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UNIVERSELLE S S ê S S
LE MONDE NOUVEAU t $ les aspects de la
NATURE S LES RESSOURCES AGRICOLES INDUSTRIELLES
ET COMMERCIALES i » LA VIE DES HOMMES S 3 S 3
PAR ERNEST GRANGER S professeur agrégé
D'HISTOIRE ET DE GÉOGRAPHIE. iS^isiStSÈS
CET OUVRAGE EST ILLUSTRÉ DE PLUS DE S50gRAVURE$&160cARTIES
V*
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TOME I
LIBRAIRIE HACHETTE
À PARIS & À LONDRES
Tous droits de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays.
Copyright by Librairie Hachette 1922.
PRÉFACE
LA Grande Guerre a brusquement et profondément troublé l'évolution régulière des sociétés humaines.
Des Etats, autrefois puissants, ont disparu de la carie ; d'autres perdent de vastes territoires, des millions
de sujets ; d'autres encore voient se prolonger chez eux un régime anarchique dont on ne saurait pré-
voir la fin. Pour ces vaincus il y a éclipse totale ou partielle d'une antique prospérité, réduction momentanée ou
durable des forces productrices. Par contre, tandis que les vainqueurs, eux-mêmes durement atteints, souvent,
par les péripéties du long combat, cherchent à recueillir des bénéfices tangibles de leur triomphe, on voit, sur les
ruines du passé, surgir des nations nouvelles qui, fières de leur liberté reconquise, réclament leur large place au
soleil. Ainsi tous les groupements humains se trouvent placés inopinément en face de circonstances pour le moins
imprévues. Il leur faut s'en accommoder au mieux de leurs intérêts et bâtir, sur le roc ou sur le sable, les fon-
dements de leur cité future.
Même en temps normal, peu d'années suffisent pour transformer en riches cultures telle ou telle région dé-
sertique, drainer des marais, défricher des forêts, percer des isthmes et des tunnels. Les terres vierges se peuplent
d'émigrants, les voies de transport se multiplient. On voit naître de nouveaux foyers industriels, se dessiner des
courants commerciaux inattendus. Enfin la connaissance — fort imparfaite sur bien des points — que nous avons
de notre planète, se précise chaque jour un peu plus. Non seulement, des pôles à l'Equateur, on explore les régions
les moins accessibles, on escalade les montagnes les plus hautes, on perfectionne, on complète les cartes, mais encore
on dorme des faits géographiques de nouvelles explications, on élabore des théories plus ingénieuses et qui, fondées
sur im nombre plus grand d'observations, serrent de plus près la réalité.
Donner de ce monde en continuelle transformation une image aussi complète, aussi vivante que possible,
tel est le but de la Géographie Universelle.
Les questions géographiques sont de celles qui se posent chaque jour et dont la solution nous concerne
tous, La multiplication des moyens rapides de communication a comme rétréci le domaine terrestre. Tous les
hommes se trouvent désormais, et se trouveront de plus en plus, intellectuellement et matériellement, dans une
étroite dépendance les uns des autres. Il suffit d'un instant de réflexion pour constater qu'un Français, un
Anglais se nourrissent, se vêtent, se servent, en toutes circonstances, d'objets et de denrées venus des quatre coins
du monde. Aussi les affaires de l'Egypte et de l'Inde, de l'Argentine ou de la Chine, nous préoccupent au même
degré que celles de nos voisins irrvnédiats. Le plus médiocre journal a sa rubrique étrangère. Les périodiques, les
revues — surtout dans le domaine industriel et commercial — se remplissent d'articles dans lesquels la géogra-
phie tient la plus large place. Une sécheresse anormale dans les districts cotonniers des Etats-Unis, les prairies
australiennes, aux rives de la Plata, a pour un Européen le même intérêt que présentaient, par exemple, au
Parisien d'autrefois, les conditions de la récolte en Beauce. Personne ne peut vivre, désormais, dans un splendide
I
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
PREFACE
isolement, sotts pein de se voir taxé de coupable et honteuse ignorance, et surtout distancé dans la lutte pour
l'existence par un concurrent mieux informé.
La géographie économique est à la base de l'éducation professionnelle de tous les hommes d'affaires, grands
et petits.
Industriels et commerçants, pour élargir le cercle de leur action, peur conquérir les marchés mondiaux, ont
chaque jour un besoin plus pressant de mieux connaître les pays lointains et proches qu'ils s'efforcent de pénétrer.
Par ailleurs cette science, si éminemment utile, n'est point rébarbative. S'adressant à la fois à l'imagination
et à la raison, elle sait aujourd'hui se faire attirante et persuasive. On ne demande pas seulement au vrai géo'
graphe de solides connaissances techniques, le don de l'observation, une curiosité avisée et sans cesse en éveil,
toutes les qualités qui font le savant complet, mais on veut aussi qu'il ait une âme sensible au moindre frémissement
de la nature. Le nuage qui passe attire d'abord ses regards par la beauté de ses nuances changeantes, ses formes
mobiles, sa course lente ou rapide sur l'écran du ciel. Puis il songe à l'origine de ces masses vaporeuses, il calcule
la force du vent qui les entraîne ; il évoque l'image des monts qui vont briser leur marche, des neiges, des torrents
nourris de leurs gouttelettes aqueuses ou cristallines, des forêts, des prairies, des champs que ces eaux vont féconder,
des usines qui puiseront en elles une force peu coûteuse... S'occupe-t-il d'un fleuve? Il le voit à la fois comme un
ruban argenté déroulant ses sinuosités parmi la Verdure des coteaux, à l'ombre des arbres penchés sur ses ondes,
et comme un être vivant ayant sa jeunesse impétueuse, son âge mûr, sa vieillesse apaisée. Il étudie son régime,
sonde sa profondeur, calcule le volume de ses eaux aux diverses saisons, cherche la raison de ses crues bienfai-
santes ou dévastatrices, montre comment l'homme a su l'accommoder à ses besoins pour l'irrigation, le flottage,
la navigation, scrute jusque dans le passé le plus lointain les pulsations de sa vie. Pour le géographe comme pour
le poète, il n'est point de paysages insignifiants. La plaine la plus monotone, la plus mince bourgade, la ruine la
plus informe parlent à son imagination et à sa pensée. Il les replace dans le cadre plus vaste dont ils font partie,
devine leurs secrets, écoute leurs humbles confidences. Ainsi comprise, la Géographie est une science vivante entre
toutes qui, dès le collège, sait attirer, passionner même l'attention des enfants et qui, dans l'âge mûr, ne cesse
point de s'offrir aux méditations de tout homme cultivé.
C'est à ce vaste public de lecteurs de tout âge et de toutes catégories, curieux de s'instruire, désireux de
mieux faire, que s'adresse cet ouvrage qui résume vingt-cinq années d'observations personnelles, de
longs voyages et d'études consacrées sans arrêt à l'analyse des phénomènes d'ordre géographique.
E. G.
Nota. — Pour les renseignements statistiques industriels ou commerciaux, nous donnons toujours non
seulement les chiffres les plus récents (1919 ou 1920), mais aussi les chiffres de la dernière année normale
(1912 ou 1913). En 1913, en effet, les statistiques annuelles représentaient les résultats d'une activité
économique régulière. D'une année à 1 autre les oscillations étaient relativement faibles, la quantité ou le
prix des principaux objets d'échange ne variaient que dans des proportions restreintes. Enfin les monnaies
— or ou papier — de tous les grands Etals s'échangeaient au pair. On pouvait tabler sur la moyenne
des statistiques. On sait comment la Grande Guerre a modifié tout cela : perturbations profonries dans
les achats et les ventes, hausse formidable des prix, variations continuelles des changes, etc. Aussi con-
vient-il de considérer les chiffres des statistiques d'après guerre comme éminemment transitoires. Nous n'en
donnerons qu'un seul exemp e. Pendant les 10 premiers mois de l'année 1920, la France acheta pour :
41.779.364.000 francs. Pendant les 10 prem ers mois de l'année 1921, ce chiffre s'est réduit à
18.060.479.000 francs, soit 23.718.885.000 francs de moins que l'année précédente. 11 est devenu
impossible de tabler sur des bases aussi incertaines.
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE
L'EUROPE
CHAPITRE PREMIER
NOTIONS GÉNÉRALES
SITUATION ET CONFIGURATION, aa
On a pu se demander si l'on devait considérer l'Europe
comme un continent spécial, distinct des autres, ou comme
une simple péninsule asiatique. Ses limites, très nettes
au Nord, à l'Ouest, au Sud où des mers la baignent, ne
le sont point, en effet, à l'Est : ni les monts Oural —
de faible altitude, et très aisément franchissables — m,
à plus forte raison, le fleuve Oural ne forment de barrières
naturelles. Les forêts russes continuent directement la
taïga " sibérienne, et les steppes kirghizes ont comme
prolongement immédiat les steppes de la Volga. Aussi
les Anciens arrêtaient-ils l'Europe au Don et à la mer
d'Azov. Aux temps modernes longtemps la Russie
demeura, aux yeux des Occidentaux, plus asiatique
qu'européenne et, même à la fin du XVIII^ siècle, sur les
cartes géographiques, Perm et Astrakhan étaient attn-
buéesà l'Asie.
La question n'a, du reste, qu'une importance purement
théorique. Quel que soit le nom qui la désigne, l'Europe
a une individualité géographique et surtout historique
assez forte pour qu'on la distingue nettement des autres
masses continentales ; et puisqu'aucune limite naturelle
ne s'impose d'une façon absolue, nous donnons comme
frontière orientale au continent européen les anciennes
frontières administratives de la Russie d'Europe : au
Sud-Est, la dépression du Manytch ; à l'EUt, une ligne
presque entièrement artificielle zigzaguant de la Cas-
pienne à la mer de Kara.
Ainsi délimitée l'Europe, avec ses 10 000 000 de kilo-
mètres carrés (en chiffres ronds), est, après l'Australie,
le plus petit des continents (Asie : 44 000 000 de kilomètres
carrés ; Afrique : 30 000 000 de kilomètres carrés ; Amé-
rique du Nord : 23 000 000 de kilomètres carrés ; Amé-
rique du Sud : 18 000000 de kilomètres carrés). Mais,
malgré sa petitesse, nulle autre terre n'a pu jusqu'à nos
jours lui être comparable par l'ensemble des avantages
naturels qu'elle offrait aux établissement humains. On ne
trouve en Europe ni les immenses plateaux désertiques,
ni les montcignes infranchissables, ni le climat hostile, ni la
rareté des plantes et des animaux domesticables qui, soit
en isolant les hommes, soit en leur rendant la vie maté-
rielle particulièrement difficile, anêtèrent, ailleurs, ou
retardèrent les progrès de la civilisation. Un mélange
harmonieux de montagnes, de collines doucement ondu-
lées, de larges plaines propices à la vie sédentaire ; des
côtes dentelées, articulées comme une œuvre d'art: une
intime pénétration des terres et des mers qui rendent
éminemment faciles les rapports entre les groupements
humains ; enfin une extrême variété de ressources due à
la variété du climat et du relief, à la fertilité des terres
cultivables, à la richesse du sous-sol, tout cela explique
l'avance que l'Europe sut prendre de bonne heure sur
les autres continents. C'est en Asie pourtant, et en
Afrique, aux bords de l'Euphrate et du Nil, que, par
suite de circonstances spéciales, furent faites les premières
et décisives découvertes. Mais ces premiers germes ne
devinrent vraiment féconds qu'en prenant racine aux
rives européermes.
Sans doute, aujourd'hui, les conquêtes de la science
ont bnsé en partie les forts liens qui unissaient étroite-
ment l'homme à la terre, et la supénorité que l'Europe
dut longtemps à ses avantages géographiques s atténue
L'EUROPE
d'une manière sensible. On sait percer les montagnes,
franchir avec rapidité' les plus vastes espaces, tirer parti
des ressources les moins apparentes ou les plus lointaines.
Les " zones d'humanité " s'étendent chaque jour, car la
distance n'est plus un obstacle. Des terres vierges, long-
temps presque inhabitées, voient accourir par millions les
immigrants et prennent place parmi les grandes nations
du monde : Etats-Unis, Canada, Argentine, Australie.
D'autres, où l'homme ne manquait point, mais où il
demeurait dans un état de civilisation inférieure, comme
la Chine, le Japon, l'Inde, renaissent à une vie nouvelle
et prétendent égaler, voire surpasser à bref délai, les
peuples de la ' vieille Europe ". Mais cette renaissance
universelle est l'œuvre d'Européens, et la place éminente
de l'Europe s affirme par cela même que ses rivaux les
plus actifs, ses détracteurs mêmes, ne font rien de grand
qu'en appliquant ses méthodes, en perfectionnant ses
découvertes, en se mettant à son école.
LE RELIEF. £l^ Il y aen Europe des montagnes
très vieilles, des montagnes vieilles et des montagnes
jeunes.
Les premières datent de l'époque silurienne (milieu de l'ère
primaire). On les trouve au Nord de l'Irlande, en Ecosse, en
Norvège. Elles furent formées par un plissement (le plisse-
ment calédonien des géologues) qui s'étendait de l'Amérique du
Nord à la Scandinavie à travers un continent, l'Atlantide, aujour-
d'hui disparu.
Les secondes remontent à l'époque carboniférienne (fin de
l'ère primaire). Elles comprennent les hauteurs de l'Irlande
méridionale, de la Cornouaille, de notre Bretagne, du Massif
Central, de l'Ardenne, des Vosges, de la Forêt-Noire, de l'Alle-
magne du Sud, de la Bohême, des plateaux espagnols, des
Maures-Esterel, et de la Thrace. On désigne le plissement qui leur
donna naissance sous le nom de plissement hercynien.
Soumises depuis une époque prodigieusement reculée
à une érosion intense, ces montagnes ne sont plus que
la racine de ce qu'elles furent jadis. La Cornouaille,
la Bretagne eurent des sommets aussi hauts que les
Alpes. L'Ecosse, la Scandinavie, l'Ardenne, réduites à
l'état de pénéplaines ", ont perdu les deux tiers de
leur hauteur primitive. Le Massif Central et les Vosges
auraient presque entièrement disparu si, aux temps ter-
tiaires, les plissements alpins ne les avaient redressés en
butant contre leur masse résistante. Mais leur ancien-
neté se traduit encore aux yeux d'une façon saisissante par
leurs contours émoussés, leurs sommets arrondis, la
largeur de leurs vallées, les longues ondulations de leurs
croupes uniformes.
Les roches qui forment leur ossature sont, comme
elles, d'origine fort ancienne. Les granits, les schistes,
les gneiss, les porphyres, les grès et calcaires d'âge pri-
maire y dominent presque exclusivement. Il faut y
joindre les dépôts houillers dont un climat chaud et
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humide, une végétation puissante favorisèrent la lente
formation au fond des lacs qui bordaient les massifs her-
cyniens (gisements d'Angleterre, du Massif Central, de
Belgique, de Westphalie, de Saxe, etc.).
Presque tous les massifs montagneux de l'Europe méridionale
sont au contraire de date récente — au moins relativement. Ils
doivent tous leur formation au puissant mouvement de contraction
qui se fit sentir dans le monde entier aux temps tertiaires après la
longue période de repos relatif qui remplit l'époque secondaire.
De l'éocène au pliocène apparurent les Pyrénées, la Sierra Nevada,
les Alpes, le Jura, les Carpates, les Balkans, l'Apennin, les chaînes
dinariques, le Pinde, auxquels il faut joindre, hors d'Europe,
l'Atlas, le Caucase, l'Hymalaya, les Rocheuses, les Andes et les
montagnes de la Nouvelle-Zélande. Leur jeunesse explique leur
altitude considérable, la raideur de leurs pentes, l'étroilesse de
leurs vallées, les arêtes vives, les aiguilles, les cornes que l'éro-
sion n'eut point le temps d'arrondir. Les courbes qu'elles décrivent
presque toutes (Alpes, Carpates, Apennin, etc.) sont dues à l'obli-
gation où elles se trouvèrent de se modeler comme une matière
plastique sur les massifs anciens qui jouaient le rôle de butoirs.
Enfin des plissements d'une telle ampleur n'allèrent point sans
cassures, failles, effondrements, par lesquels se firent jour avec
une activité nouvelle les matières ignées de l'intérieur. De là pro-
viennent, par exemple, les volcans italiens et auvergnats.
Ces montagnes du plissement alpin jouent en Europe
un rôle essentiel. Par leurs glaciers, leurs champs de
neige, leurs lacs, les abondantes précipitations atmosphé-
riques qu'elles provoquent, elles sont comme le gigan-
tesque château d'eau où s'alimentent fleuves et rivières.
Longtemps, il est vrai, elles constituèrent entre les terres
méditerranéennes et l'Europe du Nord une barrière
difficilement franchissable et les tribus qui, fuyant un
agresseur ou passionnées d'indépendance, se réfugièrent
dans leurs hautes vallées, restèrent sans rapports avec
le reste des hommes. Mais aujourd'hui, sillonnées de
routes et de voies ferrées, percées de tunnels, envahies
par les usines et les touristes, réserve précieuse de forêts
et de pâturages, elles sortent de leur magnifique isolement
et jusque sur leurs sommets longtemps inviolés monte
comme le frémissement d'une vie nouvelle.
Les plateaux sont rares en Europe, et c'est tant
mieux. Un plateau, surtout dans les zones tempérées et
subtropicales, se trouve presque toujours soustrait par
les montagnes qui le bordent à la bienfaisante influence
des vents marins : d'où faiblesse des pluies, brusques et
profondes variations des températures, végétationmédiocre
ou nulle. La plupart des grands déserts du monde (Iran,
Mongolie, Colorado, Sahara, Australie intérieure)
occupent des plateaux. En Europe, l'Espagne seule
offre dans les deux Castilles de vastes espaces tabulaires,
élevés de 700 à 1 000 mètres, ceints de monteignes, fort
semblables aux plateaux asiatiques ou africains. Aussi
les Castilles comptent-elles parmi les régions les moins
productives et les moins peuplées du continent. Certaines
L'EUROPE
LE GLACIER D'ARCENTIERE. Us montafnes de type alpestre sont les plus
jeunzs et partant, les plus élevzes de l'Europe. Comme elles arrêtent la course cagabontU
des n-jaga. elles reçoivmt un: trh grande quantité de t^tàe et de neige, et par leurs
névés, Imts glaciers, leurs tacs, elles jouent pour notre continent le rôle de Château
tTEau. La vue ci-dessus, prise en Savoie, montre l'Aiguille du Chardcrmel et Pexlré-
mité du glacier d'Argentière, — l'un des plus longs du Massif du Mont-Blcnc, —
dont la langue terminale incurvée entre deux puistants remparts de morainet, nourrit
le torrent de VArve, Q. Granceh.
L'EUROPE
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ECOSSE : LE LAC ACHRAY. Aux montagnes jeunes comme les Pyrénées et
les Alpes s'opposent les vieux massifs de Scandinavie, d'Armorique, d'Ecosse, dûs
à des plissements tTès'anciens. Derrière le rempart multiple des moraines anciennes
dorment des lacs ptofcnds Cl. PHILIPPE HuNT CoPyiigKt.
LES BORDS DU RHIN A ROLANDSECK. U Rhin a toujours tenu dans rbis-
loire de l'Europe une place de premier langtsoil comme frontière de peuples, soit
comme voie de communication. Sa vallée, généralement large, ne se rétrécit qu'au
passage du Massif schisteux rhénan, entre Bingen et Bonn. Cl. Stencel.
-«^flMSpMsai»
LES BORDS DE LA LOIRE ; AMBOISE. Mo.ns romantique que la vallée du
Rhin héroïque ', la gracieuse suite de " vais ", où la Loire roule ses eaux entre
Orléans et Angers, n'est pas moins attrayante, grâce à ses riants coteaux, aux
châteaux magnifiques qui l'accompagnent sur chaque rive. Cl. Neurdfin.
LA STEPPE RUSSE. A l Europe des montagnes et des plateaux s'oppose l'Eu-
TOpe des plaines qui. de la Flandre à l'Oural, déroule ses vastes espaces
monotones. Parfois extrêmement fécondes, ces plaines sont ailleurs, soit maréca-
geuses et boisées soit sablonneuses et vêtues des maigres herbes de la steppe.
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iS^UJZ DE PRESSA. MACÉDOINE. La péninsule des Balkans fut l'objet de
PoaitlJfrïmiÊrifî /j^c.'ciWçj'iCJ çiJi lui valent un relief fort capricieux. Au pied de mas-
sait par des
. BoiSSONNAS.
. ^wv>>^i.-'i>^'iL.> 1 .i.uiiitji c.^ vi (u' I.UICU un Tciic/ jori capncteux. /\u pu
sifs. !!cuis d-200G i 3000 m., t effondrent des tassimfermés, occupés, j
hcs^stntpaTdetàépStsaïluviciLX oùseconcenlrent les hommes.Ci. Fred. B(
CORSE : LE GOLFE DE PORTO. Type de côte méditerranéenne. Dans lesT ca-
lanques " étroites que bordent des roches rutilantes, murmure^/a chanson des flots
a >o ses. Sous la pure lumière d'un ciel sans nuages éclate la symphonie des bleus,
des verts sombres, des rouges écarlotes. des jaunes ambres. Cl. Boulanger.
NOTIONS GENERALES
parties du Massif Central, l'Ardeime, la Bavière me'ri-
dionale, enfin quelques régions de la pe'ninsule balka-
nique complètent la série des plateaux européens.
Si les plateaux sont pour l'homme des pôles répulsifs,
les plaines apparaissent au contraire, par l'abondance de
leurs ressources agricoles et la facilité qu'elles offrent aux
communications, comme des centres attractifs, des zones
d'humanité. Or les plaines occupent chez nous de si
vastes étendues (les deux tiers de la superficie totale), que,
grâce à elles, l'altitude moyenne de l'Europe (330 mètres
environ) est la plus faible de tous les continents (Aus-
tralie : 360 mètres ; Amérique du Sud : 550 mètres ;
Amérique du Nord : 600 mètres ; Afrique : 660 mètres :
Asie : 1 010 mètres).
Un simple coup d'oeil sur la carte nous montre deux
séries de plaines européennes, l'une d'un seul tenant,
l'autre morcelée en bassins isolés.
La première commence aux Pyrénées occidentales, se
contmue par les bassins de Paris et de Londres, la Bel-
gique flamande, la Hollande, l'Allemagne du Nord, le
Dememark, la Suède méridionale, et, par delà les plaines
polonaises et russes, s'en va rejoindre en Asie l'immense
plate-forme sibérienne.
A cette zone de plaines continues s'ajoutent et s'oppo-
sent les plaines fermées, nettement circonscrites, du Centre
et du Sud : Hongrie, Lombardie, Roumélie, et les
petits bassins de Thessalie, d'Apulie, de Campanie, de
Toscane, les Huertas espagnoles. l'Andalousie, le Por-
tugal.
Toutes ne furent pas également favonsées par la
nature.
Celles du Nord se virent en majeure partie recou-
vertes, au début des temps quaternau-es, par une immense
calotte de glace, une " inlandsis " partie des monts
Scandinaves. Lorsque la glace fondit, les moraines
énormes qu'elle charriait demeurèrent en place. Elles
formèrent ainsi sur le socle de roches anciennes une
couche plus ou moins épaisse de blocs erratiques, de
boues, de graviers généralement très pauvres en pnncipes
fertilisants. Sur les argiles grises se multiplièrent les
marais, les tourbières, les lacs, tandis que la forêt s'empa-
rait des sables. Telles apparaissent encore la Russie du
Nord, la Finlande, le Norriand suédois, les pays qui
bordent la Baltique méridionale. L'utilisation fragmen-
taire de ces plaines infécondes n'a pu se faire qu à grand -
peine et depuis peu de temps. Elle exige de longs efforts,
de grosses dépenses, pour des résuhats médiocres.
Au contraire, les plaines du Centre et du Sud, épar-
gnées par les glaciers, se vêtirent généralement non de
sables infertiles, mais de riches terreaux d'origines
diverses : lœss d'Alsace, de Hongrie, de Roumanie,
limons de Beauce et de Hesbaye. " Tchernozom ou
terre noire de la Russie méridioneJe, atluvions fluviales
de Lombardie, laves décomposées de Campanie et de
Limagne, etc. Depuis l'apparition de l'homme sur la
terre, ces plaines dont le sol, peu favorable à la végéta-
tion arbustive, convenait merveilleusement aux céréales,
formèrent dans la forêt primitive d'immenses clairières où
nos lointains ancêtres se fixèrent de préférence dès qu'ils
surent s'improviser agriculteurs. Les migrations succes-
sives dont l'Europe fut le théâtre suivirent aussi ces zones
attirantes beaucoup plus que les rives marécageuses des
fleuves. Par là s'acclimatèrent de bonne heure chez nous
plantes comestibles, arbres fruitiers, animaux domesti-
cables. Encore aujourd'hui — et plus que jamais — ce
sont les terres nourricières, celles où les villages se tou-
chent, où, sur le damier bariolé des champs, se répète
uniforme, de Lisbonne à l'Oural, le " geste auguste
du semeur '".
LES CÔTES, LES ILES, LES MERS. 00
Plaines, plateaux et montagnes aboutissent à la mer ;
non pas en lourdes masses aux bords rectilignes comme
l'Afrique et l'Australie, mais avec une variété si capri-
cieuse, une fantaisie si habilement nuancée, que le
dessin des côtes européennes semble tracé par la main
bienveillante d'un Dieu.
L'Europe compte, en effet, I kilomèlre de côtes pour 260 kilo-
mètres carrés. C'est la plus Forte proportion qui soit au monde
(Amérique du Nord ; 1 kilomètre pour 407 kilomètres carrés :
Amérique du Sud : I kilomètre pour 686 kilomètres carrés ;
Asie : I kilomèlre pour 700 kilomètres carrés ; Afrique ; I kilo-
mèlre pour 1041 kilomètres carrés). C'est, aussi, par les avantages
climatiques ou commerciaux qu'une si intime pénétration des terres
et des mers donne, à notre conlinent, la meilleure raison de sa supé-
riorilé.
La topographie des côtes varie à I infini, mais leurs
différents types peuvent prendre place dans deux caté-
gories : côtes basses, côtes élevées.
Au type des côtes basses, plates, boueuses ou sablon-
neuses, appartiennent une grande partie des rivages de
la Mer Blanche, de la Baltique, de la Mer du Nord,
des golfes de Gascogne et du Lion, de la Mer Noire,
de la Caspienne, sans compter une notable proportion
des côtes italiennes et espagnoles. Là se trouvent ces
Marschen, ces Polders, ces Moëres, ces Maremmes,
ces Limans, plages indécises souvent malsaines, où alter-
nent la dune changeante et le roseau des marais. Inhos-
pitalières en général, battues de plein fouet par le vent
et les vagues, donnant sur des mers sans profondeur et
fort pauvres en rades naturelles, ces côtes furent longtemps
délaissées par l'homme. Elles le sont encore en maints
endroits et leur solitude contraste avec le four-
millement de vie des rivage» plus favorisés. (Cf. en
France les côtes landaises ou languedociennes en regard
L'EUROPE
des côtes bretonnes ou provençales.) Mais, tout au moins
sur la façade atlantique, cette faiblesse se trouve heu-
reusement et largement compense'e par l'abondance des
estuaires que remontent les marées. Ces estuaires, débou-
chés naturels des régions intérieures ou mène le ruban
argenté des fleuves, répondent aux exigences des grands
ports modernes ; par eux le domaine de la mer se pro-
longe au sein du continent, et d'Arkhangelsk à Lisbonne,
par Riga, Danzig, Hambourg, Brème, Londres, Rotter-
dam, Anvers, Nantes, Bordeaux, etc., ils attirent et cris-
tallisent la vie.
Les côtes élevées apparaissent au contraire et tout
naturellement, soitaux lieux où des montagnes, de hautes
collines bordent immédiatement le rivage, soit dans les
régions où des plateaux de faible élévation sont tranchés
à pic par la mer. Les vagues attaquent avec un inégal
succès les roches de dureté variable. Ici (au pays deCaux,
dans l'Angleterre méridionale, à l'île de Rugen, etc.)
de roides falaises calcaires dressent leurs murailles rigides
qui s'abattent par pans entiers et qu'interrompent de
rares valleuses. Là (en Bretagne, en Provence, en
Norvège, en Ecosse, sur le pourtour de la péninsule
balkanique), la mer creuse ses calanques, ses anses,
ses criques dentelées, envahit les fjords et les rias, use,
lime, mord, perce la roche dure, l'émiette en galets, en
sable fin que les courants du large emportent vers les
abîmes, ou déposent au fond des golfes.
Là les abus naturels sont innombrables; là se Irouvent les plus
belles rades en eau profonde (Brest, Toulon, fjords de Norvège, etc.)
et c est sur des rivages de celte sorte que naquit, aux temps anciens,
la vie maritime. Mais il convient de remarquer que la plupart de
ces refuges, qui se prêtaient admirablement aux conditions requises
par les petits navires d'autrefois, ne répondent plus aux nécessités
de la navigation moderne, soit qu'ils manquent d'ampleur et de
profondeur, soit qu'ils bordent un arrière-pays montagneux, pauvre,
à population clairsemée, et sans moyen de communications. Le
fait est frappant en Ejéide, en Dalmatie. en Ligurie, en Provence,
en Bretagne. Aux lieux mêmes où les avantages d'une situation conti-
nentale privilégiée ont assuré, aux temps contemporains, la persis-
tance et le développement continu d'une activité maritime de vieille
date comme à Gênes et à Marseille, la rade primitive ne joue plus
qu un rôle secondaire : c'est le port nouveau, créé de toutes pièces,
qui accueille, à l'abri de ses digues puissantes, les navires géants
dont nous avons besoin.
Ces côtes ont leur prolongement dans les îles. Grandes
ou petites, rochers dénudés ou fertiles terroirs, briàlées
de soleil ou noyées dans les brouillards du Nord, elles
complètent la riche ciselure des rivages continentaux,
elles ajoutent leurs ressources à celles de la terre ferme.
Les unes (lies Britanniques, Corse, Sardaigne, Crète)
sont assez vastes et leur isolement est assez grand pour
qu'elles aient toujours tenu dans la vie de l'Europe une
place a part. Les caractères spéciaux de leur civilisation,
de leurs langues ou dialectes, des mœurs de leurs habi-
8
tants leur donnent ou leur ont donné longtemps une
physionomie originale. Ce sont comme des raccourcis de
continent. D'autres, telle la série d'îles qui bordent
la Norvège et la Dalmatie, eurent surtout pour effet de
protéger la côte qui leur fait face contre les assauts
de la mer. D'autres enfin (îles Danoises, Sicile, îles de
l'Archipel grec) forment les piliers d'un pont naturel
qui prolonge le continent et l'unit aux terres voisines.
Les mers qui baignent l'Europe diffèrent fortement
entre elles par leur topographie, leur profondeur, leur
régime, leur importance économique.
Tout d'abord l'Europe a sur l'Amérique et l'Asie
ce très grand avantage de n'ouvrir aucune façade sur des
mers tout à fait inutilisables. Grâce au Gulf-Stream, dont
I heureuse influence se fait sentir jusqu'au Spitzberg et à
la Nouvelle-Zemble, l'Océan Glacial Arctique lui-même
est libre de glacesau largede laLaponie. La Mer Blanche,
qui échappe à l'action bienfaisante du courant, se trouve
prise, il est vrai, huit mois sur douze. Encore demeure-
t-elle accessible pendant un tiers de l'année à la naviga-
tion.
L'Atlantique et ses annexes (Baltique, Mer du
Nord, Manche) ont été formés, aux temps tertiaires,
par des séries d'effondrements ou d'affaissements d'une
ampleur plus ou moins considérable selon les lieux.
Tandis que dans le golfe de Gascogne la sonde atteint
5099 mètres, et 3667 entre l'Islande et le Spitzberg,
la Baltique n'a que 150 mètres de profondeur moyenne,
la Mer du Nord une centaine, la Manche et la Mer
d'Irlande 60, le Pas de Calais 30. Parcouru à la surface
par le Gulf-Stream, protégé dans les profondeurs contre
l'afflux des eaux glacées par un seuil sous-marin de moins
de 100 mètres qui va de l'Ecosse à l'Islande et porte
les îles Fâr-Oer, l'Atlantique est, sur nos côtes,
beaucoup plus chaud que la latitude ne semble le com-
porter. Aussi ne gèle-t-il jamais, même pai 72° de latitude
Nord, tandis que la côte américaine gèle par 45° de latitude
Nord, (cf. la latitude de Bordeaux), et la limite Sud
des glaces flottantes, qui dérivent en Amérique jusqu'au
cap Hatteras (35° latitude Nord), ne dépasse pas chez nous
le 70^ degré. Les marées y sont très fortes, fréquentes
les brumes, et violentes les tempêtes amenées par les
vents d'Ouest. Mais ces mers abondent en poissons de
toutes espèces (morues, maquereaux, sardines, harengs) ;
de plus elles baignent les côtes des nations les plus
actives, les plus commerçantes du monde. Aussi la vie
maritime y est intense. Le nombre des passagers, des
navires, des pêcheurs qui circulent, par exemple, sur
la Manche, est tel que la densité kilométrique de sa
population flottante dépasse celle de maints territoires
continentaux.
A l'Atlantique, mer ouverte, s'oppose la Méditer-
NOTIONS GÉNÉRALES
ranée, tj-pe des mers continentales ou mers fermées.
Contemporaine des plissements alpins et formée par
fractures successives, c'est une zone de dislocation, un
des points faibles de l'écorce terrestre, ce qui explique
1 activité' des phénomènes volcaniques et la fréquence
des tremblements de terre dans les pays qui la bordent.
Ellle se divise en deux parties bien nettes, séparées par le seuil
étroit qui unit la Sicile à l'Atlas tunisien. A l'Ouest, la sonde
atteint 3149 mètres près des Baléares et 3730 mètres dans la
Mer Tyrrhénienne. -A l'Est, la fosse de la Pola, près du cap
Matapan, descend à 4404 mètres, celle de Candie à 3347 mètres.
La Mer Noire elle-même a des profondeurs de 2000 mètres et
plus. Par contre, l'Adriatique et la Mer Egée varient entre 200 et
1500 mètres et la Mer d'Azov est une vaste lagune qui ne
dépasse pas 14 mètres de fond.
Soumise à 'une évaporation intense, et ne recevant
qu'une insuffisante quantité d'eau douce (car les pluies
y sont rares comme les grands fleuves), la Méditerranée
se dessécherait tout entière en moins dequatre cents ans, si
l'Atlantique et la Mer Noire ne venaient rétablir l'équi-
libre en lui envoyant, parle détroit de Gibraltar, le Bos-
phore et les Dcu-danelles, les eaux dont elle a besoin. Les
marées y sont à peine sensibles sauf en quelques points
de l'Adriatique et des Syrtes (0 m. 70 à Trieste,
1 m. 80 à Sfcix). La température de l'eau se maintient
élevée jusqu'aux plus grandes profondeurs grâce au seuil
de Gibraltar qui arrête l'afflux des eaux froides et ne
laisse pénétrer que les eaux tièdes de la surface. Aussi
la Méditerranée peut elle être considérée comme un
immense bassin d'eau chaude qui agit puissamment sur
le climat des régions voisines. Beaucoup moins riche que
l'Océan en espèces animales (thon, anchois, auxquels
s'ajoutent les éponges et le corail), la pêche ne joue qu'un
rôle restreint dans la vie des populations riveraines, et,
malgré les dentelures de leurs rivages, bien des îles ou
des presqu'îles méditerranéennes : la Corse, la Sardaigne,
l'Elspagne même, sont peuplées d'agriculteurs beaucoup
plus que de marins.
Pendant de longs siècles la Méditerraoée (ut la mer européenne
par excellence : " mare noitrum ", disaient les Latins. Les
Cretois, les Egyptiens, les Phéniciens, les Grecs la sillonnèrent de
leurs légers navires, bâtirent sur ses rives leurs comptoirs et les
colonnes de leurs temples. Au Moyen Age, Venise, Gènes, Pise,
Amalfi, Marseille, Constantinople n'avaient pas de rivales comme
entrepôts commerciaux. Les grandes découvertes des XV^ et X^.l*^ siè-
cles favorisèrent au contraire les ports océaniques, en relations
plus naturelles avec l'Amérique, les côtes d'Afrique, l'Extrême-
Orient même. Mais cette décadence s'arrêta du jour où le canal
de Suez (ut creusé, porte ouverte sur un immense horizon. La vie
renaquit sur ces eaux d'améthyste et de saphir où les tempêtes sont
rares, les brouillards inconnus. Le développement économique des
pays d'Orient, de l'Egypte, de l'Afrique Mineure augmcnlechaque
jour l'intensité du trafic et la Méditerranée a largement regagné le
rang qu'elle avait perdu.
LES CLIMATS. ^^ Grandement favorisée par
la nature de son relief, l'étendue de ses côtes, et le
régime de ses mers, l'Europe I est encore par son climat.
Sa situation en latitude (du 35° au 71°), l'influence
adoucissante des eaux tièdes qui la pénètrent, des vents
qui la parcourent, enfin la variété et la modération de
son relief lui assurent un climat sain, généralement exempt
des extrêmes de chaleur ou de froid, de la sécheresse
ou de l'humidité excessives que l'on trouve en d'autres
continents.
En tenant compte de la répartition des températures
et des précipitations atmosphériques, on peut diviser
l'Europe en plusieurs zones climatiques assez nettement
tranchées.
1° Toute la bordure occidentale du continent (Portugal,
France sauf la région méditerranéenne. Hollande, lies
Britanniques, Nord-Ouest de I Allemagne, côtes de
Norvège) est soumise au régime océanique ou maritime.
L'influence prédominante est celle de la mer, du
Gulf-Stream et des vents tièdes de l'Ouest. Tous agissent
dans le même sens : ils modèrent la chaleur de l'été et
le froid de l'hiver, donnent en toutes saisons, mais
surtout en hiver, des pluiesabondantes, rendent fréquents
les jours de brume et multiphent les brusques variations
de la pression atmosphérique, causes des tempêtes.
Stations.
Lisbonne
Brrat
Valentia (liUncJe)
Nor')Berffen ....
vèse. (Tromsoe.. .
Lati-
tude.
38°43
48°23
51°54
60°23
69°39
Alti-
tude en
mètres
102
65
7
17
15
TempénUure moyenne
l'année Jan\ier Juillet
I5»6
ll»7
10°6
7»
2'4
I0°3
6»3
Tl
— 0°9
— 3°9
2I«2
17-^
I5«l
WA
11°
Ampli
lude
W>6
\n
7"9
I5°3
U«9
Pluie;
et! mitli
mètre;
726
824
1 460
I 856
I 040
Brest peut être choisi comme type de ce climat. Il a
une moyenne de 6°, 3 en janvier et 1 7°, 9 en juillet, soit un
écart (il vaut mieux dire une amplitude) de I 1°,6. Il y
tombe, en cent quatre-vingt-cinq jours, 824 millimètres
d'eau répartis d'une façon à peu près égale entre tous
les mois de l'année. On n'y compte en moyenne que
vingt-:ept jours de gelée par an. En revanche, le ciel est
rarement dégarni de nuages plus ou moins denses et des
brouillards humides embuent trop souvent l'atmosphère.
Au climat océanique s'oppose le climat continental.
C'est celui de l'Europe centrale et orientale. Il se carac-
térise par de fortes variations de température, des hivers
longs et froids, des étés courts mais relativement très
chauds. Les précipitations atmosphériques (on désigne sous
ce nom les diverses formes : pluies, neige, grêle sous
lesquelles se produit la condensation de l'humidité conte-
nue dans l'air) sont moins fortes que sur les côtes et
diminuent à mesure que l'on avance vers l'Est. En hiver.
L'EUROPE
la neige couvre le sol pendant des mois, mais c'est en e'té
que tombe le maximum des pluies causées par des orages
locaux. Assez atte'nué au Centre de l'Europe (Autriche,
Pologne, plaine du Pô), ce climat devient excessif en
Russie comme en témoigne le tableau suivant :
Stations.
PrB^e . . . .
Budï-Pest .
Kîew
Moscou
Samara ....
Orenbourg.
Lonffi-
lude Est
de Paris
12°
17"
28°
35°
48°
53°
Janvier.
• 1°2
■ 1°9
■ 6°2
■11°
■13°
■15°
Juillet.
+ 19°3
+ 2I°4
+ 19°2
+ 18°6
+ 23°
+ 22°
Ampli-
tude.
20°5
B»3
25»4
29°6
36»
37°
Pluie»
en milli'
mètres.
443
611
535
534
400
400
Enfin les côtes méditerranéennes (Espagne orientale,
Languedoc et Provence, Italie péninsulaire, Grèce)
forment une troisième zone climatique qui diffère forte-
ment des deux autres. Les étés y sont longs, chauds et
secs, les hivers tièdes. Peu ou point de neige ; à peine
quelques jours de gelée. Les pluies tombent surtout en
automne ou à la fin de l'hiver par brusques et violentes
averses qu'absorbe promptement un sol desséché. Le
nombre des jours pluvieux est très faible (Montpellier,
qui reçoit au total la même quantité d'eau que Pans,
n'a que cinquante-cinq jours pluvieux et Paris cent
soixante-cinq), et les mois d'été en sont à peu près
dépourvus. Les vents d'Ouest ne s'y font pas sentir :
les différences de pression entre la Méditerranée et les
hautes terres voisines engendrent des vents locaux (Mis-
tral, Tramontane, Vents Etésiens, Sirocco, Bora), froids
ou chauds, secs ou humides suivant leur direction. L'atmo-
sphère est lumineuse, transparente, la nébulosité très
faible, les brouillards d'une extrême rareté. L'hiver est
doux, ensoleillé, parfumé et, même l'été, on y respire
sans effort un air léger attiédi par la fraîche brise marine.
Statioi
Barcelone
Nice
Naples ...
Athènes .,
Temp^alure moyenne
l'année
16°9
15°
15°9
17°3
Janx-ier
8°9
7°
8°2
8°2
Juillet
26°
24°
24»3
27°
Ampli-
tude.
18°9
17»
16°1
18°8
Pluies
milli-
mètres
570
600
830
402
Saison
des
pluies.
Oct. à janv.
Oct à mars.
Oct. à ianv.
Oct. à mai.
HYDROGRAPHIE, mut Du climat dépend
en partie le régime des cours d'eau. Il dépend aussi du
relief et de la nature des terrains traversés.
Bienque chaque cours d'eau ait son originalité, son indi-
vidualité propres, et diffère par quelques traits même de
ceux qui lui ressemblent le plus, on peut cependant
ckïser les fleuves euiopéens en plusieurs catégories.
A 1 Est, les fleuves russes et polonais naissent tous
10 —
à très faible hauteur et drainent de vastes étendues
de pays. Ils sont alimentés uniquement par la fonte
des neiges hivernales et les pluies d'été. Leur pente
est insignifiante, leur longueur considérable (Dvina
1 700 kilomètres, Dniestr I 500 kilomètres, Dniepr
2 150 kilomètres. Don 2 150 kilomètres, Volga
3 395 kilomètres), leur débit fort abondant et assez régu-
lier ; mais ils gèlent pendant les mois d'hiver (la Volga,
par exemple, est prise cent jours par an à Astrakhan,
cent cinquante-trois jours à Kazan, et cent soixante jours
à Kostroma) et cela diminue leur utilité économique qui
reste pourtant très grande.
A l'Ouest, les fleuves de type océanique (Scandi-
navie, Angleterre, Belgique, France occidentale) sont
nombreux et courts, de régime généralement régulier
car les pluies qui les alimentent tombent égales en
toute saison. Navigables lorsqu'ils coulent en plaine
(Tamise, Escaut, Seine), ils se terminent souvent par
des estuaires que remontent les marées.
Au Centre, les fleuves alpestres (Rhin 1 298 kilo-
mètres, Rhône 812 kilomètres, Pô 631 kilomètres.
Danube 2850 kilomètres) et leurs affluents (Isère, Aar,
Tessin, Drave et Save) descendent rapidement des
hautes montagnes où ils naissent, puis s'assagissent en
plaine. Ils ont, au printemps, comme les fleuves russes,
des crues très fortes dues à la fonte des neiges, mais ne
connaissent pas les maigres désastreux, et leur débit con-
serve une belle constance grâce aux neiges éternelles,
aux glaciers qui les alimentent, aux lacs qui les régula-
risent.
Enfin les cours d'eau de type méditerranéen (Jucar,
Ebre, Hérault, Var, Amo, torrents de Grèce) se dis-
tinguent par leur irrégularité. A l'automne, au printemps,
quand s'abattent les averses torrentielles, quand fondent
brusquement les neiges, ils emplissent leur ht à pente
forte d'une masse tumultueuse d'eau boueuse et dévas-
tatrice. Mais, l'été venu, un mince filet d'eau serpente
au milieu des sables et des cailloux roulés ; parfois même
ils se dessèchent complètement. Impropres à la naviga-
tion, ils peuvent rendre à la culture d'émments services
quand on sait tirer parti de leurs eaux capricieuses par
des barrages et des canaux d irrigation.
Les lacs sont nombreux dans les plaines du Nord et au pied
des montagnes. Les uns, aux parois abruptes, aux grandes profon-
deurs, doivent leur origine aux dislocations, aux effondrements de
la croûte terrestre, tels les " lochs "d'Ecosse (Loch Ness: 240 mètres
au-dessous du niveau de la mer), les lacs de Janina, d'Ochrida, de
Presba dans le Pinde.
D'autres, comme les innombrables nappes d'eau des plaines alle-
mandes, de Pologne, de Finlande, et certains petits lacs alpestres
ou vosglens, sont des lacs de barrage dus à l'accumulation des eaux
derrière les moraines frontales des glaciers quaternaires. D autres
enfin Oacs de Genève, de Zurich, des Quatre-Cantons, d'An-
necy, etc.), semblent être à la fois des lacs de barrage et des lacs
d'effondrement.
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. 2.
NOTIONS GENERALES
VÉGÉTATION. ele> La répartition et les asso-
ciations des espèces végétales dépendent étroitement
du climat et, pour une moindre part, de la nature du
sol.
A l'extrême Nord, sur les rives de l'Océan Glacial e?
de la Mer Blanche, où l 'hiver dure huit mois, ou le sol
est constamment gelé au-dessous de 5 à 6 centimètres,
les mousses et les lichens mamtiennent seuls un peu de
vie. C'est l'immensité désolée de la Toundra " que
parcourent les troupeaux de rennes.
Au Sud de la toundra apparaissent les forêts de
Scandinavie, de Finlande, de Pologne, de la Russie du
Nord. L'hiver est encore trop long et trop rude pour
permettre la croissance d'arbres autres que les coni-
fères (pins, sapins, mélèzes) et les bouleaux. Les
espèces végétales sont peu nombreuses. Le sous-bois
n'existe point : les arbres, de hauteur médiocre, sont
séparés les uns des autres par des espaces vides. Mono-
tones, silencieuses et tristes, ces forêts déroulent à perte
de vue sur un sol plat leur manteau uniforme de fûts
rigides qu'interrompent de rares clairières, le large lit
des fleuves, le sombre miroir des lacs.
L'Ouest et le Centre de l'Europe, au climat doux et
humide, appartiennent au domaine des forêts d'arbres à
feuilles caduques. Les espèces dominantes sont le chêne,
le hêtre, l'orme, le frêne, le tilleul, le châtaignier.
Attaquées par un défrichement intense et souvent abusif,
ces forêts se raréfient sans cesse; parfois (Angleterre,
Hollande), elles ont à peu près disparu. Mais, au début
des temps historiques, elles s'étendaient du Nord de
l'Espagne à la Russie centrale. Les arbres robustes
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
II
L'EUROPE
atteignent souvent une taille considérable. Ils se pressent
les uns contre les autres avec une telle vigueur, et le
sous-bois couvert de buissons, de ronces, de fougère, de
bruyères, de myrtilles, est si e'pais, que la forêt, aux rares
endroits où on ne l'exploite pas régulièrement, apparaît
aussi impénétrable que les sylves vierges de l'Equateur.
L'hiver, qui la dépouille de ses feuilles, luidonneune gran-
deur austère et solennelle ; mais, vienne le printemps,
elle reprend son éclatante parure et ses majestueux
ombrages que perce la lumière, qu'égayent des chants
d'oiseaux.
Les rives de la Méditerranée ont leur végétation spé-
ciale d'arbres toujours verts et de plantes odorantes. Là
l'hiver est si tiède que la végétation n'y subit point
d'arrêt. L'ohvier — l'arbre caractéristique de cette zone,
l'arbre dont la limite végétale coïncide presque exacte-
■ment avec les frontières mêmes du climat méditerranéen —
le chêne vert, le chêne-kermès, le caroubier, le laurier,
1 arbousier se parent en toutes saisons de leurs feuilles
petites, luisantes et dures. L'ennemi n'est point le froid,
mais la sécheresse des étés. Les plantes se défendent
contre l'évaporation par la longueur ds leurs racines,
l'épaisseur de leur écorce, la petitesse de leurs feuilles
souvent cireuses, vernissées, obliques ou parallèles aux
rayons solaires. Les plantes bulbeuses, les plantes grasses
emmeigasinent, dans leurs oignons ou sous l'épiderme
coriace de leurs feuilles, les réserves d'eau qui leur sont
nécessaires. Point de prairies naturelles aux tendres
graminées, mais das bouquets d'herbes rigides et sèches.
Point de forêts majestueuses, mais un ' maquis " d ar-
bustes épineux aux vives senteurs : myrtes, lentisques,
cystes, genels,romanns, oliviers sauvages, mimosées.etc,
que dominent les troncs élégants des cyprès, des pins
d Alep, des pins parasols. Parfois le maquis lui-même
s appauvnt, s'espace et fait place à la " garrigue " où de
rares buissons parsèment la roche nue.
Enfin certaines régions de l'Espagne intérieure, les
plaines hongroises et roumaines, et toute la Russie du
Sud, appartiennent au domaine de la steppe. L'hiver est
trop froid pour convenir à la végétation méditerranéenne
et la sécheresse trop grande ou le sol trop meuble pour
favoriser la croissance des arbres. Seules les graminées
s accommodent de pareilles conditions. Au printemps,
elles poussent avec une étonnante vigueur et leur tapis
bariolé, semé de fleurs multicolores, se déploie sans
limites, ondulant par grandes masses sous la brise. Mais
1 tté, 1 herbe jaunit, se dessèche, et la steppe apparaît
•ne, brûlante et nue. Quand le sous-sol est fertile on
^ a pu défncher la steppe : dans l'Alfôld hongrois, dans
I le Tchernozom russe, les champs de maïs, de betterave
et de blé remplacent la prairie. Par contre, aux alentours
de 11 r,.,,,.,,^e, si grande est la sécheresse, si forte la
^'>' ' que l'herbe disparaît peu à peu et, par
— 12
lentes gradations, la steppe fait place au désert.
Les hautes montagnes ont des formes spéciales de végétation ou
plutôt elles présentent, de la base au sommet, la même succession
d'espèces végétales que l'on trouve du Sud au Nord de l'Europe,
car 1 altitude a des effets climatiques identiques à ceux de la lati-
tude. La température moyenne de l'année diminue d'un degré
environ par 1 50 mètres de montée. Aussi, dans les Alpes mari-
times par exemple, voit-on d'abord les arbres à feuilles persistantes :
orangers, oliviers, chênes verts, etc., s'étager jusqu'à 500 mètres:
puis viennent les arbres à feuilles caduques ; chênes, hêtres, châ-
taigniers, mêlés aux cultures de céréales, aux prairies dont on
fauche l'herbe. Au-dessus de 1 000 mètres commencent les forêts
de conifères. Vers 2 000 mètres les arbres s'espacent, se rabou-
grissent, puis disparaissent, remplacés par des gentianes, des
rhododendrons et des graminées courtes, aux fleurs éclatantes.
Enfin, vers 2 700 mètres, les mousses et les lichens s'accrochent
seuls aux rochers qui percent le tapis des neiges éternelles.
Ainsi, en mettant à part la zone des toundras et
des très hautes montagnes, l'Europe ne renferme
point de région absolument impropre à la vie humaine.
Le climat est tel que les plantes éminemment nourri-
cières croissent à des latitudes plus élevées qu'en
tout autre continent. L orge atteint le 70", le blé le 63°.
Nulle part le nz (Italie du Nord) et le raisin (jusqu'au
50°) ne mûrissent aussi près du pôle. Il n'est point aussi
de région où ne soit possible la vie sédentaire, celle qui
se montre la plus favorable à l'acquisition d'un certain
bien-être indispensable au progrès. Le nomadisme n'est
représenté — sous une forme très atténuée et liée,
du reste, étroitement à la culture — que par la transhu-
mance. Mais qu'ont de commun les troupeaux et les pas-
teurs qui, dans les régions méditerranéennes surtout,
vont, suivant les saisons, de la plaine à la montagne et
des alpeiges aux vallées, avec les hordes mongoles, les
tribus kirghizes, les bergers misérables du Tibet et les
hommes du voile " dans les solitudes désertes du
Sahara?
LES POPULATIONS. £)il Les avantages géo-
graphiques de l'Europe expliquent la dansitéélevée de sa
population(46 hab. au kilomètre carré contre 20en Asie,
5 dans l'Amérique du Nord et l'Afrique, 2 dans
l'Amérique du Sud, 0,9 en Australie). Mais cette den-
sité est fort inégulière, et les 460000000 d'Européens
s'entassent, suivant les lieux, en masses serrées ou se
dispersent en petits groupes sporadiques et clairsemés.
Les toundras, les hautes montagnes n ont pas même
un habitant au kilomètre carré. La zone des forêts
boréales, les steppes russes, les plateaux espagnols, les
montagnes d'altitude moyenne (Ecosse, Balkans) n'ont
aussi généralement qu'un nombre restreint d habitants.
En revanche, les régions industrielles de l'Ouest euro-
péen (Belgique, Angleterre, France du Nord, Alle-
magne occidentale, Bohême), les plaines très fertiles, les
L'EUROPE
L-AQUEDUC DE CLAUDE ET LA VOIE APPIENNE. Dans h mdlancoliçLc
solitude delAgro Romano. çaenccdre le cercle bleuâtre des monts de la Sahine, par-
dessus la sleDDc où errent, en hiver, quelques trouneaux de brebis, se dressent encore
tes raines dorées des 13 aqueducs qui amenaient à Rome l'eau pure des collines
lointaines, tandis que. au tord de la ooie illustre constrmle en 312 aaanl Jésrn-
CAnj/ par leçertscur Appius Claudius, la loneuc série des tombeaux patriciens, om-
brages (a et là de pins parasols, commémore depuis 2 millénaires les fondateurs de
la grandeur romaine. CL Alinari.
- 13
L'EUROPE
SARAGOSSE. Tout le passé de l'Espagne s^résume dans l'histoire de Saragosie,
d'origine ibérique, puis colonie romaine (sous te nom de Cissarea Augusta) et
wisigolhe. riche et puissante cï'.é maure, enfin capitale des rois d Aragon, et j
quiiranorlaUsa le siège de 1809. Cl. LÊW.
PARIS : LE JARDIN DES TUILERIES ET LE LOUVRE expriment à eux
seuls cette grâce harmonieuse, ce cachet d'élégance et de bon ion, cette noblesse
avenante qui valent à Paris une si éclatante renommée et font d'elle la plus sédui-
sante des capitales. Cl. Neludein
CORINTHE : LE TEMPLE D'APOLLON. Le nom seul de Corinlhe, cité
commerçante, industrielle, colonisatrice, et ces colonnes encore debout, restes d'un
temple d'Apollon, symbolisent le rôle que l'Hellade a joué dans l'histoire de la
civilisation. Cl. Fred Boissonnas.
LE FORUM ROMAIN. Dans la Rome moderne, devenue la capitale d'un État
jeune, orgueilleux, plein de vie ardente et surtout occupé de l avenir, le Forum, ses
temples, ses basiliques, ses arcs de triomphe commémorent l'impérissable sou-
venir des grands ancêtres. . Cl. Brogi.
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1
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THESSALIE ET MACÉpOINE./« X/E> siècUes Turcs musulmans envahirent
l Eura)-.?. En moins d'un sièc!e,ils s'anparèren! de Constanlinople et de toute la pé-
r.inrule hnlkanique oit ils tinrent sous le joug les " raïas " grecs, slaves et roumains.
Au XVUl^ siècle seulement commença le lent mouvement de recul qui vient de se
Fontaine en Macédoine.
terminer par leur expulsion définitive. Mais leurs traces subsisteront longtemps encore
dans tous les pays balkaniques, grâce aux maisons à moucharabyès. aux fontaines
gracieuses, aux sveltes minarets qui s'érigent très blancs entre les noires frondaisons
des cyprès. CI. Fred Botssonnas et CL Granger.
14
NOTIONS GENERALES
nves des cours d eau navigables attirent et fixent une
population sans cesse accrue.
Par suite des progrès de l'hygiène, de la nourriture
meilleure, de la rareté des guerres et des maladies e'pi-
de'miques, la population de l'Europe avait fait en un
siècle, de 1813 à 1914, des progrès très rapides passant
de 175 000 000 à 450 000 000 d'hommes. Aussi,
malgré l'abondance de ses ressources, et bien que
nombre de re'gions encore insuffisamment exploite'es
puissent nourrir une population de densité très supérieure
à la population actuelle, l'émigration s'était-elle imposée
comme une nécessité. L'Amérique tout entière, l'Aus-
tralie, l'Afrique du Sud et du Nord, la Sibérie sont
peuplées d'Européens et, chaque année, l'on voyait plus
de 2000000 d'émigrants Italiens, Slaves, Anglo-Saxons.
Scandinaves, partir pour les pays neufs où la terre est
libre, la vie large, l'avenir plein de promesses.
Ces hommes appartiennent en grande majonté à la
race blanche. Seuls, Hongrois, Bulgares, Turcs, Finnois,
Samoyèdes et Tatars de Russie représentent les diverses
familles de la race jaune, msiis, en général, si fortement
transformée par les croisements, que le type primitif
n est plus reconnaissable, au moins chez les plus civilisés
d'entre eux.
Parmi les blancs eux-mêmes on peut distinguer plu-
sieurs types de races dont les caractères spécifiques sont
encore suffisamment nets en dépit des mélanges qui,
depuis des millénaires, en ont altéré la pureté première.
Les races de type brun sont surtout concentrées au Sud et au
Centre de l'Europe. Ce sont (d'après M. Deniker) :
1° La race ibéro-insulalre (Espagne, Portugal, Corse, Sardaigne,
Sicile, Italie du Sud) : taille petite (I m. 62), tête allongée (doli-
chocéphalie), yeux très foncés, peau bistrée, nez droit.
2" La race cévenole (Bretagne, Massif Central, Savoie, Pié-
mont, Suisse, Transylvanie, Abruzzes) : taille encore petite
(I m. 63), crâne très rond (brachicéphalie), cheveux noirs ou châ-
tains, yeux bruns, corps trapu.
3° La race littorale ou atlanto-méditerranéenne (Thrace. Latium.
golfes de Gênes et du Lion, Catalogne, Valence, Andalousie,
Biscaye, Pays Basque) : taille au-dessus de la moyenne (I m. 64),
buste long et jambes courtes ; yeux et cheveux presque noirs.
4° La race adriatique (Pinde, Bosnie, Croatie, Romagne et
Vénétie, Nivernais, Anjou. Champagne, Lorraine, Carpates du
Nord: grande taille (I m. 72). tête ronde, lace allongée.
Les races de type blond occupent l'Europe du Nord et de l'Est.
La Silésie, la Pologne, le Centre cl le Nord de la Russie appar-
tiennent au domaine de la race orientale ; taille moyenne, tête
plutôt ronde, nez camus. La race nordique (haute taille : I m. H,
tête allongée, nez droit, cheveux souvent roux ou blonds filasse)
peuple la Hollande, l'Allemagne du Nord, l'Est et le Nord de
l'Angleterre, les pays Scandinaves.
La répartition des langues parlées en Europe ne
coïncide pas exactement avec celle des races. Des
peuplés de races différentes ont adopté au cours des âges
le même idiome et vice-versa.
Les langues indo-européennes sont parlées par la
très grande majorité de la population. Elles com-
prennent :
1° Les langues romanes dérivées du grec et du latin :
français, espagnol, italien, roumain, grec moderne, et
les divers dialectes ou patois qui s'y rattachent ;
2" Les langues germaniques : alle.Tiand, anglais, fla-
mand, hollandais, langues Scandinaves ;
3° Les langues slaves : russe, polonais, tchèque,
serbe, bulgare, etc.
Les langues ouralo-alta'i'ques importées en Europe par
l^^2iï
L"^'^4rC*>iist.iutinople
Habitanta. par kmq- jp» -n TÏRfîlïTPIF* HabitantA parkmq.
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VLlUa.àt>pluAàC' I million t) habilanUt-n igiy Ririso
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les peuples de race jaune sont le hongrois, le turc et
les différents dialectes finnois.
11 faut mettre à part le celte, qui se rattache peut-être
aux langues indo-européennes (dialectes de Bretagne.
Irlande, Pays de Galles, Ecosse), le lithuanien, qui
conserve encore de grandes affinités avec le sanscrit,
et le basque ou euskarien, sans analogie avec aucune
langue connue.
Sauf quelques rares fétichistes (Lapons et Samoyèdes)
5 000 000 à 6 000 000 de juif s dispersés un peu partout
et autant de musulmans (dans les Etats balkaniques), les
peuples européens appartiennent aux différents cultes
chrétiens. Les catholiques occupent le Sud-Ouest (Es-
pagne, Italie, France, Belgique) et le Centre (Autriche.
Hongrie, Bavière, Pologne) avec quelques groupes
sporadiques en Irlande, en Suisse, dans l'Allemagne de
l'Ouest. Les protestants sont concentrés dans l'Alle-
magne du Centre et du Nord, en Hollande, en Angle-
terre, en Ecosse et dans les pays Scandinaves. Enfin
Grecs, Bulgares, Serbes, Roumains et Russes ont adopté
le rite orthodoxe.
15
L'EUROPE
, ïloibb dcj LangueA, ce/tîquc>.
; baéque.'. aLbanaiée> cL.
' letto- Lithuanienne-
PRINCIPAUX GROUPES DE
LANGUES EUROPÉENNES
LE PARTAGE DE L'EUROPE, a a Les vlcis-
situdesdel'histoire ont à maintes repnses, depuis le Moyen
Age, modifié la répartition, l'étendue, la situation poli-
tique et économique, l'importance relative des Etats
européens. Longtemps le caprice des princes décida seul
du sort des peuples ; tantôt pour maintenir la division
entre gens que tout paraissait devoir réunir : langue, tra-
ditions, intérêts (c'était par exemple le cas de l'Italie
jusqu'en 1859), tantôt, au contraire, pour grouper de vive
force sous une même autorité des hommes très différents
les uns des autres et qui, laissés à eux-mêmes, eussent
vécu libres ou se fussent unis incontinent à leurs frères
libres. Ainsi les HohenzoUern ne s'étaient pas contentés
de réaliser à leur profit l'unité allemande, mais ils main-
tenaient sous le joug plusieurs millions dï Danois, de
Polonais et de Français. Les Lorraine-Habsbourg, qui
16 —
i^^iSSI^m
régnaient à Vienne et à Buda-Pest, imposaient leur
volonté aux Tchèques de Bohême, aux Italiens du
Trentin et de Trieste, aux Serbes de Bosnie, aux Rou-
mains de Transylvanie, aux Polonais de Galicie. Les
Romanof avaient pour sujets des Finlandais, des Lithua-
niens, des Polonais, des Roumains, sans compter les
peuples du Caucase. Les sultans Ai Constantinople,
enfin, bien que dépossédés peu àpeu de la presque tota-
lité de leurs domaines européens, demeuraient les maîtres
despotiques des chrétiens de la Thrace orientale et de
l'Asie Mineure. La tendance générale paraissait être de
constituer des Etats de plus en plus vastes sans tenir
grand compte des nationalités diverses englobées dans le
cadre de chaque Etat. Pangermanisme, panslavisme,
panislamisme, étaient à l'ordre du jour. On voyait même
dans la constiturion de ces puissants organismes, assez
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ET
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CÉOGR/\PHIE UNIVERSELLE PL. 3
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE
forts pour se faire équilibre, assez peu nombreux pour
f)ouvoir s'entendre sans trop de difficulté, l'acheminement
naturel vers la création de ces " Etats-Unis d'Europe '
dont les ' Pacifistes " n'attendaient rien de moins que
la disparition définitive des conflits armés.
Toutefois certaines petites nations — soutenues, il est
vrai, par quelques grands Etats — avaient déjà fait
reconnaître leurdroit à l'existence. On vit successivement
renciitre une Grèce, une Serbie, une Roumanie, une
Bulgarie, une -Albanie Indépendante, il n'y avait point
de raison pour que les autres nationalités encore esclaves
ne connussent pas. elles aussi, l'ivresse de la délivrance et
les chers soucis de la liberté. La Grande Guerre menée
par la France et ses alliés, au nom de la justice et du
droit, contre le despotisme, a permis à ces nations de
récJlser un rêve,"si longuement et vainement caressé qu'il
paraissait se confondre avec l'impossible chimère. Aux
rives de la \'istule flotte à nouveau l'étendard de la libre
Pologne. Tchèques et Slovaques organisent leur jeune
République. Les Roumains de Transylvanie et de Bes-
sarabie ont rejoint leurs frères de Moldavie et de Vala-
chie, comme les Croates, les Slovènes, les Bosniaques se
sont unis à leurs cousins de Serbie. La mer Egée rede-
vient une mer grecque. A Trente, à Trieste. à Zara, la
louve romaine complète sa nichée. En Russie, Finnois,
Lettons, Estoniens, Lithuaniens veulent vivre leur libre
vie. Enfin, échappant à l'étreinte germanique, les
Danois du Schleswig, les Français d'Alsace et de Lor-
raine ont retrouvé la Patrie qu'ils pleureilent.
Toutes les questions n'ont pu recevoir encore une
solution complètement satisfaisante. Le -sort réservé au
bassin de la Sarre, à Danzig, à Flume, n'est réglé que
provisoirement. Peut-être le partage des Balkans sera-t-ll
modifié. Surtout on ne sait ce qu il adviendra de l'immense
Russie. Quoi qu'il en soit, il faut espérer qu'après
l'effroyable cataclysme déchaîné sur elle par les ambitions
germaniques, l'Europe connaîtra une période de calme
assez longue pour panser les plaies de la guerre et lutter
contre la menaçante concurrence de ses jeunes rivaux :
Etats-Unis et Japon surtout, mais aussi Brésil. Indes,
Cap, Australie, Canada, Chine, etc. On a pu parler
avec juste raison du " déclin de l'Europe " (voir le
beau llvreécnt sous ce titre par M. A. Demangeon). On
a énuméré, chiffres à l'appui, les marchés perdus depuis
1914, les Industries, les flottes qui se créent un peu par-
tout en dehors de nous, la restriction de nos ventes, la
diminution de notre pouvoir d'achat, les courants com-
merciaux qui cherchent à nous ignroer, la prodigieuse
ascension économique, l'énorme richesse, l'urimenslté
des ressources de tels et tels Etats américains et asia-
tiques, l'ardeur impatiente avec laquelle les peuples
neufs se proposent d'évincer des marchés du monde une
Europe que l'on suppose vieillie, fatiguée, entravée dans
sa marche par des habitudes routinières, par un attache-
ment instinctif aux méthodes désuètes du passé. Aux
Européens de montrer que ce déclin est chose passagère
et que, pour ancienne qu'elle soit, leur civilisation est
encore capable de s'adapter avec une suffisante sou-
plesse aux modalités infiniment changeantes du progrès
humain.
CHAPITRE II
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE
ET D'IRLANDE
GENER.4L1TES
A l'Ouest de l'Europe, face à l'Océan, se dressent,
sur un socle tabulaire couvert d'une faible épaisseur
d'eau, deux grandes iles : l'Irlande et la Grande-
Bretagne, l'une de forme plutôt massive, presque
carrée, l'autre allongée du Sud au Nord comme
une libellule au mince corselet. .'\vec les archipels,
les îlots, les écuells. qui les complètent (iles Anglo-
Normandes. Wight, Anglesey, Man. Mull. Hébrides.
Orcades, Shetlands), elles couvrent 314000 kilo-
mètres carres en chiffre rond, soit les trois quarts de
la France. 950 kilomètres séparent le cap Land s
End à l'extrême Sud-Ouest, du cap Duncansby au Nord-
Est, et c'est aussi à peu de chose près la longueur de
notre pays. Mais la largeur est faible et des étrangle-
ments successifs qui correspondent aux estuaires des
fleuves la réduisent à 200, à 1 50, à 60 kilomètres même
du golfe de la Clyde au golfe du Forih.
L'extrême longueur de l'île par rapport à sa largeur
17
L'EUROPE
rendit le Nord et le Sud longtemps étrangers l'un à
l'autre. Les Romains, maîtres de l'Angleterre méridio-
nale, ne le furent jamais des hautes terres d'Ecosse et
se prote'gèrent contre les invasions des montagnards par
le fameux mur des Pietés, oeuvre d'f-Iadrien. On sait
d'autre part que, jusqu'au XVl!» fiècie, l'Ecosse forma un
royaume mdépendant longtemps en lutte contre l'Angle-
terre. L isolement de l'Irlande, victime de sa situation
géographique, rattachée, malgré qu'elle en eût, à sa
puissante voisine de 1 Est, ne pouvant ni se confondre
avec elle m la fuir, explique de même la nature du
peuple irlandais et sa douloureuse histoire.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
LE RELIEF. £>£> Une li^ne tracée d'Exeter sur
la Manche à Middlesborough sur la Mer du Nord
sépare à peu près l'Angleterre en deux régions dissem-
blables par la nature des terrains, l'altitude et la forme
du relief, le genre de vie des populations.
A l'Est, le sol est formé de roches sédimentaires
(argiles, calcaires, marnes, d'époques secondaire, tertiaire
et quaternaire) disposées en couches concentriques
autour de la vallée de la Tamise comme elles le sont en
France autour de la vallée moyenne de la Seine. C est
le bassin de Londres, analogue au bassin de Paris dont
il est, du reste, le complément. L'altitude moyenne
ne dépasse pas une centaine de mètres. Mais les
roches les plus résistantes font saillie au-dessus des
terrains plus tendres que l'érosion déblaya plus aisé-
lYient, et le bassin de Londres a ses falaises oolithiques
ou crétacées comme le bassin de Pans a les siennes en
Champagne et dans l'Ile-de-France. Telles sont 'à
l'Ouest les Cotswold Hills (354 mètres), les hauteurs
gréseuses de Lincoln et d'York (454 mètres), les
collines calcaires de Marlborough et des Chiltern, — au
Sud la double croupe des Downs (290 mètres dans les
North Downs) que sépare la " boutonnière" du
Weald. Entre les collines se creusent dans l'argile les
dépressions et les vallées. Cette variété du relief donne
un paysage aimablement nuancé. Les croupes -ondu-
leuses couvertes de prairies que dominent des bouquets
d'arbres, les vallées riantes, les collines où les maisons
blanches, les toits rouges des villages se détachent en
points brillants sur l'émeraude des gazons, composent un
ensemble gracieux, reposant, qui rappelle les paysages
modérés de notre Normandie. Seules les alluvions qua-
ternaires du Sufîolk, du Norfolk, et surtout la dépres-
sion jadis marécageuse (Fen district) qui en'.oure les bas-
fonds du Wash — les Pays-Bas de l'Angleterre — se
déroulent en plaines uniformes dont la fertilité ne peut
faire oublier la monotonie.
Au bassin de Londres, aux plaines agricoles de la
Vieille joyeuse Angleterre ", s'opposent les hautes
terres, les pays noirs " de l'Ouest et du Nord.
Dues aux plissements calédonien (Ecosse) el hercynien (chaînes
rennines, Pays de Gatles, Cornouaille) et formées de roches
18
archéennes ou primaires : gneiss, micaschistes, granits, grès rouge,
schistes, ardoises, auxquels s'ajoutèrent plus lard d'importantes
coulées basaltiques, les montagnes anglaises ont été soumises
depuis une époque prodigieusement reculée aux efforts de l'érosion.
Rongées par la pluie et les torrents, rabotées par les glaciers qua-
ternaires, elles n'ont plus qu'une hauteur médiocre el des formes
émoussées. Ce sont des ruinés de montagnes qui ne forment même
plus une série continue, mais se divisent en massifs nettement iso-
lés, circonscrits par des dépressions où l'homme s'établit de bonne
heure, où la vie circula aisément.
Au Sud-OuesÇ, la Cornouaille anglaise est fort sem-
blable à son homonyme de Bretagne. Des plateaux gra-
nitiques déboisés, couverts de landes et de bruyères, alter-
nent avec des dépressions oîi se concentrent les cultures.
Les menhirs, les dolmens sont innombrables. Le point
culminant dépasse à peine 600 mètres.
Les monts Cambriens forment l'ossature du Pays de
Galles. Plus élevés en moyenne que les hauteurs de Cor-
nouaille, ils culminent au Snowdon par 1 094 mètres.
Sauvages et rudes, leurs vallées creuses, leurs croupes
dénudées sont dominées çà et là par d abrupts pitons de
basalte.
Par delà les plantureuses plaines du Cl^ester, s'arron-
dissent les rangées parallèles des chaînes Pennines
(881 mètres au Cross Fell). Leur hauteur moyenne est
médiocre, et çà et là des dépressions utilisées par les voies
ferrées et les canaux interrompent leur continuité. Elles
se relient, au Nord-Ouest, au petit massif volcanique du
Cumberland (978 mètres au Scaw Fell) que rendent fort
pittoresque ses bois et ses lacs.
Entre Carlisie et Newcasile, la dépression que suivait
le mur des Pietés isole les monts anglais des premières
hauteurs écossaises : les monts Cheviots (810 mètres)
dont la barrière, assez élevée au centre, s'abaisse vers l'Est
et livre passage aux routes qui unirent de tout temps
l'Angleterre et l'Ecosse.
Du golfe de la Clyde aux golfes du Forth et du Tay,
les Basses Terres (les Lowlands) composent la partie la
plus riche, la plus peuplée, le centre vital du pays écos-
sais. Les Hautes Terres du Nord, au contraire, séparées
en deux masses (monts Grampians et monts de Ross)
par la profonde déchirure du Canal Calédonien, doivent
à leur altitude (Ben Nevis, 1343 mètres), à leur relief
prodigieusement accidenté, au climat rude, un aspect
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE
sévère et triste, une atiditë. une solitude non dénués de
grandeur.
Au large, une poussière d iles : Shetlands. Orcadec,
Hébrides, perdues dans les brumes éternelles, sont for-
mées des mêmes roches anciennes et offrent des paysages
du même genre. Parfois de puissants dépôts basaltiques
les recouvrent de leurs colonnes régulières, et, dans l'île de
Slaffa, la grotte de Fingal est depuis longtemps célèbre.
L'Irlande, enfin, se rattache direclement à l'Angleterre
occidentale. Les roches secondaires et tertiaires y font
presque complètement défaut. Les schistes, les gxhs, les
granits et les basaltes composent seuls l'ossature de I ile.
Meus, tandis que, aux deux extrémités Nord et Sud, les
plissements anciens (calédonien au Nord, hercynien au
Sud) consenent encore une hauteur assez con-idérable
(monts de Kerrj', I 041 mètres au Carrantuohill, — monts
de Wicklow, 926 mètres, — monts de DonegcJ, — pla-
teau d'Antrim) et doivent à leurs roches amoncelées, à
leurs " chaussées des géants ", à leurs beaux lacs, aux
torrents qui les ravinent, à la sombre verdure qui les
recouvre par endroits, une beauté un peu liiste pleine de
secrète douceur, le centre de l'Ile fut si complètement
abrasé qu'il ne forme plus aujourd'hui qu'une vaste plaine
couverte de tourbières et de marais dont le niveau se
maintient au-dessous de 100 mètres.
LEIS COTES. ^^ La topographie des côtes est
en rapports directs avec le relief et la nature des roches
qui bordent le rivage.
Au Sud, d'Exeter au Norih-Foreland, les plateaux
crayeux des Downs. tranchés à pic par la mer qui ronge
incessamment leur base, dressent en face de la Manche
leurs hautes falaises de blanc calcaire zébrées de noir par
les lits de silex. Rien n'est plus semblable aux côtes fran-
çaises de Boulogne, de Dieppe, d Etretat que les escar-
pements de Portland Hill, les falaises de Beachy Head,
de Folkestone et de Douvres. Les mêmes plages de
galets fréquentées en été par la foule des baigneurs lon-
doniens se mchent à leurs pieds, au débouché des
valleuses, et. pour que l'analogie soit plus grande encore,
aux polders du Marquenterre français correspondent les
marécages du Romney-Marsh.
De l'estuaire de la Tamise au cap Flamborough, la
côte est plate et basse. Comme en Hollande, les plaines
alluviales de l'intérieur se mêlent aux eaux de la Mer
du Nord par gradations insensibles ; ce sont les clochers
les tours de 1 intérieur qui servent de repères aux marins.
Autour du golfe du Wash, — sorte de Zuyderzée plus
évasé, — des digues protègent les basses terres des
Fens. anciens marais tourbeux transformés en champs
fertiles par le savant drainage des canaux entre-croisés.
Le domaine de la terre ne cesse de s étendre aux dépens
de la mer. Les iles se rattachent à la côte ; des villages.
autrefois petits porls, se trouvent aujourd'hui à plusieurs
kilomètres du rivage, et peut-être un jour viendra où le [
Wash tout entier sera desséché.
Du cap Flamborough à Berwick la cote conserve une
allure régulière. Mais les roches emciennes apparaissent,
I altitude augmente, et le dessin du rivage prend ce
caractère capricieux, tourmenté, qui est le propre des
côtes élevées où des roches de dureté variable sont
attaquées avec un inégal succès par les marées et les
vagues. Déjà sur la face orientale de l'Ecosse se
creusent dans les terrains schisteux les firths profonds du
Forth, du Tay, de Moray. Mais c'est à l'Occident sur-
tout, sur la face directement exposée aux lames puis-
santes gonflées par les vents d'Ouest, que les côtes sont le
plus extraordinairement fouillées, moi dues, déchiquetées,
etfilochces comme une dentelle hors d'usage. " La mer.
disait déjà Tacite, s'introduit et circule entre les mon-
tagnes et les collines comme dans son lit naturel.
Seule la Norvège avec ses fjords, ses archipels, ses
écueiis, ses puissantes falaises, peut en Europe rivaliser
avec les firths de Lorn et de la Clyde, les lochs qui les
prolongent, les îles qui leur font face, le chaos des
rochers, les orgues géantes qui les bordent.
Noyées de pluies, baignées de brouillards, consUmmenI battues
par les teicpêles et d'accès fort difficile en tout temps, ces côtes
sont inhospitalières entre toute!, et de rares villages de pêcheurs
se cachent à l'abri de leurs falaises, dans les replis de leurs val-
lées. Pourtant iles et cotes furent habitées de longue datî. De
nombreux mégalithes, des pierres levées, des calms, des dolmens
sont un des traits saillants du caysage dans les Orcades les Hébri-
des, et 1 îlot granitique de lona est pour les Gaëls d'Ecosse un
endroit saint entre tous. On l'appelle l'Eye. " l'Ile " par
excellence. Saint Columban y fonda au VI* siècle le plus célèbre
monastère de la Grande-Bretagne, et plus de soixante rois
d Ecosse ou d'Irlande y dorment leur dernier sommeil.
Au Sud de la presqu'île de Galloway, les côtes du
Cumberland, du Lancashire et du Pa3's de Galles furent
relativement protégées par l'écran que forme l'Irlande.
Pourtant elles demeurent élevées, rocheuseset dentelées.
La baie de Morecambe, l'estuaire de la Mersey, la
large baie de Cardigan, que dominent les massifs sombres
des monts Cambriens, en sont les accidents les plus
notables. Mais déjà la forme même de la baie de Cardi-
gan et sa direction Sud-Ouest-Nord-Est trahissent
l'influence prédominante des vents d'Ouest qui, par le
Sud de l'Irlande et le canal de Saint-Georges, mènent les j
vagues à l'assaut. Elles ont creusé dans les schistes
l'énorme brèche du canal de Bristol que prolonge
l'estuaire de la Severn, qu'indentent les havres profonds
de Milford Haven, de Caermarthen, de Swansea. Elles
ont détaché de la Cornouaille les iles Scylly, comme
elles l'ont fait en France pour Jersey et Guernesey. On
calcule qu'en trois siècles elles ont englouti en
Cornouaille une surface égale à 588 kilomètres carrés
19
L'EUROPE
(cf. la surface de l'île de Man) et les assauts qu'elles
livrent au cap Land's End, au cap Lizard n ont
d'égaux que la formidable ruée des flots contre les
falaises du Conquet. de Camartt, delà pointe du Raz,
comme nos rades bretonnes ont leurs égales dans les
baies de Palmouth, de Plymouth et d'Exmouth.
L'Irlande a des côtes du même genre, car la texture
géologique des roches est la même et présente une égale
alternance de terrains durs ou tendres. C'est aussi la côte
occidentale, directement exposée au choc des marées, qui
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présente l'aspect le plus accidenté, les découpures les
plus nombreuses. Là se creusent les larges baies de
Donegal, de Westport et de Galway, l'estuaire capri-
cieux du Shannon, les " rias " de Dingle, de Kenmare
et de Bantry dont des milliers de touristes viennent admi-
rer chaque été la sauvage grandeur. Au Sud, les baies
de Cork, de Waterford ; à l'Est, celles de Wexford,
de Dublin, de Belfast sont d'admirables rades naturelles.
Au Nord- Est, les nappes volcaniques du comté d'Antrim
tombent vers la mer, tantôt par de brusques escarpements
calcaires, tantôt par des terrasses superposées que sou-
tiennent les piliers hexagonaux du basalte (Chaussée des
Géants).
' L'Océan, disait Michelet, est anglais d'inclination. "
L Angleterre, d'un quart plus petite que la France, a des
côtes deux fois plus étendues (7 900 kilomètres environ),
et relativement beaucoup plus riches en abris naturels.
Aucun point de l'intérieur ne se trouve à plus de 100 kilo-
mètres de la mer. De même qu'en Grèce, les échancrures
découpées par les golfes imposant de longs détours à
ceux qui voudraient les tourner, la mer, même pour les
relations intérieures, apparaît souvent comme la voie la
plus directe.
Pourtant l'Angleterre demeura longtemps un pays de
terriens. C'est à la fin du XVI* siècle seulement, sous le
règne d'Elisabeth, que naquit sa vocation maritime. Mais
du jour où, prenant mieux conscience de ses véritables
intérêts et du rôle que lui imposait sa situation insu-
laire, l'Angleterre se lança à la conquête de la mer, elle
trouva dans la riche dentelure de ses rivages et l'abon-
dance de ses havres en eaux profondes un des éléments
essentiels de sa suprématie.
LE CLIMAT..^ .fi' Leclimat de la Grande-Bretagne
dépend de sa latitude, de son insularité et de son relief.
Les mers qui l'entourent et la pénètrent, le Gulf-
Stream qui la baigne de ses eaux tièdes, les vents d'Ouest
qui la balayent lui assurent dans l'ensemble un climat
tempéré, une température douce, peu variable, des pluies
abondantes et qui tombent en un très grand nombre de
jours (237 à Valentia, 158 à Londres). ' Il tombe une
averse tous les jours de la semaine, dit un proverbe cor-
nouaillais ; mais il en tombe deux le dimanche. " C'est le
type des climats océaniques ou maritimes. Les jours de
gelée y sont peu nombreux et la neige rare, de peu de
durée, sauf sur les hautes montagnes. Mais aux hivers
très doux succèdent des étés sans chaleur, éclairés pcir un
soleil pâle. Même aux beaux jours, le ciel est constam-
ment zébré d'averses, ' voilé comme d'une gaze délicate
par les vapeurs légères qui forment un tissu aérien de
minces flocons au-dessus des plaines verdoyantes
(Taine). Les tempêtes, venues de l'Ouest en suivant le
lit du Gulf-Stream, s'abattent sur les îles avec une redou-
table fréquence. Les vents chargés d'humidité dégagent
des brouillards intenses que les Ecossais considèrent
comme un cinquième élément, ce fog sinistre que
maudissent les Londoniens, ces brumes impénétrables,
causes de tant de naufrages.
Bien qu'assez uniforme dans l'ensemble, le climat
anglais présente cependant du Sud au Nord, et surtout
de l'Est à l'Ouest, des différences bien nettes et qui ont
leur importance.
D'abord, tandis que les îles Scylly, par 50° de latitude
Nord, ont une température moyenne annuelle de 1 1°,5,
le Nord de l'Ecosse, par 59° de latitude, n'a plus que
7° environ.
20
LA GRANDE-BRETAGNE
LONDRES : PONT DE L\ TOUR. Cal la Tamise cm cxpiiQoe toute l'histoire
de Londres, son développement colossal, la place quelle tient dans l'histoire économique
dn monde. Bien que la mer se trouve à plus de 60 kilomètres, le flot de marée remonte
le fleuve jusqu'à l'écluse de Teddington (30 kilomètres en amont de Londres)
et lai donne une profondeur telle que les plus grands navires accèdent aisément
iusqu'aux quais de la cité. Parmi les ponts jetés d'une rive à l'autre, le Towerbridge
ou Pont de la Tour, construit de 1886 à 1894, est le plus remarquable par ses propor-
tions monumentales et ta robuste élégance CI. ValENTINE.
VL;EjUÊNti<.Ai_L DE lONDRES. U vue nt^pruc sur la cathédrale Saml-Pavi
et la Cité ", c at-à-dire le coeur même de l'énorme ville. C'est là que prit naissance
le vieil établissement celtique qui forma le germe de Londres. Encore aujourd'hui, la
Cité Doit se grouper VHôtel de Ville (Guildhalt). les Cours de justice, les comptoirs, les
agences, les sièges des grandes ionipagnia._Pendanl la /ouin:e elle s'emplit d'un foui'
millement énorme qui. le soir, fait place à la solitude et au silence. Un peu en
amont de la Cité, l'Abbaye de l'Ouest ou Westminster, fui le second centre de
formation, uni au premier par le Sirand. CI. LÉVY.
21
L'EUROPE
NEWCASTLE ON TïNE. Newcasile est non seule-
ment une grande ville industrielle, mais, avec Cardiff.
le plus puissant des po'Vs charbonnieTs du monde, grâce
à la navigabilité de la Tyne. CI. Valentine.
UN COTTAGE ANGLAIS.^ Toute
l'Angleterre du Sud-Est, la " Vieille
joyeuse Angleterre " est couverte de ces
cottages élégants et frais. C\. Valentine.
LES DOCKS DE MANCHESTER. Grâce à
la construction du Ship Canal, la ville reçoit directement
les navires de mer. chargés de coton et prend rang
parmi les plus grands ports anglais. Cl. Valenkne.
i£ÇA?lAKD'S END. A l'extrême Sud-Ouest de l'Angleterre le cap Land's
End ou " Finisierre " correspond aux pointes terminales ds notre Bretagne : Razou
Penmarch. Du reste, les grcmites, les gneiss, les landes, les dolmens de la Comouaille
anglaise ont leur exacte contre-partie dans l'Armorique française. CI. Valentine.
LES MONTS DU CUMBERLAND. Us rr.ontcgnes du Cumbcriand snnt.
avec celles de l'Eccsse, la région la plus pittoresque de la Grande-Bretagne. Peu
élevées par suite de leur ancienneté, elles n'en présentent f ûs moins une remarquable
variété de paysages. CI. Photoglob.
UAi-OKL', ta plus cncicnne des villes universitaires anglaises, contient 22 collèges
d->rd U P/~-i^i<:T{u!jondé m 1249. La plupart de ces collèges sont de magnifiques
.'.:!:ccic~. ,sll, , }fii' "" eî XV" siècles, dor' les chapelles, les halls, les cloîtres, les
Ttfcctctres co.T.irj.-.-:; r- cTîc-Tst/c d'un sédi-tiont pitloresque. CLPhotoglob
LLANBERIS ET LE SNO^'DON. UPays de Galles a comme point culminant
le massif du Snowdon il 180 mètres) ou " mont neigeux " La neige, cependant, n'y
demeure que de novembre à avril. L' ascension s'en fait aisément en partant de Llan-
beris, jolie station estivale sur les rives du lac Padarn. CI. ValENTINE.
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE
De plus, et surtout, les re'gions occidentales sont à
la fois plus tempérées et beaucoup plus anose'es que les
régions orientales.
C'est à l'Ouest, en effet, que l'influence modératrice du Gulf-
Slream se fait sentir avec le plus de force. C'est à l'Ouest aussi
que se dressent les hauteurs les plus considérables qui provoquent
la condensation des nuages charriés par les vents. Tandis que
Valentia. au Sud-Ouest de l'Irlande, a une moyenne de 7°2 en
janvier (cf. la température de Nice!) et de IS'^I, en juillet, soit
un écart de 7**,9, Londres a 3'\5 en janvier et 17*^9 en juillet :
écart \A"-{. L'hiver est beaucoup plus froid à Londres qu'à
Valentia, mais l'été est plus chaud. C'est un climat à tendance
plus continentale. De même, tandis que l'Irlande occidentale, la
Cornouaille, le Pays de Galles, le Cumberland, l'Ouest de
TExosse reçoivent, surtout en hiver, de I mètre à 1 m. 50 de
pluie (3 m. 54 à Borowdale dans les monts du Cumberland,
3 m. 60 à Clencoê, en Ecosse). Edimbourg n'en reçoit que 79 cen-
timètres et Londres 65.
L'HYDROGRAPHIE, aa La disposition du
relief et l'e'troitesse de l'Angleterre ne furent point favo-
rables à la formation de vastes bassins fluviaux. Les
fleuves y sont nombreux, mais courts. Le plus long
d'entre eux, la Tamise, n'a que 344 kilomètres, et le
Shannon, qui draine l'Irlande centrale, 264 kilomètres.
En revanche, presque tous sont des fleuves de plaines
(Ouse, Trent, Tees, Tyne, Clyde, Mersey. Severn,etc.).
au cours lent, au régime régulier, grâce à l'égale répar-
tition des précipitations atmosphériques qui les nour-
rissent. Ils ne connaissent m les crues dévastatrices, ni
les sécheresses, ni les longs jours de gel. Les bateaux
circulent aisément sur leurs eaux calmes, au milieu des
prairies ombrcigées de peupliers, et I on a pu réunir leurs
divers bassins par un système très complet de canaux.
Enfin tous se terminent par des estjiaires que la marée
remonte fort loin : jusqu'à 40 kilomètres dans la Tees,
à 80 kilomètres dans le Humber, à 125 kilomètres dans
la Tamise! Comme en Bretagne, des cours d'eau mé-
diocres ou insignifiants, qui dégringolent d'abord de cas-
cades en cascades sur les rocs de granit, se transforment,
dans leur partie inférieure, en véritables bras de mer.
-Ainsi le domaine de la navigation maritime ne se borne
pas à la côte proprement dite, il s'accroît de toute 1 éten-
due qu'embrasse à l'intérieur la visite périodique du
flot ".
Les lacs sont nombreux en Irlande, au Cumberland.
en Ecosse. Les nappes d'eau des plaines irlandaises sont
de simples étangs tourbeux dus à l'imperméabilité du sol
et sans profondeur. Mais les lacs des districts monta-
gneux se logent dans les cavités creusées par les glaciers
d'autrefois et limitées encore par leurs moraines. Très
profonds parfois, entourés de hauteurs aux parois abruptes
où s'effilochent les traînées floconneuses des nuages, beau-
coup d'entre eux doivent à leurs forêts, aux nappes de
bruyères qui descendent jusqu'à leurs rives, au cadre ma-
jestueux ou riant qui les entoure, un charme secret, une
rare et pénétrante séduction. Les visiteurs affluent sur
les bords des lacs de Derbentwater, de Windermere,
d'Ullswater en Cumberland, des " lochs " Lomond et
Katrine en Ecosse, du lac de Killarney en Irlande, et de
grands poètes comme Wordsworth et Coleridge ne se
lassèrent point de les chanter.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
LES CULTURES ET L'ÉLEVAGE, aa Le
climat humide et doux de l'Angleterre convient aux
prairies non moins qu'aux arbres propres aux régions
tempérées. En Cornouaille, au Sud-Ouest de l'Irlande,
on voit même, avec surprise, croître en pleine terre les
lauriers, les yeuses, les fuchsias, les myrtes, plantes plu-
tôt méditerranéennes, mais qui redoutent avant tout les
hivers froids et s'accommodent d'une humidité surabon-
dante. Aussi la Grande-Bretagne fut-elle autrefois, comme
la Gaule, couverte de vastes foiéts coupées de clairières.
Sous les sombres ramures des chênes, les Druides célé-
braient leurs mystères ; plus tard, les proscrits, les
outlaws " saxons y vécurent leur vie aventureuse cé-
lébrée par la légende. Ailleurs, les croupes des hautes
montagnes se vêtaient de bruyères roses et d'ajoncs aux
fleurs dorées, tandis que sur l'argile imperméable des
plaines d'Irlande s'accumulaient lentement les couches
tremblantes des tourbières.
Tourbières et landes subsistent encore aux mêmes
lieux, et leurs surfaces improductives couvrent, en
moyenne, 18 pour 100 du sol (12 pour 100 en Angle-
terre et au Pays de Galles, 22 pour 100 en Ecosse,
24 pour 100 en Irlande). Mais la forêt allaquée par le
laboureur, le berger, le grand propriétaire, s'est réduite
de telle sorte que» malgré des reboisements récents (sur-
tout en Ecosse et au Cumberland), elle ne couvre plus
que 5 pour 100 du sol en Angleterre et en Ecosse,
4 pour 100 au Pays de Galles, I pour 100 en Irlande!
Dans certains districts de la veite Erin, l'arbre a si
complètement disparu que le paysan se l'imagine comme
une grande herbe.
La prairie prend, au contraire, de plus en plus d'ex-
tension, et cela aux dépens des terres cultivées. La raison
de ce fait est double : elle tient, en effet, à des causes
à la fois géographiques et sociales.
Tout d'abord, dans toute l'Irlande el dans la plus
grande partie de l'Angleterre, l'excessive humidité et
l'absence de chaleurs estivales rendent difficile, aléatoire
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
23
L'EUROPE
et de médiocre rendement la culture de la céréale essen-
tielle : le blé. Sans doute, aussi longtemps que l'Angle-
terre dut se suffire à elle-même, aussi longtemps que des
droits prohibitifs frappèrent les blés étrangers, les An-
glais durent s'ingénier à produire dans de très mauvaises
conditions, et en violation, pour ainsi dire, des lois natu-
relles, la quantité de grain qui leur était nécessaire. Mais,
du jour où, vers le milieu du siècle dernier, disparurent
les taxes douanières, les blés de Russie, de l'Amérique,
de l'Inde, affluèrent et à si bas prix que les propriétaires
anglais n'eurent plus intérêt à continuer des cultures
coûteuses et devenues mutiles. Partout la prairie rem-
plaça le labour. Seuls, les comtés du Sud et de l'Est
(Essex, Suffolk, Norfolk), favorisés par leur climat plus
sec et plus chaud — au moins en été — conservèrent
leurs champs de blé. C'est la Beauce de l'Angleterre ;
la culture y atteint une si rare perfection que le rende-
ment moyen dépasse 33 hectolitres par hectare contre
1 5 en France !
L'orge et l'avoine, céréales plus résistantes et qui
s'accommodent de l'humidité, couvrent des surfaces beau-
coup plus vastes, surtout au Nord et à l'Ouest. On les
utihse pour la nourriture des animaux et celle de 1 homme
même. La bouillie d'avoine est demeurée jusqu'à nos
jours 1 aliment national du paysan écossais, comme la
polenta " pour l'Italien de Romagne. Enfin, la pomme
de terre est encore la principale — souvent l'unique —
culture du pauvre tenancier irlandais.
La répartition de la propriété ne fut pas non plus
étrangère à cette raréfaction des cultures. L'Anglais
aime la campagne par goût d'abord, mais aussi parce
que la possession de la terre confère une sorte de supé-
riorité sociale. Aussi — comme autrefois à Rome —
vit-on, à partir du XVlll' siècle surtout, se constituer ces
latifundia ', ces grands domaines fonciers qui absor-
bèrent peu à peu les petites propriétés des " Yeomen".
Nobles de vieille race, commerçants, industriels enri-
chis arrondirent à l'envi leurs possessions. On ne
compte guère aujourd'hui que 300000 propriétaires
(contre 3 000000 en France) et 8 000 d'entre eux
possèdent à eux >eul; la moitié du territoire ! Tel
duc écossais a 600 000 hectares d'un seul tenant ! Les
paysans appauvris abandonnèrent les campagnes, attirés
par les villes industrielles, et les land-lords, n'ayant plus
la main-d oeuvre abondante que nécessite la culture, se
consacrèrent à l'élevage, du reste beaucoup plus rému-
nérateur. Les petits villages, les fermes disparurent, le
pourcentage des gens vivant de la terre tomba à
21 pour 100 (contre 60 en France). Partout s'éten-
dit le manteau uniforme des gazons, des prairies à
l'herbe haute et drue que des haies ou des clôtures
de 'bois divisent en vastes enclos.
Là paissent ces admirables animaux qu'une sélection
24 —
ngoureuse, des soins minutieux ont su créer, pour ainsi
dire, de toutes pièces. L'éleveur anglais, disposant de
gros capitaux, habile à découvrir ou prompt à appliquer
les méthodes les plus savantes, obtient des résultats qui
n ont point d'égaux dans le reste du monde. 11 y con-
sacre tous ses soins ; il y met son orgueil. On sait la
renommée des pur sang anglais, des bœufs de Durham,
des vaches laitières du Devon et de Cornouaille, des
moutons Cheviots, Dishley ou South-Devons, même des
porcs, des volailles et des chiens. Chaque race a ses
qualités spéciales, et c'est en Angleterre que les éleveurs
étrangers se procurent, à très haut prix, les animaux
reproducteurs destinés à l'amélioration de leurs propres
troupeaux.
L'INDUSTRIE. 00 L'agriculture et l'élevage
n occupent aujourd'hui en Grande-Bretagne — l'Ir-
lande exceptée — qu'une faible proportion des hommes.
L'Angleterre est devenue avant tout un pays d'industrie
et de commerce, une usine, un comptoir prodigieux. Elle
le doit aux ressources du sous-sol, à sa situation géogra-
phique, à la nature de ses côtes, à la tenace volonté de
ses habitants.
Longtemps l'Angleterre demeura un pays exclusive-
ment agricole. Au Moyen Age, c'est en Flandre, en
Italie, en Espagne, en France que se développaient ks
centres industriels. L Angleterre se bornait à fournir aux
tisseurs de Bruges, d'Ypres, de Gand, les laines de ses
moutons. Au xvf siècle, quand les persécutions reli-
gieuses de Charles-Quint et de Philippe II contrai-
gnirent à l'exil des milliers d'ouvriers hollandais ou fla-
mands, la reine Elisabeth sut les attirer chez elle, et ainsi
naquit dans la région de Leeds et de Bradford la plus
ancienne des industries anglaises : celle des lainages.
Pourtant, jusqu'au XVIl*^ siècle, grâce aux efforts de
Henri IV et de Colbert, les produits industriels fran-
çais n avaient encore point de rivaux chez nos voisins.
Mais, au XVlIl" siècle, l'Angleterre prend conscience de
ses véritables intérêts ; elle devient, à partir des traités
d'Utrecht, une puissance surtout maritime, commerciale,
coloniale. Ses ennemis d'autrefois, l'Espagne, la Hollande,
sont réduits à l'impuissance ; la France, mal gouvernée,
paralysée par de longues guerres continentales, lui aban-
donne l'Inde, la Louisiane, le Canada. Sa flotte s'accroît
formidablement et, comme roulier des mers, l'Anglais
remplace le Hollandais.
Dans le même temps, pour fournir à ses navires le
fret nécessaire, l'Angleterre développe son industrie.
Elle exploite ses riches mines de fer, de plomb, d'étain,
de cuivre. Elle ajoute aux filatures de laine celles de
coton. Surtout elle tire parti de ses immenses ressources
en charbon déterre. Exploitée depuis le Moyen Age dans
la région de Newcastle pour les usages domestiques, la
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE
houille remplaça, de I 740 à 1 790. le charbon de bois
pour le traitement des minerais de fer. Mais elle ne
pnt sa valeur véritable qu'à partir de 1 invention des
machines à vapeur. Fn 1774. James Watt installait à Bir-
mingham la première pompe à vapeur destine'e à e'puiser
l'eau des mines. En 1 789, on employait de'ja la vapeur
pour mettre en mouvement les me'tiersà filer et tisser le
coton. Enfin, dans les cinquante premières anne'es du
XIX® siècle, la création des voies ferrées, des lignes de
navigation alla de pair avec le perfectionnement du machi-
nisme. Et l'Angleterre prit dès lors l'avance prodigieuse
qui lui assura jusqu'à nos jours la première place parmi les
grandes nations industrielles et commerçantes du monde.
L'origine essentielle et la raison d être de cette supé-
nonté tiennent à l'abondance de la houille, à l'heureuse
répartition, à la situation privilégiée des bassins houillers.
L'Angleterre a produit 230 000 000 de tonnes de
houille en 1920 (287 000000 en 1913). Seuls les
Etats-Unis la dépassent avec 700 000 000 de tonnes,
mais elle vient bien avant l'Allemagne (160 000 000 de
tonnes), la France (37 000 000). la Russie (27 000 000)
et la Belgique (23 000 000) qui se classent après elle.
Les gisements épais, puissants, d'exploitation généralement
aisée, se sont formés à la fin des temps primaires sur les
flancs des massifs dus aux plissements calédonien et hercy-
nien. Les principaux sontceux de Glasgow (41 OOOCOOde
tonnes), de Newcastle (32), du Lancashire (23), du
Yorkshire (38), du Centre ou des Midlands (42), de
Cardiff (52), auxquels s'ajoutent les petits bassins de
Bristol et du Cumberland. Leur proximité de la mer
ou des rivières navigables facilite l'extraction, le transport,
et diminue le prix de revient. De plus les minerais de
fer, de cuivre, de plomb, de zinc, détain. se mêlent
étroitement aux gisements houillers. et si certains d'entre
leux, depuis longtemps exploités, n ont plus qu'une impor-
tance médiocre (I 200 tonnes de cuivre, 14 000 tonnes
de plomb, 5 000 tonnes d'étain, 7 000 tonnes de zinc),
le fer, fort abondant et d excellente qualité, fournit encore
près de 1 5 000 000 de tonnes par an (France :
22 000 000 de tonnes en 1913). Aussi l'industrie métal-
lurgique est-elle. — malgré la concurrence, chaque jour
plusdangereuse.de certains Etats étrangers. — merveilleu-
sement active et prospère. Glasgow. Newcastle. complé-
tés par South-Shields. Gateshead, Sunderland, Middles-
borough, Shelfield, Birmingham, Nottingham. Cardiff,
Swansea, etc , ne sont que les plus importants des
groupements industriels où se fabriquent machines de
toutes espèces, navires, rails, outils, chaudronnerie, quin-
caillerie, armes, plumes métalliques, etc.
Les industries textiles sont plus importantes encore.
Le coton vient en tête ; 55 000 LOO de broches (contre
29 aux Etats-Unis, 10 en Allemagne, 7,4 en France)
filent annuellement près de 900 000 tonnes de colon
importées des Etats-Unis, de l'Inde, de l'Egypte. Cela
représente environ la moitié de la production cotonnière
du monde. 1 000 000 d'ouvriers vivent du " Roi Coton "
et I exportation nette de coton manufacturé qui attei-
gnait 125000000 de livres sterling en 1913, soit, au pair,
plus de 3 milliards de francs, est montée à 400000000 de
livres sterling en 1 920. C'est le Lancashire qui détient le
monopole de l'industrie cotonnière. La matière première
arrive par Liverpool ou par Manchester, que relie main-
bitutllfrj.
01ni'tijltir.i
nirtallurifitfurA \J
REGIONS INDUSTRIELLES ,)„.„^_^ #
GRANDES
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S®BS**
tenant à la mer un canal accessible aux grands navires,
et les usines s'accumulent soit à Manchester même, soit
dans les villes qui l'entourent : Preston. Blackburn. Bol-
ton, Oldham, Saltord, etc., et qui forment avec elle
une unique et gigantesque agglomération. Le Yorkshire,
avec Leeds et Bradford, Halifax, Burniey. demeure
depuis le XVl' siècle le centre d'élection des industries
lainières, et là erftore l'Angleterre l'emporte sur ses
rivales : 286000 tonnes de laine brute, dont une faible
part est produite par le pays même, le reste importé
d'Australie, de l'Argentine, du Cap par le port de
Hull, fournissent des étoffes et des fils dont l'exportation
seule a passé de 25000000 de livres sterling en 1913
à I 15000000 de livres sterling en 1920.
I .e lin se cultive et se tisse en Irlande dans la région
25
L'EUROPE
de Belfast, et le jute, importé de l'Inde, est manufacturé
à Dundee, en Ecosse. Quant à l'industrie de la soie, elle
n'a qu'une importance relativement médiocre à Dublin,
Londres, Derby, Glasgow et Nottmgham.
A ces industries essentielles s'en ajoutent une foule
d'autres groupées surtout à proximité des gisements car-
bonifères qui sont naturellement, en pareille matière,
l'élément essentiel d'attraction.
Ainsi, près des sources de la Trent, grâce à la houille et
aux qualités d'une argile particulière, tout le district de
Stoke upon Trent se consacre aux poteries et à la céra-
mique. Les industries chimiques, sans avoir l'importance
qu'elles ont prise en Allemagne, occupent des centaines
d'usines dans tous les bassins houillers. 11 en est de
même des maroquineries, huileries, fabriques de papier,
verreries, etc. Enfin les industries alimentaires (dis-
tilleries, brasseries, féculeries, etc.) se concentrent sur-
tout à Londres et dans sa banlieue, et complètent la
riche série des industries anglaises.
Les produits de la pêche ne sont point non plus à
dédciigner. Les mers anglaises, peu profondes, semées de
bancs sous-marins, sont particulièrement poissonneuses,
et, depuis l'adoption des chalutiers à vapeur, les pêcheurs
fréquentent également la Baltique, les mers d'Irlande et
de Norvège, même la Mer Blanche, les côtes du Por-
tugal et du Maroc. On estimait la valeur brute du pois-
son débarqué à 6000000 de livres sterling en 1885, à
15000000 de livres sterling en 1913, à 29000000 de
livres sterling en 1920. Mais si l'on tient compte de
toutes les industries qui vivent des pêcheries, du prix
réel atteint par le poisson frais vendu sur les marchés
anglais, et de la valeur des poissons réexportés après
avoir suti diverses préparations, la valeur totale des
pêcheries britanniques doit atteindre aujourd'hui plus
de 50000000 de livres sterling.
La pêche se fait sur toutes les côtes, mais l'industrie
se centralise dans quelques grands ports qui sont, par
ordre d'importance décroissante : Grimsby, Hull, Londres,
Lowestoft, Yarmouth, Fleetwood, Milford, North
Shieldset Aberdeen, auxquels s'ajoutent, en Ecosse, Fra-
serburgh et Banfî, spécialisés dans la pêche du hareng.
LE COMMERCE. 00 Grande nation indus-
trielle, l'Angleterre doit être par cela même une grande
nation commerçante. Il lui faut, en effet, exporter les
produits de ses manufactures et de ses usines, importer
à la fois les matières nécessaires à ses industries, et les
produits alimentaires dont elle a besoin. En fait, son
commerce n'a cessé de s'accroître malgré la concurrence ,
chaque jour plus active, des pays étrangers. En 1913,
par le chiffre total de ses échanges, I 400 000 000 de
livres sterling soit au pair 35 milliards de francs,
1 Angleterre se plaçait largement à la tête de toutes
26
les nations du monde. En 1920, elle devance encore
de 600000000 de livres sterling les Etats-Unis, son
plus redoutable concurrent.
IMPORTATIONS ANGLAISES
Principaux articles.
Annfc 1913
Valeur en liv. it-
Année 1920
Valeur en Uv. st.
/ Graines et farines
85 800 000
57 400 000
33 600 000
1 13 600 000
231 713 000
159 800 000
68 571 000
244 000 000
63 279 000
alimen- ) Beurre, œufs, fromasre
laires. ) Sucre, thé, vins, produits
r coloniaux, tabac, fruits. . .
Total
290 400 000
767 363 000
70 600 000
34 000 000
40 000 000
20 400 000
34 000 000
10 000 000
17 400 000
20 000 000
11 000 000
10 000 000
14 000 000
256 765 000
93 957 000
36 000 000
19 225 000
82 165 000
33 278 000
48 000 000
26 800 000
66 700 000
32 611 000
19 000 000
Autres textiles (soie, jute.
Matières \ Graines oléagineuses
Pétrole
Divers
Total
281 400 000
711 301 000
53 600 000
33 000 000
15 000 000
13 000 000
13 000 000
16 000 000
8000 000
8000 000
33 400 000
115 000 000
50 200 000
37 000 000
19 500 000
35 000 000
77 100 000
30 000 000
27 000 000
64 123 000
Cotonnades. lainages, vète-
manu- i Produits chimiques
' Papier
Total général des importations.
193 000 000
454 823 000
en 1913
764 800 000
dont 213 000 000
provenant des co-
lonies anglaises.
en 1920
1 936 742 000
dont 560 73 1000
provenant des OO'
lonies anglaises
COMMERCE DE TRANSIT
(Réexportation de produits d'origine étrangère.)
Catégories.
Année 1913
Valeur en liv. st.
Année 1920
Valeur en liv. st.
15 600 000
30 400 000
63 400 000
44 000 000
32 000 000
142 000 000
Matières premièies pour l'industrie
(laine, coton, peaux, caoutchouc, etc.)..
Total
109 400 000
218 000 000
Les tableaux ci-joints permettront de se faire une idée
assez détaillée du commerce anglais. Nous nous borne-
rons ici à mettre en valeur quelques faits importants.
1 ° Les importations consistent surtout en denrées
alimentaires et en matières premières pour l'indus-
trie. Malgré le degré de perfection atteint pas l'agricul-
ture et l'élevage, la Grande-Bretagne ne produit pas la
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE
^^
EXPORTATIONS ANGLAISES
r«m.r,„»n( „clu.iv.m-« /« ProJu!,, Je l.gricvll.,.. Je hpcchc. Je nhva,..
J« mina tt Je I inJullrie rfu Royaumc-Uml.
Prinâpaux articlM
Année 1913
Valeur en liv. st-
Année 1920
Valeur en liv. st
Denrées ; Harenjj. grains et farines.
«Kmen- J spiritueux, biire. tabac.
32 000 000
50 883 COO
54 000 000
16 000 000
100 000 000
45 656 000
premières, f Divers
Xotal
70 000 000
145 656 000
127 000 000
54 000 000
37 000 000
Il 000 000
26 000 000
37 000 000
15 000 000
22 000 000
Il cOOOOO
86 400 000
400 000 000
129 000 000
111 000 000
26 000 000
52 000 000
115 000 000
50 000 000
40 000 000
60 000 000
137 732 000
Navire» • • • ; ; • y
dutellerie. quincaillerie, articles en me-
Toiles de lin. chanvre, iute. soierie
Tot.1
427 000 000
1 120 732 000
Tnt.l sMi^ral
529 000 000
dont 205 600 000
destines aux pos-
sessions britan-
niques.
1 317 281 000
dont 526000000
destinés aux pos-
sessions britan-
niques.
.
moitié des céréales, de la viande, des produits de ferme
qui lui sont nécessaires. 11 lui faut importer chaque année
une quantité considérable de céréales, viande, volailles,
œufs, beurre, fromages, fruits, vins, légumes, sucre, sans
compter les produits des régions tropicales (thé, café,
épices, etc.).
Les importations de matières premières sont de valeur
à peu près égale et consistent soit en textiles (coton,
laine, lin, chanvre, jute), soit en minerais (cuivre, fer.
étain), soit en graines oléagineuses, en cuirs et peaux, en
bois, pétrole, etc. Par contre, les objets manufacturés
qui consistent surtout en produits de luxe : soieries,
articles démode, etc., ne représentaient en 191 3 que le
quart des achats, et considérablement moms en 1920.
A l'exportation, ce sont, au contraire, les produits
manufacturés qui tiennent naturellement le premier rang :
quatre cinquièmes du total. Les textiles d'abord, puis les
objets en métal (machines, outils, fers et aciers, quincail-
lerie, moteurs, etc.). les produits chimiques, les navires,
les vêtements, etc. A cela s'ajoute la houille qui assure
aux navires anglais un fret abondant et d'écoulement
toujours assuré.
2° La valeur des importations est très supérieure à
la valeur des exportations. L'Angleterre achète normale-
ment beaucoup plus qu'elle ne vend. Elle a cela de com-
mun, du reste, avec la plupart des nations européennes.
Mais ce déficit est largement compensé d'abord par les
revenus de ses capitaux engagés à l'étranger, puis par
les bénéfices qu'elle retire du commerce de transit et de
^ 27
L'EURœE
cabotage effectué par ses navires sur toutes les mers du
monde ; enfin par l'argent que gagnent ses nationaux
fixés aux colonies.
3° Parmi les pays avec lesquels l'Angleterre entretient
des relations commerciales, les possessions britanniques se
classent au premier rang.
Le quart environ des importations provient des colo-
nies, le tiers des exportations leur est destiné.
En 1920, rinde vendit à r.'Xnglelerre pour 134000000 délivres
sterling et lui acheta pour 210000000. — L'Australie et la
Nouvelle-Zélande lui vendirent pour 159000000 et lui achetèrent
pour 95000000. — L'Egypte vendit pour 79000000 et acheta
pour 45000 000. — Le Canada vendit pour 92 000000 et acheta
pour 48000000. — L'Afrique du Sud vendit pour 20000000 et
acheta pour 50000000, etc.
On saisit ainsi sur le vif quels liens étroits rattachent
la métropole à son immense empire colonial (29854000
kilomètres carrés ; 325 000 000 d'habitants).
De ces colonies, les unes, comme le Canada, le Cap, 1 Austra-
lie, jouissent d'une autonomie si large qu'elle équivaut à l'indé-
pendance. D'autres sont rattachées directement à la couronne.
Mais toutes ont encore, à des degrés divers, besoin de l'Angle-
terre autant et plus que l'Angleterre a besoin d'elles. Elles
donnent au Royaume-Uni les produits alimentaires ou les
matières premières nécessaires à ses usines. Mais elles trouvent,
dans la métropole, les capitaux indispensables à leur développe-
ment économique et les objets manufacturés qu'elles ne produisent
point encore. Ainsi la Grande-Bretagne tire de ses capitaux un
double profit, d'abord sous forme d'intérêts, en second lieu sous la
forme de commandes à ses industriels.
4° Enfin, aux 3272000000 de livres sterling qui repré-
sentaient en 1920 la valeur du commerce local du
Royaume-Uni (c'est-à-dire les importations destinées
uniquement à la consommation locale, et les exportations
d'objets provenant exclusivement de l'agriculture, de la
pêche, des usines de la Grande-Bretagne) il faut ajouter
les 222465800 livres sterling du commerce de transit,
c'est-à-dire la réexportation de produits coloniaux et étran-
gers entreposés dans les ports anglais. Ainsi 70 p. 1 00 du
caoutchouc importé en Angleterre, 60 p. 100 des cuirs
et peaux, 35 p. 100 de la laine, 27 p. 100 du lin, du
chanvre et du jute, 15 p. 1 00 des matières oléagineuses,
13 p. 100 du coton sont réexportés. Ce commerce de
transit a donc encore une importance considérable.
Pourtant sa valeur relative ne cesse de diminuer. 11 représen-
tait, en 1 860, un tiers du commerce total : il n'en représentait
plus, en 1913, que le douzième, et moins encore en 1920. Cela
témoigne des progrès réalisés par les rivaux de l'Angleterre. Le
marché anglais faisait la loi en Europe pour la plupart des
produits coloniaux asiatiques, américains. Les ports de France, de
Belgique, d'Allemagne, d'Italie ne recevaient ces produits que
par l'intermédiaire des importateurs anglais. Aujourd'hui, Le Havre,
Dunkerque, Anvers, Rotterdam, Hambourg, Gênes importent
directement des pays d'origine les articles destinés à la consommation
continentale, et ne paient plus à l'Angleterre les frais de courtage
auxquels elle était habituée.
- 28
LES VOIES DE COMMUNICATION. 00
Pour suffire aux multiples besoins de son industrie et de
son commerce l'Angleterre a dû développer d'une façon
exceptionnelle les voies de communication, les moyens
de transport, le nombre et l'outillage de ses entrepôts.
Contrairement à ce que l'on pourrait supposer, les
rivières et les canaux ne jouent qu'un rôle assez médiocre.
Alors, par exemple, que les voies navigables de la
petite Belgique transportaient, en 1905,52 1 62 000 tonnes,
le trafic de la navigation intérieure du Royaume-Uni
ne s'élevait, la même année, qu à 39500000 tonnes. Pour-
tant les rivières sont lentes et de régime régulier, et un
réseau bien ramifié de canaux, construits de I759à 1830,
unit les différents bassins fluviaux.
Mais d'abord les cours d'eau, sauf dans leur partie
maritime, sont peu profonds et peu abondants. De plus,
les canaux, " construits par l'initiative privée, de pièces
et de morceaux, sans plan d'ensemble, à mesure que
chacun d'eux apparut comme une bonne affaire ", sont
de dimensions très variables et dépendent d'autorités
administratives fort diverses.
"11 y a en Angleterre 2 643 kilomètres de voles accessibles aux
narrowboats (bateaux étroits) et 2 568 de voies à barges (bateaux
larges de 4 mètres). Mais chacune de ces séries de voies ne se
présente pas respectivement par de longs tronçons continus ; très,
souvent des tronçons de l'une interrompent des parties de l'autre
des bouts de dimensions différentes se trouvent intercalés les uns
parmi les autres. Dans ce système chaotique, il est impossible
d'établir des tarifs généraux et d'organiser des transports à longue
distance. " (A, Demangeon.)
Enfin, d une part, les communications par mer sont
SI faciles qu'elles nuisent au trafic intérieur, et, d'autre
part, les compagnies de chemins de fer, qui ont intérêt à
éviter une concurrence dangereuse, paralysent autant
quelles le peuvent le trafic par vote d'eau, soit en
devenant propriétaires des canaux, soit par tout autre
moyen.
Aussi, si 1 on met à part quelques tronçons de canaux
qui desservent les régions industrielles et transportent les
houilles, les minerais, les matériaux deconstruction (canaux
de Birmingham : 7 546 000 tonnes ; Leeds and Liverpool
Canal : 2467 000 tonnes ; Aire and Calder : 2 810900
tonnes; Grand Junction Canal : I 794000), le bel
ensemble de canaux tracé sur la carte ne doit pas faire
illusion. La plupart d'entre eux n'ont qu un trafic tout
à fait insignifiant ou même nul.
En fait, tandis que, dans les pays industriels du
Continent, il se fait entre les voies ferrées et les voies
d'eau comme un partage équitable, en Grande-Bretagne
les chemins de fer sont les maîtres des transports.
Cent vingt compagnies (dont 24 en Irlande et 8 en Ecosse) se
partagent les voies ferrées dont la longueur atteint 38 000 kilo-
mètres, soit 12 kilomètres de voies ferrées par 10 000 kilomètres
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE
carré] (seule la Belgique dépasse cette proportion : 24, en France,
9 seulement). De plus, une double lîgnede rails est la règle plutôt
que l'exception, et souvent on en compte 3 ou 4. Enfin, au lieu
de rayonner d'un centre unique, comme la plupart des voies
françaises, le réseau anglais est de trame très irrégulière, et la
concurrence acharnée que se (ont entre elles les diverses compagnies
a pour conséquence la multiplication des gares, des voies paral-
lèles, et l'abaissement des tarifs. Il est donc naturel que, par le
nombre des trains mis ea marche chaque jour, par le nombre des
voyageurs et la valeur des marchandises que transportent les voies
ferrées, l' Angleterre se classe à la tète de toutes les nations euro-
péennes.
L'intensité du'traEc intérieur a pour corollaire et pour
complément la prodigieuse activité du commerce maritime
avec l'étranger. La marine marchande britannique attei-
gnait, en 1913, un total de 12000000 de tonnes.
Réduit à 10000000 à la fin de 1918, ce chiffre est
remonté à 14000000 de tonnes à la fin de 1921.
Pourtant cette flotte, si considérable soit-elle, ne suffit point
à assurer les relations de l'Angleterre avec l'extérieur.
La part que prélève la flotte nationale dans l'ensemble
des transactions effectuées par les ports anglais décroît
même avec régularité. Ainsi sur les 164800000 tonnes
qui représentaient le total des entrées et sorties en 1913,
les navires britanniques ne comptaient plus que pour
93 128 000 tonnes soit 59 pour 100 contre 64, 9 pour
100 en 1905 et 67,3 pour 100 en 1900. Après les
navires anglais se classaient, par ordre d'importance, les
Allemands (10 pour 100), les Norvégien (6,63pour 100),
puis les Danois, les Suédois, les Hollandais, les Français
etc. Par contre, il ne faut pas oublier qu'une partie du
transit entre certains pays étrangers s'opère par
bateaux anglais. Mais, là encore, la Grande-Bretagne
se heurte à des rivaux entreprenants et redou-
tables. Si les Allemands, qui lui disputaient autrefois le
commerce de cabotage ou de long-cours dans le Levant et
les mers de Chine, sont pour l'instant hors de cause,
les Japonais ont développé considérablement leurs rela-
tions avec les pays du Pacifique. Les Etats-Unis, surtout,
travaillent à se réserver le monopole du commerce améri-
ccun (V. Chap. LXHI). De ce fait, tandis que la propor-
tion du commerce extérieur anglais, dans l'ensemble des
transactions mondiales, était de 27 pour 100 en 1830.
elle s'est abaissée à 24 pour 1 00 en 1 870, 20 pour 1 00
en 1882, 13 pour 100 en 1900, 9 pour 100 en 1920!
C'est encore une belle part : ce n'est plus' la part du lion.
Le tableau suivant donne le classement des principaux
ports anglais en 1 9 1 3 (mêmes chiffres à peu près en 1 920) :
t-ondres 25 000 000 tonnes.
Uvtrpool 23000000 —
Cardia 18000000 —
NewcMtle.North and South Shield» 15 7% 000 —
Southampton 13 326 OOO —
Hull 9000000 —
C1m«ow 7905000 —
Plymouth 7588000 -
Cork 7454000 —
Grimsb» 5 254 000 —
Douvres 4 825 000 —
Newport 3996000 —
Uith 2866000 —
Manchester, etc.
Londres vient en tête des ports anglais, surtout pour le
commerce d'importation et de transit, malgré son éloi-
gnement des régions industrielles et l'infériorité que lui
confère sa situation trop continentale, eu égard aux con-
ditions requises par la navigation moderne. Liverpool
commande l'estuaire de la Mersey : c'est le port des
grands districts industriels du Lancashire. Cardiff est le
port des districts houiflers du Pays de Galles comme les
ports de la Tyne (Newcastle, North and South Shields)
le sont des régions houillères du Northumberland.
Southampton, bien qu'elle ne soit pas reliée directement
avec un grand district industriel, doit son importance à
son magnifique havre naturel et à sa position centrale
sur la Manche. Hull dessert le West-Riding et le
Yorkshire. Bristol, autrefois le premier des ports anglais,
n'a plus qu'une importance secondaire, malgré la création
de deux avant-ports à Avonmouth et Portishead. Avec
Liverpool se groupent Birkenhead et Manchester ; avec
Cardiff, Newport et Svvansea ; Blyth et Sunderland avec
les ports de la Tyne ; avec Hull, Grimsby, Immingham
et Coole. Douvres, Folkestone, Newhaven, complètent
Southampton et assurent les relations avec la France.
En Ecosse, Glasgow et Leith (le port d'Edimbourg)
desservent la riche région industrielle des Lowlands. En
Irlande, enfin, Dublin et Belfast n'ont qu'un trafic rela-
tivement très, faible.
Aux ports de commerce s'ajoutent les ports de pêche
que nous avons énumérés plus haut et les ports de
guerre : Plymouth, Portsmouth, Chatham, etc., points
d'attache de la formidable puissance navale anglaise.
LES HABITANTS ET LES yiLLES
NOTIONS HISTORIQUES, ma Lorsque la
Grande-Bretagne entre dans l'histoire avec la conquête
deCésetf au l*' siècle de notre ère, elle était peuplée tout
entière de Celtes apparentés de très près aux Gaulois.
C'étaient les Bretons dans les plaines du Sud, les Pietés,
les Scotts en Ecosse, les Irlandais, etc. A ces vieilles
populations celtiques s'ajoutèrent par lasuiledes Romains
d'abord (en très petit nombre et sans influence profonde),
puis des Germains : Angles et Saxons.
Dans la Grande-Ile, ces Angles et ces Saxons furent assez nom-
breux pour absorber les bretons ou les refouler dans les montagnes
de l'Ouest ; Comouaille et Pays de Galles. Ils assimilèrent aussi
29
L'EUROPE
les Danois et les Norvégiens, venus au K" siècle sur les côtes de
l'Ecosse, el les quelques Français qui accompagnèrent en 1066
Guillaume le Conquérant. La Bretagne perdit l'usage de sa langue
nationale, et jusqu'à son nom, transformé en Terre des Angles ou
England. Par contre, la péninsule gauloise d'Armorique, où vinrent
se réfugier des milliers de Bretons chassés de leur île par les inva-
sions germaniques, hérita de leur nom et vit se renforcer la masse
des populations celtiques que la civilisation romaine avait à peine
effleurées. EnSn l'Irlande échappaaux Saxons et demeura, jusqu'à
nos jours, le domaine des Celtes. Seules ses côtes reçurent un bon
nombre d'émigrants Scandinaves, et ses districts du Nord-Est
(Ulster) se peuplèrent beaucoup plus tard d'Anglais et d'Ecossais
qui formèrent une sorte de colonie germanique et protestante en
terre celtique et catholique.
L'unité politique complète se fit assez tard. Si les sou-
verains anglais annexèrent le Pays de Galles dès le
XIIl*^ siècle, l'Ecosse demeura jusqu'au XVII*' siècle un
royaume pleinement mdépendant, constamment en guerre
avec ses voisins du Sud, et, par une naturelle consé-
quence, alliée des Français. En 1603 seulement, l'avène-
ment de la dynastie écossaise des Stuart au trône d'An-
gleterre fit des deux royaumes un tout. Quant à l'Ir-
lande, les Anglais y parurent en I 1 12, mais n'occu-
pèrent d'abord qu'une section très restreinte de la côte
orientale. En 1 542, Henry VI 11 substitua le titre de roi
à celui de seigneur d'Irlande. Dès cette époque, l'anta-
gonisme entre les deux races, avivé par la différence des
religions, se traduisit par des révoltes continuelles, sau-
vagement réprimées. En 1649, Cromwell entra en
Irlande comme Josué chez les Chananéens ', massacrant
ou vendant comme esclaves des milliers d'Irlandais, dis-
tribuant à ses soldats toutes les terres demeurées
vacantes. De là la haine des Irlandais pour les Anglais
et la naissance d'une question d'Irlande ' qui. après
de multiples péripéties, des confliis sanglants et prolon-
gés, s'est enfin résolue, en décembre 1 92 1 , au profit des
Irlandais par l'obtention d'une autonomie politique aussi
complète que l'est celle du Canada.
ANGLAIS, ÉCOSS.-\IS. IRLANDAIS. 00
Du mélange des deux éléments : celtique et germanique,
est né le peuple anglais auquel son " insularité " a
fini par conférer une originalité frappante, des caractères
physiques et moraux qui le distinguent fortement de
tous les autres peuples européens. Il y a bien un " type
anglais ' infiniment plus net que le " type " français,
allemand ou italien, et si aisément reconnaissable que l'on
n hésite presque jamais à désigner, dans une foule cos-
mopolite, les fils et les filles d'Albion.
Forme plutôt anguleuse du visage, teinte colorée de
la peau (une peau que le grand air et le soleil ne
brunissent point mais rougissent comme boeuf saignant),
cheveux blonds, yeux bleus, gestes raides, démarche
brusque, attitude décidée, long corps musclé et vigoureux,
endurci par la pratique constante des sports, tels sont les
traits extérieurs les plus frappants des gens d'outre-
Manche. Au moral, plutôt froids, taciturnes, même dédai-
gneux et gourmés, mais capables de brusques explosions
d'enthousiasme ; lents à se donner, mais de commerce
très sûr ; d'imagination médiocre, de sensibilité très fciible,
peu artistes, mais pratiques, tenaces, d'une énergie que
rien ne rebute, d'une activité méthodique stimulée par une
inébranlable confiance en soi. Très orgueilleux, pleins de
mépris pour les races inférieures ", ils tiennent tout ce
qui est anglais comme ihe best in the world ", ce qu'il
y a de plus parfait au monde. Les habitudes que le
jeune Anglais prend dès l'enfance, il les garde plus
jalousement que tout autre peuple ; il les transporte avec
lui sous tous les climats et met son point d'honneur
à ne pas vivre à Calcutta autrement qu'à York.
Peu porté aux grandes vues synthétiques, il s'inté-
resse aux faits beaucoup plus qu'aux idées, et le
peu de connaissances générales des Anglais, leur élroi-
tesse de vue, qui engendre fréquemment l'égoïsme et
l'intolérance, leur paresse d'esprit, leur " incuriosité "
étonnent les étrangers cultivés. Toutefois le bon sens,
l'esprit d'initiative, le goût de l'action, qui sont les qualités
maîtresses de l'Anglais, suppléent, dans nombre de cas,
aux lacunes de sa préparation intellectuelle. II s'instruit
par la pratique des affaires et le commerce des hommes
plus que par les livres, ^a psychologie se trouve fré-
quemment en défaut, mais il n'hésite pas à reconnaître
ses erreurs, à modifier ses plans. Il ne s'obstine pas,
au nom des principes, contre l'enseignement des faits.
11 voit au contraire avec lucidi'.é ce qu'il peut en
tirer et comment il saura les utiliser au mieux de ses
intérêts.
L'Ecossais diffère quelque peu de l'Anglais même
physiquement. Les Gaëls des Highlands sont des Celtes
à peu près purs, et, dans les Basses-Terres ou sur les
rivages, Danois et Norvégiens se mêlèrent en forte pro-
portion aux Bretons et Anglo-Saxons. Un peu plus grand
que l'Anglais, plus maigre, plus osseux ", parlant anglais
avec un accent très spécial, l'Ecossais fait preuve dans
la lutte pour la vie d'une ténacité, d'une sagacité et d'un
sens pratique au moins égaux à ceux de ses voisins. Mais
il est plus curieux, plus causeur, et s'accoutume difficile-
ment au silence dédaigneux de l'Anglais. Il s'adonne
aussi aux études, même désintéressées, avec un zèle, une
passion que ne connaissent guère les écoliers d'Oxford
et de Cambridge. Malgré sa sobriété (au moins relative),
une économie poussée jusqu'à l'avarice, il trouve diffici-
lement à vivre 'Sur un sol ingrat et émigré proportion-
nellement beaucoup plus que l'Anglais. Enfin il se dis-
lingue par sa ferveur religieuse, son rigorisme, son goût
pour les discussions théologiques. Nulle part le repos
dominical n'est observé avec plus de respect, nulle part
les sectes dissidentes n'éclosent avec plus de facilité
30
LA GRANDE-BRETAGNE
LE LOCH KATRINE. L'un da ofcu cilitia parmi ta laa inncmlralla qu, te
mchircnl au c«iix </« rallia «c5joi«5. San, /« fiiima da lacha opp.o/onAo pai
la slacm> d'culrtlob. Dam k> eaux d'un val «.mire se TcHitçnl la açajptmeals
tmdtt de la monlagm. Walla Secll le chanla dans ion Ixxme Ladu a/ Ihe Loke ■
Pat set rachat, ta trvtqua délours, il ressemlle au lac de Lueerne.Versl Bl. Dra des
Trossaclit, la riva tant verla de hruuira. d'ajanet, miles de taillis. A I Uual.ellei
deviamenl plus aeaipia et plut nua. Clatsow emprunte au lac laeaux^ pures nica-
saira à sa population.
CI.V*LENT1NE.
— 31
L'EUROPE
^-hfCi
LE BEN NEVIS. C'esl le sommetje plus eUvc de la GianJe-
Bretasne. Ses formes émoussées trahissent le long travail de
l'éroùon. La vue est prise du canal Calédonien, profonde
cassure qtii traverse toute la haute Ecosse. Cl. ValENTTNE.
BALMORAL. Magnifique
résidence de la famille royale
anglaise pendant la" ^eason "
d'Ecosse. Cl. Valentine.
PONT DU FORTH. Construit de 1833 à 1890. long de
2500 mètres, haut de 50. leForth Bridgeoii passe lavoiefer-
rêe d'Edimbourg à Aberdeen. est un beau spécimen des travaux
d'art accomplis par les ingénieurs anglais. C\. ValentINE.
EDIMBOURG. La capitale de l'Ecosse l'emporte incontestablement sur toutes les
autres cités de la Grande-Bretagne par sa magnifique situalion, le pittoresque des
rochers d' Holyrood et du Castle où elle accroche ses vîetLX quartiers. La vue est prise
de la colline de Calton autour de laquelle a grandi la ville nouvel le. C\. G. W. W.
GLASGOW : LES QUAIS DE LA CLYDE. A Edimbourg, cité de l'histoire et
du passé, on oppose volontiers Glasgowja ville modeme,qui dut à ses mines de charbon
et de fer, à son fleuve que peuvent remonter les grands navires, une prospérité qu'at-
teste le chiffre de sa population (plus de 1 000 000 d'habitants). Cl. Valentine.
LA CHAUSSÉE DES GÉANTS. Sur la côte Nord de l'Irlande, un vaste plateau
i ^a'.!iqttc qui ccuvrc la plus grande partie du comté d' Antrin,tombe vers la mer, tantôt
par ci; trasquss ezcarpements calcaires, tantôt par une série de terrasses que forment
/■•-: pilisT! hexaxcr.cux du basalte. Cl. PHOTOGLOB.
FERME IRLANDAISE. L'Irlande ne possède point de richesses minières. Aussi,
la majeure partie des Irlandais vif. non d'industrie et de commerce, mais de l'éle-
vage et du travail des champs, La terre appartient à de grands propriétaires pour
lesquels travaillent de pauvres fermiers Cl. Valentine.
32
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE
et ne font preuve d'un prosélytisme aussi ardent.
Quant à l'Irlandais, Celte pur ou Celte mélange
d'Anglo-Saxons et de Scandinaves, s'il constitue moins
une race qu'une nation, il a cependant " un ensemble
de qucilités et d'habitudes qui lui appartiennent en
propre et qui le rendent, à certains égards, l'antipode de
l'Anglais". Au physique, souvent brun au teint mat, aux
yeux noirs, il est, quand la misère ne l'a point déformé,
aussi grand, aussi fort, aussi robuste que l'Anglais et
l'Ecossais. Les femmes, de l'aveu même des Anglais,
l'emportent sur leurs voisines de la Grande- lie par une
figure plus noble, par la grâce, la souplesse de la démarche,
l'élégance et le goût. Au moral on reconnaît aux Irlan-
dais de précieuses qualités : intelligence facile et bril-
lante, compréhension vive, imagination créatrice. Sen-
sibles à toutes les manifestations de l'art et de la beauté,
naturellement éloquents, curieux de s'instruire, très fins.
très spirituels sous des dehors un peu frustes, ils ignorent
l'égoïsme, la froideur dédaigneuse des Anglais, ouvrent
largement leurs portes à toutes les infortunes, et con-
servent pieusement le souvenir des bienfaits. Mais leur
amour naturel pour l'art de la parole aboutit fréquem-
ment au bavardage, leur impressionnabilité les rend aussi
prompts au découragement qu'aux enthousiasmes. On
leur reproche aussi leur esprit de routine, leur paresse,
leur apathie qui les rend sans défense contre la mauvaise
fortune.
LANGUES ET RELIGIONS. 00 U langue
que l'Anglais parle est fjiite d'un mélange de mots d'origine
germanique et latine. Elle est simple, précise, très claire,
et, si l'orthographe anglaise est absurde, il faut reconnaître
que nul autre idiome européen ne possède une gram-
maire et une syntaxe aussi peu compliquées. C'est par
excellence la langue du commerce, ce qui ne l'empêche
nullement, sous la plume d'un Shakespeare, d'un Shelley,
d'un Dickens, de s'élever sans efforts au plus haut lyrisme
comme de traduire les nuances les plus subtiles de " l'hu-
mour ". Dans le Royaume-Uni, l'Anglais a supplanté
depuis longtemps les dialectes celtiques de telle sorte que les
Irlandais eux-mêmes n'emploient point d'autre langue et
que ces dialectes, la où ils survivent encore comme dans
le Nord-Ouest de l'Ecosse et l'Ouest du Pays de Galles,
ne sont guère usités que comme seconde langue et par
suite du pieux respect que les gens d'outre-Manche
témoignent à tout ce qui vient du passé. D'autre part,
hors de l'Angleterre, les colonies britanniques anciennes
(Etats-Unis) ou présentes (Afrique du Sud, Australie.
Canada, Indes, etc.) sont les foyers naturels d'où se
répand déplus en plus la langue des Anglo-Saxons. On
compte aujourd'hui sur le globe plus de 200 000 OOD d'in-
dividus parlant anglais et l'importance de ce chiffre appa-
rait d autant plus grande que ces individus ne sont pas
concentrés (comme les Russes par exemple) en un point
déterminé, mais se rencontrent sur toute la surface des
terres et des mers.
Le catholicisme demeura, jusqu'au xvi'' siècle, la reli-
gion de tous les habitants du Royaume-Uni. A cette
date l'anglicanisme, forme particulière du protestantisme,
devint la religion officielle de l'Angleterre, tandis que
le presbytérianisme s'installait en Ecosse et que les
Irlandais demeuraient soumis à l'obédience de Rome.
En 1917. on comptait 2446000 catholiques anglo-
écossais, 3 247 000 catholiques irlandais. Quelle que
soit leur croyance, les Britanniques demeurent fort zélés
pour les choses religieuses, soit par conviction véritable,
soit par une sorte de snobisme et parce qu'un gentleman '
ne saurait être athée.
Chez les protestants, surtout écossais, de nombreuses
sectes se fondent sans cesse et se répandent avec plus
ou moins de succès ; nul peuple n'engage de pareilles
dépenses, ne fait d'aussi grands efforts pour la construction
d'églises et de chapelles, l'entretien des pasteurs, l'im-
pression d'ouvrages de piété, l'envoi, dans tous les pays
du monde, de missionnaires, agents religieux, politiques
et commerciaux à la fois.
DENSITÉ ET RÉPARTITION DE LA
POPULATION. 00 La Grande-Bretagne se range
parmi les pays du globe où la densité est la plus forte. Elle
avait, au recensement de 1911, 45 370000 habitants
(47 000 000 en 1920), soit 1 44 au kilomètre carré, moins
que la Belgique et la Hollande, mais deux fois plus que
la France.
Au cours du XIX" siècle la population a quadruplé en
Angleterre, passant de 9 000 000 à 36000000 (238 au
kilomètre carré) ; elle a triplé en Ecosse (de I 600000 à
4 760 000, soii 60 au kilomètre carré). Seu'e l'Irlande a
vu, depuis 1841, sa population diminuer dans de fortes
proportions par suite de la faible quantité des naissances
(23 pour 100, comme en France), de la rarelé et de
l'époque tardive des mariages, par suite surtout de
l'émigration, fruit de la misère. On comptait, en 1841,
8175 000 Irlandais; on n'en compte plus aujourd'hui
que 4 390000 ! (52 au kilomètre carré). 11 y a aux
États-Unis quatre fois plus d'Irlandais qu'en Irlande I
La population est très inégalement répartie. Tandis
que les terres montagneuses de la Haute-Ecosse et du
Pays de Galles sont à peu près inhabitées, que les pays
agricoles d'Irlande et de la Vie Jle- Angleterre se main-
tiennent entre 50 et 80 personm s au kilomètre carré, les
régions industrielles de la Basse-Ecos;e, des comtés de
Lancashire, d'York, de Slafford. de Durham atteignent
200, 300 et même 800 habitants au kilomètre carré.
De |)lus, celle population vouée à 1 industrie et au com-
merce a une tendemce de plus en plus marquée à s'en-
céOGRAPHIt UNIVERSELLE.
33
L'EUROPE
lasser dans de vastes agglomérations urbaines. On
compte en Grande-Bretagne 44 villes qui de'passent
100000 habitants et, parmi elles, le seul Londres
atteint — si l'on comprend dans ce chiffre les faubourgs
du " District de police " — le chiffre colossal de
7 562 000 habitants !
POPUUiTION DES PRINCIPALES VILLES
DU ROYAUME-UNI
Londres ^ '" 52°
Glasgow 1 072 000
Birminsham 900 000
Uverpool 804 000
Manchester 780 000
Sheffield 493 000
Ued, 457 000
DubUn 400 000
Belfast 400 000
Bristol 380 000
Ediroboui» 140 000
Bradford 300 000
Hull 287 000
Newcïstle 290 000
Nottingham 264 000
SlokeonTrent 250 000
Salford 233 000
Portsmouth 231 000
l^icester 247 000
Cardiff 1B6 000
Ehmdee 190 000
Aberdeen 170 000
Brighton \40 000
Southampton 135 000
Plymouth 113 000
etc.
habitants.
Pourtant l'Anglais aime d'un profond amour la cam-
pagne et la vie champêlre. 11 s'e'chappe le plus qu'il peut
de la cité où l'appellent ses affaires pour vivre dans de
riants cottages ombragés de plantes grimpantes, entou-
rés de grandi arbres et de beaux jard ns. La multiplicité
des moyens de communication lui facilite cette vie en
partie double qui étend démesurément l'extrême banlieue
des villes. Cela, il est vrai, n'arrête point la croissance
régulière des centres urbains, et les campagnes, où ne
vivent plus que les 19 centièmes de la population
totale se vident chaque jour davantage.
LES VILLES. ^0 Autrefois, avant le triomphe
de la grande industrie, c'est l'Angleterre du Sud et
du Sud-Est, l'Angleterre des plaines cigricoles et des
herbages à moutons, qui l'emportait pcir le nombre, la
grandeur des villes et la densité de la population.
Là se trouvent encore les centres historiques de la
Grande-Bretagne, riches en beaux monumen's, en glo-
rieux souvenirs : Winchester, Salisbury, Cantetbury,
Oxford, Cambridge, York, etc. Mais ces villes demeurent
stationnaires, et dorment au pied de leurs collines et
de leurs vieilles cathédrales, dont les tours ogivales
dominent un paisible et verdoyant horizon. Seuls les
ports de la région histor'que, de la " vieille joyeuse
Angleterre ", ont profité, comme il est naturel, de la
transformation de la vie anglaise, Plymouth, South-
ampton, Portsmouth, Brighton, Hull, Londres surtout,
aussi peuplée à lui seul que la Belgique tout entière.
On a dit de Londres qu'il " n'est pas, comme Paris, une per-
sonne vivante et qu'on puisse aimer ". C'est, en effet, un agrégat
d'agg'oméralions distinctes, ayant leur physionomie propre et res-
tées longtemps sans cohésion : la cité, centre des affaires, four-
millant de vie fendant le jour, presque inhabitée la nuit — le
Londres intérieur où l'on trouve des quartiers aussi disparates que
West-End, avec ses beaux hôtels, ses rues somptueuses, et Elast-End,
à la population misérab'e, abrutie par 'a misère et l'a'cocl — le
pli s grand Londres, enfin, ii terminable banlieue de maisons de bri-
que, et d'ardoises mêlées de cottages. Dans la vie intellectuelle de
la nation anglaise Londres ne joue pas, malgré son Université, ses
mu.ée , sa presse toute-puissante, un rôle comparable au rôle que
Paris joue en Fra ce. C'est avant tout une ville d'affaires, le pre-
mier port de commerce du mo de (après New Ycrk), une cité où
l'on " fait " de l'argei.t. Cette intensité de vie donne à Londres
sa physio omie spécia'e, une beauté sombre et triste comDarab'e
aux grands ■pectac'es de la natuie. " Lorsque aux heures de l'après-
midi la vie bat son plein, il y a dans les pulsations de cet oiga-
nisme quelq e cho e de colossal et d-» régulier qui fait penser aux
mouvements de la mer oi de la forêt. " (Vidal de Lablache.)
Ta. -dis que les vieilles villes d'autrefois, les " bourgs " du
Moye 1 Age, demeuraient station aires ou déclinaient parfois au
point d'être réduites à l'état de hameaux infimes fles " bourgs
pourris "), on voyait grandir les cité; des régions houillères. En
1 693, Manchester avait 6 000 habitants, Leeds 7 000, Liver-
pool 4 COO ; Sheffield, habitée par quelques forgerons, méritait à
peine le litre de bourgade. Birmingham, entourée de landes maré-
cageuses où l'o.i chassait le renard, comptait 4 000 habitants au
plus. Presque toutes les grandes villes actuelles du Northumberland,
du Yorkshire, du Cumberland, du Pays de Gal'es, n'étaient alors
que des villages ou même n'existaient point encore. Elles ont
poussé tout a coup, à partir de la fin du XVIII''* siècle. Ce sont c^es
Villes Champignons " sans passé, sans grâce, uniformes tl quel-
conques, où l'on gagne, sans doute, beaucoup d'argent, mais ou
l'arti.te n'a rien à glaner.
En Ecosse, ce sont toujours les basses-terres, le»
Lowlands, qui renferment, aujourd'hui comme autrefois,
la majeure partie de la popu'ation (plus de 500 habitants
au kilomètre carré). A l'Oueît, la puissante cité indus-
trielle de Gla-gow, en'ourée d'un esscùm de villes
manufacturières (Greenock, Dumbarton, etc.), resserr.ble
à Birmingham ou à Liverpool. A l'Est, Edimbourg
passe au contraire pour la plus pittoresque des cités
britanniques, grâce aux rocs de basaltes où se perche le
château a'Holy.ood, aux beaux parcs, aux coUines ver-
doyantes qui l'entouient. Dundee, Aberdeen, tissent le
jute et arment pour la pêche.
Les Highlands, ou hautes-terres, au sol stérile, cou-
vert de maigres pâturages, de tourbières, de bou-
quets de bois, coupées de " glens ", étroits ravins où
miroitent les eaux des lacs, forment un contraste absolu
avec les Lowlands. Un petit nombre de prop.-iétaires
se partagent ces solitudes, moins peuplées que les
plus pauvres de nos régions cévenoles et alpestres.
Point de viles, sauf le petit port d'Inverness; des
hameaux formés de huttes rustiques aux murs de pierres
34
ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE
brutes, couvertes de chaumes ; des ruines de forteresses
accrochées aux rochers. Mais, pendant l'e'te'et l'automne,
des milliers d'Anglais viennent en Ecosse chasser !a
grouse et le renard, pêcher truites et saumons. La famille
royale y possède le splendide palais de Balmoral, et
partout s'e'lèvent hôtels et villas, où l'on se repose des
fatigues de la " season " londonienne en menant une
existence agreste, débarrasse'e des soucis du " Cant' .
En Irlande, la population est assez également répartie
sur tout l'ensemble du territoire, et, comme elle vit sur-
tout des produits du sol, on y trouve peu de grandes
villes. Les plus notables sont les ports de Dublin, paroù
se fait la majeure partie des transactions avec l'Angle-
terre, Belfast, qui tisse le lin et construit des navires,
Cork. Limerick, Londonderrj".
L'ÉMIGRATION. 0Û La forte natalité de la
Grande-Bretagne explique l'importance et la continuité
d'une émigration que facilitent l'institution du majorât et
certains traits du caractère anglais : désir de gagner par
soi-même une large aisance — confiance en soi — esprit
de famille beaucoup moins développé que chez nous —
patrie ardemment aimée, certes, mais où le climat rend la
vie moins agréable et moins douce, etc.
On compte que, de 181 5 a 1910, 21 000 000 d'hommes
ont quitté leur pays pour se fixer à l'étranger, dont
13500000 aux États-Unis, 3800000 au Canada,
2 200 000 en Australasie. Chaque année, de 300 000 à
400 000 Anglais, Écossais, Irlandais vont rejoindre
leurs aines aux Etats-Unis, au Canada, en Australie,
Nouvelle-Zélande, ou commencent à mettre en valeur
les terres vierges de l'Afrique Australe et Orientale, de
la Nigeria, même des régions tropicales de l'Inde et de la
Birmanie, pourtant peu favorables a l'acclimatation des
blancs. Et si I emigrant se dirige de préférence par
grandes masses vers les colonies anciennes ou récentes
de la mère-patrie, il sait aussi mettre à protit les ressources
Hamtiiersï^h i\ ,
,'<■,.' V:-_t;;-—iJfertsin(îton
C'hèJsea (
■Il ^ 1>'1!
ET SES ENVIRONS
^ses^
^.
des pays étrangers. En quelque point du globe que Ion
se trouve, on rencontre par petits groupes, ou même com-
plètement isolés, des colons, des commerçants, des ma-
rins, des industriels, des agriculteurs, des missionnaires,
des explorateurs anglais. Cette dissémination de ses
enfants n'est pas, pour la Grande-Bretagne, la moindre
raison de son influence mondiale, la moindre source de sa
prodigieuse fortune.
CONCLUSION
Quels sont pour la Grande-Bretagne les résultats
immédiats, quelles seront les conséquences lointaines du
nouvel état de choses créé par la Grande Guerre ? En
pareille matière, moins encore qu'en tout autre, on aurait
mauvaise grâce à trancher du prophète ! Constatons seu-
lement que l'Angleterre est sortie de la guerre dans des
conditions singulièrement plus favorables que ses alliés du
Continent. Elle a fait, certes, un magnifique, un prodi-
gieux effort, elle a donné sans compter son argent, ses
hommes et ses navires. Mais, une fois de plus, son insu-
larité lui assure des avantages hors de pair. Ses usines,
ses chantiers, ses mines sont intacts. Sa flotte marchande
ou militaire, en dépit des sous-marins allemands, s'est
trouvée, dès 1921 , aussi forte sinon plus qu'en 1914. La
livre sterling n'a point connu la désastreuse dépréciation
de la lire, du rouble et du franc. Les liens qui l'unissent
à son immense empire colonial se sont fortement conso-
lidés sur les champs de bataille d'Europe et d'Asie.
Aussi s'est-elle trouvée prêle avant tout autre, d'abord à
rétablir chez elle un état de choses normal, puis à
poursuivre dans le monde ses projets d'autrefois, enfin à
en entreprendre de nouveaux qui lui permettent de ré-
cupérer ses débours. Elle n'a pas, comme nous, toujoursà
sa porte l'ennemi d'hier — et de demain. Pleinement débar-
rassée du double péril économique et militaire dont les
menaçaient les cimbitions germaniques, certains Anglais
considèrent assez volontiers que tout danger est pour
longtemps écarté, et qu'il leur est légitime désormais de
profiter des circonstances nouvelles nées de la guerre, au
mieux de leurs intérêts propres, sans trop se soucier du
35
L'EUROPE ^
sort de leurs alliés. Toutefois le bon sens et la probité de
la niasse du peuple le préserveront, il le faut fermement
espérer, contre un retour à cette doctrme du superbe
isolement " qui risquait de le conduire tout droit au
désastre. L'entente cordiale et féconde qui prépara notre
commune victou-e répond trop sûrement aux tendances
mstinctives de nos deux nations, elle repose sur des
nécessités trop impérieuses, sur des intérêts généraux trop
évidents, sur des principes trop élevés, pour disparaitre
du fait même de cette victoire.
CHAPITRE III
LA NORVÈGE ET LA SUÈDE
APERÇU GENERAL
La presqu'île Scandinave est comprise entre l'Océan
Glacial au Nord, la Finlande et la Baltique à l'Est; au
Sud, les détroits du Sund, du Kattegat et du Skagerrak
qui la séparent du Démemark ; à l'Ouest, la Mer du
Nord et l'Atlantique. Sa superficie totale est d'envi-
ron 775000 kilomètres carrés partagés entre le royaume
de Suède (450000) et le royaume de Norvège
(325000).
L'extrême Sud (province suédoise de Scanie) est à la
même distance de l'Equateur que la région anglaise de
Newcastle. Mais la partie septentrionale s'étend large-
ment au delà du cercle polaire et connaît les longues
périodes hivernales de nuit continue, ainsi que les
périodes correspondantes de l'été pendant lesquelles le
soleil ne disparaît pas de l'horizon. Cette situation géo-
graphique, l'ampleur des espaces occupés par des mon-
tagnes, de hauts plateaux glacés, la rareté des terres
cultivables sont la cause de la faible densité de la popu-
lation : 2 700 000 habitants, soit 8 au kilomètre carré
en Norvège ; 5 847 000 habitants, soit 13 au kilomètre
carré en Suède. Cependant, comme il arrive pour la
Suisse et la Belgique, on ne saurait juger du rôle joué
par les habitants de la péninsule en ne tenant compte que
de leur nombre ou de la pauvreté de leur territoire. Les
ancêtres des Norvégiens d'aujourd'hui ont, sous le nom
de Normands ou Vikings, tenu dans l'histoire laplaceque
l'on sait. Les Suédois furent au XVII^ siècle, sous Gustave-
Adolphe et Charles X 1 1 , la première puissance militaire de
1 Europe, et leurs possessions s'étendirent sur la majeure
partie des rivages de la Baltique. Présentement encore,
grâce à leurs qualités physiques, morales et intellec-
tuelles, à la valeur de leurs écrivains, à la hardiesse de
leurs explorateurs. Norvégiens et Suédois comptent, à
des titres divers, parmi les premières nations du monde
civilisé.
Bien que depuis l'année 1905 la péninsule soit
divisée en deux Etats indépendants, elle forme un tout
géographique dont il convient d'étudier les caractères
généraux avant d'examiner la situation particulière de
chacun des Etats.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE DE LA PENINSULE
LE RELIEF. ^£J La péninsule, de formes plu-
tôt massives, tourne le dos à l'Atlantique et s'incline
vers le bassin très peu profond de la Baltique.
Tout 1 Ouest est couvert d'un puissant système mon-
tcigneux plissé à l'époque calédonienne, comme les hau-
teurs d Irlande et d'Ecosse, puis usé par une longue
érosion qui a réduit de plusieurs milliers de mètres la
hauteur primitive. Aussi trouve-t-on rarement des mon-
tagnes escarpées, des pics dentelés, des pointes, des
aiguilles, comme dans les Alpes. Des paysages de ce
genre n'apparaissent guère que dans l'extrême Nord oîi
les monts du Lyngenfjord, par exemple, formés de
36
roches volcaniques très dures, ont mieux résisté à 1 usure
du temps et revêtent l'apparence d'une chaîne alpine.
Ailleurs, lorsque l'on a grimpé la raide paroi, haute de
800 à 1 800 mètres, par quoi les monts Scandinaves
bordent l'Atlantique d'un mur continu, on voit s'étaler
de larges plateaux mamelonnés, coupés de cassures pro-
fondes par les fjords et les vallées fluviales, semés de lacs
innombrables, de tourbières, de champs de neige et de
glaciers. Ce haut pays désolé, privé de végétation et
vide d'hommes, vrai ' pôle répulsif " de la péninsule,
comprend deux groupes de massifs que sépare la dé-
pression du Jâmtland dont nous verrons plus loin l'im-
i'm^^Q^^
CtOCRAPHIE LNI\'ERSEI-LE PL. 4
LA NORVEGE ET LA SUÈDE
portance économique. Au Sud, les Fjelde cou\Tent
toute la Nonège. entre Trondhjem, Bergen et Chris-
tiania. Leur hauteur moyenne varie de 1 500 à 1 900
mètres. Les points culminants : Snehelta (2294 mètres),
Galdhoepig (2560 mètres) dominent de fort peu le
socle qui les supporte et les glaciers inunenses, tel le
Jostedalsbraë.qui s'e'talent à leurs pieds comme un frag-
ment d inlandsis. Au Nord, les monts Kioelen ont une
épaisseur moindre. Us sont divisés en compartiments par
des cassures transversales et longitudinales. Leurs som-
mets : Sulitielma(1903 mètres), Kebne Kaisse (2 123).
ont assez souvent l'aspect de crêtes ruiniformes, d'arêtes
minces et déchiquetées. Les glaciers (Swàrtis) y couvrent
une étendue plus faible que dans les Fjelde, car les pré-
cipitations neigeuses y sont beaucoup moins abondantes.
Pcur contre, au lieu de demeurer suspendus au-dessus des
fjords, ils descendent dans les vallées et poussent leurs
pointes extrêmes jusqu'à quelques mètres de l'Océan. ■
Tandis que, vers l'Ouest, l'effondrement de l'Atlantique
a tranché comme à 1 emporte-pièce les hautes terres Scandi-
naves dont le rebord domine immédiatement les flots, le
versant orientaJ s'abaisse par larges terrasses vers les
bas-pays suédois. On gagne ainsi, de gradins en gradins,
les plaines du Norrland qui, sur une largeur de 200 a
300 kilomètres, bordent les rivages de la Baltique et se
continuent au Sud par la dépression lacustre du Swea-
land ou Suède centrale. C'est un ancien détroit que la
mer occupa temporcureme nt au début des temps quater-
naires, mais qu'un relèvement du sol a fait émerger
depuis lors. L'aspect général de ces plaines est assez
varié, grâce à leur subdivision en petits compartiments, en
cuvettes Juxtaposées " que séparent des collines de
faible altitude.
L'extrémité méridionale de la Suède, enfin, est occupée
d'abord par un plateau, le Smaland, couvert de débris
morainiques, de tourbières et de petits lacs, puis par les
plaines de Scanie et de Bleckingie qui se rattachent
étroitement par leur aspect, la nature de leur sol et de
leur climat, aux plaines danoises et allemandes.
LES EFFETS DE L'ANCIENNE GLACIA.
TION. 00 Montagnes, plateaux et bas pays sont
constitués presque exclusivement de roches cristallines :
granits, gneiss, schistes, auxquelles, dans la région des
hautes-terres, se mêlent des calcaires cristallins, des grès,
des conglomérats d'époque primaire. Des roches ignées
de très antique origine : gabbros, diabases, amphiboliles
apparaissent aussi çà et là le long de la cassure de
l'Atleui tique.
Le " bouclier Scandinave ' , comme l'appellent les géologues, esl
donci une des parties de l'écorceierreslre les plus anciennement émer-
gées. Les grands mouvements tectoniques des époques secondaire
et terliaiie ne l'ont nullement affecté. C'est un des points les
plus solides de notre globe, l'un de ceux qui ont subi, dans leur
configuration générale, le moins de modifications. Les mers secon-
daires et tertiaires n'en recouvrirent qu'une très minime partie, et
leurs dépôts fragmentaires n'apparaissent qu'en quelques points de
la Suède méridionale. Ces dépôts, pour rares qu'ils soient, ont, du
reste, une grande importance économique, car ils donnent des sols
beaucoup plus fertiles que les granits et les schistes ; ils attirent
et concentrent la population, et constituent, avec les alluvions
marines de très récente origine, les grandes régions agricoles de la
Péninsule.
Mais si l'architecture générale de la Scandinavie n'a
subi que d'insignifiantes modifications depuis le plisse-
ment calédonien, l'aspect extérieur du sol, le modelé de
sa surface doivent leurs caractères spécifiques aux phéno-
mènes glaciaires qui, contemporains des premiers hommes,
pnrent dans la Péninsule une étonnante ampleur. Par
suite d'un abaissement général de la température et sur-
tout d'une considérable recrudescence des précipitations
atmosphénques, la Scandinavie se trouva recouverte
d'une carapace de glace épaisse de plusieurs milliers de
mètres qui, débordant au delà de la Péninsule, com-
blant les mers peu profondes qui l'entourent, alla recou-
vrir l'Ecosse, une partie de l'Angleterre, la Hollande,
toute l'Allemagne du Nord, la Finlande, une partie de
la Russie. Seuls le Groenland et les terres australes
peuvent nous donner une idée de ce que fut ce prodi-
gieux continent de glace, cette inlandsis " qui charria
ses moraines et ses blocs erratiques jusqu'aux rives de
la Volga, de l'Elbe et du Rhin.
A plusieurs reprises, des modifications du climat ame-
nèrent soit une fusion partielle des glaces, soit de nou-
veaux progrès, jusqu'au jour ou l'inlandsis Scandinave
disparut tout entière. Mais partout subsistent les traces
vivantes de son passage. Agissant à la façon d'un prodi-
gieux rabot, les glaciers en mouvement nettoyèrent le sol
meuble, mirent à nu les roches dures sous-jacentes,
en arrondirent, en polirent les contours, les strièrent de
rainures profondes. Ils élargirent la base des vallées pré-
existantes, leur donnèrent cette forme en U caractéris-
tique des thalwegs soumis à leur action. Après leur
retrait, leurs moraines frontales et latérales, les traînées
de cailloux amoncelés par les eaux de fond, se déposèrent
sur le sol rajeuni. Les unes, barrant les vallées, modi-
fièrent la direction des cours d'eau et firent naître ces lacs
innombrables qui sont une des parures de la péninsule.
D'autres, remaniées par les pluies et les torrents, s'éta-
lèrent dans les bas-fonds. D autres encore conservèrent
leurs formes premières et constituèrent ces étranges
digues naturelles, ces remparts rectilignes, les oesars
hauts de 10 a 30 mètres, larges de 50 à 100 mètres, que
l'on voit dans les plaines suédoises s'allonger sur des
centaines de kilomètres et qui divisent le sol en une série
de petits compartiments fermés.
LES COTES. 0 0 W n'est point de rivages au
37
L'EUROPE
monde qui, sur une pareille étendue, soient aussi découpés,
aussi capricieusement ciselés, déchiquetés, effilochés que
les rivages de la Péninsule. Alors que la ligne exté-
rieure des côtes norvégiennes, par exemple, mesure
2800 kilomètres, si l'on ajoute bout à bout les dente-
lures des fjords et des Grandes-Iles, on obtient une lon-
LE SOGNE FJORD
^***®as*
gueur de plus de 20 000 kilomètres, soit la moitié de la
circonférence terrestre.
Lorsque l'effondrement de l'Atlantique Nord entraîna
sous les flots une partie de la plate-forme Scandinave, les
vallées étroites qui descendaient sur le versant occidental
furent envahies par les eaux marines. Puis les glaces les
occupèrent à leur tour, augmentèrent leur profondeur,
enlevèrent les alluvions qui les remplissaient, donnèrent
à leur modelé une fraîcheur nouvelle et protégèrent leurs
flancs contre l'action érosive des torrents et des pluies.
Après la fusion des glaces, la mer pénétra de nouveau
dans cea vallées approfondies, rajeunies. Ainsi se for-
mèrent ces fjords célèbres qui, de Christiania au Cap
Nord, allongent leurs eaux tranquilles entre les parois s.
pic des monts qui les surplombent. Le plus long, le
Sognefjord, s'enfonce à 180 kilomètres dans l'intérieur des
terres, et sa profondeur maxima n'est pas moindre de
1 245 mètres. Les autres : Stavanger fjord, Hardanger
fjord, fjord de Trondhjem, Varanger fjord, Ofoten
fjord, Alten fjord, etc., plus ou moins ramifiés, plus ou
moins larges, offrent tous des caractères semblables: pro-
fondeur de la cuvette centrale, seuil sous-marin constitué
à 1 entrée par le dépôt d'anciennes moraines frontales,
prodigieuses falaises d'où giclent les cascades, ceintures
de rochers lisses ou de sombres forêts. Ils attirent chaque
été un nombre croissant de touristes qui vont de fjords
en fjords contempler leur beauté sévère et grandiose, et qui
dans les solitudes sauvages du Cap Nord, par 71 <>, 1 1 de
lat. N., admirent la solennelle grandeur d'un paysage
faiblement, mais continuellement éclairé par le rouge
soleil de minuit".
38
Cette côte dentelée est bordée d'une ceinture d'îles et
d îlots : le ' Skiârgaard " point culminant du socle
sous-marin qui prolonge la terre Scandinave jusqu'à la
brusque apparition des abîmes de l'Atlantique. Il y en a
de toutes les tailles et de toutes les formes, vraie pous-
sière d'îlots, d'écueils, de simples cailloux, dont le
nombre total dépasse peut-être 150000.
Les îles les plus grandes, au Nord, constituent le groupe des
Lofoten et des Vesteraalen. Elles se hérissent de monts sauvages
aux (ormes abruptes et fantastiques. D'autres, arrondies et polies
par 1 action glaciaire, dépassent à peine la surface des fiels.
Presque complètement dépourvues de végétation, même herbacée,
ces lies — au moins les plus vastes — ont cependant une popula-
tion assez dense de marins et de pêcheurs. Les fameux courants
tourbillonnaires — tel le Maelstrœm — qui naissent du jeu des
marées dans les chenaux étroits, ne son! pas un danger bien redou-
table, et, d'autre part, le Skiârgaard, en brisant les lames pous-
sées par les vents du large, protège le long chenal qui sépare
les îles du rivage continental et en fait une voie très sûre pour la
navigation.
Les côtes suédoises sont, elles aussi, fort découpées,
notamment sur le littoral de la Baltique, entre l'île
d'Oeland et le golfe de Botnie, et un cortège d'îlots les
accompagne. Mais les fjords suédois, au lieu de s'enfon-
cer entre les hautes parois d'un puissant massif monta-
gneux, dentellent un rivage aplani, où des plaines, des
collines peu élevées, couvertes de prairies et de bois, se
mirent d^ns leurs eaux limpides. On dirait un
immense parc découpé d'énormes pièces d'eau. Sous la
claire lumière d'un jour d'été cette forêt inondée laisse
la sensation de l'éternel printemps de la Walkyrie.
(Ch. Rabot.)
RIVIÈRES ET LACS. ^£1 On aurait une idée
fort incomplète de la Scandinavie et de la splendeur de
ses paysciges si l'on n'ajoutait aux fjords, aux rochers
sauvages, aux glaciers, aux montagnes désolées qui la
couvrent en partie, les innombrables facettes du miroir
de ses lacs, l'écume de ses cascades, la chanson de ses
torrents. Les lacs se trouvent partout. Ils remplissent
toutes les cavités, s'allongent dans chaque vallée, s accu-
mulent derrière chaque rempart de moraines anciennes.
Les plus grands : lacs Vener (6 000 kilomètres carrés),
Wetter, HjalmaretMàlar,dan$les plaines de la Suède cen-
trale, forment une voie d'eau presque continue entre le
Kattégat et la Baltique. Ceux du Norrland Suédois et
de la Norvège s'étagent les uns au-dessous des autres sur
les gradins des monts, dorment au cœur des cavités que
dominent les escarpements dénudés des hautes terres,
ou reflètent dans leurs eaux transparentes les grands
sapins, les bouleaux au grêle feuillsige des forêts sans
lin.
Pas de grands fleuves : les plus longs, le Glommen
en Norvège qui traverse le lac Micesen, le Dal elf, le Ume
LA NORVEGE ET LA SUEDE
elf, le Lule elf, leTomelf enSuède ne dépassent guère
300 kilomètres. Mais partout des rivières qui, à brève
dislance les unes des autres, dégringolent sur les pentes.
Oes s'apaisent tout à coup en arrivant aux nappes la-
custres qui les absorbent au passcige : mais elles s'en
échappent vite, et, de gradins en gradins, dévalent vers
la plaine, franchissant chaque marche de ce gigan-
tesque escalier par des chutes grandioses, des rapides,
des catciractes, inépuisables réservoirs de force motrice
et merveilleux speciacles offerts par la nature dans le
cadre silencieux des bois.
LE CLIMAT. 0 0 l^e climat de la Scandinavie
diffère grandement suivant que l'on envisage le littoral
occidental ou les régions de l'intérieur :
Statio
Uti-
tude.
AIU-
tudeen
mitres.
Tempéntuns moyennes
Ann<e. Janvier Juillet.
Pluies
en centimètres
Côtts ocàdenlala.
Bergen 1 60°23 1 17 1 7 |-0°9| UM
Trocdhiera 63°26 II 4°7 -2°9 U°0
TroBisoé ! 69»39 I 15 I 2°4 |-3"9 | ll°0
Renions oriaitalfi.
Oiriitisnia 1 59°55
Uwal. 59°52
Côleborg 57°42
S:o<ihJm I 59°2I
Filun 60°}â
Haparan,). ' 65°50
Karesuando i 68*^26
25
5»5
24
4°
8
7»l
44
5»3
116
3'=9
9
a-z
330
3°0
-4°5
-4'>7
- 1»
-3-4
-6°2
-\V7
17°
16-1
16°7
I6»4
16»3
I4°9
I2»l
186
145
104
58
45
76
44
42
40
35
Les côtes norvégiennes, baignées par le Gulf-Stream
et les vents tièdes du Sud-Ouest, ont le climat océanique
typique caractérisé par des hivers relativement très doux,
même à très haute latitude, des étés peu chauds, de
faibles écarts de température, des pluies abondantes
tombant en un très grand nombre de jours et surtout en
hiver, un ciel presque constamment couvert, des vents
violents, de fréquentes tempêtes. Même au Cap Nord
la mer ne gèle jamais et la clémence relative de la tem-
pérature apparaît d'autant plus frappante si l'on consi-
dère les autres régions du monde sises à semblable dis-
tance du pôle : Groenland, îles américaines du Nord
couvertes d'un éternel linceul de glace.
Mais ce type de climat est limité au SIciàrgaeu'd et à la
région des fjords. Dès que l'on s'élève sur les hautes
terres, la température moyenne décroît si vite que la
limite inférieure des neiges éternelles se rencontre
à I 500 mètres dans le Sud et 800 mètres dans le Nord.
De même les terrasses et les plaines de l'intérieur, qui
ne subissent plus l'inHuence des vents ou des courants
marins, ont un climat continental très net, caractérisé
par des hivers froids et longs (125 jours de gelée dans
la Suède centrale), des étés relativement chauds, de
grands écarts de température, des précipitations atmo-
sphériques peu abondantes et tombant surtout pendant
les mois d'été. A Falun, par exemple, sous la même
latitude que Bergen, la moyenne de janvier est de — 6", 2
au lieu de 0\ 9 ; celle de juillet est de 16", 3 au lieu de
14°, 4, et les pluies ou les neiges annuelles ne donnent
que 44 centimètres d'eau alors que Bergen en re(;oit 186.
Si les côtes norvégiennes sont toujours libres de glaces
même au Cap Nord, le golfe de Bo'.nie, les détroits
danois sont parfois entièrement gelés, et des armées
ont pu passer à pied sec de la Finlande à Stockholm ou
de la Scanie au Jutland.
Il faut enfin tenir compte, naturellement, de l'exten-
sion en latitude qui vaut aux régions méridionales de la
Suède un climat analogue à celui du Danemark et de
l'Allemagne du Nord, tandis que le Norrland et la
Laponie connaissent les froids intenses, les hivers inter-
minables de la Russie septentrionale ou du haut Canac^a
(comparez le climat de Goteborg avec le climat d'Hapa-
randa et de Karesuando).
LA VÉGÉTATION. 00 Trois domaines végé-
taux se partagent la péninsule Scandinave : la toundra,
la foré;, la zone des pâturages et des cultures.
La toundra occupe l'extrême Nord de la Laponie.
Ses mousses, ses lichens que broutent les rennes, se
mêlent de bouleaux nains et de pins rabougris. On peut
lui adjoindre toute la zone des hautes terres sises au-
dessus de la limite supérieure des arbres (de 450 à
800 mètres suivant la latitude), c'est-à-dire la majeure
partie des fj'clde de Norvège et des monts Kiôlcn.
La forêt couvre à peu près la moitié de la superficie
toteJe de la Suède et toutes les régions de Norvège où
l'arbre peut vivre. Dans le Sud, quelques essences à
feuilles caduques : hêtres, chênes, érables, charmes, appa-
raissent çà et là, mais ce sont des exceptions. Les coni-
fères : pins et sapins mêlés de bauleaux, constituent la
presque totalité des futaies Scandinaves Ces futaies sont
parliculièrement denses dans le Norrland et la Dalécju-lie,
ou elles couvrent près de 90 pour 1 00 de la surface du
sol. C'est une portion de l'immense ceinture forestière
boréile qui, à travers la Russie, la Sibérie, l'Alaska et
le Canada, encercle toutes les terres de l'hémisphère
Nord. Forêts majestueuses, mais mornes et tristes, sans
sous-bois, toujours semblables à elles-mêmes; leurs troncs
épais s'élèvent au-dessus d'un tapis de mousses blan-
châtres. Des troupeaux d'élans, des hermines, des martres,
des renards, des ours, des loups vivent dans leurs soli-
tudes silencieuses que trouble seul le fracas lointain dune
cataracte, le long murmure d'un torrent.
Au sud du Dal elf, dans le Svealand, la Gothie, la
Norvège méridionale, la forêt, plus touffue et plus variée,
a été en partie défrichée et se coupe de larges clai-
rières occupées par les prairies et les champs. C'est une
39
L'EUROPE
zone coiiespondanl à la Russie centrale entre Pétrograd
et Moscou. L'orge, l'avoine, le seigle y mûrissent grâce
à la température relativement élevée des étés continen-
taux et de la longueur des jours. On trouve même des
champs de seigle jusqu'au fond du golfe de Botnie,
sous le 68" degré de lat. N., et l'orge monte plus
haut encore puisqu'elle atteint en Laponie le JO''.
Comme, à pareille latitude, le soleil demeure pendant
deux mois entiers au-dessus de l'horizon, la continuité
de la lumière permet une évolution extrêmement rapide
de la plante et l'on moissonne trois mois après avoir
semé.
Quant au froment, sa limite extrême ne dépasse pas,
en Suède, le 63" degré et il ne donne de récoltes régulières
et suffisantes que dans les provinces de l'extrême
Sud.
LES POPULATIONS DE LA PENINSULE
La Scandinavie est habitée :
I " Par des populations de races finno-ongnennes :
Lapons et Finnois apparentés aux peuples mongoliques
comme les Tatars, les Turcs, les Hongrois;
2° Par des Scandinaves, de race indo-européenne, et
qui constituent un rameau de la famille germanique.
LAPONS ET FINNOIS, e^er On compte en-
viron 19 000 Lapons en Norvège et de 7000 à 8 000 en
Suède. Us habitent les régions de l'extrême Nord :
Finmark, Laponie proprement dite, Norrland, où les
foiêts se mêlent aux tourbières et aux toundras.
Les uns, possesseurs de grands troupeaux de rennes, mènent la
vie nomade du pasteur, passant l'hiver dans les régions fores-
tières où le renne trouve aisément le lichen dont il se nourrit, et
montant l'été sur les plateaux des monts Kiolen. Les autres chassent
les animaux à fourrure, cultivent quelques champs d'orge ou de
seigle, ou se livrent à la pêche dans les lacs, les rivières et les fjords.
Pasteurs et sédentaires "habitent la ^o/a, la tente classique des peuples
ouralo-altaîques", formée de quelques perches couvertes de peaux.
Ils se nourrissent de viande et de lait de renne, de poissons»
et font un large usage du café, '* tonique excellent sous les froids
polaires **. De petite taille, mais robustes et résistants, ils ne
sont plus des primitifs, et, tout en conservant les usages transmis
par leurs ancêtres, ils ont adopté la religion luthérienne, savent
presque tous lire et écrire leur langue, et tendent à se confondre
avec les Scandinaves.
Les Finnois (6000 à 7 000 en Norvège, 20 000 en
Suède), venus de Finlande, ont émigré dans le Nord de la
Péninsule er.lre le XVl'' et le XVili* siècle. Les plus an-
ciennes colonies établies dans la vallée du Glommen et
de la Dalécarlie se sont complètement fondues dans
la masse de la population norvégienne et suédoise.
Les autres constituent, dans le Norrland elle Finmark,
des petits groupes isolés de pasteurs et de bûcherons
qui conservent leur langue et l'usage des ustensiles, des
constructions en écorces de bouleaux, ceiractéristiques
de leur race.
LES SCANDINAVES, e^er Les Scandinaves
forment la presque totalité de la population. On compte
2 400 000 Norvégiens et 5 560 000 Suédois qui appar-
tiennent à la même race, parlent des langues très voi-
40 — ^ ^
sines 1 une de l'autre, se ressemblent par nombre de
traits de caractère, mais diffèrent aussi profondément
les uns des autres, ce qui explique leur division en Etats
distincts malgré l'unité géographique du cadre où ils
vivent.
Ils constituent, avec les Anglo-Saxons, les Hollan-
dais, les Flamands et les Allemands, l'une des fractions
de la grande famille germanique. De très haute taille
(Im. 70 en moyenne en Suède, lm.72 en Norvège),
très robustes, fortement charpentés, ils ont presque tous
la peau très blanche, les cheveux très blonds, les yeux d un
bleu adouci. Le climat rude, mais salubre, de leur
patrie, diminue le taux de la mortalité de telle sorte
que la longueur de la vie humaine en Scandinavie
^dépasse cinquante ans, alors qu'en France elle est de
quarante-trois à peine. Sérieux, pondérés, ennemis de
la routine, très travailleurs, appliquant avec ponctualité
les prescriptions concernant l'hygiène publique, ils ont
su, en Suède surtout, supprimer presque radicalement
le fléau de l'alcoolisme. Nulle part, sauf au Danemark,
l'instruction n'est aussi répandue. On ne compte,
autant dire, point d'illettrés, et cela même en Norvège, où
la dispersion de la population en fermes isolées, que
sépcirent de grandes distances, obligea à créer des ins-
tituteurs itinérants " qui passent quelques semaines dans
chaque ferme, donnent les éléments de l'instruction
et laissent aux parents le soin d'achever leur œuvre.
Tous sont luthériens, et luthériens pratiquants, très atta-
chés à leur religion qui est la seule officiellement recon-
nue par l'Etat, et que tous les fonctionnaires doivent
obligatoirement adopter. Enfin les uns et les autres,
poussés à la fois par l'esprit d'aventures, le goût des
expéditions lointaines, et aussi par la pauvreté de leur
sol, n'ont jamais hési é à quitter leurs fjords et leurs
forêts pour courir le vaste monde.
C'étaient des Norvégiens, ces Vikings ou Normands, qui, au
début du Moyen Age, mirent en coupe réglée la Grande-Bretagne,
la France, l'Italie, créèrent le duché de Normandie, s'installèrent
sur les trônes d'Angleterre et de Sicile. Norvégiens encore, les hardis
navigateurs qui, entre le VII 1° et le XII* siècle, parcoururent l'Océan
Glacial, découvrirent l'Islande, le Groenland, le Spitzberg, attei-
gnirent l'Amérique quatre cents ans avant Christophe Colomb. A la
LA NORNEGE ET LA SUÈDE
1 .£> ILEib LUForÈ_\, La iôlet occifienlaUl de la ptcmutU icandmait lont oc
^gncts, mr toute leur longueur, d'une ceinture ccntinue tTUei. (filofi, tfécuals au
nomhre ée ptustcurs trùllien et dent l'ejutmUe porte le nom de Skiargaard. L'arcJûpel
dn Lo/olen, m en face du Westfjord. un peu au deià du eercle polaire arctique, ext
comprit danj cette bordure insulaire. De jancier à avril, les pécheurs de monte s't/
rendent en foule. En été, des milliers de touristes, en roule pour le Cap Nord, y vont
admirer la grandeur sauvage du paysage, le» étranges rtfiels de lumière sur la rocke
inacceuiUe et nue. CI. W. DltECStN.
41
L'EUROPE
LE LAC DE LANGELAND ET LES NÉVÉS DE JUSTEDAL. La roule qm
conduit du Sognefjord au Nordfjord par Vadheim et Nèdre contourne ou longe un
grand nombre de lats, de même origine que les fjords dont ils reproduisent la direction
générale et tes formes dentelées. Ces teaux laa aux eaux somlres qui dorment aumîtitu
des prairies et des forêts, sont le grand charme de la Norvège. L'horizon est, ici.larré
par une puissante muraille rocheuse qui, s'élevant à plus de 2000 mètres, supporte
l'immense névé de Justedal, dernier témoin de l'aniienne " inlandsis " qui recouvrît
autrefois toute la Standinavie. CI. VaLENTINE.
HAMMERFEST. La latitude de ce petit port de pêche peuplé de 3000 habitants
et situé par 78"40. à l'ejcfrême-Nord de la Norvège, en fait la ville la plus septen-
trionale du monde Le soleil ne s'y ccuche pas entre le 13 mai et le 21 juillet, mais
il ne se lève pas du IS novembre au 23 janvier. Cl. ChI'SSEAU-Flaviens.
BERGEN. Fondée au XII* siècle, l'ancienne Bjorgoin. la " ville des montagnes"
acquit une remarquable prospérité du jour où lesHanséatesy créèrent, auXV^siècle,
un de leurs comptoirs. Elle monopolisa, dés lors, les produits de la pêche sur toute la
côte occidentale de la Norvcpe. CL PhOTOGLOB.
?;:C!-'.AGE DE5 FOINS. Même en été le climat
t'cfiiv'-ir^ toujours d'une telle humidité que. pour
o.Dcr-:.' U séchage des foins, il faut disposer l'herbe
ziiT cj.j supr^orts de hois. C!. Chusseau-Flaviens.
FABRICATION DU CHARBON DE BOIS.
Point de houille en Scandinavie. Par contre, le
bois abonde et la fabrication* du charbon prend Us
proportions d'une vérilalle industrie. CI.NlLSSON.
GUDBRANDSDAL. C'est une grande et belle
vallée dont les lacs reflètent les sombres parois de
la montagne. Elle ouvre un passage commode entre
Christiania et le Nordfjord. Cl. ValENTINE,
42
LA NORVEGE ET LA SUEDE
même époque, les Suédois s'installaient sur les côtes de Finlande,
atteignaient les rives de la \'olga, fondaient la principauté de
Novgorod, descendaient le Dniepr jusqu'à la mer Noire et
se mettaient à la solde des Empereurs de Constanlinople.
Au XV'Il» siècle, aux temps héroïques de Gustave-Adolphe et de
Charles XII, les armées suédoises parcoururent victorieusement
l'Allemagne entière et firent de la Suède la première puissance
militaire de l'Europe.
On retrouve aujourd'hui encore la marque de ce
caractère aventureux dans l'abondance des grands explo-
rateurs Scandinaves :les Nansen.les Amundsen, les Nor-
denskiôld. les Sven Hedin ; on la retrouve aussi dans la
facilité avec laquelle Suédois et Norvégiens émigrent, et
pour toujours. Au XIX' siècle, 500 000 Norvégiens,
I 200 000 Suédois, — proportion formidable si l'on tient
compte de la faiblesse de la population, — sont allés se
hxer à l'étranger, aux Etats-Unis surtout, dans le Min-
nesota, rillinois, le Wisconsin.
Ils s'emploient dans les mines, les fabriques, les exploi-
tations forestières, et par leur vigueur, leur intelligence,
l'ensemble de leurs qualités morales et physiques, leur
goût aussi pour la vie libre et solitaire, si précieux dans
les pays neufs, ils constituent un des éléments les plus
" désirables " du groupe des émigrants européens.
Mais à cette communauté de race, de traditions, de
religion, d'habitudes, s'opposent fortement des différences
profondes de caractères, de conceptions sociales et poli-
tiques. Le peuple suédois, " terrien et monarchique ',
aime, comme l'Allemand, la règle, l'ordre, la discipline.
Bien qu'en Suède comme dans les autres pays européens
les idées libérales et socialistes aient fait de notables pro-
grès, " l'esprit public conserve comme une empreinte
d'ancien régime ". les nobles possesseurs de vastes
domaines, le haut clergé luthérien ont encore une influence
politique et sociale incontestée.
Le Norvégien, au contraire, " marin et démocrate "•
est passionné d'indépendance, de liberté individuelle, im-
patient du joug le plus léger de l'autorité. Alors que la
population rurale suédoise se groupe le plus ordinairement
en villages, le goût du Norvégien pour l'isolement est tel
qu'il ne connaît pas cette forme, pourtant primitive, de
1 habitat humain. Sa langue même ignore le mot : village.
Cultivateurs, éleveurs, pêcheurs, habitent des fermes
ou des maisons isolées, largement séparées les unes des
autres. Le plus souvent, dans les campagnes, il n'y a
point de centres administratifs, et les semces publics sont
disséminés dans l'étendue des communes. Dans une loca-
lité se rencontrent l'église et le presbytère, complètement
solitaires ; dans une seconde, le représentant de l'admi-
nistralion ; dans une troisième, I école, etc. " (Ch. Rabot )
El cette liberté, celle indépendance individuelles, le Nor-
végien les veut non seulement pour lui, mais pour la col-
lectivité dont il fait partie. Il ne tolérerait pas, comme le
Suédois, d'obéir au mot d'ordre d'une caste dirigeante.
Les usages gouvernementaux comptent parmi les plus
démocratiques qui soient au monde.
Du reste, si le peuple entier tient à prendre une part
immédiate et réfléchie à la confection des lois, il n'est
besoin d'aucune contrainte pour le décider à les appli-
quer strictement.
Ces différences de caractères expliquent la scission qui s'est
produite en 1905 entre la Suède et la Norvège, unies depuis 1814
en un seul Etat. C'était un " mariage de raison auquel a mis fin
un divorce par consentement mutuel ". Les deux pays ont repris
leur indépendance et forment maintenant deux royaumes consti-
tutionnels qui ont des formes gouvernementales à peu près sem-
blables, mais avec des tendances démocratiques très accusées en
Norvège, des tendances beaucoup plus conser\'alriccs en Suède.
Rappelons pour mémoire que la dynastie qui règne présentement en
Suède eut comme fondateur le général français Bernadolte.
GEOGRAPHIE POLITIQUE ET ECONOMIQUE
Le Royaume de Norvège
Les 2 400 000 habitants de la Norvège sont répartis
d'une façon très inégale. Alors que les monts Kiolen et
les Fjelde sont complètement vides d'hommes, la région
relativement basse qui entoure Christiania et la zone lit-
torale renferment la quasi-totalité de la population.
AGRICULTURE ET ÉLEVAGE. XH/H L'a-
griculture ne dispose que de 0.8 pour 100 de la super-
ficie totale. Les terres arables les plus étendues et les plus
productives se trouvent dans les pays méridionaux autour
du fjord de Christiania, le long du Glommen et du lac
.Miôsen. Ailleurs, dans le fond des fjords, dans les parties
les plus élargies des vallées, on n'aperçoit que de rares
parcelles cultivées, donnant une récolte médiocre et aléa-
toire. L'orge peut mûrir jusqu'à Tromsoë ; le froment est
à peine cultivé. C'est le seigle, l'avoine surtout et la
pomme de terre qui s'accommodent le mieux des condi-
tions climatiques : pommes de terre et bouillie d'avoine
sont les mets les plus courants du paysan norvégien.
Les prairies occupent 5 pour 100 environ du sol. Les
pluies fréquentes, les terrains imperméables leur convien-
nent et le troupeau bovin compte I 100 000 têtes, ce qui
est beaucoup étant donné le petit nombre des habitants.
Beurre, fromage et lait sont du reste consommés en
grande quantité dans le pays même. Le reste s'exporte à
l'étranger.
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE
43 -
L'EUROPE
La propriété est extrêmement morcelée ; cela lient non
seulement aux habitudes démocratiques du pays, mais
surtout à la petitesse et à la dispersion des parcelles de
terrain utilisables. De plus, le paysan est généralement
propriétaire du sol qu'il cultive. On compte 304 000 pro-
priétés pour 1 1 000 kilomètres carrés de terres arables
et de prairies, soit 3 hectares en moyenne pour chaque
panure. La ferme ou ' gaard ", construite en bois, est
confortable et propre. Peinte en couleurs vives : jaune,
blanc, rouge, elle met la seule note un peu riante sur
la palette des verts sombres et des gris monotones.
L'EXPLOITATION DES FORÊTS, si a
L'exploitation des forêts s'ajoute aux profits que le paysan
retire de l'agriculture. Les bois, coupés en hiver, sont traî-
nés sur la neige durcie jusqu'aux rives des torrents. Lors
de la fonte des neiges et de la débâcle printanière, bûches
et troncs d arbres sont charriés par le courant jusqu'aux
scieries du bas-pays et aux ports de la côte. Une partie
s emploie dans le pays même et sert notamment à cons-
truire ou répsirer la très importante flotte commerciale du
royaume. Le reste, transformé en chevrons, douves, plan-
ches, en pâte à papier, en cellulose, etc., s'expédie en
Angleterre et en France.
MINES ET INDUSTRIES. 00 Si les carrières
de granit ont quelque importanceet fournissent aux navires
un précieux freï de retour, le sous-sol est pauvre en
minerai. On exploite des mines d'argent à Kangsberg, des
mines de fer et de cuivre à Rôraas et au Sulitjelma
(valeur totale de la production : 8 500 000 couronnes
en 1913, la couronne valant, alors, I fr. 39, —
42 000 000 de couronnes en 1 9 1 7) ; mais la houille,
qui permettrait la création des industries métallurgiques,
manque totalement. Par contre, la "houille blanche"
abonde et l'énergie électrique peut êlre obtenue à très
bon compte. Aussi, depuis une quinzaine d'années
surtout, de grandes usines électro-chimiques (celles de
Rjukan, de la Svaelgfoss, de Vamma, etc.) se sont-elles
établies pour produire, notamment, des nitrates artificiels
par la fixation de l'azote atmosphérique.
Les autres établissements industriels de Norvège, oj
bien utilisent les bois des forêts (scieries, fabriques de cel-
lulose, de papier, de pâte à papier) ou bien sont en rap-
port immédiat avec les ressources nées de la mer : con-
serves de poissons, fabriques d'huile de foie de morue,
ateliers de constructions navales, etc.
LA VIE MARITIME. 00 C'est l'exploitation
de la mer, en effet, qui est l'industrie nationale des Nor-
végiens, et cela sous deux formes : pèche, trafic maritime.
La pêche se pratique sur toute la côte, depuis le Ska-
gerrack jusqu'au Cap Nord. L'abondance du poisson
dcms les fjords, les chenaux et au large du Skiargaard
a fixé un bon tiers de la population norvégienne sur les
rocs dénudés des îles et sur tous les points du littoral où
une mince bande de terre permet d'édifier les maisons
des pêcheurs et les sécheries de poisson. D'un bout à
l'autre de la Norvège occidentale on ne vit que pour la
pêche, par la pêche et les industries qui en dérivent ; et,
aux marins de profession, vient s'ajouter, dans la Sciison
particulièrement favorable, un fort contingent de Finnois,
de Lapons ou d'agriculteurs norvégiens qui abandonnent
temporairement leurs troupeaux ou leurs champs pour
s'approvisionner de poissons frais et fumés.
Dans les " villes " maritimes, comme dans les bourgades des
îles, dans les humbles maisons isolées au long des plages
rocheuses, on ne voit que barques rentrant ou sortant, lilety qui
sèchent, poissons que l'on décharge et qui s'entassent sur les quais,
étals de bois où pendent les morues éventrées. Le bétail même, au
moins dans les régions du Nord où le fourrage est très rare,
devient ichtyophage ; on le nourrit pendant trois mois par an de
têtes de morues bouillies avec un peu l'herbe. Partout une odeur
nauséabonde de poisson gâté poursuit le visiteur, s'attache à ses
vêtements, emplit l'air qu'il respire. Et la pêche ne chôme jamais,
car, si la morue qui donne les plus beaux revenus se capture sur-
tout de février à mai (côtes de Lofoten, de Romsdal et de Fin-
— 44
LA NORVEGE ET LA SUEDE
marck), le hareng et le maquereau en janvier et au cœur de l'été,
en toute Saison les sardines, les sprats, les saumons, les raies, les
congres, elc . emplissent les filcls.
Si considérable est la quantité' de poi&sons capturés
par 140000 pêcheurs, que la Norvlge. non seulement
suffit aux besoins de ses habitants grands consommateurs
de poisson sous toutes ses formes, mais peut venJre an-
nuellement pour plus de 100000000 de couronnes de
morue, d'huile, de rogue, de harengs, de sprats, etc.
Ayant acquis de très bonne heure Ihabitude de la mer,
et d une mer difficile, sur une côte pleine d'écueils, en-
vahie par les brouillards, les Norvégiens sont devenus des
marins accomplis. Aussi leur flotte commerciale a-t-elle
pris une importance telle que, avec ses 3 600 navires en
bois et en fer, jaugeant plus de I 300000 tonnes nettes,
elle se classait en 1920 au cinquième rang des grandes
flottes du monde, ne le cédant qu'à la Grande-Bretagne,
aux Etats-Unis, à la France et au Japon.
Ces navires ne se consacrent évidemment point au
transport des seules marchandises d'origine norvégienne
ou nécessaires aux Norvégiens. Le plus grand n-mbre est
affrété par les pays étrangers : France. Belgique. Russie.
Amérique du Sud. C'est un capilal qui jusqu'en 1913
rapportait bon an, mal an, aux armateurs et aux marins
du royaume, un revenu net de 95 000 000 à 1 00 000 000
de couronnes.
LE COMMERCE, a a Les produits de la pèche,
les bois, un peu de minerai et de granit, les nitrates ar-
tificiels, tels sont les principaux objets exportés de Nor-
vège. Leur valeur atteignait, en 1913, 381 000 000 de
couronnes (781 000000 de couionnes en 1919). A l'im-
portation, les denrées alimentaires tiennent la tête; puis
viennent les produits manufacturés : machines, vête-
ments, textiles, elc. (352 000 000 de couronnes en 1913 ;
1580000000 de couronnes en 1919). Comme on le
voit, les achats dépassent largement les ventes. Mais
la balance se rétablit en faveur de la Norvège si l'on
tient compte des profits qu'elle retire de la location
de ses navires et des sommes considérables que laissent
chaque année les touristes. " Les Norvégiens sont par-
venus à se faire de très belles renies avec le soleil de mi-
nuit et les fjords. En trente ans ils ont su adapter leur
pays rébarbatif aux exigences des voyageurs, et sont arrivés
à concunencer la Suisse. " (Ch. Rabot.)
LES VILLES. 00 La prépondérance de la vie
maritime se marque encore par la répartition des centres
urbains. Sur 64 localités auxquelles la loi donne le titre
de ville, 57 sont placées sur le littoral et vivent de la pêche,
du commerce des bois, de l'armement.
De ces 64 agglomérations qui absorbent environ
28 pour 100 delà population totale. 6 seulement méritent
vraiment le nom de ville : Christiania avec 260000 âmes.
Bergen avec 90 000. Trondh jem 5 5 000 . Stavanger 44 000,
Drammen 25 000 et Christiansand 16000. Les autres ne
sont guère que de gros bourgs, et l'on en compte même 8
qui n'atteignent pas 1 000 habitants.
Christiania, placée au fond d'un long fjord aux bords
évasés, est le débouché naturel de la région la plus
fertile du royaume, et des vallées : Osterdal, Gud-
brandsdal, Hallindal, qui desservent les régions minières
et forestières des Pjelde ou livrent passage aux routes
menant vers la côte occidentale. C'est la capitale de la
Norvège en même temps que son plus grand entrepôt
commercial et son port le plus actif.
Autour de Christiania. 14 petits ports: Drammen,
Horten, Tonsberg, Laurvick, etc., s'échelonnent sur les
rives du Skagerrak. tandis que, à l'intérieur, Kongsvingc,
Kongsberg (6000 habitants), Gjovik, Hamar. Lillchamer,
etc., sont les centres agricoles de la région des lacs.
Par Christiansand, à l'extrême Sud, et Stavanger on
gagne la grande région maritime des fjords et du Skiar-
gaard. Sur une côte âpre et nue. bordée de hautes
murailles rocheuse.», s'échelonnent des ports de pêche
que l'énorme rempart des Fjelde isole de l'intérieur.
Bergen en est le plus important. Elle fut. au Moyen Age,
l'un des grands centres d'échange de la ligue Hanséa-
tique ; aujourd'hui ses 90 000 habitants en font la seconde
des villes norvégiennes. Une voie ferrée et deux routes
carrossables fort pittoresques l'unissent à Chri.-tiania en
franchissant les solitudes sauvages des Hauts Plateaux.
Aalesund et Christiansund, placées sur des iles du Skiar-
gaard, nous conduisent à Trondhjem. La ville est placée
sur les rives d un fjord largement ramifié, bordé — chose
rare — de tenes fertiles propres à la culture et a l'élevage.
De plus, ce fjord correspond à la dépression du Jàmtland,
qui, entre les hauteurs continues des Pjelde et les monts
Kiolen, constitue le seul passage naturel et facile menant
des rivages de l'Atlantique à l'intérieur de la Scandinavie.
A ces circonstances Trondhjem dut son importance d'au-
trefois, attestée par sa charmante cathédrale ogivale du
xiif siècle, par son titre d'ancienne capitale du royaume,
— et son rôle économique d'aujourd'hui. Reliée par
voie ferrée non seulement avec Christiania mais avec
Stockholm, elle dessert une partie de la Suède centrale et
sa population atteint 53C00 habitants.
Au Nord de Trondhjem. dans les départements du
Norrland. de Tromsôe, et dans la Finlande, si les bour-
gades de pêcheurs sont encore assez nombreuses, les villes
disparaissent. Les agglomérations les plus importantes
sont les ports de Tromsoë (7 000 habitants), Narvik
(5000 habitants), ville de bois créée en 1902 pour
servir de débouché à la voie ferrée qui traverse la La-
ponie et dessert les riches gisements de fer de la Suède
septentrionale, puis Bodoë, Vaidoë et Hammerfe?!, la
ville la plus septentrionale du monde.
45
L'EUROPE
Le Royaume de Suède
Bien que les côtes du Royaume de Suède atteignent,
avec leurs multiples indentations, plus de 8000 kilo-
mètres, et que la flotte marchande, avec ses 2900 navires
jaugeant un million de tonnes, se classe au sixième rang
des flottes européennes, le pays tire de la mer des res-
sources infiniment moindres que sa voisine norve'gienne.
La valeur totale des produits de la pêclie (saumons,
harengs, maquereaux du Skagerrak et de la Baltique),
ne dépasse pas annuellement 280 000 000 de couronnes.
Par contre, l'agriculture et l'élevage, l'exploitation
des bois, les mines et l'industrie ont, en Suède, une
tout autre importance qu'en Norvège, grâce, soit à
l'étendue beaucoup plus considérable des terres produc-
tives et des forêts, soit à la richesse du sous-sol, soit à
la facilité plus grande des communications intérieures.
AGRICULTURE. ÉLEVAGE, FORÊTS.
a a La. Suéde dispose de plus de 50000 kilomètres
carrés de terres arables et de prairies, soit le neuvième de
la superficie totale, et 48 pour 100 de la population
s'occupe d'agriculture et d'élevage. Les terrains les plus
fertiles se trouvent à l'extrême Sud du pays, dans la pro-
vince de Scanie. Puis vient la dépression lacustre de la
Suède centrale, où des dépôts d'alluvions marines récentes
et quelques lambeaux de calcaires secondaires donnent
un sol beaucoup plus productif que les sables morainiques
ou les granits décomposés. Au nord du Dal elf, les cul-
tures deviennent rares, par suite de la rigueur du climat
et du petit nombre des habitants ; la forêt, mêlée de tour-
bières, couvre la presque totalité du sol.
Le froment (5 pour 100 des terres cultivées) ne mû-
rit régulièrement que dans la Scanie. L'orge, très résis-
tante, est la culture principale du Norrland(12 pour 100).
Le seigle (24 pour 100) et l'avoine (48 pour 100) se
récoltent principalement dans la Suède centrale. Le pain
national du pays est une mince galette de seigle, le
knackebrod ", et le paysan suédois consomme autant de
bouillie d'avoine que le Norvégien. Enfin la pomme de
terre se cultive un peu partout, car chaque Suédois en
absorbe, en moyenne, 200 kilogrammes par an. La bette-
rave à sucre a pris de l'extension en Scanie.
L'élevage trouve en Suède des conditions plus favo-
rables encore qu'en Norvège, et le troupeau bovin est si
nombreux que l'on compte, en certains districts du Sud,
1 40 bêtes à cornes par 1 00 habitants. La moyenne est
de 50 animaux pour 1 00 habitants. Aussi la Suède peut
exporter une partie de son bétail vers l'Allemagne et
l'Angleterre. De plus, des laiteries coopératives se sont
créées, à l'exemple du Danemark, et des quantités consi-
dérables de beurre se vendent à l'étranger.
L exploitation des forêts constitue, après l'agriculture
et 1 élevage, la principale ressource de la Suéde. Comme
en Norvège, les arbres coupés en hiver sont jetés au
printemps dans les torrents qui les charrient jusqu'aux
scieries et aux ports de la côte. En 191 3, l'exportation du
bois sous toutes ses formes rapporta au royaume plus
de 360 000 000 de couronnes (83 1 000000 de couronnes
en 1919). Nul pays au monde n'atteint un pareil chiffre.
MINES ET INDUSTRIES, aa LaSuèdepos-
sède de très riches gisements de fer. Les plus ancienne-
ment exploités se trouvent dans la région des grands lacs :
Dannemora, Cerebo, Groengesberg. Mais ce sont les
mines de Laponie : à Gellivara, Kirunavara, qui donnent
de beaucoup le minerai le plus abondant et le plus ap-
précié. Malheureusement, la houille manque. Les char-
bonnages de Scanie ne fournissent annuellement que
430000 tonnes de combustible de mauvaise qualité.
Autrefois, quand le minerai se traitait au charbon
de bois, les fers de Suède avaient une réputation euro-
péenne. Aujourd'hui la Suède, en achetant à l'étranger
la houille qui lui manque, parvient encore à produire
d'appréciables quantités de fonte, de fer et d'acier. Mais
il lui est difficile de lulter contre la concurrence des na-
tions productrices de charbon, et elle doit exporter à
l'état brut la majeure partie de ses minerais (production
totale : 6 000 000 à 7 000 000 de tonnes).
Les mines de cuivre de Falun, exploitées depuis le
Xin siècle, sont aujourd'hui fort appauvries. Les autres
industries extractives : or, argent, plomb, zinc, ne valent
pas d'être mentionnées.
Dans le groupe des industries proprement dites, celles
qui travaillent le bois : scieries, papeteries, fabriques de
pâte à papier, etc., tiennent de beaucoup la première
place (valeur de leur production : 900 000 000 de cou-
ronnes en 1918). 11 faut y ajouter les filatures et tissages
de laine, de lin, de coton (à Norrkôping, Boras, etc.), les
aciéries, coutelleries, fabriques de machines (à Oerebro,
Eskiltuna, Malmoë, Goteborg, etc.), les fabriques
d'allumettes (lônkôping), les industries électriques et
électro-chimiques enfin, que favorisent l'abondance, le
bon marché de la " houille blanche " et qui ont devant
elles un avenir plein de promesses.
LE COMMERCE ET LES VOIES DE COM-
MUNICATION. 0tJ Le commerce intérieur de la
Suède dispose d'un ensemble de voies de communications
très supérieur à celui de la Norvège. La longueur totale
des voies ferrées dépasse 1 4 000 kilomètres.
Les régions méridionales sont nalurellemenl les mieux desservies : la
46
LA NORXEGE ET LA SUEDE
FJAERLASD ET LE GOLFE DE MLNDAL DANS LE SOGNEf ,
Type de ce^ golfa étroils rœmfiés. aux eaux profondes, qui portent le nom de i .
et çiâ Jenicllait toute la côte ocd^aitaJe de la PàtinsiJe Scandmavt. ils doityen! init
naàaanct et les partiailaritis de leur ttruetare aa doaUe traoa^ des torrents et des
lueji qin les emplirent autrefois. De hatdes muratUes de roches verdoyantes ou
■.cnudèes uiTplombent leun eaux calmes, et, des névés ffui eoucrent les parties les plus
élevées. jailUssent des cascades. L'ensemble compose des paysofes d'une beauté jrfon-
diose, mais levère, et toute pleine de trtélancolie. Q. Photociob.
47 —
L'EUROPE
j f 1
«
^TêiH'.uiâ
&
' /" V' - ■*■ T' " *"
UNE FERME SUEDOISE est comtTuite.
dans leCentre et le Nord, en bois de sapin di
couleur sombre, mais que relève la teinte
blanche des fenêlres.O.CHVSSlAV -F LKvnss.
STOCKHOLM. Située entre l'extrémité orientale du lac Mdlar et
uns baie de la Baltique, bâtie sur deux presqu'îles et plusieurs Ues
couvertes de riantes villas, Stcckftolm offre, de quelque côté qu'on
icbserve, un ravissarit aspeit. Cl. LiN'DAHLS.
ÉGLISE DE HATTERDAL. InUrnsmi
Spécimen d un type de construction anté-
rieur à la Réforme, que l'on trouve dans
toute la Scar>dinavie. Cl. VaientINF.
GROUPE DE PAYSANNES EN DALÉCARLiE. La province de Dalécarlie.
au Nord-Ouest de Stockholm, peut être considérée comme le cœur de laSuèds. Traversée
par les deux branches du Dal Elf, couverte d'unmélange de plaines aux belles prairies
et de collines boisées, embellie par des cascades, des lacs nombreux, elle offre en raccourci
tous les aspects caractéristiques des paysages suédcis. Ses habitants, renommés pour leur
esprit d'indépendance et leur bravoure, passent pour représenter le type le plus pur des
Svear 'ou Suédois. Leurs femmes demeurent encore, en général, fidèles aux costumes
du temps passé.
.*Ê'*Î^^
..^^tëSÈ^
\'ERMEDALSFOS. Sur les monts
en gradins croissent d'épaisses forêts
de conifères que strie U ruban des
eaux torrentielles. CL Valentine.
VISBY : ENCEINTE FORTIFIÉE. Capitale de l'île de Cotland. Visly
s affilia à la Ligue hanséatique et fut, jusqu'au XV^ siècle le principal
entrepôt (commercial) de la Baltique. Elle conserve de ce glorieux passé un
puissant rempart et de fort curieuses églises à demi ruinées.
TROLLHATTAN. La plus célèbre
des puissantes chutes d'eau que la Suède
peut utiliser pour la production de la
houille blanche. CI.ChVSSEAU -F LA\ILKS.
48
LA NORVEGE ET LA SUEDE
densité du réseiu (erré y alteint 19 kilomètres par 100 kilomètres
carrés, proportion plus élevée que celle de l'Allemagne. Des bacs à
vapeur ou (erry-boats, parlant d'Helsingborg, de Malmoê et de
Trellaborg, transportent directement les trains jusqu'aux ports
danois de Copenhague et d'Elseneur et jusqu'à l'ile allemande de
Riigen, permettant ainsi aux voyageurs de se rendre sans changer
de wagon à Hambourg ou à Berlin.
La région centrale également bien desser\'ie communique direc-
tement avec Christiania et Trondhjem. De plus, le canal de Gothic
unit Gôleborg à Stockholm par les lacs Vener et Weller.
Au nord du Dal Elf, une seule voie ferrée court à travers le
Norriand, parallèlement à la côte, jusqu'au fond du golfe de
Botnie où elle s'unit au réseau de Finlande. EnBn le Trans-
lapon, audacieusement jeté- par-dessus les monts Kiolen, dessert
les riches gisements de fer de Kirunavara et de Gellivara dont les
minerais s'exportent, soit par Lulea sur la Baltique, soit par Nar-
vik sur la côte norvégienne de l'Atlantique.
Le commerce extérieur atteignait, en 1913,1e total de
1 665 000000 de couronnes. Il s'est élevé en 1 920 jusqu'à
5 70 1 000000 de couronnes. La Suède vend surt .ut du
bois sous toutes ses formes : bois brut, pâte à papier, pa-
pier, etc. (831 000000 de couronnes), des minerais et
métaux (353 000000), des animaux vivants, du beurre et
du fromage (66000000). Elle achète des denrées
alimentaires : céréales, café, sucre, de la houille, des
matières premières pour ses industries textiles, et des
objets fabriqués. L'importance de sa flotte commerciale
lui permet de louer, comme la Norvège, une partie de
ses navires aux armateurs étrangers. Le profit qu'elle
retire de ces affrètements, les sommes d'argent envoyées
par ses émigrants comblent le déficit produit par l'excédent
de sesachats, 3395000000 de couronnes, sur le chiffre de
ses ventes, 2306000000 de couronnes. De plus, la Suède
a su, comme la Norvège, attirer chez elle les touristes qui
commencent d'être pour le pays une source de profits.
RÉPARTITION DE LA POPULATION.
LES VILLES. ^^ La Suède est peuplée de
5 560 000 habitants, soit 1 3 au kilomètre carré. L'accrois-
sement de la population est lent, malgré la faible morta-
lité. Le taux de la natalité, en effet (24,7 pour I 000 ha-
bitants), ne dépasse la moyenne française ( 1 9 pour 1 000)
que de quelques unités, et l'émigration, du reste en dé-
croissance, enlève chaque année au pays 20 000 à 25 000
de ses enfants (40000 en moyenne vers 1890).
La Suède possède 97 agglomérations qualifiées léga-
lement du titre de " ville ". Mais 7 seulement ren-
ferment plus de 30000 habitants, et la plupart des autres
ne sont que des bourgades. La grande majorité de la
population habite des villages et la dispersion en fermes
isolées est beaucoup plus rare qu'en Norvège. Les
maisons, construites en buis dans les pays forestiers du
Norrlémd et du Svealand, sont peintes en rouge avec des
ouvertures blanches. Dans le Sud, prévaut l'usage de la
pierre.
La répartition de la population est extrêmement iné-
gale. La Laponie suédoise, les pentes boisées des monts
Xiôlen sont presque vides d'hommes. Seule l'exploita-
tion des mines de fer amena la création de deux centres
urbains, à Gellivara (5 000 habitants) et Kirunavara
(7 000 habitants). Dans le Norriand, c'est-à-dire la
région qui s'étend au Nord du 62" latitude, l'intérieur
ne renferme que quelques bourgades, placées aux rives
des torrents, aux débouchés des lacs, et où vivent des
Lapons, des Finnois, un petit nombre de Suédois qui
s occupent surtout de l'abatagedes bois. Mais la côte. sur
une largeur de 30 à 50 kilomètres, est déjà plus peuplée.
La présence d'alluvions inarines recouvrant les dépôts
morainiques permet la culture de l'orge, du seigle, et l'éle-
vage des bêtes à cornes. De plus, tous les fleuves qui
dévalent des monts Kiôlen charrient les bois flottés.
Aussi, à chaque embouchure se loge une petite ville
où I on apprête et d'où l'on exporte les produits des forêts :
Haparanda, célèbre par son obser\'atoire, Lulea (10000
habitants), d'où partent non seulement des planches et
des madriers, mais aussi les minerais de fer de Gellivara ;
Unica (5000 habitants), Hernôsand (10000 habitants),
Sundswall { 1 7 000 habitants), etc. Ces régions du Norr-
iand, longtemps ignorées des Suédois eux-mêmes, attirent
de plus en plus leur attention. On s'est aperçu que leurs
ressources naturelles (minerai, bois, agriculture et éle-
vage), sont beaucoup plus considérables qu'on ne le
supposait, et une véritable colonisation intérieure y en-
traîne peu à peu une partie des émigrants qui se diri-
geaient autrefois vers les pays d'outre-mer.
La Suède centrale, ou région des lacs, groupe la ma-
jeure partie des habitants du royaume, grâce à la fertilité
de sjn sol (65 pour 100 de la superficie totale est mise
en cultures), à la facilité des communications par eau et
par terre, à l'exploitation des mines (fer et cuivre), à
1 abondance des chutes d'eau qui favorise l'industrie.
Stockholm (415000 habitants), la capitale du royaume,
est joliment située au débouché du lac Malar ; on l'appelle
la Venise de la Baltique ", car ses maisons, ses beaux
jardins, se dispersent sur un grand nombre d'iles et les
blanches façades de ses palais se mirent dans les eaux
calmes. Au Nord de Stockholm, la vieille et paisible cité
universitaire d'Upsal (28 000 habitants) est groupée sur
une colline que surmonte une belle cathédrale ogivale,
construite au XI 11' siècle par un architecte français. C'est
la mélropole religieuse et intellectuelle du royaume.
Falun (12000 habitants), connue par ses mines de
cuivre, a pour pjrt Galle (37 000 habitants), sur la Bal-
tique. A l'intérieur. Norrkfiping (53000 habi ants) tisse
la laine. Oerebro (35000 habitants) est au centre d'un
riche bassin métallifère; Eskisiluna (30000 habitants)
fabrique de la coutellerie et des ouiils en acier; lônkSping
(27 000 habitants), des allumettes; Boras (27000 habi-
tants), des toiles de lin et de coton.
49
L'EUROPE
Sur la côte occidentale. Gôteborg ou Gothembourg
(200 000 habitants) , est la seconde ville et le premier port
de la. Suède, en relations aisées avecl'intérieur et même la
Baltique par plusieurs voies ferrées et le canal de Gothie.
Enfin, au sud du plateau tourbeux et presque inhabité
du Smâland, la riche province de Scanie, très peuplée,
presque entièrement couverte de cultures, et qui contient
les seuls gisements houiliers du royaume, a comme débou-
ché les ports et cités industrielles de Helsingborg
(45 000 habitants), Malmoë (1 1 1 000 habitants) etTrel-
leborg (lOOOJ habitants), tandis qu'à l'intérieur, Lund
(22 000 habitants), qui possède la seconde Université du
royaume, dort dans un cadre de verdure.
LES ILES DE GOTHLAND ET OELAND. 0 0 K\i
Suède centrale se rattachent les deux îles de Gothland et d'Oeland.
Leur sol, formé de calcaires, est généralement fertile et se prêle
aussi bien à l'agriculture qu'à l'élevage. Gothland nourrit
55.000 habitants et Oeland 25.000. Gothland eut même, au
Moyen Age, une importance commerciale considérable, car elle
servait à la Hanse Germanique d'entrepôt pour les marchandises
venues de Russie. Sa petite capitale Visby conserv-e. en souvenir
de ce brillant passé, une ceinture de remparts qui est un bon spé-
cimen de l'architecture militaire du XllI® siècle.
CHAPITRE IV
LE DANEMARK
GENERALITES
Le Royaume de Danemark complète la série des
Etats Scandinaves. Il est habité par des populations de
même race, de même origme, de même caractère que
la Suède et la Norvège.
Parmi les fameux Vikings ou pirates normands qui dévaslèrent
entre le VUI^ et le X® sièc'e les côtes d'Angleterre et de France,
les gens du Jutland et des Iles Danoises rivalisaient d'ardeur
aventureuse avec leurs compatriotes des fjords norvégiens. Plus
tdrd, les rois danois devenus maîtres de toute la péninsule Scan-
dinave, des Iles Fâroër, de l'Llande, du Groenland, pouvant à
leur gré barrer les détroits (Sund, Grand et Petit Belt) qui
mènent de !a Mer du Nord à la Baltique, jouèrent un rôle pré-
pondérant dans l'Europe boréale. La Suède leur échappa la pre-
mière dès le XVl^ siècle. En 1815, pour punir le Danemark de
son attachement inébranlable à la cause de la France napo-
léonienne, le Congrès de Vienne lui enleva la Norvège. En
1864, la Prusse et l'Autriche lui arrachèrent les duchés de
Schleswig, de Holstein, de Lauenbourg que la Prusse conserva
pour elle seule après Sadowa. La construction du canal de Kiel
annula en partie, au profit exclusif de l'Allemagne, les avantages
que le Danemark relirait du trafic des Détroits. Aînsï mutilé, se
trouvant par sa position même à la merci d'une Allemagne toute-
puissante, le Danemark sut néanmoins faire preuve d'une admirable
vitalité qui se traduisit, pendant cinquante ans, par un développe-
ment économique proportionnellement supérieur à celui de tout
autre Etat européen, par un remarquable accroissement de la
population, par l'acquisition d'un bien-être matériel que pourraient
lui envier les plus riches parmi les grandes nations.
La victoire de l'Entente, à laquelle il ne put, du reste, colla-
borer, a récompensé la constance de ses efforts en lui permettant de
rentrer en possession de la partie du Schleswig habitée par des
Danois.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
LE RELIEF DU JUTLAND ET DE L'AR-
CHIPEL. J0 £} Le Danemark comprend : 1" Une
région continentale : la presqu'île du Jutland ou Jyliand
d'ancienne péninsule Cimbnque), prolongement septen-
trionej des plaines allemandes du Nord ;
2° Une région insulaire formée de 92 îles dont les
plus grandes : Alsen, Fionie, Seeland, Laaland,
Falster, Moën, etc., unissent, comme un pont naturel.
l'Europe centrale à la presqu'île Scandinave. Ces îles sont
isolées les unes des autres ou séparées du Con'.inent par
des détroits, d'origine très récente, puisque leur création
définitive est postérieure à la fusion des masses de glaces
qui, venues des hautes terres norvégiennes, recou-
vrirent le Danemark entier. Les plus importants de ces
passages sont le Petit Belt, entre le Jutland et Fionie
(650 mèlres au point le plus étroit), le Grand Belt,
entre Fionie et Seeland (large de 18 à 30 kilomètres), et
surtout le Sund, entre Seeland et la Scanie Suédoise
(45C0 mètres de large au goulet d'Elseneur). Très peu
profonds (de 10 à 50 mètres), il leur ai rive, pendant les
hivers rigoureux, d'être entièrement pris par les glaces,
grâce à la faiblesse des marées et à la petite proportion de
sel contenue dans les eaux de la Baltique.
Le Danemark est, avec la Hollande, le pays européen
dont l'altitude moyenne est la plus faible. Si le niveau
de l'Océan s'élevait dune trentaine ds mètres, la moitié
du royaume disparaîtrait sous les eaux. Le sous-sol est
formé d'assises calcaires rabotées et aplanies par les
glaciers Scandinaves, mais qui n apparaissent au jour
qu'en quelques points du littoral (falaises de 1 île de Moën,
par exemple). Partout ailleurs, en effet, les moraines,
charriées par les glaciers et laissées en place après leur
50
LE DANEMARK
fusion, ont recouvert le territoire danois d'une couche de
boues, de sables, de blocs erratiques, dont l'e'paisseur
at.eint jusqu'à! 75 mètres. Parfois, surtout dans les lies,
ces dépôts morainiques, remanies par les eaux courantes,
se sont largement e'talés en plaines uniformes. Ailleurs.
des moraines plus e'paisses, plus conside'rables, ont mieux
résisté à l'érosion. Elles apparaissent aujourd hui sous la
forme de collines arrondies, divisées en petits groupes par
les vallées fluviales, et qui constituent les seuls accidents
topographiques notables du Danemark, Le Jutland, où
ces collines sont parliculièrement nombreuses, entre
Veile et Viborg, leur doit quelque variété, et même un
certain pittoresque, qu'accentuent les petits lac» nichés
au creux des cirques, les landes de bruyères, les hètraies
qui couvrent leurs flancs.
A l'Ouest d'Horsens et d'Aarhus, le Ejerbawnehoj .
point culminant du Danemark, atteint 1 74 mètres, et le
Himmelbjerg, le mont du ciel ", 163 mètres. Dans
Fionie et Seeland, les collines les plus élevées ne
dépassent pas 1 30 mètres. Elles forment des observa-
toires naturels d'où la vue embrasse une vaste étendue
de plames mollement ondulées, où les prairies, les
champs, les bouquets d'arbres alternent comme dans les
con'rées de l'Angleterre méridionale. Pas de grands
horizons, pas de paysages grandioses, mais une
étonnante variété de sites et de points de vue, bois soli-
taires ombragés par les larges rameaux des chênes et les
branches flottantes des saules, vastes pelouses vertes et
fleuries, champs debléqu'un fermier de laBeauceenvierait,
forêts de hêtres les plus magnifiques du monde, habita-
tions agricoles avec leurs enclos d'arbres fruitiers, leurs
beaux attelages, leurs murailles de briques et leurs
fenêtres luisantes, châteaux édifiés par les nobles et les
rois, vénérables églises, monuments tumulaires des
anciens âges... el, de tous côtés, la mer. " X. Mar-
mier.)
LES RIVAGES. 00 I.-a mer, en effet, est une
partie intégrante du Danemark, Elle le pénètre de se?
baies innombrables que l'on appelle là-bas des fjords.
bien que leurs bas-fonds vaseux ne ressemblent en rien
aux puissantes déchirures des falaises norvégiennes. Ellle
influe fortement sur son climat ; elle modifie sans cesse la
forme de ses rivsiges soit en accumulant les sables des
dunes littorales, soit en rongeant sournoisement, en arra-
chant brutalement, des lambeaux de ce rempart pro-
tecteur.
C'est à l'Ouest du Jutland, face à la Mer du Nord,
que la lutte entre la terre et l'eau se poursuit avec le
plus d'âprelé. Des rangées de dunes, hautes de
30 mètres en moyenne, s'allongent de la rade d'Esbjerg
à la pointe de Skagen. Des plantations de joncs et de
pins tâchent de fixer les sables mouvants. Derrière elles.
comme sur nos côtes landaises, dorment des étangs. Sur
300 kilomètres, pas un port, pas le moindre abri. Les
navires fuient ces rivages hostiles, constamment battus
par les tempêtes et témoins de tant de naufrages. Par-
fois, l'Océan rompt le cordon des dunes littorales.
.Ainsi les îles Frisonnes ne sont que des fragments déta-
chés du Jutland. Ainsi la pointe septentrionale de la
fircsqu'ile se trouva, en 1825, transformée en île par
I irruption des eaux marines dans le dédale des étangs
intérieurs (le Lim Fjord),
.Ailleurs, au contraire, utilisant les fragments détachés
du continent, les vagues comblent les golfes, édifient des
dunes nouvelles, de longues flèches de sable qui se con-
fondent, de loin, avec les teintes arJoisées des flots.
Sur les rivages du Jutland oriental et dans les lies,
protégées par la péninsule même contre les assauts
directs des vagues, la mer se fait plus calme, plus
accueillante. Les dunes rectilignes disparaissent, avanta-
geusement remplacées par les multiples dentelures de
fjords aux rives plates où jusqu'aux racines des grands
arbres vient chuchoter la voix de l'océan. Dans cer-
taines îles, comme à Laaiand, le sol domine de si peu
le niveau de la mer que l'on a du, à l'exemple des Pa>s-
Bas hollandais, protéger par des digues les côtes méri-
dionales. Par contre, l'île de Moën dresse jusqu'à
135 mètres de hauteur de blanches falaises calcaires
striées de lits de galets, découpées en aiguilles, déchirées
par des ravins boisés, unique exception des plats rivages
danois et, par cela même, grandement célèbres.
LE CLIMAT. 00 Comme il ressort du tableau
suivant, le climat du Danemark est de type océanique
atténué :
' Swiioa»
Latitude.
jj
Pluio i
ai cenU '
mètre*.
de
rtnoie.
en
Janvier.
en
Juillet.
Sldsen
57°*»
55»23
55°41
7»4
7°5
0»8
0°l
0»l
IW
I6»3
I6°4
68
61
57
' Odense
!
L'influence de la mer et des vents d'Ouest modère la
rigueur de l'hiver, adoucit la température des étés. Sous
la même latitude que Moscou, Copenhague a des hivers
analogues à ceux de Nancy, des étés semblables à ceux
de Londres. Ce type de climat prévaut dans l'ensemble
du royaume, mais est surtout accentué sur les rivages
occidentaux du Judand. Vers l'Elst, et dans l'intérieur des
îles, l'hiver est un peu moins doux et les étés nettement
plus chauds. L'absence de hauts reliefs raréfie les préci-
pitations atmosphériques (60 centimètres de pluie en
moyenne), mjus on compte de cent cinquante à cent
5!
L'EUROPE
soixante jours pluvieux. 11 faut aussi ne pas oublier la ment à deux ans de distance un hiver très rude, qui gèle
fre'quence des brumes, la violence des vents qui courbent pendant deux mois les lacs et les détroits eux-mêmes,
uniformément vers l'Est les cimes des arbres, les irrégu- peut succéder à un hiver tiède, mais dans le courant
larités enfin d'un climat ou les influences océaniques d'une même année les oscillations de la température sont
luttent contre les influences continentales. Non seule- aussi brusques que fréquentes.
GÉOGRAPHIE ÉCONOMIQUE
ÉLEVAGE ET AGRICULTURE ma Le
Danemark se distingue fort avantageusement de sa voisine
la Péninsule Scandinave par le fait que les terrains
improductifs : sables des dunes et des collines (surtout
dans le Jutland), landes, tourbières, étangs, ne représen-
tent que 19 pour 100 de la superficie totale. Les forêts,
très réduites et morcelées en futaies de peu d'étendue,
couvrent 4 pour 100 du sol. Tout le reste, soit 77 pour
100, est acquis à la culture sous forme de champs de
céréales ou de prairies. C'est là une proportion très
élevée et qui suffirait déjà, seule, à nous faire pres-
sentir l'importance agricole du royaume.
Le Danemark est, en effet, essentiellement un pays
d'agriculture et d'élevage. La grande industrie, faute
de houille, de minerais, de chutes d'eau, est à peu près
inexistante. A peine convient-il de mentionner les fours
à ciment de Seeland, la porcelaine de Copenhague, la
fabrication de la bière et du sucre de betterave néces-
saires au pays. La pêche, même, malgré la situation
maritime du Danemark, malgré la réputation justifiée
des marins danois, n'occupe qu'un petit nombre d habi-
tants, notamment dans le Jutland, et la valeur totale des
pêcheries ne dépasse pas 50 000 000 de couronnes (la
couronne valant au pair 1 fr. 39) par an.
Le Danemark tout entier peut être qualifié d'un mot :
une ferme modèle, une ferme qui produisait, autrefois,
surtout des céréales : blé, orge, avoine, mais qui, depuis
la concurrence insoutenable des blés russes et américains,
s'est orientée vers l'élevage sous toutes ses formes et y a
merveilleusement réussi. Mettant à profit les avantages
d'un climat humide et doux, d'un sol sablonneux où les
plantes fourragères croissent avec une magnifique vigueur,
le paysan a, depuis 1882, diminué de telle sorte la sur-
face des terres ensemencées en céréales que le Danemark
achète à l'étranger la majeure partie du blé dont il a
besoin. Mais dans le même temps la production du bétail
de boucherie, des animaux de basse-cour, du beurre,
des œufs augmentait dans une étonnante propor-
tion. En juillet 1920, on comptait en Danemark
2300000 bêtes à cornes (surtout vaches laitières),
1000000 de porcs, 563 000 chevaux, 504000 mou-
tons, 15 000000 de poules, 1000000 de canards,
1 62 000 oies. En 1913, l'exportation des animaux vivants
représentait une valeur de 69000000 de couronnes, et
la vente du beurre, des œufs, du lard, de la viande de
porc et de bœuf atteignait 460 000 000 de couronnes
(29 000 000 en 1882).
Une semblable prospérité est due, pour la plus grande part, aux
qualités du paysan danois : intelligence, esprit d'initiative, téna-
cité, habileté à varier la production suivant les exigences du mar-
ché extérieur. Elle est due aussi à sa culture intellectuelle très
supérieure à celle des ruraux d'autres pays. Non seulement on ne
trouve plus, en Danemark, un seul illettré, mais la majeure partie
des enfants fréquentent les écoles primaires ou les écoles techniques
qui leur donnent une instruction théorique et pratique dont
1 esprit naturellement sérieux, pondéré, du Danois, tire le meilleur
profit. Enfin ce paysan fut le premier en Europe à comprendre les
avantages de l'association en fait de produits agricoles. Qu'il
s'agisse de la fabrication du beurre, de la récolte et de la vente
des œufs, de la préparation des viandes de boucherie, des achats
de machines, de matériel de beurrerie, d'engrais, de semences, de
la représentation à l'étranger, le cultivateur danois agit rarement
seul. Il se groupe en coopératives sagement dirigées qui suppriment
les intermédiaires, traitent directement et par grandes quantités
avec les acheteurs ou les fabricants étranger?, sont a l'affût de tout
perfectionnement utile qu'elles peuvent expérimenter sur-le-champ,
empêchent les fraudes, se portent garantes de la qualité des pro-
duits et donnent aux clients la certitude de n'acheter que des
denrées de choix. Leî chiffres cités plus haut prouvent éloquem-
ment la grandeur des résultats obtenus. Du reste, le Danemark
a fait école. La Suède et la Norvège ont leurs " fruitières
conçues sur le modèle des beurreries danoises, et même en France,
malgré l'esprit particulariste et routinier de nos paysans, on
commence — notamment dans les beurreries coopératives de la
Charente — à appliquer un système d'où dépend dans une large
mesure l'avenir agricole de notre pays.
LE COMMERCE. £}£> Le commerce total du
Danemark atteignait en 1913: 1 580000000 de cou-
ronnes, soit 780 francs environ par tête d'habitant, pro-
portion deux fois plus élevée qu'en France. Les ventes
et les achats s'équilibraient. En 1920, ce commerce s'est
élevé, d'après les statistiques anglaises, à 4563 000 000
de couronnes dont 2 974 000 000 pour les achats et
1 589 000 000 seulement pour les ventes.
Les exportations consistent à peu près uniquement en
beune, œufs, lards, viande et animaux vivants. Aux
importations, les céréales, la houille, les textiles, les
objets fabriqués en métal et en bois, les produits colo-
niaux se suivent dans cet ordre. L'Angleterre absorbait
a elle seule, en 1913, la moitié des produits danois
(410000000 de couronnes). En 1920, elle en a pris un
52
LE DANEMARK
LES LANDES DU JUTLAND. La uction onaitale de la praou'iU <fa Jut-
land. couverte d'un mélange d'argile, de marne et de tables d'origine morainique,
a tme grande fertilité naturelle et contient aux prairies non moiru qu aux champs
de céréales. L'Cuesl rappelle, au contraire, nos landes gasconnes par les plaques
d' • alios * imperrrtéaUe (sable mélangé d'oxyde de fer) qui se maintiermait encore
sur de vastes espaces et ne portent que des fourrés de bruyères ou de maigres gra-
minées. Toutefois, une partie de ces landes a été déjà amendée et transfoTmée, soit
en pâturages, soit en forêts de pins.
PÊCHEURS DE LA C01"E ORIENTALE DE BORNHOLM. L>U de Bom-
holm n'est qu'un fragment détaché de la Suède. Elle se compose, comme la presqu'ile
Scandinave, de rocftei anciennes : grès, schistes et granits. Peu fertile, en partie cou-
verte de bois, elle n'a fKU les ressources agricoles et pastorales des autres iles dartoises.
Aussi ses habitants — à l'encontre de leurs compatriotes — se livrent-ils en grand
nombre à la pêche. Ils capturent dans les eaux de la mer Baltique des harengs et des
saurrtons qu'ils transportent à SwirtemOnde d'où on le» expédie sut les îmarcftés
allemands.
53
L'EUROPE
UN VILLAGE EN FIONIE. Us Ucs danoises sont
comme une immense prairie, coupée de touquets de bois, où
un peuple de paysans-pTOpriélaires vil dispersé en nombreux
hameaux el fermes rustiques, mais propres et conJorlaUes.
COPENHAGUE ; L'ÉGLISE
SAINT-ALBAN étend l'ombre de
son haut clocher sur ia vieille citadelle
de Frederikshavn. CL W. Trydes.
CHAMBRES FRIGORIFIQUES. U Danemark doit
sa prespérilé économique au développement de l'élevage in-
teniif et aux soins que l on apporte à la préparation et à
l'expédilion de ses produits : Leurre a:ufs, viande.
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BASSIN ET DOUANE D'ESBJERG. Sur {a côte orientale du Jutland. découpée
et abritée, les ports sont nombreux. Par contre, les rivages de! Ouest sablonneux et
plats, n'ont qu'une seule rade. Esijerg, aménagée aTtificiellement pour l'expédition
des produits danois destines au marché anglais.
COPENHAGUE. La capitale danoise a grandi à partir du XII "^ siècle, dans une
situation maritime d'exceptionnelle importance, sur le détroit du Sund. Elle
commande ainsi le passage de la Mer du Nord à la Baltique. C'est une belle ville
avec de larges avenues, de nombreux parcs, des quais animés. Cl, Rudal^x.
ISL'-vNDE : LE SEYDiSFJORD. U grande île d'Islande.sise entre le Groenland
ef la Sc-^ndinavis, aux c?wà du Cer-.le polaire, est entièrement constituée de roches
tcifûniçuM aneiermcs ou récenta, dont les couches épaisses forment de vastes plateaux
i^ominù t^ el Vu par î^s cônes do, volcans. Sur les côtes du Nord el de l'Est, ces plateaux
54
tombent enpenles roides vers l'océan, et leurs rives s'indaitent de fjords analogues aux
fjords norvégiens. La seule végétation de ces l^eux désolés consiste en chétives bruyères
en mousses et lichens. La population vit uniquement sur la cote, dispersée en petits
hameaux, et se livre à la pêche de la morue. CL PlERRE PlOBB.
LE DANEMARK
peu plus du tiers (363000000 de couronnes). Le reste
va à l'Allemagne, à la Suède et à la Norvège, aux
pays russes, etc.
Le principal fournisseur du Danemai'k a toujours
été l'Allemagne qui lui donne la houille et la
majeure partie des objets fabriqués. L'Angleterre vient
en second lieu, puis la Suède, les Etats-Unis, la
France, etc.
Les rapports commerciaux avec l'étranger sont
! assurés d'abord par une flotte commerçante comprenant
3638 navires (les 4 3 à vapeur jaugeant 562000 ton-
neaux). Ce sont là des chiffres relativement très supérieurs
à ceux que nous obtenons en France. Aussi le Danemark
se charge-t-il, non seulement d assurer sous son propre
pavillon le transport de toutes ses marchandises, mais
encore, à l'exemple de la Norvège et de la Suède, peut-il
louer aux armateurs étrangers bon nombre de ses navires.
Le profit qu'il retire de ses affrètements compense
en partie l'infériorité de ses ventes comparées à ses
achals.
De plus, son réseau ferré (3 445 kilomètres) complète
avantageusement les transports par voie d'eau. De Ham-
bourg et de Berlin, des lignes directes gagnent les iles
danoises et la Suède soit par le Jutland, Fredericia et
Fionie, soit par WeimemOnde (près Rostock) et Falster.
Les trains franchissent les détroits sur des ferry-boats, et
^ l'on peut, sans transbordements ennuyeux et coûteux.
se rendre de Cologne ou de Mumch à Copenhague
Stockholm et Christiania.
GEOGRAPHIE POLITIQUE
DENSITÉ ET RÉPARTITION DE LA
POPULATION, aa D'après le recensement de
février 1 92 1 , la superficie du Danemark — y compris
le territoire du Schleswig — est de 42919 kilomètres
carrés, et sa population s élève à 3268000 habitants, ce
qui donne une densité de 76 habitants au kilomètre carré,
légèrement supérieure à celle de la France.
L'archipel renferme la majeure partie des Danois
(146 habitants au kilomètre carré dans Fionie. 90 dams
Seeland). Tout le Jutland occidental au contraire, pays
de landes et de tourbières infertiles, ne compte guère en
moyenne plus de 30 habitants au kilomètre carré.
L'accroissement décennal (12,5 pour 100) est plus
élevé qu'en Norvège et en Suède. La mortalité, en effet,
n'y est pas plus forte, grâce à la setlubnté du climat et
surtout aux habitudes d'hygiène, et le Danemark est. avec
les deux autres Etats Scandinaves, le pays d'Europe où l'on
vit le plus vieux. Mais le taux de la natalité danoise
dépasse largement celui de la grande péninsule voisine.
et l'excédent régulier des naissances sur les décès peui
permettie au royaume, non seulement d augmenter
normalement chaque année le chiffre de sa population.
mais aussi d'envoyer a l'étranger, aux Etats-Unis surtout'
8000 émigrants doués des mêmes qualités et aussi
recherchés par les patrons américains que les Norvégiens
ou les Suédois.
Comme les aulres Scandinaves, le Danois esl généralemenl de
laille élevée ; il a la peau très blanche, le» yeux bleus, le» che-
veux blonds tirant sur le roux, Lei 3/5 des gens vivent à la cam-
pagne. Ce sont de pelils propriéuires paysans, très attachés à leur
sol, relativement très instruits, ennemis de la routine, travailleurs
tenaces, mais (rancs et gais, hospitaliers, aimant leurs aises. Le»
ferme» danoises, bàlies en briques claires, souvent ombragées de
quelque» beaux arbres, ont un aspect riant et propre que ne
dément point le réel confortable des appartements intérieurs. Du
reste, l'influence des coopératives, soucieuses d'éviter les épizooties
et d'obtenir des produit» de qualité parfaite, a conduit le paysan
à prendre de ses étabics, de ses animaux, un soin aussi grand que
de sa propre maison.
LESV'ILLES. ^^ Sur 76 agglomérations qualifiée»
légalement de " villes", une seule, Copenhague, mérite le
titre de grande. 8 autres comprennent de 20000 à
60 (XX) habitants : le reste n'est que gros bourgs ou villages.
Copenhague, la capitale, compte avec ses faubourgs
55
GEOGRAPHIE UNIVERSELS.
L'EUROPE
610000 habitants, soit le 1,5 delà population totale.
Place'e dans l'île de Seeland sur le détroit du Sund qu'elle
commandait, elle dut, de bonne heure, à cette situation
une importance commerciale que la création d un port
franc a, depuis 1895, considérablement augmentée. C'est
le premier port du royaume (3 500 000 tonnes) ; c'est
aussi une cité industrielle (brasseries), un centre intellec-
tuel et artistique aux riches musées, aux nombreuses
sociétés savantes. La ville, par ailleurs assez banale, est
animée et bien vivante. Autour d'elle, une campagne
verdoj'ante, semée de bouquets de bois, de prairies, de
petits lacs, lui compose un cadre charmant où s'élèvent
châteaux et villas (tel le château de Friedrichsborg,
résidence habituelle de la famille royale).
Les autres cités noiables de Seeland sont : Elseneur
(13 000 habitants), bâtie au point le plus étroit du Sund,
en face de la ville suédoise d'Helsingborg. Son vieux
château de Kronborg, hérissé de clochetons et de tourelles,
évoque le souvenir d'Hamlet, car Shakespeare y plaça
le théâtre de son drame ; Roskilde (9600 habitants)
conserve les tombes des anciens rois de Danemark ;
Kërsôr (7 000 habitants) est un port d'embarquement
pour Fionie ou Kiel.
Odense (45 000 habitants) est la seule villeimportante de
Fionie. Au sud de Falster, Gjedser est le lieu de passage
de la ligne Copenhague-Berlin par Warnemiinde.
Sur la côte orientale du Jutland s'échelonnent, du Nord
au Sud, les ports de Frederikshavn, Aalborg (40000 ha-
bitants), à l'entrée du Limfjord, Randers, Aarhus
(70000 habitants), Horsens (25 000 habitants), Fredericia,
où les ferry-boats franchissent le Petit Belt, Haderslev
et Sonderberg ( 1 2 000 habitants), récemment acquis par
le Danemark. Sur la côte occidentale, Esbjerg ( 1 6 000 ha-
bitants), seul mouillage de ces rivages déshérités, a pris
en quelques années une considérable importance comme
point de départ des navires qui transportent en Angle-
terre le beurre, les oeufs et le lard danois.
Enfin, un peu a l'écart de l'archipel, l'île granitique
de Bornholm, relativement très peuplée, et où l'agri-
culture, l'élevage donnent d'aussi bons résultats qu'à
Fionie ou Seeland, a pour capitale la gracieuse petite
ville de Rônne.
LES ILES DANOISES DE L'ATLANTIQUE NORD
Le Danemark possédait, avant la guerre, trois petites
Antilles : Saint-Thomas, Saint- Jean et Sainte-Croix, le
Groenland, l'Islande, l'Archipel des Fàrôer. 11 a vendu aux
Etals-Unis, en 1 9 1 6, ses colonies des Antilles, et l' Islande,
en 1918, s'est fait accorder une complète autonomie. Le
Groenland, que nous étudierons dans le chapitre consacre
aux régions polaires, et Its Fàroer constituent présentement
les seules dépendances immédiates du Royaume danois.
LES ILES FÀROER. J^/H L'Archipel des
Fârôer comprend 22 îles placées à 300 kilomètres au
Nord de l'Ecosse. Formées de basaltes, elles dressent au-
dessus de l'Océan leurs puissantes et sombres falaises
qui supportent des plateaux hauts de 600 à 800 mètres.
Le Gulf-Stream les baigne de ses eaux tièdes et leur
vaut un climat exceptionnellement doux : les moyennes
de janvier (3°, 5) sont d'un degré plus élevé que celles
de Pciris, mais les étés (11° en moyenne) sont sans cha-
leur. Il y pleut 279 jours par an ! Constamment envelop-
pées de brumes, battues par des vents furieux, elles
n en sont pas moins habitées par une population très
vigoureuse, intelligente, cultivée, très attachée à ce sol
ingrat entre tous. Les Fâroyens (18000 âmes) vivent
de la pêche, de la chasse aux oiseaux de mer, de
l'élevage du mouton. Le chef-lieu est Thorshavn
(2 000 habitants).
L'ISLANDE, a/a L'Islande s'étend du 63°,30 de
latitude Nord jusqu'au Cercle Polaire sur une étendue
de 100000 kilomètres carrés environ (le sixième de la
France), à 300 kilomètres des côtes orientales du Groen-
land, à 500 kilomètres au Nord-Ouest des îles Fârôer.
Elle repose sur un socle sous-marin peu profond que
bordent au Nord et au Sud les grandes fosses de l'Océan
Boréal et de l'Atlantique, et représente, avec les Fârôer,
les Shetlands et les Orcades, les seules parties encore
émergées de l'ancien pont terrestre qui, aux époques
primaire et secondaire, unissait l'Europe a l'Amérique.
L'Islande se présente sous la forme d'un haut pla-
teau dont l'altitude varie, suivant les régions, entre 200 et
800 mètres, et que dominent çà et là des pics isolés
atteignant jusqu'à 2 000 mètres. Sur les côtes du Nord
et de l'Est, ces plateaux tombent sur l'Océan par des
falaises verticales qu'indentent des fjords analogues aux
fjords norvégiens. Au Sud, les alluvions de fleuves courts
mais puissants, nourris par les glaciers, ont comblé les
anciennes dentelures du rivage et ne cessent d'accroître
un littoral bas, indécis, fait de sables mouvants et d'ar-
giles tremblantes, inabordable aux navires.
L'île est entièrement constituée : 1 ° de roches volca-
niques anciennes : les basaltes, dont les couches épaisses
de 3 000 mètres s'épanchèrent lors de l'effondrement de
l'Atlantique Nord ; 2" de roches volcaniques récentes :
laves, tufs, cendres dues aux éruptions dont l'Islande na
point cessé d'être le théâtre.
L'île renferme en effet un nombre considérable de
56
LE DANEMARK
volcans. L'Hecla. le Katia, l'Orafa-Jokull ne sont que
les plus connues des bouches éruptives qui, soit a 1 air
libre, soit sous les glaciers, projettent, dans leurs époques
de paroxysme, de formidables masses de matières ignées,
ou, par la brusque fusion des glaces, sont la cause de
débâcles, d'inondations boueuses d'une étonnante et dan-
gereuse ampleur. I-a fréquence des tremblements de
terre, l'abondance des sources sulfureuses et des geysers
sont en rapports directs avec l'intensité du volcanisme.
L'Islande fut recouverte autrefois tout entière par
d'énormes masses de glaces analogues à " l'inlandsis
qui s'étend aujourd'hui encore sur le Groenland. Par-
tout apparaissent, sous forme de roches moutonnées et
polies, de dépôts morainiques, dœsars, etc., les traces
de cette ancienne glaciation. Malgré la disparition de
cette épaisse carapace cristalline, glaciers proprement
dits et névés couvrent encore 1/7 de l'île. Un seul
d'entre eux, le Vatna-Jôkull. s'étend sur 8000 kilomètres
carrés, superficie sensiblement égale à celle de tous les
glaciers de l'Europe réunis.
Grâce à l'influence des eaux tièdes du Gulf-Slream.
le climat est beaucoup plus doux, au moins sur les côtes,
qu'on ne pourrait l'attendre d'une terre sise aussi près
du pôle. A l'Ouest et au Sud-Ouest, l'hiver n'est pas
plus froid qu'à Hambourg ou Berlin ! Mais les étés, très
frais, sont comparables à ceux des toundras qui envi-
ronnent la Mer Blanche. De plus, les oscillations des
courants polaires et des vents ont pour conséquence
de rendre le climat très variable. Tandis que la moyenne
du mois de mars en 1846 fut de -r 4" 5 à Slykkisholm,
elle descendit à — I0"9 en 1866, soit un écart de plus
de 1 3 degrés. Le pnntemps est la saison la plus dés-
agréable de l'année. Les tempêtes se succèdent alors
avec une fréquence, une violence sans égales. L'hiver,
fort long, est rendu plus pénible par la longue durée
des nuits que par le froid. En été, " le crépuscule
rejoint l'aurore, et les neiges, éclairées par-dessus l'ho-
rizon, grâce aux reflets du ciel, resplendissent d'une
lumière écarlate : tout semble flamboyer, les mon-
tagnes, les plateaux, et la plaine elle-même ". Mais, bien
plus souvent, une brume dense pèse sur les terres et les
mers ; comme aux Fàroer, un jour clair est un accident.
Sous un pareil climat la végétation est naturellement
fort pauvre. Pas d arbres, sauf, en quelques coins des
fjords bien abrités et bien exposés, des buissons de bou-
leaux nains, des sorbiers aux troncs moussus et tordus.
Les régions basses se vêtent de landes oîi croissent des
bruyères chétives. quelques graminées, des mousses, des
lichens. Au-dessus de 400 mètres d'altitude, la roche est
entièrement nue.
Naguère, les Islandais, comme les autres peuples
hyperboréens. ne connaissaient d'autre bois que les
arbres flottés apportés par les courants du Sud. ils en trou-
vaient, du reste, en quantité suffisante pour la fabrication
de leurs meubles, la construction et le chauffage de leurs
maisons. Présentement, le combustible de leurs tourbières,
la houille anglaise, la sapin de Norvège remplacent les
bois flottés dans I économie domestique de la contrée.
C'est au ix'' siècle que l'Islande fut découverte et
colonisée par les Norvégiens. Au Xl\* siècle, le Dane-
mark en prit possession. Elle compte aujourd hui
95 000 habitants concentrés sur les côtes où ils vivent
dans de petits hameaux, des bourgades faites de maisons
très frustes construites en galets et en mo'.tes de gazon.
La capitale Rejkiavik abrite 16000 habitants. L'inté-
rieur de I île est inhabité et en partie inconnu.
La grande ressource des Islandais est la pêche de la
morue, de concert avec les marins français, anglais,
danois, norvégiens, qu'attire la richesse des bancs de la
côte orientale. Ils tirent également quelques prolits de
I élevage du mouton, du poney, et cultivent quelques
champs de pommes de terre. La vente des poissons, de
la laine, des peaux et cuirs leur permet d'acheter en
Europe les denrées alimentaires, les vêtements, les
outils, etc., dont ils ont besoin.
L'iîolement forcé de l'Islandais, les longues claustra-
tions imposées par le climat lui ont donné des caractères
très originaux. Vigoureux, robuste, vivant plus longtemps
que tout autre Européen (la durée moyenne de la vie
serait de 61 ans. contre 43 en France!), il possède une
culture générale très étendue, acquise soit à l'école, soit
par la lecture au cours des longues soirées d hiver : il
n'y a point d'ignorants en Islande. Tout le monde lit et
savoure les ' Eddas", les Sagas", ces chants nationaux
des anciens colons Scandinaves dont les recueils se
sont transmis de générations en générations. Tout le
monde parle avec une remarquable pureté une langue
qui ne s'est point altérée depuis le x* siècle. Le nombre
des journaux, des revues et des livres qui se publient
dans le pays même, indépendamment de tout ce qui
arrive de l'étranger, est relativement plus élevé qu'en
aucun autre Etat du monde. Enfin, tous les Islandais
professent un véritable culte pour la nature et un sen-
timent de la liberté extraordinairement développé.
(D'après O. Nordenskjold.)
C'est ce besoin d'indépendance qui les a portés à ne plus
se contenter des très larges concessions politiques faites en
1874 par le Danemark, et à obtenir en 1918, par un
accord amiable, leur complète autonomie. L Islande
est. depuis le l*"^ décembre 1918. un Etat souverain se
gouvernant lui-même et réglant seul sa politique étran-
gère. Toutefois, elle reconnaît comme roi le roi de
Danemark. Danois et Islandais jouissent, dans les deux
pays, de droits civiques et politiques égaux, et des
commissions mixtes doivent résoudre en commun les
questions litigieuses.
57
L EUROPE
CHAPITRE V
L'ALLEMAGNE
GENERALITES
LES ORIGINES DE L'ALLEMAGNE CON-
TEMPORAINE. J0J0 Nous nommons Allemagne
ou pays des Alamans, et les Allemands appellent
Deutschland ou pays des Teutons, une région que
d autres peuples européens désignent plus exactement
par le terme de Germanie (Germany, Germania). Ala-
mans et Teutons n'étaient, en effet, avec les Seixons.
les Francs, les Thuringlens, etc., que l'une des fractions
nombreuses dont l'ensemble constituait le groupe des
peuples germains. Etablis entre le Rhin et l'EJbe, la
Mer du Nord et les Alpes, les Germains eurent de
tout temps une tendance naturelle à déborder hors de
ces hmites. L'Empire romain les attira d'abord par ses
richesses, l'heureuse fertilité de ses terres, la séduction
du del méditerranéen, si différent du rude climat du
Nord. Amsi, cmq siècles après l'échec des Cimbres et des
Teutons se produisirent les vastes migrations de peuples
germaniques connues sous le nom de Grandes Invasions.
Mais ceux des Germeuns que l'esprit d'aventure et la
soif du pillage entraînèrent trop loin de leurs forêts
natales se perdirent dans la masse des Latins, des
Celtes, des Ibères romanisés. A peine si les noms de
Bourgogne (pays des Burgondes), de France, d'Anda-
lousie (pays des Vandales), de Lombardie, d'Angle-
terre rappellent encore leur souvenir. Ceux d'entre eux
qui se fixèrent à proximité du Rhin et du Danube con-
servèrent au contraire la pureté de leur race, leur
langue, leur civilisation particulière : telles furent les
tribus germaniques du Rhin inférieur (Flamands et
Frisons), de la basse Moselle, des Alpes Centrales et
Orientales. Au cours des siècles, certaines de ces tribus
entrèrent dans des groupes politiques distincts de la
Germanie et contribuèrent à former les nations belge,
hollandaise, suisse. Les autres, d'abord unies dans le
corps du Saint-Empire, se divisèrent au XIX» siècle en
deux Etats distincts : Empire d'Autriche, Confédération
Germanique transformée en 1871 en Empire d'Alle-
magne.
Les Allemands d'Autriche, de concert avec les
Hongrois, maintinrent sous le joug les éléments slaves.
'•-vTiauis et italiens qui composaient la masse princl-
des sujets des Habsbourgs. De leur côté, les Alle-
^ 58
mands d Allemagne n'avaient pas cessé, depuis le
\ III» siècle, de travailler à la germanisation des tribus
slaves (Vendes, Sorabes, Borusses) établies à l'Est de
I Elbe, et avaient, de ce fait, notablement accru l'éten-
due du domaine teuton en Brandebourg, Mecklem-
bourg, Poméranie, Prusse et Sllésie.
A ce groupe compact de Germains de race pure ou de
Slaves complètement germanisés, les annexions brutales
des XVIII* et XIX* siècles ajoutèrent : à l'Est, les Polo-
nais de la Posnanie, de la basse Vistule, de la Haute-
Silésie; au Nord, les Danois du Schleswig; à l'Ouest,
ies Français de Lorraine et ces Gallo-Gerftiains qui.
sous le nom d'Alsaciens, étaient si Français, sinon par
la langue, du moins par leur histoire, leur tempérament
et leur volonté.
Cela ne suffisait point encore à 1 appétit démesuré du
Teuton. Il en étîiit venu, au début du XX* siècle, à
considérer comme légitime et nécessaire l'annexion,
sous une forme ou sous une autre, de tous les territoires
qui, à un moment quelconque de l'histoire, avalent
reçu des émigrants germains ou avalent fait partie du
Saint- Empire. Le reste de la Lorraine, la Bourgogne,
même le Dauphiné et la Provence, sans compter
l'Italie du Nord, la Belgique, la Hollande, la Suisse,
devaient, dans la pensée des pangermanistes. être unis
de gré ou de force au Reich allemand.
La Grcuide Guerre a remis les choses au point. Tan-
disque s'effondrait l'Empire hétéroclite des Habsbourgs.
I Empire des HohenzoUern, privé de ses sujets alsaciens-
lorrains, danois et polonais, s'est vu réduit aux limites
que lui traça non pas la nature, mais l'ethnologie. 11 avait,
en 1914, une superficie de 540 743 kilomètres carrés
(4000 de plus que la France) et une population de
68 000000 d'habitants. Il ne couvre plus que 450 000
kilomètres carrés environ et compte 61 000000 d'habi-
tants. 11 n'en demeure pas moins, après la Russie et
la France, le plus vaste des Etats européens.
LE PEUPLE ALLEMAND. — PARTICU-
LARISME ET UNITÉ. — QUALITÉS ET
DEFAUTS. ^£f De tous les groupes ethniques
européens qui, au cours des siècles, ont fini par consti-
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. 5
L'ALLEMAGNE
tuer une grande nation, le groupe tudesque est celui
dont l'habitat correspond le moins à ce que l'on est
convenu d'appeler une re'gion naturelle.
Il n'y a point là. comme en France, en ELspiigne.
en Italie, en Angleterre, en Scandinavie, de cadre
géographique tout fait pour circonscrire une race, mar-
quer les bornes d'un Etal. Rien de commun, en effet,
entre les plaines monotones du Nord et les pays mou-
vementés du Centre et du Sud. Par la vallée du
Danube et les couloirs des Alpes, la Germanie s'incline,
au Sud-Est. vers l'Europe Centrale. .A l'Ouest et à
l'Est, vers la France, la Belgique, la Pologne, nul
accident de terrain ne fixe une limite aux peuples tu-
desques. Au centre même, le mélange de plaines sablon-
neuses dénudées et de vastes forêts coupées de maré-
cages, l'alternance de massifs boues et de larges
dépressions préparaient autant de cellules relativement
isolées où chaque clan pouvait vivre de sa vie propre.
Ce manque d'unité géographique explique, pour
une bonne part, l'histoire " des Allemagnes ". comme
on disait autrefois chez nous. Chaque fraction du ter-
ritoire germain eut. jusqu'au .XIX* siècle, ses princes ou
ses gouvernements particuliers, jouit en somme d'une
indépendance complète sous la suzerciineté purement
nominale d'un empereur, chef de l'Empire romain ger-
manique. L'unité allemande se fit, non pas comme en
France, en Espagne, en Italie, par le simple jeu des
lois naturelles et le libre consentement des peuples,
mais, suivant le mot de Bismarck, " par le fer et par le
feu ". Elle se fit au profit d'un des Etats allemands, la
Prusse, malgré la longue opposition des autres.
Toutefois, si l'.AIIemagne manquait de cohésion, si
des habitudes invétérées de particularisme la rendirent
longtemps réfractaire à la constitution d'un Ejnpire
unique, si l'on peut relever entre Allemands du Nord
et du Sud, de l'Elst et de l'Ouest, de notables différences
dans le type physique, le caractère, les mœurs, la
tournure d'esprit, les dialectes (Platf-Deutsch ou bas-
allemand du Nord. Hoch-Deutsch ou haut-allemand
du Sud), la religion même (protestante dans les plaines
septentrionales, catholique dans les vallées et les pla-
teaux méridionaux), il n'en est pas moins vrai que
d'autres éléments contre-balançaient efficacement ces
causes de division. Par la langue, par les traditions
historiques, la communauté des goûts et des aptitudes.
Prussiens. Bavarois. Saxons. Hessois. Hanovnens. etc..
sont faits pour s'entendre entre eux et former bloc contre
tout ce qui n est pas teuton. Un Brandebourgeois et un
Badois diffèrent l'un de l'autre infiniment moins qu'un
Provençal d'un Lorrain, un Breton d'un Gascon. Ils
peuvent, mutuellement, se prodiguer ces brocards, ces
plaisanteries traditionnelles qui sont d'usage entre voi-
sins. Mais il convient de n'attacher qu une bien petite
importance à ces manifestations plus ou moins spiri-
tuelles du ' Witz ". de l'humour germain. Défait,
d un bout à l'autre du Reich. ils apparaissent avec les
mêmes qualités et les mêmes défauts.
Tout le mondereconnaît leur ardeur au travail, leuréncr-
..-*.*v ' Aiutuci*
Habitante au kma . Hahilunl.l iinUinq
^ «/<-5tfd wa REPARTITION DE j,/u.m. Je zoo ^^
LA POPULATION
* fîftrA. Jr filu.i- t'e .'tu- et'*' lui liantv Kiclo
^
i^OSS
^
gie patiente, leur patriotisme, leur courage, leur sens de
la discipline, le parti qu'ils surent tirer de I esprit d asso-
ciation si caractéristique de leur race et qui s'oppose à
l'individualisme des Latins. Dans tous les domaines. l'Al-
lemand s'est taillé une large place. On sait le rôle que ses
poètes, ses philosophes, ses artistes, ses savants ont
)oué dans l'histoire delà pensée. On sait mieux encore les
prodigieux succès que lui valurent l'ingénieuse ténacité de
ses industriels, la hardiesse de ses commerçants, soutenus
dans leur oeuvre par la collaboration consciente du peuple
entier, par l'aide efficace d'un gouvernement dont les su-
jets oubliaient volontiers le despotisme en considération
des services rendus à la nation.
Par contre, on s'accorde, et depuis longtemps, à signaler
lalourdeur, labrutalitéde l'Allemand, son faux mysticisme,
son sentimentalisme bête, sa goinfrerie, son manque total de
tact et de goût, la facilité avec laquelle il passe de l'arro-
gance injuneuse à la platitude nauséabonde, sa tendance
naturelle à l'espionnage, à la délation, le peu de créance
que l'on doit avoir en ses promesses, son respect aveugle
de la force. L'Allemand, disait Georges Herwegh. aime
à servir " ; il a besoin d'un maître et d'une consigne. De
son maître il accepte tout ( ' il semble, écrivait H. Heine,
se moquant de la raideur et de la morgue prussiennes.
porter toujours en lui le bâton dont on le rossait jadis " )
et. pour faire respecter la consigne, il est prêt à tout. Sa
très réelle intelligence, obnubilée par son orgueil déme-
- 59
L'EUROPE
sure, ne le met point à l'abri des plus lourdes erreurs, lors-
qu'il s'agit pour lui de comprendre la psychologie de ses
adversaires, de mesurer leur capacité, de deviner leurs
desseins, de déterminer même quels sont, en une circon-
stance donnée, ses véritables intérêts. S'il a 1 esprit géo-
métrique, il manque " d'esprit de finesse ". Aveuglé-
ment persuadé de la supériorité de sa race et de sa Kul-
tur ", se considérant volontiers comme le peuple élu par
Dieu pour imposer sa volonté au reste du monde, il ne
voit pas ce que le simple bon sens devrait suffire à lui ré-
véler. Toutel'histoire de l'Allemagne contemporaine, celte
guerre absurde et criminelle, déclenchée au moment même
oii, par le simple jeu des lois économiques, le Reich ac-
quérait pacifiquement dans le monde entier une place hors
de pair, la façon même dont il se conduit depuis la si-
gnature de l'Armistice, la mauvaise foi dont il fait preuve,
1 obstination qu'il apporte à ne point reconnaître sa dé-
faite, ses mensonges maladroits, ses violentes protesta-
tions contre toute mesure prise à son égard, ses intrigues
grossières pour éluder l'expiation légitime et semer la
discorde entre ses vainqueurs, illustrent les conséquences
de ce défaut capital du Teuton.
Les régions naturelles de rAllemagne.
Les deux grandes régions naturelles que révèle un
simple coup d'oeil jeté sur la carte sont : au Nord la
plaine, au Sud les plateaux et les massifs montagneux.
Toutefois, pour plus de commodité, on peut diviser l'Al-
lemagne du Sud en deux zones suffisamment distinctes
que sépare approximativement le cours du Main. Nous
aurons ainsi une Allemagne centrale formée delà Hesse,
de la Thuringe, de la Saxe, et une Allemagne méridio-
nale comprenant la Bavière et le Wurtemberg. D'autre
part, les pays rhénans constituent une quatrième région
qui, participant à la fois de la montagne et de la plaine, a
cependant ses caractères propres et peut être envisagée sé-
parément. L'histoire des pays allemands confirme la réalité
de ces divisions fondées sur des données géographiques.
Les Plaines allemandes du Nord
SABLES.— MARAIS. — LIMONS. 00 De
la frontière hollandaise aux limites du nouvel Etat polo-
nais, l'Allemagne possède une partie considérable de la
grande zone de plaines qui commence en Flandre et se
termine à l'Oural. Ces plaines s'adossent, par leur bordure
méridionzde, aux massifs anciens de l'Europe centrale (Ei-
fel, Thuringe, Saxe, Bohême). Elles s'inclinent, au Sep-
tentrion, vers les faibles dépressions de la Baltique et de
la Mer du Nord. Elles furent, autrefois, recouvertes en-
tièrement par les glaciers Scandinaves qui, au moment de
leur fusion, y laissèrent les masses d'argile, de sable, de
cailloux et les blocs erratiques de leurs moraines gigantes-
ques. Ainsi s explique la topographie particulière de ces
régions déprimées.
Au Nord, où les glaciers séjournèrent plus longuement,
la nature revêt l'aspect typique des paysages morainiques :
au Mecklembourg, en Poméranie, en Prusse, les croupes
lacustres de la Baltique se composent de mamelons sa-
blonneux, dispersés sans ordre, sans orientation définie.
Des rivières incertaines zigzaguent entre leurs flancs arrondis
que vêtent des bruyères et des forêts de sapins. Des lacs
par milliers miroitent au creux des sables.
Au centre, les graviers des moraines furent étalés sur
le sol par les puissants cours d'eau de l'époque glaciaire.
Ces ancêtres de la Vistule, de l'Oder, de l'Elbe, cent
fois plus abondants qu'aujourd'hui, drainaient toute la
plaine médiane et s'unissaient entre eux pour aboutir à
la Mer du Nord par l'estuaire de l'Elbe. On voit encore.
nettement tracés sur le terrain, les talus de leurs vastes veil-
lées où se logent la Wartha, la Netze, la Havel. Ils ba-
layèrent les monticules des moraines les plus anciennes,
mais, par contre, entassèrent à leur tour soit de longues
traînées de sable, soit des dépôts épais d'argile grasse ou
de fertile limon. C'est l'alternance de ces terrains divers,
beaucoup plus que les accidents du sol, qui donne à la
plaine allemande quelque variété.
Les sables, qu'ils soient d'origine glaciaire ou fluviatile,
se distinguent par leur infertilité. Dans la ' Geest " (la
Gâtine)du Hanovre et de l'Oldenbourg, sur leslandesde
Lunebourg, entre Elbe et Weser, comme sur les plateaux
du Flàming au Sud-Ouest de Berlin, de maigres bruyères
coupées de bois de pins, de bouquets de bouleaux, s'éten-
dent à perte de vue sous le ciel triste. Les dépressions
argileuses, en retenant l'eau de pluie à la surface du sol,
donnent ces marais, ces tourbières (les Moors) qui oc-
cupent des surfaces particulièrement étendues aux
confins de la Hollande (le Burtanger Moor constitua
même une barrière infranchissable à l'abri de laquelle les
Germains de Néerlande vécurent isolés de leurs frères
orientaux et se créèrent une existence politique indépen-
dante), mais que l'on retrouve un peu partout dans les
diverses provinces prussiennes.
Seuls les limons fertiles des vcdiées se prêtèrent aisément
à la culture lorsque des travaux de drainage, poursuivis
pendant des siècles, les eurent asséchés.
Si peu productive, en effet, que soit encore la plaine
60
L'ALLEMAGNE
germanique conside'rée dans son ensemble, elle apparaît
comme une véritable conquête de 1 homme sur une nature
particulièrement ingrate. Lorsque Tacite nous décnvait la
Germanie, il notait avec une sorte d'effroi le contraste qui
existait alors entre les riants pays méditerrane'ens, pleins
de lumière et de soleil, et ces terres sauvages, vêtues de
forêts immenses, de marais impénétrables, endormies sous
la neige et la glace par la rigueur d'un hiver redoutable,
et, même en belle saison, ne reflétant dans les eaux de
leurs lacs innombrables que les pâles reflets d'un soleil
voilé de nuages. Le climat, certes, n'a point changé. Si
le centre et l'Ouest, encore soumis à l'influence — d ail-
leurs fortement atténuée — de l'Océan, ont des hivers et
des étés semblables à ceux de Nancy (Berlin 0°, 1 en
janvier, IÇ^.O en juillet), la Poméranie, la Prusse, la Si-
lésie connaissent les longues froidures des pays continen-
taux. La moyenne de janvier à Kônigsberg, pourtant aux
rives delà Baltique, n'estque de — 3°, 3, et chaque hiver,
rivières, étangs, marais se cristallisent plus ou moins com-
plètement pendant trois mois. Mais sous 1 énergique et te-
nace impulsion des moines d'abord, puis des seigneurs, des
villes libres, et plus tard des princes de la Maison de
Hohenzollem, une œuvre formidable a étéaccomplie. Les
cartes à grande échelle de l'Allemagne du Nord révèlent
fartout la trace de l'opiniâtre labeur qui défricha les fo-
rêts, draina et assécha les marais, colmata les étangs, ré-
duisit le domaine des tourbières, amenda les sables, mit
en valeur les dépôts alluviaux des vallées et ces limons par-
ticulièrement fertiles, d'origine à la fois éolienne etfluvieJe
qui, sous le nom de " Borde ", s'allongent de Hanovre à
Gërlitz. Partout le sol apparaît, comme en Néerlande, sil-
lonné de stries parallèles se recoupant avec régularité : ce
sont les canaux de drainage limitant les champs cultivés.
Frédéric II considérait le dessèchement de 1' Oder
Bruch " (vallée moyenne de l'Oder en aval de Kustrin)
comme l'une des œuvres maîtresses accomplies sous son
règne. Combien d'autres travaux de ce genre furent len-
tement menés à bien sous l'habile direction d'ingénieurs
hollandais spécialisés de longue date dans la conquête
des terres amphibies ! Certes, l'œuvre est loin d'être ache-
vée. SI rebelles se montrent en trop d'endroits le sol et
le climat que des milliers de kilomètres carrés demeurent
encore en friche, livrés aux marais, aux tourbières, aux bois
souffreteux, aux landes monotones, et que la plaine alle-
mande est, dans son ensemble, la moins peuplée, la plus
pauvre des régions germaniques. La densité moyenne
varie de moins de 23 à moins de 50 habitants au kilomètre
carré. Seules les vallées au sol plus fécond et que favorise
le trafic fluvial ont une densité supérieure mais qui dépasse
rarement 75 habitants au kilomètre carré.
Les Rivages de la Baltique et de la Mer du Nord. Les Fleuves.
La plaine se termine sur la Mer du Nord et la Bal-
tique (l'Ost See ou Mer Orientale des Allemands) par
des rivages généralement bas, sablonneux, que la nature
ne disposait point au développement d'une vie manlime
intense. A l'Ouest du Jutland, la côte prolonge et rappelle
de tous points le littoral néerlandais. Même lutte con-
tinue entre une mer sauvage, constamment battue par
les tempêtes, et la terre plate livrée sans défense aux
assauts des vagues que le vent du Nord mène à la
charge. Même cordon d'îles (îles Frisonnes, Helgoland)
rongées chaque année un peu plus par la morsure du
flot ; mêmes golfes évasés, sans profondeur, sortes de
Zuyderzée de moindre taille (golfes du Dollart, de la
Jade, larges estuaires delà Weser et de l'Elbe), mêmes
polders fertiles, appelés ici " marschen ", qu'il faut
défendre par des digues contre l'envahissement des
eaux.
Sur la Baltique, les rivages du Holstein et du
Mecklembourg sont mieux articulés. Des golfes étroits,
les " Fôhrden ", des échancrures aux contours irrégu-
liers, les " Bodden ", les entaillent profondément, et les
falaises n'y sont pas rares (les plus célèbres se dressent
sur les côtes de l'île de Rùgen). Mais à l'Est du golfe
de Steltin. que closent les îles d'Usedom et de Wollin. les
côtes poméraniennes et prussiennes s'allongent plates.
1^ /,/«.t <*- Aw * COURS D'EAU
dc^anàioco'- NAVIGABLES, ET
moùi.i, .V-^iv' VOIES FERRÉES
f
iunaur
jtrojrteU.
lotra.
ferrée^,-
^&;^^
^&k
rectilignes, uniformément bordées de dunes monotones
en arrière desquelles stagnent des lagunes. Les Haff
ou golfes en croissant de lune qui les indentenl aux
L'EUROPE
bouches de la Vistule et du Nie'men (Frisches Haff,
Kurisches Haff, presque fermés par les étroits cordons
sablonneux appelés Nehrungen) n'ont pas davantage
de ports naturels. Ce n'est pas sur les rives marines
que s'établirent les grands ' ' emporia " de 1 Allemagne
ancienne ou contemporaine. Konigsberg, Danzig (aujour-
d'hui internationalisée), Stettin, Lùbeck, Hambourg,
Brème, se développèrent à distance plus ou moins
grande de l'Océan sur les estuaires des fleuves que le
flot de marée remonte à des heures régulières et qui
(Lùbeck et Konigsberg exceptés) ouvrent vers l'intérieur
des communications aisées.
Mais là encore l'homme eut à perfectionner ce que
la nature n'avait fait qu'ébaucher. Ces fleuves, Weser,
Elbe, Oder, Vistule, et leurs affluents principaux, avaient
autrefois des rives incertaines, un cours capricieux, des
vallées trop larges où s'épandaient leurs flots de crue,
où se perdaient leurs maigres eaux d'élé. 11 a fallu les
assagir et les dompter, leur assurer, dans un lit rétréci
par des digues submersibles (les " Buhnen " ou épis),
une profondeur constamment suffisante pour les grands
chalands d'acier. L'œuvre aujourd'hui est à peu près
achevée. De Brème à Casse!, de Hambourg au cœur
de la Bohême, de Stettin à la Haute-Silésie, circulent
les navires, les marchandises, la richesse, et, dans le sens
transversal, les affluents des grands fleuves (Havel, Sprée,
Warthe, Netze), les canaux qui les unissent, complètent
un des plus utiles réseaux navigables qui soient au monde.
Les Pays et les Grandes Villes de la Plaine
Les peuples qui vivaient au temps de Gharlemagne sur ces
plaines, le long des côtes et des fleuves, se partageaient entre Ger-
mains (Saxons et Frisons) à l'Ouest de l'Elbe et Slaves à l'Est. Les
Marches militaires créées par le Grand Empereur pour protéger les
frontières orientales de son Empire (Marche des Billungs ou
Holstein, Marche du Nord ou de Brandebourg, Marches de
Lusace et de Misnie dans la Saxe d'aujourd'hui) furent le point
de départ de la germanisation des pays slaves. Elle s'étendit
d'abord entre l'Elbe et l'Oder, puis, gagnant vers l'Est, mais
avec plus de difficulté, parvint jusqu'à la limite présente de l'Etat
polonais. Au delà de la Vistule, les conquêtes des Chevaliers
Teutoniques, sécularisées au XVl® siècle et transformées en duché
héréditaire par un Hohenzollern, parvinrent même à constituer un
solide noyau allemand : le pays des Borussiens ou Prussiens,
enclavé au milieu du domaine slave. On sait quels furent les des-
tins particulièrement brillants de la Marche de Brandebourg -
Débordant hors de ses limites primitives, elle parvint sous la
direction des Hohenzollern, margraves ou marquis de Brandebourg
depuis le XIV^ siècle, puis rois de Prusse depuis 171 1 , à grouper
autour d'elle la presque totalité de la plaine allemande avant de
réaliser," en 1871, l'unité de l'Empire entier.
BRANDEBOURG. 00 Le rôle joué par le
Brîmdebourg s'explique non seulement par la valeur des
princes qui le dirigèrent du XVU* au XX* siècle, mais
aussi par des causes géographiques. Placé au centre
même de la plaine, commandeml le cours moyen de
l'Elbe et de l'Oder, traversé par la Havel et la Sprée
navigables, il est l'intermédiaire obligé entre les pays de
la Baltique et l'Europe CentraJe, entre les régions rhé-
nanes et la Slavie. Certes la " sablière " de l'Allemagne,
où les landes alternent avec les marais, est un terroir fort
ingrat. Encore aujourd'hui, si l'on exempte le groupe
formé par Berlin et sa banlieue, la densité de sa popu-
lation est fort inférieure à la moyenne de l'Allemagne, et
les voyageurs qui se rendent à la capitale n'oublient
jamais 1 aspect mélancolique, la pauvreté des campagnes
qu'il leur faut traverser jusqu'aux abords immédiats de la
cité. Mais les grandes voies commerciales y convergent
naturellement, et. à partir du jour où les peuples des
Allemagnes. prenant conscience de leur unité, se
laissèrent condmre par la Maison de Hohenzollern, la
capitale brandebourgeoise apparut comme la métropole
naturelle et nécessaire de l'Empire.
