REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
TRENTE-QUATRIEME ANNEE
II
Nouvelle série. — Tome L
ANNEE 1900
TABLE DU DEUXIÈME SEMESTRE
TABLE ALPHABETIQUE
pages
Abou'l Ala, Letties, p. Margoliouth (Carra de Vaux) .... 451
Al-Mostatraf, trad. Rat (Carra de Vaux) 368
Andler, Le prince de Bismarck (G. Pariset) 400
Antonin (Le mur d') 409
Aretin (!'), Le pronostic de i534, p. Luzio, (H. Hauvette) . 286
Aristote, Poétique p. Hatzfeld, et M. Dufour, (My) 3
Arndt (P.), Monuments Brunn-Bruckmann, livraison loi
(H. Lechat) 323
AssERETO, Gênes et la Corse (abbé Letteron) 410
AuBRY, La musicologie médiévale (J. Combarieu) 420
Babelon, Guide illustré du cabinet des médailles et des an-
tiques de la Bibliothèque nationale (R, Cagnat) 146
Bacchylide, 2* éd. p. Blass (My) 178
Bainville, Louis II de Bavière (L, Roustan) i5i
Balzani, Les Chroniques italiennes du moyen âge (R.) ... 413
Bardot, La. question des villes impériales d'Alsace (R.). . . 72
Barré, La géographie militaire et les nouvelles méthodes
géographiques (B. A.) 358
Barroux, Les sources de l'état civil parisien (G. P.) 25i
Barth (Hans), Guide des cabarets d'Italie (Ch. Dejob). ... 157
Baston, Mémoires p. Loth et Verger, (A. Gazier) 479
Bauch, Mélanchton et l'Université de Wittemberg(R.) . . . 249
Beaumont (G. de). Paroles d'un vivant, préface de Naville
(E.) ; 339
Bellaigue, Impressions musicales et littéraires (J. Combarieu) 423
Benoist (Ch.) Le prince de Bismarck (G. Pariset) 400
Benrath, Julia Gonzaga (H. Hauvette) 289
Bentzon, Femmes d'Amérique (J. Lecoq) 356
Bérard, L'Angleterre et l'impérialisme (E. d'Eichthal) ... 94
«.f TABLE DES MATIERES
pages
Bernardin, Hommes et mœurs au XVI 1= siècle (R. Rosières). 1 1 3
Bertha ;A. de), Magyarseï Roumains devant l'histoire (B. A.). 287
Bertrand (L.)- Bibliothèque sulpicienne ou Histoire litté-
raire de la compagnie de Jésus (J.) 462
Bertrin, La sincérité religieuse de Chateaubriand l'R. Rosières) 54
Betz, La littérature comparée (F. Baldensperger) 91
Bibliothèques et bibliographies critiques (A. Rebelliau). . . 36
BiGONi, Une carte de i325 (Ch. D.) 248
BiscHOFFSHAisEN, Lc papc Alcxandrc VHI et la cour de
Vienne (R.l 7^
Bismarck 40o
BissiNG, Les bijoux de la reine Ahhotpou, I (G. Maspero) . 341
Blayde, Adversaria critica in Sophoclem (A. Martin) .... 43o
Blaze de Bury, Les romanciers anglais contemporains
(J . Lecoq) 4^0
Blok, Histoire des Pays-Bas, H (R.) 69
Bonnet et Gâche, Stylistique latine (P. L.) 447
Bonneval (général de), Mémoires anecdotiques (A. G.). . . . 440
BoppE (A.), Le colonel Nicole Papas Oglou (A. G.) 2o5
Boppe (P.), La Groatie militaire 1809-1813 (A. G.) 2o5
Bolché-Leclercq, Leçons d'histoire grecque (P. Guiraud) . ici
Boulanger (J.), Glemangis et Jacques de Nouvion (A. G.) . 477
BoiRDEAL-, Le grand Frédéric, I (De Grue) 148
Brandl, La Renaissance à Florence et à Rome (H. H.) . . . 238
Breymann, Bibliographie phonétique (V. H.) 78
Browne, Manuscrits musulmans de Cambridge (B. M.). . 449
Brtgmann, Grammaire grecque (My) 83
Brin (Félix), Bucy-le-Long (A. G.) 258
Bri-n (Pierre), Henry Beyle-Stendhal (G. Stryienski) .... 55
— (A. G.). 262
Brtn-Durand, Dictionnaire biographique et biblio-iconogra-
phique de la Drôme I (A. G.) 193
Gabanès, Le cabinet secret de l'histoire (A. G.) 3i5
Cantarelli, Mélanges (J. T.) 447
Gantor, Conférences sur l'histoire des mathématiques, H, 2
(P Tannery) 191
Gapps, Les vainqueurs des Lénéennes. (A. M.) 485
Garamelli (L.), Pensées choisies de Leopardi (H. H.). ... 175
Gartellieri (Alex.), Philippe-Auguste, I, 3 (N. Jorga). ... 167
Gauchie et Bayot, Les chroniques brabançonnes (R.). ... 5 18
Ceci, Les trois collèges royaux de jeunes filles de Naples
(Ch. Dejob) 383
Chamberlain, L'écriture japonaise (M. Courant) 161
Ghi';lard, La civilisation française dans le développement de
l'Allemagne (R.) 227
TABLE DES MATIERES Vif
pagcf
Chevalier (U.), Le saint Suaire de Lirey-Chambéry. —
Turin (F, de Mély) 5o5
Claassen, Le paysan suisse au temps de Zwingli (R.) 235
Clark, Variantes des discours de Cicéron (E, T.) 487
Classen-Steup, Le IV^ livre de Thucydide (Am, Hauvette) . 499
Clausewitz, Les campagnes de i8i3 et de 1814, trad, Tho-
MANN (A. C.) 2 50
Clément, Henri Estienne et son œuvre française (E. Bour-
ciez) i33
Comeau, Souvenirs des guerres d'Allemagne (A. C.) 291
Conford, La composition anglaise (F. Lecoq) ' 467
CossA, Histoire des doctrines économiques (P. G.) 94
Courant, Grammaire japonaise (A. M.) 174
— Catalogue des livres chinois, coréens et japonais de la
Bibliothèque nationale (Ed. Chavannes) 343
Croenert, Dion Cassius (My) 8
CuRcio, Les œuvres de rhétorique de Cicéron (P. L.). . . . 389
— Gratius et Nemesianus (P. L.) 486
CuRSCHMANN, Lcs disettes au moyen âge (R.) 459
Damé, Histoire de la Roumanie contemporaine (N. Jorga). 172
Dareste, HAUssouLLiER,Th. Reinach, Inscriptions juridiques
grecques, II, i (p. Guiraud) 82
Darricarrère, La langue basque et les idiomes aryens
(Julien Viason) 5 12
Dedem de Gelder, Mémoires (A. C.) 244
Deeney, Les croyances des Gaels d'Irlande (Léon Pineau) . . 171
Delbruck, Syntaxe, III (V. Henry) 119
Deniker, Races et peuples de la terre (S. R.) 472
Deschamps, La vie et les livres, V (S. R.) 355
Des Marez, La propriété foncière dans les villes du moyen
âge et spécialement en Flandre (R.) 5 18
— La lettre de foire au xiii« siècle (L. -H. L.) 519
— Les seings manuels des scribes yprois (L. -H. L.) 'j'j
DiETER, Morphologie des dialectes germaniques (V. Henry). 345
DiTTENBERGER, Recueil d'inscriptions grecques, II, 2* éd.
(B. Haussoullier) 21
DoNioL, Serfs et vilains au moyen âge (Frantz-Funck Bren-
tano) 147
Douglas (Fr.) Fra Angelico (S. Reinach) 398
Driault, Les problèmes politiques et sociaux à la fin du
xix* siècle (E. d'Eichthal) 206
Drumann, Histoire de Rome, 2« éd. (P. G.) 87
Du Bled, La société française du xvi« au xx= siècle (R. Ro-
sières) 348
Eckel, Charles le Simple (Robert Parisot) I25
pages
Vlil TABLE DES MATIERES
El-Djahiz, le Livre des Beautés, p. Van Vloten, (A. Barbier
de Meynard) 274
Engel (Ch.), L'(3cole latine de Strasbourg (R.) 89
Engelmann, Études archéologiques sur les tragiques (S. Rei-
nach) 109
Eschyle, Euménides, p. Blaydes (A.Martin) 43o
EuRiNGER, Le Cantique des cantiques chez les Abyssiniens
(A. L.) , 141
Euripide, Hippolyte et Oresie, p. Wecklein (A. Martin). . 453
Expert, Les maîtres musiciens de la Renaissance française
(J. Combarieu) 421
Eznik, Contre les sectes, trad. Schmid (A. Meillet) 374
Faguet, Histoire de la littérature française (H. de Curzon) . 57
Fechner, Nanna ou la vie de l'âme des plantes (Ch. J.) . . 443
Fehr, Les éléments formels dans les vieilles ballades anglaises
(Ch. Bastide) 99
Feret, La faculté de théologie de Paris et ses docteurs les
plus célèbres L (R.) -. 378
— Lettre à M. R. et réponse de M. R 5 16
Finlande (Ouvrages concernant les droits de la) — Jules
Legras 442
Flamini, Dante (H. H.) 174
— Girolamo Ramussio (H. Hauvette) 201
Florenz, Le Nihongi (M. Courant) i63
FoNCK, Le flore biblique (Ch. J.) 327
Fouillée, La France au point de vue moral (E. d'Eichthal) 268
Frantsen, L'Evangeliaire de Reims (L. R.) 3o3
Fredericq, Corpus de l'Inquisition néerlandaise, IV (R.) . . 458
Friedlaender, Le Mahavrata (V. Henry) 143
Frocard et Painvin, La guerre au Transvaal, l'offensive des
Boërs ( A. C.) 2o5
Flrtwaengler, Les gemmes antiques (S. Reinach) 102
Gabotto, La commune à Cuneo (J. Brissaud) 255
Gardini-Rimbaier, Voyage aux Etats-Unis (L. Rouslan.). . 383
Garofalo, Etudes sur l'Espagne romaine fJ. Toutain) .... 486
— Sybaris et Thurium (S. Reinach) i
Geiger (L), Annuaire de Gœthe, XXI ( A. C.) 263
Gentil, Traduction des Géorgiques de Virgile (E. T.). . . . 487
GiRAUD, Pascal, l'homme, l'œuvre, l'influence (A. Molinier). 32
GoDEFRov, La lettre P du Complément du Dictionnaire de
l'ancienne langue française, 94-96 (A. Delboulle) 35 i
GoNSE, Les chefs-d'œuvre des musées de France, la peinture
(H. de Curzon) 482
Gorgias, p. Steuder (A. M.) 485
GossET, Les brûlements de papiers à Reims (A. C.) 175
TABLE DES MATIERES IX
pages
Gower, Œuvres françaises, p. C. Macaulay ( A. Jeanroy) . . i85
Gradenwitz, La papyrologie, I. (My) i8o
Grunwedel, Mythologie du bouddhisme au Tibet et en Mon-
golie (Sylvain Lévi) 471
GuiLLOis, Les bibliothèques particulières de Napoléon (A C.) 25o
Hagen, Le Gral (F. Piquet) . 411
Harnack (F.) L'essence du christianisme (A. B.) 5o2
Harrisse, Découverte et évolution cartographique de Terre-
Neuve (A. C.) 427
Hastings, Dictionnaire biblique (A. Loisy) 390
Hauser, Etudes d'économie coloniale, L Les colonies alle-
mandes impériales et spontanées 'ï3g
Heinze, La saisie des paquebots-poste allemands par les
Anglais (L. Roustan) 285
Helbig, Etrennes offertes par ses amis (S. Reinach) 21 3
Henry (V.), Lexique étymologique des termes les plus usuels
du breton moderne (E. Ernault) 218
Herbst, Notes sur le lirre VII de Thucydide (Am. Hauvette) 499
HocK, Les légendes des vampires (V. Henry) 429
HoeuFFT (Concours) 447
HoLDER, Dictionnaire vieux-celtique, 12 (G. Dottin) 197
HoLziNGER, l'Exode (A. Loisy) 370
Hongrie, publications diverses (J. K.) 17
HoRRic DE Beaucaire, lustructious aux envoyés français en
Savoie-Sardaigne (G. P.) 25o
HoRVATH, Kardos et Endroedi, Histoire de la littérature hon-
groise (Z.) 80
HouTiN, Dom Couturier (M. D.) 403
Hubert (H.), et Mauss, Le sacrifice (S. Reinach) 2
HuEHN, Les citations de l'Ancien Testament dans le Nouveau
Testament (A. L. j 141
Inama-Sternegg, Histoire économique de l'Allemagne pen-
dant les derniers siècles du moyen âge, I, (R.) 224
IvE, Les dialectes romans de l'Istrie (A. Thomas) 416
Izzet Fl'ad-Pacha, Les occasions perdues, la campagne turco-
russe de 1877-1878 (A. C.) 317
Jahn (Albert) 3o3
Janosi, Histoire de l'esthétique, I, (J. Kont) i5o
JoANNE, Dictionnaire géographique de la France (H. de C). 79
JossET, A travers nos colonies (B. A.) 116
JovY, Tissard et Aléandre (H. Hauvette) 200
Kahn, Les Juifs de Paris pendant la Révolution (A. G.) . . . 509
Kaluza, Grammaire historique de l'anglais (V. Henry) ... 11
Kattenbusch, Le symbole apostolique (A. L.) 474
Kavirohosyam, p, Heller (V. Henry) 273
X TABLE DFS MATIERES
page»
Kevser, Thomasiusetle pictisme L. Roustan) 304
KiNG (Bolton), Histoire de l'unité italienne (E. Denis ... ,i53
Kiiàbel Mahasin, p. Schwally, I, (A. Barbier de Meynard). 274
Knoke, Réponse à M. Schuchard (J. Toutain) 427
KoECHLiN et Marqiet de Vasselot, La sculpture à Troyes et
dans la Champagne méridionale (Emile Mâle) 187
KoNiG, Les tissages saxons sous l'Empire (B. Auerbach) . . 3oi
KouMANOUDis, Dictionnaire des néologismes grecs (Michel
3ré3l) 5oo
Kron, La méthode Gouin (L. R.) i38
Krimbacher, Nouvelles éludes sur Romanos(My) 145
KuKLLA, Tatian (A. L.) 3o2
KusciNSKi,LesdéputésàrAssembléelégislativede 1791 (A. G.) 281
Lacave La Plagne Barris, Gartulaires du chapitre de Sainte-
Marie d'Auch (L. H. Labande) 456
Lacour (L.), Les origines du féminisine contemporain,
Olympe de Gouges, Théroigne de Méricourt, Rose La-
combe (A. G.) 3i3
La Ferronnays, En émigration, p. Gosta de Beauregard
(A.G.) . . .' 259
La Mantia, Goutumes des villes de Sicile (J. Brissaud) ... i32
Lamarzelle (G. de), La crise universitaire d'après l'enquête
delà Ghambre des députés (S. R.) 16
La Mazelière (de), La peinture allemande au xix« siècle
(H. de G.) 284
LANGLOisfGh. V.i, J. Petit, Gavrilovitch, Maury etTeodoru,
Essai de restitution des plus anciens mémoriaux de la
Ghambre des comptes de Paris (L. H. Labande) 169
Langlois (Gh.V.), Laquestionde l'enseignement secondaire
en France et à l'étranger (S. Reinach) 39
Langmesser, Sarasin (A. G.) 439
Lanore, La construction de la façade de la cathédrale de
Ghartres (Emile Maie) i3o
Lattes, Le droit coutumier lombard (J . Brissaud) 253
Lavisse, Histoire de France, I (G. Lacour-Gayet) 376
Lebeden, Russes et Anglais en Asie centrale (B. A.) 286
Lebey, Laurent de Médicis dit le Magnifique (H. Hauvette) . 290
Lechner, L'Engadine (L. Roustan) . 248
Lefèvre, La Grèce antique (My) 497
Lkgouis, Ghaucer et les deux Prologues des Femmes exem-
plaires (J. Lecoq) 467
Lenôtre, Paris révolutionnaire (A. G.) 283
Le Palenc et Dognon, Lezat, sacoutume, son consulat (Frantz
Funck-Breiitano) 433
Lex, Souvenirs du général Thiard (A. G.) 440
TABLE DES MATIERES XI
pages
LiDZBARSKi, Ephemeris sémitique (J.-B. Chabot) 322
LiNDMEYR, Le vocabulaire de Luther, d'Emser et d'Eck (F,
Piquet) 232
Lipps, Comique et humour (F. Baldensperger) 90
Louis, Giordano Bruno (H. H.) 174
LucHAiRE, Etudes sur quelques manuscrits de Rome et de
Paris (H.-L. Labande) 476
Lucien, p, Sommerbrodt, III (My) 85
LuLOFs, Antisthene (A. M.) 485
Mac-Coll, Le sultan et les grandes puissances (B. A.) . . . . 319
Maguire, Géographie militaire (B. A.) 139
Maïstre, Giry 468
Manuel, Œuvres complètes (F. H.) 78
Marchand (J.), L'Université d'Avignon aux xvii« et xviii«
siècles (L.-H. L) 199
Marchesi, Les romans de Chiari (Ch. Dejob) 38o
Marchot, Essais d'explication pour trois questions de phi-
lologie romane (E. Bourciez) 217
Mardrus, Traduction du Livre des Mille et une Nuits, V
(Gaudefroy-Demonbynes) 32 1
Maréchal (Léon), Lexicographie française (C.) 468
Margerie (Amédée de), Dante Ch. Dejob) 457
Marti, Le Livre d'Isaïe (A. Loisy) 371
Martin (Henry), Histoire de la bibliothèque de l'Arsenal
(M. Barroux) :>02
Marucchi, Éléments d'archéologie chrétienne (J.-B. Chabot) . 454
Mater, Formation du département de la Charente, lettres
de Salle de Chou et de Dumont de la Charnaye (B. A.) . ii5
Mau, Catalogue de la bibliothèque de l'Institut archéolo-
gique allemand à Rome (R. C.) ']']
— Pom_pei_(R. Cagnat) i83
Meunier (V.), Les ancêtres d'Adam (S. R.) 41
Meusel, Compte rendu annuel sur César (P. L.) 445
Meyer (A. O.), La diplomatie anglaise en Allemagne au
temps d'Edouard VI et de Marie (R.) 174
Meyer (P. M.), L'armée des Ptolémées et des Romains en
Egypte (R. Cagnat) 407
Meylan-Faure, Les épithètes dans Homère (M. D.) 253
Michel (Emile), Essais sur l'histoire de l'art (H. de C). . . 99
Milet, La destruction de Troyes, p. Haepke (E. Bourciez) . 1 1 i
MisMER, Principes sociologiques, 2« éd. (E.) 337
MiTTEis, Les papyrus grecs de l'Egypte (H. G.) 4o5
MoHL, Introduction à la chronologie du latin vulgaire. . . .
— Le couple roman lui (E. Bourciez) 61
MoNCHAMP, Une lettre perdue de Descartes (P. Tanncry) . . 189
XII TABLK DES MATIERES
pages
MoNTEFORTE, Hcrculc Strozzi, poèic ferrarais (H. Hauvette). 200
MooRE, Le livre des juges (A. L.) 141
MoRANE, Au seuil de l'Europe (B. Auerbach) 265
Morel-Fatio, Une pièce de Tirso de Molina (H. de C.)- • • 382
MoLRRE, D'où vient la décadence économique de la France
(B. A.) 159
Murrav, (J.-A. H), L'évolution de la lexicographie anglaise
(Ch. B.) 247
Nallino, L'arabe parlé en Egypte (O. Houdas) i65
— Les manuscrits orientaux de la bibliothèque nationale et
de l'Académie de Turin (B. M.) 289
Naville, Le temple de Deir el Bahari (A. Moret) 164
Nerra, Le siècle galant (Ch. Dejob) 77
Newberrv, Les papyriis Amherst (G. Maspero) 3o5
NiCASTRO, Étude sur la conjugaison française (E. Bourciez). 2 56
Nicolaïdès, La question macédonienne (B. A,) 33 1
Nicole etMoREL, Archives militairesdui"'' siècle (R. Gagnât). 124
NiKEL, La restauration juive (A. L.) 373
NiLsoN, Les Dyonisies (A. M) 485
Normand (Gh.), Gours d'histoire de 1 789 à nos jours (A. G.). 468
Odyssée, ÎX, p. Nairn, (My) 81
Oltramark, Les épigrammes de Martial (T.) 487
Orsi, L'Italie moderne (Gh. Dejob) 509
OsGooD, La mythologie classique des poèmes anglais de
Milton(Gh. Bastide) 240
Paris (G.), Poèmes et légendes du moyen âge (H. de G.) . . . 'j'j
Pascal, Opuscules et pensées p. Brunschvicg (A. G.) 5o8
Pascal (G.), L'incendie de Rome et les premiers chrétiens
(J. Toutain) 427
Peskett, Guerre civile, III (E. T.) 487
Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature
françaises, VII et VIII (E. Bourciez' 74
Pétrie, Les tombes royales de la première dynastie (G. Mas-
pero) 36 1
Petsch, Les dénouements du conte populaire (V. Henry) . . 379
Petschenig, Ghoix d'Horace (P. L.) 445
Pfister, Le journal du libraire nancéen Nicolas (R.) .... 249
P1ERQUIN, Mémoires sur Pache (A. G.) 3i3
Pinvert, Lazare de BaiffR. Rosières; 3 12
PiscHEL, Grammaire des dialectes pracrits (V. Henry) .... 494
Pocquet, Le duc d'Aiguillon et La Chalotais (G. Gazier). . 436
Polenton, La Gatinia, p. Segarizzi (H. Hauvette) 236
PoLiGNAC (Melchior de), Notes sur la littérature hongroise
(J. Kont) 462
PoLiTis, Les proverbes grecs (My; 10
TABLE DES MATIEES XIII
pages
pRAROND, Abbeville au temps de Charles VII et de Louis XI
(A. Delboulle) 67
Price, Les grands cylindres de Goudéa (Fr. Thureau-
Dangin) 117
PuECH, Saint-Jean-Chrysostome (P. Lejay) 43 1
Pulci, Le Morgante, p. Volpi (Ch. Dejob) 441
Quentin, J. D. Mansi et les grandes collections conciliaires
(Paul Lejay) 394
Rahmani, Le Testament du Seigneur (J.-B. Chabot) 42
Rajna, Les sources de Roland le Furieux (H. Hauvette). . . 17O
Rasi, Sur Horace (P. L.j 486
Reims, Répertoire archéologique de son arrondissement (S.). 447
REiNACH(Salomon), Lettre au directeur 5i6
— Répertoire des vases peints grecs et étrusques (H. Lechat). 1 10
Renouvier, Victor Kugo le philosophe (R. Rosières) .... 114
Reuss, Glaser à la courde Louis XIII (A. C.) 175
Reymond (Marcel), La sculpture florentine (H. Hauvette). . 239
RiAT, Paris (H. de C.) 79
Rinonanopoli, Lamia et Lilith (A. L.) . 3o2
RiTTER, Victor Cherbuliez, recherches généalogiques (A. C). 3 1 5
RocHEL, Collection des chefs-d'œuvres du théâtre espagnol
(H. deC.) 195-382
RoDHE, La nouvelle réforme de l'orthographe (E. Bourciez). 5i i
RôHRicHT, Pèlerinages allemands en Terre -Sainte (N.
Jorga) 456
RoMBERG, L'idée de la dictée par rapport aux verbes subs-
tantifs verbaux en français moderne (E. Bourciez) . : . . . 112
Rosières (Notice nécrologique) 444
RossNER, Henri de Morungen (F. Piquet) 88
RosTAGNo^' Le monumentum gonzagium de Benevoli
(H. Hauvette) 201
Roy, Saint-Nicolas I (Manuel DohI) 432
Sacht-Villatte, Dictionnaire encyclopédique français-alle-
mand et allemand-français, édition abrégée (B) 357
Saint-Simon, Mémoires p. A. de Boislisle, XIV (G. Lacour-
Gayet) 349
Saitschick, Génie et caractère (L. Roustan) 354
Sakellaropoulos, Conjectures latines (My) 76
Sakmann, Voltaire et le duc de Wurtemberg (Ch. Dejob). . . 77
Salembier, Le grand schisme d'Occident (L. Bavard) .... 33o
Salomon, (L), Histoire du journalisme allemand, I (A. C.) . 204
Sarwey et Hettner, Le limes germanique et rhétique, VII-X
(R. Cagnat) 409
Saski, La campagne de 1809 en Allemagne et en Autriche,
II (A. C.) 243
XIV TABLE DES MATIKRES
. . pages
Sayois, Histoire des Hongrois, nouvelle édition (Z.). ... 79
Saxe, développement historique de ses gymnases, I (L. Rous-
tan) i36
ScHAYÉ, L'Etat et la marine marchande française (B. A). . . 116
ScHERiLLo, Les poésies de Leopardi i^Ch. Dejob) 264
ScHMucKEL, La guerre dans la'vallée d'Aspe et la bataille de
. Lescun (A. C.) 1 94
ScHOENBACH, Etudes littéraires (A. C.) 3i6
— Les anciens minnesinger (F. Piquet) 88
ScHUCHARDT, Fouilles romano-germaniques dans le nord-
ouest de TAllemagne (J. Toutain) 453
ScHULTEN, L'Afrique romaine (M. Besnier) 181
Scott (Walter), Old mortality, p. Nicklin (J. L.) 467
Seidel, Les collections d'art prussiennes (H. Lemonnier). . 25i
Sepet, Saint Gildas de Ruis (L.-H. Labande) 184
Servière (de la), Le Père Porée (Ch. Dejob) i36
— Jacques I®"" et Bellarmin (R.) 249
Shakspeare, Jules César, trad. Beljame (Ch. Bastide). ... 38 1
SiMOND, Paris de i8ooà 1900, V et VI (H. de C.) 78
Skeats, Chaucer authentique (J. Lecoq) 466
Smith, Grammaire du vieil anglais (C. H.) 448
Smyth, (H. W.), Poètes grecs méliques (My) 498
Soltau, Le poète Blacas (A. Jeanroy) 66
Sophocle, Antigone trad. Martinon, (My) , . . 177
Soutzo, Mémoires, p. Rizos (B. A.) 266
Stevenson, Robert Grosseteste (Ch. Bastide) 233
Stieve, Etudes et conférences (R.) 245
Stock, Le but de la vie (H. Lichtenberger) 425
Stowasser, Lexique latin allemand (P. L.) 445
Strobel, La révolution espagnole, i868-i875(H. Léonardon) 5io
Stryienski, Comment a vécu Stendhal (P. Brun) 461
Stumpt, Tableaux pour l'histoire de la philosophie (M. D.). 397
SuEss, La face delà terre, trad. Emm. de Margerie (B. A.). 100
Syveton, Louis XIV et Charles XH (G. Pariset) 5i
Tenicheff, Etudes critiques sur les connaissances et sur la
psychologie (E) 338
Thédénat, Le forum romain et les forums Impériaux (R.
Cagnat) 184
Thucydide 499
Toth, Curiosa Hungarica (J. Kont) 194
Tourneux, Table de l'amateur d'autographes et Notice sur
Etienne Charavay (A. C.) 25o
Toutée, Du Dahomey au Sahara (B. Auerbach) 211
Tropea, Les écrivains de l'histoire Auguste (J. T.) 446
Tl'gan Rabanow'sky, Histoire de la fabrique russe (F. Legras) 418
TABLE DES MATIERES XV
TuRMEL, L'eschatologie (A. L.) 3o2
Urbain, Bibliographie de Bossuet (A. Rebelliau) 45
Ussing, recueil d'études qui lui sont offertes (L. Pineau) . . 359
Vagnair et Venture, Kléber en Egypte, Kléber et les Ven-
déens (A. C.) 175
Van Dam, Shakspeare (Ch. Bastide) 414
Van Ortroy, Les délimitations en Afrique (B. Auerbach). . 267
Vast, Les grands traités du règne de L.ouis XIV, 3. (G. La-
cour-Gayet) 257
ViLLALBA Harvas, Dg Alcolea à Sagonte. (H. Leonardon.). . 5 10
ViNSON, Légendes bouddhistes (Sylvain Lévi) " 469
Valiszewski, L'héritage de Pierre le Grand (F. de Crue) ... 14
— Littérature russe (Jules Legras) 3o
— Lettre et réponse 140
Waltzing, Lexique de Plaute (P. L.) 4p3
W^EBER (Fr.), Platon et Orphée (My.) 8
Weisengrun, Le marxisme (H Lichtenberger) 5i3
Weiss(B.), Les quatre Evangiles (A. L) 141
Welschinger, Bismarck (G. Pariset) 400
Wiedemann, Les morts de l'ancienne Egypte (G. Maspero) . 406
Wieland, Une excursion dans la vieille Afrique chrétienne
(My) 181
Windenberger, Essai sur le système de politique étrangère de
J.-J. Rousseau, La république confédérative des petits
Etats (A. Espinas) 277
Wolfram, Parzival et Titurel, p. Martin, L (F. Piquet) ... 41 1
Wright, Eléments du gothique (V. H.) 466
Wundt, Psychologie sociale. I La langue (A. Meillet). . . 489
WuTTKE, La superstition allemande, 3« éd. (V. Henry) . 332
Wyss, Le Çisianus de 1444 (R.) 478
Xénopol, Réponse à M. de Bertha (B. A.) 287
— (J. Kont) 465
Zanetti, La loi Udine ou de Coire(J. Brissaud) 129
Zanne, Proverbes roumains (J.) 468
Zelterstern, L'alfiya d'Ibn Mouti (B. M.) 341
Zimmermann, Elohim (A. L.) 373
Zimmern, Contributions à la connaissance de la religion baby-
lonienne, II (Fr. Thureau-Dangin) 117
PÉRIODIQUES
ANALYSÉS SUR LA COUVERTURE
français
Annales de l'Est.
XVI TABLE DES MATIERES
Annales de l'École libre des sciences politiques.
Annales du Midi.
Bibliographe moderne.
Bulletin hispanique.
Correspondance historique et archéologique.
Revue celtique .
Revue d'Alsace.
Revue de la Société des études historiques.
Revue de l'histoire des religions.
Revue des études anciennes.
Revue des études grecques.
Revue des lettres françaises et étrangères.
Revue d'histoire littéraire de la France.
Revue historique.
Revue rétrospective.
Romania.
Souvenirs et mémoires.
ALLEMANDS
A Itpreussische Monatsschrift.
Annalen des historischen Vereins fiir den Niederrhein.
Deutsche Literatur\eitung.
Euphorion.
Literarisches Centralblatt.
Zeitschriftfur deutsche Wortforschung .
Zeitschriftfur katholische Théologie.
ANGLAIS
Academy.
Athenaeum.
BELGES
Musée belge .
Revue de l' instruction publique (supérieure et moyenne) en Belgique.
GRÉCO-RUSSES
Revue by:{antine.
HOLLANDAIS
Muséum .
POLONAIS
Bulletin international de l'Académie des sciences de Cracovié.
Le Puy, imprimerie R. Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 27 — 2 juiUet — 1900
Garofalo de Bonmto, Sybaris et Thuriiim. — Hubert et >îauss. Le sacrifice. —
Aristote, Poétique, p. Hatzfei.d et Dufour. — F. Weber, Orphée dans Platon.
— Croenert, Dion Cassius. — Politis, Les pro%'erbes grecs. — Kaluza, Gram-
maire historique de la langue anglaise. — Waliszewski, L'héritage de Pierre le
• Grand. — G. de Lamarzelle, La crise universitaire. — Publications hongroises,
— Académie des inscriptions.
P. Garofalo di Bonito. Intorno Sibari e Turio. Qualche memoria. Napoli, Prass,
1899. In-80, 214 p. Prix : 4 lire.
Travail de dilettante, sans valeur originale, compilé d'après Gor-
cia [Storia délie due Siciîie), Lenormant {Grande Grèce) et des
articles d'encyclopédies italiennes, qui sont cités comme des sour-
ces historiques. Les références semblent avoir parfois pour but
d'émerveiller le lecteur, mais elles trahissent leur caractère postiche
par la vénérable antiquité des millésimes (par exemple, p. 1 1 , la note
sur Charondas). Le style est pompeux, souvent enfantin. P. 44, il
s'agit de la mollesse des Sybarites : « Accordavansi nella città alcuni
privilegi ; ma for se ail' animosu guerriero che avesse di/esa o salvata
la patria ? Forse ad un magistrato integerrimo, ad un filosofo, ad un
poeta, a un cultore deli arte salut are, ad un precettore délia gioventù ?
Oibo ! I pes<atori e venditori di anguille, etc. » Et ainsi de suite, ad
nauseam. Cette dissertation a pour complément une traduction
italienne du livre XII d'Athénée (faite sur celle de Lefebvre de Vil-
lebrune), laquelle est précédée d'une introduction sur l'auteur des
Deipnosopliistes. Écrivant en 1899, M. G. di Bonito ignore l'édition
de Kaibel (1887-1890) ; la dernière qu'il cite est celle de Dindorf (1827).
Il ne connaît pas davantage la traduction anglaise de la collection
Bohn. En somme, il sait peu de chose, à tel point que là où il est
question de Sappho (p. 211). il transcrit une note inepte de Lefebvre
(1789). comme marquant l'éiat de la science. On ne peut que trouver
singulière la publication d'un pareil livre dans le pays d'Ettore Pais
et de Gomparetti.
Ce qui est plus singulier encore, et surtout plus scandaleux, c'est la
manière dont l'ouvrage en question a été présenté à l'Académie royale
de Belgique par un de ses associés, M. Joan Bohl {Bulletins, n° 11,
oovembre 1899;.. Après avoir servilement énuméré les titres nobi-
Nouvelle série.L. 27
2 REVUE CRITIQUE
liaires de l'auteur (« S. E. le grand commandeur napolitain, don Pas-
quale Garofalo, duc de Bonito, marquis de Camélia, baron de Cai-
rano »), M. Bohl vante l'originalité d'un travail où il n'y a rien, mais
rien de nouveau, et cela, alors que M. G. di Bonito, qui est honnête,
a toujours pris soin de reconnaître ses emprunts à Lenormant et à
d'autres, notamment en ce qui concerne les vraies causes de la ruine
de Sybaris. A la troisième page de celte notice, on lit ceci : « L'ou-
vrage se termine par la version italienne du XII^ livre du Banquet des
sophistes, écrit inédit [sic !], dont le grammairien grec Athénée dotait
le 111"= siècle avant {sic!} notre ère. » Je veux bien qu inédit soit pour
érudit et avant pour après; mais si l'Académie de Belgique ne pos-
sède pas de bon correcteur, ne pourrait-elle veiller, du moins, à ce
qu'on n'abusât point de sa publicité pour imprimer des boniments
ridicules ?
Salomon Reinach.
H. Hubert et M. Mauss. Essai sur la nature et la fonction du sacrifice. Paris,
Alcan, 1899. ln-8o. Extrait de VAnnée sociologique, t. II, p. 29-138.
Ecrit dans une langue abstraite et compacte, présumant beaucoup
de l'attention et, plus encore, du savoir de ses lecteurs, ce beau
mémoire risque de ne pas être étudié partout où l'on aurait intérêt à
le connaître. Je le signale donc avec insistance aux esprits préoccupés
des faits essentiels du culte, qui sont à la base de tous les systèmes
religieux et leur survivent. Mais je renonce à en épuiser les enseigne-
ments dans un compte rendu ; on ne condense pas ce qui est déjà trop
condensé.
L'antique théorie du sacrifice-don, considéré comme le prototype
du sacrifice, a été définitivement réfutée par Robertson Smith (1890).
Cet homme de génie lui en substitua une autre, celle du sacrifice de
communion totémique, d'où il fit sortir le sacrifice expiatoire ; puis
M. Frazer montra que le sacrifice agraire se rattachait à la même
souche, avec cette différence que la partie communiante n'est pas le
clan ou la tribu, mais la terre elle-même.
MM. Hubert et Mauss rejettent la théorie du sacrifice-don, mais ils
estiment que M. R. Smith s'est trop aventuré : 1° en postulant l'uni-
versalité du sacrifice totémique; 2° en comprimant à outrance le
drame du sacrifice, au point d'en négliger quelques éléments essen-
tiels. Smith admet, par exemple, que la victime, d'ores et déjà divine,
constitue de piano un réservoir de sainteté où les sacrifiants vont
puiser par la communion. Mais des rituels très anciens attestent, au
contraire, qu'il faut d'abord procéder à toute une série d'opérations
pour amener la victime au degré de sainteté que réclame l'efïicacité du
sacrifice. D'autre part, le sacrifice terminé, il y a des opérations
d'histoire et de littérature 3
inverses (la sortie), qui doivent permettre aux sacrifiants de dépouiller
une partie de la sainteté acquise, afin de pouvoir rentrer dans le monde
profane. Rompant donc avec ce qu'il y a peut-être de trop simple
dans la théorie de R. Smith et refusant de le suivre sur le terrain des
causes originelles, les auteurs étudient avec détail un « schème » du
sacrifice, comprenant Ventrée sanctification du sacrifiant, du sacrifi-
cateur, du lieu, des instruments), la sanctification de la victime (ban-
delettes, dorure des cornes, peinture en blanc, bains, libations, etc.),
la sortie (« bain d'emportement », maniluve chrétien). Les faits parti-
culiers leur sont fournis, en première ligne, par le rituel védique, en
seconde ligne, par la législation dite mosaïque, accessoirement par les
rituels grecs, romains et chrétiens, enfin, par la vaste littérature ethno-
graphique. Une longue étude, qui n'est pas une digression, a pour
objet les Boiiphonia, où MM. H. et M. reconnaissent, d'une part, une
désacralisation (du blé récolté et battu au moyen de la victime qui le
représente), de l'autre un rachat (des laboureurs qui ont profané la
récolte en la coupant et vont la profaner encore en s'en servant), enfin
un rite de communion (repas sacré). Dans tout ceci, il n'est pas ques-
tion du sacrifice du bœuf considéré comme un meurtre, par cela seul
que le bœuf, animal domestique, a dû être totem avant d'être domesti-
qué; cette considération me semble pourtant essentielle et je ne vois
pas que l'on ait moyen de justifier autrement le tabou protecteur des
animaux domestiques — tabou dont la violation à dû être entourée de
rites qui ont survécu à l'idée du totémisme. De même, dans leur long
et excellent chapitre sur le sacrifice périodique du Dieu, je crois que
MM. Hubert et Mauss ont accumulé des pierres sur leur route en
refusant, par un scrupule d'ailleurs scientifique, de postuler la quasi-
universalité du totémisme ; car le totémisme seul, où le Dieu n'est pas
dans l'individu, mais dans le clan animal, me semble expliquer la
répétition d'un rite dont l'effet utile serait autrement épuisé dès le
premier acte. On ne peut objecter l'exemple de la messe, dans une
religion affranchie du totémisme ; car cette conception est un emprunt
réfléchi à des idées beaucoup plus anciennes qui peuvent remonter et
remontent sans doute aux âges totémiques.
Salomon Reinach.
La Poétique d'Aristote, édition et traduction nouvelles, précédées d'une étude
philosophique, par MM. Adolphe Hatzfki.d et Médéric Dufolr. Lille, Le Bigot
frères, 1899: LXiii-iiyp.
On distinguera dans cette nouvelle édition de la Poétique d'Aristote
trois parties : i j l'introduction, qui est un essai sur les théories expo-
sées dans la Poétique; 2) le texte, accompagné de notes explicatives,
et précédé d'observations critiques; 3) la traduction. Nous allons exa-
^ REVUE CRITIQUE
miner comment MM. Hatzfeld et Dufour se sont acquittés de la
triple tâche qu'ils se sont imposée. Le texte, nous dit-on, est en
général celui de W. Christ, mais les éditeurs s'en écartent en un cer-
tain nombre de passages, pour conserver les leçons du Parisinus 1741,
guidés en cela par un excellent principe, à savoir qu'il faut craindre,
en corrigeant le manuscrit, de corriger Aristote lui-même ; « il ne
faut pas, disent-ils très sagement, exiger de la phrase d'Aristote une
trop grande régularité ». Il y a cependant une mesure à observer : les
fautes sont nombreuses dans le Parisinus, et je ne sais si MM. H.-D.
n'ont pas quelquefois exagéré leur principe. Ils gardent par exemple,
II, I 'la leçon du manuscrit èv aitr; oe tF, oiatiopà, en renvoyant à leur
note, et cette note se borne à donner la traduction « c'est justement la
différence qu'il y a... » C'est bien la pensée, car ici il n'y a pas à se
tromper; mais il est impossible que cette manière de s'exprimer four-
nisse ce sens; elle signifie, pour quiconque est familier avec le grec,
« la différence elle-même » et non « cette différence même » ; il faut
donc lire avec Casaubon Tajtr,, ou mieux avec Vettori èv oi if, ajtf, ota-
(fooà, et traduire « il y a la môme différence ». De même III, 3 ils con-
servent 'AOr,vai.o'., avec la note « anacoluthe ; suppléez xaÀojT-. », sans
remarquer qu'il s'agit ici de l'opinion des Doriens, exprimée par oaa(
et une série d'infinitifs, et qu'on ne peut attribuer à Aristote une
pareille construction, non pas seulement parce qu'elle est irrégulière,
mais parce qu'elle détruit le sens général. MM. H. D. ont cependant
cru devoir modifier le texte en plusieurs passages, et pour une tren-
taine, ce sont leurs propres conjectures, si nous en croyons les obser-
vations critiques des pages lxi-lxiii, qu'ils ont introduites. Il est
regrettable que celui des deux éditeurs qui s'est chargé du texte n'ait
pas suffisamment consulté les éditions antérieures ; il eût évité de
mettre les initiales H. D. après des leçons depuis longtemps connues.
Le cas se présente bien une dizaine de fois ; et s'il arrive souvent que
deux éditeurs se rencontrent, il n'en est pas moins fâcheux que des
lectures soient présentées comme nouvelles quand elles se trouvent
déjà dans des ouvrages qui sont à la portée de tous ', Ce qui est per-
sonnel à MM. H. D. n'est pas d'ailleurs toujours heureux. Chap. ix,
2 la ponctuation It^\ §£ xf,; xpayipoîa; • Twv yîvojjiEvtov ovofiâxcov àvTÉyovrat est
inadmissible ; il est contraire au sens de suppléer toOto S^Xov y^cove,
1. Je cite par les chapitres et paragraphes de la présente édition.
2. En voici quelques-unes : II, 2 la restitution lltpja; remonte à Vettori. IV,
9 TEToiaEToa Winstanley. VI, 9 la suppression de èv 0';... -^z-jfi: entre ô-o!a v.; et
8ioTT£p acte proposée depuis longtemps; elle est mcme faite sans indication dans
Egger. IX, 3 ÈitiTiOéaTi pour ôro-c. est dans quelques manuscrits et dans certaines
éditions. X, i fè;] r,? Suscmihl. XVI, i 810 ti Bywater. XVII, 5 û:iô toû Oîqû Vahlen.
XVIIl, I pour £'.; eJtj/isv <[5Ja6a(vei t, eî; ô'j5Tu/iav> on eût pu ajouter: d'après
Gomperz, qui propose <£•.? Sjjt. aj|j.6. ?,> eî; ejTjytav. XXIII, 2 jxÉYa; se trouve
dans plusieurs éditions. XXVI, i -noô; aÛToû; Hermann.
d'histoire et de littérature 5
car il s'agit simplement d'une opposition entre la tragédie et la comé-
die, à propos des noms propres employés par chacune d'elles, et non
pas de la confirmation, à la fois par l'une et par l'autre, d'une obser-
vation précédente. VI, 2 à-Tro'^afvov-a; 'rn!)nr^'/ est corrigé, d'après VI, 9,
en à-rrocpaîvovra'! Tt xaOôXo'j, bien inutilement ; les traducteurs ont voulu
voir dans les deux passages une opposition entre « faits particuliers »
et « idées générales », tandis qu'Aristote dit simplement dans le pre-
mier « exposer une pensée », et dans le second « exposer quelque chose
en général », par différence avec ce qui précède, àrooîtxvjoua' 11 oj; Eaxtv
t] w; où-/, è'tt'.v, et qui n'est pas exprimé dans le premier. La fin du
chap. IV a été diversement retouchée; on s'en tient généralement à
l'Aldine, qui met un point après Hyi-oL:, et supplée r.ipl ijlIv oviv -.ojzayt
Tojaùxa devant sjxw yj^uTv zlpr^ixhn; d'autres lisent la phrase d'un seul
trait, sans rien suppléer, avec ou sans virgule après \h(z-z'x:. Les deux
lectures peuvent se défendre, bien que je préfère la dernière, conforme
au manuscrit, et satisfaisant aussi bien le sens que la grammaire.
MM. H. D. ont adopté un moyen terme : ...H-^z-'xi, "Eutco... ; en note :
£cnw, à savoir xoTTjta ; c'est ce qu'ils pouvaient choisir de moins bon.
