  religion,  dépensiers  et 
toujours  prêts  à  jouir  du  présent  sans  songer  au  lende- 
main, grugés  et  dupés  par  les  usuriers  chinois  ou  arabes, 
ils  se  laissent  docilement  conduire  par  les  chefs  indigènes 
ou  les  fonctionnaires  européens.  Les  classes  supérieures 
témoignent  même  d'un  goût  enfantin  pour  les  distinc- 
tions honorifiques  et  recherchent  avec  ardeur  les  places 
de  bureaucrates  :  "  Nul  n'est  satisfait  s'il  n'a  sa  part  du 
gouvernement  du  paj's  ou  plutôt  son  rang  dans  la 
hiérarchie  officielle.  Car  c'est,  à  l'ordinaire,  la  vanité  qui 
le  pousse,  non  pas  le  souci  du  bien  public,  non  pas 
même  1  ambition.  Il  tient  au  pouvoir  moins  qu'à  l'appa- 
rence du  pouvoir  ;  il  ne  prétend  que  rester  ou  monter  à 

404  — 


la  place  qu'occupait  son  père,  et  ne  pas  déchoir  devant 
ses    égaux.    Et    tout    un    peuple  pense  conune  lui. 
(J.  Chailley-Bert.) 

LES  CHINOIS  ET  LES  ARABES.  00  De 
tout  temps  les  Chinois  ont  été  en  rapports  étroits  avec 
1  Insulinde.  La  domination  hollandaise,  en  introduisant 
l'ordre  et  la  paix,  en  développant  l'exploitation  des 
ressources  locales  et  la  richesse  publique,  leur  fut  très 
favorable.  On  en  compte  aujourd'hui  près  de 
600000  dont  la  moitié  à  Java,  et  leur  importance 
est  d'autant  plus  grande  qu'au  lieu  d'êïre,  comme  en 
Amérique  par  exemple,  des  hôtes  de  passage  qui 
regagnent  leur  patrie  après  fortune  faite,  ils  se  fixent  à 
demeure,  épousent  des  Javanaises  ou  des  Chinoises, 
deviennent  acquéreurs  de  domaines  fonciers,  bref  cons- 
tituent une  fraction  intégrante  de  la  population  stable. 
Grâce  à  leurs  qualités  natives  (ou  à  leurs  défauts)  : 
sobriété,  intelligence,  application  au  travail,  connaissance 
parfaite  des  langues  et  de  la  mentalité  indigènes,  âpreté 
au  gain,  absence  de  scrupules,  etc. ,  ils  sont  les  meilleurs 
collaborateurs  des  fonctionnaires  et  des  commerçants 
hollandais,  qui  ne  trouvent  pas  encore  parmi  les  Malais 
indolents  1  aide  efficace  dont  ils  ont  besoin.  Ils  sont  aussi 
indispensables  à  l'indigène  qui,  toujours  court  d'argent, 
s'accommode  de  l'usure  chinoise  comme  d'un  mal  néces- 
saire. 

Aussi  presque  tous  réussissent-ils  fort  bien,  et  nombre  d'entre 
eux,  débarqués  à  Batavia  sans  une  sapèque  en  poche,  réalisent-ils 
de  grosses  fortunes.  "  Banquier,  prêteur,  commerçant,  industriel, 
agriculteur,  fermier  des  jeux,  des  tabacs,  des  monts -de-piété,  etc., 
rien  ne  rebute  le  Chinois,  rien  ne  lui  paraît  au-dessous  de  lui  ;  il 
court  les  grosses  affaires  et  il  ne  dédaigne  pas  les  pelites;  I  Européen 
s'arrête  dans  la  poursuite  de  la  richesse,  lui  ne  s'arrête  jamais.  A 
ce  métier,  il  entasse  et  il  amasse.  Dans  les  villes,  les  belles  maisons 
lui  appartiennent  ;  la  sienne  est  une  demeure  d'apparence  parfois 
modeste,  mais  souvent  d'intérieur  princier  ;  et  si,  dans  la  rue, 
vous  voyez  filer  à  grand  train  un  équipage  irréprochable,  ce  sera, 
à  Batavia,  celui  d'un  haut  fonctionnaire  ou  d'un  Chinois:  à  Sou- 
rabaya,  d'un   Chinois  toujours.  "   (Chailley-Berl.) 

La  colonie  arabe  est  constituée  par  des  musulmans 
venus  de  l'Hadramaout  (Sud  de  la  presqu'île  arabique). 
Ils  sont  peu  nombreux  (29  000)  mais  jouissent  d'un  grand 
prestige  religieux.  Ils  savent  en  user  —  et  en  abuser  — 
pour  gruger  indigènes  ou  européens  dans  les  opérations 
commerciales  (fondées  sur  le  prêt  usuraire  et  la  vente  à 
crédit)  qui  sont  leur  unique  occupation. 

On  compte  enfin  25  000  Orientaux  de  toute  race  : 
Indo-Chinois,  Malais  de  Malacca,  Hindous,  Japonais. etc. 
Le  nombre  des  Japonais  s'est  accru  de  façon  sensible,  et 
le  Gouvernement  Hollandais  ne  considère  pas  sans  inquié- 
tude l'ampleur  des  ambilions  nipponnes  pour  qui  l'in- 
sulinde serait  une  proie  si  tentante,  de  conquête  si  aisée. 


L'INSULINDE 


JAVA:  LE  TEMPLE  DE  BOELALANG.  L'insuîindc.  d'abord  peuplée  d'hdo- 
nésiem^fut  ensuite  occupée  par  des  Malais  Ces  Malais,  excellents  marins,  entretinrent 
d'activés  relations  commerciales  avec  tous  les  pays  asiatiques,  et  furent  les  intermé- 
diaires naturels  entre  la  Chine.   l'Indo-Chine  et  l'Inde.  L'influence  de  l'Inde  fut 


surtout  considéralle.  Elle  n'enseigna  pas  seulement  aux  Matais  les  méthodes  d'une 
agriculture  savante,  mais  introduisit  chez  eux  l'usage  du  sanscrit  et  les  croyances 
religieuses  nées  aux  rives  du  Gange.  Encore  aujourd'hui  Java  conserve  les  Tuines, 
souvent  imposantes,  de  sanctuaires  dédiés  aux  dieux  Hindous. 


405 


40 


L'ASIE 


PIROGUE  MALAISE.  Les  Malais  qui  peuplent  l'Insulinde  et  la  presqu'île  de 
Malacca  se  sont  toujours  distingués  par  •leursX remarquables  qualités  nautiques 
Montéssur  leurs  grandes  pirogues  ou"  praos",  ils  s'aventurèrent  d'île  en  île  à  travers 
tout  le  Pacifique  et  parvinrent,  à  l'Ouest,  jusqu'aux  rivages  de  Madagascar. 


VILLAGE  A  BORNÉO.  L'intérieur  de  la  grande  île  de  Bornéo,  couvert  de  massifs 
montagneux  velus  de  forêts  vierges,  est  encore  mal  connu,  inexploite  et  peuplé  d'abo- 
rigènes sauvages.  Les  plaines  côtières  au  sol  fertile,  traversées  par  des  fleuves  navi- 
gables et  où  se  fixèrent  Malais  et  Chinois,  commencent  d'être  mises  en  valeur. 


Plantation  de  thé  a  Java. 

JAVA.  La  grande  richesse  de  Java  reposait  autrefois  sur  les  épiccs,  l'indigo,  le  café 
et  le  sucre.  Aujourd'hui,  sile'sucre  se  classe  encore jsu  premier  rang  des  exportations, 
café,  ébices  et  indigo  ou  bien  ne  comptent  plus,  ou  bien  ne  jouent  plus  qu'un  rôle 


PUNTATION  DE  BANANIERS  A  JaVA 
effacé.  Par  contre,  les  colons  ont  très  habilement  multiplié  les  plantations  de  tabac, 
de  cocotiers,  d'arbres  à  caoutchouc,  à  quinquina,  à  thé.  de  cacaoyers,  etc.  La  récolte 
du  thé  a  passé  de  2  millions  de  ^i/ogrûmmes  en  1917  à  40  millions  en  1919 


j  DAVAKS  DE  BORNÉO.  Derniers  représentants, avec  les 

1  Boltaks  àt  Sumatra,  et  les   Alfourous  de  Cétèbes,    des 

1  popiîhiions  cborigènes  qui    peuplaient    l'Insulinde  avant 

\  i'aTTivh    des   Malais. 


LE  VOLCAN  SEMEROE  est 
l'un  des  nombreux  cônes  éruptifs 
de  l'Insulinde. 

CI.    ChUSSEAU-FlA VIENS . 


FEMMES  MALAISES  A  SUMATRA.  Autrefois  redou- 
tables pirates,  les  Malais  ont  abandonné  leurs  coutumes 
guerrières  et  forment  une  population  douce,  pacifique, 
docilct  vivant  de  la  culture  et  de  l'élevage 


L'INSULINDE 


LES  BLANCS,  dû  L'élément  blanc  était  repré- 
senté en  1919  par  138000  Européens  environ,  dont 
125000  Hollandais, fonctionnaires  (très  nombreux),  com- 
merçants, industriels,  propriétaires  de  grands  domaines 
fonciers.  Ils  se  sont  parfaitement  adaptes  à  des  conditions 
climatiques  pourtant  difficiles  et  si  un  grand  nombre 
d  entre  eux  reviennent  a  leur  patrie  après  un  séjour  plus 
ou  moins  long,  beaucoup  se  fixent  a  demeure,  préférant  la 
vie  libre,  facile,  l'existence  très  large  de  Java  aux  con- 
ditions plus  mesqumes,  à  1  atmosphère  plus  sévère  — 
physiquement  et  moralement  —  que  leur  reserve  la 
métrof)ole.  Sur  123  000  Hollandais  résidant  en  Insulinde 
on  en  compte  I  1 0  000  nés  dans  le  pays. 

Maigre  la  disproportion  qui  existe  entre  la  petite 
Hollande  et  ses  vastes  colonies,  elle  est  parvenue  à 
réaliser  une  œuvre  qui  mérite,  à  bien  des  égards,  l'ad- 
miration. Très  sagement,  les  Hollandais  ont  évite,  autant 
que  faire  se  pouvait,  les  difficultés  du  gouvernement  di- 
rect et  adopté  le  principe  du  protectorat,  habilement 
nuancé  suivant  les  lieux  et  les  circonstances.  Ils  ont 
laisié  subsister  les  chefs  indigènes,  ont  respecte  toutes 
les  coutumes  locales,  ne  se  sont  point  immiscés 
dans  les  questions  de  morale  ou  de  religion.  Leur  admi- 
nistration eut  un  caractère  essentiellement  pratique  et 
positif,  se  guidcint  non  point  d'après  des  théories,  mais 
d'après  l'expenence  des  faits.  Ils  n'ont  même  pas  cherché, 
et  ils  ne  le  pouvaient  pas,  à  mettre  en  valeur  1  étendue 
considérable  de  leur  domaine  colonial.  Ils  ont  concentré 
tous  leurs  efforts  sur  les  lieux  où  la  péoétration  était  la  plus 
aisée,  le  sol  plus  fertile,  les  indigènes  plus  soumis  :  Java 
d'abord  et  surtout,  puis  une  petite  partie  de  Célèbes.  des 
Moluques,  de  Sumatra.  Ils  eurent  du  reste  la  chance 
d'avoir  affaire  dans  ces  régions  à  des  peuples  habitués  à 
l'obéissance  :  car  ils  eussent  été  incapables  de  vaincre  la 
résistance  de  gens  détermines  à  demeurer  libres.  La 
guerre  si  longue,  si  difficile  et  si  coûteuse,  qu'ils  durent 
soutenir  contre  les  .'^tchinois  (inbus  malaises  fortement 
arabisées  du  Nord  de  Sumatra),  en  est  une  preuve  suffi- 
sante. C'est  pour  la  même  raison  qu'encore  aujourd'hui 
la  presque  totalité  de  Bornéo,  une  notable  partie  de 
Célèbes  et  de  Sumatra  échappent,  en  fait,  complètement 
à  l'autorité  hollandaise,  et  même  demeurent  géographi- 
quement  très  mal  connues. 

Mais  là  oîi  ils  s'installèrent  solidement,  ilsontoblenu 
des  résultats  qui  peuvent  servir  d'exemple  à  toutes  les 
nations  colonisatrices.  Leur  corps  de  fonctionnaires  est  un 
des  plus  instruits,  des  plus  travailleurs,  des  plus  habiles 
qui  existent  au  monde.  Leurs  commerçants,  leurs  agricul- 
teurs, témoignent  d'une  expérience  et  d'une  activité  égales. 
Leurs  savants  nous  ont  donné  une  masse  considérable 
d'études  de  la  plus  haute  importance  dans  tous  les  do- 
maines qui  s'offrent  à  leur  investigation  :  anthropologie, 
géographie,  histoire,  géologie,  botanique,  zoologie,  etc. 


Le  fameux  jardin  botanique  de  Buitenzorg,  avec  les 
laboratoires  de  toutes  sortes  qui  y  sont  annexés,  est 
l'exemple  le  plus  typique  des  services  que  peut  rendre 
l'intime  union  des  recherches  désintéressées  et  de  leur 
utilisation  pratique  pour  des  lins  économiques  légitimes. 

11  y  a  évidemment  dans  l'Insulinde,  et  spécialement  à  Java,  une 
question  indigène.  Elle  s'y  pose  comme  dans  l'Inde  Anglaise,  dans 
l'Afrique  Française,  dans  la  plupart  des  colonies  d'exploitation  oii 
un  petit  nombre  de  blancs  se  Irouvent  en  face  d'une  masse  indigène 
considérable.  Non  pas  que  les  Javanais  manifestent  des  velléités 
d'indépendance  :  du  plus  grand  au  plus  petit  ils  sont  faits  à  la  do- 
mination étrangère  et  n'ont  nul  désir  de  s'en  débarrasser.  Mais  le^ 
plus  intelligents  d'entre  eux  soit  dans  l'ancienne  noblesse,  soit  dans 
les  classes  inférieures  voudraient  un  élargissement,  une  conception 
moins  étroite  dj  protectorat,  une  tutelle  moins  tatillonne,  une  part 
plus  active  à  l'administration.  Il  n'y  a  pas.  semble-t-il,  de  raisons 
pour  rejeter  systématiquement  une  requête  qui  serait  profitable  à 
tous,  même  aux  fonctionnaires  blancs  accablés  sous  le  poids  d  une 
besogne  écrasante,  même  aux  colons  que  gênent  souvent  des  règle- 
ments un  peu  abusifs.  Mais  une  pareille  réforme  exige  une  trans- 
formation profonde  de  la  mentalité  indigène,  l'européanisation 
sinon  de  tout  le  peuple,  du  moins  d'une  élite.  Cette  transformation 
est  commencée,  grâce  à  l'école.  L'avenir  dira  à   quoi  elle  aboutira. 

RfiPARTlTlON  DE  L.A  POPULATION. 
LES  VILLES.  00  Sur  les  47  COO  000  d'indigènes 
qui,  en  1918,  peuplaient  approximativement  I  Insu- 
linde Hollandaise,  Java  en  nourrissait  à  elle  seule 
34000  000.  La  densité  kilométrique  moyenne  y 
dépasse  270  habitants  au  kilomètre  carré  et  s'élève  à  400 
en  certains  districts  de  plaines  particulièrement  fertiles. 
C'est  un  des  lieux  du  monde  où  les  hommes  sont  le  plus 
pressés  et  où  leur  nombre  augmente  le  plus  vile,  puisque 
le  chiffre  de  la  population  a  plus  que  quadruplé  en 
un  siècle  (8  000 000  en  1813,  19  000000  en  1881). 
Cependant  le  point  de  saturation  est  loin  d'être  atteint. 
L'indigène  est  si  sobre,  a  si  peu  de  besoins,  et  si  féconde 
est  la  terre,  que  l'on  peut  envisager  sans  crainte  un 
accroissement  aussi  hâlif. 

Quatre  villes  javanaises  atteignaient  ou  dépassaient 
100000  habitants  en  1918:  Batavia  (234  000  habi- 
tants), Sourabaya  (160000).  Sourakarta  (137000), 
Samarang  (106  000).  Sauf  en  quelques  vieux  quartiers 
commerçants,  les  maisons  ne  se  serrent  point  les  unes 
contre  les  autres.  Faites  pour  rendre  aussi  supportable 
que  possible  un  climat  constamment  très  chaud  et  très 
humide,  elles  sont  basses,  très  aérées,  couvertes  d'un 
grand  toit  qui  déborde  au  delà  des  murs,  entourées  de 
jardirs  ombreux.  "  Une  ville  javanaise  est  un  parc  avec 
des  avenues,  des  espaces  libres,  pelouses  ou  bosquets,  et 
ça  et  là,  suivant  un  alignement  que  dissimule  une  végé- 
tation extravagante,  des  maisons,  jardin  devant  et  jardin 
derrière,  soustraites  au  regard  des  passants,  et  partout 
des  arbres.  "  En  général,  les  résidences  officielles,  les 
services    publics,    les  grands  hôtels   se  groupent  autour 


407 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


40 


L'ASIE 


d'une  vaste  pelouse  ceirrée,  "  la  plaine  du  Roi  ".  Ailleurs, 
le"  Kraton  ",  ou  palais  des  princes  indigènes,  forme  un 
quartier  spécial,  une  petite  ville  dans  la  grande  comme 
les  kasbahs  des  vieilles  cités  musulmanes.  Dans  la  cam- 
petgne,  parmi  les  rizières,  les  champs  de  canne  à  sucre  et 
de  café,  les  plantations  de  bananiers,  de  quinquinas, 
interrompues  çà  et  là  par  des  fragments  de  forêts 
vierges,  les  villages  se  succèdent  à  peu  de  distance 
les  uns  des  autres.  Leurs  petites  maisons  disparaissent 
sous  les  palmiers.  On  voit  les  paysans  penchés  sur  la 
boue  des  rizières  ou  poussant  devant  eux  leurs  lourds 
attelages  de  buffles.  Sur  la  rouie,  animée  par  le  conti- 
nuel va-et-vient  des  gens  allant  au  marché  ou  en  reve- 
nant, passent  tour  à  tour  un  colporteur  chinois  prcme- 
nant  sa  marchandise  au  bout  d'un  bâton,  un  commerçant 
ctfabe,  rival  du  chinois,  des  métisses  aux  grands  yeux 
langoureux,  le  correct  atteleige  d'un  riche  planteur 
hollandais  se  rendant  à  l'usine  dont  on  distingue  à  travers 
les  arbres  la  haute  et  blanche  cheminée.  Rien  de  char- 
mant comme  un  paysage  javanais,  ruisselant  d'eaux  vives, 
tout  rempli  de  fleurs  éclatantes,  de  papillons,  de  scarabées 
plus  beaux  encore,  et  si  splendidement  encadré  par  les 
cônes  majestueux  des  volcans. 

En  dehors  des  quatre  villes  précitées,  les  principales 
agglomérations  de  Java  et  de  Madoura,  son  annexe 
immédiate,  sont  Modjokarta  (98  000  habitants)  dans 
Madoura,  Djokdjokarta,  sur  la  rive  Sud  de  Java,  Koditi, 
Malang,  Magélang,  Chéribon,  etc.,  qui  ont  toutes  de 


25  000  à  40  000  âmes.  Buitenzorg,  à  peu  de  distance  de 
Batavia,  est  la  résidence  habituelle  du  Gouvernement 
général. 

Les  '  '  possessions  extérieures  "  (c'est  le  terme  admi- 
nistratif dont  on  désigne  les  colonies  autres  que  Java  et 
Madoura),  sont  infiniment  moins  peuplées  que  Java. 
Sumatra  (et  ses  dépendances)  n'a  que  5  000  000  d'habi- 
tants pour  435  000  kdomètres  carrés.  Célèbes,  avec 
Soumba,  Soumbava  et  Florès  n'en  a  pas  3000000.  La 
portion  néerlandaise  de  Bornéo  compte  I  200000  habi- 
tants, pour  5  50  000  kilomè;res  carrés.  Les  Moluques  attei- 
gnent 560  000  habiants;  Bali  et  Lombok  I  300  000  habi- 
tants ,  l'archipel  de  Timor  1  1 00  000  habitants.  Les  rési- 
dents européens  y  sont,  nalurellemer.l,  en  assez  petit 
nombre,  et  l'on  ne  peut  y  citer  que  peu  de  villes  dignes 
de  ce  nom  :  Padang  (91  000  habitants)  et  Palembang 
(61  000  habitants)  à  Sumatra.  Pont:anak(21  000  habi- 
tants) et  Bandjermassirg  (17  000  habitants)  à  Bornéo, 
Macassar  (26  000  habitants)  à  Celèbes,  Ternate  (6000 
habitant»)  et  Amboine  (9000  habitants)  dans  les  Mo- 
luques. 

Le  Nord-Ouest  de  Bornéo  est  possession  anglaise. 
On  estime  la  posulation  à  700000  ou  800000  individus 
(pour  120  000  kilomètres  carrés),  dont  300  à  400  Euro- 
péens. Principaux  centres  :  Sandakan  (7  000  habitants) 
et  Kuching. 

Les  Portugais  ont  conservé  la  moitié  orientale  de  l'île 
de  Timor  :  300000  à  400  000  habitants  ;  chef-lieu  Dillé. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


L'ANCIEN  SYSTÈME  D'EXPLOITATION. 
£f/!l  Les  Hollandais  s'instcJlèrent  en  Insulmdeau  début 
du  XVII®  siècle.  La  Compagnie  des  Indes  Orientales,  fon- 
dée en  1 602,  exploita  seule,  jusqu'en  1 798,  les  ressources 
des  Iles.  A  cette  date,  le  Gouvernement  des  Piovinces 
Ui-ies  supprima  la  Compagnie  et  administra  directement 
ses  colonies.  Il  le  fit  d'abord  avec  une  extrême  âpreté, 
sans  se  soucier  d'améliorer  le  sort  des  indigènes  auxquels 
on  demandait  de  livrer  gratuitement,  ou  pour  une 
somme  dérisoire,  les  produits  du  sol  :  café,  riz.  indgo, 
épices,  sucre,  que  l'on  revendait  avec  d'éi.ormes  béné- 
fices. En  1832,  le  gouverneur  généra!  Van  Den  Bosch 
inaugura  un  nouveau  système  qui  contraignait  simplement 
les  indigèr.es  à  donner,  sous  forme  d'impôt  en  na  ure  ou 
de  corvées,  le  cinquième  des  produits  agricoles  et  le 
cinquième  des  journées  de  travail.  Ce  rég  me,  qui  valait 
mieux  que  le  précédent,  pesait  encore  très  lourdement 
sur  la  masse  des  tiavailleurs  ruraux.  De  plus,  les  profits 
considérables  qu'en  retirait  le  Gouvernement  (plus  de 
2000000000  de  francs  en  douze  ans)  servaientnon  pas  à 
améliorer  la  situation  de  llnsulinde,  mais  à  combler  les 
déficits  budgétaires  delà  mère-patrie.  Il  souleva  des  pro- 


testations telles  qu'on  le  supprima  en  1 870.  Le  Gou- 
vernement s'est  encore  réservé  ceitains  monopoles  (sel, 
opium)  ;  il  possède  en  propre  des  forêts,  de  vastes  do- 
maines plantés  de  caféiers,  quinquinas,  arbres  à  caout- 
chouc, et  des  mines  qu'il  exploite  directement.  Mais  les 
revenus  de  ces  monopoles,  de  ces  domaines  et  de  ces 
mines  sont  exclusivement  consacrés  à  couvrir  les  dépenses 
de  la  colonie.  Les  corvées,  du  reste  réduites  et  dont  on 
peut  se  racheter  à  des  taux  modérés,  ne  s  appliquent 
qu'à  des  travaux  d'utilité  publique.  La  propriété  indi- 
gène est  consolidée,  et  l'exploitation  du  sol  est  accessible 
à  tous.  Le  ncmbre  des  planteurs  européens  s  est  consi- 
dérablement accru,  et  près  de  900  Compagnies  à  bail 
ont  loué  des  propriétés  —  particulièrement  vastes  à  Su- 
matra —  où  l'on  s'occupe  surtout  de  cultures  délicates 
(exigeant  de  gros  capitaux,  la  construction  d'usines,  de 
laboratoires,  etc.),  telles  que  le  thé,  le  café,  la  canne  à 
sucre,  le  quinquina,  le  caoutchouc. 

L'AGRICULTURE  ET  LES  FORÊTS,  /na 
C'est  sur  les  produits  de  l'agriculture  que  repose 
essentiellement    la    prospérité  de  llnsulinde.    Dans   la 


408 


L'INSULINDE 


seule  Java,  en  1919,  5  000  000  d'hectares  e'taient  cul- 
tivés par  les  indigènes,  1  500  000  appartenaient  à  des 
Européens  et  à  des  Chinois,  et  bien  des  terrains  donnent 
deux  récoltes  annuelles. 

C'est  le  riz  qui  couvre  de  beaucoup  les  plus  vastes 
espaces  :  rizières  sèches  sur  les  pentes  fortes  des  mon- 
tcignes,  rizières  humides  dans  les  bas  lieux.  Puis  viennent 
les  cultures  vivrières  nécessaires  aux  indigènes  :  maïs, 
ctfachides,  bananiers,  légumes,  arbres  à  fruits.  Mais  les 
produits  destinés  à  l'exportation  ont  une  importance 
économique  beaucoup  plus  grande. 

Autrefois,  rinsulinde  fournissait  surtout  des  épices  : 
poivre,  muscade,  cannelle,  girofle,  de  l'indigo,  du  sucre 
et  du  café.  L'indigo,  ruiné  par  la  concurrence  des  cou- 
leurs d'origine  chimique,  ne  compte  plus.  Les  épicej, 
q»u  viennent  des  Moluques,  ont  beaucoup  perdu  de 
leur  valeur.  Les  plantations  de  caféier  se  sont  forte- 
ment restreintes,  car  il  est  difficile  de  lutter  contre  les 
bas  pnx  des  cafés  américains  (Brésil,  Salvador,  Ve- 
nezuela, Haïti,  Guatemala).  La  canne  à  sucre  tient 
bon  et  le  sucre  se  classe  au  premier  rang  des 
exportations  (seule  Cuba  en  vend  davantage).  Les 
expériences  poursuivies  à  Buitenzorg  ont  permis,  en 
effet,  de  choisir  les  espèces  de  cannes  les  mieux  faites 
pour  s'accommoder  au  terrain  et  au  chmat.  D'autre  part. 
la  création  de  grandes  usines  munies  d'un  outillage  par- 
fait réduit  les  frais  généraux  et  donne  des  produits  de 
choix. 

Les  colons  atteints  par  la  crise  du  café,  de  l'indigo. 
des  épices  et,  à  un  degré  déjà  moindre,  par  celle  du 
sacre,  ont  su  pallier  le  mal  en  s'adonnant  aussitôt  à  des 
cultures  nouvelles  et  notamment  à  celles  qui  exigent  des 
avances  d'argent  dont  il  faut  attendre  plusieurs  années 
la  rémunération.  Les  plantations  de  cocotiers,  dont  la 
noix  donne  l'huile  de  coprah,  ont  pris  une  considérable 
extension.  L'arbre  à  quinquina,  introduit  du  Pérou  en 
1 854,  et  qui  fut  à  Buitenzorg  l'objet  de  savantes  études, 
s'est  multiplié  si  vite  que  l'on  récolta,  en  1912, 
1 2  000  000  de  kaogrammes  d'écorces  (8  000  000  en  1 9 1 9) 
ce  qui  assure  aux  Indes  Néerlandaises  une  sorte  de  mono- 
pole de  ce  produit.  Les  arbres  à  caoutchouc,  habilement 
choisisaprès  une  sa  vante  sélection,  se  cultivent  sur  dévastes 
espaces  à  Java  et  à  Sumatra,  comme  dans  les  Etats  Malais 
Malacca,  à  Ceyian  et  en  Indo-Chine.  Aussi,  aujourd'hui, 
la  production  totale  de  la  Malaisie  est  devenue  d'une 
importance  telle,  qu'elle  a- eu  pour  corollaire  immédiat  la 
prompte  décadence  des  gommes  de  qualité  inférieure 
que  vendait  l'Afrique  Occidentale  (voir  les  chapitres 
consacrés  à  l'Afrique  OccidentcJe  Française  et  au  Congo 
Belge).  L'arbre  à  thé,  d'introduction  très  récente,  couvre 
à  Java  les  pentes  des  collines  entre  600  et  I  000  mètres  ; 
la  récolte  annuelle  a  passé  de  2  000  000  de  kilogrammes 
en    1907    à   40  000  000   en    1919.    Le    cacao    oscille 


entre  I  000  000 et  1  500  000  kilogrammes.  Le  tabac,  qui 
est  l'objet  de  manipulations  aussi  minutieuses  qu'à  Cuba, 
donne  un  produit  excellent  (50000000  de  kilogrammes 
en  moyenne,  tant  à  Java  qu'à  Sumatra).  Ejifin, 
diverses  plantes  à  huile,  à  parfum,  à  fécule  (le  manioc 
surtout),  des  textiles  (colon,  kapok),  des  fruits  (ananas, 
bananes)  complètent  la  riche  série  des  productions  végé- 
tales de  rinsulinde. 

Il  faut  y  jomdre  les  ressources  provenant  de  l'exploi- 
tation des  forêts.  Elles  sont  immenses,  puisque  certaines 
îles  comme  Bornéo,  Sumatra,  Célèbes  ont  conservé 
intactes  leurs  sylves  aux  essences  précieuses  :  bois  de 
teck,  arbres  à  teintures,  à  vernis,  à  épices,  palmiers, 
bambous,  etc.  Les  tribus  sauvages  tirent  de  la  forêt  la 
majeure  partie  de  ce  qui  est  indispensable  à  leurs  besoins, 
notamment  la  sève  farineuse  du  sagoutier.  Les  Euro- 
péens lui  demandent  surtout  des  bois  de  construction  et 
des  lianes  connues  dans  le  monde  entier  sous  le  nom 
de  rotin. 

LE  SOUS-SOL  ET  L'INDUSTRIE.  0a 
La  Malaisie  vient  en  tête  de  toutes  les  régions  du 
monde  pour  la  production  de  l'étain.  Nous  avons  vu 
la  valeur  des  minerais  stannifères  que  donnent  les  raines 
de  Perak  et  Selangor  dans  la  presqu'île  de  Malacca. 
Les  gisements  se  continuent  dans  les  Iles  hollandaises 
de  Riou,  Banka  et  Billiton,  d'où  l'on  exlreiit  en 
moyenne  20  000  tonnes  de  minerai  V2Jant  avant  guerre 
70000  000  de  francs. 

On  trouve  du  charbon  et  du  pétrole  à  Java,  Bornéo, 
Sumatra.  Le  nombre  de  tonnes  de  houille  extraites  en 
1919  (947  000  tonnes),  pour  faible  qu'il  soit,  a  permis 
déjà  de  restreindre  fortement  l'importation  des  charbons 
étrangers.  Quant  au  pétrole  (I  800000  tonnes,  autant 
que  la  Roumanie  et  la  Galicie),  il  prend  rang  parmi  les 
principaux  articles  d'exportation. 

Les  établissements  industriels  se  bornent  à  traiter  les 
produits  locaux  :  raffineries  de  sucre,  décorticage  du  riz, 
préparation  du  tabac,  de  l'huile  de  coprah,  fonte  de 
l'étain,  etc.  L'Insulinde,  comme  tous  les  pays  tropicaux 
fournisseurs  de  matières  premières  et  de  denrées  alimen- 
taires, est  tributaire  de  l'étranger  pour  la  plupart  des 
objets  fabriqués  :  fer  et  acier,  machines,  cotonnades, 
lainages,  verrerie,  etc. 

LE  COMMERCE.  00  La  prospérité  des  Indes 
Néerlandaises  se  traduit  éloquemment  par  les  chiffres 
qu'atteignent  leurs  transactions  commerciales,  la  rapidité  et 
la  régularité  de  leur  croissance  :  456000000  de  florins  en 
1900  (le  florm  vaut,  au  pair,  2  fr.  09),  733  000000  en 
1909,  1  177  000000  en  1913,  2  960000000  en  1919, 
dont  793000000  aux  importations  et  2  167000000aux 
exportations.  Les  achats  portent  surtout  sur  les  coton- 


409. 


L'ASIE 


nades,  les  machines,  la  quincaillerie,  la  verrerie,  le 
papier,  le  charbon,  la  parfumerie,  les  meubles,  et  en 
général  sur  tous  les  produits  fabriqués.  Les  ventes  ont 
pour  objet  le  sucre,  le  coprah,  le  riz,  le  caoutchouc,  le 
tabac,  l'étain,  le  pétrole,  le  café,  le  thé,    le   poivre,    les 


rotins,  le  quinquina,  etc.  Java,  qui  seule  est  entièrement 
et  rationnellement  exploitée,  possède  3  000  kilomètres 
de  voies  ferrées  et  un  réseau  complet  débondes  routes- 
Sumatra,  quatre  fois  plus  vaste,  n'a  encore  que  400  kilo- 
mètres de  chemins  de  fer. 


CONCLUSION 


En  1913,  si  l'on  met  à  part  le  riz  dont  une  moitié  se 
dirigeait  vers  la  Chine,  les  quatre  cinquièmes  des  pro- 
ductions de  rinsulinde  gagnaient  directement  les  ports 
hollandais  d'où  ils  se  dispersaient  dans  toute  l'Europe 
Occidentale,  soit  directement,  soit  après  diverses  mani- 
pulations qui  en  augmentaient  la  valeur.  C'est  aussi 
par  l'intermédiaire  de  la  Néerlande  que  l'Insulinde  rece- 
vait les  articles  manufacturés  qui  lui  manquaient. 

Ces  conditions  furent  considérableme  nt  modifiées 
pendant  la  Grande  Guerre,  au  détriment  de  la  métro- 
pole, au  profit  du  Japon  et  des  Etats-Unis.  De  1913  à 
1917,  les  importations  de  la  Hollande  à  Java  tombè- 
rent de  162  500000  florins  à  37  000000,  celles  des 
États-Unis  montèrent  de  6  000  000  à  47  000  000,  celles 
du  Japon  de  5  500  000  à  49  000  000,  Dans  le  même 
temps,  les  ventes  faites  par  l'Insulinde  aux  Etats-Unis 
passaient  de  4  000  000  de  dollars  à  80  000000,  repré- 
sentant plus  du  quart  de  l'exportation  totale,  tandis  que 
les  exportations  destinées  à  la  Hollande  s'abaissaient  de 
52800000  florins  à  moins  de  5000000.  C'est  une 
autre  confirmation  d'un  grand  fait  géographique  nouveau  : 
l'opposition  du  domaine  Pacifique  au  domaine  Atlantique, 
la  naissance  de  courants  commerciaux  qui  échappent  à 
la  direction  de  l'Europe  ;  c'est  une  autre  preuve,  ajoutée 
à  tant  d'autres,  de  la  brèche  formidable  creusée  par  la 
Guerre  dans  la  suprématie  économique  de  notre  conti- 


nent (Voir  les  chapitrés  consacrés  à  l'Europe,  au  Japon, 
aux  Etats-Unis,  à  l'Australie). 

Sans  doute,  la  fin  des  hostilités  a  permis  à  la  Néer- 
lande d'entrer  vigoureusement  en  lutte  contre  ces  con- 
currents de  la  dernière  heure.  Dès  1919  elle  vendait 
a  l'Insulinde  pour  163  000  000  de  florins  de  marchan- 
dises diverses  et  lui  acheta'.t  pour  328  000  000.  Elle 
ne  saurait  admettre  de  gaieté  de  coeur  que  des  frelons  ' 
étrangers  viennent  butiner  le  miel  qu  amassèrent  le 
labeur,  les  sacrifices  de  ses  enfants.  Cependant  il  est 
douteux  qu'elle  puisse  reprendre  la  place  tout  a  fait  pré- 
pondérante qu'elle  avait  autrefois.  Il  lui  faudra,  bon  gré, 
mal  gré,  faire  place  aux  commerçants,  aux  banquiers,  aux 
planteurs  du  Nippon  ou  d'Amérique.  Elle  ne  peut,  du 
reste,  à  elle  seule,  mettre  en  valeur  les  territoires  immenses 
de  Sumatra,  de  Bornéo,  de  Célèbes,  de  la  Nouvelle- 
Guinée  occidentale,  Java  suffit  à  absorber  la  presque 
totalité  de  ses  fonctionnaires  et  de  ses  colons.  Force  lui 
sera  donc,  dans  son  intérêt  même,  d'admettre  la  partici- 
pation des  étrangers. 

Les  possessions  anglaises  de  Bornéo  (Colonie  de  North-Borneo. 
Protectorats  de  Brunéi  et  Sarawak)  ont  fait  en  1913  un  commerce 
total  de  6858000  livres  sterling,  dont  3  790  000  aux  exportations  : 
caoutchouc  tabac,  poivre,  rotins,  sagou,  coprah,  etc. 

La  petite  colonie  portugaise  de  Timor  vendit,  la  même  année, 
pour  2500  000  francs  de  café,  de  bois  de  santal,  de  coprah,  etc. 


CHAPITRE  XXX 

L'INDE  ANGLAISE 


Les  possessions  anglaises  de  l'Aiie  Méridionale  com- 
prennent ;  L  l'Inde  proprement  dite;  2'  la  colonie  de 
Ceylan;  3"  les  territoires  annexes  :  Béloutchistan  et  Bir- 
manie ;  4  '  les  Etablissements  des  Détroits  (Straits  Settle- 
ments).  Nous  étudierons  dans  ce  chapitre  l'Inde,  la  Bir- 


manie et  Ceylan  qui  forment  un  tout  géographique  indis- 
soluble. Le  Béloutchistan  a  sa  place  naturellement  indi- 
quée dans  le  chapitre  de  l'Iran  et  nous  étudiâmes  déjà 
les  Straits  Settlements  qui  ne  peuvent  être  disjoints  de 
l'Indo-Chine. 


LA  GEOGRAPHIE  PHYSIQUE  DE  L'INDE 

LIMITE,  ÉTENDUE.   ^/H   L'Inde  a  des  limites      Sud-Est  par  la  Mer  d'Oman  et  le  Golfe  du  Bengale,  elle 
géographiques  très  nettes.    Baignée  au  Sud-Ouest  et  au      est  dominéeau  Nord-Ouest  parles  hautsgradinsdu  plateau 

410 


GÉOGRAPHIE  UNIVERSELLE     PL.   19.  page  410 


iranien,  au  Nord  pat  la  formidable  barrière  de  l'Hima- 
laya. Au  Nord-Est.  une  se'rie  de  plissements,  orientés 
Nord-Sud  à  travers  la  Birmanie,  la  séparent  du  bloc 
indo-chinois.  Partout  la  mer,  les  monts  infranchissables, 
les  vastes  espaces  désertiques  semblent  confirmer  et  proté- 
ger son  isolement.  Cependant,  cet  isolement  est  plus 
apparent  que  réel.  D'abord  la  double  façade  maritime 
de  la  Péninsule  lui  donne  vue  sur  l' Indo-Chine  et  l'in- 
sulinde  en  même  temps  que  sur  la  Perse,  l'Arabie,  la 
Mer  Rouge,  les  côtes  africaines;  et  le  mouvement  alter- 
natif des  moussons  favorise  des  échanges  qui  remontent 
à  la  plus  haute  antiquité.  De  plus,  si  rares  appa- 
raissent les  passages  terrestres  qui  mènent  à  l'Inde  ou 
permettent  d'en  sortir,  ils  existent  cependant  et  leur 
rareté  même  leur  donne  une  importance  dont  témoigne 
toute  l'histoire  de  la  Péninsule.  A  l'Est,  par  les  côtes  et 
les  vallées  birmanes,  on  gagne  le  monde  jaune  :  Siam, 
Annam.  \  unnan  chinois.  Ce  fut  une  des  voies  du 
bouddhisme  qui,  né  dans  l'Inde,  ne  parvint  qu'en  Chine 
à  sa  complète  Roraison.  Au  Nord,  les  cols  de  l'Himalaya, 
pour  difficiles  qu'ils  soient,  donnèrent  accès  aux  bergers 
Tibétains.  .A  l'Ouest,  surtout,  la  grande  voie  historique 
de  Kaboul,  les  passes  de  Kaïber,  de  Bholan  furent  de 
tout  temps  suivies  par  les  hordes  d'envahisseurs,  les 
armées  des    conquérants.    Par    là,    des   .Aryens  blancs 


L'IXDE   ANGLMSE 

vinrent  se  mêler  aux  populations  noires  primitives;  par 
là  descendirent  les  soldats  d'Alexandre  et  d' Antiochus  ; 
parla,  du  Xl'  au  XIII''  siècle,  Arabes  el  Mongols  intro- 
duisirent l'islam.  Là  faillit  se  produire,  dans  le  dernier 
quart  du  XIX*"'  siècle,  le  choc  de  1'  "ours  russe  "  et  de  la 
baleine  britannique  ".  Là  enfin  passeront  un  jour  les 
grandes  voies  ferrées  qui.  à  travers  les  monts  .-Xfghans. 
les  déserts  persans  et  turkmènes,  doivent  jeter  le 
pont  nécessaire  entre  400000000  d'Européens  et 
300000000  d'Hindous. 

Dans  ces  limites.  l'Inde  couvre  3885  000  kilomètres 
carrés  (4687000  si  l'on  ajoute  Ceyian  :  65  000  kilo- 
mètres carrés,  la  Birmanie  :  595  000  kilomètres  carrés, 
le  Béloutchistan  :  207  000  kilomètres  carrés).  C'est  plus  de 
sept  fois  la  France,  plus  du  tiers  de  l'Europe.  Comme  la 
Chine,  les  Etats- Unis,  le  Brésil,  l'Inde  ne  peut  être  compa- 
rée aux  petits  Etats  Européens.  Elle  forme  à  elle  seule  un 
monde.  Les  3  300  kilomètres  qu'il  faut  franchir  pour  se 
rendre  du  haut  Kachmir  à  la  pointe  Sud  de  Ceyian 
équivalent  à  la  distance  de  Pétrograd  au  Caire,  et  l'on 
ne  compte  pas  moins  de  3  000  kilomètres  entre  ses 
limites  d'Est  en  Ouest,  soit  l'espace  de  terrain  qui 
sépare  Paris  d'Astrakhan.  11  ne  faut  jamais  perdre  de 
vue  ce  facteur  essentiel  :  la  distance,  lorsqu'on  parle 
des  choses  de  l'Inde. 


Le  relief 


LE  RELIEF.  6) 0  Trois  régions  distinctes  consti- 
tuent l'Inde  :  la  plate-forme  péninsulaire  du  Sud,  la 
dépression  indo-gangétique,  l'Himalaya. 

LA  PLATE-FORME  PÉNINSULAIRE.  B> a 
L'Inde  péninsulaire  est  un  morceau  de  continent  très 
anciennement  émergé,  usé  par  une  longue  érosion,  une 

pénéplaine  ",  comme  disent  les  géologues.  Peut-être 
se  rattachait-elle  autrefois  à  Madagascar  et  à  l'.Austra- 
lie  alors  qu'un  large  bras  de  mer  l'isolait  au  contraire  de 
la  masse  asiatique?  Les  terrains  qui  forment  son  ossa- 
ture sont  à  peu  près  exclusivement  cristallins  :  granits, 
gneiss,  schistes,  grès  ;  mais  d'immenses  épanchements  de 
roches  volcaniques  ont  recouvert  la  portion  occidentale 
du  socle  primitif. 

Décomposés  chimiquement  par  l'eau  des  pluies, 
granits,  basaltes  et  trapps  se  sont  transformés  suivant 
les  lieux,  les  premiers  en  une  terre  rougeâtre  ou  jaune 
brun,  fort  semblable  à  la  "  latérite  "  que  nous  ren- 
contrerons à  Madagascar  et  en  Afrique,  les  autres  en 
un  fertile  terrain  noir,  le  "  regur  ",  particulièrement 
favorable  au  cotonnier. 

"  Dans  les  régions  occupée»  par  les  Irapps  volcanique»,  le  sol. 
très  perméable,  se  prêle  fort  mal  à  la  croissance  des  arbres  el  se 
couvre  de  hautes  herbes.  De  juin    à    novembre,  pendant  la    saison 


des  pluies,  la  verdure  de  ces  steppes,  semblable  aux  "  prairies 
du  Far-Wesl  américain,  est  douceà  l'œil  et  contraste  agréablement 
avec  les  roches  noires  qui  pointent  çà  et  là;  mais  de  novembre  à 
mars,  à  l'exception  des  espaces  mis  en  culture,  le  pays  apparaît 
comme  une  mer  de  paille  jaunie,  desséchée,  cl  de  mai  à  juin,  après 
l'incendie  habituel  des  herbes,  la  terre  noire,  les  rochers  noirs,  les 
rares  troncs  d'arbres  noircis  par  le  feu  révèlent  un  étrange,  un 
douloureux  aspect  de  désolation.    "  (R.   D.  Oldham.) 

Le  grand  triangle,  dans  lequel  s'inscrit  l'Inde  pénin- 
sulaire, débute,  au  Nord,  par  les  plateaux  de  Malva  et 
du  Gondvana.  Le  premier,  haut  de  600  à  1000  mètres, 
et  qui  s'incline  vers  la  double  dépression  de  l' Indus  et  du 
Gange,  est  faiblement  dominé  par  quelques  rides  mon- 
tagneuses :  monts  Aravalli,  monts  Vindhya  (2000  mètres). 
Les  terres  noires  du  "  regur  "  en  occupent  une  partie. 
Le  reste  se  compose  de  grès  rouges  qui  donnent  à  1  en- 
semble du  paysage  sa  couleur  caractéristique  et  four- 
nirent les  solides  matériaux  que  les  Empereurs  Mogols 
et  leurs  prédécesseurs  utilisèrent  pour  la  construction 
de  leurs  monuments.  Le  second  descend  en  s'élargis- 
sant  peu  à  peu  des  hauteurs  boisées  du  Tchota-Nag- 
pour  et  du  Mahadéo,  vers  les  côtes  deltaïques  des  Circars 
et  d'Orissa.  Celte  inclinaison  Nord-Ouest-Sud-Est  est 
aussi  celle  des  deux  derniers  plateaux  :  le  Décan  entre 
Godavery  et   Krichna,  le  Mysore  ou   Maïsour  de  la 


41  i 


L'ASIE 


Krichna  au  Cap  Comorin.  Le  Décan  (400  à  500  mètres 
d'altitude  moyenne)  développe  au  pays  de  Golconde 
ses  longues  ondulations  dont  rien  ne  rompt  la  lassante 
uniformité.  Le  Mysore,  plus  élevé  (800  à  1 000  mètres), 
doit  une  variété  beaucoup  plus  grande  aux  rocs  isolés  : 
les  "  dongs  **,  aux  masses  tubulaires  que  respecta  l'éro- 
sion et  sur  lesquelles  les  chefs  Hindous  dressèrent  leurs 
temples,  leurs  forteresses  inaccessibles. 

C'est  à  l'Ouest  que  la  plate-forme  péninsulaire  atteint 
sa  plus  grande  hauteur.  Tandis  qu'elle  s'abaisse  par 
larges  plans  d'inclinaison  insensible  vers  le  Golfe  du 
Bengale,  elle  domine  de  très  près  les  rivages  du  Golfe 
d'Oman,  et  la  pente  est  si  brusque  que  ce  versant  de  pla- 
teau fait  figure  de  vraie  montagne.  On  lui  donne  le  nom 
de  Ghâtes,  ce  qui  veut  dire  :  rampe,  escalier.  Haut  d'un 
millier  de  mètres  en  moyenne,  long  de  1  500  kilomètres, 
il  a  ses  points  culminants  au  Sud  dans  le  double  mas- 
sif des  Nilghiri  (2  760  mètres)  et  de  Travancore 
(2680  mètres)  ;  mais  les  passages  y  sont  aisés  et  des 
brèches  donnent  accès  aux  voies  ferrées  parties  de 
Surate,  Bombay,  Goa  et  Calicut. 

A  ces  Ghâtes  occidenlîJes  correspondent. les  Ghâtes 
orientales.  Elles  aussi  ne  sont  autre  chose  que  le  bourre- 
let externe  des  plateaux  intérieurs,  mais  un  bourre- 
let discontinu,  de  hauteur  fort  médiocre  (-100  à 
500  mètres),  divisé  en  mamelons  isolés  par  le  travail  de 
déblaiement  qu'accomplirent  les  fleuves.  Au  lieu  de 
border  de  très  près  le  rivage,  elles  en  sont  séparées  par 
une  large  bande  de  plaines  alluviales  qui  portent  le  nom 
de  côtes  du  Coromandel  et  des  Circars. 

LA  PLAINE  INDO-GANGÉTIQUE.  aa 
Entre  la  Péninsule  indienne,  l'Himalaya  et  les  plateaux 
de  l'Iran  se  creuse  une  dépression  qui,  d'abord  occupée 
par  les  eaux  marines  puis  lentement  émergée,  fut  peu  à 
peu  recouverte  sous  la  masse  des  argiles,  des  sables  arra- 
chés aux  montagnes  du  pourtour.  (Cf.  la  plaine  du  Pô.) 
Un  seuil  insignifiant  (280  mètres  à  l'Ouest  de  Delhi) 
répartit  les  eaux  pluviales  entre  deux  bassins  hydrogra- 
phiques qui  s'opposent  par  leurs  sommets.  A  l'Ouest,  le 
bassin  de  l'Indus  descend  du  Nord-Est  au  Sud-Ouest,  de 
l'Himalaya  occidental  au  fond  du  Golfe  d'Oman.  Aux 
argiles  du  Pendjab  succèdent  les  dunes  sablonneuses 
du  désert  de  Thar,  puis  les  vastes  marécages  salins  du 
Rann  de  Koutch.  La  plaine  du  Gange  décrit  parallèle- 
ment à  l'Himalaya  une  courbe  orientée  Ouest-Est  large  de 
250  à  500  kilomètres  ;  elle  déploie  à  perte  de  vue,  dans 
les  provinces  d'Agra,  d'Aoud  et  du  Bengale,  ses  éten- 
dues plates  et  monotones  de  terres  grasses  où  se 
pressent  160000000  d'hommes.  A  l'Est,  le  couloir  de 
l'Assam,  qu'emprunte  le  Brahmapoutra,  entre  l'Hima- 
laya au  Nord,  les  hauteurs  de  Garo,  de  Kasi  et  de 
Patkoï  au  Sud,  la  prolonge  sur  un  millier  de  kilomètres. 


Elle  débouche  sur  le  Golfe  du  BengcJe  par  le  colossal 
delta  qu'édifièrent  les  vases  réunies  des  deux  grands 
fleuves. 

L'HIMALAYA.  00  La  dépression  indo-gangé- 
tique  est  dominée  par  la  muraille  formidable  de  l'Hima- 
laya. Cette  chaîne  de  montagnes,  la  plus  élevée  du 
monde,  et  par  cela  même  très  incomplètement  explorée, 
s'est  plissée,  en  même  temps  que  les  Alpes,  sur  le  bord 
méridional  des  plateaux  Tibétains.  Elle  décrit,  comme 
tous  les  grands  plissements  asiatiques,  un  arc  de  cercle 
convexe  vers  le  Sud,  auquel  on  peut  assigner  comme 
limites  la  double  fracture  où  se  logèrent  à  l'Ouest  les 
eaux  de  l'Indus,  à  l'Est  celles  du  Tsan-Po,  cours  supé- 
rieur du  Brahmapoutra. 