Berhn, qui n'était encore au XVU* siècle qu'une
pauvre bourgade, dut aux protestants français chassés par
la révocation de l'Edit de Nantes les premiers élé-
ments de sa grandeur. Pourtant elle resta, jusqu'au
milieu du XIX^ siècle, une ville exclusivement prussienne,
peuplée surtout de fonctionnaires, et dont le rôle était
relativement médiocre en comparaison des antiques
capitales de la vieille Allemagne : Dresde, Munich,
Francfort, etc. Depuis 1871 Berlin n'est plus seulement
une capitale prussienne, mais la capitale du Reich. De
toutes parts les hommes y affluèrent, et l'ensemble formé
aujourd'hui par la cité proprement dite et ses annexes
dépasse 3 000 000 d'habitants.
Le centre, où se croisent l'Avenue Unter den Lioden (Soas les
Tilleuls) et la Friedrichslrasse, rappelle, par son animation, ses ma-
gasins luxueux, les quartiers parisiens de l'Opéra et de la Bourse.
A rOuest, le Tiergarten fait pendant au bois de Boulogne» tandis
que les quartiers de la périphérie : CharlottCnburg, Moabit, etc.,
renferment les usines, les ateliers, la nombreuse p>opulation
ouvrière. Ville neuve, rapidement construite, Berhn n'a rien du
charme des vieilles cités allemandes. Ses maisons modernes, ses
bâtiments " colossaux ", presque toujours construits en ciment, stu-
péfient par leur mauvais goût plus qu'ils n'étonnent par leur gran-
deur. Mais un flot de vie ardente circule dans ses artères, droites,
propres, emplies d'une foule qui se porte vers la conquête de la
fortune avec la même force brutale que vers les jouissances maté-
rielles. Berlin est aujourd'hui la première cité industrielle de
l'Allemagne, spécialisée dans les produits de luxe qui, sous le
nom d'articles berlinois, s'efforcent de lutter contre 1' "article
de Paris ". Elle est aussi le plus grand centre commercial
financier, le port le plus actif. Enfin, scn Université, fondée en
1810 seulement, mais qui joua un tel rôle dans la formation de
l'unité allemande, ses musées, ses institutions scientifiques, litté-
raires, artistiques, lui assurent une primauté désormais incontestée
sur ses rivales d autrefois.
62
L'ALLEMAGNE
BEHLIN ; LA PUR i E DE BRANDEBOURG. Bcrlm «/ un^ </« plui lames capi-
tales de l'EuTOfte. Aa XV'}!'' siècle, quand elle reçut iet réfugiés protestants français,
çin douUèrent sa population et lui donnèrent lea premières manf^actures^ elle ne
eumptail que Quelques milliers J'hatritants. Encore en 181 S. elle n'en avait poâ 100.000.
Aussi n'y trouve-t-cn pas ces beaux monumctils du passe gut donnent tant de charme
à la plupart des vieilles villes allemandes. L'une des plus anciennes constructions
est cette Porte de Brandebourg, bâtie à la fin du X^^lll' siècle, entre le Tiergarten
et la famatst aoenae: Vnier den Linden. Q. Trenkler.
LA SPR££ a BERLIN. Bien que la Sprée ne soit gu une rivière assez médiocre,
efle a toujours joui un râle de première importance dans ta vie de Berlin. Elle s'unit,
en effet, à toutes les voies d'eau de la plaine allepiande.toit directement, tior le canal
Frédéric-CttiUaume, soil par l'intermédiaire de la Havet où elle se jette en aval de
Berlin. Au temps de la Hanse, la petite ville quêtait alors Berlin tus dut une certaine
activité commerciale. Aujourd'hui, approfondie et eanalisie, elle voit t>asser entre
les rives étroites un nombre de cfuil<ffuU tel ^ae Berlin est le premier port fluvial de
l'Allemagne. Cl. Sophus Williams.
63
L'EUROPE
LE PORT DE PILL/\U. 5e trouve BUT l'élroil poulet qui met le FmchiS Haffen
communicalion avec la Ballinue. Il serf d avant-porl à KonigsbeTg. capitale de la
Prusse orientale ; mais r7 cntrelienf aussi des relations directes et fort activer avec
les régions Uthuanienncs et russes Cl. TrenkLER.
LE SFPEEWALD est une ancienne forêt marécageuse, traversée par les bras
multiples de la Sprée. Aujourd'hui drainée et cultivée, elle se couvre de prairies,
de jardins maraîchers qui alimentent le marche de Berlin. Des populations slaves,
les Vendes, y conservèrent jusqu'à nous leur langue et leurs usages.
HAMBOURG. Le premier des ports allemands et l'un des premiers du monde, a
grandi sur l'estuaire de l'Elbe, à près de 100 kilomètres de ta Mer du Nord, mais
au point où convergent toutes les voies de communication fluviales ou terrestres
desservant l'Allemagne centrale. CI.Trenkler.
LE CANAL DE KIEL. Le canal qui coupe, à sa base, la presqu'île du Jutland,
unit directement la Baltique à la Mer du Nord et évite aux navires le long détour
par les détroits danois. Son importance commerciale se double d'un intérêt stratégique
que la Grande Guerre a mis en lumière. C!. TrenKLER.
ROMERBERG est la place la plus vénérable de
tTanCfCTf Dans l'antique demeure que montre la pho-
tographie, tes sept Electeurs choisissaient l'Empereur
d'Allcrr^apr?. Cl. SCHAAR ET DaHLE.
64
LUBECK fut autrefois la plus puissante
des villes hanséatiqucs. Elle conserve
d intéressants souvenirs de ce passé.
CI. Soc. nouv. de phot Berlin.
BRÈME fin
, comme
Lubeck et
Hambourg, l'un des
premiers rangs parmi les cités de la
Hanse. Son Rathaus.
ou Hôtel de V
lle.est une belle construction du Xl'^ siècle. \
a.
Soc. nouv
de phot, Berlin.
L'ALLEMAGNE -.
Potsdam, le ' " Versailles des Hohenzollern ", joliment
placé aux rives des lacs où se perdent les eaux de la
Havel ; Spandau, la forteresse qui protège les abords
delà capitale, s'unissent à ses faubourgs comme Versailles
à Paris.
En dehors de Berlin, plus de villes d'importance, sauf
Francfort-sur-Oder (69000 habitants), qui commande le
passage du fleuve. Brandebourg, première capitale de
l'Altmcurk. Prenzlau. Kottbus, Kustrin végètent médio-
crement.
OLDENBOURG, HANOVRE. MECKLEM-
BOURG, POMÉRANIE. PRUSSE, ûa il faut
sortir du Brandebourg et descendre vers la mer pour
retrouver à l'estuaire des Heuves les grandes cités com-
merçantes qui règlent la vie économique du Reich.
Certes, dans les diverses provinces qui s'échelonnent
de l'Ems au Niémen : Oldenbourg, Hanovre, Holstein.
Mecldembourg, Poméranie, Prusse (cette dernière encla-
vée dans la République Polonaise et isolée de nouveau,
comme elle le fut jadis, du reste de l'Empire), le sol est
en général moins fertile encore qu'au centre de la plaine.
Le seigle, l'avoine, la pomme de terre poussent avec
difficulté sur les petits champs conquis de haute lutte
aux dépens des lacs et des tourbières. Des forêts de pins
alternent avec les landes et les champs. Les villages, très
dispersés à travers les grands domaines des ' Junker ".
ont assez triste mine. Les seules régions productives sont
les grasses prairies des " Marschen " qui bordent les
côtes plates de la Mer du Nord et les riantes campagnes
découpées en damiers par les haies d'aubépines qui cernent
les 'fôhrden " du Schleswig-Holstein.
Mais ces " fohrden ". ces golfes étroits et bien
abrités, formaient avec les estuaires des fleuves les seuls
pomts des nvages germains qui se prêtassent à la vie
maritime. Les pêcheurs des îles donnaient aux arma-
teurs des équipages excellents. Aussi, dès le début du
Moyen Age, on vit grandir de Emden à KSnigsberg la
série des ports de la Hanse étroitement unis pour dé-
fendre leurs intérêïs, traitant de puissance à puisscmce
avec les plus grands princes, et qui parvinrent à main-
tenir dans l'Allemagne anarchique d'autrefois une réelle
prospénté économique.
Les conditions présentes du grand commerce mon-
dial réservaient à ces ports des destinées différentes. Ceux
qui ne pouvaient compter que sur le trafic maritime ont
feiit peu de progrès. C'est le cas de Flensbourg,
Schles^^^g. Wismar. Rostock (65 000 habitants), Stral-
sund. Greisswald, de Lùbeck même (116000 habi-
tants), jadis la plus riche et la plus puissante des villes
hanséatiques, aujourd'hui largement distancée par ses
rivales. Kiel seule doit son très rapide accroissement
(2 1 5 000 habitants) à son aménagement en port de
guerre et au aeusement du fameux canal qui, coupant
la péninsule cimbrique, ouvre aux navires une voie
directe entre la Mer du Nord et l'Ostsee.
Il n'en fut point de même des ports d'estuaire qui.
profitcmt à la fois du commerce de mer et du transit par
voie fluviale, desservant directement quelques-unes des
régions les plus productives et les plus peuplées de
l'Empire, se sont trouvés prêts à recueillir les fruits de
la neuve puissance allemande.
Sur la Baltique, Danzig n'est plus un port allemand.
Mais Kônigsberg (260000 habitants), bien qu'elle soit
avant tout la capitale administrative, intellectuelle et mi-
litaire de la Prusse orientale, profite de l'important
mouvement de navires qui,parlaVistule, le Niémen et la
Pregel, aboutit aux " Frisches "et " Kurisches Haffe ".
Stettin (236 (XX) habitants) n'est pas seulement le port
de Berlin : c'est aussi, par l'Oder, le débouché des
riches régions industrielles et agricoles de la Silésie.
Sur la Mer du Nord, Hambourg et Brème n'avaient
point, jusqu'en 1914, connu d'airêt dans l'histoire ma-
gnifique de leurs progrès. Sises fort loin des nvages
marins (Brème est à 80 kilomètres de l'embouchure de
la Weser et Hambourg à 100 kilomètres de celle de
l'Elbe), mais pourvues d'avant-ports (Cuxhaven, Bre-
merhaven) où s'arrêtent les géants de leurs flottes puis-
santes, unies à la Saxe, au Hanovre, à la Westphalie
par un réseau très complet de voies ferrées et fluviales,
elles occupent, comme Rotterdam, Anvers, Rouen, le
Havre ou Chang-Hai, un de ces points privilégiésoù la
nature traça d'avance la place d'un grand port. Ham-
bourg ( I 200 000 habitants avec Altona) se classait en 1 9 1 3
au premier rang des villes commerçantes de l'Europe
(2800000 de tonnes) et n'était dépassée, dans le monde,
que par New York. Brème (257 000 habitants) la
suivait de loin avec 8(XK)000 de tonnes.
L'Allemagne Centrale.
LE RELIEF. 00 La pUiine allemande s'adosse,
dans sa partie méridionale, à l'ensemble complexe de
hauteurs, séparées les unes des autres peu de larges dé-
pressions, qui prolongent en terre germanique les pla-
teaux des Ardennes. Il y eut là, aux temps primaires.
de hautes chaînes de montagnes ducs aux plissements
dits " hercyniens " et qui subirent le sort des massifs
anciens de France et d'Angleterre. Usées par une longue
érosion, disloquées par le contre-coup des plissement»
alpestres, elles se présentent sous la forme de mamelons
65
CtoCRAPHIE irNIVERSELUE.
L'EUROPE
peu élevés, généralement boisés, aux pentes douces, où
les roches primitives : gneiss, granits, schistes, s accom-
pagnent par endroits de formations volcaniques contem-
poraines de nos vieux volcans du Cantal.
Droit au-dessus de la plaine où repose Magdebourg s'érige
d'abord le massif du Harz dont le sommet chauve, le Brocken
(1141 mètres), fréquemment voilé de nuages, servait de rendez-
vous aux sorcières du Walpurgis. En lijant vers l'Ouest, voici le
Rhoen âpre et sauvage (950 mètres) et l'énorme cône basaltique
du Vogelsberg (972 mètres) que prolongent jusqu'au Main les
croupes boisées du Spessart. Puis la forêt de Thuringe (Thûrin-
ger Wald) et la forêt de Franconie (Franken Wald) s'allongent, du
Nord-Ouest au Sud-Est, à la rencontre du quadrilatère bohémien.
Au château de la Wartburg, caché sour la ramure des forêts,
les Minnesânger concouraient pour le prix du chant, et
Luther sauvé du bûcher écrivit en paix sa traduction de la Bible
en langue allemande. " La Thuringe est le pays des fables, une
vie mystérieuse plane sur la contrée tout entière ; les rochers, les
sources et les grottes, les ruines de châteaux et d'abbayes, les
vieux murs, les grands arbres isolés, les nuages, le vent même,
tout a sa légende. C'est en Thuringe que l'on entend et que l'on
voit la nuit passer les ** chasseurs sauvages " fuyant en longues
bandes mêlées aux nuées du ciel " (E. Reclus). Le couloir que
l'Elbe se creuse à travers les rochers fantastiques de la " Suisse
Saxonne '', les pentes orientales des Riesengebirge ou Monts des
Géants, n'ont pas un moindre atlrait.
Le pittoresque de ces régions mouvementées, pleines
de forêts, de ruisseaux aux vives eaux, coupées de
vallées où les prairies et les champs fertiles se mêlent
aux bouquets de hêtres, contraste de la plus heureuse
façon avec la monotonie, la tristesse des landes maréca-
geuses des pays prussiens. Le ciel même s'y fait plus
riant. La vie apparaît plus ouverte, plus facile, et le
charme de la nature ' se traduit chez les habitants par
cette espèce de gaieté et d'abandon expansif qu'exprime
le mot Gemùtlichkeil, trait, de caractère étranger à
l'Allemagne du Nord ".
CULTURES, INDUSTRIE. ROUTES. £>£)
La transition entre les sables de la plaine septentrionale
et les massifs du Centre se fait par les riches limons de
la Borde " couverts de belles cultures où les champs
de betteraves alternent avec les champs de blé. La Borde
débute aux environs de Hanovre, atteint sa plus grande
largeur dans la région de Magdebourg et se prolonge à
travers la Saxe par les fertiles alluvions de la Silésie.
Mais les ressources de l'agriculture n'auraient pas
suffi à provoquer l'afflux des hommes que l'on remarque
en de tels lieux et qui valent au Brunswick, à la Thu-
ringe, à la Saxe, à la Haute-Siiésie une densité de po-
pulation variant de 1 00 à 400 habitants au kilomètre
carré. De très bonne heure l'industrie s'établit sur les
pentes du Harz, de la forêt de Thuringe, dans les Monts
Métalliques (Erzgebirge) et les Sudètes.
On y trouvait l'argent, le plomb, le fer, le cuivre. Les vieilles
66
cités de Quedlinburg et Gozlar au pied du Harz, celles de
Schneeberg et Freiberg, en Saxe, durent à leurs mines une véri-
table célébrité. Plus lard, leur importance diminua devant la con-
currence des minerais étrangers, mais le tissage du lin et du
chanvre, l'exploitation des terres à porcelaine maintinrent une
activité qui centupla au XIX* siècle avec la mise en valeur des
houillères de Saxe et de Silésie, et le prodigieux développement
des industries textiles (coton, soie), chimiques (potasses de Stassfurt),
alimentaires (distilleries et raffineries de Magdebourg), etc.
D'autre part, les couloirs qui s'ouvrent entre les
différents massifs, et qu empruntent en sens inverse la
Kinzig qui se rend au Main, la Fulda et la Werra dont
l'union forme la Weser, l'Unslrut qui descend vers la
Saale, affluent de l'Elbe, ouvraient des communications
faciles entre les pays rhénans et l'Allemagne du Nord,
tandis que les brèches des Monts Métalliques et des
Sudètes donnaient accès aux pays danubiens. Les
marchands suivirent de bonne heure ces voies naturelles,
se rendant aux foires de Fulda, de Leipzig, de Breslau.
Plus tard, le chemin de fer s'y établit aisément.
LES VILLES. /H^ De là le pullulement des
hommes, le nombre et l'importance des villes, de vieille
illustration ou de récente renommée. A l'Ouest, Hanovre
(310 000 habitants) où se croisent les votes Paris-Berlin
et Hambourg- Francfort, et Magdebourg (280 (KX) habi-
tants), centrede l'industnesucrière, ont distancé Brunswick
(143 000 habitants). Hildesheim et Paderborn, sièges
d'évêchés créés par Charlemagne, comptèrent parmi les
centres les plus influents d'où le christianisme et la
civilisation rayonnèrent en Germanie. Elles conser-
vent, comme Halberstadt, Gozlar, Quedlinburg, bon
nombre de pittoresques témoignages de leur grandeur
passée. Gottingen, célèbre par son Université, Cassel
(162000 habitants), Marbourg jalonnent la route qui
mène de Berlin à Coblence, comme Fulda, Eisenach.
Gotha, Erfurth (129000 habitants), Weimar, Merse-
bourg. Halle (180000 habitants) s'alignent sur la
dépression thuringienne entre Francfort et Leipzig.
Dans le triangle saxon compns entre la forêt de
Thuringe et le Massif Bohémien, industrie, agriculture,
commerce s'unissent pour favoriser la concentration des
hommes. C'est un de ces carrefours naturels où con-
vergent les marchands et les armées, une des terres qui
s'enrichirent le plus tôt, mais qui, au cours de l'his-
toire de l'Europe, burent le plus de sang. Leipzig
(604 000 habitants) prit dès le Moyen Age la suprématie
qu'elle a conservée jusqu'à nous. Après Berlin et Ham-
bourg, c'est la plus importante place de commerce de
l'Allemagne (pelleteries et fourrures, librairie, etc.) et
ses foires continuent, comme par le passé, d'être fré-
quentées par des négociants de tous les pays. Dresde
(548000 habitants), d'origine slave comme Leipzig, a
moins d'activité mais plus d'élégance. Hledut sa fortune
L'ALLEMAGNE
et les magnifiques collections de ses musées à la Maison
de Wettin, qui la choisit comme capitale du duché de
Saxe, plus tard électorat, royaume enfin par la grâce de
Napoléon. Au débouché des VcJlées qui descendent des
Monts Métalliques, iéna, sur la Saale, rappelle l'anéan-
tissement des armées prussiennes en 1806. Plauen
(121 000 habitants), sur l'Elsler, Zwickau (74000 ha-
bitants) sur la Mulde. Chemnitz (303 000 habitants)
doivent leur très récente mais considérable importance
économique aux filatures et tissages de coton et de soie.
A l'Est enfin, par Bautzen sur la haute Sprée, on atteint
la série des villes industrielles de Silésie : Gôrliz
(85 000 habitants), Liegnilz (66000), Schweidnitz.
Glatz, Neiàse qui conduisent soit à Breslau (528 000 habi-
tants), l'active et puis-ante métropole de la Silésie, soit
aux districts du Haut-Oder ou la houille a fait naitre, en
territoire tchèque, allemand et polonais, les multiples
usines et fabriques de Konigshùtte (72 000 habitants).
aeiwitz(69000), Beuthen(7i 000), Ratibor, Troppau.
Dombrowa, etc.
L'Allemagne du Sud.
VALLEE DU MAIN. PLATEAUX FRAN-
CONIENS ET B.AVAROIS. a a On peut consi-
dérer la vallée du Main comme la limite entre l'Allemagne
Centrale et l'.Xllemagne du Sud. Non pas que cette
nvière " coulant d'une allure égale dans un ht régulier
ait jamais servi de frontière naturelle aux populations fixées
sur ses rives, mais Franconiens, Bavarois et Souabes
ont toujours constitué dans les .^llemagnes un groupe à
part, et les trois Etats de Bade, Wurtemberg, Bavière,
qui se constituèrent au cours des siècles entre Main, Rhin et
-Alpes, n'ont jameiis cessé de prétendre à sauvegarder, au
moins théoriquement, leur autonomie. Ce sont eux qui
luttèrent avec le plus d'énergie en 1 866 contre l'emprise
prussienne, et, même après leur défaite, ils conservèrent
dans l'Empire allemand une situation spéciale, des
tendances, non pas sépciratistes mais particularistes, qui
s'affirment présentement dans les multiples manifestations
de leurs gouvernements et de leurs peuples.
Deux plateaux inclinés du Midi au Septentrion : pla-
teau Franconien au Sud du Main, plateau Bavarois au
Sud du Danube, forment le cadre naturel de l'Allemagne
méndional^.
Le plateau Franconien s'adosse à la Rauhe Alp, ou
Jura Souabe, qui prolonge le Jura Franconien. L'un et
l'autre continuent en terre germanique les plissements
jurassiques français et suisses. La Rauhe Alp domine
immédiatement la vallée supérieure du Danube par de
hautes terrasses boisées fort pittoresques, où de nom-
breuses forteresses féodales, dont lesburgsde Hohenzollern
et de Hohenstaufen, commandaient les passages qui
mènent au Danube ou au Rhin. Il se rattache directe-
ment vers l'Ouest aux granits et aux grès de la Forèl
Noire (Schwarz Wald), exacte répétitionde nos Vosges,
auxquelles elle s unissait autrefois. Le Feldberg
(1493 mètres) est le pendant du Ballon de Guebwiller,
comme le Feldsee, le Titisee. bien d autres vasques aux
eaux noires dormant à l'ombre des sapins, rappellent par
leur origine glaciaire nos lacs vosgiens. Partout des eaux
vives, des vallées riantes ou sauvages (Hôllenthal),
d'admirables forêts que peuplent cerfs et sangliers, des
chalets épeu's au milieu des prairie;, et, quand vient le
soir, la chanson des clochettes qui tintent au cou des
vaches regagnant avec lenteur leurs enclos nocturnes.
Le Jura Franconien est moins élevé et de pénétration
plus aisée que la Rauhe Alp. Les vallées de la
Womitz, de l'Altmùhl, du Naab conduisent sans effort
du Danube au Main et mê.ne à la Bohême du Nord-
Ouest par les passes du Fichtelgebirge. De là l'impor-
tance ancienne et présente des routes qui, venant de
Wurtzbourg, de Nuremberg. d'Eger, convergent vers
Ratisbonne. On a même pu sans difficulté unir le réseau
navigable du Danube à celui du Main-Rhin par le canal
Louis (de la Pegnitz à l'Altmùhl).
Le plateau Franconien est généralement suffisamment
fertile et bien cultivé. Les champs de céréales alternent
avec les prauies, les jardins pleins d'arbres à fruits ; la
vigne, même, apparaît sur les pentes ensoleillées du
Neckar. C est une des régions allemandes où la popu-
lation est le plus fortement attachée au sol et résiste à
l'attraction des grandes villes industrielles.
Les plateaux méridionaux (plateau Souabe et plateau
Bavarois) remplissent le triangle délimité par le cours du
Danube et les Alpes. Les glaciers qui dévalaient autre-
fois des meissifs alpestres les recouvrirent, au moment de
leur fusion, d'une nappe épaisse de débris morainiques
et 1 on y retrouve les traits les plus caractéristiques de
cette topographie glaciaire dont les pays baltiques nous
donnent tant d'exemples : sol caillouteux, marécageux,
peu fertile, dont les mamelons portent des forêts et des
landes tandis que les dépressions s'emplissent d'eaux
stagnantes. A la base des montagnes, de beaux lacs
(Kônigsee, Chiemsee, Wùrmsee etc.) donnent quelque
pittoresque a ces régions par ailleurs fort monotones,
froides, tristes et maigrement peuplées. Le Lech, l'iscur,
rinny coulentdansdesvalléeslargesbordéesdemarais. Le
Danube lui-même, avant d'être rectifié, se divisait en
bras nombreux, errant irrésolus au milieu des roseaux.
LE WURTEMBERG, a iS Jusqu'au début du XIX» siècle.
l'Allemagne du Sud demeura morcelée ëo un très grand nombre
d' Etats indépendants : vastes domaines ecclésiastiques relevant des
67
L'EUROPE
évêques et abbés de Mayence, Wiirtzbouig, Bamberg. Fulda, Spire,
Ratisbonnne, Augsbourg, etc., seigneuries, principautés, margraviats,
dnchés de Hohenlohe, Ansbach, Fûrsiemberg, Bade, Wurtem-
berg, Bavière, etc. Le " Recez " de 1 803 et la politique napoléo-
nienne mirent fin à cet état de choses en sécularisant et "médiatisant"
les petitsdomainesauprofitdes trois maisons de Bade, Bavière et Wur-
temberg, pourvues par surcroît du titre royal ou grand-ducal. Rois et
grands-ducs ont perdu leurs trônes en 1918 comme tous les autres
princes germains, mais leurs Etats subsistent et composent trois
individualités nettement distinctes.
Le pays de Bade se rattache à l'ensemble des
régions rhénanes, que nous étudierons plus loin.
Le Wurtemberg naquit dans la vallée moyenne du
Neckar qui, issu des flancs orientaux de la Forêt
Noire, décrit, comme la Moselle, une longue courbe
avant de se joindre au Rhin. Une large et fertile val-
lée aux chauds étés, des communications faciles avec
le Rhin, soit par la trouée de Pforzheim, soit par le
cours navigable du Neckar, fixèrent de bonne heure les
hommes en ces lieux privilégiés. Les Romains y éta-
blirent des colonies de vétérans. Au Moyen Age, les
comtes de Wurtemberg groupèrent autour de leur châ-
teau (près de Cannstadt) paysans et bourgeois de la
vallée. Aujourd'hui, le bassin du Neckar est une des
régions les plus peuplées de l'Allemagne, et sa forte
densité (de 100 à 250 habitants au kilomètre carré)
contraste fortement avec le petit nombre des habitants
épars sur les plateaux voisins. Stuttgart (309 000 habi-
tants avec Cannstadt) en occupe le centre. En amont,
Esslingen et Tubingen mènent aux coteaux de la Rauhe
AIp, où de riants villages se groupent au pied d'an-
tiques forteresses. En aval, par Ludwigsburg et Heil-
bronn qu'entourent de beaux vignobles, on gagne le
pittoresque défilé où le Neckar s incurve avcmt de
déboucher à Heidelberg, sur les plaines du Rhin.
LA BAVIERE. 00 C'est au contraire sur la par-
tie la plus plate, la plus laide, la plus déshéritée des
plateaux du Sud que les ducs de Bavière, de la maison
de Wittelsbach, établirent au XIII* siècle leur ville
capitale : Munich. Ils furent sans doute " séduits par
la position centrale qu'occupait en effet Munich avant
les annexions qui ont déplacé l'axe politique de la
Bavière ".
Longtemps dépassée par Augsbourg (154C00 habi-
tants), ville impériale qui fut, au Moyen Age, la plus
opulente cité commerçante de l'Allemagne du Sud.
Munich (630000 habitants) l'emporte de beaucoup
aujourd'hui sur son ancienne rivale. On y vient admirer
les plus riches musées de l'Empire, et les brasseries
célèbres qu'emplit nuit et jour la foule bruyante des
buveurs.
A l'extrême Sud-Ouest, Lindau et Friedrichshafen
sont les ports allemands du lac de Constance. Hohen-
linden, Landshut, Eckmiihl rappellent, ainsi qu'Ulm,
Elchingen, Nordlingen, Ratisbonne, l'importance histo-
rique du plateau bavarois et de la vallée du Danube.
De plus, Ulm (56000 habitants) et surtout Ratisbonne
(Regensburg) sont les têtes de ligne de la navigation
temporaire ou permanente du grand fleuve, artère
maîtresse de l'Europe Centrale.
Dans la Bavière du Nord, Nuremberg (352 000 ha-
bitants), tout en conservant l'ensemble si merveilleuse-
ment pittoresque de ses remparts, de ses vieilles maisons
où peignit Albert Diirer, où chanta Hans Sachs, voit
grandir ses faubourgs industriels d'où sortent jouets
d'enfants, crayons, bronzes, bimbeloterie, etc. A ses
portes, FUrth atteint 68 000 âmes. Sur le Main enfin
Bayreuth paradis des Wagnériens ", Bamberg, Wiirtz-
bourg (86000 habitants) naquirent à chaque coude de
la rivière capricieuse qui, Aschaffenbourg franchi, quitte
la Bavière pour pénétrer dans la large vallée du Rhin.
Les régions rhénanes.
LE RHIN DANS L'HISTOIRE. 00 Quand
le Rhin abandonne, à quelques kilomètres en aval de
Bâle, le territoire suisse, il s'incline brusquement vers
le Nord et s'engage dans la vaste dépression ouverte
entre Vosges et Forêt Noire, Hardt et Odenwald. A
Mayence, il vient butter contre le massif schisteux
rhénan, se courbe d'abord devant l'obstacle, puis le
franchit par une longue cluse, le ' ' Rhin héroïque ", qui
s'ouvre définitivement en amont de Bonn sur les plaines
de l'Europe du Nord. 11 y sépare le Rheinland ou
province prussienne du Rhin, de la Weslphalie et, quit-
tant le territoire allemand un peu en aval d'Emmerich,
pénètre en Hollande où s'achève sa course.
De tout temps la vallée de ce grand fleuve attira et
concentra les hommes.
A l'époque romaine, il servait de frontière à la Gaule contre
les barbares de Germanie, et les postes militaires qui surveillaient
cette frontière furent l'origine de quelques-unes des cités maîtresses
de sa vallée : Coionia Agrippina (Cologne), Confluentes (Co-
blence), Mogontiacum (Mayence), Argentoratum (Strasbourg). Au
Moyen Age, la facilité du trafic fluvial sur le Rhin et ses principaux
affluents développa la prospérité économique des villes rhénanes,
prospérité que favorisaient par ailleurs un climat ensoleillé, des
plaines au sol fertile (Alsace, Palatinat, Westphalie), des coUines
où le raisin mûrissait à côté du houblon (vins de Moselle et du
Rhin). Avec la richesse apparurent des préoccupations artistiques
auxquelles nous devons tant de cathédrales, d'hôtels de ville, de
belles maisons bourgeoises, orgueil des vieilles cités rhénanes, et
cette lignée de grands peintres (école de Cologne par exemple)
dont on admire dans les musées germains les œuvres naïves, égales
parfois aux chefs-d'œuvre des primitifs italiens par leur grâce tou-
chante, l'exacte précision des détails. Si les régions rhénanes,
constant objet de conflits entre la France et l'Allemagne, sans
68
L'ALLEMAGNE
HElDELBfcJ^G VU Ul l'HILOMJPHLNW h(-.. — Ha.fdUtg /ul d'aUrd un
t>ùste milifoire romain gardant la valléf du .\eckor. Au Xfoytn Attr. les comtes Palatins
fixèrent leur résidence dans son château dont on voit les ruines romantiques te dresser
au miliaa da grandi aitre$ comme un palais de conte de fées. La cille est itwdeme el
uin; ffrand attrait. Mais elle contient une des plui cclèf>rei universHés de I Allemagne,
De h/m. fet bromenadfi delirieuses atondenf sur les colline.^ hoisées (Konigsluhl, Heili'
genffrp, (fr ) QUI \ inclinent vers les eaux du !\'eikor,et le " chemin des Philosophes "
f ' frtquenlées. Q. Trenkleb.
69
L'EUROPE
LE HARZ. Petit massif boisé très pittoresque, riche
en mines d'argent, de plomh et de fer, dont U sommet, le
Brocken, domine comme un promontoire lei plaines
de VAUemasne centrale- C! LÉV>'. '^,'
CASCADE DE TRIBERC. La Forêt
Noire doit son nom à la masse des sapins
et des hêtres au milieu desquels dégrin-
golent les torrents. Cl. KURVEBWALTUNG.
LA WARTBOURG. Parmi les lieux hisloriquci ou
légendaires dont la Thuringe est remplie, l'un des plus
célèhres est le château de la U'artbourg où Tannhauser
chanta, où vécut Luther Cl. Léw
LE HOLLENTHAL OU VAL D'ENFER. U val d'Enfer, immortalisé par
la retraite de Moreau en 1796. est un étroit passage ouvert à travers le massif de
la Forêt Noire et qui fournit un passage direct entre Frihourg et Donaueschtngen,
le Rhin et le Danube. CL RoBEKE.
SANKT-BLASIEN. Ce joli bomg.situé par 750 mètres d'altitude dans un repli
de la Forêt Noire, et comme assiégé de tous côtés par la masse sombre des sapins,
naquit, ainsi que tcml d'autres villes de l'Europe occidentale, autour d'une abbaye
bénédictine fondée en 940. C!. DU KuRHAUS.
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OE HOHENZOLLERN. Cette mcgnifiqve demeure est une
. l'ff- 1^50 et 1867, de la forteresse féodale qui fut le berceau de
: . Prusse. Elle s'élève sur un contrefort du Jura Souabe,dans une
cf .-.-;. 'tji/ les burgs médiévaux. Cl. Daiker.
L'EIBSEE ET LA ZUGSPITZE. L'Allemagne ne possède qu'une petite partie
de.. Alpes : le versant Nord des chaînes calcaires bavaroises dont le point culmi-
nant est la Zugspitze {2963 m.). A son pied, VEitsee est une des nombreuses nappes
lacustres d'origine glaciaire qui parsèment la Haute-Bavière.
70
L'ALLEMAGNE
cesse parcourues et ravagées par les armées, soufirirent maintes fois
airocement de ces luttes sans merci, elles se relevèrent toujours
promptement de leurs ruines, tant étaient grandes leurs ressources,
tant leur situation au point de contact de deux races, de deux
formes de civilisation, sur un fleuve aisément navigable, leur assu-
rait d'éléments naturels de prospérité.
La naissance de la grande industrie, la découverte des houillères
de Westphalie et de la Sarre vinrent prodigieusement accroître, au
XIX*^ siècle, leur capacité de production et, par contre-coup, la
masse de leur population. Peuplées de 200 à 300 habitants au
kilomètre carré, elles sont aujourd'hui un des " foyers d'humanité",
un des pôles attractifs les plus remarquables du monde, et le Rhin
qui les unit apparaît comme l'artère colossale qui règle les pulsa-
tions de leur vie.
LE REGIME DU FLEUVE. SA NAVIGA-
BILITE. — Jusqu'au port de Kehl, en Face de Stras-
bourg, le Rhin conserve une pente forte et tous les
caractères d'un torrent alpestre : cours rapide et chan-
geant, maigres d'hiver correspondant à 1 arrêt de la
fusion des neiges, longues traînées d'alluvions qui
encombrent son lit. diminuent sa profondeur, le mor-
cellent en bras nombreux et modifient sans cesse le tracé
de ses rives. Malgré les efforts tentés pour le rendre
utilisable à la batellerie de Kehl à Bâle, la navigation
n'a et n'aura sans doute longtemps encore, .«ur cette
section, qu'une bien minime importance.
Mais, à partir de Kehl, le fleuve assagi, approfond',
régularisé par des travaux qui se poursuivent depuis de
longues années, devient une magnifique voie d eau
accessible sans arrêt (sauf pendant des périodes très
courtes qui varient de six jours à Mannheim, à vingt-
deux jours à Cologne) d'abord aux grands chalands
d'acier, puis même, à partir de Cologne, aux navires
de mer. En 1913, 12453 bateaux de plus de 15 tonnes
(allemands, hollandais, belges), montés par35000 hommes
d'équipage assuraient le transport des houilles delà Ruhr,
des minerais de fer de Suède, d'Espagne et de France,
des céréales de Russie, des bois, des matériaux de
construction. Le tonnage total des ports rhénans en aval
de Strasbourg atteignait 83000000 de tonnes, et l'on vit
passer à Coblence 57 000 bateaux, à Cologne 70 000,
à Wesel 84000. à Lobit (frontière hollandaise) 91 000.
(D'après Emm. de Martonne.)
Par la variété de son trafic et par le nombre des grands
Etats qui sont intéressés à ce trafic (Suisse, Francs,
Allemagne, Belgique. Hollande, Angleterre, Russie,
pays Scandinaves, Etats-Unis, etc.), le Rhin apparaît
vraiment comme un fleuve d'importance non pas seule-
ment allemande, comme il le fut jusqu'àlaGrandeGuerre.
mais européenne et même mondiale. La Prance maî-
tresse de Strasbourg, c'est-à-dire du point où commence
et se termine la grande navigation, occupe sur le fleuve
une situation privilégiée dont il ne tient qu'à elle de tirer
le plus large profit.
LE PAYS DE BADE, aa Les plaines badoises
font d'abord pendant, sur la rive allemande du fleuve,
aux riantes plaines d'Alsace. Des champs de céréales, des
houblonnières, des vignobles, des vergers occupent les
sols les plus riches. Sur les dépôts de sable croissent des
bois de pins. Les villes, désertant les rives incertaines
du Rhin inutilisable, grandirent au pied de la Forêt
Noire : Fribourg (87 000 habitants), charmante capitale
du Brisgau, au débouché du Val d'Enfer qu'immorta-
lisa la retraite de Moreau ( i 796) ; Bade, ville d'eaux et de
plaisir universellement connue; Karlsruhe (135 000 ha-
bitants), cité de récente création, mais que l'industrie enri-
chit, et qui de plus commande la trouée de Pforzheim
(ligne Paris-Munich-Vienne) ; Heidelberg. allongée près
des eaux sombres du Neckar, au pied des coteaux boi-
sés où les bandes d'étudiants se promènent en chantant
des lieder de Schumann.
Le pays de Bade s'arrête à Mannheim (229 000 habi-
tants), à la fois grand marché rhénan et puissante cité
industrielle (industries chimiques surtout). Au delà, sur
la rive droite, dans la Hesse électorale, s'élèvent Darm-
stadl (87 000 habitants), puis, sur le cours inférieur du
Main, Francfort (433000 habitants), la ville des banques,
l'une des premières places commerçantes de l'Europe.
Offenbach (75 000 habitants), Hanau, Wiesbaden
(110 000 habitants) ont grandi elles aussi à ce carrefour
de routes d'où l'on peut gagner non moins aisément
Cologne que Nuremberg, Hambourg et Berlin que Bâle
et Strasbourg.
Sur la rive gauche, tandis que les vieilles cités de
Worms et de Spire somnolent à l'ombre de leurs cathé-
drales, entre leurs remparts désuets transformés en jar-
dins fleuris, Ludwigshafen (90 000 habitants), en face
de Mannheim, prend sa large part du trafic du fleuve,
et Mayence (1 10003 habitants), sur la voie directe de
Metz à_Berlin, conservenmportance_stratégique_qu'elle
eut de tout temps.
LE MASSIF SCHISTEUX RHÉNAN. S» û
A Bingen, le Rhin s'échappe des plaines palatines et
s'enfonce dans le massif schisteux rhénan. 11 y coule
jusqu'à Bonn, dans une cluse étroite, fort pittoresque
grâce aux ruines féodales qui surmontent les collines,
aux jolis villages qui allongent leurs maisons riantes entre
le fleuve et ses pentes couvertes de vignobles célèbres.
De part et d'autre de la vallée s'étalent des plateaux,
hauts de 500 à 800 mètres : Hunsriick et Eifel sur la rive
gauche, Taunus et Westerwald sur la rive droite. Ils
prolongent l'Ardenne et lui ressemblent par leur âpreté,
leur tristesse, leur population clairsemée qui élève mou-
tons et chevaux de petite taille, et cultive de maigres
champs d'avoine perdus au milieu des landes, des taillis
et des tourbières.
71
L'EUROPE
Mais les vallées de la Moselle, de la Sarre, de la Lahn,
de la Sieg, profondes, bien abritées, de climat plus doux,
ont attiré de bonne heure les hommes. Trêves (53000 habi-
tants), illustre dès l'époque romaine ; Coblence (56 000 hâ-
tants), Wetzlar, Marbourg ne sont que les principales
des agglomérations urbaines nées à chaque méandre des
AILILEMAîdME
le bassin de la ruhr
%
rivières capricieuses. De plus, l'exploitation des houillères
de la Sarre, qui rendait aisée la mise en œuvre des
minerais de fer lorrains, fît naître, de Sarrebriick
(105000 habitants) et Sarrelouis a Kaiserslautem
(54000 habitants), un puissant foyer industriel que la
France détient, présentement, en gage, et qui peut-être
lui restera.
RHEINLAND ET WESTPHALIE. M>£J
Toutefois, c'est seulement sur le revers Nord des plateaux.
dans le Rheinland et la Wes'phalie, qu'apparaît le '" pays
noir " allemand, le royaume de la houille, de l'acier, des
industries textiles et chimiques, la colossale fabrique,
1 usine sans fin. Tissages et fonderies y naquirent au
xvu^ siècle, grâce a. la présence simultanée des minerais
de fer et de cuivre, du bols fourni par les forêts du
Westerwaid, des eaux pures que roulaient les ruisseaux.
Au XIX® siècle, la découverte de gisements carbonifères
extrêmement riches, notamment dans la vallée de la
Ruhr, vint donner à ces industries un essor prodigieux.
Les antiques cités de la province rhénane, comme
Cologne, Aix-la-Chapelle, leur durent une vie nouvelle,
et près d'elles surgirent du sol une pléiade de villes,
autrefois simples villages, aujourd'hui métropoles du fer
et de l'acier : Essen (439000 habitants), Rem-
scheid, Solingen, Iserlohn, Dortmund (295 000 habi-
tants), Bochum (136 000 habitants), Gelsenkirchen
(169 003 habitants); de la soie : Crefeld (129000 habi-
tants); de la laine : Aachen (156000 habitants):
du coton : Barmen (169000 habitants), Elberfeld
(170000 habitants), tandis que Cologne (633 000 habi-
tants), Dusseldorf (407 000 habitants), Ruhrort. Duis-
bourg (244 000 habitants), échelonnées aux rives du grand
fleuve, reçoivent et distribuent la masse des matières
premières et des denrées alimentaires nécessaires à ce
gigantesque organisme, ou procèdent à I expédition des
produits industriels.
Le débouché des rsgionî rhénanes n'esl pas, i[ est vrai, en terre
allemande, et les Pays-Bas prélèvent un courtage onéreux sur le
trafic du Rhin. Pour remédier à cet inconvénient on élabora, en
1905, un projet de canal central (Mittelland Kanal) qui, partant de
Dortmund, devait rejoindre la Weser et l'Elbe. Ainsi la Wesl-
phalie serait reliée directement par voie d eau à I, Allemagne cen-
trale et aux ports allemands de la Mer du Nord ; Brème et Ham-
bourg prendraient, au moins en partie, la place de Rotterdam. Ce
projet, longtemps différé, parait avoir reçu, pendant la guerre, un
sérieux commencement d'exécution.
L'ALLEMAGNE POLITIQUE ET ECONOMIQUE
L'ORGANISATION POLITIQUE DE L'ALLE-
MAGNE. £0 Depuis la Révolution' intérieure de 1918-1919
consécutive a la défaite des Empires Centraux, l'Allemagne n'est
plus un Empire fédéral dirigé par un prince prussien, mais une Répu-
blique, également fédérale (ce que les Anglais nomment Common-
weallh), qui consene toutefois le nom officiel de Reich. Tous les
princes régnants ont abdiqué de gré ou de force. Les divers États de
la Fédération jouissent d'une autonomie plus large qu'autrefois
mais doivent obligatoirement se donner un gouvernement républicain
nommé au suffrage universel.
Le pouvoir exécutif du Reich est confié à un Président, élu
pour sept ans par l'ensemble du peuple allemand et assisté de
mmistres responsables. Le pouvoir législatif appartient à deux
chambres : le Reichsral formé de représentants de chacun des
Etats de la Confédération (55 en tout, dont 22 pour la Prusse,
7 pour la Bavière, 5 pour la Saxe, 3 pour Bade, 3 pour le
Wurtemberg, etc.), et le Reichstag, élu pour quatre ans au suffrage
72
universel et directpartous les Allemands desdeux sexes. Tout projet
de loi, avant d'être soumis au vole du Reichstag, doit être approuvé
par !e Reichsrat. Le pouvoir central règle seul les questions diplo-
matiques, militaires, douanières, dirige les chemins de fer et perçoit
des taxes pour les dépenses du Reich.
Tous les privilèges de naissance, de caste, de religion, etc., ont
été abolis dans l'ensemble de l'Empire.
On comptait, avant la Grande Guerre, 25 États souverains et
une Terre d'Empire : l'Alsace-Lorraine. Le nombre des Etats'
souverains se trouve présentement réduit à 18 ; l'ancien duché
de Cobourg s'est uni à la Bavière, et les petites principautés de
Thuringe se sont groupées en un seul Etat. Tous conservent le
même territoire qu'ils possédaient avant la guerre, sauf la Prusse,
qui perd quelque 6 000 000 d'habitants (Posnanie, Prusse orien-
tale, Schleswig. Silésie, etc.).
Voici la liste des diverses Républiques dont l'ensemble compose
!e Reich (d'après le recensement du 8 octobre 1919) :
Ankak 331 000 hd>ibi>i..
B«de .230000 -
Baviirc 7 150000 -
Brème 300 000 -
Bfuinwiclc 49-1000
Hâmbour» I 050 000 - •
HeiK 1290000 -
Upp> 150000 -
Lobeclc I20C00 -
MecJcIcmbours-Schwerin 650 OOO —
Meckkmboun-Slrelill 106 000
Oldenbourg 517003 -
Piu.« Î7726000 -
Sue 4663000 -
Sduiunbourr-Lippe 46 000 —
"Hniringe 1510 000 —
WJdeck 66 OOO -
WurttmberB 2 518 000 —
LÉVOLUTION ÉCONOMIQUE DE
I L'ALLEMAGNE, SES CAUSES, SES RÉSUL-
I TATS. £l£f Jusqu'au dernier quart du XIX® siècle,
. l'Allemagne demeura un pays surtout agricole et ter-
rien. Elle exportait des denrées alimentaires et importait
des produits fabriqués. La majeure partie de ses habi-
tants s'occupait de culture et d élevage, se dispersait en
nombreuses petites villes ou villages, vivait chichemeni
de pommes de terre, de pain de seigle, de viande de porc.
Peu de capitaux, peu d'épargne. Chaque année une
foule d'émigrants (jusqu à 200 000 parfois), chassés par
la misère, devaient quitter leur patrie. Faute de colonies,
ils se rendaient surtout en Amérique : au Chili (régions
de Valdivia, Araucanie), au Brésil (Etats du Sud), aux
Etats-Unis (Chicago. Cincinnati, Saint-Paul), puis en
moindre quantité au Transvaal, en Australie, dans les
I divers pays européens. En 1913, on estimait à près de
I I 000000 les Brésiliens de nationalité ou d'origine
allemande, à 8000000 les Américains du Nord. Il y
I en avait près de 2000000 en Russie, des centaines de
mille en France, en Suisse, en Hollande, en Italie.
Cette situation s'est radicalement transformée en
quarante ans. A l'Allemagne agricole et terrienne, repliée
sur elle-même, où le Junker " était roi, s'est substituée,
surtout à partir de 1895, l'Allemagne industrielle, com-
merçante et mantime, l'Allemagne riche et prospère,
l'Allemagne des entreprises" colossales ", de la " Welt-
politik " et du " Deutschiand ùbcr Ailes ". Le parti
agrarien a dû s'incliner devant les exigences des hommes
d'affaires, des banquiers, des usiniers, des armateurs,
des chefs de grandes firmes commerciales. Une Alle-
magne nouvelle est née, et elle s'est révélée tout à
coup si puissante, douée d'une telle vitalité, d'une
telle 6èvre d expansion, d'appétits si démesurés que
l'Europe devint trop étroite pour elle et que son
domaine parut ne pas admettre d'autre limite que les
limites mêmes du monde. Cette évolution s'explique par
les raisons suivantes :
1 ° D abord 1 Allemagne trouvait sur son propre sol
les facteurs essentiels de la grande industrie moderne :
L'ALLEMAGNE
combustibles, minerais, moyens de transports, main-
d'œuvre. En 1913, elle produisait 191 000000 de tonnes
de houille et 87 000000 de tonnes de lignite (33 000 000
en France. 280000000en .Angleterre) dans ses bassins de
Westphalied 10000000 de tonnes), du Rheinland, de
laSarre, deSaxe,deHaute-Silé6ie. Cette houille, par suite
de la disposition géologique des couches, s'extrayait à
meilleurcompte que les charbons français; elle se trans-
portait aisément par les canaux et les rivières navigables.
A la houille s'ajoutaient : le fer (28 000000 de
tonnes valant plus d'un milliard de francs) grâce surtout
aux gisements lorrains, le cuivre (947 000 tonnes), le
zinc (641000 tonnes), les sels de potasse (13000000
de tonnes), le plomb et l'argent.
Les moyens de transport étaient abondants, peu coû-
teux. Même dans l'Allemagne du Sud il n'est point
d'obstacle qui s'oppose à la cons'.ruction des voies fer-
rées. Dans les plaines du Nord on peut les multiplier
autant qu'il est nécessaire. Avec ses 63 000 kilomètres
de lignes, exploitées presque exclusivement par l'Etat,
l'Allemagne possédait un réseau ferré qui, par rapport
au chiffre de ses habitants, l'emportait sur toutes les
autres nations européennes, la Belgique exceptée.
Quant aux voies d'eau (14000 kilomètres navigables),
nous savons déjà, par l'exemple du Rhin, ce que les
.Allemands doivent à leurs fleuves, à certains de leurs
affluents, aux canaux qui les unissent aisément. Il n'est
pas jusqu'à la rareté même des ports maritimes qui
n'ait contribué à la prospérité économique de l'Alle-
magne. Au lieu de disperser, comme nous le fîmes
en France, sur un grand nombre de havres, des cré-
dits forcément insuffisants, on put les concentrer sur
quelques places commerciales que l'on dota avec une
sage prodigalité des immenses bassins à flots, des kilo-
mètres de quais spacieux, des entrepôts colossaux, de
l'outillage perfectionné qu'exigent les conditions pré-
sentes du grand commerce de mer. C'est sur eux que
l'on orienta le réseau des voies fluviales. On évita ainsi
toute déperdition de force, tout gaspillage onéreux, et
les quatre ou cinq grands ports allemands : Hambourg,
Brème, Lùbeck, Stcttin, Danzig rendirent au Reich
plus de services que n'eussent pu le faire vingt ports
naturels insuffisamment outillés et mal desservis.
Enfin, tandis que de 1870 a 1914 la France pcissait
péniblement de 360000D0 à 39600000 habitants.
l'Allemagne, dans le même temps, parvenait presque à
doubler le chiffre de sa population (68000000 au lieu
de 41 000000. En 1914, le chiffre des naissances l'empor-
tait de 800000 unités sur le chiffre des décès. Celle heu-
reuse prolificité est une des vertus les plus incontestables
de la race germanique. Lorsque naquit la grande indus-
trie, l'Allemagne put suffire aisément aux demandes
de main-d'oeuvre extraordinairement accrues. Ses fils
73
L'EUROPE
n'eurent plus besoin de franchir les mers pour gagner
largement leur vie. L'émigration tomba à 20000 ou
25 000 unite's annuellement et ceux qui partaient n étaient
plus, comme autrefois, contraints à l'exil par la misère,
mais, contremaîtres, ouvriers spécialistes, techmciens,
ils allaient presque tous appliquer à l'étranger les
méthodes allemandes, et, grâce au système " Del-
briick ", conservaient leur nationalité.
2° En second lieu, bien loin d'être ' handicapée "
pcU le retard de son entrée en lice, l'Allemagne
arriva juste b temps pour mettre à profit les progrès
réalisés, l'expérience acquise par les autres nations qui
l'avaient précédée. Comme ce fut le cas pour le Japon,
elle n'a pas eu à inventer, à tâtonner, à multiplier les
expériences coûteuses : elle a pu incontinent faire
grand ", se donner l'outillage le plus perfectionné,
employer les meilleurs procédés, ceux qui avaient fait
leurs preuves hors de chez elle.
3 De plus, le caractère de l'industrie moderne,
qui vise à produire par grandes masses et en séries des
articles dénués de qualités artistiques, mais à bon mar-
ché, est celui qui convenait le mieux au tempérament
de l'Allemand, peu inventif, manquant de goût, mais
travailleur, attentif, discipliné, qui toute sa vie, sans se
lasser, s'occupera, avec la même application soutenue, de la
même besogne mécanique, si fastidieuse soit-elle. Pour
que cette besogne produise son maximum d'effet, les
patrons allemands ont su réduire chez eux les dangers
de la concurrence en utilisant le goût inné de leurs
nationaux pour l'association, leurs aptitudes naturelles à
l'espionnage, leur habileté de contrefacteurs. Surtout ils
ont su mettre la science au service de l'industrie. Tout a
été dit sur la participation directe — et rémunéra-
trice — que les savants des universités allemandes
prennent aux affaires industrielles, sur la multiplication
des laboratoires parfaitement outillés et disposant
d abondantes ressources pécuniaires, sur les centaines
d'ingénieurs occupés à des recherches techniques
qu une seule fabrique entretient pendant des années
sans profit immédiat, mais avec la certitude de regagner
au centuple ses débours grâce aux découvertes de deux
ou trois d'entre eux. (Voir les livres de J. Huret et
H. Hauser). La conquête économique du monde est
apparue au Teuton sous le même angle qu'une conquête
militaire. Procédant tantôt par attaque directe en
grandes masses, plus souvent par lentes infiltrations, usant
habilement du " camouflage " et des mouvements tour-
nants, il préparait ses opérations industrielles et commer-
ciales avec cette méthode savante, cette minutie judicieuse
qui limitent, autant qu'il est humainement possible, la part
de 1 imprévu, puis allait à l'assaut hardiment, sans se
soucier des pertes, sachant que la victoire le paierait
largement des sacrifices indispensables. L'institution des
cartels ", les ententes qui se créaient entre les chefs
des grandes banques, des usines, des compagnies de navi-
gation assuraient l'unité de commandement et de direc-
tion. Chaque position conquise servait aussitôt de point
de départ pour une attaque nouvelle, soutenue par des
réserves habilement ménagées et qui s'engageaient à
fond. La reconnaissance du front ennemi était confiée
a une véritable armée de spécialistes, voyageurs, tech-
niciens, habiles, entreprenants, qui parleiient les langues
étrangères, qu aucune rebuffade ne décourageait, qui
étudiaient le fort et le faible des défenses adverses, et
triomphaient de toutes les résistances par leur souplesse,
leur patience, leur ténacité. Cette armée trouvcùt,
d'ailleurs, partout comme collaborateurs naturels les
Allemands émigrés demeurés les fidèles clients de leur
ancienne patrie, toujours prêls à célébrer sa gloire, sa
force, la supériorité de ses produits et de sa Kultur.
Ainsi renseignée sur les besoins du marché étranger,
pouvant tenir constamment à jour les fiches où s'inscrit et
se résume l'état économique du monde, l'industrie alle-
mande ne cherchait pas à imposer aux acheteurs
chinois, péruviens, turcs ou... français tel ou tel produit de
la métropole ; elle savait s'adapter à leurs goûts, mettre
en leurs mains des catalogues admirablement faits, leur
épargner toute peine inutile. Elle n'hésitait jamais à mo-
difier son outillage pour répondre à des besoins nou-
veaux ou imprévus. Elle consentait de larges crédits,
acceptait toutes les commandes même insignifiantes, les
exécutait avec une rapidité, une ponctualité sans égales.
Elle savait se contenter, au moins au début, de
bénéfices très médiocres, et admettait même de travailler
à perte pour conquérir un marché qui serait, plus tard,
profitable.
4" Enfin industriels, commerçants, armateurs trouvaient
dans l'État allemand le soutien le plus averti, le plus
constant, souvent le plus efficace. Il mettait à leur ser-
vice le prestige que lui assuraient ses victoires anciennes
et sa formidable puissance militaire. Il intervenait sans
cesse dans leurs affaires, canalisait leurs efforts, équili-
brait leur production, encourageait et soutenait pécu-
niairement leurs initiatives. Les célèbres voyages de
l'Empereur au Maroc et aux Lieux Saints, ses entrevues
fréquentes avec les souverains étrangers, les déplacements
de sa flotte de guerre, avaient un objet économique non
moins que politique. Les alliés, les obligés de l'Alle-
magne devaient devenir ses clients. Les prêts qui leur
étaient faits devaient servir, avant tout, à payer les com-
mandes passées à Krupp, à Thyssen et autres magnats
de l'industrie. Les fonctionnaires avaient l'ordre, au-
quel ils obéissaient avec leur discipline coutumière, de
ne jamais tolérer que les intérêts d'un seul Allemand, à
l'étranger, fussent lésés ou simplement méconnus. Les
agents consulaires, bien recrutés, demeuraient très long-
74
L'ALLEMAGNE
LE CHATEAU DE GUTENFELS ET LE RHIN. Aprl, avoir Ircomé la
plaines fécondes de l'Alsace et du Palaltnat. le Rhin s'engage dans Vélroit dé/ïlè que,
de Bingen à Bonn, ies eaux creusirenl à travers une t><nèt>laine schisteuse surélefee.
Il u roule *(s onJrs ax%aeies entre de\ coteaux aux flâna roidei qui portent des vignoiles
céièhret et que courorment des mines romantiques. Cette section de son cours est connue
sous le nom de "Rhin héroïque". On y peut évoquer, avec une saisissante vigueur,
les temps lointains où. abrité par les mura de son donjon, chaque seigneur allemand
ne connmtsait d'autre loi que le " Fcnnirecht ", le droit du poing. Cl. LÉVY.
75
L'EUROPE
lÈ^-'S'
MUNICH ; L'HOTEL DE VILLE. La capitale bavaroise, créée par la maison
de Wittelsbach. n'est pas seulement l'un des grands centres commerciaux et indus-
triels de l'Allemagne ; elle est aussi surtout et justement célèbre par sort université,
les trésors de ses musées, les représentations de son Opéra. CL WuRTHLE.
NUREIMBERG. Tout en devenant une importante cité industrielle, la vieille ville
de Hans Sachs et d'Albert Durer a conservé, avec son 'enceintedes XlV^etXV'^ siècles,
une foule d'édifices publics ou privés dont l'aspect permet une saisissante évocation
dupasse. C'est la plus séduisante des grandes villes germaniques. CI. Mebtens .
COLOGNE. Ancienne " Colonie" militaire romaine comme Strasbourg et Coblence.
Cologne devint, dès le Moyen Age, la métropole delà riche contrée que traverse le
Rhin au sortir du massif schisteux. Le trafic fluvial qui fil sa fortune aux temps
delaHanse. continue d'être la source principale de saprospérité. CI.Steglitz.
KREUZNACH. Jolie petite ville lalnéaire sise aux rives de la Nahe entre Metz
et Mayence. Elle fait partie de la série des stations thermales (Wiesbaden. Aix-lo'
Chapelle, Spa, etc.) échelonnées sur le rebord du massif schisteux rhénan en
territoire belge et allemand. CI. DE LA KuR-DiRECTiON.
3.^RAÎEN : CHEMLN DE FER ÉLECTRIQUE. Barmen forme avec Elber-
fcld UP.5 ^fs principales agglomérations industrielles du bassin weslphalien. Leurs
T7xci;z^.-, f-^rs fabriques, leurs usines s'étendent sur neuf kilomètres de long dans la
vallée ds la H'vpj^er que domine une voie électrique aérienne.
76
ACIÉRIES A DUISBOL'RG.5/5ecrmen de ces puissantes usines quiabondent dans
tout le " pays noir ", dans toute la région houillère et industrielle de la Rhur,
et dont les ports rhénans de Cologne. Dusseldorf, Duisbourg sont les principaux
débouchés. CI. Rheinische Stahlwebke. Duisburg.
L'ALLEMAGNE
I Jtéqiond, ûe/
AILLEMAGI^E
CARTE ÉCONOMIQUE
Régiowh
inJujirieUeA
^^^
î^SE^
temps au même poste, disposaient d'un budget très supe'-
rieur aux cre'dits misérables que nous donnons aux
nôtres, se consacraient exclusivement à leur besogne éco-
nomique au lieu de trancher du diplomate.
Certes la tutelle administrative, la " véritable domes-
tication " imposées par l'Etat aux particuliers dans le
domcùne économique comme dans les autres ne peuvent
guère se concevoir hors de l'Allemagne et ne convien-
draient d'aucune fa<;on aux Anglais et aux Français. Il
n'en demeure pas moins que l'étroite union de la finance,
de l'industrie et de la politique, apparaît en dernière
analyse comme l'un des facteurs primordiaux de la puis-
sance allemande.
Nous avons vu les causes de l'évolution, en voici les
résultats.
L'INDUSTRIE, aa Après les États-Unis, et
presque sur le même rang que l'Angleterre, l'Alle-
magne se classait en 1914 à la tète des grandes nations
industrielles. Nul pays d'Europe ne produisait plus de
fer (19309000 tonnes), plus d'acier (19000000 de
tonnes), plus de sucre (2632000 tonnes), plus d'alcool
(4000000 d'hectolitres), plus de bière, plus depapier.
Elle détenait en quelque sorte le monopole de certaines
industries chimiques : matières colorantes, parfums, pro-
duits pharmaceutiques, sans compter les goudrons,
l'acide sulfurique, l'ammoniaque, le chlore, etc. Pour
les fils et tissus de coton, l'Angleterre seule la dépas-
sait. Son industrie lainière était presque l'égale de celle
de la France, et les soieries allemandes de Crefeld
faisaient une âpre concurrence aux produits de Lyon,
Zurich, Milan.
A cela s'ajoutaient les toiles de lin et de chanvre,
les articles en cuir, en caoutchouc, en bois, les
77
GÉOGRAPHIE ISIVtRSELU.
L'EUROPE
engrais minéraux, les porcelaines et faïences de Saxe,
les livres, les fourrures, etc.
Voici du reste quelle était en 1913 la valeur des
principales industries :
essentiels concernant l'agriculture et l'élevage du Reich
Industries alimentaires 23 500 000 000 de franci
— textiles et tinctoriales 5 000 000 000 —
Combustibles .' 4 000 000 000 —
Industries métallurgiques 2 500 000 000 —
— du cuir.. 1000 000 000 —
— du caoutchouc 690 000 000 —
Engrais minéraux 660 000 000 —
Certes les prcduils de l'industrie allemande avaient eu long-
temps une assez fâcheuse réputation. Visant au bon marché, pour
supplanter les articles similaires des Français et des Anglais, il»
méritaient trop souvent le nom de '* camelote ". Toutefois il est
juste de remarquer qu'en bien des genres, la devise fameuse
Billig und schlecht — mauvais et pas cher " avait cessé d'être
exacte. L'Allemagne savait fabriquer des articles d'excellente
qualité tout en parvenant à maintenir des prix de vente inférieurs
à ceux de ses concurrents. Et les progrès constants de ses ventes
en pays européens (objets en fer et en acier, machines et appareils
de toute espèce, moteurs, locomotives, automobiles, instruments de
précision, etc.) étaient la preuve la plus démonstrative de cette heu-
reuse transformation.'
L'AGRICULTURE, e) Û L'agriculture eye-même
s'était industrialisée. Les campagnes se vidaient en effet
au profit des villes. Chaque année un demi-million de
paysans quittaient la terre pour l'usine, et la proportion
des Allemands vivant d'agriculture était tombée de
50 pour 100 en 1895, à 40 pour 100 en 1914.
Habitués que nous sommes, nous autres Français, à
situer dans le paysage agricole la silhouette du labou-
reur qui enfonce le soc dans la terre, du bouvier qui
pique ses bœufs, du faucheur, de la laitière, du vigne-
ron, nous cherchons le paysan par la portière du wagon
allemand et nous ne le trouvons pas". (H. Hauser.)
11 fallait, pour suffire aux travaux des champs, faire un
large appel à la main-d'œuvre étrangère, surtout slave.
Malgré cet exode rural, malgré l'inclémence du cli-
mat, le peu de fertilité du sol considéré dans son
ensemble, l'Allemand était parvenu à mettre en valeur
94 pour 100 des 54 000 000 d'hectares qui consti-
tuaient son domaine en 1914. Et cela grâce à l'appli-
cation des procédés les plus modernes de culture, à
l'emploi intensif des engrais, des machines agricoles, à
l'extension des drainages dans les régions marécageuses,
à la collaboration des savants et des agriculteurs, aux
encouragements de l'État. Certes, l'Allemagne impor-
tait, en 1913, pour 3000000000 de francs de denrées
alimentaires, au lieu de 1 400000000 en 1896. Cepen-
dant l'étonnante façon dont elle a pu résister aux effets
d un blocus qui dura cinq années prouve quels progrès
elle avait faits, dans ce domaine comme dans les autres.
Voici quels étaient, à la veille de la guerre, les chiffres
Récoltes.
Quantité en tonnes métriques.
4 655 000 tonnes.
Seigle
Orge
12 222 000 —
... 3 673 000 —
.... 9 713 000 —
54 121 000 —
..... 29 000 000 —
Pommes de terre
10 617 000 —
9 000 000 —
Vin (hectolitres)
10 000 nnn —
Cheptel en 1912 : 4 523000 chevaux, 20 000 000 de
bovidés, 5 803 000 moutons et agneaux, 3410000 chèvres,
22000000 de porcs, 82000000 de volailles.
Forêts : 1 4 000 000 d'hectares ayant donné, en 191 3,
20 000 000 de mètres cubes de bois.
En étudiant les régions naturelles de l'Empire, nous
avons vu comment se répartissaient les cultures, quelles
terres étaient les plus propres au froment, au seigle, à la
betterave, à la vigne. Bornons-nous à noter ici quelques
données complémentaires.
D'abord la prédominance du seigle et de l'avoine sur le fro-
ment. Les deux premiers s'accommodent en effet de terres relatives
ment pauvres et froides qui ne conviennent pas au blé. C'est le cas
notamment pour la majeure partie des plaines du Nord, les régions
montagneuses, les plateaux bavarois, l'Eifel, etc.
Puis 1 importance du houblon (46 pour 100 de la production
du monde) et de l'orge, nécessaires à la fabrication de la bière,
boisson nationale de l'Allemand.
La récolte des pommes de terre estenmoyennele quadrupledela
récolte française. Elle supplée en partie à l'insuffisance des céréales
(on sait le rôle qu'elle a joue dans l'alimentation allemande pen"
dant la guerre), et permet l'élevage en grand du porc. De plus, les
trois quarts des alcools allemands sont faits avec elle.
La production de la betterave à sucre (Bade, Saxe, Silésie,
bassin du Neckar) égalait à elle seule celle de la France et de
'Autriche-Hongrie.
Pour le tabac (Bade, Palatinat, vallée de l'Oder), l'Allemagne
arrivait au troisième rang en Europe, après l'Autriche et la
Russie.
Le lin et le chanvre étaient en décroissance marquée.
L'élevage du gros bétail disposait des pâturages des Alpes
(race bavaroise), des prairies naturelles du Hanovre, du
Schleswig-Holstein, des prairies artificielles de Saxe, Silésie,
Alsace-Lorraine. Avec ses 20 000 000 de bétes à cornes l'Alle-
magne n'était dépassée en Europe que par la Russie (39 000000).
Elle l'emportait largement sur la France (14 000 000), l'Angleterre
(1 I 000 000) et l'Autriche (9 000 000). Les chevaux (de
guerre et de trait) provenaient surtout des provinces du Nord ■
Prusse, Pcméranie, Mecklcmbourg, Brandebourg. L'Allemagne en
avait beaucoup moins que la Russie (21 00000), mais autant que
l'Autrlche-Hongrie et un peu plus que la France. L'élevage du
mouton (terres pauvres du Lunebourg, de Poméranie) déclinait,
comme partout en Europe, devant la concurrence des laines de
l'Argentine, de l'Australie, etc. (19000 000 en 1883, 9 000000
en 1903). Par contre, seuls les Etats-Unis possèdent un troupeau
porcin plus considérable (65 000 000) et l'Allemagne distançait de
beaucoup la Russie (12 000000), la Hongrie (7 000 000), la
France (6000 000).
78
L'ALLEMAGNE
Les forêu enfin, beaucoup plus étendue* qu en France et sa-
vamment exploitéeç, constituent une très précieuse réserve de boi£.
de pâte à papier, de térébenthine, etc. Elles couvrent la majeure
partie des montagnes du Centre et du Sud (forêts de Thuringe,
de Hesse, Forêt Noire) et de vasieç espaces dan* le? plaine*
*ablonneuse$ du Nord .
3' LE COMMERCE, a a V.t formidable déve-
loppement des mdustnes allemandes avait eu comme
corollaire la rapide croissance des trêmsactions commer-
ciales. De 7 375 000000 de francs en 1890. elles
avaient passe à 26 500 000 000 en 1913.
Aucune statistique ne nous a encore donne le tableau détail) r
des transactions allemandes depuis la (in de la Grande Guerre. —
Citons, simplement à titre documentaire, les chifres globaux indi-
qués par les statistiques anglaises pour le commerce allemand
de 1919 (AchaU : 1618003003 de livres sterling. — Venlej :
502000000) et des 5 premiers mois de 1920 (Achats :
1 424000000 de livres sterling. — \'ente< : I 184000000).
COMMERCE DE LALLEMAGNF.
26 500 000 000 de francs
en 1913.
PRINCIPAUX CULNTS DE L'.ALLEMACNE
Imporlationt
M 000 000 000 de fninct.
Céràk<
C.(i . .
Œu{i
Beunr
Lwd
TiUc
Coton brut
Oàn et peaux
Lame
HmJe <ie ïn
Soie trêve
Caoulc}iouc ..
Cuivre
Minerai de lef
Nitrate
Bois de CQRttruction
Qievaun
etr
(e.
I 230 000
312 000
240 000
15} 000
l-tOOOO
ItJ 000
734 000
i65 OOO
365 000
221 000
180 000
IIS 000
439 000
290 000
200 000
406 000
130 000
£zpor(â/ioru
12 500 000 000 de Iranc. '
Ariul<^.
Houille et «oke. . . .
Vlacliine*
Produit! cfaimiqur*
Colonnadet
Papier et livre*
Couleurs
Froduiu élcctro-techniquct
Lainaces
Soere
Obietj en ciâvrc . , .
VêtemenI»
Obieti en aàr
Sortie*
Jouets
I 671 000 000
902 000 000
850 000 000
822 000 000
557 000 000
420 000 000
375 000 000
3«2 000 000
338 000 000
332 000 000
165 000 000
165 000 000
135 000 000
130 000 000
125 000 000
ele.
Acheteur de matières premières nécessaires a l'indus-
trie (51 pour 100 des importations) et de denrées ali-
mentaires (30 pour 100). l'Empire vendait surtout des
produits fabriques (67 pour 100). Les achats dépassaient
enc»re les ventes d'un peu plus d'un milliard de marks,
mais cet écart, beaucoup plus considérable quin2e ans
1
Par..
1913.
ExportatioM en
1913.
Ru»«
1 781 000 000 de (rana
1 090000000 —
1 100 OOO 000 de (ranea
1 770000000 -
Grande-Breu^r .
ÉuU-UnU
2 138 000 000
891 000 000
Autriche-Htnffrk
1 034 000 000
1 380 000 000
Frmnce
730 000 000
■^
966 000 000
P»yi Bm
416 000 000
—
866 000 000
Beliigue
430 000 000
—
688 000 000
—
Sui.«
266 000 000
670 000 000
R^uUiqueA^. .
617 000 000
456 000 000
Italie
396 000 000
. 366 000 000
Iodes AngUtse» . . .
676 000 000
—
187 000 000
—
i
Col>a)lefnandes . .
66 000 000
~
71 900 000
plus tôt, ne cessait de diminuer, et se trouvait déjà large-
ment compensé par l'intérêt des capitaux allemands placés
à l'étranger, les bénéfices du commerce de transit, les
gains réalisés hors d'Allemagne par les nationaux alle-
mands .
Tout contribuait aux succès du commerce allemand :
l'accroissement de la population, dont la capacité de
travail et la capacité de consommation augmentaient
parallèlement ; la puissance d'une flotte de haute mer,
passée de 656000 tonnes en 1890 à plus de 3000000
en 1914, le nombre et les qualités des commerçants
allemands, l'appui efficace qu'ils trouvaient dans les
banques, surtout l'intense production des usines, aboutis-
sant même parfois à la surproduction, et qui exigeait sans
cesse, sous peine d'anèt, de faillites désastreuses, l'ou-
verture de marchés nouveaux.
De la l'expansion indéfinie du Deutschtum ", du
domaine économique allemand.
La banque allemande, le commerce allemand, les lignes
allemandes de navigation, les services allemands d'information
tendaient à enserrer le globe d'un inextricable r^«u. l a
Russie comme le Guatemala, Rotterdam comme Constantinople,
devenaient économiquement des colonies allemandes. Partout le
commis voyageur allemand apportait le produit allemand qui cessait
de plus en plus d'être de la camelote et qui venait, grâce à la
modicité des prix d'importation, aux conditions de livraison et de .
paiement, concurrencer jusque sur leur propre terrain les industries
nationales. El quand cela ne suIBsait p". c'était l'usine allemande |
(métallurgie, produits chimiques, électricité) qui venait elle-
même s'installer en pays étranger, comme en pays conquis. L'in-
dustrie italienne, la suisse, l'espagnole devenaient des filiales de
l'industrie allemande- Anvers était un port allemand, Zurich et
V.ilan des places allemandes, et la France elle-même assistait,
impuissante et résignée, à cette mainmise de l'industrie allemande j
sur sa Lorraine et sur sa Normandie, bientôt «ur ses gisements de |
l'Ouenra. " (H Hauser.) '
Cette prodigieuse transformation se traduisait aux yeux
du voyageur le moins prévenu par le développement du I
luxe. L'Allemagne n'était plus le pays pauvre, aux
salaires mesquins, à l'économie proverbiale. Ouvriers,
employés, fonctionnaires, plus largement rétribués qu'en
France, dépensaient sans compter. " En vingt ans, les !
- 79
L* EUROPE
habitudes allemandes, même dans la moyenne et la petite
bourgeoisie, avaient subi une complète métamorphose.
Avec l'avidité d'un parvenu, l'Allemand se'précipitait
vers de nouvelles jouissances comme s'il y avait vu le sym-'
bole de son entrée définitive dans le cercle des civilisations
plus raffinées de l'Occident ". (H. Hauser.) En 1895, le
revenu total des fortunes de l'Empire était évalué à
21 000 000 000 de francs; en 1913, les estimations flot-
taient entre 40 000000 000 et 50000000 000, et la
richesse allemande s'était accrue dans le même laps
de temps de 200 000 000 000 à 320 000 000 000.
Elle se traduisait aussi par la croissance extrêmement
rapide des grandes agglomérations urbaines. L'Alle-
magne comptait, en 1914, 44 villes de plus de 100 000
habitants, 43 de 50 000 à 100 000, 137 de 20 000 à
50000.
Malgré le goût contestable qui présidait souvent
à leurs " embellissements ", il faut reconnaître que ces
villes étaient en général bien administrées, d une remar-
quable propreté, abondamment pourvues de tout ce qui
est nécessaire à la vie moderne, et que leurs universités,
leurs hôpitaux, leurs laboratoires, tous leurs services
publics (voirie, transports, postes, etc.) fonctionnaient
avec une régularité, une discipline que certains étran-
gers pouvaient trouver quelque peu abusives, mais dont
les bDns résultats n'étaient pas moins patents.
CONCLUSION
Tel était l'état de l'Allemagne en 1914. H serait hors
de propos de rechercher ici avec détails pour quelles
raisons l'Allemagne ne s'est pas contentée de laisser
aller les choses " et a voulu brusquer une évolution qui
paraissait devoir pacifiquement aboutir a l'hégémonie
économique du monde. Ces raisons, nombreuses, ont été
suffisamment analysées dans les multiples ouvrages relatifs
à la Grande Guerre. La principale est, selon nous,
l'insuffisance d'un Empire colonial formé trop tard et
composé de terres tropicales ou équatonales impropres
au peuplement européen. Cherchart-elle — au Maroc,
en Asie Mineure, en Syrie, en Mésopotamie — d'autres
territoires qui lui convinssent mieux, partout l'Allemagne
se heurtait à des droits acquis et trouvait la porte barrée.
Elle sentait cependant, comme toutes les grandes
nations modernes, l'impérieuse nécessité de s'appuyer
sur un puissant domaine d'outre-mer. 11 le lui fallait pour
absorber le trop-plein de sa production industrielle, pour
lui assurer les denrées, les matières premières nécessaires
à sa vie : coton, sucre, soie, caoutchouc, céréales, etc.,
pour donner à ses émigrants, à ses hommes d'affaires un
vaste champ d'opération libre de toute entrave. Ainsi,
pour 1 aigle teuton, la tentation devint irrésisuble de
happer la proie magnifique offerte non seulement par
toutes les possessions françaises d'Afrique et d'Asie,
mais par l'Inde anglaise, l'Asie Mineure, la Syrie,
l'Egypte, l'Afrique des Grands Lacs, etc.
Ajoutons à cela l'attrait d'une colossale indemnité de
guerre qui permettrait d'équilibrer une situation financière
peu saine ; — le désir de mettre la main sur tout le
bassin ferrifère de Lorraine, sur la Belgique et le Pas-
de-Calais; — la volonté de ruiner la prépondérance
m.antime anglaise, de dominer sans conteste l'Orient et
la Méditerranée, de se débarrasser de l'obsession russe,
etc. Tout cela, une guerre victorieuse devait le donner, et
comme la victoire ne faisait de doute pour personne.
1 Allemagne tout entière, l'Allemagne des grands indus-
triels, des hommes d'affaires, des banquiers, non moins
que l'Allemagne des Junker", des intellectuels et jusqu'à
1 Allemagne ouvrière et paysanne, s'est trouvée unanime
pour applaudir, en juillet-août 1914, au geste du kaiser
donnant le signal du combat.
Nous savons ce qui est advenu de ce rêve. Vaincue,
désarmée, privée de ses navires de guerre, de la majeure
partie de sa flotte commerciale, physiquement affaiblie
par un blocus de cinq années, amputée de territoires qui
comptaient parmi les plus productifs de son Empire,
condamnée au paiement d'une indemnité formidable,
ayant laissé plus de 2 000 000 de ses fils sur les champs
de bataille, l'Allemagne expie justement son crime. Mais
il ne faut jamais oublier que la plupart des facteurs aux-
quels elle dut sa puissance d'autrefois subsistent dans leur
intégrité. Ses usines, ses mines sont intactes, ses voies
ferrées et fluviales sont prêtes à fonctionner comme par
le passé. Surtout l'Allemand conserve ou reprendra, après
une éclipse passagère, ses qualités maîtresses et ses
méthodes de travail : discipline, patience, application au
labeur, association des savants et des hommes d'affaires,
concentration des efforts en vue d'un objet commun. Sa
prolificité lui permettra de combler rapidement les vides
causés par la guerre. Très certainement, dans un delà
plus ou moins long, l'Allemagne, reconstituée, occupera
de nouveau parmi les grandes nations une place de pre-
mier rang. Nous-mêmes, les vainqueurs, sommes inté-
ressés à cette renaissance qui peut seule permettre aux
Germains de réparer, dans une certaine mesure, le mal
qu'ils nous ont fait. 11 nous appartiendra seulement —
après avoir exigé avec une juste rigueur le paiement de
ce qu'on nous doit — de contrôler avec vigilance leurs
faits et gestes de telle sorte que l'Allemagne ne risque
jamais de redevenir pour la paix du monde le plus redou-
table de; dangers.
80
LA HOLLANDE
CHAPITRE 17
LA HOLLANDE
GENËR.ALITES
La Hollande est un des plus petits Etats de 1 Eu-
rope (34 186 kilomètres carre's). Elle est aussi celui où les
conditions naturelles opposaient le plus d obstacles aux
établissements humains, à la formation et au déve-
loppement d'une nation. Terre d'alluvions, de sable et
de boue, immense delta mare'cageux, en partie infe'rieur
au niveau des hautes marées, sillonné de rivières aux cours
incerlcùns, constamment menacé par les irruptions de la
mer, par les crues des fleuves, la Néerlande (le Pays-
Bas) est, à la lettre, une conquête de l'homme sur le
domaine des eaux. L'eau est encore partout : dans le
fous-sol spongieux, à la surface sous forme de canaux, de
rivières, de tourbières, de bras de mer, dans l'atmo-
sphère chargée d'humidité, voilée de vapeurs aqueuses,
dans le ciel où courent sans cesse les lourds nuages chassés
par les vents d'Ouest. Il a fallu une longue suite d'efforts
obstinés, d'abord pour fixer, assécher le sol mouvant,
le protéger contre les raz de mirée, les inondations, la
morsure sournoise des eaux souterraines, puis accroître
patiemment sa superficie aux dépens des mers. .Mais ces
efforts n'ont pas été vains. Les gens des Pays-Bas, fa-
çonnés par cette lutte opiniâtre, surent ac:]uénrde bonne
heure la richesse, la hberté et la puissance. Au -Wll siècle.
ils n'avaient point de rivaux pour le commerce des mers.
I-eurs artistes : les Rembrandt, les Ruysdaël, les Hob-
bema, les Terburg, étaient les premiers du monde. Ils
purent même tenir tê:e. et avec succès, à l'Angleterre
d abord, puisàla Francetriomphantede LouisXIV.Sans
doute cette magnifique prééminence ne s'est pas main-
tenue, et la Hollande contemporaine a repris le rang
plus modeste que sa petitesse lui assigne forcément. Mais,
par la densité de sa population (6831 000 habitants
en 1919, soit 198 au kilomètre carré), par l'importance de
ses transactions commerciales (7 000000000 de florins
valant plus de 14000000000 de francs en 1913; —
5 11 5 000 000 de florins en 1 920, valant plus de 20 mil-
liards de francs), par la valeur de son empire colonial, par
les solides qualités de ses fils, elle tient dans le monde une
place singulièrement plus grande que l'exiguité de son
territoire ne semblerait le comporter.
De plus, efle est une des rares na'.ions européennes
qu'épargna la Grande Guerre. Plus heureuse que sa
voisine belge, sa neutralité n'eut pas à être violée. Elle
t'enrichit, au lieu de se ruiner, et se trouva prête, dès
la cessation des hostilités, à mettre à profit les avantages
d'une situation aussi favorisée.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE ET POLITIQUE
LE RELIEK. ^£l La Hollande n'est qu'un frag-
ment de l'immense plaine qui court, sans solution de con-
tinuité, de la Flandre française à l'Oural. Nul pays eu-
ropéen, sauf le Danemark, n'est aussi plat, aussi dénué
de roches solides. Le point culminant des Pays-Bas pro-
prement dits n'atteint que 107 mètres dans les dépots
sablonneux de la \'elu\ve. Pour trouver une altitude
supérieure à 200 mètres, de vraies collines et la roche
en place, il faut remonter la Meuse jusqu'au Limbourg
hollandais, au pays de Maëstricht qui. gc'ographiquement,
fait partie de la Belgique.
Partout ailleurs, on ne trouve que des terres meubles
de deux origines différentes. A l'Est et au Sud. dans le
pays de Drenthe. la Gueldre. la Campine brabançonne,
prédominent, comme dans toute l'.Allemagne du Nord,
les sables et graviers laissés par les glaciers Scandinaves
lors de leur plus grandeextension. Absorbant les eaux de
pluie, ils forment des îlots de terres sèches, mais peu
fertiles, vêtues généralement de landes de bruyères et
de genêts. Des maisonnettes d'argile, couvertes de grands
toits de chiume. abritent une population clairsemée qui
cultive le seigle, la pomme de terre, élève des abeilles
et des troupeaux de moulons. Entre les ondulations
s'étalent des marais, des tourbières aux eaux noires ou
violet sombre. La tourbière de Bourtange couvre une
partie des provinces de Groningue, Drenthe et O ver- Ijssel
(plus de 4000 kilomètres carrés, dont un tiers en .'Mle-
magne). Elle fut la barrière naturelle isolant les peu-
plades germaniques des Pays-Bas de leurs soeurs alle-
mandes. Dans le Brabant oriental, les marais de Peel
jouèrent un rôle analogue.
A l'Ouest, les trois provinces entières de la Hollande
Nord et Sud et de Zélande, une partie de la province
d'Utrecht. de la Gueldre (la Betuwe). de la Frise et
L'EUROPE
MOILILANIDE.
LA Z.ONE DES POLDERS
^SSf^
du Groningue, en tout 59 pour 1 00 environ de la superficie
totale, sont exclusivement forme'es des alluvions charriées
par le Rhin, la Meuse et l'Escaut. Plus de collines,
d'ondulations sableuses, mais l'immensité des terres plates,
des argiles noires et grises mêlées de débris végétaux.
La majeure partie de ces alluvions se trouve à un niveau
inférieur au niveau moyen des hautes marées et des
fleuves. D autres, plus basses encore, les polders, étaient
d anciens golfes ou lacs saumàtres que l'on dessécha arti-
ficiellement. 11 faut les protéger contre le lent envahisse-
ment des eaux d'infiltration. De là, la multitude des
canaux, des fosses qui découpent le sol en deunier, la mul-
titude aussi de ces moulins aux ailes bigarrées, hissés
sur une plate-forme de bois, qui actionnent sans relâche
les pompes d'épuisement et que l'on retrouve sur tant de
paysages des maîtres hollandais. Ces terres asséchées
deviennent merveilleusement fécondes. A perte de vue
se succèdent les vergers pleins de fruits, les champs de
blé, de betteraves, de colza, d'oignons, de navets,
qu égayé, par endroits, le rouge éclatant des tulipes.
Ailleurs, et plus souvent,, la prairie domine. Derrière
le mince rideau des ormes, des saules, des peupliers qui
bordent routes et canaux, les troupeaux de vaches à
robe blanche et noire passent l'année presque entière en
plein air dans l'herbe aussi savoureuse que celle de nos
prairies normandes. Le long des digues se groupent les
maisonnettes de briques, au toit pointu, éclairées de
larges fenêtres munies de petits carreaux, et reluisantes
de cette propreté légendaire qui est une des vertus de la
race.
LES EAUX. ^ £) La moitié des terres hollandaises
n est autre chose que le delta commun de trois grands
fleuves : Rhin, Meuse, Escaut.
Le Rhin traverse la frontière hoUando-allemande un
peu en aval d'Emmerich. 11 est alors large de 700 mètres
et profond de 4 mètres. Il se divise promptement en
deux bras et perd jusqu'à son nom. Le bras de droite,
appelé d'abord Lek, puis Nouvelle-Meuse, emporte un
tiers environ des eaux. 11 arrose Arnhem, Rotterdam
et débouche dans la Mer du Nord près de Hoek van
Holland.] Trois émissaires secondaires s'en détachent :
rijssel et la Vecht qui aboutissent au Zuyderzée. le
Vieux-Rhin qui, par Utrecht et Leyde, atteint la
mer aux écluses de Katwyck.
Le bras gauche écoule les deux tiers des eaux. Sous
le nom de Waal, il passe à Nimègue et est rejoint à
Gorinchem par la Meuse, qui, entrée en Hollande à
Maëstricht, décrit une grande courbe et court parallèle-
ment au Rhin avant de s'unir à lui. La masse des eaux
ainsi réunies aboutit à la mer par une série d'embouchures
en partie artificielles. Les unes se déversent directement,
par Gertruydenberg, dans le bras de mer appelé
Hollandsch Diep ; d'autres arrivent au même HoUandsch
Diep par le dédale des canaux du Biesboch. Le resîe.
enfin, contourne le Beijerland et va rejoindre la Nouvelle-
Meuse en aval de Rotterdam. En multipliant les canaux
de décharge, les Hollandais sont pctfvenus à conjurer le
danger qui résultait de l'accumulation des eaux de crue,
des glaces de débâcle, sur un espace insuffisant.
L'Escaut n'appartient à la Hollande que par les deux
bras de mer qui constituent son estuaire, et que séparent
les îles de Walcheren et de Bévéland. La branche Sud, le
Hond, est celle qu'empruntent les navires se rendant à
Anvers.
Des digues puissantes accompagnent tous les cours
d'eau et protègent les campagnes contre le danger des
inondations. Parfois même (à Katwjk, à Muiden, etc.)
des écluses règlent la sortie des eaux suivant le jeu alter-
natif des marées. Dans les régions les plus basses au
voisinage des embouchures, le niveau des eaux fluviales
resserrées entre ces levées se trouve supérieur aux
terres qu'elles traversent, et l'on voit de loin, sous le ciel
gris tendre, les voiles des navires dominer les toits des
maisons construites en contre-bas des digues.
Une série de canaux de toutes dimensions, d une
82
LA HOLLANDE -^
conslniclion si aisée djuis ce pays sans relief, complète
le réseau des fleuves. Amsterdam, par exemple, est reliée
au Rhin par le canal de iMeerwede, a la Mer du Nord
par le canal du Helder et surtout le profond canal
d'Ijmuiden. Les provinces du Nord : Frise. Gronmgue,
Drenlhe ont aussi leur réseau particulier de voies navi-
gables. Près de la moitié du trafic intérieur emprunte la
voie d'eau, lente, mais commode et peu coûteuse.
LES COTES. ^^ " Deus marc, Balavus litlora
Jccil. " Dieu fit la mer, le Hollandais se chargea du
rivage. Vieille et fière devise, parfaitement exacte. Au
début des temps historiques, il semble que les terres
hollandaises, protégées peir des dunes de sable, occu-
paient un espace plus vaste qu'aujourd'hui. Les îles
Zéiandaises. les îles Frisonnes formaient corps avec le
continent. A la place du Zuyderzée, un lac saumâtre,
le lac Flevo. communiquait avec la mer par un " grau "
étroit. Mais, au Moyen Age, par suite peut-être d'un
lent affaissement du sol alluvial, la mer fit de considérables
progrès. Se ruant a l'assaut des terres, élargissant les
graus", les es'uaires, détruisant une partie des dunes,
elle fragmenta les cotes Sud et Nord en une série d'îles,
transforma le lac Flevo en un vaste golfe marin, creusa
les golfes du Dollart et du Lauwerzée. Des villages par
dizaines, des centaines de milliers de personnes dispa-
rurent en quelques nuits de tempête.
De très bonne heure, les Bataves cherchèrent, en cons-
truisant des digues, à limiter le domaine des eaux (le
mot * Dam " qui revient si fréquemment dans la termi-
nologie des Pays-Bas signifie " digue "). Mais cette
œuvre ne commença d'être réellement efficace qu'à par-
tir de la création, en 1579, du Waterstaat, littérale-
ment Etat de I Elau, ou Ministère des Elaux. Composé
d'ingénieurs spécialistes choisis avec le plus grand soin.
le Waterstaat est chargé, d'une part de maintenir ce qui
est, et d'autre part de reconquérir peu à peu le terrain
perdu.
LÀ où euilc le leoip^il naluiel des dunes de sable (par
exemple de la pointe du Helder à la Zclande, dans certaines îles
iclandaises, clc), il augmente leur solidité en les revêtant d'une
\critable cuirasse de dalles de granit ; il les protège par des brise-
lames, il sun'cille les dangereuses infiltrations qui pourraient les
miner. Ailleurs, il construit de toutes pièces des digues monumen-
tales, telles la levée de Weîtkapelle dans l'île de Walcheren, les
dignes du Helder, clc. 11 doit parer avec non moins de soin aux
périls des inondationsRuviales. C'est lui quia approfondi, régularisé
le lit des cours d'eau, qui les a munis de déversoirs artificiel! et
d'écluse.', qui a, par endroits, complctemenl modifié leur cours na-
turel, qui les a endigués de telle sorte que leurs crues, leur»
débâcles sont devenues inoffensives. Œuvre colossale, si l'on songe
à l'ampleur de pareils travaux et à l'impossibilité presque absolue
de trouver sur place les matériaux de construction indispensables.
C'est la Norvège qui a fourni le granit, le gneiss, les bois. Aussi
dit-on proverbialement en Hollande que certaine* digues, où l'on
travaille depuis trois siècles, eussent motm coulé " si elles avaient
été construites toutes en or".
La seconde tâche du W^aterstaai fui d'agrandir le domaine de«
terres cultivables en desséchant les régions lacustres au moyen de
pompes actionnées par des moulins ou par la vapeur. Ainsi, de
1 8-40 à 1 8-48, la mer de Haarlem, au Sud-Ouest d'Amsterdam,
(ut ccmplètemeni vidée et ses 18000 hectares de grasses terre'
furent livrées à la charrue. On calcule que, dans les provinces de
Hollande, Zélandc, Groningue et Frise, plils de 400000 hectares
ont été de la sorte repris peu à peu sur les eaux, et un seul coup
d'œil jeté sur des cartes à grande échelle, par exemple pour les
régions comprises entre La Haye et la pointe du Helder, suffit à
le démontrer. La légularité mathématique des parcelles de sol
mises en culture, des canaux et fossés qui les bordent, des levées
qui les circonscrivent, indiquent immédia emenl l'emplacement de
ces " mers " d'autrefois transformées en " polders " productifs.
Les succès obtenus ont même permis d'envisager une oeuvre
d'une envergure singulièrement plus vaste : l'assèchement partiel
du Zuyderzée. Lorsque les travaux, déjà en cours d exécution.
îcroiA terminés, quatre polders nouveaux, d'une superficie totale de
plus de 2000 kilomètres carrés, s'ajouteroni au domaine utilisable
des Pays-Bas.
Enfin le Waterstaat a encore dans ses attributions la
construction des canaux, des ponts, des écluses, l'aména-
gement des ports, la mise en valeur des polders par des
amendements appropriés, et l'exploitation des tourbières
dans les provinces orientales. Le dessèchement des
tourbières est, pour la Drenlhe, la Gueidre, le Brabant,
presque aussi importante que la création des polders peut
l'être pour les pays de l'Ouest, et, malgré les' progrès
déjà réalisés, il reste encore beaucoup k faire pour trans-
former en prairies ou en terres cultivables les vastes
espaces couverts d'eaux noires sur lesquels le vent du
Nord fait frissonner les sphaignes et les touffes trem-
blantes des joncs.
LE CLIMAT. ^£> Comme il apparaît par le
tableau suivant, le climat de la Hollande est inter-
médiaire entre le climat de type purement océanique
et le climat continental :
Slalions
Ahitule.
i I Ulledit . .
1 1 Groningue
13 m.
ISn.
Tonp^rali
lires moycniies.
de
t'annje. Janvier.
9"4
Jûllet.
I8«4
I8°l
Pluie
66
69
Protégée contre l'influence modératrice des vents
d'Ouest et du Gulf-Stream par le rempart de l'Angle-
terre, la Hollande a des écarts assez grands entre les
températures d'hiver et d'été. L'hiver est assez froid,
surtout dans les provinces du Nord, pour que les mares et
les canaux gèlent pendant plusieurs semaines consécutives.
C'est, du reste, un des sujets souvent traités par les
vieux maîtres hollandais que celui de groupes de femmes
- — ~ 83
L'EUROPE
et de jeunes hommes se rendant au marché en gh'ssant sur
leurs patins au bec courbe. Les e'te's sont suffisamment
chauds pour permettre partout la culture du blé, des fruits
et des fleurs. Il tombe relativement peu d'eau (67 centi-
mètres en moyenne), mais en un très grand nombre de
jours, il " crachine ", comme on dit en Bretagne, deux
jours sur trois. De plus, l'abondance des eaux de sur-
face entretient une humidité persistante, des brumes
qui traînent sur les campagnes mélancoliques. Enfin,
les grands nuages venus du large envahissent trop
continûment un ciel bien rarement pur ; et, l'hiver sur-
tout, le vent, soufflant en rafales violentes, ne contribue
pas à rendre fort agréable un climat par ailleurs très sain.
La Hollande n'est point triste pourtant. Le spectacle
toujours changeant d'un ciel sans limites, les échappées
de lumière à travers les vapeurs ouatées qui montent du
sol détrempé, l'aspect riant des maisons de bnquesrouges,
un moulin de bois sombre, patiné par le temps, près des
saules inclinés sur le calme miroir des eaux, les monu-
ments du passé et l'activité bien réglée du temps présent,
les navires qui vont et viennent, les carrioles filant sur
les routes soigneusement pavées de briques, çà et là, dans
les îles notamment, des costumes pittoresques, et partout
un air de robustesse, de santé fleurie, d'aisance solide-
ment assise, de confiance en soi, tout cela compose un
ensemble qui, dès l'abord, attire et intéresse, et qui'
après un séjour prolongé, finit pas exercer une réelle
séduction.
LES HABITANTS. NATIONALITÉ ET
CARACTERE. 00 Le peuple est formé d'un
mélange de Celtes et de Germains. Frisons au Nord,
Francs et Bataves au Sud, Saxons à l'Est furent les
peuplades germaniques qui se fixèrent les premières sur
le sol néerlandais et y supplantèrent les anciennes popu-
lations celtiques sans toutefois les anéantir. Encore
aujourd'hui, les provinces du Sud (Brabant, Limbourg,
partie de la Zélande) ont conservé une forte proportion
d'individus à cheveux noirs ou châtains, aux yeux bruns.
Ailleurs prédominent presque exclusivement les blonds
aux yeux bleus. D'autres différences sont encore sensibles
entre les usages, les caractères, la forme des habitations,
les costumes, les dialectes même des divers groupes
ethniques qui se sont, cependant, fortement amalgamés
au cours de longs siècles de vie commune sous un même
climat.
Le Hollandais est généralement grand, fortement
charpenté, flegmatique et d'aspect froid, bien qu'il se
plaise aux kermesses bruyantes, aux ripailles plantureuses.
C est un bourgeois dans toute la force du terme, peu
porté aux rêveries mystiques, mais ayant les vertus uti-
litaires qui font les maisons solides. Ingénieur adroit,
excellent marin, commerçant perspicace, sachant être
84 =
tour à tour un individualiste forcené ou le membre disci"
pliné d'une association, il apporte dans tout ce qu'il
entreprend un esprit de suite, une volonté lucide, un
sens des réalités qui sont des gages certains de succès.
Sa langue, le néerlandais, qui est un des dialectes du
bas-allemand, est peu répandue. Aussi la majeure
partie des Hollandais qui sortent du commun parlent-ils
avec aisance deux ou trois des langues européennes les
plus courantes.
En fait de religion, le protestantisme domine : les
trois cinquièmes de la nation appartiennent à la religion
réformée. Les catholiques ( 1 800 000) habitent surtout
les provinces du Sud. Quelques dizaines de milliers
d'israélites d'origine allemande ou portugaise vivent dans
les grandes villes et notamment à Amsterdam, où leur
richesse, leur habileté commerciale, leur assurent une
influence disproportionnée avec leur nombre.
Hislcire et gouvernement. — Lorsque les Bataves entrent
dans l'histoire, ils font partie de l'Empire romain. C'est Rome qui
civilisa leurs peuplades encore barbares, bien qu'elle ait laissé peu
de traces de sa domination. Après les Grandes invasions, leur
pays, d'abord compris dans l'Empire franc, puis rattaché à la
Lotharingie, fit partie successivement du Samt-Empire germanique,
puis des domaines de la maison de Bourgogne. Au XVi^ siècle, les
Hollandais qui s'étaient enrichis par la pêche, l'industrie des toiles.
le commerce des mers et qui avaient pris des habitudes d'auto-
nomie très large, se convertirent en majorité au protestantisme.
Atrocement persécutés par Charles-Quint et Philippe II, ils s'in-
surgèrent en 1579, se constituèrent en République fédérale des
Provinces-Unies, et firent par !a suite reconnaître leur indépendance
par les grands Etals européens. Le XV!l' siècle vit l'apogée de leur
puissance politique, commerciale, coloniale, artistique. Le X\'ni''
siècle en vit le déclin. Au XDC'' siècle, après avoir été République
Batave sous la Révolution française, la Hollande forma un royaume
dirigé par le prince Louis, puis fit partie intégrante de l'Empire
Français. Une décision du Congrès de Vienne en 1815 créa un
Royaume des Pays-Bas comprenant non seulement les anciennes
Provinces-Unies, mais aussi la Belgique. La Révolution de 1830
rendit a la Belgique son indépendance.
Depuis lors, la Hollande forme un royaume constilutionnel dont
le souverain partage le pouvoir législatif avec les Etals-Généraux
composés de deux Chambres : une Chambre haute analogue au
Sénal français et une seconde Chambre dile Chambre des députes,
composée de 1 00 membres élus au suffrage censitaire. Bien que le
souverain — qui peut être une souveraine — ait théoriquement
des pouvoirs étendus, c'est la bourgeoisie riche et éclairée qui
dirige réellement les affaires de la nation.
POPULATIONS, PROVINCES ET
VILLES. 00 La population totale des Pays-Bas
atteignait, en 1919, 6831 000 habitants, soit 198 au
kilomètre carré. De tous les Etats européens, seule la
Belgique a une densité plus forte. Très clairsemée dans
les provinces de l'Est, ou prédominent les landes, les
tourbières, les sables infertiles, la population s'entasse
dans les riches territoires de Hollande, de Zélande, du
Bétuwe, où la densité dépasse 200 et même 300 habi-
tants au kilomètre carré. Malgré cette forte densité.
LA HOLLANDE
CANAL A DORDRECHT. Comme Ulrechl. Dordttcht est née d'une ationie
nmaine ètahlie à l'un des Ooin/f de pauage du Rfân inférieur. File %e dévelofitxi eonsi-
dérahlement à partir du XIII' siècle^ grâce aux rtlations quelle entretenait pat eau
avec les villes rhénanes. Elle a dû. de nos jours, s' incliner devant l'érmiante rnnnirrenre
de Rollerdam directement acctsaiUe aux plus grands navires de haute mer. Toutefoà,
c'est encnre un port fort actif, et ce canal oit glissent les barques, ces hautes \
maisons étroites mais confortables qui se pressent sur les rives, symbofisent V " aqua^
ti<ïiK " Hollande, enrichie par le commerce fluvial et maritime. '
85
L'EUROPE
LE LANDGUIDIK, digue en forme de gradins, est un
exemple typiQue des prodigieux Iravaux auxquels durent, de-
puis des sièJes, s'astreindre les Néerlandais pour protéger leur
sol contre l'irruption de la mer.
PAYSANNES HOLLANDAISES
demeurées, en Zélande et dans les
ilesdu Zuyderzée. heureusement fidè-
lesà leur charmant costume national.
MARKEN. Sous le ciel gris, au ras de la mer apaisée, fem-
mes et filles de pêcheurs, en bonnets blancs et jupes courtes, se
hâtent, sur l étroite chaussée de briques, vers le petit port
où se balancent les barques.
■^jHf^ **^?^*ïi*iJ
PAYSAGE HOLLANDAIS si souvent rcuroduil ions les tableaux des grands
maUres du XVII' siècle : canaux drainant les eaux des polders, pont arqué, mcuhns
actionnant les pompes d'épuisement, beaux troupeaux de vaches laitières paissant
l'berbe savoureuse des prés-salés. ^'' Lev\ .
CHAMP DE JACINTHES PRrS DE HAARLEM. Ma/jre la rareté des jours
ensoleillés, les Hollandais ont su mettre à profit l'humidité de leur climat el la fécon-
dité de leurs alluvions pour obtenir de magnifiques champs de fleurs, jacinthes et
tulipes surtout, mais aussi orchidées et autres plantes rares.
A.\1STERDAM. La " Venise du Nord " s'est édifiée sur les rives marécageusesdu
Ziiyderzée. Elle est sillonnée tout entière par un réseau de canaux concerrtriques qtii
marquent comme les étapes de sa fortune, due d abord à la pêche du hareng, puis au
grande ' Cl. ChUSSEAU-FiaMENS.
ALKMAAR ■ MARCHÉ AUX FROMAGES. Pays d'élevage intensif, atteignant
un haut degré de perfection, la Hollande des polders tire de beaux revenus de la
vente de ses bemres et de ses fromages ronjî. dits " tête de mort . qms exportent
dis l'Europe entière. CL Chusseau-Flaviens.
LA HOLLANDE
malgré un accroissement re'gulier annuel de 80000àmes
dû aux exce'dents des naissances sur les décès, la
Hollande ne fournit qu'un nombre infime d'émigrants
(2000 en moyenne chaque année). Grâce à l'extension
régulière des terres cultivables, à la perfection des
méthodes d'exploitation rurale, aux profits assurés par
les opérations commerciales, 1 industrie, etc., le Hollan-
dais trouve chez lui assez d emplois rémunérateurs pour
ne point abandonner une patrie à laquelle, du reste, il
est passionnément attaché. De plus, le magnifique
domaine colonial que possèdent encore les Pays-Bas
dans les Indes orientales (Java. Sumatra, Célèbes, etc.)
ne se prête qu à l'exploitation et non pas au peuplement
européen.
La Hollande est présentement divisée en onze pro-
vinces gouvernées par des ' " Commissaires de la Reine ".
Les plus riches, les plus peuplées se trouvent àl Ouest,
dans la zone des polders situés au-dessous du niveau
des hautes marées.
La Zélande (pays de la mer) comprend, outre une
bande continentale au Nord de la Flandre belge, un
groupe de six îles : Walcheren, Nord et Sud Beveland,
Schouwen,Tholen, Saint- Philipsland, qui forment comme
le delta fractionné de l'Escaut. Terre de pêcheurs et de
marins hardis, patrie des amiraux Tromp et Ruyier, la
Zélande a peu de villes. Middelbourg, la capitale, est
sans importance ; Flessingue (30000 habitants). qui rêva
d'être le grand débouché de I Escaut, ne peut lutter
contre la concurrence d'Anvers.
La Hollande méridionale est traversée par le cours
inférieur de la Meuse et du Rhin. La capitale de la pro-
vince est La Haye (359000 habitants), de son vrai nom
S'Gravenhage ou la Haie du Comte. .A.ncien rendez-
vous de chasse des comtes de Hollande. La Haye est
la résidence de la famille royale et le siège du gouverne-
ment néerlandais ; ville aristocratique, paisible, élégante,
aux larges avenues, que complète la station balnéaire de
Scheweningen . Leyde(6l000 habitants) mire ses hautes
maisons a pignons dans les eaux du Vieux- Rhin. Elle
fut, au xvri^ siècle, fort réputée pour ses draps et ses
lainages, pour son Université aussi, l'une des plus an-
ciennes de l'Europe. Les meilleurs peintres hollandais y
naquirent ou y vécurent : Lucas de Leyde, Rembrandt,
Gérard Dow, Gabriel Metzu. etc. Deift (38000 ha-
bitants), aux célèbres faïences imitées des porcelaines de
Chine, Gouda (26000 habitants), vieille cité un peu
morte, contrastent par leur calme avec l'intensité de vie
qui afflue à Rotterdam.
Rotterdam (506000 habitants) doit sa croissance
extrêmement rapide et le merveilleux développement de
son activité commerciale à la place qu elle occupe au
débouché du Rhin et de la Meuse.
Dans ses bassins profonds de 10 mètres, sur une longueur de
35 kilomètres, elle reçoit les plus grands navires dé mer. D'autre
pari, elle est la tête de ligne de la navigation fluviale qui dessert
les régions industrielles deWesIphalie, de la Ruhr, delà Sarre, etc.
Sans passé, sans intérêt artistique, Rotterdam, comme Manchester
ou Liverpool, n'intéresse que par son activité, l'ampleur et le per-
fectionnement de son outillage maritime, les ponts gigantesques
jetés sur la Meuse, la variété des affaires qui s'y traitent, des mar-
chandises qui s'entassent dans ses docks.
Près de Rotterdam, Schiedam (39000 habitants) est
une ville industrielle renommée pour ses distilleries.
Dordrecht (53000 habitants), vieille cité célèbre au
xvu® siècle par l'intensité de sa vie religieuse, fait le
commerce des bois de la Foret Noire et de la Bal-
tique.
La Hollande septentrionale, resserrée entre la Mer
du Nord et les côtes découpées du Zuyderzée, n'est
qu'un immense polder. Sa capitale, Amsterdam
(647 000 habitants), après avoir été au XVl" et au
XVll* siècle la première place commerciale de l'Europe,
faillit être ruinée par le Blocus Continental d'abord, puis
surtout par 1 accroissement du tonnage des navires qui
ne pouvaient plus utiliser les eaux très peu profondes du
Zuyderzée. Elle para à cette infériorité d'abord en
creusant le canal du Helder. puis le large canal
d Ijmuiden qui l'unit directement à la Mer du Nord et
qui, accessible aux navires de haute mer, lui a rendu son
ancienne prospérité.
Sans avoir l'importance de Rotterdam, à laquelle sa situation au
débouché du Rhm assure un avantage indéniable, Amsterdam
n en demeure pas moins, grâce sur oui à ses relations avec les
colonies de l'Insulinde, le premier marché du monde pour le quin-
((Uina et I élam, I un des premiers pour le cacao, le sucre, les
épices, le café, le tabac, etc. De plus, une florissante industrie s'y
est développée. A la taille du diamant, d'antique renommée, et
t)ui emploie à elle seule 30000 ouvriers, s'ajoutent des ateliers de
consiruclion navale, des raffineries de sucre, des distilleries, etc.
Enfin Amsterdam, la " Venise du Nord ", bâtie tout entière sur
pilotis, doit une réelle originalité à ses nombreux canaux concen-
triques où glissent des barques lourdes, aux vieilles maisons
étroites, à pignons pointus, qui se penchent sur les eaux glauques.
Haaricm (77000 habitants) exporte dans le monde entier
les tulipes, les glai'euls, les jacinthes produits par les jar-
dins de son polder. Zaandam (28000 habitants), Allcmaar
(23000 habitants) sont des centres de riche agriculture
cl délevage. Les pêcheurs de Volendam. d Edani. de
l'Ile Marken ont conservé leur pittoresque costume
d'autrefois.
Les provinces de Frise et de Gromngue élèvent de
magnifiques troupeaux de bœufs et de chevaux, exportent
leur viande, leur beurre, leur fromage, Leuwarden
(42000 habitants), Groningue (89000 habitants) en sont
les paisibles capitales.
La Drenlhe (chef-lieu : Assen), rOver-ijssel (villes
principales : Zwolle |35 000 habitants], Kampen,
Deventer), ont une partie de leur sol couvert de tour-
87
GEOGRAPHIE UNIVERSELU.
L'EUROPE
bières et de landes qu'elles travaillent obstinément à
améliorer.
La province de Gueldie doit son surnom hyperbo-
lique de " Suisse hollandaise " au fait qu'elle possède
quelques riantes collines et des bois assez étendus,
chose fort rare en Hollande. Sa capitale, Arnhem
(71 000 habitants) sur le Lck, la vieille cité de Nimègue
(66000 habitants) sur le Waal, le nouveau centre de
Apeldorn (46 000 habitants) sont la résidence favorite
des rentiers, des retraités, des commerçants enrichis aux
Indes orientales : MMrs. du sucre.
Dans la province d'Utrecht, la capitale est Utrecht
{Trajectum ad Rhenuw), d'ongme romaine comme
Arnhem. Nimègue et Maëstricht. C'est une pittoresque
cité de 138000 habitants qui fut, en 1579, le berceau
des Provinces-Unies et en est restée le grand centre
intellectuel.
Le Brabant Hollandais, la plus vaste des provinces,
servait de boulevard militaire à la République. Berg
op Zoom, Bréda (30000 habitants), Bois-le-Duc
(38000 habitants), Tilburg (61000 habitants) jouèrent
un rôle fameux dans les guerres d'autrefois. Elles s'oc-
cupent plus pacifiquement aujourd'hui de développer
des industries de vieille renommée : toiles, métallurgies,
brasseries, etc.
Enfin le Limbourg est un morceau de Belgique rat-
taché aux Pays-Bas, Maëstrischt (41 000 habitants),
pittoresquement assise aux rives de la Meuse, près de
charmantes collines boisées, en est la capitale.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
Nous avons montré précédemment comment s'est
constituée la Hollande, par quelle lutte longue et diffi-
cile elle est parvenue à arracher aux flots une terre
qu'ils envahissaient. Ce combat séculaire contre les forces
de la nature a donné aux gens des Pays-Bas des habi-
tudes de labeur obstiné, de volonté tenace, qu'ils ont
appliquées a toutes les branches de 1 activité économique.
Leur domaine est exigu ; le sous-sol ne recèle qu'une
très petite quantité de houille (3400000 tonnes dans le
Limbourg en 1919) et point déminerais; trente cen-
tièmes de la surface se composent de marais, de tourbières,
de sables improductifs. Pourtant nul pays au monde n'a
su se donner ingénieusement plus de ressources et en
tirer un meilleur parti ; nul ne fait, proportionnellement,
un commerce plus considérable, nul n'est plus riche,
d'une richesse solide, capable non seulement de résister
victorieusement à des crises passagères qui, pour tout
autre, seraient la cause d'inéluctables catastrophes, mais
de les mettre à proht pour s'orienter vers de nouvelles
sources de gain.
AGRICULTURE ET ÉLEVAGE. £)£} Plus
du tiers de la population des Pays-Bas s'adonne à
l'agnculture et à l'élevage. L'Etat et les particuliers
ont multiplié les écoles spéciales, les tournées de
conférences, les cours du soir destinés à répandre l'usage
des procédés les plus avantageux. Les ingénieurs du
Waterstaat s'occupent eux-mêmes d'amender le sol des
polders. L'Etat surveille aussi de très près la qualité des
produits destinés à l'exportation et ne donne son estam-
pille officielle qu'aux denrées exemptes de toute critique.
Enfin le sens du groupement, très développé aux Pays-
Bas, a multiplié les associations agricoles pour le plus
grand bien des propriétaires et petits fermiers. Aussi
I agriculture et l'élevage emploient-ils en Hollande des
méthodes scientifiques, intensives, qui donnent de sur-
prenants résultats.
Par exemple, ni le sol, ni le climat trop humides ne
sont, par nature, très favorables à la culture des céréales.
Et, en fait, les Pays-Bas doivent acheter à l'étranger la
plus grosse part du blé, de l'orge, du seigle même qu'ils
utilisent. Seules, l'avoine et la pomme de terre sont cul-
tivées en quantité suffisante pour la consommation. Mais,
sur les terres emblavées, le rendement moyen à l'hectare
est supérieur d'un tiers au rendement moyen des terres
françaises. De plus, on a su adapter le sol arable à des
cultures moins délicates ou plus rémunératrices : la bette-
rave à sucre, l'oignon, la chicorée, le navet. L horticul-
ture, en très grands progrès, produit en abondance les
fruits, les légumes, les fleurs, les graines, les plants de
pépinière destinés à l'Angleterre, à l'Allemagne, aux pays
du Nord, et ce n'est pas un des résultats les moins
étonnants de l'ingéniosité hollandaise, que cette envolée
d'admirables fruits, de fleurs somptueuses venant d une
terre que le soleil boude si souvent.
L'élevage et ses produits ne doivent pas moins à la
science des agronomes hollandais. Certes, les conditions
naturelles se prêtent merveilleusement à 1 établissement
des prairies et des pâturages qui couvrent 40 pour 100
du sol. Mais les beaux résultats obtenus sont dus. en
grande partie, à la perfection des méthodes et au
contrôle sévère de l'Etat. Le troupeau bovin est de
beaucoup le plus important. Sélection de races, croise-
ments savants, propreté méticuleuse des étables, soins
intelligents, rien n'est négligé pour accroître non seule-
ment le nombre des animaux, mais la qualité de la chair
et le rendement en lait. Le bétail sur pied, le beurre, le
fromage gras ou maigre, donnent lieu à une exportation
88
qui se chiffre, chaque année, par des centaines de mil-
h'ons de florins. Les chevaux, de race robuste, excellente
pour le gros Irait, s'élèvent surtout dans les provinces
du Nord et de l'Est. Le nombre des moutons diminue
par suite de l'extension des terres cultivées et du bas
prix relatif des laines étrangères. Par contre, l'élevage
des porcs est en pleine prospérité, et les produits de
basse-cour, volailles et œufs, concurrencent sur le mMché
de Londres les produits similaires venus de France et du
Danemark.
LES INDUSTRIES. 00 Les Pays-Bas ont eu,
dans le passé, une prospérité et une renommée indus-
trielles égales à leur prospérité commerciale. Il suffira de
citer les toiles de Fnse, les velours d'Utrecht, les faïences
de Deift, les lainages, les cuirs, les papiers, les liqueurs,
les ateliers de constructions navales, que Pierre le Grand
venait visiter comme des modèles, etc. A partir du
XVlll* siècle, la Hollande fut largement distancée par
d'autres pays européens qui possédciient ce qu elle ne
possédait point : la houille, les minerais, le bois ; et, de
nos jours, il est incontestable que l'industrie joue dans
la vie économique des Pays-Bas un rôle de second
ordre. Cependant un renouveau d'activité s'est manifesté
depuis un demi-siècle. De vieilles industries se main-
tiennent ou prennent de l'extension : celle des faïences,
par exemple, de la maroquinerie, de la taille des dia-
mants, etc. Les tissages de la Twenthe (province
d'Over-ljssel) fabriquent des cotonnades destinées sur-
tout aux indigènes des possessions hollandaises. Tilburg,
Utrecht produisent des lainages, des velours, des tapis.
Amsterdam, Rotterdam. Dordrecht construisent des na-
vires, des machines agricoles, des pompes pour l'épui-
sement des eaux. Dans les provinces de l'Elsl, on emploie
la tourbe pour nombre de produits industriels ou agri-
coles : vêlemenls, engrais, etc. Les industries alimen-
taires, enfin, sont multiples et en pleine prospérité : hui-
leries utilisant les graines de lin. de colza, de navette :
raf&nenes de sucre traitant, soit le sucre de canne venu
des colonies, soit le sucre de betterave ; chocolateries
(Van Houten). distilleries et fabriques de liqueurs (Lu-
cas Bols, fondée en (573, Wynand Fockink, en 1679);
brasseries, surtout dans les provinces du Sud : fabnques
de cigares, de margarine, de sulfate de quinine, de
conserves de viande; féculcries et amidonneries, etc..
sont dispersées un peu partout, et le total de leur pro-
duction se chiffre, chaque année, par des milliards.
LA PECHE. 00 La pèche fut la première indus-
trie nationale des Hollandais, la première source de
leur fortune. On connaît le dicton symbolique, d'après
lequel ' Amsterdam serait bâti sur des carcasses de
harengs". Des petits ports de Zélande, du Zuyderzée.
LA HOLLANDE
des iles Frisonnes, partent encore des flottilles de chalu-
tiers à la recherche des bancs de harengs, de soles
(Maasluis. Scheveningue. Wlaardingen), d'anchois (île
d'Urk). tandis que le saumon se pèche dans les estuaires
des fleuves et que les coquillages s élèvent ou se ré-
coltent surtout à l'embouchure de l'Escaut (ports de
Bruinisse, de Yerseke, de Vere).
LE COMMERCE. 00 En courant les mers
comme pêcheurs, les Hollandais devinrent des marins
accomplis et surent mettre à profit leurs qualités nau-
tiques pour se donner de très bonne heure une marine
marchande de première importance. Au XVir siècle, au
moment de leur apogée, ils méritaient, à juste titre, leur
surnom de ' ' rouliers des mers ". Non seulement ils se
chargeaient du commerce de transit entre pays euro-
péens, mais, profitant de la décadence hispano-portu-
gaise, ils acquéraient un magnifique domaine colonial, et
les navires de leur Compagnie des Indes assuraient la
majeure partie des transports entre les pays tropicaux et
l'Europe. La France au temps de Colbert, l'Angleterre
89 • -^
L'EUROPE
à la même époque, s'affranchirent de leur tutelle et leur
enlevèrent une supre'matie passagère. Puis, au XIX" siècle,
le nombre de leurs concurrents s'accrut de tous les grands
Etats du monde.
Pourtant, par le chiffre total de son commerce exte'-
rieur (7 000 000 000 de florins, soit 1 4 700 000 000 de
francs en 1913), la Hollande se classait, après l'Angle-
terre, les Etats-Unis, l'Allemagne et la France, au
cinquième rang des nations commerçantes de l'Univers;
de'passant largement des pays comme l'Italie, l'Autriche,
la Russie, le Japon, qui l'emportent de si considérable
façon sur elle par le chiffre de leur population et l'éten-
due de leur territoire.
Cette étonnante prospérité est due d'abord aux qua-
lités mêmes du Hollandais.
It passe avec raison, depuis des siècles, pour un commerçant
accompli, ayant à la lois de la prudence et de l'initiative, le sens
pratique des réalités, la ténacité mais aussi la souplesse, le coup
d'œil sûr. le jugement rapide dii grand brasseur d'affaires. Le
nombre des personnes ^'adonnant au commerce n'est pas considé-
rable : un cinquième environ des individus inscrits comme exerçant
une profession. Mais la majorité des transactions est faite par de
puissantes maisons disposant de gros capitaux. Ces maisons, souvent
de fondation fort ancienne, inspirent confiance, jouissent d'un juste
crédit, peuvent se risquer hardiment aux nouvelles entreprises,
faire face aux crises momentanées. Elles savent aussi se prêter une
aide mutuelle et trouvent auprès des banques un intelligent appui.
COMMERCE DES PAYS-BAS
Principaux articles
Année 1913
Valeur en florins
I florin 2 = fr. 09.
Année 1920
Voleur en florins.
Importations
Fers et aciers
Textiles (bruts et manufacturés) .
Céréûies et farines
Riz
Tabac
Charbon
Cuivre
Pétrole
Graisses et huiler .
Café
Sucre
Papier
Engrais
Efain .
Peaux et cuirs
etc.
548 000
228 000
657 000
123 000
16 000
139 000
137 000
168 000
16 000
180 000
64 000
26 000
Il 000
68 000
22 000
54 000
300
338
284
1 319
87
230
187
33
103
66
65
27
60
40
2
46
Exporlations
Céréales et farines
Fers et aciers
Textiles (bruts et manufacturés).
Cuivre
Papier
Sucre
Riz
Margarine
Huiles et graisses
Beurre et fromage
Café
Tabac
Produits colorants ■
Peaux et cuirs
etc.
437 000 000
329 000 000
200 000 000
145 000 000
88 000 000
77 000 000
74 000 000
67 000 000
51 000 000
37 000 000
40 000 000
13 000 000
27 000 000
56 000 000
000 000
000 000
000 000
000 000
000 QJO
000 000
000 000
000 000
000 000
000 000
000 000
000 000
000 000
000 000
752 000
000 000
75 267 000
50 204 000
259 409 000
2 796 000
69 600 000
51 000 000
15 000
101 000 000
25 000 000
120 000 000
17 000 000
31 760 000
18 000 000
25 000 000
De plus, la situation européenne des Pays-Bas, au
débouché des grandes voies fluviales de la Meuse et du
Rhin, fait des Hollandais les intermédiaires obligés entre
toute l'Allemagne occidentale, une partie de la Suisse
et de la Belgique, d une part, et leurs clients de l'étran-
ger. Les matières premières (laines, cotons bruts, etc.),
destinées aux régions industrielles de la Westphalie, de
la Sarre, de l'Alsace, les produits fabriqués provenant
de ces riches régions, sont entreposés dans les ports hollan-
dais avant de gagner leur destination définitive. Au transit
par voie d'eau s'ajoute le transit par voies ferrées : d'Am-
sterdam et de Rotterdam, des lignes se dirigent sur la
Belgique et l'Allemagne. Elles complètent, pour les
denrées de peu de poids et de VcJeur élevée, le trafic
assuré par les grands chalands de la Meuse et du Rhin.
11 ne faut, enfin, oublier ni la multiplicité et la valeur
des produits que la Hollande doit à son agriculture, à
son élevage, à son industrie, et qui alimentent une partie
de son commerce d'exportation, ni l'appoint fourni par
les ressources de ses colonies, soixante fois aussi grandes
et sept ou huit fois aussi peuplées que la métropole. La
valeur des denrées coloniales de toutes sortes (quin-
quina, cacao, sucre de canne, tabac, riz, café, caoutchouc,
coprah, étain, pétrole, etc.), que la Hollande tire de ses
possessions de rinsulinde(Java, Sumatra, Célèbes, partie
de Bornéo et de la Nouvelle-Guinée) et des Indes occi-
Au total, les Pays-Bas ont vendu en 1 9 1 3 pour 3 083 OOO 000 de
florins et ils ont acheté pour 3918000000 de florins. En 1920,
nous ne possédons que les chiffres du commerce spécial, c'est-à-
dire la valeur des importations destinées à la consommation du
pays et des, exportations de jîroduits du pays, sans faiie entrer en
ligne de compte le commerce de transit. Ces chiffres sont : aux
achats, 3360000000 de florins, aux ventes. 1748000000 de
florins.
PRINCIPAUX CLIENTS DES PAYS-BAS
Année 1913
Valeur en florins.
p. 100
Année 1919
Valeur en florins.
Importations venant de :
(pour la consommation locale seule).
Allemagne
Iles de la Sonde .
États-Unis
Belgique
Russie
Grande-Bretagne .
Inde Anglaise . . .
Espagne
France
I 126 000 000
528 000 000
443 000 000
352 000 000
366 000 000
341 000 000
100 000 000
99 000 000
33 000 000
28.7
13
11
9
9
8
2.6
2.5
0.8
Exporialions allant à
Allemagne .......
Grande-Bretagne .
Belgique
Iles de la Sonde . .
Etats-Unis
France
1 478 000 000
48
683 000 000
22 ^
340 000 000
II
163 000 000
5.3
131 000 000
4
31 000 000
1
833 000 000
328 000 000
24 000 000
221 000 000
549 000 000
592 000 000
42 000 000
?
55 000 000
578 000 000
485 000 000
184 000 000
163 000 000
57 000 000
47 000 000
p. 100
30
II
0.08
7
19
20
0.04
0.05
40
35
13
12
0.6
0,5
90
^
Altitudes en mcircs
t>r .ioty^ à 1000*^
_ :oo . . }oo.
lOO. . 300^
O.. .. lOO.
Oe ^ mer
cO SO k
CÉOCRAPHIE UNIVERSELLE PI. 6
LA BELGIQUE ET LE GRAND-DUCHË DE LUXEMBOURG
dentales (Guyane hollandaise. Curaçao, Saint-Eustache).
s'élevait à plus de 1 000000000 de francs en 1913.
et. parmi les meilleurs clier.ts des Pays-Bas. les Indes
ne'erlandaises tenaient alors le second rang aux impor-
tations, le quatrième aux exportations.
Les trois cinquièmes environ du transit dans les deux
sens sont absorbes peir Rotterdam, siège du Lloyd hollan-
dais et de la Compagnie des pétroles améncains.
Amsterdam, siège de la " Nederland ", en relations
directes avec l'Insulinde, en absarbe un cinquième. Le
reste se partage entre Dordrecht, Flessingue, Terneuzen
et les petits ports côtiers.
La marine marchande comprenait, à la fin de 1919,
853 navires à voile ou à vapeur jaugeant 831000 ton-
neaux, chiffre relativement élevé et qui permet aux Pays-
Bas d'assurer, par leurs propres moyens, le transport
dune bonne partie des produits qu ils entreposent.
Les tableaux ci-joints permettront de se (aire une idée
plus détaillée de ce qu'est le commerce extérieur des
Pavs-Bas.
CHAPITRE VU
LA BELGIQUE
ET LE GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Limiiéc paï la Hollande, la France. l'Allemagne elle grand-duchc
de Luxembourg, la Belgique couvre 29 451 kilomètres carrés, soil
l'étendue de cinq de nos départements mo)'ens. Il ne fiut jamais
perdre de vue son exiguilc pour apprécier à leur juste valeur la
variété de ses caractères géographiques, la densité de sa population,
la facilité et la brièveté des voies intérieures de communication,
et le degré très élevé de son importance économique. Il laul aussi,
pour comprendre son histoire et le rôle qu'elle joua dans l'évolution
des peuples européeiu, avoir sans cesse présente à l'esprit sa
situation au point de contact de deux races, de deux civilisations :
latine et germanique, sur la route naturelle menant des terres
françaises aux rives du Rhin. Ce dualisme de races, de langues,
de cultures, cette position intermédiaire entre deux grands foyers
d'attraction expliquent tout le passé du peuple belge, sa longue
soumission à des maîtres étrangers, la date tardive ou il put
constituer une nation libre. Ils expliquent aussi que la Belgique
fut de tout temps un des champs de bataille de l'Europe. L'his-
toire de la Grande Guerre, le long martyre que la Belgique
souffrit pendant tant de mois, les ruines encore accumulée
d'Vpres à Louvain en sont un trop éloquent témoignage.
L'HISTOIRE
Le royaume de Belgique n'est qu'une petite paitie
de l'ancienne ' ' Gaule Belgique " dont César marquait
les limites à la Seine, à la Mcirne et au Rhin. Les
populations celtiques de la Belgique furent romaniiées
comme celles du reste de la Gaule. Cependant, à la
suite des invasions germaines, la civilisation et la langue
latines ne se maintinrent que dans la région des hautes
plaines fertiles. sèches, et des plateaux boisés quiforment la
moitié Sud du pays : Hainaut. Hesbaye. .Ardennes. Là
passait la grande voie romaine (elle subsiste encore sous
le nom de chaussée de Brunehaut) qui, de Bavay.
menait à Tongres, Maëstricht et au Rhin ; voie
constamment suivie par les armées et les marchands. Le
Nord : plaines basses de Flandre, d'.Anvers,de Brabant.
alors couvert de marais et de forêts, et à peine peuplé,
fut aisément germanisé jusqu'aux confins de l'Artois.
Ainsi s'explique la division de la Belgique en deux groupe-
ments de populations : les Flamands parlant un dialecte
germanique très voisin du hollandais, et les Wallons, de
langue française. Une ligne tirée de Courtrai à Tongres
par Bruxelles et Tirlemont marque la limite des deux
groupes.
Rattachée au royaume d'Austrasie, puis À la Lotharingie, la
Belgique vit, à partir du Xl" siècle, se constituer sur son sol, comme
dans presque toute l'Europe occidentale, des Etats féodaux : duchés
de Flandre, de Hainaut. de Brabant. de Limbourg, de Luxem-
bourg, de Namur, évêché de Liège, etc., les uns vassaux du Saini-
Empire. les aulres mouvant de la couronne de France. Mais I au-
torité des seigneurs fut promplement limitée ^par les franchises des
communes. Les bourgeois des grandes villes, enrichis par I indus-
trie et par le commerce, arrachèrent à leurs maîtres une autonomie
à peu près complète. Ce fut l'âge d'or de la Flandre (xill''-
xv'^ siècles), l'époque oïl les marchands de l'Europe se don-
naient rendez-vous à la foire de Bruges, oii le luxe des Flamandes
arrachait à la reine Jeanne, femme de Philippe le Bel, ce cri de
dépit :*' Je croyais être seule reine et j'en vois ici plus de six cents! "
oïl s'élevaient dans chaque cité ces magnifiques monuments :
lieifrois, holels de ville, halles aux draps, églises, abbayes qui
attestent la richesse, le goùl et l'orgueil des républiques commu-
nales ; où les frères \'an Eyck, Hans Memling, Quentin
Metsys, etc., créaieni un an d'une puissante originalité.
91
L'EUROPE
A la fin du XV '^ siècle Ja Belgique fut acquise par la Maison de
Bourgogne, puis passa par héritage à la Maison d Autriche-
Espagne. Les villes perdirent leurs anciennes franchises, et le pays
belge devint le théâtre favori de longues guerres entre la France
et ses adversaires espagnols, autrichiens, anglais même, guerres
au cours desquelles nous obtînmes la Flandre méridionale (notre
département du Nord). La prospérité économique des cités
flamandes se maintint cependant fort grande, et au XVîl*^ siècle, les
peintres flamands : Van Dyck. Rubens. Téniers. etc., furent les
rivaux des grands maîtres hollandais.
Espagnole jusqu'au traité d'Utrecht (1715), puis autrichienne,
la Belgique devint française en 1795 et le demeura jusqu'en 1814.
A cette date, le sentiment de la nationalité belge, déve'oppé par
l'influence des idées françaises, était devenu très vif. Les Belges
aspiraient à former enfin un Etat indépendant. Le Congrès de
Vienne (1815) en décida autrement et unit la Belgique à la
Hollande pour constituer un royaume des Pays-Bas destiné à sur-
veiller la France. Cette union forcée, contre quoi protestaient en
vain les Belges que tout séparait des Hollandais : langue, religion.
intérêts économiques, etc., fut rompue par la Révolution de 1830.
Avec l'aide de la France, les Belges chassèrent les garnisons
hollandaises, reprirent Anvers en 1832 et formèrent depuis lors
un royaume indépendant dont la neutralité fut garantie par le
traité de Londres. Sagement gouverné par des princes de la Mai-
son de Saxe-Cobourg, le royaume de Belgique atteignit une
étonnante prospérité et devint un des foyers industriels les plus actifs
de l'Europe. En 1914, ïl n'hésita pas à s'opposer par la force à
1 odieuse violation de sa neutralité et préféra noblement s'exposer
aux bombardements, aux incendies, aux massacres, à la dévastation.
au pillage systématique de ses richesses accumulées, plutôt que de
se soumettre aux sommations de 1 Allemagne. Depuis sa délivrance,
la Belgique, agrandie des territoires d'Eupen et de Malmédy, dé-
barrassée des entraves que lui imposaient les règlements concernant
l'embouchure de l'Escaut, s'est remise au travail avec une ardeur
nouvelle. Les anciennes rivalités entre flamingants et wallons, con-
servateurs et socialistes, catholiques et libéraux, tendent à s effacer
devant de communes épreuves, et la nation belge est sortie plus
forte, plus vivace, d'une crise où elle faillît périr.
LE PAYS
Il y a une Belgique de plaines et une Belgique de
plateaux. La première, qui s'étend de la Mer du Nord
au sillon de Sambre-et-Meuse, n'est qu'une tranche de
l'immense pays plat qui va, sans solution de continuité,
de l'Artois à l'Oural. La seconde, la Belgique arden-
naise, fait partie des vieux massifs primaires depuis très
longtemps émerge's et use's par l'e'rosion, qui, par
l'Eifel, le Massif schisteux rhénan, le Taunus, etc., se
prolongent jusqu'à la Thunnge et a la Saxe. Comme
les limites de 1 Etat belge ont été fixées par traités et
d'après des considérations exclusivement politiques,
aucune barrière naturelle ne sépare la Belgique de ses
voisins : France. Hollande, .'Allemagne. La Flandre,
par exemple, se partage de telle sorte entre la France et
la Belgique, que certains villages sont à moitié belges et
a moitié français. Du côté hollandais et germanique,
seuls les poteaux frontières et les postes douaniers
indiquent la ligne de démarcation.
La Région Côtière
La Belgique s ouvre sur la Mer du Nord par une
bande littorale longue d'une soixantaine de kilomètres, à
peu près rectiligne, et identique à nos côtes de France
entre Calais et Nieuport. Un cordon de dunes, dont
la largeur moyenne est de 200 à 300 mètres, mais peut
atteindre deux kilomètres, protège l'arnère-pays. On les
fixe par des plantations d' oyat ", sorte de grammée
rude au toucher : on les consolide parfois au moyen de
digues artificielles. Des écluses règlent l'écoulement des
eaux fluviales. Au large, une mer sombre, semée de
bancs de sable à fleur d'eau. En arrière, ' un pays de
niveau inférieur au niveau des hautes marées, autrefois
vaste marécage, aujourd'hui drainé par des Water-
gangs ", asséché par les pompes qu'actionnent des mou-
lins à vent, transformé en " Moëres ", ou polders d'une
remarquable fertilité. Les petites maisons basses, uni-
formes, à grands toits fortement inclinés, s'alignent sous
la protection des dunes ou le long des canaux. Au
milieu des prairies, des champs de céréales, se dissé-
minent les fermes ombragées de peupliers. Tel est le
paysage de Nieuport, de Fumes, de Bruges.
Au Moyen Age, la mer poussait bien plus avant à
l'intérieur des terres. Lombartzyde, Damme, Sluis
(l'Ecluse), Bruges surtout, furent des ports de grande
importance. La lente invasion des sables les ruina. La
vie maritime se concentre de nos jours à Ostende
(45 OCOhabitants), non seulement ville de bains fort acha-
landée, mais port de commerce en relation avec l'Angle-
terre. Nieuport, Blankenberghe sont, l'été, des plages
animées. Bruges (54 000 habitants) n'a plus pour elle que
le charme pénétrant de ses monuments d autrefois ;
halles, beffroi, hôtel de ville; de ses musées, de ses
vieilles maisons sculptées penchées sur le miroir glauque
des canaux ; de ses rues silencieuses que bordent les
hautes murailles des couvents et des béguinages.
Cependant un gros effort a élé fait pour redonner à Bruges un
peu de vie : un canal profond de 8 mètres relie, depuis 1907,.
Bruges à Zeebruges. qui lui sert de port maritime, en relations
régulières avec l'Angleterre, et qui joua, on le sait, un tel rôle
dans la Grande Guerre comme repaire des sous-manns allemands.
Il est difficile de prévoir si cette lenlaùve aura un succès réel.
Ostende, Anvers surtout, sont de trop redoutables concurrents et il
ne paraît pas que la Belgique, étant données les conditions pré-
sentes du grand commerce international, ait intérêt à fractionner un
transit qui trouve sa limite obligée dans l'exijuité même du territoire.
92
LA BELGIQUE ET LE GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG
Les Plaines ; Flandre, Brabant, Hainaut
NATURE DU SOL. a a tin arrière de Furnes
et de Bruges le terrain se relève insensiblement vers
l'Est. Son altitude, cependant, est si faible qu'il conserve
à peu près partout l'aspect d'une plaine aux horizons
imprécis, mais d aspect variable suivant la nature du sous-
sol. A 1 Ouest, la Flandre, au sol de sable mêle' d'argiles
noires et blanches, assez peu fertile par nature mais mise
tout entière en culture depuis de longs siècles, alterne
les prairies avec les champs de céréales, de betteraves,
de graines oléagineuses. De grands arbres : ormeaux,
peupliers, chênes, bordent les terrains cultivés, accom-
pagnent le réseau très serré des routes. La population,
d'une extrême densité (plus de 300 habitants au kilo-
mètre carré, en certains points), se disperse a travers les
campagnes plutôt qu'elle ne se groupe en gros centres
urbains. Comme I eau se trouve partout à faible profon-
deur, les fermes isolées, les hameaux, les villages aux
petites maisons sans étages parsèment la plaine de leurs
taches rougeâtres. Dans les districts où l'industrie s'ajoute
à l'agriculture, villes et villages sont reliés les uns aux
autres par une série presque ininterrompue de maisons
ouvrières, d'estaminets. Aussi la Flandre mérite-t-elle
plus que jamais ce surnom de " Ville continue" que
l'historien italien Guichardin lui donnait dé)à au
XV1«^ siècle.
Les plaines de Flandre se prolongent au delà de
Gand par le pays de Waës (de Gand à Anvers sur la rive
gauche de 1 Escaut), jadis marais pestilentiel ou landes
infertiles, aujourd hui le jardin de la Belgique ' grâce
à la richesse de ses campagnes transformées par le labeur
fécond des générations.
La C impine, qui succède au pays de Waës, couvre une
partie des provinces d'Anvers et de Limbourg. Elle se
compose de collinettes sablonneuses, hautes de 50 à
60 mètres au maximum, très perméables et d'une natu-
relle infertilité. Des ajoncs, des genêts, des bois de pins
en recouvrent la majeure partie. Cependant là aussi, en
fixant les dunes, en ramenant à la surface l'argile enfouie
sous le sable, de sérieux progrès ont été réalisés, et les
prairies artificielles, les champs de pommes de terre et
d'avoine ne cessent de s'étendre aux dépens des landes
mélancoliques.
Entre la Flandre et la Campine d'une part, cl d'autre
part le sillon de Sambre et Meuse, les plaines du Brabant.
du Hainaut. de la Hesbaye. forment une région inter-
médiaire qui rappelle par bien des points nos campagnes
du pays chartrain et de la Brie. Une couche de terreau
noir très fertile recouvre les calcaires du sous-sol. C'est
par excellence le domaine des grandes cultures de
céréales et de plantes industrielles. Peu de bois, sauf aux
environs de Bruxelles et de Louvain, peu de prairies,
excepté dans le Hainaut méridional et le riant Tournaisis.
Dans les campagnes largement ondulées où frissonnent
les chaumes, des fermes monumentales forment des
groupes de bâtiments carrés aux murs épais percés de rares
ouvertures entourant une cour intérieure où l'on accède
par une porte solide : vraies forteresses qui jouèrent un
rôle important dans les guerres d'autrefois. Il suffit de se
rappeler les fermes de Papelotte, de la Belle-Alliance,
de la Haic-Sainte, si rudement disputées entre Anglais
et Français à Waterloo (20 kilomètres Sud- Est de
Bruxelles). Ces plaines sèches, riches, de circulation aisée,
furent du reste un couloir naturellement suivi par les
armées désireuses d'éviter à l'Ouest les marais de Flandre,
à I Est les forêts des Ardennes. De Jemmapes à Liège,
par Seneffe, Charleroi, Fleurus, Ligny, Waterloo,
Ramillies, Neerwinden, il n'est guère de localité qui
n ait attaché son nom à quelque bataille. La seule plaine
de Fleurusen vit quatre (1622, 1690, 1794, 1815).
CLIMAT. 00 Les plaines belges ont un climat
nettement maritime, fort semblable à celui de la France
du Nord. Les moyennes de température à Ostende et
Bruxelles sont les mêmes qu'à Calais et à Pans. L'in-
lluence prédominante des vents d'Ouest modère les froi-
dures hivernales et les chaleurs de l'été. On compte, en
moyenne, 70 centimètres de pluie répartis en cent
quatre-vingts jours. Moins fortes que dans l'aquatique
Hollande, la neljulosité, la fréquence des brumes et des
brouillards ne laissent pas que de gâter un climat où huit
jours de beau temps consécutif sont une grande rareté.
COURS D'EAUX ET CANAUX. 00 La
Flandre occidentale a son petit fleuve : l'V ser, dont le
nom, presque inconnu avant la Grande Guerre, s'est
élevé à la dignité des plus illustres. 11 coule entre des
rives endiguées, facilement inondables, dans la plaine
maritime de Roulers et .Nieuporl.
Le Heuve belge par excellence est l'ELscaut (Schelde,
en flamand). Néen France où il arrose Cambrai, Denain,
Condé, il entre en Belgique en amont de Tournai, et,
grossi de la Lys(Courtrai), d'origine également française,
il arrive à Gand. Recueillant par la suite les eaux venues
du Hainaut, du Brabant, de la Campine, par tout un
éventail de rivières : Dendrc, Ruppel, formée de la Senne
(Bruxelles), de la Dyle(Maline3ct Louvain), de la Nèthe,
l'Escaut se termine par un large et profond estuaire à
l'origine duquel s'est placée Anvers. Type parfait du
fleuve de plaine en pays de climat océanique, l'Escaut,
fort semblable à quelque large fossé artificiel , décrit avec
93
L'EUROPE
lenteur des séries de me'andres entre les digues qui accom-
pagnent ses eaux bourbeuses. Son régime régulier
Ignore les crues dévastatrices et les maigres préjudiciables
à la navigation. La marée, qui porte à 15 mètres la pro-
fondeur du fleuve devant les quais d'Anvers, se fait sentir
jusqu'à Gand, à plus de 100 kilomètres de la haute mer,
jusqu'à Mahnes, et à peu de distance de Bruxelles. Ses
affluents, endigués eux aussi, approfondis, canalisés, reliés
aux réseaux de la Flandre française et de la Meuse, com-
plètent un système de voies fluviales dont Anvers est le
naturel débouché et dont l'importance est d'autant plus
grande qu'il dessert un pays de riche industrie, d'agricul-
ture florissante et de population extrêmement dense.
AGRICULTURE ET ÉLEVAGE. 00 Depuis
de longues générations. Brabançons et Flamands surent
mener de front les travaux agricoles et les occupations
industrielles.
Les régions où la culture était à la fois la plus aisée
et la plus rémunératrice furent d'abord mises en valeur :
hautes plaines limoneuses du Brabant, du Hainaut, de
la Hesbaye. Puis on s'attaqua aux terres pauvres, sablon-
neuses, des Flandres, aux marais de la zone côtière.
Aujourd hui, sauf quelques landes de la Campine, il n'est
pas un pouce du sol qui ne soit utilisé. Les résultats
obtenus sont tels qu'on pouvait les attendre d'un peuple
patient, méthodique, acharné au labeur, d'esprit ouvert
aux méthodes scientifiques. La division de la propriété,
I abondance des engrais chimiques et la facilité de leur
transport, un enseignement agricole très perfectionné, le
bon marché des machines et de la main-d'œuvre ne
contribuent pas peu à rendre intensive une culture dont
les rendements comptent parmi les plus élevés de
l'Europe.
Les plus belles récoltes de blé s'obtiennent dans les
régions sèches du Brabant et de la Hesbaye. C'est aussi
le domaine préféré de la betterave sucrière. Les sols sa-
blonneux de la Flandre, de la Campine conviennent mieux
au seigle, à l'avoine, à la pommade terre. Sur les grasses
terres des polders, dans le pays de Waës, prospèrent
1 orge, les cultures maraîchères et horticoles destinées soit
au marché local, soit à l'Angleterre. Le houblon (Pope-
nnghe, Alost, Courtrai), le lin (Tournaisis et rives de la
Lys), le chanvre, le tabac, le colza, la chicorée complè-
tent la série des cultures industrielles.
L élevage, sauf celui du mouton (Hainaut, Campine),
est en grand progrès aux dépens même de la production
agricole. La concurrence des céréales, des lins, des
chanvres venus de l'étranger a conduit nombre de pro-
priétaires belges à resteindre l'étendue de leurs terrains
arables pour augmenter leurs prairies naturelles et artifi-
cielles. C'est un phénomène du même genre qui s'observe
en Angleterre, en Hollande, dans les pays où l'humidité
du climat est éminemment favorable à la croissance des
graminées. Les vaches laitières flamandes, les chevaux
de gros traits flamands et brabançons ont une renom-
mée universelle. Le porc s'élève dans toutes les fermes
en même temps que les animaux de basse-cour.
Peu de forêts. On ne peut citer que les bois de pins
qui croissent sur les sols pauvres de la Flandre occiden-
tale et de la Campine, les chênes, les hêtres, les tilleuls
de la forêt de Soigne, près de Bruxelles, et les boqueteaux
du Hainaut au nord de Mons.
INDUSTRIE. 00 L'usine et la fabrique voisinent
avec la ferme. Elles se complètent même par le fait que
nombre d'ouvriers sont aussi propriétaires de parcelles
cultivables et alternent leurs travaux suivant le jeu des
saisons. On connaît la vieille renommée des toiles et des
draps de Flandre, des dentelles, des tapisseries et velours
de Bruxelles, de Malines, de Bruges ; on sait le rôle que
jouèrent dans les communes d'autrefois tisseurs, teinturiers,
foulons, etc. Bruges, par exemple, avait au XV® siècle
80 corporations et 3 000 ouvriers employés au seul tra-
94
LA BELGIQUE
\
i r
BRUXELLES : PLACE DE L'HOTEL DE VILLE. Bnue/les n'at p<a une da
p/ca antûjaei cites de la Bdj[iQue.\faiM,dèslexn* ûêdcelle te ditiinguaif t^TfacUvite,
Fetprit Simiiatice tl d'indépendance de lei hai\*ants; puû, à tatlir ^u x^' tiède, tout
Jes prince» de la inaiton dt. Botatogne, elle tint le rôle de captlaie da Pays-Bai. La
grand'plau ccafie à peu pris le centre de la ville basse, la plus ancienne et la ptta
animée. La rnauont des corporatioru lui font an cadre fort piHoreaa^te que romoièlenl
tplendidement l'HoIel de cille tdibre et la Tour harmorùeuse haute de 105 mètres,
élevés an XV* siècle. CL LivY.
95
L'EUROPE
DINANT La Meuse s'est frayée à ttavers les ArJennes Ulges une: voie étroite
que bordent des versants raides, escarpés, pittor:iSi}ucs. La petite ville de Dinant
s'est logée entre les rochers et la rivière, au pied d'une tolline que couronne une
antique citadelle. Cl. LÉVY.
BRUGES fut. avant Anvers, la métropole ccrruneriiale de la Flandre maritime.
Une longue déchéance lui valut le surnom de Bruges la Morte. Mais ses maisons
anciennes, ses béguinages, ses églises ses monuments civils: halles, hôtel de ville.
bc0roi, en font la plus exquise des viùes belges. CI. LÉVY.
ANVEJ^. Anven doit à l'Escaut d'être devenue l'un de* premiers ports du
continent Européen et du monde. Le fleuve est large de 300 à 600 mètres, profond de
15 mètres à marée haute, et tout un éventail de canaux, de rivières navigables de
voies ferrées converge vers les quais de l'opulenle cité. Cl. Neurdein.
TOURNAI L'une des plus anciennes parmi les villes flamandes, l'une de celles,
aussi, qui subirent le plus de sièges. Tournai dut de tout temps aux industries de
tissage une prospérité qu'atteste, entre autres monuments, cette splendide église
romane, du plus pur style français. Cl. LÉvv.
j VALLÉE DE LA SEMOY Excellent type de paysage
dora l'Arder.ne belge. La Semoy y décrit des méandres
' entre deux rices dissemblables, l'une abrupte et boisée,
I / autre à pente douce, couverte de champs. CI. Nels.
96
MARCHIENNE lait /Jor/re du
groupe minier et irrdustriel de Char-
leroi, dans le " Pays noir " belge.
C. S'« Phot. Armée Belge.
COXYDE-SUR-MER. Les
plaines
tasses
de la Flandre 1
maritime sont naturellement
protégées
contre
/ envahisse -
ment de la mer par des cor
dons de
dunes
en
arrière des-
quelles s'étalent les " Moëres"
CI. Nels.
LA BELGIQUE ET LE GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG
vail de la laine. Les industries textiles sont encore au-
jourd'hui les plus prospères dans toute la plaine flamande.
Le charbon, fourni par les bassins belges de Mons, Char-
leroi et les mines françaises de Valenciennes. Denain,
Anzin, est transporté à bon compte par le réseau des cours
d'eau navigables et des canaux. Si le travail de la lame a
plutôt émigré vers Liège et Verviers, le coton a pris sa
place et Gand en est le grand centre. Le lin, le chanvre,
le jute se tissent à Tournai, Alost, Saint-Nicolas, .Aude-
narde. La dentelle occupe plus de 50 000 ouvrières dans
la région de Bruxelles. Bruges et Maline?.
Aux industries textiles s'ajoutent, dans le Hainaut, les
industries métallurgiques. La province est. en effet, traver-
sée par la grande bande de terrains carbonifères qui s étend
en bordure des massifs anciens, depuis l'Artois jusqu'à
Aix-la-Chapelle. Elle fournit à elle seule les trois cin-
quièmes des 23 000 000 de tonnes de houille extraites du
sol belge en 1 920. Mons est le centre du ' ' Borinage ", du
pays noir, ou les hauts échafaudages des puits de mine,
les cheminées d usines dominent les corons uniformes
alignés le long des routes. Une véritable fourmilière
humaine, répartie en agglomérations qui se touchent
toutes, sous un ciel de suie, s'occupe à l'extraction de la
houille, à la confection des objets en métal, de la verre-
rie, des produits chimiques.
Enfin la fabrication du papier, surtout dans la région
comprise entre la Seine et la Dyle. le traitement des cuirs
et peaux, la brasserie, les industries alimentaires (raffine-
ries notamment) disséminées dans les diverses provinces,
les carrières de pierres du Tournaisis. occupent encore
un rang fort honorable parmi les diverses sources de la
richesse nationale.
LES VILLES. 00 Malgré la densité très grande
de la population, on ne trouve pas en Belgique, — comme
par exemple dans les régions industrielles de la Wesl-
phalie ou de l'Angleterre, — une série de grosses agglo-
mérations urbaines sur un espace restreint.
Dans le Hainaut, Mo.ns, la capitale du Borinage, n'a
que 27000 habitants. Mais une poussière de petites
villes ou de gros bourgs industriels lui forment comme une
banlieue continue : Jemmapes. Pâturages, etc. Tournai, à
l'écart du Pays-Noir, ne groupe que 37 000 âmes à l'ombre
de son beffroi, le plus ancien de la Belgique, et de sa
magnifique cathédrale.
Dans la Flandre occidentale, Courtrai eut, au Moyen
Age, 80 000 habitants, Bruges 1 50000, Yprcs200000!
Courtrai n'a plus que 37 000 habitants occupés surtout au
tissage du lin. Nous connaissons le sort de Bruges la Morte,
bien déchue de son Importance passée. Nous ne savons
que trop le tragique destin d'Ypres, déjà réduite avant
la guerre à 17 000 habitants seulement, et maintenant
écrasée, presque anéantie sous les bombes allemandes.
pleurant à jamais la splendeur de ses halles célèbres.
La Flandre Orientale a su conserver beaucoup plus
intense une activité non moins ancienne. Gand
(167000 habitants) en est lareine. Au xv'^^ siècle, elle fut
peut-être la première cité du monde. C'est encore une des
plus grandes villes industrielles de la Belgique, en relations
directes avec la mer non seulement par l'Escaut, mais par
le canal de Terneuzen, profond de 5 mètres, large de 60,
qui lui permet d'échapper a l'entremise d'Anvers. On y
tisse le coton et le jute ; ses jardins, ses pépinières lui
font une ceinture toute fleurie et de riche profit. Bâtie
sur des îlots, au confluent de la Lys et de l'Escaut, elle
est coupée de canaux, remplie de béguinages, de vieilles
maisons pittoresques au milieu desquelles de larges voies
nouvelles, de vastes places ont apporté l'air et la lumière
indispensables à la vie moderne. Alost (35 600 habitants).
Saint-Nicolas (35 000 habitants), Audenarde (22000 ha-
bitants), Termonde participent à la vie industrielle de la
région.
Dans la provinced'Anvers.Malines (60 000 habitants),
ancienne métropole religieuse de la Belgique, Lierre
(26000 habitants), sont éclipsées par la gloire d'Anvers.
Anvers connut dans le passe des périodes d'extrême
prospérité suivies de longs déclins. Au XVi'' siècle, les
Anversois, comme exportateurs, banquiers, manufactu-
riers, l'emportaient sur tous leurs rivaux européens. Le
traité de Westphalie (1648), qui leur ferma les bouches
de l'Escaut, les ruina au profit d'Amsterdam. Sous la
Révolution et l'Empire, Anvers reprit une activité qui,
de nouveau languissante entre 1815 et 1853. ne cessa
plus de croître depuis le rachat des droits perçus par la
Hollande, et fit d'Anvers (322 000 habitants) non seu-
lement le premier port belge, mais l'un des premiers du
monde.
C'est le type même des ports d'estuaires, accessibles aux plus
grands navires de mer, cl débouchés naturels d'un reseau complet
de voies navigables que doublent des voies ferrées cl qui des-
servent des régions très productives el 1res peuplées. Roticrdam,
l'iambourg, le Havre occupent des positions similaires, Anvers s'est
donnénaturellement tout l'outillage nécessaire auxgrands "emporta "
modernes : bassin), docks, réesrvoirs, entrepôts, etc. Sa clientèle
s'étend non seulement à la Belgique, mais à la France du Nord el
de l'Est, el jusqu'à la Suisse, tandis que des services régulrers de
vapeurs l'unissent à la plupart des grands ports de l'univers. Elle
s'est (ait une spécialité des cafés du Brésil, des pétroles et des
cotons américains, des laines de la Plala, du caoutchouc et de
l'ivoire fournis par le Congo. La grande prospérité d'Anvers
n'avait point manqué d'exciler les convoitises germaniques, el,
avant la Grande Guerre, l'Allemagne y avait acquis une place
prépondérante qui ne devait être que le prélude de l'occupation
effective. Délivrée de ce danger, Anvers voit s'ouvrir devant elle
un avenir magnifique et d'autant plus assuré qu'il a sa raison d'être
dans une situation géographique dont rien ne saurait diminuer la
valeur.
Au centre même des plaines belges, la province de
97
GEOGRAPHIE INIVERSELLE
10
L'EUROPE
Brabant a pour capitale Bruxelles (685 000 habitants) avec
la banlieue). Bien que Bruxelles ait pris une part active à
toute Ihistoire des Communes flamandes. — histoire dont
témoigne encore son hôtel de ville au beffroi ajoure' et
les maisons pittoresques de ses anciennes corporations, —
elle était fort distancée par Ypres, Bruges, Anvers, etc.,
lorsque les ducs de Bourgogne la choisirent comme rési-
dence pour des raisons surtout politiques et stratégiques.
Ellle se trouve, en effet, au point de croisement des
grandes routes qui se dirigent vers la mer, la Hollande,
la France et l'Allemagne. De plus, elle est si exactement
à la limite des deux lemgues parlées en Belgique que la
ville haute, vers l'Est, est française, tandis que la ville
basse, la plus ancienne, est flamande. Très vivante, très
animée, très cosmopolite, résidence de la Cour, ayant,
comme il sied à toute capitale, d'importants établissements
scientifiques, littéraires et artistiques, de riches musées,
un conservatoire de musique renommé, etc., elle manque
de ces traits saillants qui caractérisent tant d'autres vieilles
cités belges et se gravent fortement dans le souvenir.
Louvain (42000 habitants) n'a plus guère que la moitié
de la population qui s'entassait, au Moyen Age, dans son
enceinte. Son Université, fondée en 1 426, est la plus
fréquentée du royaume après celles de Liège et de
Bruxelles. Son hôtel de ville, du style ogival fleuri, un
des joyaux de la Belgique, échappa, par grande chance,
aux incendies allumés en 1914 par les soldats allemands.
Dans le Limbourg belge, chef-lieu Hasselt, et dans
les parties des provinces de Liège et de Namur sises sur
la rive gauche de la Meuse, les petits centres urbains :
Tongres, Neerwinden, Ramillies, servent de marchés
aux campagnes fécondes qui les entourent.
LE SILLON DE SAMBRE ET MEUSE. 0e)
Les plcunes belges se terminent au sillon régulier, orienté
Sud-Ouest Nord-Est, qui suit la Sambre jusqu'à son
confluent, qu'emprunte la Meuse entre Namur et Liège,
et que la vallée de la Vesdre prolonge dans la direction
du Rhin. C'est une fracture naturelle de l'écorce terrestre
que les eaux fluviales ne creusèrent point de toutes pièces,
mais se contentèrent d'approfondir et de modeler.
Ce trait SI net du relief belge a une importance double.
D abord c est une voie de communication toute tracée
entre la France du Nord et la Westphalie. Le chemin
de fer Paris-Cologne-Berlin ne quitte la vallée de l'Oise,
près de Guise, que pour suivre fidèlement le val de
Sambre et Meuse. Sur la Sambre, unie par canaux
à 1 Escaut et à l'Oise, glissent les grands chalands char-
gés de charbon destiné surtout à la région parisienne.
La Meuse, profonde de trois à quatre mètres, dessert les
riches régions industrielles de Namur, Seraing et Liège,
qu'elle met en rapport facile avec Rotterdam.
En second lieu, la zone de terrains carbonifères, que
nous vîmes traverser le Hainaut, atteint le sillon de
Sambre à Charleroi, suit la Meuse jusqu'au delà de
Liège, et se continue par Aix-la-Chapelle jusqu'au
fameux bassin allemand de la Ruhr. Des mines de fer
et de très importants gisements de zinc (Huy, Seraing,
Moresnet) accompagnent les dépôts houillers. Ainsi
s'explique le développement industnel d'une zone où la
matière première abonde et où les moyens de transport
sont aisés.
Charleroi (33 000 habitants), sur la Sambre, est, comme
Mons, une ville maussade d'usines, de fabriques, de
hauts fourneaux que complètent de nombreuses éigglo-
mérations industrielles toutes voisines : Jumet, Mar-
chiennes, Châtelet, Chatelineau, Courcelles, etc.
Namur (33 000 habitants) occupe au confluent de la
Meuse et de la Sambre une position stratégique qui lui lit
jouer autrefois un rôle mihtaire fort important. On y
fabrique de la verrerie, de la coutellerie. Andenne et
Floreffe, ses voisines, ont des papetenes et des verreries.
Au delà de Namur, la Meuse suit un couloir fort
encaissé, bordé cependant d'établissements industriels
qui se multiphent aux approches du carrefour de routes
où Liège naquit.
Une cité d importance devait nécessairement se for-
mer en ces lieux favorisés où l'Ourthe venue des
Ardennes, la Vesdre venue des pays rhénans, et la
Meuse confluent, où se croisent les routes des Pays-Bas.
de France et d'Allemagne, où les terres à blé de la
Hesbaye touchent aux prairies du Pays de Hervé, aux
bois du Condroz, aux gisements métallifères de la Meuse
et de la Vesdre. De très ancienne origine, puisqu'elle
se vante d'avoir vu naître Charlemagne, Liège prit
rang au Moyen Age parmi les Communes les plus
industrieuses, les plus batailleuses aussi de la Belgique.
Dès le XV* siècle, on y comptait une population nom-
breuse d'artisans souvent en lutte avec le prince-évèque.
C'est aujourd'hui une cité de 170000 habitants, fort
agréable, très vivante, très gme, entourée de riantes
collines semées de maisons de plaisance, tandis que les
usines, les fonderies de canons, les manufactures
d'armes, etc., remplissent la vallée. Une florissante
Université, un Conservatoire de musique maintiennent
la vieille réputation intellectuelle et artistique des
Liégois.
Seraing (42 000 habitants), le Creusot de la Belgique,
fondé en 1 907 par John Cockerill, n'est qu'un faubourg de
Liège. Dans la vallée de la Vesdre, Chênée et Angleur
ont des fonderies de zinc appartenant, comme celles de
Moresnet, à la Société dite de la Vieille-Monteigne.
Verviers (46 000 habitants), ville moderne, concentre la
majeure partie des industries lainières de la Belgique.
Herstal (Heristal) et Landen, voisines de Liège, furent
le berceau de la famille des Carolingiens.
- 98
LA BELGIQUE ET LE GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG
La Haute-Belgique
Au Sud du sillon de Sambre et Meuse, la nature
et l'aspect du sol se modifient. Aux terrains tertiaires
et quaternaires de la Belgique des plaines, succèdent
les grès, les schistes, les calcaires primaires du Massif
Ardennais. C'est une pénéplaine ", c'est-à-dire une
région qui fut couverte de hautes montagnes dépendant
du plissement hercynien, mais qu une longue érosion
usa, rabota jusqu'à la racine, et réduisit à ne plus être
qu'une succession de plateaux dont l'altitude maxima
atteint 65 1 mètres seulement.
Ces plateaux portent d'abord le nom de Fagnes
entre la Sambre et la Meuse, de Condroz et Famenne
entre la Meuse et la Vesdre, de Pays de Hervé au
Nord de la Vesdre. Les bois y sont déjà nombreux ;
mais une altitude qui ne dépasse guère 200 à 300 mètres,
un sol argileux assez fertile, sont encore favorables non
seulement aux pâturages, mais même aux cullures de
seigle et d'avoine.
L'Ardenne proprement dite, qui compose la majeure
partie de la province appelée le Luxembourg belge,
est la région la moins productive, la moins peuplée de
la Belgique. Une immense forêt {Ar Dean, la forêt
en langue celtique) la recouvrait autrefois tout entière,
terrain de chasse favori de nos premiers rois et lieux
propices aux exploits légendaires des paladins. Dans la
suite des temps, la forêt se coupa de clairières ; des
landes d'ajoncs et de genêts, des taillis souffreteux rem-
placèrent en maints endroits les majestueuses futaies où
les hêtres et les chênes alternaient avec les bouleaux. Sur
les dépressions argileuses où stagnent les eaux de pluie,
s'étendent des tourbières noirâtres (Venn en allemand
Veen en flamand, Joignes en français) qui donnent.
leur nom à plusieurs des régions ardennaises. Coupant
brusquement la morne surface des plateaux, d'étroites
vallées où chantent les rivières apportent un élément de
gaieté et de vie : la Meuse d'abord, belge depuis
Civet, et qui arrose, avant Namur. la pittoresque
Dinant, "tout à l'étroit entre les rocs qui la surplombent
et la rivière qui létremt " ; puis laSemoy, aux méandres
innombrables ; la Lesse, que rendirent célèbre les grottesde
HanetdeRochefort ; l'Ourthequi, née entre Neuf château
et Saint-Hubert, va rejoindre la Meuse sous les murs de
Liège. Un climat rude, des hivers longs et froids, d'a-
bondantes chutes de neige et de pluie s'opposent, beau-
coup plus que l'altitude, à la mise en valeur du sol
et à l'accroissement des populations. Sauf à 1 extrême
Sud-Est du Luxembourg belge où, dans les pays de
Virton et d'Arlon, un climat plus doux, plus ensoleillé
permet la culture des céréales riches et des arbres frui-
tiers, les plateaux ardennais ne portent guère que des
champs maigres de seigle et d'avoine, des prairies que
tondent les moutons et des chevaux de petite stature
mais très robustes.
Les habitants sont peu nombreux (de 30 à 55 au
kilomètre carré), mais de race saine, vigoureuse, endurcie
par l'âpre climat. Ils vivent dispersés dans des hameaux
ou de petites agglomérations rurales dont les plus impor-
tantes : Neufchâteau, Bouillon, Rochefort, Saint-Hu-
bert, etc., ne dépassent pas 4000 ou 5 000 habitants.
Spa, au Sud de Verviers, est une ville balnéaire très
fréquentée. Chimay, Philippeville et Marienbourg, dans
les Fagnes. furent autrefois d'importantes forteresses
commandant la route de Pans a Namur par Laon,
Hirson et Dinant.
CARACTERES GENERAUX DE LA VIE BELGE
.\u dernier recensement (1921), la population totale de
la Belgique, y compris lespays récemment annexés, s'éle-
vait à 8 000 000 d'habitants soit 260 au kilomètre carré.
C'est la plus forte densité atteinte par un Etat européen.
Cette densité s'explique non seulement par la prolificité
de la race, mais aussi par les diverses raisons d ordre
géographique ou économique que nous avons analysées
dans les pages précédentes :
1° Agriculture savante, intensive, obtenant de forts
rendements sur un étroit espace ;
2' Industrie très active, due pour une part à la per-
sistance d'anciennes traditions, et pour une autre part,
beaucoup plus importante, à l'abondance de la houille
(23 000000 de tonnes), du fer (2 500 000 tonnes) et du
zinc ; à la multiplicité et au bon marché des moyens de
transport (8 000 kilomètres de voies ferrées, nombreux
canaux et rivières navigables) ;
3" Commerce d'une telle ampleur qu'il atteignait, à la
veille de la Grande Guerre, 1 1 340000000 de francs,
soit un quart de moins seulement que le commerce de
la France et près du double du trafic de l'Italie, pourtant
cinq fois plus peuplée.
Dans ce chiffre de plus de 11000 000000 de francs,
8 900 000 000 représenlaienl la valeur du commerce spécial, c'esl-
à-dire des objets et denrées produits par la seule Belgique ou
nécessaires à ses besoins. Les 2 437 000 000 restants se rapportent
aux marchandises en transit. Sans occuper, en effet, une place aussi
privilégiée que la Hollande pour la concentration et la distribution
des articles venant de lextérleur et destinés aux marchés étrangers,
la situation du Royaume belge, entre l'Anglelcrre, la France, les
Pays-Bas, l'Allemagne, la Suisse même, les grandes lignes Interna-
99
L'EUROPE
lionales qui le traversent, les cours d'eau navigables qui l'unissent
à ses voisins, en font un intermédiaire naturel, une sorte de courtier
qui prélève un pourcentage appréciable sur les produits qui trouvent
inlérêl à emprunter son territoire. C'est Anvers, par exemple, qui
dessert une partie de la Lorraine, etc.
. TABLEAU DU COMMERCE SPÉCIAL
Importations
PRINCIPAUX PAYS DE PROVENANCE
ET DE DESTINATION
En 1913
4 958 000 000 de francs.
En 1920
11 171 467 000 francs.
Laine 428 000 000
Blé 402 000 000
Denrées ) 2 543 000 000
alimentaires. )
Matières ' 5 153 qoO 000
premières. '
Produits i 3 J70 0ÛO0OO
manufactures. *
Coton 211 000 000
Peaux 180000000
Charbon 148 000 000
Mais 139 000 000
Caoutchouc 134 000 000
Bois 123 000000
Produiu chimiques . . 120 000 000
Un 108 000 000
Caii 85000000
etc.
Exportations
En 1913
3 951 000 000 de francs.
En 1920
8 708 000 000 de francs.
Lainages 457 000 000
,.°'"'^" i 663 000 000
alimentaires. \
Matières J 3 3,3 oOO 000
Produits ) ^ ^^g QQQ QQQ
labriques. '
Fers et aciers 262 000 000
Toiles et (ils de lin . . . 252 000 000
Matériel de chemin
de fer . 120 000 000
Zinc 120 000 000
Caoutchouc ouvré .... 109 000 000
Machines 94 000 000
Charbon 92 000 000
Cotonnades 92 000 000
Verre et glaces, pa-
pier, sucre, etc.
Comme on le voit, la prospe'rité de la Belgique est due
surtout au magmfique développement de ses industries.
Elle achète des produits alimentciires (blé, café, maïs) et
des matières premières nécessaires à ses usines (laine,
coton, peaux, caoutchouc, lin, etc.). -Elle vend presque
uniquement des produits fabriqués.
'
En 1913.
En 1920.
Importations
France
Grande -Bretapie
Allemagne
États-Unis /
Venant de :
908 000 000
505 000 000
503 000 000
413 000 000
355 000 000
305 000 000
272 000 000
200 000 000
2 200 000 000
1 923 000 000
903 000 000
1 941 000 000
703 000 000
530 000 000
?
?
Pays-Bas
République Argentine
Exportations
allant à :
I 077 000 000
1 281 000 000
752 000 000
594 000 000
357 000 000
185 000 000
92 000 000
63 000 000
2 508 000 000
1 350 000 000
1 025 000 000
304 000 000
137 000 000
î
Grande-Bretagne
Pays-Bas .
Ce sont naturellement les quatre voisins de la Belgique
qui entretiennent avec elle les relations commerciales les
plus importantes. 11 faut noter cependant le chiffre élevé
des importations provenant, avant la guerrre, de 1 Ar-
gentine, de la Russie et de la Roumanie. Elles fournis-
saient aux usines et à la population belges la majeure
partie des laines, du Im, des céréales, des cuirs qui
débarquaient à Anvers.
Le pavillon belge ne prenait qu une bien faible partie
du trafic par voie de mer. En 1913, la Belgique ne possé-
dait, en effet, qu une centaine de navires marchands jau-
geant 180000 tonneaux. Ce sont des bateaux étrangers :
anglais, hollandais, norvégiens, allemands surtout, qui se
chargeaient du transport des marchandises et des passa-
gers. Anvers tendait de plus en plus à devenir une sorte
de succursale des grands armateurs de Brème et de
Hambourg. La Belgique paraît aujourd'hui décidée à
mettre à profit 1 affaiblissement momentané de la marine
de commerce allemande pour se donner la flotte nationale
indispensable à sa prospérité économique.
LE GRAND-DUCHE DE LUXEMBOURG
La province belge du Luxembourg se complète par le
Grand-Duché du même nom. Lorsque, aux siècles
passés, les deux temtoires se trouvaient réunis, ils for-
maient un Etat féodal mouvant tantôt de la Couronne de
France, tantôt du Saint-Empire Germanique. Si la
Maison de Luxembourg ne donna pas à l'Allemagne
moins de quatre Empereurs, elle envoya aussi les plus
braves de ses fils combattre pour nos rois sur les champs
de Bouvines, de Crécy, d'Azincourt. Sous Louis XIV,
le hasard des guerres nous rendit maîtres du duché pen-
dant un quart de siècle et Vauban fortifia sa capitale.
Bien plus, de 1793 à 1815, le Luxembourg, incorporé
au territoire français, devint le département des Forêts,
et les conscrits luxembourgeois, mêlés à leurs frères de
France, coururent l'Europe sous les plis du drapeau trico-
lore. En 1815, on attribua le Grand-Duché, comme bien
patrimonial, au Roi de Hollande qui prenait aussi la
Belgique. Mais, en 1830, la Belgique devint libre, et,
du territoire du Grand-Duché, on fit, en 1839, deux
parts : l'une belge, 1 autre qui demeura autonome, fut
neutralisée et confiée à une branche cadette de la famille
de Nassau.
La position géographique du Grand-Duché, aux
confins de la Lorraine, de la Belgique et de la Prusse
100
S?@*J
GÉOGRAPHIE l'NfVXRSELLE PL 7
LA FRANCE
rhénane, lui confère une importance stratégique que la
Grande Guerre a mise en pleine lumière. L'Alle-
mcigne qui, au XIX® siècle, avait fait des efforts continus
pour annexer, directement ou mdirectement, le Luxem-
bourg, viola sa neutralité dès les premiers jours du conflit
et l'occupa jusqu'en 1918. Depuis lors, le Grand-Duché
est pacifiquement administré par une princesse de
Nassau sous le contrôle étroit d'une Chambre des
Députés. L'ancienne union douanière avec le Zollverein
allemand a été rompue et remplacée par une union éco-
nomique avec la France. Du reste, les sympathies de la
grande majorité des Luxembourgeois nous sont acquises.
Bien que la population emploie surtout un dialecte alle-
mand, le français est non seulement la langue des gens
les plus cultivés, mais aussi la langue officiellement
employée à la Chambre et devant les tribunaux. C'est en
France, et surtout à Paris, que se fixent la majorité des
Luxembourgeois de toutes conditions qui quittent tempo-
rairement leur pays, soit pour exercer une profession quel-
conque, soit pour parfaire leur éducation.
Le territoire du Grand-Duché ne couvre que 2386
kilomètres carrés; mais il nourrissait, en 1920,
265000 habitants, soit 100 au kilomètre carré, chiffre
fort élevé si l'on songe que tout le Nord du pays appelé
Oesling ou Eisling (la glacière) n'est qu'une portion de
l'Ardenne dont il a les hauts-plateaux de schistes noirs,
les vallées très creuses, les sombres taillis, le climat rude,
le sol ingrat. Au fond des méandres encaissés scintillent
les eaux argentées de rivières rapides : la Sure, 1 Our,
là Wiltz. Au sommet des rocs, les ruines de forteresses
féodales : Brandenbourg, Vianden, Bourscheid, Laro-
chette, Stolzembourg, etc., ajoutent encore au pittoresque
d'un paysage que les Français connaissent trop peu,
mais que savent depuis longtemps apprécier les touristes
d'Allemagne et de Belgique. Le Sud doit une fertilité
beaucoup plus grande à son climat plus tiède, plus
ensoleillé, et surtout à un sol où. comme en Lorraine,
prédominent les calcaires et les marnes. C'est le Gutland,
le " Bon Pays". On y cultive le blé, les fruits, la vigne
même, et, sur les coteaux mollement ondulés, dans les
vallées plus largement ouvertes, villages et fermes se
multiplient au milieu des prairies et des labours. Les
ressources du sous-sol complètent, par ailleurs, celles que
l'on tire de l'agriculture et de l'élevage. Les gisements
de fer lorrains se prolongent, en effet, sur le territoire du
Grand-Duché. Quatre-vingt-six mines ont donné, en
1913, 7 000000 de tonnes de minerai, et les hauts
fourneaux du district d'Esch-sur-Alzette livrèrent la
même année 2200000 tonnes de lingots de fer et
1 200000 tonnes d'acier.
Point d'autre cité digne de ce nom que Luxembourg,
la capitale (21000 habitants), autrefois puissante forte-
resse, aujourd'hui agréable et très pittoresque petite
ville, perchée aux rives de l'Alzette. Diekirch, Vianden.
Wiltz, Clervaux concentrent les produits de l'Eisling
(seigle, pommes de terre, bois, ardoises), comme
Echternach, Esch. Dudelange, le font pour ceux du
Bon Pays.
CHAPITRE VIII
LA FRANCE
GÉNÉRALITÉS, a^f Depuisquela victoire nous
a rendu l'Alsace et la portion de Lorraine qui nous fut
arrachée en 1870, la France couvre 550000 kilomètres
carrés. Elle eit donc aujourd'hui, après la Russie, le plus
vaste des États européens. Ses limites naturelles sont très
nettement indiquées à l'Ouest, au Sud et à 1 Est par la
mer, les Pyrénées, les Alpes, le Jura et le Rhin. Mais,
au Nord, nulle barrière ne l'isole de la Belgique et de
l'Allemagne rhénane. Aussi est-ce là, comme le démontre
toute notre histoire, le point faible d'une frontière par
ailleurs parfaitement protégée. C'est la porte large ouverte
par où déferlèrent tant de fois les hordes barbares se ruant
à la curée d'une terre vers laquelle l'amincissement pro-
gressif de l'Europe, d'Est en Ouest, les portait naturelle-
ment.
La situation à la fois maritime et continentale de la
France, la disposition de ses côtes, de son relief, lui
assurent un certain nombre d'avantages.
D'abord elle se trouve exactement a mi-dislance de
l'équateur et du pôle arctique (entre le 42 et le 31'. ■
lat. N.). Les vents marins, les tièdes effluves du Gulf-
Stream et de la Méditeiranée s'y marient aisément avec
la bise sèche qui souffle de l'Est. Cela lui vaut un climat
généralement tempéré qui ne connaît ni les froids rigou-
reux de l'Europe centrale et orientale à pareille latitude,
ni l'humidité persistante de l'Angleterre, ni la torride ari-
dité de l'Espagne. Par ailleurs, d'infinies nuances locales
donnent a ce climat une variété qui se traduit par l'heu-
reuse diversité de la végétation, des cultures et des formes
de vie. La vigne et le houblon, l'olivier et le pommier,
101
L'EUROPE
le maïs et le blé, les maquis toujours verts, les sylves à
feuilles caduques, les sombres forêts de conifères trouvent
à la fois chez nous les conditions climatiques qui leur
conviennent le mieux.
En second lieu, grâce à sa double ou même quadruple
façade maritime, très suffisamment pourvue de bonnes
rades naturelles, la France a toujours pu diriger aise'ment
son activité vers toutes les mers du globe. Par Mcirseille,
Porte de l'Orient ", elle est, depuis la plus haute anti-
quité, en relation avec la Grèce, l'Egypte, l'Asie et
l'Afrique Mineure, à quoi s'ajoutent aujourd'hui, par delà
le canal de Suez et la mer Erythrée, les lointaines et long-
temps fabuleuses contrées de l'Extrême-Orient. Bor-
deaux, La Rochelle, Nantes. Rouen, le Havre regardent
vers l'Amérique, comme Dunkerque vers les pays que
baignent les sombres mers du Nord.
La France est en même temps un pays terrien, pro-
fondément engagé dans le bloc continental de l'Europe.
C'est chez elle que se sont opérés la rencontre, le heurt
et parfois le mélange des peuples germaniques et des
peuples latins, des hommes grands et blonds et des
hommes petits, aux yeux bruns, à la noire chevelure-
Pendant toute son histoire elle a pris position dans toutes
les grandes questoins, s'est mêlée à tous les mouvements
de races et d'idées, à tous les conflits européens. Elle n'est
jamais demeurée isolée. C'est d'elle, au contraire, quesont
parties les conceptions les plus généreuses, les théories
politiques ou sociales les mieux faites pour apporter aux
hommes la liberté, l'égalité, la justice.
Si l'on envisage maintenant la structure de notre pays,
on voit qu'elle résume, ei) quelque manière, le relief de
l'Europe entière. Au Nord et à l'Ouest, les bas pays de
Flandre, du bassin Parisien, du Poitou, de l'Aquitaine,
prolongent et terminent les vastes plaines qui s'étalent
sur la Russie, la Pologne, l'Allemagne. Les vieux massifs
.abrasés d'Armorique, d'Auvergne, des Vosges, des
Ardennes se relient, d'une part, aux monts de Grande-
Bretagne, d'autre pari, à la Forêt-Noire, à la Thuringe,
au quadrilatère bohémien. Pyrénées, Alpes, Jura font
enfin partie de cet immense plissement qui bouleversa
l'écorce terrestre au milieu des temps tertiaires et à quoi
1 Europe méridionale doit la longue série de ses hautes
chaînes : Sierra Nevada, Apennins, Carpates, Pinde,
Balkans, etc.
Il y a déjà dans ce seul fait les principaux éléments
d'une variété structurale qui est un des caractères essen-
tiels de la France physique. Plaines, collines, montagnes
jeunes et vieilles se pénètrent et se complètent har-
monieusement, fournissant chacune leur apport distinct
aux besoins de l'homme. Partout la vie circule aisément par
des couloirs de faible altitude. Le long sillon du Rhône et
de la Saône mène du Rhin, de la Moselle et de la Seine à
la Méditerranée par les seuils de Bourgogne, de Lorraine
102 ^
et de Langres. Entre Massif central et Armorique la
porte du Poitou fait communiquer le bassin Parisien et
I Aquitaine. Au Sud, la trouée du Lauragais ou de
Naurouze conduit du Midi toulousain au Midi de Nîmes
et de Marseille. Dans les massifs montagneux eux-
mêmes, les cultures riches, la population dense s'insinuent
jusqu au pied des cimes les plus hautes par les riantes
vallées du Graisivaudan, de la Tarentaise, de la Mau-
rienne, du Forez, de la Limagne, etc. Il n'est pas
jusqu à nos plaines où les caprices de 1 érosion, la diffé-
rence des terrains, les nuances du climat n'introduisent
la plus heureuse variété. Rien chez nous qui ressemble
aux mornes étendues de l'Allemagne du Nord, de
l'immense Russie, des ' ' pusztas " hongroises. Tantôt ce
sont des vallées qui, entamant profondément les plates-
formes calcaires, y créent de longues oasis de verdure
et de fraîcheur : vaux de Loire, rives de la Seine nor-
mande, du Clam, des affluents garonnais. Tantôt c est
1 alternance des argiles, des sables, de la craie, des
limons qui suffit à faire naître, à même altitude et sous un
climat à peu près uniforme, les différences que l'on
relève entre Champagne humide et Champagne pouil-
leuse, Beauce et Hurepoix, Pays de Bray et Pays de
Caux, Berry et Sologne, Péngord et Bordelais.
Ainsi, tout en possédant les éléments géographiques
nécessaires à la constitution d'une nation bien unifiée :
harmonie, équilibre et justes proportions des formes, fron-
tières en grande partie naturelles et fortes, heureuse dis-
position du relief, communications intérieures faciles, etc.,
la Fiance trouvait aussi en elle les éléments d'une diver-
sité qui s'est manifestée à toutes les époques de son
histoire et se traduit à la fois par la merveilleuse variété
de ses ressources et par l'originalité des multiples régions
naturelles qui subsistent dans le cadre de la patrie.
Ces régions portent presque toutes des noms très
anciens. Au temps de César, les Gaulois se répartissaient
déjà, suivant les conditions géographiques du sol et du
climat, en une soixantaine de peuplades dont le territoire
avait des limites nettement indiquées par la nature :
Benarnenses (Béarnais), Arvernes (Auvergnats), Bitu-
riges (Berrichons), Lemovices (Limousins), Remi
(Rémois), Carnutes (Chartrains), Vénètes (Vanne-
tais), etc.
Plus tard, l'apport de nouveaux éléments étrangers
(Francs, Flamands, Burgondes d'origine germanique.
Normands de souche Scandinave, Bretons émigrés de
Grande-Bretagne) vint superposer aux anciens noms de
pays " gaulois, des termes nouveaux embrassant un
vaste territoire : Bourgogne, Normandie, Flandre,
Bretagne, France. Puis apparurent le Languedoc (le
pays où le mot ' ' oui " se dit " oc " que I on prononce ô),
la Lorraine (Lotharingie ou pays de Lothaire), l'Al-
sace (pays de l'Ell ou de llll), la Franche-Comté, etc.
LA FRANCE
Quelle que soit son origine géographique el historique,
chacune de ces de'nominations correspond à une région,
vaste ou de dimensions restreintes, qui a ses caractères
spéciaux et qui. au cours des âges, vécut de sa vie
propre, petite patrie dans la grande. Encore aujour-
dhui. cent trente ans après la création des départements.
on ne se dit pas Gersois "ou ' Maine-et-Loirais ".
Dordognais 'ou ' Puy-de-Dômois ", mais Gasconet
Angevin. Péngourdin et Auvergnat. Le " pays", la
provmce. voilà les vraies cellules de notre organisme
complexe.
A ces causes purement géographiques de diversité :
relief, sol et climat, se sont ajoutées des raisons ethno-
graphiques. Dans le creuset formé par le cadre naturel
des mers et des monts de notre pays sont venues se
fondre tour à tour des populations d'origine très variée.
Ce furent d abord les tribus préhistoriques dont nous
retrouvons les traces dans les grottes de la Vézère (les
Eyzies, le Moustier. la Madeleine), du Mas d'.Azil. de
Solutré. dans les sables de Saint-.Acheul. dans les pala-
fittes, ou habitations sur pilotis, du lac du Bourget. Puis
les Ibères, ancêtres directs des Basques ; les Ligures,
dont les Niçois seraient les descendants les moins métis-
sés. Après eux. les Celtes, venus de l'Europe centrale
vers le V* siècle avant notre ère, occupèrent toute la
région comprise entre Rhin. .Alpes et Pyrénées. Ils
refoulèrent dans les montagnes (Auvergne. Pyrénées
Occidentales) une partie des autochtones et s'unirent
étroitement aux autres. Des Phéniciens d'abord (Monaco.
Port-Vendres). puis des Grecs (Marseille. Nice. Agde)
colonisèrent les rivages méditerranéens. Les Romains,
apparus dès le II* siècle avant Jésus-Christ, inondèrent la
Gaule de leurs marchands et de leurs soldats. ,Au V siècle
de notre ère accoururent des Germains. Francs. Bur-
gondes. Wisigoths. Flamands. Peu nombreux, ils se
fondirent promptement dans la masse des Gaulois roma-
nisés. Que l'on ajoute à cela les Bretons arrivés en
.-\rmorique vers le VI'' siècle, quelques .Arabes ou Sarra-
sins demeurés en Gaule après la victoire de Charles-Mar-
tel (Castelsarrasin. Monts des Maures), les Normands
descendus de Scandinavieenlre le VIIl''et le X" siècle, enfin
les unions qui se produisirent au cours des siècles entre
Français et étrangers — car notre peuple n'a point de
préjugés ni de race ni de couleur — et l'on aura une
idée à peu près complète des éléments multiples que
résume ce seul mot : le peuple Français.
Du reste, quels contrastes entre nous ! Quelles opposi-
tions de caractères, detempéraments, de types physiques,
de langues même ! 11 y a d'abord une France du Nord et
une France du Midi demeurées longtemps étrangères
l'une à l'autre, parlant l'une des dialectes de langue d'oc,
1 autre de langue d oïl. Au Midi, une nature ensoleillée,
plus généreuse, donne au teint un coloris plus foncé, aux
gestes plus d exubérance, à la voix plus de chantante sono-
rité, mais à l'esprit moins de séneux et de profondeur. Par
ailleurs, il n'y a pas un Midi, mais des Midis, et c'est
toute une gamme de patois, d'accents, de façons d'être
et d agir que l'on parcourt deTarbesàTulleet de Nice à
Bordeaux. Au Nord, même dissemblance entre Lorrains
et Berrichons, Lyonnais et Picards. Bretons et Francs-
Comtois. Dans cette magnifique création qu'est la civili-
sation française, chacun apporte sa marque propre,
son génie particulier.
Mais, depuis Jeanne d'Arc, la diversité ne nuit pas à
l'unité. S'il n'y a pas de race française, il y a une nation
française qui a appris à vivre, à souffrir, à vaincre en
commun. Il y a un génie français fait de l'harmonieuse
fusion de toutes les traditions provinciales. C'est cette
unité qui fait notre force. C'est à elle que nous dûmes,
de fort bonne heure, la place de premier rang que nous
n'avons jamais cessé d'occuper dans l'.Asîemblée des
grands peuples.
LES GRANDES RÉGIONS FRANÇAISES
LA REGION RHENANE
Le Rhin formait, au Nord et au Nord-Est. la limite
naturelle de la Gaule. Au cours de notre histoire nous
ne cessâmes jamais de revendiquer tout ou partie des
régions sises sur la rive gauche du grand fleuve. Nous ne
parvînmesqu'uninstant. entre 1794et 181 4, à la réalisation
complète de ce rêve. Notre récente victoire nous a permis
à tout le moins de remettre la main sur les régions vrai-
mentfrançaises de la Rhénanie, celles qui s étaient don-
nées à nous volontairement et depuis des siècles : l'Alsace
et la Lorraine.
LES VOSGES. £>£> L'une ci l'autre s'appuient
sur les Vosges. C'est un très vieux massif né, à l'époque
primaire, du plissement hercynien, puis usé, raboté, réduit
à I état de plateau de médiocre altitude, enfin légèrement
surélevé aux temps tertiaires, par contre-coup du plisse-
ment alpin. A l'EUt, il tombe roidement sur la dépression
d Alsace, née de la fracture qui sépara les Vosges de
leur sœur jumelle la Forêt-Noire. A l'Ouest, il s'abaisse
avec plus de douceur vers les plateaux lorrains. Son al-
titude est faible (1424 mètres au Ballon de Guebviiler.
1 250 au Ballon d'Alsace. 1 366 au Hohneck. 1 013 au
Donon) et des passages nombreux unissent les deux ver-
103
L'EUROPE
sants : cols de Bussang, de Schirmeck, delaSchlucht, de
Saales, de Saverne surtout, le plus bas et le plus ancien-
nement utilisé. Au delà de Saverne, les plateaux de la
Haardt (400 à 500 mètres d'altitude moyenne), qui pro-
longent les Vosges, laissent des routes plus nombreuses
encore s'insinuer à travers leurs croupes boisées.
De quelque côté qu'on les aborde, les Vosges étalent
l'opulente draperie de leurs forêts sous laquelle les ondu-
lations des montagnes sont enveloppées et comme amor-
ties. Hêtres et sapins croissent avec une vigueur magni-
fique sur le sol de grès rouge ou de noir granit. Autrefois
beaucoup plus vastes, ces forêts servirent de refuge à de
très anciennes populations celtiques. Dolmens, abris sous
roches, enceintes fortifiées (Mur des Païens à Sainte-Odile)
conservent leurs traces et perpétuent leur souvenir. Au
Moyen Age, des moines s'établirent les premiers au milieu
de leurs solitudes redoutables. Prairies et champs cultivés
entourèrent les couvents de Saint-Dié, Remiremont,
Munster, etc. , et les essarts se multiplièrent sur les pentes des
monts, tandis que les " ' Marcaires" ou bergers alsaciens al-
laient estiver sur les ' ' chaumes ' ' , c'est-à-dire les alpages des
hauts sommets. Puis l'industrie apparut. Abondamment
arrosées, les Vosges nourrissent, en effet, de leurs averses
et deleursneiges fondues, des lacs charmants(Noir, Blanc,
de Longemer, de Gérardmer) et des rivières aux eaux pures
qui dégringolent au milieu des prés et des bois. Il y a là
une source précieuse de force motrice qu utilisent scieries,
papeteries, tanneries, tissages et filatures de coton. Par
ailleurs, les verreries et cristalleries trouvaient dans les
grès vosgiens une matière de rare qualité. Aussi, tout le
long de la Haute- Moselle, de la Moselotte, de la
Meurthe, de la Plaine, delà Vezouze, de la Sarre, comme
aux rives alsaciennes de la Fecht, de la Thur, de la
Bruche, bourdonnent les métiers, grincent les scies, flam-
boient les coulées de verre fondu. Remiremont, Epinal,
Baccarat, Cirey, Raon-l'Etape, Schirmeck, Sainte-
Marie-aux-Mines, Munster, Massevaux ne sont sur
chaque versant que les centres principaux de ces indus-
tries multiples et florissantes qui accumulent au fond des
vallées jusqu à 300 habitants au kilomètre carré et égrènent
leurs usines, leurs manufactures, leurs scieries bruissantes
de vie à l'ombre des forêts vides, sombres, pleines de
silence.
L ALSACE. 00 Au pied des Vosges, vers
l'Onent, repose la plaine d'Alsace.
Le Rhin, les torrents descendus des montagnes voi-
sines, la comblèrent de leurs alluvions, puis y tracèrent
leurs lits parallèles. Sur les sables et les graviers s'ins-
tallèrent des forêts. Ailleurs, aux rives du Rhin, de l'ill,
collecteur principal de la plaine, s'étendirent de vastes
zones inondables couvertes de roselières et de prairies
(la Ried). Ailleurs encore, un limon analogue au ' ' loess "
chinois revêtit de son fertile manteau la portion occiden-
tale de la dépression. Enfin, sur les coteaux calcaires qui,
face au soleil, longent le rebord de la montagne, arbres
fruitiers, vignes même, trouvèrent, quand on le voulut, un
habitat de choix.
Ce mélange heureux de bois, de prairies, de terres
faciles à cultiver était bien fait pour attirer les hommes.
D'autres conditions également favorables les y fixèrent :
le climat d'abord, aux hivers assez froids, aux printemps
précoces, aux étés chauds, ensoleillés, aux automnes
lumineux, aux pluies deux fois moins copieuses que sur
les plateaux et les monts voisins ; climat dont s accom-
modent non seulement les céréales nobles, blé et orge, le
houblon, la pomme de terre, le tabac, mais le noyer, la '
vigne, le châtaignier même et le maïs qui atteignent là
leur extrême limite septentrionale.
De plus, la plaine d'Alsace est une sorte de carrefour
où se croisent quelques-unes des routes les plus ancienne-
ment fréquentées de 1 Europe : celles qui, venant des
mers du Nord, gagnent le Midi parla vallée rhénane et
celles qui, du bassin Parisien, vont au Danube par la
double porte de Saverne- Pforzheim.
Aussi, de très bonne heure, la plaine f\it-elle habitée
et défnchée par des populations celtiques, les mêmes qui
dressèrent les dolmens et les oppida des Hautes-Vosges,
les tumuli de la forêt de la Hart. Dès l'époque romaine,
des colons germains franchirent le Rhin et se mêlèrent
aux Celtes. Ainsi se forma le peuple d'Alsace qui parle
sans doute un dialecte allemand, mais qui diffère si pro-
fondément des gens d'outre-Rhin, et qui doit à son ori-
gine gauloise les traits les plus saillants de son caractère,
les meilleures de ses qualités.
11 y a une haute et une basse Alsace. La première
s'étend de la frontière suisse à Thann et Guebwiller.
Elle laisse plutôt une impression de tristesse avec ses
vastes étendues de terres froides, imperméables, parse-
mées d'étangs, où dominent les prairies marécageuses et
la forêt. C'est l'industrie, et non pas les cultures, qui
constitue la grande ressource.
Née au XVllI^ siècle dans les vallées vosgiennes à Massevaux.
Wesserling. Saint-Amarin, cette industrie déborda bientôt sur la
plaine où parvenaient aisément les charbons de la Sarre et de
Weslphalie. Mulhouse dut aux cotonnades peintes sa renommée
universelle et sa très remarquable prospérité. Autour d'elle,
d'Altkirch à Guebwiller, partout fabriques et manuïactures dressent
leurs hautes cheminées. Colmar elle-même, la charmante Colmar,
sort d'une longue torpeur et s'adonne à l'industrie avec d'autant
plus d'ardeur qu'elle y demeura plus longtemps réfraclaire. II y a
là un des foyers de vie intense les plus remarquables de l'Europe,
et la découverte, en 1909, de gisements de potasse plus étendus
encore que ceux de Stassfijrth, augmente largement la valeur écono-
mique de ces riches régions.
En Ba£se-.Alsace, l'industne n'est point absente. Elle
contribue même grandement à la prospérité des centres
104
LA FRANCE
LA VALLtEDE LA MOStLLEAU-DESSLS DE REMIREMUNT.Lcj Toiki
vnl de tris vieilUi montagneM Je granit et de grès umcj pat t'éroiion. Des vatlét»
•orfcs, à fond plat, i insinuent jut^'au arur du massif, et des pentes douces mènent
usns effort aux croupes longuement oodultes. Hêtres et sapins couvrent encore la
maieure partie des monli. On Us exploite pendant le rude et long hiver où pluies et
neiges toaéent abondamment sut le venant lorrain. Mais, dam les ttairièta des
vaflées, les prairies, les champs se multiplient, et les filatures de coton, le» pape-
teries, ta verreries utilisent ta force vive des torrents. CI. SiMON.
105
L'EUROPE
LE LAC DE GÊRARDMER. L'une da charmantes petites nappes lacustres qu'un
harrage de moraines anciennes fit naître au pied des Vosges. Il se complète par les
lacs de Reloumemer et de Longemer qu'encadrent également les pentes boisées de la
montagne. CL NeuPDEIN.
LES DAMES DE LA MEUSE. A travers les plateaux schisteux des Ardennes
qui barraient sa route, la Meuse s'est frayée, de Mézières à Namur, un che nalétroit.
Les méandres nombreux de la rivière s'incurvent entre des versants ravinés, couverts
de bois et de taillis de chênes. CL \3Cinlinc.
i
««T'
^0"^
METZ
LES
THERMES.
Un des
vieux
quartiers
de la très
vieille
cité messine qui s'était
donnée à
nous
dès le XVI'- siècle, et que la
victcire
vient
de
nous
rendre
LE BEFFROI DE BERGUES rapMlle
la vie indépendante que surent mener
au Moyen Age les riches corrmtunes fla-
mandes. Cl. BOULAN-GER.
STRASBOURG. Un des coins pittoresques de la " Cité
des routts " qui conserve, à l'ombre de sa cathédrale de
grès rouge, nombre de vieilles maisons inclinées :.ur les
eaux tranquilles de l'ill. Cl. LÉVY.
] DENAIN : lA FOSSE EiNCLOS. Us^ bassins houillers de la Flandre et de
' l Ari'Az, les plus produdifs de France, s'exploitent aisément, grâce au réseau de
-.■kihc. naiigahles et Je canaux qui permettent aux chalands de s'amarrer à faible
; diz-lfr-.'-^ de. i:mlT d'extraction. CI. Beck
100 —
EN BEAUCE : LA MOISSON. Les limons fertiles qui recouvrent la craie de
Beauce portent les plus beaux champs ae froment de notre pays. Une culture inten-
sive et fort soignée sait mettre à profit trs machines agricoles dont l'emploi est, du
Teste, facilité par l'horizontalité parfaite de ces vastes plaines. Cl. Neurdein.
LA FRANCE
urbains. Toutefois la population, très dense, s adonne
surtout à l'agriculture.
Sur les collines du vignoble ou les fertiles terrasses du loess, des
rangées de gros villages alignent, de Sélestat à Haguenau, leurs
pittoresques maisons de bois cl pisé, avec poutres entre-croisées,
balcons sculptés, fenêtres fleuries, grands auvents en saillie, toits
pointus où se superposent les lucarnes. Même charme décoratif,
même séduisante variété dans nombre de petites villes qui con-
servent sous la protection de leurs murs vénérables des hôtels de
ville, des églises aux précieuses verrières, des quantités de vieux
logis sculptés, écussonnés, dont les pignons aigus se proBlent en dents
de scie. Telles apparaissent Rouffach, patrie du maréchal Lefcbvre,
Ejisisheim, capitale des domaines alsaciens des Habsbourg.
Turckheim où Turenne vainquit les Impériaux, Ammmerschwir,
iCientaheim, Kaysersberg, Obernai au pied du sanctuaire de Sainte-
Odile, etc.
Au-dessus d'elles, dominant la plaine et surveillant
les valle'es, s'e'rigent les ruines des forteresses fe'odales :
Haut-Kœnigsbourg, châteaux d'Eguisheim et de
Flibeauville', Hohlandsberg, Andlau, Rathmanshau-
sen, etc., dont les hautes murailles de grès rouge flam-
boient sous les rayons du soleil. Enfin au centre de la
plaine, au point où la route de Saverne débouche sur
rill et le Rhin et oîi le fleuve, jusqu'alors torrent rapide,
s'ouvre à la grande navigation, naquit et grandit Stras-
bourg. D'origine romaine (Argentoratum), la " Cité des
Routes " fut dès le Moyen Age une ville libre et puis-
sante enrichie par le commerce et l'industrie. Elle
demeure aujourd'hui, en même temps qu'un grand centre
intellectuel, l'une des cités les plus actives de France, et
l'une des plus attachantes aussi par le charme de ses
vieux quartiers aux ruelles sinueuses s'ouvrant sur les bras
de rill, ses hautes maisons dentelées, sa cathédrale en
grès rouge des Vosges patiné par les siècles, qui dresse
à 142 mètres sa flèche unique, magnifique belvédère
d'où la vue plane très loin sur les campagnes vaporeuses.
L\ LORRAINE, aa La Lorraine occupe tout
l'espace compris entre le Massif vosgien, la Meuse, les
plateaux allemands de l'Eifel, et les collines de la
Vôge ". Des bandes concentriques de terrains diffé-
rents et d'inégale dureté : grès, marnes, calcaires, la
partagent en sections du Nord au Sud. De là vient
la traditionnelle division du pays : ' plateau " à
l'Est, " plaine " au Centre, " côtes " à l'Ouest. Mais la
Moselle, qui les traverse et les draine, établit entre ces
terrains une sorte d'unité que confirme le climat.
On ne trouve point ici le ciel clair, les jours ensoleillés
d'Alsace. L'hiver y est long et rude, le printemps tardif, l'automne
précoce. Des pluies copieuses s'abattent avec fréquence et de
grands nuages gris paraissent rejoindre les brouillards qu'exhale le
sol imperméable. Si l'on excepte certains coteaux de la Moselle
exposes au Levant, el où les pampres mûrissants mettent comme une
caresse, le reste du pays a quelque chose de rude, d'austère, qui
se traduit dans la disposition des villages, l'aspect des maisons, le
caractère même des gens, tenaces, laborieux et braves, mais
froids, têtus, silencieux, et qui semblent ignorer la douceur du
sourire.
Le Plateau allonge ses ondulations monotones sur-
montées çà et là de quelques buttes isolées : côtes de
L' ALSACEetlaLORRAINE
Virine,d'Essey, de Saint-Avold, etc. Le sol lourd, peu
fertile, porte encore de vastes forêts (Haardt en Basse-
Lorraine, la Vôge entre Plombières et Vittel). Ailleurs
les eaux stagnent en multiples nappes lacustres (étangs
de Gondrexange, Fénétrange, etc.). Au centre, dans
la Plaine subdivisée en petites régions naturelles :
Vermois, Xaintois, Saulnois, Pays Messin, des vallées
plus amples, un sol plus varié où se mêlent marnes et
calcaires, permettent la multiplicité des cultures : blé,
chanvre, houblon, vignes, vergers. Les Côtes enfin
bordent Moselle. Meuse et Woëvre de leurs murailles
calcaires sommées de forêt. Commandant les routes qui
de Metz à Nancy conduisent à Paris par Commercy et
Verdun, ce double rempart était destiné par la nature
à jouer un rôle militaire qu'illustre toute son histoire.
Les donjons de Vaudémont, d'Aspremont, d Hatton-
châtel y précédèrent les forts à coupoles de Vaux et de
Douaumont.
107
CÉOCRAPHIE UNIVERSELLE.
L'EUROPE
Malgré les conditions assez peu favorables en général
que lui valaient la rudesse de son climat et la pauvreté
moyenne de son terroir, la Lorraine demeura très long-
temps occupée uniquement d'agriculture et d'élevage.
Seules les salines du Saulr.ois (vers Dombasles, Marsal,
Château-Salins) donnèrent lieu à une exploitation dont
l'origine se perd dans les pénombres de la pré-histoire.
Fréquemment parcourue et dévastée par les armées.
elle avait des villes fortes à l'épreuve des sièges ; Phals-
bourg, Bitche, Toul, Metz, Verdun, etc., mais point de
grandes cités populeuses, commerçantes et ricl.es.
L'industrie commença par les vallées où l'exemple de
l'Alsace eut une influence très heureuse. D'Epinal à
Sarreguemines par Baccarat, Saint-Dié, Sarrebourg,
Forbach, on vit, à la fin du xviii^ siècle, naître filatures
et tissages, verreries, fabriques de porcelaines, brasseries,
papeteries, etc. Au XIX* siècle, ces diverses industries se
développèrent grandement grâce à l'apport des houilles
de la Sarre. Enfin, et surtout, la découverte autour de
Nancy, de Briey, de Longwy, des plus riches gisements
de fer connus en Europe vint donner aux industries
lorraines un essor prodigieux. Grâce à eux, la France
— à qui la victoire a permis de remettre la main sur
les mines volées en 1871 — se classe aujourd'hui,
aussitôt après les Etats-Unis, au premier rang des États
producteurs de fer, de fonte et d'acier.
Les deux métropoles de la Lorraine sont Metz et
Nancy. A Metz, une magnifique cathédrale, illuminée
de verrières qui l'enveloppent comme d'une muraille
transparente, étend son cmbre sur les sombres mauons,
les rues étroites et tor:ueuses qui se pressent entre la
Seille et la Moselle. Nancy, infiniment plus vivante, joue
le rôle non pas seulement d un grand centre industriel
et commercial, mais aussi d'une cité où les préoccu-
pations intellectuelles et artistiques n'ont pas cessé, depuis
le XVIII* siècle, de tenir une place d'honneur.
ARDENNES FRANÇAISES
La Meuse rectiligne et solitaire forme à l'Ouest la
limite naturelle et historique de la Lorraine. C'est son
cours qui, au Moyen Age, marquait la frontière
même du Royaume de France. Elle arrose Neufchâ-
teau, puis Domrémy, où s'écoula l'enfance de Jeanne
la Pucelle, et Vaucouleurs, où l'héroïne s'arma pour
aller accomplir son merveilleux destin ! Par Commercy,
Saint-Mihiel, les tragiques campagnes de Verdun,
où dorment par dizaines de milliers les morts de la Grande
Guerre, elle vient se heurter, de Sedan à Mézières-
Charleville, contre le sombre rempart des plateaux Ar-
dennais. Le long et large couloir qu'elle dégagea, aidée
de ses affluents Chiers et Sormonne, avant de se creu-
ser une voie difficile à travers les schistes des Ardennes,
doit à son climat relativement doux et ensoleillé le surnom
un peu ambitieux de Petite Provence ". L'élevage
et les cultures y réussissent également. Par contre,
l'Ardenne française n'est pas plus riche que l'Ardenne
belge. Ce sont les mêmes hauts pLteaux, au climat
rude, au sol humide, tourbeux, infertile, couvert de
taillis coupés de maigres pâturages. La vie se concentre
toute dans la vallée, aux nves des méandres pittoresques
décrits PEU- la Meuse. Sedan, Charleville, Fumay, Revin,
Givet tissent des draps, fondent le fer, fabriquent des
machines, exploitent les ardoises violettes. L'illuitre
Rocroy demeure isolée dans la solitude des hautes terres.
HAINAUT, CAMBRESIS, FLANDRE
La rude et pauvre Ardenne domine immédiatement,
vers l'Ouest, les plaines fécondes, surpeuplées du
Hainaut, du Cambrésis et de la Flandre. Elles déroulent
jusqu'à la Mer du Nord leurs grandes étendues mono-
tones que drainent la Sambre, l'Escaut, la Scarpe, la
Lys, l'Aa, rivières lentes, paitibles, régulières, navigables
jusqu'à leurs sources, aisément unies entre elles par un
lacis de canaux. Çà et là, quelques buttes isolées : monts des
Cats, montagne deCassel, demeurent en saillie, témoins de
l'ancien niveau qu'atteignaient au'refois ces terres. Sur la
côte, derrière les dunes, les Moeres et Wateringues,
anaens marais saumâtres transformés en prairies et
en champs, rappellent les polders hollandais. La
côte, rectiligne, basse, s'ouvrant sur une mer sans
profondeur, manque de havres naturels. A grand'pèine
— : 108 —
et à grands frais a-t-on pu y creuser lès bassins de
Dunkerque.
Sous un ciel trop souvent gris, brumeux, noir de suie,
dans une atmosphère de laideur et de tristesse, la f landre
nourrit, depuis le Moyen Age, une population très active,
très dense, enrichie par l'agriculture, le commerce et l'in-
dustrie.
Le sol, naturellement fertile, parfaitement travaillé, donne de
plantureuses récoltes. Blé, orge, avoine, betteraves à sucre, lin,
colza, tabac, chicorée, houblon alternent avec les prairies naturelles
oîi paissent les beaux animaux qui font la renommée de la race
flamande L'industrie : draps, toiles, dentelles, velours, valut à la
Flandre, dès le XIII^ siècle, une merveilleuse prospérité qui se
développa bien plus encore du jour où le coton s'ajouta à la laine
et au lin, du jour surtout où l'on exploita les gisements houillers de
Valenciennes et de Lens. L'abondance de la main-d'œuvre (fran-
LA FRANCE
çaisc ou belge), des capitaux, la (acililé des IransporI' et des com-
munications s'unirent au bon marché du combus ibic pour grouper.
à p oximilé des puits de mine et des canaux, non seulement Ëla-
lures et tissages, mais hauts fourneaux, forge?, fabrique- de machine;,
aciéries utijsant le fer de Lorraine, verreries et glaceries, sucreries,
distilleries, brasseries, e:c.
On ne compte qu'une seule lies grosse agglomération
urbcune : le groupe Lille, Roubaix, Tourcoing. Les
autres sont d'importance bien moindre. Citons, dans le
Hainaut etleCambrésis :Maubeuge, Fourmies, Avesncs,
Cambrai; sur la bande houillcre : Valenciennes, Anzin,
Denam, Douai, Lens, Béthune ; puis, entre Lille et la
mer, Armenticres, Hazebrouck, Saint-Omer. enfin Calais
et Dunkerque, le premier, port de voyageurs, le deuxième,
grand entrepôt de toute la région.
Mais la Flandre française, tout comme sa voisine
de Belgique, est une " ville continue ". Partout, dans
la campagne, les fermes voisinent avec les usines ; les
gros bourgs de mineurs et d'ouvriers allongent le long
des routes boueuses et des canaux puants leurs petites
maisons de briques noires, les " corons ", leurs estami-
nets trop nombreux. Aussi en 1 9 1 3, la densité de la popu-
lation atteignait-elle 330 habitants au kilomètre carre',
chiffre comparable aux autres grands foyers industriels de
l'Europe :Lancashire anglais, Borinage belge, Westpha-
lie. Saxe, etc.
LE BASSIN PARISIEN
Par le seuil du Vermandois, où Saint-Quentin renaît
à la vie, on quitte les plaines flamandes et le versant de
la Mer du Nord pour entrer dans le bassin Parisien.
C'esi une vaste cuvttle qui, dès l'époque primaire, se creusa
entre les massifs d'Armoriquc, de l'Ardenne, des Vosges ei de
l'Auvergne. Elle se combla peu à peu. aux époques lecondairc cl
tertiaire, de sédiments très variés (calcaires de diverses sortes, marnes,
sables, limrns lacustres) dont l'alternance explique la subdivision du
bassin en bon nombre de régions naturelles. Par endr il;, au point
de contact des couches superposées, l'érosion fluviale, en entraînant
les panics les plus meubles, a dégagé les roches plus résistantes
qui se dressent comme de, falaises au-dessus des plaines étalées à
leur pied. Telle est l'origine des principaux mouvements du sol
qui accidentent un relief par ailleurs médiocre, collines d'Artois,
de l'Argonne. de la Forêt d'Othe, du Sanccrrois : du Perche, puis
falaises de l'Ile-de-France, entre Fcntainebleau et La Fère.
Le climat, très humide et doux sur les côtes nor-
mandes et picardes, devient à l'inte'rieur un peu plus con--
tinental. A Paris, la moyenne de janvier est de Z"?,
celle de juillet de 18°8. 50 à 60 centimètres de pluie
tombent en cent soixante-cinq jours, en hiver par
peti'es averses très fines, en été par gros orages. Dans
la partie Nord-Oue^t du bassin la vigne ne peut mûrir ses
fruits. Au Sud d'une ligne Nantcs-Piris-Mé. ières, elle
donne au contraire en Champagne, en Bourgogne, dans
la vallée de la Loire, des produits justement renommés.
Çà et là, à Fontainebleau, Chan'illy, Rambouillet, etc.,
sur les plaques de sable que les fleuves d'aulrcfois éta-
lèrent à la surface des calcaires, des forêts subsistent :
chênes, hêtres, charmes, tilleuls, ormes, châtaigniers
même, témoins de la sylve immense qui, mêlée de marais,
couvrait à I époque gauloise la ma;eure partie de la
cuvette parisienne. Mais, sauf de raies exceptions, tout
le reste du sol est mis en cultures, une culture minu-
tieuse et avante ou alternent céréales nobles, betteraves,
vergers et prairies.
Les rivières convergent toutes vers le centre de la
dépression, c'est-à-dire vers Paris. La Loire même, avant
le coude d'Orléans, coule parallèlement à l'Yonne, et l'on
doit comprendre dans le bassin Parisien les régions
qu'elle traverse ou que drainent ses affluents au sortir du
Massif Central. Sauf l'Yonne, qui doit ses crues fort
brusques aux granits imperméables, aux fortes chutes de
pluies du Morvan, la Seine, la Marne, l'Oise ont une
pente faible, une alimentation régulière qu'égalise encore
la nature généralement perméable des terrains traversés.
Ce sont de précieuses voies de transport que des canaux
unissent à l'Escaut, àlaSambre, à la Meuse, à la Saône
et au bassin de la L oire. Celle-ci, par contre, est le plus
fantasque et le moins utile de nos fleuves, tour à tour
roulant à pleins bords des flots furieux mal contenus par
une double série de digues, ou réduit à une maigre et
mince traînée d'eau ruisselant sur le sable blond. Peut-
être se décidera-t-on un jour à entreprendre les travaux
de correction indispensables pour lui permettre de jouer
dans la France centrale le magnifique rôle économique
qui devrait être le sien.
ARTOIS, PICARDIE ET LEURS AN-
NEXES. £J^ Entre les plaines flamandes et le pays
de Caux, l'Artois et la Picardie étalent Iturs pla-
teaux de creiie vêtus de fertiles limons. Ce sont surtout
des pays de riches cultures : blé, avoine, betterave, lin,
etc., et délevage, mais l'industrie n'en est point absente
grâce à la proximité des bassins houillers. Aussi, sans
atteindre la densité du Nord, la population y dépasse lar-
gement la moyenne française. Sur la c'te, au pied des
hautes falaises du Blanc et du Gris-Nez, se creuse la
verte dépression du Boulonnais avec Boulogne, grand
port de pêche en Islande et de voy geur= pour l'Angle-
terre. Elle se continue parles Bas-Champs du Marquen-
terre, sorte de polder des plus fertile (Berck, le Cro-
toy. Saint- Valéry). En Artois, Arras ruinée par Ij guerre.
109
L'EUROPE
Saint-Pol sont les principaux marchés agricoles. Dans la
région picarde : Péronne. Corbie, Amiens à la magni-
fique cathédrale, Abbeville s'échelonnent aux rives tour-
beuses de la Somme. Elles s'adonnent, ainsi que Doullens,
Montreull, Roye et Montdidier (dans le Santerre), à de
multiples industries : toiles, velours, cotonnades, draps,
sucreries. Aux confins de la Normandie, le pays de Bray
(Neufchâtel) trôuisforme en fromages le lait de ses trou-
peaux. Les villageois du Beauvaisis (capitale Beauvais)
conservent, à côté de leurs occupations agricoles, de très
anciennes industries familiales : fabriques -de boutons,
brosses, peignes. Au delà des terres fécondes du Ver-
mandois (Saint-Quentin), l'humide Thiérache (Vervins)
vit d'élevage et de vannerie.
LE CENTRE DU BASSIN PARISIEN. 00
Le centre de la cuvette parisienne fut rempli à l'époque
tertiaire par des calcaires, des marnes, des sables et
des grès. Les calcaires donnent un sol généralement
très fertile, surtout quand ils portent une couverture
de limons. C'est le cas des riches terres à blé et à bette-
raves de la Brie (Provins, Coulommiers), du Valois
(Senlis, Creil, Villers-Cotteret), du Soissonnais (Sois-
sons, Noyon, Laon, Compiègne), de la Beauce (Pithi-
viers, Etampes, Chartres), avec leurs grandes fermes
monumentales, leurs populations d'agriculteurs instruits,
prompts à mettre en pratique les procédés les plus per-
fectionnés. Sur les marnes et les argiles on entretient de
grasses prairies (fromages de Brie). Les sables portent
ces forêts magnifiques qui, de Fontainebleau à Chantilly
et de Rambouillet a Villers-Cotteret, sont une des plus
précieuses parures de la région parisienne. Enfin, si la
Beauce, fort plate, fort monotone et très sèche, manque
tout à fait de rivières, partout ailleurs les cours d'eau
grands ou petits ont creusé des vallées larges dont le
fond se couvre d'alluvions qui conviennent aux cultures
maraîchères, tandis que sur leurs flancs croissent les bois
encore, ou les vergers d'arbres à fruits. Ainsi, au Sud de
Paris, l'Essonnes, l'Yvette, l'Orge ont découpé le Hure-
poix de ravissantes vallées (Chevreuse, Dourdan, Ver-
sailles, etc.). Aux rives de la Marne, de l'Oise, de
lOurcq. de l'Aisne s'allongent les bourgs prospères,
s égrènent les coquettes villas enfouies sous la verdure.
Enfin, au cœur même du bassin, la Seine, aidée de ses
affluents, a déblayé une assez vaste étendue de terres que
dominent quelques buttes isolées (Mont-Valérien, Mont-
martre, collines de Montmorency, etc.). C'est a cette
région qu'il faut réserver le nom d'Ile-de-France, et
c'est là que grandit Paris.
Si Lutèce, la minuscule bourgade gauloise enfermée
dans l'étroit espace d'une île de la Seine, eut le mer-
veilleux destin que l'on sait, elle le doit à des causes à
la fois géographiques et historiques.
110
Géographiquement, il était impossible qu'une grande cité ne se
développât point en cet ombilic de la cuvette parisienne, au carre-
ïou des routes terrestres et fluviales qui, suivant a pente du 'ol, y
convergent de toute part. Rien ne manquait de ce qui est indis-
pensable à la vie d'une puissante aggloméiation. On trouvait sur
place ou à proximité j'excellente pierre a bâtir Qes calcaires des
Catacombes), du plâtre, du sable, du bois, des terres propres aux
céréales, aux fruits, aux prairies, aux cul:ures maraîchères, à la
vigne (Champagne et Bourgogne). Mais Paris aurait pu i.e pas
dépasser en importance telle ou telle autre cité dotée d'avantages
naturels du même ordre : Lyon, par exemple, ou Toulouse, ou Bor-
deaux. Ce qui la mit hors de pair ce fut l'arrivée au tr.'ne, en
987, du Comte de Paris, Hugues Capet. La capitale capétienne
grandit avec la dynastie dont elle symbolisa en quelque sorte la
durable puissance. C'est autour d'elle que se fil peu à peu l'unité
de la patrie française. C'est chez elle que s'installa à demeure le
gouvernement central, qu'accoururent artistes, savants, écrivains,
philosophes, que le génie français se synthétisa ; c'est d'elle que
partirent tous les mots d'ordre, toutes les idées neuves, tous les
grands mouvements dont les effets ne se limitaient pas à la France
seule, mais eurent leur répercussion sur le monde tout entier. Ainsi
s'explique le rôle que joua Paris dans notre vie d'abord, puis dans
sa vie même de l'humanité.
Plus de 4000000 d'habitants composent aujourd'hui
l'agglomération parisienne qui, débordant bien au delà
de la ville proprement dite, s'étend sur tout le départe-
ment de la Seine. Celte masse, sans cesse accrue ou
renouvelée par l'afflux des provinciaux et des étran-
gers, fait naturellement de Pans le plus grand centre com-
mercial et industriel de la France. C'est de Pans que
part le réseau de voies ferrées qui s'étend comme les
mailles d'un filet sur la France presque entière. Par la
Seine, la Marne, l'Oise, un tel nombre de chalands
déversent sur ses quais charbon, vins, bois, matériaux de
construction, etc., que de tous nos ports, c'est Paris qui
reçoit le tonnage le plus élevé ; — et la réalisation du
projet Paris-Port de mer accroîtrait encore ce trafic
dans d'étonnantes proportions. Nos industries de
luxe, notamment ces fameux articles de Paris qui
doivent leur inimitable perfection au goût affiné de l'ou-
vrier français, s'associent à la production artistique et
intellectuelle, à la splendeur des monuments, à la
renommée des institutions scientifiques, des théâtres, à
l'élégance, à l'esprit, à l'intensité de la vie parisienne
pour donner à la capitale cette invincible attraction à
laquelle nulle autre cité au monde ne saurait prétendre.
CHAMPAGNE. 00 De la Brie et du Valois on
descend sur la Champagne en franchissant la falaise de
l'Ile-de-France. Il y a deux Champagnes courbées toutes
deux en arc de cercle de l'Aisne à l'Yonne. La pre-
mière, la plus large, est dite " Pouilleuse " par allusion
à son infécondité. La craie, dépourvue de toute couverture
de hmons, boit comme une éponge l'eau des pluies, et sur
ce sol desséché aucune culture n'est possible. Des moutons
trouvent à vivre cependant, en broutant 1 herbe courte
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CÉOCRAPHIE UNIVïRSELLE PL. B
LA FRANCE
et rase. Quelques plantations de pins rompent çà et là
l'uniformité des plaines poussiéreuses. La vie se réfugie,
soit à 1 Ouest, sur les flancs de la t alaise où séploie le
manteau ondoyant des vignobles fameux, soit dans les
vallées : Seine, Aube, Meu-ne, Aisne, aux riches allu-
vions, aux sources nombreuses et fortes. Troyes, ancienne
capitale des comtes de Champagne, Reims, une des
plus illustres de nos cités françaises, mais si cruellement
traitée par l'ennemi, Rethel sur l'Aisne, ont de très
anciennes industries (draperies, bonneteries) qui mettent
en œuvre la laine des moutons champenois. Epernay,
Châlons-sur-Marne, Arcis-sur-Aube sont des centres
viticoles ou des marchés régionaux.
L'autre Champagne, dite ' Humide ", allonge le
mince ruban de ses terres argileuses où stagne l'eau de
pluie et que couvrent les prairies, les saulaies, les bois
de peupliers entremêlés d'étangs. Par endroits, quelques
plaques d'alluvions sèches et particulièrement fertiles se
prêîent à la culture des céréales : plaine de Brienne.
Perthois avec Vilr>'-le-François, Val d'Aisne avec
Vouziers. Samt-Dizier et Vassy, ont encore quelques
forges, derniers témoins d'une industrie métallurgique
qui fut, aux temps anciens, la grande ressource du
pays.
Entre l'Aisne et son affluent l'Aire, les hautes et
sombres collines de l'Argonne terminent, au Nord, la
Champagne Humide. Sur leur sol de ' gaize " imper-
méable croissent d'immenses forêts de chênes. Les
passages fameux : Islettes, Croix-au-Bois, Grandpré,
Chêne Populeux, les Thermopyles de la France "
mènent d'un versant à l'autre. Clermont d'Argonne et
Varennes sur l'Aire, Sainte-Menehould, sur l'Aisne,
servent de centres de ravitaillement aux bûcherons de
la forêt.
EnBn, de la Champagne à la Lorraine, la transition e&t ménagée
par un certain nombre de petites régions naturelles dont l'indivi-
dualité ne (ut jamais assez forte pour constituer une grande pro-
vince. Tel apparaît d'abord le Barrois (Bar-le-Ouc), avec le Blois.
1 Ornois, le Pays de Vaux, qui complètent cet ancien duché,
promplemeni partagé entre ses deux puissantes voisines, la Lorraine
et la Champagne. Des bois couvrent la majeure partie du sol. Sur
les coteaux mijrissent les raisins dont on lait un vin gris fort agréable.
Le Bassigny va de la Marne à la Meuse, de ChaumonI à Neuf-
château. Dans ce " bas pays " les prés d'embouche interrompent
momentanément de leurs larges et riches clairières le long ruban
de forêts qui, venu de l'Argonne, s'éploie à l'aise sur les hauts
plateaux calcaires du pays de Langres (forêts de la Chaume, de
Châtillon, de Clairvaux. etc.). Un climat humide et froid, une
terre pauvre font de ces plateaux, où naissent Marne, Aube et
Seine, 1 une des régions françaises les moins productives et les
moins peuplées.
LES PAYS DE L'YO.NNE ET LE MOR-
VAN. 00 La Champagne se termine au Sud par le
pays d Othe, dont les bois clairsemés croissent sur des
collines où le sable se mêle à la craie. De là on passe à la
région quedrainent 1 Yonne et ses affluents : Cure, Serein,
Armançon. Moitié bourguignonne, moitié champenoise,
cette région s'appuie aux dômes élevés du Morvan
(905 mètres au Haul-Folin) qui, par la nature de ses
roches cristallines et son histoire géologique, fait partie
du Massif Central, mais qui, incliné vers la cuvette pa-
risienne, ne saurait en être détaché. Très boisé, très
pittoresque, le Morvan expédie vers Paris ses " margo-
tins " et ses bûches qu'entraînent les eaux rapides des
rivières. Il élève, dans des prairies assez maigres, un
bétail vigoureux qui descend ensuite aux gras pâlurages
de l'Auxois (Semur), de l'Avallonnais (Avallon), du
Bazois (Clamecy), où on le met en état pour la bou-
cherie. Déjà, sur les coteaux calcaires qui dominent les
dépressions marneuses, croissent la vigne et le blé. Ces
riches cultures prennent une extension plus grande dans
l'Auxerrois (Auxene, Chablis, Tonnerre, Joigny) et le
Sénonais (Sens) que traversent par ailleurs les grandes
routes menant de Paris à Dijon et Lyon. Aussi la
région fut-elle de bonne heure fort prospère, et les beaux
monuments qui font la parure et l'orgueil d'Auxerre, de
Sens, de Montréal, de Vézelay, témoignent de celle
antique prospérité.
LES PAYS DE LA LOIRE
Tandis que les bois du Gâtmais (Montargis, Pithi-
viers), mêlés de landes et de champs de céréales, con-
duisent à la forêt d'Orléans et aux terres fécondes de la
Beauce, la Puisaye et le Bazois font déjà partie du
Nivernais. Il s'étend entre le Morvan méridional
(Château-Chinon) et la Loire qui le sépare du Berry.
Les bois y alternent avec les prairies, les vignes
(coteaux de Pouilly) et les champs de blé que labourent
les triples attelages de grands bœufs blancs. Aux rives
de la Loire, Nevers, Pourchambault, Imphy, Decize,
etc., s'occupent de céramique cl de métallurgie.
Au delà de Cosne, la vallée du fleuve s'élargit.
C'est le début de cette succession de Vaux : de Loire,
d'Orléans, de Blois, de Touraine. d'Anjou, justement
célèbres par leur fécondité, l'heureuse variété et la qua-
lité de leurs productions agricoles (vins de Vouvray
de Bourgueil, d'Anjou ; fruits délicieux, fleurs et
pépinières, légumes, céréales, etc.), le charme de
leurs paysages modérés, la splendeur des châteaux qui
se mirent dans les eaux des rivières ou dont les hautes
tou elles pointent au milieu des grands arbres. Long-
temps, ces rives de Loire jouèrent dans notre histoire et
-" m
L'EUROPE
notre vie économique un rôle essentiel. Elles perdirent
de leur importance du jour où nos rois, cloîtrés à Ver-
sailles, cessèrent de héquenter Chambord et Chenon-
ceaux, Blois et Azay-le- Rideau, du jour aussi où la
Loire ne fut plus utilisée comme moyen de transport.
Les villes : Orléans, Blois, Amboise, Tours, Saumur.
Loches, Chinon, etc., paisibles et accueillantes, déli-
cieusement échelonnées tout au long de ce Jardin de
la France", a'.tendent, pour sorlir d'une longue stagna-
tion, que des travaux d'amélioration aient rendu à la
Loire cette ' ' majesté de navires" qu'admirait La Fontaine,
i Les cultures riches, les populations denses ne vont pomt
du reste au delà du cadre étroit formé peu le Val. Une
fois par\'enu au sommet des coteaux de craie qui l'enser-
rent et que percent les grottes des troglodytes, on ne
trouve plus guère en Touraine, comme dans le Blaisois et
l'Orléanais, que du sable et de l'argile, des terres maigres
et des marais.
Au Nord du fleuve, c'est d'abord la pauvre Gàline lourangelle
qui s'étend jusqu'au Bas-Maine et à la riante vallée du Loir (Chà-
teaudun, Vendôme), puis les bois de Marchenoir et d'Orléans. Au
Sud, les landes du plateau de Sainte-Maure (camp du Ruchard).
la mélancolique Champeigne de Touraine, contrastent avec les ra-
vissants paysages des basses vallée de la Vienne(Cninon),de 1 Indre
(Loches et Montbazon), du Cher (Chenonceaux). Dans le grand
coude de la Loire, la Sologne (La Molhe-Beuvron, Romoranlin).
longtemps marécageuse, insalubre, presque déserte, se transforme
peu à peu grâce au drainage, au chaulage, à l'extension des
forêts.
De la Sologne au Massif Central le Berry étale ses
étendues monotones de calcaires très secs que traversent les
eaux lentes de l'Indre et du Cher. Les routes courent tout
droit à travers les campagnes nues pcu-tagées en très greuids
domaines où l'on cultive le blé, où l'on élève le mouton.
Quelques carrés de bois isolés rompent seuls la monotonie
du paysage. Bourges, Châteauroux, Issoudun, Vierzon.
sont les principales agglomérations urbaines de ce plat pays .
Au Sud, les sables du Boischaut (La Châtre, Argenton),
couverts de landes et de bois coupés par la vallée profonde
de la Creuse, apparaissent comme le vestibule des plateaux
granitiques de la Marche. A l'Ouest, les étangs, les rose-
hères de la Brenne terminent le Berrj'.
Aux pays de la Loire compris dans le bassin Parisien se
rattachent encore le Maine et l'Anjou. La moitié orien-
tale de ces deux provinces se compose, en effet, de terrains
sédimentaires, calcaires et sables d'époques secondaire et
tertiaire, tantôt fertiles et se prêtant a la grande culture
des céréales, tantôt secs et de médiocre valeur. Ce
sont encore les vallées qui constituent les zones d'attrac-
tion. Le Mans sur la Sarthe, Nogent-le-Rotrou sur
l'Huisne, La Flèche sur le Loir, Angers sur le Maine,
(un peu en aval du point où confluent Sarthe, Loir et
Mayenne) , au milieu de florissantes cultures de vigne, de
légumes et de fleurs, concentrent les produits de l'agri-
culture et de l'élevage.
Le Maine et l'Anjou occidentaux sont déjà inclus dans
le bloc de schistes et de granit du Massif Armoricain. Ils
en ont le sol imperméable, les sources nombreuses, les
noirs ruisseaux, les prairies cerclées de haies épaisses que
dominent de petits chênes étêtés. Les principales cités de
ces Bocages manceau et angevin, où l'élevage et la cul-
ture du lin forment la grande source de revenus, jalonnent
les rives de la Mayenne : Chàteau-Gontier, Laval,
Mayenne, puis, un peu à l'écart, Segré.
LA NORMANDIE
Avec la Normajidie se clôt le cycle des territoires qui
se rattachent au bassin Parisien. Encore cela n'est-il exact
— comme pour le Maine et l'Anjou — que d une partie
de la province, la plus importante il est vrai. Tout
l'Ouest, en effet, n'est qu'un morceau du Massif Armo-
ricain, un Bocage, en tout semblable au Bocage man-
ceau qu'il continue direc ement. On l'appelle la Basse-
Normandie, bien qu'elle contienne la dorsale la plus
élevée des pays normands : collines pittoresques de
l'Avranchin, forêt d'Ecouves (417 mètres au Mont des
Avaloirs), collines du Perche. L'élevage, la grande
ress.,urce, est sur ce sol médiocre de moindre profit
que dans le reste de la province, et le ' Bocain " de
Domfront ou du Cotentin fait un peu figure de parent
pauvre à côté de son compatriote du Lieuvin ou du
pays d'Auge. Avranches, Mortain, Domfront, Vire,
Saint-Lô, Coutances, Valognes servent de 'foirails" et
112
de marchés. Aux rives de la mer, Granville se perche sur
un promontoire de granit tandis que Cherbourg s'est lo-
gée dans l'anse que les vagues creusèrent entre les môles ré-
sistants de la Hague et de Barfleur.
La Normandie nche commence aux marnes du Bessin,
vêtues de prés salés (Bagneux, Uigny). Elle se continue
par les "campagnes" de Caen, d'Argentan et d Alençon,
que traverse l' Orne, et qui portent sur leurs calcaires
d'opulentes moissons, des champs de betteraves mêlés aux
prairies et aux pommeraies. Le pays d'Auge, le Lieuvin.
le Roumois fabriquent des fromages et des beurres (Li-
sieux. Livarot, Camembert, Pont-Lévê:jue, Bernay).
Au Sud-Est, le pays d'Ouche et le Thimerais, plus secs,
conservent des forêts étendues (de Couches, d'Évreux).
que coupent les champs de blé (Dreux, Evreux, Lou-
viers). Puis, par delà les méandres de la basse Seine, les
plateaux limoneux du pays de Caux et du Vexin se
LA FRANCE
couvrent de magnifiques champs de céréales mêlés de
praines, tandis qu'au pied des hautes et blanches falaises,
dans les valleuses étroites, se nichent Dieppe, Fécamp.
Étretat.
La Normandie agricole se complète par la Normandie
mduslrielle et commerciale. Aux lainages et draperies de
Louviers et d'Elbeuf il faut ajouter d'abord les coton-
nades de Rouen et de ses alentours, puis les forges de
Laigie, Sourdeval, Tinchebray, enfin les puissants gise-
ments de minerai de fer que l'on exploite dans la région
de Caen.
Le commerce de mer, qui prolonge le trafic fluvial
de la Seine, a comme points d'attache Le Havre et
Rouen, l'une des plus séduisantes de nos villes, en même
temps qu'un de nos plus grands ports.
Entre les régions si diverses dont l'ensemble compose la pro-
vince historique de Normandie, il y a, loulelois, des éléments
d'unité. C'est d abord le climat humide et doux, aux pluies fré-
quentes, la même absence de viynes, la même verdeur de paysage,
la même prédominance du pommier. C'est aussi el surtout la race
normande, fille des Vikings. Malgré d'inévitables mélanges avec
les Gallo-Romains, le vieux sang des hommes du Nord coule
encore à lorte dose dans les veines de leurs descendants. Physique-
ment, ils ont, très souvent, un type spécial. Moralement, ils se
distinguent encore ncllcment des autres Français par 1 ensemble de
leurs qualités (intelligence subtile, esprit d'entreprise, entente des
affaires) et de leurs défauts (duplicité, instincts matériels et grossiers,
âprcté au gain, ivrognerie, etc.).
LA BRETAGNE
Les Bocages normand et manceau nous annonçaient
déjà l'apparition d'un sol nouveau, cette "terre de granit
recouverte de chênes " qui pointe vers l'Océan en large
péninsule et ou la race celtique, renforcée au Vi^ siècle
par les émigrés bretons, s'est maintenue jusqu'à nous dans
sa rude pureté.
La Bretagne commence à la baie du mont Saint-Michel et se
termine à l'embouchure de la Loire. Sa structure est simple.
Parallèlement à la côte, deux lignes de hauteurs relatives corres-
pondent aux roches les plus dures, aux gneiss, aux granits qu'une
longue usure n'est pas encore par\enue à niveler complètement :
monts d'Arrée (391 mitres) et du Mené au Nord, Montagne-
Noire, Landes de Lanvaux, Sillon de Bretagne au Sud. Ejitrc les
deux se creusent dans les schistes plus tendres les bassins de
Rennes et de Chàteaulm unis par le léger bombement du plateau
de Rohan.
Le climat se caractérise par la tiédeur des hivers (7oà Brest), le
peu de chaleur des étés (16° à 17°), surlout par l'abondance des
jours de pluie (220 à Brest), la violence des vents, l'extrême nébu-
losité d'un ciel qui ne sait guère sourire.
La côte ou " Ar mor "est la partie la plus vivante de
la Bretagne et de beaucoup la plus peuplée. Ciselée,
déchiquetée par vagues et marées, elle se hérisse de pro-
montoires aigus, se creuse d'anses multiples, se borde
de récifs, d'îles et d îlots, tandis que les petits ruisseaux
de l'intérieur s'achèvent par de larges et profonds estuaires
que remonte la marée.
La vie maritirfie y naquit de très bonne heure d'abord
au Sud, dans le pays des Vénètes (V'annctais). puis à
rOuest et au Nord, où la mer était plus dure, les tem-
pêtes plus violentes, les courants plus redoutables, mais
où la nécessité même de triompher de tels obitacles
engendra une race de pêcheurs plus hardis, plus aventu-
reux : corsaires de Saint-Malo et deMorlaix, '" Islandais
et Terre-Neuvas '" de Paimpol et Bréhat.
Aux ressources de la pêche, hauturière ou côtière.
petite ou grande, qui nourrit aisément des familles nom-
breuses et entretient d"actives industries (conserves de
Concarneau, Nantes, etc.), se joignent d'abord les profils
de la culture des primeurs que favorisent à la fois la pré-
cocité du printemps, la tiédeur humide du climat el
l'emploi d'engrais marins (varechs, tangues, maërl), puis
1 exploitation des touristes et baigneurs qui affluent, en
belle saison, au fond de toutes les criques bretonnes.
Aussi est-ce sur les rives ou à proximité de la mer
que se trouvent la majeure partie des villes. Saint-
Malo, Dinaid et Dinan sur le " rias " de la Rance,
Saint-Brieuc et son avant-port du Légué, Paimpol,
Tréguier, Lannion, Morlaix, Saint-Pol de Léon s'ali-
gnent aux bords de la Manche, dans les pays de Pen-
ihièvre, du Trégorrois. du Léonnois. Brest, Landerneau,
Châteaulin, Douarnenez, Audierne font face à l'Océan:
Quimper, Quimperlé. Lorient, Vannes, le Croisic sont
les ports de Cornouaille et du Vannetais. A l'extrême
Sud, la basse Loire qui, depuis Ancenis, a pénétré dans
le Massif Armoricain, se termine par un estuaire où le
trafic de mer et diverses industries font la fortune de
Nantes et Saint-Nazaire.
La Bretagne intérieure méritait autrefois son nom de
Ar Coat (la forêt). Aujourd'hui il ne reste que d'assez
médiocres lambeaux (forêt de Paimpont) de la syive
légendaire de Brocéliande. A l'Est, dans le bassin de la
Vilaine, la Bretagne française remplaça les forêts par
de belles prairies et des champs de céréales. La densité
de la population (qui sur les côtes dépasse 150 habi-
tants au kilomètre carré) s'y maintient encore entre 75 et
100. Rennes, Fougères. Vitré, Monfort, Châteaubriant
sont les principaux marchés de celte région qui, la pre-
mière, se mêla directement à la vie de la patrie fran-
çaise, modifia ses mœurs, ses croyances anciennes et
perdit l'usage de la langue celtique. Le reste de la
péninsule, ou Bretagne bretonnante, se vêt de landes
113
L'EUROPE
mêlées de maigres champs de seigle', de pommes de
terre et de sarrasin. Pays mélancolique, pauvre, arriéré,
où une population de paysans peu nombreux se disperse
dans des métairies perdues au bout des chemins creux.
Peu de villes, et bien médiocres : Pontivy, Loudéac,
Carhaix, etc., et peu de ressources. Mais une floraison de
légendes, de traditions naïves, une abondance merveilleuse
de chapelles, de calvaires, de lieux de pèlerinages qui
succédèrent aux cromlechs et menhirs des temps très
anciens. C'est là que survit la vraie race bretonne,
attachée à ses croyances, à son costume, à la langue de
ses ancêtres, race à la fois mystique et sensuelle, naïve
et brutale, capable aussi bien de se perdre en un rêve
sans fin que de montrer dans le danger le semg-froid le
plus lucide, un courage tranquille poussé jusqu'à l'absolu
mépris de la mort.
VENDEE, POITOU, CHARENTE
Vers l'embouchure de la Loire la vigne apparaît.
C'est le début d'une région : Vendée, Poitou, territoire
Charentais, qui, tout en demeurant fort arrosée et d'hivers
assez doux, a déjà des étés plus chauds, plus ensoleillés.
Elle fait transition entre l'humide Bretagne et l'Aqui-
taine, les pays à cidre et les pays à maïs et à vin.
La Vendée termine, au Sud, le Massif Armoricain.
Sur les gneiss et les granits de la Gâtine (285 mètres au
Mont Mercure) qui prolonge le Sillon de Bretagne, ne
croissent guère que des landes et des fourrés d'ajoncs.
Dans ces lieux tristes et sauvages, en se glissant dans
le dédale des chemins fangeux, obscurcis par l'ombre
des chênes étêlés, qui mènent aux vieilles métairies
cachées et comme accroupies au creux des ravins, on
peut évoquer et comprendre la Vendée d'autrefois, la
Vendée de Cathelineau et de Stofflet, de Charette et
de La Rochejaquelein. Mais les schistes mêlés de granits
décomposés, qui s'élèvent au Nord jusqu'à la Loire
(Pays des Mauges), à l'Ouest jusqu'aux abords de
l'Océan (Bocage vendéen), permettent l'entretien de
belles prairies ceintes de haies épaisses. Les cultures
même font chaque jour des progrès grâce au chaulage
et aux engrais artificiels. Les foires de Cholet, Bau-
préau, La Roche-sur-Yon, Parthenay, Bressuire,
réunissent un bétail qui se classe parmi les plus beaux
de notre pays.
Le Bocage se complète par la Plaine (Fontenay-le-
Comte, Luçon), bande de calcaires très propres aux
céréales, et le Marais, Marais breton, autour de la
baie de Bourgneuf, Marais poitevin, entre Niort et la
mer, — tous deux vrais polders de récente création,
riches en cultures maraîchères et en prés salés.
Le nom de Poitou — auquel la Vendée se rattachait
administrativement — doit être réservé pour la dépres-
sion ouverte entre les massifs cristallins d'Armorique et
d'Auvergne. 11 y a là, depuis la fin de l'époque primaire,
une fracture, un détroit par quoi communiquaient les
mers du Nord et du Sud. Ce détroit, transformé en seuil
par les sédiments des époques secondaire et tertiaire,
est encore un des traits les plus notables de la structure de
notre pays. Il livre passage aux routes menant de Pans
à Bordeaux, et les batailles de Vouillé, de Poitiers,
montrent quel fut autrefois son rôle militaire.
En dehors de sa fonction comme zone de passage, le
Poitou, grâce aux calcaires de son sous-sol, se prête fort
bien à la grande culture des céréales. Par ailleurs, les
larges vallées du Clain, de la Vienne, de la Haute-Cha-
rente se bordent de prairies où l'on engraisse le bétail
venu de Vendée et du Limousin. A l'Est Montmorillon ,
au Centre Poitiers, au Nord Châtellerault et Loudun.
au Sud Melle et Civray centralisent les produits de la
région.
Aunis, Angoumois, Saintonge, traversés ou limités
par les eaux pures, Ccdmes et profondes de la Cheu'ente,
ont tous les trois un sol de craie, perméable et sec, peu
fertile, où la vigne réussit (eaux-de-vie de Cognac).
Angoulême, joliment perchée sur un haut escarpement
de calcaire dur. Cognac, Saintes, Rufîec, Barbezieux,
sont les villes les plus notables de l'intérieur. Sur les
côtes, prolongées par les îles de Ré et d'Oléron, envahies
par des alluvions de la Garonne, de la Seuidre, de la
Charente, on s'occupe surtout d'élevage, de la fabrica-
tion du beurre (Marans) et d'ostréiculture (Marennes).
Rochefort sur la Charente, La Rochelle doublée de la
rade neuve de La Palice, maintiennent quelque activité
à une vie maritime qui connut des périodes prospères
mais qui végète aujourd'hui faute de moyens de com-
munication avec l'arrière-pays.
LE MASSIF CENTRAL
Angoumois et Poitou touchent, à TEst, au Massif primaires) que le Massif Armoricain, mais qui, ayant subi le rude
r^é^nfral contre-coup des plissement alpins, se trouva fortement relevé vers
l'Est. Déjà transformée et comme rajeunie par cet exhaussement.
C'est un ensemble de hautes terres de même origine (plissement l'ancienne " pénéplaine " arverne le fut plus encore par les frac-
hercynien), de même formation (roches cristallines ou sédiments tures multiples qui l'accompagnèrent. Les plus apparentes mar-
114
LA FRANCE
PARIS : LA PLACE DE LA CONCORDE. Tracée sous Louis XV dont tlU porta
d abord te nom. un moment appeUe place de la Révolution et réiervée sous la Terreur
auxextculions capitales, celte place fameme.V une des plus h^lUi de l'Europe, encadrée de
palais et de Hanches terrastes, sobrement ornée de statues monumentales, de Jontaines,
d'un obélisque de granit rose, se complète harmonieusement par les frondaisons des
Chamtis-Elutées. des Tuileries, et par les magnifiques perspectives qui s'ouvrent sur
les hautes colonnes de la Madeleine, le Palais-Bourbon, le Louvre, les quais ombreux
de la Sdne. la masse lointaine de l'Arc de Triomphe. Cl. NtunDElN.
FARIb: LE PALAIS UL JLM U_L1. 1 I -\- 'MML-CnAFtLLE.Z.//cJWaCi7r.
ceinte parles bras inégaux de la Sane. p^rta d'abord les httttet de la Lutc<e gauloite.
oppidum " des Partsii. Les Romairu l'embellirent, mais les tnrasioru barbares la rui-
nèrent, et les souverains des deux pranières dynaaties y aéf'oumiïent rarement. Par
contre, a fwjr/if du jour ou la couronne Pana dtim la famille da Comta tic Pain, la
Cité devint la résidence halktuelle dei rois Capétiens. L'ile conserve de cette époque trois
des plus belles œuvres architecturales que nous légua le passé : Moire 'Dame, la Sainte-
Chapelie, le Palais de Justice. CI. NeURDElN.
115
L'EUROPE
L'INDRE A MONTBAZON. Type de ces '" paysages modérés " si nombreux
dans le B!aisois, la Totiraîne, l'Anjou, et, en général, dans tout le bassin parisien
oîi les eaux, les arbres, les maisons de pierre blanche, les châteaux, les ruines de for-
teresses s'unissent en un séduisant tableau. Cl. Boulanger.
LE CHATEAU DE CHAUMONT. Les derniers Valois vécurent de préférence
aux rives charmantes de la Loire et de ses affluents. Pour eux et les plus fastueux
de leurs amis, les architectes de la Renaissance élevèrent ces magnifiques demeures
qui comptent parmi les chefs-d'œuvre les plus originaux de l'art français.
I.F.S
MENHIRS. Dressent |
leurs
silhouettes
fantastiques
dans
la solitude
des landes
bretonnes.
LA POINTE DU RAZ. Sur la façade occidentale de la Bretagne, la mer a rongé inégalement
schistes, granits, gneiss, calcaires. Aux roches plus tendres correspondent les baies de Brest, Douar-
nenez, Audieme ; les plus dures, à Saint -Mathieu, à Morgai, au Raz, à Penmarch, demeu-
rent en saillie et leurs sombres falaises semblent braver les assauts de l'Océan.
LE CALVAIRE DE MEL-
LERAND. Symbolise les
pieuses croyances de la Bre-
tagne mystique
..M...
I--
^HKB^^^L'*'^''" - " '"i i«mi-Li-r"'
[^^9HH
^^^^^^BRflKlSh^ul
IKk&^^^ -mÊÊ
■■".«t-
i — , PuY DE DOME. Les basaltes et les laves, que vomirent autrefois les volcans
arvcrres, donnmt un sol poreux, riche en principes fertilisants qui, dans les régions
cesses, convicml aux fruits et aux céréales, et porte sur les sommets des prairies d'une
Tarzrjii-Mîi. CI. Neurdein.
LA VÉZÈRE AU SAILLANT. Dans tout l'Ouest du Massif Central: Bourbonnais.
Marche, Limousin, de fortes pluies, tombant sur un sol imperméable, nourrissent un
éventail de rivières rapides, aux eaux so.-nbres, qui burinent dans la roche dure leurs
vallées profondes. Cl. BoULANGER.
16 -
LA FRANCE
quèrcnl l'emplacemenl de» cours d'eau (vallées de la Loire, de
l'Allier, etc.), el des bassins plus ou moins larges que les hommes
peuplèrent les premiers (V elay. Forez, Limagne, etc.). Les autres
livrèrent passage à ces puissantes coulées de laves, à ces amon-
cellements de cendres, de tufs qui coiffèrent le soubassement cris-
tallin soit de " planc;cs " basaltiques, soit de hauts volcans (Can-
tal, Monl-Dore, chaînes du Puy-de-Dôme). Par les (ailles innom-
brables jaillirent les sources thermales.
Le Massif Central dut à ces phénomènes une variété que ne con-
naissent ni l'Armorique ni les Ardennes. Variété géologique el
structurale que complètent des nuances très sensibles de climat el
qui permet de reconnaître dans cet ensemble, d'apparence confuse.
des régions naturelles nettement individualisées.
Vers l'Orient, le Massif Central (dresse une muraille
fort raide qui surplombe imire'dlatemer.t le sillon Saône
et Rhône. Tout dabord les monts du Charolais, du
Maçonnais, du Beaujolais et du Lyonnais ne de'passent
guère en moyenne 7(X) a 800 mètres, llspoilent sur leurs
flancs des vignobles fameux. Leurs sommets aplatis nour-
rissent des prés où s'engreiissent de grands bœufs blancs.
Dans les dépressions qui les séparent, 1 industrie a pu
mettre à profit des gisements houillers et des minerais de
fer qui expliquent le très remarquable développement
pris par la métallurgie au Creusot, à Montceau-les-Mines.
à Saint-Chamond, etc.. les tissages de soie à Saint-
Etienne, à Tarare, .Amplepuis, etc.
Mais la pyramide du mont Pilât (1434 mètres)
marque le début d'une zone beaucoup plus élevée :
monts du Vivarais avec le Mézenc (I 754 mètres) et le
Gerbier-de-Jonc (1 531 mètres) puis Cévennes avec le
mont Lozère (I 702 mètres) et l'AigouaUl 567 mètres),
enfin monts de l'Espinouze et Montagne-Noire. Au bas
des pentes le climat méditerranéen permet la culture du
mûrier, de la vigne, de l'olivier. On exploite la houille à
Alais et Graissesac. On s'occupe de diverses industries
(papeteries, filatures) à Privas, Aubenas, Annonay, etc.
Plus haut, les racines robustes des châtaigniers
s'accrochent aux anfractuosités du roc. Plus haut encore,
paissent les brebis venues du Languedoc. Des orages
formidables s abattent sur ces sommets exposés à la
double action des vents océaniques et méditerranéens.
D oïl le régime prodigieusement irrégulier et les crues
soudaines de l'Ardèche, du Gard, de l'Hérault, de
rOrb, dégringolant au fond de leurs vallées étroites.
Derrière cet ourlet de monts en gradins, le centre
du Massif comprend d'abord une série de hauteurs
qui remplissent la Mésopotamie forézienne : monts
du Velay (1423 mètres), du Forez (1640 mètres), du
Livradois, de la Madeleine, couverts de brandes et de
bois. Puis, à l'Ouest de l'Allier, après les âpres granits
de la Margeride ( 1 492 mètres) el les monts déserts du
Gévaudan, la Haute-Auvergne doit au volcanisme
l'attrait de ses paysages et la fertilité de son sol. Sur les
plateaux de l'Aubrac, du Cézallier, de Saint- Flour.
comme sur les pentes de ces anciens cônes démantelés
que sont le Cantal (1858 mètres), le Mont-Dore
(1886 mttres au Sancy) et les Monts Dôme
(1465 mètres au Puy-de-Dôme), des herbages magni-
fiques coupés de lacs aux eaux sombres nourrissent des
troupeaux nombreux (fromages du Cantal). Baigneurs
et touristes affluent à Royat.àSamt-Nectaire.à Vie, dans
la riante vallée de la Cère, à la Bourboule et au Mont-
Dore, tandis que les éleveurs du pays se rassemblent aux
foires de Saint-Flour. Aurillac. etc.
La Haute-Auvergne se complète par les bassins du Velay (Le
Puy), du Forez (Monibrison el Roanne), de la Limagne surtout
(Clermont-Ferrand, Riom, Thiers) que traversent Loire et Allier.
Un sol généralement très fertile, sauf en quelques coins du Forez,
un climat chaud, l'abondance de l'eau font de ces bassins de véri-
tables oasis où affluent les hommes attirés non seulement par la
variété et l'abondance des ressources agricoles (céréales, fruits dé-
licieux, vignes), mais aussi par les profils de l'induslii; : coutellerie
de Thiers, bassin houiller de Brassac, caoutchouc de ClermonI,
filatures de Monibrizon, Roanne, etc. Vers le Nord, au confluent
de la Loire el de l'Allier, le Bourbonnais (Moulins) étale ses
sables et ses marais infertiles qui semblent annoncer déjà la
Sologne proche.
Le Sud du Massif est surtout remarquable par les
hauts plateaux des Causses, couches épaisses de cal-
caires jurassiques surélevés, puis découpés comme à
l'emporte-pièce par les eaux du Tarn, du Lot et de
leurs affluents. Les " caiions " que la Dourbie, la Jonte,
le Tarn burinèrent entre les Causses de Larzac, Noir,
Mé;ean et de Sauveterre. les " avens " ou gouffres,
les grottes, les perles de nvières, les lacs souterrains
qui abondent en de tels lieux comme en toutes régions
de calcaires fissurés, attirent les visiteurs étrangers. Quant
aux indigènes, les Caussenards, ils vivent de l'élevage
du mouton et de la fabrication du fromage (Roque-
fort).
A l'Ouest et au Sud des Causses, les plateaux du
Rouergue, de l'Elscandorgue, de Lacaune, du Sidobre.
ont un sol de granit sur lequel on cultive avec diffi-
culté le seigle (d'oîi le nom de Ségalas donné au pla-
teau du Rouergue) et le châtaignier.' Mais partout les
vallées profondes et chaudes, aux riches alluvions, con-
trastent vivement avec l'infécondité et la tristesse des
hauts lieux. Là seulement la population atteint une
certaine densité et se groupe en petites villes : Mende
sur le Lot, Rodez sur l'Aveyron, Florac, Millau sur le
Tarn, Mazamet, Castres sur l'Agout, où l'on s'adonne
à diverses industries dérivées de l'élevage du mouton
(peignages de laine, ganterie, fromageries).
L'Ouest du Massif est aussi une région de plateaux
qui rappellent, par bien des trjuts, les ségalas du
Rouergue. Ils s'appuient aux monts d'Auvergne,
s'inclinent vers les plaines berrichonnes et charentaises
CXOCRAPHIE tTJIVElSELLE.
117
12
L'EUROPE
et portent le nom de Combrailles, de plateaux de
Millevaches, de la Marche et de Limousin, Tout un
éventail de rivières aux gorges pittoresques (Sioule,
Creuse, Vienne, Corrèze, Dronne) descendent de ce
château d*eau très arrosé dont le sol de granit imper-
méable se vêt de brandes, de prairies humides, de bois
de châtaigniers.
Dans rensemble, la région limousine et marchoise est pauvre,
arriérée, peu peuplée. Des métairies très frustes se cachent au fond
des bois. Les gens doivent demander un supplément de ressources à
rémigration saisonnière (les ouvriers du bâtiment à Paris comptent
un bon nombre de Limousins et de Creusols). Toutefois, de grands
progrès ont été réalisés dans les régions plus accessib'es du pour-
tour, à proximité des voies ferrées, des routes, des villes. La
majeure partie du Limousin occidental est aujourd'hui couverte
de superbes prairies où l'on élève un bétail a robe rousse dont la
chair n'a pas de rivale en France. Les champs de blé prennent
peu à peu la place du seigle et du sarrasin. Le bassin de Brive,
en Bas-Limousin, est une véritable '* huerta " riche en légumes
et en fruits. L'industrie, enfin, s'est implantée de longue date à Tulle
(manufacture d armes), à Commentry et à Montiuçon (métallurgie
et glaceries), à Aubusson (tapis), à Limoges, la vieille capitale
limousine (porcelaines, émaux, fabriques de chaussures).
LE BASSIN D'AQUITAINE
Entre le Massif Central et les Pyrénées s'ouvre le
bassin triangulaire d'Aquitaine. Il a sur 1 Océan une
façade large, mais rectiligne, bordée de hautes dunes,
inhospitalière entre toutes. Au Nord, il communique par
le seuil du Poitou avec le bassin Parisien. A l't.st, la
porte du Lauragais donne accès aux pays méditer-
ranéens.
C'est une région naturelle parfaitement individualisée non seule,
ment par son relief peu élevé, par son climat cfiaud et fiumide
propre au maïs et au cfiâtaignier comme au blé, à la vigne, aux
arbres fruitiers, par son hydrographie qui comprend une artère
maîtresse, la Garonne, vers laquelle convergent les eaux venues
des Pyrénées et du Massif Central, mais aussi par la race qui
l'habite, mélange d'Ibères, de Celtes et de Romains, presque pure
de tout alliage germanique, par la langue qu'on y parle, la tournure
d'esprit, les qualités et les défauts propres au Gascon. L'Aquitaine
s'est, du reste, fondue tard et difficilement dans la nationalité
française. Plus précoce que le Nord, elle excita des Jalousies et
fut, au début du Xli:^ siècle, la victime sanglante de la croisade des
Albigeois. Plus tard, elle demeura, en partie, possession anglaise
jusqu'au milieu du XIV® siècle. Tout cela est oublié depuis bien
longtemps. A peine peut-on noter comme trace caractéristique de
l'isolement relatif où l'Aquitaine se trouve par rapport au reste de
la France ce fait que. seule de toutes les régions françaises, elle
possède un réseau ferré qui n'a pas a Paris son point de départ.
Toute 1 Aquitaine vit de la culture du sol. L'indus-
trie ne compte à peu près point, si l'on excepte le petit
bassin houiller de Carmaux en Albigeois, quelques
minotenes dans le Toulousain, l'exploitation des forêts
landaises (résine, goudron, térébenthine) et la fabrica-
tion du matériel vinicole dans le Bordelais.
Les terres les plus riches occupent le centre du bas-
sin. Ce sont des limons tertiaires et quaternaires, des
alluvions déposées par la Getfonne et ses affluents. Dans
les plaines du Lauragais, du Toulousain, de la Limagne,
de l'Agenais, croissent le blé, le maïs, les légumes, le
sorgho à balais. Sur les coteaux qui les entourent
mûrissent la vigne et les fruits. Près de la mer, les gra-
viers et les calcaires du Bordelais portent les célèbres
vignobles du Médoc, de Graves, de Sauternes, etc.
Toulouse est la capitale terrienne de ces riches régions
dont Bordeaux exporte les produits. Muret, Moissac,
Montauban, Agen, Libourne participent à la prospérité
que fait naître la savante mise en valeur du sol.
Au Nord-Est et à l'Est, le bassin Aquitain s'entoure
de plateaux calcaires qui couvrent le Périgord, le
Quercy et l'Albigeois. Ceux du Quercy sont assez élevés
(500 à 600 mètres) pour faire ligure de vraies causses (de
Martel, de Gramat, de Rocamadour). Ils en ont les
mêmes surfaces caillouteuses, les gouffres, les " canons".
Le Périgord et surtout l'Albigeois, plus bas, se prêtent
mieux à laculture. Toutefois, là encore ce senties vallées
qui concentrent et fixent les hommes. Les rives de la
Dordogne, de l'isle, de la Dronne, de la Vézère, du
Lot, du Celé, avec leurs champs de maïs et de blé, leurs
noyers, les vignes de leurs versants, les bois de chênes
et de châtaigniers qui les dominent, les riantes bourgades,
les innombrables châteaux qui se perchent sur leurs
falcuses ocreuses, comptent parmi les plus séduisants de nos
paysages. Périgueux, Bergerac, Sarlat, Cahors, Figeac
tirent d'appréciables profits de la fabrication des con-
serves et pâtés dont la truffe est l'élément essentiel.
Vers l'Ouest, la région landaise et le pays d'Albret
ont vu disparaître en partie les marais fiévreux qui les
couvraient. Les plantations de pins ont transformé la
physionomie de ces régions qui demeurèrent si longue-
ment inutiles et vides. De nants villages, peuplés de
"résiniers " se multiplient entre les troncs saignants des
arbres, près des étangs poissonneux de Carcans, Laca-
nau, Parentis, etc. Toutefois ces plaines se classent
encore parmi les moins peuplées de France, et, Arcachon
mise à part, n'ont point pu donner naissance à la vie
urbaine.
La Chalosse et l'Armagnac terminent au Sud l'Aqui-
taine. La première, traversée par l' Adou r et quelques-
uns de ses affluents, cultive le maïs, élève les volailles.
C'est un ' ' bon pays " dont Mont-de-Marsan, Dax et Saint-
Sever concentrent les produits. L'Armagnac est le cœur
118
Ij\ FRANCE
delaGascogne dant il contient l'ancienne capitale, Auch,
et les villes principales : Lombez, Lectoure, Nérac,
Condom, Mirande. Ses argiles, mêle'es de sables, se
prê'.ent à l'érosion. Aussi Gers, Gimone, Save et Baïse
purent-ils s'y tailler aise'ment de larges valle'es, où la
vigne (eaux-de-vie d'Armagnac) se mêle aux vergers et
aux champs. Mais, entre deux vaux, les croupes pierreuses
ne portent guère que les genêts, les ajoncs de la
" fouya", ou lande gasconne, qui prend une particulière
ampleur à l'extrême-Sud dans les mornes solitudes du
plateau de Lannemezan, immense cône de débris mo-
rainiques étalés par les torrents.
LES PYRENEES
Du fond des plaines gasconnes on voit partout, barrant
l'horizon, la haute muraille des Pyrénées.
EJle s'allonge sur 450 kilomètres environ du golfe de
Gascogne au cap Cerbère. Toute sa partie médiane,
entre les cols du Somport (Oloron-Jaca) et de Puymo-
rens (Foix-Puygcerda), se maintient en moyenne à plus
de 3 000 mètres et est pratiquement infranchissable. Là
se dressent les pics les plus élevés : Vignemale
(3298 mètres) mont Perdu (3 392 mètres), pics du Midi
d'OssauetdeBigorre, Balaïtous, Néouvielle, picd'Aneto.
le point culminant de tout le système (3 304 mètres) dans le
Massif delaMaiadetta,montVallier. mont Calm (3080
mètres). Des neiges éternelles les recouvrent au-dessus de
2800 mètres, et quelques glaciers suspendus y subsistent,
derniers témoins des grandes nappes cristallines qui les
coiffèrent autrefois, approfondirent leurs vallées, sculp-
tèrent leurs cirques grandioses (Gavarnie, Marboré),
charrièrent jusqu'en Gascogne les moraines énormes
faites de leurs débris. Très arrosées, car leur écran barre
la route aux vents du Nord-Ouest, elles nourrissent une
multitude de torrents, les " gaves ". diamantine parure
de la montagne, et conservent, avec des pâturages d été,
des fragments trop clairsemés d'antiques forêts.
Des communautés pastorales s'établirent de bonne
heure dans chaque vallée. Certaines d'entre elles se
transformèrent en Etats féodaux qui débordèrent hors de
la montagne. Telle lut longine des comtés de Béarn
(Pau, Orthez, Oloron), du Bigorre (Tarbes), de Com-
minges(Saint-Gaudens), de hoix et Pamierssurl'Ariège.
La petite République d'Andorre demeure comme le témoin
de ce passé où le manque de communications aisées cloî-
trait les gens dans l'horizon borné de leurs vallées natales.
La nature n'a point aménagé commodément les Hautes-Pyré-
nées pour faciliter l'habitat humain. Les pentes y sont raidet et
continues. On n'y trouve pas ces gradins, ces replats étages k loulei
altitudes entre 600 et 2 000 mètres qui, dans les Alpes, perracUenl
la multiplicité des hameaux et des villégiatures estivales. Aussi la
montagne pyrénéenne est-elle faiblement peuplée et rclaliveroeni
peu visitée. Touristes et baigneurs naf.^ucnl que dans les basses
vallées où jaillissent les sources thermales : Luchon. Argeles,
Bagnères, Ax, Salies , Cautcrets. etc.
Aux deux extrémités l'altitude décroît et les passages
se multiplient : cols de Roncevaux, de Belate, d'idiaza-
bal à l'Ouest (ces deux derniers en territoire espagnol),
cols de la Perche et du Perthus à l'Est empruntés par
de bonnes routes carrossables et les voies ferrées qui vont
à Madrid et Barcelone. Aussi Basques et Catalans
ont-ils pu s'établir sur les deux versants des monts. Les
premiers peuplent la Navarre : pêcheurs sur la Côte
d'Argent "de Bayonne à Saint-Sébastien par Biarritz et
Saint-Jean-de-Luz, cultivateurs dans les basses vallées
(Mauléon, Saint-|ean-Pied-de-Port), éleveurs et contre-
bandiers dans la montagne. Les autres se retrouvent
dans les deux Cerdagnes, la française et l'espagnole, et
pratiquent, aussi bien dans le Roussillon que dans l'Am-
purdan, la culture par irrigation. Toute la vallée infé-
rieure de la Têt et du Tech, les plaines de la Salanque
aux rives méditerranéennes, apparaissent comme la
dernière des " huertas ". Perpignan, Prades, Port-
Vendres, Banyuls concentrent et exportent ses vins
et ses primeurs. Se détachant nettement sur le bleu du
ciel, la magnifique pyramide du Canigou (2 785 mètres)
se dresse au-dessus des plaines roussillonnaises, borne
colossale du monde pyrénéen.
LANGUEDOC, PROVENCE, CORSE
Avec le R,.ussillon nous sommes déjà en pleine région de climat
méditerranéen. Hivers courts cl lièdes, étés longs, 1res chauds, très
secs, pluies rares tombant uniquement de l'automne au printemps,
ciel lumineux, venis netlemeni localisés : misiral, tram nianc,
sirocco, tels en apparaissenl les caractères essentiels. Les torrents
îrréguhers passent, suivant les saisons, de l'extrême maigreur, voire
de la siccité complète, aux débordements furieux. Plus de
forêts majestueuses, mais les arbustes de courte taille, les buissons
^ioeux du maquis, parfois même, sur les sots les plus pauvres, les
maigres touffes espacées de la garrigue. Peu ou point d'arbres à
feuilles caduques, mais des oliviers, des arbousiers, des len-
tisques. des chênes-lièges, des yeuses, des cystes, des lauriers-roses,
des pins d'Alep et des pins parasols, toutes plantes qui gardent
durant l'année entière leur parure de feuilles ou d'aiguilles, rési-
neuses, petites, parfumées. El même, sur les côtes les mieux abritées
apparaissent les feuilles métalliques, les boutons argentés et les
fruits d'or de l'oranger.
Languedoc, Provence, Corse se partagent nos terres
méditerranéennes.
119
L'EUROPE
Le Languedoc va des Corbières et du seuil de
Naurouze au Bas-Rhône. 11 s'appuie sur les flancs des
Cévennes par une zone de plateaux calcaires très per-
méables, très secs, souvent arides, les garrigues ,
que traversent les valle'es torrentielles de l'Orb, de
l'He'rauil, de la Vidourle et du Gard. Seul le Miner-
vois et la région d'Uzès ont des vignes, des champs de
blé. de bons pâturages à moutons (vieilles industries
lainières à Bédarieux et Lodève) et des plantations de
mûners. Il se termine sur les eaux peu profondes du
golfe du Lion par une côte plate, sablonneuse, bordée
d'étangs (Leucate, Sijean, Thau, Magueionne), très
peu propice à la navigation et que les hommes évitent.
Entre plateaux et rivage les plaines alluviales de la
Coustière " sont entièrement couvertes de vignobles,
donnant avec une remarquable abondance un vin de
qualité fort ordmaire. C'est la grande — mais aussi
1 unique — source de revenus. Les centres urbains
s cJignent de Carcassonne à Nîmes par Narbonne,
Béziers et Montpellier, toutes cités bâties par les Romains
sur les routes d'Espagne et de l'Océan : la Maison -
Carrée, les arènes de Nîmes, le pont du Gard, com-
mémorent leur souvenir. Sur la côle Agde, d'origine
grecque, n est plus rien. Cette monopolise le trafic de
cette riche et vineuse région.
Le Rhône franchi, nous sommes en Provence. Dans
la vallée du grand fleuve, la limite Nord de la Provence
coïncide avec celle de l'olivier au défilé de Donzères.
Elle débute par les plaines du comtat Venaissin qu'ir-
riguent une série de rivières (Ouvèze, Sorgues, etc.).
nées aux pieds du Ventoux (I 912 mètres) et les
canaux dérivés de la Durance. Les champs de primeurs
s alignent d'Orange à Cavaillon et Château- Renard
entre les haies de cyprès, protection nécessaire contre
le souffle glacé du " magistraou " ou mistral. Aux
rives du Rhône veillent encore les remparts et le
puissant château d'Avignon.
Après Tarascon, Beaucaire et Arles, doublement
séduisante par sa beauté propre et le charme légen-
daire de ses filles aux grands yeux sombres, le Rhône
se divise en deux branches qu'enserrent les solitudes
sableuses et marécageuses de la Camargue. Le nord
commence à être mis en cultures. Mais les " sansouires "
qui entourent l'étang de Vaccarès ne peuvent encore
nourrir que quelques troupeaux de moutons et de tau-
reaux à demi sauvages. Aigues-Mortes sommeille entre
ses hautes murailles. Aux Saintes- Maries-de-la- Mer,
Mireille vint mourir.
Puis la Crau éploie ses solitudes . caillouteuses et
fauves que l'olivier, l'amandier, les prairies même
commencent à trouer de vertes oasis. A Miramas, les
eaux bleues du golfe de Berre luisent entre les collines
dorées. C'est le début de la Provence maritime dont la
120 —
courbe hcu'monieuse s'arrondit de Martigues à Menton-
Point de sables et d élangs mélancoliques, comme en
Languedoc,' mais les mille caprices d'une côte que borde
la montagne et où la mer découpa des calanques "
étroites, cisela des promontoires et des îles, creusa de
sûrs abns entre les blancs calcaires et les rouges por-
phyres. Côte merveilleusement propice à la vie maritime,
comme en témoignent toute son histoire et le rôle que
jouent encore chez nous et Marseille et Toulon, et les
pêcheurs et marins de tous les petits havres provençaux
(Martigues, La Ciotat, Saint-Tropez, etc.). Mais aussi
côte pleine de lumière et de soleil, rivages accueillants,
délicieux, parfumés, séduisante Riviera, qui attire et
retient tous les heureux de ce monde dans les replis de
sa ceinture azurée. Hyères, Cavalaire, Saint-Tropez au
pied des Maures vêtus de forêts. Saint- Raphaël et Agay
sur les confins de l'Esterel, Cannes, Antibes, Grasse,
Vence, Nice, Viilefranche, Monaco, Menton, telles
sont les stations les plus connues de ces lieux qui déroulent
jusqu'au fond du golfe de Gênes le ruban de leurs parcs,
de leurs champs de fleurs, de leurs petits ports où se
balancent les tartanes, tandis que là-haut, sur la mon-
tagne qui les surplombe, de très vieux villages fortifiés
achèvent de s écrouler, témoins inquiets d'un passé de
brigandages où les pirates barbaresques jouèrent le rôle
essentiel.
La Provence maritime se complète par la Provence terrienne,
gonflée de plateaux pierreux qui sont de vrais causses, sillonnée de
montagnes nues, de formes aussi pures, parfois, que les sommets de
l'Hellade, et creusée de vallées larges i.îi croissent le blé, la vigne,
l'olivier, le mûrier. Aix, que domms magnifiquement l'éperon
de la Sainle-Victoire, Brignoles au pied de la Sainte-Baume,
Draguignan dans la conque de l'Argens, Mirabeau, Manosque.
Forcalquier, Digne, Sisteron dans le val de la Durance sont les
principaux centres urbains d'une régi tn où les gens, d'humeur so-
ciable, répugnent à l'isolement et se groupent volontiers en gros
bourgs d^nt les maisons coiffées de tuiles rousses s'étagent aux
pentes des collines.
La Corse n'est qu'un fragment détaché delà Provence.