Passons à la traduction, et aux notes, dont beaucoup ne sont que la
traduction même des termes du texte, et pourraient être supprimées
sans inconvénient. Elle est coulante et de bon style ' ; et si l'on peut
relever çà et là quelques longueurs, on reconnaît qu'elles sont pro-
duites par un extrême désir de clarté, et l'on ne s'en plaint pas. La
lecture, si on ne fait pas de rapprochements avec le texte, en est
facile, agréable même, et l'on ne s'imaginerait pas, à suivre ces pages
d'une langue souple et légère, que les traducteurs ont eu à lutter contre
tant de difficultés, et que leur version représente un texte si ardu et si
plein de pièges. Ils ont eu en même temps, cela va de soi, un grand
souci de l'exactitude ; mais alors l'opinion change ; la traduction est
en regard du texte, on compare l'une avec l'autre, et l'on est surpris de
rencontrer maintes erreurs, maintes expressions inexactes qui, je crois,
auraient pu être évitées. Je les attribue (je puis me tromper, cependant,
sur leur origine) à ce que le texte n'a pas été étudié avec assez de
pénétration. Ceci d'ailleurs n'a rien qui doive surprendre. Le texte de
\di Poétique, et en général le texte d'Aristote, n'est ni obscur ni incom-
préhensible, sauf, bien entendu, dans les passages corrompus dont
on se borne avec raison à retrouver le sens général. Il a au contraire
ceci de particulier qu'il paraît souvent très clair, qu'on le comprend,
ce semble, du premier abord, tant l'expression est nette et sobre, et la
phrase rigoureusement enchaînée. Il faut se défier de cette première
impression : à une nouvelle lecture, on s'aperçoit que la phrase, pour
I. Je note cependant une phrase incorrecte, p. 29 : « La poésie est plus philoso-
phique et supérieure à l'histoire », où de plus « supérieure » est très inexact
(ffTro'JOatÔTepov).
6 REVUE CRITIQUE
c'irc exactement traduite dans son vrai sens, a besoin d'être regardée
de très près, qu'il faut l'analyser par le détail, qu'il est nécessaire de
peser chaque mot et chaque tournure, et que souvent la traduction
adoptée à première vue est en réalité imprécise, insuffisante ou même
erronée. Un exemple, pris dans la traduction de MM. H. D., fera, je
crois, mieux saisir cette pensée. Chap. iv, i : Deux causes naturelles,
dit Aristote, semblent avoir donné naissance à l'art poétique; il con-
tinue par une phrase assez longue, que l'on me permettra de citer en
entier. Tô -e 'i%p ixiijiîTaOa'. TJuL'D'j-rov ToTî àvOpwuo'.ç t/. —aîowv estÎ, xa'. TO'jttji
8ta»Éoo'jTt Ttov aXXwv ^okov, H-zi [j.![jiT,Tr/.coTaTÔv àax'., ■/.■x\ Ta; ;jiaOr^T£'.; TrotetTat 8tà
|jit|j.-/,Jîto; ti; -ow-a;, /.a! -o y7.'.Çji'.j toT; |j.'.;j.r,;jta7'. Trâvxa; (ponctuation de
MM. Hatzfeld et Dufour). La traduction, considérée en elle seule,
semble excellente : « L'esprit d'imitation est inné à Thomme dès l'en-
fance, et ce qui le distingue des autres animaux, c'est qu'il est de tous
le plus imitateur. C'est à l'imitation qu'il doit ses premières connais-
sances, et tout le monde goûte les imitations. » A l'analyse, on
découvre que, si elle rend les mots du texte, elle n'en représente le
sens en aucune façon, et une note malencontreuse vient confirmer
cette opinion : « -/.a! to /x'.oi'm... irav-a; : anacoluthe; on attendrait xaî
^aîpojai... TtivTs;. » Note et traduction montrent que les traducteurs ont
vu dans cette phrase quatre propositions distinctes, dont chacune est
reliée à la précédente par •/,%'. to [i.i|j.£ïT6a'. cjiji'^'jtov... ïtz'.^ (xal) o'.a'iîpojjt...
i'T'.... ÈJTt, (-/.ai) TO'.ETTai, (/.a;) : to yaîoî'.v, d'où la nécessité d'expliquer la
construction alors plus qu'étrange de la dernière ; l'anacoluthe est
pour cela très commode. Or, en réalité, il n'y a, dans cette phrase
très bien faite, que deux propositions, dont la seconde, construite
comme entre parenthèses, est accompagnée d'une double détermina-
tion ; la première a deux sujets (les deux causes en question), unis
formellement par -i... -/.a!, selon l'usage : i) tô xt [jujasTciOai xaî tô yx'.^zvi
TjjaojTÔv £7T'. ToT; àvOpoj-oiî, 2) xal oiaoÉpo'jî'.... 6't'. à) trz'.^ v.al b) -otslTai. La
conséquence de cette traduction manquée, faute, comme je le crois,
d'avoir approfondi le texte, est que MM. H. D. sont obligés de cher-
cher la seconde cause dans a'-Ttov 81 xai toutoj (IV, 2), qui se rapporte à
autre chose, et d'annoter : « tojto'j : à savoir toj tt,v TrotT,TtxT,v Y^vi^Oai » !
Je pourrais signaler d'autres phrases interprétées de la même manière
superficielle ; je pourrais également relever de nombreuses expres-
sions de détail inexactement rendues, toujours pour la même cause ' ;
1 . L'n exemple de ce genre : VIII, 2 « de telle sorte que, l'une (des parties) étant
changée ou supprimée, le tout diffère ou soit dérangé ». Quoi de plus simple et
de plus clair ? Et qui croirait que le texte est mal rendu ? Or " changée » est amphi-
bologique; il faut entendre « changée de place » (îJi£TaTt9ï[iévou), et « diffère » n'est
pas le sens. La faute est aggravée par la note « ôia-fépsaôai, mâme sens que Sia-fi-
p«iv .». A'.x'f<p£76ai n'a jamais eu le sens de « être différent », est ici un passif, non
un moyen, et signifie « être mis en désordre ». Aristote n'emploie pas les mots au
hasard.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 7
mais je ne puis trop m'étendre; ce qui précède suffit, et je résume
mon impression : cette traduction est œuvre de littérateur, non
d'helléniste.
L'introduction est, si je ne me trompe, la partie la plus importante
du livre; texte et traduction semblent bien n'être là que pour complé-
ter le volume et servir d'accompagnement au morceau d'ouverture.
MM. H.-D. y exposent le plan de la Poétique, analysent les théories
d'Aristote sur la tragédie, reconstituent la partie perdue qui traitait
de la comédie, et proposent une explication de la xxOapaiç. La méthode
à suivre est clairement définie dès le début : la Poétique fait partie d'un
vaste système d'ensemble où toutes les théories s'éclairent et se com-
plètent mutuellement; on ne saurait donc bien la comprendre et l'ex-
pliquer qu'en la comparant aux autres œuvres d'Aristote, notamment
à V Ethique^ à la Rhétorique et à la. Politique. C'est bien là, en effet, la
saine méthode; il en est résulté un morceau de haute valeur littéraire
et philosophique, où tous les détails sont mis en lumière, où les con-
ceptions d'Aristote sont commentées avec science et pénétration, e^
dont la lecture ne saurait être trop recommandée ; quelle que doive
être l'opinion qu'on en prenne, ces pages feront penser. La question
fameuse et si souvent discutée de la purgation ou purification des
passions par la tragédie y tient naturellement une grande place-
MM. H.-D. en proposent l'explication suivante. « Purifier telle ou
telle passion, c'est la ramener au bien. Le bien est un milieu entre le
trop et le trop peu (p. m). La tragédie transforme les passions de
pitié et de crainte en habitudes vertueuses. Elle les purifie, en les
ramenant à une juste mesure (p. xxxii). En résumé, la tragédie nous
représente des actions propres à exciter la pitié et la crainte dans la
mesure qu'il convient. Par conséquent, elle nous donne l'habitude
d'éprouver devant les mêmes actions dans la réalité les mêmes pas-
sions au même degré. C'est en cela qu'elle les purifie (p. xlii).» On voit
que c'est une explication morale. Elle n'est pas absolument nouvelle;
sans parler de Lessing, que citent MM. Hatzfeld et Dufour, Racine
avait déjà expliqué xxôaîpeiv de la même façon (cité par Egger, 4<^ éd.
de la Poétique., 1875, p. 87) : « Une représentation vive, qui... purge
et tempère ces sortes de passions, c'est-à-dire qu^en émouvant ces
passions, elle leur ôte ce qu'elles ont d'excessif et de vicieux, et les
ramène à un état modéré et conforme à la raison. » Je dois dire que
la discussion de MM. H.-D. ne me semble nullement convaincante.
Ils s'appuient principalement sur un passage de VEthique où il est dit
que la vertu consiste dans un juste milieu entre l'excès et le défaut, et
que la vertu trouve ce juste milieu lorsqu'il s'agit d'éprouver certaines
passions, parmi lesquelles la crainte et la pitié. La vertu, le bien sont
ici expressions identiques. Mais le raisonnement pèche par la base.
Sans examiner si le spectacle tragique donne ou non une habitude,
c'est-à-dire si le phénomène de la xiOaûd'.; est durable ou momentané,
8 REVUE CRITIQUE
sans rechercher si le sens de TrâOr.jjia, par apposition à -iOo;, est rigou-
reusement établi, on remarquera que MM. H.-D. partent d'une affir-
mation. Aristote dit bien que la tragédie purifie les passions ; il dit bien
aussi que la vertu est un juste milieu; mais il reste à démontrer que
purifier = ramener au juste milieu. Que devient alors l'explication
morale? Je crains bien qu'après comme avant l'analyse de MM. Hatz-
feld et Dufour il ne faille répéter leurs propres paroles (p. xxxii) : « De
nombreuses interprétations ont été proposées, sans qu'aucune ait paru
clore le débat. »
M Y.
Friedrich Weber, Platonische Notizen iiber Orpheus. Eine litterarhistorische
Untersuchung (Progr. des K. Luitpold-Gymn. in Mûnchen 1898-99). Munich.
impr. Lindl, 1899; 44 p.
Il est assez souvent question d'Orphée dans les dialogues de Platon,
Mais comment Platon le considère-t-il et que pense-t-il de lui, de son
origine et de ses poèmes? C'est ce que discute M. Weber, en criti-
quant les passages où est mentionné Orphée. Il résume clairement
les résultats de cette recherche : Platon croit à l'existence d'Orphée et
à l'authenticité de ses poésies (hymnes, poèmes mystiques, théogonie) ;
mais il ne croit pas le moins du monde à son origine divine, qu'il
semble plutôt tourner en raillerie. Ne parlant nulle part de sa patrie,
il le regarde comme un Grec ; tout au moins ne le prend-il pas pour
un Thrace. Les textes littéraires et les monuments figurés antérieurs
à Platon apportent une nouvelle preuve, également négative, à l'appui
de cette conclusion, qui, comme on le voit, ne manque pas d'intérêt.
My.
\V. Crœnert. Zur Ueberlieferung des Dio Cassius (tir. à part des Wiener
Studien, t. XXI, t'asc. I, 1899, pp. 46-79). \'ienne, impr. C. Gcrold fils, 1899.
La question qui est traitée dans ces quelques pages, sous la forme
d'une critique de l'édition de Dion Cassius par Boissevain, est une
des plus importantes parmi celles qui concernent l'ecdotique. Dion
Cassius est du iii» siècle ; il prend manifestement pour modèles les
écrivains classiques de la belle époque, et l'on ne peut douter qu'il
ne connût sa propre langue dans toute sa pureté. D'autre part, il est
peu probable qu'il ait pu, ou même voulu se soustraire à l'usage de
son temps, et la langue du 111= siècle n'est plus la langue du iV siècle
avant J.-C. Entin, après lui, le grec s'est encore insensiblement
modifié, et il est à supposer que les copistes successifs de son œuvre
(les premiers manuscrits sont du xi' siècle) peuvent avoir, volontai-
d'histoire et de littérature g
■fement ou non, conformé son texte à leur propre usage. Il suit de là
que pour publier le texte de Dion, comme celui d'autres écrivains de
la même époque, on peut être légitimement embarrassé, et à plus forte
raison s'il s'agit d'écrivains postérieurs; d'autant plus que la con-
naissance des divers stades de la langue est encore loin d'être parfaite.
Une forme comme eopafjirjv, par exemple, est-elle due à un copiste
postérieur, ou appartient-elle à la langue courante du iii« siècle ? Et
dans ce dernier cas. doit-on l'attribuer à Dion lui-même, ou supposer
au contraire qu'il a écrit £'jpô;j.r,v conformément à la langue classique ?
Les troisièmes personnes du pluriel plus-que-parfait en — ô'.jav,
opt. en — atîv sont sans nul doute de moins bonne langue que — ccrav,
— etav, mais elles sont fréquentes dans les manuscrits et n'ont rien
d'incorrect ; proviennent-elles des copistes, ou bien Dion les a-t-il
employées, préférant l'usage de son époque à l'usage plus ancien et
réputé plus pur? Telle est la question : on voit qu'il s'agit de nom-
breuses formes grammaticales et d'une foule de variétés d'ortho-
graphe. M. Crœnert en examine une grande quantité, en comparant
le texte de Boissevain avec les leçons des manuscrits. De telles obser-
vations sont très minutieuses et pourront sembler superflues; mais
elles sont loin de l'être pour l'histoire d'une langue ; et la conclusion
qui s'en dégage est qu'un éditeur ne doit rien négliger, qu'il doit se
garder de corriger sous prétexte de remédier à un usage défectueux,
et que son appareil critique doit recueillir soigneusement les variantes
orthographiques, à plus forte raison les variantes grammaticales ; car
elles ont bien plus, pour ceux qui étudient le développement histo-
rique d'un idiome, qu'un intérêt de simple curiosité. L'article de
M. Crœnert, plutôt sévère pour Boissevain, a le mérite d'appeler,
ou de rappeler l'attention sur ces détails souvent négligés; mais
il encourt lui-même des reproches analogues. Les renvois introu-
vables ', les citations inexactes sont en trop grand nombre dans
si peu de pages, sans compter que M. Crœnert attribue plusieurs fois
à Boissevain des erreurs qu'il n'a pas commises \ Il faut compter
avec les typographes (tous ceux qui font imprimer en savent quelque
chose), mais on doit vérifier ses citations avant de faire dire à un
autre ce qu'il n'a pas dit.
Mv.
1. Je n'ai pas tout vérifié; mais j'ai noté une vingtaine de renvois faux, dont
huit que je n'ai pas pu retrouver.
2. P. 5i : B. a gardé Aïo^xoJp'.ov; p. 5i) : B. préfère Atoffxôptov (B. écrit Aioaxô-
peiov) ; p. 63 : Pourquoi B. croit-il devoir rejeter è'^wQé -ko-j} (c'est-à-dire écrire
è'Çw6£v ; mais B. conserve s'ïwOa); p. 67 : B. donne partout èfioûAsto (B. écrit f.êoû-
Xeto); l'tf. T.Xwaav est introduit à la place de ii\i»<sT/, mais ce changement est retiré
à la note 42, 14, 3 (c'est exactement le contraire); p. 65 : tv asTclyciov (Zonaras)
n'était pas à corriger en [Assôyaiov (51c; ainsi présenté, c'est inexact, B. dit en
note « nonne .aeuÔYcuv ? at cf. y, 24, 4 » où il donne èv T?i fjLeaoyefa)) ; p. 74 ; B. con-
lO REVUE CRITIQUE
N. G. Poi.iTis. MeAiTat -nepi toÛ fSiou xai tt.; vî^wjxr,? toO £>.Xt,vixou >^ao'j. Ilapoiixiat.
t. I (Bibl. Maraslis, n" 68-71, lîapip-cT.ixa 5). Athènes, impr. Sakellarios, 1899 :
it-6oo pp.
La bibliothèque Maraslis n'avait publié jusqu'ici que des traduc-
tions; l'ouvrage de M. Politis est un travail original, du plus haut
intérêt, et dont l'importance ne saurait échapper. Réunir en un seul
corpus tous les proverbes connus dans les différents pays de langue
grecque, en donner l'explication et l'application, les comparer entre
eux et avec les proverbes semblables des autres peuples, ce n'était pas
une tâche facile. M. Politis, dont on connaît les recherches sur les
proverbes byzantins, s'est courageusement mis à l'œuvre, a dépouillé
les collections déjà publiées, a mis à contribution les ouvrages où il
pouvait rencontrer des proverbes, et a fait appel à la bonne volonté
de correspondants intelligents, qui lui en ont communiqué de tous
les points du territoire grec. Il a en outre admis dans sa collection
les proverbes en usage à l'époque byzantine, qu'il a tirés soit de
recueils déjà publiés, soit de manuscrits inédits; on trouvera ceux-
ci publiés dans la première partie de ce volume. L'introduction nous
donne d'amples renseignements sur ces manuscrits, avec une liste de
tous les recueils modernes, par ordre chronologique ', et les noms
des personnes qui lui ont communiqué le résultat de leurs recher-
ches ; vient ensuite l'énumération des ouvrages consultés pour la
comparaison avec les autres langues. La disposition générale de l'ou-
vrage est la suivante : les proverbes sont rangés suivant un double
ordre alphabétique : i» d'après les mots principaux, qui sont pour
ainsi dire chefs de groupe ; 2° dans chaque groupe, d'après les lettres
initiales de chaque proverbe. Cette disposition n'est pas à l'abri de la
critique. Outre que le mot jugé le plus important par M. P. n'est pas
toujours celui sous lequel on cherchera, il résulte du système adopté
que des proverbes non seulement de même sens, mais de même forme
et conçus en termes identiques, sont séparés les uns des autres s'ils
serve dans Zonaras raouivio;, qu'il corrige dans Dion en Taêivio; (il ne s'agit pas
dans Zonaras de Gabinius, mais des rao'jîvot, habitants de Gabies). M. G. cite ainsi
parfois à la légère; par exemple, p. 53 à propos de Ta[xierai 48, 48, i M il ajoute :
L semble avoir ici ■tatj.txi, oubliant, ou ne remarquant pas qu'une note de la page
précédente nous avertit de la disparition de ce passage dans L; et p. 52 : l'ortho-
graphe w'ie).!ï est la plupart du temps conservée dans la tradition; M. G. n'a vu
que la note de la page I 446, où B. cite en etTet quatre exemples de i contre 2 de
«'. ; mais la note 11 83 prouve que l'orthographe par ci est au contraire la plus
fréquente.
I. Il y manque un ouvrage que M. Politis cite d'ailleurs fréquemment par
l'abréviation Mav. ; c'est le livre d'Emmanuel Manôlakakis, intitulé Kap-raftiaxâ,
Athènes, 1896, qui contient aux pages 270-290 une collection de 341 proverbes.
— Guriosité : M. P. sait-il que 4 proverbes néogrecs sont rapportés par Hoffmann
dans le morceau intitulé die Irrungen? Ils sont pris sans nul doute dans Bar-
tholdy, dont H. parle également.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 1 I
commencent par un mot différent. C'est peu de chose pour les groupes
qui ne comportent que quelques numéros; mais l'inconvénient est
sensible pour des rubriques comme aXXo;, par exemple, sous laquelle
sont rangés 182 proverbes. Dans cette série est le proverbe 6'7ro'.oî oxâ-
<fT£i Xczxxov aXXo'j TT£OT£t 6 "oto? [jLîcTa ,' or les provcrbcs de cette forme se
trouvent, suivant leurs lettres initiales, aux numéros i 5o, i55, iSq-
i65, 167, 170-172, 174, et les numéros intercalaires n'ont avec ce
proverbe aucun rapport. Malgré les renvois, on ne saisit pas facile-
ment comment les divers pays grecs ont exprimé la même idée, et la
comparaison est encore moins aisée quand il s'agit de proverbes iden-
tiques rangés sous des étiquettes différentes. Ce qui importe, en effet,
dans un ouvrage de ce genre, ce n'est pas seulement la collection des
proverbes, c'est la réunion en un même groupe des proverbes de
même sens, car c'est ainsi seulement que les études de mœurs et de
langue sont facilitées. Mais c'est là, pour le moment du moins, plutôt
l'expression d'un regret qu'une critique : le premier volume seulement
est entre mes mains, et il ne comprend que les titres àoavia-àXwvt^oj. Je
préfère attendre la fin de l'ouvrage, pour le mieux présenter aux lec-
teurs, exprimer sur la méthode employée des conclusions plus cer-
taines et soumettre à M. P. plus d'observations de détail, relatives
soit à des comparaisons inexactes, soit au contraire à des rapproche-
ments nouveaux. Je me borne à lui signaler un ouvrage qu'il semble
ne pas connaître, dans lequel il trouvera une trentaine de proverbes
intéressants : SuXXoyT( KoTiT'.xwv eirtaToXcov sic tt,v eyj^coptov oistXex-uov... auXXe-
Ys'ïaa xa-. ÈxooôsTaa imo ** ; Athènes, 1878. 11 y verra entre autres le pro-
verbe ôtXXoc 80 avec quelques variantes. Pour les proverbes français, la
collection delà Mélusine et celle du Courrier de Vaiigelas pourraient
être consultées avec fruit ; mais cette dernière est bien difficile à trou-
ver aujourd'hui. Si M, Politis tient, comme je n'en doute pas, à par-
faire son œuvre, nul addendum ne doit lui paraître à dédaigner, aussi
bien dans les langues étrangères que dans la sienne propre.
My.
Historische Grammatik der englischen Sprache, von Dr. Max Kai.lza, Pro-
fessor an der Universitaet Kœnigsberg. I. Gcschichtc der englischen Sprache.
Grundzùge der Phonetik, Laut- und Formenlehre des Altenglischcn. — Berlin,
E. Felber, lyoo. In-8, xvj-3oo pp.
Nous ne manquons pas de bonnes grammaires de l'anglo-saxon :
depuis 1896 seulement, j'ai eu l'occasion d'en lire quatre, deux en
anglais, deux en allemand; et je ne suis pas sûr d'avoir vu tout ce
qui a paru; et celle de M. Bulbring me parviendra incessamment.
Cette surproduction scientifique me réjouirait davantage, si la France
y prenait quelque part.
12 REVUE CRITIQUE
Mais la grammaire de M. Kaluza se distinguera de ses aînées, en
ce qu'elle promet de nous conduire, des limbes prégermaniques de
l'anglo-saxon par où elle débute, à travers la langue et la littérature
du moven âge. jusqu'au seuil de l'anglais contemporain. Si, comme
tout le fait présager, elle remplit nettement et brièvement son pro-
gramme, elle sera la bienvenue dans toutes les écoles; car nous
manquons jusqu'à présent, à un degré incroyable, de moyens pra-
tiques d'enseigner et d'apprendre la grammaire du moyen-anglais.
Quelques ouvrages de phonétique, excellents certes, mais rebutants à
force de minutie consciencieuse; des monographies en petit nombre,
et plus littéraires que linguistiques; des bribes grammaticales éparses
en tète des éditions de Gower ou de Chaucer : c'est tout ce qu'il nous
est donné de consulter; rien de coordonné, rien de suivi. Les langues
de transition sont ainsi souvent des déshéritées: comme la connaissance
du langage contemporain suffit à les faire entendre en gros, on ne
prend point la peine d'y consacrer une étude spéciale; les purs litté-
rateurs les méprisent, et le philologue épris d'antiquité les dédaigne.
Pour le moment, M. K, ne nous donne qu'une grammaire de
l'anglo-saxon rapporté à ses origines indo-européennes. Son histoire
générale de la langue anglaise (pp. 1-39) est succincte, claire et
agréable; son exposé grammatical, exact et complet; ses transcriptions
phonétiques, notamment (p. 80), me paraissent très rationnelles : en
sorte que je n'aurais guère à constater dans l'ensemble, entre lui et
moi, que des divergences de méthode. Mais je me suis si souvent
expliqué, ici même, sur ces questions de pédagogie protogerma-
nique, que j'ai scrupule d'y revenir. Je ne veux donc qu'apporter ma
contribution au relevé des menues erreurs ou des insuffisances de
détail.
P. 4 : après l'article si convaincant de M. d'Arbois de Jubainville ',
il n'est plus permis de maintenir l'antique rapport établi entre le nom
des Brittones et celui de la Britannia. — P- 47, l'o de boy est donné
pour une brève pure, sans aucun signe de prononciation; or, cet o
est tout au moins une demi-longue, ce que reconnaissent unanimement
tous les phonéticiens même qui ne s'accordent pas sur son timbre
précis '. — P. 90 : lat. oinos est attesté ; effacer l'astérisque. On nous
reproche bien assez d'inventer des formes, pour que nous nous gar-
dions de laisser suspecter celles qui ne sont pas de notre crû. — •
P. 93 : le phénomène dit d'allongement compensatoire germanique
est mal décrit : une voyelle nasale qui se dénasalise ne s'allonge point
pour cela; si la voyelle nasale était brève, elle ne peut, je crois, phy-
siologiqucment aboutir qu'à une voyelle orale brève. La vérité est
que. dans le type ' fanhan devenu fdhan. Va était à la fois nasal et
1. Revue Celtique, XIII, p. 3f,8.
2. Cf. Victor, Klementc der Plwnetik, 3- éd. p. 80.
d'histoire et de littérature i3
long, en tant que cumulant le timbre et les deux mores de ^ -f- "• —
P. 102, le type stréa « paille » ne me semble pas non plus expliqué
de façon satisfaisante : ce n'est pas l'a qui s'est changé en ea dans le
mot * straw -, mais le groupe aw tout entier qui a été traité comme
germ. aini'. — P. ii6, sci'ifan ne signifie pas a beichten », mais
mais to shrive « entendre en confession »; même observation p. i63.
— P. 123, l'étudiant ne verra pas bien comment/i//fz/?n est sorti de
* ful-téam. Il eût fallu rappeler la forme germanique de ce dernier
mot, soit * taiim-, dont la diphtongue s'est affaiblie en syllabe de
moindre accentuation. — P. 128, dire sans commentaire que Vu
final se maintient, même après syllabe lourde, à sg. i du présent de"
l'indicatif, c'est rendre gratuitement suspecte la constance des lois
phonétiques; il était facile d'ajouter que le maintien de helpu est dû
à l'analogie de berii. — P. 145, je ne saisis pas le rapport que paraît
établir l'auteur entre ag. proiid et fr. prou. — P. 148 : dans ne ïi>iton
« ils ne savaient pas », devenu nyton, le ^u initial ne disparaît pas
purement et simplement, puisqu'il donne un timbre labial à la voyelle
subséquente; il est probable qu'il en était de même dans les autres
cas de syncope du w, encore que la graphie n'en ait pas gardé trace.
— P. 149, 1. 2, lire got. naqaths. — P. i53, et cf. p. 172, etc. : c'est
courir une grande chance, que de séparer le pi. ags. dagas du pi.
got. (ia^o^; et vraiment le sk. véd. dcvdsas est trop peu représenté
ailleurs pour qu'on se résigne volontiers à le retrouver si largement
épanoui en germanique-occidental. Toute cette théorie mériterait au
moins un grand point d'interrogation. — P. 173, il faudrait dire que
dêath « mort » était jadis un thème en -11-. — P. 193, ags. exen ne
peut représenter un germ. * iihsini:^, qui eût donné * yxen. —
Pp. 204-205 : je ne vois pas l'utilité d'indiquer une ancienne finale
d'accusatif pronominal indo-européen om -\- ôm\ ou bien il faudra
supposer la même ajouture pour expliquer le neutre got. thata. Tous
ces processus sont prégermaniques, mais non indo-européens. — •
P. 233, ags. hwaet ne répond nullement au lat. qiiid^ mais au lat.
quod; car c'est ici de la forme qu'il s'agit, et non de la fonction. — •
P. 241, je vois un grave inconvénient pratique à changer les numéros
de classes des verbes forts : qu'on étudie l'apophonie verbale dans
l'ordre qu'on jugera le meilleur, soit; mais qu'on respecte dans la
conjugaison l'ordre fixé par la tradition. C'est ainsi que j'ai fait. • —
P. 266 : si È'oîOE vaut * ï-oto-t--:, oiov. ne peut procéder de * cpip-i-^;, et
il ne faudrait pas le laisser croire. — P. 274 : sg. 2 du parfait fort
n'est pas « emprunté au subjonctif»; blinde représente i.-e. * é-bhndh-
es (aoriste thématique), aussi légitimement que germ. * /ôti{ est
pour i.-e. * pod-es. — P. 289, lire sient, et non sicnt.
M. Kaluza s'est très heureusement tiré de la première partie de sa
tâche. Nous l'attendons à la seconde, la plus utile et la plus ardue,
et il nous promet de ne pas s'y attarder longuement, V. Henry.
I^. REVUE CRITIQUE
K. \Vai.is^h\vski. L'héritage de Pierre le Grand. Règnes de femmes ; gouverne-
niciit des favoris ^i-;zb-i-^\ . Paris, Pluii, lyuo.
Au Congrès d'histoire diplomatique de la Haye, il nous souvient
d'une brillante improvisation de M. Waliszewski, qui tint sous le
charme tous ses auditeurs en les entretenant des tsarines du xvni« siè-
cle. C'était comme un rapide aperçu du livre que ce littérateur fécond
vient de publier. Après avoir écrit le Roman de la grande Catherine^
puis la Vie de Pierre le Grand, M. W. entreprend l'histoire des
autocrates qui s'échelonnent de l'un à l'autre, et tout d'abord, dans le
présent volume, de Pierre à Elisabeth, succession de princes et prin-
cesses assez nuls : Catherine !*■■, Pierre II, Anne, Ivan III, dont le
règne insignifiant contraste avec celui qui précède et ceux qui suivent.
L'intérêt central se porte sur le gouvernement d'Anne Ivanovna
(i 730-1 740), le plus long et le moins terne.
Cette période, dénuée d'intérêt vraiment historique, n'a guère qu'un
intérêt anecdotique. Dans une preste introduction, l'auteur, qui tient
compte avec bonne grâce des critiques adressées à son œuvre précé-
dente, excuse avec esprit son goût pour le détail pittoresque et sa ten-
dance à ne pas conclure. Voilà qui convient spécialement à une his-
toire de femmes et de favoris. Que d'anecdotes! que de portraits!
Autour de la veuve, du petit-fils, de la nièce, du petit-neveu, de la
fille du grand Pierre, s'agitent les Menchikov, que chassent les Dol-
gorouki, les Dolgorouki que persécutent les Buhren, les Buhren que
détrônent les Munnich, les Munnich que supplantent les Ostermann^
les Ostermann qu'exilent les Bestoujef, et ainsi de suite, succession de
favoris éphémères se pourchassant les uns les autres, ne montant au
pinacle que pour finir en Sibérie ou dans la chambre de la torture.
Tous ces protagonistes et ces comparses, et surtout les femmes, sont
artistement esquissés. A cette galerie, il ne manque à notre avis, que
le portrait du premier maréchal Lacy.
Pour préparer cette histoire, M. W. a lu tout ce qui lui était acces-
sible. On peut regretter, à ce propos, qu'il néglige de donner un
court résumé bibliographique des publications russes et étrangères.
M. W. ne fait pas comme M. Bilbassov, qui a consacré deux volumes,
soit plus de 1,400 pages grand in-S", à l'indication des livres relatifs
à la grande Catherine, et encore il s'est borné aux livres étrangers à
la Russie. Quant aux documents inédits, la Russie reste fermée aussi
bien aux investigations qu'aux publications de M. W. Il a pris
sa revanche en Allemagne, notamment à Berlin, d'où il a rapporté
une ample moisson de documents qui donnent à son ouvrage, avec
les Archives des Affaires étrangères de Paris, une saveur originale.
M . W. rectifie certains renseignements historiques d'auteurs récents.
Il relève les origines de Buhren, dit Biron, qui n'était pas un simple
palefrenier. 11 ouvre des aperçus nouveaux présentés avec des argu-
d'histoire et de littérature I'5
ments devant lesquels il faut s'incliner. Voici les deux principaux. Le
régime allemand d'Anne Ivanovna et de Biiliren, condamné en Russie
sous le sobriquet de Bironovtchina, est loin d'avoir été funeste au
pays. Il a heureusement triomphé des éléments rétrogrades mosco-
vites pour maintenir le système de Pierre le Grand et entretenir la
culture européenne dans l'empire des tsars. Quant à la révolution de
1741, par laquelle Elisabeth Petrovna met fin au régime d'Ivan III et
à la régence de Brunsvic, elle n'a pas été une revanche russe contre
le joug germanique. La jolie fille de Catherine la Livonienne ne peut
être, à aucun égard, assimilée à Jeanne d'Arc dans une œuvre de
réaction nationale contre l'étranger; elle n'a absolument rien de la
Pucelle. M. W. raconte l'événement d'une façon plus simple, et, à.
notre avis, plus près de la vérité. Légère et frivole, devenue l'idole
des soldats grâce à ses excessives familiarités, Elisabeth a employé les-
régiments de la garde à supplanter les descendants d'Ivan de la même
façon que ceux-ci ont pu écarter la famille de Pierre. L'argent de la
France n'y est pour rien ou presque rien (2,000 ducats) ; l'esprit natio-
nal russe pour pas grand' chose. C'est une de ces crises de gynéco-
cratie prétorienne à la byzantine par lesquelles la Russie du
XVIH8 siècle n'a cessé de passer. Je dis à la byzantine, et j'insiste,
parce que M. Waliszewski me semble attribuer à tort, en l'espèce, à
la femme slave un rôle historique qui est le propre des Placidie, des
Eudoxie, des Pulchérie, des Theodora, des Irène, des Theophano et
des Zoé et autres impératrices d'Orient.
C'est là une des rares chicanes que nous pourrions faire à l'ouvrage.
Une table des noms, heureusement orthographiés selon la pronon-
ciation russe, en rend la consultation facile. Du reste, le livre est
alertement écrit, un peu trop rapidement parfois pour la correction de
la langue, abondant en descriptions pittoresques, en portraits frap-
pants, en observations spirituelles '.
De Crue.
I. Nous nous permettons d'indiquer quelques rectifications. P. 3, 1. 5 : nièces
(au lieu de cousines germaines), et 1. 20 : Oukraine [au lieu d'Ukraine); p. i3, I. 2 :
i/iJ au lieu de 171 2 (pour la date de la déclaration du mariage de Catherine);
p. 37, ï. ^ : La Bare-Dti-Parcq (au lieu de la Bare-D.); p. 175, 1. 18 : Mecklem-
boHvg au lieu de Westphalie (origine des Bûhren); p. 184, 1. 24 : petits Russiens
(au lieu de Prussiens) ; p. 227, 1. 22 : 1739 (au lieu de iSSg); p. 247, 1. 7 : 1736
au lieu de 1786. P. 181 et 182 : le fils aîné et le fils cadet de Bûhren sont désignes
tous deux sous l'unique nom de Charles. P. 287, 1. 14. Il y a un peu de vague
dans l'indication des branches de Brunsvic : la branche de Wolfenbûttel est déjà
confondue à ce moment avec la ligne aînée de Bevern par suite d'un mariage
entre cousins.
l6 REVUE CRITIQUE
G. i»K I,.\MARZKLi.E. La crise universitaire d'après l'enquête de la Chambre
des députés. Paris, Perrin, 1900. In-8°, 291 p.
C'est de bonne guerre. Un sénateur de droite, M. de Lamarzelle, a
lu de près la volumineuse enquête de la Commission Ribot sur l'état de
l'enseignement secondaire (cf. Revue, 1900, I, p. 232j ; il en a extrait
les doléances d'universitaires notables, qui accusent l'Université
d'être routinière, centralisée à l'excès, tracassière, paperassière, de ne
pas savoir donner l'éducation à côté de l'instruction, de produire des
bacheliers ou des déclassés et non des hommes, etc. Cela fait,
M. de L. conclut que, de l'aveu de ses représentants les plus illustres,
la crise de l'enseignement universitaire tient à ses propres vices et il
l'invite à se réformer sans prétendre inquiéter l'enseignement rival,
qui ne se plaint pas. Posée ainsi — et elle l'a été par la Commission
Ribot — la question ne comporte pas d'autre réponse que celle de
M. de Lamarzelle. Si un marchand gère mal sa boutique et s'en
accuse, il est bien mal venu à réclamer de l'Etat la fermeture de la bou-
tique voisine qui prospère. Voilà où conduit un excès de timidité. On
n'a pas voulu, à quelques exceptions près, envisager le problème sous
son vrai jour et se mettre d'accord sur ce principe essentiel : l'ensei-
gnement secondaire doit-il être laïque ou congréganiste ? On a laissé
subsister l'équivoque entre l'enseignement libre et l'enseignement
congréganiste ; en hn de compte, on a fourni des verges à ceux qui
s'entendent fort bien à les manier et qui, pour l'instant, ont mis de
leur côté les rieurs. M. de L. s'est acquitté de sa tâche avec beaucoup
de bonne grâce et d'esprit; son livre est d'une lecture attachante. Je
n'y ai relevé qu'une erreur de fait : à la page 226, il attribue à Mgr
Mathieu un niot qu'il trouve joli, et à juste titre, mais qui est de Ra-
belais et non de Mgr Mathieu.
M. de Lamarzelle insiste sur l'impuissance de l'Université à don-
ner l'éducation, parce qu'elle n'a pas, suivant l'expression de M. Dou-
mic, de « principe d'éducation », de doctrine. « Sur toutes les ques-
tions essentielles, dit encore M. Doumic, le professeur est obligé de
s'abstenir. Sur celles-là même qui intéressent la vie de la conscience,
il est tenu de n'avoir pas d'opinion et de laisser croire qu'il ne pense
rien. » Cela est tristement vrai et c'est là que gît tout le mal que
l'Université, menacée de mort lente, n'ose pas regarder en face. Elle
a des rivaux qui déploient un drapeau, qui le tiennent haut et ferme :
elle cache le sien ou se fait honneur de n'en point avoir, d'être
<< neutre f>. Cette neutralité est stérile, comme celle de Combabus.
Le parii-pris de se désintéresser des consciences est une monstrueuse
concession faite aux exigences de la théocratie ; c'est un métier de
dupes et, par surcroît, une trahison envers la jeunesse. L'Université
du xx« siècle travaillera franchement, ouvertement, à former des libres
penseurs, des émancipés, ou elle retombera, à sa honte, sous la tutelle
tyranniquc dont elle n'a jamais su qu'incomplètement s'affranchir.
S. R.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE I7
— Trois nouveaux fascicules viennent de paraître dans les réimpressions de
VAncientte Bibliothèque hongroise. (Régi magyar Kônyvtdr, cf. Revue critique
n» 14, 1900) : N" XVJI. Les poésies de Michel Fa:[ekas (Fa^ekas Mihaly versei,
Budapest, Franklin, 1900, 206 pages) éditées par Rezsô Totu. Fazekas (1766- 1828)
est un poète de l'Ecole populaire de Debreczen dont les poésies lyriques ne furent
recueillies qu'en i836 par Eméric Lovâsz. Sans avoir le charme de celles de Cso-
konai qui lui servirent de modèle, elles sont cependant très remarquables. Les
réminiscences de nos poètes légers du xviii<^ siècle et les quelques traductions (entre
autres celle du Philosophe des Alpes de La Harpe) ne doivent pas nous étonner, étant
donné que la littérature française était très bien connue même dans ce cercle popu-
laire de Debreczen et que Fazekas a fait, comme officier, la campagne de France.
C'est très probablement un conte français qui lui inspira son poème burlesque en
quatre chants : Ludas Matyi (181 5, 2« édit. revue et augmentée, 1817) où le serf
vexé et opprimé par le seigneur se venge par des tours spirituels du hobereau qui
le tourmente. M. Toth a fait précéder cette édition d'une remarquable étude
(94 pages) parue d'abord dans la Revue d'histoire littéraire (1897) où il étudie avec
beaucoup de patience les détails de la vie du poète, peu connus jusqu'ici, les sources
de son inspirati'^n, et énumère les nombreux fabliaux et contes qui présentent une
certaine parenté avec Ludas Maty\. Pages 62 et 68, il ne faut plus dire : Biblio-
thèque royale (encore moins : royal) mais Bibl. nationale [Aq Paris). Page 83. Les
deux quatrains de Bacsânyi sur la Prise de la Bastille ont paru dans le Magyar
Muséum (1789) de Cassovie et non dans la Felsô-Magyarors:{ agi Minerva, revue
fondée en 182?. — N" XVIII. Gesta Romanomm traduits par Jean Haller(édités par
Louis Katona, 5i3 pages). Jean Haller, grand seigneur de Transylvanie (1626-97)
a, pendant quatre ans de captivité, traduit en hongrois une Histoire d'Alexandre
te Grand en se servant selon Faludi de la traduction française de Marie Dacier ;
les Gesta Romanorum et \a Destruction de Troie de Guido de Columna. Il publia
ces traductions sous le titre : Hdrmas historia (Trois livres d'histoire, i69.'>). Ce
livre, à cause de la simplicité de son style, est devenu fort populaire; beaucoup de
ces récits vivent encore dans la bouche du peuple. M. Katona qui s'occupe depuis
des années de l'origine et des manuscrits des Gesta Romanorum nous donne une
réimpression critique de la deuxième partie de l'œuvre de Haller avec une intro-
duction fort savante (94 pages). Il discute la valeur des manuscrits, parle du texte
'atin dit vulgaire, des diitérentes traductions (allemande, tchèque, anglaise, hol-
landaise, française, polonaise et russe); compare le manuscrit de Budapest des
Gesta (Codex Sztaray) avec les autres et donne une édition critique des plus exactes
de ce recueil, un des plus répandus du moyen âge. En bas des pages, M. Katona
cite le texte latin toutes les fois que la traduction présente un intérêt philologique.
— N° XIX. Les Nuits d'hiver de François Faludi (Tel i éjts^akdk, 182 pages) édi-
tées par Cornélius Ripp. Le jésuite Faludi (1704-79) est un des principaux repré-
sentants de la littérature hongroise pendant la période de décadence (171 1-72) Ses
œuvres morales, tout en imitant les meilleurs ouvrages étrangers de ce genre, ont
néanmoins un tour original, beaucoup de saveur et un certain poli qui dénote à
chaque page l'influence française. Les Suits d'hiver se composent de huit dialogues
moraux dont les cinq premiers sont traduits des Noches des Invierno et les trcis
derniers du français. — J. K.
— Parmi les derniers fascicules des Mémoires de l'Académie hongroise nous rele-
vons : 1° La dissertation du regretté historien Jules Schvarcz, mort au commen-
cement de cette année : Hérodote et le décret d'Anylos {Herodotos es Anytos pse-
,g REVUE CRITIQUE
phismdia, Budapest, Académie, ^4 pagcs). L'auteur de la Démocratie athénienne
était un véritable iconoclaste. 11 n'y a pas de gloire littéraire ou politique de
l'Antiquité qu'il nait furieusement attaquée. Doué d'un sens critique très vif, con-
naissant à fond la politique ancienne et moderne, ayant lu très attentivement les
anciennes sources, il employa son beau talent à découvrir les tares de l'ancienne
démocratie et de ses hommes illustres. Sa dernière dissertation veut prouver
qu'Hérodote était bel et bien paye par les Athéniens pour l'éloge qu'il faisait d'eux
et qu'il avait mânie otTert ses services à Corinthe qui les a refusés. Toute sa dis-
sertation est une polémique contre Curt-Wachsmuth, Kirchhoff et Ranke qui, ne
pouvant nier l'importance du passage connu du Hepl Tf.ç 'HpoÔÔTOj KaxoT.ôeCaç l'ont
expliqué différemment. — 2» L Histoire de la paix de Karlovic^ [A Karlovic^i béke
toerténete, 80 pages) par J. Acsady est une étude très détaillée des préliminaires de
cette paix conclue en janvier 1699 entre Léopold I et les Turcs. Elle a mis tin à
une guerre de seize ans où toute l'Europe orientale était engagée. Les délégués de
tous les États, la France, la Suède et l'Espagne exceptées, prirent part à ce con-
grès, et quoiqu'il s'agît principalement de la Hongrie, les hommes politiques de ce
pays en furent écartés, le roi Léopold y ayant pris part comme empereur d'Alle-
magne et non comme roi de Hongrie. La Turquie, de plus en plus affaiblie par les
victoires d'Eugène de Savoie, perdit par le traité de Karlovicz 220,000 kmq. du
territoire hongrois ; il lui resta encore, dans le district de la Save, à peu près
3o,ooo kmq., mais elle ne pouvait plus menacer le royaume. M. Acsady a utilisé
surtout les documents conservés aux archives de Vienne. — 3° M. Florian Matvas
continue ses études chronologiques sur Thistoire hongroise des xi» et xii« siècles
{Clironologiai megdllapitdsok haijdnk XI, es XII, s^d^adi toerténeteihe^, ^\ pages).