Des  plaines  du  Gange,  il  semble  que  l'Himalaya  sur- 
plombe immédiatement  la  dépression  qui  s'étale  à  son 
pied.  En  fait,  avant  d'atteindre  le  cœur  du  massif,  dont 
les  sommets  démesurés,  resplendissant  de  neige  étince- 
lante,  se  détachent  sur  le  ciel  bleu,  il  faut  franchir  une 
zone  d'avant-monts  qui  est  comme  le  vestibule  de  la 
montagne  sacrée  ;  jungles  marécageuses  et  malsaines  du 
Teraï  peuplées  de  bêtes  fauves,  collines  boisées  des 
Sivalik  (l(X)0  à  1300  mètres),  vallées  longitudinales  des 
Douns  où  prospèrent  les  plantations  de  thé,  rides  duBeis- 
Himalaya  (1800-2400  mètres),  vêtues  de  forêts  sombres, 
refuge  de  la  société  anglaise  pendant  les  cheJeurs  écra- 
santes de  l'été  indien  (Simla,  Dardjiling),  telles  sont  les 
marches  successives  du  perron  qui  conduit  aux  cimes 
maîtresses.  Ces  cimes  s'érigent  au  milieu  d'un  chaos  fomu- 
dable  de  monts  convulsés,  de  gorges  sans  fond,  de 
parois  rocheuses  défiant  toute  escalade,  d'amoncellements 
fantastiques  de  neige  immaculée.  On  ne  les  connaît 
point  toutes,  surtout  dans  l'Himalaya  oriental,  et  l'alti- 
titude  de  celles  que  l'on  connaît  ne  peut  être  mesurée 
que  de  loin.  Cependant,  on  sait  que  des  milliers  de 
pics  atteignent  7000  mètres,  et  les  géants  du  groupe 
dépassent  8000  mètres  :  Nanga-Parbal  (8120),  Davala- 
ghiri  (8180),  Kintchindjinga  (8580),  Mont  Everest 
(8840).  A  l'Ouest,  par  delà  les  gorges  de  l'Indus,  les 
monts  du  Karakoroum  relient  l'Himalaya  et  le  sou- 
dent au  noeud  du  Pamir,  ce  "  Toit  du  Monde  "  des 
Orientaux.  Sa  pointe  suprême,  le  Dapsang  (861  5  mètres), 
est  à  peine  inférieure  en  altitude  au  Mont  Everest.  Au 
Nord,  après  l'immense  brèche  où  coulent,  en  sens  inverse, 
l'Indus  et  le  Tsampo,  une  nouvelle  série  de  plissements 
(Transhimalaya  ou  monts  Svcn  Hedin)  continuent  le 
Karakoroum  et  barrent  l'accès  du  Tibet  central.  A 
l'Est,  les  plis  himalayens  rejoignent  les  chaînes  du  Tibet 
oriental  et  se  courbent  brusquement  vers  le  Sud.  C'est 
l'origine  des  hauteurs  qui  s'alignent  à  travers  la  Birmanie  : 
Patkoï,  Arakan-yoma,  Pegou-yoma,  Poun-Loung,  etc. 
Leur  altitude  maxima  ne  dépasse  pas  2500  mètres.  De 


412 


L'INDE  ANGLAISE  -      -. 


larges  couloirs,  où  se  logèrent  l'iraouaddy  et  ses  affluents, 
les  se'parent  les  uns  des  autres,  voies  de  pénétration  natu- 
relle, lieux  d'élection  pour  les  établissements  humains. 

Elxpasé  de  plein  fouet  aux  vents  de  mousson  chargés 
d'humidité,  l'Himalaya  reçoit,  au  moins  sur  ses  versants 
méridionaux,  une  masse  considérable  de  pluie  etde  neige. 
Au-dessus  de  4500  mètres,  la  neige  persiste  toute 
l'année.  Aussi  les  glaciers  y  atteignent-ils  une  magnifique 
ampleur  (surtout  dans  le  Karakcroum),  meJgré  la  raideur 
des  pentes  et  la  proximité  du  Tropique.  L'Himalaya  est 
un  énorme  château  d'eau  où  les  fleuves  indiens  trouvent 
les  réserves  inépuisables  qui  leur  permettent  de  soutenir 
leur  débit  pendant  les  longues  sécheresses  de  l'hiver. 

11  va  de  SOI  qu'une  muraille  aussi  haute,  aussi  conti- 
nue, oppose  aux  communications  entre  Nord  et  Sud  un 
obstacle  dont  on  triomphe  malaisément.  De  routes  car- 
rossables il  ne  saurait  être  question.  Des  sentiers,  accro- 
chés au  flanc  des  gorges  au  fond  desquelles  grondent  les 
torrents,  mènent  par  d'interminables  lacets  à  un  très 
petit  nombre  de  cols  dont  le  plus  bas,  le  Bara  Latcha 
(où  passe  la  piste  de  Leh),  dépasse  encore  l'cJtitude  du 
Mont  Blanc  (4928  mètres).  Ces  cols  ne  sont  eux-mêmes 
accessibles  aux  piétons  ou  aux  convois  de  yaks  que  de 
mai  à  octobre.  En  hiver,  l'amoncellement  des  neiges 
les  obstrue  complètement. 

Comme  les  Alpes,  l'Himalaya  constitue  un  monde  à  part  qui  a 
ses  populations  spéciales  et  sa  vie  propre.  Tibétains,  Mongols, 
Arj'ens,  les  uns  descendus  par  les  passes  de  la  crête,  les  autres 
montant  de  la  plame  par  lentes  infiltrations,  s'y  mêlèrent  à  doses 
inégales,  lis  forment  des  tribus  de  montagnards  robustes  qui 
s'adonnent  à  l'élevage  ou  étagent  leurs  petits  champs  sur  les  pentes 
accessibles  aux  cultures.  Des  relations  séculaires  s'établirent  entre 
les  vallées  parallèles  ou  affrontées,  et  sur  les  sentiers  vertigineux, 
au  sommet  des  cols  où  la  neige  s'entasse  sur  une  épaisseur  qui, 
même  au  coeur  de  l'été,  dépasse  parfois  40  mètres,  on  rencontre 
les  troupeaux  de  moutons  porteurs,  de  poneys  et  de  yaks  con- 
duits par  des  bergers  taciturnes.  Ils  n'ont  que  peu  de  rapports  avec 
les  gens  des  plaines,  et  les  méprisent.  Du  reste,  ils  s'accommodent 
mal  du  climat  étouffant  qui  pèse  sur  les  bas-pays  ;  les  jungles 
malsaines  du  Téraï  forment  la  limite  extrême  de  leur  domaine.  A 
l'Ouest,  dans  la  haute  vallée  du  Djélam,  le  pays  de  Kachmir 
occupe  un  ancien  bassin  lacustre,  haut  de  1  300  à  1  800  mètres 
seulement,  ceint  de  tous  côtés  d'un  amphithéâtre  de  monts  neigeux.  Cette 
"  oasis  de  montagnes  ",  au  climat  exquis,  à  la  merveilleuse  végé- 
tation célébrée  par  les  poètes  hindous  et  persans,  est  le  type  le  plus 
caractéristique  des  "  pays  "  himalayens  analogues  à  ce  que  sont, 
en  Europe,  l'Elngadioe  et  le  Tyrol.  Au  Centre,  deux  Etats  indi- 
gènes, le  Bhoulan  et  le  Népal,  ont  su  maintenir  jusqu'à  nous  leur 
complète  indépendance. 

TEMPÉRATURE.  00  Traversée  par  le  Tro- 
pique du  Cancer,  l'Inde,  abstraction  faite  des  hautes 
montagnes,  est  une  des  régions  les  plus  chaudes  du 
globe.  Toutes  les  stations  du  tableau  ci-cor.ire,  sauf 
les  dernières,  ont  une  moyenne  annuelle  supérieure  à 
23°.  Mais  les  différences  de  latitude,  de  situation  (conti- 


nentale ou  maritime)  sont  la  cause  de  variations  impor- 
tantes. Sur  les  côtes,  l'amplitude  est  faible  :  «lie  s'accroît 


Hautcurx  Jci  flaied. 


mûtnjLtfe- o"^*^  PLUTES    ET  pttu^OesmÀtr^A 

Oeo'y)ào'?Ji  TEMPÉRATURES      DirecUon.ilE.UL _^ 


lÈQ^"^/ 


MOYENNES 


JrU' 


%^ 


i&^ 


cependant  peu  à  peu  à  mesure  que  l'on  s'é' oigne  de 
rÊquateur(ComparezTrivandroumetCalculta).  Les  pla- 
teaux   du  Décan,  les  plaines  du  Gange  et  de  l'Indus 

CLIMAT  DE  L'INDE 


1 

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Trivanclroum 

Madras 

BoRibaT...  ■ 
Calcutta  . . . 
RansooQ..- 


Pouna |I8<^| 

Na«pour....l2109  I 


R'V) 

25°6 

24'>5 

n»4 

27°7 

24<>2 

ia»54 

lb'4 

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.'PIZ 

2^'4 

iU'A 

16°46 

42 

26'* 

I}% 

Patna    . 
Agn    . 

Labore 


. |31»34! 


Nilsliin    ... 

11*32 

2  633 

ll°2 

9°7 

Mont  ALou 

(RMiJpoutmaA 

24«36 

1  2t;2 

2Cr2 

I4'4 

Siml»   

i\'b 

2  IW 

12°8 

VV 

Uh 

34M0 

i  SOB 

'>t) 

-/^ 

Cola. 

•vril      27'>0 
[Tui-juîn30*7 
mai      29°3 
nui      2« 
•vril     29»2 
Ptaieam  de  ta  PcninniU. 
561|24'3|20°2|  .»ril29°2 
312l2*°2ll9°3l   in.iî4«4 
Plaine  da  Cantt. 
56|25°2|IS°9|    m.i3l'"2 
I69l25"6ll5°5l  juin  34"6 

NatJ-Ooal. 
214|23«8|I2°2I   juin  34»3 
Stalioiu  de  montagne. 
13°8 


nui  26*4 
iuin  19*4 
juil.  16'« 


1  246 
1  890 
I  60S 
4  760 


Août    k    nov. 
Juin  k     sept. 

Mii    •    sept. 


9*01    7181 
1^1 1    870l 

15*311  0051  Jiin  i  Kpt. 
\\<f\\    666 1  Juil.-itpi. 

122*11    552J  Juil..«pi. 

4*1  4  300      M«i.«:pt. 


1?0 
14*4 
25^ 


720 

2  225 

33 


Juin-a-pt. 
Juin.«ept. 
Août-9ept. 


413 


L'ASIE 


présentent  au  contraire  de  grands  éceirts  entre  les 
moyennes  des  mois  les  plus  frais  et  des  mois  les  plus 
chauds.  Ces  e'caris  atteignent  leur  maximum  dans  les 
régions  sèches  du  Pendjab,  du  Sindh,  du  désert  de 
Thar  qui  ont  un  véritable  hiver  avec  des  nuits  froides 
pendant  lesquelles  le  thermomètre  s  abaisse  au  voisinage 
du  point  de  glace,  et  des  été  tomdes  :  les  moyennes 
atteintes  à  Agra,  à  Lahore,  à  Moultan,  à  Jacohabad 
(de  34", 5  à  36°)  n'ont  de  comparables  que  les  chiffres 
fournis  par  les  stations  les  plus  chaudes  du  Sahara,  de 
l'Arabie,  de  la  Mésopotamie  (les  moyennes  de  Lahore 
sont  exactement  les  mêmes  que  celles  de  Bagdad). 

11  faut  noter  que  les  maxima  ne  se  produisent  pas  en 
juillet-août,  mais  d  avril  à  jum,  c'est-à-dire  avant  le 
début  de  la  période  des  pluies.  Dans  la  majeure  partie 
de  l'Inde,  l'année  se  partage  en  effet  en  trois  saisons  : 
la  saison  fraîche  d'octobre  a  mars,  la  plus  ag/éable  et  la 
plus  saine  ;  la  saison  chaude  d  avril  à  juin,  caractérisée  par 
une  rapide  élévation  de  la  température,  un  eiir  étouffant, 
chargé  d'électricité,  des  tourbillons  de  poussière  rouge 
ou  noire;  la  saison  des  pluies  de  juin  à  septembre,  qui 
amène  un  abaissement  appréciable  de  la  chaleur,  mais 
est  aussi  pénible  que  la  précédente  par  suite  de  l'extrême 
humidité  de  I  atmosphère. 

La  nébulosité  varie  naturellement  suivant  les  saisons  et  suivant 
les  lieux.  Dans  les  provinces  du  Sud,  sur  les  côtes  Birmanes,  les 
nuages  couvrent  le  ciel  pendant  une  moitié  au  moins  de  l'année. 
Cette  moyenne  s'abaisse  à  45,30,  25,  \A  pour  100  à  mesure  que 
l'on  pénètre  dans  les  régions  continentales  oîi  la  période  des  pluies 
est  de  moindre  durée.  "  L'éclat  aveuglant,  l'intense  lumière  qui 
rayonnent  de  partout,  et  spécialement  du  sol,  mettent  le  nouveau  venu 
à  aussi  dure  épreuve  que  la  chaleur  qui  les  accompagnent  ;  mais,  si 
ensoleillé  que  soit  le  ciel  de  l'Inde,  on  ne  peut  cependant  parler 
de  son  azur.  En  saison  sèche,  le  ciel  est  la  plupart  du  temps  voilé 
de  vapeurs  et  de  poussière  ténue.  De  Simla  (2000  mètres  d'alti- 
tude), on  ne  distingue  même  pas  les  chaînes  de  montagnes  qui 
s'élèvent  à  6  ou  8  kilomètres.  Ce  n'est  guère  que  dans  les  courtes 
heures  qui  suivent  immédiatement  les  averses,  ou  bien  en  septembre 
et  octobre,  que  l'on  aperçoit  vraiment  le  ciel  bleu.  Dans  les  plaines, 
l'atmosphère  est  presque  constamment  "  poussiéreuse  ".  dans  le 
Sud  un  peu  moins  que  dans  le  Nord.  "  (J.  Hann.) 

MOUSSONS  ET  PLUIES.  jUa}  L'Inde  est  sou- 
mise, comme  toute  l'Asie  Méridionale  et  Orientale^  au 
régime  des  moussons  (voir  "  Notions  générales  sur 
I  Asie  ").  La  mousson  d'hiver  souffle  du  continent  glacé 
vers  les  mers  tièdes.  C'est  une  mousson  sèche  qui  ne 
donne  un  peu  de  pluie  qu'au  Sud-Est  de  l'Inde  pénin- 
sulaire et  à  la  côte  orientale  de  Ceylan.  La  mousson 
d'été  commerce  en  mai  dans  le  Sud  de  l'Inde  et  les  côtes 
de  Birmanie.  Elle  atteint  sa  plénitude  en  juin,  et  cesse 
en  octobre.  On  l'attend  avec  une  extrême  impatience, 
car  c  est  elle  qui  apporte  l'eau  bienfaisante  ;  c'est  d'elle 
que  dépend  la  vie  de  centaines  de  millions  d'hommes. 
La  terre  brûlée,  fendillée  par  de  longs  mois  de  séche- 
resse, les  arbres  privés  de  leurs  feuilles,  les  herbes    jau- 


nies, les  mares  presque  à  sec,  les  rivières  appauvries 
charriant  leurs  eaux  boueuses  dans  un  large  lit  de  sables 
dorés,  les  animaux  amaigris  par  le  manque  de  nourri- 
ture, les  paysans  dont  les  provisions  s  épuisent  et  qui  ont 
un  urgent  besoin  de  la  récolte  nouvelle,  toute  l'Inde 
enfin  aspire  aux  averses  libératrices.  Un  jour,  célébré 
par  la  joie  universelle,  apparaissent  au  fond  de  l'horizon 
les  premiers  cumulus,  avant-garde  de  l'armée  des  nuages. 
Le  ciel  se  couvre  peu  à  peu  tout  entier,  l'atmosphère 
devient  plus  étouffante  encore,  des  éclairs  innombrables 
irradient  les  ténèbres,  et,  parmi  des  éclatements  de 
foudre,  l'ondée  torrentielle  s'abat. 

Toutes  les  régions,  il  est  vrai,  ne  sont  pas  également 
favorisées.  Les  plus  arrosées  sont  naturellement  les 
rivages  frappés  directement  parles  vents  du  Sud-Ouest 
et  du  Sud  :  Ghâtes  occidentales,  Bengale,  Chota-Nag- 
pour,  pentes  de  l'Himalaya,  Assam,  et  les  rivages  de 
Birmanie.  Partout  la  chute  annuelle  y  dépasse  1  m.  50. 
Elle  atteint  3  mètres  sur  les  côtes  de  Kanlcan  et  Mala- 
bar, 4  mètres  en  Birmanie.  Mahabalechar,  au  Sud-Est 
de  Bombay,  voit  tomber  8  m.  1  5  de  pluie,  et  Tcherra- 
poundji,  dans  l'Assam,  12  m.  40.  C'est  le  lieu  le  plus 
arrosé  du  monde  avec  les  îles  Hawaî. 

Les  zones  les  plus  sèches  se  trouvent  au  Nord-Ouest, 
dans  la  veJlée  de  l'Indus  et  le  Radjpoutana.  Le  Pendjab 
ne  peut  compter  que  sur  une  trentaine  de  jours  pluvieux 
donnant  de  40  à  50  centimètres  d'eau.  Le  Sindh  en  a 
moins  encore,  et  l'absence  presque  complète  des  averses 
transforme  tout  le  Radjpoutana  occidental  en  un  vaste 
désert  :  le  désert  de  Thar. 

(Noter  aussi  la  faible  quantité  d'eau  reçue  par  Leh  malgré 
son  altitude  considérable.  La  ville,  en  effet,  se  trouve  sur  le  haut 
lodus  derrière  les  chaînes  himalayennes,  qui  forment  un  écran 
arrêtant  les  nuages  venus  du  Sud.  C'est  déjà  le  régime  tibé- 
tain). 

Entre  ces  deux  extrêmes  se  trouvent  la  majeure  partie 
de  l'Inde  péninsulaire  intérieure  et  la  haute  plaine  du 
Gange.  Ce  sont  elles  qui  souffrent  le  plus  de  la  grande 
variabilité  des  moussons.  En  année  normale,  la  pluie 
suffit  à  peu  près  aux  besoins  (de  70  centimètres  à 
1  mètre),  mais,  si  la  mousson  est  en  retard,  ou  s'arrête 
trop  tôt,  la  récolte  manque,  soit  en  partie  soit  en  tota- 
lité, et  la  famine  menace.  De  là  l'importance  primordiale 
des  travaux  d'irrigation  (voir  plus  loin). 

Dans  l'ensemble,  le  climat  de  l'Inde  présente  les  avantages  elles 
inconvénients  habituels  des  pays  tropicaux.  Les  avantages  se  mani- 
festent surtout  par  l'abondance,  la  richesse  et  la  variété  de  la 
végétation,  partout  au  moins  où  l'eau  ne  manque  pas.  Les  inconvé- 
nients se  traduisent  par  l'irrégularité  des  pluies,  cause  de  famines 
redoutables,  par  les  effets  déprimants  d'une  température  très 
élevée,  très  humide,  qui  pèse  lourdement  même  sur  les  indigènes 
et  leur  donne  cette  indolence,  ce  peu  de  ressort  physique  et  moral 
propres  à  toutes  les  races  vivant  entre  le  Tropique  et  I  Equateur 


414 


L'INDE 


BÊNARfS  :  LES  RIVES  DU  GANGE.  Bénarà  ou  /Cari,  apris  avoir  itipmdimt 
huit  tiècla  U  (ira  jocrc  dahouddkista.at  iamuc  la  mitrotolr:  ia  teligiom  hahma- 
niqua.  Plia  de  I  700  lemola.  sans  comcicr  les  auleU,  lea  reposoirs  des  plaça  el  des 
rues,  s'élèvent  dora  la  ville,  mais  apparaissent  en  nambre  partieulièrement  grand  sur 


les  rives  du  Congé.  Des  Chats,  au  larges  escéien.  descendent  vers  la  berge.  Ils  tant 
constamment  envahis  par  la  foute  des  prêtres,  des  marchand»  d'ohjelt  de  pieté  qu  abri- 
tent de  larges  parasols  par  la  foule  des  pèlerins  suritut  et  des  fidèles  qui  vont  se 
pmifieren  s' inondant  des  eaux  sacrées  du  fleuve.  CI.  D'  Le  Play. 


415 


L'ASIE 


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V-.V 

V 1"^  I 

% 

èÊtM 

•H         HH^S 

TYPES  HINDOUS.  Près  d\mc 
mUnonne  petite  fille  un  fakir 
est  accroupi. 

Cl.  G.COURTELLEMONT. 


TYPES  HINDOUS  CHARMEURS  DE  SERPENTS.  La  photographie  montre 
des  jongleurs  faisant  danser  au  son  d'une  sorte  de  flageolet  des  cobras  ou  serpents  à 
lunettes  ( ainsi  nommés  des  deux  taches  sombres  qui  apparaissent  sur  leurs  têtes  élargies) 
rendus  ino0ensi{s  par  l'extraction  des  crochets  à  venin.      Cl.  Ch USS EAU -Fla VIENS. 


TYPES  HINDOUS.  Deuï  jeunts 
femmes  de  la  cote  du  Malabar, 
métisses  d'Aryens  et  de  Dravi- 
diens. 


DARD  JILING  est  avec  Simla  le  plus  célèbre  des  sanatoria  oii  les  résidents  anglais 
refont  leur'i  forces  anémiées  par  la  chaleur  humide  des  bas-pays.  Les  villas  se 
dispersent  entre  2  000  et  2  500  mètres  d'altitude  au  milieu  des  arbres  ;  dansle  fond 
apparaissent  les  grands  massifs  himalayens.  Cl.  ChussEau-FlavIENS. 


LA  PORTE  DU  KACHMIR  ET  LA  SORTIE  DU  DJILAM.  La  vue  est  prise 

au  u'ilage  de  Baramoula,  c'est-à-dire  au  point  où  le  Djilam,  l'une  des  cinq  rivières 
du  Pendjab,  échappe  à  l'étreinte  des  monts  himalayens,  devient  navigable,  et  va 
servir  à   l'irrigation   des  champs.  Cl.  KiSSEN   A    Dehli. 


îyI.VR!AGE  DE  RAJAH  :  CORTÈGE  D'ÉLÉPHANTS.  Spectacle  familier 
à  toizs  ceux  Qui  ont  vécu  dans  Iss  provinces  hindoues  soumises  au  régime  du  Protec- 
lùrcl,  Rciahs  et  Maharajahs  possèdent  tous  des  troupes  d'éléphants  magnifiques. 
q'Jt  àé/ilcTtt  dans  les  cérémonies  et  s'embloient  pour  la  chasse  au  tigre. 


GOWARDAM  :  VOITURES  HINDOUES.  Si  l'or,  met  à  pari  les  provinces 
du  Nord-Ouest,  très  sèches  et  où  le  chameau  est  d'usage  courant,  le  seul  animal 
employé  communément  pour  les  transports  est  le  lœuf.  attelé  à  des  voilures  assez 
primitives  qu'une   bâche  protège  contre  le  soleil  et  la  poussière. 


4i6 


L'INDE  ANGLAISE 


Les  Européens  souffrant  à  la  fois  de  la  chaleur,  de  l'humidilé.  de  ils  s'ealouienl.  à  une  hygièoe  sévère,  à  la  pratique  des  sports,  et 
la  poussière,  de  l'iBlensité  de  la  lumière.  Cependant,  ils  arriTent  à  jurtout  à  de»  séjours  plus  ou  moins  prolongés  dans  les  sanaloriade 
"■accommoder  d'un  climat  si  peu   fa%-orable    grâce  au    confort  dont        montagnes  :  Niighiri,  Mont  Abou.  Simia.  Dardjilin'i!.  elc 

L'Hydrographie 


Les   fleuves  de  llnde  présentent  un  certain  nombre 
de  caractères  communs  : 

I  "  Ils  ont  chaque  été,  comme  tous  les  fleuves  tropi- 
caux, des  crues  régulières  dues  aux  pluies  de  mousson  : 

2°  Ils  se  terminent  à  peu  près  tous  par  des  deltas  : 

3"  Ceux-là   même  qui  sont  inutilisables   pour  la  na- 

L'HYDROGRAPHIE 


Prîndpauv 
fleaves. 


Indus 

Gan«e 

Brahmapoutra 
Iraouaddy  . . . 
Godavery  ... 

Kistna 

Cavery 

Mahanaddy.. 
NertxHidda  .  . 
Tapti 


ÏCin. 
3  180 
3  000 
2  900 

> 
1445 
I  280 

760 

836 
1  290 

700 


Superficie 
du 


Volume  en  mètres  cutïcs. 


Km' 

960  000 

I  060  000 

? 

600  000 
300  000 

240  OOO 

tooooo 


Mini- 
mum. 


1  100 

2  000 
? 

2  000 
60 
32 
500 
30 
9 


Maxi- 
mum. 


12  600 
33  000 
40  000 
51  000 
40  000 
30  000 

13  000 
35  000 
30  000 
25  000 


Moyenne. 


Période 
des 
crues. 


4  500  mai-octobre. 
16  000 
\5  000 
16  000 
? 


vigation  ont  une  importance  économique  considé- 
rable, car  ils  donnent  l'eau  nécessaire  aux  canaux  d'irri- 
gation. 

De  l'Himalaya  descendent  l'Indus,  le  Brahmapoutra. 
le  Gange  et  leurs  principaux  affluents.  Us  naissent  tous 
les  trois  sur  le  revers  septentrional  des  grandes  chaînes, 
mais  tandis  que  le  Gange  se  fraye  aussitôt  un  passage 
vers  le  Sud,  les  deux  autres  coulent  longtemps  au  fond 
d'une  immense  fracture  comprise  entre  l'Himalaya  et 
les  plateaux  Tibéteiins.  Ils  ne  s'en  échappent  qu'aux  deux 
extrémités  de  l'axe  montagneux  qu'ils  franchissent  par 
des  brèches  formidables. 

L'Indus,  une  fois  en  plaine,  s  écarte  du  grand  réser- 
voir de  neige,  de  pluie,  de  glace  qu'est  le  massif  Hiraa- 
layen  et  pénètre  dans  la  région  la  plus  sèche  de  l'Inde. 
A  l'Ouest,  le  revers  oriental  des  plateaux  iraniens  ne  lui 
envoie  que  des  torrents  insignifiants  :  le  plus  notable 
est  le  Kaboul,  non  pcur  le  volume  de  ses  eaux,  mais 
parce  que  sa  vallée  ouvre  la  grande  voie  historique  qui 
mène  aux  pays  turkmènes  et  persans.  A  YEsl,  il  est  déjà 
très  appauvri  par  sa  course  à  travers  le  Pendjab  lors- 
qu'il se  renforce  heureusement  du  tribut  des  cinq  rivières  : 
Djelam,  Chinab,  Ravi,  Satledj  grossie  du  Bias,  venues 
elles  aussi  de  l'Himalaya.  Mais  il  a  encore  plus  d'un  mil- 
lier de  kilomètres  à  franchir  sous  un  ciel  de  feu  où 
l'évaporadon  est  intense.  Aussi,  semblable  en  cela  à 
l'Amou  Daria,  à  l'Euphrate,  au  Nil,  voit-il  son  volume 


diminuer  à  mesure  qu'il  approche  de  la  mer.  Il  se 
traîne  sur  un  sol  plat,  dans  un  lit  démesuré  qui  ne  se 
remplit  complètement  qu'au  moment  où  la  fonte  des  neiges 
himalayennes  s'ajoute  à  l'effet  des  pluies  de  mousson.  A 
2^0  kilomètres  du  Golfe  d'Oman  commence  son  delta. 
Il  s  y  divise  en  bras  nombreux  et  changeants,  encombrés 
de  bancs  de  vases,  inaccessibles  aux  navires.  Sur  chaque 
rive,  une  zone  verdoyante  de  rizières,  de  champs  de 
maïs  et  de  blé  ombragés  par  les  fûts  élégants  des  pal- 
miers-dattiers, accompagne  le  fleuve  aussi  loin  que 
s'étendent  les  rigoles  d'arrosage.  Au  delà,  le  désert 
apparaît. 

Gange  et  Brahmapoutra  ne  s'éloignent  pas  de  l'Hi- 
malaya. Le  premier,  qui  entre  en  plaine  à  Hardar,  se 
courbe  vers  l'Est,  passe  à  Cawnpore,  puis  à  AUahabad 
où  la  Djemma  lui  apporte  des  eaux  empruntées  à  la  fois 
aux  pentes  himalayennes  et  au  plateau  de  Malva.  Par 
Bénarès  et  Patna  il  roule  majestueusement  ses  ondes 
troubles  dans  un  lit  profond  de  5  à  6  mètres,  large  de 
1 300  mètres  à  2  kilomètres,  où  la  Sône,  le  Goumti, 
la  Gogra,  le  Gandak,  le  Kosi  viennent  de  droite  et 
de  gauche  verser  leur  tribut.  Ni  lui,  ni  ses  eiffluents 
himalayens  ne  connaissent  les  maigres  de  l'Indus,  et 
si,  dans  ses  crues  périodiques  de  mai  à  octobre,  son  débit 
monte  à  33  000  mètres  cubes,  il  se  maintient  entre  12000 
et  1 6  000  mètres  cubes  pendant  la  majeure  partie  de 
l'année. 

Le  Brahmapoutra,  plus  abondant  encore,  est,  pen- 
dant la  saison  des  pluies,  une  véritable  mer  d'eau  douce 
encombrée  d'îles,  qui,  soutenue  par  les  averses  formi- 
dables de  l'Assam,  étend  ses  eaux  sur  plus  de  40  kilo- 
mètres de  largeur. 

Gange  et  Brahmapoutra  entraînent  une  masse  d'al- 
luvions  telle,  quils  ont  construit  l'un  des  plus  vastes 
deltas  du  globe  :  82  000  kilomètres  carrés,  soit  quatre 
fois  plus  queledeltadu  Nil.  L'intérieur  du  delta  est  de  sol 
assez  ferme  pour  se  prêter  aux  cultures.  L'extrémité  n'a 
encore  que  des  vases  tremblantes,  des  boues  mal  Sxées 
par  la  racine  des  manguiers.  C'est  le  district  des  Soun- 
derbans  ",  inextricable  fouillis  de  roseaux,  de  plantes 
aquatiques,  de  lianes  et  d'arbres  spéciaux  où  les  bêtes 
fauves  trouvent  des  retraites  inviolées. 

En  Birmanie,  les  deux  larges  sillons  creusés  entre  les 
chaînes  parallèles  de  l'Arakam-Yoma,  du  Pégou-Yoma 
et  du  Pou-Loung  sont  empruntés  par  l' iraouaddy,  son 
grand  affluent  le  Kyen-Douen  et  le  Sittang.  Ils  drainent 
un  bassin  aussi  copieusement  arrosé  que  les  régions  du 


417 


CéoCRAPHIE  i;NrVERSCLLE. 


41 


L'ASIE 

Brahmapoulra,  et  le  seul  Iraouaddy  verse  à  la  mer,  par 
lesbranches  multiples  de  son  delta,  plus  de  50  000 mètres 
cubes  d'eau  au  fort  de  la  saison  pluvieuse. 

LaSalouen,  qui  limite  à  peu  près  vers  l'Est  les  terres 
birmanes,  est  un  des  plus  longs  fleuves  de  l'Asie  puis- 
qu'elle naît,  comme  le  Mékong  et  le  Yang-Tseu,  sur  les 
plateaux  tibétains.  Mais  son  cours  supérieur,  caché  dans 
la  profondeur  de  gorges  inaccessibles,  est  er.core  fort  mal 
connu,  et  son  cours  inférieur,  toujours  serré  de  près  par 
les  parois  élevées  des  montagnes,  semé  de  rapides,  obs- 
trué de  barrages  rocheux,  n'est  d'aucune  utilité. 

L'Inde  péninsulaire,   fcublement,  très  irrégulièrement 


arrosée,  n'a  point  de  fleuves  comparables  aux  précédents. 
Nerboudda  et  Tapti  sur  le  versant  occidental,  Maha- 
naddy,  Godavery,  Kisina  ou  Krichna,  Cavery  sur  le  ver- 
sant du  Golfe  du  Bengale,  se  caractérisent  presque 
tous  par  leur  régime  torrentiel,  la  rapidité  de  leurs  pentes, 
les  variations  formidables  de  leur  débit.  Les  d^ux  premiers, 
trop  encaissés  dans  d'étroites  vallées,  ne  peuvent  même 
pas  être  utilisés  pour  l'irrigation.  Il  n'en  est  heureuse- 
ment pas  de  même  pour  les  autres,  dont  les  eaux,  con- 
tenues par  des  barrages  ou  anicuts  ",  donnent  la  vie 
et  la  fécondité  aux  deltas  qu'ils  édifièrent  sur  les  côtes 
des  Circars  et  de  Coromandel. 


Les  Côtes 


L'Inde  proprement  dite  possède  plus  de  5  000  kilo- 
mètres de  côtes  auxquels  s'ajoutent  les  1  500  kilomètres 
des  rivages  birmans.  Cette  longue  façade  maritime  est 
malheureusement  très  uniforme  et  fort  mal  pourvue,  si- 
non même  tout  à  fait  privée,  de  rades  naturelles. 

A  l'Ouest,  sur  le  Golfe  d'Oman,  les  plaines  de  l'in- 
dus  se  terminent  par  le  delta  du  Sindh,  la  dépression  du 
Rann  de  Katch  ou  Koutch,  "  une  Camargue  maréca- 
geuse, saline  et  pestilentielle  ",  puis  la  presqu'île  de  Ka- 
thiavar.  Point  d'autre  port  sur  ces  rivages  de  sable  et  de 
boue  que  Karatchi,  havre  artificiel  conitruit  à  grands  frais 
pour  servir  de  débouché  au  Pendjab  et  toujours  menacé 
d'envasement.  Du  Golfe  de  Cambaye  au  Cap  Comorin, 
entre  la  mer  et  le  pied  des  Ghâtes,  une  bande  de  plaines 
lagunaires,  large  de  50 kilomètres  en  moyenne,  toujours 
semblable  à  elle-même  sur  plus  de  1  600  kilomètres 
(côtes  de  Kankan,  Kanara,  Malabar),  n'offre  aux  na- 
vires qu'un  seul  abri  sûr  ;  la  rade  de  Bombay.  Ni  Goa, 
ni  Mangalore,  ni  Mahé,  Beypoure  ou  Cochin  n'ont  au- 
jourd'hui d'importance.  Au  large,  des  groupes  d'îles  co- 
ralliennes, Laquedives  et  Maldives,  dépassent  à  peine  la 
surface  des  flots. 

Du    Cap  Comorin  aux   bouches  du  Gange,  la  côte 


(côtes  de  Coromandel,  des  Circars,  d'Orissa)  est  carac- 
térisée par  la  série  des  deltas  qui  accroissent  la  largeur 
de  la  plaine  sise  entre  la  mer  et  les  dernières  pentes  des 
Ghâtes  orientales.  Là  encore,  point  de  golfes,  d'inden- 
tations  favorables  à  la  vie  maritime,  mais  des  rivages 
plats  bordés  d'une  mer  peu  profonde  où  les  navires  doivent 
se  tenir  au  leurge  et  qui,  en  temps  de  mousson,  devient 
fort  dangereuse.  Parmi  les  ports  pourtant  nombreux,  mais 
de  trafic  insignifiant  (Karikal,  Pondichéry,  Mazoulipatam, 
Yanaon,  Kalingapatam,  False  point,  Tchittagong),  seule 
la  rade  ouverte  de  Madras,  et  Calcutta  sur  l'Hougly,  ont 
été  l'objet  de  travaux  considérables  qui  assurent  aux  vais- 
seaux un  accès  et  un  abri  relativement  sûrs. 

En  Birmanie,  les  rivages  sont  mieux  découpés.  Des 
archipels  bordent  les  côtes  élevées  d'Arakan  (ports 
d'Akyab  et  Ramri)  et  de  Tenasserim  (port  de  Moul- 
meïn).  Le  grand  centre  commercial,  Rangoun,  se  trouve 
cependant  encore  au  débouché  d'un  delta,  celui  de  l'Ira- 
ouaddy,  et  îl  faut  lutter  sans  cesse  contre  l'envahissement 
des  alluvions.  Un  chapelït  d'îles  rocheuses  (archipels 
des  Andaman  et  de  Nicobar)  prolonge  le  plissement  des 
Monts  Arakan  à  travers  le  Golfe  du  Bengale  jusqu'aux 
parages  de  Sumatra. 


La  Vie  végétale 


La  végétation  de  l'Inde  doit  à  la  vàiiété  des  conditions 
climatiques  et  du  relief  une  richesse  plus  grande,  peut- 
être,  qu'aucune  autre  contrée  du  monde,  d'étendue  égale. 
Mais  e'ie  est  aussi  remarquablement  pauvre  en  espèces 
qui  lui  soient  propres,  "  elle  apparaît  comme  une  simple 
combinaison,  un  mélange  à  doses  inégales  o'es  flores  de 
la  Malaisie,  de  l'Europe,  de  l'Afrique,  de  l'Arabie,  de 
la  Chine  et  du  Japon  ". 

L'extension  des  cultures  a  profondément  modifié  le 
caractère  primitif  de  la  végétation  dans  les  plaines,  les 
deltas  des  fleuveset  une  bonne  partie  des  plateaux  pé- 


ninsulaires. En  dehors  de  ces  zones  où  les  champs  couvrent 
la  majeure  partie  du  sol,  on  trouve  dans  l'Inde  tous  les 
types  de  la  couverture  végétale  naturelle,  depuis  les  maigres 
arbrisseaux  du  désert,  jusqu'à  la  forêt  équatoriale  la  plus 
touffue,  depuisles  herbes  delà  steppe  tropicale  jusqu'aux 
conifères  des  hauts  monts. 

Les  régions,  qui  reçoivent  annuellement  une  quantité 
d'eau  égale  ou  supérieure  à  2  mètres  ont  des  forêts 
vierges  composées  surtout  d'arbres  à  feuilles  toujours  vertes 
Elles  atteignent  leur  plus  grande  extension  en  Birmanie. 
dansl'Assam,  sur  les  pentes  des  Ghâtes  occidentales  et 


418 


du  Bas-Himalaya,  dans  les  districts  marécageux  du 
Teraï.  Elles  se  caracte'risent,  là  comme  partout,  parla 
haute  taille  des  arbres,  la  mu'tiplicité  des  espèces, 
l'abondance  des  lianes,  des  plantes  parasites,  l'obscu- 
rité et  le  silence  qui  régnent  sous  leurs  épaisses  ramures. 
Les  forêts  de  type  alpin  débutent  vers  2  000  mètres 
par  des  chênes  verts  ou  à  feuilles  caduques,  des 
magnolias,  des  lauriers;  plus  haut,  dominent  les  pins, 
les  sapins,  les  mélèzes,  les  érables,  les  cèdres  qui,  vers 
4000  mètres,  cèdent  la  place  aux  prairies  semblables  à 
celles  de  nos  Alpes. 

Dans  la  Péninsule,  plus  sèche,  la  majeure  partie  des 
arbres  perdent  leurs  feuilles  pendant  les  fortes  chaleurs  du 
printemps.  Leur  taille  est  moins  élevée.  Les  buissons  épi- 
neux, les  ronces,  les  graminées  dures  et  coupantes,  les 
palmiers  nains,les  bambous  forment  des  fourrés  analogues 
aux  maquis  de  la  Corse.  De  là  un  nouveau  type  de  forêt 
auxquelles  s'applique  spécialement  le  nom  de  jungle  et 
que  l'on  rencontre  notamment  dans  les  régions  accidentées 
du  Chota  Nagpour,  du  Bérar,  des  Monts  Windhya,  sur 
les  Ghâles  orientales.  A  ces  jungles  se  mêlent  des  sava- 
nes dont  les  hautes  herbes  croissent  avec  vigueur,  après 
les  pluies  d'été,  sur  les  terres  noires  d'origine  volcanique 
(province  de  Bombay,  plateau  de  Malva)  et  les  granits 
décomposés  (Djaïpour,  Maïssour).  Au  Nord-Ouest,  les 
savanes  même  disparaissent.  Les  quelques  centimètres 
d'eau  qui  tombent  sur  le  Pendjab,  le  Sindh,  une  partie 
du  Radjpoutana,  ne  peuvent  nourrir  que  les  maigres  touffes 
d'herbe  de  la  steppe,  des  buissons  clairsemés,  des  plantes 
grasses,  des  ctfbustes  épineux  tels  que  l'acacia  et  le 
mimosa.  Ce  sont  des  paysages  qui  rappellent  en  tous 
points  ceux  des  régions  sud  désertiques  de  l'Arabie  et  du 


-  -  —       L'INDE  ANGLAISE 

Sahara  ;  et,  pour  compléter  la  ressemblance,  le  palmier- 
dattier  atteint  aux  rives  de  l'Indus  la  limite  exirê.Tie  de 
son  domaine  oriental. 

Le  désert  de  Thar,  en&n,  dérouie,  sur  100000  kilo- 
mètres carrés,  les  plis  monotones  de  ses  dunes,  complè- 
tement privées  de  végétation. 


Forêts  et  jungles  couvrent  à  peu  près  le  quart  de  la  superficie 
totale  de  l'Inde.  Le  rôle  qu'elles  jouent  dans  la  vie  économique 
du  pays  est  immense  et  peut  être  envisagé  à  un  triple  point  de  vue. 
D'abord  elles  renferment  nombre  d'essences  précieuses  et  rares 
qui  s'exportent  à  l'étranger  :  le  bois  de  teck,  sans  rival  pour  les 
constructions  navales,  le  bois  de  rose,  l'ébêne,  l'acajou,  le  bois  de 
santal,  etc.  De  plus,  elles  apparaissent  comme  le  régulateur  le  plus 
efficace  de  la  réserve  d'eau  pluviale  dans  un  pays  où  1  on  peut 
compter  eu  gros  six  mois  de  pluie  et  six  mois  de  saison  sèche. 
Enfin,  et  surtout,  elles  donnentà  l'Inde  une  masse  de  produits  utiles 
consommés  sur  place  et  dont  la  valeur  est  impossible  à  déterminer. 
Les  grands  travaux  publics:  ponts,  chemins  de  fer,  canaux,  mines, 
absorbent  chaque  année  une  quantité  croissante  de  bois 
d'oeuvre.  Les  paysans  $e  trouvent  dans  une  dépendance  étroite  de 
la  production  forestière  pour  tout  ce  qui  touche  à  leur  existence 
domestique  et  aux  besoins  de  l'agriculture.  Leurs  maisons,  leurs 
outils,  leurs  instruments  agricoles,  leurs  moulins  à  riz,  à  huile,  à 
sucre  sont  uniquement  en  bois.  La  jungle  leur  donne,  en  temps  de 
famine,  des  fruits  sauvages,  des  racines  comestibles.  Ils  n'emploient 
guère  d'autre  fumure  que  des  feuilles  pourries,  la  cendre  des 
herbes  et  des  écorces  brûlées  annuellem:nt.  Leurs  troupeaux  ne 
se  nourrissent  que  de  ce  qu'ils  trouvent  dans  la  forêt  et  la  savane 
(14  033  033  de  têtes  de  gros  bétail  paissent  dans  les  seules  forêts 
de  l'Etat,  sans  compter  ceux  qui  vivent  dans  les  forêts  des  terri- 
toires indigènes).  Du  reste,  il  y  a  une  telle  connexion  entre  1  in- 
dustrie agricole  et  forestière,  quelcs  revenus  des  forêts  s  accroissent 
ou  diminuent  selon  que  la  saison  pluvieuse  tut  favorable  ou  non. 
Les  années  prospères  amènent,  en  effet,  une  demande  beaucoup 
plus  considérable deproduits  nouveaux,  plus  solides  et  plus  durable». 
(D'après  S .  Tardley-Wilmot.) 


La    Faune 


Aussi  riche,  aussi  variée  que  les  essences  végétales, 
et  pour  les  mêmes  raisons  (différences  climatiques),  la 
faune  de  l'Inde  renferme  plus  d'espèces  animales  que 
l'Europe,  sur  une  aire  pourtant  beaucoup  moins  vaste. 
Dans  les  hautes  régions  himalayennes  vivent  les  yaks, 
les  chevrotins  porte-musc,  les  chamois,  les  ours  blancs  ou 
noirs,  les  marmottes  et  nombre  d'autres  animaux  analo- 
gues à  ceux  du  Tibet  ou  de  nos  montagnes  européennes. 
Les  forêts  sèches  ou  humides,  les  fourrés  impénétrables 
delà  jungle,  les  herbes  delà  savane,  les  eaux  des  marais 
et  des  fleuves  abritent  la  multitude  des  carnassiers,  des 
ruminants,  des  fructivores,  des  reptiles,  des  oiseaux,  des 
insectes  dont  Rudyard  Kipling  dépeignit  de  si  pittoresque 
façon  les  caractères  et  les  mœurs. 

Qui  ne  se  souvient  de  Shere  Kban,  le  tigre  mangeur  d'hommes, 
de  Bagheera  la  panthère,  de  Baloo  le  grand  ours  brun,  vieux  et 
grave,  de  Chil  le  vautour,  de  Kaa  l'énorme  python  des  rochers,  de 


tiathi,  l'éléphant,  aussi  malin  qu'il  est  fort,  des  Bandar  Logs  "  le 
peuple  des  singes  ".de  Tabaqui  le  chacal,  de  Rikki-Tikki  la  petite  man- 
gouste, qui  tua,  dans  une  lutte  épique,  Nag  le  gros  cobra  noir,  le 
plus  redoutable  de  la  gent  venimeuse  ?  Et  la  meute  des  chiens 
rouges,  si  ardents  à  la  chasse  qu'ils  triomphent  même  du  tigre,  et 
le  peuple  des  loups  et  le  peuple  des  abeilles,  et  Mugger  le  croco- 
dile, et  "  l'Adjudant  ",  espèce  de  grue  qui  fait  les  fonctions  de 
croquemort  et  d'agent  de  voirie  ) 

Sans  doute,  le  progrès  des  cultures,  le  développement 
des  voies  ferrées  et  la  chasse  acharnée  que  mènent  contre 
eux  princes  indigènes  et  fonctionnaires  européens  res- 
treignent chaque  jour  le  domaine  des  grands  ani- 
maux sauvages.  Le  lion  a  disparu,  l'éléphant  ne  se  ren- 
contre plus  en  troupes  nombreuses  que  dans  les  forêts  les 
plus  reculées  de  l'Assam  et  de  la  Birmanie.  Il  se  laisse 
domestiquer  aisément  ;  on  l'emploie  aux  travaux  de  force, 
ou  bien  il  joue  un  rôle  de  parade  à  la  cour  des  princes 
hindous.  Le  tigre  royal,  encore  répandu  dans  l'Inde  en- 

419  -       - 


L'ASIE 


tière,  est  en  voie  de  diminution  sensible  et  1  on  peut  pré- 
voir le  jour  où  il  ne  subsistera  plus  que  dans  les  réserves 
forestières  des  rajahs.  Mais  les  savanes  et  les  forêts  claires 
sont  encore  parcourues  par  des  bandes  nombreuses  de 
daims,  de  chevreuils,  d'antilopes,  de  sanghers  :  certains 
ruminants  sauvages  :  gaours,  gayals,  buffles,  offrent  au  chas- 
seur une  proie  dont  la  poursuite  est  aussi  pénileuse  que  celle 
des  fauves.  Panthères,  chaceJs,  léopards,  hyènes  prélèvent 
un  tribut  régulier  sur  les  troupeaux  des  villjigeois.  Dans 
les  arbres  gambadent  des  multitudes  de  singes  :  macaques, 
langours,  gibbons,  dont  le  chasseur  ne  saurait  oublier  les 
hurlements  mélancoliques  qui  résonnent  dans  le  silence  des 
grands  bois  ".  Le  crocodile  peuple  les  fleuves,  mais  il  peut 
aussi  franchir  la  nuit  de  grandes  distances  sur  terre,  pour 
changer  de  région  de  chasse.  Les  oiseaux  de  toute  taille 
et  de  tout  plumage  emplissent  l'ciir  de  leurs  cris  aux  heures 
fréùches  de  l'aube  et  du  crépuscule  ;  ils  se  taisent  dans  la 
torpeur  accableuite  des  midis.  Enfin,  les  reptiles  vemmeux 
plus  dangereux  que  les  fauves,  et  dont  les  victimes  sont 
in&niment  plus  nombreuses,  se  trouvent  partout,  dans  les 
forêts,  les  jardins,  les  champs,  à  l'intérieur  même  des  ha- 
bitations. 

On  peut  s'expliquer  la  multiplication  de  la  gent  ani- 
male et  sa  familiarité  avec  l'homme  si  l'on  songe  que 
la  rel^on  de  l'Inde,  qui  admet  la  métempsycose,  non 
seulement  interdit  de  manger  de  la  chair,  mais  proscrit  la 


mise  à  mort  de  tout  être  vivant,  ne  fût-ce  qu'une  mouche 
ou  une  fourmi.  Le  singe,  tenu  pour  un  Dieu,  se  voit 
élever  des  temples,  le  crocodile  est  '  '  le  bon  génie  du 
village  ",  et  le  cobra,  le  tigre  même  ont  leurs  ado- 
rateurs ! 


Le  seul  mot  :  Inde,  éveille  en  général,  dans  l'espril  de  touthomme 
cultivé,  "  une  idée  de  beauté  mystérieuse  et  de  paysages  uniformé- 
ment somptueux  *'.  La  réalité  est  tout  autre,  et  le  trop  bref  aperçu 
que  nous  donnâmes  de  la  géographie  physique  suffit  à  nous  le  dé- 
montrer. Si  l'on  met  à  part  les  paysages  de  montagnes,  qui  ne 
forment  qu'une  bien  petite  partie  de  Tlnde  (Nilghiri,  certaines 
vallées  himalayennes),  tout  le  reste  se  compose  de  plaines  tout  à 
fait  plates  ou  de  plateaux  très  largement  ondulés,  au  sol  noir  ou 
rouge,  extrêmement  monotones  et  sans  pittoresque.  Il  y  a  dans 
l'Inde  des  villes  fort  anciennes,  des  temples,  des  palais  splendides, 
mais  ils  constituent  de  rares  et  minuscules  oasis  de  beauté  lumi- 
neuse perdues  dans  l'immensité  uniforme  d'un  paysage  toujours  sem- 
blable à  lui-même  sur  des  centaines  de  lieues.  De  plus,  l'Hindou 
n'a  pas  au  même  degré  que  les  Chinois  ou  les  Japonais  le  sens  du 
pittoresque,  il  ne  sait  pas,  comme  eux,  rechercher  pour  ses  temples 
et  ses  pèlerinages  les  endroits  où  la  nature  et  l'art  se  complètent 
haimonieasement.  Aussi  voyageurs  et  résidents  européens  sont-ils 
assez  promptement  blasés  et  déçus  sur  la  somme  de  jouissances 
esthétiques  que  procure  un  séjour  en  terre  indienne.  Platitude, 
uniformité,  lassitude  de  la  terre,  du  climat,  des  hommes  même,  tels 
sont  les  termes  qui  résument,  en  définitive,  l'impression  de  tous  ceux 
qui  demeurèrent  dans  l'Inde  assez  longuement  pour  voir  s'émousser 
leurs  curiosités  premières  et  se  révéler,  sous  un  voile  ténu  d'exotisme. 
l'Inde  véritable,  immense,  monotone,  et  si  triste. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


DENSITÉ  •  ET  RÉPARTITION  DE  L.-\ 
POPULATION,  ^a  Un  vice-roi  de  l'Inde  a  pu 
dire  :  "  L'Empereur  de  Chine  et  moi,  nous  gouvernons 
la  moitié  de  l'humanité.  "  Au  recensement  de  1 92 1 , 
l'Inde  — sans  le  Béloutchistan et  Ceylan,  maisenycom- 
prenant  la  Birmanie,  — comptait  en  effet  en  chiffres  ronds 
319  000  000  d'habitants,  dont  246000000  dans  les  ter- 
ritoires directement  administrés  par  l'Angleterre,  et 
73  000  000  dans  les  États  indigènes^  C'est  plus  du  tiers 
de  la  population  de  l'Asie,  et  le  cinquième  de  celle  du 
monde. 