Ses granits et ses porphyres s'unissaient autrefois, avant
l'effondrement de la Méditerranée, aux Maures et à
l'Esterel, comme à la Sardaigne et à l'Espagne. Cou-
verte d'un chaos de montagnes magnifiques et sau-
vages, creusées de gorges profondes, qui atteignent
2 709 mètres au mont Cinto, elle n'a de plaines
— marécageuses, fort inscJubres — que sur sa frange
orientale. Les côtes de l'Ouest capricieusement décou-
pées par les golfes et Ctdanques de Bonifacio, Ajaccio,
Sagone, Porto, etc., ruisselantes de lumière, dominées
par des escarpements raides couverts d'un épais
maquis, ont une beauté qui ne connaît guère de rivales
en Méditerranée. L'intérieur ne présente pas moins
LA FRANCE
LE MONT SAINT-MICHEL. /^JOïwofi réttétû éc3 vagues et iejett alterné Ja
tnariti. usant les roches Je résistance moindre, laistant en taillt'e tes parties les plus
dures, ■iétachèrait peu à peu du massif armoricain une multitude d'écueiU. d'ilôts et
iTUe» qui, d'Attritmf à Noirmoulien, Ventoarent comme S une ceinture. L un de ces tlols.
piaeé aux confins de la Normandie et de la Bretagne, joua tm rôle illustre dans l'histoire
religieuse et mililaÏTe de noi provinces de l'Ouest. Cal le Mont Saint-Michel, à la
foi% petit bourg de pêcheurs, forteresse puissante et sanctuaire vénéré, A marée basse,
des grioea de sable et une route carrossable l'unissent au continent. Cl. LévY.
121
L'EUROPE
LA BARRE DES ÉCRINS {4103 m.) dresse au cœur du Massif de Pelvoux son
éventail d'aiguilles déchiquetées dent les murailles alruples surplcmlent un teste
névé. Pour atteindre la cime, il faut suivre, au prix de très grandes di0icullés. l'arête
dentelée gui part de l'angle gauche de la photographie. CL NeltïDIIN.
GRENOBLE. " Typede ville de confluent ", Grenoble a grandi à la jonction de
l Isère et du Drac. La fertile vallée du Graisivaudan assurait sa subsistance. De
nos jours, la multiplication desusines, utilisant la'Jorce vive des eaux courantes, a
fait de Grenoble un grand centre industriel. CL RoY.
ViLLER5-LE-LAC : BASSIN DU DOUES. Type de paysage dans les monts
du Jura. Des assises régulières de roches calcaires dominent par des parois verticales
le val étroit que le Doubs remplit momentanément tout entier. Forêts et prairies
couvrent le plateau. CL BcULANGER.
DUINGT ET LE LAC D'ANKECY. Ce beaulac. aux eaux bleues, serti dans
un écrin de roches calcaires, dent les blanches parois se strient de traînées de verdure
concentre ime partie des eaux du massif des Aravis. Le Fier s'en échappe à Armecy
et gagne le Rhône en traversant des gorges en forme de canon. CLBoULANHER.
'/■ADVC DE G.'^RXSIT, hardiment jeté sur la vallée de la Truyère, porte
■scie A^.•«^■ çià va de Marvejoh à St-Flour. Il forme un contraste instructif
-. I : ■~\c:iy. fjn; de pierre à deux arches, vers lequel ta route charretière descend
cric^ -^T,^,.'î. CL Neubdon.
Vf'}
LE PONT DU GARD. Construit au I^ siècle de notre ère pour amener à
Nimes'les eaux de la source d'Eure, près d'Uzès, ce magnifique aqueduc, patiné
par la longue caresse du soleil, est un éloquent témoignage de la science et du
goût des architectes gallo-romains. CL NeuRDEIN.
LA FRANCE
de pittoresque par ses vallées étroites bordées de
rochers fauves et nus, ses forêts de châtaigniers et de
pins (Vizzavona, Aïtone), ses villages aux grandes
maisons noires, les mœurs, les traditions de ses habitants,
bergers, petits propriétaires ou... fonctionnaires retraités.
Faute de moyens de communications, faute surtout d'ar-
deur au travail, le pays est pauvre, à peine cultivé. Les
villes : Ajaccio, Bastia, Calvi, Sartène, Corte n'ont
qu une bien médiocre importance. Les insulaires doivent
émigrer en grand nombre sur le continent où ils recher-
chent de préférence les emplois qui confèrent une certaine
autorité, permettent de revêtir un uniforme et assurent
une petite retraite. Puis ils reviennent achever leur vie
près de la terre chaude et sèche, pleine de plantes odo-
rantes dont le parfum subtil, dilué par les vents, flotte
très loin sur la mer caressante.
LES ALPES
De la Méditerranée au lac de Genève les Alpes
françaises s'étendent sur plus de 300 kilomètres de
longueur. C'est aussi, à peu de chose près, la largeur
qui sépare la plaine du Pô du sillon rhodanien.
Les plus hauts sommets se trouvent dans les Massifs
du Nord et du Centre-Est : mont Blanc (4810 mètres),
Vanoise (3860metres), Grandes- Rousses (3 505 mètres),
Barre des Ecrins(4 103 mètres), Pelvoux (3 954 mètres),
où prédominent les roches cristallines. Vers le Sud et
l'Ouest l'altitude décroît. Les Alpes de Haute-Pro-
vence ne dépassent guère en moyenne 2 500 mètres. Les
Préalpes, c'est-à-dire la zone de plateaux et de monts
calcaires (Chablais, Chartreuse, Vercors, Diois) qui
bordent à I Ouest les massifs centraux, se maintiennent
entre 1 000 et 2000 mètres.
Aux différences d'altitude s'ajoutent les veu'iétés de
climat. En Savoie, l'hiver est plus rude, surtout l'humi-
dité beaucoup plus grande. De là l'abondance des neiges,
éternelles ou non, l'ampleur des glaciers, la verdeur des
prairies, la densité et la vigueur des forêts, la masse des
eaux que roulent en toutes saisons les torrents. De là
aussi l'élevage des bêtes à cornes, la fabrication des fro-
mages, la multiplication — récente — des usines hydro-
électriques, le nombre chaque année croissant des sta-
tions estivales ou hivernales, bref une utilisation métho-
dique et complète de toutes les ressources de la
montagne.
En Provence, un ciel plus clair, des étés plus secs ont
comme résultat la disparition des glaciers, même des
neiges persistantes, la raréfaction des forêts et des alpages,
l'irrégularité des torrents, la substitution du mouton aux
vaches laitières, une montagne plus pauvre, moins
visitée, moins utile, et, qui plus est, dévastée par des
siècles de pâture imprévoyante.
Entre Savoie et Provence, le Dauphiné sert de
transition. La Chartreuse, l'Oisans sont presque aussi
verts que les pays de Savoie. Mais le Dévoluy ne le
cède point en aridité aux plus désolés des monts proven-
çaux.
Au cœur des massifs s'insinue tout un réseau de
vallées longitudinales ou transversales. Elargies par les
glaciers d'autrefois, emplies d'alluvions fluviales et de
dépôts lacustres anciens, elles se prêtent aux cultures
riches : vignes, noyers, légumes, blé, aussi bien qu'à
1 élevage intensif sur des prairies bien irriguées. Ce sont
naturellement les grands centres de circulation et de vie,
ceux où la population s'accumule, ceux où se consti-
tuèrent autrefois des individualités ethniques et politiques
telles que la Savoie, le Dauphiné, le Briançonnais, le
comté de Nice, commandant les passages alpestres.
Elles communiquent, soit entre elles, soit avec leurs
sœurs italiennes et suisses, par des cols d'accès assez
faciles, où les routes carrossables, parfois doublées d'une
voie ferrée, s'établirent aisément.
Ainsi du Chablais (vallée de la Dranse avec Thonon), du Fau-
cigny (vallée de TArvc avec Chamonix el Bonnevillc), du Genevois
(Annecy el son lac), de la Tarenlaise (haute vallée de l'Isère avec
Moulicrs et Albertville), les cols de Balrae, de la Tête-Noire, du
Petit Saint-Bernard mènent au Rhône suisse ou à l'italienne vallée
d'Aoste. Les gens des Bauges (Chambéry cl son lac, Aiji-les-
Bains), de la Maurienne (vallée de l'Arc avec Saint-Jean), du
plantureuxGraisivaudan (valléemoyennede l'Isère avec Grenoble),
et de la verdoyante Chartreuse ont, pour se rendre à Turin, la
route du mont Cenis et le chemin de fer du Fréjus (Modane-
Bardonnèche). S ils veulent simplement gagner la Durance, la
vallée de la Romanche les mène au Laularet, celle du Drac au
col de la Croix-Haute. Enfin, du Briançonnais et de la Haute-Pro-
vence, on gagne le versant du P6 par les cols du mont Gcnèvre,
de Larche el de Tende.
Presque toutes les eaux des Alpes françaises s'écoulent
au Rhône. A Genève même il reçoit l'Arve, collecteur
des glaciers du mont Blanc. Puis il pénètre chez nous,
traverse l'extrémité du Jura par une étroite et profonde
cluse, se gonfle chemin faisant du Fier, du Guier, etc.,
dégringole en plein Sud, remonte longuement vers le
Nord, puis se courbe vers l'Ouest, se cogne à Lyon
contre le Massif Central et, continuant le trajet indiqué
par la Saône nonchalante, prend sa course yers la loin-
taine Méditerranée.
L'Isère, la Drôme, la Durance. quelques afiluents cévenols lui
jettent des eaux régulières ou intermittentes dont la masse porte
son volume à 2 000 mètres cubes d'eau en moyenne sous le pont de
Beaucaire. Mais la raideur de sa pente l'empêcha, jusqu'à nos
123
L'EUROPE
jours, de rendre aux hommes de réels ser\ices. Les gigantesques
travaux qui, du barrage de Génissiat à la dernière écluse arlé-
sienne, vont morceler son trajet en une série de biefs à niveau plan,
porteront à ce regrettable état de choses un triple remède. Le
Rhône deviendra d'abord une voie navigable de premier ordre. De
plus, chaque écluse se doublera d'une usine productrice d électri-
cité. Enfin, des canaux de dérivation permettront à la fois d'amorlir
la violence des flots de crue et d'irriguer les plaines de Valence,
de Montélimar, du Trïcastin et du Vaucluse. De magnifiques
perspectives s'ouvrent ainsi pour toutes les cités qui s'égrènent au
long de sa vallée, et de Marseille à !a Suisse, par Lyon, puissante
métropole de !a soie, un souffle de vie nouvelle s'engouffrera
dans ce large couloir, où depuis tant de siècles passe un des plus
forts courants économiques du vieux monde.
LE COULOIR DE LA SAÔNE ET LE JURA
Comme région de passage, Saône et Rhône ne font
qu'un. Si l'on veut gagner l'Alsace, les plateaux lor-
rains, la cuvette parisienne, il faut d abord suivre la large
dépression ouverte entre le Jura et les derniers contre-
forts ou prolongements du Massif Central, puis em-
prunter la Dheune qui mène à la Loire, l'Ouche et la
Vingeanne qui vont à la Seine et à la Marne, la
Saône elle-même et le Coney d'où l'on passe à la
Moselle par le seuil de Lorraine, le Doubs enfin qui
conduit à la plaine rhénane. Une série de canaux (du
Centre, de Bourgogne, de Lorraine, du Rhône au Rhin),
sans compter les voies ferrées, démontrent la facilité de
ces passages.
La partie méridionale du couloir de la Saône fut
recouverte par des graviers argileux, d'origine morainique,
qui donnent un sol imperméable où stagnent les
innombrables étangs des Dombes, pauvre pays maigre-
ment peuplé, malgré d'incontestables progrès.
Puis la Bresse (Bourg, Louhans) étale jusqu'au delà
du Doubs ses marnes fécondes, anciennes alluvions
déversées par les torrents jurassiens dans un vaste lac.
Blé, maïs, betteraves, légumes enrichissent les fermiers
bressans qui trouvent une autre source de profits dans
l'élevage des porcs et de la volaille. Le Nord de la
dépression — calcaires et marnes, coupés de sables venus
des Vosges, — est de fertilité beaucoup moins grande.
Mais de Chalindrey à Belfort et Montbéliard par
Vesoul et Lure, l'industrie (métallurgie, automobiles,
tissages, quincaillerie) occupe une bonne part de la
population.
Vers 1 Ouest, au pied des coteaux de Langres,
fleurit le houblon que la vigne remplace quand appa-
raît laCôte-d'Or. C'est la grande richesse de l'illustre
Bourgogne. Les crus fameux se pressent de Dijon à
Chagny (Chambertin, Musigny, Clos-Vougeot, Nuits,
Beaune, etc.) et se prolongent par le Maçonnais et le
Beaujolais (Mercurey, Pouilly, Moulin-à-Vent) jusqu'aux
portes de Lyon.
A 1 Est, c'est aussi par de fertiles et riants coteaux :
le Revermont, le Lomont, que le système montagneux
du Jura s'abaisse sur les plaines de Saône. Les vignes
(Arbois) s'y mêlent aux champs de maïs, aux prairies
logées dans les " reculées ". La population s'y presse
124^
et des centres d'échange, des villes fortes, se créèrent
de bonne heure au point de contact des hauts et des
bas-pays : Beaume-Ies-Dames et Besançon sur le Doubs,
Salins, Arbois, Lons-le-Saulnier dans le " Vignoble ".
Puis, jusqu'aux plaines suisses, s'étagent les plateaux,
se succèdent les voûtes et les vais, les combes, les cluses,
les crêts dont l'ensemble compose le Jura. Il décrit du
Rhône au Rhin une courbe régulière et domine assez
fièrement la dépression suisse de Neuchâtel et de
1 Aar par une barre rigide, continue, de chaînons
successifs, hauts de 1 400 à 1 700 mètres (Crêt d'Eau,
Reculet, Crêt de la Neige, Dôle, mont Tendre, etc.).
Derrière ces chaînes fortement plissées — surtout au
Sud et au Nord — les plateaux de Nozeroy, de
Champagnole, d'Ornans, etc., descendent en gradins de
900 à 500 mètres. Les vents d'Ouest apportent au
Jura une quantité encore considérable de neiges et de
pluies. Le sol, de calcaire très perméable, absorbe cette
eau par d'innombrables cavités, les emposieux ",
— analogues aux ' igues " caussenardes, aux dolines
du Karst illyrien — puis la restitue par des sources du
type vauclusien aux rivières : Doubs, Loue, Ain,
Valserine, qui se glissent de val en val, au fond des
cluses étroites. Cette humidité ajoute ses effets à la
naturelle fertilité des calcaires. Partout des prairies
d'excellente qualité, des forêts de hêtres et de sapins,
coupées d'alpages (les prés-bois) couvrent plateaux et
montagnes. Le paysage, sévère et mélancolique en
général, n'est égayé que par le va-et-vient des trou-
peaux autour des chalets où l'on fabrique le gruyère
et le fromage de Septmoncel. Dans les vais, une popu-
lation énergique, intelligente, pleine d'initiative, s occupe
de cultures ou de multiples industries (horlogeries, tissages,
taille du diamant, tabletteries, etc.) que favorise l'abon-
dance de la " houille blanche ". Grâce aux profits que
l'on tire de la laiterie, des forêts, des divers travaux
industriels, le Jura est de beaucoup la plus peuplée
des montagnes françaises (58 habitants au kilomètre
carré). Il ne renferme pas de grandes cités, cela va de
soi, mais de nombreux bourgs et d'activés petites villes
sises au débouché des cluses : Pontarlier, Morteau,
Nantua, et dans le fond des vais bien abrités : Oyonnax,
Morez, Saint-Claude, etc.
LA FRANCE
Toulon
■ VILLE JeptujiJun
million, i) batitanij.
# Ville Jejituj. Je SoooooP.
• Ville Jeplu.Lje lao ooo^
o Ville àe plua. Je. ^o.ooo''
FRAHCIE
DENSITÉ DE
LA POPULATION
Rccc.
ciiL Je /n^i
Nombre^ à ' babilantv
par kilomèlrcj carréj.
Je, lo à 20^
Je. 20 à 40''.
Je 40 à. 60 '^
Je 60 à loo''
100 * eLpluit,
%
ï»?r^
GEOGRAPHIE HUMAINE ET ECONOMIQUE
LES POPULATIONS, aa Nous savons com-
ment et de quels ële'menis biganés s'est constitue'e la
nation (rançeiise (Voir page 101). Nous n'y reviendrons
pas. Bornons-nous à ajouter que, si l'on parle en-
core en France des langues eu des dialectes tels que
le provençal, le basque, le breton, le flamand, l'alsa-
cien, hors de France, et sans compter nos colonies, le
français est la langue d'une bonne partie des Belges,
de tous les Suisses " romands ". de 2000000 de Ca-
nadiens et même des Italiens fixe's dans quelques hautes
vallées alpestres (val d'AosIe). De plus, les quali'.e's
propres à la langue française en ont fait depuis le
Moyen Age une sorte d'idiome internationsJ que posièdent
plus ou moins complètement le plupart des étrangers
125
L'EUROPE
cultivés. Dans les pays du Levant : Grèce, Syrie,
Egypte, côtes d'Asie-Mineure, la connaissance du
français s'étend même aux classes moyennes et l'on est
surpris d'être aussi aisément compris par un Athénien,
un Smyrniote, un petit commerçant de Beyrout.
En 1 9 11 , la population de noire pays s'élevait à
39500000 habitants, soit 74 au kilomètre carré. La
Grande Guerre nous fit une rude saignée de près de
2000000 d'hommes. Le retour à la patrie de l'Alsace
et de la Lorraine du Nord compense heureusement cette
perle déplorable. Il n'en reste pas moins que, de toutes
les grandes nations, la France est celle où les naissances
sont le moins nombreuses et où la population s'accroît
le plus lentement. Alors que l'Allemagne acquérait en
une seule année 700000 à 800000 âmes, nous avons mis
dix ans (1901-1911) pour en gagner 600000, et
encore ces 600000 nouveaux ' Français " sont-ils pour
une bonne part des étrangers nalurahsés. Dans beaucoup
de nos déparlements (Normandie, vallée de la Ga-
ronne, etc.), le nombre des décès l'emporte constam-
ment sur le nombre des naissances. Il y a là un fait
très grave, dont ce n'est pas le heu de rechercher les
causes, mais qui apparaît, à coup sûr, comme le plus
redoutable danger qui puisse menacer notre peuple.
Un vieux proverbe germanique disait, en parlant des
gens heureux : Il vit comme le Seigneur Dieu en
France ". Celte douceur de vivre explique à la fois
l'attrait que notre pays exerce sur les étrangers et la
grande peine qu'éprouve un Français s'il lui faut le
quitter. Tandis que nous hospitalisons en temps normal
1 200000 Italiens, Belges, Espagnols, Suisses, Alle-
mands, Russes, etc., fixés chez nous à demeure, sans
compter les centaines de milliers ' d'oiseaux de
passage " venus en touristes, à peine 1 5 000 des
nôtres — et souvent beaucoup moins — • vont annuel-
lement chercher fortune en Amérique du Sud (Basques
et Béarnais), au Mexique (montagnards de l'Ubaye) et
dans nos colonies. Encore la plupart de ces émigrants
reviennent-ils vieillir et mourir au pays natal.
La densité la plus forte est atteinte soit dans les pays
de grande industrie (Nord, Lyonnais, région pari-
sienne, etc.), soit sur les côtes poissonneuses où abondent
les abris naturels (Bretagne, Provence), soit dans les
plaines et les vallées de riche agriculture (cuvette pa-
risienne, Alsace, vignobles du Languedoc, vallées du
Rhône, de la Loire et de la Garonne, Artois et Picar-
die, etc.). Ce sont au contraire, et tout naturellement, les
massifs montagneux, les landes, les marais, les craies
infertiles, qui nourrissent le moins grand nombre
d'hommes : Massif Central, Alpes, Sologne, Landes,
Champagne pouilleuse, etc.
Malgré l'attrait que la vie urbaine exerce de plus en
plus sur les populations rureJes, ces dernières composaient
encore, en 1913, 58 pour 100 du total (33 pour 100 en
Allemagne, 23 pour 100 en Grande-Bretagne). On ne
comptait chez nous que cinq villes de plus de
200000 habitants et dix de plus de 100000, alors que
1 Angleterre en avait quarante-trois et l'Allemagne qua-
rante-sept.
La guerre a eu comme double résultat d'abord de
diminuer très sensiblement le nombre de nos paysans
(sur 1 500000 tués on compte près de 1 000 000 de cam-
pagnards), puis d'accroître dans des proportions assez
sensibles le chiffre des habitants des villes. Toute-
fois les profits que les ruraux retirent de leurs emblavures,
de leurs élables, de leurs jardins, de leurs vignes seraient
de nature à les retenir aux champs, d'autant plus que le
nombre des paysans propriétaires, déjà fort élevé avant
la Grande Guerre, s'accroît chaque jour et très vite.
AGRICULTURE, INDUSTRIE. 00 Enétu-
diant les régions naturelles de la France, nous avons
noté au passage la nature de leur activité économique
normale. Cela nous dispense d'entrer ici à nouveau dans
le détail des choses et nous permet de nous borner à
quelques idées générales. Du reste, la longue occupation
d'une partie de notre territoire — et la plus riche, la
plus productive — , les dévastations systématiques accom-
plies par l'ennemi, les pertes de vies humaines, la dimi-
nution du cheptel, les bouleversements apportés à l'exis-
tence habituelle par l'obligation où nous nous trou-
vâmes d'acheter au dehors infiniment plus que nous
ne vendions et, conséquence inéluctable, la diminution
du pouvoir d'achat de notre monnaie, tout cela in-
troduit dans les anciennes statistiques agricoles, indus-
tnelles, commerciales, de telles modifications, et ces mo-
difications sont elles-mêmes destinées à évoluer si vite,
que les chiffres sur lesquels nous pourrions nous appuyer
risqueraient, dans un laps de temps fort court, de paraître
tout à fait erronés.
Il est probable que la France demeurera toujours un
pays d'activité mixte tirant ses ressources à la fois d'oc-
cupations agricoles, industrielles et commerciales.
La fécondité naturelle d'un sol que l'on ne cesse
point d'améliorer (drainage des marais, irrigation des
terres trop sèches du Midi méditerranéen, chaulage des
sols siliceux, emploi des machines pour suppléer à la
déficience de la main-d'œuvre, etc.), la variélé des cul-
tures que permet la diversité des climats, tels sont, avec
la multiplicité de la petite propriété, les éléments essen-
tiels de la richesse agricole de notre pays. En temps
normal et dans les années de bonne récolle, il produit
assez de blé, d'orge, d'avoine, de maïs, de seigle, de
pommes de terre pour suffire à ses besoins. Il exporte
ses vins et ses eaux-de-vie, le sucre qu'il tire de ses
betteraves, une partie des légumes et des fruits que lui
126
LA FRANCE
I U VIADUC DES HOUCHES ET LE DOME DU GOUTER. U ne cl priu.
ttar ÏOOO mitretSatlilaée environ, au txiinttmla coït ferrée, ijm monte Je Saltanthes,
aihowne dam l ancien lanin latuttre de Chamonix. Les eaux lailetuet de r,Ari'e,
I nourrie» par letvastesflaeiertdu Mont-Blanc, »e précipitent tau» ta archea du haut
uo./irc cl ..V,, ,„un,-.tr Clui 'u. Ici lutlmc^ Je .V„o.-rMr {.hcj.lc. De, /.jrcis Je
tapmt et de méliza narniaenl la pente-, iuva'à liOO mctrej, puit vient la zone det
alpasei. Ja momtet et lichen! . enfin, vert 2 SOO rnètrei, la neige ne fond plua et recouvre
toata la penla qui ne umt pai à anflt droit. Q. BouLANcO».
127
L'EUROPE
LE CIRQUE DE GAVARNIE. Le plus célèbre des amobUfiéâlres naluTcls que
l'érosion glaciaire et torrentielle burina dans les massifs pyrénéens. Des plaques de
neige reposent sur ses assises monumentales ; elles nourrissent les cascades qui strient
ses parois éclatantes et nues. CL Boulancer.
BERGEHS LANDAIS. Pour se déplacer aisément sur les marais qui couvraient
autrefois la majeure partie des pays landais, les bergers se servaient de hautes échasses.
C'est un usage qui s'en va à mesure que des canaux assèchent le sol et que la forêt
de pins gagne en étendue. CI. NeurdEIN.
MONACO. Sur la côte pleine de lumière, ciselée comme itne œuvre d'art, le rocher
de Monaco, de défense aisée et flanqLé d'un double port, devait attirer les horrunes.
ïl fut peut-être comptoir phénicien, et sûrement colonie marseillaise, avant de devenir
au Moyen Age la petite capitale d'une principauté. CI. Neurdein.
BOCCOGNANO (CORSE). 5isà800 mètres d'altitude au-dessus d'Ajaccio.
le bourg de Boccognano est entouré et comme assiégé par les hautes ramures des châ-
taigniers atLxquels succèdent, sur les pentes des monts, les lentisques, les arbousiers,
lescystes, etc., qui se pressent en un impénétrable maquis. CI. S, Damiani.
LE CHATEAU DE CRUSSOL. Ce qui reste
é'vTti pvzssoAie forteresse féodale qui, perchée
comme un nid d'aigle sur une roche cévenole, sur-
cdllail la vallé-' du Rhône. Cl. BoULANGER.
— — 128
LES CALANQUES DE L'ESTÊREL. Type de
côte provençale où, de Marseille à la Napoule. la
mer cisela dans la roche dure ces anses étroites
que l'on nomme " Calanques " CI. Boulanger.
LES GORGES DU TARN. Le Tam et sa af-
fluents : Dourlie, Jonle. Dourdoa, ont taillé dans
les tables calcaires des Causses de véritables cations
aux parois verticales. Cl. BoiLANGER.
LA FRANCE
DÉPARTEMENTS FRANÇAIS
AIN: Boinic. 20191 hJ> : Belley. 6 536: G«i.
2 030 : N.niu.. 2 835 : Ttévou». 2 941.
AISNE: UoN. 18 904: ChJtMU-Thicrry. 7 751:
S.im-Qucniin. 37 345 ; Vervins. 3 119:Soi.-
wnfc 14 391.
ALLIER: M01XIN5. 22 968: G«.n.t. 4 524; L«
PJiuc. 2 732 : Moniluçoa. 36 114
ALPES (BASSES-) : Dicst, 6 302 : BtrcJonneiie.
2 216 : OalelUnc. 1 254 ; Forcmlquitr. 2 552 ;
Stilcron, 3 341.
ALPES (HAUTES-) : Gap. 9 859 : BHwon. 5 013:
Embn.n. 2 407.
ALPES-MARITIMES: Nici. 155 839: Gim»-.
16 923 ; Pugtt-Thénitr., I 252: Canna. 30 907.
ARDÊCHE: PmvAS. 6 412; Urtentiim. 1887:
Toumon, 5 037.
ARDENNES: MtziÙKS. 9 318: Scihtl. 4 813:
Rocroi. 2 127 : Scdun. 17 509 : Vounen,
3 328.
ARIÈCE: Foix. 6 165; Ptnùen. 12 012: Sainl-
Giroofc 5 749.
AUBE: T«oYts. 55 215: Ardi-iur-Aube. 2 690:
Bv-fur-Aubc, 4 074 : Bu-tur-Scine, 2 710 :
Noffcn(-5ur-Scine, 3 373.
AUDE: CjutCASSONNt. 29 314: Cutelnauckry.
7 921: Limoux. 6640; Nortonne. 28956;
AVEYRON: Rodii 14 201: E>p.llon. 3 492:
MilUu. 15 528: S«mt-Aflriquc. 6 211 : Villc-
(ranchc. 7 423.
BOUCHES-DU-RHONE : MamfilU!, 586 341:
Ai«. 29 879; Arlc. 30 994.
CALVADOS ; Caen. 53 743 : 8.ytux. 7 206 :
FiUiK. 5 589 : U.ieui. 15 341 : Poni-l'£v«iuc.
2 790 : Vire. 5 949.
CANTAL: Armi.ijic. 16 389; Mauri.c. 3 417:
Mural. 2 717 : Saint-Rour, 5 134.
CHARENTE : AscociIme. 34 895 : BarUrieu».
4 106; Conuc 18 876: C:onloleni. 2 551 :
Rufl«.3 231.
CHARENTE-INFÉRIEURE: La Rociinxt. 39950;
Joeiiac 2 8% : M.rcnn«, 3 900 ; Rochefort.
29 473; Sunio, 19 152: S«inl-J«an-<lAn-
tilr. 6 541 .
CHER : Bot.1)CC5.45 942 : Su'nl.Amuid-Mant-Roixi.
8 351 : Suicerrc. 2 406.
CORRÈZE : Tuux. 13 732 ; Brive. 21 711 ; Ui«l.
5 520.
CORSE : AjAccio. 22 614 ; But». 33 094 ; CJvi.
2 387 : Corw. 5 094 : Suiènt. 6 135.
COTE-D'OR: Dijon. 78 578: B<»uik. 11661;
ChÂtillon-niT-Seinc, 4 413 ; Scmur-cn-Auxois,
3 009.
COTES-DU-NORD : S«iNT-B«rtir:. 24 51 1 ; Diiun,
10 161 : Cuinnmp 7 923 : Luuiion 6 047 ;
Loudoc. 5 560.
OIEUSE: GufaŒT. 7%3: Aul>u.»o. 6 485;
Bouronruf. 3 659 : Bouiuc. 2 367.
DORDOGNE:Ptmciinn(.33 144 ;Bcr»cr»c 17 041 ;
Nontroo, 3 059 : Rib^nc 3 567 : SuUt .
6 469.
DOUBS : Bemncon. 55 652 : Beauinc-ln-D>mn.
3 147: Monlb<liud 10063: Ponurlicr,
10203.
DROME : VAiiNCT. 28 654 : Di,, 3 232 : Mont*.
I.mv. Il 7l6:Nrcn>. 3 150.
EURE: Éintiot. 18234: Ui Andely.. 5 237;
Benur. 7 440 ; Louvieri. 10 345 : Pont-Au-
irmtr, 5 946.
EURE-ET-LOIR : OuirTra. 23 349 : Chitaudun.
6 587: Dnux. 10 908: Nocmi-le-Roirou.
7 475.
FINISTERE : QiiMPM. 18 444 ; Brci. 73 960;
Chilraulin. 4 005; Morlaii. 13 931 ; Qmm.
ftrU. 8 995.
GARD : NiMO. 82 774 : Alâii. 36 455 ; Uzè.. 4 098 ;
UV;ct>..4 22I.
(GARONNE (HAUTE-) : Toulousï. 175 434 : Mu-
rei. 3 218: Soini-Caudcns. 6 429: Villc-
Innchc. 2 033.
GERS : AiCH. 1 1 825 : Condom. 5 773 : Lectoura,
3 726 ; LomUi. I 341 : Mlnuids. 2 559.
GIRONDE: Bordeaux. 267 409: Bazaa. 4 372:
Blaye. 4 274 ; Lesporrc. 3 267 ; Lîboume.
18 083 :L4iRëolc, 3 644.
HÉRAULT : .MoNn-ELLit». 81 548 : Bizicr.. 56 008 :
Lodive, 6 508; Suni-Poi». 2 638; Ccllt.
36 503.
ILLE-ET-VIL\INE : Re.snes. 82 241 : Foueèrw.
21167; Montfort, 2 171; Rtdon, 6 640;
Saint-MJo. 12 390; Vitri. 8 154.
INDRE : Chattauroux. 26 566 : U Blanc 5 284 :
U CMtre. 3 931 : Isaodun. 1 1 893.
INDRE-ET-LOIRE : Toi'RS. 75 0% ; Chinon. 5 349;
Loche.. 4 652.
ISÈRE : Gre.noble. 77 409 : &iint-MarceIlin. 3 312 :
U Tour-du-Pin. 3 959: Vienne. 23 732.
JURA: Loss-le-Saulnieh. 13 152: Dôle. 16 208;
PoUitny. 3 576 : SaInt-CUude, 12 631 .
LANDES : Mont-de-Marsan. 10 836 ; Dax. 1 1 047 :
Saint-Sever, 3 %7.
LOIR-ET-CHER : Blois. 23 989 ; Romoraniin.
7 754 : Vendôme. 9 035.
LOIRE: Saiot-Étienne. 167 967; Monibrison,
7 800 ; Roanne. 37 752.
LOIRE (HAUTE-): U Puv. 18 488: Brioude.
4 754 ; Ysstnffeaux. 6861.
LOIRE-INFÉRIEURE : Nanto. 147 079: Anrenis,
4 222 ; Châteaubrianl. 7 692 ; Paimbocuf,
2 454 : Saint-Namire. 41631.
LOIRET : ORLtANS. 69 048 ; Cien. 7 823 ; Mon-
tani». 12 564 ; Pithi^ers. 5 726
LOT : Cakors. Il 866 ; Fiieac 5 487 ; Gourdon,
4 129.
LOT-ET-GARONNE : Acen. 23 391 : Mamianda
9 148: Nérac 5993; VilUeuve-iur-Lot.
11350.
LOZÈRE : Mînde. 6 109 ; Rorac. I 648 . Marve-
iok 3 813.
MAINE-ET-LOIRE: Ancers. 87 158; Be.u8i
2 868 : Cholet. 19 542 ; Saumur. 15 936 ;
Sexré. 4 485.
MANCHE: SA1NT-L5, 10661 ; Avranches. 6 597;
Cherbourg. 38 281 ; Coutances, 6 248 ; Mor-
uin. 1 603 : Valotnes. 4 894.
MARNE; CHAIX>ss-SLrR-MAPNE, 31 194; Épemay.
21806: Reimi. 76 645; Saime-Menehould.
4 1 10 : Vitry-le-Fr»ncol5. 8 568.
MARNE (HALTE-) : Chaumost. 16 210 : Lanzrei.
9 616; ViMy. 3 353.
MAYENNE: Uvau 27 464; Chileau-GonUer.
6 097; Mayenne. 9 271.
MEURTHE-ET-MOSELLE: Nancy, 113 226;
Briey. 2 686 ; Lunéville. 24 366 ; Toul. 12 363.
MEUSE : Bar-u-Dic. 16 261 ; Commercy. 7 352 :
Mootmédy. 2 525 ; Verdun-.ur-Mcuie. 12 788.
MORBIHAN: Vannes, 21402; Lorieni, 46314;
Ploirmel. 5 237 . Ponlivy. 9 442.
MOSELLE : Mrrz-ViLU. 62 31 1 ; ranton de Bou-
Uy. 1 1 704 : onlon de Châteu-Sallns, 8 236 ;
canton de Forb*ch. 42 059 : canton de Sarre-
bourv. 21 730 ; canton de Sarre^ruemines,
32 716 : canton de ThionviUe. 23 684.
NIÈVRE : Nevxjb. 29 754 ; Chiteau-Chinon. 2 852 ;
Clamecy. 4 607 ; C:onie, 7 158.
NORD : LlLli 202 952 ; Aveuie., 4 980 ; CJutibrai,
26 023 : Douai. 34 803 : Dunkerque. 34 748 :
Hazcbroucic. 14 584: Valendennes. 34 425:
Routaix. 113 265: TmaroOlt. 78 600.
OISE : BtAUVAIS. 19 270 ; aerroont, 5 488 ; Com-
piejne. 16 179 : Senli.. 6 472.
ORNE : Alinçon, 16 249 ; Arjentai.. 6 753 : Dom.
front, 4 01 1 ; Mortame. 3 509
PAS-DH.i \l.AIS:A«i<AS. 24 835;BétIiune 16 795:
BouIoifnc-aur-Mcr, 55336; MontreujI-9ur-Mer,
3 182 : Sainl-Omer, 19 238 ; Saint-Pol 4 846.
PUY-DE-DOME :Clehmont-Ffbrand 82 577 ;Am.
ben. 7 091 : I$»ire. 5 660; Riom 10 435;
Thier». 16 239.
PYRÉ.\ÉES (BASSES-): Pau. 35 665; Bayonne
28 215: Maul^n, 4 220; Oloron-Saime.
Marie, 8 976 ; Orthez. 5 850.
PYRÉNÉES (HAUTES-) : Tarbes. 26 535 : Arjelès,
1632; Ba^ères-de-Biiforrc-. 8 261.
PYRÉNÉES-OR IE.NTALES : Perpignan. 53 742;
Céret. 4 472 ; Pradei. 3 856.
RHIN (BAS-): SnusBouRG-ViLLE. 166 767: can-
ton d'Entein, 14 028; canton d'Haguenau.
26 572 ; canton de Molshein. 18 608 ; canton
deSaveme. 17 529 ; canton deSclesUt, 18 570 ;
canton de Wissemboure, 15 014.
RHIN (HAUT-); canton deCoLMAR. 43 525 : canton
d'AIlkirch. 14 610; canton de Guebw-ijlcr,
20 804: canton de Mulhouse. 121674;
canton de Ribcauvillé, 1 1 384 ; canton de
Thann, 15 379.
RHIN (HAUT-): Beuort. 39 301.
RHONE: Lvov, 561592; V.lletranche, 16588.
SAONE (HAUTE-) : Vesoui, 10 471 ; Gr»y, 6 631 :
Lure. 6 062.
SAONE-ET-LOIRE : Maçon. 16 207 ; Autun .
13 856; Chalon-»ur-Sa6nc. 31609 ; Cha-
rolles, 3 397 ; Louhans, 4 1 16 ; Le Creusât,
34 505 ; Monlcau-les-Mma. 24 629.
SARTHE: Le Mans. 71783; b. Fliche. 9 522;
Mameri. 4 380 : Saint-Calais. 3 414.
SAVOIE: Chambérv. 20617; Albcr^/ille. 5 654:
Moutlers. 2 339 ; Saint- Jean-de-Maurienne.
3 794.
SAVOIE (HAUTE-): Annecy, 15 004 : Bonneyille,
2 084; Saint-Julien. 1313; Thonon. 8042.
SEINE: Paiîis. 2 906 472: Saim-Deni^ 76 358;
Sceaux. 6 207.
SEINT-INFÉRIEURE : Rouen, 123 712; Dieppe.
24 402: Le Havre. 140 736; Neufchitel.
4 013 ; Yvciot. 7 010.
SEINE-ET-MARNE: Melun. 14 657; Couiom-
miers. 6 129 ; Fontainebleau. 16 070 ; Meaux.
13 541 ; Provin». 7 926.
SEINE-ET-OISE : Versaili.es. 64 753; Corbeil.
10 937 : Étampe.. 9 925 : Mante«-«ur-Seine.
9 329 : Pontoise. 9 915 ; Rambouillet, 6 223
SÈVRES (DEUX-): Niort, 23 559, Bre«uire.
5 174 ; Mellc, 2 444 : Parthenay. 6 582.
SOMME : Amie-ns. 92 780 ; Abbeville. 21 472 ;
Doullens. 5 804 : Montdidier. 3 565 ; Péronne.
3 185.
TARN : Aui. 26 628 ; Ouxnt. 25 943 ; Gaillac.
6 987: Lavaur 5+43.
TARN-ET-C1\R0NNE : Montauban. 26 094 ; Cai-
telsarrasin. 6 707; Moisaac. 7 219.
VAR : Dracuicnan. 9 199 ; Brienoles. 3 916 ;
Toulon. 106 331.
VAUCLUSE : Avignon, 48 177 ; Api, 5 662 ; Car-
penlras. 1 1 191 ; Orante, 10 766.
VENDÉE: u RociiE-suR-YoN. 13 629; Fonie-
nay-le-Comte. 8 903 ; Sables-d'Olonne, 13 387.
VIENNE : Poitiers. 37 663 : Chïtellerauli 17 600 ;
Gvrav. 2 362 ; Loudun. 4 836 ; Montinoril-
lon. 4 583.
VIENNE (HAUTE-): Limoges. 90 187; Bellac
3361; Rochechouart, 4 092; Saint-Yrid».
7 296.
VOSGES : ÊPINAU 28 352 : Mirecourt. 5 436 ;
Neufch.îleau. 4 026; Remiremont, 9605:
Saint-Dié, 20 315.
YONNE : AuxEERE, 21 203 ; Avallon. 5 235 ; Joigny.
5 697: Senfc 15 311 : Tonnerre, 4 373.
ALGÉRIE : A1.CER. 206 595 : Oran. 146 156 ; Coni-
lanline, 78 220.
Les chiffres des populations, donnés à la suite des noms des villes, sont ceux du recensement de
on a mis en italique les noms des villes importantes qui ne sont pas des sous-préfectures.
C^OCRAPHIE imnXRSELU.
129
1921
13
L'EUROPE
donnent ses vergers magnifiques et ses champs de pri-
meurs. 11 a du houblon pour la bière que boivent les
gens du Nord, des pommiers pour le cidre des océa-
niques ", et la plus fine huile d'olive des pays méditer-
ranéens. Son troupeau, bien que fortement diminué
par la guerre, est encore l'un des plus considérables et
l'un des plus beaux qui soient au monde (en 1 920 :
13000000 de bêtes à cornes, 9000000 de moutons,
4000000 de porcs, 2400000 chevaux, 70000000 de
volailles) et lui fournit les animaux de labour, de trait et
de boucherie, la laine, le cuir, le beurre, le fromage, les
œufs, etc., sans compter le miel de ses abeilles et la
soie de ses cocons. Il trouve enfin dans ses forêts
une partie, malheureusement insuffisante, du bois qui
lui est nécessaire, et, de Gravelines à Menton, ses
100000 pêcheurs capturent sur nos côtes, ou vont cher-
cheraux mers de Terre-Neuve et d'Islande, la presque
totalité des poissons, des crustacés et autres frutti di
mare" dont il a besoin.
Ce qui caractérise les produits de notre sol, c est
moins encore leur quantité que leur qualité. La France
ne fabrique rien " en série ". Elle s'applique à ne
donner que des denrées de choix. Elle l'emporte sans
conteste sur toutes les autres régions de climat tempéré
par la finesse, la saveur, la perfection de ses vins, de
ses fruits, de ses légumes, de ses fromages, des mille
harnois de gueule " spéciaux à chaque province :
pâtés, conserves, confits, sucreries, etc. Ses bœufs, ses
moutons, ses volailles, ses porcs, donnent une viande
qui supporte aisément la comparaison avec les meilleurs
produits des fermes anglaises. Et tout cela se condense
dans cette chose exquise, sans rivale au monde, création
spontanée du terroir, savamment entretenue par les
générations de gourmets, œuvre à la fois de science,
d'expérience, mais surtout d'intuition : la cuisine fran-
çaise.
Le même caractère de perfection distingue la majeure
partie des produits industriels français. Faute de houille
et de main-d'œuvre, la France ne peut guère lutter,
pour la fabrication en masse d'objets à bon marché, avec
des pays tels que l'Angleterre, l'Allemagne, les États-
Unis. Mais elle se spécialise, et cela depuis fort long-
temps, depuis Henri IV et Colbert, dans la fabrica-
tion des articles qui exigent de l'initiative individuelle, le
sens de la grâce, de l'harmonie, et cette qualité indéfi-
nissable qu'est le goût. Notre ouvrier répugne à n'être
qu'un simple manœuvTe ; chaque fois qu'il peut, il cherche
a faire œuvre d'art et il le prouve par la beauté, le fini,
la grande valeur des objets sortis de ses mains : mer-
veilleuses soieries de la région lyonnaise, automobiles,
parfums, articles de couture et de mode, dentelles et
fourrures, meubles, bijoux, précieuses reliures, bibelots,
cuirs travaillés, outils et instruments de précision, etc.
130
Nos filatures de coton, de laine, de lin, au lieu de viser
à la production d'articles de grande consommation, se
distinguent en général par leur variété, leur originalité :
articles de fantaisie, cachemires, nouveautés de luxe,
fines batistes, dentelles et broderies de coton, etc. A
cela s'ajoutent les industries alimentaires : conserves de
poisson, de légumes et de viande, huileries, sucreries,
beurreries et fromageries, minoteries, brasseries, vinifica-
tion, etc., elles aussi productnces de denrées de quahté
supérieure. La séné se clôt par les industries métallurgiques
qui pourraient l'emporter sur toutes leurs rivales au
monde si, à la richesse de nos gisements ferrifères de
Lorraine et de Normandie correspondait une égale
ampleur de nos gisements hcuiUers. Malheureusement,
nous ne produisons en temps normal que 35 000000 de
tonnes de houille (chiffre de 1913), alors que cette année-
là les Etats-Unis en extrayaient 600 000 000 de tonnes,
l'Angleterre 297 000000, l'Allemagne 191 000 000, plus
80 000 000 de tonnesde lignite. Même si nous devenions
définitivement propriétaires des 1 0 000 000 de tonnes
fournies par le bassin de la Sarre, nous serions toujours
incapables de traiter nous-mêmes tout notre minerai de fer
et devrions en exporter, à l'état brut, la majeure partie.
On pourra, il est vrai, suppléer dans une large mesure
à la rareté du charbon par une utilisation intensive de
nos torrents et de nos rivières : la houille blanche et la
houille verte. De grands progrès ont été faits pendant et
depuis la guerre, surtout dans les régions alpestres et
pyrénéennes. Ce n'est que le début d'une période où les
forces hydro-électriques sont appelées à jouer un rôle de
plus en plus étendu dans la reconstitution progressive et
le développement régulier des industries françaises.
LE COMMERCE. /Hm On ne peut chiffrer le
commerce intérieur de la France. Il est incontestablement
fort important ; beaucoup plus, par exemple, que ne
peut l'être le commerce intérieur de la Grande-Bretagne.
Les ressources de la France, singulièrement plus variées
que celles de sa voisine, suffisent en effet, en temps nor-
mal, à une grande partie de ses besoins. D'où un conti-
nuel mouvement d'échanges entre les diverses régions
françaises : plaines et montagnes. Nord et Midi, pays
industriels et pays agricoles qui se complètent harmo-
nieusement.
Un réseau ferré de plus de 40 000 kilomètres où la
vitesse commerciale bat tous les records ; un réseau
routier infiniment ramifié et sans rival au monde, rendent
aisées les communications même avec les districts les plus
reculés de nos hautes montagnes. Quant au réseau fluvial,
il ne rend de considérables services que dans les plaines
du Nord et du bassin parisien où la Seine, l'Oise, la
Meuse, l'Escaut, la Marne, le Rhin et les canaux qui les
unissent connaissent une activité comparable aux voies
LA FRANCE
-1 Région/u J inJujftie^i,
I métaUur^tfftw.v.ciùnu/ur
irrrrrte^v, ê^nrre.L 11/imentairc.v.
d'eau de Belgique et d'Allemagne. On sait que ni la
Loire, m la Garonne, ni le Rhône ne sont encore réelle-
ment utilise's.
Avec i'exte'rieur, la France entretenait des relations
commerciales qui. en 1913, se chiffraient par plus de
1 5 000 000 000 de francs, soit 8 42 1 000 000 aux impor-
tations et 6880000000 aux exportations. Le de'ficit,
relativement minime du reste, e'tait largement comblé par
la seule valeur des multiples objets de grand prix : bijoux,
toilettes, œuvres dart, etc., que nos hôtes de passage
emportaient dans leurs msJles en rejoignant leur patrie
et qui ne figurent pas dans les statistiques douanières.
La guerre a bouleverse' profondément les conditions
normales du tra6c, soit en nous obligeant à augmenter nos
achats et à diminuer nos ventes, soit en haussant le prix
des objets parfois dans la proportion de 1 à 10, soit enfin
en donnant à notre franc un pouvoir d'achat très infé-
rieur à la livre anglaise, au dollar américain, au florin
hollandais, à la peseta espagnole, à la piastre argen-
tine, etc.
131
L'EUROPE
Aussi, depuis 1916, le déficit annuel a-t-il atteint des
proportions dont témoigne trop éloquemment la situation
financière actuelle de notre pays.
EXPORTATIONS
Années.
Importations.
Exportations.
Déficit.
1916
fr.
20 640 000 000
27 554 000 000
22 306 000 000
35 800 000 000
35 404 000 000
h.
6 214 000 000
6 012 000 000
4 722 000 000
Il 879 000 000
22 434 000 000
h.
14 426 000 000
21 542 000 000
17 584 000 000
23 921 000 000
12 970 000 000
1917
1918
1919.
1920
Cette situation tend, heureusement, à s'améliorer
considérablement. Déjà, le déficit de 1920 fut inférieur
de moitié au déficit de 1919. Pour 1921, les résultats
globaux des transactions des 1 0 premiers mois (les seules
que nous possédions à l'heure présente) nous donnent
une balance commerciale infiniment plus avantageuse
encore, puisque les export ations( I 7622000000 de francs)
ne furent inférieures aux importations (18 060000000 de
francs) que de 438000000 de francs.
Voici les tableaux des importations et exportations
en 1913 et en 1920 (d'après les documents statistiques
publiés par l'Administration des Douanes) :
IMPORTATIONS
Prindpales catégories.
Année 1920.
Année 1913.
Matières nécessaires à l'industrie :
fr.
Houille
l-aines
Coton
Graines oléa^neu
Huiles minérales..
Fonte, fer, ader. .
Soie grège
Bois
Peaux brutes . .
Pâte à papier
Cuivre
etc.
Total
4 202 000 000
2 087 000 000
1 567 000 000
1 147 000 000
1 040 000 000
941 000 000
811 000 000
677 000 000
582 000 000
280 000 000
248 000 000
16 800 000 000
fr.
583 000 000
701 000 000
577 000 000
387 000 000
164 000 000
38 000 000
361 000 000
235 000 000
248 000 000
67 000 000
192 000 000
Machines et mécaniques
Produits chimiques
Outils et ouvrages en métaux. . .
Voitures de toute sotte
Tissus de laine
Fils
Tissus de coton
Embarcations
Poteries, verres, pelleteries, ou-
vrages en cuir et peau, etc.
Objets fabriqués ;
••I
TotJ
2 070 000 000
820 000 000
854 000 000
844 000 000
687 000 000
664 000 000
469 000 000
432 000 000
9 993 000 000
4 945 000 000
321 000 000
163 000 000
95 000 000
40 000 000
50 000 000
64 000 000
56 000 000
39 000 000
Céréales el t
Sucre
Viande et animaux
afé
Vins
Eaux-de-vlc et alcools.
Poissons
B-iirre-fromagc
Produits alimentaires :
3 127 000 000
1 123 000 000
683 000 000
659 000 000
619 000 000
589 000 000
400 000 000
316 000 000
ToiJ.
8 018 000 000
1 658 000 000
630 000 000
34 000 000
67 000 000
207 000 000
275 000 000
20 000 000
71 000 000
71 000 000
1 817 000 000
Principales catégories.
Année 1920.
Année 1913.
Produits fabriqués :
Soieries
I-ingerie-vêtements
Cotonnades
Automobiles et voitures
Produits chimiques
Objets en cuir et peau
Lainages
Outils el ouvrages en métaux. . .
Ris
Machines et mécaniques .*. . .
Ouvrages en caoutchouc
Parfumerie et savons
Papier
Pelleteries
Tabletterie, brosserie, armes et
poudres, ouvrages de modes,
fleurs artificielles, etc.
Total
fr.
1 819 000
I 656 000
I 261 000
260 000
119 000
662 000
618 000
548 000
538 000
528 000
462 000
384 000
360 000
331 000
000
000
000
000
000
000
000
000
000
000
000
000
000
000
fr.
385 000 000
252 000 000
385 000 000
244 000 000
211 000 000
88 000 000
220 000 000
137 000 000
211 000 000'
123 000 000
100 000 000
48 000 000
167 000 000
86 000 000
14 252 907 000
3 617 000 000
Matières nécessaires à l'industrie, brutes ou demi-ouvrées :
Laines ou déchets de laine.
Peaux
Fonte, fer, acier
Minerais <. . .
Huiles et dérivas
Soie et bourres de soie
Cuivre
etc.
Total .
964 000 000
840 000 000
709 000 000
365 000 000
385 000 000
294 000 OOO
187 000 000
310 000 000
324 000 000
87 000 000
84 000 000
104 000 000
179 000 000
64 000 000
4 772 000 OOO
Matières alimentaires :
Vins
Eaux -de-vie et alcools.
Légumes
Céréales et farines .
Sucre
Poissons
Fruits
I-ait, beurre, fromage. .
Bonbons et confitures.
Conserves, pâtés
etc.
Total .
531 000 000
264 000 000
200 000 000
173 000 000
160 000 000
133 000 000
105 000 000
102 000 000
100 000 000
83 000 000
1 858 000 000
203 000 000
42 000 000
80 000 000
10 000 000
74 000 000
33 000 000
76 000 000
84 000 000
16 000 000
14 000 000
2 211 000 000
838 000 000
LA CLIENTELE DE LA FRANCE EN 1920.
•
importations
venant de :
Valeur.
Pour
100.
21
20
7
7
6
3
2
2
1
22
9
Exportations
allant à .
Valeur.
Pou.
100
17
16
8
6
5
4,5
4
2
1.5
21
15
États-Unis
Angleterre
Allemagne
Belgique
Républ Argent..
lulie
7 061 000 000
6 746 000 000
2 658 000 000
2 568 000 000
2 052 000 000
891 000 000
849 000 000
802 000 000
652 000 000
7 893 000 000
960 000 000
218 000 000
152 000 000
1 894 000 000
3 225 000 000
Belgique
Angleterre
États-Unis
3 913 000 000
3 511 000 000
1 770 000 000
1 441 000 000
1 180 000 000
1 061 OOO 000
883 000 000
379 000 000
118 000 000
4 602 000 000
1 928 000 000
318 000 000
493 000 000
647 000 000
3 385 000 000
Allemagne
Italie
Espagne
Espagne
Républ. Argent..
Brésil
Autres pays étr.
Algérie
Tunisie
Autres pays
Algérie
Tunisie
Maroc
Autres colonies
françaises
Tôt. des colonies.
Autres colonies
françaises
Tôt. des colonies
LA CLIENTELE DE LA FRANCE EN 191 3.
Importations
venant de :
Valeur.
Pour
100.
Exportations
allant à :
Valeur.
Pou.
100.
21
16
13
6
6
4
4
Gr.-Bretagne . . .
Allemagne
États-Unis
ïîelgique
Russie
Indes Anglaises..
Argentine
Colonies fran-
çaises
1 115 000 000
1 069 000 000
895 000 000
556 000 000
458 000 000
388 000 000
369 000 000
304 000 000
13,25
12.60
10,60
6.60
5,44
4.49
4,44
3.61
Gr.-Bretagne . . .
Belgique
Allemagne
1 454 000 000
1 108 000 000
867 000 000
426 000 000
423 000 000
306 000 000
284 000 000
Etats-Unis
Italie
Argent . , Espagne,
elc
Colonies fran-
çaises
132
LA FRANCE
■ RèqtonA. de culturel
ricbtA. ou ùttenJt^eA,
FRANCE
( frofurnt.ttgne . cuit '^^marat ■
jM,>^.«<,„X^r««Mr-y«u„c^RTE2 AGRICOLE ET PASTORALE
&^' ^
^
•«IBS^
^
Nous ne commenterons pas autrement ces tableaux,
dont les indications, très significatives, apparaissent
clairement. Par ailleurs, les transactions commerciales
subissent d une anne'e à l'autre de telles variations que
toutes les observations que nous pourrions faire à propos
de notre commerce ou de notre clientèle en 1920 risque-
raient de se trouver contredîtes par les chiffres que nous
donneront 1921 ou 1922.
Bsrno.is-.ioa I a ajouter que. en 1913, la floUc marchande
chargée d'assurer no^ relations avec l'étranger était fort inférieure
a !a tâche. Nous nous voyions distancés non seulement par l'A-igle-
terre, mais par l'Allemagne, le Japon, la Norvège, les Etats-Unis.
Notre pavillon n'apparaissait que trop rarement sur des rivages où
nos concutrents, mieux pou'vus de navires, accaparaient peu a peu
tout le trafic, cl nous devions, pour nos propres besoins, louer à
haut prix des bateaux anglais ou Scandinaves.
Malgré les pertes subies par notre matinc pendant la guerre,
nous nous trouvons aujourd'hui en bien meilleure posture. Giâce
aux confiscations de bateaux allemands, aux achats, aux consiruc-
tions nouvelles, nous disposons, en effet, de 4 500000 tonneaux de
133
L'EUROPE
C(D)LONnE§ FMANQMSES
=«!S!S*
p p^5^
navires, soit 2000000 de plus qu'en 1913. Cela doil nous suffire
pour éviter de payer aux étrangers des frets très lourds et nous
permettre la conquête de marchés nouveaux.
La marchandise suit le pavillon. " C'est là un axiome que
nos armateurs, nos commerçants, nos industriels, ne devraient jamais
perdre de vue.
CONCLUSION
La France européenne se complète harmonieusement
par la France coloniale, la France d'Outre- Mer, vingt
fois grande comme elle et peuplée de 52000000 d'ha-
bitants. Les tableaux précédents nous ont révélé la
médiocrité des relations commerciales que nous entre-
tenions en 1913 avec nos colonies (3,61 p. 100 de nos
achats, 4 p. 100 de nos ventes !). Mais ils nous ont
montré aussi qu'en 1920, il y avait sur ce point une fort
notable amélioration, puisque nos colonies nous donnèrent
9 p. 100 des produits jmportés et absorbèrent 15 p. 100
de nos exporiations. Il faut que celte amélioration per-
siste et s accentue. Si certaines portions de notre mer-
veilleux domaine africain, asiatique, américain sont déjà
en plein rendement, d'autres commencent à peine d'être
utilisées. Un Français ne doit jamais oublier que la mise
en valeur rationnelle de notre empire colonial nous per-
mettrait à elle seule de nous affranchir presque complè-
tement du lourd tribut que nous payons aux nations
étrangères productrices de coton, de caoutchouc, de café,
de soie, etc. Elle assurerait du même coup un marché
étendu aux produits de nos industries. Nous avons toutes
les qualités qui distinguent le bon colonial. Nulle autre
nation au monde n'aurait pu obtenir en Algérie et au
Maroc les résultats que nous y avons atteints, en un laps
de temps aussi court. Il ne tient donc qu'à nous de rem-
plir un programme que nos grands coloniaux ont dressé
depuis longtemps et auquel tout Français averti doit
naturellement se rallier.
134
M^^jT
■?^;
f"'>ii<i.*- ^* 1)ic.\I'\-i:kt
TlB^ThLii!f> JU l'orUiij'al)
CÉOCKAPIUE UNIVERSELLE PL. 9
L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
CHAPITRE IX
L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
SITUATION
A l'extrémité Sud-Ouest de l'Europe, la péninsule
Ibérique étale sa masse trapézoïdale entre l'Atlantique
et la Méditerranée. Aussi vaste que la France (avant
1919), la Belgique et la Suisse réunies, elle couvre une
superficie de 596856 kilomètres csurés, en comprenant
dans ce chiffre les Baléares, les Canames espagnoles
et les deux archipels des Açores et de Madère qui
dépendent adminislrativement de la République portu-
gaise. Un isthme de 420 kilomètres la rattache au reste
du continent, mais les Pyrénées s'y dressent comme une
barrière menaçante et si malaisée à franchir, qu'elles
semblent rejeter la péninsule hors de l'Europe. Par contre,
le détroit qui l'isole du Maroc n'est large que de 1 5 à
20 kilomètres. Du roc de Gibraltar, on aperçoit à l'oeil
nu les blanches maisons de Ceuta, et du cap Trafalgar
au cap de Palos la côte espagnole court parallèlement à
la côte d'Afrique dont 200 kilomètres à peine la sé-
parent. Les affinités naturelles sont donc aussi grandes
entre la pénmsiile et le continent noir qu'avec l'Europe,
et l'on a dit depuis longtemps que l'Espagne était plus
africaine qu'européenne. Sans attacher à pareille for-
mule plus d'importance qu'il ne convient, il est juste de
remarquer que, par ses côtes presque reclilignes qui
contrastent fortement avec le dessin des deux autres
grandes presqu'îles méditerranéennes, par sa structure,
son chmat, sa végétation, son histoire enfin, et le sang
même qui coule dans les veines d'une partie de ses habi-
tants, la péninsule apparaît bien en Europe comme une
individualité nettement distincte, comme une terre de
transition, un pont naturel jeté entre deux mondes.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
Le Relief
La majeure partie de la péninsule est constituée par
un immense plateau, la " Meseta ", haut de 600 à
800 mètres, que bordent, traversent et dominent des
montagnes beaucoup plus élevées. C est le plateau des
Castilles divisé en deux compartiments : Vieille-Castille
au Nord, Nouvelle-Castiile au Sud, par une ligne de
sierras auxquelles manque un nom d'ensemble et qui,
sous le nom de Sierras da Estrella (I 993 mètres), de
Gata(l 735 mètres), de Gredos.deCuadjuTama (2 405 mè-
tres), courent des plaines portugaises aux monts Ibériques.
Formée d'un socle de roches anciennes où domine le
granit, émergée dès les temps primaires, plus tard recou-
verte en partie de dépôts secondaires et tertiaires (sables,
gypses, argiles), fortement relevée enfin aux temps ter-
tiaires (comme notre Massif Central), lors de la surrection
des Cordillères pyrénéenne et bétique, cette masse
tabulaire est, par son ampleur, son etltitude, son aspect
sauvage et désole, ses andes parameras ', une excep-
tion unique en Europe. On ne peut la comparer qu'aux
plateaux d'Algérie et d'Asie-Mineure. Elle en a le cli-
mat tour à tour torride et glacé, la végétation broussail-
leuse, les efflorescences salines, les fleuves irréguliers, et
les hommes y sont également rares et pauvres.
Au Nord, le bourrelet des monts Cantabriques borde
le plateau et le sépare du golfe de Biscaye. Ils s'élèvent
à 2 665 mètres aux Peiias de Europa. Assez simple au
Centre et tombant à pic sur la mer, la chaîne s'abaisse
et s épanouit à 1 Ouest en ramifications nombreuses qui
couvrent la Galice, le Portugal du Nord et le pays de
Léon. A l'Est, elle se relie aux Pyrénées par l'enche-
vêtrement confus des montagnes basquaises, âpres et
sèches sur leur versant méridional, riantes, bien cultivées
et pittoresques sur leur face Nord. Là se trouvent les
passages les plus aisés, menant de France au cœur de
l'Espagne : cols de Vélate (868 mètres), d'Aspiroz
(567 mètres), d Idiazabal (657 mètres) emprunté par
la voie ferrée de Paris-Madrid.
A l'Est, les monts Ibériques (2349 mètres), la Sierra
135
L'EUROPE
de Cuenca (1 800 mètres), centre important de disper-
sion des eaux, et les croupes arides, les chaînes dénudées
de Valence et de Murcie isolent la Meseta de la de'-
pression aragonaise et des côtes méditerranéennes.
Au Sud, la haute muraille de la Sierra Morena, longue
de 400 kilomètres, haute de I 4(l0 à i 600 mètres, do-
mine la plaine andalouse. Elle se présente sous forme de
mamelons bombés, groupés sans ordre apparent à des
niveaux presque uniformes, et doit son nom de Montagne
Noire aux maquis de genêts, d'arbousiers, de myrles
et de bruyères qui recouvrent ses flancs. La célèbre
brèche de Despeiia Perros (Précipite-chiens), ouverte à
son extrémité orientale, livre passage à la ligne Madrid-
Séville. Par là les Maures s'élancèrent à la conquête
des Castilles; à ses pieds, en 1212,1e roi Alphonse Xll
remporta sur eux la victoire décisive de Las Navas de
Tolosa. C'est une des portes historiques de l'Espagne.
A l'Ouest, la Meseta n'a pas de limites aussi
nettes. Elle s'abaisse vers les plaines portugaises par
gradins successifs : terrasses deTras-os-montesetde Beira.
Serra da Estrella, hauteurs de l'Alemtejo et de l'Al-
garve, qui forment comme les marches d'un gigantesque
escalier. Mais, pour être moins apparente, la barrière
qui sépare les plaines côtières du plateau mténeur n en
est pas moins malaisée à franchir, et cet isolement naturel
du Portugal fut la meilleure raison de sa forte individualité.
Au Sud-Ouest et au Nord-Est de la Meseta s'ouvrent
les plaines andalouse et ciragonaise : la première large-
ment ouverte sur l'Océan, golfe marin lentement comblé
par les sédiments alluviaux ; la deuxième, bassm fermé,
ancien lac qui se vida peu à peu par l'étroite coupure
où l'Ebre zigzjigue au fond de sa gorge. Toutes deux
sont en étroite corrélation avec la poussée des Cordil-
lères pyrénéenne et bétique, nées aux temps tertiaires
comme les autres montagnes de plissement alpin.
Les Pyrénées — qui se rattachent aux Alpes par les
hauts fonds du golfe du Lion et les chaînes provençales
— s'étendent sur 420 kilomètres environ du cap Cer-
bère au col de Velate. Des cols les franchissent à leurs
deux extrémités : ceux du Perthus, de Puymorens,
unissent le Roussillon à la Catalogne. Les cols de Somport,
de Roncevaux, de Velate, mènent du Béarn et de la
Navarre française à la Navarre espagnole et à l'Aragon.
Mais, du col de Puymorens au Somport , sur
250 kilomètres de longueur, aucune route carrossable ne
peut franchir la barrière dentelée des monts. Seuls les
contrebandiers, les pasteurs, les tâcherons espagnols uti-
lisent les ports", simples sentiers muletiers imprati-
cables six mois de l'année. Là se trouvent en territoire
espagnol les plus hauts sommets : pic des Posets
(3 367 mètres), mont Perdu (3 352 mètres), pic
d'Aneto (3 404 mètres), dans le massif de la Maladetta.
Peu de glaciers aujourd'hui et de faible étendue, mais
ceux d autrefois creusèrent de larges cirques : val d'An-
dore, val d Aran, identiques par l'origine aux cirques
de Gavarnïe ou d'Estaubé, mais d'ampleur beaucoup
plus considérable. Tandis que sur le versant français la
chaîne s'abaisse brusquement vers les plaines d'Aqui-
taine et du Languedoc, les Pyrénées espagnoles des-
cendent par échelons vers la dépression aragonaise. Des
sierras de calcaire et de marne effroyablement dénu-
dées, aux flancs abrupts, rongées par l'érosion éolienne,
traversées de barrancas ", de caiions étroits et sauvages,
courent parallèlement à l'arête principale. Au fond des
vallées dégringolent les torrents : Aragon, Gallego,
Sègre, LIobrégat, Ter, affluents de l'Ebre ou petits
fleuves côtiers. Leurs hautes vallées, presque inacces-
sibles, servirent de refuge aux chrétiens chassés par
les Maures. En Catalogne, les roches déchiquetées
du Montserrat abritèrent le célèbre couvent du Saint-
Graal, et Jaca, sur le haut Aragon, fut la capitale primi-
tive du royaume de ce nom.
Au Sud-Est, enfin, la Cordillère bétique se déploie
en arc de cercle, du détroit de Gibraltar à la province
de Murcie. Elle se rattache directement au Riff maro-
cain qui lui fait face. Divisée en plusieurs massifs qu'isolent
des vallées profondes, elle a ses plus hauts sommets dans
la Sierra Nevada, où le Mulhacen atteint-3 481 mètres,
dépassant ainsi le point culminant des Pyrénées.
Le puissant effort de plissement auquel la chaîne dut
sa naissance se manifeste encore par la fréquence des i
tremblements de terre et l'abondance des sources ther-
males. De pénétration fort malaisée par suite de la rai-
deur des pentes, de l'étroitesse et de la profondeur des
gorges, les massifs de la Cordillère donnèrent un abri
aux dernières populations arabes après la chute du
royaume de Grenade, et les Moriscos y conservent
dans la région des AIpujarras leur type oriental et leur
dialecte spécial, sorte d arabe corrompu.
Des plaines, il n'en est guère dans la péninsule ; pla-
teaux et montagnes couvrent les neuf dixièmes de la su-
perficie. Seules, les plaines d'Andalousie et du Portugal
s'étalent sur d'assez vastes étendues. A l'Est, en dehors
du bassin fermé de Saragosse, des petits bassins côtiers
isolés les uns des autres, les célèbres " huertas " ou jar-
dins de Malaga, Carthagène, Murcie, Alicante, Valence
et Tortose, occupent l'étroite zone alluviale qui sépare de
la mer les dernières pentes des monts.
Ainsi se manifestent, dans la structure même de la
péninsule, ce morcellement, ce défaut de liaison natu-
relle entre les diverses régions qui ont si fortement influé
sur son histoire et expliquent encore aujourd'hui le
manque d'unité, la puissance du régionalisme, la survi-
vance des dialectes locaux, les difîér_ences profondes entre
les habitants, les jalousies même et les défiances,
parfois les haines qui les séparent.
136
L'ESPAGNE ET L.E PORTUGAL
Les Côtes
Les mers enveloppent la péninsule sur les sept huitièmes
de son pourtour, et. comme la France, elle a 1 avan-
tage de fWDsse'der une façade double sur l'Océan et la
Méditerranée.
Cela explique l'importance que surent prendre autre-
fois les mckrins espagnols et portugais.
Au milieu du Moyen Age. les Catalans rivalisaient d'activité
avec les Marseillais, les Génois, les Vénitiens et dressaient les cartes
les plus exactes que nous possédions pour ces époques lointaines.
Plus tard, les Portugais découvrirent les îles et les côtes de
l'Afrique, la route du Cap. l'Inde, les îles de la Sonde, tandis
que l'Espagne se réservait l'Amérique. Au XVl" siècle, Lisbonne
et Cadix furent les premiers ports du monde. Mais ces années de
gloire n'eurent point de lendemain, et la péninsule se laissa promp-
lement dépasser par ses rivales mieux armées pour la lutte.
En dépit de l'apparence, ses 2825 kilomètres de côtes
se prêtent assez mal à la vie maritime. Elles ont pour-
tant, ça et là.de bons ports, des rades abritées et profondes.
Au Nord, les côtes du pays basque, des Asturies, de
Galice, serrées de près par les montagnes, sont entaillées
de golfes étroits, les " rias ", analogues à ceux de la Bre-
tagne française, et qui constituent de précieux abris na-
turels : rias de Bilbao, de Santander, du Ferrol, de la
Corogne, de V'igo. Lisbonne, sur le magnifique estuaire
du Tage, Cadix, Algésiras, Carthagène, Barcelone,
offrent aux navires de sîirs refuges. Mais, trop souvent,
la côte est basse, sablonneuse, bordée de dunes et
d étangs : c'est le cas en Portugal, en Andalousie, dans
la province de Murcie. Surtout la bande fertile du litto-
ral est étroite, les communications avec l'intérieur sont
rares et difficiles, et cet intérieur même domine de trop
haut la mer, il en est séparé par des barrières trop mal-
aisées pour entretenir avec elle des rapports naturels.
Exception faite pour le Gallego, l' Asturien et le Catalan.
I habitant de la péninsule est, avant tout, un terrien que
des racines trop profondes attachent au sol où il vit pour
qu'il lui préfère les vastes horizons des mers.
Climat et Végétation
ZONE DE CLIMAT CONTINENTAL. 00
La structure massive de l'Espagne intérieure, son alti-
tude, la barrière de montagnes qui arrêtent les nuages et
la soustraient à I influence adoucissante des vents marins
lui donnent un climat fortement continental qui contraste
avec le climat de la périphérie. " Trois mois d'enfer,
neuf mois d hiver ", dit un proverbe castillan souvent
cité. Tout le plateau central et le bassin de l'Ebre sont,
en effet, soumis à de brusques variations de température
journalière et annuelle. Les extrêmes moyens sont, à
Madrid, de 39",6 et — 6",9 ; à Valladolid, 38", 1 et
— I0",7;à Saragosse, 41°, 6 et — T'A. L'hiver est long
et rude, la ne.ge couvre les plateaux pendant des semaines
entières, et le terrible vent du Nord, le ' ' norte". analogue
à notre mistral, ajoute encore à la rigueur du froid. Par
contre, après quelques agréables semaines de printemps,
I été apparaît tout 'a coup torride et desséchant. Une
lumière intense aveuglante, est réfractée par les roches
nues. Parfois le solano ", une sorte de sirocco venu
d Afrique, élève brusquement la température de plusieurs
degrés, la rend étouffante comme l'haleine d'un four et
remplit 1 atmosphère d'une sorte de brume poudreuse, la
câlina , qui voile d'une teinte plombée l'azur du ciel.
Les précipitations atmosphériques sont naturellement
rares et très irrégulièrement réparties. Il tombe, en
moyenne, dans l'intérieur de l'Espagne, moins de
400 millimètres d'eau (contre 700 en France), et
cette quantité déjà si faible se réduit à 300 à Sara-
gosse, à 275 à Salamanque, à beaucoup moins encore
dans le plateau de Murcie où des années se passent
^
PLUIES ET TEMPERATURES
iSSS^
sans une averse. De plus, ces pluies ne se produisent
guère, sous forme d'ondées torrentielles et vite écoulées,
que pendant quelques semaines d'automne et de prin-
temps. Le reste de l'année, sauf de rares orages, est
absolument privé d'eau.
CEOCRAPHIE LNIVEHSELU.
137
14
L'EUROPE
Ce climat, qui rappelle le climat des hauts plateaux
algériens, est peu favorable à la vie végétale. Dans que -
ques régions privilégiées de l'Estremadoure et de 1 Al-
garve. des bouquets clairsemés de chênes verts, de châ-
taigniers, d oliviers sauvages, croissent encore sur le sol
pierreux. La dépression de Palenaa (la T.erra de
Campos), qu'arrosent la Plsuerga et le canal de CasfUe.
a de beaux champs de blé et des vignes v^oureuses
dont les fruits mûrissent aisément en dépjt des hivers
froids, grâce aux fortes chaleurs de 1 été. 11 en est de
même du bassin fermé de Saragosse, là du moins ou par-
viennent les eaux fécondantes de l'Ebre par des canaux
d'Irrigation. Mais partout ailleurs domment les steppes :
'■parameras" de Cast.lle. "campos" de la Manche,
• ' las Bardenas et Uanos" de Urgel en Aragon. Sur d im-
menses espaces ne croissent que des buissons epmeux,
des chardons, des salicornes, des graminées dures et
sèches. Entre leurs touffes espacées apparaît le roc vit.
Parfois, au fond des dépressions, scintillent les efflores-
cences salines comme dans les Sebkkas algériennes.
Tristes et monotones campagnes où l'homme manque
comme la verdure et les eaux, où, pendant des lieues et
des lieues, se déploient sous le ciel incendié les mêmes
solitudes désolées, si belles pourtant dans leur aprete
sauvage et leur saisissante nudité.
CLIMAT OCÉANIQUE. 00 Sur les côtes-, le
climat, la végétation sont tout autres. Le littoral du
golfe de Biscaye, de la Galice et du Portugal jusquà
Usbonne. baigné par une branche descendante du Gult-
Stream. directement battu par les vents marins, reçoit
des pluies abondantes et mieux réparties que partout
ailleurs. Cette humidité constante, les brumes même.
' " bretlmas ", qui voilent souvent le ciel de la Galice
donnent à cette province quelque ressemblance avec notre
Bretagne, ressemblance encore accentuée par le dessin
capricieux de la côte, les falaises qui la bordent, les pla-
teaux granitiques qui se relèvent vers l'intérieur. De
Saint-Sébastien à Porto, l'eau ruisselle sur les pentes
rapides des monts Cantabres à travers des prairies
luxuriantes, des forêts de chênes, de hêtres, de châtai-
gniers, les seules que possède la péninsule. L'hiver
est doux, l'été tempéré. Précieux avantages qui valent
au pays Basque, a la Galice, aux provinces portugaises du
Nord, de belles cultures et une forte densité de popu-
lation .
CLIMAT MÉDITERRANÉEN ET SUB-
TROPICAL. 00 1.6 reste de la péninsule, c'est-à-
dire le Portugal du Sud, l'Andalousie et les rivages de
la Méditerranée, appartiennent au climat du type dit
méditerranéen. Les hivers ne connaissent ni la neige m
les jours de gel. La moyenne du mois de janvier est^de
+ 9° à Barcelone, de "+- 12' à Lagos, de -+• 13" à
Malaga (10 degrés de plus qu'à Paris!). L'été, par
contre, est long et chaud, très chaud même, et plus afri-
cain qu'européen sur le versant Sud, du cap de la Nao
à Lisbonne. Dans le jour, à SéviUe. a Malaga. à Mur-
cle. on ne sort guère passé 10 heures du matin, et l'on
tend au-dessus des rues de larges toiles qui tamisent les
rayons du soleil. Parfois le " solar.o " ou le " levante ''
souffle et rend plus insupportable une température déjà
excessive. Pourtant la brise de mer monte chaque soir
et sa caresse ravive les sens.
Malgré la proximité des monts qui condensent les
nuages, il pleut fort peu sur les côtes, et seulement
d'octobre à mars. D'avril à septembre rien ne ternit la
splendeur du ciel. Aussi, partout où n'intervient point
l'irrigation, seules croissent les herbes ou les plantes des
steppes tropicales : palmiers nains, aloès, agaves, cac-
tus, spartes, auxquelles se mêlent, dans les fonds plus
humides ou les pentes abritées, des pins parasols, des
cyprès, de grands lauriers-roses et les buissons parfumés
du maquis. Mais si l'on prend soin de capter par des
barrages les eaux qui descendent en hiver de la mon-
tagne, et si l'on distribue ces eaux par des canaux
savamment étages, au débit réglé avec minutie, la cam-
pagne déserte se transforme soudain en un immense, un
plantureux jardin. Telles sont les " huertas " {horlus -
jardin) de Catalogne. d'AlIcante, de Valence, de Mur-
cle. les " vegas " d'Andalousie, splendides oasis ceintes
de roches desséchées, où se pressent arbres et légumes,
fleurs et fruits, où se rencontrent, au moins à partir de
Valence, les flores mélangées de l'Europe, de l' Afrique
et de l'Asie tropicale, où l'oranger, les citronniers, les
grenadiers, l'olivier mûrissent leurs fruits à côté des
bananiers, du cotonnier et de la canne à sucre, où des
rizières s'étendent près des vignes et des champs de
maïs, où l'on volt même, à Elche. les dattes mûrir dans
les palmeraies les plus septentrionales du monde. Verte
ceinture, jardins embaumés, fécondité inépmsable qui
rendent plus saisissante encore la désolation de 1 Es-
pagne intérieure.
Les cours d'eau
Le relief et le climat de la péninsule ne se prêtaient considérable du plateau central, où prennent naissance
gui 1 lÏllssement d'un rJseau hydrographique lar- la plupart des fleuves, les chaînes de «je .u .
gement ramifie, au débit important, régulier, et dont doivent franchir non loin de leur -l^^-^^;- '«
f homme soit en mesure de tirer bon parti. L'altitude obligent à se creuser des lits profonds, étroits, coupes
138 ~
_ L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
seuils rocheux, où leurs eaux dégringolent trop rapides
pour être utilisables. De plus, la rareté des plu.es, 1 eva-
poration forte rendent leur régime particulièrement irre-
gulier Réduits à peu de chose, parfois à nen, pendant
les longs mois d'été, les pluies d'orages les transforment
brusquement en torrents redoutables. '^f^^PPf^''^^'"'
le Douro (780 kilomètres), le Tage (900). le Gua-
diana (780), TÈbre (616) et les petits fleuves cotiers du
versant méditerranéen : Guadalaviar, Jucar. Segura.
Le Douro draine la VieiUe-Castaie. mais doit aux
neiges aux pluies des monts Cantabres le plus clair de
ses eaux grâce à ses affluents de droite : Pisuerga et
Esla Le Tage grossi du Hénarès et du Manzanares,
Tégout plutôt que la rivière de Madrid, coule encaissé
au fond d'un étroit couloir, baigne Aranjuez, Tolède,
Alcantara. et se termine dans les plaines portugaises par
l'admirable estuaire où Lisbonne repose.
Le Guadiana vient de ces hautes steppes de la
Manche que hantera éternellement la silhouette de Don
Quichotte. Il disparaît d'abord sous les fissures du sol
et reparaît plus bas en sources bouillonnantes : les yeux
du Guadiana. A travers le plateau de l'Estremadoure
et la Sierra Morena il se fraie un passage difficile jusqu au
golfe de Cadix. U Segura. le Jucar, le Guadalaviar.
les plus pauvres, les plus capricieux de tous, sont cepen-
dant précieux, car leurs eaux irriguent les huertas de la
côte. Quant à l'Èbre. fleuve de dépression plutôt que
de plateau, il doit à ses affluents pjTénéens : Aragon,
Gallego, Sègre, les 130 mètres cubes qu'il roule à
l'ordmaire. Mais, pas plus que les autres, les bateaux ne
l'utilisent : seule l'imgation met ses eaux à profit.
Au Nord- Ouest, les petits fleuves côtiers qui dévalent
des monts Cantabriques : Bidassoa. Nervion. Nalon.
Minho (500 kilomètres), n'ont pas pour la navigation
une valeur plus grande, car leur pente est fort raide. mais
des pluies abondantes les nourrissent en tout temps. Enfin,
au Sud-Ouest, le Guadalquivir (600 kilomètres) mérite
une place à part et ce nom de grand fleuve : Ouad-al-
Kébir. que lui donnèrent les Arabes. D'abord, depuis An-
duiar, il coule en plaine à travers l'Andalousie. De plus, les
neiges de la Cordillère bélique et les violentes averses qui
s'abattent sur ses flancs lui envoient, soit directement,
soit par l'intermédiaire du Génil, assez d'eau pour lui
assurer, même au cœur de l'été, un débit fort raison-
nable. Enfin, grâce à la marée qui se fait encore sentir
à 1 20 kilomètres de la côte, les gros navires peuvent le
remonter jusqu'à Séville. et c'est là un fait unique dans
la géographie de l'Espagne.
" Deux mois de cours, dix mois de vacances ", disent
de leurs fleuves les Espagnols qui les comparent plaisam-
ment aux vieux étudiants deSalamanque. Cette formule
lapidaire caractérise fort justement les cours d'eau de la
péninsule et nous dispense à leur sujet de plus longs
commentaires.
GEOGRAPHIE HUMAINE
LES POPULATIONS DE LA PÉNINSULE. -
CARACTERES GÉNÉRAUX, a a Les premiers habitanis
de la péninsule dont ^hi^loire nous ait transmis les noms sont les
Ibères, puis les Celles. Dm une époque fort reculée, les Pfiéni-
ciens. altirés par les ricliesses minières de l'Espagne méridionale,
londèrent sur les cotes des pays de Tarshish ou de Tarlesse des
comptoirs importants : Abdera. Malaca (Malaga). Cadès (Cadix)
surtout. Carthage v a|Outa Carihagène. et son influence s'étendit
même i l'intérieur.
Après les guerres puniques. Rome entreprit la conquête de
l'Ibérie. Elle fut lente et difficile, mais ses résultats furent grands.
Comme les Gaulois, les Ccltibères adoptèrent la langue, les
dieux, les mœurs, la civilisation de leurs vainqueurs. Us eurent des
villes ricfies. bien bâties, des monuments grandioses, un réseau
complet de voies militaires: les mines lurent activement exploitées;
l'agriculture et l'industrie prospérèrent et le christianisme remplaça
peu à peu l'idolâtrie. Puis vinrent au V* siècle les conquérants
germains: Suèves, Alains. Vandales (qui donnèrent leur nom :
Vandalousie ou Andalousie, à l'ancienne Bélique), Wisigoths
surtout, qui se fondirent dans la masse de la population romanisée
et constituèrent, du Vl« au VIII» siècle, un vaste royaume goth dont
Tolède fut la capitale.
Au V1I1« siècle arrivèrent les Arabes el les Berbères, suivis
d'une foule de juifs et de gitanes. Vainqueurs des Wisigoths
en 711 à Jérès de la Frontera. ils occupèrent promplemeni la
pémnsule presque entière. Leur long séjour en Espagne fut pour
elle un bienfait. Non seulement ils élevèrent dans leurs capitales :
Tolède. Cordoue, Séville. Grenade. Valence, de jplendides monu-
ments, mais ils introduisirent en Espagne, avec des cultures nouvelles :
riz coton, canne à sucre, etc., les savants procédés d irrigation qui
firent la richesse des huertas. Les cuirs de Cordoue les aciers
de Tolède, furent célèbres dans l'Europe entière. Enfin d actives
relations commerciales unirent la péninsule aux pays d Orient_
Mais, dans les vallées sauvages des Pyrénées et des monts Can-
tabres, de petites communautés chrétiennes parvinrent à maintenir
leur indépendance. Là s'organisèrent les premiers royaumes : Ga-
lice Aslurie. Navarre, Aragon. Portugal, puis Léon el CasI.lle.
qui dès le K» siècle, entreprirent contre les musulmans une ulte
sans merci.Celte lutte, la " reconquista ", dura sept siècles. Elle se
termina, en 1492. par la prise de Grenade et la chute du dernier
royaume musulman. , t ■ i
Dès lors l'Espagne, à peu près unifiée par la fusion en un seul
État des diverses royaumes chrétiens (seul le Portugal demeura.,
indépendant), suivit ses changeantes destinées. D abord triom-
phante sous Charles-Quint et Philippe II. maîtresse d une par-
lie de l'Europe et d'immenses territoires coloniaux, elle connut
promp-ement les défaites et la déchéance que lui imposèrent
l'ambition démesurée, le fanatisme étroit de ses princes, la paresse
et l'orgueil de ses habitanis. Cette décadence, commencée sou»
le règne même de Philippe II, ne s'est pas arrêtée jusqu à nos |our,.
11 semblerait que la communauté d'origine, de souve-
nirs, d'habitudes, de passions, et l'isolement même de la
péninsule eussent dû créer entre les divers groupes de
la population une fusion complète. Il n'en est rien. Le
— 139
L'EUROPE
morcellement géographique, la division du pays en com-
partiments distmcts, en régions naturelles accolées, mais
non soudées les unes aux autres, ont maintenu entre ces
groupements des différences profondes.
D'abord le Portugal, isolé de l'Espagne par la barrière
des monts, eut de bonne heure sa langue propre, ses
intérêts spéciaux, et conçut pour sa puissante voisine une
jalousie, une antipathie qui dégénérèrent parfois en haine
véritable. Mais, même en Espagne, il y a entre Castillans .
Aragonais, Galiciens, Catalans, Andalous, plus de dis-
semblances que de traits communs. Au Nord, les Gali-
ciens ou Gallegos, les Basques et les Catalans sont les plus
actifs, les plus travailleurs de la péninsule (cf. Piémon-
tais. Lombards et Vénitiens en Italie). Les Gallegos
rappellent nos Auvergnats par leur robustesse, leur
sérieux, leur ardeur au travail, leur sens de 1 économie.
Les Basques, plus vifs, plus gais, se plaisent, comme
ceux de chez nous, aux réunions, aux danses, aux
prouesses des " pelotaris", à la vie aventureuse du
contrebandier. Le Catalan, peu propre aux spéculations
intellectuelles, pas du tout mystique, est un homme d es-
prit pratique et positif, acharné à l'effort et au gain. 11
sait faire du pain avec des pierres ", disent de lui ses voi-
sins d'Aragon, froids, sombres, fanatiques, entêtés et
paresseux. Les populations méridionales, en Andalousie,
à Murcie, au Portugal, fortement mélangées de sang
arabe, diffèrent des gens du Nord non seulement par
leur type physique, mais par leur caractère. La douceur
un peu énervante du climat les incite à jouir de la vie.
Comme les lazzaroni de Naples, ils passeraient aisément
leurs journées à rire, fumer, chanter, danser, travailler le
moins possible. Quant au Castillan, presque aussi taci-
turne que 1 Aragonais, il se considère comme supérieur
aux autres et déguise sa paresse native sous le voile d'une
hautaine fierté.
Malgré ces différences qui, loin de s'atténuer, se ren-
forcent plutôt et aboutissent parfois, en , Catalogne
notamment, à des tendances nettement séparatistes, il y a
un fonds commun, ' ' une médaille très fortement frappée
qu on peut appeler le caractère espagnol " et qui fait que
ces populations sont encore plus séparées du reste de
1 Europe qu elles ne sont isolées entre elles ". Etroite-
ment attaché à ses coutumes propres, et très fier de lui-
même, l'Espagnol demeure indifférent aux choses et aux
gens de l'étranger. 11 a ses défauts certes : sa vanité, son
fanatisme, son goût pour la violence et les spectacles
sanglants, trop souvent aussi son ignorance et sa paresse ;
mais de rares qualités compensent largement ces tares
qu'expliquent et qu'excusent en partie le climat de la
péninsule et 1 histoire même de l'Espagne. La ' recon-
quista ' . cette lutte de sept siècles contre l'Infidèle, habitua
les Espagnols à mépriser tout autre métier que celui des
armes, tout service autre que celui de Dieu et du Roi.
Soldat, fonctionnaire et moine, tel fut l'idéal du hidalgo.
Cet idéal, évidemment trop absolu, est encore celui
de bon nombre d Espagnols. Ils lui doivent leur courage
tranquille, leur piété profonde, leur dignité, leur
générosité et cette noblesse naturelle que l'on trouve
chez l'homme du peuple aussi bien que chez le grand
seigneur.
LE ROYAUME D'ESPAGNE
DENSITÉ, ÉMIGRATION, RÉPARTITION
DE LA POPULATION. 00 Le royaume d'Es-
pagne, en y comprenant les Cananes, avait, en 1910,
19 61! 000 habitants, soit 39 seulement au kilomètre
carré (estimation au 31 décembre 1920 : 20800000).
Certaines régions sont pourtant fortement peuplées : les
Pays Basques, la Galice, quelques districts des Asturies
et de Catalogne, les riches huertas de la côte, les
Baléares, ont une densité qui varie entre 80 et 150 habi-
tants au kilomètre carré. Par contre, les Castilles, 1 Estre-
madoure.le Léon, l' Aragon, les steppes de Murcie, attei-
gnent à peine 20 habitants en moyenne, et de vastes
espaces, les " despoblados ", ont été complètement
dépeuplés par le régime néfaste de la grande propriété
et les abus de la " Mesta " (V. plus loin).
Malgré la faible densité de la population, l'émigration
est très forte. Chaque année, en temps normal, plus de
200000 Espagnols quittent leur pays, et s'il est vrai
qu une partie de ces émigrants — ceux du Pays Basque
surtout et de la région méditerranéenne — reviennent
plus ou moins enrichis dans la mère-patne, les autres,
beaucoup plus nombreux, se fixent, sans esprit de
retour, aux pays étrangers : Antilles, Argentine, Brésil
(en augmentation), Algérie (légère diminution). Cet
exode est d'autant plus fâcheux qu'il pnve l'Espagne,
non pas de vagabonds ou d'aventuriers, mais surtout
d'agriculteurs : les deux tiers des émigrants sont, en
effet, des paysans chassés de leur pays par la misère.
PROVINCES DU NORD. 00 L'Espagne
se divise en 1 5 grandes unités territoriales conformes à
la fois à l'histoire et à la géographie de la péninsule.
Au Nord, la Galice, les Asturies, une partie de la
Vieille-Castille, et les Provinces Basques, que complète
la Navarre, bordent le littoral de l'Atlantique. Protégés
par les hauteurs des monts Cantabres, ces pays échap-
pèrent à l'invasion arabe ainsi qu'à la civilisation musul-
mane. Des royaumes chrétiens s'y fondèrent et la
140
L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
GRENADE: lA COUR DES LIONS AU PALAIS DL LALHAMBRA..4,nt«
en t%r>aene au VIW ùècU, îet Aiahei u dcmeurèTcnt /usqu'au AI" .DcsJiveis royau-
mci q-j'ih fondèrent dans la t>:nintule, celui de Grenade fui le dernier <iui résista à la
" jecanqunta" chrétienne. Lts Maures donnèrent une vive impulsion à l'agriculture.
ù l industrie, au commerce. Surtout iU créèrent un art nouveau, d'une in>piration
délicate, d'une parfaite élégance, dont témoigncnl, non Hulcmenl leurs grandes œuvres
architecturales, mats aussi les armes, les cuirs, les faïences, les cuivres ciselés sortis
des ateliers de Tolède, Cordoue, Séville, des lies Baléares, ttc. Cl. Anderson.
141
L'EUROPE
^GRENADE. L'ardeur d'un soleil firesque tropuai et /e* eaux abondantes dênifées
.du Genil /ont de la " Véga " de Grenade, comme des " huertas" de la côte médi'
ierran'enne, un immense et merveilleux jardin où dei hmes de cacha el de figuiers
de Barbarie ceignent les vergers el les bots d'orangers. Cl. Lev'Y.
COURSE DE TAUREAUX Seul de tous les EuTofiéens.^ l'Espagnol raffole de
ce sanglant spectacle. L'annonce d'une " corrida de muerte '* attire aux arènes une
foule enthousiaste, où se mêlent toutes les classes de îa soHéte et qui appiaudit
avec passion aux dangereux exploits de ses ^orreros" favoris.
LE MONTSERRAT. Sur le versant espagnol, les hauts massifs pyrené-ns sont
flanqués d'une séné de chaînes qui descendent en gradins jusqu'à lo dépression de
l'Ebre. L'un de ces chaînons, le Montserrat. déchiqueté par l'érosion, abnte l'un des
monastères les plus anciens de la péninsule. CL Liw.
MADRID : LE PALAIS ROYAL symbolise h rôle purement administratif el
politique aue joue dans la péninsule ta Cité sans passé, sans industrie, sans com-
merce, entourée de vastes solitudes, jui devint au Xl'^ siècle, par la seule vertu de sa
situation centrale, ta eapilale de l'Espagne unifiée. Cl. Lévy.
**
slville : ij: patio de las donce.
L-L.AS est un: cour entourée d'une merveîl-
hu:€ snhrie sue dan: VAlcazar, forteresse
cl palcii des rois marnes. Cl. Bol'LANGER.
142
GIBRALTAR. /Incâ'Tine " colonne d'Hercule", ce rocher fa-
meux domine la baie d'Algésiras et . face au Maroc, commande
l'entrée de la Méditerranée. Les Anglais s'en emparèrent en 1709
et la transformèrent en imprenable forteresse. Cl. LÉVV.
CORDOUE : LA MOSQUÉE. L'un des plus
merveilleux édifices dus aux architectes arabes.
Cordoue fut, du reste, pendant trois siècles,
l'opulente capitale des Califes. CI.LacOSTT
L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
reconquista " partit de là. La Galice, les Asturies et le
Pays Basque, fort pittoresques, bien arrose's et ge'nérale-
ment bien cultivés, sont à la fois de fertiles re'gions agri-
coles, des pays d'industrie et de vie maritime active.
Les portsde la Corogne (47 000 habitants), de Vigo, du
Ferrol en Galice, se livrent à la pêche côtiere et servent
d'escales aux paquebots de certaines grandes compagnies
europe'ennes. Gijon (55000 habitants). Santander
(72000), Bilbao (99000) surtout, doivent à la richessemi-
nièredes régions qu'ils desservent des industries prospères
et un intense mouvement commercial. Saint-Sébastien
(37000 habitants), Fontarabie, ne sont guère que d'agréa-
bles villes de bains. Les cités de l'intérieur ont moins d'im-
portance. La vie se porte en effet de plus en plus vers les
côtes. Santiago de Compostela, l'ancienne capitale de la
Galice, n'attire plus les pèlerins par milliers comme elle
le faisait autrefois. Oviedo (55000 habitants) perd de
l'importance au profit de Gijon. Toiosa, Vitona(32000
habitants) se maintiennent grâce à leur situation sur la
ligne Paris-Madrid. Pampelune (30000 habitants), dont
la citadelle a subi tant de sièges, commande le débouché
des cols pyrénéens depuis le passage des Aldudes jusqu'à
celui d'Idiazabal.
LÉON, C.ASTILLES, ESTREMA-
DOURE. 0 et Entre Vitoria et Burgos la voie ferrée
grimpe péniblement les pentes des monts Ibériques,
s enfonce dans la gorge sauvage de Pancorbo et, s'élevant
à près de 1000 mètres d'altitude, débouche sur les hauteurs
solitaires du plateau ou commencèrent à se développer les
destinées du peuple espagnol. Le royaume de Léon fut
d'abord conquis, puis la Vieille-Castille qui doit son nom
aux forteresses innombrables dont on voit çà et là la lière
silhouette s'ériger sur le roc nu. En 1083, la chute du
royaume de Tolède agrandit le royaume de toute la
région comprise entre les sierras de Guadarrama et
Morena, et ce fut la Nouvelle-Castille, à laquelle l'Estre-
madoure servit de marche-frontière contre les royaumes
arabes du Sud.
L empreinte de ce passé héroïque reste visible dans la
distribution et l'aspect des villes. Tandis qu'en Galice,
au Pays Basque, les gens se dispersent dans des
fermes isolées, des hameaux minuscules, en Castille l'in-
sécurité habitua la population à se concentrer en quelques
points choisis faciles à fortifier et à défendre. Pas de
grandes villes pourtant, Madrid exceptée, mais de nom-
breuses cités, ' " ciudades ", fières de leur passé de gloire et
de leurs privilèges anciens, ceintes de tours et de murs
crénelés, dominées par les clochers de leurs églises innom-
brables et les hautes murailles de leurs alcazars ou châ-
teaux forts. Cités silencieuses et comme mortes, où des
rues étroites et tortueuses serpentent entre des murs de
couvent et de maisons nobles aux écussons sculptés, cités
où tout respire le passé, véritables reliques d'un autre
âge.
Telles sont, dans le royaume de Léon : d'abord
Léon, la capitale (25 000 habitants), d'origine romaine,
(elle servait de cantonnement à la septième légion) et dont
1 église de Saint-Isidore renferme le tombeau des anciens
rois chrétiens; Salamanque (33000 habitants), célèbre
autrefois par son Université, une " des quatre reines de la
science " avec Paris, Oxford et Bologne, par ses beaux
édifices des XV* et XVI* siècles et par le pont magnifique
qu'éleva Trajan ; Zamora la " bien enceinte ", illustrée
par les chants du Romancero et les assauts multiples
qu elle soutint contre les musulmans.
En Vieille-Castille. Burgos (32000 habitants), toute
remplie des souvenirs du Cid né dans le voisinage,
et qui, entre autres monuments de sa grandeur passée,
conserve une des plus belles cathédrales ogivales qui
existent au monde ; Palencia. la " Pallantia " des Ro-
mains; Valladolid (7 1000 habitants), l'ancienne " Belad
Oualid ', longtemps capitale de la monarchie espa-
gnole, où naquit Philippe II, où vécut Cervantes,
où mourut Christophe Colomb ; Simancas, qui possède les
archives générales du royaume ; Penafiel, dominée par un
magnifique château ; Soria (1050 mètres d'altitude),
près de l'emplacement où s'élevait Numance ; Avila, la
patrie de sainteThérèse,et Ségovie, qui comptent toutes
deux parmi les cités les plus pittoresques de l'Espagne
grâce à leur situation fopographique, leurs enceintes de
murs et de tours, leurs éghses, leurs maisons anciennes,
et le robuste aqueduc romain qui alimente Ségovie.
En Castille-Nouvelle : Siguenza, la " Segontia " cel-
tibère, imposante forteresse qui commandait la route de
Saragosse ; Alcala de Henarès, la patrie de Cervantes ;
Ciudad-Real ( 1 6 000 habitants), capitale de la Manche ;
Tolède enfin (20 000 habitants au lieu de 200 000,
dit-on, au temps des Maures), juchée sur un roc de
granit, bien déchue de son ancienne importance, mais
qui s est conservée à peu près telle qu'elle était au
XIII* siècle avec ses remparts, ses fours, son Alcazar,
ses couvents, sa magnifique cathédrale, ses petites rues
tortueuses, ses deux ponts hardiment lancés sur le
Tage et dont nulle description ne saurait rendre la
prodigieuse splendeur.
En Estremadoure : Trujillo ; Badajoz, célèbre par ses
deux sièges en 1811 et 1812; Plasencia; Alcantara,
la " Norba Caesarea " des Romains, où le Tage est
franchi par un pont de 188 mètres que construisit
Trajan ; Caceres (Castra Cœcilia) ; Mérida (Augusta
Emerita). riches en ruines romaines de toutes sortes,
car r Estremadoure. aujourd'hui si pauvre, si dépeuplée,
était à I époque romaine une sorte de grande colonie
militaire destinée à protéger la Bélique contre les popu-
lations mal soumises du Nord-Ouest de la péninsule.
143
L'EUROPE
Seule Madrid (652 000 habitants) n'a ni passé, ni
souvenirs illustres, ni monuments grandioses. C est au
XVI® siècle seulement que Charles-Quint, et surtout Phi-
lippe II, firent d'une villette insignifiante la capitale de la
monarchie espagnole.
Placée, comme Tolède, au centre géographique de la péninsule,
Madrid avait sur sa rivale, aux yeux des rois absolus, le grand
avantage d'être sans traditions, sans esprit local, de ne renfermer ni
aristocratie, ni bourgeoisie capables de porter ombrage au pouvoir
monarchique. La campagne qui Pentoure est pauvre, aride et nue,
et sa rivière, le Manzanarès, n'est qu'un " oued " insignifiant.
Mais elle est, depuis trois siècles, la résidence des rois, le siège des
administrations, des académies, des grandes Ecoles, des banques :
la plupart des journaux politiques importants s'y publient ; son
musée est un des plus riches du monde et l'influence de Madrid
sur la littérature, la vie intellectuelle de la péninsule, est incontes-
table. De plus, le réseau de routes et des voies ferrées y
converge de toutes parts, et les industries, surtout de luxe, s'y déve-
loppent comme dans toutes les capitales.
A quelques lieues de Madrid s'élèvent les résidences
royales de l'Escurial — sombre édifice à la fois cloître,
palais et tombeau ou revit le souvenir de Philippe 1 1 — ,
delaGranja, le "Versailles " des rois d'Espagne, d'Aran-
juez, verte oasis au milieu des steppes de Castille.
LE MIDI ESPAGNOL. i2/i2/AuSuddelaSierra
Morena et du cap de la Nao apparaissent une autre na-
ture, un autre climat. C'est le Midi espagnol, a la tem-
pérature semi-tropicale, à la flore africaine. Les Arabes
y maintinrent pendant des siècles leur domination qui par-
tout a laissé son empreinte ineffaçable. Dans les veines
des habitants coule une bonne part de sang oriental ;
les noms de leurs fleuves, de leurs montagnes, de leurs
villes sont en partie d'origine arabe. Comme en Onent,
des maisons aux toits plats s'ouvrent sur une fraîche
cour intérieure : le "patio", et ce sont les monuments de
l'Islam qui font encore aujourd'hui la gloire et le grand
attrait de leurs cités.
Le versant méditerranéen est une sorte de longue
côte d'azur" espagnole, presque aussi belle que la
'Riviera" française, par ses admirables jardins, sa riche
végétation, les hautes montagnes qui la dominent, les caps,
les baies qui 1 indentent, la tiédeur presque chaude de ses
hivers, l'extrême pureté de son ciel, la splendeur de sa
mer azurée. Des villes prospères étagent leurs maisons blan-
ches sur les pentes des colhnes ; une population industrieuse
exploite les richesses des huertas. Telles sont Alicante
(57 000 habitants), Elche, Orihuela, Murcie (1 33 000 ha-
bitants), Carthagène (102000 habitants), excellent port en
relations régulières avec Oran (huit heures de traversée), la
Union qui exporte du plomb argentifère, Lorca (ZOOOOha-
bitants), Alméria (48000 habitants), Motril, Malaga.
(141 000 habitants) entourées de bananeraies, de champs
de cannes à sucre, de vignobles, d'olivettes et de bois
d'orangers. A l'extrême-Sud, le rocher anglais de Gibral-
tar, qui commande le détroit, fait face à Aigesiras.
A l'intérieur de la Cordillère bétique, des petits bassins
fermés, irrigués par les eaux venues des sierras neigeuses,
sont transformés en immenses jardins, les "vegas". Là
se trouvent Antequera (25 000 habitants), dans le
haut Guadalhorce, et Grenade (82 000 habitants), dans
la vallée du Genil, célèbre par le charme de son site,
la splendeur de son Alhambra, de son Géneralife, de
sa cathédrale.
Danslaplaineandalousesesuccèdent la pittoresque Jaën
(30 000 habitants), ancienne capitale d'un petit royaume
arabe; l'illustre Cordoue (72000 habitants), dont les
Maures avaient fait une des villes du monde les plus
savantes et les plus industrieuses à la fois ; Séville " l'en-
chanteresse " ( 1 64 000 habitants), fière de ses monuments
anciens : cathédrale que surmonte la Giralda, Alcazar,
maison de Pilate, etc., ville de plaisirs, de danses, de
ferias ", de courses de taureaux et de processions, mais
aussi ville industrielle et port actif. Sur la côte. Jerez
(62 000 habitants) exporte son vin excellent (le Xérez
des français, le Sherry des Anglais), Cadix (67 000 habi-
tants), l'ancienne Gadès des Phéniciens, longtemps le
premier port de l'Espagne, conserve de l'importance
grâce à son avantageuse situation, à la sûreté de sa rade,
mais la perte des colonies espagnoles lui enleva le plus
clair de ses ressources. Huelva (34000 habitants) exporte
les minerais du Rio-Tinto. Quant à San-Lucar Barra-
meda, d'où partit Magellan, Palos oîi s'embarqua Chris-
tophe Colomb, Puerto de Santa-Maria, Moguer, elles
eurent leurs époques de gloire, mais ne sont plus rien
aujourd'hui.
... De PaloSf àe Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
PAYS DE LA COURONNE D'ARAGON.
J!) /!f Au Nord-Est de l'Espagne, le royaume chrétien
d'Aragon se constitua à la même date que le royaume
de Castille et s'étendit peu à peu dans la plaine de
l'Ebre, puis sur la cote, par l'annexion de la Catalogne
en 1162, et la conquête du royaume de Valence en
1237. 11 se réunit définitivement à la Castille en 1516, à
la mort de Ferdinand le Catholique.
L'Aragon proprement dit se compose des sierras et
des plateaux qui prolongent les Pyrénées jusqu a la vallée
de l'Ebre et au bassin de Saragosse. Le haut Aragon
est une triste, âpre et rude contrée, très faiblement peu-
plée, où de misérables bourgades étagent leurs maisons
grises au flanc des monts décharnés. Le bassin de Sara-
gosse lui-même est une steppe mal cultivée, sauf dans la
partie irriguée par le Canal impérial. La seule ville im-
portante est la sombre Saragosse ( 1 24 000 habitants).
144
L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
illustrée par son héroïque défense contre les troupes fran-
(;aises (1808 et 1809).
La Catalogne, au contraire, sauf dans la province de
Le'rlda, présente un aspect d'activité, de prospérité bien
rare en Espagne. Le cultivateur catalan, que son ardeur
au travail rapproche des peuples septentrionaux, a su
tirer de ses montagnes et de ses cours d'eau le meilleur
profit possible. Sur les terrasses étagées que soutiennent
des murs de pierre sèche, il cultive, suivant l'altitude,
l'oranger, l'olivier, le châtaignier, la vigne et le blé. Il
est également apte aux travaux industriels, et le paysan
se transforme aisément en habile ouvrier. Aussi, dans les
trois provinces maritimes de Gérone, Barcelone' et
Tcirragone, les villes sont nombreuses et la densité très
forte.
A l'intérieur, Gérone, X'ich, Olot, Manresa, Saba-
della sont des centres agricoles et industriels à la fois. Sur
la côte, parmi de nombreux petits ports, Barcelone
(618000 habitants), supplantant l'antique Tarragone, a
pris une telle importance qu'elle est aujourd'hui le premier
port de commerce et la plus grande ville industrielle de
l'Elspagne. Tortose enfin, et les villes du royaume de
Valence, Vinaroz, Benicarlo. Castellon, Murviedro,
VcJence (243 000 habitants) sont les débouchés de
riches hucrtas productrices de vins et de fruits.
LES BALÉARES. 00 A l'Aragon se rattache
l'archipel des Baléares, longtemps sultanat arabe, puis
royaume chrétien incorporé en 1 343 à la couronne d'Ara-
gon. 11 est formé de deux groupes d îles : les Pityuses, avec
Fermentera et Ibiza, et les Baléares proprement dites
avec Majorque, Minorque et Cabrera. Couvertes de mon-
tagnes pittoresques qui atteignent jusqu'à I 500 mètres,
jouissant d'un charmant climat, ces lies, surtout Majorque
et Minorque, ont une population active et dense qui cul-
tive la vigne, l'oranger, l'olivier, les primeurs, l'amandier,
et se livreau commerce de mer avec l'Espagne, l'Algérie et
la France surtout. Les Mahonnais de Minorque se fixent
même en grand nombre dans la province d'Oran, ou
tiennent dans nos villes françaises des magasins de pro-
duits espagnols. Les ports principaux sont ceux d Ibiza,
de Palma (67 000 habitants) et l'excellente rade de Port-
\Iahon.
(Notons en passant que Tarchipel des Canaries, bien qu'à
I 230 kilomèlres de Cadix, est rattaché administrativement au
royaume d'ELspagne. -— Nous l'étudierons au chapitre consacré aux
îles africaines.)
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
Le bref aperçu que nous avons donné de la géo-
graphie physique de l'Espagne, de son histoire et du
caractère de ses habitants, explique l'état arriéré où se
trouvent son agriculture, son industrie et son commerce.
L'cxtrcme sécheresse et Tlnfertilîté naturelle de vastes régions
les rendent à peu près inutilisables. La difficulté des communica-
tions paralyse en partie l'exploitation des richesses minières ou
des produits agricoles. L'apathie de l'Espagnol, sa torpeur spirituelle
(" el empatanamiento esptntual ' ), son mépris atavique pour toute
occupation manuelle, son ignorance (près de la moitié de la popu-
lation est illettrée), le détournent des métiers utiles et multi-
plient le nombre des mendiants, des vagabonds, des parasites de
toute espèce. A ces causes de faiblesse s'ajoutèrent enfin la déplo-
rable politique extérieure ou intérieure de la plupart des rois, les
guerres civiles et les " pronunciamientos " du XIX* siècle, les abus
d un fonctionnarisme énorme, d'une bureaucratie absorbante et sté-
rile, les erreurs d'une politique douanière ultra-protectionniste,
I incurie des pouvoirs publics, la mauvaise répartition de l'impôt
et le gaspillage des ressources financières au profit exclusif des
" caciques ", c'est-à-dire des politiciens de clocher, tout -puissants en
matière d élection. Telles sont, d'après les Espagnols eux-mêmes,
les raisons essentielles d'une décadence qui dure depuis Irois siècles
et réduisit au rang de puissance de second ordre ce noble pays
autrefois le premier du monde.
AGRICULTURE. 00 L'agriculture est la princi-
pale source de richesse de l'Espagne. Pourtant 5 (X)0(X)0
de personnes seulement, le quart de la population totale,
s adonnent a l'agriculture, alors qu'en France, par exemple,
elle en occupe près de 20 000 000, soit la moitié des
habitants. La raison en est que les bonnes terres sont
rares. De l'avis des pouvoirs publics, 10 pour 100 seulement
du territoire rentrent dams cette catégorie. Ce sont les
huertas de la cote et certaines régions bien arrosées
des provinces du Nord. 50 pour 100 restent en friche
(9 pour 100 en France) ! Le surplus, 40 pour 100, com-
prend des terrains peu ou moyennement productifs, soit en
rcuson de leur altitude excessive, de leur mauvaise compo-
sition, du manque d'eau, soit aussi de la routine et des
préjuges étranges des paysems.
Dans la province de Zamora, par exemple, nombre de travaux
hydrauliques ont dîj cire abandonnés devant l'hostilité des gens
de la campagne prétendant que " l'irrigation ferait du tort à la
généralité des cultures ". En Elstremadoure, le canal de Gevora.
qui traverse la province de Badajoz, a un débit de 1300 mètres
cubes, mais personne ne veut en profiter ! Ces préjugés datent de
loin. Au XVII* siècle, une commission spéciale, nommée pour étu-
dier un plan de canalisation du Tage et du Manzanarès, repoussa
ce projet sous le prétexte que " si Dieu avait voulu que
CCS deux fleuves fussent navigables, il lui aurait suffi d'un fiai
pour réaliser sa volonté: ce serait donc attenter aux droits de ta
Sainte Providence que d'améliorer ce qu'elle a voulu, pour des
raisons insondables, laisser imparfait ".
Le problème de l'eau est, comme dans tous les pays
aux pluies rares et irrégulières, le plus important de tous.
Les neuf dixièmes du territoire appartiennent à la zone
sèche où l'irrigation est indispensable. Les Maures avaient
145
L'EUROPE
introduit dans la péninsule les méthodes d'utilisation
et de répartition de l'eau en usage depuis toujours dans
les pays d'Orient. Leur expulsion aux xv" et XV f siècles fut
une cause de ruine pour nombre de régions oui on cessa
d'entretenir barrages, aqueducs et canaux. Seules les
petites plaines côtières, et certains bassins fermés de la
Cordillère bétique, conservèrent leur système d'arrosage.
Ce sont aussi les régions les plus productives de l'Espagne.
La vigne donne à Alicante, Malaga, Jerez, des vins de
choix. L'olivier recouvre les pentes. Les arbres fruitiers:
orangers, citronniers, grenadiers, figuiers, amandiers, sont
cultivés en grand dans les huertas de Valence, Elche,
Orihuela, Murcie, etc. A leur ombre croissent le froment,
le mais, les cultures maraîchères. Le riz et la canne à
sucre prennent de l'importance dans la basse Andalousie,
à Malaga, à Motril, etc. A l'intérieur, la vigne réussit
fort bien dans les campos de Calatrava (vins de Valde-
petias) et en Aragon ou elle donne des vins forts en
couleur et en alcool consommés comme vins de table
ordinaires ou expédiés à l'étranger pour le coupage.
Le maïs, le seigle se cultivent surtout dans les régions
du Nord (Galice, provinces Basques) où les pluies ne
manquent pas. Le blé, enfin, cultivé un peu partout,
ne prend une réelle importance que dans les plaines
d'Aragon, d'Andalousie, et surtout dans les fertiles
" tierras " de Campos en Vieille-Castille. Encore les pro-
cédés de culture sont-ils si rudimentaires que la production
moyenne à l'hectare atteint à peine 10 hectolitres contre 15
à 20 en France, et, de ce fait, l'Espagne est tributaire
de l'étranger pour une part notable de sa consom-
mation.
LES FORÊTS. /lf£) Les forêts sont rares en
Espagne. On n en trouve plus guère que dans quelques
provincesdu Nord: Galice, Asturies, Pays Basques, Cata-
logne, et sur les pentes des sierras. Le chêne vert, le chêne
kermès , le chêne-liège surtout sont les essences dominantes,
avec le châtaignier et diverses sortes de pins. Ailleurs,
les broussailles du maquis, les buissons de cystes, de
romarins, de myrtes, de lentisques, de fougères, croissent
en touffes espacées. Ailleurs encore, l'arbre a complè-
tement disparu. Au Moyen Age, pourtant, le plateau
de Castille était une forêt presque continue où les bêtes
sauvages : sangliers, cerfs, ours, erraient plus nombreuses
que les hommes. Mais les paysans ont un préjugé, une
sorte de haine séculaire contre les arbres dont le feuillage
abrite les petits oiseaux mangeurs de grains. De plus, les
bergers, pour accroître leurs domaines de pâture, incen-
diaient méthodiquement, ici comme en Sicile, en Corse,
en Grèce, les bois et les maquis. Cette destruction a si
bien réussi qu en maints endroits on marcherait pendant
des journées sans apercevoir un seul arbre, et la campagne
est réduite à une telle nudité que " l'alouette traversant
les Castilles doit emporter son grain ".
L'ÉLEVAGE (chiffres de 1919). £JJ!J La séche-
resse du climat et la rareté des bons pâturages ne
sont point favorables à l'élevage des bêtes à cornes.
Seules les régions bien arrosées qui bordent le golfe
de Biscaye nourrissent d'importants troupeaux de boeufs
et de vaches (3 396000 têtes). Les campagnes de
Séville et de las Bardenas, en Aragon, ont la spécialité
des taureaux pour corridas. Les chevaux peu nombreux
(594 000), mais pleins de feu, s'élèvent surtout en An-
dalousie. Les porcs (4 200000) sont la grande res-
source du paysan dans les chênaies clairsemées de
l'Estremadoure et du pays de Léon.
Par contre, les animaux qui s'accommodent d une
maigre nourriture prennent une particulière importance.
Les mulets ( 1 042 000), les ânes (1016 000) sont précieux
dans ces régions où les bonnes routes sont rares, où la
majeure partie des transports se fait à dos d'animaux. Les
chèvres (3 970 000) et les moutons ( 1 9 330 000) surtout,
constituent, comme dans les autres pays méditerranéens,
la ressource fondamentale.
On sait la renommée des mérinos d'Espagne. Passant l'hiver
dans la vallée de l'Ébre, en Andalousie, dans la Manche, la pro-
vince de Valence et l'Estremadoure, les troupeaux, composés cha-
cun de 10000 brebis, parlaient au prinlemps sous la conduite d'un
mayoral assisté de " rabadanes ". Ils traversaient l'Espagne du
Nord au Sud, de l'Est à l'Ouest, sur des chemins gazonnés larges
de 80 mètres, les " canadas reaies ". unis entre eux par d'innom-
brables " veredas ". " cordeles ", " descansaderos ", et allaient
passer la belle saison dans les monts de Ségovie, d'Avila, de
Cuenca, d'Aragon, de la Sierra Nevada, même dans lesCantabres ;
146
L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
L'ESCURIAL. Après l'abdication fie Chatla-Quint. Philippe II. ion fils, régna sur
Us Espagna ". de 1555 à 1598. Bien loin de courir conune son pire les terres et les
mcTS de l'Europe, il ne quitta guère la peniruile et se fit aynslruire à •juelgues lieues de
Xladrid, dans l'aride solitude des plateaux de Castille, an pied de la Sierra de
Guadarrama. un vaste palais, VEseurial, dont la forme générale affecte celte d'un
gril, en souiYnir du martt/re de saint Laurent. Il y avait une sorte d'harmonie entre
la sombre humeur, le caractère fanatique de ce roi et l'austère grandeur du
paysage qui l'enfouraH. CI, I.fw
1 ULLL'L.- liii bords de lanurgcclrcitc ou murmurent les eau^ lubriueuics du Tage,
sur U% rochadsrèzs Par l'éclatant soleil. Tolède repose. Au temps des Maures, ce fut
une active et riche cille, spîcialiKe dans la fabrication des armes et peuplée de ,
200 000 habitants. Elit est am'otuJ'hai bien déchue. Mais, de jon illustre pas^ellc.
^om^f i< une foule d'éloquents témoins : paiats. eglisei. couvents. Dont fortifie, mai-
}oos pittoresques, efc., et. comme pour tant d'autres antiques cites de
f Espagne intérieure, sa médiocrité présente ajoute à sa beauté une sorte de poignante
tirnihir. c\. Chusscau-Fuvilns
147
L'EUROPE
VIGNERONS D'ESTRAMADOURE. La vigne.
dont on tire les vins fameux de Porto, est avec les
fruits : oranges, dirons, amandes, olives, etc., la
grande ressource du Portugal. Cl. de Beaurecard.
LES MINES D'ALJUSTREL. Moins bien pourvu
que VEsfjagne en richesses minières, le Portugal ex-
ploite cependant dans l'Ale'rtteio quelques ()ioduclifs
gisements de cuivre. Cl. DE BeaurecarD.
■
1
V-^
-
- '.
;:1
LA _F01RE DE VILLAFRANCA. Rendez-vous
des ' Campinhos ' ou paysans d'Estramadoure, dont
la plupart, comme nos Corses, ne se déplacent guère
qu'à cheval Cl. DE Beauregard.
LISBONNE a grandi à l'eiluaire du Tage, sut l'une des plus belles rades qui
existent au monde. Elle fui un instant, au XVI^ siècle, le port le plus actif de
l'Europe, après la fondation de l'Empire colonial portugais. Elle n'a plus qu'une im-
portance assez petite, par suite de la médiocrité économique delà péninsule. Cl. LÉVY
PÊCHE DU THON EN ALGARVE. L'Algarve est la plus méridionale des pro-
vinces portugaises. On y fait avec succès la pèche de la sardine, de l'anchois, surtout
du thon. La vue est prise au moment où les poissons, cernés par la flottille des bar-
ques, se déballent au milieu des filets qui les élreignent. Cl. DE S. M. Manuel II.
CiNTPA : CHATEAU DE LA PENA. L'estuaire du Tage est domine au Nord-
) Oiicsl îjcr de Laftes collines aux flâna raides que pare une magnifique végétation.
I De izu'.K tes bzUcs demeures qui se pressent sur cette " Riviera" portugaise, la plus
I piitCTCSqiic csi le château de la Pena. CI. LÉVY.
LA TOUR DE BELEM. Dans la banlieue de Lisbonne, et sur les rives du Tage,
attenant à un ancien couvent, la tour de Belem, masse puissante, mais richement
ornée, fut construite, à la fin du XV^ siècle, près de l'emplacement d'où Vasco
de Gamafit voile en 149S pour les Indes Orientales. Cl. LÉVY.
148
LESPAGNE ET LE PORTUGAL
puis, à la fin de septembre, ils revenaient à leur point de dépari,
ayant franchi parfois plus d'un millier de kilomètres.
Cette transhumance n'allait pas sans de grands inconvénients
pour la végétation arbustive et les cultures. Avant 1836. la puis-
sante corporation de la Mesta (grandes maisons princières et com-
manautés relîgîeases associées) avait même usurpe pour les trou-
peaux des privilèges tels'que toute culture se trouvait, en (ail.
interdite dans les zones de parcours. " Les bergers faisaient U
solitude devant eux.
Mais, en 1837, le privilège de U Mesta fut aboli. Le nombre
des transhumants diminua si vite qu'il représente à peine aujour-
d'hui le dixième du troupeau espagnol. Les ïoies pastorales envahies
par les *' labradores " ou cultivateurs di*paruren1 même en bien
des points. Cependant les conditions du climat rendent encore la
transhumance indispensable à certaines provinces (.•\vila, Ségovie.
Teruel, Salamanque. Léon, Badajoz) Mais, depuis le début
du XX* siècle, le transport des troupeaux s'opère surtout par voies
ferrées. Moutons, chevaux, mulets et bergers gagnent ainsi très vite,
<t à bon compte, les pâturages où les " leones ", les pasteurs
renommes des montagnes du Léon, vivent avec leurs bctcs dans
des cabanes de pierres sèches, au toit de chaume, couchant sur un
lit d herbes, se nourrissant de lait, de fromage et de pain noir." Le
chemin de fer a résolu ce problème, qui parut longtemps insoluble :
utiliser les pâturages d'hiver de la steppe, les landes, les llanos,
utiliser les pâturages d'été de la montagne sans nuire à la culture
des terres fertiles. " (A. Fribourg. Ann. de Géog.^ 1910).
MINES ET INDUSTRlES(chiffres de 1919). iï'iî'
Si la surface du sol est peu productive, le sous-sol recelé
de considérables richesses. Des lanliquite, Strabon affir-
mait qu en aucun pays du monde on ne pouvait trouver
l'or, l'argent, le cuivre, l'étain, le plomb et le fer en
aussi grande quantité et de pareille qualité. Les Phéni-
ciens, les Grecs, les Romains exploitèrent ces mines pen-
dant de longs siècles, et l'on traite encore avec profit
les énormes amas de scories dont ils ne savaient point
extraire tout le métal utilisable. Considérablement ralentie
pendant le Moyen Age, celte exploitation ne cessa jamais
complètement. Mais c'est de nos jours seulement qu'elle
a repris toute son activité. Le fer (5 000 000 de tonnes),
très répandu et d'excellente qualité, provient surtout des
mines de Biscaye (région de Bilbao), des Asturies (Santan-
der),d'Huelva et dAlmeria. Le cuivre (864000 tonnes),
qui fournit une des plus grosses productions du monde.
s exploite dans la Sierra Morena où les mines de Rio-
Tinto et de Tharsis sont les plus célèbres.
Le plomb argentifère (177 000 tonnes) est particu-
lièrement abondant dans la région de Linarès et de
Lorca. Almaden (la mine) est la plus riche mine de
mercure du monde après celles des États-Unis. Enfin le
manganèse, le cobalt.Je zinc (103000 tonnes), l'etain. se
trouvent en quantités notables en Galice et dans les
provinces basques.
Nous devrions donc nous allendre à trouver en Elspagnc. Irèi
largemcnl développées, le» indusiries mélallujgiques de loul genre.
Il n en est rien cependant el la majeure parlic du minerai s'exporte
à l'état brut. Sur 5.000 000 de tonnes de minerai de fer
1 Espagne n en transforme guère en fonte, (er ou acier plus d'un
demi-million de tonnes dans les usines et les forge i de Biscaye
el de Catalogne! C'est que l'Espagne manque de hoaille.
Les 6009000 de tonnes produites par les petits bassins d'Oviedo.
de Palencia e( de Belmez sont tout à fait insuffisantes pour les
besoms d'une industrie active, et l'utilisation de la force motrice
fourme par des cours d'eau maigres, irréguliers — utilisation à
peine commencée du reste — ne peut compenser cette pauvreté.
De plus, la rareté des voies de communication est un gros
obstacle au transport des malicres lourdes et nuit grandement non
seulement au développement de l'exploitation minière, mais à
I extension des industries qui en dérivent. Enfin là, comme ailleurs,
il faut tenir compte de la mauvaise administration, de l'incurie
gouvernementale, de l'indiTérence et de l'ignorance des habilanl;.
de la disparition des déboudiés coloniaux à la suite de la guerre
hispano-américaine et de la rareté ou de la timidité des
capitaux espagnols. Ce sont surtout des sociétés étrangères qui
exploitent les mines et fondent les usines métallurgiques avec des
capitaux étrangers, des ingénieurs, des contremaîtres et même de
^imples ouvriers également étrangers.
Les autres industries souffrent des mêmes malaises.
La plus ancienne et la plus importante est celle du
coton (2 700000 broches), surtout concentrée à Bar-
celone. Puis viennent les lainages en Catalogne et à
Palencia (662000 broches), l'industrie des conserves,
qui se développe sur les cotes poissonneuses du golfe
de Biscaye à la Corogne, Vigo. Santander, Irun, etc..
les industries électriques, les verreries, les fabriques
d armes, de papier, de chaussures, les tissages de soie-
ries, les fabriques de bouchons, etc.. concentrées sur-
tout dans les provinces du Nord ou les grands ports.
Mais la plupart des fabriques sont petites, mal outillées,
incapables de produire des articles " finis " et dépas-
sant la qualité commune. Si quelques progrès ont été
réalisés dans certaines industries (la fabrication des
armes, des conserves, la verrerie et l'industrie électrique
notamment), c'est encore grâce à l'importation d'un
matériel étranger et au concours permanent d'ingénieurs
et d'ouvriers étrangers.
LE COMMERCE. ajl> Le commerce de rE.spa-
gne. soit intérieur, soit extérieur, est très inférieur à ce
qu'il pourrait être et cela pour diverses raisons.
D'abord l'Espagne, même au temps de sa splendeur,
ne fut jamais une nation commerçante. ' Ses relations
avec l'Amérique et 1 Océanie furent toujours des rela-
tions officielles organisées par une bureaucratie et sur la
base de privilèges. " L'Espagnol n'a point, sauf rares
exceptions, d'aptitudes mercantiles. Même avec ses an-
ciennes colonies d'Amérique et le peu qui lui reste de
ses possessions coloniales, l'Espagne n'entretient que des
relations peu importantes. Séparée du Meu-oc par une
distance de 1 5à 20 kilomètres, elle n'occupe dans le com-
merce général de ce pays que le troisième ou le quatrième
rang !
A 1 intérieur de la péninsule le commerce souffre en
GEOGRAPHIE L'NIVUSELIjE.
149
15
L'EUROPE
outre de l'insuffisance des moyens de transports et de la
cherté excessive des tarifs de chemins de fer.
L"Espagne compte seulement 1 4 800 kilomètres de voies ferrées,
soit 298 kilomètres par 10 000 kilomètres carrés contre 580 en
Italie, 762 en Autriche, 874 en France, 1 623 en Belgique, etc. Il
y a de vastes contrées, comme la province de Cuenca, où ne pénètre
pas le chemin de fer, où les routes existent à peine. Pas de com-
munications directes entre Huelva et Cadix, Malaga et Alméria,
Alméria et Carthagène Alicante et Valence, les ports de la Galice
et Santander, etc. De plus, les chemins de 1er, dune lenteur et d'une
irrégularité proverbiales, maintiennent des tarifs si élevés qu"ilséqui-
valent à la suppression pure et simple des transports à longue dis-
lance. Par exemple, à Barcelone, le blé du Danube venu
par mer coûte moins cher que le blé de Castille. Pour expé-
dier des oranges de Valence ou de Murcie à Bilbao il est
plus économique de les adresser d'abord en Angleterre, d'où
on le» réexporte ensuite à Bilbao ! Les Espagnols ne peuvent
guère consommer les produits agricoles de Valence, de Murcie el
de Malaga, à cause des tarifs de chemins de fer qui constituent une
barrière plus infranchissable que les tarifs de douane les plus élevés.
(D'après A. Marvaud, L'Espagne au X\' siècle.)
Enfin l'état arriéré ou embryonnaire de l'agriculture et
de l'industrie, le manque de capitaux, la pauvreté géné-
rale, ne sont point des facteurs favorables au développe-
ment d'activés relations commerciales soit entre natio-
naux, soit avec l'étranger. L'Espagnol qui produit peu
ne peut vendre ou acheter beaucoup.
Aussi n'est-il point étonnant que le chiffre total du com-
merce extérieur soit encore peu élevé. En 1913, il
dépassait à peine 2 500 000 000 de francs, soit 1 00 francs
par habitant (cf. en France 400 francs, en Belgique
I 200 francs), et consiste surtout : à l'importation, en
coton brut, machines, charbon, produits chimiques,
bois et denrées alimentaires ; à l'exportation, en mine-
rais et métaux, fruits, vins, cotonnades, liège, conserves.
huiles, légumes, etc. Ses ports, même les meilleurs
et les plus actifs (Bilbao 3 000000 de tonnes, Barce-
lone 4000000), Cadix, Séville, Gijon, Santander, ne
peuvent, faute de moyens de communications rapides
et économiques avec l'intérieur, prétendre à un bien
grand avenir. Enfin sa marine marchande (830 000 tonnes
en 1920) est insuffisante au point que plus des deux tiers
des marchandises importées ou exportées le sont par des
navires étrangers. Ajoutons que si des progrès réels ont
été réalisés depuis une dizaine d'années, notamment dans
le commerce des fruits, des vins, des conserves et des
minerais, ces progrès sont dus presque exclusivement
aux commissionnaires d'autres pays, anglais, allemands
ou français.
Depuis la guerre, nous ne possédons encore de chiffres précis
que pour I année 1919. D'après les statistiques anglaises, f Espagne
a acheté, cette année-là, pour 43375 000 livres sterling de
marchandises diverses, et en a vendu pour 52440 000 livres. Eln
pesetas, ces chiffres peuvent s'exprimer ainsi: 1000000 000
d'achat, 1 200 000 000 de ventes. La valeur des transactions n'a
donc que peu varié, mais la balance commerciale s'établit en
faveur des ventes, ce qui n'était pas le cas en 1913. Parmi les
produits exportés en 1919, le vin tenait le premier rang (7 822000
livres sterling). Puis venaient les autres denrées alimentaires : fruits,
huile, poissons, etc. (16 000000 de livres sterling), les cotonnades
(4 832000 livres sterling), la laine et les lainages (4 269000 livres
sterling), les animaux vivants elles cuirs (3669000 livres sterling),
les minerais, verres et poteries (3 000000 de livres sterling), les
métaux, manufacturés ou non (3 736000 livres sterling), etc.
Aux importations, les denrées alimentaires (blé, farine, produits
coloniaux) venaient en tête (8 582 000 livres sterling). Puis se
classaient l'or, en barre ou monnayé (7 362000 livres sterling),
fait significatif et qui montre l'importance des achats onéreux faits
à l'Espagne par des nations comme la France; le coton brut
(4814000 livres sterling), les machines (4 862 000 livres sterling),
les peaux, cuirs et autres produits animaux (3000000 de livres
sterling), les produits chimiques (3000000 de livres sterling), le
tabac (1 543000 livres sterling), etc.
CONCLUSION
L'Espagne est loin d'occuper dans le monde la
place qu'elle y pourrait tenir. Son armée compte peu
d'hommes, mais beaucoup trop d'officiers. Sa marine
de guerre est faible; ses finances, mal administrées, ont
peine à subvenir aux besoins les plus pressants, malgré
le poids croissant des impôts et l'augmentation. formi-
dable de l'encaisse or de la Banque d'Espagne, passée
de 567000000 de pesetas en 1914 à plus de
2 000000000 en 19i8. 11 y a beaucoup trop de fonc-
tionnai-es, beaucoup trop de " caciques" ou politiciens
de clochers, beaucoup trop d'illettrés et de paresseux.
Elle manque de moyens de communications, elle laisse
trop souvent aux étrangers le soin d'exploiter ses
mines, de créer des usines et des maisons de commerce,
d'exporter ou d'importer les objets qu'elle produit ou
150 :
dont elle a besoin. Enfin la perte de ses dernières
colonies tropicales : Cuba, Porto- Rico, les Philippines,
n'est pas compensée par ses récents essais d'expansion
africaine au Rio de Oro et au Maroc. Depuis une quin-
zaine d'années, pourtant, des efforts sérieux ont été faits
pour enrayer une décadence lamentable, et on peut espé-
rer que l'Espagne connaîtra bientôt la vigoureuse renais-
sance que méritent les rares qualités de ses fils.
Du haut des Pyrénées se découvre la noble
Espagne. C'est la tête de l'Europe. Sa gloire et sa
puissance ont subi de nombreuses révolutions. On l'a
vue plus d'une fois au bas de la roue de la fortune ;
mais jamais l'inconstance du sort, jamais la force ni
l'adresse ne sauront abattre ou flétrir les cœurs géné-
reux qu'elle enfante. " (Camoëns, Les Lusiades, 111).
L'ESPAGNE ET LE PORTUGAL
LA REPUBLIQUE PORTUGAISE
Portugal. — Superficie : 89 1 06 kilomètres carre's :
habitants : 3 335000.
Nous connaissons déjà les traits essentiels de la ge'o-
graphie physique du Portugal. Ce n'est pas.à proprement
parler, une région naturelle au même titre que les Castilles ou
l'Andalousie. Au Nord, les âpres montagnes qui couvrent
une partie des provinces du Minho, de Tras os Montes,
de Beira, sont le rebord occidental de la Meseta espa-
gnole et continuent les sierras de Galice et de Léon.
Ellles contrastent fortement avec les plaines côtières de
l'Estremadoure et de l'Alemlejo, de même que ces
plaines n'ont nen de commun avec la province monta-
gneuse de l'Algane. 11 existe aussi des différences sen-
sibles entre le climat oce'anique des pays septentrionaux,
aux pluies abondantes, a la riche verdure, et le climat
semi-tropical du Sud.
Les populations même présentent entre elles des dis-
semblances telles qu'un " type national " portugais n'a
pu s'établir. Au Nord, la domination arabe fut trop
courte pour prendre racine, et le type celtibère subit
peu d'altération. Au Sud, par contre, les croisements
furent nombreux et l'habitant de l'Algarve se rapproche
beaucoup plus de l'Andalou que du Bragançais.
Pourtant il se créa de bonne heure, sur cette
façade océanique de la péninsule, une nationalité nette-
ment distincte des autres. La ' recanquista ", partie
de la province du Minho et dirigée vers le Sud par
des rois, des chevaliers d'origine française, se fit en
même temps que la reconquista espagnole et dans
le même sens, mais tout à fait en dehors d'elle.
L idiome portugais, détaché vers le XIIl^ siècle du
tronc commun des dialectes romans, s'éleva peu à peu
à la dignité de langue littéraire, créatrice d'oeuvres
immortelles. Sans cesse menacé par l'ambition des
rois d'Espagne, le Portugal dut lutter durement pour
maintenir son indépendance, et le souvenir persistant
de ces luttes, la crainte vague qu'elles ne recommen-
cent encore, expliquent la défiance, l'antipathie instinc-
tive, la haine même qu'éprouve le Portugais pour son
voisin d'Espagne.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
AGRICULTURE, aa Bien que 46 pour 100
du sol soient considérés comme terrain improductif, le
Portugal est essentiellement un pays agricole. On peut
le diviser en quatre zones.
La première comprend les régions montagneuses du
.Nord et du Nord-Est : provinces du Minho, de Tras os
Montes et partie de la province de Beira. Le paysage
est mouvementé, le climat très variable, la végétation
abondante. Le pin, le chêne-liège, l'amandier, le
châtaignier, l'yeuse couvrent les pentes. Dans les plciines
on cultive le mais, le seigle.
La deuxième comprend tout le littoral, de Sétubal à
Lisbonne. C est une contrée de petites ondulations, for-
mée de terrains argilo-calcaires, d'aspect calme, au
paysage verdoyant, au climat tempéré. C'est aussi la
région la mieux cultivée, surtout en vignes (à Porto) et
en arbres fruitiers.
La troisième zone est formée par la province de
I Alemtejo et une partie de l'EUtremadoure. Région en
général plate, monotone. \i}\ pays ingrat, des steppes
baignées d une lumière aveuglante, un terrain très sec
où l'on cultive surtout l'olivier et le blé.
Enfin la province d'Algarve. très montagneuse,
réunit sur un étroit espace une grande variété de ter-
rains et de végétation. Le climat semi-tropical, le sol
riche conviennent à toutes les cultures : oliMers. aman-
diers, châtaigniers, orangers, vignes, mais la poduction
est faible par suite des procédés arriérés et c'a la faible
densité de la population.
De toutes les cultures la vigne est la plus répandue,
et le vin (7 500000 hectolitres), qu'il s'agisse du
Porto ou de vins de table ordinaires, constitue le
pnncipal article des échanges avec l'étranger. Le pays
souffre même d une surproduction que pourrait seule
enrayer une meilleure politique douanière ou la limita-
tion obligatoire des vignobles.
Les céréales : seigle et mais dans le Nord (ce dernier
formant la base presque exclusive de l'alimentation des
classes pau\Tes),blé dans le Centre, riz dans les plaines
côtières bien irriguées, ne suffisent pas à la consomma-
tion du pays. Le rendement moyen à l'hectare est faible
(8 à 10 hectolitres pour le blé) et l'irrégularité du climat
fait varier du simple au quintuple la production annuelle.
Les cultures de fruits, de légumes, de primeurs sont
loin d avoir 1 importance qu elles pourraient prendre.
Seul l'olivier donne lieu à une industrie oléicole assez
prospère et à un actif commerce d'exportation. Les
forêts, sans être bien nombreuses, car le Portugal a
souffert, comme tous les pays méditerranéens, d'une défo-
restation irraisonnée, couvrent cependant des espaces
proportionnellement plus vastes qu'en Espagne. De
plus, le gouvernement et les particuliers ont entrepris.
151
L'EUROPE
depuis quelques années, le reboisement méthodique de
certains districts. On exploite surtout le chêne-liège, le
pin pour les étais de mmes, et le chêne rouvre comme
bois de construction. L'élevage enfin, surtout celui des
moutons (3000000), des chèvres (936000), des porcs
( I 000 000) est une source de profits notables. L'âne
et le mulet rendent au Portugal les mêmes services
qu'en Espagne. Les bœufs (624000) trouvent dans les
pro\nnces du Nord le climat humide, les grasses prairies
dont ils ont besoin.
SOUS-SOL ET INDUSTRIES, aa 11 sem-
blerait, d'après certaines recherches récentes, que le sous-
sol du Portugal, sans ê;re proportionnellement aussi
riche, certes, que celui de l'Espagne, recelât des
gisements métalhfères étendus, mais le rendement actuel
est encore fort peu de chose. Quelques compagnies, la
plupeut étrangères, exploitent des mines de cuivre, de
plomb, de charbon, de fer, d'arsenic, etc., surtout dans
l'Algcurve et dans les districts de Beira, Aveiro, Evora
et Porto. Mais le nombre total des ouvriers employés
ne dépasse pas 2000 ! et ce chiffre suffit à indiquer le
peu d'importance des exploitations.
Quant à l'industrie, gênée par des règlements doua-
niers ultra-protectionnistes, elle végète sans plus et est
loin de suffire aux besoins locaux. La principale est
1 mduslne du coton qui occupe 30000 ouvriers environ.
Puis vieni ent les lainages ( 1 2 000 ouvriers), les tanneries,
la métallurgie, les tabacs, etc. Seule l'industrie des con-
serves ( 1 0000 ouvriers) est vraiment prospère, notamment
à Setubal, Espincho, et dans l'Algarve, grâce à l'abon-
dance du poisson sur les côtes portugaises et marocaines.
LE COMMERCE, ma Le développement de
ses côtes, la facilité d'accès de ses ports, sa situation
géographique à l'extrémité occidentale de l'Europe, qui
en fait le point le plus rapproché de l'Amérique,
expliquent la grandeur de l'histoire meiritime du Portu-
gal et la place qu'il occupe encore aujourd'hui dans la
navigation internationale.
Si l'on ne tient compte que du tonnage total des
entrées et sorties dans les différents ports de la Répu-
blique, on constate, en effet, que le Portugal occupe le
quatrième rang en Europe, dépassant la Russie, l'Es-
pagne, l'Italie, la Hollande, etc. De 1898 à 1916,
l'augmentation fut de 357 pour 100! la plus forte du
monde après celle du Japon (867 pour 100).
Mais ces chiffres ne doivent pas faire illusion. D'abord,
en effet, le pavillon national ne prend, qu'une bien petite
part à ce mouvement (9 pour 1 00 seulement) et la marine
marchande portugaise est en pleine décadence. Qa flotte
est fort peu nombreuse ( 1 03 OOO tonnes) et les navires
qui la composent n'ont qu'un tonnage très faible. De plus,
152-
les grands navires étrangers qui font escale à Lisbonne ou
Porto ne chargent ou déchargent qn'une quantité insigni-
fiante de marchandises. Ils embarquent surtout des passa-
gers et les derniers paquets de lettres venus par voie
ferrée. Comment en pourrait-il être autrement ? Le Por-
tugal est un tout petit pays, faiblement peuplé, sans
industrie, qui a peu de produits à vendre et moins encore à
acheter. Derrière lui, au lieu d'un hinterland riche, actif,
bien desservi, se dresse comme une barrière l'aride
Meseta espagnole. Le chiffre élevé du tonnage total n'est
donc point le signe d'une activité considérable, et le
bref stationnement aux quais des ports ne peut être la
source d'importants revenus.
La valeur totale du commerce extérieur qui atteignait,
en 1913, 26000000 de livres sterling, s'est élevée en
1919 à 77 000 000 de livres. Le Portugal achète de
la morue, du charbon, du caoutchouc, du coton brut, du
riz, des produits fabriqués. Il vend surtout du vin (plus
de 8000000 de livres en 1919), des peaux brutes,
des sardines, du liège, de la laine brute, de l'huile
d'olive et des fruits. 11 vend, du reste, beaucoup moins
qu'il n'achète (8000000 de livres sterling contre 18
en 1913, 25000000 contre 52 en 1919) et ce n'est
pas là une des moindres raisons de sa mauvaise situation
financière.
Le grand port est Lisbonne, une des rades les plus
sûres, les plus belles du monde. 11 absorbe à lui seul les
deux tiers des importations et le tiers des exportations.
C'est plus encore un port de transit qu'un port national.
Plus de la moitié des produits qu'il exporte, en effet, sont,
ou bien des denrées coloniales : caoutchouc, café,
cacao, provenant des colonies et du Brésil, ou bien des
articles manufacturés venus d'Europe et réexpédiés en
Afrique ou au Brésil. Beaucoup de passagers européens
embarquent ou débarquent à Lisbonne pour raccourcir
leur voyage en utilisant le plus possible les voies de terre.
Après Lisbonne se classent Porto et Leixoës, grands
exportateurs de vins, Setubal, Villa- Real, Vianna do
Castello, Aveiro, etc.
Le meilleur client du Portugal est l'Angleterre. Elle
absorbe 40 pour 1 00 des exportations et 33 pour 1 00 des
importations. Puis viennent le Brésil, et, loin derrière lui,
l'Allemagne, l'Espagne, laFrance,les colonies portugaises.
Enfin le commerce extérieur est gêné par l'insuffisance
et la cherté des moyens de communication. Malgré les
gros sacrifices faits par l'Etat depuis une soixantaine
d'années, il n'existe encore que 12000 kilomètres de
routes, et 2800 kilomètres de voies ferrées (soit 0 '"", 66
par 1 000 habitants, contre 9 kilomètres en France,
125 en Belgique), presque toutes à une seule voie.
POPULATION ET VILLES. 00 Le Portu-
gal est peuplé de 5 500000 habitants, environ, soit une
r^
^it^e>^
CéoCRAPHIE UNIVERSELLE PL. 10
L'ITALIE
densité moyenne de 35 habitants au kilomètre carré. Les
régions les plus peuplées sont celles du Nord. Une partie
del Elstremadoure et de l'.-\Iemtejo n'ont, par contre, qu une
densité très faible. L'augmentation est lente malgré la
fécondité des familles, à cause de l'émigration qui enlève
chaque année à la mère-patrie plus de 40000 de ses
enfants. La plupart des émigrants se rendent en Amé-
rique, surtout au Brésil. Très peu se fixent dans les
colonies portugaises où ils ne sauraient gagner leur
vie.
Il n'existe en Portugal que deux villes de plus de
100000 habitants. Ce sont Lisbonne (433000) et Porto
(194000). La première doit sa beauté non pas à ses
monuments anciens, ceu- la ville, sauf le célèbre couvent
de Belem, fut entièrement détruite par le tremblement de
lerre et l'inçendie en 1735. mais à son climat charmant,
à sa merveilleuse situation sur "' la mer de paille ", à la
riche végétation qui couvre les collines de Cintra, de
Cascaès et Terres Vedras. Porto est pittoresquement
situé sur les collines qui descendent vers' le Douro au
débouché des riches vignobles du Paiz de Vinho. Braga
(24000 habitants), le joli petit port de Vianna do
Castello. Bragance, qui donna son nom à 1 ancienne
famille régnante, Cuimaraës, Coimbre (20000 habitants),
anciennes capitales des rois de Portugal, Thomar, au
couvent fameux. Covilha. où l'on tisse la laine, et Sentarem,
au milieu de forêts d'oliviers, sont les plus notoires des
cités au Nord du Tage. Au Sud, les villes de l'Alemtejo :
Elvas, Beja, Evora, qui eut son époque de gloire et montre
encore avec quelque orgueil d'importantes ruines romaines,
sont de gros bourgs insignifiants. Le port de Setubal
(30000 habitants) a seul quelque activité. Enfin, sur les
pentes pittoresques et au fond des calanques de l' Algarve.
une série de petites villes ou de ports de pêche : Tavira,
Lagos, Sagrès mirent au soleil leurs maisons blanches
qu'ombrassent le» palmes.
CONCLUSION
Le Portugal souffre des mêmes maux que l'Espagne : inslabililc
du gouvernement, révolutions nombreuses, mauvaise administration,
caciquisme ", indolence cl paresse des habitants, manque d'ins-
truction (60 pour 100 environ desPortugaissont illettrés), pénurie cl
timidilé des capitaux, etc. Il a pu conserver jusqu'à nos jours une
part encore fort considérable de son immense empire colonial
(Madère, Açores, Ilesdu Cap-Veri, Guinée, Iles de Sao-Thoméet
Sao- Principe, Angola, Mozambique. Goa et Diu dans l'Inde. Macao,
Timor, en tout 2 065 375 kilomèlies carrés et 8 300 000 habitant»).
Mais ces possessions sont si mal administrées, et la métropole en
lire si peu de profits, qu'à diverses reprises il fut question de les
vendre. De plus, il semble que, même dans les classes dirigeantes, se
produise une sorte d'indifférence, de fatigue morale, de dégoût pour
l'action, de pessimisme aigu, de désespérance même qui aboutit
souvent au suicide, cl serait de nature à faire naître les craintes les
plus graves pour l'avenir de ta nation portugaise.
CHAPITRE X
LMTALIE
GENER.ALITES. £>£> Comme un pont gigan-
tesque jeté entre l'Orient et l'Occident, l'Italie s'allonge
de la Mer Ionienne aux Alpes. Des trois péninsules médi-
terranéennes elle est la moins étendue : 303000 kilo-
mètres carrés (Espagne 396856, péninsule Balkaniquc
450000 kilomètres carrés), mais la mieux placée, la plus
fertile, la plus peuplée, celle pour laquelle les dieux
semblent avoir réservé leurs grâces les plus singulières,
celle qui tint le premier rang dans l'histoire du monde.
Nul pays ne fut plus longuement . plus âprement convoité,
et cela se comprend, car il n en est point d autre, peut-
être, qui exerce sur l'étranger un plus fort attrait et qui.
si peu quon l'ait connu, inspire un désir plus ardent de
ne le point quitter.
L'Italie se divise naturellement en trois régions : con-
tinentale, péninsulaire, insulaire.
I_
L'Italie continentale est uhe vaste plaine fermée au
Nord et à l'Ouest par les Alpes, au Sud par l'Apennin,
et qui s'ouvre vers l'Est sur l'Adriatique. Ancien golfe
marin, surhaussé, puis comblé par les alluvions des cours
d'eau descendus des Alpes et de l'Apennin, elle se
rattache directement à l'Europe centrale non seulement
par sa situation géographique, mais aussi par son climat,
le régime de ses cours d'eau, sa végétation, son histoire,
le genre de vie que l'on y mène. Elle possède une partie
notable des chaînes alpines. Elle a donc sa pari de gla-
ciers, de hautes prairies d'été, de torrents abondants
nourris par les neiges et les pluies alpestres. Elle a,
comme la Suisse, ses beaux lacs aux eaux bleues, ceints
de moraines anciennes. Si les étés sont plus chauds qu'à
Montpellier, les températures hivernales sont inférieures
à relies de Pans,, et rien dans la végétation (sauf quelques
' 153 -
L' EUROPE
exceptions nettement localisées) ne rappelle la flore
méditerrane'enne. Du reste, habite'e primitivement par
des populations de race celtique, elle fut longtemps con-
sidérée comme distincte de l'Italie proprement dite et
porta le nom caractéristique de Gaule Cisalpine. Cest
elle que Allemands, Autrichiens, Français se disputèrent
le plus âprement. C'est chez elle qu'ils demeurèrent le
plus longuement installés. Et c'est elle qui, depuis le
" Risorgimento ", favorisée par un contact direct, par
des communications sans cesse accrues avec les grands
États de l'Europe centrale et occidentale, s'est déve-
loppée, s'est industrialisée, s'est enrichie avec le plus de
promptitude et de succès. Turm, Milan sont les plus
eurof)éennes, ou plutôt les moins italiennes des grandes
villes d'Italie, et le Français venant de Lyon, par
exemple, y trouve une atmosphère, une activité, des
préoccupations analogues à celles qu'il connaît chez lui.
Il n'est point jusqu'à la couleur des cheveux et des yeux
(notable proportion de blonds aux yeux bleus), jusqu'à
la langue même (usage de \'u français ou allemand, de
diphtongues nasales dans le dialecte piémontais) qui ne
marquent ce caractère européen de l'Italie du Nord.
L'Italie péninsulaire et insulaire est, au contraire,
essentiellement méditerranéenne.
L'Apennin forme l'ossature de la presqu île et de son
prolongement naturel, la Sicile.
C'est une chaîne jeune, lormée de terrains tertiaire et secondaire,
qui se moulèrent sur le rebord oriental d'un ancien continent comme
le Pinde balkanique se moula sur l'ancienne Egéide, ou la Sierra
Nevada sur le *' Horst " castillan. Cet ancien continent, la Tyrrhé-
nide des géologues, est aujourd'hui en grande partie disparu, et a
fait place aux fosses profondes de la Mer Tyrrhénienne. Seules,
les roches primitives de la Corse, de la Sardaigne, de la pointe
orientale de Sicile, du massif de Sila, sont les témoins encore
debout de son ancienne extension.
Peu de plaines, et petites comme en Grèce ; partout
le moutonnement des collines ou les pentes pittoresques
des monts étages. Grâce à l'étroitesse de la péninsule
frappée de toute part par les vents marins, grâce a
l'absence de hauts plateaux intérieurs, il y pleut, en
moyenne, beaucoup plus que dans les presqu'îles Ibé-
rique ou Balkanique. Mais on y trouve partout le ciel
lumineux, l'atmosphère pure, l'absence de brouillards,
les tièdes hivers, les longs étés chauds et secs propres au
climat méditerranéen. Le régime des eaux courantes
(petits fleuves côtiers rapides, très irréguliers, tour a
tour presque desséchés ou roulant des flots d'eau trouble,
chargée de limons qu'ils déposent à leur embouchure),
est analogue au régime de nos rivières provençales, des
fleuves grecs, des ouaddys algériens. L'olivier, l'arbre
caractéristique des terres méditerranéennes, couvre les
plaines et les coUines, mêlé à nombre de plantes toujours
vertes. Le citronnier, l'oranger mûrissent leurs fruits de
Gênes à Syracuse.
Le volcanisme et son corollaire habituel : les trem-
blements de terre, a peu près absents de l'Italie conti-
nentale, jouent, au contraire, le premier rôle dans la
péninsule. De la Toscane à la Campanie, des masses
de tufs, de laves anciennes, flanquent les bases occiden-
tales de l'Apennin et constituent la majeure partie des
plateaux toscans, des plaines et des collines du Latium
et de Campanie. Les éruptions du Vésuve, de l'Etna,
du Stromboli ne marquent que le stade présent d'une
activité volcanique fort ancienne. Les tremblements de
terre, habituels aux rives de la Méditerranée, cette
fosse profonde, ce point faible de l'écorce terrestre,
atteignent, dans l'Italie méridionale et en Sicile, leur
maximum de fréquence et d'effets destructifs.
Enfin, SI les rapports naturels de l'Italie continentale
se sont toujours établis, volontairement ou non, avec les
pays de l'Europe centrale, ce sont les régions méditer-
ranéennes qui entretinrent de tout temps les plus étroites
relations avec la péninsule et les îles qui l'accompagnent.
Dès le VIÎI^ siècle avant J.-C les premiers colons grecs
vinrent s'établir sur les rivages de Sicile, de Calabre, de
Campanie. Agrigente, Syracuse, Catane, comme Sybaris,
Tarente, Naples, Cumes furent, pendant des centaines
d'années, les capitales de la Grande Grèce ". Même
au centre de la péninsule, les Etrusques furent en rapports
constants avec l'Hellade. Plus tard, les Arabes fon-
dèrent en Sicile des établissements durables, avant que
les Aragonais vinssent mettre la main sur le royaume
de Naples. Encore aujourd hui, les communications sont
peu commodes entre Italie du Nord et Italie du
Sud.
La température, la manière de vivre, les dialectes ont
des caractères spéciaux. Tandis que, par exemple, entre
Français du Nord et Français du Midi, la pénétration
est intime et constante, il est relativement très peu de
Piémontais, de Lombards ou de Vénitiens qui connais-
sent la Calabre, la Sicile, les Pouilles. Quant à la Sar-
daigne, les Italiens du continent avouent eux-mêmes
qu'elle est une sorte de terre vierge, inconnue et trop
longtemps délaissée.
Ainsi l'Italie, bien que séparée de l'Europe par de hautes mon-
tagnes et paraissant constituer une unité géographique parfaite, se
divise cependant en régions naturelles nettement individualisées. A
la différence essentielle qui sépare l'Italie continentale de l'Italie
péninsulaire, s'ajoutent, en effet, dans le corps même de la pénin-
sule, des divisions locales imposées par la nature. La Toscane.
l'Ombrie, les Marches, le Latium, les Fouilles, la Campanie, la
Calabre ont chacune leurs caractères particuliers et cette diversité
même, aggravée par la difficulté des communications entre Nord et
Sud, Est et Ouest, explique ce que fut l'histoire de l'Italie, et
pourquoi l'unité politique s'y réalisa si tardivement. Elle justifie du
mcme coup la nécessité où l'on se trouve, si l'on veut avoir une
idée exacte et claire de ce que sont vraiment les régions italiennes,
de consacrer à chacune d elles une étude particulière et comme
une sorte de monographie.
154
L' ITALIE
L'ITALIE CONTINENTALE
LES ALPES. 00 Que l'on arrive de France.
I de Suisse ou d'Autriche, on ne parvient en Italie qu'en
franchissant la barrière des Alpes.
Les massifs alpestres, qui, suivant une convention
communément adoptée, se séparent de I .Apennm
Ligure au col de Cadibonne, décrivent autour de la
plaine Padane un double arc de cercle. Le premier va
des Alpes Maritimes au lac de Garde, le second du lac
de Garde aux plateau.\ du Carso.
Dans la première partie, peu d heures suffisent, la
ligne de crêtes franchie, pour gagner la plaine. L'effon-
drement de la dépression piémontaise et lombeu'de, en
effet, a fait disparaître cette série de massifs et de chaînes,
formes en majorité de roches secondaires et tertiaires,
qui, en France et en Suisse, s'étalent sur 300 kilomètres
de large et constituent lesPréeJpes. C'est le cœur même
du plissement sJpin, où dominent les granits, les gneiss
et autres roches anciennes, qui surplombe imme'diatement
la plame. Aussi l'Italie ne possède-t-elle qu une faible
partie des hauts massifs : le V'iso (3863 mètres), le
Grand Paradis (4 061 mètres), les flancs méridionaux du
mont Blanc et des Alpes Pennines. A l'Est du lac de
C'ôme, au contraire, les chaînes subalpines, qui flanquent
les massifs cristallins centraux, se sont conservées au Sud
comme au Nord de l'Ortler, de l'Oezthal. des Tauern.
Aux Alpes calcaires de Bavière correspondent les Alpes
du Bergamasque (2 911 mètres). l'Adamello (3 561 mè-
tres), les Alpes Dolomitiques du Tyrol. célèbres par
leurs (ormes étranger, leurs pics déchiquete's. les teintes
éblouissantes de leurs roches blanches que le soleil
couchant illumine de rose tendre, de violet, de rouge
pourpre ; les Alpes du Cadore. enfin, et les Alpes
Carniques qui, par les Alpes Juliennes, se confondent
peu a peu avec les plateaux du Carso et les rides pa-
rallèles des monts Dalmates.
Tandis que. à l'Ouest, les vallées alpestres italiennes
n eurent point I ampleur nécessaire pour donner nais-
sance a des groupements humains indépendants et
vivant de leur vie propre, au Centre et à l'Est les larges
vallées du Tessin, de l'Adda. de l'Adige virent se
constituer des unîtes ethniques qui ont conservé jusqu'à
nos jours leur individualité : canton suisse du Tessin.
Valteline, Trenfin et Tyrol italien. Ces vallées ont joue
dans 1 histoire un rôle important. Les races germaniques,
latines, slaves même s'y heurtèrent et s'y disputèrent la
pre'éminence. Encore aujourd'hui, si les victoires de la
Grande Guerre ont rendu à l'Italie l'entière vallée de
l'Adige, si longtemps possédée par la Bavière, puis par
1 Autriche, la Suisse conserve le canton du Tessin et
pousse sa trontiere jusqu'aux abords de Côme. à moins
de 10 lieues de Milan.
Cette disposition et ces variations mêmes des limites
politiques prouvent que les Alpes, malgré leur largeur,
leur altitude, l'ampleur de leurs glaciers, de leurs neiges
éternelles, ne constituent pas une barrière fort difficile
a franchir. Sur les deux versants, les têtes des vallées
opposées se rencontrent à brève distance et communi-
quent par des cols d'accès assez aisé en tout temps.
Aussi, depuis Tcpoquc préhistorique, une circulation régulière
s'établit. Peup'es migrateurs, commerçants, armées romaines, car-
thaginoises, germaniques, françaises, autrichiennes, allongèrent leurs
colonnes vers les passages, les " Monts ". où les bonnes roules
carrossables remplaçaient peu à peu les sentiers muletiers. De nos
jours, les progrè» de la technique ont permis aux voies ferrées de
frnachir à leur tour ce rude obstacle. A l'Ouest, par les cols de
Tende (I 873 mètres), de Largenlière (I 870 mètres), du mont
Genèvre (I 864 mclrcs). du mont Cenis (2 030 mètres), du Petit
et du Grand Saint-Bcr.;ard (2 I 57 et 2 472 mètres), par le» voies
ferrées de 1 ende et do Fréjus (tunnel dit du mont Cenis, 13 052
mètres), loules les voies de communications convergent ralurelle-
mcnt vers Turin. Au Centre, les roules et les chemins de fer du
Simplon (tunnel de 19 531 mètres), du Saint-Golhard (tjnncl de
14 943 mètres), les cols du Splugen (2 117 mètres) et de la
Malola (I 811 mètres), le col et le tunnel du Bernina (2 330
mètres), la route du Stelvio (2 756 mètres, la plus haute route
carrossable de l'Lurope) mènent à Milan par les vallés du Tessin
cl de l'Adda. A l'Est, le Brenner (I 362 mètres) est emprunté
par la roui; cl la voie frrrée qui, venant d'innsbruck, dévalent
sur Vérone par la vallée de l'Adige, tandis que Venise communique
avec Vienne par la route et la voie ferrée du Tar\'is (816 mètres),
auxq elles se joignent les lignes parties de Triesie et de Fiume par
Lljubljana et Graz.
Nous verron plus loin de qutlle importance fut. pour la vie éco-
nomique de l'Italie, la multiplication de ces grandes artèr?s trans-
alpines.
APENNINS. 0 0 \^3. bordure méridionale de la
plaine Padane est formée par 1 Apennin Ligure et
l'Apennin Toscan qui, du col de Cadibonne à Rimini
sur l'Adriatique, allongent en direction Nord-Ouest-
Sud-Est leurs croupes de serpentine, de marne et de
calcaire. La pente, brusque sur le versant Sud, est
modérée sur le versant Nord, et c'est par une série
d'ondulations maigrement boisées que. des crêtes du
Penna (1 732 mètres), du Succiso (2017 mètres), du
Mont Cimone (2 163 mètres), on gagne les plaines de
Romagne. L'Apennin constitua longtemps une véri-
table barrière entre la Gaule Cisalpine et l'Italie pro-
prement dite. Les armées d'Annibal le franchirent
avec difficulté, et la Voie Emilienne dut le contourner
par 1 Est. De nos jours encore routes et voies ferrées
n'y sont j^as nombreuses. Les principales empruntent
I7J
L'EUROPE
les cols de Cadibonne (490 mètres), de la Bocchetta,
(775 mètres), du Giovi (470 mètres) qui mènent de
Savone et de Gênes à Turin et Milan, le défilé de
Ponlremoli ou de la Cisa entre Spezia et Pctfme, le col
de la Poretta qui conduit de Florence a Bologne.
LA PL.AINE. aa Longue de plus de 400 kilo-
mètres, large dune centaine de kilomètres en moyenne,
la plaine s'étend du pied des Alpes et de l'Apennin
jusqu'à l'Adriatique et aux plateaux du Carso. Cest
une sorte d'immense delta analogue aux plaines du
Gange ou du Hohang-Ho. de pente insensible, d'une
horizontalité presque absolue, où les routes ne rencontrent
d'autres obstacles que les rives incertaines des fleuves.
Au pied des Alpes, une zone de transition est ména-
gée, sur ceriams points, par les moraines des glaciers
anciens qui remplissaient les vallées alpestres. Telle est
l'origine des collines pierreuses d'Ivrée. au débouché
du val d'Aoste, des ondulations de la Brianza près du
lac Majeur, de l'amphithéâtre de mamelons qui ceint
le lac de Garde et que domine la tour de Soiférino. A
l'Ouest, les riantes collines du Montferrat, couvertes de
vignes, de taillis de châtaigniers, coupées de vallons
ombreux, éperon détaché de l'Apennin par la faille
profonde du Tanaro. forment une sorte d'île que le Pô
contourne sans pouvoir l'entamer. A l'Est, entre Vicence
et Padoue, les monts Berici (419 mètres) et Euganei
(586 mètres), dont les pittoresques ondulations sedetachenf
en bleu sombre sur le gris argenté des plaines noyées de
brume, sont de très anciens volcans qui jaillirent, avant
même la nciissance des Alpes, sur le bord de l'effondre-
ment Adriatique. Sauf rares exceptions, leurs formes pré-
sentes ne décèlent plus guère leur origine. Elle se manifeste
cependant peu' les sources thermcdes et gazeuses qui
jaillissent à leurs pieds. Les jets d'hydrogène (fontaines
ardentes), les volcans de boue (" bombi " de Querzola,
de Nirano, de Sassuolo), que l'on observe sur les der-
nières pentes de l'Apennin entre Modène et Faenza.
s'expliquent de la même façon.
LE CLIMAT. 00 Le climat de la plaine est net-
tement continental. La ceinture des Alpes, et surtout de
1 Apennin, s'oppose à l'influence adoucissante des vents
marins. L'hiver est long et froid. On a constaté des
minima absolus de 18° à Alexandrie, de 1 5 à Turin, de
12 à Milan, et la moyenne de janvier à Turin (0°,2) et
Milan (0°,5) est la même que celle de Nancy. Venise,
même, aux rives de l'Adriatique, n'a pas une moyenne
de janvier supérieure à celle de Paris (2°,7), et le thermo-
mètre peut y marquer 9 et 10 degrés sous zéro. Par
contre, les étés y sont brûlants. En juillet, il fait.à Milan, à
Vicence, à Bologne, aussi chaud qu'à Palerme (24°,7 à
Milan, 25''.5 à Bologne). Et cette chaleur est rendue
fort pénible par l'instabilité de la pression, l'état constam-
ment orageux d une atmosphère chargée d'électricité,
surtout 1 humidité de l'air qui donne l'impression de vivre
dans une serre surchauffée. II pleut, en effet, abondam-
ment et en toute saison dans la zone alpine et subalpine
ou la région des lacs, celle du Frioul, reçoivent plus de
l'",50 d'eau (Lugano P\57, Udine 1 '",55), Milan.
Brescia. Vérone, plus de 1 mètre. L'Apennin Ligure et
i Apennin Toscan ne sont pas moins arrosés. La quan-
tité d eau qui s'abat sur le centre de la plaine n'est pas
aussi forte, mais cette diminution est compensée par
I évaporation des rivières, des lacs, des canaux. Aussi
ne faut-il point chercher en Lombardie ou en Vénétie
les beaux ciels purs, l'atmosphère nette et transpa-
rente, les horizons lumineux que l'étranger mal informé
s attend à trouver partout en Italie. Certes les beaux jours
ne sont pas rares, soit en été pendant la brève période
qui suit une averse d'orage, soit en hiver où le froid
est vif mais sec, et, pendant ces beaux jours, la lumière
nne, nuancée, caressante, qui inspira tous les peintres
de Venise, est d'une émouvante séduction. Pourtant
beaucoup plus nombreuses apparaissent les journées grises
où la plaine se noie déms une mer de brouillard, où des
semaines se passent sans qu'apparaissent dans le lointain
la crête des monts.
Seule la mince lisière où se logent les lacs à des con-
ditions climatiques un peu différentes. Protégées contre
les vents alpestres par de hautes parois rocheuses, sou-
mises à l'influence adoucissante des eaux, les rives des
lacs Majeur, de Côme, de Garde ont des hivers plus
doux, des étés moms pénibles que la plaine qui les pro-
longe. L'olivier, l'amandier, le citronnier même y mûrissent
leurs fruits. C'est, pour qui vient du Nord, une sorte de
témoin avancé du monde méditerranéen et comme le
premier sourire, vite évanoui, d'une nature nouvelle.
LES FLEUVES ET LES LACS. 00 Le Pô
draine à l'Adriatique la majeure partie des eaux de
l'Italie continentale. Long de 672 kilomètres, il naît au
pied du Viso, arrive très vite en plaine et, en décrivant
des méandres nombreux comme tous les fleuves de
plaine, il s'achemine avec lenteur vers la mer. Sa lar-
geur, qui atteint 900 mètres à Crémone, 1 300 à Guas-
talla, se réduit plus loin à quelques centaines de mètres.
II roule en moyenne 1 750 mètres cubes d'eau, presque
autant que le Rhône à Avignon, moyenne considérable
si 1 on songe au peu d'étendue de son bassin (70 000 kilo-
mètres carrés). Le fleuve reçoit, en effet, le tribut des
pluies, des neiges, des glaciers des Alpes par tout un
cortège d'affluents. Le Tanaro grossi de la Stura, le
Chisone, la Maira, la Doire Ripaire venant d'Alpes
moins hautes et moins froides, n'ont qu'un débit assez
restreint. Mais la Doire Baltée. la Sésia sont nourries
I3t>
L'ITALIE
LAC DE COME : BELLAGGIO. Aux lacs suiues corrapondeni, sur le versant
méridional des Alpes, les lacs italiens (Majeur, de Lugano, de Côme, de Garde), nés
au débouché des principales vallées, dans de profondes euvclles que barrent des cirques
de moraines anciennes. Un magnifique amphilhcàlre de montagnes se mire dans leurs
eauxcalmes elleurs rives ensoleillées Ocrdoyantes, audoux climat, où mûriaeni Volive
et le citron, n'ont point cessé, depuis les tanps antiques, d'attirer les hommes. Bellaggio
est la plus fréquentée des villégiatures qui s'échelonnent aux abords du tac de Côme
trafersé par l'AdJa. CL BoulanCCB.
PAYSAGE DU TYROL ITALIEN. Cette magnifique photographie donne une idée
très complète des divers tvPcs de pat/sages que l'on rencontre dans le Tyrol italien :
au premier plan, un grand Christ en bois tcvhté, tumbole de la foi naiit et profonde
du montagnard ; — pm'i des ùrairies dont Chethe t'engrange dans un chalet de boit.
— Ausecond plan, des forêts de mélèzes, splendïda quand elles te vêtent des teintes
rousses « i automne ; derrière le rideau des arbres te dissimulent les alpages, ou pâ-
turages dcté; enfin, barrant l'horizon, les parois verticales, les arêtes déchiquetées
des Dolomites' CI. SltNGEL.
157
— L'EUROPE
LE MONT VERMEL. L'une des deux cimes de la Marmolata, magnifique bel-
védère des Alpes Dolomitiques, dont le point culminant atteint 3. 344 mèlres. L'an-
cienne jrontièTe austro-italienne suit exactement la crête de ces montagnes qui
maintenant appartiennent en entier à l'Italie.
LA VALLEE DU PIAVE. La vue est prise au point où le fleuve se dégage de
l étreinte des monts et débouche sur la plaine Padane. Là se livra le dernier et vic-
torieux assaut mené par les troupes franco-italiennes contre les A ustro- Hongrois.
(Notez le pont coupé et les villages en ruines ) ^
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UNE FERME PRES DE VICENCE. Dans les plaines
merveilleusemenl fécondes qu irriguent le Pô et ses affluents.
les bâtiments agricoles revêtent souvent un aspect monu-
mental où survit la tradition romaine. CL Grancer
LAIVALLÉE DE L'ISONZO
marque à peu pris la limite entre
la plaine Padane et les plateaux du
Carso. Cl. Chusseau-Fla VIENS.
PAYSAGE DANS LES MONTS BERICL Gra-
cieuses collines dominant la plaine de l^icence, les monts
Beri ci s'ornent d'une rare parure de villas, de sanctuaires
et incelant au milieu des graruis arbres. CI. GranCER.
1
A»; -J^H~^^HB^^^^H. ..'. 'H^^^H
h^.^^M
^i-'.^^^..-^J^^:it^^^^
''^KH^Ê
».^
t-lo.VL : LES QL.-.! . . Grande Guerre, Fiume, au fond du golfe du
Qaarnero. était un port ncn§rois. en plein essor, qui rivaltsatl avec l'autrichienne
. r;<si>. ^fais sa population se compose presque uniquement d'Italiens et de Slaves.
Aussi, aarès d>i multiples péripéties, en a-t-onjait une petite République autonome.
GOUFFRE DE LA TROIBA. La victoire a donné a l'Italie la presqu'île d'Iilrie
et les plateaux du Carso dont les calcaires perméables sont troués comme une écu-
moire par une multitudé-de gouffres et de dépressions appelles dolines ou poljés,
où se perdent les eaux. Cl. AlOIS BeER.
158
L'ITALIE
par les glaciers du Grand- l^aradis, du moni Blar.c. du
mont Rose. Le Tessin, qui concentre les eaux des
Alpes Pennines. du Saint-Gothard, de l'Adula, peut se
comparer par la masse d'eau qu'il de'bite aux prmcipaux
fleuves de l'Euroiie occidentale. L Adda. venu de
I rOrtler, est à peine moins puissant. L'Oglio. alimenté
par les glaciers de l'Adamello. le Mmcio, déversoir du
lac de Garde, complètent la série des grands affluents
alpestres.
Une partie de ces rivières sont heureusement régula-
risées par les lacs qu'elles traversent. Cependant, si le
Mincio varie peu et " coule d'un flot toujours tranquille
et pur sous les noires arcades de Peschiera ", la quan-
tité d'eau qui se déverse parfois dans les lacs de Ccme et
Majeur est telle que leur niveau peut s'élever de plu-
sieurs mètres et que le débit du Tessin et de l'Adda peut,
à leur sortie, varier dans la proportion de I à 80 (de
16 mètres cubes à 817 pour l'Adda. de 50 à 4 000 pour
le Tessin).
Beaucoup plus irréguliers encore sont les affluents
, venus de l'Apennin : Trebbia. Taro, Secchia, Panaro,
\ à sec en été. torrents furieux après une pluie d'orage,
" tour à tour bénis pour leurs ailuvions fertilisantes ou
mau'lits pour leurs crues dévastatrices ".
De là le régime du Pô. l'amplitude considérable de
ses variations (de 156 à 5000 mètres cubes), la masse
formidable d'alluvions (46000000 de mètres cubes)
qu'il entraîne annuellement vers la mer et qui lui servent
à pousser toujours plus avant son immense delta. De là
les précautions que l'homme a dû prendre depuis la plus
haute antiquité pour limiter les inondations, assécher les
marécages des terres basses, régulariser l'écoulement
des eaux.
Commencée par les Etrusques, continuée pendant toute l'époque
romaine, un moment compromise à la suite des invasions barbares,
celleœuvre colossale (ut reprise au Xll' siècle et ne s'est plus arrêtée
depuis lors. Un système complet de digues accompagne le Pô cl se^
df6uenls. Elles ont, il est vrai, l'inconvénient d'obliger les cours
d'eau à déposer dans leur lit même une par lie des ailuvions qu'ils
ne peuvent plus disperser sur une aire très vasie d'inondation. Le lit
s'exhausse peu à peu et son niveau finit par être supérieur à celui
des terres environnantes, danger redoutable en cas de rupture. Mais
ce danger, du reste prévu et paré dans la mesure du possible par
des contre-digues, tics canaux d'écoulement, etc.. est peu de chose en
comparaison des avantages obtenus ; conquête à la culture de mil-
lions d'hectares, protection assurée aux villes et aux campagnes,
constitution d'un réseau navigable, fort peu utilisé jusqu'à nos jours,
mais qui va l'être dans un délai assez bref (projet Milan- Venise).
A ces travaux de protection s'en ajoutèrent d'autres destinés à
tirer parti de l'action fertilisante des eaux par la construction de
canaux et rigoles d'irrigation. Il en existait déjà au lemps de Vir-
gile, comme en témoigne ce vers dctCéorgiquei : "ClauJitc jam riï'os,
pueri, sal prala bikeruni, — fermez maintenant les rigoles, enfants,
les prés ont assez bu ". Mais c'est à partir du X:i^ siècle surtout que
se multiplièrent les travaux de ce genre. Le Naviglio Grande, du
Tessin à Milan, est contemporain de Frédéric Barberousse; le
tanal de la Martesana. qui relie l'Adda à Milan, le Naviglio
Inlerno furent creusés sous Ludovic le More et François Sforza.
Le canal de Milan à Pavie date de la période napoléonienne. Le
cinal Cavour, achevé en 1863, arrose la Lomellina entre Chivasso
^ur le Pô et Turbigo sur le Tessin. Une série d'autres artères
d'importance moindre, répandent, par une multitude de rigoles. les
eaux empruntées aux rivières ou aux canaux principaux. Du Pié-
mont au Frioul, il n'est pas un seul domaine peut-être qui ne pos-
sède son large fossé d'irrigation ou d'assèchement : et l'on voit, tout
le long des routes, à l'ombre des haies épaisses de saules cl de peu-
pliers, courir les eaux silencieuses.
Le domaine du Pô est complété par celui des fleuves côlicrs de
N'énétie : Adige, Brenta, Piave, Livenza, Tagliamento, Izonzo.
L'Adigc, venu de l'Oczlhal, draine les eaux de tout le Tyrol méri-
dional. Long de 410 kilomètres, il roule en moyenne 500 mètres
cubes d'eau; mais, lors de la fonte des neiges ou après les pluies
d'automne, son débit peut atteindre 2 500 mètres cubes à la seconde.
Les autres, beaucoup plus courts. dévalent en pente forte des Alpes
Dolomitiques. Carniques et Juliennes, où la hauteur des pluies
dépasse partout l'''.50 cl atteint par endroits 2"'. 50. Très irré-
guliers, coulant dans de larges lits semés d'iles, aux rives constam-
ment changeantes, ils enlrainent dans leurs crues subites, parfois
dévastatrices, une masse énormcd'alluvions qui complèlcnl l'œuvre
de colmatage accomplie par le Pô.
LES COTES. t)£l Le caractère des fleuves et l'his-
toire même de la plaine Padane exphquent 1 aspect pré-
sent des cotes italiennes de l'Adriatique entre Trieste et
Rimini. C'est le type de la côte lagunairc en voie d'ac-
croissement constant. Les sables et les boues charriées
par les fleuves continuent le comblement lent de l'ancien
golfe Adriatique. Ils prennent, sous l'action de la marée
assez forte (I mètre), la forme de dunes allongées, les
lidi ". Derrière les dunes s'étalent des lagunes peu pro-
fondes, les " palui " ou valli ". qui se transforment en
marais saumâtres couverts de roseaux, puis s'assèchent,
se comblent, et sont enfin conquis par la culture. Depuis
l'époque romaine la terre a gagné une bande de sol qui
varie de 5 à 20 kilomètres de large. Ravenne Adria se
trouvaient alors auxrivesmêmes d'une mer dont plusieurs
kilomètres les séparent aujourd'hui, et l'on voit encore,
fort loin des eaux marines, s'allonger a travers les cam-
pagnes les digues naturelles constituées par les dunes d'au-
trefois.
Les lagunes de Venise-Chioggia. de Commachio.
auraient en grande partie disparu si l'on ne s'était de très
bonne heure préoccupé de les préserver par des travaux
appropnés : maintien de chenaux libres ( gradi ". porli ")
donnant accès aux eaux marines, détournement des
rivières comme la Brenta, protection des ' lidi " par
des palissades ou des murs, etc. Ainsi Venise maintient
sa position insulaire et son activité mantime, tandis que
Ravenne, parexemple, autrefois construite comme Venise
sur pilotis le long de canaux étroits, Ravenne, station
navale de l'Empire romain, est aujourd'hui une vieille
cité morte séparée de la mer par les solitudes mélanco-
liques de sa ' Pineta ".
159
ctoCRXPHIE liNIVEIISaj.r.
16
L'EUROPE
RESSOURCES AGRICOLES. 00 Lorsque,
audébouchédu mont Cenis, du Saint-Gothard, duStelvio,
le voyageur arrive dans les hautes vallées alpestres du ver-
sant italien, il est surpris par l'heureux contraste que forment
ces vallées avec celles qu'il vient de quitter. Sous un ciel
plus riant, un soleil plus chaud, les cultures se sont déve-
loppées aux dépens des pâturages. Certes, dans la zone
supérieure à 1 200 ou 1 500 mètres, la vie pastorale
domine et les villages alpestres du Piémont, du Berga-
masque, du Tyrol, du Cadore, éparpillent leurs chalets de
bois au milieu des prairies, dans les clairières des forêts de
sapins. Mais les champs de céréales, soutenus par des murs
de pierres sèches, s'étagent jusqu'à 1 500 métrés et la
vigne mûrit ses fruits jusqu'à plus de 900 mètres. Tan-
dis que le maïs et le mûrier s ifismuent fort avant dans
les vallées ouvertes, le châtaignier garnit les pentes des
avant-monts. L'olivier même et l'amandier, auxquels le
citronnier s'unit par endroits, apparaissent dans la zone
particulièrement favorisée qui s'étend du lac Majeur au
lac de Garde. Mais ce n'est là qu'une exception, et les
rudes hivers de la plaine limitent étroitement à la région
des lacs cette timide apparition d'une végétation propre-
ment méditerranéenne.
Cette plaine apparaît, des dernières collines alpestres,
comme un immense et verdoyant damier, semé de
fermes, de villages aux campaniles roses, qui se perd au
loin dans les brumes bleuâtres de l'horizon et dont le
trait caractéristique est constitué par des rangées recti-
lignes d'arbres peu élevés. Si nombreux sont ces arbres
qu'ils donnent de loin au paysage entier l'apparence d un
bois continu. En fait, les forêts, les boqueteaux même
ont depuis longtemps disparu d'un sol dont la surface
entière est mise en culture. Mais des haies épaisses de
peupliers, de saules, de platanes bordent d'un vert rideau
toutes les voies de communication et les innombrables
rigoles d'irrigation. C'est entre deux murs de verdure,
aux rares échappées, que courent les routes, que zig-
zaguent les chemins, et, ce mur franchi, ce sont encore des
rcmgées innombrables d'arbres ététés, mûriers et ormeaux,
que l'on voit alterner avec régularité, reliés entre eux par
les guirlandes des vignes ' in filari ". Si fécondes appa-
rjiissent ces noires terres alluviales que la mise en jachère
n'existe point et que les cultures se succèdent sans arrêt.
Bien plus, comme dans les oasis sahariennes, plusieurs
récoltes se superposent et mûrissent à la fois; car, au-des-
sus du ma'is, du blé, des luzerniéres, la vigne suspend
ses grappes elles-mêmes protégées contre la brûlure du
soleil par les feuilles du mûrier.
Prairies (en Piémont surtout et dans toutes les régions
particulièrement humides), ma'is, dont les habitants con-
somment la farine sous forme d'une sorte de gâteau mal
cuit, la polenta ", blé, vignes (les meilleurs crus : Asti,
Barolo, Barbera, se récoltent dans les collines du
Montferrat), mûrier pour l'élevage des vers à soie, tels
sont les produits principaux de la plaine Padane. 11 faut y
ajouter le riz, de qualité supérieure, que les facilités d'irri-
gation et la grande chaleur des étés permettent de culti-
ver dans toute la basse Lombardie (Pavie), dans une
partie du Piémont (Verceil, Novare),etdansles ' golènes "
du Pô ; le lin (Crémone), le chanvre, très répandu dans
le Bolonais, la betterave à sucre, en grand progrès dans
les plaines d'Emilie.
RESSOURCES INDUSTRIELLES. 00 L'Ita-
lie continentale n est pas seulement merveilleusement
abondante en produits agricoles, elle est aussi le centre des
industries les plus florissantes et qui se développent avec
le plus de sûreté.
Cette industrie est de date ancienne, du reste. Les den-
telles, les glaces de Venise sont célèbres depuis des
siècles. Au temps des Visconti, les manufactures de Milan
(armes, soies, lainages) acquirent une renommée euro-
péenne, et la cité vit s'accumuler une telle quantité de capi-
taux que le mot de Lombard devint synonyme de ban-
quier et que les pièces d'or frappées à l'effigie du duc
de Milan circulèrent dans le monde entier sous le nom
de ducats. Pourtant elle manque de matières premières :
métaux, combustibles minéraux n'existent pas (si l'on fait
exception d'un peu de cuiv/e à Socco en Lombardie, de
mercure et de zinc dans le Frioul) et doivent être tirés
du dehors. Mais elle a, dans les masses d'eau qui dégrin-
golent des Alpes, une inépuisable source d'énergie que
l'on a su mettre à profit. Parmi les nations du monde
qui utilisent avec science la houille blanche ", l'Italie
se classe au premier rang, et c'est au pied des hautes
montagnes que l'industrie tend à se localiser. Dès l'origine
des vallées on voit courir au flanc des pentes raides les
gros tubes d'adduction ; on entend au fond des gorges,
sous les toits rouges des fabriques neuves, ronfler les
moteurs puissants dont un écheveau compliqué de fils
électriques transmet l'énergie à des centaines de kilo-
mètres. Dans les cités d'ancienne renommée comme Ber-
game, Brescia, Côme, ou de développement récent comme
Biella, Schio, manufactures de coton, de lame, de soie
surtout se sont multipliées, et c'est encore à l'industrie
que les villes capitales du Piémont et de la Lombardie,
Turin et Milan, doivent leurrapide extension et leur magni-
fique prospérité.
LES HABITANTS. 00 Par sa situation, sa
richesse, la facilité des communications, la plaine du Pô
forme un centre d'attraction naturelle à laquelle n'échap-
pèrent point les populations moins favorisées qui 1 entou-
raient. '' Elle était destinée à exciter les convoitises des
hommes. Il y furent attirés des points les plus divers, et
la convergence des passages alpestres les conduisit comme
par la main à ce rendez-vous de peuples.
160
L'ITALIE
moyenne >
DTAOE Pr NOiRP
INDUSTRIES
ifCt'eJoppceuxj ^^
%^
Si
-■iSissi
V^oèlu, Etrusques, Gaulois furent les premiers possesseurs du
sol. Plus tard. Rome leur donna sa langue, sa civilisation, et le-^
fondit dans la grande unité latine en installant chez eux non seule-
ment ses fonctionnaires, mais aussi ses colonies de vétérans. Encore
aujourd'hui, en Emilie, près de Faenza, dans la région de Padoue
(Gralicolato Romano). etc., la disposition géométrique des champs
d'une même superficie est la survivance de l'ancienne " centurie "
attribuée à chaque vétéran. Les Germains arrivèrent à leur tour et,
si les premières hordes tcutoniqucs furent anéanties par Marius à
Verceil, cinq siècles plus tard, l'Empire affaibli, ne put s'opposer
aux invasions des Golhs et des Lombards. Pendant tout le Moyen
Age la plaine connut encore les chevauchées des reîlres et les
dévastations effroyables qui s'ensuivaient. Champ de bataille de
l'Europe, elle vil les Français, les Allemands, les Autrichiens, les
E'pagnols 5e disputer la possession de ses riches territoires.
Pourtant, au point de vue ethnique, ces passages
d arme'es ne laissèrent que peu de traces. La civilisation
Italienne, he'ritière de celle de Rome, triompha aisément
des influences étrangères et absorba les éléments spora-
diques établis a demeure sur le sol latin, telles, par
exemple, ces colonies de paysans allemands (les Treize
elles Sept-Communes), appelées aux Xl'' et XII*^ siècles
dans la Marche de Vérone par |es patriarches d'Aqui-
lée. Aujourd'hui, si l'on parle encore français ou provençal
dans quelques hautes vcJlées piémontaises, ce n'est que
comme seconde langue, et il en sera de même, a bref
délai, pour les populations du Haut-Adige, récemment
arrachées aux Autrichiens.
GROUPES ETHNIQUES. 00 Piémontais.
Lombards, Vénitiens, Romagnols forment les quatre
groupes ethniques de la Plaine. Le Tessin marque à peu
près la limite orientale du Piémont ; le cours du Mincio
et les marais qui l'accompagnent séparent la Lombardie de
la Vénétie. Les pays romagnols sont compris dans le
triangle formé par le Pô, l'Apennin et l'Adriatique.
Ces quatre groupes diffèrent peu comme type physique.
La proportion des hautes tailles, des cheveux blonds et
des yeux bleus est cependant un peu plus forte en
Vénétie qu'en Piémont et en Lombardie. Mais chaque
pays a son dialecte propre, son accent spécial. A 1 Ouest,
on prononce l'u à la française, on use des diphtongues
nasales, du son " eu " étranger au reste de l'Italie. La
dernière syllabe non accentuée dispareiil. Nombre de
mots, d'expressions, sont presque identiques au provençal.
161
_ L'EUROPE
A l'Est, on supprime, au contraire, les sons nasaux et
gutturaux, on adoucit les consonnes, on transforme en z
ou en cz les h aspirées, les c et les g durs. Cela donne
cette langue chantante, musicale, dans laquelle les gondo-
liers de Vemse vous décrivent les mer^•ellles des pala.s
du Grand Canal et vous racontent les histoires amou-
reuses ou héroïques des " Sior Doze .
A ces différences d'accent et de dialectes, s ajoutent
certaines différences de mentalité et de caractère.
Le Piémontais. grand Irava.llear. mais sans beaucoup dml.ia-
>nve. a, au moins dans les villes, du goC>l.'da " ch>c , une araab.-
li,é toute française, ma.s sous laquelle se dissimule souvent une
indifférence certaine pour ce qui ne concerne pas d.rectement ses
intérêts. Très têtu, surnommé " bug.anen -, .1 tient fortement a .on
indépendance et. même à Tétranger. se mêle peu aux Italiens
d'autres provinces.
Le Lombard a du goit. bien qu'il a.me à fa.re parade de son
lu« et de ses richesses. Mais .1 a beaucoup de cœur, de géné-
rosité de courtoisie, de sociabilité. C'est auss. un commerçant, un
homme d-affa.res de premier ordre qui sait prévo.r, qu, a de 1 >n.-
liative et n'hésite pas à engager d'importants capitaux dans des
entreprises à long terme. , , t- , m
Le Ligure est, en affaires, le rival du Lombard. Très travailleur,
très sérieux, âpre au gain, avare même, il a moins de largeur de
vue que le Milanais. De plus, il est assez égoïste, très terre a
terre, peu sociable, mais sincère.
Le caractère essentiel du Romagnol est la violence et la passion,
surtout pour les questions politiques et sociales. Nulle part, en
Italie, les grèves, les mouvements populaires ne dégénèrent plus
facilement en émeutes sanglantes.
Le Vénitien est, au contraire, un aimable sceptique, un philo-
sophe auquel un long contact avec l'Orient a même souvent infusé
une certaine dose de fatalisme. Esprit lucide et clair, comprenant
très vite, il est porté à la satire et ne manque point d un
" humour " que traduisent fort justement les comédies de
Goldoni.
Mais partout l'étranger est reçu avec une courtoisie,
une politesse avenante et gracieuse qui ne sont pas seule-
ment le privilège des classes cultivées, car on les trouve
à un égal degré chez le plus pauvre des " contadini .
On se sent en présence d'une civilisation qui, suivant la
remarque de Henri Heine, " se distingue des nôtres en
ce qu'elle n'est pas issue de la barbarie du Moyen Age,
qu'elle se rattache encore au temps des Romains et n a
! jamais été complètement éteinte ". Et la race est belle.
1 Blondes ou brunes, les paysannes au teint d'ambre, au
visage de madone encapuchonné d'un mouchoir bleu,
rouge ou noir, qui s'en vont en chantant par les sentiers
pleins d'ombre, ne sont pas moins charmantes dans leur
élégante simplicité que les citadines vêtues à la mode de
France, ou les filles de pêcheurs vénitiens drapées dans
les plis de leurs longs châles de sole.
RÉPARTITION DE LA POPULATION.
£l^ L'halle du Nord est extrêmement peuplée comme
il est naturel dans une région de riches cultures et
d'activé industrie. Plus de la moitié de la plaine a une
162
densité supérieure à 1 30 habitants au kilomètre carré
(densité moyenne de l'Italie : 113 habitants), et cette
densité, qui s'élève a 300 habitants entre Vicence et
Venise, atteint 436 habitants dans les provinces de Milan
et de Côme.
Au lieu de se concentrer exclusivement dans les
J/(l/itùi/'/~t. au l'-nuf.
^ un.
JfahitantA' nu /(mt/.
DENSITE DE LA ife-oi-ô^oo
POPULATI ON "" 'V-'^«-^'''V-"«|
ii€0S
villes et les gros bourgs, comme il est de règle dans
l'Italie du Sud, les gens du Nord se dispersent volontiers
à travers la campagne. Dans les chiffres fournis par les
statistiques officielles pour les habitants de chaque com-
mune, il faut toujours distinguer avec soin la population
agglomérée et la population éparse. Il suffit d'errer
quelques heures a travers les plaines lombardes ou vé-
nitiennes pour voir la multiplicité des fermes isolées, des
villes, des hameauxou des bourgades dont les quelques
maisons se groupent autour d'un haut et mince clocher.
La plupart des petites agglomérations de la plame.
formées de hautes malsons de briques, mal bâties et sales,
sont fort insignifiantes d'aspect et n'ont ni le charme de
nos vieux villages français, ni le pittoresque des très
anciens bourgs fortifiés qui abondent dans l'Italie
péninsulaire. Mais de belles villas, datant parfois de
plusieurs siècles et décorées de fresques par les peintres
vénitiens, se cachent au milieu des grands arbres, et
les fermes monumentales, où de longs portiques à
colonnades abritent le bétail et les récoltes, repro-
LITALIE
duisent encore le type classique de la terme romaine.
Les grandes agglomérations urbaines de lltalie con-
linentale n'ont pas recherche' les rives du fleuve princi-
pal, au moins en aval de Turin. La navigation du Pô
fut toujours insignifiante, et la large zone d'inondation,
les marais fie'vreux qui le bordent, éloignent les hommes
plus qu'ils ne les attirent. Seules font exception Crémone
et Plaisance, auxquelles on peut ajouter Pavie.sur le
bas-Tessin, et Mantoue, près du confluent du Mincio ;
cités militaires, têîes de ponts qui eurent autrefois de
l'importance et trouvaient un avantage dans la difficulté
même de leurs abords.
Par contre, les zones sub-alpines et sub-apennines
se prêtent fort bien à l'établissement des villes. Un sol
plus résistant, plus sec favorisait la construction des routes.
.Ainsi l'ancienne Voie Emilienne, qui longe l'Apen-
nin de Rimini à Plaisance, fut jalonnée à intervalles
réguliers de postes militaires devenus plus tard des centres
urbains : Forli, Faenza, Imola, Bologne, Modène.
Reggio, Parme. Au Nord du Pô : Verceil, Novare.
Milan, Brescia, Vérone, Vicence, Udine occupent une
position similaire. Ce furent aussi les routes naturelles
suivies par les armées, désireuses d'éviter les sols maré-
cageux de la vallée centrale, et les noms de Novare, de
Lodi, Magenta. Castiglione, Solférino, Custozza. Goi'.o,
Arcole en sont un témoignage suffisant.
Les Villes
PIEMONT. 0 à Le nom de Piémont designepro-
prement la lisière orientale des Alpes. Il s'est étendu
peu à peu, pour des raisons politiques, à l'ensemble de la
province qui, de la frontière française et suisse, s'élargit
jusqu'au Tessin et embrasse toute la région du Mont-
f errât.
On sdil comment la Maison française de Savoie, issue de l.i
Maurienne, acquit peu à peu les vallées alpestres des deux ver-
«anis et comment ces '* portiers des Alpes " furent contraints, par
la formation de I unité française, à concentrer toutes leurs ambi-
tions et leur activité sur le versant italien des Alpes. Par de suc-
ce«ivc- acquisitions, les ducs de Savoie, créés en 17N rois de
Sardaigne, agrandirent peu à peu leurs domaines aux dépens de
la Lombardie et. devenus au XIX* siècle les champions de l'unitr
italienne, virent leurs efforts couronnés par la transformation du
royaume sarde en royaume d*llaiie.
Les premières petites villes que l'on rencontre, en des-
cendant les vallées alpestres, rappellent toutes des pas-
sages d'armées, des sièges, d illustres souvenirs de guerre.
Coni, Saluces, Pignerol, Fénestrelles, Suse surveillaient
lus routes venues des cols de Tende, de l'Argentiere,
du mont Genèvre, du mont Cenis. Au Nord du mas-
sif du Grand- Paradis, la large et pittoresque vallée
d'.Aosle. semée de châteaux, barrée par le fort de Bard.
mène au Grand et au Petit Saint-Bernard.
.Au point où les routes venues des Alpes s'unissaient
aux rives du Po, naquit Tunn.
Ancienne colonie romaine (Augusta Taurinorum), mais de Ion
médiocre importance dans l'antiquité et -su Moyen Age, Turin nr
compta dans l'histoire qu'à dater du jour oii les ducs de Savoie
v installèrent leur capitale (N84). Elle n'a ni monuments anciens,
ni palais, m églises qui vaillent la peine d'êlre notés, et ses vastes
avenues, ;es rues régulières qui se coupent toujours \ angle droit,
•es belles maisons modernes lui donnent un aspect plus américain
qu Italien. Mais son L'niversilé est une des premières du royaume.
Surtout Turin est devenue une grande cité industrielle (manufactures
de soieries, de cotonnades, de lainages, produits métallurgiques,
etc) et sa population, rapidement accnir , tm..: <Je 180 000 habi-
tants en 1861 \ plus de 4$0 0]0
A I Est de Turin, les pittoresques collines du Mont-
ferrat, semées d'une multitude de ' cascine ", de châteaux,
de villages, portent sur leurs flancs les vignobles célèbres
d Asti, de Barolo, de Barbera, tandis que les prairies et
les châtaigniers occupent les parties les plus élevées : les
langhe '.
Au delà du Mont[errat, la vallée du Tanaro, où con-
vergent les routes venues de Savone et de Gênes, con-
duit à Alexandrie (78 000 habitants). L'importance mili-
taire de la région est attestée par les noms de Novi, Ceva,
Millesimo, Marengo, Montebeilo.
Au Nord et à l'Est de Turin, Verceil (31 000 habi-
tants. Novare (46 000 habitants) sont à la fois de grands
marchés agricoles et des villes de fabriques. Biella, au
pied des Alpes (22 030 habitants), doit sa prospérité
récente au développement des industries textiles.
LA LO.MBARDIE. 00 La Lombardie, dont le
nom rappelle la principale des tribus germaniques qui
vinrent se fixer à demeure sur le sol italien, a pour
métropole naturelle Milan.
Si Turin se trouve au point de convergence des roules
venues des Alpes occidentales. Milan occupe une situa-
tion analogue par rapport aux voies qui descendent de
Suisse et d'Allemagne par le Tessin et la Valteline,
Mais sa prospérité est de date singulièrement plus
ancienne.
Fondée par les Gaulois (Mcdiolanum) Irois siècles avant l'ère
chrétienne, devenue l'une des premières cités de l'Empire romain,
résidence même des empereurs (Maximien, Constance, etc.), elle
connut, à partir du XII* siècle, sous lei Visconti et les Slorza, une
ère de prospérité qui ne s'est plus arrêtée depuis lors. Elle est
moins pauvre qce Turin en monuments intéressants. C'est aussi
une ville intellectuelle, un centre artistique (pour la musique
suitoul) de premier ordre. C'est, en6n. la piemière cité commer-
ciale et industrielle de l'Italie, la rivale de Lyon pour la fabri-
cation des étoffes de soie. Très vivante, très animée, ville dj luxe
et de plaisir, fort accueillante àj'étranger. elle a vu sa population
163
L'EUROPE
croître avec une élonnanle rapidité, et ses 670 000 habitants la
classent, après Naples, au second rang des grandes agg'oméralions
urbaines du royaume.
Au Nord de Milan, les riantes collines de la Brianza,
couvertes de mûriers et de vignes, mènent aux rives
enchantées des lacs dont la splendeur pittoresque, le
doux climat, ont de tout temps attiré et fixé les hommes.
Les riches Romains y possédaient déjà des villas somp-
tueuses. Aujourd'hui, Pallanza, Baveno, les îles Borro-
mées sur le lac Majeur, Cernobbio et Bellagio sur le
lac de Côme sont des lieux de villégiature de printemps
et d'automne universellement célèbres.
Côme (46 000 habitants), pittoresquement située a la
pointe de son lac, Bergame (58 030 habitants) dont la
haute ville aux rues étroites bordées de vieilles maisons
contraste avec la ville basse toute neuve, Brescia
(89000 habitants) filent et tissent la soie dans de
grandes fabriques qui remplacent peu à peu les antiques
filande " disséminées autrefois dans les bourgs. Plus
au Nord, la belle, large et fertile Valteline, riche en
vignobles, mène, par Sondrio, aux cols du Stelvio et de
la Bernina.
Dans la Basse-Lombardie, le pays des rizières, des
prairies irriguées (les " marcite "), des champs de maïs,
Pavie (40000 habitants) sur le Tessin, Lodi (27 000 habi-
tants) sur l'Adda, évoquent des souvenirs de bataille ;
Crémone (42 000 habitants) gardait un des ponts du
Pô, et Mantoue (34 000 habitants), ceinte de remparts,
protégée mieux encore par les marais du bas-Mincio,
constituait, avec Peschiera, Legnago et Vérone, le fameux
quadrilatère commandant les passages entre Lombardie
et Vénétie.
LA VÉNÉTIE. aa Par le lac de Garde, aux
rives couvertes d'oliviers, d'amandiers, de vignes, et dont
les eaux transparentes reflètent les neiges des monts, par
les collines morainiques de Solférino et le cours maré-
cageux du Mincio, on passe de Lombardie en Vénétie.
Cette zone excentrique de la plaine italienne qui borde
le fond de l'Adriatique eut toujours une individualité
propre. Habitée dans l'antiquité par un peuple particu-
lier, les Vénètes, d'origine sans doute illynenne, elle ne
fut pas entamée par les invasions gauloises, et, même
après son incorporation dans l'unité romaine, elle conserva
sa personnalité.
Cette personnalité s'affirma de magnifique façon, après
les invasions barbares et le haut Moyen Age, par l'his-
toire merveilleuse de Venise (168 000 habitants).
Née dans les îles de sa lagune, sûr refuge contre les violences
des hordes germaniques, la ville des doges entra dans l'histoire à
partir des Croisades qui lui ouvrirent les portes de l'Orient. Maî-
tresse des côtes dalmales, d'une partie des îles grecques (Crète,
Eubce. etc.) et des ports du Levant, elle étendit ensui:e son
domaine continental et, poussant même au delà du Mincio, lut
maîtresse de Bergame et de Brescia. La politique habile de son
gouvernement aristocratique, l'intelligence et la hardiesse de ses
commerçants, la Bnesse de ses diplomates lui assurèrent à la fois
la richesse, la puissance et une influence telle que les grands Etats
de I Europe se disputaient son alliance. Avec la richesse naquirent
le goût du luxe et des plaisirs, le sens et le besoin de la beauté.
Les palais des patriciens s'élevèrent aux rives du Grand Canal ; la
demeure somptueuse des doges grandit sur la Piazzetta à l'ombre
de Saint-Marc et, s'inspirant de la tendre lumière moirée qui
baigne les lagunes, les Bellinl, les Giorgione, les Titien, les Cor-
rège, les Tintorel. les Véronèse, les Tiepolo firent chanter aux
murs des églises, aux voûtes des palais, la gloire de Venise, reine
de l'Adriatique.
Puis la décadence commença. A la suite des grandes décou-
vertes des xv'' et XVl* siècles, de nouvelles routes commerciales
s'ouvraient à travers un monde agrandi. Venise perdait à la fols
ses comptoirs du Levant pris par les Turcs, et sa suprématie mari-
time. L occupation autrichienne qu'elle dut subir longuement fui
pour elle une autre cause de déclin ; et, lorsque l'ouverture du canal
de Suez vint offrir aux ports méditerranéens un nouveau champ
d'activité, Venise trouva dans Marseille, Gênes, Triesle,
des concurrents avec lesquels la lutte était impossible. Elle
s'efforce, cependant, de conserver un rang au moins honorable, et
la création d'une grande voie navigable qui l'unirait à Milan
pourrait singulièrement développer son activité. Mais la vraie
richesse de Venise, ce sont les trésors d'art dont elle regorge, ce
sont les couchers de soleil sur la lagune, c'est le charme de ses
canaux étroits qu'enjambent une multitude de ponts ; la vraie
richesse de Venise, c'est sa beauté.
Parmi les autres cités de Vénétie, Vérone (86000 ha-
bitants), Vicence (57 000), Padoue (105000) tiennent le
premier rang. Elles aussi participèrent à la grandeur
de Venise, et la multitude de leurs palais, de leurs
oeuvres d'art, des villas qui les encadrent ou les pro-
longent sont le vivant témoignage de leurs richesses pas-
sées. Beaucoup plus attrayantes que les villes lombardes
ou piémontaises, elles se classent au premier rang dans
le cortège de ces cités que l'Italie offre avec une magni-
fique abondance à l'amour de tous les artistes, à l'admi-
ration de tout homme de goût.
Castelfranco, Cittadella, Trévise (43 000 habitants),
Udine, Cividale del Friuli sont aussi de vieilles cilés fort pit-
toresques sur les routes qui mènent à Vienne et a Trieste.
Au pied de la raide muraille par laquelle on grimpe au
plateau d'Asiago, théâtre fameux de tant de combats
dans la Grande Guerre, Schio (20 000 habitants) est au
contraire une ville neuve ou l'on tisse la laine. Par Bellune
et le haut Piave, les touristes gagnent le Cadore et
Cortina d'Ampezzo, point de départ des excursions
dans les Alpes Dolomitiques, tandis que, au Sud de
Venise, Rovigo et Adria mènent aux plaines fécondes
de l'Emilie.
L'ÉMlLlE. £l^ La partie de la plaine Padane, qui
s'étend entre le Pô, l'Adriatique et l'Apennin, forme la
province administrative de l'Emilie, du nom de la Voie
Émiliennequi longeait l'Apennin. L'Emilie comprend les
164
L'ITALIE
anciens duchés de Parme et de Modène. et la Romagne
qui, jusqu'en 1860, fit partie des Etats Pontificaux. Dans
la plaine, Ferrare (33 000 habitants) et Ravenne (35 000)
nont plus que le souvenir de leur illustre passe'. Ferrare
connut aux xv" et .\Vl'' siècles, sous la domination de la
Maison d'Esté, des jours brillants. Ravenne fut pendant
cent cinquante ans la résidence des Exarques ou vice-
rois représentant les empereurs de Constantinople (le
nom de Romagne perpétue le souvenir de cette Re-
manie d'Occident). EJle a conservé de cette époque
lointaine une série de monuments bjTtantins qui font
d'elle lune des cités les plus intéressantes d'Italie. Parme
(54000 habitants), Reggio (23000 habitants), Modene
(27000 habitants). Faenza (25000 habitants) où l'on fa-
brique encore la poterie appelée faïence, Forli (20000 ha-
bitants), Rimini (21 000 habitants) sont toutes placées au
pied même de l'Apennin, le long de la voie ferrée
Milan-Ancône-Bnndisi qui suit exactement le tracé de
la Voie Emilienne. 11 en est de même de Bologne
(189000 habitants) à laquelle sa situation, au point de
croisement des routes Venise-Florence et Milan-Brindisi.
a permis de développer considérablement son commerce
et ses diverses industries. Bologne est aussi une ville
pittoresque, riche en belles églises, en palais, en rues à
portiques. C est enfin le siège d'une Université célèbre
et l'une des cités les plus intellectuelles de l'Italie.
LA LIGURIE. 00 On désigne sous le nom de
Ligurie (d'après 1 ancienne race ligure) la région côtièrc
qui s'étend de la frontière française au golfe de Spezia.
Elle forme la transition naturelle entre l'Italie continen-
tale et I Italie péninsulaire, car si, par sa position au Sud
de l'Apennin, par son climat et sa végétation, elle est
essentiellement méditerranéenne, ses relations naturelles
l'unissent étroitement au Piémont, à la Lombardie, et,
par delà les Alpes, à la Suisse et à l'Allemagne du Sud.
La cote, ou Rivière de Gènes, se divise en Rivière du
Ponent à l'Ouest et Rivière du Levant à l'Est. Comme
notre Riviera française, dont elle est l'immédiat prolon-
gement, elle comprend une mince bande littorale, dominée
par les pentes brusques des Alpes et de l'Apennin, et
divisée en une série de petits compartiments par
l'alternance régulière des anses sableuses, des vallées
étroites, des promontoires que percent d'innombrables
tunnels. Dans chaquebaie, à chaque débouché de vallée,
se nichent une bourgade, un petit port, une villette dont
les hautes maisons, parfois ceintes de remparts anciens,
s accrochent au rocher. Le climat est celui de notre Côte
d Azur. L'hiver même est plus tiède encore puisque la
moyenne de janvier à San Remo (9°4) est de deux
degrés supérieure à celle de Nice. Le mistral ne s'y fait
point sentir et les pluies, quoique fortes, surtout sur la Ri-
vière du Levant frappée de plein fouet par les vents
d Ouest, tombent par violentes averses en peu de jours
(quarante-cinq jours de pluieàSan Remo). Sous lacarcsse
du soleil, l'olivier couvre jusqu'à 700 mètres les pentes des
montagnes, mêlé aux plantes toujours vertes propres au
climat méditerranéen : pins d'Alep, pins parasols,
caroubiers, chênes verts, arbousiers, mimosas, myrtes, etc.,
auxquels s'ajoutent, dans les lieux les mieux exposés.
1 oranger et le palmier. .\\x milieu des jardins étages, les
villas, les hôtels mettent leurs taches lumineuses. On con-
naît la renommée mondiale de San Remo, Bordighera.
Porto-Maurizio, Nervi, Chiavari, Sestri- Levante. Ra-
pallo, Viaresgio, fréquentés d'octobre à avril par les hi-
vernants de tous les pays, et l'été par les Italiens amateurs
de bains de mer.
De plus, les Ligures furent de tout temps une race de
marins aventureux et âpres au gain. Tous les petits
havres de la côte ont leur flottille de pêche ou de cabotage
et fournissent à l.i manne marchande du royaume une
bonne part de ses meilleurs matelots. Ces aptitudes ma-
ritimes ont trouvé leur plus forte expression dans l'his-
toire de Gênes.
La République Gcnoijc (ul, pendant tout le Moyen Age. la
rivale souvent heureuse de Venise. Elle eut comme elle ses riche»
comptoirs du Levant et concentra entre ses mains une partie du
commerce des épices. Comme Venise, elle eut aussi son domaine
de terre ferme, et, par l'absorption successive de ses voisines •.
Vinlimille, .-Xlbcnga, Savone, moins favorisées et moins bien pla-
cées, elle étendit ses frontières depuis le comté de Nice jusqu'à
la Toscane. Elle fut même suzeraine de la Corse et conserva son
indépendance jusqu'au début du XIX° siècle. Elle n'est, il est vrai,
en rien comparable à Venise dans le domaine de l'art et de la
beauté. Certes, sa situalion est fort pittoresque. Ses hautes maisons
en amphithéâtre qui se pressent au long de ruelles étroites, les
palais de ses patriciens, son vieux port plein de soleil, composent
un ensemble qui rappelle, sans l'égaler, la vue de Marseille, sa
rivale provençale. Mais elle n'eut jamais d'école d'art. Il semble
que la race Ligure soit assez peu portée aux spéculations désinté-
ressées et se soucie médiocrement de faire œuvre de beauté. Ainsi
s'explique l'étonnante infériorité artistique de toutes les cités qui.
de Gènes à Barcelone, bordent la Méditerranée, si on les compare
,H tant d'autres cités italiennes ou françaises qui n'avaient cepen-
dant ni leur richesse, ni les séductions de leur ciel et de leur
lumière, ces divins inspirateursdu génie.
Apres une éclipse passagère due, comme celle de Venise, au
déplacement des grandes routes commerciales, Gênes reprit dans
la seconde moitié du XK® siècle, une importance sans cesse accrue.
Elle le dut moin* à l'excellence naturelle de son port, qu'il fallut
agrandir considérablement et à grar ds frais, qu'à sa position euro-
péenne qui fait d'el'e !e débouché naturel non seulement de la
partie la plus productive de l'Italie, mais aussi d'une partie de
l'Europe centrale, depuis le percement des grands tunnels alpestrfs
du mont Cenis, du Saint-Gothard et du Simplon. Siège de
grandes lignes de ravigation (C* Florio-Bubattino), en relations
régulières avec tout le bassin méditerranéen, l'Amérique du Sud,
l'Extrême-Orient, elle devient de p'us en plus, comme la plupart
des grands p>ri3, un centre industriel. Lorsqu'on vient de France
par la ligne de Vinlimille on ne traverie, entre Sdvonc et Gênes,
qu'une si.ite ininterrompue d'usines et d'ateliers (à San Pierd'Arena,
Sestri. etc.) où l'on tisse le colon, où l'on fabrique des pro^tits
165
L'EUROPE
chimiqies, où l'on travaille surtout le 1er. Aussi Gênes, qui n avait
que 128 000 habitantsen 1861, en a maiiilenanl plus ce 300 000, et
son tonnage passa de I 156 000 tonnes en 1880 à 14 510 000
en 1913, classant la \i\]e au huitième rang des ports européens.
Spezia (70 000 habitants), au fond d'une des plus belles
et des plus sûres rades me'diterranéennes, est, depuis 1 869,
devenu le premier port militaire du royaume.
TRENTIN ET TYROL ITALIEN
La Grande Guerre a permis à l'Italie de réaliser le
rêve des patriotes "irrédentistes" et d'acquérir les terres
qui lui manquaient encore pour achever son unité terri-
toriale. Désormais toutes les vallées — sauf celle du
Tessin — qui, du faîte des Alpes, s'inclinent vers la plaine
Padane et les rivages de l'Adriatique, font partie inté-
grante du royaume. Le tracé de la frontière, si défavo-
rable jusqu'alors à nos voisins, est heureusement rectifié
de telle sorte que, de l'Oezthal à Fiume par le seuil du
Brenner, les massifs du Zillerthal et des Defîereggen, le
passage de Toblach, les Alpes Carniques et Juliennes,
les plateaux du Carso enfin, les Italiens se trouvent ins-
tallés sur les crêtes les plus élevées et les cols principaux
qui sont à la fois la clef et le rempart de leur patrie.
La vallée moyenne de l'.Adige, avec le cours du Sarca
affluent du Pô, forment le Trentin, subdivisé, comme il
est d'uscige dans les Alpes, en nombreuses petites régions
naturelles qui correspondent à chaque vallée : Lagarine,
Valsugana, Val di Fiemme, Val di Non, Giudicaria, etc.
Longtemps gouverné par des évêques princes du Samt-Em-
pire, puis rattaché directement à l'Autriche qui en fit un
simple district de la province du Tyrol, le Trentin couvre
environ 6000 kilomètres carrés, et ses 400 000 habitants en
chiffres ronds sont entièrement italiens. 1 3 pour ! 00 seule-
ment de la population se concentrent dans les villes : Trente
la capitale (30 000 habitants), où abondent les souvenirs
d'un glorieux passé: cathédrale, palais, tours, château
des princes-évêques, etc., Rovereto (10000 habitants),
où Bonaparte défit une armée autrichienne, Levico, Riva
(8 000 habitants), sur les rives exquises du lac de Gcu-de,
etc. Le reste se disperse dans de nombreux bourgs ou
petits villages échelonnés le long des rivières, près des
ruines pittoresques d'antiques forteresses.
Dociles, conserv'ateurs, respectueux du principe d'au-
torité, élément d'ordre par excellence ", les paysans du
Trentin cultivent avec soin la vigne surtout (près d'un
million d hectolitres annuellement), puis le mûrier, le
blé, le maïs et les arbres fruitiers qui donnent des pro-
duits excellents au fond des vais, sur les pentes ensoleil-
lées des monts. Plus haut, on exploite les forêts de châ-
taigniers, de frênes, de mélèzes, de sapins ; on élève
bœufs, moutons, chè\Tes dans les "maighe" ou alpages
que fréquentent aussi les troupeaux transhumans venus
des plaines Vicentines. Contrairement à ce qui existe
dans le reste de l'Italie, la petite, la très petite propriété
est dérègle. Dans beaucoup de villages on ne trouve pas
un seul paysan qui ne soit propriétaire. Cependant la ra-
reté des espaces cultivables, et surtout les procédés tyran-
niques de 1 administration autrichienne, le peu d'attention
qu'elle accordait systématiquement à ses sujets italiens,
empêchaient la province de prospérer comme elle aurait
dû. La population locale s'accroissait avec une extrême
lenteur, et chaque année 20000 émigrants quittaient, gé-
néralement pour toujours, leur petite patrie.
Ces conditions vont se modifier sans doute. Si les cul-
tures ne peuvent guère s'étendre, l'exploitation des
mines et carrières (plomb, cuivre, marbre, etc.), trop
négligée jusqu'alors, et surtout l'utilisation des forces
hydrauliques (44 chevaux hydrauliques par kilomètre
carré contre 18 pour le reste de l'Italie) peuvent donner
un vif essor aux industries (filatures et tissage de la
soie, puis de la laine et du coton, papeterie, travail du
bois) encore dans l'enfance, mais auxquelles les beaux
résultats obtenus à Schio, Brescia, Biella, etc., pro-
mettent un avenir assuré.
Toute la partie supérieure du bassin de l'Adige
forme la section méridionale du Tyrol. Elle fut autrefois
peuplée, comme le Trentin, de Latins, et les dialectes
romans s'y maintinrent jusqu'au milieu du Moyen Age.
Encore aujourd'hui on pcirle surtout italien dsms tout le
district de Bolzano (Bozen). Seules les hautes vallées
de l'Adige (Passeierthal), de l'Etsch ( Vintschgau) ,
de l'Eisach ont été germanisées. Par son climat doux,
plein de soleil, par ses cultures, l'c^chitecture de
ses maisons et de ses églises, etc., ce TjTol méridional
n'est guère moins italien que le Trentin dont il est le
prolongement naturel. Aussi malgré les réclamations des
quelques groupes de Tjroliens allemands fixés au Sud
du Brenner, le Gouvernement italien avait-il toutes les
raisons du monde d'annexer des territoires qui, par
ailleurs, lui sont absolument indispensables pour assurer
la sécurité de sa frontière.
Culture dans les vallées, élevage et exploitation des
forêts sur les hauteurs, telles sont les ressources essen-
tielles des Tyroliens, qui tirent également bon parti de la
masse de touristes attirés par la splendeur des Alpes
Dolomitiques.
Les seules agglomérations urbaines que 1 on peut
citer sont Bolzano, Brixen et Sterzin sur la grande voie
ferrée du Brenner, Bruneck sur la ligne qui mène à
la vallée de la Drave par le col de Toblach, Méran à
l'entrée du Vintschgau.
166
L'ITALIE
VENISE : LA PIAZZFTTA. LE PALAÏS DES DOGES. LE CAMPANILE. (è étoite A h photographie), la BMothèQuc. le l'aiais »c^l'focufa^tci et U notwtau
l'atiit s'est céiftcc t>cu à t>cu sut un grotibc de pttUc» ifrisanêcs dan: une lagunt que ta CamfxiniU édifie ^nr le modèle du cloehei primitif (qui t'r'croula en 1902). La iplen- \
langue de tahfe du Lido iet>are de ta mer. La plu» large de ces tics porte, a l'entrée du deur de cet eruemllc aichitcclural, que baigne une exquiic lumière, suffit à révéler la .
Grand Canal deux places eneadrét* par U Palais da Doges, l'Égliif Saint Mare richesse et le goût des Vénitiens du temps passé. CI. PHOTO-GlOB. 1
167
L'EUROPE
SAN REMO. Bâfie en amohilhéâtre sur les pentes d'une colline, dans un cadre
exquis de montagnes boisées, aux pentes couvertes de villas et de parcs, San Remo
est la perle de la Ridera du Ponant, qui prolonge notre Cale d'Azur aux rives
courhes du golfe de Gênes. Cl. ChusSEAU-FuaviENS.
POLA : LE PORT ET LES ARENES. A l'extrême pointe de ristrie. Pola fut.
jusqu'en J91iS, le grand port de guerre de l'Autriche. Ancienne colonie romaine,
elle conserve de précieux monuments du passé: temple d'Auguste, Porte Dorée
arènes immenses. CI. Alois Beer.
BERGAME : LE PALAIS VIEUX. Bergame. comme nombre d'autres cités
anciennes, a dû s'accommoder à des conditions économiques nouvelles. La haute
ville conserve ses rues étroites et silencieuses et ses monuments dupasse. Au bas
de la colline, la ville neuve est devenue le centre du commerce CI. BoULANGER.
SAN GIMIGNANO. Cette étonnante villette de Toscane surnommée la " Pom-
péi" du Moyen Age, permet d'évoquer le temps où les luttes fratricides entre Guelfes
et Gibelirjs obligeaient chaque famille nolle à faire de sa maison une forteresse.
Pour 4 000 habitants on compta 60 tours. Il en subsiste 13. CI. BoULANCER.
?lSZ:LE.DOy£Er LE BAPTISTÈRE. Pise gui fut, duXl'^ au XIII^ siècle.
' uiedzspluz riches républiques de la péninsule, fut aussi l'une des premières à se don-
r^r lil« SQ-uptutiise parure d'art. L'ensemble formé par le Dôme, le Baptistère, la
lO-Jf Penzfiéi et U Campa Scnto est justement célèbre. Cl. Maurel.
168
PÉROUSE : LE PALAIS PUBLIC. L'ancienne cité étrusque de Pérouse eut, au
Moyen Age, comme toutes les républiques italiennes, une vie fort mouvementée.
Centre des écoles d'Ombrie. patrie du Pérugin, elle occupe uneplace de premier rang
dans l'histoire de l'art italien. CI. Maurel.
LITALIE
PROVINCES DE LADRIATIQUE : GORI-
ZIA. TRIESTE. ISTRIE. DALMATIE. 0 0
Si " l'italianilé " du Trenlin n'a pas besoin dêtie
démontrée, celle de la valle'e de l'isonzo et des côtes
de ristrie n'est pas moins certaine. A Gorizia comme à
Monfalcone, si durement éprouvés par la guerre, à
Tneste comme à Pela, tout est italien : le ciel, la végé-
tation et les hommes.
Au delà du golfe de Quarnero, " che itaiia chiude o
s-uoi termini bagna ", la côte et les iles Daimates, isolées
de l'intérieur par de hautes terres difficiles à fremchir,
sont aussi tout italiennes d'aspect et leurs relations natu-
relles s établirent de tout temps avec les rivages italiens
qui leur font face. Rome les colonisa (Spalato doit son
nom au palatium de Dioclétien). Venise, qui les gou-
verna pendant huit siècles, y laissa partout sa forte
empreinte.
Mais la vague slave qui, à partir du IX' siècle de
notre ère, vint déferler sur toute l'Europe du Sud-Est.
s'étala jusqu à l'Adriatique, jusqu'aux plaines du Frioul.
limitant ainsi étroitement le domaine des Latins. Si l'on
parie italien ci Gorizia, à Duino, à Trieste, les plateaux
calcaires qui les dominent immédiatement sont unique-
ment peuplés de Slaves. A partir de Fiume, Slovènes.
Croates, Daimates se sont même établis aux rives de
r.Adriatique dans les îles qui le bordent, et les com-
munautés italiennes de Zara, Sebenico, Spalato, etc.. ne
forment plus que des ilôts perdus dans la masse du
peuple slave.
De là lc5 grandc5 cli(6cultcs que l'on eul, après la Grande
Guerre, à faire un partage équitable entre les populations qui se
réclamaient de l'Italie et celles qui voulaient cire unies au nouveau
royaume yougo-slave des Serbes. Croates, Slovènes.
La solution, adoptée après de longs atermoiements, n'a satisfait
— et ne pouvait satisfaire — ni les Slaves, qui voient attribuer à
l'Italie 400000 ou 500 000 de leurs frères fixés en Istrie et sur le
Carso, ni les Italiens qui, pour des raisons à la fois historiques.
' géographiques, économiques el stratégiques, auraient tenu à conser-
ver la Dalmatie tout entière.
Les nouvelles acquisitions de l'Italie n'ont point par
elles-mêmes une valeur économique bien grande. Si
l'on met à part la vallée fertile de l'isonzo el la mince
bande littorale propre à certaines cultures méditerra-
néennes, telles que la vigne et l'olivier, tout le reste se
compose de plateaux calcaires appelés " carso " {karsl en
allemand), secs, déboisés, fort arides, balayés par le
souffle glacé de la " bora.", criblés de gouffres, d'enton-
noirs innombrables (" foibe " des Italiens. " dolines "
des Slovènes), où la roche, partout à nu, ne saurait
nourrir les plantes les moins exigeantes. Peu ou point
d'eau k la surface, mais, dans les profondeurs des
assises calcaires, des rivières souterraines, des lacs
obscurs, bref toute la série des phénomènes, appelés du
reste carstques ou karstiques, que l'on observe en
tant d'autres pays (Causses, Jura. Grèce, etc.) de même
formation géologique. Les petits villages, très dispersés,
faciles à confondre de loin avec les rocs qui les sur-
montent, se logent dans les foibe " les plus vastes,
à l'abri du vent, à proximité des champs minuscules
que l'ingéniosité des paysans aménagea au fond des
entonnoirs les plus accessibles.
Mais d'abord la possession du Carso donne à l'Italie
une excellente frontière stratégique appuyée sur la crête
des Alpes Juliennes et le Monte-Nevoso, vraies bornes
naturelles de la péninsule, commandant la seule brèche
qui mène de Trieste et Fiume vers l'Europe Centrale
par le col d'Oberlaibach, le " Nauporlus " de Strabon.
De plus si, sur les plateaux du Carso, la population
est de petite densité, la vallée de l'isonzo et les rivages
de l'Adriatique nourrissent, au contraire, plus de 100 ha-
bitants au kilomètre carré, grâce soit à la fertilité du
sol, soit au produit de la pêche et du commerce mari-
lime. C'est en Istrie, en effet, non moins qu'en Dalmatie.
que l'Autriche recrutait les meilleurs marins de ses
flottes de commerce et de guerre.
Enfin la possession de Trieste et l'activité de la colonie
italienne qui vit dans Fiume autonome assurent à l'Italie
les débouchés maritimes les plus importants de la Yougo-
slavie, de l'Autriche, de la Hongrie, de la Tchéco-
slovaquie même. C'est là, en effet, qu'aboutissent les
votes ferrées venant de Vienne, de Prague, de Buda-
pest, de Zagreb. (La ligne plus méridionale, qui atteint
Raguse par Sarajevo, n'a présentement qu'une minime
valeur.)
Trieste (l'ancienne Tergeste), longtemps gênée par la
difficulté des communications avec l'intérieur, a fait de
très remarquables progrès depuis la construction des
voies ferrées. Son double port, profond et très sûr,
considérablement eigrandi dans les dernières années qui
précédèrent la guerre, reçut, en 1913, 12000 navires
jaugeant 9000000 de tonneaux. Elle occupait alors,
après Marseille, Naples et Gênes, le quatrième rang des
ports méditerranéens, et ses 247000 habitants faisaient
d'elle la troisième cité de l'Empire autrichien.
Fiume est une création du Royaume hongrois désireux
de posséder, en dehors de Trieste, un port qui lui appar-
tint en propre. Elle compte 50000 habitants environ,
dont 20000à 25 000 Slaves, et reçut, en 1913. 16000
navires jaugeant 6000000 de tonneaux.
A la pointe Sud de l' Istrie, Pola (60000 habitants)
était le grand port militaire de la double monarchie.
L'Italie possède aussi quelques iles Daimates et le territoire de
Zara. (V. le chapitre consacré à la Yougo-Slavie.)
CioCRAPHtE l'NIVEJISELL£.
169
17
L'EUROPE
L'ITALIE CENTRALE
Au delà de Spezia, la roule, venant de Gênes, fran-
chit le torrent de la Magra qui limite la Ligurie. A l'Est,
au flanc des Alpes Apuanes, contrefort de l'Apennin, des
taches d'un blanc éblouissant qui tranchent sur le ton
sombre des bois, révèlent les carrières fameuses d'où
s'extrait le marbre de Carrare. Puis, peu à peu, les
montagnes s'écartent de la mer, et, par l'ancien duché
de Massa, la riante V'ieireggio, on entre dans la plaine
de Pise, vestibule de la Toscane.
LA TOSCANE. e> fl Avec la Toscane nous
pénétrons dans la partie la plus belle, la plus variée, la
plus pittoresque de l'Italie, celle que l'on aime du plus
profond amour, celle que rêvent ceux-là même qui ne
l'ont point connue et qui ne peuvent que se l'unaginer
d'après les chants des poètes, les louanges des voyageurs,
l'admiration des artistes. C'est l'Italie que Virgile saluait
en vers triomphants et qu'il nous montrait " chargée de
villes superbes et de monuments du travail humain, avec
ses bourgs fortifiés sur les rocs abrupts et ses fleuves
baignant d'antiques murailles " ; l'Italie du soleil et de
la lumière, de l'olivier et de la vigne, l'Italie où, comme
dans les tableaux qu'elle inspira au Poussin, le paysage
se marie avec les édifices, l'œuvre de la nature avec
celle des hommes, si bien qu'il est difficile de dire
laquelle des deux prête à l'autre plus de grandeur et de
charme ". (Vidal de Lablache.)
La Toscane tire son nom des anciens Etrusques, ou
Tusci, qui établirent le centre de leur puissance dans la
zone de plateaux et de collines comprise entre la mer,
les vallées de l'Arno et du Tibre.
On ne sait à peu près rien sur les origines el l'hisloire de ce
peuple, el les inscriptions qu'il laissa demeurent jusqu'ici indéchif-
frables. Mais les traces vivantes du haut degré de civilisation auquel
il était parvenu subsistent encore sur tout le sol de la Toscane el
confirment les déclarations des historiens romains. D une part, les
Etrusques entretinrent d'étroites relations commerciales avec
l'Orient : Phénicie et Hellade. La majeure partie des vases dits
étrusques, trouvés dans les nécropoles de Tarquinii, de Vulci,
d'Orvieto, etc., sont des vases grecs sortis du Céramique
d'Athènes ou des ateliers de Corinthe ; et ce sont sans doute des
artistes grecs qui couvrirent les parois des chambres funéraires de
figures et d'ornements peints du style le plus élégant. D'autre part,
les Etrusques lurent très certainement d'habiles agriculteurs et des
constructeurs de premier ordre. Ils détrichèrent et assainirent les
marais de la côte, multiplièrent les aqueducs, les ponts, trans-
mirent aux Romains, leurs vainqueurs, le goût des édifices colos-
saux, l'usage de la voûte et de l'arcade inconnu des Grecs. Les
murailles qui défendaient leurs cités maltresses subsistent encore,
après trente siècles, à Fiesole, à Volterra, à Cornelo, etc., et leurs
riches hypogées, semblables aux nécropoles égyptiennes, forment
170
par endroits, à Cometo notamment, de véritables villes funéraires,
éloquent témoignage de leur grandeur.
Le cœur de la Toscane est la vallée de TAmo
(280 kilomètres), le fleuve le plus important de la
pe'ninsule après le Tibre.
Né dans TApennin, TArno se dirige d'abord vers le
Sud à travers une vallée riante, vêtue de forêts, le vert
Casentm, très fréquenté comme villégiature estivale, el
qui fut autrefois un centre de vie monastique intense
(abbaye des Camaldules, couvent franciscain de la
Verna). A Arezzo ( 1 6 000 habitants), patrie de
Pétrarque et de TArétin, l'Arno se recourbe vers le
Nord, laissant au Sud la dépression du Val de Chiana,
ancien lac transformé en marais pestilentiel, qui ne fut
colmaté et assaini qu'au XV^ siècle. Puis, longeant la
base des monts de Chianti, dont les flancs sont couverts
de vignobles fameux, et ceux du Prato Magno, où
labbaye bénédictine de Vallombrosa se cache sous les
grands chênes, il débouche dans la conque ensoleillée
où Florence naquit.
Florence résume et symbolise toute la Toscane et
tout le génie toscan, fait de force et de grâce à Timage
du pays où il s'est formé.
A l'époque romaine, les routes qui unissaient la Ville Eternelle
d la Gaule Cisalpine évitaient l'Apennin toscan : aussi la vieille
forteresse étrusque de Fiesole suffisait à veiller sur la vallée de
l'Arno. Mais, au Moyen Age, des relations directes s'établirent
entre le centre de l'Italie et les pays du Nord par les cols toscans,
et, au pied de la colline de Fiesole, grandit la Ville des Fleurs.
Devenue, dès le XIII*^ siècle, une république puissante, enrichie par
l'industrie de la laine et le commerce de l'argent, elle étendit peu
à peu sa domination sur les autres cités toscanes, ses rivales, et,
sous la direction éclairée des Médicis, joua un des rôles essentiels
dans la vie politique de la péninsule. Dans le même temps, elle
donnait le jour ou l'hospitalité à toute une pléiade d'écrivains, de
poètes (Dante, Pétrarque, Boccace, etc.) qui fixaient la langue
italienne en assurant au dialecte toscan la prééminence sur tous les
autres, tandis qu'une admirable série d'artistes de génie, depuis
Giotto. Brunellesco et Masaccio jusqu'à Léonard de Vinci el à
Michel-Ange, la comblaient de leurs chefs-d œuvre et servaient de
modèles non seulement à l'Italie mais au monde.
Aujourd'hui Florence n'est plus une grande cité industrielle et
un grand centre d'échanges. Sa population stable (242000 habitants)
s'accroît fort lentement. Mais elle reste un foyer de culture déli-
cate, d'études désintéressées, la ville d'Italie qui parle le plus à
l'esprit, et des milliers d'étrangers viennent chaque année visiter
ses musées incomparables, ses palais» ses églises, errer sur les
collines de Fiesole ou de S^n Minlato, goûter le charme unique et
céder à la prenante séduction d'un des lieux du monde les mieux
faits pour le bonheur.
Dans le même bassin de Florence, Prato
(20000 habitants), Pistoja (28000 habitants) forment
L- ITALIE
comme la grande banlieue industrielle de la ville capitale.
Puis la vallée de l'Arno se resserre à nouveau avant de
déboucher au delà dEmpoli sur la plaine que 1 Arno con-
struisit de SCS alluvions. Pise (24 000 habitants) qui fut aux
XII* et XIH" siècles une puissante cité maritime, rivale de
Gènes et de Florence, se trouve aujourd hui loin de la mer
et somnole entre ses vieilles murailles, mais elle conserve
de son glorieux passé l'étonnant ensemble du Baptistère,
de la Tour Penchée, du Dôme, du Campo Santo, I une
des merveilles de l'Italie. Au Sud de Pise, Livourne
(108000 habitants) est une des rares villes de Toscane
qui ne présente aucun intérêt artistique. C est une cité
neuve, en effet, qui a remplacé Pise comme débouché
maritime de la Toscane. Très active, elle se classe au qua-
trième rang parmi les ports italiens. .Au Nord, Lucques
(79000 habitants) complète la série des cités marquantes
de la basse Toscane. Elle sert de point de départ pour la
pittoresque région de la Garlagnana, drainée par le
Serchio, et où des sources thermales et la beauté des
sites attirent en été nombre d étrangers.
Au Sud de la vallée de l'Arno s'étendent les plateaux
toscans. Ils se composent d'un ensemble de collines et
de montagnettes arrondies d'une altitude moyenne de
500 à 600 mètres, et dont le sol d'argile grise se ravine
aisément sous l'action des eaux. A l'époque des pluies
d'automne, les ravins (Cecino, Ombrone. etc.) se trans-
forment en coulées épaisses de boue jaunâtre, et les
glissements de terrain sont fréquents. Jadis couvertes de
forêts, les montagnes apparaissent aujourd'hui presque
nues ou vêtues de broussailles maigres. Mais des oli-
vettes garnissent leurs flancs. De vieilles forteresses, des
bourgades aux murs crénelés s'érigent sur les som-
mets. Çà et là de noirs cyprès fuselés, quelques
pins en boule abritent une ferme aux murs bariolés de
rose, et tranchent par leurs tons sombres sur le bleu
des collines lointaines. On retrouve ainsi à chaque pas,
sous la fine lumière d'un ciel limpide, ces paysages
maigres, nels, sobres que I on voit se profiler derrière
les madones dans les tableaux des vieux maîtres toscans.
San Cimignano, la ville aux cent tours, qui a conservé
presque intact son aspect du XI\'' siècle (Massirno
d'Azeglio l'appelait : la Pompéï du Moyen Age) ;
Sienne (40000 habitants), l'adorable Sienne, qui déploie
sur sa triple colline l'amphithéâtre de ses palais, de ses
églises, de ses musées si riches en chefs-d'œuvre des
Primitifs ; Volterra, l'antique Velathri. ceinte d'un rem-
part où les murailles florentines se relient aux murailles
étrusques sont les cités les plus intéressantes du
plateau toscan.
La côte, où se déposent les alluvions charriées par
les petits fleuves qui dégringolent du plateau, serait
extrêmement fertile et productive si la meilaria " n'y
régnait encore en maîtresse. Ces ' maremmes " tos-
canes au sol spongieux, mal drainé, se présentent comme
une succession de marais, de bois très épais, de prairies
mêlées de roseaux ou descendent pendant l'hiver les
pâtres de la monljigne. On voit, çà et la, leurs huttes de
branchages groupées à l'orée des bois, et les buffles
aux cornes gigantesques vautrés jusqu'au cou dans la
boue des marais. Cependant l'œuvre d'assainissement et
de défrichement est commencée avec de bons résultats.
De plus, des mines de cuivre et de borcix, groupées
dans la région de Volterra, sont activement exploitées.
Au large, l'Archipel toscan dont l'île d'Elbe, riche
en gisements de fer, est la reine, forme un pont naturel
entre la Toscane et la Corse (lies de Capraja, Monte-
Christo, Pianosa, Ciglio).
L'OMBRIE. 00 Comme la vallée de l'Arno est
le cœur de la Toscane, la vallée supérieure et moyenne
du Tibre est le cœur de l'Ombrie.
Le Tibre (403 kilomètres), le second fleuve de l'Ita-
lie, naît dans l'.-Xpennin Emilien, mais pénètre prompte-
ment dans l'Apennin Ombrien par un étroit couloir
dominé de monts boisés. Une série de très vieilles villes
que signalent, de loin, les tours élancées de leurs palais
communaux, ont conservé sans grandes modifications
leurs enceintes de murailles, leurs rues étroites, leurs
sombres demeures d'autrefois et constituent un ensemble
d'un pittoresque rare. Telles sont Borgo-san-Sepolcro.
.■\nghiari, Citta di Castello, Gubbio aux faïences
célèbres.
A Pérouse, la vallée s'élargit quelque peu, et l'hori-
zon se déploie avec la même grandeur, sous une lumière
aussi séduisante qu'en Toscane, mais avec une douceur
plus profonde. Les monts, plus arrosés, ont mieux con-
servé leur vclure de bois et de prés. Cela donne au pay-
sage moins d'élégante et de nerveuse sobriété, mais un
charme plus aimable, plus nant. Il faut avoir erré, au
printemps, dans les tendres campagnes ombriennes pour
comprendre pleinement la vie d'un François d'Assise,
l'œuvre d'un Pérugin. Pérouse (70000 habitants), si
riche en souvenirs d'art; Orvieto (8000 habitants), per-
chée sur son acropole de tuf volcanique; Assise, dominée
superbement par sa basilique franciscaine, sont les étap>es
obligées de tout pèlerin d'art en Ombrie. Plus au Sud.
Spolète, Terni (20000 habitants) ont pu, grâce à la
houille blanche de leurs cascades, développer l'industrie
métallurgique, tandis que Foligno et Rieti sont d'im-
portants marchés agricoles où se concentrent l'industrie
de leurs bassins, anciens lacs comblés et transformés en
fertiles terroirs.
LE LATIUM. 00 .Au-dessous d'Orvieto. le
Tibre pénètre dans le Latium (Lazio). Sa vallée, res-
serrée entre les monts de la Sabine à l'EUt, les hauteurs
171
L'EUROPE
volcaniques du Cimino et du Soracte à l'Ouest, demeure
e'troile jusqu'au-dessous de Cortese où le fleuve s'incline
vers le Sud-Ouest et débouche peu après dans la
Campagne Romaine.
La partie Nord du Latium est le prolongement des
plateaux toscans. Mêmes paysages lourmente's et char-
IROME
ET SES ENVIRONS
*es®ï
mants, même succession de collines arrondies, de vallées
creuses où chantent les rivières. Les terrains d'origine
volcanique composent la majeure partie de la région
placée entre le Tibre et la mer. Sur les hauts promon-
toires de tuf aux raides parois se perchent les bourgs, et
de belles nappes d'eau : lacs de Bolsena, de Vico, de
Bracciano surtout, comblent le fond d'anciens cratères.
Peu de villes importantes : seule la vieille cité de
Viterbe (18000 habitants) mérite d'être nommée.
Dans le Sud de la province, les roches volcaniques
sont représentées par les monts Albins, dont on voit,
de Rome, les sommets bleus se profiler dans le lointain
par delà la campagne monotone. Lieux charmants où la
fièvre ne monte pas, où, de tout temps, les Romains
vinrent chercher la fraîcheur et le repos aux rives des lacs :
Nemi, Albano, à l'ombre des grands chênes, en face
des plus beaux horizons qui soient au monde. A Albano,
Ariccia, Castel-Gandoifo, Frascati, Tivoli, les ruines
des villas, des temples antiques, se mêlent aux somp-
tueuses demeures construites par les papes et les hauts
personnages qui les entouraient. Dans des jardins de
rêve, les roses s'enlacent au tronc colossal des cyprès ;
de nobles escaliers conduisent aux arceaux de verdure
sombres où luisent dans l'ombre les reflets des statues,
et les eaux des cascades bruissent dans leurs vasques
solitaires. On plaint, avec Goethe, les femmes d'Albe
contraintes d abandonner ces beaux lieux pour suivre
leurs ravisseurs aux rives marécageuses du Tibre.
Plus au Sud, les monts Lepini (1536 mètres)
dominent la vallée du Sacco et vont mourir aux rives
de la mer où leurs dernières pentes surplombent le
golfe aimable de Terracine. Au Nord du Sacco, une
région plus mouvementée, plus sévère, la Ciociara, fut,
dans I antiquité, le domaine des Volsques et des Her-
niques, ces premiers adversaires de Rome naissante.
Ferentino, Aiatri possèdent encore leurs enceintes
cyclopéennes. Anagni rappelle le drame célèbre où
Boniface VIII reçut le soufflet de Colonna. Dans la
\allée solitaire de l'Anio, Subiaco fut le berceau de
1 ordre de Samt-Benoit. Les gens des montagnes ont
conservé très pur le type du Romain classique : le pro-
fil régulier, le large front, les grands yeux noirs, la
bouche et le menton fortement dessinés, la stature un peu
ramassée, trapue, solide ; aussi les ' ciocian " foumissent-
ils la majeure partie des modèles que se disputent les ate-
liers de Rome, et dont on voit les groupes pittoresques
îe masser sur l'escalier de la Place d'Espagne qui monte
au Pmcio.
Entre les dernières ondulations des plateaux élrusques,
au Nord, les monts de la Sabine à l'Est, au Sud les
monts Albains, se creuse une dépression que comblèrent
en pcirtie des nappes d'un tuf volcanique très compact et
difficile à cultiver. Ils forment une sorte de plateau aux
larges ondulations, entaillé de ravins aux flancs raides :
c'est l'Agro Romano, la Campagne Romaine. 11 ne fut
jamais fertile, et, aujourd'hui encore, malgré les travaux
de défirichement, malgré l'extension des vignes, des
champs de blé qui remplacent peu à peu les steppes
d'autrefois (notamment le long de la voie ferrée Rome-
Naples), l'Agro Romano conserve, sur de vastes
espaces, la solitude, la nudité qui font sa grandeur. Les
aqueducs ruinés dressent leurs arcades de briques rouges
au-dessus des grandes herbes. Le long des voies antiques,
les tombeaux des patriciens dorment dans la lumière.
L'été, la chaleur est humide et malsaine, la malaria
redoutable ; le silence n'est troublé que par le chant des
cigales ou le galop lointain d'une troupe de chevaux à
demi sauvages. L'hiver, ces solitudes s'animent quelque
peu, car des centaines de milliers de moutons descendent
de la montagne sous la garde de bergers taciturnes. Tel
est le cadre sévère et grandiose qui entoure la majesté de
la Cité.
Elle naquit sur les sept colliri'es, promontoires amincis
172
L'ITALIE
du plateau de tuf que le Tibre contourne avant de se
diriger vers l'Ouest, vers la mer. Chacun connaît son
histoire, sa naissance, ses débuts difficiles, ses conquêtes
sans arrêt, les succès prodigieux qui lui valurent l'empire
du monde, le rôle qu'elle joua, au Moyen Age et dans
les temps modernes, comme métropole de la chre'tiente' :
enfin la vie nouvelle que lui infusa, depuis le 20 sep-
tembre 1870, son élection au rôle de capitale du
Royaume italien. Trois villes se superposent ou se jux-
taposent dans l'immense espace circonscrit par les rem-
partsd'Aurélien. longsde25 kilomètres. La Romeantique,
dont les monuments encore debout sont particulièrement
nombreux au Sud dans la zone solitaire du Forum,
du Colisée, du Célius et de l'Aventin que traverse la
Via Appia ; la Rome pontificale, au Nord du Capi-
tole et du Forum, dans l'ancien Champ de Mars et le
quartier du Vatican : la Rome moderne enfin, qui se
développe sur l'Esquilin et le Viminal près de la gare
centrale. A côté des larges avenues nouvelles bordées
de magasins élégants, pleines de la foule banaJe des
grandes villes, s étendent les solitudes exquises où les
ruines des amphithéâtres, des temples, des thermes, les
arcs de tnomphe, les colonnes gisant parmi les herbes
folles chantent l'impérissable gloire des ancêtres. Tandis
que la place et la coupole de Saint-Pierre, le Château
Saint-Ange, les palais, les villas entourées d'admirables
jardins, les fontaines monumentales, les églises innom-
brables rappellent les splendeurs de la Rome papale, la
Rome contemporaine ne peut opposer à tant de
merveilles que le souci du confort et de l'hygiène,
le besoin de lumière et d'air libre dont notre vie ne peut
se passer.
Malgré son titre de capitale, malgré l'accroissement
de sa population qui, de 220 000 habitants en 1871 a
atteint 590000 en 1916, Rome est dépassée, en Italie
même, par Milan et par Naples, et ne paraît point
capable de devenir jamais un centre d'attraction compa-
rable aux autres capitales du monde. Elle est trop
éloignée du foyer de vie qu'est la plaine du Pô, elle est
plus mal desservie par des voies ferrées insuffisantes, sans
communication avec la mer. Son ancien port d'Ostie est
depuis longtemps comblé par les alluvions du Tibre, et
la cote du Latium, bordée de marais (marais pontins),
insalubre, presque dépeuplée, n'a d'autre débouché que
le mauvais port de Civita-Vecchia. Elle n'a donc rien
de ce qui, aujourdhui, attire et concentre les capitaux,
les grandes entreprises industrielles et commerciales.
Mais, à toutes les critiques, Rome oppose une réponse
sans réplique, son nom. Réponse qui en vaut bien une
autre pour un peuple, c'est-à-dire pour un être qui ne vit
pas seulement d'intérêts matériels, mais d'idéal et de
souvenirs. '
LES MARCHES ET LES ABRUZZES
A la Toscane, à l'Ombrie et au Latium correspondent,
à l'Est, les provinces des Marches et des Abruzzes.
Elles s'étendent de l'Apennin à l'.Adriatique et sont
entièrement couvertes par les plis, les diramations, les
contreforts de la longue chaîne péninsulaire. La côte
même est privée de ces petites plaines riveraines qui
s'ouvrent à l'Ouest sur la mer Tyrrhénienne. Elle s'étend
en ligne presque droite, sans havres, sans indentations pro-
pices a l'étabhssement des ports. La bora, ce mistral de
l'Adriatique, y fait rage, et seul le port d'Ancône s'y put
établir.
Du littoral, des pentes assez régulières, découpées en
chainons parallèles par l'érosion des petits fleuves
côtiers, conduisent à la crête maîtresse qui, sous le nom
d'Apennin des Marches et d'Apennin des Abruzzes,
prolonge vers le Sud l'Apennin Toscan. Là se dressent
les plus hauts sommets de la péninsule : le massif de la
Sibille (2 478 mèties), le Gran Sasso (2914 mètres), le
Ferminillo, le Velino (2487 mètres). Ces derniers
dominent une sorte de haut plateau, la ' conca Aqui-
lanea, ' qui forme le cœur du paysdes Abruzzes : région
sauvage et d'accès difficile, généralement déboisée, ou
de petites villes fortifiées, des bourgs très anciens perchés
sur la psinte des rocs somnolent solitaires et tristes. Des
pâtres gardent, l'été, leurs troupeaux sur les croupes à
I herbe odorante, et descendent, l'automne venu, vers
les plaines littorales. Des bûcherons et des charbonniers
exploitent les quelques forêts de sapins qui échappèrent
au déboisement.
De l'Ouest à l'Est, les communications sont rares et
difficiles. Deux voies ferrées seulement unissent Rome à
la côte orientale par Foligno (c'est à peu près l'ancien
trajet de la Voie Haminienne) et Sulmona.
Peu de villes et de médiocre grandeur. Dans la Pro-
vince des Marches, qui fit jusqu'au XIX^ siècle partie des
Etats Pontificaux, le port d'Ancône (68 000 habitants)
tire son importance de ce qu il est la seule bonne rade de
! Adriatique entre Brindisi et Venise. Urbino vit naître
Raphaël. Macerata, Ascoli, Fermo, Camerino, Pesaro
sont des marchés agncoles ou des centres administratifs.
Au Nord, la minuscule République de Saint-Marin,
enclavée entre les Marches et la Romagne. se conserve
comme le souvenir des temps lointains ou l'Italie, par-
tagée en une multitude de petits gouvernements, n'était
qu'une expression géogr.iphiquc ".
Dans les .'\bruzzes, les villes sont moins nombreuses
173
L'EUROPE
encore. On peut citer Aquila, au pied du Gran Sasso,
Sulmona, qui est un croisement de routes important,
Chieti, Avezzano enfin, près de l'ancien lac Fucin,
aujourd'hui complètement desse'che.
Du reste, malgré l'absence, naturelle en de telles
régions, de grands centres urbains, la population attemt,
dans les Marches et les Abruzzes, une densité surpre-
nante de 80 à 90 habitants au kilomètre carré. Le
climat est rude, pourtant, l'hiver long, neigeux, la cul-
ture difficile dans les basses régions, et presque impos-
sible au-dessus de 800 mètres. Mais la race, trempée par
le climat, est vigoureuse, endurante, obstinée à l'effort.
Elle fournit une part notable de ces émigrants tempo-
raires qui vont faire la moisson, la fenaison, les semailles,
les vendanges dans les plaines, ou que l'on retrouve
comme terrassiers, hommes de peine à l'étranger, tandis
que la femme, les enfants surveillent le troupeau dans
les villages de la montagne, cultivent le maigre lopin de
terre et reçoivent les subsides fidèlement envoyés par
l'exilé.
L'ITALIE MERIDIONALE
VUE D'ENSEMBLE, aa Au Sud du Latium
et des Abruzzes commence l'Italie méridionale divisée
. en quatre provinces : Campante, Pouilles, Basilicate et
Calabre.
L'Apennin s'écarte de l'Adriatique et se rapproche
de la mer Tyrrhénienne. Il change aussi de caractère et
de forme. Plus de chaînes continues, mais des massifs
isolés par des dépressions que les routes peuvent utiliser.
Tels, en Campanie, le Matese (2050 mètres), l'ancien
pays des Samnites, ces redoutables adversaires de Rome ;
le mont Volturino (1836 mètres) en Calabre. De
plus, tandis que les roches secondaires (les calcaires et
les marnes) se prolongent jusqu'au Pollino et à la
dépression du Crati, la Sila et l'Aspromonte sont formés
de roches primitives : granits, gneiss, micaschistes qui se
rattachment à l'ancienne Tyrrhénide.
A l'Ouest, les terrains volcaniques composent une
partie du sol de la Campanie. Près de Naples,
l'étrange région des Champs Phlégréens (Misène.
Pouzzoles) n'est qu'une succession de petits cratères, de
solfat£u"es, d'émanations gazeuses. Au Sud-Est, le
Vésuve est en pleine activité. On conneut son histoire
depuis le jour fameux de l'an 79 après Jésus-Christ ou,
s'éveiUant tout à coup, après une période de repos dont
on ignore la durée, il ensevelit sous les cendres et les
laves Herculanum et Pompéï. Depuis lors, nombre de
ses éruptions furent désastreuses pour les villes et les
villages qui se pressent à ses pieds. Mais les bienfaits du
volcanisme sont ici incomparablement plus grands que
ses dangers. Le sol, en effet, formé non pas de tufs
très compacts comme dans l'Agro Romano, mais de
cendres et de laves pulvérulentes faciles à travailler, est
d'une extraordinaire fertilité. C'est l'élément essentiel
de la richesse, légendaire, des terres campaniennes.
A l'Est de l'Apennin, l'aspect est tout autre. Au
pied de la montagne s'étend d'abord la " Tavolière ",
! vaste plaine dont Foggia occupe le centre. Le sol, assez
analogue à celui de la Beauce ou de la Picardie, est
couvert d'un terreau noir très fertile, et particulièrement
-174-
favorable à la culture des céréales. Au Sud de la Tavo-
lière, les Murge ou Murgie se présentent sous forme de
plateaux calcaires très secs, coupés de ravins aux parois
abruptes. Seul l'olivier, parfois l'amandier et la vigne,
parviennent à vivre sur le roc presque nu. De Tarente
à Bari, la route circule au milieu d'une immense forêt
d'oliviers. D'étranges bâlisses de pierres brutes, en
forme de troncs de cône superposés, apparaissent à
l'ombre des arbres. Ce sont les demeures des paysans
au moment de la récolte des fruits. De loin en loin, au
sommet des collines, des villes toutes blanches, aux
toits plats, flamboient sous la lumière crue d'un ciel tout
oriental.
Orientale, l'Italie du Sud l'est par son climat, son ciel, ses pay-
sages, jon histaire, certains traits du caractère de ses habitants. Les
hivers de Naples et de Tarente sont plus tièdes que ceux
d'Athènes, les étés aussi chauds. L'oranger, abient de l'ItaUe cen-
trale, reparaît à partir de Gaëte, et ses beaux fruits mûrissent à
merveille de Naples à Reggio. On retrouve çà et là, sur les rives
exquises de Sortente, sur les pentes de l'Aspromonte, les traits nets
et purs des paysages de l'Hellade. On se rappelle enfia que tonte
l'Italie du Sud s'appela la Grande Grèce, qu'elle lut hellén sée
dès le VIU' siècle avant notre ère, que Tarente, Métaponte, Syba-
ris, Crotone, etc. furent puissantes et riches alors que Rome n'était
qu'une bourgade. Et il n'est pas jusqu'aux colonies albanaises
encore vivantes dans certains villages des Fouilles et de Calabre
qui ne témoignent du lien étroit qui unit l'Italie du Sud aux rivages
orientaux qui lui font face, par delà l'Adriatique, à moins de
1 00 kilomètres de Brindisi.
Les habitants sont fort différents, suivant qu'on les
étudie dans la plaine ou dans la montagne. Comme
l'Abruzzais, le montagnard de la Basilicate, celui de la
Calabre est grave, taciturne, robuste, dur au travail,
bon soldat. La vie n'est pas aisée pour lui dans ces
hautes régions infertiles, sans communications avec le
dehors, et dont l'Italie contemporaine s'est trop peu
préoccupée. De tout temps altiré par les richesses du
bas pays, habitué à sa vie sauvage, fruste, mais indé-
pendante, il s'adonnait volontiers au brigandage et trou-
vait un abri sûr dans les replis de la Sila, de l'Aspro-
L' ITALIE
monte, dans les forêts de sapins et de hêtres qui les
couvrent jusqu'au sommet. De nos jours, il est à pcme
besom de dire que la sécurité est, en Calabre, aussi
parfaite qu'en toute autre re'gion de l'Italie. L'émigra-
tion fournit, du reste, au montagnard, le moyen d'échap-
per à l'emprise d'un sol ingrat. Nulle province d'Italie
n envoie aux deux Amériques autant de travailleurs
manuels.
L habitant des plaines, surtout dans l'heureuse Cam-
panie, a la vie singulièrement plus facile, plus riante.
Certes, tous les Napolitains ne sont point les lazza-
roni " que d'aucuns s'imaginent. Les beaux jardins, les
vignes, les champs plantureux de la Campanie en
témoignent, comme aussi le développement des indus-
tries et la grande activité commerciale. Cependant, sous
ce ciel heureux, où tout abonde, il est doux de se
laisser vivre sans trop d'efforts. La gaieté insouciante,
une certaine indolence qui n'exclut pas de violentes
poussées de passion sauvage, l'amour du chant, de la
danse, du jeu, les superstitions enfantines caractérisent
encore le Napolitain et. d'une façon générale, tous
les Italiens des plaines méridionales. Les ' délices
de Capoue, les séductions de la " molle " Sybaris
n étaient-elles point, du reste, aux temps antiques, un
sujet à la fois de réprobation et d'envie ?
Enfin, si déjà dans l'Italie centrale on constate que
1 Italien répugne à l'isolement, à la dispersion, ce trait
de caractère s'accentue étrangement dans l'Italie du Sud.
Les fermes isolées, les hameaux, les petits villages
deviennent une rareté. Par atavisme, et comme souve-
nir des temps où l'insécurité était la règle, les gens se
groupent dans les " borghi ", gros bourgs ou petites
villes. Le paysan lui-même est la plupart du temps un
citadin. ' Il loge en ville, écrivait Paul-Louis Courier,
et laboure la banHeue. " Nombre d'entre eux possèdent
un petit champ, une olivette situés à plusieursdizaines de
kilomètres de leur " borgo ". La famille s'y transporte
aux temps de la récolte ou des travaux essentiels, avec
une charrette, quelques provisions, et couche en plein
air ou dans une cabane de pierres sèches, puis, la tâche
faite, revient au logis et laisse pour des mois son petit
domaine à la garde de Dieu.
CAMPANIE. 00 On entre généralement en
Campanie par la route qui, venant de Rome, emprunte
la vallée du Sacco, puis celle du Garigliano, Elle passe
au pied du mont Cassin, que couronne le célèbre
monastère de Saint-Benoît, et débouche, peu avant
Capoue, dans la plaine de Caserte (20000 habi-
tants) où des palais, des parcs majestueux, de larges
avenues rappellent le souvenir des Bourbons de Naples,
dont Caserte fut le Versailles. Au fond de l'horizon se
détache le double cône du Vésuve empanaché de
fumée. Vers l'Est, l'Apennin Napolitain est escaladé
parla voie qui mène à Bénévent et à l'Apulie. Et la
campagne plantureuse, la " Terre du Labour ", mer-
veilleusement cultivée, semée de "borghi "aux blanches
maisons, s étend, comme un immense jardin, jusqu'aux
rives du golfe où Naples se mire.
Fille et héritière de la colonie grecque de Cumes,
qu'elle supplanta dès l'antiquité, Naples (Neapolis : Ville
neuve) a toujours joué un rôle de premier ordre dans
I histoire de l'Italie du Sud dont elle fut pendant six
siècles la capitale politique (1265-1851) et dont elle est
encore la grande métropole intellectuelle et commerciale.
Elle doil celle importance à sa posilion marilime. D'une pari,
en effet, elle commande la mer Tyrrhénienne et est en relations
naturelles et faciles avec toutes les rives de celle mer, à 220 kilo-
mètres de la Sicile, 'i, 240 de la Sardaigne. D'autre part, si les
côtes de la Toscane et du Latium, entre Livoume et Gaëte, sont |
complètement dépourvues de rades naturelles et à peu près '
désertes, les rivages de la Campanie, de la Calabre, de la Sicile,
bien articulés, découpés par des golfes nombreux (Gaëte, Naples,
Salerne, Policastro, Santa Eufemia, Palerme, etc.), se prêtent au
développement de la navigation. La population riveraine est
presque aussi pressée qu'aux bords du golfe "Ligure. La pêche (du
ihon, du corail), le cabotage furent de tout temps très actifs, et les
flottilles des marins de Salerne, d'Amalli allaient, et vont encore,
jusqu'aux iles grecques, jusqu'aux côtes africaines. Il y avait là un
milieu géographique très favorable à la naissance d'un grand pori,
et l'ouverture du canal de Suez, l'extension de l'émigration, la mise
en valeur des richesses agricoles (fruits, vins), la création ou le
perfectionnement de certaines industries (constructions navales à
Caslellamare, objets dits de Naples, etc.) ont accru encore dans
de considérables proportions l'importance commerciale de Naples.
Elle est aujourd'hui le premier port de l'Italie (18 503 000
tonnes en 1920) et la ville la plus peuplée (700 000 habitants),
l'une des plus pittoresques aussi, en dépit " d'embellissements
fâcheux, grâce à la beauté de sa rade, de ses iles (lachia, Capri,
Procida), grâce aux fertiles campagnes qui l'entourent et lui fou'-
nissent en abondance les vins célèbres (Lacryma-Christi, Capri),
les fruits de toute sorte: grâce à la bruyante exubérance, à la gaieté
communicalive de ses habitants, q ji passent une partie de Itur vie
en plein air, hors des hautes maisons noires de leurs ruelles grim-
pantes. Elle occupe, enfin, une place éminenle parmi les cités intellec-
tuelles de l'Italie, et son Université est la plus fréquentée du
royaume.
Des paysages splendides l'environnent. Que l'on se
promène sur les pentes du Pausilippe, semées de villas,
sous les oliviers d'Ischia et de Capri, parmi les cra-
tères multiples des Champs Phlégréens, le long de la
côte divine où, de Sorrente à Amalli, les bois d'orangers,
les pins parasols s'étagent sur les pentes pleines de
soleil ; que l'on aille rêver dans la solitude de Pompéï
et sous les colonnades des temples de Paestum, que
I on escalade les parois du Vésuve, d'abord couvertes
de champs, de jardins, de vignobles, de villes populeuses
(Portici, Résina, Torre del Greco, etc.), puis noires de
coulées de laves et de cendres qui fuient sous le pied,
ni loeil, ni 1 esprit ne se lassent jamais d'une contem-
plation toute pleine d une secrète et tendre volupté.
J75
L'EUROPE
LAPULIE OU RÉGION DES FOUILLES.
a£l De Naples on gagne l'Apulie par deux voies
ferrées : celle de Be'névent-Foggia, et celle qui, par
Potenza, descend sur Tarente.
La première ne s élève qu'à 600 mètres d'altitude-
Peu de travaux d'art. On ne perd jamais de vue les
vignes, les champs de maïs ; des prairies couvrent les
pentes arrondies. Be'névent (17 500 habitants), qui com-
mandait le passage, fut au Moyen Age le siège d'une
Marche militaire. A Bovino, on entre dans les plaines
delà Tavolière, couvertes de céréales, un des greniers à
blé de l'Italie. Foggia (50000 habitants), Cerignola
(40 000 habitants) en sont les centres principaux et les
grands marchés. Puis la route se rapproche de 1 Adria-
tique. Au Nord , l'éperon du mont Gargano ( I 056 mètres)
peut êlre considéré, par la nature de ses roches calcaires,
comme un fragment détaché des côtes dalmates. Le
golfe de Manfredonia, qu'il protège contre les vents du
Nord, a des rives trop marécageuses pour se prêter a la
vie maritime. Par contre, à partir de l'Ofanto (près
duquel Annibal veiinquit les Romains à Cannes en
216 avant Jésus-Christ), une série de ports actifs se
succèdent à peu de distance les uns des autres : Bar-
letta (40500 habitants), Trani (32000), Bisceglie
(31000), Molfetta (40000). Bari (109000), Mono-
poli (25 000). Les oliviers, les vignes, les figuiers, les
amandiers couvrent la campagne. Partout les blanches
maisons aux toits en terrasses flamboient au soleil. A
l'intérieur, de grosses agglomérations s'alignent au pied
des collines des Murgie : Andria (50000 habitants),
Ruvo (25 000), Bitonto (27 000). C'est une des régions
les plus peuplées de l'Italie et celle qui produit le plus
d huile et de vin.
Au delà de Monopoli, la fertilité est moins grande.
Des steppes pierreuses s'étendent autour de Brin-
disi (22 000 habitants). Mais l'antique Brundusium, la
Brindes des Francs, a le meilleur port de la côte, le
plus proche de la Grèce et du canal de Suez. Les
armées, les fonctionnaires de Rome s y embarquaient
pour les pays d'Orient. Aujourd'hui, elle est la tète de
ligne de la Malle des Indes.
La pointe extrême du talon de la botte " italienne
forme le pays d'Otrante, terminé par le cap de Santa-
Maria. Les deux rades d'Otrante et de Gallipoli sont
sans importance. Mais, à l'intérieur, la région de Lecce
est fertile, bien cultivée, riche en olivettes, en vignobles,
en jardins fruitiers, et fort peuplée. Tarente (50 000 habi-
tants), située sur une sorte d'isthme entre la mer pro-
prement dite et un double golfe intérieur (Mare Piccolo),
possède l'une des meilleures, des plus sûres rades de
l'Europe. Elle joua dans la Grande Guerre un rôle de
premier ordre comme base des transports destinés à
l'Armée d'Orient, mais son importance commerciale est
petite.
LA BASILICATE ET LA CALABRE. £ia
Une ligne fort pittoresque conduit de Naples au golfe
de Tarente à travers les montagnes et les plateaux delà
Basilicate, l'ancienne Lucarne, le " pays des loups :
gorges profondes, pentes abruptes couvertes de brous-
sailles, villages haut perchés dans la solitude dun pays
sauvage. Potenza, sur le Basento, n'a que 12 000 habi-
tants ; elle est cependant la cité la plus populeuse de
ce pays de montagnards et de bergers, l'un des plus
pauvres, des moins peuplés de 1 Italie.
La Calabre, le pays des Bruttiens (le mot veut dire :
révoltés), qui fait suite à la Basilicate, est, elle aussi, cou-
verte dé montagnes et fort mal pourvue de moyens de
communication. Aussi ne la connait-on guère, même en
Italie, et bien rares sont les touristes qui escaladèrent les
pentes de la Sila, errèrent sous l'ombrage des chênes,
des hêtres, des sapins gigantesques ou contemplèrent la
vue prodigieuse que l'on a, des sommets de 1 Aspromonte,
sur la Sicile, l'Etna, le golfe de Messine, la mer ou
chantaient les Sirènes.
Pourtant la Calabre a une densité de population qui,
au moins dans l'Ouest et au Sud, atteint jusqu'à
150 habitants au kilomètre carré. Les ressources natu-
relles (forêts, culture des agrumes et de la vigne,
pêche, etc.) n'y font point défaut. La race est laborieuse
et économe. Mais il faudrait construire des voies ferrées,
des routes carrossables pour desservir les gros villages de
l'intérieur. Il faudrait surtout assainir et rendre à la culture
l/(j
L'ITALIE
LE riBRE. UE CHATEAU SALNT-ANGE SAINT-PIERRE.ta eauxlenia a
houanadu Tibre dûntxnl à tractn la Ville EtemdU une large courbe EUej étaient,
aux temSti antique, acusùbles aux navires. Ella ne tant t>lus aujourj'hui — en atten-
dant la réalisation du projet Rome-Port de mer — fréquentées que par les barques des
pêcheurs. Le château Saint-Ange est l'ancien mausoiée d'Hadrien, énorme monument
funéraire transforme, au \fouen Age, en forteresse où les paPcs durent, mainte»
fois, ic réfugier. Des souterrains l'unissaient aux jardins et au Palais du Vatican que
Vtm devine à droite du dôme de St-Pierre. CI. Andebson
177
L'EUROPE
FLORENCE : LE DOME FLORENCE : LE PONTE VECCHIO FLORENCE : LE PALAIS PITTI
FLOÏiEHCE. La viUe des fleurs repose au fond du val d'Amo qu'entourent les collines CoUi, dans les jardins étages qu'ombragent les cyprès et les lauriers; que l'on admire
de Fi(SoIe et de San Miniato, tandis que la muraille de 1 Apennin haiTe l'horizon. C'est les chefs-d'œuvre de l'architecture florentine églises et palais, les jours s'écoulent sans
un des lieux du monde les mieux faits pour le bonheur. Que l on erre sur les quais enso- que l'en y songe, dans une fête perpétuelle pour les yeux et comme une sorte
leiUés de l'Arno, sur le vieux pont bordé de boutiques d orfèvres, sur le fameux viale dci d'enchantement . CI, AlinarI et Broci.
ROME: ?lACESM>iT-?\ERHE. L'Église Sainl-Piejre.édifiéesuT les plans dt
Bramante et de Michel-Ange, a comme magnifique vcsiitule une place immense
qu'encadrent les colonnades construites par Le Bemin en 1667. Un obélisque et
deux fontaines harmonieuses la décorent sobrement. CI. Alinari.
ROME : PLACE DU CAPITULE. Le mont Capitolin est la plus célèbre des sept
collines sur lesquelles s'élève la Ville Eternelle. Autrefois, dominée par la citadelle
et le Grand Temple de Jupiter, elle porte aujourd'hui plusieurs palais encadrant
une place que Michel-Ange dessina. Cl. MauREL
KOiME : LE COLISÉE. La tue est prise da jar-
dins dv Palatin. Elle embrasse la majeure partie de
î'AmthaJJâtje colossal, et l'Arc de Triomphe érigé
cnS12par Constantin. CI.AlinaBI.
riwiÉii l.
-■ Trrwrtîfci
TIVOLI : VILLADESTE. Depuis les lemus anli-
que3,les collines e^cqtiises qui enlourenl l'Agro Romano
portenl a Altano à Tivoli, une couronne de villas
aux magnifiques jaràins. CI. Alinari,
ROME : LE FORUM DE TRAJAN itcii une
agglomération d'édifices somptueux encadrant ime
place que dominait une colonne de marbre couverte
de précieux bas-reliefs. Cl. MaUBEL.
178
L'ITALIE
les rivages que désole et que vide la malaria. Toute la
côte du golfe de Tarente lut, aux temps antiques, par-
faitement cultivée et fort peuplée. Tarente, Liris,
Sybaris, Métaponte. Crotone étaient les puissantes métro-
poles de ces riches régions. Mais, à la suite des invasions
barbares, les travaux de drainage, les canaux disparurent.
Les eaux stagnantes engendrèrent la fièvre. Des roseaux,
des maquis épais de mjTtes et de lauriers-roses rempla-
cèrent les champs. La population, fuyant à la fois la
6èvre et les pirates, se réfugia dans la montagne. On
commence aujourd'hui, mais bien lentement, à s'occuper
de ces pays déshérités. Des plantations d'eucalyptus
apparaissent çà et là. Quelques cultures se développent
autour de ce qui fut Métaponte et Sybaris. Peu de choses
encore ! Cortone (l'ancienne Crotone, la patrie de l'athlète
Milon) n'a que 7 000 habitants et elle est cependant,
avec Catanzaro (22000 habitants), la plus forte agglo-
mération de la Calabre orientale. A l'Ouest, bien que le
fond des golfes de Policastro et de Santa Eufemia soit
aussi malsain, et que les grandes villes fassent aussi défaut,
les villages, les petits ports apparaissent fort nombreux.
La vallée du Crati, au fond de laquelle se cache
Cosenza( I 5 000 habitants), parcourue par une voie ferrée,
a plus de 1 50 habitants au kilomètre carré. L'extrême Sud,
enfin, de Pizzo (où Murât, devenu roi de Naples, fut
fusillé en 1815), à Reggio di Calabria par Palmi et
Bagnara, est un jardin continu d'orangers, d amandiers,
de figuiers, mais où, malheureusement, les tremblements
de terre sont fréquents. On se souvient du séisme du
28 décembre 1 908 qui détruisit complètement Reggio et
fit périr, dans la seule Calabre, 40000 personnes environ.
LA SICILE. 00 Par delà le détroit de Messine
(8 kilomètres au point le plus étroit), tout embaumé du
parfum des orangers, la Sicile s'allonge vers l'Ouest, vers
l'Afrique du Nord, dont la séparent 120 kilomètres seu-
lement dune mer peu profonde. Sa forme triangulaire
lui valut le nom antique de Frinacria (l'ile aux trois
pointes). Sa superficie est de 25 758 kilomètres carrés
(cf. la Belgique 29 455 kilomètres carrés), presque entiè-
rement couverts de montagnes et de plateaux. Au Nord,
bordant la mer T>Trhénienne, les roches cristallines des
monts Péloritains (1312 mètres), les calcaires des
monts Nebrodie (1846 mètres), Madonie (1975 mètres)
et Panormitains prolongent les chaînes Apennines. Au
Centre et au Sud, un ensemble confus de petites chaînes,
de massifs orientés Nord-Sud ou Nord-Ouest-Sud-Est
comprennent des calcaires, des marnes et des terrains
d'origine volcanique. A l'Est, le puissant massif de
l'Etna érige à 3219 mètres son cône régulier, bardé de
coulées de lave, percé de cratères adventifs et tout res-
plendissant de neiges.
La Sicile se trouve à la même latitude que l'Anda-
lousie, le Péloponèse, les côtes méridionales de l' Asie-
Mineure. Nulle part, en Italie, les hivers ne sont aussi
tièdes. Par contre, l'été n'y est guère plus chaud qu'à
Florence ou Bologne et la brise de mer tempère
l'ardeur du soleil.
Suiiont.
Janvier
Juillet
Nombre de jourt
pluvieux
Climat de Palerme.
, — de Syracuse.
- de Malle...
-1- ll°0
H- I3°0
H- 25<'4
+ 26°5
+ 26°2
47
43
42
Les étés sont absolument secs ; mais, en automne et
au printemps, il pleut suffisamment pour permettre toutes
les cultures de la zone méditerranéenne et semi-tropicale.