Il rectifie quelques dates de la grande Histoire nationale éditée par Alexandre
Szilâgyi et dresse en même temps la généalogie d'Yolanthe, femme de Jacques I.
d'Aragonie, fille d'André 11, roi de Hongrie (i2o5-35). — 4° L'archiviste
M. Charles Taganvi, nouvellement élu, a pris séance par un travail sur l'Ori-
gine de l'administration autonome des Comitats {Megyei ônkormdny^^atimk Kelet-
ke\ése, 19 pages). On sait que le comitat hongrois (vârmegye) jouit depuis les
temps les plus anciens d'une grande autonomie. M. Tagânyi prouve qu'à l'origine,
le comitat était domaine royal et que les megye-ispdn et udvarbirô étaient des
administrateurs nommés par le roi dans chaque comitat. La grande noblesse
jalouse du pouvoir royal, a combattu longtemps cette administration et au bout de
trois siècles, sous le règne du dernier roi de la Maison Arpad, André 111 (1290-
i3oi) elle est arrivée à supplanter les administrateurs royaux et à s'installer en
maîtresse dans les comitats. Depuis ce temps, le vârmegye est devenu la citadelle
des privilèges nobiliaires. Il est vrai qu'on y a souvent combattu pour la liberté
nationale, mais le plus souvent le comitat était un obstacle aux réformes libérales
et à la centralisation. Encore aujourd'hui il faut que le gouvernement fasse tous
SCS efl'orts pour mettre fin à une autonomie sous le voile de laquelle on commet
les pires abus. M. Tagânyi jette aussi un coup dœil sur l'organisation administra-
tive de la Transylvanie, de la Croatie et de la Slavonie où le système du comitat
n'a pas pu se développer de la même façon que dans la Hongrie proprement dite.
— 5° M. Jean Karacsonvi consacre un mémoire à l'Origine et aux vicissitudes de la
Bulle d'or {A\ arany bulla keletke^ése es elsù sorsa, 3o pages) la fameuse Charte
de 1222 que M. l'erdinandy a étudiée dernièrement au point de vue juridique (Voy.
Revue critique, 1899, no Sa). M. Karâcsonyi établit d'abord la grande confusion
chronologique qui règne dans les chartes datant des premières années du gouver-
d'histoihe et de littérature ig
nement d'André II et prouve que la Bulle d'or fut extorquée au roi par le parti de
l'opposition, l'ancien parti du roi Eméric, contre lequel André était toujours en
rébellion. Le palatin Vejtefia, le juge suprême du pays : Nanafia Posa, Nicolas
ispan de Bacs, Tiborcz de Presbourg, lUés de Bihar et Martin Mihâlyfia étaient à
la tête de cette opposition qui força le roi à promulguer la charte. Quoique copiée
en sept exemplaires, aucun des originaux de cette charte ne s'est conservé jusqu'à
aujourd'hui. parce qu'elle fut longtemps oubliée ; elle n'acquit force de loi que sous
le règne de Louis d'Anjou (1342-1382). — 6» M. R. Békefi, après avoir publié les
ois et les règlements de la grande école protestante de Sarospatak (voy. Revue,
1899, n» 52) donne aujourd'hui ceux d'un autre centre des études calvinistes :
Debreczen. {A debrec^eni ev. réf. fôiskola XVII es XVIII s^d^adi tôrve'nyei,
177 pages). Cette ville possédait, avant la Réforme, une école des Franciscains.
En i55i, la population embrassa le calvinisme, et l'ancien couvent devint une
école réformée. C'est là qu'enseignaient les théologiens les plus renommés des
XVI» et xviio siècles; la Rome calviniste, comme on appelait Debreczen, organisa la
hiérarchie protestante, et toute la jeunesse de l'Alfôld y affluait. Les premiers
règlements sont calqués sur ceux de Wittemberg ; ils doivent leur rédaction défi-
nitive à Georges Komaromi Csipkés, prédicateur et traducteur de la Bible qui les a
copiés de sa propre main en 1657. M. Békefi les publie in-extenso (p, 79-117) en
y ajoutant les lois de 1704, de 1705-17S8 et celles de 1792, ces dernières rédigées
après la mémorable Diète de 1790-1791 qui reconnut lautonomie de l'Église pro»
testante en matière d'enseignement. Le texte de toutes ces lois est en latin et peut
être ainsi consulté par tous ceux qui s'intéressent à l'histoire de la pédagogie. Il est
curieux de savoir que parmi les langues dont l'étude était obligatoire pour les
internes se trouve, outre l'allemand, le français et cela dès le xvii" siècle; que
tout l'enseignement était donné en latin ; que, jusqu'à la fin du xviiio siècle, la
conversation en hongrois était rigoureusement interdite, pour ne pas nuire à
l'étude du latin ; que l'étude de l'hébreu et du grec était poussée assez loin pour
que les futurs candidats en théologie pussent lire l'Ancien et le Nouveau Testa-
ment dans l'original. — 7° M. Ignace Kunos, si compétent pour la langue et la lit-
térature populaires des Turcs, publie une édition avec introduction, traduction et
notes des Plaisanteries de Nasreddine Hodja (Nasp-eddin Hodsa tréfâi, 96 pages
-f 46 pages de texte). Cette édition offre l'avantage que M. Kunos a recueilli sur
place les traditions de cet Eulenspiegel turc du xvi' siècle et que son édition donne
i63 plaisanteries. Les notes sont purement philologiques. L'introduction (3o pages)
fait ressortir l'originalité, l'humour et la verve primesautière de l'écrivain turc et
lui assigne une place éminente parmi les poètes populaires. Mentionnons, en
même temps, que M. Kunos vient de publier dans les éditions de l'Académie de
Saint-Pétersbourg un beau volume intitulé : Mimdarten der Osmanen, gesammelt
und iiberset^t [bSS p.) formant le tome VllI des Proben der Volkslitteratur der tUr-
kischen Stâmme. — 8" Un élève de M. Vâmbéry, M. Alexandre Kégl nous oiTrc
dans sa dissertation : La chanson populaire persane {A per:{sa népdal, 47 pages)
un spécimen du recueil qu'il réunit pendant un séjour à Téhéran de 1889 à 1890.
La poésie populaire persane, peu accessible jusqu'ici aux savants, a beaucoup de
parenté avec celle des Turcs. Les chansons d'amour publiées et traduites par
M. Kégl montrent le génie du peuple persan sous une nouvelle face. — J. K.
— Le 5 novembre 1899 un des meilleurs critiques hongrois, Eugène Péterfy^
professeur à Budapest, a mis fin à ses jours, a l'âge de cinquante ans. Son col-
lègue et ami, l'académicien Frédéric Riedi. a publié dans la Budapesti S^emle et
jjO REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE &T DE LITTÉRATURE
fait tirer à part une biographie ot l'on sent encore vibrer la douleur que les lett^rs
hongroises ont éprouvée par ce suicide (Péterfy Jen<T, Budapest, Franlilin, 1900.
84 pa£;es avec un portrait). D'abord critique dramatique du journal Egyetértés,
Pcterfv a consacré tous ses clïorts à cultiver un genre assez peu répandu en Hon-
grie : !'es«ai littéraire. Ses modèles étaient Sainte-Beuve et Taineet il a appliqué
leurs méthodes avec un rare bonheur aux grands écrivains magyars. Ses études
les plus remarquables sont consacrées aux romanciers hongrois : Eôtvôs, Kemcny
et Jôkai. Cette dernière a soulevé à son apparition (1881) une véritable tempête,
parce que Péterfy y montrait la faiblesse du grand romancier comme psychologue
et comme peintre de caractères. On doit encore à Péterfy, passionné pour Tltalie,
une belle étude sur Dante, des pages remarquables sur la Tragédie. Dans ses der-
riières annéesil avait commencé une Histoire delà littérature grecque dont quelques
chapitres (Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane) ont paru en 1898 et 1899.
Péterfy a traduit le Gorgias et le Philobe de Platon, le livre de Taine sur les Phi-
losophes français du xix« siècle, et celui de Barthélémy Saint-Hilaire sur les Rap-
ports de la philosophie avec les sciences et la religion. Il a commenté en esthé-
ticien la meilleure tragédie hongroise, Bd'tk-bdn de Katona et le Macbeth de
Shakespeare. La Société Kisfaludy, dont Péterfy était membre depuis 1887, a
chargé M. David Angyal de réunir ces études qui ont paru, pour la plupart, dans
la Budapesti Siemle. — J. K.
ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 22 juin i goo
ta^place de membre ordinaire précédemment occupée par M. Ravaisson, décédé
le 18 mai dernier, est déclarée vacante.
• M. Derembourg est élu membre de la commission du Corpus inscriptionum
semilicantm.
M. G. Schlnmberger lit' une étude sur la dépouille mortelle ds l'impératrice
byzantine de Nicée, Constance, aujourd'hui encore conservée dans la chapelle de
Sainte-Barbe de la petite église de Saint-.lean, à l'hôpital de la ville de Valence
(Espagne). l'ille naturelle, plus tard légitimée de l'empereur Frédéric H et d'une
noble piénioniaise, Constance, appelée Anne par les Byzantins, fut, toute jeune
encore, mariée en 1244a Jean 111 Ducas Vatatzès, empereur de Nieée, l'adversaire
implacable des Latins de Constantiiiople. Celle union, qui souleva les colères de la
papauté et de tout l'Occident chrétien, fut malheireuse. Après la mort de Vi'tatzès
et celle de son hls. Constance, vainement dematidée en mariage par Michel Paléo-
logue, fut enfin échangée contre un chef byzantin prisonnier des Latins et put
ainsi, en 1269, se réfugier en Italie auprès de son frère, le roi Manfred. Cinq ans
plus tard, à la suite de la mort tragique de ce frère et de son neveu Conradin, elle
dut fuir de nouveau et se réfugia à Valence auprès de sa nièce, mariée au futur
roi IMcrre d'Aragon. Elle vécut encore quarante ans dans celte ville, dans les exer-
cices d'une austère pitié, toute dévouée au culte de Si.inte-Barbe rapporté par
elle de son empire d'Asie. M. Schlumberger donne ensuite sur la sépiiliure de
ccitc basilissa de curieux détails qu'il doit en partie à Madame la duchesse
d'Albe.
L'Académie se forme en comité secret.
M. Oppert présente une série de remarques à propos du mémoire de M. Salomon
Rcinach sur le totémisme.
Léon Dorez.
Le Profriçtairc-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 33.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 28 — 9 juillet — 1900
DiTTENBERGER, Rccucil d'inscriptions grecques, II, 2C éd. — Waliszewski, Litté-
rature russe. — GiRAUD, Pascal. — Franz Funck-Brentano, Bibliothèque de
bibliographies critiques. — Ch. V. Langlois, La question de renseignement se-
condaire. — Académie des des inscriptions.
W. DiTTENBERGER. Sylloge inscpiptionum graecarum iterum edidit. Volumen
alteriim, Leipzig, S. Hirzel, igoo, in-H», v-825 pages.
Le second volume de la deuxième édition du Dittenberger, comme
nous disons couramment en France, ne s'est pas fait longtemps
attendre '. L'auteur et l'éditeur ont mené rondement la refonte de cet
important recueil, auquel il ne manque, pour être complet, que les
Index : ils formeront un fascicule séparé qui ne saurait tarder à paraître
et que nous signalerons à nos lecteurs.
La première édition comptait 470 textes; la deuxième en contient
940, soit le double. Les divisions principales de ce second volume
sont restées les mêmes {\ Res publicae. Il Ressacrae. III Vita pri~
vata). A ces trois grandes sections s'ajoute un Appendix titulorum
his proximis annis erutorum. Les subdivisions sont plus nombreuses
et amplement justifiées par l'abondance des textes nouveaux. Ainsi
dans la section I je note les rubriques suivantes : 4 Iiidicia. 5 Pecu-
nianim publicarum administratio. 6 Piierorum et epheborum disci-
plina. 7 Res militaris et navalis. 8 Agrorum publicarum locationes.
9 Aedificationes. Elles manquaient dans la première édition ou se
trouvaient confondues avec d'autres. Dans la deuxième section, les
subdivisions suivantes sont nouvelles : 5 Collegia et sodalitates sacro-
rum causa institutae. 6 Vota et dedicationes. 7 Oracula. 8 Dirae et
imprecationes. Souhaitons qu'une table des matières, qui manquait à
la première édition, soit jointe aux Index et facilite les recherches
dans ce recueil si considérablement enrichi.
J'ai fait trop souvent, ici même, l'éloge de la méthode de M. D, et
de ses précieuses qualités d'éditeur pour qu'il soit besoin de les redire
r. Voir dans la Revue Critique de 1899, p. 4o3 suiv. le compte rendu du pre-
mier volume.
Nouvelle série L. a&
2 2 REVUE CRITIQUE
aujourd'hui. Ce dernier ouvrage est digne de ses aînés. Plus on Tétu-
die, plus on rend justice à la science et à la sagacité dont Fauteur a
fait preuve, dans rétablissement du texte non moins que dans les
notes qui l'encadrent. La plupart des inscriptions qu'il a retenues
sont depuis longtemps publiées ; je ne dis pas toutes, car O. Kern
lui a encore permis de puiser dans le riche Corpus de Magnésie du
Méandre et nous y avons gagné nombre de textes importants qui sont
en quelque sorte à fleur de coin. Mais M. D. s'est également efforcé de
s'approprier les unes et les autres, vieilles et neuves, usées et fraîches.
Plus d'une est devenue sienne, pour ainsi dire, grâce aux restitutions
qu'il y a introduites, et cet effort personnel donne justement à son
livre une valeur singulière.
L'impression est médiocre : les fautes dites d'impression sont très
nombreuses, mais je laisse aux critiques allemands, qui savent si bien
les dénicher dans les livres français, le soin de les noter et d'en dresser
la liste inutile. Chemin faisant, j'en relèverai seulement deux ou trois.
Il me semble, en effet, que le compte rendu d'un ouvrage de cette
importance ne saurait s'attarder à des questions de détail et d'exté-
rieur : il faut aller plus avant et, puisque dans sa préface et dans les
Addenda M . D. a bien voulu tenir grand compte des observations
que j'avais présentées sur son premier volume, je ferai de même pour
le second. Sans m'astreindre à suivre l'ordre des n°% je soumettrai à
nos lecteurs un certain nombre d'observations sur des textes choisis,
voulant me faire le collaborateur plutôt que le critique de M. D,
Les n°* 5ii, 53i, 827 sont trois inscriptions juridiques d'Amorgos.
Les deux premières sont, par endroits, de lecture difficile et ont exercé
l'ingéniosité de plus dun cpigraphiste. On n'en possède malheureuse-
ment que des reproductions ou des copies insuffisamment soignées :
ici les lacunes ne sont pas exactement indiquées, ailleurs un léger
déplacement des caractères d'imprimerie fait croire à un vide qui
n'existe pas, ailleurs enfin les lectures sont erronées, si bien que les
essais de restitution sont d'avance condamnés. Souhaitons que l'on
arrive à multiplier les reproductions photographiques de l'original ou
de l'estampage, ou encore les fac-similé. Le n° 53 1, le plus important
de tous les règlements de location qui nous soient parvenus (location
du domaine de Zeus Téménitès , est, de nos trois inscriptions, celle
dont le texte a le plus besoin d'être revisé. M. J. Delamarre, qui s'est
chargé d'Amorgos dans les I G ins., n'attendra pas l'achèvement du fas-
cicule pour la republier et la donnera prochainement dans la Revue de
Philologie; sa copie, faite avec le soin minutieux dont il est coutu-
micr, i<cra définitive. Il veut bien m'autoriser à faire connaître dès
aujourd'hui les corrections suivantes. L. 6 : pas de lacune entre l^'-pr,-
-«( et rr,v Yv. Le § 2 commence donc à Tr.v ^;7,-^ et le verbe à restituer
ne se place pas au début de la phrase. — § 4 : au lieu de Tv.yJ.i tôt:'.
fYJT.v [ttiv êaJ-jToî, lire : Tv.yiy. -.% r'Tn:ovT[a] àç' tl'j-.o'j àvop6w[5£t, « il répa-
d'histoire et de littérature 2?
rera à ses frais les murs qui viendront à tomber ». Pour les murs qui
sont du côté de la route, il les confortera (-^piU'-), afin que la clôture
soit bien exacte. Notons en passant que la mesure employée pour les
murs est, à Amorgos, comme à Athènes, rôoY'j'-i (cf. n° 587, 1. 9). —
§ 8. Dittenberger : Ta; Tpâ'^a[<;] op-'j^zi lix ut,-/; ['fljpatwvt, Htzok «v iraOdjLjTÎauiv-
Tat 0' vî(OT:oTa'..Delamarre : Ijx [J^y,^/^- Eloao'.wv. ôroo av T:aQ[|JL]y^(Ta)v:ai o\ vôwroTat.
Le mois Elpao-.ojv queWeil et Radet avaient presquedéchifFré (ElPAlIiiNl)
est nouveau ; le nom est tiré d'un surnom de Dionvsos dont le culte à
Arcésiné est attesté par une borne (BCH XV ''1891), p. 597). La borne
provient précisément de la région, riche en vignes, où s'étendait le
domaine de Zeus Téménitès. Ces importantes corrections, que je dois
à l'obligeance de M. Delamarre, et nombre d'autres qu'il tient en
réserve achèveront de transformer la vulgate. = Le no 5 1 1 mérite de
prendre place dans le Rec. des Inscr. jurid. gr. J'ai commencé la revi-
sion du texte sur une photographie de la pierre et sur d'excellents
estampages que m'a gracieusement communiqués M, Delamarre et je
peux déjà proposer les corrections suivantes, L. 24 suiv, : -rroioatv
[Xj'jovTa To [(J/r^otaua ~6ot Totojà TOoOlsTjjLiav ir,v £•::•. ^[wv ]wv yz'Jo\[^é]'nf'^
TÛ);ji... — L. 27. Szanto a fort heureusement restitué trois noms propres,
mais il n'y a pas de place pour T'.îjloxX[s(o£w] ; il faut lire Ti|jioxX[£o<;]. —
L. 27-28. Radet, Szanto, Dittenberger : Mr^oz otra-. S(xa|t [S'.JEYpâor^crav {iiz\
~M [s'ij^aycovia;. Le verbe o'.sYP'i'f^.îrav ne laisse pas d'être embarrassant ;
or je lirais plutôt à[-z]z:;p'xor,^:i^/. Je distingue, après l'iota qui est au
commencement de la ligne, les deux jambages obliques d'un alpha,
puis vient un espace trop considérable pour un iota ; la gravure est, en
effet, très serrée et très soignée. Il faut donc distinguer entre les pro-
cès portés devant les zlfiai'fiù'fz'.^ qui avaient Eurydikos pour président
et les procès que les conciliateurs (o'.aXXaxTa-!) n'ont pu régler et ont
fait afficher sur l'album. Pour désigner l'acte des plaideurs qui ont
fait leur déclaration devant les zl<7%-(oi'{z~.c, le décret emploie le verbe
oLTzrj-^'pi'ii'.w et la préposition l-\ [t.zo; est plus usité) ; pour l'acte des con-
ciliateurs qui ont affiché les procès à juger, le verbe Ypâcps'.v (1. 3i) et
oiavpâ'fï'.v (1, 47). — L. 39-40. L'explication proposée par M. D. pour
ÉxâTEoo; ne me satisfait pas plus que lui-même; j'ai peine à me repré-
senter un collège de fonctionnaires dont les membres n'agissent que
deux par deux. N'est-il pas possible d'entendre : « pour l'un ou pour
l'autre de ces actes » Vzl'y%'(iovz'j:; sera tenu d'une amende. Ces deux
actes sont spécifiés à la 1. 40 : Iht cï z^i-fr,: r.-xpoi. xi YcvpaixiJiÉva r] TZo:/,Tr/.
«■ s'il introduit un procès contrairement au décret ou s'il commet
quelque acte (contraire audit décret] ». L'inscription mérite d'ailleurs
d'être reprise tout entière ; le texte même peut être amélioré à l'aide
des photographies et estampages. = N. 827. M. Delamarre a revu la
pierre et approuve pleinement l'excellente restitution proposée par
M. D. pour la 1. i ; la pierre a été coupée au ras de la I. 2. Mais Ross,
dont tous les éditeurs ont. reproduit la copie, a sauté une ligne. Au
24 REVUE CRITIQUE
lieu de ÛttÔ Ntlxr.japÉTT,; z7,(: Y'Jvaixoç TJf;; Na'jxpâtoj; -/.a; xaTa ta; 8'.]aOT//.a;, il
taui lire :... ti/,; NajxsaTou; xa- xupio'j XxjxpâTOj; xoti xaxà. . , M. D. aurait
trouvé cette correction dans un article de Ziebarth {Sit^ungsber. der
Akademie :{u Berlin, XXXI (1897), P- ^z^)- ^^ iallait également citer
le même article (p. 674) dans le sommaire du n° 828.
Les inscriptions d'Athènes sont, comme de juste, très nombreuses
et je réunis dans un même paragraphe les observations qui sy rap-
portent,
N. 439. Règlement delà phratriedes Démotionides. Grâceaux belles
études de Schœll et de Wilamowitz, ce texte difficile s'est singulière-
ment éclairci. M.D. se meut avec aisance au milieu des solutions con-
tradictoires et prend toujours le parti le plus sage, notamment dans
rinterprétation des mots ô AsxcXîiwv oTxo; : la « maison des Décéliens »
n'a rien de commun avec un vivo;. Je regrette seulement qu'il n"ait pas
cité dans sa note les décrets de Karthœa (Ch. Michel, n°' 403-4041 où
il est dit de nouveaux citoyens qu'ils choisiront leur tribu et leur oTxo;..
xa; ouXï,; ■/;; av |3ojXwvt-/'. xa'. o'.xoj (cf le décret des Klytides, SIG\ 5-1 et
Pridik, de Cei insulae 7-ebits, p. 67). Pour les thiascs qui forment la
phratrie des Démotionides, il fallait renvoyer à l'intéressante étude de
G. de Sanctis, 'AtO.';, p. 65 suiv. et à la liste CIA II, 986, très heureu-
sement citée par Sanctis. Dans cette liste les thiases sont désignés par
un nom propre au génitif : 'AvTi'^âvo; Ofaio;, A'.ovsvo; 0!a7o; et ces per-
sonnages sont, non des ancêtres, mais des vivants dont le nom figure
en tèie de la liste. Même désignation dans une inscription de Chios
quej'ai publiée en 1879 et que l'on trouvera SIG% 571, dansla note i :
la phratrie chiote des norcEi... comprend deux «j'évr^ (ceux des AT,jxoYev(Sat
et des ©pa'.x.'oa'.) et trois thiases (o'i TTiXiypo.), ol "Ep|jtio;, ol A-.ovjjoO-opo'j xal
Iloîiiof-zoj', Enfin, nous aurions voulu savoir de M. D. comment il
entendait le décret CIA IV, II 572 c, rendu en l'honneur du démarque
d'I caria par les 'Ixap'.sT; et le or.iao; ô 'Ixap-iwv. Les 'Ixaptôt? sont-ils un
•/Ivo;, comme le veulent Buck et Koehler, ou un oTxo; ?
N° 495 b. La restitution du décret de Phanodémos l'atthidographe
n'est qu'à demi satisfaisante. Oj 'éxajTÔ; èrci ih ovojjlx après toù ôrj[j.o'j res-
semble fort à une cheville, et sont-ce bien les cinq membres du Con-
seil nommés aux 1. 33-41 qui ont offert, aux Dionysia, le sacrifice
dont il est parlé à la 1. 2 1 ?
N" 5 18. Dans le sommaire, lire : P. Girard, au lieu de Giraud.
N° 5 38, note i i.Cf. Revue de Philologie, XXII (1898), p. 362, note i.
.le m'obstine d'ailleurs à regretter que, pour toutes ces inscriptions
relatives aux aedificationes, les savants allemands ne fassent pas à
l'ouvrage de Choisy l'honneur de le citer plus souvent. Les Études
épigraphiqiies sur V architecture grecque leur rendraient autant de
services qu'à nous,
N'J 558 fin : eOîîoÛ); \li^ r, |Boj)>f,<t>» Ta i:pô; xô Oc"ov l'yr/. me semble
préférable à (x)/, [io-Af/. -rà /-l. Cf. n° 681, 1. 4.
d'histoire et de littérature î5
N" 585. Manque une note qui eût cherché à expliquer l'emploi de
l'ethnique 'AOr^vaToc, au lieu du démotique, dans la signature du sculp-
teur. Cf. un autre exemple, n" i65.
N'^ 587. Les importants comptes d'Eleusis sont parmi les textes dont
le commentaire fait le plus d'honneur à M. D. On sait combien ces
comptes sont instructifs et tout ce que nous y avons gagné sur cer-
taines fêtes, telles que les Haloa, sur certaines catégories d'ouvriers,
telles que les oT,[jLÔatot (cf. Waszynski, de servis Athenienshim publicis,
diss. in Berlin, 1898, p. 89 suiv., et Hermès XXXIV (18991, p. 553
suiv.). M. Foucart, qui a ouvert la voie à M. D., reviendra prochai-
nement sur ces textes d'où il a déjà tant tiré.
N° 593. Compléter la note i sur l'emploi du mot o7:o[jivTjîJ.aT!cr[j.($î pour
désigner les décrets de l'Aréopage, en renvoyant au décret de l'Aréo-
page retrouvé à Epidaure (Cayvadias, Fouilles d'Epidaiire, I,n" 206).
On lit 1. I I suiv. : tôv SI xrjp'jxa., Ypâ(|/j.i x-^i 'ETîtoaupîcov ttôXei y.%1 StaTrlij.'l'aa-
Qat tÔv 67rofivï)ijL«'îiff|Jt.6v.
N° 6o5. Il ya plus à dire sur les aTTovSocpôpot d'Eleusis. M. D. pouvait
citer, à côté du texte d'Eschine (II, i33), le CIA II, 6o5 : oîoôyOat toTc
Y^vEsTiv eç wv 0'. ïrovoooôpot Iv.Tziixr.o'tzoï.'.. Les airovoocpôpo'. étaient pris exclu-
sivement parmi les Kéryces et les Eumolpides. — L. 6. aTroYpiowv tt.v
ïTtxYYsXîav ne veut pas dire seulement que le hiérophante donnait aux
envoyés sacrés des lettres de recommandation, mais qu'il rédigeait
pour eux des instructions.
N°6i3. Dans la liste des dix citoyens choisis par le hiérophante
pour préparer le lectisternium en l'honneur de Pluton, plusieurs sont
connus par d'autres inscriptions, en dehors de ceux qu'a notés
M. D. Ajouter que plusieurs appartiennent à la même tribu; ils n'étaient
donc pas choisis un par tribu.
No 634. L. 1-2, restituer plutôt /[[al -£[jn:r,Ta'. ^, t.o[xtJ^ que xa-. Tc).ea0^t
f, T..
N" 638 et 640. Dans la note 4 du n° 638, citer aussi Foucart, Revue
de Philologie^ XIX (1895), p. 27 suiv. — M. Foucart est cité dans les
notes du n*^ 640, sans que le sommaire contienne le renvoi à son
article, Rev. des et. gr., VI (1893), p. 324 suiv.
N<^ 639, 1. 37 suiv. : xo 0£ àpY'Jp'-ov tô eJ; rv/ 6'j7tav TrpoôxveTaai xov raijLt'av
TO'j 8-(^ao'j • h) Zi ToT; TipcoTO'.c voaoOî-ra'.; 7:ooT/0[jioO£tT;<Ta'. tw'. Tx;ji(a'... Pour
l'explication de ce passage, M. D. se borne à renvoyer à la note 5
du n» 137. Ajouter CIA IV, II, 128 b, p. 43, I. i5 suiv. La doubK'
question des attributions financières des nomothètes athéniens et de
l'ouverture des crédits supplémentaires (ou du budget extraordinaire)
mériterait d'être traitée par quelque savant. Je me contenterai de rap-
procher de nos décrets athéniens un très intéressant décret de Kymé
que MM. Pottier et Reinach ont copié en 1880 et quia été publié
en 1888, BCH XII, p. 363. (Cf. O. Hoffmann, diegricch. Dialektc,
11(1893}, p. iio, ir^ 157). Il s'agit de dépenses qui n'ont pas été
2<J REVUE CRITIQUE
prévues au budget de Kymé. La cité invite le trésorier à faire l'avance
des fonds [T.pot:aiwi'f/.oL:) Cl le décret ajoute que cette avance sera gagée
sur les premières rentrées des crédits supplémentaires qui seront
affectés l'année suivante à la défense du territoire (ètt- izôpiit xo'.ç -npiÔTot;
Trpoa<r6T(ao|i.évoiiït e-ç xàiji ç'j)>ay.àv Ta; ywpa;). Cette avance porte intérêt (1. 5)
'et il en était de même à Athènes où le terme employé est TooSavETira'.
(cf. rpo/opr^Y^aa'. à Magnésie du Méandre, n<^ 928, 1. 3o). Le passage
suivant, dont j'ai restitué quelques mots, est particulièrement inté-
ressant et le rapprochement s'impose avec nos inscriptions d'Athènes :
tÔv o£ àroosoîtvjjiivov e'.aaY^wyjî^a twv [y.al-rà] ^^[v y.a'.p]ôv s'.aevi-jV.a! aÙTo s'; to
vojxoOetixov SixaTî-z-p'-OV, '(va '1 ÔTzipyri aTœàÀs'.a tS ■ttÔXei xal t^ /wp? £vvo;ji(o; xx'.
ta iravTa | [£yxaj(^6f,]. Les dépenses extraordinaires (y.ol-.t. tôv xx-.pov ? ) s'op-
posent aux dépenses ordinaires (xaià tov vo[jlov), c'est à dire aux dépenses
•prévues par la loi de finances, telle que l'a votée le tribunal des
'noraothètes avec ses différents chapitres. Si j'ajoute que MM. Pottier
et Reinach ont eu grand'peine à copier ce texte important, dont il
ne leur a pas été permis de pi^endre un estampage, on ne leur en
aura que plus de reconnaissance.
N'^ 646 b. Dans le § relatif à la trêve sacrée qui précède la célébra-
tion des mystères d'Eleusis, M. D. admet aux 1. 5 i suiv. les restitutions
d'Usener : [xlal t]oT; àxoX[o|'jG]ot<Tiv (cf. Thucydide IV, 118, 6) xa'.
[yJpÉaaJatv (cf. n'* 55;, 1. 4) Te;(v) [rji6]v[c]iov.. La restitution /_péu.a]î'.v
semble condamnée par la copie de Chandler qui lisait o-.atv. Kirchhofif
(CIA IV, I, p. 4) propose à).X]o'.a;v et repousse ôoXJo'.-r-.v, parce que, dit-
il, la première syllabe de ce mot doit s'écrire AOV et non AO. Mais cette
dernière règle n'est pas certaine et dans la table des polètes où sont
inscrites les ventes des biens appartenant aux Hermocopides, je lis
avec Wilamowitz AO),ov = ooôXov (n° 41, note 3).
N» 647, note'7. Citer de préférence l'article de Foucart dans la
Revue de Philologie, XVII (1893), p. 161 ;il est plus détaillé que les
Comptes rendus de l'Ac. des Inscriptions et donne déjà la restitution
itopsjrja;.
No 652. Nous savions par Wilhelm [Jahresh. des. oest. arch. Inst. I
(1898], Beiblatt, p. 47) que LoUing avait découvert un fragment de
cet important décret de l'époque impériale, qui ordonne le rétablisse-
ment de la procession d'Eleusis, mais ce fragment était encore inédit:
M. D. l'offre à ses lecteurs. Rappelons, à ce propos, deux belles décou-
vertes de Wilhelm : il a retrouvé au musée d'Athènes un long frag-
ment, depuis longtemps publié (CIA III, 49) de la lettre de Plotine
aux disciples d'Epicurei7a/j;'ei-/K des. oest. arch. Inst. II (1899), p. 270].
Il a réuni deux fragments d'une lettre impériale, dont l'un a été
découvert au Pirée et publié dans le Philologus XXIX (1870), p. 694,
l'autre à Ténos, BCH VII (i883y, p. 25o. Wilhelm annonce la publi-
cation prochaine de cette lettre qu'il attribue à Hadrien ; il se fonde
sans doute, pour la dater, sur le nom de l'épimélète d'Athènes, T.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 2 7
lulius Herodianus de Marathon, qu'il identifie avec Iulius Herodianus
(CIA III, 489). — A la 1. II du no 652, restituer rÉaj^rî;/ plutôt que
a](Y)2'.v. Le sens est différent : 'i';v.'/ -ro'j; èç-VlSoj; (1. 20), c'est conduire
les éphèbes, se mettre à leur tête et faire la route avec eux ; -i[XT.zv/,
c'est simplement ordonner leur départ, les faire partir.
No 668 Aa. Ne peut-on restituer, en tête du fragment, [pa'{/w5oT;]?
N° 706. Renvoyer à Aristote, 'AO/,v. r.ol. 56,3 et nommer la fête où
fut remportée la victoire, les Thargélies.
N° 789, 1. 36. Dittenberger : 6 8' èT:'.T:â-:r,i [àvajjsiaxî.. Je restituerais
plutôt [o'.xTJcîffXs, comme je l'ai fait p. XXXI, 1. 8 de ï 'AO-/;v, roX.
Une note mise auxAddetJcia et corrigenda, p. 807, me fournit l'oc-
casion de revenir sur une importante inscription du premier volume,
n° 1 7, décret du v« siècle relatif à Chalcis. Le § qui règle la condition
des étrangers domiciliés à Chalcis a donné lieu à de très longues dis-
cussions qu'on trouvera résumées dans Clerc, de la condition des
étrangers domiciliés dans différentes cités grecques, p. i3 suiv.
(Extrait de la Rev. des Univ. du Midi, 1898). Le texte, si embarrassé
qu'il paraisse, doit être maintenu sans la moindre correction et Je féli-
cite M. D. de se ranger à l'explication d'Ed. Meyer {Forschungen :{ur
alten Gesch., II, p. 146-147); c'est également celle qu'adoptait impli-
citement Ch. Michel quand il imprimait le texte épigraphique sans
aucune des corrections proposées (n» 70). Le verbe tïXèv è; XaÀ/.'6x a
deux sujets, tô; yyho;, TÔ; Iv XxXy.îo; et tô^ aXXo;, Le premier désigne
d'une manière générale les étrangers domiciliés à Chalcis, le second
les oppose à ceux des métèques qui n'ont pas les taxes et impôts à
payer à Chalcis, soit parce qu'ils vont les payer à Athènes, soit parce
qu'Athènes les en a exemptés. Pour le sens à donner à y.aOiTtsp hoi aXXot
XaX/.to££ç, voy. Clerc, p. 16.
Les inscriptions découvertes en dehors d'Athènes me retiendront
moins longtemps.
N° 3o3 (Abdère. Addenda, p. 816). La restitution rapportée par
M. D et justem.ent louée est d'autant plus probable qu'elle a été pro-
posée d'autre part au Collège de France par M. Foucart. S'aidant
d'un estampage qu'il a communiqué à ses auditeurs, M. Foucart
lisait, aux 1. 24 suiv. : ^[o'j^ Ô£ -poJvoo-jaivo'Jî toj àv-rioîxoj :^||jt.wv xa; Toojra-
xo'jv:a[s oià T-Pj; TjÔjv TrpaYixâTiov TTxpxOidïîtiK tî xat r^î y.aO' y |aipa[v Y£vo;ji£v]r,;
î'^oocîaî £::•. twv à-p'!a)v io'.XoTcoioôvxo. L'iota d'à-rpîwv est très net SUT I es-
tampage qui confirme la plupart des lectures de MM. Hauvette-Bes-
nault et Pottier.
Le no 466 (Delphes) est enfin devenu très clair avec les lectures de
Baunack {Addenda, p. 820). M. Dareste ne manquera pas d'en tirer
parti quand il reprendra son étude sur le droit de représailles princi-
palement chéries anciens Grecs \Rev. des et, gr., II f 1889) p. 3o5 suiv.).
No 470 (Ephèse , note 2. On conçoit très bien qu'un étranger de-
mande directement le droit de cité à l'assemblée du peuple. Un décret
28 REVUE CRITIQUE
antérieur peut Tavoir autorisé à se présenter devant rassemblée, où il
s'efforcera d'obtenir les avantages qu'il pourra (îJpbOat rapà toO or^ao-j
ôTt av 8jvT,tat àYxOôv, no 5/, 1. 2ii. Cf. 11° 56 1. 33 où se retrouve le verbe
a'Tetaôx'..
N» 484 (Delphes), note 4 sur le sens des verbes -poô-jsiv, Trpoïspr.Tc-jetv
(n° 599, 1. Il), :rpoïcpaTe«t (n" S27, 1. 6). M. D. ne cite pas les intéres-
santes observations de Max Fraenkel sur ce dernier verbe qui s'est ren-
contré dans une inscription de Pergame [die Inschriftcn von Perga-
mon, no 248, 1. 14, p. 167).
Les n*^ 552-554 sont d'importantes inscriptions de Magnésie du
Méandre publiées pour la première fois. Le n° 553 est particulière-
ment intéressant: c'est un décret réglant les fêtes qui seront célébrées
lors de Tinauguration du temple d'Artémis et chaque année, au jour
anniversaire de la naissance de la déesse, le 6 Artémision. Le jour est
férié, les écoles sont fermées (1. 29 suiv. àv-ijôcoiav.. o- -aToî; èx-wv ;i.a6r,-
axTov y.a; à-o -w Ipywv ôo^/o- ts xx; ooùXa'.); chaque habitant doit offrir
un sacrifice devant la porte de sa maison et selon sa fortune (xa-:'o''y.oj
^•jvafi'.v. 1. 9), sur un autel construit à cet effet. — N° 552, 1. 83, note 19.
Le même signe, avec la même valeur (900) revient constamment dans
les inscriptions de Didymes et se prête à d'ingénieuses combinaisons
que je ferai bientôt connaître dans la Revue de Philologie. — N"^ 554,
1, i5 : £•? "ô xa6' eÇajjiTjVov îïapaYtvôiiîvov o[ixar:T'p'.ov. L'explication propo-
sée par M. D. me paraît inadmissible. L'idée de juges étrangers venant
à époques fixes, deux fois par an, siéger à Magnésie me semble con-
traire à tout ce que nous savons de l'administration de la justice en
Grèce. Les juges dont il est parlé sont des Magnètes : deux fois par
an, ils se transportent sur les lieux (■TtapaYtvôjji.ôvov), c'est à dire qu'ils se
rendent dans le téménos de Sarapis; si l'autel du dieu a été déplacé,
porté en dehors de l'enceinte sacrée, ils jugent et condamnent séance
tenante le néocore, sur la plainte introduite par les £j6jvo!. Ces dépla-
cements d'un tribunal ne sont pas faits pour nous surprendre (cf.
Aristote, 'AOr,v. ro),., 57, 3); nous pouvons citer aussi l'exemple du
Conseil des Cinq-Cents siégeant au Pirée, sur le môle, pour surveiller
les préparatifs d'une expédition. CIA II, 809 b, 1. i5-i6y.
N° 563 (Astypalaea). L'explication proposée par M.D. est ingénieuse,
mais, outre qu'elle comporte une addition au texte, ne serait-il pas
nécessaire de répéter la négation devant -Âlv^oii)!
Le n° 575 (Smyrne) reste très obcur, mais je crois juste l'explication
des mots TÔTrapazî-paiJiévov. H s'agit d'un droit adjugé (les Grecs disaient :
vendu) au fermier de la dîme du téménos d'Aphrodite. Tô -apa-c-pa-
jjiîvov 0.T.0 -zùiy TrXéôpcov équivaut peut-être à ~o r£7:ox;ji£vov à7:à Ttov rapaxeiixévojv
7:)iOpcov.
N<> 592 (Pergame), note 7. Il y a plus à dire sur les \tpo\ r.ouhç qui
ne sont pas tous des UpôSojÀo!.
N° 601 iHalicarnasse), 1. 3o : Or.ïaupov. Renvoyer à Hiller von Gaer-
d'histoire et de littérature 29
tringen, Thera, I ('1899), p. 260. Hiller a retrouvé à Théra le tronc du
sanctuaire des divinités égyptiennes et les tigures jointes à son ouvrage
ne manqueront pas d'intéresser le lecteur.
N° 6o3 (Sinopei, note 8, sur le mois Taupswv. Ajouter : et Mileti
(Revue de Philologie, XXIII (1899), p. 4-5.
N» 626 (Lindos). Très ingénieuse explication de -rrpoj/xpa-.o; (Oysfa) =
irpoîT/âpato; =: t.oo tï; soyâpa; y '•",'""' I^^''^-
N° 627 (Milet), note 6, sur le paj-.Xs'j;. Ajouter : et Cliii fCh. Michel,
no 707).
N" 663 (Delphes), note i, sur le sens de tjv <!/d(oo'.; Ta"? èwôao'.;. Le
renvoi au n° 438, 1. 21 n'est pas tout à fait exact, puisque dans ce
dernier texte il ne s'agit pas d'un sote de l'assemblée du peuple, mais
de la phratrie des Labyades.
N" 679 (Halicarnasse), 1. i3. Li restitution ).a;i.iT]â8'. à-h rpi-ra; est
très plausible. Dans plusieurs dédicaces inédites de Didymes, je lis :
v'.X'/,Tavra Xa[j.-àooc tt,v à-ô [îwaoô y.-/ )>aij.râoa -TjV ttoo? ^oj[ji''v.
N" 681 (Patmos). L'île appartenait alors aux Milésiens et je revien-
drai prochainement sur ce texte.
N° 686 (Olympie;, note i 2. Renvoyer à : Ane. gr. Inscr. in the Brit.
Muséum, n0 928 '18931 au lieu de : Newton, Halicarnassus. — Note i5
fin. Au lieu de : Wood, Ephesus.., renvoyer à : Ane. gr. Inscr. in the
Brit. Muséum, n° 695 (1890). L'éditeur de ce dernier recueil, Hicks,
lit d'ailleurs Upâ.
N° 916 (Delphes) note i. Corriger t-:rziMr^.
N° 931 (Delphes), note 39. Renvoyer à la remarquable étude de
M. Foucart : XTpaTT,YÔ; 'j-'x-o^ • z-p-x-r^-^ô; àvOj-xTo; dans la Revue de
Philologie \X\\Ï (1899), p. 254suiv.
Le volume se termine par un feu d'artifice. L'Appendix titulorum his
proximis annis erutorum ne contient que pièces nouvelles et brillantes.
Ce ne sont guère que noms fameux, d'hommes ou de monuments,
cités dans des dédicaces, décrets ou sénatusconsultes : Gélon (n° 910],
le temple d'Aihéna Niké (n" 91 1), Alcibiade {n° 912), les fils de Ker-
sébleptès (n° 91 3), Leucon, le souverain de Bosporos et ses fils
(n° 914), Aristoie et son neveu Callisihénès (n° 91 5), Néarque, l'amiral
d'Alexandre (n°9i6); plus loin, Pyrrhus (no9i9i, Philopémen ''n°926)
et de nouveau d'importants textes découverts à Magnésie du Méandre
(n"* 927-928. Cf. n" 923, décret des Etoliens accordant aux Magnètes
une voix amphiciionique, '|/âoov Upo|j.vafjLov.y.àv iv to'j; '.\iji'ity.TJOva;, 1. 21).
Citons enfin le sénatusconsulte de l'année 112 (n° 930), à qui nous
devons d'être fixés sur la date exacte de tout un groupe d'archontes
athéniens du deuxième siècle avant J.-C. Il provient de Delphes,
comme la plupart de ces textes de la dernière heure, qui donnent tant
de prix et d'éclat à cet appendice. Qu'il nous soit donc permis, en
passant, de rendre justice aux belles fouilles de l'École française. Le
Bulletin de Correspondance hellénique est en quelque sorte le dépôt
30 REVUE CRITIQUE
des archives de Delphes, et Je crois savoir qu'il tient en réserve plus
d'une inscription de premier ordre, plus d'un nom fameux. Nous les
ajouterons à la galerie que nous venons de parcourir.
L'épigraphie grecque n'est donc pas à la veille de faire faillite et
nous pouvons, comme M. D. dans la préface de son premier volume
(p. ix), envisager avec confiance lesiècle qui va naître. Il nous donnera,
pour ne parler que des Choix d'inscriptions, la suite du Recueil de
Ch. Michel sous forme de fascicules complémentaires, puis — pour
terminer par une indiscrétion qui me sera pardonnée — la deuxième
édition du Mamial of greek historical Inscriptions de Hicks, avec la
collaboration de G. F. Hill. Les études épigraphiques sont donc bien
vivantes et M. Dittenberger est de ceux à qui elles doivent le plus.
S'il se réunissait quelque jour un congrès d'épigraphistes, ils lui décer-
neraient à l'unanimité un éloge et une couronne, n-îtsivw; tw-. \xz-f\r-M'.
zv. TÔiv v6[jiwv.
B. Haussoullier.
K. Waliszewski. Littérature russe. Paris, A. Colin, 1900, in-S' écu, de x et
447 p.; 5 fr.