La  répartition  de  ces  multitudes  est  très  inégale.  Leur 
existence  est,  en  effet,  subordonnée  a  la  quantité  d'eau 
qui  tombe  dans  les  diverses  régions  de  l'Inde,  plus 
encore  qu'à  la  fécondité  naturelle  du  sol.  Le  mciximum 
est  atteint  dans  le  Bengale  oriental  :  plus  de  230  habi- 
tants au  kilomètre  carré.  Le  reste  de  la  veJlée  du 
Gange,  les  côtes  deltaïques  du  Golfe  du  Bengale, 
le  mince  ruban  de  plaines  qui  s'allonge  au  pied 
des  Ghâtes  occidentales  ont  aussi  une  densité  très 
forte  (de  80  à  230).  "  Sur  de  grandes  étendues,  les 
cabanes  forment,  parmi  les  cubres,  les  canaux  etles  rizières, 
comme  un  village  immense  et  continu  où  fourmillent  les 
hommes.  Le  voyageur  y  trouve    le  sentiment  et  parfois 


l'obsession  de  la  foule  comme  dans  une  ville  ;  pas  un 
instant  d'isolement,  pas  une  solitude.  "  (A  Métin.) 

L'intérieur  de  la  Pémnsule,  les  zones  irriguées  du 
Pendjab,  les  plaines  Birmanes  nourrissent  de  40  a 
80  personnes  au  kilomètre  carré.  Enfin,  les  steppes  et 
les  déserts  du  Pendjab  méndional,  du  pays  de  Thar,  du 
Sindh,  les  hautes  montagnes  himalayennes,  les  forêts 
vierges  de  l'Assam  et  de  la  Birmanie  ne  contiennent 
qu'un  nombre  d'hommes  insignifiant. 

L'augmentation  de  la  population  estrelativement  moins 
rapide  qu'on  ne  serait  tenté  de  l'admettre  quand  on  songe 
a  la  masse  formidable  des  Indiens,  à  l'ardent  désir  que 
possède  tout  chef  de  famille  de  perpétuer  sa  race,  à  la 
malédiction  qui  frappe  toute  femme  stérile,  enfin  à  la 
prolificité  heibituelle  aux  peuples  de  civilisation  peu  déve- 
loppée. Par  décade,  l'accroissement  moyen  n'est  que  de 
5  pour  1 00.  Le  pourcentage  de  la  natalité  (39  pour  1 000) 
est  cependant  plus  élevé  qu'en  Allemagne  ou  en  Angle- 
terre, et  il  est  le  double  de  la  natalité  française.  Mais 
la  mortahté  atteint  le  chiffre  énorme  de  38  pour  1000, 
et  la  durée  moyenne  de  la  vie  demeure  inférieure  à 
25  ans  (48  en  France,  32  au  Danemark).  De  plus,  le 
meuriage  précoce,  l'interdiction  c^  moins  moreJe  du 
remariage  des  veuves  ajoutent  leurs  effets  aux  ravages 


420 


L'INDE  ANGLAISE 


HabittiftLLpajItmo. 

[~/^  mouiv  Je 20 
ûe  so  à  -fit 
Je  ^o  a  60 

c>e  60  à  ^^ 
Je-  ■j^  à  JjO 


DENSITÉ  DE  LA  POPULATION 


Jcifioà  s^o 
nlu^v  Je  £^0 


jl^'JaLf-HA  Madras  0 

Je  soo.coo  à 500000  if.  Delht     O 
Jt  100. 000  à  ioo  00c  t.  jlgra.       o 


=®?*i 


Js> 


i**Srti 


produits  par  une  cilimentation  défectueuse,  une  hygiène 
déplorable,  les  famines  pe'riodiques,  les  maladies  épide- 
nrjiques,  peste  et  chole'ra,  qui  en  sont  la  naturelle  conse'- 
quence. 

Au  r^ensement  de  191  I.  sur  les  enfants  du  sexe  féminin 
ayant  moins  de  cinq  ans,  302000  étaient  mariées,  et  17  700  déjà 
veuves;  sur  les  fillettes  de  cinq  à  dix  ans,  2500000  étaient  mariées 
et  22000  veuves.  Quant  aux  pertes  causées  par  la  famine  et  les 
maladies  épidémiques,  les  chiffres  suivants  en  attestent  l'effroyable 
graiidenr. 

De    1895   à     1900.     19000000  de  personnes    soni     mortes  de 


laim;  les  Provinces  Centrales  perdirent  8  pour  lUO  de  leur  popu- 
lation, la  Résidence  de  Bombay  5  pour  100.  Dans  le  même  laps 
de  temps,  la  peste  tua  5  000  000  de  personnes,  et  le  choléra  plus  de 
1000000. 

Pierre  Loti,  qui  visita  l'Inde  à  l'époque  où  sévissait  la  grande 
famine  de  1900-1901,  a  décrit,  dans  son  beau  livre  L'Inde  sans 
les  Anglais,  le  poignant,  l'affreux  tableau  de  ce  qu'est  un  peuple 
succombant  lentement  à  la  torture  de  la  faim. 

Aussine  saurait-on  envisager,  de  longtemps  encore, 
le  danger  de  la  surpopulation.  D'abord  les  terres  pre'sen- 
tement  occupées  peuvent,  avec  des  procéde's  de  culture 


421  - 


L'ASIE  -    - 

moins  rudimenlmres,  décupler  leur  production.  De  plus, 
il  reste,  sans  parler  des  forêts  vierges  et  des  jungles 
marécageuses  qui  se  défricheront  peu  à  peu,  plus  de 
30  000  000  d'hectares  (autant  que  la  Grande-Bretagne 
tout  entière)  de  savanes  et  de  steppes  cultivables,  qui 
n'attendent,  pour  être  mises  en  valeur,  que  les  travaux 
d'irrigation  indispensables. 

L'Hindou  se  déplace  peu,  les  règles  de  sa  caste  s'op- 
posantàce  qu'il  aille  vivre  hors  de  chez  lui.  en  contact 
direct  avec  des  étrangers.  Toutefois,  les  1 2  000  ou  1 3000 

coolies  "  qui,  jusqu'à  la  Grande  Guerre,  se  rendaient 
chaque  année  dans  certaines  colonies  anglaises,  ont  fini 
par  y  constituer  des  groupements  importants.  A  I  île 
Maurice,  on  comptait,  en  191 1,  258000  Hindous  sur  un 
total  de  377000  habitants.  Aux  Antil'es,  la  Trinité 
en  renferme  140000  (sur  un  total  de  380  000  habitants), 
la  Jamaïque  20000.  La  Guyane  Anglaise  en  a  reçu 
une  trentaine  de  mille,  et  la  Guyane  Hollandaise, 
20  000  environ  Les  îles  Fidji  nourrissent  40  000 
Hindous;  les  Strails  Seltlements,  95000.  Enfin,  le 
Natal    en    contient   160000,    et    plusieurs  milliers    de 

banyas  "  hindous  s'occupent  avec  succès  d'opérations 
commerciales  dans  les  ports  de  l'Afrique  orientale  (  Dar 
es  Salam,  Zanzibar,  Mombaz,  etc.). 

Il  faut  mettre  à  part  les  500000  coolies  Tamouls,  venus 
de  la  région  de  Madras,  que  l'on  emploie  sur  les  plan- 
tations de  Ceylan.  Les  Tamouls  ne  sortent  pas  du  do- 
maine hindou  et  retrouvent  à  Ceylan  leurs  compatriotes 
depuis  longtemps  fixés  dans  l'île  (Voir  plus  loin).  II  en 
est  de  même  des  800  000  à  900  000  travailleurs  pris 
dans  toute  les  régions  de  l'Inde,  qui  sont  engagés  sur  les 
plantations  de  thé  de  l'Assam. 

N.  B  Depuis  1918,  l'émigration  des  simples  manœuvres  est 
interdite.  On  étudie  présentement  la  création,  d'un  organisme 
administratif  qui  s'occuperait  spécialement  des  questions  d'éxigra- 
lion. 

LES  RACES.  £>/^  Trois  faits  géographiques  ont 
dominé  le  cours  de  l'histoire  de  l'Inde  jusqu'à  la  fin  du 
xv'^  siècle,  c'est-à-dire  jusqu'à  l'apparition  des  premiers 
Européens  :  1°  l'isolement  du  pays  entouré  de  tous 
côtés  par  la  mer  et  de  hautes  montagnes  ;  2°  la  division  de 
l'Inde  en  deux  régions  distinctes  :  le  Sud  tropical  et  insu- 
laire, le  Nord  continental  et  subtropical,  sépcU"ées  l'une 
de  l'autre  par  une  large  ceinture  de  hauteurs  boisées 
difficiles  à  franchir.  Monts  Windhya,  Satpoura  et  Chota 
Nagpour;  3°  la  possibilité  d'accéder  aux  riches  plaines 
alluviales  du  Nord  par  la  vallée  du  Kaboul,  fenêtre 
étroite  mais  accessible  en  toutes  saisons,  ouverte  sur  le 
monde  occidental  (A.  Smith).  C'est  l'isolement  de  l'Inde 
qui  a  permis  le  développement,  dans  un  cadre  fermé, 
d'une  civilisation  spéciale,  d'un  type  particulier  d'huma- 
nité,  profondément  différents  de  ce  que  l'on  trouve  en 

422  ■ 


toute  autre  région  de  l'Asie.  C'est  la  division  naturelle 
de  l'Inde  en  deux  régions  géographiques  qui  explique 
la  répartition  présente  des  races  et  des  langues.  C'est, 
enfin,  surtout  par  la  porte  de  Kaboul  que  sont  entrés  suc- 
cessivement les  envahisseurs  blancs  ou  jaunes  qui  ont  si 
profondément  modifié  les  caractères  primitifs  des  eibori- 
gènes. 

Que  l'Inde  ait  été  habitée  depuis  la  plus  lointaine 
antiquité,  c'est  ce  dont  témoignent  avec  évidence  les 
objets,  outils  et  cU^mes  en  silex  éclaté  recueillis  sous  cer- 
taines couches  de  basaltes  du  Décan,  dont  le  dépôt 
remonte  au  début  de  l'époque  quaternaire  et  peut-être 
à  la  fin  des  temps  tertiaires.  II  est  non  moins  vrai  que 
quelques-uns  des  peuples  indiens  s'élevèrent  de  très  bonne 
heure  à  un  niveau  de  civilisation  comparable  à  celui  des 
Chinois  ou  des  Occidentaux.  Bien  des  siècles  avant 
l'ère  chrétienne  ils  connurent  l'emploi  du  métal,  surent 
domestiquer  les  animaux,  cultiver  le  riz,  tisser  des 
étoffes,  eurent  une  littérature  (en  langue  sanscrite  ou 
tamDule),  des  doctrines  religieuses,  des  conceptions  artis- 
tiques el  sociales,  aussi  remarquables  par  leur  onginalité 
que  par  la  variété  de  leurs  manifestations.  Mais  nous 
connaissons  fort  maJ  le  passé  de  l'Inde,  et  sur  la  plupeirt 
des  questions  relatives  à  l'ethnographie,  à  l'origine  des 
peuples  multiples  qui  se  fixèrent  tour  à  tour  dans  la 
Péninsule  et  s'y  mêlèrent  à  doses  inégales,  nous  sommes 
le  plus  souvent  réduits   aux  conjectures. 

On  admet  généralement  quel'lnde  fut  habitée  d'abord 
par  des  peuples  de  race  noire,  les  uns  de  petite  taille, 
à  cheveux  crépus  et  à  grosses  lèvres,  les  autres  de  teinte 
moins  foncée,  de  stature  plus  élevée,  à  cheveux  lisses 
ou  bouclés.  Les  premiers  seraient  encore  représentés  par 
les  Négritos  des  îles  Andaman  (fort  semblables  aux 
Négrilles  des  Philippines  ou  de  Bornéo),  les  Kotahs 
et  Iroulas  des  Nilghiris  ;  les  seconds  aureiient  comme 
descendemts  directs  les  Todas  des  Nilghiris  et  les  Veddas 
de  Ceylan  (?). 

Les  premiers  envahisseurs  vinrent  peut-être  de  l'Ouest 
parle  Béloutchistan.  On  leur  donne  le  nom  de  Dravi- 
diens  sans  préjuger  en  rien  de  leur  origine,  de  leur 
habitat  primitif  et  de  leur  race  que  d'aucuns  rattachent 
aux  peuples  Mèdes  ou  Scythes  (?  ?).  Ils  se  répandirent, 
dans  l'Indé  entière,  depuis  la  vallée  du  Gange  jusqu'à 
Ceylan,  et  se  mélangèrent  étroitement  aux  populations 
noires.  Puis  se  présentèrent,  arrivant  du  Nord-Ouest, 
des  Aryens  blancs,  une  des  branches  de  la  grande 
famille  Indo-Européenne.  Ils  se  fixèrent  en  nombre 
dans  la  région  de  r Indus  (Pendjab  et  Radjpoutana)  où 
Ils  ont  conservé  leur  type  le  plus  pur.  Mais,  par  lentes 
infiltrations,  ils  gagnèrent  la  vallée  du  Gange,  absorbèrent 
les  Dravidiens  ou  les  refoulèrent  sur  les  plateaux  du 
Décan.  Enfin,  de  l'Est  et  du  Nord  affluèrent  des  jaunes  : 
Birmans,  Tibétains,  Mongols.  Ils  peuplèrent  la  Birma- 


L'INDE  ANGLAISE 


nie,  l'Himcdaya  central  et  occidentcJ.  Dans  le  Bas- 
Bengale,  ils  se  sont  métissés  avec  les  Dravidiens  et  l'on 
retrouve  leur  trace  dans  toute  l'Inde  onentale  par  suite 
d'anciennes  relations  maritimes  entre  les  rivages  opposés 
du  Golfe  du  Bengale.  Si  l'on  ajoute  que  l'Inde  reçut 
aussi  des  McJais,  des  Arabes,  des  Afghans,  si  l'on  songe 
que  l'ampleur  des  plaines,  l'uniformité  des  conditions 
climatiques,  l'isolement  même  de  l'Inde  rendaient  par- 
ticulièrement facile,  avant  1  établissement  des  castes, 
l'étroite  et  réciproque  pénétration  des  divers  éléments 
ethniques,  on  ne  s'étonne  plus  qu'il  n'y  ait  pas  une  race 
indienne,  mais  un  complexe  extraordinaire,  un  prodi- 
gieux mélange  où  tous  les  types  humains  sont  repré- 
sentés, peirfois  dans  le  cadre  restreint  d'une  même  tribu, 
et  où  une  infinie  gradation  de  teintes,  de  caractères 
physiques  (taille,  forme  du  nez  et  des  yeux,  cheveux, 
lèvres,  etc.)  permettent  de  passer  du  négrille  des  îles 
Andaman  au  Siamois  de  Birmanie,  du  Dravidien  du 
Mysore  à  l'Aryen  du  Pendjab,  proche  parent  des  Euro- 
péens. 

LES  LANGUES.  00  A  la  diversité  des  origines 
correspond  la  multiplicité  des  langues.  Des  peuples  de 
races  différentes  ont  adopté  souvent  une  langue  com- 
mune, et  "  vice- versa  ".  Sans  entrer  sur  ce  point  dans 
des  détails  inutiles,  voici  les  principaux  groupes  de  langues 
et  dialectes  usités  dans  l'Empire  : 

I  û  Langages  qui  n'ont  aucune  corrélation  avec  d'autres  types 
linguistiques  connus  ;  le  Bouroubashi,  parlédans  quelques  valléesdu 
Karakoroum  ;  les  douze  dialectes  des  Sles  Andaman;  le  Mawken, 
usité  dans  l'archipel  de  Mergui  sur  la  côte  Birmane. 

2°  Langues  dravidiennes  spéciales  à  l'Inde  :  ce  sont  elles  qui 
dominent  dans  la  Péninsule.  Leurs  principaux  groupes  sont  le 
Telougou,  parlé  de  Madras  au  Bengale  par  24000000  d'homme;  ; 
le  Tamil  ou  Tamoul  (18  000000  d'hommes  de  Madras  au  Cap, 
Comorin)  ;  le  Kanarèse  (I  I  000  000  dans  le  Mysore);  le  Malayalam 
(7  000  000,  c5te  de  Malabar)  ;  le  Gondi  (dans  le  Gondwana)  ;  le 
Toulou,  le  Kourouk.  etc.  Les  quatre  premières  sont  des  langues 
riches,  souples,  harmonieuses,  qui  ont  eu  une  littérature  extrêmement 
développée  et  fort  ancienne. 

30  Langues  appartenant  à  des  familles  linguistiques  représentées 
à  la  fois  dans  l'Inde  et  hors  de  l'Inde.  On  les  subdivise  en  trois 
groupes  : 

o)  Le  groupe  Austro- Asiatique  comprenant  les  dialectes  Mounda 
(Bengale  occidental  et  Chota  Nagpour),  le  Khasi  (montagnes  de 
l'Aîsam),  les  dialectes  des  îles  Nicobar,  les  langues  Mon-Khmer 
(Birmanie  orientale)  ; 

i)     Le    groupe    Indo-Chinois  Tibélo-Birman,    parlé      par 

8000000  d'hommes  en  Birmanie  occidentale  et  centrale  ;  Siamois- 
Chinois  (plateau  et  montagnes  des  Shans.  à  l'Est  de  la  Salouen  ; 
Tibétam  des  vallées  himalayennes,  etc.)  ; 

c)  Le  groupe  Indo-Aryen,  le  plus  important  de  tous.  11  a  comme 
origine  commune  le  sanscrit  dont  on  connaît  1  importance  linguis- 
tique et  littéraire,  et  l'étroite  parenté  avec  la  plupart  des  langues 
anciennes  ou  modernes  parlées  en  Europe.  II  est  représenté  par 
rt-Iindi  ou  l'Hindoustani  que  parlent  82  000  000  d'hommes,  le 
Bengali  (48000000),  le  Mahratti  (20  000  000),  le  Pandjabi 
(15  000000),       le      Radjastani     (14000000).     le     Gondjerati 


(10000000),  l'Ouriya(pays  d'Orisu.  10000000)  et  le  Sindhi 
(400000D),  Le  domaine  indo-aryen  comprend  toute  la  dépression 
mdo-gangélique  et  s'étend  au  Nord-Ouest  de  la  Péninsule,  sur  la 
majeure  partie  de  la  province  de  Bombay. 

LES  RELIGIONS.  00  Si  les  races  et  les  langues 
présentent  dans  l'Inde  une  infinie  diversité,  les  religions 
ne  sont  pas  moins  variées. 

Les  formes  les  plus  primitives  des  croyances  surnatu- 
relles :  animisme,  fétichisme,  totémisme,  subsistent  chez  les 
tribus  arriérées  du  Décan  (groupe  Mounda),  de  la  Bir- 
manie occidentale,  des  îles  Andaman  et  Nicobar.  Les 
statistiques  anglaises  comptent  environ  10000000  d'ani- 
mistes. 

De  l'animisme  se  dégagea  peu  à  peu,  à  une  époque 
indéterminée,  l'ensemble  de  conceptions  religieuses, 
morales  et  sociales  qui  porte  le  nom  de  Brahmanisme  ou 
Hindouisme.  C'est  la  religion  la  plus  répandue  puisqu'elle 
compte  218000000  d'adeptes.  Fondée,  à  l'origine  tout 
au  moins,  sur  la  croyance  en  un  Dieu  suprême,  âme 
universelle  de  toutes  choses,  l'idée  de  l'immortalité  de 
l'âme,  de  la  métempsycose,  le  respect  formel  de  la  vie 
animale,  la  sainteté  de  la  vache,  la  nécessité  du  renonce- 
ment toïal  pour  aboutir  au  Nirvana,  elle  n'est  vraiment 
comprise  et  pratiquée  dans  sa  pureté  première  que  par 
un  très  petit  nombre  de  gens  cultivés  appartenant  à  la 
caste  des  Brahmanes.  Les  autres,  divisés  en  une  multi- 
tude de  sectes,  ont  conservé  leurs  superstitions  enfantines 
ou  grossières,  leur  croyance  aveugle  au  pouvoir  des  devins 
et  des  sorciers. 

Vers  le  Vl"  siècle  de  notre  ère,  le  Bouddhisme  se 
détacha  du  Brahmanisme.  11  n'eut  dans  l'Inde  même 
qu'une  durée  éphémère.  Mais  en  Birmanie,  à  Ceyian  et 
dans  l'Himalaya,  il  compte  encore  12000000  d'adeptes. 
L'Islamisme,  introduit  d'abord  par  les  Arabes  puis,  à 
partir  du  Xlll"  siècle,  par  les  conquérants  Mogols,  est  la 
religion  qui  domine  dans  le  Nord-Ouest  (Pendjab,  Aoudh . 
Sindh,  Radjpoutana,  Kachmir).  Très  répandu  dans  le 
Bengale,  il  a  des  sectateurs  dispersés  dans  l'Inde  entière, 
notamment  le  Berar,  l'Orissa,  la  province  de  Bombay. 
l'État  d'Haïderabad,  etc.  On  compte  dans  l'Inde  environ 
67  000  000  de  musulmans. 

Les  autres  tultes  n'ont  qu'une  très  minime  importance  : 
3000000  de  Sikhs  (Pendjab).  I  500000  Djains  (Radj- 
poutana) ont  des  croyances  assez  spécicJes  mais  qui 
apparaissent,  en  définitive,  comme  de  simples  modalités 
du  brahmanisme.  A  Bombay,  100000  Parsis  venus  de 
l'Iran  ont  conservé  le  culte  du  feu.  Quant  au  christianisme, 
il  n'a  à  peu  près  aucune  prise  sur  les  indigènes,  et  les 
3  000000  de  chrétiens,  recensés  en  191 1,  ne  comprennent 
guère  que  les  Européens  et  leurs  métis  (notamment  dans 
l'enclave  portugaise  de  Goa). 

Quelle  que  soit  la  secte  à  laquelle  il  appartient.  l'Hindou 
demeure  le  plus  religieux  de  tous   les   hommes.  Chez  lui.  comme 


423 


L'ASIE 


chez  les  Anciens  et  les  gens  du  Moyen  Age,  la  religion  a  sa  part 
dans  tous  les  actes  de  l'individu  et  de  la  société.  Les  cérémonies 
du  culte,  les  pèlerinages,  les  préoccupations  surnaturelles  dominent 
son  existence.  Partout  s'élèvent  des  sanctuaires,  grands  ou  petits;  à 
chaque  pas,  une  statue  sous  un  arbre,  une  pierre  grossièrement  taillée 
auprès  d'une  source  ou  contre  un  rocher,  rappellent  que  les  Dieux 
sont  en  tous  lieux  invisibles  et  présents  et  que  l'objet  en  appa- 
rence le  plus  insignifiant  peut  être  possédé  de  leur  esprit.  Mais 
pour  le  plus  grand  nombre  des  fidèles,  cette  religion  n'a  plus  rien 
de  commun  avec  les  hautes  conceptions  philosophiques  du  Brahma- 
nisme primitif.  Envahie  par  les  vieilles  croyances  fétichistes,  étouffée 
sous  la  complexité  des  rites  et  des  formules  magiques,  elle  n'apparaît 
plus  guère  que  comme  un  paganisme  grossier,  un  amas  de  supersti- 
tions désordonnées,  de  rites  discordants.  "  Les  pratiques,  écrit 
M.  A.  Métin,  sont  en  tel  nombre  et  si  minutieuses  qu'elles  ont  fini 
par  étouffer  tout  le  reste  el  que  la  foi  leur  donne  plus  d'importance 
qu'aux  Dieux  mêmes.  "  De  là  l'importance  des  Brahmanes  ou 
prêtres  qui  connaissent  les  formules  (mantras)  par  lesquelles  on 
agit  sur  les  Dieux.  De  là  aussi  le  rôle  considérable  des  sorciers  et 
exorciseurs, la  croyance  au  miracle,  au  mauvais  oeil,  aux  présages,  à 
'astrologie,  aux  jours  fastes  el  néfastes,  les  ablutions  rituelles  jour- 
nalières (l'eau  du  Gange  étant  spécialement  efficace),  le  soin  que 
met  l'Hindou  à  se  garder  de  toute  souillure,  et  les  nombreuses 
méthodes  de  purification  dont  les  Brahmanes  conservent  le  secret. 
L'Inde  n'est  pas  un  pays  laïcisé  comme  les  Etats  Occidentaux  ou 
même  comme  la  Chine.  Elle  se  trouve  encore  dans  une  situation 
semblable  à  celle  de  l'Egypte  ou  de  la  Chaldée  dix  siècles  avant 
l'ère  chrétienne  :  le  Brahmane,  comme  autrefois  le  prêtre  égyptien 
ou  le  mage  chaldéen.est  le  vrai  roi:  "  Les  Dieux  sont  nos  maîtres, 
dit  un  dicton  populaire,  les  Mantras  sont  maîtres  des  Dieux,  les 
Brahmanes  sont  les  maîtres  des  Mantras,  donc  les  Brahmanes  sont 
les  maîtres  du  monde.  "  Il  faut  sans  cesse  avoir  présent  à  l'esprit 
ce  fait  capital,  si  l'on  veut  essayer  de  comprendre  la  mentalité 
hindoue. 

LA  VIE  SOCIALE,  aa  Déjà  divisée  en  compar- 
timents multiples  par  1  origine  diverse  de  ses  habitants,  la 
langue  qu'ils  parlent,  la  religion  qu'ils  professent,  l'Inde 
l'est  bien  plus  encore  par  l'institution  de  la  caste.  C'est  elle 
qui  en  dernière  analyse  domine  et  règle  l'existence  entière 
de  l'Hindou. 

L'origme  des  castes  remonte,  dit-on,  aux  lois  de 
Manou  (deux  ou  trois  siècles  avant  l'ère  chrétienne) 
qui  partageaient  la  société  en  quatre  classes  :  les 
Brahmanes,  les  guerriers,  les  marchands  et  les  artisans. 
Mais  chacune  de  ces  classes  primitives  se  fragmenta  peu 
à  peu.  Aujourd'hui  la  caste  des  Brahmanes  —  la  seule 
qui  ait  gardé  quelque  cohésion  et  conserve  son  nom 
initial  —  comprend,  plus  de  1  800  subdivisions.  On 
peut,  d'après  ce  chiffre,  imaginer  ce  que  doit  être,  pour 
l'ensemble  de  l'Inde,  le  total  des  groupements  de  ce 
genre  ! 

La  caste  est  une  petite  société  fermée  et  héréditaire 
qui  a  sa  morale,  ses  traditions  propres.  Les  membres 
de  la  caste  ne  peuvent  manger  que  des  aliments  préparés 
d  une  certaine  manière,  ne  peuvent  s'associer  aux  repas 
des  étrangers  à  la  caste,  ne  peuvent  enfin  se  marier  hors 
delà  caste.  Si,  volontairement  ou  non,  l'Hindou  désobéit 
aux  prescriptions  traditionnelles,  le  conseil  de  discipline 

■  424 


prononce  son  exclusion.  11  devient  alors  un  homme 
sans  caste,  ce  qui  est  la  pire  des  infortunes.  Il  peut,  il 
est  vrai,  réintégrer  sa  caste  s'il  paye  une  amende  propor- 
tionnelle à  sa  fortune  et  s'il  se  soumet  à  des  purifications 
dont  la  plus  efficace  consiste  à  absorber  les  liquides  sortis 
de  la  vache  :  lait,  bave,  urine  et  bouse! 

Une  caste  ne  fe  préoccupe  jamais  des  usages  de  sa  voisine. 
Quand  les  Radjpoutes  tuaient  leurs  filles  nouveau-nées,  les  autres 
Hindous  ne  les  approuvaient  ni  ne  les  blâmaient;  ils  disaient  simple- 
ment:" C'est  la  tradition  de  leur  caste.  "  La  charité  est  un  devoirà 
I  intérieur  de  la  caste,  mais  elle  ne  saurait  être  pratiquée  en  dehors 
d  elle.  Du  reste,  le  malade  aime  mieux  mourir  que  d'être  soigné 
par  un  étranger,  et  l'on  a  vu,  sur  les  champs  de  bataille,  des  Hindous 
blessés  endurer  toutes  les  tortures  de  la  soif  plutôt  que  de  boire  à 
la  gourde  d'un  homme  qui  n'était  pas  de  leur  caste. 

11  y  a  naturellement  une  hiércu-chie  des  castes.  La  plus 
élevée,  celle  dont  tout  le  monde  reconnaît  la  supériorité, 
est  la  caste  des  Brahmanes  où  se  recrutent  exclusivement 
les  prêtres.  Tous  les  Brahmanes,  du  reste,  ne  sont  pas 
prêtres.  Les  plus  pauvres  se  louent  comme  domestiques 
chez  les  autres,  car  un  Brahmane  ne  peut  pas  être 
servi  par  des  gens  de  castes  inférieures.  Ni  la  misère,  ni 
certains  travaux  manuels  ne  déclassent  un  homme  :  ces 
hautes  castes  admettent  toutes  les  professions,  sauf  celles 
qui  font  déchoir,  qui  exposent  à  certaines  souillures  mys- 
tiques :  par  exemple  le  métier  de  blanchisseur,  de  barbier, 
etc.  Ces  professions,  ainsi  que  toutes  les  besognes  impures, 
sont  abandonnées  soit  à  des  castes  spéciales,  soit  aux 
individus  sans  caste.  Il  en  est  de  même  du  service  des 
Européens,  car  l'Européen  est  Carnivore,  et  l'Hindou 
ressent  pour  lui  la  même  horreur  que  nous  inspirent  les 
anthropophages. 

L'existence  des  castes  et  la  tyrannie  de  l'esprit  de  cleui 
furent  désastreuses  pour  l'Inde.  Déjà  la  religion,  même 
raffinée,  n'assignait  à  l'homme  aucun  devoir  social,  n'a- 
vait d'autre  idécj  que  le  renoncement  et  considérait  le 
mépris  de  l'action  comme  la  vertu  suprême.  Cette  con- 
ception SI  contraire  au  progrès  se  renforça  par  l'exclusi- 
visme de  la  caste,  par  la  division  de  l'Inde  en  une  multi- 
tude de  petits  groupes  qui  se  méprisent  ou  s'ignorent.  Il 
n'y  eut  jamais  de  nation,  de  patrie  indiennes.  L'Hindou 
n'a  pas  d'autre  patrie  que  sa  caste  ;  il  y  entre  par  la  nais- 
sance, son  plus  cher  désir  est  de  mourir  sans  la  quitter. 
Aussi,  en  dépit  du  courage  individuel  et  des  capacités 
intellectuelles  de  ses  habitants,  l'Inde  subit-elle  toujours 
passivement  les  conquêtes  étrangères.  Jamais  en  aucun 
pays  la  fameuse  maxime  romaine,    diviser  pour  régner  ", 
ne  fut  d'application  aussi  aisée.  Au  temps  de  Dupleix, 
quelques  centaines  de  Français  commemdéuent  50000000 
d'Hindous.   Jusqu'à  nos  jours,  quelques  milliers  d'An- 
glais sont  demeurés  les  maîtres  absolus  de  315000000 
d  âmes. 


L'INDE  ANGLAISE 


OUDEYPORE  :  SUR  LES  TERRASSES  DU  PALAIS.  La  pnoince  du  Raà,- 
\  noulana  al  une  des  régions  de  l'Inde  où  subsistent,  avec  la  plus  temarituahie  abondance, 
'    les  merveilles  élevées  par  les   princes  d'autrefois.  Oudeypard^l la  Cité  de  l'Aurore) 

ne  date  que  du  XVI'  siècle  ;  elle  possède  cependant,  construit  en  granit  et  en  marbre 


blanc,  un  des  palais  les  plus  vastes  et  les  plus  somptueux  de  la  Péninsule,  excellent 
spécimen  de  larchteclure  radjpoute  qui  sait  unir  la  simplicité  des  grandes  lignes  a 
l'élégance  et  au  fini  des  détails.  Non  loin  d'OudeuPore,  les  temples  du  Mont-Abou 
comptent  aussi  parmi  la  plus  précieux  chtfs-d'ceuure  Je  l'arl  Hindou. 


423 


•42 


L'ASIE 


LE  PALAIS  DE  LEH.  Silu4  à  3  500  mètres  d'altitude,  dans  la  haute  valide  de 
l' Indus,  Leh,  rapitale  de  l'Etat  du  Ladak,tst  le  centre  du  commerce  qui  se  fait  entre 
le  Kacbmir  et  le  Tihet  occidental.  Elle  a  Vatpect  d'une  ville  tibétaine  et  son  palais- 
forleresse  ressemble  aux  grands  temples  de  Lhassa. 


LA  PLATE-FORME  DU  GIRNAR.  Le  massif  du  Gimar  se  trouve  dans  la 
presqu'île  de  Kattyavar.  Il  porte  sur  une  terrasse  voisine  du  somme!  une  ville  de 
temples  djain  extrêmement  célèbres,  tt  les  archéologues  y  déchiffrèrent  d'intéres- 
santes irïseriptions  gravées  sur  le  roc  depuis  plus  de  2  000  années- 


:i<2L^^- 


LAC  ET  BARRAGE  DE  KANKANJA.  La  construction  de  barrages  et  de 
réservoirs  destinés  à  l'irrigation  s'est  faite  de  tout  temps  dans  les  régions  de  l'Inde 
irrégulièrement  arrosées.  La  photographie  montre  i}ue  les  Hindous  d'autrefois  sa- 
vaient donner  même  aux  travaux  simplement  utiles  la   beauté  d'une  œuvre   d'art. 


CALCUTTA  ;  UN  TEMPLE  DWN.Calcutian'étailencoreàlafindu  xvm'^ siè- 
cle qu'un  village  fort  insalubre,  où  les  .Anglais  établirent  un  comptoir  commercial . 
Elle  rachète  sa  pauvreté  artistique  par  l'activité  de  son  port  et  le  développement  de 
ses  indusln'es  au  nombre  desquelles  les  filatures  de  }\ite  tiennent  le  premier  rang. 


3; 


LE  TRMPLE  DE  SERINGHAM  consacré  à 
Vichr.ou  fut  constnat  aa  XVin^  siècle  près  de  Tri- 
chir^opoU,  Surchargé  de  sculptures  et  d'ornements, 
:  --^l  Uj~.  intcTusar,f  spécimen  de  l'architecture  hindoue. 


426 


LE  BAZAR  DE  LAHORE.  Lahorc  fut  un  des 

lieux  de  séjour  favoris  des  Empereurs  mongols.  Ses 
monuments  publics  ou  privés  offrent  un  harmonieux 
mélange  de  traditions  persanes  et  hindoues. 


GWALIOR.  Ce  magnifique  palais-forteresse  cou- 
ronnant un  rocher  de  grès  haut  de  100  mètres  est 
la  merveille  du  Radjpoutana  où  abondent  les  mo- 
numents  de  ce  genre. 


LE  GOUVERNEMENT  DE  L'INDE.  00  La 
période  la  plus  brillante  de  l'ancienne  histoire  de  l'Inde 
fut  l'e'poque  mongole  entre  le  XIIl"  et  la  fin  du 
XVII^  siècle.  Etablis  dans  la  plaine  indo-gange'tique, 
autour  de  Delhi  et  d'Agra,  les  Grands  Mogols  asser- 
virent aussi  la  majeure  partie  de  la  Péninsule.  Leur  auto- 
rité fut  longtemps  respectée  et  les  temples,  les  palais 
qu'ils  firent  construire  en  grand  nombre  sont  les  témoi- 
gnages magnifiques  de  leur  richesse,  de  leur  goût,  de 
leur  haute  civilisation.  Après  la  mort  d'Aureng  Zeb,  le 
dernier  des  Grands  Empereurs  Mogols,  rajahs  et 
princes  reprirent  leur  indépendance,  mais  ce  fut  pour 
tomber  peu  à  peu  sous  le  joug  des  Européens.  Nous  ne 
referons  point  ici  1  histoire  de  la  conquête.  On  sait 
comment  la  France  dut,  au  néfaste  traité  de  Paris  (1763). 
renoncer  définitivement  à  toute  tentative  d'expansion,  et 
comment  les  Anglais,  reprenant  à  leur  compte  les  pro- 
cédés de  Dupleix,  parvinrent  entre  1757  et  1860  à 
mettre  la  main  sur  le  plus  riche  domaine  colonial  qui 
existe  au  monde,  lis  ont  eu  soin  depuis  lors  d'en  garan- 
tir l'intégrité,  d'en  fortifier  les  abords  en  occupant  à  l'Est 
la  Birmanie,   à  l'Ouest  le  Béloutchistan. 

L'Inde  est  sous  les  ordres  d'ua  Gouverneur  ou  Vice- 
Roi.  Ses  actes  sont  contrôlés  en  Angleterre  par  un 
"  Office  de  l'Inde"  comprenant  15  membres  et  présidé 
par  un  secrétaire  d  Etat.  Il  a  à  ses  côtés  un  Conseil  de 
6  membres,  sorte  de  Cabinet  ministériel  auquel  esl  adjoint 
le  Général  en  clief  de  l'arnée  ang'o-indienne.  Toute 
une  hiérarchie  de  fonctionnaires  civils  européens,  assistés 
d'aides  indigènes,  dirige  les  multiples  services  de  l'Ad- 
minisYation.  On  leur  assure  des  tra-.tements  et  des 
retraites  très  élevés,  mais  on  les  chois.t  avec  grand  soin, 
on  exige  d'eux  un  vaste  savoir  (notamment  la  connaiî- 
sance  parfaite  de  la  mentalité,  des  conditions  sociales  et 
des  dialectes  spéciaux  à  la  rég'on  qu'ils  seront  chargés 
de  du'iger  et  où  ils  s'élèveront  de  grade  en  grade  sur 
p/ace),  beaucoup  d'énergie  et  d'initiative,  une  somme  con- 
sidérable de  travail.  Aussi  leur  nombre  peut-il  être 
extiêmement  réduit  :  relativement  à  son  étendue,  1  Em- 
pire des  Indes  occupe  sept  fois  moins  d'administrateurs 
civils  européens  que  la  colonie  française  la  plus  favo- 
risée. 

L'Inde  est  soumise  en  partie  au  système  d  adminis- 
tra'ion  cirecte,  en  partie  au  régime  du  protectorat.  Lis 
"Possessions  immédiates"  noi.t  d'autres  cl.efs  que  les 
fonctijnnaires  anglais.  Elles  sont  réparties  en  14  gouver- 
nennents  :  Présidence  de  Bombay,  Préii  Jence  de  Madras. 
Bengale,  Province.»  Unies  d'Agra  et  Aoudh,  Pendjab. 
Birmanie,  Bir.ar  et  Orissa,  Provinces  Centrales  et  Bérar, 
Asiam,  Provinces  Frontières  du  Nord-Ouest,  Ajmire, 
Courg.  Delhi,  Andaman  et  Nicobar,  et  comptent  environ 
249  030  COO  d'habitants.  Les  Élas  Indigènes,  tributaires 
ou  protégés,  au  nombre  de  1 60  (en  laissant  de  côté  les  plus 


c&x:raphi£  universelle. 


L'INDE  ANGLAISE 

petits  qui  ne  sont  que  des  seigneuries  de  villages),  sont 
peuplés  de  73  COO  000  d'âmes.  Le  plus  important  est 
l'État  d'Haïderabad  dans  le  Decan  avec  1 3  500  000  habi- 
tants. Le  Mysore  ou  Maïssour  en  a  6000000.  Le 
Radjpoutana  (lO  500000  habitants),  l'Inde  Centrale 
(10  000000)  sont  des  groupements  de  principautés  qui 
varient  considérablement  d'étendue  et  de  population. 
Grands  ou  petits  les  Etats  Indigènes  ont  leurs  souverains 
ou  rajahs  auxquels  l'Angleterre  laisse  toutes  le»  appa- 
rences du  pouvoir,  des  honneurs  pompeux,  de  l'argent 
pour  leur  luxe,  mais  qu'elle  fait  surveiller,  conseiller  et 
contrôler  par  des  Résidents  européens.  Loin  de  trouver 
en  eux  des  adversaires,  elle  a  su  se  faire  des  souverains 
indigènes  des  auxiliaires  précieux  et  les  meilleurs  de  ses 
collaborateurs. 

Dans  l'Himalaya,  les  Etats  de  Népal  et  de  Bhoutan 
ont  conservé  leur  indépendance  à  peu  près  entière. 

Depuis  la  Révolte  des  Cipayes  (1858)  jusqu'aux  pre- 
mières années  du  XX°  siècle,  la  tranquillité  la  plus  absolue 
régna  dans  I  Inde.  Si  quelques  troubles  éclataient  çà  et 
là,  ils  étaient  forcément  très  localisés,  et,  par  suite  de 
l'institution  des  castes,  des  haines  religieuses,  etc.,  ils  n'af- 
fectaient qu'une  minime  partie  de  la  population.  Aussi, 
la  force  armée  était-elle  relativement  très  peu  co.nsidé- 
rable  :  72000  Européens,  161  OOC  indigènes.  Encore 
destinait-on  ces  Iroupes  moins  à  réprimer  des  mouve- 
mants  insurrectionnels  qu'à  protéger  l'Inde  contre  les 
ennemis  de  l'extérieur  ou  même  à  participer  à  des  opé- 
rations militaires  poursuivies  hors  du  territoire  de  l'Em- 
pire. 

Toutefois,  depuis  que  bon  nombre  d'Hindous  se  sont 
instruits  soit  dans  l'Inde  même,  soit  dans  les  Universités 
anglaises,  on  a  vu  naître  peu  à  peu  chez  cette  mirorité 
d'intellectuels  des  idées  nouvelles  dont  la  Grande-Bre- 
tagne a  su  tenir  compte.  Dès  1905,  les  Nationalistes 
indiens  commencèrent  à  réJa-ner  d'être  "  associés  au 
Gouvernement  de  leur  pays  afin  d'en  gérer  eux-mêm<  s 
les  affaires  et  d'en  défendre  les  intérêts  ".  Ils  s  ap- 
puyaient sur  les  iraditio.is  fondamentales  du  peuple  anglais 
lu'-même,  et  sur  l'exemple  fourni  par  les  colonies  britan- 
niques de  '  Self-government  ".  Ils  créèrent  ainsi  une 
agitation  qui,  en  dépit  d'une  répression  sévère,  gagna  du 
terrain  et  finit  par  s'étendre,  non  pLs  seulement  aux  Brah- 
manistes,  mais  même  aux  musulmans  jusqu'ici  considérés 
comme  le  plus  ferme  soutien  du  Gouvernement  an7lais. 

Au  cours  de  la  guerre,  le  mouvement  nationaliste 
devint  d'autant  plus  intense  que  la  Grande-Bretagne  se 
trouvait  à  la  fois  paralysée  par  les  événements  d'Europe  et 
contrainte  di  faire  un  large  appel  au^c  contingents  indiens 
qui  se  battirent  pour  elle  soit  en  France  et  en  Macédoine, 
soit  surtout  en  Syrie  et  en  Mésopotamie.  El'e  fut  donc 
amenée  à  prendre  en  co.-^sidération  les  réc'amalions  de 

427  

42 


J 


L'ASIE  

plus  en  plus  pressantes  de  ses  sujets,  et  n'he'sita  pas  à  ins- 
taurer, en  de'cembre  1919,  un  re'gime  nouveau  qui  doit 
graduellement  faire  de  l'Inde  l'égale  des  Dominions  bri- 
tanniques. "  La  Réforme  ne  touche  pas  au  Gouvernement 
central  qui  demeure  toujours  dans  les  mans  du  Vice-Roi 
et  du  Parlement  Impe'rlal.  Mais  elle  résout  dans  le  sens 
d'une  véritable  autonomie  le  gouvernement  des  neuf  pro- 
vinces qui  possèdent  des  Assemblées.  Un  certain  nombre 
de  questions  demeurent  soustraites  aux  Assembléespro- 
vinciales  tant  qu'elles  n'auront  pas  acquis  une  pleine  expé- 
rience des  affaires.  Mais  on  leur  réserve  certains  dépar- 
tements où  léurcompétenceetleurcontrôlepourronl  s'exer- 
cer. Si  l'expérience  réussit  pour  ces  attributions  limitées,  on 
pourra  aboutir  au  Self-government  complet.  Ainsi  mûrit 
et  s'élabore  la  solution  d'une  Inde  autonome.  "  (D'après 
A.   Demangeon.) 

LES  VILLAGES  ET  LES  VILLES.  00  La 
grande  majorité  de  la  population  vit  à  la  campagne  dans 
des  villages  faits  de  petites  maisons  basses,  malpropres, 
aux  murs  de  boue  ou  de  bois,  aux  toits  de  feuilles  et 
d'écorce,  au  mobilier  plus  que  rudimentalre.  Même  dans 
les  villes,  ce  type  de  maison  est  fort  répandu.  Il  con- 
traste avec  la  splendeur  des  monuments  anciens  :  palais 
entourés  de  magnifiques  jardins,  temples,  tombeaux.  De 
même,  la  vie  somptueuse  des  rajahs,  leurs  cortèges  de  che- 
vaux de  luxe  et  d'éléphants  s'opposent  crûment  à  la 
misère  générale  d'un  peuple  pauvre,  insuffisamment 
nourri.  "  Vêtements  de  coton  même  par  le  froid,  rareté 
des  meub'es,  grossièreté  des  ustensiles  frapperont  n  im- 
porte quel  touriste.  Un  habit  de  rechange,  une  pièce  de 
toile,  un  vase  de  cuivre  pour  puiser  l'eau  et  faire  bouillir 
le  riz  ne  sont  pas  à  la  portée  de  tous...  même  en  temps 
ordinaire,  l'Indien  pauvre  ne  mange  pas  toujours  à  sa 
faim.  L'aspect  misérable  et  souffreteux  de  la  foule  donne 
une  impression  pénible  qu'augmente  encore  son  attitude 
tantôt  morne,  tantôt  geignarde.  Tout  inviterait  à  la  tris- 
tesse si  'es  regards  n'étaient  amusés  par  les  nuances  mul- 
tiples des  visages,  les  innombrables  variétés  des  cos- 
tumes, le  crépi  clair  et  les  peintures  des  maisons.  L'âme 
indienne  est  sombre  ;  l'Inde  brille  de  toutes  les  couleurs.  '' 
(A.  Métin.) 

Les  Anglais  ne  se  mêlent  à  la  vie  indigène  que  lors- 
qu'ils y  sont  contraints  par  leurs  devoirs  d  administra- 
teurs. Ils  n'habitent  jamais  dans  la  cité  indigène,  mais 
résident  à  l'écart,  parfois  à  plusieurs  kilomètres,  dans  des 
villas  confortables,  peuplées  d'un  nombreux  personnel 
domestique,  où,  leur  travail  terminé,  ils  mènent  exacte- 
ment l'existence  qu'ils  mèneraient  en  Angleterre.  Non  seu- 
lement la  société  hindoue  ne  les  intéresse  pas,  mais  ils  ne 
comprennent  pas  que  l'on  puisse  y  prendre  quelque  inté- 
rêt ;  des  femmes  de  fonctionnaires,  installées  dans  le  pays 
depuis  plusieurs  années,  se  vantent  de  n'avoir  jamais  péné- 


tré dans  les  quartiers  indiens  !  Aucun  indigène,  sauf  de 
rarissimes  exceptions  faites  en  faveur  de  quelques  maha- 
rajahs,  n'est  admis  dans  les  cercles,  les  c'ubs  ',  le 
"  monde  anglais  ". 

L'union  légitime,  ou  même  le  concubmage  avec  des  femmes  mdi- 
gènes,  de  quelque  condition  qu'elles  soient,  est  considéré  comme 
une  chose  si  honteuse,  qu'un  fonctionnaire  qui  se  trouverait  dans  ce 
cas  serait  obligé  de  donner  sa  démission.  Aussi,  le  nombre  des 
métis  Anglo-Indiens  est-il  insignifiant.  Seuls  les  Français  et  les 
Portugais  ont  cette  spécialité.  On  sait,  du  reste,  que  ce  mépris  du 
Britannique  pour  les  **  gens  de  couleur  "  n'est  pas  spécial  à 
l'Anglais  de  l'Inde,  mais  se  retrouve  dans  toutes  les  parties  du 
monde  peuplées  d'Anglo-Saxons.  Peut-être  d'ailleurs  cette  façon 
d'agir  a-t-elle  sa  raison  d'être  et  son  bon  côté.  Dans  un  pays  où 
100000  Anglais  (72000  officiers  et  hommes  de  troupe. 
28  000  fonctionnaires,  planteurs,  commerçants  et  industriels)  vivent 
perdus  au  milieu  de  300000  000  d'indigènes,  il  est  nécessaire  que 
celui  qui  commande  non  seulement  évite  toute  familiarité,  mais 
même  n  apparaisse  jamais  à  ses  subordonnés  que  sous  la  ligure 
d'un  maître  très  distant,  un  être  infiniment  supérieur,  dont  l'isolement 
même  assure  le  prestige  et  accroît  l'autorité. 

Si  l'on  entre  dans  les  plaines  du  Nord  par  la  voie 
historique  de  Kaboul,  on  se  heurte  d'abord  aux  deux 
grandes  forteresses, pourvues  d'importantes  garnisons,  qui 
surveillentcetteporte  de  l'Inde  :  Pechawer  (97000  habi- 
tants) et  Rawalpindi  (86  000  habitants).  Dan?  les  hautes 
vallées  himalayennes  se  cache  Srinagar  (126000  habi- 
tants), la  fraîche  et  charmante  capi'a!e  du  rajah  de  Kach- 
mir.  Au  centre  du  Pendjab,  Amritsar  (  I  52  000  habi- 
tants) est  la  métropole  et  la  ville  sainte  des  Sicks  ;  Lahore 
(228  000  habitants),  où  domine  l'Islam,  rappelle  les  belles 
cités  arabes  par  ses  balcons  ds  bois  sculptés,  ses  mai- 
sons à  moucharabiés.  Dans  les  collines  des  Sivaliks, 
Murree  et  surtout  Simla,  à  2000  mètres  d'altitude, 
comptent  parmi  les  stations  sanitaires  les  plus  fréquentées 
de  l'Inde.  Simla  est  même,  en  été,  la  résidence  officielle 
du  Vice-Roi. 

Descend-on  la  vallée  de  l'Indus,  la  steppe  apparaît, 
puis  le  désert  de  Thar  où,  sur  les  pistes  sablonneuses, 
s'allongent  les  convois  de  chameaux.  Plus  de  villes  sauf 
le  grand  port  moderne  de  Karatchi  (151  000  habitants) 
où  se  concentrent  les  blés  du  Pendjab.  Vers  l'Est,  on 
gagne  d'abord  le  Radjpoutana,  région  de  sanctuaires,  de 
montagnes,  de  jungles  et  de  déserts,  réduit  des  plus 
anciennes  dynasties  hindoues,  pays  d'exploits  chevale- 
resques, de  batailles,  de  sièges,  d'évtnsmens  héroïques 
ou  terribles.  En  nul  endroit  de  l'Inde  n'apparaissenten 
tel  nombre  les  forteresses  de  grès  rouge  perchées  sur  les 
rocs  escarpés,  "  Crécys  et  Pierrefonds  que  les  guides  ne 
prennent  même  pas  la  peine  de  mentionner  ",  les  palais 
abandonnés,  les  pavillons  de  marbre  semés  dans  la  cam- 
pagne, les  pagodes  envahies  par  la  jungle.  Bikanir 
(i5(X)0  habitants),  oasis  menacée  par  les  sables  du 
désert,  Djodhpour,  Dja'ipour(  1 37 000 habitants),  la  "belle 
ville  de  camaïeu  rose  "  chantée  par  Pierre  Loti,  Adjmir 


428 


(86  000  habitanls),  Goualior  (89000  habitants).  Oudal- 
pour  conduisent  au  Sud-Ouest  vers  les  cités  du  fertile 
Goudjerale  :  Ahmedabad  (218  000  habitants).  Baroda 
(100000  habitants),  Surate  (1  14  000  habitants),  tandis 
qu'au  Nord-Elst  on  pe'nètre  dans  larégion  vitale  del  Inde, 
celle  qu'arrosent  le  Gange  et  ses  affluents.  Delhi  (232000 
habitants),  ancienne  capitale  des  Grands  Mogols  et 
nouvelle  capitale  de  l'Empire,  Agra  (  1 85  000  habitants) 
"la  perle  de  l'Hindoustan"  l'emportent  encore  sur  les  villes 
Radjpoutes  parla  splendeur  de  leurs  monuments.  Mirât  ou 
Merutd  16000  habitants),  Bareilly  (  1 29000  habitants). 
Lakno  ou  Lucknow  (259000  habitants).  Kahnpour  ou 
Cawnpored  78  000 habitants),  Allahabad(l  71  000 habi- 
tants), ont  moins  de  charme,  mais  une  activité  égale. 
Bénarès(203  000  habitants), la viliesainte  desHindousest 
justement  célèbre  par  la  multitude  de  ses  temples,  le  spec- 
tacle pitloresque  de  ses  "'  Ghats  ",  larges  escaliers  de 
pierre  où  se  pressent  les  fidèles  occupés  aux  ablutions 
rituelles.  A  Patna  (136000  habitants)  commence  le 
Bengale  dont  Calcutta  est  la  capitale.  La  ville  tire  son 
origine  d'un  comptoir  fondé  par  la  Compagnie  Anglaise 
des  Indes  Orientales  aux  rives  de  l'Hougly,  branche 
occidentale  du  delta  du  Gange.  Débouché  naturel  des 
territoires  les  plus  productifs  et  les  plus  peuplés,  le 
comptoir  se  développa  vite  lorsqu'il  n'eut  plus  à  craindre 
la  concurrence  de  sa  voisine  Chandernagor  qu'annihila 
le  traité  de  Paris  de  1  763.  Calcutta  comptait  1 00  000  ha- 
bitants en  1800,  elle  en  a  aujourd'hui  1  222  000  en  y 
comprenant  son  faubourg  d'Hovrah.  Le  climat  en  est 
pénible,  et  les  résidents  anglais  passent  la  saison  chaude 
au  sanatorium  de  Dardjiling.  Meiis  le  port,  bien  que 
d'accès  difficile,  est  profond  et  sûr  ;  l'industrie  du  jute 
s'est  considérablement  développée,  et  si,  depuis  191 2, 
Delhi  a  remplacé  Calcutta  comme  capitale  de  l'Empire, 
la  prospérité  et  l'aven  r  de  la  ville  ne  paraissent  pas 
devoir  en  souffrir. 