L oranger, le citronnier, le cotonnier même prospèrent à
côté de la vigne et du mûrier comme dans les huertas
espagnoles. Ce sent, du resîe, de véritables jardins que
l'on trouve tout au long des côtes orientales et septentrio-
nales sur les pentes de l'Etna, dans la plaine de Catane,
autour de Messine, dans la " Conca d'Oro ", de Pa-
ïenne, etc. Les fruits (oranges, citrons, figues, amandes,
raisins secs, olives), les vins (Marsala, Zucco, Syracuse)
forment une part prépondérante des exportations. Il y faut
ajouter le blé (déjà, dans l'antiquité, la Sicile était un des
pourvoyeurs de la Grèce d'abord, puis de Rome),
l'huile, le coton, la soie grège. Enfin, dans un autre
ordre d'idées, les soufrières de Sicile (région de Caltani-
setta) comptent parmi les plus importantes du monde.
Sa position intermédiaire entre les deux grands bas-
sins de la Méditerranée valut à la Sicile d'être occupée
par des représentants de toutes les races qui peuplaient
les rives de cette mer.
Aux Sicanes autochtones s'ajoulèreni, dès la plus haute anti-
quilc, les Sicules émigrés d'Italie. Puis vinrent, à partir du
VIll" siècle, les Grecs qui fondèrent Naxos, Syracuse, Catane,
Himera, Gela, Sclinonte, etc., et firent de la Sicile l'un des foyers
les plus vivants de la civilisation hellénique. Les Carthaginois
s'emparent \ leur tour de la majeure partie de l'ile. Ils en sont
chasses par les Romains et la Sicile se fond dans la grande unité
romaine. Lors des invasions barbares, les Goths sont un instant
maîtres de l'île. Les Sarrasins leur succèdent en 650, mais doivent,
au XI" siècle, céder la place aux rois normands. Tour à tour
soumise à la domination des empereurs germaniques (sous le règne
brillant de Frédéric II), puis de Charles d'Anjou, frère de saint
Louis, la Sicile se débarrassa des Français par le massacre des
Vêpres Siciliennes (1 282) et se donna aux Espagnols. Depuis cette
date, l'île fit partie d'abord de la monarchie espagnole puis fut
réunie au royaume de Naples gouverné par une branche de
la famille des Bourbons. Au XIX° siècle, elle se révolta \ maintes
reprises, mais sans succès, contre la tyrannie des rois de Naples.
Il fallut l'arrivée de Caribaldi (I I mai 1860), la prise de Palerme
et de Messine, pour la libérer du joug et l'unir au nouveau
Royaume d'Italie.
De la Sicile hellénique, de la place qu'elle tint dans
le monde grec, seuls subsistent les légendes de ses dieux
ctoCRAPHIE UNIVERSELLE.
179
18
L'EUROPE
le renom de ses poètes, les enceintes de ses métropoles,
les ruines de ses temples, les admirables monnaies, les
bas-reliefs, extraits de son sol à Ségeste, Sélinonte.
Agrigente, Syracuse, Taormine, etc. Au Moyen Age, le
mélange des traditions grecques, arabes, byzantines, nor-
mandes, valut à la Sicile un art fort original dont
témoignent, entre cent autres, les basiliques de Cefalu
et de Monréale, la chapelle Palatine de Palerme, etc.
A ces richesses d'art, non moins qu'à la splendeur de
son ciel, au charme de ses paysages, la Sicile doit d'être
l'une des régions de l'Italie qui méritent le mieux qu'on
les connaisse et qui laissent à l'espnt les plus chers sou-
venirs.
Elle se trouve encore, il est vrai, mal pourvue de voies
de communications, et une visite complète des régions
intérieures n'est point chose aisée ! mais les côtes, riches
en ports et pourvues de petites plaines très fertiles, furent
de tout temps les parties les plus productives et les plus
peuplées. Sur les 4000000 d'habitants qui vivent dans
l'ile, les trois quarts se pressent sur les rivages, surtout au
Nord, de Trapani à Palerme. et à l'Est, de Milazzo a
Syracuse. Comme tous les Italiensdu Sud, le Sicilien aime
peu la dispersion et vit dans les ' borghi ", les grosses
agglomérations urbaines ou paysannes.
Palerme (l'antique Panorme), la capitale de l'île, a
324000 habitants. EJle repose au fond d'un golfe arrondi
que dominent les falaises du mont Pellegrino et qu'en-
tourent les jardins enchantés de la Conca d'Oro. Moins
bruyante que Naples, elle est aussi pittoresque et fort
riche en œuvres d'art.
A l'extrémité occidentale, Trapani (60000 habitants)
est en relations actives avec la Sicile. Marsala (27000
habitants) fabrique un vin connu. CastellaméU'e et
Castelvetrano sont les points de départ obligés pour la
visite des ruines fameuses de Ségeste et de Sélinonte.
A l'Est de Palerme, une route ravissante longe la
côteet.par Termini, Cefalu, Milazzo, conduit à Messine
(l'ancienne Zancle : la faucille), le premier port de la
Sicile avant le tremblement de terre de 1908 qui rasa
complètement la ville et fit périr plus de 80000 personnes.
Messine avait alors 150000 habitants. Elle est, aujour-
d'hui, parvenue à réparer presque complètement les effets
désastreux du cataclysme et renaît à une vie nouvelle.
De Messine à Catane, les pentes des monts Pélori-
tciins et de l'Etna, couvertes d'oliviers, d'orangers, de
palmiers, offrent une série de paysages qui comptent
pîirmiles plus harmonieux de l'Italie. Taormine en est le
bijou. Catane (21 7000 habitants), souvent ravagée par les
tremblements de terre et les laves de l'Etna.'offre l'aspect
d'une ville rebâtie plusieurs fois et d'une façon provisoire ".
Syracuse (44000 habitants), port excellent, n'occupe
qu'une bien petite partie de l'emplacement de l'antique
cité qui compta, dit-on, plus de 500000 habitants.
180
Sur la côte Sud, Girgenti (22000 habitants) est bâtie
dans un site admirable, près des ruines de l'ancienne
Agrigente.
A l'intérieur, enfin, CcJtanisetta (43000 habitants)
concentre le produit de l'exploitation des mines et carrières
de soufre, et une série de grosses agglomérations (Mo-
dica, Caltagirone, Alcano, etc.), qui dépassent toutes
45000 habitants, servent de marchés agricoles et de
centres administratifs.
LES ILES ANNEXES. 00 A la Sicile se
rattachent géographiquement l'Archipel des îles Eoliennes
ou Lipan, l'archipel des Egades, Pantellana, les îles
Pélagie et Malte. Sauf Malte, toutes les autres appar-
tiennent politiquement à l'Italie et font administrativement
partie des provinces de Messine, Trapani, Girgenti.
L'archipel des Lipari, d'origine volcanique, comprend quaU'e îles
principales : Vulcano, Lipari, Salina, Stromboli, et quelques îlols.
Les Grecs y plaçaient la demeure d'Eole, dieu des vents, et les
appelaient Hephestiades, du nom d'Héphaistos. le Vulcain de la
mythologie romaine, à cause de leur nature volcanique. Des nom-
breuses bouches éruptives qui hérissent leur sol, seul le Stromboli
(936 mètres) est en activité constante, mais sans danger. Les bateaux
qui se dirigent, la nuit, vers le détroit de Messine, connaissent bien
le point de repère formé par les reflets rougeâtres des laves qui
bouillonnent au fond de son cratère. On y exploite de la pierre
ponce, du soufre: on y cultive l'olivier, les fruits et la vigne (vins
de Malvoisie à Salina).
Les îles Egades (iles des chèvres), à l'Ouest de Trapani, ne
sont, comme nos îles bretonnes, que des fragments rocheux, escar-
pés, détachés de la grande île par l'érosion marine. La violence et
l'irrégularité des courants, des marées, l'abondance des récifs et des
bancs à fleur d'eau y rendent la navigation fort périlleuse.
Pantellaria, au large de la Sicile, doit encore sa naissance au
volcanisme qui fit surgir près d'elle, en I83I et en 1862, une
petite île éphémère, Ferdinandea ou Julia, sommet de volcan sous-
marin dont les roches friables furent, au bout de quelques mois,
rasées par les flots.
Les îles Pélagie (Lampedusa, Limosa) se composent, au contraire,
de roches calcaires. Avec leur vêture de maquis toujours verts,
les petites maisons blanches étagées sur leurs pentes, elles évoquent
les Cyclades et semblent détachées d'un archipel grec.
L'archipel maltais comprend deux îles : Malle et Cozzo, et un
îlot : Comino. Sa situation, au point de jonction de la Sicile et de
l'Afrique sur la route des navires qui vont d'un bassin à l'autre de
la Méditerranée, avait une importance que comprirent et qu'exploi-
tèrent ses différent maîtres : Phéniciens, Carthaginois, Romains,
Grecs, Arabes de Tunisie, Chevaliers de Samt-Jean (de I 522 à
I 798), Français, Anglais enfin. Les multiples fortifications qui se
superposent et s'entre-croisent autour du port de la Valette, la
capitale, marquent les stades successifs de son histoire guerrière.
Cette rade profonde, bien ramifiée, est non seulement une position
militaire dont il est superflu de souligner la valeur, c'est aussi un
port de transit extrêmement actif (mouvement du port de la
Valette en 1913 : Il 000000 de tonneaux), où les cargos anglais
chargent les céréales venues du Levant.
A l'intérieur, malgré les difficultés dues à l'absence de terre
végétale, à la sécheresse du climat, les îles ont été mises en culture
par le travail patient des Maltais. C'est une race d'hommes assez
spéciale, provenant du mélange de tous les peuples qui coururent les
L" ITALIE
eaux méditerranéennes, el qui a subi forlemeni l'cmprciole »arra-
sine. Le dialecte maltais, de fond italien, comprend nombre de
mola arabes. ExtrèmemenI dense (426 habitants au kilomètre
carre), celte population, malgré un travail acharné, malgré l'appoint
de la pêche et du cabotage, ne saurait vivre des seules ressources
qu elle lire de ses iles. Elle s'expatiie donc volonliers en Tunisie,
en Algérie, en Egypte. Jardiniers, bouchers, pelils commerçants, les
Mallais réussissent, grâce à leur ardeur au travail, à leur àpreté au
gain.
En hiver toutefois, l'île est fréquentée par de nombreuses
familles anglaises qu'attirent un climat sec, tiède, un ciel très
pur.
LA SARDAIGNE. 00 La Sardaigne est un peu
moins grande que la Sicile (23 799 kilomètres carrés).
Oeenest se'parée, ainsi que de l'Italie, par les abîmes de
la mer Tyrrhénienne. Par contre, elle se rattache directe-
ment à là Corse, dont l'isole le détroit mince et peu pro-
fond de Bonifacio.
Des montagnes recouvrent les neuf dixièmes de sasuper-
ficie. A l'Est, une chaîne de roches cristallines, orientée
Nord-Sud, et dont le Gennargentu (1834 mètres) est le
point culminant, borde la côte rectillgne. C'est le prolonge-
ment des chaînes corses. Mats, tandis que dans l'île fran-
çaise les pentes les plus raides font face à l'Occident, en
Sardaigne, les versants abrupts dévalent vers le Levant,
vers l'Italie, à laquelle l'île semble tourner le dos.
A I Ouest, une série de massifs d'origines diverses
(granits, calcaires, trachytes et laves) étalent primitive-
ment des îles distinctes qui furent, dans la suite des âges.
unies les unes aux autres, ainsi qu'a la chaîne principale.
p<u' un exhaussement du sol. par lesalluvlonsdes torrents,
surtout par des coulées de roches éruptives. Tel. par
exemple, le massif d'Iglesias, au Sud-Ouest, qu'isole
la plaine de Campidano. entre les golfes de Cagliîirl et
d Oristano. Tous les volcans de Sardaigne sont, du reste,
depuis longtemps éteints ; des villages se nichent dans
leurs cratères, et l'île contraste par sa stabilité avec sa
voisine sicilienne.
Climat, végétation, régime des eaux sont du type
méditerranéen si souvent décrit. Hivers tièdes. étés très
chauds et très secs ; pluies d'automne el de printemps ;
alternance du frais mistral et du brûlant sirocco ; torrents
à sec une partie de l'été. La malaria, entretenue par les
marais et les étangs de la côte, désole toutes les terres
basses et exerce ses ravages même dans certains districts
montagneux. Déjà, aux temps antiques, la Sardaigne
était renommée pour son Insalubrité, et l'on y expédiait
en exil les gens dont on voulait se débarrasser. Des
forêts d'érables, de chênes verts, de pins larlcio, de
hêtres subsistent encore dans les districts reculés. Ailleurs,
elles sont remplacées, comme en Corse, par d'épais
maquis de lentisques, d'arbousiers, de cystes. d'oliviers
sauvages, de hautes bruyères et de palmiers nains.
L'île e»t faiblement peuplée (870(XX) habitants en
1913, soit 37 au kilomètre céurré). A ce point de vue, elle
constitue une exception remeirquable parmi les grandes iles
européennes qui ont généralement une densité moyenne
supérieure aux réglons continentales dont elles dépen-
dent. Bien qu'elle ait reçu des colonies étrangères (Phéni-
ciens, Carthaginois. Génois, Espagnols, Berbères même)
elle dut à son isolement, à la difficulté de la pénétra-
tion à l'intérieur, de conserver une très forte indivi-
dualité.
Le Sarde est de petite taille, mais robuste et souple,
très brun. Il parle un dialecte tout à fait Incompréhen-
sible à l'Italien du continent, dialecte très proche du latin,
et qui a aussi beaucoup de points communs avec l'espa-
gnol. Il est fidèle aux usages, aux coutumes d'autrefois.
Comme tous les Italiens du Sud, Il évite l'Isolement et
vit exclusivement dans ses bourgs. Même les bergers
des montagnes groupent leurs huttes en villages Informes :
les stazzi . Pourtant on ne trouve pas en Sardaigne
les immenses domaines, les " latlfundl ", qui sont un des
vices du régime agraire de l'Italie continentale et de la
Sicile. Le paysan est propriétaire de son domaine, et le
sol est partage en une quantité de petites parcelles soi-
gneusement clôturées de haies.
Les ressources naturelles de la Sardaigne seraient
grandes si elles étalent rationnellement exploitées. Toutes
les céréales, tous les fruits de la Méditerranée y réus-
sissent à merveille. Comme la Sicile, la Sardaigne fut un
des greniers de Rome. Les côtes sont très poissonneuses.
Le sous-sol recèle d'importants gisements de fer et de
plomb argentifère, connus et utilisés depuis une haute
antiquité. L'élevage du mouton, du cheval, de l'âne, du
porc est SI facile que dans aucune autre région d'Italie le
nombre des animaux domestiques par tête d'habitant
n est proportionnellement aussi élevé.
Mais, si l'on excepte les exploitations minières du
Sud, presque rien n'a été fait pour mettre en valeur les
ressources de l'Ile, assalnu- les plaines, combler les marais,
triompher de la routine et de méthodes fort arriérées.
Faute de moyens de transport, les produit du sol se con-
somment en grande partie surplace, à vil prix. La pêche
et le cabotage sont aux mains des étrangers, car le Sarde
est un terrien qui répugne à la vie maritime, comme, du
reste, à 1 émigration. Les fruits (oranges surtout), un peu
de vin et d'huile, des peaux de moutons forment, avec
le plomb et le fer. les principaux articles d'exportation.
La capitale est Cagllari (61 (XX) habitants), sur la
côte Sud, ville d'aspect tout oriental, aux jolies malsons
blanches garnies de moucharablès. Elle est en rapports
naturels avec Napics et Tunis. Iglesias, au centre des
régions métallifères, exporte des minerais de fer et
d argent soit par Cagllari. soit par le petit havre de Porto-
Scuro. Oristano est le débouché d'une plaine malsaine,
couverte de bois d'orangers. Sassari (44 (XX) habitants)
~ 181
L' EUROPE
était la capitale du " Cap Nord " comme Cagliari l'e'tait
du " Cap Sud ". A rintérieur, Tempio, Nuoro, etc.,
ne sont que de grosses bourgades insignifiantes.
Au Nord-Est. sur une côte dentelée et semée d'îles,
s'ouvre le petit port de Terranova, en relation avec
Civila-Vecchia, et l'excellente rade formée par les îles de
la Maddalena et de Caprera dont l'Italie a fait une base
pour sa flotte de guerre.
On ne saurait parler de la Sardaigne sans mentionner une des
curiosités de l'île ; les *' nuraghi ", constructions de formeconlque
en grosses pierres assemblées sans ciment, que l'on trouve un peu
partout, notamment à proximité des régions les plus fertiles. La
plupart des nuraghi datent de l'époque paléolithique et néolithique,
mais il est probable que l'on en construisit aussi aux temps histo-
riques. On a longtemps discuté sur leur usage. Il semble qu'elles
furent, suivant les cas, des tours de guet, des forteresses, ou sim-
plement des maisons d'habitation fort analogues aux constructions
du même genre qu'élèvent encore les paysans d'Apulie.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
La description détaillée que nous donnâmes de
chaque région de l'Italie nous permet de résumer, main-
tenant, avec brièveté les traits essentiels de sa vie éco-
nomique.
Le développement économique de l'Italie date du
jour où elle naquit à l'unité. Certes, elle fut dans le passé,
du XIl^ au XVI*^ siècle surtout, un centre de civilisation,
de commerce, d'industrie qui n'avait point d'égal en
Europe. Mais, par la suite, la persistance des divisions
politiques, les conflits, ou tout au moins les jalousies qui
en résultaient, peut-être aussi une certaine lassitude
physique et morale, mirent l'Italie dans un état d infé-
riorité manifeste à l'égard des grandes puissances ses voi-
sines. Jusque dans la seconde moitié du XIX siècle.
l'Italie demeura sans armée, sans flotte de guerre, sans
colonies, scms industries, sans capitaux, sans moyens de
communication aisés, et la majeure partie de sa popula-
tion paysanne, travaillant sur de grands domaines partagés
entre un petit nombre de propriétaires insouciants, vivait
dîms l'ignorance, dans la routine, trop souvent aussi dans
la misère.
Au lendemain du jour ou l'unité fut faite, il fcJlut tout
créer à la fois, ou tout au moins tout entreprendre. Les
débuts furent difficiles ; il y eut des flottements, des arrêts,
une situation financière longtemps pénible ; de graves
erreurs pohtiques furent commises ; l'Italie parut trop
souvent aveuglée par une jalousie regrettable, entraînée
par une ambition démesurée qui ne cadrait pas avec les
moyens encore petits dont elle disposait. De là des
alliances contraires à la logique, une politique qui n'en-
traîna guère que des mécomptes. Cependant, lorsque la
Grande Guerre éclata, de très beaux progrès avaient été
réalisés. L'industrie avait pris, dans les régions du Nord
surtout, un développement considérable ; l'armée, la flotte
de guerre étaient capables de faire, sur les champs de
bataille, brillante figure. Les terrains mis en culture
s étaient fort étendus et la production à l'hectare avait
doublé grâce à de nouvelles méthodes, à la suppression
d anciens droits de pacage ruineux pour le colon, au dé-
veloppement des voies de communication intérieures et de
l'exportation. La situation financière s'était notablement
- 182 —
améliorée par suite de l'accroissement même des res-
sources du pays, par suite aussi des arrivages réguliers
d'or et d'argent envoyés par les émigrants ou apportés
par les étrangers. Enfin le total du commerce exté-
rieur, qui n'était que de 2000000000 en 1871 et de
3000000000 en 1901. avait brusquement passé à
4 700 000 000 en 1908 et à 6 123 000 000 en 1913.
C'est aux progrès réalisés dans une période relative-
ment si courte que l'Italie dut de pouvoir, en 191-T-19i3,
d'abord rejeter une alliance qui lui pesait, puis entrer
dans la lutte à côté de ses alliés naturels. Elle y gagna
d'abord la conquête des " terres irrédentes ". du Tyrol
entier, de Triesle. del'Istrie. ce qui lui donnait non seu-
lement de nouveaux sujets, un accroissement de popula-
tion qui se chiffre par millions, mais aussi des frontières
naturelles très sûres et le principal débouché maritime
de l'Europe centrale. Elle y gagna encore le prestige de
la victoire qui l'égala à ses alliés et devait singulièrement
faciliter son développement futur. Elle y gagna, enfin,
d'échapper à l'emprise germanique qui, là comme en
Belgique, en Hollande, en France même, devenait un
redoutable danger. Libérée désormais de toute crainte
immédiate de péril extérieur, elle a pu. dès le lendemain
de la guerre, se remettre au travail avec une ardeur
nouvelle. Les bras ne lui manquent pas ; sa natalité, l'une
des plus fortes du monde, lui permettra de combler
promptement les vides faits par le canon. Elle peut se
concentrer sur elle-même mieux qu'elle ne le fit jadis, et
s'occuper avec plus de suite et de méthode d'achever la
mise en valeur de son propre sol.
AGRICULTURE. XHa L'Italie est avant tout un
grand pays agricole et les trois quarts de ses habitants
travaillent la terre. Malgré la place occupée par les
montagnes et les marais, 40 pour 100 du sol sont mis en
culture , et l'on ne compte guère plus de 1 1 pour 1 00 de
terrains improductifs. Une bonne part du sol cultivé est
d'une très grande fertilité naturelle : telles les alluvions
de la plaine padane, la Tavolière d'Apulie, les cendres
et les laves pulvérulentes de la Campante et de la Sicile.
De plus, même aux lieux moins favorisés par la nature, la
L'ITALIE
A^^ = P'^^'O'^N^ ""S DU VO.MERO. Z.W™, M ,.ca,u, <fc
'^''-'^- »-•'"" >'" t/t-A, . Cnar,) ai Jibiuchl de nchr, olain^ A C„m»a„ic
(«.r a roar cn^onn,. .(»roJ,„>„,^.^, liante. nonchalanU ,1 0m,;onncZlU Z2
•vr lou, ctux qui la milml unt immidigle UJuMm. Cl. E. oÉ Luc.
183
L'EUROPE
LA VOIE DES TOMBEAUX A POMPE!. Aux
abords de l'iVitstre cité que dei fouilles fialientes ont
rendue à la lumière, les iomhes des riches Pompéiens
ont retrouiv l'ombre amie des cyprès.
DE SALERNE A AMALFl, la rou/e
sinueuse domine, en corniche, le S^lfe de
Naples baignée de lumière, embaumée du
Parfum des orangers. Cl. BoUlANCER.
PAESTUM. Dans la plaine solitaire et vide, les hautes
colonnes rouges des temples de Paestum rappellent que
toute l'Italie du Sud fut colonisée par des Hellènes et
s appela la Grande Crèce. Cl. Fbed BoISSOWAS.
NAPLES : LA ROUTE DU PAUSILIPPE. La colline du Pamilwpe forme
comme un Irait d union entre Naples et les régions de Pouzzoles, des Champs
PnlégTêens, du cap Misène. Villas princières et maisons rustiques s'étagent sur ses
flancs, dans un désordre piiloresque et coloré. C!. Boulanger.
AGRIGENTE. Au sommet de la colline couverte d oliviers et de buissons toujours
verts, les blanches maisons de ta moderne Girgenli, héritière de l'antique .Akragas.
flamboient dans la lumière. C'est un type de paysage fréquent dans toute l'Italie
du Sud : Sicile. Calabre, Apulie. CL BOULANGES.
M
RAND.AZZO. ViâlU petite ville sise à 754 mètres
^'ah''t:Jt surlrsflcncs de l'Etna, au milieu d'une riche
; '"':'• '■'^■"- '-■''^'s'^' ï/« mûriers cl de vignes que favorise
.i j^nùndilê du zoi volcanique. Cl. BOULANGER.
184
LE CLOITRE DE MONREALE. Dans la
banlieue de Palerme, Monreale conserve de
l époque normande une magnifique cathédrale
et un cloître élégant. Cl. Boulanger.
PALERME. Sur la côte Nord de Sicile. Palerme repose \
au
fond d'un golfe arrondi
dans une petite plaine.
la
" Conca d'Oro ", envahie
par les jardins, encadrée
par
les pentes nues des monts.
Cl. Boulanger.
L'ITALIE
chaleur du climat permet des cultures très productives
pour peu que l'on sache amener l'eau indispensable. De
là, comme en tant d'autres régions méditerrane'ennes,
l'importance qu'a prise l'irrigation en Piémont, en Lom-
bardie, en Vénétie, en Toscane, en Calabre, en
Sicile, etc. Inversement, le drainage ou le colmatage des
marais aboutit au même résultat, et des centaines de mil-
liers d'hectares ont été conquis de cette façon aux dépens
des marais du Pô, de l'ancien lac Fucin, des Maremmes
toscanes, du Val de Chiana, etc.
Mais l'une et l'autre tâche sont bien loin d'être ter-
minées et nous avons vu quel champ fécond en résultats
s'ouvre aux efforts des agriculteurs et des ingénieurs,
spécialement en Italie méridionale et dans les îles. On
a dit avec raison que si l'Italie avait consacré à de
tels travaux le quart de ce que lui coiltèrent des expé-
ditions coloniales inutiles, elle eût pu mettre en valeur
jusqu-'à la dernière parcelle utilisable de son sol, suppri-
mer la malaria et retenir chez elle les millions d'émigrants
que la misère, le manque de terres arables contraignent à
s'exiler.
Céréales (blé. maïs, riz), vin. huile, mûriers, telles
sont les productions essentielles.
Le blé, dur ou tendre, se cultive partout, mais en
plus grande quantité dans la plaine du Pô, l'Apulie et
la Sicile.
La terre d'élection du mais est la plaine humide et
chaude du Pô ou la " polenta " est la base de la nour-
riture du paysan. Il est moins répandu dans le Sud par
suite de la sécheresse des étés.
L'orge, l'avoine, le seigle ne prennent quelque impor-
tance que dans les districts peu fertiles de la montagne.
Le riz trouve seulement dans les basses régions irri-
guées de la plaine du Pô les conditions de chaleur et
d'humidité qui lui sont indispensables. La récolte, très
variable , osalle entre 3 000 000 et 1 0 000 000 d'hectolitres.
Le ' risotto " est, en Italie, un mets aussi national que
les pâtes ou la polenta.
La vigne mûrit partout ses fruits, du Piémont à la
Sicile, et dans d'excellentes conditions. Les Anciens
n'appelaient-ils pas déjà l'Italie : Œnotrie ou pays du
vin? La production varie de 30000000 à 40000000
d hectolitres, ce qui place l'Italie au second rang, après
la France, des pays vinicoles du monde.
Nous a\ons cilé, au cours de celte élude, ses crus les plus
connus : Asti el Baralo en Piémont, Chianti en Toscane, Casielli
Romani dans le Latium, Lacryma-Christi, Capri en Campanie,
Marsala, Zucco, Syracuse en Sicile. Il est regrettable que des
procédés de fabrication trop routiniers nuisent à la conservation et
i la qualité des vins ordinaires. On trouve rarement en Italie le
vigneron spécialiste qui est un des types les plus familiers de nos
pays de France. La vigne est, presque partout, associée à d'autres
cultures ; les unes el les autres se nuisent réciproquement. Avec
plai de soin, plus de méthode, plus de science, l'Italie pourrait
égaler U France et même la surpasser aisément comme pays expor-
tateur de vin-
L'olivier n'est absent que de la plaine du Pô ; par-
tout ailleurs, jusqu'à 700 mètres d'altitude, son feuillage
léger, d'un gris tendre, son tronc tourmenté sont un des
éléments les plus caractéristiques des paysages italiens.
La Toscane l'emporte par la qualité des fruits, l'Apulie
par I abondance. On consomme sur place la majeure par-
tie de la production d'huile ; le reste s'exporte en France,
en Suisse, en Autriche, etc.
Comme elle est un pays de vin, l'Italie est aussi un
pays de fruits. Tous réussissent à merveille, et, d'un
bout à l'autre de la péninsule, les magnifiques étalaiges
des fruitiers, les bas prix de leurs marchandises,
témoignent de cette abondance. On exporte en quantité
les agrumes (oranges, citrons, cédrats, mandarines), les
figues, les raisins secs et les amandes. La culture de
I oranger a. notamment, pris une extension considérable
en Sicile, en Sardaigne, en Campanie et en Apulie.
Le mûner se cultive spécialement dans la haute
Italie. Son rôle dans l'économie générale est fort impor-
tant, puisque la soie grège et les cocons forment de beau-
coup l'élément principal des exportations iteJiennes (pro-
duction moyenne de 1910 à 1914 : 40 000 000 de
kilogrammes de cocons).
Les autres cultures ont une valeur moindre. Le chanvre
dans le Bolonais, le lin en Lombardie, le coton en
Sicile passent cependant pour être d'excellente qualité.
La betterave à sucre fait des progrès dans l'Italie
du Nord.
Le tabac, peu cultivé, est loin de suffire à la consom-
mation locale, fort grande du reste.
ÉLEVAGE ET PRODUITS DE L'ÉLE-
VAGE. £f£f On ne trouve de prairies étendues que
dans les plaines irriguées de l'Italie du Nord et les
régions alpestres. Ce sont les seules ou l'on puisse faire
en grand l'élevage du gros bétail, et où la fabrication
des fromages (Parmesan, Gorgonzola), du beurre (dans
le Milanais) soit développée.
Dans la péninsule et les îles, un climat plus sec ne se
prêîe qu'à l'élevage des moutons et des chèvres. Comme
dans tous les pays méditerranéens, la transhumance se
pratique depuis la plus haute antiquité. Les bergers des
Abruzzes, de la Basilicate, de la Calabre, de la
Sardaigne passent l'été dans la montagne et redes-
cendent en automne par de larges pistes herbeuses, les
tratturi " (cf. les " drailles " du Languedoc) dans les
plaines littorales.
Le cheval, de petite taille, mais bien fait et robuste,
s'élève dans la Campagne Romaine, dans les Pouilles,
en Sardaigne. L'Italie en possède un nombre insuffi-
sant pour ses besoins et doit en acheter à l'étranger.
,35
L'EUROPE
7^ Réffioaetj à agriculturcy
i^ jyarficuiièremenU tnienâii'e.^
ITALIE
JétJ : Pïgnobi^A, renomment
Re^iofiA,àa0ru:uIfure,' WWM
particulièrement. inïen^Lt'ej>. W////Â
PRODUITS DU SOL ET CULTURES n^noUe.,.nenenune^.ML
^&SIS'
Le mulet, l'âne surtout, rendent de grands services
dans les régions montagneuses. Nul pays d'Europe
n'emploie plus d'ânes que l'Italie du Sud. On le
considère presque comme un membre de la famille
et, chez les pauvres gens, il partage la chambre de ses
maîtres.
Les animaux de basse-cour, très re'pandus, per-
mettent une exportation croissante de volailles et
d'œufs.
LA PÈCHE. £> £J L'Italie ne peut être comprise
parmi les pays où la pêche joue un rôle vraiment impor-
tant dans l'économie nationale. Cependant, les eaux de
la Mer Tyrrhénienne sont fort poissonneuses. Le thon,
la sardine se capturent en quantité sur les côtes de
Sicile et de Sardaigne. Les coquillages, ' frutti di
mare ", les mollusques, les crustacés entrent pour une
part appréciable dans le menu des riverains. Au fond
de l'Adriatique, les lagunes de Venise, de Comacchio
186
L'ITALIE
approvisionnent de poisson de mer les villes de la
plaine Padane qui reçoivent d'autre part les truites.
les brochets, les anguilles produits par les lacs al-
pestres.
Entin. une récolte spéciale, celle du corail, est le
monopole des pêcheurs napolitains et siciliens qui
exploitent les bancs des côtes tunisiennes.
L'INDUSTRIE, a a L'Italie n'a pas une seule
mine de houille. En fait de métaux, elle ne possède que
les gisements de fer de l'île d'Elbe (756000 tonnes en
1919). du borax, un peu de cuivre en Toscane, du
plomb argentifère et du zinc (1 10 000 tonnes) en Sar-
daigne. Elle semble donc mcuiquer des conditions néces-
saires à la grande industrie ; et au reste, nous l'avons dit,
elle est avant tout un pays d'agriculture.
Mais, d'une part, le grand développement de ses
côtes lui permet de recevoir par mer, à peu de frais
en temps normal, les houilles, les minerais, les cotons,
les laines brutes venus de l'étranger. D'autre part, l'a-
bondance des chutes d'eau met à sa disposition des
réserves inépuisables de " houille blanche" et — nous
l'avons noté surtout dans l'étude de l'Italie continen-
teJe — l'Italie se classe au premier rang des pays euro-
péens pour l'exploitation de l'eau comme force motrice.
Enfin elle trouve très aisément chez elle, et à bon
compte, la main-d'œuvre.
Aussi la production industrielle de l'Italie est-elle en
voie constante d'augmentation. D'ores et déjà, elle se
suffit à elle-même pour les industries textiles (cotonnades,
lauiages, toiles de lin et de chanvre, soieries) pôuticu-
lièrement actives en Lombardie, Piémont, Vénétie, et
peut même expédier a l'étranger une part importante
de ses produits fabriqués. Les industries métallurgiques
et chimiques, en grand progrès (Turin, Gênes et envi-
rons. Terni, Naples). ne peuvent cependant donner
encore à l'Italie toutes les machines, tous les objets en
métal dont elle a besoin, et elle demeure, pour ces
matières, tnbutaire de l'étranger. Les industries alimen-
taires, très développées, produisent des pâtes, des huiles,
des vins, pour la consommation locale et l'exportation.
A cela s'ajoutent les industries d'arl, d'origine fort
ancienne, surtout en Toscane, à Venise, a Rome, en
Campanie : verrenes. dentelles, mosaïques, bijoux de
corail, bronzes et marbres, porcelaines, majoliques.
faïences, albâtres, etc. Ces divers articles sont, du reste,
fort souvent de goût et de fabrication médiocres, ils ne
rappellent que de fort loin les chefs-d'œuvre sortis des
ateliers italiens du Moyen Age et de la Renaissance,
et ne peuvent même pas se comparer aux objets de
même genre créés par les ouvriers français.
LE COMMERCE. 00 Le commerce intérieur
de l'Italie se fait presque exclusivement par les voies
ferrées et les routes carrossables. Le transport par
canaux et voies navigables est insignifiant.
La plaine du Pô possède un réseau très complet de
chemins de fer et de routes, routes admirables qui
peuvent être classées parmi les meilleures de l'Europe
et que doublent souvent des tramways ou des lignes à
voie étroite.
L Italie péninsulaire et insulaire est beaucoup moins
bien desservie. Peu de voies ferrées, moins en-
core de bonnes routes. Alors qu'en Lombardie, par
exemple, on compte environ 800 mètres de route carros-
sable par kilomètre carré, la Calabre, la Basilicatc, la
Sicile en comptent à peine 250 et la Sardaigne 190.
Bien qu'une partie du trafic de région a région puisse
emprunter la voie de mer, cette insuffisance des moyens
de communications terrestres est, nous l'avons vu, l'une
des raisons qui s'opposent à la mise en valeur de l'Ita-
lie du Sud et la maintiennent en état très net d'infério-
rité économique.
Le commerce extérieur se partage assez également
entre la voie de terre et la voie de mer. La construc-
tion des lignes ferrées alpestres a facilité les transac-
tions avec les pays de l'Europe centrale et occiden-
tale qui sont les clients naturels de l'Italie. D'autre part,
la péninsule entretient des relations très actives avec
les Etats-Unis, l'Angleterre, les régions du Levant, la
Russie et l'extrême-Orient. Une flotte marchande de
5 600 navires jaugeant 1 230 000 tonneaux en 1914 lui
permettait alors d'assurer sous son propre pavillon le
transport des deux tiers des marchandises importées ou
exportées.
En décembre 1920, la flotte de commerce italienne comptait
559 navires jaugeant 2091000 tonneaux.
COMMERCE DE L'ITALIE
Imparlatiom
Calésories
Année 1913.
Valeur en lires.
Année 1920.
Valeur en lires
]! Ble
406 000 000
389 000 000
324 000 000
145 000 000
120 000 000
125 000 000
III 000 000
92 000 000
83 000 000
58 000 000
SI 000 000
50 000 000
40 000 000
etc.
2 542 000 000
1 111 000 000
1 634 000 000
621 000 000
268 000 000
372 000 000
938 000 000
271 000 000
943 000 000
161 000 000
312 000 000
174 000 000
295 000 000
etc.
1 Charbon
Bail
C(i
T.1>M
«c.
3 637 000 000
15 850 000 000
187
L'EUROPE
Exporlatiom
Cat^torin.
Annie 1913.
Valeur en lires.
Année 1920.
Valeur en lires.
358 000 000
108 000 000
208 000 000
146 000 000
101 000 000
75 000 000
73 000 000
58 000 000
48 000 000
42 000 000
37 000 000
55 000 000
45 000 000
31 000 000
etc.
985 000 000
337 000 000
982 000 000
200 000 000
228 000 000
25 000 000
12 000 000
315 000 000
2000 000
50 000 000
97 000 000
72 000 000
161 000 000
307 000 000
etc.
Vins j
Œufs
Marbre. aJbâtre, coraî!
etc.
Au total
2 500 000 000
7 800000 000
PRINCIPAUX CLIENTS
Importations venant de
Allema^e
Grande-Bretagne
États-Unis
France
Autriche-Hongrie
Russie
République Argentine
Indea Anglaises
Pays Balkaniques
Suisse
Japon
Exportations allant à ;
Allemagne
États-Unis
Grande-Bretagne
Suisse
France
Autriche-Hongrie
République Argentine
Pays Balkaniques
Indes
Russie
Année 1913.
Valeur en lires.
Année 1920.
Valeur en lires.
612 000 000
591 000 000
522 000 000
283 000 000
264 000 000
237 000 000
166 000 000
166 000 000
135 000 000
86 000 000
60 000 000
343 000 000
267 000 000
260 000 000
249 000 000
231 000 000
221 000 000
185 000 000
73 000 000
62 000 000
60 000 000
821 000 000
2 368 000 000
4 788 OOO 000
1 333 000 000
1 676 000 000
744 000 000
336 000 000
170 000 000
380 000 000
655 000 000
884 OOO 000
898 000 000
1 095 000 000
443 000 000
419 000 000
160 000 000
POPULATION ET ÉMIGRATION. £)£>
Depuis les annexions récentes, la population de l'Italie
atteint 38000000 d'habitants environ, soit 125 habi-
tants au kilomètre carré. Cette population s'accroit
rapidement, car l'Italie prend rang parmi les pays les plus
prolifiques du monde. Mais elle ne demeure pas tout
entière sur le sol natal, et l'émigration est un des phéno-
mènes les plus caractéristiques de la vie économique de
la péninsule.
De tout temps, il y a eu, à l'intérieur même de l'Ita-
lie, des migrations régulières de populatioiis, et ces mi-
grations continuent au temps présent.
Le voisinage immédiat de hautes montagnes et de plaines fer-
tiles, c'est-à-dire de régions fort différentes par le climat et le genre
de vie, les rendent faciles et naturelles. Nous avons noté à maintes
reprises la transhumance qui entraîne le déplacement annuel des
bergers et de leurs troupeaux. Ces déplacements ne sont point les
seuls. C'est la montagne encore qui fournil aux grands proprié-
taires des plaines la main-d'œuvre dont ils ont besoin à des
époques déterminées : vendanges, semailles, moissons, entretien des
canaux et des fossés. Les " ciociari " des Abruzzes et du Matese
vont en Campanie semer le blé et travailler la vigne. Les Cala-
brais descendent, en hiver, dans les plantations de Sicile. Les
Piémonlals des régions alpestres s'emploient à la culture délicate du
riz de Lombardie. Les Lucquois passent la mer pour semer et
moissonner dans les plaines orientales de la Corse, etc.
De telles habitudes ont, évidemment, facilité, non plus
des migrations intérieures, mais l'émigration à l'étranger,
le jour où l'Italie s'est trouvée dans l'impossibilité de don-
ner du travail et du pain à une population qui s accroissait
plus vite que ne se multipliaient les ressources locales.
Chassés par la misère, les Itahens franchirent les Alpes
et allèrent offrir leurs bras sur les chantiers de France,
de Suisse, d'Autriche, d'Allemagne. Ou bien ils four-
nirent à l'Algérie, à la Tunisie, à l'Egypte, une main-
d'oeuvre abondante et fort appréciée, car l'Italien est
un rude travailleur, très sobre, et l'un des meilleurs
ouvriers du monde pour des travaux tels que les terrasse-
ments, la construction des routes et des ponts, les carrières,
les mines, etc.
Dans le même temps, l'Amérique s'ouvrait à l'émigration
italienne et, par centaines de mille, Abruzzais, Calabrais,
gens de Campanie et de Sicile s'embarquèrent pour les
Etats-Unis, le Brésil, l'Argentine, l'Uruguay.
Nombre des Italiens résidant à l'étranger en 1910 ; 5 558 000.
Nombre des émigrants en 1913 : 872 000, dont 313 000 en
Europe ou dans les pays riverains de la Méditerranée, et
559 000 oulre-mer. La Grande Guerre arrêta, naturellement,
l'émigration, et provoqua au contraire un nombre considérable de
retours. Depuis la paix, les difficultés économiques ont amené la
reprise de l'exode. Nous ne possédons encore que les chiffres de
1919 : 243000 émigrants, dont 100000 pour l'Amérique.
Cette émigration est soit temporaire, soit définitive.
En général, l'Italien du Nord ne passe à l'étranger que les
quelques années nécessaires à la constitution d'un petit
pécule. L'Italien du Sud, habitant un sol plus ingrat, où
triomphe le régime de la grande propriété, part souvent
sans esprit de retour, emmenant avec lui sa femme et
ses enfants. Il suffit d'une mauvaise récolte, dun tremble-
ment de terre, d'une crise économique quelconque pour
dépeupler des districts entiers.
La Ligurie et la Sardaigne, puis les Pouilles, la
Lombardie, le Latium fournissent la plus faible propor-
tion d'émigrants. La Calabre, la Basilicate, les Marches,
les Abruzzes, la Vénétie en envoient la plus forte
part.
S'il est excellent qu'une nation essaime à l'étranger, et envoie
un grand nombre de ses enfants répandre au loin sa culture, sa
civilisation, sa langue, fasse connaître la valeur de ses produits
industriels, un exode aussi formidable que l'émigration italienne
188
«Q$<««i
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE PL.
LA SUISSE
témoigne évidemment d'un éidt de malaise legrettable et se traduit
par une perte sèche pour la mère patrie. Perdus dans l'immensité
des pays neufs où ils se rendent, les émigrants définitifs cessent,
au bout d'une génération, d'être Italiens pour devenir Américaine,
Brésiliens, Argentins ou Français.
Ce problème fut déjà, avant la guerre, l'une des grosses préoccu-
pations du gouvernement italien. Ne pouvant arrêter les départs, il
s'est efforcé, du moins, de 5ur\eiller, de protéger ses nationaux. La
société " Dante Alighieri " s'est donnée spécialement pour lâche
de maintenir " l'italianisme " des émigrés, par la multiplication
des écoles, des journaux italiens, par une propagande patriotique
active.
D'autre part, et tout naturellement, l'Italie a rêvé la constitu-
tion d'un empire colonial qui serait capable d'absorber une pari
notable de sa population surabondante. Mais quand elle fut assez
forte pour se mettre à la tâche, le partage du monde était déjà
fait. Elle dut se rejeter sur des régions telles que les cotes de
l'Erythrée et de la Somalie, la Tripolitaine, régions désertiques
où tout est à créer, qui ne valent certainement pas les millions
dépen?é.*i pour les conquérir, et où les émigrants ne sauraient
vivre.
La solution, au moins pailiellc, du problème consiste évidem-
ment dans la mise en valeur des terres encore improductives de la
péninsule et dans le développement des industries. L'exemple de
l'Allemagne, où le nombre des émigrants se réduisit de 200 003
(moyenne de 1885 â 1895) â 23 000 (moyenne dt I909à 1913),
malgré un accroissement considérable dépopulation, montre à l Ita-
lie victorieuse la roule à suivre.
(D'après P.-G. Brenna : VEmigrazione llaliana
nel perioio anie bellico.)
CHAPITRE XI
LA SUISSE
SITUATION, SUPERFICIE, FRONTIERES
La Suisse (en allemand Schweiz, en italien Soi'zzera)
tire son nom du canton alpestre de Schwytz qui, avec les
cantons d'Un et d'Unterwalden, proclama le premier son
inde'pendance. On l'appelle aussi Helvétie en souvenir
des populations celtiques qui l'habitaient au temps de Ce'-
sar. Son territoire necouvre que 4 1 324 kilomètres carrés.
C'est donc un des plus petits Etats de l'Europe. Maigre
son exiguité, le faible nombre de ses habitants (3861 000
en 1920), elle a su acquérir de très bonne heure, con-
server et faire respecter des libertés, des habitudes démo-
cratiques dont elle est justement fière. Elle a su dé-
velopper savamment les ressources de son sol, créer de
florissantes industries, entretenir un commerce particu-
lièrement actif. La splendeur de ses paysages attire chez
elle une foule de visiteurs enthousiastes. Enfin, sa situa-
tion centrale, aux points de croisements des grandes roules
européennes dirigées de l'Ouest à l'Est et du Nord
au Sud, à travers les plateaux suisses et par les cois
alpestres, accroît singulièrement l'importance de son rôle
européen.
Du reste, la Suisse, malgré l'idée erronée que pour-
rait faire naitre un trop rapide coup d'œil jeté sur la
carte de l'Europe, n'est pas du tout fermée : c'est plu-
tôt " un pays sans frontières ".
Ses limites, en effet, ne coïncident que de loin en loin avec les
barrières dressées par la nature : lignes de crêtes ou larges cours
d'eau. C'est le cas, par exemple, pour les Alpes Valaisanes, le
massif du Bernina, le Rhin entre Sargans et le lac de Constance
ou dans la section de son cours en amont de Bàle. Par contre,
dans la région du Tessin, le territoire de la Confédération pousse
une pointe avancée jusqu'aux plaines padanes, à quelques lieues
de Milan. Dans la vallée de l'Inn, rien ne sépare l'Engadine
suisse du Tyrol autrichien. A l'Ouest du lac de Constance, tan-
dis que " la vieille ville impériale de Constance assure à l'Alle-
magne une tête de poni menaçante vers la Suisse ", tout le canton
suisse de Schaffhousc, une partie du canton de Bâlc sont situés sur
la rive droite du Rhin et forment des enclaves arrondies au milieu
de pays allemands. Dans lejura, une frontière paradoxale zigzague
de telle sorte qu'elle laisse à la Suisse lout le pays très français
de Porrentruy et la boucle extrême décrite par le Doubs à
Saint-Ursanne, mais permet à la France de conserver le pays
de Gex. " Enfin, il n'est pas un touriste qui ne connaisse le capri-
cieux dessin de la frontière franco-suisse autour du Léman, sur-
tout autour de Genève. De Saint-Gingolph à Bcllegardc, il faut
Irois fois déplacer les aiguilles de sa montre." (H. Hauser.)
LES GRANDES REGIONS NATURELLES
La Suisse est partagée, par la disposition de son relief,
son his'.oire géologique, les traits essentiels du climat et
de la vie économique, en trois grandes régions naturelles :
\° La région alpestre qui couvre la majeure partie du
territoire au Sud d une ligne allant de Lausanne a Saint -
Gall, par Thoune, Lucerne et Zurich ;
2° Le Jura ;
3° Le Plateau.
189
CEOCRAPHIE UNIVERSEUJE.
19
L'EUROPE
Les Régions alpestres
GÉNÉRALITÉS, aa Sur les 42 000 kilomètres
carrés en chiffres ronds que couvrent en Europe les massifs
des Alpes, 28 000 environ appartiennent à la Suisse. C'est
à peu près les trois quarts de sa superficie totale. La
Suisse estdonc avant tout un pays alpestre. C'est cela qui a
fait sa renomme'e etl'on ne s'imagine guère la Suisse autre-
ment que sous la forme de monts neigeux d'où descendent
glaciers et torrents, de cimes vertigineuses où s aventurent
les hardis grimpeurs, de petits chalets dispersés dans les
prairies en forte pente à l'orée des forêts de sapms. Nous
verrons cependant que si cette Suisse-là est incontestable-
ment la plus séduisante pour le touriste, le Plateau, avec
ses riches cultures, ses grandes villes, ses fabriques, joue
un rôle autrement important que les monts dans la vie
économique de la Confédération.
Lorsque l'on regarde pour la première fois une carte
des régions alpestres, il semble que rien, dans la masse
confuse de hautes terres étalées sur 275 kilomètres
de longueur et sur une largeur moyenne de 130 à
1 50 kilomètres, ne permette d'orienter la vision, de
distinguer où commence, où finit tel ou tel massif. Un
examen plus attentif fait alors discerner, au milieu des
monts enchevêtrés, une série de couloirs qu'empruntent
les fleuves et les rivières principales : Rhin, Rhône,
Tessin, Inn, Aar, Reuss, Limmat, etc., les uns paral-
lèles, les autres perpendiculaires à l'axe des chaînes
maîtresses. Ces couloirs, qui se rapprochent les uns des
autres par leur partie supérieure, délimitent les massifs
principaux. Ils aboutissent fréquemment à des cols qui
mènent de l'un à l'autre. Routes et chemins de fer les
remontent et peuvent ainsi s'insinuer jusqu'au cœur des
districts les plus reculés. 11 ne faut jamais perdre de vue,
dans l'étude des Alpes, le rôle capital des vallées et des
dépressions qui les unissent. Elles frappent moins l'ima-
gmation et l'esprit que les neiges, les glaciers, les pics
majestueux, mais elles sont les vraies sources de vie, et
l'on a pu écrire fort justement que " le massif alpin
est plus important par ses hautes vallées et par ses cols
que par ses sommets, par ses chemins que par ses obs-
tacles ".
LE SAINT-GOTHARD. 00 Le massif du
Saint-Gothard, d'où dévalent le Rhône, la Toce, le Tes-
sin, le Rhin, la Reuss et l'Aar, est le point de jonction
des grandes vallées et des grands massifs alpestres. Il
est relativement peu élevé (3 000 mètres en moyenne),
bien qu'on lui ait attribué longtemps une altitude su-
périeure à celle du mont Blanc, altitude que l'on
jugeait seule compatible avec son rôle de " château
d'eau " de l'Europe. En fait, très usé par l'érosion, il
190
fait plutôt figure, vis-à-vis des hautes cimes voisines, de
dépression, et c'est même à cela qu'il doit son importance
d'autrefois et d'aujourd'hui. On le ' découvrit " au
XIII® siècle. On s'aperçut qu'il était le seul passage
alpestre (entre le Léman oriental et Coire) où " il n'y
ait qu'un col à franchir pour passer du versant brumeux
et froid au pays de la lumière ". Une route le franchit.
Aujourd'hui, un tunnel le perce de Goschenen à Airoio,
où depuis 1882 passe une des lignes maîtresses de
l'Europe : celle qui unit les régions rhénanes à la vallée
du Pô et au golfe de Ligurie.
Partons du Saint-Gothard et dirigeons-nous d'abord
vers l'Ouest. La vallée du Rhône orientée Nord-Est-
Sud-Ouest va nous servir de ligne de démarcation bien
nette entre deux des masses montagneuses les plus consi-
dérables de la Suisse : Alpes Valaisanes au Sud, Alpes
Bernoises ou Oberland Bernois au Nord.
LA VALLÉE DU RHONE. 00 Le Rhône
coule en Suisse pendant 223 kilomètres. 11 tire son ori-
gine première du beau glacier de la Furka que contourne
une route menant par le Saint-Gothard au Rhin supé-
rieur. Nourri abondamment par les neiges, les glaciers,
les torrents qui lui arrivent du Nord et du Sud, il des-
cend rapidement par Brigue, Viège et Sion vers Marli-
gnyoù, décrivant une courbe brusque vers le Nord-Ouest,
il pénètre dans le delta que ses alluvions construisirent aux
dépens du lac Léman. Il traverse le lac, s'en échappe
à Genève et entre en France presque aussitôt.
Sa vallée, le Valais, fut à l'époque glaciaire, comme tous les
grands couloirs alpestres, remplie tout entière par une énorme masse
de glaces en mouvement, épaisse de 2 000 mètres et qui, par-dessus
les crêtes méridionales du jura, atteignait la région lyonnaise.
D'où la forme en U que donne le profil transversal du thalweg, les
moraines latérales qui le jalonnent, les formes moutonnées des
" verrous " rocheux qui, à Sion par exemple, barraient la vallée.
De là aussi un surcreusement du couloir primitif, surcreusement
qui eut pour effet, après la fusion des glaces, de laisser les vallées
latérales comme suspendues au-dessus de la vallée maîtresse. On
s'en aperçoit lorque, partant du fleuve, on veut gagner les oasis
alpestres du Val d'EntremonI, du Val d'Hérens, du Val d'Anni-
viers, etc., par des routes en lacets, à pente très forte, surplombant
les gorges inaccessibles où mugissent les cascades. Ce sont là, du
reste, phénomènes communs à toutes les montagnes où l'érosion
glacière s'exerça pendant une série de périodes fort longues et
avec une particulière intensité. Nous les relatons ici pour nous
dispenser d'y revenir dans la suite des études consacrées aux pays
alpestres.
LÉS ALPES DU SUD-OUEST. 00 Au Sud
du Rhône s'étend un premier groupe de massifs qui
comprennent :
1 ° Le versant Nord-Est du mont Blanc, entre le col
LA SUISSE
de Balme. qui mène de Chamonix à Martigny, et
le col du Grand Saint-Bernard. Le mont Dolent
(3 850 mètres) y sert de borne-frontière à la France, à
la Suisse et à l'Italie. Les glaciers du Saleinaz. du Trient
descendent vers les pittoresques vallées de la Dranse et
du Trient ;
2° Les Alpes V'alaisanes entre le Grand Saint-
Bernard et le Simplon. C'est le massif le plus long,
le plus élevé de la Suisse, l'un des plus attrayants par
la splendeur de ses cimes, l'étendue de ses glaciers, la
vie de ses montagnards, la variété de ses paysages. De
nombreux sommets y dépassent 4 000 mètres : le Grand-
Combin(4 3 1 7 mètres), la Dent Blanche (4 364 mètres),
le Weisshom (4312 mètres), la pyramide élancée du
Cervin ou Matterhorn (4482 mèlres), le mont Rose,
dont le pic Dufour (4 638 mètres) égale presque le
mont Blanc, le groupe des Mischabels (4 354 mètres), le
Fletschhorn (4403 mètres), etc.
Des vallées ravissantes : val de Bagnes, val d'Hcrens, d'Anni-
vicrs, de Tourlemagne. de Saint-Nicolas, de Saas, etc., poussent
jusqu'au pied des glaciers leurs prairies semées de chalets, leurs
forêt) de sapins et d'aroUes qu'encadre le cirque étincelant des
monts.
Evolène, AroUa, Zermalt, Saas-Fee, à différentes altitudes, re-
çoivent les touristes et servent de point de départ aux grimpeurs
que tente l'escalade des cimes, les unes accessibles sans de trop
grandes dilEcultés, les autres, tels le Grand-Combin et le Cervin,
exirèmement difficiles et fort dangereuses comme en témoignent
trop de catastrophes dues aux vertiges, aux glissements de neige,
aux avalanches, aux orages subits. Du Grand Combin au
Simplon, les champs de glace se succèdent sans interruption :
les plus amples et les plus beaux sont ceux du Cervin, du mont
Rose et des Mischabels que l'on admire du fameux observatoire du
Gornergrat sis au-dessus de Zermatt, à 3136 mètres, et accessible
par voie ferrée.
La hauteur moyenne de la crête centrjJe ne s'abaisse
pas au-dessous de 3 000 à 3 500 mètres. Aussi n'y
trouve-t on pas d'autres passages que des cols de glaciers
utilisés par les seuls alpinistes. De là l'importance du
Grand Saint-Bernard (2472 mètres) qui mène de Mar-
tigny à la viJlée d'Aoste, et du Simplon (2010 mètres)
entre Brigue et Domo d'Ossola. Le premier, déjà
connu des Celtes, fut très fréquenté par les Romains qui
y construisirent une route, un temple et un lieu de refuge.
Au Moyen Age, saint Bernard de Menthon y édifia un
hospice fameux. Les légions romeiines, les hordes de
Frédéric Barberousse, les armées républicaines conduites
par divers généraux et notcuiunent petf Bonaparte
(15-21 mai 1800) le franchirent. Aujourd'hui, une
bonne route carrossable est utilisée chaque année par
5 000 touristes et voyageurs aisés auxquels s'ajoutent
20 000 ouvriers piémontais allant chercher du travail sur
les chantiers de Suisse et de France. Le Simplon, connu
lui aussi, et utilisé depuis une époque fort reculée, mais
moins fréquenté que le Saint-Bernard, doit son impor-
tance présente au tunnel long de près de 20 kilomètres,
creusé de 1895 à 1905, et où passe la ligne la plus
directe entre le Nord-Ouest de l'Europe et Milan.
3° Le groupe du Monte-Leone entre le Simplon
et le Saint-Gothard, et les monts du Tessin qui rem-
plissent l'espace compris entre les veillées du Tessin,
de la Toce et du lac Majeur, ont une altitude
moyenne beaucoup plus faible que les Alpes Valaisanes
(1 800 à 3 000 mètres). Ils se partagent à peu près
également entre la Suisse et l'Italie, et leurs hautes val-
lées : Vcd d'Antigorio, Maggia, Leventina, contrastent,
par leur luminosité, le caractère méridional de leur
flore, avec les couloirs qui dévalent sur le flanc Nord
des monts.
LES ALPES DU NORD-OUEST, aa
Elles s'étendent du Léman au cours supérieur de la Reuss
et au lac des Quatre-Cantons. EUIes comprennent trois
groupes principaux :
1° Sur la rive gauche du Rhône, le massif de la Dent
du Midi (3 260 mètres), quidominedesescrétesdentelées
la trouée du fleuve à Martigny ;
2 Oberland Bernois. Au delà du Rhône et jus-
qu à la vallée supérieure de l'Aar se dressent les Alpes
Bernoises ou Oberland Bernois, magnifique pendant des
alpes Valaisanes. La Dent de Mordes (2972 mètres), le
massif des Diablerets (325 1 mètres), le Wildhom
(3268 mètres), et le Wildstrubel (3258 mètres), se main-
tiennent à des altitudes relativement faibles, et leurs gla-
ciers n'ont qu'une petite étendue. Mais au delà du col de
la Gemmi (2302 mètres), emprunté par une route que
double depuis 191 1 lavoieferréedeThoimeàLouèchepar
Kandersteg et le tunnej du Loetschberg ( 1 4536 mèlres de
longueur), l'altitude augmente tout a coup. Sans atteindre
la hauteiu" du Cervin ou du mont Rose, les groupes du
Breithorn, de l'.'Metschorn (4207 mètres), de la Jung-
frau (4166 mètres), du Mœnch (4104 mètres), du
Schreckhorn (4080 mètres), du Finsteraarhorn
(4274 mètres), etc., ne sont pas moins célèbres par la
splendeur de leurs dômes, de leurs cornes (/lorn en alle-
mand), dcleurs neiges éblouissantes que le soleil couchant
revêt de gaze rose, par l'étendue de leurs glaciers qui
s'abaissent au Nord jusqu'aux pâturages de Grindelwald
et de la Kander, tandis qu'au Sud ils alimentent le Rhône
naissant. (Glacier d'Aletsch long de 24 kilomètres, le
plus considérable des Alpes).
Vers le Nord, les hauts massifs cristallins de l'Ober-
land sont flanqués, par delà les cluses étroites de la
Sarine et de la Simmen, d'une zone de Préalpes : les
Alpes Fribourgeoises qui, formées de marnes, de grèset
de schistes argileux, dépourvues de glaciers et de neige
persistante, car leurs sommets ne dépassent guère
2000 mètres, constituent comme une zone de transi-
191
L'EUROPE
tion entre les régions proprement alpestres et les espaces
découverts du Plateau ;
3° Les Alpes des Quatre-Cantons. La vallée supérieure
de l'Aar, qui conduit au col de Grimsel (2 1 65 mètres),
sépare l'Oberland du groupe de montagnes qui s étend
jusqu'à la Reuss et au lac des Quatre-Cantons.
Les massifs du Damma (3630 mètres), du Titlis
(3239 mètres), l'Uri Rothstock (2930 mètres), encore
vêtus de neiges éternelles et de glaciers, en constituent, au
Sud, les points culminants. Puis, à mesure quel'on remonte
versle Nord, la hauteur diminue et, dans la région comprise
entre le lac de Thoune et la partie médiane du lac des
Quatre-Cantons, les Alpes de l'Emmenthal, d'Unter-
walden, de Luceme et de Zug forment un ensemble
assez confus de croupes boisées ou gazonnées qui se
maintiennent entre ) 500 et 2000 mètres et repré-
sentent, par la nature de leurs roches et le caractère
de leur topographie, une zone de Préalpes analogue aux
Alpes Fribourgeoises. Le Rigi ( I 800 mètres), le Pilate
(2132 mètres), qui se reflètent dans les eaux du plus
beau des lacs suisses, sont des observatoires aisément
accessibles par voie ferrée et universellement célèbres.
LES ALPES DU NORD-EST. 00 Les Alpes
du Nord-Est sont situées entre la Reuss et le lac de Cons-
tance. La dépression où se logèrent les lacs de Walen
et de Zurich les divise naturellement en deux sections :
Alpes de Glaris, Alpes de Saint-Gall.
Les Alpes de Glaris s'allongent parallèlement au cours
supérieur du Rhin, comme une haute et large barrière
dépourvue de cols et fort malaisée à franchir. Le Tôdi
(3623 mètres), le Hausstock (3156 mètres), le Ringel-
spitz (3251 mètres), en sont les points culminants. Elles
se complètent, elles aussi, par les Préalpes du Glàrnisch
(2920 mètres) que traverse l'étroit couloir de laLinth, du
Druss,duWeggis, du Rossberg, dont les dernières ondu-
lations expirent aux rives des lacs de Zug et de Zurich.
Enfin, les Alpesde Saint-Gall et d'Appenzell débutent
aux bordsdu lac deWallen que les Churfisten (2309 mètres)
dominent de leurs escarpements abrupts ; elles se conti-
nuent vers l'Est et le Nord par le bel observatoire du
Sentis (2504 mètres) et descendent par gradins étages,
aisément accessibles, jusqu'à la nappe du lac de Constance.
La dépression où dorment les eaux du Walensee et
du lac de Zurich doit une importance particulière à la
facilité des communications qu'elle établit entre la région
de Zurich-Bàle d'une part, et, d'autre part, la vallée supé-
rieure du Rhin, par le seuil très bas de Sargans. Elle
est empruntée par la grande voie transcontinentale qui
mène de Paris à Vienne par Bàle, le tunnel de l'Ari-
berg et le Tyrol autrichien.
LES ALPES DU SUD-EST. 0/3 La dernière
section des Alpes suisses s'étend de la vallée supérieure du
192 — —
Rhin àl'Engadine ou haute vallée de l'Inn et comprend
trois groupes de massifs; Adula, Alpes Grisonnes, Bernina.
Le massif de l'Adula se loge entre les deux vallées où
coulent le Rhin antérieur et le Rhin postérieur qui
s'unissent à Reichenau. Le Rhin antérieur naît, comme
le Rhône, au Saint-Gothard et utilise un couloir exacte-
ment symétrique à celui du Rhône, couloir d'abord étroit,
coupé de seuils et d'étranglements rocheux, puis qui s'élar-
git peu à peu, et, au delà de Coire, aboutit à une plaine
alluviale construite aux dépens du lac de Constance. Le
Rhin postérieur, sorti des glaciers du Rheinwaldhom,
s'échappe par l'étroit et sauvage défilé de la Via Mala. Le
massif proprement dit de l'Adula (3398 mètres) est moins
étendu, moins élevé, moins compact, percé de plus de
brèches que les grands massifs de l'Ouest. Il correspond
à une sorte de point faible des Alpes. Aussi des voies
de communication relativement nombreuses utilisent les
cols de Lukmanier (1917 mètres), de San Bernardino
(2063 mètres), du Splugen (21 17 mètres) quimènentde
Dissentiset de Coire aux lacs italiens.
Les Alpes Grisonnes (ou Alpes Rétiques) sépcu-ent le
bassin du Rhin d'un long couloir où coulent en sens
inverse l'Inn, qui se rend au Danube, et la Maïra (Val Bre-
gaglia), qui va au lac de Côme. Ce sont de hautes mon-
tagnes et dont l'altitude moyenne dépasse 3000 mètres ;
points culminants : le pic d'Err (3395 mètres), le pic Linard
(3416 mètres), la Silvretta (3248 mètres), etc. Peu de
glaciers les recouvrent cependant, et trois cols ouvrent
des passages relativement aisés : cols de Septimer
(2311 mètres), de Julier (2287 mètres), de l'Albula
(2315 mètres), ce dernier percé peur un tunnel qu'em-
prunte la voie ferrée de Saint- Moritz. Le seuil de la
Maloja (1811 mètres) conduit sans difficulté de l'Enga-
dineauVal Bregaglia.
Tous ces passages : Lukmanier, San Bernardino, Splugen, Sep-
limer, Julier, Albula sont connus et fréquentés depuis une très
haute antiquité. C'étaient les chemins naturels qui menaient des
pays germaniques aux plaines italiennes, objet de tant de convoi-
lises. Après les Celtes, qui les utilisèrent les premiers, les Romains
y tracèrent des roules, y construisirent des refuges et des ouvrages
détensifs. Au Moyen Age, les empereurs germains les franchis-
saient pour aller se faire couronner à Rome ou mener leurs armées
au sac des riches villes, des terroirs féconds pleins de soleil. De
nos jours, ces passages ne servent plus guère qu aux touristes qui
vont à Davos, à Samaden, à Saint-Moritz (aire des cures d'air
et d'altitude. L'axe des transaclions commerciales s'est déplacé à
la fois vers l'Ouest (voies du Simplon et du Saint-Gothard) et vers
l'Est O'gn^ à^ Brenner).
Le groupe du Bernina limite au Sud-Elst le territoire
suisse, et ses massifs principaux : Monte délia Disgra-
zia (3080 mètres), Bernina (4092 mètres), pic Can-
ciano (3107 mètres), pic Languard(3266mètres) se par-
tagent entre la Suisse et l'Italie. Le col du Bernina
(2330 mètres) conduit de l'Engadine à la Valteline.
LA SUISSE
LE CER\ W.L'ctonnante PUTamiJe(iuCcTL(n,ûuMallerbom.s'cUvc d'un jet jus<iu'a
4482 mélici, au-dessus des glacitr^ ft dts ehamiu de neige qui recouvrent, à partir tfe
2 SOQ mitres, tout le massif des Alpes Valaisanes. La raideur de ses murailles semble
difter toute escalade et, de hit- l'alpinate anglais ïf A|/mAer. aidé de plusieurs guides.
employa 8 campagnes d'ete à trouver le seul pai*age par ou l'on puisse ■ — au prix
d incroyables difficultés — atteindre In pointe suprême. Depuis lors, des crampons, des
chaînes de fer, facilitent l'ascension qui n'en denieu/e pas moins l'une des plus
malaisées et da plus dangereuses qui se puisse tenter. Cl. VÏ'ehru.
193
L'EUROPE
SAINT-MORITZ. La haute vallée de l'inn, ou Engadine. s'évase en un long et
large couloir, à fond plat, semé de lacs, dont l'altitude moyenne atteint l&OO
mètres. Elle se prête merveilleusement à l établissement de sanaloria, de
stations d'hiver et d'été, tels que Saint-Morilz. CI SoMMER.
LE GLACIER D'ALETSCH, sur le fianc méridional de iOberland bernois,
est la plus longue (25 kilomètres) des nappes de glace mouvante qui emplissent les
hautes vallées alpestres. Noter les nombreuses moraines Qui strient de noir la blan-
cheur du glacier. C\. FreD. BoissONNAS.
GRINDELWALD. Ces( le Chamonix des Alpes
Bernoises, point de départ des courses, qui, une fois
franchie la zone des prairies semées de chalets, mènent à
l'escalade des grands massifs. CI. WehrLI.
"
FRIBOURG étage sur les bords de la
Sarine ses hautes maisons qui se pressent
à l'ombre de la cathédrale.
Cl. Fred. Boissonnas.
EGGISALP. L' " Alpe" cest le pâturage de haute
montagne, entre / -400 et 2 000 mètres où les trou-
peaux passent l'été, de la Saint-Jean à la Saint-Michel.
CI. Fred. Boissonnas.
:-^*^ f '-\
^.a'*- '''wc^i^^I^^^H
^^^J^jmi'-y-MM,
^ — :
^.
UNE ROUTE ALPESTRE. Des routes de ce genre se
multiplient dans toute la chaîne des Alpes et font cesser
l irclcjr.cnl où vivaient autrefois les montagnards des
hautes vallées. Cl. Wehrli.
194
SPORTS D'HIVER. Courses et sauts
en ski, bobsleigh, ludge, patinage se
pratiquent dans toutes les stations d'hiver.
Cl. A. Steiner St-Moritz(Engadine).
LE LAC DE BRIENZ, et son voisin le lac de Thoune
ceints de montagnes verdoyantes, régularisent le cours
supérieur de l'Aar. Entre les deux s'est nichée la
charmante villelte d'Interlaken. Cl. WehbLI.
LA SUISSE
Les conditions de vie dans les hautes Régions
LE CLIMAT. 00 Malgré la facilité de péné-
tration due a la pre'sence des vallées transversales et lon-
gitudinales, la Suisse alpestre constitue un petit inonde
spécial ou les gens ont dû s'adapter à des conditions cli-
matiques peu favorables et ont vécu longtemps isolés du
bas-pays. Encore aujourd'hui, les cantons alpestres sont en
général les moins peuplés, les moins productifs de la Con-
fédération, ceux aussi où se conservent le plus fidèlement
les usages, les costumes, les dieJectes d'autrefois. Cepen-
dant, la beauté de leurs paysages, la salubrité de leurs
hautes vallées exercent une forte attraction sur les oisifs.
Altitude.
Températures
moyenne»
de
>an.
vier
P.'uie
mitlU
mctrcs
Son
Coîre
Sunt-Oill .
i
Boues calléa aheatres du oenant Nord.
...I 540m.| 9»6]-I°Il I9°5| 634
... 610m. 8^ -1°6 I7°5 803
...1 703ro.l r\\-2'\\ \b%\ \ 341
Jours
de
pluie
clairs
Lu^ano
CuUsegna (val Bre-
gaglia)
Saînt-Beatenberg . .
Davos
Graechen (VataU) . .
Beve«(EniîBdine). .
Btaaa valUea du venant Sud.
I 275 m-l IlMl l''3! 2I»5|
700 r
..1 9^71 -0»5| Ï8<*91
Hautes Vallées.
I 70S
I 438
i 150 m.
6'^
-2°9
14"«
1 453
153
89
1 560 m.
2"7
-T'A
12«2
930
143
97
1 620 m.
4°0
^"3
ri''4
528
74
92
1 712 m.
1-2
-909
U°8
838
127
89
89 I 108 I 84
116 87 112
160 I 64 I 155
120 I 124 I 103
116 I 102 ! 105
Riti
Col de S«n Benur.
(£no
ColduSt-Bem&rd .
Sentis
1 787 m.
2 073 m.
2 475 m.
2 500 m.
Co/s tl ummets.
1.! Z-OM'S 9°9I
0»6 -6'9
-1°7 -8°7
-2°ô-8<9
1 730
2 294
I 278
2300
M4 : 83
142
les touristes, les malades des deux mondes, et fournissent
à la gent montagnarde à la fois une source de revenus
et un motif puissant pour ne point délaisser des lieux,
par ailleurs peu séduisants.
Dans l'ensemble, le climat des régions alpestres est
fort naturellement caractérisé par la faiblesse des
moyennes annuelles, la rudesse et la longueur de la
période hivernale, l'abondance des précipitations atmo-
sphériques sous forme de pluies et de neiges. Mais les
différences d'altitude, de latitude, d'exposition y intro-
duisent de grandes variétés.
Verticalement, la température diminue en moyenne
de 0'',58 par 100 mètres. Cette diminution est plus
accentuée sur les versants Sud (0°,68) que sur les ver-
sants Nord (0°, 55). De plus, à mesure que l'on s'élève,
l'hiver est plus précoce et plus long. Dans les stations
sises aux alentours de 2 000 mètres (à Arolla, par exemple,
dans le Valais), il neige encore parfois jusqu'au I 5 juil-
let, et la saison d'été ne se prolonge pas au delà du
r"^ septembre. Dans une même vallée, le versant exposé au
iNord (Schattenseite) est plus Iroid que le versant
exposé au Midi (Sonnenseite), et tous les cJpinistes savent
combien, dans les hauteurs, le contraste est grand entre
un coin d'ombre où l'on grelotte et les lieux découverts
où l'ardeur cuisante du soleil brille et tanne la peau.
Une vallée large, qui reçoit plus longtemps les rayons
solaires, est plus tiède qu'une cluse étroite. Toutefois,
par une curieuse inversion des températures, les fonds
des vallées protégées contre le vent, et où les couches
d'air froid peuvent s'accumuler, ont souvent en hiver
des températures beaucoup plus basses que les sommets.
Dans l'Engadine, par exemple, Bevers, à 1712 mètres
d'altitude, a, en janvier, une moyenne de — 9",9, cJors
que le Rigi, par I 787 mètres, n'a que — 4°, 5 et le Sen-
tis (2500 mètres) — 8", 9. Enfin, à égale altitude, les
vallées et les pentes ensoleillées qui descendent vers la
plaine du Po sont plus chaudes que les versants du
Nord (comparez, par exemple, les températures de
Saint-Gall et de Castasegna).
Même variation dans les précipitations atmosphénques
et la nébulosité. Les régions alpestres reçoivent en géné-
ral de fortes quantités de pluie et de neige car les
nuages venus de l'Océan ou de la Méditerranée s'y
condensent forcément. Le tableau précédent donne
les chiffres des principales stations. Pour qu'il fût
complet, il conviendrait d'y joindre l'épaisseur de la
couche neigeuse qui joue un tel rôle dans I économie
alpestre comme obstacle aux communications, alimenta-
tion des glaciers et des rivières, etc. Mais c'est un élé-
ment qu'il est fort difficile d'apprécier. Bornons-nous à
noter que la limite inférieure des neiges persistantes varie
de 2 500 mètres environ dans les Alpes de Saint-Gall
à 3 000 mètres dans les Alpes du Valais, et que l'on
estime à 12 mètres et davantage l'épaisseur du blanc
linceul qui s'étale annuellement sur les hauts sommets
exposés aux vents humides.
Les couloirs longitudinaux abrités des vents par 1 écran
des hautes chaînes reçoivent des quantités de pluie rela-
tivement faibles comme en témoignent les chiffres de
Sion, de Graechen, de Bevers. Le nombre des jours
clairs y est souvent élevé. Sion, par exemple, ne compte
annuellement que quatre-vingt-quatre journées où le ciel
demeure complètement voilé de nuages ou de brumes,
tandis que les jours où l'atmosphère reste tout à fait
pure se montent à cent huit, presque autant qu'à Lu-
gano. La sécheresse du climat a même conduit, depuis
des siècles, les habitants du Valais à créer tout un sys-
tème de rigoles d'irrigation, les ' bisses ", qui arrosent
leurs prés et leurs champs.
Dans l'arrière-automne et en hiver, les hauteurs
195
L'EUROPE
au-dessus de 1 000 mètres et certaines vallées favorise'es
(région des lacs de Brienz, des Quatre-Cantons, Valais)
contrastent fortement par leur ciel lumineux, leur air sec,
avec le plateau suisse enseveli, pendant des semaines en-
tières, sous un brouillard opaque, épais de 700 à 800 mètres.
Cette clarté et cette sécheresse de l'air, très agréables
et salubres, et qui rendent aisément supportables des
froids très vifs, ont favorisé la création des stations
d'hiver, notamment dans les Grisons, à Davos, Sama-
den, Saint-Moritz. Même en été, tous les amoureux de
la haule montagne connaissent le saisissant spectacle que
présentent, au lever du soleil, les vallées inférieures
emplies d'une mer de nuages ", tandis que les champs
de neige, les glaciers, les aiguilles dentelées étincellent
sous la lumière virginale d'un ciel immaculé.
11 faut enfin, pour se faire une idée à peu près complète du
climat alpestre, tenir compte des différents phénomènes météoro-
logiques qui le caractérisent non moins fortement que les moyennes
de température, de pluie ou de nébulosité. Tels sont les change-
ments subits de température provenant d'une saute de vent, les
orages qui éclatent avec une brutalité déconcertante et une incroyable
violence, — les tempêtes de neige qui. en quelques heures, rendent
pour de longs jours impraticables des passages relativement faciles, —
le verglas, l'un des plus grands obstacles qui s'opposent à l'esca-
lade des parois de rochers, — les vents locaux dont le plus connu est
le fôhn, vent chaud qui accélère la fonte des neiges, fait multiplier
les avalanches, gonfle en peu d'instants les torrents, etc.
CULTURES, FORÊTS, PRAIRIES. 00 Des
vallées aux neiges éternelles se succèdent une série de
zones végétales qui sont en rapport immédiat avec le
climat et règlent les conditions d'existence du monta-
gnard.
Les cultures de céréales occupent les régions basses
ou les versants ensoleillés. Le froment ne dépasse guère
700 à 00 mètres, sauf dans la région plus chaude du
Tessin où il se mêle à la vigne, au ma'i's, aux arbres
fruitiers. Le seigle, l'orge, l'avoine, la pomme de terre
montent jusqu'à 1 300 mètres en moyenne, ainsi que les
châtaigniers et les cerisiers. Parfois même, aux lieux
particulièrement favorisés, l'avoine et le seigle parviennent
à mûrir jusqu'à 2 000 mètres (versant du Tessin).
Mais ces cultures ne jouent aujourd'hui qu'un rôle
effacé dans la vie économique de la montagne. Elles
sont pénibles par suite de la raideur des pentes, de petit
rapport et de rendement fort aléatoire. Aussi ont-elles
considérablement diminué d'étendue depuis que la mul-
tiplication des routes permet aux céréales étrangères de
monter jusqu'aux districts les plus isolés.
La forêt couvrait autrefois la presque totalité des
monts. Elle a reculé, dans des proportions parfois dan-
gereuses, devant l'extension des cultures d'abord, puis,
plus récemment, des pâturages. Cependant elle revêt
encore une portion appréciable des versants, notamment
sur les côtés de l'ombre, exposés au Nord.
196
Entre 500 et I 300 mètres environ, les arbres à feuilles ca-
duques : hêtres, chênes, frênes, charmes, ormeaux, tilleuls, châtai-
gniers sont encore nombreux bien que déjà ils se mélangent aux
conifères : épicéa, sapin blanc, mélèze, dans une proportion variable
suivant les lieux et l'altitude. A partir de 1 300 mètres, ces
derniers composent seuls la forêt alpestre jusqu'à la zone supé-
rieure (I 560 mètres dans le Sentis. I 900 mètres dans l'Ober-
land, 2 000 mètres dans le Tessin, 2 200 mètres dans le Valais et
I Engadine) où la rigueur du climat s'oppose à la croissance nor-
male des arbres. L'épicéa ou sapin rouge joue le rôle le plus
important ; il s'élève ju=qu'à la limite des neiges éternelles et des-
cend jusqu'à la zone inférieure où à lui seul il constitue souvent
d immenses forêts. " Di très lom. la forêt d'épicéas se reconnaît à
sa teinte sombre qui contraste d'une façon si tranchée avec celle
des pâturages. Dans les prairies basses, où l'épicéa croît en pieds
isolés, il prend une ampleur magnifique et forme ces superbes
gogants " (Wettertannen. Schirmtannen) sous lesquels le bétail
aime à s abriter. " Le sapin blanc se mélange à l'épicéa sur les
versants ombreux à sol de calcaires ou dé schistes ardoisés. Le
mélèze apparaît aussi rarement en forêts pures et s'unit à l'épicéa
et à l'arolle. L'arolle enfin, aux formes trapues, aux puissantes
racines, est disséminé sur toute la chaîne des Alpes, mais ne cons-
titue de vraies forêts que dans l'Engadine et le Haut- Valais.
Lorsque la forêt s'arrête, elle fait place d'abord à des
formations buissonneuses composées d'arbres rabougris et
nains (épicéas vieux de cent années, mais hauts de
I mètre, aulnes, saules, genévriers), de bruyères, de
rhododendrons, etc. Puis apparaissent les alpes " ou
alpages, c'est-à-dire les pâturages élevés formés d'herbes
courtes et savoureuses que couvre pendant de longs mois
une épaisse couche de neige, et qui, pendant la brève
période estivale, se hâtent de donner leurs fleurs écla-
tantes : gentianes, lis martagon, orchis, anémones, saxi-
frages, edelweiss, etc. Enfin des mousses, des lichens
revêtent les roches jusqu'à la zone ou la neige ne fond
jamais.
LES HABITANTS. 00 Les alpages des hautes
régions elles prairies cultivées des zones inférieures cons-
tituent la vraie richesse du montagnard. 11 passe des uns
aux autres suivant les saisons, et sa vie n'est qu une
suite de migrations dont les dates sont fixées depuis un
temps immémorial par le retrait ou l'avance des neiges.
L'hiver, il demeure dans les villages des vallées basses
ou moyennes. C'est là, entre 800 et 1 500 mètres, qu'il
a son chalet le plus confortable, au grand toit, aux mul-
tiples petites fenêtres, construit en sapin rouge sur un
socle de pierre ; c'est là qu'il édifie ses granges les plus
vastes, où il entasse le foin des prairies cultivées et fumées
qui entourent le village. Le printemps venu, il conduit
ses vaches, fatiguées et amaigries par la longue claus-
tration hivernale, dans la zone moyenne ( 1 500-
1800 mètres), la première libre des neiges, et où des
chalets très simples, des ' mayens " (habitations du mois
de mai) abritent, la nuit, pasteurs et troupeaux. Puis en
juin, à la Saint-Jean, tandis qu'une partie de la famille
LA SUISSE
redescend au village pour couper et engranger le foin
du bas-pays, le reste monte à i'alpe, aux pâturages des
hautes cimes (2000 à 2 600 mètres), ou jusqu'à la lin de
septembre le bétail vit en plein air, tandis que le berger
se contente de l'abri sommaire offert par des cabanes
frustes dont l'ustensile essentiel est la grande marmite de
cuivre rouge oîi bout le lait. A la Saint-Michel, les trou-
peaux, aux clochettes tintinnabulantes, douce harmonie
des hauts lieux, descendent à la zone interme'diaire où
ils passent quelques semaines, broutant le regain et
fumant les prairies. Les neiges de novembre les obligent
enfin à s'enfermer dans l'étable chaude du village d'en
bas où bêtes et gens vivent avec patience les mois glacés
pendant lesquels les colonnes de fume'e s'e'chappant des
chalets enfouis sous la neige témoignent seules que la vie
persiste sous ce linceul immaculé.
Elevage du bétail, fabrication du beurre et du fromage, voilà
l'occupation du montagnard, et longtemps il n'en eut point d'autres
Quand la montagne ne sufBsait plus à le nourrir, il se faisait sol-
dat et s'en allait guerroyer pour le compte du roi de France ou
de l'empereur d'Allemagne. Cette source de revenus est aujour-
d'hui tarie, et le pasteur qui cède à l'esprit d'aventure va tout
bonnement exercer quelque métier dans les grandes villes d'Europe
ou d'Amérique, puis revient au pays avec un petit capital, se fail
construire un beau chalet, achète un troupeau et achève sa vie à
l'ombre aimée de sa montagne. Par ailleurs, depuis l'extension du
tourisme, les Alpes offrent aux villageois d'autres sources très
appréciables de profits. La multiplication des hôtels à toutes alti.
tudes, des centres de villégiatures estivale ou hivernale, le dévelop-
pement de l'alpinisme et des sports propres à la montagne (esca-
lades ou " varappe " en été, ludge, bobsleigh, patinage en hiver)
donnent un emploi rémunérateur à la petite armée des guides,
garçons et filles d'hôtels, aubergistes, vendeurs de " souvenirs", etc.
Les simples pasteurs eux-mêmes n'y perdent point, car ils appro-
visionnent les hôtels de lait, de beurre et de fromages, de viande,
de miel, et glanent, de façons aussi multiples qu'ingénieuses, une
part de la manne dorée que l'étranger sème sur sa route.
Aussi la montcigne est-elle relativement très peuplée,
— moins que ne pourrait le faire croire le nombre
considérable de chalets éparpillés sur tous les versants,
mais beaucoup plus qu'on ne l'attendrait de lieux fort
âpres, où le sol utilisable est de petite étendue, où la
culture se réduit à peu de chose, où l'hiver dure
de sept à neuf mots. On calcule, en effet, que sur
3 700000 habitants. 666000, soit 1 sur 5, habitent au-
dessus de 800 mètres d altitude. Dans le canton des Gri-
sons, la moitié des gens vivent au-dessus de I 000 mètre?.
Les régions alpestres n'ont pas une seule grande ville.
Les agglomérations les plus notables habitées en perma-
nence par les gens du pays sont toutes placées dans les
vallées les plus larges où la culture est encore possible.
Les villages de la montagne occupent de préférence les
versants ensoleillés, les cônes de déjection amoncelés par
les torrents, les confluents des vallées, le débouché
des cols, les ' plans ", terrasses, replats aménagés par la
nature au-dessus des gorges. Beaucoup d'entre eux
doivent à la multiplicité des hôtels, des pensions, des
chalets de plaisance qu'on loue aux étrangers, l'aspect de
petits centres urbains, et, en fciit, pendant les mois d'été,
leur population augmente du simple au centuple et davan-
tage. Mais hôtels et villas se ferment huit à neuf mois
sur douze, et la majeure partie des lieux habités en per-
manence ne comptent guère, en moyenne, que quelques
dizaines de familles, à la vérité fort nombreuses.
Dans le Valais, Martigny, Saxon, Sion (6000 habi-
tants), Louèche, Viège, Brigue s'alignent le long du
F^Jiône d'aval en amont, tandis que Orsière, Evolène, Zer-
matt, Saasfee sont les villages les plus connus des hautes
vallées adjacentes. Domo d'Ossola (3800 habitants),
Bellinzona( 10000 habitants), Lugano (MOOOhabitants),
sur les rives de son lac charmant, sont les petites capitales
du Tessin. Le vaste canton des Grisons, qui s'étend du
Todi au Bernina, a pour chef-lieu Coire (14000 habi-
tants), aux rives du Rhin ; Davos (8000 habitants) dans
la haute vallée de la Landwasser, Saint-Moritz, Pon-
tresina, Samaden dans l'Engadine, sont des lieux de
villégiature et de cure d'air universellement célèbres.
Dans rOberland Bernois, Interlaken (6000 habitants)
s'est placée sur l'isthme alluvial qui sépare le lac de
Brienz du lac de Thoune. C'est le point de départ des
routes et des lignes à voie étroite qui mènent à Lauter-
brunnen, à Grindeiwald, à Méringen, etc. Autour du lac
des Quatre-Cantons, on peut citer Sarnen (4 000 habi-
tants), Altdorf, Fiuelen, Schwytz (8000 habitants),
Glaris (5000 habitants), Emsicdeln, heu de pèlerinage
très fréquenté. 11 faut ajouter à cette liste de villettes ou
de gros villages tous les centres de villégiature entre les-
quels se disperse la foule des étrangers et dont les
guides spéciaux vantent à juste titre, en termes d'ailleurs
identiques, la salubrité, le confort, le pittoresque surtout,
qui est monnaie courante en de tels paysages.
Le Jura Suisse
Des dernières pentes de l'Oberland on aperçoit au
loin, barrant I horizon, par delà la dépression vaporeuse
des lacs de Neuchatel et de Bienne, la ligne rigide et
grise du Jura. Il s'étend en arc de cercle, du Rhône au
Rhin, et contraste fortement avec les Alpes non seule-
ment par son altitude beaucoup plus basse ( 1 723 mètres
au point culminant), l'absence de glaciers et de neiges
éternelles, mais aussi par la rigidité, l'uniformité de son
architecture due au peu de variété des roches qui le com-
posent, la succession monotone de ses plis parallèles, la
rareté, l'étroitesse des couloirs (vais, combes ou cluses)
qui le pénètrent ou le traversent.
197
L'EUROPE
La Suisse possède la majeure partie de la crête
maîtresse qui domine, par des pentes raides, la longue
dépression où se logèrent les lacs de Genève, de Neu-
châtel, de Bienne, et qu'emprunte 1 Aar dans son
cours inférieur. La Dôle (1678 mètres), le Noirmont
(1560 mètres), le mont Tendre (1650 mètres), le
mont Suchet (1585 mètres), le mont Chasser on
(1611 mètres), le Chasserai ( 1 609 mètres) sont les points
culminants. \'ers le Nord, l'altitude s'abaisse peu à peu ;
le Weissenstein, au-dessus de Soleure, n'a plus que 1398
mètres, le mont Terrible, contre lequel bute le Doubs
à Saint-Ursanne, n'en a que 998. Enfin, par le Passwang,
le Hauenstein. le Bœtzberg et les Lâgem, les dernières
collines du Jura suisse s'inclinent aux rives du Rhm qui
les sépare de leur prolongement naturel : la Rauhe
Alp de Souabe.
Malgré l'altitude relativement basse de ses sommets
principaux, le Jura n'en forme pas moins une barrière
difficile à franchir. La ligne faîtière, en effet, se maintient,
sur 1 80 kilomètres de longueur, à la hauteur moyenne de
1300 mètres. Et, derrière elle, d'autres crêtes parallèles,
des plateaux étendus élargissent considérablement et
multiplient les obstacles. Les passages transversaux (cols
de la Faucille sur territoire français, de Saint-Cergues,
cluse de Joux empruntée par la voie ferrée Paris-Lau-
sanne) sont fort rares. Plus nombreux heureusement
apparaissent les vais parallèles aux chaînes : val de
l'Orbe avec le lac de Joux, val Travers, val de Délé-
mont, où les voies de communication ont pu trouver
place. Ce n'est cependant qu'au prix de travaux d art
considérables et par des pentes fortes, des détours qui
allongent la durée des voyages et ralentissent la vitesse
des trains, que les voies ferrées, peu nombreuses, fran-
chissent le Jura.
La roche dominante est un calcaire très perméable
qui a donné son nom à toute une époque géologique
(époque jurassique) où abondent les dépôts de même
genre. Tantôt elle s'étend en hauts plateaux mamelonnés,
en croupes arrondies, tantôt elle forme, au-dessus des
cluses étroites taillées par les nvières, de raides murailles
blanches que prolongent vers la base des talus d'éboulis.
Une multitude de petites dépressions, des bassins
ronds aux fonds marécageux et tourbeux, se creusent
sur toute la surface des monts et plateaux. Ce
sont des dolines " analogues à celles que l'on trouve
sur tout le Carso " lUyrien. Les eaux de pluie s'y
accumulent ou s'en échappent par des fissures souter-
raines et des goufres, les emposieux ", puis ressortent
au fond des vais sous forme de fontaines ' vauclusiennes "
a fort débit. Ce sont là des phénomènes communs à
toutes les régions de calcaire compact et perméable.
Le climat est, en moyenne, plus rude que ne l'est
celui des Alpes à même altitude. Les vallées surtout.
où 1 inversion de la température se fait particulièrement
sentir, ont des moyennes hivemcJes de — ^4° et — 5" et le
thermomètre s abaisse parfois à 30° sous zéro. Les pluies
et les neiges tombent abondamment, en particulier sur
les versants exposés a l'Ouest, et la limite supérieure
des forêts ne dépasse pas 1400 mètres.
Malgrélafortepluviosité, ces hauteurs sont plutôt sèches ;
elles n'ont pas ces ruisselets, ces sources qui chantent
sur toutes les pentes des Alpes, car le sol calcaire boit,
comme une éponge, les eaux versées par les nuages. Les
pasteurs doivent construire des citernes pour eux et leurs
troupeaux. Les pâturages même sont plus maigres, moins
nourrissants que les alpages du VcJais ou de l'Oberland.
Les forêts de conifères, sapin blanc et épicéa surtout,
couvrent une partie du Jura. Forêts sombres, tristes,
presque dépourvues de sous-bois, et que n'égeùent ni
chant d'oiseau m le frais murmure d'une source. Le
reste est occupé par des prairies mêlées de bouquets
d'arbres. Les cultures, dont l'aire est étroitement limitée
par la ngueur du climat, n'apparaissent guère qu'au
fond des vais élargis où mûrissent le blé, le seigle, la
pomme de terre, quelques arbres fruitiers.
Ces vallées basses furent, jusqu'au XIV*^ siècle, les seuls lieux
habités du Jura. Puis les hautes vallées et les plateaux se peuplèrent
de pâtres qui les déboisèrent en partie, construisirent leurs chalets
au pied des pentes protectrices, groupèrent leurs hameaux au fond des
dolines les plus vastes ou aux points de passage les plus fréquentés.
Ils menaient, sur ces hauts lieux, une vie pauvre mais très indépen-
dante, comme en témoigne encore le nom de " franches montagnes
donné à la région de Délémont. Au début du XVIIl^ siècle, l'in-
troduction de l'industrie horlogère augmenta considérablement les
ressources des jurassiens en leur permettant d'employer utilement
les mois du long hiver. Chaque famille forma un petit atelier où
l'on fabriquait tel ou tel organe de la montre : ressorts, vis, boi-
liers, etc. Des fabricants en gros acquéraient, à la fin de la saison
d'hiver, lous les produits de cette industrie familiale. Encore
aujourd'hui, au moins dans le Jura septentrional, rares sont les fermes
qui n'ont pas un "établi ". bien que la création des grandes usines
ail porté quelque préjudice à la dissémination des ateliers.
C'est à l'industrie horlogère qu'est du le dévelop-
pement de deux villes importantes à une altitude où seul
le pâturage est possible. Le Locle sis à 948 mètres et La
Chaux-de-Fonds à 1000 mètres (ligne de Besançon à
Neuchâtel et Bienne). La première a 13000 habitants,
la seconde 42000;villes de fabriques qui ont su cependant
"ne pas perdre complètement leur aspect rural, garder
leurs mœurs simples et leur renom d'hospitalité. " (P.
Clerget.) Saint-lmier (8000 habitants) à 795 mètres,
Sainte-Croix (6000 habitants) à 1069 mètres, sont aussi
des villettes industrielles qui produisent l'une desmontres,
l'autre des phonographes, gramophor.es, boites à mu-
sique, etc. Les autres petits centres jurassiens, Délé-
mont et Saint-Ursanne dans le Nord, Noiraigue à
l'entrée des magnifiques gorges de l'Areuse. Travers,
1%
LA SUISSE
LA CHUTE DU RHIN A SCHAFFHOUSE. Après avoir traverie lelacde Conj-
ianet où il s'étHire el se régularise, le Rhin se heurte aux prolongements extrêmes éa
Jura franco-Suisse que des collines, orienleti Sud-Ovest — Nord-Est. unissent au
Jura scuabe ou Rauhe Alp. Aussi,, à partir de Sr.haffhouse, le cours du fleuve s'acci-
dente de rapides, Recueils et comporte même une chute grandiose où la ma&fc des eaux
se précipite d'une hauteur de 15 à 20 mètres, sur \00 mettes de larpe. Cette hute,
iuencadre un intéressant paysage de bois, de vignobles de châteaux, n'^t pas seule-
ment un sbedacle pittoresque qui attire des millie's de touristes, elle fournil encore
une force motrice considérable qu'utilisent les grands établissements industriels éche-
tonnes sur la rive droite du fleuve. Cl. WehhlI.
LE LAC DES QUATKE-CANT0N5 VU DU R\GH\. Parmi le» nappes la.mtrcs
dont les ondes traruparentes reflètent les rochers, les^neiges et les forets des monts
Heivi-tes. le lac de Luceme. nourri Par les eaux de la _ Retas qui dévale du Gothard,
oeestpe loni conteste le premier rang par sa furme tourmentée, la variété de ses pay-
uxges. les illustres louvenin qui te rattachent à ses rives, où les montagruzrdâ des quatre
Cantons : Zug, Uri. Schwvtz et Unierwalden s'unirent pour jurer de défendre
leurs libertés, el où l'on se piaîl à évoquer l'ombre légendaire de Giallaumc Tell. Ici
la tue est prise du sommet du Rishi U 8S0 m.). Elle embrasse un immense
horizon qui s'étend depuis les massifs géants des Alpes Bernoises jtiSQuà la ligne
Heutée dit Jura. Cl. Wehbli.
199
■EUROPE
WASSEN. Le fond des vallées de moyenne altitude et le
has des pentes se couvrent de Drairies et de petits cliarnps
étages Au-dessus, /es IotcIs coupées de clairières s'élèvent
jusqu'à 2 000 mit fe:>. Cl. Photoglob.
VAL D"HERENS. Dans le g> and silence
des n-:iges élernelles.ralpiniste et ses guides
cheminent, en route pour l escalade des
" Bouquetins ", Cl. Fred. Boissonnas.
VAL D'AROLLA. lue prise vers 2 200 mètres, à
l'extrême limite atteinte Par l^s arhret. Quelques moutons
pâturent l'herbe rase. Au fond apparaît la pyramide du
mont Collon {3644 m ). Cl. Grangeh.
GEINEVE. La séduisante capitale de la Suisse romande occupe, à l'extrême pointe
du Léman, une position symétrique à celle que tiennent Lttceme et Zuriih sur leurs
lacs Tesptcriifs C'était un point de passage obligé, et, de tout temps, ponts et liacs
unirent les deux rives du Rhône renaissant. CI. JULLIEN fr.
BERNE : LA RUE ZEITGLOCKENTURM. Bordée d'arcades à l'italienne,
ornée de fontaines anciennes, dominée par la tour où la Grosse Hnilvge chante les
heures, est l' artère la plus animée de la pittoresque capitale que ceinture
étroitement une houclc de l'Aar. Cl. Fred. Boissonnas.
UNGFRAU : MONCH. EIGER. points culminants des
A-y*^ I2cTnoi^LS ditssîs comme un synode de géants, déta-
t su/ îi. Lieu profond du ciel l'éclat des neiges éternelles
{:•: u îciir: fyi,!:i7>-id£s trapues. CI. Fked. Boissonnas.
SUR LE LLMA-N glissent comme
de bhnches mouettes les doubles
voiles triangulaires des barques de
pêche ou de cabotage.
LE MASSIF DU BERNINA. Au premier plan, un
lac formé par l'accumulation des eaux derrière un barrage
de moraines anciennes. Sur la montagne, de vastes névés
d'oii s'échappent les langues des glaciers.
200
Vallorbe, le Pont (1014 mètres) aux rives charmantes
du lac de Joux, Saint-Cergues (1046 mètres) sur la route
de Moret à Gex, etc., ajoutent aux profits de
l'élevage et de lexploitation des bois ceux que leur
LA SUISSE
apportent les touristes attirés par les promenades faciles
sous le dôme des forêts, au fond des cluses sauvages
ou dans les prairies ondulées qui s élèvent en pentes
douces jusqu'aux sommets.
Le Plateau Suisse
Entre le Jura et les Alpes, le Plateau est la partie
vitale de la Suisse, la région des grands lacs, des
cultures, des voies de communication nombreuses et
faciles, des industries florissantes, celle aussi où la popu-
lation est de beaucoup la plus dense, où les villes les plus
importantes se sont naturellement développées.
LE RELIEF DU PL.ATEAU. SES COURS
D'EAU ET SES LACS, a a Le nom de Plateau,
souvent remplacé par le terme plus exact de collines
suisses (Hugelland), ne doit pas (aire illusion sur l'aspect
des paysages dont se compose la Suisse centrale. Rien
de semblable aux ' mesetas " espagnoles, par exemple,
ou aux solitudes monotones des Ardennes.
Entre les plissements alpins et jurassiens se creusait une dépres-
sion orientée Sud-Ouesl-Nord-Est et qui s'inclinait doucement vers
le Nord-Est. Cette dépression fut envahie et en grande partie com-
blée par les débris de toutes sortes que l'érosion fluviale et surtout
glaciaire arracha aux Alpes, Partout apparaissent les conglomérats,
les argiles, les molasses déposés par les cours d'eau, les moraines,
les blocs erratiques laissés en place par les énormes glaciers
d'autrefois. Après la fusion des glaces, les torrents travaillèrent
activement sur ce sol meuble, y creusèrent des vallées larges, y
découpèrent les collines, y burinèrent un modelé capricieux dont
l'altitude générale s'abaisse du Sud-Est au Nord-Ouest. La
région de Neuchâtel, de Bienne, de Soleure, de Winterlhur est
comprise entre 400 et 500 mètres. Mais, à mesure que l'on se
rapproche des Alpes, la hauteur augmente. Le Jorat, qui domine le
Léman, le mont Gibloux, entre la Sarine et la Glane, les collines
bernoises de Gurten. du Belpberg, etc., le massif arrondi du Napf.
l'Aldis que longent la vallée de la Sihl et le lac de Zurich, le
Hôrrli, etc.. ont leurs points culminants entre 800 et I 200 mètres.
On ne trouve donc à peu près nulle part de plaines ou de plateaux
à proprement pa/ler, mais une succession charmante de vallées et de
collines couvertes de cultures, de prairies, de bouquets d'arbre», un
paysage gracieux, très vivant, très varié, où les lacs mettent leurs taches
bleues sur le tond de verdure, où partout courent et chantent les
rivières comme heureuses d'échapper à l'étreinte des hauts monts.
Les lacs, d'origine à la fois tectonique et glaciaire,
sont une des plus rares parures de la Suisse. Tous
occupent les points les plus profonds des vallées barrées
par d anciennes moraines l^rontales. Au pied du Jura,
les nappes d'eau de Neuchâtel, de Bienne, de Moral
manquent un peu de pittoresque, mais les rives du Léman,
les lacs de Thoune, de Brienz, des Quatre-Cantons.
de Walen, de Zurich, etc. , sont universellement célèbres.
De tous temps ils attirèrent el fixèrent les hommes, comme
en témoignent les découvertes de ' palafittes ' , de
nombreux villages lacustres remontant aux époques de
la pierre polie. De nos jours encore, la densité kilomé-
trique de la population qui vit sur leurs rives ou dans
leur voisinage immédiat dépasse très largement celle des
districts plus éloignés. Ils ne se bornent point, du reste,
à être pour la Suisse un élément de pittoresque, ils
régularisent le débit des cours d'eau qui les traversent,
en absorbant le trop-plein de leurs crues, en les nourris-
sant aux époques de maigre.
Ces cours d'eau aboutissent tous au Rhin par l'Aar,
le grand collecteur des lacs et des torrents qu'alimentent
les glaciers, les neigesdes montagnes, lespluies du plateau.
Longue de 485 kilomètres, l'Aar, au sortir deMeiringen,
traverse les lacs de Brienz et de Thoune, passe à Inter-
laken, à Berne, et reçoit d'abord sur la rive gauche, par
la Lutschine, la Simmeet la Sarine (Fribourg), toutes les
eaux de l'Oberland. Puis la Thièle lui apporte le tribut
du Jura (lacs de Neuchâtel, Bienne, Morat). Elle longe
fidèlement, par Soleure et Aarau, le pied des dernières
crêtes jurassiennes, se grossit en chemin de l'Emme
(Emmenthal), de la Reuss, née au Gothard el déversoir
des lacs de Zug et des Quatre-Cantons, de la Limmaf-
Linth, qui lui apporte les eaux des lacs de Walen et de
Zurich, puis, perçant les collines des Lâgern, elle
aboutit à^Waldshut dans le Rhin, qu'elle dépasse
sinon par la longueur, du moins par son débit inoyen
(508 mètres cubes à la seconde contre 425).
LE CLIMAT DU PLATEAU
Stations
Bile...
Genève.
Luceme
Zurich .
Berne . .
Allitwle
en
mitre*.
278
<t05
453
493
572
Tempcratwes
moyennes.
de ^^
t'an. Jan. JuîU
-0«l
0°0
-1»3
-l»4
-2°0
19°1
I9°3
I8°3
I8"4
18°0
Plina
en
milli'
mètres.
825
867
I 153
I 139
927
Morenne
des joura
COQ-
verti
145
157
153
148
150
Qucmt au Rhin (376 kilomètres en Suisse sur 1 320),
dont nous connaissons le cours alpestre, il se purifie et
se régularise dans le Bodensee ou lac de Constance,
dont la Suisse possède la rive occidentale. Puis il se
fraie un chemin difficile (chutes de Schciffhouse) à tra-
vers les derniers pointements du Jura, reçoit, par la Thur
et la Tœss, les eaux venues des Alpes de Saint-Gall
et descend avec rapidité vers Bâle où, par un
cioClUPHIE UNIVERSELLE.
201
20
L'EUROPE
coude brasque, il pénètre dans les plaines d'Alsace.
Le Plateau suisse a le climat continental atténué de
l'Europe centrale. Les moyennes d'hiver et d'été sont
comparables à celles de Vienne, de Prague, de Breslau,
de Berlin, de Nancy. Les variations locales sont dues soit
à l'influence modératrice des lacs (comparez Genève et
Berne), soit à l'exposition, soit à la prédominance des
vents plus tièdes de l'Ouest ou des " bises " froides
qui soufflent du Nord-Est.
Le maximum de pluie tombe pendant les mois d été,
mais nulle saison n'en est exempte. Plus faibles au pied
du Jura, la quantité des pluies et le nombre des jours
pluvieux augmentent à mesure que l'on se rapproche
des Alpes. La proportion des journées claires ne
dépasse pas un sixième. Pendant la moitié de l'année
environ, le ciel demeure complètement couvert, et, entre
Neuchâtel et Constance surtout, des brouillards denses
pèsent sur le sol pendant des semaines entières.
Enfin, au printemps, de brusques retours de froid, des
chutes intempestives de neige, des orages mêlés de
grêle sont toujours à redouter.
VÉGÉTATION ET CULTURE. 00 Le Pla-
teau fut autrefois entièrement couvert de forêts et de
tourbières. Cultures et prairies ont creusé peu à peu de
larges vides dans le sombre manteau des bois. Néan-
moins, il en subsiste assez, notamment sur le flanc des
collines, pour donner à toute la Suisse centrale l'aspect
d'un vaste parc.
Sur les rives du Léman, et en quelques territoires
particulièrement favorisés, mûrit encore le raisin, mais
c'est là un fait exceptionnel. Les champs de blé, d'orge,
d'avoine, les pommes de terre, les jardins de pommiers,
poiriers, cerisiers trouvent au contraire, dans toute la zone
inférieure à 700 mètres, les conditions climatiques qui
leur conviennent, lisse mêlent aux prairies qui là encore,
conime dans le Jura et les Alpes, sont la vraie richesse
du pays et tendent, du reste, à gagner sans cesse du
terrain aux dépens des champs cultivés. On connaît
la renommée mondiale des pâturages de Gruyère et de
l'Emmenthal.
ÉTABLISSEMENTS HUMAINS. 00 Le Pla-
leau suisse, largement ouvert au Sud-Ouest et au Nord-Est, (ai'
partie de ce grand terrain de parcours que les peuples européens ont
(oulé, depuis les temps les plus reculés, entre la région du Danube
et la Porte de Bourgogne. 11 fut habité de très bonne heure, comme
le prouvent les multiples découvertes d'armes, d'ustensiles, d'habita-
tions se rapportant aux époques de la pierre éclatée ou polie. Les
Romains y tracèrent des routes qui, venant de Milan par les cols
alpestres, ou de Lyon par le seuil de Genève, aboutissaient au
Rhin. Les relais de postes, les péages établis lelongde ces roules,
les forteresses édifiées pour les détendre furent l'origine d'une
pallie des cités suisses d'aujourd'hui.
Ces cités s'alignent à la base des monts, au débouché
202 —
des rivières et des lacs. De très ancienne origine, riches
en souvenirs du passé qu'elles conservent avec un soin
jaloux, propres, bien tenues, fort accueillantes, elles ont
toutes leur originalité et doivent au cadre qui les entoure,
à la facilité des oromenades, à leur activité intellectuelle
ou économique, un attrait qui s'exerce fortement au
dehors de la Confédération et attire chez elles un nombre
sans cesse croissant de résidents étrangers.
A l'Ouest, Genève (132 500 habitants) et Lausanne
(67 000 habitants) sont les métropoles du Léman.
Genève s'est bâtie à cheval sur le Léman et le Rhône.
La vieille ville, la Genève de Calvin, la Rome pro-
testante", entasse sur une colline, autour de la cathé-
drale,ses hautes maisons, ses rues étroites et zigzagantes.
La ville neuve développe, sur la rive droite du fleuve,
ses quais fleuris, ses jardins, ses larges avenues, ses
hôtels, villas, casinos et autres lieux de plaisirs destinés
aux étrangers, qui forment un bon tiers de la population.
Grand centre de 1 horlogerie et de la bijouterie, Genève
n en demeure pas moins une cité intellectuelle et uni-
versitaire qui, avec Lausanne et Fribourg, défend la tra-
dition et la culture romandes, c'est-à-dire françaises, contre
l'extension des méthodes et de la civilisation allemandes.
Lausanne, bâtie sur trois collines que séparent les
ravins du Flon, est une cité calme, reposante, très pitto-
resque, un grand centre universitaire. Aux rives du lac,
Clarens, Montreux, Territet, Chillon, Villeneuve for-
ment une agglomération continue d'hôtels, de villas,
de jardins étages qui se mirent dans les eaux bleues.
Au pied du Jura, Neuchâtel (23000 habitants),
Bienne (22 000 habitants), Soleure (10600 habitants),
Aarau (10000 habitants) jalonnent le couloir de l'Aar.
Bâle (Basel, 132000 habitants) a grandi autour d'un
château fort construit par les Romains au point où le
Rhin pénètre dans les plaines d'Alsace, où se croisent
les routes venues de l'Ouest par la trouée de Belfort et
le val de Délémont, du Nord et de l'Est par le Rhin.
Cité d'industrie et de commerce, Bâle est avec Genève
la plus active et la plus riche des viUes suisses. Elle le
deviendra d'autant plus que l'amélioration récente de la
navigabilité du Rhin prolonge désormais jusqu'à elle —
quoique encore malaisément — le trafic fluvial qui s'arrê-
tait à Kehl et Strasbourg.
Au centre du Plateau, Fribourg (25000 habitants),
sur une boucle de la Sarine, et Berne (85 000 habitants),
la capitale fédérale, sur une boucle de l'Aar, ont une
position analogue et un pittoresque dû, dans l'une et l'autre
cité, aux ponts qui enjambent leurs rivières, aux mul-
tiples témoins (tours, murailles, églises, maisons, fon-
taines, etc.) qu'elles gardent de leur passé. Lucerne
(40000 habitants) et Zurich ( 1 90 000 habitants) étagent
leurs maisons sur les rives de leurs lacs aux points
d'effluence de la Reuss et de la Limmat. La première.
LA SUISSE
non moins riche que Berne ou Fribourg en souvenirs
d'autrefois, est surtout une ville de plaisance, un centre
de villégiature. Zurich est. au contraire, la cité la plus
industrielle de la Suisse et la plus peuplée. Ses établis-
sements d'instrucb'on théorique et pratique (Université,
Polytechnicum) font de Zunch la vraie capitale de la
Suisse allemande. Enfin Saint-Gall (31 000 habitants).
Winterthur (25000 habitants). Hérisau (13 500 habi-
tants). Shaffhouse (18000 habitants), villes defabriques,
complètent la région industrielle de Zurich .
HISTOIRE ET GOUVERNEMENT, aa L'HcKéiic.
d abord romanisée, puis envahie par des peuples barbares,
Alamans et Burgondes, fut rallachée à l'Empire franc de Charle-
magne, puis au Saint-Empire Romain germanique. Sagement
gouvernée pendant deux siècles par la maison féodale des Zahnn-
gen. qui laissa aux communautés suisses de larges libertés, elle passa
aux mains de la maison impériale de Habsbourg, lorqu'un seigneur
suisse. Rodolphe de Habsbourg, fui élu empereur en 1273. Dès
lors, elle se vit menacée de perdre ses franchises, et, en 1291. les
gens des Waldslâtlen. c'est-à-dire des cantons forestiers d'Un*
Schwylz et Unterwalden, signèrent une alliance perpétuelle pour
la défense de leurs libertés. Telle est l'origine de la République
suisse, origine qui s'entoura plus lard de légendes fameuses symbo-
lisées dans l'hisloire de Guillaume Tell. Aux trois Cantons primitif*
s'ajoutèrent parla suite d'autres communautés helvétiques d'origines
diverses. En 1648, les traités de Westphalie reconnurent solennel-
lement rindé[>endancedes treize Cantons. Des acquisitions nouvelles
ont porté ce nombre à vingt-deux, dont trois (Appenzell, Bâle cl
Unterwalden) subdivisés en demi-cantons.
Après de longues discussions, voire de guerres, entre les partisans
de I indépendance cantonale absolue et ceux de l'unité, les Suisses se
sont rois d'accord en 1 848 pour organiser leur pays en une République
fédérale dans laquelle chaque canton jouît d'une large autonomie,
mais où les affaires d'intérêt commun sont du ressort exclusif
du gouvernement central, résidant à Berne. Le pouvoir législatif
appartient à deux chambres : le Conseil des Etats, comprenant
-14 membres (2 par canton), et le Conseil national, composé de
167 membres élus au suffrage universel direct. Le pouvoir exécu-
tif est exercé par un Conseil fédéral de 7 membres, dont le Président,
élu pour un an et non rééligible l'année suivante, porte le titre
de Président de ta Confédération.
POPULATIONS, LANGUES, RELIGION
D'après le recensement du 1^"^ décembre 1920, la
Suisse compte 3861 000 habitants, soit une densité
moyenne de 92 habitants au kilomètre carré. (Le recen-
sement de 1910 avait donné 3 753 000 habitants.) Cette
densité, du reste, est extrêmement variable, et les régions
de hautes montagnes, qui couvrent la plus grande par-
tie du pays, contrastent par le petit nombre de leurs
habitants permanents avec les régions agricoles et indus-
trielles du Plateau et des lacs.
Les familles suisses sont très polihques (plus de quatre
enfants en moyenne par ménage) ; aussi l'excédent
annuel des naissances sur les décès est-il de 30000 à
35000. Depuis 1871. la population totale a plus que
doublé. Il est VTai que. sur les 3 753000 habitants
recensés en 1910, il fallait compter 565000 étrangers
(412000 en 1920), chiffre considérable et qui n'est
atteint, toutes proportions gardées, dans aucun autre
pays d'Europe. Sur ce nombre, les Allemands l'em-
portent de beaucoup ; ils sont aidés naturellement par
la communauté de langue, de culture et les nécessités
économiques qui lient étroitement la Suisse à l'Alle-
magne pour ses approvisionnements en charbon, mine-
rais, coton brut, etc. Les Italiens viennent ensuite, et
leur nombre s'accroit si vite qu'il a triplé entre 1900
et 1910. Les Français enfin comptent 55000 à 60000
des leurs, surtout à Genève et en Suisse romande.
Aux étrangers fixés en Suisse s'opposent les Suisses
vivant à l'étranger. Le Suisse se déplace aisément.
même chez lui (un Suisse sur cinq demeure dans
un canton autre que son canton d'origine). Entre 1 880
et 1885, on comptait chaque année une dizaine de mil-
liers d'émigrants. Entre 1900 et 1920. la moyenne a
baissé de moitié. Cela suffit pour que les colonies suisses
des Etats-Unis, de France, d'Ailemcigne comptent
SUISSE
VOIES FERRÉES ET LANGUES
^^
sgSiSi
^
respectivement 100000. 80000 et 60000 personnes en
chiffres ronds, auxquelles s'ajoutent les colonies de la
République Argentine (20000), de ritalie(IOOOO),etc.
Cette émigration ne ressemble en rien à ce qu'elle est en
Italie, par exemple, ou dans les pays slaves. Ce n'est
pas la misère qui chasse le Suisse de chez lui, et la
majeure partie des émigrants appartiennent à la caté-
gorie des ouvriers spécialistes, des contremaîtres, des
ingénieurs, des gens d'hôtel qui pourraient vivre aisément
chez eux, mais qu'attire à l'étranger l'appât de salaires
ou de traitements très élevés.
203
L'EUROPE
On parle en Suisse trois langues, officiellement
reconnues par l'Etat : français, allemand, italien, et un
dialecte, le romanche.
L'allemand vient en tête, avec 2600000 individus
groupés dans tout le Centre, le Nord et le Nord-Est,
c'est-à-dire dans les régions qui furent occupées dès le
v^ siècle par la tribu germanique des Alamans.
La Suisse française, ou Suisse romande, compte
800000 individus cantonnés à l'Ouest d'une ligne qui
passe approximativement par Soleure, Bienne, Fribourg,
Gesseney, Sierre et le val d'Anniviers. Ces régions
étaient beaucoup plus fortement romanisées que la Suisse
orientale, et absorbèrent aisément les éléments burgondes
qui s'y installèrent.
L'italien est parlé par 305000 personnes groupées
dans le canton duTessin.
Enfin, dans les Grisons, les Rhètes romanisés avaient
aussi adopté la langue latine qui se transforma en un
dialecte, le romanche ou rhéto-roman, parlé aujourd'hui
par 40 000 personnes.
Au point de vue religieux, le recensement de 1920
indique 2210000 protestants (57 0/0 de la population),
1 586000 catholiques (41 00) et 21 000 juifs (2 0/0).
Les protestants sont particulièrement nombreux à
Genève, dans le canton de Vaud, la vallée de l'Aar,
les régions industrielles du Nord-Est ; les cantons mon-
tagneux du Valais, du Tessin, d'Unterwalden, Uri,
Lucerne, Zug sont au contraire presque exclusivement
catholiques. Ailleurs, catholiques et protestants se
mélangent étroitement.
Malgré l'aulonotnie de chaque canton et les variétés de leurs
gouvernements locaux, malgré les différences de langue, de religion,
d'intérêts économiques, de culture, de penchants, de sympathie,
différences particulièrement sensibles entre Suisse romande et Suisse
alémanique, il y a cependant une nation et une patrie suisses
auxquelles chaque habitant de la Confédération est passionnément
attache et qu'il s'entraîne dès sa jeunesse à défendre par les armes
SI la neutralité de son pays était violée. Il y a aussi non pas une
race, mais un caractère suisse qui se distingue par le bon sens, "un
SOUCI profond des questions morales, une habitude de prendre les
choses au grand sérieux, un respect de la pudeur allant jusqu'à la
pruderie , 1 esprit d association, le goût des fêtes, des réjouis-
sances, des excursions en commun, des concours de chant, de lu,
de gymnastique, etc., surtout par un amour profond de la liberté.
Toute question de liberté touche pour nous à une question d'exis-
tence. La nature nous a octroyé ce dangereux privilège de ne pou-
voir être que si nous savons être libres. Elle a préparé sur noire
sol le plus beau des triomphes de la liberté ou la plus sensible de
ses défaites. " (E. Rambert cité par P. Clerget.)
LA VIE ECONOMIQUE
AGRICULTURE ET ÉLEVAGE. £)£) Tout
est subordonné, dans la vie rurale de la Suisse, à deux
facteurs essentiels : d'abord la forte proportion des sur-
feifS^r SUISSE
r;^Zû/ietiyrù-a/c-' ^ CARTE
i^^eljmJtaraltL' ÉCONOIVIlQ,UE
/«/ty/«/tfy-e*L et Janatoria i)e bauteA. montai^neA •
^tpageA. r- — i
e^/brctv I '
eAjbrc
fw^j^^^^^
faces complètement inutilisables: 28 pour 100 du total,
représentant les glaciers, les neiges, les roches et les
eaux ; — en second lieu, la prédominance de l'élevage
(39 pour 100) sur l'agriculture ( 1 3 pour 100). piédo-
204
minance qui s explique par les conditions physiques que
nous avons analysées plus haut et sur lesquelles nous ne
reviendrons pas.
La zone culturale est limitée au Plateau et aux basses
vallées alpestres. Elle produit du froment, du seigle, des
pommes de terre, un peu de tabac, du houblon, des
betteraves et du vin. Mais tout cela en quantité insuffi-
sante pour les besoins du pays. Les cultures maraîchères
et fruitières donnent de meilleurs résultats, notamment
dans la vallée du Rhône, entre Martigny et Sion.
En revanche, la zone consacrée à l'élevage s'étend sur
la Suisse entière, depuis les alpages des hauts sommets
jusqu'aux prairies cultivées, naturelles ou artificielles, des
vallées basses et du Plateau. Le troupeau bovin, en pro-
gression constante, comptait 2 1 00 000 tètes environ
en 1920, appartenant soit à la race brune de Schwytz,
soit aux races tachetées du Sinimenthal et de Gruyère.
C'est, par rapport au chiffre des habitants, la plus forte
proportion des pays européens après le Danemark.
L'élevage se fait non pas surtout en vue de produire
des animaux de boucherie, mais d'obtenir du lait. On
estimait en 1913 le total de la production laitière à
25 000 000 d'hectolitres valant 400 000 000 de francs.
Une partie de ce lait est consommée sur place. Une
autre est transformée en beurre et fromage ; le reste sert
à l'alimentation du bétail ou est utilisé par les fabriques
LA SUISSE
de lait condensé, de chocolat lacté', de farines lac-
tées, etc.
Au troupeau bovin il faut ajouter les porcs
(600 000 environ) qui s'engraissent aisément avec le
pelii-lait, 340000 chèvres. 237 000 moutons et
125000 chevaux.
Les forêts couvrent 21 pour 100 de la superficie
totale (en France 16 pour 100). La Suisse occidentale
(Jura, Valais) peut exporter du bois en France, mais
les régions du Nord en importent d'Allemagne et d'Au-
triche.
L'INDUSTRIE, aa Dès le XIV" siècle, Zurich lissait la
Soie et Bâie la laine. Sainl-Gall et Beme fabriquaient des toiles de
lin. Au temps des guerres religieuses, de nombreux huguenots, sur-
tout français, réfugiés en Suisse, donnèrent à ces industries un essor
plus grand ou en créèrent de nouvelles : tissage de coton et horlo-
gerie. Au XVIII* siècle, la broderie naquit dans U région de
Saint-Gall. puis l'industrie des machines à Zurich et Winterihur.
Elnfin, au XIX^ siècle, se fondèrent les industries chimiques et ali-
mentaires. Aujourd'hui, la valeur totale de la production industrielle
suisse dépasse largement I 000 000 000 de francs par an, el
laisse bien loin derrière elle la valeur des produits de l'agriculture
et de l'élevage.
La Suisse paraissait cepsndant peu faite pour devenir un pays
de riche et grande industrie. Elle n'a pas de houille, pas de mine-
rais, aucun débouché maritime. Toutes les matières premières
doivent lui venir de l'étranger par la voie coûteuse des chemins de
fer. Mais elle fut aidée par les qualités de ses fils : ténacité, appli-
cation au travail, esprit d'initiative, etc., par le développement
de l'enseignement professionnel et de l'instruction, par sa neutralité
même qui lui permet de se consacrer tout entière à des oeuvres de
paix. De plus, les industries suisses se classent en partie dans la
Catégorie des industries de luxe, employant une matière première
(soie, or, argent, etc.) dont le haut prix peut s'accommoder de frais
de transport élevés, ou bien à qui la main-d'œuvre donne une énorme
plus-value (broderies de colon par exemple, machines de préci-
sion. e:c.).
Enfin, l'abondance de la " houille blanche " supplée dans une
large mesure au défaut de combustible et l'utilisation des chutes
d'eau, dé)à très répandue dans le Jura et le Plateau, gagne de plus
en plus les vallées alpeslres.
Au premier rang se classent les industries textiles
concentrées autour de Zurich, Bâle et Saint-Gall.
Zurich est, avec Lyon et Milan, l'une des métropoles
européennes des tissus de soie. Bâle se spécialise dans
la fabncatton des rubans et 1 utilisation des déchets de
soie. Les filés et tissus de colon proviennent aussi de
la région de Zurich, mais la broderie est l'apanage
presque exclusif des cantons de Saint-Gall, Appenzell
et Thurgovie. On estime à 600 000 000 de francs envi-
ron la valeur totale de la production annuelle des indus-
tries textiles.
Lindustne horlogére ( 1 70 000 000 k 200 000 000 de
francs) se localise dans la Suisse romande. La Chaux-
de-Fonds, Le Locle, Sienne. Neuchâtel. Genève en
sont les centres principaux.
L'industrie des michines ( 1 30 000 000 de francs)
a suivi une marche parallèle aux progrès réalisés dans
les domaines de l'hydraulique et de l'électricité. Elle s'est
considérablement développée depuis 1895, ainsi que les
industries chimiques el électro-chimiques, matières colo-
rantes, médicaments, carbure de calcium, aluminium, etc..
à Zurich et à Bâle, puis à Winterthur, Sainl-Gall et
Genève.
Les industries alimentaires comprennent surtout la
fabrication du fromage (Gruyère ou Emmenthal), celle
du lait condensé et du chocolat.
Nous avons enfin signalé déjà l'importance de l'in-
dustne hôtelière née du tourisme.
Elle représente un capital de près de 1 000 000 000 de
francs et fait vivre 40 000 personnes des deux sexes.
LE COMMERCE. Û0 Le commerce de la
Suisse avec les pays étrangers atteignait, en 1913.
3 296215 000 francs dont 19198)8000 francs aux
importations et I 376 397000 fremcs aux exportations,
chiffre considérable si l'on se rappelle le petit nombre
des habitants de la Confédération. En 1920. ces chiffres
ont atteint respectivement : 4 242 000 000 et 3 277 000
de francs (suisses).
TABLEAU DU COMMERCE SUISSE
Cu^sori».
Annie 1913
Valeur en frmnci
(français).
Annie 1920
Valeur en francs
(suisses).
352 000 000
295 000 000
138 000 000
58 000 000
318 000 000
339 000 000
573 000 000
201 000 000
>
711 000 000
695 000 000
306 000 000
281 000 000
62 000 000
/iROorfa
Crt«Irt
ions.
239 000 000
102 000 000
60 000 000
49 000 000
191000 000
131 000 000
I2SO0OOOO
103 000 000
lOSOOOOOO 1
ion».
271 000 000
260 000 000
183 000 000
98 000 000
!2I 000 000
Exporta
PRINCIPAUX CLIENTS DE LA SUISSE
, Importations venant de
^ ^ Allema^e
France
' Italie
Autrîchc-Honfrie
1 Angleterre
I Etats-Unis
!£xporutions allant â :
Alkma^ne
Anfflelerre
^ France
'. ÉtaU-Unis
: Italie
Année 1913
Valeur en francs
(français).
647 000 000
376 000 000
192 000 000
122 000 000
116 000 000
117 000 000
305 000 000
236 000 000
161 000 000
I36O0O0O0
89 000 000
Année 1920
Valeur en francs
sœoooooo
603 000 000
325 000 000
71 000 000
465 000 000
864 000 000
252 000 000
645 000 000
521 000 000
283 000 000
166 000 000
205
L'EUROPE
Ce commerce est facilité péir l'ampleur du réseau
ferré qui dépasse 5 000 kilomètres, densité inégalée
en Europe, sauf par la Belgique. La position géogra-
phique de la Suisse en fait, en quelque sorte, la
, plaque tournante " de l'Europe, car les grandes
lignes internationales Ouest-EUt et Nord-Sud s'y
croisent forcément, depuis l'ouverture des tunnels
alpestres (Simplon, Lôtschberg, Gothard, Arlberg).
Ainsi, non seulement la Suisse est en relations di-
rectes et faciles avec ses voisins immédiats, mais elle
communique aisément avec les grands ports européens
de Gênes, Marseille, Anvers, Rotterdam et Hambourg.
Elle peut donc se procurer sans difficulté les pro-
duits dont elle a besoin : charbon, minerais, soie grège,
coton, céréales, vin. etc., et vendre ses fromages, ses
broderies, ses machines, ses tissus de soie, ses laits et
chocolats. De plus, elle perçoit des bénéfices appré-
ciables pour le transport des marchandises qui ne font
que transiter sur son territoire.
Le réseau ferré suffit donc largement aux besoins de la Confé-
dération et semble avoir atteint à peu près le maximum de son
développement. Aussi l'attention se porte-t-elle maintenant surtout
sur le problème des voies navigables. Depuis peu d'années, le cours
du Rhin a été amélioré entre Kehl et Bâie de telle sorte que,
" en 1914, la tonne de céréales ne coûtait que 21 fr. 80 de Rot-
terdam à Bâle contre 25 fr. 10 de Gênes à Berne ", et l'on espère
pouvoir prolonger ce trafic fluvial jusqu'au lac de Constance au
moyen d'écluses et de canaux latéraux. C'est la Suisse du Nord et
du Nord-Est, la Suisse allemande, par conséquent, qui bénéficiera
le plus de ces travaux. La Suisse romande à son tour demande :
1 0 Que l'on unisse le Rhin au Léman par une voie navigable qui
emprunterait le cours de l'Aar, les lacs de Blenne et de Neuchâtel,
et l'ancien canal d'Entreroche (aujourd'hui comblé) entre le lac de
Neuchâtel et le lac de Genève.
2° Que l'on rende navigable le cours du Rhône entre Genève et
Lyon.
Ainsi, " entre les influences venues de la Mer du Nord et celles
de la Méditerranée s'établirait un réel et durable équilibre. A
Bâle, arrière-port de Rotterdam, correspondrait Genève arrière-
port de Marseille. La Suisse s'ouvrirait, dans des conditions toutes
nouvelles, les marchés du Levant et de l'Extrême-Orient, même
de l'Amérique. Elle acquerrait, pour son approvisionnement en den-
rées alimentaires et matières premières, une sécurité qu elle n'a
jamais connue. EUIe était déjà la plaque tournante de l'Europe, elle
en deviendrait la gare d'eau. " (H. Hauser.)
NOTA. £>£) Nous avons vu plus haut que, d'ici peu d'années,
le Rhône sera navigable entre Genève et Marseille.
CHAPITRE XII
L'AUTRICHE
L'ANCIEN EMPIRE AUSTRO-HONGROIS
L Europe Centrale comprend une série de régions
naturelles qui furent, jusqu'à la Grande Guerre, le
domame de la Maison d'Autriche. Chacune de ces
régions : Bohême, Autriche, Yougo-Siavie, Transyl-
vanie, Hongrie, Galicie, etc., forme une unité géogra-
phique distincte. Avant de s'agréger, par le hasard des
héritages, des traités, des conquêtes, aux possessions pri-
mitives des Habsbourg, elles eurent fort longtemps une
existence pleinement indépendante. Les peuples qui les
habitent diffèrent fortement les uns des autres par leurs
races (Allemands, Magyars, Slaves du Nord et du Sud,
Roumains, Italiens), leurs langues, leurs religions, leurs
traditions, leur vie économique. Que ces peuples, natu-
rellement incapables de constituer une nation, fussent
encore au début du XX® siècle groupés en un tout, c'était
là une sorte de paradoxe dont on pouvait prévoir avec une
quasi-certitude qu'il ne durerait pas. Seuls demeuraient
incertains la date et le mode de la rupture d'une associa-
tion qui, favorable aux deux races dominantes, l'alle-
mande et la hongroise, apparaissait aux autres comme
une intolérable sujétion. La Grande Guerre a brisé
l'édifice, plus brillant que solide, construit par les Lorraine-
Habsbourg. Chaque région géographique est redevenue
206
le cadre d'un Etat indépendant (Républiques d'Autriche,
de Tchéco-Slovaquie, de Hongrie) ou s'est unie volon-
tairement aux pays voisins peuplés d'hommes du même
sang (ce fut le cas pour les Italiens du Trentin et de
Trieste, les Croates et Slovènes frères des Serbes, les
Roumains de Transylvanie, les Polonais de Galicie). Ce
morcellement d'un vaste territoire, cette brusque rupture
entre gens qui, malgré tout, se trouvaient depuis plu-
sieurs siècles associés dans la bonne comme dans la
mauvaise fortune, n'apparaissent pas seulement comme
un des résultats immédiats les plus considérables du
conflit européen, mais soulèvent une foule de pro-
blèmes (rapports mutuels entre ces divers Etats, voies
de communication, douanes, débouchés sur les mers, etc.)
dont la solution, fort malaisée, est d'importance primor-
diale pour le développement harmonieux et la paix de
l'Europe Centrale.
En 1914, Autriche et Hongrie formaient, depuis 1867, deux
Etals distincts ayant chacun sa langue officielle, son administration ,
ses lois, sa constitution, son armée, etc. Mais tous deux obéissaient
à un même souverain, l'Empereur- Roi, et les affaires communes
aux deux Etats, disculées par les " Délégations ", ressortissaienl à
trois ministères d'Empire ; affaires étrangères, guerre, finances.
L'AUTRICHE —
L'Empire d'Autriche s'élendail, en arc de cercle, de l'Adria-
tique à la Russie. Il comprenait 17 provinces, peuplées, au recen-
sement de 1910, de 28 571 000 habitants. Les principales étaient :
la Dalmatie, l'istrie, les Pays Alpestres (Trentin, Tyrol, Carniole»
Carinthie. Slytie), l'Autriche proprement dite, la Bohême, la
Moravie, la Galicie et la Bukovine. D'après les statistiques offi-
cielles, de source autrichienne, on y comptait 9 950 000 Allemand»,
6 435 000 Tchèques et Slovaques, 5 000 000 de Polonais.
3 500 000 Ruihènes, 2 000 000 de Slovènes, Croates et Serbes.
768 000 Italiens, 275 000 Roumains, 1 0 000 Hongrois.
Le Royaume de Hongrie, ayant comme centre les vastes plaines
du Danube moyen et de la Tisza, poussait une pointe vers
l'Adriatique par la Croatie-SIavonic, embrassait au Nord le
massif des Tatras, à l'Est les hauts plateaux de Transylvanie.
Les recensements hongrois dénombraient en 1 900 : 1 0 000 000
de Hongrois ou Magyars, 3 000 000 de Roumains, 2 000 OOU
d'Allemands. 2 000 000 de Slovaques, 1 800 000 Croates.
I 100 000 Serbes, 472 000 Ruthènes, 470 000 individus de
diversesnationalités (Tziganes, Juifs, etc.), en tout 20 886 000 âmes.
A cela s'ajoutait la Bosnie-Herzégovine, enlevée aux Turcs
en 1878, et considérée comme territoire d'Empire, au même
litre, par exemple, que l'Alsace-Lorraine dans le Reich allemand.
En 1914, clic clail peuplée de I 931 000 habitants. Croates et
Serbes.
Cela donnait, au total, 51 390 000 individus répartis sur
676 000 kilomètres carrés, soit une densité moyenne de 76 habi-
tants au kilomètre carré, légèrement supérieure à celle de la France
(97 pour l'Autriche, 64 pour la Hongrie, 37 pour la Bosnie-
Herzégovine).
L'émigration, très considérable, jetait chaque année hors de
l'Empire de 250 000 à 310 000 individus appartenant surtout aux
races opprimées ; Slaves du Sud et du Nord, Roumains, Italiens.
Les quatre cinquièmes des émigrants se rendaient aux Etats-Unis
par Fiume, Triesie, Hambourg et Anvers. Le reste se partageait
entre l'Argentine et le Canada.
Le commerce extérieur, relativement minime, atteignait, en
191 3, 6 500 000 000 de francs, dont 3 500 000 000 aux impor-
tations et 3 000 000 000 aux exportations, 11 est vrai que, les
diverses régions austro-hongroises se complétant les unes par les
autres, des échanges très actifs avaient lieu entre elles. La Hon-
grie, par exemple, vendait à l'Autriche 73 pour 100 de ses pro-
duits (céréales, viandes, chevaux, vins, etc.) el lui achetait
71 pour 100 des articles dont elle avait besoin (objets en métal et
en bois, cotonnades de Bohême, bière, sucre, etc.).
L'AUTRICHE ALPESTRE
LES ORIGINES DE L'AUTRICHE. 00
Les Alpes Orientales et la vallée supe'rieure du Danube
eurent d'abord, très probablement, des populations appar-
tenant à la grande famille des Celtes. Les Romains y
fondèrent les provinces de Norique et de Pannonie que
surveillaient des forteresses postées au pied des cols ou
échelonnées aux rives du grand fleuve. A partir du
V siècle, des tribus germaniques venues de Bavière
remontèrent les vallées de l'Inn et de la Salzach. puis, par
le Brenner, débordèrent sur le Haut-Adige : ce fut l'ori-
gine du Tyrol allemand. Au VU® siècle, des populations
slaves s'installèrent dans les vallées de la ,Mur. de la
Save et de la Drave. tandis que des hordes d'origine
mongolique : Huns. Avars, Hongrois et Magyars, cam-
paient dans les steppes du Danube Moyen. Pour faire
face à ces Barbares, Charlemagne et ses successeurs
créèrent, aux frontières de leur Empire, une série de
Marches militaires qui allaient du Danube à l'Adriatique :
Osttnark ou Marche de l'Est, Marche de Carinthie (plus
tard divisée en duchés de Styrie et de Carinthie), Marche
de Camiole et d'Istrie. Ainsi, le domaine du germanisme
finit par s'étendre sur toutes les Alpes Orientales, mais
ne put déborder hors de leurs derniers contreforts. La
plaine centrale demeura aux mains des Hongrois, tandis
que les larges vallées du Sud et les plateaux du Karsl
illyrien conservaient leur peuplement slave.
L'Oslmarlc, devenue l'Oesterreich (Autriche), passa
en 1273 aux mains d'un petit seigneur de la Suisse alle-
mande, Rodolphe de Habsbourg. Telle fut l'origine de
celte puissante Maison d'Autriche qui, groupant d'abord
autour d'elle les pays allemands des Alpes, ajouta par la
Suite à ses domaines les royaumes de Bohême, de Hon-
grie, de Croatie, déborda au delà des Carpates par la
prise de la Galtcie et de la Bukovine. fixa chez elle, jus-
qu'en 1 806, la couronne impériale germanique, puis, après
avoir lutté avec acharnement contre les Hohenzollern de
Prusse, ha son sort au leur et fut entraînée, en 1918,
dans leur chute retentissante.
Le Congrès de Versailles a réduit l'Etat Autrichien
aux limites que lui fixent la nature et la répartition des
races. Privé de ses annexes slaves et italiennes, il est
devenu un Etat exclusivement allemand et alpestre, sans
débouché sur la mer. Son territoire ne couvre plus que
1 00 000 kilomètres carrés, peuplés de 6000 000 d'habi-
tants. Il est limité au Nord par le Reich allemand et la
République Tchéco-Slovaque, à l'Est par la Hongrie
et la Yougo-Slavie, au Sud par l'Italie, à l'Ouest par la
Suisse.
Deux régions naturelles se partagent l'Autriche : les
Pays Alpestres (Vorariberg, Tyrol, Carinthie, Salzbourg,
Styne), les pays Danubiens (Haute et Basse-Au-
triche).
LES PAYS ALPESTRES. 00 L'Autriche
Alpestre comprend d'abord, au Centre, une série de mas-
sifs et de chaînes formés de roches cristallines qui débutent
par rOctzlhal(}770mètresau Wildspitze), se continuent
par les Hauts-Tauern (Gross Glockner : 3797 mètres;
Gross Venedigcr, etc.), les Bas-Tauern (2 863 mètres, au
Hoch Golling), puis se divisent en deux branches dont
l'une (Alpes Styriennes) s'incline au Sud- Est vers les
plainec de Carniole, tandis que l'autre (Hoch-Schwab,
— 207
L'EUROPE
monts de la Leitha) vient mourir aux rives du Danube
dans la banlieue de Vienne. Les granits, les gneiss, les
micaschistes qui les composent expliquent leur altitude et
leurs formes, identiques à celles des montagnes de la Suisse
centrale. Les massifs les plus élevés ont encore de vastes
névés, des glaciers majestueux. Les autres ne conservent
plus, au cœur de l'été, que des plaques de neige marque-
tant le sombre support des rocs. Les rivières qui naissent
sur leurs flancs ont creusé de l'Ouest à l'Est une série
de vallées longitudinales (Inn, Salzach, Enns au Nord,
Haut-Adige. Eisak, Drave au Sud) qui communiquent
entre elles sans trop de difficulté. Du Nord au Sud, à
travers la haute barrière de la zone médiane, le passage
est plus malaisé, et le col du Brenner, qui mène de
Bavière en Italie par Innsbruclc et Trente, fut longtemps
la seule voie fréquentée. Aujourd'hui, outre la ligne du
Semmering (Venise à Vienne par Klagenfurth), d'assez
nombreuses routes carrossables et plusieurs chemins de fer
franchissent les Tauern.
Cette zone médiane est flanquée, au Nord et au Sud,
de deux glacis formés de roches calcaires. Le glacis
méridional : Alpes Dolomitiques et Ccuniques, monts
Karavanken, n'appartient plus à l'Autriche. Hle possède
encore, par contre, la majeure partie des Alpes du Vorarl-
berg et de Bavière entre le lac de Constance et l'inn,
des Alpes de Salzbourg qui dominent à droite et à
gauche l'étroite cluse de la Salzach, enfin la totalité des
Alpes d'Autriche dont le dernier contrefort, le Wiener-
wald, domine de ses coteaux boisés la petite conque
danubienne où Vienne naquit. On y retrouve soit les
arêtes vives, les parois abruptes flanquées d'éboulis blan-
châtres, soit les masses tabulaires semées de cailloux
(Todtesgebirge ou montagne morte, Steinernesmeer ou
mer de pierre) que présentent les Prealpes françaises dans
la Grande-Chartreuse, le Vercors et les monts du Diois.
Couvertes d'humides prairies, de forêts presque vierges,
semées de lacs aux eaux pures, ces montagnes, surtout
dans le Salzkammergut, égalent par leur charme rus-
tique les paysages les plus séduisants des Alpes suisses
et françaises.
Climat, végétation, hydrographie sont tels qu'on peut
les attendre de cette fraction continentale de la zone
alpestre.
Même dans les vallées, l'hiver est long et rude. La
moyenne de janvier, à Innsbruck, par 574 mètres d'al-
titude, n'est que de — 3^,4 ; elle descend à — 6", 2 à
Klagenfurth (442 mètres d'altitude). Des températures de
20 à30°souszéros'observentfréquemmentpar temps sec
et calme, lorsque les couches d'air glacé s'accumulent dans
les bas-fonds. Par contre, les courts étés connaissent des
moyennes, relativement élevées, de 18° à 21". Pluies
et neiges tombent en masses copieuses (de I *", 50 à
2 mètres sur les flancs exposés aux vents humides). Toute-
208 —
fois, comme il est naturel, les VcJlées bien protégées
reçoivent en général moins de 1 mètre d'eau.
Prairies et forêts couvrent la majeure partie du sol jus-
qu'à 1 800 mètres d'altitude. Des champs de seigle,
d'avoine, de pommes de terre se logent sur les cônes de
déjection des torrents, les moraines anciennes, ou s'étagent
sur les pentes que le soleil visite sans trop de parci-
monie.
Les rivières, appauvries pendant la saison froide où la
neige ne fond pas, se réveillent au printemps. Elles em-
plissent leurs cluses étroites d'un flot tumultueux, blan-
châtre, qu'alimentent les cascades et le ruissellement des
eaux chantantes courant très vite à travers les prés. La
Lech, rinn et son aflluent la Salzach, l'Enns, la Leitha
s'inclinent au Nord vers la Bavière et l'Autriche et
glissent au Danube après s'être arrachées par d'héroïques
trouées à l'étreinte des Alpes calcaires qui leur barraient
la route. La Mur et la Drave descendent à l'Est sur les
plaines hongroises.
Comme dans les Alpes de France, de Suisse et d'Ita-
lie, ces VcJlées, larges parfois de plusieurs lieues, formèrent
une série de petites individualités géographiques ayant
leur nom spécial, leurs coutumes particulières, leur vie
économique distincte. Autour d'innsbruck, dans la belle
et fertile dépression de l'Inn Moyen, grandit le comté
du Tyrol. Les princes-évêques de Salzbourg eurent
comme domaine propre le Salzkammergut et le Pinzgau
(haute VcJlée de la Salzach), tandis que les duchés de
Styrie et de Carinthie naissaient aux rives de la Mur et
de la Drave supérieure. Partout, les ruines des burgs
féodaux semblent encore monter la garde à l'orée de
chaque val, et l'histoire nous apprend de quels privilèges
jouissaient les communautés de paysans qui menaient au
cœur des hauts massifs leur vie rude meus libre.
Ces paysans, de langue allemande et de religion catho-
lique, avaient fini, toutefois, par montrer un attachement
profond, un loyalisme absolu à la Maison des Habsbourg.
Leurs "chasseurs", adroits et braves, formèrent pendant
la Grande Guerre quelques-uns des plus solides régi-
ments de la double monarchie.
La vie des montagnards tyroliens ou styriens, réglée par
le milieu géographique, ne diffère point de ce qu'est Texis-
tence d'un VcJaisan ou d'un Savoyard. Ils paissent
leurs troupeaux de vaches dans les alpages des hauts
monts, cultivent leurs petits champs, exploitent les forêts.
Beaucoup émigrent temporairement, comme nos Auver-
gnats ou nos Limousins, et se livrent, en hiver, au com-
merce du bétail, du fer, des étoffes. D'autres s'emploient
dans les mines de sel du Salzkammergut (Hallein,
Hallstatt), les mines de fer (2500 000 tonnes par an)
et de plomb de Styrie et de Carinthie (hautes vallées
de l'Enns et de la Mur) ou travaillent dans les filatures
et les fabriques du Vorarlberg et de Styrie (région de
L'AUTRICHE
INNSBRUCK. La capitale du Tf/rot allemand fut Sabord une colonie militaire ro-
maine. l'alJidena, oui commandait l'accès du col du Bramer entre l'Adige et Vlnn.
Elle prit au Moyen Age le nom de ' Pont ici Inn" .lonque t y iisfallèrent des marchands
oui fattairnt If f'j'iV entre Fltalie et l' Allemagne. Elle cit admiruhle-nent olat^fe au
point le plus large de la vallée moyenne de Vïrm qae dortùne un ampfâtlKâtre de mon-
tagnes hautes de plus de 2 000 mètres. Sa situation, au croitemeni de plusieurs grandes
routes alpestres, sonoriginaliU.la splendeur du paysage qui l'entoure, en font une station
d ete et d hitcr extrêmement fréquentée. Q. CHAMPAGNE.
I-K i_V HL(.MLNLtfc.N IMVS Lh >AL7:K VMMtRf.l T,/^ .^uL-iumm^ffu'
eit la partie de la haute Autriche compriie entre la Sti/rie et le payi de SalzhouTt.
Il dotl ton nom cttx riches mutes de tel que renferment set monlagneset qui tant ejploi-
lée$ — rmtammatt à HaUstalt — depuis la plus lointaine antiquité. De nombreux tact.
G mun Incite. -Mtcn^e. AUruc, etc.. jue diLinenl la Tiuun et ses affluents, repo-
sent au pied de montagne* hautes de l yOO à .? 000 mètres, et le mélange des blancs
calcaires, des forêts sombres, des eaux limpides compose une série de paysages qtâ com-
ptent parmi les plus alirayants des pays ^paires.
209
L'EUROPE
LE MASSIF DU TRIGLAV. La nouvelle Autriche, dans les limites qui lui furent
assignées par le traité de 1919, est un Etat presque exctusivemer\t alpestre, dont les
ressources essentielles reposent sur t exploitation des forêts et des pâturages. Le Tri-
glav, point culminant des Alpes Juliennes, s'élève à 2864 mètres. Cl. Leicetporer.
LE DANUBE ENTRE ENGELHARTSZELL ET WESENUFER. De Passau
à Linz, la vallée du Danube autrichien n'est pas moins acddentée et pittoresque que
le cours du Rhin entre Bingen et Bonn. Le fleuve court rapide en décrivant de grands
méandres au pied de collines escarpées et verdoyantes. CI. LÉw.
VIENNE : LE KARNINLRRING. L'une des sections du fameux ensemble de
boulevards circulaires, le Ring, qui a pris la place des anciennes fortifications.
Ces boulevards forment l'une des parties les plus caractéristiques de la Vienne
moderne, trop grande capitale d'un petit État. CI. LÉVY,
LE,' KONIGSSEE, sis à peu de distance de Salzbourg, est le plus charmant des
nombreux lacs, d'origine glaciaire surtout, qui dorment dans tes vallées du Salz-
kammergut. Des forêts se mirent dans ses eaux limpides, et des bandes de cha-nois
courent sut les flancs raides du Walzmann. CI. Wurthlf.
LE COL DU SEMMERING est emprunté par la grande route qui de Vienne
mèn: à Ttitiît ou V*nise. C'est un d-s passages les plus anciennement connus et
fTi:t.r-iti'. c'r: maisifi alpestres. En 7797, Bonaparte, marchant^ur Vienne, // con-
th:'.:':'. tcz trcvpzs victorieuses. Cl. Levy.
2;o
UN GLACIER DANS LES TAUERN. Les hauts massifs des Alpes autri-
chienn<!S renferment des glaciers qui, pour être moins vastes que ceux des Alpes
occidentales, n'en ont pas moins une belle ampleur. Remorquer les deux moraines
latérales qui encadrent la masse cristalline, CI. WuRTHLE.
L'AUTRICHE
I
Graz). Déplus, la multiplication des routes Ccirrossables,
des voies ferre'es, a considérablement accru l'importance
du tourisme. C'est par centaines de mille que les excur-
sionnistes, surtout allemands, s'abattent en e'te' sur ces
lieux où Ion trouve à la fois l'attrait des ascensions
pe'rilleuses, la splendeur des paysages grandioses, le
charme des villégiatures paisibles. Aussi, l'émigration
des montagnards s'est-elle fort réduite depuis qu'ils
gagnent largement leur vie comme hôteliers, guides,
muletiers, etc.
Les principjJes agglomérations urbaines s'établirent
soit au cœur des vjjlées les plus larges, soit au débouché
de ces vallées sur les plaines du pourtour. Innsbruck
(55 000 habitants), le ' Pont sur l'Inn ", charmante
capitale du T>Tol qu'entoure un amphithéâtre de monts
neigeux, et JClagenfurth (30 000 habitants), sur la Drave.
chef-lieu de la Carinthie. appartiennent à la première
catégorie. Par contre, Salzbourg (40000 habitants).
cuicienne colonie romaine comme Innsbruck et Klagen-
furth. patrie de Mozart, et l'une des plus séduisantes cités
de l'Europe Centrale, naquit à la limite des Alpes et du
plateau bavarois, à la sortie de l'étroite cluse où bouillonne
la Salzach. Graz (157 030 habitants), capitale delà
Slyrie, occupe une situation du même ordre, aux rives
de la Mur, à l'orée des plaines hongroises. Beaucoup
moins ancienne que les précéden'.es, elle doit ses pro-
grès récents et le chiffre élevé de sa population aux
industries de toutes sortes (filatures de coton, métallurgie,
etc.) qui se sont développéîs autour d'elle. Les autres
villettes alpestres : Feldkirch et Bregenz dans le Vorarl-
berg. Landeck dans le T>ToI, Gastein, Ischl, Leoben où
Bonaparte, arrivé à 30 lieues de Vienne, signa en 1 797
l'armistice qui précéda la paix de Campo-Formio, doi-
vent, elles aussi, une certaine activité soit à leurs fabriques,
soit à l'afBuence des touristes et des baigneurs, attirés
par la beauté du cadre qui les entoure.
L'AUTRICHE DANUBIENNE
Le Danube entre en Autriche au-dessous de Passau
et la quitte un peu en amont de Bratislava (Presbourg).
Pincé entre les derniers contreforts des Alpes et le
rebord méridional du Massif bohémien, il lui faut tra-
verser une série de défilés qui unissent des bassins plats
et fertiles : bassin de Linz, de Tulln, de Vienne (Cf. les
bassins du Velay et du Forez sur la Loire supérieure).
Le fleuve, navigable en toutes sausons depuis Ratisbonne,
roule majestueusement des eaux que les crues d'été ren-
dent limoneuses et troubles ; mais, à l'étiage, elles ont
cette limpidité azurée qui justifie la double épithète de
" Beau Danube bleu ". Par ailleurs, le pittoresque de
ses rives, surtout dans la percée de Grein à Kremz, ne
le cède point aux attraits, plus vantés cependant, du
Rhin héroïque. " Les pentes y sont plus vertes, les
coteaux moins uniformes d'aspect, les vallées latérales
nombreuses. Par ses constructions diverses, ses châteaux
perchés sur les pointes du roc, ses villes aux tours inégales,
sesvillages à demi cachés dans la verdure.l'homme ajoute à
la beauté naturelle des paysages du Danube. " (E. Reclus).
Dans les plaines, particulièrement étendues sur la rive
droite, le fleuve se divise en bras multiples enserrant des
îles verdoyantes, ombragées de peupliers. Toutefois, la
zone d'inondation a été fort réduite par la construction
de digues puissantes, et les grasses alluvions, autrefois
couvertes de roseaux, se transforment de plus en plus en
champs cultivés. Ces bassins de Linz, de Tulln, de
Vienne constituent désormais les seules terres vraiment
productives de l'Etat autrichien. Mêmesurla rive gauche,
dans le Marchfeld ou plaine de la Morava, sables, ma-
rais et bruyères ont cédé la place aux cultures, et la mer
ondoyante des blés frissonne sur les champs de Wagram.
La création par Charlemagne de l'Ostmeu-k ' ou
Marche de l'Elst, devenue plus tard Oesterreich ou
Autriche, marqua, nous l'avons indiqué, le début de la
germanisation de cette vallée moyenne du Danube jus-
qu'alors peuplée de Slaves. Saxons. Franconiens. Bava-
rois surtout s'avancèrent peu à peu vers l'Est comme
entraînés par la pente naturelle du terrain. De riches
monastères : Sankt-Florian, Molk, Saint-Pôlten, Kloster-
neuburg. groupant autour d'eux une foule de serfs,
contribuèrent puissamment a 1 absorption des îlots
slaves. Cependant le domaine allemand ne s'étendit pas,
au Nord, au delà de Gmund et de Nikolsbourg, où il se
heurtait à des groupes compacts de Tchèques, tandis
que, à l'Est de Vienne, Hongrois et Slovaques se main-
tinrent sur les deux rives du fleuve.
Ce mélange de Germains et de Slaves, doù est issu
le peuple autrichien, explique pour une grande part les
différences que l'on relève entre un Viennois, par exemple,
et un homme de Francfort ou de Hambourg. Les
Allemands du Sud ont le caractère plus souple et plus
gai, la démarche plus gracieuse, les traits plus mobiles,
la forme du crâne plus ronde que leurs frères de l'Ouest
et du Nord. " Ils manifestent des goûts plus délicats, un
sens artistique plus délié qui se traduisent, notamment,
par l'élégance de leurs produits industriels. L' article
de Vienne" est le seul qui puisse, à certains égards,
se comparer à 1' " article de Paris ". Tous les Français
qui ont résidé à Vienne, après avoir connu les grandes
villes allemandes, ont t té frappés de l'amabilité souriante,
de la bonne humeur, de la cordialité d'une population
qui sait, dans ses plaisirs comme dans les occupations
ordinaires de la vie, faire preuve d'une tenue, d une dis-
211
CioaUPHIE UNIVERSELLE.
21
L'EUROPE
tinction que l'on est peu accoutumé à rencontrer en
territoire germain.
Les deux cite's principales de l'Autriche danubienne :
Unz et Vienne, sont d'origine romaine.
Linz, l'cmcienne Lentia, chef-lieu de la Haute-Au-
triche, " occupe aux rives du Danube l'endroit précis
VlllEÎ^HlE
ET SES ENVIRONS
■^^^^KSj < 1 1
ï*=*^Jrj
où viennent aboutir la route de Salzbourg par la vallée
de la Traun et celle de la Bohême par les brèches
ouvertes entre le Bohmerwaid et le plateau de Mora-
vie ". Elle compte 93 000 habitants.
Vienne (la Vmdobona romaine) est placée à lun
des principaux points de croisement de tout le continent
européen. Elle commande à la fois les routes qui mènent
de l'Occident en Orient par la vallée du Danube, et
celles qui unissent l'Allemagne et la Pologne à l'Adria-
tique par la Porte Morave (entre les Sudètes et les
-Carpates), les cols alpestres du Semmering et du
Tarvis.
Elle joua longtemps le rôle de citadelle de la chrétienté
contre les assauts des Turcs (sièges mémorables de 1529 et 1683)
avant de devenir l'un des. centres de l'Europe civilisée. Par son
heureuse situation, près d'un des principaux fleuves navigables de
notre continent, au pied des collines boisées du Wienervi-ald, par
1 élégance ou la sompluosité des monuments qui bordent le fameux
Ring ", boulevard circulaire établi à la place des remparts d'au-
trefois, par la richesse de ses musées et de ses collections particu-
lières, 1 inlensité et la valeur de sa vie artistique (musicale surtout)
ou intellectuelle, le bon goût de ses ouvriers, la nature même des
produits qui sortent de ses ateliers (bronzes, meubles de luxe,
pianos, maroquinerie, gants, chaussures, etc.), enfin par l'abondance
de ses lieux de plaisir, de ses restaurants et cafés célèbres, par l'ani-
mation joyeuse de ses rues (Prater, Graben, etc), Vienne est, de
toutes les capitales européennes, celle qui rappelle le mieux notre
Paris. On y comptait, en 1914, 2 150 000 habitants, parmi les-
quels plus de 400 000 Tchèques, 80 000 Hongrois, 1 00 000 Juifs,
et des dizaines de milliers de Slovaques, Polonais, Croates ou autres
représentants des races multiples de la double monarchie. Au recen-
sement de 1920, Vienne n'avait plus que 1 842 000 habitants.
En dehors de Vienne et de Linz, on ne peut men-
tionner que les villes industrielles de Wiener Neustadt
(35 000 habitants), Steyer (25 000 habitants), Krems
(15000 habitants) et Saint-Pôlten ( 1 3 000 habitants).
Au lendemain de la Grande Guerre, le nouvel État
Autrichien s'est trouvé dans une situation économique
fort précaire. Il ne peut vivre des seules productions agri-
coles de son sol, aux trois quarts couvert de hautes monta-
gnes. Ses industries, très développées avant 1914, grâce à
la richesse des gisements métallifères, ont besoin de houille
qui fait presque totalement défaut. Privé de débouchés
maritimes, entouré de nations nouvellement émancipées
et qui ont assez à faire à s'occuper d'elles-mêmes, il ne
parvint à vivre que grâce aux secours généreux de ses
vainqueurs. Toutefois, les divers Etats de l'Europe Cen-
trale ne peuvent se passer les uns des autres. Une
union économique librement consentie, fondée sur la com-
munauté des intérêts, vaut mieux qu'une union politique
imposée par la force. Alors se dessinera la véritable
destinée de l'Autriche allemande, riche en minerais, en
chutes d'eau, commandant toutes les routes des Alpes
Orientales et la grande voie du Danube. L'industrie
doit demeurer la forme principale de son activité. Avec
une population trois fois moindre, un sol aussi dépourvu
de gisements carbonifères et, par surcroît, complètement
privé de minerais, la Suisse est devenue l'un des Etats
les plus prospères de l'Europe. Rien n'empêchera l'Au-
triche allemande, une fois les mauvais jours passés, de
connaître une prospérité du même ordre.
D'après les statistiques publiées en octobre 1921, voici les
premiers renseignements précis que nous ayons sur le commerce
de l'Autriche nouvelle.
De juin 1919 à juin 1920, l'Autriche importa 4502 000 tonnes
de marchandises diverses et en exporta 977000. C'est l'Allemagne
qui fut naturellement — par suite de la faible valeur du mark et
de la facilité des communications — son principal fournisseur :
1 802 000 tonnes (soit 40 p. 100 du total) valant 14500000000
de couronnes. Le Reich fut aussi le plus fort acheteur de marchan-
dises autrichiennes, toutefois dans une proportion bien moindre
(190000 tonnes, soit 20 p. 100, valant environ 7000000000 de
couronnes).
L'Autriche demanda à l'étranger 2200000 tonnes de charbon
(I 613000 tonnes livrées par l'Allemagne); — 168 000 tonnes de
pommes de terre, 43 000 tonnes de produits chimiques, 1 35 000
tonnes d'objets en métal, machines, instruments ; — des vêlements,
des cotonnades et lainages, des cuirs bruts, de la soie et des soie -
212
LA TCHËCO-SLOVAQUIE
ries; — plus une quantité considérable de céréales, de viande, de Elle vendit presque uniquement du bois (245000 tonnes), du fer
conserves alinientaires.de denrées coloniales, etc., dont le détail (157000), et des produits fabriqués : objets en métal, machines,
ne figure pas dans les statistiques, mais dont l'ensemble atteint objets en cuir, fourrures, chapeaux, papier, bois travaillés, automo-
1 600000 tonnes environ. biles, etc.
CHAPITRE XIII
LA TCHÉCO-SLOVAQUIE
Le Nouvel Etat Tchéco-Slovaque comprend les
trois anciennes provinces autrichiennes de Bohêmï, de
Moravie et de Silésie, plus une vingtaine de comitats
du Nord de la Hongrie peuplés de Slovaques et de
Ruthènes. C'est, comme la Suisse, l'Autnche et la
Hongrie, un Etat exclusivement terrien.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
LA BOHÊME. £J^ Le plateau bohe'mien forme
un quadrilatère re'gulier que circonscrivent de trois côtés
des chaînes de montagnes bien caractérisées. Ce sont :
à l'Ouest, le Bshmerwald ou Forêt de Bohême (Sumava
en tchèque), dont les croupes magnifiquement boisées
de sylves presque vierges séparent la Bohême de la
Bavière (mont Arber : 1 458 mètres), ; au Nord, l'Erz-
gebirge ou Rudo Hori, c'est-à-dire monts métallifères
( 1 244 mètres au Keilberg), dont le versant Nord s'incline
doucement vers les plaines saxonnes, tandis qu'au Sud
leurs pentes brusques dévalent vers la dépression de
rE.ger ; à l'E^t, le long de la Silésie prussienne, une
succession de hauteurs auxquelles les géographes donnent
le nom d'ensemble de monts Sudètes (dénomination
ignorée des habitants), et où le Schneekoppe dans les
Riesengebirge (en tchèque : Krkonose ou monts des
Géants) s'élève à 1603 mètres d'altitude.
Ces montagnes, de même origine et de même nature
que nos Vosges (plissement hercynien), présentent, en
général, des paysages du même ordre : croupes arron-
dies, larges VcJlées, rivières aux eaux sombres dégringolant
à l'ombre des forêts, hautes prairies ou les bergers paissent ,
l'été, leurs troupeaux de vaches laitières. Elles ne forment
nulle part de barrière infranchissable. Des couloirs aisé-
ment accessibles (col de Taus, passages du Fichtelgebirge,
trouée de l'Elbe, dépression de Glatz. etc.), qu'empruntent
routes et voies ferrées, unissent Prague à Ratisbonne.
Nuremberg, Leipzig, Dresde et Breslau.
La face méridionale du quadrilatère est occupée par
les collines de Moravie. Elles séparent le bassin de 1 Elbe
du bassin de la Morava, affluent du Danube. Toutefois,
elles ne se peuvent comparer aux montagnes précédentes
ni par leur altitude (800 mètres au maximum), ni par
leur topographie. Ce sont des croupes largement ondu-
lées, cultivées ou boisées jusqu'à leur sommet, et qui
n'ont jamais opposé d'obstacle, si faible soit-il. aux
communications. Bohême et Moravie se peuplèrent
d'hommes de même race et partagèrent presque toujours
les mêmes destinées politiques.
L'intérieur de la Bohême est occupé soit par des
dépressions mollement ondulées, soit par des terrasses,
d'une altitude moyenne de 400 à 500 mètres, inclinées du
Sud au Nord, et que les ri%'ières découpèrent en coteaux
et promontoires suivant l'inégale dureté des roches.
Granits et schistes cristallins prédominent dans la
moitié méridionale. Vers Prague et Pilsen apparaissent
des grès, des calcaires marneux recouverts de limons du
type du loess. La dépression de l'Eger, qui longe le
pied de l'Erzgebirge, est un petit bassin d'effondrement
autrefois rempli par les eaux, aujourd'hui comblé de
riches alluvions. Une poussée de roches éruptives accom-
pagna, comme il est d'usage, cette déchirure de l'écorce
terrestre. Tout le Mittelgebirge de part et d'autre de
l'Elbe, entre Leitmeritz et Schandau. présente un amon-
cellement de cônes plus ou moins ébréchés, de pla-
nèzes" basaltiques, de pitons de laves sommés de ruines
pittoresques. C'est une sorte d'Auvergne bohémienne à
laquelle ne manquent ni les sources thermales (Teplilz,
Karlsbad, Sedlilz, Marienbad, Pullna), ni les campagnes
fécondes et la forêt des arbres fruitiers poussant, comme
en Limagne, sur les basaltes décomposés.
La situation continentale du pays tchèque, plus
que son altitude, lui vaut un climat aux contrastes accusés
sans avoir rien d'excessif (Prague : — I" en janvier,
+ 19 3 en juillet). Les pluies arrêtées par les montagnes
du pourtour, qui reçoivent plus de l'",50 d'eau, ne par-
viennent qu'en faible quantité au cœur du bassin (Prague :
44 centimètres d'eau).
Elles tombent, il est vrai, surtout en été, c'est-à-dire
à répKtque la plus favorable aux cultures. Cependant,
213
L'EUROPE
les longues sécheresses sont la calamité la plus redoutée
du paysan.
Toutes les eaux du quadrilatère s'écoulent vers la mer
du Nord par l'Elbe qui, née sur les pentes occidentales
du Schneekoppe, décrit une courbe régulière en demi-
cercle et s'échappe des pays tchèques par les gorges
grandioses qu'elle creusa dans les grès de l'Erzgebirge.
Un peu en amont de Prague, elle reçoit la Vltava ou
Moldau qui, par l'ampleur de son bassin et le volume
de ses eaux, l'emporte de beaucoup sur elle et constitue
l'artère maîtresse de la Bohême. Sa vallée, orientée
Nord-Sud, conduit directement de Prfigueà Linz. L'Eger
ou Ohre, autre affluent notable de l'Elbe, ouvre une
voie transversale vers les passes du Fichtelgebirge et
les pays allemands du Haut-Main.
LA MORAVIE. 00 Entre les pentes méri-
dionales des collines moraves et les premiers chaînons
des Carpates se creuse une large dépression où coulent
la Morava et ses affluents. Au Nord-Est, cette dépres-
sion communique directement avec les bassins supérieurs
de l'Oder et de la Vistule par le couloir de la Porte
Morave, analogue à ce que sont chez nous la trouée
de Belfort ou le seuil du Lauragais. Dès la plus haute
antiquité, marchands, peuples migrateurs, armées con-
quérantes empruntèrent cette voie largement ouverte
entre les pays danubiens et les plaines de l'Europe du
Nord. Par là s'engouffra le flot des Slaves. Les Russes
y subirent en 1805, sur les coteaux d'Austerlitz, une
défaite fameuse, et la route qu'ils suivirent est doublée
aujourd'hui par la grande ligne internationale Vienne-
Varsovie- Pétrograd.
Plaines et collines se partagent le territoire de la
province dont le sol, formé surtout de calcaire et d'ar-
gile d époque tertiaire, convient admirablement à la
culture des céréales, du houblon, de la betterave à sucre.
Le climat, de régime continental avec des hivers assez
rudes et de chauds étés, ne diffère de celui de la Bohême
que par une légère diminution des,pluies (40 centimètres
en moyenne).
LA SLOVAQUIE. 0 0 On désigne sous ce
nom les chaînes, les massifs et les plaines peuplés en
majorité de Slovaques, compris entre la dépression
morave, le Danube, les plaines hongroises et les Car-
pates.
Petites Carpates, Carpates blanches, Lissahora,
Beskides occidentales et orientales forment une première
série de plissements qui se raccordent aux Alpes et, du
Danube aux sources de la Tisza, décrivent un arc de
cercle à peu près régulier. Leur altitude moyenne se
maintient entre 800 et 1 200 mètres ; des passages
faciles (Vlarapass, cols de Jablunka, de Novy-Targ, de
Dukla, d'Uzsok, etc.) unissent leurs versants.
Mais, au Sud de ces plissements, le massif des Tatras
dresse à plus de 2 000 mètres (point culminant : le Ger-
lachfalva, 2663 mètres) l'amoncellement de ses pics aux
parois escarpées, aux arêtes vives, de ses pyramides, de ses
crêtes en dents de scie qui lui donnent aussi fière allure
que les plus réputées des montagnes alpestres. Une foule
de petits lacs, les ' yeux de la mer ", emplissent de leurs
eaux pures les vasques de granit. Les rivières : Waag,
Poprad, Dunajec, Hernad, qui naissent au cœur du
massif et entraînent ses eaux vers la Baltique ou la Mer
Noire, le divisent en plusieurs groupes : Tatra propre-
ment dite, Nitza Tatra, Grande Tatra, etc., où abondent
les sites pittoresques, les paysages grandioses, tandis
que les petites plaines intérieures, richement cultivées
fourmillent de villages. C'est une des plus attrayantes
régions de l'Europe Centrale, un des lieux de villégiature
les plus appréciés de la haute société austro-hon-
groise.
Au Sud-Ouest, les dernières pentes des montagnes
sont séparées du Danube par une large plaine qui faisait
autrefois partie de la Haute-Hongrie (comilat de Poz-
sony). Elle est arrosée par le Gran, le Waag, la Nitra et
des dérivations du Danube qui enserrent l'île de la
Grande Schiitt. Par sa monotonie et sa fécondité, elle
annonce déjà l' Alfôld. Vers l'Est, la frontière capricieuse
laisse à la Hongrie les hauteurs du Matra, mais attribue
à la Tchéco-Slovaquie le bassin supérieur de la Tisza,
zone d'effondrement que dominent les crêtes boisées des
Beskides.
GEOGRAPHIE POLITIQUE ET ECONOMIQUE
HISTOIRE. £j£J Les limons de la Bohême centrale etdes plaines
moraves, peu favorables a la croissance des arbres mais exirêmement
fertiles, formèrent depuis la plus haute antiquité des clairières naturelles
où I homme se fixa. Les gîtes préhistoriques abondent dans le bassin où
convergent Elbe, Vltava et Beraun. Us s'étendent à l'Ouest jusqu'à
Pilsen ou Plzen.au Sud jusqu'à Budejovice, "suivant l'axe des voies
de commerce vers les pays du sel et du fer dans les Alpes". D'autres
ont été découverts en grand nombre dans le bassin d'Olmûlz. A ces
lointaines populations autochtones succédèrent d'abord des Celtes.
Une de leurs tribus, les Boïi, établie aux rives de la Vltava, a laissé
214
son nom au quadrilatère (Boîenheim, Bbhmen, Bohême). Les Celtes
furent chassés ou absorbés par diverses populations germaniques :
Quades» Marcomans, Lombards; puis, à partir du VI® siècle de
notre ère, les Germains durent céder la place aux Slaves : Tchèques,
Moraves» Slovaques. Tandis que les Slovaques se trouvaient, en
majorité, annexés dès le X*^ siècle au royaume de Hongrie, les Slaves
de Bohême, de Moravie et de la Silésîe méridionale constituèrent
un royaume indépendant qui, au XVI® siècle, passa aux mains des
Habsbourg. Depuis lors, ils ne cessèrent de lutter contre les tenta-
tives de germanisation, brutales ou sournoises, dont leur pays fut
LA TCHÊCO-SLOVAQUIE
r
PRAGUE: LA VLTAVA ET LA COLLINE DE HRAEXTHAM f'^r .on ftn.
loirt. ta titoation pilloTotjw. ta Uatu édifices ifautttfoit : pont, églws. loun,
palais, eîc, la ca>tlale de l'Etat tchèco'doiaqut est. ums contredit, l'une des cités
k» pha intmnantts de l'Earope eenirate. C'est axmi tVK cille inidUctuttle, fihe de u
très annenne ^ r'rrr.t.V. de %c: A^adcrmcs.dc ui Jm!tluU, nr.c ulU d'ati t:uiu^nnce
de musi.jue. C rit enfin jm stand centre industriel et commercial que la Vltaca^navi-
gahle met en relation avec l'EJhe et les ports allemands, et que' de nombreuus voies
ferrétt mu'amt aux ttatn coiiùu.
215
L'EUROPE
LA SCHNEIE KOPPE.Z-es monts des Géants (Krltonose), qui bordent l'un des côtés
du quadrilatère bohémien, atteignent I 603 mètres à la Schnee Koppe. C'est, en
dehors des Cévennes. l'altitude îa plus considérable à laquelle parviennent, en
Europe, les montagnes dues au plissement hercynien.
TEIMNÉ SMRCINY. Au milieu des massifs des Tatras hérissés de pics escarpés,
aux arêtes vives, aux crêtes en dents de scie, les vasques de granit, approfondies par
les glaciers anciens, s'emplissent d'une foule de lacs, petits, mais fort pittoresques,
surnommés les ' yeux de la mer ",
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MAISONS DE PAYSANS. Type fort curieux de maisons paysannes. Surplom-
bant le rez-de-chaussée, oii s'ouvre largement la porte charretière, de vastes gre-
niers bâtis en tlanche^, couverts d'un toit à double façade en retrait, servent à
emmagainer le fourrage et la provision de bois pour l'hiver.
BANSKA BYSTRICA. Sise dans la pittoresque vallée du Hron, au cœur des
massifs montagneux et boisés de la Slovaquie. Banska Bystrica est une petite ville
industrielle où plusieurs établissements métallurgiques traitent le minerai de fer
retiré des gisements voisins.
TREMCÎN occupe une importante situation stratégique au point où la vallée
d'j Vah s'échappe des massifs slovaques et pénètre dans la plaine danubienne. Aussi
fut-elle jadis une place forte dont le château — que l'on voit au second plan —
passait pour imprenable.
NOVO MESTO. Type de ville industrielle tchécoslovaque. Dans un paysage
mouvementé et gracieux, qui rappelle les régions françaises du Morvan et de
l Autunois, les bâtiments uniformes, les hautes cheminées des usines occupent la
vallée que domine fièrement la masse imposante d'une antique demeure.
216
LA TCHECO-SLOVAQUIE
constamment l'objet. Lors de la Guerre de Trente Ans, notamment,
l'Empereur Ferdinand II livra la Bohème comme une proie aux
mercenaires de Wallenstein. La noblesse (chèque fut décimée ; ses
biens distribués à des soldats ou à des seigneurs de l'Autriche alle-
mande. Plus tard, par les trois frontières de l'Ouest, du Nord et
de l'Est, Bavarois, Saxons, Silésiens s'infiltrèrent sur tout le pourtour
du massif el, soutenus par le gouvememcnl de Vienne, jouèrent
jusqu'à nos jours un rôle sans rapport avec leur nombre. Cependant,
les Tchèques résistèrent victorieusement à la poussée germanique.
Dans la seconde moitié du XIX° siècle surtout, des historiens comme
Fr. Palacky, des grammairiens, des ethnographes, des poêles (Hanka,
Paul Safarik, etc.) contribuèrent puissamment au réveil du senti-
ment national et, lorsque éclata la Grande Guerre, Tchèques el
Slovaques étaient prêts à faire triompher leurs légitimes désirs
d indépendance. On sait quelle part brillante leurs divisions prirent
à la fin des opérations militaires, aux côtés des Alliés, et commeni
ils en furent récompensés au Congrès de Versailles.
LES POPULATIONS. 00 L"ÉtatTchéco-Slo-
vaque compte environ 13 700000 habitants re'partis sur
140000 kilomètres carrés. Cela donne une densité'
moyenne de 97 habitants au kilomètre carré, notable-
ment supérieure à celle de la France.
Les régions les plus peuplées sont les districts agricoles
et industriels du quadrilatère bohémien (plus de 1 30 habi-
tants au kilomètre carré) ; puis, en Moravie, les bassins
d'Olomouc (Olmùtz) et de Bmo ; enfin toute la Silésie
dite autnchienne ; en Slovaquie, les plaines qui s'étendent
sur la rive gauche du Danube et les vallées qui des-
cendent des Tatras ou des Carpates vers laTisza.
Les habitants comprennent d'abord des Slaves :
Tchèques. Slovaques et Ruthènes (la Ruthénie, c'est-à-
dire l'angle exttême orientcJ de la Tchéco-Slovaquie,
entre la crête des Carpates et le cours supérieur de la
Tisza, forme une province autonome rattachée à l'Etat
Tchéco-Slovaque), puis des allogènes : Allemands,
Hongrois et Juifs.
Les Allemands occupent une partie de la Silésie (dis-
tricts de Schônberg, Stemberg, etc.) et toutes les régions
du quadrilatère bohémien voisines du Bôhmenvald, de
l'Erzgebirge et des Sudètes.
Leur nombre est assez grand pour que, aux élections de 1920,
ils aient fait entrer à la Chambre de Prague, 74 des leurs aux côtés
de 199 Tchéco-Slovaques el de 8 Magyars. Les négociateurs du
Traité de Versailles n'hésilèrcnl pas, cependant, à les annexer à
l'Elat Tchèque, car on ne pouvait concevoir, pour la nouvelle Répu-
blique, d'autre frontière stratégique que la ligne de faite des monts
qui l'entourent. De plus, une bonne moitié de ces " Allemands '
ne soni que des Slaves germanisés. Enfin, la Constitution Ichéco-slo-
vaque garantit aux minorilés nalionales toutes les libertés compa-
tibles avec la sécurité de l'Etal. On peut ajouter que Germains el
Slaves de Bohême, vivant en commun depuis plusieurs siècles,
sont nécessairement unis par des liens économiques qui doivent pré-
valoir sur la question nalionalilé. Les propriétaires fonciers, les
industriels, les commerçants des deux races, jusqu'alors rivales el
ennemies, ont désormais à défendre des intérêts semblables, à orga-
niser leur existence dans un même cadre géographique el sous
une direction politique commune 11 est, de ce fait. Si prévoir
que si quelques inlellecluels pangermanisles s'obstinent encore plus
ou moins longtemps dans une opposition systématique au nouveau
régime, l'immense majorité des Allemands de Bohême ne risquera
pas de compromelire, par une obstruction malhabile, le présent el
1 avenir d'un pays à la fortune duquel sont liés leurs intérêts les
plus immédiats.
Quant aux ÎVl2ig>'ars de la Slovaquie, ils se trouvent en
majonté fixés dans la plaine danubienne entre Bratislava
et le coude du grand fleuve. Leur emnexion s'explique
par l'impérieuse nécessité de donner au nouvel Etat un
large accès à cette artère maitresse de l'Europe CentreJe.
Ils forment là un groupe assez compact. Toutefois, la
slavisation de leur pays s'effectuera vraisemblablement
assez vite et l'on peut tenir pour négligeable l'irrédentisme
présent de leurs représentants.
Tchèques et Slovaques diffèrent physiquement de
leurs voisins allemands par leurs pommettes plus saillantes,
leurs yeux plus enfoncés, les fortes dimensions de leur
crâne. Robustes, énergiques, persévérants deins leurs des-
seins, excellents soldats, industriels et agriculteurs avisés,
ils manifestent le goût le plus vif pour l'art musical, les
études littéraires et scientifiques. C'est à Prague que se
fonda, vers le milieu du XIV^ siècle, la première Université
de l'Europe Centrale, où l'on vit accourir, dit-on,
jusqu'à 30000 étudiants. Leurs savants, leurs historiens,
leurs poètes, leurs publicistes, ont pris une large peirt au
mouvement des idées contemporaines, et l'instruction
publique est assez répandue, au moins en Bohême et
Silésie, pour que l'on y compte moins d'illettrés qu'en
toute autre région de l'ancien Empire austro-hongrois.
Entre Tchèques et Slovaques on ne peut guère noter
d'autres différences que celles qui proviennent des condi-
tions géographiques dissemblables où ils ont vécu. Bien
qu'il existe, depuis 1850, une langue littéraire slovaque,
les dialectes parlés sont si rapprochés que l'on se comprend
aisément. Par ailleurs, les Slovaques, enfermés dans leurs
montagnes des Tatras, ont mieux conservé que leurs
frères de l'Ouest les costumes et les usages d'autrefois.
Enfin, la pauvreté de Ifeur pays les contraignait à émigrer
en grand nombre. Comme les Tyroliens et les Auvergnats,
ils allaient en groupes compacts exercer divers métiers
traditionnels (marchands d'étoffe, de fromage, d'objets en
bois) dans les villes autrichiennes et allemandes. D'autres
ont pris, depuis une vingtaine d'années, le chemin du
Nouveau Monde, fuyant à la fois la misère et le joug
fort lourd que faisait peser sur eux le gouvernement
hongrois. Il est probable que la renaissance politique de
la Tchéco-Slovaquie arrêtera cet exode pour le plus grand
profit du nouvel Etat.
LES RESSOURCES. 00 La Tchéco-Slovaquie
a ce rare avantage de posséder à la fois des ressources
agricoles, minières et industrielles qui se complètent harmo-
nieusement. C'est un Etat moderne tout formé.
217
L'EUROPE
GranOea. réqiorh:h
aqrUoïe-a,:
Cêréa/f4t eL beiieravea.
TCeECO-§LO\"^QyilE,
CARTE ÉCONOMIQUE
Principales rê^ion/h
minierea.
eL iaJii^trœUeà,
^
*^ws*»
Les terres les plus fécondes se trouvent dans les plaines
de Moravie et du Danube, sur les bords de l'Elbe supé-
rieure, dans la vallée de l'Eger, le bassin de Prague et
les terrasses baseiltiques du Mittelgebirge. Elles con-
viennent aussi bien aux céréales qu'au houblon (la
meilleure espèce de l'Europe continentale provient de
Saaz ou Zatec), k la pomme de terre, aux arbres fruitiers :
pommiers, poiriers, pruniers qui forment aujourd'hui l'un
des principaux éléments de l'exportation, à la betterave
sucrière dont la culture a pris, depuis trente ans, une
extension considérable (3 à 7 pour 100 de la surface
cultivée).
L'élevage se pratique soit dans les alpages de la
Slovaquie et des monts du quadrilatère, soit dans les
prairies artificielles du plateau bohémien. Avec ses
4700000 bêtes à cornes, ses 1600000 moutons, ses
3000000 de porcs, ses 800000 chevaux, le cheptel
de la Tchéco-Slovaquie ne le cède en importance relative
à aucun des Etals voisins. Quant aux forêts, elles ont
disparu des campagnes agricoles, mais couvrent quatre
millions d'hectares {il pour 100 de la superficie totale
du pays) soit dans le Sumava, soit surtout dans les Tatras
et les Carpates occidentales.
Mais le sous-sol est plus riche encore. Les charbon-
nages de Bohême (Pilsen, Kladno, Teplitz) et de Silésie
morave (Polnish, Ostrava) fournissaient, en 1913,
218
1 3 000 000 de tonnes de houille et 24 000 000 de tonnes
de hgnite. C'étaient lesdeuxtiersdelaproductiontotalede
l'Empire austro-hongrois. Le fer (2 000 000 de tonnes)
abonde dans la région de Prague, au pied de l'Erzge-
birge et sur le pourtour des Tatras. Ni l'étain (Erzgebirge),
ni le plomb (Pribram), ni le graphite (Budejovice) ne font
défaut.
Aussi, les ressources de l'industrie, que favorisent par
ailleurs l'abondance et la valeur de la maiii-d'ceuvre,
priment-elles aujourd'hui celles que l'on doit à l'agricul-
ture. Plus de la moitié des habitants — au moins en
Bohême proprement dite et en Silésie — s'occupent
dans les mines, les ateliers, les usines, ou s'adonnent aux
opérations commerciales dont le champ s'agrandit dans
la mesure où s'accroît la quantité des objets fabriqués.
Aux verreries et cristalleries d'antique et illustre renommée
(Forêt de Bohême, Monts des Géants, plateau Morave)
s'ajoutent les faïences et les céramiques à Carlsbad
(Karlovy Vary), Pilsen, etc., les forges, les hauts
fourneaux, les usines de produits chimiques près des
mines de houille, les raffineries (la Bohême fournissait,
en 1913, 17 pour 100 de la production mondiale du
sucre de betterave), les brasseries (Pilsen), les ateliers
de préparation pour les cuirs, les filatures de coton, de
soie, de jute concentrées dans la région de Reichenberg,
les tissages de laine en Moravie, Silésie, etc.
LE COMMERCE ET LES VOIES DE COM-
MUNICATION, aa Comme l'Autriche et la
Suisse, la Tchéco-Slovaquie n'a pas de débouché direct
sur la mer. ' Elle ne peut atteindre les grands ports ou
les pays alliés qu'en passant par le territoire d'Etats dont
les circonstances mêmes de sa constitution font, sinon des
ennemis, dumoinsdes voisins peu encHns à la sympathie. "
(De Martonne.)
Mais, d'abord, cet inconvénient doit forcément s'atténuer par la
conclusion d'ententes économiques avec les autres pays de l'Euro[>e
Centrale. D'autre part, le Traité de Versailles a prévu l'internatio-
nalisation de la navigation sur l'EJbe et l'Oder et l'octroi au Gou-
vernement Tchéco-SIovaque de quais et d'installations maritimes à
Hambourg et Stettin, ce qui assure, en tout étal de cause, à la
Tchéco-Slovaquie le libre accès aux mers les plus proches. Vers le
Sud, la possession de Bratislava (Presbourg) et d'une section du
Danube permet de recevoir aisément les produits hongrois, serbes,
roumains même (céréales, pétrole, etc.) el d'expédier les produits
métallurgiques, les machines, les engrais, les sucres, etc., des usines
bohémiennes. Enfin, il est depuis longtemps question d'unir, au
moyen de canaux aisés à construire, l'Elbe et l'Oder au Danube par
la Morava et la Vltava.
Les relations du Nouvel Etat avec l'étranger sont donc très suffi-
samment assurées soil par voie d'eau, soit par voie ferrée. Il n'en
est pas encore de même à l'intérieur du territoire, démesurément
allongé de l'Est à l'Ouest, et dont les conditions d'échanges se
trouvent profondément modifiées par la réunion de la Slovaquie à
la Bohême et sa séparation d'avec la Hongrie. Les chemins de fer
sont nombreux dans le sens du méridien, mais aucune ligne directe
ne mène, par exemple, de Prague à Kosice et Ungwar. 11 faudra né-
cessairement combler cette lacune pour établir les relations indispen-
sables entre les districts industriels surpeuplés de Bohême, el de
Silésîe et les groupements agricoles ou pastoraux de la Slovaquie.
Quant à la nature du trafic que la Tchéco-Slovaquie
fciit et fera avec les nations étrangères, on la peut com-
parer assez exactement à celle de la Belgique. Il lui faut
acheter d'abord un supplément appréciable de denrées
alimentaires pour les populations surabondantes de sa
zone industrielle, puis les matières premières : laine,
coton, jute, fer de Suède, potasse, graines oléagineuses,
cuir brut, etc., nécessaires à ses usines. En échange.
elle expédie des fruits et légumes provenant des riches
vergers du quadrilatère ; puis des bois et de la houille:
enfin, et surtout, la foule d'articles de toute espèce sortis
de ses districts industriels ; sucre (8000000 de quintaux
en 1913), verres et cristaux (plus de 100000000 de
francs en 1913), porcelaines, bière (la fameuse bière de
Pilsen), papier, produits chimiques, machines agricoles,
outils, cotonnades et lainages, etc.
Voici, pour l'année 1919, les chiffres essentiels du commerce
tchéco-slovaque.
Les achats atteignirent 6555000000 de couronnes. Les princi-
paux articles importés furent des céréales (1450000000). du
coton el des cotonnades (917000 000), de la laine el des lainages
(550000000). de la soie grége (123000000) et du cuir
(229000000).
-^ LA TCHECO-SLOVAQUIE
Les ventes, relativement tréi importâmes (5 325000000 de
couronnes), portèrent surtout sur le sucre (I 571 000000), les fruits
(564000000), le bois (614000000), le verre (370 000000).
le fer (314000000), la bière, le papier.'les produits chimiques, les
cotonnades, lainages el soieries, etc.
Le plus important acheteur de produits tchéco-slovaques fut
l'Autriche (1 535000000 de couronnes). Après elle, venaient
l'Allemagne (800000000), la France (600000000). la Pologne
(45 1 000000). la Norvège (302 000000), la Hongrie (252 000 000).
la Yougo-Slavie (243000000), l'Angleterre (238000000), l'Italie
(21 1 000000), etc. — Ses fournisseurs se classaient ainsi :
Etats-Unis (I 862000000 de couronnes), Allemagne
(789000000), Autriche (686000000), Italie (683000000),
Suisse (531000000), Angleterre (328000000), Belgique
(306000000), Hollande (263 000000). France (236000000).
Yougo-Slavie et Hongrie (168000000 chacune), etc.
LES VILLES. 00 La capitale, Prague ou Praha
(730000 habitants avec les faubourgs), s'élève sur les
rives de la Vltava. exactement au centre du quadrilatère
bohémien.
C'est une très ancienne cité, fort pittoresque, et qui, quoique trop
modernisée, renferme encore nombre de monuments intéressants :
Pont Charles, Cathédrale, Tour aux Poudres, etc. Sur la rive droite,
l'ancienne et la nouvelle ville (Stara et Nové Mesto) contiennent
les quartiers les plus animés. Sur l'autre bord, la colline
de Hradiany porte le Château Royal, les casernes, de vastes
monastères, quelques beaux palais. Autour de la ville proprement
dite s'étend une vaste banlieue pleine d'usines, de manufactures, de
hautes cheminées, car Prague n'est pas seulement le centre admi-
nistratif, intellectuel, artistique et national du peuple tchèque, c'en
est aussi, et de beaucoup, la première cité industrielle. Les char-
bonnages de Kladno fournissent le combustible nécessaire. D'autre
part, la Vltava navigable et le réseau ferré qui unissent directe-
ment Prague aux ports allemands favorisent le développement des
industries les plus variées.
Au Sud de Prague, Budejovice (Budweiss), avec
50 000 habitants, est le principal entrepôt de la vallée de
la Vltava. A l'Ouest, PIzen (Pilsen), qui compte
81 000 habitants, fabrique une bière blonde et forte dont
la renommée égale celle des brasseries munichoises.
Marienbad, Karisbad, Teplitz attirent par centaines de
mille touristes et baigneurs au pied de l'Erzgebirge.
Dans l'angle Nord-Est du quadrilatère, Reichenberg
(65 000 habitants), que les Tchèques nomment Libérée,
est le centre d'un district industriel très actif, très peuplé
(d'Allemands surtout), où l'on tisse le coton.
En Moravie, Brno (Brùnn) doit aussi à ses fila-
tures florissantes le chiffre élevé de sa population
(200000 habitants). Ostrava (Ostrau) avec 60000 habi-
tants,Olomouc (Olmùtz) avec 55 000 habitants, Opava
(Troppau)(35C)00 habitants), Jihiava (Iglau), Teschen,
sont encore toutes des cités industrielles où l'on travaille
le fer, où l'on tisse la laine et le CDlon.
La Slovaquie, en grande partie couverte de montagnes,
a p>cu de villes populeuses. La principale, Bratulava
(80 000 habitants), appelée Presbourg pjir les Allemands
219
L'EUROPE
et Poszony par les Hongrois, d'illustre et guerrière
renommée, mire dans les eaux du Danube l'énorme
masse ruinée de son château et les nombreux palais des
magnats magyars. Kosice (ou Kassa) (45 000 habitants)
Eperies, Ungwar, Munkacz, sur les voies ferrées qui
conduisent de Budapest à Cracovie et à Lwow, sont
les intermédiaires du commerce entre la plaine hon-
groise et le versant polono-ruthène des Carpates.
En résumé, avec une surface de 1 43 000 kilomètres
carrés, une population de près de 14000000 d'habitants,
la Tchéco-SIovaquie est une puissance comparable à la
nouvelle Roumanie, à la Yougo-Slavie, à la Pologne
reconstituée. Elle a des ressources économiques telles
— aussi bien en produits agricoles qu'en objets manu-
facturés — qu'elle pourrait, à la rigueur, se suffire à elle-
même. Toutefois, l'accroissement très rapide de sa popu-
lation, le développement même de ses industries exigent
à la fois, d'une part un supplément de denrées alimen-
taires et un fort appoint de matières premières, d'autre
part une exportation régulière des produits sortis de ses
usines. ' Etat national, s'il en fut, par son origine, la
Tchéco-SIovaquie semble donc pourtant ne pouvoir vivre
que dans un large courant de relations internationales.
C'est dans un pareil milieu qu'elle peut acquérir stabi-
lité et cohésion, en devenant une pièce essentielle de
l'organisme économique européen. " (E. de Martonne).
CHAPITRE XIV
LA HONGRIE
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
La Hongrie occupe la majeure partie de la vaste
plaine creusée entre les Alpes à l'Ouest, le massif des
Tatras, les Carpates et les monts de Transylvanie à
l'Est, les plateaux et les chaînons de Croatie-Slavonie-
Bosnie au Sud.
Les plissements qui, aux temps tertiaires, donnèrent naissance
aux Alpes, aux Carpates et aux monts d'IIIyrie, eurent comme
contre-coup l'effondrement du bassin hongrois. Des roches volca-
niques fusèrent sur les lèvres de la fracture : elles apparaissent dans
les Tatras, les monts Hargita, la pointe Sud des monts Bakony, etc.
La dépression fut remplie d'abord par les eaux d'une mer intérieure
qui communiquait avec la *' Mer Sarmatique * des géologues
(Roumanie, Russie méridionale. Mer Noire). Puis cette mer se
dessécha et se combla par l'accumulation des matériaux que dépo-
saient les rivières. L'épaisseur de ces alluvions est comprise entre
20 mètres dans les régions septentrionales et 200 mètres à l'embou-
chure de la Tisza. Leur nature varie suivant les lieux. Tantôt les
sables prédominent, tantôt ce sont de fines argiles jaunâtres, non
stratifiées, analogues au lœss chinois et probablement d'origine
éolienne comme lui. Ailleurs, un terreau noir, semblable au Tcher-
nozom russe, provient à la fois des limons étalés par les rivières
après le dessèchement des plaines et de la décomposition sur place
des herbes de la steppe.
Le cœur de la Hongrie est l'Alfôld, la plaine absolu-
ment unie que limitent a l'Est et à l'Ouest les deux lits
parallèles du Danube et de la Tisza. " De la terre, de
la terre fruste ou cultivée, toujours aplanie, de la terre et
du sable parfois, jamais le rocher, jamms, semble-t-il
presque, un caillou; jamais un monticule, un plissement
autre que les imperceptibles tumuli, ces boursouflures
arrondies sous lesquelles dorment les plus anciens
maîtres de la Puszta... Rien à l'horizon, sinon, çà et là,
la silhouette sèche du T incliné, formé de deux poutres,
qui domine le puits hongrois... Point d'autres arbres que
de maigres acacias alignés aux bords des routes. " (René
Gonnard.) Là où les pâturages subsistent, témoins
chaque jour plus réduits de la steppe primitive, on voit
errer, à travers un nuage mouvant de poussière, d'im-
menses troupeaux de moutons, des bandes de porcs noirs
à la toison laineuse, des hordes de boeufs blancs aux
immenses cornes aiguës ou de chevaux poursuivis par
les ' czikos ", ces dignes rivaux des gauchos de la pampa.
Mais presque partout le sol est cultivé. Les landes
ont été défrichées, les marais desséchés, et l'Alfôld
apparaît tantôt comme une mer ondoyante de blé, de
maïs, de seigle mêlés aux vignes et aux champs de
betteraves, tantôt, après les moissons faites, il donne,
avec ses chaumes roux, les teintes neutres de ses guérets
une imposante impression de désert, saisissante surtout
à l'heure pourpre du soleil couchant ".
A l'Est de la Tisza et à l'Ouest du Danube, l'Alfôld
conserve sur de vastes espaces sa platitude, sa nudité,
sa grandiose monotonie. Toutefois, à mesure que l'on
s'approche de la Transylvanie, la ligne d'horizon cesse
d'être absolument régulière ; quelques vallonnements la
brisent. On distingue au loin de hautes montagnes. On
rencontre des bois, des forêts de chênes, de sapins, de
charmes. Les cultures laissent un peu plus de place aux
landes semées de mares saumâtres. Les rivières, com-
plètement absentes de l'Alfôld central, se multiplient.
220
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. 12
LA HONGRIE
Au couchant, en bien des points, des collines, extrême
prolongement des Alpes, se mêlent à la plame : tels les
monts Bakony (757 mètres au point culminant), allonges
du lac Balaton au grand coude du Danube. Les e'tangs,
plus nombreux, s'entourent de peupliers, de saules, de
grands roseaux où s'abattent en masses floconneuses les
vols d'outardes et d'oies sauvages. Si le lac deNeusiedl,
vaste lagune que remplissent les eaux de crue du
Danube, est aujourd'hui compris dans le territoire autri-
chien, le lac Balaton demeure hongrois. C'est le dernier
te'moin de la mer qui recouvrait autrefois la dépression
■Puszla
LES MÉANDRES DE LA TIS'AA
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■ inîra
tout entière. Aussi e'tendu que le lac de Constance, mais
très peu profond (25 mètres au maximum), bordé
tantôt de rives plates et maréceigeuses, tantôt de collines
vêtues de vignes, il abonde en poissons de chair très
fine : sterlet-, esturgeons, ombres, saumons, etc., qui
s'expédient aux mcirchés de X'ienne et de Budapest.
CLIMAT ET COURS D'E-AU. aa Le climat
est de type nettement continental. L'hiver, a Budapest,
est plus froid qu'à Berlin ( — 2°), les étés aussi chauds
qu'à Toulouse (-r21 °,4). Toute l'année on voit se pro-
duire de brusques écarts entre les températures. A de
brûlantes journées en succèdent d'autres presque froides.
Les pluies, arrêtées de tous côtés par des écrans mon-
tagneux, ne donnent que 50 à 60 centimètres d'eau.
Elles tombent surtout en mai et juin par violents orages
accompagnés de tempêtes de vent. L'été et l'automne
sont secs, condition favorable à la maturation des céréales
et du raisin. La faible quantité des pluies et leur inégale
répartition annuelle rendent nécessaire, partout où on le
peut, l'irrigation artificielle. Elles expliquent aussi l'usage
des puits artésiens, extrêmement répandu, notamment
dans la région transtiszane.
L'Etat hongrois n'a plus de bassin hydrographique
qui lui appartienne en entier. Les cours pareJlèles du
Danube- Moyen et de la Tisza traversent l'Alfôld. L'un
et l'autre, faute de pente, décrivent une multitude de
méandres, et leur lit majeur s'accompagne d'un réseau
de bras morts, de marais, que les crues régulières du
printemps, dues à la fonte des neiges, ou les hausses
brusques que font naître les orages d'été, unissent en
une nappe d'inondation large parfois de plusieurs dizaines
de kilomètres. Seule la section du Danube comprise
entre Gran et Budapest voit les eaux du fleuve couler
dans un chenal relativement étroit que bordent les
hautes collines des Bakony. Partout ailleurs les lits de
rivières ne sont que de simples fissures du sol où les
eaux lentes affleurent le niveau de la plaine.
Pour accroître l'étendue des champs cultivés aux
dépens des zones inondées, les nverains du Danube, de
la Tisza et de leurs affluents (Szamos, Kôrôs, Maros,etc.)
ont été conduits à enserrer les eaux fluviales entre
des digues qui ont plusieurs milliers de kilomètres
de longueur. Mais ce système ne va pas sans inconvé-
nients car, outre les ruptures fréquentes dues aux crues
ordinaires, il arrive, en temps de hausse particulièrement
forte, que le Danube, collecteur de toute la plaine
hongroise, ne puisse écouler par l'étroit défilé des Portes
de Fer la masse formidable des flots accourus. Les eaux
refluent alors jusqu'à plusieurs centaines de kilomètres
entre les digues, et leur pression fait éclater le mince rem-
part prévu pour les contenir. Un phénomène de ce
genre amena, en 1879, la destruction de la ville de
Szegedin.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE ET ECONOMIQUE
LE PASSÉ DE LA HONGRIE. £f£; Vers le* premiers siècles
de 1ère chrétienne, l'Alfôld tout entier, que les Romains appelaient
la Pannonie. n'était qu'une immense steppe, une prairie sans fin. où
les herbes.croissant avec vigueuraprès les pluies de printemps, se dessé-
chaient sous la brillante ardeur de l'été. Aussi des envahisseurs nomades
de race mongole, venus de l'Asie occidentale à travers les steppes
russes et les défilés des Carpales, s'y fixèrent-ils à demeure car ils re-
trouvaient en ces lieux des conditions géographiques semblables à celles
de leur lointaine patrie. Les Huns d'abord, puis les Avars, enfin
les Hongrois et les Magyars conduits par Arpad, dressèrcnl leurs
tentes de feutre aux rives du Danube, de la Tisza, du tac Bala-
ton. Jusqu'au XI* siècle ces hordes mongoliques firent trembler
l'Europe sous la menace continue de leurs razzias dévastatrices. On
sait le renom que laissèrent dans les souvenirs des hommes de ce
temps les exploits d'Atlila, et comment les ogres de nos contes de
fées tirent leur nom du nom même du peuple hongrois. Mais, à (par-
tir du x" siècle, les nomades se transformèrent en sédentaires, adop-
tèrent le catholicisme, fondèrent un royaume puissant. Ils se mêlèrent
même de telle sorte aux diverses populations de l'Europe Centrale,
Slaves. Germains, etc., que leur type primitif disparut presque entiè-
221 -
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
22
L'EUROPE
rement et que, sauf rares exceptions, aucun trait du moderne Magyar
ne rappelle l'aspecl extérieur du Mongol ou du Finnois. Ils surent
maintenir leur nationalité à la fois contre les entreprises des Alle-
mands d'Autriche et contre le joug turc qui pesa lourdement sur
eux du XV. ' au début du XV 111° siècle. Au X1X° siècle, après avoir
vainement tenté, en 1848, de se libérer des Habsbourg, ils finirent,
en 1867, par conclure avec eux un compromis qui créait un Etalhon-
grois autonome. Mais cet Etat renfermait, à côté de la race domi-
nante, des millions de Slaves et de Roumains ; et si les Magyars
tenaient à maintenir leur indépendance à l'égard de l'Autriche, ils
ne concevaient point que Slaves ou Roumains, sujets de l'Etat hon-
grois, pussent revendiquer un semblable privilège! De là, l'ardeur
dont ils firent preuve, de 1914 à 1918, de concert avec l'Autriche
allemande contre les Alliés. Vaincus, ils se virent imposer par la
force des armes ce qu'ils n'avaient point voulu accorder de leur
propre gré : les Roumains de Transylvanie, les Serbes de Croatie,
de Slavonie, du Banat, les Slovaques des Tatras, échappèrent enfin
à leur joug, et l'Etat hongrois se réduit aujourd'hui à la portion de
territoire que peuplent les seuls Magyars.
LES MAGYARS : QUALITÉS ET DE-
FAUTS. 00 Ce territoire, vaste de 91 000 kilo-
mètres carrés et peuplé de 7840000 habitants (recen-
sement de 1921), n'a plus d'autres limites naturelles
qu'une petite section du cours du Danube au Nord-
Ouest, et de la Drave au Sud-Ouest. Partout ailleurs,
les frontières, établies uniquement d'après la répartition
des nationalités, sont tout à fait artificielles, et seule
l'étude détaillée de la carte permet de s'en faire une
exacte idée.
En dehors de ces frontières, on compte encore
10000 Magyars en Autriche, 200000 ou 300000 en
Tchéco-Slovaquie, un peu plus encore en Roumanie
(V. Chap. Xix).
Tout vaincus qu'ils soient, et privés de leurs posses-
sions extérieures, les Magyars n'en paraissent pas moins
capables de tenir une place fort honorable dans l'en-
semble des Etats de l'Europe Centrale. Ils ont, en effet,
de brillantes qualités personnelles. De plus, les ressources
de leur sol fécond non seulement leur assurent aisément
la vie matérielle, mais en font les fournisseurs naturels
des pays voisins : Bohême, Autriche, Suisse, Alle-
magne, etc.
On leur reprochait leur orgueil intransigeant, le
mépris qu'ils affectaient pour tous ceux : Allemands,
Italiens, Russes, etc., qu'ils n'estimaient point appartenir
à une race noble " ; leur mégalomanie, leur goût pour
la pompe, le luxe, tout ce qui frappe, ce qui peut rete-
nir 1 attention ; leur amour immodéré du jeu, des spécu-
lations hasardeuses qui les livre, magnats ou paysans, à
l'usurier juif, cette plaie des régions austro-hongroises.
On peut légitimement penser que les leçons de l'adver-
sité corrigeront dans une large mesure ces défauts. Par
contre, ils conserveront leur courage légendaire, leur
franchise, leur bonne humeur, leur ardent patriotisme, la
confiance qu ils ont dans les vertus et l'avenir de leur
— 222
race, et, comme ils savent allier à l'enthousiasme cheva-
eresque une conception fort positive et pratique de l'exis-
tence, il est à présumer que, sans s'attarder à de veiines
récriminations contre le passé, ils sauront vite s'accom-
moder, au mieux de leurs intérêts, du nouvel état de
choses créé par la Grande Guerre.
LES RESSOURCES. 00 L'agriculture qui,
dans l'ancien royaume de Hongrie, était de beaucoup la
grande richesse du pays, l'est plus encore aujourd'hui
depuis que l'Etat hongrois a perdu les régions métalli-
fères et industrielles des Tatras et de la Transylvanie.
Les terres jaunes ou noires de l'Alfôld, le climat con-
tinental, aux printemps mouillés, aux étés chauds et secs,
conviennent à merveille à la culture des céréales. Comme
le Tchemozom russe, les plaines roumaines, le centre
américain, les campagnes argentines, la Hongrie est un
des greniers du monde. Le blé vient en têie, puis le
maïs (surtout dans les régions méridionales), l'avoine, le
seigle, l'orge, le méteil, le millet, avec des rendements
moyens égaux à ceux des bonnes terres françaises. A
cela s'ajoutent les plantes industrielles et le tabac, puis le
mûrier pour l'élevage des vers à soie, le chanvre (région
de Szegedin), le lin, le colza, ces deux derniers plutôt
en régression. La vigne a fait de tels progrès, depuis
qu on a planté avec plein succès des cépages non plus
seulement sur les collines mais dans les sables des plaines,
que nulle région du monde ne produit autant de vin,
exception faite de la France, de l'Italie et de l'Espagne.
La vigne est l'objet d'un culte en Hongrie. Nul
Magyar ne parlera sans une fierté presque pieuse des crus
royaux de Tokay, ni sans orgueil des caves Palugyay, de
Poszony (aujourd'hui tchéco-slovaque), et le paysan
magyar a, pour sa vendange, la même dilection que le
vigneron français, cet attachement à la fois vaniteux et
attendri que, seul entre les produits de la terre, le vin
fait éprouver au cultivateur. " (R. Gonnard.)
Malgré l'extension des labours qui réduisit fortement
les prairies naturelles, l'élevage tient une place encore
très appréciable dans la vie économique du pays. Les
prairies artificielles, en effet, se sont multipliées. De plus,
les betteraves fourragères, l'abondance des pailles et des
grains d'orge, d'avoine, de maïs permettent un élevage
intensif et la multiplication d'animaux de choix que 1 on
n'obtenait point à un égal degré sur les steppes d'autre-
fois. Porcs et chevaux occupent de beaucoup le premier
rang. Les haras de Hongrie ont une réputation mon-
diale : ils servaient à la remonte non seulement des régi-
ments de cavalerie de la double monarchie, mais aussi
des uhlands et des hussards allemands. Les porcs, de
race locale ou anglaise, partout répandus, sont particu-
lièrement nombreux dans les terres qui conviennent au
maïs. Peu de chèvres ; relativement peu de moutons.
LA HONGRIE
Quant aux bêtes à cornes, bien qu'on en compte propor-
tionnellement moms qu'en France, elles repre'sentent une
part élevée des exportations hongroises.
L'Etat hongrois avait fait, dans les années qui pré-
cédèrent la Grande Guerre, de très remarquables efforts
pour accroître le rendement des terres et améliorer la
valeur des troupeaux. Des " Académies " et des Ecoles
pratiques d'agriculture répandirent leurgement l'usage des
méthodes scientifiques et des machines cigricoles. Du
reste, la nature même du sol hongrois, sa platitude,
la prédominance remarquable de la grande ou très
grande propriété, les capitaux dont disposaient les
magnats, etc., favorisaient le développement des
méthodes modernes. De plus en plus, en Hongrie,
on assiste à la transformation du paysan d'autrefois en
ouvrier agricole. Peir ailleurs, les émigrants revenus des
Etats-Unis — et ils sont nombreux — montrent une
tendance naturelle à répandre chez eux les procédés en
usage au Nouveau-Monde.
D'autre part, on a cherché à tirer industriellement
parti des ressources du sol. La Hongrie n'entendait pas
rester nation purement agricole ; elle visait ' à réaliser
chez elle le type de la nation normale à économie com-
plexe et aux forces productives harmonieusement déve-
loppées ". L'Etat donna l'exemple en créant sur ses
domaines propres des sucrenes, des féculeries, des mino-
teries, des distilleries, des briqueteries, des chanvrenes,
des filatures de soie, etc. Les particuliers en firent
autant. Toutefois, et malgré les résuhats encourageants
obtenus même dans les limites présentes du territoire
hongrois, il paraît peu probable que ce pays sans com-
bustible, sans minerais, sans houille blanche, ait grand
intérêt à entrer délibérément en lutte, sur le terrain
industriel, contre ses voisins d'Autriche, de Tchéco-
slovaquie, d'Allemagne, de Pologne, etc. Mieux lui
vaudra sans doute se borner à leur fournir les denrées
alimentaires qu'il a en surabondance et obtenir en échange
les articles manufacturés qui lui font défaut.
RÉPARTITION DE LA POPULATION.
00 Bien que la population de la Hongrie soit en
grande majorité rurale et tire sa subsistance du travail
des champs, elle ne se disperse point en fermes ou
groupes de fermes isolées, mais se concentre en de
grosses agglomérations que séparent de vastes étendues
de terrains inhabités. Le " village " hongrois renferme,
à l'ordinaire, plusieurs milliers d'habitants. Même des
" villes " peuplées de 40000, 30000, 80000 âmes, con-
servent l'aspect rural, et les agriculteurs y prédominent.
£par5 dan! la plaine, sans qu'aucun accident de Icrrain ne vienne
limiter leur expansion ou les forcer de serrer leurs habitaiions les
unes contre les autres, ces grands villages s'étendent sur des super-
ficies considérables, presque chaque maison étant entourée d un
enclos; les rues, qui ne sont que la continuation des roules de la
puszta, ont une largeur extraordinaire , les places sont immenses,
propices à l'installation des marchés, aux grandes foires à bestiaux.
Les maisons bâties en briques non cuites n'ont, en général, qu'an
rez-de-chaussée. Tout est en largeur, rien en hauteur, sinon les clo-
chers et les dômes orientaux des synagogues qui dominent de très
haut et signalent de très loin la ville aplatie à leur pied. A ce type
répondent en très grande partie Kecskemel avec ses 60 000 habi-
tants, Szegedin qui en a plus de 100 000, et beaucoup d'autres
encore. (R. Gonnard.)
Cependant, sur les grands domaines encore fort nom-
breux, malgré les lois agraires récemment promulguées
en faveur de la petite propriété, des fermes isolées appa-
raissent : il est vrai que chacune d'elles est aussi vaste,
aussi peuplée qu'un village français ordinaire. D'autre
part, quand les terres du paysan sont par trop éloignées
du village, il construit sur place une ' ' tanya ", habitation
fort exiguë où il vient passer quelques semaines durant
les périodes de gros travaux.
*
LES VILLES. 00 La seule ville hongroise qui
ne réponde pas à la description donnée plus haut est la
capitale Budapest.
Elle tire son origine d'une forteresse romaine bâtie sur les collines
qui dominent la rive droite du Danube au point ou le fleuve
échappe à l'étreinte des monts Bakony pour s'engager dans l'Alfôld.
Longtemps cette forteresse, à laquelle les Magyars donnèrent plus
tard le nom de Buda, c:nslilua, à elle seule, toute la cité. Mais, à
partir du jour où les invasions musulmanes ne furent plus à craindre,
des faubourgs grandirent sur la rive gauche, dans la vaste plaine
oïl les maisons pouvaient se multiplier aisément. Telle fut l'origine
de Pest, aujourd'hui la partie la plus pteuplée, la plus vivante,- la
plus riche de la double ville qu unissent en un tout les ponts
hardis jetés sur le fleuve. Les Magyars ont tenu à faire de leur
capitale la rivale de Vienne. Ils y ont multiplié les construc-
tions vastes et magnifiques, les musées, les instituts scientifiques, les
collections d'art et d'ethnographie, les bibliothèques, etc., tandis
qu'usines et fabriques s'élevaient aux alentours. Budapest est, du
reste, incontestablement une ville plaisante et gaie, où abondent les
magasins élégants, les cafés luxueux qu'anime l'ensorcelante musique
des tziganes. C'est aussi la seule ville pittoresque de la Hongrie,
grâce au beau fleuve qui la traverse, aux collines chargées d'arbres
et de blanches villas qui se mirent dans i^t, eaux. C'est enfin une
ville d'affaires, de banques, d'opérations commerciales, d'où diverge
en éventail un réseau complet de voles ferrées. Elle comptait, en
1914, 880 000 habitants, dont 630 000 Magyars et plus de
200000 JuKsI Au recensement de 1921. elle atteignait 1 184000
habitants. Beaucoup mieux placée que Vienne, elle peut et elle doit,
avec Prague, Bucarest, Belgrade, devenir " 1 un des centres régula-
teurs de la vie économique et financière de l'Europe Centrale et
orientale ". (L. Eisenmann.)
En dehors de Budapest, on ne peut qu'indiquer,
dans l'ordre de leur importance numérique, une série de
grands irarchés agricoles, semés dans l'Alfôld, que rien
ne distingue les uns des autres et qui étalent sur une
aire démesurée leurs maisonnettes d'argile ceintes d'en-
dos verdoyants . Tels sont, à l'Ouest du Danube, Szom-
bathely et Gyôr dans le bassin du Raab, Szelcesfejervar
223
L'EUROPE
(37 000 habitants) entre le lac Balaton et Budapest,
Pecz (30 000 habitants) dans l'angle formé par la Drave
et le Danube ; entre Danube et Tisza, Kecskemet
(66000habitants),Czegled(35 000 habitants), Miskolcz
(32000 habitants), au pied des monts Tatras, non loin des
collmes qui portent les vignobles Fameux de Tokay,
Szegedin (118000 habitants), aux rives de la Tisza ;
enfin, dans la plaine transtiszane, Hod Mezo Va-
sarhe'ly (62000 habitants), Debreczen (92000 habi-
tants), Nyiregyhaza (38000 habitants), etc.
CHAPITRE XV
LA YOUGO SLAVIE
ou ROYAUME DES SERBES, CROATES ET SLOVÈNES
ORIGINE ET FORMATION DE LA YOUGOSLAVIE
On appelle Yougo-Slavie l'ensemble des territoires
occupés par les Slaves du Sud ou Yougo-Slaves : Slo-
vènes, Croates, Dalmates, Serbes, Monténégrins, sépa-
rés des Slaves du Nord par les trois groupes compacts
des Allemands d'Autriche, des Magyars et des Rou-
mains. Ces Slaves se sont établis tous ensemble, vers le
VI' siècle de l'ère chrétienne, dans les massifs et les pla-
teaux compris entre l'Adriatique, les Alpes orientales,
la Drave, le Danube, les Balkans, les pays albanais et
grecs. Si, à l'Ouest, ils reculèrent quelque peu devant
les colons allemands qui descendaient les vallées supé-
rieures de la Drave et de la Mur, au Nord-Est ils
débordèrent au delà du Danube et peuplèrent tout le
Sud des plaines hongroises (moitié Ouest du Banat et
Bachka ' , c'est-à-dire angle formé par le grand coude
méridional du Danube et la Tisza). A l'Est, ils entrèrent
en contact avec un autre peuple de langue slave, mais de
race mongolique : les Bulgares, établis sur les deux ver-
sants des chaînes balkaniques. Au Sud, enfin, descen-
dant la vallée du Vardar, ils occupèrent la majeure
partie de la Macédoine, tandis que, dans les âpres mon-
tagnes albanaises, ils se mêlaient plus ou moins avec
les descendants directs des vieilles populations illy-
riennes.
La nature même des lieux où lU s'établirent : hautes montagnes,
plateaux coupés de profondes dépressions fermées, vallées isolées
les unes des autres, amena la division des Yougo-Slaves en groupes
distincts dont les destinées historiques furent différentes. Les Slo-
vènes de la Carniole, de la basse-Carinthie, de la Styrie, de l'Istrie,
annexés dès le X" siècle au Saint-Empire Romain Germanique, firent
partie des possessions immédiates des empereurs franconiens et
souabes. puis des domaines héréditaires de la Maison de Habs-
bourg. Les Croates et Esclavons, établis entre le golfe du Quaineio
el la vallée de la Drave, formèrent d'abord un royaume indépen
dant qui, dès le Xll'' siècle, passa aux mains des rois de Hongrie.
Les Serbes de Bosnie, d'Herzégovine, de la Serbie proprement
dite et de la Macédoine, unis au temps de Douchan le Grand
(xiv'' siècle) en un royaume puissant, devinrent sujets turcs après le
désastre de Kossovo Poljé (le champ des Merles) en 1389. Les
Monténégrins, préservés par leurs montagnes impénétrables, parvinrent
au contraire à sauvegarder constamment leur indépendance. Quant
aux Dalmates de la côte et des îles de l'Adriatique, ils demeu-
rèrent, du Xlll° au XIX^ siècle, sujets de la République de Venise,
puis, à partir de 1815, furent rattachés à l'Empire d'Autriche.
Le XIX*^ siècle vit d'abord l'affranchissement des Serbes de la
Choumadia et de la Vallée de la Morava. Ils constituèrent, sous
la double dynastie des Karageorge et des Obrenovitch, une prin-
cipauté de Serbie qui se transforma, de 1878 à 1883, en royaume
pleinement indépendant. A la même date, les Monténégrins faisaient
également reconnaître officiellement par l'Europe une indépendance
qu'ils n'avaient, en fait, jamais perdue. Quant aux Serbo-Croates
de Bosnie-Herzégovine, le Congrès de Berlin ne les enleva aux
Turcs que pour les donner aux Habsbourg.
A la veille de la Grande Guerre, les Yougo-Slaves
se trouvaient donc ainsi répartis :
a) Les Serbes du royaume de Serbie, agrandi depuis
1913 de toute la haute- Macédoine (bassin supérieur
et moyen du Vardar, région de Monastir, moitié du
Sandjak de Novi- Bazar) : 4615 000 habitants;
b) Les Serbes de la Crna Gora, c'est-à-dire de la
Montagne Noire ou Monténégro, d'abord principauté,
puis royaume (depuis 1 9 1 0) : 450 000 habitants ;
c) Les Serbo-Croates de Bosnie-Herzégovine :
2 000000 d'habitants. Leur territoire, d'abord simple-
ment occupé et administré " par 1 Etat austro-hon-
grois, avait été, en 1908, annexé définitivement à cet
Etat en qualité de Terre d'Empire ;
d) Les Serbo-Croates et Slovènes du royaume de
Hongrie (Croatie, Slavonie, Syrmie, Bachka, Banat) :
3 000000 d'habitants environ ;
e) Les Serbo-Croates et Slovènes de l'empire d'Au-
triche (Dalmatie, Istrie, Carniole, Carinthie, Styrie) :
2 000000 d'habitants environ.
224
LA HONGRIE
i^J.* rtf^
BERGER HONGROIS ET SON TROUPEAU. U Hongrie «( mt imn«mt
plaine ajluiialt dont le sol, fait d'argile lallontieme et de limon nm6lre. se monlre
remarquablement (atile. Aassi. presque patonl. la steppe primitive, la steppe aax
grandes herkes oui com-oil le pm/s entier, a-l-clle cédé la place cmx champs de Ué,
de mois, de tetteraoa et aux vignobles. ToulefoU. l'élevage intensif complète les res- '
sources tirées de l agriculture, et. sur les pâturages naturels ou bien dans les guérets,
v"l!_? "'°'°°^ °" "^' '"" 'frmmaats troapeaui de moulons, deslanda de porcs
detceufsauxlongaeseamesoadeclievaaipoarmvisparles "CzUcs". CI.EltDn.Yl.
UNE ROULOTTE DE TZIGVNES DA.NS LA PLZT.-\. Les plaines hongrcse,
forment, en Eurooe. te frai centre géograpltique des Tziganes, te peuple errant dont
en fie eomait pas encore exactement l'origine mais qui parât être venu de VInde.
firancin0 Sentre au ont fini par se eenfondre avee la Magvort dont ils ont adoplt
225
L'EUROPE
MONASTIR ou Bitolj, capitale de la
Macédoine série, est un centre d échanges
très actifs ent^e moniagnards et gens des
plaines. Cl. Grakcer.
BELGRADE. La capitale du Royaume des Serbes. Croates et Slovènes
occupe, au confluent du Danube et de la Save, une très belle situation straté-
gique et économique. Ses maisons s'étagent en amphithéâtre sut une colline
arrondie que couronnent les ruines de la citadelle. Cl. Photoclob,
PILEUSES A BOUKOVO. Dans louU
la Macédoine, se perpétuent, avec les
pittoresques costumes d'autrefois, les
coutumes patriarcales. Cl. Grancer.
*rr
^
h
1
1
4c
1
i
3
■
L-\ MILJACKA PRÈS DE SARAJEVO. La Bosnie est une région de montagnes
e* de co!!:i:s bMsze^, fort pittoresaue. traversée par de nombreuses rivières qui dégrin-
^o'cni en icrrcr.is ver^ la Save. L'une de ces rivières, la Miljacka, traverse Sarajevo,
'-■h-ÎpcW cité dc3 pays bosniaques. CL ChusseaU-FlaVIENS .
CATTARO. Le golfe ramifié qui porte le nom de "bouohes de Cattaro" est la rade
la plus s^ûre de l'Adriatique. Tout au fond du dernier bassin, la petite ville de Cattaro
:-e niche au pied de hauts escarpements qu'escaladent par g^onds lacets route car-
rossable et chemins muletiers menant aux plateaux monténégrins, CI.Lafobest.
226
L.\ YOUGO-SLAVIE ..
Quel que fût le ncm sous lequel on les désignât et
le régime politique auquel elles fussent soumises, ces
populations formaient un tout ethnographique incontes-
table. Elles présentaient, évidenunent, des différences
facilement explicables de ccu-actère, de mœurs, de dia-
lectes. Les unes (en Slovénie, Dalmatie et Croatie)
avaient embrassé la religion catholique et écrivaient en
caractères latins. Les autres, converties à l'orthodoxie,
utilis<uent lalphabet cyrillique. On trouvait même, en
Bosnie, 500000 a 600000 Slaves musulmans. Mais ces
différences comptaient peu, en comparaison d'autres
facteurs qui tous tendaient à unir les \'ougo-Slaves en
une seule nation : communauté de race, de souvenirs,
de souffrances et d'espoirs, fond psychique semblable.
Peu à peu, les différences diadectales — d'ailleurs insi-
gmlîantes — s'effaçaient et la langue littéraire serbe se
parlait de Zagreb à Slcopljé. Depuis que la Serbie
moravienne, échappant au joug turc, avait su conquérir
son indépendance, son exemple avait eu la plus heu-
reuse influence sur tous les autres Yougo-Slaves qui
reconnaissaient en elle le pays chargé de la' ' Mission
nationale ", le " Piémont des Balkans ". Malgré les
obstacles venus de Vienne et de Fudapest, malgré les
persécutions sournoises ou violentes, les emprisonnements,
les exécutions sommaires, savants, écrivains, artistes,
hommes politiques, membres du clergé, élat>oraient, en
Croatie-Slavonie. un programme d'union, coordonnaient
leurs efforts, fondaient des journaux et des revues, des
sociétés secrètes, exprimaient, à toute occasion, leur vo-
lonté inébranlable de ' former avec les Serbes une seule
nation ". La Grande Guerre leur a permis de réaliser
leur rêve. Le roi de Serbie est, depuis 1918, le roi des
Serbes, Croates et Slovènes. " L'unité yougo-slave a
été définitivement scellée par les souffrances communes :
on ne pourra, désormais, ni la disloquer, ni la détruire. "
(J. Cvijic.)
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
Les régions naturelles de la Yougo-Slavie
On peut distinguer, dans le territoire du jeune Etat
yougo-slave, quatre régions naturelles : la Montagne
(Planina ou Brda de Carniole, Croatie, Bosnie-Herzé-
govine. Monténégro, Serbie occidentale) : — la côte de
l'Adriatique (Quarnero, Dalmatie, îles lUjTiennes) : —
lis plaines du Nord (Slavonie, Syrmie, Bachka, Banat) ;
— le couloir Morava-\'ardar (Serbie centrale et Macé-
doine serbe).
,LA MONTAGNE
La Montagne recouvre la majeure partie de la ^'ougo-
Slavie. C'est elle qui, malgré sa division en massifs isolé?
ou "Zupa", confère à l'Etat yougo-slave une véritable
unité géographique.
CHAINES ET MASSIFS CENTRAUX.
PHÉNOMÈNES CARSIQUES. aa La Mon-
tagne se compose d'une série de plateaux et de chaînes
oii dominent les calcaires jurassiques perméables, et qui
se plissèrent en même temps que les Alpes. Ces mon-
tagnes, orientées Nord-Ouest-Sud-Est, parallèlement à
la côte Adriatique qu'elles serrent de très près, uniscent
les Alpes orientales aux chaînes du Pinde. Elles dé-
butent, en Carniole, Istrie et Croatie, par le Karst ou
Carso (d'un vieux mot celtique qui signifie pierre, champ
pierreux), hauts plateaux étages en terrastes que dominent
les arêtes régulières du \'elebit (I 756 mètres) et du
Ka[>ela. Leur largeur, réduite à une cinquantaine de kilo-
mètres entre le golfe du Quarnero et le bassin supérieur
de la Save, s'accroît considérablement a mesure que l'on
s'avance vers le Sud-Est. Les chaînes se multiplient. De
l'Adriatique au Danube et au couloir Morava-Vardar,
elles sillonnent la Dalmatie, la Bosnie-Herzégovine, le
Monténégro, la Serbie, entourcuit des plates-formes éle-
vées, des bassins fermés. Les géographes les désignent
sous le nom d'ensemble d Alpes Dinanques, de chaînes
lllyriennes, de monts de Bosnie, de Serbie, etc. Dans le
pays, ces noms sont inconnus. Les principaux massifs,
isolés par des ravins inaccessibles, ont leur terminologie
spéciale : Troglav (1918 mètres), Vrcin (2074 mètres),
Maglic (2387 mètres), en Bosnie-Herzégovine; Lovcen
(I 789 mètres), Durmitor (2528 mètres), Kom, au Mon-
ténégro ; Char (2 519 mètres), Korab (2050 mètres),
en Vieille Serbie, etc.
Ailleurs, les paysans et les bergers emploient simple-
ment le nom générique de Planina ou Brda (prononcer
Beurda) : montagnes, ou bien désignent un ensemble
montagneux par une appellation significative : Crna Gora
(Montagne Noire), Stari Vlah (Vieille Vlachie),Zagora
(Outre-Monts), Prokletjé. Bachka, etc.
Le trait le plus caractéristique de toute la région mon-
tagneuse dinarique est l'abondance des phénomènes car-
siques ou karstiques, que nous eûmes déjà 1 occasion de
décrire en parlant du Carso italien.
Ils sont, nalurellemenl, parliculièrementdéveloppe5 dans les pays
formés de calcaires perméables, mais on les retrouve souvcnl — sous
227
L'EUROPE
une forme un peu dissemblable il est vrai — même aux lieux où
apparaissent des roches d'une autre nature, par exemple en Bosnie
centrale et en Macédoine. Le sol est criblé de dépressions fermées,
de cuvettes, d'effondrements analogues comme origine, aux ' avens ,
de nos Causses, aux "emposieux" du Jura. Les plus petites de
ces dépressions, appelées " Dolines ", ne dépassent guère quelques
dizaines de mètres de diamètre; les " Uvalas " atteignent un kilo-
mètre, les " Poljés " s'étendent sur 50, 60 kilomètres de longueur, 1 0
à 15 kilomètres de largeur (Poljés de Crkvice en Carniole, de Lika
en Croatie, de Livno, Duvno, Gacko en Bosnie-Herzégovine, de
Nikichich et Cetinjé au Monténégro, de Kosovo, Tetovo en
Serbie).
La décomposition chimique des calcaires donne une
sorte d'argile rouge (terra rossa) qui recouvre le fond des
cuvettes, se mélange de détritus végétaux et se prête à
la culture. Parfois, des lacs temporaires ou permanents
(lacs de Scutari, d'Ochrida, de Presba) occupent tout
ou partie de la dépression.
Les poljés sont, naturellement, les régions les plus
peuplées de la montagne, véritables oasis où les hommes
se réfugient, car ils y trouvent à la fois de l'eau, une
terre féconde, un abri contre les vents terribles qui ba-
laient ces hauts lieux : tels la Bora, qui descend en
rafeJes sur la côte adriatique, la Kosava, spéciale aux
vallées de la Choumadia, le vent du Vardar, qui déferle
sur les plaines macédoniennes, etc. Partout le climat est
rude, l'hiver très long, les neiges abondantes. En été,
l'altitude corrige les effets de la latitude qui est celle de
l'Italie et de l'Espagne. Toutefois, dans les vallées
creuses, les ' Uvalas ", bordées de rochers nus qui
réfractent les rayons solaires et où l'air ne se renouvelle
pas, les midis paraissent torrides.
LA ZONE SÈCHE DE L'OUEST OU
Z AGORA. 00 Dans toute la zone occidentale,
les vallées normales manquent presque complètement.
Seules, font exception la Narenta ou Neretva en Her-
zégovine, la Zêta inférieure au Monténégro et le Drin,
venu du lac d'Ochrida. Les autres, encaissées dans les
calcaires en forme de caiions, se perdent dans les vastes
plates-formes karstiques ou n apparaissent un instant
au fond des poljés et des uvalas que pour s'en-
gouffrer dans les " ponors " (gouffres, ce que les Grecs
appellent des katavothres). " Les sources sont très
rares; celles que l'on trouve sortent souvent des grottes
et ont le caractère des sources vauclusiennes. De vastes
contrées manquent de fontaines et de cours d'eau. Les
hommes et le bétail, surtout pendant l'été, souffrent
cruellement de cette absence d'eau fraîche." (J. Cvijic).
Cette zone dénudée, très sèche, presque désertique,
porte le nom d'ensemble de Zagora (outre-monts). C'est
celle qui borde l'Adriatique de l'Istrie au Monténégro,
sur une largeur qui varie de 50 à 1 00 kilomètres.
Partout, sur les hauts monts, la roche est à nu, sans un buisson,
sans un brin d'herbe. Un peu plus bas, des garrigues clairsemées
formées de noisetiers, de genévriers rabougris alternent avec des
steppes pierreuses que le printemps revêt d'une éphémère parure
de graminées, de lavande, de crocus, mais que brûle le dur soleil
d été. Seules les dépressions abritent de maigres champs d'orge, de
seigle, de maïs. Là se nichent villages et hameaux. Elncore faut-il
parer au double danger de la sécheresse, l'été, et de l'inondation
au printemps quand les exutoires naturels ne peuvent suffire à
1 absorption des masses d'eau que la fonte des neiges et les averses
diluviennes jettent en quelques heures au fond des poljés.
FORÊTS, CHAMPS ET VERGERS DE LA
ZONE ORIENTALE. 00 La zone orientale, celle
à laquelle appartiennent la majeure partie de la Croatie,
la Bosnie, la Serbie, a conservé d'immenses et superbes
forêts d'arbres à feuilles caduques (chênes surtout) et
de conifères qui grimpent jusqu'à 1 600 ou 1 700 mètres.
Au-dessus, des prairies alpines se peuplent de " katuns",
chalets où vont estiver les bergers. C'est la zone verte,
celle à laquelle on réserve d'ordinaire le nom de ' ' pla-
nina ". Les rivières (Una, Vrbas, Bosna, Drina, Ibar)
qui dévalent, suivant la pente générale du terreùn, vers la
Save et la Morava, demeurent profondément encaissées
entre les parois abruptes de leurs gorges étroites. Elles
décrivent, comme le Doubs, des coudes brusques,
s'échappent de veJ en val par des cluses qui leur don-
nent un cours extrêmement capricieux. Les routes et les
pistes les évitent, en général, et empruntent, de préfé-
rence, les arêtes des monts. Cependant, elles ne se
perdent plus — ou ne se perdent que très rcirement —
dans les fissures de la roche. Les montagnes elles-mêmes
prennent des profils plus adoucis et leur altitude décroît
à mesure que l'on se rapproche des plmnes danubiennes
et moraviennes. Aux profits de l'élevage, qui sont la
grande et presque l'unique ressource des montagnards de
la Planina, s'ajoutent de plus en plus ceux que le payszm
retire de son champ et de son verger. Dans la Rachka"
(partie centrale de la Vieille Serbie), les grands poljés de
Metochia (Prizrend et Diakova), de Kosovo (avec
Pristina et Mitrovitza), de Tetovo, se couvrent de cé-
réales, de pommiers, poiriers, châtaigniers. Le Stari Vlah
(Novi Bazar, vallées du Lim et de l'Uva), toute la
Bosnie centrale et septentrionale présentent le même
mélange pittoresque de forêts, de prairies, de champs et
de jardins touffus où les maisons disparaissent sous la
ramure des pruniers.
LA VIE DANS LA PLANINA. 00 Ces
montagnes ont joué un rôle primordial dans la vie des
Yougo-Slaves. Elles furent leur refuge naturel en cas de
danger, leur forteresse, leur centre d'action.
C'est dans la Ràchka, le royaume de Rascie des documents occi-
dentaux, que se trouvaient, au Moyen Age, les capitales du royaume
serbe \ Ras près de Novi Bazar, Prichtina, Prizrend. C'est dans
la Crna Gora que les Serbes " Monténégrins " maintinrent, à tra-
vers les siècles, une indépendance chèrement disputée. C'est àl
228
LA YOUGO-SLAVIE
que l'Autriche recrutait aulrefois les soldats : Haydouks, Ouscoques,
chargés de défendre ses frontières contre les razzias musulmanes.
C'est là que se conservent le plus pieusement les usages, les
moeurs, les traditions du passé. La " zadrouga ". ou dan formé,
par tons les membres et les clients d'une même famille, y demeure
la cellule sociale la plus répandue. Les " pesmés ", chants popu-
laires slaves, célèbrent les exploits des héros, tel Marco Kraliévic-
qui succombèrent au Moyen Age dans une lutte inégale contre les
Turcs.
La Vie simple, frugale, passée presque tout entière au
grand air, donne une race robuste, solide, non de'pourvue
de finesse et d'éle'gjince. Les Monténégrins, notamment,
ont presque tous celte fierté dans l'attitude et la dé-
marche, cette noblesse naturelle, propres aux races de
guerriers et de pasteurs. Leiissant aux femmes les rudes
travaux domestiques, ils n'admettent, assez volontiers,
d'autres besognes que la garde des troupeaux dans la
montagne, la chasse et la guerre.
Mais la montagne est pauvre : elle ne peut suffire
aux besoins d'une population, même raréfiée et peu exi-
geante. Aussi, de tout temps, les gens de la Planina
eurent une tendance naturelle à descendre vers les
plaines fécondes du pourtour. Ce sont eux qui peuplèrent
— ou repeuplèrent après les dévastations turques — la
Choumadia serbe, le couloir moravien, les rives de la
Save et du Danube. Dans le dernier quart du Xix» siècle,
ils allèrent même plus loin, et, par milliers, les monta-
gnards de la Zagora, de la Crna Gora, prirent l'habitude
d'émigrer en Amérique. Les uns revenaient, avec un
petit pécule, finir leurs jours au villeige natal. Les autres,
beaucoup plus nombreux, se fixaient pour toujours dans
leur patrie nouvelle. Il est légitime de penser que la
constitution du nouvel Etat yougo-slave et la liberté,
désormais assurée, arrêteront, ou du moins restreindront,
dans une large mesure, un exode que des motifs écono-
miques n étaient point seuls à provoquer.
Les agglomérations urbaines sont, naturellement, en de
tels lieux, de petite importance. Les montagnards vivent
dispersés en villages, aux maisons assez frustes, construites
en pierres brutes ou en bois. Dans la Planina boisée et
pastorale, ces villages, où chaque maison s'uole largement
des autres, s'établirent sur les flancs des vallées et les
plates-formes vêtues de prairies. On y pratique l'élevage
du bœuf, du porc, de la chèvre et du mouton que l'on
échange contre le blé et le maïs des plaines. Dans les
poljés du Karst et les grandes cuvettes lacustres du Sud-
Est ou la culture est possible et fructueuse, les maisons
se rapprochent les unes des autres. Les villages prennent
une importance plus grande et se transforment même en
petites villes, loriqu'ils marquent les étapes principales
des routes, très rares, que suivent les marchands. Ainsi
s'explique la croissance de Prizrend (22000 habitants),
Diakova, Ipek, dans le poljé de la Metochia, sur la piste
menant de la Vieille Serbie à Scutari d'Albanie et à la
côte Adriatique: de Pricl.tina (18000 habitants). Novi
Bazar (13000 habitants) et Mitrovitza (10000 habi-
tants), étapes de la route Ouslcoub-Sarajevo ; de Sara-
jevo (51000 habitants) et Mostar (16000 habitants),
sur 1 unique voie ferrée qui franchisse les chaînes et les
plateaux dinariques par le couloir Narenta-Bosna ; de
Ljubljana ou Laibach (60000 habitants), en Camiole,
qui commande la cluse de Nauportus ou Oberlaibach,
menant de Trieste à la vallée de la Save. Au Monté-
négro, Cetinjé et Niktchitch ne groupent guère plus de
5 000 âmes. Potgoritza atteint 1 5 000 habitants, grâce
à la fertilité delà cuvette où dort le lac de Scutari.
LA CÔTE DALMATE OU PRlMORjE
L'effondrement de l'Adriatique coupa, comme à l'em-
porte-pièce, les montagnes et les plateaux du ' bloc
continental " dinarique. Cependant, les parties les plus
élevées des chaînes externes demeurèrent émergées.
.Ainsi s'explique le double caractère des rivages dal-
mates.
D'une part, une série d'îles (Veglia, Cherso, Lussin,
Longa, Brazza, Lissa, Lésina, etc.) s'allongent parcJlè-
lement à la côte, entre la presqu'île d'istrie et Raguse.
Elles ne sont autre chose que les témoins des arêtes cal-
caires qui faisaient corps, autrefois, avec les hautes terres
de la Yougo-Slavie.
D'autre part, le rivage lui-même est dominé immédia-
tement — sauf en quelques rares points — par le glacis
abrupt des Planinas. Vu de la mer, ce glacis apparaît
comme une barrière continue, sans fissures, âpre, revêche
et nue, sillonnée presque géométriquement de ravins
aux flancs à pic dont les coulées de pierres blanches
s'étalent jusqu'aux eaux de l'Adriatique. Là haut, c'est
le rude climat de l'Europe Continentale, les longs hivers,
la neige pendant cinq mois. Aux rives de la mer, ce sont
les tièdes hivers méditerranéens, les longs jours enso-
leillés, qu'interrompent soit des averses diluviennes mjus
courtes, soit le souffle glacé de la Bora. C'est aussi dans
les petits coins abrités, sur les terrasses étroites pénible-
ment édifiées, la culture de l'olivier et de la vigne, du
grenadier, du mûrier, du figuier et de l'amandier. Deux
mondes se rencontrent là, séparés l'un de l'autre par
quelques kilomètres à peine, et pourtant si différents, de
pénétration réciproque si malaisée, que leurs destinées
demeurèrent, jusqu'à nos jours, indépendantes l'une de
l'autre.
Jamais le croissant de l'Islam ne s'implanta sur le Primorje adria-
tique, c'est-à-dire sur les rivages et les iles du Quarnero, de la
Dalmatie, de la Crna Gora. En revanche, des 1203, Venise s'ins-
tallait à Zara, et, jusqu'à la Révolution, l'histoire de la Dalmatie se
confondit avec celle de la Sérénissime République. " Peu de pays
229
L'EUROPE
ont, plus que le rivage oriental de l'Adriahque» conservé l'empreinte
de Venise. De l'Empire Vénitien, la Dalmatie était la pièce la
plus nécessaire et comme la condition indispensable de la domina-
tion maritime de la République. Ses rivages offraient des ports
admirables, escales ménagées à souhait, relâches précieuses et sures
pour les flottes de la cité de Samt-Marc. Dans sa rude et belli-
queuse population, Venise recrutait d'autre part des soldats mer-
veilleux, ces Esclavons dont le souvenir vit encore aujourd'hui dans
la ville des lagunes. Et de ces quatre siècles de domination inin-
terrompue, tout le long du littoral dalmate, on retrouve partout le
vivant souvenir. Des citadelles d'abord, que blasonne l'image du
lion de Saint-Marc, à Knin, à Klissa, sur les hauteurs de Sebc-
nico, aux approches de Trau, de Budua, d'Antivari ; puis des
églises, des palais charmants, des loggias, tout un ensemble de cons-
tructions qui font de Zara, de Sebenico, de Trau, de Raguse, de
Curzola autant de petites Venises. " (D'après Ch. DiehI.)
Cependant, les Slaves venus des Planinas descendirent
sur le Primorje, se (i.\èrent dans les îles, et de bergers
se firent marins. Les mille ciselures du rivage, le " rias "
de Sebenico, les " bouches" fameuses de Cattaro, offraient
de sûrs asiles aut navires marchands, comme aux barques
des pêcheurs et des contrebandiers.
Si les relations avec l'arnère-pays eussent été' moins
malatse'es, une intense vie maritime se fiât de'veloppe'e au
XIX» siècle sur ces rivages étroits. iVlais, seules, Triette
et Fiume (Rieka) se trouvaient bien placées pour servir
de débouchés à l'Europe Centrale. Et, seules, elles ont
grandi, grâce aux voies ferrées qui les unissent à Vienne
et Budapett. La ligne, plus récente, qui va de Castel-
nuovo (à l'entrée des bouches de Cattaro) au Danube
par Fort Opus, Mostar et Sarajevo, n'eut jusqu'ici qu'un
trafic fort médiocre.
Ni Zengg, ni Zara (36000 habitants), ni Sebenico
(30000 habitants), ni Spalato (31000 habitants), ni
Dulcigno, ni même Raguse (14000 habitants), ne com-
muniquent avec la Planina autrement que par des pistes
difficiles. Au Monténégro, une ligne à voie étroite, partie
d'Antivari, s'arrête à Virpazar sur le lac de Scutari.
Tels quels, ces rivages sont indispensables au développement éco-
nomique de la Yougo-Slavie. et l'on comprend l'obstination avec
laquelle les Yougo-Slaves s'opposèrent aux prétentions italiennes
sur la Dalmatie. Les Italiens ne forment dégroupes compacts qu'à
Trieste, sur les côtes occidentales de l'istrie, à Fiume et à Zara;
ailleurs, ils ne sont que d'infimes îlots noyés dans la masse des
Slaves. Même à Trieste. si la ville est incontestablement italienne
pour les deux tiers de sa population, les villages environnants perchés sur
les plateaux du Carso sont enlièremenl slaves. Tout l'intérieur de
I Istrie est slave; slaves aussi les îles Dalmates, la moitié des habi-
tants de Fiume et tous les villages, sans exception, étages sur les
pentes du Primorje.
On sait comment le litige fut tranché par le traité de Rapallo
(12 novembre 1920). L'Italie renonça à ses prétentions historiques
sur 1 ensemble de la Dalmatie. Elle n'y conserve que le territoire
de Zara, les îles de Pelagosa, Lagosta, Lussin et Cherso. Le ter-
ritoire de Fiume fut déclaré indépendant. En revanche, la Yougo-
slavie abandonna définitivement les 400 000 à 500000 Croates et
Slovènes d'istrie, de Trieste et du Comté de Goriza.
LES PLAINES DU NORD .- CROATIE,
SLAVONIE, SYRMIE, BACHKA, BAN AT
A la montagne s'oppose la plaine. Elle commence à
Zagreb (Agram) et se continue vers l'Est par la large
vallée de la Save, les territoires de Slavonie-Syrmie,
entre Save et Drave, la Baranja (angle Drave, Danube),
la Bachka (du Danube a la Tisza), et la partie occiden-
tale du Banat de Temesvar. Sur les collines (Papuk,
Fruska-Gora) qui prolongent en Slavonie-Syrmie les
plissements alpins, ou bien sur les dernières pentes des
montagnes de Bosnie et du Karst de Carniole, les forêts
de chênes croissent avec vigueur, mêlées aux prairies,
aux vergers touffus où le prunier est rot. Mais le reste
du pays se confond avec l'Alfôld hongrois. On y retrouve
les horizons monotones, la terre d'alluvions grasses et fé-
condes, couvertes jusqu'à l'horizon de champs de maïs
et de blé. Save, Drave, Danube, Tisza, déroulent leurs
méandres innombrables entre des rives plates que les
crues de printemps inondent sur de vastes espaces.
A 1 Ouest, la Carniole et la Styrie méridionale sont
peuplées de Slovènes, en majorité catholiques.
Longtemps demeurés quelque peu à I écart des autres Yougo-
Slaves et fortement germanisés, ils eurent, dès le début du XLX*^ siècle,
leur réveil national et firent cause commune avec leurs frères de
Croatie et de Serbie. Mais ils conservèrent les habitudes d or-
ganisation, de discipline, de labeur méthodique empruntées à leurs
maîtres allemands. Ils leur doivent une remarquable prospérité
économique, le développement des associations agricoles, des
entreprises industrielles. la multiplication des écoles. En contact à
la fois avec des Italiens, des Allemands d'Autriche et des Magyars,
ils forment comme le boulevard occidental de la \ ougo-Slavie,
et leurs qualités propres, autant que leur position géographique sur
les grandes voies ferrées qui mènent à l'Adriatique, les destinent
à jouer un rôle de premier ordre dans le nouvel Etat.
Ljubljana (60 000 habitants) ou Laybach est le centre
d'action et la capitale des Slovènes. Celi et Maribor
230 -
LA YOUGO-SLAVIE
(Marburg), jalonnent la vole ferrée montant sur Graz
et Vienne.
En Slovénie et Syrmie, les Serbo-Croates constituent
la presque totalité de la population. Il n'en est pas de
même dans les régions sises au delà de la Drave infé-
rieure et du Danube : Baranja, Bachka et Banat, où
des groupes compacts d'Allemands, de Magyars, et même
de Roumains, se mêlent aux Serbes.
Les habitants, de quelque nationalité qu'ils soient,
s'adonnent presque exclusivement à l'agriculture. C'est
la région la plus fertile et la plus productive de la
Yougo-Slavie. Aussi trouve-t-on, chez ces paysans en-
richis, des goûts, des habitudes de vie inconnus aux rudes
montagnards de la Planina : ardeur au plaisir, déchaî-
nement de la sensualité, morale féminine fort relâchée,
ils n'en étaient pas moins, sous le régime hongrois, d'ar-
dents patriotes serbes. ' Les paysans venaient, comme
en pèlerinage, assister aux fêtes nationales de la Serbie
pour voir " leur roi " et " leur armée ", malgré les
difficultés et les dangers qui les attendaient au retour.
(J. Cvijic.)
En Croatie, Zagreb (80000 habitants) était, depuis
le XII' siècle, la résidence du Ban et le grand centre
politique de la vie croate.
Lorsque la Croalie-Slavonie eut obtenu du Gouvcrnemenl Hon-
grois une large autonomie, Zagreb, en relations constantes avec
les Yougo-Slaves de Carniole, de l'Adriatique et de Serbie,
devint comme la capitale de la Yougo-Slavie occidentale. Son
Université fondée en 1874, son Académie des sciences et des
arts, ses savants, ses poètes, ses prêtres même, travaillèrent avec
une magnifique ardeur à lutter contre le régime magyar. Par le
chiffre de sa population, elle se classe au troisième rang des
principales cités du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes,
et sa position, au point de croisement des voies ferrées venues
de Trieste, Fiume, Budapest et Belgrade, non moins que la
fertilité des campagnes qui l'entourent, lui assurent un avenir
plein de promesses.
Les autres agglomérations dépassent rarement quelques
milliers d'habitants. Kostajnica Sisak, Gradiska, Mitro-
vitsa, sont les principaux marchés de la vallée de la
Save. En Slavonie-Syrmie, Osjek, Djakova, Novi-Sad
(40000), Karlovci furent des lieux d'intense propagande
yougo-slave. Novi-Sad, notamment, joua, pour les Serbes
de Syrmie-Banat, un rôle analogue à celui de Zagreb
pour les Croates et Slovènes.
Dans la Bachka et le Banat, Subotica (le Szabadka
hongrois) n'est, malgré ses 90000 habitants, qu'un
immense village où se concentrent les produits de l'agri-
culture et de l'élevage de ces riches régions.
LE COULOIR MORAVA-VARDAR
HISTOIRE ET PARTAGE. jz>£> Entre les
plissements pindo-dinariques à l'Oueit et les massifs ou
cioCRAPHlE UNIVERSELLE.
les chaînes balkaniques à l'Est (Stara-Planina. Rho-
dope) se creuse, de Belgrade à Salonique, une dépres-
sion orientée Nord-Ouest-Sud-Est, qu'empruntent, en
sens inverse, la Morava et le Vardar. Ces deux cours
d eau prennent leur source dans le bassin de Kouma-
novo, à moins de 200 mètres d'altitude. Aucun seuil ne
les sépare. Ils traversent l'un et l'autre une série de
cuvettes larges et fertiles, creusées par effondrements au
milieu des roches anciennes (schistes, granits, calcaires-
marbres), qui remplacent ici les terrains plus récents des
plissements dineuiques. Ils ouvrent donc une voie toute
tracée, de parcours aisé, entre l'Europe Centrale et la
Mer Egée. De là, l'importance géographique et histo-
rique du couloir Morava- Vardar. SI les pays du Vardar
virent naître, dans les temps antiques, le royaume de
Macédoine, c est dans la vallée moravienne que se
fixèrent, dès le Moyen Age, les destinées du Royaume
serbe.
11 semblerait naturel que cette longue dépression appartint à un
seul Etat. Toutefois, et bien que l'on parle un dialecte slave
jusqu'aux portes de Salonique, l'influence' grecque se fit toujours
fortement sentir dans les régions qui avoisinent la Mer Egée.
Aussi, lorsqu'en 1913, Serbes et Grecs eurent, par leurs efforts
communs, arraché la Macédoine aux Turcs, on laissa au Royaume
hellénique les plaines du bas-Vardar, jusqu'au lac de Doiran
et à Guevguéli. Quant aux Bulgares, qui réclamaient, eux aussi,
la possession de cette artère maîtresse des Balkans, on sait com-
menl la guerre de 1913. puis la Grande Guerre, les déboutèrent
de leurs prétentions.
LA VALLÉE DE LA MORAVA. jUjH La
vallée de la Morava et les montagnes ou collines qui
l'accompagnent forment une unité géographique bien
nette. Au centre, les bassins de Vranjé, de Leskovatz,
de Nisch, d'Alexinatz mènent à la large plaine del-
taïque de Pojarevatz, où la Morava s unit au Da-
nube.
Le sol alluvial se prête à la culture du blé et du maïs,
non moins qu'à celle des arbres fruitiers. Le climat, de
type continental atténué, avec des hivers froids et neigeux
et de chauds étés, se c£uactérise d'abord par l'abondance
et l'égale répartition des pluies, puis par la longueur de
l'automne, qui se prolonge souvent, après une courte
période de frimas, jusqu'en décembre. " La douceur un
peu molle de l'automne s'harmonise admirablement avec
les ondulations de la plate-forme et les grandes lignes
de terrain qui vont se perdre au loin à l'horizon. Noyé
dans les brumes lièdes et légères, le paysage, d'un bleu
foncé, prend alors un aspect plus vague et plus indécis
encore. Les formes des objets s estompent dans une va-
peur grisâtre. " (G. Gravier.) En hiver et au printemps,
on redoute particulièrement la "kosava", vent froid et
sec, extrêmement violent, qui souffle une ou deux
semaines et cause de grands dommages à la végétation.
231
23
L'EUROPE
LA CHOUMADIA. 00 A l'Est, la vallée de
la Morava est bordée de fort près par les hauteurs
dénudées, grises et laides, qui la séparent des plaines
danubiennes et du bassin de Sofia (Golubinjé, Stara et
Osegovo Planina).
Mais, à l'Ouest, elle se relie lentement aux mon-
tagnes de Bosnie par les plateaux et les collines de la
Choumadia.
Le mot veut dire " pays de forêts", et il est vrai que,
jusqu'au premier tiers du XIX» siècle, la Choumadia fut
une immense chênaie difficilement pénétrable où quelques
rares villages s'espaçaient dans les clairières entre les
troncs énormes d'arbres plusieurs fois centenaires. Au-
jourd'hui, presque toute la région est déboisée et défri-
chée. Les villages se sont multipliés sur les terrasses cou-
vertes d'un humus extrêmement fertile. Blé, seigle,
avoine, maïs surtout, y viennent à souhmt, mêlés aux
vergers plantés de pruniers, aux prairies où 1 on élève le
plus beau bétail des pays serbes. Chaque ferme a son
troupeau de porcs, noirs et râblés, que 1 on engraisse
avec du maïs et du petit-lait. Avant l'acquisition des
riches terres de la Bachka et du Banat, la Choumadia
était le grenier de la Serbie. Chaque automne, des cara-
vanes de chevaux en partent, partant aux montagnards
les sacs de maïs et de blé. Malgré une densité de popu-
lation qui atteint, par endroits, plus de 100 au kilomètre
carré, l'émigration ne s'y produit pas. Au contraire, les
pasteurs des hauts-pays s'y fixent volontiers et deviennent,
à leur tour, des colons.
LES VILLES DE LA VIEILLE SERBIE.
00 Les neuf dixièmes de la population vivent d'agri-
culture et d'élevage. Aussi les villes, Belgrade exceptée,
n'ont-elles qu'une médiocre importance. Les principaux
centres urbains sont Vranjé ( I I 000 habitants) et Lesko-
vatz (15 000 habitants), sur la haute Morava; Nich
(25000 habitants), au point de croisement des lignes
Belgrade-Salonique et Belgrade-Constantinople par
Pirot (1 1000 habitants) et Sofia; Alexinatz et Krou-
chevatz, près de la jonction des deux Moravas, la serbe
et la bulgare ; Kragoujévals (18000 habitants), au coeur
de la Choumadia ; Pojarevatz (13000 habitants), dans
la plaine de la basse Morava ; Valiévo, Chabats, dans
l'angle Drina-Save, etc. Belgrade enfin (Beograd, la
cité Blanche), au confluent de la Save et du Danube,
sur les dernières pentes des collines de la Choumadia, et
en communication aiiée avec la vallée de la Morava,
occupe une de ces positions exceptionnelles que la na-
ture semblait désigner aux établissements humains. Camp
romain (Singidunum), puis forteresse slave et turque,
devenue, au Xix* siècle, la capitale du Royaume serbe,
elle commande les routes de l'Orient. Elle comptait, en
1918, 120000 habitants.
232
Le reste de la population se disperse en gros villages, aux mai-
sons de pierres réparties en quartiers (mahatas) isolés par de»
jardins et des champs. Ces paysans de la Choumadia forment le
vrai cœur de la nation serbe. Apres et tenaces au travail, gais et
sociables, passionnés de liberté, robustes et merveilleusement braves,
ce sont eux les grands artisans de l'indépendance serbe, des vic-
toires de 1912, 1914 et 1918. Ils sont de beaucoup l'élément le
plus sympathique d'un peuple dont les citadins et les " bourgeois ",
superficiellement européanisés, nous choquent trop souvent par
leurs prétentions et leurs façons d'être, qui semblent copiées sur les
plus mauvais modèles teutons.
LA MACÉDOINE SERBE. 00 Lorsque l'on
passe de la Morava au Vardar, l'aspect du pays se
modifie peu à peu. Toute la Macédoine serbe est encore
couverte de hautes montagnes : Char (2519 mètres),
Karadagh, Babouna, Peristeri (2532 mètres), Kajmakt-
chcJan (2 525 mètres), qui entourent les vastes dépres-
sions de Skoplje (Ouskoub), de Vélés, de Tetovo, de
Prilep-Bitolj (Monastir), ou se reflètent dans les lacs
d'Ochrida et de Presba. Mais les influences méditerra-
néennes pénètrent par la vallée jusqu'aux bassins inté-
rieurs. Elles se traduisent par des étés plus longs et
plus chauds, par la diminution des pluies, par certaines
cultures comme la vigne, le mûrier, le tabeic, le pavot.
A des hivers très froids, neigeux, où le " vent du
Vardar " glace jusqu'aux os, succèdent, après un prin-
temps très court, les journées brûlantes de l'été. (Du
15 juin au 15 juillet 1916, — année de chaleur excep-
tionnelle, il est vrai, — l'auteur de ce livre nota
chaque jour, dans la région de Doïran, des températures
de + 40° à l'ombre.) Les rares sources, les ruisselets
tarissent. Les cours d'eau plus importants, et le Vardar
lui-même, se réduisent a de minces filets d'eau. Plus de
forêts, mais aux lieux les plus favorisés (pentes orientales
du Peristén, par exemple), des maquis de chênes nains
et de noisetiers. Partout ailleurs, le roc effroyablement
nu, flamboyant sous l'ardente lumière, ou bien, sur les
sommets, de maigres alpages où les bergers aromounes
pussent leurs troupeaux de moutons, de mai à octobre.
Les hommes eux-mêmes sont différents. Si les gens
de Skoplje et de Vélès sont de vrais Serbes, les Slaves
de Prilep, de Bitolj, de Stroumitza, du bas Vardar,
n'avaient point, jusqu'à nos jours, le sentiment d'appar-
tenir à une nation bien définie.
A la question;" Es-tu Serbe? es-tu Bulgare? es-tu Grec? ou
Albanais ? " ils répondaient : " Je suis Macédonien. " En fait,
sous le régime turc qui se perpétua jusqu'en I9I3, la notion de
patrie se confondait pour eux avec la religion qu'ils professaient.
On se disait Turc, c'est-à-dire Musulman, même lorsqu'on pro-
venait de familles de race slave converties à l'Islam. Parmi les
chrétiens, les uns appartiennent à l'orthodoxie grecque, d autres
à l'exarchat bulgare, d'autres encore à l'orthodoxie serbe. Il y
a des Albanais catholiques, d'autres musulmans, d'autres ortho-
doxes. Un même village contient à la fois des représentants de
toutes les races et de tous les cultes des Balkans. Ainsi s'expliquent
LA YOUGO-SLAVIE
les diiférences prodigieuses que l'on relève dans les staiisllqucs
relatives à la population de la Macédoine, chaque Etat intéressé
grossissant à plaisir le nombre de ses nationaux.
La Macédoine, répartie entre Grecs et Serbes, va
connaître, enfin, un régime de stabilité et de paix auquel
elle n'était pas habituée. Les bandes d'irréguliers, de
' comitadgis ", qui, sous couleur de luttes nationales,
mettaient les paysans en coupe réglée, ont disparu ou
vont disparaître. Les Turcs, qui possédaient la plus
grande et la meilleure partie des terres, ont commencé,
dès 1913, un exode que la Grande Guerre a momen-
tanément interrompu, mais qui ne s'arrêtera plus. Ils ne
veulent pas, ils ne peuvent pas se soumettre à la loi des
chrétiens et connaître à leur tour 1 humiliation d'obéir,
là oîi, depuis quatre siècles, ils commandaient en maîtres.
Ilsvendent " tchifiiks " (grands domaines) et troupeaux,
les réalisent autant que faire se peut en monnaie d'or et
gagnent I Asie Mineure. C'est la suite naturelle de cette
émigration de mohadjirs " qui commença en Roumanie,
en Grèce, en Serbie, dès que ces pays se furent libérés
du joug turc.
La disparition des Turcs laisse le champ libre aux
chrétiens. Devenus possesseurs du sol, ils vont cesser
d émigrer en masse à destination de l'Amérique, comme
ils le faisaient depuis une vingtaine d'années (en 1917,
le seul village de Boukovo, près de Monaslir, peuplé
de 250 familles, avait aux Etats-Unis 200 de ses habi-
tants mâles !). Si la montagne est condamnée à demeurer
improductive, les bassins de Tetovo, de Skopljé, de
Prilep, de Bitolj, du Vardar, de Stroumitza, peuvent
transformer leurs steppes et leurs marais en champs
d une exceptionnelle fertilité. Il y a là des terres presque
vierges qui se prêteront à merveille à la colonisation, du
jour où les gouvernements serbe et grec voudront entre-
prendre sérieusement leur mise en valeur.
Comme dans tous les Balkans, la population de Ma-
cédoine, exclusivement agricole et pastorale, vit dispersée
en villages qui, pour la plupart, se situent au débouché
des vallées latérales donnant sur les dépressions fermées.
Les maisons, bâties en pierres et en torchis, comportent,
en général, un rez-de-chaussée assez bas et un étage
pourvu d'une galerie ou loggia que soutiennent des co-
233
L'EUROPE
lonnes de bois. C'est là que la famille passe toute la belle
saison. Les femmes tissent sur des métiers grossiers des
étoffes rudes et solides ; les hommes fument et se reposent.
A l'automne, des guirlandes de maïs et de piments
rouges se suspendent aux colonnes et aux balcons.
Chaque bassin a sa ville principale placée aux pomts
de croisement des routes. Sur le Vardar, Skoplje
(Ouskoub) commande les passages qui mènent à la fois
vers la vallée de la Morava par Koumanovo, la vallée
serbe de l'Ibar et la Bosnie par Mitrovitza et Novi
Bazar, l'Albanie septentrionale par Tetovo-Prizrend, et
le bassin de Sofia par Krakovo-Kustendil. Elle compte
50000 habitants environ. En aval de Skoplje, Vélès
(15000 habitants), Négotin, Kavadar, Guevguéli, sont
les principales étapes de la voie ferrée qui descend à
Salonique. Dans le large bassin que traverse la haute
Tchema, Prilep a perdu de son importance au profit de
Bitolj (Monastir), qu'une voie ferrée relie à Salonique.
Bitolj a, de plus, l'avantage de communiquer sans trop
de difficultés avec la région des lacs et l'Albanie Cen-
trale. Elle fut, dans l'antiquité, une des étapes principales
de la Via Egnatia qui conduisait de Dirrachium (Du-
razzo) à Thessalonique et Constantinople. C'est de là
que se distribuent, dans toutes les montagnes de l'Ouest,
les produits européens (pétrole, sucre, cotonnades, etc.),
là que se concentrent les cuirs, les laines de la Planina.
Elle avait, en 1913, 60000 habitants, mais a été en
grande partie détruite par les bombardements bulgares
entre 1916 et 1918. Enfin Resen (ou Resna), près
du lac de Presba. Ohrid (Ochrida, 1 1 000 habitants)
et Strouga, aux rives du lac d'Ochrida, Debar ou
Dibra (10000 habitants), sur le Drin noir, peuplées
en majorité d'Albanais, sont les dernières agglomérations
notables de l'Albanie serbe.
LE PRESENT ET L'AVENIR DE LA YOUGOSLAVIE,
L'État Yougo-Slave est formé par la juxtaposition de
territoires très différents les uns des autres et qui ont
vécu jusqu'à nos jours, d'une vie politiquement et éco-
nomiquement indépendante. 11 est donc impossible de
préjuger ce que donnera l'union toute récente de ces
territoires sous une direction commune.
Le principal effort portera sans doute, d'abord, sur la
multiplication des moyens de communication.
11 s'agit d'intensifier les rapports par voies ferrées entre la c6te
et r.ntérieur là où ,1s existent déjà (lignes de Ljubl|ana à Tr-esle.
de Zagreb à Fiume. de Subotica à Fort Opus et Cattaro, de Subo-
tica k Salonique par Belgrade. Nich. Skopl,e). de les créer là ou
ils n'existent pas encore, par exemple à travers la Croatie et la
Bosnie, ou bien entre la Vieille Serbie et l'Adriatique (ligne
depuis longtemps projetée allant de Skoplje à Saint-Jean-de-
Medua par Prizrend et Scutari). 11 faut aussi joindre, suivant la
direction générale du relief, les pays du Nord-Ouest à ceux du Sud-
Est Il n'existe, pour l'instant, qu'une seule grande ligne allant de
Ljubljana à Belgrade par la vallée de la Save. 11 convient de la
doubler par une autre voie parallèle, dont quelques parties sont
déjà laites, du reste, et qui desservirait la Planina entre Zagref>
et Skoplje par Banvalouka, Sarajevo. Novi Bazar et Mitrovitza. 1!
faut encore créer le réseau de routes carrossables accessibles aux
automobiles, qui pourrait, dans une large mesure, suppléer a la
pénurie des voies ferrées, la majeure partie des pays Yougo-
slaves ne connaissent encore que la piste muletière. 1 étroit sen-
tier zigzaguant de montagnes en montagnes, de poljés en poljes.
En facilitant la circulation à l'intérieur du bloc
continental, et en lui donnant de faciles débouchés sur
l'Intérieur, on " européanisera " du même coup des
régions qui sont demeurées fort arriérées. Certes,
le pittoresque y perdra ! Il n'est point, en Europe, de
pays qui ait su garder jusqu'à nous avec une telle fidélité
les mœurs, les usages, les coutumes, les croyances d'au-
trefois. Dans la plupart des villages éloignés des rares
voies ferrées, on vit aujourd'hui, à peu de choses près,
comme on vivait il y a sept ou huit siècles. Chaque vil-
lage, chaque famille même subvient à tous ses besoms,
n'achetant guère, en fait de produits étrangers, qu'un peu
de sucre, de café, de pétrole et des armes. Point d'autres
meubles que quelques escabeaux en bois grossièrement
taillés à coups de hache, quelques plats de terre. On se
vêt des étoffes que les femmes tissent sur leur métier
primitif et qu'elles savent décorer de broderies charmantes.
On dort à même le sol sur des couvertures que l'on
replie pendant le jour, et l'on mange le mais, les piments,
les haricots, les courges, produits par les champs et les
vergers entourant la maison, en y ajoutant des œufs, du
lait, un peu de volaille ou du mouton. Pour tous ceux
qui' aiment la simplicité des mœurs patriarcales, qui sont
sensibles à la beauté des attitudes, de la démarche, au
chatoiement des teintes vives brodées en arabesques sur
le fond laiteux des laines blanches, un voyage s'impose
avant qu'il soit trop tard en ces lieux à la fois si près
et si loin de nous. Mais si le pittoresque doit y perdre,
le bien-être général et la puissance du nouvel Etat ga-
gneront grandement, sans nul doute, à la multiplication
des échanges entre la montagne et la plaine, à la mise
en valeur, avec des méthodes modernes, des riches ter-
rains qui restent encore à coloniser. La population, cruel-
lement éprouvée par la guerre, les maladies épidémiques,
et que décimait, en certains districts, une émigration
presque maladive, peut et doit trouver sur place des
conditions d'existence suffisantes pour la fixer au sol en
lui assurant des ressources régulières.
Ces ressources proviennent et proviendront longtemps
234
LA VOUGO-SLAVIF
UNE RUE DE STROUGA. La petite ville de Strougo se trouve sur les confins de
la Mac'jdoine serbe et de l'Albanie, au pom! où le Drin noir ^'échappe du grand lac
d'Ochtida. Comme sa voisine, Ochrida, clic est en relation, d'une part avec le bassin
de Monastir, d'autre part avec les régions albanaises de Dibra et d'El Basson. Atissi
a-t-elle une certaine actinie griue aux eclangcs tut se font cnirc la montagnards
et les gens des plaines. La population, 1res bigarrée, comprend une forte majorité
d'Albanais auxquels se mêlent des Macédoniens slaves, des Valagues, un petit nombre
de Turcs et de Grecs.
RAGUSE eut. au Motien Age, une période de grande prospérité. C'était une petite
République indépendante, rivale de Venise et de Gènes, gui entretenait d'activés rela-
tions avec toutes les escales de la Méditerranée et expédiait directement us marchan-
dises jusqu'aux Indes. C'était aussi, par l'intensité de sa, vie intellectuelle, un centre
de civitiiation pour les tribut slaves de l'intérieur. Elle n'a plus, aujourd'hui, qu'une
m'en minime importance ;mais une voie ferrée l'unitauxpays du Danube, et la création
récente du Royaume i/ougo-tlaoe, dont elle est l'unique débouché maritime, peut lui
donner une activité nouvelle Cl. L*F0UEST.
235
L'EUROPE
.M>.
GRENIERS A MAIS DANS UN V1LL,\GE SERBE. La homllie et h pain de
mats forment la base de la nourrifure dans certaines régions de la You^o-Slanie.
Pour mettre les épis à l'abri de l'humidité et des rongeurs, on Its entasse, près de
la maison d'habitation, dans des greniers de clayonnage. juchés sur pilotis.
PAYSAGE MONTÉNÉGRIN. Cette photographie donne une image saisissante
des formes du paysage, non seulement dans la Tcherna Gora. mais dans toute la
" zagora ", c'est-à-dire dans les régions de calcaire Perméable qui bordent l' Adria-
tique. Sol criblé de " dolines " ; pas d'eau de surface ; maigre végétation buissonneuse.
UN MARCHÉ EN SERBIE Les Serbes sont, en grande majorité, des paysans,
éleveurs de porcs et de bêtes à cornes, cultivateurs de blé, de maïs, d'arbres fruitiers,
et la plupart de leurs villes ne doivent quelque imoortance qu'à leurs marches
où s'échangent les produits de la plaine et de la montagne.
PAYSAGE EN DALMATIE. La piste cailloultuse zigzague au flanc des mon-
tagnes qui plongent sur l'Adriatique. Des pins d'AleO, des chênes Verts dominent
çà et là. les buissons du maj/uis. les feuilles larges et pointues des agaves. Un moine,
assis sur son âne, regagneians hâte son couvent niihi dans quelque loin plus fertile.
SCUTAR! D'ALBANIE. La capitale du petit État albanais est admirablement
située au bord du lac de son nom, dans un cadre grandiose de montagnes, au pied
d une lutte calcaire qui porte les ruines d'une antique citadelle. La plaine quil'cn-
(ot'fc est le lartie la plut fertile et la plus peuplée de l'Albanie, Cl. MarUBBI.
DURAZZO D'ALBANIE. Durazzo fut, dans l'antiquité, sous le nom de Dyrra-
chium l'un des ports lesplus importants de la péninsule balkanique. De làparlait
la " Via Fgnatia " qui se rendait à Salonique et Constantinople. Ce n'est plus
aujourd'hui qu'un fort médiocre mouillage albanais. Cl. Chusseau-FlaviFNS.
?56
LA YOUGO-SLAVIE
encore à peu près exclusivement de la culture et de
l'élevage. L'industrie me'tallurgique et textile, qui peut
utiliser çà et là un peu de houille ou de lignite (3 500000
tonnes), de cuivre (40000 tonnes), de fer, de plomb, de
mangcinèse et, un peu partout, la force motrice des
torrents, ne joue, dans tous les pays yougo-slaves, qu'un
rôle très médiocre. Seules, les mdustnes agncoles (sucreries
brassenes, laitenes coopératives) commencent à prendre,
surtout dans les riches plaines du Nord, une réelle im-
portance.
La Yougo-Slavie est donc tributaire de l'étranger
pour la majeure pctftie de ses produits fabriqués. Elle
lui livre, en éc'heuige, les céréales des plaines pannoniques
et de la Choumadia, les prunes de Bosnie et Serbie,
les boeufs, les chèvres et les moutons des Planmas, les
porcs d'un peu partout, les cuirs et peaux, les laines,
les bois de Bosnie et de Carniole, les \anset les poissons
de Dalmatie, les tabacs de Macédoine, etc.
Voici quelle était en 1912. dernière année normale,
la valeur du trafic pour les trois pays qui avaient leurs
statistiques propres :
Serbie. — (Avant l'annexion de la Vieille Serbie et
de la Macédoine serbe) : Importations, 107000000 de
francs (cotonnades 16, machines 6, lainages 1); —
exportations. 100 000 000 de francs (Prunes 17, cé-
réales 25, peaux brutes 7,5, animaux vivants 7).
Monténégro. — Importations : 7 500 000 francs (sel,
pétrole, maïs, sucre, cotonnades) ; — Exportations :
2 500000 francs (sumac, moutons).
Bosnie-Herzégooine. — Importations : 175000000
de francs (cotonnades et lainages, machines, sucre,
pétrole, etc.); — Exportations: 1 35 000 000 de francs
(bois 35, prunes et marmelades 8,5. animaux vivants 4).