Certes, nul ne peut songer à refusera M. K. Waliszewski le talent :
mais, le talent a plusieurs formes : jusqu'ici, l'historien polonais
nous avait montré son habileté de metteur en scène, son art d'inté-
resser le lecteur, même au prix de documents peu contrôlés ; or, dans
sa Littérature russe, il témoigne, cette fois, d'un incontestable talent
de grappilleur littéraire, et, s'il n'a pas lu la « Cuisinière bourgeoise »,
on ne peut nier, du moins, qu'il sache accommoder les restes. C'est un
petit jeu, pour un lecteur au courant, que de retrouver, à propos de
chaque page du livre, à quel écrivain elle est empruntée. Disons,
toutefois, que la Geschichte der russischen Litteratur, de M. v. Rein-
holdt et l'Histoire du roman russe (en russe), de M . Golovine, ont eu
l'honneur de fournir les principales contributions. M. W. après avoir
déclaré « qu'il ne voulait parler que de ce qu'il avait pu connaître et
apprécier personnellement », a, en réalité, pillé sans vergogne ces
deux écrivains, et quelques autres encore, parmi lesquels MM. Anatole
Leroy-Beaulieu et de Vogué '. Parmi les additions personnelles de
M. W., nous pouvons citer un grand nombre d'anecdotes dédaignées
par ses auteurs, des anecdotes soit simplement douteuses, soit tran-
chement odieuses, comme celle qui (p. 363) représente Tolstoï végé-
tarien par ostentation, se relevant la nuit pour manger du rosbif. En
r. La page 3o7 reproduit mot pour mot la page 140 du Roman russe smx Bakou-
nine, tout en y corrigeant une erreur de biographie, grâce à une note de Reinholdt
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 3l
outre, le nombre des anecdotes grasses est considérable, et d'autant
plus frappant que M. W. se plaint de trouver de l'obscénité partout,
chez Kantemir, chez Bogdanovitch, chez Batiouchkov, chez Pouch-
kine, chez Lermontov, chez Tourgueniev!
On pourrait croire que le livre de M. W., étant une adaptation,
offre, à défaut d'originalité, une grande sécurité d'information. Il n'en
est rien : ce livre est écrit avec une légèreté incroyable, et, toutes les
dix pages, on y relève au moins une date fausse '.
Les confusions des mots y sont innombrables % les confusions de
faits, comme celle de deux présidences de la princesse Dachkov
p. 127:, n'y sont pas rares. Un certain nombre de ces erreurs sont
empruntées consciencieusement , à Reinholdt ip. 107; 117, par ex.),
et la plus réjouissante de ces confusions du critique allemand repro-
duites par M. W. est celle qui 'p. 409; attribue à Maïkov un poème sur
la Cathédrale de Clermont, alors que les vers du poète célèbrent, en
réalité, le Concile de Clermont!
Pour la partie purement scientifique, qu'il me suffise de dire que
M. W. disserte des qualités des Tatars (p. 5) qui ont envahi la Russie
au xiii® siècle, d'après les observations personnelles qu'il a faites
auprès des garçons tatars dans les restaurants de Saint-Pétersbourg,
Ce qu'il dit de la langue russe (p. 1 1) est à l'avenant.
Pour les jugements, le parti pris de dénigrement n'aurait rien qui
pût nous déplaire, s'il était l'expression du sentiment vrai d'un Polo-
nais pour les Russes ; mais, si l'on veut voir comment ces « exécutions >-
sont obtenues, que l'on parcoure, par exemple, l'article Tchékhov.
traduit de M. Golovine : tous les compliments du critique russe sont
énervés ou supprimés, et toutes ses critiques sont enflées avec artifice.
Si, enfin, nous voulions nous occuper de la forme, nous ne pourrions
refuser de rendre justice à la vivacité de ton, au savoir faire, et à la
grande connaissance que l'écrivain polonais a de notre langue.
Toutefois, trop confiant dans sa facilité, il lui arrive d'écrire fréquem-
ment dans un galimatias qui n'est ni français, ni allemand, ni russe
ni, je pense, même polonais \
1. Ne pouvant les citer toutes ici, nous donnons une liste des principales pages
visées : 43, 69, 107, 109, 117, 127, 145, 220, 418, etc. etc.
2. Cf. p. 24. skoromokliy au lieu de skomorokhy ; p. 74, Krach ennikov pour
Kracheninnikov ; p. 107, les prénoms de Kapniste (V. V. et non V. lakovlevitch) ;
p. 139, Ga^jette pour Journal de Moscou (éd. par Karamzine); p. 148, Mamet pour
Nameh; Ruslem pour Roustem, etc. etc.
3. Nous n'avons ici que l'embarras du choix : qu'on se contente de savourer la
page I ; la p. 145, et l'abracadabrant méli-mélo consacre (p. 2i5 sq.) à .Aksakov.
Citons aussi cette simple phrase p. 33) : « Plus, dans l'aspect actuel de l'œuvre,
que la simple fleur des champs, fraîche, vive de couleurs et parfumée, dont Bié-
linski a eu la sensation, et moins. » — Enfin, des expressions bizarres : ^jh^o/, au
sens de : plus tard, produit des effets comiques; manteau couleur de mur, pour
couleur de muraille (p. 208); et, le « protocolisme trivial de Zola » p. 32o,
sont d'un assez réjouissant exotisme.
?2 REVUE CRITIQUE
Ces remarques très simples, que l'on pourrait multiplier aisément,
donneront une idée de la valeur originale et pédagogique du livre de
M. Waliszewski.
Jules Legras.
Victor GiRAUD. ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de littéra-
ture française à l'Université de Fribourg Suisse). Pascal, l'homme, l'œuvre,
l'influence. Paris. Fontemoing, 1900, in- 1 8.
L'ouvrage de M. Giraud n'est pas un livre; ce sont les notes prises
par l'auteur pour un cours en 21 leçons sur la vie et l'oeuvre de
Pascal. Fn dépit de cette apparence un peu abrupte, il intéressera
certainement tous les Pascalicns, et ceux-ci doivent être assez nom-
breux, si on compte les travaux sur l'ascal et les éditions des Pro-
vinciales ex des Pensées que chaque année voit paraître. Ajoutons que
l'auteur est parfaitement au courant du sujet, et qu'il l'aime, première
condition pour en bien parler. On verra tout à l'heure si cet amour
bien naturel ne l'a pas entraîné à quelques exagérations de forme et
de pensée.
Dans les premières leçons, M. Giraud raconte la vie de Pascal
jusqu'à sa conversion définitive; il n'admet pas, et en cela il a certai-
nement raison, qu'il ait jamais été incrédule au sens moderne de ce
mot, il a pu, à un certain moment, être un chrétien un peu tiède,
mais jamais il ne paraît avoir conçu le moindre doute sur la vérité de
la religion chrétienne. Cette tiédeur relative se manifeste en i653,
quand il s'oppose à l'entrée en religion de sa sœur, cette Jacqueline
qui exercera plus tard sur lui une si grande influence; elle se montre
encore au cours de ses relations avec le duc de Roannez et les mon-
dains qui entourent celui-ci. A ce commerce avec des gens lettrés et
spirituels, Pascal gagne de la finesse d'esprit, je ne dirai pas de la
grâce, car c'est une qualité qu'il n'a jamais eue en partage. Très Jus-
tement aussi, M. G. se refuse à croire à la réalité d'un roman, d'une
intrigue innocente, d'où serait sorti le Discours sur les passions de
l'amour, et ne voit dans cet opuscule qu'une simple dissertation ga-
lante ; il croit pouvoir affirmer « qu'il n'y a eu dans la vie de Pascal
aucun dérèglement d'aucune sorte ». L'affirmation paraîtra peut-être
à certains imprudente; étant donnée la santé débile du grand écri-
vain, on peut l'accepter.
C'est en 1654, à la suite d'une longue évolution morale, que se pro-
duisit la conversion définitive de Pascal. On sait qu'il en consigna le
souvenir dans un écrit, qu'on appelle l'amulette et qu'il porta sur lui
jusqu'à sa mort, et qu'il date lui-même l'événement de la nuit du
23 au 24 novembre de cette année. Eut-il alors une vision : M. G. le
nie, sans quoi, dit-il, « c'eût été un miracle » ; nous dirons plus sim-
d'histoire et de littérature 33
plement que Pascal eut, dans cette nuit mémorable, une hallucina-
tion ; le fait semble ressortir de quelques expressions du document.
Mais de tout cela, il suffit de retenir une chose : en 1654, Pascal est
devenu le chrétien exalté qu'il restera jusqu'à sa mort, et, dès lors
son génie est complètement formé; il possède les connaissances scien-
tifiques, l'habitude du raisonnement et le talent littéraire qu'il va
mettre un peu après au service de ses amis de Port-Royal.
Dans les leçons sur les Provinciales, M. G. expose avec beaucoup
d'impartialité les reproches qu'on a pu avec justice faire à Pascal ;
ce dernier a apporté dans ces discussions une passion indéniable, il
a visiblement interprété avec une certaine malignité quelques pas-
sages, tronqué et altéré quelques unes de ses citations, et surtout,
(mais sur ce point l'auteur n'a pas assez insisté à notre sens), il a
négligé de parti pris l'histoire de la casuistique. Trop souvent il a
prêté aux seuls pères de la Compagnie des assertions un peu étranges
qu'on trouve chez beaucoup de théologiens, dominicains ou clercs
séculiers, longtemps avant Loyola. Je n'aime pas non plus beaucoup
les arguments que M. G. emploie pour justifier la casuistique ; toute
philosophie, il est vrai, sans excepter celle du Portique, a produit
des casuistes, mais il faut bien en convenir, la casuistique catholique
l'emporte sur toutes les autres en subtilité et en raffinements. On
souffre également à trouver dans la même phrase (p. 92) le nom
d'Escobar et l'expression « conforme à l'esprit de l'Évangile ». La
casuistique est sans doute une science nécessaire, surtout avec la pra-
tique de la confession, mais elle entre dans des détails assez malpro-
pres et on est un peu choqué de voir cette cuisine de la conscience
rapprochée de la pure morale de Jésus. M. G. affirme encore que
Pascal a « créé la légende du jésuite » ; n'y a-t-il pas là quelque exa-
gération ? la question ne saurait être discutée ici ; remarquons seule-
ment en passant que partout où la puissante Compagnie a apparu,
elle a soulevé contre elle des haines terribles, et pas seulement chez
les libres penseurs. Je crois avec M. Giraud, qu'en somme, Pascal a
perdu son procès (p. 99), la morale des Jésuites l'a emporté, tout
comme leur théologie, mais on peut se demander si au point de vue
chrétien lauteur des Provinciales n'était point dans le vrai, et si l'on
peut estimer chrétienne une morale que M. G. lui-même appelle la
morale mondaine et des honnêtes gens.
Après un chapitre fort intéressant sur les dernières années de
Pascal, l'auteur aborde l'étude des Pensées, le plus célèbre, le plus lu
des deux ouvrages. A quel moment fut conçu le projet de VApo-
logie du christianisme, dont ces pensées sont les débris? M. G. sup-
pose que l'idée date de la jeunesse de l'auteur, qu'il en fut comme de
VEsprit des lois de Montesquieu. L'hypothèse nous parait peu accep-
table, à cause de certains détails matériels ; Pascal, on le sait, tra-
vaillait à l'ouvrage un peu après la mort de Cromwell et la restaura-
34 REVUE CRITIQUE
lion de Charles II ; de plus l'écriture de tous les fragments présente
les mêmes caractères essentiels et doit dater d'une période assez
courte. L'étude des sources des Pensées est complète ; elles sont
d'ailleurs peu nombreuses ; la principale est Montaigne et M. Faguet
a pu affirmer non sans raison que tout ce qui n'était pas purement
théologique avait été emprunté aux Essais par Pascal; M. G. y
ajoute Charron (le fait avait déjà été signalé), Epictère, Du Vair et le
Socrate chrétien de Balzac. En ce qui concerne le plan, M. G. estime,
et il pourrait bien avoir raison, qu'il est impossible de le rétablir; de
tous les éditeurs, le plus sage a peut-être été M. Havet, qui a conservé
l'ordre établi par Bossut, en collationnant le texte et en intercalant à
leur place les nouveaux fragments découverts par Cousin et par Fau-
gère. Le chapitre suivant sur la valeur littéraire de l'ouvrage est
encore très intéressant; toutefois, je n'aime pas l'expression de
lyrisme appliquée aux Pensées 'p. i58); elle aurait tout au moins
besoin d'être expliquée. Rien dans le style de Pascal ne rappelle celui
des grands lyriques, et on s'étonne à voir citer pêle-mêle sous le nom
de poètes religieux Milton, Dante, Sainte Thérèse, l'auteur de Vlmi-
tation, Bossuet et Victor Hugo ; j'avoue ne plus comprendre.
M. G. parle ensuite de la valeur apologétique de l'œuvre de Pascal.
Ici il y a lieu de faire quelques remarques et réserves. Il paraît bien
téméraire d'affirmer que s'il avait terminé son œuvre, Pascal aurait
été amené « à atténuer son jansénisme » ; cette assertion est contre-
dite par tout ce que nous savons des dernières années de la vie de
l'auteur, qui devenait de jour en jour moins opportuniste et plus
intransigeant. J'admets avec M. G. que Pascal avait pour les preuves
métaphysiques le dédain le plus absolu et le mieux justifié; j'admets
encore qu'il voulait composer une apologie sentimentale et non
intellectuelle, une sorte de Génie du christianisme d'allure plus sévère;
le rapprochement, il est vrai, me paraît plutôt cruel pour l'auteur des
Pensées, sans vouloir médire du grand romantique. S'ensuit-il que
l'ouvrage ainsi conçu aurait pu conserver après deux siècles une
valeur quelconque? A-t-on vraiment le droit de voir un travail d'exé-
gèse dans cet Abrégé de la vie de Jésus, imhanon libre d'un traité de
Jansénius? Autant tenter la défense des théories des physiciens du
xvii« siècle. L'homme qui a écrit quelque part que les contradictions
de l'Écriture en marquaient la vérité, pouvait être un admirable géo-
mètre; il n'avait pas la moindre idée de ce qu'on appelle la critique
historique. Enfin le fait seul de citer un livre aussi misérable que le
Pugio Jidei de Raimond Martin, suffirait à prouver combien Pascal
ignorait toutes ces questions théologiques. Au surplus, toutes ces
apologies sont choses bien inutiles; elles n'ont jamais converti per-
sonne.
En somme, c'est la partie philosophique des Pensées qui seule a
vécu et que seule on lit aujourd'hui, et c'est sur ce dernier point qu'il
d'histoire et de littérature 35
paraît utile d'insister. M. G. analyse longuement la théorie des trois
ordres : matière, pensée et grâce formulée à plusieurs reprises
par Pascal et y voit toutes sortes de choses; l'explication des deux
infinis de grandeur et de petitesse, les développements sur la grandeur
et la bassesse de l'homme lui paraissent de tous points convaincants,
et il va jusqu'à dire quelque part que sans la foi, Pascal se fût montré
en politique plus hardi qu'un Jean-Jacques et « que certaines de ses
formules pourraient conduire au nihilisme et à la plus complète
anarchie » (p. 175). Cette appréciation nous paraît fortement exagérée.
Je ne sais trop ce qu'un physicien moderne dirait de la page célèbre
sur les deux infinis; mais pour les pensées sur l'injustice des lois
sociales, ce ne sont que boutades sans grande portée; la forme est
de Pascal et elle est admirable, mais le fond est tout ce qu'il y a de
plus banal et n'appartient à personne. L'auteur a forcé sa pensée,
pour amener le lecteur à reconnaître avec lui que sans la religion
tout n'est que vanité et concupiscence. Ce sont des réflexions de
théologien, de prédicateur, de moraliste si on veut, mais non des
arguments de philosophe. — Un peu plus loin, M. G. affirme que
de tous les grands esprits du xvii^ siècle, Pascal serait le moins dé-
-paysé parmi nous; puis il établit un parallèle entre les idées philoso-
phiques de son auteur et le système de Kant; p. 228, il estime que
Pascal était un manieur d'hommes de la race des César, des Richelieu
et des Napoléon (singulière manière à coup sûr de faire l'éloge d'un
grand esprit) ; p. 209, rappelant une phrase où Gœthe exprime une
opinion très défendable, il dit dédaigneusement « que les Gœthe ne
sont pas plus faits que les Voltaire pour comprendre Pascal. » Enfin
parlant à la fin de son livre de l'influence exercée par ce dernier jus-
qu'à nos jours, il retrouve trace de cette influence à peu près partout
et termine « en félicitant nos contemporains de tenir davantage à pas-
ser pour des fils de Pascal que pour des fils de Voltaire ' ».
En un mot c'est un panégyrique complet, et glissant sur le jansé-
nisme de son auteur, M. Giraud s'efforce de faire du défenseur
passionné de Port-Royal, de l'ami d'Arnauld un catholique de nos
jours. Il y aurait trop à dire sur ce point; il nous paraît plus utile
d'insister sur une confusion, volontaire ou involontaire, bien souvent
commise touchant les Pensées. Elle provient de ce fait que la plu-
part des lecteurs de ce livre (je fais exception pour quelques-uns, dont
M. Giraudj, la plupart des Pascaliens modernes n'en pratiquent et
1. Voltaire n'a pas besoin d'être défendu contre le dédain de M. Giraud; il n'est,
il est vrai, guère en faveur par ce temps de réaction intellectuelle et morale, mais
son œuvre suffit à le justifier, cette œiivre dont le monde moderne vit encore,
quoi qu'on en dise. Quant à sa philosophie, elle était bien aussi originale que celle
de Pascal, empruntée tout entière à Montaigne, et j'avoue préférer le défenseur de
Calas et de Sirven à l'homme d'esprit eu somme un peu étroit, qui damnait le
monde entier sur un verset de S, Paul mal compris.
36 REVUE CRITIQUE
n'en citent qu'une partie. Dans toutes les éditions, sauf celle de
M. Michaut, Touvrage se divise en deux sections, de valeur et d'inté-
rêts inégaux; la première philosophique et morale, merveilleuse de
stvle, pleine de réflexions profonde et primesautières, de développe-
ments magnifiques, l'autre, la plus longue, où Pascal s'occupe de
questions théologiques, et, n'en déplaise à certains critiques, cette
seconde partie est inférieure de forme et aucun théologien sérieux
ne peut en discuter le fond. Pascal y parle de questions qu'il con-
naissait assez mal, et il emprunte une bonne part de ses raisonne-
ments à ce méchant traité scolastique de Pugio fiJei, peu estimé et
peu copié dès le moyen âge. Sur cent lecteurs des Pensées, combien
ont lu ces pages insipides ? La plupart des Pascaliens s'en tenant à la
première partie, on s'explique la fortune de cette hypothèse inadniis-
sible d'un Pascal sceptique à ses heures. C'était bien au contraire le
croyant le plus déterminé de son temps et tous ces arguments d'école
empruntés à Montaigne, mais revêtus par lui d'une forme si person-
nelle et si saisissante, n'étaient sous sa plume qu'un moyen d'humilier
la raison humaine et de préparer l'àme de ses lecteurs à recevoir
docilement la foi. C'est cette partie des Pensées qu'on lit encore
aujourd'hui et qu'on lira tant qu'il y aura des amoureux de la belle
langue, et non les développements pénibles et à peine ébauchés sur les
mvstères, les figures et les miracles.
Une dernière réflexion pour finir; l'église catholique aujourd'hui
essaie visiblement de faire servir à ses fins cet illustre pe'nseur si
longtemps tenu pour suspect ; c'est sans doute une bonne tactique.
Mais les catholiques du xix« siècle paraîtraient peut-être des chrétiens
bien relâchés à ce sectaire intraitable, qui éprouverait sans doute
aussi quelque étonnement à se savoir lu et prôné par tant de pessi-
mistes et de dilettantes découragés.
A. MOLINIER.
Bibliothèque de Bibliographies critiques publiées par la Société des Etudes
historiques avec le concours des écrivains les plus compétents. — Paris, Fon-
temoing '.
La publication entreprise, sous les auspices de la Société des Etudes
historiques, par M.Franiz Funck-Brentano, le savant sous-bibliothé-
caire de l'Arsenal, sera certainement accueillie parles travailleurs avec
sympathie et gratitude. Elle vient on ne peut mieux à propos dans un
moment où, partout, on cherche ardemment à rendre plus prompte,
plus abondante et plus commode l'information bibliographique. La
I. Voir sur les récents congrès bibliographiques, l'article de M. Funck-Brentano,
dans la Revue des Deux-Mondes, i«' janvier 1898.
d'histoire et de littérature 3/
collection, toujours ouverte, accueillera, — la liste des fascicules déjà
donnés ou annoncés en fait foi, — les matières les plus diverses :
sciences, histoire, littérature, sociologie, beaux-arts. Et ce que le
prospectus n'annonce pas, mais ce que promet formellement l'intro-
duction (récemment parue dans une livraison particulière) du direc-
teur de la collection, c'est que l'on- a le ferme dessein de tenir an cou-
rant ces bibliographies. Aussitôt que, sur un des sujets déjà traités,
le nombre des livres ou articles publiés sera suffisant, aussitôt un fasci-
cule, — ou même, une simple feuille de supplément viendra s'ajouter
et pourra s'annexer à la bibliographie déjà parue, « qu'elle complé-
tera et mettra à jour ' «. Et c'est là l'important. Peu importerait que
ce répertoire embrassât le plus grand nombre possible de matières, s'il
ne devait pas suivre le mouvement de la production scientifique; et,
le suivre non pas de loin, mais d'aussi près que possible. J'insiste, car
comme l'a fort bien dit M. Ch. Mortet, cette mise au courant par des
« éditions successives » ou des compléments fréquents est la « condi-
tion » sine qiia non de l'utilité de ces répertoires bibliographiques.
Que cette condition se réalise, et la Bibliothèque de bibliographies
critiques deviendra, pour toutes les bibliothèques, privées ou publi-
ques, l'outil indispensable.
Aussi est-il bon de se demander déjà, — en vue de cette besogne de
continuation qui peut, dès demain, avoir à commencer, — si ces
compléments successifs ne devront pas différer quelque peu des
bibliographies de début qui viennent de paraître ou vont paraître.
Dans ces bibliographies de premier établissement, où les rédacteurs
se trouvent en présence d'une littérature déjà vieille parfois de plusieurs
siècles, un choix très rigoureux s'impose. Dans les suites, il faudra,
ce me semble, être complet. Non pas que les bibliographies ultérieures
doivent cesser d'être critiques; non pas qu'il faille en revenir à cette
conception étroite et inutile de la bibliographie-catalogue, que
M. Henri Stein a si justement et spirituellement stigmatisée dans l'in-
troduction de son magistral traité de Bibliographie générale; « la cri-
tique, dit-il, avec raison, doit être un des éléments constitutifs de la
science bibliographique ». Mais un catalogue, même complet, peut
être critique. Tout en s'imposant d'enregistrer tout ce qui concerne sa
matière, — parce qu'il sait que cette fidélité et cette abondance sont
requises de lui par les travailleurs scrupuleux, toujours inquiets d'être
mal instruits, parce qu'il sait aussi qu'il n'y a si mauvais livre dont on
ne puisse tirer profit, — le bibliographe n'est pas tenu d'enregistrer
passivement, sur le même plan et le même rang, les productions que
la librairie lui apporte. Dans ces continuations dont je parle, sa criti-
que devra, je pense, s'exercer non pas par pure et simple élimination
I. Introduction, par Fr. Frunck Brentano, p. 5,
'^S REVUE RITIQUE
d'ouvrages jugés par lui insuffisants, mais par l'indication de leur in-
suffisance.
Que si Ton objectait, — et en effet, il faut tout prévoir, — que ces
notes, sévères au besoin, exposeraient la Bibliothèque et ses rédac-
teurs à des réclamations de la part d'auteurs susceptibles, nous répon-
drons qu'il y a bien des façons de formuler ces appréciations, ne fût-
ce que par les « astérisques » dont M. Gabriel Monod, entre autres,
s'est servi (dans son excellente Bibliographie de rHistoire de France).
J'ajoute qu'il y aurait peut-être un moyen d'améliorer encore et de
rendre plus précieuse cette partie critique : ce serait, — pour les livres
qui auraient été l'objet de comptes rendus critiques dans les revues
spéciales, — de mentionner ces articles.
Pour ce qui est du j?/a;ï de ces bibliographies, la tolérance des direc-
teurs de la collection s'annonce tout à fait large, — trop large à notre
avis, — « La Société n'a pas voulu imposer à ses collaborateurs un plan
trop nettement limité, trop rigoureusement défini. » Je ne sais si elle a
raison, et si la variété des conceptions individuelles ne lui ménagera
pas quelques surprises peut-être regrettables. Je suis convaincu que
les collaborateurs distingués auxquels elle fait appel accepteraient
sans rechigner la servitude tris supportable d'une uniformité plus
sévère. Ils savent tous combien il est souhaitable que les recherches
bibliographiques soient facilitées et abrégées; que les chercheurs se
rebuteront, s'il leur faut, avant de consulter un de ces répertoires, se
rendre compte de l'arrangement particulier où les documents y sont
rangés et des principes variables qui auront inspiré cet arrangement ;
que les bibliothécaires, comme les travailleurs, comme les bibliophiles,
useront beaucoup plus volontiers des «bibliographies critiques ^), s'ils
savent qu'ils peuvent y recourir à coup sûr, presque les yeux fermés,
avec la certitude de trouver dans le même ordre et la même succession
— autant qu'il est possible, — les renseignements dont ils ont besoin.
Non pas, bien entendu, et il est à peine besoin de le dire, — que toutes
ces bibliographies puissent être construites sur un plan identique : la
diversité des sujets traités s'y refuse trop évidemment, — mais peut-
être pourrait-on fixer sans trop de peine, pour chacun des genres de
sujets possibles (il n'y en a pas tellement), un certain nombre de plans
généraux, où la distribution des matières serait subordonnée à quelques
principes, de chronologie ou de logique, incontestables. J'aurai préci-
sément l'occasion de formuler cette observation à propos de la biblio-
graphie de Bossuet due à M. l'abbé Urbain, qui forme le troisième
fascicule de la Bibliothèque.
Enfin les éditeurs me permettront, en terminant, un desideratum
d'ordre matériel. Que la disposition typographique soit plus nette et
plus uniforme ; tantôt plus ramassée, tantôt plus aérée au contraire.
Que les titres des ouvrages mentionnés soient rédigés d'une façon
identique, et toujours correcte (je ne dis pas complète), au point de vue
d'histoire et de littérature .39
bibliographique. Que l'emploi des capitales, des italiques, des chiffres
arabes ou romains soit régulier et constant. Ce ne sont pas. là des
-questions de coquetterie. Toutes ces menues précautions readent. la
consultation plus facile, et rien de ce qui économise le temps n'est indif-
férent à la science. ... :
Alfred Rébellial-. . /.;:
Ch. V. L.vNGLois. La question da l'enseignement secondaire en France et à
l'étranger. Paris, Georges Bellais, 1900. ln-12, i38 p. Prix i tV. 5o.
Il est bien vrai, comme l'observe M. Langlois, que les. innom-
brables écrits consacrés à la question de l'enseignement secondaire
contiennent mille redites fastidieuses et qu'il y a tout intérêt à résumer
une bonne fois les thèses et les arguments en présence. Il n'est pas
moins vrai qu'on a tort de s'occuper de ces questions sans s'informer
de leur état à l'étranger — d'ignorer, par exemple, que la lutte entre
l'humanisme et le réalisme n'est pas moins ardente en Angleterre et
en Allemagne que chez nous. Parfaitement xenseigné, hostile à toute
phraséologie vaine, M. L. a su condenser en i3o petites pages tout
ce qu'il y a d'essentiel à dire sur ces problèmes complexes : l'ensei-
gnement des langues anciennes, le baccalauréat, la bifurcation, l'édu-
èâtion dans ses rapports avec l'instruction, l'internat, etc. Il ne prétend
pas offrir à son tour une panacée et se contente d'une solution qui
est plutôt l'indication d^one voie à suivre. Ce qu'il demande, c'est
« l'éducation philosophique et pédagogique des maîtres », afin qu'ils
deviennent non seulement les instituteurs de la jeunesse, mais les
directeurs et les contrôleurs- de la conscience. Fort bien ; mais Jes
professeurs ecclésiastiques enseignent, éduquent et dirigent au nom
d'un credo formulé depuis longtemps, à la lumière de principes qui
peuvent être absurdes, mais qui ne manquent pas de précision ; où
veut-on que les maîtres laïques trouvent l'équivalent de cette norma
vitae? On conçoit la conclusion presque désespérée de M. Nerrlich,
demandant qu'une commission prussienne arrête les termes d'un
nouveau credo religieux, à l'usage de ceux que les credos anciens ne
satisfont pas. Mais comme cela n'est pas raisonnable, il faut chercher
et trouver autre chose; c'est là. un ordre de considérations essen-
tielles que M. L. a quelque peu négligé. Sans doute, le credo de
l'éducateur laïque peut s'inspirer à la fois de l'idée de l'utilité sociale
et de celle de la critique scientifique ; il tirerait une morale civique de
l'une et une hygiène intellectuelle de l'autre. Un enseignement fondé
sur ces bases n'est pas difficile à concevoir in abstracto ; mais on
frémit en songeant aux obstacles qu'il rencontrerait dans la pratique,
surtout dans les pays d'obédience romaine. Ce serait, pendant une
génération au moins, un enseignement de combat, iconoclaste, point
40 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
de mire des Veuillot et même des Jules Simon, qui le poursuivraient
de leur haine ou de leurs épigrammes ; on aurait vite fait de le
qualifier de maçonnique, d'antichrétien, d'athée, etc. Qu'on se sou-
vienne de Taccueil fait autrefois à l'innocent Manuel de Paul Bert, ou
qu'on prête l'oreille aux clameurs, non encore assoupies, faisant un
crime à la troisième République d'avoir « chassé Dieu de l'école! »
Aussi bien, M. Langlois ne se paye-t-il guère d'illusions; il reconnaît
que la réforme des mœurs publiques devrait précéder celle de l'ensei-
gnement et que la première de ces réformes ne peut résulter d'un vote
parlementaire. Il est donc probable qu'on s'abstiendra de toute modi-
fication radicale ; on laissera l'humanisme dépérir lentement et l'on
attendra que le temps et la force des choses introduisent dans notre
enseignement des formules nouvelles. Car — et c'est là un motif de
ne pas désespérer — les méthodes et les doctrines pédagogiques
évoluent comme tout le reste, indépendamment des faiseurs de pro-
grammes, des novateurs et des réactionnaires; l'accommodation des
institutions et des mœurs aux nécessités des temps est parfois lente,
mais elle finit toujours par se produire, ce qui est nuisible ou stérile
étant peu à peu éliminé. Le seul fait que la conception humaniste est
déjà ancienne permet d'en présager la ruine prochaine ; le même
motif nous oblige de croire à l'avenir de l'enseignement réel, qui,
d'ailleurs, ne ressemblera pas à notre enseignement moderne, huma-
nisme sans toge et sans perruque, mais, au demeurant, non moins
érasmien que son rival.
Salomon Reinach.
ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 2g juin i goo.
L'Académie procède à l'élection d'un membre de la Commission centrale admi-
nistrative : M. Croisct est élu; — d'un membre de la Commission des inscriptions
et médailles : M. Cagnat est élu; — et d'un membre de la Commission des travaux
littéraires : M. Gaston Paris est élu.
L'Académie dcsii^ne comme lecteur à la séance publique annuelle M. Ed. Pottier.
M. d'Arbois de Ju'nainville donne lecture d'un rapport sur les diplômes de Charles
le Chauve recueillis et étudies par M. Giry.
M. Philippe Berger communique un nouveau rasoir portant une inscription
punique que lui a cnroyc le R. P. Delattre. Celte petite inscription porte le nom
du défunt, suivi d'une formule pieuse, invoquant sur lui la protection d'Astarté.
M. Berger insiste sur le grand service qu'a rendu le marquis d'Anselme, en décos-
sant avec des soins intinis tous ces petits rasoirs.
(A suivre) Léon Dorez.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23,
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 29 - 16 juillet - 1900
V. Meunier, Les ancêtres d'Adam. — Testament du Seigneur, p. Raiimani. — Ur-
bain, Bossuet. — SvvETON, Louis XIV et Charles XII. — Bertrin, La sincérité
religieuse de Chateaubriand.— P. Brln, Henry Beyle-Stendhal. — Faguet, His-
toire de la littérature française. — Académie des inscriptions.
Victor Meunier. Les ancêtres d'Adam. Histoire de l'homme fossile. Edition
A. Thieulien. Paris, Fischhacher. 19(^11. In-.S, xx.\iv-3i2 p.
En 1875, un éditeur de Paris fît imprimer un ouvrage de M. Victor
Meunier sur la découverte de Thomme fossile et l'histoire du veto
académique dont les idées de Boucher de Perthes ont pendant long-
temps été l'objet. Le livre achevé, l'éditeur fut effrayé de sa hardiesse
et le mit au pilon. Un exemplaire, seul échappé du naufrage, restait
entre les mains d'un fils de l'auteur. En 1900, un passionné de l'âge
de la pierre, M. Thieulien, en apprit l'existence et le fit réimprimer à
ses frais. M. V. M. a surveillé la réimpression, mais a laissé subsister
le texte tel qu'il l'avait écrit il y a vingt-cinq ans. Dans l'intervalle ont
paru l'excellente biographie de Boucher de Perthes par Alcius Ledieu
et le beau chapitre du livre de White, A history of the ivarfare of
science with theology, intitulé From Genesis to geology (t. I, p. 2Qg-
247). — Une monographie de la controverse d'où l'hypothèse de
l'homme fossile est sortie victorieuse reste à écrire avec le détail que
comporte la haute importance du sujet. Mais celui qui l'entrepren-
dra pourra se dispenser de recourir aux trois volumes de Boucher
de Perthes et à toute la littérature polémique qu'ils ont soulevée en
France ; le chapitre relatif au chercheur original d'Abbcville a été
écrit, d'une manière exacte et divertissante, par M. Victor Meunier '.
S. R.
i. Il est injuste de reprocher à l'Académie des Sciences d'avoir montré tant
d'indilTcrencc hostile en présence des découvertes de Boucher de Perthes, sans
faire la part des graves défauts de cet homme, qui exposa toujours ses idées de la
manière la plus confuse. Ce qui arriva à Boucher de Perthes faillit se répéter lors
des découvertes de Schliemann ; dans l'une et l'autre occurrence, la « science
officielle » ne fut pas seule à blâmer.
Nouvelle série L. 19
42 REVUE CRITIQUE
Testamentum Domini nostri Jesu Christi. nunc primum edidit, latine reddidit
Cl illuslravil Ipnalius Ephracni II Raumani, patriarcha antiochenus Syrorum. —
Moguntiœ ; sumptibus F'r. Kirchheim, 1899; grand in-8, pp. 411-231.
Mgr Rahmani annonçait depuis deux ans la publication d'un docu-
ment de premier ordre, dans lequel étaient consignées les lois disci-
plinaires de l'Église, la profession de foi, les formules liturgiques en
usage à l'époque voisine des Apôtres. L'ouvrage est loin de répondre
à cette promesse. Le bruit exagéré fait autour de cette publication
avant qu'elle n'ait vu le jour et la déception qui en est résultée sont
peut-être la cause de la sévérité avec laquelle elle a été jugée par
quelques critiques. A la vérité, si l'ouvrage ne répond pas aux pro-
messes de l'éditeur il est néanmoins intéressant et méritait à plus
d'un titre d'être publié.
L'apocryphe intitulé Testament du Seigneur forme les deux pre-
miers livres ' d'une compilation syriaque conservée dans plusieurs
manuscrits et dont Lagarde avait déjà donné un fragment dans se^
Reliquiae juris ecclesiastici. L'ouvrage a primitivement été composé
en grec et fut traduit en syriaque par le célèbre Jacques d'Edesse, en
l'an 687 de notre ère.
La publication de Mgr R. comprend trois parties : l'introduction,
le texte avec traduction latine du document, et une série de disserta-
tions sur divers points de discipline.
Dans l'introduction l'éditeur s'efforce de prouver que le Testament
remonte au 11= siècle. Le point de départ de l'argumentation est fondé
sur les rapports entre ce document et les Constitutions apostoliques.
Selon l'éditeur, le Testament serait la source de ces dernières. Mais
c'est justement l'inverse qui ressort de la comparaison, et cela avec
une telle évidence qu'aucun des critiques qui ont examiné la question
n'a songé à émettre le moindre doute à ce sujet. Des Constitutions au
second siècle, il y a encore une grande distance. Mgr R. la franchit
par une série d'affirmations gratuites, ou d'arguments négatifs qui
n'ont aucune force probante. Nous ne pouvons ici les reprendre un à
un. La lecture du document suffit à montrer que la composition ne
peut en être reculée au-delà du v«, ou tout au plus à la fin du
iv« siècle.
Le premier livre débute par une apocalypse. Le Christ ressuscité
prédit à ses apôtres les signes de la fin du monde. Nous pensons
pour notre part que toutes les apocalypses ont à leur base une donnée
réelle, souvent difficile à distinguer à cause des images confuses dont
l'auteur l'a intentionnellement enveloppée. Je crois qu'ici il faut
reconnaître dans les « princes de même race qui ne s'accordent pas entre
1. Le 111' livre contient la Constitution ecclésiastique apostolique ; les livres I\'-
VII, sont formes d'extraits du Ville livre des Constitutions apostoliques, et le \'III':
contient les soi-disant Canons des Apôtres.
d'histoire et de littérature 43
eux », les fils de Constantin, et dans « le prince étranger qui vient de
rOccident », Julien l'Apostat '.
Après avoir donné les signes de la fin du monde, le Christ présente
à ses apôtres un tableau des institutions ecclésiastiques qu'ils doivent
prêcher et établir ; on trouve siiccessivement la description d'un
édifice religieux, évidemment calquée sur le modèle des grandes
basiliques constantiniennes (^ XIXj, les règles de l'élection et de
l'ordination des évèques, de la célébration des offices, avec une
très intéressante et très complète description de la liturgie eucharis-
tique i'§ XXIII sqq.), enfin, les règles de l'ordination des autres mem-
bres de la hiérarchie : prêtres, diacres, veuves, sous-diacres, lecteurs,
vierges.
Le second livre est consacré aux laïques et aux catéchumènes et
expose en grands détails les rites du baptême.
Dans les dissertations qui suivent (pp. 1 52-221 ), Mgr R. résume
systématiquement les données du Testament sur la description des
églises, la hiérarchie, la liturgie de la messe, les fêtes, les Jeûnes ', la
prière publique et privée, le baptême. On regrettera que, citant cons-
tamment l'ouvrage, il n'ait pas indiqué la page des passages auxquels
1. Je ne puis développer ici cette thèse, ni répondre aux objections qu'elle pour-
rait soulever. Cette idée m'est venue à la première lecture du document, depuis
j'ai trouvé un indice tendant à la confirmer. Parmi les signes qui doivent suivre
la venue de ce prince on indique : signa in cœlo,.... asstus maris et terras rugitus
(§VI); draconum generatio adspectus (des nouveau-nés) uti jam provecto-
rum in annis : cani enim erunt qui nascentur.... mulieres parient infantes qua-
drupèdes ',^ VII), etc. — Or, je trouve dans la Chronique de Michel le Syrien (fol.
148-151 de mon manuscrit) que sous le règne de Valens il y eut des tremblements
de terre extraordinaires, la mer déborda d'une façon inaccoutumée, et «on vit dans
les airs des hommes qui avaient l'apparence de gens armés. 11 naquit à Antioche
un enfant qui n'avait qu'un œil au milieu du front, avec quatre mains, quatre pieds
et de la barbe ». Ces récits sont d'ailleurs empruntés en partie à Socrate (H. E.
IV, ni;. L'auteur ferait donc allusion ii des événements qui, selon la tradition des
syriens, se seraient passés dans la seconde moitié du w" siècle. L'expression
alienigena signifierait simplement que Julien n'était pas de la descendance directe
de Constantin.
2. A propos du jeûne il y a dans le Testament une expression embarrassante
dont le vrai sens ne sera peut-être fixé que par la découverte du texte grec original.
Il est dit à plusieurs reprises de l'évèque « Jejunet tribus tribus diebus per totum
annum » p. 33), l'expression syriaque a le sens distributif et signifie tous les trois
jours, ou chaque trois jours. Si la traduction est fidèle, cela parait devoir s'entendre
du mercredi et du samedi. En tous cas, elle ne peut signifier, comme Tinterprètc
l'éditeur, » tribus diebus singula.- hebdomadis » qu'en supposant une faute de tra-
duction. P. 3.T, il est dit que l'évèque offrira le sacrifice » seulement le samedi
(usage qui n'est pas antérieur au iv» siècle) ou le dimanche et le jour de jeûne ».
P. 159, l'éditeur dit que les trois jours étaient le lundi, le mardi et le jeudi.
Comme d'autre part le jeûne du mercredi et du vendredi était d'un usage
général, l'évèque aurait ainsi été tenu au jeûne, au moins cinq jours par semaine.
Si l'expression originale signifiait réellement trois jours par semaine, il faudrait
plutôt l'entendre du mercredi, vendredi et samedi.
44 REVUE CRITIQUE
il renvoie. De plus, ces dissertations sont influencées par l'idée pré-
conçue que le document est du ii« siècle, ce qui a parfois amené l'édi-
teur à fausser le sens du texte. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, il
aflirme (p. 2o5; qu'il n'y a <« aucune mention du jeûne quadragésimal »
(dont l'institution est du iv' siècle] bien que l'expression syriaque
rendue par quadraginta paschœ (p. 126) n'ait jamais eu d'autre
sens.
La traduction latine est très généralement exacte. On pourrait lui
reprocher de ne pas serrer le texte d'assez près, et de vouloir trop
en préciser le sens par l'addition de mots explicatifs qui parfois sont
une véritable interprétation. Un document de cette nature, qui doit
être mis à la portée des hommes versés dans la critique historique,
demande à être traduit presque servilement '.
Il ne faudrait donc pas trop argumenter sur les mots de la traduc-
tion dans les passages difficiles, sans un contrôle sérieux du texte.
Celui-ci est imprimé correctement. Nous devons réparer un oubli
de l'éditeur en disant qu'il a été obligeamment revu par M. Guidi. On
aurait désiré y voir figurer les variantes des autres manuscrits que
Mgr R. prétend connaître, et aussi les références bibliques pour les
nombreux passages auxquels l'ouvrage fait allusion.
Malgré ces imperfections de détail qui seraient sans conséquence
dans un ouvrage de tout autre nature, la publication mérite les éloges
et l'attention des savants, et nous espérons que l'accueil défavorable
qu'elle a reçu de quelques-uns n'empêchera pas Mgr Rahmani de
nous donner encore quelques autres documents de sa riche biblio-
thèque privée.
J.-B. Chabot.
I. Quelques exemples feront comprendre ma pensée: p. 7,1. 16-17. Texpression
que l'auteur traduit : « inter se cognati quidem sed non tamen sibi invicem consen-
tientes », pouvait se traduire littéralement : « ejusdem generis sed non ejusdem
mentis ». — P. 25, 1. 12, Y<on\: figura, le syriaque donne le grec typos ; 1. 18, 20
(et partout ailleurs) au lieu de proto-dijcomis, il faut archidiaconus. — P. Iî5, I. 24,
«ut et ilii cum timoré offerant », peut-être mieux : accédant cf. p. 59, 1. i3). —
P. I 33, 1. 23 : « si quis accipit aliquod donum (i. e. cibum) » ; le mot traduit par
donum, signifie miintis dans le sens le plus large de ce mot, « cibum » est une inter-
prétation restrictive non justifiée; — 1. 25 : <- eo ipso die illud donet, si autem in
crastinum illud apud se differt, addat aliquid ex suc et sic donum illud auctum
dct »; il y a simplement : « .... donet ; si autem non, die crasiina superaddat ali-
quid ex suis et sic dct illud ». — P. i35, 1. 1-2, Terreur est plus grave ; au lieu de :
« Feria qiiinta uîtimœ hebdomadœ paschœ offeratur panis et calix : » il faut lire :
fl Sabbatto ultimo paschœ vesperis dominicœ 'Restituez : [bcy]amsho d[had]beshaba)
offeratur panis ci calix. » (Cf. p. 126, 1. 5.) Quant aux paroles suivantes que l'édi-
teur traduit, en avouant ne pas comprendre : « et qui passus est pro eo quod ob-
tulit, ipsc est qui accedit », il faut les traduire : « et qui passus et, pro eo qui ac-
cedit, ipse offert. » ; ce qui veut dire qu'il n'y avait pas d'offertoire à cette messe,
le Christ étant censé offrir lui-même ce que les fidèles avaient coutume de pré-
senter.
d'histoire et de littérature 45
Bibliothèque de Bibliographies critiques, publiée par la Société' des Etudes histo-
riques [fasc. 3|. Bossuet. par Ch. Urbain, docteur ès-lettres. P., Alb. Fonte-
moing, 3i p. in-8.
M. Tabbé Urbain était, parmi les travailleurs qui s'occupent du
xvii= siècle, un des plus désignés pour faire la bibliographie de
Bossuet. L'auteur de la thèse remarquée sur Coeffeteau a continué,
depuis, de vivre dans la littérature et l'histoire de ce temps, et, sans
parler d'ouvrages classiques où les parties qui se rapportent à nos
grands écrivains sont traitées avec précision et souvent avec nou-
veauté, il a donné à la Revue d'histoire littéraire de la France
et à la Revue du Cierge', plusieurs articles qui ne prouvent pas seule-
ment son érudition fureteuse, mais, ce qui vaut mieux, le sens de la
critique et le respect absolu des faits, \ussi la notice bibliographique
qu'il a faite sur Bossuet est-elle, dans son ensemble, excellente. Elle
sera indispensable aux étudiants, aux professeurs, à tous ceux qui vou-
dront se reconnaître et dans les œuvres de Bossuet et dans les travaux
que ces œuvres ont suscités.