Dans  la  Péninsule.  Madras  (318000  habitants)  est  le 


L'INDE  ANGLAISE 

plus  ancien  des  comptoirs  anglais  et  le  seul  grand  port  de 
la  côte  orientale.  Tutticorin  est  en  relations  actives  avec 
Ceylan.  A  l'Ouest,  Trivandroum  (63  000  habitants), 
Cochin,  Calicut  (78000 habitants),  Mangalore  s'échelon- 
nent sur  la  côte  de  Malabar,  mais  ne  gardent  plus  que  le 
souvenir  de  leur  ancienne  importance  maritime.  C'est 
Bombay  (979000  habitants),  en  plein  essor,  qui  absorbe 
tout  le  trafic  de  l'Ouest.  Bâtie  dans  une  petite  île  au  port 
vaste  et  parfaitement  abrité,  Bombay  est  non  seulement  le 
débouché  de  la  terre  à  coton  ",  mais  aussi  de  toute 
I  Inde  Centrale.  Elle  a  le  gros  avantage  d'être  beaucoup 
plus  proche  de  l'Europe  que  Madras  ou  Calcutta.  Enfin, 
les  PcUïis  qui  l'habitent  au  nombre  d'une  centaine  de 
mille  diffèrent  grandement  des  Hindous  par  leur  culture, 
leur  sens  des  affaires,  leur  goût  du  progrès.  Pouna 
(1  58000  habitants),  dans  les  Ghâtes,  sert  de  résidence 
d'été  aux  planteurs  de  coton,  aux  bourgeois,  aux  com- 
merçants de  Bombay.  A  l'intérieur  des  plateaux,  Dja- 
balpour  ou  Jubbulpore  (100000  habitants),  Nag- 
pour  (101000  habitants),  Haiderabad  (500000  habi- 
tants), Bangalore  (189000  habitants),  Maïssour  ou 
Mysore  (71  000  habitanu),  Trichinopoly  (123000  habi- 
tants) et  Madoura  (134000  habitants)  sont  les  agglo- 
mérations les  plus  notables. 

En  Birmanie,  Rangaun  (203030  habitants)  a  fait  de 
tels  progrès  qu'elle  se  classe  aujourd'hui  au  quatrième 
rang  des  ports  indiens  après  Calcutta,  Bombay  et  Karat- 
chi.  Moulmeïn  (57000  habitants)  est,  comme  Rangoun. 
grand  exportateur  de  riz.  A  l'intérieur  se  succèdent, 
dans  la  vallée  de  l'Iraouaddy,  Bassein,  Prome  et  les 
anciennes  capitales,  Pagan,  A  va,  Amarapoura,  Man- 
dalay,  etc.,  si  riches  en  sanctuaires  d'autrefois  que,  dans 
la  seule  Pagan,  on  en  compte  plus  d'un  millier.  A 
l'extrême-Nord,  Bhamo  est  le  terminus  de  la  naviga- 
tion de  1  Iraouaddy  et  le  point  de  départ  d  une  route  de 
caravanes,  longue  et  difficile,  mais  très  anciennement 
suivie  qui  mène  à  la  Chine  du  Sud. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 
L'Agriculture 


L'Inde  est  un  pays  essentiellement  agricole.  En  1920. 
224000000  d'Indiens  vivaient  exclusivement  d'occupa- 
tions agricoles  et  pastorales.  Le  reste  se  partageait 
entre  les  diverses  professions  industrielles  (35  000000) 
et  commerciales  (  1 7  000  000).  les  transports  (5  000  000) . 
lesculslibéraux,  religion,  médecine,  instruction  (5  600  000), 
le  service  domestique  (4  500000),  etc.  La  population 
urbaine  elle-même  comprend  nombre  d  agriculteurs  ou 
de  maraîchers.  A  côté  des  quartiers  des  bazars  agglo- 
mérés  en   ruelles   étroites,    les  plus    grandes  villes   de 


l'Inde  et  Calcutta  même  comprennent  des  champ,  de 
vergers,  des  mares,  des  jardins  avec  un  assez  nombreux 
bétail.  La  limite  est  généralement  indécise  entre  la  ville 
et  la  campagne. 

Le  régime  agricole  est  partout  celui  de  la  petite  cul- 
ture. Ne  font  guère  exception  que  les  grandes  planta- 
tions dirigées  par  des  Européens.  La  moyenne  des 
fermes  n'est  que  de  5  acres,  soit  environ  2  hectares,  et 
la  majeure  partie  des  Indiens  sont  propriétaires  de 
leur  terre. 


429 


L'ASIE 


L'IRRIGATION.  00  Le  mode  de  culture  est 
généralement  très  primiïif.  L'Hindou  a  très  peu  d'outils 
agricoles;  sa  charrue  est  en  bois;  les  fumures  manquent, 
car  on  utilise  la  bouse  de  vache  comme  combustible. 
Aussi  le  rendement  moyen  des  terres  apparaît-il  comme 
fort  médiocre. 

De  plus,  et  surtout,  la  valeur  et  l'abondance  de  la 
récolte  dépendent  directement  de  la  quantité  d'eau  dont 
on  peut  disposer.  Or  les  pluies  sont  uniquement  appor- 
tées par  les  vents  de  mousson  qui  partagent  l'année  en 
deux  sciisoas,  l'une  humide,  l'autre  absolument  sèche. 
Dans  les  régions  où  la  mousson  donne,  pendant  la  saison 
pluvieuse,    plus    de   1   m.   50    d'eau,    cela  suffit    pour 

'  assurer,  sans  arrosage  artificiel,  l'humidité  du  sol,  la 
pérennité  des  sources  et  des  puits  durant  l'année  entière. 

j      et  même  la  possibilité  d'une   double   récolte    :   récolte 

1  d'automne  ou  "kharif  ",  récolte  de  printemps  ou  "'  rabi  "• 
C'est  le  cas  du  Bengale,  de  l'Assam,   de  la   Birmanie, 

1      des  Ghâtes  occidentales. 

I  Mais,  dans  le  reste  de  l'Inde,  ou   bien  il  pleut  trop 

peu  pour  qu'une  seule  récolte  même  soit  possible  sans 

î      arrosage  artificiel  (Pendjab,  Sindh,  une  partie  du  Rad 

I  poutana)  ou  bien  il  pleut  juste  assez  pour  assurer  cette- 
unique  récolte,  à  condition  que  la  mousson  soil  normale. 
Les  chutes  de  pluie  commencent-elles  trop  tard,  ou 
cessent-elles  trop  tôt,  les  averses  donnent-elles  quelques 

I  centimètres  d'eau  de  moins  qu'on  ne  l'attendait,  voici  la 
récolte  compromise  ou  même  totalement  perdue.  Une 
pareille  déficience  se  produit-elle  deux  ou  trois  ans  de 
suite,  c'est  la  famine  et  ses  affreuses  conséquences. 

De  là  1  importance  primordiale  de  travaux  d'irriga- 
tion. Il  s'agit  de  se  procurer  d'une  façon  ou  d  une  autre 
les  réserves  d'eau  capables  de  suppléer  au  manque  com- 
plet des  pluies  ou  à  leur  pernicieuse  irréguleuité.  Trois 
système  sont  usités  :  canaux  dérivés  des  rivières,  puits, 
réservoirs  naturels  ou  artificiels  appelés  tanks  '  .  Leur 
emploi  simultané  remonte  aux  plus  anciennes  périodes 
de  l'histoire  de  l'Inde,  mais  leur  développement  systéma- 
tique et  leur  multiplication  sont  l'œuvre  propre  du  Gou- 
vernement anglais. 

On  compte  aujourd'hui  22  000  000  d'hectares  de  terres 
irriguées  (ce  qui  équivaut  aux  quatre  cinquièmes  de  la 
surface  totale  de  la  Grande-Bretagne)  ;  39  pour  100  le 
sor.t  au  moyen  de  canaux  de  dérivation  branchés  sur  le 
Gcinge,  l'Indus  et  leurs  affluents,  ainsi  qu'aux  points 
où  le  Cavery,  la  Krichna,  le  Godavery  et  le  Mahanaddy 
débouchent  sur  leurs  deltas.  On  peut  se  faire  une  idée  de 
leur  importsmce  en  songeant  qu'à  eux  seuls  les  deux 
réseaux  du  Pendjab  atteignent  14500  kilomètres  de 
longueur  et  desservent  2500000  hecares,  soit  37  pour 
100  delà  surface  mise  en  culture  dans  cette  province. 
Dans  le  Sindh,  88  pour  100  des  terres  se  travaillent 
grâce  à  l'irrigation.  Dans  la  région  du  Gange  moyen  et 


de  la  Djoumna,  2000000  d'hectares,  qui  souffrirent 
autrefois  d'épouvantables  famines,  se  trouvent  désormais 
à  l'abri  du  fléau. 

Les  puits,  souvent  très  profonds,  atteignent  les  nappes 
aquifères  cachées  sous  les  sédiments  perméables  de  la 
superficie.  On  les  utilise  pour  irriguer  près  de  8  000000 
d'hectares,  soit  dans  la  vallée  moyenne  du  Gange,  soit 
sur  les  plateaux  du  Décan. 

Enfin,  les  '  '  tanks  "  (5  000  000  d'hectares)  ne  sont 
guère  employés  que  sur  les  plateaux  de  la  Péninsule. 

Le  Gouvernement  de  i'Inde  ne  cesse  d'augmenter  les  travaux  de 
ce  genre,  qui,  du  reste,  sont  non  seulement  indispensables  comme 
mesure  de  protection  contre  la  famine,  mais  encore  donnent  au  Trésor 
d'appréciables  pro&ts  par  les  droits  d'usage  ou  la  vente  des  terres 
irriguées.  Un  vaste  programme  élaboré  en  1914,  qui  prévoyait  une 
dépense  totale  de  800  003  030  de  francs,  est  en  voie  de  réalisation. 
II  comporte  notamment  l'extension  des  terres  irriguées  du  Pendjab 
et  du  Sindh  où  l'on  fixe  peu  à  peu  des  familles  de  paysans  venues 
des  régions  surpeuplées,  et  la  création  de  puissants  barrages  sur  le 
haut  Caverj'  et  la  haute  Krichna. 

LES  PRINCIPALES  RÉCOLTES.  00  Les 
cultures  alimentaires  tiennent  naturellement  la  -première 
place. 

Le  riz  d'abord  ne  couvre  pas  moins  de  30  700  000  hec- 
tares. On  ne  le  cultive  pas  partout,  mais  là  où  il  réussit. 
il  est  à  peu  près  la  seule  céréale  récoltée.  Son  domaine 
préféré  est  le  Bengale,  la  Birmanie,  les  deltas  de  la 
côte  orientale.  La  récolte  moyenne  dépasse  30  000  000 
de  tonnes. 

Le  blé(12000000d'hectares.l0000000de  tonnes), 
presque  inconnu  dans  le  Sud  et  les  deltas  trop  humides, 
réussit  à  merveille  dans  certaines  régions  des  Provinces 
Centrales  et  de  la  Terre-Noire,  mais  surtout  dans  les 

Doabs  "  (zones  comprises  entre  deux  rivières)  irri- 
guées du  Pendjab  et  des  Provinces  Unies. 

Le  millet  (16000  000  d'hectares)  est  la  principale 
nourriture  des  gens  du  peuple  trop  pauvres  pour  ache- 
ter du  riz,  denrée  relativement  chère.  On  le  cultive  un 
peu  peurlout  ainsi  que  l'orge  et  le  maïs. 

Les  graines  et  les  plantes  oléagineuses  :  graines  de 
lin,  sésame,  moutarde,  arachides,  ricm,  etc.,  sont  aussi 
très  répandues  (6000000  d'hectares).  Les  indigènes 
font  une  énorme  consommation  d'huile  et  l'exporlation 
de  ces  graines  se  classe  par  ordre  d'importance  aussitôt 
après  celle  du  riz. 

Les  légumes  :  pois  chiches,  lentilles,  haricots,  etc.. 
complètent  le  maigre  menu  de  l'Hindou,  strictement 
végétarien. 

La  canne  à  sucre  (I  120000  hectares)  est  lociliséc 
à  peu  près  exclusivement  dans  les  Provinces  Unies 
d'Agra  et  d'Aoudh,  puis  dans  le  Bengale  et  le  Pendjab. 
On  estime  que  la  production  de  l'Inde  représente  à 
elle  seule  le  tiers  de  la  récolte  mondiale  ;  mais  la  canne 


430 


LINDE  ANGLAISE 


^ 


iv-v^    Sa^'ariR.h  {JungUiL} 
1  ,'\M    CuLtur&v  àiverjav 

^    Forèt.i. 

113  Stef/pet,  et.  Jd^erLv 

~-'     Canaujc  J 'trrïyatîon 


t)u  Bic 


liKlTDIE 

CARTE    ÉCONOMIQUE 


Régcon  OcK  ^^ 

granûcAY^u  Coton.     ^^ 

BajJin,v  houUier.v    «]|w 
r«  exploitation       W 


^ÎS^ 


est  traitée  d'une  façon  très  primitive  et  la  deminde  de 
sucre  est  si  grande  qu'il  faut  en  importer  de  grosses 
quantités  (surtout  de  Java). 

L'itfbre  à  thé  croît  à  l'état  sauvage  dans  les  forêts  de 
l'Assam.  Sa  culture  (266000  hectares)  a  fait  de  consi- 
dérables progrès  soit  en  Assam,  soit  dans  les  collines  et 
les  vallées  subhimalayennes.  Elle  se  développe  aussi 
dans  les  Ghâtes  méridionales. 

Les  plantations  de  café,  d'indigo,  d'épices,  qui  firent 
autrefois  la  fortune  de  la  Compagnie  des  Indes,  n'ont 
plus  qu'une  assez  petite  valeur.  On  les  trouve  dans  tout 
le  Sud  et  le  Sud-Ouest  (Mysore.  Travancore,  Niighi-  ' 


ri).  Le  pavot  à  opium  a  considérablement  perdu  lui 
aussi  de  son  importance  ancienne,  depuis  que  la  Chine, 
unique  client  de  l'Inde,  interdit  l'importation  de  la 
funeste  drogue.  Il  est  appelé  à  disparaître  à  peu  près 
complètement. 

Par  contre,  deux  plantes  textiles,  le  coton  et  le  jute, 
jouent  un  rôle  de  plus  en  plus  grand  dans  la  vie  écono- 
mique de  l'Inde. 

Le  cotonnier  (5  000  000  d'hectares  en  1 900, 9600000 
en    1919)     trouve     un     terrain      de    choix     dans    le 

régur  ,  ces  basaltes  et  ces  trapps  décomposés  qui 
couvrent  de  leurs  noires  étendues  tout  le  Nord-Ouest  de 


431 


L'ASIE 


la  Péninsule  :  Bérar,  province  de  Bombay,  Goudjerate, 
presqu'île  de  Kathiavar,  plateau  de  Malva.  11  se  substitue 
peu  à  peu  aux  champs  de  pavots.  Le  jute,  à  peu  près 
inconnu  il  y  a  soixante  ans,  se  cultive  sur  1300000  hec- 
tares dans  la  province  du  Bengale.  Nous  verrons  plus 
loin  la  place  que  tiennent  coton  et  jute  dans  l'mdustrie 
et  le  commerce  du  pays. 

il  faut  ajouter  à  cette  énumëration  le  tabac  cultivé 
surtout  dans  le  Bengale  du  Nord,  la  Birmanie,  la  province 
de  Madras  ;  le  mûrier  dans  l'Assam  et  le  Bengale,  le 
cocotier  abondant  sur  tout  le  littoral,  l'aréquier  dont  la 
noix,  entourée  de  feuilles  de  bétel  et  trempée  de  chaux 
vive,  est  mastiquée  par  des  millions  d'indigènes  ;  un  grjmd 
nombre  de  légumes  et  de  racines,  appoint  apprécié 
quand  la  récolte  est  déficitaire,  et  tous  les  fruits  des  tro- 
piques, notamment  les  bananes,  les  mangues  et  les 
oranges. 


L'élevage  est  loin  de  présenter  l'importance  quil 
pourrait  avoir.  La  majeure  partie  des  Hindous  et  beau- 
coup de  musulmans  s'abstiennent  strictement  de  viande, 
ils  n'utilisent  les  bêtes  à  cornes,  buffles,  bœufs,  vaches 
que  comme  animaux  de  trait  ou  bien  pour  leur  lait  et 
leur  beurre  dont  on  fait  grand  usage.  De  plus,  on  n'ap- 
porte aucun  soin  à  la  reproduction,  à  l'entretien,  à  la 
nourriture  du  bétail  qui  est  généralement  maigre,  chétif, 
souffreteux. 

Si  l'on  ne  tient  compte  cependant  que  du  nombre  de 
tèles,  l'Inde  se  classe,  avec  118  000  000  de  bœufs  et 
28500000  bufHes  (en  1920),  de  beaucoup  au  premier 
rang  de  tous  les  pays  du  monde. 

On  dénombrait  enfin,  en  1920,  22  000000  de  mou- 
tons, 24  000  000  de  chèvres,  1700000  chevaux  et 
poneys,  autant  d'ânes  ou  mulets,  et  445000  chameaux 
(régions  sèches  du  Nord-Ouest). 


L'Industrie 


L  industrie  indigène,  de  date  fort  ancienne,  est  exercée 
par  les  artisans  qui  ont  leur  place  à  la  base  des  castes 
hindoues.  Elle  va  du  travailleur  isolé  et  du  métier 
familial  jusqu'à  la  manufacture  où  la  production  à  la 
main  se  fait  en  grand  sous  la  direction  de  patrons  appar- 
tenant aux  castes  marchandes.  Elle  comprend  d'abord 
la  fabrication  des  objets  d  usage  courant  indispensables 
à  l'indigène  :  étoffes  de  coton,  de  laine,  de  soie,  brace- 
lets, colliers,  bijoux  grossiers,  poteries  communes,  outils, 
instruments,  ustensiles  en  bois,  en  cuivre,  en  fer,  nattes, 
tapis,  corbeilles,  moulins  pour  l'huile,  le  blé,  le  riz,  etc. 
Disséminée  dans  l'Inde  entière,  cette  forme  d  industrie 
occupe  les  neuf  dixièmes  des  35  000000  d'individus 
classés  par  les  statistiques  sous  la  rubrique  :  '  ouvriers 
industriels. 

Les  industries  d'art  se  groupent,  au  contraire,  géné- 
ralement dans  les  villes  qui  ont  chacune  leur  spécialité. 
Leurs  produits  eurent  autrefois  une  célébrité  justifiée  : 
cuivres  ciselés  de  Bénarès,  broderies  d  or  et  d'argent 
sur  soie  à  Delhi,  Agra,  Patna;  soie  sur  mousseline  à 
Dacca,  or  sur  velours  à  Aurengabad,  poteries  de 
Bikanir,  sculptures  sur  bois  du  Kachmir  et  d'Ahmédabad, 
incrustations  de  nacre  et  d'ivoire  à  Bombay,  cotonnades 
fines  (calicots  tirant  leur  nom  de  la  ville  de  Calicut, 
indiennes,  madras),  châles  du  Kachmir  et  d'Amritsar, 
bijouterie  en  filigrane  des  capitales  mongoles,  etc. 

Toulescesvieilles  industries  sont  en  pleine  décadence.  Les  ouvriers, 
souvent  1res  habiles,  n'ont  aucune  initiative,  peu  d'imagination;  ils 
reproduisent  éternellement  le  même  modèle  suivant  des  traditions 
héréditaires  que  nul  ne  songe  à  modifier.  De  plus,  les  artisans, 
même  les  plus  ingénieux,  sont  tenus  en  mépris  par  les  castes  supé- 
rieures. On  ce  trouve  au-dessous  d'eux  que  les  gens  sans  caste  qui 
font  les  métiers  les  plus  discrédités  :  coolies,  portefaix,  domestiques 


des  Européens.  Enfin,  les  .Anglais  n'aiment  pas  l'ait  indigène  et  ne 
font  rien  pour  l'encourager.  Ils  se  logent,  se  meublent  à  l'anglaise, 
n'admettant  dans  leurs  "  bungalows  "  que  des  objets  anglais.  A 
leur  exemple,  les  Indiens  riches,  les  rajahs  et  les  notables,  com- 
mencent à  se  fournir  en  Europe  et  privent  ainsi  les  industries  d'art 
de  leur  meilleure  clientèle.  Si  certains  industriels  mettent  à  pro6t 
l'extrême  bon  marché  de  la  main-d'œuvre  indigène,  sa  docilité  et 
son  habileté  manuelle,  c'est  presque  uniquement  pour  lui  faire  repro- 
duire des  modèles  européens  :  services  de  table,  broderies,  bijoux, 
lapis,  tombes  gothiques  et  autels  romans! 


Mais  une  nouvelle  forme  d'industrie  a  fait  son  appa- 
rition et  se  développe  vite  :  c'est  l'usine  à  vapeur  outillée 
et  organisée  à  l'européenne.  Elle  ne  pouvait  pas  ne 
pas  naître  dans  un  pays  où  la  main-d'œuvre  surabonde, 
où  le  travailleur  manuel  se  contente  de  salaires  infimes, 
où  la  matière  première  se  trouve  sur  place  en  énorme 
quantité,  où  la  houille  même  ne  manque  pas,  puisque 
les  mines  du  Bengale  occidental,  du  Pendjab,  des  Pro- 
vinces Centrales  et  de  l'Assam  ont  donné,  en  1918, 
20000000  de  tonnes  de  charbon.  Usines  et  fabriques 
s'élèvent  peu  à  peu  dans  les  grands  centres;  les  hautes 
cheminées  s'éngent  à  côté  de  pagodes  vénérables,  et  leurs 
fumées  deviennent  incommodes  au  point  que  Calcutta 
dut  édicter  à  leur  sujet  un  règlement  spécial  ;  "  The 
Smoke  Nuisance  Act.  " 

Les  filatures  et  le»  tissages  de  coton  et  de  jute 
tiennent  de  beaucoup  le  premier  rang. 

Bombay,  débouché  des  régions  de  régur  ou  "  terre 
à  coton  ",  compte  à  elle  seule  83  usines  où  l'on  traite  le 
coton  ;  la  Présidence  de  Bombay  en  a  162,  c'est-à-dire 
75  pour  lOOde  l'Inde  entière.  Le  reste  se  trouve  à 
Madras,  à  Delhi  et  au  Bengale.  Les  235  usines  qui 
marchaient  en  1919  employaient  267  000  ouvriers. 


432 


LINDE  ANGLAISE 


Le  tissage  du  jute  est  la  spécialité  du  Bengale.  Soi- 
xante-seize usines  (surtout  à  Calcutta)  employaient 
275  000  ouvriers  fabriquant  des  toiles  solides  pour  sacs 
et  étoffes  d'ameublement.  Papeteries,  décortiqueries. 
moulins  à  farine,  distilleries,  indigotenes,  brasseries,  raffi- 
neries de  sucre  et  de  pétrole,  fabriques  de  glaces,  fila- 
tures et  tissages  de  laine  (Pendjab),  de  soie  (Bengale), 
font  peu  à  peu  leur  apparition. 

Le  minerai  5e  fer,  très  abondant  et  d'excellente  qua- 
lité, permit  autrefois  aux  forgerons  et  armuriers  Hindous 
de  fabriquer  des  aciers  égaux  en  valeur  aux  plus  beaux 
produits  de  l'industrie  moderne.  Longtemps  négligée,  à 
dessein  sans  doute,  par  les  Anglais,  peu  soucieux  de 
créer  une  concurrence  dangereuse  aux  produits  de  la 
métropole,  cette  industrie  renaît,  notamment  à  Bombay. 
Elle  est  favorisée  par  la  présence  du  manganèse  dont 
on  a  extrait ,  en  1 9 1 8,  5 1 8  000  tonnes  valant  i:  I  500  000. 
Pendant  la  guerre,  une  partie  des  munitions  consommées 
en  Mésopotamie  et  en  Palestine  étaient  de  provenance 
hindoue,  et  le  Japon,  l'Australie  même  font  appel  déjà 
aux  aciers  de  l'Inde. 

Enfin,  les  sables  ou  quartz  aurifères  du  Mysore 
donnent  annuellement  pour  55  000000  à  60  000  000  de 
francs  du  précieux  métal  ;  le  pétrole  de  Birmanie  et  de 
l'Assam,  en  progression  rapide,  a  passé  de  330  000  tonnes 
en  1903  à  I  100000  en  1918  valant  ^  1000000. 
La  Birmanie  fournit  un  peu  de  cuivre,  du  plomb,  de 
l'étain,  du  zinc.  Les  carrières  de  mica  emploient 
1 6  000  personnes  dans  le  Bihar  et  la  province  de  Madras. 
Quant  aux  pierres  précieuses  :   rubis,  saphirs,  grenats. 


émeraudes,  diamants,  autrefois  si  célèbres,  elles  n'ont 
plus  qu'une  très  minime  importance  dans  le  total  de  lu 
production  indienne. 

Certes,  l'Inde  demeure  encore  Iribuuiic  de  l'étranger  pour  l.i 
majeure  partie  des  objets  fabriqués  dont  elle  a  besoin  (voir  plu? 
loin  le  tableau  des  importations).  Mais,  comme  tant  d'autres  pays 
neufs,  elle  cherche  à  se  soustraire  à  une  telle  servitude.  Déjà  ses 
filatures  de  jute  ont  permis  de  vendre  en  1920  des  toiles  et  des  sacs 
pour  une  valeur  de  500  000  000  de  roupies  (la  roupie  vaut  au 
pair,  2  (r.  40),  rude  concurrence  pour  les  usines  similaires  d'Abcr- 
deen  et  de  Dundee.  Les  tissages  de  coton,  soit  à  main,  soit  à  vapeur 
absorbent  la  moitié  de  la  matière  première  locale.  L'Inde  achète 
encore,  il  est  vrai,  pour  590  000000  de  roupies  de  cotonnades 
étrangères,  mais  elle  vend  pour  274000000  de  (îles  et  il  n'est 
pas  impossible  que  la  multiplication  des  usines  et  du  personnel 
technique  indigène  ne  lui  permette  un  jour  de  réduire  dans  de  ' 
considérables  proportions  le  lourd  tribut  paye  aux  manufacturiers 
anglais.  Elle  pourra  de  la  même  façon  diminuer  ou  supprimer  ses 
achats  de  sucre  raffiné,  de  lainages,  de  soieries,  de  savons,  de  fers 
et  d'aciers,  etc.  Les  riches  indigènes,  les  souverains  hindous  ou 
musulmans,  longtemps  réfractaires  aux  innovations  étrangères,  s'in- 
téressent aux  entreprises  industrielles.  Ils  favorisent  leur  création  cl 
consacrent  à  leur  mise  en  Irain  une  partie  des  capitaux  énormes  qui 
dormaient  dansleurs  coffres.  Les  Parsis  détiennent  aujourd'hui  la  plus 
grande  partie  des  usines  et  le  commerce  du  coton  dans  la  Prési- 
dence de  Bombay.  Dansle  Pendjab,  dans  les  provinces  du  Nord- 
Ouest,  des  "  banyas  "  (caste  de  commerçants)  montent  des  moulins 
à  vapeur,  des  raffineries  de  sucre,  prennent  de  grosses  parts  dans 
les  nouvelles  manufactures  de  Delhi  et  de  Lahore.  C'est  l'aurore 
d'une  transformation  économique  qui  fera  passer  l'Inde  du  stade 
purement  agricole  au  stade  industriel,  et  cette  transformation  n'est 
pas  sans  inquiéter  sérieusement  les  "  lords  du  coton  "  et  autres 
industriels  de  Grande-Bretagne  menacés  de  voir  se  fermer,  dans  un 
délai  plus  ou  moins  bref,  le  marché  assuré  qu'ils  avaient  dans 
l'Inde. 


Le   Commerce  et  les  Voies  de  communication. 


L'Inde  ne  compte  pas  moins  de  55000  kilomètres 
de  chemins  de  fer.  C'est  le  réseau  le  plus  étendu  et 
relativement  le  plus  dense  du  monde  après  celui  des 
Etats-Unis  et  des  pays  européens. 

Il  est  à  peu  près  achevé  dans  ses  grandes  lignes  et 
dessert  toutes  les  villes  principales.  Il  ne  reste  qu  à  mul- 
tiplier les  voies  secondaires  et  à  raccorder  le  système 
indien  avec  les  réseaux  étrangers  :  ligne  Calcutta- 
Rangoun-Singapour  ;  ligne  de  Bhamo  (Birmanie)  au 
Yunnan  chinois  ;  ligne  Pechawer- Kaboul-  Furkestan 
russe  ;  ligne  Chikarpour-Kandahar-Téhéran  ;  ligne  Ka- 
ratchi-Bagdad  par  le  Sud  de  la  Perse. 

I  000  000  de  kilomètres  de  routes  empierrées,  250000 
kilomètres  de  routes  '  surveillées  ",  sans  compter  la 
multitude  des  pistes  poussiéreuses  accessibles  aux  chariots 
indigènes,  s'ajoutent  aux  voies  ferrées.  La  navigation  à 
vapeur  utilise  l'Iraouaddy  sur  I  300  kilomètres  et  le 
Brahmapoutra  sur  800.  Enfin,  le  Gange,  l'Indus,  leurs 
affluents,  les  canaux  qui  en  dérivent  portent  une  nom- 
breuse flottille  de  barques  et  de  radeaux.   Plus  enco.'e 


qu'en  toute  autre  région,  le  problème  des  voies 
de  communication  est  une  question  vitale  pour  l'Inde. 
Le  moyen  le  plus  efficace  de  pallier,  dans  la  mesure  du 
possible,  auxravagesde  famines  toujours  localisées,  n'est- 
il  pas  en  effet  de  multiplier  et  d'accélérer  les  relations 
entre  les  diverses  régions  ?  Ainsi  les  plus  favorisées 
viennent  en  aide  à  celles  qui  souffrent,  et  l'on  a  pu  déjà, 
à  maintes  reprises,  préserver  de  la  misère,  de  la  faim, 
de  la  mort,   des  millions  d'individus. 

Au  commerce  intérieur,  si  multiple  qu'il  est  impossible 
d'en  apprécier  l'exacte  valeur,  se  juxtapose  le  commerce 
extérieur. 

Il  atteignait,  en  1 903,  2  2 1 0  000  000  de  roupies  (la  rou- 
pie vaut,  au  pair,  2  fr.  40)  ;  en  1907,  3618000000:  en 
1913-14,4907000000  (soit  1 1  776  000 000 de  francs), 
classant  ainsi  l'Inde  aptes  l'Angleterre,  les  Etats-Ui.is 
l'Allemagne,  la  France  et  la  Hollande,  au  sixième  rarg 
des  nations  commerçantes  du  mjnde.  Pendant  la  Guerre, 
ce  p'ogrè;  s'est  encore  acccn'.ué.  et,  de  juin  1919  à  juin 
1 920,  r  Inde  acheta  pour  2  079  000000  de  roupies,  vendit 

433 


J 


L'ASIE - 

TABLEAU  DU  COMMERCE  DE  L'INDE 


PRINCIPAUX  CLIENTS  DE  L'INDE 


Principales  marclian<Jis€S 

Annie  1913-1914.         Aimée  1919-1920 

Valeur  en  roupies. 
(1   roupie  =  2  fr.  40,  au  p?ir). 

662  000  000                    591  000  000 
261  000  000                   270  000  000 
149  000  000            1        229  000  000 
100  000  000            '         45  000  000     r 
77  000  000                     90  000  000 
44  000  000            1         94  000  000 
43  000  000                     77  000  000 
38  000  000                      16  000  000 

h 

Matériel  de  chemins  de  fer 

1    . 

etc. 

Total  .  . 

£ 

Coton  brut 

Cotonnades  et  &lés  de  coton 

1  832  000  000  roup. 
(4  492  000  000  (r.) 

xportaiiom 

410  000  000 
1  200  000 
308  000  000 
283  000  000 
266  000  000 
256  000  000 
159  000  000 
149  000  000 
143  000  000 

34  000  000 

25  POO  000 

20  000  000 

15  000  000 

11  000  000 
9000  000 

2  079  000  OOO 

586  000  000 

274  000  000 

246  000  000 

500  000  000 

104  000  000 

262  000  000 

359  000  000 

206  000  000 

17  000  000 

19  000  000 

49  000  000 

73  OOO  000 

17  000  000 

15  OOO  000 

16  000  000 

Jute  manufacturé 

Riz 

Thé 

Blé  et  farine 

Caté .• 

Bois 

Épices . . 
etc. 

Total   

2  442  000  000  roup. 
(5  875  000  000  fr.) 

3  090  000  000 

pour  3090000000—  au  total  5  169000000  de  roupies 
qui,  au  cours  moyen  du  change  cette  année-là,  valaient 
beaucoup  plus  de  20000000000  de  francs. 

Nota.  C)0  II  importe  de  remarquer  : 

1"  Que  les   exportations  continuent  d'être  très   supérieures    aux 
importations  ; 


Année  1913-1914. 
roupies. 

Année  1919-1920 
roupies. 

Importations  venant  de 

Grande-Bretagne 

Allemagne 

1  175  000  000 
126  000  000 
107  000  000 
48  000  000 
47  000  000 
43  000  000 
42  000  OOO 
27  000  000 
26  000  000 

1  949  000  000 

432  000 

215  000  000 

252  000  000 

191  000  000 

1  200  000 

7000  000 

18  000  000 

65  000  000 

992  000  000 

13  000  000 

462  000  000 

486  000  000 

157  000  000 

195  000  000 

3000  000 

77  000  000 

86  000  000 

34  000  000 

Etats-Unis 

Japon 

Belgique 

France  

1    Chine... 

etc. 

Elxportations  allant  à 

Grande-Bretagne 

Allemaime 

.lapon ^ 

Etats-Unis^ , 

573  000  000 
263  000  000 
226  000  000 
217  000  000 

France 

Chine 

177  000  000 
133  000  000 
99  000  000 
78  000  000 
47  000  000 
41  000  000 

Italie 

Australie 

etc. 

2"  Que  les  achats  de  1  Inde,  entre  1913  et  1920,  ont  augmenté 
proportionnellement  beaucoup  moins  que  les  ventes; 

3°  Que  la  vente  des  cotonnades  et  filés  de  coton  sortis  des  manu- 
factures indiennes  a  passé  du  chiffre  insignifiant  de  I  200000  rou- 
pies, au  chiffre  considérable  de  274  000  000  de  roupies.  Dans  le 
même  temps,  la  valeur  des  objets  en  jute  manufacturé  a  presque 
doublé.  Par  contre,  les  exportations  de  coton  brut  n'ont  augmenté  que 
d'un  cinquième;  celle  de  jute  brut  ont  diminué  de  près  d'un  tiers. 
Tout  cela  confirme  pleinement  ce  que  nous  disons  plus  haut  sur 
le  progrès  de  la  grande  industrie  indienne; 

4°  Parmi  les  clients  de  l'Inde,  l'Angleterre  tient  toujours  le 
premier  rang.  Cependant,  si  ses  ventes  dans  l'Inde  ont  presque 
doublé  entre  1913  et  1920,  ses  achats  ont  légèrement  diminué. 
Par  contre,  les  Etats-Unis,  le  Japon  ont  sextuplé  ou  quintuplé  le 
chiffre  de  leurs  exportations,  et  doublé  le  chiffre  de  leurs  achats. 
Java,  la  Chine,  l'Amérique  du  Sud  même  ont  fait  de  grands  pro- 
grès. Ainsi  l'Inde  parait  de  plus  en  plus  attirée  dans  l'orbite  des 
puissances  extrêmes-orientales  et  voisines  du  Pacifique,  autre  con- 
firmation de  ces  déplacements  de  courants  économiques  que  nous 
indiquâmes  déjà  comme  l'un  des  résultats  les  plus  frappants  de  la 
Grande  Guerre. 


CONCLUSION 


La  domination  anglaise  fut  pour  l'Inde  un  incontestable 
bienfcut.  A  défaut  d'unité  morale,  les  Britanniques  ont 
donné  aux  peuples  de  leur  Empire  l'unité  politique  que 
ces  peuples  n'avaient  jamais  eue.  Ils  ont  multiplié  les  tra- 
vaux utiles  (canaux  d'irrigation,  voies  ferrées,  routes) ,  paré , 
dans  la  mesure  du  possible,  aux  ravages  des  famines  et  des 
maladies  épidémiques,  créé  toute  une  série  de  services 
spéciaux  destinés  à  améliorer  le  rendement  des  terres,  à 
fertiliser  les  sols  en  friche,  à  perfectionner  les  procédés 
de  culture.  Les  plantations  de  thé  et  de  café  sont  exclu- 
sivement leur  oeuvre  ;  il  en  est  de  même  de  la  grande 
industrie  et  des  exploitations  minières.  Certes,  ce  faisant 


ils  songent  d'abord  et  surtout  à  leur  intérêt  propre,  ce 
qui  est  fort  naturel.  L'Inde  est  à  la  fois  1  un  des  principaux 
fournisseurs  et  l'un  des  meilleurs  clients  de  la  Grande-Bre- 
tagne. Les  capitaux  anglais  engagés  dans  les  entreprises  in- 
diennes ne  rapportent  pas  seulement  aux  actionnaires  des 
dividendes  élevés,  mais  font  retour  à  la  métropole  sous 
forme  d'achats  de  produits  fabriqués.  La  prospérité  de 
l'Inde  apparaît  donc  comme  l'un  des  facteurs  essentie's  de 
la  prospérité  même  de  l'Angleterre.  Mais,  en  travaillant 
pour  eux,  ils  ont  aussi  travaillé  pour  le  mieux-être  de 
leurs  sujets. 

Par  la  création  de  nombreuses  écoles  et  d'universités 


434 


L'INDE  ANGLAISE 


LE  TADJ-MAHAL  al  le  plus  cétilte  et  U  plus  parfait  des  monumcnis  conslTuils  nuées  et  des  palais  persans,  par  >fj  hauts  portails  en  otive,  encadres  dans  un  rectangle 

dans  rinde.  au  temps  des  Grands  Mogols.  Cesl  un  tombeau  que  Chah  Diehan  fit  d'arabesques,  sa  coupole  ouvragée,  ses  minarets  élégants,  a  galeries  et  clochetons, 

élever  poursa  femme  aux  portes  de  la  ville  d'Agra.  Il  na  rien  qui  puisse  rappeler  les  Entièrement  eonslruil  de  grès  rose  cl  de  marbre  blanc,  le  lad,  MM  resplendit  d  au- 

concepliom  architecturales  propres  à  l'art  hindou,  mas  il  évoque  le  souvenir  des  mos-  tant  plus  «u  .7  contraste  avec  le  somirt  lemllttttda  étires.  CI.  L..  LOUBTELLEMONT. 


435 


L'ASIE 


•^i*fc. 


LES  RUINES  D'.AMARAPOURA.  Nombreuses  furent  les  capilales  successives 
t]ue  les  Birmans  créèrent  ou  abandonnèrent  tour  à  tour  suivant  les  caprices  de  leurs 
rois.  Ainsi,  au  grand  coude  que  décrit  l'Iraouaddy  près  de  son  confluent  avec  le  Kyen- 
douen.  ^'élevèrent  quatre  ci/e*  ;  Ava,  Sagaïn,  Amarapoura  et  Mandalay.  Les  trois 


premières  ne  sont  plus  que  ruines.  Les  maisons  ont  disparu.  Seuls  subsistent  les  restes 
fort  nombreux  des  temples  et  édicules  religieux.  La  population  se  concentre  aujour- 
d'hui à  Mandalay,  fondée  en  1857.  lorsque  Amarapoura  fut  abandonnée  après 
soixante-quinze  ans  d'existence. 


LE  JARDIN  DE  PERADENYA  A  KANDY.  Ce  jardin  botanique  n'est  pas 
seulement  célèbre  par  la  splendeur  de  sa  végétation  et  de  ses  paysages,  mais  aussi 
par  les  recherches  extrêmement  utiles  que  l'on  y  poursuit  sur  les  plantes  cultivées 
en  Pays  tropicaux  :  thé,  café,  caoutchouc,  canne  à  sucre,  e/c.C!.CHUSSEAU-FLAVIENS. 


SRINAGAR  est  la  charmante  capitale  de  l'Etat  de  Kachmir,  merveilleuse  casis 
de  montagne,  nichée  au  cœur  de  l'Himalaya.  Elle  a  grandi  sur  les  deux  rives  du 
Djilham  que  franchissent  de  curieux  ponts  de  bois.  Temples  et  palais  y  sont  fort 
nombreux  et  l'on  y  tisse  toujours  des  châles  précieux.  Cl.  Jadu    Kissen. 


•-'^CUEILLETTE  DU  THÉ.  L'arbre  à  thé  est  peut-être  originaire  de  la  vallée 
du  Brchmapoutra.  Il  réussit  à  merveille  sur  les  collines  du  bas  Himalaya  dans 
i  Assa.71  et  à  Ceylan.  La  récolte  des  feuilles  qui  se  prolonge  pendant  plusieurs 
SCTi^i.Tci   ezige  une  main-d'œuvre  abondante  et  peu   coûteuse. 


PREPARATION  DES  ARBRES  A  CAOUTCHOUC.  Us  Angla-s  ont  mul- 
tiplié, surtout  à  Ceylan.  les  arbres  à  caoutchouc.  Aussi  le  caoutchouc  de  planta- 
tion fait -il  aujourd'hui  une  concurrence  insoutenable  au  caoutchouc  de  cueillette 
récolté  dans  les  forêts  soudanaises  ou  américaines  CI.  Chussuu-FlaviENS. 


^36 


L'INDE  ANGLAISE 


ils  se  sont  même  efforcés  de  les  instruire  ;  ils  envoient 
les  plus  intelligents  d'entre  eux  s'initier,  en  Angleterre, 
à  la  ci\ilisation  européenne  ;  surtout  ils  prêchent 
d'exemple,  et  les  hautes  qualités  de  leurs  représen- 
tants peuvent  servir  de  modèle  aux  '  natifs  ".  La 
mentalité  hindoue  est  encore  évidemment  bien  trop 
éloignée  de  la  nôtre  pour  qu  on  puisse  seulement  entre- 
voir sa  complète  transformation.  On  ne  compte  pas  plus 
de  I  500000  indigènes  sachant  l'anglais  peu  ou  prou, 
et  ceux-là  même  qui  ont  reçu  une  instruction  complète, 
qui  deviennent  de  bons  fonctionnaires,  des  ingénieurs 
habiles,  des  médecins,  des  officiers  de  vjileur,  ne 
"dépouillent  point  le  vieil  homme  ".  lis  demeurent,  dans 
l'intérieur  de  leur  conscience,  dans  les  multiples  pratiques 
de  la  vie  quotidienne,  passionnément,  instinctivement 
attachés  aux  conceptions  ancestreJes.  Cependant ,  une  lente 
évolution  apparaît  çà  et  là.  Bien  que  les  Anglais  n'aient 
point  touché  à  l'organisation  des  castes,  les  relations  entre 
Hindous  et  Anglais,  de  même  que  les  relations  entre  indi- 
vidus de  castes  différentes  sont  devenues  forcément 
plus    fréquentes  par  suite  de  la  collaboration  des  indi- 


gènes aux  services  publics,  du  développement  des  voies 
de  communication  et  du  commerce.  '  La  ngueur  des 
anciennes  prescriptions  s'est  relâchée,  du  moins  pour 
ceux  qui  veulent  s'enrichir  ou  avancer  dans  l'adminis- 
tration; un  brahmane  négociant  ou  fonctionnaire  ne 
peut  pas  maintenir  dans  les  endroits  publics  la  distance 
que  l'ancienne  règle  exige  entre  sa  personne  et  celle  d'un 
artisan.  " 

La  réforme  présente  du  Gouvernement  de  l'Inde  dont 
nous  parlons  plus  haut  ne  peut  que  précipiter  cette 
évolution.  C'est  l'aube  d'une  période  nouvelle  où  l'Inde 
cessera  d'être  un  champ  d'exploitation  par  et  pour  les 
Européens,  apprendra  peu  à  peu  à  diriger  elle-même 
ses  propres  affaires,  et,  tout  en  gardant  sa  précieuse 
origineJité,  "  parviendra  à  prendre  sa  place  de  nation 
libre  dans  le  CommonweîJth  britannique  '  .  Il  n  y  aura 
plus  tutelle  étroite  et  méprisante  exercée  par  les  blancs 
sur  les  gens  de  couleur,  mais  fructueuse  collaboration 
entre  deux  associés  également  intéressés  à  la  bonne 
marche  des  services  publics.  Les  meilleurs  des  Hindous 
européanisés  ne  demandent  pas  autre  chose. 


POSSESSIONS   FRANÇAISES 

Depuis  le  traité  de  Paris  de   1763,  confirmé  par  les      Chandernagor 28  000  habliani.. 

.,    j    ,,■  I     r  .        n    j  Mahé 10000      — 

traites  de  Vienne,    la  rrance  conserve  dans  1  Inde  cinq  ^                                      c  nnn 

'  1-       !•   1  I         r        c        ■  lanaon 3  UUU        — 

villes  oîi  il  lui  est  interdit   délever  des   fortifications  et 

d'entretenir  une  force  armée  :  Chandernagor   près  de  ^es  prmcipales  cultures  sont  :  le  riz,  l'arachide  et  le 

Calcutta,  Yanaon  dans  le  delta  de  la  Godavery,  Mahe  ^^^^^j^^    (^^^^   ^^^^^^  ^^   ^^^^^     employant   à    Pon- 

sur   la  côte  de   Malabar,    Karikal  et   Pondichéry  sur  la  ^^^^^^^  ^  ^^  ^^^^.^^^    fabriquent  des  étoffes  qui  s'ex- 

côte  du  Coromandel.  Ces  deux  dernières  comprennent,  ^^^^^^^  ^^^  ,^  ^^^^  orientale  d'Afrique.  Chandernagor  a 

outre  les  villes  principales,  un  territoire  fragmenté  de  telle  filature  de  iute 
sorte    que   de    nombreuses    enclaves    britanniques    sont 

découpées  dans   les  districts  français.  Au  total  :  50800  £„  1 9]  9_  nos  possessions  achetèrent  pour  22  000000 

hectares  peuplés  de  280  000  habitants  ainsi  répartis  :  jç  francs  de  marchandises  diverses  et  vendirent   pour 

Terri,oiredePond.chéryl74000habi.an.,doni47000auchef.l.ea.  27  000000  d'arachides  et  autres  graines   oléagineuses. 

—      de  Karikal...    60000      —            20000      —  de  coprah,  de  cotonnades,  etc. 

POSSESSIONS  PORTUGAISES 


Plus  étendue  (416  kilomètres)  et  plus  peuplée 
(528000  habitants)  que  les  possessions  françaises, 
l'Inde  Portugaise  comprend  le  territoire  de  Goa  sur  la 
côte  de  Kankan,  les  enclaves  de  Damao  au  Nord  de 
Bombay  et   de  Diu  au  Sud  de  la  presqu'île  de  Kathia- 


var.  La  valeur  totale  des  produits  importés  ou  exportés 
(presque  uniquement  en  transit)  ne  dépassait  pas,  en 
1919,  30000000  de  francs  dont  7000000  aux  expor- 
tations (noix  de  coco,  poisson,  épices,  sel)  et  23  000000 
aux  impKjrtations. 


CEYLAN 


Au  Sud-Est  de  l'Inde,  et  séparée  de  la  Péninsule  par  depuis  1798,  une  colonie  de  la  Couronne  qui  ne 
un  détroit  semé  d'îles,  si  peu  profond  que  les  grands  dépend  pas  de  1*  "  India  Office",  mais  est  rattachée 
navires  ne  peuvent  y  passer,  l'Ile  de  Ceylan  constitue,      directement  au  ministère  des  Colonies. 

437 

43 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


L'ASIE 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


De  forme  ovoïde  et  régulière,  Ceylan  setend  sur 
65  000 kilomètres  carrés  (deux  fois  la  Bretagne).  Au  Nord 
s'étalent  des  plaines  formées  d'alluvions  argileuses,  de 
sables,  de  débris  coralliens.  Au  Sud  se  dresse  un  massif 
de  roches  cristallines,  granits,  gneiss,  mêlés  de  basjjtes 
dont  les  points  culminants  atteignent  2  524  mètres  au 
Pédrotallagalla,  et  2  208  mètres  au  Pic  d'Adam.  La 
décomposition  superficielle  des  roches  cristallines  donne 
naissance,  ici  comme  sur  les  plateaux  du  Décan,  à  une 
argile  rouge,  la  '  latérite  ",  dont  la  couleur  contraste 
vivement  avec  l'intense  verdure  des  grands  arbres. 

Le  climat,  analogue  à  celui  de  l'Inde  du  Sud,  est  de 
type  équatorial  très  net,  remarquable  par  l'égalité  d'une 
température  qui  varie  à  peine,  au  cours  de  l'année,  d'un 
peu  plus  de  2  degrés  (Colombo  :  25",  5  en  décembre  ; 
27°,  8  en  mai).  Les  pluies,  réparties  par  les  moussons 
du  Sud-Ouest  et  du  Nord- Est,  sont  particulièrement 
copieuses    sur  le    revers  occidental   des  montagnes,   où 


l'on  note  parfois  plus  de  6  mètres  d'eau  annuellement. 
Par  contre,  les  plaines  du  Nord,  qu'abrite  le  Cap  Como- 
rin,  n  en  reçoivent  guère  plus  d'un  mètre.  De  là  une 
différence  sensible  dans  la  nature  et  la  répartition  des 
zones  végétales.  Les  régions  très  arrosées  de  l'Ouest 
sont  le  domaine  de  la  forêt  vierge  dont  les  essences 
varient  avec  l'altitude,  mais  qui  drape  les  pentes  des  monts 
jusqu'à  leurs  sommets.  Les  zones  plus  sèches  n'ont  guère 
que  des  jungles,  des  forêts  ouvertes  ",  une  brousse 
épaisse  de  bambous,  de  hautes  herbes  dures,  de  buissons 
épineux. 