A cela s'ajoute toute la production des régions
annexées à la Serbie et au Monténégro en 1913
(Vieille Serbie, Macédoine Serbe, Sandjak de Novi
Bazar), plus, naturellement, celle de la Croatie-Slavo-
nie, de la Carniole, de la Dalmatie, de la Syrmie, de la
Bachka et du Banat. Or quelques-unes de ces régions
comptaient parmi les plus fertiles et les plus riches de
1 Empire Austro-Hongrois.
Les seuls renseignemeols plus récents qu; nous ayons présente-
ment concernent les importations et les exportatio^is globa'es en
Yougo-Slavie pendant les 9 premiers mois de 1920. Les achats
(2 577 000 000 de dinars) portèrent surtout sur les textiles, les
machines et les objets de métal, les produits chimiques, etc. Les
\entes (716 000000 de dinars) consistèrent en mais, blé, avoine,
liu;ts. bois, animaux vivants, etc.
En résumé, avec ses 12000000 d'habitants, ses
249 000 kilomètres carrés, la variété de ses ressources, sa
large façade maritime, ses populations parfois arriérées,
mais robustes, braves, saines de corps et d'esprit, ardem-
ment patriotes, la Yougo-Slavie apparaît comme une des
plus heureuses créations dues au triomphe des Alliés et
à 1 application du principe des nationalités. C'est assuré-
ment l'un des jeunes Etats européens auquel l'avenir peut
réserver les plus réconfortantes surprises, à la condition
qu il sache régler pacifiquement ses rapports avec ses
voisins d'Italie, de Grèce, d'Autriche et de Hongrie, à
la condition aussi qu'il évite, à l'intérieur, les querelles
épuisantes de partis, les conflits d'influence, les luttes
religieuses, qu'il sache, en un mot, parfaire cette union
nationale à laquelle il doit la vie.
Nota. Û Û Depuis la mort du roi Nicolas 1", en mars 1921. le
Monténégro, dont la situation demeurait jusqu'alors mal définie,
a été définitivement uni à l'Etat Yougo-Slave. II forme l'une des
9 provinces autonomes, chacune possédant sa d.è:e et ses lois,
enire lesquelles se partage le territoire du Royaume. Les autres
sont : Sîrbie, Vieil'e Serbie, Syrm'.e, Banat, Bachka, Croatie-Slo-
vénie, Dalmatie, Herzégovine.
237
L'EUROPE
CHAPITRE XVI
L'ALBANIE
L'Albanie est la région montagneuse comprise entre
l'Adriatique, le Monténégro, la Grèce et la Macédoine.
Ses limites naturelles sont indiquées assez nettement
au Nord par le puissant massif des Alpes Albanaises,
à l'Est par les monts du Char, de Stegovo, et la
dépression des lacs (lacs de Presba et d'Ochrida), qui
la séparent de la Macédoine. Mais, au Sud, aucune
barrière n'isole l'Albanie de l'Epire grecque, et, d'autre
pcu-t, la race albanaise a essaimé depuis longtemps, en
groupements plus ou moins sporadiques, hors de son
domame primitif, se mêlant aux populations slaves ou
hellènes ses voisines.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
LA RÉGION LITTORALE. ^^ L'Albanie,
qui demeura jusqu'à nos jours une région si fermée, si
farouchement hostile aux étrangers et, par cela même, si
mal connue, s'ouvre cependant assez largement sur la
mer, de Saint-Jean-de-Medua a Sanli-Quaranta, par
une série de plaines littorales que prolongent à l'intérieur
des vallées d'accès facile.
Sauf à l'exlrême-Sud (chaîne cotière de la Chimara, entre
Valona et Santi-Quaranta), on ne trouve pluî, ici, les hautes
chaînes, parallèles au rivage et le dominant immédiatement, qui
caractérisent les côtes Dalmates et Monténégrines. Les massifs
importants n'apparaissent qu'à grande distance de la mer et leurs
prolongements occidentaux se présentent obliquement au littoral.
Entre leurs pointes extrêmes, d'anciens golfes marins, semés d'îles,
ont été comblés par les alluvions des fleuves. Ainsi sont nées la
plaine de Zadrina, que traverse la Bojana, déversoir du lac de
Scutari, la plaine de Bregoumatia. formée par les apports du
Drin et du Mati, la plaine du Skjack ou de Durazzo, et la plaine
de Mouzakia due aux argiles, aux sables roulés par le Skourabi,
le Semeni et la Voïousa.
Ces plaines alluviales présentent toutes des caractères
semblables. En partie inondées chaque hiver, couvertes
tantôt de marais, de leigunes plus ou moins saumâtres,
tantôt d'une vraie jungle où tamaris et grands roseaux
alternent avec des fourrés de chênes verts, désolées pai la
mcJaria, elles éloignent l'homme au lieu de l'attirer. Une
faible partie de leur sol, si naturellement fertile pour-
Uunt, est cultivée en céréales, lin et tabac. Ejicore ces
cultures n'apparaissent-elles qu'assez loin de la mer, au
pied des montagnes, dans les parties les plus sèches et
les moins malsaines, aux alentours de Kroja, Tirana,
Kavaja, Fieri. L'hiver, quelques tribus de montagnards
et des pâtres Valaques viennent y paître leurs trou-
238 ■ : ^
peaux, 'puis, le printemps venu, regagnent les hauteurs
libres de neiges.
MONTS ET PLATEAUX INTÉRIEURS.
^^ C'est la montagne qui est le domaine naturel de
l'Albanais. Elle commence au Nord pas les Alpes
Albanaises, formidable barrière qui, de Scutciri à Ipelc.
dresse jusqu'à près de 3 000 mètres ses pics déchiquetés,
creusés de cirques, de ravins sauvages, vêtus jusqu a
1 500 mètres de forêts d'érables, de hêtres, de sapins
alternant avec les pâtursiges au-dessus desquels étincellent
également l'éclat des neiges hivemcJes et la blancheur
éblouisscmte des calcaires. Elle se continue, au Sud du
Drin Noir, par un ensemble de plateaux et de hauteurs
assez mal connus dont l'altitude moyenne varie de 600 à
1 500 mètres. C'est le Massif mirdite dont les calcaires
se couvrent encore de forêts presque vierges, au milieu
desquelles les serpentines et les diorites ouvrent de
larges clairières stériles. L'Albanie méridionale, qui com-
mence à la vallée du Skoumbi, renferme quelques hauts
massifs (Tomor, Kamia, Chimara) qui tous dépeissent
2000 mètres, mais qu'isolent les uns des autres les
vallées assez larges du Skoumbi, du Devoii, de l'Ossoum,
de la Voiousa. Vers l'Est, au contact des chaînes
plissées où prédominent les roches calcaires, et des gra-
nits, des micaschistes du Massif macédonien, se creusent
trois cuvettes closes d'une ceinture de monts. L'une, celle
de Koritsa, est en partie desséchée et cultivée. Les
deux autres renferment les lacs de Presba (300 kilo-
mètres carrés) et d'Ochrida (270 kilomètres carrés).
Leurs eaux, très poissonneuses, sont d'une limpidité, d'une
transparence exceptionnelles, et la pure lumière d'Orient,
L'ALBANIE
se joucutt sur les neiges ou les roches mauves des crêtes
qui les entourent, adoucit l'âpreté naturelle d'un cadre
sévère et nu. Enfin, aux bords de la longue cluse, sou-
vent inaccessible, où le Drin Noir, issu du lac d'Ochrida,
précipite ses eaux, les crêtes du Tablanica (2319 mètres),
du Korab (2 050 mètres), du Char (2 526 mètres)
dressent une barrière presque infranchissable entre l'Al-
hanie Centrale et la Haute-Mace'doine.
CLIMAT ET VÉGÉTATION, aa D'une
mcinière générale, les plames littorales, et les vallées
ouvertes qui les prolongent quelque peu à l'intérieur,
ont le climat et les cultures propres aux régions méditer-
rjinéennes. La tiédeur des hivers (moyenne de janvier
+ 4° à Scutari, + 8° à Durazzo) n'est interrompue
que par le souffle glacé delà Bora "venue des monts
neigeux. Les étés sont très chauds et secs. Ces caractères
s'accentuent naturellement du Nord au Sud. Ainsi
l'cranger et le citronnier ne mûrissent leurs fruits que sur
la côte bien abritée qui s'étend au pied de la Chimara.
Mais l'olivier, le mûrier, le figuier, la vigne se trouvent
partout jusqu'à 600 ou 700 mètres d'altitude dans les
bassins de Scutari, Kroja, Tirana, EJbassan, Berat,
Argyrocastro, etc., et ce sont les plantes ordinau-es du
maquis : chênes verts, arbousiers, myrtes, buissons épi-
neux et toujours verts, qui couvrent les collines et les
avant-monts.
Les plateaux et les montagnes de l'intérieur (plus de
la moitié de l'Albanie est au-dessus de ! 000 mètres)
ont, au contraire, des hivers rudes pendant lesquels la
neige tombe avec abondance. Les pluies, amenées surtout
à I automne et au deliut du printemps par le sirocco,
vent du Sud-Ouest, s'abattent en grosses averses qui
donnent un total de plus d'un mètre en moyenne par an.
Mais l'été demeure très sec et la chaleur est grande, au
moins dans les vallées et les dépressions. De là les
fortes oscillations des cours d'eau, tour à tour torrents
furieux, profonds et larges, constituant d'infranchissable»
barrières, ou simples lits de cailloux que l'on passe par-
tout à gué.
Au-dessus de 700 mètres, oliviers et maquis toujours
verts disparaissent brusquement et cèdent la place aux
ormes, aux platanes, aux chênes, puis aux hêtres et aux
sapins. Mais la vraie forêt est rare, et là même où, de
loin, apparaissent de grandes taches de verdure sombre,
on ne trouve trop souvent en s'aprochant que des
taillis souffreteux, des broussailles, des touffes d'herbes
dures.
GEOGRAPHIE HUMAINE
Les Albanais, appelés Arnaoutes par les Turcs, se
donnent à eux-mêmes le nom de Skipétars. Leur origine
est fort controversée. On tend cependant à les considérer
comme les descendants directs des lllyriens. Ce serait
donc une des races autochtones les plus anciennes de
l'Europe, que la montagne protégea contre les invasions
étrangères (Cf. les Basques descendant des Ibères). Le
type le plus pur se trouve dans l'Albanie du Nord :
haute taille, tête ronde, face large, front carré, nez
aquilin. Les bruns forment la majorité, bien que les blonds
ne soient pasrares. Dansl'Albanie méridionale, au Sud de
la rivière Skoumbi, les croisements avec les étrangers ont
altéré la pureté du typeoriginel. Les Albanais se divisent,
du reste, eux-mêmes en Guègues ou Albanais septen-
trionaux, et en Tosques ou Albanais méridionaux. Nous
retrouvons ainsi, dans la répartition des populations, cette
diitinclion entre le Nord et le Sud que la description du
sol nous fit déjà connaître. Et cette distinction est
ancienne, puisque Slrabon indiquait déjà la Via
Egnatia", qui emprunte la vallée du Skoumbi, comme la
frontière entre les lllyriens et les Epiroîes.
On retrouve en Albanie des formes d'une vie sociale
très archaïque qui a depuis longtemps disparu du reste
de l'Europe, et que l'on peut comparer à l'organisation
des tribus du Rif marocain.
Les Guègues de l'Albanie du Nord, souvent désignés
sous le nom de Malisores ou Montagnards, ont con-
servé jusqu à nos jours une complète indépendance. Au
temps où ils étaient soumis, nominalement, à la domina-
tion turque, ils n'ont jamais été astreints au service
militaire. Ils se groupent en une cinquantaine de tribus
(les Mirdites, KJementi, Hoti, Kastrati, Poulti, Shoshi,
Dibra, Mati, etc.), dont les unes comptent plusieurs
milliers d'hommes en état de porteries armes, tandis que
d'autres sont réduites à quelques groupes de maisons.
Chaque tribu comprend un nombre variable de
Bajraks ", ensemble de familles reconnaissant l'autoritë
d'un conseil de notables appelés Bajraktcu-s (porte-
étendards). Dans chaque famille, enfin, l'ancêtre con-
serve un pouvoir très fort sur tous ses descendants habi-
tant sous le même toit que lui.
L'élat de guerre existe presque constamment entre tribus voi-
sines et se manifeste non par des attaques en bandes, mais par des
razzias isolées, des guets-apens, des attaques individuelles. A l'in-
térieur même de la tribu il y a hostilité permanente entre familles
et stricte obligation, pour tous les membres de la famille, de
" reprendre le sang '* sur n'importe quelle personne, les femmes
exceptées, de la famille ennemie. Ce devoir de vendetta,
de tribu à tribu et de famille à famille, est, en somme, le Irait
essentiel de la vie sociale albanaise. Ainsi s'explique la proportion
très élevée des morts violentes (21 pour 100 chez les Orosi.
2-1 pour 100 chez les Kasnedili, 32 pour 100 chez les Spalchi.
39 pour tOO chez les Toplana), le caractère sauvage, soupçonneux
_ 239
L'EUROPE
de l'Albanais, son ignorance, son mépris du travail manuel, son
amour de l'indépendance complète, son individualisme excessifs (1).
ses habitudes de brigandage, sa bravoure indéniable. L'Albanais est
toujours sur ses gardes. Sa maison est une forteresse : la '* Koula ' (la
tour) aux murs épais percés de meurtrières ou de rares et petites
fenêtres ne s'ouvrant qu'au ras du toit. Ces Koulas ne se groupent
point en villages, mais sont largement isolées les unes des autres. A
la nuit tombante, la maison est soigneusement close et nul ne se
hasarde à en sortir. On cite des exemples de familles où, pendant
des années, les mâles n'ont pas quitté l'intérieur de leur Koula !
La vendetta est parfois tempérée ou momentanément suspendue
par la " Bessa " (sauvegarde). Par exemple, les femmes jouissent
toutes du privilège de Bessa et ne sont pas atteintes par la ven-
detta. De même l'agriculteur qui irrigue sa terre à son tour d'eau.
Parfois, le conseil des Bajrakiars décrète la Bessa entre deux
familles ou deux tribus ennemies. Enfin, suivant un usage que l'on
retrouve chez nombre de peuples primitifs, la Bessa est conférée obli-
gatoirement à quiconque a franchi le seuil de son ennemi, car nul n'a
le droit de refuser l'hospitalité à qui la demande. La Bessa ne
cesse de le protéger que lorsqu'il s'est éloigné à plus d'une portée
de fusil.
Le Tosque, ou Albanais du Sud, diffère à maints
égards du Guègue. La langue qu'il parle s'e'loigne du
dialecte guègue autant que le provençal du français.
11 est de race moins pure, par suite d'alliances fréquentes
avec les Valaqueset les Grecs. Plus mou, plus louvoyant,
moins fidèle dans ses amitiés, il a atteint un stade de civi-
lisation plus avancé. Sans doute, dans les districts monta-
gneux et éloignés de la côte, les mœurs du Tosque ne
diffèrent guère de celles du Guègue. Il a conservé le
régime de la tribu et l'habitude de li vendetta. Mais,
dans la région qui s'étend d'Elbassan à Argyrocastro,
et où dominent les Albanais musulmans, le régime du
clan " remplace le régime de la tribu. La terre
appartient à un petit nombre de grands propriétaires,
Beys ou Pachas, qui la font cultiver par des métayers à
demi-part. Ces métayers sont, non pas des serfs, mais des
clients dévoués au maître jusqu'à la mort, et qui, au
premier signal, accourent avec leurs fusils vers sa koula.
Ces Beys, parfois assez instruits, forment ainsi une
véritable aristocratie féodale dont l'autorité s'exerce,
même en dehors de leur clientèle, par l'intermédiaire de
personnages religieux, "cheicks" ou "hodj'as", vénérés
dans le pays. En cas de besoin, ils prennent à leur
solde des condottieri de métier.
La koula est encore une forme d'habitation fort
employée. Les koulas des beys, des riches propriétaires,
se transforment même parfois en véritables châteaux forts
avec large cour intérieure ceinte de hautes murailles
(1) Voici quelques exemples significatifs de ces habitudes d'indi-
vidualisme: 1" Dans le bataillon albanais d'Essad Pacha, qui
combattit à nos côtés en Macédoine, on ne put jamais apprendre aux
hommes à marcher par quatre et l'on eut grand'peine à les faire
aller par deux. — 2° Les hommes ne mangeaient point ensemble
cl chacun faisait sa cuisine pour sol dans sa gamelle. 3° On eut
fort à faire pour les persuader de la nécessité de monter leurs
lentes par groupes de trois ou de six ; chacun s'en allait avec sa
toile de tente et s'installait de son mieux, individuellement.
240 — ■
et de tours. Mais, comme la sécurité est beaucoup plus
grande, et que la vendetta s'est fort atténuée, la petite
maison de pierre à vérandah est la demeure ordinaire
du paysan, et, au lieu de se disperser çàet là, ces maisons
se groupent en hameaux, en villages paisibles.
Déjà divisés par la langue et les habitudes de vie, les
Albanais le sont plus encore par la religion.
Au Nord, les catholiques forment un groupe compact
allant des Alpes Albanaises aux environs de Tirana.
C'est la confédération des Mirdites, dont les chefs religieux
sont les évêques ou archevêques de Scutari, Durazzo et Oroshi. La
religion, tout extérieure, se borne à l'observance rigoureuse des
jeûnes et des pèlerinages, mais est demeurée sans influence sur la
vie morale, ils entrent à l'église sans quitter leurs armes et
se fusillent à la sortie. Les Mirdites étalent depuis un temps
immémorial sous le protectorat moral de la France qui leur avait
même fait confirmer, au Congrès de Berlin, leurs privilèges (auto-
nomie intérieure sous le régime turc). Mais l'Autriche sut gagner
à sa cause leurs chefs religieux et civils, et ces catholiques Alba-
nais, par une véritable trahison, se rangèrent, dans la dernière
guerre, aux côtés de nos ennemis.
La grande majorité des Albanais adopta l'Islam. Mais
ils sont divisés en Musulmans d'observance régulière, et
Bektaschites (région de Tirana et d'Elbassan). De plus,
ils vivent dans des conditions sociales très diverses qui
modifient leur mentalité. Les plus fanatiques, ceux du
Nord, mêlés aux catholiques, ont conservé le régime de
la tribu. Les Bektaschites sont, au contraire, pacifiques
et fort tolérants.
Les Orthodoxes, enfin, sont nombreux dans la région
de Durazzo, la Chimara, le pays de Koritsa et de Bérat,
et, en général, dans l'Albanie du Sud.
Aux purs Albanais il convient d'ajouter quelques élé-
ments hétérogènes, assez peu nombreux du reste :
Koutso-Valaques de la région de Koritsa et du Tomor,
menant ici, comme dans tous les Balkans, la vie de ber-
gers transhumants ; Grecs commerçants habitant surtout
les villes : Delvino, Argyrocastro, Durazzo et Valona,
enfin des Tziganes disséminés un peu partout.
SITUATION ÉCONOMIQUE. 00 Aucune
statistique ne nous permet de donner une idée exacte des
ressources de l'Albanie. Du reste, ces ressources sont
fort minimes, comme il est naturel dans un pays couvert
presque en entier de montagnes et de hauts plateaux.
L'Albanais est avant tout un pasteur. Chaque famille
possède son troupeau de chèvres et de moutons élevés
moins pour la viande que pour le lait, qui sert à la fabri-
cation des fromages, pour la laine et la peau. De même,
partout où la culture est encore possible, chacun a ses
champs de maïs, d'orge, de seigle et de tabac, et son
jardin où l'on cultive surtout le haricot, l'ail, l'oignon et
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. 13
LA GRECE
le piment. Peu de blë ; on fait, avec la farine de meiis, un
pain grossier qui est, avec les laitages et les œufs, la
nourriture presque unique du montagnard.
Les parties de la région littorale qui ont pu être
mises en cultures sont les plus riches et les plus produc-
tives. Les arbres fruitiers, la vigne, le mûrier, l'olivier
surtout y trouvent les conditions de toi et de climat qui
leur conviennent. Le mais est cultivé sur d'assez vcistes
surfaces, et, aux moutons, s'ajoutent, en petit nombre
du reste, boeufs et buffles nécessaires aux labours et
aux charrois. Au total, tout cela est peu de choses et ne
donne lieu qu'à un trafic des çlus réduit. L'Albanie
exporte vers Trieste, Venise, l'Egypte, des laines, des
peaux, un peu de bétail, du bois de construction et de
chauffage, de l'huile d'olive. Elle reçoit du café, du riz,
des armes, des métaux travaillés et des tissus. L'absence
de voies ferrées, l'extrême rareté des routes carrossables
sont un obstacle majeur au développement des relations
de l'Albanie avec l'extérieur, et même au trafic intérieur-
Il n'existe pas une seule route unissant le Nord et le Sud
du pays. De l'Ouest à l'Est, la seule voie utilisable pour
les voilures est celle qui, partant de Santi-Quaranta.
parvient à Florina et Monastir par Liaskovicet Koritsa.
Quelques tronçons de routes mènent de Durazzo à
Tirana, Elbassan et Bérat. Partout ailleurs, de mauvais
sentiers muletiers, souvent impraticables en hiver, sont les
seuls moyens de communication.
LES VILLES. /ïJ^ La meilleure rade de la côte
est Valona (10000 habitants), sur une baie profonde
et bien abritée. Durazzo (l'ancienne Dyrrachium, point
de départ delà " Via Egnatia", l'unique voie romaine
traversant d'Est enOuestIa péninsule des Balkans), n'est
qu'un mouillage médiocre. Par contre. Santi-Quaranta.
au Sud, etSaint-Jean-de-Medua,auNord, peuvent rece-
voir les plus grands navires et prendront de l'importance
quand les voies ferrées les uniront l'une à la Serbie,
l'autre àlaThessalie grecque et à l'Epire, dont elles sont
les débouchés naturels.
Dans la région littorale, Scutari (Skodra en alba-
nais), 45000 habitants, est la plus importante ville
d Albanie. Elle résume, du reste, les caractères du pays
tout entier avec sa population bigarrée (26000 musul-
mans, 14000 catholiques, 4000 orthodoxes, quelques
juifs et tziganes), son Bazar " dominé par la citadelle,
ses maisons isolées les unes des autres, ayant chscune
leur jardin entouré de hautes murailles, ses rues étroites,
tortueuses, bordées de murs sans ouvertures, propices
aux embuscades et aux guets-apens.
Alessio (3 000 habitants), près de l'embouchure du
Drin, Kroya (ôOOOhabitants), Tirana ( 1 7000 habitants),
dans la plaine de Bregoumatia, Kavaja (5000 habitants),
Pekmjé, Fieridans la Mousakja, Delvino, sur la route de
Santi-Quaranta à Janina, sont entourés de belles cultures
et de bois d'oliviers.
A l'intérieur, Bérat ( I 5 000 habitants), sur le Lioumi,
Ellbassan (20 000 habitants), Argyrocastro (6000 habi-
temts), habités surtout par des Albanais musulmans et
des Valaques orthodoxes, sont les capitales desTosques,
comme le bourg misérable d'Oroshi est le centre religieux
et politique des Mirdites catholiques. Dibra (4000 habi-
tants) sur le Drin, Struga, Ochrida, bien que purement
albanaises, appartiennent à la Serbie nouvelle. Koritsa
(20000 habitants) enfin, où à l'élément albeinais se mêlent
des Macédoniens, des Grecs, des Valaques, est la ville
la plus européanisée — oh ! très relativement — d'Al-
banie, grâce à l'influence exercée par les émigrants, sur-
tout Valaques, revenus d'Amérique.
CHAPITRER XVII
LA GRÈCE
Le Royaume de Grèce est né en 1 830 lorsque, avec
l'aide de la France, de l'Angleterre et de la Russie, les
insurgés Hellènes parvinrent à s'arracher au jou j turc
qui pesait sur eux depuis quatre siècles. D abord réduit à la
presqu'île de Morée, à la Grèce centrale (Etolie, Pho-
cide, Attique) et aux Cyclades, il obtint successivement
les lies Ioniennes en 1863,1a Thessalie en 1883, 1 Epire,
la Macédoine grecque, la Chalcidique et la Crète en
1913.
Enfin, la Grande Guerre, à laquelle des divisions hellé-
niques prirent une part tardive mais intéressante, permit
au peuple grec d'acquérir, avec les lies Elgéennes qui lui
manquaient encore (Chios, Lesbos, Lemnos, etc.), la
majeure partie de la Thrace, c'est-à-dire le littoral Nord
de la Mer Egée et de la Mer de Marmara jusqu'au delà
d'Andrinople, jusqu'aux rivages de la Mer Noire et aux
portes de Stamboul. Bien plus, Smyrne et une impor-
tante portion de l'Anatoiie OccidenSale échappèrent aux
Osmanlis et furent rattachées à l'HelIade. Ainsi a pris fin
le régime anormal, intolérable, qui maintenait des millions
d'Hellènes sous la domination étrangère. Certes, tous les
Grecs ne sont pas encore ' rachetés ". Ceux de Byzance,
241
CfocRAPHIE UNrVERSELLE.
24
L'EUROPE
de Rhodes, de Chypre, des rivages Sud et Nord de
l'Asie Mineure demeurent hors de la patrie. Mais cette
situation qui, au reste, peut se modifier, se trouve en
quelque sorte compensée par le fait que les nouveaux
territoires attribue's au royaume (notamment dans la
Thrace méridionale et l'intérieur du vilayet de Smyrne)
renferment une minorité sérieuse d'allogènes : Bulgares,
Turcs, Juifs, Aromounes, etc. Dans l'ensemble, le nou-
vel Etat grec doit comprendre environ 6 000000 d'Hel-
lènes et 2 000000 d'allogènes, alors que la Grèce
de 1912 comptait 2 600 000 habitants seulement ! et
celle de 1914 : 4820;000.!I
GEOGRAPHIE PHYSIQUE ~ TRAITS GENERAUX
RELIEF. ^£> Si l'on regarde une carte, même à
très petite échelle, des pays Grecs, ou plus exactement
des pays Egéens, on est incontinent frappé par la com-
plication du relief sur un étroit espace, le grand nombre
de petits bassins, clos de hautes montagnes, les dente-
lures infinies d'un rivage déchiqueté comme une dentelhe,
la multitude des îles et des îlots qui prolongent la terre
ferme et l'unissent, comme les piliers d'un pont gigan-
tesque, soit à l'Italie par les Iles Ioniennes, soit à l'Asie
par les Cyclades. Cette architecture de lEgéide s'explique
par son passé géologique.
Dès l'époque primaire il y eut, sur l'emplacement actuel de la
Macédoine, de la Roumélle et de la Mer Egée, un continenl
(granités, micachistes, gneiss, marbres) sur les flancs duquel,
aux temps tertiaires, vinrent se mouler les chaînes plissées des
Alpes Albanaises et du Pinde, formées de roches calcaires. Ces
plissements furent accompagnés et suivis d'une série d'effondre-
ments qui se prolongèrent jusqu'au début des temps quaternaires.
Tandis que les tièdes eaux méditerranéennes envahissaient les
fosses les plus profondes, se glissaient entre les murailles des
hauts monts, s'insinuaient par mille lézardes dans la moindre
anfractuosité des rocs, rejoignaient même les sombres mers du
Nord par la double entaille des Dardanelles et du Bosphore,
certaines parties de l'ancien continent, épargnées par les boulever-
sements du sol, demeuraient en saillie. Ainsi naquirent les îles
grandes et petites, et les hauts promontoires où tremble parfois
la blancheur d'une colonne; et les écueils où tant de navires se
brisèrent depuis que Sidoniens et Tyriens commencèrent à fré-
quenter les mers grecques; et les plaines vastes comme la Thrace
et la Thessahe ou larges de quelques centaines de mètres, com-
plètement fermées par une ceinture de montagnes (bassins du lac
Copals en Phocide, de Janina en Épire, de Tégée et du Stym-
phale en Arcadie), ou s'ouvrant par une brève façade sur la mer
caressante, telles les plaines de Messénie, de Laconie, de
1 Attique, etc. Aux bords des fosses marines jaillirent çà et là —
même à l'époque historique — des volcans, tels les cônes de Koumi
en Eubée et ceux de Santorin, dont les falaises de laves entourent,
comme d un mur prodigieux, l'ancien cratère envahi par la mer.
Et pour compléter la ressemblance — si naturelle d'ailleurs —
avec les rives de la Mer Tyrrhénienne, les tremblements de terre
ne manquent pas plus en Grèce qu'en Sicile ou en Campanie. 11
ne se passe point d'année où le sol ne tremble à maintes reprises
de façon fort sensible, et si les séismes désastreux sont heureuse-
ment rares, ceux de 1893 à Zanle, de 1894 en Locride et en
Eubée ont laissé dans l'âme, des survivants un ineffaçable souvenir.
Ainsi formée de compartiments multiples, la Grèce se
prêtait à merveille au particularisme de la cité antique,
petite mais libre république qui, du haut de son acropole,
242
embrassait aisément l'étendue de son territoire ; et, comme
nombre de ces compartiments s'ouvrent sur la mer, comme
le moyen le plus aisé d'aller de l'un à l'autre est de se
confier au sourire innombrable des flots ", les Hellènes
devinrent très vite et très tôt des marins, des colonisa-
teurs qui, de Chypre à Marseille, de Cyrène à Olbia,
couvrirent de leurs comptoirs les côtes méditerranéennes.
CLIMAT ET VÉGÉTATION. X!f£l Les con-
trastes que l'on observe à brève distance entre plaines et
montagnes, l'étonnante variété du relief et de l'exposition
se traduisent par de sensibles différences dans le climat
et la végétation des diverses régions grecques. Sans doute
elles sont en général comprises dans la zone climatique
dite méditerranéenne ou subtropicale, dont nous con-
naissons d'ailleurs les caractères généraux : hivers tièdes,
étés longs, chauds et secs, pluies médiocres tombant en
peu de jours et presque uniquement de l'automne au début
du printemps ; végétation spéciale ou prédominent les
plantes toujours vertes capables de supporter sans mou-
rir les longues sécheresses des étés, etc.
Tempér. moyennes
1
du mois
Locafités.
S
3
S
•s
5
4i
J
j
■y
a
■5
J
'i
g
Saison tîes pluie».
3
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-à
s
Athènes
37°58
103 m.
I7''3
8°2
27-0
\m
402
Octobre-Aviil,
Syra
37''26
18''2
904
26°8
WA
503
—
Corfou ;
39°38
—
17«2
905
2507
I5'>2
1 245
-~
Mais cela n'est tout à fait exact que pour les plaines
côtières et les îles. Les monts, les hauts bassins fermés
de l'intérieur doivent à leur altitude un climat hivernal
singulièrement plus froid, une moyenne analogue à celle
de l'Europe Centrale. Oranges et mandarines mûrissent
mal, même à Athènes, et disparaissent au Nord de l'At-
tique. L'olivier est absent des plaines thessaliennes ou
macédoniennes. En hiver, peu d'heures suffisent pour pas-
ser des rivages ensoleillés aux monts couverts de neige.
Par contre, pendant les journées accablantes du torride
été, quand l'atmosphère des plaines basses vous brûle
LA GRECE
"^m?^
Pajjaron
Daûone-f
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E L 1 M^ * 7 iP Olympe ^- ^rTTTFmjrmQ^t
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-^^/ry, -^erxé. Manlinee /''■'■'^trV''V/'<':Qjt, ^\/JC^^"^^^!^ FœtcMi^Xaii/is:^
GIRECE, Aî^CIIIENNIE
iTO" '
îses*
comme un souffle de fournaise, vous trouvez aisément
là-haut, dans la montagne, les eaux jaillissantes des fon-
taines qui murmurent à l'ombre des platanes, et la brise
fraîche qui monte de la mer.
Les pluies mêmes ne tombent point partout d'égale
façon. Sur les pentes occidentales du Pinde, des Monts
d Etoile^ du Lycée Arcadien, dans les lies Ioniennes
aussi, les vents d'Ouest amènent de copieuses averses
(1 245 millimètres à Corfou. 1 351 à Argosloli, I 245
à Karpenisi en Etolie, 997 à Kyparissia d'Arcadie).
Ellles suffisent à nourrir sans trop de parcimonie l'Ache-
loUs et l'Alphée, entretiennent les sources, pourvoient
aux besoms de pâturages verdoyants et de forêts assez
touffues où prédominent, suivant l'altitude, pins d'Alep,
chênes, châtaigniers, mélèzes ou sapins. L'Est de l'Hellade
est singulièrement plus sec. L'Argolide, l'Attique, les lies
Egéennes ne reçoivent guère plus de 40 centimètres d'eau.
en soixante ou quatre-vingts jours. L'été, quand les vents
étésiens glissent avec douceur sur la mer soyeuse, trois et
quatre mois se passent sans qu'un nuage ne vienne voiler
l'azur profond du ciel. Aussi les torrent s'épuisent, les
bonnes sources deviennent une rareté. Sur les pentes des
montagnes, le maquis (Longos) d'arbousiers, de cystes,
de lentisques, etc., remplace la forêt. 11 doit même céder
la place, en bien des lieux, à la maigre végétation des
garrigues (Phrygana), dont les buissons parfumés d'as-
phodèles, de sauges, de lavandes, que butinent les
abeilles, s'accrochent au roc dépouillé. Enfin, cette frêle
parure est même refusée aux monts les plus déshérités,
et, de Cythère à Florina, ils érigent dans la lumière
l'absolue nudité de leurs cimes dont rien ne voile la
robuste architecture, le dessin tracé par la main d'un dieu.
LE PAYSAGE GREC. 00 Le paysage grec
243
L'EUROPE
est généralement de dimensions restreintes. On sétonne
de voir combien petites étaient les acropoles les plus
célèbres, et les rares plaines^ fertiles si âprement dis-
putées entre cités rivales. On devine qu'il faut
réduire dans de fortes proportions les exploits des
ET SES ENVIRONS
î«asi
^^^^
guerriers chantés par les poètes, racontés avec un tel
luxe de détails par les historiens. Mais, dans son cadre
étroit, ce paysage est le plus beau du monde. Montagnes,
plaines, rochers, îles lointaines, et la mer et le ciel y com-
posent une merveilleuse symphonie de formes harmo-
nieuses, de couleurs riantes, de parfums subtils. Nulle
part la lumière n'est plus pure, l'air plus léger. Nulle
part on ne se sent entouré de plus de noblesse et nulle
pjirt il n est plus doux de laisser couler les heures dans
la seule contemplation des teintes diverses que revêt la
nature quand le soleil s'éveille aux premiers frissons de
l'aube, ou qu'il devient roi", comme disent les Hellènes,
dans l'éblouissement pourpre du couchant.
Certeà, paar goûter pleinement les joies p^oionJes que réserve
le pèlerinage de l'HelIade, il n'est point inutile de s'être fait
quelque peu ** une âme antique " et de connaître avec de suffi-
sants détails le merveilleux passé de ces lieux illustres. Ainsi l'on
vivifie les ruines les plus insignifiantes, on donne une âme au
moindre rocher, on replace les Nymphes sous le miroir des sources,
les Dryades à l'ombre des forêts. On croit deviner encore, au
milieu des nuées de l'Olympe, l'auguste assemblée des Immortels*
et l'on cherche dans la nuit transparente le croissant argenté qui
brille au front d'Artémis. 11 n'est pas jusqu'aux Croisés francs
du Xin® siècle, aux rudes compagnons d'un Geoffroy de Villehar-
douin, d'un Guillaume de Champlitte, barons d'Achaïe, ducs
d'Athènes et de Sparte, dont un Français ne doive être capable
de retrouver les traces aux puissantes forteresses campées, de Mis-
Ira et Malvoisie à Salonique, sur la crête des rocs. Mais, même
en dehors de toute réminiscence classique, la Grèce vaut par
elle-même, par la seule eurythmie de ses formes, la variété
de ses paysages, la magie de sa lumière. 11 faut la voir len-
tement, amoureusement pourrait-on dire, avec la tendre passion
que l'on vouerait à la plus belle des créatures mortelles. Il faut
errer à pied ou a mulet à travers ses montagnes, ses maquis
où chantent les cigales, ses gorges sèches qu'embaument myrtes
et lauriers-roses, il faut coucher dans les " Khani ", chez les
paysans hospitaliers, ou, mieux encore, à la belle étoile ; il
faut connaitre les heures uniques des levers de soleil sur les pla-
teaux arcadiens, les rivages de l'Eubée, les blanches colonnes du
capSunion; il faut encore avoir erré d'île en île, comme Ulysse,
à bord d'une barque de pêcheurs, et dormi à l'aiguade, sur le
sable tiède de la plage, bercé par le murmure assourdi de la
mer. Alors on saura ce qu'est l'Hellade, on comprendra les rai-
sons du " Miracle grec " et pourquoi ce pays de si médiocre sur-
face tient i:re telle place c'ars l'hisloire des hcirmes.
LES RÉGIONS PRINCIFALES DE L'HELLADE
lies Ioniennes, Morée ou Péloponèse, Grèce Cen-
trale, Thessalie et Epire, lies de l'Archipel, Macédoine
et Thrace, Smyrne enfin, telles sont aujourd'hui les
grandes divisions naturelles des pays grecs.
LES ILES IONIENNES, aa Les Iles Ioniennes
forment, pour le voyageur venu de l'Occident, la pre-
mière escale et comme une transition heureusement
ménagée par la nature entre l'Italie et l'Hellade. C'est
par elles que l'antique civilisation grecque se glissa dans
la péninsule voisine. En revanche, ce sont elles qui, de
tous les pays égéens, demeurèrent le plus longuement
possession vénitienne. On retrouve dans la physionomie
des Corfiotes la grâce langoureuse, dîins leur esprit le
goût de l'ironie, la vivacité moqueuse qui caractérisent
tant d'habitants de la République Sérénissime, de même
que la végétation luxuriante, la verdeur de Corfou et de
Zante tiennent plus de la Sicile ou de la Grande Grèce
que de la Grèce proprement dite.
Corfou (Kerkyra), l'ancienne Corcyre, allonge en face
de l'Epire son corps mince, taillé en faucille, que recou-
vrent en partie les plus belles olivettes du monde. L'oran-
ger, l'cunandier et la vigne mûrissent leurs fruits à
l'ombre frêle des grands arbres. Céphalonie et Zante
(Zakinthos) en face du golfe de Patras, rivalisent avec
Corfou par la fécondité des terres, l'exubérance magni-
fique de leur flore : " Zante fior di Levante ", disaient les
Vénitiens. Leucade et Ithaque complètent avec quelques
244
LA GRECE
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ATHÈNES : L'ACROPOLE. L' Athènes pHmilwe Unaii tout entière sur celte w/rc
aux Panes abrupts, citaJelle dressée par la nature au centre de la plaine altiquc. Plus
tardiAaopole deoint un immense sanctuaire protégeant la ville nouvelle qui grmdissatt
autour de lui. Sa parfaite heauté a résisté aux injuresdu temps, aux ravages des hommes.
Au premier plan, les oliviers de la " blanche Colone " célébrés par les chœurs de
Sophocle ; puis les quartiers du Céramique et de l'Agora, tes ruines ambrées des temples où
" les cavaliers de Phidias célèbrent leur fêle éternelle", enfin, fermant l'horizon, la
barrière bleuâtre de l'Hymette Cl. FreD. BoissONNas.
245
L'EUROPE
COUVENT DU MÉGASPILÉON. Le plus célèbre des monas-
tères du Pélot>onèse, accroché, comme les alvéoles d'une ruche, aux
parois de la montagne, et entouré d'une oasis d'oliviers, de vignes,
de petits champs en ferrasses. Cl. Fred. BoISSONNAS.
NÉMÉE.Du temple de Zeus
seules subsistent trois colon-
nes se détachant sur le ciel
bleu. Cl. Fred. Boissonnas.
LES GORGES DU STYX. Au nord du plateau d'Arcadie. ce
paysage tourmenté, celte gorge profonde et sombre, où les eaux
noires d un torrent se perdent dans les fissures de la roche, symbo-
lisèrent l'entrée du monde infernal. CI. FrED. EoISSONNAS.
LES MÉTÉORES. ,4 l'angle Nord-Ouesl de la plaine Thessalienne. l'érosion isola
une série de masses rocheuses, aux formes fantastiques. Sur leurs somiitels.les moines
du Moyen Age parvinrent à construire des couvents d'accès t^tfrêmement malaisé,
lieux merveilleusement choisis pour la retraite et la vie contemplative. CI GraNCER,
.
DELPHES : LE, TRÉSOR DES ATHENIENS. A^rpkds de, hautes pnois du
Parnasse, près de l'antre sacré où prophétisait la Pythie, les fouilles de l'Ecole fran-
çaise d'Athènes ont mis au jour les ruines grandioses de Delphes: temples, trésors, stade,
voie sacrée, statues et bas-reli^s, inscriptions par milliers. Cl. F. BoiSSONNAS.
LE MONASTÈRE DE DAPHNI. Précieux sanc-
fuaire byzantin, omhragéde cyprès et de pins, sur h
f.uîe ianciame Voie Sacrée) qui mène d'Athènes
à Elmsis. Cl Fred. Boissonnas
246
LA TROUÉE DU VICOS. L'un des rares cl
difficiles passages transversaux que les eaux ont
taillé à travers les chaînes calcaires du Pinde,
entre l'Épire et la Thessatie. CL F. Boissonnas.
UN BOURG ÉPIROTE. Dans la fraîcheur du
matin, près de la fontaine qu'ombrage un platane
vénérable, " pappas " (prêtres) et paysannes devisent
avec calme. CI. BoiSSONNAS.
LA GRECE
îlots (Paxos, Antipaxos) le groupe des Sept lies, l'Hepta-
nèse des Grecs. Les archéologues y cherchent la trace
du palais d'Ulysse, des porcheries du bon Eume'e, se
querellent sur l'exact emplacement de la fontaine où le
héros apparut à Nausicaa. Peuplées de 260 000 habitants,
soit 109 au kilomètre carré, densité très supérieure à
celle que l'on trouve dans les autres régions du royaume,
les Iles Ioniennes ont comme principales cités : Corfou
(20000 habitants). Argostoli (10000 habitants), sur
l'une des rades les plus vastes, les plus sûres de la Médi-
terranée, chef-lieu de Céphalonie, et Zante ( 1 4 000
habitants), dont les blanches maisons s'étagent au pied
d'une hautaine forteresse.
LE PÉLOPONÉSE. 00 De IHeptanese au
Péloponèse la distance est courte, même si l'on se con-
fie à l'un des petits voiliers qui glissent comme une mouette
vers Patras ou Corinthe. On voit à l'horizon se profiler
les hautes cimes des monts qui couvrent la majeure peirtie
de la presqu'île : l'Erj-manthe (2 355 mètres) et le
Cyllène (2 374 mètres), le Lycée (1 420 mètres) et le
Mont Ithôme, le Taygète (2 -K)9 mètres) et le Pamon,
entre lesquels se creusent les golfes d'Arcadie, de Mes-
sénie, de Lacome, de Nauplie, et que terminent à
l'extrême Sud les hauts promontoires du Malée et de
Matapan, en face de Cythère où Aphrodite naquit.
A l'intérieur, les plateaux d'Arcadie se vêtent encore
de forêts de chênes où les bergers paissent leurs mou-
lons. Partout un hérissement de montagnes âpres et sau-
vages, que l'hiver blanchit longuement, où le sol pauvre
nourrit des hommes maigres, mais robustes, agiles, dont
le type le plus parfait se trouve chez les Maïnotes du
Taygète. Par contraste avec les hauts lieux, les plaines
côtières, petites mjus fertiles, se couvrent de vignobles
(les fameux reusins de Corinthe), de champs de blé et de
maïs, de mûriers et figuiers, d'oliviers, d'amandiers, a
quoi se mêlent, en Messénie, l'orange et le citron.
Quelques dolines et poljes. dépressions effondrées au
milieu des monts calcaires, se prêtent aussi aux cul-
tures (bassin de Tripolis) ; l'une d'elles enferme les eaux
noires du lac Stymphale, encore hantées par l'ombre
d'Héraclès.
La ville principale, Patras (37 000 habitants), active
et prospère, sans grand pittoresque, exporte vins et rai-
sins. Partout autour d'elle, dans les plaines d Elide
comme aux rives mouvementées du golfe de Corinthe,
les ceps vigoureux, taillés assez bas, mais vieux parfois
de plus de cent années, poussent sur le sable et le caillou ;
le gris argenté des oliviers, le vert sombre des c>'près
très nombreux tranchent sur la teinte rougeâtre ou am-
brée des collines pierreuses. Vers l'Elst, par le Château
de Morée et par Aigion, on gagne Corinthe, les ruines
de son acropole et son isthme étroit, clé de la Morée.
aujourd'hui percé d'un canal. A l'Ouest, négligeant la
moderne Pyrgos (13 000 habitants), on va aux bords de
1 Alphée contempler ce qui reste d'Olj-mpie et rêver
longuement devant la Victoire de Pasonios, l'Hermh
de Praxitèle, l'enceinte sacrée de l'Altis où s'affirmait
tous les quatre ans, par la célébration des grands jeux,
1 unité de l'hellénisme en face de la barbarie. De là,
par Andritséna, Karytèna, les ruines de Phigalie, le
temple de Bassae, le mieux conservé des sanctuaires
grecs, d'un charme si mélancolique dans la solitude des
bois où il repose, on gagne la riante plaine de Messénie
(ville principale Kalamata, 15 000 habitants), riche en
produits de toutes sortes, le mont Ithôme, les restes de
Messène et de Mégalopolis, la rade fameuse de Nava-
rin. Une étroite et sauveige coupure ou " langada
entaille le Taygète en face de Kalamata. Elle conduit
à Mistra, étonnante Pompéï bj-zantine étagée au pied
d un château des Villehardouin, puis à Spcute, autre-
fois puissante rivale d'Athènes, aujourd'hui médiocre
petite ville endormie sur les bords de l'Eurotas, tout par-
fumés de lauriers-roses. Au Sud-E^t, Monemvasia ou
Malvoisie n'a plus de vignes, mais conserve de son bril-
lant passé d'intéressantes fortifications vénitiennes. Au
Nord, par Tripolis (10 009 habitants), les ruines de
Tégée et de Mantinée, on descend sur la plaine sèche
de l'Argolide. Là grandirent, aux premiers âges de
l'histoire grecque, les puissantes acropoles de Mycènes,
de T>'rinthe, d'Argos et le royaume d'Agcimemnon.
Aujourd'hui, peu de paysages au monde égalent la
majesté du cadre fauve, aride et nu au milieu duquel
s'érigent les remparts colossaux de l'antique Mycènes.
.Argos survit dans la petite ville moderne (8 000 habi-
tants) qui remplaça la vieille capitale du " Roi des
Rois ' . Sur la côte, l'aimable Nauplie sourit au pied du
roc Palamède.
LA GRECE CENTRALE. 00 Axx delà du
golfe et de l'isthme de Corinthe, la Grèce Centrale
s'étend jusqu'aux golfes opposés d'Arta et de Lamia.
La route longe la côte dentelée du golfe d'Egine rem-
pli d'îles lumineuses, passe à Mégare, à Eleusis, et, par
le col deDaphni, atteint le cœur del'Attique, la petite
plaine triangulaire où Athènes naquit. Autour d'elle.
l'Hymette, le Parnès et le noble fronton du Pentélique
bau'rent de leurs croupes marmoréennes les trois quarts
de l'horizon. Vers le Sud, la plaine s'ouvre sur la
mer en face de Salamine par une série de havres
naturels, berceau du Pirée. Des oliviers centenaires,
quelques vignes croissent comme autrefois sur les
argiles de la blanche Colonne que le Céphise et
rillissos traversent encore mais n'arrosent plus! Nulle
part en Grèce l'atmosphère n'est aussi transparente,
la lumière plus nuancée, plus délicate, nul cadre ne
247
L'EUROPE
paraît mieux fait pour sertir cet incomparable joyau qu est
le rocher ambré de l'Acropole où lame d'Athéna
hante encore les colonnades du Parthénon.
Après avoir connu dans l'antiquité la gloire la plus
insigne qu'une cité puisse rêver, celle d'être 1 Ecole du
monde, Athènes, ruinée par les invasions barbares,
devint une fort médiocre bourgade où quelques centaines
de maisonnettes se pressaient au pied de l'Acropole, et
elle demeura telle jusqu'à la fin du régime turc. Mais,
outre l'impérissable souvenir de sa gloire passée, elle
parvint à garder jusqu'à nous ces magnifiques témoms du
génie de ses fils : le Temple d'Athéna Parthénos,
l'Erechtheion, le sanctuaire de la Victoire Aptère, les
Propylées, le Theseion, les colonnes solitaires et colos-
sales du grand temple de Zeus. Aussi les Grecs devenus
libres firent-ils tout naturellement de ce bourg misérable
la capitale de leur royaume. Et c'est aujourd'hui une
fort agréable ville, bâtie de marbre blanc, un peu trop
chaude l'été, un peu trop venteuse en tout temps, mais
avenante et d'aimable accueil. La cité nouvelle n'a pu
grandir sur l'emplacement exact de l'ancienne. Elle s'est
développée plutôt sur l'autre flanc de l'Acropole, vers
le Céramique et le rocher du Lycabette, que les mai-
sons pressent chaque année plus étroitement.
Peuplée de 44 000 habitants en 1 870, elle en avait
167000 au recensement de 1907. A la même date, le
Pirée, qui complète Athènes, en avait 73 000.
(En 1920, Athènes et le Pirée réunis dépassent Je
chiffre de 300 000 habitants.)
A mesure que s'accroît l'étendue du royaume, l'influence
d'Athènes grandit et tend à se hausser au rôle que l'antique cité
de Périclès jouait dans la Méditerranée occidentale. C'est la vraie
capitale de l'héllénisme au triple point de vue de la politique,
de la vie intellectuelle et des affaires industrielles et commerciales.
C'est à elle que les " Evergètes ", les Hellènes enrichis à l'étran-
ger, font leurs donations les plus généreuse,. C'est elle qui con-
serve pieusement les plus précieux trésors de l'antiquité. C'est
chez elle que demeurent les diplomates étrangers, que s'élèvent les
grandes écoles archéologiques. C'est d'elle que les Grecs, soumis
à la domination des " Barbares " Bulgares ou Turcs, attendaient
leur rédemption. Certes, l'ambition de bien des Hellènes ne
s'arrête pas là, et ce ne sont point les nobles frontons du temple
d'Athéna qui hantent seuls leurs rêves, mais la lourde coupole de
Sainte-Sophie en exil aux rives du Bosphore. L'auront-ils un
jour? C'est le secret des dieux.
Au delà du Parnès et des champs broussailleux que
domine le lumulus de Marathon se creusent les plaines
de Béotie dont le lac Copaîs — aujourd'hui desséché
et transformé en fertile terroir planté de cotonniers —
occupait une large part. Thèbes, l'illustre patrie d'Épa-
minondas, y somnole à l'ombre des platanes, non loin de
Platées, où la fortune perse, déjà rudement atteinte à
Salamine, connut l'irréparable désastre. A Leuctres, les
Spartiates, jusqu'alors invincibles, ne purent résister au
248 :
choc de la phcilange thébaine. Les ruines d'Orchomène,
celles de Goulas nous ramènent aux temps héroïques de
la Grèce primitive. Au Sud, dans les forêts du Cithé-
ron (1411 mètres), retentissaient les hurlements des
Bacchantes, tandis qu'un ravin secret de l'Hélicon abri-
tait les chœurs harmonieux des Muses.
Vers l'Est, la grande île d'Eubée, que les Vénitiens
appelaient Négrepont, fait corps, pour ainsi dire, avec le
continent dont la sépare un canal (canal d'Atalanti et
de l'Euripe), réduit à moins de 30 mètres de large en
face de Chalcis (10 000 habitants). C'est une des plus
pittoresque régions de l'Hellade, où les petites plair.es
fertiles et bien cultivées (Mantoudi, Achmet-Aga,
Koumi) se mêlent heureusement aux monts vêtus de
forêts de pins odorants et de maquis. Qu'il est doux
au printemps d'errer dans les clairières fleuries de rouges
anémones, d'escalader les flancs du Daphni ( 1 900 mètres)
et du Saint- Elie, de longer les hautes falaises dentelées,
et de rêver, quand vient le soir, en face de la mer sou-
riante, moirée de violet, de rose et d'améthyste, sous
les derniers rayons du soleil !
A l'Ouest, les montagnes couvrent la Phocide presque
entière, l'EtoIie, l'Acarnanie, une partie de la Locride
et de la Phtiotide. Elles atteignent 2 459 mètres au
Parnasse, 2 512 mètres au Kiona, 2 450 mètres au
mont Œta, magnifique piédestal du bûcher d'Héraclès.
Point d'autres plaines que le petit bassin de Lamia,
arrosé par le Sperchios, et la dépression où l'Acheloiis
déposa ses grasses alluvions. Pas de centres urbains
autres que Lamia (10000 habitants) la commerçante,
la pittoresque Naupacte ceinte de murailles franques,
l'illustre Missolonghi (8 000 habitants), la paisible Agri-
nion(8000 habitants). Point de routes carrossables, mais
de charmants villages égrènent leurs maisons au bord des
chemins ombragés de chênes, de châtaigniers, de noyers.
Les torrents bondissent sur les pentes raides des monts,
et dans les gorges sauvages de Delphes, près des ruines
grandioses mises au jour par les archéologues français de
l'Ecole d'Athènes, semble retentir encore, dans le fra-
cas de la foudre, la voix formidable d'un Dieu.
Laissant aux rives de la mer le défilé des Thermo-
pyles, autrefois clé de la Grèce Centrale, aujourd'hui
élargi par les alluvions du Sperchios, et franchissant les
croupes maigrement boisées du mont Othrys, on pénètre
dans la double dépression thessalienne, la plaine la plus
vaste du royaume. Elle pourrait aussi, — elle devrait —
en être le grenier si ses riches alluvions étaient mises
tout entières en culture. Mais une faible partie du sol se
couvre de moissons. Le reste, que l'hiver transforme en
immenses marais, l'été en steppe fauve et torride, n est
utilisé que par les troupeaux errants des bergers Valaques
dont on voit çà et là les huttes de roseaux semblables à
des paillotes africaines. Les monts du Pélion et de
LA GRÈCE
rOssa isolent la Thessalie de la Mer Ége'e. Leur sommet
est nu, mais sur leurs flancs jaillissent des sources, et des
villages délicieux : Portaria, Makrinitza, Kissos, etc.,
disparaissent sous les branchages touffus des oliviers, des
platanes, des arbres fruitiers. L'étroite déchirure de la
vallée de Tempe livre passage aux eaux troubles du
Pénée, collecteur de la plaine thessalienne. Elle con-
serve encore les beaux ombrages et la fraîcheur qui, par
contraste avec la brûlante nudité des steppes, lui valut
d'être si longuement magnifiée par les poètes. Au Sud-
EUt, Volo (23000 habitants), l'un des ports les plus
actifs du royaume, exporte les grains, les tabacs, les
laines. A l'intérieur, Larissa ( 1 8 000 habitants) commence
à tirer profit de la voie récemment achevée qui l'unit
à Salonique. Pharsale n'est plus qu'une viilette dont
le nom rappelle le désastre des Pompéiens. Kar-
ditzadO 000 habitants), Trikala (18000 habitants), sur
la rivière du Léthé, servent de lieux d'échanges aux
Karagounidès ", ou paysans de la plaine, et aux mon-
tagnards du Pinde. EJles attendent, pour prendre un
nouvel essor, que des voies ferrées remplacent les mau-
vaises pistes muletières qui les unissent soit à l'Epire, soit
à la Macédoine intérieure.
On gagne l'Epire par Kalambaka, si joliment nichée
au pied des Météores ", ces roches fameuses aux parois
abruptes que couronnent d'antiques monastères, puis par
le col du Zygos (I 400 mètres), la curieuse Metsovo,
centre des Koutso-Valaques du Pinde, et les gorges du
Haut-Arta. Du sommet de la montagne la vue embrasse
tout à coup un lac aux eaux bleues, une ville blanche
où pointent les minarets, un cirque continu de hautes
collines dénudées. C'est le cœur de l'Epire et sa gra-
cieuse capitale : Yanina (17000 habitants), héritière de
1 antique Dodone, dont les ruines se cachent au fond
d un ravin où croissent avec vigueur des yeuses véné-
rables. L'Epire est une des plus récentes acquisitions de
l'Etat Grec, et la barrière du Pinde semble la maintenir
à l'écart. Mais les Epirotes se distinguent entre tous les
Grecs par l'ardeur de leur patrioîisme, leur activité,
leur intelligence, et, en attendant la future voie ferrée du
Zygos, un intéressant courant d'échanges, favorisé par
de bonnes routes carrossables, gagne les ports de Santi-
Quaranta en face de Corfou, de Prevesa et d'Arta aux
bords du golfe de ce nom.
LA MACÉDOINE, a a Au Nord de la Thes-
salie, une masse confuse de montagnes assez arides, de
gorges étroites où coulent l'Haliacmon ou Vistritza et
ses affluents, de dépressions plus ou moins vastes, sans
écoulement vers la mer, représentent la moitié occidentale
de la Macédoine cédée aux Grecs en 1913. Dans ces
hautes terres, au rude climat, se forma aux temps
antiques la forte race des compagnons de Philippe et
d Alexandre. C'est, de nos jours un pays de bergers, de
charbonniers, gens très frustes, vivant de peu dans leurs
villages pittoresques où les maisons de pierre brute
s égaient d'une loggia qu'ornent les rouges guirlandes du
piment et des épis de maïs. Kastoria, dont les chapelles
byzantines se mirent dans les eaux d'un lac arrondi.
L'albanaise Koritza (40000 habitants), Florina
(10000 habitants) dans le bassin de Monaslir, Kozani
(9 000 habitants) et Servia sur la piste qui mène à
Larissa, servent de lieux d'échanges aux gens de races
fort mêlées (Grecs, Albanais, Turcs, Valaques, Serbo-
Bulgares) qui forment la population hétéroclite de
la Macédoine presque entière, justifiant, par leur bigar-
rure, leur mélange étroit, les prétentions de tous les
grands Etats balkaniques, et qui, ne sachant trop eux-
mêmes à quel drapeau leur intérêt bien compris leur
conseillait de donner la préférence, se qualifiaient avant
la Grande Guerre tout simplement de " Macédoniens ".
La partie orientale de la Macédoine grecque com-
prend la vallée inférieure du Vardar, la presqu'île de
Chalcidique, les plaines côtières de Serrés et de Kavala.
Au Sud, la splendide pyramide de l'Olympe, qui
s'élève d'un jet jusqu'à près de 3 000 mètres d'altitude,
étend quand vient le soir sa grande ombre sur le golfe,
où les navires glissent sans hâte vers Thessalonique. La
ville aux cent minarets étage son fouillis de maisons roses,
vertes et blanches sur les flancs d'une colline que cou-
ronnent et que ceignent les murs en ruines, les tours
lézardées d'une inoffensive forteresse. C'était, avant le
désastreux Incendie de 1917, une des villes le plus éton-
namment pittoresque du Levant. Dans la pénombre de
son bazar, ou sur les quais étincelants de lumière, se
pressaient, de la Tour Blanche à la Mosquée des Der-
viches, la foule la plus bigarrée, la plus colorée, la plus
amusante qui puisse se voir.
D'autre part, la profondeur et la sûreté de sa rade —
quelque peu menacée. Il est vrai, par les alluvions du
Vardar — , la situation qu'elle occupe au débouché de
l'unique voie naturelle unissant l'Europe Centrale \ la
Mer Egée, la jonction récente de son réseau ferré avec
le réseau grec, enfin l'activité et le talent commercial des
juifs d'origine espagnole qui composent les huit dixièmes
de sa population (plus de 250 000 habitants), sont la ga-
rantie assurée de son avenir économique.
Autour de Salonique, c'est, sur des lieues et des lieues,
le "bled ", la steppe verte ou jaune suivant la saison,
mervellleuîe terre k labour quand on le voudra, présen-
tement occupée £cit par de; roselières immenses, des
étangs vaseux, soit par de maigres broussailles, decourles
graminées que paissent l'hiver les moutons des bergers
Valaques. Çà et là se dressent les cônes réguliers des
" tumuli" antiques. De rares et misérables villages aux
murs de boue sèche se confondent avec le sol sur lequel
249
L'EUROPE
ils se tapissent. L'hiver, le vent du Vardar glace jusqu'aux
os. L'été', c'est une fournaise que des myriades de mous-
tiques rendent plus intolérable encore et dont les méfaits
se marquen' aujourd'hui aux milhers de tombes où dorment
les "impaludés" de la Grande Guerre. Il faut gagner les
hauteurs voisines pour trouver à Verria (14 000 habi-
tants), Vodena (9000 habitants), dans le Krousha
Balkan, le Korlatch, etc., de beaux arbres, des eaux
vives, un air pur et salubre.
A l'Est du golfe de Salonique, l'étrange Chalcidique
allonge comme des pinces de crabe trois minces près--
qu'îles dont 1 une renferme les couvents célèbres du Mont
Athos, l'Haghion Oros ou montagne sainte des ortho-
doxes. Des moines paresseux et ignorants y mènent une
vie somnolente dans un des plus beaux paysages de 1 Hel-
lade. Enfin, par delà les eaux fangeuses du lac où la
Strjuma (le Sîr>'mon des anciens) s'épure avant de se
perdre dans la Mer Egée, Serres (20 000 habitants),
Drama (12 000 habitants), Kavala (23 000 habitants),
concentrent et exportent les tabacs les plus parfumés qui
existent au mor.de.
LA THRACE. a iS Au delà de la Macédoine, les
Hellènes n'avaient point cessé depuis l'antiquité d occu-
per les rivages de la Thrace. c'est-à-dire de toute la région
comprise entre les pentes orientales du Rhodope, la Mer
NoiieetlaMer de Marmara. Leurs colonies poussaient
même à l'intérieur, et si leur goût naturel pour le trafic
les conduisait plutôt à résider dans les villes, bon nombre
d'entre eux, dispersés dans Us campagnes, s'occupaient
d agriculture et d'élevage comme les paysans bulgares ou
turcs auxquels ils se mêlaient en proportions variables.
Qu'ili fussent ou non la majorité, ils représentaient incon-
testablement l'élément le plus intelligent, le plus cultivé,
le plus actif — sinon le plus sympathique — du pays, et
furent de ce fait trop souvent en butte aux persécutions
systématiques de leurs maîtres. Désormais, la Thrace en-
tière est grecque. La Bulgarie perd tout accès direct à
la Mer Egée, et la Turquie, privée jusqu'à Tchataldja
du dernier lambeau de territoire qu'elle poss:'dait en Eu-
rope, se voit réduite, même à Stamboul, à subir le con-
trôle de 1 étranger.
La majeure partie de la Thrace se compose de plaines
largement ondulées, complètement déboisées, traversées
par le cours inférieur de la Maritza (l'Hèbredes anciens)
et son affluent 1 Ergène. Sur les sables et les cailloux
croissent les maigres graminées de la steppe. Jusqu'aux
portes de Constantinople s'étendent ces solitudes mono-
tones et vides dont de nombreux tumuli rompent seuls
i uniformité. Pourtant les plaines alluviales des cours d'eau,
les terrasses de loess du Strand;a-Dagh ont une remar-
quable fertilité naturelle. Partout où de fortes sources
permettent l'inigation, les villages s'entourent de vergers
lou^s pleins de fruits et de légumes, et qui donnent, au
milieu de ces vastes espaces nus, l'impression de véritables
oasis. Le blé dur, le maïs, l'avoine croissent à merveille.
La vigne a pris une réelle importance autour d'Eregli et
de Rodosto. L olivier, absent des plaines intérieures d'où
l'exile la rudesse relative des hivers, couvre une partie
de la presqu'île de Gallipoli. Le tabac, surtout dans les
districts voisins de la Macédoine (Goumouldjina, Xan-
thi, Karasou), égcJe en valeur celui de Kavala. Enfin, à
l'élevage du mouton auquel suffisent les steppes les plus
sèches, peut s'ajouter l'élevage des bœufs et surtout celui
des chevaux qui fit dans l'antiquité le renom des plaines
thraces.
La capitale, Andrinople, fut fondée par l'Empereur
Hadrien en un point particulièrement bien choisi, au con-
fluent de la Maritza et de ses deux affluents principaux :
le Toundja qui vient du Balkan, et l'Arda qui descend
du Rhodope. A l'Est, la vallée de l'Ergène meneau Bos-
phore. La facilité des communications, la feriilité des
terres qui l'entourent assurèrent de tout temps à la cité
une importance qu'atteste le chiffre de sa population. Elle
avait, en 1 9 1 0, 1 60 000 habitants, ce qui lui donnait, après
Stamboul, le second rang parmi les cités de l'Empire
Turc.
A l'embouchure de la Marilza, Dédéagatch, port
assez médiocre, mais unique débouché de la Thrace et
de la Roumélie bulgare, exporte vins et tabacs. GallipoU
( 1 7 000 habitants) à l'extrême Nord des Dardanelles, Ro-
dosto (42 000 habitants) et Eregli sur les riantes collines
qui s'inclinent vers la Mer de Marmara, s'entourent d'oli-
vettes, de vignes, de beaux jardins. Au pied des collines
du Strandja-Dagh, qui séparent les plaines de Thrace des
rivages de la Mer Noire, de grosses sources très espacées
ont fait naître des agglomérations urbaines pittoresquement
enfouies sous les ombrages de leurs grands arbres : Kirk-
kilissé (15000 habitants), Tirnovo, Uskup, Bounar-
Hissar, etc.
LES ILES ÉGÉENNES. 00 Si la Macédoine
et plus encore la Thrace nous éloignaient des contrées
proprement grecques et nous rapprochaient du monde
'barbare", les îles Egéennes nous ramènent au coeur
même de l'hellénisme, aux lieux où se forma la plus
ancienne civilisation de l'HelIade, où, sur les flots apai-
sés, Aphrodite naquit pour la volupté des hommes et
des dieux.
Ces îles, en dépit de leur nom : Cyclades, qui signi-
fie cercle, se disposent plutôt en guirlandes qui pro-
longent et unissent les uns aux autres les pointemenls
extrêmes des deux continents, 1 asiatique et 1 européen.
Au Nord, Thasos, Samothrace, Lemnos, Imbros et
Ténédos s'allongent de la Chalcidique à la Troade.
Les Sporades septentrionales rejoignent, par Skyros, la
250 -
LA GRECE
ATHENES : L'INTÉRIEUR DU PARTHÉNON. U plus parfait des temples dû
av mercedlaix génie des Hellènes du temps passé. Il était consacré à la proteclrice de
la cité: Alhéna Parthénos.et abritait la statue colossale de la Déesse, chef-d'œuvre
de Phidias. Transformé en église par les chrétiens du Moyen Age. puis en mosquée par
les musulmans, en partie détruit par l'explosion d'un dépôt de poudre que firent
sauter les bombes du i'énilien iXforosini. il se vit encore dépouiller par lord Elgin de
ses métopes, des statues de ses* frontons, de sa frise presque entière. Ce qui reste
cependant est beau, beau " comme un rêve de pierre". C|. FrÉD. Boissonnas.
ATHÈNES: L'ERECHTHÉION ET LES PROPYLÉES. Uplate-forme delAcro-
5/ " *'"!/ f"^^^^^ ""^ *'" '^ôté Sud.Périclès remplaça les vieilles portes fortifiées
delà atadelle primitivs par les Propylées (à gauche de la photographie), portique
monumental où aboutissait la voie triomphale que suivait la procession des Panathénées.
— Outre le Parthénon. l'Acropole supt>orfail un grand nombre de statues, de colonnes
votives et plusieurs temples. On voit ici ce qui reste du triple sanctuaire dédié au héros
Erechthée: de charmantes colonnes ioniques et la loggia célèbre dont l'architrave
7e0ose SUT les têtes légèrement indif^es des Caryatides. Cl. FftÉD. BoiSSONNAS.
251
L'EUROPE
EDESSA OU VODENA. De pittoresques
maisons à galeries et moucharabyès se penchent
svT la rue étroite où court un ruisseau d'eaux
vives. CI. Fréd. BorssoNNAs.
SALONIQUE: VIEILLE ÉGLISE BYZANTINE. Un coin
charmant de l'illustre cité gui n'est pas seulement un grand port,
débouché de la Macédoine et d'une partie de l'Europe centrale,
mais une ville du pittoresque le plus rare. CI. GranCER.
KASTORIA mire, dans les eaux pures de
son lac arrondi, ses Itanches maisons étagées
en amphithéâtre et la colonne élégante des
minarets. Cl. Fréd. Boissonnas.
SANTI-QUARANTA.
Type de
pe
il haire ou d
échelle"
du Levant
le port 1
de Santi-Quaranta, place
en face
de
Corfou
sur une
côte étro
te, rocheuse
et nue. '
est le débouché naturel dt
l'Epire
du
Nord.
de certaines régions albar\aises
et du j
bassin de Koritsa.
CI. Oranger.
FAMILLE ET HUTTE DE KOUTSO-VALAQUES. D'origine thraco-rou-
maine, les Kout^o-Valaques ou Aromounes mènent, en Tbessalie, dans lePinde, en
Macédoine, en Bulgarie, la vie errante et fruste du pasteur nomade, paissant leurs
brebis l'hiver dans les plaines, VéUdans la montagne- CI GranGER.
LE liATTAGE DU BLE EN MACEDOINE se
fait tr.cre, comme dans l'antiquité, par le moyen
■ — p<rtî pratique mais reposant — d'un lourd irai-
r:-:!' c? Iciiincr'islédf silex aigus. CI.GranGER.
TYPE DE MAISON DE PAYSAN très répandu
en Macédoine, l'ue prise au village d'Arapli. dans
la plaine marécageuse du bas Vardar, à trois lieues
de Salonique. Cl. GraNGER-
BERGER MACEDONIEN. L'élevage du mouton
est une des ressources essentielles des régions mon-
Iciineuses. sèches et pauvres, qui bordent la Méditer-
ranée. CI. Granger
Î52
LA GRECE
riante Lesbos et Chios la parfumée. Au Centre, les
Cyclades proprement dites et les Sporades du Sud
égrènent leurs centaines d'îles et d'îlots : Andros, Tincs,
Parcs. Délos, Naxos, Mlle, Santorin, Samos, etc.,
entre l'Eubée et l'Attique d'une part, de l'autre les
promontoires de Cnideet d'Halicarnasse. Enfin Cythère,
la Crète, Karpathos et Rhodes décrivent un arc régu-
lier entre le cap Malée et l'Anatolie.
La Crète, appelée aussi Candie, prend rang parmi les
grandes îles européennes. C est du reste, incontestable-
ment, la moins bien connue, quoique I une des plus
belles. Mais les routes carrossables y font totalement
défaut. C'est à pied ou à mulet qu'il faut parcourir les
montagnes chaotiques qui la recouvrent en majeure
partie, les hauts plateaux d'Omalo, les massifs boisés du
mont Ida (2 485 mètres) où Zeus fut nourri par la
chèvre Amalthée et les gorges grandioses où se cachent
les villages des Sphakioîes indomptables.
La guerrilla sans merci, accompagnée de dévastations
sauvages, que musulmans et chrétiens se firent pendant
tout le Xix'^ siècle avait ruiné une partie des plantations
d'arbres à fruits qui sont la richesse et la parure de
l'île. Elles reparaissent peu à peu partout où l'eau,
toujours rare, permet d assurer l'irrigation. Les oranges
de Crète n'ont point d'égales en Méditerranée ; la
vigne donne un vin coloré chargé d'alcool qui rappelle
les meilleurs crus de Corse. Toutefois, les champs
cultivés n'occupent encore qu'un espace bien restreint,
et l'on peut voyager à l'intérieur de l'île, pendant des
jours entiers, sans quitter les solitudes des steppes ou
des maquis épais.
Elape nalurelle entre lEgypIe. la Phénicie et les pays grecs, la
Crète fui, dans la plus haute aniiquilé (xx'^-XV" siècles avant J.-C),
le siège d'une brillante et originale civilisation qui rayonna sur
toute la Méditerranée orientale. Les fouilles fameuses de
Cnossos, Phaistos, Haghia-Triada, etc., ont mis au jour les palais
aux chambres multiples, décorées de fresques, où vécurent les
contemporains légendaires du roi \linos, d'Ariane el de Thésée.
Elle ne joua aucun rôle marquant dans l'histoire grecque et
romaine, fui occupée successivement par les Vénitiens, puis par les
Turcs, devint libre en 1897 et grecque en 1913. Ses habitants,
grands, sveltes, très beaux el très braves, très hospitaliers, comptent
parmi les plus sympathiques des Hellènes.
La cote Sud n'a que des havres insignilianls. Au Nord, les ports
charmants de la Canée (250 JO habitants). Rethymno (10 000 habi-
tants), Candie (22000 habitants), entourés de fortifications véni-
liennes, étalent au soleil leurs blanches maisonnettes, leurs bazars
pittoresques emplis d'une foule multicolore. Mais le meilleur abri
se trouve dans la profonde baie de la Sude que dominent, au Nord,
la pierreuse presqu'île d'Acrotiri, au Sud les remparts millénaires
de l'Acropole d'Aptéra.
Les autres îles Egéennes mériteraient toutes une
étude particulière, tant elles sont chargées d'histoire,
tant le seul énoncé de leur nom évoque de souvenirs.
De Santorin à Mylilène, de Milo à Chios, de Délos et
Paros à Samothrace, il faudrait, à bord d'un caîque
sentant le goudron et l'orange, errer lentement d'ai-
guade en aiguade, de marine en marine ", enivré par le
triple enchantement de la mer, du ciel, des grands rochers
d un bleu sombre, d'un blanc éblouissant, d'un rouge
de pourpre qui surgissent du sein des eaux. Qu'elles
soient nues comme Cythère, Délos, Myconos et bien
d autres, ou qu'elles se vêtent encore, comme Lesbos et
Andros, d'olivettes, de pins résineux, de myrtes, de
lentisques, de lauriers-roses, elles sont toutes belles, et
le cœur le plus sec, l'esprit le plus obtus ne sauraient
échapper à leur séduction.
Un peu d'huile, du vin (à Santorin), du " mastic ",
de la cire, des poissons sèches, des fruits, voilà ce que
donnent les îles. Mais leurs marins comptent parmi les
plus adroits, les plus entreprenants des Grecs. Aux
temps antiques, Délos, que les fouilles de l'Ecole fran-
çaise ont rendue à la lumière, fut un moment le princi-
pal entrepôt commercial de la Méditerranée orientale.
De nos jours, Hermoupolis, dans l'île de Syra, connut
une prospérité du même ordre, et bien que la concur-
rence du Pirée, en portant un coup sensible à son tra-
fic, ait réduit sa population de 27 000 habitants en
1870 à 18000 en 1920, elle n'en demeure pas moins
le siège de quelques-unes des plus importantes com-
pagnies de navigation grecques. En face des côtes
d'Anatolie, Vathy, Chios et Mytilène (45 000 habitants)
sont les aimables capitales des Wet de Samos, Chios et
Lesbos.
Pour Smyrnc, voir le chapitre consacré à l'Asie Mineure.
GEOGRAPHIE HUMAINE
Les Grecs d'aujourd'hui se considèrent volontiers
comme les descendants directs de Miltiade .et de Péri-
clés ; ils n'aiment point qu'on mette en doute celte très
naturelle prétention. Mais l'histoire implacable démontre
que l'Hellade entière fut envahie et longuement occupée
à partir du III '^ siècle de notre ère par des Goths. des
Hérules, des Vandales, des Avars, des Slaves surtout
qui adoptèrent, il est vrai, la langue et la religion des
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE.
vaincus, mais, en se mêlant étroitement à eux, donnèrent
naissance à une race véritablement nouvelle. Les croi-
sés Francs, arrivés au xili'' siècle après la prise de Cons-
tantinople, se partagèrent tout le pays, y construisirent
de forts châteaux, et ne laissèrent point, pendant les
cent cinquante années que dura leur Empire, d'ajouter à
ce peuple slavo-grec une bonne dose de sang occidental.
Les Vénitiens, maîtres de l'Eubée, de la Crète, des Iles
253
25
L'EUROPE
Ioniennes, des côtes du Péloponèse, etc., en firent
autant. Si les Turcs, établis en Heliade depuis le
XIV® siècle, ne se mêlèrent point aux rayas ", au vil
troupeau de leurs sujets chrétiens, des migrations suc-
cessives de montagnards albanais fixèrent, du xiv^ au
XVIII* siècle, dans le Péloponèse et la Grèce Centrale,
un si. fort contingent de Skipéteirs qu'encore aujourd'hui
leur hellénisation n'est point achevée et que, dans
l'Eubée méridionale, en Argolide, en Attique même,
les paysans de maints villages emploient couranunent
le dialecte albanais.
Ainsi les Grecs de nos jours — semblables en cela
aux Français, aux Italiens, aux Anglais, aux Espagnols
— forment une race composite où se mêlent à doses
inégales des éléments d origines diverses. La veiriété
même des types que l'on rencontre en Heliade —
variété aussi grande qu'en tout autre pays de l'Europe
Occidentale — suffirait à le démontrer. Toutefois, il
petrait incontestable que l'influence de l'élément propre-
ment grec l'emporta sur les autres. La Grèce ne fut pas
slavisée ou albanisée : c'est elle qui hellénisa les " bar-
bares " comme elle l'avait fait autrefois des Romains.
Au physique, le Grec est en général brun de poil et
de peau avec de beaux yeux noirs bien fendus, un nez
droit parfois busqué en bec d'aigle. De taille moyenne
mais bien pris, il ne manque ni de robustesse ni d'agi-
lité et résiste fort bien à la fatigue, tout en observant
une extrême sobriété.
Les plus beaux types d'Hellènes doivent se chercher
dans les îles, en Crète notamment, où la race, demeurée
exclusivement pastorale et guerrière, ne s'est point
alourdie et vulgarisée dans les travaux agricoles. Pres-
que toujours l'homme, au moins à partir de vingt ou
vingt-cinq ans, se conserve infiniment mieux que la femme
à laquelle il réserve comme une chose toute naturelle les
travaux les plus pénibles.
Comme ses grands ancêtres, le Grec est un orateur
né. Il se plaît aux discussions où l'art de la parole sert
non seulement à mieux exprimer sa pensée, mais au
besoin à la déguiser, et il sait, avec une étonnante
aisance, une logique impeccable, accumuler les argu-
ments en faveur d'une cause quelle qu'elle soit. Il est
aidé en cela par sa langue.
C est 1 une des plus riches qui soient au monde. Il y a, en effet,
uce langue parlée et une langue écrite que l"on emploie simultané-
ment La première, la " romaique ", dérive directement de la
langue commune en usage dans tout le monde grec à l'époque
d" Alexandre. Bariolée de mots turcs, italiens, albanais, elle a
toute la verdeur, la saveur, le coloris des créations spontanées. La
seconde, la " katharévousa ", c'est-à-dire " l'épurée ", sorte de com-
promis entre le grec de Démosthène et celui du paysan moderne,
est une création artificielle due aux professeurs de l'Université
d'Athènes. On l'emploie dans les journaux, à la Chambre, dans
le» discassions entre gens très cultivés — et pour rédiger les
254 ■
enseignes des boutiques. Un étranger, qui sait bien le grec ancien,
lit la " katharévousa " presque sans apprentissage, mais s'il veut
comprendre parfaitement la romaique, c'est une autre affaire ! II y
faut plus de temps — et plus de dispositions naturelles — qu'à
tout autre dialecte européen.
Quelque peu abâtardis par quatre ou cinq siècles d'es-
clavage et de misère, les Grecs n'ont encore pu prendre
qu'une part insignifiante au mouvement des idées con-
temporaines, mais il n'est point de raison pour que
leurs écrivains, leurs artistes, leurs poètes ne parviennent
un jour à tenir une place sinon comparable à celle des
contemporains d'Aicibiade, du moins fort honorable.
Pour l'instant, leurs qualités natives : vivacité de l'intel-
ligence, compréhension prompte, assimilisation aisée,
vif désir de s'instruire, n'ont encore fait d'eux que des
politiciens diserts, des diplomates consommés, des com-
merçants, des hommes d'affaires sans rivaux. Le Grec ne
semble vraiment chez lui que derrière un comptoir, sur
le pont d'un navire, ou au café parlant politique en
buvant de grands verres d'eau. Il manie les chiffres
avec la même dextérité qu'il conduit un caïque ou fait
plier l'adversaire sous le poids de sa faconde. La pau-
vreté du sol sur lequel il vit, jointe à une naturelle ciu'io-
sité pour les choses étrangères, au désir vague de
l'aventure, le portent à émigrer facilement. Dans la
petite Grèce d'avant 1913, on comptait annuellement
de 30 000 à 40 000 émigrants pour une population totale
de 2 69 1 000 habitants. Or, de tous ces émigrants, quelle
que soit leur origine, il n'en est peut-être pas un seul
qui s'adonne à l'agriculture.
D'Odessa à Johannesburg, d'Alexandrie à New
York, simple " bakal " (épicier, marchand de vin) ou
négociant millionnaire, le Grec trafique. Comme le Chi-
nois, il trouve moyen de réussir là où tout autre échoue-
rait. Ainsi se sont formées ces florissantes colonies hellé-
niques dont les membres, demeurés ardemment patriotes,
ont tant feiit pour le mieux-être du petit royaume. Sup-
pléant à la pénurie du trésor, ils consacrent souvent une
bonne part de leur fortune à l'érection d'un collège, à la
construction d'une route ou d'un navire de guerre, à la
fondation d'un hôpital, d'un Institut scientifique, etc. Ces
Evergètes " ou bienfaiteurs représentent, par leur lar-
geur d'esprit, l'étendue de leurs connaissances, l'en-
semble de leurs qualités intellectuelles, ce qu'il y a de
meilleur dans le monde grec.
Les bergers de la montagne, les paysans des vallées,
lespêcheurgde la côte sont, eux aussi, fort sympathiques.
Il faut avoir vécu au milieu d'eux, avoir dormi sous leur
humble toit, partagé leurfrugjJ repas d'herbes cuites"
et de Imtage, répondu aux questions multiples qu'ils
posent au ' Lordos ", au " seigneur étranger ", pour
apprécier leur intelligence, leur curiosité d'esprit, leur
sens de l'hospitalité, les liens d'cJfection, de tendresse qui
- LA GRÈCE
unissent les membres de la famille. Très démocrates,
passionnés de liberté individuelle, les plus pauvres, les
plus arriérés d'entre eux font figure d'aristocrates en com-
paraison de la plupart des paysans du reste de l'Europe.
Ils demeurent, en bien des cjmipagnes de la Vieille Grèce,
fidèles au costume pittoresque qu'ils empruntèrent aux
Albanais : fustanelle blanche, guêtres bleues, " papout-
sias " (babouches) aux pompons rouges, cape de bure
blanche ou brune. Leur religion est le christianisme ortho-
doxe ayant pour chef suprême le patriarche de Cons-
tcujtinople. Comme dans tout l'Orient, religion et patrie
se confondent ; le Grec est fortement attaché à une forme
decroycmcequi le distingue à la fois du musulmem et des
autres chrétiens orientaux. Il observe rigoureusement les
prescriptions cultuelles, jeûne autant qu'il le faut (deux
cents jours par an), se rend à l'église avec régulante.
Cependcmt il se contente de démonstrations purement
extérieures : signes de croix répétés, baisement d'icônes,
cierges allumés, gâteaux bénis et partagés en famille, etc.
Il ne sait pas prier, et ce n'est pas son clergé régu-
lier ouséculier, ignorant, paresseux, fréquemment ivrogne,
qui pourrait lui donner une conception plus élevée, plus
mystique, des rapports que l'homme peut entretenir avec
la divinité.
L élément le plus médiocre, en Grèce comme dans les autres
Etats balkaniques, est représenté par le politicien de clocher, le
grand homme *' de village, le Grec qui, ayant reçu une certaine
instruction, étant même quelque peu sorti de chez lui, n'est plus
tout à fait un Oriental et n*est pas encore complètement " euro-
péanisé '. II dissimule sous un verbiage facilement insolent
la médiocrité de son esprit, se croit apte à tout, alors qu'il
n est bon qu'à pérorer entre les quatre murs d'un café, se voue
corps et âme, non pas même à un parti politique, mais à un homme
dont il attend quelque sinécure chichement rétribuée. Le malaise
intérieur dont la Grèce a souffert trop longtemps, la mauvaise
administration, l'état fort arriéré — pour ne pas dire plus — des
voies de communication, de l'agriculture, de l'élevage, sont dus
pour une large part à la néfaste influence de ces " trublions ".
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
Les quatre cinquièmes du sol grec sont couverts de hautes
collines ou de montagnes. Le cinquième restant, qui repré-
sente le plat pays, ne se prête toujours pas aisément aux
cultures profitables, faute d'irrigation ou dedrainage. Ajou-
tons que les méthodes généralement très arriérées (excep-
tion faite pour quelques grands dometines), le manque
d'engreùs, le très petit nombre de routes carrossables sont
autant d'obstacles au développement des champs cultivés
et à l'augmentation de leur rendement. Enfin, si dans
maintes régions du Péloponèse, de la Grèce Centrale, de
la Thrace, le paysan, petit propriétaire, montre une belle
ardeur au travail, cultive au flanc des monts le moindre
bout de terrain, ailleurs, en Thessalie, en Macédoine (pays
de Tchifliks ou grandes propriétés), en Crète, etc., il se
ressent encore fortement du déplorable régime turc, et
conserve des habitudes de nonchalante paresse fort pré-
judiciables à la mise en valeur de ces riches régions.
L'AGRICULTURE, a^ C'est cependant l'agri-
culture qui fait vivre la majorité des Hellènes. Le
blé se cultive un peu partout et donne le meilleur ren-
dement en Thessalie, en Eubée, en Achaîe, en Thrace.
Avant l'annexion de cette dernière province, la Grèce
devait chaque année acheter en Russie et Roumanie pour
une trentaine de millions de francs de froment. Elle doit
pouvoir aisément aujourd'hui suffire à ses besoins. Le
maïs (Thessalie et Macédoine) ne nourrit pas seulement
les animaux, mais aussi les hommes, sous forme de galettes
mal cuites : la " bobota ". L'orge réussit bien dans le
PéloDonèse et les îles. Le riz (terrain marécageux deThes-
salie, Béotie, Thrace), le seigle, l'avoine, le sorgho, les
pommes de terre n'ont qu'une très minime importance.
Après les céréales, ce sont les vignobles, les olivettes,
les champs de tabac et les vergers qui tiennent la plus
large place. Le beau ciel lumineux, les brûlants étés, le
sol sec et caillouteux de l'Hellade conviennent merveil-
leusement à la croissance des pampres, à la maturité des
raisins. L'espèce dite de " Corinthe " est spéciale à la
Grèce. On la cultive surtout dans le Péloponèse et c'est
sur la vente des raisins secs que reposait en partie
toute l'économie du royaume avant les récentes annexions
(50000000 de francs sur un total de 112000000
en 1913). Les autres espèces donnent, pour peu qu'on en
prenne la peine, des vins secs ou liquoreux tout à fait exquis
(Malvoisie, Santorin, Muscat, Côtes de Parnès, etc.),
mais c'est bien l'exception. Faute de soins, de bonnes
caves, etc., les vins courants ne valent rien ou bien, for-
tement mélangés de résine, ne peuvent plaire qu'aux gens
du pays.
L'olivier, l'arbre d'Athéna, couvre, en Vieille Grèce
seulement, 250000 hectares, surtout dans les Iles
Ioniennes, la Laconie, l'Eubée. Les Hellènes font unetrès
large consommation d'olives vertes et noires, et d'huile. Ils
exportent le reste en Italie et en Turquie. Là aussi il y
aurait de grands progrès à réaliser pour perfectionner la
fabrication de l'huile indigène, beaucoup trop " fruitée"
au goût des Occidentaux.
Le tabac réussit partout, mais les espèces cultivées en
Vieille Grèce (Karditza, Missolonghi, etc.) sont fort
loin de valoir celles de la Macédoine et de la Thrace.
On en vendait cependant en 1912 pour une dizaine
de millions de francs annuellement. Aujourd'hui que
l'Hellade possède Kavala, Drama. Xanthi, etc., c'est-à-
dire les " crus " les plus célèbres, ceux avec lesquels
255
L'EUROPE
sont fabriquées les meilleures cigarettes turques et égyp-
tiennes, les ressources qu'elle tirera de cette culture doivent
être au moins égales à celles que les vignobles lui pro-
curent.
Quant aux vergers, ils donnent d'abord les légumes
(fèves, haricots, ails, oignons, piments, épinards, cucur-
bitacées surtout), que les Grecs consomment en grande
quantité soit par sobriété naturelle, soit par pauvreté, scit
enfin à cause du nombre considérable de jours de jeûne
que compte l'Eglise orthodoxe. Ils donnent aussi quelques
fruits, mais peu, faute de soins et de patience, si l'on
fait exception des Iles Ioniennes et de la Messénie,d'où
figues, oranges, citrons s'exportent vers la Yougo-Sla-
vie et les pays Turcs.
LES FORETS ET L'ÉLEVAGE. 00 Les
forêts, ou ce que l'on qualifie de ce nom, mal exploitées,
livrées sans défense aux déprédations des pasteurs et des
charbonniers, ne comptent guère parmi les sources de
revenu. On en tire cependant, outre le bois de brûle et
le charbon, pour quelques millions de drachmes de résine,
de vallonée, d'écorce de tannin, etc.
L'élevage revêt encore à peu près uniquement la forme
semi-nomade de la transhumance, que facilite le mélange
étroit des plaines où les bergers passent l'hiver et des
montagnes où ils grimpent en été. Dans le Péloponèse
et les îles, les bergers sont de purs Hellènes. Dans le
reste du royaume, ils appartiennent presque tous à une
race particulière, les Vlaques ou Koutso-Valaques,
proches parents des Roumains, spécialisés dans le métier
de pasteurs. On compte relativement peu de bétès à
cornes, bœufs ou buffles, peu de chevaux et de porcs.
Les ânes, les mulets, fort beaux, rendent les plus pré-
cieux services en de tels pays privés de routes carros-
sables. Moutons et chèvres représentent naturellement,
comme dans toutes les autres contrées méditerra-
néennes, la vraie richesse de l'éleveur. Dans la petite
Grèce de 1912, on comptait déjà 4500000 brebis et
3400000 chèvres. Les acquisitions faites depuis cette
date ont peut-être doublé ces chiffres.
Parmi les autres ressources du pays, il ne faut oublier ni l'éle-
vage du ver à soie, ni la pêche (notamment la pêche des éponges
sur les côtes de Crète et d'Afrique), ni les produits du sous'sol.
Les mines du Laurion, exploitées depuis l'antiquité, donnent du
plomb, du zinc, un peu d'argent, de la calamine, du minerai de
fer d'excellente qualité. D'autres gîtes minéraux (fer, brome,
manganèse, soufre), mais d'imporlance bien moindre et d'une
exploitation fort irrégulière, se trouvent en Thessalie, en Eubée,
dans les îles.
Les marbres splendides de Paros, du Pentéiique, de l' Eubée
méridionale s'exportent, en petite quantité, vers l'Amérique.
Malheureusement la houille fait défaut, et les gisements de
lignite de l'Eubée (160000 tonnes en 1920) ne peuvent la rempla-
cer. C est là une des raisons qui expliquent le médiocre dévelop-
pement des industries grecques. En fait, pour la majeure partie
des objets fabriqués, la Grèce demeure tributaire de l'étranger, et
les usines et manufactures du Pirée — seule ville industrielle du
royaume — ne fournissent qu'une minime partie des textiles, des
machines, des objets en métal, en bois, en cuir, etc., nécessaires
aux besoins, d'ailleurs restreints, de la population.
LE COMMERCE. .£'.£' Le commerce intérieur
souffre du manque de voies de communication. Point de
routes carrossables, m^is des pistes muletières. Les
lignes ferrées à voie unique, où circulent avec lenteur
un petit nombre de trains, ne desservent qu'une portion
très restreinte de l'Hellade continentale. Cependant,
depuis 1916, la Grèce n'est plus isolée comme elle le
fut SI longtemps : la jonction est faite entre le réseau
grec et les grandes lignes européennes, et l'on va, en un
jour, d Athènes à Salonique par la vallée de Tempe.
Mais le vrai domaine commercial de l'Hellène est la
mer. Il excella de tout temps au métier de marin, et,
débordant au delà de l'Egéide. son domaine propre, on
rencontre aujourd'hui ses navires non seulement dans la
Méditerranée entière, mais jusqu'aux rivages lointains
des Amériques. Le Pirée, d'abord et surtout, puis Syra,
Andros, Argostoli senties points d'attache des armateurs.
COMMERCE DE LA GRÈCE.
Année 1912.
(c'est-à-dire avant les annexions qui
ont doublé le territoire srec).
Valeur en drachmes,
(la drachme étant égale au franc).
1919.
Valeur en drachmes,
(la drachme valant 1 fr. 30).
Blé
Tissus,. .
Charbon .
Bois
Poissons,
etc.
Importations
39 000 000
22 000 000
13 000 000
8 000 000
6 000 000
Au toial 160 000 000
Produits agricoles. . .
Fils et tissus
Minéraux bruts
Produits chimiques .
Poissons
Papiers, livres
etc.
371 000 000
442 000 000
157 000 000
122 000 000
97 000 000
41 000 000
Exportations.
Raisins secs.. . .
Vin
Tabac
Plomb
Zinc
Fi^es ...
Olives
Fer...
Soie et cocons,
etc.
40 000 000
15 000 000
12 000 000
10 000 000
5 000 000
5 000 000
5 000 000
3 000 000
2000 000
Au loial 144 000 000
Produits agricoles (sur-
tout raisin)
Peaux, cuirs, lain's. ■ .
Minéraux bruts
Huile d'olive
Wns
etc.
605 000 000
456-000 000
44 000 000
38 000 000
22 000 000
20 000 000
726 000 000
PRINCIPAUX CLIENTS DE LA GRECE EN 1919.
Importations
États-Uni?
Grande-Bret.igne .
Italie
venant de :
drachmes.
.... 445 000 000
.... 388 000 000
.... 142 000 000
Exportations
Gi'ande-Bretagne . , .
Pays-Bas
Etats-Unis (
Turquie '
allant à :
drachmes.
. 175 000 000
. 97 000 000
. 80 000 000
51 000 000
45 000 000
. 44 000 000
France
É?ypte
.... 133 000 000
.... 83 000 000
72 000 000
256
LA BULGARIE
En 1920, la flotte marchande hellénique comptait 1 000
voilieis jaugeant 108000 tonneaux, et 228 vapeurs jau-
geant 1 90 000 tonneaux. C'est sous paWllon grec que se
transportent du Levant en Occident, d'abord les pro-
duits de 1 Hellade : tabac, vm. soie, peaux brutes, etc..
puis une partie des blés de Russie et de Roumanie,
des bois de Bosnie-Croatie, des fruits, des laines, des
cuirs venus d'Asie Mineure. Peu confortables, mais
roulant infatigablement la mer par tous les temps, des-
servant les plus médiocres " marines " du Levant, fort
habilement conduits, ces bateaux rapportent à leurs au-ma-
teurs des revenus largement supérieurs a ceux des com-
pagnies occidentales. Ils représentent une des sources
les plus sûres de la prospérité du Royaume Grec.
CHAPITRE XVIII
LA BULGARIE
Réduite a peu près aux frontières qu'elle avait en
1912. la Bulgarie a comme limites : au Nord le
Danube et la Dobroudja roumaine, a l'Ouest l'Etat
Yougo-Slave, au Sud la Macédoine et la Thrace grec-
ques appuyées au Massif du Rhodope. A l'Est, elle
s'ouvre sur la Mer Noire par une façade longue de
1 30 kilomètres environ. Cela donne une superficie totale
de 102 000 kilomètres carrés (au lieu des 121000
qu'elle avait atteint à la suite de ses victoires de 1912-
1913). peuplée de 5000 000 d'habitants. .Après l'Alba-
nie, la Bulgarie se trouve donc être aujourd'hui le moins
étendu et le moins peuplé des Etats balkaniques ; dure
expiation des ' erreurs " commises depuis 1913 par
un gouvernement mégalomane, maladroit et perfide.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
Les régions naturelles de la Bulgarie
La chaîne incurvée des BeJkans divise la Bulgarie en
deux grandes régions naturelles : au Nord, les plateaux
et terrasses bulgcu-es qui s'inclinent vers la vallée du
Danube ; au Sud, une série de bassins (Sofia, Kazan-
hk, Samakov. Kustendil, Philippopoli, etc.) effondrés
entre des massifs montagneux très anciens (Anti-Balkan.
Rila-Dagh, Rhodope. etc.
LE B.4LKAN
Les Turcs donnent le nom de BcJkan à toutes les
montagnes de la Péninsule. Les Européens le réservent
a la chaîne que les Anciens appelaient l'Hémus. Longue
de 660 kilomètres, large en moyenne d'une trentaine
de kilomètres, cette chaine prolonge, sur la rive Sud du
Danube, l'arc des Carpates. On la divise communément
en trois sections.
Le Balkan occidental va du Danube aux gorges
fameuses par lesquelles l'isker s'échappe du haut-bassin
de Sofia. Au début, les hauteurs sont faibles et la vallée
du Timok s'y fraye aisément un passage qu'empruntait
la voie romaine allant de Nissa (Nisch) a la Dacie
transylvaine. Mais immédiatement au Sud du Timok.
dans la Stara Planina (montagne de l'Ouest), l'altitude
se hausse aux environs de 2 000 mètres (Midjour
2 166 mètres. Kom 2 010 mètres), et les cols ne sont
jamais inférieurs à 1 200 mètres.
Dans le Balkan central, ces conditions ne se modifient
pas. La hauteur moyenne des sommets demeure sensi-
blement la même (Youmrouktchal 2 374 mètres), et celle
des passages oscille entre I 1 00 et I 600 mètres. Ces pas-
sages sont, du reste, fort nombreux et très facilement utili-
sables. Plus de trente routes carrossables vont d'un ver-
sant à l'autre. Une voie ferrée emprunte même aujour-
d'hui le fameux col de Chipka que frcinchirent à maintes
reprises lesarmées russes en marche vers Constantinople.
Dans la troisième section, que l'on peut faire com-
mencer au col de Demir Kapou (route Slivno-Tirnovo).
le Balkan s'élargit et se divise en chaînons multiples,
mais de faible hauteur. Il ne fait plus du tout figure de
montagne, et les routes fort nombreuses zigzaguent sans
effort au milieu des ondulations boisées, mêlées de plaines
assez larges, que draine le Kamtchik. Aussi dut-on.
autrefois, protéger sur ce point la Roumélie en com-
plétant le rempart du Balkan central par les places fortes
du quadrilatère bulgare : Roustchouk, Silistrie. Choumia,
Varna. La chaine balkanique se termine sur la côte de
la Mer Noire par le cap Eminé. où des monastères grecs
d'antique origine forment comme l'extrême-pointe d'avant-
garde de l'hellénisme.
:3/
L'EUROPE
Bien que le Balkan ait été plissé à la même époque que les
Alpes, il ne leur ressemble point et revêt plutôt l'apparence de
nos Vosges ou de notre Massif Central. Le versant méridional a,
il est vrai, des pentes fortes ; une heure de marche suffit pour
descendre de la crête aux vallées supérieures de l'isker, de la
Slriéma, de la Toundja et, vers le Sud, les flancs boisés de la
montagne ne manquent pas d'une certaine grandeur imposante.
Mais quand on vient du Nord, on s'élève par des pentes si faibles
que l'on atteint l'arête terminale sans même que l'on s'en doute.
Point de parois verticales, d'amas d'éboulis, de pics et de pointes,
de glaciers et de neiges étemelles, mais des dômes à faible cour-
bure, des surfaces lourdement étalées dont d'épaisses forêts de
chênes, de hêtres, de sapins, de tilleuls argentés, copieusement
nourries par des pluies abondantes, dissimulent et amortissent
encore les lentes ondulations. Dans les clairières apparaissent les
pauvres chaumières couvertes de terre glaise où gîte le monta-
gnard bulgare. L'été, les bergers Aromounes ou Koutzo-Valaques
conduisent leurs troupeaux dans les chaumes ou alpages des hauts
sommets.
LES PLATEAUX BULGARES
Sur le versant Nord, les tnontagties du Balkan se
confondent rapidement avec de greindes terrasses cal-
caires qui s'inclinent vers le Danube par une pente régu-
lière et douce. Le rebord septentrional de ces terrasses
fut recouvert des mêmes limons quaternaires qui forment,
sur l'autre rive du Danube, les plaines de Valachie.
L'altitude, cependant, est un peu plus conside'rable et la
rive biJgare du Danube, au lieu de s'étaler en marécages
couverts de roseaux, se présente en général sous l'aspect
de falaises jaunâtres hautes d'une centaine de mètres.
La surface de ces terrasses est extrêmement mono-
tone. ELxception faite pour le pays forestier de Deli
Orman, elles ne diffèrent en rien des steppes qui couvrent
la Dobroudja roummne et la Russie du Sud. Les rivières :
Isker, Vid, Osma ou Osem, Yantra, etc., s'y sont
creusé des vallées étroites et si profondes qu'elles
gênent les conununications beaucoup plus qu'elles ne les
favorisent.
Pendant l'hiver, long et rude, la neige tombe abon-
damment, des vents glacés soufflent librement du Nord
et du Nord-Est. L'été, par contre, est relativement très
chaud et suffisamment arrosé par des pluies d'orage pour
que la culture du maïs soit possible à côté de celles de
l'avoine et du blé.
Ces terrasses calcaires, à sol d'ailleurs fertile, et qui
sans doute présentèrent toujours de larges espaces déboi-
sés, attirèrent et fixèrent les premières hordes bulgares
venues de la Russie du Sud. Tandis que les villages se
dispersaient un peu partout profitant des points d'eau
assez rares, les agglomérations urbaines se créèrent soit
sur les rives ou à proximité immédiate du Danube,
grande voie commerciale que bordent de riches terres à
blé soit au débouché des vallées, à mi-chemin de la
montagne et de la plaine, là où se croisent les routes Nord-
258 -
Sud et Est-Ouest, où s'échangent les produits du
forestier, de l'éleveur et de l'agriculteur, soit enfin dans
le Balkan même, à l'entrée des principaux cols.
Au premier groupe appartiennent, de l'Ouest à l'Est,
Vidin (17 000 habitants), entourée de mûriers et de
vignes, Lom-Palanka ( I 1 000 habitants), Orechovo,
Nikopol, Sistov (14 000 habitants), Roustchouk
(45 000 habitants), Toutrakan (10 000 habitants),
presque toutes d'origine romaine, perchées sur les
falaises qui dominent le fleuve en face des cités valaques
qui leur correspondent sur l'autre rive. Un peu en
arrière, Plevna (23000 habitants) rappelle le siège
fameux de 1877.
Parmi les cités du second groupe, les plus importemtes
sont Berkovitza, Vratsa (15 000 habitants), Lowretsch
ou Lovtcha (lOOOO habitants) sur l'Osem, Sevliévo
(10000 habitants), Tirnovo (14000 habitants), ancienne
capitale, ville sainte et puissante forteresse des Bulgares,
pittoresquement étagée dans une boucle de la Yantra,
Choumla (24 000 habitants), autre ville forte qui com-
mandait la route menant en Roumélie.
Enfin les " villes " du troisième groupe : Etropol,
Gabrowo, Elena, etc., ne sont que de gros villages vivant
des produits de l'élevage ou s'occupant de petites
industries domestiques.
DÉPRESSIONS ET MASSIFS DE MÉSIE-
ROUMÉLIE
Au Sud du Balkan s'étend une région fortement
disloquée où des bassins effondrés se logent entre les
fragments demeurés en saillie d'une pénéplaine
archéenne, c'est-à-dire d'un très ancien massif formé
de roches cristallines dont l'érosion avait eu le temps
d'user les aspérités.
L'ANTl-BALKAN ET LA GRANDE
VALLÉE LONGITUDINALE. /H/â Le rebord
septentrional de cette " pénéplaine " apparaît sous la
forme d'un dos de pays assez étroit, allongé de l'Ouest
à l'Est, en face même du Balkan. Il porte, suivant les
heux, les noms de Karadja Dagh, de Stredna-Gora, de
Massif du Vitosch, de Souva Planina, etc. ; les géo-
graphes le désignent du terme d'Anti-Balkan. Elntre
Balkan et Anti-Balkan s'ouvre une grande vallée longi-
tudinale, qui rappelle les grandes vallées alpestres de
même orientation. Elle commence en territoire serbe
par les hautes vallées du Timok et de la Nichava, se
continue en Bulgarie, pas les bassins supérieurs de
risker, de la Striéma, de la Toundja, et se poursuit
depuis la baie de Bourgas jusqu'à la Crimée par la
remarquable dépression marine, le long de laquelle on
passe brusquement des profondeurs de 70 à 80 mètres
LA BULGARIE
Frincipalea, arèteu.
W^ Afonta^nea, eL
BASSM DE SOF]A
ET RÉGIONS VOISINES
riauie-h et bouta*
bassuiA.Jerm ea.
Ihie^ferrccv
^
i^nsï
du golfe d'Odessa, à des fonds de I 000 à 1 800 mètres.
Cette valle'e se compose de brèches successives, d'une
série d'effondrements qu'accompagnèrent, suivant la
norme, d'importantes coulées de roches volcaniques et
que jalonnent encore de nombreuses sources chaudes.
Le plus élevé de ces bassins est celui où grandit
Sofia. La romaine Serdica, chef-lieu de la province de
Mésie, était admirablement placée au centre mathéma-
tique de la péninsule, au lieu où se croisent les routes
Macédoine-Danube, par les vallées de la Strouma et de
l'isker, et Nissa (Nisch)-Constantinople, par la vallée
de la Nichava, le défilé des portes de Trajan, la large et
fertile dépression de l'Hèbre (la Maritza). Toutefois
elle n'était encore, au milieu du xv" siècle, qu'une insigni-
fiante villeite turque, et ne prit une réelle importance que
du jour où les Bulgares se libérèrent des Ottomans. C est
aujourd'hui une cité de plus de 100000 habitants, d'as-
pect tout à fait moderne, point pittoresque, mais propre
et confortable. La croupe majestueuse et nue du Mont-
Vitosch (2 281 mètres) lui compose un cadre qui ne
manque point de grandeur : partout, du reste, un cercle
de montagnes environne la plaine allongée que traverse
risker. Elles arrêtent les vents marins et valent à Sofia
des hivers aussi rudes que ceux de Kônigsberg ( — 3°
moyenne de janvier), des étés où la brûlure du soleil
est pénible à supporter.
Par les petits bassins de Zlalista et de Karlovo, on
gagne le Toulovsko Polie ou bassin de Kazanlik que
draine la Toundja, principal affluent de la Maritza. De
la passe de Chipka, une heure suffit pour atteindre celte
large vallée, ri-he en eaux courantes, chauffée par les
rayons d'un soleil qui a déjà quelque chose de médi-
terranéen. Le contraiste est frappant entre les triites
solitudes forestières, les misérables chaumières que l'on
259
L'EUROPE
laisse derrière soi sur les terrasses du Nord, et les nom-
breux villages d'aspect riant, bien bâtis, les villes aux
minarets élégants qu'entourent des noyers magnifiques,
des vignes, des champs de céréales, des roseraies sur-
tout, ces fameux champs de roses qui ont fait la renom-
mée de Maglich et Kazanlik (12000 habitants). Ce
sont des contrastes du même ordre qui s'offrent, dans
nos Alpes, entre les versants opposés du Samt-Gothard,
du Stelvio, du Brenner.
LE RHODOPE ET LE RI LA. aa Vers
l'Ouest et le Sud-Ouest, l'Anti-Balkan se relie directe-
ment aux massifs : Osogovo, Rila, Rhodope, qui se
dressent aux confins de la Roumélie, de la Macédoine,
et du couloir Morava-Vardar.
Le Rhodope ou Despoto-Dagh (la montagne des
prêtres, ainsi désignée à cause du grand nombre de
monastères chrétiens qui s'élevaient sur ses pentes)
serait comparable, comme aspect général, au Massif Cen-
tral. Sur une plate-forme de roches cristallines entaillées
par des fractures se dressent, jusqu'à plus de 2 000 mètres,
des hauteurs postiches formées de laves et de basaltes.
Autrefois réduit à une altitude voisine du niveau de la
mer, il se vit, à la fin de l'époque tertiaire, relevé en
bloc; aussi présente-t-il, au Nord comme au Sud, des
pentes fort raides qui en rendent l'abord malaisé. Quelques
forêts de chênes et de hêtres se maintiennent sur une
partie des croupes monotones qui ondulent jus-
qu'à l'horizon. Mais les déprédations millénaires com-
mises par les bergers insouciants et par leurs troupeaux
de chèvres ont dénudé tout le reste. C'est une des
régions les plus sauvages, les plus fermées de la pénin-
sule, un des domaines favoris des pasteurs Koutzo- Va-
laques qui passent l'hiver dans les plaines rouméliotes
ou macédoniennes et montent au printemps par les
vallées de l'Arda, de la Mesta, du Tchepelare .
Le Rila-Dagh, à la pointe Nord-Ouest du Rhodope,
atteint près de 3 000 mètres. De majestueuses forêts de
chênes d'abord, puis de tilleuls, de hêtres et de conifères
revêtent ses flancs jusqu'à 2 000 mètres environ. Elles
font alors place aux prairies alpines où la neige subsiste,
dans les dépressions abritées, jusqu'au coeur de 1 été.
Sur ses pentes septentrionales, striées de vallées creuses,
une centaine de petits lacs se cachent sous les chênes
ou miroitent au milieu des sables d'origine glaciaire.
Enfin, entre le Rila et les massifs (Osogovo Planina,
2 263 mètres ; Ucha, 1 950 mètres ; Strecha, 1 929
mètres) ou court la frontière Serbo-Bulgare, une série de
dépressions ont donné naissance aux bassins de Kustendil
(15 000 habitants), Dupnitsa (1 2000 habitants), Samakov
(11000 habitants), Radomir, Ichtiman, emciens lacs,
petites oasis de bonnes terres cultivables que drainent
incomplètement l'Isker affluent du Danube, et la
Strouma tributaire de la Mer Egée. Là convergent,
avant de gagner Sofia, les routes venant d'Ouskoub par
Egri Palanka et de Salonique-Sérès par la vallée de la
Strouma, l'ancien Strymon des Grecs.
LA ROUMÉLIE. 00 Entre Rhodope et Antl-
Balkan s'éploie la plus large des dépressions tectoniques
de la péninsule. Elle se divise en deux bassins que sépa-
rent les dernières terrasses orientales du Rhodope et
les hauteurs du Strandja-Dagh. C'est, au Nord, la Rou-
mélie bulgare ; au Sud, la Thrace grecque, que les eaux
rapides et changeantes de la Maritza (l'Hèbre des
Anciens) unissent l'une à l'autre. Une épaisse couverture
de limon noirâtre, analogue au Tchernozom russe, donne
à la section rouméliote du bassin de l'Hèbre une très
remarquable fécondité. Non seulement le froment, l'orge,
le tabac, les légumes de toutes sortes, la vigne, le
mûrier y réussissent à merveille, mais, grâce à la tem-
pérature élevée de l'été, les rizières s'étendent sur des
milliers d'hectares aux environs de Phihppopoli. Le
cotonnier même y donne un produit apprécié.
Par ailleurs, la plaine, complètement privée d'arbres,
est d'une lassante monotonie. 11 faut atteindre le rebord
des monts qui l'encadrent pour retrouver, à la sortie
de chaque vallée, groupés autour de sources fortes, de
beaux villages, des petites villes pittoresques entourées
de vignobles, de vergers que dominent les dômes
des platanes gigantesques. Tels sont Tatar Pazardjik
(20 000 habitants) au débouché des gorges de la Haute
Maritza, Stanimaka et Haskovo ( 1 5 000 habitants) sur
les flancs du Rhodope, Stara Zagora (22 000 habitants).
Nova Zagora, Yamboli (16 000 habitants), Slivno
(25000 habitants) au pied de l'Anti-Balkan, etc.
Par exception, la cité maîtresse de la Roumélie, PhiHp-
popoli ou Plovdiv, fondée par le père d'Alexandre,
a grandi aux rives mêmes de la Maritza, mais en un
point où des collines de gneiss et de granit percent
la mince couverture des limons. C'est, après Sofia, la
ville la plus peuplée (60 000 habitants) et le plus grand
marché agricole de l'Etat Bulgare.
Sur la Mer Noire, Bourgas (13 000 habitants) est
le débouché naturel des riches plaines rouméliotes. Elle
n'a toutefois qu'une rade médiocre, et les marais qui
l'entourent la rendent fort insalubre. C'est sur Varna
(40 000 habitants), située à 80 kilomètres plus au Nord,
que les Bulgares ont concentré tous leurs efforts. Une
société française y construisit, avant la Grande Guerre,
un bon port en eaux profondes, et la ville neuve, d aspect
entièrement européen, exporte 40 pour 100 des pro-
duits bulgares destinés à l'étranger.
Nola. a d Le Trailé de Neuilly (novembre 1919) autorise la
Bulgarie à uliliser le pori grec de Dédéagalch sur la Mer Egée.
260
LA BULGARIE
h^S^^-
••■TEÎI. A-
,'*^,
' ^i i
^ _ «v'^'^
NICOPOLIS ET LES BORDS DU DANUBE. L« Imossa de Buliaric domina,!
a une centaine de mcties la rive droile du Danuhe, tandis qu'en face, sur la rive rou-
maine, une zone plus ou moins large de plaines marécageuses accompagne le couru du
fieuce. Sur les pentes ca'caires recouvertes delimon.cn cultive les céréales et la tifine.
Aux débouchés des vallées qu'ont crtusées les torrents descendus de Fore balkanique
se situent les villes : Vidin. Lom-Palanka Orechovo. Nicopclis ouNiltopol, Sistovo. etc.
f.lles exoédient, par la voie du Danuke, les blés et les maîs récolté» sur les fertiles ter-
rasses bulgares. Ci.CwussEAU-Foivirjss.
LA CULTURE DES ROSES DANS LA REGION DE KAZANLIK. Au ^ud
du Balkan, s'ouvre une série de petites dépressions riches en eaux courantes, chauffées
par les rayons d'un soleil qui a déjà quelque chose de méditerranéen. Lonque, quittant
la Bulgarie, on descend vers la Roumélie par la passe de Chipkja, le contraste est
frappant entre U-i truies solitudes forestières que l on laisse derrière toi sur les terrasses
du Nord et les plaines riantes, couvertes de champs de vignes et de céréales dt roseraies
surtout, les fameux champs de tous qui ont foit la renommée de Maglich et de Kazan-
Hk. dans le Touloosko Poljé que draine la Toundja supérieure.
261
L'EUROPE
LA PASSE DE BELOGRATCHIK. La chaîne <ies'Ba!kans qui forme l'ossalure
des pays bulgares esl traversée par un assez grand nombre de routes empruntant
des cols faciles qui mènent des plateaux danubiens aux plaines Touméliotes et
à la dépression de la Morava. Cl. Chusseau-Flaviens.
TROUPEAU DE BUFFLES EN BULGARIE.La oue est prise. auN or d~Est
du Balk<in, SUT les pentes boisées Qui descendent par longues ondulations vers les
plaines de la Dobroudja. Le buffle, animal d'aspect asse:: farouche, mais de naturel
très doux, est d'emploi courant dans tout l'Orient.
LE MONASTERE DE PREOBR.AJENSKY. ^/eVess^n/
spécimen des couvents encore nombreux qui se cachent au
fond des vallées du Riladagh et du massif du Rhodope sut-
nommé"le Mont des prê.res". CI.ChusSEAU-Flaviens.
LES PAYS.ANNES SOFIOTES
:e vêtent d'une longue chemise ri-
chement brodée, recouverte d une
épaisse robe brune.
LA TOUNDJA rassemble les eaux du Balkan méridional
et les porte à la Maritza. Dans son cours supérieur, elle
traverse et irrigue les champs de roses de la riante vallée
de Kazanlik.
tt
1 ''- ' ' • -^^ «^
f
ri l^^^
SOFU.
La
m^içuét: de
Banjo
Bacfii, encore
affectée au
culte
mahométan, rap-
1 j>t'?:c--
h
roî:.'
d: tic l
cBulg
aric orthodoxe
ancienne colonie
militaire romaine.
'-':v.îtirc
frc
u'c-,
quQ'.'ù
siècU.
la résidence
Roumélie.
des Beylc
beys
DU gouverneurs de
BOURG.^S: TZIGANES PRÈS D'UNE SOURCE. .Malgré la médiocrité
de sa rade, l'insalubrité de son climat et surtout la rude concurrence de sa voisine
et rivale Varna, le port de Bourgas a pour l'Etal bulgare une très grande importance,
car il est le débouché le plus naturel des riches plaines rouméiiotes.
LA BULGARIE
GEOGRAPHIE HUMAINE
HISTORIQUE. £Ï£J Les Bulgares arrivèrent dans ta pénin-
sule balkanique vers le VII° siècle de notre ère, «presque les Serbes
et autres Slaves en eurent occupé la majeure partie. Les Bulgares
étaient, à l'origine, de euples de race jaune, proches parents des
Huns, des Finnois, des Turcs et Tatars. lis vécurent longtemps
aux rives de la Volga avant de franchir les steppes russo-rou-
maines, puis le Danube, et de s'établir sur les terrasses du Balkan
où les rejoignirent plus tard d'autres nomades asiatiques : les Kou-
manes et les Petchénègues. Là, ils entrèrent en contact avec les
Slaves et se confondirent si bien avec eux qu'on ne saurait aujour-
d'hui les séparer du groupe Yougo-Slave ou Slave du Sud. Ils
parlent une langue lort voisine du serbe et le type mongoloïde
ne se retrouve plus chez eux que tout à fait exceptionnellement.
Ils eurent, du IX® au XII1° siècle, sous les tsars Siméon. Asen et
Peter, Johannitsa, etc., une période brillante. On les vit lutter
avec avantage contre les empereurs byzantins, conquérir et coloni-
ser les vallées de la Maritza et du Vardar. Ils infligèrent même
plus d'une défaite aux Francs de la 4^ Croisade, fondateurs de
l'Empire latin de Constantinople, et la renommée des " Boulgres "
s'étendit jusqu'à l'Occident.
Mais ils durent d'abord s'incliner au XIV° siècle devant la supé-
riorité de leurs voisins serbes, puis, à partir de 1 389 (défaite serbe
du Champ des Merles), ils passèrent, comme tous les chrétiens des
Balkans, sous le joug turc. Ce sont eux qui supportèrent ce joug le
plus longtemps. La domination ottomane, fort dure, les avilit de
telle sorte qu'ils perdirent tout souvenir de leurs grands ancêtres.
Bien différents des Serbes, ils n'avaient aucune fierté guerrière,
ne célébraient point les batailles d'autrefois, vivaient dans la te reur
et le respect du " Zaptié " ou gendarme. Incapables de conquérir
par eux-mêmes la liberté, ils ne durent leur indépendance en 1 878
qu'à l'intervention et aux victoires russes.
En revanche, à peine libres, ils ne se contentèrent point des terri-
toires que leur avait attribués le Congrès de Berlin, et leurs ambi-
tions n'envisagèrent rien de moins que la possession de toute la
Thrace jusqu'à Constantinople incluse, de toute la Macédoine,
d'une partie de la Serbie et delà Roumanie. Ils parvinrent d'abord
à occuper la Roumélie orientale; puis, en 1913, alliés aux Grecs
et aux Serbes, s'ouvrirent un débouché sur la Mer Egée. Mais
l'attaque perfide qu'ils déclenchèrent dès 1913 contre leurs alliés
de la veille, et surtout la politique stupide de leur tsar Ferdinand
pendant la Grande Guerre, ont anéanti leurs espoirs. Non seulement
les Bulgares doivent renoncer définitivement à réaliser en Macé-
doine, en Serbie, dans la Dobroudja roumaine, les vastes
aimexions qu'ils rêvaient, mais ils se sont vus privés en 1919, au
profit de l'Hellade, de la portion de Thrace qu'ils avaient acquise
en 1913.
DENSITÉ ET RÉPARTITION DE LA
POPULATION. /Ha La population de l'État Bul-
gare atteint environ 5 000 000 d'habitants, soit une densité
moyenne de 49 au kilomètre carré. Les plaines fertiles qui
bordent le Danube, certaines parties des terrasses calcaires
du Nord, les bassins de Philippopoli, de Kazanlik, de
Sofia, ont, comme il est naturel, fixe' la majeure partie
des habitants. Toutefois, les vicissitudes dont le pays fut
l'objet expliquent certaines apparentes anomalies. Par
exemple, la densité de la population est plus forte entre
500 et 900 mètres d'altitude qu'entre 200 et 500. Les
Turcs en effet, notamment dans tout l'E^t de la Rou-
mélie, prirent les terres les meilleures sises dans les plaines
et refoulèrent dans la montagne les Bulgares chrétiens.
Mais la proclamation de l'indépendance bulgare amena
l'émigration d'une quantité considérable de musulmans,
soit Turcs, soit Slaves islamisés. Ainsi se vidèrent les
fertiles régions de Yamboli, de Bourgas, de Varna, de
Choumla qu'une immigration régulière de montagnards
ou de Bulgares accotirus de l'étranger (Turquie, Macé-
doine, Roumanie) n'est pas encore parvenue à recolo-
niser.
LES BULGARES, /aa 80 pour 100, environ,
de la population, se composent de purs Bulgares.
C'est une race de paysans robustes, trapus, de taille au-
dessus de la moyenne, à la tête ronde, aux yeux bruns
très foncés, aux cheveux châtains. Ils ont de précieuses
qualités : ardeur au travail, sobriété, patience, discipline,
et se transforment aisément en excellents soldats très
braves, mais sans témérité, sans enthousiasme. On a
observé que c'est la seule armée qui ne sache pas de chan-
sons de route. " La longue servitude à laquelle ils furent
soumis explique d'autres traits de leur caractère : le
manque d'idéal et de sensibilité, la vulgarité et la
violence, l'égo'isme, le profit matériel mis au-dessus
de tout.
Moins généreux, moins rêveurs, moins fins, moins
slaves en un mot que les Serbes, ils réussissent souvent
mieux que leurs voisins grâce à leur ténacité, à leur labeur
qui ne s'arrête jamais, à leur économie poussée facilement
jusqu'à l'avarice. " Doux et accueillants si on les laisse
tranquilles, cette douceur tout apparente se change en
une rudesse quelquefois terrible si on les trouble dans
leur travail. Même dans la classe aisée, j'ai connu à Sofia,
à Varna, des hommes instruits, ayant toutes les apparences
d'une complète urbanité, qui devenaient très rudes dès
que leurs intérêts étaient menacés. " (A. Muzet.)
La presque totalité des Bulgares appartient au chris-
tianisme orthodoxe. Longtemps soumis au patriarchat
grec, ils parvinrent, en 1 870, à se détacher de l'Église
hellénique et reconnurent l'autorité suprême d'un
exarque autonome résidant à Constantinople. Point fana-
tiques et assez peu respectueux de leur clergé, en dehors
des offices, ils montrent cependant, comme tous les Bal-
kaniques, un très profond attachement à une forme de
croyance qui, pour eux, est synonyme de l'idée de patrie.
Les seuls Bulgares qui ne soient pas chrétiens portent
le nom de Pomaques. Ces Slaves, convertis à l'islamisme
au XVII^ siècle, habitent, au nombre d'une vingtaine de
mille, les pentes boisées du Rhodope. Un grand nombre
— 263
GÉOGRAPHIE tiNIVEKSELLE-
26
L'EUROPE
d'entre eux, du reste, chez qui la force de la religion
l'emportait sur les instincts de la race, ont suivi les
musulmans turcs dans leur exode vers l'Anatolie et se
sont éloignés sans retour d'une terre qu ils ne considéraient
plus comme leur patrie véritable.
LES ALLOGÈNES. 00 En dehors des Bul-
gares on trouve en Bulgarie des Turcs, des Grecs, des
Tziganes, des Roumams et quelques autres représentants
de peuples divers.
Les Turcs seraient encore au nombre d'un demi-
million environ, dans toute la partie orientale de la Bul-
garie Nord et Sud. Les Grecs, presque tous adonnés au
commerce (70000 environ), peuplent les ports de la
côte (Vasiliko, Sezopol, Anchialos, Bourgas, Varna)
et ont d'importantes colonies à Philippopoli, Stanimaka,
sur la Basse-Toundja. Les Tziganes, arrivés à la suite des
Turcs, en partie sédentaires, comptent une centaine de
milliers d'individus (surtout à Kotel, Sliven, Tatar-
Pazardjik). 75000 Roumains ont franchi le Danube
pour se fixer dans les districts de Vidin et Kula. Une
douzaine de milliers de Zinzares ou Koutzo-Valaques,
tous bergers, passent pour descendre en ligne directe
des anciennes populations thraces romanisées. Enfin
40000 juifs, d'origine espagnole comme leurs frères
de Salonique, trafiquent dans les villes, surtout à Sofia ;
10000 Gagauses, de langue turque mais de religion
orthodoxe, sont considérés comme les derniers repré-
sentants des Koumanes et Petchénègues. Quelques
milliers d'Arméniens font aux commerçants grecs, aux
usuriers juifs, une concurrence souvent victorieuse.
S'il est facile d'énumérer ainsi les allogènes qui vivent dans les
limites de l'Etat Bulgare, il apparaît comme beaucoup plus
malaisé d'estimer le nombre des Bulgares qui demeurent hors de
ces limites. Les statistiques de Sofia annexaient en effet, sans autre
ïorme de procès, tous les Slaves de Macédoine et bon nombre de
Serbes du district de Pirot! De pareilles prétentions, auxquelles la
guerre a mis bon ordre, étaient, il est vrai, facilitées par le fait que
la plupart des Macédoniens n'étaient ni tout à fait des Serbes, ni
tout à fait des Bulgares, et que, d'autre part, c'est par transitions
insensibles que l'on passe du Serbe pur de la Choumadia au pur
Bulgare de Sofia et Tirnovo. Quoi qu'il en soit, et tout en réduisant
dans de considérables proportions les chiffres provenant de source
uniquement bulgare (1800 000!), il faut reconnaître que d'im-
portants groupements bulgares (peut-être 400000 à 500000 indi-
vidus) se trouvent englobés aujourd'hui dans l'Etal Hellénique.
D autres encore vivent dans la Bessarabie et la Dobroudja rou-
maine, dans le Banat de Temesvar. On en rencontre même en
Amérique, où une émigration relativement forte jetait annuellement
20 000 à 25000 individus.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
Les BulgcU'es sont avant tout un peuple de paysans
cultivateurs, de terriens attachés à la glèbe. L'industrie
ne compte pas. Le commerce est pour partie concentré
entre les mains des allogènes : (Urecs, Arméniens,
sociétés étrangères. L'élevage même a pour le Bulgare
beaucoup moins d'attrait que pour le Serbe.
Les trois quarts des gens vivent dans des hameaux
ou de gros villages, aux maisons de pierre et de bois, que
décorent en automne des guirlandes de piments et d'épis de
ma'is. Maisons fort rustiques, qui tantôt se pressent les unes
contre les autres, tantôt s'écartent à portée de la voix
et se dispersent au milieu des vergers. Dans les agglo-
mérations plus considérables on relève, malheureusement,
un fâcheux parti pris de modernisation à outrance qui
tend à faire disparaître le pittoresque des vieux logis à
1 orientale et les remplace par des bâtisses inélégantes et
quelconques. Même transformation regrettable, quoique
plus lente, dans le costume des paysannes qui, aux alen-
tours des villes, commencent à quitter leurs chemises
délicatement brodées de teintes vives, leurs doubles
tabliers bariolés, leurs " opintze " (sandales) et leurs
bas épais tricotés en laines multicolores.
Un changement plus heureux est dû aux efforts du
gouvernement pour développer l'instruction. En 1887, on
comptait 90 pour 100 d'illettrés ; en 1900, ils n'étaient
plus que 77 pour 100, et aujourd'hui, sur 100 recrues,
264 —
90 savent lire, proportion singulièrement plus forte que
dans les pays voisins (70 en Grèce, 49 en Serbie, 38 en
Roumanie).
Cirâce à une instruction plus développée, à la multi-
plication des écoles d'agriculture, des fermes-modèles, à
la création d'une Banque eigricole prospère, le paysan bul-
gare commence à secouer une routine séculaire. 11
apprend à fumer son champ avec science, à user d'ou-
tils et de machines agricoles. Comme la propriété est très
morcelée (on partagea en effet entre les paysans chré-
tiens les ' ' tchifliks " ou grands domaines possédés autre-
fois par les musulmans) , il pallie les inconvénients de ce
fait en s'associant et en répartissant les frais d exploitation
et les bénéfices proportionnellement à l'étendue de
chaque propriété.
La culture des céréales (2 400 000 hectares) comprend
d'abord et surtout le blé, puis le ma'i's. L'orge, le seigle,
l'avoine, le riz ont une importance moindre. 80 000 hec-
tares sont consacrés aux plantes industrielles : tabac,
coton, lin et chanvre, betteraves à sucre, à peu près
autant aux vignobles. Les vergers et jardins potagers
couvrent sensiblement la même superficie. 7000 hectares
dans la région de Kazanlik ne portent que des champs de
roses. On compte environ 1 000000 d'hectares de forêts
et 2000000 ou 3 000 000 d'hectares de pâturages natu-
rels ou prairies artificielles, où s'élèvent 7000000 de mou-
LA ROUMANIE
tons, I 400000 chèvres. 2 200000 bovins. 500000 buf-
fles, autant de chevaux et de porcs. 140 000 ânes et
mulets.
Les ressources du sous-sol (un peu de fer, de cuivre,
de houille) paraissent médiocres, et leur exploitation est
insignifiante. Comme industrie, on ne peut mentionner
que la fabrication d essence de roses à Kazanlik
et Maglich, quelques sucreries (Sofia, Philippopoli),
brasseries, tanneries, tissages de soie (Philippopoli,
Choumla, Roustchouk) et de lames (Slivno, Gabrovo,
Samakov).
La Bulgarie a fait un gros effort pour se pourvoir
de moyens de communication. Depuis 1880 elle a qua-
druplé le réseau de ses routes carrossables (8000 kilo-
mètres au lieu de 2 000) et fort amélioré leurs conditions
de viabilité. Le réseau ferré dépasse 2 000 kilomètres.
Les Balkans sont traversés en deux points, et presque toutes
les prmcipales villes du royaume se trouvent reliées les
unes aux autres par chemins de fer ou bateaux à vapeur.
Le commerce extérieur de l'Etat Bulgare atteignait
en 1912, dernière année normale, le chiffre de
368 000 000 de francs, dont 1 56 000 000 pour les
exportations et 212 000000 pour les importations. 11
achetait surtout de la houille, du pétrole, des objets
fabriques : cotonnades, machines, wagons, locomotives,
produits chimiques, parfumerie, etc., e^ vendait des
céréales (110000 003. dont 55 000 000 pour le blé,
30000000 pour le maïs), des animaux sur pied, des
œufs, des cuirs et peaux, de l'essence de rose.
Ses meilleurs fournisseurs étaient l'Autriche-Hongrie
(52 000 000). l'Allemagne (33 000 000), la Grande-
Bretagne (28 000 000). la France (22 000 000). etc.
Les principaux acheteurs de denrées bulgares se classaient
ainsi : Belgique (40 000000). Allemagne (23 000000).
Turquie (20000000), Angleterre (19000 000). Au-
triche-Hongrie ( i 8 000 000). Grèce (8 000 000). France
(7 000 000).
Voici, en livres sterling, d après le Slaleiman's Year-Book de
1921. quelques chiffres concernant les transactions commerciales de
la Bulgarie en 1919.
Les importations ont aUeinl 38 557000 livres sterling (au
lieu de 9 600000 livres sterling en 1914). et les exportations
22000000 de livres sterling (au lieu de 6 180000 livres sterling).
Le détail des ventes et des achats n'est pas indique en chiffres.
Mais, comme dans la période d"avant-guerre. ce sont les objets
fabriqués qui représentent la plus grosse pari des importations,
tandis que les céréales, Tejsence de rose, le tabac. les produits ani-
maux prennent le premier rang aux exportations.
Parmi les principaux fournisseurs de la Bulgarie d'après guerre,
c'est l'Italie qui vient en tête (si. toutefois, le chiffre indiqué par
les statistiques anglaises n'est pas erroné?), avec 13835000 livres
sterling. soit le tiers du total. Puii se classent la Turquie
(5880000 livres sterling), la Grande-Bretagne (4200000 livres
sterling), les Etats-Unis (784 000 livres sterling), la France
(231000 livres sterling), etc.
CONCLUSION
La Bulgarie paraît s'être résignée loyalement aux dures
conséquences de ses défaites. Le peuple bulgare a trop
de bon sens, trop d'esprit pratique pour reprendre sur
nouveaux frais la politique mégalomane de 1 ex-tsar Fer-
dinand. D'autre part, le pays peut pourvoir seul à la
plupart de ses besoins essentiels, et I acharnement au
travail, les habitudes d'économie du paysan arriveront
assez vite à pallier les désastreux résultats économiques
dune guerre qui se prolongea, presque sans interruption,
pendant sept années. H ne faut désormais à la Bulgarie
que la paix extérieure et l'ordre intérieur. Elle ne tiendra
pas évidemment, dans les Balkans et en Europe, la
large place qu'elle rêvait. EAe ne sera qu'un petit pays
et un petit peuple. Peut-être sera-ce, pour sa prospérité
et le bien-êlre de ses habitants, ce qui pouvait lui arriver
de plus heureux.
CHAPITRE XIX
LA ROUMANIE
GENERALITES
En 1914, le Royaume de Roumanie se restreignait au
territoire compris entre les Carpates, le Danube, le
Prout et la Mer Noire. Il couvrait 145 000 kilomètres
carrés, peuplé de 7 500 000 habitants. Mais l'étude d'une
carte ethnographique de l'Europe Orientale révélait
aussitôt que la nationalité roumaine débordait largement
hors de ces limites. La Bessarabie russe, la Bucovine
autrichienne, la Transylvanie hongroise contenaient une
très forte proportion de Roumains dont le plus cher
désir était d'échapper à la domination étrangère et de
— 265
L'EUROPE
s'unir à leurs frères libres. La part brillante que la
Roumanie prit à la Grande Guerre, ses souffrances, ses
sanglants sacrifices ont permis de réaliser ce rêve. Du
Dniestr aux plaines de Hongrie, de la Dobroudja
aux sources de la Tisza, l'Etat Roumain englobe désor-
mais presque la totalité de la nation roumaine. Par
l'étendue de son territoire (293 324 kilomètres carrés),
par le chiffre de sa population ( 1 7 300 000 habitants) , il se
classe en bon rang parmi les Etats européens. Un
mélange harmonieux de montagnes pastorales couvertes
de forêts, riches en ressources minéreJes, et de plaines
au sol merveilleusement fécond, lui assurent un avantage
marqué sur la plupart des Etats secondaires de l'Europe
Centrale, trop exclusivement montagneux (Autriche,
Yougo-Slavie) ou plats (Hongrie, Pologne). Il ne s'étend
pas démesurément en longueur comme la Tchéco-
slovaquie et la Yougo-Slavie, mais se concentre en
luie masse compacte, arrondie, dont les diverses sections
communiquent aisément les unes avec les autres grâce
aux nombreux passages des monts, au réseau largement
ramifié des vallées fluviales qui, prenant leur origine à
faible distance les unes des autres, divergent ensuite vers
les plaines hongroises, moldaves, valaques. Les monts
Oirpates, flanqués des plateaux Transylvains , donnent
à l'Etat une architecture solide, et constituent pour les
Roumains comme une puissante forteresse, un refuge où ils
pourreiient défier les assauts d'un ennemi éventuel. Enfin,
précieux privilège qui manque à la Suisse, à la Tchéco-
slovaquie, à la Hongrie, la Roumanie est dotée d'une
façade maritime ouverte sur la Mer Noire, entre les
frontières bulgare et russe. Cette façade n'est point d'accès
difficile, comme le sont les côtes Dalmates, par exemple,
pour la Yougo-Slavie. Sur elle, au contraire, débouche,
outre le Dniestr, la masse formidable des eaux que le
Danube draine à travers toute l'Europe Centrale. Son
delta prolonge et augmente chaque année les plaines
inrmienses qui descendent par une pente insensible des col-
lines subcarpatiques. Toutes les grandes voies commer-
ciales l'empruntent ou suivent une direction parallèle à
sa vallée. La Roumanie se trouve donc à même non
seulement d'écouler aisément et à peu de frais ses cérécJes
et ses pétroles, mais encore de contrôler une bonne partie
du trcific destiné aux autres puissances de l'Europe
Centrale.
Ainsi appeuaissent, au premier coup d'œil jeté sur la
carte, les traits les plus caracténsques de ce que l'on
pourrait appeler la physionomie géographique du Royaume
roumain. C'est un bastion carré de hautes montagnes
flanqué d'un large glacis de plaines dont le Danube
rassemble les eaux. L'étude plus détmllée des régions
naturelles va nous révéler la variété qui se cache sous
cette division fort simple du sol roumain.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
Les régions naturelles de la Roumanie
LES CARRATES. ajU La chaîne des Carpates
décrit à travers la Roumanie un arc double qui partage le
territoire en deux sections : l'occidentale avec la Transyl-
Vcuue et la portion roumaine des plaines hongroises ;
l'orientale avec la Moldo-Valachie, la Bucovine, la
Bessarabie et la Dobroudja. 11 est naturel de commencer
l'étude du sol roumain par ce trait saillant du relief,
robuste support et château d'eau des régions déprimées
qui s'appuient sur ses flancs.
Les Carpates roumains débutent en Bucovine par
le massif de la Tcherna Hora (2 306 mètres). Ils se
dirigent d'abord vers le Sud- Est et, sur une longueur de
300 kilomètres environ, se présentent sous forme de
massifs calcaires de structure fort monotone, dépourvus
de toute individualité géographique, isolés les uns des
autres par des coupures nombreuses où passent rivières
et routes. L'altitude moyenne de ces Carpates moldaves
ne dépasse pas 1200 à 1 500 mètres. Puis uncoudeextrê-
mement brusque infléchit la chaîne vers l'Ouest. Elle
porte alors le nom d'Alpes de Transylvanie ou de
Carpates Valaques. L'altitude s'accroît fortement. De
266
vraies barrières aux flancs raides se dressent entre les
terrasses de Mounténie au Sud, et les bassins Transylvains
au Nord. En même temps, la composition géologique
très complexe donne aux formes structurales une variété
intéressante. A l'Est, les Massifs du Lotru, du Bucegiu,
dont les gigantesques parois dominent la coquette ville
de Sinaïa, s'élèvent à 2 528 mètres. Au centre, la chaîne
des Fogarash allonge sur 80 kilomètres un véritable
mur d'une altitude moyenne de 2 200 mètres. A l'Ouest,
le Massif du Paringu atteint 2 529 mètres. Puis la chaîne
se recourbe vers le Sud, et la liaison des Carpates avec
les Balkans se fait par le massif de schistes cristallins du
Vulcan (1870 mètres) et les monts calcaires de la
Cerna (2 229 mètres).
Malgré la raideur et l'élévation de leurs parois, les
Carpates Valaques sont traversés par des passages, à la
vérité moins nombreux que dans les Carpates Moldaves,
mais aussi aisés. Bon nombre de rivières en effet : Buzeu,
OItu, Jiu, Cerna, naissent au Nord des Alpes Transyl-
vaines et, pour gagner le Danube, sont obhgées de se
creuser à travers la montagne des gorges d une impres-
LA ROUMANIE
sionnante profondeur. La plupart des routes, d'usage
fort ancien, utilisent ces coupures naturelles (cols de
Prédéal, de la Tour Rouge, du Vulcan, du ThSmSs,
Porta Orientalis), où s'insinuent également quelques voies
ferrées.
Les Carpates doivent leur origine aux plissements alpins. Toute-
fois, jusqu'à I 500 ou 1 800 mètres, leur aspect général rappelle non
pas les Alpes ou les Pyrénées, mais bien plutôt les formes tra-
pues, arrondies, des Vosges ou des monts de Bohême. Seules les
parties les plus élevées des massifs, notamment dans les monts
Paringu, offrent quelque ressemblance avec les crêtes savoisiennes
ou pyrénéennes grâce surtout aux cirques glaciaires qui s'y creusent
entre des parois abruptes, aux nombreux lacs qui miroitent à tra-
vers les masses d'éboulis. Des forêts immenses les recouvrent
jusqu'à I 600 ou 1 700 mètres. Au-dessus, des alpages reçoivent
en été les bergers ou " ciobans " et leurs troupeaux de moulons
qui ont hiverné dans les plaines danubiennes. Ils donnent, de
juin à septembre, un peu de vie à ces montagnes par ailleurs sau-
vages, tristes, fermées, inhospitalières, mais qui jouèrent un tel rôle
dans l'histoire du sol roumain et des sociétés humaines qui s'y
fixèrent. C'est aux Carpates cristallins en effet que les torrents
arrachèrent ces sables, ces argiles qui composent une bonne pan
du territoire moldo-valaque. C'est aux neiges, aux p'uies, aux
sources de la montagne que les rivières puisent assez d'eau pour
traverser, malgré les brûlants étés, les plaines desséchées du pour-
tour, vouées sans elles à la stérilité et à l'abandon. C'est enfin dans
les solitudes inviolables de la montagne que la race daco-romaine
parvint à conserver la pureté de son sang et de son langage, alors
que les barbares de toutes races s'installaient dans les plaines. Et
plus tard, ce sont les montagnards roumains des Carpates qui, sui-
vant les vallées, colonisèrent à nouveau les vastes glacis des bas-
pays.
LA TRANSYLVANIE. 00 L'angle inscrit
dans la courbe des Carpates est occupé en entier par un
plateau — plus exactement un haut-bassin — très mou-
vementé où des dépressions, des effondrements comblés
pjur les mers tertiaires se logent entre les massifs de roches
cristallines (monts Bihar, 1850 mètres) et volcaniques
(monts Hargita, I 758 mètres). Ce haut-bassin est l'Erdé-
ly des Magyars, l'Ardealul des Roumains, la Transylvanie
des Occidentaux, ainsi nommé des immenses forêts qui
couvraient autrefois les montagnes du pourtour. Difficile-
ment abordable par le Sud ou par l'Est, la Transylvanie
s'ouvre au contraire largement siu la face occidentale où
les larges vallées du Szamos, des deux Koros, de la
Maros, du Ternes s'inclinent vers la Tisza et le Danube.
Farces valléess'infiltrèrent au cœur du plateau les éléments
Magyars et Allemands que l'on trouve aujourd'hui can-
tonnés au milieu de la masse des populations roumaines.
Par contre, des montagnards roumains descendirent par
ces mêmes vallées vers les vastes plaines hongroises et
peuplèrent si bien leur bordure orientale que l'on a dû
légitimement attribuer au royaume de Roumanie les ter-
ritoires de Temesvar, d'Arad et de Nagyvarad (Oradia
Mare).
Ces territoires de la plaine ne diffèrent en rien, naturel-
lement, de l'Alfôld hongrois dont ils fontgéographiquement
partie. Mêmes étendues plates, monotones, déboisées où
l'on cultive blé, maïs, betterave, où paissent en liberté
des troupeaux de porcs, de moutons, de chevaux à demi-
sauvages. Mêmes fortes agglomérations mi-villageoises,
mi-urbaines, peuplées en majorité de paysans roumains,
mêlés de Juifs, de Magyars, d'Allemands et de Tziganes :
Temisoara (Temesvar) 80 000 habitants, Arad 65 000.
Oradia Mare (Nagy Varad) 70 000 habitants, etc.
L'intérieur transylvain est singulièrement plus varié.
Montagnes et collines ont conservé en partie le,ur parure
de forêts, leurs beaux alpages que parcourent en été les
troupeaux de vaches laitières. De plus, les monts Bihar
ou Monts Métallifères transylvains renferment de nom-
breux gisements d'or, d'argent, de fer, de cuivre, de sel,
exploités depuis une haute antiquité. Enfin, des plaines
intérieures, fonds d'anciens lacs comblés petf les alluvions,
forment des oasis de riches cultures entre les escarpements
des monts : tels sont le Gyergye, le Barc Zasag ou plaine
de Kronstadt, le Csik, le Haromszèk, la magnifique val-
lée de Fogaras, le bassin de Sibiu, etc.
Ces ressources abondantes et variées, la facilité relative des
communications, l'indépendance même dont la Transylvanie, bien
protégée par son rempart de montagnes, a joui pendant des siècles,
expliquent l'attrait qu'elle exerça sur les hommes. Aux Daco-Rou-
mains, qui représentaient les aborigènes, se joignirent d'abord, à par-
tirdulX®siècle,desgroupesdeMagyars appelés Szekely ou Szeklers
dont les descendants sont encore aujourd'hui cantonnés dans le
grand coude des Alpres Transylvaines et des Carpates Moldaves.
Puis, dès le XII® siècle, des colons allemands, attirés par les rois
de Hongrie, vinrent se fixer dans la plaine de l'Aluta, autour de
Brasso (Kronstadt) et de Sibiu (Hermannstadi). sur le haut-
Szamos, etc. Ces " Saxons ", comme on les appelle là-bas, par-
vinrent à maintenir pendant six siècles leur nationalité et l'usage
de leur langue. Toutefois, bon nombre d'entre eux finirent par se
magyariser ou se roumaniser, et l'on n'en compte plus guère que
200000 environ, auxquels il faut ajouter un nombre égal de
" Souabes " de même origine fixés dans le Banal de Temesvar.
La ville capitale transylvaine est Cluj (Kolozvar), an-
cienne colonie romaine sur la haute-Szaraos. Elle compte
65000 habitants. Brasso (Brasov) 45000 habitants,
Sibiu (35000 habitants) commandent les principaux
passages des Alpes Transylvaines. Les autres cités :
Fejervarou Belgradou, Maros Vasarhely, Fogaras, etc.,
servent aux échanges entre les montagnards et les gens
des plcunes.
LA BUCOVINE. 00 Au delà des Carpates, les
Habsbourg avaient acquis en 1775 le territoire de la
Bucovine, dé'aché de la Moldavie alors turque. En récu-
pérant la majeure partie de cette province, la Roumanie
n'a donc fait que reprendre son bien, un bien auquel elle
tenaiit d'autant plus que la Bucovine (le pays des hêtres),
berceau de l'Etat Moldave, contient encore ses mo-
267 '
L'EUROPE
nastères les plus vénérables et les tombeaux de ses an-
ciens rois.
Adossée aux pentes des Carpates, la Bucovine s in-
clineauSud-Estversles plaines moldaves etbessarabiennes
LeSereth, le Prout la traversent dans leur cours supé-
rieur et le Dniestr lui sert de limite septentrionale.
De vastes forêts où se mêlent chênes, hêtres, conifères,
bouleaux recouvrent encore le tiers de la superficie. Le
reste est occupé par de bonnes terres à labour et des
prairies.
Sur 1 0000 kilomètres carrés environ vivaient, en 1910,
800 000 habitants, de races extrêmement mélangées. Les
Roumains composaient à peu près la moitié du total. Le
leste se répartissait entre Ruthènes (300000), Magyars,
Allemands, Polonais, Tchèques, Tziganes, Juifs, etc.
Une seule ville importante, Tchernaoutsi (Czernowitz) ,
la capitale, compte une centaine de milliers d'habitants.
Elle a depuis longtemps supplanté Suceava qui fut,
jusqu'au milieu du XVl^ siècle, la capitale de la Moldavie.
LA MOLDAVIE ET LA VALACHIE. aa
Entre Carpates, Danube et Prout, les grandes pro-
vinces de Moldavie et de VeJachie composent à elles
seules la région à laquelle on réservait jusqu'en 1914 le
nom de Roumanie. Ce sont elles qui, les premières, arra-
chèrent aux Turcs une large autonomie, puis qui s'unirent
pour former un Etat Roumain indépendant. C'est autour
d'elles que gravitaient naturellement les espoirs de tous
les Roumains irrédimés. Elles sont, du reste, la partie la
plus prospère, la plus civilisée du royaume.
Elles débutent, au pied des Carpates, par une bande
concentrique de colhnes qui s'abaissent vers le Sud en
pentedouce. Les Roumains appellent Podgoria (Piémont)
cette zone dont la largeur atteint au maximum 80 kilo-
mètres en Valachie, mais qui couvre sur près de 200 kilo-
mètres la totalité de la Moldavie et de la Bessarabie sep-
tenti'ionales. Des argiles, des marnes, des sables arrachés
par les torrents aux monts Carpatiques forment un gla-
cis dont l'altitude passe lentement de 600 à 200 mètres
et qui serait tout à fait uniforme si les cours d'eau qui dé-
valent des Carpates n'y burinaient de longues vallées.
La Podgoria fut autrefois couverte d'immenses forêts.
Il nen reste plus que des lambeaux, à la vérité fort nom-
breux, dispersés sur les collines qui ondulent entre chaque
vallée parallèle. Mais partout les champs de maïs, les
vergers se mêlent aux boqueteaux. Les villages se suc-
cèdent sur les pentes ensoleillées. C'est la région la plus
riante et la plus peuplée des deux provinces.
A mesure que l'on s'éloigne de la montagne, le relief
s abaisse, les vallées s'élargissent, les forêts disparaissent,
la végétation s'appauvrit. On arrive ainsi à la seconde
des zones naturelles qui se partagent la Moldavie- Vala-
chie : la zone des terrasses diluviales ou des steppes. Elle
-" 268
commence vers Craïova, Ploiesti, Focsani et s'étend jus.
qu'à la dépression danubienne. Le sol est formé soit de
cailloutis charriés par le Danube et les torrents carpa-
tiques, soit d'épaisses couches de loess d'origine éolienne.
La composition chimique de ces terres, leur perméabilité,
s unissent à la sécheresse du climat pour proscrire les
arbres. On peut cheminer des heures sur les mornes
étendues de ces steppes poudreuses sans voir autre chose
qu un maigre bouquet d acacias. Mais ces mêmes terres,
pour peu qu'on les travaille et qu'on les irrigue, se
montrent merveilleusement fertiles. C'est sur elles qu'a
porté le principal effort du colon roumain venu de la mon-
tagne, et le damier des champs de ble s'étend chaque
année davantage autour des gros villages, peuplés de
2 000 âmes et plus, groupés autour des puits rares et
profonds.
Aux approches du Danube, ces villages se multiplient
sur le rebord de la terrasse limoneuse qui domine de
quelques mètres la vallée majeure du grand fleuve. Cette
vallée, large de 10 à 25 kilomètres et que limitent au
Sud les hautes falaises de la rive bulgare, constitue un
petit monde à part, une zone spéciale mi-aquatique, mi-
terrienne, la lunca ', que le fleuve monde à peu près
entièrement lors de ses grandes crues printanières. Le
Danube y pénètre après s'être arraché à l'étreinte
de l'arc Carpato- Balkanique par le défilé fameux des
Portes de Fer où ses eaux, gagnant en élévation ce
qu'elles perdent en largeur, atteignent jusqu'à 50 mètres
de profondeur. A Turnu Severin, le fleuve n'est plus
qu'à 36 mètres d'altitude, il lui reste cependant encore
955 kilomètres à franchir.
Tantôt divisé en bras muhiples par des îles plates, tantôt rou-
lant ses eaux limoneuses en une seule nappe large de 900 à
2000 mètres, profonde de 4 à 25 mètres, il s'accompagne d'une
multitude de lacs, de bras morts, de marais, de fourrés de saules
et de roseaux géants. Cette zone amphibie qui le borde sur sa rive
gauche atteint sa plus grande étendue à partir de Silislrie. C'est
la " Balta " entre les collines de la Dobroudja et les steppes de
Baragan. Des nuées d'oiseaux aquatiques : cygnes, flamands roses, ^
pélicans, hérons à aigrettes, tourbillonnent au-dessus des eaux que
peuplent des quantités prodigieuses de poissons : esturgeons,
sterlets, sandres, carpes de taille colossale, etc.
Des Carpates et du Balkan arrivent au fleuve
nombre de torrents : Timok, Isker, Yantra sur la rive
droite ; Jiu, Oltu, Dimbovitsa, Jalomitza, Seret, Prout
sur la rive gauche. Sauf les deux derniers qui sont de
vrais fleuves, larges de 200 à 300 mètres, profonds de 4 à
6 mètres, roulant en tout temps des eaux abondantes, ces
affluents danubiens, surtout ceux de Roumanie, sont de
simples torrents, au régime extrêmement irrégulier. Mais
tous, dans leurs crues formidables de printemps, en-
traînent au Danube des masses d'alluvions qui s'ajoutent
au limon venu des Alpes lointaines. Aussi le fleuve a-t-il
LA ROUMANIE
édifié aux dépens de la Mer Noire un delta dont l'avance,
depuis l'antiquité, n'a pas été moindre d'une centaine de
kilomètres!... 11 s'y divise en trois branches principales
dont la médiane, appelée bouche de Sulina, fui spéciale-
ment aménagée pour permettre l'accès des grands navires
de mer jusqu'aux ports d'Ismail, de GcJatz et de Braila
où éiffluent par wagons et chalands la masse dorée des
blés et des mais roumains.
Ce beau fleuve, magnifique voie d'eau dont le débit
moyen n'est pas inférieur à 9000 mètres cubes (cf. la
Seine à Paris 300 mètres cubes), se prête toute l'année à
la navigation, exception faite pour le cœur de l'hiver où,
pendcuitunecinquantainede jours, les glaces et la débâcle
arrêtent la circulation des bateaux.
L'hiver des plaines roumaines est en effet très rigoureux,
avec des moyennes de — 3 ', 5 en janvier à Bucarest,
de — 4 , 5 à lassy et Kichineff, des minima qui peuvent
descendre à 35' sous zéro! On compte chaque année
plus de cent jours de gelée à Bucarest, et les vents :
Crivetz (vent du Nord-Est venu des steppes russes),
.■\ustru (vent d'Ouest), qui balaient sans obstacles les
plaines rases, ajoutent à la morsure du froid. Par contre,
au cours de l'été, le thermomètre, du 1 5 juin au
1 5 août, ne descend guère au-dessous de 25" et s'élève
fréquemment à plus de 40°. Sous un ciel presque aussi
limpide qu'aux nves méditerranéennes, le soleil flambe
et brûle, et le Crivetz, alors torride, est aussi pénible à
supporter que le Khamsin d'Egypte ou le Harmattan
Saharien. Puis la température décroit très vite au cours
d'un bref automne.
N " En moins d'un mois, avec les jours plus courts, les feuilles
qui tombent en masse, les nuits sereines et glacées, on voit 1 aspect
de la campagne changer comme par enchantement. La ville aussi se
transforme, se replie sur elle-même, vide ses boulevards où les
cafés et les étalages cessent d 'envahir les trottoirs, et le grand
poêle de faïence qui brûlera pendant quatre à cinq mois s allume
dans chaque famille. " (De Martonne.)
Ce caractère nettement contmentaJ du climat moldo-
VcJaque se retrouve avec des modalités légèrement diffé-
rentes d'un bout à l'autre du royaume, dans les hauts
bassins transylvains, dans les plaines du Banat, non moins
qu'aux rives du Danube et du Prout. Toutefois le régime
des pluies varie fc»tement lorsqu'on passe de la montagne
à la plaine. La première reçoit une masse fort copieuse
de neige en hiver, Je pluies en toutes saisons. La seconde
doit se contenter de 583 millimètres d'eau à Bucarest en
cent SL\ jours, de moins de 400 millimètresdans les steppes
de Baragan. Parfois des mois se passent, en été et en
automne, sans une averse, et ces longues sécheresses ne
vont pcis sams de gros inconvénients pour 1 agriculture,
source presque unique de richesse en de tels lieux où la
terre féconde donne, quand la nature n'y met point
d'obstacles, de si magnifiques moissons.
Ni la Moldavie ni la Valachie ne possèdent de villes
fortes, de villes citadelles closes de hautes murailles. La
topographie ne s'y prê'.ait point, et de tout temps les
incursions ennemies ont pu, sans obstacles, déferler sur
l'immensité des steppes. Par contre, de bonne heure des
villes-marchés s'établirent soit au débouché des hautes
vallées ceupatiques, soit au carrefour des routes qui, de
l'Est à l'Ouest et du Nord au Sud, se croiseuenl entre le
Danube et les Carpafes. '
Ainsi naquirent Targu Jiu, Rammicu-Valcea,Campu-
lung, Piatra, Neamtsu, etc., où se réunissaient, autrefois,
les plus célèbres foires (balciu) des terrasses roumaines,
puis Craiova (52 000 habitants), Pitesci, Ploiesti
(56000 habitants), Focsani (25000 habitants), lassy
(75 000 habitants), Botosani (32000 habitants), Barlad
(26 000 habitants), ces dernières plus importantes et plus
peuplées peurce qu'elles grandirent au point de contact
de la Podgona et des terrasses diluviales, des collines
boisées et des vastes steppes.
Bucarest se plaça au centre même de ces steppes.
Elle réalise " le type de ces villes de plcunes qui naissent
sans qu'aucune raison naturelle détermine d'une façon
précise leur emplacement, au sein d'un groupe de popu-
lation assez dense, par la fusion d'un certain nombre de
petits villages très rapprochés .
Elle dut sa fortune particulière à des circonstances plus histo-
riques que géographiques et ne prit avantage sur les autres cités
roumaines que du jour oîi les princes de Mounténie la choisirent
comme résidence d'été au XIV® siècle, et surtout du jour où les
hospodars phanariotes y inslaUèrenl,au XVI l'' siècle, le siège perma-
nent du gouvernement de la Valachie. Elle compte aujourd'hui
340000 habitants, et. tout en conservant dans certainsde ses quar-
tiers excentriques le caractère propre aux vieilles cilés roumaines
(vastes étendues de maisonnettes entourées de jardins alignés sans
ordre au long de pistes tortueuses), elle présente partout ailleurs
l'aspect et l'animation d'une grande ville d'Occident.
Ce caractère occidental et moderne se retrouve peut-
être plus nettement encore dans une seconde série de
cités roumaines : les villes-ports, nées sur les nves du
Danube, soit comme Calafat, Tumu Magurelé, Zimnicea,
Giurgiu, Calarasi, aux rares endroits où le courant fluvial
rétréci baigne à la fois la haute falaise bulgare et la
berge des terrasses .valaques, soit comme Braila
(65 033 habitants), Gala'.z (75033 habitants), Tulcea,
Ismiil, au point où la navigation "fluviale fait place aux
navires de haute mer. Le développement récent pris par
ces cités grâce au commerce des grains a transformé leur
aspect d'autrefois. " On est étonné, en débarquant à Ca-
larasi, Calafat, Giurgiu, de voir de grandes avenues, régu-
lièrement percées, des places et carrefours spacieux, des
jardins bien disposés. On trouve là le cadre plus ou moins
complet d'une grande ville moderne. " (De Martonne.)
Sur les quais de Braïla des files de lourdes péniches
269
L'EUROPE
déchargent les blés et les maïs del'Olténie, de la Moun-
ténie, de la Bulgarie, de la Dobroudja. Galatz est plus
spécialement l'entrepôt des céréales moldaves.
LA DOBROUDJA. 00 L'espace compris entre
le Danube inférieur et la Mer Noire porte le nom de
Dobrodgeaou Dobroudja. Au Nord, des collines ondulées,
formées soit de granits déboisés, soit de calcaires vêtus
de forêts (Babadagh), donnent une région assez mouve-
mentée et pittoresque d'une altitude moyenne de 400 à
500 mètres. Le centre est occupé par le vaste plateau de
Medjidia uniformément couvert d'une épaisse couche de
loess, sans arbres, sans eaux courantes, monotone et laid,
mais où la steppe primitive a été en grande partie trans-
formée en champs de céréales. Au Sud-Ouest, les col-
lines parfois boisées du Dell Orman annoncent la proxi-
mité des Balkans.
La Dobroudja s'ouvre sur la Mer Noire par une côte
qui, au Sud, est rectiligne et assez élevée, mais qui, au
Nord, s'indente de lagunes peu profondes, les limans ",
que des cordons de sable isolent du flot marin. A la
limite des deux zones, les Roumains ont créé de toutes
pièces le port de Constantsa (30 000 habitants).
La population, très mélangée, renferme encore une
forte proportion de Turcs, Tartares, Bulgares, Tziganes
qui rendent ce coin de pays d'un haut intérêt pour l'ethno-
graphe.
Mais la colonisation roumaine, très active, a déjà
fixé sur les terres cultivables une proportion élevée de
paysans moldo-valaques et transylvains.
LA BESSARABIE. 00 Enfin. pardelàleProut,
la Grande Guerre a restitué à la Roumanie cette Bessa-
rabie que la Russie détenait indûment depuis 1878.
Elle s'étend jusqu'au Dniestr, couvre 44 000 kilomètres
carrés et comptait, en 1913,2 600 000 habitants.
La Bessarabie septentnonale est comprise dans la
grande zone du Tchernozom, ce riche humus qui se
montre si merveilleusement favorable aux céréales. Au
Sud, dans la Bugeac, la sécheresse, plus grande, favorise
le maintien des steppes herbeuses où paiissent les trou-
peaux de brebis, de bœufs et de chevaux. Les deux tiers
du sol sont mis en cultures et donnent de belles récoltes
de blé, seigle, avoine, maïs, auxquelles s'ajoutent des
vins et des tabacs de bonne qualité. Des forêts de chênes
subsistent sur quelques lambeaux du sol couverts de
sable gris, oasis de verdure au milieu des labours.
Les Roumains forment la grosse majorité de la popu-
lation (2 000000 environ). Le reste se partage entre les
Ukrainiens, les Russes, les Grecs , les Arméniens, les Alle-
mands (descendants de colons établis là dès le XVI 1 1 * siècle),
les Bulgares autrefois émigrés de Turquie, les inévitables
Tziganes, les Juifs enfin qui, malgré une très forte émi-
gration en Amérique, ne comptent pas moins de
270000 âmes. L'élément Moldo-Valaque est constitué
surtout par des paysans, d'autant plus ignorants et
arriérés que les Russes, par politique, les privèrent de
tout moyen de s'instruire. Les villes renferment, au con-
traire, une proportion élevée d'allogènes, surtout Juifs et
Russes. La principale, et la seule qui vaille d'être citée,
est Kichinew, immense village de 125000 habitants.
GEOGRAPHIE HUMAINE
Sur les 17300000 habitants qui forment la population
totale du royaume, on compte 13000000 de Roummns
purs et 4 300000 allogènes.
HISTORIQUE. £l£l Les Roumains ont comme ancêtres un
peuple de montagnards : les Daces.dont la capitale, Sarmizegetusa»
se cachait dans les replis des plateaux transylvains. Soumis par
Trajan, ces Daces reçurent de nombreuses colonies de vétérans
romains qui se mêlèrent étroitement aux indigènes. Plus tard, des
Bulgares, des Talares, des Slaves, des Hongrois occupèrent suc-
cessivement une partie du territoire des Daco-Roumains. Ceux-ci
ou bien demeurèrent dans les plaines moldo-valaques et s'unirent
de gré ou de force aux nouveaux venus, ou bien se réfugièrent
dans les forêts carpatiques où ils conservèrent plus purement leurs
caractères originels. Ce sont ces pâtres de la montagne qui, redes-
cendant plus tard dans les plaines du pourtour, infusèrent à leurs
habitants des doses renouvelées de sang daco-romain et parvinrent,
en dépit de tous les croisements, a assurer jusqu'à nos jours à la
nation roumaine un caractère latin incontestable.
Tandis que les Roumains de Transylvanie et du Banat devaient,
à partir du X® siècle, passer sous la domination hongroise, ceux
des plaines valaques et moldaves constituèrent deux principautés
qui demeurèrent indépendantes jusqu'au XV° siècle, date à laquelle
il leur fallut, comme tous les chrétiens des Balkans, subir la suzerai-
neté turque. Elles conservaient, il est vrai, une certaine autonomie
et l'usage de leurs lois. Mais les hospodars. Grecs phanariotes,
désignés par la Sublime-Porte pour gouverner les provinces, mirent
le pays en coupe réglée, aidés en cela par le haut clergé également
grec, et quelques centaines de grands propriétaires fonciers, les
Boïars. Le peuple roumain, misérable, vivait dans une étroite ser-
vitude sur des champs qui ne lui appartenaient pas. Le clergé grec
et les boïars possédaient la presque totalité de la terre; le commerce
était entre les mains des Grecs, des Arméniens, plus tard des Juifs.
Au XV1I° siècle, les livres des philosophes français parvinrent en
terre roumaine. Ils éveillèrent dans l'âme de plus d'un bolar, sur-
tout en Transylvanie, la notion de liberté humaine et de patrie.
Des Roumains se mirent en grand nombre à apprendre le français
qui devint dès lors comme la seconde langue du pays. Aussi le
peuple roumain se trouva-t-il prêt, au début du XIX" siècle, à se
joindre aux autres chrétiens balkaniques pour échapper à l'emprise
des Osmanlis. En 1 82 , le traité d'Andrinople donna aux princi-
pautés de Moldavie et de Valachie le droit d'élire leurs hospodars
à vie, sans autres liens avec la Turquie qu'un tribut annuel de vas-
salité. En 1856, le Congrès de Paris rendit la Bessarabie à la
Moldavie. En 1 859, les deux principautés s'entendirent pour élire
un même hospodar, le prince Çouza, et réaliser ainsi leur union
politique complète.
270
H-
LA ROUMANIE
UN VILLAGE DANS LES PLAINES ROUMAINES. La grande mahrité de
la population roumaine vit de l'agriculture {blé, mais, t^gne) et de l'élevaye. Aussi
comple-l'On peu de villes, et encore la plupart des agglomérations urbaines revêtent-
elles l'aspect de grands villages. Dans la plaine, les'/naiscms se construisent eirjfriques
et en pisé. Elles sont petites et généralement assez peu confortaUes, Les gais des
campaptes ont partout conservé leur costmne national, toujours pittoresque, souvent
fort joliment orné de Broderies aux dessins très variés. Remarçuer I enseigne, en
français, de la Librairie. Cl. P. LabBÉ.
LE^ PUITS DE PÉTROLE PRÈS DE C-VMPINA. La Roumanie a extrait de
SOT sï/.OT 1913, 2 000 000 de tonnes de pétrole, ce qui la classait alors, après les
Etats-Unis et la Russie, au troisième rang des pays producteurs. Le matérield exploi-
tation n'a pas trop soa0erl de ta Grande Guerre, comme en témoigne le paysage très
caractéristique que monlrela photographie, et que l'on retrouve, presque idcnlique.daru
toutes les régions pétrolifèref : Galicie. Bakou, Etals-Lnis. etc. Chaque haute (heminée
de hois correspond à un tuyau de fonle par lequel le liquide s' élèn. de lui-même jusqu'à
la surface du sol. CI. ChussEAU-FlavieNS.
271
j^i:
'EUROPE
I F5i VENDANGFS. La culture de la vigne a fait, en
Roumanie, de conxidtraLles progrès. Non seulement le
pays suf^t a ses besoins mais il peu! exporter une partie
de sa récolte. CI.CHUSSEAU-FLwrtNS.
PAYSANNEALLANTAUX CHAMPS
chaussée de sandales, velue d'une jupe,
de coultur sombre, d'un gilet largement
ouvert d'une chemise élégamment brodée.
SCÈNE RURALE. Les hommes rapportait à la maison
les guirlandes d'epis de maïs, qui serviront à confec-
tionner l'épaissi bouillie ou " mamaliga ", base de la
nourrituredu paysan roumain. Cl.ChV-iiYAL'-FlAVl^îiS.
i^»*
:- .^^
^ 4-1 . " ^'"--. -»--^
«lii
i^M^^^fe i , .. ^.. ^^_^_ ^.^-j.
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L^g^j^aaiii.r r^^^sfr
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V 1
BUCAREST Née du groupement de plusieurs villagts. Bucarest manifeste encore
son origine rurale par le vaste espace qu'elle recouvre, Véparpillement de ses maisons
au milieu des jardins et des terrains vagues. Toutefois, elle possède aussi de oeaux
quartiers neufs semblables à ceux des grandes villes occidentales CI. FhOTOGLOB.
UN VILLAGE DE U\ MON! AGNE. La nouvelle Rcumanie embrasse non seule-
ment les vastes plaines agricoles de la Moldo-Valachie et de la Bessarabie, mais
aussi les monts et les plateaux des Carpathes et de la Transylvanie oii l élevnge,
l'exploitation des forêts sont les ressources essentielles. CI. ChuSSE4U-FlavIENS.
B'.'frLx--. AUX ENVIRONS D'ARAD. Vue prise au point oit les plaines de
. '.:,:,•:.■ ^ru-nues en Partie roumaines) confinent aux premières ondulations des hautes
L'-t:.: '.rcns-jhaities. Le buSle, d'aspect quelque pat farouche, mais d'humeur très
^T'.:!^!:, e:! t'ri^jlùy^, dans tout l'Orient, comme animal de trait.
MINES DE SEL DESLANIC. La Roumanie possède, sur la bordure méridionatt
des Carpathes de très importantes mines de sel gtimme. Elles correspondent aux
mines du même genre que l'on exploite, depuis les temps préhistoriques, en Caliae.
sur le versant Nord de Tare carpathique. Ci. Chusseau-Flaviens.
2/2
LA ROUMANIE
En 1866, le pnnce Çouza fui remplacé par un Hohenzollern,
Charles, devenu depuis 1881 le roi Carol. On sait enfin comment
la Roumanie pnl, en 1877-1878, une pari glorieuse à la guerre
russo-turque, fit reconnaître son Indépendance complète, acquit la
Dobroudja, mais perdit la Bessarabie rétrocédée aux Russes; com-
ment, en 191 3. elle s'unit aux Grecs et aux Serbes contre les Bul-
gares, ce qui lui valut une avantageuse rectification de la frontière
dobroudjienne, quel fut enfin son rôle magnifique et douloureux
dans la Grande Guerre et comment elle en fut récompensée par
l'obtention de toutes les terres roumames irrédimées : partie du
Banat, Transylvanie, Bucovine et Bessarabie. Dans toute l'histoire
de sa rédemption, la Roumanie eut toujours la France comme
alliée fidèle, comme soutien efficace. De solides liens spirituels unis-
sent l'un à l'autre les deux pays, liens qui se renforcent chaque année
davantage du fait qu'une bonne partie de la jeunesse studieuse
roumaine a pris l'habitude de venir achever son éducation dans
nos universités.
MŒURS ET COUTUMES. RELIGION.
00 On ne peut pas dire qu'il existe un type physique
roumain bien net. Enlevez le costume national, l'an-
thropologue le plus habile ne saura reconnaître le
Valaque du Bulgare, du Hongrois ou du Petit-Russe. "
Dans les collines, ' le type le plus fréquent est de sta-
ture plutôt élevée, les épaules larges, les jambes relative-
ment courtes, les cheveux noirs ou foncés, le crâne
sphénque, les traits réguliers avec une coupe de figure
plutôt ronde qu'ovale, les yeux gris ou bruns, le front
bombé, le nez droit et ferme. La démarche est lente et
digne, mais le regard très vif, et le geste prompt comme
l'éclair lorsqu'il en est besoin. Les enfants, les jeunes
femmes et les jeunes hommes ont parfois des visages
d'une beauté calme qui attire l'attention. " (De Mar-
tonne.)
Ces traits généraux varient du reste extrêmement
si l'on passe de la colline à la plaine ou aux montagnes,
du viUcige à la ville, des lieux où l'influence grecque se
fit fortement sentir à ceux où prédomina l'influence bul-
gare, ou hongroise, ou slave.
Même métissage, si l'on peut dire, de la langue que
parle le Roumain. Elle est incontestablement d'origine
et de tournure romaines. Toutefois, on n'y compte guère
plus de 40 pour 100 de racines latines. Le reste se
partage entre les racines turques, hongroises, grecques
et slaves (particulièrement nombreuses dans les termes
apphqués à l'agriculture, au monde physique, à la topo-
graphie, aux coutumes et croyances populaires).
Hommes et femmes portent encore des costumes pitto-
resques, surtout en Transylvanie, où se conservent mieux
les usages d'autrefois. La câciula ou bonnet à poil, le
cojoc, manteau de laine ; un gilet de peau de mouton
sans manches, un pantalon de laine étroit ou flottant
serré à la taille par une large ceinture sont les pièces
essentielles des vêlements masculins. Les femmes se
plaisent, comme toutes les Balkaniques, à orner de brode-
ries en lame ou en soie, de teintes vives, les larges
manches de leurs chemises, et le double tablier qui leur
sert de jupon.
Dans la montagne et la région des collines, les paysans
se groupent en caluns ou hameaux comptant de 200
à jOO habitants. Dans le campu, c'est-à-dire dans les
grandes plaines sèches et sans arbres, la rareté des
points d'eau oblige les habitants à se concentrer en gros
villages, les 5a/, peuplés de 1 000 à 2000 âmes, parfois
davantage. D'une façon générale, le Roumain, comme
1 Italien du Sud, a l'instinct " grégaire " ; l'isolement
1 effraie. Aussi rencontre-t-on fort peu d'habitations
isolées.
Qu'elles soient construites en bois (Transylvanie- Pod-
goria) ou en terre battue (Plaines), les maisons paysannes
sont presque toujours étroites, mal éclairées et fort mal-
faines, surtout en hiver où " tout le monde se rassemble
autour du poêle dans la linda et où l'on peut voir cinq
ou six personnes dormir dans une chambre large de
3 ou 4 mètres, avec les chiens, les porcs, les moutons
roulés sous la table et les lits. " (De Martonne.)
Ces misérables demeures abrileni, du reste, des gens dont la
condition matérielle n'est rien moins que brillante. Certes, à la
suite des mesures énergiques prises par le prince Çouza, qui con-
fisqua les grands domaines du clergé grec et les partagea entre les
paysans, bon nombre de ceux-ci devinrent propriétaires. Mais leur
propriété, très petite, leur donnait à peine de quoi vivre, d'autant
plus, que de longs siècles de servitude ont rendu le campagnard
roumain prodigieusement routinier, apathique, sans inilialive. De
plus, la population paysanne a considérablement augmenté depuis le
milieu du Xix" siècle, et les nouvelles générations demandaicnl, elle»
aussi, des terres. Or, en 1914, une notable partie du sol appar-
tenait encore à un bien petit nombre de Bolars, voire de Juifs
(Moldavie). De là l'acuité prise par la question agraire en Rou-
manie. Déjà, de 1888 à 1907, de sanglantes émeutes avaient con-
traint le gouvernement à adopter un certain nombre de mesures en
faveur de la petite propriété. Depuis 1919, on semble résolu à
agir d'une façon beaucoup plus radicale. De même qu'en Tchéco-
slovaquie et en Hongrie, les *' Latifundia " sont sérieusement
menacés, et une répartition plus juste des terres est d'ores et déjà
en voie de réalisation. i
Dans sa maison inconfortable, le paysan rourhain '
vit de peu. Presque pas de meubles, point d'autre lit
qu'une sorte de banc couvert d'un tapis, et encore le 1
réserve-t-on aux femmes, les hommes couchant tout uni- i
ment sur la terre battue. La même famille qui portera,
. les jours de fêle, des vêlements presque somptueux, ,
valant plusieurs centaines de francs, vivra toute l'année
de mamaliga, grossière bouilhe de maïs à l'eau, de
piments rouges, d'oignons crus, auxquels on ajoutera de
temps à autre un peu de fromage, de poisson sec, et, les
jours de très grande liesse, un ragoût de poulet assai-
sonné de lait caillé. On peut assurer d'une façon générale
que le paysan est insuffisamment nourri, et les deux cent
deux jours de jeûne imposés par la religion orthodoxe,
dont il respecte scrupuleusement les pratiques, ne contri-
CEOCRAPHIE . UNIVERSELLE.
273
27
L'EUROPE
buent pas peu à cette incontestable dénutrition. Si la
race fait preuve d'une remarquable vitalité, dont témoigne,
entre autres, le chiffre très élevé des naissances, les
adultes " sont loin d'avoir la vigueur qu'on pourrait
attendre d'enfants élevés à la dure ". Ils se fatiguent
vite, sont incapables de poursuivre pendant plusieurs jours
des travaux un tant soit peu pénibles. Par ailleurs, la pro-
portion des exemptions de service militaire pour défaut
de taille, d'infirmités, etc. est plus élevée en Roumanie
que dans tous les Etats voisins.
Si le paysan vit assez mal, il est, de sa nature,
sensiblement plus gai, plus insouciant que son voisin
Bulgare. Des siècles de misère et d'abjection ont
mis, il est vrai, sur sa face comme une môirque de
méfiance, de tristesse ou d'inquiétude. " Interrogez le
Roman qui guide la charrue, ou la femme qui ramasse
les épis de maïs, vous verrez se tourner vers vous un
visiige défiant et triste ; vous n'obtiendrez qu'une réponse
Vcigue comme si l'on craignait de se compromettre. Pai-
lez-lui même des choses qui l'intéressent le plus, de la
récolte, du temps, de sa vie, vous n'en tirerez rien qui puisse
révéler une tendance quelconque. " (De Martonne.)
Mais il n'y a là qu'une apparence. Les jours de fête,
lorsque retentit le violon du " lautar " tzigane et que les
fioles de tzuica (eau-de-vie de prunes) circulent de mains
en mains, le {>aysan " se montre tel qu'il est, gai, insou-
ciant, prodigue, vaniteux et grand parleur, observateur
ironique, sensible au ridiciJe, aussi passionné dans ses
haines que dans son amour. " (De Martonne.) Par ailleurs
très attaché à tout ce qui vient des ancêtres, plus supersti-
tieux que religieux, généralement illettré, en somme un
être assez primitif, et dont un étranger, aura toujours les
plus greuides peines à comprendre le caractère vrai.
LES ALLOGÈNES. X!>£t En étudiant les régions
naturelles du royaume, nous avons noté au passage les
principaux groupements de populations non roumaines :
Hongrois ou Szeklers en Transylvanie, Allemands en
Transylvanie et Bessarabie, Bulgares en Bessarabie et
Dobroudja, Serbes dans le Banat, Ukrainiens et Russes
en Bessarabie et Bucovine, Turcs et Tatares en
Dobroudja, Tziganes un peu partout. Grecs et Armé-
niens trafiquant dans les villes, surtout dans les ports
danubiens, Juifs enfin, notamment en Bessarabie et en
Moldavie, en tout 4300000 individus, soit un quart
d^ la population totale. De tous ces étrangers les
Juifs se montrent de beaucoup les plus réfractaires à
l'assimilation. D'origine galicienne, polonaise, russe et
allemande, parlant le yidish, ou dialecte hébréo-allemand,
conservant jalousement leurs mœurs, leurs traditions, leur
foi, leurs superstitions, ils se sont infiltrés, à partir du
XIX^ siècle, dans tout l'Est de la Roumanie, et ont fini
p2ur y pulluler de telle sorte que l'on n'en compte pas
moins de 270 000 en Bessarabie et 450 000 en Moldavie.
lassy, la capitale moldave, avait, en 1911, 40000 habi-
tants juifs contre 38000 Roumains ! Les richesses qu'ils
ont acquises par la pratique de l'usure, le mépris qu'ils
témoignent aux chrétiens, la concurrence insoutenable
qu'ils leur font dans les villes où ils s'installent, tout cela
explique, sans toujours les justifier, les haines dont ils
sont l'objet. La " question Juive" en Roumanie apparaît
comme aussi difficile à résoudre que la question
Nègre " aux Etats-Unis.
Si la Roumanie ne renferme pas que des Roumams, bon nombre
de Roumains habitent encore hors des frontières du royaume. On
en compte plusieurs centaines de mille en Ukraine, dans la section
comprise entre les cours moyens du Dniestr et du Dniepr.
D'autres se sont fixés sur la rive droite du Danube, soit en Bulgarie,
soit dans la Kraina serbe. La partie Yougo-Slave du Banat de
Temesvar, la Hongrie orientale ont aussi leur population roumaine.
Enfin les ethnologues roumains rattachent volontiers à la patrie
roumaine ces .^romounes, Zinzarès, Koutzo-Valaques et autres
tribus de pasteurs semi-nomades dont nous signalâmes maintes fois
la présence dans le Pinde grec, comme dans les steppes de Macé-
doine, le Rhodope et les Balkans.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
L'Etat Roumain est un de ceux que la nature combla
de plus de dons. Il possède à la fois les pâturages et les
forêts de la montcigne, les vergers et les vignobles des
collines, les immenses terres à céréales des plaines,
des fleuves poissonneux, un sous-sol où abondent pétrole
et sel gemme, où ne manquent ni le cuivre, ni le fer, ni
même les métaux précieux. Quand toutes ces ressources
s»ont mises pleinement en valeur par des procédés
scientifiques, la Roumanie pourra nourrir aisément trois et
quatre fois plus d'hommes qu'elle n'en contient aujour-
d'hui.
L'AGRICULTURE. a/H C'est la culture des
céréales qui constitue la grande richesse des pays rou-
mains. Déjà la petite Roumanie de 1912 se classait
parmi les greniers du monde avec ses 5 000 000 d'hec-
tares déterres labourables produisant 32 000 (XK) d'hec-
tolitres de maïs (surtout dans la région des collines),
21000000 d'hectolitres de blé (terrasses diluviales),
6 000 000 d'hectolitres d'orge (surtout en Dobroudja),
4000000 d'hectolitres d'avoine, etc. Ces chiffres ont
aujourd'hui plus que doublé par le produit des récoltes
que donnent les' terres récemment annexées. Des sta-
tistiques roumaines estiment en effet à 4 000 000 d'hec-
teires l'étendue des labours dans le Banat, la Transyl-
vanie et la Bucovine (35 pour 100 en blé, 32 pour
274
LA ROUMANIE
100 en maïs, 9 pour 100 en avoine, le reste en seigle,
orge et pommes de terre). A cela s'ajoutent les re'coltes
bessarabiennes (environ 5 000 000 d'hectolitres de blé,
6 000000 d'hectolitres de seigle, I 000 000 d'hectolitres
d avoine, etc.).
Pcirmi les cultures secondaires, la vigne couvre
71000 hectares en Moldo-Valachie. 30 000 hec-
tares dans les anciennes possessions austro-hongroises
(surtout le Banat). La production moyenne atteignait en
1913 une valeur totale de 190000000 de francs
environ. La même année, la Bessarabie ne donnait pas
moins de 1000000 d'hectolitres d'un vin qui trouvait
en Russie un débouché assuré et fort rémunérateur.
Les vergers où mûrissent pommes, poires, cerises,
prunes surtout (pour la fabrication de l'eau-de-vie ou
tzuica), les champs de tabac, de betteraves (en grands
progrès), de L"n, de chanvre, de colza, de pommes de
terre, complètent la riche série des ressources agricoles
de l'Etat Roumain.
L'ÉLEVAGE. LES FORETS. LES PÈCHE-
RIEIS. £)/!l L'élevage se pratique un peu partout à
cause de la transhumance qui mène, suivant les saisons,
les troupeaux et leurs bergers des steppes de la plaine
aux frais alpages de la montagne. Toutefois, les bêtes à
cornes, les vaches laitières, sont particulièrement nom-
breuses dans les hautes régions, tandis que les moutons
et les chèvres prédominent en Dobroudja, en Bessîu'a-
275
L'EUROPE
bie, dans les chaumes de Moldo-Valachie et du Banat.
La Roumanie de 1913 nourrissait 5 600000 brebis,
200000 chèvres, 2 580 000 bêtes à cornes, 864 000 che-
vaux, 1 700000 porcs. La même année, les pays rou-
mains d'Autriche-Hongrie posse'daient 2300000 bêtes à
cornes, 4 000 000 de brebis, 2 000 000 de porcs,
700000 chevaux, et la Bessarabie : 790000 bœufs
ou buffles, 1900000 moutons, 345 000 chevaux,
380000 porcs.
Autres sources de richesses : les forêts et les pêche-
ries.
Les forêîs couvrent 7000000 d'hectares dans l'en-
semble du royaume. Le chêne, le hêtre, le sapin sont
les essences dommantes. Certames d'entre elles, sur les
flancs reculés des Carpates, ont échappé à la hache du
bûcheron et conservent leur magnifique virginité.
D'autres, régulièrement exploitées, fournissent la matière
de ces longs trams de bois qui descendent les rivières
des Carpates. Quant à la pêche, elle se pratique avec
mtensité tout le long du Danube, et cela depuis la plus
haute antiquité. Les plus belles captures se font après
les grandes crues, dans les lagunes et bras-morts ou
s engagent esturgeons, sterlets, carpes, tanches, sandres,
souvent d'une taille monstrueuse. Le poisson frais, fumé
ou salé, prend en Roumanie une importance particuliè-
rement grande dans la consommation courante par suite
des très nombreux jours de jeûne prescrits par le christia-
nisme orthodoxe.
INDUSTRIE ET MINES. 0e) L'industrie ne
tient encore qu'une place relativement effacée en de
telles régions vouées presque exclusivement à l'agricul-
ture et à l'élevage. Ce que l'on trouve surtout d'un bout
à l'autre du royaume, c'est le métier rustique où chaque
famille tisse l'étoffe dont elle se vêt, c'est le petit atelier
où le forgeron tzigane fabrique marmites, faux, socs de
charrues. Toutefois les grandes villes se sont donné
peu à peu les établissements industriels : tanneries, bras-
series, fabriques de machines agricoles et de meubles,
féculeries, forges, papeteries, etc., indispensables aux
besoins locaux. D'autre part, l'acquisition du Banat
oriental et de la Transylvanie va permettre l'utilisation
des mines de fer, de cuivre, d'argent, d'or que renfer-
ment les monts Bihar. Si la houille est assez rare
(I 000000 de tonnes), le lignite (4 000 000 de tonnes)
peut dans une certaine mesure y suppléer, et, surtout, les
torrents qui dévalent des Carpates représentent une
source d'énergie encore à peine utilisée (vallée de la
Prahova), presque inépuisable pourtant. Enfin des
couches énormes de sel gemme, d'une rare pureté,
s exploitent au pied des Carpates, dans la région même
où les puits de pétrole de la Prahova, du Buzeu, de la
Dimbovitza, etc., donnèrent, en 1913, près de 2 000000
■ 276
de tonnes d'huile minérale (920000 tonnes, seulement,
en 1919).
LE COMMERCE, el 0 L'heureuse variété des
régions roumaines engendre nécessairement entre elles
d actives relations commerciales. Carpates et Transylva-
nie fournissent leur bois, leur bétail, leurs produits laitiers
aux steppes agricoles de Mounténie, de Bessarabie, du
Banat, mais reçoivent en échange blé, pétrole, fruits et
sucre. Le réseau ferré nécessaire à ce trafic est dessiné
dans ses grands traits. 11 se complète par des voies navi-
gables dont le Danube demeure naturellement l'artère
essentielle, mais au nombre desquelles il faut faire une
place fort honorable au Maros Transylvain, au Prout, au
Dniestr surtout, déjà accessible aux vapeurs jusqu'aux
rapides de Yampol et dont on pourrait décupler la valeur
économique par quelques travaux de correction.
Le commerce extérieur de l'ancienne Roumanie avait
atteint, en 1913, 1 260 000000 de francs. 11 dépassait
donc le chiffre des échanges faits par la Serbie, la Bul-
garie et la Grèce réunies.
Les tableaux qui suivent montrent quelle était à cette
date la physionomie du commerce roumain :
COMMERCE DE LA. ROUMANIE
Métaux el ouvrages en
Importations en 1913
590000000 de francs.
Francs.
168 000 000
64 000 000
64 000 000
33 000 000
23 000 000
21 000 000
16 000 000
Exportations
670 000 000 de francs.
450 000 000
Pétrole .
131 000 000
34 000 000
Bois
23 000 000
17 nnn nnn
_
PRINCIPAUX FOURNISSEURS
Francs.
Allemagne 237 000 000
Autriche-Hongrie 138 000 000
Grande-Bretagne 55 000 000
France 34 000 000
Turquie 25 000 000
Iulie 21 000000
Belgique 16000000
Autres pays 40 000 000
PRINCIPAUX ACHETEURS
Francs.
Belgique 182 000 000
Autriche-Hongrie 95 000 000
Italie 70 000 000
France 63 000 000
Allemagne 52 000 000
Grande-Bretagne 44000000
Turquie 36 000 000
Autres pays 125 000 000
Pour la période d'après guerre, nous ne possédons
encore que les chiffres de 1919, c'est-à-dire d'une époque
LA POLOGNE
CRACOVIE: LA VISTULE ET LE Z.4MECK. Cranak fui la capilaU </e la
Pologne jusqu'au début du A I //' siècle. Détenue ville autrichienne lors du partage
de la Pologne, elle fit partie, sous l' Empire, du Grand-Duché de Varsovie, puis, de
1815 à 1848, devirït une petite république autonome. Reprise par l'Autriche en 1848,
elle est de nouveau polonaise depuis 1919. Trèi bien située sur la Vislule elle prodtàl
un bel effet, grâce à ses tours, ses clochers, ses nombreuses églises, son ancien château
le Zameck. dont les rempaiti ont été transformés en promenades ombreuses. C'est à la
fois une ville commerçante et un grand centre intellectuel. Cl. RoL.
GROUPE DE GALICIENNES. La Galicie du Nord et de l'Ouest est peuplée
presque uniquement de Polonais. Mais, à mesure que l'on s'avance vers i Est et le jud'
Est. d'autres éléments se mêlent à la population polonaise : ce sont surtout des Ruthènes
ou Petits- Russiens. et des Roumains. l.es Juifs composent aussi une forte proportion
de l'élément urbain. Presque tous pausans, les Galiciens sont, en général, grands,
robuste.', de tempérament gai, bienveillant et hospitalier. Les femmes ont de beaux
traits réguliers; elles se coiffent d'un mouchoir blanc ou rouge, et se vêtent d'étoffes
blanches ou teintes de couleurs vives.
277
L'EUROPE
POZNAN : L'HOTEL DE VILLE. La Posnanie faisait partie de ces terriloires que
la Prusse anacha par une criminelle violence à la Pologne démembrée- Le chef-lieu
de la province est Poznan {Posen en allemand), l'une des plus anciennes villes
historiques de la Pologne et qui. jusqu'en 1296, fut la résidence de ses rois.
VARSOVIE : ÉGLISE SAINTE-ANNE. Beaucoup moins ancienne que Poznan
ou Cracovie. l arsovie l'emporta sur ses rivales par les avantages de sa situation
stratégique et économique au point où se croisent de nombreuses routes terrestres
ou fluviales.- Q. Photoglob.
]^fk ':- ""•'
m^
0^
PAYSAGE POLONAIS
FEMMES POLONAISES
PAYSAGE POLONAIS
LA POLOGNE est presque tout entière composée de grandes plaines absolument
horizontales ou mollement ondulées qui établissent la transition entre les plaines
allemandes et l'immense plate-forme russe. D'épaisses forêts, des marécages en couirrent
une parti" .Le reste du sol, souvent très fertile, surtout dans les terrasses de Galicie, est
consacré aux champs de céréales et aux pâturages. Malgré le développement conâdérahle
de l'industrie, la majorité de la population est encore formée de paysans, cultivateurs
et éleveurs. Toutefois, la proportion des paysans est beaucoup plus faible que dans les
régions russes limitrophes.
L.7S T^RR-\SSES DE G.kL\C\E comt>osenl une des régions les plus fertiles de
i'tisi pch'-i^jiz Ls sot l'jut entier est mis en culture: blé. seigle, plantes fourragères,
f-:?.';-cr f ;, etc., et iaspfxt général du paysage rappelle celui de nos campagnes
frrLiç::i:u. Dans lefor.d. la chaîne des Carpales barre l'hcrizon.
DANZIG . Gdansk ou Danzig est une très ancienne place de commerce vers laquelle
converge tout le trafic des régions drainées par la Vistule et ses affluents. Débouché
naturel, et unique, de l'Etat polonais, elle devrait lui appartenir. Toutefois, le traité
de î 91 9 ej\ a fait provisoirement une république autonome. Soc. N'"^depHOT.BERLIN.
27S
LA POLOGNE
où la Roumanie, à peine délivre'e de l'occupation alle-
mande, prive'e d'une partie de son mate'riel de chemin
de fer, épuise'e par d'impitoyables réquisitions, se trouvait
dans des conditions tout a fait anormales. D'après les
statistiques anglaises, elle dut, cette année-là, acheter
des vêtements, des machines, des denrées alimentaires
même, pour une valeur totale de 1 43 000 000 de livres
sterling, alors qu elle ne put vendre qu'une petite quan-
tité de pétrole (44000 tonnes), de céréales et farines
(10000 tonnes), de bois (22000 tonnes) et de sel
{22 000 tonnes) dont la valeur globale ne dépassa pas
4000000 de livres sterling. Le bilan commercial qui,
en 1913, s'établissait au profit de la Roumanie, s'est
donc soldé en 1919 par un formidable déficit. Et, bien
que cette situation se soit fort améliorée depuis, il faudra
attendre assez longtemps encore pour qu'un régime nor-
mal et stable puisse apparaître.
En toutcas,la physionomie du trafic — malgré l'énorme
disproportion, momentanée, entre les ventes et lesachats —
demeure, dans la nouvelle Roumanie, ce qu'elle était
dans l'ancien royaume. Le pays dispose toujours d'un
excédent, plus ou moins considérable, de blé, de pétrole.
de bois, de sel ; il a, et il aura longtemps encore, besoin
de textiles, de machines, bref d'objets manufacturés.
Certes, à la suite des perturbations profondes qui
résultent de la Grande Guerre, des changements dans
la direction des courants d'échanges sont possibles et
même désirables. Si les acheteurs de produits roumains :
Belges, Italiens. Français, Egyptiens, etc.. demeureront
vraisemblablement les mêmes, la France et l'Angleterre,
peut-être la Tchéco-Slovaquie, peuvent supplanter l'Alle-
magne et l'Autriche comme fournisseurs de machines,
de fers ouvrés, de confections, etc. Mais " ces change-
ments seront moins le résultat d'une situation nouvelle que
celle d'efforts conscients, inspirés par des sympathies ou
des liaisons d intérêt spéciales ". Or ' ' les sympathies ne
sont qu un élément de décision dans les relations commer-
ciales et ne peuvent à la longue prévaloir contre les
intérêts " (De Martonne). Tâchons, au moment où la
Roumanie, débarrassée de l'emprise germanique, ouvre
à ses alliés un magnifique champ d'action, de comprendre
et de mettre à profit l'avertissement voilé et le sage
CDnseil que nous donne ainsi 1 un des Français qui
connaissent le mieux le peuple roumain.
CHAPITRE XX
LA POLOGNE
HISTOIRE
Rameau occidental de la grande famille slave, le
peuple polonais naquit et se développa de très bonne
heure sur les deux rives de la Vistule dans les vastes
plaines ou " polska " auxquelles il doit son nom. Il eut
longtemps de glorieux destins et compta parmi les grands
Etats de l'Europe. Encore au milieu du XViil" siècle, et
malgré certaines amputations déjà faites au profit des
Allemands de Prusse, des Turcs et des Cosaques, le
Royaume comprenait non seulement la Pologne propre-
ment dite, mais toute la Lithuanie, la Courlande, la
Russie Blanche, la Volhynie, la presque totahté de
l'Ukraine et la Galicie-Podolie (en tout, près de
800000 kilomètres carrés). Il s'était illustré par ses
combat.^ héroïques contre les Tartares et les Musulmans.
De plus, il était le seul de tous les pays slaves qui fût
entré en contact étroit avec l'Europe Occidentale, eiJt
joué un rôle actif dans son histoire, eût adopté certaines
formes extérieures de sa ci\ilisation. Mais dépourvue de
frontières naturelles, d'armées permanentes, d'approvi-
sionnements, de trésor de guerre, fort mal gouvernée par
des rois électifs sans autorité, livrée aux caprices d'un
nombre relativement considérable de familles nobles qui
ne savaient ce qu'est le vrai patriotisme, la Pologne
devint, à partir de 1772, la victime de ses puissants
voisins : Russie, Prusse et Autriche. " Chacun selon
ses dents se partagea la proie ", et trois partages
(1772-1793-1795) la firent disparaître de la carte de
l'Europe. A deux reprises elle y reparut, considérable-
ment amoindrie, d'abord en 1807 après Tilsitt sous la
forme d'un Grand-Duché de Varsovie, puis de 1 825 à
1 830, sous le nom de Royaume autonome de Pologne,
enclavé dans l'Etat Russe et protégé par le Tsar. En
I 830, à la suite d'une révolte, elle perdit cette autonomie
et jusqu'à son nom transformé officiellement en " Pays
de la Vistule ". Mais, qu ils fussent soumis aux Russes,
aux Prussiens (Posnanie) ou aux Autrichiens (Galicie),
et en dépit de toutes les menaces, de toutes les ten-
tatives insidieuses ou brutales faites pour les russifier ou
les germaniser, les Polonais demeuraient profondément
attachés à leur langue, à leurs traditions, aux glorieux
279
L'EUROPE
souvenirs de leur histoire. Comme il arrive souvent, les
persécutions ne faisaient qu'aviver leur désir d'être libres.
S'ils n'existaient plus en tant qu'Etat, ils n'en consti-
tuaient pas moins une nation cohérente et vivante, comp-
tant en I 913 plus de 15 000000 d'âmes. Les vainqueurs
de la Grande Guerre n'ont eu, en 1919, qu'à procla-
mer son indépendance, pour qu'elle reprenne incontinent
la place qui lui était due parmi les Etats secondaires de
la Nouvelle Europe, trop juste réparation d'un des plus
grands crimes que mentionne l'Histoire.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
La structure de la Pologne est fort simple. Au Nord
et au Centre, un large couloir, ouvert entre les collines
baltiques de la Prusse et le glacis septentrional des Car-
pates, développe les mornes étendues d'une plaine sans
1772
1795
„^ ,„ Luntte Oe?
SIECLE la fblaqnc
en ifoo
*©»s*
limite, prolongement immédiat de l'Allemagne du Nord
et vestibule des plaines russes. Le sol, formé de graviers
et de sable argileux d'origine morainique, n'est pas d'une
fertilité naturelle bien grande. Toutefois, les champs de
seigle, de betteraves, de pommes de terre et de lin se multi-
plient au milieu des marais et des bois. Vers le Sud, le
sol se relève. Des collines ondulent à la surface des pla-
teaux de Lublin et de Lodz et, sur la rive gauche de la
Vistule, le massif du Lysa Gora ou " Chauve Mont "
dépasse 600 mètres. Les roches crétacées, triasiques,
carbonifères succèdent aux graviers quaternaires. Elles
renferment du fer, du plomb, de l'étain et du charbon.
C est la grande zone industrielle de la Pologne. Puis, au
delà de la large vallée que la Vistule supérieure couvrit
de ses alluvions, -les terrasses de Galicie s'élèvent lente-
280
ment jusqu'aux Carpates, limite méridionale de l'État
Polonais.
Entre Lemberg et Cracovie, la triste plaine de Pologne déve-
loppe, sous un ciel toujours bas, ses prés mouillés, ses mornes
étangs, sa boue et ses bois qui s'ennuient. Fragiles acacias, grêles
et tremblants bouleaux, sapins dont les branches lassées semblent,
même au cœur de l'été, attendre encore la neige... De loin en loin,
quelques maisons de chaume badigeonnées de couleurs vives, déla-
vées par la pluie; une meule de paille entre quatre piquets coiffés
d un toit pourri ; et à tous les carrefours des chemins, au sommet
des monticules qui viennent animer parfois l'uniformité de la plaine,
une haute croix barbare avec un Christ peint sur la tôle... Ces
hautes croix, debout dans le vaste horizon, étendent leur douleur
sur cette Galicie. Elles la peuplent, elles la dominent. On dirait
que le ciel bas, chargé d'une perpétuelle menace de pluie, s'appuie
sur leurs grands bras tendus pour ne pas toucher à la terre. " (J. et
J. Tharaud.)
La Pologne possède un climat nettement continental,
bien qu elle subisse encore l'influence atténuée des vents
d'Ouest qui modèrent les froidures et les rend à la fois
moins longues et moins tudes que dans les pays russes
de même latitude. On compte en moyenne quatre à cinq
mois de gelée et deux à trois mois de neige. En hiver,
les températures les plus basses s'observent naturellement
dans les régions les plus éloignées des mers : la Galicie
Orientale a des moyennes de janvier qui varient entre
40 et 6° sous zéro (— 4°,6 à Lwow, — 5°,9 à Tar-
nopol). Cracovie et Varsovie, un peu moins froides, bien
que plus septentrionales, ne dépassent pas — 3°, 4, Byd-
zosgez (Bromberg) remonte à — 2°, 5 et Poznan (Posen)
à — 1 ° , 3. Les étés se maintiennent d'un bout à l'autre du
territoire à la température sensiblement uniforme et rela-
tivement élevée de 18°. Le caractère continental du
climat se marque encore par l'écart que l'on observe entre
les températures extrêmes ( — 22°, +33° à Varsovie).
Quant aux pluies, elles nedonnent pas plus de 50 à 60 cen-
timètres d'eau, sauf en Galicieoùle voisinage des Carpates
en augmente sensiblement l'abondance. L'hiver a le plus
grand nombre de jours pluvieux. Mais c'est pendant l'été
que s'abattent les plus copieuses averses, comme dans
toute l'Europe Continentale.
Le fleuve national de la Pologne est la Vistule dont
elle possède aujourd'hui le cours entier et qui baigne ses
deux capitales, Cracovie et Varsovie. Longue de
I 067 kilomètres (un peu plus que la Loire), la Vistule
naît sur les pentes Nord des monts Beskides, dreùne
LA POLOGNE
toutes les eaux des Terrasses de Galicie (Dunajec,
San), puis de'cnt une immense et double courbe avant
d'aboutir a la baie de Dar\zig par deux bras enserrant un
riche delta, " le Werder ", que les Chevaliers Teuto-
niques asse'chèrent et mirent les premiers en culture. De
l'Elst lui arrivent la Wienrz, puis le Boug grossi de la
Narew et uni au Dniepr par le Canal Royal. La
Pologne occidentale est arrosée soit par la Pilica.
affluent de la Vistule, soit pai le cours supérieur de la
Warthe et de la Netze qui vont grossir l'Oder allemand,
mais dont les eaux communiquent avec la Vistule par un
double canal. Au Nord, le Niémen (876 kilomètres) se
partage entre Pologne, Lithuanie et Prusse orientale.
L ensemble de ces voies d'eau forme un beau réseau
largement utilisable pour la navigation. Si la \'istule est,
en effet, prise par les glaces ou encombréee par la
débâcle pendant quatre mois de l'année, elle demeure tout
le reste du temps accessibleaux chalands, auxradeaux, aux
barques de toutes sortes. Par ailleurs, des travaux appro-
priés, surtout dans les territoires qui appartenaient à
1 Allemagne, ont approfondi son chenal, et, en le bor-
dant d'une double série de digues, ont rendu à la cul-
ture une bonne part des basses terres que les redouteJ^les
crues de printemps inondaient autrefois.
GEOGRAPHIE HUMAINE ET ECONOMIQUE
Les qualités et les défauts des Polonais expliquent
pour une bonne part les vicissitudes de leur histoire.
De taille élégante et de figure gracieuse, spirituels et gais, par-
lant avec aisance et aimant à parler, d'un courage qui peut aller
jusqu'à l'héroïsme, ils ont aussi, à l'occasion, toute la nonchalance,
toute la séduisante " morbidezza " de la race slave. Mais on peut
leur reprocher leur manque de suite, de ténacité dans les desseins,
une inconstance qui va jusqu'à l'indifférence. " Ils ont, en général,
plus de dons naturels que de qualités profondes acquises par un
travail persévérant. Impétueux, violents, habiles à flatter, désireux
de plaire, ils plaisent en effet, mais ils n'ont pas toujours souci de
mériter l'estime par leur conduite. Chez eux, l'ambition est rare-
ment soutenue par la force d'agir, l'imagination est supérieure à la
volonté, le caprice succède au caprice.
Il faut toutefois se garder de confondre les Polonais
d'aujourd'hui avec leurs ancêtres du XVIIl* siècle, grands
seigneurs fastueux et égoïstes ou pauvres paysans abêtis
par un dur servage. En perdant sa Uberté le Polonais a
acquis une notion plus vivace et plus forte du patriotisme.
Il l'a montré par l'héroïsme qu'il déploya en 1 830
dans sa lutte contre les Russes, par la ténacité avec
laquelle il résista aux tentatives de germanisation et de
russiScation. Devenus à la fois libres et propriétaires par
les décrets de 1863, les paysans ont acquis un bien-être,
au moins relatif, qu'ils n'avaient encore jamais connu.
De leur côté, la bourgeoisie et la noblesse profitaient de
la plus-value acquise par la terre et du développement
rapide de l'industrie. Aussi, dès le lendemain de sa déli-
vrance, la Pologne a-t-elle trouvé aisément chez elle, dans
toutes les classes de la narion, les hommes d'une \axge
intelligence et d'une haute valeur morale nécessaires
pour commander ses troupes, diriger ses relations exté-
rieures, veiller à ses intérêts économiques et présider à
1 aurore d'une destinée que l'on voudrait illustre.
Aux Polonais de pure race, tous catholiques, s ajoutent
de nombreux allogènes, Juifs d'abord et surtout, puis
Allemands, Ruthènes, Russes et Lithuaniens.
Les Juifs sont accoutumés de longue date à jouer un rôle de
premier plan. Dans l'ancienne Pologne ils se chargeaient à peu
près seuls du trafic. Ce sont encore les opérations commerciales, la
banque et l'usure qui les attirent aujourd'hui. Mais ils n'y
trouvent point tous la fortune, ou même l'aisance! et la misère
pousse nombre d'entre eux à émigrcr en Europe Occidentale ou
aux Etats-Unis Ceux qui restent, " aussi pauvres que Job, aussi
maigres, aussi agités que l'araignée d'eau sur sa mare, exerçant
tous les commerces, toutes les petites industries nécessaires aux
paysans chrétiens, polonais ou ruthènes, demeurent soumis, dans
leurs ghettos campagnards, à une vie fantastiquement lointaine,
si réglée dans ses moindres détails par la plus stricte loi hébraïque,
qu'elle peut encore offrir l'image de l'existence que l'on menait, il
y a quelque deux mille ans. dans un faubourg de Jérusalem.
(J. et J. Tharaud.)
Comme sa voisine Tchéco-Slovaque, la Pologne a
cessé depuis longtemps déjà de s'adonner exclusivement
à l'agriculture, à l'élevage, à l'exploitation des forêts,
pour se consacrer aussi, avec une remarquable activité,
à des industries multiples. Elle dispose donc d'une
double source de profits qui explique la densité élevée de
sa population (75 habitants au kilomètre carré, un peu
plus que la France), le très rapide accroissement de cette
population (elle a plus que quadruplé depuis le début du
XIX* siècle) et qui justifie les espérances que l'on peut
fonder sur l'avenir de la République.
60 pour 100 des Polonais, enwon, vivent de la terre
(de 80à 90 pour 100 dans la Russie voisine). Le froment
ne se cultive sur de vastes étendues que dans la basse
vallée de la Vistule au sol d'alluvions fertiles et dans
les plaines de Galicie ou l'été est plus chaud. Le seigle,
comme dans toute l'Allemagne du Nord et la Russie
Centrale, est la céréale la plus répandue, puis viennent
l'orge et l'avoine auxquelles s'ajoutent la pomme de terre
(qui se plait dans les tenes légères et sablonneuses du
"podzol "), la betterave à sucre, le chanvre, le lin, le
tabac et les légumes, etc.
Il n'est point douteux que la Pologne puisse un jour
ru>n seulement subvenir à ses besoins, mais encore
281
L'EUROPE
disposer d'un large excédent qui lui permette une
exportation rémunératrice.
11 en est 'de même des produits de l'élevage et fores-
tiers. Les œufs, le beurre, la volaille, la viande de porc
s'expédiaient avant la guerre vers l'Allemagne et la
Grande-Bretagne. Les forêts couvrent encore, malgré les
défrichements, plus de 35 pour 100 du sol, surtout dans
la Mazourie. la Galicie, sur les flancs des Carpates. Leur
bois descend en radeaux immenses le cours de la Vis-
tule et, après un voyage de plusieurs mois, s'amoncelle
sur les quais de Danzig où on le transforme en planches,
en pâte à papier, etc.
L'industrie dispose des riches gisements houillers et
métallifèresdes bassins de Dombrowa, Cieszyn (Teschen)
et des régions de la Haute-Siléiie qui ont été attribuées
à la Pologne, conformément aux résultats du plébis;ite
de 1921 . Les puils de Galicie (région de Boryslaw) ont
donné, en 1912, 1 700000 tonnes de pétrole, et l'on récol-
tait, surtout à Wieliczka et Bochnia, près de Cracovie,
200000 tonnes de sel.
Aux industries métallurgiques et chimiques, dérivées
directement de l'exploitation minière, s'en ajoutent beau-
coup d'autres favorisées par la proximité des bassins
houillers et surtout par l'abondance et le bon marché
de la main-d'œuvre.
C'est d'abord l'industrie textile (districts de Lodz sur-
tout, puis de Tarnow, Cracovie et Varsovie) occupant
250000 ouvriers dans les filatures et tissages de coton,
laine et soie. Ce sont ensuite les industries alimentaires :
sucre (1 000000 de tonnes), alcool de seigle et pommes
de terre (2000000 d'hectolitres) qui emploient 150000
ouvriers, soit dans la Posnanie, soit autour de Varsovie
et dans l'ancienne Prusse polonaise. Ce sont, enfin, les
industries céramiques, les verreries, la tabletterie, les
papeteries et autres industries du bois.
Au total, on estimait à près de 5 000 000 000 de francs
en 19131a valeur de la production industrielle dans
l'ensemble des pays polonais, soit 2240000000 pour la
Pologne russe, 2020 000000 pour la Pologne prus-
sienne et 634000000 pour la Galicie.
Dans les exportations polonaises ce sont, du reste, les
articles manufacturés qui tiennent de beaucoup le premier
rang. On ne saurait encore traduire ce fait économique
en chiffres qui vaillent pour l'Etat tout entier. Pour
la période d'après-guerre, nous n'avons en effet que des
renseignements tout à fuit fragmentaires et incomplets
donnant — en milliers de kilos et sans indication de valeur
— les importations et exportations du 1^' novembre 1919
au 1" février 1920, et du 1" avril au 31 juillet 1920,
c'est-à-dire dans une époque où la Pologne, manquant
de tout et en pleine lui te contre les bolchevistes russes,
achetait beaucoup (587 000 000 de kilos) et vendait fort
peu (90000000). Mais déjà l'ancienne Pologne russe
vendait pour 360 000 000 de francs de tissus et vê-
tements, 23 000000 de sucre, 12 000 000 d'alcool,
13 000000 de fer et d'acier manufacturés, 1 1 000 000
de zinc. Et ces chiffres vont se grossir de toute la pro-
duction industrielle des régions prussiennes (Posnanie,
Prusse polonaise, Haute-Silésie) et autrichiennes (Gali-
cie) restituées à la République.
Exception faite pour les anciennes provinces prus-
siennes, les moyens de communication ne sont point
encore égaux à ceux dont dispose l'Europe Occidentale.
Des voies ferrées peu nombreuses desservent insuffisam-
ment les régions, même les plus actives et les plus peu-
plées, de la Pologne proprement dite et de la Galicie.
De plus, les routes dites cairossables ne sont trop sou-
vent que des pistes défoncées où les charrettes s'enlisent
dans la redoutable boue polonaise. Pourtant le relief
n'oppose aucun obstacle à la multiplication facile et
relativement peu coûteuse des moyens de transport. Ce
sera là une des tâches les plus urgentes que l'Etat
Polonais devra se proposer.
On peut énumérer en Pologne une quantité élevée
de villes dont la population atteint de 5 000 à 25 000 et
30 000 habitants. Dépourvues de tout pittoresque, elles
étalent sur la plaine leurs maisons uniformes et basses
groupées autour de l'église ou de la synagogue. La
plupart d'entre elles laissent l'impression d'un grand
village malpropre.
Bornons-nous à citer : en Galicie, de l'Ouest à l'Est :
Cracovie ( 1 76 000 habitants), la vieille capitale polonaise
célèbre par le nombre de ses églises et le rôle natio-
nal joué par son Université, l'une des plus anciennes
de l'Europe ; Tarnow (40 000 habitants), Przemysl
(54000 habitants), qui soutint pendant la Grande Guerre
un siège mémorable ; Léopol ou Lwow ou Lemberg
(206 000 habitants), chef-lieu de la Galicie, importante
cité industrielle et commerciale, au point de croisement de
plusieurs voies ferrées ; Tarnopol, Halicz, Koloméa, etc.
En Posnanie et Prusse polonaise : Posen ou Poznan
(156000 habitants), sur la Warthe, important entrepôt
de denrées agricoles et centre d'industries dérivées de
l'agriculture ; Gnesen ou Gniezno où l'on couronna jus-
qu'en 1 320 les rois de Pologne ; Bromberg ou Bydzosgez
(58 000 habitants), fondée par les Chevaliers Teutoniques
comme la plupart des villes et forteresses de la Basse-
Vistule et de la Prusse; Thorn ou Torum, Kulm ou
Chelmo, Graudenz, échelonnées sur la Vistule. Danzig,
la Gdansk polonaise ( 1 80 000 habitants), provisoirement
détachée de la Pologne, et autonome, mais qui doit
inévitablement redevenir un jour partie intégrante de
l'Etat Polonais dont elle est l'unique et naturel débouché
maritime.
282
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. 14
LES PAYS RUSSES ET LES ÉTATS BALTES
En Pologne russe : Varsovie, sur la Vistule, l'une des
cités les plus peuple'es du monde (980000 habitants,
dont 300 000 Juifs), est a la fois la capitale de la Répu-
blique Polonaise et un centre industriel de premier rang
(linge fin, ganterie, articles de luxe).
Lodz, simple village en 1820, renferme aujourd'hui
plus de 430 000 habitants grâce à ses florissantes industries
textiles. Radom (70 000 h.), Piotrkow, Czestochow
(100 000 h.), Kielce, Sosnowiels (120 000 h.), Dom-
browa, à l'Ouest de la Vistule. Lublin (55 000 habi-
tants), Brest-Litowsk, Plotsk, Pultusk à l'Est, complètent
la série des plus notables agglomérations urbaines.
i\OTA, 00 Les frontières de l'Elal Polonais ne sont pas
encore fixées définitivement. Si, depuis mai 1921, la Pologne s'est
entendue sur ce point ave; la Rustie, et si la question de Haute-
Sibérie est tranchée depuis septembre 1921, les négociations qui
se poursuivent entre la Pologne et la Lithuanie n'ont pas encore
abouti (décembre 1921). Dans tous les cas, sa superficie ne sau-
rait être moindre de 300 000 kilomètres carrés, et sa population
dépassera 25 000 000 d'habitants, ce qui la classera, entre l'Italie
et 1 Espagne, au sixième rang des Etals européens.
CHAPITRE XXI
LES PAYS RUSSES ET LES ÉTATS BALTES
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
Quel que soit le sort que l'avenir réserve à la Russie
proprement dite et aux Etats qui se sont — en théorie
ou en fait — détachés d'elle : Finlande, Esthonie, Letto-
nie, Lithuanie, Ukraine, etc., l'ensemble de ces territoires
forme un tout géographique dont il convient d'abord
de reconnaître les traits généraux avant de procéder à
l'étude de chaque groupement ethnographique ou
politique.
Ce qui domine dans la physionomie des terres russes,
et malgré les immenses espaces qu'elles recouvrent,
c est l'uniformité. Rien qui ressemble à l'architecture
mouvementée, aux ciselures du relief et des côtes, aux
nuances infinies du climat, de la végétation, de l'hydro-
graphie qui donnent à l'Europe Occidentale une si sédui-
scmte variété. En Russie, la nature ne s'est point mise
en frais d'imagination ! et ses rares créations se répètent
sans fin comme les articles en séne sortis d'une colossale
usine américaine. Aussi la description des pays russes
peut-elle se résumer en p«u de mots.
LE RELIEF. ^J^ La Russie n'a point de relief.
Dans son histoire géologique, elle n'a jamais connu,
depuis une époque prodigieusement reculée, les
soubresauts, les convulsions si fréquents à l'Occi-
dent de l'Europe. Plaine elle est aujourd'hui, piétine
elle fut de tout temps. Les grands plissements des ères
primaire et tertiaire l'effleurèrent sans troubler la magni-
fique stabilité de ses assises profondes. A l'Est, l'Oural,
contemporain des Vosges et des Massifs bohémiens,
leur ressemble par sa hauteur médiocre ( I 688 mètres au
point culminant), ses formes arrondies, la douceur de ses
versants, la facilité des passages qui s'abaissent à moins
de 500 mètres. A l'Ouest, les Carpates, nées en même
temps que les Alpes,' s'infléchirent en butant contre la
Rétfwrui, où. ta
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robuste plate-forme russe. A rextrême-Sud,les monts de
Crimée ( 1 52 ! mètres), de même âge et de même silhouette.
CéOGRAPHIC UNIVERSELLE.
283
28
L'EUROPE
marquent la jonction entre les Balkans et le Caucase-
Partout ailleurs, c'est la plaine infinie, tantôt absolument
plate comme la Puzta hongroise, tantôt très largement
ondule'e en plateaux monotones, en collines insignifiantes
dont l'altitude se hausse rarement au-dessus de 300 mètres
(plateau du Valdaï : 32 i mètres ; collines de la Volga :
343 mètres). Le seul élément variable dans ces mornes
espaces uniformes est la composition du sol superficiel.
Tout le Nord et le Centre du pays jusqu'à Kiew et Kazan
s'est recouvert, comme les plaines allemandes et polo-
naises, de débris morainiques : argiles, graviers, blocs
erratiques charriés par les immenses glaciers quaternaires
descendus de Scandinavie. C'est le domaine de la forêt,
des marais et des lacs. Le Sud, épargné par les glaces,
se vêt soit d'un limon merveilleusement fertile, la fameuse
terre noire ou ' Tchernozom " (mélange de sables, de
fines argiles, et d'éléments organiques provenant de la
décomposition sur place — pendant des milliers de
siècles — des herbes de la steppe), soit de sables purs
plus ou moins chargés de particules salines.
Autant que la platitude du relief, la division natu-
relle du sol russe en trois ou quatre grandes zones :
dépôts glaciaires, terres noires, sables des steppes et
des déserts, est le fait capital de sa géographie non
seulement physique, mais aussi biologique, historique et
économique.
CLIMAT ET VÉGÉTATION, aa Autre
fait d'importance presque égale, et qui dérive, du reste,
du premier : les caractères du climat et de la
végétation.
Par sa masse, son éloignement des grands océans
tièdes, l'absence de toute barrière pouvant faire obstacle
aux vents glacés ou torrides, la Russie est vouée au cli-
mat continental excessif marqué par de considérables
écarts de température entre les saisons, et la faiblesse
moyenne des précipitations atmosphériques.
Températures
g
ûj
ù
moyennes
—
-D
Stations
H
3
-S
£
=
Saison des pluies.
-3
5
s
S f
'3
s
,
■-■
Ui
3
-13
"
o.
Arkangelsk..
640^1
15m,
m
-13-7
15»8
2905
400
Toutes saisons.
Pétrograd ...
'i9'>'i6
m m
w
- 9°3
17°;
II"
460
Automne.
Mittava
'Î6°39
10 m.
6<'3
- 2°7
16°7
191.4
560
Juillet à novembre.
Moscou ....
^SMft
160 m.
3-9
-II"
I8°9
29"9
540,
Samara
svw
60 m.
4'>2
-12°8
21''3
34"!
400/
Orenbourg. .
51^6
llOm
3«3
-I5«4
21°6
37°
400. Mai à septembre.
I50\
400i
Astrakhan ..
46«?I
20 m.
<)»4
- 7»2
2b°i
32''7
Odessa
46«?9
70 m.
9-8
- i'-l
22°6
26"3
Yalta
44^30
41m.
BM
+ 3"i
24''2
20"'7
8001 Septembre à déc.
Dans la majeure pcutie des pays russes, l'hiver com-
mence tôt et finit tard. La neige pèse longuement sur
les arbres qui plient sous son poids, sur les terres des
steppes où glissent les traîneaux, sur les fleuves et les
lacs pris par la gelée de novembre à la mi-avril. Puis,
après la soudaine et triomphante explosion du printemps,
les jours interminables de l'été connaissent la cuisante
brûlure du soleil. Enfin, un bref automne, que rendent
fort désagréable les brusques soubresauts du thermomètre,
se hâte d'annoncer le retour de l'hiver.
Toutefois, une observation plus attentive laisse dis-
tinguer, sous cette esquisse à grands traits, des nuances
qu explique l'ampleur même du domaine russe.
Du Nord au Sud et de l'Ouest à l'Est, l'intensité du froid et
surtout sa durée varient sensiblement. Aux rives de l'Océan Gla-
cial, on compte six à huit mois de gelée ; on en compte de quatre
à six vers Pétrograd et Moscou, de deux à quatre dans les steppes
du Sud ; et l'on trouve même, sur les rives méridionales de la
presqu'île de Crimée, une vraie Côte d'Azur où les moyennes ther-
momélnques de janvier ne s'abaissent pas au-dessous de 3°. Les
pluies diminuent du Nord-Ouest au Sud-Est. Tandis que lespro-
vinces baltes reçoivent, surtout en automne, 70 centimètres d'eau,
les orages de l'été n'en donnent au Centre russe que 40 à 50 cen-
limètres, et Astrakhan doit se contenter de beaucoup moins encore.
La neige, épaisse et durable dans l'Ouest, ne suffit pas toujours
dans les provinces méridionales à protéger les semences d'automne
contre les effets des gelées profondes. Enfin, tandis que les nuages
voilent l'azur du ciel pendant cent quatre-vingts jours en Finlande,
et cent soixante jours à Pétrograd, Samara n'est privée de soleil
que pendant soixante jours en moyenne chaque année.
Suivant les indications du sol et du climat, la végéta-
tion et les cultures se répartissent en quelques grandes
zones parallèles se succédant du Sud au Nord dans
l'ordre que voici :
D'abord la Toundra ". Nous la vîmes naître en
Scandinavie ; nous la retrouverons en Sibérie et au
Canada. Elle borde l'Océan Arctique de ses étendues
désolées où la durée et la rigueur de l'hiver, un sol
éternellement gelé (en été, la surface seule dégèle jus-
qu'à 50 centimètres de profondeur), ne permettent pas
la croissance des grands arbres. Des mousses, des lichens
que broutent les rennes, et, par endroits, des touffes
d'arbrisseaux nains (saules de trois centimètres, bouleaux
de six), parviennent seuls à vivre.
Puis, sur toute l'étendue que recouvrent les argiles et
les graviers morainiques, la forêt : sapins, mélèzes et
bouleaux au Nord, charmes, chênes, hêtres, érables,
trembles au Sud et à l'Ouest. Encore presque vierges
dans les bassins de la Dvina, de la Petchora, de la
haute Kcima, ces forêts immenses, silencieuses, abritent
les derniers animaux à précieuses fourrures, martres,
renards échappés au piège du trappeur, et des bandes
formidables de loups. Mais, dans les provinces baltes et
la région de Moscou, un climat moins rude laisse mûrir
le seigle et la pomme de terre, le chanvre et le lin. Aussi
la forêt, largement essartée, n'y subsiste plus guère aujour-
d'hui que sous forme de bosquets épars au milieu des
champs.
284.
Vers Kiew, Toula et Kazan les. derniers lambeaux
de fotèts disparaissent en même temps que les dernières
traces de l'ancienne glaciation. Sur le riche humus du
" Tchemozom " la mer ondoyante des épis, mêlée de
champs de betteraves, a remplacé les prairies aux herbes
hautes, aux fleurs éclatantes, chantées par les poésies
populaires. C'est, sur une surface deux fois vaste
comme la France, le grenier de la Russie et — en
temps normal — l'un des greniers du monde.
Aux approches de la Mer Noire, un sol moins natu-
rellement fécond, une sécheresse qui s'accentue forte-
ment, s'opposent à la culture en grand des céréales.
Aux lieux les plus favorisés, la vigne, le maïs, le tabac
profitent des fortes chaleurs estivales. Partout ailleurs, la
steppe grise ", parsemée de ' Kourganes " ou tumuli,
tombeaux de chefs de très anciennes populations no-
mades, ne se prête qu à 1 élevage du mouton. Enfin, sur
les rives de la Caspienne, la " steppe blanche " au sol
chargé de sel, impropre à la croissance des plus humbles
graminées (l'absinthe exceptée), apparaît comme le
vestibule des déserts turkmènes.
HYDROGRAPHIE. 00 A la simplicité de la
structure et du climat correspond la simplicité de l'hy-
drographie.
Le réseau fluvial russe est l'un des plus considé-
rables du monde par le nombre des fleuves, l'ampleur
de leur bassin, le volume de leurs eaux, leur longueur,
leur rôle économique. Mciis ils se ressemblent tous, ont
un régime identique, et leurs ondes paresseuses s'écoulent
à travers les mêmes paysages. Ils ont rendu de tout
temps et ils rendent encore au peuple russe d inappré-
ciables services.
LES PAYS RUSSES ET LES ÉTATS BALTES
PRINCIPAUX FLEUVES RUSSES
Verjanl.
Ljonffucur du coim.
' Océsn ffUdal .
Mer Baltique..
iPelchora : I 630 Icil.
-'Oviiu 1725 —
I
^Né»-. 584 -
■ iDuna 970 —
'Niiraen : 876 —
iDnieilr : I 350 —
Mer Noire ; Dniepr ; 2140 —
'Don : 1810 —
Vol». : 3 395-
V (Principaux &fHuenU :)
Mer Caspienne Olm I 480 —
/Kama ; 1886-
, Oural : 2 150 —
Débit moyen.
, (dévenoir des
3 000 m. cubes] Ua Ladosa
f et On^).
500 -
525 -
I 200 -
400 —
10000 -
GEOGRAPHIE HUMAINE
HISTORIQUE. 0£> Terre moitié asiatique,
moitié européenne, la Russie nous apparaît, dès l'aurore
des temps historiques, peuplée à la fois de jaunes (Fin-
nois et Turco-Mongols) et de blancs. Les Finnois
vivaient de chasse et de pêche dans les forêts du Nord
et les Toundras. Ils sont représentés aujourd'hu
encore par les Esthoniens, les Finlandais, les Lapons et
les Samoyèdes. Les Turco-Mongols, pasteurs nomades,
parcouraient les immenses zones découvertes de la Russie
du Sud-Est où leurs descendants : Kirghiz, Tatars,
Bachkjrs sont encore nombreux. Entre les deux, les blancs,
Scjlhes et Sarmates des auteurs gréco-latins. Russes,
Polonais, Lithuaniens d'aujourd'hui, tribus d'agriculteurs
sédentaires, cultivaient le blé et le seigle dans les steppes
sud-occidentales et les clairières de la forêt centrale.
Après de longs siècles de luttes continues, ce sont les
Slaves Russes qui, servis par une étonnante prolilicité et
l'avantage de leur situation au centre même de la plaine,
aux sources des grands fleuves, ont établi leur préémi-
nence sur tous les autres. En vain, les Turco-Mongols
reçurent-ils au Moyen Age le fort appoint de leurs
frères d'Asie : les hordes hunniques d abord, puis bul-
gares, puis encore les cavaliers terribles des Gengis-
Khan et desTamerlan. En vain, les princes de Moscou
durent-ils, pendant deux siècles, payer tribut aux sou-
verains mongols. En vain, les peuples slaves ou finnois
riverains de la Baltique furent-ils christianisés et con-
quis par les Allemands (Chevaliers Teutoniques) et les
Suédois. Avec l'irrésistible force d'une lame de fond,
le flot des Slaves déferla, a partir du XVI^ siècle, hors
de son domaine primitif, la région des clairières sise
entre Kiew et Moscou. D'Ivan le Terrible a Catherine II
on les vit, descendant par étapes le Don et la Volga,
atteindre l'Oural, la Caspienne, la Mer Noire, tandis
285
Bien que la glace, puis de formidables débâcles accompagnées
de larges inondalions arrétenl lout trafic pendant une période
moyenne de quatre à six mois (deux cents jours pour la Pelchora,
cent cinquante jours pour la Neva, cent *ingt jours pour le I
Dniepr), bien que les sécheresses prolongées de l'été soient aussi,
dans certains cas, une gêne sensible, ils n'offrenl pas à la navigation
moins de 28000 kilomètres de voies utilisables que des canaux
très courts et très faciles à construire ont unies les unes aux autres.
Dans les immenses espaces de la Russie, où l'ennemi le plus difficile I
à vaincre est la distance, ces fieuves apparaissent, pendant les mois
d'été, comme les artères essentielles de ce grand corps mal articulé.
Vapeurs à passagers, chalands chargés de pétrole et de blé, train
de bois longs d'un kilomètre montent et descendent leurs eaux '
entes et profondes. Ils sont le lien indispensable entre la Russie
des forêts et la Russie des steppes nourricières, mais ce Jon» eux
aussi qui conduisent en partie à la mer les produits russes destinés
aux marchés étrangers. La plupart des villes qui comptent dans
l'histoire slave grandirent sur leurs rives monotones et d inégale
hauteur. C'est enfin en suivant leurs vallées que le Christianisme
orthodoxe, venu de Constanlinople, s'implanta parmi les populations
païennes primitives, puis que la colonisation russe s infiltra parmi
les peuples asiatiques qui nomadisaient autrefois sur les deux tiers
du territoire.
L'EUROPE
qu'au Nord ils parvenaient à la Mer Blanche, à l'Ouest
s'emparaient des pays baltes et démembraient la Pologne,
à l'Est enfin, prenant leur revanche des chevauchées
mongoles, ils plaçaient sous le sceptre de leurs tsars
l'immense Sibérie.
Au XIX® siècle, l'avance fut moins rapide. Toutefois
le Turkestan, la Caucasie s'ajoutèrent au domaine russe.
Surtout le nombre des Slaves augmenta formidablement.
On comptait 50000000 de Russes en 1850: en 1914,
l'ensemble de l'Empire en renfermait 1 30 000 000 aux-
quels s'ajoutaient 43 000 000 de non-Russes (Polonais,
Juifs, Finnois, Arméniens, Géorgiens, etc.). La plupart
des autres Slaves avaient une tendance naturelle et bien
compréhensible à se grouper autour de ce puissant
orgômisme, et le slavisme russe, par l'adhésion morale
des Tchèques, des Bulgares, etc., cherchait à se trans-
former en panslavisme. A l'mtérieur même de l'ELmpire,
la russification s'exerçait avec l'mtensUé d'une force
naturelle, et par millions les colons de la Petite et de la
Grande Russie se déversaient sur les terres à blé de la
Sibérie, les terres à coton du Turkestan. A la veille de
la Grande Guerre, il y avait là — et il y a toujours —
de la Baltique au Pacifique, un prodigieux réservoir
d'hommes, de richesses agricoles et minières, une puis-
sance d'une ampleur si colossale que les autres Etats
européens, même les plus grands, paraissaient médiocres
en comparaison de ce géant.
Mais des causes de faiblesse subsistaient sous cette
apparence trompeuse.
La première est le caractère même du peuple russe.
Ce n'est pas en vain que, pendant des siècles. Asiatiques
et Slaves demeurèrent en contact étroit. Un métissage
inévitable, et qui apparaît nettement dans certains traits
de la physionomie (yeux légèrement bridés, pommettes
saillantes) a donné aux Moscovites un tempérament, une
forme d'esprit, une âme où se mêlent bizarrement la
langueur, la finesse, le charme un peu morbide du Slave,
et la brutalité, l'entêtement sauvage, les explosions
d'aveugle colère propres à l'Oriental.
Paresseux avec délices, fataliste à l'égal d'un musulman, d'une
résignation qui touche à l'indifférence, complètement illettré, plus
superstitieux que profondément religieux, l'homme du peuple
paysan ou ouvrier (95 pour 100 de la population) devient la proie
naturelle de tous ceux qui savent le mener à coups de fouet. Après
avoir supporté pendant des siècles le rude despotisme, le gouver-
nement pourri des Tsars, il s'est courbé non moins docilement
sous la poigne sanglante d'une bande de terroristes. Cherche-t-il
en effet à s' " européaniser ", veut-il échapper à l'étreinte de
sa race, de sa religion, de son passé, il bondit d'un seul coup
vers les théories les plus extrêmes, parle de faire table rase
de tout ce qui existe, et devient nihiliste avec la même facilité
qu'il était, la veille, un moujik servile. Il semble qu'il ne puisse
connaître d'autre conception politique que le despotisme ou l'anar-
286
chie, au reste deux aspects différents de la même mentalité
asiatique. Son imagination débordante lui cache sans cesse la
réalité. 11 n a que faire de la raison, du moins au sens où
nous entendons ce mot en Europe Occidentale. Il se laisse
uniquement guider par son instinct, et cet instinct est si différent
du nôtre, qu'il ne cesse de nous déconcerter. Placés en face d'une
situation déterminée, un Français, un Allemand, un Italien pren-
dront une décision du même ordre et que l'on peut prévoir. Le
Russe, ou bien ne se décidera pas, ou bien ira choisir une solu-
tion contraire à toutes prévisions. Il nous produit constamment
l'effet, malgré sa robustesse physique, ses épaules carrées, sa
barbe formidable, d'un être incomplet, mal équilibré. Et cette
impression se retrouve même dans les oeuvres de ces hommes que
l'on voit, de temps à autre, surgir hors de la foule grossière et
barbare — comme un flot de lumière éclatante dans les ténèbres
d'une longue nuit — : un Gogol, un Tolstoï, un Gorki, un Tchai-
kowsky, un Borodine, dont les vers. les romans, la musique
s unissent cependant pour parler à l'humanité une langue jusqu'alors
inconnue.
Ainsi prodigieusement arriérée et dans le même temps
plus avancée que toute autre, enfantine et vieillotte, naïve
et sauvage, capable des élans les plus généreux, des
sacrifices les plus désintéressés, mais aussi de la plus
coupable indifférence, des plus honteux abandons, l'âme
russe donne à 1 Occidental l'impression d'im chaos plein
sans doute de germes féconds, de forces latentes, d'idées
curieuses, mais où rien n'est organisé, où l'équilibre
manque absolument, où la lumière et l'air ne circulent
pas.
Seconde cause de faiblesse : il n'y avait pas en 1914
une Russie, mais des Russies, comme le constatait offi-
ciellement le titre même des Tsars : " souverains de toutes
les Russies ". Les Blancs-Russes du haut Dniepr, les
Petits-Russes de l'Ukraine, les Grands-Russes de
Moscou diffèrent les uns des autres beaucoup plus qu'on
ne le suppose généralement. Des différences plus pro-
fondes encore les séparent des Cosaques, Slaves mâtinés
de Caucasiens, qui, après avoir lutté longtemps contre
les Moscovites, devinrent leurs meilleures troupes d'avant-
garde, leurs gendarmes les plus zélés. Ni les Polonais de
la Vistule, ni les Finnois de Finlande et d'Esthonie, ni
les Lithuaniens et les Lettons des provinces baltes ne
faisaient corps avec la race dominante. Et que dire des
millions de Juifs dispersés dans les provinces de l'Ouest,
desTatars de la Volga, des Kalmouks de la Caspienne,
des innombrables tribus caucasiennes et sibériennes, des
Géorgiens, des Turcs, des Arméniens de la Transcau-
casie? Malgré les efforts du Gouvernement, l'unification
de tous ces peuples n'était point faite. Certains d'entre
eux, tels les Polonais et les Finnois de Finlande, résis-
taient avec vigueur à toutes les tentatives de russification.
D'autres les subissaient avec une impatience mal conte-
nue, et cela d'autant plus que l'administration russe ne se
distinguait, en général, ni par son intelligence, ni par son
zèle, ni surtout par son honnêteté ! Un autocratisme
absurde faisait peser sur les terres russes un régime de
LES PAYS RUSSES
FORÊT ET " HARJU " EN FINLANDE. La Finlande appartient tout entière à
la grande zone forestière arctique qui commence sur les côtes occidentales de Norvège
et se poursuit ums interruption à tracers la Scandinacie. la Russie et la Sibériej'usqu' aux
rives du Pacifique. Sapins, mélèzes el bouleaux la couvrent de letns troncs minces, de
leur grêle ramure, à Vomhre de laqueUe ne croit auam sous-hois. D'autre part, lesgla'
tiers Scandinaves qui séjournèrent longuement sur son sol y déposèrent des moraines
hautes de 10 à 80 mètres et qui se poursuivent sxtr des centaines de kilomètres. Ces traî-
nées morainiqucs identiques aux " osar ' ' de Suède s' appellent, en Finlande, des " Harju ' ' .
HELSINGFORS. C'est la capitale et le port le plus actif de la République Finlan-
daise, l'un des nouveaux États formés depuis la Révolution de 1917 — en même temps
que l'Esthonie, la Lettonie, la Litfaxanie el la Pologne — aux dépens de Fanden Em-
pire russe L'intérieur du pays lui envoie du bois, du lin, de la pâle à papier, les pro-
duits mantifacturés de Tavastehus et Tammerfors. Tout cela s'expédie à l'étranger
de mai à novembre, caries glaces bloquent en hiver l'accès du port. Helsingfors possède
aussi une florissante Université qui a joué un rôle important dans l'histoire de la
Finlande et de sa longue lutte pourji' indépendance. Cl. PHOTOCLOB.
287
'EUROPE
ARKHANGELSK. Le plus ancien des ports russes. Mais il donne sur la Mer
Blanche dont les glaces interdisent l'accès pendant huit à neuf mois chaque année
Les mois d'été sont activement employés à l'expédition des hois, des résines, des four-
rures, du chanvre, destinés surtout à l'Angleterre et à la Hollande.
LA NEVA EN HIVER. La rigueur des hivers russes est passée en proverbe. A
Pétrograd, la saison froide dure plus de six mois, et la Neva, déversoir des grands
lacs Onega et Ladoga, est prise par les glaces cent cinquante jours par an. On y
circule en traîneau: on pose même sur la glace lesrailsdes tramways. Cl. BULLA.
PÉTROGRAD : L4PERSPECT1VE NEWSKY. C«/ la t,lus célitre des vastes
avenues qui traversent Pétrograd, ville artificielle créée par Pierre le Grand, lorsqu'il
voulut donner une capitale nouvelle à la nouvelle Russie, à la Russie européanisée
qu'il rêvait.
KIEW. La plus ancienne, la plus sainte des villes russes, surnommée la Mecque
orthodoxe " . Là vécurent les premiers apôtres des pays slaves : Cyrille et Méthode,
venus de Constantinople par la route du Dniepr. Les églises de Kiew. surtout la
Lavra, sont visitées chaque année par des centaines de milliers de pèlerins.
ODS'^îSA : :;F5ÇAi.iER RICHELIEU. Odessa, principal débouché des pays
Tus::c ;. r ta :-.zt ; .■::r^ c' l'une des cités les plus peuplées de l'Empire, n'était, en
.'.?' "" P''^''-'- oiltagc tartare perdu dans la steppe. L'énergique initiative d'un
é,T..^::jr:n;yi'i, ^-2 cvz ^f Rîelislieu, le tira du néant. Cl. Photoglob,
YALTA, La côte méridionale de Crimée, protégée contre les vents du Nord ,_^t
les monts de Tauride, joue pour les Russes le rôle de notre Riviéra. Le climat y
est relativement tiède, et les villes de plaisance: Livadia, Yalta. Féodosia. etc., se
succèdent sur cette Corniche ensoleillée.
LES PAYS RUSSES ET LES ÉTATS BALTES
terreur, de concussion éhontée, de résistance aveugle à
toute évolution raisonnable.
Ainsi s'expliquent et la poussée révolutionnaire qui,
après avoir ébranlé à diverses reprises le trône des tsars.
a fini pas l'emporter en 1917 dans une tourmente d'une
sauvagerie sans nom, et les mouvements séparatistes qui
se sont depuis lors, avec plus ou moins de succès,
manifestés dans l'Elmpire fout entier.
GEOGRAPHIE REGIONALE
Les Nouvelles Républiques de la Bedtique
Scuis compter la Pologne, qui a repris sa pleine indé-
pendance, quatre Républiques nouvelles se sont dégagées
du bloc russe, sur les rives de la BcJtique : la Finlande,
l'EUthonie, la Lettonie et la Lithuanie.
LÀ FINLANDE, a a La Finlande (325 000 ki-
lomètres carrés), surnommée le " pays aux mille
lacs ", occupe au Nord-Ouest de la Russie la majeure
partie d'une pénéplmne " granitique usée jusqu'à la
racine dès la fin des temps primaires et oii les glaciers
Scandinaves laissèrent des traces particulièrement sen-
sibles : direction des vallées Nord-Ouest-Sud-Est,
creusement des lacs, bcurages moréuniques, traînées de
cailloux ( les harjus ") analogues aux œsju^s " de
Suède, etc. Des forêts sauvages de bouleaux et de
sapins, semées de rochers blancs aux formes eu'rondies,
des mareus immenses, des lacs en nombre incalculable,
aux ondes pâles et sans rides, et dont les émissaires
ruissellent en cascades ; des paysages froids, austères,
Scuis horizon, telle est la Finlande. " (E. Taris : La Russie
et ses richesses.} Ses habitants (3 300000 en 1918),bien
que métissés de Slaves et surtout de Scandinaves, attestent
nettement leurs origines finnoises par leurs faces plates,
leurs pommettes saillantes, leurs yeux bridés, leur nez
aplati. Ils sont en général graves, froids, entêtés, profon-
dément religieux (luthériens pour la plupart), de tour-
nure peu élégante et de visage plutôt ingrat, mais très
travciilleurs et relativement très instruits.
..s cultivent de meugres champs d avoine, de seigle,
d'o' 'e, de pommes de terre, exploitent les bois de leurs
forêts immenses, se livrent à la pêche sur les côtes poisson-
neuses de la Baltique et dans les eaux froides de leurs lacs.
Ils élèvent aussi un bétail assez beau et s'adonnent de plus
en plus aux industries (scieries, papeteries, filatures de
cotop) que favorise l'utilisation hydro-électrique des
rapides et des cascades.
En I9I3, les exportations fiijandaiscs dépassaient 400000 000
de francs (227 000 000 de bois sous diverses formes, 35 000 000
de b'"- Te, 7 1 000 000 de papiers, pâte à papiers et cartons, le
reste ésenté par des colonnades, un peu de poisson et du cuir).
Les achats un peu plus élevés (495 000 000) consistaient surtout
en céréales (100 000 000 de trancs\ calé (23 000 000), sucre
(20000 ''10),jnachines et objets en fer (63000 000), colon brut
(17 OO0lKj0),"etc. Principaux clients : Russie et Allemagne
d'abord, puis Grande-Bretagne.
En 1920, les importations se montèrent à 3620 000000 de
marks finlandais (la valeur nominale du mark finlandais est égale
à celle tlu franc), et les exportations à 2 906 000 000. Comme
dans la période d'avant-guerre, la Finlande eut surtout besoin de
céréales (534 000000 de marks), de café, thé, sucre et produits
coloniaux (522 000 000), de machines et objets en métal (plus d'un
milliard de mark*). Elle vendit presque uniquement du bois,
(1 633 000 030), de la pâle de bois et du papier (1 080 000 000).
Les exportations de beurre ont cessé.
Pour ses achats, la Finlande s'adressa surtout à l'Angleterre
(676 millions de marks), aux Etats-Unis (638 millions), puis à la
Suède (315 milliards), au Danemark (276) ei à l'Allemagne
(157). Les ventes se firent en Angitterre (375 milliards), en Alle-
magne (82 , en Suisse (68), en Danemark (47), etc.
La flotte de commerce finlandaise comptait, au 31 décembre
1919, 5 538 navires à vapeur ou à voile, jaugeant 620 000 ton-
neaux, chiffre plus que suffisant pour les besoins du pays.
La majorité de la population se concentre sur les rivages
de la mer bordés d'îlots innombrables. Là aussi se trouvent
les principales cités finlandaises : Helsingfors, la capitale,
(187000 habitants), bâtie de granit et de porphyre rose,
Abo ou Turku (56000 habitants), Viipuri ou Viborg
(27 000 habitants), Nikolaistadt, Uléaborg, etc. A l'in-
térieur, Tampere ou Tammerfors (45 000 habitants)
est le type des villes industrielles de la Finlande où l'on
a poussé déjà très loin les applications de la houille
blanche, Kuopio, Tavastehus, Saint-Michel font de
même avec plus ou moins de succès.
Le Grand-Duché de Finlande demeura possession suédoise
jusqu'en 1 809, date à laquelle il fut cédé à la Russie. Mais, mal-
gré maintes tentatives de russification, il sut conserver obstinément
des privilèges et des institutions spéciales qui lui garantissaient une
précieuse autonomie. Le Tsar n'était que Grand-Duc en Finlande,
et la " Diète ", ou Parlement élu au suffrage universel, votait les
lois et les impôts. En proclamant en 1917 sa complète Indépen»
dance et en prenant le titre de République Finnoise, la Finlande
n'a donc fait que confirmer un état de choses qui existait depuis
de longues années.
ESTHONIE.LATVIA. LITHUANIE. >Si2/ Au
Sud du golfe de Finlande s'échelonnent l'Esthonie,
peuplée de Finnois de même race et de même type que
les Finlandais, puis la Latvia ou Lettonie (union de la
Livonie et de la Courlande), enfin la Lithuanie qui, après
avoir eu longtemps une vie indépendante, s unit au
royaume de Pologne et partagea ses destinées. Lettons
et Lithuaniens sont un rameau distinct de la grande
289
L'EUROPE
famille indo-européenne, et leurs langues très voisines 1 une
de l'autre, mais tout à fait différentes des dialectes slaves
ou germaniques, se rapprochent curieusement du sanscrit.
Leur pays, parsemé de lacs petits et grands (lac Pei-
pous), de tourbières, de collines morainiques, est triste et
pauvre. Des champs de lin, de seigle, de pommes de
terre, des chènevières, des prairies assez belles se
mêlent aux forêts sous un ciel souvent maussade. Mais
les provinces baltiques sont une des rares façades mari-
times de la Russie. En temps normal, voies ferrées et
fleuves navigables (Duna surtout, puis Niémen) déversent
dans leurs ports les bois, les lins, les peaux, le beurre
(100000 000 de francs en une seule année exportés par
Riga), les œufs, les fromages provenant de la Russie
Centrale ou de la lointaine Sibérie. Aussi conçoit-on
difficilement que les Moscovites puissent tenir poiir
définitive la perte de cette " fenêtre " de la maison
russe si largement ouverte sur le monde occidental.
Les " Chevaliers Teutoniques " fondateurs de la
Prusse demeurèrent longtemps maîtres de toute la côte
entre Danzig et le golfe de Finlande. Partout apparais-
sent les traces de leur domination : forteresses, murailles,
vieilles maisons, églises de style ogival. Après eux vinrent
les commerçants, les industriels, les hommes d affaires,
voire les grands propriétaires fonciers d'origine germa-
nique.Ce fut l'extrême avant-garde de cette colonisation
allemande en terre slave, origine du Brandebourg, de
la Poméranie et de la Prusse. Avant la Guerre,
les Allemands abondaient à Libau, Réval, Mittau,
Dorpat.à Riga surtout. " Tout est allemand dans Riga :
souvenirs historiques, architecture, mœurs, noms des
rues, etc. L'allemand est la langue qu'on entend à
chaque pas ; l'influence allemande s'y manifeste dans
les étalages, les inscriptions, les annonces, les modes,
les journaux. " La plupart des transactions commer-
ciales des trois provinces se faisment par l'intermédiaire
des commissionnaires allemands. "Un écran allemand
intercepte ainsi dans les pays baltiques toutes relations
directes entre les peuples de l'Ouest et les Russes
tenus a l'écart et en tutelle par des fournisseurs entre-
prenants et obstinés. " (Tans.)
On ne saurait dire encore si cette influence allemande
se maintiendra, se développera, ou bien, au contraire, ira
en s'afîaiblissant à mesure que les petites Républiques
baltes prendront de l'expérience et se trouveront plus ca-
pables de gérer seules leuis affaires.
L'Esthonie, compriseentre les golfes de Finlande et de
Riga, couvre une superficie d'environ 60000 kilomètres
carrés. Elle compte I 750000 habitants dont 95 p.^ 100
d'Esthoniens, 2 p. 1 00 d'Allemands, 3 p. 1 00 de Lettes,
Suédois, Juifs, etc. Les quatre cinquièmes de la popula-
tion adhèrent au culte luthérien.
La capitale est Taflinn ou Reval (160 000 habitants),
excellent port, à l'entrée du golfe de Finlande. Les glaces
ne l'encombrent que pendant quelques semaines. Aussi
servait-il d'avant-port a Pétrograd. A l'intérieur, Tartu
ou Dorpat (60 000 habitants) possède une Université
renommée, et Narva (35000 habitants) où Charles XI 1
vainquit Pierre le Grand, s'occupe d'industries di-
verses.
La grande majorité des Esthoniens tire ses ressources
de l'agriculture, de l'élevage et de l'exploitation de forêts
qui couvrent environ 20 p. 1 00 de la surface totale. Le
seigle, l'orge, le lin, les pommes de terre donnent d'inté-
ressantes récoltes. Sur les 125 000 tonnes de marchandises
exportées en 1920 on comptait 67000 tonnes de bois,
25000 tonnes de pommes de terre, 14000 tonnes de
papier, 3000 tonnes de lin. Les importations, beaucoup
moins élevées (64000 tonnes), consistaient surtout en
sel, charbon, engrais, sucre, café, lainages, etc.
La Latvia ou Lettonie se compose de l'ancienne Cour-
lande et de quelques districts des anciennes provinces
russes de Livonie et de Vitebsk. Un peu plus étendue
que l'Esthonie (65 000 kilomètres carrés), elle ne comp-
tait, au recensement de juin 1920, que 1 503 000 habitants,
soit une densité de 23 habitants au kilomètre carré. La pro-
portion des Allemands — citoyens lettons ou étrangers,
atteignait environ 6 p. 100, celle des Russes 9 p. 100,
celle des Juifs 5 p. 1 00. La religion dominante est le pro-
testantisme.
La capitale, Riga, a passé de 60 000 habitants en
1830à 570000 en 1919. Siseà l'embouchure de la Duna.
c'est à la fois un des ports importants de l'Europe et une
puissante vifle industrielle (papeteries, filatures de lin,
matériel de chemin de fer). Dvinsk ou Dunabourg,
(110000 habitants), Mitava ou Mittau (47000 habi-
tants), le port très actif de Libava ou Libau (9 1 000 habi-
tants), complètent, avec Windau, Wenden et Wolmar,
la série des principales cités lettones.
Nous ne possédons encore aucun chiffre concernant
les transactions commerciales de la Latvia. Le pays ne
peut guère exporter, comme produits locaux, que du bois
(brut ou travaillé), de la pâte à papier, du papier et du
lin. Mais lorsque la Russie sera revenue à des conditions
économiques à peu près normales, les ports lettons rede-
viendront les grands exportateurs des produits russes ou
même sibériens : bois, lins, sucre, beurre, céréales, etc.
(lignes directes Riga-Tsaritsyne , et Libau-Moscou).
Les frontières de la Lithuanie ne sont pas encore défi-
nitivement fixées. Les Polonais réclament, en effet, cer-
tains districts que les Lithuaniens se refusent à leur céder.
D'autre part, le territoire de Memel, détaché de la
Prusse, et qui est indispensable à l'Etat lithuanien,
puisqu'il constitue son unique débouché maritime, demeure
290
LES PAYS RUSSES ET LES ETATS BALTES
encore administre' par les Puissances Alliées. En gros,
on peut admettre d'ores et déjà que la nouvelle Répu-
blique couvre une superficie d'environ 155 000 kilomètres
carrés peuplés de 4800000 habitants. Les Lithuaniens
proprement dits composent 70 p. 100 de la population
totale, les Juifs 13 p. 100, les Polonais 8 p. 100, lesRusses
et les Ukrainiens 7 p. 100.
La capitale est Vilnius (Vilna), sur la grande ligne
Varsovie-Pétrograd. Elle comptait 2 1 4 000 habitants en
1914. Autres villes notables Kaunas ou Kowno (90 000
habitants), Gardinasou Grodno (61 000 habitants), Kiai-
peda ou Memel (32 000 habitants), Souwalki (3 1 000 ha-
bitants), Siauliai ou Shavli (31000 habitants).
Comme ses voisines, la Lithuanie tire ses ressources
de l'agriculture, de l'élevage et de l'exploitation du bois.
Les champs cultivés couvrent 45 p. 100 de la superficie
totale ; 24 p. 100 sont occupés par les prairies et les pâtu-
rages, 20 p. 100. par les forêts.
Les seuls chiffres que nous possédions pour la période
d'après-guerre concernent l'année 1920. La Lithuanie
importa pour 420000000 de marks (le mark lithuanien
avait alors la même valeur que le mark allemand) d'articles
manufacturés, d'engrais et de machines agricoles. Elle ex-
porta des grains, du bétail, de la volaille, des œufs,
du bois , des peaux, etc. , pour une somme de 32 1 000000
de marks.
La Russie Septentrionale.
Toundras et forêts couvrent tout le versant russe de
la Mer Blanche et de l'Océan Arctique. La rigueur
de la température, l'exiguité des ressources font de ces
immenses espaces une terre presque inhabitable et dont
l'intérêt économique est, jusqu'ici, à peu près nul.
Aux rives de la mer, Lapons et, Samoyèdes, pêcheurs, chas-
seurs, éleveurs de rennes, mènent la dure vie de toutes les tribus
boréales. Les Zirianes, sur la haute Petchora et la haute Kama,
poursuivent les animaux à fourrures ou coupent les arbres qui
descendent ensuite par eau soit vers les steppes de la Russie méri-
dionale, soit vers Arkangelsk (40 000 habitants).
Ce port (gros exportateur de bois et de chanvre), qu'une voie
ferrée unit, par Vologda, à la Russie centrale, a le gros désavantage
de n'être libre de glaces que pendant trois à quatre mois chaque
année. Aussi, pendant la Grande Guerre, a-t-on jeté à travers les
lacs, les forêts, les marais qui s'étendent de Pétrograd à la
presqu île de Kola, une ligne nouvelle qui aboutit à Mourmansk,
sur une côte où l'influence du Gulf-Slream est encore sensible. Des
bateaux brise-glaces suffisent à maintenir, même au cœur de l'hiver
un passage libre à travers la mince couche cristalline qui s'accroche
au rivage pendant quelques semaines sculemenl.
La Région des Lacs-
A la fois finlandaise, esthonienne et russe, la région
des lacs entoure le fond du golfe de Finlande de ses
plaines meuécageuses où s'étalent quelques-unes des
nappes lacustres les plus vastes du globe : le Ladoga
(18000 kilomètres carrés, soit trente-cinq fois l'étendue du
Léman), l'Onega, les lacs llmen et Peïpous. Sur la
Neva, qui emporte à la Baltique le trop-plein de leurs
eaux, Pierre le Grand fonda en 1 705 Pétrograd, la capi-
tale de cette Russie nouvelle, européenne, qu'il voulait
opposer à la vieille Russie mi-asiatique dont Moscou était
le centre.
La ville (2073 000 habitants en 1913), construite avec
dif^culté sur un soi mouvant, n'a pas grand intérêt. Ses vastes
palais rouges, ses maisons banales peintes en couleurs vives, s'alignent
au long de voies régulières et larges dont la plus connue porte
le nom de " Perspective Newsky ". Avant la Révolution,
Pétrograd se distinguait nettement de Moscou ou de Kiew non
seulement par l'absence de monuments anciens et de vieux souve-
nirs, mais surtout par son caractère de résidence officielle ; " Ville
de fonctionnaires, ville d'Etat, instrument d'une puissante centrali-
sation administrative, militaire et religieuse, Pétrograd est tout cela,
rien que cela, et elle en garde cette raideur et cet abord glacial,
sous lequel disparait en partie la physionomie nationale du peuple
russe. " La vie y était fort brillante, pendant toute la saison
d'hiver. Le printemps venu, la noblesse regagnait ses châteaux à la
campagne, et nombre de gens appartenant aux classes moyennes se
dispersaient dans les bicoques de planches, semées aux rives de la
Neva, du golfe de Finlande, dans les clairières des forêts voisines.
Autour des quartiers " bourgeois " s'étendent des faubourgs très
vastes peuplés d'usines métallurgiques, de filatures, de fabriques de
toute sorte. Plus loin, dans la " grande banlieue " pétrogradicnne,
Tsarkoïe-Selo, Poulkovo, Krasnoïé-Sélo, Pcterhof servaient de
résidence d'été à la famille impériale et s'entouraient de villas
fastueuses. La forteresse et le port de guerre de Kronstadt
(70000 habitant.^) protègent l'estuaire de la Neva.
La Grande-Russie.
La Russie Centrale ou Grande-Russie comprend : au
Nord une zone de forêts mêlées de clairières, au Sud une
large portion de Terres-noires. C'est là, aux sources des
grands Heuves, autour de la sainte Moscou, que la Russie
prit vraiment conscience d'elle-même. C'est de là que
partit la croisade russe destinée à soumettre aux Mosco-
vites leurs voisins Slaves ou Tatars. Le Russe classique,
le moujik petit (en dépit du nom de Grand-Russe),
trapu, à la face de Kalmouk envahie par une barbe
hirsute, aux longs cheveux graisseux, le moujik ignorant ,
291
L'EUROPE
superstitieux, sale, paresseux et ivrogne, se trouve là, de
Koslroma à Voronej. Il y vit dans de misérables isbas
en troncs de sapins ou en argile séchée, couvertes de
chaume, puantes, abondamment garnies de cancrelats, se
nourrit de bouillie ou de galettes de seigle et d'avoine,
cultive les terres communales du mir et, lorsque
l'espace manque, émigré en Sibérie ou se transforme
en ouvrier d'usine promptement gagné aux doctrines
anarchistes.
Moscou contraste fortement avec Pétrograd. D'abord elle
abonde en monuments anciens, églises, palais, couvents, groupés
surtout dans le Kremlin, monuments d'un art grossier, maladroit et
barbare, mais qui frappent l'imagination par leur entassement, les
violentes enluminures qui les revêtent, l'accumulation invraisem-
blable des objets précieux à 1 ombre parfumée des sanctuaires. De
plus, " autant Pétrograd est froide et compassée, autant Moscou
est vivante, grouillante, pittoresque, éminemment russe et familière".
Dans les rues, tortueuses et accidentées, se presse une foule
bariolée où se coudoient des spécimens de tous les types, de toutes
les races de l'immense Empire. Enfin, si Pétrograd était la ville
des fonctionnaires, Moscou est celle des marchandset des. industriels,
fort bien placée au cœur même de la Russie, au point de concen-
tration des grandes voies ferrées, à proxinùté du district houiller
et ferrifère de Toula. Qle tisse le coton et la soie du Turkestan,
le lin des provinces baltiques, la laine des steppes méridionales,
tanne le cuir, fabrique de la bière et de l'alcool. Sa population,
rapidement accrue, comptait en Ï9I3, 1 800000 Habitants (environ
1121000 en 1919).
Au Sud de Moscou. Toula ( 1 36 000 habitants), Ria-
zan (49000 habitants) et Kalouga (56000 habitants)
s'occupent surtout d'industries métallurgiques et textiles,
tandis que Orel (97000habitants), Tambov (7 1 000 habi-
tants), Koursk (89000 habitants), Voronej (94 000 habi-
tants), Penza (80 000 habitants),en pleineTerre-noire, ne
sont guère autre chose que des marchés de céréales. Au
Nord, Ivanovo (170 000 habitants), Tver (64000 habi-
tants), Rybinsk(30000habitants),Yaroslaw( 120 000 ha-
bitants), Kostroma (73 000 habitants) ont aussi des fila-
tures de coton et de lin. Déplus, elles font, par la Volga,
un commerce fort actif de bois, de blé et de pétrole.
Nota. 0Û Chiffres et situation économique d'avant-guerre.
La Russie Blanche.
Comprise entre la Pologne, la Lithuanie, la Grande
et la Petite-Russie, la région appelée Russie Blanche,
insuffisamment drainée par le Dniepr, la Duna, le Nié-
men et leurs affluents, est une des plus pauvres de l'Em-
pire. Un maigre sol de sables gris (le Podzol), d'immenses
marais (les marais de Pinsk ou Podliécé) coupés de
forêts vierges opposent aux établissements humains des
obstacles dont des travaux d'assèchement entrepris
depuis de longues années n'ont point encore complète-
ment triomphé. La voie ferrée de Varsovie à Moscou
traverse pendant des centaines de kilomètres la portion
septentrionale de ce triste pays où les paysans les plus
arriérés, les plus frustes de Russie vivent chichement
dans leurs tanières sombres. Quelques villes d'impor-
tance ont prospéré cependant sur les fleuves ou bien à
la lisière des marais : telles sont Minsk (117 000 habi-
tants), Bobrouisk (60000 habitants), puis Vitebsk
(108000 habitants) sur la Duna, Smolensk (76000 ha-
bitants) et Mohilew (54 000 habitants) sur le haut
Dniepr.
Ukraine ou Petite- Russie.
Les bassins du Dniepr, du Boug et du Donetz,
affluent du Don, servent de cadre à la Petite-Russie ou
Ukraine. Elle comprend, au Nord et au Nord-Est, une
large portion de Tchernozom où l'on fait en grand la cul-
ture de la betterave et du blé. Au Sud, près des rives
de la Mer Noire et de la Mer d'Azovvr, dans la Crimée
septentrionale, les ' steppes grises " nourrissent de con-
sidérables troupeaux de moutons et de chevaux. Elles se
prêtent aussi, par endroits, à la culture du tabac, de la
vigne, du maïs, des arbres à fruits, qui donnent leurs
meilleurs produits sur les pentes méridionales des monts
de Tauride entre Sébastopol et Théodosie. De plus, la
région du Donetz renferme le plus important bassin
houiller des Terres russes (25000000 de tonnes en
1913), tandis que les gisements de Krivoi Rog et
de Kertch donnaient, la même année, plus de
7000000 de tonnes de minerai de fer. Enfin les ports
ukrainiens, héritiers d'antiques comptoirs helléniques,
jouent un rôle capital dans la vie économique de la
Slavie.
Bien pourvue de ressources abondantes et variées,
1 Ukraine pourrait eiisément vivre l'existence indépen-
dante qu'elle renvendiqua dès le lendemain de la Révo-
lution de 1917.
Les Ukrainiens diffèrent très nettement des Russes proprement
dits et des Polonais. Leur taîlle élevée, leur visage arrondi, leurs
cheveux et leurs yeux généralement bruns les rapprochent plutôt
des Serbo-Croates et des Tchèques. Ils parlent un dialecte spécial,
ont un caractère plus gai, plus vif, plus ouvert que les Moscovites»
et leurs maisons, plus proprement tenues, s'entourent de jardins ou
se fleurissent de plantes grimpantes. Ils furent les premiers des
Slaves à embrasser le Christianisme ; le Grand-Duché de Kiew,
leur ville capitale, précéda de plusieurs siècles l'apparition du
292
— LA RUSSIE
29
, L'EUROPE
PAYSAGE DE L'OURAL. D'origine très ancienne, et considérablemenl usé
par l'érosion. l'Oural rappelle nos vieilles montagnes de l'Europe occidentale.
Il en a les formes émoussées, les larges vallées, les rivières aux eaux sombres, l'épaisse
couverture forestière.
FALAISES DE LAWOLGA. Au-dessous de Kazan, larive droitedela Volga est
barrée de hautes falaises — les Jégouli — formées de calcaires friables et de marnes
dont le fleuve ronge la base. C'est un des rares accidents de terrain qui inter-
rompent l'uniformité des plaines russes.
UNE ISBA AUX ENVIRONS DE RIAZAN. Maison Je pausans en Russie
centrale, dans la, zone des forêts-clairières. L'humlle logis est construit en troncs
d'arbres équarris et couvert de paille de seigle. La grand'mère conte des légendes
aux enfants attroupés.
LA FOIRE DE NIJNl-NOVGOROD, Placée aux canfim Je l'Europe el Je
l'Asie. SUT un grand fleuve navigaite, Nijni- Novgorod devint, après Kazan. le
siège d'une foire universellement célèbre (thé. cuirs, fourrures, fers, laine), mais
aujourd'hui en décadence.
i
I -
''~^K.-\. A Nijni-Novgorod, la Volga se grossit de l'Oka. longue
'■'lus que U Rhin). Ses eaux lentes et profondes forment en
•r.able qui mène vers Moscou. Mais on doit, en automne, dé-
dcG'jjc qu emporterait la débâcle du printemps. Q. ThÉBEAUX.
:94
UN VILLAGE UKRAINIEN. L'Ukraine, ou Petite-Russie, appartient à la
zone des Terres Noires et des steppes. Les maisons, construites en torchis, —
car le bois est rare — sont plus propres, plus gaies que les isbas du Nord. Cette
gaieté apparaît aussi dans le caractère des habitants. Cl. Vérascope Richard.
LES PAYS RUSSES ET LES ETATS BALTES
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RUSSIE B'Er^^OFE
CARTE ECONOMIQUE
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Duché de Moscou. Ils ont leur histoire propre, Uite de luttes n'est point de raison pour que la " République Ukrainienne " —
acharnées contre les Polonais, les Russes, le; Tatar; elles Turcs, si toutefois elle parvient à vivre — ne tienne, parmi les Etatslibres
luttes dans lesquelles les Cosaques Zaporogue: (Ukrainiens de l'Europe, la large place que lui assurent ses 40 000000 d'ha-
nomades " d au delà des chutes ") jouèrent un rôle particulière- bitants, la richesse de son sol et de son sons-sol, sa situation
ment brillant Ils ont donc tout ce qui constitue une nation, et il maritime privilégiée.
295
CEOCRAPHIE UNIVERSELLE.
29
L'EUROPE
La métropole religieuse et politique de l'Ukraine est
Kiew (600000 habitants), sur le Dniepr. Les pèle-
rins russes y viennent par centmnes de mille visiter les
églises vénérées et le fameux couvent de la Lavra où
vécurent les premiers apôtres du monde slave. Son Uni-
versité, ses foires, ses diverses industries, le trafic qui se
fait soit parle Dniepr, soit par voies ferrées, ajoutent encore
à son antique prospérité. A l'Ouest, Jitomir (92 000 habi-
tants), Berditchev (78 000 habitants), Byelaya Tser-
kov (60000 habitants), Kamenets Podolsk (50000 ha-
bitants) concentrent les céréales des terrasses limoneuses
de Volhynie et Podolie. Krementchoug ( 1 00 000 habi-
tants), Yékaterinoslav (220000 habitants), Alexandrovsk
(50 000 habitants) s'échelonnent sur les rives du grand
fleuve qui demeure, malgré des rapides gênants, l'artère
vitale de l'Ukraine. A l'Est, Poltava (83 000 habitants)
rappelle la célèbre victoire de Pierre le Grand sur
Charles XII. Kharkov (258000 habitants) a grandi
avec une étonnante rapidité grâce aux mines et aux
industries du bassin du Donetz. Enfin, Odessa (631 000
habitants), Nikolaïew (108 000 habitants), Kherson
(98000 habitants) sur la Mer Noire, Taganrog
(68000 habitants), Rostov (204000 habitants), Novo
Tcherkask (55000 habitants) sur la Mer d'Azov et le
Don, exportent les céréales du Tchemozom, les œufs,
les volailles, les cuirs, les minerais de fer, et reçoivent
en échange des vms, des denrées coloniales, des produits
fabriqués venus de l'Europe Occidentale, du pétrole de
Batoum, etc. Simféropol (71 000 habitants) est le chef-
lieu de la Crimée ; Sébastopol (77 000 habitants), le
point d'appui de la flotte de guerre en Mer Noire. Liva-
dia et Yalta, sur les rives méridionôJes de la presqu'île,
servent, en temps normal, de villégiature d'été et d'au-
tomne à la haute société russe.
Russie Orientale.
Les régions traversées par le Don au-dessous de Voro-
nej et par la Volga en aval de Kostroma, appartiennent
entièrement au domaine de la steppe, et leur proximité
de l'Asie leur valut autrefois une population exclusive-
ment mongole et finnoise. L'Oka, affluent de la Volga,
marquait la limite entre sédentaires slaves et nomades de
race jaune. Une ligne de postes fortifiés, sorte de ' Grande
Murmlle européenne, accompagnait le cours de la
rivière entre Riazan et Nijni Novgorod. A partir du
XV® siècle, les Russes se' jetèrent hors de cette frontière,
et le flot irrésistible de leurs paysans déferla jusqu'à
l'Oural, jusqu'au Caucase. Mais la russification des
peuplades asiatiques, bien que fort avancée, n'est pas
encore complètement achevée, et une carte ethnogra-
phique de la Russie montre, éparpillés dans tout le
bassin de la Volga et du fleuve Oural, une quantité de
petits groupes de population se rattachant soit à la
farmlle finnoise (Tchouvaches et Mordves dans la
boucle de la Volga, Tchérémisses et Votiaks entre
Volga et Kama), soit à la famille turco-mongole (Tatars
de Kazan et delà Biélaïa, Bachkirs de l'Oural, Kirghiz
et Kalmouks nomadisant encore dans les steppes salées
de la Caspienne). Au vreù, le nombre total de ces Asia-
tiques ne dépasse guère 4000000 d'individus, et
leur fusion définitive dans la masse du peuple russe
n'est qu'une question de temps.
Toutes les grandes villes du bassin de la Volga s'éche-
lonnent aux rives du fleuve. Elles furent, au début, de
simples forteresses élevées par les souverains moscovites
contre les Tatars et les Cosaques, et la date de leur
fondation marque les étapes de la conquête russe. Puis
elles devinrent — et elles sont demeurées — d'impor-
tantes places commerciales où se concentrent les pro-
296
duits agricoles du Tchernozom oriental, où, pendant six
mois, une vie intense anime les eaux majestueuses de la
Matouchka " (la " Petite mère ", surnom familier
donné à la Volga par les Moujiks russes). La plus
ancienne, Nijni-Novgorod (1 10000 habitants), au con-
fluent de la Volga et de TOka, est universellement con-
nue, depuis de longs siècles, par ses foires où des mar-
chands de toutes races échangeaient les produits
asiatiques (thé, tapis, cuirs et peaux, fourrures, etc.) contre
les produits européens. Kazan ( 1 90 000 habitants) fut
longtemps la capitale d'un Khanat tartare ; elle s'est
spécialisée dans la fabrication des objets en cuir dit
de Russie ". Simbirsk (66000 habitants), Samara
(145000 habitants), Syzran (50000 habitants), Sara-
tof (235 000 habitants), sur les collines qui dominent
1 une des rives de la Volga, ne sont que d'immenses
entrepôts de blé. A Tsaritsyn ( 1 00 000 habitants), ces
blés quittent la Volga pour se diriger par voie ferrée
vers les ports du Don. Astrakhan (163 000 habitants)
s'occupe de pêche fluviale, reçoit et distribue les naphtes
de Bakou.
La Russie agricole de l'Est se complète par les
domaines forestiers et miniers de l'Oural, avec lesquels la
Kama et ses affluents la mettent en relations faciles. Sur
les deux flancs de la montagne on exploite la houille, le
fer, le cuivre, l'or et le platine, et des villes s'y déve-
loppent d'autant plus vite qu'elles servent de stations
aux grandes voies ferrées unissant l'Europe à l'Asie :
Perm (65000 habitants), Oufa (103000 habitants),
Orenbourg (95000 habitants) sur le versant russe,
Nijni Taguilsk (45 000 habitants), Yékatérinbourg
(70 000 habitants). Tchéliabinsk (70000 habitants) et
Zlatooust (35 000 habitants) sur le versant sibérien.
LES PAYS RUSSES ET LES ETATS BALTES
CONCLUSION
Les conditions nornicJes de la vie russe ont été com-
plètement bouleversées d'abord par la guerre, puis sur-
tout par la révolution de 1917 d'où est issu le régime
"bolcheviste". Les relations commerciales avec l'étranger
ont à peu près cessé, au grand détriment à la fois de la
Russie et de l'Europe Occidentale. En 1913, voici com-
ment se répctrtissaient les ventes et les achats de l'Em-
pire (en millions de roubles : le rouble valait alors 2 fr . 66) :
Imtxrtations
1220000000 roubles.
Madères premières ou demi-ou\Té«s pour l'industrie .... 600 906 000
Articles manufacturés 453 000 000
Denrées alimentaires 163 000 000
Exporlalions
I 420 855000 roubles.
DenMcs alimentaires 806000000
(dont 590000000 de céréales. 90 000 d'ocufi. 71 000000 de
beune).
Matière, premières 550 000 000
(dont 63000000 de bois, 86 000 000 de lin, 52000000 de
cuir, 34 000 000 de métaux bruts).
Produits manulacturés 30 000 000
Animaux vivants ; 32 000^000
Parmi les clients de l'Empire, l'Allemagne tenait de beaucoup
le premier rang; elle lui vendait pour 642 000000 de roubles de
produits manufacturés et lui achetait pour 452000 000 de roubles
de denrées alimentaires ou de matières premières. Puis venaient la
Grande-Bretagne (170000000 et 266000000). la France
(56000 000 et 100000 000), les Pays-Bas. les Etats-Unis.
l'Italie, l'Aulriche-Hongrie. etc.