La matière était considérable. On sait que l'abbé Bourseaud a rem-
pli aisément un volume rien qu'avec « l'histoire et la description des
manuscrits et des éditions originales des ouvrages de Bossuet ou des
traductions qui en ont été faites et des écrits auxquels ils ont donné
lieu à l'époque de leur publication '. » M. l'abbé U., qui descend jus-
qu'à nos jours, devait faire un choix rigoureux dans une littérature de
plus de deux siècles. Il l'a fait très judicieusement, et parmi ce qu'il
a laissé de côté je ne vois guère que quelques omissions plus ou
moins regrettables.
1° A propos de la Politique, il eût été bon d'indiquer le chapitre de
Frank, Réformateurs et publicistes de l'Europe au xvii^ siècle ; — de
rappeler celui de M. Lanson, qui est un des plus remarquables de son
Bossuet; — de noter surtout que M. Lanson a tiré d'une ancienne
copie des premiers livres de la Politique (B. N. Mss. fr. 18 10) des
variantes assez importantes, publiées par lui dans ses Extraits des
œuvres diverses de Bossuet. Disons en passant combien il serait très
désirable que M. Lanson, qui connaît si bien ce sujet de la Politique
avec tous ses entours, y consacrât une étude spéciale.
2° A propos du Traité de la Connaissance de Dieu, puisque M. U.
cite Delondre, il fallait rappeler Nourrisson.
3° A propos des Elévations et des Aléditations., puisque ces ouvrages
sont encore aujourd'hui dans le fonds d'usage de la librairie pieuse,
n'y avait-il pas quelque édition correcte, bonne à signaler ou à recom-
mander ?
Dans cet ordre idée, le comte de Caqueray a publié, en 1868, je
I. Sec. édition, augmentée de l'Inventaire des manuscrits du Grand Séminaire
de Mcaux, P., Alph. Picard, 1897, in-8» ;io fr.).
46 REVUE CRITIQUE
crois, un Credo de Bossuet ; il existe aussi un « le Chrétien à l'école
de Bossiiet ». Il peut être curieux de voir, dans ces divers recueils, ce
que la dévotion du xiv^ siècle a cru devoir prendre et retenir de celle
du xvII^
4° A propos des Méditations sur VEvangile, déjà corrigées par
Lâchât, il eût fallu rappeler que M. Lanson, dans les Extraits cités
plus haut, a utilisé la copie de la Visitation de Mcaux, copie qui pour
la seule partie des Béatitudes lui a fourni « plus de cinquante leçons
nouvelles « .
5° A propos des œuvres choisies de Bossuet publiées de nos jours,
il eût été bon de mentionner l'édition Hachette en 5 volumes dans la
collection des « Principaux écrivains français », et, surtout le recueil
de M. Lanson dont j'ai parlé ci-dessus : Extrait des œuvres choisies
de Bossuet, P., Delagrave, 1899, un gros volume de près de 700
pages), Sans doute l'ouvrage est destiné aux classes, mais M. l'abbé U.
sait mieux que personne qu'on peut mettre dans cette sorte de livres
des choses, très dignes d'être connues des travailleurs eux-mêmes.
Nous venons de voir que pour le texte, M. Lanson y donne des ren-
seignements nouveaux. C'est ce « choix de Bossuet » qu'il faut indi-
quer présentement à ceux qui veulent prendre rapidement un aperçu,
exact et complet d'une œuvre immense et variée. « Je n'y ai pas choisi,
dit M. Lanson (Avert. p. i), ce qui me plaisait comme conforme à
mes goûts et à mes sentiments, ni ce qui devait plaire à des lecteurs
d'aujourd'hui ;... j'ai seulement donné la préférence aux sujets litté-
raires, historiques et moraux sur les questions spécialement théolo-
giques ; et, sur chaque matière, j'ai pris ce qui m'a paru le plus
caractéristique de l'homme, et de la forme que la religion catholique
avait prise dans son esprit. Là même où ce grand esprit nous choque
le plus, il y a toujours profit à l'entendre. »
6° Pour les œuvres philosophiques, je ne vois pas que M. U. cite
l'édition de Jules Simon (Charpentier, 1834; réimprimée probable-
ment depuis; laquelle contient, avec la Connaissance de Dieu, le Libre
arbitre, les Elévations^ et le Traité de la Concupiscence, précédés
d'une introduction très solide au point de vue de la philosophie spi-
ritualiste ; — ni celle de l'abbé M*** (Lecoffre, i858) : Traités de Lo-
gique et de Morale.
7° A propos de l'édition des Œuvres Oratoires de l'abbé Lebarq,
dont M. U. met l'importance en relief, noter que le t. VI I*^ donne un
index analytique, fort précieux, de la prédication de Bossuet, et que le
1. 1 renferme une soixantaine de pages de Remarques sur la grammaire
et le vocabulaire des sermons, remarques bien utiles en l'absence d'un
Lexique de Bossuet.
8° Dans les Témoignages des contemporains de Bossuet sur Bossuet,
on s'étonne de ne voir cités ni Jurieu, ni Basnage, ni Leibniz, ni sur-
tout Baylc qui a parlé tant de fois de Bossuet et de ses ouvrages. Et
d'histoire et de littérature
47
quoique Tahbé Le Dieu soit indiqué plus loin, dans la section « Bio-
graphie et histoire religieuse », il devait d'abord figurer ici. Si son
Mémoire est postérieur à la mort de Bossuet et composé en vue de
documenter le P. de La Rue, chargé de l'oraison funèbre, le Journal
commencé en 169g (l'abbé était secrétaire du prélat depuis 1684) est
une source tout à fait contemporaine.
Il eût été bon de rappeler aussi, ne fut-ce que pour mémoire,
Dangeau et Sourches ; — le curé Raveneau et le médecin Rochart
dont l'abbé Réaume, dans son Histoire de Bossuet, et l'abbé Lebarq,
dans son Histoire critique de la prédication de Bossuet^s& sont servis;
— l'abbé de Saint-André, grand vicaire de Bossuet, de qui l'édition
de Le Dieu par Guettée contient plusieurs opuscules à lire, entre autres"
une relation de la mort de Bossuet ; — tn^n il convenait de nommer,
ici déjà, l'abbé Philippeaux. La date de la Relation du Quiétisme (ij32)
pourrait faire oublier et a fait oublier quelquefois qu'il fut tout à fait
contemporain de Bossuet (étant mort en 1708) et assez intimement lié
avec lui.
q° Au\ Oraisons funèbres et Eloges académiques, puisqu'il fallait
bien citer, pour avoir été prononcée à Rome, l'amplification vide du
chevalier Paul-Alexandre Maffei, — ajouter que ce document, traduit,
se trouve au t. IV des mémoires de Le Dieu, publiés par Guettée.
lo'^ Dans la Biographie, l'iconographie qui intéresse toujours nom-
bre de curieux, devait être représentée. Mentionner le P. Griselle, S.-
J., Les principaux portraits de Bossuet, et Un portrait inconnu de
Bossuet, par Mgr Ch.-F. Bellet (Extr. de V Université catholique de
Lyon, 1899).
S'il fallait pour cela supprimer en cet endroit la mention de la Vie
de Bossuet par Lamartine, je m'en consolerais. J'ai peine à croire que
Lamartine ait apporté quelque soin à s'instruire de l'homme sur lequel
il avait à écrire, hâtivement, un morceau. Cette appréciation, élo-
quente, passionnée, mais qui ne nous renseigne que sur l'état d'esprit
de Lamartine, eut été mieux placée dans la critique littéraire. Si,
comme je le pense, M. U. ne l'a mentionnée que pour faire entrevoir
les opinions des lettrés du commencement du xix« siècle sur Bossuet,
il eut mieux valu indiquer les articles de P. -F. Dubois, dans le Globe.
11"^ Dans « Bossuet et le gallicanisme,» rappeler Griveau ;t. II.)
dont l'abbé U. parle à propos du Quiétisme. L'étude sur le galli-
canisme de Bossuet et l'ultra-montanisme de Fénelon est peut-être
ce qu'il y a de plus intéressant dans cet ouvrage.
12° Dans « Bossuet et le protestantisme, » ajouter à l'indication des
articles du Bulletin historique du protestantisme français celle de la
46*= année, p. 665 (document ayant trait à une mesure prise par
Bossuet, évèque, contre le culte protestant de Bois le Vicomtes —
Ajouter aussi, P. Stapfer, Bossuet, Adolphe Monod fFischbacher, 1698 ,
ouvrage intéressant non seulement par une bonne étude littéraire sur
^8 REVUE CRITIQUE
réloquence de Rossuet, mais par rappréciaiion large et hardie de
Tautcur, protestant libéral, sur la controverse de Bossuet contre le
protestantisme.
i?" Dans la Critique et Vhistoire littéraire, il n'eût pas été que trop
aisé de s'étendre. M. U. a grandement raison de se restreindre. Tou-
tefois Sainte-Beuve n'a pas parlé de Bossuet seulement dans les deux
volumes des Lundis auxquels, M. U. renvoie; il y a touché, quelque
fois très brièvement, mais toujours d'une façon notable, aux tomes II,
IV, V, XIII, XV. Citer aussi Scherer, Etudes critiques sur la Littéra-
ture tomes IV et VI, et M. Brunetière, dans la 6^ série des Etudes cri-
tiques sur l'histoire de la Littérature française^ (un article sur Bossuet
qui, comme l'auteur l'indique en note, ne reproduit pas textuellement
l'article de Bossuet de la Grande Encyclopédie).
D'autre part, j'aurais souhaité de voir certains livres signalés avec
plus de relief à l'attention du lecteur. Par exemple, la petite thèse de
l'abbé Vaillant sur les Sermons, k laquelle il faudra toujours revenir
quand on s'occupera de cette partie de la prédication de Bossuet,
comme au premier travail inspiré par le célèbre mémoire de Victor
Cousin sur les Pensées de Pascal. — Ainsi encore les écrits d'Eugène
Gandar. Les introductions de Bossuet orateur et du Choix de Ser-
mons de la jeunesse de Bossuet sont deux dissertations très remar-
quables et assurément durables de critique paléographique et littéraire.
Après dom de Foris, Gandar a été le plus clairvoyant éditeur du texte de
Bossuet. Quel que soit même le mérite de l'œuvre considérable de l'abbé
Lebarq, celle de Gandar, encore que moins étendue, me parait supé-
rieure, et le critérium de l'orthographe, apporté par Lebarq, contribue
à l'établissement de la chronologie des Sermons beaucoup moins
que l'application ingénieuse, mesurée, sinon toujours très rigoureuse,
faite par Gandar aux manuscrits de Bossuet des méthodes tradition-
nelles.
Au sujet de l'édition de l'abbé Le Dieu par l'abbé Guettée il est un peu
injuste de se borner à dire que cette édition est « défectueuse ». Sans
doute, il y a des omissions et des fautes nombreuses, mais il ne m'a
pas paru, dans les corrections qu'une recension nouvelle du manus-
crit a fournies à l'abbé U. (voy. Revue d'histoire littéraire de la
France, 1897-1898), qu'il y eût rien de bien important.
Sur l'œuvre du cardinal de Bausset, M. U. ne pouvait guère nous
donner ici, mais je voudrais qu'il nous donnât un jour un juge-
ment plus détaillé et plus précis. Il doit bien exister dans quelques
archives, et spécialement à Saint-Sulpice, des documents permettant
de définir plus exactement la valeur de cette première ^vanAe Histoire
de Bossuet, que l'on continuera vraisemblablement à joindre aux édi-
tions complètes, et qui, peut-être, est trop dédaignée.
Touchant le Quiétisme, M. U. accorde très justement une mention
spéciale à cet important ouvrage de M. Crouslc, dont le fond est si
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 49
substantiel et si solide, la forme si pure, si élégante et si attachante. Il
en marque, judicieusement, le caractère un peu antipathique à Féne-
lon. Mais il eût été bon d'indiquer aussi que M. Crouslé n'a pas limité
ses patientes et pénétrantes recherches à la querelle mystique des deux
docteurs : les trois premiers livres .de son ouvrage fc'est-à-dire près
de la moitié du premier des deux gros volumes) sont consacrés à la
jeunesse, aux missions et au préceptorat de Fénelon. M. Crouslé
compare, à propos de ces diverses questions, les tempéraments et les
doctrines de Fénelon et de Bossuet. Et cette partie n'est ni la moins
neuve, ni la moins juste.
Dans la section a critique et histoire littéraire », je voudrais quelques
lignes de notice sur les articles de Sainte-Beuve et sur l'attitude du
grand critique à l'égard de Bossuet (Paul Albert en a marqué l'esprit
d'une manière assez piquante), — quelques mots aussi sur la valeur
exacte du livre savant, judicieux et sobre, trop sobre parfois, du P. de
La Broise, Bossuet et la Bible '. — Mais je voudrais surtout qu'à
propos de MM. Brunetière et Lanson, M. U. n'eût pas écrit, par
inadvertance, le mot d'« idolâtrie «.On peut, sur quelques points, res-
ter en deçà de l'admiration professée pour Bossuet par l'un et par l'au-
tre de ces deux critiques, et j'ai eu l'occasion jadis (dans la Revue cri-
tique et dans la Revue bleue de 1891), de marquer, à propos du livre
de M. Lanson, les points sur lesquels l'auteur allait, à mon sens, trop
loin. Mais le terme péjoratif d'« idolâtrie » implique des idées d'aveu-
glement béat, d'admiration irraisonnée, impatiente de la contradic-
tion, fermée à l'évidence des faits, qui ne conviennent, trop évidem-
ment, ni à M. Lanson, ni à M. Brunetière.
Mes dernières observations seront relatives au plan que suit M.
l'abbé U. Ce plan consiste, pour les ouvrages imprimés de Bossuet, à
distinguer ceux qui furent publiés du vivant de l'auteur de ceux qui
ne parurent qu'après sa mort. Mais d'abord, dans ces deux classes, il
semble qu'une distinction plus nette et plus visible à l'œil serait indis-
pensable, entre les premières éditions, et les éditions ultérieures, ac-
compagnées d'ordinaire de commentaires.
Puis, et surtout, fallait-il, dans cette double liste, accoler à quelques
uns de ces ouvrages les livres d'histoire ou de critique qui s'y rappor-
tent, puisque dans le titre VI, « documents sur Bossuet et sur ses
œuvres, » on devait y revenir? Avec ce système, les omissions, aussi
bien que les répétitions étaient inévitables ; on l'a vu par quelques-
unes des remarques ci-dessus.
J'ajoute que, pour le lecteur aussi, obligé de chercher en deux ou
plusieurs endroits, il y a danger d'oubli. Mieux eût valu, à mon sens,
écarter de la liste des œuvres et des éditions de Bossuet tous les
travaux sur Bossuet et les réserves pour le titre VI. Toutefois, dans
I. Voir Rev. crit., 8 mai 189!^.
5o REVUE CRITIQUE
cette dernière partie, plus de rigueur dans le classement eût convenu,
ou, au moins, plus de précision dans les titres. C'est une très bonne
idée que d'indiquer à part les « témoignages contemporains >'. Bien
des chercheurs peuvent avoir profit, ou simplement plaisir à trouver
réunis les textes où les témoins de la vie d'un grand homme ont parlé
de lui. Mais tous les « témoignages contemporains » sur Bossuet ne
sont pas mentionnés dans ce paragraphe : — l'abbé Le Dieu, nous
l'avons remarqué déjà, figure à la Biographie et histoire religieuse ; —
les documents originaux sur les actes de Bossuet à l'égard des protes-
tants sont à Bossuet et le protestantisme ; — les appréciations d'Ellies
du Pin sont à la Critique et histoire littéraire. Et sans doute je vois
bien les motifs que M. U. a eus de distribuer ainsi ces indications. Il
a voulu, je suppose, grouper d'abord les témoignages contemporains
qui peuvent éclairer, en général, la vie et l'œuvre de Bossuet dans
leur ensemble ; — et grouper ensuite sous des chefs spéciaux, ceux
qui se rapportent particulièrement à telle ou telle partie de sjn acti-
vité. Mais il n'en est pas moins vrai d'une part que certains renseigne-
ments donnés par Ellies du Pin ou parles documents protestants sur
Bossuet, intéressent autant \t portrait de l'homme que sa théologie ;
et d'autre part que les mémoires de Saint-Simon sont au moins aussi
importants à connaître pour le rôle joué par Bossuet dans la querelle
quiétiste que pour son caractère personnel. Je ne sais s'il n'eût pas
fallu, ici encore, modifier le plan : par exemple, opposer dans deux
grandes divisions, aux documents « contemporains «, les documents
ii postérieurs », puis, dans chacune de ces deux divisions établir les
subdivisions réelles c[UQ M. l'abbé U. a distinguées, sauf à les modifier
un peu.
Car ces subdivisions elles-mêmes pourraient aussi être discutées. Je
ne sais s'il était essentiel de séparer les Oraisons funèbres et Eloges
Académiques de la Biographie. En admettant même, — et cela bien
volontiers, — que les Oraisons et Eloges soient singulièrement sujets
à caution, encore sont-ils des documents presque contemporains. On
sait qu'il y a des traits précis et instructifs dans l'oraison funèbre de
Bossuet par le P. de La Rue, et des détails fort intéressants dans
l'Eloge académique de Bossuet par Dalembert. — De même, ne s'at-
tendrait-on pas à trouver plutôt dans l'histoire religieuse Ellies du Pin
et l'abbé Bonaventure Racine, qui sont dans l'histoire littéraire ?
C'est qu'en réalité l'Histoire religieuse et ÏHistoire littéraire d'un
écrivain religieux ne sauraient guère être séparées.
Je ne m'excuse pas de la minutie de ces observations. Les travail-
leurs qui auront la patience de les lire, savent combien précieuse est
une bibliographie bien faite, c'est-à-dire complète, judicieuse, claire-
ment et rationnellement distribuée. Celle de M. l'abbé Urbain sur
Bossuet est assez proche de la perfection pour qu'on soit tenté de lui
conseiller quelques retouches. Alfred Rébelliau
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 5 I
Gabriel Svveton. Louis XIV et Charles XII. Au camp d'Altransdtadt 1707 .
La mission du baron de Besenval. Paris, Leroux, 1900, In-H», xvMi-281 pp.
En 1706 et 1707, Charles XII campait à Altranstaedt, près de Leip-
zig. Il semblait hésiter : dirigerait-il son armée vers TEst ou vers
rOuest, contre la Moscovie ou en. Allemagne ? S'il allait en Allema-
gne, comment interviendrait-il dans la guerre, alors en cours, de la
Succession d'Espagne : pour ou contre Louis XIV ? Trois traités suc-
cessifs, datés d'Aliranstaedt le 24 septembre 1706, le 16 août et le
I" septembre 1707, réglèrent au profit de Charles XII les questions
qu'il avait pendantes avec la Saxe, la Prusse et l'Empereur. Libre enfin
de ses actes, le roi de Suède s'enfonça dans l'Orient. Mais, jusqu'au
dernier moment, tout parut incertain. La France essaya d'utiliser
cette longue année d'attente. Ricous fut désigné pour se rendre à
Altranstaedt. Il tomba malade au nioment de partir; Besenval le
remplaça. Sa mission fut double. Il devait d'abord « offrir à
Charles XII d'interposer sa médiation entre Louis XIV et les Alliés ».
II échoua. Puis, il essaya de « faire conclure la paix de Moscovie,
pour entraîner les Suédois à la guerre d'.ALllemagne ». Il échoua
encore. Charles XII voulait, comme dit Besenval lui-même, « portera
sa perfection » son « ouvrage de Pologne ». II regardait « l'affermisse-
ment du roi Stanislas, non seulement conforme à sa gloire, mais néces-
saire » (Syveton, p. 252, 229, loi]. Bien qu'elle n'ait pas abouti, la
mission de Besenval n'en reste pas moins très intéressante. Elle niar-
que en quelque sorte le point de contact entre la guerre du Nord et
la guerre de Succession d'Espagne.
Elle était jusqu'ici très mal connue. M. S. a utilisé les archives du
Ministère des affaires étrangères, à Paris, et les papiers de la famille de
Besenval. lien a tiré bon parti. II poursuit avec finesse, jusque dans
leurs oscillations les plus délicates, les intrigues des personnages grou-
pés autour de Charles XII, et pourtant il ne s'encombre d'aucun détail
inutile comme il arrive si souvent aux historiens de la diplomatie.
Son récit est preste, vivant, clair, et si l'animation pittoresque en
parait un brin conventionnelle ou fantaisiste 1 surtout dans la psy-
chologie des personnages, du moins, ce n'est jamais au détriment de
la vraisemblance historique. Les chapitres portent des titres pleins de
promesses : Impressions d'audience; Orientales; Ce que M. de Besenval
lut dans les galettes durant qu'il avait la goutte, etc., et ils tiennent
leurs promesses. Les plus neufs semblent ceux qui se rapportent aux
négociations suédo-moscovites, où Besenval s'entremit, avec l'aide de
celte Palatine de Beltz, dont M. S. a fort joliment esquissé l'équivoque
silhouette. Le volume est précédé d'une introduction de M. le duc de
Broglie ; il se termine par un appendice consacré à l'inventaire som-
maire des papiers de la famille de Besenval qui appartiennent aujour-
d'hui au prince François de Broglie .
Il est regrettable que la charmante étude de M. S. soit déparée par
52 REVUE CRITIQUE
des erreurs de fait ou d'appréciation, qui ne sont pas toujours sans
importance.
D'une façon générale, il nous a paru que M. S. a quelque peu exa-
géré le rôle et l'habileté de Besenval. Il va jusqu'à le représenter
comme « une sorte de diplomate général pour les affaires du Nord et
de l'Orient » (p. 120^. L'amplitication est vraiment excessive. Dans le
même passage M. S. classe Besenval parmi « les ouvriers conscients
d'une œuvre nationale » et il déplore la disparition des « temps d'au-
trefois «. D'accord. Bessenwaldt, dit Besenval, était en effet né Suisse,
il baronnait du Saint-Empire et il épousa une Polonaise : au demeu-
rant le meilleur Français du monde. Mais si vraiment il apparaît
comme « un excellent exemplaire de la diplomatie d'ancien régime »,
on doit avouer que cette « admirable époque « avait la satisfaction
facile, puisqu'aussi bien Besenval a échoué à Altranstaedt, comme
ensuite dans la plupart des négociations où il a été employé (Syveton,
p. 249-250).
Sur les rapports de Charles XII et d'Auguste II, cf. Joh.-Rich.
Danielson, Ziir Geschichte der saechsischen Politik iijob-ijog) [Hel-
singfors, 1878, In-8°, i09-(2) pages], ouvrage dont M. S. n'a pas eu
connaissance. De là, plusieurs omissions, elles-mêmes causes d'erreurs.
Citons en deux seulement. Parmi les questions litigieuses que soule-
vait l'exécution du traité du 24 septembre 1706 entre Charles XII et
Auguste II, M. S. ne signale pas comme il aurait fallu (p. 72-74, cf.
p. 82) celle qui coûta le plus cher à la Saxe, et lui pesa le plus lour-
dement. Pendant un an plein, l'armée suédoise vécut aux frais des
Saxons fson entretien fut ensuite évaluée à plus de vingt millions de
risdales), et le traité ne parlait que de quartiers d'hiver, (voy. Daniel-
son, p. 24-25, 42, 5i). Mais surtout, M. S. ne dit pas un mot du
projet qui est bien certainement le plus étonnant de tous ceux qui
furent alors imaginés à Altranstaedt : et l'on sait pourtant s'ils furent
nombreux. Exclu de Pologne, le roi Auguste rêvait une compensation,
et il songea très sérieusement à devenir roi de Naples, comme héri-
tier des Hohenstaufen ! Si, finalement, il donna satisfaction à Char-
les XII, pour l'entier accomplissement du traité du 24 septembre,
ce fut beaucoup moins sur l'intervention des Alliés (Empereur, An-
gleterre et Pays-Bas , comme le croit M. S., p. 76, que par l'espoir
d'obtenir l'appui de Charles XII dans l'incroyable entreprise qu'il
méditait (voy. Danielson, p. 31-46, 52, 55-58).
En ce qui concerne les relations de Charles XII et de Frédéric I roi
de Prusse, M. S. se contente de résumer, d'une manière superficielle
et tendancieuse, un chapitre de Droysen. La « longue histoire des
convoitises prussiennes » lui paraît « burlesque et tragique, toujours
entachée d'une irrémédiable bassesse » (p. 187;. Sur le même ton —
qui n'est pas le ton de l'histoire — les allemands parlent des Raub-
kriege de Louis XIV. Un peu plus loin, p. 190, M. S. constate que le
d'histoire et de littérature 5?
traité du i6 août 1707 n'accordait à la Prusse rien de ce qu'elle aurait
voulu, même pas la ville d'Elbing, et il ajoute — sans aucune preuve,
mais nous y suppléons en note — : « A la vérité la raison n'apparaît
guère pourquoi Charles XII eût dû bénévolement gratifier d'Elbing
Sa Majesté prussienne. ' Mais il faut bien que les historiens prussiens
s'indignent de ce traité du 1 6 août' 1 707, il faut bien qu'ils le déclarent
abominable, odieux et inique', puisque Frédéric I, six ans plus tard \
l'a cyniquement violé ''. » Il serait difficile d'être plus inexact.
Les ouvertures faites directement par Villars à Charles XII en juin
1707 ne sont guère connues jusqu'à présent que par un passage, assez
obscur, des Mémoires du Maréchal. M. Syveton le cite, p. i Sg,
d'après l'édition Michaud (et avec une erreur de référence : au lieu de
p. 184, lisez p. i63). Il aurait dû se servir plutôt du texte publié par
'Vogué pour la Société de l'histoire de France ; et il aurait alors
remarqué (édit. Vogué, t. 11, p. 239, n. i ; cf. du même, Villars,
t. I. p. ?oo-3oij que Louis XIV était opposé au mouvement projeté
par Villars pour rejoindre Charles XII : ce qui ne laisse pas d'être
quelque peu contradictoire avec la mission confiée à Besenval. Il y
avait là une difficulté critique fort intéressante et qui n'a même pas
été aperçue.
L'orthographe des noms propres est trop souvent fautive. Au lieu
de: Altrandstadt, Anspach, Bronstait, Dantzig, Hall, Hochstaedt, Lec-
zinski, Leisnick, Lunebourg, il faut : Ahranstaedt, Ansbach, Brunstatt,
Danzig, Halle, Hoechstaedt, Leszczynski, Leisnig, Lunebourg (ou
Lûneburg), et cette liste n'est sans doute pas complète; le livre n'a
pas de table alphabétique.
G. Pariset.
1. La Prusse avait sur la ville polonaise d'Elbing des droits incontestables qui
remontaient à 1657 (traités de Wehlau et de Bromberg), et ses troupes avaient
même occupé la ville de la fin de 1698 au début de 1700, avec l'agrément du roi
Auguste. En 1703, les gens d'Elbing avaient demandé à Frédéric un appui contre
les Suédois qui exigeaient d'eux une forte contribution de guerre, et Frédéric I
s'était offert à la payer, à condition de reprendre possession d'Elbing. Charles XII
refusa, mais il reconnut lui-même, dans une déclaration du 4 février 1707, les
droits de la Prusse sur la ville.
2. Droysen qualifie le rôle de la Prusse en cette affaire de verlegen und depii-
mirend (G. d. pr. Politik, 2" Aufl., Th. 1\', Bd. i, p. i^b). Si M. S. a utilisé une
autre édition ou un autre historien, il était nécessaire qu'il donnât ses références.
3. Six ans plus tard, Frédéric! était mort depuis plus de cinq mois (25 fé-
vrier 1713).
4. Dans l'acte de neutralité (La Haye, 20 mars 1710), le recès de séquestre
Schwedt, 6 octobre 171 3) et le rappel du ministre suédois à Berlin (26 avril 171.^)
— ce sont les trois principaux actes de la rupture entre la Prusse et la Suède après
le traité de 1707 — il n'y a de « cynique » que le mot de M. S. Jamais peut-être au
contraire, la diplomatie prussienne ne fut si lente, si désireuse de s'abriter derrière
les vcrbalitésdu droit des gens d'alors, si défiante de l'action qu'elle n'accepta que
lorsqu'elle lui fut en quelque sorte imposée. C'est une grave erreur de juger la
diplomatie des deux premiers rois de Prusse d'après celle de Frédéric II.
54 REVUE CRITIQUE
L'abbc Georges Bertrin : La Sincérité religieuse de Chateaubriand : Paris,
Lecotïrc, 1900. in- 12, 410 pp.
M. Tabbé Bertrin vient d'écrire tout un volume pour démontrer que
la religiosité de Chateaubriand fut sincère. Rien n'est plus difficile en
général que de savoir avec certitude ce qui se passe au fond de la
conscience d'un homme et beaucoup de philosophes pensent même
que personne ne saurait voir tout à fait clair dans la sienne, mais avec
quelque habileté on peut du moins établir certaines conjectures vrai-
semblables. Or cette habileté M. B. ne Ta pas eue.
Sa dialectique est, en effet, fort étrange. Elle peut se réduire à trois
procédés de démonstration.
1° Citer tous les passages ou Chateaubriand a exprimé Tardeur de
sa foi et proclamer que ces passages sont des preuves péremptoires
de sa sincérité. Si Chateaubriand est vraiment sincère, cela suffit en
effet, mais comme c'est Justement sa sincérité qu'il faut démontrer, on
ne voit pas quel bénéfice l'auteur prétend tirer de toutes ces citations.
Il est rare de voir un cercle vicieux si aveuglément suivi pendant
tout un volume.
2° Déclarer nuls ou non avenus, pour des raisons plus ou moins
spécieuses, les quelques témoignages des contemporains qu'il n'est pas
permis d'ignorer et négliger tous ceux qui, moins connus, peuvent
être passés sous silence. M. B. trouve ainsi moyen de nous donner un
Chateaubriand d'une moralité irréprochable, qui fut le modèle des
maris et n'eut même Jamais de sa vie la moindre liaison galante. C'est
assurément travestir bien volontiers l'histoire, car sur tous ces points la
lumière est faite d'une façon définitive. Quant aux contemporains,
tous ceux qui ont approché quelque peu Chateaubriand, sont unani-
mes à reconnaître en lui un acteur de premier ordre, et si l'on voulait
rappeler tout ce qu'a cet égard ils ont dit de choses que M . B . n'a pas
voulu entendre, on composerait un volume aussi gros que le sien.
Lamartine lui-même, le moins médisant des hommes, n'avait pu s'y
laisser tromper, et après avoir dit « c'était un rôle plus qu'un
homme » ne craignait pas d'écrire en racontant ces derniers moments
de l'auteur du Génie du Christianisme qui émerveillent si fort M. B.
par leur belle piété : <( Nul homme n'a plus soigné la couleur de sa
robe de chambre afin de se présentera la mort comme un apôtre pour
les chrétiens, comme un chevalier pour les royalistes, comme un tri-
bun de l'avenir pour les républicains les plus avancés » [Souvenirs et
portraits : I, II, p. 140 et i5o). Artaud qui le conduisit à Saint-
Pierre de Rome en observant son attitude, disait « Il sentait le besoin
d'un effet : ne pouvant pas le sentir il l'affecta », Mais M. B. s'est
bien gardé de rappeler tous ces témoignages.
3° Prendre à partie Sainte-Beuve quia le plus ouvertement douté de
la sincérité de Chateaubriand, rédiger contre lui un réquisitoire en
d'histoire et de littérature 55
règle énumérant tous les défauts de sou caractère et de sa critique (et
M. B., écrit ici quelques pages qui ne sont pas sans justesse), entin en
arriver à laisser clairement entendre que Sainte-Beuve a forgé, pour
le besoin de sa démonstration, toute une page de Chateaubriand
qu'il prétendait extraite des Mémoires d'outre-tombe et qu'on ne re-
trouve dans aucune édition ni dans aucun manuscrit de cet ouvrage.
Ici M. B. a vraiment joué de malheur. Une polémique s'est élevée
aussitôt dans la presse. Des amis de Sainte-Beuve ont publié l'auto-
graphe de la note prise par lui dans les mémoires de Chateaubriand.
Des renseignements sont venus de toutes parts sur la manière dont
Chateaubriand raturait et corrigeait sans cesse le texte de ses
mémoires en vue de l'etiet qu"il voulait leur voir produire. Finale-
ment M. Bertrin a retrouve lui même dans un manuscrit des Mémoi-
res d' outre-tombe où il l'avait d'abord vainement cherchée, la page
qu'il croyait imaginée par Sainte-Beuve. — Et tout est rentré dans
l'ordre. Sainte-Beuve a gardé sa réputation de critique consciencieux,
Chateaubriand est apparu un peu moins véridiquc encore qu'aupara-
vant et sa sincérité religieuse devient plus douteuse que jamais après
l'authenticité bien constatée de cette page.
Raoul Rosières.
Pierre Brln. Henry Beyle-Stendhal, un vol. grand in-8. i5o pages, Grenoble.
.Alex. Gratier, 1900.
Voici sur Stendhal un livre écrit sans parii-pris d'aucune sorte —
le cas est rare et mérite d'être signalé. Il comprend une étude biogra-
phique et une étude critique, et, en appendice, quelques notes fort
intéressantes empruntées à un exemplaire de la Chartreuse de Parme
que Stendhal avait fait interfolier pour préparer une seconde édition
de son roman, édition qui est restée à l'état de projet.
L'étude biographique contient l'essentiel, bien qu'à notre gré elle
soit un peu écourtée — la carrière napoléonienne de Beyle valait la
peine d'être racontée avec plus de détail. Quelques faits devraient
être rectifiés. M. Brun dit, d'après R. Colomb, que Beyle assista à la
bataille d'Iéna — or, la bataille d'Iéna est du 14 octobre 1806 et à
cette date Beyle se trouve à Paris ainsi qu'en lait foi son Journal,
p. 3?o. La nomination d'adjoint au commissaire des guerres n'est
pas de 1806, mais du 1 1 juillet 1807. Delécluze demeurait rue de Clia-
banais et non rue Cabanis. M. B. est bien sévère pour Delécluze qu'il
nous montre « critique exact et pondéré^ sans l'ombre de talent et
sans la moindre imagination » (p. 36). Ce ne fut pas un génie, tant
s'en faut, mais on peut défendre Delécluze en prenant pour bouclier
le très sympathique article que Sainte-Beuve lui consacre dans les
Nouveaux Lundis, III (p. -j-j-xi^). M. B. dit lui-même que Sainte-
56 REVUE CRITIQUE
Beuve est notre maître à tous. Quant à Tinscription tombale, au
fameux Milanese, M. B. ne semble pas en avoir compris la beauté.
Sur Mérimée il y avait plus et moins à dire. Mérimée n'avait pas pris à
Stendhal son amour de l'histoire de l'art, c'était chez lui un amour
inné, et ce fut Mérimée qui révéla à Stendhal les secrets techniques
de l'architecture ogivale; il ne lui avait pas non plus emprunté son
libertinage littéraire, Mérimée était de première force à ce jeu-là et il
n'avait nul besoin des encouragements de son ami. M. B. aurait pu
insister davantage sur les relations extrêmement intéressantes de ces
deux hommes et se renseigner tout d'abord avec plus d'exactitude.
P. 33, le baron Girard est sans doute une faute d'impression pour
Gérard. P. 18, 20, 21, 24, 3o et 3i, M. B. donne comme inédites des
lettres de Stendhal à sa sœur Pauline, et des lettres de Mélanie Guil-
bert qui toutes ont été publiées en 1893 dans un volume pourtant
bien connu : Souvenirs d'Egotisme et Lettres inédites, p. 144-146;
207; 210; 224-225; 226-22S. Les manuscrits de Grenoble ont été
plus explorés que M. B. ne le croit et, tout compte fait, M. B. ne nous
offre, comme nouveauté, que les notes de la Chartreuse, lesquelles
notes proviennent d'une collection particulière.
Nous sommes d'accord avec l'auteur au sujet de la légende don-
juanesque qui s'attache si injustement à Stendhal et nous le félici-
tons d'avoir su remonter ce courant. Mais il est bien dommage
que M. Brun n'ait rien dit de l'histoire du mariage manqué de
Beyle ; il la trouvera tout au long dans le Stendhal Inconnu de M. Au-
guste Cordier, Chronique de Paris, 10 avril 1893, p. 8i et 82.
L'étude critique est beaucoup plus développée que l'étude biogra-
phique. M. B. l'a écrite avec plus de plaisir, cela se voit. On se de-
mande pourquoi M. B., ayant à parler de Stendhal romancier, com-
mence par la Chartreuse de Parme (1839) pour continuer par Ar-
mance (1827 et non 1828] et par Le Rouge et le Noir (i83i). L'ordre
chronologique était pourtant le seul qui convint, semble-t-il. Ceci
dit, il faut reconnaître que M. B. juge avec beaucoup de finesse ces
trois romans de mérite fort inégal. A propos de la Chartreuse, M. B.
répond victorieusement à M. Faguet qui a écrit que Stendhal « était
presque incapable d'idées générales »; il cite aussi Nietzsche, mais il
aurait dû rappeler l'admirable jugement que ce philosophe porte sur
Beyle.
Passons au Rouge, Berthet fut exécuté en 1827, et non en 1828
l'p. 55. Le portrait de M""^de Rénal est charmant; mais il est gâté
par une phrase vraiment bien incompréhensible : « Elle a été élevée
dans les jupes austères de sa tante, d'où elle est passée, par le couvent,
dans le giron du mariage de convenances — si Von peut me concéder
que le mariage ait un giron??? » (p. 60). Je signale, toujours
à propos de mariage, un rapprochement d'assez mauvais goût :
« Ce qui est typique, c'est que Mélanie, prévoyant et devançant
d'histoire et de littérature 5j
l'alliance franco-russe, se maria cette année même, avec un bovard »
(p. 22).
Le livre : De l'Amour irouve en M . B. un admirateur profond et
un analyste très bien informé. L'auteur ne fait aucune restriction et
il dit en manière de conclusion : « L'amour, c'est le microcosme
idéal ; et celui qui, de tous, a le plus approché de la peinture entière
de ce microcosme, c'est Beyle, qui a trouvé là l'occasion de déve-
lopper sa psychologie merveilleuse et de dépasser de toute la tète et
Platon, et Balzac, et Michelet, et Renan. » C'est peut être voler un
peu haut.
M. B. m'attribue la publication des Lettres intimes de Stendhal,,
c'est une erreur; elles ont été éditées par M. Lesbros-Bigillon, petit
neveu par alliance de Stendhal.
Dans sa conclusion M. Brun nie l'influence de Stendhal, il la dé-
clare à peu près nulle. 11 n'a qu'à lire ou à relire la préface de l'His-
toire de la Littérature anglaise, et il verra s'il est possible de nier
l'influence de l'auteur de « tant de livres décousus ».
En somme, il est à souhaiter que ce joli volume, très agréablement
illustré de vues dauphinoises et de portraits inédits, ait bientôt une
seconde édition. Avec quelques sérieuses retouches et quelques im-
portantes rectifications il sera tout à fait recommandable et ne dépa-
rera point la collection déjà nombreuse des travau.K stendhaliens.
Cette Revue, comme son nom l'indique, n'est faite que pour les
articles utiles; que M. Brun voie dans ces quelques lignes une preuve
certaine de rintérêt avec lequel j'ai lu son livre.
Casimir Stryienski.
Emile Faguet. Histoire de la Littérature française (I : depuis les origines jus-
qu'à la fin du xvi« siècle; II : depuis le xvii" siècle jusqu'à nos jours); illustrée
d'après les mss. et les estampes conservés à la bibliothèque nationale (224 plan-
ches). — Paris, libr. Pion, 2 vol. in-io, d. 481 et 475 pp. Prix : 8 fr.
Qu'il soit malaisé, à l'heure actuelle, d'écrire une histoire de la
littérature française vraiment personnelle et neuve, c'est une chose
dont on conviendra aisément. M. Emile Faguet a pourtant résolu le
problème, d'une certaine façon, tout au moins; et l'on ne dira jamais,
en lisant ses deux volumes : ce n'est qu'une histoire de plus, à ajouter
à tant d'autres. Il est vrai qu'il a procédé d'une manière qui n'est pas
donnée à tout le monde. Pour que son livre porte ses fruits et soit
apprécié à sa juste valeur, il faut avant tout que le lecteur ait pleine
confiance en son jugement, ou pour mieux dire en la compétence de
son jugement. Car M. F. n'enseigne pas seulement, ne raconte pas
uniquement ; à chaque pas, il donne son avis, il conclut : son œuvre,
claire, nette, extrêmement informée, parfaitement indépendante, est
essentiellement personnelle.
58
REVUE CRITIQUE
C'est, à mon sens, ce qui en iaii le charme, et le mérite. Après tout,
chacun ncn reste pas moins libre de penser autrement ; mais il n'est
pas donné à tout le monde de juger avec tant de justesse et d'à-propos,
d'un coup d'œil aussi bref. Il faut du reste s'entendre sur le caractère
spécial de celte nouvelle histoire de notre littérature. C'est une cau-
serie^ au fond, et M. E. F. a voulu qu'elle ne fut pas autre chose, car,
s'il V a souvent des citations dans le texte, si d'ailleurs le texte, très au
courant des dernières informations, est illustré de nombreux portraits
ou fac-similé d'écritures, savamment choisis et parfaitement repro-
duits, tout de même, on ne trouvera ici aucune référence, aucune
note, aucune indication critique, soit sur les œuvres des auteurs, soit
sur les travaux dont ils ont été l'objet.
C'est tellement une causerie plutôt qu'une histoire, que peut-être
M. E. F. ne s'est pas assez défié de la propension habituelle du cau-
seur: à s'attarder sur les sujets qu'il pense plus inconnus de ses audi-
teurs, ou qu'il trouve plus curieux comme thème pour lui-même, et
à passer rapidement sur ceux dont le jugement qu'il pourrait porter
est plus généralement admis, va sans dire, ne prête guère à contro-
verse. De là, parfois, un certain manque de proportions entre les
époques ou les écrivains, qui n'a d'ailleurs pas de grands inconvé-
nients et qu'il suffit qu'on sache d'avance, pourvu qu'on ne croie pas
que cette histoire doive renseigner sur tout et répondre à toutes les
questions. De là aussi, en revanche, une foule de vues ingénieuses et
vives, de jugements éloquents en leur brièveté, de mots heureux et
originaux.
On voit, par la division des matières de ces deux volumes, combien
il insiste sur les périodes antérieures au grand siècle, et par suite,
combien il lui faut marcher vite, et trop vite, après. Il se joue du reste
avec bonheur des difficultés de la première besogne, et même sait
expliquer les formes et les idées de ces époques qui passent géné-
ralement pour arides et ennuyeuses, à l'aide d'exemples tirés des
modernes : rapprochement un peu forcé, qu'on n'ose généralement
pas, mais qui a de la liberté et de la vie. De jolies et adroites citations,
surtout quand il s'agit des poètes, pour lesquels M. F. a un faible
décidé ' (^à toute époque), contribuent pour leur bonne part à inté-
resser le lecteur à la suite du brillant causeur. Et il est tout à fait
gagné quand il lit les excellentes pages que celui-ci a ajoutées à la fin
de chaque période, où il résume l'effort et le caractère témoignés par
les œuvres, et conclut sur leur place dans l'histoire.