Pénible  et  anémiant  —  sinon  malsain  —  sur  les  côtes 
trop  constamment  chaudes,  le  climat  de  Ceylan  est 
salubre  et  charmant  dans  les  hauts  lieux  où  la  tempé- 
rature s'abaisse  très  vite  (Newera  Elya,  à  1  902  mètres 
d'altitude,  n'a  que  1 3°,  5  en  janvier  et  1 5°,  5  en  mai) 
et  où  les  Européens  trouvent  aisément  dans  le  plus 
beau  cadre  du  monde  les  sanatoria  indispensables. 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


'■'  La  position  géographique  de  Ceylan  lui  valut  une 
population  très  mélangée.  Les  aborigènes  paraissent  être 
représentés  par  quelques  milliers  de  Veddahs,  tribus  sau- 
vages et  inofîensives  de  petits  êtres  au  teint  foncé,  au 
nez  épate,  au  buste  court  qui  vivent  dans  les  districts 
forestiers  du  Nord-Est.  Puis  vinrent,  au  VI*  siècle  avant 
l'ère  chrétienne,  des  Cinghalais,  peut-être  de  souche 
aryenne  (?),  qui  s'unirent  aux  Veddahs  et  peuplèrent 
l'ile  entière. 

ils  apportèrent  dans  l'île,  avec  le  bouddhisme,  la  cul- 
ture du  riz  et  du  cocotier,  la  pratique  de  l'irrigation,  et 
les  ruines  de  leurs  capitales  anciennes  (Anouradhapoura, 
Palounarouwa,  etc.),  aujourd'hui  enfouies  sous  la  jungle, 
témoignent  du  haut  degré  de  leur  civilisation. 

A  partir  du  viii"  siècle  se  produisirent  une  série 
d  invasions  Tamoules  parties  de  la  côte  de  Malabar. 
Ces  nouveaux  venus,  brahmanistes,  refoulèrent  peu  à 
peu  les  Cinghalcus,  détruisirent  leurs  temples  et  s'instal- 
lèrent dans  les  plaines  du  Nord,  tandis  que  les  Cingha- 
lais se  concentraient  dans  les  massifs  méridionaux  où  ils 
sont  encore. 

Les  Arabes  apparurent  sur  les  côtes  de  l'Ouest  vers 
le  Vlll»  ou  le  IX*  siècle,  et  le  port  de  Galle,  au  Sud  de 
Colombo,  devint  le  principal  entrepôt  des  marchandises 
quils  achetaient  aux  Malais,  puis  transportaient  en 
Méditerranée.  Au  XV1=  siècle,  les  Portugais  placèrent 
l'ile  sous  leur  domination,  les  Hollandais  les  rempla- 
cèrent au  XVII^  siècle,  et  les  Anglais   en  demeurèrent 

438  ■■ 


seuls    maîtres    à    partir    du    traité    d'Amiens    (1802) 
En  1919,  la  population  totale  atteignait  4  800  000  ha- 
bitants se  décomposant  ainsi  : 

Cinghalais 2  990  000 

Tamouls 1  424  000  (dont  500 000  coolies  tempo- 
Maures  276  000        raires  sur  les  plantations) 

Eurasiens 29  000 

Malais 14  000 

Veddahs 5  300 

Européens 7  300 

Il  est  presque  impossible  à  Ceylan,  comme  dans 
l'Inde,  de  décrire  les  traits  caractéristiques  des  races, 
tant  est  grande  la  variété  des  types  engendrés  par  de 
longs  métissages.  Les  Cinghalais  sont  en  général  de 
taille  moyenne,  minces,  élancés,  de  formes  élégantes  et 
de  belle  allure.  Leur  peau  est  plus  claire  et  plus  jau- 
nâtre que  celle  des  Tamouls  dravidiens.  Hommes  et 
femmes  ont  souvent  une  grâce  alanguie,  de  beaux  traits 
réguliers,  de  grands  yeux  noirs  caressants,  et  certains 
chefs  Kandyens  peuvent  compter  parmi  les  plus  parfaits 
exemplaires  de  l'humanité.  Contrairement  à  la  masse 
des  Indiens,  les  Cinghalais  sont  demeurés  fidèles  au 
bouddhisme. 

Les  Tamouls  se  partagent  à  peu  près  également  en 
deux  catégories  :  Tamouls  insulaires,  nés  dans  1  île  de 
familles  fixées  au  sol  depuis  de  longues  générations,  et 
Tamouls   continentaux    originaires    de    la    province   de 


L'INDE  ANGLAISE 


Madras,  qui  viennent  passer  quelques  années  sur  les 
plantations  de  Ceylan,  puis  retournent  chez  eux  avec  un 
petit  pécule.  Ils  sont  de  religion  hindoue  (brahmanistes), 
bons  agriculteurs,  plus  robustes  et  plus  dociles  que  les 
Cinghalais.  Sans  eux,  la  mise  en  valeur  de  Ceylan  serait 
impossible. 

Les  Maures  proviennent  de  croisements  rëpéte's 
entre  négociants  Arabes  et  femmes  Tamoules  ou  Cingha- 
laises. Ils  ont  adopté  les  dialectes  locaux  et  ne  se  dis- 
tinguent plus  guère  des  autres  indigènes  que  par  la  pra- 
tique fort  altérée  de  l'Islam,  la  réclusion  des  femmes, 
leurs  aptitudes  spéciales  pour  le  négoce  et  l'usure. 

Les  Eurasiens  (ou  Burghers,  c'est-à-dire  bourgeois). 


métis  de  Hollandais  ou  de  Portugais  et  de  femmes  indi- 
gènes, ont  une  influence  beaucoup  plus  considérable  que 
leur  petit  nombre  ne  semblerait  1  indiquer.  Ils  remplissent 
la  plupart  des  fonctions  administratives  réservées  aux 
gens  de  couleur,  sont  hommes  de  loi,  médecins,  four- 
nissent la  majeure  partie  des  employés  de  bureaux. 

Enfin,  les  Européens,  Anglais  presque  exclusivement, 
occupent  naturellement  tous  les  postes  supérieurs  du 
Gouvernement  ;  mais,  de  plus,  ils  dirigent  les  grandes 
entreprises  commerciales,  industrielles  et  surtout  agri- 
coles. C'est  à  l'intelligence  et  à  l'initiative  des  planteurs 
britanniques  que  Ceylan  doit  sa  très  remarquable  pros- 


périté. 

GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


Ceylan  vit  à  peu  près  exclusivement  des  produits  de 
l'agriculture.  Les  mines,  sauf  celles  de  graphite,  n'ont 
encore  aucune  importance.  Les  pierres  précieuses 
(saphirs,  grenats,  opales),  les  perles,  tiennent  fort  peu 
de  place  dans  le  total  des  exportations. 

Grâce  à  la  variété  de  ses  zones  climatiques,  à  la  fer- 
tilité de  son  sol  et  à  la  facilité  de  la  main-d'œuvre,  l'ile 
se  prête  à  toutes  les  cultures  des  régions  tropicales.  On 
lui  demanda  d  abord  de  la  cannelle  et  des  épices.  Puis 
les  plômtations  de  café  tinrent  la  première  place 
jusqu'au  jour  où  les  ravages  causés  par  Vhemileia  vasta- 
trix  et  la  baisse  de  prix  consécutive  au  développement 
des  caféteraies  brésiliennes  obligèrent  les  colons  à  arra- 
cher leurs  caféiers  pour  leur  substituer  des  arbres  à  quin- 
quina. La  surproduction  des  cinchonas  "  dans  les 
Indes  Néerlandaises  ayant  considérablement  déprécié 
leur  valeur,  ces  arbres  disparurent  à  leur  tour  et  l'arbre 
à  thé  prit  leur  place.  C'est  encore  aujourd'hui  le  pro- 
duit le  plus  important,  et  l'on  sait  la  faveur  dont  jouit 
le  thé  de  Ceylan  dans  le  monde  britannique.  Mais, 
pour  éviter  les  dangers  de  la  monoculture,  les  planteurs 
s'adonnent  à  d'autres  cultures  aussi  rémunératrices.  Le 
caoutchouc  d'abord,  introduit  dans  l'île  récemment,  a 
fait  de  tels  progrès  que  Ceylan  se  classe,  avec  les  Etats 
Malais,  en  tête  des  pays  producteurs.  Les  plantations  de 
cocotiers  couvrent  une  surface  plus  considérable  que  les 
champs  de  thé.  Le  cacaoyer,  la  cannelle,  le  cardamome, 
le  tabac,  l'aréquier  se  rangent  ensuite  par  ordre  d'im- 
portance. 

Les  rizières,  savamment  irriguées,  ne  suffisent  peis  à 
la  consommation  locale,  et  les  importations  de  riz 
tiennent  le  premier  rang  dans  la  colonne  des  achats. 

Il  reste  encore  de  très  vastes  espaces  en  friche,  notam- 
ment dans  les  plaines  plus  sèches  du  Nord  et  du  Centre 
où,  depuis  l'invasion  Tamoule,  la  jungle  a  repris  la  place 
qu'occupaient  autrefois  les  champs  des  Cinghalais,  i^'ini- 
tiative    privée,   bien   secondée   par    le    Gouvernement 


britannique,  par  ses  divers  services  (agriculture,  foré:s, 
irrigation),  et  les  études  poursuivies  au  Jardin  botanique 
de  Peradenya,  s'efforce  de  réduire  le  domaine  de  la 
brousse  qui  recule  à  nouveau  peu  à  peu  devant  les 
rizières,  les  plantations  de  thé,  d'heveas  (arbre  à 
caoutchouc)  et  de  cocotiers. 

La  valeur  des  transactions  commerciales  a  suivi, 
depuis  l'ouverture  du  Canal  de  Suez,  une  marche 
ascendante  régulière  qui  s'est  accélérée  dans  la  dernière 
décade  d'avant-guerre.  De  £8400000  en  1871,  elle 
passa  en  1901  à  €  13000000,  à  .C  29000000  en  1913 
à  C  53000000  en  1919. 

TABLEAU  DU  COM,MERCE  DE  CEYLAN 


Prindp*l«s  catégories 

Année  1913. 
liv.  suil. 

Année  1919. 
!..  liai. 

• 

Riz 

impoTlalionu 

3  351  000 

1  910  000 

1  000  000 

900  000 

500  000 

370  000 

5  767  000 

567  000 

3  000  000 

1  538  000 

880  000 

880  000 

Mftchines,   objeu  en    fer  et 

•der,app«f«îU  électriques .  ■ 

Qafbon    

Caumado 

'        etc. 

Toul 

13  7ÛOO0O 
dont  3  880  000  vmant 
de  Gnnde-Bretaffne 

Exportalions. 

5  852  000 
4  452  000 
2826  000 

603  000 

201  000 

201  000 

160  000 

21  000  000 
dont  2  947  OOO  wiut 
de  GrBnde-Brelasne.  ' 

10  130  000 

11  484  000 
7  502  000 

150  000           1 

IThé 

Produitsda  cocotier 

Caao 

271  000 

266  000 
321  000 

C«nelU 

Tottl 

15  557  OOO 
dont  7  000  000  i  dej- 
dnation  d«  k  Gnnde' 
BretuM 

32  000  000 
da>il3  447  0001<l» 
doatiai  de  U  Craad*- 
BnociK. 

1 

439 


L'ASIE 


La  presque  totalité  du  trafic  se  fait  par  Colombo 
(211000  habitants),  quia  pris  la  place  de  Galle  ou 
Pointe  de  Galle.  Escale  obligatoire  des  mers  de  l'Inde, 
l'un  des  carrefours  du  monde,  Colombo  a  été  doté  d'un 
magnifique  port  artificiel,  où  jettent  l'ancre  des  navires 
appartenant  à  32  Compagnies  de  navigation.  Galle 
compte  encore  40000  habitants,  mais  n'est  plus  fré- 
quenté que   par  des  bateaux  de  cabotage.  Il  en  est  de 


même  de  Trincomali  sur  la  côte  orientale,  l'un  des  plus 
beaux  havres  naturels  qui  existent  en  Extrême-Orient, 
mais  hors  des  grandes  routes  maritimes.  Jaffna,  à 
l'extrême  Nord,  a  40000  habitants.  Kandy  (30000  ha- 
bitants), sise  à  5 1  7  mèlres  d'altitude  dans  un  merveilleux 
paysage  de  forêts  tropicales,  est  l'ancienne  capitale  des 
princes  Cinghalais.  Newera  Elya,  à  1 902  mètres,  le  Simla 
de  Ceylan,  sert  de  résidence  d'été  au  Gouvernement. 


CHAPITRE   XXX 

LES   PAYS    DE    L'IRAN 


PERSE 


AFGHANISTAN  —  BELOUTCHISTAN 


Le  mot  '  '  Iran"  vient  du  mot  perse  '  '  Airyana"  qui  signifie 
Pays  des  Aryens.  Il  s'est  appliqué  dès  l'antiquité  au  vaste 
plateau  ceinturé  de  montagnes  qui  domine  comme  un  gi- 
gantesque bastion  les  dépressions  effondrées  à  son  pied  : 
bassin  Aralo-Caspien,  Mésopotamie,  plaine  de  l'indus. 
Il  s'oppose  au  mot  '  Touran"  qui  désigne  les  régions  habi- 


tées par  les  peuples  mongoloïdes  du  Turkestan  et  de  l'Asie 
Centrale.  Le  Royaume  de  Perse  occupe  présentement  la 
majeure  partie  des  terres  iraniennes.  Le  reste  se  partage 
entre  1  Afghanistan  et  le  Béloutchistan.  On  estime  leur 
superficie  à  2  500  000  kilomètres  carrés,  soit  à  peu  près 
cinq  fois  l'étendue  de  la  France. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


LES  MONTAGNES  DU  POURTOUR.  /â/H 
De  quelque  côté  que  l'on  aborde  l'Iran,  il  se  présente 
sous  la  forme  de  montagnes  aux  flancs  raides  étageant  à 
des  altitudes  de  plus  en  plus  grandes  leurs  chaînes  paral- 
lèles que  séparent  des  vais  ou  '  tengs  "  profondément  en- 
caissés, r 

Les  montagnes,  autant  que  l'on  peut  le  supposer  dans  l'état 
encore  fragmentaire  de  nos  connaissances  (les  plus  beaux  travaux 
sont  dus  aux  missions  dirigées  par  un  Français,  M.  de  Morgan),  se 
plissèrent  à  la  même  époque  que  les  Alpes.  Elles  forment  la  liai- 
son naturelle  entre  le  Caucase  et  le  Taurus  d'une  part,  de  l'autre 
les  chaînes  puissantes  de  l'Asie  Centrale.  Dans  le  temps  même  où 
elles  surgissaient,  le  sol  s'affaissait  à  leur  pied.  Non  seulement 
les  grands  bassins  d'effondrement  qui  les  entourent,  mais  les  dépres- 
sions que  l'on  observe  a  l'intérieur  même  du  plateau  iranien  n'ont 
pas  d'autre  origine.  Aussi  n'est-il  point  surprenant  que,  sur  le 
rebord  de  ces  zones  de  fracture,  se  soient  fait  jour,  par  les  fissures 
du  sol,  les  roches  ignées  cachées  sous  la  mince  pellicule  de  l'écorce 
terrestre.  Les  volcans  de  l' Azerbaïdjan,  de  l'Elbourz,  du  Mekran, 
les  nappes  de  basaltes,  de  laves,  de  trapps  que  l'on  observe  en  tant 
de  régions,  démontrent  ce  caractère  de  moindre  résistance  du  sol 
iranien.  Des  tremblements  de  terre  fréquents,  souvent  désastreux, 
sont  la  confirmation  trop  éloquente  du  même  fait. 

A  1  Ouest,  les  chaînes  iraniennes  parties  de  l'Ararat 
(5157  mèlres)  bordent  d'abord  le  bassin  du  lac  d'Our- 
miah,  puis,  dans  le  Kourdistan,  le  Louristan,  l'Arabistan, 
elles  surplombent  de  très  haut  les  plaines  alluviales  de  l'Eu- 


phrate  et  du  Tigre.  Leur  plus  grande  largeur  n'est  pas 
moindre  de  300  kilomètres  et,  tandis  que  leur  altitude 
moyenne  ne  s'abaisse  jamais  au-dessous  de  2  500  mètres, 
nombre  de  sommets  atteignent  ou  dépassent  4  000  pour 
culminer  à  5  1 50  dans  le  Kouhi  Dena.  De  là  l'importance 
historique  des  rares  cluses  ouvertes  par  les  affluents  du 
Tigre  à  travers  la  succession  des  plis  parallèles  ali- 
gnés comme  des  colonnes  de  bataillon  "  auxquels  les  an- 
ciens donnaient  le  nom  de  Zagros. 

Assyriens,  Chaldéens,  Mèdes,  Perses  les  franchirent  les  premiers. 
Darius  raconta,  sur  les  rochers  de  Bisoutoun,  les  plus  fameuses  de 
ses  victoires.  Après  lui.  Grecs,  Arabes,  Mongols.  Turcs,  les  uns 
montant  à  la  conquête  de  l'Orient,  les  autres  s'élançant  vers  les 
plaines  attirantes  de  l'Ouest,  y  passèrent  tour  à  tour.  Aujourd'hui, 
les  caravanes  de  marchands  en  route  pour  Bagdad  ou  Hamadan, 
la  foule  des  pèlerins  se  rendant  aux  lieux  saints  de  Kerbéla,  les 
automobiles  anglaises,  enfin  (précédant  la  voie  ferrée),  défilent  au 
fond  de  ces  mêmes  gorges  sauvages  oîi  les  ruines  de  sanctuaires, 
les  tombes  rupestres,  les  murs  croulants  d'antiques  forteresses 
demeurent  comme  les  vivants  témoins  d'un  passé  chargé  d'histoire. 

Au  delà  de  l'Arabistan,  les  plis  jusqu'alors  orientés 
Nord-Ouest-Sud- Est,  se  recourbent  vers  l'Est  aux  rives 
du  Golfe  Persique  et  de  la  Mer  d'Oman.  Leur  altitude  di- 
minue quelque  peu.  Ils  forment  cependant  encore  dans  le 
Farsistan,  le  Louristan,  le  Mekran,  le  Béloutchistan,  une 


440 


LES  PAYS  DE  L'IRAN 


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FronUèretl  poUliai 


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S^éfô^^ss 


barrière  que  franchissent  malaisément  les  routes,  très  rares, 
menant  de  la  côte  à  l'intérieur.  La  plus  fréquentée  part 
du  port  de  Bender-Bouchir  et  aboutit  a  Chiraz,  près  des 
ruines  de  Peisargade.  de  Persépolis,  capitales  disparues 
des  rois  Achéménides.  Pierre  Loti,  dans  son  beau  livre 
Vers  Ispahan,  a  décrit  la  difficulté  et  la  splendeur  de 
cette  voie  illustre. 

Parvenues  au  delta  de  1  Indus,  les  chaînes  iraniennes 
se  redressent  brusquement  vers  le  Nord.  Sous  le  nom  de 
Monts  de  Brahouï.de  Monts  Souléïman,  de  Sefid-Koh, 
elles  constituent  sur  la  rive  droite  du  fleuve  une  guirlande 
de  monts  étages  dont  la  hauteur,  croissant  à  mesure  que  l'on 


s'élèveen latitude,  passe  de3000  mètresà  3600  mètres, 
puis  à  4  500  au  point  culminant  du  Sefid-Koh.  Complè- 
tement nus,  usés  par  la  double  érosion  des  eaux  et  du  vent , 
ces  massifs,  aux  flancs  abrupts  vers  les  plaines  hindoues, 
s'inclinent  plus  doucement  vers  les  hauts  plateaux  iraniens. 
Port  rares  encore  apparaissent  les  cols  utilisables.  Au 
Sud,  les  défilés  successifs  de  Boljm  et  de  Khodjak 
mènent  de  Chikarpour  sur  l'indus  à  Quetta,  puis  à 
Kandahcir.  Au  Nord,  la  vallée  du  Kaboul,  petit  affluent 
de  r Indus,  et  le  pas  de  Khaîber  ouvrent  l'unique  porte 
que  puissent  emprunter  caravanes  paisibles  ou  armées 
conquérantes  entre  l'Iran  et  le  Pendjab. 


441 


L'ASIE 


Alexandre  y  passa  dans  sa  marche  aventureuse  vers  les  pays 
ignorés  de  l'Inde  lointaine.  Les  Perses  hellénisés  d'Antiochus  intro- 
duisirent par  cette  voie  les  traditions  et  les  conceptions  artistiques 
des  Grecs  dont  l'influence  se  manifeste  nettement  dans  les  très 
anciens  monuments  bouddhiques.  Plus  tard,  les  Perses  Sassanides. 
les  Arabes,  les  Turcs,  les  Mongols  y  défilèrent  tour  àtour.  De  nos 
jours,  les  Anglais,  maîtres  de  l'Inde,  surveillent  étroitement  cette  clé 
de  leur  Empire  que  garde  le  camp  retranché  de  Pechawer. 

Les  monts  du  Kohistan,  qui  prolongent  vers  le  Nord  le 
massif  du  Sefid-Koh,  viennent  buter  contre  la  base  méri- 
dionale des  Pamirs.  11  y  a  là  un  amoncellement  prodigieux 
de  montagnes  formidables  qui,  d'abord  soudées  en  un  chaos 
de  chaînes  sems  orientation  bien  définie,  s'écartent  peu  à  peu 
les  unes  des  autres  de  part  et  d'autre  de  la  passe  de  Baroghil 
(piste  menant,  par  3800  mètres  d'altitude,  de  la  haute 
vallée  de  l'Amou-Daria  à  la  haute  vallée  de  l'Indus). 
A  l'Est,  l'Himalaya,  le  Karakoroum  s'incurvent  sur  les 
flancs  des  plateaux  tibétains.  A  l'Ouest,  l'Hindou-Kouch 
et  ses  diramations  couvrent  la  majeure  partie  de  l'Afgha- 
nistan. L'Hindou- Kouch  prend  rang  parmi  les  mon- 
tagnes les  plus  élevées  de  l'Asie  et  du  monde.  Le  Tiritch- 
miz,  considéré  présentement  comme  son  point  culminant, 
atteint  7340  mètres.  Beaucoup  d'autres  sommets  par- 
viennent à  6  000  mètres  et  plus.  Les  cols  empruntés  par 
les  bergers  du  Kafiristan  et  du  Badakchan  ne  s'abaissent 
guère  au-dessous  de  4  500  mètres.  A  mesure  que  l'on 
s'éloigne  vers  l'Occident,  l'altitude  décroît  peu  à  peu. 
Si  le  Kohi  Baba,  le  Père  des  Monts  ",  culmine  encore 
par  5  480  mètres,  le  Séfid-Koh  (deuxième  du  nom)  n'est 
plus  qu'à  4  000  mètres.  Les  monts  Paropamisades  au 
Nord  de  Hérat,  les  monts  du  Khorassan  qui  dominent 
les  déserts  Turkmènes,  ont  des  altitudes  moindres  encore 
(2500  mètres  en  moyenne).  De  plus,  ils  se  fragmentent 
en  chaînons,  et  les  routes  menant  de  la  Perse  au  Tur- 
kestan  s'insinuent  sans  grandes  difficultés  dans  les  cou- 
loirs naturels  qui  les  séparent  (défilé  de  Zoulfikar,  route 
de  Mechhed  à  Askhabad). 

Au  Nord  de  Téhéran,  le  massif  allongé  de  l'Elbourz 
borde  sur  un  millier  de  kilomètres  la  Mer  Caspienne.  Les 
plis  multiples  qui  le  composent  atteignent  de  3  000  à 
4000  mètres  et  le  Demavend,  volcan  non  pas  éteint  mais 
assoupi,  érige  à  5  465  mètres  son  cône  vêtu  de  neiges 
étemelles. 

A  1  extrême  Ouest,  enfin,  les  massifs,  en  grande  partie 
volcaniques,  de  l'Ak-Dagh  (4  100  mètres),  du  Sehend 
(3  600  mètres),  du  Savalan  (4  810  mètres),  et  la  longue 
arête  du  Karadja-Dagh,  unissent  l'Elbourz  à  l'Ararat. 

LES  RÉGIONS  INTÉRIEURES.  00  L'es- 
pace circonscrit  par  les  montagnes  que  nous  venons  d'énu- 
mérer  apparaît  sous  des  aspects  très  variés.  On  le  désigne 
sous  le  nom  d'ensemble  de  Plateau  Iranien.  Cependant, 
les  plateaux  proprement  dits  n'en  occupent  qu'une  par- 
tie, la  plus  considérable  il  est  vrai.  Leur  altitude  moyenne 


varie  de  I  000  à  2  000  mètres  et  ils  atteignent  leur  am- 
pleur la  plus  grande  à  l'Ouest  et  au  Centre  de  la  Perse. 
Mais  d  abord  ces  plateaux  sont  sillonnés  de  chaînes  plis- 
sées  (parallèles  aux  monts  du  pourtour)  qui  les  découpent 
en  compartiments  allongés  du  Nord-Ouest  au  Sud-Est. 
Et  ces  chaînes  ne  le  cèdent  en  rien  aux  arêtes  bordières, 
puisque  certaines  d'entre  elles  —  le  Kouh  Roud,  par 
exemple,  qui  s'étend  de  Yezd  à  Kirman  —  ont  des  som- 
mets de  3  000,  voire  de  4  000  mètres.  De  plus,  et  sur- 
tout, une  série  de  dépressions,  de  bassins  fermés  se  creusent 
au  cœur  du  plateau.  Au  Nord,  le  Decht  i  Kévir  (600  à 
700  mètres  d  altitude)  commence  aux  portes  de  Téhéran 
et  couvre  la  majeure  partie  du  Khorassan.  Au  Centre, 
le  Decht  i  Lout,  à  l'Est  le  Séistan,  au  Sud  le  Djaz  Mo- 
rian,  le  Hamoun  Machkel,  etc.,  s'abaissent  à  450,  à 
300,  à  1 80  mètres,  Ces  dépressions  renfermèrent  autre- 
fois des  lacs  étendus  et  profonds,  comme  en  témoignent 
encore  les  anciennes  terrasses  lacustres  étcigées  sur  leur 
pourtour.  Aujourd'hui,  la  plupart  d'entre  elles  sont  tout  à 
fait  desséchées.  A  peine,  dans  leurs  parties  les  plus  creuses, 
les  rares  averses  hivernales  amènent-elles  une  mince  couche 
deau.  Mais  l'évaporation,  prodigieusement  active,  absorbe 
promptement  ce  faible  tribut  d'un  ciel  et  d'un  sol  égale- 
ment avares  et,  comme  les  Chotts  algériens,  les  "  Kéfirs  " 
persans  apparaissent  sous  la  forme  de  nappes  d'argile  fen- 
dillées par  le  soleil,  ou  brillent  les  facettes  innombrables 
des  cristaux  de  sel. 

LE  CLIMAT.  00  La  majeure  partie  des  plateaux 
iraniens  est  soumise  au  climat  désertique  subtropical. 

La  température,  d'une  extrême  irrégularité,  varie  con- 
sidérablement d'une  saison  à  l'autre  (seules  font  exception 

CLIMAT  DE  L'IRAN 


Températures 

moyennes 

— ^^^   -^ — 

Mois 

Pluie 

D 

Altitude 

•S 

en 

3 

en 

c 

■ô 

-i 

r 

milli- 

Observations 

.£ 

-S 

f! 

îtj 

« 

•T3 

■1 

3 
■s 

Téhéran 

35»4I 

1    130 

IS»? 

2° 

Tb'i 

24°3 

284  mm' 

Hiver  :  140  mm. 

ïspahan. 

32°38 

1  530 

15°2 

0°2 

27»8 

28° 

Printemps  :  93  mm. 

Chiraz  . 

29<'39 

1  650 

I6»7 

5-2 

2a»3 

23°1 

Kal>oul. 

34''30 

2  070 

I0°9 

0°9 

23°9 

24°8 

Quetta  . 

30°A 

1  680 

I4°2 

404 

25° 

2n°6 

Kelat  .. 

-54 

2  180 

I2°6 

2°6 

22°9 

20°3 

252  mm. 

Hiver  :  99  mm. 
Printemps  ;  107  mm 

les  côtes  de  la  Mer  d'Oman  et  les  rivages  caspiens). 
L'hiver  est  si  froid  que  même  au  Séistan,  par  400  mètres 
d'altitude  seulement,  le  lac  Hamoun  et  les  bras  au  fort 
courant  de  la  rivière  Hilmend  gèlent  entièrement.  Dans 
toute  la  Perse,  les  tempe'ratures  de  lO'^,  1 5**,  20*^  au-des- 
sous du  point  de  glace  s'observent  de  novembre  à  fe'vrier 


442 


LES  PAYS  DE  L'IRAN 


et  la  violence  des  vents  accroît  encore  la  morsure  du  froid. 
Par  contre,  après  un  printemps  très  court,  l'été'  sévit  avec 
une  implacable  rigueur.  Dans  les  dépressions,  il  dure 
sept  mois,  sept  mois  monotones  de  ciel  sans  nuages  et  de 
chaleur  torride  avec  des  metxima  journaliers  de  43°  à 
49°  C.  Sur  les  hauts  plateaux  (à  Téhéran,  Ispahan), 
dans  les  vallées  sises  entre  1  500  et  2  000  mètres  d'eJti- 
tude  (Chiraz,  Tabriz,  Kelat,  Kaboul),  ces  maxima  sont 
un  peu  moins  élevés  et  la  fraîcheur  des  nuits  repose  de 
la  brûlante  chaleur  du  jour.  Les  habitants,  du  reste,  ne 
sortent  que  de  grand  matin  ou  tard  dans  la  soirée,  et  le 
trafic  des  caravanes  s'arrête  à  peu  près  complètement  au 
cœur  de  l'été. 

Plus  encore  que  la  température,  la  répartition  et  la 
quantité  des  pluies  et  des  neiges  apparaissent  comme  le 
facteur  essentiel  du  climat. 

La  seule  région  abondamment  arrosée  est  le  versant 
septentrionej  de  l'EJbourz.  Dans  le  Ghilan  et  le  Mazan- 
déran,  de  lourds  nuages  venus  de  la  Caspienne  déversent 
sur  le  flanc  des  hauts  monts  et  les  plaines  côtières  une  masse 
de  pluie  ou  de  neige  que  l'on  peut  évaluer  à  1  ou 
2  mètres  annuellement. 

L'hiver  et  le  début  du  printemps  apportent  aussi  aux 
montagnes  du  pourtour  leur  contingent  de  pluie,  de  neige 
surtout.  Toutefois  ni  le  Golfe  Persique,  m  la  Mer  d  Omani 
par  suite  de  la  prédominance  des  vents  continentaux,  ne 
peuvent  nourrir  d'averses  fort  copieuses.  Aussi  1  Azer- 
baïdjan, le  Kourdistan,  le  Louristan,  le  Farsistan,  les  mas- 
sifs afghans  doivent-ils  se  contenter  d'un  tribut  annuel 
qui  ne  dépasse  guère  50  à  60  centimètres. 

Encore  est-ce  là  un  fait  e.Kceplionnel  et  qui  se  limite 
étroitement  à  la  bordure  des  plateaux.  Ces  plateaux 
eux-mêmes  comptent  parmi  les  régions  les  plus  sèches 
de  la  terre.  Les  vents  qui  les  balaient  avec  une  force  et 
une  continuité  redoutables  (tel  le  vent  des  cent  vingt 
jours  "  observé  au  Séistan  peir  la  mission  Mac-Mahon), 
viennent  de  l'Arabie  ou  des  déserts  Turkmènes  et,  bien 
loin  d'apporter  quelque  humidité,  ils  contribuent  puis- 
samment à  activer  l'évaporation.  Téhéran,  au  pied  Sud 
de  l'Elbourz,  et  Kelat,  au  Béloutchistan,  seules  villes 
iraniennes  pour  lesquelles  nous  ayons  des  statistiques 
précises,  ne  reçoivent  que  28  et  25  centimètres  de  pluies 
ou  de  neiges.  Les  régions  intérieures  doivent  se  con- 
tenter de  bien  moins  encore.  AuSéistan,  par  exemple,  la 
moyenne  annuelle  ne  paraît  pas  dépasser  7  centimètres  ! 

L'air  qui  repose  sur  les  plateaux  iraniens  est  d'une  telle  siccité 
que,  même  dans  la  Perse  occidentale,  des  objets  en  métal,  aban- 
donnés sur  les  terrasses  au  froid  de  la  nuit,  restent  brillants  pen- 
dant des  mois  entiers.  Durant  les  marches  nocturnes,  on  voit  par- 
lois  les  chevaux  faire  jaillir  des  gerbes  d'étincelles  en  agitant  leurs 
queues,  et  les  nuits,  dans  celte  atmosphère  dépourvue  de  vapeur 
d'eau,  ont  une  si  surprenante  clarté  que  la  seule  lueur  des  étoiles 
donne  une  ombre  légère  aux  grains  de  sable  placés  sur  une  feuille 
de  papier  blanc. 


Cette  rareté'  des  pluies,  leur  répartition  très  inégale 
(l'hiver  et  le  printemps  sont  les  seules  saisons  humides), 
1  intensité  de  l'évaporation  transforment  l'Iran  intérieur 
en  un  immense  désert.  Les  dépressions  du  Khorassan, 
du  Lout  comptent  parmi  les  régions  du  monde  les 
plus  redoutables  au  voyageur  par  leur  aridité  absolue,  le 
inanque  total  de  points  d'eau.  En  dehors  même  de  ces 
régions  particulièrement  désolées,  les  hautes  plaines,  les 
plateaux  développent  à  perte  de  vue  leurs  solitudes  sau- 
vages, brûlées  par  l'ardent  soleil,  où,  sur  un  sol  dénudé, 
le  vent  soulève  d'épais  tourbillons  de  poussière,  pousse 
devant  lui  les  dunes  sablonneuses,  sculpte  et  modèle  les 
flancs  rocheux  des  monts. 

Tour  à  tour  très  chaud  ou  très  froid,  mais  toujours  très  sec,  le 
climat  du  plateau  iranien  apparaît,  malgré  ces  inconvénients, comme 
fort  salubre.  La  chaleur  même  se  supporte  aisément.  Tandis  que 
Ion  suffoque  par  30"  C.  dans  l'humide  'dans  l'étoulfanlc  et  mal- 
saine atmosphère  de  Bender  Bouchir  ou  des  rivages  caspiens,  on 
circule  sans  difficulté  et  sans  gêne,  à  I  200  ou  I  500  mètres  d'alti- 
tude, par  35°  et  ^O"  C.  "  La  plus  belle  époque  de  l'année 
s  étend  de  la  fin  de  mars  au  milieu  de  mai.  Les  steppes  ont 
alors  quelque  verdure  et  une  agréable  fraîcheur.  Les  jardins  se 
garnissent  de  roses  (roses  fameuses  de  Chiraz  et  d'Ispahan),  se 
peuplent  de  rossignols;  les  cerisiers  fleurissent  et  les  amandes 
vertes  abondent.  D'autres  préfèrent  l'automne  ;  septembre  et 
octobre  sont,  au  Nord,  des  mois  charmants.  La  température,  très 
supportable  au  milieu  du  jour,  est  presque  froide  la  nuit.  Rien 
ne  ternit  la  splendeur  du  ciel  ;  l'atmosphère  est  d'une  transpa- 
rence, d'une  limpidité  étonnantes,  et  l'œil  perçoit  à  de  considérables 
distances  le  moindre  détail  des  montagnes  lointaines  dont  le  som- 
met traîne  comme  une  écharpe  de  longues  et  légères  nuées  vapo- 
reuses. "  (J.   Hann.) 

HYDROGRAPHIE.  00  La  faible  quantité 
des  pluies  qui  s'abattent  sur  l'Iran  n'a  point  permis  la 
constitution  de  bassins  hydrographiques  importants.  Les 
monts  du  pourtour,  seuls  à  recevoir  chaque  hiver  un 
tribut  assez  notable  de  pluies  et  neiges,  nourrissent 
cependant  quelques  torrents  d'une  extrême  irrégula- 
rité. Les  uns  dévalent  sur  les  versants  extérieurs,  les 
autres  se  perdent  dans  les  bassins  sans  écoulement  qui 
constituent  près  des  deux  tiers  de  la  superficie  totale. 
Tous  sont  cependant  précieux  car  leurs  eaux,  soigneu- 
sement captées,  entretiennent  les  oasis  échelonnées  à  la 
base  des  montagnes.  Des  conduits  —  souterrains  pour 
éviter  l'évaporation  —  les  "  Kanots  ",  longs  de  50,  80, 
1 00  kilomètres,  zigzaguent  à  travers  la  steppe  désertique 
et  l'on  voit  partout,  comme  des  taupinières,  les  petits 
murs   circulaires  de    terre    battue    qui    entourent    les 

regards  "  destinés  à  l'aération  et  au  nettoyage. 

Au  Nord,  le  .Vlourghab,  le  Héri-Roud,  descendus 
des  monts  Hindou-Kouch,  incapables  d'atteindre 
l'Amou-Daria,  disparaissent  dans  les  sables  des  déserts 
turkmènes.  L'Atrek,  venu  du  Khorassan,  se  traîne 
péniblement  jusqu'à  la  Caspienne.  Le  Kyzyl-Ouzen  (la 
Rivière  Rouge),  née  sur  le  versant  oriental  des  chaînes 


443 


L'ASIE 

du  Kourdistan,  zigzague  à  travers  l'Azerbaïdjan,  coupe, 
par  des  gorges  profondes,  la  barrière  de  l'Elbourz 
occidental  et  se  termine  dans  la  Caspienne  par  un  delta 
couvert  d'une  jungle  marécageuse. 

A  l'Ouest,  les  chaînes  iraniennes  envoient  au  Tigre 
des  torrents  impe'tueux  :  les  deux  Zab,  le  Dyala,  le 
SeïdMéré,  leKaroun,  quitraversenttouslesplis  duZagros 
par  des  cluses  semblables  à  celles  de  nos  rivières  juras- 
siennes. Le  Karoun  est  le  seul  dont  les  eaux  aient 
assez  de  profondeur  pour  porter  bateau  de  Chouster  à 
Mohammerah. 

Les  torrents  côtiers,  presque  toujours  à  sec,  qui 
aboutissent  au  golfe  Persique,  au  détroit  d'Ormuz,  au 
golfe  d'Oman,  n'ont  d'autre  utilité  que  d'ouvrir  à  tra- 
vers les  montagnes  quelques  couloirs  empruntés  par  les 
caravanes.  Il  en  est  à  peu  près  de  même  des  ouaddys 
qui  tâchent  de  gagner  l'Indus  sur  le  revers  oriental  des 
monts  Brahouï  et  Souléïman.  Bien  peu  y  parviennent. 
Le  Kaboul  lui-même,  fort  gros  à  la  fonte  des  neiges, 
n'a,  le  reste  du  temps,  que  quelques  centimètres  d'eau, 
mais  sa  vallée,  nous  le  savons,  est  le  corridor  naturel 
menant  de  l'Iran  aux  plaines  de  l'Inde, 

L'intérieur  des  plateaux,  privé  d'écoulement  vers  la 
mer,  ne  possède  guère  que  des  lits  de  rivières  constam- 
ment asséchées.  Le  peu  d'eau  qu'elles  recueillent  dans 
les  hautes  montagnes  où  elles  naissent  se  tarit  prompte- 
ment,  soit  par  les  captures  faites  au  profit  des  canaux 
d'irrigation,  soit  par  évaporation.  A  peine,  de  temps  à 
autre,  une  averse  d'orage  vient-elle  pour  quelques  heures 
emplir  leur  lit  d'un  flot  d'eau  bourbeuse.  L'Hilmend  seul 
fait  exception  à  la  règle  commune.  Il  draine  la  majeure 
partie  des  monts  Afghans  et,  même  aux  plus  basses 
eaux,  son  débit  d'étiage  (60  mètres  cubes)  suffit  à  entre- 
tenir dans  la  dépression  du  Séistan  un  lac  permanent 
frangé  de  grands  roseaux,  le  Hamoun.  Ses  crues  d'été, 
dues  à  la  fonte  des  neiges,  peuvent  centupler  trois  fois 
le  volume  de  ses  eaux.  Alors  le  lac  Hamoun  déborde 
très  loin  au  delà  de  ses  rivages  habituels  ;  la  dépression 
tout  entière  devient  un  lac  immense,  et  les  voyageurs 
doivent  choisir  avec  soin  des  campements  placés  à  I  abri 
de  ses  crues  aussi  soudaines  que  formidables. 

En  dehors  du  lac  Hamoun,  on  ne  peut  citer  comme  réservoirs 
permanents  que  les  lacs  d'Ourmiah  et  de  M  iris.  Le  premier  s'étale 
par  1330  mètres  d'altitude  dans  une  cuvette  de  l'Azerbaïdjan. 
Huit  fois  plus  étendu  que  le  lac  de  Genève,  il  n'a  qu'une  profon- 
deur fort  médiocre  (5  mètres  en  moyenne)  ;  ses  limites  ont  varié 
considérablement  au  cours  des  âges,  et  ses  eaux  ont  un  degré  de 
salinité  plus  élevé  encore  que  celui  de  la  Mer  Morte.  Le  lac  Miris 
dans  le  Farsistan,  non  loin  des  ruines  de  Persépolis,  n'existait 
probablement  pas  aux  temps  antiques.  C'est  une  lagune  plutôt  qu'un 
lac,  aux  eaux  extrêmement  salées,  zone  d'épandage  d'un  torrent 
Intermittent,  le  Kous,  descendu  du  massif  de  Kouh  i  Boul. 

LA   FLORE.   00  Les   seules    régions  de  l'Iran 
où  la  végétation  soit  luxuriante  et  touffue   se  trouvent 

444 


aux  rives  de  la  Caspienne,  sur  les  pentes  très  arrosées 
de  l'Elbourz.  Les  provinces  de  Ghilan  et  de  Mazan- 
déran  ont  conservé  de  véritables  forêts  vierges  dont  les 
grands  arbres  chargés  de  lianes  se  pressent  au-dessus 
d  une  jungle  épaisse,  coupée  de  clairières  gazonnées 
sillonnée  par  les  mille  torrents  qui  dévalent  de  la  mon- 
tagne. Certaines  hautes  vallées  de  l'Hindou-Kouch 
oriental,  qui  reçoivent  encore  quelques  pluies  de  mousson, 
voient  aussi  croître  sur  leurs  flancs  les  grands  conifères 
de  l'Himalaya. 

Partout  ailleurs  le  sol  apparait  entièrement  déboisé. 
Et  il  en  fut  probablement  ainsi  dès  la  plus  haute  anti- 
quité. On  ne  saurait  donc  ici,  comme  en  tant  de  régions 
méditerranéennes,  reprocher  à  l'homme  une  déforesta- 
tion  aveugle.  C'est  à  son  industrie,  au  contraire,  que 
l'Iran  doit  les  vergers  de  ses  oasis,  seules  taches  de 
verdure  sur  le  manteau  fauve  du  désert.  Dans  les 
hautes  vallées  des  monts  occidentaux,  l'irrigation,  favo- 
risée surtout  par  la  lente  fusion  des  neiges  hivernales, 
permet  la  multiplication  de  ces  oasis.  Là  se  trouvent 
dans  l'Azerbaïdjan  (heu  d'origine  des  Mèdes),  le  Kour- 
distan, le  Fars  (centre  de  la  puissance  perse),  les  vallées 
les  plus  riantes,  les  prairies  les  plus  durables,  les  cul- 
tures les  plus  étendues  :  vignes,  cotonniers,  miiriers, 
tabac,  arbres  fruitiers,  champs  de  maïs,  d'orge  et  de 
blé.  Au  printemps,  les  pentes  des  monts  se  vêlent  de 
fleurs  multicolores  où  le  bleu  pâle  des  iris,  le  rose  des 
glaïeuls  se  mêlent  à  la  pourpre  des  tulipes  sauvages. 
L'Afghanistan,  soumis  aux  mêmes  conditions  météorolo- 
giques, a  lui  aussi  des  vallées  relativement  verdoyantes 
où  des  peupliers,  des  saules,  des  platanes  croissent  avec 
vigueur. 

Mais  ce  sont  là  des  lieux  privilégiés,  et  l'aspect  le  plus 
ordinaire  de  l'Iran,  tel  qu'il  apparaît  aux  portes  mêmes 
des  villes  capitales,  ne  diffère  en  rien  des  paysages  les 
plus  arides  qui  soient  au  monde.  Steppes  aux  herbes 
souffreteuses  poussant  comme  à  regret  sur  un  sol  cheirgé 
de  particules  salines,  maigres  broussailles  aux  troncs 
charnus,  aux  longues  épines,  mouchetant  de  leurs  taches 
grises  les  "  ergs  "  aux  dunes  mouvantes,  les  hama- 
das  "  au  sol  de  roche  noire  et  nue,  telles  sont  les 
seules  manifestations  de  la  vie  végétale  sur  les  plateaux 
qui  reçoivent  de  1 5  à  20  centimètres  de  pluie  annuelle- 
ment. Les  dépressions,  plus  déshéritées  encore,  sont 
presque  toutes  d'effroyables  déserts  sans  un  brin  d'herbe, 
sans  un  point  d'eau,  où  l'on  circule  pendant  des  jours  et 
des  nuits  entre  le  double  vide  de  la  terre  et  du  ciel. 

Telle  est  la  magie  des  rythmes,  et  si  tenace  l'illusion  créée  par 
le  verbe  charmeur  des  poètes  que  les  seuls  mots  de  Perse,  d  Ispa- 
han,  de  Chiraz,  d'Ecbatane  évoquent  irrésistiblement  à  1  esprit 
l'image  d'un  pays  enchanté,  d'un  Paradis  des  MMt  et  une  Nuits, 
tout  rempli  de  jardins  délicieux,  d'eaux  fraîches  murmurant  à 
l'ombre  des  grands  arbres,  embaumé  du  parfum  des  roses.  En  fait 


L'IRAN 


LA  PORTE  DES  TEINTURIERS  A  NICHAPOUR.  La  1res  anciaate  ciU  de  musulman,  mats  les  invasions  mongoles  la  minèrent,  et  de  nos  jours,  maigre  la  fertilité 

Niehat>our  —  un  des  endroits  mystérieux  où  la  légende  greajue  fait  natlre  Dionyua  des  campagnes  environnantes  soigneusement   irriguées,   Nichapour  n  est  plus  qu  une 

—  s'élève  au  Nord-Est  de  ta  Perse  sur  les  plateaux  du  Khorassan.  Elle  fut  jusqu'au  cité   déchue.    Elle    doit    cependant,   comme   la  plupart    des    villes  iraniennes,    un 

xn^  siècle  un  des  centres   mbains   les   plus  fîonssanls  et  les  plus  peuplés  du  monde  aspect  fort  pittoresque  è  T originalité  de  ses  construclioru  en  hriques  et  terre  battue. 


445 


44 


L'ASIE 


LE  CARAVANSÉRAIL  DE  SAINDAK  se  trouve  aux  confins  de  la  Perse  et  du 
Beloulchistan,  sur  la  routesuivie  par  les  caravanes  qui  se  rendent  dans  l'Inde  ou  en 
reviennent.  Des  montagnes  absolument  nues  encadrent  la  dépression  sablonneuse 
où  s'élèvent  les  constructions  massives  qui  servent  d  abri  à  bétes  et  gens. 


VUE  GÉNÉRALE  DE  KÉLAT.  Sur  une  colline  isolée  se  dressent  les  hautes 
murailles  de  Kélat,  l'une  des  rares  agglomérations  urbaines  du  pays  Beloutche. 
Le  nom  de  Kélat  veuf  dire:  le"  château".  C'étail.  en  effet,  une  puissante  forteresse 
commandant  les  routes  qui  mènent  à  l'Inde,  à  l'Afghanistan  et  en  Perse 


UNE    HUTTE    BELOUTCHE. 
LES    BELOUTCHES.  La   presque  totalité  des  Beloutches    mène  la  vie  pastorale 
nomade,  comme,  du  reste,  la  plupart  des  populations  dispersées  sur  les  hauts  plateaux 
steppiques  ou  désertiques  de  l'Iran.  Aux  lieux  où  l'on   ne  trouve  d'autre  végétation 
que  les  maigres  graminéts  dont  se  contentent  les  moulons,  les  pasteurs  vivent  sous  la 


UN     TROUPEAU     BELOUTCHE. 
tente.  Ailleurs,  avec  quelques  branches  et  des^ broussailles,  ils  construisent  des  huttes 
sommaires  qui  leur  suffisent.  Notez   l'aridité  de  la  steppe  et  des  montagnes.  Notez 
aussi  la  caractère  primitif  du  métier  à  tisser  avec  lequel  les  femmes  confectionnent 
des  étoffes  pour  leurs  vêlements,  leurs  sacs,  etc. 


VILL.A.GE  SEISTANI.  Le  Selstan.  partagé  inégalement  entre  la  Perse  et  l'Afgha- 
n'.z'cn,  tUtiftesorte  d'immense  oasis  où  les  eaux  dérivées  du  Hilmcnd  entretiennent 
de  itcw  pâtQTCgef,  des  chcunps  de  céréales  et  des  vergers.  Ce  fut,  de  tout  temps, 
l'urz  dts  contrée:,  la  plu:  convoitées  de  l'Iran. 


LE  DÉSERTDU  LOUT.  Ce  mot.  qui  veut  dire  peut-être" solitude". s'applique 
au  plus  vaste  des  déserts  de  l'Iran.  Fait  de  sables  et  de  roches  nues,  il  conserve,  dans 
les  régions  les  moins  arides,  quelques  touffes  de  buissons.  Mais,  ailleurs,  il  s  étend 
à  perte  de  vue,  complètement  nu,  semblable  à  une  masse  de  métal  incandescent. 


446 


ces  paradis  existent.  Mais  Hafiz  oo  Sadi  ne  lei  ct-lcorcrent  avec 
tant  d'enthousiasme  que  parce  qu'ils  étaient  d'une  extrême  rareté. 
Dans  toutes  les  zones  de  climat  sieppique  ou  désertique,  deux 
platanes  ombrageant  un  puits  paraissent  une  merveille  plus 
magnifique  que    toutes  les     forets    de    l'Occident!  Imaginez    donc 


LES  PAYS  DE  L'IRAN 


la   Perse    non    pas    comme    un    parc  sans    fin,    mais    comme    une 
étendue  monotone  de  sables  et  de  cailloux,  avec  çâ  et   li  quelques, 
oasis   semées  chichement    sur  un   sol  avare.    Les   fruits  n'y  valent 
pas    mieux    que  les  nôtres  et    le    parfum    des    roses     mêmes    est, 
paraSi-il,  inférieur  à  sa  réputation! 


GEOGRAPHIE  HUMAINE 


LES  RACES.  j3£>  L'isthme  iranien,  lieu  de 
passcige  obligé  entre  l'Asie  Mineure  et  l'Asie  Centrale, 
fut  de  tout  temps  un  carrefour  où  se  rencontrèrent,  se 
heurtèrent  et  se  mêlèrent  des  peuples  venus  des  quatre 
coins  du  Vieux  Monde.  Aux  Mèdes,  aux  Perses,  aux 
Bactriens.  aux  Gédro;iens,  aux  .Arachosiens.  que  nous 
firent  connaître  les  historiens  anciens,  s'ajoutèrent  des 
Grecs  venus  à  la  suite  d'Alexandre,  des  Sémites  de 
Chaldée,  d'Assyrie,  d'Arabie  ;  des  jaunes  :  Turcs, 
Turkmènes,  Mongols,  descendus  des  steppes  du  Tur- 
kestan,  des  Arméniens,  des  Juifs.  Il  y  a  donc  eu  forcé- 
ment métissage,  au  physique  et  au  moral.  Cependant, 
les  habitants  du  plateau  se  répartissent  présentement  en 
groupes  ethniques   assez  distincts. 

Aux  Iraniens  appartiennent  les  Persans,  les  Kourdes, 
les  Afghans,  les  Béloutches  et  leurs  subdivisions.  Les 
Sémites  sont  représentés  par  un  petit  nombre  de  Juifs 
et  par  les  Arabes  de  l'ancienne  Susiane,  l'.Arabistan 
d'aujourd'hui.  Turcs  et  Turcomans  forment  la  majorité 
dans  les  provinces  du  Nord. 

Les  Persans  (Irani)  peuplent  le  Centre  et  le  Sud  du 
plateau,  de  Recht  à  Kirman,  et  de  Hamadan  à  Hérat. 
Ils  ont  comme  lointains  ancêtres  les  fiers  compagnons 
de  CyTus  et  de  Cambyse,  ce  peuple  brave,  robuste  et 
noble  qui  apprenait  à  ses  enfants  "  à  monter  à  cheval, 
tirer  de  l'arc  et  dire  la  vérité  ". 