Seule de toutes les nations européennes, la Russie
vendait donc sensiblement plus qu'elle n achetait, et
malgré les méfaits d'une administration calaraiteuse, mal-
gré l'état encore arriéré des méthodes de culture, la
rareté des voies de communication, la nonchalance, le
manque d'instruction du paysan, la situation économique
n'était pas mauvaise. On signalait un peu partout des
progrès sensibles faits, notamment, dans les grands
domaines de la région du Tchernozom, par l'emploi de
plus en plus étendu des machines agricoles. La question
agraire, d'une importance si capitale dans cet Empire
peuplé de paysans, se résolvait peu à peu grâce au par-
tage progressif des Domaines communaux ou ' Mirs ",
grâce surtout à l'émigration qui jetait annuellement plus
de 1 000 000 de moujiks sur les terres vierges de Sibérie
et du Turkestan, ou les entraînait jusqu'à l'Amt'rique
lointaine. Guidée soit par des Russes éclairés, soit par
des étrangers (surtout Allemands qui remplissaient une
foule de fonctions de première importance), soutenue par
les capitaux que la France, entre autres, lui confiait sans
compter, l'immense Russie développait ses industries
(tissages, métallurgie, sucre, alcool de grains, etc.), procé-
dait à l'inventeùre progressif de ses ressources, se déga-
geait peu à peu de ce long Moyen Age où elle s'enlisa
jusqu'à l'aube du XX® siècle.
On ne sait que trop ce que le régime de commu-
nisme intégral et d'anarchie sauvage qui l'opprime
depuis 1917 a fait de la Russie. On le sait toutefois
d'une façon forcément incomplète, puisque les maîtres
du peuple russe n'ont guère facilité les enquêtes des
étrangers trop curieux.
On constate que la valeur du rouble est tombée
à rien, que le paysan réduit ses semailles au strict
nécessaire, que les moyens de transport, déjà fort insuf-
fisants avant la guerre, sont complètement désorga-
nisés, que de continuelles tentatives de contre-révolution,
cruellement réprimées, éclatent sur tout le territoire sans
parvenir à secouer l'inertie de ce grand corps amorphe,
que la Russie décimée par une cruelle famine est, présente-
ment, à peu près incapable d'acheter ou de vendre quoi
que ce soit, etc. Et les effets de cette situation, si déplo-
rable pour les Russes, ne laissent point d'être fâcheux
pour les autres Européens privés du blé, de l'orge, du
lin, du bois que l'EJnpire leur fournissait autrefois en
masse et à faible prix. Tout pronostic concernant l'avenir
de ce malheureux peuple serait vain, étant donnée,
surtout, la façon étrange, incompréhensible pour un
cerveau d'Occidental, dont un Slave russe se comporte et
agit en face de certains événements. Mais il est à
crmndre que, même après le rétablissement d un état
de choses normal, la Russie, privée des Etats Baltes,
de la Pologne, de l'Ukraine (?), de la Caucasie, peut-
être du Turkestan et de la Sibérie, ne demeure bien
longtemps encore si affaiblie et languissante qu'elle r.e
puisse de sitôt reprendre dans la hiérarchie des peuples
le rang éminent qui était le sien.
Nota. 00 Les seuls chiffres «xicls concernant le commerce
extérieur de la Russie soviétique se rapportent aux transactions
faites avec la Giande-Brelag.ne. L'exportation de produits russes
destinés à l'Angleterre se montèrent à £6710000 en 1918,
£ 16 370 000 en 1919, £ 34 103 000 en 1920. — Les importa-
tion» de Grande-Bretagne en Russie ont passé de £ 298 000
en 1918 à £ 12 000 000 en 1919 et 1920. — Les ventes
russes consistèrent surtout en poteaux de mines et traverses de
chemins de (er (£ 1 1 000). tabac (£ 759 000), lin (£ 725 000),
pâte à papier (£ 230 000). — Les Anglais vendirent aux Russes
des armes et de» munitions (£ 1 374000), des colonnedes
(£ 2 000000), de» lainages (£ 2 535 000). du charbon (£ 561 000),
des chaussures (£470 000), du poisson (£370 000). — Ces
chiffres paratiront — à plut d'un litre — fort intéressants pour
le lecteur français.
297
L'ASIE
L'ASIE
CHAPITRE XXII
NOTIONS GÉNÉRALES
LA GRANDEUR DE L'ASIE. /H/D Entre
l'Europe, l'Afrique, les Océans Indien. Pacifique et
Boréal, l'Asie étale la masse formidable et compacte de
ses terres, si vastes que leurs 44 000000 de kilomètres
carrés leur donnent une superficie quatre fois et demie
supérieure à celle de la " petite Europe ". 8 500 ki-
lomètres séparent le Bosphore de la Corée, le cap
Tchéliouskine du détroit de Malacca. C'est cette
ampleur du continent asiatique qui attire d'abord 1 atten-
tion au premier coup d'oeil jeté sur la carte. Notre
France y tiendrait quatre-vingts fois ! Aussi devons-nous,
pour juger avec exactitude des choses d'Asie, ne jamais
perdre de vue ce fait essentiel : leur grandeur. Les dis-
tances auxquelles nous sommes habitués n'ont plus en
Asie leur valeur normîJe. Tout y est vaste, tout y est
démesuré : les montagnes coIosscJes, les plateaux sans
fin, les plaines immenses et les fleuves, elles forêts, et les
steppes, et les déserts. Ici, dans l'Inde, en Chine, au
Japon, à Java, des sociétés humaines ont trouvé des
conditions naturelles si propices à la vie sédentaire
qu'elles forment à elles seules plus du tiers de la popu-
lation totale de notre planète. (" En Europe, disait
Bonaparte, on ne règne que sur des taupinières. Seule
l'Asie renferme des Empires dignes de ce nom. ")
Ailleurs, par contre, sur des millions et des millions de
kilomètres carrés, en Mongolie, en Sibérie, au Tibet, au
Turkestan, en Perse, en Arabie, le désert, la forêt, la
Toundra, ne peuvent nourrir que quelques misérables
tribus de pasteurs ou de chasseurs nomades. Peu ou
point de ces gradations insensibles, de ces nuances déli-
cates entre petites régions voisines, de ces modalités
infinies dans le climat, dans la végétation, dans les
formes de la vie humaine que nous offre l'Europe occi-
dentaJe, mais des conditions identiques se répétant,
uniformes, sur des espaces immenses, courbant les
- 298
hommes sous la nécessité d'une même loi; et puis, entre
ces régions démesurées, de brusques contrastes, de
saisissantes oppositions ; en tout, une sorte d'excès qui
élimine de la terminologie géographique ces mots :
mesuré, modéré, tempéré, qui caractérisent si lustement
nos pays d'Occident. Les cartes de nos atlas nous
dérobent, en quelque sorte, la claire vision de tout cela.
Elles nous donnent dans un même cadre l'Europe et
l'Asie, la Suisse et l'Inde, la Belgique et la Chine. Les
échelles, naturellement, diffèrent, mais il faut, pour se
faire une exacte idée de cette différence, de la réflexion,
des comparaisons minutieuses, un effort auquel répugne
trop souvent l'esprit.
LA RECONNAISSANCE DU CONTINENT
ASIATIQUE, an Cette immensité même de l'Asie
fut la raison majeure de l'obscurité qui déroba si longue-
ment aux peuples de l'Europe les trois quarts de son
domaine. Et pourtant l'Ouest du Continent asiatique se
soude au nôtre d'étroite façon. Les monts Oural, que
l'on franchit aisément par des seuils de moins de
400 mètres, ne forment nulle part une barrière. Les
steppes de la Russie méridionale se continuent immédia-
tement par celles du Turkestan. Caspienne, Mer Noire,
Mer de Marmara, Mer Egée, Méditerranée, sont asia-
tiques autant qu'européennes. Et n'est-ce point en Chai-
dée, en Perse, en Anatolie, en Phénicie que naquirent
les premières civilisations? N'est-ce point chez les
Asiates qu'Égyptiens et Grecs puisèrent les premiers
éléments de leur culture matérielle, religieuse, artistique,
intellectuelle et morale ? Mais si. pendant de longs
siècles, l'Asie agit sur les pays d'Occident ; si, après leur
avoir donné peut-être, avec les Aryens, les plus ancien-
nes de leurs races, elle y ajouta plus tard ses Arabes, ses
Turcs, ses Mongols; si le christianisme, né en Judée,
"%
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. iD
NOTIONS GENERALES
trouva chez nous la masse de ses adorateurs, en atten-
dant que l'islam s'installât à son tour sur les deux rives de
notre mer inte'rieure. la seule re'action de l'Europe, jus-
qu'à la fin du Moyen Age. se borna, après l'éphe'mère
conquête d'Alexandre, à 1 occupation de l'Asie Mmeure
par le» Gréco- Romains, puis aux chevauchées épiques
des Croisés.
Aussi, lorsque le 20 mai 1498, Vascode Gama, venu
du Portugal par le cap de Bonne- EUpérance, aborda à
Calicut, ouvrant ainsi I ère féconde des gréindes décou-
vertes, nos connaissances asiatiques étaient-elles extrême-
ment courtes. Pas les géographes ctnciens et les Arabes
nous a\'ions quelques notions des pays de l'Ouest jus-
qu'aux frontières de l'Inde. .Au delà, sur les régions à
demi-légendaires d'où nous venaient, après des années de
voyage, les épices et la soie, sur les Indes, le Cathay, la
Sénque (la Chine), le Zipangou (le Japon), quelques mis-
sionnaires et marchands aventureux : les Guillaume de
Rubrouk, les Plan Carpin. les Marco Polo, avaient
raconté maintes ' Merveilles" qui trouvaient autant d'in-
crédules que d'admirateurs. A partir du XV siècle, au con-
traire, le voile se déchire, et l'Asie mystérieuse livre un
à un tous ses secrets. Nous ne ferons point l'histoire de
cette longue découverte, nous réservant, par ailleurs, de
donner pour chaque pays d'Asie un bref aperçu de son
passé. 11 nous suffit de marquer ici combien dure, combien
meurtrière fut, pour les découvreurs, cette sorte de viol.
Attaquée à la fois par le Sud où les Portugais d'abord,
puis les Hollandais, les Anglais et les Français s'ms-
tcdlent aux Indes, en Indo-Chme, dans l'Insulinde. etpar
le .Nord où s'étale la vague slave, I Asie intérieure oppose,
aux conquérants comme aux explorateurs désintéressés, la
hauteur de ses bastions inaccessibles, l'ampleur de ses dé-
serts, la xénophobie de ses habitants. Encore aujourd'hui,
les régions complètement et scientifiquement connues,
c est-à-dire celles pour lesquelles nous avons des cartes à
grande échelle levées par triangulation, se limitent à l'Inde
anglaise, à Java, au Japon, à certames portions de I Asie
Mineure, de la Cochinchine, de la Caucasie, du Ton-
kin, du Turkestan et de la Sibérie occidentale. Sur le
reste de l'Asie turque, la Perse occidentale, la Chine,
le Siam, la Sibérie centrale, il faut nous contenter de
notions beaucoup moins précises dues à des voyageurs
isolés, à la vérité fort nombreux. Quanta r.A.sie centrale,
à la Sibérie du Nord et de l'Est, à l'.-Xrabie inténeure.
quelques rares itinéraires, fort distants les uns des autres,
raient seuls les cartes, où des espaces relativement con-
sidérables demeurent même tout à fait inconnus.
LE RELIEF ET LES COTES, aa L'.Asie
n'est pas seulement le plus vaste, c'est aussi le plus élevé
des continents. On évalue à plus d'un millier de mètres
son altitude moyenne (Afrique : 600. Europe 330).
Cela tient d'abord à la hauteur de ses puissantes chaînes
de montagnes, puis surtout à l'ampleur de ses plateaux.
Les plissements alpins qui. au cours de l'époque ter-
tiaire, donnèrent naissance soit directement, soit par contre-
coup, aux montagnes de l'Europe, eigirent en .Asie avec
une particulière intensité. Contre les anciens massifs éro-
dés. transformés en "pénéplaines" (Sibérie. Inde), vin-
rent se mouler en arc de cercle une séné de chaînes dont
la longueur, la largeur et l'altitude, laissent bien loin der-
rière elles tout ce que nous connaissons chez nous.
Les plus jeunes, partant les plus considérables, jaillirent entre
l'Inde et la Sibérie : ce sont les Himalayas où le mont Everest
porte à 8 840 mètres le culmen du monde : le Kara Koroum.
l'Hindou-Kouch, l'Alal. les Tian-Chan. le fCouen-Loun. les monts
du Tibet oriental, etc. D'autres du même âge. mais moins élevées,
sont encore égales, sinon supérieures. à nos Alpes : tels le Caucase
les monts de l'Iran, le Taurus. D'autres encore, de formation dif-
férente, non plus chaînes de plissements, mais simples rebords
surélevés de plateaux: telles les montagnes de la Sibérie, de l'Annam.
de l'Arabie, les GKàtes de l'Inde, etc., rappellent nos Cévennes et
les massifs de la Scandinavie. D'autres en&n. jalonnant les grandes
lignes de fracture qui accompagnèrent obligatoirement la surrection
des plis, doivent leur naissance à la poussée des roches ignées. Ces
roches : basaltes, laves, trapps. créèrent presque de toutes pièces
la guirlande d'îles volcaniques qui sépare le socle asiatique des
abîmes du Pacifique et de l'Océan Indien : Kouriles. Japon. Phi-
lippines, lies de la Sonde. Elles revêlent une partie de l'Inde
péninsulaire et. du Kamtchatka à l'Asie Mineure par l'Elfxjurz.
l'Azerbaldjan. l'Arménie, elles surajoutèrent, au socle de roches
plus anciennes, les cônes géométriques du Klioutchen, du Dema-
vend. de r.\rarat.
Mais plus encore que les hautes chaînes, ce sont les
hauts plateaux qui caractérisent le relief de l'Asie. Géné-
ralement encadrés d'arêtes montagneuses, par cela même
abrités des vents pluvieux et voués à la stérilité, ils
recouvrentl'.Anatolie, r.Arabie, l'Iran, leTibet. la Mongo-
lie, près des trois cinquièmes du continent. Leur altitude
varie de 1000à4000et même à 5000 mètres. Leur com-
pacité, leurs conditions climatiques spéciales, leur aridité
en font des obstacles assurément plus redoutables que les
chaînes, si hautes soient-elles. Comparé au Tibet. 1 Hi-
malaya est d'accès relativement aisé !
Ce sont eux qui forment la vraie barrière entre le Nord
et le Sud. l'Est et l'Ouest du Continent. Les plaines reje-
tées sur le pourtour en Sibéne occidentale, en Chine, en
Indo-Chine, dans l'Inde, en Mésopotamie, ont. quelque
grandes soient-elles, une superficie relativement bien
moindre que nos plaines d'Europe. De plus, elles ne com-
muniquent point entre elles, et. si l'on excepte le bassin
de lEuphrale, les sociétés humaines qui s'y dévelop-
pèrent demeurèrent isolées à la fois les unes des autres
et du monde extérieur : d'où leur stagnation rapide, leur
arrêt brusque sur la voie régulière du progrès.
A défaut de faciles communications intérieures, l'Asie
299
LASIE
trouvait-elle dans la nature de ses rivages les éléments
d'une vie maritime intense ? Evidemment non. Certes,
son grand corps n'a pas les contours trapus, massifs et
grossiers de la lourde Afrique. La " beu're " ne déferle
point sur ses côtes avec la redoutable régularité que nous
apprendrons plus loin à connaître. Elle a ses péninsules
(Anafolie. Arabie, Inde, Chine, Corée, Kamtchatka) ;
ses golfes (Persique, d'Oman, du Bengale, du Siam, du
Tchéli) ; elle a même, sur sa façade Pacifique, des mers
intérieures (Okhotsk, du Japon, de Chine, de Java, etc.) ;
des archipels aux îles multiples où pouvaient grandir des
peuples de marins ; mais rien de comparable aux riches
articulations de notre Europe, à ces étroits couloirs liquides
qui vont au cœur des continents apporter ou solliciter la
vie. Chez nous, en dehors de la Russie, pas de point
qui soit à plus de 400 kilomètres de la mer la plus proche :
en Asie, c'est par milliers de kilomètres que l'on mesure
cette distance. Même les lieux voisins de l'Océan n'ont
jamais subi sa puissante attraction. Au Nord, les glaces
emprisonnent les mers arctiques ; à l'Est, le Japon, la
Chine du Sud ont bien des côtes découpées à souheiit où
abondent les havres naturels, mais l'immensité vide du
Pacifique interdirait tout vaste effort. Au Sud, — l'Insu-
linde exceptée qui vit naître le peuple errant des Malais —
les pénmsules compactes, très pauvres en abris, donnent,
elles aussi, sur les espaces sans fin de l'Océcm Indien. A
l'Ouest seulement, aux bords étroits de la Mer Rouge,
sur les rivciges dentelés de l'Asie Mineure, Phéniciens,
Grecs, Arabes osèrent se confier à des mers dont les
bornes n'étaient jamais bien loin. Peu'tout ailleurs, l'Asie
se referma sur elle-même. Elle fut exclusivement ter-
rienne. Pendant des dizaines de siècles. Chinois, Japo-
nais, Cambodgiens, Hindous, Persans virent déferler sur
leurs rivages la longue caresse de la houle que poussait la
mousson, sans être jeonais tentés de partir à la recherche
de l'inconnu. Et les premiers grands navires qui sillon-
nèrent leurs océans vinrent, non pas de leurs chantiers
inexistants, mais de cet inconnu même, de cette Europe
si lointaine où, sur des mers qui savent se faire attirantes,
5e lancèrent les hommes" forts comme le chêne, à la poi-
trine bardée d'un triple airain". Illi robur el aes triplex...
LE CLIMAT. ^£> Les contrastes si nets que nous
relevons entre l'Europe et l'Asie se traduisent aussi for-
tement par les caractères de son climat qui est lui-même,
pour une si grande part, fonction du relief, de l'archi-
tecture continentale, des mers qui baignent la masse
émergée.
Par la presqu'île de Malacca et l'insulinde, l'Asie
touche à l'Equateur ; par la Sibérie septentrionale, elle
déborde largement au delà du cercle polaire, et le cap
Tchélicuskine n'est qu'à 12 degrés du pôle. C'est la
distance qui sépare le Congo du Spitzberg.
~ 300
Nous trouverons donc, en Asie comme en Afrique
et en Amérique Centrale, des terres soumises aux
climats équatorial et tropical humide caractérisés par
leurs hautestempératuresel leurs pluies abondantes. Nous
y trouverons aussi, et sur des surfaces combien vastes !
des déserts plus arides encore que le Sahara. Enfin, le
climat polaire de la Russie du Nord ou du Canada
règne sur l'immense Sibérie. Mais la zone du climat
méditerranéen se limite à l'étroit littoral de l'Anatolie, et
le climat tempéré de l'Europe occidentale fait totalement
défaut. Aux latitudes qui correspondent à celles de l'Ita-
lie, delà France, de l'Angleterre, de l'Allemagne, del' Au-
triche, s'étendent les déserts tour à tour torrides et gla-
cés du Turkestan et du Gobi. Même sur le littoral du
Pacifique, les courants froidi venus des mers polaires par
le détroit de Bering, et surtout la mousson glacée qui
souffle, de septembre à mars, de la terre vers la mer,
valent à la Mandchourie, à la Chine du Nord, des hivers
aussi rudes que ceux de Laponie, succédant à des étés
aussi chauds que les étés du Caire !
Excessive par sa masse, l'Asie l'est donc aussi par son
climat. Elle renferme à la fois les lieux les plus arrosés
du monde (à Tcherrapoundji, dans l'Assam, il tombe
en moyenne plus de 1 2 mètres d'eau en six mois), et
ceux qui reçoivent les chutes de pluies les plus faibles
(Arabie intérieure, Iran). Tandis que les étés de Bag-
dad, de Mascate ou de Lahore re rangent, avec leurs
35° de moyenne, parmi les plus torrides de notre planète,
les hivers de Verkoïansk (Sibérie du Nord-Est) font de
cette petite ville le pôle de froid du globe (extrême ab-
solu — 76°). Si l'on exempte l'insulinde, les côtes de
l'Inde, de l'Indo-Chine et les côtes méditerranéennes,
toutes les moyennes de températures observées en Asie
frappent par le chiffre de l'amplitude, c'est-à-dire des
écarts entre les saisons. C'est là un fait capital qui a sa
répercussion immédiate sur la nature de la végétation
et les multiples manifestations de la vie humaine.
Un autre fait d'importance égale est le phénomène
des moussons. Il s'explique, lui aussi, par l'énormité de la
masse continentale.
En été, à la surface de l'Asie brûlée de soleil, l'air s'échauffe
et s'élève dans l'atmosphère, d'où la naissance d'une zone de
basses pressions, d'un immense foyer d'appel vers lequel accourent
les vents. Soufflant de la mer relativement fraîche vers la terre, ils
poussent devant eux les nuées qui se condensent au contact des
montagnes et crèvent d'avril à septembre. Eln octobre, la mousson
change de direction; elle se " renverse *'. Pendant tout I hiver, en
effet, l'Asie intérieure est soumise à des températures de plusieurs
dizaines de degrés au-dessous du point de glace ; par contre, les
Océans qui l'entourent conservent leur température relativement
élevée. Le continent cesse d'être un foyer d'appel pour se trans-
former en centre de dispersion de l'air, en zone de haute pression
d'où les vents glacés et secs se précipitent vers l'Est et le Sud.
Cette alternance de la mousson règle toute la vie de
NOTIONS GENERALES
I I Porètt ûe^ conifère. ù
ASIE
ZONES DE VÉGÉTATION
Zone- mec hierra/u<,fuiti ^ 'jyji^
Déâertv l':::::)
Zone JcitolaiCéV
ûe mouJJû/i
Direction Jej fe/iLt en. éU, •
^^^=
p^^3S5^^*~
^
1 Asie méridionale et orientcJe. Cest elle qui partage l'an-
née en deux Sciisons nettement tranchées : séiison sèche
d hiver, saison humide de l'été. Unique véhicule des nuées,
cest elle seule qui donne l'eau nécessaire, qui rythme le
régime des fleuves, qui fait croître la forêt vierge et la
savane, le riz et le blé. Aux heux où elle ne parvient
pas, règne le désert. C'est elle enfin qui, au temps delà
navigation à voiles, favorisa les rapports réguliers entre
les côtes de l'Inde et les rivciges orientaux de l'Afrique,
et c est la mousson Sud-Ouest qui porta de Zanzibar à Ca-
licut la caravelle de Vasco de Cama.
LA FLORE ET LA FAUNE, aa Flore et
faune se modèlent sur le climat.
L'insulinde, l'Indo-Chine, l'Inde, très chaudes et très
humides, sont, à l'état vierge, le domaine de la forêt tro-
picale ou de la "jungle" peuplées de grands fauves,
d'oiseaux à l'éclatant plumage. On y cultive le riz et la
canne à sucre, l'arbre à thé et le cotonnier, les arbres 'k
épices et à caoutchouc.
Chine et Japon forment une région intermédiaire entre
la zone tropicale et la zone polaire. La forêt, aux pomts
où elle subsiste encore, se rapproche quelque peu de nos
forêts françaises, mais avec des différences très sensibles
qu'explique le caractère déjà fortement continental du
climat.
Au riz, au mûrier, au bananier, à l'arbre à thé. se
mêlent d'abord, puis succèdent peu à peu, le maïs, le
blé, I orge, nos légumes et nos arbres à fruits.
Tout le reste de l'Asie (si l'on met à part les cotes mé-
diterranéennes, identiques aux rivages de Grèce etd'Italie
par leurs maquis, leurs arbres à feuilles persistantes, leurs
—301 -
L'ASIE
oliviers, leurs vignes, leurs figuiers) appartient soit à la
steppe et au désert, soit à la forêt polaire.
Steppeset désert couvrent l'Arabie, l'intérieur de l' Ana-
tolie, l'Iran, le Turkestan, la Mongolie, le Tibet, la
Mandchourie occidentale. Sauf dans les oasis créées autour
des points d'eau, le sol est tout à fait stérile ou ne porte
que les rares graminées, les buissons épineux dont se con-
tentent gazelles, antilopes, ânes sauvages ou domestiques,
moutons, chevaux et chameaux.
La forêt polaire s'étend de l'Oural au détroit de Bérmg.
Elle continue directement la sylve immense de bouleaux
et de conifères que nous vimes naître en Norvège sur les
rives de l'Atlantique, et se prolonge elle-même en Amé-
rique par l'Alaska jusqu'au Labrador. Monotone et triste
infiniment, elle abrite le peuple des animaux à précieuse
fourrure : renards, martres, zibelines, etc. Mais, tuée
par le froid, elle s'amoindrit, s'éclaircit à mesure que l'on
se rapproche de l'Océan polaire, et l'extrême-Nord Sibé-
rien ne connaît plus que les mousses, les lichens de la
toundra que parcourent les troupeaux de rennes.
L'HYDROGRAPHIE, aa A ces trois zones
climatiques correspondent trois sortes de fleuves : fleuves
polaires, fleuves de moussons, fleuves de steppes et
déserts.
Dans l'immense Sibérie, l'Ob, 1 lénisséi, la Lena,
l'Amour, leurs affluents et leurs voisins de moindre im-
portance composent un des réseaux hydrographiques les
plus vastes, les mieux articulés du globe. Lents parce
qu'ils coulent en plaine, larges et profonds parce qu'ils
drainent une surface une fois et demie aussi étendue que
l'Europe, ils formeraient un admirable ensemble de voies
navigables s'ils n'étaient pris par les glaces de novembre
à mai et s ils ne débouchaient (sauf l'Amour) sur une
côte que la banquise polaire rend maccessible.
L'Asie de l'Est et du Sud- Est voit naître, elle aussi, de
puissants cours d'eau : Hohang-Ho, Yang-Tseu, Mé-
kong, Iraouaddy, Brahmapoutra, Gange, etc. La mous-
son règle leur régime. Les pluies d'été leur valent d'énor-
mes crues, mais, même en hiver, ils conservent des eaux
abondantes que nulle glace n'emprisonne. Aussi certains
d entre eux jouent-ils un rôle économique de premier ordre.
Le Yang-Tseu, par exemple, est la grande artère de la
Chine centrale. Le Ménamau Siam, l'Iraouaddy en Bir-
manie, même le Brahmapoutra et le Gange peuvent por-
ter bateaux sur des milliers de kilomètres. D'autres : tels
le Mékong, leSi-Kiang, leSong-Khoï, coupés de rapides,
ne sont accessibles que sur les biefs compris entre deux
barres rocheuses, ou dans leurs cours inférieurs. D'autres
enfin (le Hohang-Ho, la Salouen, les rivières des Archi-
pels) ont une pente trop forte pour se prêter utilement à
la navigation. Mais tous, petits ou grands, ont construit de
leurs alluvions les plaines fécondes où se pressent les
302 —
hommes, et leurs eaux, dérivées par mille canaux, donnent
à ces plaines l'humidité indispensable pour supporter les
longues sécheresses de la mousson d'hiver.
L'Asie de l'Ouest, celle des steppes et des déserts,
possède elle aussi ses fleuves, mais beaucoup moins longs
puisqu'elle est moins large, et beaucoup plus irréguliers
puisqu'ils s'alimentent avec difficulté. Les uns : Indus,
Tigre et Euphrate, cours d'eau d'Asie Mineure,
parviennent jusqu'à la mer. D'autres, tels le Tarym,
l'Amou elle Syr Daria, l'ili, l'Hilmend, le Jourdain, etc.,
se perdent dans des lagunes sablonneuses ou des lacs
(Aral, Balkach, Lob-Nor, Mer Morte). Les pluies d'hi-
ver, les fontes des neiges en été, leur valent des crues su- j
bites auxquelles succèdent de longues périodes de basses '
eaux. Ne cessant de s'appauvrir par évaporation à mesure
qu'ils s'éloignent des montagnes nourricières, incapables
de rendre de réels services comme voies de transport, ils
n en sont pas moms précieux aux riverains qui, plus encore
que les Chinois ou les Hindous, ne sauraient vivre sans
inigations.
LES HOMMES. £l£l L'Asie nourrit 800000000
d'habitants, plus de la moitié des hommes qui peuplent
la Terre.
Cela ne donne, il est vrai, qu'une densité moyenne de 18 habi-
tants au kilomètre carré, alors que l'Europe en compte 39. De plus,
la répartition est si prodigieusement inégale qu'à elles seules, l'Inde,
la Chine orientale. Java et le Japon renferment les sept huitièmes
du total ! Les trois quarts de l'Asie sont vides (1 habitant par 3,
4, ÎO ou 20 kilomètres carrés), mais les plaines alluviales des pays
de mousson voient plusieurs centaines d'êtres humams se presser
sur chaque kilomètre carré de leur sol âprement disputé.
Ces hommes se répartissent, au point de vue races, en
deux groupes principaux qui se subdivisent eux-mêmes
en de nombreuses familles distinctes par les caractères
physiques, la langue, la religion.
Ce sont des jaunes surtout, au Centre et à l'Est (Chi-
nois, Coréens, Japonais, Annamites, Thaïs, Tibétains,
puis Tatares et Turcs d'Asie Mineure), et des blancs au
Sud-Ouest et à l'Ouest (Indo- Aryens de l'Inde et de
l'Iran, Sémites d'Arabie et de Syrie).
Les peuples hyperboréensde l'extrême Nord, les Dra-
vidiens noirs de l'Inde méridionale, les Malais de l'in-
sulinde, qui ne peuvent entrer dans les catégories précé-
dentes, complètent la série des Asiatiques.
Les uns emploient des idiomes appartenant aux langues
monosyllabiques (Chinois, Annamites, Tibétains), d'autres
aux langues agglutinantes (Japonais, Turcs), d'autres aux
langues à flexion analogues à celles que parlent les Aryens
d'Europe (dialectes hindous, persans, arabes, etc.).
Leurs religions essentielles — en dehors du fétichisme
ou chamsuiisme des tribus les plus arriérées — sont le brah-
manisme dans l'Inde, le bouddhisme en Indo-Chine, en
L'.^IE
LE MONT SINIOLCHUN. — SIKKIM (HIMALAYA). — Cale magnifique
photographie, prise pendant l'expédition fameuse du Duc des Abruîzes rrtontre d une
façon saisissanle l'aspect que revêtent les hauts sommets himalauens. Sur le ciel d un
bleu presque noir se détachent les aiguilles immaculées. De formidables coulées de
ntige. striées par les avalanches, se plaquent sur la roche. Des glaciers suspendus se
logent entre les replis. On devine l'incrot/able difficulté des cucensions en de tels lieux,
difficultés singulièrement accrues par la raréfaction de l air, puisque l on compte par
centaines la âmes qui dépassent 7 000 cl même 8 000 mètres. CL ViTTORio Sella.
303
L'ASIE
UN VILLAGE AU JAPON. Des paysages de ce genre où le feiâllage des grands
arbres, les toits des petites maisons blanches se reflètent dans les eaux rapides
d'une rivière peu profonde, rappellent à s'y méprendre les " paysages modérés "
de l'Europe occidentale.
LA FÊTE DU DRAGON A OU-TCHÉOU. La photographie montre à ta
fois de quelle importance sont pour les Chinois /es grands fleuves et leurs affluents
navigables, et aussi la survicance de .outumes très anciennes tenant à ces croyances
supeistilieuses auxquelles les Fils de Han demeurent profondément attachés.
UNE RUE DEDJEIPOURE. L'Inde (320 000 000 d'habitants) est. avec la
Chine, le foyer d'humanité le plus considérable du mvnde. Elle eut autrefois une
trèsbrillante histoire, et'se couvritde vilUs. de palais et de temples magnifiques. Puis
vint un long déclin, une sorte de léthargie d'où elle tend à sortir aujourd'hui.
UN PAYSAGE AU TIBET. L'intérieur de l'Asie est couvert de plateaux qui
doivent à leur altitude, à leur éloignemenl des mers, à leurs ceintures de hautes
montagnes, unclimat extrêmement rude et très sec. Les caravanes qui les traversent
utilisent comme animaux de bât, soit les chameaux, soit les yaks.
i\i^ l-E C lESlPHON.
Pagode a Rancoum.
:,; c IL- pa.'.i^ Its plus cncî^nnes^ et les principales religions auxquelles l'humanité
K-^rî ^;.';:c/[tc. Le pagani^^me d'abord, avcnt l'Egypte, la Grèce et l'Italie, créa
.:;-.';^ - .- :c: 'JocLvks cl c; zes rites dans les plaines de Chaldée où Ctésiphon
-. c z:r. ir.zi-r\! C- le rldre de Bahylone. Le Boudc^sme et le Brahmanisme se
La Voie DOULOUREUSE A Jérusalem,
formèrent dans l'Inde d'où ils gagnèrent l'Indo-Chine, la Chine et le Japon. Ils
comptent aujourd'hui pim de 700000000 de sectateurs, suit près de la moitié
de l'humanité. Enfin, c'est par les rues étroites de Jérusalem que Jésus gravit la wie
douloureuse du Golgoiha. CI. Underwood et UnderWOOD el CI. FoRBIN.
NOTIONS GENERALES
Chine, au Japon, au Tibet, l'isUmisme en Arabie,
Syrie, Asie Mineure, Perse, Turkestan, avec d'impor-
tantes ramifications dans l'Inde anglaise, l'Insulinde, la
Chine même. Le christianisme, né en Judée, n'eut au-
cune prise sur les peuples asiatiques et n'est représenté
que par quelques millions d'Arméniens, de Grecs (en Asie
Mineure), et de Russes (en Sibérie).
Mais ces distinctions de races, de religions, de
langues, quelque importantes qu'elles soient par ailleurs,
ont un intérêt géographique moindre que la diversité
des conditions d'existence imposées à l'homme par la
nature.
Blancs ou jaunes, musulmans ou bouddhistes ont dû
s'adapter d'égale façon au cadre dans lequel ils se trou-
vaient contraints d'évoluer. Les uns sont devenus de très
bonne heure des agriculteurs sédentaires, les autres ont
mené dans les steppes la vie errante du pasteur.
Les plaines alluviales, les deltas virent naître les pre-
miers foyers d'une civilisation basée sur la culture du
sol. la domestication des animaux de ferme, la créa-
tion de sociétés humaines soumises volontairement "k des
lois.
Nous trouvons ces sociétés instcJlées dans la basse
Chaldée, aux rives de l'Euphrate et du Tigre, 4000 à
5000 ans avant Jésus-Christ. Un peu plus tard (vers le
troisième millén£iire), des groupes humains du même
genre s'établissaient dans les grandes plaines deltaïques du
céOGSAMIIK UNIVERSELLE.
303
30
L'ASIE
Hohang-Ho et du Yang-Tseu. 11 est probable, sans que
nous puissions l'affirmer, que la plaine Indo-Gangé-
tique vit, à la même époque, se fixer ses premiers séden-
taires.
Ils trouvaient en Asie, à l'état sauvage, la majeure
partie des animaux domesticables et des plantes nourri-
cières que nous utilisons aujourd'hui : blé, riz, millet,
orge ; des légumes tels que la lentille, la fève, le pois
chiche ; des arbres à fruits : vigne, oliviers, pêchers ,
pruniers, etc. ; des plantes textiles : lin, chanvre, coton,
et la canne à sucre, et les épices et le mûrier. Dems les
grandes herbes des savanes vivaient l'âne et le bœuf, la
chèvre, le mouton, le cheval, le chameau, le porc, le
chien.
La terre, pour peu qu'on l'arrosât, se révélait mer-
veilleusement féconde. Elle ne donneut rien sans efforts,
mais tout effort se trouvait magnifiquement récompensé.
L'homme fut donc conduit à multiplier ses efforts, à
s'ingénier pour accroître son bien-être. Sa puissance
cérébreJe se développa. Au lieu de se soumettre passi-
vement à la volonté de la nature, il lutta contre elle
pour dompter ses caprices ou provoquer ses bienfaits.
La seule nécessité d'irriguer ses champs fit de lui un
ingénieur et un géomètre, en même temps qu'elle
l'obligeait à s'unir à ses voisins pour les grémds travaux :
creusement de canaux, construction de digues, puis à
régler en commun les contestations nées du partage de
l'eau et du sol : d'où l'invention des premiers éléments
des sciences, la formation des royaumes les plus anciens,
I élaboration des premiers codes de lois.
Mais ces sociétés, dont les progrès allèrent tout
d'abord du même pas, eurent dans la suite des destinées
différentes. Celles de l'Ouest entrèrent aisément en
rapports avec le monde méditerranéen. Les semences
créées par les Chaldéo- Assyriens trouvèrent en Elgypte
en Phénicie, en Asie Mineure, puis en Grèce et en
Italie, des terrains de choix. Chaque peuple nouvelle-
ment initié aux idées et aux connaissances des Asiates
réagit et les perfectionna suivant son tempérament
propre et les ressources naturelles de son génie. Nul
obstacle ne les séparait les uns des autres. Une décou-
verte faite par l'un d'eux était vite connue et complétée
par les voisins. Il y avait ainsi une circulation continue,
une fermentation sans arrêts, éminemment favorables au
progrès. En fait, ce progrès put subir des éclipses : il
ne s arrêta pas et aboutit aux formes présentes de la
civilisation dite Européenne.
Il n'en fut pas ainsi des groupes chinois et hindous.
Entourés de montagnes colossales, d'Océans immenses,
de déserts plus infranchissables encore, ils ne purent
établir avec d'autres groupes humains ces relations
étroites qui leur eussent permis de compléter, de renou-
306 -—
vêler, détendre sans cesse leurs connaissances, leur
stock national ". Aussi s'arrêtèrent-ils très tôt et très
vite. Les germes qu'ils avaient semés, poussant toujours
sur un même sol, d'après des méthodes identiques, ne
purent donner neiissance à cette merveilleuse variété
que le concours de tant d'ingénieux travailleurs fit
fleurir en Europe. Ils s'immobilisèrent, se momifièrent en
quelque sorte, et, devenus incapables d'invention, ils
vécurent jusqu'à nos jours tels que leurs ancêtres
avaient vécu.
Dans le même temps, la vie nomade, qui fut, sans
doute, celle de tous les hommes primitifs, en quels
lieux qu ils se soient trouvés, se perpétuait forcément
dans les vastes espaces occupés par les steppes et les
déserts. Tandis que l'Europe, partout suffisamment
arrosée pour être cultivable, vit, bien longtemps avant
l'ère chrétienne, le nomadisme dispîu-aître et céder la
place aux sédentaires, les pasteurs errants demeurèrent
les seuls maîtres de l'Arabie, de l'Iran intérieur, du
Turkestan, du Tibet, de la Mongolie, de la Mandchou-
rie. Endurcis, aguerris par leur rude existence, ils se
rendirent redoutables, malgré leur petit nombre, aux
paisibles cultivateurs des plaines dont ils enviaient la
richesse et qu'ils razziaient presque impunément.
A toutes les époques de l'histoire de l'Asie, nous retrouvons
cette lutte du nomade contre le sédentaire. Les Hyksos, qui
envahirent le delta du Nil à la fin de la XII^ Dynastie, étaient des
Bédouins arabes. Les Juifs, en marche vers la Terre Promise, erraient
au désert sous la conduite de leurs chefs de tribus. les Patriarches,
avant de conquérir les fertiles vallées de Chanaan. Nomades encore
les Perses avant leur conquête de la Chaldée, et les Osmanlis
lorsqu'ils quittèrent leurs steppes du Turkestan pour marcher vers
l'Asie Mineure et l'Europe Orientale. C'est pour se protéger des
bergers Mongols ou Mandchous que les Chinois élevèrent leur
Grande Muraille, du reste si souvent violée. Enfin, il suffit de
quelques chefs énergiques pour grouper momentanément, en une
seule masse, les tribus dispersées et les entraîner, au galop de leurs
chevaux, vers la conquête du monde. Souvenez-vous des Huns
d'Attila, des Arabes successeurs de Mahomet, des Hongrois, les
" Ogres " de nos contes de fée, des Turco-Tatares de Gengis-
Khan, des Mongols de Tamerlan, des Turcs de Mahomet II.
A certaines époques, l'Asie entière plia sous le joug, et l'Europe
terrifiée, vit leurs hordes dévastatrices courir d'abord d'une
traite jusqu'aux Champs Catalauniques, jusqu'au seuil du Poitou,
puis se fixer en Ibérie, dans les steppes du moyen Danube, aux
rives du Don et de la Volga, dans les plaines de la péninsule
Balkanique.
A peine çà et là, dans les montagnes sauvages du
Kourdistan ou de l'Afghanistan, subsiste-t-il encore,
comme au Maroc ou au Sahara, quelques tribus
pillardes adonnées au brigandage. Mais, malgré leurs
méfaits locaux, elles ne sont plus un danger, et si le
Kirghiz, le Mongol, le Tibétain, le Turkmène, l'Arabe,
vivent encore sous la tente, menant de pâturages en
pâturages leurs troupeaux de brebis, de chèvres et de
chameaux, ils ne jouent plus en Asie qu'un rôle effacé.
LA SIBÉRIE
Leur nombre même, qui fut de tout temps très restreint,
ne cesse de diminuer car, refoulés aux lieux les plus
déshe'rite's du continent, il leur faut ou bien disparaître
ou bien se résoudre eux aussi à la vie sédentaire. C'est
l'histoire présente des Mandchous, des Kirghiz, des
Turkmènes.
Elnfin, après avoir agi avec tant de force sur l'Europe,
1 Asie se voit à son tour envahie par les idées et la civi-
lisation occidentales. L'Inde, l'insulinde, la majeure par-
tie de r Indo-Chine, la Sibérie, le Turkestan sont
même devenus de simples annexes pohtiques des Etats
européens. Et ceux de ses peuples qui parvinrent à
conserver leur indépendance (Chine, Japon, Siam,
Perse, Arabie, etc.) se modèlent plus ou moins vite, plus
ou moins complètement sur les exemples que nous leur
donnons. L'Europe refait l'Asie à son image. Sera-ce
pour son bien ? et les vieilles nations asiatiques, éveillées
à une nouvelle vie, ne sortiront-elles point de leur long
engourdissement que pour retourner contre leurs ins-
tructeurs les connaissances scientifiques et les méthodes
perfectionnées que nous avons nous-mêmes mises entre
leurs mains ?
Le péril jaune " ou, plus largement, le péril
asiatique, envisagé non plus sous la (orme d'une invasion,
mais d'une insurmontable concurrence économique, sera-
t-il un jour une réalité ?
Les chapitres consacrés à la Chine, au Japon, à
1 Inde permettent d'envisager les données multiples du
problème, et fourniront les données nécessaires pour
le résoudre.
CHAPITRE XXIII
LA SIBERIE
GENERALITES
Toute la peirtie septentrionale du continent asiatique
présente des similitudes frappantes avec le Nord de
l'Amérique. Même situation en latitude, même ampleur
des plaines ou tout au moins des régions à relief très
émoussé, même solidité architecturale qu'aucun mou-
vement de l'écorce terrestre n'a troublé depuis de très
longues époques géologiques (au "boucher " Canadien
s'oppose le " bouclier " Sibérien), même climat de type
continental très froid, mêmes fleuves immenses at)outissant
en partie à des mers éternellement gelées, même suc-
cession des zones végétales (Toundras, Forêts, Steppes),
mêmes ressources agricoles et minières , même rareté de
populations aborigènes, même colonisation récente par
des Européens. Mais, tandis que le Canada est séparé
de l'Europe surpeuplée par toute l'étendue de l'Atlan-
tique Nord, la Sibérie est en contact immédiat avec elle.
Les immigrants Canadiens appartiennent à des races
diverses ; ils ont besoin de s'acclimater à des conditions
nouvelles fort différentes, souvent, de celles auxquelles
ils étaient habitués chez eux. Le peuplement Sibérien
se fait uniquement par des Russes qui ne se dépaysent
pas en franchissant l'Oural, et retrouvent, en Asie, un
ciel, une terre, des eaux identiques à ce qu'ils laissent
au villêige natal. L'Asie russe est le prolongement natu-
rel, le complément harmonieux de la Russie euro-
péenne.
La nature a fixé nettement, au Nord et à l'Elst, les
frontières de la Sibérie. Ellle borde l'Océan Glacial
depuis la mer de Kara jusqu'au détroit de Bering, et le
Pacifique (mers de Bering, d'Okhotsk, du Japon)
jusqu'à Vladivostok. Au Sud, les limites, moins nette-
ment indiquées, coïncident en partie avec le fleuve
Amour, puis avec les chaînes montagneuses (monts
Kentéï, Saïan, Altaï) de la Mongolie septentrionale.
Au Sud-Ouest, de simples démarcations administratives,
tracées à travers les steppes Kirghizes, séparent la
Sibérie du Turkestan russe. A l'Ouest, enfin, bien que
l'Oured ne forme nullement une barrière, puisque les
voies ferrées peuvent le franchir par moins de 400 mètres
d'altitude, on le considère, très naturellement, comme la
borne occidentale du Continent asiatique.
L'espace ainsi délimité n'est pas moindre de
1 4 600 000 kilomètres carrés, soit plus du tiers de l'Asie,
une moitié de plus que l'Europe tout entière.
Au Sud et au Sud-Est, la Sibérie touche au 43* degré
et même au 43® degré de latitude Nord (cf. Bordeaux
et Marseille). Pcir contre, le cap Tcheliouskine, à
l'extrémité de la presqu'île de Taïmyr, se trouve sous
le 77® degré 5, c'est-à-dire qu'il dépasse les latitudes
les plus septentrionales de l'Europe et du Continent
américain. D'autre part, d'Ouest en Est, on compte
plus de 130 degrés de longitude, ce qui, sous le
60® parallèle, donne une longueur de plus de 7 000 ki-
lomètres.
307
L'ASIE —
11 ne faul jamais perdre de vue ce fait capital que
dissimulent, pour le lecteur peu averti, les cartes à
petite échelle de nos atlas.
En Sibérie, tout est vaste, tout échappe aux mesures
qui nous sont familières. Telle rivière secondaire qui
nous paraît d'importance à peme égale à l'Indre ou au
Doubs, se trouve, en réalité, plus longue que la Loire,
et telles agglomérations que nous croirions toutes voi-
sines les unes des autres ont entre elles 100 kilomètres
de forêts.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
Les conditions géographiques de ces espaces déme-
surés présentent, il est vrai, bien peu de variété. Les
mêmes phénomènes se répètent inlassablement. Ni
dans les formes du relief, ni dans le climat, ni dans le
régime des fleuves et la répartition des zones végétales
â^
KUSSEE U'ASIIIB
LE LAC BAÏKAL
f&XSi
nous ne trouvons ces différences frappantes ou simple-
ment ces nuances infinies qui diversifient si grandement
les aspects de la nature en Europe occidentale, même
en des lieux très voisms les uns des autres, et qui ont
leur répercussion immédiate sur l'existence humaine.
Rien ne ressemble à un paysage sibérien comme un
autre paysage sibérien. D'Ouest en Est surtout, la
nature et les hommes apparaissent toujours semblables
à eux-mêmes, sur des milliers de verstes de distance.
Et cette lassante monotonie, cette répétition infime des
mêmes forêts, des mêmes steppes, des mêmes maisons
de bois, des mêmes types humains ajoutent encore à
l'impression d'écrasement, de fatigue, d'ennui pour tout
dire, que l'Occidental éprouve immanquablement dès
son premier contact avec la terre sibérienne. Le Russe
ne l'éprouve d'aucune façon. 11 est fait à cela chez lui,
et il n'a peur ni de l'espace ni de la solitude. Les
paysages sibériens ne lui paraissent pas plus monotones
ou plus tristes que ceux de l'Ukraine ou de la haute
Volga, et il s'y attache peur cela même qu'ils ressemblent
à ceux de sa vieille patrie.
LE RELIEF. JS^ La plaine occupe tout l'Ouest
du territoire sibérien. Elle s'incline insensiblement du
Sud au Nord et atteint son horizontahté la plus grande
dans l'espace compris entre l'Oural et l'Iénisséï. Ellle
débute au Sud-Ouest par les steppes Kirghizes semées
de lacs d'eau douce ou salée, se continue d'abord paur
une zone de terres noires semblables au Tchemozom
russe et dotées des mêmes qualités agricoles, puis par
d'immenses surfaces marécageuses où, sur un sol de
tourbe, croît la forêt sans fin. Elle se termine au Nord
par les toundras de la presqu'île lalmal et celles qui
bordent le double estuaire de l'Ob. A l'Est de l'Ié-
nisséï, le sol demeure généralement fort plat. Forêts et
toundras le recouvrent presque en entier. Cependant
l'horizontalité est moins absolue. C'est moins une plaine
qu'un plateau ondulé où de Icirges zones basses sont
encadrées soit par des croupes massives, soit par des
cônes dénudés, les " goltsy " (d'un mot russe qui veut
dire chauve), soit même par de hautes collines auxquelles
l'érosion donna un aspect ruiniforme qui rappelle les
sommets des Vosges gréseuses. Cette immense péné-
plaine " aboutit aux rives de l'Océan Glacial par les
solitudes désolées de la presqu'île de Taïrayr, les deltas
marécageux de la Lena, de la Jana, de l'Indighirka
que borde la banquise éternelle.
Le Sud et l'Est Sibériens ont un relief singulièrement
plus accidenté. Aux sources de l'Ob et de l'Irtych, le
Massif de l'Altaï (la haute forêt), formé de roches
cristallines riches en gisements minéraux, culmine par
4500 mètres au mont Bieloukha. Ses neiges, ses puis-
sants glaciers, les lacs, les vallées boisées qui l'entaillent,
lui donnent un attrait éged à ceux de nos beaux pay-
sages cJpestres. De l'Altaï au lac Baïkal, les monts
Saïan (3 500 mètres au point culminant), analogues à
l'Altaï comme composition géologique, décrivent une
courbe régulière dont la convexité est tournée vers le
Nord. C'est au contraire vers le Sud que s'incurvent, à
partir du Baïkal, les arcs des monts de Transbaïkalie,
des monts Kentéï, lablonovoï, Stanovoï dont les derniers
chaînons dominent par 2 800 mètres les eaux froides du
détroit de Bering. Ces montagnes, (Icinquées de hauts
308
plateaux (du Vitim, de l'Aldan, de l'Omekon), pré-
sentent à l'explorateur de considérables difficultés moins
par leurs altitudes, qui ne dépassent guère i 000 à I 500
mètres, que par l'inextricable forêt qui les recouvre, les
masses d'éboulis écroulés sur leurs flancs, les dépres-
sions tourbeuse» logées entre leurs ramifications. Elles
isolent de la Sibérie proprement dite les territoires du
Pacifique : presqu'île du Kamtchatka, rivages de la
mer d'Okhotsk, province de l'Amour, Province Mari-
time.
Dans le Kamtchatka, de puissants volcans éteints ou
actifs (Itchinsk 5 130 mètres, Klioutchev 4 804 mètres)
forment les premiers anneaux de la fameuse " ceinture
de feu " du Pacifique. Les côtes de la mer d'Okhotsk,
généralement accidentées, bordées de falaises, donnent
sur une mer que les glaces immobilisent sept mois de l'an.
La province de l'Amour, où des affluents du fleuve
ont tracé de larges vallées au milieu de plateaux boi-
sés, et la Province Maritime, sillonnée par les chaînes
du Sikhota Aline (I 575 mètres au point culminant),
évoquent l'idée de ce que pouvaient être les paysages
de l'Allemagne centrale au temps des premiers Ger-
mains : marais, tourbières, sombres forêts de conifères
mêlés d'arbres à feuilles caduques croissemt sur les
pentes assez douces de montagnes très usées. C'est
aussi l'aspect de Sakhaline, la grande île sibérienne
dont les Japonais pvossèdent la moitié méridionale.
LE CLIMAT. eJ0 \^3, Sibérie appartient tout
entière à la zone de climat continental excessif carac-
térisé par la rudesse et la longueur des hivers, la tem-
pérature relativement élevée d,es étés, la faible quantité
Moyennes de températures
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+ 21°
36» 1
490 1 septembre.
des précipitations atmosphériques (pluies et neiges).
Sans doute la différence des latitudes amène quelques
variétés entre les régions. L'hiver commence un peu plus
tard et se termine un peu plus tôt au Sud qu'au Centre
et au Nord ; mais, comme l'indique le tableau précédent.
- LA SIBERIE
partout les moyennes hivernales sont extrêmement
basses, elles atteignent leur minimum non pas, comme
on pourrait le croire, sur les rives de l'Océan Glacial,
mais dans le bassin moyen de la Lena. La moyenne de jan-
vierà Iakoutsk est de — 42°,9 ; elle s'abaisse à Verkoïansk
à — 51 2, et l'on a observé en ce point l'effrayante tem-
pérature de 76° au-dessous de zéro ! C'est le pôle de
froid du monde. A leikoutsk, les premières gelées
apparaissent vers le I 7 septembre, les dernières vers la
fin de mai. On ne compte donc guère plus de trois à
quatre mois relativement chauds.
Les grands froids du plein hiver se supportenl. du reste, fort
aisément grâce à la transparence, à la sécheresse et surtout à la
iranquilHlé de l'atmosphère. " Si l'on est pourvu de vêlements chauds,
on dort parfaitement dans im traîneau découvert, par des nuits où
gèle le mercure du thermomètre. Dans les villes sibériennes comme
en Russie, l'hiver est la saison joyeuse, l'époque des courses en
traîneau, des sports violents, des gaies réunions. De bonnes four-
rures, un peu de mouvement, une nourriture suffisante protègent
parfaitement l'homme contre les froids les plus rudes. " (J. Hann.)
Le commencement et la fin de la saison froide s'accompagnent, au
contraire, fréquemment d'ouragans de neige, les " bourancs ", pen-
dant lesquels une température relativement beaucoup moins basse
( — 1 5" à — 20°) apparaît cependant comme extrêmement pénible
à supporter.
Le printemps ne dure que trois semaines : on passe
de l'hiver à l'élé avec une soudaineté, une brusquerie que
traduit le subit épanouissement de la végétation. Nos
longs printemps européens ne peuvent donner une idée
de cette étormante transformation du paysage. La neige
disparaît aux premiers rayons du soleil. Partout l'eau
ruisselle sur un sol qui, à une faible profondeur au-des-
sous de la surface, demeure éternellement gelé. Ln
quelques jours, les bourgeons se forment, se gonflent,
éclatent. Les arbres se couvrent de neuve verdure, des
fleurs jaillissent du sol. En juin et juillet, le thermomètre
marque à l'ombre jusqu'à 35" et des myriades de mous-
tiques bourdonnent au-dessus des marais.
Puis, en septembre, l'automne arrive aussi brusque,
aussi court que le printemps (sauf dans la province de
l'Amour où il se prolonge davantage). Dès le milieu
du mois, il gèle chaque nuit. Les premières chutes de
neige se produisent en octobre. Les arbres se dépouillent
de leurs feuilles, les fleuves s'immobilisent sous leur cara-
pace de glace. Traîneaux et patins sortent des isbas, et la
Sibérie s'endort sous le blanc linceul qui la vêt tout
entière.
Linceul fort mince du reste, car le caractère conti-
nental du climat se manifeste aussi par la rareté des
pluies et des neiges. En bien des points de la Sibérie
orientale, la couche neigeuse es! à peine assez épaisse
pour supporter les traîneaux. Si la Province Mantime
et le Kamtchatka, exposés aux vents de mousson, reçoivent
I mètre et plus d'eau de pluie, le reste de la Sibérie
309
L'ASIE
doit se contenter de 38. de 36 et même de 23 centi-
mètres. Ces pluies tombent, heureusement, surtout en
été, à l'époque la plus favorable pour la végétation, et
la fonte des neiges sur un sol plat assure à la terre
arable une humidité généralement suffisante. Cependant
les régions de l'Ouest, les plus fertiles et les plus peu-
plées, souffrent parfois d'une sécheresse qui s'accentue
à mesure que l'on s'éloigne vers le Sud, vers les steppes
et les déserts du Turkestan.
LES EAUX. 00 L'Ob ou Obi, ampleur du bassin :
3 300 000 kilomètres carrés (le tiers de l'Europe) ; longueur :
5 000 kilomètres (5700 jusqu'aux sources de l'Irtych); profondeur
moyenne : 5 à 6 mètres; largeur : I à 5 kilomètres; débit
moyen : 1 0 000 mètres cubes ; réseau navigable : 1 6 000 kilo-
mètres.
L'/énissêt, ampleur du bassin : 3 000 000 de kilomètres carréà ;
longueur : 5 000 kilomètres •
La Lena, ampleur du bassin : 2 280 000 kilomètres carrés
(plus de quatre fois la France); longueur : 4 900 kilomètres.
\-.'Amour, ampleur du bassin : 2 000 000 de kilomètres carrés ;
longueur : 5 000 kilomètres.
La Sibérie contient quelques-uns des fleuves les plus
considérables du globe. Malgré le peu d'humidité reçue
par le pays, le domaine qu'ils drainent est si vaste, leurs
affluents si nombreux, le sol éternellement gelé laisse
filtrer si peu d'eau et l'évaporation agit si faiblement,
que de formidables masses liquides s'amassent peu à peu
dans leur lit. Ils coulent lentement, sauf dans leur par-
tie supérieure ; peuvent porter bateau à faible distance
de leurs sources ; aucun rapide n'interrompt leur marche
majestueuse. Les affluents qu ils reçoivent sont souvent
eux-mêmes de véritables Heuves larges, profonds, tran-
quilles, et leurs têtes sont si proches que l'on pourrait
aisément les réunir les unes aux autres par une série
de canaux. Ils constitueraient donc le plus magnifique
réseau navigable qui existe au monde s'ils n'avaient pas
de très graves inconvénients.
D'abord, ils sont pris par les glaces d'octobre à mai.
En second lieu, ces glaces ne fondent pas à la fois
sur toute la longueur du fleuve. Le cours supérieur est
libre le premier. Les eaux se précipitent, entraînent des
glaçons, des arbres arrachés aux rives qui s'écroulent.
D où une embâcle colossale, qui se prolonge pendant
" plusieurs semaines, et des inondations qui s'étalent sur
chaque rive à plusieurs dizaines de kilomètres de
distance.
Enfin si l'Amour donne sur une mer tout à fait libre
pendant les mois d'été, l'Ob, l'Iénisséï, la Lena
débouchent sur l'Océan Glacial. Le delta de la Lena
est inaccessible en tout temps. Quant à l'Ob et à l'Ié-
nisséï, de nombreuses tentatives ont été faites pour
triompher des banquises, des glaces flottantes de la Mer
de Kara. Quelques-unes ont réussi ; il apparaît bien
310 ^
cependant que l'on ne saurait songer à établir des com-
munications régulières entre leurs estuaires et les ports
européens.
Quoi qu'il en soit, quelques-uns de ces fleuves sibé-
riens rendent déjà de grands services pendant les mois oîi
la navigation est possible. L'Ob, qui porte bateau
depuis Barnaoul, et ses affluents ou sous-affluents de
gauche : l'Irtych, l'Ichim. le Tobol. l'Iset, la Toura, la
Tavda, tous navigables, .parcourent les régions les plus
productives et les plus peuplées de l'Ouest Sibérien.
L'Amour, accessible depuis Strietensk, portait, avant la
Guerre, une flotte d'une centaine de vapeurs. Ses affluents
Mandchouriens, la Soungarietl'Oussouri, ouvrent d'inté-
ressants débouchés vers le Sud. L'Iénisséï rend moins de
services car le fleuve lui-même et ses affluents (les trois
Toungouska) traversent des zones en majeure partie inha-
bitées. A plus forte raison en est-il de même de la Lena
et des autres cours d'eau de la Sibérie septentrionale :
Khatanga, lana, Indighirka, Kolyma.
Les lacs nombreux du Sud-Ouest (Tehang, Koulounda, Teniz)
appartiennent à la catégorie des nappes de surface, peu profondes,
maigrement alimentées par les ouaddys de la steppe. Le BaKkal se
classe, au contraire, parmi les grands lacs du monde. Il occupe le
fond d'une longue cassure, d'une zone effondrée entre les hautes
parois des montagnes surplombantes. Long de 600 kilomètres, large
en moyenne de 80, profond au maximum de I 700 mètres, c est
une véritable mer intérieure dont la faune, très spéciale, présente
nombre de caractères de la faune marine. 11 est pris par les glaces
de décembre à mai. Le plus copieux de ses affluents, la Selenga, lui
apporte les eaux de la IVIongolie septentrionale. Son seul effluent.
l'Angara, échappe à l'étreinte des montagnes par une brèche
énorme qu'un géant, dit la légende, ouvrit d'un seul coup. Il passe
à Irkoutsk et rejoint l'Iénisséï sous le nom de Toungouska supé-
rieure.
LES ZONES DE VÉGÉTATION. iz>iz/ Nous
retrouvons en Sibérie la même succession de zones végé-
tales que nous observâmes en Russie ; toundras, forêts,
steppes s'échelonnent du Nord au Sud. suivant les con-
ditions du climat.
Toute la bordure de l'Océan Glacial est occupée par
la toundra. La longueur et la rudesse de la saison
froide, l'interminable nuit polaire, le sol constamment
gelé, le peu de chaleur des étés ne permettent pas la
croissance des arbres.
Tantôt marécageuse et couverte de mousses, tantôt
pierreuse et vêtue de lichens de couleur rousse ou d un
blanc sale, la toundra étale ses mornes solitudes silen-
cieuses et vides, de la presqu'île d'ialmal au détroit de
Bering.
A mesure que l'on s'avance vers le Sud, la végétation
prend plus de force et plus de variété. D'abord appa-
raissent, surtout aux rives des cours d'eau, des buissons
bas et rampants : genévriers, andromèdes, ledums, des
arbustes nains semblables à ceux que l'on trouve dans nos
LA SIBERIE
montagnes européennes, à la limite des alpages et des
forêts. Puis les cirbres deviennent plus nombreux, plus
vigoureux. D'abord dispersés en maigres bouquets, ils se
rapprochent peu à peu, finissent par constituer une forêt
continue, la plus vaste du monde. C'est la Taïga, dont
le sombre manteau couvre la Sibérie entière de l'Oural
au Kamtchatka et à l'Amour. Sur 7 000 kilomètres en
longitude le voyageur peut ne jamais quitter l'ombre de
cette sylve prodigieuse. Pins, sapins, mélèzes, cèdres de
Sibérie, telles sont d'abord les seules espèces dominantes.
Vers le Sud seulement, quelques arbres à feuilles
caduques : bouleaux, trembles, aunes, peupliers, se mêlent
aux conifères. Le bassin de l'Amour, grâce a la chaude
humidité de la saison estivale, a même des chênes, des
noyers, des pommiers sauveiges, des érables. En général,
les arbres de la Taiga sont médiocres de taille et de dia-
mètre. Cependant, surtout au Sud et àl'Elst, il n'est point
aisé de se frayer un passage à travers leurs futaies, car les
troncs abattus, les buissons, les eirbustes enchevêtrés pous-
sant sur un sol spongieux, pénétré d'humidité, opposent
à la marche des obstacles sans cesse renouvelés.
Dans les bassins de l'Ob, de l'Irtych et de l'Iénisséï,
on voit, entre les 57® et 58* parallèles, la forêt s'espacer, se
couper de clcùrières de plus en plus nombreuses. C'est
le deljut de la zone agricole correspondant à la région de
Moscou et au Tchemozom russe. Un riche humus, épais
de 50 centimètres à 3 mètres, couvre le sol dans les
provinces de Tobolsk, Omsk, Tomsk,dans les vallées de
l'Altaï, et, par Irkoutsk, jusqu'en Transbaïkalie. Les
conifères disparciissent ; le bouleau, " l'arbre du tsar
blanc ", forme seul des bosquets au milieu des prairies
aux herbes vigoureuses. Ce parc immense, d'abord assez
plaisant à l'oeil, puis à la longue fort monotone, est par
excellence la région fertile, celle qui reçoit la plus grande
masse des immigrcmts et qu'attend le plus bel avenir.
Comme la Russie centrale et le Ceuiada occidentjJ. il se
prête aussi bien à l'élevage qu'à la culture en grand des
céréales.
Enfin, dans les provinces d'Akmolinsk, deTourgaï, de
Semipalatinsk, les bouleaux eux-mêmes se font plus rares,
puis disparaissent. A peine quelques saules, trembles et
peupliers se montrent-ils çà et là aux nves des ouaddys
qui se perdent dans les sables ou les lagunes s<Jées. Si
les hivers demeurent très froids, les étés sont longs, brû-
lants et desséchés. C'est le domaine de la steppe par-
courue par les bergers FGrghiz. La partie septentrionale
de ces steppes est encore utilisable, car l'humus n'y
manque pas, les herbages ont de la vigueur, de la conti-
nuité, et l'irrigation artificielle peut y permettre des cul-
tures rémunératrices. Aussi devient-elle un objet d'âpres
contestations entre nomades et paysans russes immigrés.
L'extrême Sud, psir contre, se confond avec les déserts
du Turkestan. Il a les mêmes dunes de sable, les mêmes
terres salines où lentement s'évaporent les lacs, les mêmes
vastes espaces nus, complètement stériles, la même
végétation rare et souffreteuse de buissons épineux,
de saksaouls, d'acadas, de graminées rudes croissant en
touffes espacées autour desquelles s'amoncellent les
sables.
LA FAUNE. 0a Comme le Canada, el pour les mêmes rai-
sons, la Sibérie est par excellence le domaine des animaux à
fourrure. Ours, renards, zibelines, hermines, loutres, écureuils,
lièvres argentés peuplent la lalga. Le loup, en bandes nombreuses
et redoutables, y pourchasse les cerfs, le chevreuil, l'élan.
Les forêts de l'Amour renferment encore des tigres à poils longs
et feutrés. Dans la toundra, et à la lisière des forêts septentrio-
nales, le renne et le chien sont, comme en Laponie, la plus précieuse
ressource des indigènes. Boeufs, chevaux, moutons, chèvres paissent
les herbes touffues des clairières ou les graminées plus maigres de
la steppe- Les fleuves regorgent de poissons de toute espèce et de
toute taille. Enfin, au printemps, des bandes innombrables d'oiseaux
migrateurs s'abattent sur les toundras et reprennent, à l'automne, le
chemin du Midi.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
DÉCOUVERTE ET CONQUÊTE DE LA
SIBERIE. J0£) Des bandes de Cosaques, d'abord
établis sur la Volga, franchirent l'Oural en 1 580, con-
duits par un des leurs, l'ataman lermak. Ils attaquèrent les
Tatars de l'Irtych, les vainquirent, s'emparèrent de leur
capitale, Sibir (d'où le nom de Sibérie), et offrirent au
tsar Y van IV la domination du pays conquis. Par la
suite, leurs successeurs, descendcmt le cours des grands
fleuves jusqu'à l'Océan Glacial, ou remontant leurs
affluents, parvinrent en moins d'un siècle à Ienisseï, puis
à la Lena, enfin au détroit de Bering, à la mer d'Okhotsk
et au Kamtchatka. Eln 1644, les Russes apparurent aux
rives de l'Amour. Cependant la résistance des Mandchous
les contraignit à signer le traité de Nertchinsk (1689)
par lequel la Russie renonçait provisoirement à la con-
quête de cette région. Au XIX® siècle seulement, à la
suite des échecs subis par la politique russe dans ses
efforts pour atteindre Constantinople, le gouvernement
des tsars chercha en Extrême-Orient l'accès aux mers
libres qu'il ne trouvait pas en Occident. Le traité
d'Aigoun en 1858 (peu après la guerre de Crimée)
donna à la Russie toute la province de l'Amour, puis le
bassin de l'Oussouri ou Province Maritime. On y fonda
Vladivostok, dont le nom " la domination de l'Orient"
renfermait tout un progreunme. On sait comment le
programme faillit se réaliser lorsque, à la suite de la guerre
sino-japonaise de 1895, la Russie annexa la presqu'île
de Liao-Toung avec Dalny et Port-Arthur, acquit le
311
L'ASIE
droit de construire des chemins de fer en Mandchourie,
et se prépara a mettre la main sur la Mandchourie et
la Corée. Le Japon interrompit brutalement ce beau rêve,
et la Sibérie dut se contenter des frontières établies au
traité d'Aigoun. Les 14 000 000 de kilomètres carrés
qui constituent son domaine offrent du reste au peuple
russe un champ d'activité assez vaste pour rendre inutiles
de nouvelles acquisitions.
Grâce aux voyages accomplis dans toute la Sibérie par les Co-
saques, les marchands, les chasseurs de fourrures, les explora-
teurs, grâce aussi aux observations scientifiques poursuivies par les
exilés politiques, la reconnaissance générale des terres sibériennes
est à peu près terminée. Nous avons même, pour toute la zone
agricole de l'Ouest, les rives de TAmour, les régions du Centre tra-
versée» par le Transsibérien, des cartes à grande échelle aussi pré-
cise» que notre carte d' Etat-Major. Cependant, à mesure que l'on
avance vers le Nord, les itinéraire» se font plu= rares et l'extrémité
Nord- Est du Continent apparaît encore en blanc même sur le»
cartes de nos atlas. Quant à la côte de l'Océan Glacial, elle a
été reconnue avec assez de précision soit de l'intérieur, soit pen-
dant le mémorable voyage accompli en 1878 à bord de la Véga
par Nordenskiôld.
LES INDIGÈNES. a/H La conquête et la colo-
nisation de la Sibérie se firent avec d'autant plus de faci-
lité que les rares habitants aborigènes se trouvaient bien
incapables d'opposer quelque résistance, si faible fût-
elle, aux envahisseurs. On les répartit en Paléasiatiques
(Tchouktches du détroit de Bering, Koriaks et Kamt-
chadales du Kamtchatka, Youkagirs de l'Indighirka,
Guiliaks de Sakhalin), Finnois (Vogouls, Samoyèdes,
Ostiaks de l'Ob et de l'Iénisséï), Mongols (Toungouses
depuis riénisséi jusqu'à l'Amour et k la mer d'Okhotsk,
Bouriates et Kalmouks de l'Altaï et des monts Saïan) et
Turcs (Iakoutes de la Lena, Tatars entre Tobolsk et
Tomsk, Kirghiz des steppes du Sud-Ouest). De mœurs
généralement douces et inoffensives, ils mènent presque
tous l'existence pauvre, difficile, imposée pM le climat.
Ceux de l'extrême Nord et ceux de la Taïga campent,
suivant la seiison, dans la toundra ou la forêt, se vêtent
de peaux de bêtes, élèvent le renne et le chien, passent
leur vie entière à chasser et pêcher. Considérés officielle-
ment par les statistiques russes comme chrétiens, ils ont
conservé toutes les pratiques du chamanisme ou culte des
esprits. Les Bouriates de la province d'Irkoutsk et de
la Baïkalie ont atteint un niveau de civilisation plus élevé.
La plupart, au contact des Russes, abandonnant la vie
nomade, se transforment en sédentaires agriculteurs.
Comme leurs voisins de Mongolie, ils ont adopté le boud-
dhisme lamaïque et entretiennent un nombreux clergé
(couvents du lac des Oies, d'Aga, de Trougal, etc.).
Les Tatars musulmans s'adonnent au commerce et à
l'usure dans les grandes villes de l'Ouest. Enfin les
Kirghiz, convertis eux aussi à l'islam, mènent la vie de
bergers nomades.
312
Ils passent l'hiver dans des huttes à demi-creusées en terre, l'été
sous la tente ronde (yourte ou kibitka) faite d'un treillis de boi»
recouvert de feutre. Il» possèdent des troupeaux considérable» de
chevaux, chameaux et m ;utons (les fameux moutons Kirghizes dont
les queues contiennent des réserves de graisse pesant parfois plusieurs
kilogrammes). Chaque tribu a dans le désert des puits qui sont sa
propriété. Elle va de l'un à l'autre, campe vingt jours ici, trente
jours là, et toutes les caravanes accomplissent chaque année un
voyage circulaire, de la maison d'hiver à la maison d'hiver, toujours
le même de génération en génération.
On estimait, en 1913, le nombre total des indigènes à
moinsde I 000 003 d'âmes. Si lesTurco-Tatars (Iakoutes,
Tatars et Kirghiz) comptaient encore 476 000 indi-
vidus et les Mongols (Toungouses, Bouriates, Kal-
mouks) 358000, les Finnois (Vogouls, Samoyèdes,
Osticiks) n'étaient plus que 72 000, les Tchou-
ktches 1 1 (XK), les Koriaks et les Guiliaks 6 000, les
Kamtchadales 4000 les Youkagirs moins d'un millier.
Tous pcu"aissent destinés à subir, à plus ou moins brève
échéance, le sort de tous les peuples primitifs mis en con-
tact avec des hommes de civilisation supérieure. Les
uns, décimés pal l'alcool et les maladies épidénuques,
disparaîtront complètement. Les autres se confondent
par mariages avec les nouveaux venus et cela d'autant
plus aisément que le Russe est, de tous les Européens,
celui qui montre le plus de facilité à s'unir avec les
étrangères I Déjà, aux lieux où les immigrants sont nom-
breux, les unions de ce genre se produisent normalement,
et c'est en partie à cela que les Sibériens doivent la
mentalité particulière qui fait dire aux Russes fraîche-
ment débarqués : Ces gens-là ne sont pas des nôtres ".
LA COLONISATION RUSSE, /stj^ A peine
la Sibérie était-elle connue et conquise, que des Russes,
fuyant le servage, le recrutement militaire, les persécu-
tions dirigées contre certaines sectes religieuses, vinrent
s'y fixer volontairement. En échange de prestations
locales, on leur accordait quelques secours en blé et en
argent. Ce furent les ancêtres des Sibériens d'aujourd'hui-
Puis, à la colonisation libre s'ajouta, à partir de 1 593,
la déportation des condamnés politiques et des criminels
de droit commun. On ignore leur nombre exact qui paraît
avoir été considérable. On les répartissait entre les dis-
tricts les plus éloignés, ou bien on les employait aux tra-
vaux publics, surtout à l'exploitation des mines. Beau-
coup d'entre eux succombctient, d'autres rentraient en
Russie après l'expiration de leur peine. D'autres enfin
se fixaient définitivement dans leur nouvelle patrie et
s'ajoutaient aux colons libres.
L'accroissement régulier et considérable de la popu-
lation paysanne en Russie d'Europe amena, à partir de
1 850, une recrudescence du nombre des émigrants attirés
parla fertilité des terres, l'ampleur des domaines que l'on
mettait à leur disposition, la similitude des conditions
LA SIBERIE
vv
rAïbA.Nb blBEKlEX:^ ETiLEUR ISBA. A peine la SiUrie ilaU-elU coionisatton itère prit de considerahies proporlions. turfoul depuis l'ouoerturc éa
connue et conduise. Que des Runes, fuyant le sercase. le recrutement militaire, les Transsibérien. Les neuf dixièmes des colons sont des paysam qui s'adonnent à Vagri-
t^secultons dirigées contre certaines sectes religieuses, vinrent s'y fixer volontairement. culture, à l'élevage, à l'exploitation des forêts. Latrt maisons, ou isixa. lont faites de
rlus tard, on y déporta des condamnés de droit commun. Enfin au XIX* siècle, la troncs d'arbres non équarris.
313
31
L'.ASIE
LE" TRANSSIBÉRIEN. La voie ferrée qui traverse la Sibérie, de* l'Oural au
Pacifiçuet a joué un rôle essentiel dans le développement économique et le peuplement
de ces immenses espaces. Partout le même paysage : prairies semées de bosquets de
bouleaux, ou forêts de sapins peu élevés, aux troncs minces.
FORÊT DE L'ALTAl Les montagnes qui séparent la Sibérie des déserts mongol^
se vêtent elles aussi de forêts de conifères et de mélèzes. Mais un climat moins rude,
une humidité plus grande permettent aux arbres d'atteindre des proportions beaucoup
plus considérables que dans la " Taiga " du Nord CI. Paul LaêBÉ.
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ÊêBÊÊL^ dSli^^ '
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TOBOLSK. Situé sur le Tobol. affluent de l'Irtych, Tobohk est un spécimen
typique de ville sibérienne, où le bois joue un rôle essentiel pour la construction des
maisons, des ponts, le pavage des chaussées, etc. Dans le fond, des églises, toujours
nombreuses, et des bâtiments offlciels: casernes, prisons, etc. CI. Paul Labbé.
VLADISVOSTOK. Fui créé par les Russes sur la côte duPacifique, à l'extrémité
du Transsibérien Le port, accessible toute l'année aux navires de tout tonnage,
est vaste, profond, bien abrité. D'activés relations l'unissent, en temps normal, au
Japon, aux Étals-Unis et à la Chine. CI. Paul Labbé.
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SUR L'AMOUR. Long de'JOOO kilomètres. l'Amour est un des plus grands fleuves
àamande.L^glacesV emprisonnent pendant quatre mois d'hiver, mais il forme, le reste
de l année, une magnifique voie navigable oit circulent une centaine de vapeurs, et
aue corr.plèlent ses offlumH : Soungari et Oussouri. CL Paul LabBÉ.
ÉMIGRANTS RUSSES DANS UNE STATION. La Sibérie s'esl ouverle
largement à la colonisation russe, à partir du jour oit le Transsibérien fut construit.
Avant la guerre, chaque année plusieurs centaines de milliers de paysans étaient
acheminés vers les riches terres à blé des steppes méridionales. Cl. PauL LabeÉ.
3'4
LA SIBÉRIE
de vie de part et d'autre de l'Oural. Malgré les diffi-
cultés d'un voyage qui durait parfois deux et trois ans, c'est
par dizaines de milliers qu'ils vinrent chaque année se
fixer le long du trakt ", la route postale qui traversait
de l'Est à l'Ouest toute la Sibérie (entre Tioumen et
Khabarovsk sur l'Amour). Un moment ralenti par l'abo-
lition du servage en 1 86 1 , l'exode reprit et s'amplifia à
partu- de 1880. En seize ans(de 1880 à 1896). 1 200000
colons arrivèrent. A cette date, le Transsibérien atteignait
déjà rOb. Quelques années plus lard, le rail unissait
Moscou à Vladivostok, et cette voie ferrée, con(;ue
d'abord dans un intérêt purement stratégique, se révéla
dès le début comme l'agent le plus efficace du peuple-
ment de la Sibérie. En peu de jours, pour une somme
infime (4 roubles, soit 10 francs, de Moscou a Omsk,
2 900 kilomètres! le transport des enfants gratuit), une
famille d'émigrants se trouvait à pied d'oeuvre. Aussi, de
!896 à 1903, le chiffre des arrivées atteignait-il en
moyenne 129 000 par an. Interrompue de 1903 à 1905
par la guerre russo-japonaise, l'émigration reprit en 1906.
année où l'on compta 218000 colons. En 1907, ils
étaient 572 OCO. De 1907 à 1911, ils furent 3 000000.
Cet exode formidable, d'abord simplement toléré par l' Adminis-
tration russe, fut ensuite encouragé, facilité el réglementé. Un
Département de la colonisation, créé en 1906, doté de pouvoirs
étendus el d'un budget annuel de I 000 000 000, étudia les condi-
tions géographiques de la Sibérie, dressa le cadastre des terres
arables, les répartit entre les nouveaux venus, aménagea les lots (en
moyenne 16 hectares par personne), construisit maisons et églises,
avança aux colons I argent nécessaire comme première mise de
fonds, leur vendit à très bas prix instruments agricoles et animaux
reproducteurs. Avant de quitter leur village natal, les futurs émi-
grants purent envoyer en Sibérie des éclaireurs. les " khodoks ",
chargés de se mettre en rapport avec l'Administration, d'examiner
à loisir les lots assignés et de fournir à leurs concitoyens tous les
renseignements nécessaires. Grâce à ces précautions, à la tutelle
salutaire exercée sur les colons, à des lois bienfaisantes qui ont
donné à l'immigrant, d'abord simple usufruitier, la pleine posses-
sion de son domaine, le nombre des retours dus aux décourage-
ments, aux déboires causés par quelques mauvaises récoltes, à la
nostalgie qui atteint plus particulièrement les femmes, n'a pas
dépassé, de 1907 à 1913. A et même 3 pour 100 annuellement
C est là un chiffre insignifiant qui prouve la solidité de l'oeuvre
accomplie.
La majorité des émigrants provient de la Ruesie
Blanche (Tchernigow, Mohilew, Vitebsk). delà Petite-
Russie ou Ukraine (Poltava, Kiev, Kharkow, Ekate-
rinoslaw), de la Crimée, des Gouvernements de Koursk,
Orelet Tambow. La Russie centrale (Petrograd, Moscou,
Novgorod, Tver, Jaroslav. Kostroma), le Caucase, l'an-
cienne Pologne russe, les provinces baltiques n'ont
donné qu'un chiffre insignifiant.
La répartition des immigrants ne se fait naturellement
pas d'égale façon pour tout le temtoire sibérien. Le
plus fort contingent se fixe à l'Ouest dans la zone des
terres noires appartenant aux Gouvernements de Tomsk
et Tobolsk, soit à cause de la fertilité du sol, soit par
suite de la proximité de la mère-patrie, soit enfin parce
que les paysans ont trouvé dans l'ancien domaine impérial
de I Altaï des conditions particulièrement avantageuses.
La Sibérie centrale (Sud des Gouvernements d'Iéniséisk
et Irkoutsk) est moins bien partagée, car la bonne terre
s y fait plus rare. La Transbaïkalie n'a reçu que quel-
ques milliers de colons. Toutes les régions du Nord
(Taïga et Toundra) sont encore complètement délaissées.
Par contre, la province de l'Amour et la Province Mari-
time, où la Russie avait intérêt à créer un important
foyer de civilisation et d'activité slaves, se sont rapidement
peuplées de 1906 à 1913. Enfin le Gouvernement des
steppes (Tourgaï, Atmolinsk, Semipalatinsk) exerce sur
les colons une attraction qui s'est traduite, dans les der-
nières années d'avant-guerre, par un afflux subit et con-
sidérable d'immigrants (province de Tourgaï : 1 7 000
immigrants en 1907, 49000 en 1908 ; province d'Ak-
molinsk : II 000 en 1903, 62 000 en 1906, 76000 en
1907, 140 000 en 1908. 108 000 en 1909; province
de Semipalatinsk : 4 000 en 1906, 10 000 en 1907,
23 000 en 1908, 35 000 en 1909). La construction de
nouvelles voies ferrées (voir plus loin), l'aménagement
des eaux surtout, enfin le règlement de la question diffi-
cile du partage des steppes entre nomades Kirghiz et
agriculteurs russes, ne peuvent manquer d'accroître
encore fortement ce mouvement de colonisation.
LES VILLAGES ET LES VILLES, /^a Le
plus récent recensement de la population sibérienne date
de 1897 ! En prenant pour base les chiffres de cette
époque, on arrivait en 1 9 1 3 à 8 700 000 Russes auxquels
s'ajoutaient 900000 indigènes, — bien peu de chose si
l'on songe à l'ampleur d'un territoire une fois et demie
grand comme l'Europe.
Les neuf dixièmes des colons sont des paysans qui s adon-
nent à l'agriculture, à l'élevage, à l'exploitation des forêts.
Ils vivent, comme en Russie, agglomérés en villages ou
hameaux. Les maisons, faites de troncs d'arbres non
équarris, s'alignent en longues files de chaque côté de la
route, largement séparées les unes des autres par crainte
de l'incendie.
" Sur la teinte sombre et triste des façades, tranchent seulement
les boiseries saillantes, le plus souvent peintes en blanc, des petites
fenêtres, et parfois le ton frais d'une isba neuve que les intempéries
d'une ou deux années ne tarderont pas à rendre semblables à ses
voisines. Tout cela a l'air rude, plus rude encore qu'en I-^ussie
d'Europe, peut-être à cause de ces maisons en poutres brutes,
peut-être à cause de l'aspect sauvage drs animaux qui errent sur
la route, des chiens à mines de loups, des porcs noirs qui ressem-
blée! à des sangliers. Le paytan sibérien a plus d'aitance que le
paysan ru!se, mais il est encore plus primitif, plus gros<ier, plus
ignoraol de toute règle d'hygiène el de propreté. Paresseux, apa-
315
CeOCRAPHIE UMVERSELLI.
31
L'ASIE
tliique au delà de tout ce qu'on peut imaginer, presque toujours
illettré, il limite son travail à ce qui est strictement indispensable,
aime mieux se passer de superflu que de peiner pour l'avoir, et ne
conçoit que deux plaisirs : dormir ou rêver en fumant sa pipe et
boire du vodka, boire non pas pour s'égayer mais pour être ivre-
mort. " (P. Leroy-Beaulieu.)
Les villes ressemblent aux villages et se ressemblent
toutes entre elles. Mêmes maisons de bots, mêmes
longues et larges rues non pavées, pleines de fondrières,
bordées de trottoirs en planches disjointes. Pas de cana-
lisation, peu ou pas de service de voirie. Cependant
l'accroissement considérable de certains centres urbains,
les grosses fortunes amassées par les commerçants, le
goût du luxe tapageur et la prodigalité insouciante propres
aux Slaves ont provoqué à Omsk, Tomsk, Irkoutsk,
Vladivostok, la construction de maisons plus somptueuses
que confortables, de magasins aux étalages séduisants,
en même temps que se multipliaient les églises peintes
de couleurs vives et les édifices publics (casernes et pri-
sons d'abord, puis banques, postes, hôpitaux, écoles),
de sorte que les villes sibénennes, comme les cités neuves
du Far- West américain ou du Transvaal, présentent le
curieux mélange de la simplicité la plus primitive et du
luxe ostentatoire qui plait aux nouveaux riches ".
Voici la liste des principales agglomérations sibé-
riennes : au pied de l'Oural ; lekaterinbourg (60000 ha-
bitants), important centre minier, et Tcheliabinsk
(70 000 habitants), où sont installés les pnncipaux
bureaux d'émigration. Puis, en allant vers l'Est, Irbit où
se tiennent les plus grandes foires à fourrures du monde :
Tioumen sur la Toura (33 000 habitants), ville indus-
trielle avec des tanneries, des fabriques de savons et de
chandelles, des minoteries ; Tobolsk (20000 habitants)
dans une position très avantageuse, au confluent du Tobol
et de l'Irtych, mais à l'écart du Transsibérien et, de ce
fait, fort délaissée ; Kourgane (I I 000 habitants), grand
marché de beurre ; Petropavlosk (43 000 habitants), où
se concentrent les produits des steppes kirghizes ; Omsk,
énorme village de 1 30 000 habitants, qui doit au Trans-
sibérien sa croissance rapide. 11 communique par l'Irtych
avec Pavlovar ( 1 7 000 habitants) et Semipalatinsk
(35 000 habitants). Dans le Gouvernement de Tomsk,
relativement le plus peuplé et le plus productif de tous,
la ville de ce nom compte 157000 habitants.
Elle donne bien l'impression d'une grande ville avec ses jar-
dins, ses rues pavées, ses belles maisons de pierre, ses vingl-trcis
églises. Capitale intellectuelle de la Sibérie, siège d'une Université
d'oii sortirent des travaux remarquables sur la géologie, la Bore et
la faune de I Altaï, elle est aussi une cité industrielle et commer-
çante loti active, bien qu'elle :e trouve à 80 kilomètres au Nord
du Transsibérien. " (P. Labbé.)
Novo-Nikolaïevsk, au point où la voie ferrée franchit
rOb, née d'hier, abrite déjà 62 000 âmes. Plus, au Sud,
Barnaoul (60 000 habitants) et Béisk (20 000 habitants),
centresdesriches régions agricoles et minières de l'Alta'i,
n'attendent que l'arrivée du rail pour grandir avec la
même rapidité.
Krasnoiarsk (80000 habitants), chef-lieu de la province
d'Iéniseïsk, s'élève sur une cclime pittoresque (la mon-
tagne de la Sentinelle), au point où la voie ferrée fran-
chit l'Iénisséî. Minousinsk (12 000 habitants) au pied des
monts Saïan, Atchinsk (7 000 habitants), Kansk
(8000 habitants), léniseïsk ( 1 2 000 habitants) près du
confluent de l'Angara, sont les principaux marchés des
districts du Sud, les seuls où se porte la colonisation.
En Sibérie centrale, Irkoutsk (I 10000 habitants), chef-
lieu de la province de ce nom, se VcUite d'être la capitale
de la Sibérie. Située sur l'Angara à peu de distemce du
lac Bai'kal, la ville renferme bon nombre de maisons en
pierre, trente églises, d'importants établissements d'inc-
truction, de nombreuses usines, des magasins vastes et
luxueux. Par ailleurs elle est aussi malpropre et mal
entretenue que les autres agglomérations sibériennes.
En tirant vers le Nord on pénètre dans l'immense
province d'Iakoutsk, presque vide d'hommes. Le chef-lieu,
Iakoutsk, sur la Lena, où se donnent annuellement ren-
dez-vous les marchands de fourrures, comptait, en 1913,
10000 habitants dont 6 000 déportés.
Vers l'Est, par la province de Transbaïkalie, on gagne
les provinces de l'Amour et Maritime. Kiakhta, à la
frontière Mongole, est le point où aboutissent les cara-
vanes chargées de ballots de thé venant de Chine. Tchita
(68 000 habitants), Nertchinsk (5 000 habitants), Strié-
tensk ( I 5 000 habitants) s'alignent dans la vallée de
ringoda-Chilka, l'une des deux branches maîtresses du
fleuve Amour. Blagovietchensk (70000 habitants) et
Khabarovsk (60 000 habitants) sur l'Amour grandissent
vite grâce à l'exploitation des mines, à l'essor de la
colonisation, à l'important trafic assuré par les vapeurs
de la flottille fluviale.
Sur la section inférieure du fleuve Amour, redressée
vers le Nord, à travers une région très humide où les
céréales ne réussissent pas, Alexandrovsk et Nikolaïevsk
végètent pauvrement. Plus au Nord, dans la province
du Kamtchatka, les ports d'Okhotsk, de Petropavlosk,
simples bourgades, reçoivent en été la visite des bateaux
de pêche américains et japonais. C'est au Sud que se
porte la vie. Dans la vcJlée de l'Oussouri, Nikolsk-
Oussourisk compte plus de 40 000 habitants russes, chi-
nois, japonais, et Vladivostok, point terminus du Trans-
sibérien, havre excellent, toujours accessible aux navires,
dépasse 100000 âmes. Une importante colonie étran-
gère (Américains et Japonais surtout) s'occupe d'opéra-
tions commerciales, de banques et vend aux colons russes
des machines agricoles, des céréales, du thé.
Enfin Sakhaline (chef-lieu Alexandrovsk) reçoit les
316
LA SIBERIE
^
Zone €^ea> ^rani?e.v cuiturea..
iBLé.seigCc, afoine.pomjneOeterre)
2on&iV minièrtA et-inûuà-
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SIBERIE
XonjtA minièreA eLiiu)u.'lrti II, i
Jej i ' Oural '
ûej C JUai ri.
' Ja BatJial 2.3 «•l'J
CARTE ÉCONOMIQUE Jf-rAmvur ^do
Ihie/v Jerrée/v
^^SfSSm
condamnés de droit commun que l'on a cessé d'expédier
en Sibérie.
LA MISE EN VALEUR, a a Agriculture, éle-
vage, forêts, pèche, chasse, exploitation des mines, telles
sont les ressources multiples de la Sibérie. On peut dire
que leur mise en valeur est à peine commencée, ce
qu'expliquent suffisamment le petit nombre des habitants,
l'apathie, les habitudes routinières des immigrants, tous
Russes, le fait que la colonisation en grand est de date
récente, enfin et surtout la rareté des voies de commu-
nication.
L'agriculture et l'élevage ont devant eux un immense
avenir. Les terres arables couvrent, au Sud de la Taïga,
une superficie que d'aucuns estiment cinq fois, d autres
douze fois aussi étendue que la France \ Blé, seigle, orge,
avoine, sarrasin, lin, chanvre, pommes de terre trouvent
au Sud du 38^ degré en Sibérie occidentale, du 57' de-
gré sur l'Iénisséï. du 55* degré en Transbaïkalie, du
54*^ degré dans la province de l'Amour, non seulement
des terres excellentes, mais surtout la quantité de chaleur
et de lumière dont ils ont besoin pour parvenir à maturité.
Les Tchernozoms de l'Ouest produisent déjà, en temps
normal, beaucoup plus de céréales que leurs habitants
n'en consomment. A l'Est seulement, les récoltes.
fréquemment déficitaires par suite de la grande humi-
dité de la saison estivale, nécessitent l'importation des blés
venant soit de l'Ouest, soit de la Mandchourie. La cul-
ture extensive, faite suivant des méthodes très arriérées,
sans engrais, donne un faible rendement à l'hectare. De
plus, l'inconstance du climat, les gelées tardives ou
précoces, les sécheresses, les brouillards d'automne, les
sauterelles même compromettent souvent les récoltes.
L'élevage se pratique à la fois dans les régions agri-
coles et dans les steppes du Sud-Ouest. Les chevaux
(6000000) sont en tel nombre que l'on en compte 80 et
même 90 par 100 habitants dans les Gouvernements
de Tomsk, leniseisk et Irkoulsk (en France, 7 chevaux
par 100 habitants); 7 000 000 de moutons et chèvres,
2000000 de porcs, 7 000000 de bêtes à cornes, com-
plètent un cheptel qui prend rang parmi les plus impor-
tants du monde. Avant la Grande Guerre, la Sibérie expé-
diait déjà du bétail vivant jusqu'à Moscou et Pétrograd.
Elle vendait aussi des œufs et surtout du beurre depuis la
création en 1909 de laiteries coopératives organisées sur
le modèle danois. L'Angleterre en acheta en 1912 pour
60000000 de francs. l'Allemagne pour 45 000000, les
autres pays pour 65 000 000. Le Danemark même impor-
tait des beurres sibériens qu'il préparait plus proprement
et revendait comme produit danois. La création d usines
317
L'ASIE
de conserves et de viandes frigorifiées, l'utilisation complète
des laines, des peaux, peuvent augmenter dans de formi-
dables proportions le revenu fourni par le troupeau de
Sibérie. Que l'on songe seulement aux profits obtenus
par les États-Unis, le Canada. TAustralie, la Nouvelle-
Zélande, ['.Argentine !
La pèche fluviale ou maritime (esturgeons, sterlets,
saumons, harengs, etc.) joue un rôle important dans
l'alimentation des Sibériens, indigènes surtout. Elle n est
pas encore organisée rationnellement pour l'exporta-
tion, et les Russes laissent aux Japonais, voire aux
Américains, le soin d'exploiter les riches pêcheries de
Sakhaline, de la mer d'Okhotsk, du Kamtchatka. 11 en
est de même de l'utilisation des forêts. La Sibérie ren-
ferme de colossales réserves de bois (6000 000 à 7000 000
de kilomètres carrés). Elle en consomme elle-même de
grandes quantités pour la construction et le chauffage
des maisons, les mines, le ravitaillement des chemins de
fer et des bateaux. Mais on ne prend pas encore de
précautions suffisantes contre le gaspillage, les incendies
dévastateurs qui diminuent fortement les surfaces boisées
aux alentours des villages, des routes, des cours d'eau,
et rendent l'exploitation plus difficile. De plus, l'insuffi-
sance, la cherté des moyens de transport interdisent
sauf dans la province de l'Amour, la vente du bois brut
à l'étranger.
L'installation sur place de fabriques de pâtes à papier,
de papeteries, d'objets d'ameublement, permettra seule
de tirer un parti convenable des forêts sibériennes.
La chasse est une autre source de profits. Elle se pra-
tique surtout dans le bassin de la Lena, pendant l'hiver,
où les trappeurs peuvent suivre sur la neige la trace des
animaux aux précieuses fourrures. Au début de l'été,
les peaux sont rassemblées à Iakoutsk, puis expédiées à
Irbit où les marchands européens se donnent rendez-
vous.
Enfin, la Sif>érie est fort bien dotée en gîtes miné-
raux de toutes sortes. L'Oural, les steppes Kirghizes,
l'Altaï, les monts Saïan, la province d'irkoutsk, les
vallées du Vitim et de l'Aldan (affluents de la Lena), la
province de l'Amour (vallées de l'Amour, de la Boureïa,
de la Zéïa, de l'Oussouri) renferment de riches gise-
ments d'or, d'argent, de plomb, de cuivre, de graphite,
de fer et déteiin. La houille s'exploite dans la steppe
kirghize, l'Altaï (mines de Kouznetzka, de Koltchou-
gino), près de Vladivostok et à Sakhaline.
Jusqu'ici les mines d'or ont fait seules l'objet d'une
exploitation vraiment profitable, bien que désordonnée,
et la Sibérie se classe au quatrième rang des pays produc-
teurs du précieux métal (une centaine de millions de francs
ajmuellement, sans compter tout ce qui échappe au
contrôle officiel!). La houille ne donnait encore en 1914
que 800000 tonnes. Le cuivre a passé de 300 tonnes
318 —
en 1901 à 3600 tonnes en 1913. Le fer, d'excellente
qualité, provient surtout de l'Altaï, où la récente arrivée
du rciil (1916) développera, dans la région de Barnaoul.
Kouznevzk et Minousinsk, les industries métallurgiques
que favorise la présence de la houille. -
LES VOIES DE COMMUNICATION, a 0
L'avenir de la Sibérie repose, pour une grande part, sur
la solution du problème des transports. Le paysan,
l'industriel, le forestier ne peuvent être incités à mieux
faire que s'ils sont assurés d'exporter leurs produits. Or
on a vu, même après la construction du Transsibérien,
des millions de tonnes de céréales pourrir dans les gares
faute de wagons.
Le problème est double. 11 faut d'abord rapprocher
les unes des autres les diverses parties de l'immense
Sibérie qui peuvent dans une certaine mesure se com-
pléter. (Les régions minières et forestières ont besoin
des régions agricoles ou pastorales et réciproquement).
Il faut ensuite ouvrir à la Sibérie des débouchés sur le
monde extérieur, la mettre en relations avec les marchés
qui ont besoin de céréales, de beurre, de viande, de
bois, de poissons. Ces marchés ne manquent pas et cer-
tains d'entre eux se trouvent aux frontières mêmes : tel
le Turkestan producteur de coton et de fruits, acheteur
de blé et de bois, telle surtout la Chine surpeuplée,
déboisée, et qui a tant de peine à nourrir ses
300000000 d'habitants. L'Europe occidentiJe, le Japon,
l'Amérique, plus éloignés, ont l'avantage dêtre non pas
seulement acheteurs de denrées sibériennes, mais aussi
vendeurs des produits fabriqués nécessaires à la mise en
valeur du pays.
L'arrêt du trafic fluvial d'octobre à mai, et le fait
que trois sur quatre des fleuves sibériens débouchent
sur une mer pratiquement inaccessible en tout temps,
rendaient indispensable la construction de voies ferrées.
Certes, le magnifique réseau navigable de Sibérie rend en été de
très grands services. Il en rendra plus encore lorsque des canaux nom-
breux uniront les uns aux autres les fleuves et les rivières. Mais la vie
économique d'un pays ne peut être suspendue pendant huit mois de
Tan et la voie de fer doit compléter la voie d'eau. Jusqu'ici un
seul canal existe, depuis 1889. 11 relie le Kas, affluent de l'Iénissél
à la Kel, affluent de l'Ob. Sa largeur et sa profondeur sont tou-
tefois insuffisantes. Un vaste programme, élaboré en I9II. pré-
voyait d'abord le balisage et l'amélioration des principaux cours
d'eau, notamment de l'Angara entre Baïkal et Ienisseï, puis la trans-
formation du canal Ket-Kas, enfin la construction de canaux unis-
sant l'Amour au Baïkal par la Selenga, le Baïkal à la Lena, et le
réseau de l'Ob au réseau de la Russie d'Europe à travers l'Oural.
L'impérieuse nécessité des chemins de fer, et les ser-
vices qu'ils peuvent rendre, furent pleinement mis en
lumière dès la construction du Transsibérien.
Commencé en 1893, à la fois par Vladivostok et
par l'Oural, il fut achevé en 1 904. Son importance stra-
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. 16, page 318
LA CHINE
tëgique se revéli incontinent au cours de la guerre
russo-japonaise. Elle s est affirmée mieux encore
pendant la Grande Guerre. Quant à son rôle écono-
mique, nous n'en voulons d'autres preuves que l'affluence
formidable des immigrants russes et la croissance subite
du trafic entre la Sibérie et l'étranger. Le beurre, le
blé, les œufs, les animaux vivants s'ajoutèrent aux four-
rures et au thé, seules marchandises assez chères pour
supporter le coiit de I interminable voyage d'autrefois en
bateau, en tarantass, en traîneau, à dos de mulets ou
de chameaux. Les voyageurs européens à destination de
l'Ejctrême-Onent eurent aussi tout avantage à préférer à
la voie de mer la route ferrée, beaucoup moins longue
(douze jours de Paris à Vladivostok et Pékin au lieu
de trente-cinq) et moins chère (800 francs en première
classe, y compris la nourriture, au lieu de 1800 francs,
chiffres de 1913).
Depuis 1904, la ligne, d abord assez sommairement consiruile et
à voie unique, s'esl fort améliorée. On a doublé les voies, conso-
lidé la chaussée, renforcé les rails, construit sur les fleuves des
ponts gigantesques, contourné le Balkal que l'on franchissait au
début en ferry-boat ou en traîneau. A l'Est, la dernière section du
Transsibérien coupait la boucle de l'Amour et traversai! la Mand-
chourie, d'où un embranchement atteignait Port-Arthur, Pékin et
la Corée méridionale. Les Russes, écartés de la Mandchourie, ont
tenu à ce que leur ligne tout entière passât en territoire sibérien.
Ils ont donc, de Tchita à Khabarovsk, sur la rive gauche de
l'Amour, construit une section nouvelle achevée en 1916. A
rOuest, au lieu d'une seule voie d'accès, ils en ont deux
depuis 1914, car à la première ligne Moscou-Samara-Oula-Tché-
liabinsk-Omsk, s ajoute maintenant la ligne Pélrograd-Vialka-
Perm-Ekaterinbourg-Tioumen-Omsk. C'est aussi pendant la guerre
que furent terminés une série d'embranchements rattachant
au Transsibérien les régions minières, industrielles et agricoles de
l'Altaï (voie de Novo-Nikolalevsk à Semipalalinsk par Bamaoul ;
voie de Tomsk à Koltchougino et Kouznetska ; voie d'Atchinsk
à Minoussinsk). Beaucoup d'autres projets déjà complètement étu.
diés en 1914 prévoyaient la construction de lignes destinées soit
à mettre en valeur les steppes de Tourgaf et d'Akmolinsk (ligne
d Orenbourg à Semipalalinsk par Tourgal et Akmolinsk : ligne de
Tchéliabinsk à Akmolinsk par Troltsk et Atbasan), soit surtout à
unir te Transsibérien au réseau du Turkestan (lign^ ^^ Semipa-
lalinsk à Arys, près de Tachkenl, par Sergiopol elle bassin de l'Ili).
On songeait aussi à doubler d'une voie ferrée l'ancienne route
de caravanes Irkoutsk-Pékin par Kiakhia, Ourga cl Kalgan à
travers le désert mongol. Ejifin, pour tirer un meilleur parti de
I immense réseau navigable de l'Ob, dont l'utilisation est paralysée
par les glaces flollantes de la Mer de Kara, il était question d'éta.
blir une vole ferrée qui, partant d'Obdorsk (à l'entrée de l'esluairc
du fleuve), franchirait aisément l'Oural et aboutirait sur les rivages
de la Mer de Barents (au golfe de Khalpoudyr) à l'Est de l'em-
bouchure de la Pelchora), en un point que l'influence, certes Irès
atténuée, encore sensible pourtant, du Gulf-Stream, rend libre de
glaces pendant plusieurs mois. Celte ligne est la seule qui permcl-
trait aux marchandises lourdes (bois et céréales) de pouvoir prendie
le chemin de l'Europe occidentale.
Tout cela se fera avec le temps. La Sibérie s'ouvrait
à peine à la vie lorsque éclata la Grande Guerre. Nous
ne pouvons même pas savoir les chiffres exacts qu attei-
gnaient, a cette date, sa production et ses transactions
Aux 170000000 de francs de beurre, aux 100000000
de francs d'or mentionnés plus haut s ajoutaient peut-
être 80000000 de francs de fourrures. Le reste,
céréales, lin, peaux et cuirs, biis, poissons, œufs, viande,
animaux vivants, minerais, se confond de telle sorte dans
les statistiques russes avec les denrées de même espèce
provenant de la Russie d'Europe que l'on ne saurait
distinguer ce qui revient à lune et à l'autre. Il en est
de même des importations. Ce qu'il faut se rappeler, c est
que la Sibérie, comme le Canada, n'est pas seulement le
royaume de la neige et du froid, mais une immense
étendue de terres vierges au climat rude mais sain, et
dont les richesses agricoles, pastorales, forestières,
minières sont une des réserves les j)lus considérables sur
lesquelles l'humémité puisse compter.
CHAPITRE XXI y
LA CHINE
L'ensemble des terres placées sous la domination immé-
diate ou indirecte du Gouvernement Chinois couvre
environ 1 1 000 000 de kilomètres carrés, soit un million
de plus que l'Iiurope entière. Il comprend :
1° Les Dépendances et États vassaux : Turkestan
chinois, Tibet, Mongolie, Mandchourie, 7 000000 de
kilomètres carrés, en grande partie désertiques (la
Mandchourie mise à part), à peine peuplés, aux trois
quarts inexplorés ;
2° La Chine proprement dite ou Chine des
1 8 provinces, entre la Mandchoune au Nord, la Mongo-
lie et le Tibet à l'Ouest, la Birmanie et le Tonkin au
Sud, à l'Est la mer. Elle s'étend sur 4000000 de kilo-
mètres carrés (sept à huit fois la France) entre le 20® de-
gré et le 42* degré de latitude Nord (cf. Nevk- York et
Cuba, Constantinople et le Sud de l'Egypte). EUIe fut
le siège d'une des plus anciennes ciMiisations du monde.
Ses ressources sont immenses et ses 300 ou 310000000
d'habitants représentent h. peu près le cinquième de la
population totale de notre planète.
3t9
L'ASIE
LA CHINE PROPREMENT DITE
GENERALITES
Les Chinois n emploient pas le nom que les Occiden-
taux donnent à la Chine et qui provient, sans doute, de
1 appellation hindoue de Tchina dérivée de la très
ancienne dynastie des Tsin. Ils ignorent aussi l'épithète
de Céleste " et désignent leur patrie sous le nom de
Tchoung Kouo, c'est-à-dire le " Royaume du Milieu "
ou r Empire Central "', sans doute par suite de la
croyance, commune à tous les peuples primitifs, que leur
pays est vraiment le milieu des terres habitables. Eux-
mêmes s'appellent " Hanjin " ou " Hantsé " : hommes
ou (ils de Han.
Le domaine propre des fils de Han a vers l'Ouest des
limites incertaines. La ligne frontière zigzague à travers
les hautes chaînes du Tibet oriental, les massifs et les
plateaux mongols. C'est au pied de ces bastions formi-
dables que commence la Chine véritable, au point où
les fleuves assagis sortent de l'étreinte des rocs, lis ont
construit, de leurs alluvions, une plaine immense d'une
fécondité naturelle prodigieuse. A de rudes hivers suc-
cèdent des étés très chauds arrosés par les pluies de
mousson. L'homme n'y connaît pas l'énervement. les
langueurs des climats tropicaux. Il s'y maintient robuste,
actif, et son corps se tonifie par les froidures hivernales.
La nature, pour lui, ne se montrait pas démesurément
prodigue. 11 doit faire effort et s'ingénier pour vivre,
mais ses efforts sont payés au centuple. Ce sont là des
conditions analogues à celles que présentent les bassins
de l'Euphrate, du Tigre, du Nil. Aussi la Chine fut-
elle de tout temps une zone d'humanité comparable à
1 Egypte, à la Chaldée, aux rives méditerranéennes.
De très bonne heure elle vit naitre et se développer
une civilisation égale, sinon supérieure, à celles qui
grandissaient à l'Occident. La boussole, le papier de
chiffon, la poudre à canon sont, on le sait, des inventions
chinoises qui datent de plusieurs siècles avant l'ère
chrétienne. Et rien ne lui manqua pour développer harmo-
nieusement ces germes magnifiques qu'un contact plus
direct avec les autres peuples. Mais, isolée du monde
extérieur par les doubles barrières de l'Océan immense et
des déserts sans lin, elle ne connut pas ce qui se passait
hors de chez elle ; elle ne put transmettre aux autres ce
qu'elle savait, ni profiter de leurs découvertes. Aussi, à
1 aube splendide de sa jeunesse succéda un prompt
déclin. Elle s'engourdit, se cristallisa, se momifia, pour
ainsi dire, ne sut ni tirer des prémices de ses connais-
sances les conséquences scientifiques qu'elles renfermaient
en germe, ni élargir sans cesse le cycle de ses décou-
vertes. La boussole ne fut, pour elle, quun Jouet dont
elle ne songea point à tirer parti pour se lancer à la
découverte du monde. Le papier ne lui servit de rien,
puisqu'elle ignora l'imprimerie. La poudre à canon
n'eut, en Chine, d'autre emploi que la fabrication des
fusées et des pièces d'artifice. Et pendant plus de
deux mille ans elle vécut, immuable, persuadée qu'elle
avait atteint les bornes du savoir, les limites suprêmes de
l'humaine sagesse. Les Européens s'efforcèrent, dans la
seconde moitié du XIX® siècle, de lui prouver qu'elle se
trompait. Elle commence à l'admettre, de fort mauvaise
grâce du reste. C'est le début d'une période nouvelle de
son histoire, un enfantement douloureux, saccadé, con-
vulsionnaire, dont le dénouement intéresse toute la vie
économique du globe, sans que l'on puisse prévoir
encore quel il sera.
Abstraction faite de ses rivages, de la vallée du Yang-Tseu et des
grandes plaines du Centre-Nord, la Chine est encore peu et ma!
connue. Les hautes montagnes de l'Ouest, toute la région du Sud du
Yang-Tseu ne furent encore parcourues que par un petit nombre
d'explorateurs européens. Sur bien des points, les renseignements
les meilleurs que nous ayons, encore à l'heure présente, nous
viennent des missionnaires, surtout jésuites, qui, au XVIl^ et au
XVIll'' siècle, dressèrent les premiers itinéraires et les premières
cartes. De nos jours, les plus beaux travaux d'ensemble consacrés
à l'Empire du Milieu sont dus à l'Allemand Von Richthofen, dont
l'ouvrage magistral, publié à partir de 1877. est la base fondamen-
tale de toute étude consacrée à la Chine, — et à la Mission com-
merciale lyonnaise qui, de 1893 à 1897, se consacra spécialement
à l'exploration des provinces méridionales. Chaque jour, quelque
lacune se comble. Ingénieurs, missionnaires, consuls, explorateurs,
s'efforcent, souvent au péril de leur vie, de déchiffrer un nouveau
fragment de " I énigme chinoise ". Cependant, l'hostilité violente
ou déguisée du fils de Han à l'égard des '* Barbares étrangers ",
les obstacles de tous ordres qu'il dresse devant leurs pas, s'opposent
et s opposeront longtemps peut-être à l'œuvre de reconnaissance
complète, méthodique, scientifique des terres chinoises.
LES REGIONS NATURELLES DE LA CHINE
Des considérations tirées à la fois de la géographie relies : Chine du Nord ou bassin du Hohang-Ho, Chine
physique, de l'histoire et de la géographie humaine per- du Centre ou bassin du Yang-Tseu, Chine du Sud ou
mettent de diviser la Chine en trois grandes régions natu- ' ' Chine coloniale " allant du Yang-Tseu au Tonkin.
320
LA CHINE
La Chine du Nord
LES MONTAGNES ET LES TERRES
JAUNES DE L'OUEST. 00 La Chine du Nord
correspond à peu près au domaine drainé par le Hohang-
Ho ou Fleuve Jaune, et le Pei-Ho, la rivière de Pékin.
Elle est séparée de la Chine Centrale par les chaînes
granitiques des monts Tsin-Ling (2 000 à 3000 mètres)
que les hauteurs du Houaï prolongent jusqu'aux rives du
bas Yang-Tseu.
A l'Ouest, elle se compose de hautes terres, mon-
tagnes et plateaux, qui relient les chaînes Formidables du
Kouen-Lun et du Nan-Chan à l'arc mandchourien du
Grand Khingan.
L'altitude moyenne de ces hautes terres est de
1 500 à 2 000 mètres, mais elles s'abaissent vers l'Est en
larges gradins qu'escaladent les pistes menant au
désert. Elles ne portent point de nom d'ensemble, mais,
suivant l'usage chinois, une multitude de désignations
locales qui ont maintes fois varié au cours des siècles.
Elles couvrent de leurs crêtes dénudées, de leurs vastes
et mornes étendues, tou'.e la province du Kan-Sou, la
majeure partie des provinces du Chen-Si, du Chan-Si,
du Tché-Li. Sur un socle de roches cristallines se sont
lentement déposées, au cours des siècles innombrables,
les poussières argileuses charriées par les vents du
désert. Ces poussières accumulées, mêlées de débris
organiques, forment le ' lœss ' des géologues, la terre
jaune des Chinois. Leur épaisseur peut atteindre plu-
sieurs centaines de mètres. Très friables, facilement
attaquées par la morsure des torrents, elles se creusent
de rides profondes, au fond desquelles, entre de hautes
falaises ocreuses, dégringolent les eaux et s'insinuent
les routes où grincent les roues des chariots. On circule
pendant des heures, pendant des jours, sous l'étreinte de
ces murs où l'on étouffe aux brillants jours d'été, mais
qui ont au moins l'avantage d'abriter le voyageur contre
l'impalpable, l'insupportable poussière que le souffle de
la mousson entraîne avec lui. " Ici tout est jaune : les
collines, les routes, les champs, l'eau de la rivière, les
arbres maigres et rares, les habitants qui construisent
leurs maisons avec cette terre ou s y creusent des
cavernes souterraines comme nos troglodytes des rives du
Loir. " (G. Maspero.)
Très fertiles, pour peu que l'eau ne manque point, ces terres
jaunes du Kan-Sou et du Chen-Si lurent la véritable patrie des fils
de Han. C'est là qu'on les trouve au début de leur histoire, à
l'époque où, dans nos régions, les premiers Pharaons dressaient
leurs pyramides aux confins du désert. C'est (Je là que, suivant la pente
naturelle du terrain et les vallées des fleuves, ils descendirent vers
les grandes plaines de l'Est, puis vers le bassin du Yang-Tseu.
C'est encore là qu'ils édifièrent plus tard, pour se protéger des
razzias mongoles, celle fameuse " Grande Muraille ", ce colossal
rempart long de 3 000 kilomètres, dont la puissante courtine
sommée de tours crénelées se profile au sommet des monts pierreuK
jusqu à l'extrême horizon.
LES GRANDES PLAINES DE L'EST. 00
A l'Est s étale, sur une surface grande comme la
France, la plaine chinoise, construite aux dépens de la
CMmE BIT NOKID
Temiijauiu-j. TERRES JAUI^ES Munona.^s^
ET ALLUVIONS
gVS' I « '
^JSS^
HS^
mer par les alluvions que les fleuves arrachèrent en si
prodigieuse quantité et continuent d'arracher aux terres
jaunes du pourtour. Elle commence au Nord-Est de
Pékin, couvre tout le Tché-li oriental, une partie du
Ho-nan,du Ngan-houei, du Kiang-Sou, s'insinue jusqu'au
Chen-Si par la large vallée du Wei-Ho, entoure de sa
nappe fangeuse le double massif du Chan-Toung,
ancienne île rattachée au continent, et se confond au
Sud-EUt avec le delta du Yang-Tseu.
" Rigoureusement plat, sans limite visible, s'élend de toutes parts,
comme une mer. le sol brun-jaune sillonné d'innombrables stries
parallèles que traça la charrue et qui fuient vers l'horizon. Pas le
plus petit coin inutilisé, pas de fossés, pas de haies. A peine res-
pecte-t-on l'espace nécessaire à d'étroits sentiers. Partout des vil-
lages, éloignés à peine de quelques minutes les uns des autres, tous
ombragés d'un bouquet de bambous. L'aspect de ces îlots de ver-
dure parsemant la plaine infinie nous rappelait les atolls des mers
du Sud et leur ceinture de palmiers qui paraissent surgir du sein
des eaux. On sent que depuis des générations innombrables ce
paysage est resté le même, et que les gens y ont vécu, sans his-
toire, dans des conditions patriarcales immuables, répétant étemelle-
321
L'ASIE
menl les mêmes *gesles, au même mcmcnl, sur le même sillon. "
(G. Wegener).
Ces plaines s'achèvent sur le golfe du Tche'-li (ou
Petchili) et la Mer Jaune par des côtes plates, vaseuses,
borde'es de lagunes saumâtres, sans cesse accrues par de
nouveaux apports fluviaux. On ne trouve quelques
bonnes rades que sur les bords escarpes de la presqu'île
duChan-Toung : Tchefou. Weï-haï-Weî, Kiao-Tcheou.
Partout ailleurs l'homme fuit des rivages où rien ne
l'attire, où la vie maritime n'a jamais pu naître. Aussi
le. Chinois du Nord fut-il de tout temps un terrien
enraciné au sol, sans un regard pour les flots troubles de
cette mer limoneuse qui rebute au lieu d'attirer.
CLIMAT, VÉGÉTATION, CULTURE. 0a
Malgré leur latitude, qui est celle de la Sicile et de l'Al-
gérie, la grande plame, et à plus forte raison les hautes
terres de l'Ouest, ont un climat non pas tempéré mais
nettement continental. Pékm, qui est exactement sous le
même parallèle que Lisbonne, a des hivers aussi froids
que Varsovie (moyenne de janvier — 4",?). Le thermo-
mètre s'abaisse à 1 5°, 20° au-dessous de zéro. Les
fleuves sont pris par les glaces, et le fond même du
golfe du Tché-li se couvre d'une petite banquise. Les
montagnes, en effet, ne sont point assez hautes pour bar-
rer la route à la terrible mousson d'hiver, aux vents gla-
cés venus de Mongolie et de Sibérie, et qu'attire la
dépression du Pacifique. En revanche, à des hivers très
froids, très secs, succèdent de brûlants étés. Pékin a la
même moyenne de juillet (26", 5) que Hong-Kong. Sai-
gon et Singapour. Le continent surchauffé attire à son
tour l'air humide des régions océaniques, et la mousson
du Sud-Est déverse de mai à septembre des ondées
qui, sans être aussi copieuses que dans les régions plus
méridionales, donnent à la plaine de 60 à 80 centimètres
d'eau, à la montagne de 1 à 2 mètres.
Tel climat, telles cultures. Ne cherchez pas, dans la
Chine du Nord, les rizières à perte de vue, les planta-
tions de thé et de mûriers, la canne à sucre, les arbres
et les fruits des tropiques. Si la forte chaleur et l'humi-
dité relative de la saison estivale permettent encore, en
quelques points, la culture du riz, voire du cotonnier,
ce sont surtout les céréales, les légumes, les fruits de
l'Europe Centrale qui croissent et mûrissent dans les
petits champs soignés avec amour : blé, maïs, orge,
différentes espèces de millet, haricots, choux, carottes,
poires, pommes, cerises, etc., tels sont les produits
essentiels. De forê'.s il n'en est plus nulle part. La
végétation arborescente, dans la plaine aussi bien que
dans la montagne, n'est plus guère représentée que par
l'éternel bouquet de bambous ombrageant la pagode du
bonze, la maisonnette du paysan.
322 ■
LE PEl-HO ET LE HOHANG-HO. 00
Cette déforestation intense, poursuivie sans arrêt depuis des
siècles, agit de la façon la plus fâcheuse sur le régime des
eaux courantes. Déjà le Peï-Ho, qui draine les terrasses
du Tché-li, et qui, malgré sa faible longueur (500 kilo-
mètres), sert de déversoir à un domaine vaste comme le
quart de la France, transforme chaque été toute la plaine
de Pékin à Tien-Tsm en un immense lac d'eau boueuse
d où les villes et les villages, protégés par des levées de
terre, émergent comme des ilôts. Bien autrement redou-
tables apparaissent les crues fantaisistes du Hohang-Ho.
Ce fleuve jaune ' prend rang parmi les plus grands du
monde tant par sa longueur (plus de 4000 kilomètres)
que par son aire de drainage (I 000 000 de kilomètres
carrés). Tour à tour fleuve de désert, fleuve de mon-
tagne et fleuve de plaine, il naît sur les hauts plateaux du
Tibet oriental, décrit une courbe immense à travers les
dunes sablonneuses du pays des Ordos en Mongolie, puis
traverse, par des gorges profondes, les assises de lœss qui
couvrent Chen-Si et Chan-Si, reçoit son grand affluent
de droite, le Weï-Ho, dont il emprunte la vallée et débou-
che en plaine en amont de Kaï-fong. Cette plaine, il l'édi-
fia lui-même de ses alluvions. Mais elle est si plate qu'il
hésite sans cesse sur la route qu'il doit s'y tracer.
Dix fois depuis le Vl^^ siècle avant notre ère, il changea son lit
portant alternativement son embouchure au Nord et au Sud de la
presqu'île du Chan-Toung. En vain, des milliers et des milliers de
travailleurs s efforcèrent-ils sans arrêt de fixer ses eaux vagabondes
entre des digues formidables. L'apport continu du limon exhaussait
le lit du fleuve et une crue plus violente que de coutume ouvrait
dans le rempart une large brèche où s'engouffrait la masse du flot.
En 1856, le Hohang-Ho coulait au Sud'Est, se mêlait au Houaï
et confondait les branches de son délia avec celles du Yang-Tseu.
Cette année-là, une rupture des digues de la rive gauche le rejeta
vers le Nord, noyant 5 000 000 d'individus. En 1887, nouvelle
rupture, celte fois sur la rive droite, et nouveau désastre
(3 000 000 de victimes). Depuis lors, la Chine n'a pas connu
d'alarmes sérieuses ; le danger fut toujours conjuré à temps.
L'embouchure présente se trouve au Sud du golfe
du Tché-li. Elle est barrée de telle sorte par les dépôts
de vase que ni les vapeurs ni même les jonques de com-
merce ne s'y peuvent engager. Aussi les services rendus
par ce ' fléau des fils de Han " sont-ils moindres que ses
méfaits. S'il irrigue de vastes étendues de champs, il les
dévaste plus encore qu il ne les fertilise. Pas une grande
ville ne s'élève sur ses rives. La flottille de barques à fond
plat, de radeaux, qui empruntent ses eaux et remontent,
par le We'i'-Ho, jusqu'au Chen-Si, est peu de chose en
comparaison de l'intense mouvement que l'on observe sur
le Yang-Tseu. Malgré les canaux et les lacs du Kiang-
Sou (zone deltaïque du Houa'i), la plaine du Nord n'est
pas, et ne fut jamais, même au temps où le Canal Impé-
rial la traversait tout entière, de Pékin à Nankin, le
domaine de la barque. Les transports s'y font par char-
LA CHINE — ,
Lj\ grande MURMLLE/uf construite au lll'' siècle avant notre ère pour metlre
les Chinois sédentaires à l'abri des razzias exécutées par les nomades Mongols. Elle
fut, depuis lors, maintes foisremaniée et complétée jusqu'au XVI^ siècle. Par salongueur
(3300 kilomètres), la masse de matériaux qu'il fallut y employer, lesmillions de travail-
leurs que nécessita sa comlrudion, la difficultés de foute sorte que piaentait une telle
entreprise (hautes montagnes, précipices, déserts, etc.), la Grande Muraille est certai-
nement le plus considérable de tous les travaux qu'exécutèrent non pas les Chinois
seulement mais les hommes.
LXS GORGES DU YANG-TSEU. Deson embouchure jusqu'à f-tchang. le Yang-
Tstu forme. SUT plus de 1 500 kilomètres, une admirable voie navigable où les grands
vapears circulent aisément. En amont d'I-tchang, le fleuve est resserré entre de hautes
parois Tochaises et coafié de rapides qm, jusqu'à Tcfwimg-King. rendent la navigation
beaucoup plus malaisée. Les jonques, poussées patja mousson de l'Est, _menées_à'^la
rame ou tirées à la corde par des légions de coolies, emploient plus d'un mois à franchir
ce bief difficile et fort dangereux. Depuis I9J0, de petits vapeurs parvierment à couvrir
cette même dislance en une dizaine de jours.
323
L'ASIE
HONG-KONG. Les Anglais sont maîtres, depuis 1841, de la petite île de Hong-
Kong qui commande l'entrée du Siki<tng. Ils y construisirent le port de Victoria,
dont ils firent d'abord la rivale de Canton, puis la première ville de banque, la
première place de transit de l'Extrême-Orient et du Pacifique.
NANKIN. -Sue aux rives du Fleuve Eleu, Nankin fut jadis, bien avant Pékin, la
capitale de la Chine entière. Elle souffrit cruellement de la révolte des Taï-ptngy
Depuis lors, ses industries textiles ont repris leur activité '. elle conserve aussi la
réputation de " métropole du beau langage et des belles lettres ". Cl. HarlINCIJE.
UN MANDARIN A SON TRIBUNAL. Les Chinois ont toujours eu la passion
de s'instruire et le culte du " Lettré ". On ne devient mandarin, c'est-à-dire fonc-
tionnaire — simple -uge de paix ou puissant gouverneur de province — qu après
avoir subi avec succès des examens nombreux.
INTÉRIEUR CHINOIS, l'étues desoienes somptueuses, leurs petits pieds parais-
sant à peine sous le large pantalon, ces deux jeunes femmes ont celte finesse de traits,
cette naturelle élégance, cette distinction innée, propres aux races de très vieille
civilisation.
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vf.v .Tv'S5^SB
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1
L.N COIN DE RIVIÈRE. TRANSPORT PAR CHARIOT. COOLIE.
LES MODES DE TRANSFORTS EN CHINE. Les trois grandes divisions nalu- des chevaux, des ânes. La Chine du Centre, grâce au Yang- Tseu et à l'abondance des
relies que le relief, le climat et l'histoire permettent de reconnaître en Chine se caraclé- rivières navigables, est essentiellement le domaine de la barque. La plus mince rivière roit
risent par trois motio différents de transport. Dans les plaines du Nord où /es pistes car- se glisser jusqu'à sa source même le léger sampang du marchand. Enfin dans la Chine du
ross^licss ctallirent aisément , on utilise les chariots à roues pleines, traînés par des bœufs. Sud, couverte de montagnes, c'est à dos d'homme que circulent toutes les marchandises.
LA CHINE
rettes à roues pleines, que tirent des mules, ou qu'en- terres, les convois de mules, de chevaux, de chameaux
traîne le vent (les feuneuses brouettes à voiles, ces loin- surtout, s'acheminent à petites journées vers les pistes du
tains ancêtres des véhicules automobiles). Dans les hautes désert.
La Chine du Centre
La Chme du Centre est constituée par le bassin du
Yang-Tseu ou Fleuve Bleu.
MONTS ET PLATEAUX DU SSEU-
TCHOUAN. aa Elle comprend d'abord à l'Ouest
les hautes montagnes, fort mal connues, du Sseu-Tchouan
occidental, longues chaînes alignées Nord-Sud, sépa-
rées les unes des autres par des vallées parallèles extrême-
ment profondes où se précipitent les eaux de la Salouen,
du Mékong, du Yang-Tseu et du Yaloung, son affluent.
Les altitudes s'y maintiennent entre 3000 et 5000 mètres
(massifs du Nenda, du Jara, montagne sacrée de l'Omi.
couverte de temples et d'oratoires bouddhistes) et ce n'est
qu'au prix d'extrêmes difficultés, par des pistes à peine
tracées au flanc des précipices, que s'établissent les rela-
tions entre les terres chinoises d'une part, de l'autre les
plateaux tibétîuns (route du Sseu-Tchouan à Lhassa par
Batang).
A de très rudes hivers qui couvrent les sommets de
neiges éternelles succèdent des étés relativement chauds ;
les nuages charriés par la mousson se condensent sur le
flanc oriental des monts en averses copieuses. Aussi sur
ces hauts lieux — par ailleurs faiblement peuplés de tri-
bus non chinoises (Lolos et Tibétains) — trouve-t-on
encore cette chose si rare dans toute le reste de l'Empire,
de vraies forêts : chênes, châtaigniers, ormes, ifs, rhodo-
dendrons, et des prairies peuplées d'antilopes, de mou-
flons, de yaks, de moutons et de bœufs.
A l'Est de la vallée du Min, l'altitude décroît. Toute
la région orientale du Sseu-Tchouan se présente sous la
forme d un plateau mouvementé haut de 1 000 à
2000 mètres, où de larges bassins au sol d'eirgiles rouges
et de gneiss se creusent entre des collines taillées en ter-
rasses. En hiver, l'écrem des montagnes protège le pays
contre les vents glacés venus de l'Ouest. En été, la mous-
son du Sud-Est pénètre hbrement apportant ses pluies
bienfaisantes, et la température est assez élevée (24" en
moyenne de mai à septembre) pour que, à côté des
légumes, des céréales, des arbres à fruits propres aux
régions tempérées (blé, sorgho, maïs, pommes de terre,
poiriers, abricotiers, etc.), prospèrent le riz, le miirier,
I oranger, l'arbre à thé. C'est, sur un sol extrêmement fer-
tile, tout entier mis en valeur par des Chinois qui ont
remplacé peu à peu les populations indigènes, un domaine
de transition entre la Chine continentale du Nord et la
Chine tropicale du Sud ; une de ces régions privilé-
giées où la variation annuelle des conditions climatiques
permet de s'adonner, sur une même surface, à des cultures
qui partout ailleurs exigent, entre leurs domaines respec-
tifs, une large zone de démarcation.
DÉPRESSIONS ET PLAINES LACUSTRES
DU CENTRE. 0 li Les plateaux s'abaissent peu à
peu vers 1 Orient. Ils font place, dans les provinces du
Hou-Nan, du Hou-Pé, du Kiang-Si, du Ngan-Hoeï, à
de larges dépressions, anciens bassins lacustres en grande
partie comblés parles apports du Yang-Tseu, et qui, sur
la zone littorale, se confondent avec l'extrémité méridio-
nale des plaines du Nord. On y retrouve la même plati-
tude, la même terre d'alluvions grasse et féconde que nous
apprîmes à connaître dans le bassin du Hohang-Ho.
CLIMAT ET CULTURES DE LA CHINE
CENTRALE, a a Mais le climat s'est modifié. Si
l'hiver est encore frais, malgré la latitude méridionale
(Chang-Haï, sous la latitude du Ceiire, n'a que -V 2° de
moyenne en janvier), on n'y connaît pas les terribles
froidures du Nord. Le printemps est plus hâtif, l'été très
long, très chaud, très humide (-H 27° en juillet, et 1 m. 10
de pluie à Chang-Haï). .'^ussi, froment, sorgho dispa-
raissent-ils, remplacés par le riz. De part et d'autre du
fleuve, les rizières couvrent de leurs damiers monotones
toutes les terres basses, escaladent même les collines décou-
pées en gradins étages. Sur les pentes douces, sur les
levées qui séparent les champs de céréales, croissent
l'arbre à thé, le mûrier, le cotonnier. Pas un arbre, sauf
l'universel bambou. Pas une prairie : la terre est trop
précieuse pour qu'on ne l'utilise pas jusqu'à la moindre
parcelle, et des villages entiers aux rives des fleuves n'ont
d'autres demeures que des radeaux, de vieilles jonques,
ménageant ainsi l'étroit espace que leurs maisonnettes
auraient enlevé à la charrue. Cette Chine du Centre est,
en effet, la région la plus peuplée de l'Empire (de 400
à 300 habitants au kilomètre carré dans les terres à nz).
C'est aussi le domaine propre des fils de Han, le point où
leur race est la plus pure. Tandis qu'au Nord ils se
mêlaient aux Mongols, aux Mandchous, tandis que dans
les montagnes de l'Ouest et du Sud ils se métissèrent
avec les aborigènes : Lolos, Miao-Tsé, Yaos, Thaïs, etc.,
aux rives du bas Yang-Tseu ils conservèrent entiers leurs
ceiractères physiques et leur langue originelle. C'est le
cœur de la Chine, le point où l'on sent battre le plus forte-
ment les sourdes pulsations de l'immense Empire, et le
Yang-Tseu en est l'artère maltresse.
325
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
32
L'ASIE
LE YANG-TSEU. 00 Le Yang-Tseu (ou
Yang-tsé-kiang), qui traverse d'un bout à l'autre la Chine
Centrale et donne à ses diverses régions quelque unité,
prend rang parmi les plus grands fleuves du monde, tant
par sa longueur (5300 kilomètres) que par son aire de
drainage (trois à quatre fois la France), son volume
moyen, sa profondeur, les services que lui et ses
principaux affluents rendent à la navigation.
Né au cœur du Tibet, où il porte le nom de Mour-
Oussou (eau sinueuse), il dévale d'abord vers le Sud-Est
à travers les chaînes neigeuses du Sseu-Tchouan, et
pénètre dans le Yunnan comme s il voulait gaigner direc-
tement le golfe du Tonkin. Mais, détourné brusquement
vers l'Est, il commence à Li-Kiang la courbe immense
qui doit le conduire vers les mers de Chine.
A Souéi-fcheou, il est accessible aux petites barques,
et le Min. qui lui arrive du Nord, ouvre la route du Sseu-
Tchouan central. Cependant, jusqu'à Ltchang, le fleuve
doit encore franchir une série de chaînons orientés
du Sud-Ouest au Nord-Est à travers lesquels il s'est
ouvert une voie pénible, étroite, encombrée de rapides,
succession de gorges, de carions que les jonques
et les canots à vapeur ont peine à remonter. A
l-tchang seulement commence la grande navigation.
Le fleuve y pénètre dans les dépressions lacustres du
Hou-Pé.
Ses rives s'abaissent et s'écartent. Même aux
basses eaux, sa profondeur dépasse 6 mètres et atteint
par endroits 30 ou 40 mètres. Large de 2 kilomètres et
plus, majestueux et lent, il roule des eaux a peine moins
limoneuses que celles du Fleuve Jaune, au milieu de
campagnes plates que ses crues annuelles inondent
largement.
Une série de lacs, de lagunes, de marais l'accompagnent.
Emplis par les débordements du fleuve, ils lui restituent à la
décrue le trop-plein de leurs eaux et régularisent ainsi son régime.
Tels sont, au Sud, les lacs Toung-Ting el Poyang analogues au
Tonlé-Sap du Mékong : insignifiants à l'époque des maigres,
nappes de vase plutôt que d'eau, à peine profonds de 1 mètre,
ils couvrent tous deux, de juillet à octobre, dix fois plus d'espace
que le lac de Constance.
A gauche, le Han, long de 2000 kilomètres, navi-
gable sur 1200, est la grande voie commerciale qui
mène au Chen-Si. A droite, le Yuan, le Siang, le Kia
moins aisément utilisables, ont tous cependant leurs flot-
tilles de barques qui établissent la jonction avec la
Chine coloniale. Enfin, en aval de Nankin, bras de mer
plutôt que fleuve, le Yang-Tseu, où le flot de marée fait
sentir son action jusqu'à 300 kilomètres à l'intérieur des
terres, se termine à la fois par un estuaire et un delta.
L estuaire, malgré les dépôts vaseux qui réduisent
considérablement la profondeur de sa bouche, laisse
passer des navires de 6 mètres de tirant d'eau. Le delta,
ensemble d'îles créées successivement par le fleuve et
rattachées les unes après les autres à la terre ferme, semé
de lacs, coupé de canaux innombrables, sorîe de Néer-
lande prodigieusement fertile et surabondamment peu-
plée, étale de Tchen-Kiang à Hang-'chéou l'étendue
monotone de ses rizières que des digues protègent
contre le double assaut des eaux du fleuve et des
vagues marines.
Si la Chine du Nord est le pays de la roule et du char, la
Cfiine du Centre, grâce au Yang-Tseu, à ses affluents navigables.
est essentiellement le domaine de la barque. Grosses jonques à
l'arrière surélevé, sampans, bateaux de bambous, utilisant les voiles
en naltes tissées ou se laissant, à la descente, entraîner par le cou-
rant, circulent sans cesse, malgré les rapides, les remous, les écueils
du cours supérieur. Des milliers de Chinois vivent de ce trafic :
mariniers, pilotes, fabricants de barques, vendeurs de cordages,
équipes de coolies qui, au long des rives boueuses ou de la piste
glissante taillée au ras des falaises, halent par de longs câbles les
jonques lourdes. Malgré la lenteur du trajet, les naufrages fréquents^
les portages indispensables aux eaux basses, la barque parvient
aussi loin, aussi haut qu'elle peut atteindre, el la plus mince
livière voit se glisser jusqu'à sa source même le léger radeau du
marchand obstiné.
De plus, tout ce réseau navigable s ouvre largement
sur l'Océan. Tandis que la Chine du Nord lui tourne
le dos et demeure sans rapport avec lui, le Centre de
l'Empire semble recevoir, jusqu'à 2000 kilomètres des
rivages, le souffle vivifiant venu du large. C'est là que
l'étranger s'est installé le plus fortement. Les grands
vapeurs sillonnent les eaux profondes du bas-fleuve.
Toutes les villes commerciales qui s'accumulent de Chang-
Haï à Tchong-Kiang lui sont ouvertes, et c'est là, sur
les quais de Hang-Tchéou, de Tchen-Kiang, de Han-
Kéou, de Han-Yang, que l'on sent le plus nettement
naître l'aube, encore à peine distincte, de la Chine nou-
velle.
La Chine du Sud
Des plaines du Yang-Tseu aux frontières du Tonkin
et de la Birmanie s'étend la Chine du Sud. Très mal
connue, non seulement des Européens mais des Chinois
eux-mêmes, cette " Chine Coloniale " fait officiellement
partie intégrante de l'Empire du Milieu, mais " n'est en
réalité pas plus la Chine que l'Algérie, la Tunisie, le
Maroc ne sont la France ".
RELIEF ET RIVAGES. 00 Elle se présente
sur une surface deux fois grande comme la France, sous
326
LA CHINE
la forme dun extraordinaire chaos, un inextricable dédale
de montagnes et de collmes uniformes séparée > par un
réseau compliqué de vallées aux angles brusques. A
l'extrême Ouest, dans le Yunnan, les chaînes conservent
l'orientation Nord-Sud des Alpes du Sseu-Tchouan.
Leur altitude attemt jusqu'à 3000 mètres ; de hauts pla-
teaux très mouvementés, dénudés, creusés de gorges
profondes, ondulent entre les crêtes déchiquetées des
sierras. Mais à partir de la province du Koueï-tcheou,
l'orientation se modifie et l'altitude décroit. C'est du Sud-
Ouest au Nord-Est que courent les chaînons innom-
brables, hauts en moyenne de 360 à 900 mètres, des
deux Kouang, du Hou-nan, du Kiang-Si, du Fo-kien.
L'axe principal — les Nan-Chan ou monts du Sud de
Richthofen — sert de ligne de démarcation entre les
eaux qui s'écoulent au Nord vers le Yang-Tseu par le
Yuan, le Siang. le Kia et celles qui nourrissent le
Si-Kiang. Il est franchi au col de Meï-ling par la route
mandarine de Han-Kéou a Canton (bientôt doublée
d'une voie ferrée), seule grande voie commerciale don-
nant accès à ces lointaines possessions des fils de Han.
Vers l'Est, les chaînes arrivent en échelons jusqu'à
l'Océan. D'où une côte déchiquetée, dentelée par la
succession régulière des caps rocheux et des baies pro-
fondes que barrent des îlots. Ces rivages riches en bons
ports (Ning-Po, Ouen-tcheou, Fou-tcheou, Amoy,
Chan-teou, Canton, Hong-Kong, Kouang-tcheou), en
abns sûrs, se montrent extrêmement propices à la vie
maritime. C'est par eux que la Chine entra en relations
avec les Philippines, l'insulinde, l'Indo-Chine. Cest de
là que partent encore la presque totalité des émi-
grants.
C'est là enfin que les pirates chinois, les fameux
Pavillons Noirs ", trouvaient les cachettes presque
iflaccessibles d'où l'on eut grand'peine à les chasser.
LE BASSIN DU Sl-KIANG. 00 Dans l'en-
chevêtrement confus des lignes du relief s ouvre un
seul bassin suffisamment large et de pénétration aisée :
celui du Si-Kiang ou Rivière de l'Ouest. Long de
1800 kilomètres, abondamment nourri, au moins en
été, par les pluies de mousson, le fleuve, malgré les
rapides, les étranglements rocheux, les hauts fonds de
vase, est accessible jusqu'au Yunnan pour les barques
à fond plat, tandis que son cours inférieur, que la marée
remonte jusqu'à Woutchêou, reçoit des vapeurs d'un
millier de tonneaux. Ses affluents, le Chou, le Lieou, le
Pé, ouvrent des voies de pénétration vers le Koueï-tcheou .
et le Kiang-Si. Il y a là un mouvement de navigation
qui rappelle, dans un cadre infiniment plus restreint, la
région du Yang-Tseu. et dont le terminus naturel est le
grand port de Canton.
Toutefois, dans toute la Chine du Sud, ce n'est plus
la barque qui est l'élément essentiel de transport ; ce
n est pas non plus le char à boeufs ou. à mules,
comme dans les plaines infinies du Nord. Les pistes
étroites de ces montagnes russes " n'admettent que
le porteur. Ballots de thé, d'opium, cotonnades, plantes
médicinales, marchandises européennes, même les mine-
rais de cuivre du Yunnan circulent à dos d'hommes, et
Ion voit partout, sur les sentiers zigzagants. les longues
files de coolies courbes, haletants, sous la double charge
(une charge de 80 kilogrammes parfois) que supporte
un rotin de bambou.
CLIM.AT, CULTURES DE LA CHINE
COLONIALE. 00 La ligne du Tropique passe
un peu au Nord de Canton. Aussi la Chine du Sud
a-t-elle, au moins dans toutes les régions basses, un
climat semi-tropical. Toujours par suite des vents conti-
nentaux qui soufflent en hiver, la température d'octobre
à mars est encore fort inférieure à celle que connaissent,
à mêmes époques, Calcutta ou Mascate, sises à même
distance de l'Equateur (moyenne de janvier à Canton
+ 12°, 6). Mais les étés ne sont pas moins chauds
(28", 2). Les pluies, très copieuses, donnent prés de
2 mètres d'eau. Celte chaleur et cette humidité ont
un inconvénient : l'insalubrité, surtout dans les vallées
étroites où s'accumulent les miasmes. L'Européen, qui vit
si aisément dans toute la Chine du Centre et du Nord,
a grand'peine à s'acclimater dans maintes régions de
la Chine méridionale. Les récits des missionnaires, seuls
blancs qui se soient encore fixés en de tels lieux, sont una-
nimes à ce sujet. Par contre, la végétation s'en accommode
à merveille. Les forêts, les prairies, sont toujours absentes,
sauf en de rares districts du Koueï-tcheou. Mais, au
riz qui tient toujours la place essentielle, à l'arbre à
thé, au cotonnier, s'ajoutent la canne à sucre, le bana-
nier, le manguier, à quoi se mêlent encore, sur les
hauteurs, la série des légumes, des céréales, des fruits
propres aux climats plus tempérés.
LES HABITANTS. 00 Dans cette Chine Colo-
niale, d'accès et de pénétration si malaisés, les fils de Han
n'arrivèrent qu'assez tard par lentes infiltrations parties du
Yang-Tseu. Ils y trouvèrent établies des peuplades abori-
gènes qu'ils refoulèrent peu à peu sur les plus hauts lieux,
et dont les restes subsistent (,à et là en petits groupes spo-
radiques : Miao-Tsé, Thaïs, Yaos, Mans, etc. Du mé-
tissage prolongé entre immigrants chinois et populations
autochtones naquit un peuple spécial : le Chinois du .Sud.
le Cantonnais, l'homme du Fo-Kien, très différent, physi-
quement et moralement, du Chinois du Nord dont il a
peine à comprendre la langue. Ce dualisme ethnique eut
des conséquences politiques qui se manifestèrent à maintes
reprises dans l'histoire de l'Empire, et que la Révolution
327
L'ASIE — — — — -
chinoise de 1912, loin de l'atténuer, n'a fait que mettre
en pleine lumière.
A l'extrême Sud, la Chine des 18 provinces se ter-
mine par la presqu'île de Leï-tcheou et son prolonge-
ment naturel, la grande île d'Haïnan, qui ferme le
golfe du Tonkin. Comme Formose dont elle a à peu nombreux immigrants chinois.
LES POPULATIONS
près l'étendue, Haïnan est en partie couverte de mon-
tagnes où des tribus sauvages d'origine incertaine, les
Sais (peut-être des Meilcûs ?) ont trouvé jusqu'à nos
jours un sûr refuge. Les plaines littorales et les avant-
monts ont reçu, depuis une époque fort reculée, de
DENSITÉ, RÉPARTITION, ÉMIGRATION.
£lj& H est tout k fait impossible.à l'heure présente, d éva-
luer à peu près exactement le chiffre de la population
chinoise. Aucune statistique digne de ce nom n'a jamais
été dressée. Longtemps on attribua aux 1 8 provinces de
400000000 à 450 000000 d'âmes. 11 semble que ces
chiffres aient été fort exagérés. Les étrangers qui les don-
nèrent, en effet, ne connaissaient guère que les régions les
plus fertiles, les plus aisément accessibles et les plus peu-
plées. Aujourd'hui que l'on peut se faire une idée moins
imprécise de la variété des lieux, de leurs ressources et
de leur peuplement, on tend à réduire de beaucoup les
évaluations anciennes, et l'on ne croit pas que la Chine
proprement dite compte plus de 300 000 000 à
310000000 d'habitants (d'après les calculs faits en
1911 par le Gouvernement Chinois, et contrôlés par
M. Rockhill, une autorité en ces matières).
Du reste, les fluctuations paraissent être considérables dans cette
masse d'hommes soumise presque sans défense aux caprices du
climat, aux inondations des fleuves, aux ravages des guerres intes-
tines. Nous avons vu les pertes de vies humaines causées par les
seules irruptions du Hohang-Ho. L'irrégularité des pluies de
mousson, pour être moins grande que dans 1 Inde, n en est pas
moins la cause de famines fréquentes entraînant à leur suite l'habituel
cortège de maladies épidémiques désastreuses. Les guerres surtout,
conduites avec une incroyable cruauté, une soif de meurtre, un
appétit de dévastation que rien n'égale, ont à maintes reprises
dépeuplé des provinces entières. Les révolutions musulmanes de
1805 à 1808 et de 1856 à 1873 firent disparaître la moitié de la
population dans les plus riches districts du Yunnan. du Kan-Sou,
du Chan-Si, de la vallée du Weï-Ho. Cellç des Taïpings, de 1851
à 1864, eut les mêmes effets dans les plaines du Fleuve Bleu.
Quoi qu'il en soit, la Chine demeure incontestablement,
avec l'Inde, la contrée la plus peuplée du monde. Les
deltas des grands fleuves, surtout du Yang-Tseu, nourris-
sent plus de 300 habitants au kilomètre carré. Toutes
les plaines du Nord et du centre, les côtes du Sud-
Est, les bassins féconds du Sseu-Tchouan en renfer-
ment de 1 50 à 200. Cette densité diminue peu à peu
à mesure que l'on s'éloigne vers l'Ouest, que l'on
remonte les vallées des fleuves et les pentes des monts.
Toute une partie de la Chine Coloniale (Kouei'-tcheou.
Yunnan), les chaînes et les plateaux du Tsin-ling, du
Chen-Si, du Kan-Sou, du Chan-Si, du Tché-li ont
moins de 30, parfois moins de 10 habitants au kilo,
mètre carré.
L'instinct migrateur qui poussa les Chinois à des-
cendre du Kan-Sou vers les plaines de l'Elst.puis à colo-
^r
if^ Ptua. tfezoo
^^ Oeiooàsco
OejU} àjoo IIIIH
DENSITE DE àuJejiâoa.i.^ejoYZA
LA POPULATION
ï«SSs
niser toute la Chine propre, n'a point disparu. Il se ren-
force même des nécessités économiques nées de 1 excès
de population et de la misère qui s'ensuit. Refluant à
son tour sur les territoires presque déserts qui l'entourent
au Nord et à l'Ouest, le fils de Han gagne de proche
en proche le Tibet et la Mongolie. On le voit apparaître
dans les plus hautes vallées du Sseu-Tchouan, sur toutes
les rives du haut Hohang-Ho, sur la lisière méridionale
du Gobi. En Mandchourie, un afflux régulier jette annuel-
lement sur les piétines du Liao, de la Soungari, plus de
328
100 000 cultivateurs venus du Chan-Toung et du delta
du Hohang-Ho.
A ce peuplement inte'rieur s'ajoute l'émigration exté-
rieure, plus considérable encore. Par Amoy, Canton,
Macao, 200000 ou 300000 Chinois du Sud quittent
chaque cuinee leur patne pour chercher fortune en Indo-
Chine, au Sicun, dans l'Insulinde, la presqu'île Malaise (voir
les chapitres consacrés à ces régions). Aux Etats-Unis.
en Australie, même au Cap, ils affluèrent en tel nombre
que des lois restrictives durent être prises qui ont presque
annihilé leur immigration. Mais l'Amérique du Sud leur
est encore ouverte, et des milliers d'entre eux s'emploient
aux mines du Pérou, de Bolivie, du Chili. Leur sobriété,
leur application, les gains minimes dont ils se contentent .
leur incontestable talent commercial en font partout de
redoutablesconcurrentspourla mciin-d'ceuvre blanche. De
plus, la grande majorité des émigrants ne part pas sans
esprit de retour. Les hommes seuls vont à l'étranger.
Ils ne cherchent qu'à thésauriser le plus possible pour
revenir chez eux avec le pécule amassé à force de pri-
vations. S'ils meurent "en exil", leur cadavre repasse la
mer pour reposer sous la terre des ancêtres. On est donc
porter à les considérer comme des parasites ' indésirables
et non pas comme de vrais colons capables de se fondre
peu à peu dans la masse du peuple qui les emploie. De
là les mesures à peu près prohibitives prises contre, 1 in-
vasion jaune " en Australie, en Californie, aux Philip-
pines, etc., et la politique d'étroite surveillance suivie à
leur égard en Insulinde et dems l'Indo-Chine française.
LES RACES ET LE GOUVERNEMENT.
00 D'après les annales chinoises qui remontent
à 2 500 ans avant l'ère chrétienne, il parait certain
que l'habitat primitif des fils de Han fut la région des
Terres Jaunes (Hohang-tou ' que traverse le Hohang-Ho.
Ils y furent en relations, par les routes du désert, avec
les peuples de l'Occident, et peut-être reçurent-ils
des Chaldéens les premiers éléments de leur civilisa-
tion (écriture idéographique, usage du métal, culture du
blé, science des nombres, notions astronomiques, etc.).
Des terres jaunes ils descendirent dans la grande plaine
dehaïque qui s'étend jusqu'au Yang-Tseu. Ces plaines
devinrent leur domaine essentiel, le centre de leur puis-
sance. C'est là que leur race est la plus pure, parce
qu'elle échappa le plus complètement à tout mélange avec
l'étranger. Longtemps le Yang-Tseu servit de limite à
l'Ejnpire. Puis, par lentes infiltrations, les fils de Han se
glissèrent au long des côtes méridionales, remontèrent
les affluents du grand fleuve, par\'inrent d'une part au
bassin du Si-Kiang, de l'autre au Sseu-Tchouan. Ils s'y
trouvèrent en contact avec des peuples de races diverses :
les uns, dont quelques exemplaires subsistent au Sseu-
TchoUtUi, paraissent se rattacher aux NégroTdes-pygmées
LA CHINE ^
que l'on rencontre çà et là en tant d'autres lieux de
l'Asie et de l'Afrique. D'autres, les Lolos, encore nom-
breux au Sseu-Tchouan et au Yunnan seraient, d'après
le.î études du docteur Legendre. de race blanche et
feraient partie de l'ensemble des peuples Aryens.
D'autres enfin, tels les Miao-Tsé, les Yaos, les Thaïs
de la Chine Coloniale sont eux-mêmes des jaunes,
proches parents des Tibétains, des Birmans, des Siamois.
Dans le même temps, la Chine du Nord — malgré le
rempart insuffisant de la Grande Muraille — se voyait
à maintes reprises envahie par les nomades qui erraient
sur ses frontières : Huns, Mongols, Toungouses, Mand-
chous. Ces derniers parvinrent même en 1644 à mettre
un des leurs sur le trône impérial et jusqu'à la révolution
de 1912 la Chine obéit à des maîtres étrangers.
Les métissages inévitables qui, pendant tant de siècles,
se produisirent de gré ou de force entre les fils de Han
et les peuples que nous venons de nommer, ont eu pour
naturelle conséquence de modifier fortement, au moins
à l'Ouest et au Sud, le type primitif du Chinois. La dif-
férence des climats, des conditions de vie, la difficulté des
communications entre Chine du Nord et Chine du Sud
accentuèrent encore ces modifications. Déjà, cinq siècles
avant notre ère, Confucius notait les contrastes qu'offraient
les traits physiques et les caractères moraux entre les di-
verses populations de l'Empire. Le Chinois du Nord,
surtout dins le Chan-Toung, est en général plus grand
que celui du Sud. Ses traits sont plus accentués. Il a plus
de calme, plus de douceur, plus de politesse. Le Can-
tonnais, l'homme du Fo-FGen. du Kouang-Si, de taille
plus petite, l'emporte sur les gens du Nord par l'éner-
gie, l'audace, la rudesse. Il est plus turbulent, plus porté
aux révolutions, plus xénophobe aussi. Moins purement
Chinois que ses frères du Yang-Tseu et du Hohang-Ho, il
semble qu'il veuille racheter cette sorte d'infériorité par
une manifestation plus violente de son mépris pour le ' Bar-
bare " d'Occident. Enfin, la langue primitive a subi de
telles transformations que, du Nord au Sud de l'Empire,
on voit les patois se multiplier, prendre peu à peu une
originalité propre, devenir en un mot de vraies langues,
et qu'un Cantonnais ne saurait, sans interprète, com-
prendreun Pékinois (cf. ce qui s'est passé pour le latin en
Italie, en Provence, dans la Gaule du Nord*.
Ces contrastes se sont manifestés, dans tout le cours de
l'histoire chinoise, par l'esprit de particularisme des di-
verses régions. Le Chinois n'a jamais eu le sentiment de
la patrie. Chaque province se considère comme indépen-
dante des autres. Ce qui se fait hors de chez elle ne
l'intéresse aucunement. La vraie cellule sociale, la seule
à laquelle le fils de Han soit profondément attaché, c'est
la famille. Chaque famille forme un tout qui se suffit à lui-
même et s'inquiète fort peu de ce qui advient aux familles
voisines. Si des associations se forment entre gens de même
329 —
L'ASIE
profession (et de telles sociétés sont nombreuses en Chine),
elles ont toujours un objet strictement matériel, visant à
des fins pratiques, utilitaires, immédiates. La masse du
peuple demeure donc profondément mdifférente aux
changements politiques, et la forme de gouvernement
qu'on peut lui imposer est le moindre de ses soucis.
Le gouvernement n'a jamais rien fdt du reste pour
créer, puis entretenir le sentiment national. Dans l'ancien
Empire, l'Empereur était virtuellement le maître absolu
de ses sujets innombrables. En fait, il n'intervenait point
dans leurs affaires, et les gouverneurs de provinces, ou
vice-rois, détenaient chacun dans la limite de son terri-
toire la réalité du pouvoir. Comme ils ne recevaient qu'un
traitement infime, ils vivaient forcément, eux et leurs
sous-ordres, d'exactions, de concussions que le Chinois
acceptait comme un mal nécessaire, mais qui n'étaient
point faites pour lui inspirer le respect des agents de
l'autorité et lui démontrer la nécessité de leur existence.
Aussi évitait-il soigneusement tous rapports avec eux ;
au besoin il s'assuréiit contre leurs caprices par le paie-
ment d'une indemnité annuelle fixée d'un commun
accord entre les parties !
De là la facilité avec laquelle les Chinois se plièrent fréquem-
ment au joug étranger, et acceptèrent, par exemple, la suprématie
Mandchoue. De là aussi les tentatives si nombreuses, et sou-
vent heureuses, des vice-rois, des généraux, pour échapper à
toute ingérence du pouvoir central ; de là les révoltes, les procla-
mations d'indépendance, les guerres intestines provoquées, non point
comme chez nous, en 1789, par la volonté consciente de tout un
peuple, mais par quelques ambitieux qui savent mettre à profit
le vieil esprit particulariste des provinces et comptent sur l'apathie
de la masse. Depuis 1912, l'anarchie règne dans les 18 provinces
Le vieil Empire a fait place à une jeune République dont
quelques chefs de bandes se disputent la direction. L antagonisme
du Nord et du Sud facilite leurs compétitions dont l'objet le
plus clair parait être jusqu'ici la mise au pillage des ressources du
trésor. Que sortira-l-il de ces troubles ? Verrons-nous la Chine
se disloquer, comme l'Autriche- Hongrie, comme la Russie, en
Etats indépendants ? Ou bien, à défaut de véritable sentiment
national, les (ils de Han trouveront-ils, dans la communauté des
traditions, de la religion, des mœurs, de la civilisation, un élément
d union assez fort pour maintenir, vaille que vaille, une cohésion
durable? C'est le secret de l'avenir.
L'AME CHINOISE, aa L'Européen, débar-
quant en Chine, est d'abord et surtout frappé par des
détails extérieurs, des façons d'être et d'agir fort diffé-
rentes de celles à quoi il est accoutumé chez lui. II les
trouve généralement incompréhensibles, absurdes ou
grotesques, et la signification prise en français par le
mot chinoiserie " traduit assez exactement cette
impression. I
va de soi que
le Ch
mois porte sur nous
des jugements du même ordre. L'usage de la natte (du
reste d'introduction récente, puisque les Mandchous ne
l'imposèrent à leurs sujets chinois que dans le cours du
xvii'' siècle), la mutilation des pieds chez les femmes.
les goûts culinaires du fils de Han. sa façon de manger,
de se vêtir, de se loger, son écriture qui nous semble —
et qui est réellement — si prodigieusement incommode,
ses superstitions, les mille détails de sa vie domestique,
tout cela lui parait parfait, et il nous plaint ou nous
raille parce que nous ignorons ce qu'il sait, lui, depuis
tant de siècles.
En fait, ces détails extérieurs sont bien peu de chose,
et peu importent les jugements, du reste fort variables
suivant les individus, que l'on émet sur eux. Il en est
autrement du caractère chinois, de l'âme chinoise, des
qualités et des défauts propres au fils de Han. Il faut les
bien connaître pour savoir avec quelque chance de vérité
comment il comprend la vie, apprécier ce qu'il ^ fait
dans le passé, deviner ce qu'il fera dans l'avenir.
Ses qualités d'abord : elles sont nombreuses et cha-
cun s'accorde en général à leur rendre hommage :
grande ingéniosité plutôt que véritable intelligence,
aptitude au commerce, politesse presque excessive,
patience étonnante qui fait accepter avec un calme par-
fait les pires adversités, honnêteté scrupuleuse dans les
transactions commerciales conclues avec des étrangers,
sobriété, ardeur au travail, résistance à la fatigue et à la
douleur, gaieté foncière qui se traduit par l'ardeur avec
laquelle il s'adonne à des jeux enfantins (lancement de
pétards, cerfs-volants, illuminations) et la faculté d'oublier
promptement les misères au moindre sourire de la for-
tune ; horreur de la violence (dans la grande ville de
Han-Kéou, peuplée d'un million d'habitants, des années
entières se passent sans qu'un meurtre soit signalé) ;
tendre amour pour les enfants, surtout les garçons que
l'on ne frappe jamais ; bons traitements donnés aux
animaux, etc. Ce sont là de précieuses qualités que le
Chinois est souvent bien loin de trouver au même
degré chez ceux qui prétendent être ses éducateurs
et qui expliquent pour une large part, si elles ne
les justifient pas complètement, le dédain ou le mépris
dont il fait preuve à l'égard du ' Barbare " étranger.
Mais cette belle médaille a son revers et les défauts
du Chinois, qui ne sont pas moindres que ses vertus,
anihilent, à son dam, leurs effets les plus utiles, gâtent
ou paralysent ce qu'il y a de meilleur en lui.
Le plus grave de tous, celui dont découlent tous les
autres, est son orgueil. Le fils de Han est dominé par l'ad-
miration sans contrôle, le respect le plus absolu du passé,
de son passé. Il a eu de fort bonne heure une civilisation
très avancée. Nous savons qu'il connut, bien avant les
Européens, le papier et l'imprimerie, la poudre à canon, la
boussole. La morale que lui donna Confucius, 500 ans
avant le Christ, ne le cède en rien à la nôtre. Il fut
capable, autrefois, de construire des ouvrages prodigieux :
Grande Muraille, Grand Canal, routes et ports, digues
contre les débordements des fleuves, travaux d'irrigation.
330
LA CHINE
etc., comme aussi de produire des œuvres d'art d'un goût
raffiné (bronzes, soieries, laques, porcelaines). Les plus
grands de ses Empereurs ontdommésur plus de la moitié
de l'Asie, et la masse des Etats directs ou vassaux qui
relèvent de Pékin couvre I i 000 000 de kilomètres
carrés, — plus que l'Europe. Tout cela le Chinois le sait
plus ou moins vaguement. Il en tire une incommensurable
lierté qui le conduit à prendre en pitié tout ce qu'ont
fait les autres hommes. Cet orgueil, ce respect aveugle
du passé ont pour naturelle conséquence l'esprit de
routine, l'apathie, l'horreur des nouveautés, qui sont les
caractéristiques essentielles de sa civilisation présente :
Tenons-nous-en à ce qu'ont fait et connu nos pères,
cela seul est bon. " Malgré son ingéniosité et une dose
réelle d intelligence, il s'est arrêté de lui-même dans
la marche vers le progrès, et s'est figé, depuis deux
mille ans, dans l'exacte répétition des gestes accomplis
par les ancêtres. Il n'a jamais cherché à améliorer ses
méthodes de culture, à perfectionner son outillage,
à se donner une demeure plus confortable, à modifier
son vêtement.
Riches el pau\res habitent des demeures, souvent pittoresques,
mais ou l'on gèle l'hiver parce qu'elles sont ouvertes à tous les
vents. Ils s'habillent uniquement de cotonnades et de soieries,
taillées sur des modèles immuables, et n'ont point songé à utiliser
les laines des nomades leurs voisins ; quand il fait froid, ils se
contentent d'accumuler sur eux toute leur garde-robe. Leurs char-
rues, leurs jonques, leurs brouettes, leurs chars, leurs ustensiles de
ménage sont les mêmes qu'au temps des premiers Empereurs.
L'orgueil, la routine, entretenus par tous ceux qui en profilent,
bonzes et lettrés, ont tué l'esprit d'initialive, supprimé toute ima-
gination créatrice.
Incapable de faire des réserves, de prévoir l'avenir.
de prendre des précautions contre ses surprises, le fils
de Han vit au jour le jour dans l'indifférence la plus
complète pour ce qui n'est pas l'heure présente. Un
danger est-il à craindre ? il ne songe même pas à s'en
prémunir, à faire le geste le plus simple ; il compte
vaguement sur le " dragon ", sur la chance, et si le
malheur se produit, il l'oublie vite, n'en tire aucune
leçon profitable.
Autres résultats funestes de son respect pour le
passé : 1 ignorance complète de ce qu'est la science.
Ignorance qui est bien, en dernière analyse, la cause la
plus immédiate de sa longue stagnation. 11 manifeste
cependant le plus vif désir de s instruire et l'on sait
que le " lettré ", l'homme qui a passé avec succès un
grand nombre d'examens, peut, quelle que soit son ori-
gine, aspirer aux plus hautes fonctions. Mais son édu-
cation est demeurée exclusivement littéraire, et dans les
examens qui en sont la consécration tout est donné à la
mémoire, rien au jugement. L'écriture, à elle seule, est
d'une telle complication que l'étude de l'alphabet (plus
de 40000 caractères) remplit la vie presque entière
d'un lettré! Il y ajoute la lecture de quelques-unes des
œuvres des très anciens poètes et philosophes. Et dans
la persuasion où il se trouve qu'on ne saurait faire mieux
qu'ils n'ont fait, il ne cherche pas à créer à son tour,
mais se contente de commenter à l'infini les textes sacro-
saints.
En histoire, en géographie, en médecine, en mathé-
matiques, en sciences physiques et naturelles... en tout, il
est resté d'une ignorance qui stupéfie. Il n'a jamais décou-
vert ce qu'étaient l'eau et l'air, ce que recelaient mille
choses placées à portée de sa main pour développer son
bien-être, accroître sa richesse. Bien plus, ses capacités
cérébrales se sont atrophiées peu à peu. Trop de siècles
de culture littéraire stériles pèsent sur lui. Il manque
d idées générales, ne sait pas analyser, encore moins
synthétiser. Il est incapable même d'une attention un tant
soit peu prolongée. Placé en face des inventions euro-
péennes, son manque absolu de jugement ne lui permet
pas de les comprendre. L'électricité, la vapeur, dans
leurs applications, lui apparaissent comme très éloignées
d'une conquête de l'esprit, d'une élaboration cérébrale.
Elles ne l'étonnent même pas. Elles tiennent du savoir
de l'alchimiste, de l'astrologue, d'un magicien plus roué
que le sien, mieux inspiré par les esprits; c'est le hasard
qui nous a favorisés, le dragon bienfaisant ; c'est une
trouvaille. La genèse de telles acquisitions lui échappe
complètement, et l'incrédulité commence quand on lui
affirme que l'exécution de pareilles œuvres implique la
nécessité absolue d'étudier les livres. " (D' Legendre.)
Les qualités mêmes que nous lui reconnûmes tout
d'abord apparaissent souvent comme plus apparentes
que réelles. Sa patience, son égalité d'humeur, sa gaieté
ne sont souvent qu'une forme de l'égoïsme. 11 ne fait pas
un pas, pas un geste pour venir en aide à son voisin en
péril, au besoin il s'en égaie et prend le malheur d autrui
comme thème à de joyeux brocards. Il est sobre, il est
vrai, et ignore en général les boissons alcooliques,
mais il s'adonne avec passion à l'usage de l'opium,
dont les effets ne sont pas moins pernicieux. De plus,
s'il mômge peu et mal, c'est qu'il est pauvre, d'une
pauvreté incroyable, insoupçonnée en Europe. Dès
qu'il le peut, il dévore comme un goinfre, jusqu'à la con-
gestion. Le repas est la grande affaire pendant laquelle
nul ne doit être interrompu : En vous saluant, le Chi-
nois vous dit : Enrichis-toi et augmente ton ventre ". Si
vous êtes son invité, après le repas il vous questionne :
Avez-vous mangé à en être gonflé ? ' Si, dans cer-
taines circonstances, il travaille dur sous l'aiguillon de la
nécessité, il manifeste, chaque fois qu'il le peut, le goût le
plus vif pour le farniente absolu. Tout prétexte lui est
bon pour quitter l'ouvrage en train, et l'ouvrier chinois con-
naît depuis longtemps la journée, non pas même de huit
331
L'ASIE
heures, mais de six ou de cinq ! Bien que naturellement
adroit, il est d'une négligence, d'une inattention telle que
son travail — infime comparé à celui de l'ouvrier blanc —
est par surcroît souvent grossier, rarement achevé.
Depuis bien longtemps du reste, la débilité physique,
considérée comme la preuve la plus manifeste de la
supériorité intellectuelle, est érigée en honneur. Le fils
de Han répugne étrangement à tout effort qui n'est pjis
de nécessité stricte, et, dès qu'il le peut, il cesse presque
absolument de se mouvoir. S'il traite ses enfants avec
bonté, s'il vénère son père comme un dieu, il n'hésite
pas, en cas de disette, à vendre les uns, à laisser l'autre
mourir de froid devant sa porte close. Quant à sa femme,
il a pour elle infiniment moins d'égards que pour son
buffle ou son porc. La violence lui répugne et il tient le
métier de soldat pour le plus vil qui soit. Il est capable
cependant de révoltes terribles où il se livre aux excès
de la cruauté la plus effroyable. Cet homme si doux a
fait de la torture un est où nul ne le peut surpasser ! —
Prodigieusement économe, usurier-né, il n'hésite pas à
perdre en quelques heures de jeu ce que des mois de
travail lui auront permis d'amasser. Sa religion, ses tradi-
tions magnifient l'œuvre de l'agriculture ; l'Empereur lui-
même traçait chaque année quelques sillons. Pourtant à
peine un Chinois a-t-il passé quelque examen qu'il
affiche le plus absolu mépris pour le travail manuel et
laisse croître très longs ses ongles protégés par un étui
d'argent !
Et que dire de son impudeur légendaire, de l'effroyable
saleté au milieu de laquelle il vit, de la lâcheté dont il
fait preuve en tant de circonstances, de son indiscipline,
fille à la fois de la pusillanimité et de l'orgueil, des com-
promissions, des bassesses, des procédés délictueux ou
l'entraîne son désir de ' sauver la face " à tout prix !
Religieux ? Le Chinois ne l'est guère. Il a cependant
trois religions officielles qu'il peut pratiquer à la fois : le
confucianisme, le taoïsme (doctrines de Confucius et de
Lao-Tsé qui vécurent en Chine au V^ siècle avant l'ère
chrétienne) et le bouddhisme venu de l'Inde au iv® siècle
de notre ère. Mais les doctrines morales et dogmatiques
de ces trois religions n'ont plus de signification pour lui.
Le fils de Han ne croit plus à la divinité : après l'avoir
tant invoquée en vain, il a perdu confiance en elle. 11
l'a jugée trop capricieuse, trop inconstante, châtiant à
tort et à travers, ayant encore moins que lui le sens de
la justice. Il s'est donc affranchi de la tyrannie des dieux,
I les a assimilés à desimpies humains qu'il récompense ou
châtie selon qu'il est satisfait ou mécontent de leur
action. " (D' Legendre.)
Cependant, son ignorance complète de la science maintient en lui
une loule de superstitions. " II n'a jamais pu s'affranchir de tout
le cortège d étranges explications que ses ancêtres donnèrent aux
phénomènes naturels ; et le mandarin aussi bien que le coolie sont
332 :
en proie aux mêmes terreurs de l'inconnu mystérieux. " De là
l'importance du culte des ancêtres — au fond la seule religion du
Chinois, — la crainte des vengeances que les morts peuvent
tirer des vivants, la croyance aux jours fastes et néfastes, au
Dragon, raille précautions puériles ou absurdes prises contre les
caprices des '* esprits "; de là aussi l'influence du sorcier, du géo-
mancien, du bonze qui connaissent les formules magiques. L'ensemble
de ces croyances, de ces pratiques superstitieuses rappelle étonnam-
ment la religion romaine avec, cependant, un scepticisme plus géné-
ral et beaucoup moins de gravité dans l'accomplissement des rites!
Il faut mettre à part les Chinois musulmans et chré-
tiens. L'islam, introduit par les Mongols, compte envi-
ron 10000(X)0 de sectateurs, particulièrement nombreux
dans les provinces de l'Ouest : Yunnan, Kan-Sou,
Tché-Li. Plus hardis, plus fanatiques que leurs frères
bouddhistes, ils forment un élément turbulent dont les
révoltes ont à maintes reprises ensanglanté l'Empire. Les
chrétiens (I 700000 catholiques, 500000 protestants),
groupés autour des nombreuses missions répandues dans
toutes les provinces, pourraient apporter une précieuse
collaboration a l'œuvre de modernisation entreprise par
les Européens.
LES EUROPÉENS EN CHINE, aa Si le
Chinois avait pu continuer à vivre dans le splendide
isolement " où il se complut durant tant de siècles, il
n'est point de raison pour que des modifications, même
minimes, se soient produites dans un organisme fort impar-
fait sans doute, mais qui avait le mérite d'exister par ses
propres forces, de se suffire à lui-même sans le secours
d'aucun élément étranger. Seulement si la Chine n'avait
pas besoin des Barbares", ceux-ci avaient besoin d'elle ;
et c'est à coups de canon qu'ils surent le lui démontrer.
Les Anglais, les premiers, lui firent la guerre pour
déverser chez elle l'opium que produisait l'Inde. Plus
tard, toutes les grandes puissances obtinrent le droit de
commercer librement dans un certain nombre de cités.
Puis elles se firent céder dans plusieurs de ces villes
(Chang-Ha'i, Han-Kéou, etc.) des terrains où leurs
nationaux s'établirent avec tous les privilèges de l'exter-
ritorialité. Enfin, elles en vinrent à considérer la Chine
comme un domaine colonial à partager. La Russie s'ins-
talla en Mandchourie et à Port-Arthur ; l'Angleterre
à Hong-Kong, puis à Weï-haï-Weï ; l'Allemagne à
Kiao-tchéou ; la France à Kouang-Tchéou-Ouan. On
délimita des sphères d'influence, on commença la
construction des chemins de fer, l'exploitation des mines
par des compagnies étrangères, avec des capitaux et
des ingénieurs étrangers.
Mais une double résistance, d'abord chinoise puis
japonaise, ne tarda pas à se dresser contre cette emprise
de l'étranger blanc. Les Chinois s'insurgèrent contre des
ambitions qui ne tendaient à rien moins qu à faire de
leur pays une colonie d'exploitation pour le plus grand
LA CHINE
ARÇ DE TRIOMPHE SLR lA ROUTE DE YUNN.-\N-SEi\ A TCHAD- puinanls Empereais te dotait d'une magm/iiue parure d'œuycs d'art. Us lignes cour-
Vv! . .^' P' '^* monuments sent (prt communs en Chine. On les rencontre bes que l'on retrouve dans toutes les construciiora chinoises s'expliquent par la croyance
aasi bien à l'inlériem des viUes guc dmxs les campagnes les plus reculées. Les plus à l'influence néfaste des lignes droites, proscrites par les régla du ' Feng-Chom ' ', et
teaux datent presque tous d'époques fort anciennes, alors que la Cfàne dirigée par de qu'il faut redouter coavne une création des esprit» méchants.
333
33
L'ASIE
LE SI-KIANG ENTRE SAM SHUI ET WOUTCHÉOU. U flemc arrive
près du terme de sa course. Ses eaux profondes et lentes s'ouvrent à la grande
navigation qui a pourpoint de dépait Canton et Hong Kong. Sut ses rives, les
rizières se mêlent aux bananeraies, aux champs de canne à sucre et de colon.
CIRQUE CALCAIRE A LOU-VAN TCHÊOU. Type de paysage dans lamon-
tagnes du Yunnan. Toute la Chine de TOuest et du Sud est couverte de chaînes et
de massifs, généjalemtni déboisés, hauts de î 000 à 3000 mètres, et qui contrasteni
avec les immenses plaines alluviales du Nord et du Centre.
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PAGODE DU PALAIS D'ÉTÉ..
L'un des plus précieiLx spécimens
de l'art chinois, échappé au pillage
■ et à l'incendie de 1S60.
KONG-YANG-FOU : PORTE PRINCIPALE. La plupart des villes chinoises sont
entourées — comme nos cités du Moyen Age — d'épaisses murailles de briques ou
de pierres. On y pénètre en franchissant quelques portes monumentales, élégamment sur
montées d'un corps de bâtiment couvert d'un double toit recourbé.
PAGODE DE
BRONZE. Élevée
par VEmpereur
Kien loung dans le
parc de Wan-c
hou-chen. près de
Pék
n.
ARROSAGE D'UN CHAMP. L'irrigation artificielle est indispensable en Chine,
r<wnî dons tcus les paits trdficaux où h saison sèche se prolonge pendant six mois
cl pins. Les pavsans hissent Teau du canal jusqu'au nweau de leurs champs, par
i:r, tiji'hme de godets fixé^ à une' chaîne que meut une roue.
UN VILLAGE DANS LA CHINE DU CENTRE. Les petites maisons uni-
formes s'alignent aux bords de la rivière où les barques apparaissent fort nombreuses
Nous sommes, ene0et, ici dans le bassin duVang-Tseu. à peu de dislance de Chang-
(S- Haï, et le réseau ramifié des cours d'eau facilite les transports par sampangs.
334
LA CHINE
profit des étrangers. L'insurrection des Boxers (1900),
faite avec la compL'cité du gouvernement, traduisit la
haine profonde que le peuple nourrissait contre les
" diables d'Occident ". La de'faite des Boxers par des
troupes interalliées induisit la Chine à changer de
méthode ! Beaucoup de Chinois, ayant voyagé en Europe,
en Amérique, au Japon, reconnurent la nécessité de
moderniser le vieil Empire caduc. Ils apprécièrent l'uti-
lité des inventions scientifiques. Seulement ils énoncèrent
nettement leur prétention de se réformer eux-mêmes à
leur façon en se passant de toute direction étrangère.
Leur programme fut de racheter toutes les concessions
déjà consenties, chemins de fer, mines, usines, etc., de
supprimer les zones d'exterritorialité et de procéder à la
mise en valeur des ressources latentes de leur pays. " La
Chine aux Chinois ". tel fut dès lors, tel est présentement
leur mot d'ordre.
Malheoieusement pour la Chine, elle a, dans le Japon, un voi-
sin qui la surveille de près. Les Nippons collaborèrent d'abord
aux entreprises européennes contre les fils de Han. Ils obtinrent
pour leur part Formose, les iles Pescadores, la Corée. Puis ils se
posèrent en défenseurs des peuples jaunes, écrasèrent les Russes et..-
recueillirent leur succession à Port-Arthur qui leur appartient,
dans la Mandchourie du Sud où ils agissent en maîtres. La Grande
Guerre leur permit de s'installer momentanémeni à la place des Alle-
mands sur les côtes du Chan-Toung. Leurs commerçants affluèrent
dans l'Elmpire (en 1919 on comptait, en Chine, 171000 Japo-
nais en face de 13 000 Anglais, 6500 Américains, 4 400 Fran-
çais, 1300 Allemands, 4 000 Belges, Portugais, Suisses, Ita-
liens, etc.). Leurs navires à vapeur ont pris dans les ports mari-
times et fluviaux une place prépondérante. C'est dans leurs écoles
que vont de préférence s'instruire les jeunes Chinois. Ils sont évi-
demment mieux faits que quiconque pour comprendre l'âme chi-
noise, connaStre ses aspirations. Si la Chine ne peut se transfor-
mer seule, comme elle le croit ou feint de le croire, le Japon doit
être son guide — et, qui sait ? devenir son maître. Or, il apparaît
avec évidence que la Chine est incapable de se modernis-r par ses
seuls moyens. Modifier l'âme d'un peuple de 300 000 000 d'hommes
est une tâche qui dépasse singulièrement les forces des quelques
Chinois assez européanisés pour en concevoir la nécessité. Sans
doute, parmi les commerçants en contact avec les étrangers, parmi
les anciens immigrants, on trouve déjà nombre de fils de Han acquis
aux idées nouvelles. Le peuple lui-même utilise volontiers chemins
de fer et bateaux à vapeur. Cela veut-il dire qu'il est dès à pré-
sent capable de les construire, de les diriger ? A-l-il les capitaux
indispensables > Les habitudes ancesirales de vénalité, l'incapacité
des administrations permettent-elles d'avoir confiance en des
entreprises montées par des Chinois seuls ? Jusqu'ici tout ce qui
est moderne en Chine est l'œuvre des élrangers. S'ils disparais-
saient, leur oeuvre risque de disparaiire avec eux. Cela le Japon
le sait. Son double jeu consiste à persuader de cette vérité les
chefs de la jeune République, tout en se réservant pour lui seul
le riche profit attaché aux fonctions d'éducateur. La Chine aux
Chinois, rien de mieux, mais par — et pour — les Nippons.
LES VILLES. .^.É? La grande majorité de la
population vit dispersée dans d'innombrables villages ou
gros bourgs semés au milieu des champs. Cependant les
villes populeuses ne manquent pas en Chine. On leur
accorda même longtemps un chiffre d'habitants très
supérieur à ce qu'il paraît être en réalité. Lès villes
couvrent en effet, presque toutes, une surface considé-
rable ceinte de murailles crénelées. Mais, à l'intérieur
de 1 enceinte, des espaces vides, des jardins, des champs,
des mares boueuses occupent une notable portion de la
zone urbaine. Beaucoup d'entre elles renferment de
précieux monuments : temples, pagodes, palais, pavil-
lons et ponts de marbre délicatement sculptés, qui
demeurent comme le vivant témoignage de leur grandeur
passée. Tout cela trop souvent, faute d'entretien, se
lézarde, s'effrite, s'écroule. Les rues étroites, pleines
de trous fangeux, d'immondices innommables dont nul n'a
cure, s'encombrent par surcroît d'une foule d'échoppes,
de boutiques en plein vent. Les enseignes en papier,
peint de couleurs vives, s'agitent sous le vent de mous-
son. Boue infecte et puante, épaisse de deux pieds,
poussière jaune également nauséabonde alternent sui-
vant les saisons. Seuls font exception les quartiers euro-
péens des cités ouvertes aux étrangers.
Tout le jour grouille la foule des petit» marchands, des ven-
deurs de comestibles, des barbiers ambulants, mêlés aux chiens,
aux porcs qui se vautrent dans les amas de détritus entassés d-vant
chaque porte. Les mendiants, groupés en corporation, étalent leurs
plaies hideuses. Des prestidigitateurs, remarquablement adroits,
groupent autour d'eux la foule émerveillée ; plus loin, c'est 1' " aède ",
le " conteur ", qui charme de ses récits un cercle d'auditeurs
attentifs. Coolies aux côtes saillantes, ployant sous d'énormes far-
deaux, ânes, mulets, chameaux en longues files se fraient difficile-
ment un passage. De temps à autre, le cortège d'un mandarin
hissé majestueusement dans sa chaise laquée, tendue de soie,
s'ouvre un chemin, à grands renforts de coups de bâton équila-
blemenl distribués sur bêtes et gens. Et de partout s'élève ce
parfum ' inoubliable, fait de matières en décomposition, de
viandes pourries, ds fritures extraordinaires, de tous les résidus
humains, animaux, ou végétaux, chauffés par l'ardent soleil, ce
parfum auquel les fils de Han sont si parfaitement habitués que
les plus riches, les plus lettrés d'entre cix n'y prêtent pas plus
d'attention que le dernier des paysans! Quand vient la nuit, par-
tout s'allument les lanternes multicolores ; les gargotes s'emplissent
non moins que les luxueuses maisons de thé ; et dans la griserie
des fumées d opium, dans la trouble atmosphère des maisons de
jeu, le fils de Han achève une journée qui fut souvent bien mis^
rable, mais dont il a déjà perdu le souvenir.
Pékin (la résidence du Nord) occupe une situation
fort excentrique par rapport à l'ensemble de l'Empire.
Des considérations stratégiques la firent cependant choisir
de très bonne heure comme capitale. Il fallait faire face
aux nomades du désert, sans cesse menaçants, et les
Empereurs tenaient à ne pas s'éloigner des frontières.
(Des considérations du même ordre ne poussèrent-elles
point les derniers Empereurs Romains à prendre comme
capitîJe Milan d'abord, puis Trêves et Constantinople?)
De plus, Pékin se trouvait à distance respectable
des foyers insurrectionnels du Sud, qui perdent leur force
en rayonnant vers le Nord et s'éteignent avant d'em-
CéOGSAPHIE UNIVERSELLE.
335
33
L'ASIE
braser la cité des Fils du Ciel. " Elle fut conquise cepen-
dant par les Mandchous, et trois villes se succèdent dans
sa vaste enceinte (33 kilomètres, à peu près autant que
Paris) : la chinoise, la mandchoue ou la tartare, puis
la cité interdite où résidait l'Empereur. Malgré la pré-
sence des principaux organes du Gouvernement, des léga-
tions étrangères, malgré les voies ferrées qui y abou-
tissent, Pékin est loin d'avoir l'activité de tant d'autres
villes chinoises et ses 650 000 ( ?) habitants remplissent
mal l'immense espace circonscrit par ses hautes murailles.
A l'Ouest de Pékin, Kalgan, terminus d'une voie
ferrée, est le point de départ des caravanes qui se rendent
en Sibérie à travers la Mongolie orientale. Taï-Yuan
(200 000 habitants), dans le Chan-Si, se trouve au centre
d'un des plus riches bassins houillers de l'Empire. A
l'Est, Tien-tsin, reliée au golfe du Tché-li par un bras
du Peï-Ho, sert de débouché à tout le bassin du Hohang-
Ho. C'est, après Chang-Haï, le plus grand port de la
Chine avec huit concessions étrangères, des banques,
l'électricité, des tramways, des journaux nombreux, des
hôtels confortables, de beaux magasins. On lui attribue
de 800000 à 1 200000 habitants.
Dans le Chan-Toung, riche province du plus bel
avenir, aux enclaves encore étrangères de Kiao-tcheou
(japonais) et de Weï-haï-Wei (anglais), s'ajoutent,
comme cités importantes, les ports chinois de Tchefou,
de Tong-tcheou sur la rive Nord de la péninsule, puis
Tsinan, près du Hohang-Ho.
La plaine du Nord, couverte de villages et de
petits marchés agricoles, a peu de centres urbains dignes
d'être mentionnés. A l'Ouest seulement, sur les routes
qui mènent au Tibet par la vallée du We"i-Ho, appa-
raissent quelques cités d'importance, soigneusement closes
dans leurs murailles de briques : Si-ngan et Lan-Tcheou
(de 400000 à 600000 habitants ?), capitales des pro-
vinces du Chen-Si et du Kan-Sou.
Par contre, la vallée du Yang-Tseu se prêtait merveil-
leusement au développement des grandes agglomérations
grâce à la richesse du sol, à la remarquable densité des
populations, surtout à l'importance du réseau fluvial.
Chang-Haï (I 000 000 habitants), débouché maritime de
la vallée, est à la fois le premier port de la Chine (Hong-
Kong mis à part), un centre industriel très actif et la cité
la plus européanisée, grâce à la vitalité des colonies
étrangères. Hang-tcheou (700000 habitants), décrite
avec tant d'enthousiasme par Marco Polo sous le
nom de Quing-Say (200000 habitants), Sou-tcheou
(500000 habitants). Tchang-Kiang(l 50000 habitants),
Nan-Kin (370 OÔO habitants), l'ancienne capitale de la
Chme du Sud, furent célèbres autrefois par leur luxe,
leur élégance. Elles souffrirent énormément de l'insur-
rection des Taïpings, mais ont repris depuis lors une
remarquable activité.
336
En remontant le Yang-Tseu par Wou-Hou (120000
habitants) on arrive au Houpéi, le cœur de la Chine, au
point de croisement des voies ferrées et des voies
d'eau qui y convergent de toutes parts. La triple ville
de Han-Kéou, Han-Yang et Wou-tchang compte plus
de I 500000 d'habitants. Déjà pénétrée d'influences
étrangères, accessible aux navires de mer, emporium
de tout le bassin du grand fleuve, en relations par
voie ferrée avec Pékin et bientôt avec Canton, à proxi-
mité de gisements houillers et ferrugineux, Han-Kéou
parait des mieux adaptée pour établir peu à peu la
fusion indispensable entre la vieille civilisation chinoise
et la culture étrangère. Elle peut et elle doit devenir
l'une des places de commerce et d'industrie les plus
considérables du monde. Nan-Tchang (300 000 habi-
tants), dans la province du Kiang-Si, Siang-tan (200 000
habitants), et Tchang-lcha( 150 000 habitants), dans celle
du Hou-Nan, complètent, avec nombre d'autres cités
d'importance un peu moindre, la série des entrepôts où
se concentrent thé, soie, coton, riz, porcelaines, etc..
produits par ces riches régions.
Al Ouest, la province du Sseu-Tchouen, l'une des
plus vastes de l'Empire, est considérée comme la plus
peuplée, la plus abondamment fournie de ressources
agricoles et minières, Tune des plus saines aussi. Mais
elle est encore d'accès peu aisé par la voie unique du haut
Yang-Tseu que remontent péniblement jusqu'à Tchong-
King et Soui-fou les jonques tirées à la cordelle. L'amé-
lioration des conditions de navigabilité et la construction
de voies ferrées unissant Han-Kéou à Tcheng-tou
(400000 habitants), capitale de la province, permettront
seules de mettre complètement en valeur cette région
demeurée jusqu'ici trop excentrique à la vie chinoise..
Les provinces du Sud, couvertes de montagnes
peuplées en partie de tribus barbares, et de densité
faible, comptent peu de grandes villes. Les plus notables
s'échelonnent sur la côte : Fou-tcheou (1000 000 ?
d'habitants avec sa banlieue), Amoy (130000 habitants),
exportent le thé du Fo-Kien. Swa-toou (Chan-Teou)
expédie le sucre du Chan-Toung, Canton (900000
habitants) , débouché de la vallée duSi-Kiang, demeura,
jusqu'au milieu du Xix'' siècle, le seul port chinois où les
étrangers pouvaient commercer. Principal entrepôt des
soies du Midi, son activité présente, encore très vive,
souffre cependant de la concurrence de Hong-Kong, sa
vo'iiine.
Cette petite île devint possession anglaise en 1 84 1 .
Elle compte aujourd'hui près de 400 000 habitants aux-
quels s'ajoutent les 500 000 indigènes de la presqu'île de
Kow-loon, cédée à l'Argleterre en 1861. Victoria, sa
capitale, est non seulement l'un des plus grands ports du
monde, une cité industrielle (raffineries de sucre surtout)
de premier ordre, mais aussi une ville de banques, de
LA CHINE
bourse, où les hommes d'afieures, les directeurs de
firmes, fixent le cours des denrées et soutiennent de leurs
capitaux des entreprises — européennes ou Indigènes —
dispersées dans tout 1 Ejttrême-Onent. Macao, posses-
sion portugaise depuis le xvr siècle, ne joue plus qu'un
rôle effacé. A l'Intérieur, Wou-tchéou (70 000 habitants)
et Koueï-lln ( 1 20 000 habitants) dans le Chan-Toung.
Koueî-Yang ( 100 000 habitants) dans le Koueï-Tcheou.
Yunnan (40 000 habitants), capitale de la province du
même nom et unie au Tonkln par voie ferrée, ter-
minent une énumération qui pourrait s'allonger consi-
dérablement s'il nous fallait citer toutes les villes
chinoises qui, soit par le chiffre de leur population, soit
par leur histoire, soit par leur rôle comme centres de
transactions locales, sont comparables aux cités les plus
connues des Etats occidentaux.
GEOGHAPHIE ECONOMIQUE
Les ressources de la Chine apparaissent à la fois d'une
extrême richesse et d'une étonnante variété. Non seule-
ment, grâce à la diversité des conditions climatiques, les
produits végétaux de la zone tempérée y réussissent non
moins bien que les plantes des Tropiques, meus le sous-
sol s'y révèle d'ores et déjà, et malgré l'insuffisance des
prospections, comme l'un des nueux dotés qui soient au
monde en fer, cuivre, houille, zinc, mercure, sel, etc.
Cependant, les fils de Han n'ont su tirer qu'un parti médiocre
ou nu] de tant de ressources, par suite de leur esprit routinier, de
leur manque absolu de prévoyance, de leur mauvais; administra-
lion, de leur incapacité physiologique et cérébrale, surtout de leur
ignorance complète de ce qu'est la science. Aussi la masse du
peuple végète-t-elle misérablement, sans aucunes réserves, jamais
assurée du lendemain. La terrible plainte : — " chao-tche, chao-
Ichoaan " — peu à manger, peu pour se vélir — des misérables
n'est que l'expression d'une stricte vérité, et c'est un contraste
étrangement pénible que celui de l'extraordinaire pauvreté d'un
peuple vivant avec tant de peine sur une terre que la nature
combla de tous ses dons.
AGRICULTURE, ÉLEVAGE, FORÊTS, jaa
Les deux tiers des Chinois vivent du travail de la terre.
Le Nord, les réglons élevées du Centre et du Sud pro-
duisent le blé, l'orge, le millet, le maïs, le tabac et tous
les légumes, tous les fruits de nos climats. Dans les plaines
du Centre, les vallées chaudes du Sud, domine le riz.
Sur les pentes douces des collines prospèrent l'arbre à
thé, le mûrier, le cotonnier (Sseu-Tchouen, bassins du
Yang-Tseu et du Si-Klang, Fo-Klen). La canne à
sucre apparaît au Sud de Fou-fcheou. Le pavot à opium,
répandu dans toutes les provinces méridionales, tend à
disparaître à la suite des mesures rigoureuses prises par
le Gouvernement contre la récolte et la vente de la
drogue pernicieuse.
Et il est vrai que le Chinois — presque partout pro-
priétaire de son petit domaine — le cultive avec amour,
avec une étonnante minutie, bien plus en jardinier
qu'en agriculteur "'. Cependant les résultats obtenus sont
médiocres et trop souvent aléatoires, faute d'instruments
perfectionnés, d'engrais appropriés (le Chinois ne connaît
et n'emploie que l'engrais humjiin), de savantes sélec-
tions, de protection contre le double danger de la séche-
resse et de l'inondation. De plus, pour augmenter à tout
prix la surface arable, le (ils de Han a déboisé sa terre
avec une incroyable imprévoyance, traitant l'arbre en
ennemi qu'il faut exterminer.
Les funestes résultats de cette déforestation sont mul-
tiples. D'abord la Chine souffre du manque de bols de
chauffage et de construction. Elle est réduite à utiliser
comme combustible — et avec quelle parcimonie I —
les brousseiilleô, les herbes sèches, les tiges de millet et
de maïs. De plus, le manque de couvertures arbores-
centes accentue le régime torrentiel des cours d'eau.
Enfin, " avec la disparition de ces grands protecteurs,
les couches fécondes de la terre sur les plateaux et les
pentes d'immenses régions plus ou moins accidentées
ont perdu une greinde partie de leur fertilité, qusmd
elles ne sont pas devenues stériles ". Ainsi, bien lom de
s'accroître, le domaùne agricole a-t-il fort diminué.
Autre erreur non moins grande : l'afiandon systéma-
tique de tout élevage, en dehors du porc, de la voleiille
et des animaux Indispensables soit au labour, soit au
transport. Le Chinois n'admet pas plus la prairie que la
forêt, et pour la même raison : nécessité d'économiser la
terre ju'able. Il s'est donc privé de ce gros appoint ali-
mentaire que sont non seulement la chair des animaux,
mais le lait, le beurre, le fromage.
Par contre, il faut reconnaître que depuis des millé-
naires il a élevé la pisciculture à un haut degré de per-
fection, neuves, rivières, canaux continuent d'abonder
en poissons de toutes sortes malgré la poursuite achar-
née dont ils sont l'objet.
. LES MINES ET L'INDUSTRIE. /S^ La Chine
est depuis longtemps célèbre pour le goût délicat, la per-
fection de ses industries d'art : porcelaine, cloisonnés,
bronzes, bijoux, bois sculptés et laqués, broderies, soie-
ries, etc. EJIe en produit toujours, et la région de
Kingtetchen, par exemple, dans le Klang-Si, est une
énorme agglomération de petits ateliers familiaux où l'on
travaille les porcelaines. Mais on ne crée plus. On se
borne à rimifatlon indéfinie des modèles anciens. De
plus, la nécessité de produire vite et beaucoup pour
vendre à bas prix amène, ici comme au Japon, la dispa-
337
L'ASIE
t
t"i}W(i Bassina, houiller/L
iMtB en ejcjiloitaUon.
il ■ SecUonA, aiâémeit t
1 navigablai Jea,
Cfur.v J'cau
CHINE
CARTE ÉCONOMIQUE
Friacipalea.
i-vie<v ferréen.
en a€tLvit& .
en conâtruction
ou en projet-
i'SSlSi
rition presque complète des belles œuvres, résultats d'une
longue patience, d'une application soutenue. Aux indus-
tries d art s'ajoute la fabrication d'objets d'usage courant :
cotonnades, objets en tne'tal, en bois, en cuir, nattes,
feutres, soieries, encre, papier, etc. Tout cela se fait à
domicile suivant des procéde's archaïques et immuables.
Flâneur, paresseux, inattentif, toujours enchanté de lui-
même malgré la médiocrité de son travail, le fils de Han
arrive à contenter à peu près les besoins très restreints
d'une clientèle très pauvre qui se satisfait à peu de frais.
Depuis quelques décades, la grande industrie, intro-
duite par les Européens, a fait son apparition. Elle peut
trouver en Chine tout ce qu'il faut en fait de main-d'œuvre
et de matière première pour prendre un développement
formidable. La main-d'œuvre inépuisable est la meilleur
marché qui soit au monde, et cela compense les défauts
de l'ouvrier, son faible rendement, son indiscipline, ses
grèves de dignité ". La houille est répandue au point
- 338
que les seuls filons reconnus dans le Chan-Toung, le
Tché-li, le Chan-Si, le Sseu-Tchouen, le Ho-nan, le
Yunnan, etc., pourraient suffire à la consommation du
monde tout entier pendant plus de mille ans. Le fer, le
cuivre, le mercure, le sel gemme, le zinc, l'étain (dans
le Yunnan notamment). le pétrole, se rencontrent dans
la majeure partie des provinces de l'Ouest et du Sud.
Soie, coton, jute, ramie fournissent les matières néces-
saires aux industries textiles. Le traitement de la canne à
sucre, la fabrication de la farine, des pâtes alimentaires,
la décortication du riz. la préparation des huiles, des
savons, des bougies, des cigarettes, des mille articles
nécessaires à la vie chinoise ou destinés à l'exportation,
peuvent être l'objet d'entreprises scientifiquement con-
duites, largement rémunératrices.
Les résultats présentement acquis, pour intéressants et
significatifs qu'ils soient, n'ont encore qu'une importance
relativement petite : aciéries d'Han-Yang employant le
charbon de Ptnsiang et le fer de Tayé, ateliers de
constructions navales de Fou-Tcheou, filatures et tissages
de soie et de coton à Chang-Hai et à Canton (45 fa-
briques, I 200000 broches à la fin de 1914), voilà à
quoi se réduisent les grandes industnes montées à l'eu-
ropéenne. 11 y faut ajouter l'extraction de la houille qui,
— dans le Chan-Toung, le Chan-Si, le Tché-li surtout,
grâce à la construction des voies ferrées et à l'em-
ploi de techniciens étrangers, a passé rapidement de
quelques centaines de milliers de tonnes en 1908 à
19000000 en 191 9 (la même année, la Chine produisit
I 000000 de tonnes de minerai de fer, 29 000 tonnes
d'antimoine, 13000 tonnes de plomb, 7000 tonnes
d'étam, et 10000 toimes de cuivre).
Pour que de pareilles entreprises se multiplient, il faut de toute
nécessité des capitaux, des techniciens, des administrateurs compé-
tents et honnêtes. L'Empire du Milieu n'a ni les uns ni les autres.
II prétend cependant se passer des étrangers et dresse devant eux
tous les obstacles possibles. Aussi le " péril jaune " conçu sous la
forme non pas d'une prépondérance militaire, mais d une redoutable
concurrence faite aux produits européens, n'est-il pas à envisager,
au moins dans un avenir rapproché.
LE COMMERCE ET LES VOIES DE
COMMUNICATION, a^ Detout temps, et pour
des raisons qui se conçoivent aisément, l'intérieur de
l'Ejnpire a été le théâtre d'un trafic extrêmement déve-
loppé. Bien que chaque province, chaque petite région
fissent effort pour suffire à leurs propres besoins, elles ne
pouvaient se passer absolument des ressources de leurs
voisines.
Le fils de Han. du reste, manifeste pour le commerce un goût
très vif. La multitude des petits marchands, des trafiquants qui
pullulent dans toute ville chinoise étonne l'étranger, non moins
que l'insignifiance des affaires qu'ils traitent. Pour les achats en
gros et les transports à longue distance nécessitant une mise de
fonds assez considérable, les marchands s'associent, car il est assez
rare qu'un commerçant ait les capitaux indispensables à de telles
entreprises. Les plus aisés des Chinois trouvent par ailleurs dans
le prêt usuraire (l'argent rapporte de 2 à 3 pour 100 par mois) un
placement exempt de risques qui les dispense de s'exposer aux
aléas des opérations commerciales de large envergure. D autre
part, si, dans ses relations avec des étrangers, le commerçant chi-
nois est généralement d'une parfaite loyauté, il n'en va pas de
même avec ses compatriotes. L'adultération des produits, la
tromperie sur le poids et la qualité (favorisée par le manque de
précision des instruments de pesée, la variation des mesures et
des poids) sont des pratiques universellement répandues.
Comme dans notre Europe du Moyen Age, on utilise
le plus possible les voies d'eau pour le transport des
marchandises. Non seulement les grands Seuves et leurs
plus longs affluents, mais les petites rivières sont
parcourues jusqu'au voisinage de leur source par une
flottille innombrable de jonques, sampans, radeaux,
barques à fond plat. Seul, il est vrai, le bassin du Yang-
Tseu se prête aisément à la navigation fluviale. Dans les
LA CHINE
plaines du Nord, les montagnes du Sud et de l'Ouest, la
barque dispareiit remplacée par la charrette, l'animal de
bât (mulets, chameaux) ou le portage à dos l'homme. Le
Grand Canal, construit par les Empereurs d'autrefois
pour unir le Yang-Tseu au Pel-Ho, et faciliter le ravi-
taillement des provinces septentrionales en riz du Sud,
n'est plus utilisable de bout en bout faute d'entretien.
Les anciennes routes " impériales", larges de 12 mètres,
soigneusement dallées, pourvues de relms de postes et
d'auberges, sont aussi, et pour la même raison, dans un
état tel que l'on évite généralement de suivre la chaus-
sée transformée en un dédale de trous fangeux cilternant
avec d'énormes pierres glissantes.
Dans la plupart des cas le commerce intérieur doit
donc se réduire au transport des matières de haute
valeur et de peu de poids : opium, soie, nattes de che-
veux, thé. produits pharmaceutiques, etc. Les den-
rées pesantes : houille, minerais, céréales, bois, ne peuvent
supporter les frais élevés d'un transport à grande dis-
tance. Aussi la Chine, si richement pourvue en mines
de charbon et qui en connaît l'usage depuis deux mille
ans. n'a-t-elle jamais songé à les exploiter largement. On
souffre cruellement du froid à 50 kilomètres d'un gise-
ment d'anthracite, et l'on meurt de faim en cas de mau-
vaise récolte locale, alors que la province voisine a sura-
bondance de blé ou de riz.
Quant au commerce extérieur il se fit à peu près
uniquement, jusqu'au Xix'^ siècle, par terre avec les régions
de l'Ouest : Sibérie, Mongolie, Tibet, Turkestan. Le
Chinois, qui excelle à la navigation fluviale, ne fut jamais
un marin de haute mer. Ses courses les plus lointaines
ne dépassèrent point les Archipels qui bordent son
Empire: Japon, Formose, Philippines, Bornéo, et sa
flotte se borne aux jonques chargées du cabotage entre
les rivages du Sud et ceux du Nord. Par contre, depuis
une très haute antiquité, des caravanes parties du Sseu-
Tchouen portaient au Tibet du thé, des étoffes, des
porcelaines, des objets fabriqués et revenaient avec du
musc, de la rhubarbe, des cuirs, de la laine, etc.
D'autres, venant du Kan-sou, gagnaient, le Turkestan par
le Gobi, le Lob nôr et la vallée du Tarim (voir plus
loin). Enfin, de Kalgan k Kiakhta, à travers la Mon-
golie, les ballots de thé " en briques" s'acheminaient
lentement, après deux ans de voyage, au marché russe, à
la grande foire de Novgorod.
De ces anciennes routes commerciales à grande dis-
tance, si longues, si coûteuses, soumises à tant d aléas,
celle du Tibet est la seule ou le trafic ait encore quel-
que importance, pour des raisons religieuses (pèlerinages
à Lhassa) autant qu'économiques. Les deux autres ont cessé
d'être fréquentées du jour où les Européens se firent
ouvrir les portes de l'Empire.
339
L'ASIE
Depuis cette date, les progrès réalisés ont été grands.
Les maisons étrangères établies à Tien-tsin, Chang-Haï.
Canton, Hong-Kong, Han-kéou donnent aux opéra-
tions commerciales une activité, une ampleur qu'elles ne
connaissaient pas. Nombre de Chinois, instruits par leur
exemple, secouant la routine qui les paralysait, ont mar-
ché sur les traces des " Barbares ". Et de la côte où
elle se cantonna tout d'abord, cette renaissance écono-
mique se propage à l'intérieur, grâce à la navigation à
vapeur, aux voies ferrées. Les grands navires calant
6 mètres remontent en trois jours le Yang-Tseu jus-
qu'à Han-kéou. Des bateaux de tonnage moindre
atteignent en quatre jours I-tchang. Au delà, d'I-tchang à
Tchong-King, des petits vapeurs franchissent en dix
jours (depuis 1910) la distance que les jonques pous-
sées par le vent, la rame, ou tirées à la corde mettaient
trente jours et plus à parcourir.
La construction des chemins de fer se heurtait à
l'opposition achetfnée de la masse du peuple, soit par
haine irraisonnée pour tout ce qui vient de l'étranger,
soit par calcul, les mandarins redoutant l'emprise des
Bcirbares " sur les affaires de l'Empire ; les petits com-
merçants, les porteurs, les bateliers, ces millions d'êtres,
qui vivent du portage à dos d'hommes et de la jonque,
craignant de voir tarir la source de leurs maigres profits .
Cependant, grâce à la complicité des hauts dignitaires,
que d'abondants pourboires intéressèrent à de telles entre-
prises, la Chme a des voies ferrées construites par des
sociétés françaises, américaines, belges, allemandes, voire
chinoises.
Pékin fut d'abord relié au Transsibérien par Tien-lsin et les
lignes de Mandchourie. Puis on songea aux Transchinois qui doit,
de Pékin à Canton, traverser le cœur des 18 Provinces. La pre-
mière partie de la ligne de Pékin à Han-keou ne se heurtait à
aucune difficulté technique. Elle fut terminée en 1905 et l'on
franchit en vingt-neuf heures les 1 200 kilomètres qui séparent
les deux villes. Le tronçon méridional Han-kéou-Canton est
encore inachevé. Du Transchinois, des embranchements gagnent à
l'Ouest Kalgan, Yi-tchéou, Taï-Yuan, Tso-Tchéou pour desser-
vir les mines d'anthracite du Tché-li et du Chan-Si. De Kai-
fong une voie longe le Hohang-Ho, atteint Toung-Kouan, au coude
du grand fleuve et doit être prolongée jusqu'à Si-Ngan. DansleChan-
Toung, Kiao-Tchéou est relié à Tsi-Nan. Chang-Haï et Chang-
Tchéou communiquent avec Nan-Kin, d'où une voie en construction
se dirige à travers les plaines de l'Est vers Tsi-Nan et Tien-tsin. A
1 extrême Sud-Ouest, la riche province du Yunnan est, depuis
1910, reliée directement au Tonkin par une voie ferrée française,
chef-d'œuvre de hardiesse et d'ingéniosité. Enfin, entre autres
voies projetées ou déjà commencées, mentionnons la ligne Han-kéou-
Tcheng-tou qui doit arracher le Sseu-Tchouen à son isolement.
Le Chinois a, du reste, vite compris les avantages
des transports par vapeur et ses préjugés ont cédé devant
les exigences de ses intérêts matériels. Les trains sont
assiégés par la foule des voyageurs. Les compagnies
de navigation fluviale ne peuvent suffire aux demandes.
340
Tout laisse prévoir que la période d'opposition systéma-
tique au progrès a pris fin et que la Chine nouvelle s'en-
gagera de plus en plus résolument sur la voie que lui
ont ouverte les Diables d'Occident '.
Le commerce extérieur est encore peu de chose si
Ion songe à la grandeur de l'Empire, à la masse de sa
population, à la multiplicité de ses ressources. Cependant
il s'est accru avec régularité, passant de I 000 000 000
de francs en 1895 à 2 500000000 en 1906, à
3700000 000 en 1913, à lOOOOOOOOOO en 1919. A
l'importation les colonnades viennent en tête, puis le nz
TABLEAU DU COMMERCE DE LA CHINE
Principales catégories.
Année 1913.
(Valeur en H. K taëls.)
fle H. K. taël vaut.
au pair. 3 fr. 60).
Année 1919.
Valeur en H. K. taëls.
dtonnades
Importations,
I94 000 000detaêk
51 000 000 —
31 000000 —
20 000 000 -
14000000 —
12 000 000 —
10000000 —
8000000 -
209 000 000 de taëls.
246 000 —
56 000 000 —
8000000 -
Il 000000 -
21 000 000 —
12000000 —
Objets en métal
Riz
Ggarettes
Charbon
etc.
Totaux
1 Soie grège et soieries
Haricots et tourteaux
Thé
598 000 000 —
Expoitations.
1 1 1 000 000 de taëls.
55 000 000 —
35 000 000 -
24 000 000 -
17 500 000 -
15 500 000 ~
10 000 000 -
5 500 000 -
1 380 000 000 —
138 000 000 de taëls.
72 000 000 —
22000000 -
21 OOOOOO -
30 000 000 -
10 000 000 -
8000000 -
Huiles et graines oléagineuses
Étain
etc.
423 000 000 —
1 250 000 000 ^
PRINCIPAUX CLIENTS
Année 1913.
(Valeur en H. K. taëls.)
Année 1919.
(Valeur en H. K. taëls).
Importations venant de:
Hong-Kong
177 000 000 de laëls.
125 500000 -
100000000 —
50 000 000 -
36 000 000 -
22 OOOOOO -
5000000 -
119 000 000 de taëls.
68 000 000 -
45 000 000 -
42 000 000 -
40 000 000 -
15 OOOOOO -
8 OOOOOO -
163 000 000 de taëls.
247 000 000 —
64000000 —
26 000 000 -
110 000 000 —
5000000 -r
4000000 -
131 000 000 de taëls.
195 000 000 -
Il OOOOOO —
34 000 000 -
101 000 000 -
57 000 000 -
5000000 -
Angleterre
Inde
Étals-Unis
Russie-Sibérie
France
etc.
Elxportations allant à
Hontï-Kong
Japon
Russie-Sibérie
États-Unis
Angleterre
Italie
clc.
Nota. — 11 va de soi que Hong-Kong, ville de baDquiers,de courtiers, de com-
missionnaires en marchandises, etc. sert simplement d'intermédiaire entre la
Chine d'une part et la France, l'Angleterre, l'Inde, l'Australie, l'Amérique, etc.,
d'autre part,
—
LA CHINE
(d'Indo-Chine destiné à la Chine du Nord), les objets
en métaux, les cigarettes américaines et japonaises, les
poissons secs d'Indo-Chme, le charbon bitumineux du
Japon, le pétrole d'Amérique, de Bornéo, de Sumatra.
L'opium (de l'Inde), qui prenait encore la seconde place
sur le tableau des achats en 1913, a disparu presque
totcJement depuis 1917 à la suite d'une convention
conclue en 1911 entre le Gouvernement chinois et la
Grande-Bretagne.
Aux exportations, la soie brute ou manufacturée tient
de beaucoup le premier rang. Mais déjà la Chine est
largement dépassée peu" le Japon. La vente du thé ne
s'accroît plus depuis une quinzaine d'années par suite
de la concu.'Tence faite à la Chine par les thés de l'Inde
de Ceylan, du Japon, qui plaisent d'avantage au goût
des principaux consommateurs : Anglais et Américains.
Les haricots " soyas " à l'état naturel, ou en tourteaux
connus sous le nom de fromage de Chine ", le coton
brut, les huiles et graines oléagineuses, les peaux et cuirs.
I étain, les nattes, les porcelaines et " chinoiseries " com-
plètent la série des principaux articles exportés.
Parmi les clients delà Chine, l'Angleterre, qui l'em-
porta longtemps sur tous ses rivaux, est aujourd'hui forte-
ment distancée par le Japon. La marine marchande japo-
naise a profité de la Grande Guerre pour prendre une
place qu'on ne pouvait lui disputer et qu'elle ne perdra plus.
En 1919. la part du Japon dans le commerce extérieur
de la Chine (importation et exportation réunies) fui de
54 °/o; celle de l'Empire Britannique (y compris l'Inde,
les autres colonies anglaises, et Hong-Kong) fut de
24 °, 0 seulement. Puis venaient les Etats-Unis, en progrès
très rapides (18%). et la France (2 %).
Nofa.^.^ A la Conférence interallié: de Washington, qui j pris fin
en février 1922, les Japonais se Sfint mis d'accord ave; la Chine
pour testiluerau Gouvernement de Pékin, les territoires du Chan-
Toung, aatrefois concédés à l'Allemagne, et que les Nippons occu-
paient depuis 1914. L'Angleterre a pris de son côté l'enjagemenl de
se dessaissir de son enclave de Wel-hal-Wel.
LA MANDCHOURIE
Pcinni les dépendances de la Chme, la Mandchourie
est la seule qui ait, dès à présent, une réelle, une très
gremde VcJeur économique. Tandis que Tibef, Turlces-
tan, Mongolie, par suite, soit de leur altitude, soit de
leur situation continentale, se composent à peu près exclu-
sivement de déserts inhabités et inexploitables, la Mand-
chourie a tout ce qu'il faut pour attirer l'homme. Malgré
un climat excessif, tour à tour brûlant et glacé, de plan-
tureuses moissons poussent à mer\'eille dans les plaines
fécondes, au sol vierge. L'élevage peut se développer à
l'cùse dans les steppes immenses aux très hautes herbes.
Des forêts denses garnissent encore les pentes des monts.
Le sous-sol se révèle comme particulièrement riche en
minerais. De plus, trait d'union naturel entre Sibérie.
Chine et Corée japonaise, parcourue par les voies ferrées
qui conduisent d'Europe à Pékin, à Vladivostok, à
Séoul et Fousan, vestibule terrestre des 18 Provinces,
la Mandchourie occupe une situation telle que sa posses-
sion parait être égcJement indispensable aux trois grandes
puissances extrême-orientales.
La Russie, une fois parvenue aux rives de l'Amour et da Paci-
fique, devait être fatalement attirée vers les plaines mandchoues.
Elle y trouvait des terres pour ses paysans, un champ d'action
pour ses hommes d affaires, un moyen d'accès à des mers toujours
libres de glaces, enfin une citadelle d'où elle pourrait surveiller
l'Empire du Milieu, lui imposer ses vues politiques et économiques,
préparer la mise sous séquestre de cette riche proie. Elle obtint
aisément en 1898 la cession de la presqu'île du Kouang-Toung
avec les havres de Port-Arthur et de Dainy. puis la cession des
voies ferrées transmandchouriennes et des droits de surveillance ou
de contrôle qui devaient aboutir assez promplemcnt à l'occupation
complète. Mais le Japon, dont les ambitions n'étaient pas moindres,
se dressa en face des Slaves. Il les battit sur terre et sur mer
(1934-1905), et le traité de Portsmouth, en brisant leur rêve
d'hégémonie, attribua leur succession aux sujets du Mikado.
Depuis lors, les deux adversaires se sont réconciliés sur le dos de
la Chine. Si celle-ci demeure nominalement souveraine des trois
provinces : Cheng-King. Ghirin. Héloung-Kîang qui composent le
territoire mandchou, les Nippons conservent en toute propriété le
Kouang-loung et leur sphère d'influence embrasse tout le Sud du
L'avenir dira si la Chine nouvelle, obligée jusqu'ici d'assister
impuissante aux intrigues étrangères, trouvera jamais la force né-
cessaire pour échapper à l'emprise et secouer ce double joug.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
La Mandchourie, appelée pai les Chinois Loun-san-
tchen (les trois provinces du Nord), couvre environ
940000 kilomètres carrés. Elle forme dans l'ensemble
un large couloir orienté du Sud-Ouest au Nord-Est. une
sorte de dépression très accentuée entre la chaîne arquée
du Grand Khingan à l'Ouest (2500 mètres au point
culminant), à l'Est, les arê;es du Chan Aline (2700 mè-
tres environ au Tchang-paî-chan) qui l'isolent à la fois de
la Corée et de la province sibérienne de l'Amour. Ce
caractère de zone effondrée entre deux massifs de résis-
tance plus grande est bien mis en valeur par l'abondance
des phénomènes volcaniques et séïsmologiques. Les
roches ignées, très répandues dans le Khingan, couvrent
dans le Chan-Aline une surface évaluée à plus de
60000 kilomètres carrés. Cônes, cratères où dorment
des lacs, se succèdent comme dans notre Auvergne.
■ 341
L'ASIE
D'autre part, les tremblements de terre ont, à maintes
reprises, été la cause de grands désastres que men-
tionnent les anciennes annedes.
Le territoire des trois provinces ne correspond pas exactement
aux limites indiquées par la nature. Dans la région septentrionale,
la Mandcliourie déborde sur le flanc occidental des monts Khin-
gan/ Au centre, c'est, au contraire, la Mongolie qui pousse une
large pointe jusqu'au voisinage de Kharbin et de Ghirin. Au
Sud-Ouest, tout le cours supérieur du Liao-ho est englobé dans la
province chinoise du Tdié-Ii.
Très montagneuse au Nord, où le Khingan descend
vers l'Amour par gradins étages, boisés, creusés de pro-
fondes gorges et à l'Elst, où les contreforts du Chan-Aline
se développent en petites cheûnes parallèles, la Meind-
chourie renferme, néanmoins, dans sa partie centrale, des
piétines au sol d'alluvion suffisamment étendues pour
nourrir une population à forte densité.
Au Sud, ces piétines s'inclinent vers le golfe du Tché-li.
C'est le bassin de Liao-ho, " la rivière lointaine ".centre
de formation et de dispersion de la puissance mcindchoue.
Le fleuve qui traversa longtemps des steppes à demi-
désertiques est irrégulier. 11 peut, cependant, en été,
'dans son cours inférieur, porter des jonques de 2 à
3 mètres de tirant d'eau, et les boues qu'il charrie, cons-
truisant un vaste delta, ont rejeté à 50 kilomètres à l'in-
térieur des terres l'ancien port de Niou-tchouang.
Les plaines du Nord descendent vers l'Amour. Ellles
sont drainées par le Soungari, long et puissant cours
d'eau qui, né dans le Chan-Aline, reçoit à gauche un
affluent, la Nonni, vetju du Grand-Khingan. Navigables
l'un et l'autre sur plus d'un millier de kilomètres, ils
constituent une précieuse voie de pénétration et de tran-
sit, malheureusement arrêtée par les glaces de novembre
à mars.
Sous une latitude qui équivaut à celle de l'Italie et de
la France (du 40° au 54° latitude Nord), la Mandchourie
a, en effet, un climat continental à forts écarts entre les
saisons. L'hiver y est long et très rude. La moyenne de
janvier à Moukden (à la même distance de l'Equateur
que Naples) est de — 16°, plus basse que celle d'Ar-
kangel ! et les vents violents, qui soufflent de Mongolie
ou de Sibérie, accroissent terriblement la rigueur du froid.
Le sol gèle à plusieurs pieds de profondeur ; rivières et
lacs se couvrent d'une épaisse couche de glace. Mais,
après un printemps très court sévit un été brûlant
( + 26° en juillet à Moukden). Les moustiques foisonnent
et le vent du Sud-Est soulève d'aveuglants tourbillons
de poussière. C'est ce vent, cependant, qui amène aussi
la pluie, car la Mandchourie est encore soumise au ré-
gime des moussons. Les plaines du Centre reçoivent, de
juin à septembre, de 50 à 75 centimètres d'eau. Cela
suffit pour entretenir une luxuriante végétation de hautes
herbes mêlées d'arbrisseaux, savanes immenses, presque
inextricables, qui cèdent peu à peu la place aux cheimps
labourés où croissent froment, millet, maïs, tabac, lé-
gumes et arbres fruitiers. Vers l'Ouest, les pluies dimi-
nuent, et dans la Mandchourie mongole la savane passe
à la steppe semi-désertique. Par contre, sur les flancs du
Khingcui orientaJ et sur toutes les chaînes du Chan-Aline,
exposés directement aux vents de mer, les averses plus
copieuses font croître d'épaisses forêts où se pressent
ormes, chcirmes, chênes, saules, mêlés aux bouleaux et
aux conifères. Savanes et forêts abritent quantité d'ani-
maux sauvages : panthères, tigres, loups, sangliers, cerfs,
daims, zibelines, renards aux précieuses fourrures. C est
aussi dans les lointaines retraites perdues au milieu des
montcignes boisées que se cachent les bngands ou Khoun-
gouses, gens Scms aveu, anciens forçats de toutes races,
terreur et fléau des paisibles eigriculteurs, des caravanes
de marchands, voire des troupes de soldats isolés.
GEOGRAPHIE HUMAINE ET ECONOMIQUE
On ignore le chiffre exact de la population. Les esti-
mations varient de 6000000 à 29000000 ! Le chiffre
de 20000003 est doimé par les plus récentes statistiques
comme ayant le plus de chance de se rapprocher de la
vérité.
Toungouses, Mongols et Chinois, tels sont les trois
groupes les plus importants. Les Toungouses, rcimeau de
la grande famille jaune, se subdivisent en Mandchous.
Daouriens, Birars, Solones, etc. Les premiers eurent
longtemps la prépondérance : on sait qu'ils furent ca-
pables, depuis 1644 jusqu'à la Révolution de 1912,
d'imposer aux Chinois leur supre'matie militaire et des
empereurs de leur race. Mais, refoulés à leur tour par
1 invasion pacifique des fils de Han, avec lesquels ils
se fondirent peu à peu au point d'qublier leur propre
342
langue, ils ne sont plus guère aujourd'hui que 700000 à
800000. Daouriens, Bircirs, Solones, Manègres, Goîdes,
mènent dans les savanes et les montagnes une vie semi-
nomade de pêcheurs, éleveurs et chasseurs. Les Mon-
gols ne dépassent pas les steppes de l'Ouest qu'ils par-
courent avec leurs tro peaux. L'élément prépondérant
est donc le paysan chinois Voici plus d'un siècle que,
du Tché-li, du Chan-Toung, du beissln du Hohang-Ho,
chassés par les inondations, la sécheresse, la misère, les
fils de Han ont commencé leur exode vers le Nord,
gagnant le delta du Liao-ho, puis la vallée de ce fleuve,
puis les plaines du Soungari. Chaque année, 1 00000 éml-
grants nouveaux vont rejoindre leurs frères. Bien que
certains d'entre eux s'installent dans les villes et se livrent
au commerce, la plupart défrichent un coin de savane.
LA CHINE
RIZIÈRES DES MIAO-TSÉ. U Hz est h céréale essaitieUt de la Chine centrale.
Dans les plaines chaudes et facilement irrigables, la moitié du sol cultivabte lui est
réservée et l'on obtient, en moyenne, deux récoltes annuelles. Mais les montagnes de
l'Ouest et da Sud ont aussi leurs rizières étagées sur les t>entes des vallées. L'eau de
la rivière, captée dans la partie supérieure, est amenée Par des rigoles jusqu'aux champs
les plus élevés d'où elle gagne les rizières d'en bas. On ne fait qu'une récolle, et le ren
dément à l'hectare est bien moindre <rue tfoni les plaine». Noter le ravinement intense
des monis déboisés qui encadrent la vallée.
DANS LES EAUX DU YANG-TSEU. Celte photographie prise à Han-Kéou
montre de quelle importance est la navigation fluviale dans la Chine du Centre. Tous
les transports se font par voie d'eau. Grandes jonques à voiles, petits sampans mus
à la rame, longues pirogues tmplot/ées dans les fêta, radeaux débordant de marcfum'
dises, vapeurs à hauts bords se pressent aux rives basses du grand fleuve. Des milliers
d'individus, commerçants, pécheurs, marins, fabricants de barques, de cordes, de toile
à ûoilei, coolies err^ttlovés à remorquer les navires, etc., vivent uniçuanenl de la
pêche, du trafic fhwùil et de* nudtiples industries annexe*.
343
L'ASIE
PAYSAGE DE MANDCHOURIE. Si l'on met à part les plaines gui occupent
le centre de la depjessian'mandchoue, tout le reste du pays est couvert de collines ou
de montagnes où les roches' volcaniques se mêlent aux granits et dont l'aspect rappelle
nos paysages familiers du Massif Central. CI. Chusseau-Flaviens.
UN PONT DE LA LIGNE TRANSMANDCHOLRIENNE. Pour achever
le Transsibérien, les Russes obtinrent de la Chine le droit de construire la dernière
section de la voie à travers la M andchourie. C'était un raccourci considérable et un
moyen d'établir solidement l'influence rune sur les riches terres de la Mandchomie.
%l^^'
'
- ~~^^JÊÊ^:.
CORDONNIER CHINOIS. L'un des innombrables
artisans Qui, mêlés aux marchands ambulants, aux men-
diants, diseurs de bonne aventure, eic, exercent leur
métier dans la tue. Cl. Chusseau-Flaviens.
i^
FEMMES MONGOLES D'OURGA.
Paisibles descendantes de ces terribles
Mongols <jm jouèrent un tel lôle dans
l'histoire de la Chine et dit monde.
^ï
t
UN ATELIER DE CLOISONNER! ES. La Chine
excella de très bonne heure dans l'art délicat de la porce-
laine. On connaît la beauté et le prix des chefs'd'auvre
sortis de ses a/e/iers (Toufre/ow. CI. JacqueS DU Taufat.
E.V-B.iJ'vQUEMENT DU COTON. U climat et le sol de la Chine conviennent
fort bien à la culture du colon. On en fait en Chine même une énorme consomma-
t'cTi, car U Chinois ne se vêt que de cotonnades et de soienes. Le reste est exporté
purtaiil à destination des manufactures japonaises. CI. D^ P. Richard.
LES .ACIÉRIES D'HAN-YANG. La grande industrie à l'européenne se développe
en Chine, favorisée par l'abondance du charbon, le bon marché de la main-d'auvre.
Outre les manufactures de soieries et colonnades à Chang'Htà, Ccmlon, etc., de
grandes aciéries ont été créées à Han-Yang près de Han-Kéou.C\ HarLINCUe.
344
LA CHINE
~ Frontière*}..
' Paient ferrécv
LA MANBCIHIOUMIE
CARTE ÉCONOMIQUE
CounvJeau II
navu/ablea, ||
^^)S^^^
construisent une cabane de roseaux et travaillent la terre
féconde.
Grâce à eux, la Mandchoune devient peu à peu le
grenier de la Chine du Nord et de la Sibérie orientale,
du Japon même. La seule plaine du Soungari produit
déjà 40000000 d'hectolitres de blé (les deux tiers de la
production française). Le haricot ' soya ", que l'on con-
somme au naturel ou que I on transforme en huile et
tourteaux pour le bétail, l'avoine, l'orge, le gaolian ",
espèce de millet à très haute tige qui joua un grand rôle
lors de la guerre russo-japonaise, les pommes de terre,
les fruits d'Europe, le tabac, réussissent à merveille sur
ce sol vierge, où les pluies d'été tombent juste à temps
pour hâter la maturation. Le riz lui-même se cultive, au
moins dans les districts du Sud. L'élevage (bœufs, mou-
tons, chevaux de race robuste, chameaux à longs poils),
pratiqué non par les Chinois, mais peu" les Toungouses
et les Mongols, peut avoir un magnifique avenir, du jour
où les troupeaux seront protégés contre les épizooties dé-
sastreuses qui les déciment trop fréquemment.
Enfin, malgré une prospection tout à fait insuffisante,
il apparaît que les ressources minières ne le cèdent point
à celles de la Chine. L'or exploité par le Gouvernement
chinois, ou par les bandes de brigands Khoungouses
qui se réservent le secret des placers dispersés dans la
montagne, se trouve surtout dans les régions du Khingan,
du Chan- Aline, aux rives de l'Amour. La houille s'ex-
trait aux environs de Ghirin. Fer, cuivre, manganèse,
plomb, soufre, sont signalés un peu partout.
La mise en valeur des ressources de la Mandchoune,
déjà facilitée parla longueur du réseau navigable (Amour.
Soungari-Nonni, Oussoun). s'est trouvée grandement
accélérée à partir de 1909 par la construction d'impor-
tantes voies ferrées. Les Russes y firent d abord passer
la dernière section de leur Transsibérien qui, par Khaïlar,
Tsitsikar, Khatbin et Ningouta, gagne Vladivostok. De
Kharbin, une bifurcation se dirige vers le Sud, passe à
Moukden, Kintchéou-fou, pénètre en Chine à Chan-haï-
Kouan et aboutit à Pékin. Enfin, de Moukden on peut
atteindre, soit Port-Arthur \ l'extrémité du Kouang-
Toung par Niou-tchouang et Daïren (la Dalny russe),
SDit la Corée, puis le Japon, par la ligne Liao-Yang,
.'Xntoung, Séoul, Fousan. Ainsi, la Mandchoune appa-
raît comme la ' plaque tournante " de l'Extrême-Orient,
et, de ce fait, ses progrès économiques ont été relative-
ment beaucoup plus rapides que ceux de la Chine même.
Il y faut ajouter, il est vrai, l'influence d'un élément
étranger : russe au Nord, japonais au Sud qui, à peu
près débarrassé des multiples entraves que les Chinois
de Chine opposent aux " Barbares", agit en maître et
donne aux affaires une activité encore inconnue des vrais
fils de H an.
Moukden la "' florissante", berceau de la dernière
dynastie chinoise, est la cité la plus considérable de
Mandchourie. Elle renferme 160000 habitants environ
dans sa vaste enceinte close de murailles de briques, et
son aspect ne diffère en rien des villes chinoises précé-
demment décrites. Liao-Yang (80 000 habitants) et
céoCRAPHIE UNIVERSEIXE.
345
34
L'ASIE
Antoung, sur la voie qui mène en Corée, Niou-
Tchouang (50000 habitants), et son avant-port de Ying-
tsé (60000 habitants), débouché des plaines du Liao-ho,
se développent rapidement grâce aux lignes ferrées qui
les desservent. Pour la même raison, Tchang-tchoung,
hier encore médiocre petite ville, et Kharbin, simple
hameau, ont atteint promptement, l'une 80000, l'autre
60000 habitants. Kharbin surtout, aux rives du Soun-
gari, au point de croisement des voies ferrées transmand-
chouriennes, entourée par les plaines les plus fertiles de
la Mandchourie, centre du commerce et de l'influence
russe, déjà dotée de brasseries, d'huileries, de minoteries,
parait destinée au plus brillant avenir. Ghirin, chef-lieu
de province et vieille ville guerrière, fête de ligne de la
navigation sur le Soungari, reliée par un embranchement
au Transmandchourien, compte ISOOOOhabitcUits. Tsit-
sikar (80000 habitants), Bédouné (20000 habitants),
Ningouta (50000 habitants), anciens marchés célèbres
par leurs foires aux chevaux, aux moutons, aux fourrures,
sont à leur tour entraînées dans le mouvement général
né de l'apparition du rail.
En 191 5, le commerce total de la Mandchourie dé-
passait I 000000000 de francs (315000000 aux im-
portations, 7 1 2 000 000 aux exportations). Pour l'année
1919, les chiffres donnés par les statistiques anglaises sont
de £ 44 800 000. pour les importations, et £ 40 500 000.
pour les exportations. Les blés et les farines destinés à
la Sibérie orientale, à la Chine, au Japon, les huiles, les
hciricots soyas " et les tourteaux de haricots, les four-
rures, les peaux et cuirs, l'or, constituent les principaux
cirticles d'exportation. Les denrées destinées à la Sibérie
empruntent naturellement surtout la voie ferrée ou la
voie fluviale (Soungari et Amour). Le reste s'expédie
par les ports mandchous de Niou-tchouang-Ying-tsé
et d' Antoung ou par le port japonais de Daïren (voir
le chapitre consacré au Japon.
CHAPITRE XXV
L'ASIE INTÉRIEURE
MONGOLIE, TURKESTAN CHINOIS, TIBET
La Mandchourie nous offrciit encore le spectacle d'une
terre fertile, déjà pourvue d*une dense population d'agri-
culteurs sédentaires, dotée de voies ferrées, ouverte à
la circulation moderne. Si, nous dirigeant vers TOuest,
nous franchissons la barrière du Grand Khingan, un
monde nouveau s'ouvre devant nos yeux. C'est l'Asie
intérieure, couverte de steppes» de déserts, de mon-
tagnes formidables, de plateaux sans fin, domaine long-
temps inviolé du nomade, sombre royaume de la soif,
des tempêtes et de la mort.
De multiples explorations se sont efforcées d'en pénétrer le
secret. A peine cependant commençons-nous à déchiffrer les carac-
tères les plus saillants de sa structure, à connaître avec quelques
détails la nature. les moeurs, !a vie, la race de ses habitants, à
entrevoir le passé de ces immensités mystérieuses d*où, par une
inexplicable anomalie, tant de conquérants sorluent : Huns, Turcs,
Tatars, Mongols, pour se ruer à la conquête du monde, et, du
Danube au Décan, de la Volga au Pacifique, plier sous leur joug
les populations paisibles des plaines riches en grain. L'aridité du
sol, la rudesse du climat, la difficulté et la longueur interminable
des pistes que peuvent suivre les caravanes, l'hostilité des hommes
enfin, tout s'oppose à la reconnaissance complète de ces vastes
espaces jetés comme une barrière colossale entre les foyers
d'huraémité, les zones d'attraction, de vie intense que constituent la
Chine, Tlnde, l'Europe. Terres d'élection pour les explorateurs
aventureux, leur importance économique est nulle, et rien ne fait
prévoir qu'elles pourront jamais en acquérir. Même les caravanes
qui, aux temps très anciens.animaientleurs solitudes, — lorsque la
Rou.te de la Soie à travers les déserts mongols était la seule voie
unissant la Sérique à la Bactrianc, le pays de Cathay à Trébizonde
— ont à peu près disparu depuis que les courants commerciaux
atteignent la Chine par la mer et le Transsibérien. Plus rien ne
vient troubler le " silence éternel de ces espaces infinis ". Aussi
bien leur description sera-t-elle brève.
LA MONGOLIE
La Mongolie, comprise entre la Sibérie, le Turkestan
chinois, le Tibet, la Chine et la Mandchourie, a des li-
mites fort imprécises qui, nulle part, ne correspondent
exactement à ce que l'on appelle des frontières natu-
relles. Au Nord, elle renferme les bassins supérieurs de
1 Irtych, de l'iénisséi, de l'Amour, fleuves sibériens. A
l Est, elle déborde par delà le Grand Khingan jusqu'au
cœur de la dépression mandchoue. Au Sud-Est, la ligne
frontière sino-mongole coupe à deux reprises la grande
boucle du Fleuve Jaune. A l'Ouest, le couloir de Dzoun-
garie, qui mène au Turkestan russe, est partagé politi-
quement entre Mongolie et Kansou-Smkiang (nouvelle
dénomination officielle du Turkestan chinois). On estime
à 3500000 kilomètres carrés la surface ainsi délimitée.
346
L'ASIE INTÉRIEURE
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
La Mongolie du Nord ou Mongolie exte'rieure est
accidentée par de nombreux et puissants massifs : l'Altaï
qui porte à 4500 mètres ses pointes suprêmes (monts
Biélouclca. Tjtfbyn-Bogdo-Ola), vêtues de neiges e'ter-
nelles et de glaciers aussi considérables que ceux du
mont Blanc ; les monts Saian, Tannou-Oula (3000 mè-
tres), Khangaî (3 600 mètres ), Kenteï (2 500 mètres) . etc .
Des pluies suffisantes entretiennent au flanc des monts
dépciisses forêts de conifères mêlés de bouleaux aux-
quelles succèdent, dans les vallées, des steppes propres
à l'élevage et même à la culture. Ellles nourrissent aussi
tout un réseau de nvières rapides dont les unes se perdent
dans la dépression lacustre de Kobdo (lacs Khara,
Dourga, Oubsa), tandis que les autres : Irtych, lénisséi,
Selenga, s'ouvTentun chemin vers les plaines sibériennes
et le lac Baïkal. C'est la partie vitale de la Mongolie,
celle qui fut le centre de la puissance des grands Khans
(les ruines de leur capitale : Karakoroum, où résida
Marco Polo, subsistent aux rives de l'Orkhon, affluent
de la Sélenga). Ses relations naturelles s'établirent bien
plutôt avec la Sibérie qu'avec la Chine et ceci explique
les efforts faits par les Russes pour y supplanter la do-
mination chinoise.
Le reste de la Mongolie se présente sous la forme
d'un immense plateau, haut d'un millier de mètres en
moyenne, et légèrement incurvé vers le centre. Les Chi-
nois le nomment Han-haï (la mer desséchée) et il est
possible, en effet, qu'une mer intérieure, analogue à la
Caspienne, en ait recouvert la majeure pjutie. Parfois,
sur des centaines de kilomètres, le sol fait de sable et de
cailloutis, amalgeimés par des lits d'argile, s'étale sans une
ride jusqu'à l'extrême horizon. Ailleurs, surtout à l'Ouest,
des crêtes dentelées, déchiquetées par l'érosion, prolon-
gements extrêmes de l'Altaï mongd, accidentent ces
mornes étendues, tour à tour soumises aux froids terribles
d'un long hiver ( — 26 de moyenne en janvier à Ourga)
et aux cirdeurs d'un été où la transparence, la sécheresse
de l'ciir rendent plus vive la brillure du soleil.
La pluie n'est pas tout à fait absente, et les averses
orageuses de l'été déversent même, au moins sur les ré-
gions du pourtour, de 25 à 35 centimètres d eau. Aussi
ce " Sahel " mongol a-t-il quelques ouaddys qui se perdent
sous les sables, et des steppes aux courtes herbes où
nomadisent les troupeaux. Mais le centre est à peu près
dépourvu de pluie. C'est le Gobi des Mongols, le Chamo
des Chinois, dernier anneau de cette large chaîne de dé-
serts, qui, de l'Atlantique au Pacifique, traverse tout
l'Ancien Monde, pas le Sahara, l'Arabie, l'Iran, les
Tiukestans russe et chinois. De rares puits, creusés à
grandes distances les uns des autres au fond des cou-
loirs de sable, marquent les élapes des caravanes. Quel-
ques graminées dures : le dyrissoun, un arbuste : le
saxaoul. dépourvu de feuilles, aux branches revêtues
d'écaillés, apparaissent ça et là aux revers des dunes,
seules plantes qui, par une sorte de miracle perpétuel,
parviennent à vivre dans une telle aridité.
GEOGRAPHIE HUMAINE
Les habitants ? On estime leur nombre a 2000000
ou 3000000, chiffre insignifiant pour un pays sept fois
grand comme notre France. Le fond de la population se
compose de Mongols : Kalmoucks à l'Ouest, Khalkas à
l'Elst, Bouriates au Nord. Ces descendants dégénérés
des compagnons d'Attila, de Gengis-Khan, de Tamer-
lan, sont des hommes de stature moyenne, aux yeux
légèrement bridés, aux pommettes sciillcintes, aux rudes
cheveux noirs, à la peau brune ou jaune pâle. Ils vivent
en nomades, déplaçant de pâturages en pâturages leurs
yourtes, tentes rondes formées d'un clayonnage de roseaux
couvert de feutre ou de peaux de bêtes. Ils se nourrissent
natureUement du lait et de la chair de leurs troupeaux ;
moutons, bœufs, chameaux à longs poils, yacks, chevaux,
leur unique ressource et leur seul objet d'échange. Ils
ont complètement perdu les mœurs guerrières, le goût
d'aventure de leurs ancêtres. Du reste, le bouddhisme
UmaTque, dont ils sont de fidèles sectateurs, a multiplié
chez eux les prêtres en nombre tel qu'un tiers de la po-
pulation mâle se compose de lamas fainéants, vivant
oisifs dans leurs couvents fortifies sous la cLrection du
Koutoukta " ou Greind Lama d'Ourga. Les antres ne
seraient plus, suivant le commandant de Bouillanne de
Lacoste. " qu'un sordide ramassis d'ignorants, de brutes,
de lâches et de paresseux, sans curiosité d'esprit, dé-
munis des connaûssances les plus élémentaires, et condam-
nés à disparaître sous l'afflux des Chinois .
Les seules petites agglomérations urbaines sont des
marchés alignés au Nord et au Sud du Gobi. Au Nord.
Ourga (20000 habitants), " la ville des millionnaires du
thé" et le principal centre religieux des Mongols, dut
une réelle prospérité aux caravanes qui. parties de Kal-
gan. portaient en Sibérie les ballots de thé en briques.
Ce transit est de%'enu insignifiant depuis que les thés de
Chine empruntent le Transsibérien. Ouliasoutaï et
Kobdo, à l'Ouest d'Ourga. jalonnent une autre piste éga-
lement désertée par où l'on gagnait la Sibérie occiden-
tale. Au Sud, les oasis de Lian-Tcheou, Kan-Tchéou.
Sou-Tchéou, Ngan-Si, Khami, conduisent au Kan-Sou
chinois ou Turkestan.
347
L'ASIE —
Après avoir longtemps fait trembler la Chme sous la menace
d'invasions que la Grande Muraille fut trop souvent incapable d'ar-
rêter, la Mongolie, déchue, dut à son tour se plier à la suprématie
des fils de Han. Elle devint une " colonie " chinoise, et les chefs
des tribus mongoles prêtèrent hommage à l'Ejnpereur qui se fit
représenter par des " ambans " ou résidents. Au XIX*^ siècle, cette
dépendance, d'abord plus théorique qu'effective, tendit à devenir
plus étroite. Les colons chinois, en effet, arrivèrent en grand nombre
sur le pourtour méridional de la " mer des herbes ". A force d'in-
géniosité, ils y créèrent une série de petites oasis où iU cultivèrent
Torge et le blé. D'autres, franchissant le Gobi, s'installèrent dans
les vallées du Nord, entre Ourga et la frontière sibérienne. Cette
" invasion pacifique **, soutenue par le Gouvernement de Pékin,
inquiéta la Russie qui n'eût pas été fâchée de trouver en Mongolie
des compensations à ses déboires de Mandchourie. Elle agit avec
vigueur auprès des chefs Mongols du Nord, auprès du Grand
Lama d*Ourga,créa peu à peu un courant favorable à ses desseins.
Aussi, en 1912, la Mongolie extérieure profita de la Révolution
Chinoise pour se déclarer plemement autonome, et, en 1915, un
traité conclu entre la Chine et la Russie consacra celte autonomie.
Politiquement la Mongolie se trouvait divisée en deux tronçons
correspondant, du reste, a d'incontestables réalités géographiques.
La Mongolie méridionale au Sud du Gobi, peuplée d'une majo-
rité de Chinois agriculteurs, en relations naturelles et constantes
avec les provinces du Kan-Sou,du Chan-Si, du Tché-Li, demeurait
soumise à l'autorité de Pékin. Le Nord, la région des montagnes
boisées, des rivières qui descendent vers la Sibérie, devenait une
République Mongole ne conservant plus avec la République
Chinoise que de très vagues liens de vassalité. La Chine renonçait
au droit de la coloniser, d'y entretenir des forces militaires, etc.
Par contre, la Russie obtenait des avantages économiques, poli-
tiques et commerciaux qui devaient, dans un avenir rapproché,
transformer la nouvelle République en une simple dépendance de
la Sibérie. Depuis lors les événements de Russie ont modifié la situa-
lion. En novembre 19 14, la Chine déclara nuls et non avenus les trai-
tés précédemment conclus aussi bien entre le gouvernement chinois
et le gouvernement russe qu'entre la Russie et la Mongolie. Elle
replaça donc — théoriquement tout au moins — la Mongolie
extérieure sous sa suzeraineté. Toutefois le P^ février 1921, les
Mongols se sont donnés comme roi le Grand Lama d'Ourga et ont
proclamé à nouveau l'indépendance de leur pays- Les choses en
sont là présentement (décembre 1921).
DZOUNGARIE ET TURKESTAN CHINOIS
A l'Ouest, la Mongolie s'ouvre sur les plaines de
l'Asie Occidentale par une série de dépressions comprises
entre les chaînes de l'Altaï et du Tian-Chan. C'est la
porte de Dzoung£irie, d'altitude inférieure au plateau
nwngol, mais de climat et de nature à peu près sem-
blables. Son importance histonque fut considérable :
par cette trouée naturelle se déversèrent autrefois les
grandes migrations hunniques et mongoles. De nos
jours, les Dounganes musulmans, métis de Khirgiz,
de Turcs, de Mongols, nomadisent dans les steppes
semées de lacs saumâtres où se perdent quelques tor-
rents descendus des monts voisins. Assez nombreux
pour constituer aux XVII® et XVIII® siècles un Etat puis-
sant, ils furent soumis par la Chine, puis en grande
pcirtie exterminés à la suite d'une révolte provoquée par
les exactions des fonctionnaires chinois.
Les principaux marchés où s'arrêtent les cc^avanes se
situent, soit au pied du Tian-Chan et des monts Tarba-
gataï (Ouroumtsi, Manas, Dourbouldjin), soit surtout
dans la haute vjJlée de l'Ili (Kouldja, Souidoum), qui,
plus chaude, mieux curosée, a reçu un bon nombre
d'émigrants chinois.
Au Sud-Ouest, le couloir du Peï-chan, dominé par
la double muraille du Tian-chan et du Nan-chan,
conduit au Turkestan oriental qui porte aujourd'hui le
nom officiel de Kansou-Sinkiang. C'est un immense
bassin d effondrement d'une cJtitude moyenne d'un mil-
lier de mètres (1300 à Kachgar, 780 au Lob-Nor),
ceinturé de montagnes qui prennent rang parmi les plus
considérables du monde. Au Nord, le Tian-chan culmine
par 7 350 mètres au Khan Tengri. A l'Ouest, le rebord
oriental des Pamirs atteint 7 850 mètres an Mouz-Tagh-
Ata, le père des Monts de Glace ". montagne sacrée
des mdigènes. Au Sud, le Kouen-Lunetses diramations,
Altyn Tagh, Astyn-Tagh, Oustoun Tagh, renferment,
eux aussi, nombre de sommets qui approchent ou dé-
passent l'altitude de 7000 mètres, et les cols qui, vers
le Sud, mènent aux plateaux tibétains, ne sont jamais
inférieurs à 5000 mètres.
Le centre de la dépression est occupé en entier par
les sables du Takla-Makan, l'un des déserts les plus
absolus, les plus effroyables du monde.
Le grand explorateur Suédois, Sven Hédin, qui tenta
de le traverser dans la pasbe la plus étroite, y perdit les
deux tiers de sa caravane et faillit y périr lui-même de
faim et de soif.
LES RÉGIONS HABITEES, aa Les seules
régions habitables se trouvent dans la zone sise entre la
base des monteignes et les premières dunes. Les torrents
nourris péir les neiges et les glaaers, captés, à leur
débouché des gorges, par des canaux d irrigation, portent
la vie dans une série d'oasis. Les caravanes qui viennent
du désert ou des montagnes sauvages saluent avec des
transports de joie l'éclatante verdure des grands arbres ou
se nichent les petites maisons blanches et d'où jaillissent
les mincirets des mosquées. Si l'hiver est encore fort rude
(de 6** à lO"' au-dessous de zéro en moyenne), l'été
très chaud (de 26° à 28° à Yarkand) permet la culture
de toutes les céréales, des arbres à fruits (abricotiers,
noyers), du mûrier, du cotonnier même. Les torrents du
Sud perdent promptement dans les sables le peu d eau
que les champs n'ont pas bu. Ceux de l'Ouest et du
Nord-Ouest, beaucoup plus abondants et soutenus par
les glaciers du Kara-Koroum, des Pamirs, du Tian-chan
s'unissent en un seul collecteur, le Tarim.
348
L'ASIE INTÉRIEURE
TIBÉTAINS. Les immenses soUtudu du Tibet sont très faiUanent pelées <^e '"*««•
en oor/ie nomades, appartenant à l'un des rameaux de ta grande famille j'atme. Endur-
cis par la rudesse du climat et la pénible existence qu'ils sont contraints de mener
le» Tibétains sont robustes, très résistants à la fatigue et aux privations. Par aillems.
ils ont un caractère hospitalier, aimable, cl les explorateurs sont unanimes à louer
leur douceur, leur humanité, leur patience. Ils se vêlent d'étoffes de feutre, de peaux
d'animaux et, suivant les brusques changements de la température, ils découvrent ou
abritent laa torse. Tirer la lanow r\f Ifur i.unn <ir uilurr.
349
L'ASIE
SUR LES HMJTS PLATEAUX.DU 1 IBE r. Li vue al prise par pim Je 4 000
mètres d'altitude dans un de ces larges (ouloirs. au soi.de caïUoulis, souvent spongieux,
parsemé de lacs généralement salés, qui s'allongent entre des arêtes neigeuses. Le Tibet
nesl pas. ene0et, une surface uniforme^ soulevée ou affaissée en bloc, mais une succes-
sion de chaînes parallèles Qui furent longuement attaquées par ierosion et dont les
débris, demeurés sur place, ont fini par combler en partie les anciennes vallées. Aucune
trace de végétation sauf quelques mousses et graminées sèches qui suffisent à la nour-
riture des yaks. Cl. Brockhaus.
LE BOD.ALA A LHASSA Le Bodala est un gigantesque couvent, qui serf de
résidence au Datai Lama, vivante incarnation de Bouddha, à la fois pape de tous
les Bouddhistes et roi du Tibet. Les monastères de ce genre abondent dans tout le
Tibet où un tiers de la population totale mène la vie conventuelle.
UNE RUE A YARKAND. La plus peuplée et la plus productive des oasis du Tur-
kestan chinois est celle de Yarkand.De l'époque gréco-romaine jusqu'au X\'ll^ siècle.
elle eut. comme marché de transit entre les produits d'Extrême-Orient et ceux de
l'Occident, une très grande importance économique.
MOINES DU COUVENT DE
MESDOHG. Types de cesinnom-
hrablei Tibétains qui se consacrent
à la vie monastique.
YAKS PORTEURS. Le yak est un bovidé accoutumé aux très hautes alti-
tudes. Il est très robuste, a le pied aussi sûr qu'un mulet et se contente d'une nour-
riture fort médiocre, fl rend donc les plus précieux services aux indigènes du Tibet,
et les explorateurs Tutilisent comme animal de bât.
PÈLERINES AU TIBET. Pen-
dant de longs fours, elles cheminent
ainsi dans les solitudes glacées, en
route pour le sanctuaire vénéré.
L'ASIE INTERIEURE
Long de 1 800 kilomètres, la fonte des neiges lui
donne, en juin, des crues formidables; l'hiver, ses eaux,
très réduites, sont prises par les glaces de novembre à
meu^. A mesure qu'il avcmce vers l'Est, l'évapioration,
très active dans une atmosphère extrêmement sèche,
l'amaigrit de telle sorte qu'il n'est pas capable de nourrir
un vrai lac. Le Lob-Nor, où il se termine, apparaît, en
effet, comme une sorte de chott " sans profondeur,
de limites indécises et changeantes, envahi par le sable
et les roseaux, et sur lequel les indigènes trouvent à peine
assez d'eau pour faire flotter leurs canots. Sans doute
n'en fut-il pas toujours ainsi. Les annales chinoises parlent
du Lob-Nor comme d'une sorte de petite mer inte'rieure.
Marco Polo nous le dépeint de la même façon , et les ruines
de nombreux villages envahis par les sables témoignent
qu'une vie assez active put se de'velopper sur ses bords.
LES RACES. i30 Les habitants (1000000?)
appartiennent à toutes les races de l'Asie : Mongols.
Turcs, Sartes ou Teirantchis, Kalmouks, Kirghizes,
Afghcms, Hindous, Chinois se rencontrent, depuis des
millénciires, dans ce carrefour naturel de l'Asie Centrale.
Al'e'poque gréco-romciine, les marchemds grecs, franchis-
sant les Pcunirs, venaient à Issedon Senca (Khotan)
prendre la soie, les produits pharmaceutiques, les pierres
précieuses, etc., cunenés peu- les négociants chinois. Duréint
tout le Moyen Age, la " Kachgarie "conserva la même
valeur économique comme lieu d'échange entre l'Occi-
dent et l'Elxtrême-Orient. De nos jours, l'importance du
trafic international a considérablement décru. Cependant,
des relations assez actives continuent entre les deux Tur-
kestans, le russe et le chinois, pjir la passe de Terek-
Davan. Dans la montagne et sur les rives du Teurim,
réguhèrement inondées, de bons pâturages sont par-
courus par les bergers Kirghiz et les Kalmouks. Les
oasis du " Piedmont " renferment une population
d cigriculteurs et de commerçants. La langue courante
ne diffère pas du dialecte turco-tartare parlé au Tur-
kestan russe, et la religion dominante est l'islam qui
supplanta peu à peu le bouddhisme à partir du ix" siècle
de notre ère.
Yarkand, avec 100000 habitants, est aujourd'hui la
plus importante des oasis. Après elle, viennent Kachgar
(50000 habitants), Khotan (5000 habitants). Nia,
Kéria, Tcherchen au pied du Kouen-lun, Maralbachi,
Aksou, Koutchar, etc., à la base du Tian-Chan. Au
milieu des plateaux qui terminent, a l'Est, les monts
Tian-Chan, la curieuse dépression de Tourfan se creuse
à 50 mètres au-dessous du niveau des mers.
Des archéologues français et anglais (MM. Pelliol. Aurel
Stein) ont (ait dans tout le Turkestan des fouilles d'un considé-
rable inlérêl. Sous les sables qui les recouvrent ils ont mis au jour
des temples, des maisons particulières, qui. grâce à l'extrême
sécheresse de l'air et du sol, conservaient intacts des documents de
toutes sortes (manuscrits par milliers, soieries, bronzes, bois Ira.
vailles, statuettes, broderies, fresques murales, etc.). L'étude de
ces documents commence à projeter quelque clarté sur l'histoire
obscure de ces régions : tracé exact des anciennes routes commer-
ciales, influence de l'art grec ou gréco-bouddhique, expansion du
bouddhisme avant l'intrusion de l'islam, déplacements des anciennes
populations nomades, etc. Des recherches de celte sorte permet-
tront peut-être aussi de résoudre le problème fort controversé du
dessèchement progressif de l'Asie Centrale pendant la durée des
temps historiques.
LE TIBET
Quel est donc le charme redoutable de ce pays ou
toujours sont retournés ceux qui l'avaient une fois en-
trevu? Pour retrouver ses montcignes et ses hommes, on
repasse la mer, on traverse des royaimies entiers au pas
lent des chevaux et des mules. On arrive cJors dans
des déserts glacés, si hauts qu'ils ne semblent plus appar-
tenir à la terre, on escalade des montagnes affreuses,
chaos d'abîmes noirs et de sommets blancs qui baignent
dans le froid absolu du ciel. On y voit des maisons pa-
reilles à des donjons massifs, toutes bourdonnantes de
prières, et qui sentent le beurre rance et 1 encens. Ce
pays est le Tibet, pays de pasteurs et de moines, inter-
dit aux étrangers, isolé du monde et si voisin du ciel que
l'occupation naturelle de ses habitants est la prière.
(J. Bacot.)
Pays étrange: c'est incontestable. Pays charmeur :
c'est une autre affcùre !
Les premiers renseignements que nous eûmes sur le Tibet
proviennent du missionnaire franciscain Oderic de Pordenone qui
tenta de l'évangéliser au Xtv" siècle. Du WIi"^ au milieu du
XIX* siècle, d'autres missionnaires (Antonio de Andrade, d'Or-
ville, délia Penna. les pères Hue et Gabet) traversèrent les régions
orientales, séjournèrent à Lhassa, la capitale, et donnèrent de leurs
voyages de précieuses relations encore fort utiles à consulter. Puis
le Tibet se ferma aux étrangers. L'accès de Lhassa fut surtout
jalousement interdit. Cependant une pléiade d'explorateurs euro-
péens : les Russes Prjevalsky. Kozioff. Croum-Grjimallo. les
Français Bonvalot, Prince Henri d'Orléans. Dutreuil de Rhins,
Grenard. Bonin. Bacol, les Anglais Caray. Dalgleish. le Suédois Sven
Hédin. etc.. purent, en surmontant d'incroyables dilBcultés. rayer
de leurs itinéraires les espaces inconnus du " Toit du Monde
Des Hindous, les " pandits", dressés à la lâche d'explorateurs par
le service lopographique et désignés, pour éviter les soupçons, par
des lettres ou des numéros (A. K, N" 7, elc), se joignirent aux
caravanes de marchands ou de pèlerins, entrèrent dans les villes
saintes, complétèrent de la sorte les résultais obtenus par les Euro-
péens. Même une expédition militaire anglaise pénétra à Lhassa
en 1904. Certes, de vastes " blancs " subsistent encore sur les
caries à grande échelle; les neuf dixièmes du pays demeurent en
fait inexplorés. Néanmoins, les principaux problèmes géographiques
(réseaux hydrographiques, grandes chaînes de montagnes, etc.) se ^
résolvent peu à peu, et nous pouvons nous faire une idée générale
suffisamment exacte de ce qu'est le Tibet,
351
L'ASIE
SQUELETTE OROGRAPHIOUE
^
»€!3Ss
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
PLATEAUX ET MONTAGNES, j^js) Du
Pamir, nœud orographique du Continent asiatique, par-
tent vers l'Orient deux puissants systèmes montagneux :
le Kouen-Iun au Nord, la Karakoroum et l'Himalaya
au Sud. D abord confondus dans un formidable chaos
de chaînes très rapprochées que domine la pyramide du
Dapsang (8620 mètres), ces deux systèmes s'éccirtent
peu à peu l'un de l'autre, décrivant deux gigantesques
arcs de cercle en forme de pince de crustacé. Ils
délimitent ainsi un losange long de 2600 kilomètres,
large de 450 à I 800, dont l'aire totale ne couvre pas
moins de 8000000 de kilomètres carrés. Tandis que, à
1 extérieur de ces rempetfts colossaux, s'affeiissent les dé-
pressions du Turkestan. de l'Inde, des plaines chinoises,
l'intérieur se maintient à une altitude moyenne de 4 000
à 5 000 mètres. Ainsi se justifie l'appellation de Toit ou
TeiTasse dn Monde donnée au Tibet par les Orientaux.
Le Tibet n'est pas, à proprement parler, un plateau,
352
c'est-à-dire une surface à peu près uniforme, soulevée
ou affaissée en bloc entre deux plissements. II apparaît
bien plutôt comme une succession de chaînes pareJlèles
qui furent à l'origine isolées les unes des autres par des
vais profonds. Mais l'érosion les attaqua et leurs débris
s'accumulèrent à leur pied. La sécheresse du climat, au
moins dans le Centre et le Nord, ne permit pas la
formation de cours d'eau capables d'entraîner vers la mer
ces produits de la désagrégation des roches. Ils demeu-
rèrent sur place et comblèrent en partie les vallées dont
le niveau se haussa tandis que les chaînes s'abaissaient.
Ainsi la surface du Tibet central, primitivement sem-
blable à quelque colossal Jura, se transforma en une
pénéplaine ", une masse formidable de débris d'où
émergent les arêtes des monts. Si l'on suit de l'Ouest
à l'Est le tracé des VcJlées d'autrefois, on peut cheminer
pendant de longs jours, sur de larges couloirs, très
évasés, au sol meuble, souvent spongieux, parsemé de
lacs innombrables généralement salés, qui dorment entre
4 000 et 5 000 mètres d'altitude sous le ciel glacé. Mais, si
l'on veut traverser le Tibet du Nord au Sud, c'est par
diztiines que se dressent successivement devant les
explorateurs les arêtes aux rocs noirs poudrés de neige,
où les caravanes, épuisées par le froid, la faim, la rôu"éf ac-
tion de l'air, doivent se frayer un passage hassu^deux. Ces
arêtes atteignent en moyenne 6000 mètres et plus.
Cependant elles ne dépcissent guère que de 1 000 à
I 500 mètres le niveau moyen des couloirs logés entre
leurs flancs, et leurs crêtes émoussées sont traversées de
cluses nombreuses.
A l'Ouest et au Midi, ces conditions se modifient. Les
vents de mousson apportent des averses suffisantes pour
provoquer la formation de grcinds cours d'eau : Indus-
Sutledge, Tsanpo ou Brahmapoutra supérieur, Salouen,
Mékong, Yang-Tseu. Poussamt leurs têtes toujours plus
avant, captant les lacs, entraînant les débris que l'écla-
tement des roches, sous la double action du soleil et du
gel, entasse au pied des crêtes, ils ont non seulement
déblayé, mais approfondi les vallées primitives. Aussi
retrouve-t-on, aux confins de la Chine et de I Inde, ce
caractère très net de " veigues de plissement " que le
Tibet centrcJ dissimule sous l'aunoncellement de ses
propres ruines. Les routes qui, partant du Sseu-Tchouen,
se dirigent vers la Birmanie, l'Assam.ou Lhassa, doivent
tour à tour escalader des arê'.es hautes de 6 000 mètres
et plus, puis descendre de 2 000 à 3 000 mètres dans les
gorges étroites où les fleuves et leurs affluents roulent
leurs eaux tumultueuses. Les mêmes difficultés attendent
celui qui veut gagner le Tibet central et la Kachgjirie en
prenant la plaine indo-gangétique comme point de départ.
Ainsi le tiers environ du Tibet envoie aux mers loin-
taines le surplus des eaux qui pcUT^iennent jusqu'à lui. Le
reste appcutient à cette zone de bassins fermés, sans
écoulement vers la mer, dcins laquelle se rangent la
Mongolie centrale, le Turkestan, l'Iran, etc. C'est d'abord,
au Nord-Est, la région du Koukou-nor, large zone
déprimée entre le Nan-chan et les monts Marco-Polo.
Les mareiis du Tsaïdam en occupent le centre. Le lac
de Koukou-nor se logea dans un cirque montagneux à
la fjase du Nan-chan. C'est aussi et surtout le Tibet
central que limitent l'Oustoun-Tagh et les monts Sven-
Hédin. Les arêtes qui le traversent portent sur nos
cartes les noms des explorateurs qui les découvrirent au
passage : monts Welby, Dutreuil de Rhins, Bonvalot,
Henri d'Orléans, etc. On ne les connaît point toutes, et
celles-là mêmes qui figurent dans nos atlas n'ont été
frcmchies qu'en de rares points très distants les uns des
autres. Quant aux lacs alimentés par la fonte des neiges,
il en existe un tel nombre que bien des années s'écoule-
ront encore avant que leur liste soit complète. Les
phis gremds : Tengri-Nor, Selling-Tso, Kiaring-Tso,
L'ASIE INTERIEURE
s alignent à la base septentrionale des monts Sven-
Hédin.
CLIMAT ET VÉGÉTATION, a a L'altitude
considérable du Tibet, les montagnes qui le ceignent,
son éloignement de toute mer déterminent les condi-
tions de son climat. La température y est naturellement
fort basse. Même au cœur de l'été, le thermomètre
s abaisse, la nuit, à plusieurs degrés sous zéro. En hiver,
il peut descendre à 20, 25 et même 35 degrés (sous
une latitude semblable à celle de l'Algérie). La sécheresse
de 1 air, la faible densité de l'atmosphère accroissent,
par contre, l'intensité de l'insolation, et la brûlure du
soleil est plus pénible encore que celle du froid. Le vent
souffle avec une violence, un acharnement tels que les
voyageurs sont unanimes à le considérer comme le pire
des fléaux. La nuit seule amène un peu de calme
qu interrompt le lever du jour. " Ses sifflements lugubres
emplissent sans trêve l'oreille comme la voix désespérée,
harcelante, hallucinante de ces déserts sans fin. On a
peme à se tenir à cheval : hommes et animaux, égale-
ment aveuglés par la mitraille de sable que chasse
1 ouragan, marchent la tête basse, à longues enjambées.
La figure se crevasse de gerçures profondes en dépit
des couches de graisse et de noir de fumée dont on
s'enduit, et, malgré les fourrures, le vent glacé s'insinue,
pénètre jusqu'à la peau, donne la sensation de pointes
d'aiguilles qui s'enfoncent dans la chair. " Pendant les
soixante-dix jours que la mission Bonvalot consacra à la
traversée du Tibet central pas une seule fois la tem-
pête de vent et de sable ne cessa de hurler !
Pluies et neiges ne tombent qu en très petites
quemtités : la beirrière de l'Himalaya arrête en effet les
vents de mousson. Au Tibet central, la couche de neige
dépasse rarement quelques centimètres. EJle fond du
reste vite, sous l'action directe des rayons solaires (entre
deux points placés l'un à l'ombre, l'autre au soleil, ladiffé-
rence de température peut atteindre une vingtaine de
degrés), s'infiltre dans le sol spongieux, ou se perd dans
les lacs. L'évaporation , accélérée par le vent, donne à
l'atmosphère une telle sécheresse que les cadavres
abandonnés sur la piste ne s'altèrent pas mais prennent
la dureté et la consistance du parchemin.
Ces caractères climatiques ne se modifient que dans
les vjJlées orientales, plus basses (de 2 800 à 3 800 mètres),
partant plus chaudes et surtout beaucoup plus humides,
car la mousson du Sud-Est les remonte de juin à
septembre et les arrose ^'averses assez copieuses.
La flore des régions les plus élevées ne se compose
que de mousses, de lichens, de petites herbes fines,
dures, si sèches qu'elles se brisent sous le pied et se
réduisent en poussière. EJle suffit cependant à la nour-
riture des animaux sauvages qui parcourent en bandes
353
. L'ASIE -^
nombreuses ces espaces déshérités, où l'homme ne les
pourchasse pas : yaks, bœufs, antilopes, ânes sauvages,
mouflons, chevrotins porte-musc, etc. Les indigènes ont
domestiqué le yak, le buffle, le chameau, la chèvre
et le mouton. Ils utilisent suivant le cas leur chair, leur
lait, leur poil, leur laine, ou les emploient comme
animaux porteurs. De plus, la crotte de yak, " l'argol ",
est le seul combustible en usage dans la majeure partie
du Tibet.
A l'Est et au Sud, les vallées mieux abritées, plus
humides, plus tièdes ont déjà, dans leur section supérieure,
quelques saules, quelques peupliers rabougris, des
prairies au gazon fin et tendre. L'orge mûrit parfois
jusqu'à 4000 mètres. A mesure que l'on descend, la
végétation devient plus riche, plus luxuriante. Les
champs se multiplient, et sur les flancs des couloirs du
Yang-Tseu, du Mékong, de la Salouen, croissent avec
vigueur de belles forêts où les camélias, les azalées, les
rhododendrons se mêlent aux houx, aux cyprès, aux
chênes, aux cèdres majestueux.
GEOGRAPHIE HUMAINE
Les Tibétains appartiennent au rameau Mongol de la
race jaune. De petite taille, mais larges de poitrine et
d'épaules, bien musclés, endurcis par la rudesse du
climat, ils se montrent d'une extraordinaire résistance à
la fatigue, aux intempéries, supportent avec une admirable
constance le froid, la faim, la douleur, la mort même.
Presque tous les voyageurs qui les ont connus s'accordent
à louer leur douceur, leur humanité, la franchise de leur
parole et de leur conduite, leur hospitalité, leur patience,
leur dignité san% ostentation chez les puissants, sans
effort chez les gens du peuple.
La majeure partie d'entre eux mènent la vie nomade.
On les trouve par petits groupes épars dans les solitudes
des hautes terres, paissant leurs troupeaux de yaks, de
moutons et de chèvres, se nourrissant presque exclusive-
ment de viande, de lait et de beurre. Les rares caravanes
qui traversent leur pays leur cèdent du thé, de l'orge,
du tabac, en échange du beurre, du cuir, de la laine que
produisent leurs animaux, des fourrures et du musc
obtenus par la chasse, de la rhubarbe et autres plantes
pharmaceutiques cueillies dans la montagne. Ils se vêtent
de peaux de bêtes ou d'étoffes de laine grossières, mais
solides, campent sous des abris de pierre et de boue,
n'ont d'autre distraction que la danse, le chant, quelques
pèlerinages accomplis de loin en loin aux lamasaries les
plus réputées.
Les sédentfiires des vallées orientales cultivent l'orge,
le scUTasin, le miUet. Ils se groupent en villages aux
petites maisons cubiques à toits plats, tassées le long de
rues étroites souvent dominées par le " dzong ", sorte
de château fort aux grands murs de pierre brute qui
revêlent la forme des pylônes égyptiens.
Le dzong est à la fois la demeure des hauts fonction-
naires, une forteresse et un temple. Dans de vastes
salles parfumées d'encens, soutenues par des colonnes de
bols sculpté, aux murs peints de fresques, il recèle
les statues innombrables des dieux, les livres sacrés, les
multiples objets d'un culte auquel le Tibétain est pas-
sionnément attaché.
Le bouddhisme, qui s'introduisit au Tibet vers le
354
v' siècle de notre ère, trouva en effet, chez ce peuple naïf
et crédule, le terrain le plus propre à son complet déve-
loppement. Déms une nature si peu clémente où tout est
sujet d'angoisses, où la vie terrestre apparaît comme
une longue suite de souffrances sans compensations
immédiates, la doctrine du renoncement total, de l'eméan-
tissement dans le nirvana devait être accueillie avec
une particulière ferveur. C'était pour l'homme le seul
moyen d'échapper à l'étreinte des forces naturelles qui
l'oppressent, de planer très au-dessus des misères du
monde, d'entrer vivant dans l'immorteJité.
Aussi la vie monastique fleurit-elle, au Tibet, plus
qu'en aucun autre endroit de la terre. Le pays tout
entier n'est qu'une immense Thébaïde, où, dans la
majesté sauvage du désert, les couvents colossaux
s'érigent aux flancs des monts comme des ruches
d'abeilles collées au roc nu, et où, sur 6000000 d'habi-
tants, on ne compte pas moins de 2000000 de
moines !
Certes, la pure doctrine du bouddhisme s'est avec le temps sin-
gulièrement altérée. Pour le peuple, elle se réduit aux formalités
minutieuses d'un culte quirappelle étrangement les rites de l'Eglise
romaine, et la grande majorité des " lamas " ne voient dans
l'existence recluse des religieux que le moyen de vivre oisifs aux
dépens des croyants laïques chcirgés de leur entretien. Ils distribuent
des formules magiques destinées à se concilier " les mauvais esprits '
et laissent aux " moulins à prières " le soin de porter au Dieu
suprême le tribut de leur adoration. Mais il existe aussi des reli-
gieux convaincus, des âmes trèi hautes, très nobles, qui s entraînent
par une perpétuelle méditation aux spéculations mystiques les plus
élevées. Ils pratiquent strictement le célibat, le jeûne, s'infligent des
macérations cruelles, font de longs pèlerinages et méritent, par la
parfaite sincérité de leurs convictions, raclion bienfaisante qu'ils
exercent sur les Bdèles, la noblesse, l'extrême pureté de leurs pen-
sées, d'être comparés aux saints les plus vénérés des religions
occidentales.
Le chef d'un tel peuple ne pouvait être qu'un Dieu.
Et tel est bien le caractère du Dalaï Lama, vivante
incarnation de Bouddha, à la fois pape et roi du Tibet.
Il réside à Lhassa (20000 habitants), la Rome boud-
dhique, sise à 3 566 mètres d'altitude dans une vallée
-■i.CJJXJ
GÉOGRAPHIE fNIVERSEUX PL. 17, page 354
cultivée qu'arrose un tri'.'f.'taire du Tsan-Po. Son palais.
le ' ' Potala ", ensemble ae fortifications, de temples, de
monastères, abritant plusieurs milliers de lamas et de
serviteurs est. depuis le Vil siècle de notre ère. le lieu le
plus véne're' de l'Asie Orientale. 100000 pèlerins y
affluent chaque année, et si l'accès de la cité est interdit
sévèrement aux explorateurs ou missionnaires européens,
les marchands hindous, chmois, mongols y viennent
commercer librement.
En dehors de Lhassa, les seuls lieux notables par
l'importance de leurs foires annuelles ou le nombre
et la célébrité de leurs lamaseries sont Chigatsé
( 1 3 000 habitants), résidence d'un autre Bouddha vivant :
le Tachi Lama, et importante étape de la route menant
au Bengale par Gyantsé et Dardjilmg ; Gantolc, sur le
haut Indus, station de la voie qui mène au Ladak et
au Kachmire, Ghianda, Tsiamdo, sur la piste ordinaire-
ment suivie par les caravanes chinoises parties du
Sseu-Tchouen.
Le Dalaï Lama, maître absolu de ses sujets, délègue ses pouvoirs
politiques et administratifs à un vice-roi assisté de quatre ministres
et de seize mandarins qui choisissent parmi les lamas les fonction-
naires d'ordre inférieur. Mais, depuis le XVI "^ siècle, le Tibet est
placé sous la suzeraineté de la Chine que représentent deux rési-
dents ou " Ambans " appuyés sur des petites garnisons. De 1905
à 1910, le Tibet parut vouloir se libérer de ce joug. De? révoltes
éclatèrent dans cette région de hautes montagnes si ma! connues,
véritable " marche " libéto-chinoise placée aux confins du S«eu-
LE JAPON -
Tchouen et du Tibet et dont Talsienlou, Balang, Lilang, Alentsé
sont les plus notables agglomérations. Après une série d'expéditions
confuses, terminées de part et d'autre par d'horribles massacres,
une colonne chinoise envahit le Tibet, entra à Lhassa : le Datai
Lama n eut que le temps de s'enfuir aux Indes. Depuis lors, la
paix s est faite et la Chine conserve au Tibet ses anciens droits,
beaucoup plus théoriques, du reste, que réels. De son côté,
1 Angleterre a signé soit avec le Gouvernement Tibétain, soit avec
Pékin, des conventions qui assurent aux caravanes parties de l'Inde
le droit de commercer librement au Tibet.