I. 11 y a bien des rimailleurs au xvi« siècle, et on peut trouver que M. Faguet s'y
attarde beaucoup. Il y en a d'autres qu'on connaît en effet trop mal et que quel-
ques citations bien choisies relèvent et éclairent mieux. Mais quand il lâche cette
conclusion : n Ronsard est un des trois ou quatre grands noms de la littérature
française », il est permis de supposer que la fin de la phrase est restée au bout de
sa plume, et qu'il voulait dire » du xv.° siècle «.
d'histoire et de littérature 59
C'est avec le xvii= siècle qu'apparaissent les disproportions dont je
parlais tout à l'heure, dues à cette pensée que les très grands noms
n'ont pas autant besoin qu'on y insiste, que ceux qui sont restés moins
connus et mal expliqués. Ce n'est pas tout à fait l'opposé, mais peu
s'en faut, de la méthode de M . F. -Brunetière dans son récent Précis
de la littérature française. Ainsi, le croirait-on, Pascal occupe une
page à peine chez M. F . , quand il en a huit dans l'unique volume de
M. Brunetière, et le chapitre où Pascal et Descartes sont liquidés en
quelques mots, justes d'ailleurs, est quatre fois plus bref que le cha-
pitre qui suit, où précieux et burlesques ont été analysés. Mon Dieu,
ce n'est pas que je blâme le procédé,, d'autant qu'il nous vaut peut-être
des jugements d'autant plus solides en leur brusquerie ; mais il faut
avenir. Ainsi ce mot sur Bossuet moraliste peut montrer comment
M. F. sait s'en tirer quand il n'a pas 10 pages d'analyse à consacrera
son homme :
« On n'a pas assez dit à quel point il a été un penseur ; non pas
sans doute un philosophe, et la philosophie de sa religion lui suffisait;
mais un moraliste profond qui a fait autant de découvertes dans Tàme
humaine qu'il a donné de fortes expositions de la foi. On n'y fait point
assez attention, parce que les observations et les analyses sont répan-
dues à travers tous ses ouvrages ; mais il est étrange que la Roche-
foucauld passe pour un grand moraliste avec ses cent pages de
pensées, alors que Bossuet en présenterait tout autant et d'aussi fortes,
s'il s'était inquiété de les réunir en un volume. »
En vérité on ne saurait mieux dire, et il y a ici une foule de juge-
ments aussi nets et aussi nourris. Il y en a aussi beaucoup de spiri-
tuels, qu'on aimerait à citer. Comme celui-ci, sur Voltaire, d'ailleurs
développé ensuite : « Il n'a jamais bien su ce qu'il voulait, ce dont on
ne peut lui faire un grand reproche, car le nombre de ceux qui ont su
ce qu'ils voulaient est très restreint dans l'histoire universelle; mais il
savait assez bien ce qu'il ne voulait pas. . . »
Pour l'époque moderne et les écrivains de ce siècle (notons aupara-
vant l'excellent jugement général sur le xviii" siècle), il n'y avait déci-
dément plus assez de place, et le défaut de renseignements précis est
aussi plus sensible qu'ailleurs. Il y a toujours de fines études et de
justes jugements, mais ne faudrait-il pas les faire reposer un peu plus
que sur rien, comme c'est trop souvent le cas ? Les principales œuvres,
les œuvres essentielles à retenir ne sont pas toujours indiquées, et il
n'y a même parfois /»^i' un seul titre cité (pour Balzac, par exemple).
Avec les quelques lignes consacrées aux Lamennais, aux Quinet, aux
Guizot, aux Mérimée, il est impossible de savoir ce qu'ils ont bien pu
faire pour obtenir cette notoriété littéraire, et si, en revanche, le lecteur
trouve quatre pages pour le seul Renan et quatre autres pour le seul
Tainc, j'en sais qui ne regarderont pas cela comme une consolation.
M. Faguet ne s'est peut-être pas toujours assez rendu compte à qui
6o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
il parlait, sinon à lui-même, voilà le fond de tout ceci. Mais il y à tant
à gagner aux soliloques d'un esprit fortement nourri comme le sien,
et qui rend si bien sa pensée, qu'il faut surtout se féliciter de la bonne
fortune qui a permis à un chacun de l'entendre et de le lire.
Henri de Curzon.
ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 2 g juin i goo (suite).
M. Paul Tannery fait une communication relative à un certain Dominiciis
Parisiensis, mentionné dans une Géométrie pratique composée à (^ulm vers 1400
et sur lequel de longues recherches ont été entreprises par M. Maximiiicn Curtze.
M. Curtze a retrouvé de nombreux mss. d'un ouvrage mathématique d'un intérêt
considérable, écrit eu 1347 P^r un maître es arts de l'Université de Paris, Domi-
niciis de Clavasio (Chivasso), qui fut ensuite docteur médecin et astronome ou
astrologue d'un roi de France, probablement Jean le Bon, car il parait être mort
entre i357 et r362. M. Curtze a établi le texte sur un ms. de Munich du xv« s. ;
M. Tannery en a commencé la collation sur un ms. de Paris, daté de iSôg. — Il
rappelle ensuite qu'en 1897 M. Curtze a également publié comme anonyme un
court opuscule, Practica geometriœ, composé vers le milieu du xii^^ siècle, et parti-
culièrement intéressant en ce qu'il montre le développement mathématique dans
l'Occident latin au moment précis où l'intluence des traductions laites sur l'arabe
va commencer. Cet opuscule a été rangé parmi les œuvres de Hugues de Saint-
Victor, notamment par M. Hauréau. M. Tannery remarque que dans les mss.
l'opuscule présente une suite (sur la cosmimétrie) qui mérite d'être publiée ; il
conclut contre la tradition qui donne l'ouvrage à Hugues de Saint-\'ictor. Cepen-
dant l'auteur a dû s'appeler Hugues; on peut proposer de l'identifier avec un
maître es arts de l'Université de Paris, lequel portait ce nom et mourut en 1199
après avoir exercé la médecine.
Séance du 6 juillet i goo
L' .académie se forme en comité secret.
M. Babelon communique une note de M. A. Degrand, consul de France à Phi-
lippopolis (Bulgarie). Dans cette note, M. Degrand signale la découverte, non loin
de Philippopolis, d'une statue de marbre du 'cavalier ilirace, personnage héroïque
que l'on trouve sur de nombreuses stèles funéraires et sur les monnaies antiques
du pays. M. Babelon tait remarquer que ce type monétaire et sculptural se rapporte
au culte des ancêtres qui était très en honneur chez les Thraces.
M. Bouchê-Leclercq présente quelques observations sur le totémisme, à propos
delà récente communication de M. Salomon Reinach.
Léon DoRKZ.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23,
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 30 — 23 juillet — 1900
MoHL, Introduction à la chronologie du latin vulgaire; Le couple roman lui. —
SoLTAU, Le poète Blacas. — Prarond, Abbeville sous Charles VIT et Louis XI.
— Block, Histoire des Pays-Bas, II. — Bischoffshausen, Alexandre VIII et la.
la cour de Vienne. — Bardot, La question des villes impériales d'Alsace. — Pe-
tit DE JuLLEviLLE, Histoirc de la langue et de la littérature françaises, VIII et
IX. — Sakellaropoulos, Conjectures sur des auteurs latins. — Mau, Catalogue
de la Bibliothèque de l'Institut archéologique allemand de Rome. — Des Marez,
Les seings manuels des scribes yprois. — G. Paris, Poèmes et légendes du
moyen âge. — Sakmann, Voltaire et le duc de Wurtemberg. — Neera, Le siècle
galant. — Breymann, Bibliographie phonétique. — Eug. Manuel, Œuvres com-
plètes. — Paris de i8oo à 1900, V-VI. — Riat, Paris artistique. — Joanne, Dic-
tionnaire géographique de la France. — Sayous, Histoire des Hongrois, nouv.
éd. — Horvath, Karbos et Endroedi, Histoire de la littérature hongroise.
I, — Introduction à la Chronologie du Latin vulgaire. Etude de philologie
historique, par F. -G. Mohl, lecteur à l'Université de Prague (122* fascicule de la
Bibliothèque de V Ecole des Hautes-Etudes). Paris, Em. Bouillon, 1899; ' '^o^-
in-S", de xii-33g p.
II. — Le couple roman lui : lei. Ses origines et son histoire dans les dialectes
vulgaires de l'Empire Romain (an tchèque avec résumé en français), par le
D' F.-G. MoHL. Prague, 1899; i vol. in-S» de vi-i24p.
I. — Voici — je n'hésite pas à le dire — le livre le plus important
qui ait été publié depuis plusieurs années sur les origines romanes.
Presque à son apparition, V Académie des Inscriptions lui a justement
décerné une de ses plus hautes récompenses. Pour ma part, je l'ai lu
avec infiniment d'intérêt, je dirai presque avec un peu d'effroi : le mot
n'est pas trop fort, à la condition d'être bien vite expliqué. Sur beau-
coup de points fondamentaux, que les romanistes s'étaient habitués —
un peu par paresse d'esprit, il faut bien l'avouer — à considérer comme
résolus ou acquis à la science, M. Mohl vient donner, proposer tout
au moins des solutions à peu près nouvelles. Il le fait avec une tran-
quille sérénité, la hardiesse d'un esprit très mûr, vigoureux dans ses
déductions, en s'appuyant à chaque instant sur des recherches minu-
tieuses et patientes qui lui permettent de ne généraliser qu'à bon escient.
La première impression est que ce livre vise à tout renouveler, à
changer d'orientation les procédés et la méthode, et qu'il va peut-être
nous forcer sinon à adorer ce que nous avons brûlé, du moins à
Nouvelle série L, 3o
b2 REVUE CRITIQUE
brûler ce que nous avons adore. Le sacrifice est toujours un peu
pénible, et il est bien légitime qu'au premier abord le lecteur s'en
trouve troublé dans une certaine mesure. Mais, après tout, la question
n'est pas là, et je ne devrais pas m'attarder sur ces considérations.
Que des habitudes prises soient dérangées par une publication de ce
genre, où sera le mal, pourvu que la science en profite ? Ce qu'il s'agit
de savoir, c'est en somme si l'auteur a raison, et dans quelle mesure?
M. M., qui est un ancien élève de M. Bréal (auquel son livre est
dédié), est parti de cette idée qu'on a généralement jusqu'ici cherché
les origines du latin vulgaire à une époque infiniment trop récente,
tout à la fin de l'Empire; qu'on a voulu le reconstruire artificielle-
ment, en lui attribuant une unité chimérique et qu'il n'a jamais eue.
Le latin vulgaire doit être considéré comme un compromis entre
l'ancien sermo rusticus du Latium et les dialectes locaux (appelés ici
du nom de peregrinitas italica) : c'est ce latin provincial d'Italie qui
est la source de presque toutes les particularités du latin vulgaire. Il
faut donc rechercher avant tout en quoi consistent ces particularités,
et comment elles se rattachent aux anciens dialectes italiques tels que
rOsque, l'Ombrien, etc. Il faut aussi les suivre à la trace en quelque
sorte, voir comment elles ont pu subsister d'abord, puis peu à peu se
répandre de proche en proche : d'où nécessité d'appeler à son aide
toutes les lumières de l'histoire et de l'interroger dans ses moindres
détails, d'examiner par exemple les translocations de populations, les
établissements de colons, les séjours qu'ont pu faire certaines légions
dans telle ou telle partie du monde romain. Il y a dans cet ordre d'idées
un chapitre d'une pénétration singulière, et d'un puissant intérêt lin-
guistique, quoique aucun fait linguistique proprement dit n'y soit allé-
gué : c'est le chapitre III, assez étendu (p, 87-1 5 1) et consacré tout en-
tier à l'Italie, montrant comment après la guerre sociale surtout, et à la
suite de quels déplacements de populations il s'est produit une unifor-
misation toute relative du langage parlé dans la péninsule. Car c'est
toujours là qu'en revient M. M., et il le répète à plusieurs reprises en
termes presque identiques, notamment à la p. i 5/ où il dit : « L'unité
« du latin vulgaire, son identité presque absolue avec la langue écrite,
« telle qu'elle nous apparaît vers la fin de l'Empire, au seuil de la
« période romane, a été avant tout l'œuvre du temps. » 11 est vrai
qu'ici l'expression semble un peu trahir la pensée de l'auteur : car
enfin si le latin vulgaire s'est unifié, peu nous importe que cette unifi-
cation se soit opérée tardivement ou non; l'essentiel c'est qu'elle a eu
lieu dans une large mesure, et dès lors où serait l'intérêt immédiat de
ces investigations dont on nous parlait précédemment, faites dans le
vieux passé italique? A quoi bon ces fouilles méthodiques, si tout ce
que nous pouvons espérer ramener au jour consiste en quelques
formes archaïques qui se seraient conservées çà et là, comme vocitus
pour vacuiis un peu partout, ou encore covus pour cavus attesté en
d'histoire et de littérature 63
Ibérie par l'espagnol ciieva (sans oublier l'Aquitaine, puisque la forme
de l'ancien béarnais est également cube] ? Le résultat serait un peu
maigre, et ce n'est point là évidemment ce qu'a prétendu M. M., mais
il y a des moments où on serait tenté de le croire d'après ses paroles
mêmes. La vérité, c'est que dans son livre la discussion, toujours inté-
ressante, procède d'une façon un peu trop discursive : si la méthode
y est entrevue, elle n'est point encore arrêtée cependant dans ses
lignes définitives. Et ce n'est pas là un reproche que j'adresse à
l'auteur, mais il fallait bien le constater.
Parmi les très nombreux points de détail qu'a eu à aborder M. M.,
au courant de la discussion, parmi tous les faits sur lesquels il a.
cherché à étayer ses démonstrations, il y en a aussi naturellement çà
et là sur lesquels je ne suis pas d'accord avec lui, ou qui me parais-
sent même présentés d'une façon peu exacte. Et je ne voudrais pas
insister là-dessus, mais il faut pourtant que j'en cite quelques-uns.
Est-il bien juste par exemple, au point de vue chronologique, de ne
mettre (p. 5j) qu'un intervalle de trois siècles entre Polybe et Ulpien ?
Dire qu'Ausone était Eduen fp. 69) est admissible à la rigueur — il
l'était en effet d'origine, par son aïeul Agricius, — c'est cependant se
servir d'une expression un peu forcée. Ce qui ne me paraît point
exact non plus, et ce qui est sans doute un peu plus grave, c'est de
comparer (p. 166) l'influence du latin littéraire sur les patois italiques
à ce qui s'est passé en France vers l'époque du Saint-Alexis ou du
Roland : il me semble que dans le premier cas nous avons à faire à
une action tout autrement intense, à une pénétration de formes et de
tours syntaxiques, tandis que dans le second cas il ne s'agit après tout
que d'un emprunt de quelques termes savants et abstraits. Je n'aime
pas davantage les considérations, qui suivent presque immédiatement,
sur l'éternité possible des langues : mais ceci est affaire d'appréciation,
et nous entraînerait trop loin. Citons encore quelques faits douteux :
dans une note de la p. 83, M. M. se déclare « sceptique à l'égard de
l'antiquité de ii en Gaule », mais il n'allègue pour soutenir son
opinion qu'une preuve vraiment assez faible, l'existence aux environs
de Paris d'un village appelé Marsan, et dont le nom remonte à une
ancienne forme Murocinctus. Supposer (p. 248) que dans les formules
impératives et négatives de l'ancien français, telles que ne dire, ne
changier, se cachent d'anciens imparfaits latins {ne diceres^ ne cam-
biares) ne me semble point non plus une hypothèse heureuse. Et ce
que je puis encore moins admettre, c'est l'explication du provençal
gla^i par une forme gladi [m) pour gladium (p. 285) : si l'on suppose
le mot populaire, pour quelle raison 1'/ final s'y serait-il conservé?
Parfois, M. M. a le tort de nous laisser espérer une explication qu'il
réserve ensuite et ne donne pas : ainsi, dans une note de la p. 191, il
dit d'une façon un peu énigmatique que la solution de la question du
suffixe français -/er pourrait bien reposer sur une alternance en latin
64 REVUE CRITIQUE
vulgaire de -ario et de -aris, et cette hypothèse est reproduite à peu
près dans les mêmes termes à la p. 285. C'est trop dire, ou trop peu :
il faudrait s'expliquer ne fût-ce qu'en une ligne ou deux, car nous ne
pouvons vraiment pas deviner comment la solution du problème se
présente à l'esprit de l'auteur. Suppose-t-il qu'un lype panaris aurait
abouti en vieux français à panier (auquel cas il aurait tort, puisque
singularis devient sangler)! Mais, en vérité, nous n'en savons rien, et
nous ne pouvons pas discuter dans le vide. Enfin, il y a un reproche
qu'on pourrait adresser parfois à M. M., et qui tient à ce qu'il a
employé dans ce livre une méthode discursive, à ce qu'il a présenté
ses observations « sans beaucoup d'ordre et d'après un plan des plus
larges », comme il le dit lui-même. Les mêmes faits sont allégués
quelquefois à plusieurs reprises, et ce n'est pas là qu'est le mal : ce
qui est plus regrettable, c'est qu'ils n'y sont pas toujours présentés
sous un jour identique, et qu'il y a même désaccord entre certains
passages, entre certaines formules. Ainsi, p. 80, je lis que le maintien
du type domni en Italie a « une origine quelque peu différente » de
celle qu'il a en Gaule ; je vais ensuite à la p. 214, et je vois qu'entre le
domni du latin vulgaire d'Italie et celui de la Transalpine il y a une
« différence absolue qui les sépare » : voilà deux formules qu'il fau-
drait faire concorder. Il y a quelques vacillements encore dans la
façon dont est présentée la transformation des neutres comme gaudia
en singuliers féminins : à la page 177, c'est la théorie d'Appel qui est
adoptée, celle qui repose sur les influences de la langue poétique ;
mais je ne vois pas bien alors pourquoi plus loin (p. 199) il est ques-
tion d'un singulier arma reconstruit d'après le pluriel armae, tout au
moins en Italie. De même, on pourrait croire à la p. 82 que le tt ita-
lien pour et est donné comme sorti d'une étape ht; il faut, en réalité,
aller à la p. 3 16 pour avoir sur ce point la vraie pensée de l'auteur.
Je ne veux point multiplier ces critiques de détail. Je ne veux pas
laisser croire non plus qu'en fait de théories linguistiques, il n'y a dans
ce livre que des vues provisoires et des excursus, quel qu'en puisse
d'ailleurs être l'intérêt. A côté de cela nous y trouvons deux points
qui ont été abordés de front et traités avec ampleur : l'un est relatif à
la phonétique, l'autre à la morphologie, et tous les deux sont d'une
importance vraiment capitale. Le problème de phonétique qu'a repris
ici M. M. est celui de la palatalisation des gutturales latines (p. 289-
3 18) : tout ce que je puis dire, c'est qu'à mon sens il ^lui a fait faire
un bon pas. Il a vigoureusement combattu le scepticisme des roma-
nistes, qui voudraient retarder jusqu'au vi^ ou au vii^ siècle les débuts
de la palatalisation, il a fait ressortir l'invraisemblance d'une telle
théorie. Pour ma part, il y a longtemps que j'admettais l'étape À*' pour
le latin vulgaire de l'époque impériale; je serais disposé maintenant à
aller plus loin, mais le problème se présente sous une forme vraiment
trop complexe pour être aborde ici. Quant à la loi qui est posée
d'histoire et de littérature 65
p. 299 relativement à la Gaule (tsy de ty et de k -{- e, {; tts de ky,
elle me paraît juste dans son ensemble, quoiqu'elle soit à vrai dire une
constatation des faits plutôt qu'une explication. — L'autre théorie,
qui a été plus qu'esquissée ici (p. 177-225), c'est celle de la déclinai-
son en latin vulgaire et des destinées qu'elle a eues dans les diverses
régions où devaient se développer plus tard des langues romanes.
Rapportant essentiellement les faits à l'effacement ou à la conserva-
tion de Vs finale, M. M. a déployé pour les exposer beaucoup d'origi-
nalité et une singulière vigueur d'esprit : si tout cela n'est pas encore
prouvé d'une façon définitive, il s'en faut de peu cependant que ce ne
soit la vérité toute entière, et je crois bien qu'on n'en avait pas encore
approché d'aussi près. Donnons une idée de cette hardiesse brillante
dans l'interprétation des faits. Il est admis ici qu'au nominatif aussi
bien qu'à l'accusatif singulier des noms masculins une finale inva-
riable o a existé de tout temps dans le latin parlé d'Italie et d'Espagne.
Et l'auteur voit bien la grave objection qu'on peut faire à cette théorie
d'une forme domno ancienne : c'est l'existence de domnii en sarde.
Pour parer à cette difficulté, il fait intervenir l'influence de l'Italie du
sud et du vocalisme spécial à la langue osque : il n'en reste pas moins
que le sarde logoudorien a dans sa conjugaison kanto en face des
noms comme domnu, tandis que l'Italie méridionale dit uniformé-
ment kantii, domnu, et il y a là quelque chose assurément qui est de
nature à inspirer des doutes. La question n'est peut-être pas encore
vidée complètement, et a besoin d'être serrée de près. L'explication
donnée sur la formation du pluriel en italien (et du même coup en
roumain) est extrêmement ingénieuse : ce sont des ïorm.Q?, patreis, dom-
nets, qui ont fusionné, qui som devenues patris. domnis, pour aboutir
uniformément a. patri, domni, car autrement on ne comprendrait pas
que le nominatif ait pu succéder directement aux cas obliques
(remarque qui me paraît d'une justesse incontestable). Par contre, les
choses se sont passées tout autrement dans la péninsule ibérique et en
Gaule, c'est-à-dire dans les régions où s finale est restée sensible : je
regrette seulement qu'en parlant de la Gaule et en attribuant à des
influences celtiques l'existence d'un féminin pluriel unique domnas en
face de domni. domnos, M. M. n'ait pas rappelé que cette solution a
déjà été proposée, il y a près de trente ans, par M. d'Arbois de Jubaiiv
ville; c'est un oubli involontaire, j'en suis sûr. Je recommande enfin
les pages (p. 225 et sq.i où les faits en apparence embrouillés et con-
tradictoires, qu'on constate actuellement dans les idiomes rhétiqucs,
sont allégués comme confirmation de tout ce qui précède. C'est par
des constatations de ce genre, par une accumulation patiente de faits,
que l'auteur nous fait entrevoir peu à peu les langues romanes plon-
geant leurs racines fort loin dans le passé, plus loin peut-être qu'on
ne voulait le croire jusqu'ici. Il arrive du même coup à faire ressortir
le danger des constructions à priori, brillantes en apparence et dont
66 REVUE CRITIQUE
toutes les parties semblent liées entre elles d'une façon logique, sans
qu'elles cadrent mieux pour cela avec la réalité et attestent autre chose
qu'une stérile dépense d'ingéniosité. Le coup de cloche que donne à
cet égard M. M. mérite d'être entendu, et aura certainement son
utilité. On pourra bien reprocher à son livre des lacunes et des imper-
fections, une méthode encore flottante parfois : il n'en est pas moins
vrai que, si du premier coup il n'a pas complètement maîtrisé son
immense matière (eta-t-on bien le droit de s'en étonner ?) il a cepen-
dant par ailleurs, dans cet obscur sujet, pratiqué des percées lumi-
neuses. Il ne pouvait pas espérer mieux, et on serait mal venu à lui en
demander davantage.
11. — Je ne sais pas le tchèque, et franchement je le regrette. Je
n'ai donc pu suivre qu'approximativement la discussion relative aux
origines du couple roman lui, lei : cette monographie a été publiée
par M. M. en même temps que la Chronologie, pour montrer les
résultats pratiques auxquels peut conduire la nouvelle méthode. Elle
me paraît conçue d'une façon rigoureuse — quoique j'en juge essen-
tiellement, je le répète, d'après le résumé français en cinq pages qui
précède le texte lui-même. L'auteur combat résolument la théorie
répandue qui consiste à voir dans /'//zn' une forme modelée sur le relatif
cuiy et l'existence du féminin illei lui donne probablement raison.
Pour lui tout se ramène à une spécialisation ancienne des démonstra-
tifs hui{c) et ei, formant une sorte de « système générique » et joints
de bonne heure exclusivement l'un aux noms masculins, l'autre aux
féminins. Il n'est pas impossible que ce soit là la vérité, et la solution
du problème. Tout ce que j'ajouterai, c'est qu'une grammaire complète
du latin vulgaire construite sur ce plan et dans ces proportions serait
excessivement intéressante : il est vrai, d'autre part, qu'elle serait
colossale, étant donné qu'il y a ici 124 pages consacrées à l'étude
d'une ou deux formes pronominales. N'importe, il faut souhaiter que
M. Mohl nous la donne un jour, et le plus tôt possible, dût-il se résu-
mer un peu, et condenser les faits, — ce qui souvent après tout n'est
pas pour^nuire à la parfaite clarté de l'exposition.
E. BOURCIEZ.
O. Sot-TAi'. Blacatz, ein Dichter und Dichterfreund der Provence, biogra-
phische Studie; Berlin, Ebcring i8y8, in-8" de 63 p. [Berlincr Deitrccge ^wr
gerynanischen und romanischen Philologie, XVIII.)
Dans cette monographie très bien conduite, M. Soltau établit la
généalogie de Blacas(dont il a pu suivre les ascendants jusqu'au com-
mencement du XII'' siècle) et énumère les pièces d'archives où il a ren-
contré la mention du poète. Sa conclusion, contraire à l'opinion de
M. de Lollis, est qu'il n'y a eu qu'un Blacas poète, né vers 1 165, mort
d'histoire et de littérature 67
en 1 237. Il dresse ensuite la liste des divers troubadours qui furent en
relations avec lui ou le célébrèrent dans leurs vers. — Il faut signaler
une digression (p. 46-51), qui n'a qu'un rapport lointain avec le sujet,
mais qui est par elle-même intéressante, sur les deux pièces 386, 2 et
4, relations à l'entrée en religion de deux jeunes filles, où l'on avait
voulu voir jusqu'ici deux sœurs appartenant à la famille des Baux, et
dont on n'avait pu retrouver aucune trace dans les nombreux docu-
ments relatifs à cette famille. M, S. montre que c'était là une inter-
prétation erronée et que la recherche en question ne pouvait aboutir'.
La présente publication sera complétée par l'édition des œuvres de
Blacas que M. Soltau promet de donner prochainement \
A. Jeanroy.
Abbeville au temps de Charles VII, des ducs de Bourgogne maîtres du
Ponthieu, de Louis XI (1426-1483) par E. Prarond, ap. Alphonse Picard, Paris,
in-8, prix 7 fr.
De 1426 à 1465, le Ponthieu et sa capitale Abbeville ne semblent
pas avoir trop souffert, sauf de quelques incursions des Anglais qui
s'étaient retranchés au Crotoy et de quelques pilleries des gens d'armes
du duc de Bourgogne et de Charles VII. La ville a été plus éprouvée,
j'allais dire plus oppressée, sous Charles le Téméraire qui avait sans
cesse besoin d'armes, d'hommes d'armes et surtout d'argent. Les docu-
ments recueillis par M. Prarond avec autant de patience que d'intelli-
gence dans les archives et les registres municipaux du temps nous mon-
trent pourtant que les maieurs et les échevins usaient de toute leur
opiniâtreté de Picards, pour faire diminuer ou modérer les tailles et les
impôts dont les chargeaient successivement le roi d'Angleterre
Henri VI, les ducs de Bourgogne et enfin le roi de France Louis XI.
Par leur soumission plus apparente que réelle à Henri VI qu'ils appel-
lent Nostre Sire, par l'entrée triomphale « et le spectacle de Sirènes »,
qu'ils lui préparent en i 53o, ils ne se proposaient peut-être pas d'autre
but que de soulager leurs administrés des misères de la guerre. On
voit cependant que les victoires de Jeanne d'Arc avaient ému les
habitants par ce fait que deux aventuriers, natifs d'Abbeville et parti-
1. L'une de ces deux jeunes filles seulement, appelée Estefanie, était dona del
Baus. M. S. n'a pas été plus heureux que ses prédécesseurs, et ce personnage
reste à identifier. Quant au Bergonho nommé dans le texte le plus authentique de
386,4, ne serait-ce point ce Bitrgundio qui figure dans le tableau généalogique des
Vicomtes de Marseille, dressé par M. Springer Das altproven^alische Klagelied,
p. yS) ? Un Bergonho, qui peut être le même personnage, est nommé dans la
tenson de Taurel avec Falconet (148,2).
2. Cette édition vient de paraître {Zeitschrift fiir romanische Philologie, 1899^
^sc. IV et 1900 t'asc. I).
6â REVUE CRITIQUE
sans du roi anglais, ayant injurié publiquement la Pucelle d'Orléans,
furent arrêtés par le maire et retenus longtemps prisonniers. En 1435,
Charles VII ayant, par le traité d'Arras, cédé au duc de Bourgogne
tout le comté du Ponthieu, rachetable moyennant 400,000 vieux écus
d'or, les Abbevillois crurent qu'ils allaient enrin vivre en paix, mais il
leur fallut encore guerroyer plusieurs années contre les Anglais, et
fournir tantôt au duc, tantôt au roi des subsides en argent et des
hommes d'armes pour qu'ils pussent s'emparer de Dieppe, de Neuf-
châtel, du Crotoy et autres places que les ennemis occupaient encore.
En 1463, Louis XI n'eut rien de plus pressé — et il dut fort se repen-
tir de sa précipitation — de rembourser au duc les 400,000 écus, et
aussitôt il fit son entrée dans Abbeville. Un document curieux que
cite M. P. énumère les préparatifs faits pour le recevoir. « Maieur,
échevins, maieurs de bannière, officiers et autres gens notables et des
commis d'icelle ville, iront à l'entrée de lui, de cheval, vestus tous
d'une parure de drap de couleur perse, lui faire la révérence joyeuse-
ment et humblement. » Les maisons furent en outre tendues de toiles,
les rues jonchées d'herbes, et « des joyeusetez de mistères )) eurent
lieu à la porte par laquelle il fit son entrée. On sait comment le roi,
par suite de la guerre dite du Bien public, fut contraint « neuf mois
après avoir payé les 400,000 écus, » dit Commynes, de restituer au
comte de Charolais qui les garda jusqu'à sa mort, le Ponthieu et les
terres de Picardie. Il fut accueilli dans la ville avec le même cérémo-
nial que Louis XI, et à cette occasion, l'on ne manqua point de faire
jouer encore plusieurs mystères à la porte Mercadé, au Marché, et
autres lieux, comme devant « l'hôtel de la Thoison d'or ou ledit sei-
gneur fut logié. »
Ces divertissements scéniques plaisaient fort aux Abbevillois, mais
ils n'avaient pas toujours lieu sans tumulte, car les Picards ont la tête
près du bonnet, surtout quand ils ont bien dîné. Ainsi, pour que l'on
pût jouer sans trouble les mystères de monseigneur Saint-Quentin en
1451, et ceux de plusieurs autres saints, le maieur dut faire surveiller
les représentations par plusieurs sergents. L'année suivante, les éche-
vins paient la somme de dix écus d'or pour avoir le Jeu de la Passion
par Ernoul (sic) Greban. En 1478, dans l'attente d'une visite du roi
Louis XI, on fait des préparatifs coûteux pour représenter « l'Histoire
de Daniel le prophette. » La choiile ou choie était encore un de leurs
jeux favoris. Il avait lieu le lundi gras : on l'interdit, « pour eskiver
aux noises, haines, débats et inconvéniens qui en étoient advenus par
ci-devant, » et au lieu de chauler il est dit qu'on fera une course au
bois. Les prédicateurs sont bien traités. Le moine Pierre Le Gros, cor-
delier, reçoit douze livres parisis « pour les bonnes démonstrances
qu'il fait souvent en la dite ville au peuple d'icelle. » En 1462, on
(^onne au frère Didier « un plat de viande et une quenne de vin pour
les belles prédications qu'il a encommanchees. » A Pierre de Cornay,
d'histoire et de littérature 69
carme du couvent de Montreuil, on accorde la somme de trois écus
« pour sa rémunération de plusieurs belles et notables prédications. »
Les échevins n'oublient pas dans leurs générosités les sœurettes du
Béguinage, « eu égard à ce qu'elles ont fait et font très bien leur devoir
a visiter les gens malades. » Cet éloge revient plusieurs fois. LesAbbe-
villois sont, à maintes reprises, affligés par l'influence (sans doute
l'influenza d'aujourd'hui) et les sœurettes sont appelées de tous côtés
dans les maisons où sévit la contagion. Les barbiers sont commis à
soigner, non, à saigner les malades. C'est encore le remède que Gui
Patin, au x^W^ siècle, préconise à peu près pour toutes les maladies.
Des faits, rien que des faits habilement groupés, coordonnés, extraits
la plupart des archives du temps, nous instruisent des habitudes, des
mœurs, des usages de la vieille cité. Ayant souffert dans ces temps
malheureux, elle sait compatir aux souffrances des autres. Elle accorde,
par exemple, aux bourgeois d'Harfleur, après la prise de leur ville par
les Anglais, « de demourer à Abbeville jusques à deux ans, sans pour
ce, paier tailles, aides quelconques, » etaux habitanlsde Montevilliers
qui n'ont pas voulu subir la domination anglaise, « de travailler au
drap selon les us de la ville.» Quant aux maieurs et échevins, s'ils veil-
lent aux intérêts de leurs administrés, ils n'oublient pas les leurs et
ont soin de se faire rembourser leurs frais de voyage et leurs dépenses
en banquets. Leur élection ne se fait pas toujours sans brigues, et en
1460 on prend des mesures pour y mettre obstacle : il n'y a rien de
nouveau sous le soleil. Un dernier détail : quand un incendie éclatait
dans la ville, les filles de joie étaient tenues de participer à l'extinc-
tion. Drôles de pompiers!
A. Delboulle.
History of the people of the Netherlands, hy Petrus Johannes Blok, part II.
translated by Ruth Pulnam. New- York and London,G.-P. Putnams Sons, 1899,
VII, 420 p., in-8, cartes.
On a rendu compte du premier volume de la traduction anglaise de
l'important ouvrage de M. Blok, dans la Revue d\ji 27 février 1899.
Depuis, le second volume de l'histoire nationale du savant professeur
de Leyde a paru, renfermant les annales des Pays-Bas depuis le com-
mencement du xve siècle jusqu'aux débuts des « grands troubles »,
sous Philippe II en iSSg; il expose ce qu'on peut appeler la période
bourguignonne de leur passé, car Charles-Quint lui-même est cer-
tainement bien plus Flamand qu'Espagnol. M. B. nous fait assister
d'abord à la lente formation de cet empire bourguignon qui absorbe
peu à peu par conquêtes ou par mariages, la Hollande, la Zélande, le
Hainaut, le Brabant, le Limhourg, le Luxembourg, la Gucldrc, la
Frise et l'évêché d'Utrecht, sans pouvoir arriver cependant à Tenticre
7b REVUE CRITIQUE
unification de ces vastes et riches domaines. Malgré son talent d'expof
sition et son désir d'être court et clair à la tois, Fauteur a eu quelque
peine, çà et là, à conserver à son récit la limpidité qui caractérisait
son premier volume, soit qu'il fut réellement impossible de simplifier
davantage la trame de la narration, soit qu'il n'ait pas voulu renoncer,
au même degré qu'autrefois, à débrouiller les détails de ces conquêtes
successives et de toutes les luttes, parfois séculaires, qui créèrent peu
à peu le corps politique nouveau d'où sont sortis les Pays-Bas mo-
dernes. Pour le lecteur un peu pressé, M. B. a mis peut-être un peu
plus d'histoire locale dans ce second volume qu'il n'était absolument
nécessaire; maison n'a pas le droit, en définitive, de lui en faire un
reproche, car il a écrit avant tout pour ses compatriotes, désireux de
connaître leur passé et non pour des étrangers, qui ne peuvent guère
s'intéresser qu'à l'histoire générale de son pays. En revanche, on lira
avec un vif intérêt les chapitres relatifs à l'organisation de ce nouveau
pouvoir princier, plus centralisateur, qui s'établit sur les débris des
organisations variées du moyen âge, sans réussir cependant à les faire
disparaître tout à fait, et qui, malgré ses défauts, fut pourtant, d'après
l'auteur, un pouvoir bienfaisant dans son ensemble'. Le tableau si
vivant que M. Blok trace de la noblesse néerlandaise au xv* et au
xvi* siècle, de l'organisation ecclésiastique des provinces bourgui-
gnonnes, du commerce et de l'industrie comme de la vie sociale et
intellectuelle de l'époque sera lu avec intérêt et profit par ceux même
qui connaissent la matière, car l'auteur a su relever son exposé de
nombre de traits caractéristiques, et l'on partagera généralement ses
jugements équitables et topiques sur les hommes et les choses'. Le
chapitre sur les beaux arts nous a paru un peu maigre ; sur un si beau
sujet on aurait voulu un peu plus de développementset non un simple
catalogue de noms propres . Pas plus que le premier, le second volume
de la traduction de Miss Puinam n'a d'apparatus criticus ; un appen-
dice spécial, Historical authorities, bien court pour les savants, assez
inutile pour le grand public, représente seul l'élément érudit de ce
très sérieux et consciencieux travail \
R.
1. On peut accorder certainement que !a Bui-gtindian sovereignity was a blés-
sing to city and couniry (p. 363), mais avec la restriction formelle qu'elle le tut
puisque la noblesse et les villes furent longtemps assez puissantes pour l'empcchcr
de tournera la tyrannie ; dès qu'elle se crut maîtresse incontestée, elle tenta d'abu-
ser de son pouvoir.
2. Quelques-uns cependant sont sujets à caution; quand l'auteur appuie, par
exemple un peu naïvement, sur l'austérité des mœurs de Philippe II (p. 289) ou
qu'il déclare que l'esprit d'Erasme dirigeait Guillaume d'Orange et Oldenbarne-
yeldt, je crains qu'il ne trouve des contradicteurs.
3. Nous ne nous arrêterons pas à relever quelques erreurs de détail; p. 174,
Ferdinand I, le frère de Charles-Quint, est appelé son neveu ; p. 140, il nest pas
exact de dire que Hagenbach gouverna les pays confiés à lui par Charles le Témé-
d'histoire et de littérature 71
■Papst Alexander VIII, und der WicnerHof (1689-1G91), dargestellt von l)f Sigis-
mund Freiherrn von Bischoffshalsen. Stuttgart und Wien, J. Roth, 1900, xiv,
188 p. in-8. Prix : 3 fr. yb.
La monographie de M. de Bischoffshausen sur les rapports du pape
Alexandre VIII avec la cour de Vienne, est solidement établie sur une
série considérable de documents inédits, mémoires, relations, notes
intimes et dépêches, tirés soit des archives impériales, soit de celles de
la maison princière des Lichtenstein, à Vienne. Elle est peut-être un
peu trop développée pour le sujet assez mince traité par l'auteur, vu
qu'en tait de rapports avec Léopold I^"', le pape s'est toujours efforcé,
pendant son très court pontificat, den avoir aussi peu que possible,
afin d'échapper à l'alternative cruelle de se brouiller, d'une façon
absolue, soit avec l'empereur, soit avec Louis XIV. M. de Bischoffs-
■hausen nous raconte d'abord, par le menu, les agissements et les in-
trigues du conclave d'où sortit, comme élu, le cardinal Pietro Otto-
boni, qui prit le nom d'Alexandre VIII; il avait pour se guider dans
ce récit les papiers du prince Antoine-Florian de Lichtenstein, envoyé
extraordinaire de la cour de Vienne, diplomate honnête et conscien-
cieux, mais qui n'était pas de taille à lutter contre les représentants de
la couronne de France; aussi ne réussit-il point à rendre le nouveau
pape favorable à son maître, et cela, d'autant moins que la lenteur
traditionnelle des hommes d'État autrichiens le laissait trop souvent
sans instructions définies. L'habileté des représentants de la Curie
devait réussir vis-à-vis d'un personnage si peu dangereux, à éluder
pendant longtemps ses demandes relativement modestes, tout en lui
prodiguant les bonnes paroles ; mais il est douteux que les plus habiles
monsignori et le cardinal-neveu lui-même eussent réussi à maintenir
la balance égale entre les deux couronnes rivales, si Alexandre VIII
n'était mort déjà en février 1691, après quinze mois à peine de ponti-
ficat. L'auteur reconnaît lui-même, en définitive, que son règne éphé-
mère n'a eu et ne pouvait avoir qu'une médiocre importance politique.
Il est assez piquant de confronter son travail avec l'étude de M. Ch.
Gérin, Le pape Alexandre VIII et Louis XIV, dans la Revue des
questions historiques (année 1897), étude dont il est comme une ré-
plique; on y voit que les diplomates français, avec moins de motifs
sérieux peut-être, ne furent guère plus satisfaits de l'attitude hcsiiame
du Saint-Père que les membres du Conseil aulique et le prince Florian
de Lichtenstein '. R.
rairc avec un « despotisme capricieux » ; despote, il l'était assurément, mais avec
méthode et dans un but raisonné, obéissant aux ordres de son souverain; p. 141,
je ne sais ce que l'auteur a voulu tiire en mentionnant « les cinq cites d'Alsace b;
il y a confusion avec la Décapole. les dix villes impériales de la province. P. 124,
lire Maçon pour Maçon; p. 234, aiidiencicr pour aitJcncicr; p. ?Gi, la torét de
Sonien est sans doute la forêt de Soignes.
I. Sur le titre extérieur <Ju livre il faut changer iGoi en 1Ô91. — P. 177, lire
multiplices au lieu de muliplices.
7i REVUE CRITIQUE
La question des villes impériales d'Alsace depuis le traité de Westphalie
jusqu'aux arrêts de rcuniun du Conseil souverain de Brisach (1648-1680), par
George Bardot. Paris, A. Picard, 1899, 295 p. in-8,
La thèse de doctorat de M. Bardot forme un des plus récents fasci-
cules de la nouvelle série des Annales de l'Université de Lyon. C'est
une excellente contribution à l'histoire de la question d\ilsace, surgie
au xvii« siècle, par suite des clauses contradictoires du traité de
Munster qui cédèrent certaines parties de cette province à la couronne
de France et devaient lui permettre d'en réclamer d'autres plus tard,
quand elle jugerait le moment favorable venu. Dans l'ensemble des
problèmes historiques, souvent délicats, que soulève cette question
générale, si fréquemment controversée dans ces dernières années,
l'auteur a choisi un chapitre particulier: la lutte des dix villes impé-
riales, de la Décapole alsacienne, contre les exigences toujours crois-
santes de leurs protecteurs français, devenus des maîtres'. Cette lutte
inégale a commencé, en pleine Fronde, contre Henri de Lorraine,
comte d'Harcourt, premier gouverneur général de l'Alsace et grand-
bailli de Haguenau ; elle a continué contre le duc de Mazarin, son
successeur, s'est terminée une première fois par l'occupation de Col-
mar, en ifSjS, et a été tranchée en appel, si je puis dire, par Tépée de
Turenne, sous les murs de Turckheim, en 1675. Finalement la ques-
tion a été rayée de l'ordre du jour par les arrêts de réunion du Conseil
souverain d'Alsace, sans cependant que cette solution ait été acceptée
d'une façon officielle par l'empereur et le corps germanique, car, ni
le traité de Nimègue, ni celui de Ryswick, ne contiennent autre chose,
sur ce point spécial tout au moins, que la confirmation des para-
graphes du traité de Munster, dont l'interprétation était, on le sait,
absolument divergente de part et d'autre, et formait précisément le
fond du litige de la Décapole.
M. B. réunit deux qualités essentielles de l'historien, l'investigation
patiente des documents afférents à son sujet, le besoin évident d'être
équitable envers tous les partis et modéré dans ses jugements. 11 con-
naît à fond la littérature du sujet; il a fait des recherches fructueuses
aux Archives des Affaires Étrangères, et il a su débrouiller d'une main
ferme le fil passablement enchevêtré des réclamations et contre-
réclamations qui, pendant plus de vingt ans, s'échangent entre diplo-
mates français et délégués alsaciens, par devant l'aréopage de Ratis-
bonne \
1 . A la Bibliographie de l'auteur on peut ajouter aujourd'hui de nouveaux frag-
ments du travail de feu Mossmann, sur La France en Alsace après la paix de
Westphalie, publiés dans la Revue Historique (t. LXX), 1899, et dans la Revue
d'Alsace, 1900, et celui de son successeur aux archives de Colmar, M. Eugène
Waldner, sur Colmar et le duc de Mazarin en 1664, dans \c Bulletin du Musée
historique de Mulhouse.
2. Une des parties les plus neuves du travail de M. Bardot c'est l'exposé des
d'histoire et de littérature j3
La nature des sources principalement consultées par l'auteur a
exercé une influence déterminante — trop déterminante peut-être —
sur l'ensemble de son récit, ainsi qu'on le lui a déjà fait remarquer
ailleurs. On y voudrait un peu plus de vie, un peu plus de couleur.
M. B. s'est volontairement condamné à ne nous donner presque qu'un
chapitre d'histoire diplomatique, en laissant à peu près de côté les
parties militaires de son sujet, qui lui auraient 'permis de varier un
peu le ton de son récit, et de reposer momentanément l'attention du
lecteur. Il a laissé surtout de côté, s'il m'est permis de m'exprimer
ainsi, l'enjeu même de cette longue partie jouée sur l'échiquier polir
tique, à coups intermittents, par Louis XIV contre Ferdinand 111 et
Léopold I«'' : les cités alsaciennes qui, pendant près d'un âge d'homme,
ont passé par mille anxiétés successives et maintes péripéties de crainte
ou de joie, avant que le sort eût définitivement fixé leurs destinées
pour deux siècles à peu près. Sans doute M. B. en rédigeant sa thèse,
pouvait trouver difficilement, soit à Grenoble, qu'il habitait alors,
soit dans les archives parisiennes, les matériaux nécessaires pour
donner à cette partie de son travail des développements plus consi-
dérables, et il serait souverainement injuste de trop appuyer là-dessus;
mais on doit regretter pourtant qu'il n'ait pas au moins tenté de nous
montrer, un peu plus en détail, ce que pensaient les habitants de Col-
mar, Wissembourg, Landau, etc., des efforts que faisait la France
pour « veiller à leur conservation ». Il aurait su le faire, j'en suis sûr,
avec toute l'impartialité voulue, et le mémoire de M. Eugène Waldner,
que je citais tout à l'heure, tiré des archives de Colmar, montre com-
bien de détails précis et pittoresques l'on peut ajouter aux données
souvent incolores des dépêches, et, à l'aridité juridique des mémoires
à l'appui de la diplomatie.