Malgré  les  mélanges  inévitables  avec  tant  d'autres  races,  ils  ont 
conservé  certains  de  leurs  caractères  physiques,  et  les  Géorgiennes 
ou  Circassiennes  qui,  pendant  tant  de  siècles,  peuplèrent  les  harems, 
n'ont  pas  peu  contribué  à  maintenir  chez  les  Persans  une  beauté 
qui  séduisait  déjà  les  compagnons  d'.Alexandre  et  arrachait  au 
jeune  Conquérant  ce  cri  admiratif  :  "  Les  femmes  Perses,  ce  tour- 
ment des  yeux  !  "  Des  traits  réguliers,  d'un  ovale  très  pur,  des 
yeux  admirables  ombragés  de  longs  cils,  un  nez  légèrement  aquilin 
surmontant  une  bouche  aux  lèvres  charnues,  de  longs  cheveux  noirs 
et  bouclés,  une  taille  souple,  élégante,  un  noble  port  de  tête,  des 
pieds  et  des  mains  d'une  remarquable  petitesse,  tels  sont  les  carac- 
tères les  plus  généraux  d'un  type  physique  qui  comporte  naturelle- 
ment une  fort  grande  variété. 

Au  moral,  les  Persans  se  distinguent  par  la  vivacité 
de  leur  intelligence,  la  finesse  et  le  tour  poétique  de 
leurs  idées,  la  puissance  de  leur  mémoire.  Mais  on  leur 
reproche  le  manque  de  persévérance  dans  les  concep- 
tions, de  fixité  dans  l'esprit.  Ils  comprennent  vite,  puis 
s'en  tiennent  là  et  ne  se  préoccupent  point  d  approfon- 
dir.   De  plus,   le   peuple,  privé  de  liberté,  obligé  de  se 


plier  aux  caprices  de  maîtres  souvent  étrangers,  a  pris 
1  habitude  du  mensonge,  de  l'esprit  d'intrigue,  de  la 
fourberie,  ces  armes  naturelles  des  faibles.  Enfin,  le  cou- 
rage du  Persan  n'est  point  à  la  hauteur  de  son  intelli- 
gence, et  ses  voisins  n'eurent  jamais  grand'peine  soit  à 
le  braver,  soil  à  le  soumettre.  Encore  aujourd'hui,  le 
royaume  —  comme  ce  fut  le  cas  en  Chine  —  est  gou- 
verné par  un  souverain  d'origine  étrangère,  successeur 
d  autres  dynasties  conquérantes. 

Les  montagnes  de  l'Ouest  sont  occupées  par  diverses 
tribus  qui  se  rattachent  directement  à  la  famille  aryenne, 
mais  avec  des  caractères  physiques  et  moraux  parti- 
culiers. Ce  sont  les  Kourdes,  les  Louris  et  les  Back- 
tyaris. 

Nous  connaîtrons  bienlôt  les  Kourdes.  Les  Louris  et  les 
Backtyaris  leur  ressemblent  comme  des  frères.  Trapus,  robustes, 
1  œil  ombragé  d'épais  sourcils,  le  nez  gros  et  aquilin  s'abaissant 
sur  les  lèvres,  le  menton  carré,  les  pommelles  saillantes,  ils  rap- 
pellent étonnamment,  eux  aussi,  les  anciens  Assyriens  tels  qu'ils 
apparaissent  sur  les  bas-reliefs  de  Khorsabad  et  de  Koyound- 
jick.  Aussi  redoutés  autrefois  que  les  Kourdes,  dont  ils  ont  les 
habitudes  et  les  goûts,  ils  paraissent  aujourd'hui  un  peu  plus  Irai- 
tables,  et  les  caravanes  peuvent  traverser  sans  crainte  les  montagnes 
où  ils  nomadisent  avec  leurs  troupeaux. 

A  l'Est  du  Plateau,  les  Afghans  (ils  se  nomment 
eux-mêmes  Pachtanas)  constituent  un  groupe  spécial 
dont  le  type  physique  rappelle  celui  des  Kourdes  et  des 
Louris.  Vigoureux,  bien  découplés,  ils  ont  en  général  la 
tête  allongée,  un  nez  en  forte  saillie,  d'épais  sourcils,  la 
barbe  et  les  cheveux  très  fournis  La  teinte  de  leur 
peau  varie  du  blanc  au  brun  olivâtre.  Leurs  nombreuses 
tribus  diffèrent,  du  reste,  considérablement  les  unes  des 
autres,  comme  il  est  naturel  dans  un  pays  de  hautes  mon- 
tagnes qui  servit  de  refuge  à  des  peuples  d'origines 
diverses.  Ils  ont  en  commun  la  passion  de  la  liberté,  un 
goût  prononcé  pour  la  vie  guerrière,  le  pillage,  le  vol  k 
main  armée.  En  cela  ils  ressemblent  non  seulement  aux 
Kourdes,  mais  aux  Albanais,  aux  Marocains  du  Rif  et  du 
Haut- Atlas.  La  rude  vie  qu'ils  doivent  mener  dans 
leurs  montagnes  endurcit  leurs  corps,  développe  leurs 
instincts  violents  et  ils  ne  mettent  une  trêve  à  leurs  que- 
relles intestines  que  pour  s'unir  contre  leurs  voisins  pai- 
sibles du  bas  pays. 

Au  Sud  des  Afghans,  les  Béloutches  ou  Baloutches 
.Aryens  métissés   de   sang  arabe,  kirghiz,  dravidien,  se 


447 


GEOGRAPHIE  irNIVESSELLE. 


44 


L'ASIE 


rapprochent,  par  leur  type  physique,  des   Bédouins  qui 
«rrent  au  désert  de  Syrie. 

En  dehors  des  Iraniens,  le  groupement  le  plus 
notable  est  formé  par  les  Turcs  et  les  Turcomans  ou 
Turkmènes.  Les  premiers,  établis  en  Perse  depuis  fort 
longtemps,  constituent  la  majorité  de  la  population  dans 
la  province  d'Azerbaïdjan.  Les  autres,  venus  plus  tard, 
se  sont  établis  peu  à  peu  dans  les  régions  de  l'Atrek, 
d'Asterabad  et  de  Mechhed.  La  famille  qui  gouverne  la 
Perse  depuis  1 794  appartient  à  l'une  des  fractions  de  la 
tribu  lurcomane  d'Ag  Tépé,  celle  des  Kadjars.  Chez 
les  Turcs,  le  type  mongol  primitif  s'est  considérablement 
altéré  par  croisements  avec  les  Persans,  et  on  les  dis- 
tingue moins  aux  traits  de  leur  visage  qu'à  la  lourdeur, 
à  la  gaucherie  de  leurs  grands  corps  robustes.  Les  Turk- 
mènes de  la  Perse  ne  diffèrent  pas  de  leurs  frères 
demeurés  au  Turkestan  Russe. 

Les  Arabes,  particulièrement  nombreux  dans  la  pro- 
vince d'Arabistan  et  la  région  du  Bas- Karoun  (l'ancienne 
Susiane),  se  rencontrent  un  peu  partout  par  petites 
fractions  isolées,  soit  dans  les  steppes  des  plateaux  où  ils 
nomadisent,  soit  dans  les  grandes  villes  où  ils  s'établissent 
comme  commerçants,  prêtres,  derviches. 

Quelques  Tziganes,  Juifs,  Arméniens  et  Chaldéens 
complètent  la  série  des  peuples  fixés  sur  les  plateaux  ira- 
niens. 

LANGUES  ET  RELIGIONS.  00  La  langue 
dominante  est  le  persan,  dérivé  du  zend  (la  langue  de 
l'Avesta)  par  l'intermédiaire  du  pehlvi,  et  fortement 
mélangé  de  mots  arabes  et  turcs.  Le  persan  se  subdi- 
vise lui-même  en  nombre  de  dialectes  et  patois  :  kourde. 


loure,  béloutche,  afghan  ou  poukhtoun,  etc.  Le  turc  est 
la  langue  la  plus  usitée  dans  l' Azerbaïdjan  ;  il  fait  des 
progrès  sur  les  rives  de  la  Caspienne.  L  arabe  enfin,  un 
arabe  plus  ou  moins  corrompu,  est  parlé  par  les  gens  de 
cette  origine,  ou  qui  se  l'attribuent. 

Quant  à  la  religion,  c'est  l'Islam  qui  prédomine  d  une 
façon  à  peu  près  absolue.  Chrétiens  arméniens  ou  nesto- 
riens,  Juifs,  Guèbres  ou  Parsis  (adorateurs  du  feu) 
n  atteignent  pas,  en  tout,  100000  âmes. 

Les  musulmans  iraniens  se  subdivisent  en  deux  grandes  sectes;  les 
Chiites  et  les  Sunnites.  Les  Sunnites  (Afghans,  Béloutches,  Turcs 
de  l'Azerbaïdjan,  quelques  tribus  Kourdes)  reconnaissent  l'autorité 
du  Cheik-ul-lslam  de  Constantinople.  Leur  religion  est  identique 
à  celle  de  Stamboul  ou  de  Brousse.  Les  Chiites,  au  contraire,  ne 
sont  point  soumis  spirituellement  au  Commandeur  des  croyants.  Ils 
rejettent  la  tradition  écrite  appelée  "  Sunna  ",  tiennent  Ali,  fils 
adoptif  et  gendre  de  Mahomet,  pour  prophète  au  même  titre  que 
le  fondateur  de  l'Islam  et  vénèrent  tout  particulièrement  Hussein 
et  Hassan  fils  d'Ali.  Chiites  et  Sunnites  se  détestent  entre  eux 
avec  la  même  vigueur,  pour  le  moins,  qu'ils  méprisent  les  Chré- 
tiens. Si  les  tribus  ignorantes  et  sauvages  du  Kourdistan  et  de 
l'Afghanistan  manifestent  peu  de  zèle  religieux  et  mêlent  à  leurs 
pratiques  nombre  de  superstitions  païennes,  les  Chutes  Persans 
ont  en  général  une  foi  très  vive  qui  se  traduit  par  le  prestige  de 
leurs  prêtres  ;  ulémas,  mollahs,  moudjtahids,  le  grand  nombre,  la 
richesse  des  sanctuaires,  I  affluence  des  pèlerins  aux  mosquées  véné- 
rées de  Mechhed,  Roum  et  Kerbéla. 

Deux  sectes  hétérodoxes,  le  bâbisme  et  le  soufiisme,  ont  pris,  ces 
dernières  années,  une  importance  qu'accentue  la  transformation 
politique  de  la  Perse.  L'une  et  l'autre  s'élèvent  contre  le  fanatisme 
et  répudient  une  bonne  partie  des  pratiques  en  usage  chez  les  purs 
musulmans  :  polygamie,  abstention  du  vin,  du  porc,  etc.  Les 
Souffis  notamment,  qui  se  recrutent  surtout  parmi  les  jeunes  Persans 
revenus  des  Universités  européennes,  représentent  l'élément  "  mo- 
derniste ",  intellectuel,  voire  libre-penseur  et  se  posent  en  cham- 
pions de  la  rénovation  de  la  Perse  par  l'introduction  de  plus  en 
plus  large  des  idées  et  des  conceptions  occidentales. 


LE   ROYAUME    DE    PERSE 

GEOGRAPHIE  REGIONALE 


Tout  le  Centre  et  l'Ouest  des  Plateaux  Iraniens  appar- 
tiennent au  Royaume  de  Perse  dont  les  limites  débordent 
même  au  Sud-Ouest,  hors  des  frontières  naturelles  for- 
mées par  les  monts  du  pourtour,  et  comprennent  une  par- 
tie des  plaines  alluviales  de  la  Mésopotamie  (province  de 
l'Arabistan).  On  estime  sa  superficie  à  I  600  000  kilo- 
mètres carrés,  et  à  9  500  000  le  nombre  de  ses  habitants, 
soit  un  peu  plus  de  5  au  kilomètre  carré. 

GOUVERNEMENT.  00  Depuis  1906, la  Perse 
traverse  une  période  d'évolution  très  confuse  dont  il  est 
impossible  de  prévoir  à  quoi  elle  aboutira. 

Jusqu'à  cette  date,  le  Chah,  ou  Roi  des  Rois,  déte- 
nait en  théorie  le  pouvoir  absolu.  On  le  considérait 
comme  le  lieutenant  du   Prophète,   maître  de  la  vie  et 


des  biens  de  ses  sujets.  En  fait,  il  avait  à  compter  avec 
l'influence  religieuse  d'un  clergé  riche,  très  puissant.  De 
plus,  nombre  de  chefs  de  tribus,  surtout  dans  les  districts 
montagnards  ou  éloignés  de  la  capitale,  conservaient 
une  indépendance  à  peu  près  complète.  Les  forces 
militaires  se  réduisaient  à  2  000  hommes  de  troupe  dres- 
sés par  les  Russes.  Le  produit  des  impôts  disparaissait 
entre  les  mains  avides  des  fonctionnaires  de  tous  ordres 
et  des  parasites  qui  gravitaient  autour  d  eux.  Point 
d'administration  régulière,  point  d'autres  travaux  publics 
que  les  deux  ou  trois  routes  construites  par  des  étran- 
gers. La  Perse  entière  était  livrée  au  bon  plaisir  de 
quelques  milliers  de  privilégiés  apparentés  à  la  famille 
régnante  ou  descendant  d'anciennes  maisons  féodales. 
Cependant,     depuis    quelques    décades,    l'influence 


448 


LES  PAYS  DE  L'IRAN 


occidentale  commençait  à  pénétrer  sinon  dans  la  masse 
du  peuple,  du  moins  dans  quelques  petits  groupes 
d'hommes  qui  rêvaient  de  moderniser  la  Perse  et  de 
mettre  fin  au  régime  d'arbitraire  dont  elle  souffrait.  Les 
riches  commerçants  des  grandes  villes,  les  jeunes  gens 
instruits  dans  les  Universités  européennes  s'entendirent 
avec  certains  chefs  rehgieux  affiliés  à  la  secte  des 
Souffis.  En  1906,  ils  imposèrent  au  Chah  un  embryon 
de  Constitution  et  la  convocation  d'un  Conseil  national 
ou  Medjihss  chargé  de  collaborer  au  Gouvernement  et 
de  prépïirer  les  réformes  indispensables.  Mais  ce  mou- 
vement révolutionnaire  ne  s'appuyait  pas  sur  l'ensemble 
de  la  nation,  bien  trop  ignorante  pour  en  comprendre 
l'intérêt.  Il  avait  contre  lui  tous  ceux  qui  profitaient  de 
l'ancien  régime.  Aussi  le  Medjiliss  n'eut-il  jamais  la 
moindre  autorité,  et,  après  une  longue  période  d'anar- 
chie, il  a  cessé  d'exister  en  1915,  en  tant  que  corps 
législatif  et  administratif.  Présentement,  le  pouvoir  appar- 
tient exclusivement  au  Chah  et  à  ses  ministres  représentés 
dans  les  provinces  par  des  Gouverneurs   Généraux. 

La  décadence  et  1  anarchie  persanes  n  avaient  point 
été    sans    provoquer     des    interventions  étrangères.   La 
Russie,  maîtresse  du  Caucase  et  du  Turkestan,  l'Angle- 
terre, qui  voulait  faire  du  Golfe  Persique  un  lac  indien, 
luttaient     depuis     longtemps  pour     l'hégémonie.     Elles 
finirent  par   se  mettre  d'accord  en  1 907  et  divisèrent  la 
Perse  en    trois   zones  :  sphère  d'influence  anglaise,  au 
Sud   et  au  Sud-Est  (Séistan,    Mékran);    sphère    d  in- 
fluence russe,  au  Nord  (.Azerbaïdjan,  Téhéran,  Khoras- 
san,    etc.);  entre  les  deux,  une   zone    neutre.    Mais  la 
Grande  Guerre,  et  surtout  la  Révolution  russe,  ont  modi- 
fié profondément  cette   situation.    De  lui-même  le  Gou- 
vernement bolchevick  a  renoncé  formellement,  dès  1918, 
aux  avantages  que  lui  conférait  la  convent-on  de  1907. 
L'Angleterre  en  profita  pour    conclure    en     1919   de 
nouveaux  accords  avec  la  Perse  et,    malgré  la  dénon- 
ciation de  cet  accord,    en  février   1921,    par  le  Gou- 
vernement persan,  l'influence  économique  de  la  Grande- 
Bretagne  est  encore  prépondérante.  Toutefois  les  rela- 
tions de  la  Perse  avec  la  Russie  sont  si  bien  imposées, 
en  quelque  sorte,  par  les  conditions  géographiques  des 
deux  pays,  qu'elles  ne  peuvent  manquer  de  reprendre, 
un  jour,  leur  ancienne  activité.   D'autre  part,  les  Fran- 
çais ne  doivent  pas  oublier  qu'un  large  champ  d  action 
s'ouvre  pour  leurs  ingénieurs  et  leurs  hommes  d'affaires 
dans  ce  royaume  où  notre  civilisation  est  le  modèle  que 
l'on  cherche  à  imiter,  et  où  notre  langue  est  parlée  de 
telle  sorte  que  non  seulement  tout  homme  cultivé  rou- 
girait de  ne  point  l'entendre,  mais  encore  que  tous  les 
actes  officiels  sont  écrits  en  persan  et  en  français. 

LES   H.ABITANTS  ET  LES  VILLES,    aa 
Sur  les  9  500  000  habitants  qui  forment  —  très  approxi- 


mativement —  la  population  du  Royaume  de  Perse, 
260000  Arabes,  720000  Turcs  et  Turcomans, 
675000  Kourdes,  20000  Beloutches,  autant  de  Tzi- 
ganes, 235000  Louris  mènent  la  vie  nomade  ou  demi- 
nomade,  déplaçant,  suivant  les  saisons,  leurs  tentes  de 
feutre  noir,  et  menant  leurs  troupeaux  des  alpages  de  la 
montagne  aux  steppes  des  hauts  plateaux.  Les  autres 
sont  tous  des  cultivateurs  sédentaires  fixés  dans  les  oasis, 
dans  les  vallées  irriguées,  ou  bien  des  citadins  s'occupant 
d'opérations  commerciales  ou  composant  le  nombreux 
personnel  administratif  et  religieux. 

Villages  et  grandes  villes,  vus  de  loin,  ont  souvent  une  appa- 
rence séduisante.  Les  jardins  qui  les  entourent  font  un  contraste 
agréable  avec  la  nudité  des  steppes  pierreuses.  La  blancheur  de 
leurs  maisons  cubiques  à  toits  plats,  les  flèches  des  minarets, 
les  teintes  vives  des  dômes,  des  arches  couronnant  les  sanctuaires, 
composent  un  ensemble  plein  de  pittoresque.  L  intérieur  est  moins 
attrayant.  Aucun  service  de  voirie,  aucun  souci  d 'hygiène.  Les 
maisons,  construites  en  boue  séchée  au  soleil,  se  lézardent  et 
s'écroulent  vite.  Même  les  beaux  monuments  d'autrefois  sont  trop 
souvent  dans  un  état  de  décrépitude  pénible  et  leurs  magniEques 
revêtements  en  faïence  émaillée  ont  en  parti  disparu.  La  Perse 
est,  par  excellence,  la  terre  des  ruines.  Elles  s'y  accumulent  depuis 
tant  de  siècles  qu'elles  font  partie  intégrante  du  paysage.  Une 
construction  neuve,  en  matériaux  solides,  en  bon  état  d'entretien, 
paraît  une  sorte  de  gageure.  Et.  comme  la  seule  matière  à  bâtir, 
utilisée  de  tout  temps,  est  la  glaise  ou  la  brique,  l'accumula  lion  des 
ruines  ne  donne  point  cette  impression  de  grandeur  majestueuse 
que  laissent  à  l'esprit  les  restes  des  villes  égyptiennes  ou  gréco- 
romaines.  Seuls,  les  escaliers  monumentaux,  les  colonnes  géantes, 
les  portiques  de  Persépolis,  ainsi  que  les  façades  grandioses  des 
Tombeaux  des  Rois,  doivent  à  la  solidité  de  la  pierre  leur  bon  état 
de  conservation  cl  leur  émouvante  beauté. 

La  moderne  capitale  du   royaume,  Téhéran,  compte 
280  000  habitants.  Elle  a  grandi  par  I  1 24  mètres  d'alti- 
tude, au   pied   Sud  de  l'Elbourz,  dans  une  plaine  aride, 
insalubre,  semée  de  ruines  de  diverses  époques  (Rhai  ou 
Rhagès,  Véramin,  etc.).    L'hiver  y  est  froid,  neigeux, 
le  printemps  et  l'automne  fort  agréables.  Mais  les  chaleurs 
torridesde  l'été  obligent  le  monde  diplomatique,  la  Cour 
et  bon  nombre  de  Persans  aisés  à  chercher  un  refuge  sur 
les  pentesdu  Demavend.  Pasde  monuments  intéressants, 
mais  de  très  beaux  jardins  et  des  bazars  fort  animés  où 
affluent  les  caravanes  venues  des  quatre  coins  de  l'Iran. 
Au  Nord  de  Téhéran,  les  provinces  de  Ghiian  et  de 
Mazandéran,  en  bordure  de  la  Caspienne,  ont    comme 
villes  principales  les  ports  de  Barfourouch  (50000  habi- 
tants),   Recht  (40000  habitants),    Enzeli,  Astara.  par 
lesquels  se  fait  une  bonne  part  du  commerce  extérieur 
de  la  Perse. 

Dans  la  province  d'Azerbaïdjan,  au  Nord-Ouest, 
Tauris  ou  Tabriz  est  la  cité  la  plus  populeuse  du 
Royaume  (300000  habitants  environ),  grâce  à  la  fertilité 
des  vallées  bien  arrosées,  et  surtout  à  la  facilité  des 
transactions    par   routes  et   voies  ferrées  avec  la  région 

449  — 


-   L'ASIE 

de  Tiflls-Batoum.  Ourmiah,  près  du  lac  du  même  nom, 
compte  30000  habitants  et  Kazvin,  sur  la  route  de 
Tabriz  à  Téhe'ran,  en  a  à  peu  près  autant. 

A  l'Ouest,  Hamadan,  l'ancienne  Ecbatane  (35000 
habitants)  et  Kermanchah  (80000)  s'échelonnent 
sur  la  route  historique  menant  vers  le  bassin  du  Tigre, 
vers  Bagdad  et  Kerbéla,  la  ville  sainte  des  Musulmans 
Chiites.  Koum  (40000  habitants),  où  les  pèlerins  visitent 
le  tombeau  de  Fathma,  Kachan  (30000  habitants), 
"  amas  de  débris  immenses  et  lugubres  ",  conduisent  à 
Ispahan  (80000  habitants).  Nulle  ville  perse  ne  fut  plus 
célèbre  et,  bien  que  fort  déchue,  bien  que  la  moitié  seu- 
lement de  sa  trop  vaste  enceinte  soit  encore  habitée, 
elle  est  digne  d'une  longue  et  fervente  visite  par  la  majesté 
de  sa  fameuse  place,  le   Méîdan,  par  la  beauté  de  ses 


Médressehs  ",  de  ses  palais,  de  ses  mosquées,  de  ses 
jardins,  l'animation  pittoresque  de  ses  bazars.  Chiraz 
(50000  habitants),  non  loinde  Persépolis,  entrepose  et 
distribue  les  marchandises  sur  la  route  qui  mène  au  port 
de  Bender-Bouchir.  Dizfoul,  près  des  ruines  de  Suse  , 
et  Chouiter.  dans  l'Arabistan,  ne  prendront  d'importance 
qu'après  la  réfection  des  canaux  qui  fertilisaient  toute 
l'antique  Susiane.  Yezd  (50000  habitants),  Kirman 
(60000  habitants)  s'alignent  au  pied  du  Kouh  Round 
où  s'alimentent  leur  oasis.  Mechhed  (60000  habitants) 
et  Asterabad,  principales  villes  du  Khorassan,  ont  des 
relations  commerciales  avec  le  Turkestan  russe.  Bender- 
Bouchir  et  Bender-Abbis,  deux  mauvais  havres  du 
Golfe  Persique,  fréquentés  par  quelques  bateaux  anglais, 
n'ont  pour  l'instant  qu  une  assez  petite  importance. 


GEOGRAPHIE  ECONOMIQUE 


Pays  de  steppes  et  de  déserts  coupés  d'oasis,  sans 
routes,  sans  voies  ferrées,  sans  autre  mode  de  transport  que 
les  animaux  de  bât  ;  de  plus,  mal  administrée,  engourdie 
depuis  trop  longtemps  dans  l'inertie  et  la  pciresse,  la 
Perse  ne  peut  évidemment  avoir  une  situation  économique 
florissante.  Certes,  partout  où  l'eau  ne  manque  pas  (rives 
de  la  Caspienne,  vallées  de  l' Azerbaïdjan,  du  Kourdis- 
tan,  etc.),  les  grandes  chaleurs  de  l'été  favorisent  la 
croissance  d'une  végétation  très  variée  où  le  riz,  le  coton, 
le  mûrier,  l'oranger,  se  mêlent  au  froment,  à  la  vigne,  au 
tabac,  au  lin,  à  tous  les  arbres  fruitiers  de  nos  pays. 
Mais  que  sont  ces  trop  rares  édens  auprès  des  immenses 
espaces  arides  où  les  animaux  les  plus  sobres  ont  peine 
à  trouver  quelques  brins  d'herbe  desséchée  !  Le  problème 
de  l'eau  prime  tous  les  autres.  De  sa  solution,  de  la  mul- 
tiplication des  barrages  en  montagnes  et  des  canaux  d'irri- 
gation, de  l'utilisation  méthodique  de  la  moindre  goutte 
de  pluie  ou  de  neige  versée  par  un  ciel  terriblement  avare, 
dépend  l'avenir  du  pays. 

il  dépend  aussi  —  dans  une  mesure  moindre  sans  doute, 
mais  cependant  fort  appréciable  —  de  l'accélération  des 
trernsports.  Ils  se  font  exclusivement  à  dos  de  chevcJ  et 
de  mule.  Les  entrepreneurs  de  caravanes  ou  Tcharva- 
dars  "  forme  une  des  corporations  les  plus  importantes 
de  riran.  Des  caravansérails  établis  au  terme  de  chaque 
étape  abritent,  le  jour,  hommes  et  animaux  qui  ne 
voyagent  guère  que  de  nuit.  On  peut  confier  en  toute 
sécurité  aux  muletiers  les  objets  les  plus  précieux.  Mais 
leur  honnêteté,  justement  proverbiale,  ne  les  protège 
point  contre  les  attaques  des  détrousseurs  de  grand  che- 
min. Déplus,  il  faut  quarante  jours  pour  aller  de  Téhéran  à 
Bouchir,  deux  mois  pour  se  rendre  à  Trébizonde  par 
Erzeroum,  trois  mois  pour  gagner  l'Inde.  Seuls  des  objets 
de  peu  de  poids  et  de  grande  valeur  tels  que  les  tapis, 
1  opium,  le  tabac,  les  tissus  de  soie,  le  thé,  le  sucre  peu- 
vent  supporter  des  frais  de  voyage  aussi  dispendieux. 


Les  autres  denrées  ou  bien  ne  s'exportent  pas,  ou  bien 
ne  sortent  du  pays  que  si  elles  proviennent  des  zones 
frontières  sises  à  peu  de  distance  de  la  mer  ou  des  voies 
ferrées  transcapiennes. 

Avant  la  Grande  Guerre,  de  nombreux  projets  furent  élaborés 
pour  doter  la  Perse  d'un  réseau  ferré  qui  desservît  les  cités  prin- 
cipales et  les  mît  en  relation  avec  1  intérieur.  Les  jalousies  anglo- 
russes,  à  défaut  d'autres  raisons,  s'opposèrent  à  leur  réalisation. 
Les  Russes,  qui  dominaient  incontestablement  a  Téhéran,  étaient 
les  maîtres  de  la  navigation  sur  la  Caspienne  et  voulaient  accélérer 
les  progrès  du  transit  entre  la  Perse  septentrionale  d'une  part,  de 
l'autre  leurs  possessions  du  Caucase  et  du  Turkestan,  construi- 
sirent cependant  quelques  routes  carrossables  (Mechhed-Askha- 
bad,  Téfîéran-Recht  par  Kazvin.  Hamadan- Recht),  puis  entre- 
prirent une  courte  vole  ferrée  entre  DjouHa  (frontière  de  la  Trans- 
caucasie)  et  Tauris.  Celte  ligne,  achevée  en  pleine  guerre  (1915) 
est,  présentement,  la  seule  que  possède  la  Perse. 

Par  contre,  les  circonstances  ont  rendu  à  l'Angleterre,  depuis 
1917,  la  prépondérance  que  détenaient  les  Russes.  Elle  en  a  pro- 
filé sans  larder,  non  seulement  pour  rétablir  l'ordre  intérieur 
troublé  par  les  ravages  des  Kourdes,  pour  ravitailler  le  pays,  mais 
aussi  pour  améliorer  les  routes  anciennes,  puis  en  construire  d'autres 
accessibles  aux  automobiles  et  dirigées  non  plus  vers  le  Nord, 
mais  vers  l'Ouest  el  le  Sud,  c'est-à-dire  vers  les  régions  de  la 
Mésopotamie  et  du  golfe  Persique,  par  où  se  présentent  les  mar- 
chandises anglo-indiennes.  L'une  de  ces  routes  conduit  de  Bagdad 
à  Kazvin  et  Téhéran  par  Kermanchah  (tracé  identique  à  l'an- 
cienne route  royale  de  Darius).  L'autre,  parlant  de  Kazvin,  atteint 
Chiraz  par  Koum,  Kachan,  Ispahan,  et  sera  à  très  bref  délai  pro- 
longée jusqu'à  Bouchir,  Il  semble  que  l'automobile  ait  un  bel  ave- 
nir en  Perse.  "  Avec  sa  surprenante  succession  de  barrières  monta- 
gneuses s' élevant  et  s'abaissant  tour  à  tour  par  rangées  parallèles, 
la  Perse  se  prêle  aussi  peu  que  possible  à  l'établissement  des 
chemins  de  fer.  "  En  revanche,  les  roules,  sur  ce  sol  sec  et  dur,  se 
construisent  aisément. 

Le  Persan  vit  de  ce  que  lui  donnent  ses  champs,  ses 
vergefs  et  ses  troupeaux.  Le  "  pilaf  "  fait  avec  le  riz  du 
Ghilan,  des  galettes  et  des  bouillies  de  froment  ou  de 
maïs,  un  très  grand  nombre  de  légumes  et  de  fruits  con- 
sommés sous   diverses  formes,  le  lait  et  la  viande  des 


450 


L'IRAN 


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éoiler  l  écrcuanle  chaleur.  Le  Jour,  hommes  et  animaux  s'abritent, se  repotcnl  etseravi- 
taillcnt  dtmslt^  caTûoaiuérails  établis  au  terme  de  chaque  étape.  O.G.CmnOEUSMOfn. 


.efles  entrepieneuTS  de  caravanes,  ou     Tcharvadajs",  forment  une  des  corpo- 
rations les  plus  importantes  de  l'Iran.  Pendant  de  longues  semaines,  chevaux,   mules 


SUR  LES  TOITS  DE  BIRDJEND.  Birdjend  ou  Birdjan  est  une  petite  cité  de  la 
Perse  orientale,  sise  par  1  400  mètres  d'altitude  dans  les  plateaux  du  Khorassan, 
<m  Nord  du  désert  de  Lout.  sur  la  route  de  caravanes  gui  mène  du  Séistan  à  Mechhed. 
L  est  un  intéressant  spécimen  de  ville  iranienne  formée  de  petites  maisons  eubigues 


dont  les  toits  en  coupole  s  unissent  les  uns  aux  autres.  Les  murs  sont  fort  épais  et  les 
ouvertures  très  rares  pour  se  préserver  à  la  fois  des  neiges  et  des  froidures  de  l'hiOer, 
des  torrides  chaleurs  de  l'été,  Lm  présence  d'un  des  cosaques  attachés  aa  Consulat  russe 
symbolise  l'influence  prépondérante  que  la  Russie  exerçait  sur  la  Perse  septentrionale. 


451 


L'ASIE 


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-#- 


VUE  DE  MADAN  I  FIROUZA.  Perché  comme  un  nid  d'aigle  sur  le  sommet 
d'une  falaise  aux  tons  d'améthyste,  le  village  fortifié  de  Madan  doit  sa  renommée 
aux  riches  mines  de  turquoises  que  /on  exploite  depuis  le  Moyen  Age  dans  les 
montagnes    voisines. 


ENZELl.  Le  port  d'Enzeli,  sur  les  rives  plates  et  lagunaires  de  la  Caspienne,  dans 
la  province  persane  du  Ghilan,  est  un  havre  fort  médiocre,  mais  qui  doit  une  impor- 
tance asse2  grande  au  trafic  qu'il  fait  avec  Bal^ou  et  Astral^han.  Une  route  carros- 
sable l'unit  à  Téhéran  par  Recbt  et  Kazvin.  C!.  G.  CoURTELLEMONT. 


KAZEROUN.  Principal  lieu  d'étape  sur  la  piste  de  caravanes  qui  unit  Chiraz 
au  port  de  Bouchir.  Kazeroun  fut  jadis  une  grande  cité,  célèbre  par  son  industrie 
et  son  commerce.  Ce  n'est  plus  qu'une  petite  ville,  n'ayant  d'importance  que  par 
ses  champs  de  tabac  et  ses  marchés  de  chevaux.  Ci.  G.  CoURTELLEMONT, 


UNE  RUEjDE  CHIRAZ.  Héritière  de  la  puissante  Persépolis,  rivale  d'Ispahan, 
Chiraz  fut  longtemps  célèbre  par  la  splendeur  de  ses  jardins,  l'excellence  de  ses 
vignobles,  le  génie  de  ses  poètes.  Elle  ressemble  présentement  à  un  grand  village  et 
n'a  guère  d'autres  édifices  curieux  que  ses  mosquées.  Cl.  G.  CoURTELLEMONT. 


DANS  LES  MONTS  DU  MEKRAN.  la  région  dé::er- 
tique  du  Mek.ran,  partagée  entre  la  Perse  et  le  Belout- 
ciiuiar.  est  ccuvtrle  de  monticules  dont  beaucoup  furent  de 
pdils  vùUans  de  boue. 


FABRIQUE  DE  TAPIS.  Us  merveil- 
leux  tapis  qui  sortent  des  nombreux 
ateliers  persans  sont  l'œuvre  de  jeunes 
ouvrières.  Cl.  G.  CoURTELLEMONT. 


PALAIS  DU  SCHAH  A  TÉHÉRAN.  La  cap.iaie  du 

Royaume  persan  est  une  ville  moderne,  dont  le  principal 
attrait  réside  dans  les  magnifiques  jardins  qui  entourent 
les  maisons  des  particuliers  et  le  palais  du  Souverain. 


452 


LES  PAYS  DE  L'IRAN  - 


brebis,  le  beurre,  le  fromage  composent  les  menus. 
On  y  ajoute  confitures,  pâtisseries  et  bonbons  dont 
les  Persans,  comme  tous  les  Orientaux,  se  montrent 
friands.  A  l'étranger,  la  Perse  demande  surtout  du 
sucre,   du   thé,  du  pétrole   et  des   objets  manufacturés 


(12000000).  opium  (10  000000),  cocons  et  soies  grège 
(9000000),  poisson  (4000000),  laine  (4000000),  etc. 
En  1918-1919,  seule  année  récente  pour  laquelle  nous 
ayons  de  source  anglaise  quelques  renseignements  précis, 
les  importations  s'élevèrent  à  17  000  000  de  livres  ster- 


(cotonnades,  mercerie,  objets  en  métal).  En  échange,  elle      ling,  les  exportations  à  9  33 1  000.  La  nature  et  la  valeur 


exporte  des  fruits  secs  (raisins,  abricots),  du  coton  brut, 
de  l'opium,  de  la  laine,  des  cuirs,  du  poisson  et  du 
caviar  provenant  des  pêcheries  de  la  Caspienne,  des 
cocons  et  des  soies  grèges  (vers  Lyon  notamment),  et  ces 
tapis  si  célèbres  que  l'on  fabrique  à  Tauris,  Kirman, 
Sultanabad,  Chiraz,  etc.  Les  ressources  minérales 
paraissent  abondantes,  mais  on  ne  les  exploite  point 
encore,  sauf  des  mines  de  turquoises  près  de  Mechhed 
et  quelques  sources  de  pétrole  en  Arabistan. 

A  la  veille  de  la  Grande  Guerre,  la  valeur  du  com- 
merce atteignait  environ  500  000000  de  francs.  Aux 
importations  (292  000  000  de  francs),  les  coton- 
nades (90000000)  tenaient  le  premier  rang,  avant 
le  sucre  (63000000),  les  objets  manufacturés  en  métal 
(20000000),  lethéd  8000 000), iafarine(7 000 O00),etc. 
Les  exportations  (205000000  de  francs)  consistaient 
en  coton  brut  (40000).  fruits  secs  (28000000), 
tapis   (27000000),  riz  (16000000),    peaux    et    cuirs 


relative  des  objets  achetés  ou  vendus  n'ont  subi  que  peu  de 
modification.  La  seule  qui  vaille  d'être  notée  est  la  brusque 
prépondérance  pri;e  par  le  pétrole,  il  ne  figuiait  pas 
au  tableau  des  exportations  en  1913.  En  1918-1919.  il  se 
classe  en  tête,  et  de  beaucoup  (3  500  000  livres  sterling). 
Parmi  les  clients  de  la  Perse,  la  Russie  se  taillait, 
en  1913,  la  part  du  lion.  Elle  vendait  pour  160000000  de 
francs  et  achetait  pour  130000000.  La  Grande-Bre- 
tagne se  classait  loin  derrière  avec  27  000  000  d'ac'.iats 
et  75000000  de  ventes.  En  1918-1919,  la  Russie  ne 
compte  plus  au  tableau  que  pour  3  000000  délivres  ster- 
ling partagés  à  peu  près  également  entre  ventes  et  achats. 
Par  contre,  la  Grande-Bretagne  fournit  à  la  Perse  les 
trois  quarts  de  ce  dont  elle  a  besoin  (  1  3  700  000  livres 
sterling  sur  17  000000)  et  elle  lui  achète  presque  la 
moitié  de  sa  production  (4200000  livres  sterling  sur 
9500000).  Le  reste  se  partage  entre  l'Egv-pte,  la  Turquie, 
la   France  et  ses  colonies   (20000  livres  sterling),  etc. 


L'EMIRAT   D'AFGHANISTAN 


Grâce  au  relief  très  accidenté  de  leur  pays,  non  moins 
qu'à  leurs  qualités  guerrières,  les  montagnards  Afghans 
ont  su  préserver  leur  indépendance  contre  les  appétits 
de  leurs  voisins  :  Persans,  Russes  et  Anglais.  Ils  consti- 
tuent une  sorte  d'Etat  féodal,  extrêmement  mal  connu, 
couvrant  une  superficie  approximative  de  550  000  kilo- 
mètres carrés  et  peuplé  de  5  000000  à  6000000 
d'habitants.  Les  limites  politiques,  tracées  par  diverses 
commissions  anglaises,  russes  et  persanes,  atteignent 
au  Nord  le  cours  de  1  .Amou-Daria,  au  Sud-Ouest,  la 
dépression  du  Séistan.  Au  Nord-Est,  une  mince  bande 
de  territoire  sert  de  zone  neutre  entre  les  Pamirs  russes 
et   le  bassin  anglo-indien  de  1  Indus. 

Divisé  jusqu'au  milieu  du  Xlx'  siècle  en  plusieurs 
grandes  tribus  Indépendantes  et  rivales,  sans  cesse  en 
guerre  les  unes  avec  les  autres,  l'Afghanistjin  a  fini  par 
s'unir  —  au  moins  théoriquement  —  sous  l'autorité  poli- 
tique du  Khan  de  Kaboul  qui  a  pris  le  titre  d'Emir 
(Cf.  le  groupement  des  princes  éthiopiens  sous  la  suzerai- 
neté du  Négus  Ménéllk).  Des  gouverneurs  administrent 
les  quatre  provinces  :  Kaboul,  Hérat,  Kandahar,  Tur- 
kestan,  entre  lesquelles  se  répartit  la  majeure  partie  du 
territoire.  Le  reste  appéirtient  à  des  tribus,  à  des  clans 
plus  ou  moins  vassaux  de  I  Emir,  mais  d  une  soumission 
souvent  douteuse. 

Les  habitants,  métis  d'Iraniens,  de  Mongols  et  de 
Sémites,  mènent,  comme  leurs  voisins  de  Perse,  une  vie 


mi-pastorale,  mi-agricole.  Leurs  vallées,  faciles  à  irriguer, 
produisent  des  céréales,  des  fruits  délicieux,  de  beaux 
légumes.  Sur  les  flancs  des  montagnes,  moutons,  chèvres, 
mules,  chevaux  trouvent  des  pâturages  suffisants. 

Comme  les  Albanais  et  les  Marocains  de  l'Atlas,  les 
Afghans  pourvoient  à  peu  près  à  tous  leurs  besoins  (lai- 
nages grossiers  tissés  par  les  femmes,  feutres  d'excellente 
quahté,  outils  rudlmentalres,  armes  blanches,  poteries). 
Des  caravanes  leur  apportent  —  de  l'Inde  surtout  et  un 
peu  du  Turkestan  —  le  sucre,  le  thé,  les  cotonnades, 
auxquels  s'ajoutent,  mais  en  contrebande,  les  armes  de 
guerre.  Ils  expédient  en  échange  des  fruits  secs,  du 
beurre  fondu,  de  la  laine,  des  étoffes  de  feutre  et  des 
chevaux. 

Les  seules  agglomérations  de  quelque  importance, 
toutes  fort  anciennes  et  d'aspect  à  peu  près  semblable  aux 
villes  persanes,  sont  Hérat  (50000  habitants),  en  rela- 
tions avec  Mechhed  et  Merv,  Kandahar  (45000  habi- 
tants), point  terminus  d'une  voie  ferrée  venue  de  l'Inde, 
Kaboul  (60000  habitants),  résidence  de  l'Emir. 

De  1839  à  1842,  les  Anglais,  qui  craignaient  de  voir  TAlgha- 
nistan  passer  aux  mains  des  Russes,  essayèrent  de  s'y  installer  par 
[a  force.  L'expédition  aboulil  à  un  désastre  où  disparurent  les 
16  000  hommes  de  la  colonne  d'occupalion.  Depuis  lors,  ils  ont 
renoncé  à  leurs  desseins  de  conquéle  et  se  sonl  contenlés  d'em- 
ployer cette  fameuse  "  cavalerie  de  Sainl-Georges'  à  quoi  sont 
dus   lanl  de    leurs   succès  politiques.    L'Emir  devint,    pendant    de 

453 


^^  L'ASIE 

longues  années,  le  pensionné  de  ïa  Grande-Bretagne  qui  lui  versait 
annuellement  une  rente  de  1  850  000  roupies  (environ  4  500  000  fr.). 
Des  conventionsfixaicat  les  obligations  réciproques  des  deux  gouver- 
nements. Cet  état  de  choses  a  cessé  depuis  1915.  L*  Emir  a  repris  sa 
pleine  indépendance.  Aussi  le  gouvernement  de  l'Inde  doit-il   sur- 


veiller avec  la  plus  grande  attention  —  surtout  depuis  les  progrès 
de  la  propagande  soviétiste  —  les  faits  et  gestes  de  ces  belliqueux 
voisins.  Les  plus  fortes  garnisons  de  l'Inde,  groupées  à  Pechawer 
et  à  Rawalpindi,  se  tiennent  constamment  prêtes  à  parer  à  toute 
surprise  "  indésirable  ". 


LE    BELOUTCHISTAN 


Quant  à  l'extrême  pointe  sud-orientale  des  Plateaux 
Iraniens,  elle  constitue,  sous  le  nom  de  Béloutchistcin,  une 
simple  annexe  de  l'Inde.  Depuis  1876,  en  effet,  les 
Anglais  ont  acquis  directement  la  moitié  des  340  000 
kilomètres  carrés  que  couvre  le  territoire  béloutche  et 
pris  à  leur  solde,  comme  princes  vassaux,  les  Khans  ou 
chefs  de  tribus  vivant  sur  l'autre  moitié. 

On  estime  à  900000  le  total  des  indigènes  :  Béloutches 
proprement  dits  (proches  parents  des  Persans),  Afghans, 
Brahouls  (apparentés  aux  Dravidiens  de  I  Inde  Méri- 
dionale). 

Le  pays,  couvert  de  déserts  et  de  steppes  fort  maigres. 
est  à  peu  près  dénué  de  ressources,  et  les    nomades 


qui  1  habitent  ont  peine  à  vivre  du  produit  de  leurs 
troupeaux.  Mais  il  offre,  pour  les  Britanniques,  le 
grand  avantage  de  tourner  par  le  Sud  la  forteresse 
Afghane  et  de  commander  l'une  des  principales  voies 
d'accès  aux  Indes,  celle  qui  emprunte  la  passe  de 
Bolan. 

Les  villes  de  Kélat  et  de  Quettah  sont  les  seules 
agglomérations  notables.  Une  voie  ferrée  se  détache  à 
Chikarpour  (sur  l'Indus)  du  réseau  indien,  passe  à 
Quettah  et  parvient  aux  portes  de  Kandahar.  Il  est 
depuis  longtemps  question  de  la  prolonger  d  une  part 
au  Nord-Ouest  vers  Hérat  et  le  Turkestan  russe,  de 
l'autre  vers  Téhéran  par  le  Séistan. 


CONCLUSION 


Après  avoir  été,  pendant  de  longs  siècles,  1  une  des 
régions  les  plus  florissantes,  les  plus  civilisées  et  le  lieu 
de  passage  tenestre  le  plus  fréquenté  de  l'Ancien 
Monde,  l'Iran,  délaissé  par  les  hommes,  entra  dans  une 
ongue  période  d'anarchie,  de  décadence  dont  il  n  est 
pas  encore  sorti.  Les  gremdes  voies  commerciales  se 
détournèrent  de  "l'Isthme  médique  ".  Elles  le  contour- 
nèrent au  Nord  par  le  Turkestan  et  la  Sibérie,  au  Sud 
par  la  mer.  Cet  isolement  jurêta  net  ses  progrès.  De 
nos  jours,  il  s'est  montré  incapable  de  réagir  par  ses 
propres  forces,  de  corriger  seul  les  vices  dont  il 
souffrait.  Mais  il  trouvait  à  ses  portes  des  voisins  fort 
empressés  à  l'aider.  Russes  et    Anglais  également  inté- 


ressés à  l'avenir  des  pays  Iraniens,  se  disputèrent  1  hon- 
neur —  et  le  profit  —  de  régénérer  la  Perse.  La 
Russie  l'emporta  tout  d'abord.  Depuis  la  Guerre,  la 
Grande-Bretagne  a  repris  une  prédominance  incontes- 
table. Maîtresse  du  Béloutchistan,  du  Golfe  Persique, 
de  la  Mésopotamie,  ayant  à  sa  dévotion  l'Emir  d'Afgha- 
nistan, elle  exerce  à  Téhéran,  malgré  la  récente  dénon- 
ciation du  traité  de  1919,  une  influence  sans  partage 
et  s'empresse  d'en  profiter  pour  ses  desseins  économiques 
ou  politiques.  Il  n'est  point  impossible  —  et  il  est  souhai- 
table —  que  l'Angleterre,  en  travaillant  pour  elle  sur 
ce  beau  chantier  tout  neuf,  travaille  aussi  pour  le  mieux- 
être  des  peuples  iraniens. 


CHAPITRE  XXXII 

LE  TURKESTAN  RUSSE 


GENERALITES 


L'espace  compris  entre  la  bordure  Nord  des  Plateaux 
Iraniens,  la  Caspienne,  la  Sibérie,  les  hauteurs  formi- 
dables du  Tian-Chan  et  des  Pamirs,  porte  le  nom  de 
Turkestan  Russe.  Il  couvre  une  superficie  approximative 
de  2  000  000  de  kilomètres  carrés.  A  l'Ouest,  d'immenses 
plaines  sont  comme  le  vestibule  des  plaines  sibériennes. 


A  l'Est,  montagnes  et  vallées  forment  le  glacis  occiden- 
tal de  l'Asie  Centrale.  Les  eaux  qui  en  dévalent  se 
perdent  dans  le  sable  ou  se  terminent  dans  des  lacs  :  Aral 
et  Balkach.  Un  climat  continental  tour  à  tour  glacé  ou 
torride,  l'absence  presque  complète  de  pluies  font  des 
plaines  occidentales  de   vastes  déserts  sablonneux  cou- 


454 


LE  TURKESTAN  RUSSE 


cuLtureoj 


TURKESTAN 


Chemin,  vejcr 
iO  projcifj 


^"  ■ 


*«»»* 


pés  de  steppes  où  les  pasteurs  de  race  turque,  Kirghiz 
et  Turkmènes,  mènent  la  vie  nomade.  Les  valle'es  de 
1  Est,  un  peu  plus  arrosées,  mieux  abrite'es,  se  prêtent  à 
la  vie  sédentaire  grâce  à  l'irrigation.  Sartes  et  Tadjiks, 
de  race  aryenne,  y  cultivent  le  coton,  les  céréales,  les 
arbres  fruititri. 

Devenu  possession  des  tsars  dans  la  deuxième  moitié 
du  Xix'  siècle,  pacifié  et  mis  en  valeur,  le  Turkestan  fut 
relié  par  voie  ferrée  d'abord  à  la  Caspienne,  puis  direc- 


tement au  réseau  russe.  Il  reçut  peu  d'immigrants  slaves, 
mais  n'en  est  pas  moms  pour  la  Russie  une  sorte  de 
colonie  subtropicale  di  très  grande  importance  d'où 
l'Empire  tira  en  1913  plus  de  la  moitié  du  colon  néces- 
saire à  ses  filatures. 

En  1913,  la  majeure  partie  du  pays  était  administrée  direc- 
temenl  par  le  gouvernement  de  Petrograd.  Le  reste,  dans  la  vallée 
de  l'Amou-Daria,  constituait  les  Khanals  autonomes  de  Khiva 
et  Boukhara  soumis  au  régime  du  protectorat. 


GEOGRAPHIE  PHYSIQUE 


LES  MONTAGNES.  /Ha  Les  régions  monta- 
gneuses couvrent  environ  le  quart  de  la  superficie  totale. 
Elles  se  composent  d'une  succession  de  chaînes  à  peu 
près  parallèles,  orientées  de  l'Est  à  l'Ouest,  plissées  dans  le 
même  temps  que  le  Caucase  et  l'Himalaya.  Au  Nord, 
les  monts  Tarbagataï  et  Ala  Taou  ne  dépassent  guère 


2000  mètres.  Ils  encadrent  un  large  couloir  :  la  porte 
de  Dzoungarie  par  quoi  les  steppes  Kbirghizes  communi- 
quent directement  avec  les  déserts  Mongols. 

Puis,  en  deçà  de  l'Ili,  le  système  du  Tian-Chan 
s'étale  largement  depuis  la  vallée  de  cette  rivière  jusqu'au 
cours    supérieur    du    Syr-Daria.     Il    compte    six    ou 


455 


L'ASIE 

sept  chaînes  bordant  des  lacs  (Issyk  Koul,  Sou-Koul),de 
hauts  plateaux  et  des  couloirs  herbeux  où  les  bergers  kirghiz 
passent  l'e'té.  Il  culmine  par  7  315  mètres  au  Khan  Tengri- 
Du  Tian-Chan  aux  Pamirs,  l'A'aï  et  le  Trans-Alaï  com- 
prennent eux  aussi  une  série  de  chaînes  :  monts  du 
Turkestan,  monts  Hissar,  monts  Pierre-le-Grand,  etc., 
toutes  très  éleve'es  (moyenne  de  5  000  à  6  000  mètres) 
et  dont  la  pointe  suprême,  le  pic  Kaufmann,  attemt 
7800  mètres.  La  valle'e  du  Kizil-Sou  ou  Sourkhab, 
affluent  de  l'Amou-Daria,  se  creuse  au  coeur  des  mas- 
sifs. Elle  porte  elle-même  le  nom  d'Alaï,  et  ses  pâtu- 
rages savoureux  lui  valurent  le  surnom  de  Paradis 
des  Kirghiz  ". 