Il est impossible d'apprécier la valeur des échanges
annuels entre le Tibet et les pays voisins. Les seuls
chiffres exacts donnés par les statistiques anglaises ne
concernent que les marchandises venues dans l'Inde ou
parties de ce pays : 1 5 000 000 de francs environ aux
importations (laine brute, cuirs, fourrures), 3000000aux
exportations (cotonnades surtout). Le commerce avec la
Chine doit avoir une importance beaucoup plus considé-
rable. On estime en effet à 25000000 ou 30 000 000 de
francs la valeur seule du thé vendu aux Tibétains. Le tabac,
les armes, les porcelaines, les ustensiles de métal, les soieries,
l'encens, les objets du culte forment, avec le thé, la
charge ordinaire des caravanes qui gagnent Lhassa par
diverses routes parties soit du Sseu-Tchouen, soit du
Kansou. Au retour, les commerçants chinois rapportent
du musc, de la rhubarbe, des fourrures, un peu de
laine et de cuir, des plantes médicinales et de la poudre
d'or.
CHAPITRE XXI 1
LE JAPON
Le socle continental de l'Asie ne s'arrête pas aux
côtes sibériennes, chinoises et mdo-chinoises. Il se
prolonge vers l'Est, sur un millier de kilomètres en
moyenne, jusqu'aux grandes fosses abyssales du Paci-
fique. L'espace intermédiaire est occupé d abord par
des mers littorales, généralement de faible profondeur :
Mer d'Okhotsk. Mer du Japon. Mer de Chine, puis
par une série continue d'îles et d'îlots : Kouriles.
Japon. Formose. Philippines qui, partant de la pointe
du Kamtchatka, forment une longue guirlande atteignant
à son extrémité méridionale les terres de l'Insulinde.
(Cf. la prolongation du socle de l'Europe Occidentale
jusqu'au large des lies Britanniques.)
Le groupe central, le plus compact et le plus considé-
rable de ces terres insulaires, comprend 4 grandes îles ;
Yeso, Nippon, Sikok, Kiou-Siou, prolongées au Nord par
le mince collier des Kouriles, au Sud par la rangée des
Riou-Kiou. C'eit le lieu d'origine de la race japonaise.
la partie essentielle de I Ejnpire du Soleil Levant. Mats
cet Empire s'est accru, depuis un demi-siècle, grâce aux
victoires remportées par le Japon moderne sur la Chine
et la Russie. La Russie a dû céder à ses vainqueurs de
1904 la moitié Sud de Sakhaline et la presqu'île du
Kouang-Toung, à l'entrée du Golfe de Petchili. La
Chine a perdu la Corée, la grande île de Formose.
l'archipel des Pescadores. Enfin la guerre de 1914 per-
mit aux Japonais de remplacer provisoirement les Alle-
mands dans la baie de Kiao-Tchéou (péninsule chinoise
du Chan-Toung).
SUPERFICIE
Japon propremml dit* y compris le* Kouriles et In Riou-Kiou. 387 140 long.
Corfc . 221000 -
Termine 36 400 —
Pewdoro 122 —
Sd<h.li~:. 33 800 ^
Koi«nt-T<,u..r 3 250 —
To«d 681 712 lonq.
CEOCKAPHIE UNI\1RSELLF.
355 -
35
L'ASIE
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
STRUCTURE. ^JS/ Le relief du Japon est extra-
ordinairement mouvementé. Les plaines n'occupent que
la huitième partie de la superficie totale. Tout le reste
est couvert de collines et de montagnes formées de ter-
rains très variés, mais où les roches éruptives anciennes
et modernes occupent une place prépondérante.
Les grandes fractures qui ont affecté à diverses époques l'Asie
Orientale, déterminant cette structure en paliers affaissés séparés
par des chaînes en arc qui caractérise la Chine, la Corée, la Mon-
golie, ont agi avec une particulière intensité sur le rebosd extérieur
du socle continental. Tandis que se creusait jusqu'à plus de
8 000 mètres les fosses du Pacifique (fosse des Kouriles prolongée
jusqu'au large de Hondo), des plissements énergiques, accompagnés
d'effondrements, bouleversaient la bordure externe du " bouclier
Sibérien ". Des guirlandes de chaînes montagneuses s'alignèrent au
bord de l'Océan, et, par les fissures du sol, jaillirent les laves,
les basaltes, qui s'épandlrenl en " planèzes " ou se dressèrent en
cônes réguliers.
De là l'extrême variété du relief et du paysage japo-
nais. Sans doute n'y trouve-t-on point les rochers abrupts,
les pics, les aiguilles, les vallées étroites et profondes de
nos montagnes alpestres. Les sommets des vieux massifs,
usés par une longue érosion, ont en général les formes
arrondies, les pentes douces, les vallées largement
ouvertes des Vosges ou de la Forêt- Noire. Leur charme
tient moins à leur dessin architectural qu'à la splendeur
de la végétation qui les recouvre, aux eaux qui
bruissent sous les ombrages de leurs grands arbres ou
dorment dans les vasques ouvertes à leur pied. Une
longue série de volcans éteints, ou toujours actifs,
s'aligne des Kouriles à Formose (seule Sakhàline n'en
contient pas) et les formes géométriques de leurs cônes,
striés de neige pendant de longs mois, s'érigent au-
dessus des collines moutonnées, se reflètent dans l'eau
bleue des lacs. Les Kouriles ne sont autre chose que
des volcans émergés. On n'y trouve ni roches anciennes
ni terrains sédimentaires, mais 38 cratères dont 18 en
activité. Yéso, Hondo, Sikok, Kiou-Siou, les Riou-Kiou
et Formose ont toutes leurs bouches ignées (140 au
total) dont la plus célèbre, le Fouzi-Yama (3 776 mètres),
apparaît comme fond de décor sur tant de " Kakémo-
nos et de céramiques japonaises.
Les éruptions volcaniques sont d'autant plus désastreuses que,
pour la majeure partie des volcans, les périodes de paroxysme, géné-
ralement très courtes, sont suivies de longues périodes de repos
complet pendant lesquelles cultures et villages s'installent à nou-
veau sur les pentes refroidies (Cf. l'histoire du Vésuve). Les explo-
sions du Fouzi-Yama en 1707, du Bandaï San en 1888, du
Kirisima Yama en I 896 eurent ainsi pour résultat l'anéantissement
de dizaines de villages et la perte d'un grand nombre de vies
humaines.
356
Pour les mêmes raisons (fractures du sol, activité des
feux souterrains, faiblesse relative de l'écorce terrestre
sur le rebord des abîmes du Pacifique), les tremble-
ments de terre ont, au Japon, une fréquence qui
n'est atteinte, à pareil degré, en aucun lieu du monde.
Depuis l'installation en 1883 d'un service séismologique,
on a constaté que le sol de Hondo est secoué en
moyenne vingt fois par mois ! La majeure partie de ces
secousses n'est du reste perceptible que par les instru-
ments de précision. Cependant, le nombre des séismes
dont la population peut s'apercevoir est assez considérable
pour que les Japonais aient été amenés à prendre depuis
longtemps des précautions contre leurs dangers (petites
maisons de bois à un étage) et aient fini par ne plus
prêter aux tremblements ordinaires plus d'attention qu'on
ne le fait chez nous aux orages d'été. Enfin certaines
secousses particulièrement violentes ont, de temps à
autre, des effets désastreux, soit par elles-mêmes, soit par
les raz de marée qui les accompagnent. En octobre 1891,
au Sud-Ouest du Fouzi-Yama, quelques secondes
suffirent à anéantir 200000 maisons, à tuer ou blesser
40000 personnes. En 1896, sur la côte Nord- Est de
Hondo, 22 000 personnes disparurent en un seul raz de
marée, etc.
LES EAUX. £>£J L'étroitesse du Japon et la com-
plexité de son relief n'ont point permis la constitution
de bassins hydrographiques importants. Le plus long
des fleuves japonais : le Schinoné Gawa, sur le versant
occidental de Hondo, n'a que 450 kilomètres, moins que
la Marne. Sur le versant oriental, le Toné Gawa a une
longueur moindre encore, mais une importance écono-
mique un peu plus grande, car il arrose la plaine de
Tokio, la plus vaste des plaines japonaises. Les eaux
qui dévalent sur les pentes des monts se distribuent en
une multitude de petits fleuves torrentueux au débit
inégal, au cours pittoresque, utilisés pour l'irrigation des
rizières, mais souvent redoutables par leurs brusques
inondations. Au fond des dépressions, dans un cadre
admirable fait de rochers, de monts verdoyants, de
collines fleuries, de beaux arbres dont la ramure se mire
dans les eaux, des lacs reposent, tel le lac Biwa (la gui-
tare) au pied du Fouzi-Yama, et leurs rives prennent
place parmi les plus célèbres, les plus visités des pay-
sages japonais.
LES RIVAGES. £ta A\a variété du relief cor-
respond la dentelure des côtes. Même les cartes à petite
échelle de nos atlas en donnent une idée que précise
et complète l'étude des cartes de détail. Entre les
LE JAPON
pointes recourbées des caps rocKeux se creusent des baies
articule'es où partout les navires trouvent un sûr abri
(baie d'Hakodaté dans Yeso ; de Tokio, de Nagoya,
d'Osaka dans Hondo ; de Nagasaki et Kagosima dans
Kiou-Siou, etc.).
L'extrême morcellement des rivages se manifeste
surtout dans la Me'diterrane'e japonaise, e'troite mer inté-
rieure longue de 400 kilomètres, sise entre Hondo,
Kiou-Siou et Sikok. Cette mer peu profonde, qui s'ouvre
sur le détroit de Corée par la passe de Shimonoseki, et
sur le Pacifique pair les détroits de Bourgo et de Lins-
choten, est semblable à un beau lac aux eaux transpa-
rentes. Des îles sans nombre que décore sobrement le
feuillage incliné des arbres, les villages de pêcheurs
nichés à l'ombre des hauts rochers, les jonques qui
glissent sous la pure lumière voilée d'un ciel aux fins
nuages, délicate symphonie de couleurs et de formes,
intime union de la triple splendeur des eaux, des terres
et du ciel, tout cela compose un ensemble unique où
les grands artistes nippons puisèrent le plus clair de
leur génie.
CLIMAT. 00 Entre le Nord des Kouriles, sous le
5 1* degré de latitude Nord, et le Sud de Formose que tra-
verse le Tropique, la distance est la même qu'entre le Nord
de la France et le Sud du Sahara. Ce seul fait suffirait à
expliquer les différences climatiques considérables que l'on
observe suivant les lieux ; mais il faut encore, pour com-
prendre le climat japonais, tenir compte : 1 du fait même
que le Japon, étant un archipel, se trouve par conséquent
soumis directement aux influences océaniques qui tem-
pèrent les chaleurs de l'été non moins que les froidures
hivernales et assurent au Japon des pluies abondantes.
A latitude égale, les îles japonaises ont des étés moins
brûlants, des hivers moins rigoureux que le continent
CLIMAT DU JAPON
1
TemPér. moyenne*
-i
-«^^N—i*'^
Prde
■^
-o
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A
2
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3
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HaJcodalc...
41°26
S m.
8°3
2°9
2I°2
24-1
1 130 \
1 160
Tokio
«°4I
20 m.
I3°6
2°4
IVb
22°9
Maximum : juin
OsJm
M»4I
15 m.
M°6
3°
ib"^
23»9
1 250
et leplembre.
N.«u>I>i ....
3>'44
60 m.
1!>°6
y
26-7
2107
2 160
Formose
21055
37 m.
23»7
I9°8
27''l
>l
2200
Maximum : juillet-
août.
asiatique voisin. EJIes reçoivent partout une couche d'eau
supérieure à 1 mètre et qui dépasse même 2 mètres
dans les hautes régions ou les latitudes méridionales ;
2° du rôle joué par les vents de mousson : mousson froide
qui souffle pendant l'hiver du continent glacé vers les mers
plus tièdes, mousson d'été qui souffle en sens inverse ; 3" de
l'action exercée par les courants marins. Le Kouro-Sivo,
analogue au Gulf-Stream, est un large fleuve d'eaux
chaudes qui, venu des mers tropicales, baigne Sikok,
Kiou-Siou et les rivages orientaux de Hondo avant de
se recourber vers les côtes lointaines de l'Amérique.
L'Oya Sivo, qui descend du détroit de Behring, enve-
loppe au contraire de ses eaux froides toute l'île de
Yeso.
357
L'ASIE .
Sous la double influence de l'Oya Sivo et des mous-
sons venues de Sibérie, Yeso, Sakhaline et les Kou-
riles ont des hivers très froids et longs. La neige y
couvre le sol pendant des mois. Par contre, les étés y
sont aussi chauds qu'a Bordeaux ou Toulon. D'épais
brouillards dus à la rencontre des deux courants :
Kouro et Oya Sivo, embrument presque constamment
l'atmosphère (cf. les brouillards de Terre-Neuve). C'est
un climat mi-océanique, mi-contmental fort peu plai-
sant. Dans Hondo, à mesure que l'on descend vers le
Sud, l'hiver devient moins rigoureux. Cependant Tokio.
sous la même latitude que Tanger, a une moyenne de
janvier analogue à celle de Londres. Nagasaki, à la
même distance de l'équateur qu'Alexandrie, est moins
chaude d'octobre à mais que Nice ou Menton. Même
dans les plaines côtières, les chutes de neige sont fré-
quentes. Dans la montagne , et notamment sur les ver-
sants occidentaux battus par la froide mousson du Nord-
Ouest, elles atteignent une épaisseur d'un mètre et plus.
On a très froid dans les petites maisons japonaises aux
minces parois de bois ou de papier et l'on se serre fri-
leusement près du brasero, unique moyen de chauffage
usité dans l'Archipel.
A ces hivers froids succèdent des étés très chauds et très
humides ( + 25° en moyenne dans les trois îles) . La mous-
son d'été s'établit à la fin d'avril déversant de copieuses
averses qui donnent en cent ou cent trente jours une couche
d'eau de plus d'un mètre dans les plaines, de 2 à 3 mètres
dans les montagnes. C'est la grande période des tra-
vaux agricoles, mais ce n'est m la plus saine ni la plus
agréable, et nombre de Japonais vont chercher dans les
hauts lieux une atmosphère plus respirable que l'air moite
saturé de vapeurs qui s'exhale des rizières inondées.
En automne, la mousson continentale s'établit : les
nuages disparaissent, l'air devient limpide et frais. C'est,
avec le début de l'hiver, la période de l'année la plus
belle et la plus agréable, au Sud et à l'Elst. Les ver-
sants occidentaux, en effet, reçoivent alors de nouvelles
averses de pluies et de neige charriées par la mousson
du Nord-Ouest, qui s'est chargée d'humidité en traver-
sant la Mer du Japon.
Enfin, les Riou-fCiou et Formose ne connaissent plus
i hiver. Les moyennes du mois le plus frais y varient de
1 6" à 20 ; celles du mois le plus chaud atteignent de
27 à 28°. Ce sont les seules régions japonaises qui aient
un climat entièrement tropical.
VEGETATION. £)^ Les pluies copieuses et le
nombre élevé des jours pluvieux s'unissant aux hautes
températures de l'été valent au Japon une végétation
également merveilleuse par sa grande abondance et par
son extraordinaire variété.
De toute part, et quelle que soit la saison, l'obser-
358
valeur ne voit qu'un splendide décor de verdure fraîche :
même aux alentours des villes, il se trouve en pleine
nature, et plus il voyage plus il lui semble qu'il se pro-
mène élernellement dans un jardin ' . De plus, cette
végétation luxuriante n'a rien d excessif, elle n'est pas
envahissante comme dans ces contrées tropicales où la
forêt semble une menace constante pour la civilisation
humaine. "(Revon.) Elle est sobre, fine et s'harmonise avec
le caractère modéré du relief. Enfin, non seulement le
japon renferme à lui seul deux fois plus d'espèces d'arbres
que l'Europe entière (168 espècescomprenant 66 genres
contre 85 espèces divisées en 33 genres), mais, sauf
dans les froides îles du Nord où ne croissent que les
bouleaux, les sapins et les mélèzes, la flore présente sur
un étroit espace un surprenant mélange d'essences euro-
péennes propres aux xlimats tempérés et d'essences
de caractère déjà tropical. Le chêne, le hêtre, l'érable,
le bouleau, l'orme, le noyer, le platane, le frêne, s'y
mêlent aux magnolias, aux aralias, aux cerisiers japonais,
au santal, au camphrier, aux cyprès, aux pins noirs
et rouges, aux cèdres immenses, " orgueil des grandes
routes nationales, des avenues triomphales qui con-
duisent aux temples, des bois sacrés abritant les tom-
beaux des Shogouns' . Des lianes s'enlacent aux troncs
des grands arbres et suspendent à leur ombre leurs ma-
gnifiques guirlandes de fleurs.
Dans ia partie moyenne, en un endroit quelconque, vous avez
devant vous, autour d'une plaine où la rizière de l'Inde côtoie le
champ de blé français, des collines où l'arbre à thé, l'oranger, le
mûrier croissent non loin des pommiers, des cerisiers, des pru-
niers : où les sombres pins du Nord voisinent harmonieusement
avec les bambous lustrés des tropiques. Il semble qu'on ait mis
dans un paysage européen des plantes de serre apportées des
quatre coins du monde, et cette flore étrange vous suit partout,
sans relâche, sur tous les chemins de I Archipel. ' (Revon.)
Au-dessous ou au milieu des forêts, sur les pentes
doucement inclinées des collines el des avant-monts, se
développe la ' hara ", la prairie japonaise, sorte de
pré-bois où des arbnsseaux et des touffes de plantes se
détachent çà et là sur un tapis de graminées légères,
C est par excellence le domaine des fleurs : violettes,
gentianes, orchidées, azalées, chrysanthèmes, lis aux
immenses corolles blanches, roses, jaunes, bleues, gardé-
nias, pivoines, iris, patrinias aux épanouissements
d'or '. Même les sols les plus secs ont leur frêle et
précieux tapis de roses sauvages, d'anémones, de légers
bois de pins.
Lorsque les insectes bourdonnent sur toutes ces ''
fleurs, tandis que sous les branches de pins les joyeuses
cigales unissent leur infatigable tapage, cette nature, qui
à première vue semblait plutôt indigente, vous enve-
loppe bientôt de son enchantement. (Revon.)
LE JAPON -
LE FOUZI-YAMA est U plus célèbre et le plus beau des volcans qui hérissent la
surface du Japon. Il dresse jusqu'à 3 778 m'.irei son cane coi0é. dix mois de l'année.
d'une calotte de neige resplendissante qui se lefikle dans les eaux du lac Bica. Il est
présentement au repos, et sa dernière éruption remonte â 1707. Les Japonais le tien-
nent pour une monlasne sacrée. Des milliers de pèlerins cont chaque année visiter la
série des sanctuaires édifiez sur ses flancs, et les arfistes ne se lassent point de graver
ou de dessiner son brofil sur les kah^^monos, tes livret, les éventails, les poteries, les
étoffes, les meubles, les multiples objets sortis des ateliers nippons
359
L'ASIE
LA FÊTE DES CERISIERS AU PARC D'UNEO. L'âme japonaise esl mer-
veilleusement sensible atix beautés de la nature ; aussi des fêtes se célèbrent, des
pèlerinages s'organisent pour goûter en commun la joie délicate qu'inspire la contem~
plation des cerisiers en fleurs, des azalées et des glycines, des lotus et des chrysanthèmes.
LA CUEILLETTE DU THÉ. Le sol et le climat du Japon central et méridional
conviennent parfaitement à la culture de l'arbre à thé. Les plantations s'étagent
sur les pentes douces des coltines. La majeure partie de la cueillette se consomme
dans le pays ; le reste s'exporte, presque exclusivement aux Etats-Unis.
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LE DAIBUTAN DE ICAMAKOURA. Kamakoura est une ancienne capitale
ruinée. Elle conserve de son antique splendeur de nombreux restes de temples, des
palais, des tombeaux et la célèbre statue du " Grand Bouddah " à laquelle les fondeurs
japonais ont su donner une admirable expression de douceur sereine et de majesté.
TEMPLE DE K.IYOMIDZA. Les Japonais excellent à donner à leurs temples
et autres lieux de prière un cadre harmonieux fait de grands arbres touffus, de col-
lines fleuries, d'eaux bruissantes. Ils ne séparent point les hommages que l'on doit
aux dieux de ceux que méritent les seules beautés de la nature.
ONOMiCHJ ET UNE BAIE DE LA MER INTÉRIEURE. L'extrême mor-
ca*.^'i"rJAf ci. ia icauié des rivages nippons se manifestent surtout dans la " Médi-
iy.Tzr.ci ï jcpzrxaiit. Cette baie dentelée, ces collines couvertes d'arbres et de
champs, ces montagnes ciselées forment comme une synthèse du Japon tout entier.
LE MONT MORRISON ou Niitaka Yama 0352 mètres) est un des massifs les
plus élevés de la grande île de Formose, couverte de montagnes qui tombent en pentes
brusques vers l'est, tandis qu'à l'ouest elles s'abaissent doucement vers les plaines
littorales mises en valeur par des immigrants chinois et hindous.
L'abondance et la variété de la flore indigène, la multiplicité de?
essences utilisables, des fruits, des légumes, des céréales, la rare
beauté, non seulement des fleurs, mais des arbres eux-mêmes, ont
eu une influence décisive sur toute la vie économique des Japo-
nais, voire sur leur tempérament physique et leur psychologie.
C'est d'elles que dérivent le mode d'alimentation presque exclu-
sivement végétal, puis les matériaux et le mode de construc-
tion des maisons (bois et papier), des temples, toute l'architec-
ture saaée. publique ou privée. C'est d'elles encore que procèdent
le vêtement (chanvre, coton ou soie, à l'exclusion de la laine et du
LE JAPON
cuir) et ses accessoires : socques de bois ou sandales de paille,
chapeaux de paille, parasol de papier huilé. Ce sont elles enfin qui.
en éveillant dans 1 âme japonaise un sentiment profond de la nature, '
un amour extraordinaire pour les fleurs, ont développé des goûts
artistiques déjà très fins et produisirent d'abord un merveilleux épa-
nouissement de la sculpture et de la gravure sur bois, de la pein-
ture à 1 aide de couleurs végétales délicates et solides, puis ces
deux arts que les Japonais n'hésitent pas à mettre sur le même
rang que les beaux-aits ordinaires : l'harmonieuse composition d'un
jardin, la création éphémère d'un bouquet. (D'après M. Revon.)
GEOGRAPHIE HUMAINE
LE PASSE DU JAPON. SON GOUVER-
NEMENT. J0£> Jusqu'au milieu du XIX^ siècle, le
Japon demeura complètement fermé aux Européens. Le
premier, Marco Polo entendit parler du royaume de
Zipangu et raconta, sur sa merveilleuse richesse, force
belles histoires qui ne furent pas étrangères à la fameuse
entreprise de Christophe Colomb. Au XVI® siècle, les
Portugais, puis les Hollandais firent dans ses ports
quelque trafic. Des missionnaires jésuites, guidés par
saint François Xavier, commencèrent l'évangélisation des
indigènes. Mais ces premiers essais de pénétration s'ar-
rêtèrent vite. Les missionnaires furent expulsés ou mas-
sacrés, et nul " barbare dOccident " ne fut autorisé à
fouler du pied le sol nippon. L'Archipel, qui avait reçu
de Chine, à une époque fort reculée, tous les éléments
de sa civilisation, se développait dans une indépendance
et un isolement complets. Les arts plastiques y atteignaient
une perfection égale aux œuvres les plus belles de la
Renaissance européenne. La société s'y raffinait à légal
de la société chinoise ; l'âme japonaise développait les
dons précieux qui font aujourd'hui la force de 1 Empire
et justifient la supériorité qu il a su prendre sur tous les
autres peuples de l'Ejctrême-Orient. Meiis le Japon
Ignorait tout des découvertes et des progrès maté-
riels faits en Occident. Il vivait en 1850 exactement
comme ses ancêtres avaient vécu huit siècles plus tôt.
C'était un Etat féodal fort semblable à la France des
derniers Carolingiens. Le chef nominal, le Mikado ou
Empereur, réduit au rôle de roi fainéant, confiné dans
son palais de Kioto. n'éteiit qu'un mannequin déco-
ratif ". Le pouvoir réel appartenait à une sorte de
Maire du palais, le Shogoun, et aux grands propnétaires
terriens : les Daïmios. soutenus par leurs chevaliers ou
Samouraïs.
En 1853. les Etats-Unis obligèrent à coups de canon
les Japonais à ouvrir quelques-uns de leurs ports aux
navires étrangers. Les grandes puissances européennçs
suivirent cet exemple. Le Japon eut immédiatement
l'intuition très nette, que s'il ne se rénovait pas de lui-
même, s'il ne devenait point l'égal des étrangers dont
il reconnaissait brusquement la supériorité matérielle, il
était condatmné à perdre son indépendance, sa person-
nalité, à subir le sort misérable de tant d'autres peuples
jaunes, rouges ou noirs tenus en étroite tutelle par des
Européens qui les exploitent. Il se mit à l'œuvre avec
une soudaineté, un acharnement, un sens des réédités et
un succès uniques dans l'histoire du monde. La révolu-
tion de 1858 balaya tout l'ancien régime, supprima le
Shogounat, la féodalité des Daïmios, les privilèges des
Samouraïs. Le Mikado redevint souverain de (ait et,
pour bien marquer qu'une ère nouvelle commençait, il
quitta Kioto pour s'établir à Yedo qui prit le nom de
Tokto. D'abord Empereur absolu, il accorda à ses
sujets, en 1889, une constitution, les autorisa à se faire
représenter par une Chambre des Députés chargée du
pouvoir législatif et du contrôle des finances, mais se
réserva le droit exclusif de choisir les ministres, et tout
l'essentiel du pouvoir.
Ces brusques réformes politiques s'accompsignaient de
réformes plus considérables encore dans l'administration
du pays, sa vie matérielle, intellectuelle, économique
surtout. Curieux de s'instruire, ayant à un très haut
degré le sens de l'assimilation, de l'adaptation, soutenu
par un patriotisme qui est la plus profonde de ses ver-
tus et qui le rendait impatient de faire de son pays
l'égal des plus forts, le Japonais appela chez lui des ins-
tructeurs européens, envoya à l'étranger les plus intelli-
gents de ses fils. 11 adopta en bloc tous les progrès réa-
lisés chez nous, spécialement dans le domaine scienti-
fique : chemins de fer, navires à vapeur, industries métal-
lurgiques et textiles, électricité, téléphones, etc. Sa marine
de guerre, son armée devinrent en peu de temps com-
parables, par l'instruction et l'armement, aux meilleures
unités européennes, et une série de guerres victorieuses
(guerre sino-japonaise de 1895, expédition de Chine en
1900. guerre russo-japonaise en 1904-1905, guerre de
1914) affirmèrent, aux yeux du monde, l'incontestable réa-
lité de sa neuve puissance. Devenu l'allié des principaux
Etats européens et américains, agrandi de Formose, de
la Corée, d'une moitié de Sakhaline, de la presqu'île de
Liao-Toung, des Mariannes, des Carolines, considérable-
ment enrichi par la Grande Guerre, débarrassé de la
361
L'ASIE
concurrence allemande, le Japon non seulement n a
plus, depuis longtemps, à redouter la mainmise e'tran-
gère, mais il traite d'égal à égal avec les premiers peuples
du monde et, devant lui, s'ouvre toute grande la pers-
pective d'un magnifique avenir.
LE PEUPLE JAPONAIS, aa Le Japon fut
habité depuis la plus haute emtiquité, comme en témoignent
les découvertes d'objets préhistonques faites dans les
cavernes et les tumuli. Les descendants directs de ces
aborigènes paraissent être les Ainos, peuplades de moeurs
très primitives, chasseurs et pêcheurs, remarquables par
le développement de leur système pileux, que l'on
trouve encore en petit nombre dans le Nord de Yeso, à
Sakhaline et dans les Kouriles méridioneJes. Ils sont
voués à une extinction totale par métissage avec les
Japonais.
Formose, qui appartint longtemps à la Chine, pos-
sède sur ses rivages une population d'émigrants chinois-
Les montagnes de l'intérieur sont encore habitées par des
tribus sauvages, de race malaise : les Ataryals, qui modi-
fient peu à peu leurs coutumes barbares au contact des
étrangers.
Tout le reste de l'Archipel est peuplé uniquement
de Japonais ou Nippons, peut-être venus du continent
asiatique à une époque indéterminée. Petite taille, peau
plutôt olivâtre que jaune, jambes grêles et courtes, buste
long, yeux obliques et noirs, cheveux épais, lisses, très
noirs, tels sont le; caractères physiques de la race. Ce
type, du reste, n'est point uniforme, et l'on a noté depuis
longtemps les différences très sensibles qui existent entre
les Japonais de sang noble (taille plus élevée, face allon-
gée, nez fin, yeux droits chez l'homme, à peine obliques
chez les femmes) et la masse du peuple (corps trapu,
face large, nez aplati, bouche largement fendue, yeux
très obliques).
Il est difficile, pour un Européen, de porter sur le
Japonais un jugement exact. La mentalité des Asiatiques
est si différente de la nôtre, leur réserve à l'égard des
étrangers, leur froideur apparente, leur dissimulation
même s opposent si fortement aux investigations que l'on
nsque de tomber dans un excès de louanges ou de se
laisser aller à des critiques injustifiées. De plus, la trans-
formation récente du Japon a modifié sur bien des points
les caractères anciens de la civilisation et elle a fait,
pour ainsi dire, du Japonais un être double : mi-Euro-
péen, mi-Asiatique.
A l'Europe le Japon emprunta tout ce qui fait les États
Occidentaux forts et indépendants : armée, marine,
administration, commerce, industrie, enseignement, mais il
a conservé avec soin toutes ses traditions sociales et
morales, tout l'essentiel de la vie matérielle et d'une cul-
362 ■■
ture très ancienne qu'il tient pour supérieure à la nôtre.
Le Japonais continue d'habiter des maisons de bois et
de papier, n'ayant qu'un rez-de-chaussée ou, au meixi-
mum, un étage. Les chambres, d'une élégante simplicité,
d'une propreté méticuleuse, n'ont point de meubles
encombrants, mais quelques nattes, des coussins. Au,:
murs, des Kakémonos, que l'on change suivant les saison?,
les heures du jour... la couleur des pensées. Dans le
fond de la pièce, sur une estrade basse, un beau vase, un
brûle-parfum, un plateau de laque d'or, une statuette
d'ivoire, un porte-bouquet garni de quelques branches
fleuries " de courbure différente et de hauteur inégale,
disposées suivant les règles d'une esthétique minutieuse
formulées dès le XVI® siècle ". Ses repas, où la viande
(poulet, porc) n'apparaît que rarement, se composent de
riz, de poissons, d'oeufs, de légumes ; comme boisson
habituelle, le thé et le saké ou eau-de-vie de riz. Il
demeure fidèle à l'antique costume national : kimono,
ceinture et manteau de soie, sandales de paille et
galoches ou socques de bois. Le vêtement européen lui
parciît laid, incommode ; on ne l'utilise que dans le monde
officiel et les bureaux. Tous les useiges de la vie domes-
tique : cérémonies de la naissance, du mariage, des funé-
railles, éducation des enfants, se conservent intégralement.
Les différents cultes nationaux : schintoïsme, bouddhisme,
confucianisme, qui sont moins une religion qu'une morale
très pure, très haute, fondée sur le respect des traditions
et le profond amour de la patrie, ne se sont jamais laissé
entamer par les religions occidentales. L'art japonais,
auquel sont dus tant de chefs-d'œuvre, connaît présen-
tement une décadence certaine, mais ne s'européanise
pas. La narion tout entière, depuis le simple paysan jus-
qu'au descendant des Daimios, reste fidèle à l'antique
façon de comprendre la peinture, la gravure, le théâtre.
En revanche, "notre littérature les laisse indifférents;
notre musique leur semble inutilement bruyante ; notre
façon de chanter leur paraît si ridicule qu'elle les fait
éclater de rire ".
Enfin, rien n'a disparu des traditionnelles vertus
japonaises : propreté, politesse souriante, respect pour
les vieillards, intimité de la famille, domination de soi-
même, gaieté faite de bienveillance, d'intelligence et
d'humour, amour exquis de la nature. Le Japonais,
riche ou pauvre, prend chaque jour au moins un bain
— parfois trois ou quatre — d'eau très chaude, et la foule
japonaise est sans doute la plus agréable, la moins mal-
odorante qu'il y ait au monde. Sa politesse, qui con-
traste d'une façon si surprenante avec la rudesse autori-
taire de nos sociétés démocratiques ', lui fait éviter toutes
scènes de dispute, toute violence, transforme même les
échanges commerciaux en un assaut d'amabilité cour-
toise. Ignorant l'alcoolisme, la chasse, la vie mondaine,
il tiime passionnément le théâtre, les assauts de lutte ; s'il
est riche, il se plaît aux grands dîners animés par les
chants et les danses des guéchas. Surtout il aime les fêtes
populaires et la promenade à la campagne. On organise
des pèlerinages aux lieux consacrés par la double beauté
des édifices et du paysage. On va en troupes joyeuses,
dès le mois de février, admirer les fleurs des pruniers et
en respirer 1 odeur célébrée par d antiques chansons ; on
va voir fleurir les cerisiers au début d'avril, les azalées
et les glycines au début de mai, les lotus au mois
d'août, les feuilles rouges des érables en automne, en
novembre les chrysanthèmes.
Ainsi s'est opéré, suivant une formule dictée par
l'esprit même de la race, un mélange, en proportions
définies, de vieille civilisation orientale et de moderne
civilisation ^européenne. Les Japonais ne se sont trans-
formés sur certains points que pour pouvoir conserver
leurs chères habitudes. L'européanisation du Japon est
un hommage rendu à l'excellence de la vie japonaise :
le Japon s'est européanisé contre l'Europe pour mieux
rester Japonais. (D'après F. Challaye.)
LA RÉPARTITION DE LA POPULA-
TION. LES VILLES, aa Le Japon comptait, au
recensement de 1920, 56 000 000 d'habitants (non com-
pris la Corée, les indigènes de Formose et les Pescadores).
Cela donne une densité moyenne de 1 44 habitants au
kilomètre carré, un peu inférieure à celle de la Grande-
Bretagne. L'importance de ce chiffre apparaît d'autant
plus frappante si l'on songe d'abord que le relief très
accidenté du Japon ne permet la culture vivrière que
sur des espaces restreints et range l'Archipel parmi les
pays du monde où le sol cultivé tient le moins de place
(15 pour 100 contre 58 pour 100 en France), si l'on
réfléchit ensuite que la grande industrie, principale
cause des fourmilières européennes, est de création
très récente au Japon et n'influe encore que fort peu
sur la concentration des hommes en certains points favo-
risés. Cette densité de la population s'explique d'abord
par la fécondité de la famille japonaise, puis par l'abon-
dance du poisson qui donne une nourriture peu coii-
teuse, enfin par le degré de perfection de 1 agriculture
qui tire le maximum de rendement du peu de terres
disponibles.
Du reste, quelle que soit l'habileté du Japonais à uti-
liser les ressources de sa terre, elle ne suffit plus à le faire
vivre. Chaque année les naissances dépassent les décès
de 600 000 à 700 000 âmes et l'émigration devient une
nécessité. Cette émigration se dirigea d abord vers 1 Est :
Iles Hawaî, Californie, Colombie britannique. Depuis
les mesures prises par les Etats-Unis contre l'émigra-
tion jaune et les annexions territoriales de l'Empire, les
courants humains se portent plutôt vers Formose, la
Chine, la Malaisie, les îles océaniennes, surtout vers la
LE JAPON —i
Mandchourie et la Corée qui peuvent suffire, pendant
de longues années, à abtorber le trop-plein de la popu-
lation japonaise.
Ajoutons que l'Amérique latine, où le préjugé de
couleur n'existe pas et qui a besoin de main-d'œuvre,
reçoit volontiers les Nippons. Dès avant la Grande
Guerre, le Chili et le Brésil hospitalisaient de petites mais
florissantes colonies japonaises. La disparition momenta-
née de l'immigration européenne a eu comme contre-coup
1 accroissement rapide des Jaunes. On en trouve 25000
au Brésil, plusieurs milliers au Chili, au Pérou, en
Bolivie, au Mexique. C'est, pour les Etats américains,
un précieux outil de colonisation. Pour le Japon, c est
surtout le moyen le plus efficace d'augmenter le mouve-
ment d'échanges qui se dessine nettement entre les deux
rives du Pacifique.
Dans les îles mêmes de l'Archipel, la densité est
fort inégale suivant les lieux. Sakhaline et les Kouriles
n'ont qu'un très petit nombre d'habitants. Yeso, trop
froide pour la culturedu riz, compte à peine 1 7 personnes
au kilomètre carré, bien que l'on note depuis quelques
années un intéressant afflux d'émigrants venus du Sud (le
chiffre des habitants y a triplé en dix-sept ans : 610000 en
1898, 1800000 en 1915). Dans Hondo. Kiou-Siou et
Sikok les régions montagneuses ne peuvent nourrir qu un
petit nombre de familles. En revanche, les rivages pois-
sonneux, les petites plaines côtières et les collines arron-
dies qui les encadrent sont de véritables fourmilières
d'hommes. De Nagasaki à la baie de Tokio, sur l'une
et l'autre rive de la mer Intérieure, la densité atteint et
dépasse par endroits 400 habitants au kilomètre carré !
C'est aussi dans cette zone médiane que se trouvent
les plus grandes villes japonaises.
Ces villes ont toutes des caractères communs. Elles couvrent
d'abord une énorme superficie, puisqu'elles se composent de petites
maisons sans étages isolées les unes des autres par des jardins, et
que les parcs, les terrains vagues, les enclos sacrés qui entourent
les temples y occupent de vastes espaces. Tokio, par exemple,
moins peuplée que Paris, s'étend sur une aire trois (ois plus grande.
Parfois elles conservent, comme Nagoya, Kioto, etc., d'intéressants
spécimens de la vieille architecture japonaise : forteresses féodales
dressées sur des murs en pierres énormes qu entourent des fosses
profonds, temples réputés, etc. Ailleurs, les vieux quartiers se
doublent de faubourgs industriels tout neufs que surmontent les
hautes cheminées des usines. L'aspect général est d'ordinaire propre
et gai. Les incendies, extrêmement fréquents, obligent à rebâtir sans
cesse les demeures, du reste si peu coûteuses. La foule, peu
bruyante mais aimable, souriante, velue d'étoffes aux vives cou-
leurs, se presse tout le jour dans les rues étroites où courent les
djinriliksas,ces voiturettes à deux roues que traînent à toute vitesse
d'alertes coureurs. Le soir, des lanternes multicolores, auxquelles se
mêlent de plus en plus les lampes électriques, éclairent joliment
les quartiers de plaisir, les maisons de thé, où l'on se rend en
famille. Les villages, surtout dans la montagne ou dans les petites
criques marines, s'harmonisent à merveille avec la splendeur de la
363
L'ASIE
végétation et des paysages qui les encadrent. Partout des temples,
des chapelles, à demi cachées sous l'épaisse frondaison des grands
arbres, invitent smon au recueillement, qui est à peu près absent de
la religion nipponne, du moins au plaisir raffiné d'émotions esthé-
tiques que goûte profondément ce peuple d'artistes.
La moderne capitale Toklo comptait, en 1920,
2 173 000 habitants. C'est la résidence habituelle de
l'Eijipereur, le siège des principales administrations, des
ministères, etc. Elle se trouve au fond d'une baie,
spacieuse et sûre, débouché naturel de la plus vaste
des plaines japonaises. Non loin d elle, Yokohama
(422 000 habitants), petit village de pêcheurs en 1 830,
eit devenu le premier port de l'Empire ; son chiffre
d'affaires n'est dépassé en Extrême-Orient que par
Hong-Kong et Chang-Haï. Nagoya (429 000 habitants),
Osaka (1 250000 habitants). Kiolo (591 000 habitants),
l'ancienne capitale, Kobé (608000 habitants), Sakaï, etc.,
doivent leur importance prétente au développement de
la grande industrie (filature, métallurgie, etc.). Elles for-
ment sur un étroit espace un groupement comparable
aux pays noirs " du Lancashire ou de Westphalie.
Par Okayama (95 OCX) habitants), Hiroshima
( 1 62 OOOhabitants),Kuré( 154 000 habitants). Shimono-
seki, port d'embarquement pour la Corée, on gagne l'île
de Kiou-Siou où la merveilleuse rade de Nagasaki
(I76(X)0 habitants), entourée d'une ceinture de volcans,
à proximité de mines de houille, est le premier port
charbonnier du Pacifique. Sasebo (123 000 habitants),
Kumamoto (73 000 habitants). Kagoshima (92 000 habi-
tants) au Sud de Kiou-Siou. Tokushima (73 000 habi-
tants) dans Sikok, terminent la série des grandes villes
japonaises du Sud.
En remontant vers le Nord, il faut encore citer Kana-
zawa (158000 habitants) et Niigata (97 000 habitants)
sur la côte occidentale de Hondo. en relations directes
avec Vladivostok, Sendaï (122000 habitants) sur la
côte orientale, enfin Hakodaté (133 000 habitants), où
se concentrent les produits des riches pêcheries de
Yeso.
Sakhaline.dont les Japonais commencentà peine à uti-
liser les forêts, n a que de misérables villages peuplés de
Toungouses et d'Aînos. A l'extrême Sud. Kéloung
et Tamssouï sont les deux agglomérations les plus
notables de Formose.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
Comme la Chine et l'Inde, le Japon est surtout un
pays d'agriculture : 60 pour 100 de la population vivent
des produits du sol. Mais cette proportion était encore sm-
gulièrement plus forte il y a cinquante ans. Depuis l'euro-
péanisation du Japon, la grande industrie est née, s'est
développée avec une extrême rapidité, et les usines
attirent chaque année un contingent plus élevé d'ouvriers.
LES CULTURES. ^^ Comme dans les plaines
chinoises et poui les mêmes raisons, la propriété est
extrêmement morcelée. L'étendue moyenne des terres
possédées par chaque famille ne dépasse pas un hec-
tare 1 C'est donc à force de soins minutieux, et en
multipliant les récoltes successives ou parallèles sur un
même terrain que 1 agriculteur japonais parvient à vivre.
Dans les plaines, pas un pouce du sol n'est perdu ; sur
les pentes des collines s'étagent les petits champs en
terrasses. Des funjures abondantes (déchets de poissons,
engrais humain) complètent les effets d'une savante irri-
gation.
Peirtout où le climat le permet, la culture vivrière
essentielle est celle du riz (3 000 000 d'hectares sur
5 500000). Le froment, l'orge, le seigle (de 400000 à
5(X)000 hectares pour chaque sorte) se substituent au
riz dans les régions montagneuses et à Yeso. Le haricot
rouge, le daikon ", sorte de navet géant, les patates
douces tiennent aussi une place importante dans l'ali-
mentation.
L'arbre à thé, dont la zone d'élection se situe sur les
collines qui entourent la Méditerranée japonaise, atteint,
grâce à la douceur et a 1 humidité du climat, une latitude
beaucoup plus septentrionale qu'en Chine : le 36® degré
et même exceptionnellement le 39® degré sur la côte Est
de Hondo. 11 fournit aux Japonais leur boisson nationale
et s'exporte en quantités croissantes vers les Etats-Unis.
Le tabac, qui permet aux Japonais de vendre leurs
cigarettes dans tout l'Extrême-Orient, gagne du terrain.
Les champs de colon sont encore très loin de suffire aux
besoins locaux. Par contre, partout les mûners bordent
les champs de riz, s intercalent dans les cultures sèches.
En certaines régions de la montagne (pentes Nord du
Fouzi-Yama), les plantations de mûriers sont la grande
et presque I unique ressource des colons. Nous verrons
plus loin quelle importance la sériciculture a prise dans
l'économie nationale du Japon.
L'ÉLEVAGE ET LA PECHE. /DU L'absence
de grasses prairies naturelles qui prendraient la place
indispensable aux cultures, le climat trop humide, enfin
les prescriptions religieuses du bouddhisme qui interdit
l'usage de la viande, telles sont les principales raisons
qui expliquent la rareté des animaux domestiques, le
peu d'importance de l'élevage. En 1918, on ne comptait
au Japon que 4000 moutons, 100000 chèvres,
38 000 porcs, chiffres tout a fait insignifiants. Les
bêtes à cornes (1 400000), de taille petite et chétive.
364
LE JAPON
I.K-S JARDINS DE LA MER. La " Méditerranée " japonaise qui iépare Hondo
des deux grandes tles méTidionales Sikok et Kiou Siou, eft la merveille du Japon et
l'un des plus beaux lieux du monde. Des iles sans nombre que décore sobrement le feuil'
lagt aérien des arbres, les pirosues qui glissent sous la lumière voilée d'un ciel aux fins
nuaves, les temples, les villages nichés au creux des roches, tout cela com/WM un ensem-
ble unique oit s'unît, dans une prodigieuse symphonie, la triple splendeur des eaux, dti
terres et du ciel, l ivant au milieu de tels paysages, il n'est pomt étonnant que
les Nippons aient à un si haut degré le sens et le goût des formes harmonieuses.
TOKIO : LA RUE DES THÉÂTRES. La rue japonaise — que n'enlaidissent
point encore les constructions "à l'européenne" ou " à l'américairie " est une
fort jolie chose. La foule, peu bruyante, mais aimable, souriante, très propre, vêtue
détoffesaux mille couleurs, se presse tout le jour entre /« petites maisons de bois et de
papier, admirant les étalages ingénieux, les mille produits de l'industrie locale, les
grandes banderoles qui seroent d'enseignes. Le soir, des lanternes multicolores, aux-
quelles se mêlent de plus en plus les lampes électriques, éclairent joliment les quaitiers
de plaisir les théâtra. les maisons de ihéoù l'on se rend en famille.
365
L'ASIE
VIEUX COUPLE A!NO. Derniers ret>ré-
senfants de la race aborigène qui peuùîa
avant l'arrioécdes Nippons toutes les îles de
l'Archipel japonais.
LE TORl DE MIYA JIMA. Comme les Chinois, les Ja-
ponais se plaisent à ériger dans le^ rues des villes, à l'ombre
des arbres, aux rives des lacs, ces légers arcs de triomphe d une
élégante et sobre harmonie.
DÉFILÉ DE GEISHAS. Jeunes Japonaises,
savantes en fart de la danse, du chant, de
la^musique. que l'on convie daiis les Jêtes
pul liques ou privées
SÉOUL. Comme toutes les agglomérations urbaines de la Corée. Séoul, la capitale,
n'est guère qu'un immense village formé d'une multitude de maisonnettes de bots et
de briques couvertes de chaume. Elle prend quelque activité depuis la constiucUon
des voies ferrées qui l'unissent à la mer et è la Mandchourie.
FOUSAN. A l'extrême Sud de la presqu'île de Corée. le portde Fousan est le ter-
minus de la voie ferrée aui vient de Chine et de Sibérie. Des services directs l unis-
sent au port japonais de Shimonoseki- -^ussi" son trafic esl-il déjà considcrable et
semble destiné au plus brillant avenir.
UNE EXF;, aurifère en CORÉE. Devenus complètement
fr.nf/rc: de la ^c-tc. us. juponaii on! commencé avec ardeur la mise en valeur des
TUiC'jTct: agricoles, pastorales el minières de la presqu'ile-Le/er, le cuivre et l or
liOrGÎiScnt abondants et donnent déjà lieu à une exploitation rémunCTatricc.
FORMOSE : UNE USINE ÉLECTRIQUE La grande île de Formose ou Tai-
Ouan. enlevée à la Chine en 1895, constitue pour le Japon surpeuplé une magnifique
colonie. L'intérieur est encore couvert de Jorêis vierges, mais les côtes portent de
belles cultures de cannes à sucre, d'arbres à thé, de cotonniers.
356
servent exclusivement au transport et à la culture; '" elles
sont si clairsemées qu'il est possible de faire douze heures
de chemin de fer dans le Nord de Hondo sans voir un
seul bœuf ". Les chevaux ( 1 580 000) servent rare-
ment à tirer des voitures ou à porter des cavaliers, sauf
à l'armée. Ils sont léiids et peu résistants. Les essais
tentés pour acclimater des races étrangères, surtout chi-
noises, n'ont pas abouti.
Ce sont les pêcheries qui donnent aux Japonais le
complément de nourriture dont ils ont un absolu besoin.
Les mers de l'Archipel, surtout au point de contact des
courants froids et chauds de lOya et du Kouro-Sivo
(côtes de Sakhaline, de Yeso, du Hondo septentrional),
renferment une quemtité prodigieuse de poissons, de mol-
lusques, de crustacés. On les consomme sous diverses
formes, et l'on emploie le surplus à la fabrication
d'engrais précieux.
L'INDUSTRIE ET LES MINES. 00 L'in-
dustrie est de date fort ancienne au Japon. Mais, jusqu'à
la Révolution de 1868, les atehers japonais se bornèrent
à la fabrication, par des procédés archaïques, d'un petit
nombre d'objets étoffes de soie, bronzes, meubles
laqués, ivoires, céramiques, dont un goût affiné, une
extrême habileté de main faisaient de précieuses œu\Tes
d'art. Au contact de l'Europe, la grande industrie est
née. Des étrangers installèrent les premières usines, dont
plus tard les Japonais purent assumer seuls la direction.
Une main-d'œuvre très abondante et peu coûteuse, la
présence dans le sous-sol de ressources minérales suffi-
santes, le développement des moyens de transport par
terre ou par mer, la facilité de se procurer sur place ou à
proximité les matières premières (soie grège, coton,
soufre, kaolin, ciment, bois, etc.) et les qualités d'assi-
milation, d'habileté manuelle de la race nipponne, tels
furent les facteurs qui facilitèrent le développement
moderne de l'industrie et qui expliquent ses remarquables
progrès.
11 faut y ajouter les efiets de la Grande Guerre, qui, bien loin de
nuire aj développement économique du Japon, lui a donné un nou-
vel et magnifique essor. A partir de 1914, le Japon a dû, en effet,
d'abord parer au déficit des importations locales en fabriquant
nombre de produits qu'il tirait auparavant de l'étranger, puis com-
bler le déficit des ventes européennes sur les marchés d'Extrême-
Orient et du Pacifique. " Les entreprises industrielles, comme en
une poussée de génération spontanée, se multiplièrent ; elles absor-
bèrent d'énormes capitaux. Toute la nation se tendit pour consolider
cette fortune nouvelle ; l'État assura et au besoin imposa son appui
à cette évolution. ' Sans doute, " tout ce qui se créa ne durera pas ;
beaucoup d'ouvriers manquent d'éducation professiormclle, les ate-
liers n'ont pas toujours une direction experte, il leur faudra s'éprou-
ver dans la lutte internationale et résister à la concurrence univer-
selle: il faudra calmer, régulariser, organiser la fièvre d un moment
afin d'établir un régime stable. Mais ce sont là des désavantages
que le temps et l'étude amoindriront " et il n'en reste pas moins
inûuJinclUa,
CARTE
iA Gùtfmeatv
• mdaUifértj, ECONOMIQUE ..--;.'.^-r"
(/er.cuuTe)etpéiroU-j <r^t/r/r<^
lùniUa, '^—
pruiclpatct, '",''"
"cuUùrctt^ ....
Prificipalea,
->~<Eaa>^
^
k
étrangers. La production du cuivre (29000 tonnes
valant 11 0 000 000 de francs en 1 9 1 3, — 36 600 tonnes
valant 68000000 de yen en 1919) est supérieure à
celle de tous les autres pays du monde, les Etats-Unis
exceptés.
Le fer (64000 tonnes), le manganèse, l'antimoine,
l'étain, le plomb ont une importance moindre. Le soufre,
très abondant, comme il est naturel dans un pays si
riche en volcans, s'exploite activement pour la fabrication
des allumettes et de l'acide sulfurique. Le pétrole ne
fait point défaut. Enfin, le grand nombre des torrents faci-
lite la multiplication des usines hydro-électriques et
donne à bon comp'e une force motrice presque inépui-
sable.
Parmi les industries de nouvelle création, les coton-
nades et les soieries tiennent de beaucoup le premier
rang. En 1918, on ne comptait pas moins de
200 000 ouvriers des deux sexes employés dans les seules
LE JAPON 1
qu'en précipitant le passage du sude agricole au stade industriel les
cinq années de guerre ont plus fait pour la prospérité nipponne que
vingt années de paix. (D'après A. Oemangeon.)
Le sous-sol fournit d'abord de la houille : 19 000000
de tonnes en 1912, 31 003 000 en 191 9 (Yeso. Hondo.
surtout Kiou-Siou aux environs de Nagasaki), de qualité
médiocre il est vrai, mais qui suffit aux besoins locaux
et sert même au ravitaillement de nombreux navires
CGOGIUPHIE UNIVERSELUE.
367
36
L'ASIE
usines de tissage et filature de coton (région d'Osaka-
Kobé-Tokio), utilisant une matière première venue de
Chine, des États-Unis et surtout des Indes anglaises. La
production de la soie a pris un tel essor que le Japon se
classe depuis 1908 à la tête des Etats producteurs :
1 2000000 de kilogrammes de soie grège sont en moyenne
disponibles pour l'exportation seule, sans compter la
consommation locale (la Chine ne peut en vendre
que 8000000). " La se'riciculture est l'occupation sub-
sidiaire la plus profitable que le paysan japonais puisse
exercer. Sans elle, les petits exploitants, et notamment
les métayers, ne parviendraient pas à vivre, tant est res-
treinte leur marge de gain. Partout, dans les maisons,
on voit femmes et enfants occupés au maniement et à
l'assortiment des cocons, tandis que, sur le pas de
chaque porte, une femme assise s'applique à dévider
avec un dévidoir à main, avec un pot d'eau bouillante
sur le hibachi " devant elle, où sautillent les cocons.
La majeure partie de la soie s'exporte à 1 état brut :
cependant les tissages de soieries (à Kioto et Sekaï)
livrent chaque année à la consommation des étoffes
d'excellente qualité qui s'achètent dans le pays même ou
s'exportent dans tout l'Extrême-Orient.
L'industrie métallurgique, faute de minerais, ne suffit
pas encore à tous les besoins locaux. Elle a fait néan-
moins de considérables progrès. Si le Japon doit acheter
à l'étranger de l'acier, du fer ouvré et des machines, il
cherche à s'affranchir de cette sujétion en acquérant des
mines chinoises et coréennes. Aussi peut-il chaque
année diminuer le chiffre de ses commandes, et le jour
n'est pas loin où les chantiers de construction navale, les
fonderies, les soieries, les fabriques de locomotives, etc..
seront en nombre tel, qu'elles permettront de se passer
de tout appoint extérieur.
Ejifin, les fabriques d'allumettes, de cigju'ettes, de
nattes, de jouets, de ciment, de celluloïd, de faïences et
porcelaines, les papeteries (plus de 100 000000 de
francs en 1914), les raffineries, les brosseries sont en plein
essor et alimentent un commerce d'exportation dont nous
verrons plus loin I importance.
Sans doute, cette transformation induslnelle du Japon ne va pas
sans quelques inconvénients. Non seulement elle a modifié, ià
comme ailleurs, les anciennes conditions sociales, et a créé un
prolétariat ouvrier qui manifeste des exigences autrefois inconnues,
mais surtout elle a porté un coup funeste aux vieilles industries
d*art. Le temps n'est plus ou l'on mettait vingt ou trente ans à
finir une belle pièce de soie, de laque ou de porcelaine, où des
ateliers familiaux ne sortaient qu'un petit nombre d'oeuvres, très
chères, mais qui toutes étaient des chefs-d'œuvre. Plus de travail
familial, plus de secrets de corporations. On veut produire en très
grande quantité, très vite et à très bon marché. Peut-être cette
décadence artistique n'aura-t-elle qu'un temps et il n'est pas inter-
dit d'espérer qu'après la période présente, où le Japon veut à toul
prix suffire à ses propres besoins et s'assurer des marchés rémuné-
rateurs, une période nouvelle viendra où. assagis, enrichis, certains
de l'avenir, les Japonais, dont les goûts personnels n ont du reste
point changé, retrouveront les loisirs nécessaires à la création
d'oeuvres parfaites.
LE COMMERCE, a e) Les chiffres du com-
merce traduisent éloquemment les progrès accomplis par
le Japon depuis la Révolution de 1868. Ils ont passé de
68000 000 de francs en 1868, à 335000000 enl888,
COMMERCE DU JAPON
(Valeurs en yen ; au pair, le yen = 2 fr. 56).
Principales catéRories.
Année 1913.
Année 1920. !
ImtMrtaiions.
223 000 000 de ven.
25 000 000 ~
47 000 000 —
36 000 000 -
14 000 000 -
24 000 000 -
25 000 000 -
9000000 -
721 000 000 de yen ,
118 000 000 —
150 000 000 —
60 000 000 —
153 000 000 —
210 000 000 —
201 000 000 —
Riz
Graines oléa^neiises
Sucre
Fer en barre et ouvré
etc.
i Tolau\ .
-1
.1
1 Soie ffrêje
Fils de soie et soieries
1 G>tonnades « filés de coton.
1 Cuivre
' Charbon
715 000 000 de yen.
ExpoTtatiom.
161 000 000 de ven.
34 000 000 -
113 000 000 -
27 000 000 -
23 000 000 -
13 000 000 -
11 000000 -
12 000 000 —
6000000 -
2 000 000 -
2 284 000 000 de yen.
383 000 000 de yen.
185 000 000 —
487 000 000 -
12000000 —
45 000 000 —
30 000 000 —
28 000 000 —
17 000000 —
31 000 000 —
23 000 000 —
21 000 000 —
17 000000 —
■ Allumettes
Thé...........
Poterie et céramique
Verreries
etc
Totaux
620 000 000 de yen.
1 909 000 000 de yen.
PRINCIPAUX CLIENTS DU J.A,PON
'
Année 1913.
(Valeur en yen).
Année 1920.
(\'aleur en yen).
Importations venant de :
173 000 000 de ven.
122 000 000 -
122 000 000 -
61000 000 -
60 000 000 -
37 000 000 -
24 000 000 -
15 000 000 -
6000 000 -
8 000000 -
6 000000 -
5 000 000 -
450 000 000 de yen.
385 000 000 -
150 000 000 -
80 000 000 -
75 000 000 ~
70 000 000 -
20000000 -
13 000 000 -
15 000 000 -
10 000 000 -
33 000 000 -
3 000000 -
5 000000 —
1
395 000 000 de yen.
232 000 000 -
873 000 000 - .
218 000 000 —
15 000 000 -
68 000 000 —
120 000 000 --
62 000 000 -
14 000000 —
16 000 000 -
25 000 000 -
25 000 000 —
17 000 000 —
565 000 000 de yen.
410 000 000 —
71 000 000 -
98 000 000 -
192 000 000 —
6000000 -
58 000 000 -
107 000 000 -
34 000 000 -
36 000 000 - ;
74 000 000 - \
23 000 000 -
21 000000 -
1 Indes néerlandaises
Indo-Chine française
Chili
Straits Settlements. etc
Exportations allant à :
États-Unis
Grande-Bretagne
Italie
Indes néerlandaises
Straits SeltlemenUs
1
368
1250000000 en 1900. 1800000000 en 1904.
3405000000 en 1913 et ont atteint, en 1920.
4 193000000 de yen, ce qui au taux moyen du yen,
cette annee-là. représentait plus de 25 milliards de francs !
Les chiffres des tableaux pre'ce'dents ne concernent ni
Formose ni la Corée qui font cependant partie intégrante
de 1 Empire. Nous cor.sacrons plus loin un chapitre
spe'cial à la Corée. Pour Formose, bornons-nous à dire
qu'en 1919 elle vendit — surtout au Japon, puis à la
Chineet aux Etats-Unis — du thé. du sucre, du charbon,
du camphre, etc.. pour un total de 140 000 000 de yen.
EJle acheta, au Japon et a la Chine, de l'opium, du riz.
des haricots soyas. etc. pour 90000000 de yen.
La comparaison des chiffres relatifs aux deux années envisagées
est intéressante à plus d'un titre.
D abord si l'on considère le tableau des importations, on voit
aussitôt le progrès considérable ïall par les achats de matières
premières : colon, fer, laine, graines oléagineuses, destinées a êlte
transformées par les usines et les manufactures nippones. Cela con-
6ime ce que nous disons plus haut sur le développement croissant
de la grande industrie.
Aux exportations, le même fait apparaît plus clairement encore-
Les ventes de jouets ont décuplé ; celles de soieries, de poterie et
céramique, ont plu» que quintuplé ; celles des cotonnades ont qua-
druplé. Les verreries, les machines, qui n'apparaissent pas sur le
tab'eau de 1913 comptent respectivement, en 1920. pour2l 000000
et 17 000 000 de yen.
Les Etats-Unis sont présentement le principal fournisseur du
Japon et son plus gros acheteur. Le Canada, le Chili commencent
à donner quelques chiffres intéressants ; et cela marque l'attraction
de plus en plus vive qui se produit d'une rive à l'autre du PaciSque.
Toutefois, l'Asie reste, et restera toujours, le champ d'action le plus
fa\orable aux Nippons. Près de la moitié de leur commerce se fait
avec les pays delà zone des moussons. Profitant de la carence momen-
tanée des Européens, ils ont consolidé la situation déjà prépon-
dérante qu'ils avaient en Chine (traités de commerce particulièrement
avantageux, création de banques, d'agences d'information, de
sociétés de bienfaisance, achats de concessions minières, de voies
ferrées, navigation sur le Yang-Tseu, etc). La Chine, dont ils sont
devenus les principaux banquiers, doit leur fournir avant tout le
fer brut ou demi ouvré dont ils manquent presque totalement, puis
le coton brut, le riz. En échange, elle est le marché le plus natu-
rel qui s'ouvre aux produits de leurs usines.
En Mandchourie, ils se conduisent en maStres et sont en train de
coréaniser " ce qu'ils considèrent comme une annexe naturelle de
la Corée. Au Chan-Toung. où ils prirent provisoirement la place
des Allemands, ils ont quadruplé en quelques années les échange?
du port de Tsing-tao. Dans la Sibérie orientale, ils se sont assuré,
à Vladivostok et sur l'Amour, les gages lernloriaux nécessaires
pour garantir la dette que la Russie a contractée envers eux. Dan?
l'Inde Anglaise, l'influence japonaise " s'avance à pas de géants".
Non seulement de 1914 à 1920 les exportations ont passé de
26 000 000 de yen à 192 000 000, les importations de
1 60 000 000 à 395 000000, ncn seulement lesjcutlsiaporais, la bière,
les machines, !esallumeltesjaponai:es remplacent Icsarticles similaires
allemands, et les cotonnades japonaises font reculer les tissus bri-
tanniques, mais 90 pour 100 de ces transactions se font par navires
japonais, par l'intermédiaire de banques et de maisons de commerce
japonaises installées à Bombay, Ceytan, Madras, etc. A Singapour,
centre de commerce pour le caoutchouc et l'étain. " le nombre des
LE JAPON
Japonais avait tellement augmenté en 1919 qu'on ne pouvait plus
s y loger. " Au Siam. aux Philippines, le commerce nippon a
doublé en quatre ans. Il a décuplé à Java.
Notons, enfin, les progrès réalisés par le trafic avec l'Australie
ou les soieries, les colonnadei. les porcelaines, les chapeaux, les
jouets japonais font concurrence aux articles similaires anglais et
américains. L'Afrique même n'a pas échappé à l'emprise des
Nippons. Leur commerce avec le Transvaal a décuplé en quatre ans ;
en Ethiopie, en Lgypte, on a vu apparaître leurs produits-
Ainsi les Japonatsont eu l'art de ne participer au grand
conflit mondial que dans la mesure où ils pouvaient en tirer
le maximum de profits, avec le minimum de risques et de
frais. Aussi la situation Bnancière de leur pays, qui n'était
pas brillante au lendemain de la guerre russo-)aponaise
(accroissement conside'rable des charges fiscales, emprunts
onéreux à l'étranger, etc.), s'est amélioréede façon telle que
le Japon prend place aujourd hui parmi les plus riches
nations du globe. L'excédent considérable des exporta-
tions sur les importations, les bénéfices colossaux qu'il
tire de sa flotte marchande ont fait passer sa réserve d'or
de 370 000 000 de yen en 191 3 à 1600000 000 en 1918
(près de 5 000 (XX) 000 de francs au cours présent du
change), lia pu rembourser unecertaineportionde sa dette
extérieure et est même devenu le prêteur de ses anciens
créanciers : Anglais et Français, Et le signe le plus
apparent de cette richesse nouvelle, acquise au détri-
ment de l'Europe, n'est pas seulement le formidable
accroissement de ses entreprises industrielles et commer-
ciales, de ses dépôts en banque, des dividendes payés
aux actionnaires, c est encore le changement frappant que
l'on observe aujourd'hui dans la vie matérielle des
Nippons, surtout des nankins ' ou nouveaux riches.
" Tokio rappelle maintenant, par l'intensité de son
mouvement, la fièvre des cités de l'Occident ; les bou-
tiques de luxe, les maisons de style américain se multi-
plient ; dans les rues, les automobiles se pressent... Les
femmes déploient de magnifiques vêtements, des soieries
de couleurs gaies, des ceintures rutilantes d'or, et l'on
voit à leurs doigts des bagues qu'elles n'avaient jeûnais
connues jusqu'ici". (Bulletin Asie française de 1918).
La prospérité présente et future du Japon repose en
grande peirtie sur le développement de sa marine de com-
merce. Déjà, dans les années qui précédèrent la guerre, sa
flotte commerciale à vapeur avait passé de I 390 navires jau-
geant 932 CXX) tonneaux en 190?, a 2072 navires jaugeant
1514 (XX) tonneaux en 1 9 1 3 . ce qui le plaçait au I roisième
rang des grands Etats du monde après l'.Angleterre
( 1 I 000 000 de tonneaux) et l'Allemagne (2 600 000 ton-
neaux) , bien avant les Etats-Unis ( I 1 08 CXX)), la Norvège
( I 085 (XX)), la France (838 000) . Ses grandes compagnies
subventionnées (Nippon- Yusen-Kaïsha : 94 vapeurs jau-
geant 450 (XX) tonneaux : Osaka Chôsen K., etc.) assu-
reiient les services directs avec tous les ports du Pacifique
et envoyaient leurs bateaux dans les fleuves chinois, dans
369
: L'ASIE :
l'Inde, jusqu'en Europe. D'autres vapeurs affrétés au
"trafic vagabond" (" Tramps", " Outsider-Steamers")
enlevaient peu à peu aux Anglais, aux Danois, aux Nor-
végiens le conimerce que ces pavillons avaient jusqu'alors
monopolisé dans toutes les mers de l'Extrême-Orient.
Cette situation florissante s'est encore fort améliorée
depuis 1914, Débarrassée de la concurrence allemande
par la prise de Kiao-Tchéou et la disparition du
pavillon allemand, devenue le principal fournisseur de
l'Empire russe par Vladivostok et Dalny, ne trouvant
plus en face d'elle qu'un nombre fort réduit de bateaux
neutres, la marine japonaise a connu une prospérité inouïe
dont témoignent à la fois les dividendes payés aux action-
naires (jusqu'à 600 pour 1 00 en i 9 1 5) et les 2838 vapeurs
jaugeant 2 700000 tonneaux (plus I 200000 tonneaux
de voiliers) qui composaient la flotte nipponne en 1920.
Même entre les divers districts de chacune des iles de
l'Archipel Japonais, les transactions se font surtout par
voie de mer (nombreux voiliers ou petits vapeurs de cabo-
tage), comme il est naturel dans un pays étroit, aux
ports multiples, où la population se concentre surtout près
des rivages. Cela n'a point empêché les Japonais de cons-
truire un réseau ferré de plus de 10000 kilomètres, qui
dessert d'une façon très suffisante les régions de l'intérieur
et assure les relations terrestres entrel'Est et l'Ouest, le Sud
et le Nord des grandes iles. Seul le réseau routier est
médiocre et mal entretenu , ce qu'explique suffisamment le
peu d'emploi que l'on fait des transports par voitures.
LA COREE
Dès que le Japon se fut donné une marine de guerre
et une armée organisées à la moderne, il utilisa l'une et
l'autre pour placer sous_ sa domination la Péninsule de
Corée. Elle lui était indispensable non seulement au point
de vue stratégique, mais surtout comme terre d'exploita-
tion et de peuplement.
Le traité de Shimonoséki, en J895, enleva l'Empire Coréen à la
suzeraineté chinoise et le plaça sous l'influence japonaise tout en
lui laissant une large autonomie. Neuf ans plus tard, la Russie
ayant manifesté clairement l'intention d'annexer la Corée sous une
(orme ou une autre, le Japon n'hésita pas à déclarer la guerre à
l'Empire des Tsars. Ses victoires lui permirent d'abord de réduire
à néant les projets russes, puis de transformer l'autonomie en
protectorat (traité de Portsmouth 1905). Depuis lors.de nouvelles
conventions signées en 1907 et en 1909 accrurent les droits du
Japon qui, en août 1910, supprima le protectorat et annexa pure-
ment et simplement le territoire coréen. La Corée fait donc
aujourd'hui partie intégrante de l'Empire du Soleil Levant, au
même titre que Yeso ou Hondo.
Jusqu'à 1878, la Corée demeura aussi jalousement fermée aux
étrangers que l'était le Japon en 1850. Aussi n'avait-on sur ce pays
que des renseignements fragmentaires et très vagues dus aux mis-
sionnaires. Les côtes mêmes étaient fort mal connues. Depuis lors,
grâce à l'occupation japonaise, à la construction des voies ferrées,
aux travaux des géographes, des géologues, des ingénieurs, des
agronomes nippons, nos connaissances se sont fort accrues et nous
permettent de nous faire une idée exacte de la géographie coréenne,
des habitants et des ressources du pays.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
La Corée(queles Orientaux nomment Tchosen ou Pays
du matin calme) est une grande presqu'île d'environ
220000 kilomètres carrés, sise entre la Mer Jaune à
l'Ouest, la Mer du Japon à l'Est, les détroits de Broughton
et de ICrusenstem qui, au Sud, la séparent du Japon. Elle
se rattache au continent asiatique par un large pédoncule
montagneux orienté Sud-Ouest-Nord-Est : la chaîne du
Tchang-paï-chan ou du Chan Aline (près de 3000 mètres
au point culminant) qui l'isole des plaines de Mand-
chourie. De cette chaîne se détache transversalement une
longue arête orientée Nord-Ouest-Sud-Est qui, longeant
de près les côtes orientales, s unissait autrefois aux monta-
gnes japonaises, comme en témoignent les faibles profon-
deurs du détroit de Corée et le grand nombre d'iles
et d'îlots (île Quelpaert, île de Tsou-shima, archipel
Coréen) jetés comme les piliers d'un pont naturel entre
l'extrém.té méridionale de la péninsule et les îles japo-
naises qui lui font face. Cette arête montagneuse d'cilti-
lude médiocre ( 1 500 à 1 700 mètres au point le plus élevé)
a son versant le plus raide tourné vers l'Est où s'ouvrent.
à peu de distance du rivage, les fosses profondes de la
Mer du Japon. A l'Ouest, la pente est beaucoup plus
allongée, partant plus douce. Une série de contreforts,
de mcunelons boisés, ondulent en s'abciissant peu à peu
vers les plaines littorales qui s'ouvrent sur les hauts fonds
de la Mer Jaune (75 mètres au point le plus bas). Dans
l'ensemble, le pays est fort accidenté ; cependant les
plaines cultivables y occupent une étendue relativement
supérieure à celle du Japon. De plus, la médiocrité de
l'altitude moyenne permet d'utiliser la majeure partie des
collines jusqu'à 1 000 mètres de hauteur et rend aisée la
création de voies de communication.
La latitude de la Corée est la même que celle de Hondo.
Mais les influences continentales agissent avec une force
singulièrement plus grande. A des hivers très froids suc-
cèdent des étés extrêmement chauds (la moyenne de jan-
vier est, à Séoul, de — 4 , celle de juillet s'élève à + 27°).
Seules les régions du Sud ont un climat plus doux. Les
vents de mousson alternent comme dans toute l'Asie de
rE.st et du Sud, tour à tour glacés ou tièdes. D'abondantes
370
chutes de neige se produisent de novembre à mai, et
sur le versant occidental les cours d'eau gèlent pendant
trois mois. En été, les averses sont aussi fréquentes qu'au
Japon.
La végétation se compose d'essences arbustives et flo-
rjJes qui forment une zone intermédiaire entre la Chine
et la Mandchourie d'une part, et d'autre part l'Archipel
japonais. Des forêts, où s'abritent les fauves (tigres sur-
tout, ours, loups), couvrent une partie des montagnes. Les
conifères s'y mêlent aux arbres à feuilles caduques, aux
camélias arborescents, aux arbres à cire végétale et à ver-
nis. Les pentes inférieures sont revêtues de fourrés très
épais. Dans le Nord-Est, des steppes aux hautes herbes
annoncent déjà les steppes mandchoues.
Fleurs et fruits abondent. " Pendant la saison, les champs sont
émaillés de primevères de Chine, de lis, de pivoines et d'autres
espèces inconnues en Europe. Mais, à part l'égtantine et le muguet,
toutes ces fleurs sont inodores ou d'un parfum désagréable. Quant
aux fruits, si l'on excepte la pastèque et le kaki, ils sont msipides
LE JAPON
el aqueux. Les raisins ont un suc désagréable; les fraises, très belles
à la vue, ne sont pas mangeables; les pêches ne sont que des avor-
tons véreux.
Le littoral de l'Est, presque recliligne et dominé par
de hautes falaises, contraste avec les rivages du Sud et
de l'Ouest, dentelés, déchiquetés, percés de baies pro-
fondes, bordés d'îles très nombreuses, tout à fait sem-
blables aux côtes de la Méditerranée japonaise. Là se
trouvent les meilleures rades de la Péninsule : Masampo
et Fousan, fort bien placées pour assurer des relations
rapides et faciles avec l'Archipel Japonais.
Quant aux Heuves, ils ne sont, en général, que des
torrents régulièrement grossis par la fonte des neiges et
les pluies d'été. Les plus longs : le Yalou au Nord qui
sert de Hmite à la Corée, et le Nak-tong-Kang au Sud,
qui débouche à Masampo. peuvent cependant donner
accès à des navires de faible tirant d'eau. Les autres, ou
bien n'ont aucune utilité, ou bien servent à l'irrigation
des rizières.
GEOGRAPHIE HUMAINE
On ne sait à peu près rien sur l'origine des Coréens
et leur histoire. Ils paraissent provenir d'un mélange
d'éléments toungouses, chinois et nippons fondus depuis
très longtemps en une même race. De taille un peu plus
élevée que les Chinois et les Japonais, ils présentent une
grande variété de types, allant du Mongol (tête large,
yeux obliques, pommettes saillantes, petit nez perdu dans
la double rondeur des joues, lèvres épaisses, barbe rare,
teint cuivré) au Malais (figure ovale, nez proéminent,
barbe assez fournie, peau fine au teint mat). Ils passent
généralement pour être robustes, bons travailleurs, de
carac'.ère doux et apathique, dépourvus d'initiative el
de volonté, ce qui explique la résignation avec laquelle
ils acceptèrent alternativement la suprématie chinoise ou
japonaise. Leur langue, à la fois polysyllabique et agglu-
tinante, diffère essentiellement des dialectes de leurs
voisins. Mais l'usage du chinois est fort répandu, surtout
parmi les castes supérieures, et le japonais fait de consi-
dérables progrès. Le confucianisme elle bouddhisme sont
les religions officielles : il est vrai qu'ils se mêlent de
nombreuses pratiques superstitieuses, et que, d'autre
part, il existe peu de gens au monde qui soient aussi
indifférents que les Coréens en matière de croyances.
Les bonzes sont rangés parmi les castes de la dernière
catégorie, et le mépris que l'on a pour eux s étend à
la religion qu'ils représentent. Les institutions sociales
des Coréens, leur civilisation matérielle, leurs habitudes,
leurs mœurs, leurs costumes, leurs habitations, diffèrent
peu de ce que nous avons vu en Chine.
Le chiffre de la population n'est connu que depuis
le recensement de 1914. 11 atteignait à cette date
1 5 300 000 habitants, soit une densité de 74 habitants au
kilomètre carré, exactement égale à celle de la France.
Le recensement de 1920 a donné 17 284 000 habi-
tants, soit 78 au kilomètre carré. Les plaines, les col-
lines fertiles de l'Ouest et du Sud attirent et fixent la
majeure partie des Coréens. Grâce aux produits des
pèchenes, les côtes ont aussi une population très dense.
Par contre, les régions montagneuses du Nord ne
nourrissent qu'un petit nombre d'habitants.
L'agriculture est naturellement la pnncipale ressource.
Le riz tient la tête, grâce à la grande chaleur des étés
etàla facilité de l'irrigation. Le blé, l'orge, le millet, les
haricots, les pois se classent ensuite. Les Coréens
récoltent aussi du tabac de bonne qualité, du chanvre,
des plantes oléagineuses comme le ncin et le sésame,
une racine, le ginseng, très appréciée des Chinois pour
ses qualités toniques. Le cotonnier, encore peu répandu,
parait devoir réussir fort bien.
Enfin les animaux domestiques ont en Corée beau-
coup plus d'importance et d'avenir qu'au Japon. Bœufs
et chevaux, petits mais rustiques et résistants, s'accom-
modent du climat continental beaucoup mieux qu'ils
ne le font de l'humidité de l'Archipel.
La mainmise du Japon sur la péninsule Coréenne est
de date trop récente pour qu'elle ait donné jusqu'ici de
grands résultats. Cependant les Nippons se sont mis
résolument à l'œuvre. Ils avaient déjà depuis longtemps,
dans tous les grands centres, des colonies qui détenaient
371
L'ASIE
la majeure partie des transactions. Ces colonies s'accrois-
sent aujourd'hui d'autant plus vite que la Corée se prête,
mieux que tout autre pays, au peuplement japonais.
De vastes espaces encore en (riche peuvent nourrir des millions
d'agriculteurs nouveaux, et même les régions déjà cultivées par des
Coréens sont capables de tripler leur production sous la direction
d'hommes compétents. Déjà apparaissent en Corée des écoles
d'agriculture, des stations d'études forestières, des fermes modèles.
On perfectionne peu à peu les méthodes très arriérées de sérici-
culture ; on étudie les moyens d'accroître dans de fortes propor-
tions le troupeau bovin. Les capitalistes japonais achètent de grands
domaines où des colons nippons servent de guides aux paysan?
coréens. Les richesses minières, qui paraissent abondantes (or,
cuivre, etc.), commencent d être exploitées. Des industries locales
de vieille réputation sont encouragées : fabrication de papiers, pré-
paration des cuirs, tressage de nattes. Enfin une grande voie ferrée,
jetée suivant l'axe de la Péninsule, de Fousan au Yalou par Séoul,
se raccorde à Liao-Yang avec le Transmandchourien d'où l'on gagne
le Transsibérien par Moukden et Kharbln. Cette artère centrale
donne une vie nouvelle à toutes les régions du versant occidental. Elle
doit servir de base à d'autres lignes transversales se dirigeant d'une
part sur Mokpo, d'autre part sur Gensan et Vladivostok. Elle se
complète par l'établissementd'un réseau routier, ou tout au moins
de bonnes pistes accessibles aux animaux de bât, dont la longueur
dépasse déjà 3 000 kilomètres.
Les progrès très rapides de la mise en valeur du
pays coréen se manifestent par le chiffre des transactions.
Dans les quatre années qui précédèrent la Grande
Guerre, les importations passèrent de 39000000 de yen
(le yen valant 2 fr. 56) à 72000000, les exportations de
20 000 000 a 30 000000. Ces chiffres se sont fort accrus de-
puis; ils atteignaient, en 1919, 280000000deyen pour les
achats et 220000000 pour les ventes. La Corée demande
àl'étranger des cotonnades (70000000 deyen en 1919),
du charbon (14000000), des machines (9 000000), de
l'huile, du papier, des cigarettes, etc. Elle exporte du riz
surtout (1 10 000 000 de yen), puis des pois, haricots et
autres légumes (23000000), du bétail, des cuirs, un peu
d'or.
Le Japon est, naturellement, le principal fournisseur de
la Corée (185000000 de yen, sur 280000000) et sur-
tout son meilleur client (200000000 sur 220000000).
Parmi les principales agglomérations coréennes, grands
villages aux petites maisons d'argile couvertes de chaume,
on ne peut guère citer que les ports : Gensan, Fousan,
Masampo, Mokpo, Tchemoulpo et la capitale Séoul"
peuplée de 302000 habitants dont 50000 Japonais.
LA PRESQU'ILE DE KOUANG-TOUNG
Depuis 1906, les Japonais ont pris la place des Russes
dans la presqu'île de Kouang-Toung, extrémité méri-
dionale de la Péninsule de Liao-Toung, qui s enfonce
comme un coin entre le golfe de Petchili et la baie de
Corée au Sud de la Mandchourie. Ils ont là, non en toute
propriété mais à bail, un territoire de 3400 kilomètres
carrés, peuplé de 5 ! 7 000 habitants. Un seul coup d'oeil sur
la carte montre le très grand intérêt stratégique et écono-
mique d une pareille possession. EJle commande la route
de Tientsin et de Pékin, et est le débouché naturel des
immenses plaines mandchoues où les Japonais se portent
en nombre croissant (on en comptait plus de 1 50 000
en 1920).
Entre les matnsdes Nippons, Port-.^rthur est devenue
une imprenable forteresse, Da'iren (1 ancienne Dalny) un
port franc, doté d'un outillage parfait et dont les eaux
profondes, toujours libres de glace, sont fréquentées par
un nombre grandissant de navires. En 1913, le com-
merce de la petite presqu'île dépassait en valeur celui de
la Corée : 137000000 de francs aux importations,
165 000000 de francs aux exportations. Les chiffres
pour 1919 sont : aux importations, 108 000000 de
taëls ha'ikwan (le taël valant, au pair, 3 fr. 60, et presque
le triple en 1919), aux exportations 103 000 000 deyen,
soit 500 000 000 de francs, environ.
Les 50000 Japonais (non compris les troupes d'occu-
pation) fixés à Port- Arthur et à Daïren se chargent de
la majeure partie des transactions.
CONCLUSION
Le Japon possède désormais tout ce qui fait la force
dun grand peuple : une population surabondante, la
puissance navale et militaire, une industrie florissante,
un commerce qui ne cesse de s'accroître, des capitaux,
des colonies de peuplement et d'exploitation placées a
sa porte, une vive intelligence, un sens aigu des réalités,
de rares facultés d'assimilation et d'adaptation. 11 amis la
main sur la Corée ; il domine nettement en Mandchourie
dont il prépare l'annexion ; il vient d'acquérir une
partie des colonies allemandes du Pacifique. Par les
372 ^— _
Pescadores et Port- Arthur il commande toutes les routes
de mer qui mènent à la Chine. Il la considère du reste
comme une dépendance naturelle de son Empire et est
admirablement placé pour recueillir, de gré ou de force,
le meilleur profit d'une évolution dont il surveille et
dirige les lents progrès. Il n'a plus rien à craindre des
ambitions russes. Ce sont au contraire les étrangers, ses
anciens éducateurs, qui commencent a redouter 1 excès
de sa puissance économique et la grandeur de ses desseins.
Le " péril jaune " ne réside point dans la possibilité de
LINDO-CHINE
conflits armes qui mettraient aux prises l' Extrême-Orient peuvent faire auxproduits de l'Amérique et de l'Europe,
et le reste du monde : il réside simplement dans l'insou- L'avenir nous dira si ces prévisions, que les Japonais
tenabie concurrence que Japonais et Chinois réunis, dis- ne craignent pas de considérer comme inéluctables, au
posant d une masse énorme de matières premières, moins en ce qui concerne le monde Asiatique et Paci-
d'une main-d oeuvre inépuisable et à bon marché, fique, se réaliseront jamais.
CHAPITRE XXVII
L'INDO-CHINE
GENERALITES
L Indo-Chme, autrefois désignée sous le nom d'Inde
Transgangétique. est une vaste presqu'île sise entre le
golfe du Bengale, le détroit de Malacca, la Mer de
Chine et I Empire Chinois. Elle occupe une position
géographique très avantageuse, au point de contact de
deux régions qui renferment les plus fortes aggloméra-
tions humaines de notre planète, en face de l'Insulinde
et de l'Australie. Elle commande la grande route de mer
qui mène d'Occident en Extrême-Orient, et sa double
façade mantime, le développement de ses côtes, le
nombre relativement élevé de ses ports naturels lui
permettent d'utiliser largement les profits d'une pareille
situation. De plus, tout enayant un climat analogue àcelui
de l'Inde, l'Indo-Chine ne connaît pas les sécheresses
absolues ou même les dangereuses irrégularités d'une
mousson capricieuse. Plus étroite que sa voisine, plus
articulée, mieux orientée, elle reçoit à peu près partout
en quamtité suffisamte l'eau nécessaire aux récoltes. Enfin,
la majeure partie de ses terres : deltas et plaines allu-
viales du Tonkin, du Cambodge, du Siam, de la Birmanie,
plateaux du Laos, se prête aussi bien et parfois mieux
que le sol de l'Inde à toutes les cultures de la zone tro-
picale.
Cependant jcimais l'Indo-Chine ne joua un rôle histo-
rique, économique et social comparable a celui de ses
voisines indienne et chinoise. La densité moyenne de la
population est quatre fois inférieure à celle de l'Inde. Une
assez forte proportion de ses habitants doit être classée
parmi les sauvages, et le territoire qu'ils occupent
dépasse de beaucoup en superficie celui des civilisés du
littoral. Les raisons de cette anomalie sont multiples et
encore assez mal expliquées.
La plus importante peut-être est la disposition Nord-
Sud des arêtes montagneuses et par conséquent des bas-
sins fluviaux. Divisée en compartiments que séparaient
des chaînes élevées couvertes de forêts vierges, l'Indo-
Chine ne put jamais constituer une grande unité nationale.
capable de progrès rapides, ayant une force considérable
d'expansion. Elle subit à l'Ouest l'influence de l'Inde, a
l'Elst celle de la Chine, au Sud celle des peuples Malais,
sans parvenir jamais à réagir. L Empire des Khmers.
fondé dans les riches plaines du Cambodge, n'eut qu'une
importance étroitement localisée et une durée éphémère.
Il faut aussi tenir compte dans une très large mesure
des guerres dévastatrices qui, dans le pays des Chams,
au Laos, au Tonkin, au Cambodge, se prolongèrent
jusqu'au milieu du Xix' siècle et dépeuplèrent presque
totalement des régions dont les habitants se chiffraient
autrefois par dizaines de millions. Ces guerres eurent
pour l'Indo-Chine des conséquences semblables aux
ravages causés par la chasse aux esclaves dans l'Afri-
que Soudanaise.
Aujourd'hui, l'Indo-Chine connaît enfin un régime de
paix, de sécurité, qui est le facteur essentiel de son déve-
loppement. Anglais et Français complètent peu à peu
l'exploration de ses territoires, dressent le tableau de
ses ressources et commencent a les mettre en valeur.
Roules, voies ferrées, navigation à vapeur pénètrent
chaque année plus avant. Le chiffre de ses habitants
s'accroît vite; les " sauvages " s'humanisent et sont
gagnés lentement à la civilisation. Les foyers de vie
intense, jusqu'alors circonscrits dans quelques régions
côtières particulièrement favorisées, rayonnent à l'inté-
rieur. L'Indo-Chine peut devenir une seconde Inde. Il
ne faut pour cela que du temps, delà volonté, d'intelli-
gentes initiatives, la parfaite connaissance des indigènes,
surtout la continuité méthodique des efforts.
En mettant a part la Birmanie, rattachée adminis-
trativement à l'Empire des Indes, et que nous étudie-
rons plus loin, la presqu'île Indo-Chinoise couvre
i -400000 kilomètres carrés, peuplés de 25000000 à
27000000 d'habitants. Elle comprend :
1° Le royaume indépendant du Siam : 330000 kilo-
mètres carrés (6000000 k 7 000000 d'habitants) ;
373
L'ASIE
2" Les possessions et protectorats anglais de la Pénin-
sule Malaise : 136000 kilomètres carrés (2500000
habitants) ;
3° L'Indo-Chine française,
720000 kilomètres carrés et
17000000 d'habitants.
qui couvre environ
nourrit 16000000 k
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
Le relief
NOTIONS GÉOLOGIQUES, aa L'Indo-Chine, comme la
Péninsule du Décan, est une région très anciennement émergée.
Fortement plissée aux temps primaires, puis soumise aux effets
ordinaires de l'érosion qui réduisit considérablement son niveau
moyen, elle subit, aux temps tertiaires, le contre-coup des grands
mouvements de l'écorce terrestre qui, à cette époque, donnaient
naissance à l'Himalaya, aux chaînes Tibétames, etc. Cependant,
seule la périphérie de l'ancien massif fut affectée par ces mouve-
ments : le relief primitif rajeuni reparut sous forme de chaîne'
divergentes qui, partant du Tibet oriental, parcoururent la Bir-
manie et la Péninsule IVIalaise, le Haut-Tonkin, l'Annam, et se
prolongèrent dans l'Insulinde par les montagnes de Sumatra. Le
centre ne bougea pas et conserve, dans tout le Laos, les faibles alti-
tudes, le relief émoussé propres aux vieilles régions très usées.
On ne trouve donc dans l'Indo-Chine que des terrains fort anciens
ou tout à fait récents. Les premiers sont représentés soit par des
roches cristallines (granit, gneiss), soit par des roches sédimentaires,
plus ou moins métamorphosées appartenant aux divers étages
de l'ère primaire : grès, calcaires, marbres, poudingues, schistes,
pépôts houillers, etc., auxquels se mêlent parfois des basaltes et
des laves de même époque. Aux seconds appartiennent les plaines
alluviales bâties par les apports des fleuves aux dépens de golfes
marins peu profonds : plaines deltaïques du Siam, du Cambodge,
de la Cochinchine, du Tonkin.
La " latérite ", argile rouge provenant de la décomposition
superficielle des roches cristallines ou volcaniques, n'est point absente
de l'Indo-Chine. On la trouve notamment dans le Sud de l'Annam
et en Cochinchine où elle est connue sous le nom de pierre de
Bienhoa. Mais elle paraît occuper une aire relativement beaucoup
moins étendue que dans nombre d'autres contrées tropicales (Ceylan,
Décan, Madagascar, Afrique Centrale, etc.).
LES MASSIFS DU HAUT-TONKIN ET DU
HAUT-LAOS. jH/!J Le Nord de rindo-Chine est
couvert, sur 200000 kilomètres carrés environ, d'une mul-
titude de chaînons, de massifs, de hauts plateaux orientés
tantôt du Nord-Ouest au Sud-Est (Tonkin), tantôt
du Nord- Est au Sud-Ouea (Laos), et qui se rattachent
immédiatement aux régions similaires de Birmanie,
du Yunnan, du Kouang-Si. C'est une sorte de " houle
pétrifiée ", un ensemble extrêmement tourmenté et confus
qui couvre tout le Haut-Tonkin, le Haut-Laos, les
régions septentrionales du Siam.
L exploration est loin d'en être terminée, notamment
en ce qui concerne les hauteurs du Sip-Song et les pla
teaux du Tran-Ninh, cette " Transylvanie Laotienne ''
qui s étale largement entre les vallées tonkinoises et le
cours du Mé-Kong. La hauteur moyenne des massifs
se maintient entre 1500 et 2500 mètres (point culmi-
nant : l'Aiguille du Ta-Yang-ping, 3145 mètres, près
374
de Lao-Kay, aux frontières du Yunnan), et leur struc-
ture, leur aspect varient considérablement suivant la
nature des roches, l'intensité de l'érosion, la végétation
qui les recouvre. Des dômes, des ballons aux pentes
douces, vêtus d'épaisses forêts, rappelant nos montagnes
des Vosges ou d'Auvergne, voisinent de très près avec
des escarpements calcaires très abrupts, des cirques gran-
dioses aux parois verticales, des pics, des aiguilles déchi-
quetées et nues. Les cours d'eau serpentent au fond de
gorges étroites, dominées par des falaises hautes de plu-
sieurs centaines de mètres, et les phénomènes ordinaires
aux régions de calcaires perméables y apparaissent avec
une remarquable ampleur : grottes, gouffres et crevasses,
pertes de rivières, sources vauclusiennes, etc.
LES CORDILLÈRES MALAISE ETANNA-
MITIQUE. £>^ De cet ensemble de hautes terres
se détachent, à l'Ouest et à l'Est, deux longues chaînes
que l'on peut désigner sous le nom de Cordillère
Malaise et de Cordillère Annamitique.
La Cordillère Malaise sépare d'abord le bassin du
Ménam du bassin de la Salouen, le Siam de la Birmanie.
Puis elle forme l'ossature du long et bizarre pédoncule que
r Indo-Chine projette, sous le nom de presqu'île Malaise,
jusqu'au détroit de Malacca. D'abord élevée ( 1 200 à
1 500 mètres) et difficile à franchir dans la région du
Tenasserim, la chaîne s'abaisse rapidement pour ne
laisser dans l'isthme de Kra qu'un seuil de quelques
dizaines de mètres seulement. Au delà de cet isthme, que
l'on pensa couper d'un canal maritime, l'altitude s'accroît
à nouveau en même temps que la péninsule s'élargit. Le
mont Robinson, dans l'Etat de Kérak, atteint 2445
mètres, et le mont Ophir, dont les dernières ondulations
viennent mourir aux environs de Singapour, s élève
encore à près de 1 300 mètres.
La Cordillère Annamitique s'étend du Delta du Song-
Koï au Delta du Mékong ' ' comme un bâton de bambou
portant deux sacs de riz ". C'est moins une chaîne continue
qu'une succession de massifs et de hauts plateaux sépa-
rés les uns des autres par des dépressions : massifs de
Pou-Luang et de Pou-Hac au Nord ; massifs de Pou-
Atouat, de Pou- Dong, plateau des Boloven au Centre;
plateau de Lang-Bian au Sud. La hauteur moyenne
est de 1 500 mètres, et nombre de pics y dépassent
INDt])aHIIlNB
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GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. 18, pape 374
L'INDO-CHINE
2 000 mètres. La largeur du système montagneux, son
altitude moyenne relativement forte, les forêts malsaines
qui le couvrent, en rendent l'exploration fort difficile.
Les passages y sont rares et malaisés. Le plus impor-
tant est le col de Aï-Lao (360 mètres d'altitude) qu'em-
prunte — en attendant une voie ferrée — la piste de
Hué à Kemmarat. A l'Elst, la pente est raide vers les
rivages de la Mer de Chine, et les montagnes détachent
une série de contreforts terminés par de hauts promon-
toires, isolant des petites plaines marécageuses, des baies
profondes accessibles aux grands navires. A l'Ouest, c'est
par de lentes ondulations que les plateaux descendent
vers la vallée du Mékong.
LES PLATEAUX DU L.AOS. 00 L'espace
compris entre .les chaînes de l'Annam et de la Malaisie
forme comme une immense cuvette dont la peirtie cen-
trale est occupée par les plateaux gréseux du Laos (250
mètres d'altitude moyenne). C'est une " pénéplaine ".
une plate-forme soumise depuis le début des temps secon-
daires aux effets d'une intense érosion. Elle rappelle
1 Afrique Occidentale, les régions du Niger et du Tchad,
par sa structure, la nature de ses paysages, les cuvettes
largement évasées qui s'y creusèrent, les " buttes-
témoins ", les saillies rocheuses qui en interrompent çà
et là l'uniformité : monts Dang-relc (300 à 500 mètres),
entre le bassin du Sémoun et la dépression du Tonlé-
Sap, monts des Cardamomes (1606 mètres au point
culminant), en bordure du Golfe de Siam. etc. Couverts
de forêts claires, de savanes, de steppes aux courtes
herbes qu'interrompent des lagunes temporaires, des
marais plus ou moins salés, ces plateaux, mal connus et
faiblement peuplés, contrastent avec les riches plaines
qui les encadrent : à l'Ouest plaine du Ménam. à l'Est
plaine du Mékong, l'une et l'autre anciens golfes marins
lentement colmatés par les alluvions.
LES CÔTES. 00 Le littoral Indo-Chinois dé-
bute sur le Golfe du Bengale par les rivages accidentés
du Tenasserim que dominent immédiatement des monts
«.ouverts de forêts vierges et que twrdent les iles nom-
breuses de l'Archipel des Mergoui. Au delà de l'isthme
de Kra, l'extrémilé élargie de la Péninsule Malaise
s allonge entre le détroit de Mcilacca et les faibles pro-
fondeurs de la Mer de Chine. Les montagnes s'écartent
de la cote qui demeure cependant assez accidentée, mais
où les petits fleuves malais ont construit des plaines allu-
viales larges de plusieurs dizaines de kilomètres. Les
meilleurs ports se trouvent dans les îles de Poulo-Pinang
(Georgetown) et de Singapour.
A l'Est de la presqu'île Malaise se creuse le golfe de
Siam, serré de près par les hauteurs du Tenasserim et
les monts des Cardamomes. Bangkok y est le débouché
naturel des plaines du Ménam.
Après le large delta du Mékong qui s'étale sur un
Iront de 600 kilomètres entre la Pointe de Camau et
le Cap Saint-Jacques (port fluvial de Saigon), commence la
côte d'Annam. Ellle est d'abord très articulée, découpée
par des caps rocheux (caps de Padaram et Varella) qui
ceignent des baies profondes et de sûrs abris (baies de
Cam-Ranh, de Qui-nhon. de Tourane). Puis les mon-
tagnes s'enfoncent dans l'intérieur, et le littoral, formé de
dunes basses, s'allonge rcctiiigne et sablonneux jusqu'au
delta du Tonkin. Battue par la houle du Nord-Est et
les cyclones de la Mer de Chine, cette côte, redoutée des
pécheurs annamites, a re(;u le nom de Côte-de-fer.
Les rivages Tonkinois débutent d'abord par les plaies
et monotones étendues des terres alluviales que char-
rièrent le Song-Ca, le Song-Ma et le Song-Koï. Le
port fluvial d'Haïphong y lutte péniblement contre l'en-
vasement. Mais au delà de Quang-Yen et jusqu'à la
frontière de Chine s'ouvrent une multitude de baies
très sûres (baie d'Along) abritées derrière une poussière
d'îles et d'îlots : iles Cao-ba, de la Table, Kefjao, etc.
Ces îles, formées de roches calcaires aux falaises raides,
percées de grottes, d'arches naturelles, " surgissant de la
mer comme un bataillon de gigantesques menhirs ", ser-
vaient autrefois de repaires aux fameux " Pavillons-
Noirs ". Elles sont une des curiosités naturelles les plus
remarquables du Continent Asiatique.
Le Climat
Le climat de l'Indo-Chine présente de grandes ana-
logies avec celui de l'Inde située aux mêmes latitudes.
Il se caractérise en général par l'élévation et la consternée
de la température, la prédominance des vents de mous-
son, l'abondance des pluies, l'humidité de l'atmosphère.
Nulle part, dans les régions liasses, la moyenne des
températures annuelles n'est inférieure à 23'^, mais, sui-
vant la latitude et la situation maritime ou continentale
des lieux envisagés, on observe des différences sensibles
entre les diverses régions. L'extrême Sud a le régime
équatorial normal, avec des écarts annuels qui ne dépsis-
sent pas 1" à 2'' (Smgapour). Bangkok et Saigon, plus
éloignées de 1 Equateur, connaissent des amplitudes déjà
un peu plus fortes. Les maxima et minima moyens
d'hiver et d'été sont compris entre 35 et 20 . L'am-
plitude augmente encore en Annam et surtout au Ton-
kin. A Hanoï, il existe une véritable saison fraîche, un
hiver — au moins relatif — où la température moyenne
( 1 6") peut s'abaisser exceptionnellement à 1 0° et même
à 8°. Le début de cette période fraîche (novembre.
375
GEOGRAPHIE LNIVERSELU
37
L'ASIE —^^ —
décembre et janvier) qui succède à la grande saison
pluvieuse, est sec et agréable. Fe'vrieret marssesigncJent
fréquemment, au contraire, par une petite pluie froide,
fine, pénétrante, le crachin ", parfeiitement déplaisant,
il va de soi que ces conditions se modifient grandement
CLIMAT DE L'INDO-CHINE
*o
S
Températures moyennes
î
1
'Ë
Stations.
2
c
i
Mo
is
c
Observa
lions
•3
1
le
plus
le
plus
â
<
■h
chaud.
froid.
3
a.
Singapour
l-IS
26»8
mai 27°7
25»8
1»9
2 340
Pluies toute
l'année.
Saigon . . .
in»47
27<">
avril 30»2
dré. 25"2
5»
1 870
Mai .octobre.
Bangkok-
W^f.
2h°l
avril 28°5
déc. 23"8
4°7
1 480
—
Hué
ifi°«
IVZ
juin 30°2
fév. 19»7
11»
2 590
Sept, janvier.
Huioi...
2I°2
30
24°1
juU. 29<'7
fév. 16°l
I3°6
1 600
Mai-septembre
Vien-T^an
(Laos).
IS°2
km:
26°
avril 28'2
déc 20»9
8°7
1 7')()
AvriUsept.
Cao-Bang
22°4n
50f
21-3
mai 27»9
déc. 13''6
I4»3
1 IW
Avril-août.
H*Tonkin
Xieng-
Kbouan?
19°
1 100
18«3
juin 23°
déc. 13°7
9°3
2 500
Avril-oct.
(plateau de
Tranninh)
*
dans les régions élevées comme en témoignent les chiffres
fournis par Cao-Bang et Xieng-Khouang.
Les grandes pluies sont amenées en été d'avril à
octobre par la mousson du Sud-Ouest. Seules la pres-
qu'île Malaise et la côte d'Annam reçoivent leurs plus
copieuses averses d'octobre à janvier, car la mousson
du Nord-Est, avant de les atteindre, s'est chargée d'hu-
midité sur la Mer de Chine et le Golfe de Siam. Les
chaînes Malaises, la côte des Cardamomes, les montagnes
de l'Annam, du Haut-Laos et du Haut-Tonkin sont
les régions les plus arrosées. Elles reçoivent partout plus
de 2 mètres d'eau, et peirfois 5 à 6 mètres. Les bas
plateaux du Laos, entourés de montagnes qui arrêtent
ou ralentissent les nuées, ont par contre des pluies moins
abondcuites et plus irrégulières (de 0 m. 50 à 1 mètre).
La mousson s'accompagne parfois de typhons extrêmement violents.
Ils naissent au large des Philippines, traversent d'Est en Ouest la
Mer de Chme, et s'abattent sur les côtes d'Annam et du Tonkin.
jetant sur le rivage des vagues énormes, détruisant les villages, le'
plantations. Le typhon de 1903, qui passa sur Hanoï, fit près de
3 000 victimes dans les villages de la côte. Sa force était telle sur
certains points que l'on vit des poteaux télégraphiques en fer tordus
à angle droit, d'autres comme transformés en vis. En 1904, un
millier d'indigènes périrent près de Hué, etc. On peut heureuse-
ment aujourd'hui, grâce aux télégrammes de T. S. F. lancés par les
observatoires de Manille et d'Hanoï, prévenir les navires assez à
temps pour qu'ils puissent soit se mettre à l'abri, soit tout au moins
éviter la trajectoire suivie par le cyclone.
Le climat indo-chinois a les inconvénients habituels
des climats chauds et humides. Les mois d'été, d'août à
octobre, sont particulièrement difficiles à supporter, au
Tonkin plus encore qu'en Cochinchme. ' Tout l'été
l'exercice physique est impossible, le travail intellectuel
difficile. On est assoupi, accablé par la chaleur humide,
inondé d'une sueur que nulle évaporation ne diminue.
Le panka , sorte d immense éventail mis en mouve-
ment par un boy, est nécessaire ; on ne goûte quelque
repos qu'à l'aide des ablutions froides souvent répétées.
II ne faut pas sortir si ce n'est de 5 heures à 7 heures
du soir ou dans les premières heures de la matinée.
Dysenteries, fièvres pernicieuses, affections du foie, anémie
palustre ne peuvent être évitées qu au prix de multiples
précautions et par une hygiène très stricte. Les régions
les plus malsaines ne sont pas, du reste, les deltas, tout
entiers mis en culture, mais plutôt les montagnes boisées,
jusqu'à 1 000 ou 1 200 mètres d'altitude. L'accumula-
tion des débris végétaux, la persistance des brouillards,
les mares stagnantes où l'anophèle pond ses larves, y sont
autant de causes d'insalubrité, et " la fièvre des bois
sévit durement dans les hautes régions de I Annam, du
Laos, du Tonkin, de la Malaisie. Seules certaines régions
côtières, balayées et vivifiées par la brise marine, ou bien
encore quelques régions très élevées, quelques sommets
dénudés et bien exposés, sont relativement salubres. Les
plateaux de Lang-bian pour la Cochinchine, ceux du
Tran-Ninh pour le Tonkin, le Massif du Robinson en
Malaisie se prêteront particulièrement bien à la cons-
truction de sanatoria lorsque l'on pourra y acc«ler
asément.
L' Hydrographie
Les copieuses averses qui s'abattent sur l'Indo-Chine
alimentent un grand nombre de cours d'eau qui pré-
sentent plusieurs caractères communs.
Soumis à 1 action des moussons, ils ont, sauf dans le
Centre et le Sud de l'Annam, leurs basses eaux en hiver
et leurs hautes eaux en été. Les crues, très régulières,
prennent une ampleur considérable. Elles inondent sur
de larges espaces les vallées voisines, les forêts, les
jungles qui les recouvrent, déplacent les bancs de sable.
suppriment les îles anciennes, en créent de nouvelles.
Parfois, dans les deltas cultivés, la violence du courant
rompt les digues riveraines, digues naturelles nées des
dépôts limoneux accumulés par les fleuves ou digues
artificielles qui protègent les rivières. Lors du retrait des
eaux, des chapelets de mares, de lagunes, de bras morts
subsistent de chaque côté du lit principal. Ce sont là
phénomènes ordinaires à tous les grands fleuves de
la zone tropicale.
376
L'INDO-CHINE
D'autre pari, comme les fleuves indo-chinois iraversenl
sur une partie de leur cours des re'gions montagneuses ou
des barres rocheuses. Ils sont fre'quemment coupe's de
cascades, de rapides qui opposent un obstacle considé-
rable à leur utilisation.
Enfin la plupart d'entre eux rouientdes masses énormes
daliuvions et débouchent sur des mers sans profondeur.
Aussi ont-ils pu édifier des deltas qui ne cessent de s'ac-
croître avec une grande rapidité. Au Vil'' siècle de l'ère
chrétienne, par exemple. Hanoi était placée sur le
rivage même de la mer : elle en est aujourd'hui à plus
de 100 kilomètres. Ces deltas, au sol mer\eilleusemenl
fécond et d'une irrigation très aisée, nourrissent les
huit dixièmes de la population totale.
De tous les fleuves Indo-Chinois, le Mékong est de
beaucoup le plus considérable. On évalue sa longueur
à plus de 4200 kilomètres, son bassina 1 000000 de kilo-
mètres carrés. Son débit varie de 9000 à 50000 mètres
cubes à la seconde. Né sur les plateaux tibétains, à
3 000 mètres d'altitude, il suit d'abord un couloir encaissé
entre des montagnes très élevées et fort mal connues qui le
séparent à l'Ouest de la Salouen, à l'Est du haut Yang-
Tseu. Il traverse les provinces chinoises du Sseu-Tchouen.
du Yunnan. pénètre dans le Laos et subit une série de
déviations qui le rejettent à deux reprises vers l'Est. Puis,
en aval de Vten-Tiane, il se dirige franchement vers le
Sud entre les plateaux Laotiens et les dernières pentes
des monts annamiliquesdont il lui faut, à maintes reprises,
franchir les éperons (rapides de Kemmaral, chutes de
Khône, rapides de Préapatang). 11 pénètre enfin dans
l'ancien golfe marin qu'il combla de ses alluvions. etdont
le grand lac ou Tonlé-Sap est le dernier témoin. A
Pnom- Penh, il détache vers ce lac un de ses bras, tour
à tour émissaire du fleuve ou déversoir du lac. dont la
superficie varie du simple au quintuple selon les saisons.
Puis il pénètre dans son delta proprement dit, s'y rami-
fie en plusieurs branches principales qu unissent les unes
aux autres des arroyos. des marais immenses, et ou il est
rejoint par un petit fleuve côtier. le DonnaT. grossi de
la rivière de Saigon. Le front du delta ne couvre pas
moins de 600 kilomètres. Il a déjà rattaché à la terre
ferme quelques ilôts dont les pointements tranchent seuls
sur l'uniformité des basses terres. Un jour viendra où la
petite île de Poulo Condor subira le même sort.
Le Mékong n'est en tout temps accessible aux
vapeurs que jusqu'à Kratié. En amont de cette ville,
par suite du grand nombre de ses rapides et de l'irrégu-
larité de son régime, on ne peut l'utiliser que sur cer-
taines sections, et pendant la saison des hautes eaux
(bief de Bassac, en amont des chutes de Khône, bief
de Savannakel à V'ientiane en amont des rapides de
Kertnmarat). Ses affluents. Nam-hou. Bé-kong sur la
rive gauche. Sémoun et Namsi sur la rive droite, ne
jx)rtent que des pirogues indigènes, mais leurs vallées
ouvrent des voles de communication naturelles soit vers
le Tonkin et les côtes annamites, soit vers le Slam à
travers les plateaux laotiens.
Le Song-Koï ou Fleuve Rouge (1300 kilomètres)
naît au Yunnan par 2500 mètres d'ahilude. Il dévale
très vite au fond d'une vallée creuse où des rochers
encombrent son lit. A Lao-Kay, il pénètre sur le territoire
du Haut-Tonkin et commence à porter des barques.
Grossi de la Rivière-Noire et de la Rivière-Claire dont
les vallées sont à peu près parallèles à la sienne, il entre
à VIetri dans le vaste delta qu'édifièrent ses alluvions
aidées des apports des petits fleuves côticrs voisins :
Song-Ca. Song-Ma. Thaï-bInh.
Le Song-kol n'est alimente que par les pluies de mousson. Il
n"a pas, comme le Mékong, le puissant soutien des neiges tibétaines.
De plus, les montagnes du Yunnan chinois ont perdu leur revête-
ment de forêts. Aussi les crues du fleave et celles de ses affluents
ont-elles une ampleur, une soudaineté, une violence qui les rendent
particulièrement dangereuses (jusqu'à 24 000 mètres cubes d'eau à
la seconde). Elles nécessitent l'édification d'un triple système de
digues puissantes que rexhaussement contmu du lit sous l'accumu-
lation des limons oblige à surhausser constamment. (Cf. le régime
et les digues du Pô.) Enfin, les bouches du Delta sont d'accès diffi-
cile par suite des vases qui les encombrent et de la barre qui les
défend.
Tandis que Mékong et Song-kol naissent hors de la
Péninsule, le Mc'nam, le fleuve du Slam, est exclusive-
ment indo-chinois. Il contraste aussi avec les deux autres
par la régularité de sa pente, l'absence des rapides, la
faible quantité de ses alluvions et le jieu d'étendue de
son delta. Venu du Haut-Laos, il entre très vite en
plaine, y reçoit leMé-Ping, le Nam-Sak, traverse Bang-
kok et se termine à Pak-Nam. Long de 1200 kilomètres,
son débit moyen n'est que de 200 mètres cubes à la
seconde et ses hautes eaux ne dépassent pas 2 500 à
3500 mètres. Mais si la barre oblige les grands navires
à mouiller au large de Pak-Nam, les canots à vapeur
remorquant des sampangs remontent aisément le fleuve
jusqu'à Ontaradlt.
Eln dehors de ces trois grands fleuves, la Péninsule
Indo-Chinoise ne renferme que des torrents côtiers
descendus de la Péninsule Malaise (Pahang) et de la
Cordillère Annamifique (rivière de Hué, rivière de
Tourane). Ils roulent, les premiers surtout, une masse
d'eau très considérable, mais leur forte pente les rend
inutilisables, sauf parfois dans les derniers kilomètres de
leur cours, à travers les petites plaines alluviales qu'ils
édifièrent au pied des monts.
377
L'ASIE
La Végétation et la Faune
La forme végétale qui caractériee l'Indo-Chine est la
forêt, comme il est naturel dans une re'gion constamment
chaude et gëne'ralement très arrose'e. Mais il convient de
distinguer, suivant les lieux, plusieurs types de forêts.
Les montagnes et les plaines qui reçoivent des pluies
particulièrement copieuses, et ou l'homme est rare, sont
encore recouvertes de forêts vierges très denses sem-
blables aux sylves immenses de l'Insulinde, de l'Annam.
de Ceylan. C'est le cas delà Péninsule Malaise, du Haut-
Siam, d'une partie de la Cordillère Annamitique, du Cam-
bodge occidental, de certaines vallées tonkinoises basses
et humides. Les arbres, d'essences très variées, y atteignent
une taille considérable et se pressent les uns contre les
autres, unis entre eux par les lianes, les plantes parasites
qui s'accrochent à leurs troncs.
Dans les districts forestiers habités par des populations
d'indigènes très primitifs, la pratique du " ray ", c'est-à-dire
de l'écobuage (incendies annuels destinés à défricher som-
mairement un coin de forêt pour y semer un peu de riz
ou de maïs), a modifié le caractère de la sylve primitive.
Quand l'homme abandonne la clairière temporau'e créée
par le feu, la forêt s'en empare à nouveau. Mais les essences
arbustives y manifestent une vigueur moins grande,
leur taille décroît, leur tronc s'amincit, les broussailles,
les bambous, les fougères, les hautes graminées prennent
la place des colosses abattus. De là un second tj'pe de
forêt, de traversée aussi difficile, mais d aspect moins impo-
sant, que l'on trouve un peu partout en Annam comme
au Tonkin, au Cambodge non moins qu'au -Siam ou en
Malais le.
La quantité des pluies dimmue-t-elle ou bien le sol,
gréseux et très perméable, se montre-t-il peu capable de
conserver près de la surface une partie de l'eau déversée
par la mousson d'été, la forêt séclaircit, les essences
deviennent beaucoup moins nombreuses, les arbres se
rabougrissent et perdent leurs feuilles pendant la saison
sèche. Ils s'écartent les uns des autres, et, s ur le sol infer-
tile, croissent de hautes herbes dures, jaunâtres, cou-
pantes. C'est la forêt clairière " de la Mission Pavie.
le Park" des géographes allemands, la "savane "ou la
brousse " des Français. Elle couvre de vastes espaces
sur les plateaux du Laos, dans la vallée du Ménam,dan5
le Cambodge orientcil.
11 existe enfin des régions totalement déboisées soit par
la pratique intense du " ray ", soit par une exploitation
désordonnée de la forêt. Au Tonkin notamment, la plu-
part des sommets et beaucoup de versants sont absolu-
ments nus. .Leurs croupes chauves font déjà prévoir l'as-
pect des montagnes chinoises, leurs voisine.-!, que de longs
siècles de déforestation sans frein ont privées de leur
antique parure verte. Cette nudité n est pas sans avoir de
redoutables conséquences pour le régime des rivières ton-
kinoises gonflées en quelques heures par les averses que
ne tamise plus la ramure des arbres. Ailleurs, lorsque la
pente n'est pas très forte, ou sur les surfaces planes des
plateaux, le sol ne se dénude point complètement et con-
serve des prairies formées de petites fougères, de grami-
nées sèches, de roseaux surtout {irank, la long). Ces prai-
ries qui, dans les savanes du Laos, se mêlent aux bou-
quets d'arbres, prennent une particulière extension dans
les massifs du Tonkin et de l'Annam et sur tous les pla-
teaux du versant laotien de la Cordillère Annamitique
(Tran-ninh, Boloven, Lang-bian). Les espèces dont elles
se composent sont malheureusement peu favorables à
l'élevage du gros bétail.
Parmi les arbres des forêts indo-chinoises, un très grand nombre
présentent un intérêt économique considérable. Bornons-nous à
citer le teck, très abondant dans les forêts du Siam, des cupuli-
fères. analogues à nos chênes et à nos lauriers, que les indigènes
utilisent comme bois d'ébénisterie. des conifères (" bois de cercueil
ou thuyas, pins et cèdres du Tonkin), des bois de 1er (sen, tan, etc.)
des arbres à huile (abrasin), à gomme, à laque, à gutta-percha, à
parfum (benjoin et camphrier), à épices (cannelier, cardamome,
badianier ou anis étoile), bois d'aloès. bois d'aigle, lianes à caout-
chouc, etc., auxquels s'ajoutent les innombrables variétés des pal-
miers (le cocotier surtout dans les régions littorales, puis l'aréquier),
des rotins, des arbres fruitiers (manguiers, pamplemousses, bananiers,
orangers, goyaviers), des palétuviers, à la lisière des deltas, des
bambous enfin, qui tiennent dans la vie de l'indigène une place si
grande que l'on a pu dire avec quelque raison que "sans le bambou
cette vie serait impossible ". 11 n'estpas de chose que l'indigène ne
tasse avec lui : des mâts de jonques et des cure-dents, des maisons
et des marmites, des seaux, des bouteilles, des verres, des lasses,
des pipes, des piquets et de? cordes, des gaines de couteaux, des
torches, de la salade, etc.
La faune est aussi variée, aussi riche que la flore et
comprend à peu près les mêmes espèces animales que
nous rencontrâmes dans l'Inde. L'éléphant, qui devient de
plus en plus rare, se capture encore au Siam, au Laos,
au Cambodge. On l'emploie, une fois domestiqué, sur les
chantiers d'abatage des bois de teck. Le rhinocéros, plus
rare encore, n'apparaît qu en quelques distncts de la
Malaisie et du Sud-Annam. On lui fait une chasse
acharnée, car la corne de rhinocéros, à laquelle la supers-
tition indigène attache toutes sortes de vertus, est très
recherchée par la pharmacopée annamite et chinoise.
Parmi les grands carnassiers, la panthère, le léopard, le
tigre surtout, sont'encore trop nombreux. " Monsieur le
Tigre ", comme l'appellent les Annamites, inspire au.\
indigènes une telle terreur superstitieuse qu'ils ne manquent
jamais de le désigner d'une périphrase sacramentelle qui
dissimule — et traduit — leur effroi sous l'enveloppe
378
L'INDO-CHINE
1 \ FAÇADE PRINCIPALE DU TEMPLE DANCkoRA AI . Lu AWi.
u',.cit,t, Ai C<m>W».OM. mrci du IX' »u XIV ùicU Je ml,cc,c un<r (r« MlmU
cMiaaIion dont Imoigna,! la „rina de Imfla et de palca „u, eomDmIficrm, tel
ehef^-d-tnwft de Icrl Hindou. Ces mine,, encahiei tm fa /»'«< el la bnulM. on/
ctè en puitie dejtilS^r\ cl conliniicnl ./c / rire par 1rs .u;ifM dr i i.i'Hi- : ruri^^rc
d'Etlréme-Oncnl. Ellct ton! coucertcs de tlaluei. de bai-reliefi, de motifs décoratifj
d'an art extrêmement oritinal. De plut, lel malliplei injcrio/ionl ouel'on u rencontre
permettent d'atiporter quelque lumière daru Vhàtoire deV Indo-Chine antienne.
379
;asie
MINES D'ETAIN A PFRAK. La pTcsquile de Malacca et les îles voisines de
Banka et Billiton renferment les plus riches gisemertls d'éiain du monde. Les mines
s'exploitent souvent à ciel ouvert au milieu des forêts vierges. La main-d'œuvre
est fournie par des coolies chinois ou hindous.
PAYSAGE AU LAOS SIAMOIS. Les plateaux intérieurs de ta presqu'île indo-
chinoise, trop peu arrosés pour se couvrir de forêts, portent de vastes savanes aux
grandes herbes. Les éléphants capturés dans les forêts du haut pays s'emplotent
communément soit pour les gros travaux, soit pour le service des gens de distinction.
PIROGUES DE COLIRSES A LOUANG-PRABANG. Louang-Praiang
est la capitale d'un petit Etat duLaos placé sous le protectorat français. Le Mékong
y atteint déjà par endroits une belle largeur, et les indigènes sont fort habiles à
naviguer sur le fleuve, à bord de leurs longues pirogues creusées dans un tronc d'arbre.
LE CHEMIN DE FER DU YUNNAN. L'une des œuvres maîtresses accomplies
par les Français en Indo-Chine. U a fallu en effet, triompher d'énormes difficultés
techniaues pour construire, en pat/s hérissé de montagnes, cette voie ferrée qui fait
du Tonkin'Je débouché naturel de la riche province du Yunnaiï
^ t'JiPïDES L^ ..l^!'.<j:\G. Lt Mékong serait pour notre Indo-Chine
t aumiiabU ooieàe communication comparable auYang-Tseu chinois, s'il n'était
; ::. cii;;7/:êr.f interrompu par des chutes, des rapides qui sont tout à fait in-
r,a:L.^a.:csoune deviennent accessillesque pendant la période des très hautes eaux.
LA BAIE D'ALONG./lu Nord des rives marécageuses du delta du Song-Koî,
la côte tonkinoise devient fort accidentée, et les montagnes de l'intérieur se prolon-
gent en mer par un archipel d'iles et d'îlots aux formes fantastiques, aux ffcmcs
abruotst percés de grottes, anciens repaires des pirates apeplês " Pavillons Noirs .
L'INDO-CHINE
flatteuse de la formule adoratrice. Boeufs sauvages, san-
gliers, cerfs, chevreuils, ours parcourent les savanes. Dans
les ctfbres gambadent macaques et gibbons, se pe chenl
des myriades de perroquets, perruclies, petits oiseaux aux
couleurs éclatantes, tandis que les o seaux aquatiques :
marabouts, aigrettes, be'cassines, pélicans, p'uviers
s abattent en masse sur les marais. Les eaux dts rivières
et des lacs, d'où le crocodile n'a point disparu (Tonlé-
Sap, Mékong, Ménam) sont d'une extraordinaire richesse
en poissons de toutes sortes. " On en trouve même dins
les rizières et ce n'est pas un des spectacles les moirs
curieux offerts au voyageur que ci lui des pêcheurs à la
ligne irstallés aux bords des routes ou au milieu des
champs. " Il est presque inutile d'ajouter que l'on aurait
une idée fort incomplète de la faune ii.do-chinoue si l'on
n'ajoutai' à la liste précédente celle des animaux infé-
rieurs : rats, chenilles, fo'jrmis, scorpio.is, cancrelats mille-
patte;, moustiques, etc., ennemis implacables des
plantations, des boiseries, des étoffes, et souvent aussi
des hommes.
GEOGRAPHIE HUMAINE
Les Habitants
L'HISTOIRE. ^^ Lethnographieetl'histoireindo-
chinoisesontétéet continuent d'être l'obj.t de travaux d'un
haut intérêt, poursuivis surtou'. par les explorateurs, les
résidents, les officiers français et les spécialistes groupés
dans notre Ecole archéologique d'Hanoï, analogue aux
Ecoles françaises d'Athènes, de Rome et du Caire. Les
études anthropologiques et linguistiques, la lecture des
manuscrits chinois, des inscriptions cambodgiennes
augmentent chaque jour l'étendue et la précision de nos
connaissances ; et, sans considérer encore comme tout à
fait définitifs les résultats obtenus, voici ce que l'on tient à
l'heure présente pour le plus près de la vérité.
La position gév,graphique de I InJo-Chine en fit un
carrefour où se rencontrèrent et se croisèreni à des degrés
divers les races principales de l'Ejclrême-Orient.
Il est probable que l'Indo-Chine (ut habitée d abord
tout entière par des Négilos apparentés aux Pygmées
des Philippines, de l'Insulinde, des îles Andaman. Ces
primitifs se mélangèrent très anciennement avec les pre-
miers immigrants venus de Chine, de l'Inde, de la Malai-
sie. Ainsi se formèrent des tribus d'aborigènes q .i, fixées
d'abord dans les parties les plus fertiles de la Péninsule
(côtes, deltas, vallées des fleuves), furent peu à peu refou-
lées à l'intérieur par les grandes invasions des Malais, des
Hindous, des Thaïs et dtfs Annamites. Telle serait l'ori-
gine des Orang-Sakaïs et Orang-Semang de ta pres-
qu'île Malaise, des Khas. des Moïs, des Pnengs (tous
ce» mots veulen: dire : sauvage), dispersés à travers
les forêts de la Cordillère .Annamitique et du Haut-
Laos.
Les Malais, peuple de marins onginaires peut être
des îles de la Sonde (?), s'établirent de très bonne heure
sur les rivages de l'Indo-Chine. depuis l'isthme de Kra
jusqu'au golfe du Tonkin. Puis des imnugrants hindous,
franchissant la Cordillère Malaise, apparurent dans les
plaines du Ménam et du !VIé-kong. Mêlés aux abori-
gènes et aux Malais, ils fondèrent deux royaumes puis-
sants ; le royaume Khmer ou Cambodgien dont le centre
fut le bassin du Tonlé-Sap, et le royaume Cham (pro-
CA RTE jVaJma.
\ Camboû^Unj.
^ ^. ETHNOGRAPHIQUE ''i *^'^'"** \^
■ Tbod. et
•' t.'iakaLâ...\frTiança.t'f
,-- ' .milacca; Moù. et
( fitfftu- fO,^ Jf L'Annam.)
Tr-
i^SSSi
k
noncer : Tsiam) qui s'étendit de la Cochinchine à la
porte d'Annam.
381
L'ASIE
Cambodgiens et Chams eurent, du ix'^ au XII*^ siècle de notre ère.
une civilisation brillante. " De toutes parts s'élèvent d'éléganls
sanctuaires de briques dont les portes s'encadrent de monolithes
finement sculptés ; une foule de stèles célèbrent en vers sanscrits les
louanges des rois ou formulent en langue vulgaire le détail de
leurs bonnes oeuvres : une pléiade d'artistes s'applique avec ardeur
à la recherche de formes neuves et plus belles. Deux ou trois
siècles passent, et cet effort, toujours accru, se réalise enfin dans les
monuments d'Angkor avec leur forêt de tours, leurs immenses
cloîtres sculptés de bas-reliefs, leurs majestueuses avenues, leurs
nobles escaliers, tout ce magnifique ensemble où l'originalité du
plan s'allie à la pureté des lignes et à la grâce du décor. " (L. Finol.
cité par H. Brenier.)
Cette civilisation fut étouffée, à partir du XIII® siècle,
par l'arrivée des Tha'i's et des Annamites.
Originaires sans doute des confins du Tibet et de la
Chine méridionale, ces deux peuples pénétrèrent en
Indo-Chme par deux voies différentes. Les Tha'is, qui
forment encore la majorité de la population dans le
Kouang-Si et le Yunnan chinois, s'étendirent lentement
sur les monts du Haut-Tonkin, du Haut-Laos, puis
descendirent les vallées du Mékong et du Ménam.
Ils asservirent les Khmers, dont les temples, les palais
dispeirurent sous la forêt envahissante, et se divisèrent en
trois groupes : Thos du Tonkin, Laotiens du Mékong,
Siamois du Ménam. Les Annamites apparuren.
d'abord dans le delta du Song-Koï, ou Bas-Tonkint
Après des luttes acharnées, ils refoulèrent, détruisirent
ou absorbèrent les Chams, puis, longeant les rivages de la
Mer de Chine, ils atteignirent le delta du Mékong (la
Cochinchme). Longtemps asservis au joug des Empe-
reurs chinois, ils parvinrent, au XVl^ siècle, à secouer ce
joug et formèrent un Empire indépendant.
Ces multiples invasions et les conflits qui en résultèrent
expliquent pour une large part la faible densité de la population
indo-chinoise. Non seulement les guerres continuelles, et les dévasta-
lions qui les accompagnaient, décimaient vainqueurs et vaincus, mais
ces derniers, obligés de fuir de la plaine à la montagne et récipro-
quement, ne pouvaient s'accommoder immédiatement à des conditions
climatiques nouvelles et perdaient, avant d'être acclimatés, les huit
dixièmes de leur contingent.
Enfin, des colons chinois s'établirent k diverses époques
en Indo-Chine, Les plus anciens : Muongs, Yaos, Méos,
Lolos se rencontrent dans le Haut-Tonkin où on les
confond souvent avec les " Sauvages " aborigènes dont
ils partagent la vie. D'autres obtinrent, en 1680, le
droit de s'installer en Cochinchine, à Mytho et Bien-
Hoa. Ce fut l'origine d'une immigration régulière qui
se dirigea à la fois vers la Cochinchine, le Siam et la
presqu'île Malaise et s'accentua fortement après l'arrivée
des Européens.
Ces derniers furent d'abord représentés par les Por-
tugais qui fondèrent quelques comptoirs dans la pres-
qu'île de Malacca. Ils y furent supplantés d'abord par
les Hollandais, puis à partir de 1786 par les Anglais
dont les possessions comprennent aujourd'hui, sous
divers8s formes, la presque totalité de la Péninsule
Malaise. Les Français qui, déjà sous le règne de
Louis XVI, avaient envoyé en Annam des officiers, des
ingénieurs et des missionnaires, furent amenés, à partir
de 1859, à intervenir directement dans les affaires indo-
chinoises. De 1859 à 1867 ils occupèrent la Cochin-
chine enlevée à l'Empereur d'Annam. Le Cambodge,
considérablement réduit et menacé d'une subversion
totale par l'ambition des rois de Siam, se plaça sous leur
protection. Enfin, de 1873 à 1885, le Tonkin et I Annam
devinrent possessions françaises. Le Laos se partagea
entre le royaume de Siam et les territoires français.
Seul le Siam a conservé jusqu'à nos jours son indé-
pendance. Et encore les Français et les Anglais se sont-
ils réservé deux zones d'influence qui rendent illusoire
1 autorité des souverains siamois sur les confins occiden-_
taux et orientaux de leur royaume.
On distingue donc aujourd'Jiui en Indo-Chine, sans
compter les Européens, neuf groupes ethniques princi-
paux : les Annamites, les Tha'is subdivisés en Thos,
Laotiens, Siamois, les Cambodgiens, les Chams, les
Malais, les aborigènes ou Sauvages", les Chinois.
LES ANNAMITES. 00 Les Annamites for-
ment la race la plus nombreuse ( 1 2 000 000 environ) et
la plus homogène de l'Indo-Chine. On les trouve à
peu près exclusivement sur les côtes de l'Annam et dans
les deltas du Tonkin et de la Cochinchine. Les hautes
régions les effraient, car l'eau, disent-ils, y est mauvaise
et donne la fièvre ; ils y vont toujours à contre-coeur et
n'y restent jamais bien longtemps.
Taille petite, mais corps robuste et fortement musclé,
peau jaunâtre, allant de la couleur du vieil ivoire au
blanc mat, pommettes très saillantes, front large et bombé,
nez épaté, yeux noirs très expressifs, chevelure noire
abondante et rude, barbe rare, dents belles mais noircies
par un laquage artificiel et souvent gâtées par la masti-
cation du bétel, démarche souple, presque féhne, petits
pieds et petites mains, figure ouverte, malicieuse, tels
sont les caractères physiques des Annamites. Au moral,
on se plait à reconnaître leur activité, leur intelligence,
non dénuée parfois de fourberie. Ils ont la passion des
courses, du théâtre, et malheureusement aussi du jeu.
Peu portés au commerce qu'ils laissent aux Chinois,
ils réussissent beaucoup mieux dans les travaux indus-
triels et fournissent aux mines françaises une main-
d'œuvre appréciée. Mais l'agricuhure demeure leur
occupation préférée. Leur genre de vie est simple.
Sauf dans les villes où l'on trouve des maisons de
briques, ils habitent de simples cases en feuilles de
palmiers, élevées sur pilotis ou posées directement sur
382
L' INDO-CHINE
le sol. Ils se nourrissent de riz et de poisson, boivent de
l'eau chaude ou du thé léger. Hommes et femmes ont
à peu près le même costume composé d'un large panta-
lon et d'une robe étriquée en cotonnade noire (le blanc
est la couleur du deuil), lis portent les cheveux longs et
les ramènent sur la tète en les entourant d'un turban
noir.
Par suite de leur longue soumission aux Empereurs
de Chine, les Annamites reçurent de leurs puissants
voisins la plupart de leurs institutions, de leurs coutumes.
de leurs moeurs. Leur religion, (mélange de traditions
bouddhiques et de confucianisme, culte des ancêtres)
est la même que celle des Chinois et ils ont, autant que
les fils de Han, le respect de la science, le goût immo-
déré des emplois publics, le vif désir d'acquénr le degré
d'instruction qui en ouvre I accès.
LES TH.AIS. J!f £} Les Thaïs constituent, après
les Annamites, le groupement le plus important
(8 OCX) 000 d'individus). Ils sont représentés par les
Thos et les Thaïs du Haut-Tonkin, les Laotiens et
les Siamois. Les uns et les autres se sont fortement
mélamgés avec les diverses populations de l'Indo-Chine :
aborigènes. Malais, Khmers, Chinois. Annamites :
aussi ne forment-ils point une race homogène. Le Thaïs
du Yunnan ressemble au Chinois, celui du Tonkin à
l'Annamite, celui du Laos et du Siam au Cambodgien.
Les uns pratiquent le bouddhisme cinghalais, d'autres
le culte des ancêtres ; les uns brûlent leurs morts, les
autres les enterrent. Langues, coutumes, écritiu'e ont
été modifiées par l'intrusion d'éléments étrangers.
Il est difficile de décrire en quelques moti le type physiqued'un
Tho, d'un Siamois ou d'un Laotien, et de dire en quoi il diffère de
l'Annamite. On les dépeint en général comme plus grands, de taille
plus élégante, de teint plus foncé. Mais ces différences corporelles
sont souvent peu marquées. Ce sont plutôt les détails de la coiffure
(cheveux courts), du costume (Laotiens et Siamois aiment les teintes
vives, brillantes), qui les diversiËent. Doux, enjoués, insoucianis,
portés aux jeux et aux divertissements, ils ont le même genre de
vie, la même nourriture, les mêmes habitations très simples que
leurs voisins du Tonkin ou de la Cochinchine. Entre Siamois et
Laotien le seul contraste que l'on puisse noler est que le premier
manifeste pour les travaux agricoles les mêmes goûts et les mêmes
aptitudes que l'Annamite. Le second, au contraire, nonchalant ei
paresseux, abandonne à des mercenaires, des esclaves, ou aux
femmes, le soin des cultures, et ne manifeste quelque talent que
pour le commerce cl la navigation. Monté sur sa longue et étroite
pirogue faite d'un tronc d'aibre ouvert au feu, il va, à de longues
distances, IraËquer de loules sortes de marchandises. Intermédiaire
naturel enlre le montagnard et l'agriculteur des plaines, le métier de
colporteur qu'il aime, et qui le fait vivre assez largement, ne
l'occupe que quelques mois de l'année. Après quoi, il retourne à
son long farniente qui est pour lui la plus douce des voluptés.
LES CAMBODGIENS, CHAMS ET
MALAIS. £>£> Les Cambodgiens, descendants des
Khmers, ont été probablement sauvés d'une dispari-
tion complète par l'arrivée des Français qui les proté-
gèrent contre les entreprises des Annamites et des
Siamois, Ils sont au nombre d'environ 2 700000 répar-
tis entre le Royaume du Cambodge, le Siani et la
Cochinchine. Au physique, ils présentent deux types
assez tranchés qui semblent marquer une double origine :
l'un grand et svelte au nez droit, l'autre massif et
courtaud au nez un peu écrasé. Leur teint est inter-
médiaire enlre celui des races jaunes et celui des races
colorées de l'Inde. Lents, patients, durs à la fatigue,
très orgueilleux de leur antique origine, moins dociles
et serviles que l'Annamite, mais aussi véridiques et plus
francs, ils sont d'excellents agriculteurs et pèchent le
poisson qui foisonne, après le retrait des hautes eaux,
dans les lagunes, les marigots, la cuvette vaseuse du
Tonlé-Sap. Leur religion est le bouddhisme.
Les Chams, qui reçurent eux aussi leur civilisation de
l'Inde, et eurent un brillant mais coiut passé, ne sont
plus représentés que par quelques milliers d individus
fixés dans deux vaJIées du Sud Annam et condamnés à
disparaître dans un délai plus ou moins bref.
Les Malais, parents des Chams, peuplent encore la
Péninsule de Malacca. On en compte environ 1 800000,
presque tous musulmans. Très semblables physiquement
à leurs frères de Java, ils ne manifestent point la même
ardeur au travail, et laissent aux immigrants hindous ou
chinois le soin de travailler dans les plantations. Trop
fainéants même pour faire des policemen " , telle est la
formule lapidaire dont les qualifie plaisamment un écri-
vain colonial anglais.
LES "SAUVAGES", a a Parmi les aborigènes
ou " Sauvages " qui représentent le groupe ethnique
le plus ancien de l'Indo-Chine, les plus primitifs parais-
sent être les Sakai, Semâng, Pangan, etc., de la pres-
qu'île de Malacca.
Certains d'entre eux ont encore tous les caractères
physiques des Négritos ou Pygmées : taille très courte,
cheveux laineux, peau noire, etc. Ils vivent nus, ne
savent ni construire une hutte, ni cultiver le sol : leur
langage est des plus pauvre, et ils ne pratiquent aucun
culte.
Les "" Sauvages " de l'Indo-Chine française : Mois de
1" Annam, Khas du Laos, sont relativement plus civilisés.
Ils savent défricher des coins de forêts, où ils sèment du
riz de montagne, du maïs, des légumes, du tabac. Ils
élèvent buffles et chevaux, porcs et volailles, forgent le
fer pour fabriquer leurs coupe-coupes et leurs pointes de
lances. Leurs habitations sur pilotis, faites de bambous
et de chaumes, sont sur le type des maisons communes
dont deux ou trois siiffisent quelquefois à loger le vil-
lage entier. Autrefois très belliqueux et constamment
383
L'ASIE
ea guerre avec les tribus voisines, ils perdent peu à peu
ces mœurs guerrières, trafiquent avec les commerçants
Laotiens ou Chinois, acceptent même de travailler sur
les plantations européennes, ils sont peu nombreux
(600 000 environ dont 300 000 en Annam et 210000
au Laos), mais robustes, muscle's, réfractaires à la fièvre
des bois, ils pourront rendre de précieux services comme
défricheurs, bûcherons, constructeurs de routes en pays
forestiers, etc.
LES CHINOIS. 00 Au groupe Chinois et Tibé-
tain appartiennent d'abord les Bolos, Méos, Man ou
Yaoset Muong qui, au nombre d'une centaine de mille,
habitent le Haut-Tonkin où ils cultivent le riz et le mais,
et n'ont pas plus d'importance que les Khas ou les
Thos leurs voisins. Tout autre est le rôle joué dans le
reste de l'Indo-Chine par les immigrants de Canton, du
Fo-Kien, de Haïnan, du Hak-Ka qui forment, surtout
dans les villes, un élément ethnique d'une considérable
importance. On en compte environ 6000 en Annam,
40000 au Tonkin, 1 15 000 au Cambodge, 141 000 en
Cochnchine. Le Siam en a reçu de 400000 à 500 000 et
la presqu'île Malaise en héberge près de 1 OCOCOO. Si le
dixième d'entre eux s'adonnent à l'agriculture, travaillent
comme coolies aux plantations de caoutchouc, ou s'em-
ploient aux travaux des mines, tous les autres sont avant
tout des industriels et des commerçants.
En Cochinchine, comme à Singapour et à Bangkok, la majeure
partie des grands établissements et tout le commerce de détail se
trouvent entre leurs mains. Gros exportateur de thé, de riz, de soie,
d épices, de caoutchouc, entrepreneur de maçonnerie, marchand de
meubles, tailleur, cordonnier, épicier, brocanteur, colporteur, com-
mis de magasin, ouvrier d'usine, photographe, débardeur, le
Chinois est apte à tout. On le trouve partout, depuis la maison
somptueuse du millionnaire jusqu'au fond de la brousse où il pro-
mène sur son dos un ballot de pacotille, couchant à la belle étoile,
vivant d'une pincée de riz. d'une chique de bétel, en attendant que
ses premières économies lui permettent d'ouvrir boutique et de se
hausser à la dignité de notable commerçant. Ses qualités indiscu-
tables : sobriété, honnêteté, intelligence, acharnement au labeur,
connaissance parfaite des mœurs et de l'âme indigène, en font un col-
laborateur presque mdispensable des Européens. Cependant l'Indo-
Chine a moins besoin de commerçants que d'agriculteurs, et sans
prohiber leur immigration (comme l'ont failles Américains aux Phi-
lippines), sans même restreindre les facilités qui leur sont accordées
(ce qui est le cas des Hollandais à Java), les administrations
anglaises et françaises cherchent présentement un mode d'utilisation
de la main-d'œuvre chinoise plus conforme aux véritables intérêts
de leurs possessions.
GEOGRAPHIE REGIONALE
Les Possessions Anglaises dans la Presqu'île Malaise
Les Anglais possèdent dans la presqu'île Malaise ;
1° Les Straits Settlements ou Etablissements des Dé-
troits, colonie de la Couronne comprenant les îles de
Singapour, Penong ou Poulo Pinang, les territoires de
Wellesley, Dinding et Malacca, en tout 2 600 kilomètres
canes peuplés de 820 000 habitants en ! 9 1 8 dont 274 000
Malais, 432000 Chinois, 94000 Hindous, 8000 Euro-
péens ;
2° Les Etats Malais fédérés comprenant les sultanats
de Perak, Selangor, Negri Sembilan et Pahang placés
sous le protectorat anglais : en tout 70000 kilomètres
carrés peuplés en 1914 de 1 000000 d'individus :
420000 Malais, 433000 Chinois, 172 000 Hindous.
3 200 Européens ;
3° Les Etats Malciis contrôlés par l'Ang'eterre :
sultanats de Kelantan, Trengganou, Kedah, Perlis et
Djohor : 45000 kilomètres carrés. 720000 habi-
tants.
Ces territoires, malgré leur faible étendue relative,
leur climat pénible, les forêts vierges qui couvrent une
Donne partie du sol, ont cependant une importance éco-
nomique considérable. D'abord ils sont admirablement
placés sur les routes directes menant de l'Europe et de
i'înde a l'Eslrême-Orient. De plus, ils se classent àla tête
384
de tous les pays du monde pour la production de l'étain
et du caoutchouc. En 1913, 200 000 ouvriers, presque
tous Chinois, extrayaient annuellement 50000 tonnes
de minerai valant *-' 23 000 000 (production mondiale :
90000 tonnes). En 1919, la production stannifère ne
fut que de 38000 tonnes valant £ 25 000000. Les
plantations d'arbres à caoutchouc n'occupaient en 1905
que 1 3 000 hectares : elles en couvraient 1 05 000 en
1912, près de 200000 en 1918. Les capitaux engagés
sur ces plantations atteignaient 800000000 de francs
et les ventes de caoutchouc ont passé de 1^ 10 000 000
en 1913 à plus de 140000000, soit 2 milliards de
francs, en 1919. Le cocotier (100000 hectares), dont
la noix donne le coprah, les épices (poivre et cannelle),
le manioc, le café, la canne à sucre, les ananas, com-
plètent la riche sé'rie des produits malais.
La capitale, Singapour, n'était en 1820 qu'un campe-
ment de pêcheurs malais. Non seulement tous les
navires qui vont de l'Inde et de l'Europe en Elxtrême-
Orient y font nécessairement escale, mais encore elle
concentre dans ses docks une bonne part des marchan-
dises européennes destinées à l'Indo-Chine, à l'Archipel
Malais et une portion non moins grande des produits en
provenance de ces mêmes régions. Chaque année 1 1 000
L'INDO-CHINE
HAUT TONKInTgROUPE DE MÉOS a. ^,*. j a
38
L'ASIE
SUR LES CONFINS DE LA FORÊT Les montagnes Je
l'Annam, le haut Tonkin. une partie du Cambodge et du
Laof sont couverts de forêts où des tribus de " sauvages
vivent dans des huiles de branchages perchées sur pilotis.
HOMME ET FEMME
MOI. Types des aborigènes
les plus anciennement établis
sur les terres indo-chinoises.
VILLAGE CAMBODGIEN. Des petites maisons, toutes
semblables aux huttes delà forêt, s'alignent le long delà rivière.
Les gens y vivent suitoul du produit de la pêche gui est une des
principales ressources du Cambodge.
AU KRAAL D'AYOUTHiA. L'éléphant sauvage peuple encore les forêts vierges
du haut Siam et du haut Laos. Capturé et domestiqué, on l'emploie comme dans
l'Inde, soit pour le portage, soit pour les travaux gui exigent de la force et de l'adresse,
notamment sur les chantiers de bois de teck.
DÉCORTICATION DU PADDY. On désigne couramment sous le nom de "paddy '
le riz encore vêtu de sa gaine. Il existe aujourd'hui, tant au Siam qu'en Birmanie
et en Cochinchins, de grandes décortiqueries à vapeur où l'on traite surtout le riz
destiné à l'exportation. Mais les indigènes usent de procédés beaucoup plus primitifs.
ENVIRONS DE LOUANG-PRABANG. Charmant paysage qui donne une
idée très QVaritageuse du haut Laos, dont Louang Prabang est une des petites capitales.
L-a vue c été prise en saison sèche. On distingue nettement sur les berges le niveau
i}uc la riviùrc atteint pendant la saison des pluies d'été.
386
PAYSAGE DANS LA PRESQU'ILE DE MALACcA. Sise aux abords imrnè-
diats de l'Equateur, constamment chaude et extrêmement arrosée, la presqu île
Malaise se couvre naturellement d'une végétation luxuriante el tou0ue, véritable
"jungle " que dominent les troncs svcltes des cocotiers
à 12000 navires jaugeant de 15000000 à 17 000000 de
tonneaux jettent l'ancre devant ses quais spacieux, parfai-
tement aménagés, où grouille la foule la plus cosmopo-
lite du monde asiatique. Malacca. qui fut longtemps le
principal entrepôt du détroit, mais qui paraissait vouée à
une décadence irrémédiable, a repris depuis une dizaine
d années quelque activité, grâce au commerce du caout-
chouc. Georgetown dans l'île de Poulo Pinang, et
Weliesley sur la côte opposée, exportent directement
I étam et le coprah des Etats fédérés.
La main-d œuvre nécessaire aux plantations se recru-
tait autrefois à peu près exclusivement en Chine. De là
le nombre considérable de Chinois établis à demeure
dans la Péninsule (près de 1 000000). Cette immigration
est toujours fort importante, mais elle est beJancée aujour-
L'INDO-CHINE
d huipar un afflux de coolies hindous qui (ournit en moyenne
I I 10000 travailleurs aux colons européens.
Le commerce total de la Malaisie anglaise atteignait déjà
1 225 000 000 de franci en 1900. En 1913, ce chiffre était exac-
lement doublé : 2 525 000 OOO de (fana.
En 1919, il a dépassé £215 030 000, soil au coun du chanpe
moyen, près de 12 milliards de Irancs.
Les imponalions (£ 95000000 en 1919) consisleni soilout en
tu et céréales diverses, cotonnades, sucres, poissons, cig4re(les,
charbons et articles manufacturés.
Aux exportations (£121 000 000), le caoutchouc se classe en
lèie (£ 40 000000), puis viennent l'élain (£ 19 000 000). Ie~
épices (£ 2 600 000). le coprah (£ 1 900 000), le tapioca, etc.
Quelques voies ferrées et des routes carrossables déji nombreuses
traversent les plaines côtièresde l'Ouest pour le service des planta-
tions et des mmes. Depuis 1917, une ligne de chemin de fer unit
directement Singapour à Bangkok, capitale du Royaume Siamoi?'
Le Royaume de Siam
Seul Etat indépendant de la presqu lie Indo-Chinoise,
le Siam a vu ses hmites de'Bnitives fixées par les Con-
ventions de 1904, 1907 et 1909 qu'il signa avec la
France et 1 Angleterre. Il couvre à peu près 550 000 kilo-
mètres carrés, entre la Birmanie anglaise, les Straits
Settlements, l'Indo-Chme française et la mer. On évalue
à 9000000 le chiffre de ses habitants que le manque de
statistiques précises ne permet pas de connaître exacte-
ment. Ils appartiennent aux deux groupes principaux de
la famille Thaï : les Siamois et les Laotiens. Leur religion
est le bouddhisme, et les bonzes, très nombreux, ont
conservé une influence considérable. Aussi, malgré le.s
efforts des missionnaires, bien rares sont les Siamois qui
adoptent la doctrine chrétienne. Les Siamois se groupent
surtout dans la vallée du Ménam et constituent l'élément
ethnique prépondérant.
Les Laotiens peuplent les savanes et les forêts
cljùres que traverse le Sémoun (formé du Namsi et
du Ncim-Moun), affluent du Mékong, et qui sont com-
prises dans la zone d'influence française. L.a zone d'in-
fluence anglaise embrasse les districts siamois de la
presqu'île de Malacca.
Grâce aux conseils et aux efforts de spécialistes étran-
gers (surtout anglais) placés à la tête des principaux
services, le Siam a fait depuis 1905 de grands progrès.
Des voies ferrées partant de Bangkok atteignent Korat
sur le Nam-Moun (prolongement futur jusqu'à Vien-
tiane et Kemmarat), Ontaradit sur le Haut-Ménam.
Raheng sur le Mé-Ping, affluent du Ménam, Singa[>our
à l'extrémité de la Péninsule Malaise. Des canots à
vapeur remorquent sur le Ménam toute une flottille de
sampans.
Des écoles se sont créées et rUniversité de Bang-
kok forme des ingénieurs, des commerçants, des agri-
culteurs, des médecins.
La production essentielle est celle du riz, décortiqué
ou non (ce dernier porte le nom de " paddy "). Les
rizières du Ménam, grandement accrues grâce aux
travaux d'une compagnie angiciise d'irrigation, suffisent
non seulement à la consommation indigène mais ont
permis de vendre, en 1919-1920. 441 000 tonnes de
riz valant .t 10911 000, soit les neuf dixièmes du total
des exportations. Le reste consiste en bois de teck
(Cl 189000). en étain, en caoutchouc et coprah.
La majeure partie des opérations commerciales se fait
par l'intermédiaire de maisons ou de compagnies
étrangères, surtout anglaises et chinoises.
Bangkok, la capitale, est sise sur le Ménam
à 25 milles de l'embouchure. Les très grands navires
ne peuvent franchir la barre de boue (moins de 3 mètres
de fond en beisse mer) qui obstrue l'entrée de l'estuaire,
et jettent l'ancre au large de Paknam, avant-port de
Bangkok.
Mais la ville est directement accessible aux cargos
de tonnage moyen. Vers elle convergent par voie
d'eau et voie ferrée toutes les richesses du royaume :
jonques chargées de riz et de peaux, grands radeaux
formés de billes de teck. Des usines à décortiquer le
nz, des scieries à vapeur lui forment toute une banheue
industrielle.
.Aussi son activité est-elle fort remarquable et ses
660000 habitanU (dont 280000 Chinois) en font
une des cités les plus populeuses de l'Asie.
En 1913, le Siam vendait pour ^ 8 858 000 et
achetait pour .C 6962000 de marchandises diverses.
En 1919-1920, ces chiffres ont a peu près doublé :
i: 16000000 aux exportations (riz, teck), Jl 12 000 000
aux imporîations (cotonnades, denrées alimentaires,
objets en métcJ, sucre, tabac, etc.).
CEOCRAPHIE UNIVERSELLE.
387
L'ASIE
L'Indo*Chine Française
ORGANISATION, ADMINISTRATION ET VILLES PRINCIPALES
L'indo-Chine française couvre environ 720000 kilo-
mètres carres et sa population, en 1920, était estimée à
18000000 d'habitants dont 23000 Européens, presque
tous Français. Elle comprend cinq Etats : Annam, Cam-
bodge, Cochinchine, Tonkin et Laos.
La CocKinchine est une colonie administrée par un Lieutenant-
Gouverneur. Les quatre autres territoires, considérés comme pays
de Protectorat, ont a leur tête des Résidents Supérieurs. L'ensemble
forme, depuis 1887, le Gouvernement de l'Indo-Chine Française
placé sous l'autorité suprême d'un Gouverneur Général qui dépend
directement du Ministre des Colonies et se fait aider par un grand
nombre de collaborateurs militaires ou civils. Chaque année, " le
Conseil Supérieur de l'Indo-Chine " se réunit à Saigon, Hanoi,
Hué ou Pnom-Penh. Il comprend tous les hauts fonctionnaires^ lea
représentants des assem'blées élues (Conseil Colonial. Chambre de
Commerce et d'Agriculture) et de l'Administration indigène. II
donne son avis sur les questions générales et discute le budget
commun alimenté par les recettes de la douane, des régies, des
impôts indirects (80 000 000 de francs en 1913, 157 000 000 de
piastres en 1920). Chaque colonie ou protectorat a, d'autre part,
son budget spécial provenant des impôts directs. Recettes et
dépenses s'équilibrent, mais l'entretien des forces militaires (10 000
Français, 14 000 indigènes en 1920) est à la, charge du budget de
la Métropole.
COCHINCHINE. /U/H Superficie : 57000 de
kilomètres carre's. Population en 1919 : 3500000 habi-
tants , dont I I 000 Français.
La plus ancienne des possessions françaises, la colo-
nie de la Cochinchine comprend la majeure partie du
delta du Mékong. Des forêts sèches ou inondées, des
plciines marécageuses (plaine des joncs, plaine de Camau)
occupent les trois cinquièmes de sa superficie. Le
reste est couvert de rizières (35 pour 100) et de
cultures diverses : maïs, cocotiers, eiréquiers, etc.
Sur 3 500 000 habitants, 2600 000 sont des Anna-
mites, groupés dans les provinces du Centre et de l'Est
Les Cambodgiens, autrefois maîtres du pays, ne
comptent plus que 200 000 individus (provinces de
l'Ouest). Le reste se compose de Chinois, de Minh-
Huong ou métis de Chinois et d'Annamites ( i 45 000)
de Mois (25 000), de Chams et de Malais.
La colonie, représentée à la Chambre française par
un député, est divisée en 18 provinces dent chacune est
placée sous l'autorité d'un administrateur français.
Chaque province comprend un certain nombre de can-
tons subdivisés en communes. Cantons et communes
sont dirigés par des notables et des fonctionnaires indi-
gènes.
Le Lieutenant-Gouverneur, assisté de plusieurs
assemblées (Conseil privé. Conseil du Contentieux.
Conseil Colonial) et des hauts fonctionnaires, chefs de
services, réside à Saigon. Sise à 55 kilomètres de la
mer, sur le large estuaire appelé rivière de Saïgon, la
capitale Cochinchinoise compte 72000 habitants. Pourvue
de larges rues, de quais animés, de boulevards magni-
fiquement ombragés, de beaux jau-dins, sans oublier les
monuments officiels, les casernes, les statues, les cafés
luxueux, elle parvient à " conserver une physionomie
bien française dans un décor asiatique ". Tout près
d'elle, Cholon ( 1 90 000 habitants) est, au contraire, une
ville toute chinoise, mais relativement plus propre et
mieux tenue que ne le sont à l'ordinaire les cités des Fils
de Han. En dehors de Saïgon et de Cholon, les chefs-
lieux des provinces forment de gros villages parfois
d'aspect très coquet : Bienhoa au Nord-Est de Saïgon,
Mytho. Winhlong, Cantho sur les diverses branches du
Mékong, etc.
CAMBODGE. £>£> Superficie : 1 50 000 kilo-
mètres carre's. Population en 1919 : 2000000 d'ha-
bitants environ, dont 1 710 000 Cambodgiens, 140000
Chinois, 1 08 000 Annamites, 40 000 Malais.
Presque trois fois plus étendu que la Cochinchine,
mais deux fois moins peuplé, le Cambodge comprend
tout le bassin du Tonlé-Sap et la partie supérieure du
delta du Mékong. Des forêts et des marais en recou-
vrent encore la majeure partie. Pays de protectorat, il
conserve son Roi, ses ministres, ses fonctionnaires indi-
gènes. Mais l'autorité réelle appartient au Résident
Supérieur assisté de fonctionnaires français.
La capitale Pnom-Penh compte 85000 habitants.
Fort bien située au carrefour des quatre bras du Mékong,
elle est appelée à un bel avenir lorsque la navigation du
fleuve sera améliorée et que les ressources de l'intérieur,
encore à peine exploitées, seront mises à profit. Les
autres agglomérations cambodgiennes : Kompong-Cham
et Kratié sur le Mékong, Pursat, Battambang à l'extré-
mité occidentale de la zone inondée par le Tonlé-Sap .
n'ont encore qu'un médiocre intérêt.
La civilisation Khmera laissé un peu partout, nous le savons, de
ruines nombreuses et importantes. Les plus célèbres sont celles
d'Angkor Tom et Angkor Vat, au Nord du Grand Lac, près de
Siem-Réap, dans une des provinces rétrocédées en 1906 au Cam-
bodge par le Siam. L'immense sanctuaire d'Angkor Vat, construit
vraisemblablement au XII^ siècle de notre ère, offre un spécimen de
l'art brahmanique plus partait peut-être qu'aucun de ceux qui sub-
sistent encore dans I Inde même.
388
ANNAM. ma Superficie : 180090 kilomètres
carrés. Population : 4 900 000 . habitants (?), dont
90 pour 1 00 d'Annamites et lOpour 100 de'" Sauvages",
plus 2200 Européens.
L'Empire d Annam, prive' de ses anciennes annexes :
GxJiinchme au Sud, Tonkin au Nord, s'allonge entre
ces deux provinces, la Mer de Chine et les pentes occi-
dentales de la Cordillère Annamitique. Nulle part ses
frontières politiques ne correspondent exactement avec ses
linutes naturelles. Cependant la prépondérance très raeu'-
quée de l'élément cuinamite donne au pays une réelle unité.
Les neuf dixièmes de la population se pressent
dans 1 étroite zone httorale morcelée en petites plaines
alluviales. Les montagnes, très boisées, d'accès difficile,
redoutées de l'Annamite, abritent quelques tribus disper-
jées de ' Sauvages " (Mois divisés en Stieng, Rade
Djaria. Boloven, etc.).
Pays de Protectorat comme le Cambodge, l'.Annam
conserve son Empereur, son administration, ses fonction-
naires indigènes. Mais le Résident Général français
et le personnel français placé sous ses ordres ont
la haute main sur toutes les affaires du pays.
Hué, la capitale, compte environ 60 000 habitants.
L'ancienne citadelle et, a peu de distance de la ville,
les tombeaux impénaux où reposent les princes de
la famille Nguyen, présentent un réel intérêt.
Tourane, aux rives d'une baie sûre, profonde, magni-
fique point de relâche pour des naviresde guerre, est depuis
1888 une concession française peuplée de 28000 habi-
tants. Vinh et Quang-Binh au Nord, Qui-Nhon, Nha-
Trang, Phan-Tiet au Sud, petits (>orts de cabotage, ne
prendront d'importaince qu'après 1 achèvement de la
voie ferrée Hanoï-Saïgon et l'ouverture de bonnes
routes menant à la zone forestière.
LE TONKIN. aa Superficie : 1 03 000 kilomètres
carrés. Population en 1919 : environ 6 400000 ha-
bitante, dont 3 800000 Annamites. 500000 monta-
1 gnards (Thos. Muongs, Yaos. Lolos, etc.), 9 000 Eu-
i lopéens.
Le Tonkin se divise en deux régions naturelles
d'importance fort inégale : le Bas-Tonkin ou région del-
taïque, anciengolfe marin comblé par les alluvionsduSong-
Koï, du Thaï-Bm, du Song-Ma, — et leHaut-Tonkin
couvert de collines et de montagnes. Les deltas, surpeu-
plés, comptent au kilomètre carré plus de 300 habitants,
tous Annamites. La zone montagneuse est le domaine
des " Sauvages ", Thos, Muongs, Yaos, etc., de race
thaï, chinoise ou tibétaine. La densité y est partout
inférieure à 10 habitants au kilomètre carré, sauf dans
les vallées et sur les versants inférieurs des monts.
Administrativement. le Tonkin est encore considère
comme une dépendance politique de I Empire d Annam
LINDO-CHINE
et. comme tel. soumis au régime du Protectorat. En
fait, l'autorité du souverain annamite y est nulle. L'emploi
de Kinh-Cuoc, vice-roi indigène du Tonkin. fut supprimé
en 1897- et le Résident Supérieur dirige seul les affaires
du pays avec l'aide de fonctionnaires français. Deux
territoires militaires (Ha-Giang et Cao-bang) subsistent,
pour des raisons stratégiques, le long de la frontière de
Chine. Les deux villes principalej : Hanoï et Haïphong,
constituent, comne Tourane, des concessions françaises
détachées du Protectorat.
Les Annamites participent dans une certaine mesure
a l'administration. Ils nomment des conseillers muni-
cipaux, envoient au chef-lieu de chaque province des
commissions de notables élus, sont représentés dans le
Conseil du Protectorat. Enfin, une Chambré Consul-
tahve indigène donne son avis sur les questions que lui
soumet le Gouvernement. Hanoï (136000 habitants
en 1919), capitale du Tonkin. l'estaussi del'Indo-Chine
entière depuis 1902. A 130 kilomètres de la mer, sur
les bords du Fleuve Rouge, elle se compose de deux
agglomérations juxtaposées autour du lac de l'Epée : la
ville indigène au Nord conserve son aspect extrême-
oriental, la ville française au Sud ressemble aux cités de
la Métropole.
Malgré sa situation au croisement de deux grandes voies
ferrées. Hanoi n'est pas un carrefour comparable à Saigon. Sa
position à l'intérieur des terres l'isole davantage. On n'y passe pas.
il faut y venir. D'autre part on y a, moins qu en Cochinchine. 1 im-
pression d'un contact lointain avec l'Europe; on s'y sent davantage
en province. Et comme à cet isolement naturel se joint la venue
périodique de l'hiver qui rend nécessaire les vitres aux fenêtres et
les cheminées aux maisons, ce qu'on ne trouve pas à Saigon, on
s'explique l'aspect plus occidental et plus intime, plus " home-like
de f^anoT. " (H. Brenier.)
Haïphong (30003 habitants), débouché maritime
du Tonkin, est malheureusement menacé sans cesse
d'un envasement contre lequel on lutte avec difficulté.
Nam-Dinh (40000 habitants), Ninh Binh, Haï Duong,
Bac Ninh, Sontay sont les principales agglornérations
du delta. Tuyen-Quang marque la limite de la naviga-
tion à vapeur sur la Rivière Claire. Langson au
.NIord-Est, Laokay au Nord-Ouest, gardent les deux
principales entrées du Tonkin sur la frontière chi-
noise.
LE LAOS. 00 Superficie : 230000 kilomètres
carrés. Population : 700000 habitants (?).
Le Laos Français ne comprend guère que le tiers des
pays Laotiens. Il s'étend presque tout entier sur la rive
gauche du Mékong entre le Tonkin et le Yunnan au
Nord, l'Annam a l'Elst, le Cambodge au Sud, le Siam et
la Birmanie à l'Ouest.
Habité par une multitude de groupements Thaïs ou
389
L'ASIE
Kbas sans cesse en guerre les uns avec les autres,
le Laos se voyait menacé d'une complète annexion par
lé Siam, lorsque le Gouvernement Français le prit sous
son protectorat en 1893.
il conserve plusieurs souverains indigènes : rois de
Louang-Prabang, de Bassac. de Muong Sing, etc.
L'administration des provinces est encore confiée à des
mandarins ; villages et cantons ont aussi leurs chefs
locaux.
La France est représentée par un Résident Supérieur,
douze commissaires chefs de provinces et une quaran-
taine de fonctionnaires.
Son ëloignement de la mer, la difficulté des commu-
nications, les montagnes boisées qui le couvrent en partie,
enfin le petit nombre de ses habitants, leur indolence,
leur apathie naturelle, expliquent le peu d'importance
économique du Laos Français.
Les principales agglomérations s'échelonnent sur le
Mékong, seule voie d'accès relativement facile. Le Rési-
dent Supérieyr et les chefs des services administratifs se
sont fixés à Vientiane. Louang-Prabang est la capitcJede
1 Etat indigène le plus important. Savannaket, Kemma-
ra!, Bassac jalonnent vers le Sud les rives du grand
Heuve.
LA MISE EN VALEUR
AGRICULTURE ET PRODUITS FORES-
TIERS. J!f£) L'indo-Chine est avant tout un pays
agricole. Les produits de ses champs, de ses forêts
constituent de beaucoup les plus importantes de ses
ressources présentes. C'est sur leur développement pro-
gressif que repose son avenir.
La culture essentielle est celle du riz, base de 1 alimen-
tation indigène et principal article d'exportation. En
Cochmchine et au Tonkm, ou les terres grasses, facile-
ment irrigables, des deltas se prêtent a merveille à la crois-
sance de la plante, les rizières occupent les trois quarts ou les
quatre cinquièmes des surfaces cultivées. Et l'on estime
à des centaines de milliers d'hectares, surtout dans les
régions inondées du Mékong, les terrains encore vierges
qui pourraient être facilement utilisés. La quantité et la
valeur delà récolte varient beaucoup suivant les années.
De plus, le rendement à l'hectare est relativement faible.
Enfin, la qualité des riz indo-chinois pourrait être fort
améliorée. Tout en prenant les précautions nécessaires
contre les excès de la monoculture, le Gouvernement
s efforce d accroître l'étendue des rizières, de régulariser
leur production par l'extension des canaux d'irrigation ou
de drainage. Il encourage aussi les paysans annamites et
les colons européens à choisir leurs semences avec plus
de soin, de façon à lutter efficacement sur les marchés
de 1 Europe contre la concurrence des riz de Birmanie,
plus appréciés.
Eji dehors du riz, les cultures vivrières comprennent :
le maïs en progression constante, le manioc, diverses
sortes de légumes, tous les fruits des contrées tropicales :
bananes, mangues, ananas, oranges, goyaves, etc. La
canne à sucre réussit un peu partout, surtout en Annam ;
le poivrier donne au Cambodge et en Cochinchine ses
gousses les plus renommées. L'arbre à thé trouve
sur les collines de l'Annam et du Tonkin un terrain de
choix. Le caféier réussit fort bien au Tonkin dans les
provinces de Ninh-Binh et de Hannam. Le bétel, la
noix d arec, indispensables à l'indigène, le tabac
peuvent encore se rattacher aux cultures alimentaires,
ainsi que les ceirdamomes du Cambodge, la cannelle
des forêts annamitiques, la badiane ou anis étoile du
Haut-Tonkin, etc.
Parmi les cultures industrielles, toutes les plantes tex-
tiles : coton, ramie, jute, kapok qui donne la ouate végétale,
joncs à nattes, etc., réussissent en Indo-Chine aussi bien
que dans les pays voisins : Chine et Inde. Le coton du
Cambodge, notamment, est considéré comme l'un des
meilleurs du monde, et les terres alluviales surélevées qui
bordent le Mékong valent les plus riches terres noires de
la Louisiane. Le mûrier, très commun dans le delta Ton-
kinois et le Centre- Annam, nourrit une race de vers a
soie très robustes dont les cocons sont petits, mais donnent
une soie d'un bel éclat.
Enfin, la riche série des plantes oléagineuses, des
essences forestières utilisables, complète la nomenclature
des ressources végétales : cocotier dont le fruit donne
l'huile de coprah, sésame, ricin, arachides, arbres à
laque et à gomme, arbre à benjoin, plantes résineuses et
aromatiques (vétivert, ylang-ylang), licmes à caoutchouc,
essences médicinales pour la pharmacopée chinoise, bois
de construction et d'ameublement, rotins, bambous qui se
transforment en une excellente pâte à papier, etc.
Ces produits divers ne donnent encore heu qu'à une exploitation
testreinle. Tous apparaissent sur les statistiques douanières, mais
pour des sommes souvent inBmes. (Voir plus lom : tableaux du com-
merce.) Cependant, l'avenir de notre colonie repose en grande par-
lie sur leur mise en valeur. Même à ne considérer que le marché
de la Métropole, la France pourrait trouver en Indo-Chine la
presque lolalilé de certaines denrées dont l'achat à l'étranger lui
coûte présentement des centaines de millions de francs : coton, jute,
coprah, graines oléagmeuses. pâte à papier, soie, thé, sucre de
canne, café, etc.
Déjà rindo-Chine nous envoie les quatre cinquièmes du riz, le
quart du thé et du maïs, la presque totalité du poivre dont nou5
avons besoin. Les plantations d'arbres à caoutchouc couvrent
1 7 000 hectares et donnent présentement 4 000 tonnes de gomme
d'excellente qualité. C'est là le début d'une polyculture qui.s'ajou-
tant peu à peu aux ressource? de la culture maîtresse, celle du riz.
390
LINDO-CHINE
accroilia dan< de considérables pioportions à Ja fois la prospèiilc
de noire colonie et les services qu'elle peul rendre à la Métropole.
ÉLEVAGE. CHASSE ET PÈCHE, aa L'éle-
vage n'a qu'une importance restreinte. D'abord l'indigène
ne mange qu'une très petite quantité de viande (poulets, ca-
nards, parfois du porc) ; déplus, le climat humide et chaud
des deltas ne convient pas. ou convient mal à la plupart
des animaux domestiques européens, fort meJ soignés par
les paysans, et que décime de trop fréquentes épizooties.
L'animal le plus répandu est le buffle, vigoureux, peu
délicat, docile, et qui, demi-aquatique, convient à mer-
veille au labour des terres inondées. Les boeufs, les zébu
servent soit au travail des champs, soit au transport des
marchandises. PKw Cambodge, il existe même une race
spéciale de boeufs trotteurs (les bœufs ' ' stieng ") renommés
pour leur vélocité.
Si le mouton parait ne devoir jamais s'acclimater aisé-
ment, il est certain que le gros bétail trouverait sur les
hauts plateaux herbeux et frais de l'intérieur (Boloven.
Lang-Bian, Tra-Ninh, etc.) des conditions très favo-
rables a sa multiplication. Dès maintenant le Service
Zootechnique s'efforce de lutter contre les épizooties.
d'acclimater des espèces nouvelles, d'améliorer par croi-
sements les espèces loccJes, d'enseigner aux indigènes
comment on soigne un troupeau. Mais on ne s improvise
pas éleveur, et bien des années s'écouleront encore sans
doute, même avec le progrès des voies de communication,
avant que i'Indo-Chine devienne le grand parc à bétail
qu'elle pourrait être.
L'abondance de la faune terrestre et aquatique rend
la chasse et la pêche aisément fructueuses. Les sau-
vages " de l'intérieur demandent à la chasse une partie
de leur alimentation carnée (gazelles, antilopes, sangliers,
singes, sans compter perdrix, cailles, bécassines, etc.).
Quant à la pêche, elle est dans l'Indo-Chine entière une
des principales ressources de l'indigène. Le poisson sou.s
toutes ses formes : frais, séché, fumé, pourri (le fameux
nuoc-mam , régal des Annamites), forme avec le riz
la base de l'alimentation. Les pêcheries de mer sont par
ticulièremenl nombreuses sur les côtes du Cambodge
(Kampot, île de Phu-Quoc)et duSud-Annam(Baclien.
Phantiet, Phanri, etc.). Les pêcheries fluviales ou
lacustres, simple accessoire au Tonkin, occupent une
foule d'indigènes dans les régions inondables du Meliong
et surtout dans le vaste bassin sans profondeur du Tonlé-
Sap. Chaque année, en dehors de la consommation
locale, 25 000 à 30000 tonnes de poissons s'exportent sur
Singapour (nourriture des coolies hindous et chinois de la
presqu'île Malaise) et sur Hong-Kong.
MINES ET INDUSTRIES. a0 L'inventaire
des ressources minérales est à peine commencé. Ce que
1 on connaît, surtout au TonLin. suffit cependant pour
faire bien augurer de l'avenir.
D'abord l'Indo-Chine possède delà houille. On l'ex-
ploite activement dans les îles de la baie d'.Along et sur
la côte voisine (région de Hongay). La production a
passé de 288000 tonnes en 1908, à 536000 en 1913
f't à 630000 en 1918. Le zinc, très abondant au Ton-
RlzlMaïs Poivr*-
<> 'Coton .
%r
r. . C'^'nxni-lI'TlIl'VTR l'uieA. frrrrr :
1!; ttuement atceai • X .K.-\..> '^^^"Vl Sslt. rncomlructioa. -.
CARTE Or ^aiittirc-
ÉCONOMIQUE
;'j CU^ à ta naviga
'\' tton a iapeur
'" ailturc- p-ri I
Jii riK .— .^
^sr^
kin (région de Tuyen-Quang, Lang-Son, Taï-Nguyen) a
fourni I4(XX) tonnes de minerai en 1909, 33000 en
1913, 43000 en 1916. L'étain, associé au wolfram,
s'exploite dans la région deCao-bang. Des gisements de
fer. de cuivre, de plomb ont été reconnus sur de nom-
breux points du Tonkin, du Cambodge et de l'Annam.
La présence de ces minerais, de la houille surtout,
jointe à la quantité des produits agricoles ou forestiers
que l'on peut utiliser sur place, permet d'entrevoir de
fïelles perspectives pour l'industrie indo-chinoise :
D'abord les vieilles industries d'art : broderies, scul-
ptures, incrustations, ciselures, orfèvrerie, travaux d'é-
caille, etc.. dans lesquelles excelle l'arti-san annamite,
méritent d'être conservées et perfectionnées ; c'est à quoi
391
L'ASIE
sefïorcent les écoles d'art industriel cre'ées par l'adminis-
tration française, notamment en Cochmchme.
En second lieu, la grande industrie a fait des débuts
très encourageants. La Cochinchine se spécicJise dans la
préparation du riz : les dix grandes rizeries de Cnolon
traitent chaque jour plusieurs milliers de tonnes de
cette céréale. Au Tonkin, grâce à la houille et à l'abon-
dance de la main-d'œuvre, on a pu créer des ÉJatures
de coton (Hanoï, Haïphong, Nam-dinh), des distille-
ries, des fabriques d'allumettes, des usines à glaces, des
briqueteries, de très importantes usines de ciment
(Haïphong), des fabnques de pongés, de cellulose, de
nattes en jonc, des scieries, etc. L'industrie métallur-
gique n'existe pas encore, mais on ne peut passer sous
silence les ateliers de construction mécanique ou mari-
time (ateliers et arsenaux de Saigon et d'Haïphong. ate-
liers des chemins de fer. etc.).
Sur les 640 000 tonnes de charbon produites par le Tonkin en
191 9, 290 000 tonnes furent exportées. II y a donc excédent d'un
combustible que l'Indo-Chine pourrait conserver pour ses besoins
propres. Les filatures et tissages de coton et de soie, les industries
du bois devraient être les premières à en profiter. Notre colonie
cesserait ainsi de payer à l'étranger un tribut tort lourd pour les
cotonnades, les soieries dont se vêlent les indigènes. Elle trouverait,
dans l'immense Empire Chinois totalement déboisé, un marché iné-
puisable pour les bois de construction et d'ameublement. L'Anna-
mite, adroit et intelligent, devient aisément un bon ouvrier d'usine,
supérieur au Chinois et à l'Hindou, égal au Japonais. Pendant la
Grande Guerre, l'Indo-Chine a fourni à la France plus de
30 000 ouvriers spécialistes. La question de la main-d'œuvre,
capitale en pareille matière, ne se pose donc pas. 11 suffit désormais
de déterminer les capitalistes français à s'intéresser aux entreprises
indo-chinoises, d'attirer le personnel d'ingénieurs et de techniciens
indispensable, de poursuivre sans arrêt l'extension du réseau ferré
et fluvial, pour donner à l'industrie indo-chinoise, complément
nécessaire de sa prospérité agricole, l'activité à laquelle elle peut et
doit prétendre.
LES VOIES DE COMMUNICATION ET
LE COMMERCE. 00 Avant l'arrivée des Français,
les moyens de communication se réduisaient à quelques
mauvcuses pistes presque inutilisables en saison pluvieuse,
et k la navigation peu' sampan.
Aujourd'hui, le réseau des routes indo-chmoises couvre
20000 kilomètres, dont 5 000 empierrés. Particulièrement
nombreuses dans les deltas très peuplés du Tonkin et de
la Cochinchine, elles ne correspondent point toutes, évi-
demment, à ce que nous avons coutume de considérer en
France comme une ' ' bonne " route. Les terres meubles,
souvent inondées, sur lesquelles il faut les bâtir, la violence
des averses d'été mettent à haut prix leur construction et
leur entretien. Telles quelles cependant, elles n'en ren-
dent pas moms d inappréciables services, et le développe-
ment des transports par voitures automobiles — surtout
en saison sèche — accroît leur rendement dans de fortes
proportions. L'Ann-am, le Hauî-Tonkin, le Cambodge.
le Laos, sont naturellement beaucoup moins bien pourvus.
La circulation ne s'y fait guère que par des pistes étroites
accessibles seulement aux chaises à porteurs, aux caVcJiers,
ou même aux éléphants.
Les transports par voie d'eau jouent un rôle prépondé-
rant dans les deltas. Une nombreuse flottille de sampans
indigènes et les chaloupes à vapeur de la Compagnie des
Messageries fluviales parcourent les bras des fleuves, les
canaux qui les unissent. Vers l'intérieur, les fleuves Indo-
chinois ouvrent des voies de pénétration qui sont cepen-
dant d'une improtance moindre que la vue de la carte ne
pourrait le faire supposer. Au Tonkin, le haut Song-Koï,
les Rivières Claire et Noire ont une pente trop forte, un
lit trop encombré, de trop grands écarts de régime pour
se prêtera la navigation à vapeur en amont deViétri, de
Tuyen-Quang et de Hoa-binh. Le Mékong, plus profond,
plus régulier, reçoitjusqu'enavaldes rapidesdeKhongdes
navires d'un fort tirant d'eau qui desservent Cochinchine
et Cambodge. Au delà, aprèstransbordementpar la petite
voie ferrée qui traverse l'île de Khône, un nouveau bief,
coupé en deux tronçons par les rapides de Kemmarat,
s'ouvre jusqu'à Vientiane. Aux hautes eaux, les cha-
loupes des Messageries fluviales remontent le fleuve sans
transbordement de Khong à Vientiane en neuf jours,
.^ux basses eaux, on alterne, suivant les lieux, chaloupes
à vapeur et pirogues à rames.
Des voies ferrées complètent — mais en nombre en-
core fort insuffisant — le réseau des routes et des cours
d'eau (2036 kilomètres exploités au 1^"^ janvier 1919).
En Cochinchine, une seule hgne unit Saïgon à Mythosur
le Mékong et à Khanh-Hoa (baie de Nha-trang) dans
le Sud-Annam. L'Annam ne possède qu'un tronçon de
ligne cillant de Tourane à Quang-tri par Hué. Au Ton-
kin, deux voies se croisent à Hanoi : l'une, partant
d'Haïphong, remonte la vallée du Song-Koï et atteint
Yunnan-fou, chef-lieu de la riche province chinoise du
Yunnan. L'autre part de Langson, sur la frontière du
Kouang-Si,et s'arrête à Vinh dans le Nord de l'Annam.
On travaille à la prolonger le long du littoral de façon à
unir par voie ferrée le Tonkin et la Cochinchine. Sur cette
ligne future s'embrancheront d'autres tronçons (notam-
ment une voie allant de Quang-tri à Savannaket par le
col d'A'ilao) pour desservir les monts annamites et atti-
rer vers la côte les produits du Laos.
Le développement des voies de communication, l'exten-
sion des surfaces cultivées, la mise en valeur des mines,
le bien-être croissant des indigènes, les efforts tenaces de
nos colons ont leur naturelle répercussion dans le chiffre
sans cesse croissant du mouvement commercial.
Le commerce général de l'Indo-Chine était en 1891
de 136000000 de francs. Il passa à 340000000 en
1900. à 453 000000 en 1906. a 748 000 000 en 1913.
392
L'INDO-CHINE
TABLEAUX DU COMMERCE DE L'INDO-CHlNE
FRANÇAISE.
Imporlations.
PrindpoIeB catégories.
' Année 1913.
1 (V«l. en frano).
Année 1920.
(V«l. en (nna).
50 000 000-
20 000 000
19 000 000
15 000 000
12 000 000
9000 000
7000 000
8000 000
7000 000
5000 000
140 000 000
27 000 000
54 000 000
112 000 000
(dont 92 000 OOQ
en traRsit)
23 000 000
34 000 000
17 000 000
32 000 000
39 000 000
25 000 000
RIa
Pétiole
Papier
etc
Tol<d
235 000 000
1 094 956 000
Exportations,
Principales catégories.
Année 1913.
(Val. en (nuics).
Année 1920.
(Val. en francs).
1 227 000 000
52 000 000
25 000 000
9000 000
27 000 000
19 000 000
12 000 000
3000 000
3000 000
39 000 000
(dont 25 000 000
de caoutchouc).
8000 000
10 000 000
15 000 000
1 000 000
92 000 000
Riz.
Matières fabricuées (nattes, peaux ou-
vrée», (ils de coton, etc)
130 000 000
15 000 000
12 000 000
9 000 000
8000 000
6000 000
4000 000
4 000 000
4000 000
3000 000
3000 000
2000 000
2000 000
1 000 000
31 000 000
M.is
Charijon
Zinc
Huile et «ks végétaux (caoutchouc.
Cannelle
Ëlain en transit venant du Yunnan...
etc.
Total...
285 000 000
1 611 000 000
En 1920, bien que le tonnage des marchandises impor-
tées ou exportées soit demeure' sensiblement e'gal à ce
quile'fait en 1913, l'augmentation des pri'c et la hausse
ce la piastre indo-chinoise ont accru considérablement la
valeur des achats et des ventes.
Les premiers ont atteint 1 094936000 francs, les
secondes I 81 1000000, soit un total de près de trois
milliards de francs.
Suivant les riions ce commerce le décompose einti :
Importations.
Expoftatiofu.
Cochinchine . . .
i 212 000 000 en 1913.
( 655 000 000 en 1920.
{ 62 000 000 en 1913.
161 000 000 en 1913.
734 000 000 en 1920
62 000 000 en 1913.
407 000 000 en 1920.
10 800 000 en 1913.
30 000 000 en 1920.
2 000 000 en 1913.
8 000 000 en 1920.
Annam
Cambodge . .
1 411 000 000 en 1920.
1 6 800 000 en 1913.
' 16 000 000 en 1920.
, 4 000 000 en 1913.
' 1 1 000 000 en 1920.
Ijb commerce
ou par le port
du reste tris (aibla, du Uos se
Siamois de Bangkok.
fait par la Cochinchine, ,
La France et les Colonies françaises prennent encore
une part trop faible au mouvement commercial Indo-
Chinois. En 1920, les puissances étrangères vendirent
a rindo-Chine pour 830 000 000 de francs de mar-
chandises diverses, alors que notre part se montait à
230000000 (à peine un cinquième du total) et celle
de nos colonies à 14000000. La proportion de nos
achats fut plus faible encore : 1 63 000 000 pour
nous, 14 pour nos colonies, contre 1634 000000 pour
l'étranger.
CONCLUSION
En dépit des attaques dont furent l'objet ceux qui nous
donnèrent l'Indo-Chine et de l'indifférence avec laquelle
on considéra trop longtemps en France les choses indo-
chinoises, notre colonie a su grandir et prospérer. Elle
apparaît aujourd'hui, après l'Afrique du Nord, comme la
partie la plus importante — et de beaucoup — de notre
domaine colonial, celle qui peut nous rendre le plus de
services et qu'attend le plus magnifique avenir.
Nous pouvons trouver chez elle la majeure partie des
denrées coloniales dont nous avons besoin et nous sous-
traire ainsi aulourd tribut que nous payons encoreàl'Inde,
à la Chine, à llniulinde, au Japon, à I Amérique. Il ne
tient qu'à nous d'en faire notre grande pourvoyeuse de
soie, de coton, de caoutchouc, de jute, d'épices, d'huiles
végétales, etc. Au marché français ou européen s'ajoute
l'immense marché chinois, soit par terre grâce aux voies
ferrées, présentes et futures, qui convergent vers le Ton-
kin, soit par cabotage. La main-d'œuvre ne manque pas,
elle ne peut que s'accroître vite grâce à la cessation des
guerres, aux mesures d hygiène, al augmentation du bien-
être des indigènes.
La situation financière est excellente. L'Indo-Chine
n'a besoin, pour mettre complètement en valeur les res-
sources si multiples dont elle dispose, que de capitaux,
d'indigènes plus instruits, de cadres européens plus com-
plets.
Les capitaux, nous pouvons les lui fournir: c'est, mieux
que notre devoir, notre intérêt, et les quelque 200 000 000 de
francs engagés dans les entreprises agricoles et industrielles
représententpourlesbaiileursd'argent.unplacementautre-
ment siir que de vagues mines sud-américaines ou telles
autres affaires " étrangères du même ordre ! L'instruc-
393
L'ASIE .—
tion des indigènes est commencée. Les Annamites, sur-
tout, nous donnent des collaborateurs très appréciés aussi
bien sur les plantations que dans les mines et les di-
verses industries. Quant aux cadres européens, ils existent
déjà mais en trop petit nombre. Sur les 18000 Français
(sans compter les troupes) fixés en Indo-Chine, les fonc-
tionnaires de tous ordres comptent pour près de la moitié !
et si l'on trouve dans les grandes villes une quantité déjà
respectable de maisons de commerce, d usines, d établis-
sements français, les concessions de terrains réellement
exploitées par nos colons sont encore peu de chose :
1 02 000 hectares en Cochinchine (dont 76 pour 1 00 de
rizières, 23 pour i 00 de caoutchouc. 1 pour 100 de poi-
vriers); 53 000 hectares au Tonkin (95 pour 100
en rizières), 8 000 hectares en Annam(jute, caoutchouc,
thé), 5000 au Cambodge. Il y a cependant encore,
sans compter les plus-values que de meilleures méthodes
peuvent donner aux espaces déjà cultivés, des millions
d'hectares encore vierges. C'est là un champ magnifique
qui s'ouvre à toutes les initiatives, à toutes les activités,
à tous les hommes de corps robuste, de tempérament au-
dacieux. De tels hommes ne manquent pas en France.
Ce sont eux qu'il faut attirer en Indo-Chine. L'avenir de
notre colonie esta ce prix.
CHAPITRE XXV m
L'ARCHIPEL DES PHILIPPINES
SITUATION. SUPERFICIE, aa La guir-
lande des îles Asiatiques, que nous suivîmes des Kouriles
à Formose, se continue au Sud des Tropiques par l'Archi-
pel des Philippines. Il s'allonge du 20^ au 5® degré de lati-
tude Nord entre le Pacifique et la Mer de Chine, et com-
prend des îles innombrables (plus de 3 000) dont la su-
perficie totale couvre environ 300000 kilomètres carrés.
Les principales sont : Luçon (106 000 kilomètres carrés).
Mindanao (93 000), Samar (13000), Leyte (7000),
Cébou (4 500), Bahol (3 700) et Masbate (3 200).
(On désigne sous le nom d'Iles Visayas le groupe cen-
tral : Panay, Masbate, Samar, Leyte, Negros, Cebou.
Bahol, placé entre Luçon au Nord et Mindanao au Sud.)
Des seuils sous-marins de très faible profondeur, et qui
se manifestent à la surface des eaux par des rangées d'îles
et d'îlots, relient directement les Philippines soit à For-
mose, soitàl'Insulinde : îles Batanes et Babouyanes entre
Formose et Luçon ; ileParagua, archipel deJoloouSoulou.
entre Bornéod'unepart, Luçon et Mindanao d'autre part :
arcKipel de Bangi entre la pointe Sud de Mindanao et
la corne Nord de Célèbes. Ces seuils, et les hautes mon-
tagnes qui couvrent l'Archipel, contrastent avec les grandes
fosses marines qui s'ouvrent immédiatement à leur pied :
Mer de Chine, 4000 mètres; Mer de Jolo, 4 000 mètres;
Mer de Célèbes, 5 000 mètres ; fosse du Challenger dans
le Pacifique, 9 000 mètres. Comme le Japon et la majeure
partie de l'Insulinde, les Philippines bordent une ligne
de fracture de l'écorce terrestre : elles correspondent à une
zone de faible épaisseur et de résistance moindre. Aussi
devrons-nous y retrouver la plupart des phénomènes
physiques que nous fit connaître l'étude du Japon : abon-
dance des volcans et des roches d'origine interne, fré-
quence des tremblements de tene, relief chaotique et
convulsé.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
RELIEF. ^£f On considère généralement les Phi-
lippines non pas comme une vieille terre bouleversée par
des effondrements, mais plutôt comme un archipel de ré-
cente formation qui émergea peu à peu du sein des eaux à
partir de la seconde moitié des temps ter. iaires. Cette émer-
sion, qui porta à 2000 pieds d'altitude des formations co-
rcJligènes autrefois sous-marines, fut accompagnée d'é-
panchements éruptifs continus.
" A côté de roches volcaniques anciennes : diorites, gabbros.
diabases, mêlées à des granits, à des gneiss, à des schistes cristallins,
apparaissent des basaltes, des andésites, des tiachytes, des laves,
des tufs qui s'étalent en " planèzes ", s'arrondissent en dômes, se
dressent en cônes isolés aux formes géométriques. Le peu que I on
sait encore sur le relief des îles ne permet pas de distinguer les
lignes directrices des principaux mouvements de terrain. Dans la
portion vraiment insulaire de PArchipelchaque île est essentiellement
constituée par un massif d'ongme volcanique dont le grand axe
détermine la grande dimension de l'île et qui est bordé par une
bande relativement étro te de rivages faits surtout de sédiments vol-
caniques et de coraux. " (F. Mauretle.)
A Luçon, une série de massifs orientés Nord-Sud .
Cordillère orientale et centrale, Ilocos, Zambales, sont
coupés par des dépressions profondes, couvertes de sédi-
ments volcaniques et d'alluvions, sillonnées de rivières
394
L'INDO-CHINE
UN CANAL A BANGKOK. La capitale du Siam est siluée sur U Mcnam, à quelifues
kilomètres de la mer, au milieu du fertile delta construit par le fleuve. Si les très
grands navires doivent s'arrêter à son avanl-bort de Paknam, tts vapeurs de moyen
tonnage remontent aisément Jusqu'à Bangkok- D'autre part, une nombreuse ftottille de
sampans remorqués par des canots à vapeur circule sur le Ménam et ses affluents.
Tout ce trafic conflue vers les quais de la grande cité siamoise, dont la population
atteint aujourd'hui plus de 650 000 individus, sur lesiuds on ne compte pas moins
de 240 000 Chino-s. Cl. Isonoza.
DES FEMMES ANNAMITES AU PUITS DU VILLAGE. Les Annamites
forment le groupe le plus important de nos sujets indo-chinois. Originaires de la Chine
du Sud. ils se sont établis dans toutes les basses terres du Tonkin, de l'Annam et de la
Cochinchine, laissant les montagnes aux Moi, aux Khas et autres tribus de " icuvages".
De petite taille, mais bien proportionnés, souvent robuilcs ci trapus, iU s'aaoruicnt
avec prédilection aux travaux agrict^es. Hommes et femmes se vêlent, se coiffent de
la même façon. Remarquez le grand rôle joue en Annam comme en tant d'autres pays
" neufs" par les bidons de pétrole qui se substituent peuàpeuaut cruches J'autr^w.
395
L'ASIE
T^^HHp ^^HH
aJ
'^iyË'liiB
LA PAGODE DE PNOM-PENH. Pnom-Penh est la ville principale du Cambodge
et lu résidence du roi. Fort bien placée, au point de croisemeni de plusieurs voies flu-
viales, elle est destinée à un bel avenir, lorsque ta navigabilité du Mékong sera amé-
liorée et lorsque l' arrière-pays sera mis en valeur.
HANOI : LE MARCHÉ. Depuis 1902, Hanoï a remplacé Saigon comme capitale
de V Indo-Chine française Elle est peuplée de IIO 000 habitants et se divise en deux
quartiers : l'un, très animé réservé aux indigènes ; l'autre plus calme, où les EurO'
péens vivent dans des demeures confortables et coquettes.
MAISONS DE PÊCHEURS PHILIPPINS.
LES PHILIPPINES. L'archipel des Philippines, d'abord peuplé de négroïdes pygmées
dont quelques descendants subsistent encore dans les forets les moins accessibles, fut
par la suite envahi par des populations malaisesqui, pécheurs sur la côte, agriculteurs
à l'intérieur, composent aujourd'hui la presque totalité des Philippins, mais se répar.
ENFANTS MOROS.
tissent suivant leur degré de culture en sauvages (l 000000 environ) et civilisés
{7 000 000). Parmi les" sauvages " prennent place les Moros. Malais musulmans qui,
pendant des siècLs, dévastèrent et rançonnèrent tous les rivages des îles. Depuis
l'occupation américaine, leurs mœurs se sont fort adoucies. CI. Encinas.
LE MGN'r.-DAJO (ILES PHILIPPINES). L'un des nombreux volcans qm s'ali-
Snent dans l'Archipel Philippin, comme au Japon et à Java. Le climat tropîccd
l.tiTnidt fcvûrist la vigueur et la variété de la végétation naturelle ainsi que les cul-
tures dt riz, de tabac, de carme à sucre, de cocotier, d'abaca, etc.
39Ô ■
UN COIN DE MANILLE. Fondée par les Espagnols au Sud-Ouest de l'ile de
Luçon. la capitale des Philippines se développe sur les rioes du Pasig. au fond d'une
rade immense et profonde. C'est le port le plus actif et la seule cité vraiment indus-
trielle de l'ArchipeL Sa population s'élève à plus de 300 000 âmes.
L'ARCHIPEL DES PHILIPPINES
lentes. Ces de'pressions. très fertiles, devaient attirer et
fixer les hommes : elles sont un des éléments géographi-
ques les plus importants de l'Archipel. Mir.danao a, elle
aussi, des alignements et des dépressions Nord-Sud, mais
1 île, couverte de forêts vierges, habitée par des indigènes
sauvages, est encore trop mal connue pour que l'on
puisse donner sur son relief des détails plus précis.
Dans l'ensemble, il faut donc se représenter l'Archipel
comme un groupe de terres montagneuses, au relief très
confus, très déchiqueté, profondément ravinées par l'éro-
sion. Les vraies plaines y sont fort rares et de petite éten-
CLIMAT DES PHILIPPINES
Températures
moyennes
-S
Mois
l
1
Mabom-
3
i
-e
1
;
■a
S
.s
i.
OlMefvatians
Manille
I4''35
26M
24°5
un
yQ
1 915
20 p.
80 p.
100 de novembre à mû.
100 de juin À octobre.
AIUt
I3°9
25°4
Zi'A
27%
4°2
2960
1 59 p.
' 41 p.
100 de mai i octobre.
Do lia
10°42
26°6
^'
28<0
2°9
1 73
( 29 p.
( 71 p.
100 de mai à octobre.
due. Çà et là pointent des volccins (le plus élevé, l'Apo,
dans Mindanao, atteint 3 143 mètres) dont une vingtaine
en activité. De beaux lacs dorment au cœur d anciens
cratères. Pas de fleuve digne de ce nom : le plus long,
le Cagayan, n'a que 350 kilomètres ; mais de nombreux
torrents aux eaux chargées d'alluvions qui colmatent peu
à peu le fond des baies. Les côtes, prodigieusement dé-
coupées, bordées de hautes fadaises, d'écueiis et de co-
raux, ont tous les caractères des rivages japonais. Enfin,
les tremblements de terre se produisent avec une fréquence
égale à celle qui nous frappa dans l'Ejnpire du Soleil
Levant. Beaucoup, il est vrai, ne sont sensibles qu'aux
appareJs spéaaux installés à l'Observatoire de Manille.
D'autres, qu'accompagnent parfois des raz de marée, se-
rvent la cause de catastrophes trop fréquentes si l'on
ne prenait contre eux les mêmes précautions qu'au Japon :
maisons basses et légères, construites en clayonnage de
bambous reposant sur des pilotis ou sur un socle de ma-
çonnerie épaisse et peu élevée.
Situé tout entier entre le Tropique et l'Equateur, l'Ar-
chipel Philippin a partout un climat très chaud et très
humide. Si l'on met à part les sommets des plus hautes
montagnes, les températures moyennes annuelles ne
s'abaissent pas au-dessous de 25° quelle que soit la lati-
tude. Eln mai, qui est généralement le mois le plus chaud,
on note à Manille 28°,2. à llo-llo 28°, i Albay 27°.6.
En décembre ou janvier, le thermomètre, dans ces trois
stations, marque encore 24°,5, 25°, I ,et 23°,4. Partout la
hauteur de l'eau amenée par les moussons du Sud-Ouest et
du Nord- Est dépasse I m. 70. Elle atteint même de
2 m. 50 à 4 mètres sur les versants du Pacifique qui sont
arrosés en toute saison, tandis que les côtes occidentales
connaissent, de novembre à mai, une véritable saison
sèche (comparez, dans les observations du tableau précé-
dent, le pourcentage des pluies suivant les saisons, à Al-
bay sur la côte du Pacifique et à Manille ou llo-llo sur
le versant opposé).
Des cyclones ou ' baguios " se déchaînent trop sou-
vent sur l'Archipel. Les uns, les moins importants, sont
le résultat de dépressions locales qui se produisent, de
décembre à mars, sur le Sud des Visayas et sur Minda-
nao ". Les autres, plus redoutables, éclatent de juin à
septembre ; ils ont pour origine le Pacifique et se dépla-
cent vers la Mer de Chine et le continent asiatique en tra-
versant Luçon. En vingt ans, on ne compta peis moins
de 397 " bciguios "dont 245 passèrent dans la région de
Manille. Navires jetés à la côte, plantations dévastées, vil-
lages détruits, tels sont les effets ordinaires des plus vio-
lents de ces typhons.
L'humidité et la chaleur constemte du climat, jointes à
l'extrême fertilité naturelle des terrains volcaniques, favo-
risent l'exubérance de la vie végétale. Sauf dans les ré-
gions défrichées par l'homme, la forêt, de type tropical,
couvre l'Archipel tout entier, des sommets à la mer. Bam-
bous, peJmiers, cocotiers, fougères eirborescentes se mêlent
aux arbres de haute futaie, unis par l'inextricable lacis des
lianes. Sur les hauts lieux, au-dessus de I 800 mètres,
apparaissent les conifères et quelques plantes alpines.
On peut noler d"abord que nulle part il n'esl possible de dis-
tinguer les forêts à feuillage persistant des forêts à feuillage caduc,
car elles coexistent partout étroitement ; en second lieu, que les
(ormes végétales diffèrent sensiblement de celles des archipels voi-
sins, ce qui prouve un isolement déjà ancien de l'Archipel. Cet
isolement estconfirmé par les études relatives à la faune philippine :
absence presque totale des grands mammifères, relativement nombreux
dans le reste de la Malaisie, et spécialité de la faune de chaque
lie : sur 286 espèces vivant à Luçon, 5 1 lui appartiennent en
propre et ne se retrouvent point ailleurs.
GEOGRAPHIE HUMAINE
Du xvi'^siècle à la fin du Xix', les Philippines demeu-
rèrent aux mains des Espagnols. EJles appeu'tiennent de-
ctoCKATHii tntrvnsELLE
puis 1898 aux Etats-Unis, et, au recensement de 1918,
leur population se montait à 10 350000 hat>itants.
397
39
-: L'ASIE :
LES RACES. 00 A l'origine, les Iles ne durent
être peuplées que de négroïdes-pygme'es à la peau noire,
au nez large et plat, aux cheveux crépus, aux membres
très grêles. Ces" Ne'gritos", appelés Aetas, proches pa-
rents des négrilles d'Andaman et de Nouvelle-Guinée, se
trouvent encore en petit nombre (20000 au plus) dans
les régions les moins accessibles de Luçon, de Négros,
de Mindanao surtout. Répartis en tribus minuscules ou
même en familles isolées, ils ignorent culture et commerce,
vivent en chasseurs nomades et fuient le civilisé.
A une époque indéterminée se produisirent des sénés
d'invasions Malaises qui anéantirent les Négntos ou les
refoulèrent à l'intérieur. Ces Malais composent aujour-
d'hui la presque totalité des Philippins.
Les statistiques américaines les répartissent en sauvages
et civilisés.
Les " sauvages " (les Espagnols disaienl :"Infieles , c'esl-à-dire
païens), au nombre de 1 000000, se groupent dans les régions
économiquement déshéritées : montagnes et forêts de l'intérieur,
côtes du Pacifique et de la Mer de Célèbes. Ilongos de Luçon.
Mangyan de Visoro, Bukidnon, Manobo. Mandata. Bragobo de
Mindanao. vivent, comme les Négritos, de chasse et de pèche, ou
bien ont déjà franchi ce stade primitif et connaissent les éléments
dune culture rudimentaire qui leur donne une existence mi-séden-
taire, mi-nomade. (Cf., dans le chapitre consacré à l'Afrique Equa-
torlale, la vie des Fangs dans les forêts congolaises.) Beaucoup
d'entre eux sont encore de féroces coupeurs de têtes, et la guerre
est permanente de clairière à clairière, de tribu à tribu.
Le Sud de Mindanao et l'Archipel de Soulou sont occupés par
des Malais musulmans : les Moros, qui terrorisèrent, dévastèrent et
rançonnèrent pendant des siècles tous les rivages de l'Archipel.
Déjà contenus par les Espagnols, l'occupation américaine les a
réduits à l'impuissance.
Les civilisés (appelés Indios' parles Espagnols) de
beaucoup les plus nombreux (plus de 9000000) peuplent
toutes les régions économiquement favorisées : dépressions
fertiles de Luçon, côtes intérieures où les échanges sont
fréquents et faciles, côtes Nord-Occidentales, " qui re-
gardent la Chine, foyer de commerce et de civilisation ".
Leurs groupes principaux portent le nom de Tagal,
Vicol et Visayas. Convertis au catholicisme, beaucoup
d'entre eux ont adopté le costume européen, parlent l'es-
pagnol ou l'anglais, lisent des journaux écrits dans ces
langues ou en dialecte indigène. Ils habitent des villages
aux maisons propres et gaies, perchées sur des pilotis,
enfouies sous la verdure desgrands arbres. Chaquefamille
possède son petit champ qui lui assure de quoi subsis-
ter sans grande peine.
.^ux indigènes s ajoutent un petit nombre d étreingers :
20 0(K) Américains et Européens (y compris les troupes)
et 50 000 Chinois. Depuis 1902, l'arrivée de nouveaux
immigrants Chinois est interdite aux Philippines comme
aux Etats-Unis. Les Jaunes, en effet, ruinaient les indigènes
par la pratique des prêts usuraires et tendaient à mo-
nopoliser tout le commerce.
LA MISE EN VALEUR. 00 L'occupation
espagnole n'avait pas été très favorable à l'Archipel. On
ne cherchait qu'à exploiter par tous les moyens une po-
pulation tenue dans un demi-esclavage. Rien n'était fait
pour explorer le pays, utiliserses ressources multiples, créer
desvoiesde communication, développer les relations com-
merciales avec l'Amérique et l'Europe. .Aussi les Philip-
pins accueillirent-iIs les .•\mericains comme des libé-
rateurs.
Cependant les progrès réalisés depuis 1902, quoique
notables, ne sont point tels qu'on aurait pu le supposer.
La cause en est d'abord au tempérament même des ha-
bitants : souvent intelligents, prompts à s assimiler les
arts et les métiers des blancs, ils doivent au climat, à la
facilité de la vie matérielle, une indolence, une paresse
dont on triomphe malaisément. De plus, et surtout, la
situation politique des Philippines n'est pas encore nette-
ment définie.
On ne sait si l'Archipel demeurera possession américaine ou s il
deviendra un Etat libre comme le demandent nombre de Philippins
et conformément aux promesses formelles, faites, dès le début, par
les Etats-Unis. Cette indécision empêcha jusqu ici les financiers et les
hommes d'affaires américains de s intéresser fortement à la mise en
\ aleur d'un archipel en grande partie peuplé de demi-sauvages chez
()ui l'indépendance complète serait sans doute synonyme d anarchie.
Les Américains n'ont donc pu introduire aux Philippines leurs
capitaux comme ils l'ont fait à Cuba, à Porlo-Rico ou aux Iles
Hawaï ; ils n'ont pas monté d importantes usines, ils n ont pas donné
aux Iles l'outillage nécessaire à l'exploitation intérieure de leurs
richesses naturelles. Les progrès réalisés sont dus à peu près
exclusivement aux efforts et aux subsides du Gouvernement Phi-
lippin (gouvernement auquel participent directement les indigènes) et
non pas à l'initiative des étrangers.
.Aussi les Philippines qui, grâce a la fécondité de
leur sol, pourraient devenir " un autre Japon ', ne jouent-
elles qu'un rôle restreint dans la vie économique du monde.
Les terrains défrichés necouvrent encore que 1 0 pour 100
de la superficie totale (surtout dans les Visayas centrales
et certaines régions de Luçon : Mindanao n a que
2 pour 1 00 de sa superficie mise en culture, et Paragua
0, 02 pour 100). Les méthodes demeurent fort arriérées
malgré la multiplication des écoles et le caractère pratique
donné à l'enseignement. Les animaux de ferme font
presque entièrement défaut. '
L'agriculture est naturellement la ressource essentielle
des Philippines. Le riz. qui forme la base de la nourri-
ture et qui s'exportait autrefois en Chine, ne suffit pas à
la consommation : on doit en importer de grandes quan-
tités provenant de Chine et de l'Indo-Chine. Par contre,
les plantations d' " ' abaca " ou de chanvre de Manille
(provenant d'une espèce de bananier) et de cocotier dont le
fruit donne le coprah, ont été fort encouragées et gagnent
chaque année du terrain. 11 en est de même du tabac, de
398
qualité presque aussi réputée que les tabacs cubains. Le
sucre de canne, principal article cl'exportation jusqu'en
1 887 . avait perdu de son importance par suite de la concur-
rence des sucres de betteraves. Il n'en tenait pas moins
en 1913 la seconde place sur le tableau des denre'es ven-
dues par l'Archipel, et la période de la Grande Guerre
a fort accru, temporairement sans doute, la surface des
plantations. Le cotonnier qui réussirait à merveille, le
cacaoyer, le caféier ne comptent pas.
Ni les gisements métallifères, ni les forêts ne donnent
encore lieu à une exploitation de quelque importance et
l'industrie, concentrée surtout à Manille, ne comprend
qu'un nombre restreint d'établissements où l'on fabrique
du sucre, des cigares, des cordages, et des chapeaux de
paille.
En 191 3, on comptait dans Luçon 772 kilomètres de
chemins de fera voie étroite, 135 à Panay, 103 àCébou.
11 faut y ajouter 2 500 kilomètres de routes empier-
rées.
Avant la Grande Guerre, )a valeur des transactions commer-
ciales avait grandi lentement mais régulièrement, passant de.«
65000000 de dollars en 1902. à 77 000000 en 1910 et
1 09 000 000 en 1913. partagés à peu près également entre les
importations (56) et les exportations (51). La période de la Guerre
a été pour les Philippines l'occasion et la source d'une prospérité
inespérée. La valeur — sinon le volume — des produits qu'elles
exportent s'esl trouvée, en effet, considérablement accrue; d'où un
alRux de numéraire qui a singulièrement augmenté le bien-être des
indigènes et leurs facultés d'achat.
Aussi, en 1920, les exportations se sont-elles élevées jusqu'à
151 000 000 de dollars, et les importations à 150 000 000. Cela
donne par tète d'habitants et par an une moyenne de 30 dollars,
à peine moins forte que la moyenne du Japon.
Aux exportations, le chanvre de Manille. c]Ui tenait la tête en
L'INSULINDE
|yi> 1,4V p. luU du total), passe au second rang en 1920
(24 p. 100) lorlcmenl distancé par le sucre (20 p. 100 en 191 3.
33 p. 100 en 1920). Puis viennent les produits du coprah (18 p. 100).
le labac (15 p. 100), les fibres de sisal et quelqui-s ohjcis sorlis
des ateliers indigènes : broderies, chapeaux de paille, etc.
Les importations portent toujours, comme avanl-gucrre, sut les
colonnades (23 p. 100), certaines denrées alimenlaiirs (riz surtout,
farine, poissons 14 p. 100 en tout), 'es objets en fer et en acier, et
les combustibles.
Les Etals-Unis font, nalurellcmenl. la plus grosse pari du com-
merce philippin. Ils achètent 70 p. 100 des produits exportés,
el fournissent 62 p. 100 des importations. A leur suite — et très
loin derrière — se classent le Japon (10 p. 100). le Royaume-
Uni (6 p. 100), la Chine (4 p. 100), l'Indo-Chine française, etc.
La capitale de l'Archipel, Manille, fondée parles Espa-
gnols au Sud-Ouest de Luçon, se développe au fond
d'une rade immense et profonde sur les rives du Pasig,
petit fleuve qui sert de déversoir au beau lac de Bay.
Elle comptait, en 1918, 283 000 habitants. La vieille
cité espagnole, aux rues étroites et sombres bordées de
couvents, contraste avec les nouveaux quartiers habités
par les Blancs, les Chinois et les indigènes. Manille est
non seulement le centre du Gouvernement, mais aussi le
port le plus actif et la seule ville vraiment industrielle des
Philippines. En été, la plupart des résidents étrangers se
transportentau sanatorium de Baguio. dans les montagnes
del'interieur. Laoag (46000 habitants). .'\lbay(43000).
NuevaCaceres (40000), Vigan (38000). sont les loca-
lités les plus importantes de Luçon. Mais les ports de Ilo-
llo dans l'île de Panay, et de Ctbou dans l'île du même
nom), ont une population plus grande (60000 habitants
chacun), et se rangent immédiatement après Manille sur
la liste des places commerçantes.
CHAPITRE XXIX
L'INSULINDE
On donne le nom d'Insulinde ou d'Indonésie (ou
encore d'Indes Orientales et d'Archipel Malais) à l'en-
semble d'îles grandes et petites comprises entre la
presqu'île de Malacca d'une part, les Philippines, la
Nouvelle-Guinée, l'Australie d'autre part. Elles couvrent
plus de 2 000 000 de kilomètres carrés et appartiennent
tout entières à la Hollande, sauf le Nord de Bornéo et
la moitié orientale de Timor. On peut les répartir en
quatre groupes principaux ; 1 ' les îles de la Sonde
subdivisées elles-mêmes en grandes Iles (Sumatra.
435000 kilomètres carres). Java (135000), et petites
îles(Bali, Lombok, Soumbava, Soumba, Florès, Timor) ;
2" Bornéo, (746000 kilomètres carrés); 3" Célèbes
(189000 kilomètres carrés); 4 l'Archipel des Mo-
luques (55 000 kilomètres carrés). Elles occupent une
situation symétrique à celle de l'Amérique Centrale et
des Antilles sur une zone de dislocation, au point
de croisement des grandes lignes de fracture orientées
Nord-Sud et Elst-Ouest, au point de contact de deux
vastes océans et de deux masses continentales.
Comme le Centre-Amérique, elles se caractérisent
par l'abondance des volcans, la fréquence des trem-
blements de terre, la chaleur constante et l'humidité
du climat, l'exubérance de la végétation, la fécondité
naturelle du sol. Mais elles l'emportent par l'ampleur
des terres utilisables, la densité de la population, surtout
399
L'ASIE
par le fait qu'elles ne forment point une barrière entre
deux oce'ans égcJement vides, méùs qu'elles com-
mandent l'une des routes commerciales les plus impor-
tantes du monde, celle qui de l'Europe et de l'Inde
mène à la Chine et au Japon par le détroit de Malacca.
Pour l'instant, Java est la seule des terres mdonésiennes
que l'on connaisse p2irfaitement et qui soit tout entière
mise en valeur. Elle nourrit, du reste, à elle seule les
quatre cinquièmes de la population totale (34 000 000 sur
47000000). Sur Bornéo. Célèbes et Sumatra, qui sauf
quelques districts du littoreJ, sont recouvertes par d'im-
menses forêts vierges, nous n'avons encore que des no-
tions fragmentaires analogues à celles que l'on possède
sur maints territoires du Centre Africain. Lorsque sera
achevée l'exploration de l'Insulinde, lorsque les ressources
innombrables de toutes les îles seront reconnues et
exploitées comme elles le sont à Java, l'Archipel McJcds
pourra prendre rang à côté de la Chine, de l'Inde, du
Japon, petfnu les foyers d'humanité les plus peuplés, les
plus productifs de l'univers.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
LE RELIEF. ^^ L'Insulinde n'est qu'un frag-
ment détaché de l'Asie, comme la Grande-Bretagne
l'est de l'Europe. Au Sud de l'Indo-Chine, en effet, le
continent asiatique se prolonge jusqu'à Sumatra, Java et
Bornéo, par une large plate-forme sous-marine recou-
verte de quelques dizeiines de mètres d'eau seulement,
(cf. la Mer du Nord et la Manche). Sur le rebord
extérieur de ce socle continental sont venues se mouler,
aux temps tertiaires, deux séries de plissements contem-
porains des grands plissements alpins : au Sud, l'Arc
Malais, orienté Nord-Ouest-Sud-Est, prolongement des
chciînes de Birmanie et de la presqu'île de Malacca, — à
YEst, l'Arc des Moluques, qui se relie aux Philippines
et à Formose. Ces plissements s'accompagnèrent d'effon-
drements, de cassures qui disloquèrent les chaînes, les
brisèrent en fragments, donnèrent aux Moluques et à
Célèbes leurs formes bizarres, creusèrent les profonds
abîmes circulaires de la mer de Célèbes ( — 5 024 mètres)
de la mer de Banda ( — 4000 mètres), de l'Océan Indien
où la sonde descend à 7 000 mètres dans le voisinage immé-
diat de Java. En même temps, par les fissures du sol, se
firent jour les roches en fusion. Elles édifièrent sur les flancs
des montagnes une série de volcans sans égcJe au monde.
Sumatra en compte 90, d'une hauteur moyenne de
3 000 mètres (Sinoboeng, 3 700 mètres, mont Ophir,
Merapi, etc.). Java n'en a pas moins de 140 (Salak,
Gedi.Papandayang à l'Ouest, Slamat,Sindore au Centre,
Sameroe, 3670 mètres, Tengger à l'Est). Beaucoup
d'autres se dressèrent au-dessus des petites îles de la
Sonde et des Moluques. Cette ampleur des phéno-
mènes volcaniques récents est le trait le plus caracté-
ristique des îles extérieures. Tous les paysages de
Java ont comme fond de tableau un ou plusieurs
cônes majestueux vêtus de forêts sombres d'où émerge
leur cime dénudée. L'activité du foyer intérieur ne
cesse de se mjmifester dans nombre de cratères par
des solfatares, des fumerolles, des jets de vapeur et, de
temps à autre, de violentes cruptions dont la plus fameuse,
auxtemps contemporains, fut, en 1882, celle du Krakataou
(petite île volcanique sise entre Sumatra et Java). Les
tremblements de terre ont une fréquence égale à celle
que l'on observe en Amérique Centrale, et pour les
mêmes raisons. Enfin la décomposition superficielle des
laves donne un sol merveilleusement fécond qui est un
des éléments essentiels de la richesse agricole del'lnsu-
hnde. (Cf. par exemple, les alentours du Vésuve et de
l'Etna.)
Les deux grîindes îles du Centre, Célèbes et Bornéo,
se distinguent des autres pal l'absence à peu près com-
plète de volcans récents (on n'en a, jusqu'ici, signalé qu'un
seul à l'extrémité Nord-Est de Célèbes). Plus éloignées
des principales lignes de fracture et constituées (autant
du moins qu'on peut le savoir dems l'état rudimentaire
de nos connaissances) par des massifs compacts de roches
cristallines depuis très longtemps émergés, elles jouèrent
le rôle de butoir sur quoi vinrent s écraser les plissements
du pourtour. Le contre-coup de ces mouvements eut
sans doute pour effet de redresser les couches de ter-
rains anciens, de donner au relief une jeunesse nouvelle.
(Cf. l'exhaussement de notre Massif Central sous le
choc des plissements alpins.) Ils se traduisirent aussi, à
cette époque lointaine, par des brèches, des fissures qui
livrèrent accès aux roches ignées : on trouve en effet, à
Célèbes et à Bornéo, de vieux volcans analogues à nos
volcans du Cantal et du Velay, de grandes surfaces
couvertes d'antiques coulées de basaltes, de diontes, d'an-
désites ; mais ces manifestations de l'activité intérieure
ont depuis longtemps cessé.
Aux divers pheDomènes qui donnèrent naissance à l'Insulinde, il
faut ajouter les effets de l'érosion. C'est elle qui, pour ainsi parler,
revêtit de chair le squelette des hautes montagnes. Toute la partie
orientale de Sumatra, les basses régions de Java et de Bornéo sont
constituées par des plaines alluviales que créèrent de toutes pièces
les torrents et les fleuves et qui ne cessent de s'étendre peu à peu
aux dépens du domaine marin. L'édification de ces plaines fut
d'autant plus aisée que les nuages déversent sur l'Insulinde des
averses formidables, que les roches volcaniques offrent peu de résis-
tance à la morsure des eaux, et que les mers riveraines comprises
entre Sumatra, Java, Bornéo et l'Indo-Chine n'avaient qu'une
épaisseur d'eau insignifiante. Le colmatage ne fut impossible que
là où se creusaient des fosses trop profondes : ainsi, Célèbes dut
400
L'INSULINDE
IL'llNSUMNBIE
ET LE« PHILIPPINES
-iû.— hoUanôoiéF.u VU-M
EtatiV inûépenûaniA^ j
^
%=
=8375=
conseivei ses (ormes bizaneraent articulées où des presqu'îles mon-
tagneuses, limitées par de hautes {alaises, s'allongent comme des
pattes de crabe entre les golfes très creux de Tomini. de Tolo, de
Boni, tandis qu'à Bornéo, dont la structure primitive était identique
à celle de Célèbes. les golfes qui séparaient autrefois les chaînes
de montagnes se remplirent de dépôts alluviaux et donnèrent à
l'île sa forme massive, ses rivage! incertains.
LE CLIMAT. 00 Les terres de l'Insulinde sont
situe'es. de part et d'autre de l'Equateur, entre le 7® degré
de latitude Nord et le 11* degré de latitude Sud. Aussi
présentent-elles tous les caractères du climat c quatorial nor-
mal. Partout (sauf bien entendu sur les hautes mon-
tagnes) les températures moyennes de l'anne'e de'passent
25° et les écarts entre les saisons sont insignifiants. Cette
constcmce uniforme de la chaleur est rendue pctfticulière-
ment pénible par l'extrême humidité de l'atmosphère. Il
pleut, en effet, avec une remarquable abondance, et, dans
la majeure partie des îles, les averses se répartissent à peu
près également entre tous les mois de I année. A peine
note-t-on une légère recrudescence des pluies pendant les
mois où prédomine soit la mousson d'hiver (Sumatra,
Java, Bornéo), soit la mousson d'été (les Moluques).
Seules les îles du Sud-Elst : Florès, Timor, plus proches
de l'Australie qui leur envoie des vents desséchcmts, ont
des précipitations moindres et connaissent, de juin à
octobre, une véritable saison sèche.
401
L'ASIE
H va de soi que sur une surface aussi vaste (la moitié de ! Eu-
rope en y comprenant les mers intérieures), de relief aussi tour-
menté, d'exposition, de latitude et de longitude si différentes, on
observe bien des variations climatiques en des lieux souvent fort
rapprochés les uns des autres. Par exemple, à Java, une différence
d'altitude de 280 mètres seulement vaut à Buitenzorg des pluies
trois fois plus abondantes qu'à Batavia sa voisine. En général, les
précipitations atmosphériques sont particulièrement fortes et nom-
breuses sur le Hanc des montagnes entre 200 et 2 000 mètres ; il
semble qu'au-dessus de 2 000 les vents de mousson n'aient plus
CLIMAT DE L'INSULINDE
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Températures moyennes
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(Sumatra) . . .
2°50^-
27°
mai 27'"1
janv.26"6
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2 V45
Toute 1 année
Bandjerniassinj
max. en déc.
(Bornéo)
3034 ,
2/°l
mai 27''7
déc. 26°7
l-C
2 48;
Toute 1 année
max. en déc.
Batavia (javal .
ô-1 1 .
25«9
;.a..26o4
ianv.25<'3
l»l
1 836
Max. en janv.
Sensible dimi-
nution de juil.
à sept.
(
Buitenzorg
6«37 »
280
25°0
sepl.25°5
lév. 24°5
l-tl
4 42/
Toute l'année :
(Java)
max. en mars
et octobre.
Amboine QAo-
3M1
2603
tév. 27-2
juil. 25-2
2"D
i 707
Toute l'année :
luques)
mai. en juin
et juillet-
Soumbava ....
8°27
26°
mai 27»
janv. 25°
2°a
1 201
Pluies de nov.
à avril. Sé-
cheresse le
reste de l'ann.
I
1
d'etïel el que le sommet des volcans soll maigrement arrosé. Dan*
les plaines basses de Java, lorsque la mousson d'hiver est nettement
établie (à partir de janvier), '* tout le cïel devient uniformément gris
et les nuages déversent sur le sol des trombes d'eau pendant vmgt*
quatre heures sans interruption, parfois des semaines entières. A
l'intérieur des maisons, le fracas de la pluie couvre la voix des
habitants ; ruisseaux et fleuves sortent de leurs lits ; les grenouilles
coassent jour et nuit, les reptiles quittent leurs trous et se réfugient
dans les lieux abrités; durant toute la nuit retentit le bruissement
ce millions d'insectes, de moustiques, et il devient difficile de trou-
ver, dans la maison entière, un endroit a peu près sec ' . En été.
du moins à java, la mousson disparaît el elle est Remplacée par
des brises alternantes de terre et de mer. Les chutes de pluie
cessent d'être continues. Elles se produisent sous forme d orages
violents qui éclatent en général dans l'après-midi. A Buitenzorg et
sur les flancs des montagnes, ces orages sont si réguliers que 1 on
s'étonne lorsqu'une journée se passe sans que Ion ait entendu le
grondement de la foudre. " (D'après Junghuhn cité par J. Hann.)
LA VÉGÉTATION ET LA FAUNE. £>£)
Comme aux Philippines, et pour les mêmes raisons :
constance de la chcJeur, humidité surabondante, fécon-
dité naturelle du soi volcanique, la végétation de l'Insu-
linde se caractérise par son exubérance, sa variété, sa
vigueur magnifique. Partout où l'homme ne défriche pas.
l'arbre est roi. Bornéo est vêtue tout entière de forêts
vierges ; Sumatra, Célèbes, les Moluques le sont encore
en grande partie ; Java conserve un peu partout d'admi-
rables restes de sa couverture forestière. Dans les terres
humides et fécondes du littoral, et sur les pentes tien
arrosées, le sol n'offre plus assez d'espace pour toutes les
plantes qui s'y pressent ; palmiers de 50 espèces diffé-
rentes, bananiers, banians, tecks, fougères arborescentes,
bambous colossaux. Chaque tronc d'arbre se recouvre
d'épiphytes, les lianes lient les branches les unes aux
autres et, s échappant par les dômes de feuillages,
s'élèvent les hampes des palmiers, deuxième forêt se
dressant au-dessus de la première .
Aux forêts se mêlent par endroits soit des jungles,
impénétrables fourrés propres aux régions marécageuses
des plaines basses (Sumatra et Bornéo), soit des savanes
couvertes de très hautes herbes. Les îles les plus sèches
du Sud-Est : Soumbava, Florès, Timor, voient même
apparaître les espèces et les formes végétales de 1 Aus-
tralie : maigres taillis d'acacias, d'eucalyptus, d eu-
phorbes. Leurs versants méridionaux, notarhment, sont
fort arides et rappellent plus au voyageur le paysage
d'Aden que la végétation luxuriante des lies aux Epiées.
Ce contraste qui existe entre la végétation des îles de
l'Est et de l'Ouest se retrouve, plus nettement encore,
dans la faune indonésienne. Sumatra, Java, Bornéo ont
les mêmes espèces animales que l' Indo-Chine. On y ren-
contre la plupart des grands mammifères asiatiques : élé-
phants, rhinocéros, tapirs, tigres, léopards, taureaux sau-
vages. Les singes abondent ; parmi eux l'orang-outang,
le plus voisin de l'homme, est spécial à Sumatra et à
Bornéo. A l'Est des détroits de Lombock et de Macas-
sar au contraire, a Célèbes, dans les Moluques et les
petites îles de la Sonde, la faune s'appauvrit brusquement
et change de caractère. Célèbes n'a que 21 espèces de
mammifères terrestres, les Moluques 10, Timor 7. au
lieu de 1 70 que l'on dénombre à Bornéo et a Sumatra.
De plus, tandis que disparaissent les grands pachydermes
et les carnivores, on y voit apparaître les espèces austra-
liennes : sarigues, kangourous, ornithorhynques. Mais
partout abondent les oiseaux et les insectes. Les
Moluques, par exemple, possèdent à elles seules plus
d'espèces d'oiseaux que l'Europe entière, et la plupart
comptent parmi les plus belles de la zone tropicale
en élégance de forme et en splendeur de plumage.
Les papillons sont répandus en telle multitude " qu'ils
en sont devenus, dit A. Wallace, un des traits caracté-
ristiques du paysage. " Les crocodiles infestent les
estuaires des fleuves, et les forêts cachent des reptiles
parnrii lesquels on note le python pour sa taille gigantesque ,
le serpent à lunettes pour la mortelle gravité de sa mor-
sure.
L'HYDROGRAPHIE. £>£> Nourris surabon-
damment par les averses diluviennes, un bon nombre
M)2
L'INSULINDE
de forts cours d'eau de'gringolent sur les pentes dès
monts et traversent, avant de se perdre dans l'Océan, les
plaines littorales qu'ils e'difièrent de leurs alluvions.
Célèbes, les Moluques, les petites îles de la Sonde sont
trop étroites, et leur relief est trop élevé pour contenir
de vrais fleuves que les navires puissent utiliser. Java
n offre pas non plus les vastes bassins aptes à entretenir
un important réseau hydrographique. Cependant, la plus
longue des rivières javanaises, le Kali-Solo (500 kilo-
mètres), présente déjà des profondeurs suffisantes pour
les barques d'un fort tirant d'eau. Sumatra et Bornéo,
plus massives, sont pourvues au contraire de fleuves larges
et profonds; le Siak, I Indraghiri, le Dyambi, le Mousi
à Sumatra, le Rejang. le Kapouas, le Kahadjan, le
Barito, le IVIahakkam à Bornéo. Tous présentent des
caractères communs : après avoir échappe à l'étreinte des
montagnes où ils prenne^il leurs sources, ils zigzaguent
paresseusement a travers les plaines alluviales, maréca-
geuses, couvertes de jungles inextricables que leurs crues
inondent sur d'immenses espaces, puis sedivisent en bras
nombreux et changeants, et poussent chaque année plus
loin la pointe terminale de leurs deltas. Ils reproduisent
ainsi, sur un modèle réduit, la vie des grands fleuves
asiatiques : Gange, Ménam, Mékong.
Leur utilité est, toutefois, déjà fort appréciable, car
ils présentent les seules voies d'accès facile qui mènent
des côtes à l'intérieur. (Bornéo contient plus de 4000 ki-
lomètres de rivières navigables, Sumatra en a plus
de 3000). Mais, comme la plupart des fleuves à
deltas, leur entrée est fréquemment obstruée par des
bancs de vase que les navires de mer franchissent malai-
sément.
GEOGRAPHIE HUMAINE
LES RACES INDIGÈNES. a/H Si l'on met à
part les immigrants chinois, arabes et européens, l'Insu-
linde est peuplée tout entière d'indigènes répartis en
deux groupes principaux : les Indonésiens (ou insulaires
proprement dits) et les Malais.
Les Indonésiens représentent l'élément indigène le plus
ancien. Ils occupèrent sans doute, autrefois, toute la sur-
face des terres habitables où ils exterminèrent les
Négritos ; mais ils furent plus tard eux-mêmes refoulés
ou assimilés par de nouveaux venus, les Malais. Dans les
lies petites, étroites, d'accès facile, les Malais, d'abord
campés sur le littoral, remontèrent les cours d'eau,
prirent possession des plaines fertiles, et absorbèrent
ou anéantirent les Indonésiens. Java, les petites îles de
la Sonde, les presqu'îles méridionales de Célèbes, les
deux tiers de Sumatra n'ont pas d'autres habitants que
les Malais, subdivisés eux-mêmes, d'après leurs positions
géographiques, leurs dialectes, leur genre de vie, le degré
et la nature de leur civilisation, en Malais proprement
dits, Soundanais, Javanais, Boughis, etc. Les tribus
indonésiennes se sont maintenues dans les montagnes
du Nord-Ouest de Sumatra (les Battaks). au Nord de
Célèbes (les .Alfourous), et dans tout l'Intérieur de
Bornéo (les Dayaks).
Les Indonésiens de race pure ont en général le teint
plus blanc que les Malais ; ils sont de taille plus haute,
ont le nez plus saillant, le front plus élevé, la barbe et
les cheveux plus fournis. Ils ne sont pas convertis à
l'islam et conservent leurs superstitions primitives. Ils
diffèrent, du reste, beaucoup entre eux par leur genre de
vie et leur degré de culture. Les Battaks de Sumatra
qui furent, depuis une époque fort reculée, en relations
avec l'Inde, savent cultiver avec soin le riz et le mais,
possèdent de grands troupeaux de chevaux, de buffles.
de porcs. Renommes pour leur habileté comme forgerons,
armuriers, bijoutiers, ils habitent des demeures souvent
élégantes, savent lire et écrire, et administrent avec
équité leurs affaires communes. Il en est de même des
Minahassans de Célèbes, au teint souvent aussi blanc
que celui des Européens, travailleurs, laborieux, pacifiques
et déjà fort civilisés. Par contre, les Alfourous de cette
même Célèbes, une partie des Dayaks qui peuplent les
districts les plus reculés de Bornéo, certaines tribus des
hautes montagnes de Sumatra, comptent parmi les frac-
tions les plus arriérées, les plus sauveiges de I espèce
humaine. Vivant à peu près nus dans des huttes de
branchages ou dans le creux des troncs d'arbres, igno-
rant la culture même la plus rudimentaire, ils se nour-
rissent de fruits, de racines, de serpents, évitent soigneu-
sement tout contact avec l'étranger, se perdent à la
moindre alerte sous le dôme insondable des forêts, et,
armés d'une sarbacane qui lance des flèches empoisonnées,
ils se livrent a leur sport de prédilection : la chasse
aux têtes.
Les Malais se distinguent des Indonésiens par cer-
tains caractères physiques : taille plus petite et plus
trapue, teint plus foncé variant du jaune noirâtre au brun-
rouge.
Du reste, le passage du Malais pur a l'Indonésien
pur se fait par une série de types intermédiaires qui
témoignent de l'importance et de l'extension des métis-
sages entre les aborigènes et les nouveaux venus. En
fait, à Java par exemple, on ne trouve de purs Malais
que dans la région qui entoure Batavia. Les autres habi-
tants de'l'Ue, ceux qui constituent la plus grosse partie de la
population ; les Soundanais à l'Ouest, les Javanais au
Centre, les Madourais a l'Elst, ne sont autre chose que
des métis de Malais et d'Indonésiens.
403
L'ASIE
On ne sait à peu près rien sur l'habitat primitif de ces Malais
et les dates des migrations qui les conduisirent aux lies. On sait seu-
lement qu'ils étaient d'excellent marins, et qu'ils le deviru-ent plus
encore par suite de la configuration géographique des lieux où ils
se fixèrent. Etablis d'abord sur les côtes, ils allaient d'île en ile sur
leurs grands " praos ", vivant d'échanges pacifiques et plus encore
de piraterie. Le goût des aventures, les tempêtes, le mouvement
alternatif des moussons les entraînèrent vers l'Ouest jusqu'à Mada-
gascar, vers l'Est, jusqu'au cœur du Pacifique où ils peuplèrent les
Iles Océaniennes et la Nouvelle-Zélande (les Maoris). La langue
malaise est une de celles qui s'étendent sur le domaine le plus
vaste: et encore aujourd'hui, plus ou moins corrompue, elle est
'idiome international que l'on parle dans tous les ports, de
Colombo à Manille, de Singapour à Tahiti.
Les relations des Malais avec l'Inde développèrent chez eux le
goût de la culture perfectionnèrent leur civilisation. L'influence
hindoue se manifeste core par l'abondance des mots sanscrits passés
dans les dialectes mala.s, par la survivance de traditions bouddhiques
et brahmaniques, par des ruines souvent imposantes de sanctuaires
dédiés aux dieux de l'Inde (tel le temple de Boro Boedoer à
Java). Plus tard, des négociants arabes, que les vents de mousson
poussèrent jusqu'à eux, les convertirent à l'islam. C'est aujourd'hui
la religion dominante de l'insulinde. On la pratique en général
sans aucun fanatisme, mais, comme elle est le signe d'une civilisa-
tion que l'on lient pour supérieure, tout Indonésien païen qui
adopte les croyances musulmanes se qualifie aussitôt de Malais.
Les Malais d'aujourd'hui — au moins à Java et en
quelques régions de Ce'Ièbes, des Moluques et de
Sumatra — façonnés par de longs siècles d'obéissance
soit aux princes indigènes, soit aux fonctionnaires hollan-
dcus, ont abandonné leurs coutumes guerrières. Le
Kris ' , ce fameux poignard à manche courbe qu'ils ne
quittent jamais, n'est plus qu'un ornement ou un instrument
de travail. Certains d'entre eux, notamment les Boughis
de Célèbes, ont conservé leurs aptitudes nautiques et
s adonnent au commerce. Tous les autres vivent exclusi-
vement de l'agriculture et de l'élevage. Vêtus de coton-
nades légères (kaïn, sarong) aux couleurs éclatantes, ils
habitent des maisons de bois souvent juchées sur des
pilotis, enfouies sous la verdure des grands arbres. Ils
travaillent avec soin et avec science leurs rizières, leurs
champs de canne à sucre et de café. Doux, pacifiques,
d'une politesse raffinée et qui touche à l'obséquiosité, ils ont
à un haut degré l'amour de la vie familiale. Indiffé-
rents en matière de morale et de religion, dépensiers et
toujours prêts à jouir du présent sans songer au lende-
main, grugés et dupés par les usuriers chinois ou arabes,
ils se laissent docilement conduire par les chefs indigènes
ou les fonctionnaires européens. Les classes supérieures
témoignent même d'un goût enfantin pour les distinc-
tions honorifiques et recherchent avec ardeur les places
de bureaucrates : " Nul n'est satisfait s'il n'a sa part du
gouvernement du paj's ou plutôt son rang dans la
hiérarchie officielle. Car c'est, à l'ordinaire, la vanité qui
le pousse, non pas le souci du bien public, non pas
même 1 ambition. Il tient au pouvoir moins qu'à l'appa-
rence du pouvoir ; il ne prétend que rester ou monter à
404 —
la place qu'occupait son père, et ne pas déchoir devant
ses égaux. Et tout un peuple pense conune lui.
(J. Chailley-Bert.)
LES CHINOIS ET LES ARABES. 00 De
tout temps les Chinois ont été en rapports étroits avec
1 Insulinde. La domination hollandaise, en introduisant
l'ordre et la paix, en développant l'exploitation des
ressources locales et la richesse publique, leur fut très
favorable. On en compte aujourd'hui près de
600000 dont la moitié à Java, et leur importance
est d'autant plus grande qu'au lieu d'êïre, comme en
Amérique par exemple, des hôtes de passage qui
regagnent leur patrie après fortune faite, ils se fixent à
demeure, épousent des Javanaises ou des Chinoises,
deviennent acquéreurs de domaines fonciers, bref cons-
tituent une fraction intégrante de la population stable.
Grâce à leurs qualités natives (ou à leurs défauts) :
sobriété, intelligence, application au travail, connaissance
parfaite des langues et de la mentalité indigènes, âpreté
au gain, absence de scrupules, etc. , ils sont les meilleurs
collaborateurs des fonctionnaires et des commerçants
hollandais, qui ne trouvent pas encore parmi les Malais
indolents 1 aide efficace dont ils ont besoin. Ils sont aussi
indispensables à l'indigène qui, toujours court d'argent,
s'accommode de l'usure chinoise comme d'un mal néces-
saire.
Aussi presque tous réussissent-ils fort bien, et nombre d'entre
eux, débarqués à Batavia sans une sapèque en poche, réalisent-ils
de grosses fortunes. " Banquier, prêteur, commerçant, industriel,
agriculteur, fermier des jeux, des tabacs, des monts -de-piété, etc.,
rien ne rebute le Chinois, rien ne lui paraît au-dessous de lui ; il
court les grosses affaires et il ne dédaigne pas les pelites; I Européen
s'arrête dans la poursuite de la richesse, lui ne s'arrête jamais. A
ce métier, il entasse et il amasse. Dans les villes, les belles maisons
lui appartiennent ; la sienne est une demeure d'apparence parfois
modeste, mais souvent d'intérieur princier ; et si, dans la rue,
vous voyez filer à grand train un équipage irréprochable, ce sera,
à Batavia, celui d'un haut fonctionnaire ou d'un Chinois: à Sou-
rabaya, d'un Chinois toujours. " (Chailley-Berl.)
La colonie arabe est constituée par des musulmans
venus de l'Hadramaout (Sud de la presqu'île arabique).
Ils sont peu nombreux (29 000) mais jouissent d'un grand
prestige religieux. Ils savent en user — et en abuser —
pour gruger indigènes ou européens dans les opérations
commerciales (fondées sur le prêt usuraire et la vente à
crédit) qui sont leur unique occupation.
On compte enfin 25 000 Orientaux de toute race :
Indo-Chinois, Malais de Malacca, Hindous, Japonais. etc.
Le nombre des Japonais s'est accru de façon sensible, et
le Gouvernement Hollandais ne considère pas sans inquié-
tude l'ampleur des ambilions nipponnes pour qui l'in-
sulinde serait une proie si tentante, de conquête si aisée.
L'INSULINDE
JAVA: LE TEMPLE DE BOELALANG. L'insuîindc. d'abord peuplée d'hdo-
nésiem^fut ensuite occupée par des Malais Ces Malais, excellents marins, entretinrent
d'activés relations commerciales avec tous les pays asiatiques, et furent les intermé-
diaires naturels entre la Chine. l'Indo-Chine et l'Inde. L'influence de l'Inde fut
surtout considéralle. Elle n'enseigna pas seulement aux Matais les méthodes d'une
agriculture savante, mais introduisit chez eux l'usage du sanscrit et les croyances
religieuses nées aux rives du Gange. Encore aujourd'hui Java conserve les Tuines,
souvent imposantes, de sanctuaires dédiés aux dieux Hindous.
405
40
L'ASIE
PIROGUE MALAISE. Les Malais qui peuplent l'Insulinde et la presqu'île de
Malacca se sont toujours distingués par •leursX remarquables qualités nautiques
Montéssur leurs grandes pirogues ou" praos", ils s'aventurèrent d'île en île à travers
tout le Pacifique et parvinrent, à l'Ouest, jusqu'aux rivages de Madagascar.
VILLAGE A BORNÉO. L'intérieur de la grande île de Bornéo, couvert de massifs
montagneux velus de forêts vierges, est encore mal connu, inexploite et peuplé d'abo-
rigènes sauvages. Les plaines côtières au sol fertile, traversées par des fleuves navi-
gables et où se fixèrent Malais et Chinois, commencent d'être mises en valeur.
Plantation de thé a Java.
JAVA. La grande richesse de Java reposait autrefois sur les épiccs, l'indigo, le café
et le sucre. Aujourd'hui, sile'sucre se classe encore jsu premier rang des exportations,
café, ébices et indigo ou bien ne comptent plus, ou bien ne jouent plus qu'un rôle
PUNTATION DE BANANIERS A JaVA
effacé. Par contre, les colons ont très habilement multiplié les plantations de tabac,
de cocotiers, d'arbres à caoutchouc, à quinquina, à thé. de cacaoyers, etc. La récolte
du thé a passé de 2 millions de ^i/ogrûmmes en 1917 à 40 millions en 1919
j DAVAKS DE BORNÉO. Derniers représentants, avec les
1 Boltaks àt Sumatra, et les Alfourous de Cétèbes, des
1 popiîhiions cborigènes qui peuplaient l'Insulinde avant
\ i'aTTivh des Malais.
LE VOLCAN SEMEROE est
l'un des nombreux cônes éruptifs
de l'Insulinde.
CI. ChUSSEAU-FlA VIENS .
FEMMES MALAISES A SUMATRA. Autrefois redou-
tables pirates, les Malais ont abandonné leurs coutumes
guerrières et forment une population douce, pacifique,
docilct vivant de la culture et de l'élevage
L'INSULINDE
LES BLANCS, dû L'élément blanc était repré-
senté en 1919 par 138000 Européens environ, dont
125000 Hollandais, fonctionnaires (très nombreux), com-
merçants, industriels, propriétaires de grands domaines
fonciers. Ils se sont parfaitement adaptes à des conditions
climatiques pourtant difficiles et si un grand nombre
d entre eux reviennent a leur patrie après un séjour plus
ou moins long, beaucoup se fixent a demeure, préférant la
vie libre, facile, l'existence très large de Java aux con-
ditions plus mesqumes, à 1 atmosphère plus sévère —
physiquement et moralement — que leur reserve la
métrof)ole. Sur 123 000 Hollandais résidant en Insulinde
on en compte I 1 0 000 nés dans le pays.
Maigre la disproportion qui existe entre la petite
Hollande et ses vastes colonies, elle est parvenue à
réaliser une œuvre qui mérite, à bien des égards, l'ad-
miration. Très sagement, les Hollandais ont évite, autant
que faire se pouvait, les difficultés du gouvernement di-
rect et adopté le principe du protectorat, habilement
nuancé suivant les lieux et les circonstances. Ils ont
laisié subsister les chefs indigènes, ont respecte toutes
les coutumes locales, ne se sont point immiscés
dans les questions de morale ou de religion. Leur admi-
nistration eut un caractère essentiellement pratique et
positif, se guidcint non point d'après des théories, mais
d'après l'expenence des faits. Ils n'ont même pas cherché,
et ils ne le pouvaient pas, à mettre en valeur 1 étendue
considérable de leur domaine colonial. Ils ont concentré
tous leurs efforts sur les lieux où la péoétration était la plus
aisée, le sol plus fertile, les indigènes plus soumis : Java
d'abord et surtout, puis une petite partie de Célèbes. des
Moluques, de Sumatra. Ils eurent du reste la chance
d'avoir affaire dans ces régions à des peuples habitués à
l'obéissance : car ils eussent été incapables de vaincre la
résistance de gens détermines à demeurer libres. La
guerre si longue, si difficile et si coûteuse, qu'ils durent
soutenir contre les .'^tchinois (inbus malaises fortement
arabisées du Nord de Sumatra), en est une preuve suffi-
sante. C'est pour la même raison qu'encore aujourd'hui
la presque totalité de Bornéo, une notable partie de
Célèbes et de Sumatra échappent, en fait, complètement
à l'autorité hollandaise, et même demeurent géographi-
quement très mal connues.
Mais là oîi ils s'installèrent solidement, ilsontoblenu
des résultats qui peuvent servir d'exemple à toutes les
nations colonisatrices. Leur corps de fonctionnaires est un
des plus instruits, des plus travailleurs, des plus habiles
qui existent au monde. Leurs commerçants, leurs agricul-
teurs, témoignent d'une expérience et d'une activité égales.
Leurs savants nous ont donné une masse considérable
d'études de la plus haute importance dans tous les do-
maines qui s'offrent à leur investigation : anthropologie,
géographie, histoire, géologie, botanique, zoologie, etc.
Le fameux jardin botanique de Buitenzorg, avec les
laboratoires de toutes sortes qui y sont annexés, est
l'exemple le plus typique des services que peut rendre
l'intime union des recherches désintéressées et de leur
utilisation pratique pour des lins économiques légitimes.
11 y a évidemment dans l'Insulinde, et spécialement à Java, une
question indigène. Elle s'y pose comme dans l'Inde Anglaise, dans
l'Afrique Française, dans la plupart des colonies d'exploitation oii
un petit nombre de blancs se Irouvent en face d'une masse indigène
considérable. Non pas que les Javanais manifestent des velléités
d'indépendance : du plus grand au plus petit ils sont faits à la do-
mination étrangère et n'ont nul désir de s'en débarrasser. Mais le^
plus intelligents d'entre eux soit dans l'ancienne noblesse, soit dans
les classes inférieures voudraient un élargissement, une conception
moins étroite dj protectorat, une tutelle moins tatillonne, une part
plus active à l'administration. Il n'y a pas. semble-t-il, de raisons
pour rejeter systématiquement une requête qui serait profitable à
tous, même aux fonctionnaires blancs accablés sous le poids d une
besogne écrasante, même aux colons que gênent souvent des règle-
ments un peu abusifs. Mais une pareille réforme exige une trans-
formation profonde de la mentalité indigène, l'européanisation
sinon de tout le peuple, du moins d'une élite. Cette transformation
est commencée, grâce à l'école. L'avenir dira à quoi elle aboutira.
RfiPARTlTlON DE L.A POPULATION.
LES VILLES. 00 Sur les 47 COO 000 d'indigènes
qui, en 1918, peuplaient approximativement I Insu-
linde Hollandaise, Java en nourrissait à elle seule
34000 000. La densité kilométrique moyenne y
dépasse 270 habitants au kilomètre carré et s'élève à 400
en certains districts de plaines particulièrement fertiles.
C'est un des lieux du monde où les hommes sont le plus
pressés et où leur nombre augmente le plus vile, puisque
le chiffre de la population a plus que quadruplé en
un siècle (8 000 000 en 1813, 19 000000 en 1881).
Cependant le point de saturation est loin d'être atteint.
L'indigène est si sobre, a si peu de besoins, et si féconde
est la terre, que l'on peut envisager sans crainte un
accroissement aussi hâlif.
Quatre villes javanaises atteignaient ou dépassaient
100000 habitants en 1918: Batavia (234 000 habi-
tants), Sourabaya (160000). Sourakarta (137000),
Samarang (106 000). Sauf en quelques vieux quartiers
commerçants, les maisons ne se serrent point les unes
contre les autres. Faites pour rendre aussi supportable
que possible un climat constamment très chaud et très
humide, elles sont basses, très aérées, couvertes d'un
grand toit qui déborde au delà des murs, entourées de
jardirs ombreux. " Une ville javanaise est un parc avec
des avenues, des espaces libres, pelouses ou bosquets, et
ça et là, suivant un alignement que dissimule une végé-
tation extravagante, des maisons, jardin devant et jardin
derrière, soustraites au regard des passants, et partout
des arbres. " En général, les résidences officielles, les
services publics, les grands hôtels se groupent autour
407
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
40
L'ASIE
d'une vaste pelouse ceirrée, " la plaine du Roi ". Ailleurs,
le" Kraton ", ou palais des princes indigènes, forme un
quartier spécial, une petite ville dans la grande comme
les kasbahs des vieilles cités musulmanes. Dans la cam-
petgne, parmi les rizières, les champs de canne à sucre et
de café, les plantations de bananiers, de quinquinas,
interrompues çà et là par des fragments de forêts
vierges, les villages se succèdent à peu de distance
les uns des autres. Leurs petites maisons disparaissent
sous les palmiers. On voit les paysans penchés sur la
boue des rizières ou poussant devant eux leurs lourds
attelages de buffles. Sur la rouie, animée par le conti-
nuel va-et-vient des gens allant au marché ou en reve-
nant, passent tour à tour un colporteur chinois prcme-
nant sa marchandise au bout d'un bâton, un commerçant
ctfabe, rival du chinois, des métisses aux grands yeux
langoureux, le correct atteleige d'un riche planteur
hollandais se rendant à l'usine dont on distingue à travers
les arbres la haute et blanche cheminée. Rien de char-
mant comme un paysage javanais, ruisselant d'eaux vives,
tout rempli de fleurs éclatantes, de papillons, de scarabées
plus beaux encore, et si splendidement encadré par les
cônes majestueux des volcans.
En dehors des quatre villes précitées, les principales
agglomérations de Java et de Madoura, son annexe
immédiate, sont Modjokarta (98 000 habitants) dans
Madoura, Djokdjokarta, sur la rive Sud de Java, Koditi,
Malang, Magélang, Chéribon, etc., qui ont toutes de
25 000 à 40 000 âmes. Buitenzorg, à peu de distance de
Batavia, est la résidence habituelle du Gouvernement
général.
Les ' ' possessions extérieures " (c'est le terme admi-
nistratif dont on désigne les colonies autres que Java et
Madoura), sont infiniment moins peuplées que Java.
Sumatra (et ses dépendances) n'a que 5 000 000 d'habi-
tants pour 435 000 kdomètres carrés. Célèbes, avec
Soumba, Soumbava et Florès n'en a pas 3000000. La
portion néerlandaise de Bornéo compte I 200000 habi-
tants, pour 5 50 000 kilomè;res carrés. Les Moluques attei-
gnent 560 000 habiants; Bali et Lombok I 300 000 habi-
tants , l'archipel de Timor 1 1 00 000 habitants. Les rési-
dents européens y sont, nalurellemer.l, en assez petit
nombre, et l'on ne peut y citer que peu de villes dignes
de ce nom : Padang (91 000 habitants) et Palembang
(61 000 habitants) à Sumatra. Pont:anak(21 000 habi-
tants) et Bandjermassirg (17 000 habitants) à Bornéo,
Macassar (26 000 habitants) à Celèbes, Ternate (6000
habitant») et Amboine (9000 habitants) dans les Mo-
luques.
Le Nord-Ouest de Bornéo est possession anglaise.
On estime la posulation à 700000 ou 800000 individus
(pour 120 000 kilomètres carrés), dont 300 à 400 Euro-
péens. Principaux centres : Sandakan (7 000 habitants)
et Kuching.
Les Portugais ont conservé la moitié orientale de l'île
de Timor : 300000 à 400 000 habitants ; chef-lieu Dillé.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
L'ANCIEN SYSTÈME D'EXPLOITATION.
£f/!l Les Hollandais s'instcJlèrent en Insulmdeau début
du XVII® siècle. La Compagnie des Indes Orientales, fon-
dée en 1 602, exploita seule, jusqu'en 1 798, les ressources
des Iles. A cette date, le Gouvernement des Piovinces
Ui-ies supprima la Compagnie et administra directement
ses colonies. Il le fit d'abord avec une extrême âpreté,
sans se soucier d'améliorer le sort des indigènes auxquels
on demandait de livrer gratuitement, ou pour une
somme dérisoire, les produits du sol : café, riz. indgo,
épices, sucre, que l'on revendait avec d'éi.ormes béné-
fices. En 1832, le gouverneur généra! Van Den Bosch
inaugura un nouveau système qui contraignait simplement
les indigèr.es à donner, sous forme d'impôt en na ure ou
de corvées, le cinquième des produits agricoles et le
cinquième des journées de travail. Ce rég me, qui valait
mieux que le précédent, pesait encore très lourdement
sur la masse des tiavailleurs ruraux. De plus, les profits
considérables qu'en retirait le Gouvernement (plus de
2000000000 de francs en douze ans) servaientnon pas à
améliorer la situation de llnsulinde, mais à combler les
déficits budgétaires delà mère-patrie. Il souleva des pro-
testations telles qu'on le supprima en 1 870. Le Gou-
vernement s'est encore réservé ceitains monopoles (sel,
opium) ; il possède en propre des forêts, de vastes do-
maines plantés de caféiers, quinquinas, arbres à caout-
chouc, et des mines qu'il exploite directement. Mais les
revenus de ces monopoles, de ces domaines et de ces
mines sont exclusivement consacrés à couvrir les dépenses
de la colonie. Les corvées, du reste réduites et dont on
peut se racheter à des taux modérés, ne s appliquent
qu'à des travaux d'utilité publique. La propriété indi-
gène est consolidée, et l'exploitation du sol est accessible
à tous. Le ncmbre des planteurs européens s est consi-
dérablement accru, et près de 900 Compagnies à bail
ont loué des propriétés — particulièrement vastes à Su-
matra — où l'on s'occupe surtout de cultures délicates
(exigeant de gros capitaux, la construction d'usines, de
laboratoires, etc.), telles que le thé, le café, la canne à
sucre, le quinquina, le caoutchouc.
L'AGRICULTURE ET LES FORÊTS, /na
C'est sur les produits de l'agriculture que repose
essentiellement la prospérité de llnsulinde. Dans la
408
L'INSULINDE
seule Java, en 1919, 5 000 000 d'hectares e'taient cul-
tivés par les indigènes, 1 500 000 appartenaient à des
Européens et à des Chinois, et bien des terrains donnent
deux récoltes annuelles.
C'est le riz qui couvre de beaucoup les plus vastes
espaces : rizières sèches sur les pentes fortes des mon-
tcignes, rizières humides dans les bas lieux. Puis viennent
les cultures vivrières nécessaires aux indigènes : maïs,
ctfachides, bananiers, légumes, arbres à fruits. Mais les
produits destinés à l'exportation ont une importance
économique beaucoup plus grande.
Autrefois, rinsulinde fournissait surtout des épices :
poivre, muscade, cannelle, girofle, de l'indigo, du sucre
et du café. L'indigo, ruiné par la concurrence des cou-
leurs d'origine chimique, ne compte plus. Les épicej,
q»u viennent des Moluques, ont beaucoup perdu de
leur valeur. Les plantations de caféier se sont forte-
ment restreintes, car il est difficile de lutter contre les
bas pnx des cafés américains (Brésil, Salvador, Ve-
nezuela, Haïti, Guatemala). La canne à sucre tient
bon et le sucre se classe au premier rang des
exportations (seule Cuba en vend davantage). Les
expériences poursuivies à Buitenzorg ont permis, en
effet, de choisir les espèces de cannes les mieux faites
pour s'accommoder au terrain et au chmat. D'autre part.
la création de grandes usines munies d'un outillage par-
fait réduit les frais généraux et donne des produits de
choix.
Les colons atteints par la crise du café, de l'indigo.
des épices et, à un degré déjà moindre, par celle du
sacre, ont su pallier le mal en s'adonnant aussitôt à des
cultures nouvelles et notamment à celles qui exigent des
avances d'argent dont il faut attendre plusieurs années
la rémunération. Les plantations de cocotiers, dont la
noix donne l'huile de coprah, ont pris une considérable
extension. L'arbre à quinquina, introduit du Pérou en
1 854, et qui fut à Buitenzorg l'objet de savantes études,
s'est multiplié si vite que l'on récolta, en 1912,
1 2 000 000 de kaogrammes d'écorces (8 000 000 en 1 9 1 9)
ce qui assure aux Indes Néerlandaises une sorte de mono-
pole de ce produit. Les arbres à caoutchouc, habilement
choisisaprès une sa vante sélection, se cultivent sur dévastes
espaces à Java et à Sumatra, comme dans les Etats Malais
Malacca, à Ceyian et en Indo-Chine. Aussi, aujourd'hui,
la production totale de la Malaisie est devenue d'une
importance telle, qu'elle a- eu pour corollaire immédiat la
prompte décadence des gommes de qualité inférieure
que vendait l'Afrique Occidentale (voir les chapitres
consacrés à l'Afrique OccidentcJe Française et au Congo
Belge). L'arbre à thé, d'introduction très récente, couvre
à Java les pentes des collines entre 600 et I 000 mètres ;
la récolte annuelle a passé de 2 000 000 de kilogrammes
en 1907 à 40 000 000 en 1919. Le cacao oscille
entre I 000 000 et 1 500 000 kilogrammes. Le tabac, qui
est l'objet de manipulations aussi minutieuses qu'à Cuba,
donne un produit excellent (50000000 de kilogrammes
en moyenne, tant à Java qu'à Sumatra). Ejifin,
diverses plantes à huile, à parfum, à fécule (le manioc
surtout), des textiles (colon, kapok), des fruits (ananas,
bananes) complètent la riche série des productions végé-
tales de rinsulinde.
Il faut y jomdre les ressources provenant de l'exploi-
tation des forêts. Elles sont immenses, puisque certaines
îles comme Bornéo, Sumatra, Célèbes ont conservé
intactes leurs sylves aux essences précieuses : bois de
teck, arbres à teintures, à vernis, à épices, palmiers,
bambous, etc. Les tribus sauvages tirent de la forêt la
majeure partie de ce qui est indispensable à leurs besoins,
notamment la sève farineuse du sagoutier. Les Euro-
péens lui demandent surtout des bois de construction et
des lianes connues dans le monde entier sous le nom
de rotin.
LE SOUS-SOL ET L'INDUSTRIE. 0a
La Malaisie vient en tête de toutes les régions du
monde pour la production de l'étain. Nous avons vu
la valeur des minerais stannifères que donnent les raines
de Perak et Selangor dans la presqu'île de Malacca.
Les gisements se continuent dans les Iles hollandaises
de Riou, Banka et Billiton, d'où l'on exlreiit en
moyenne 20 000 tonnes de minerai V2Jant avant guerre
70000 000 de francs.
On trouve du charbon et du pétrole à Java, Bornéo,
Sumatra. Le nombre de tonnes de houille extraites en
1919 (947 000 tonnes), pour faible qu'il soit, a permis
déjà de restreindre fortement l'importation des charbons
étrangers. Quant au pétrole (I 800000 tonnes, autant
que la Roumanie et la Galicie), il prend rang parmi les
principaux articles d'exportation.
Les établissements industriels se bornent à traiter les
produits locaux : raffineries de sucre, décorticage du riz,
préparation du tabac, de l'huile de coprah, fonte de
l'étain, etc. L'Insulinde, comme tous les pays tropicaux
fournisseurs de matières premières et de denrées alimen-
taires, est tributaire de l'étranger pour la plupart des
objets fabriqués : fer et acier, machines, cotonnades,
lainages, verrerie, etc.
LE COMMERCE. 00 La prospérité des Indes
Néerlandaises se traduit éloquemment par les chiffres
qu'atteignent leurs transactions commerciales, la rapidité et
la régularité de leur croissance : 456000000 de florins en
1900 (le florm vaut, au pair, 2 fr. 09), 733 000000 en
1909, 1 177 000000 en 1913, 2 960000000 en 1919,
dont 793000000 aux importations et 2 167000000aux
exportations. Les achats portent surtout sur les coton-
409.
L'ASIE
nades, les machines, la quincaillerie, la verrerie, le
papier, le charbon, la parfumerie, les meubles, et en
général sur tous les produits fabriqués. Les ventes ont
pour objet le sucre, le coprah, le riz, le caoutchouc, le
tabac, l'étain, le pétrole, le café, le thé, le poivre, les
rotins, le quinquina, etc. Java, qui seule est entièrement
et rationnellement exploitée, possède 3 000 kilomètres
de voies ferrées et un réseau complet débondes routes-
Sumatra, quatre fois plus vaste, n'a encore que 400 kilo-
mètres de chemins de fer.
CONCLUSION
En 1913, si l'on met à part le riz dont une moitié se
dirigeait vers la Chine, les quatre cinquièmes des pro-
ductions de rinsulinde gagnaient directement les ports
hollandais d'où ils se dispersaient dans toute l'Europe
Occidentale, soit directement, soit après diverses mani-
pulations qui en augmentaient la valeur. C'est aussi
par l'intermédiaire de la Néerlande que l'Insulinde rece-
vait les articles manufacturés qui lui manquaient.
Ces conditions furent considérableme nt modifiées
pendant la Grande Guerre, au détriment de la métro-
pole, au profit du Japon et des Etats-Unis. De 1913 à
1917, les importations de la Hollande à Java tombè-
rent de 162 500000 florins à 37 000000, celles des
États-Unis montèrent de 6 000 000 à 47 000 000, celles
du Japon de 5 500 000 à 49 000 000, Dans le même
temps, les ventes faites par l'Insulinde aux Etats-Unis
passaient de 4 000 000 de dollars à 80 000000, repré-
sentant plus du quart de l'exportation totale, tandis que
les exportations destinées à la Hollande s'abaissaient de
52800000 florins à moins de 5000000. C'est une
autre confirmation d'un grand fait géographique nouveau :
l'opposition du domaine Pacifique au domaine Atlantique,
la naissance de courants commerciaux qui échappent à
la direction de l'Europe ; c'est une autre preuve, ajoutée
à tant d'autres, de la brèche formidable creusée par la
Guerre dans la suprématie économique de notre conti-
nent (Voir les chapitrés consacrés à l'Europe, au Japon,
aux Etats-Unis, à l'Australie).
Sans doute, la fin des hostilités a permis à la Néer-
lande d'entrer vigoureusement en lutte contre ces con-
currents de la dernière heure. Dès 1919 elle vendait
a l'Insulinde pour 163 000 000 de florins de marchan-
dises diverses et lui acheta'.t pour 328 000 000. Elle
ne saurait admettre de gaieté de coeur que des frelons '
étrangers viennent butiner le miel qu amassèrent le
labeur, les sacrifices de ses enfants. Cependant il est
douteux qu'elle puisse reprendre la place tout a fait pré-
pondérante qu'elle avait autrefois. Il lui faudra, bon gré,
mal gré, faire place aux commerçants, aux banquiers, aux
planteurs du Nippon ou d'Amérique. Elle ne peut, du
reste, à elle seule, mettre en valeur les territoires immenses
de Sumatra, de Bornéo, de Célèbes, de la Nouvelle-
Guinée occidentale, Java suffit à absorber la presque
totalité de ses fonctionnaires et de ses colons. Force lui
sera donc, dans son intérêt même, d'admettre la partici-
pation des étrangers.
Les possessions anglaises de Bornéo (Colonie de North-Borneo.
Protectorats de Brunéi et Sarawak) ont fait en 1913 un commerce
total de 6858000 livres sterling, dont 3 790 000 aux exportations :
caoutchouc tabac, poivre, rotins, sagou, coprah, etc.
La petite colonie portugaise de Timor vendit, la même année,
pour 2500 000 francs de café, de bois de santal, de coprah, etc.
CHAPITRE XXX
L'INDE ANGLAISE
Les possessions anglaises de l'Aiie Méridionale com-
prennent ; L l'Inde proprement dite; 2' la colonie de
Ceylan; 3" les territoires annexes : Béloutchistan et Bir-
manie ; 4 ' les Etablissements des Détroits (Straits Settle-
ments). Nous étudierons dans ce chapitre l'Inde, la Bir-
manie et Ceylan qui forment un tout géographique indis-
soluble. Le Béloutchistan a sa place naturellement indi-
quée dans le chapitre de l'Iran et nous étudiâmes déjà
les Straits Settlements qui ne peuvent être disjoints de
l'Indo-Chine.
LA GEOGRAPHIE PHYSIQUE DE L'INDE
LIMITE, ÉTENDUE. ^/H L'Inde a des limites Sud-Est par la Mer d'Oman et le Golfe du Bengale, elle
géographiques très nettes. Baignée au Sud-Ouest et au est dominéeau Nord-Ouest parles hautsgradinsdu plateau
410
GÉOGRAPHIE UNIVERSELLE PL. 19. page 410
iranien, au Nord pat la formidable barrière de l'Hima-
laya. Au Nord-Est. une se'rie de plissements, orientés
Nord-Sud à travers la Birmanie, la séparent du bloc
indo-chinois. Partout la mer, les monts infranchissables,
les vastes espaces désertiques semblent confirmer et proté-
ger son isolement. Cependant, cet isolement est plus
apparent que réel. D'abord la double façade maritime
de la Péninsule lui donne vue sur l' Indo-Chine et l'in-
sulinde en même temps que sur la Perse, l'Arabie, la
Mer Rouge, les côtes africaines; et le mouvement alter-
natif des moussons favorise des échanges qui remontent
à la plus haute antiquité. De plus, si rares appa-
raissent les passages terrestres qui mènent à l'Inde ou
permettent d'en sortir, ils existent cependant et leur
rareté même leur donne une importance dont témoigne
toute l'histoire de la Péninsule. A l'Est, par les côtes et
les vallées birmanes, on gagne le monde jaune : Siam,
Annam. \ unnan chinois. Ce fut une des voies du
bouddhisme qui, né dans l'Inde, ne parvint qu'en Chine
à sa complète Roraison. Au Nord, les cols de l'Himalaya,
pour difficiles qu'ils soient, donnèrent accès aux bergers
Tibétains. .A l'Ouest, surtout, la grande voie historique
de Kaboul, les passes de Kaïber, de Bholan furent de
tout temps suivies par les hordes d'envahisseurs, les
armées des conquérants. Par là, des .Aryens blancs
L'IXDE ANGLMSE
vinrent se mêler aux populations noires primitives; par
là descendirent les soldats d'Alexandre et d' Antiochus ;
parla, du Xl' au XIII'' siècle, Arabes el Mongols intro-
duisirent l'islam. Là faillit se produire, dans le dernier
quart du XIX*"' siècle, le choc de 1' "ours russe " et de la
baleine britannique ". Là enfin passeront un jour les
grandes voies ferrées qui. à travers les monts .-Xfghans.
les déserts persans et turkmènes, doivent jeter le
pont nécessaire entre 400000000 d'Européens et
300000000 d'Hindous.
Dans ces limites. l'Inde couvre 3885 000 kilomètres
carrés (4687000 si l'on ajoute Ceyian : 65 000 kilo-
mètres carrés, la Birmanie : 595 000 kilomètres carrés,
le Béloutchistan : 207 000 kilomètres carrés). C'est plus de
sept fois la France, plus du tiers de l'Europe. Comme la
Chine, les Etats- Unis, le Brésil, l'Inde ne peut être compa-
rée aux petits Etats Européens. Elle forme à elle seule un
monde. Les 3 300 kilomètres qu'il faut franchir pour se
rendre du haut Kachmir à la pointe Sud de Ceyian
équivalent à la distance de Pétrograd au Caire, et l'on
ne compte pas moins de 3 000 kilomètres entre ses
limites d'Est en Ouest, soit l'espace de terrain qui
sépare Paris d'Astrakhan. 11 ne faut jamais perdre de
vue ce facteur essentiel : la distance, lorsqu'on parle
des choses de l'Inde.
Le relief
LE RELIEF. 6) 0 Trois régions distinctes consti-
tuent l'Inde : la plate-forme péninsulaire du Sud, la
dépression indo-gangétique, l'Himalaya.
LA PLATE-FORME PÉNINSULAIRE. B> a
L'Inde péninsulaire est un morceau de continent très
anciennement émergé, usé par une longue érosion, une
pénéplaine ", comme disent les géologues. Peut-être
se rattachait-elle autrefois à Madagascar et à l'.Austra-
lie alors qu'un large bras de mer l'isolait au contraire de
la masse asiatique? Les terrains qui forment son ossa-
ture sont à peu près exclusivement cristallins : granits,
gneiss, schistes, grès ; mais d'immenses épanchements de
roches volcaniques ont recouvert la portion occidentale
du socle primitif.
Décomposés chimiquement par l'eau des pluies,
granits, basaltes et trapps se sont transformés suivant
les lieux, les premiers en une terre rougeâtre ou jaune
brun, fort semblable à la " latérite " que nous ren-
contrerons à Madagascar et en Afrique, les autres en
un fertile terrain noir, le " regur ", particulièrement
favorable au cotonnier.
" Dans les régions occupée» par les Irapps volcanique», le sol.
très perméable, se prêle fort mal à la croissance des arbres el se
couvre de hautes herbes. De juin à novembre, pendant la saison
des pluies, la verdure de ces steppes, semblable aux " prairies
du Far-Wesl américain, est douceà l'œil et contraste agréablement
avec les roches noires qui pointent çà et là; mais de novembre à
mars, à l'exception des espaces mis en culture, le pays apparaît
comme une mer de paille jaunie, desséchée, cl de mai à juin, après
l'incendie habituel des herbes, la terre noire, les rochers noirs, les
rares troncs d'arbres noircis par le feu révèlent un étrange, un
douloureux aspect de désolation. " (R. D. Oldham.)
Le grand triangle, dans lequel s'inscrit l'Inde pénin-
sulaire, débute, au Nord, par les plateaux de Malva et
du Gondvana. Le premier, haut de 600 à 1000 mètres,
et qui s'incline vers la double dépression de l' Indus et du
Gange, est faiblement dominé par quelques rides mon-
tagneuses : monts Aravalli, monts Vindhya (2000 mètres).
Les terres noires du " regur " en occupent une partie.
Le reste se compose de grès rouges qui donnent à 1 en-
semble du paysage sa couleur caractéristique et four-
nirent les solides matériaux que les Empereurs Mogols
et leurs prédécesseurs utilisèrent pour la construction
de leurs monuments. Le second descend en s'élargis-
sant peu à peu des hauteurs boisées du Tchota-Nag-
pour et du Mahadéo, vers les côtes deltaïques des Circars
et d'Orissa. Celte inclinaison Nord-Ouest-Sud-Est est
aussi celle des deux derniers plateaux : le Décan entre
Godavery et Krichna, le Mysore ou Maïsour de la
41 i
L'ASIE
Krichna au Cap Comorin. Le Décan (400 à 500 mètres
d'altitude moyenne) développe au pays de Golconde
ses longues ondulations dont rien ne rompt la lassante
uniformité. Le Mysore, plus élevé (800 à 1 000 mètres),
doit une variété beaucoup plus grande aux rocs isolés :
les " dongs **, aux masses tubulaires que respecta l'éro-
sion et sur lesquelles les chefs Hindous dressèrent leurs
temples, leurs forteresses inaccessibles.
C'est à l'Ouest que la plate-forme péninsulaire atteint
sa plus grande hauteur. Tandis qu'elle s'abaisse par
larges plans d'inclinaison insensible vers le Golfe du
Bengale, elle domine de très près les rivages du Golfe
d'Oman, et la pente est si brusque que ce versant de pla-
teau fait figure de vraie montagne. On lui donne le nom
de Ghâtes, ce qui veut dire : rampe, escalier. Haut d'un
millier de mètres en moyenne, long de 1 500 kilomètres,
il a ses points culminants au Sud dans le double mas-
sif des Nilghiri (2 760 mètres) et de Travancore
(2680 mètres) ; mais les passages y sont aisés et des
brèches donnent accès aux voies ferrées parties de
Surate, Bombay, Goa et Calicut.
A ces Ghâtes occidenlîJes correspondent. les Ghâtes
orientales. Elles aussi ne sont autre chose que le bourre-
let externe des plateaux intérieurs, mais un bourre-
let discontinu, de hauteur fort médiocre (-100 à
500 mètres), divisé en mamelons isolés par le travail de
déblaiement qu'accomplirent les fleuves. Au lieu de
border de très près le rivage, elles en sont séparées par
une large bande de plaines alluviales qui portent le nom
de côtes du Coromandel et des Circars.
LA PLAINE INDO-GANGÉTIQUE. aa
Entre la Péninsule indienne, l'Himalaya et les plateaux
de l'Iran se creuse une dépression qui, d'abord occupée
par les eaux marines puis lentement émergée, fut peu à
peu recouverte sous la masse des argiles, des sables arra-
chés aux montagnes du pourtour. (Cf. la plaine du Pô.)
Un seuil insignifiant (280 mètres à l'Ouest de Delhi)
répartit les eaux pluviales entre deux bassins hydrogra-
phiques qui s'opposent par leurs sommets. A l'Ouest, le
bassin de l'Indus descend du Nord-Est au Sud-Ouest, de
l'Himalaya occidental au fond du Golfe d'Oman. Aux
argiles du Pendjab succèdent les dunes sablonneuses
du désert de Thar, puis les vastes marécages salins du
Rann de Koutch. La plaine du Gange décrit parallèle-
ment à l'Himalaya une courbe orientée Ouest-Est large de
250 à 500 kilomètres ; elle déploie à perte de vue, dans
les provinces d'Agra, d'Aoud et du Bengale, ses éten-
dues plates et monotones de terres grasses où se
pressent 160000000 d'hommes. A l'Est, le couloir de
l'Assam, qu'emprunte le Brahmapoutra, entre l'Hima-
laya au Nord, les hauteurs de Garo, de Kasi et de
Patkoï au Sud, la prolonge sur un millier de kilomètres.
Elle débouche sur le Golfe du BengcJe par le colossal
delta qu'édifièrent les vases réunies des deux grands
fleuves.
L'HIMALAYA. 00 La dépression indo-gangé-
tique est dominée par la muraille formidable de l'Hima-
laya. Cette chaîne de montagnes, la plus élevée du
monde, et par cela même très incomplètement explorée,
s'est plissée, en même temps que les Alpes, sur le bord
méridional des plateaux Tibétains. Elle décrit, comme
tous les grands plissements asiatiques, un arc de cercle
convexe vers le Sud, auquel on peut assigner comme
limites la double fracture où se logèrent à l'Ouest les
eaux de l'Indus, à l'Est celles du Tsan-Po, cours supé-
rieur du Brahmapoutra.