Pour le reste, nous n'avons aucune critique sérieuse à présenter, ni
surla façon dont M. Bardot a conduitson enquête, ni quant aux résultats
qu'il a obtenus. Il est bien évident que, dès le début, l'antinomie entre
des villes libres, immédiates, c'est-à-dire relevant effectivement de
l'Empire, et, un protecteur qui était le roi de France, était flagrante ;
il est non moins évident que le conflit n'a duré si longtemps que parce
Louis XIV, pour une raison ou pour une autre, n'a pas voulu en brus-
quer le dénouement, et que, dès qu'il jugerait le moment venu, il
triompherait d'adversaires infimes, à moins qu'une grande guerre
continentale ne parvînt à ruiner ou du moins à limiter la suprématie
de la couronne de France en Europe. Il est évident, enfin, qu'il y eut
efforts, longtemps couronnés de succès, faits par Gravai, l'envoyé français à Ratis-
bonne, contre la politique plus outrancièrc de Coibert de Croissy cl de Pomponne.
Il était d'ailleurs évident que Louis XIV, aussi longtemps qu'il songea le moins du
monde à l'Empire, ne pouvait vouloir choquer les Etats siégeant à Ratisboime, en
violentant les moindres d'entre eux ; cela explique amplement la patience du roj
sans qu'on ait besoin de vanter sa magnanimité vis-à-vis des faibles, fort sujette
à caution.
74 REVUE CRITIQUE
dans ce conflit, avant tout, une question de droit public, car, en fait,
la liberté des villes de la Décapole ne fut pas beaucoup moindre après
1680, qu'avant 1648 ; l'oligarchie régnante y garda ses privilèges et
peut-être y eut-il un peu plus de justice et même de bien-être pour le
menu peuple et les manants'.
R.
Histoire de la Langue et de la Littérature françaises, des origines à 1900,
ornée de planches hors texte en noir et en couleur, publiée sous la direction de
L. Petit de Julleville, professeur à la Faculté des lettres de l'Université de
Paris, Tomes vu et viii : Dix-neuvième siècle (Période romantique — Période
contemporaine). Paris, A. Colin, 1899- 1900; 2 vol. gr. in-8», de xi-873 et 928
pages, avec 22 et 26 planches (fascicules 56 à 77.)
Voici terminée sans accrocs et sans retards appréciables l'entreprise
dont M. Petit de Julleville avait assumé la lourde direction, et pour
laquelle il ne s'est pas associé moins de cinquante-et-un collabora-
teurs. Tout s'est passé dans les délais prévus : le prospectus lancé en
1894 annonçait que l'ouvrage serait achevé en 1900 ; il l'est. J'ai eu à
trop de reprises, ici même, ^ l'occasion de faire ressortir les avantages
et les inconvénients inhérents à une publication de ce genre, pour
revenir encore sur ce sujet. Ces deux derniers volumes l'qui contien-
nent respectivement 16 et i3 chapitres) sont consacrés à retracer le
mouvement littéraire en France pendant le xix^ siècle : c'est assez dire
leur attrait et la variété des sujets qui y sont abordés. Une coupure,
pratiquée tout naturellement aux abords de i85o, divise la matière en
deux périodes à peu près d'égale importance, et vingt collaborateurs
se sont chargés de remplir le cadre ainsi tracé. A quoi bon entrer
dans l'énumération de ces vingt-neuf chapitres ? Franchement, ils sont
trop : pour apprécier, même le plus brièvement du monde, chacune
de ces études bourrées de noms et de faits, ayant un caractère spécial,
il me faudrait soulever trop de questions épineuses, et ne pouvant
rendre justice à chacun en particulier, je préfère la rendre à tous en
1 . P. 33, M. Bardot s'étonne de ce que les villes de la Décapole n'aient pas pro-
testé, entre 1622 et i63o, contre leur occupation par les Impériaux; il n'y a rien
d'étonnant à cela; la plupart, Wissembourg, Haguenau, Obernai, Rosheim, etc.,
avaient été saccagées et pillées par Mansfeld,ou du moins frappées de contribu-
tions écrasantes. Ruinées, ou affamées, par les régiments qui campaient dans le
voisinage, comment auraient-elles résisté, alors que le représentant du gouverne-
ment impérial leur annonçait des « mesures efficaces » en cas de résistance ? L'ar-
chiduc Léopold a simplement fait à Haguenau, en 1622, ce que Louis XIV fit à
Cohnar, en 1673. — P. 38. La forme française de Moersperg est Morimont. — P. 236,
lire Zinmeister au lieu de Zinmestre.
2. Voir la Revue Critique du 14 décembre i8((6, celle du 14 juin 1897, celle du
i3 juin 1898 et celle du 1-9 janvier 1899.
d'histoire et de littérature j:5
général. Ce n'est pas que l'intérêt serait absent d'une critique de
détail : mais elle déborderait le cadre de cette Revue. Ainsi j'aimerais
à parler du Victor Hugo que M. Gaston Deschamps a inséré dans
le tome VII l'chap. vi) : il a déployé des qualités très particulières à
résumer en cinquante pages cet immense sujet, cherchant à objectiver
sa critique, à repenser cette vie si intimement mêlée à toutes les émo-
tions du siècle, et il en résulte une étude assez vibrante, d'une allure
fort originale. Je trouve au contraire que, dans le chapitre sur les
Historiens it. Vil, chap. x , M. de Crozals aurait pu détacher un peu
plus en relief la grande figure de Michelet : et ce n'est pas sa faute, je
le sais bien, s'il le fait apparaître à l'improviste, après avoir parlé de
V Histoire des Croisades de Michaud, — mais décidément, dix pages
seulement sur celui qui a été à tant d'égards le plus prestigieux écri-
vain du siècle, c'est un peu maigre, et c'est par trop le réduire à la
portion congrue. Le dernier volume donnerait lieu à des remarques
d'un autre genre : il est évident que la critique, ayant à s'exercer là
sur des sujets actuels, y manque forcément de recul, et n'est plus dans
un point de perspective qui lui soit favorable. Qu'on puisse déjà juger
et classer Flaubert, Renan, Taine, je l'admets - et encore j'endoute
un peu — mais que sera-ce, quand on en arrivera aux vivants, à ceux
dont l'œuvre n'est même pas achevée, et que nous sommes exposés à
coudoyer chaque jour? Ainsi M. Chantavoine, ayant eu à étudier les
Poètes de i85o à i goo (t. VIII, chap. ii), s'est borné vers la fin à une
énumération, qui est fort instructive, mais vraiment un peu sèche,
et qui rappelle le Vapereaii : et notez qu'elle est très complète cette
énumération, M. Chantavoine n'y a guère oublié volontairement qu'un
nom, — le sien. Ayant à parler de la Critique (t. Vlll, chap. vu) pen-
dant cette fin de siècle, M. Faguet, lui, a piocédé autrement : il ne
pouvait guère se dispenser de parler de M. Faguet, et il l'a fait brave-
ment, — je ne l'en blâme pas. Oui, bravement, de cette allure .dégagée,
qui est sa caractéristique : mais on sent bien malgré tout qu'il est un
peu embarrassé, et qu'il ne dit point sur lui-même, ni tout ce qu'on
pourrait peut-être en dire, ni exactement ce qu'il y aurait à en dire.
Tout cela n'est pas pour diminuer l'intérêt de ce dernier volume,
et il en est même qui trouveront un attrait piquant à des coïncidences
du genre de celle que je signale. Ce que je prétends, c'est que les cri-
tiques ont eu à exercer là leur sagacité sur une matière encore bien
flottante et d'une prise assez malaisée. Je devrais parler aussi des cha-
pitres où M. Brunot s'est occupé de la langue frani;aise du xix^" siècle :
ils sont intéressants comme d'ordinaire, pleins de recherches lexico-
graphiques utiles et de détails assez neufs, notamment sur la période
romantique. Mais, je l'ai dit déjà, je ne veux ni ne puis insister. Je
tenais seulement à signaler à l'attention du public qui lit l'achèvement
de cette histoire de notre littérature, importante à la fois par ses vastes
dimensions, la variété de ton des chapitres, les références bien
']^ REVUE CRITIQUE
choisies contenues dans la partie bibliographique. C'est par là que
ces huit volumes méritent de lîgurer dans les bibliothèques, et
qu'après avoir fourni des lectures suggestives, ils deviendront le point
de départ obligé de nouvelles recherches. Tel avait été le but de
M. Petit de Julleville lorsqu'il s'est chargé de diriger cette publica-
tion, et il l'a atteint. Dans les dernières phrases de sa conclusion, il
remercie ses collaborateurs et constate que « tout différents qu'ils
fussent entre eux de goûts et d'opinions, pour marcher d'accord jus-
qu'à la fin, dans cette entreprise de longue haleine, il leur a suffi de
mettre en commun leur sincère amour de la France, de sa langue et
de sa littérature ». On ne saurait mieux dire : ajoutons seulement
que l'éminent professeur de la Sorbonne avait dès le début délimité
le cadre d'une façon magistrale, qu'il n'a pas un instant cessé d'en-
courager ses collaborateurs, et qu'enfin, avec une rare abnégation, il
s'est chargé de certaines parties de l'œuvre, — les moins attrayantes
en apparence, mais dont il a toujours su tirer bon parti.
E. BOURCIEZ.
Les livraisons 6, 7, 8 du tome IV du Recueil d'archéologie orientale publié par
M. Clermont-Ganneau, viennent de paraître à la librairie Leroux; elles contien-
nent : § i3, Inscriptions grecques de Palestine et de Syrie; § 14, La « Tabelia do-
votionis » punique; § i5, Le nom de Philoumenè en punique; § 16, Manboug-
Hiéropolis dans les inscriptions nabatéennes ; § 17 Resapha et la Strata Diocle-
tiana;§ 18, Inscriptions grecques du Haurân; § 19, Les inscriptions du tombeau
de Diogène à El-Hâs.
— Le premier fascicule de la deuxième année de VAyicien Orient (Der alte Orient)
est consacré à une étude de M. Hugo Winckler, sur le développement politique
des Babyloniens et des Assyriens (Pr. : 60 pf. ; Hinrichs, Leipzig).
— M. V. Zettersteen vient de publier un Ver:[eichnis der Hebrceischen und
Aramœischen Handschriften de la bibliothèque de l'Université d'Upsal (Lund ;
Mœllers; in-8; pp. 22). Cette notice comprend plusieurs numéros désignant pour la
plupart des textes hébreux de l'A. T., quelques Targums, des livres de prières,
des traductions du N. T. en hébreu, un bréviaire syriaque et un ouvrage mandéen
dont l'éditeur ne donne pas le titre.
— M. Otto Procksch a donné, dans le cinquième volume des Leipyiger Studien,
une étude bien documentée sur la vendetta chez les Arabes, dans laquelle il a l'oc-
casion d'exposer les théories de la solidarité de la famille et de la tribu. Cette étude
est dédiée à la mémoire du regretté professeur Albert Socin, mort le 24 juin 1899
{Ueber die Blutrache bei den vorislamischen Arabern und Mohammeds Stellung
:{u ihr ; Leipzig, Teubner, 1899; pp. 92).
— M. Sakellaropoulos propose les conjectures suivantes à divers auteurs latins,
sous le titre rpa|ji[AaTo7.0Y'.xi xal x_o'.T'./i i;i memoriam Litciani Muelleri, dans
r 'ETcTT.pi; Toû napvajso'j de cette année (Extrait, 10 p. ; Athènes, impr. de l'ETTia
1900). Suétone, Tiber. 10 scripta omnia eorum au lieu de scripta omnium. Cic.
Brut. V, 19 la plupart des manuscrits : ad veterum rerum naturalium memoriam ;
un élève de M. S. propose vatMm. natalium = originum. Cic. Brut.YUl, 3i solcbat
d'histoire et de littérature 77
(simplicibus) verbis. Cic. Titsc. V, 23, 66, excellente correction dimidiatum pour
dimidiatis. Virg. Bue. I, ^^^ Wtq pecits . . . fetum graves... fêtas ; M. S. ajoute qu'il
ne voit pas bien comment a pu se produire la faute qu'il suppose ; la correction
est en effet difficile à justifier. Hor. Sat. I, 3, 20 immo habeo hautfortasse minora,
Tite-Live XXI, 3o, 7 (Alpes) pervias haut paucis /t/me exercitibus est un exemple
de correction faite d'après le sens désiré, mais quelles seraient ces armées aux-
quelles Annibal fait allusion ? Tite-Live XXII, 8, 6 M. S. conserve après mitti la
phrase supprimée par Mommsen, nec dictatorem populo creare poterat, en y rem-
plaçant populo par prœtor; plus loin pro dictature pour dictatorem. Tite-Live
XXII, 27, 9, suppr. volentcm et lire partem quatn n'a rien de probable, d'autant plus
qu'il est inexact d'interpréter consilio par volentcm (texte : rerum consilio geren-
darum) en le joignant à cessurum. Dans les premières pages M. S. propose, pour
titre d'un ouvrage d'Accius, Didascalion libri au lieu de Didascalicon, explique les
Heduphagetica d'Ennius par Hedu(pathia; phagetica, considère le Dulorestes de
Pacuvius comme une corruption de Pyladorestcs, et lit Macrobe, Sat. I, 24. 1 1 de
^Eneade (\Vi\aQm. mea (vulg. ^nea... meo). — Mv.
— La librairie Lœscher à Rome a entrepris d'imprimer le catalogue delà biblio-
thèque de l'Institut archéologique allemand, par M. A. Mau. Le premier volume
seul a paru. Cette bibliothèque est extrêmement riche en publications d'ensemble
ou de détail, toutes relatives aux antiquités grecques et romaines ; le catalogue
sera donc, en somme, comme une bibliographie de l'archéologie. C'est à ce titre
qu'il sera un précieux instrument d'information non point seulement pour ceux
qui habitent Rome, mais pour tous les antiquaires où qu'ils demeurent et quelques
bibliothèques qu'ils aient à leur disposition. — R. C,
— M. G. Des Marez, en dépouillant une très riche collection de lettres commer-
ciales de la seconde moitié du xni^ siècle, conservées dans les archives d"\'pres,
a relevé les signes, à forme héraldique le plus souvent, apposés sur le revers de
ces documents. Il est arrivé à démontrer que chacun d'eux n'était que la signature
des clercs de la ville, qui accompagnaient les marchands aux foires de Champagne
et se chargeaient de recouvrer leurs créances à l'étranger. Il a publié le résultat
de ses observations et la figuration de ces différentes marques dans un article paru
dans le n» 4 du tome IX, 5* série, des Bulletins de la commission royale de Bel-
gique ex tWéà. part sous le titre: Les Seings manuels des scribes yprois au XIII'
siècle (1899, '""^ ^^ '^ pages). — L.-H. L.
— Avec un petit nombre d'études et d'articles suggérés, de 1861 à 1899. par ses
recherches sur notre moyen âge littéraire, M. Gaston Paris a fait un livre intitulé
Poèmes et légendes du moyen dge (soc. d'édition artistique, in-8 de 268 pp.) qui
est du plus vif intérêt et charmera tous ceux que séduisent les premières et origi-
nales poésies des peuples. Ces essais sont, en effet, essentiellement de la littérature
comparée, matière difficile à traiter, parfois ingrate, où il faut un maître pour oser
porter la main, et où M. G. Paris est si compétent. Son travail sur Huon de Bor-
deaux, aussi amusant que considérable, avait paru dans la Revue Germanique en
1861, ei l'on avait bien de la peine à le retrouver. Son étude sur Tristan et Iseut,
si ardue à mener à bien, est tout à fait attachante par ce temps de Wagnérisnie.
Ses pages sur Aucassin et Nicolettc, sur les Sept infants de Lara, sur l'une des
Orientales de Victor Hugo et sa fausse physionomie mauresque, ne sont pas moins
piquantes; d'autant que la souplesse du style fait souvent oublier combien d'éru-
dition s'y cache: et le mérite est rare. — H. de C.
— M. Sakmann a fait tirer à part un article qu'il a publié dans les Wilrtembergis-
^8 REVUE CRITIQUE
elle l'ierteljalirsliefte Jiir Landesgescllichte {nouveUe série, IX, 1900), sur les prêts
à fonds perdus que Voltaire avait faits à Charles-Eugène de Wurtemberg. Le duc.
avait reçu 40,000 thalers en septembre 1752, 3o,ooo en janvier i-b3, et s'était en-
gagé à fournir en retour une rente viagère totale de 7,5oo thalers, dont une partie
reversive sur Mme Denis. M. Sakmann expose les difficultés que Voltaire
rencontre parfois dans le paiement de ses intérêts, et confirme ce que les archives
de Colmar et de Stûttgard lui avaient déjà appris, à savoir que Voltaire se montre
dans toute cette affaire, prudent, ferme, mais non point chicaneur et usurier. Il se
plaint que Voltaire soit jugé depuis quelque temps en France avec malveillance,
déclare l'ouvrage de M. Nicolardot sur les finances de Voltaire au-dessous de toute
critique, et. naturellement, ramène sur l'eau l'affaire Dreyfus. — Charles Dejob.
— II faut au moins signaler d"un mot un petit volume qu'une plume élégante,
celle qui a fait connaître en France aussi bien qu'en Italie le pseudonyme de Neera,
vient de consacrer aux héroïnes lettrées du xvni° siècle (Neera, // secolo galante,
Florence, Barbera, 1900). Les Italiens trouveront plaisir et profit à lire ces notices
tracées d'une main alerte qui leur apprendront comment Mlles Aissé et Lespinasse,
MM":* du Deffand, Geoffrin, d'Epinay, d'Houdetot et de Genlis ont su mêler à la
coquetterie et à la sensualité une curiosité d'esprit, une finesse de goût, une sensi-
bilité vive qui rachètent en partie leurs fautes. L'ouvrage est joliment imprimé et
orné de portraits. — Charles Dejob.
— M. H. Brev.mann paraît s'être voué à la tâche ingrate mais méritoire des bi-
bliographies. La Revue a annoncé en son temps (XLIII, p. 5y) sa Bibliographie
Phonétique. Celle qu'il publie aujourd'hui n'est autre chose que le complément et
la continuation d'un répertoire précédent, consacré à l'enseignement des langues
vivantes et embrassant la période de 1876 à 1893 : Die neusprachlidie Reform-
Literatur von 1 8g4-i 8gg, eine bibliographisch-kritische Uebersicht, Leipzig,
librairie A. Deichert (G. Bœhme), 1900; in-8, 97 pp. — V. H.
— Il ne nous appartient guère d'apprécier les recueils de vers contemporains ; mais
il nous est permis de signaler ceux d'entre eux, et ils se font rares, qui ne seront
pas oubliés dans le siècle où nous allons entrer. M. Eugène Manuel a publié
récemment ses Œuvres complètes, 2 vol. de 4o5 et 4o6pages, chez Calmann-Lévy,
1899. Le tome I est composé de deux recueils déjà publiés, Pages intimes et En
voyage. Les Pages intimes avaient paru, en partie, dans la Revut des deux Mondes,
en 1862; puis, en totalité, dans un volume de 1866 (?° édit. 1869). -^^ voyage àsiie
de 1884. Le 2* volume contient les Poèmes populaires, Pendant la guerre. Après
la guerre. Les Poèmes populaires, dont quelques-uns remontent à 1848, sont de
1871-1872. Pendant la guerre est de 1872; Après la guerre, de 1898. D'un cer-
tain nombre de ces recueils, M. Manuel avait composé, en 1888, ses Poésies du
foyer et de l'école. C'est toute une œuvre et toute une vie qui sont condensées
dans cette première édition des Œuvres complètes, qui laisse seulement de côté
les œuvres théâtrales. — F. H.
— A peine notre article sur le Paris de j8oo à igoo, publié par la maison Pion
(sous la direction de M; Ch. Simond, p. 80) était-il composé, que cette excellente
entreprise répondait au vœu exprimé par nos dernières lignes, en faisant paraître
coup sur coup le 5c et le 6"= fascicules qui terminent le premier des trois tomes
annoncés. Le volume atteint l'année i83o, avec 676 pages à 2 colonnes. Les
deux séries dont nous rendons compte pour faire suite à notre article, compren-
nent donc les années 1820-24 et i825-3o. La même profusion de reproductions de
toutes sortes s'y fait remarquer, illustrant, soit des esquisses nouvelles, soit surtout
,),
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE JQ
des extraits, adroitement choisis, des récits, chroniques, souvenirs et journaux du
temps. Enfin, comme un ouvrage fait pour être vraiment utile, le volume se
termine par de commodes tables: des gravures (ordre chronologique), des portraits
(ordre alphabétique), et des articles. — H. de C.
— Dans une des collections, assez nombreuses depuis quelque temps, d'esquisses
historiques et artistiques, où triomphe- la librairie allemande de vulgarisation, et
qui, toutes bourrées qu'elles soient d'excellentes reproductions photographiques,
restent à un prix si minime, vient de paraître une étude d'ensemble sur notre
Paris artistique et archéologique : Paris, eine Gescliichte seiner Kunstdenkmceler
vom Altertiim bis au/ unsere Tage (Leipzig und Berlin, Seemann. i vol. in-S*";
n° 6 des Berilhmte Kunststœtten, Prix, cartonné : 4 marks). Le piquant, c'est que
l'auteur est M. Georges Riat, de la Bibliothèque Nationale, et que son texte alle-
mand paraît avant son texte français, que nous savons pourtant être annoncé (chez
Laurens), mais dont nous ne pouvons juger que sur cette édition allemande.
C'est une revue pittoresque et historique des monuments et des richesses d'art de
Paris, disposée suivant l'ordre chronologique approximatif, avec un dernier cha-
pitre relatif à la sculpture et à la peinture françaises contemporaines. L'esquisse est
brève mais soignée, et l'illustration (180 reproductions photographiques) bien
choisie et bien venue. — H. de C.
— Le Dictionnaire géographique de laFrance, publiésous la direction de M.Paul
JoANNE (Libr. Hachette, in-4'' à 3 colonnes), continue d'un pas lent mais sûr sa
progression alphabétique, et atteint aujourd'hui, avec Saint-Avit, la page 4o52.
Nous l'avions laissé avec la page 3409, à la fin de l'énorme article Paris. Entre les
deux, il faut citer parmi les articles les plus intéressants et les plus neufs, les
études d'orographie et de géographie physique suggérées par le Gave de Pau, le
massif de Péclet-Poset (en Savoie) et surtout les Alpes du Pelvoux (avec une excel-
lente photographie d'ensemble), le massif du Pilât et celui du Mont-Pourri, les
P/7-tf'«e'es (24 colonnes, où l'on sent bien la compétence de M. Schrader) le Queyras
(Briançonnais), le Rhône (34 colonnes, monographie qui comptera), enfin le massif
des grandes Rousses (excellent). Cependant il faut rendre justice aussi à la profu-
sion et à la netteté d'information des articles plus statistiques des villes et départe-
ments : Pe'rigueux (nombreuses photographies, et bien prises), Poitiers et le
Poitou, \e Puy-de-Dôme, les trois départements des Pymie'e^, Reims, Rouen (3i
colonnes), enfin le tableau général des noms de Saints avec étude des ctymologies et
des transformations de noms, un coin de géographie historique bien curieux. Une cri -
tique pourtant pour finir, d'autant que nous l'avions déjà faite : la série des cartes de
départements ne sera pas inutile comme donnant quelques 'points de repère,
mais à part cela... elle est trop souvent bien médiocre. Ces cartes ne sont pas
toujours au courant, même des chemins de fer, et les indications routières sont
très confuses. Ne pouvant faire que si peu, et dans de si petites proportions, autant
valait presque s'abstenir. — H. de C.
— La librairie Aihenaeum de Budapest et la maison Alcan de Paris publient, à
l'occasion de l'Exposition universelle, deux beaux volumes illustrés. Le premier
est une nouvelle édition de VHistoire générale des Hongrois du regretté Edouard
Sayous, volume qui avait obtenu le Prix Thiers en 1877. On connaît suffisamment
le mérite de cet ouvrage qui traite l'histoire des Hongrois depuis les origines jus-
qu'à 1825. Dans cette deuxième édition (562 pages, avec 27 planches hors texte
et 253 illustrations dans le texte) destinée surtout au grand public, on a supprimé
l'appareil savant, notamment l'Introduction sur les sources de l'histoire magyare
8o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
et toutes les notes. Un journaliste ~iiongrois M. J. Dolenecz, et le fils du regretté
historien, M. André Sayous, se sont chargés de revoir le texte et d'y ajouter quelques
pages (5o6-558) sur les événements si importants qui se sont produits en Hongrie
de 1825 à 1867. Certains passages se rapportant à la littérature et au mouvement
jacobin de 1794 auraient dû être retouchés et le regretté historien, s'il avait pu
surv'eilier cette réimpression, n'y aurait pas manqué. Notre reproche s'adresse uni-
quement au journaliste magyar qui a laissé passer des bévues assez graves. P. 408.
Ce n'est pas Anyos le poète élégiaque, qui a traduit La Calprenède et Marmontel,
mais bien Alexandre Barôczy (1733-1809) membre de VEcole française; Péczeli,
le traducteur de la Henriade, de Zayre et d'yl/f ire, n'a pas enseigné la théologie: il
était pasteur à Komârom. Page 438. Parmi les chefs de la Conjuration Martinovics,
Laczkovics n'était certainement pas « le plus remarquable ». C'était Hajnoczy, ce
qui est suffisamment prouvé aujourd'hui par les études de Fraknoi, Concha, et
G. Ballagi, parues après la première édition de cette histoire. Mais ces taches légères
n'ôtent rien à la haute valeur de ce volume qui reste toujours le premier — et jus-
qu'ici le seul — essai considérable d'une histoire du peuple hongrois écrite d'après
les sources magyares. Les nombreuses illustrations et fac-similés plairont au grand
public, comme aux historiens. — Le second volume est une Histoire de la littéra-
ture hongroise par A. Horvath, C.Kardos et A. Endrôdi, adapté par J. Kont, avec
une Préface de M. Gaston Boissier. (xn-420 pages, avec 20 planches hors texte et
95 illustrations dans le texte). Cette histoire de la littérature depuis les origines
jusqu'à 1867, se divise en quatre parties: les deux premières {Moyen dge et Renais-
sance ; La réforme et les luttes nationales ; la Décadence) sont un abrégé du livrede
M. Horvâth annoncé dernièrement 'Cf. Revue critique, 1900 n° 16); la troisième,
de 1772 à 182 5, est détachée du livre de M.Kardos : A magyar s^épirodalum tœrténete
(1892) et la dernière, la plus importante, traitant la Hongrie moderne (1825-67) est
une adaptation du volume de M. Endrôdi : La littérature de notre siècle. ;Voy. Revue
cri7. ibid.).Une bibliographie française de la littérature hongroise est ajoutée à cette
belle publication, qui permettra au publicfrançais de faire plus ample connaissance
avec une littérature peu connue. « Il est utile, dit M. Gaston Boissier, que nous
puissions mesurer à la fois les progrès que la vie matérielle et la vie de l'esprit ont
accomplis chez les Hongrois dans ces dernières années. Je ne doute pas que ce livre
où ils nous initient aux œuvres de leurs poètes, de leurs romanciers, de leurs histo-
riens n'obtienne, auprès des gens de goût, le même succès qu'auprès du grand
public le palais où ils vont étaler les merveilles de leur industrie. » — Z.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23,
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 31 — 30 juillet — 1900
Odyssée, IX. p. Nairn. — Dareste, Haussoullier, Th. Reinach, InscriptioNS
juridiques grecques, 11, i. — Brcgmann, Grammaire grecque. — Lucien, p. Som-
MERBRODT, 111. — Drlmann, Histoirc de Rome, 2« éd. — Scpoenbacu, Les anciens
Minnesinger. — Roessner, Henri de Morungen. — Engel, L'École latine de Stras-
bourg. — Lipps, Le comique et Thumour. — Betz, La littérature comparée. —
CossA, Histoire des doctrines économiques. — Bérard, L'Angleterre et l'impé-
rialisme — Eni. Michel, Essais sur l'histoire de l'art. — Académie des inscrip-
tions.
The Odyssey of Homer, book XI, edited with introduction, notes and appendices,
by J. A. Xairn. Cambridge, University Press, 1900. xxxvi-92 p. {Pitt Press
Séries) .
Le chant XI de ÏOdyssée est le quatrième publié dans la collection
intitulée Pitt Press Séries, qui comprenait déjà les chants IX, X et
XXI. Ce volume renferme, suivant la méthode généralement adoptée,
une introduction, le texte, l'annotation; sept appendices très courts
touchent à différents points de la gramniaire et de la versification ho-
mériques ; et quelques notes critiques se rencontrent çà et là parmi
les notes explicatives. Le texte diffère du texte vulgaire dans une quin-
zaine de passages, M. Nairn préférant, même dans le cas de l'accord
des manuscrits, les formes plus spécialement homériques ; par exemple
II TrovtoTTopsjjr,:; ; 61 j-vo; d'après Stobée, pour o'voq, parce que le F
serait négligé dans ce dernier mot (ce n'est pas cependant une raison
suffisante) ; pour le même motif 207 'V.eXov ax-.f, pour ay.tT, e'.'xôXov (M. N.
semble ignorer que cette transposition a été proposée par Bentley)';
49, 88, 232 £aov pour î'.wv; 147 -/.'îâa:; pour y.vi Èîî. On voit par ce der-
nier exemple que M. Nairn n'est pas choqué par la diectase; il con-
serve en etfet 12 T/.'.ôtovTo, 292 âÇeXâav, 363 e'cropôcovTs;, etc. ; c'est trop
de respect pour la tradition. Les notes, bonnes en général, sont peut-
être trop sobres. L'introduction comprend une brève dissertation sur
le monde souterrain d'après Homère, et, sous le titre de Grammaire,
un résumé suffisamment exact des formes épiques.
Mv.
I. Mais pourquoi alors M. Nairn conscrve-t-il 363 oô Tt a'èiTxoacv ? — Lire 335
65ï (au lieu de oxe), 442 iji7i8£ (jjlt.S'), 543, oït, (o"t,).
Nouvelle série L. 3*
82 REVUE CRITIQUE
Dareste, Haussolllier et Reinach, Recueil des inscriptions juridiques grec-
ques. Deuxième Série. Premier fascicule, Paris, Leroux, 1898.
MM. Dareste, HaussouUier et Reinach, ont eu l'excellente idée de
donner une suite à la première série de leur recueil. Le dernier fasci-
cule qu'ils ont publié contient les documents que voici :
1° Loi de Dracon sur le meurtre. On sait que cette loi nous a été
partiellement conservée par une inscription qui date de Tannée 409; 8.
Mais c'est à peine si quelques lignes peuvent en être déchiffrées au début;
le reste a presque entièrement disparu. Heureusement les citations
qu'en font les auteurs, notamment Démosthène dans ses plaidoyers
contre Macartatos et contre Aristocrate, permettent d'en combler les
lacunes. MM. D., H. et R., acceptent en général les jestitutions pro-
posées parleurs devanciers, mais ils en présentent aussi deux] ou trois
qui leur sont personnelles. Dans leur commentaire, ils élucident avec
beaucoup de précision toutes les difficultés d'un texte qui n'est pas tou-
jours clair ; puis ils examinent les modifications que la loi de Dracon a
subies ultérieurement.
2° Loi d'Ilion contre les tyrans et l'oligarchie. Elle fut rendue
probablement en 281 par le parti démocratique, revenu au pouvoir
après l'expulsion d'un tyran, et elle a pour objet de prémunir le
I régime actuel contre un retour offensif de ses ennemis. Les peines
qu'elle édicté sont d'une extrême sévérité, et on les a ingénieusement
rapprochées de celles qui figurent dans nos lois révolutionnaires. Les
commentateurs y ont joint une étude des lois analogues qui existaient
à Athènes et dont la principale est reproduite dans un discours
d'Andocide.
3° Testaments ordinaires et donations à cause de mort. On a groupé
sous ce chef cinq documents : le testament (ou donation 1 de Saotis, de
Pétélia, le dépôt-testament de Xouthias à Tégée, le testament d'un
anonyme de Dodone, celui d'Alkésippos découvert à Delphes, et la
donation à cause de mort, d'Aristodamas de Corcyre.
4° Fondations testamentaires. Ce sont le testament d'Épictétia de
Théra, celui de Diomédon de Chics, et celui de l'Agasicratès de
Calaurie.
5° Donations entre vifs. On trouvera ici la constitution de terres
accordée par le roi de Macédoine Cassandre à Perdiccas, la contribu-
tion faite à Corcyre par Aristoménès et Psylla d'un capital destiné à
des représentations théâtrales, un fragment de décret relatif à une do-
nation faite à la ville de Leucade, et une donation d'Halicarnasse,
offrant de grandes analogies avec celles de Thèra et de Cos, avec cette
différence toutefois qu'elle a lieu par acte entre-vifs.
6" Décret du sénat Athénien (iv« siècle), concernant un certain
Sopolis qui était débiteur de l'Etat.
il
d'histoire et de littérature 83
7" Jugements d'Erésos contre des tyrans. C'est une sorte de dossier
renfermant une partie des pièces qui ont trait aux procès dont
furent victimes les tyrans d'Erésos pendant le iV siècle.
On voit par cette simple énumération l'intérêt qui s'attache à ce fas-
cicule. Mais ce qui en fait surtout la valeur, c'est l'interprétation que
donnent de ces textes les nouveaux éditeurs. Les qualités qui distin-
guaient le premier volume apparaissent toutes ici au même degré.
MM. Dareste, Haussoullier et Reinach n'ont pas la prétention de tout
éclaircir; il y a des cas où ils avouent eux-mêmes que la difficulté est
insoluble. Mais, sauf un petit nombre d'exceptions où le doute est
commandé parla prudence, on est sûr de rencontrer chez eux le com-
mentaire le plus exact, le plus substantiel et en même temps le plus
sobre des documents qu'ils étudient. Ils disent tout ce qu'il faut dire,
et ils ne disent rien de plus. A une connaissance très précise de la
langue grecque ils Joignent un sens juridique très sûr, et ils rehaus-
sent le mérite de leurs observations par une exposition claire, ferme et
méthodique, qui fait de chacun de ces morceaux un véritable modèle.
Paul GuiRAUD.
Brlgmanx. Griechische Grammatik (Lautlehre, Stammbildungs — und Flexions-
lehre und Syntax , 3''éd. Appendice : Griechische Lexicographie, par L. Cohn.
Munich, Beck, 1900; xix-632 p. (Handbuch der klassischen Altertuniswissens-
chaft, herausgg. von hvan Millier, t. 11, if* partie.)
Comme la grammaire latine de Stolz et Schmal?:, dont il a été parlé
ici même (5 février 1900), la grammaire grecque de Brugmann, main-
tenant un volume à part, a reçu des développements considérables ;
comparée à la première édition (i885 ; 2^ éd. 1889 , la troisième est un
ouvrage nouveau ou peu s'en faut. Le nombre des pages montre à lui
seul quels progrès ont été accomplis; en regard des i25 pages de la
première édition, celle-ci en a 574; chaque partie prise à part avait,
la phonétique 37 pages, la morphologie 44, la syntaxe 3i ; elles ont
respectivement aujourd'hui i 37, 2o3 et 206 pages. Il est inutile d'ajou-
ter que la bibliographie a été soigneusement mise au courant. M. B.
n'a pas modifié son point de vue primitif : il s'est proposé, encore
maintenant, non pas de recueillir au complet le matériel qui doit
servir à une étude de la langue grecque ancienne — les bonnes gram-
maires, de même que les ouvrages récents sur les dialectes anciens,
suffisent pour cet enseignement — mais bien plutôt d'expliquer et de
faire comprendre scientifiquement les phénomènes de la langue, con-
formément à l'état actuel des études linguistiques. L'ouvrage est donc
plus qu'une grammaire, et a une portée plus haute ; il ne faudrait pas
se laisser induire en erreur par ce titre simple de Griechische Gram-
matik, et l'auteur, si du moins je ne me trompe pas sur sa pensée, a
84 REVUE CRITIQUE
composé, en réalité, une « Grammaire grecque à Tusage des philolo-
gues. » Les auteurs de grammaires grecques, chez nous, semblent
peu familiarisés avec les études linguistiques ; dans des concours aussi
élevés que ceux d'agrégation, les connaissances linguistiques que peu-
vent avoir les candidats leur sont le plus souvent un bagage inutile,
sous le prétexte spécieux que les professeurs de renseignement secon-
daire n'ont pas à donner un enseignement de cette nature. Par suite,
les professeurs, dans les universités, soucieux avant tout du bien de
leurs élèves, négligent ou peu s'en faut cette importante partie de la
grammaire, au grand dommage des études supérieures. C'est être
volontairement trop superficiel. On peut évidemment être bon hellé-
niste sans être linguiste, et je suis loin de prétendre qu'il faille savoir
les langues congénères pour savoir le grec; mais on ne saurait nier
que la connaissance d'une langue ancienne ne soit singulièrement
élargie et précisée pour celui qui sait en même temps la composition
des mots, la valeur primitive des formes, l'origine et le point de départ
des tournures. 11 est toujours bon de connaître un outil avant d'en
étudier le maniement; or ce sont des ouvrages comme cette gram-
maire qui donnent cette connaissance ; ils donnent la raison des
choses que les grammaires courantes se bornent à enregistrer. Une
telle conception de la grammaire pourra cependant ne pas sembler
justifiée de tout point. Si l'étude des mots dans leur origine, dans la
combinaison de leurs éléments et dans les lois même de leur consti-
tution est indispensable, il n'est peut-être pas sans danger d'appliquer
la même méthode à l'étude de la proposition. Une langue comme le
grec, au v^ et au iv« siècle, à l'époque pour laquelle nous avons les
meilleurs modèles, exprimait les pensées d'une façon qui pour nous
est définitivement fixée, à l'aide du matériel de mots et de formes dont
elle disposait alors. La grammaire constate cet usage et formule les
règles. Mais les fonctions des mots et de leurs formes, telles que les
constate la grammaire, sont loin d'être les mêmes qu'à une époque
antérieure, et encore plus loin d'être les fonctions primitives. L'étude
linguistique en découvre la genèse : elle est alors portée, malgré elle,
à vouloir faire de cette découverte la clef de toute connaissance, et à
trouver dans la langue classique la répercussion nécessaire des sens
et des constructions originelles. On en arrive à étudier la prose
grecque, par exemple, avec l'idée d'y retrouver l'usage imposé par la
nature des formes, sans s'apercevoir qu'on fait souvent violence à la
langue. La théorie du mécanisme primitif ne saurait prévaloir contre
l'usage dûment constaté, et l'observation, si elle n'est pas d'une absolue
indépendance, court risque d'être faussée dès le début; que seront
alors les conséquences? La théorie des fonctions primitives des
formes grecques prédomine trop, peut-être, pour l'explication des
faits de syntaxe, dans la grammaire de M. Brugmann ; et à ce point
de vue encore, elle est essentiellement une grammaire pour les philo-
D^HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 85
logues; ceux-ci trouveront amplement matière à discussion dans
certaines théories plus linguistiques que grammaticales, notamment
en ce qui concerne certains points de la syntaxe du verbe. L'ouvrage
n'en est peut-être que plus précieux : nul helléniste, à moins d'igno-
rer l'allemand (mais en est-il encorechez nous?) ne devra s'en passer.
— L'appendice sur la Lexicographie grecque est dû à M. Léop. Cohn ;
le chapitre III, qui renferme la théorie, est particulièrement instruc-
tif; on y trouve résumées les vues de Passow, de G. Hermann, de
F. -A. Wolf, de K.-E.-A. Schmidt, sur la confection d'un Thésaurus
totius grœcitatis qui réponde à toutes les exigences de la science
actuelle; et l'auteur expose dans les dernières pages comment il com-
prend lui-même l'exécution et la composition d'un aussi vaste travail.
Mais verrons-nous un monument de ce genre? En attendant il va être
fait pour le latin.
Mv.
Lucianus, recognovit J. Sommerbrodt. Vol. III. Berlin, Weidmann, 1899;
x-3o6 p.
Le troisième volume du Lucien dt M. Sommerbrodt renferme 19
opuscules ; c'est la série qui dans les œuvres complètes s'étend du Bis
accusatus au Navigium, à l'exception du Pseudologista. Le texte est
suivi, comme dans les volumes précédents, des leçons des manuscrits
comparées avec l'édition Teubner, et de notes critiques. Ces notes
sont elles-mêmes suivies d' emendanda^ et de l'invitation que nous
avons déjà vue dans la seconde partie du second volume : « Sicubi
textus discrepat ab adnotatione critica rogo prœferatur adnotatio. »
Elle n'est pas moins nécessaire ici, car il y a encore trop fréquemment
à rétablir le texte conformément à l'annotation. La lecture du texte et
des notes critiques suggère des observations analogues à celles que j'ai
déjà faites (V. Revue des 4 février 1895 et 12 juillet 1897). M. S. se sert
avec bonheur des manuscrits pour retrouver souvent la bonne leçon ;
plusieurs des corrections qui reposent uniquement sur son interpréta-
tion ne sont pas moins bonnes ; d'autres au contraire sont discutables,
et quelques-unes me paraissent franchement inadmissibles, parce qu'il
n'y a aucune raison pour modifier le texte de Lucien. M. S. comprend
alors à sa façon, et refait le texte ; on peut aller loin dans cette voie, et
quand le texte est explicable dans sa forme traditionnelle, sans qu'il
soit besoin, pour le comprendre, de forcer le sens ou d'imaginer des
constructions insolites, on nuit à un auteur en revêtant sa pensée d'une
forme qu'il ne lui a pas donnée. On ne saurait trop, à mon avis, dé-
fendre les anciens contre les abus de la critique. M. S., cependant,
pour les morceaux de ce volume, me semble avoir été beaucoup plus
prudent, et s'être laissé moins entraîner par ses vues personnelles ; on
86 REVUE CRITIQUE
rencontre quelques remarques de ce genre : Telle lecture semble meil-
leure, mais j'ai préféré ne rien changer au texte. Venons à quelques
détails. Bis. ace. 4 TzpoziOi'/xi..,. ■?, OiXst; rpoaYY£'.Xôjij.£v (lire -yîO.ojjjlîv! est
excellent, au lieu de TrpoTiOîijLcv.., ■7z%py.-i-(i\ryj'xz^/, de môme que Navig^. 4
%av'!co pour È7râv£[|jL'., dans la même construction, familière à Lucien.
Anach. 16 [j-ôvo; est supprimé avec raison. Rhet. prœc. 4 r] yâp vaut
mieux que il vàp, quoique 1'. yâo (Dind.-Didot) puisse être préféré ; id.
5 avOpw-07 du Marcianus 436 est meilleur que à'jjiTropov. On trouvera
jolie la correction certaine 'j-h tw <\ifjoo -rsTaYijiévwv au lieu de (j-o tô
'\>t~jcoz,Adv.iniioct. 20. L'optatif est restitue à juste titre au lieu du futur
en plusieurs passages, par exemple Herc. 7, Adv. indoct. 7. En réa-
lité, le texte est souvent amélioré soit par de nouvelles leçons des ma-
nuscrits, soit par des corrections dues en partie à M. S., en partie à
Cobet, que M. S. qualifiait naguère de vir Lucianisshnus . Mais M. S.
court grand risque de n'être pas approuvé dans ce qui suit. Rhet.
prcec. 3 iTZiiir^Tt^ tt, ày.pa -/.aï alpr^aEc; où y.a[ji.à)v, etC II écrit alp/jffîtî
Toù; Y^l^'^'-'î? voici pourquoi : atp-/,(T£'.; manque de régime; où xajjiojv est
superflu, parce que ce dont il est question ne peut s'acquérir qu'avec
beaucoup de peine, comme il est dit à plusieurs reprises; le prix pro-
posé est, dans tout le morceau, le mariage avec la rhétorique. Mais
TO'j; Y^I^o'-"? est ici incompréhensible, attendu qu'on ignore, dans tout
ce qui précède, qu'il peut s'agir de cette union^ la rhétorique n'étant
représentée sous la figure d'une femme que beaucoup plus loin ;
alpy^aî'.î peut s'entendre absolument : tu obtiendras (ce que tu désires);
enfin le rhéteur dit au contraire, expressément et en termes répétés,
nous te conduirons non par une route pénible, mais par un chemin
agréable, facile, où tu n'éprouveras aucune fatigue ; où xaiji.u)v est donc
nécessaire. De domo, 2 3 TraoeXôôvxe xà SacrîXsia xaî Xa6ôvT£ oovîùo'j^tv auioco
tôv AtYiorOov. Un des deux participes est de trop, dit M. S., et il écrit
XaôôvTs xà paaîXsia. Je ne vois pas comment TrapîXOsTv et XaOsTv font double
emploi, et je doute qu'on accepte XaOôTvxà j3. ; on serait plutôt en droit,
si l'on juge une correction nécessaire, d'exiger TrapïXOsIv U. De Electr.
3 àviTiXaTTOv oaa xa; ola ^p/j(T0[JLai aùxil). M. S. corrige £tç o<ja, en comparant
Xénoph. Cyrop. 8, 8, 9 o-w;oXrj ttI T,;jLépa ypwi-rj i; xà; rpâ^st;. H n'ignore
pourtant pas que ces pronoms neutres ne se construisent pas comme
les substantifs : h est indispensable avec TToà^s-.;, mais inutile avec oia.