Le  Pamir  couvre  l'espace  compris  entre  le  Transalaï 
et  l'Hindou-Kouch.  Les  re'centes  explorations  nous  le 
dépeignent  non  pas  comme  un  plateau  uniforme,  tel 
qu'on  se  l'imaginait  autrefois,  mais  comme  une  succes- 
sion de  larges  vallées  à  pentes  douces,  hautes  de  3000  à 
4000  mètres,  séparées  par  des  chaînes  s  élevant  généra- 
lement de  900  à  2400  mètres  au-dessus  des  vallées 
(A  Woeïkof).  D'où  le  terme  de  région  des  Pamirs  qui 
tend  à  remplacer  l'ancienne  appellation.  Le  rebord  orien- 
tal, sis  en  territoire  chinois,  dresse  à  7  860  mètres  la 
pyramide  colossale  du  Mouz  Tagh  Ata. 

L'Hindou-Kouch,  le  SeRd  Koh,  les  monts  Paro- 
pamisades,  le  Kopet-Dagh  et  les  monts  du  Khorassan 
imitent  au  Sud  le  Tuikestan.  Nous  les  connaissons  déjà. 
Ils  n'appartiennent,  du  reste,  que  pour  une  très  faible 
part  à  la  région  qui  nous  intéresse  présentement. 

Toutes  les  hautes  montagnes  de  l'Est  ont  des  carac- 
tères communs. 

Leur  altitude  considérable  et  continue,  l'enchevêtre- 
ment de  leurs  plis,  l'extrême  rareté  des  brèches  y 
rendent  les  passages  fort  malaisés. 

Le  plus  célèbre,  le  col  de  Terek-Davan.  qui  unit  le  Ferghana  à 
Kachgar,  se  trouve  à  plus  de  4000  mètres.  C'est  l'ancienne  Route 
de  la  Soie,  empruntée  de  toute  antiquité  par  les  caravanes.  Dans 
le  Trans-Alal,  le  col  de  Kizil-Art,  qui  mène  aux  pâturages  des 
Pamirs  et  même  à  l'Inde  (la  piste  franchit  l'Hindou-Kouch  au 
pas  de  Baroghil),  atteint  4  612  mètres,  presque  l'altitude  du  Mont 
Blanc. 

Le  climat  est  tel  qu'on  peut  l'attendre  de  régions  tiès 
élevées,  assez  proches  du  Tropique,  mais  éloignées  des 
Océans. 

A  Pamirski  Post  (3693  mètres  d'altitude),  la 
moyenne  des  températures  annuelles  est  inférieure  à  0 
( —  ]",2).  Elle  s'abaisse  en  janvier  à —  I8°,l,  mais 
s'élève  en  juillet  à  +  1 4°, 2,  soit  un  écart  moyen  de  32°, 3, 
beaucoup  plus  grand  que  les  amplitudes  observées  en 
Suisse  à  égale  hauteur. 

La  sécheresse  de  l'air  accentue  à  la  fois  l'msolation  et  le  rayon- 
nement. Aussi  non    seulement  note-t-on    des    différences    considé- 


rables entre  les  saisons,  entre  le  jour  et  la  nuit,  mais  même  entre 
deux  pomts  exposés,  l'un  à  l'ombre  (plusieurs  degrés  au-dessous 
du  pomt  de  glace),  l'autre  au  soleil  (30°  au-dessus  de  zéro). 
Des  bourrasques  continuelles,  des  vents  d'une  incroyable  violence 
balaient  l'atmosphère.  Les  voyageurs  ont  peine  à  se  tenir  à  cheval 
et  les  animaux  doivent  se  réfugier  à  l'abri  des    roches  protectrices. 


Peu  de  précipitations  atmosphériques  malgré  l'alti- 
tude. Les  grands  réservoirs  d'humidité  sont  trop  loin  et 
les  montagnes  ne  peuvent  compter  que  sur  l'évaporation 
de  1  Aral,  de  la  Caspienne,  des  plaines  irriguées. 
Pamirski-Post  ne  reçoit  que  61  millimètres  d'eau. 
Mais  cette  eali  tombe  —  surtout  à  l'automne  et 
au  printemps  —  sous  forme  de  neige  dont  la  lente 
fusion  assure  au  sol  assez  d'humidité  pour  porter  sinon 
des  forêts,  comme  dans  nos  Alpes,  du  moins  des  prai- 
ries. Certaines  hautes  vallées,  comme  l'Ala'i,  sont 
célèbres  par  la  qualité  de  leurs  alpages  où  le  bétail 
engraisse  vite.  La  flore  arbustive  n'est  représentée  (jus- 
qu'à 2000  mètres  environ)  que  par  quelques  pieds  iso- 
lés de  genévriers,  de  sapins  et  des  bouquets  de  noyers 
sauvages. 

Sur  les  flancs  des  plus  hautes  montagnes  directement 
exposés  aux  vents  d'Ouest,  la  neige  s  accumule  en  névés 
et  en  glaciers  qui  s'accroissent  même  en  été.  et  par  ciel 
très  clair,  grâce  à  la  simple  condensation  de  la  vapeur 
d'eau  tenue  en  suspension  dans  l'atmosphère.  Ces  gla- 
ciers sont,  pour  le  Turkestan  tout  entier,  la  vraie  et 
presque  1  unique  source  de  vie.  Sans  eux  le  désert 
s'étendrait  sans  solution  de  continuité  des  rives  de  la 
Caspienne  jusqu'à  la  Mandchourie.  Grâce  à  eux,  l'Ili, 
le  Zarafchan,  le  Syr  et  l'Amou-Dana  sont  assurés  d'une 
alimentation  régulière.  Ils  peuvent  ainsi  braver  l'intense 
évaporation,  la  sécheresse  des  vallées  et  des  plaines  où 
ils  débouchent,  et  assurer  l'irrigation  des  riches  oasis  où 
de  tout  temps  se  fixèrent  les  hommes. 

LES  VALLÉES  ET  LES  OASIS  DU 
"  PIEDMONT".  £>£>  Entre  les  "deux  pôles  répulsifs" 
que  sont  la  haute  montagne  et  le  désert,  une  ceinture 
d'oasis  constitue,  en  effet,  le  pôle  attractif  ",  la  zone 
d'humanité  du  Turkestan. 

Elle  débute  au  Nord,  dans  la  province  du  Seminet- 
chensk,  par  les  petites  vallées  de  l'Ala-Taou  (de  Sergio- 
pol  à  Kopal),  et  par  la  vallée  moyenne  de  l'IIi  (entre 
Kouldja  et  Viernyi),  se  continue  au  Centre  par  la  dépres- 
sion du  Ferghana  que  traverse  le  Syr  Daria,  par  les 
vallées  du  Zarafchan  et  de  l'Amou  Dana  ;  s'achève  au 
Sud  par  les  oasis  de  Merv,  Tedjen,  Askhabad,  semées 
au  pied  du  Kopet-Dagh. 

Le  climat  y  est  encore  tour  à  tour  très  chaud,  très 
froid,  et  toujours  très  sec,  comme  en  témoigne  le  tableau 
suivant  : 


456 


LE  TURKESTAN  RUSSE 


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457 


L'ASIE 


BOUKHARA  :  LA  MEDRESSÊ.  Boukhara,  capitale  du  Khanatde  ce  nom.  fut. 

du  IX^  au  XÎV^  siècle,  une  des  grandes  cités  tnleUectuelles  de  l'Islam.  On  n'y 

compte  pas  moins  de  360  mosquées  ;  et   une  centaine  de  Medrcssés  ou  Ecoles   érigent 

encore,    au-dessus  des  petites  maisons  d'argile,  leurs  portes  monumentales. 


NOUVEAU  MERV  :  UNE  ÉCOLE.  Ancienne  ville  hellénique  fondée  parAntio- 
chus  Soter  au  milieu  d'une  oasis  renommée  pour  sa  fécondité,  Merv  fut,  au  Moyen 
Age,  presque  aussi  célèhre  que  Boukhara  comme  centre  d'études  musulmanes. Plu- 
sieurs fois  dévastée,  elle  ne  joue  plus  qu'un  r,'le  insignifiant. 


UN  AOUL  AU  TURKESTAN.  Les  villages,  au  Turkestan  russe,  sont  faits  de 
maisonnelles  en  briques  crues  ou  en  terre  battue,  avec  un  petit  nombre  d'ouver- 
tures et  des  muTs  très  épais  pour  se  préserver  également  de  la  rigueur  du  froid  et 
de  la  torride  chaleur  des  étés.  Les  femmes  s'occupent  à  laver  les  étoffes  de  feutre. 


CAMPEMENT  DE  KIRGHIZ.  Les  Kirghiz.  ou  Turco-tatares,  mènent  la  vie 
nomade  dans  toute  la  vaste  région  qui  va  des  steppes  de  la  Caspienne  et  de  la  Sibérie 
méridionale  aux  alpages  des  montagnes  du  Turkestan.  Ils  habitent  des  tentes  rondes, 
assez  confortables,  faites  de  pièces  de  feutre  tendues  sur  un  hàti  de  lattes  de  bcis. 


CA:. J;E:\1£:;T  au  sud  du  KARA-KOUL.  La  vue  est  prise  dans  les  Monts 

Ah\,  i'ur,  dcz  mazzifs  compris  dans  le  formidable  ensemble  des  hautes  terres  qui 

ùoiidr.cr.i  à  /'i^(    la    dêùrcssion    du    Turkestan    russe.    Le  Kara-koul    ou     Lac 

Ndr  £    trouve  à  3  840  mètres  d'altitude. 


458 


UN  MARCHÉ  AU  COTON.  Z^  climat  et  le  sol  du  Turkestan  russe  conviennent 

parfaitement  à  la  culture  du  cotormier.  Aussi,  les  surfaces  consacrées  à  cet  arbuste 

se  sont-elles  accrues  avec  une  remarquable  rapidité,  notamment  dans  le  Ferghanah, 

ou  haute  vallée  du  Syr-Daria. 


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Tempe  atures 

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Hiver 
Printemps 

92   mm. 
176  mm. 

Andidjan  . . 

40<'7 

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7600 

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74' 

Hiver 
Printemps 

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Bairam    Ali 

(oaaisde 

Hiver 
Printemps 

Merv) 

37°7 

239 

IM 

0^1 

30°7 

30"' 

178 

49  mm. 

64  mm. 

Tachkent... 

4I«3 

478 

1304 

-Î'O 

27°0 

290 

355 

Hiver 
Printemps 

1 16  mm. 
153  mm. 

Nulle  part  la  quantité  de  pluies  n'est  suffisante  pour 
que  la  culture  soit  possible  sans  irrigation. 

Mais  1  irrigation  est  assure'e  grâce  aux  réserves  de 
neiges  et  de  pluies  où  puisent  les  torrents. 

Parmi  ces  torrents,  les  plus  faibles  ne  dépassent  pas 
le  pied  des  montagnes.  La  petite  quantité  de  leurs  eaux 
qui  échappe  aux  rigoles  d'arrosage  se  perd  dans  les 
sables.  Tels  sont  le  Tedjen,  le  Mourghab  (oasis  de 
Tedjen  et  de  Merv),  le  Zarafchan  (oasis  de  Samar- 
cande  et  Boukhara),  le  Talas,  le  Tchou,  etc. 

D  autres  s'uniisent  pour  former  de  vrais  fleuves  : 
Amou-Daria,  Syr  Daria,  Ili. 

L'Amou  (l'ancien  Oxus)  réunit  les  eaux  des  Pamirs 
et  de  l'Hindou-Kouch.  Long  de  2  312  kilomètres,  abon- 
dant, large  et  rapide  dans  son  cours  supérieur,  il  s'ap- 
pauvrit à  mesure  qu'il  s'éloigne  des  montagnes.  Cepen- 
dant, en  dépit  de  l'évaporation  et  des  saignées  faites  par 
les  rivières,  il  apporte  encore  à  rAr2il  une  moyenne  de 
1  250  mètres  cubes  d'eau  à  la  seconde. 

Le  Syr  Dana  (l'ancien  Yaxarte),  un  peu  plus  long 
(2873  kilomètres),  a  un  débit  beaucoup  moins  considé- 
rable (500  à  600  mètres  cubes  à  la  seconde). 

L'Ili  (1050  kilomètres)  jette  au  lac  Balkach 
400  mètres  cubes  en  moyenne  à  la  seconde. 

L'eau  ne  manque  donc  pas,  les  bonnes  terres  non 
plus,  carie  sol  des  vallées,  formé  soit  d'alluvions  fluviales, 
soit  de  loess  "  provenant  des  poussières  accumulées 
par  le  vent  du  désert,  se  montre,  pour  peu  qu'on  l'ar- 
rose, d'une  très  remarquable  fécondité. 

Enfin,  la  chaleur  des  longs  étés,  la  clarté  du  ciel,  le 
calme  de  I  atmosphère  dii  à  l'écran  protecteur  des  mon- 
tagnes favorisent  encore  la  croissance  des  plantes.  Les 
steppe»  de  loess  se  couvrent  de  graminées  vigoureuses 
(les  Badkhys),  hautes  d'un  mètre  et  plus.  Peupliers, 
saules,  tamaris,  pla'anes  accompagnent  livières  et  ruis- 
seaux. 

Surtout  I  homme  sut  créer,  pai  l'utilisation  judicieuse 
des  eaux,  une  multitude  d'oasis,  tantôt  isolées  les  unes 
des  autres,  tantôt  réunies  en  un  immense  jardin. 


LE  TURKESTAN  RUSSE 

^  Ce»  oasis  ne  s'orneni  poinl.  comme  leurs  sœurs  sahariennes,  des 
(ùls  éléganls,  des  grandes  palmes  du  dallier.  Elles  doivent  se  con- 
lenler  d'arbres  moin»  sensibles  aux  rudesses  de  l'hiver,  el  ce  sont 
des  saules,  des  ormes,  des  peupliers  surtoul  qui  peuplent  les  jardins, 
les  boqueteaux  irrigués.  Mais  à  côlé  d'eux  tous  nos  arbres  fruitiers, 
tous  nos  légumes,  nos  céréales  croissent  admirablement.  Les  mois- 
sons de  la  Sogdiane  (la  région  de  Samarcande)  étaient  dé)à  célèbres 
aux  temps  antiques.  Aujourd'hui  le  riz,  le  sorgho,  le  mais,  la  luzerne, 
le  mûrier  s'ajoutent  au  blé,  à  l'orge,  à  la  vigne,  à  l'abricotier,  au 
noyer,  au  sésame,  au  lin,  et  le  cotonnier  a  lait  de  tel»  progrés  qu'il 
tend,  comme  en  Egypte,  à  supplanter  les  autres  culluresde  moindre 
rapport. 


LES  STEPPES  ET  LES  DÉSERTS  DE 
L  OUEST.  H^  Au  point  où  s'arrêtent  les  rigoles  com- 
mence le  désert.  Il  couvre  environ  1000  000  de  kilomètres 
caaés  sous  les  noms  de  Kara  Koum  ou  Sable  noir  (entre 
les  monts  Kopet  Dagh  et  l'Amou-Daria),  de  Kizil  Koum 
ou  Sable  rouge  (de  l'Amou-Daria  au  Syr-Daria).  de 
Bed-pak-dala  ou  Steppe  de  la  Faim  entre  le  Syr-Daria 
et  le  lac  Balkach,  de  plateau  d'Oust-Ourt  entre  le  lac 
d  Aral  et  la  Caspienne.  11  se  continue  dans  la  Sibérie 
méridionale  par  les  steppes  des  Kirghiz  (Gouverne- 
ments de  Tourgaï,  Akmolensk  et  Sémipalatinsk). 

Les  Koum  sont  des  déserts  de  sable  recouverts  de 
dunes  mouvantes  en  fer  à  cheval,  les  "  barkanes  ", 
hautes  de  5  à  I  2  mètres,  que  séparent  les  "  fakyrs  ", 
dépressions  argileuses  et  stériles  semées  d'effloresccnces 
salines. 

Le  plateau  d'Oust-Ourt  rappelle  plutôt  les  Hamadas 
sahariennes.  Point  de  dunes,  mais  de  vastes  surfaces  de 
roches  lisses,  de  cailloux  et  d'argiles  que  bordent  des 
escarpements  :  les  '  tchink  ",  analogues  aux  "  gours  "du 
Tademayt.  Toujours  des  hivers  très  rudes  et  de  brillants 
étés.  Kazahnsk,  près  de  l'embouchure  du  Syr-Daria,  a 
—  1  1  5,  comme  moyenne  de  janvier  (l'hiver  de  la  Laponie 
sous  la  latitude  de  Bordeaux)  et  +  25°,  1  comme  moyenne 
de  juillet.  Khiva,  un  peu  plus  au  Sud,  passe  de  —  4".  7  à 
+  28°,  3.  Des  vents,  que  rien  n'arrête,  soufflent  de  l'Est 
en  hiver,  de  l'Ouest  en  été,  tour  à  tour  glacés  ou  suffo- 
cants, soulevant  de  tels  tourbillons  de  poussière  qu'ils 
empêchent  de  voir  les  montagnes  quelquefois  pendant 
des  semaines  entières,  et  cela  à  une  distance  souvent 
inférieure  à  10  kilomètres  ". 

Les  pluies,  déjà  si  faibles  dans  les  montagnes  et  les 
vallées,  diminuent  encore  dans  les  plaines.  Même  aux 
rives  delà  Caspienne,  Krasnovodsk  ne  reçoit  que  I  I  cen- 
timètres d'eau  ;  Kazalinsk   et  Perovsk  12;   Khiva  9. 

Aussi  toute  culture  est-elle  impossible  en  dehors  de  la 
zone  irriguée  par  l'Amour  et  le  Syr-Daria  qui,  semblables 
au  Nil,  créent  de  la  montagne  au  lac  d'Aral  une  longue 
et  mince  ligne  d'oasis  étroitement  limitées  par  les 
sables. 

Ces  sables  ne  sont  point,  du  reste,  complètement  pri- 
vés de  végétaux.    Les  averses  du  printemps,  si  faibles 

-  459 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE. 


L'ASIE 


soient-elles,  disparaissent  sous  le  sol  meuble  et  suffisent  à 
nourrir  quelques  plantes  peu  exigeantes  accommodées 
à  l'extrême  se'cheresse  :  plantes  bulbeuses,  gramine'es  à 
carapace  cimentée  par  du  calcaire  (le  Sélm),  arbustes 
épineux  tels  que  l'acacia  des  sables,  le  Kandym,  le 
Tcherkez,  le  Saksaoul,  surtout,  au  bois  très  lourd,  très 
dur,  difficile  à  scier,  mais  qui  se  casse  facilement  et  donne 
un  bois  de  chauffage  excellent.  Les  plantations  artifi- 
cielles destinées  à  préserver  les  voies  ferrées  de  l'envahis- 
sement des  sables  ont  prouvé  que  cette  végétation,  en 
général  extrêmement  clairsemée,  pouvait  se  développer 
considérablement.  L'évolution  naturelle  des  semis  aboutit 
même,  au  bout  d'une  période  relativement  courte  (une 
vingtaine  d'années),  non  seulement  à  fixer  complètement 
les  barkanes  ',  mais  à  transformer  le  désert  aride  en 
une  steppe  où  dominent  les  plantes  herbacées  et  où 
les  troupeaux  des  nomades  trouvent  une  nourriture 
assurée. 


Seuls  les  déserts  de  roches  et  d'argiles  dures,  à  la  sur- 
face desquels  1  eau  de  pluie  s'évapore  en  quelques 
heures,  ne  pourront  échapper  à  l'éternelle  stérilité. 

Les  régions  les  plus  basses  des  plaines  occidentales  sont  occupées 
par  deux  lacs  :  le  Balkach  et  l'Aral.  Le  premier,  nourri  par  l'Ili, 
couvre  18000  kilomètres  carrés  (autant  que  le  lac  Ladoga  en  Russie 
d  Europe).  Le  second,  qu'alimentent  le  Syr  et  l'Amou-Daria,  se 
classe  avec  ses  67  000  kilomètres  carrés,  immédiatement  après  les 
Lacs  Supérieur  et  Victoria  Nyanza.  11  est  possible  que  l'Aral, 
dont  le  niveau  est  légèrement  supérieur  à  celui  de  la  Caspienne, 
ait  communiqué  autrefois  avec  cette  mer  par  les  dépressions  de 
Sarry-Kamych  et  de  l'Ouzboï.  Mais  il  paraît  démontré  que  — 
au  moins  depuis  la  période  historique  —  il  n'y  a  pas  eu  dans  toute 
cette  région  dessèchement  progressif  et  continu,  comme  on  l'a  sup- 
posé longtemps.  On  relève  simplement,  dans  le  niveau  de  tous  les 
lacs  de  l'Asie  Centrale  et  Occidentale,  des  oscillations  périodiques, 
tenant  à  des  variations  temporaires  du  climat  :  maximum  un  peu 
après  1840,  minimum  en  1854;  crue  de  1854  à  1860,  baisse  des 
eaux  après  1870;  minimum  vers  1885.  crue  depuis  cette  date.  etc. 
(D'après  A.  Woeikof.) 


GEOGRAPHIE  HUMAINE  ET  ECONOMIQUE 

L'HISTOIRE,  i) £>  Depuis  l'aurore  des  temps  assauts  des  envahisseurs.  L'Angleterre,  un  moment  fort 
historiques  nous  trouvons  le  Turkestan  occupé  par  des  inquiète  de  cette  poussée  slave  qui  semblait  menacer 
sédentaires  et  des  nomades.  Les  premiers,  fixés  dans  les  l'Inde,  finit  par  s  entendre  à  1  amiable  avec  le  gouverne- 
oasis  du  Piedmont  ",  appartenaient  au  groupe  des  ment  des  Tsars,  et  1  on  fixa  d  un  commun  accord  les 
peuples  iraniens,  de  race  blanche.  Les  seconds  étaient  frontières  anglo-russo-afghanes  dans  la  région  des 
des  Touraniens,  de  race  mongole.  Leur  pays,  connu  Pamirs.  De  son  côté,  la  Russie  laissa  un  semblant  d'au- 
dans  l'Antiquité  sous  les  noms  de  BactrianeetdeSogdiane.  torité  à  deux  souverains  indigènes  :  les  Khans  de  Khiva 
fut  conquis  par  Alexandre  ;  mais  l'influence  hellénique.  et  de  Boukhara.  Elle  se  chargea  d'administrer  le  reste 
toute  passagère,  n'a  laissé  que  des  traces  insignifiantes.  du  pays  qui  fut  uni  directement  à  1  Empire. 
Islamisé  à   partir  du  VIII®  siècle,    et  incorporé  dans  les 

différents  Empires  (Gengis-Khan.Tamerlan)  qui  se  succé-  LES  HABITANTS.  ^^  En  prenant  comme  base 

dèrent  en  Asie  Centrale,  le  Turkestan  joua  un  certain  'e  dernier  recensement  officiel  (il  date  de  1897  !)  et  en 

rôle  comme  lieu  de  rencontre  entre  les  commerçants  de  'enant  compte  de  l'accroissement  normal  de  la  population, 

l'Occident  et  ceux  de  l'Extrême-Orient.  C'était  une  des  on  estimait,  en  1912-1913,  le  nombre  total  des   habi- 

étapes  de  la  "Route  de  la  Soie  "et  Samarcande  comptait,  tan's  à  13  162  000  ainsi  répartis  : 

au  Moyen  Age,  au  rang  des  principaux  entrepôts   com-  Province  de  Ferghana 2  1 1 6  000  habitants 

merciaux  du  monde.    Plus  tard,  des    chefs  locaux,  les  —       de  Samarcande 1  194  000      — 

Khans,  devinrent   indépendants  jusqu'au    jour    où    les  —       de  Syr- Dana 1989  000      — 

Russes   apparurent.   Aucune  barrière  ne    s'interposait  "       de  Semirietchensk '"6  000      - 

I  ii\ri  11»  Ali  —         ae  Transcaspienne 507  000        — 

entre  les  pays  de  la  Volga  et  ceux  de  1  Aral.  Les  popu-  ^^^^^,  j^  g^^^^^^^ 2  500  000      - 

lations  mêmes,  Tatares.  Kirghiz,  étaient  de  même  race  et  Khanat  de  Khiva 550  000      — 

de  religion  identique.  Aussi  la  croisade  orthodoxe  contre 

le  Croissant  se  dirigea-t-elle  vers  les  steppes  Turkmènes  La  densité  est   naturellement   extrêmement  variable. 

dans    le   même    temps     qu'elle   prenait    Constantinople  Tandis  que  les  déserts  et  les  steppes  de  l'Ouest,  les  hautes 

fomme  objet  suprême  de  ses  efforts.  Pierre  le   Grand  y  montagnes  de  l'Est,  ne  comptent  qu'un  nombre  d'hommes 

songea;  Catherine  II  essaya  d'entreprendre  une  conquête  insignifiant,  les  riches  oasis  du  Ferghana,  de  Samarcande, 

qui   échoua,  mais  que,   quatre-vingts  ans  plus  tard,  les  de  Khiva  nourrissent  la  majeure  partie  des  13000000 

razzias  des  nomades,  faites  aux  dépens  des  premiers  colons  d'habitants  fixés  au  Turkestan. 

russes  fixés  dans  la  Sibérie  du  Sud-Ouest,  rendirent  indis-  Ces    habitants    comprennent     d'abord    des    Tadjiks 

pensable.  Commencée   en    1845.   l'occupation   s'acheva  (9  pour  100  du  total)  qui  sont  de  purs  Aryens,  proches 

en  1892  après  une  série  de  rudes    campagnes    où  les  parents  des  Persans,   et    représentent  l'élément  le  plus 

Turkmènes,    notamment,  résistèrent    vaillamment    aux  ancien  des  sédentaires  de  race  blanche  :  figure  ovale,  che- 

460 


veux  noirs,  bruns  foncés,  quelquefois  même  châtains  ou 
blonds,  yeux  bruns  ou  noirs,  beaucoup  de  barbe.  Les 
uns  habitent  les  villes  de  la  plaine  et  des  basses  vallées  : 
excellents  agriculteurs,  ouvriers  et  marchands  habiles,  ils 
jouent  le  premier  rôle  parmi  les  indigènes.  Les  autres, 
surnommés  Galtchas,  mènent  dans  la  montagne  une  vie 
rustique  et  fort  misérable. 

Aux  Tadjiks  s'opposent  les  Kirghiz,  turco-tateu-es  à 
peu  près  purs  et  demeurés  en  grande  majorité  fort  atta- 
chés à  leurs  habitudes  nomades.  Robustes,  endurants, 
hospitahers,  très  curieux  de  nouvelles,  ils  mènent  leurs 
troupeaux  soit  dans  les  sleppss  des  plaines  septentrio- 
nales, soit  dans  les  alpages  du  Tian-Chan,  de  l'Altaï, 
des  Pamirs. 

Mais  la  masse  de  la  population  provient  du  métis- 
sage à  doses  inégales  entre  blancs  et  jaunes,  nomades 
et  sédentaires,  Turco-Tatares  et  Iraniens.  On  leur  donne 
le  nom  de  Sartes,  Uzbegs,  Turkmènes.  Les  pre- 
miers, Sartes  et  Uzbegs,  tous  sédentaires,  peuplent 
les  campagnes  irriguées  et  les  villes  du  Ferghana,  de 
Samarcande,  Khiva,  Boukhara.  Depuis  longtemps  habi- 
tués a  supporter  sans  se  plaindre  les  razzias,  les  exigences 
des  nomades,  ils  ont  pris  peu  à  peu  ces  habitudes  de 
cautèle,  de  dissimulation,  d  hypocrisie,  et  cette  naturelle 
lâcheté  que  nous  remarquâmes  déjà  chez  certains  peuples 
de  l'Iran.  '  Le  peu  de  résistance  opposée  par  eux  à 
la  conquête  russe,  la  fuite  de  leurs  armées  nombreuses 
devant  de  petits  détachements  leur  ont  fait  une  fâcheuse 
réputation  "  que  rachètent  dans  une  certaine  mesure 
leur  aptitude  au  commerce  et  à  l'agriculture. 

11  en  est  tout  autrement  des  Turcomans  presque  tous 
concentrés  dans  la  province  de  Transcaspienne  et  la  pro- 
vince persane  du  Khorassan.  Ceux-ci,  jusqu'à  l'arrivée  des 
Russes,  n'avaient  jamais  connu  de  maîtres.  S  ils  se  mélan- 
gèrent aux  Iraniens,  ce  fut  à  la  suite  de  leurs  razzias  où 
les  femmes  blanches  formaient  le  butin  le  plus  recherché. 
D'où  la  création  d'une  race  vigoureuse  et  belle,  éprise 
d'indépendance,  et  qui  opposa  aux  Russes  une  résistance 
désespérée. 

Vaincus,  mais  traités  avec  les  égards  dus  à  leur 
courage,  ils  se  sont  soumis  sans  arrière-pensée,  ont 
complètement  renoncé  à  leurs  habitudes  de  brigandage, 
et  commencent  même  à  délaisser  la  vie  nomade  pour  se 
transformer  en  cultivateurs  sédentaires. 

Sédenlaires  et  nomades  onl  adoplé  depuis  des  siècles  l'Islam. 
Les  premiers.  Sunnites  ou  CKiiles,  pratiquent  Irès  strictement  leur 
religion  et  font  même  preuve  à  l'occasion  d'un  véritable  fanatisme. 
Nombreux  sont  ceux  qui  vont  chercher  à  Kerbela  ou  à  la  Mecque 
le  litre  de  "  Hodja  ".  Les  nomades,  surtout  Kirghiz,  ont  plus  de 
tiédeur  religieuse  et  mêlent  à  la  pure  doctrine  musulmane  beaucoup 
d'anciennes  croyances  païennes.  Ils  ne  se  conforment  généralement 
pas  aux  rites  du  Coran  pour  le  Carême,  les  prières,  etc.,  et  leurs 
femmes,  auxquelles  ils  laissent  une  grande  liberté,  ne  se  voilenl 
jamais. 


LE  TURKESTAN  RUSSE 

Aux  indigènes  s'ajoutent  des  Russes,  mais  en  petit 
nombre,  et  cela  pour  plusieurs  raisons. 

D  abord,  à  la  base  des  monts,  les  chaleurs  torrides 
de  1  été,  bien  qu'assez  aisément  supportables  par  suite  de 
la  sécheresse  de  l'air,  sont  peu  faites  pour  leur  convenir. 
La  montagne,  beaucoup  plus  salubre,  ne  leur  plail  pas  : 
le  Russe  est  un  homme  de  plaine  qui  n'aime  pas  à 
grimper. 

De  plus,  et  surtout,  les  "  Kichlats  "  ou  oasis,  seules 
régions  productives,  renferment  déjà  une  population  indi- 
gène très  dense,  qui  s'entend  fort  bien  —  et  suffit  —  à 
les  mettre  en  valeur. 

Aussi  ne  comptait-on  en  1912  (en  dehors  des  fonction- 
naires et  des  garnisons)  que  73500  Russes  répartis  en 
171  villages  dans  les  qua'.re  provinces  de  Syr-Daria, 
Samarcande,  Ferghana  et  Transcaspienne. 

Il  semble  que  la  province  de  Semirietchensk  ait  plus 
d  avenir.  Sa  situation  septentrionale  lui  vaut  un  climat 
plus  rude  qui  ne  permet  pas  la  culture  du  cotonnier 
(à  laquelle  le  Russe  n'entend  rien),  mais  est  favorable 
aux  céréales  et  à  l'élevage.  La  population,  très  clairse- 
mée (Kara-Kirghiz  nomades),  laisse  disponibles  de  vastes 
étendues  de  terre.  Aussi,  depuis  1890,  et  surtout  depuis 
1905,  un  courani  très  intéressant  d'émigration  se  dessi- 
nait-il  vers  ces  lointaines  régions,  malgré  la  longueur  et 
la  difficulté  du  voyage.  On  compta  2  000  émigrants  en 
1907,  7600  en  1908,  5800  en  1909.  La  con.truction 
de  la  ligne  Tachkent-Arys  —  Viernyi-Sergiopol  — 
Sémipalatinsk-Transsibérien  (voir  plus  loin  K  le  dévelop- 
pement des  travaux  d'irrigation  pourraient  élargir  très 
fortement  ce  début  de  colonisation. 

LES  RESSOURCES,  aa  Élevage,  agriculture, 
elles  sont  les  sources  presque  uniques  de  la  production 
ocale. 

L'élevage  se  pratique  dans  la  steppe  et  la  montagne. 
Moutons  (notamment  de  race  "  Kourdiouk  ",  à  lourde 
queue  graisseuse),  vaches,  chevaux,  dromadaires,  cha- 
meaux, yaks  même,  au-dessus  de  3033  mètres,  sont  la 
richesse  du  nomade.  Il  se  nourrit  de  leur  lait  et  de  leur 
chair,  fait  du  fromage  et  du  beurre,  vend  aux  séden- 
taires de  la  laine,  du  cuir  et  des  animaux  sur  pied,  en 
échange  des  céréales.  Le  nomadisme  décline,  du  reste, 
et  le  cheptel  tend  plutôt  à  diminuer.  Le  chameau,  notam- 
ment, a  beaucoup  perdu  de  son  importance  depuis  la 
construction  des  chemins  de  fer.  Par  contre,  l'élevage 
des  porcs,  inconnu  des  indigènes  musulmans,  a  été  intro- 
duit par  les  immigrants  russes. 

L'agriculture  n'est  possible  qu'en  terrain  irrigué. 
Même  à  proximité  des  grandes  villes,  un  hectare  de 
terre  placé  hors  de  la  zone  accessible  aux  rigoles  se  vend 
de  8  à  10  francs,  tandis  que  la  même  surface,  facile  à 
arroser,  atteint  40(X)et  5  000  francs.  Aussi  tout  l'avenir  du 

■ -toi 


L'ASIE 


pays  repose-t-ll  sur  l'extension  des  canaux,  la  construc- 
tion de  barrages  et  de  réservoirs.  De'jà  le  Turkestan 
possède  plus  de  2  500  000  hectares  de  terrains  irrigués, 
ce  qui  le  classe  immédiatement  après  l'Inde  et  les  Etats- 
Unis.  Mais  on  peut  faire  bien  plus  encore.  Les  mil- 
lions de  mètres  cubes  d'eau  que  le  Syr  et  l'Amou-Daria 
apportent  à  l'Aral,  et  l'ili  au  Balkach,  sont  perdus  pour 
la  culture.  D'où  de  nombreux  projets  de  dérivation  de 
ces  fleuves  et  de  quelques-uns  de  leurs  affluents,  projets 
qui,  d'après  les  calculs  des  ingénieurs  russes,  permettraient 
de  mettre  en  valeur  2  200  000  hectares  par  les  eaux  de 
l'Amou,  700  000  par  les  eaux  du  Syr,  400  000  à  500  000 
par  celles  de  l'Ili  et  de  quelques  torrents  voisins.  Les 
travaux  considérables  exécutés  par  les  Anglais  en  Egypte, 
dans  1  Inde,  en  Mésopotamie,  et  par  les  Américains  au 
Colorado,  dans  l' Arizona,  la  Californie,  etc.,  permettent 
de  croire  que,  si  ces  projets  se  réalisent,  ils  ne  décevront 
pas  les  espérances  que  l'on  fonde  sur  eux. 

Les  céréales  viennent  en  tête  des  plantes  cultivées  : 
froment,  orge,  millet  d  abord,  puis  riz,  avoine  et  maïs. 
Tous  les  légumes  et  les  arbres  à  fruits  d'Europe  donnent 
d'excellents  produits  (melons,  raisins,  abricots,  prunes, 
pêches,  noix,  poires,  etc.)  qui  s'exportent  en  grande 
quantité  vers  la  Russie  d'Europe  et  la  Sibérie,  soit 
à  l'état  frais,  soit  séchés  au  soleil.  Une  exploitation  plus 
judicieuse  et  plus  scientifique,  le  développement  des 
vignobles,  les  expéditions  de  primeurs,  peuvent  accroître 
dans  de  très  fortes  proportions  la  valeur  des  vergers  et 
des   jardins. 

Les  plantes  oléagineuses  (ricin,  sésame,  lin)  et  four- 
ragères (la  luzerne  notamment),  le  mûrier  sont  aussi 
de  bon  rapport. 

Mais  c'est  le  cotonnier  qui  attire  surtout  l'attention. 
Avant  la  conquête  russe,  on  ne  cultivait  qu'une  espèce 
médiocre,  d'origine  indienne,  donnant  une  fibre  courte 
et  grossière.  Des  essais,  poursuivis  de  1865  a  1880, 
ont  amené  l'acclimatation  de  variétés  très  supérieures 
venues  d'Amérique.  De  plus,  la  construction  des  che- 
mins de  fer  Transcaspiens  (Tachkent-Krasnovodsk  et 
Tachkent-Orenbourg)  permit  aux  producteurs  d'expor- 
ter aisément  leurs  fibres  sur  les  marchés  russes.  Enfin, 
le  développement  rapide  de  l'industrie  cotonnière  en 
Russie  (Yaroslaw,  Moscou,  etc.)  assura  aux  cultiva- 
teurs une  vente  facile  et  rémunératrice,  l'offre  demeu- 
rant constamment  inférieure  aux  demandes. 

Aussi  le  nombre  d'hectares  consacrés  au  cotonnier  s'accrut-il  extrê- 
mement vite,  passant  de  330  en  1884  à  13000  en  1886,  à  64  000 
en  1890,  à  227  000  en  1902,  et  à420  000  en  1912.  A  cettedate. 
sur  les  360  000  tonnes  métriques  de  coton  égrené  mis  en  oeuvre  par 
les  fabriques  russes,  près  de  la  moitié  venait  du  Turkestan. 

Des  diverses  régions  irriguées,  le  Ferghana  se  prête  le  mieux  à 
la  bonne  venue  de  la  plante  que  l'écran  des  monts  protège  contre 
les  gelées  précoces  ou  Icrdnes.  Le  cotonnier  occupe  partout  plus  du 


tiers  et,  dans  certaines  contrées,  les  deux  tiers  des  terres  cultivées. 
Céréales,  luzernes,  vergers  même  ont  reculé  devant  l'envahissement 
des  champs  de  coton.  Après  le  Ferghana  se  classent  les  oasis  de 
Samarcande,  Boukhara,  Khiva  et   Merv. 

O.i  co.inait  mil  encore  les  ressources  possibles  du 
sous-sol,  et  le  Turkestan  n'a  point  de  mines  en  exploi- 
tation. Mais,  aux  vieilles  industries  locales  (tapis,  feutres, 
bijoux,  ustensiles  en  cuivre  repoussé,  de  très  minime 
impDrtance,  du  reste),  s'ajoutent  maintenant  des  usines 
et  des  fabriques  parfois  considérables,  où  l'on  traite  les 
produits  agricoles  :  "  gins  ",  ou  usines  à  nettoyer  le  co- 
ton, huileries  et  fabriques  de  tourteaux  (avec  la  graine 
du  cotonnier  qui  remplace  peu  à  peu  le  sésame  et  la 
graine  de  lin),  conserves  de  fruits,  minoteries,  entreprises 
vinicoles  (50000  hectolitres),  etc. 

LES  VILLES.  ^ £>  La  richesse  des  oasis  et  le 
groupement  naturel  des  habitants  aux  points  où  l'eau 
coulait  avec  abondance,  expliquent  le  nombre  relative- 
ment grand  et  l'ancienneté  des  agglomérations  urbaines. 
Certaines  d'entre  elles  existaient  déjà  lors  de  la  conquête 
d'Alexandre,  au  iv*^  siècle  avant  notre  ère.  D'autres 
apparurent  après  lui  aux  temps  des  Sassanides  et  des 
dynasties  mongoles.  Dautres,  enfin,  ne  doivent  leur 
naissance  qu  au  récent  développement  économique  de 
la  contrée  et  à  la  construction  des  chemins  de  fer. 

La  plupart  d  entre  elles  comprennent  deux  parties  dissemblables  : 
la  ville  mdigène  aux  petites  maisons  de  pisé,  à  toits  plats,  se  pres- 
sant au  long  d'étroites  rues  tortueuses,  et  la  ville  russe,  d'aspect 
européen.  Des  arbres  nombreux  croissent  dans  les  cours  intérieures- 
Autour  de  la  cité,  des  jardins  ceints  de  murs  en  terre,  que  sur- 
montent les  cimes  des  peupliers,  se  remplissent  de  carrés  de  légumes 
et  d'arbres  fruitiers  qui  portent  des  guirlandes  de  vignes  suspen- 
dues à  leurs  branches.  Les  hauts  portiques  des  médressés  (ou  écoles), 
les  coupoles  des  mosquées  qui  s'érigent  par-dessus  les  chélives 
demeures  des  indigènes,  contrastent  avec  les  usines,  les  théâtres,  les 
casernes,  toute  l'ordinaire  série  des  bâtiments  officiels  construits  par 
les  nouveaux  maîtres.  Par  ailleurs,  la  nonchalance  slave  s'associe  fort 
bien  à  l'indolence  orientale.  Au  "  C'était  écrit  "  du  musulman 
répond  le"  Nitchevo  "  du  Russe.  Le  souci  de  l'hygiène  publique, 
les  soins  de  la  voirie,  les  laissent  également  indifférents.  Si  à  cer- 
taines époques  de  l'année  (récolle  et  vente  du  coton  notamment)  tout  le 
monde  fait  preuve  d'une  certaine  activité,  le  reste  des  jours  coule 
sans  grand  souci  :  le  Slave  fait  la  sieste,  le  Tadjik  ouïe  Sarte  fait 
le  "  kief  "  et  leurs  rêves,  s'ils  portent  sur  des  objets  différents, 
remplissent  également   le  plus   clair  de  leur  temps. 

La  province  de  Semirietchensk  a  pour  chef-lieu 
Viernyi  (40000  habitants)  dans  la  vallée  moyenne  de 
l'Ili,  mais  au  pied  du  Tianchan.  Djafkent,  Kopal,  Lep- 
sinsk  (8000  habitants),  Sergiopol  s'échelonnent  à  la  base 
de  l'Ala-Taou.  Prjévalsky,  où  mourut  le  célèbre  explo- 
rateur dont  la  cité  prit  le  nom  (15  000  habitants), 
grandit  près  du  lac  Issyk-Koul.  Toutes  ces  villes  sont 
peuplées  surtout  d'immigrants  russes. 

Dans  la  province  du  Syr-Daria,  Tachkent  (272000 


462 


habitants),  capitale  administrative  du  Turlcestan,  renferme 
une  forte  colonie  russe  (57  000  personnes),  des  sociétés 
savantes  (Socie'té  de  Géographie,  d'Economie  rurale, 
technique,  etc.).  un  observatoire,  de  riches  biblio- 
thèques, des  banques  actives,  des  usines,  etc.  Ville  an- 
cienne, mais  souvent  conquise  et  détruite,  elle  n'a  aucun 
monument  remarquable.  Tchimkent,  "  la  ville  verte  ", 
Turlcestan  (l'ancienne  Yasi,  17  000  habitants),  Aoulié- 
Ata,  ont  aussi  plusieurs  siècles  d'existence.  Perovsk  et 
Kazalinsk  (16000  habitants)  ne  doivent,  au  contraire, 
leur  naissance  qu'à  la  voie  ferrée  Tachkent-Orenbourg. 
dont  elles  sont  les  principales  stations. 

La  vallée  moyenne  du  S>T-Daria  constitue  le  cœur 
de  la  province  du  Ferghana,  "  perle  de  l'Asie  Centrale". 
La  densité  de  la  population  atteint  1 7  habitants  au  kilo- 
mètre carré  pour  l'eneemble  de  la  province,  et  si  l'on 
ne  tient  compte  que  des  surfaces  irriguées,  cette  den- 
sité est  de  plus  de  1  50  habitants  au  kilomètre  carré. 
Aussi  y  compte-t-on  six  villes  importantes  :  Kokand 
(1  14000  habitants),  fondée  au  xvin^  siècle  seulement, 
mais  centre  du  commerce  du  coton,  oii  l'on  gagne  beau- 
coup, où  1  on  dépense  largement,  et  où  les  sociétés  russes 
et  in  igènesse  mêlent  plus  étroitement  qu'ailleurs  ;  Skobe- 
lefî  (16000  habitants),  chef-lieu  de  la  province;  Vieux- 
Marghilan  (41  000  habitants),  Namangan  (73000  habi- 
tants), .Andidjan  (47  000  habitants),  Och  (5 1  000  habi- 
tants), qui,  sans  passé,  ont  rapidement  grandi  grâce  au 
coton  et  à  la  voie  ferrée. 

La  provmce  de  Samarcande  doit  aux  eaux  du  Za- 
rafchan  ou  Sogd  (d'où  le  nom  de  Sogdiane)  sa  pros- 
périté et  son  antique  renommée.  Le  chef-lieu,  Samar- 
cande, s'élève  près  de  la  Marahanda  d'Alexandre.  Elle 
fut  la  capitale  des  Sassanides  et  de  Tamerlan.  De  splen- 
dides  mosquées  (le  Chah  Zindeh,  le  Cour-Emir,  aux 
murs  revêtus  de  faïences  polychromes)  rappellent  cet 
illustre  passé.  La  ville  réduite  à  7  000  ou  8000  habi- 
tants au  milieu  du  XIX^  siècle,  en  a  maintenant  90000 
et  se  livre  surtout  au  trafic  des  fruits  secs.  Khodjent 
(40000  habitants),  bâtie,  disent  les  indigènes,  "  par  une 
fille  d'.-Xdam",  Djirah  (1  2000  habitants),  font  de  même. 

En  aval  de  Samarcande,  le  Zarafchan  pénètre  dans 
le  Khanat  de  Boukhara  et  irrigue,  avant  de  se  perdre 
dans  les  sables,  la  cité  de  ce  nom,  capitale  du  Khanat. 
Ce  fut.  du  IX®  au  Xiv°  siècle,  un  des  grands  foyers 
d'études  de  l'Islam.  Trois  cent  soixante  mosquées,  plus 
de  cent  médressés.  érigent  encore  leurs  tours  et  leurs 
coupoles  au-dessus  des  maisons  basses.  Elle  compte 
une  centaine  de  milliers  d'habitants,  et  Karchi  (sur 
l'Amou)  en  aurait  70000. 

En  aval  de  Karchi.  Tchardjouï  (  I  5  000  habitants) 
s'élève  au  point  où  le  Transcaspien  franchit  I  Amou- 
Daria.  Khiva  (20000  habitants),  dans  le  delta  du  fleuve, 
est  la  capitale  du  Khanat  de  ce  nom. 


LE  TURKESTAN  RUSSE 

Enlin.  au  pied  des  monis  Paropamisades  et  du 
Kopet-Dagh,  s'alignent  les  oasis  de  Merv  (16000  habi- 
tants), Tedjen,  Askhabad  (40  000  habitants),  centre 
de  commerce  avec  la  Perse  Nord-orientale  (une  route 
carrossable  unit  Askhabad  a  Mechhed,  chef-lieu  du 
Khorassan).  Aux  rives  de  la  Caspienne,  le  port  de 
Krasnovodsk  (20000  habitants)  est  la  tête  de  ligne  du 
Transcaspien . 

LES  VOIES  DE  COMMUNICATION,  aa 
Jusqu  a  la  conquête  russe,  les  diverses  régions  du  Tur- 
kestan  ne  communiquaient  entre  elles  ou  avec  l'intérieur 
que  par  caravanes.  Leurs  relations  naturelles  s'établis- 
saient non  pas  avec  la  Russie,  trop  lointaine,  mais  avec 
leurs  voisins  immédiats  :  Perse,  Afghanistan,  Turkestan 
Chinois.  Encore  aujourd'hui,  de  longues  files  d'animaux 
porteurs,  conduits  par  un  "  Karavan  bachi",  font  le  va- 
et-vient  entre  le  Ferghana  et  la  Kachgarie.  par  le  col 
de  Terek-Davan,  ou,  franchissant  les  montagnes  du 
Sud,  gagnent  Kaboul,  Hérat  et  Mechhed. 

Mais  la  construction  des  voies  ferrées  a  modifié  profon- 
dément les  anciennes  conditions  du  trafic.  Des  1880. 
avant  même  que  la  pacification  fût  achevée,  les  Russes 
jetaient  à  travers  les  déserts  du  Sud  une  ligne  de  1  800  ki- 
lomètres qui,  partant  de  Krasnovodsk  sur  la  Caspienne, 
passait  à  Askhabad,  Merv,  Tchardjoui,  Boukhara.  Sa- 
marcande et  atteignait  Tachkent.  Un  embranchement  de 
Merv  à  Kouchk  (frontière  afghane)  devait  être  l'amorce 
d'une  ligne  gagnant  le  réseau  indien  par  Hérat,  Kan- 
dahar,  Quettah,  Chikarpour. 

Le  Transcaspien  ",  entrepris  d'abord  (comme,  plus 
tard,  le  Transsibérien)  pour  un  objet  surtout  stratégique, 
prit  très  vite  une  considérable  importance  commerciale. 
Les  marchandises  affluèrent  à  Krasnovodsk,  d'où  la  flotte 
de  la  Caspienne  les  conduisait  à  Bakou  et  Astrakan.  Il 
révéla  aux  Russes  eux-mêmes  la  valeur  économique  de 
leur  conquête.  Aussi  le  prolongea-t-on  d'abord  jus- 
qu'au fond  du  Ferghana  (par  Kokand,  Skobeleff, 
.Andidjan  et  Och).  Puis,  pour  éviter  le  long  détour  et 
le  double  transbordement  que  nécessitait  la  voie  du 
Transcaspien,  on  construisit,  de  1902  à  1905,  une  ligne 
directe  (1952  kilomètres),  unissant  Tachkent  au  réseau 
russe  par  Orenbourg.  Des  tarifs  très  réduits  facilitèrent 
le  transit  des  denrées  et  des  voyageurs  (en  1913, 
pour  franchir  les  3  709  kilomètres  qui  séparent  Moscou 
d'Andidjan,  on  payait  140  francs  en  première  classe, 
84  en  deuxième  et  56  en  troisième  !) 

Egalement  profitables  au  Turkestan  et  à  la  Russie, 
ces  voies  ferrées  ont  accru,  dans  de  considérables  pro- 
portions, la  valeur  et  la  quantité  de  la  production  locale. 
En  même  temps,  elles  détournaient  vers  l'Europe  la 
majeure  partie  du  commerce.  Tandis  que,  en  1912,  le 
chiffre  des  transactions  par   caravanes   avec  la  Perse, 


463 


L'ASIE 


l'Afghanistan  et  la  Kachgarie,  se  réduisait  à  quelques 
dizaines  de  millions  de  francs  (37000  000  pour  la  Kach- 
garie, 30000000  pour  la  Perse.  16000000  pour 
l'Afghanistan),  on  estimait  (en  l'absence  de  toute  statis- 
tique précise),  à  600000000  ou  700000000  de  francs 
la  valeur  des  marchandises  transportées  par  les  deux 
grandes  voies  ferrées. 

Le  Turkestan  expédiait  d'abord  et  surtout  du  coton 
brut,  puis  des  fruits,  des  légumes,  du  vin,  des  cocons,  de 
l'huile,  des  graines,  de  la  luzerne,  de  la  laine,  des  cuirs, 
des  tapis.  Il  recevait  des  objets  fabriqués  (cotonnades, 
ustensiles  en  métal),  du  pétrole,  du  sucre,  du  thé,  de 
la  farine,  du  bois  de  construction,  etc. 

Des  deux  grands  fleuves,  Syr-Daria  et  Amou-Daria,  le  premier, 
que  longe  du  reste  la  voie  ferrée  Orenbourg  à  Tachkenl.  est  inuti- 
lisé. Le  second  porte  une  petite  flottille  de  vapeurs  de  très  minime 
importance,  qui  assurent  un  service  lent,  irrégulier  et  incertain  entre 
Tchardjouï.  l'oasis  de  Khiva,  Aralskoë-more  (sur  les  rives  septen- 
trionales du  lac  d'Aral),  à  la  fois  port  lacustre  et  station  de  la  voie 
ferrée.  Ces  barques  plates,  les  "  Kimés  ",  remontent  l'Amou  jusqu'à 
Sarat  à  500  kilomètres  en  amont  de  Tchardjouï. 