Des plaines du Gange, il semble que l'Himalaya sur-
plombe immédiatement la dépression qui s'étale à son
pied. En fait, avant d'atteindre le cœur du massif, dont
les sommets démesurés, resplendissant de neige étince-
lante, se détachent sur le ciel bleu, il faut franchir une
zone d'avant-monts qui est comme le vestibule de la
montagne sacrée ; jungles marécageuses et malsaines du
Teraï peuplées de bêtes fauves, collines boisées des
Sivalik (l(X)0 à 1300 mètres), vallées longitudinales des
Douns où prospèrent les plantations de thé, rides duBeis-
Himalaya (1800-2400 mètres), vêtues de forêts sombres,
refuge de la société anglaise pendant les cheJeurs écra-
santes de l'été indien (Simla, Dardjiling), telles sont les
marches successives du perron qui conduit aux cimes
maîtresses. Ces cimes s'érigent au milieu d'un chaos fomu-
dable de monts convulsés, de gorges sans fond, de
parois rocheuses défiant toute escalade, d'amoncellements
fantastiques de neige immaculée. On ne les connaît
point toutes, surtout dans l'Himalaya oriental, et l'alti-
titude de celles que l'on connaît ne peut être mesurée
que de loin. Cependant, on sait que des milliers de
pics atteignent 7000 mètres, et les géants du groupe
dépassent 8000 mètres : Nanga-Parbal (8120), Davala-
ghiri (8180), Kintchindjinga (8580), Mont Everest
(8840). A l'Ouest, par delà les gorges de l'Indus, les
monts du Karakoroum relient l'Himalaya et le sou-
dent au noeud du Pamir, ce " Toit du Monde " des
Orientaux. Sa pointe suprême, le Dapsang (861 5 mètres),
est à peine inférieure en altitude au Mont Everest. Au
Nord, après l'immense brèche où coulent, en sens inverse,
l'Indus et le Tsampo, une nouvelle série de plissements
(Transhimalaya ou monts Svcn Hedin) continuent le
Karakoroum et barrent l'accès du Tibet central. A
l'Est, les plis himalayens rejoignent les chaînes du Tibet
oriental et se courbent brusquement vers le Sud. C'est
l'origine des hauteurs qui s'alignent à travers la Birmanie :
Patkoï, Arakan-yoma, Pegou-yoma, Poun-Loung, etc.
Leur altitude maxima ne dépasse pas 2500 mètres. De
412
L'INDE ANGLAISE - -.
larges couloirs, où se logèrent l'iraouaddy et ses affluents,
les se'parent les uns des autres, voies de pénétration natu-
relle, lieux d'élection pour les établissements humains.
Elxpasé de plein fouet aux vents de mousson chargés
d'humidité, l'Himalaya reçoit, au moins sur ses versants
méridionaux, une masse considérable de pluie etde neige.
Au-dessus de 4500 mètres, la neige persiste toute
l'année. Aussi les glaciers y atteignent-ils une magnifique
ampleur (surtout dans le Karakcroum), meJgré la raideur
des pentes et la proximité du Tropique. L'Himalaya est
un énorme château d'eau où les fleuves indiens trouvent
les réserves inépuisables qui leur permettent de soutenir
leur débit pendant les longues sécheresses de l'hiver.
11 va de SOI qu'une muraille aussi haute, aussi conti-
nue, oppose aux communications entre Nord et Sud un
obstacle dont on triomphe malaisément. De routes car-
rossables il ne saurait être question. Des sentiers, accro-
chés au flanc des gorges au fond desquelles grondent les
torrents, mènent par d'interminables lacets à un très
petit nombre de cols dont le plus bas, le Bara Latcha
(où passe la piste de Leh), dépasse encore l'cJtitude du
Mont Blanc (4928 mètres). Ces cols ne sont eux-mêmes
accessibles aux piétons ou aux convois de yaks que de
mai à octobre. En hiver, l'amoncellement des neiges
les obstrue complètement.
Comme les Alpes, l'Himalaya constitue un monde à part qui a
ses populations spéciales et sa vie propre. Tibétains, Mongols,
Arj'ens, les uns descendus par les passes de la crête, les autres
montant de la plame par lentes infiltrations, s'y mêlèrent à doses
inégales, lis forment des tribus de montagnards robustes qui
s'adonnent à l'élevage ou étagent leurs petits champs sur les pentes
accessibles aux cultures. Des relations séculaires s'établirent entre
les vallées parallèles ou affrontées, et sur les sentiers vertigineux,
au sommet des cols où la neige s'entasse sur une épaisseur qui,
même au coeur de l'été, dépasse parfois 40 mètres, on rencontre
les troupeaux de moutons porteurs, de poneys et de yaks con-
duits par des bergers taciturnes. Ils n'ont que peu de rapports avec
les gens des plaines, et les méprisent. Du reste, ils s'accommodent
mal du climat étouffant qui pèse sur les bas-pays ; les jungles
malsaines du Téraï forment la limite extrême de leur domaine. A
l'Ouest, dans la haute vallée du Djélam, le pays de Kachmir
occupe un ancien bassin lacustre, haut de 1 300 à 1 800 mètres
seulement, ceint de tous côtés d'un amphithéâtre de monts neigeux. Cette
" oasis de montagnes ", au climat exquis, à la merveilleuse végé-
tation célébrée par les poètes hindous et persans, est le type le plus
caractéristique des " pays " himalayens analogues à ce que sont,
en Europe, l'Elngadioe et le Tyrol. Au Centre, deux Etats indi-
gènes, le Bhoulan et le Népal, ont su maintenir jusqu'à nous leur
complète indépendance.
TEMPÉRATURE. 00 Traversée par le Tro-
pique du Cancer, l'Inde, abstraction faite des hautes
montagnes, est une des régions les plus chaudes du
globe. Toutes les stations du tableau ci-cor.ire, sauf
les dernières, ont une moyenne annuelle supérieure à
23°. Mais les différences de latitude, de situation (conti-
nentale ou maritime) sont la cause de variations impor-
tantes. Sur les côtes, l'amplitude est faible : «lie s'accroît
Hautcurx Jci flaied.
mûtnjLtfe- o"^*^ PLUTES ET pttu^OesmÀtr^A
Oeo'y)ào'?Ji TEMPÉRATURES DirecUon.ilE.UL _^
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cependant peu à peu à mesure que l'on s'é' oigne de
rÊquateur(ComparezTrivandroumetCalculta). Les pla-
teaux du Décan, les plaines du Gange et de l'Indus
CLIMAT DE L'INDE
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1 246
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Juin k sept.
Mii • sept.
9*01 7181
1^1 1 870l
15*311 0051 Jiin i Kpt.
\\<f\\ 666 1 Juil.-itpi.
122*11 552J Juil..«pi.
4*1 4 300 M«i.«:pt.
1?0
14*4
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720
2 225
33
Juin-a-pt.
Juin.«ept.
Août-9ept.
413
L'ASIE
présentent au contraire de grands éceirts entre les
moyennes des mois les plus frais et des mois les plus
chauds. Ces e'caris atteignent leur maximum dans les
régions sèches du Pendjab, du Sindh, du désert de
Thar qui ont un véritable hiver avec des nuits froides
pendant lesquelles le thermomètre s abaisse au voisinage
du point de glace, et des été tomdes : les moyennes
atteintes à Agra, à Lahore, à Moultan, à Jacohabad
(de 34", 5 à 36°) n'ont de comparables que les chiffres
fournis par les stations les plus chaudes du Sahara, de
l'Arabie, de la Mésopotamie (les moyennes de Lahore
sont exactement les mêmes que celles de Bagdad).
11 faut noter que les maxima ne se produisent pas en
juillet-août, mais d avril à jum, c'est-à-dire avant le
début de la période des pluies. Dans la majeure partie
de l'Inde, l'année se partage en effet en trois saisons :
la saison fraîche d'octobre a mars, la plus ag/éable et la
plus saine ; la saison chaude d avril à juin, caractérisée par
une rapide élévation de la température, un eiir étouffant,
chargé d'électricité, des tourbillons de poussière rouge
ou noire; la saison des pluies de juin à septembre, qui
amène un abaissement appréciable de la chaleur, mais
est aussi pénible que la précédente par suite de l'extrême
humidité de I atmosphère.
La nébulosité varie naturellement suivant les saisons et suivant
les lieux. Dans les provinces du Sud, sur les côtes Birmanes, les
nuages couvrent le ciel pendant une moitié au moins de l'année.
Cette moyenne s'abaisse à 45,30, 25, \A pour 100 à mesure que
l'on pénètre dans les régions continentales oîi la période des pluies
est de moindre durée. " L'éclat aveuglant, l'intense lumière qui
rayonnent de partout, et spécialement du sol, mettent le nouveau venu
à aussi dure épreuve que la chaleur qui les accompagnent ; mais, si
ensoleillé que soit le ciel de l'Inde, on ne peut cependant parler
de son azur. En saison sèche, le ciel est la plupart du temps voilé
de vapeurs et de poussière ténue. De Simla (2000 mètres d'alti-
tude), on ne distingue même pas les chaînes de montagnes qui
s'élèvent à 6 ou 8 kilomètres. Ce n'est guère que dans les courtes
heures qui suivent immédiatement les averses, ou bien en septembre
et octobre, que l'on aperçoit vraiment le ciel bleu. Dans les plaines,
l'atmosphère est presque constamment " poussiéreuse ". dans le
Sud un peu moins que dans le Nord. " (J. Hann.)
MOUSSONS ET PLUIES. jUa} L'Inde est sou-
mise, comme toute l'Asie Méridionale et Orientale^ au
régime des moussons (voir " Notions générales sur
I Asie "). La mousson d'hiver souffle du continent glacé
vers les mers tièdes. C'est une mousson sèche qui ne
donne un peu de pluie qu'au Sud-Est de l'Inde pénin-
sulaire et à la côte orientale de Ceylan. La mousson
d'été commerce en mai dans le Sud de l'Inde et les côtes
de Birmanie. Elle atteint sa plénitude en juin, et cesse
en octobre. On l'attend avec une extrême impatience,
car c est elle qui apporte l'eau bienfaisante ; c'est d'elle
que dépend la vie de centaines de millions d'hommes.
La terre brûlée, fendillée par de longs mois de séche-
resse, les arbres privés de leurs feuilles, les herbes jau-
nies, les mares presque à sec, les rivières appauvries
charriant leurs eaux boueuses dans un large lit de sables
dorés, les animaux amaigris par le manque de nourri-
ture, les paysans dont les provisions s épuisent et qui ont
un urgent besoin de la récolte nouvelle, toute l'Inde
enfin aspire aux averses libératrices. Un jour, célébré
par la joie universelle, apparaissent au fond de l'horizon
les premiers cumulus, avant-garde de l'armée des nuages.
Le ciel se couvre peu à peu tout entier, l'atmosphère
devient plus étouffante encore, des éclairs innombrables
irradient les ténèbres, et, parmi des éclatements de
foudre, l'ondée torrentielle s'abat.
Toutes les régions, il est vrai, ne sont pas également
favorisées. Les plus arrosées sont naturellement les
rivages frappés directement parles vents du Sud-Ouest
et du Sud : Ghâtes occidentales, Bengale, Chota-Nag-
pour, pentes de l'Himalaya, Assam, et les rivages de
Birmanie. Partout la chute annuelle y dépasse 1 m. 50.
Elle atteint 3 mètres sur les côtes de Kanlcan et Mala-
bar, 4 mètres en Birmanie. Mahabalechar, au Sud-Est
de Bombay, voit tomber 8 m. 1 5 de pluie, et Tcherra-
poundji, dans l'Assam, 12 m. 40. C'est le lieu le plus
arrosé du monde avec les îles Hawaî.
Les zones les plus sèches se trouvent au Nord-Ouest,
dans la veJlée de l'Indus et le Radjpoutana. Le Pendjab
ne peut compter que sur une trentaine de jours pluvieux
donnant de 40 à 50 centimètres d'eau. Le Sindh en a
moins encore, et l'absence presque complète des averses
transforme tout le Radjpoutana occidental en un vaste
désert : le désert de Thar.
(Noter aussi la faible quantité d'eau reçue par Leh malgré
son altitude considérable. La ville, en effet, se trouve sur le haut
lodus derrière les chaînes himalayennes, qui forment un écran
arrêtant les nuages venus du Sud. C'est déjà le régime tibé-
tain).
Entre ces deux extrêmes se trouvent la majeure partie
de l'Inde péninsulaire intérieure et la haute plaine du
Gange. Ce sont elles qui souffrent le plus de la grande
variabilité des moussons. En année normale, la pluie
suffit à peu près aux besoins (de 70 centimètres à
1 mètre), mais, si la mousson est en retard, ou s'arrête
trop tôt, la récolte manque, soit en partie soit en tota-
lité, et la famine menace. De là l'importance primordiale
des travaux d'irrigation (voir plus loin).
Dans l'ensemble, le climat de l'Inde présente les avantages elles
inconvénients habituels des pays tropicaux. Les avantages se mani-
festent surtout par l'abondance, la richesse et la variété de la
végétation, partout au moins où l'eau ne manque pas. Les inconvé-
nients se traduisent par l'irrégularité des pluies, cause de famines
redoutables, par les effets déprimants d'une température très
élevée, très humide, qui pèse lourdement même sur les indigènes
et leur donne cette indolence, ce peu de ressort physique et moral
propres à toutes les races vivant entre le Tropique et I Equateur
414
L'INDE
BÊNARfS : LES RIVES DU GANGE. Bénarà ou /Cari, apris avoir itipmdimt
huit tiècla U (ira jocrc dahouddkista.at iamuc la mitrotolr: ia teligiom hahma-
niqua. Plia de I 700 lemola. sans comcicr les auleU, lea reposoirs des plaça el des
rues, s'élèvent dora la ville, mais apparaissent en nambre partieulièrement grand sur
les rives du Congé. Des Chats, au larges escéien. descendent vers la berge. Ils tant
constamment envahis par la foute des prêtres, des marchand» d'ohjelt de pieté qu abri-
tent de larges parasols par la foule des pèlerins suritut et des fidèles qui vont se
pmifieren s' inondant des eaux sacrées du fleuve. CI. D' Le Play.
415
L'ASIE
■n
V-.V
V 1"^ I
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èÊtM
•H HH^S
TYPES HINDOUS. Près d\mc
mUnonne petite fille un fakir
est accroupi.
Cl. G.COURTELLEMONT.
TYPES HINDOUS CHARMEURS DE SERPENTS. La photographie montre
des jongleurs faisant danser au son d'une sorte de flageolet des cobras ou serpents à
lunettes ( ainsi nommés des deux taches sombres qui apparaissent sur leurs têtes élargies)
rendus ino0ensi{s par l'extraction des crochets à venin. Cl. Ch USS EAU -Fla VIENS.
TYPES HINDOUS. Deuï jeunts
femmes de la cote du Malabar,
métisses d'Aryens et de Dravi-
diens.
DARD JILING est avec Simla le plus célèbre des sanatoria oii les résidents anglais
refont leur'i forces anémiées par la chaleur humide des bas-pays. Les villas se
dispersent entre 2 000 et 2 500 mètres d'altitude au milieu des arbres ; dansle fond
apparaissent les grands massifs himalayens. Cl. ChussEau-FlavIENS.
LA PORTE DU KACHMIR ET LA SORTIE DU DJILAM. La vue est prise
au u'ilage de Baramoula, c'est-à-dire au point où le Djilam, l'une des cinq rivières
du Pendjab, échappe à l'étreinte des monts himalayens, devient navigable, et va
servir à l'irrigation des champs. Cl. KiSSEN A Dehli.
îyI.VR!AGE DE RAJAH : CORTÈGE D'ÉLÉPHANTS. Spectacle familier
à toizs ceux Qui ont vécu dans Iss provinces hindoues soumises au régime du Protec-
lùrcl, Rciahs et Maharajahs possèdent tous des troupes d'éléphants magnifiques.
q'Jt àé/ilcTtt dans les cérémonies et s'embloient pour la chasse au tigre.
GOWARDAM : VOITURES HINDOUES. Si l'or, met à pari les provinces
du Nord-Ouest, très sèches et où le chameau est d'usage courant, le seul animal
employé communément pour les transports est le lœuf. attelé à des voilures assez
primitives qu'une bâche protège contre le soleil et la poussière.
4i6
L'INDE ANGLAISE
Les Européens souffrant à la fois de la chaleur, de l'humidilé. de ils s'ealouienl. à une hygièoe sévère, à la pratique des sports, et
la poussière, de l'iBlensité de la lumière. Cependant, ils arriTent à jurtout à de» séjours plus ou moins prolongés dans les sanaloriade
"■accommoder d'un climat si peu fa%-orable grâce au confort dont montagnes : Niighiri, Mont Abou. Simia. Dardjilin'i!. elc
L'Hydrographie
Les fleuves de llnde présentent un certain nombre
de caractères communs :
I " Ils ont chaque été, comme tous les fleuves tropi-
caux, des crues régulières dues aux pluies de mousson :
2° Ils se terminent à peu près tous par des deltas :
3" Ceux-là même qui sont inutilisables pour la na-
L'HYDROGRAPHIE
Prîndpauv
fleaves.
Indus
Gan«e
Brahmapoutra
Iraouaddy . . .
Godavery ...
Kistna
Cavery
Mahanaddy..
NertxHidda . .
Tapti
ÏCin.
3 180
3 000
2 900
>
1445
I 280
760
836
1 290
700
Superficie
du
Volume en mètres cutïcs.
Km'
960 000
I 060 000
?
600 000
300 000
240 OOO
tooooo
Mini-
mum.
1 100
2 000
?
2 000
60
32
500
30
9
Maxi-
mum.
12 600
33 000
40 000
51 000
40 000
30 000
13 000
35 000
30 000
25 000
Moyenne.
Période
des
crues.
4 500 mai-octobre.
16 000
\5 000
16 000
?
vigation ont une importance économique considé-
rable, car ils donnent l'eau nécessaire aux canaux d'irri-
gation.
De l'Himalaya descendent l'Indus, le Brahmapoutra.
le Gange et leurs principaux affluents. Us naissent tous
les trois sur le revers septentrional des grandes chaînes,
mais tandis que le Gange se fraye aussitôt un passage
vers le Sud, les deux autres coulent longtemps au fond
d'une immense fracture comprise entre l'Himalaya et
les plateaux Tibéteiins. Ils ne s'en échappent qu'aux deux
extrémités de l'axe montagneux qu'ils franchissent par
des brèches formidables.
L'Indus, une fois en plaine, s écarte du grand réser-
voir de neige, de pluie, de glace qu'est le massif Hiraa-
layen et pénètre dans la région la plus sèche de l'Inde.
A l'Ouest, le revers oriental des plateaux iraniens ne lui
envoie que des torrents insignifiants : le plus notable
est le Kaboul, non pcur le volume de ses eaux, mais
parce que sa vallée ouvre la grande voie historique qui
mène aux pays turkmènes et persans. A YEsl, il est déjà
très appauvri par sa course à travers le Pendjab lors-
qu'il se renforce heureusement du tribut des cinq rivières :
Djelam, Chinab, Ravi, Satledj grossie du Bias, venues
elles aussi de l'Himalaya. Mais il a encore plus d'un mil-
lier de kilomètres à franchir sous un ciel de feu où
l'évaporadon est intense. Aussi, semblable en cela à
l'Amou Daria, à l'Euphrate, au Nil, voit-il son volume
diminuer à mesure qu'il approche de la mer. Il se
traîne sur un sol plat, dans un lit démesuré qui ne se
remplit complètement qu'au moment où la fonte des neiges
himalayennes s'ajoute à l'effet des pluies de mousson. A
2^0 kilomètres du Golfe d'Oman commence son delta.
Il s y divise en bras nombreux et changeants, encombrés
de bancs de vases, inaccessibles aux navires. Sur chaque
rive, une zone verdoyante de rizières, de champs de
maïs et de blé ombragés par les fûts élégants des pal-
miers-dattiers, accompagne le fleuve aussi loin que
s'étendent les rigoles d'arrosage. Au delà, le désert
apparaît.
Gange et Brahmapoutra ne s'éloignent pas de l'Hi-
malaya. Le premier, qui entre en plaine à Hardar, se
courbe vers l'Est, passe à Cawnpore, puis à AUahabad
où la Djemma lui apporte des eaux empruntées à la fois
aux pentes himalayennes et au plateau de Malva. Par
Bénarès et Patna il roule majestueusement ses ondes
troubles dans un lit profond de 5 à 6 mètres, large de
1 300 mètres à 2 kilomètres, où la Sône, le Goumti,
la Gogra, le Gandak, le Kosi viennent de droite et
de gauche verser leur tribut. Ni lui, ni ses eiffluents
himalayens ne connaissent les maigres de l'Indus, et
si, dans ses crues périodiques de mai à octobre, son débit
monte à 33 000 mètres cubes, il se maintient entre 12000
et 1 6 000 mètres cubes pendant la majeure partie de
l'année.
Le Brahmapoutra, plus abondant encore, est, pen-
dant la saison des pluies, une véritable mer d'eau douce
encombrée d'îles, qui, soutenue par les averses formi-
dables de l'Assam, étend ses eaux sur plus de 40 kilo-
mètres de largeur.
Gange et Brahmapoutra entraînent une masse d'al-
luvions telle, quils ont construit l'un des plus vastes
deltas du globe : 82 000 kilomètres carrés, soit quatre
fois plus queledeltadu Nil. L'intérieur du delta est de sol
assez ferme pour se prêter aux cultures. L'extrémité n'a
encore que des vases tremblantes, des boues mal Sxées
par la racine des manguiers. C'est le district des Soun-
derbans ", inextricable fouillis de roseaux, de plantes
aquatiques, de lianes et d'arbres spéciaux où les bêtes
fauves trouvent des retraites inviolées.
En Birmanie, les deux larges sillons creusés entre les
chaînes parallèles de l'Arakam-Yoma, du Pégou-Yoma
et du Pou-Loung sont empruntés par l' iraouaddy, son
grand affluent le Kyen-Douen et le Sittang. Ils drainent
un bassin aussi copieusement arrosé que les régions du
417
CéoCRAPHIE i;NrVERSCLLE.
41
L'ASIE
Brahmapoulra, et le seul Iraouaddy verse à la mer, par
lesbranches multiples de son delta, plus de 50 000 mètres
cubes d'eau au fort de la saison pluvieuse.
LaSalouen, qui limite à peu près vers l'Est les terres
birmanes, est un des plus longs fleuves de l'Asie puis-
qu'elle naît, comme le Mékong et le Yang-Tseu, sur les
plateaux tibétains. Mais son cours supérieur, caché dans
la profondeur de gorges inaccessibles, est er.core fort mal
connu, et son cours inférieur, toujours serré de près par
les parois élevées des montagnes, semé de rapides, obs-
trué de barrages rocheux, n'est d'aucune utilité.
L'Inde péninsulaire, fcublement, très irrégulièrement
arrosée, n'a point de fleuves comparables aux précédents.
Nerboudda et Tapti sur le versant occidental, Maha-
naddy, Godavery, Kisina ou Krichna, Cavery sur le ver-
sant du Golfe du Bengale, se caractérisent presque
tous par leur régime torrentiel, la rapidité de leurs pentes,
les variations formidables de leur débit. Les d^ux premiers,
trop encaissés dans d'étroites vallées, ne peuvent même
pas être utilisés pour l'irrigation. Il n'en est heureuse-
ment pas de même pour les autres, dont les eaux, con-
tenues par des barrages ou anicuts ", donnent la vie
et la fécondité aux deltas qu'ils édifièrent sur les côtes
des Circars et de Coromandel.
Les Côtes
L'Inde proprement dite possède plus de 5 000 kilo-
mètres de côtes auxquels s'ajoutent les 1 500 kilomètres
des rivages birmans. Cette longue façade maritime est
malheureusement très uniforme et fort mal pourvue, si-
non même tout à fait privée, de rades naturelles.
A l'Ouest, sur le Golfe d'Oman, les plaines de l'in-
dus se terminent par le delta du Sindh, la dépression du
Rann de Katch ou Koutch, " une Camargue maréca-
geuse, saline et pestilentielle ", puis la presqu'île de Ka-
thiavar. Point d'autre port sur ces rivages de sable et de
boue que Karatchi, havre artificiel conitruit à grands frais
pour servir de débouché au Pendjab et toujours menacé
d'envasement. Du Golfe de Cambaye au Cap Comorin,
entre la mer et le pied des Ghâtes, une bande de plaines
lagunaires, large de 50 kilomètres en moyenne, toujours
semblable à elle-même sur plus de 1 600 kilomètres
(côtes de Kankan, Kanara, Malabar), n'offre aux na-
vires qu'un seul abri sûr ; la rade de Bombay. Ni Goa,
ni Mangalore, ni Mahé, Beypoure ou Cochin n'ont au-
jourd'hui d'importance. Au large, des groupes d'îles co-
ralliennes, Laquedives et Maldives, dépassent à peine la
surface des flots.
Du Cap Comorin aux bouches du Gange, la côte
(côtes de Coromandel, des Circars, d'Orissa) est carac-
térisée par la série des deltas qui accroissent la largeur
de la plaine sise entre la mer et les dernières pentes des
Ghâtes orientales. Là encore, point de golfes, d'inden-
tations favorables à la vie maritime, mais des rivages
plats bordés d'une mer peu profonde où les navires doivent
se tenir au leurge et qui, en temps de mousson, devient
fort dangereuse. Parmi les ports pourtant nombreux, mais
de trafic insignifiant (Karikal, Pondichéry, Mazoulipatam,
Yanaon, Kalingapatam, False point, Tchittagong), seule
la rade ouverte de Madras, et Calcutta sur l'Hougly, ont
été l'objet de travaux considérables qui assurent aux vais-
seaux un accès et un abri relativement sûrs.
En Birmanie, les rivages sont mieux découpés. Des
archipels bordent les côtes élevées d'Arakan (ports
d'Akyab et Ramri) et de Tenasserim (port de Moul-
meïn). Le grand centre commercial, Rangoun, se trouve
cependant encore au débouché d'un delta, celui de l'Ira-
ouaddy, et îl faut lutter sans cesse contre l'envahissement
des alluvions. Un chapelït d'îles rocheuses (archipels
des Andaman et de Nicobar) prolonge le plissement des
Monts Arakan à travers le Golfe du Bengale jusqu'aux
parages de Sumatra.
La Vie végétale
La végétation de l'Inde doit à la vàiiété des conditions
climatiques et du relief une richesse plus grande, peut-
être, qu'aucune autre contrée du monde, d'étendue égale.
Mais e'ie est aussi remarquablement pauvre en espèces
qui lui soient propres, " elle apparaît comme une simple
combinaison, un mélange à doses inégales o'es flores de
la Malaisie, de l'Europe, de l'Afrique, de l'Arabie, de
la Chine et du Japon ".
L'extension des cultures a profondément modifié le
caractère primitif de la végétation dans les plaines, les
deltas des fleuveset une bonne partie des plateaux pé-
ninsulaires. En dehors de ces zones où les champs couvrent
la majeure partie du sol, on trouve dans l'Inde tous les
types de la couverture végétale naturelle, depuis les maigres
arbrisseaux du désert, jusqu'à la forêt équatoriale la plus
touffue, depuisles herbes delà steppe tropicale jusqu'aux
conifères des hauts monts.
Les régions, qui reçoivent annuellement une quantité
d'eau égale ou supérieure à 2 mètres ont des forêts
vierges composées surtout d'arbres à feuilles toujours vertes
Elles atteignent leur plus grande extension en Birmanie.
dansl'Assam, sur les pentes des Ghâtes occidentales et
418
du Bas-Himalaya, dans les districts marécageux du
Teraï. Elles se caracte'risent, là comme partout, parla
haute taille des arbres, la mu'tiplicité des espèces,
l'abondance des lianes, des plantes parasites, l'obscu-
rité et le silence qui régnent sous leurs épaisses ramures.
Les forêts de type alpin débutent vers 2 000 mètres
par des chênes verts ou à feuilles caduques, des
magnolias, des lauriers; plus haut, dominent les pins,
les sapins, les mélèzes, les érables, les cèdres qui, vers
4000 mètres, cèdent la place aux prairies semblables à
celles de nos Alpes.
Dans la Péninsule, plus sèche, la majeure partie des
arbres perdent leurs feuilles pendant les fortes chaleurs du
printemps. Leur taille est moins élevée. Les buissons épi-
neux, les ronces, les graminées dures et coupantes, les
palmiers nains,les bambous forment des fourrés analogues
aux maquis de la Corse. De là un nouveau type de forêt
auxquelles s'applique spécialement le nom de jungle et
que l'on rencontre notamment dans les régions accidentées
du Chota Nagpour, du Bérar, des Monts Windhya, sur
les Ghâles orientales. A ces jungles se mêlent des sava-
nes dont les hautes herbes croissent avec vigueur, après
les pluies d'été, sur les terres noires d'origine volcanique
(province de Bombay, plateau de Malva) et les granits
décomposés (Djaïpour, Maïssour). Au Nord-Ouest, les
savanes même disparaissent. Les quelques centimètres
d'eau qui tombent sur le Pendjab, le Sindh, une partie
du Radjpoutana, ne peuvent nourrir que les maigres touffes
d'herbe de la steppe, des buissons clairsemés, des plantes
grasses, des ctfbustes épineux tels que l'acacia et le
mimosa. Ce sont des paysages qui rappellent en tous
points ceux des régions sud désertiques de l'Arabie et du
- - — L'INDE ANGLAISE
Sahara ; et, pour compléter la ressemblance, le palmier-
dattier atteint aux rives de l'Indus la limite exirê.Tie de
son domaine oriental.
Le désert de Thar, en&n, dérouie, sur 100000 kilo-
mètres carrés, les plis monotones de ses dunes, complè-
tement privées de végétation.
Forêts et jungles couvrent à peu près le quart de la superficie
totale de l'Inde. Le rôle qu'elles jouent dans la vie économique
du pays est immense et peut être envisagé à un triple point de vue.
D'abord elles renferment nombre d'essences précieuses et rares
qui s'exportent à l'étranger : le bois de teck, sans rival pour les
constructions navales, le bois de rose, l'ébêne, l'acajou, le bois de
santal, etc. De plus, elles apparaissent comme le régulateur le plus
efficace de la réserve d'eau pluviale dans un pays où 1 on peut
compter eu gros six mois de pluie et six mois de saison sèche.
Enfin, et surtout, elles donnentà l'Inde une masse de produits utiles
consommés sur place et dont la valeur est impossible à déterminer.
Les grands travaux publics: ponts, chemins de fer, canaux, mines,
absorbent chaque année une quantité croissante de bois
d'oeuvre. Les paysans $e trouvent dans une dépendance étroite de
la production forestière pour tout ce qui touche à leur existence
domestique et aux besoins de l'agriculture. Leurs maisons, leurs
outils, leurs instruments agricoles, leurs moulins à riz, à huile, à
sucre sont uniquement en bois. La jungle leur donne, en temps de
famine, des fruits sauvages, des racines comestibles. Ils n'emploient
guère d'autre fumure que des feuilles pourries, la cendre des
herbes et des écorces brûlées annuellem:nt. Leurs troupeaux ne
se nourrissent que de ce qu'ils trouvent dans la forêt et la savane
(14 033 033 de têtes de gros bétail paissent dans les seules forêts
de l'Etat, sans compter ceux qui vivent dans les forêts des terri-
toires indigènes). Du reste, il y a une telle connexion entre 1 in-
dustrie agricole et forestière, quelcs revenus des forêts s accroissent
ou diminuent selon que la saison pluvieuse tut favorable ou non.
Les années prospères amènent, en effet, une demande beaucoup
plus considérable deproduits nouveaux, plus solides et plus durable».
(D'après S . Tardley-Wilmot.)
La Faune
Aussi riche, aussi variée que les essences végétales,
et pour les mêmes raisons (différences climatiques), la
faune de l'Inde renferme plus d'espèces animales que
l'Europe, sur une aire pourtant beaucoup moins vaste.
Dans les hautes régions himalayennes vivent les yaks,
les chevrotins porte-musc, les chamois, les ours blancs ou
noirs, les marmottes et nombre d'autres animaux analo-
gues à ceux du Tibet ou de nos montagnes européennes.
Les forêts sèches ou humides, les fourrés impénétrables
delà jungle, les herbes delà savane, les eaux des marais
et des fleuves abritent la multitude des carnassiers, des
ruminants, des fructivores, des reptiles, des oiseaux, des
insectes dont Rudyard Kipling dépeignit de si pittoresque
façon les caractères et les mœurs.
Qui ne se souvient de Shere Kban, le tigre mangeur d'hommes,
de Bagheera la panthère, de Baloo le grand ours brun, vieux et
grave, de Chil le vautour, de Kaa l'énorme python des rochers, de
tiathi, l'éléphant, aussi malin qu'il est fort, des Bandar Logs " le
peuple des singes ".de Tabaqui le chacal, de Rikki-Tikki la petite man-
gouste, qui tua, dans une lutte épique, Nag le gros cobra noir, le
plus redoutable de la gent venimeuse ? Et la meute des chiens
rouges, si ardents à la chasse qu'ils triomphent même du tigre, et
le peuple des loups et le peuple des abeilles, et Mugger le croco-
dile, et " l'Adjudant ", espèce de grue qui fait les fonctions de
croquemort et d'agent de voirie )
Sans doute, le progrès des cultures, le développement
des voies ferrées et la chasse acharnée que mènent contre
eux princes indigènes et fonctionnaires européens res-
treignent chaque jour le domaine des grands ani-
maux sauvages. Le lion a disparu, l'éléphant ne se ren-
contre plus en troupes nombreuses que dans les forêts les
plus reculées de l'Assam et de la Birmanie. Il se laisse
domestiquer aisément ; on l'emploie aux travaux de force,
ou bien il joue un rôle de parade à la cour des princes
hindous. Le tigre royal, encore répandu dans l'Inde en-
419 - -
L'ASIE
tière, est en voie de diminution sensible et 1 on peut pré-
voir le jour où il ne subsistera plus que dans les réserves
forestières des rajahs. Mais les savanes et les forêts claires
sont encore parcourues par des bandes nombreuses de
daims, de chevreuils, d'antilopes, de sanghers : certains
ruminants sauvages : gaours, gayals, buffles, offrent au chas-
seur une proie dont la poursuite est aussi pénileuse que celle
des fauves. Panthères, chaceJs, léopards, hyènes prélèvent
un tribut régulier sur les troupeaux des villjigeois. Dans
les arbres gambadent des multitudes de singes : macaques,
langours, gibbons, dont le chasseur ne saurait oublier les
hurlements mélancoliques qui résonnent dans le silence des
grands bois ". Le crocodile peuple les fleuves, mais il peut
aussi franchir la nuit de grandes distances sur terre, pour
changer de région de chasse. Les oiseaux de toute taille
et de tout plumage emplissent l'ciir de leurs cris aux heures
fréùches de l'aube et du crépuscule ; ils se taisent dans la
torpeur accableuite des midis. Enfin, les reptiles vemmeux
plus dangereux que les fauves, et dont les victimes sont
in&niment plus nombreuses, se trouvent partout, dans les
forêts, les jardins, les champs, à l'intérieur même des ha-
bitations.
On peut s'expliquer la multiplication de la gent ani-
male et sa familiarité avec l'homme si l'on songe que
la rel^on de l'Inde, qui admet la métempsycose, non
seulement interdit de manger de la chair, mais proscrit la
mise à mort de tout être vivant, ne fût-ce qu'une mouche
ou une fourmi. Le singe, tenu pour un Dieu, se voit
élever des temples, le crocodile est ' ' le bon génie du
village ", et le cobra, le tigre même ont leurs ado-
rateurs !
Le seul mot : Inde, éveille en général, dans l'espril de touthomme
cultivé, " une idée de beauté mystérieuse et de paysages uniformé-
ment somptueux *'. La réalité est tout autre, et le trop bref aperçu
que nous donnâmes de la géographie physique suffit à nous le dé-
montrer. Si l'on met à part les paysages de montagnes, qui ne
forment qu'une bien petite partie de Tlnde (Nilghiri, certaines
vallées himalayennes), tout le reste se compose de plaines tout à
fait plates ou de plateaux très largement ondulés, au sol noir ou
rouge, extrêmement monotones et sans pittoresque. Il y a dans
l'Inde des villes fort anciennes, des temples, des palais splendides,
mais ils constituent de rares et minuscules oasis de beauté lumi-
neuse perdues dans l'immensité uniforme d'un paysage toujours sem-
blable à lui-même sur des centaines de lieues. De plus, l'Hindou
n'a pas au même degré que les Chinois ou les Japonais le sens du
pittoresque, il ne sait pas, comme eux, rechercher pour ses temples
et ses pèlerinages les endroits où la nature et l'art se complètent
haimonieasement. Aussi voyageurs et résidents européens sont-ils
assez promptement blasés et déçus sur la somme de jouissances
esthétiques que procure un séjour en terre indienne. Platitude,
uniformité, lassitude de la terre, du climat, des hommes même, tels
sont les termes qui résument, en définitive, l'impression de tous ceux
qui demeurèrent dans l'Inde assez longuement pour voir s'émousser
leurs curiosités premières et se révéler, sous un voile ténu d'exotisme.
l'Inde véritable, immense, monotone, et si triste.
GEOGRAPHIE HUMAINE
DENSITÉ • ET RÉPARTITION DE L.-\
POPULATION, ^a Un vice-roi de l'Inde a pu
dire : " L'Empereur de Chine et moi, nous gouvernons
la moitié de l'humanité. " Au recensement de 1 92 1 ,
l'Inde — sans le Béloutchistan et Ceylan, maisenycom-
prenant la Birmanie, — comptait en effet en chiffres ronds
319 000 000 d'habitants, dont 246000000 dans les ter-
ritoires directement administrés par l'Angleterre, et
73 000 000 dans les États indigènes^ C'est plus du tiers
de la population de l'Asie, et le cinquième de celle du
monde.
La répartition de ces multitudes est très inégale. Leur
existence est, en effet, subordonnée a la quantité d'eau
qui tombe dans les diverses régions de l'Inde, plus
encore qu'à la fécondité naturelle du sol. Le mciximum
est atteint dans le Bengale oriental : plus de 230 habi-
tants au kilomètre carré. Le reste de la veJlée du
Gange, les côtes deltaïques du Golfe du Bengale,
le mince ruban de plaines qui s'allonge au pied
des Ghâtes occidentales ont aussi une densité très
forte (de 80 à 230). " Sur de grandes étendues, les
cabanes forment, parmi les cubres, les canaux etles rizières,
comme un village immense et continu où fourmillent les
hommes. Le voyageur y trouve le sentiment et parfois
l'obsession de la foule comme dans une ville ; pas un
instant d'isolement, pas une solitude. " (A Métin.)
L'intérieur de la Pémnsule, les zones irriguées du
Pendjab, les plaines Birmanes nourrissent de 40 a
80 personnes au kilomètre carré. Enfin, les steppes et
les déserts du Pendjab méndional, du pays de Thar, du
Sindh, les hautes montagnes himalayennes, les forêts
vierges de l'Assam et de la Birmanie ne contiennent
qu'un nombre d'hommes insignifiant.
L'augmentation de la population estrelativement moins
rapide qu'on ne serait tenté de l'admettre quand on songe
a la masse formidable des Indiens, à l'ardent désir que
possède tout chef de famille de perpétuer sa race, à la
malédiction qui frappe toute femme stérile, enfin à la
prolificité heibituelle aux peuples de civilisation peu déve-
loppée. Par décade, l'accroissement moyen n'est que de
5 pour 1 00. Le pourcentage de la natalité (39 pour 1 000)
est cependant plus élevé qu'en Allemagne ou en Angle-
terre, et il est le double de la natalité française. Mais
la mortahté atteint le chiffre énorme de 38 pour 1000,
et la durée moyenne de la vie demeure inférieure à
25 ans (48 en France, 32 au Danemark). De plus, le
meuriage précoce, l'interdiction c^ moins moreJe du
remariage des veuves ajoutent leurs effets aux ravages
420
L'INDE ANGLAISE
HabittiftLLpajItmo.
[~/^ mouiv Je 20
ûe so à -fit
Je ^o a 60
c>e 60 à ^^
Je- ■j^ à JjO
DENSITÉ DE LA POPULATION
Jcifioà s^o
nlu^v Je £^0
jl^'JaLf-HA Madras 0
Je soo.coo à 500000 if. Delht O
Jt 100. 000 à ioo 00c t. jlgra. o
=®?*i
Js>
i**Srti
produits par une cilimentation défectueuse, une hygiène
déplorable, les famines pe'riodiques, les maladies épide-
nrjiques, peste et chole'ra, qui en sont la naturelle conse'-
quence.
Au r^ensement de 191 I. sur les enfants du sexe féminin
ayant moins de cinq ans, 302000 étaient mariées, et 17 700 déjà
veuves; sur les fillettes de cinq à dix ans, 2500000 étaient mariées
et 22000 veuves. Quant aux pertes causées par la famine et les
maladies épidémiques, les chiffres suivants en attestent l'effroyable
graiidenr.
De 1895 à 1900. 19000000 de personnes soni mortes de
laim; les Provinces Centrales perdirent 8 pour lUO de leur popu-
lation, la Résidence de Bombay 5 pour 100. Dans le même laps
de temps, la peste tua 5 000 000 de personnes, et le choléra plus de
1000000.
Pierre Loti, qui visita l'Inde à l'époque où sévissait la grande
famine de 1900-1901, a décrit, dans son beau livre L'Inde sans
les Anglais, le poignant, l'affreux tableau de ce qu'est un peuple
succombant lentement à la torture de la faim.
Aussine saurait-on envisager, de longtemps encore,
le danger de la surpopulation. D'abord les terres pre'sen-
tement occupées peuvent, avec des procéde's de culture
421 -
L'ASIE - -
moins rudimenlmres, décupler leur production. De plus,
il reste, sans parler des forêts vierges et des jungles
marécageuses qui se défricheront peu à peu, plus de
30 000 000 d'hectares (autant que la Grande-Bretagne
tout entière) de savanes et de steppes cultivables, qui
n'attendent, pour être mises en valeur, que les travaux
d'irrigation indispensables.
L'Hindou se déplace peu, les règles de sa caste s'op-
posantàce qu'il aille vivre hors de chez lui. en contact
direct avec des étrangers. Toutefois, les 1 2 000 ou 1 3000
coolies " qui, jusqu'à la Grande Guerre, se rendaient
chaque année dans certaines colonies anglaises, ont fini
par y constituer des groupements importants. A I île
Maurice, on comptait, en 191 1, 258000 Hindous sur un
total de 377000 habitants. Aux Antil'es, la Trinité
en renferme 140000 (sur un total de 380 000 habitants),
la Jamaïque 20000. La Guyane Anglaise en a reçu
une trentaine de mille, et la Guyane Hollandaise,
20 000 environ Les îles Fidji nourrissent 40 000
Hindous; les Strails Seltlements, 95000. Enfin, le
Natal en contient 160000, et plusieurs milliers de
banyas " hindous s'occupent avec succès d'opérations
commerciales dans les ports de l'Afrique orientale ( Dar
es Salam, Zanzibar, Mombaz, etc.).
Il faut mettre à part les 500000 coolies Tamouls, venus
de la région de Madras, que l'on emploie sur les plan-
tations de Ceylan. Les Tamouls ne sortent pas du do-
maine hindou et retrouvent à Ceylan leurs compatriotes
depuis longtemps fixés dans l'île (Voir plus loin). II en
est de même des 800 000 à 900 000 travailleurs pris
dans toute les régions de l'Inde, qui sont engagés sur les
plantations de thé de l'Assam.
N. B Depuis 1918, l'émigration des simples manœuvres est
interdite. On étudie présentement la création, d'un organisme
administratif qui s'occuperait spécialement des questions d'éxigra-
lion.
LES RACES. £>/^ Trois faits géographiques ont
dominé le cours de l'histoire de l'Inde jusqu'à la fin du
xv'^ siècle, c'est-à-dire jusqu'à l'apparition des premiers
Européens : 1° l'isolement du pays entouré de tous
côtés par la mer et de hautes montagnes ; 2° la division de
l'Inde en deux régions distinctes : le Sud tropical et insu-
laire, le Nord continental et subtropical, sépcU"ées l'une
de l'autre par une large ceinture de hauteurs boisées
difficiles à franchir. Monts Windhya, Satpoura et Chota
Nagpour; 3° la possibilité d'accéder aux riches plaines
alluviales du Nord par la vallée du Kaboul, fenêtre
étroite mais accessible en toutes saisons, ouverte sur le
monde occidental (A. Smith). C'est l'isolement de l'Inde
qui a permis le développement, dans un cadre fermé,
d'une civilisation spéciale, d'un type particulier d'huma-
nité, profondément différents de ce que l'on trouve en
422 ■
toute autre région de l'Asie. C'est la division naturelle
de l'Inde en deux régions géographiques qui explique
la répartition présente des races et des langues. C'est,
enfin, surtout par la porte de Kaboul que sont entrés suc-
cessivement les envahisseurs blancs ou jaunes qui ont si
profondément modifié les caractères primitifs des eibori-
gènes.
Que l'Inde ait été habitée depuis la plus lointaine
antiquité, c'est ce dont témoignent avec évidence les
objets, outils et cU^mes en silex éclaté recueillis sous cer-
taines couches de basaltes du Décan, dont le dépôt
remonte au début de l'époque quaternaire et peut-être
à la fin des temps tertiaires. II est non moins vrai que
quelques-uns des peuples indiens s'élevèrent de très bonne
heure à un niveau de civilisation comparable à celui des
Chinois ou des Occidentaux. Bien des siècles avant
l'ère chrétienne ils connurent l'emploi du métal, surent
domestiquer les animaux, cultiver le riz, tisser des
étoffes, eurent une littérature (en langue sanscrite ou
tamDule), des doctrines religieuses, des conceptions artis-
tiques el sociales, aussi remarquables par leur onginalité
que par la variété de leurs manifestations. Mais nous
connaissons fort maJ le passé de l'Inde, et sur la plupeirt
des questions relatives à l'ethnographie, à l'origine des
peuples multiples qui se fixèrent tour à tour dans la
Péninsule et s'y mêlèrent à doses inégales, nous sommes
le plus souvent réduits aux conjectures.
On admet généralement quel'lnde fut habitée d'abord
par des peuples de race noire, les uns de petite taille,
à cheveux crépus et à grosses lèvres, les autres de teinte
moins foncée, de stature plus élevée, à cheveux lisses
ou bouclés. Les premiers seraient encore représentés par
les Négritos des îles Andaman (fort semblables aux
Négrilles des Philippines ou de Bornéo), les Kotahs
et Iroulas des Nilghiris ; les seconds aureiient comme
descendemts directs les Todas des Nilghiris et les Veddas
de Ceylan (?).
Les premiers envahisseurs vinrent peut-être de l'Ouest
parle Béloutchistan. On leur donne le nom de Dravi-
diens sans préjuger en rien de leur origine, de leur
habitat primitif et de leur race que d'aucuns rattachent
aux peuples Mèdes ou Scythes (? ?). Ils se répandirent,
dans l'Indé entière, depuis la vallée du Gange jusqu'à
Ceylan, et se mélangèrent étroitement aux populations
noires. Puis se présentèrent, arrivant du Nord-Ouest,
des Aryens blancs, une des branches de la grande
famille Indo-Européenne. Ils se fixèrent en nombre
dans la région de r Indus (Pendjab et Radjpoutana) où
Ils ont conservé leur type le plus pur. Mais, par lentes
infiltrations, ils gagnèrent la vallée du Gange, absorbèrent
les Dravidiens ou les refoulèrent sur les plateaux du
Décan. Enfin, de l'Est et du Nord affluèrent des jaunes :
Birmans, Tibétains, Mongols. Ils peuplèrent la Birma-
L'INDE ANGLAISE
nie, l'Himcdaya central et occidentcJ. Dans le Bas-
Bengale, ils se sont métissés avec les Dravidiens et l'on
retrouve leur trace dans toute l'Inde onentale par suite
d'anciennes relations maritimes entre les rivages opposés
du Golfe du Bengale. Si l'on ajoute que l'Inde reçut
aussi des McJais, des Arabes, des Afghans, si l'on songe
que l'ampleur des plaines, l'uniformité des conditions
climatiques, l'isolement même de l'Inde rendaient par-
ticulièrement facile, avant 1 établissement des castes,
l'étroite et réciproque pénétration des divers éléments
ethniques, on ne s'étonne plus qu'il n'y ait pas une race
indienne, mais un complexe extraordinaire, un prodi-
gieux mélange où tous les types humains sont repré-
sentés, peirfois dans le cadre restreint d'une même tribu,
et où une infinie gradation de teintes, de caractères
physiques (taille, forme du nez et des yeux, cheveux,
lèvres, etc.) permettent de passer du négrille des îles
Andaman au Siamois de Birmanie, du Dravidien du
Mysore à l'Aryen du Pendjab, proche parent des Euro-
péens.
LES LANGUES. 00 A la diversité des origines
correspond la multiplicité des langues. Des peuples de
races différentes ont adopté souvent une langue com-
mune, et " vice- versa ". Sans entrer sur ce point dans
des détails inutiles, voici les principaux groupes de langues
et dialectes usités dans l'Empire :
I û Langages qui n'ont aucune corrélation avec d'autres types
linguistiques connus ; le Bouroubashi, parlédans quelques valléesdu
Karakoroum ; les douze dialectes des Sles Andaman; le Mawken,
usité dans l'archipel de Mergui sur la côte Birmane.
2° Langues dravidiennes spéciales à l'Inde : ce sont elles qui
dominent dans la Péninsule. Leurs principaux groupes sont le
Telougou, parlé de Madras au Bengale par 24000000 d'homme; ;
le Tamil ou Tamoul (18 000000 d'hommes de Madras au Cap,
Comorin) ; le Kanarèse (I I 000 000 dans le Mysore); le Malayalam
(7 000 000, c5te de Malabar) ; le Gondi (dans le Gondwana) ; le
Toulou, le Kourouk. etc. Les quatre premières sont des langues
riches, souples, harmonieuses, qui ont eu une littérature extrêmement
développée et fort ancienne.
30 Langues appartenant à des familles linguistiques représentées
à la fois dans l'Inde et hors de l'Inde. On les subdivise en trois
groupes :
o) Le groupe Austro- Asiatique comprenant les dialectes Mounda
(Bengale occidental et Chota Nagpour), le Khasi (montagnes de
l'Aîsam), les dialectes des îles Nicobar, les langues Mon-Khmer
(Birmanie orientale) ;
i) Le groupe Indo-Chinois Tibélo-Birman, parlé par
8000000 d'hommes en Birmanie occidentale et centrale ; Siamois-
Chinois (plateau et montagnes des Shans. à l'Est de la Salouen ;
Tibétam des vallées himalayennes, etc.) ;
c) Le groupe Indo-Aryen, le plus important de tous. 11 a comme
origine commune le sanscrit dont on connaît 1 importance linguis-
tique et littéraire, et l'étroite parenté avec la plupart des langues
anciennes ou modernes parlées en Europe. II est représenté par
rt-Iindi ou l'Hindoustani que parlent 82 000 000 d'hommes, le
Bengali (48000000), le Mahratti (20 000 000), le Pandjabi
(15 000000), le Radjastani (14000000). le Gondjerati
(10000000), l'Ouriya(pays d'Orisu. 10000000) et le Sindhi
(400000D), Le domaine indo-aryen comprend toute la dépression
mdo-gangélique et s'étend au Nord-Ouest de la Péninsule, sur la
majeure partie de la province de Bombay.
LES RELIGIONS. 00 Si les races et les langues
présentent dans l'Inde une infinie diversité, les religions
ne sont pas moins variées.
Les formes les plus primitives des croyances surnatu-
relles : animisme, fétichisme, totémisme, subsistent chez les
tribus arriérées du Décan (groupe Mounda), de la Bir-
manie occidentale, des îles Andaman et Nicobar. Les
statistiques anglaises comptent environ 10000000 d'ani-
mistes.
De l'animisme se dégagea peu à peu, à une époque
indéterminée, l'ensemble de conceptions religieuses,
morales et sociales qui porte le nom de Brahmanisme ou
Hindouisme. C'est la religion la plus répandue puisqu'elle
compte 218000000 d'adeptes. Fondée, à l'origine tout
au moins, sur la croyance en un Dieu suprême, âme
universelle de toutes choses, l'idée de l'immortalité de
l'âme, de la métempsycose, le respect formel de la vie
animale, la sainteté de la vache, la nécessité du renonce-
ment toïal pour aboutir au Nirvana, elle n'est vraiment
comprise et pratiquée dans sa pureté première que par
un très petit nombre de gens cultivés appartenant à la
caste des Brahmanes. Les autres, divisés en une multi-
tude de sectes, ont conservé leurs superstitions enfantines
ou grossières, leur croyance aveugle au pouvoir des devins
et des sorciers.
Vers le Vl" siècle de notre ère, le Bouddhisme se
détacha du Brahmanisme. 11 n'eut dans l'Inde même
qu'une durée éphémère. Mais en Birmanie, à Ceyian et
dans l'Himalaya, il compte encore 12000000 d'adeptes.
L'Islamisme, introduit d'abord par les Arabes puis, à
partir du Xlll" siècle, par les conquérants Mogols, est la
religion qui domine dans le Nord-Ouest (Pendjab, Aoudh .
Sindh, Radjpoutana, Kachmir). Très répandu dans le
Bengale, il a des sectateurs dispersés dans l'Inde entière,
notamment le Berar, l'Orissa, la province de Bombay.
l'État d'Haïderabad, etc. On compte dans l'Inde environ
67 000 000 de musulmans.
Les autres tultes n'ont qu'une très minime importance :
3000000 de Sikhs (Pendjab). I 500000 Djains (Radj-
poutana) ont des croyances assez spécicJes mais qui
apparaissent, en définitive, comme de simples modalités
du brahmanisme. A Bombay, 100000 Parsis venus de
l'Iran ont conservé le culte du feu. Quant au christianisme,
il n'a à peu près aucune prise sur les indigènes, et les
3 000000 de chrétiens, recensés en 191 1, ne comprennent
guère que les Européens et leurs métis (notamment dans
l'enclave portugaise de Goa).
Quelle que soit la secte à laquelle il appartient. l'Hindou
demeure le plus religieux de tous les hommes. Chez lui. comme
423
L'ASIE
chez les Anciens et les gens du Moyen Age, la religion a sa part
dans tous les actes de l'individu et de la société. Les cérémonies
du culte, les pèlerinages, les préoccupations surnaturelles dominent
son existence. Partout s'élèvent des sanctuaires, grands ou petits; à
chaque pas, une statue sous un arbre, une pierre grossièrement taillée
auprès d'une source ou contre un rocher, rappellent que les Dieux
sont en tous lieux invisibles et présents et que l'objet en appa-
rence le plus insignifiant peut être possédé de leur esprit. Mais
pour le plus grand nombre des fidèles, cette religion n'a plus rien
de commun avec les hautes conceptions philosophiques du Brahma-
nisme primitif. Envahie par les vieilles croyances fétichistes, étouffée
sous la complexité des rites et des formules magiques, elle n'apparaît
plus guère que comme un paganisme grossier, un amas de supersti-
tions désordonnées, de rites discordants. " Les pratiques, écrit
M. A. Métin, sont en tel nombre et si minutieuses qu'elles ont fini
par étouffer tout le reste el que la foi leur donne plus d'importance
qu'aux Dieux mêmes. " De là l'importance des Brahmanes ou
prêtres qui connaissent les formules (mantras) par lesquelles on
agit sur les Dieux. De là aussi le rôle considérable des sorciers et
exorciseurs, la croyance au miracle, au mauvais oeil, aux présages, à
'astrologie, aux jours fastes el néfastes, les ablutions rituelles jour-
nalières (l'eau du Gange étant spécialement efficace), le soin que
met l'Hindou à se garder de toute souillure, et les nombreuses
méthodes de purification dont les Brahmanes conservent le secret.
L'Inde n'est pas un pays laïcisé comme les Etats Occidentaux ou
même comme la Chine. Elle se trouve encore dans une situation
semblable à celle de l'Egypte ou de la Chaldée dix siècles avant
l'ère chrétienne : le Brahmane, comme autrefois le prêtre égyptien
ou le mage chaldéen.est le vrai roi: " Les Dieux sont nos maîtres,
dit un dicton populaire, les Mantras sont maîtres des Dieux, les
Brahmanes sont les maîtres des Mantras, donc les Brahmanes sont
les maîtres du monde. " Il faut sans cesse avoir présent à l'esprit
ce fait capital, si l'on veut essayer de comprendre la mentalité
hindoue.
LA VIE SOCIALE, aa Déjà divisée en compar-
timents multiples par 1 origine diverse de ses habitants, la
langue qu'ils parlent, la religion qu'ils professent, l'Inde
l'est bien plus encore par l'institution de la caste. C'est elle
qui en dernière analyse domine et règle l'existence entière
de l'Hindou.
L'origme des castes remonte, dit-on, aux lois de
Manou (deux ou trois siècles avant l'ère chrétienne)
qui partageaient la société en quatre classes : les
Brahmanes, les guerriers, les marchands et les artisans.
Mais chacune de ces classes primitives se fragmenta peu
à peu. Aujourd'hui la caste des Brahmanes — la seule
qui ait gardé quelque cohésion et conserve son nom
initial — comprend, plus de 1 800 subdivisions. On
peut, d'après ce chiffre, imaginer ce que doit être, pour
l'ensemble de l'Inde, le total des groupements de ce
genre !
La caste est une petite société fermée et héréditaire
qui a sa morale, ses traditions propres. Les membres
de la caste ne peuvent manger que des aliments préparés
d une certaine manière, ne peuvent s'associer aux repas
des étrangers à la caste, ne peuvent enfin se marier hors
delà caste. Si, volontairement ou non, l'Hindou désobéit
aux prescriptions traditionnelles, le conseil de discipline
■ 424
prononce son exclusion. 11 devient alors un homme
sans caste, ce qui est la pire des infortunes. Il peut, il
est vrai, réintégrer sa caste s'il paye une amende propor-
tionnelle à sa fortune et s'il se soumet à des purifications
dont la plus efficace consiste à absorber les liquides sortis
de la vache : lait, bave, urine et bouse!
Une caste ne fe préoccupe jamais des usages de sa voisine.
Quand les Radjpoutes tuaient leurs filles nouveau-nées, les autres
Hindous ne les approuvaient ni ne les blâmaient; ils disaient simple-
ment:" C'est la tradition de leur caste. " La charité est un devoirà
I intérieur de la caste, mais elle ne saurait être pratiquée en dehors
d elle. Du reste, le malade aime mieux mourir que d'être soigné
par un étranger, et l'on a vu, sur les champs de bataille, des Hindous
blessés endurer toutes les tortures de la soif plutôt que de boire à
la gourde d'un homme qui n'était pas de leur caste.
11 y a naturellement une hiércu-chie des castes. La plus
élevée, celle dont tout le monde reconnaît la supériorité,
est la caste des Brahmanes où se recrutent exclusivement
les prêtres. Tous les Brahmanes, du reste, ne sont pas
prêtres. Les plus pauvres se louent comme domestiques
chez les autres, car un Brahmane ne peut pas être
servi par des gens de castes inférieures. Ni la misère, ni
certains travaux manuels ne déclassent un homme : ces
hautes castes admettent toutes les professions, sauf celles
qui font déchoir, qui exposent à certaines souillures mys-
tiques : par exemple le métier de blanchisseur, de barbier,
etc. Ces professions, ainsi que toutes les besognes impures,
sont abandonnées soit à des castes spéciales, soit aux
individus sans caste. Il en est de même du service des
Européens, car l'Européen est Carnivore, et l'Hindou
ressent pour lui la même horreur que nous inspirent les
anthropophages.
L'existence des castes et la tyrannie de l'esprit de cleui
furent désastreuses pour l'Inde. Déjà la religion, même
raffinée, n'assignait à l'homme aucun devoir social, n'a-
vait d'autre idécj que le renoncement et considérait le
mépris de l'action comme la vertu suprême. Cette con-
ception SI contraire au progrès se renforça par l'exclusi-
visme de la caste, par la division de l'Inde en une multi-
tude de petits groupes qui se méprisent ou s'ignorent. Il
n'y eut jamais de nation, de patrie indiennes. L'Hindou
n'a pas d'autre patrie que sa caste ; il y entre par la nais-
sance, son plus cher désir est de mourir sans la quitter.
Aussi, en dépit du courage individuel et des capacités
intellectuelles de ses habitants, l'Inde subit-elle toujours
passivement les conquêtes étrangères. Jamais en aucun
pays la fameuse maxime romaine, diviser pour régner ",
ne fut d'application aussi aisée. Au temps de Dupleix,
quelques centaines de Français commemdéuent 50000000
d'Hindous. Jusqu'à nos jours, quelques milliers d'An-
glais sont demeurés les maîtres absolus de 315000000
d âmes.
L'INDE ANGLAISE
OUDEYPORE : SUR LES TERRASSES DU PALAIS. La pnoince du Raà,-
\ noulana al une des régions de l'Inde où subsistent, avec la plus temarituahie abondance,
' les merveilles élevées par les princes d'autrefois. Oudeypard^l la Cité de l'Aurore)
ne date que du XVI' siècle ; elle possède cependant, construit en granit et en marbre
blanc, un des palais les plus vastes et les plus somptueux de la Péninsule, excellent
spécimen de larchteclure radjpoute qui sait unir la simplicité des grandes lignes a
l'élégance et au fini des détails. Non loin d'OudeuPore, les temples du Mont-Abou
comptent aussi parmi la plus précieux chtfs-d'ceuure Je l'arl Hindou.
423
•42
L'ASIE
LE PALAIS DE LEH. Silu4 à 3 500 mètres d'altitude, dans la haute valide de
l' Indus, Leh, rapitale de l'Etat du Ladak,tst le centre du commerce qui se fait entre
le Kacbmir et le Tihet occidental. Elle a Vatpect d'une ville tibétaine et son palais-
forleresse ressemble aux grands temples de Lhassa.
LA PLATE-FORME DU GIRNAR. Le massif du Gimar se trouve dans la
presqu'île de Kattyavar. Il porte sur une terrasse voisine du somme! une ville de
temples djain extrêmement célèbres, tt les archéologues y déchiffrèrent d'intéres-
santes irïseriptions gravées sur le roc depuis plus de 2 000 années-
:i<2L^^-
LAC ET BARRAGE DE KANKANJA. La construction de barrages et de
réservoirs destinés à l'irrigation s'est faite de tout temps dans les régions de l'Inde
irrégulièrement arrosées. La photographie montre i}ue les Hindous d'autrefois sa-
vaient donner même aux travaux simplement utiles la beauté d'une œuvre d'art.
CALCUTTA ; UN TEMPLE DWN.Calcutian'étailencoreàlafindu xvm'^ siè-
cle qu'un village fort insalubre, où les .Anglais établirent un comptoir commercial .
Elle rachète sa pauvreté artistique par l'activité de son port et le développement de
ses indusln'es au nombre desquelles les filatures de }\ite tiennent le premier rang.
3;
LE TRMPLE DE SERINGHAM consacré à
Vichr.ou fut constnat aa XVin^ siècle près de Tri-
chir^opoU, Surchargé de sculptures et d'ornements,
: --^l Uj~. intcTusar,f spécimen de l'architecture hindoue.
426
LE BAZAR DE LAHORE. Lahorc fut un des
lieux de séjour favoris des Empereurs mongols. Ses
monuments publics ou privés offrent un harmonieux
mélange de traditions persanes et hindoues.
GWALIOR. Ce magnifique palais-forteresse cou-
ronnant un rocher de grès haut de 100 mètres est
la merveille du Radjpoutana où abondent les mo-
numents de ce genre.
LE GOUVERNEMENT DE L'INDE. 00 La
période la plus brillante de l'ancienne histoire de l'Inde
fut l'e'poque mongole entre le XIIl" et la fin du
XVII^ siècle. Etablis dans la plaine indo-gange'tique,
autour de Delhi et d'Agra, les Grands Mogols asser-
virent aussi la majeure partie de la Péninsule. Leur auto-
rité fut longtemps respectée et les temples, les palais
qu'ils firent construire en grand nombre sont les témoi-
gnages magnifiques de leur richesse, de leur goût, de
leur haute civilisation. Après la mort d'Aureng Zeb, le
dernier des Grands Empereurs Mogols, rajahs et
princes reprirent leur indépendance, mais ce fut pour
tomber peu à peu sous le joug des Européens. Nous ne
referons point ici 1 histoire de la conquête. On sait
comment la France dut, au néfaste traité de Paris (1763).
renoncer définitivement à toute tentative d'expansion, et
comment les Anglais, reprenant à leur compte les pro-
cédés de Dupleix, parvinrent entre 1757 et 1860 à
mettre la main sur le plus riche domaine colonial qui
existe au monde, lis ont eu soin depuis lors d'en garan-
tir l'intégrité, d'en fortifier les abords en occupant à l'Est
la Birmanie, à l'Ouest le Béloutchistan.
L'Inde est sous les ordres d'ua Gouverneur ou Vice-
Roi. Ses actes sont contrôlés en Angleterre par un
" Office de l'Inde" comprenant 15 membres et présidé
par un secrétaire d Etat. Il a à ses côtés un Conseil de
6 membres, sorte de Cabinet ministériel auquel esl adjoint
le Général en clief de l'arnée ang'o-indienne. Toute
une hiérarchie de fonctionnaires civils européens, assistés
d'aides indigènes, dirige les multiples services de l'Ad-
minisYation. On leur assure des tra-.tements et des
retraites très élevés, mais on les chois.t avec grand soin,
on exige d'eux un vaste savoir (notamment la connaiî-
sance parfaite de la mentalité, des conditions sociales et
des dialectes spéciaux à la rég'on qu'ils seront chargés
de du'iger et où ils s'élèveront de grade en grade sur
p/ace), beaucoup d'énergie et d'initiative, une somme con-
sidérable de travail. Aussi leur nombre peut-il être
extiêmement réduit : relativement à son étendue, 1 Em-
pire des Indes occupe sept fois moins d'administrateurs
civils européens que la colonie française la plus favo-
risée.
L'Inde est soumise en partie au système d adminis-
tra'ion cirecte, en partie au régime du protectorat. Lis
"Possessions immédiates" noi.t d'autres cl.efs que les
fonctijnnaires anglais. Elles sont réparties en 14 gouver-
nennents : Présidence de Bombay, Préii Jence de Madras.
Bengale, Province.» Unies d'Agra et Aoudh, Pendjab.
Birmanie, Bir.ar et Orissa, Provinces Centrales et Bérar,
Asiam, Provinces Frontières du Nord-Ouest, Ajmire,
Courg. Delhi, Andaman et Nicobar, et comptent environ
249 030 COO d'habitants. Les Élas Indigènes, tributaires
ou protégés, au nombre de 1 60 (en laissant de côté les plus
c&x:raphi£ universelle.
L'INDE ANGLAISE
petits qui ne sont que des seigneuries de villages), sont
peuplés de 73 COO 000 d'âmes. Le plus important est
l'État d'Haïderabad dans le Decan avec 1 3 500 000 habi-
tants. Le Mysore ou Maïssour en a 6000000. Le
Radjpoutana (lO 500000 habitants), l'Inde Centrale
(10 000000) sont des groupements de principautés qui
varient considérablement d'étendue et de population.
Grands ou petits les Etats Indigènes ont leurs souverains
ou rajahs auxquels l'Angleterre laisse toutes le» appa-
rences du pouvoir, des honneurs pompeux, de l'argent
pour leur luxe, mais qu'elle fait surveiller, conseiller et
contrôler par des Résidents européens. Loin de trouver
en eux des adversaires, elle a su se faire des souverains
indigènes des auxiliaires précieux et les meilleurs de ses
collaborateurs.
Dans l'Himalaya, les Etats de Népal et de Bhoutan
ont conservé leur indépendance à peu près entière.
Depuis la Révolte des Cipayes (1858) jusqu'aux pre-
mières années du XX° siècle, la tranquillité la plus absolue
régna dans I Inde. Si quelques troubles éclataient çà et
là, ils étaient forcément très localisés, et, par suite de
l'institution des castes, des haines religieuses, etc., ils n'af-
fectaient qu'une minime partie de la population. Aussi,
la force armée était-elle relativement très peu co.nsidé-
rable : 72000 Européens, 161 OOC indigènes. Encore
destinait-on ces Iroupes moins à réprimer des mouve-
mants insurrectionnels qu'à protéger l'Inde contre les
ennemis de l'extérieur ou même à participer à des opé-
rations militaires poursuivies hors du territoire de l'Em-
pire.
Toutefois, depuis que bon nombre d'Hindous se sont
instruits soit dans l'Inde même, soit dans les Universités
anglaises, on a vu naître peu à peu chez cette mirorité
d'intellectuels des idées nouvelles dont la Grande-Bre-
tagne a su tenir compte. Dès 1905, les Nationalistes
indiens commencèrent à réJa-ner d'être " associés au
Gouvernement de leur pays afin d'en gérer eux-mêm< s
les affaires et d'en défendre les intérêts ". Ils s ap-
puyaient sur les iraditio.is fondamentales du peuple anglais
lu'-même, et sur l'exemple fourni par les colonies britan-
niques de ' Self-government ". Ils créèrent ainsi une
agitation qui, en dépit d'une répression sévère, gagna du
terrain et finit par s'étendre, non pLs seulement aux Brah-
manistes, mais même aux musulmans jusqu'ici considérés
comme le plus ferme soutien du Gouvernement an7lais.
Au cours de la guerre, le mouvement nationaliste
devint d'autant plus intense que la Grande-Bretagne se
trouvait à la fois paralysée par les événements d'Europe et
contrainte di faire un large appel au^c contingents indiens
qui se battirent pour elle soit en France et en Macédoine,
soit surtout en Syrie et en Mésopotamie. El'e fut donc
amenée à prendre en co.-^sidération les réc'amalions de
427
42
J
L'ASIE
plus en plus pressantes de ses sujets, et n'he'sita pas à ins-
taurer, en de'cembre 1919, un re'gime nouveau qui doit
graduellement faire de l'Inde l'égale des Dominions bri-
tanniques. " La Réforme ne touche pas au Gouvernement
central qui demeure toujours dans les mans du Vice-Roi
et du Parlement Impe'rlal. Mais elle résout dans le sens
d'une véritable autonomie le gouvernement des neuf pro-
vinces qui possèdent des Assemblées. Un certain nombre
de questions demeurent soustraites aux Assembléespro-
vinciales tant qu'elles n'auront pas acquis une pleine expé-
rience des affaires. Mais on leur réserve certains dépar-
tements où léurcompétenceetleurcontrôlepourronl s'exer-
cer. Si l'expérience réussit pour ces attributions limitées, on
pourra aboutir au Self-government complet. Ainsi mûrit
et s'élabore la solution d'une Inde autonome. " (D'après
A. Demangeon.)
LES VILLAGES ET LES VILLES. 00 La
grande majorité de la population vit à la campagne dans
des villages faits de petites maisons basses, malpropres,
aux murs de boue ou de bois, aux toits de feuilles et
d'écorce, au mobilier plus que rudimentalre. Même dans
les villes, ce type de maison est fort répandu. Il con-
traste avec la splendeur des monuments anciens : palais
entourés de magnifiques jardins, temples, tombeaux. De
même, la vie somptueuse des rajahs, leurs cortèges de che-
vaux de luxe et d'éléphants s'opposent crûment à la
misère générale d'un peuple pauvre, insuffisamment
nourri. " Vêtements de coton même par le froid, rareté
des meub'es, grossièreté des ustensiles frapperont n im-
porte quel touriste. Un habit de rechange, une pièce de
toile, un vase de cuivre pour puiser l'eau et faire bouillir
le riz ne sont pas à la portée de tous... même en temps
ordinaire, l'Indien pauvre ne mange pas toujours à sa
faim. L'aspect misérable et souffreteux de la foule donne
une impression pénible qu'augmente encore son attitude
tantôt morne, tantôt geignarde. Tout inviterait à la tris-
tesse si 'es regards n'étaient amusés par les nuances mul-
tiples des visages, les innombrables variétés des cos-
tumes, le crépi clair et les peintures des maisons. L'âme
indienne est sombre ; l'Inde brille de toutes les couleurs. ''
(A. Métin.)
Les Anglais ne se mêlent à la vie indigène que lors-
qu'ils y sont contraints par leurs devoirs d administra-
teurs. Ils n'habitent jamais dans la cité indigène, mais
résident à l'écart, parfois à plusieurs kilomètres, dans des
villas confortables, peuplées d'un nombreux personnel
domestique, où, leur travail terminé, ils mènent exacte-
ment l'existence qu'ils mèneraient en Angleterre. Non seu-
lement la société hindoue ne les intéresse pas, mais ils ne
comprennent pas que l'on puisse y prendre quelque inté-
rêt ; des femmes de fonctionnaires, installées dans le pays
depuis plusieurs années, se vantent de n'avoir jamais péné-
tré dans les quartiers indiens ! Aucun indigène, sauf de
rarissimes exceptions faites en faveur de quelques maha-
rajahs, n'est admis dans les cercles, les c'ubs ', le
" monde anglais ".
L'union légitime, ou même le concubmage avec des femmes mdi-
gènes, de quelque condition qu'elles soient, est considéré comme
une chose si honteuse, qu'un fonctionnaire qui se trouverait dans ce
cas serait obligé de donner sa démission. Aussi, le nombre des
métis Anglo-Indiens est-il insignifiant. Seuls les Français et les
Portugais ont cette spécialité. On sait, du reste, que ce mépris du
Britannique pour les ** gens de couleur " n'est pas spécial à
l'Anglais de l'Inde, mais se retrouve dans toutes les parties du
monde peuplées d'Anglo-Saxons. Peut-être d'ailleurs cette façon
d'agir a-t-elle sa raison d'être et son bon côté. Dans un pays où
100000 Anglais (72000 officiers et hommes de troupe.
28 000 fonctionnaires, planteurs, commerçants et industriels) vivent
perdus au milieu de 300000 000 d'indigènes, il est nécessaire que
celui qui commande non seulement évite toute familiarité, mais
même n apparaisse jamais à ses subordonnés que sous la ligure
d'un maître très distant, un être infiniment supérieur, dont l'isolement
même assure le prestige et accroît l'autorité.
Si l'on entre dans les plaines du Nord par la voie
historique de Kaboul, on se heurte d'abord aux deux
grandes forteresses, pourvues d'importantes garnisons, qui
surveillentcetteporte de l'Inde : Pechawer (97000 habi-
tants) et Rawalpindi (86 000 habitants). Dan? les hautes
vallées himalayennes se cache Srinagar (126000 habi-
tants), la fraîche et charmante capi'a!e du rajah de Kach-
mir. Au centre du Pendjab, Amritsar ( I 52 000 habi-
tants) est la métropole et la ville sainte des Sicks ; Lahore
(228 000 habitants), où domine l'Islam, rappelle les belles
cités arabes par ses balcons ds bois sculptés, ses mai-
sons à moucharabiés. Dans les collines des Sivaliks,
Murree et surtout Simla, à 2000 mètres d'altitude,
comptent parmi les stations sanitaires les plus fréquentées
de l'Inde. Simla est même, en été, la résidence officielle
du Vice-Roi.
Descend-on la vallée de l'Indus, la steppe apparaît,
puis le désert de Thar où, sur les pistes sablonneuses,
s'allongent les convois de chameaux. Plus de villes sauf
le grand port moderne de Karatchi (151 000 habitants)
où se concentrent les blés du Pendjab. Vers l'Est, on
gagne d'abord le Radjpoutana, région de sanctuaires, de
montagnes, de jungles et de déserts, réduit des plus
anciennes dynasties hindoues, pays d'exploits chevale-
resques, de batailles, de sièges, d'évtnsmens héroïques
ou terribles. En nul endroit de l'Inde n'apparaissenten
tel nombre les forteresses de grès rouge perchées sur les
rocs escarpés, " Crécys et Pierrefonds que les guides ne
prennent même pas la peine de mentionner ", les palais
abandonnés, les pavillons de marbre semés dans la cam-
pagne, les pagodes envahies par la jungle. Bikanir
(i5(X)0 habitants), oasis menacée par les sables du
désert, Djodhpour, Dja'ipour( 1 37 000 habitants), la "belle
ville de camaïeu rose " chantée par Pierre Loti, Adjmir
428
(86 000 habitanls), Goualior (89000 habitants). Oudal-
pour conduisent au Sud-Ouest vers les cités du fertile
Goudjerale : Ahmedabad (218 000 habitants). Baroda
(100000 habitants), Surate (1 14 000 habitants), tandis
qu'au Nord-Elst on pe'nètre dans larégion vitale del Inde,
celle qu'arrosent le Gange et ses affluents. Delhi (232000
habitants), ancienne capitale des Grands Mogols et
nouvelle capitale de l'Empire, Agra ( 1 85 000 habitants)
"la perle de l'Hindoustan" l'emportent encore sur les villes
Radjpoutes parla splendeur de leurs monuments. Mirât ou
Merutd 16000 habitants), Bareilly ( 1 29000 habitants).
Lakno ou Lucknow (259000 habitants). Kahnpour ou
Cawnpored 78 000 habitants), Allahabad(l 71 000 habi-
tants), ont moins de charme, mais une activité égale.
Bénarès(203 000 habitants), la viliesainte desHindousest
justement célèbre par la multitude de ses temples, le spec-
tacle pitloresque de ses "' Ghats ", larges escaliers de
pierre où se pressent les fidèles occupés aux ablutions
rituelles. A Patna (136000 habitants) commence le
Bengale dont Calcutta est la capitale. La ville tire son
origine d'un comptoir fondé par la Compagnie Anglaise
des Indes Orientales aux rives de l'Hougly, branche
occidentale du delta du Gange. Débouché naturel des
territoires les plus productifs et les plus peuplés, le
comptoir se développa vite lorsqu'il n'eut plus à craindre
la concurrence de sa voisine Chandernagor qu'annihila
le traité de Paris de 1 763. Calcutta comptait 1 00 000 ha-
bitants en 1800, elle en a aujourd'hui 1 222 000 en y
comprenant son faubourg d'Hovrah. Le climat en est
pénible, et les résidents anglais passent la saison chaude
au sanatorium de Dardjiling. Meiis le port, bien que
d'accès difficile, est profond et sûr ; l'industrie du jute
s'est considérablement développée, et si, depuis 191 2,
Delhi a remplacé Calcutta comme capitale de l'Empire,
la prospérité et l'aven r de la ville ne paraissent pas
devoir en souffrir.
Dans la Péninsule. Madras (318000 habitants) est le
L'INDE ANGLAISE
plus ancien des comptoirs anglais et le seul grand port de
la côte orientale. Tutticorin est en relations actives avec
Ceylan. A l'Ouest, Trivandroum (63 000 habitants),
Cochin, Calicut (78000 habitants), Mangalore s'échelon-
nent sur la côte de Malabar, mais ne gardent plus que le
souvenir de leur ancienne importance maritime. C'est
Bombay (979000 habitants), en plein essor, qui absorbe
tout le trafic de l'Ouest. Bâtie dans une petite île au port
vaste et parfaitement abrité, Bombay est non seulement le
débouché de la terre à coton ", mais aussi de toute
I Inde Centrale. Elle a le gros avantage d'être beaucoup
plus proche de l'Europe que Madras ou Calcutta. Enfin,
les PcUïis qui l'habitent au nombre d'une centaine de
mille diffèrent grandement des Hindous par leur culture,
leur sens des affaires, leur goût du progrès. Pouna
(1 58000 habitants), dans les Ghâtes, sert de résidence
d'été aux planteurs de coton, aux bourgeois, aux com-
merçants de Bombay. A l'intérieur des plateaux, Dja-
balpour ou Jubbulpore (100000 habitants), Nag-
pour (101000 habitants), Haiderabad (500000 habi-
tants), Bangalore (189000 habitants), Maïssour ou
Mysore (71 000 habitanu), Trichinopoly (123000 habi-
tants) et Madoura (134000 habitants) sont les agglo-
mérations les plus notables.
En Birmanie, Rangaun (203030 habitants) a fait de
tels progrès qu'elle se classe aujourd'hui au quatrième
rang des ports indiens après Calcutta, Bombay et Karat-
chi. Moulmeïn (57000 habitants) est, comme Rangoun.
grand exportateur de riz. A l'intérieur se succèdent,
dans la vallée de l'Iraouaddy, Bassein, Prome et les
anciennes capitales, Pagan, A va, Amarapoura, Man-
dalay, etc., si riches en sanctuaires d'autrefois que, dans
la seule Pagan, on en compte plus d'un millier. A
l'extrême-Nord, Bhamo est le terminus de la naviga-
tion de 1 Iraouaddy et le point de départ d une route de
caravanes, longue et difficile, mais très anciennement
suivie qui mène à la Chine du Sud.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
L'Agriculture
L'Inde est un pays essentiellement agricole. En 1920.
224000000 d'Indiens vivaient exclusivement d'occupa-
tions agricoles et pastorales. Le reste se partageait
entre les diverses professions industrielles (35 000000)
et commerciales ( 1 7 000 000). les transports (5 000 000) .
lesculslibéraux, religion, médecine, instruction (5 600 000),
le service domestique (4 500000), etc. La population
urbaine elle-même comprend nombre d agriculteurs ou
de maraîchers. A côté des quartiers des bazars agglo-
mérés en ruelles étroites, les plus grandes villes de
l'Inde et Calcutta même comprennent des champ, de
vergers, des mares, des jardins avec un assez nombreux
bétail. La limite est généralement indécise entre la ville
et la campagne.
Le régime agricole est partout celui de la petite cul-
ture. Ne font guère exception que les grandes planta-
tions dirigées par des Européens. La moyenne des
fermes n'est que de 5 acres, soit environ 2 hectares, et
la majeure partie des Indiens sont propriétaires de
leur terre.
429
L'ASIE
L'IRRIGATION. 00 Le mode de culture est
généralement très primiïif. L'Hindou a très peu d'outils
agricoles; sa charrue est en bois; les fumures manquent,
car on utilise la bouse de vache comme combustible.
Aussi le rendement moyen des terres apparaît-il comme
fort médiocre.
De plus, et surtout, la valeur et l'abondance de la
récolte dépendent directement de la quantité d'eau dont
on peut disposer. Or les pluies sont uniquement appor-
tées par les vents de mousson qui partagent l'année en
deux sciisoas, l'une humide, l'autre absolument sèche.
Dans les régions où la mousson donne, pendant la saison
pluvieuse, plus de 1 m. 50 d'eau, cela suffit pour
' assurer, sans arrosage artificiel, l'humidité du sol, la
pérennité des sources et des puits durant l'année entière.
j et même la possibilité d'une double récolte : récolte
1 d'automne ou "kharif ", récolte de printemps ou "' rabi "•
C'est le cas du Bengale, de l'Assam, de la Birmanie,
1 des Ghâtes occidentales.
I Mais, dans le reste de l'Inde, ou bien il pleut trop
peu pour qu'une seule récolte même soit possible sans
î arrosage artificiel (Pendjab, Sindh, une partie du Rad
I poutana) ou bien il pleut juste assez pour assurer cette-
unique récolte, à condition que la mousson soil normale.
Les chutes de pluie commencent-elles trop tard, ou
cessent-elles trop tôt, les averses donnent-elles quelques
I centimètres d'eau de moins qu'on ne l'attendait, voici la
récolte compromise ou même totalement perdue. Une
pareille déficience se produit-elle deux ou trois ans de
suite, c'est la famine et ses affreuses conséquences.
De là 1 importance primordiale de travaux d'irriga-
tion. Il s'agit de se procurer d'une façon ou d une autre
les réserves d'eau capables de suppléer au manque com-
plet des pluies ou à leur pernicieuse irréguleuité. Trois
système sont usités : canaux dérivés des rivières, puits,
réservoirs naturels ou artificiels appelés tanks ' . Leur
emploi simultané remonte aux plus anciennes périodes
de l'histoire de l'Inde, mais leur développement systéma-
tique et leur multiplication sont l'œuvre propre du Gou-
vernement anglais.
On compte aujourd'hui 22 000 000 d'hectares de terres
irriguées (ce qui équivaut aux quatre cinquièmes de la
surface totale de la Grande-Bretagne) ; 39 pour 100 le
sor.t au moyen de canaux de dérivation branchés sur le
Gcinge, l'Indus et leurs affluents, ainsi qu'aux points
où le Cavery, la Krichna, le Godavery et le Mahanaddy
débouchent sur leurs deltas. On peut se faire une idée de
leur importsmce en songeant qu'à eux seuls les deux
réseaux du Pendjab atteignent 14500 kilomètres de
longueur et desservent 2500000 hecares, soit 37 pour
100 delà surface mise en culture dans cette province.
Dans le Sindh, 88 pour 100 des terres se travaillent
grâce à l'irrigation. Dans la région du Gange moyen et
de la Djoumna, 2000000 d'hectares, qui souffrirent
autrefois d'épouvantables famines, se trouvent désormais
à l'abri du fléau.
Les puits, souvent très profonds, atteignent les nappes
aquifères cachées sous les sédiments perméables de la
superficie. On les utilise pour irriguer près de 8 000000
d'hectares, soit dans la vallée moyenne du Gange, soit
sur les plateaux du Décan.
Enfin, les ' ' tanks " (5 000 000 d'hectares) ne sont
guère employés que sur les plateaux de la Péninsule.
Le Gouvernement de i'Inde ne cesse d'augmenter les travaux de
ce genre, qui, du reste, sont non seulement indispensables comme
mesure de protection contre la famine, mais encore donnent au Trésor
d'appréciables pro&ts par les droits d'usage ou la vente des terres
irriguées. Un vaste programme élaboré en 1914, qui prévoyait une
dépense totale de 800 003 030 de francs, est en voie de réalisation.
II comporte notamment l'extension des terres irriguées du Pendjab
et du Sindh où l'on fixe peu à peu des familles de paysans venues
des régions surpeuplées, et la création de puissants barrages sur le
haut Caverj' et la haute Krichna.
LES PRINCIPALES RÉCOLTES. 00 Les
cultures alimentaires tiennent naturellement la -première
place.
Le riz d'abord ne couvre pas moins de 30 700 000 hec-
tares. On ne le cultive pas partout, mais là où il réussit.
il est à peu près la seule céréale récoltée. Son domaine
préféré est le Bengale, la Birmanie, les deltas de la
côte orientale. La récolte moyenne dépasse 30 000 000
de tonnes.
Le blé(12000000d'hectares.l0000000de tonnes),
presque inconnu dans le Sud et les deltas trop humides,
réussit à merveille dans certaines régions des Provinces
Centrales et de la Terre-Noire, mais surtout dans les
Doabs " (zones comprises entre deux rivières) irri-
guées du Pendjab et des Provinces Unies.
Le millet (16000 000 d'hectares) est la principale
nourriture des gens du peuple trop pauvres pour ache-
ter du riz, denrée relativement chère. On le cultive un
peu peurlout ainsi que l'orge et le maïs.
Les graines et les plantes oléagineuses : graines de
lin, sésame, moutarde, arachides, ricm, etc., sont aussi
très répandues (6000000 d'hectares). Les indigènes
font une énorme consommation d'huile et l'exporlation
de ces graines se classe par ordre d'importance aussitôt
après celle du riz.
Les légumes : pois chiches, lentilles, haricots, etc..
complètent le maigre menu de l'Hindou, strictement
végétarien.
La canne à sucre (I 120000 hectares) est lociliséc
à peu près exclusivement dans les Provinces Unies
d'Agra et d'Aoudh, puis dans le Bengale et le Pendjab.
On estime que la production de l'Inde représente à
elle seule le tiers de la récolte mondiale ; mais la canne
430
LINDE ANGLAISE
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CARTE ÉCONOMIQUE
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est traitée d'une façon très primitive et la deminde de
sucre est si grande qu'il faut en importer de grosses
quantités (surtout de Java).
L'itfbre à thé croît à l'état sauvage dans les forêts de
l'Assam. Sa culture (266000 hectares) a fait de consi-
dérables progrès soit en Assam, soit dans les collines et
les vallées subhimalayennes. Elle se développe aussi
dans les Ghâtes méridionales.
Les plantations de café, d'indigo, d'épices, qui firent
autrefois la fortune de la Compagnie des Indes, n'ont
plus qu'une assez petite valeur. On les trouve dans tout
le Sud et le Sud-Ouest (Mysore. Travancore, Niighi- '
ri). Le pavot à opium a considérablement perdu lui
aussi de son importance ancienne, depuis que la Chine,
unique client de l'Inde, interdit l'importation de la
funeste drogue. Il est appelé à disparaître à peu près
complètement.
Par contre, deux plantes textiles, le coton et le jute,
jouent un rôle de plus en plus grand dans la vie écono-
mique de l'Inde.
Le cotonnier (5 000 000 d'hectares en 1 900, 9600000
en 1919) trouve un terrain de choix dans le
régur , ces basaltes et ces trapps décomposés qui
couvrent de leurs noires étendues tout le Nord-Ouest de
431
L'ASIE
la Péninsule : Bérar, province de Bombay, Goudjerate,
presqu'île de Kathiavar, plateau de Malva. 11 se substitue
peu à peu aux champs de pavots. Le jute, à peu près
inconnu il y a soixante ans, se cultive sur 1300000 hec-
tares dans la province du Bengale. Nous verrons plus
loin la place que tiennent coton et jute dans l'mdustrie
et le commerce du pays.
il faut ajouter à cette énumëration le tabac cultivé
surtout dans le Bengale du Nord, la Birmanie, la province
de Madras ; le mûrier dans l'Assam et le Bengale, le
cocotier abondant sur tout le littoral, l'aréquier dont la
noix, entourée de feuilles de bétel et trempée de chaux
vive, est mastiquée par des millions d'indigènes ; un grjmd
nombre de légumes et de racines, appoint apprécié
quand la récolte est déficitaire, et tous les fruits des tro-
piques, notamment les bananes, les mangues et les
oranges.
L'élevage est loin de présenter l'importance quil
pourrait avoir. La majeure partie des Hindous et beau-
coup de musulmans s'abstiennent strictement de viande,
ils n'utilisent les bêtes à cornes, buffles, bœufs, vaches
que comme animaux de trait ou bien pour leur lait et
leur beurre dont on fait grand usage. De plus, on n'ap-
porte aucun soin à la reproduction, à l'entretien, à la
nourriture du bétail qui est généralement maigre, chétif,
souffreteux.
Si l'on ne tient compte cependant que du nombre de
tèles, l'Inde se classe, avec 118 000 000 de bœufs et
28500000 bufHes (en 1920), de beaucoup au premier
rang de tous les pays du monde.
On dénombrait enfin, en 1920, 22 000000 de mou-
tons, 24 000 000 de chèvres, 1700000 chevaux et
poneys, autant d'ânes ou mulets, et 445000 chameaux
(régions sèches du Nord-Ouest).
L'Industrie
L industrie indigène, de date fort ancienne, est exercée
par les artisans qui ont leur place à la base des castes
hindoues. Elle va du travailleur isolé et du métier
familial jusqu'à la manufacture où la production à la
main se fait en grand sous la direction de patrons appar-
tenant aux castes marchandes. Elle comprend d'abord
la fabrication des objets d usage courant indispensables
à l'indigène : étoffes de coton, de laine, de soie, brace-
lets, colliers, bijoux grossiers, poteries communes, outils,
instruments, ustensiles en bois, en cuivre, en fer, nattes,
tapis, corbeilles, moulins pour l'huile, le blé, le riz, etc.
Disséminée dans l'Inde entière, cette forme d industrie
occupe les neuf dixièmes des 35 000000 d'individus
classés par les statistiques sous la rubrique : ' ouvriers
industriels.
Les industries d'art se groupent, au contraire, géné-
ralement dans les villes qui ont chacune leur spécialité.
Leurs produits eurent autrefois une célébrité justifiée :
cuivres ciselés de Bénarès, broderies d or et d'argent
sur soie à Delhi, Agra, Patna; soie sur mousseline à
Dacca, or sur velours à Aurengabad, poteries de
Bikanir, sculptures sur bois du Kachmir et d'Ahmédabad,
incrustations de nacre et d'ivoire à Bombay, cotonnades
fines (calicots tirant leur nom de la ville de Calicut,
indiennes, madras), châles du Kachmir et d'Amritsar,
bijouterie en filigrane des capitales mongoles, etc.
Toulescesvieilles industries sont en pleine décadence. Les ouvriers,
souvent 1res habiles, n'ont aucune initiative, peu d'imagination; ils
reproduisent éternellement le même modèle suivant des traditions
héréditaires que nul ne songe à modifier. De plus, les artisans,
même les plus ingénieux, sont tenus en mépris par les castes supé-
rieures. On ce trouve au-dessous d'eux que les gens sans caste qui
font les métiers les plus discrédités : coolies, portefaix, domestiques
des Européens. Enfin, les .Anglais n'aiment pas l'ait indigène et ne
font rien pour l'encourager. Ils se logent, se meublent à l'anglaise,
n'admettant dans leurs " bungalows " que des objets anglais. A
leur exemple, les Indiens riches, les rajahs et les notables, com-
mencent à se fournir en Europe et privent ainsi les industries d'art
de leur meilleure clientèle. Si certains industriels mettent à pro6t
l'extrême bon marché de la main-d'œuvre indigène, sa docilité et
son habileté manuelle, c'est presque uniquement pour lui faire repro-
duire des modèles européens : services de table, broderies, bijoux,
lapis, tombes gothiques et autels romans!
Mais une nouvelle forme d'industrie a fait son appa-
rition et se développe vite : c'est l'usine à vapeur outillée
et organisée à l'européenne. Elle ne pouvait pas ne
pas naître dans un pays où la main-d'œuvre surabonde,
où le travailleur manuel se contente de salaires infimes,
où la matière première se trouve sur place en énorme
quantité, où la houille même ne manque pas, puisque
les mines du Bengale occidental, du Pendjab, des Pro-
vinces Centrales et de l'Assam ont donné, en 1918,
20000000 de tonnes de charbon. Usines et fabriques
s'élèvent peu à peu dans les grands centres; les hautes
cheminées s'éngent à côté de pagodes vénérables, et leurs
fumées deviennent incommodes au point que Calcutta
dut édicter à leur sujet un règlement spécial ; " The
Smoke Nuisance Act. "
Les filatures et le» tissages de coton et de jute
tiennent de beaucoup le premier rang.
Bombay, débouché des régions de régur ou " terre
à coton ", compte à elle seule 83 usines où l'on traite le
coton ; la Présidence de Bombay en a 162, c'est-à-dire
75 pour lOOde l'Inde entière. Le reste se trouve à
Madras, à Delhi et au Bengale. Les 235 usines qui
marchaient en 1919 employaient 267 000 ouvriers.
432
LINDE ANGLAISE
Le tissage du jute est la spécialité du Bengale. Soi-
xante-seize usines (surtout à Calcutta) employaient
275 000 ouvriers fabriquant des toiles solides pour sacs
et étoffes d'ameublement. Papeteries, décortiqueries.
moulins à farine, distilleries, indigotenes, brasseries, raffi-
neries de sucre et de pétrole, fabriques de glaces, fila-
tures et tissages de laine (Pendjab), de soie (Bengale),
font peu à peu leur apparition.
Le minerai 5e fer, très abondant et d'excellente qua-
lité, permit autrefois aux forgerons et armuriers Hindous
de fabriquer des aciers égaux en valeur aux plus beaux
produits de l'industrie moderne. Longtemps négligée, à
dessein sans doute, par les Anglais, peu soucieux de
créer une concurrence dangereuse aux produits de la
métropole, cette industrie renaît, notamment à Bombay.
Elle est favorisée par la présence du manganèse dont
on a extrait , en 1 9 1 8, 5 1 8 000 tonnes valant i: I 500 000.
Pendant la guerre, une partie des munitions consommées
en Mésopotamie et en Palestine étaient de provenance
hindoue, et le Japon, l'Australie même font appel déjà
aux aciers de l'Inde.
Enfin, les sables ou quartz aurifères du Mysore
donnent annuellement pour 55 000000 à 60 000 000 de
francs du précieux métal ; le pétrole de Birmanie et de
l'Assam, en progression rapide, a passé de 330 000 tonnes
en 1903 à I 100000 en 1918 valant ^ 1000000.
La Birmanie fournit un peu de cuivre, du plomb, de
l'étain, du zinc. Les carrières de mica emploient
1 6 000 personnes dans le Bihar et la province de Madras.
Quant aux pierres précieuses : rubis, saphirs, grenats.
émeraudes, diamants, autrefois si célèbres, elles n'ont
plus qu'une très minime importance dans le total de lu
production indienne.
Certes, l'Inde demeure encore Iribuuiic de l'étranger pour l.i
majeure partie des objets fabriqués dont elle a besoin (voir plu?
loin le tableau des importations). Mais, comme tant d'autres pays
neufs, elle cherche à se soustraire à une telle servitude. Déjà ses
filatures de jute ont permis de vendre en 1920 des toiles et des sacs
pour une valeur de 500 000 000 de roupies (la roupie vaut au
pair, 2 (r. 40), rude concurrence pour les usines similaires d'Abcr-
deen et de Dundee. Les tissages de coton, soit à main, soit à vapeur
absorbent la moitié de la matière première locale. L'Inde achète
encore, il est vrai, pour 590 000000 de roupies de cotonnades
étrangères, mais elle vend pour 274000000 de (îles et il n'est
pas impossible que la multiplication des usines et du personnel
technique indigène ne lui permette un jour de réduire dans de '
considérables proportions le lourd tribut paye aux manufacturiers
anglais. Elle pourra de la même façon diminuer ou supprimer ses
achats de sucre raffiné, de lainages, de soieries, de savons, de fers
et d'aciers, etc. Les riches indigènes, les souverains hindous ou
musulmans, longtemps réfractaires aux innovations étrangères, s'in-
téressent aux entreprises industrielles. Ils favorisent leur création cl
consacrent à leur mise en Irain une partie des capitaux énormes qui
dormaient dansleurs coffres. Les Parsis détiennent aujourd'hui la plus
grande partie des usines et le commerce du coton dans la Prési-
dence de Bombay. Dansle Pendjab, dans les provinces du Nord-
Ouest, des " banyas " (caste de commerçants) montent des moulins
à vapeur, des raffineries de sucre, prennent de grosses parts dans
les nouvelles manufactures de Delhi et de Lahore. C'est l'aurore
d'une transformation économique qui fera passer l'Inde du stade
purement agricole au stade industriel, et cette transformation n'est
pas sans inquiéter sérieusement les " lords du coton " et autres
industriels de Grande-Bretagne menacés de voir se fermer, dans un
délai plus ou moins bref, le marché assuré qu'ils avaient dans
l'Inde.
Le Commerce et les Voies de communication.
L'Inde ne compte pas moins de 55000 kilomètres
de chemins de fer. C'est le réseau le plus étendu et
relativement le plus dense du monde après celui des
Etats-Unis et des pays européens.
Il est à peu près achevé dans ses grandes lignes et
dessert toutes les villes principales. Il ne reste qu à mul-
tiplier les voies secondaires et à raccorder le système
indien avec les réseaux étrangers : ligne Calcutta-
Rangoun-Singapour ; ligne de Bhamo (Birmanie) au
Yunnan chinois ; ligne Pechawer- Kaboul- Furkestan
russe ; ligne Chikarpour-Kandahar-Téhéran ; ligne Ka-
ratchi-Bagdad par le Sud de la Perse.
I 000 000 de kilomètres de routes empierrées, 250000
kilomètres de routes ' surveillées ", sans compter la
multitude des pistes poussiéreuses accessibles aux chariots
indigènes, s'ajoutent aux voies ferrées. La navigation à
vapeur utilise l'Iraouaddy sur I 300 kilomètres et le
Brahmapoutra sur 800. Enfin, le Gange, l'Indus, leurs
affluents, les canaux qui en dérivent portent une nom-
breuse flottille de barques et de radeaux. Plus enco.'e
qu'en toute autre région, le problème des voies
de communication est une question vitale pour l'Inde.
Le moyen le plus efficace de pallier, dans la mesure du
possible, auxravagesde famines toujours localisées, n'est-
il pas en effet de multiplier et d'accélérer les relations
entre les diverses régions ? Ainsi les plus favorisées
viennent en aide à celles qui souffrent, et l'on a pu déjà,
à maintes reprises, préserver de la misère, de la faim,
de la mort, des millions d'individus.
Au commerce intérieur, si multiple qu'il est impossible
d'en apprécier l'exacte valeur, se juxtapose le commerce
extérieur.
Il atteignait, en 1 903, 2 2 1 0 000 000 de roupies (la rou-
pie vaut, au pair, 2 fr. 40) ; en 1907, 3618000000: en
1913-14,4907000000 (soit 1 1 776 000 000 de francs),
classant ainsi l'Inde aptes l'Angleterre, les Etats-Ui.is
l'Allemagne, la France et la Hollande, au sixième rarg
des nations commerçantes du mjnde. Pendant la Guerre,
ce p'ogrè; s'est encore acccn'.ué. et, de juin 1919 à juin
1 920, r Inde acheta pour 2 079 000000 de roupies, vendit
433
J
L'ASIE -
TABLEAU DU COMMERCE DE L'INDE
PRINCIPAUX CLIENTS DE L'INDE
Principales marclian<Jis€S
Annie 1913-1914. Aimée 1919-1920
Valeur en roupies.
(1 roupie = 2 fr. 40, au p?ir).
662 000 000 591 000 000
261 000 000 270 000 000
149 000 000 1 229 000 000
100 000 000 ' 45 000 000 r
77 000 000 90 000 000
44 000 000 1 94 000 000
43 000 000 77 000 000
38 000 000 16 000 000
h
Matériel de chemins de fer
1 .
etc.
Total . .
£
Coton brut
Cotonnades et &lés de coton
1 832 000 000 roup.
(4 492 000 000 (r.)
xportaiiom
410 000 000
1 200 000
308 000 000
283 000 000
266 000 000
256 000 000
159 000 000
149 000 000
143 000 000
34 000 000
25 POO 000
20 000 000
15 000 000
11 000 000
9000 000
2 079 000 OOO
586 000 000
274 000 000
246 000 000
500 000 000
104 000 000
262 000 000
359 000 000
206 000 000
17 000 000
19 000 000
49 000 000
73 OOO 000
17 000 000
15 OOO 000
16 000 000
Jute manufacturé
Riz
Thé
Blé et farine
Caté .•
Bois
Épices . .
etc.
Total
2 442 000 000 roup.
(5 875 000 000 fr.)
3 090 000 000
pour 3090000000— au total 5 169000000 de roupies
qui, au cours moyen du change cette année-là, valaient
beaucoup plus de 20000000000 de francs.
Nota. C)0 II importe de remarquer :
1" Que les exportations continuent d'être très supérieures aux
importations ;
Année 1913-1914.
roupies.
Année 1919-1920
roupies.
Importations venant de
Grande-Bretagne
Allemagne
1 175 000 000
126 000 000
107 000 000
48 000 000
47 000 000
43 000 000
42 000 OOO
27 000 000
26 000 000
1 949 000 000
432 000
215 000 000
252 000 000
191 000 000
1 200 000
7000 000
18 000 000
65 000 000
992 000 000
13 000 000
462 000 000
486 000 000
157 000 000
195 000 000
3000 000
77 000 000
86 000 000
34 000 000
Etats-Unis
Japon
Belgique
France
1 Chine...
etc.
Elxportations allant à
Grande-Bretagne
Allemaime
.lapon ^
Etats-Unis^ ,
573 000 000
263 000 000
226 000 000
217 000 000
France
Chine
177 000 000
133 000 000
99 000 000
78 000 000
47 000 000
41 000 000
Italie
Australie
etc.
2" Que les achats de 1 Inde, entre 1913 et 1920, ont augmenté
proportionnellement beaucoup moins que les ventes;
3° Que la vente des cotonnades et filés de coton sortis des manu-
factures indiennes a passé du chiffre insignifiant de I 200000 rou-
pies, au chiffre considérable de 274 000 000 de roupies. Dans le
même temps, la valeur des objets en jute manufacturé a presque
doublé. Par contre, les exportations de coton brut n'ont augmenté que
d'un cinquième; celle de jute brut ont diminué de près d'un tiers.
Tout cela confirme pleinement ce que nous disons plus haut sur
le progrès de la grande industrie indienne;
4° Parmi les clients de l'Inde, l'Angleterre tient toujours le
premier rang. Cependant, si ses ventes dans l'Inde ont presque
doublé entre 1913 et 1920, ses achats ont légèrement diminué.
Par contre, les Etats-Unis, le Japon ont sextuplé ou quintuplé le
chiffre de leurs exportations, et doublé le chiffre de leurs achats.
Java, la Chine, l'Amérique du Sud même ont fait de grands pro-
grès. Ainsi l'Inde parait de plus en plus attirée dans l'orbite des
puissances extrêmes-orientales et voisines du Pacifique, autre con-
firmation de ces déplacements de courants économiques que nous
indiquâmes déjà comme l'un des résultats les plus frappants de la
Grande Guerre.
CONCLUSION
La domination anglaise fut pour l'Inde un incontestable
bienfcut. A défaut d'unité morale, les Britanniques ont
donné aux peuples de leur Empire l'unité politique que
ces peuples n'avaient jamais eue. Ils ont multiplié les tra-
vaux utiles (canaux d'irrigation, voies ferrées, routes) , paré ,
dans la mesure du possible, aux ravages des famines et des
maladies épidémiques, créé toute une série de services
spéciaux destinés à améliorer le rendement des terres, à
fertiliser les sols en friche, à perfectionner les procédés
de culture. Les plantations de thé et de café sont exclu-
sivement leur oeuvre ; il en est de même de la grande
industrie et des exploitations minières. Certes, ce faisant
ils songent d'abord et surtout à leur intérêt propre, ce
qui est fort naturel. L'Inde est à la fois 1 un des principaux
fournisseurs et l'un des meilleurs clients de la Grande-Bre-
tagne. Les capitaux anglais engagés dans les entreprises in-
diennes ne rapportent pas seulement aux actionnaires des
dividendes élevés, mais font retour à la métropole sous
forme d'achats de produits fabriqués. La prospérité de
l'Inde apparaît donc comme l'un des facteurs essentie's de
la prospérité même de l'Angleterre. Mais, en travaillant
pour eux, ils ont aussi travaillé pour le mieux-être de
leurs sujets.
Par la création de nombreuses écoles et d'universités
434
L'INDE ANGLAISE
LE TADJ-MAHAL al le plus cétilte et U plus parfait des monumcnis conslTuils nuées et des palais persans, par >fj hauts portails en otive, encadres dans un rectangle
dans rinde. au temps des Grands Mogols. Cesl un tombeau que Chah Diehan fit d'arabesques, sa coupole ouvragée, ses minarets élégants, a galeries et clochetons,
élever poursa femme aux portes de la ville d'Agra. Il na rien qui puisse rappeler les Entièrement eonslruil de grès rose cl de marbre blanc, le lad, MM resplendit d au-
concepliom architecturales propres à l'art hindou, mas il évoque le souvenir des mos- tant plus «u .7 contraste avec le somirt lemllttttda étires. CI. L.. LOUBTELLEMONT.
435
L'ASIE
•^i*fc.
LES RUINES D'.AMARAPOURA. Nombreuses furent les capilales successives
t]ue les Birmans créèrent ou abandonnèrent tour à tour suivant les caprices de leurs
rois. Ainsi, au grand coude que décrit l'Iraouaddy près de son confluent avec le Kyen-
douen. ^'élevèrent quatre ci/e* ; Ava, Sagaïn, Amarapoura et Mandalay. Les trois
premières ne sont plus que ruines. Les maisons ont disparu. Seuls subsistent les restes
fort nombreux des temples et édicules religieux. La population se concentre aujour-
d'hui à Mandalay, fondée en 1857. lorsque Amarapoura fut abandonnée après
soixante-quinze ans d'existence.
LE JARDIN DE PERADENYA A KANDY. Ce jardin botanique n'est pas
seulement célèbre par la splendeur de sa végétation et de ses paysages, mais aussi
par les recherches extrêmement utiles que l'on y poursuit sur les plantes cultivées
en Pays tropicaux : thé, café, caoutchouc, canne à sucre, e/c.C!.CHUSSEAU-FLAVIENS.
SRINAGAR est la charmante capitale de l'Etat de Kachmir, merveilleuse casis
de montagne, nichée au cœur de l'Himalaya. Elle a grandi sur les deux rives du
Djilham que franchissent de curieux ponts de bois. Temples et palais y sont fort
nombreux et l'on y tisse toujours des châles précieux. Cl. Jadu Kissen.
•-'^CUEILLETTE DU THÉ. L'arbre à thé est peut-être originaire de la vallée
du Brchmapoutra. Il réussit à merveille sur les collines du bas Himalaya dans
i Assa.71 et à Ceylan. La récolte des feuilles qui se prolonge pendant plusieurs
SCTi^i.Tci ezige une main-d'œuvre abondante et peu coûteuse.
PREPARATION DES ARBRES A CAOUTCHOUC. Us Angla-s ont mul-
tiplié, surtout à Ceylan. les arbres à caoutchouc. Aussi le caoutchouc de planta-
tion fait -il aujourd'hui une concurrence insoutenable au caoutchouc de cueillette
récolté dans les forêts soudanaises ou américaines CI. Chussuu-FlaviENS.
^36
L'INDE ANGLAISE
ils se sont même efforcés de les instruire ; ils envoient
les plus intelligents d'entre eux s'initier, en Angleterre,
à la ci\ilisation européenne ; surtout ils prêchent
d'exemple, et les hautes qualités de leurs représen-
tants peuvent servir de modèle aux ' natifs ". La
mentalité hindoue est encore évidemment bien trop
éloignée de la nôtre pour qu on puisse seulement entre-
voir sa complète transformation. On ne compte pas plus
de I 500000 indigènes sachant l'anglais peu ou prou,
et ceux-là même qui ont reçu une instruction complète,
qui deviennent de bons fonctionnaires, des ingénieurs
habiles, des médecins, des officiers de vjileur, ne
"dépouillent point le vieil homme ". lis demeurent, dans
l'intérieur de leur conscience, dans les multiples pratiques
de la vie quotidienne, passionnément, instinctivement
attachés aux conceptions ancestreJes. Cependant , une lente
évolution apparaît çà et là. Bien que les Anglais n'aient
point touché à l'organisation des castes, les relations entre
Hindous et Anglais, de même que les relations entre indi-
vidus de castes différentes sont devenues forcément
plus fréquentes par suite de la collaboration des indi-
gènes aux services publics, du développement des voies
de communication et du commerce. ' La ngueur des
anciennes prescriptions s'est relâchée, du moins pour
ceux qui veulent s'enrichir ou avancer dans l'adminis-
tration; un brahmane négociant ou fonctionnaire ne
peut pas maintenir dans les endroits publics la distance
que l'ancienne règle exige entre sa personne et celle d'un
artisan. "
La réforme présente du Gouvernement de l'Inde dont
nous parlons plus haut ne peut que précipiter cette
évolution. C'est l'aube d'une période nouvelle où l'Inde
cessera d'être un champ d'exploitation par et pour les
Européens, apprendra peu à peu à diriger elle-même
ses propres affaires, et, tout en gardant sa précieuse
origineJité, " parviendra à prendre sa place de nation
libre dans le CommonweîJth britannique ' . Il n y aura
plus tutelle étroite et méprisante exercée par les blancs
sur les gens de couleur, mais fructueuse collaboration
entre deux associés également intéressés à la bonne
marche des services publics. Les meilleurs des Hindous
européanisés ne demandent pas autre chose.
POSSESSIONS FRANÇAISES
Depuis le traité de Paris de 1763, confirmé par les Chandernagor 28 000 habliani..
., j ,,■ I r . n j Mahé 10000 —
traites de Vienne, la rrance conserve dans 1 Inde cinq ^ c nnn
' 1- !• 1 I r c ■ lanaon 3 UUU —
villes oîi il lui est interdit délever des fortifications et
d'entretenir une force armée : Chandernagor près de ^es prmcipales cultures sont : le riz, l'arachide et le
Calcutta, Yanaon dans le delta de la Godavery, Mahe ^^^^^j^^ (^^^^ ^^^^^^ ^^ ^^^^^ employant à Pon-
sur la côte de Malabar, Karikal et Pondichéry sur la ^^^^^^^ ^ ^^ ^^^^.^^^ fabriquent des étoffes qui s'ex-
côte du Coromandel. Ces deux dernières comprennent, ^^^^^^^ ^^^ ,^ ^^^^ orientale d'Afrique. Chandernagor a
outre les villes principales, un territoire fragmenté de telle filature de iute
sorte que de nombreuses enclaves britanniques sont
découpées dans les districts français. Au total : 50800 £„ 1 9] 9_ nos possessions achetèrent pour 22 000000
hectares peuplés de 280 000 habitants ainsi répartis : jç francs de marchandises diverses et vendirent pour
Terri,oiredePond.chéryl74000habi.an.,doni47000auchef.l.ea. 27 000000 d'arachides et autres graines oléagineuses.
— de Karikal... 60000 — 20000 — de coprah, de cotonnades, etc.
POSSESSIONS PORTUGAISES
Plus étendue (416 kilomètres) et plus peuplée
(528000 habitants) que les possessions françaises,
l'Inde Portugaise comprend le territoire de Goa sur la
côte de Kankan, les enclaves de Damao au Nord de
Bombay et de Diu au Sud de la presqu'île de Kathia-
var. La valeur totale des produits importés ou exportés
(presque uniquement en transit) ne dépassait pas, en
1919, 30000000 de francs dont 7000000 aux expor-
tations (noix de coco, poisson, épices, sel) et 23 000000
aux impKjrtations.
CEYLAN
Au Sud-Est de l'Inde, et séparée de la Péninsule par depuis 1798, une colonie de la Couronne qui ne
un détroit semé d'îles, si peu profond que les grands dépend pas de 1* " India Office", mais est rattachée
navires ne peuvent y passer, l'Ile de Ceylan constitue, directement au ministère des Colonies.
437
43
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
L'ASIE
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
De forme ovoïde et régulière, Ceylan setend sur
65 000 kilomètres carrés (deux fois la Bretagne). Au Nord
s'étalent des plaines formées d'alluvions argileuses, de
sables, de débris coralliens. Au Sud se dresse un massif
de roches cristallines, granits, gneiss, mêlés de basjjtes
dont les points culminants atteignent 2 524 mètres au
Pédrotallagalla, et 2 208 mètres au Pic d'Adam. La
décomposition superficielle des roches cristallines donne
naissance, ici comme sur les plateaux du Décan, à une
argile rouge, la ' latérite ", dont la couleur contraste
vivement avec l'intense verdure des grands arbres.
Le climat, analogue à celui de l'Inde du Sud, est de
type équatorial très net, remarquable par l'égalité d'une
température qui varie à peine, au cours de l'année, d'un
peu plus de 2 degrés (Colombo : 25", 5 en décembre ;
27°, 8 en mai). Les pluies, réparties par les moussons
du Sud-Ouest et du Nord- Est, sont particulièrement
copieuses sur le revers occidental des montagnes, où
l'on note parfois plus de 6 mètres d'eau annuellement.
Par contre, les plaines du Nord, qu'abrite le Cap Como-
rin, n en reçoivent guère plus d'un mètre. De là une
différence sensible dans la nature et la répartition des
zones végétales. Les régions très arrosées de l'Ouest
sont le domaine de la forêt vierge dont les essences
varient avec l'altitude, mais qui drape les pentes des monts
jusqu'à leurs sommets. Les zones plus sèches n'ont guère
que des jungles, des forêts ouvertes ", une brousse
épaisse de bambous, de hautes herbes dures, de buissons
épineux.
Pénible et anémiant — sinon malsain — sur les côtes
trop constamment chaudes, le climat de Ceylan est
salubre et charmant dans les hauts lieux où la tempé-
rature s'abaisse très vite (Newera Elya, à 1 902 mètres
d'altitude, n'a que 1 3°, 5 en janvier et 1 5°, 5 en mai)
et où les Européens trouvent aisément dans le plus
beau cadre du monde les sanatoria indispensables.
GEOGRAPHIE HUMAINE
'■' La position géographique de Ceylan lui valut une
population très mélangée. Les aborigènes paraissent être
représentés par quelques milliers de Veddahs, tribus sau-
vages et inofîensives de petits êtres au teint foncé, au
nez épate, au buste court qui vivent dans les districts
forestiers du Nord-Est. Puis vinrent, au VI* siècle avant
l'ère chrétienne, des Cinghalais, peut-être de souche
aryenne (?), qui s'unirent aux Veddahs et peuplèrent
l'ile entière.
ils apportèrent dans l'île, avec le bouddhisme, la cul-
ture du riz et du cocotier, la pratique de l'irrigation, et
les ruines de leurs capitales anciennes (Anouradhapoura,
Palounarouwa, etc.), aujourd'hui enfouies sous la jungle,
témoignent du haut degré de leur civilisation.
A partir du viii" siècle se produisirent une série
d invasions Tamoules parties de la côte de Malabar.
Ces nouveaux venus, brahmanistes, refoulèrent peu à
peu les Cinghalcus, détruisirent leurs temples et s'instal-
lèrent dans les plaines du Nord, tandis que les Cingha-
lais se concentraient dans les massifs méridionaux où ils
sont encore.
Les Arabes apparurent sur les côtes de l'Ouest vers
le Vlll» ou le IX* siècle, et le port de Galle, au Sud de
Colombo, devint le principal entrepôt des marchandises
quils achetaient aux Malais, puis transportaient en
Méditerranée. Au XV1= siècle, les Portugais placèrent
l'ile sous leur domination, les Hollandais les rempla-
cèrent au XVII^ siècle, et les Anglais en demeurèrent
438 ■■
seuls maîtres à partir du traité d'Amiens (1802)
En 1919, la population totale atteignait 4 800 000 ha-
bitants se décomposant ainsi :
Cinghalais 2 990 000
Tamouls 1 424 000 (dont 500 000 coolies tempo-
Maures 276 000 raires sur les plantations)
Eurasiens 29 000
Malais 14 000
Veddahs 5 300
Européens 7 300
Il est presque impossible à Ceylan, comme dans
l'Inde, de décrire les traits caractéristiques des races,
tant est grande la variété des types engendrés par de
longs métissages. Les Cinghalais sont en général de
taille moyenne, minces, élancés, de formes élégantes et
de belle allure. Leur peau est plus claire et plus jau-
nâtre que celle des Tamouls dravidiens. Hommes et
femmes ont souvent une grâce alanguie, de beaux traits
réguliers, de grands yeux noirs caressants, et certains
chefs Kandyens peuvent compter parmi les plus parfaits
exemplaires de l'humanité. Contrairement à la masse
des Indiens, les Cinghalais sont demeurés fidèles au
bouddhisme.
Les Tamouls se partagent à peu près également en
deux catégories : Tamouls insulaires, nés dans 1 île de
familles fixées au sol depuis de longues générations, et
Tamouls continentaux originaires de la province de
L'INDE ANGLAISE
Madras, qui viennent passer quelques années sur les
plantations de Ceylan, puis retournent chez eux avec un
petit pécule. Ils sont de religion hindoue (brahmanistes),
bons agriculteurs, plus robustes et plus dociles que les
Cinghalais. Sans eux, la mise en valeur de Ceylan serait
impossible.
Les Maures proviennent de croisements rëpéte's
entre négociants Arabes et femmes Tamoules ou Cingha-
laises. Ils ont adopté les dialectes locaux et ne se dis-
tinguent plus guère des autres indigènes que par la pra-
tique fort altérée de l'Islam, la réclusion des femmes,
leurs aptitudes spéciales pour le négoce et l'usure.
Les Eurasiens (ou Burghers, c'est-à-dire bourgeois).
métis de Hollandais ou de Portugais et de femmes indi-
gènes, ont une influence beaucoup plus considérable que
leur petit nombre ne semblerait 1 indiquer. Ils remplissent
la plupart des fonctions administratives réservées aux
gens de couleur, sont hommes de loi, médecins, four-
nissent la majeure partie des employés de bureaux.
Enfin, les Européens, Anglais presque exclusivement,
occupent naturellement tous les postes supérieurs du
Gouvernement ; mais, de plus, ils dirigent les grandes
entreprises commerciales, industrielles et surtout agri-
coles. C'est à l'intelligence et à l'initiative des planteurs
britanniques que Ceylan doit sa très remarquable pros-
périté.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
Ceylan vit à peu près exclusivement des produits de
l'agriculture. Les mines, sauf celles de graphite, n'ont
encore aucune importance. Les pierres précieuses
(saphirs, grenats, opales), les perles, tiennent fort peu
de place dans le total des exportations.
Grâce à la variété de ses zones climatiques, à la fer-
tilité de son sol et à la facilité de la main-d'œuvre, l'ile
se prête à toutes les cultures des régions tropicales. On
lui demanda d abord de la cannelle et des épices. Puis
les plômtations de café tinrent la première place
jusqu'au jour où les ravages causés par Vhemileia vasta-
trix et la baisse de prix consécutive au développement
des caféteraies brésiliennes obligèrent les colons à arra-
cher leurs caféiers pour leur substituer des arbres à quin-
quina. La surproduction des cinchonas " dans les
Indes Néerlandaises ayant considérablement déprécié
leur valeur, ces arbres disparurent à leur tour et l'arbre
à thé prit leur place. C'est encore aujourd'hui le pro-
duit le plus important, et l'on sait la faveur dont jouit
le thé de Ceylan dans le monde britannique. Mais,
pour éviter les dangers de la monoculture, les planteurs
s'adonnent à d'autres cultures aussi rémunératrices. Le
caoutchouc d'abord, introduit dans l'île récemment, a
fait de tels progrès que Ceylan se classe, avec les Etats
Malais, en tête des pays producteurs. Les plantations de
cocotiers couvrent une surface plus considérable que les
champs de thé. Le cacaoyer, la cannelle, le cardamome,
le tabac, l'aréquier se rangent ensuite par ordre d'im-
portance.
Les rizières, savamment irriguées, ne suffisent peis à
la consommation locale, et les importations de riz
tiennent le premier rang dans la colonne des achats.
Il reste encore de très vastes espaces en friche, notam-
ment dans les plaines plus sèches du Nord et du Centre
où, depuis l'invasion Tamoule, la jungle a repris la place
qu'occupaient autrefois les champs des Cinghalais, i^'ini-
tiative privée, bien secondée par le Gouvernement
britannique, par ses divers services (agriculture, foré:s,
irrigation), et les études poursuivies au Jardin botanique
de Peradenya, s'efforce de réduire le domaine de la
brousse qui recule à nouveau peu à peu devant les
rizières, les plantations de thé, d'heveas (arbre à
caoutchouc) et de cocotiers.
La valeur des transactions commerciales a suivi,
depuis l'ouverture du Canal de Suez, une marche
ascendante régulière qui s'est accélérée dans la dernière
décade d'avant-guerre. De £8400000 en 1871, elle
passa en 1901 à € 13000000, à .C 29000000 en 1913
à C 53000000 en 1919.
TABLEAU DU COM,MERCE DE CEYLAN
Prindp*l«s catégories
Année 1913.
liv. suil.
Année 1919.
!.. liai.
•
Riz
impoTlalionu
3 351 000
1 910 000
1 000 000
900 000
500 000
370 000
5 767 000
567 000
3 000 000
1 538 000
880 000
880 000
Mftchines, objeu en fer et
•der,app«f«îU électriques . ■
Qafbon
Caumado
' etc.
Toul
13 7ÛOO0O
dont 3 880 000 vmant
de Gnnde-Bretaffne
Exportalions.
5 852 000
4 452 000
2826 000
603 000
201 000
201 000
160 000
21 000 000
dont 2 947 OOO wiut
de GrBnde-Brelasne. '
10 130 000
11 484 000
7 502 000
150 000 1
IThé
Produitsda cocotier
Caao
271 000
266 000
321 000
C«nelU
Tottl
15 557 OOO
dont 7 000 000 i dej-
dnation d« k Gnnde'
BretuM
32 000 000
da>il3 447 0001<l»
doatiai de U Craad*-
BnociK.
1
439
L'ASIE
La presque totalité du trafic se fait par Colombo
(211000 habitants), quia pris la place de Galle ou
Pointe de Galle. Escale obligatoire des mers de l'Inde,
l'un des carrefours du monde, Colombo a été doté d'un
magnifique port artificiel, où jettent l'ancre des navires
appartenant à 32 Compagnies de navigation. Galle
compte encore 40000 habitants, mais n'est plus fré-
quenté que par des bateaux de cabotage. Il en est de
même de Trincomali sur la côte orientale, l'un des plus
beaux havres naturels qui existent en Extrême-Orient,
mais hors des grandes routes maritimes. Jaffna, à
l'extrême Nord, a 40000 habitants. Kandy (30000 ha-
bitants), sise à 5 1 7 mèlres d'altitude dans un merveilleux
paysage de forêts tropicales, est l'ancienne capitale des
princes Cinghalais. Newera Elya, à 1 902 mètres, le Simla
de Ceylan, sert de résidence d'été au Gouvernement.
CHAPITRE XXX
LES PAYS DE L'IRAN
PERSE
AFGHANISTAN — BELOUTCHISTAN
Le mot ' ' Iran" vient du mot perse ' ' Airyana" qui signifie
Pays des Aryens. Il s'est appliqué dès l'antiquité au vaste
plateau ceinturé de montagnes qui domine comme un gi-
gantesque bastion les dépressions effondrées à son pied :
bassin Aralo-Caspien, Mésopotamie, plaine de l'indus.
Il s'oppose au mot ' Touran" qui désigne les régions habi-
tées par les peuples mongoloïdes du Turkestan et de l'Asie
Centrale. Le Royaume de Perse occupe présentement la
majeure partie des terres iraniennes. Le reste se partage
entre 1 Afghanistan et le Béloutchistan. On estime leur
superficie à 2 500 000 kilomètres carrés, soit à peu près
cinq fois l'étendue de la France.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
LES MONTAGNES DU POURTOUR. /â/H
De quelque côté que l'on aborde l'Iran, il se présente
sous la forme de montagnes aux flancs raides étageant à
des altitudes de plus en plus grandes leurs chaînes paral-
lèles que séparent des vais ou ' tengs " profondément en-
caissés, r
Les montagnes, autant que l'on peut le supposer dans l'état
encore fragmentaire de nos connaissances (les plus beaux travaux
sont dus aux missions dirigées par un Français, M. de Morgan), se
plissèrent à la même époque que les Alpes. Elles forment la liai-
son naturelle entre le Caucase et le Taurus d'une part, de l'autre
les chaînes puissantes de l'Asie Centrale. Dans le temps même où
elles surgissaient, le sol s'affaissait à leur pied. Non seulement
les grands bassins d'effondrement qui les entourent, mais les dépres-
sions que l'on observe a l'intérieur même du plateau iranien n'ont
pas d'autre origine. Aussi n'est-il point surprenant que, sur le
rebord de ces zones de fracture, se soient fait jour, par les fissures
du sol, les roches ignées cachées sous la mince pellicule de l'écorce
terrestre. Les volcans de l' Azerbaïdjan, de l'Elbourz, du Mekran,
les nappes de basaltes, de laves, de trapps que l'on observe en tant
de régions, démontrent ce caractère de moindre résistance du sol
iranien. Des tremblements de terre fréquents, souvent désastreux,
sont la confirmation trop éloquente du même fait.
A 1 Ouest, les chaînes iraniennes parties de l'Ararat
(5157 mèlres) bordent d'abord le bassin du lac d'Our-
miah, puis, dans le Kourdistan, le Louristan, l'Arabistan,
elles surplombent de très haut les plaines alluviales de l'Eu-
phrate et du Tigre. Leur plus grande largeur n'est pas
moindre de 300 kilomètres et, tandis que leur altitude
moyenne ne s'abaisse jamais au-dessous de 2 500 mètres,
nombre de sommets atteignent ou dépassent 4 000 pour
culminer à 5 1 50 dans le Kouhi Dena. De là l'importance
historique des rares cluses ouvertes par les affluents du
Tigre à travers la succession des plis parallèles ali-
gnés comme des colonnes de bataillon " auxquels les an-
ciens donnaient le nom de Zagros.
Assyriens, Chaldéens, Mèdes, Perses les franchirent les premiers.
Darius raconta, sur les rochers de Bisoutoun, les plus fameuses de
ses victoires. Après lui. Grecs, Arabes, Mongols. Turcs, les uns
montant à la conquête de l'Orient, les autres s'élançant vers les
plaines attirantes de l'Ouest, y passèrent tour à tour. Aujourd'hui,
les caravanes de marchands en route pour Bagdad ou Hamadan,
la foule des pèlerins se rendant aux lieux saints de Kerbéla, les
automobiles anglaises, enfin (précédant la voie ferrée), défilent au
fond de ces mêmes gorges sauvages oîi les ruines de sanctuaires,
les tombes rupestres, les murs croulants d'antiques forteresses
demeurent comme les vivants témoins d'un passé chargé d'histoire.
Au delà de l'Arabistan, les plis jusqu'alors orientés
Nord-Ouest-Sud- Est, se recourbent vers l'Est aux rives
du Golfe Persique et de la Mer d'Oman. Leur altitude di-
minue quelque peu. Ils forment cependant encore dans le
Farsistan, le Louristan, le Mekran, le Béloutchistan, une
440
LES PAYS DE L'IRAN
I I Jej O à. ^oo mètreoi
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ILA FKl^SE
FronUèretl poUliai
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S^éfô^^ss
barrière que franchissent malaisément les routes, très rares,
menant de la côte à l'intérieur. La plus fréquentée part
du port de Bender-Bouchir et aboutit a Chiraz, près des
ruines de Peisargade. de Persépolis, capitales disparues
des rois Achéménides. Pierre Loti, dans son beau livre
Vers Ispahan, a décrit la difficulté et la splendeur de
cette voie illustre.
Parvenues au delta de 1 Indus, les chaînes iraniennes
se redressent brusquement vers le Nord. Sous le nom de
Monts de Brahouï.de Monts Souléïman, de Sefid-Koh,
elles constituent sur la rive droite du fleuve une guirlande
de monts étages dont la hauteur, croissant à mesure que l'on
s'élèveen latitude, passe de3000 mètresà 3600 mètres,
puis à 4 500 au point culminant du Sefid-Koh. Complè-
tement nus, usés par la double érosion des eaux et du vent ,
ces massifs, aux flancs abrupts vers les plaines hindoues,
s'inclinent plus doucement vers les hauts plateaux iraniens.
Port rares encore apparaissent les cols utilisables. Au
Sud, les défilés successifs de Boljm et de Khodjak
mènent de Chikarpour sur l'indus à Quetta, puis à
Kandahcir. Au Nord, la vallée du Kaboul, petit affluent
de r Indus, et le pas de Khaîber ouvrent l'unique porte
que puissent emprunter caravanes paisibles ou armées
conquérantes entre l'Iran et le Pendjab.
441
L'ASIE
Alexandre y passa dans sa marche aventureuse vers les pays
ignorés de l'Inde lointaine. Les Perses hellénisés d'Antiochus intro-
duisirent par cette voie les traditions et les conceptions artistiques
des Grecs dont l'influence se manifeste nettement dans les très
anciens monuments bouddhiques. Plus tard, les Perses Sassanides.
les Arabes, les Turcs, les Mongols y défilèrent tour àtour. De nos
jours, les Anglais, maîtres de l'Inde, surveillent étroitement cette clé
de leur Empire que garde le camp retranché de Pechawer.
Les monts du Kohistan, qui prolongent vers le Nord le
massif du Sefid-Koh, viennent buter contre la base méri-
dionale des Pamirs. 11 y a là un amoncellement prodigieux
de montagnes formidables qui, d'abord soudées en un chaos
de chaînes sems orientation bien définie, s'écartent peu à peu
les unes des autres de part et d'autre de la passe de Baroghil
(piste menant, par 3800 mètres d'altitude, de la haute
vallée de l'Amou-Daria à la haute vallée de l'Indus).
A l'Est, l'Himalaya, le Karakoroum s'incurvent sur les
flancs des plateaux tibétains. A l'Ouest, l'Hindou-Kouch
et ses diramations couvrent la majeure partie de l'Afgha-
nistan. L'Hindou- Kouch prend rang parmi les mon-
tagnes les plus élevées de l'Asie et du monde. Le Tiritch-
miz, considéré présentement comme son point culminant,
atteint 7340 mètres. Beaucoup d'autres sommets par-
viennent à 6 000 mètres et plus. Les cols empruntés par
les bergers du Kafiristan et du Badakchan ne s'abaissent
guère au-dessous de 4 500 mètres. A mesure que l'on
s'éloigne vers l'Occident, l'altitude décroît peu à peu.
Si le Kohi Baba, le Père des Monts ", culmine encore
par 5 480 mètres, le Séfid-Koh (deuxième du nom) n'est
plus qu'à 4 000 mètres. Les monts Paropamisades au
Nord de Hérat, les monts du Khorassan qui dominent
les déserts Turkmènes, ont des altitudes moindres encore
(2500 mètres en moyenne). De plus, ils se fragmentent
en chaînons, et les routes menant de la Perse au Tur-
kestan s'insinuent sans grandes difficultés dans les cou-
loirs naturels qui les séparent (défilé de Zoulfikar, route
de Mechhed à Askhabad).
Au Nord de Téhéran, le massif allongé de l'Elbourz
borde sur un millier de kilomètres la Mer Caspienne. Les
plis multiples qui le composent atteignent de 3 000 à
4000 mètres et le Demavend, volcan non pas éteint mais
assoupi, érige à 5 465 mètres son cône vêtu de neiges
étemelles.
A 1 extrême Ouest, enfin, les massifs, en grande partie
volcaniques, de l'Ak-Dagh (4 100 mètres), du Sehend
(3 600 mètres), du Savalan (4 810 mètres), et la longue
arête du Karadja-Dagh, unissent l'Elbourz à l'Ararat.
LES RÉGIONS INTÉRIEURES. 00 L'es-
pace circonscrit par les montagnes que nous venons d'énu-
mérer apparaît sous des aspects très variés. On le désigne
sous le nom d'ensemble de Plateau Iranien. Cependant,
les plateaux proprement dits n'en occupent qu'une par-
tie, la plus considérable il est vrai. Leur altitude moyenne
varie de I 000 à 2 000 mètres et ils atteignent leur am-
pleur la plus grande à l'Ouest et au Centre de la Perse.
Mais d abord ces plateaux sont sillonnés de chaînes plis-
sées (parallèles aux monts du pourtour) qui les découpent
en compartiments allongés du Nord-Ouest au Sud-Est.
Et ces chaînes ne le cèdent en rien aux arêtes bordières,
puisque certaines d'entre elles — le Kouh Roud, par
exemple, qui s'étend de Yezd à Kirman — ont des som-
mets de 3 000, voire de 4 000 mètres. De plus, et sur-
tout, une série de dépressions, de bassins fermés se creusent
au cœur du plateau. Au Nord, le Decht i Kévir (600 à
700 mètres d altitude) commence aux portes de Téhéran
et couvre la majeure partie du Khorassan. Au Centre,
le Decht i Lout, à l'Est le Séistan, au Sud le Djaz Mo-
rian, le Hamoun Machkel, etc., s'abaissent à 450, à
300, à 1 80 mètres, Ces dépressions renfermèrent autre-
fois des lacs étendus et profonds, comme en témoignent
encore les anciennes terrasses lacustres étcigées sur leur
pourtour. Aujourd'hui, la plupart d'entre elles sont tout à
fait desséchées. A peine, dans leurs parties les plus creuses,
les rares averses hivernales amènent-elles une mince couche
deau. Mais l'évaporation, prodigieusement active, absorbe
promptement ce faible tribut d'un ciel et d'un sol égale-
ment avares et, comme les Chotts algériens, les " Kéfirs "
persans apparaissent sous la forme de nappes d'argile fen-
dillées par le soleil, ou brillent les facettes innombrables
des cristaux de sel.
LE CLIMAT. 00 La majeure partie des plateaux
iraniens est soumise au climat désertique subtropical.
La température, d'une extrême irrégularité, varie con-
sidérablement d'une saison à l'autre (seules font exception
CLIMAT DE L'IRAN
Températures
moyennes
— ^^^ -^ —
Mois
Pluie
D
Altitude
•S
en
3
en
c
■ô
-i
r
milli-
Observations
.£
-S
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«
•T3
■1
3
■s
Téhéran
35»4I
1 130
IS»?
2°
Tb'i
24°3
284 mm'
Hiver : 140 mm.
ïspahan.
32°38
1 530
15°2
0°2
27»8
28°
Printemps : 93 mm.
Chiraz .
29<'39
1 650
I6»7
5-2
2a»3
23°1
Kal>oul.
34''30
2 070
I0°9
0°9
23°9
24°8
Quetta .
30°A
1 680
I4°2
404
25°
2n°6
Kelat ..
-54
2 180
I2°6
2°6
22°9
20°3
252 mm.
Hiver : 99 mm.
Printemps ; 107 mm
les côtes de la Mer d'Oman et les rivages caspiens).
L'hiver est si froid que même au Séistan, par 400 mètres
d'altitude seulement, le lac Hamoun et les bras au fort
courant de la rivière Hilmend gèlent entièrement. Dans
toute la Perse, les tempe'ratures de lO'^, 1 5**, 20*^ au-des-
sous du point de glace s'observent de novembre à fe'vrier
442
LES PAYS DE L'IRAN
et la violence des vents accroît encore la morsure du froid.
Par contre, après un printemps très court, l'été' sévit avec
une implacable rigueur. Dans les dépressions, il dure
sept mois, sept mois monotones de ciel sans nuages et de
chaleur torride avec des metxima journaliers de 43° à
49° C. Sur les hauts plateaux (à Téhéran, Ispahan),
dans les vallées sises entre 1 500 et 2 000 mètres d'eJti-
tude (Chiraz, Tabriz, Kelat, Kaboul), ces maxima sont
un peu moins élevés et la fraîcheur des nuits repose de
la brûlante chaleur du jour. Les habitants, du reste, ne
sortent que de grand matin ou tard dans la soirée, et le
trafic des caravanes s'arrête à peu près complètement au
cœur de l'été.
Plus encore que la température, la répartition et la
quantité des pluies et des neiges apparaissent comme le
facteur essentiel du climat.
La seule région abondamment arrosée est le versant
septentrionej de l'EJbourz. Dans le Ghilan et le Mazan-
déran, de lourds nuages venus de la Caspienne déversent
sur le flanc des hauts monts et les plaines côtières une masse
de pluie ou de neige que l'on peut évaluer à 1 ou
2 mètres annuellement.
L'hiver et le début du printemps apportent aussi aux
montagnes du pourtour leur contingent de pluie, de neige
surtout. Toutefois ni le Golfe Persique, m la Mer d Omani
par suite de la prédominance des vents continentaux, ne
peuvent nourrir d'averses fort copieuses. Aussi 1 Azer-
baïdjan, le Kourdistan, le Louristan, le Farsistan, les mas-
sifs afghans doivent-ils se contenter d'un tribut annuel
qui ne dépasse guère 50 à 60 centimètres.
Encore est-ce là un fait e.Kceplionnel et qui se limite
étroitement à la bordure des plateaux. Ces plateaux
eux-mêmes comptent parmi les régions les plus sèches
de la terre. Les vents qui les balaient avec une force et
une continuité redoutables (tel le vent des cent vingt
jours " observé au Séistan peir la mission Mac-Mahon),
viennent de l'Arabie ou des déserts Turkmènes et, bien
loin d'apporter quelque humidité, ils contribuent puis-
samment à activer l'évaporation. Téhéran, au pied Sud
de l'Elbourz, et Kelat, au Béloutchistan, seules villes
iraniennes pour lesquelles nous ayons des statistiques
précises, ne reçoivent que 28 et 25 centimètres de pluies
ou de neiges. Les régions intérieures doivent se con-
tenter de bien moins encore. AuSéistan, par exemple, la
moyenne annuelle ne paraît pas dépasser 7 centimètres !
L'air qui repose sur les plateaux iraniens est d'une telle siccité
que, même dans la Perse occidentale, des objets en métal, aban-
donnés sur les terrasses au froid de la nuit, restent brillants pen-
dant des mois entiers. Durant les marches nocturnes, on voit par-
lois les chevaux faire jaillir des gerbes d'étincelles en agitant leurs
queues, et les nuits, dans celte atmosphère dépourvue de vapeur
d'eau, ont une si surprenante clarté que la seule lueur des étoiles
donne une ombre légère aux grains de sable placés sur une feuille
de papier blanc.
Cette rareté' des pluies, leur répartition très inégale
(l'hiver et le printemps sont les seules saisons humides),
1 intensité de l'évaporation transforment l'Iran intérieur
en un immense désert. Les dépressions du Khorassan,
du Lout comptent parmi les régions du monde les
plus redoutables au voyageur par leur aridité absolue, le
inanque total de points d'eau. En dehors même de ces
régions particulièrement désolées, les hautes plaines, les
plateaux développent à perte de vue leurs solitudes sau-
vages, brûlées par l'ardent soleil, où, sur un sol dénudé,
le vent soulève d'épais tourbillons de poussière, pousse
devant lui les dunes sablonneuses, sculpte et modèle les
flancs rocheux des monts.
Tour à tour très chaud ou très froid, mais toujours très sec, le
climat du plateau iranien apparaît, malgré ces inconvénients, comme
fort salubre. La chaleur même se supporte aisément. Tandis que
Ion suffoque par 30" C. dans l'humide 'dans l'étoulfanlc et mal-
saine atmosphère de Bender Bouchir ou des rivages caspiens, on
circule sans difficulté et sans gêne, à I 200 ou I 500 mètres d'alti-
tude, par 35° et ^O" C. " La plus belle époque de l'année
s étend de la fin de mars au milieu de mai. Les steppes ont
alors quelque verdure et une agréable fraîcheur. Les jardins se
garnissent de roses (roses fameuses de Chiraz et d'Ispahan), se
peuplent de rossignols; les cerisiers fleurissent et les amandes
vertes abondent. D'autres préfèrent l'automne ; septembre et
octobre sont, au Nord, des mois charmants. La température, très
supportable au milieu du jour, est presque froide la nuit. Rien
ne ternit la splendeur du ciel ; l'atmosphère est d'une transpa-
rence, d'une limpidité étonnantes, et l'œil perçoit à de considérables
distances le moindre détail des montagnes lointaines dont le som-
met traîne comme une écharpe de longues et légères nuées vapo-
reuses. " (J. Hann.)
HYDROGRAPHIE. 00 La faible quantité
des pluies qui s'abattent sur l'Iran n'a point permis la
constitution de bassins hydrographiques importants. Les
monts du pourtour, seuls à recevoir chaque hiver un
tribut assez notable de pluies et neiges, nourrissent
cependant quelques torrents d'une extrême irrégula-
rité. Les uns dévalent sur les versants extérieurs, les
autres se perdent dans les bassins sans écoulement qui
constituent près des deux tiers de la superficie totale.
Tous sont cependant précieux car leurs eaux, soigneu-
sement captées, entretiennent les oasis échelonnées à la
base des montagnes. Des conduits — souterrains pour
éviter l'évaporation — les " Kanots ", longs de 50, 80,
1 00 kilomètres, zigzaguent à travers la steppe désertique
et l'on voit partout, comme des taupinières, les petits
murs circulaires de terre battue qui entourent les
regards " destinés à l'aération et au nettoyage.
Au Nord, le .Vlourghab, le Héri-Roud, descendus
des monts Hindou-Kouch, incapables d'atteindre
l'Amou-Daria, disparaissent dans les sables des déserts
turkmènes. L'Atrek, venu du Khorassan, se traîne
péniblement jusqu'à la Caspienne. Le Kyzyl-Ouzen (la
Rivière Rouge), née sur le versant oriental des chaînes
443
L'ASIE
du Kourdistan, zigzague à travers l'Azerbaïdjan, coupe,
par des gorges profondes, la barrière de l'Elbourz
occidental et se termine dans la Caspienne par un delta
couvert d'une jungle marécageuse.
A l'Ouest, les chaînes iraniennes envoient au Tigre
des torrents impe'tueux : les deux Zab, le Dyala, le
SeïdMéré, leKaroun, quitraversenttouslesplis duZagros
par des cluses semblables à celles de nos rivières juras-
siennes. Le Karoun est le seul dont les eaux aient
assez de profondeur pour porter bateau de Chouster à
Mohammerah.
Les torrents côtiers, presque toujours à sec, qui
aboutissent au golfe Persique, au détroit d'Ormuz, au
golfe d'Oman, n'ont d'autre utilité que d'ouvrir à tra-
vers les montagnes quelques couloirs empruntés par les
caravanes. Il en est à peu près de même des ouaddys
qui tâchent de gagner l'Indus sur le revers oriental des
monts Brahouï et Souléïman. Bien peu y parviennent.
Le Kaboul lui-même, fort gros à la fonte des neiges,
n'a, le reste du temps, que quelques centimètres d'eau,
mais sa vallée, nous le savons, est le corridor naturel
menant de l'Iran aux plaines de l'Inde,
L'intérieur des plateaux, privé d'écoulement vers la
mer, ne possède guère que des lits de rivières constam-
ment asséchées. Le peu d'eau qu'elles recueillent dans
les hautes montagnes où elles naissent se tarit prompte-
ment, soit par les captures faites au profit des canaux
d'irrigation, soit par évaporation. A peine, de temps à
autre, une averse d'orage vient-elle pour quelques heures
emplir leur lit d'un flot d'eau bourbeuse. L'Hilmend seul
fait exception à la règle commune. Il draine la majeure
partie des monts Afghans et, même aux plus basses
eaux, son débit d'étiage (60 mètres cubes) suffit à entre-
tenir dans la dépression du Séistan un lac permanent
frangé de grands roseaux, le Hamoun. Ses crues d'été,
dues à la fonte des neiges, peuvent centupler trois fois
le volume de ses eaux. Alors le lac Hamoun déborde
très loin au delà de ses rivages habituels ; la dépression
tout entière devient un lac immense, et les voyageurs
doivent choisir avec soin des campements placés à I abri
de ses crues aussi soudaines que formidables.
En dehors du lac Hamoun, on ne peut citer comme réservoirs
permanents que les lacs d'Ourmiah et de M iris. Le premier s'étale
par 1330 mètres d'altitude dans une cuvette de l'Azerbaïdjan.
Huit fois plus étendu que le lac de Genève, il n'a qu'une profon-
deur fort médiocre (5 mètres en moyenne) ; ses limites ont varié
considérablement au cours des âges, et ses eaux ont un degré de
salinité plus élevé encore que celui de la Mer Morte. Le lac Miris
dans le Farsistan, non loin des ruines de Persépolis, n'existait
probablement pas aux temps antiques. C'est une lagune plutôt qu'un
lac, aux eaux extrêmement salées, zone d'épandage d'un torrent
Intermittent, le Kous, descendu du massif de Kouh i Boul.
LA FLORE. 00 Les seules régions de l'Iran
où la végétation soit luxuriante et touffue se trouvent
444
aux rives de la Caspienne, sur les pentes très arrosées
de l'Elbourz. Les provinces de Ghilan et de Mazan-
déran ont conservé de véritables forêts vierges dont les
grands arbres chargés de lianes se pressent au-dessus
d une jungle épaisse, coupée de clairières gazonnées
sillonnée par les mille torrents qui dévalent de la mon-
tagne. Certaines hautes vallées de l'Hindou-Kouch
oriental, qui reçoivent encore quelques pluies de mousson,
voient aussi croître sur leurs flancs les grands conifères
de l'Himalaya.
Partout ailleurs le sol apparait entièrement déboisé.
Et il en fut probablement ainsi dès la plus haute anti-
quité. On ne saurait donc ici, comme en tant de régions
méditerranéennes, reprocher à l'homme une déforesta-
tion aveugle. C'est à son industrie, au contraire, que
l'Iran doit les vergers de ses oasis, seules taches de
verdure sur le manteau fauve du désert. Dans les
hautes vallées des monts occidentaux, l'irrigation, favo-
risée surtout par la lente fusion des neiges hivernales,
permet la multiplication de ces oasis. Là se trouvent
dans l'Azerbaïdjan (heu d'origine des Mèdes), le Kour-
distan, le Fars (centre de la puissance perse), les vallées
les plus riantes, les prairies les plus durables, les cul-
tures les plus étendues : vignes, cotonniers, miiriers,
tabac, arbres fruitiers, champs de maïs, d'orge et de
blé. Au printemps, les pentes des monts se vêlent de
fleurs multicolores où le bleu pâle des iris, le rose des
glaïeuls se mêlent à la pourpre des tulipes sauvages.
L'Afghanistan, soumis aux mêmes conditions météorolo-
giques, a lui aussi des vallées relativement verdoyantes
où des peupliers, des saules, des platanes croissent avec
vigueur.
Mais ce sont là des lieux privilégiés, et l'aspect le plus
ordinaire de l'Iran, tel qu'il apparaît aux portes mêmes
des villes capitales, ne diffère en rien des paysages les
plus arides qui soient au monde. Steppes aux herbes
souffreteuses poussant comme à regret sur un sol cheirgé
de particules salines, maigres broussailles aux troncs
charnus, aux longues épines, mouchetant de leurs taches
grises les " ergs " aux dunes mouvantes, les hama-
das " au sol de roche noire et nue, telles sont les
seules manifestations de la vie végétale sur les plateaux
qui reçoivent de 1 5 à 20 centimètres de pluie annuelle-
ment. Les dépressions, plus déshéritées encore, sont
presque toutes d'effroyables déserts sans un brin d'herbe,
sans un point d'eau, où l'on circule pendant des jours et
des nuits entre le double vide de la terre et du ciel.
Telle est la magie des rythmes, et si tenace l'illusion créée par
le verbe charmeur des poètes que les seuls mots de Perse, d Ispa-
han, de Chiraz, d'Ecbatane évoquent irrésistiblement à 1 esprit
l'image d'un pays enchanté, d'un Paradis des MMt et une Nuits,
tout rempli de jardins délicieux, d'eaux fraîches murmurant à
l'ombre des grands arbres, embaumé du parfum des roses. En fait
L'IRAN
LA PORTE DES TEINTURIERS A NICHAPOUR. La 1res anciaate ciU de musulman, mats les invasions mongoles la minèrent, et de nos jours, maigre la fertilité
Niehat>our — un des endroits mystérieux où la légende greajue fait natlre Dionyua des campagnes environnantes soigneusement irriguées, Nichapour n est plus qu une
— s'élève au Nord-Est de ta Perse sur les plateaux du Khorassan. Elle fut jusqu'au cité déchue. Elle doit cependant, comme la plupart des villes iraniennes, un
xn^ siècle un des centres mbains les plus fîonssanls et les plus peuplés du monde aspect fort pittoresque è T originalité de ses construclioru en hriques et terre battue.
445
44
L'ASIE
LE CARAVANSÉRAIL DE SAINDAK se trouve aux confins de la Perse et du
Beloulchistan, sur la routesuivie par les caravanes qui se rendent dans l'Inde ou en
reviennent. Des montagnes absolument nues encadrent la dépression sablonneuse
où s'élèvent les constructions massives qui servent d abri à bétes et gens.
VUE GÉNÉRALE DE KÉLAT. Sur une colline isolée se dressent les hautes
murailles de Kélat, l'une des rares agglomérations urbaines du pays Beloutche.
Le nom de Kélat veuf dire: le" château". C'étail. en effet, une puissante forteresse
commandant les routes qui mènent à l'Inde, à l'Afghanistan et en Perse
UNE HUTTE BELOUTCHE.
LES BELOUTCHES. La presque totalité des Beloutches mène la vie pastorale
nomade, comme, du reste, la plupart des populations dispersées sur les hauts plateaux
steppiques ou désertiques de l'Iran. Aux lieux où l'on ne trouve d'autre végétation
que les maigres graminéts dont se contentent les moulons, les pasteurs vivent sous la
UN TROUPEAU BELOUTCHE.
tente. Ailleurs, avec quelques branches et des^ broussailles, ils construisent des huttes
sommaires qui leur suffisent. Notez l'aridité de la steppe et des montagnes. Notez
aussi la caractère primitif du métier à tisser avec lequel les femmes confectionnent
des étoffes pour leurs vêlements, leurs sacs, etc.
VILL.A.GE SEISTANI. Le Selstan. partagé inégalement entre la Perse et l'Afgha-
n'.z'cn, tUtiftesorte d'immense oasis où les eaux dérivées du Hilmcnd entretiennent
de itcw pâtQTCgef, des chcunps de céréales et des vergers. Ce fut, de tout temps,
l'urz dts contrée:, la plu: convoitées de l'Iran.
LE DÉSERTDU LOUT. Ce mot. qui veut dire peut-être" solitude". s'applique
au plus vaste des déserts de l'Iran. Fait de sables et de roches nues, il conserve, dans
les régions les moins arides, quelques touffes de buissons. Mais, ailleurs, il s étend
à perte de vue, complètement nu, semblable à une masse de métal incandescent.
446
ces paradis existent. Mais Hafiz oo Sadi ne lei ct-lcorcrent avec
tant d'enthousiasme que parce qu'ils étaient d'une extrême rareté.
Dans toutes les zones de climat sieppique ou désertique, deux
platanes ombrageant un puits paraissent une merveille plus
magnifique que toutes les forets de l'Occident! Imaginez donc
LES PAYS DE L'IRAN
la Perse non pas comme un parc sans fin, mais comme une
étendue monotone de sables et de cailloux, avec çâ et li quelques,
oasis semées chichement sur un sol avare. Les fruits n'y valent
pas mieux que les nôtres et le parfum des roses mêmes est,
paraSi-il, inférieur à sa réputation!
GEOGRAPHIE HUMAINE
LES RACES. j3£> L'isthme iranien, lieu de
passcige obligé entre l'Asie Mineure et l'Asie Centrale,
fut de tout temps un carrefour où se rencontrèrent, se
heurtèrent et se mêlèrent des peuples venus des quatre
coins du Vieux Monde. Aux Mèdes, aux Perses, aux
Bactriens. aux Gédro;iens, aux .Arachosiens. que nous
firent connaître les historiens anciens, s'ajoutèrent des
Grecs venus à la suite d'Alexandre, des Sémites de
Chaldée, d'Assyrie, d'Arabie ; des jaunes : Turcs,
Turkmènes, Mongols, descendus des steppes du Tur-
kestan, des Arméniens, des Juifs. Il y a donc eu forcé-
ment métissage, au physique et au moral. Cependant,
les habitants du plateau se répartissent présentement en
groupes ethniques assez distincts.
Aux Iraniens appartiennent les Persans, les Kourdes,
les Afghans, les Béloutches et leurs subdivisions. Les
Sémites sont représentés par un petit nombre de Juifs
et par les Arabes de l'ancienne Susiane, l'.Arabistan
d'aujourd'hui. Turcs et Turcomans forment la majorité
dans les provinces du Nord.
Les Persans (Irani) peuplent le Centre et le Sud du
plateau, de Recht à Kirman, et de Hamadan à Hérat.
Ils ont comme lointains ancêtres les fiers compagnons
de CyTus et de Cambyse, ce peuple brave, robuste et
noble qui apprenait à ses enfants " à monter à cheval,
tirer de l'arc et dire la vérité ".
Malgré les mélanges inévitables avec tant d'autres races, ils ont
conservé certains de leurs caractères physiques, et les Géorgiennes
ou Circassiennes qui, pendant tant de siècles, peuplèrent les harems,
n'ont pas peu contribué à maintenir chez les Persans une beauté
qui séduisait déjà les compagnons d'.Alexandre et arrachait au
jeune Conquérant ce cri admiratif : " Les femmes Perses, ce tour-
ment des yeux ! " Des traits réguliers, d'un ovale très pur, des
yeux admirables ombragés de longs cils, un nez légèrement aquilin
surmontant une bouche aux lèvres charnues, de longs cheveux noirs
et bouclés, une taille souple, élégante, un noble port de tête, des
pieds et des mains d'une remarquable petitesse, tels sont les carac-
tères les plus généraux d'un type physique qui comporte naturelle-
ment une fort grande variété.
Au moral, les Persans se distinguent par la vivacité
de leur intelligence, la finesse et le tour poétique de
leurs idées, la puissance de leur mémoire. Mais on leur
reproche le manque de persévérance dans les concep-
tions, de fixité dans l'esprit. Ils comprennent vite, puis
s'en tiennent là et ne se préoccupent point d approfon-
dir. De plus, le peuple, privé de liberté, obligé de se
plier aux caprices de maîtres souvent étrangers, a pris
1 habitude du mensonge, de l'esprit d'intrigue, de la
fourberie, ces armes naturelles des faibles. Enfin, le cou-
rage du Persan n'est point à la hauteur de son intelli-
gence, et ses voisins n'eurent jamais grand'peine soit à
le braver, soil à le soumettre. Encore aujourd'hui, le
royaume — comme ce fut le cas en Chine — est gou-
verné par un souverain d'origine étrangère, successeur
d autres dynasties conquérantes.
Les montagnes de l'Ouest sont occupées par diverses
tribus qui se rattachent directement à la famille aryenne,
mais avec des caractères physiques et moraux parti-
culiers. Ce sont les Kourdes, les Louris et les Back-
tyaris.
Nous connaîtrons bienlôt les Kourdes. Les Louris et les
Backtyaris leur ressemblent comme des frères. Trapus, robustes,
1 œil ombragé d'épais sourcils, le nez gros et aquilin s'abaissant
sur les lèvres, le menton carré, les pommelles saillantes, ils rap-
pellent étonnamment, eux aussi, les anciens Assyriens tels qu'ils
apparaissent sur les bas-reliefs de Khorsabad et de Koyound-
jick. Aussi redoutés autrefois que les Kourdes, dont ils ont les
habitudes et les goûts, ils paraissent aujourd'hui un peu plus Irai-
tables, et les caravanes peuvent traverser sans crainte les montagnes
où ils nomadisent avec leurs troupeaux.
A l'Est du Plateau, les Afghans (ils se nomment
eux-mêmes Pachtanas) constituent un groupe spécial
dont le type physique rappelle celui des Kourdes et des
Louris. Vigoureux, bien découplés, ils ont en général la
tête allongée, un nez en forte saillie, d'épais sourcils, la
barbe et les cheveux très fournis La teinte de leur
peau varie du blanc au brun olivâtre. Leurs nombreuses
tribus diffèrent, du reste, considérablement les unes des
autres, comme il est naturel dans un pays de hautes mon-
tagnes qui servit de refuge à des peuples d'origines
diverses. Ils ont en commun la passion de la liberté, un
goût prononcé pour la vie guerrière, le pillage, le vol k
main armée. En cela ils ressemblent non seulement aux
Kourdes, mais aux Albanais, aux Marocains du Rif et du
Haut- Atlas. La rude vie qu'ils doivent mener dans
leurs montagnes endurcit leurs corps, développe leurs
instincts violents et ils ne mettent une trêve à leurs que-
relles intestines que pour s'unir contre leurs voisins pai-
sibles du bas pays.
Au Sud des Afghans, les Béloutches ou Baloutches
.Aryens métissés de sang arabe, kirghiz, dravidien, se
447
GEOGRAPHIE irNIVESSELLE.
44
L'ASIE
rapprochent, par leur type physique, des Bédouins qui
«rrent au désert de Syrie.
En dehors des Iraniens, le groupement le plus
notable est formé par les Turcs et les Turcomans ou
Turkmènes. Les premiers, établis en Perse depuis fort
longtemps, constituent la majorité de la population dans
la province d'Azerbaïdjan. Les autres, venus plus tard,
se sont établis peu à peu dans les régions de l'Atrek,
d'Asterabad et de Mechhed. La famille qui gouverne la
Perse depuis 1 794 appartient à l'une des fractions de la
tribu lurcomane d'Ag Tépé, celle des Kadjars. Chez
les Turcs, le type mongol primitif s'est considérablement
altéré par croisements avec les Persans, et on les dis-
tingue moins aux traits de leur visage qu'à la lourdeur,
à la gaucherie de leurs grands corps robustes. Les Turk-
mènes de la Perse ne diffèrent pas de leurs frères
demeurés au Turkestan Russe.
Les Arabes, particulièrement nombreux dans la pro-
vince d'Arabistan et la région du Bas- Karoun (l'ancienne
Susiane), se rencontrent un peu partout par petites
fractions isolées, soit dans les steppes des plateaux où ils
nomadisent, soit dans les grandes villes où ils s'établissent
comme commerçants, prêtres, derviches.
Quelques Tziganes, Juifs, Arméniens et Chaldéens
complètent la série des peuples fixés sur les plateaux ira-
niens.
LANGUES ET RELIGIONS. 00 La langue
dominante est le persan, dérivé du zend (la langue de
l'Avesta) par l'intermédiaire du pehlvi, et fortement
mélangé de mots arabes et turcs. Le persan se subdi-
vise lui-même en nombre de dialectes et patois : kourde.
loure, béloutche, afghan ou poukhtoun, etc. Le turc est
la langue la plus usitée dans l' Azerbaïdjan ; il fait des
progrès sur les rives de la Caspienne. L arabe enfin, un
arabe plus ou moins corrompu, est parlé par les gens de
cette origine, ou qui se l'attribuent.
Quant à la religion, c'est l'Islam qui prédomine d une
façon à peu près absolue. Chrétiens arméniens ou nesto-
riens, Juifs, Guèbres ou Parsis (adorateurs du feu)
n atteignent pas, en tout, 100000 âmes.
Les musulmans iraniens se subdivisent en deux grandes sectes; les
Chiites et les Sunnites. Les Sunnites (Afghans, Béloutches, Turcs
de l'Azerbaïdjan, quelques tribus Kourdes) reconnaissent l'autorité
du Cheik-ul-lslam de Constantinople. Leur religion est identique
à celle de Stamboul ou de Brousse. Les Chiites, au contraire, ne
sont point soumis spirituellement au Commandeur des croyants. Ils
rejettent la tradition écrite appelée " Sunna ", tiennent Ali, fils
adoptif et gendre de Mahomet, pour prophète au même titre que
le fondateur de l'Islam et vénèrent tout particulièrement Hussein
et Hassan fils d'Ali. Chiites et Sunnites se détestent entre eux
avec la même vigueur, pour le moins, qu'ils méprisent les Chré-
tiens. Si les tribus ignorantes et sauvages du Kourdistan et de
l'Afghanistan manifestent peu de zèle religieux et mêlent à leurs
pratiques nombre de superstitions païennes, les Chutes Persans
ont en général une foi très vive qui se traduit par le prestige de
leurs prêtres ; ulémas, mollahs, moudjtahids, le grand nombre, la
richesse des sanctuaires, I affluence des pèlerins aux mosquées véné-
rées de Mechhed, Roum et Kerbéla.
Deux sectes hétérodoxes, le bâbisme et le soufiisme, ont pris, ces
dernières années, une importance qu'accentue la transformation
politique de la Perse. L'une et l'autre s'élèvent contre le fanatisme
et répudient une bonne partie des pratiques en usage chez les purs
musulmans : polygamie, abstention du vin, du porc, etc. Les
Souffis notamment, qui se recrutent surtout parmi les jeunes Persans
revenus des Universités européennes, représentent l'élément " mo-
derniste ", intellectuel, voire libre-penseur et se posent en cham-
pions de la rénovation de la Perse par l'introduction de plus en
plus large des idées et des conceptions occidentales.
LE ROYAUME DE PERSE
GEOGRAPHIE REGIONALE
Tout le Centre et l'Ouest des Plateaux Iraniens appar-
tiennent au Royaume de Perse dont les limites débordent
même au Sud-Ouest, hors des frontières naturelles for-
mées par les monts du pourtour, et comprennent une par-
tie des plaines alluviales de la Mésopotamie (province de
l'Arabistan). On estime sa superficie à I 600 000 kilo-
mètres carrés, et à 9 500 000 le nombre de ses habitants,
soit un peu plus de 5 au kilomètre carré.
GOUVERNEMENT. 00 Depuis 1906, la Perse
traverse une période d'évolution très confuse dont il est
impossible de prévoir à quoi elle aboutira.
Jusqu'à cette date, le Chah, ou Roi des Rois, déte-
nait en théorie le pouvoir absolu. On le considérait
comme le lieutenant du Prophète, maître de la vie et
des biens de ses sujets. En fait, il avait à compter avec
l'influence religieuse d'un clergé riche, très puissant. De
plus, nombre de chefs de tribus, surtout dans les districts
montagnards ou éloignés de la capitale, conservaient
une indépendance à peu près complète. Les forces
militaires se réduisaient à 2 000 hommes de troupe dres-
sés par les Russes. Le produit des impôts disparaissait
entre les mains avides des fonctionnaires de tous ordres
et des parasites qui gravitaient autour d eux. Point
d'administration régulière, point d'autres travaux publics
que les deux ou trois routes construites par des étran-
gers. La Perse entière était livrée au bon plaisir de
quelques milliers de privilégiés apparentés à la famille
régnante ou descendant d'anciennes maisons féodales.
Cependant, depuis quelques décades, l'influence
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LES PAYS DE L'IRAN
occidentale commençait à pénétrer sinon dans la masse
du peuple, du moins dans quelques petits groupes
d'hommes qui rêvaient de moderniser la Perse et de
mettre fin au régime d'arbitraire dont elle souffrait. Les
riches commerçants des grandes villes, les jeunes gens
instruits dans les Universités européennes s'entendirent
avec certains chefs rehgieux affiliés à la secte des
Souffis. En 1906, ils imposèrent au Chah un embryon
de Constitution et la convocation d'un Conseil national
ou Medjihss chargé de collaborer au Gouvernement et
de prépïirer les réformes indispensables. Mais ce mou-
vement révolutionnaire ne s'appuyait pas sur l'ensemble
de la nation, bien trop ignorante pour en comprendre
l'intérêt. Il avait contre lui tous ceux qui profitaient de
l'ancien régime. Aussi le Medjiliss n'eut-il jamais la
moindre autorité, et, après une longue période d'anar-
chie, il a cessé d'exister en 1915, en tant que corps
législatif et administratif. Présentement, le pouvoir appar-
tient exclusivement au Chah et à ses ministres représentés
dans les provinces par des Gouverneurs Généraux.
La décadence et 1 anarchie persanes n avaient point
été sans provoquer des interventions étrangères. La
Russie, maîtresse du Caucase et du Turkestan, l'Angle-
terre, qui voulait faire du Golfe Persique un lac indien,
luttaient depuis longtemps pour l'hégémonie. Elles
finirent par se mettre d'accord en 1 907 et divisèrent la
Perse en trois zones : sphère d'influence anglaise, au
Sud et au Sud-Est (Séistan, Mékran); sphère d in-
fluence russe, au Nord (.Azerbaïdjan, Téhéran, Khoras-
san, etc.); entre les deux, une zone neutre. Mais la
Grande Guerre, et surtout la Révolution russe, ont modi-
fié profondément cette situation. De lui-même le Gou-
vernement bolchevick a renoncé formellement, dès 1918,
aux avantages que lui conférait la convent-on de 1907.
L'Angleterre en profita pour conclure en 1919 de
nouveaux accords avec la Perse et, malgré la dénon-
ciation de cet accord, en février 1921, par le Gou-
vernement persan, l'influence économique de la Grande-
Bretagne est encore prépondérante. Toutefois les rela-
tions de la Perse avec la Russie sont si bien imposées,
en quelque sorte, par les conditions géographiques des
deux pays, qu'elles ne peuvent manquer de reprendre,
un jour, leur ancienne activité. D'autre part, les Fran-
çais ne doivent pas oublier qu'un large champ d action
s'ouvre pour leurs ingénieurs et leurs hommes d'affaires
dans ce royaume où notre civilisation est le modèle que
l'on cherche à imiter, et où notre langue est parlée de
telle sorte que non seulement tout homme cultivé rou-
girait de ne point l'entendre, mais encore que tous les
actes officiels sont écrits en persan et en français.
LES H.ABITANTS ET LES VILLES, aa
Sur les 9 500 000 habitants qui forment — très approxi-
mativement — la population du Royaume de Perse,
260000 Arabes, 720000 Turcs et Turcomans,
675000 Kourdes, 20000 Beloutches, autant de Tzi-
ganes, 235000 Louris mènent la vie nomade ou demi-
nomade, déplaçant, suivant les saisons, leurs tentes de
feutre noir, et menant leurs troupeaux des alpages de la
montagne aux steppes des hauts plateaux. Les autres
sont tous des cultivateurs sédentaires fixés dans les oasis,
dans les vallées irriguées, ou bien des citadins s'occupant
d'opérations commerciales ou composant le nombreux
personnel administratif et religieux.
Villages et grandes villes, vus de loin, ont souvent une appa-
rence séduisante. Les jardins qui les entourent font un contraste
agréable avec la nudité des steppes pierreuses. La blancheur de
leurs maisons cubiques à toits plats, les flèches des minarets,
les teintes vives des dômes, des arches couronnant les sanctuaires,
composent un ensemble plein de pittoresque. L intérieur est moins
attrayant. Aucun service de voirie, aucun souci d 'hygiène. Les
maisons, construites en boue séchée au soleil, se lézardent et
s'écroulent vite. Même les beaux monuments d'autrefois sont trop
souvent dans un état de décrépitude pénible et leurs magniEques
revêtements en faïence émaillée ont en parti disparu. La Perse
est, par excellence, la terre des ruines. Elles s'y accumulent depuis
tant de siècles qu'elles font partie intégrante du paysage. Une
construction neuve, en matériaux solides, en bon état d'entretien,
paraît une sorte de gageure. Et. comme la seule matière à bâtir,
utilisée de tout temps, est la glaise ou la brique, l'accumula lion des
ruines ne donne point cette impression de grandeur majestueuse
que laissent à l'esprit les restes des villes égyptiennes ou gréco-
romaines. Seuls, les escaliers monumentaux, les colonnes géantes,
les portiques de Persépolis, ainsi que les façades grandioses des
Tombeaux des Rois, doivent à la solidité de la pierre leur bon état
de conservation cl leur émouvante beauté.
La moderne capitale du royaume, Téhéran, compte
280 000 habitants. Elle a grandi par I 1 24 mètres d'alti-
tude, au pied Sud de l'Elbourz, dans une plaine aride,
insalubre, semée de ruines de diverses époques (Rhai ou
Rhagès, Véramin, etc.). L'hiver y est froid, neigeux,
le printemps et l'automne fort agréables. Mais les chaleurs
torridesde l'été obligent le monde diplomatique, la Cour
et bon nombre de Persans aisés à chercher un refuge sur
les pentesdu Demavend. Pasde monuments intéressants,
mais de très beaux jardins et des bazars fort animés où
affluent les caravanes venues des quatre coins de l'Iran.
Au Nord de Téhéran, les provinces de Ghiian et de
Mazandéran, en bordure de la Caspienne, ont comme
villes principales les ports de Barfourouch (50000 habi-
tants), Recht (40000 habitants), Enzeli, Astara. par
lesquels se fait une bonne part du commerce extérieur
de la Perse.
Dans la province d'Azerbaïdjan, au Nord-Ouest,
Tauris ou Tabriz est la cité la plus populeuse du
Royaume (300000 habitants environ), grâce à la fertilité
des vallées bien arrosées, et surtout à la facilité des
transactions par routes et voies ferrées avec la région
449 —
- L'ASIE
de Tiflls-Batoum. Ourmiah, près du lac du même nom,
compte 30000 habitants et Kazvin, sur la route de
Tabriz à Téhe'ran, en a à peu près autant.
A l'Ouest, Hamadan, l'ancienne Ecbatane (35000
habitants) et Kermanchah (80000) s'échelonnent
sur la route historique menant vers le bassin du Tigre,
vers Bagdad et Kerbéla, la ville sainte des Musulmans
Chiites. Koum (40000 habitants), où les pèlerins visitent
le tombeau de Fathma, Kachan (30000 habitants),
" amas de débris immenses et lugubres ", conduisent à
Ispahan (80000 habitants). Nulle ville perse ne fut plus
célèbre et, bien que fort déchue, bien que la moitié seu-
lement de sa trop vaste enceinte soit encore habitée,
elle est digne d'une longue et fervente visite par la majesté
de sa fameuse place, le Méîdan, par la beauté de ses
Médressehs ", de ses palais, de ses mosquées, de ses
jardins, l'animation pittoresque de ses bazars. Chiraz
(50000 habitants), non loinde Persépolis, entrepose et
distribue les marchandises sur la route qui mène au port
de Bender-Bouchir. Dizfoul, près des ruines de Suse ,
et Chouiter. dans l'Arabistan, ne prendront d'importance
qu'après la réfection des canaux qui fertilisaient toute
l'antique Susiane. Yezd (50000 habitants), Kirman
(60000 habitants) s'alignent au pied du Kouh Round
où s'alimentent leur oasis. Mechhed (60000 habitants)
et Asterabad, principales villes du Khorassan, ont des
relations commerciales avec le Turkestan russe. Bender-
Bouchir et Bender-Abbis, deux mauvais havres du
Golfe Persique, fréquentés par quelques bateaux anglais,
n'ont pour l'instant qu une assez petite importance.
GEOGRAPHIE ECONOMIQUE
Pays de steppes et de déserts coupés d'oasis, sans
routes, sans voies ferrées, sans autre mode de transport que
les animaux de bât ; de plus, mal administrée, engourdie
depuis trop longtemps dans l'inertie et la pciresse, la
Perse ne peut évidemment avoir une situation économique
florissante. Certes, partout où l'eau ne manque pas (rives
de la Caspienne, vallées de l' Azerbaïdjan, du Kourdis-
tan, etc.), les grandes chaleurs de l'été favorisent la
croissance d'une végétation très variée où le riz, le coton,
le mûrier, l'oranger, se mêlent au froment, à la vigne, au
tabac, au lin, à tous les arbres fruitiers de nos pays.
Mais que sont ces trop rares édens auprès des immenses
espaces arides où les animaux les plus sobres ont peine
à trouver quelques brins d'herbe desséchée ! Le problème
de l'eau prime tous les autres. De sa solution, de la mul-
tiplication des barrages en montagnes et des canaux d'irri-
gation, de l'utilisation méthodique de la moindre goutte
de pluie ou de neige versée par un ciel terriblement avare,
dépend l'avenir du pays.
il dépend aussi — dans une mesure moindre sans doute,
mais cependant fort appréciable — de l'accélération des
trernsports. Ils se font exclusivement à dos de chevcJ et
de mule. Les entrepreneurs de caravanes ou Tcharva-
dars " forme une des corporations les plus importantes
de riran. Des caravansérails établis au terme de chaque
étape abritent, le jour, hommes et animaux qui ne
voyagent guère que de nuit. On peut confier en toute
sécurité aux muletiers les objets les plus précieux. Mais
leur honnêteté, justement proverbiale, ne les protège
point contre les attaques des détrousseurs de grand che-
min. Déplus, il faut quarante jours pour aller de Téhéran à
Bouchir, deux mois pour se rendre à Trébizonde par
Erzeroum, trois mois pour gagner l'Inde. Seuls des objets
de peu de poids et de grande valeur tels que les tapis,
1 opium, le tabac, les tissus de soie, le thé, le sucre peu-
vent supporter des frais de voyage aussi dispendieux.
Les autres denrées ou bien ne s'exportent pas, ou bien
ne sortent du pays que si elles proviennent des zones
frontières sises à peu de distance de la mer ou des voies
ferrées transcapiennes.
Avant la Grande Guerre, de nombreux projets furent élaborés
pour doter la Perse d'un réseau ferré qui desservît les cités prin-
cipales et les mît en relation avec 1 intérieur. Les jalousies anglo-
russes, à défaut d'autres raisons, s'opposèrent à leur réalisation.
Les Russes, qui dominaient incontestablement a Téhéran, étaient
les maîtres de la navigation sur la Caspienne et voulaient accélérer
les progrès du transit entre la Perse septentrionale d'une part, de
l'autre leurs possessions du Caucase et du Turkestan, construi-
sirent cependant quelques routes carrossables (Mechhed-Askha-
bad, Téfîéran-Recht par Kazvin. Hamadan- Recht), puis entre-
prirent une courte vole ferrée entre DjouHa (frontière de la Trans-
caucasie) et Tauris. Celte ligne, achevée en pleine guerre (1915)
est, présentement, la seule que possède la Perse.
Par contre, les circonstances ont rendu à l'Angleterre, depuis
1917, la prépondérance que détenaient les Russes. Elle en a pro-
filé sans larder, non seulement pour rétablir l'ordre intérieur
troublé par les ravages des Kourdes, pour ravitailler le pays, mais
aussi pour améliorer les routes anciennes, puis en construire d'autres
accessibles aux automobiles et dirigées non plus vers le Nord,
mais vers l'Ouest el le Sud, c'est-à-dire vers les régions de la
Mésopotamie et du golfe Persique, par où se présentent les mar-
chandises anglo-indiennes. L'une de ces routes conduit de Bagdad
à Kazvin et Téhéran par Kermanchah (tracé identique à l'an-
cienne route royale de Darius). L'autre, parlant de Kazvin, atteint
Chiraz par Koum, Kachan, Ispahan, et sera à très bref délai pro-
longée jusqu'à Bouchir, Il semble que l'automobile ait un bel ave-
nir en Perse. " Avec sa surprenante succession de barrières monta-
gneuses s' élevant et s'abaissant tour à tour par rangées parallèles,
la Perse se prêle aussi peu que possible à l'établissement des
chemins de fer. " En revanche, les roules, sur ce sol sec et dur, se
construisent aisément.
Le Persan vit de ce que lui donnent ses champs, ses
vergefs et ses troupeaux. Le " pilaf " fait avec le riz du
Ghilan, des galettes et des bouillies de froment ou de
maïs, un très grand nombre de légumes et de fruits con-
sommés sous diverses formes, le lait et la viande des
450
L'IRAN
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éoiler l écrcuanle chaleur. Le Jour, hommes et animaux s'abritent, se repotcnl etseravi-
taillcnt dtmslt^ caTûoaiuérails établis au terme de chaque étape. O.G.CmnOEUSMOfn.
.efles entrepieneuTS de caravanes, ou Tcharvadajs", forment une des corpo-
rations les plus importantes de l'Iran. Pendant de longues semaines, chevaux, mules
SUR LES TOITS DE BIRDJEND. Birdjend ou Birdjan est une petite cité de la
Perse orientale, sise par 1 400 mètres d'altitude dans les plateaux du Khorassan,
<m Nord du désert de Lout. sur la route de caravanes gui mène du Séistan à Mechhed.
L est un intéressant spécimen de ville iranienne formée de petites maisons eubigues
dont les toits en coupole s unissent les uns aux autres. Les murs sont fort épais et les
ouvertures très rares pour se préserver à la fois des neiges et des froidures de l'hiOer,
des torrides chaleurs de l'été, Lm présence d'un des cosaques attachés aa Consulat russe
symbolise l'influence prépondérante que la Russie exerçait sur la Perse septentrionale.
451
L'ASIE
.f^<-
-#-
VUE DE MADAN I FIROUZA. Perché comme un nid d'aigle sur le sommet
d'une falaise aux tons d'améthyste, le village fortifié de Madan doit sa renommée
aux riches mines de turquoises que /on exploite depuis le Moyen Age dans les
montagnes voisines.
ENZELl. Le port d'Enzeli, sur les rives plates et lagunaires de la Caspienne, dans
la province persane du Ghilan, est un havre fort médiocre, mais qui doit une impor-
tance asse2 grande au trafic qu'il fait avec Bal^ou et Astral^han. Une route carros-
sable l'unit à Téhéran par Recbt et Kazvin. C!. G. CoURTELLEMONT.
KAZEROUN. Principal lieu d'étape sur la piste de caravanes qui unit Chiraz
au port de Bouchir. Kazeroun fut jadis une grande cité, célèbre par son industrie
et son commerce. Ce n'est plus qu'une petite ville, n'ayant d'importance que par
ses champs de tabac et ses marchés de chevaux. Ci. G. CoURTELLEMONT,
UNE RUEjDE CHIRAZ. Héritière de la puissante Persépolis, rivale d'Ispahan,
Chiraz fut longtemps célèbre par la splendeur de ses jardins, l'excellence de ses
vignobles, le génie de ses poètes. Elle ressemble présentement à un grand village et
n'a guère d'autres édifices curieux que ses mosquées. Cl. G. CoURTELLEMONT.
DANS LES MONTS DU MEKRAN. la région dé::er-
tique du Mek.ran, partagée entre la Perse et le Belout-
ciiuiar. est ccuvtrle de monticules dont beaucoup furent de
pdils vùUans de boue.
FABRIQUE DE TAPIS. Us merveil-
leux tapis qui sortent des nombreux
ateliers persans sont l'œuvre de jeunes
ouvrières. Cl. G. CoURTELLEMONT.
PALAIS DU SCHAH A TÉHÉRAN. La cap.iaie du
Royaume persan est une ville moderne, dont le principal
attrait réside dans les magnifiques jardins qui entourent
les maisons des particuliers et le palais du Souverain.
452
LES PAYS DE L'IRAN -
brebis, le beurre, le fromage composent les menus.
On y ajoute confitures, pâtisseries et bonbons dont
les Persans, comme tous les Orientaux, se montrent
friands. A l'étranger, la Perse demande surtout du
sucre, du thé, du pétrole et des objets manufacturés
(12000000). opium (10 000000), cocons et soies grège
(9000000), poisson (4000000), laine (4000000), etc.
En 1918-1919, seule année récente pour laquelle nous
ayons de source anglaise quelques renseignements précis,
les importations s'élevèrent à 17 000 000 de livres ster-
(cotonnades, mercerie, objets en métal). En échange, elle ling, les exportations à 9 33 1 000. La nature et la valeur
exporte des fruits secs (raisins, abricots), du coton brut,
de l'opium, de la laine, des cuirs, du poisson et du
caviar provenant des pêcheries de la Caspienne, des
cocons et des soies grèges (vers Lyon notamment), et ces
tapis si célèbres que l'on fabrique à Tauris, Kirman,
Sultanabad, Chiraz, etc. Les ressources minérales
paraissent abondantes, mais on ne les exploite point
encore, sauf des mines de turquoises près de Mechhed
et quelques sources de pétrole en Arabistan.
A la veille de la Grande Guerre, la valeur du com-
merce atteignait environ 500 000000 de francs. Aux
importations (292 000 000 de francs), les coton-
nades (90000000) tenaient le premier rang, avant
le sucre (63000000), les objets manufacturés en métal
(20000000), lethéd 8000 000), iafarine(7 000 O00),etc.
Les exportations (205000000 de francs) consistaient
en coton brut (40000). fruits secs (28000000),
tapis (27000000), riz (16000000), peaux et cuirs
relative des objets achetés ou vendus n'ont subi que peu de
modification. La seule qui vaille d'être notée est la brusque
prépondérance pri;e par le pétrole, il ne figuiait pas
au tableau des exportations en 1913. En 1918-1919. il se
classe en tête, et de beaucoup (3 500 000 livres sterling).
Parmi les clients de la Perse, la Russie se taillait,
en 1913, la part du lion. Elle vendait pour 160000000 de
francs et achetait pour 130000000. La Grande-Bre-
tagne se classait loin derrière avec 27 000 000 d'ac'.iats
et 75000000 de ventes. En 1918-1919, la Russie ne
compte plus au tableau que pour 3 000000 délivres ster-
ling partagés à peu près également entre ventes et achats.
Par contre, la Grande-Bretagne fournit à la Perse les
trois quarts de ce dont elle a besoin ( 1 3 700 000 livres
sterling sur 17 000000) et elle lui achète presque la
moitié de sa production (4200000 livres sterling sur
9500000). Le reste se partage entre l'Egv-pte, la Turquie,
la France et ses colonies (20000 livres sterling), etc.
L'EMIRAT D'AFGHANISTAN
Grâce au relief très accidenté de leur pays, non moins
qu'à leurs qualités guerrières, les montagnards Afghans
ont su préserver leur indépendance contre les appétits
de leurs voisins : Persans, Russes et Anglais. Ils consti-
tuent une sorte d'Etat féodal, extrêmement mal connu,
couvrant une superficie approximative de 550 000 kilo-
mètres carrés et peuplé de 5 000000 à 6000000
d'habitants. Les limites politiques, tracées par diverses
commissions anglaises, russes et persanes, atteignent
au Nord le cours de 1 .Amou-Daria, au Sud-Ouest, la
dépression du Séistan. Au Nord-Est, une mince bande
de territoire sert de zone neutre entre les Pamirs russes
et le bassin anglo-indien de 1 Indus.
Divisé jusqu'au milieu du Xlx' siècle en plusieurs
grandes tribus Indépendantes et rivales, sans cesse en
guerre les unes avec les autres, l'Afghanistjin a fini par
s'unir — au moins théoriquement — sous l'autorité poli-
tique du Khan de Kaboul qui a pris le titre d'Emir
(Cf. le groupement des princes éthiopiens sous la suzerai-
neté du Négus Ménéllk). Des gouverneurs administrent
les quatre provinces : Kaboul, Hérat, Kandahar, Tur-
kestan, entre lesquelles se répartit la majeure partie du
territoire. Le reste appéirtient à des tribus, à des clans
plus ou moins vassaux de I Emir, mais d une soumission
souvent douteuse.
Les habitants, métis d'Iraniens, de Mongols et de
Sémites, mènent, comme leurs voisins de Perse, une vie
mi-pastorale, mi-agricole. Leurs vallées, faciles à irriguer,
produisent des céréales, des fruits délicieux, de beaux
légumes. Sur les flancs des montagnes, moutons, chèvres,
mules, chevaux trouvent des pâturages suffisants.
Comme les Albanais et les Marocains de l'Atlas, les
Afghans pourvoient à peu près à tous leurs besoins (lai-
nages grossiers tissés par les femmes, feutres d'excellente
quahté, outils rudlmentalres, armes blanches, poteries).
Des caravanes leur apportent — de l'Inde surtout et un
peu du Turkestan — le sucre, le thé, les cotonnades,
auxquels s'ajoutent, mais en contrebande, les armes de
guerre. Ils expédient en échange des fruits secs, du
beurre fondu, de la laine, des étoffes de feutre et des
chevaux.
Les seules agglomérations de quelque importance,
toutes fort anciennes et d'aspect à peu près semblable aux
villes persanes, sont Hérat (50000 habitants), en rela-
tions avec Mechhed et Merv, Kandahar (45000 habi-
tants), point terminus d'une voie ferrée venue de l'Inde,
Kaboul (60000 habitants), résidence de l'Emir.
De 1839 à 1842, les Anglais, qui craignaient de voir TAlgha-
nistan passer aux mains des Russes, essayèrent de s'y installer par
[a force. L'expédition aboulil à un désastre où disparurent les
16 000 hommes de la colonne d'occupalion. Depuis lors, ils ont
renoncé à leurs desseins de conquéle et se sonl contenlés d'em-
ployer cette fameuse " cavalerie de Sainl-Georges' à quoi sont
dus lanl de leurs succès politiques. L'Emir devint, pendant de
453
^^ L'ASIE
longues années, le pensionné de ïa Grande-Bretagne qui lui versait
annuellement une rente de 1 850 000 roupies (environ 4 500 000 fr.).
Des conventionsfixaicat les obligations réciproques des deux gouver-
nements. Cet état de choses a cessé depuis 1915. L* Emir a repris sa
pleine indépendance. Aussi le gouvernement de l'Inde doit-il sur-
veiller avec la plus grande attention — surtout depuis les progrès
de la propagande soviétiste — les faits et gestes de ces belliqueux
voisins. Les plus fortes garnisons de l'Inde, groupées à Pechawer
et à Rawalpindi, se tiennent constamment prêtes à parer à toute
surprise " indésirable ".
LE BELOUTCHISTAN
Quant à l'extrême pointe sud-orientale des Plateaux
Iraniens, elle constitue, sous le nom de Béloutchistcin, une
simple annexe de l'Inde. Depuis 1876, en effet, les
Anglais ont acquis directement la moitié des 340 000
kilomètres carrés que couvre le territoire béloutche et
pris à leur solde, comme princes vassaux, les Khans ou
chefs de tribus vivant sur l'autre moitié.
On estime à 900000 le total des indigènes : Béloutches
proprement dits (proches parents des Persans), Afghans,
Brahouls (apparentés aux Dravidiens de I Inde Méri-
dionale).
Le pays, couvert de déserts et de steppes fort maigres.
est à peu près dénué de ressources, et les nomades
qui 1 habitent ont peine à vivre du produit de leurs
troupeaux. Mais il offre, pour les Britanniques, le
grand avantage de tourner par le Sud la forteresse
Afghane et de commander l'une des principales voies
d'accès aux Indes, celle qui emprunte la passe de
Bolan.
Les villes de Kélat et de Quettah sont les seules
agglomérations notables. Une voie ferrée se détache à
Chikarpour (sur l'Indus) du réseau indien, passe à
Quettah et parvient aux portes de Kandahar. Il est
depuis longtemps question de la prolonger d une part
au Nord-Ouest vers Hérat et le Turkestan russe, de
l'autre vers Téhéran par le Séistan.
CONCLUSION
Après avoir été, pendant de longs siècles, 1 une des
régions les plus florissantes, les plus civilisées et le lieu
de passage tenestre le plus fréquenté de l'Ancien
Monde, l'Iran, délaissé par les hommes, entra dans une
ongue période d'anarchie, de décadence dont il n est
pas encore sorti. Les gremdes voies commerciales se
détournèrent de "l'Isthme médique ". Elles le contour-
nèrent au Nord par le Turkestan et la Sibérie, au Sud
par la mer. Cet isolement jurêta net ses progrès. De
nos jours, il s'est montré incapable de réagir par ses
propres forces, de corriger seul les vices dont il
souffrait. Mais il trouvait à ses portes des voisins fort
empressés à l'aider. Russes et Anglais également inté-
ressés à l'avenir des pays Iraniens, se disputèrent 1 hon-
neur — et le profit — de régénérer la Perse. La
Russie l'emporta tout d'abord. Depuis la Guerre, la
Grande-Bretagne a repris une prédominance incontes-
table. Maîtresse du Béloutchistan, du Golfe Persique,
de la Mésopotamie, ayant à sa dévotion l'Emir d'Afgha-
nistan, elle exerce à Téhéran, malgré la récente dénon-
ciation du traité de 1919, une influence sans partage
et s'empresse d'en profiter pour ses desseins économiques
ou politiques. Il n'est point impossible — et il est souhai-
table — que l'Angleterre, en travaillant pour elle sur
ce beau chantier tout neuf, travaille aussi pour le mieux-
être des peuples iraniens.
CHAPITRE XXXII
LE TURKESTAN RUSSE
GENERALITES
L'espace compris entre la bordure Nord des Plateaux
Iraniens, la Caspienne, la Sibérie, les hauteurs formi-
dables du Tian-Chan et des Pamirs, porte le nom de
Turkestan Russe. Il couvre une superficie approximative
de 2 000 000 de kilomètres carrés. A l'Ouest, d'immenses
plaines sont comme le vestibule des plaines sibériennes.
A l'Est, montagnes et vallées forment le glacis occiden-
tal de l'Asie Centrale. Les eaux qui en dévalent se
perdent dans le sable ou se terminent dans des lacs : Aral
et Balkach. Un climat continental tour à tour glacé ou
torride, l'absence presque complète de pluies font des
plaines occidentales de vastes déserts sablonneux cou-
454
LE TURKESTAN RUSSE
cuLtureoj
TURKESTAN
Chemin, vejcr
iO projcifj
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*«»»*
pés de steppes où les pasteurs de race turque, Kirghiz
et Turkmènes, mènent la vie nomade. Les valle'es de
1 Est, un peu plus arrosées, mieux abrite'es, se prêtent à
la vie sédentaire grâce à l'irrigation. Sartes et Tadjiks,
de race aryenne, y cultivent le coton, les céréales, les
arbres fruititri.
Devenu possession des tsars dans la deuxième moitié
du Xix' siècle, pacifié et mis en valeur, le Turkestan fut
relié par voie ferrée d'abord à la Caspienne, puis direc-
tement au réseau russe. Il reçut peu d'immigrants slaves,
mais n'en est pas moms pour la Russie une sorte de
colonie subtropicale di très grande importance d'où
l'Empire tira en 1913 plus de la moitié du colon néces-
saire à ses filatures.
En 1913, la majeure partie du pays était administrée direc-
temenl par le gouvernement de Petrograd. Le reste, dans la vallée
de l'Amou-Daria, constituait les Khanals autonomes de Khiva
et Boukhara soumis au régime du protectorat.
GEOGRAPHIE PHYSIQUE
LES MONTAGNES. /Ha Les régions monta-
gneuses couvrent environ le quart de la superficie totale.
Elles se composent d'une succession de chaînes à peu
près parallèles, orientées de l'Est à l'Ouest, plissées dans le
même temps que le Caucase et l'Himalaya. Au Nord,
les monts Tarbagataï et Ala Taou ne dépassent guère
2000 mètres. Ils encadrent un large couloir : la porte
de Dzoungarie par quoi les steppes Kbirghizes communi-
quent directement avec les déserts Mongols.
Puis, en deçà de l'Ili, le système du Tian-Chan
s'étale largement depuis la vallée de cette rivière jusqu'au
cours supérieur du Syr-Daria. Il compte six ou
455
L'ASIE
sept chaînes bordant des lacs (Issyk Koul, Sou-Koul),de
hauts plateaux et des couloirs herbeux où les bergers kirghiz
passent l'e'té. Il culmine par 7 315 mètres au Khan Tengri-
Du Tian-Chan aux Pamirs, l'A'aï et le Trans-Alaï com-
prennent eux aussi une série de chaînes : monts du
Turkestan, monts Hissar, monts Pierre-le-Grand, etc.,
toutes très éleve'es (moyenne de 5 000 à 6 000 mètres)
et dont la pointe suprême, le pic Kaufmann, attemt
7800 mètres. La valle'e du Kizil-Sou ou Sourkhab,
affluent de l'Amou-Daria, se creuse au coeur des mas-
sifs. Elle porte elle-même le nom d'Alaï, et ses pâtu-
rages savoureux lui valurent le surnom de Paradis
des Kirghiz ".
Le Pamir couvre l'espace compris entre le Transalaï
et l'Hindou-Kouch. Les re'centes explorations nous le
dépeignent non pas comme un plateau uniforme, tel
qu'on se l'imaginait autrefois, mais comme une succes-
sion de larges vallées à pentes douces, hautes de 3000 à
4000 mètres, séparées par des chaînes s élevant généra-
lement de 900 à 2400 mètres au-dessus des vallées
(A Woeïkof). D'où le terme de région des Pamirs qui
tend à remplacer l'ancienne appellation. Le rebord orien-
tal, sis en territoire chinois, dresse à 7 860 mètres la
pyramide colossale du Mouz Tagh Ata.
L'Hindou-Kouch, le SeRd Koh, les monts Paro-
pamisades, le Kopet-Dagh et les monts du Khorassan
imitent au Sud le Tuikestan. Nous les connaissons déjà.
Ils n'appartiennent, du reste, que pour une très faible
part à la région qui nous intéresse présentement.
Toutes les hautes montagnes de l'Est ont des carac-
tères communs.
Leur altitude considérable et continue, l'enchevêtre-
ment de leurs plis, l'extrême rareté des brèches y
rendent les passages fort malaisés.
Le plus célèbre, le col de Terek-Davan. qui unit le Ferghana à
Kachgar, se trouve à plus de 4000 mètres. C'est l'ancienne Route
de la Soie, empruntée de toute antiquité par les caravanes. Dans
le Trans-Alal, le col de Kizil-Art, qui mène aux pâturages des
Pamirs et même à l'Inde (la piste franchit l'Hindou-Kouch au
pas de Baroghil), atteint 4 612 mètres, presque l'altitude du Mont
Blanc.
Le climat est tel qu'on peut l'attendre de régions tiès
élevées, assez proches du Tropique, mais éloignées des
Océans.
A Pamirski Post (3693 mètres d'altitude), la
moyenne des températures annuelles est inférieure à 0
( — ]",2). Elle s'abaisse en janvier à — I8°,l, mais
s'élève en juillet à + 1 4°, 2, soit un écart moyen de 32°, 3,
beaucoup plus grand que les amplitudes observées en
Suisse à égale hauteur.
La sécheresse de l'air accentue à la fois l'msolation et le rayon-
nement. Aussi non seulement note-t-on des différences considé-
rables entre les saisons, entre le jour et la nuit, mais même entre
deux pomts exposés, l'un à l'ombre (plusieurs degrés au-dessous
du pomt de glace), l'autre au soleil (30° au-dessus de zéro).
Des bourrasques continuelles, des vents d'une incroyable violence
balaient l'atmosphère. Les voyageurs ont peine à se tenir à cheval
et les animaux doivent se réfugier à l'abri des roches protectrices.
Peu de précipitations atmosphériques malgré l'alti-
tude. Les grands réservoirs d'humidité sont trop loin et
les montagnes ne peuvent compter que sur l'évaporation
de 1 Aral, de la Caspienne, des plaines irriguées.
Pamirski-Post ne reçoit que 61 millimètres d'eau.
Mais cette eali tombe — surtout à l'automne et
au printemps — sous forme de neige dont la lente
fusion assure au sol assez d'humidité pour porter sinon
des forêts, comme dans nos Alpes, du moins des prai-
ries. Certaines hautes vallées, comme l'Ala'i, sont
célèbres par la qualité de leurs alpages où le bétail
engraisse vite. La flore arbustive n'est représentée (jus-
qu'à 2000 mètres environ) que par quelques pieds iso-
lés de genévriers, de sapins et des bouquets de noyers
sauvages.
Sur les flancs des plus hautes montagnes directement
exposés aux vents d'Ouest, la neige s accumule en névés
et en glaciers qui s'accroissent même en été. et par ciel
très clair, grâce à la simple condensation de la vapeur
d'eau tenue en suspension dans l'atmosphère. Ces gla-
ciers sont, pour le Turkestan tout entier, la vraie et
presque 1 unique source de vie. Sans eux le désert
s'étendrait sans solution de continuité des rives de la
Caspienne jusqu'à la Mandchourie. Grâce à eux, l'Ili,
le Zarafchan, le Syr et l'Amou-Dana sont assurés d'une
alimentation régulière. Ils peuvent ainsi braver l'intense
évaporation, la sécheresse des vallées et des plaines où
ils débouchent, et assurer l'irrigation des riches oasis où
de tout temps se fixèrent les hommes.
LES VALLÉES ET LES OASIS DU
" PIEDMONT". £>£> Entre les "deux pôles répulsifs"
que sont la haute montagne et le désert, une ceinture
d'oasis constitue, en effet, le pôle attractif ", la zone
d'humanité du Turkestan.
Elle débute au Nord, dans la province du Seminet-
chensk, par les petites vallées de l'Ala-Taou (de Sergio-
pol à Kopal), et par la vallée moyenne de l'IIi (entre
Kouldja et Viernyi), se continue au Centre par la dépres-
sion du Ferghana que traverse le Syr Daria, par les
vallées du Zarafchan et de l'Amou Dana ; s'achève au
Sud par les oasis de Merv, Tedjen, Askhabad, semées
au pied du Kopet-Dagh.
Le climat y est encore tour à tour très chaud, très
froid, et toujours très sec, comme en témoigne le tableau
suivant :
456
LE TURKESTAN RUSSE
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457
L'ASIE
BOUKHARA : LA MEDRESSÊ. Boukhara, capitale du Khanatde ce nom. fut.
du IX^ au XÎV^ siècle, une des grandes cités tnleUectuelles de l'Islam. On n'y
compte pas moins de 360 mosquées ; et une centaine de Medrcssés ou Ecoles érigent
encore, au-dessus des petites maisons d'argile, leurs portes monumentales.
NOUVEAU MERV : UNE ÉCOLE. Ancienne ville hellénique fondée parAntio-
chus Soter au milieu d'une oasis renommée pour sa fécondité, Merv fut, au Moyen
Age, presque aussi célèhre que Boukhara comme centre d'études musulmanes. Plu-
sieurs fois dévastée, elle ne joue plus qu'un r,'le insignifiant.
UN AOUL AU TURKESTAN. Les villages, au Turkestan russe, sont faits de
maisonnelles en briques crues ou en terre battue, avec un petit nombre d'ouver-
tures et des muTs très épais pour se préserver également de la rigueur du froid et
de la torride chaleur des étés. Les femmes s'occupent à laver les étoffes de feutre.
CAMPEMENT DE KIRGHIZ. Les Kirghiz. ou Turco-tatares, mènent la vie
nomade dans toute la vaste région qui va des steppes de la Caspienne et de la Sibérie
méridionale aux alpages des montagnes du Turkestan. Ils habitent des tentes rondes,
assez confortables, faites de pièces de feutre tendues sur un hàti de lattes de bcis.
CA:. J;E:\1£:;T au sud du KARA-KOUL. La vue est prise dans les Monts
Ah\, i'ur, dcz mazzifs compris dans le formidable ensemble des hautes terres qui
ùoiidr.cr.i à /'i^( la dêùrcssion du Turkestan russe. Le Kara-koul ou Lac
Ndr £ trouve à 3 840 mètres d'altitude.
458
UN MARCHÉ AU COTON. Z^ climat et le sol du Turkestan russe conviennent
parfaitement à la culture du cotormier. Aussi, les surfaces consacrées à cet arbuste
se sont-elles accrues avec une remarquable rapidité, notamment dans le Ferghanah,
ou haute vallée du Syr-Daria.
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27°0
290
355
Hiver
Printemps
1 16 mm.
153 mm.
Nulle part la quantité de pluies n'est suffisante pour
que la culture soit possible sans irrigation.
Mais 1 irrigation est assure'e grâce aux réserves de
neiges et de pluies où puisent les torrents.
Parmi ces torrents, les plus faibles ne dépassent pas
le pied des montagnes. La petite quantité de leurs eaux
qui échappe aux rigoles d'arrosage se perd dans les
sables. Tels sont le Tedjen, le Mourghab (oasis de
Tedjen et de Merv), le Zarafchan (oasis de Samar-
cande et Boukhara), le Talas, le Tchou, etc.
D autres s'uniisent pour former de vrais fleuves :
Amou-Daria, Syr Daria, Ili.
L'Amou (l'ancien Oxus) réunit les eaux des Pamirs
et de l'Hindou-Kouch. Long de 2 312 kilomètres, abon-
dant, large et rapide dans son cours supérieur, il s'ap-
pauvrit à mesure qu'il s'éloigne des montagnes. Cepen-
dant, en dépit de l'évaporation et des saignées faites par
les rivières, il apporte encore à rAr2il une moyenne de
1 250 mètres cubes d'eau à la seconde.
Le Syr Dana (l'ancien Yaxarte), un peu plus long
(2873 kilomètres), a un débit beaucoup moins considé-
rable (500 à 600 mètres cubes à la seconde).
L'Ili (1050 kilomètres) jette au lac Balkach
400 mètres cubes en moyenne à la seconde.
L'eau ne manque donc pas, les bonnes terres non
plus, carie sol des vallées, formé soit d'alluvions fluviales,
soit de loess " provenant des poussières accumulées
par le vent du désert, se montre, pour peu qu'on l'ar-
rose, d'une très remarquable fécondité.
Enfin, la chaleur des longs étés, la clarté du ciel, le
calme de I atmosphère dii à l'écran protecteur des mon-
tagnes favorisent encore la croissance des plantes. Les
steppe» de loess se couvrent de graminées vigoureuses
(les Badkhys), hautes d'un mètre et plus. Peupliers,
saules, tamaris, pla'anes accompagnent livières et ruis-
seaux.
Surtout I homme sut créer, pai l'utilisation judicieuse
des eaux, une multitude d'oasis, tantôt isolées les unes
des autres, tantôt réunies en un immense jardin.
LE TURKESTAN RUSSE
^ Ce» oasis ne s'orneni poinl. comme leurs sœurs sahariennes, des
(ùls éléganls, des grandes palmes du dallier. Elles doivent se con-
lenler d'arbres moin» sensibles aux rudesses de l'hiver, el ce sont
des saules, des ormes, des peupliers surtoul qui peuplent les jardins,
les boqueteaux irrigués. Mais à côlé d'eux tous nos arbres fruitiers,
tous nos légumes, nos céréales croissent admirablement. Les mois-
sons de la Sogdiane (la région de Samarcande) étaient dé)à célèbres
aux temps antiques. Aujourd'hui le riz, le sorgho, le mais, la luzerne,
le mûrier s'ajoutent au blé, à l'orge, à la vigne, à l'abricotier, au
noyer, au sésame, au lin, et le cotonnier a lait de tel» progrés qu'il
tend, comme en Egypte, à supplanter les autres culluresde moindre
rapport.
LES STEPPES ET LES DÉSERTS DE
L OUEST. H^ Au point où s'arrêtent les rigoles com-
mence le désert. Il couvre environ 1000 000 de kilomètres
caaés sous les noms de Kara Koum ou Sable noir (entre
les monts Kopet Dagh et l'Amou-Daria), de Kizil Koum
ou Sable rouge (de l'Amou-Daria au Syr-Daria). de
Bed-pak-dala ou Steppe de la Faim entre le Syr-Daria
et le lac Balkach, de plateau d'Oust-Ourt entre le lac
d Aral et la Caspienne. 11 se continue dans la Sibérie
méridionale par les steppes des Kirghiz (Gouverne-
ments de Tourgaï, Akmolensk et Sémipalatinsk).
Les Koum sont des déserts de sable recouverts de
dunes mouvantes en fer à cheval, les " barkanes ",
hautes de 5 à I 2 mètres, que séparent les " fakyrs ",
dépressions argileuses et stériles semées d'effloresccnces
salines.
Le plateau d'Oust-Ourt rappelle plutôt les Hamadas
sahariennes. Point de dunes, mais de vastes surfaces de
roches lisses, de cailloux et d'argiles que bordent des
escarpements : les ' tchink ", analogues aux " gours "du
Tademayt. Toujours des hivers très rudes et de brillants
étés. Kazahnsk, près de l'embouchure du Syr-Daria, a
— 1 1 5, comme moyenne de janvier (l'hiver de la Laponie
sous la latitude de Bordeaux) et + 25°, 1 comme moyenne
de juillet. Khiva, un peu plus au Sud, passe de — 4". 7 à
+ 28°, 3. Des vents, que rien n'arrête, soufflent de l'Est
en hiver, de l'Ouest en été, tour à tour glacés ou suffo-
cants, soulevant de tels tourbillons de poussière qu'ils
empêchent de voir les montagnes quelquefois pendant
des semaines entières, et cela à une distance souvent
inférieure à 10 kilomètres ".
Les pluies, déjà si faibles dans les montagnes et les
vallées, diminuent encore dans les plaines. Même aux
rives delà Caspienne, Krasnovodsk ne reçoit que I I cen-
timètres d'eau ; Kazalinsk et Perovsk 12; Khiva 9.
Aussi toute culture est-elle impossible en dehors de la
zone irriguée par l'Amour et le Syr-Daria qui, semblables
au Nil, créent de la montagne au lac d'Aral une longue
et mince ligne d'oasis étroitement limitées par les
sables.
Ces sables ne sont point, du reste, complètement pri-
vés de végétaux. Les averses du printemps, si faibles
- 459
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE.
L'ASIE
soient-elles, disparaissent sous le sol meuble et suffisent à
nourrir quelques plantes peu exigeantes accommodées
à l'extrême se'cheresse : plantes bulbeuses, gramine'es à
carapace cimentée par du calcaire (le Sélm), arbustes
épineux tels que l'acacia des sables, le Kandym, le
Tcherkez, le Saksaoul, surtout, au bois très lourd, très
dur, difficile à scier, mais qui se casse facilement et donne
un bois de chauffage excellent. Les plantations artifi-
cielles destinées à préserver les voies ferrées de l'envahis-
sement des sables ont prouvé que cette végétation, en
général extrêmement clairsemée, pouvait se développer
considérablement. L'évolution naturelle des semis aboutit
même, au bout d'une période relativement courte (une
vingtaine d'années), non seulement à fixer complètement
les barkanes ', mais à transformer le désert aride en
une steppe où dominent les plantes herbacées et où
les troupeaux des nomades trouvent une nourriture
assurée.
Seuls les déserts de roches et d'argiles dures, à la sur-
face desquels 1 eau de pluie s'évapore en quelques
heures, ne pourront échapper à l'éternelle stérilité.
Les régions les plus basses des plaines occidentales sont occupées
par deux lacs : le Balkach et l'Aral. Le premier, nourri par l'Ili,
couvre 18000 kilomètres carrés (autant que le lac Ladoga en Russie
d Europe). Le second, qu'alimentent le Syr et l'Amou-Daria, se
classe avec ses 67 000 kilomètres carrés, immédiatement après les
Lacs Supérieur et Victoria Nyanza. 11 est possible que l'Aral,
dont le niveau est légèrement supérieur à celui de la Caspienne,
ait communiqué autrefois avec cette mer par les dépressions de
Sarry-Kamych et de l'Ouzboï. Mais il paraît démontré que —
au moins depuis la période historique — il n'y a pas eu dans toute
cette région dessèchement progressif et continu, comme on l'a sup-
posé longtemps. On relève simplement, dans le niveau de tous les
lacs de l'Asie Centrale et Occidentale, des oscillations périodiques,
tenant à des variations temporaires du climat : maximum un peu
après 1840, minimum en 1854; crue de 1854 à 1860, baisse des
eaux après 1870; minimum vers 1885. crue depuis cette date. etc.
(D'après A. Woeikof.)
GEOGRAPHIE HUMAINE ET ECONOMIQUE
L'HISTOIRE, i) £> Depuis l'aurore des temps assauts des envahisseurs. L'Angleterre, un moment fort
historiques nous trouvons le Turkestan occupé par des inquiète de cette poussée slave qui semblait menacer
sédentaires et des nomades. Les premiers, fixés dans les l'Inde, finit par s entendre à 1 amiable avec le gouverne-
oasis du Piedmont ", appartenaient au groupe des ment des Tsars, et 1 on fixa d un commun accord les
peuples iraniens, de race blanche. Les seconds étaient frontières anglo-russo-afghanes dans la région des
des Touraniens, de race mongole. Leur pays, connu Pamirs. De son côté, la Russie laissa un semblant d'au-
dans l'Antiquité sous les noms de BactrianeetdeSogdiane. torité à deux souverains indigènes : les Khans de Khiva
fut conquis par Alexandre ; mais l'influence hellénique. et de Boukhara. Elle se chargea d'administrer le reste
toute passagère, n'a laissé que des traces insignifiantes. du pays qui fut uni directement à 1 Empire.
Islamisé à partir du VIII® siècle, et incorporé dans les
différents Empires (Gengis-Khan.Tamerlan) qui se succé- LES HABITANTS. ^^ En prenant comme base
dèrent en Asie Centrale, le Turkestan joua un certain 'e dernier recensement officiel (il date de 1897 !) et en
rôle comme lieu de rencontre entre les commerçants de 'enant compte de l'accroissement normal de la population,
l'Occident et ceux de l'Extrême-Orient. C'était une des on estimait, en 1912-1913, le nombre total des habi-
étapes de la "Route de la Soie "et Samarcande comptait, tan's à 13 162 000 ainsi répartis :
au Moyen Age, au rang des principaux entrepôts com- Province de Ferghana 2 1 1 6 000 habitants
merciaux du monde. Plus tard, des chefs locaux, les — de Samarcande 1 194 000 —
Khans, devinrent indépendants jusqu'au jour où les — de Syr- Dana 1989 000 —
Russes apparurent. Aucune barrière ne s'interposait " de Semirietchensk '"6 000 -
I ii\ri 11» Ali — ae Transcaspienne 507 000 —
entre les pays de la Volga et ceux de 1 Aral. Les popu- ^^^^^, j^ g^^^^^^^ 2 500 000 -
lations mêmes, Tatares. Kirghiz, étaient de même race et Khanat de Khiva 550 000 —
de religion identique. Aussi la croisade orthodoxe contre
le Croissant se dirigea-t-elle vers les steppes Turkmènes La densité est naturellement extrêmement variable.
dans le même temps qu'elle prenait Constantinople Tandis que les déserts et les steppes de l'Ouest, les hautes
fomme objet suprême de ses efforts. Pierre le Grand y montagnes de l'Est, ne comptent qu'un nombre d'hommes
songea; Catherine II essaya d'entreprendre une conquête insignifiant, les riches oasis du Ferghana, de Samarcande,
qui échoua, mais que, quatre-vingts ans plus tard, les de Khiva nourrissent la majeure partie des 13000000
razzias des nomades, faites aux dépens des premiers colons d'habitants fixés au Turkestan.
russes fixés dans la Sibérie du Sud-Ouest, rendirent indis- Ces habitants comprennent d'abord des Tadjiks
pensable. Commencée en 1845. l'occupation s'acheva (9 pour 100 du total) qui sont de purs Aryens, proches
en 1892 après une série de rudes campagnes où les parents des Persans, et représentent l'élément le plus
Turkmènes, notamment, résistèrent vaillamment aux ancien des sédentaires de race blanche : figure ovale, che-
460
veux noirs, bruns foncés, quelquefois même châtains ou
blonds, yeux bruns ou noirs, beaucoup de barbe. Les
uns habitent les villes de la plaine et des basses vallées :
excellents agriculteurs, ouvriers et marchands habiles, ils
jouent le premier rôle parmi les indigènes. Les autres,
surnommés Galtchas, mènent dans la montagne une vie
rustique et fort misérable.
Aux Tadjiks s'opposent les Kirghiz, turco-tateu-es à
peu près purs et demeurés en grande majorité fort atta-
chés à leurs habitudes nomades. Robustes, endurants,
hospitahers, très curieux de nouvelles, ils mènent leurs
troupeaux soit dans les sleppss des plaines septentrio-
nales, soit dans les alpages du Tian-Chan, de l'Altaï,
des Pamirs.
Mais la masse de la population provient du métis-
sage à doses inégales entre blancs et jaunes, nomades
et sédentaires, Turco-Tatares et Iraniens. On leur donne
le nom de Sartes, Uzbegs, Turkmènes. Les pre-
miers, Sartes et Uzbegs, tous sédentaires, peuplent
les campagnes irriguées et les villes du Ferghana, de
Samarcande, Khiva, Boukhara. Depuis longtemps habi-
tués a supporter sans se plaindre les razzias, les exigences
des nomades, ils ont pris peu à peu ces habitudes de
cautèle, de dissimulation, d hypocrisie, et cette naturelle
lâcheté que nous remarquâmes déjà chez certains peuples
de l'Iran. ' Le peu de résistance opposée par eux à
la conquête russe, la fuite de leurs armées nombreuses
devant de petits détachements leur ont fait une fâcheuse
réputation " que rachètent dans une certaine mesure
leur aptitude au commerce et à l'agriculture.
11 en est tout autrement des Turcomans presque tous
concentrés dans la province de Transcaspienne et la pro-
vince persane du Khorassan. Ceux-ci, jusqu'à l'arrivée des
Russes, n'avaient jamais connu de maîtres. S ils se mélan-
gèrent aux Iraniens, ce fut à la suite de leurs razzias où
les femmes blanches formaient le butin le plus recherché.
D'où la création d'une race vigoureuse et belle, éprise
d'indépendance, et qui opposa aux Russes une résistance
désespérée.
Vaincus, mais traités avec les égards dus à leur
courage, ils se sont soumis sans arrière-pensée, ont
complètement renoncé à leurs habitudes de brigandage,
et commencent même à délaisser la vie nomade pour se
transformer en cultivateurs sédentaires.
Sédenlaires et nomades onl adoplé depuis des siècles l'Islam.
Les premiers. Sunnites ou CKiiles, pratiquent Irès strictement leur
religion et font même preuve à l'occasion d'un véritable fanatisme.
Nombreux sont ceux qui vont chercher à Kerbela ou à la Mecque
le litre de " Hodja ". Les nomades, surtout Kirghiz, ont plus de
tiédeur religieuse et mêlent à la pure doctrine musulmane beaucoup
d'anciennes croyances païennes. Ils ne se conforment généralement
pas aux rites du Coran pour le Carême, les prières, etc., et leurs
femmes, auxquelles ils laissent une grande liberté, ne se voilenl
jamais.
LE TURKESTAN RUSSE
Aux indigènes s'ajoutent des Russes, mais en petit
nombre, et cela pour plusieurs raisons.
D abord, à la base des monts, les chaleurs torrides
de 1 été, bien qu'assez aisément supportables par suite de
la sécheresse de l'air, sont peu faites pour leur convenir.
La montagne, beaucoup plus salubre, ne leur plail pas :
le Russe est un homme de plaine qui n'aime pas à
grimper.
De plus, et surtout, les " Kichlats " ou oasis, seules
régions productives, renferment déjà une population indi-
gène très dense, qui s'entend fort bien — et suffit — à
les mettre en valeur.
Aussi ne comptait-on en 1912 (en dehors des fonction-
naires et des garnisons) que 73500 Russes répartis en
171 villages dans les qua'.re provinces de Syr-Daria,
Samarcande, Ferghana et Transcaspienne.
Il semble que la province de Semirietchensk ait plus
d avenir. Sa situation septentrionale lui vaut un climat
plus rude qui ne permet pas la culture du cotonnier
(à laquelle le Russe n'entend rien), mais est favorable
aux céréales et à l'élevage. La population, très clairse-
mée (Kara-Kirghiz nomades), laisse disponibles de vastes
étendues de terre. Aussi, depuis 1890, et surtout depuis
1905, un courani très intéressant d'émigration se dessi-
nait-il vers ces lointaines régions, malgré la longueur et
la difficulté du voyage. On compta 2 000 émigrants en
1907, 7600 en 1908, 5800 en 1909. La con.truction
de la ligne Tachkent-Arys — Viernyi-Sergiopol —
Sémipalatinsk-Transsibérien (voir plus loin K le dévelop-
pement des travaux d'irrigation pourraient élargir très
fortement ce début de colonisation.
LES RESSOURCES, aa Élevage, agriculture,
elles sont les sources presque uniques de la production
ocale.
L'élevage se pratique dans la steppe et la montagne.
Moutons (notamment de race " Kourdiouk ", à lourde
queue graisseuse), vaches, chevaux, dromadaires, cha-
meaux, yaks même, au-dessus de 3033 mètres, sont la
richesse du nomade. Il se nourrit de leur lait et de leur
chair, fait du fromage et du beurre, vend aux séden-
taires de la laine, du cuir et des animaux sur pied, en
échange des céréales. Le nomadisme décline, du reste,
et le cheptel tend plutôt à diminuer. Le chameau, notam-
ment, a beaucoup perdu de son importance depuis la
construction des chemins de fer. Par contre, l'élevage
des porcs, inconnu des indigènes musulmans, a été intro-
duit par les immigrants russes.
L'agriculture n'est possible qu'en terrain irrigué.
Même à proximité des grandes villes, un hectare de
terre placé hors de la zone accessible aux rigoles se vend
de 8 à 10 francs, tandis que la même surface, facile à
arroser, atteint 40(X)et 5 000 francs. Aussi tout l'avenir du
■ -toi
L'ASIE
pays repose-t-ll sur l'extension des canaux, la construc-
tion de barrages et de réservoirs. De'jà le Turkestan
possède plus de 2 500 000 hectares de terrains irrigués,
ce qui le classe immédiatement après l'Inde et les Etats-
Unis. Mais on peut faire bien plus encore. Les mil-
lions de mètres cubes d'eau que le Syr et l'Amou-Daria
apportent à l'Aral, et l'ili au Balkach, sont perdus pour
la culture. D'où de nombreux projets de dérivation de
ces fleuves et de quelques-uns de leurs affluents, projets
qui, d'après les calculs des ingénieurs russes, permettraient
de mettre en valeur 2 200 000 hectares par les eaux de
l'Amou, 700 000 par les eaux du Syr, 400 000 à 500 000
par celles de l'Ili et de quelques torrents voisins. Les
travaux considérables exécutés par les Anglais en Egypte,
dans 1 Inde, en Mésopotamie, et par les Américains au
Colorado, dans l' Arizona, la Californie, etc., permettent
de croire que, si ces projets se réalisent, ils ne décevront
pas les espérances que l'on fonde sur eux.
Les céréales viennent en tête des plantes cultivées :
froment, orge, millet d abord, puis riz, avoine et maïs.
Tous les légumes et les arbres à fruits d'Europe donnent
d'excellents produits (melons, raisins, abricots, prunes,
pêches, noix, poires, etc.) qui s'exportent en grande
quantité vers la Russie d'Europe et la Sibérie, soit
à l'état frais, soit séchés au soleil. Une exploitation plus
judicieuse et plus scientifique, le développement des
vignobles, les expéditions de primeurs, peuvent accroître
dans de très fortes proportions la valeur des vergers et
des jardins.
Les plantes oléagineuses (ricin, sésame, lin) et four-
ragères (la luzerne notamment), le mûrier sont aussi
de bon rapport.
Mais c'est le cotonnier qui attire surtout l'attention.
Avant la conquête russe, on ne cultivait qu'une espèce
médiocre, d'origine indienne, donnant une fibre courte
et grossière. Des essais, poursuivis de 1865 a 1880,
ont amené l'acclimatation de variétés très supérieures
venues d'Amérique. De plus, la construction des che-
mins de fer Transcaspiens (Tachkent-Krasnovodsk et
Tachkent-Orenbourg) permit aux producteurs d'expor-
ter aisément leurs fibres sur les marchés russes. Enfin,
le développement rapide de l'industrie cotonnière en
Russie (Yaroslaw, Moscou, etc.) assura aux cultiva-
teurs une vente facile et rémunératrice, l'offre demeu-
rant constamment inférieure aux demandes.
Aussi le nombre d'hectares consacrés au cotonnier s'accrut-il extrê-
mement vite, passant de 330 en 1884 à 13000 en 1886, à 64 000
en 1890, à 227 000 en 1902, et à420 000 en 1912. A cettedate.
sur les 360 000 tonnes métriques de coton égrené mis en oeuvre par
les fabriques russes, près de la moitié venait du Turkestan.
Des diverses régions irriguées, le Ferghana se prête le mieux à
la bonne venue de la plante que l'écran des monts protège contre
les gelées précoces ou Icrdnes. Le cotonnier occupe partout plus du
tiers et, dans certaines contrées, les deux tiers des terres cultivées.
Céréales, luzernes, vergers même ont reculé devant l'envahissement
des champs de coton. Après le Ferghana se classent les oasis de
Samarcande, Boukhara, Khiva et Merv.
O.i co.inait mil encore les ressources possibles du
sous-sol, et le Turkestan n'a point de mines en exploi-
tation. Mais, aux vieilles industries locales (tapis, feutres,
bijoux, ustensiles en cuivre repoussé, de très minime
impDrtance, du reste), s'ajoutent maintenant des usines
et des fabriques parfois considérables, où l'on traite les
produits agricoles : " gins ", ou usines à nettoyer le co-
ton, huileries et fabriques de tourteaux (avec la graine
du cotonnier qui remplace peu à peu le sésame et la
graine de lin), conserves de fruits, minoteries, entreprises
vinicoles (50000 hectolitres), etc.
LES VILLES. ^ £> La richesse des oasis et le
groupement naturel des habitants aux points où l'eau
coulait avec abondance, expliquent le nombre relative-
ment grand et l'ancienneté des agglomérations urbaines.
Certaines d'entre elles existaient déjà lors de la conquête
d'Alexandre, au iv*^ siècle avant notre ère. D'autres
apparurent après lui aux temps des Sassanides et des
dynasties mongoles. Dautres, enfin, ne doivent leur
naissance qu au récent développement économique de
la contrée et à la construction des chemins de fer.
La plupart d entre elles comprennent deux parties dissemblables :
la ville mdigène aux petites maisons de pisé, à toits plats, se pres-
sant au long d'étroites rues tortueuses, et la ville russe, d'aspect
européen. Des arbres nombreux croissent dans les cours intérieures-
Autour de la cité, des jardins ceints de murs en terre, que sur-
montent les cimes des peupliers, se remplissent de carrés de légumes
et d'arbres fruitiers qui portent des guirlandes de vignes suspen-
dues à leurs branches. Les hauts portiques des médressés (ou écoles),
les coupoles des mosquées qui s'érigent par-dessus les chélives
demeures des indigènes, contrastent avec les usines, les théâtres, les
casernes, toute l'ordinaire série des bâtiments officiels construits par
les nouveaux maîtres. Par ailleurs, la nonchalance slave s'associe fort
bien à l'indolence orientale. Au " C'était écrit " du musulman
répond le" Nitchevo " du Russe. Le souci de l'hygiène publique,
les soins de la voirie, les laissent également indifférents. Si à cer-
taines époques de l'année (récolle et vente du coton notamment) tout le
monde fait preuve d'une certaine activité, le reste des jours coule
sans grand souci : le Slave fait la sieste, le Tadjik ouïe Sarte fait
le " kief " et leurs rêves, s'ils portent sur des objets différents,
remplissent également le plus clair de leur temps.
La province de Semirietchensk a pour chef-lieu
Viernyi (40000 habitants) dans la vallée moyenne de
l'Ili, mais au pied du Tianchan. Djafkent, Kopal, Lep-
sinsk (8000 habitants), Sergiopol s'échelonnent à la base
de l'Ala-Taou. Prjévalsky, où mourut le célèbre explo-
rateur dont la cité prit le nom (15 000 habitants),
grandit près du lac Issyk-Koul. Toutes ces villes sont
peuplées surtout d'immigrants russes.
Dans la province du Syr-Daria, Tachkent (272000
462
habitants), capitale administrative du Turlcestan, renferme
une forte colonie russe (57 000 personnes), des sociétés
savantes (Socie'té de Géographie, d'Economie rurale,
technique, etc.). un observatoire, de riches biblio-
thèques, des banques actives, des usines, etc. Ville an-
cienne, mais souvent conquise et détruite, elle n'a aucun
monument remarquable. Tchimkent, " la ville verte ",
Turlcestan (l'ancienne Yasi, 17 000 habitants), Aoulié-
Ata, ont aussi plusieurs siècles d'existence. Perovsk et
Kazalinsk (16000 habitants) ne doivent, au contraire,
leur naissance qu'à la voie ferrée Tachkent-Orenbourg.
dont elles sont les principales stations.
La vallée moyenne du S>T-Daria constitue le cœur
de la province du Ferghana, " perle de l'Asie Centrale".
La densité de la population atteint 1 7 habitants au kilo-
mètre carré pour l'eneemble de la province, et si l'on
ne tient compte que des surfaces irriguées, cette den-
sité est de plus de 1 50 habitants au kilomètre carré.
Aussi y compte-t-on six villes importantes : Kokand
(1 14000 habitants), fondée au xvin^ siècle seulement,
mais centre du commerce du coton, oii l'on gagne beau-
coup, où 1 on dépense largement, et où les sociétés russes
et in igènesse mêlent plus étroitement qu'ailleurs ; Skobe-
lefî (16000 habitants), chef-lieu de la province; Vieux-
Marghilan (41 000 habitants), Namangan (73000 habi-
tants), .Andidjan (47 000 habitants), Och (5 1 000 habi-
tants), qui, sans passé, ont rapidement grandi grâce au
coton et à la voie ferrée.
La provmce de Samarcande doit aux eaux du Za-
rafchan ou Sogd (d'où le nom de Sogdiane) sa pros-
périté et son antique renommée. Le chef-lieu, Samar-
cande, s'élève près de la Marahanda d'Alexandre. Elle
fut la capitale des Sassanides et de Tamerlan. De splen-
dides mosquées (le Chah Zindeh, le Cour-Emir, aux
murs revêtus de faïences polychromes) rappellent cet
illustre passé. La ville réduite à 7 000 ou 8000 habi-
tants au milieu du XIX^ siècle, en a maintenant 90000
et se livre surtout au trafic des fruits secs. Khodjent
(40000 habitants), bâtie, disent les indigènes, " par une
fille d'.-Xdam", Djirah (1 2000 habitants), font de même.
En aval de Samarcande, le Zarafchan pénètre dans
le Khanat de Boukhara et irrigue, avant de se perdre
dans les sables, la cité de ce nom, capitale du Khanat.
Ce fut. du IX® au Xiv° siècle, un des grands foyers
d'études de l'Islam. Trois cent soixante mosquées, plus
de cent médressés. érigent encore leurs tours et leurs
coupoles au-dessus des maisons basses. Elle compte
une centaine de milliers d'habitants, et Karchi (sur
l'Amou) en aurait 70000.
En aval de Karchi. Tchardjouï ( I 5 000 habitants)
s'élève au point où le Transcaspien franchit I Amou-
Daria. Khiva (20000 habitants), dans le delta du fleuve,
est la capitale du Khanat de ce nom.
LE TURKESTAN RUSSE
Enlin. au pied des monis Paropamisades et du
Kopet-Dagh, s'alignent les oasis de Merv (16000 habi-
tants), Tedjen, Askhabad (40 000 habitants), centre
de commerce avec la Perse Nord-orientale (une route
carrossable unit Askhabad a Mechhed, chef-lieu du
Khorassan). Aux rives de la Caspienne, le port de
Krasnovodsk (20000 habitants) est la tête de ligne du
Transcaspien .
LES VOIES DE COMMUNICATION, aa
Jusqu a la conquête russe, les diverses régions du Tur-
kestan ne communiquaient entre elles ou avec l'intérieur
que par caravanes. Leurs relations naturelles s'établis-
saient non pas avec la Russie, trop lointaine, mais avec
leurs voisins immédiats : Perse, Afghanistan, Turkestan
Chinois. Encore aujourd'hui, de longues files d'animaux
porteurs, conduits par un " Karavan bachi", font le va-
et-vient entre le Ferghana et la Kachgarie. par le col
de Terek-Davan, ou, franchissant les montagnes du
Sud, gagnent Kaboul, Hérat et Mechhed.
Mais la construction des voies ferrées a modifié profon-
dément les anciennes conditions du trafic. Des 1880.
avant même que la pacification fût achevée, les Russes
jetaient à travers les déserts du Sud une ligne de 1 800 ki-
lomètres qui, partant de Krasnovodsk sur la Caspienne,
passait à Askhabad, Merv, Tchardjoui, Boukhara. Sa-
marcande et atteignait Tachkent. Un embranchement de
Merv à Kouchk (frontière afghane) devait être l'amorce
d'une ligne gagnant le réseau indien par Hérat, Kan-
dahar, Quettah, Chikarpour.
Le Transcaspien ", entrepris d'abord (comme, plus
tard, le Transsibérien) pour un objet surtout stratégique,
prit très vite une considérable importance commerciale.
Les marchandises affluèrent à Krasnovodsk, d'où la flotte
de la Caspienne les conduisait à Bakou et Astrakan. Il
révéla aux Russes eux-mêmes la valeur économique de
leur conquête. Aussi le prolongea-t-on d'abord jus-
qu'au fond du Ferghana (par Kokand, Skobeleff,
.Andidjan et Och). Puis, pour éviter le long détour et
le double transbordement que nécessitait la voie du
Transcaspien, on construisit, de 1902 à 1905, une ligne
directe (1952 kilomètres), unissant Tachkent au réseau
russe par Orenbourg. Des tarifs très réduits facilitèrent
le transit des denrées et des voyageurs (en 1913,
pour franchir les 3 709 kilomètres qui séparent Moscou
d'Andidjan, on payait 140 francs en première classe,
84 en deuxième et 56 en troisième !)
Egalement profitables au Turkestan et à la Russie,
ces voies ferrées ont accru, dans de considérables pro-
portions, la valeur et la quantité de la production locale.
En même temps, elles détournaient vers l'Europe la
majeure partie du commerce. Tandis que, en 1912, le
chiffre des transactions par caravanes avec la Perse,
463
L'ASIE
l'Afghanistan et la Kachgarie, se réduisait à quelques
dizaines de millions de francs (37000 000 pour la Kach-
garie, 30000000 pour la Perse. 16000000 pour
l'Afghanistan), on estimait (en l'absence de toute statis-
tique précise), à 600000000 ou 700000000 de francs
la valeur des marchandises transportées par les deux
grandes voies ferrées.
Le Turkestan expédiait d'abord et surtout du coton
brut, puis des fruits, des légumes, du vin, des cocons, de
l'huile, des graines, de la luzerne, de la laine, des cuirs,
des tapis. Il recevait des objets fabriqués (cotonnades,
ustensiles en métal), du pétrole, du sucre, du thé, de
la farine, du bois de construction, etc.
Des deux grands fleuves, Syr-Daria et Amou-Daria, le premier,
que longe du reste la voie ferrée Orenbourg à Tachkenl. est inuti-
lisé. Le second porte une petite flottille de vapeurs de très minime
importance, qui assurent un service lent, irrégulier et incertain entre
Tchardjouï. l'oasis de Khiva, Aralskoë-more (sur les rives septen-
trionales du lac d'Aral), à la fois port lacustre et station de la voie
ferrée. Ces barques plates, les " Kimés ", remontent l'Amou jusqu'à
Sarat à 500 kilomètres en amont de Tchardjouï.
Il reste à compléter le réseau turkeUanais par la
construction de voies d'intérêt local, l'établissement de
bonnes routes carrossables (en dehors des points desser-
vis par le chemin de fer, les transports se font presque
exclusivement à dos d'animal), surtout par la jonction
du Turkestan à la Sibérie, au moyen d une ligne directe
qui, partant d'Arys ou de Kaboul-Say (station de la
ligne Tachkent-Orenbourg), desservirait le Semiriet-
chensk et aboutirait à Semipalatinsk. Cette ligne, dont
la construction allait commencer en 1914, serait d'une
importance vitale pour le Turkestan. Non seulement
elle facihterait l'afflux des immigrants russes dans une
région qui leur convient à tous égards, mais aus;i elle
ouvrirait à la fois à la Sibérie et au Turkestan des mar-
chés qui leur sont, à l'un et à l'autre, indispen-
sables.
Le Turkcitan trouverait en Sibérie le bois, le beurre,
la viande congelée , les céréales dont il a besoin. Il don-
nerait en échange ses fruits, ses légumes, ses huiles et
ses vins. •
CONCLUSION
Le Turkestan doit à l'occupation russe sa pacification
et sa prospérité. Il peut donner beaucoup plus encore
lorsque l'utilisatioti complète des eaux fluviales permettra
de mettre en valeur des millions d hectares de steppes
jusqu'ici condamnées à la stérilité. " Avec l'eau de ses
montagnes et son climat chaud, sous son ciel où il ne
pleut presque pas dans la saison de la végétation, où le
soleil est rarement obscurci par les nuages, quelles
étendues de culture offre le Turkestan, quelle immense
perspective il ouvre aux sciences et aux arts usuels à base
de science, quelle magnifique récolte il prépare, sur des
terrains intelligemment exploités et dans un temps qui
n'est relativement plus éloigné! " (A. Woeikof.)
!\ûla. La Révolution russe a eu, naturellement, sur la situation
politique et économique du Turkestan, des répercussions au sujet
desquelles tout renseignement précis nous fait présentement défaut.
464
TABLE DES CARTES EN COULEURS
TABLE DES CARTES EN COULEURS
I . PLANISPHÈRE POLITIQUE.
P«C£
3
L'EUROPE
PI^NCHES p,^^
2.. EUROPE POLITIQUE 1 1
3. ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE.. . ^ ^ 17
4. LA NORVÈGE ET LA SUÈDE 37
3. ALLEMAGNE 59
6. BELGIQUE ET PAYS-BAS 91
7. FRANCE PHYSIQUE IOI
8. FRANCE POLITIQUE III
9. ESPAGNE ET PORTUGAL 133 •
10. ITALIE 153
11. SUISSE 189
12. EUROPE CENTRALE 221
13. PAYS BALKANIQUES 241
14. PAYS RUSSES 283
L'ASIE
15. ASIE POLITIQUE 299
16. CHINE 319
17. JAPON 335
18. INDO-CHINE 375
19. INDE ANGLAISE 41 1
463
TABLE DES CARTES EN NOIR
TABLE DES CARTES EN NOIR
L'EUROPE
CHAPITRE PREMIER. 00 NOTIONS GÉ-
NÉRALES.
Climats et principales limites végétales. . . Il
Densité de la population 15
Principaux groupes de langues euro-
péennes 16
CHAPITRE II. 00 ROYAUME-UNI DE
GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE.
Royaume-Uni, carte des pluies
Grandes régions industrielles
Les fournisseurs de l'Angleterre
Londres et ses environs
CHAPITRE III. 00 1.K NORVÈGE ET LA
SUÈDE.
Norvège, le Sognefjord
Scandinavie, carte économique
CHAPITRE IV. 00 LE DANEMARK.
Danemark
CHAPITRE V. 00 L'ALLEMAGNE.
Répartition de la, population
Cours d'eau navigables et voies ferrées.
Le Bassin de la Ruhr
Carte économique
CHAPITRE VI. 00 LA HOLLANDE.
La zone des polders
Belgique et Pays-Bas, agriculture
20
23
27
35
38
44
55
59
61
72
77
82
89
CHAPITRE VII. 00 LA BELGIQUE ET LE
GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG.
Belgique et Pays-Bas, carte industrielle..
CHAPITRE VIII. 00 LA FRANCE.
L'Alsace et la Lorrame 107
Densité de la population 125
Carte industrielle 131
Carte agricole et pastorale 133
Colonies françaises 134
CHAPITRE IX. 00 ESPAGNE ET PORTU-
GAL.
Pluies et températures 137
Carte économique 1 46
CHAPITRE X. 00 L'ITALIE.
Italie du Nord, industries 161
Densité de la population 162
Rome et ses environs 1 72
Naples et ses environs 176
Produits du sol et cultures 186
CHAPITRE XI. 00 LA SUISSE.
Voies ferrées et langues 203
Carte économique ' 204
CHAPITRE XII. 00 L'AUTRICHE.
Vienne et ses environs 212
CHAPITRE XIII. 00Y.K TCHÉCO-SLO-
VAQUIE.
Carte économique 218
CHAPITRE XIV. 00 LA HONGRIE.
Les méandres de la Tisza 221
94 CHAPITRE XV. 00 LA YOUGO-SLAVIE
466
TABLE DES CARTES EN NOIR
OU ROYAUME DES SERBES. CROATES '""
ET SLOVÈNES.
Les bouches du Cattaro 230
La Macédoine 233
CHAPITRE XIX. aa LA ROUMANIE.
Carte économique
273
CHAPITRE XX. a a LA POLOGNE.
Les partages de la Pologne 280
CHAPITRE XVII. 00 LA GRÈCE.
Grèce ancienne 243
Athènes et ses environs 244 CHAPITRE XXI. 00 L^ PAYS RUSSES ET
LES ÉTATS BALTES
CHAPITRE XVIII. 00 LX BULGARIE. ^^,,^, j-E^^^pe. climats 283
Bassm de Sofia et régions voisines 259 Russie d'Europe, carte économique 295
L'ASIE
CHAPITRE XXII. 00 NOTIONS GÉNÉ-
RALES.
Zones de végétation 30 1
Carte ethnographique 305
CHAPITRE XXIII. 00 LA SIBÉRIE.
Russie d'Asie, le lac Baîkal 308
Carte économique 317
CHAPITRE XXIV. 00 L.<\ CHINE.
Chine du Nord, terres jaunes et alluvions. 321
Densité de la population 328
Carte économique 338
La Mandchourie, carte économique 345
CHAPITRE XXV. 00 L'ASIE INTÉRIEURE.
Squelette orographique 352
CHAPITRE XXVI. 00 LE JAPON.
La mer intérieure 357
Carte économique 367
CHAPITRE XXVII. 00 LINDO-CHINE.
Carte ethnographique 381
Carte économique 391
CHAPITRE XXIX. 00 LINSULINDE.
L'Insulinde et les Philippines 401
CHAPITRE XXX. 00 L'INDE ANGLAISE.
Pluies et températures moyennes 413
Indes britanniques, densité de la popu-
lation 421
Carte économique 43 1
CHAPITRE XXXI. a 0 L^ PAYS DE
L'IRAN.
La Perse 441
CHAPITRE XXXII. 00 LE TURKESTAN
RUSSE.
Turkestan 455
467
GBOGRAFHIE WnVERSOiZ.
46
TABLE DES ILLUSTRATIONS
TABLE DES ILLUSTRATIONS
L'EUROPE
FACES
CHAPITRE PREMIER. 0 0
NOTIONS GÉNÉRALES.
Le glacier d'Argentière. 5
Ecosse ; le Lac Achray . . 6
Les bords du Rhin à Ro-
landseck 6
Les bords de la Loire :
Amboise 6
La steppe russe 6
Le lac de Presba, Macé-
doine 6
Corse : le golfe de Porto . 6
L aqueduc de Claude et
la Voie Appienne .... 13
Saragosse 14
Paris : le Jardin des Tui-
leries et le Louvre. ... 14
Corinthe : le temple
d'Apollon 14
Le Forum romain.. ... 14
Paysage en Thessalie
Thessalie et Macédoine. 14
Fontaine en Macédoine. 14
CHAPITRE II. 0 0 ROYAUME-
UNI DE GRANDE-BRETA-
GNE ET D'IRLANDE.
Londres: pont delà Tour. 21
Vue générale de Londres . 2 1
Newcastle on Tyne 22
Un cottage anglais 22
Les docks de Manches-
ter 22
Le cap Land's End 22
Les monts de Cumber-
land 22
— 468
FACES
Oxford 22
Llanberis et le Snow-
don 22
Le Loch Katrine 31
Le Ben Nevis 32
Balmoral 32
Pont du Forth 32
Edimbourg 32
Glasgow : les quais de la
Clyde 32
La chaussée des Géants. 32
Ferme irlandaise 32
CHAPITRE III. 0 0\Jk NOR-
VÈGE ET LA SUÈDE.
Les îles Lofoten 41
Le lac de Langeland et
les névés de Justedal . 42
Hammerfest 42
Bergen 42
Séchage des foins 42
Fabrication du charbon
de bois 42
Gudbrandsdal 42
Fjaerland et le golfe de
Mundal dans le Sogne-
fjord 47
Une ferme suédoise 48
Stockholm 48
Église de Hatterdai 48
Groupe de paysannes en
Dalécarlie 48
Vermedalsfos 48
Visby : enceinte fortifiée. 48
Trollhattan 48
PAGES
CHAPITRE IV. 0 0 LE DANE-
MARK.
Les landes du Jutland, . 53
Pêcheurs de la côte orien-
tale de Bornholm 53
Un village en Fionie. ... 54
Copenhague : l'église St-
Alban 54
Chambres frigorifiques . . 54
Bassin et douane d'Esb-
jerg 54
Copenhague 54
Islande : le Seydisfjoid. . 54
CHAPITRE V. 0 0 L'ALLE-
MAGNE.
Berlin : la porte de
Brandebourg 63
La Sprée à Berlin 63
Le port de Pillau 64
Le Spreewald 64
Hambourg 64
Le canal de Kiel 64
Le Rômerberg 64
Lubeck 64
Brème 64
Heidelberg vu du Philo-
sophenweg 69
LeHarz 70
Cascade de Triberg 70
La Wartbourg 70
Le Hollenthal ou Val
d'Enfer 70
Saint-Blasien 70
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Le château de Hohenzol-
lern 70
L'Eibsee et la Zugspitze . 70
Le château de Gutenfels
et le Rhin 75
Munich : l'hôtel de ville. 76
Nuremberg 76
Cologne 76
Kreuznach 76
Barmen : chemin de fer
électrique 76
Aciéries à Duisbourg. . . 76
CHAPITRE VI. a aV^k HOL-
LANDE.
Canal à Dordrecht 85
Le Landguidik 86
Paysannes hollandaises . . 86
Marken 86
Paysage hollandais 86
Champ de jacinthes, près
de Haarlem 86
Amsterdam 86
Alkmaar : marché aux
fromages 86
CHAPITRE VII. 0 a Uk BEL-
GIQUE |ET LE GRAND-DU-
CHË DE LUXEMBOURG.
Bruxelles : place de l'Hô-
tel-de-Ville 95
Dinant 96
Bruges 96
Anvers 96
Tournai 96
Vallée de la Semoy 96
Marchienne 96
Coxyde-sur-Mer 96
CHAPITRE VIII. a a Lk
FRANCE.
La vallée de la Moselle . . 1 05
Le lac de Gérardmer. . . 106
Les Dames de la Meuse. 106
Metz : les Thermes 1 06
Le beffroi de Bergues ... 1 06
Strasbourg 106
Denain : la fosse Enclos. 106
En Beauce : la moisson. 106
Paris : la place de la Con-
corde 115
Paris : le Palais de Jus-
tice et la Sainte-Cha-
pelle 115
L'Indre à Montbazon. . . 116
Le châteaudeChaumont. 116
Les menhirs 116
La pointe du Raz 116
Le calvaire de Mellerand. 116
LePuydeDôme 116
La Vézère au Saillant ... 116
Le Mont Saint-Michel.. 121
La Barre des Écrins 122
Grenoble 122
Villers-le-Lac : bassin
duDoubs 122
Duingt et le lac d'An-
necy 122
Le viaduc de Garabit ... 1 22
Le pont du Gard 1 22
Le viaduc des Houches
et le dôme du Goûter. 127
Le cirque de Gavarnie. 128
Bergers landais 128
Monaco 128
Boccognano (Corse) 128
Le château de Crussol . . 1 28
Les calanques de l'E^sté-
rel 128
Les gorges du Tarn ... . 128
CHAPITRE IX. a a L'ES-
PAGNE ET LE PORTUGAL.
Grenade : la cour des
lions au Palais de
l'Alhambra 141
Grenade 142
Course de taureaux 142
Le Montserrat 1 42
Madrid : le Palais royal. 142
Séville : le patio de Las
Doncellas 142
Gibraltar 142
Cordoue : la mosquée. . 142
L'Escurial 147
Tolède 147
Vignerons d'Estrama-
doure 148
Les mines d'Aijustrel. . . 148
La foire de Villafranca. . 148
Lisbonne 148
Pêche du thon en Algarve. 148
Cmtra : château de la
Pena 148
La tour de Belem 148
CHAPITRE X. a 0 L'ITALIE.
Lac de Côme : Beilaggio.
Paysage du Tyrol italien.
Le Mont Vermel
La vallée du Piave
Une ferme près de Vi-
cence
La vallée de l'Isonzo. . . .
Paysage dans les monts
Berici
Fiume : les quîis
Gouffre de la Troiba . ■ . .
Venise : la Piazzetta. Le
Palais des Doge. Le
Campanile
San-Remo
Pola : le port et les arènes
Bergame : le Palais- Vieux
San Gimignano
Pise : le Dôme et le Bap-
tistère
Pérouse : le Palais public.
Le Tibre : le château
Saint-Ange, Saint-
Pierre
Florence : le Dôme, le
Ponte Vecchio, le Pa-
lais Pitti
Rome : place Saint -
Pierre
Rome: place du Capitole.
Rome : le Colisée
Tivoli : Villa d'Esté
Rome : le Forum de
Trajan
Naplcs : panorama pris
du Vomero
La voie des Tombeaux
à Pompéi
De Salerne à Amalfi
Paestum
Naples : la route du Pau-
silippe
Agrigente
Randazzo
Le cloître de Monreale. .
Palerme
157
157
158
158
158
158
158
158
158
167
168
168
168
168
168
168
177
178
178
178
178
178
178
183
184
184
184
184
184
184
184
184
469
TABLE DES ILLUSTRATIONS
CHAPITRE XI. 00 LA SUISSE.
Le Cervin..
193
Saint-Moritz
194
Le glacier d'Aletsch
194
Grindelwa'.d
194
Krihourff
194
Eggisalp
194
Une route alpestre
194
Sports d'hiver .
194
Le lac de Brienz
194
La chute du Rhin à
Schaflhouse
199
Le lac des Quatre-Can-
tons, vu du Righi
199
Wassen
200
Val d'Herens
200
Vald'Arolla
200
Genève
200
Berne : la rue Zeitglocken-
turm
:'00
Jungfrau. Monch, Eisrer.
200
Sur le Léman
200
Le massif du Bernina. . .
200
CHAPITRE XII. 0 0 L'AU-
TRICHE, L'ANCIEN EM-
PIRE AUSTRO-HONGROIS.
Innsbruck 209
Le lac de Gmunden dans
le Salzkammergut.. . . 209
Le Massif du Triglav. . 210
Le Danube entre Engel-
hartszell et Wesenufer. 210
Vienne : le Kàrntner-
ring 210
Le Kônigssee 210
Le col du Semmering.. 210
Un glacier dans les
Tauern 210
CHAPITRE XIII. 0 0
TCHÉCO-SLOVAQUIE .
LA
Prague : La Vltava et la
colhne de Hradchany. 215
La Schnee Koppe 216
Temné Smrciny 216
Maisons de paysans 216
Banska Bystrica 216
Tremcin 216
NovoMesto 216
CHAPITRE XIV. 0 0 LA
HONGRIE.
Berger hongrois et son
troupeau 225
Une roulette de tziganes
dans laPuzta 225
Budapest 226
Une vue dé !'/4//oW 226
CHAPITRE XV. 0 0\.h YOU-
GO-SLAVIE OU ROYAUME
DES SERBES, CROATES ET
SLOVÈNES.
Monastir 226
Belgrade 266
Pileuses à Boukovo 226
La Miljacka, près de Sa-
rajevo 226
Cattaro 226
Une rue de Strouga 235
Raguse 235
Greniers à maïs dans un
village serbe 236
Paysage monténégrin.. . . 236
Un marché en Serbie . . . 236
Paysage en Dalmatie.. . . 236
CHAPITRE XVI. 00 L'AL-
BANIE.
Scutari d'Albanie 236
Durazzo d'Albanie 236
CHAPITRE XVII 0 0 LA
GRÈCE.
Athènes, l'Acropole 245
Couvent du Mégaspiléon . ■ 246
Némée 246
Les gorges du Styx 246
Les Météores 246
Delphes : le trésor des
Athéniens 246
Le monastère de Daphni . 246
La trouée du Vicos 246
Un bourg épirote 246
.Athènes : l'intérieur du
Parthénon 251
.Athènes : l'Erechthéion
et les Propylées 251
Edessa ou Vodéna 252
Salonique, vieille église
byzantine 252
Kastoria 252
PAGES
Santi-Quaranta 252
Famille et hutte de Kout-
so-Valaques 252
Le battage du blé en
Macédoine 252
Type de maison de pay-
san 252
Berger macédonien 252
CHAPITRE XVIII. 0 0 \.k
BULG.ARIE.
Nicopolis et lei bords du
Danube 261
La culture des roses dans
la région de Kazanlik. 261
La passe de Belogratchik . 262
Troupeau de buffles en
Bulgarie 262
Le monastère de Preo-
brajensky 262
Les paysannes sofiotes . . 262
La Toundja 262
Sofia 262
Bourgas, tziganes près
d'une source 262
CHAPITRE XIX. 00\.k ROU-
MANIE.
Un village dans les plai-
nes roumaines 271
Les puits de pétrole près
de Campina 271
Les vendanges 272
Paysanne allant aux
champs 272
Scène rurale ' 272
Bucarest 272
Un village de la mon-
tagne 272
Buffles aux environs
d'Arad 272
Mines de sel de Slanic. . 272
CHAPITRE XX. 0 0\.K PO-
LOGNE.
Cracovie : la Vistule et
le Zameck . . ■ 277
Groupe de Galiciennes . . 277
Poznan : l'Hôtel de ville. 278
Varsovie : église Sainte-
Anne 278
470
PAGES
1 /-voi
-c 1
La Pologne : paysages
Fmlande
287
polonais, femmes polo-
Helsingfors
287
naises, paysage polonais. 278
Les terrasses de Galicic. 278
Arkhangelsk
788
La Neva en hiver
288
Danzig 278
Petrograd ; la Perspective
Nevsrsky
788
CHAPITRE XXI. 0 0 LES PAYS
288
RUSSES ET LES ÉTATS BAL-
Odessa : l'escalier Ri-
TES.
chelieu
288
Forêt et « Hariu ' en
Yalta
288
TABLE DES ILLUSTRATIONS
Moscou : panorama du
Kremlin ,. 293
Paysage de l'Oural 294
Falaises de la Volga 294
Une isba aux environs de
Riazan 294
La foire de Nijni-Novgo-
rod 294
Le pont sur l'Oka 294
Un village ukrainien .... 294
CHAPITRE XXII. 0 0
NOTIONS GÉNÉRALES.
Le Mont Siniolchum,
Sikkim (Himalaya)... 303
Un village au Japon .... 304
La fête du Dragon à
Ou-Tchéou 304
Une rue de Djeipoure. . 304
Un paysage au Tibet .... 304
Les ruines de Ctésiphon. 304
Pagode à Rancoun 304
La Voie Douloureuse à
Jérusalem 304
CHAPITRE XXIII. 0 0 Lk SI-
BÉRIE.
Paysans sibériens et leur
isba 313
Le Transsibérien 314
Forêt de TAltaï 314
Tobolsk 314
Emigrants russes dans
une station 314
CHAPITRE XXIV. 0 0 LA
CHINE
La Grande Muraille.... 323
Les gorges du Yang-
Tseu ^ 323
Hong-Kong 324
Nankin 324
Un mandarm à son tri-
bunal 324
Intérieur chmois 324
L'ASIE
Les modes de transports
en Chine 324
— Un coin de rivière. . . 324
— Transport par chariot 324
— Coolie 324
Arc de Triomphe sur la
route de Yunnan-sen à
Tchao-Toug-Fou .... 333
Le Si-Kiang entre Sam-
Shui et Woutchéou . . . 334
Cirque calcaire à Lou-
Van-Tchéou 334
Pagode du Palais d'été. . 334
Kong-Yang-Fou : porte
principale 334
Pagode de bronze 334
Arrosage d'un champ. . . 334
Un village dans la Chine
du centre 334
Rizières des Miao-Tsé. 343
Dans les eaux du Yang-
Tseu 343
Paysage de Mandchourie. 344
Un pont de la ligne trans-
mandchourienne 344
Cordonnier chinois 344
Femmes congoles d'Our-
ga 344
Un atelier de cloisonne-
ries 344
Embarquement ducoton. 344
Les aciéries d'Han-Yang. 344
CHAPITRE XXV. 0 0 L'ASIE
INTÉRIEURE, MONGOLIE.
TURKESTAN CHINOIS,
TIBET.
Tibétains 349
Sur les hauts plateaux du
Tibet 350
Le Bodala à Lhassa. . . . 330
Une rue à Yarkand 350
Moines du couvent de
Mendong 350
Yacks porteurs 350
Pèlerines au Tibet 350
CHAPITRE XXVI. 0 0 VJL
JAPON.
Le Fouzi-Yama 359
Les Jardins de la mer . . . 365
Tokio : la rue des Théâ-
tres 365
Vieux couple Aino 366
Le Torii de Miya Jima. 366
Défilé de Geishas 366
Séoul 366
Fousan 366
Une exploitation aurifère
en Corée 366
Formose : une usine
électrique 366
CHAPITRE XXVII. 0 0 LIN-
DO-CHINE.
La façade principale du
temple d'Angkor-Vat. 379
Mines d'étain à Pérak. 380
471
TABLE DES ILLUSTRATIONS
PAGES
Paysage au Laos sia-
S8n
Pirogues de courses à
Louang-Prabang
380
Le chemin de fer du
Yunnan
380
Les rapides du Mékong..
380
La baie d'Along
380
Haut Tonkin : groupe de
Méos
385
Sur les confins de la fo-
rêt
386
Homme et femme Moï.
386
Village cambodgien
386
Au Kraal d'Ayouthia.. . .
386
Décortication du Paddy.
386
Environs de Louang-
Prabang
386
Paysage dans la pres-
qu'île de Malacca
386
CHAPITRE XXVIII. iSZ/z; L'AR-
CHIPEL DES PHILIPPINES.
Un canal à Bangkok 395
Des femmes annamites
au puits du village. . . . 395
La pagode de Pnom-
Penh 396
Hanoi : le marché 396
Les Philippines (maisons
de pêcheurs philippins). 396
— (enfants Moros) 396
Le Mont Dajo (Iles
Philippines) 396
Un coin de Manille 396
CHAPITRE XXIX. a 0 L'IN-
SULINDE.
Java, le temple de Boela-
lang 405
Pirogue malaise 406
Village à Bornéo 406
Java (plantation de thé à
Java) 406
— plantation de bananiers
à Java 406
Dayaks de Bornéo 406
Le volcan Semeroe 406
Femmes malaises à Su-
matra 406
CHAPITRE XXX. 0 0 L'INDE
ANGLAISE.
Bénarès : les rives du
Gange 415
Types hindous : Fakirs. 416
Types hindous : char-
meurs de serpents ... . 416
Jeunes femmes hindoues. 416
Dordjiling 416
La porte du Kachmir et
la sortie du Djilem. . . 416
Mariage de Rajah. Cor-
tège d'éléphants 416
Gowrardam .Voitures hin-
doues 416
Oudeypore : sur les ter-
rasses du palais 425
Le palais de Leh 426
La plate-forme du Girnar 426
Lac et barrage de Kan-
kanja 426
Calcutta : un temple
Djain 426
Le temple de Seringham. 426
Le bazar de Lahore 426
Gwalior 426
LeTadj-Mahal 435
Les ruines d'Amara-
poura 436
Le jardin de Peradenya
à Kandy 436
Srinagar 436
La cueillette du thé.... 436
PAGES
Préparation des arbres à
caoutchouc 436
CHAPITRE XXXI. 0 0 LES
PAYS DE L'IRAN, PERSE,
AFGHANISTAN, BÉLOU-
CHISTAN.
La porte des Teintures à
Nichapour 445
Le caravansérail de Sain-
dak 446
Vue générale de Kélat. . 446
Les Beloutches : une
hutte béloutche, un
troupeau beloutche. . . 446
Village Seïstani 446
Le désert du Lout 446
Le double caravansérail
deVesdiKatz 451
Sur les toits de Birdjend. 451
Vue de Madan I Firouza. 452
Enzeli 452
Kazeroun 452
Une rue de Chiraz 452
Dans les monts du Mek-
ran 452
Fabrique de tapis 452
Palais du schah à Téhé-
ran 452
CHAPITRE XXXII. 0 0
TURKESTAN RUSSE.
LE
Samarcande : mosquée
du schah Zindeh 457
Boukhara ; la Medressé.. 458
Nouveau Merv : une
école 458
Un Aoul au Turkestan. 458
Campement de Kirghiz. 458
Campement au sud du
Kara-Koul 458
Un marché au coton. . . . 458
472
TABLE DES MATIERES
TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE.
L'EUROPE
CHAPITRE PREMIER. 00 NOTIONS GÉ-
NÉRALES 3
Situation et configuration. — Le relief.
— Les côtes, les îles, les mers. — Les
climats. — Hydrographie. — Végétation.
— Les populations. — Le partage de
l'Europe.
CHAPITRE II. 00 ROYAUME-UNI DE
GRANDE-BRETAGNE ET D'IRLANDE. 17
Le relief. — Les côtes. — Le climat. —
L'hydrographie. — Les cultures et l'éle-
vage. — L'industrie. — Le commerce. —
Notions historiques. — Anglais, Écos-
sais, Irlandais. — Langues et religions. —
Densité et répartition de la population.
Les villes. — L'émigration.
CHAPITRE III. 00 LA NORVÈGE ET
LA SUÈDE 36
Le relief. — Les effets de l'ancienne gla-
ciation. - — Les côtes. — Rivières et lacs.
— Le climat. — La végétation. — Les
populations de laPéninsule: Lapons et Fin-
nois ; les Scandinaves. — Le Royaume de
Norvège : agriculture et élevage ; l'exploi-
tation des forêts ; mines et industries ; la
vie maritime ; le commerce ; les villes. —
Le royaume de Suède : agriculture, éle-
vage, forêts ; mines et industries ; le com-
merce et les voies de communication ;
répartition de la population, les villes ;
les îles de Gothland et Œland.
CHAPITRE IV. 00 LE DANEMARK 30
Le relief du Jutland et de l'archipel. —
Les rivages. — Le climat. — Élevage et
agriculture. — Le commerce. — Densité
et répartition de la population. — Les
villes. — Les iles Faroër. — L'Islande.
CHAPITRE V.00 L'ALLEMAGNE 58
Les origines de l'Allemagne contempo-
raine.— Le peuple allemand : particula-
risme et unité, qualités et défauts. — Les
plaines allemandes du Nord .-sables, marais,
limons ; les rivages de la Baltique et de la
Mer du Nord. Les fleuves. — Les pays
et les grandes villes de la plaine : Brande-
bourg ; Oldenbourg, Hanovre, Mecklem-
bourg, Foméranie, Prusse. — L'Alle-
magne Centrale : le relief; cultures, indus-
trie, routes ; les villes. — L'Allemagne du
Sud: vallée du Main, plateaux Franconiens
et Bavarois ; le Wurtemberg ; la Bavière.
— Les régions rhénanes : le Rhin dans
l'histoire ; le régime du fleuve, sa naviga-
tion ; le massif schisteux rhénan ; Rhein-
land et Westphalie. — L'Allemagne poli-
tique et économique : l'organisation poli-
tique de l'Allemagne ; l'évolution écono-
mique de l'Allemagne, ses causes, ses ré-
sultats ; l'industrie ; l'agriculture ; le com-
merce.
CHAPITRE VI. 00 LA HOLLANDE 81
Le relief. — Les eaux. — Les côtes. —
Le climat. — Les habitants, nationalité et
caractère. — Populations, provinces et
villes. — Agriculture et élevage. — Les
industries. — La pêche. — Le com-
merce.
473
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE VIL 00 Uk BELGIQUE ET
LE GRAND-DUCHÉ DE LUXEMBOURG. 91
L'histoire. — Le pays. — La région cô-
tière, — Les plaines, Flandre, Brabant,
Hainaut : nature du sol ; climat ; cours
d'eau et canaux ; agriculture et élevage ;
industrie ; les villes ; le sillon de Sambre-
et- Meuse ; la Haute Belgique. — Carac-
tères généraux de la vie belge. — Le
grand-duché de Luxembourg.
CHAPITRE VIII. 00 LA FRANCE 101
La région rhénane : les Vosges ; l'Alsace ;
la Lorraine. — Ardennes françaises. —
Hainaut, Cambrésis, Flandre. — Le Bas-
sin Parisien : Artois, Picardie et leurs
annexes ; le centre du Bassin Parisien ;
Champagne ; les pays de l'Yonne et le
Morvan. — Les pays de la Loire. — La
Normandie. — La Bretagne. — Vendée,
Poitou, Charente. — Le Massif Central.
Le Bassin d'Aquitaine. — Les Pyré-
nées. — Languedoc, Provence, Corse. —
Les Alpes. — Le couloir de la Saône et le
Jura. — Les populations. — • Agriculture,
industrie. — Départements français. —
Le commerce.
CHAPITRE IX. 00 L'ESPAGNE ET LE
PORTUGAL 135
Situation. — Le relief. — Les côtes. —
Climat et végétation. — Zone de climat
continental. — Climat océanique. — Les
cours d'eau. — Les populations de la
Péninsule, caractères généraux. — Le
Royaume d'Espagne : densité, émigration,
répartition de la population ; provinces du
Nord ; Léon, Castille, Estremadoure ; le
Midi espagnol ; pays de la couronne d'Ara-
gon ; les Baléares ; agriculture ; les
forêts ; l'élevage ; mines et industries ; le
commerce. — La République Portugaise :
agriculture ; sous-sol et industries ; le
commerce ; populations et villes.
CHAPITRE X. 00 L'ITALIE 153
L'Italie Continentale: les Alpes; Apennins,
la plaine ; le climat ; les fleuves et les lacs ;
les côtes ; ressources agricoles ; res-
sources industrielles ; les habitants ;
groupes ethniques ; répartition de la po-
pulation.— Les villes; Piémont ; la Lom-
bardie ; la Vénétie ; l'Emilie ; la Ligurie.
— Trentin et Tyrol italien ; provinces de
l'Adriatique : Gorizia, Trieste, Istrie, Dal-
matie. — L'Italie Centrale : la Toscane ;
rOmbrie ; le Latium. — Les Marches et
les Abruzzes. — L'Italie Méridionale :
Vue d'ensemble ; Campanie ; l'Apulie ou
région des Pouilles ; la Basilicate et la Ca-
labre ; la Sicile ; les îles annexes ; la Sar-
daigne. — Agriculture. • — Elevage et
produits de l'élevage. — La pêche. —
L'industrie. — Le commerce. — Popu-
lation et émigration.
CHAPITRE XI. 00 LA SUISSE 189
Situation, superficie, frontières. — Les
régions alpestres : généralités ; le Saint-
Gothard ; la vallée du Rhône ; les Alpes
du Sud-Ouest; les Alpes du Nord-Ouest ;
les Alpes du Nord-Est ; les Alpes du Sud-
Est. — Les régions alpestres : les condi-
tions de vie : le climat ; cultures, forêts,
prairies ; les habitants. — Le Jura suisse.
— Le Plateau suisse : le relief du pla-
teau, ses cours d'eau et ses lacs ; végé-
tation et culture ; établissements hu-
mains ; histoire et gouvernement. — Po-
pulations, langues, religion. — Agricul-
ture et élevage. — L'industrie. — Le
commerce.
CHAPITRE XII. 00 L'AUTRICHE 206
L'ancien Empire Austro-Hongrois. —
L'Autriche alpestre : les origines de l'Au-
triche ; les pays alpestres. — L'Autriche
danubienne.
CHAPITRE XIII. 00 Lk TCHÉCO-SLO-
VAQUIE 213
La Bohême. — La Moravie. — La Slo-
vaquie. — Histoire. — ■ Les populations.
— Les ressources. — Le commerce et
les voies de communication. — Les villes.
CHAPITRE XIV. 00Lk HONGRIE 220
Climat et cours d'eau. — Le passé de la
Hongrie. — Les Magyars : qualités et dé-
fauts, — Les ressources. — Répartition
de la population. — Les villes.
474
TABLE DES MATIERES
CHAPITRE XV. aa LA YOUGOSLAVIE
OU ROYAUME DES SERBES, CROATES
ET SLOVÈNES 224
Origine et formation de la Yougo-Slavie.
— La montagne. — Chaînes et massifs
centraux. Phénomènes carsiques. — La
zone sèche de l'Ouest ou Zagora. — Fo-
rêts, champs et vergers de la zone orientale.
— La vie dans la Planina. — La côte Dal-
mate ou Primorje. — Les plaines du Nord:
Croatie, Slavonie, Syrmie, Bachka, Banat.
— Le couloir Morava-Vardar. — His-
toire et partage. — La vallée de la Morava.
— La Choumadia. — Les villes de la
Vieille-Serbie. — La Macédoine serbe. —
Le présent et l'avenir de la Yougo-SIavie.
CHAPITRE XVI. 00 L'ALBANIE ........ 238
La région littorale. • — Monts et plateaux
intérieurs. — Climat et végétation. —
Situation économique. — Les villes.
CHAPITRE XVII. 00 LA GRÈCE 241
Relief. — Climat et végétation. — Le
paysage grec. — Les îles Ioniennes. —
Le Péloponèse. — La Grèce centrale. —
La Macédoine. — La Thrace. — Les îles
Égéennes. — L'agriculture. — Les forêts
et l'élevage. — Le commerce.
CHAPITRE XVIII. 00 LA BULGARIE. ... 257
Le Balkan. — Les plateaux bulgares —
Dépressions et massifs de Mésie-Roumélie.
— L'Anti-Balkan et la Grande Valléelongl-
tudinale. — Le Rhodope et le Rila. —
La Roumélie., — Historique. — Densité
et répartition de la population. — Les
Bulgares. — Les Allogènes.
CHAPITRE XIX. 00 LA ROUMANIE. ... 265
Les Carpates. — La Transylvanie. —
La Bucovine. — La Moldavie et la Vala-
chie. — La Dobroudja. — La Bessarabie.
— Historique. — Mœurs et coutumes, re-
ligion.— Les Allogènes. — L'agriculture.
L'élevage, les forêts, les pêcheries. —
Industrie et mines. — Le commerce.
CHAPITRE XX. 00 LA POLOGNE 279
Histoire. — Géographie physique. —
Géographie humaine et économique.
CHAPITRE XXI. 00 LES PAYS RUSSES
ET LES ÉTATS BALTES 283
Le relief. — Climat et végétation. — • Hy-
drographie. — Historique. — Les nou-
velles républiques de la Baltique : La
Finlande ; Esthonie, Latvia, Lithuanie. —
La Russie septentrionale. — La région
des lacs. — La Grande-Russie. — La
Russie-Blanche. — Ukraine ou Petite-
Russie — Russie Orientale.
L'ASIE
CHAPITRE XXII. 00 NOTIONS GÉNÉ-
RALES 298
La grandeur de l'Asie. — La reconnais-
sance du Continent asiatique. — Le relief
et les côtes. — Le climat. — La flore et
la faune. — L'hydrographie. — Les
hommes.
CHAPITRE XXIII. 00 LA SIBÉRIE 307
Le relief. — Le climat. -
Les zones de végétation.
Les eaux. —
- Découverte
et conquête de la Sibérie. — Les indi-
gènes. — ■ La colonisation russe. — Les
villages et les villes. — La mise en valeur.
Les voies de communication.
CHAPITRE XXIV. 00 LA CHINE 319
La Chine proprement dite. — Les ré-
gions naturelles de la Chine. — La Chine
du Nord : les montagnes et les terres
jaunes de l'Ouest ; les grandes plaines de
l'Ouest ; climat, végétation, culture. —
La Chine du Centre : monts et plateaux
475
GEOGRAPHIE UNIVERSELLE..
47
TABLE DES MATIÈRES
du Seutchouan ; dépressions et plaines
lacustres du centre ; climat et cultures de
la Chine centrale ; le Yang-Tseu. — La
Chine du Sud ; relief et rivages ; le bassin
du Si-Kiang ; climat, cultures de la
Chine coloniale ; les habitants. — Les
populations : densité, répartition, émi-
gration ; les races et le gouvernement ;
1 ame chinoise ; les Européens en Chme ;
les villes. — Agriculture, élevage, forêts.
— Les mines et l'industrie. — Le com-
merce et les voies de communication. —
La Mandchourie.
CHAPITRE XXV. aa L'ASIE INTÉ-
RIEURE 346
La Mongolie. — Dzoungarie et Turkes-
tan chinois : les régions habitées ; les
races. — Le Tibet : plateaux et mon-
tagnes ; climat et végétation.
CHAPITRE XXVI. 0 0 U^ JAPON 355
Structure. — Les eaux. — Les rivages. —
Climat. — Végétation. — Le passé du
Japon, son gouvernement. — Le peuple
japonais. — La répartition de la popula-
tion, les villes. — Les cultures. — L'éle-
vage et la pêche. — L'industrie et les
mines. — Le commerce. — La Corée. —
La presqu'île de Kouang Toung.
CHAPITRE XXVII. 00 L'INDOCHINE. . 373
Le relief. — Notions géologiques. —
Les massifs du Haut-Tonkin et du Haut-
Laos. — Les Cordillères Malaise et .Anna- ^
mitique. — Les plateaux du Laos. — Les
côtes. — Le climat. — L'hydrographie. —
La végétation et la faune. — Les habitants.
— L'histoire. — - Les Annamites. — Les
Thaïs. — Les Cambodgiens, Chams et
Malais. — Les '' Sauvages ". — Les Chi-
nois. — Les possessions anglaises dans la
presqu'île malaise. — Le royaume de
Siam. — L Indo-Chme française. — Or-
ganisation, administration et villes prin-
cipales. — Cochinchine. — Cambodge. —
Annam. — Le Tonkin. — Le Laos. — ■
Agriculture et produits forestiers. — Éle-
vage, chasse et pêche. — Mines et indus-
tries. — Les voies de communication et
le commerce.
CHAPITRE XXVIII. 00 L'ARCHIPEL
DES PHILIPPINES 394
Situation, superficie. — Relief. — Les
races.
CHAPITRE XXIX. 00 L'INSULINDE. . . 399
Le relief. — Le climat. — La végétation
et la faune. — L'hydrographie. — Les
races indigènes. — • Les Chinois et les
Arabes. — Les Blancs. — Répartition de
la population. — ■ Les villes. — L'ancien
système d'exploitation. — L'agriculture
et les forêts. — ■ Le sous-sol et l'industrie.
— Le commerce.
CHAPITRE XXX. 00 L'INDE ANGLAISE. 410
Limite, étendue. — Le relief. — La
plate-forme péninsulaire. — La plaine
indo-gangétique. • — L'Himalaya. —
Température. — Moussons et pluies. —
L'hydrographie. — . Les côtes. — La vie
végétale. — La faune. — Densité et ré-
partition de la population. — Les races.
— Les langues. — Les religions. — La
vie sociale. — Le gouvernement de l'Inde.
— Les villages et les villes. — L'agricul-
ture. — • L'irrigation. — Les principales
récoltes. — L'industrie. — Le commerce
et les voies de communication. — Pos-
sessions françaises. — Possessions portu-
gaises. — ■ Ceyian.
CHAPITRE XXXI. 00 LES PAYS DE
L'IRAN 440
Perse. Afghanistan, Bélouchistan. — Les
montagnes du pourtour. — Les régions
intérieures. — Le climat. — Hydrogra-
phie.— La flore. — Les races. — Langues
et religions. — Le royaume de Perse :
gouvernement ; les habitants et les villes.
L'émigrat d'Afghanistan. — • Le Bélou-
chistan.
CHAPITRE XXXII. 0 0 VL TURKESTAN
RUSSE 454
Les montagnes. — Les vallées et les
oasis du « Piedmont ". — ■ Les steppes et les
déserts de l'Ouest. — L'histoire. — Les
habitants. — Les ressources. — Les villes.
— Les voies -de communication.
476
IMPRIMERIE CRÉTÉ
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