Il  reste  à  compléter  le  réseau  turkeUanais  par  la 
construction  de  voies  d'intérêt  local,  l'établissement  de 
bonnes  routes  carrossables  (en  dehors  des  points  desser- 
vis par  le  chemin  de  fer,  les  transports  se  font  presque 
exclusivement  à  dos  d'animal),  surtout  par  la  jonction 
du  Turkestan  à  la  Sibérie,  au  moyen  d  une  ligne  directe 
qui,  partant  d'Arys  ou  de  Kaboul-Say  (station  de  la 
ligne  Tachkent-Orenbourg),  desservirait  le  Semiriet- 
chensk  et  aboutirait  à  Semipalatinsk.  Cette  ligne,  dont 
la  construction  allait  commencer  en  1914,  serait  d'une 
importance  vitale  pour  le  Turkestan.  Non  seulement 
elle  facihterait  l'afflux  des  immigrants  russes  dans  une 
région  qui  leur  convient  à  tous  égards,  mais  aus;i  elle 
ouvrirait  à  la  fois  à  la  Sibérie  et  au  Turkestan  des  mar- 
chés qui  leur  sont,  à  l'un  et  à  l'autre,  indispen- 
sables. 

Le  Turkcitan  trouverait  en  Sibérie  le  bois,  le  beurre, 
la  viande  congelée ,  les  céréales  dont  il  a  besoin.  Il  don- 
nerait en  échange  ses  fruits,  ses  légumes,  ses  huiles  et 
ses  vins.  • 


CONCLUSION 


Le  Turkestan  doit  à  l'occupation  russe  sa  pacification 
et  sa  prospérité.  Il  peut  donner  beaucoup  plus  encore 
lorsque  l'utilisatioti  complète  des  eaux  fluviales  permettra 
de  mettre  en  valeur  des  millions  d  hectares  de  steppes 
jusqu'ici  condamnées  à  la  stérilité.  "  Avec  l'eau  de  ses 
montagnes  et  son  climat  chaud,  sous  son  ciel  où  il  ne 
pleut  presque  pas  dans  la  saison  de  la  végétation,  où  le 
soleil   est   rarement    obscurci    par    les    nuages,    quelles 


étendues  de  culture  offre  le  Turkestan,  quelle  immense 
perspective  il  ouvre  aux  sciences  et  aux  arts  usuels  à  base 
de  science,  quelle  magnifique  récolte  il  prépare,  sur  des 
terrains  intelligemment  exploités  et  dans  un  temps  qui 
n'est  relativement  plus  éloigné!  "  (A.  Woeikof.) 

!\ûla.  La  Révolution  russe  a  eu,  naturellement,  sur  la  situation 
politique  et  économique  du  Turkestan,  des  répercussions  au  sujet 
desquelles  tout  renseignement  précis  nous  fait  présentement  défaut. 


464 


TABLE  DES  CARTES  EN  COULEURS 


TABLE   DES  CARTES   EN   COULEURS 


I .  PLANISPHÈRE  POLITIQUE. 


P«C£ 


3 


L'EUROPE 

PI^NCHES  p,^^ 

2..  EUROPE  POLITIQUE 1 1 

3.  ROYAUME-UNI  DE  GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE..  .  ^         ^  17 

4.  LA  NORVÈGE  ET  LA  SUÈDE 37 

3.  ALLEMAGNE 59 

6.  BELGIQUE  ET  PAYS-BAS 91 

7.  FRANCE   PHYSIQUE IOI 

8.  FRANCE  POLITIQUE III 

9.  ESPAGNE  ET  PORTUGAL 133  • 

10.  ITALIE 153 

11.  SUISSE 189 

12.  EUROPE  CENTRALE 221 

13.  PAYS  BALKANIQUES 241 

14.  PAYS  RUSSES 283 


L'ASIE 


15.  ASIE  POLITIQUE 299 

16.  CHINE 319 

17.  JAPON 335 

18.  INDO-CHINE 375 

19.  INDE  ANGLAISE 41 1 


463 


TABLE  DES  CARTES  EN  NOIR 


TABLE  DES  CARTES  EN   NOIR 


L'EUROPE 


CHAPITRE  PREMIER.  00  NOTIONS  GÉ- 
NÉRALES. 

Climats  et  principales  limites  végétales.  .  .  Il 

Densité  de  la  population 15 

Principaux     groupes    de     langues     euro- 
péennes    16 


CHAPITRE  II.   00    ROYAUME-UNI    DE 
GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE. 

Royaume-Uni,  carte  des  pluies 

Grandes  régions  industrielles 

Les  fournisseurs  de  l'Angleterre 

Londres  et  ses  environs 

CHAPITRE  III.  00  1.K  NORVÈGE  ET  LA 
SUÈDE. 

Norvège,  le  Sognefjord 

Scandinavie,  carte  économique 

CHAPITRE  IV.  00  LE  DANEMARK. 

Danemark 


CHAPITRE  V.  00  L'ALLEMAGNE. 

Répartition  de  la,  population 

Cours  d'eau  navigables  et  voies  ferrées. 

Le  Bassin  de  la  Ruhr 

Carte  économique 

CHAPITRE  VI.  00  LA  HOLLANDE. 

La  zone  des  polders 

Belgique  et  Pays-Bas,  agriculture 


20 
23 
27 
35 


38 
44 


55 


59 
61 

72 
77 


82 
89 


CHAPITRE  VII.  00  LA  BELGIQUE  ET  LE 
GRAND-DUCHÉ  DE  LUXEMBOURG. 

Belgique  et  Pays-Bas,  carte  industrielle.. 


CHAPITRE  VIII.  00  LA  FRANCE. 

L'Alsace  et  la  Lorrame 107 

Densité  de  la  population 125 

Carte  industrielle 131 

Carte  agricole  et  pastorale 133 

Colonies  françaises 134 

CHAPITRE  IX.  00  ESPAGNE  ET  PORTU- 
GAL. 

Pluies  et  températures 137 

Carte  économique 1 46 

CHAPITRE  X.  00  L'ITALIE. 

Italie  du  Nord,  industries 161 

Densité  de  la  population 162 

Rome  et  ses  environs 1 72 

Naples  et  ses  environs 176 

Produits  du  sol  et  cultures 186 

CHAPITRE  XI.  00  LA  SUISSE. 

Voies  ferrées  et  langues 203 

Carte  économique '  204 

CHAPITRE  XII.  00  L'AUTRICHE. 

Vienne  et  ses  environs 212 

CHAPITRE  XIII.  00Y.K  TCHÉCO-SLO- 
VAQUIE. 

Carte  économique 218 

CHAPITRE  XIV.  00  LA  HONGRIE. 

Les  méandres  de  la  Tisza 221 


94     CHAPITRE  XV.  00  LA  YOUGO-SLAVIE 


466 


TABLE  DES  CARTES  EN  NOIR 


OU  ROYAUME  DES  SERBES.  CROATES  '"" 
ET  SLOVÈNES. 

Les  bouches  du  Cattaro 230 

La  Macédoine 233 


CHAPITRE  XIX.  aa  LA  ROUMANIE. 
Carte  économique 


273 


CHAPITRE  XX.  a  a  LA  POLOGNE. 

Les  partages  de  la  Pologne 280 


CHAPITRE  XVII.  00  LA  GRÈCE. 

Grèce  ancienne 243 

Athènes  et  ses  environs 244      CHAPITRE  XXI.  00  L^  PAYS  RUSSES  ET 

LES  ÉTATS  BALTES 
CHAPITRE  XVIII.  00  LX  BULGARIE.  ^^,,^,  j-E^^^pe.  climats 283 

Bassm  de  Sofia  et  régions  voisines 259  Russie  d'Europe,  carte  économique 295 


L'ASIE 


CHAPITRE  XXII.  00  NOTIONS  GÉNÉ- 
RALES. 

Zones  de  végétation 30 1 

Carte  ethnographique 305 

CHAPITRE  XXIII.  00  LA  SIBÉRIE. 

Russie  d'Asie,  le  lac  Baîkal 308 

Carte  économique 317 

CHAPITRE  XXIV.  00  L.<\  CHINE. 

Chine  du  Nord,  terres  jaunes  et  alluvions.  321 

Densité  de  la  population 328 

Carte  économique 338 

La  Mandchourie,  carte  économique 345 

CHAPITRE XXV.  00  L'ASIE  INTÉRIEURE. 

Squelette  orographique 352 

CHAPITRE  XXVI.  00  LE  JAPON. 

La  mer  intérieure 357 

Carte  économique 367 


CHAPITRE  XXVII.  00  LINDO-CHINE. 

Carte  ethnographique 381 

Carte  économique 391 

CHAPITRE  XXIX.  00  LINSULINDE. 

L'Insulinde  et  les  Philippines 401 

CHAPITRE  XXX.  00  L'INDE  ANGLAISE. 

Pluies  et  températures  moyennes 413 

Indes  britanniques,  densité  de  la  popu- 
lation    421 

Carte  économique 43 1 

CHAPITRE  XXXI.    a  0    L^    PAYS    DE 
L'IRAN. 

La  Perse 441 

CHAPITRE  XXXII.  00  LE  TURKESTAN 
RUSSE. 

Turkestan  455 


467 


GBOGRAFHIE  WnVERSOiZ. 


46 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


L'EUROPE 


FACES 

CHAPITRE  PREMIER.  0  0 
NOTIONS  GÉNÉRALES. 

Le  glacier  d'Argentière.  5 

Ecosse  ;  le  Lac  Achray . .  6 
Les  bords  du  Rhin  à  Ro- 

landseck 6 

Les  bords  de  la  Loire   : 

Amboise 6 

La  steppe  russe 6 

Le  lac  de  Presba,  Macé- 
doine    6 

Corse  :  le  golfe  de  Porto .  6 
L  aqueduc  de  Claude  et 

la  Voie  Appienne ....  13 

Saragosse 14 

Paris  :  le  Jardin  des  Tui- 
leries et  le  Louvre. ...  14 
Corinthe  :     le     temple 

d'Apollon 14 

Le  Forum   romain..  ...  14 
Paysage   en    Thessalie 

Thessalie  et  Macédoine.  14 

Fontaine  en  Macédoine.  14 

CHAPITRE  II.  0  0  ROYAUME- 
UNI  DE  GRANDE-BRETA- 
GNE ET  D'IRLANDE. 

Londres:  pont  delà  Tour.  21 

Vue  générale  de  Londres .  2 1 

Newcastle  on  Tyne 22 

Un  cottage  anglais 22 

Les  docks  de  Manches- 
ter   22 

Le  cap  Land's  End 22 

Les  monts  de  Cumber- 

land 22 

— 468 


FACES 

Oxford 22 

Llanberis    et    le    Snow- 

don 22 

Le  Loch  Katrine 31 

Le  Ben  Nevis 32 

Balmoral 32 

Pont  du  Forth 32 

Edimbourg 32 

Glasgow  :  les  quais  de  la 

Clyde 32 

La  chaussée  des  Géants.  32 

Ferme  irlandaise 32 

CHAPITRE  III.  0  0\Jk  NOR- 
VÈGE ET  LA  SUÈDE. 

Les  îles  Lofoten 41 

Le  lac  de  Langeland  et 

les  névés  de  Justedal .  42 

Hammerfest 42 

Bergen 42 

Séchage  des  foins 42 

Fabrication   du   charbon 

de  bois 42 

Gudbrandsdal 42 

Fjaerland  et  le  golfe  de 

Mundal  dans  le  Sogne- 

fjord 47 

Une  ferme  suédoise 48 

Stockholm 48 

Église  de  Hatterdai 48 

Groupe  de  paysannes  en 

Dalécarlie 48 

Vermedalsfos 48 

Visby  :  enceinte  fortifiée.  48 

Trollhattan 48 


PAGES 

CHAPITRE  IV.  0  0  LE  DANE- 
MARK. 

Les  landes  du  Jutland, .  53 
Pêcheurs  de  la  côte  orien- 
tale de  Bornholm 53 

Un  village  en  Fionie. ...  54 
Copenhague  :  l'église  St- 

Alban    54 

Chambres  frigorifiques .  .  54 
Bassin  et  douane    d'Esb- 

jerg 54 

Copenhague 54 

Islande  :  le Seydisfjoid.  .  54 

CHAPITRE    V.  0  0    L'ALLE- 
MAGNE. 

Berlin  :      la      porte      de 

Brandebourg 63 

La  Sprée  à  Berlin 63 

Le  port  de  Pillau 64 

Le  Spreewald 64 

Hambourg 64 

Le  canal  de  Kiel 64 

Le  Rômerberg 64 

Lubeck 64 

Brème 64 

Heidelberg    vu  du  Philo- 

sophenweg 69 

LeHarz 70 

Cascade  de  Triberg 70 

La  Wartbourg 70 

Le     Hollenthal     ou    Val 

d'Enfer    70 

Saint-Blasien 70 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


Le  château  de  Hohenzol- 

lern 70 

L'Eibsee  et  la  Zugspitze .  70 
Le  château  de  Gutenfels 

et  le  Rhin 75 

Munich  :  l'hôtel  de  ville.  76 

Nuremberg 76 

Cologne 76 

Kreuznach 76 

Barmen  :  chemin  de  fer 

électrique 76 

Aciéries  à  Duisbourg. . .  76 

CHAPITRE  VI.  a  aV^k  HOL- 
LANDE. 

Canal  à  Dordrecht 85 

Le  Landguidik 86 

Paysannes  hollandaises . .  86 

Marken 86 

Paysage  hollandais 86 

Champ  de  jacinthes,  près 

de  Haarlem 86 

Amsterdam 86 

Alkmaar  :    marché     aux 

fromages 86 

CHAPITRE  VII.  0  a  Uk  BEL- 
GIQUE |ET  LE  GRAND-DU- 
CHË  DE  LUXEMBOURG. 

Bruxelles  :  place  de  l'Hô- 

tel-de-Ville 95 

Dinant 96 

Bruges 96 

Anvers 96 

Tournai 96 

Vallée  de  la  Semoy 96 

Marchienne 96 

Coxyde-sur-Mer 96 

CHAPITRE  VIII.  a  a  Lk 
FRANCE. 

La  vallée  de  la  Moselle .  .  1 05 

Le  lac  de  Gérardmer. . .  106 

Les  Dames  de  la  Meuse.  106 

Metz  :  les  Thermes 1 06 

Le  beffroi  de  Bergues ...  1 06 

Strasbourg 106 

Denain  :  la  fosse  Enclos.  106 
En  Beauce  :  la  moisson.  106 
Paris  :  la  place  de  la  Con- 
corde    115 


Paris  :  le  Palais  de  Jus- 
tice et  la  Sainte-Cha- 
pelle    115 

L'Indre  à  Montbazon.  .  .  116 

Le  châteaudeChaumont.  116 

Les  menhirs 116 

La  pointe  du  Raz 116 

Le  calvaire  de  Mellerand.  116 

LePuydeDôme 116 

La  Vézère  au  Saillant ...  116 

Le  Mont  Saint-Michel..  121 

La  Barre  des  Écrins 122 

Grenoble 122 

Villers-le-Lac  :       bassin 

duDoubs 122 

Duingt  et  le  lac  d'An- 
necy   122 

Le  viaduc  de  Garabit ...  1 22 

Le  pont  du  Gard 1 22 

Le  viaduc  des  Houches 

et  le  dôme  du  Goûter.  127 

Le  cirque  de  Gavarnie.  128 

Bergers  landais 128 

Monaco 128 

Boccognano  (Corse) 128 

Le  château  de  Crussol . .  1 28 
Les  calanques  de  l'E^sté- 

rel 128 

Les  gorges  du  Tarn ... .  128 

CHAPITRE    IX.     a  a     L'ES- 
PAGNE ET  LE  PORTUGAL. 

Grenade  :  la   cour    des 
lions     au     Palais     de 

l'Alhambra  141 

Grenade 142 

Course  de  taureaux 142 

Le  Montserrat 1 42 

Madrid  :  le  Palais  royal.  142 
Séville  :  le  patio  de  Las 

Doncellas 142 

Gibraltar 142 

Cordoue  :  la  mosquée.  .  142 

L'Escurial 147 

Tolède 147 

Vignerons       d'Estrama- 

doure 148 

Les  mines  d'Aijustrel. . .  148 

La  foire  de  Villafranca. .  148 

Lisbonne 148 

Pêche  du  thon  en  Algarve.  148 


Cmtra  :    château    de    la 

Pena 148 

La  tour  de  Belem 148 

CHAPITRE  X.  a  0  L'ITALIE. 


Lac  de  Côme  :  Beilaggio. 

Paysage  du  Tyrol  italien. 

Le  Mont  Vermel 

La  vallée  du  Piave 

Une  ferme  près  de  Vi- 
cence  

La  vallée  de  l'Isonzo.  .  .  . 

Paysage  dans  les  monts 
Berici 

Fiume  :  les  quîis 

Gouffre  de  la  Troiba .  ■  .  . 

Venise  :  la  Piazzetta.  Le 
Palais  des  Doge.  Le 
Campanile 

San-Remo 

Pola  :  le  port  et  les  arènes 

Bergame  :  le  Palais- Vieux 

San  Gimignano 

Pise  :  le  Dôme  et  le  Bap- 
tistère  

Pérouse  :  le  Palais  public. 

Le  Tibre  :  le  château 
Saint-Ange,  Saint- 
Pierre 

Florence  :  le  Dôme,  le 
Ponte  Vecchio,  le  Pa- 
lais Pitti  

Rome  :  place  Saint  - 
Pierre  

Rome:  place  du  Capitole. 

Rome  :  le  Colisée 

Tivoli  :  Villa  d'Esté 

Rome  :  le  Forum  de 
Trajan 

Naplcs  :  panorama  pris 
du  Vomero 

La  voie  des  Tombeaux 
à  Pompéi 

De  Salerne  à  Amalfi 

Paestum 

Naples  :  la  route  du  Pau- 
silippe   

Agrigente 

Randazzo  

Le  cloître  de  Monreale. . 

Palerme 


157 
157 
158 
158 

158 

158 

158 
158 
158 


167 
168 
168 
168 
168 

168 
168 


177 


178 

178 
178 
178 
178 

178 

183 

184 
184 
184 

184 
184 
184 
184 

184 


469 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


CHAPITRE  XI.  00  LA  SUISSE. 


Le  Cervin.. 

193 

Saint-Moritz 

194 

Le  glacier  d'Aletsch 

194 

Grindelwa'.d   

194 

Krihourff 

194 

Eggisalp 

194 

Une  route  alpestre 

194 

Sports  d'hiver . 

194 

Le  lac  de  Brienz 

194 

La     chute    du    Rhin     à 

Schaflhouse 

199 

Le  lac  des  Quatre-Can- 

tons,  vu  du  Righi 

199 

Wassen 

200 

Val  d'Herens 

200 

Vald'Arolla 

200 

Genève 

200 

Berne  :  la  rue  Zeitglocken- 

turm 

:'00 

Jungfrau.  Monch,  Eisrer. 

200 

Sur  le  Léman 

200 

Le  massif  du  Bernina.  .  . 

200 

CHAPITRE  XII.  0  0  L'AU- 
TRICHE, L'ANCIEN  EM- 
PIRE AUSTRO-HONGROIS. 

Innsbruck 209 

Le  lac  de  Gmunden  dans 

le   Salzkammergut..  . .  209 

Le  Massif  du  Triglav. .  210 
Le   Danube  entre  Engel- 

hartszell  et  Wesenufer.  210 
Vienne  :     le     Kàrntner- 

ring 210 

Le  Kônigssee 210 

Le  col  du  Semmering..  210 
Un      glacier     dans     les 

Tauern 210 


CHAPITRE     XIII.     0   0 
TCHÉCO-SLOVAQUIE . 


LA 


Prague  :  La  Vltava  et  la 

colhne  de  Hradchany.  215 

La  Schnee  Koppe 216 

Temné  Smrciny 216 

Maisons  de  paysans 216 

Banska  Bystrica 216 

Tremcin 216 

NovoMesto 216 


CHAPITRE    XIV.   0  0  LA 
HONGRIE. 

Berger  hongrois  et    son 

troupeau 225 

Une  roulette  de  tziganes 

dans  laPuzta 225 

Budapest 226 

Une  vue  dé  !'/4//oW 226 

CHAPITRE  XV.  0  0\.h  YOU- 
GO-SLAVIE  OU  ROYAUME 

DES  SERBES,  CROATES  ET 
SLOVÈNES. 

Monastir 226 

Belgrade 266 

Pileuses  à  Boukovo 226 

La  Miljacka,  près  de  Sa- 
rajevo      226 

Cattaro 226 

Une  rue  de  Strouga 235 

Raguse 235 

Greniers  à  maïs  dans  un 

village  serbe 236 

Paysage  monténégrin.. . .  236 

Un  marché  en  Serbie .  .  .  236 

Paysage  en  Dalmatie..  .  .  236 

CHAPITRE  XVI.  00  L'AL- 
BANIE. 

Scutari  d'Albanie 236 

Durazzo  d'Albanie 236 

CHAPITRE    XVII     0    0  LA 
GRÈCE. 

Athènes,  l'Acropole 245 

Couvent  du  Mégaspiléon .  ■  246 

Némée 246 

Les  gorges  du  Styx 246 

Les  Météores 246 

Delphes  :   le   trésor   des 

Athéniens  246 

Le  monastère  de  Daphni .  246 

La  trouée  du  Vicos 246 

Un  bourg  épirote 246 

.Athènes  :  l'intérieur  du 

Parthénon 251 

.Athènes  :    l'Erechthéion 

et  les  Propylées 251 

Edessa  ou  Vodéna 252 

Salonique,    vieille    église 

byzantine 252 

Kastoria 252 


PAGES 

Santi-Quaranta 252 

Famille  et  hutte  de  Kout- 
so-Valaques 252 

Le    battage    du    blé    en 
Macédoine 252 

Type  de  maison  de  pay- 
san       252 

Berger  macédonien 252 

CHAPITRE    XVIII.    0  0    \.k 
BULG.ARIE. 

Nicopolis  et  lei  bords  du 

Danube 261 

La  culture  des  roses  dans 

la  région  de  Kazanlik.  261 
La  passe  de  Belogratchik .  262 
Troupeau  de  buffles  en 

Bulgarie 262 

Le   monastère   de   Preo- 

brajensky 262 

Les  paysannes  sofiotes .  .      262 

La  Toundja 262 

Sofia 262 

Bourgas,  tziganes  près 

d'une  source 262 

CHAPITRE  XIX.  00\.k  ROU- 
MANIE. 

Un  village  dans  les  plai- 
nes roumaines 271 

Les  puits  de  pétrole  près 

de  Campina 271 

Les  vendanges 272 

Paysanne       allant       aux 

champs 272 

Scène  rurale ' 272 

Bucarest 272 

Un  village  de  la  mon- 
tagne       272 

Buffles      aux      environs 

d'Arad 272 

Mines  de  sel  de  Slanic.  .     272 

CHAPITRE  XX.  0  0\.K   PO- 
LOGNE. 

Cracovie  :  la  Vistule  et 

le  Zameck . .  ■ 277 

Groupe  de  Galiciennes . .  277 
Poznan  :  l'Hôtel  de  ville.  278 
Varsovie  :   église  Sainte- 
Anne  278 


470 


PAGES 

1  /-voi 

-c    1 

La    Pologne  :    paysages 

Fmlande 

287 

polonais,  femmes  polo- 

Helsingfors  

287 

naises, paysage  polonais.    278 
Les  terrasses  de  Galicic.    278 

Arkhangelsk   

788 

La  Neva  en  hiver 

288 

Danzig 278 

Petrograd  ;  la  Perspective 

Nevsrsky 

788 

CHAPITRE  XXI.  0  0  LES  PAYS 

288 

RUSSES  ET  LES  ÉTATS  BAL- 

Odessa :     l'escalier     Ri- 

TES. 

chelieu  

288 

Forêt     et     «  Hariu  '     en 

Yalta 

288 

TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


Moscou  :    panorama    du 

Kremlin ,.  293 

Paysage  de  l'Oural 294 

Falaises  de  la  Volga 294 

Une  isba  aux  environs  de 

Riazan 294 

La  foire  de  Nijni-Novgo- 

rod 294 

Le  pont  sur  l'Oka 294 

Un  village  ukrainien ....  294 


CHAPITRE       XXII.       0  0 
NOTIONS   GÉNÉRALES. 

Le      Mont    Siniolchum, 

Sikkim  (Himalaya)...  303 

Un  village  au  Japon ....  304 
La    fête    du    Dragon    à 

Ou-Tchéou 304 

Une  rue  de  Djeipoure. .  304 

Un  paysage  au  Tibet ....  304 

Les  ruines  de  Ctésiphon.  304 

Pagode  à  Rancoun 304 

La    Voie   Douloureuse   à 

Jérusalem   304 

CHAPITRE  XXIII.  0  0  Lk  SI- 
BÉRIE. 
Paysans  sibériens  et  leur 

isba 313 

Le  Transsibérien   314 

Forêt  de  TAltaï 314 

Tobolsk 314 

Emigrants     russes     dans 

une  station 314 

CHAPITRE    XXIV.    0  0  LA 
CHINE 

La  Grande  Muraille....  323 
Les     gorges     du     Yang- 

Tseu ^  323 

Hong-Kong 324 

Nankin 324 

Un     mandarm    à  son  tri- 
bunal   324 

Intérieur  chmois 324 


L'ASIE 


Les  modes  de  transports 

en  Chine 324 

—  Un  coin  de  rivière.  .  .  324 

—  Transport  par  chariot  324 

—  Coolie 324 

Arc  de  Triomphe  sur  la 

route  de  Yunnan-sen  à 

Tchao-Toug-Fou  ....  333 
Le  Si-Kiang  entre  Sam- 

Shui  et  Woutchéou . . .  334 
Cirque   calcaire   à   Lou- 

Van-Tchéou 334 

Pagode  du  Palais  d'été. .  334 
Kong-Yang-Fou  :    porte 

principale 334 

Pagode  de  bronze 334 

Arrosage  d'un  champ. . .  334 
Un  village  dans  la  Chine 

du  centre 334 

Rizières  des  Miao-Tsé.  343 
Dans  les  eaux  du  Yang- 

Tseu 343 

Paysage  de  Mandchourie.  344 
Un  pont  de  la  ligne  trans- 

mandchourienne 344 

Cordonnier  chinois 344 

Femmes  congoles  d'Our- 

ga 344 

Un  atelier  de  cloisonne- 

ries 344 

Embarquement  ducoton.  344 

Les  aciéries  d'Han-Yang.  344 

CHAPITRE  XXV.  0  0  L'ASIE 
INTÉRIEURE,  MONGOLIE. 


TURKESTAN       CHINOIS, 
TIBET. 

Tibétains 349 

Sur  les  hauts  plateaux  du 

Tibet 350 

Le  Bodala  à  Lhassa.  .  .  .  330 

Une  rue  à  Yarkand 350 

Moines   du   couvent   de 

Mendong 350 

Yacks  porteurs 350 

Pèlerines  au  Tibet 350 

CHAPITRE    XXVI.    0  0  VJL 
JAPON. 

Le  Fouzi-Yama 359 

Les  Jardins  de  la  mer .  .  .  365 
Tokio  :  la  rue  des  Théâ- 
tres    365 

Vieux  couple  Aino 366 

Le  Torii  de  Miya  Jima.  366 

Défilé  de  Geishas 366 

Séoul 366 

Fousan 366 

Une  exploitation  aurifère 

en  Corée 366 

Formose  :      une      usine 

électrique 366 

CHAPITRE  XXVII.  0  0  LIN- 
DO-CHINE. 

La  façade  principale  du 

temple   d'Angkor-Vat.  379 

Mines  d'étain  à  Pérak.  380 

471  


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS 


PAGES 

Paysage    au    Laos    sia- 

S8n 

Pirogues  de  courses    à 

Louang-Prabang 

380 

Le  chemin    de    fer    du 

Yunnan  

380 

Les  rapides  du  Mékong.. 

380 

La  baie  d'Along 

380 

Haut  Tonkin  :  groupe  de 

Méos 

385 

Sur  les  confins  de  la  fo- 

rêt  

386 

Homme  et  femme  Moï. 

386 

Village  cambodgien 

386 

Au  Kraal  d'Ayouthia..  .  . 

386 

Décortication  du  Paddy. 

386 

Environs    de    Louang- 

Prabang 

386 

Paysage    dans    la    pres- 

qu'île de  Malacca 

386 

CHAPITRE  XXVIII.  iSZ/z;  L'AR- 
CHIPEL  DES  PHILIPPINES. 

Un  canal  à  Bangkok 395 

Des    femmes    annamites 

au  puits  du  village. . .  .  395 
La     pagode     de    Pnom- 

Penh 396 

Hanoi  :  le  marché 396 

Les  Philippines  (maisons 

de  pêcheurs  philippins).  396 

—  (enfants  Moros) 396 

Le     Mont     Dajo     (Iles 

Philippines) 396 

Un  coin  de  Manille 396 

CHAPITRE  XXIX.  a  0  L'IN- 
SULINDE. 

Java,  le  temple  de  Boela- 

lang 405 

Pirogue  malaise 406 

Village  à  Bornéo 406 


Java  (plantation  de  thé  à 

Java) 406 

—  plantation    de    bananiers 

à  Java 406 

Dayaks  de  Bornéo 406 

Le  volcan  Semeroe 406 

Femmes  malaises   à  Su- 
matra   406 

CHAPITRE XXX.  0  0  L'INDE 
ANGLAISE. 

Bénarès  :    les    rives    du 

Gange 415 

Types  hindous  :  Fakirs.  416 
Types    hindous  :    char- 
meurs de  serpents ... .  416 
Jeunes  femmes  hindoues.  416 

Dordjiling 416 

La  porte  du  Kachmir  et 

la  sortie  du  Djilem. .  .  416 
Mariage  de  Rajah.  Cor- 
tège d'éléphants 416 

Gowrardam .Voitures  hin- 
doues   416 

Oudeypore  :  sur  les  ter- 
rasses du  palais 425 

Le  palais  de  Leh 426 

La  plate-forme  du  Girnar  426 
Lac  et  barrage  de   Kan- 

kanja 426 

Calcutta  :      un      temple 

Djain 426 

Le  temple  de  Seringham.  426 

Le  bazar  de  Lahore 426 

Gwalior 426 

LeTadj-Mahal 435 

Les    ruines    d'Amara- 

poura 436 

Le  jardin  de  Peradenya 

à  Kandy 436 

Srinagar 436 

La  cueillette  du  thé....  436 


PAGES 

Préparation  des  arbres  à 

caoutchouc 436 

CHAPITRE  XXXI.  0  0  LES 
PAYS  DE  L'IRAN,  PERSE, 
AFGHANISTAN,  BÉLOU- 
CHISTAN. 

La  porte  des  Teintures  à 

Nichapour 445 

Le  caravansérail  de  Sain- 

dak 446 

Vue  générale  de  Kélat.  .  446 
Les     Beloutches  :     une 
hutte     béloutche,     un 

troupeau  beloutche.  . .  446 

Village  Seïstani 446 

Le  désert  du  Lout 446 

Le   double  caravansérail 

deVesdiKatz 451 

Sur  les  toits  de  Birdjend.  451 

Vue  de  Madan  I  Firouza.  452 

Enzeli 452 

Kazeroun 452 

Une  rue  de  Chiraz 452 

Dans  les  monts  du  Mek- 

ran 452 

Fabrique  de  tapis 452 

Palais  du  schah  à  Téhé- 
ran    452 


CHAPITRE   XXXII.    0  0 
TURKESTAN   RUSSE. 


LE 


Samarcande  :      mosquée 

du  schah  Zindeh 457 

Boukhara  ;  la  Medressé..  458 
Nouveau      Merv  :     une 

école 458 

Un  Aoul  au  Turkestan.  458 

Campement  de  Kirghiz.  458 
Campement   au   sud   du 

Kara-Koul 458 

Un  marché  au  coton. . . .  458 


472 


TABLE  DES  MATIERES 


TABLE    DES    MATIÈRES 


PRÉFACE. 


L'EUROPE 


CHAPITRE  PREMIER.  00  NOTIONS  GÉ- 
NÉRALES            3 

Situation  et  configuration.  —  Le  relief. 

—  Les  côtes,  les  îles,  les  mers.  —  Les 
climats.  —  Hydrographie.  —  Végétation. 

—  Les  populations.  —  Le  partage  de 
l'Europe. 

CHAPITRE  II.  00  ROYAUME-UNI  DE 
GRANDE-BRETAGNE  ET  D'IRLANDE.       17 

Le  relief.  —  Les  côtes. —  Le  climat.  — 
L'hydrographie.  —  Les  cultures  et  l'éle- 
vage. —  L'industrie.  —  Le  commerce.  — 
Notions  historiques.  —  Anglais,  Écos- 
sais, Irlandais.  —  Langues  et  religions.  — 
Densité  et  répartition  de  la  population. 
Les   villes.  —   L'émigration. 

CHAPITRE  III.  00   LA  NORVÈGE  ET 
LA  SUÈDE 36 

Le  relief.  —  Les  effets  de  l'ancienne  gla- 
ciation. - —  Les  côtes.  —  Rivières  et  lacs. 

—  Le  climat.  —  La  végétation.  —  Les 
populations  de  laPéninsule:  Lapons  et  Fin- 
nois ;  les  Scandinaves.  —  Le  Royaume  de 
Norvège  :  agriculture  et  élevage  ;  l'exploi- 
tation des  forêts  ;  mines  et  industries  ;  la 
vie  maritime  ;  le  commerce  ;  les  villes.  — 
Le  royaume  de  Suède  :  agriculture,  éle- 
vage, forêts  ;  mines  et  industries  ;  le  com- 
merce et  les  voies  de  communication  ; 
répartition  de  la  population,  les  villes  ; 
les  îles  de  Gothland  et  Œland. 

CHAPITRE  IV.  00  LE  DANEMARK 30 

Le  relief  du  Jutland  et  de  l'archipel.  — 


Les  rivages.  —  Le  climat.  —  Élevage  et 
agriculture.  —  Le  commerce.  —  Densité 
et  répartition  de  la  population.  —  Les 
villes.  —  Les  iles  Faroër.  —  L'Islande. 

CHAPITRE  V.00  L'ALLEMAGNE 58 

Les  origines  de  l'Allemagne  contempo- 
raine.—  Le  peuple  allemand  :  particula- 
risme et  unité,  qualités  et  défauts. —  Les 
plaines  allemandes  du  Nord  .-sables, marais, 
limons  ;  les  rivages  de  la  Baltique  et  de  la 
Mer  du  Nord.  Les  fleuves.  —  Les  pays 
et  les  grandes  villes  de  la  plaine  :  Brande- 
bourg ;  Oldenbourg,  Hanovre,  Mecklem- 
bourg,  Foméranie,  Prusse.  —  L'Alle- 
magne Centrale  :  le  relief;  cultures,  indus- 
trie, routes  ;  les  villes.  —  L'Allemagne  du 
Sud:  vallée  du  Main,  plateaux  Franconiens 
et  Bavarois  ;  le  Wurtemberg  ;  la  Bavière. 
—  Les  régions  rhénanes  :  le  Rhin  dans 
l'histoire  ;  le  régime  du  fleuve,  sa  naviga- 
tion ;  le  massif  schisteux  rhénan  ;  Rhein- 
land  et  Westphalie.  —  L'Allemagne  poli- 
tique et  économique  :  l'organisation  poli- 
tique de  l'Allemagne  ;  l'évolution  écono- 
mique de  l'Allemagne,  ses  causes,  ses  ré- 
sultats ;  l'industrie  ;  l'agriculture  ;  le  com- 
merce. 

CHAPITRE  VI.  00  LA  HOLLANDE 81 


Le  relief.  —  Les  eaux.  —  Les  côtes.  — 
Le  climat. —  Les  habitants,  nationalité  et 
caractère.  —  Populations,  provinces  et 
villes.  —  Agriculture  et  élevage.  —  Les 
industries.  —  La  pêche.  —  Le  com- 
merce. 


473 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CHAPITRE  VIL  00  Uk  BELGIQUE  ET 
LE  GRAND-DUCHÉ  DE  LUXEMBOURG.     91 

L'histoire.  —  Le  pays.  —  La  région  cô- 
tière,  —  Les  plaines,  Flandre,  Brabant, 
Hainaut  :  nature  du  sol  ;  climat  ;  cours 
d'eau  et  canaux  ;  agriculture  et  élevage  ; 
industrie  ;  les  villes  ;  le  sillon  de  Sambre- 
et- Meuse  ;  la  Haute  Belgique.  —  Carac- 
tères généraux  de  la  vie  belge.  —  Le 
grand-duché  de  Luxembourg. 

CHAPITRE  VIII.  00  LA  FRANCE 101 

La  région  rhénane  :  les  Vosges  ;  l'Alsace  ; 
la  Lorraine.  —  Ardennes  françaises.  — 
Hainaut,  Cambrésis,  Flandre.  —  Le  Bas- 
sin Parisien  :  Artois,  Picardie  et  leurs 
annexes  ;  le  centre  du  Bassin  Parisien  ; 
Champagne  ;  les  pays  de  l'Yonne  et  le 
Morvan.  —  Les  pays  de  la  Loire.  —  La 
Normandie.  —  La  Bretagne.  —  Vendée, 
Poitou,  Charente.  —  Le  Massif  Central. 
Le  Bassin  d'Aquitaine.  —  Les  Pyré- 
nées. —  Languedoc,  Provence,  Corse.  — 
Les  Alpes.  —  Le  couloir  de  la  Saône  et  le 
Jura.  —  Les  populations.  — •  Agriculture, 
industrie.  —  Départements  français.  — 
Le  commerce. 

CHAPITRE  IX.  00    L'ESPAGNE   ET   LE 
PORTUGAL 135 

Situation.  —  Le  relief.  —  Les  côtes.  — 
Climat  et  végétation.  —  Zone  de  climat 
continental.  —  Climat  océanique.  —  Les 
cours  d'eau.  —  Les  populations  de  la 
Péninsule,  caractères  généraux.  —  Le 
Royaume  d'Espagne  :  densité,  émigration, 
répartition  de  la  population  ;  provinces  du 
Nord  ;  Léon,  Castille,  Estremadoure  ;  le 
Midi  espagnol  ;  pays  de  la  couronne  d'Ara- 
gon ;  les  Baléares  ;  agriculture  ;  les 
forêts  ;  l'élevage  ;  mines  et  industries  ;  le 
commerce.  —  La  République  Portugaise  : 
agriculture  ;  sous-sol  et  industries  ;  le 
commerce  ;  populations  et  villes. 

CHAPITRE  X.  00  L'ITALIE 153 

L'Italie  Continentale: les  Alpes;  Apennins, 
la  plaine  ;  le  climat  ;  les  fleuves  et  les  lacs  ; 
les  côtes  ;  ressources  agricoles  ;  res- 
sources industrielles  ;  les  habitants  ; 
groupes  ethniques  ;  répartition  de  la  po- 


pulation.—  Les  villes;  Piémont  ;  la  Lom- 
bardie  ;  la  Vénétie  ;  l'Emilie  ;  la  Ligurie. 

—  Trentin  et  Tyrol  italien  ;  provinces  de 
l'Adriatique  :  Gorizia,  Trieste,  Istrie,  Dal- 
matie.  —  L'Italie  Centrale  :  la  Toscane  ; 
rOmbrie  ;  le  Latium.  —  Les  Marches  et 
les  Abruzzes.  —  L'Italie  Méridionale  : 
Vue  d'ensemble  ;  Campanie  ;  l'Apulie  ou 
région  des  Pouilles  ;  la  Basilicate  et  la  Ca- 
labre  ;  la  Sicile  ;  les  îles  annexes  ;  la  Sar- 
daigne.  —  Agriculture.  • —  Elevage  et 
produits  de  l'élevage.  —  La  pêche.  — 
L'industrie.  —  Le  commerce.  —  Popu- 
lation et  émigration. 

CHAPITRE  XI.  00  LA  SUISSE 189 

Situation,  superficie,  frontières.  —  Les 
régions  alpestres  :  généralités  ;  le  Saint- 
Gothard  ;  la  vallée  du  Rhône  ;  les  Alpes 
du  Sud-Ouest;  les  Alpes  du  Nord-Ouest  ; 
les  Alpes  du  Nord-Est  ;  les  Alpes  du  Sud- 
Est.  —  Les  régions  alpestres  :  les  condi- 
tions de  vie  :  le  climat  ;  cultures,  forêts, 
prairies  ;  les  habitants.  —  Le  Jura  suisse. 

—  Le  Plateau  suisse  :  le  relief  du  pla- 
teau, ses  cours  d'eau  et  ses  lacs  ;  végé- 
tation et  culture  ;  établissements  hu- 
mains ;  histoire  et  gouvernement.  —  Po- 
pulations, langues,  religion.  —  Agricul- 
ture et  élevage.  —  L'industrie.  —  Le 
commerce. 

CHAPITRE  XII.  00  L'AUTRICHE 206 

L'ancien  Empire  Austro-Hongrois.  — 
L'Autriche  alpestre  :  les  origines  de  l'Au- 
triche ;  les  pays  alpestres.  —  L'Autriche 
danubienne. 

CHAPITRE  XIII.  00  Lk  TCHÉCO-SLO- 
VAQUIE 213 

La  Bohême.  —  La  Moravie.  —  La  Slo- 
vaquie. —  Histoire.  — ■  Les  populations. 

—  Les  ressources.  —  Le  commerce  et 
les  voies  de  communication. —  Les  villes. 

CHAPITRE  XIV.  00Lk  HONGRIE 220 

Climat  et  cours  d'eau.  —  Le  passé  de  la 
Hongrie.  —  Les  Magyars  :  qualités  et  dé- 
fauts, —  Les  ressources.  —  Répartition 
de  la  population.  —  Les  villes. 


474 


TABLE  DES  MATIERES 


CHAPITRE  XV.  aa  LA  YOUGOSLAVIE 
OU  ROYAUME  DES  SERBES,  CROATES 
ET  SLOVÈNES 224 

Origine  et  formation  de  la  Yougo-Slavie. 

—  La  montagne.  —  Chaînes  et  massifs 
centraux.  Phénomènes  carsiques.  —  La 
zone  sèche  de  l'Ouest  ou  Zagora.  —  Fo- 
rêts, champs  et  vergers  de  la  zone  orientale. 

—  La  vie  dans  la  Planina.  —  La  côte  Dal- 
mate  ou  Primorje. —  Les  plaines  du  Nord: 
Croatie,  Slavonie,  Syrmie,  Bachka,  Banat. 

—  Le  couloir  Morava-Vardar.  —  His- 
toire et  partage.  —  La  vallée  de  la  Morava. 

—  La  Choumadia.  —  Les  villes  de  la 
Vieille-Serbie. —  La  Macédoine  serbe. — 
Le  présent  et  l'avenir  de  la  Yougo-SIavie. 

CHAPITRE  XVI.  00  L'ALBANIE  ........    238 

La  région  littorale.  • —  Monts  et  plateaux 
intérieurs.  —  Climat  et  végétation.  — 
Situation  économique. —  Les  villes. 

CHAPITRE  XVII.  00  LA  GRÈCE 241 

Relief.  —  Climat  et  végétation.  —  Le 
paysage  grec.  —  Les  îles  Ioniennes.  — 
Le  Péloponèse.  —  La  Grèce  centrale. — 
La  Macédoine.  —  La  Thrace.  —  Les  îles 
Égéennes. —  L'agriculture. —  Les  forêts 
et  l'élevage.  —  Le  commerce. 

CHAPITRE  XVIII.  00  LA  BULGARIE. ...     257 
Le  Balkan.  —  Les  plateaux  bulgares    — 


Dépressions  et  massifs  de  Mésie-Roumélie. 

—  L'Anti-Balkan  et  la  Grande  Valléelongl- 
tudinale.  —  Le  Rhodope  et  le  Rila.  — 
La  Roumélie.,  —  Historique.  —  Densité 
et  répartition  de  la  population.  —  Les 
Bulgares.  —  Les  Allogènes. 

CHAPITRE  XIX.  00  LA  ROUMANIE. ...     265 

Les  Carpates.  —  La  Transylvanie.  — 
La  Bucovine.  —  La  Moldavie  et  la  Vala- 
chie.  —  La  Dobroudja.  —  La  Bessarabie. 

—  Historique.  —  Mœurs  et  coutumes,  re- 
ligion.—  Les  Allogènes.  — L'agriculture. 
L'élevage,  les  forêts,  les  pêcheries.  — 
Industrie  et  mines.  —  Le  commerce. 

CHAPITRE  XX.  00  LA  POLOGNE 279 

Histoire.  —  Géographie  physique.  — 
Géographie  humaine  et  économique. 

CHAPITRE  XXI.  00  LES  PAYS  RUSSES 
ET  LES  ÉTATS  BALTES 283 

Le  relief.  —  Climat  et  végétation.  — •  Hy- 
drographie. —  Historique.  —  Les  nou- 
velles républiques  de  la  Baltique  :  La 
Finlande  ;  Esthonie,  Latvia,  Lithuanie.  — 
La  Russie  septentrionale.  —  La  région 
des  lacs.  —  La  Grande-Russie.  —  La 
Russie-Blanche.  —  Ukraine  ou  Petite- 
Russie  —  Russie  Orientale. 


L'ASIE 


CHAPITRE  XXII.  00   NOTIONS  GÉNÉ- 
RALES     298 

La  grandeur  de  l'Asie.  —  La  reconnais- 
sance du  Continent  asiatique.  —  Le  relief 
et  les  côtes.  —  Le  climat.  —  La  flore  et 
la  faune.  —  L'hydrographie.  —  Les 
hommes. 

CHAPITRE  XXIII.  00  LA  SIBÉRIE 307 


Le  relief.  —  Le  climat.  - 
Les  zones  de  végétation. 


Les  eaux.  — 
-  Découverte 


et  conquête  de  la  Sibérie.  —  Les  indi- 
gènes. — ■  La  colonisation  russe.  —  Les 
villages  et  les  villes.  —  La  mise  en  valeur. 
Les   voies   de   communication. 

CHAPITRE  XXIV.  00  LA  CHINE 319 

La  Chine  proprement  dite.  —  Les  ré- 
gions naturelles  de  la  Chine.  —  La  Chine 
du  Nord  :  les  montagnes  et  les  terres 
jaunes  de  l'Ouest  ;  les  grandes  plaines  de 
l'Ouest  ;  climat,  végétation,  culture.  — 
La  Chine  du  Centre  :  monts  et  plateaux 


475 


GEOGRAPHIE  UNIVERSELLE.. 


47 


TABLE  DES  MATIÈRES 


du  Seutchouan  ;  dépressions  et  plaines 
lacustres  du  centre  ;  climat  et  cultures  de 
la  Chine  centrale  ;  le  Yang-Tseu.  —  La 
Chine  du  Sud  ;  relief  et  rivages  ;  le  bassin 
du  Si-Kiang  ;  climat,  cultures  de  la 
Chine  coloniale  ;  les  habitants.  —  Les 
populations  :  densité,  répartition,  émi- 
gration ;  les  races  et  le  gouvernement  ; 
1  ame  chinoise  ;  les  Européens  en  Chme  ; 
les  villes.  —  Agriculture,  élevage,  forêts. 

—  Les  mines  et  l'industrie.  —  Le  com- 
merce et  les  voies  de  communication.  — 
La  Mandchourie. 

CHAPITRE    XXV.     aa    L'ASIE    INTÉ- 
RIEURE      346 

La  Mongolie.  —  Dzoungarie  et  Turkes- 
tan  chinois  :  les  régions  habitées  ;  les 
races.  —  Le  Tibet  :  plateaux  et  mon- 
tagnes ;  climat  et  végétation. 

CHAPITRE  XXVI.  0 0  U^  JAPON 355 

Structure.  —  Les  eaux.  —  Les  rivages.  — 
Climat.  —  Végétation.  —  Le  passé  du 
Japon,  son  gouvernement.  —  Le  peuple 
japonais.  —  La  répartition  de  la  popula- 
tion, les  villes.  —  Les  cultures.  —  L'éle- 
vage et  la  pêche.  —  L'industrie  et  les 
mines.  —  Le  commerce.  —  La  Corée.  — 
La  presqu'île  de  Kouang  Toung. 

CHAPITRE  XXVII.  00  L'INDOCHINE. .    373 

Le  relief.  —  Notions  géologiques.  — 
Les  massifs  du  Haut-Tonkin  et  du  Haut- 
Laos.  —  Les  Cordillères  Malaise  et  .Anna-  ^ 
mitique.  —  Les  plateaux  du  Laos.  —  Les 
côtes.  —  Le  climat.  —  L'hydrographie.  — 
La  végétation  et  la  faune. —  Les  habitants. 

—  L'histoire.  — -  Les  Annamites.  —  Les 
Thaïs.  —  Les  Cambodgiens,  Chams  et 
Malais.  —  Les  ''  Sauvages  ". —  Les  Chi- 
nois. —  Les  possessions  anglaises  dans  la 
presqu'île  malaise.  —  Le  royaume  de 
Siam.  —  L  Indo-Chme  française.  —  Or- 
ganisation, administration  et  villes  prin- 
cipales. —  Cochinchine.  —  Cambodge.  — 
Annam.  —  Le  Tonkin.  —  Le  Laos.  — ■ 
Agriculture  et  produits  forestiers.  —  Éle- 
vage, chasse  et  pêche.  —  Mines  et  indus- 
tries. —  Les  voies  de  communication  et 
le  commerce. 


CHAPITRE    XXVIII.    00     L'ARCHIPEL 

DES  PHILIPPINES 394 

Situation,  superficie.  —  Relief.  —  Les 
races. 

CHAPITRE  XXIX.  00  L'INSULINDE. . .     399 

Le  relief.  —  Le  climat.  —  La  végétation 
et  la  faune.  —  L'hydrographie.  —  Les 
races  indigènes.  — •  Les  Chinois  et  les 
Arabes.  —  Les  Blancs.  —  Répartition  de 
la  population.  — ■  Les  villes.  —  L'ancien 
système  d'exploitation.  —  L'agriculture 
et  les  forêts.  — ■  Le  sous-sol  et  l'industrie. 

—  Le  commerce. 

CHAPITRE  XXX.  00  L'INDE  ANGLAISE.  410 
Limite,  étendue.  —  Le  relief.  —  La 
plate-forme  péninsulaire.  —  La  plaine 
indo-gangétique.  • —  L'Himalaya.  — 
Température.  —  Moussons  et  pluies.  — 
L'hydrographie.  — .  Les  côtes.  —  La  vie 
végétale.  —  La  faune.  —  Densité  et  ré- 
partition de  la  population.  —   Les  races. 

—  Les  langues.  —  Les  religions.  —  La 
vie  sociale.  —  Le  gouvernement  de  l'Inde. 

—  Les  villages  et  les  villes.  —  L'agricul- 
ture. — •  L'irrigation.  —  Les  principales 
récoltes.  —  L'industrie.  —  Le  commerce 
et  les  voies  de  communication.  —  Pos- 
sessions françaises.  —  Possessions  portu- 
gaises. — ■  Ceyian. 

CHAPITRE    XXXI.  00    LES    PAYS    DE 
L'IRAN 440 

Perse.  Afghanistan,  Bélouchistan.  —  Les 
montagnes  du  pourtour.  —  Les  régions 
intérieures.  —  Le  climat.  —  Hydrogra- 
phie.—  La  flore. —  Les  races. —  Langues 
et  religions.  —  Le  royaume  de  Perse  : 
gouvernement  ;  les  habitants  et  les  villes. 
L'émigrat  d'Afghanistan.  — •  Le  Bélou- 
chistan. 

CHAPITRE  XXXII.  0  0  VL  TURKESTAN 
RUSSE 454 

Les  montagnes.  —  Les  vallées  et  les 
oasis  du  «  Piedmont  ". — ■  Les  steppes  et  les 
déserts  de  l'Ouest.  —  L'histoire.  —  Les 
habitants. —  Les  ressources. —  Les  villes. 

—  Les  voies -de  communication. 


476 


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CORBEIL       (S.-ET-O.) 


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