Id. 6 [j«.Y,8£v TTpoaSoxrjarjc. M. S. propose \j.r\ [xyfivi.^ ce qui subordonne la
proposition à TtpoXÉYOj, mais de quelle nécessité ? ,ur; n'est d'ailleurs pas
dans le texte; ahtâar, qui suit est un indicatif futur, non un subjonctif
aoriste. Philops. I o'i aùxo avs-j tt,; /p£''a; tô '^z'joo:; r.tp\ TtoXXoô f^c
àXr^ÔEÎa; TÎOsv-ra-. ; c'est le texte des manuscrits, sauf aÙToî Vatic. 87 et
Ttpo TroXXoù Vatic. 87 et 90. M. Sommerbrodt a été séduit par aù-roî,
d'eux-mêmes, sponte sua (bien qu'avec ce sens ave.» Tf,; /p^fa; semble
une redite, et qu'au point de vue paléographique on s'explique mieux
aù"ro( corrompu de aù-cô par le voisinage de o'- queaÙTÔ de aùxoîj ; le texte
d'histoire et de littérature 87
vulgaire me semble pourtant bien préférable : le mensonge pour lui-
même, sans besoin, comme nous disons « mentir pour mentir ». Il
lit ensuite -pô -oXXoô et supprime -rr,? âXr^ôï-a;, estimant que ces mots
sont de trop et se suppléent d'eux-mêmes. Je les crois au contraire
indispensables, non pour le sens, mais à cause de l'allure générale de
la phrase. Il est vrai que ce génitif est en Tair ; mais je ne serais pas
éloigné d'admettre une confusion entre deux lectures, étant donné sur-
tout que dans le Vatic. 90 ^po ttoàXo'j est au-dessus de la ligne, et qu'on
doive lire alors r.zpl r.oXXo~j -koo t-Tjç àXï.Oîîa;. Une pareille manière de
s'exprimer n'est pas inconnue: Platon, Crit. 54 b [xr, raloa; -nepî ttXe-ovo;
-o'.oj TToô Toj o'.-/.a(o'j, — L'impression est notablement plus soignée que
dans les volumes précédents; s'il y a encore beaucoup de fautes dans
les notes critiques, il n'y en a que fort peu dans le texte. C'est d'un bon
augure pour les volumes qui suivront ',
M Y.
DRUMANN,Geschichte Roms in seinem Ubergange von der republikanischen
zur monarchischen Verfassung oder Pompeius, Caesar, Cicero und ihre
Zeitgenossen. Z\v. Auflage herausgegeben von P. Grœbe. Erster Band. — Ber-
lin, Verlag von Gebrûder Borntraeger, 1899, 10 mark.
On sait le plan singulier que Drumann a adopté dans cet ouvrage.
Au lieu de donner un récit suivi des événements, il a écrit la biogra-
phie de tous les personnages qui ont pu y prendre part et il les a ran-
gés sous forme d'un dictionnaire. Il est aisé d'apercevoir les défauts
d'un pareil procédé; il expose notamment à des redites continuelles.
Le volume qui vient de paraître dans la nouvelle édition contient
les ^Emilii, les Afranii, les Annii, les Antistii, et les Antonii. Natu-
rellement l'étendue de la vie de chaque individu est en rapport avec
le rôle qu'il a joué; de là vient que le triumvir Marc Antoine occupe
à lui seul 334 pages sur 396.
M. Grœbe s'est interdit toute modification dans letexte de D. ; il n'a
fait porter son travail de révision que sur les notes, et il s'est acquitté
de cette tâche avec beaucoup de soin. Les textes anciens y sont cités
d'après les meilleures éditions et la bibliographie est au courant.
Toutes les additions sont placées entre crochets. On a rejeté en appen-
dice (p. 399-404) celles qui étaient trop étendues pour être insérées
I. P. 68, 1. II sjxw ; 6(), lô 4>siiTr.-^ôvT, ; 86, 25 «J/sôoo;; 90, i en bas tov circonflexe
(lire TÔv); 92, 4 aiX^ixa ; 114, 23 tivw '.vaiAêcioiv (t'.vojv îatxS.) ; 176, 25 iis ^lire tî).
Dans un assez grand nombre de mots où une voyelle initiale porte à la fois l'accent
et l'esprit, ce dernier est tombé, par exemple 1 19, 2 ôîa ; cf. 5o, 2 i ; 5i, 10 jSg, 14;
92, 3, II et i3; 118, 8; 09, 9 et 18; 186, i3; etc. Quelques a ne sont que des
moitiés d'w, ce qui fait un effet désagréable : 67, 14; 68, i en bas; 187, 12. Dans
la table, p. ix ÔESâTy-aXo; et -cst -oO a^ niT-î-Jeiv,
88 REVUE CRITIQUE
dans le corps du volume. Quelques unes sont de petites dissertations
sur des points spéciaux.
Ainsi rajeuni, l'ouvrage de Drumann rendra encore des services.
C'est un immense répertoire défaits et de textes patiemment groupés et
sérieusement étudiés. Il est fâcheux seulement que les jugements de
l'auteur soient parfois peu équitables.
P. G.
Anton E. Schœnbach. Beitraege zur Erklaerung altdeutscher Dichtwerke.
Erstes Stûck. Die œlteren Minnesœnger.Sitzungsberichte der Kais. Akademie der
Wissenschaften in Wien ; Band CXLI. Vienne, Caii Gerold's Sohn, 1899, in-S,
r54 pp.
Dr Otto Rœssner. Untersuchungen zu Heinrich von Morungen. Ein Beitrag
zur Geschichte des Minnesangs. Berlin, Weidmann. 1898. In-8, 96 pp.
2 mk. 40.
Henri de Morungen est l'un des plus originaux, sinon le plus ori-
ginal des Mmnesinger. A ce titre, il mérite d'être étudié, et toutes les
tentatives faites pour éclairer son œuvre poétique et percer le mystère
de sa destinée sont assurées d'être accueillies avec un vif intérêt.
Ce n'est pas à Henri de Morungen seulement que M. Schônbach a
consacré ses Contributions^ mais aux anciens Minnesinger (les ano-
nymes et les 17 premiers poètes du MSF.j, dont il a interprêté, avec sa
pénétrante sagacité et son surprenant savoir, les passages obscurs ou
mal entendus. C'est une critique de texte serrée, savante, ingénieuse,
qui aboutit, grâce aux connaissances spéciales de l'auteur en matière
de littérature religieuse et juridique, à des résultats nouveaux et inté-
ressants.
M. Rôssner s'est proposé un autre but que M. Sch. Il ne s'est pas,
sauf quelques heureuses exceptions, préoccupé d'expliquer le sens des
poésies de Morungen; il a essayé de jeter quelque lumière sur la vie
de son auteur, notamment sur sa vie amoureuse, et de découvrir le
rang et la personnalité des femmes avec lesquelles ses poésies permet-
tent de croire qu'il s'est trouvé en relations d'affection. Comme M. R.
n'a d'autres éléments d'information que les œuvres de Morungen, il
est contraint d'admettre que pour Morungen la poésie est une traduc-
tion de la réalité et que ce sont de véritables liaisons qui lui ont
fourni le motif de ses chansons.
Cette théorie de la réalité des faits dans le Minnesang paraît avoir
fait son temps, et il est assez piquant de constater que M. Sch., dont
le nom se trouve, dans cet article, associé à celui de M. R., après en
avoir été l'un des plus vigoureux partisans, est venu à l'opinion con-
traire, non sans dire les raisons de son évolution (cf. Die Anfœnge
des deutschen Minnesangs, Graz, 1898, p. 120 sqq.). M. R., il est
vrai, ne méconnaît pas le caractère aventureux de ses déductions et
d'histoire et de littérature 8o
c'est avec précaution qu'il s'avance sur le mouvant terrain de Thypo-
thcse. Une fois engagé, il a été cependant jusqu'au bout et il a résolu-
ment identifié la dame de Morungen. Pour arriver à ce résultat, M. R.
n'a pas reculé devant beaucoup de suppositions et quelques opinions
contestables. C'est ainsi qu'il dit, p.-24sqq., que le Af/w/ze^sa»^ n'inté-
ressait le public que parce que le sujet de ces poésies était emprunté à
la vie réelle. Comment alors s'expliquer le succès des poètes de pro-
fession, dont les oeuvres, comme M. R. le reconnaît lui-même, au
moins pour une partie d'entre elles, p. 1 6 sq., étaient de pure fiction ?
Comment se fait-il aussi que Morungen, qui, selon M. R., est un
de ceux qui ont fait passer le plus d'incidents vécus dans leurs poésies,
paraisse justement avoir été si peu apprécié de ses contemporains,
dont aucun ne cite son nom ?
Si je ne crois pas à la théorie de M. R., je crois à son intelligence et
à sa conscience. Il a étudié avec attention les œuvres de Morungen.
Son livre, bien documenté, clairement écrit, apporte des vues nou-
velles sur certains points importants. Il me paraît notamment avoir
mis hors de doute que Morungen jouissait d'une situation considérée
à la cour du margrave Dietrich de Misnie et qu'il a subi profondément
l'influence de l'antiquité classique (fait également signalé et démontré
par M. Schônbach, p. i5i de ses Beitrœge).
Quelques taches légères n'enlèvent rien à la valeur du livre de M. R.
Dans sa bibliographie, M. Rôssner omet parfois la date de publica-
tion des ouvrages cités'.
F. Piquet.
Charles Engel. L'École latine et l'ancienne Académie de Strasbourg (i538-
1621), avec une notice biographique par Rod. Reuss. Strasbourg, Schveickhardt
et Schlesier, Paris, Fischbacher. 1900, xvii, 3 18 p. in-i8. Prix : 5 fr.
Nous avons rendu compte autrefois, dans \di Revue du 22 avril 1895,
du quatrième volume des Statuts et privilèges des Universités fran-
çaises de M. Marcel Fournier, qui renfermait les pièces relatives au
Gymnase, à l'Académie et à l'Université de Strasbourg, de i538à
1621. M. Fournier avait eu pour collaborateur à ce volume, M. Charles
I. A la p. 6, n. 3, il dit qu'on ne trouve fntot dans le Minnesang que'chez
Dietmar(39, ii)etVeldeke (60, 17}. Vcldeke emploie /ri/o< au moins en quatre
autres endroits ; 60, 25; 61, 25 ; 61, 33 ; 65. 27. — M. Rœssner écrit le nom de
Veldcke de trois façons différentes : Veldagge (p. 6, n. 3, p. 63, n. 3 de la p. 62),
Veldegge (p. 60, n. i;, Veideke (p. 80, n. i). — Il y a une erreur de citation à la
p. 52, où une chanson à danser de Veideke est citée MSF., 62, i5 sqq. — A la
p. 95, la reproduction de la strophe 2 du ton 143, 22 présente une erreur de ponc-
tuation importante. Le point d'interrogation qui, dans MSF. se trouve à la fin
du vers 33, devrait avoir été place par .M. R. (v. la note i de la p. 48) à la fin
du V. 36, où se trouve un point simple.
^O REVUE CRITIQUE
Engel, professeur au Gymnase protestant, auteur de plusieurs excel-
lents mémoires sur Thistoire de l'enseignement primaire et secondaire
en Alsace, au moyen âge et au xvi* siècle. M. E. s'était proposé dès
lors de mettre en œuvre lui-même les matériaux réunis grâce à son
concours, et il avait commencé, dès 1896, à publier dans la /^ei'we
internationale de renseignement une Histoire de VEcole latine et de
l'ancienne Académie de Strasbourg, jusqu'à son érection en Univer-
sité de plein exercice (1621). La maladie, puis une mort prématurée,
arrêtèrent l'apparition des derniers chapitres, en 1898; mais ils ont
été retrouvés dans ses papiers et les aniis du défunt ont pensé qu'il
serait regrettable de ne pas conserver dans la littérature alsatique, un
travail aussi consciencieusement établi sur les sources, par un his-
torien compétent entre tous. Ce petit volume renferme, en effet, un
tableau fidèle et détaillé de l'activité du grand humaniste Jean Sturm,
l'organisateur de la Schola Argentinensis et son chef pendant qua-
rante années ; appréciant équitablement les avantages et les défauts de
sa méthode scientifique, il nous raconte ses luttes violentes contre
l'orthodoxie luthérienne, qui finit par le faire déposer de ses fonctions
de recteur de l'Académie. Nous trouvons aussi la description vivante
de la vie académique d'alors, celle des professeurs comme celle des
étudiants; à tous ces titres, il intéressera les historiens autant que les
humanistes, et les pédagogues autant que les amateurs d'alsatiques.
On a joint à la substantielle étude de M. Engel une courte notice
biographique sur le savant modeste et le professeur émérite, qui,
pendant près de trente-six ans. consacra ses aptitudes pédagogiques
toutes spéciales à l'enseignement secondaire libre en Alsace, soit à
Bischwiller, soit à Strasbourg, et dont le zèle scientifique promettait
d'ajouter encore de nouveaux travaux de valeur à ceux qu'il avait déjà
fournis.
R.
Theodor Lipps. Komik und Humor. Eine psychologisch. aesthetische Unter-
suchung (Beitracgezur Aesthctik, VI). Hamburg und Leipzig, Woss, 1898, in-8
de viii-264 p.
Les premiers chapitres de cet ouvrage, qui est le remaniement
d'études antérieures con?,2icrées klSi Psychologie du comique, se préoc-
cupent surtout de discuter tout ou partie des définitions et des explica-
tions de Hecker, de Hobbes, de Groos, de Kraepelin et de divers
autres esthéticiens. Après ce préambule destructif, M. Lipps, — sou-
cieux d'éviter le procédé employé par la plupart de ses devanciers, qui
cherchèrent à définir ou à « décréter » l'essence du sentiment du
comique plutôt que d'analyser d'abord les a objets » reconnus co-
miques,— examine les diverses variétés de comique: d ingénieuses
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE QI
analyses distinguent entre le comique objectif, le comique subjectif, le
comique naïf, pour aboutir à cette détinition p. 99) : « Le sentiment
du comique... naît toutes les fois que le contenu d'une perception,
d'une représentation, d'une pensée, prétend ou semble prétendre à une
certaine élévation, et en même temps n'a point, ou ne semble point
avoir de droits à cette prétention. » Réductible malgré tout à des
définitions antérieures, la proposition de M. L.-doit une bonne part
de son intérêt au procédé d'analyse minutieuse dont elle est le résultat.
La troisième partie du livre cherche à déterminer, avec des distinctions
abondantes et parfois bien subtiles, les conditions et les lois du senti-
ment comique. Enfin, après une quatrième partie consacrée aux « sous-
variétés » du comique (et ces deux chapitres auraient fort bienpu être
organiquement fondus dans la deuxième partie), l'auteur aborde la
question de l'humour. Sa définition, trop exclusivement inclinée vers
l'acception que l'Allemagne depuis Jean-Paul s'ingénie à donner à ce
fuyant concept, oppose l'humour à une variété de comique qu'il a
définie du nom de comique naïf: l'humour apparaît chaque fois que
ce qui est relativement équitable, beau, raisonnable, se manifeste là où
nos idées habituelles ne nous le faisaient pas prévoir. Pour toute cette
dernière partie de son livre, il était naturel que M. L. abandonnât la
méthode dont il s'était servi dans sa deuxième division : il n'y a pas
d" « objets » humoristiques comme il y a des « objets » comiques, et
c'est d'un état d'àme ou d'une conception des choses qu'il fallait ici
s'inquiéter avant tout. On peut regretter cependant que M. Lipps n'ait
point usé d'un procédé d'induction analogue à celui qui l'avait aidé
auparavant : il consisterait à juxtaposer et à confronter deux idées,
deux réflexions, deux caractères analogues et presque identiques, mais
dont les uns appelleraient la désignation de comique^ les autres celle
d'humoristiqtie, et à déterminer quel élément nouveau impose, dans le
second cas, le second adjectif.
F. Baldensperger,
Louis P. Betz. La Littérature comparée, essai bibliographique ; introduction pan
Joseph Texte. Strasbourg, Triibuer, 1900, in-8° de xxiv-i23 p.
La Revue Critique a signalé déjà le précieux labeur de cet ouvrage ;
quant à son opportunité et aux servicesque rendra à l'étude comparée
des littératures cette collection de titres et de références, l'Introduc-
tion du regretté J. Texte les met en lumière d'une façon trop défini-
tive pour qu'il y ait Heu d'y revenir. Du moins le choix, l'organisa-
tion et le«groupement des matériaux réunis par M. Betz appellent-ils
quelques remarques.
Il est regrettable que cet Essai, abandonnant avec raison l'ordre
alphabétique par noms d'auteurs, adopté naguère pour sa première
q2 REVUE CRITIQUE
ébauche dans la Revue de Philologie française, ne se soit pas franche-
ment rallié à Tordre méthodique par sujets, ou au moins par époques
littéraires : c'est le seul qui soit vraiment inattaquable, celui que ne
pourra manquer d'adopter, Tenrichissement de la matière aidant, une
réédition de ce livre. L'ordre chronologique actuel disperse tout au
long des chapitres les travaux qui concernent un même sujet, sans
que VIndex alphabétique soit du moindre secours. J'imagine aussi
que l'ordre méthodique sera, tout naturellement, plus accueillant à
telles indications utiles, souvent absentes ici parcequ'elles ne consti-
tuent pas des numéros bibliographiques apparents. La leçon de Sainte-
Beuve sur la tradition en littérature' rentre nettement dans le chap. 1 1 ;
une étude d'H. Fortoul intitulée De l'art actuel ' a le tort de ne point
s'appeler Byronet Scott, et le romantisme français, car ce titre lui
aurait assuré une place au chap. IV. Il y a ainsi un certain nombre
d'omissions \ et aussi, inversement, d'adoptions injustifiées \ que ce
souci dominant de la rubrique significative suflfit à expliquer; et
l'énorme quantité des matériaux remués suffit aussi à les excuser \
Quant aux grandes divisions entre lesquelles M. B. a réparti ses ma-
tériaux, il est évident qu'elles ne concernent point toutes la littérature
comparée d'une manière également directe : il me semble qu'il faudrait
se garder de trop grossir, et les appendices consacrés aux Etudes lin-
guistiques et philologiques, qui ne sauraient souvent prétendre qu'à
une valeur d'indication, et les deux derniers chapitres, V antiquité dans
les littératures modernes, l'histoire dans les littératures, dont l'objet
se confond fréquemment avec celui d'études confinées dans les bornes
1. Caus. du Lundi, tome xv.
2. Revue Encyclop., i833, tome ltx.
3. Villemain se trouve à peine cité. Ne fût-ce qu'à titre de documents, plusieurs
des ouvrages ou des essais de Herder ne devraient pas être oubliés. Sismondi
mérite mieux que deux mentions presque indirectes. Je m'étonne de ne point
trouver des ouvrages traitant de l'évolution de certains types littéraires, comme
H. Tuick, Der géniale Menscli (lena, 1897), Léo Berg, Der Uebermensch in der
modernen Litteratur (Paris, Leipzig, Mûnchen, 18971, K. Engel. Die Don Juan-
Sage auf der Bùhne r)resdcn, 18S7).
4. R.-M. Sieycr, Swift und Liclitenberg {p. 47) est la réunion de deux études, et
non une étude comparative ; Balch, (p. 36) est la traduction d'un ouvrage intitulé
Les Français en Amérique pendant la guerre de l'Indépendance des Etats-Unis,
(Paris, 1872), qui n'a rien à voir avec la littérature comparée ; Harway, L'état de
la population d'origine française au Canada est d'un intérêt bien peu immédiat.
5. Quelques erreurs de détail : le feuilleton d'A. Filon, cité p. 37 est du 2 7 août
i8g5 ; lire Wright p. 38, Maack p. 5o; le travail d'.\. Haas (p. 92), s'appelle en
réalité Ucber den Einfluss der epicureischen Staats-und Rechtsphilosophie aufdie
Philosophie des 16. und 17. Jhdts. (Diss. Berlin, 1896). Wlislocki n'est point à sa
place p. 82; P. Dôring, Der nordischc Dichterkreis intéresse plutôt les relations
littéraires de l'Allemagne et de l'Angleterre que les littératures du Nord (p. 76);
lire Vetter, /'//..au lieu de F., p. 108, et ajouter : (Frauenfcld, 1894); p. xvi, lire
Jahresberichte, et non Jahrbuch [fur neuere deutschc Litteraturgeschichte).
d'histoire et de littérature g3
d'une même littérature. En revanche, il est à souhaiter que, par
ailleurs, les subdivisions se fassent plus nombreuses et'plus indépen-
dantes ; la littérature hongroise séparée des littératures slaves parmi
lesquelles elle s'est égarée; les Etats-Unis dissociés de l'Angleterre;
un chapitre attribué à l'influence celtique dans les littératures moder-
nes '; un autre à la Bible considérée comme révélatrice, à sa manière,
d'un mode littéraire d'orientalisme et de formes particulières de
pensée et de style " : tels sont les chapitres autonomes ou nouveaux
que devra nous donner un second remaniement de ce travail, qui, jadis
esquissé seulement dans la Revue de Philologie, aujourd'hui Essai^ne
peut manquer de s'appeler un jour Répertoire.
Nous souhaitons que dans l'inte.'-valle, ce livre, dont l'utilité est
déjà inappréciable, mais qui ne prétend point être complet ', s'enri-
chisse de tous les addenda qui pourront en faire un véritable cata-
logue de toutes les questions traitées par l'étude comparée des
littératures.
F. Baldensperger.
1. Cf. G. Paris, Tristan et Iseut R. d. P., i5 avril 1894), et tels chapitres de
l'Hist. litt. de la France.
2. Cf. J. Bonnet, La Poésie devant la Bible (Paris, i858), H. Henkel, Goethe und
die Bibel (Leipzig, 1890); J. Schlurick, Schiller und die Bibel (Leipzig, 189.^) et,
pour Shakespeare, les études de T. R. Ea'on, C. Wordsworth, C. BuUock,.!.
Bell, etc.
3. Voici quelques travaux — antérieurs à 1900 — dont Tomission doit être
signalée : chap. 111 : A, Béranger, Diderot et l'Allemagne {B. Un. 1868, t. Sa);
O. Wichmann, l'Art poétique de Boileaii dans celui de Gottsched {BerVin, 1879);
Becq de Fouquïtrcs, Lettres critiques sur A. Chénier (influence de Gessner) (Paris,
1881); P. Schlenther, Molière im Deutschen (Mag. i3 avril 1893); R. Schwill,
A. \V. Schlegel ilber das Theater der Fran^osen (Diss. Munchen, 1898); K. Levins-
tein, Chr. Weise und Molière fOiss. Berlin, 1899); — chap. IV: V. Hugo, Lord
Byron et ses rapports avec la litt. actuelle (Annales Romantiqnes, 1827-28); Thac-
ker^iy, Dickens in France (Every Saturday, 1867); M. Arnold, Fssays in Criticisin
iLondon, i88oj (Joubert et Coleridge); Swinburne, 7'ennyson and Musset (F. Rcv.
fév. 1881); H.-L. Traubel, 'Wliitman and Murger {Poct Lore, oct. 1894); —
chap. V : Gœtzinger, Ueber die Quellen der Bùrgerschen Gedichtc (Zurich, i83i);
Th. \'ctter, Der Spectator als Quelle der Discurse der .^At/cr l'raucnfcld, 1887);
A.-B. I-'aust, CSealsfield. der Dichter beider Hcmispitdren (Weimar, 1897:; Th. S.
Baker, Lenau and Young Germany in America (Diss. Baltimore, 1897); J. Mac-
kinnon, Carly^le and Goethe (dans : Leisure Hours in the Study, I.ondon, 1897);
Th. S. Baker, The Influence of L. Sterne upon German Literalurc (.\mcricana
Germ. 11, 4); C.-A. Behmer, L. Sterne und C. M. Wieland {D'iss. Mùnchcn, 1899);
— chap. VI : Anonyme, G. Hauptmann in Italien ('Mag. 7 oct. 1899;; N. Martin,
Platen et l'Italie dans : Poètes contemporains de l'Allemagne, Paris, 1860); A. Wil-
son, English Poets in Italy ;Macniillan Mag. 1862]; — chap. VII : J.-G. Under-
hill, Spanish Literature in the England of the Tudors (New-York, 1899^; •—
chap. XII : G. .\malti, Zwei oriental. Episoden in Voltaires Zadig'Zxschr . d. Ver.
fur Volkskunde, 1895, : passim, d'wcrs articles du Giobe.
54 REVUE CRITIQUE
Luigi CossA, Histoire des doctrines économiques (trad. française). Paris,
Giard et Brièrc, 1899. Prix : lot'r.
L'ouvrage de M. Cossa se divise en deux parties. La première est
purement théorique : l'auteur y étudie l'objet et les limites de l'éco-
nomie politique, ses divisions, ses rapports avec les autres sciences,
ses principaux caractères, sa méthode. La deuxième, beaucoup plus
étendue, est l'histoire des doctrines, depuis l'antiquité jusqu'à nos
jours. Comme il était naturel, M. C. insiste principalement sur la
période comprise entre le milieu du wm'^ siècle et les temps actuels.
Il voit dans le Tableau de Quesnay le premier effort qui ait été tenté
pour créer » un système déduit d'un petit nombre de principes et par-
faitement homogène » ; mais c'est à Adam Smith qu'il attribue l'hon-
neur d'avoir fondé la science économique. Il croit avec Roscher que
« tout ce qui a été écrit sur ce sujet avant lui peut-être considéré
comme une préparation à ses théories et tout ce qu'on a écrit depuis,
comme leur complément «. Il passe en revue les écrits des économistes
du xix= siècle, pays par pays, et non pas ^ce qui serait bien préfé-
rable] d'après les affinités qu'ils ont entre eux. Il se montre assez
sévère pour la France. Il estime que chez nous « l'économie politique
n'a plusl'estimedes savants et qu'elle setrouve dans des conditions peu
favorables si on la compare à la position élevée qu'elle conserve à l'é-
tranger». Il reproche surtout à l'école française « de faire de la science
la gardienne intéressée de l'organisation existante » et de s'opposer
« non seulement à l'ingérence bienfaisante ou dangereuse de l'Etat,
mais même aux plus légitimes manifestations de la liberté, lorsque
celle-ci par la formation de groupes spéciaux spontanés ou autonomes,
vient en aide à la faiblesse de l'ouvrier isolé et sans ressources devant
la force débordante de l'entrepreneur capitaliste. »
Ce livre est appelé à. rendre de grands services, comme instrument
de travail. La bibliographie est abondante et précise, bien qu'on y
puisse relever quelques omissions graves (par exemple le Traite'
d'Economie politique en 4 volumes de M. Leroy-Beaulieu). Les doc-
trines sont analysées d'une façon très sommaire, mais avec une exac-
titude suffisante, et les appréciations sont en général celles d'un esprit
judicieux et d'un homme compétent.
P. G.
L'Angleterre et l'Impérialisme par \'ictor Berard, i vol. iii-i8, p. 38i, A. Colin
cl Cic, 190U.
« Le phénomène le plus important de l'histoire récente en Angle-
terre, c'est la dirtusion du sentiment impérial jusqu'aux couches les
plus profondes du peuple britannique. » Ainsi s'exprime M. Bérard.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE yS
Il aurait dû dire que le développement de rimpèrialismc anglais est
l'un des phénomènes capitaux de l'histoire contemporaine du monde,
et sa pensée aurait été encore plus juste. M. B. a écrit plusieurs cha-
pitres de la genèse de l'impérialisme britannique. Il a beaucoup des
qualités nécessaires à cette tâche difficile et tentante : une profonde
connaissance documentaire de l'Angleterre moderne, un grand éclat
de style, qui rappelle Taine et certaines pages de M. Chevrillon, une
remarquable ingéniosité d'observation. Je lui reprocherai une ten-
dance marquée au simplisme qui facilite les oppositions saisissantes
et éloquentes, les métaphores hardies et les conclusions retentissantes,
mais qui n'est pas toujours conforme à une irréprochable méthode
scieniitiquc. En Angleterre comme ailleurs, les phénomènes sociaux
sont complexes et il est périlleux de ^'ouloir les résumer dans des for-
mules trop concises : on y court le risque d'être one-sided (l'homme
d'une seule vue;, comme disent les Anglais. M. B. l'est souvent.
Si l'on tombait dans le défaut que je lui reproche, on pourrait dire
que son livre renferme une série de ihèses simplistes, ingénieusement
posées et démontrées avec une richesse d'argumentation tout à fait
saisissante. Premier simplisme : « L'histoire anglaise n'est en somme
que la rivalité guerrière, puis politique de deux peuples, celui de
l'Ouest et celui de l'Est... Ce fut cette rivalité qui créa Birmingham,
puis qui fit son importance et sa fortune. »
Second simplisme : « La lutte séculaire entre le radicalisme du pays
noir dont Birmingham est le centre et comme la capitale, et la
« verte Angleterre y> normande et aristocratique, s'est terminée par la
victoire des Midlands » ; de cette victoire sont nés Chamberlain et
l'impérialisme. Troisième simplisme : L'incarnation du radicalisme
de Birmingham, c'est Chamberlain, et comme le radicalisme mène à
l'impérialisme, le « grand Joe » c'est l'impérialisme, etc.
On pourrait continuer ainsi tout le long du livre de M. V. B. et je
me hâte d'ajouter qu'on aurait tort : car sous cette apparence de syn-
thèse un peu trop catégorique, son ouvrage contient des chapitres
tout à fait instructifs et approfondis sur les faits eux-mêmes, envisagés
en dehors des thèses auxquelles ils semblent servir de soutiens: tels les
chapitres sur le développement du radicalisme anglais, sur la crois-
sance de Liverpool et de Manchester, sur la carrière politique et parle-
mentaire de Chamberlain, sur les mouvements commerciaux compa-
rés de la Grande Bretagne, de l'Allemagne et des Etats-Unis, etc.
M. B. cherche à employer dans son impétueux plaidoyer contre
l'impérialisme, l'argument qui devrait avoir le plus de prises sur des
esprits britanniques : l'argument des intérêts. Il s'évertue à prouver
qu'impérialisme et commerce ne peuvent aller ensemble, que la vic-
toire du jingoïsm de Birmingham sur le free tradc de Manchester,
(qui ne peut vivre que dans et par la paix , a déjà été, et sera
de jour en jour, le déclin de la suprématie industrielle de la Grande
96 REVUE CRITIQUE
Bretagne, que la//î/.s' grande Angleterre est la véritable ennemie de
l'Angleterre triomphante commercialement des cinquante dernières
années. Je ne sais si dans sa démonstration, presque véhémente et
d'ailleurs appuyée d'un très grand nombre de chiffres, tous ses argu-
ments portent également. M. B. invoque beaucoup de documents
émanant des Chambres de commerce pour en tirer la preuve de la déca-
dence, sur de nombreu.x marchés, des produits anglais. Il ne tient
pas suffisamment compte d'une tendance, à laquelle il fait cependant
lui-même allusion, celles qu'ont les intéressés, « à se plaindre toujours
un peu » (il faudrait dire beaucoup). Dans son tableau de la prospé-
rité sans cesse croissante des Etats-Unis et de l'Allemagne, qu'il
oppose comme redoutables concurrents d'avenir à l'Angleterre, il
n'évalue pas assez haut la puissance de consommation, également
croissante, des différents peuples. « Il n'y a jamais vraiment surpro-
duction de produits de grande consommation, dit avec raison un docu-
ment émané de la Chambre de Manchester : seulement on produit des
marchandises que le consommateur ne peut pas de suite payer. » Pour
que le consommateur puisse payer, il faut qu'il s'enrichisse en pro-
duisant lui-même des objets échangeables. De là le profit que l'un tire
de la prospérité de l'autre, comme J. B. Say l'a admirablement
démontré, contrairement au fameux adage de Montaigne. C'est là
un point de vue qui semble échapper trop souvent à l'esprit attentif
de M. B. La lutte pour le commerce n'a de commun avec la guerre
véritable que certaines apparences : ici plus on a de gros bataillons
contre soi, plus on peut leur fournir de produits, à condition de leur
offrir ce qu'ils demandent, et de leur acheter ce qu'ils fournissent à
bon marché. Un des dangers de l'impérialisme sera le renchérissement
des produits anglais par le surcroît d'impôts et de charges militaires
qu'il fera supporter à la mère-patrie. Là M. Bérard a raison détacher
d'ouvrir les yeux anglais et de leur rappeler les saines traditions de
l'école libérale.
Il a également raison de signaler parmi les causesdu développement
industriel de l'Allemagne, l'extension de l'enseignement scientifique, à
tous les degrés, dans ce dernier pays, et de l'opposer aux lacunes de
l'Angleterre sous ce rapport. Peut-être cependant est-il encore un peu
péremptoire sur ce point.
Il y a quelques années — le livre de M. Demolins est comme un
aboutissant et un résumé de ce courant d'opinion — on proclamait
que la supériorité des Anglo-Saxons venait en grande partie de leur
hâte à jeter la jeunesse dans l'action pratique, sans l'amollir et l'éner-
ver par une éducation scolaire trop prolongée et trop lourde. Aujour-
d'hui la thèse a changé. La supériorité des Anglo-Saxons n'existe
plus ; elle est détruite par la grandeur allemande, et précisément pour
les raisons dont on faisait la racine de leur soi-disant supériorité : les
lacunes de l'apprentissage scolaire en Angleterre. C'est là une des con-
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 97
clusions du livre de M. B. Je me détie beaucoup a priori de ces
systèmes catégoriques — et autant de l'optimisme de M. Demolins
que du pessimisme de M. Bérard.
Chaque peuple a son tempérament, ses traditions et ses procédés en
quelque sorte nécessaires. Les États-Unis que M. B. voit progresser
à pas de géant, usent de moyens tout différents de ceux de l'Allemagne
et ne réussissent pas moins. Depuis un siècle la France a toujours
voulu imiter un de ses voisins, d'abord l'Angleterre, puis l'Amérique,
puis l'Allemagne : elle y a éprouvé quelques déconvenues. Les em-
prunts de peuple à peuple sont dans une certaine mesure inévitables ;
le succès les impose, mais il ne faut pas vouloir remonter le courant
des mœurs ou des aptitudes séculaires. Une grande partie de l'impéria-
lisme britannique, M . B. le reconnaît, est faite d'impérialisme alle-
mand, et c'est la moins bonne partie qui a passé la Manche. C'est
presque toujours ce qui arrive dans les imitations internationales. On
prend l'étiquette ou les défauts, et on laisse les qualités. Cela nous est
arrivé avec le parlementarisme anglais et le militarisme^allemand. La
même chose pourrait se produire en Angleterre si elle voulait adopter
aveuglément le scolarisme germanique. Elle y perdrait probablement
quelques-unes de ses qualités de vigueur et d'entrain et n'y prendrait
pas la méthode germanique. Certes, la science est bonne partout, et
sur ce point nous avons à tirer parti des conseils de M. B. aussi bien
que nos voisins d'Outre-Manche : mais ce n'est pas une raison pour
enfermer la jeunesse dans l'école jusqu'à un âge relativement avancé,
âge où elle n'a plus le goût et l'habitude des affaires ni la souplesse
d'organisme nécessaire. M. B. accuse avec raison le service militaire
universel de reculer beaucoup trop le moment où les jeunes gens en-
trent dans la vie pratique. L'école trop prolongée offre les mêmes
périls. Nous sommes, en France, grâce à la loi de recrutement, tombés
en plein dans cet excès. Il faudrait, au sujet de l'école, rappeler à M. B.
ce que lui-môme répond aux admirateurs anglais du militarisme alle-
mand : « Le militarisme, disent quelques Anglais, a pu faciliter la
grandeur de l'Allemagne commerciale en inculquant à toute la nation
les qualités d'endurance, de sobriété, de travail commun... : qualités,
habitudes, qui peut savoir au juste quelles conditions nous les incul-
quent ou les développent en nous? N'est-ce pas plutôt ces qualités et
ces habitudes mêmes, antérieures au régime militaire prussien, qui
ont fait la force de celui-ci ? » Sages paroles qui s'appliquent à toutes
les institutions sociales, et qui entraînent un certain scepticisme au
point de vue de l'efficacité absolue du transport de l'une d'entre elles
d'un sol sur un autre. « On peut absolument laisser de côté tout ce
qu'ont failles hommes d'État allemands pour aider et guider l'ambi-
tion de leur peuple, — ainsi s'exprime un des rapports officiels anglais
que cite M. B. — Leurs admirables efforts auraient échoué s'ils
n'avaient pas eu dans leurs mains ce peuple allemand si mervcilleu-
g% REVUE CRITIQUE
sèment doué pour Tentreprisc commerciale. » Donnez à ce peuple une
« armée permanente d'hommes de science » qui dirigeront et éclaire-
ront ses efforts; à cette conquête scientifique de la fortune, comme le
dit justement M. B. « il apportera les mêmes qualités de conscien-
cieuse précision, de minutieuse recherche que jadis les docteurs en us
apportaient à Tctude du moyen âge ou de l'antiquité ».
En face de ces qualités incontestables du commerçant allemand,
M. B. exagère un peu la routine et la lenteur d'esprit de l'Anglais. Il
en est encore à l'histoire du négociant qui, faute de notions précises
sur les climats, envoie une cargaison de patins à Rio-Janeiro et
s'étonne qu'ils reviennent invendus. « La machine anglaise, écrit-il,
(p. iio) fabrique aujourd'hui ce qu'elle fabriquait il y a vingt ans, des
lampes à huile quand tout le monde s'éclaire au pétrole, et des per-
ruques quand on ne porte plus que des fausses dents. » Il a pris un
peu trop à la lettre les doléances des consuls à l'étranger, dont le mé-
tier est précisément de suivre d'un œil inquiet les progrès des concur-
rents, et de stimuler les nationaux en leur reprochant leurs défauts.
Rappelons-nous la vivacité des termes avec lesquels le rapport Rou-
leaux dénonçait en 1876, au gouvernement allemand, la cmnelote
germanique. Tout n'est pas devenu si bien d'un côté, ni si mal de
l'autre. L'Allemagne a son socialisme ouvrier croissant et ses diffi-
cultés agraires qu'il ne faudrait pas cependant oublier, ni négliger
dans un tableau par trop idyllique de sa prospérité incontestable '.
Et puis les uns peuvent grandir sans que les autres tombent dans
une irrémédiable décadence. Les souvenirs de la conquête matérielle
obsèdent toujours ceux qui parlent delà concurrence industrielle. On
oublie simplement qu'en matière de commerce il n'y a pas invasion
sans échange de produits. L'Angleterre, lorsqu'elle est devenue grande
manufacturière, a été inondée par les produits alimentaires du monde
entier, auquel elle vendait en échange ses tissus et ses fers. Elle s'y
est formidablement enrichie. D'autres nations actuellement produisent
des tissus et des fers : mais quelle sera la limite de la consommation?
Personne ne la connaît. Vouloir établir une loi de succession pour la
grandeur commerciale, comme on a pu le faire pour la grandeur poli-
tique me parait téméraire. « Ceci tuera cela » peut se dire des armées,
mais non des usines, à condition bien entendu que la paix et la liberté
des échanges régnent entre les nations. Il est utile évidemment de sti-
muler chacune d'elles dans la voie de l'étude et du travail par l'exemple
I. 11 est d'ailleurs curieux de noter qu'en Allemagne mcmc, les prophètes de
malheur au sujet de l'avenir du commerce allemand, abondent en ce moment. Ils
opposent aux débouches restreints de l'Allemagne les horizons indéfinis des « trois
empires mondiaux » (Etats-Unis, Russie, Grande-Bretagne) qui par les droits
douaniers pourraient arrêter l'importation germanique. Voir sur la polémique qui
est née à ce sujet : Économiste français, 9 juin 1900, l'article de M. Maurice Block:
« L'avenir du commerce international allemand : sombres prévisions ».
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE QQ
des progrès du voisin, mais il ne faudrait pas cependant propager
l'idée que la grandeur de Tune est la décadence forcée de l'autre. Je ne
sais pas d'idée plus contraire à la vérité économique, ni plus dange-
reuse pour l'avenir du monde civilisé.
Eugène d'EcHTHAL.
— Sous le titre d'Essais sur l'Histoire de l'art ^soc. d'édition artistique, i vol.
in-12), M. Emile Michel, à qui nous devons ces magistrales nioncgraphies de
Rembrandt et de Rubens dont il a été parlé ici-mème en leur temps, a réuni deiix
études importantes et très diverses, mais liées par un même goût, fin, subtil et
difficile. L'une, intitulée De la production de l'œuvre d'art, esluuQ leçon de critique
experte, raisonnée, nourrie d'expérience et d'études variées. On aimerait à l'ana-'
lyser de plus près et l'on ne peut que signaler avec quel sens lumineux des carac-
tères originaux des divers arts leur esthétique propre en est dégagée, et le travail
d'inspiration et d'exécution étudié chez les maîtres de ces divers arts. — La musique
est un de ces arts, et, comme la plupart des peintres, M. E. Michel en est profon-
dément épris, surtout quand elle reste en son essence la plus pure, la plus déga-
gée de tout autre élément, la plus féconde aussi. Dans son étude sur « Les Maîtres
de la Symphonie », les critiques spéciaux les plus difficiles apprécieront la jus-
tesse d'expression et le charme d'appréciation avec lesquels il a su caractériser
le genre et ses ressources, et parler de ses anciens maîtres. Ils feront des réserves
pour la un, pour l'époque moderne où M. E. Michel est certainement moins
informé, car il oublie certains noms importants et ne rend pas tout à fait justice à
d'autres. Mais le prix de cette étude n'en est pas moins très grand, parce qu'on
n'avait pas vu souvent aussi bien rendue l'impression esthétique que peut causer
la musique dans une âme de peintre qui sait analyser son art et raisonner ses
jouissances. — H. de C.
— M. Bernhard Fehk [Die formelha/ten Eleme)itc in den alten englischen Balladen
L Berlin, Fromm 1900. 89 pp.-xxxiv) a choisi dans le célèbre recueil de l'évèquc
Percy certaines ballades dont il étudie Ici « éléments formels ». Par là il entend les
expressions toutes faites : tel substantif s'accompagne constamment de la même
épithètc, le chevalier est toujours audacieux, la dame toujours belle, le matin tou-
jours joyeux; tel adjectif en amène un autre, qui le complète ou s'oppose à lui, on
trouve meek and mild. stout and strong, safe and sound 'sl coté de higli and low.
m and good, quick and dead. D'ordinaire c'est une consonance, une altération,
une rime, qui fixent ces expressions dans la mémoire populaire, mais le fait n'est
pas constant, comme le montre très bien M. F. Celui-ci considère aussi comme
éléments traditionnels des phrases telles que : le coq chante, le soleil brille. 11 a
dressé la liste de ces éléments, les a savamment rangés chacun sous son étiquette,
a recherché enfin des exemples analogues dans les œuvres littéraires qui ont pré-
cédé ou suivi. Nous apprenons ainsi que Scott, Dickens et Burns ne font souvent
que reproduire des lambeaux de phrase déjà ressassés il y a trois ou quatre cents
ans par des poètes populaires anonymes. Apparemment M. Fehr ne s'est pas
demandé quelles lois présidaient à la formation de ces constantes alliances de mots.
On y reconnaît pourtant comme de véritables cristaux, dont les facettes unies et
régulières viennent toujours se placer symétriquement les unes par rapport aux
lOO REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
autres. Peut-être abordera-t-il cette question dans la seconde partie de son travail,
qu'il promet dès à présent. — Ch. Bastide.
— On a signalé ici (21 mars 1898 p. 236) l'apposition du tome i*'' de la Face de
la Terre de Ed. Suess, traduit sous la direction de M. Emmanuel de Margerie. Le
tome II (Paris, A. Colin, 1900. 878 p. 2 cartes en couleur et 1 28 figures dont 85 exé-
cutées spécialement pour Tédition française) appelle les mêmes éloges que son
devancier. Les interprètes ont rendu la pensée du maître avec une fidélité qui lui
laisse à la fois sa précision et sa poésie; ils l'ont respectée aussi en ce sens qu'ils
se sont interdit tout commentaire critique. Mais des notes brèves et discrètes indi-
quent en quelle mesure les vues de l'auteur émises il y a 12 ans ont été confirmées,
en quelles mesures contredites ou ébranlées par les explorations plus récentes.
Tout ce travail de recherches et de mise au point, pieusement dissimulé en quelque
sorte sous l'appareil bibliographique, donne à l'édition française — l'on dira plus
justement édition que traduction — son originalité et son prix aux yeux des tra-
vailleurs; l'œuvre à laquelle reste attaché le nom de M. de Margerie fait honneur
à la science française. — B. A.
ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 1 3 juillet igoo.
M. le Ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts communique un rap-
port de M. Bonin sur sa dernière mission eu Chine. M. Bonin a reçu une subven-
tion de r.\cadémie sur la fondation Garnier.
Mgr Duchesne fournit quelques détails sur les travaux de MM. Homo et Lauer,
membres de l'Ecole française de Rome. M. Homo a continué les fouilles commen-
cées par lui l'an dernier à Dougga (Tunisie). 11 a dégagé les faces O., S. et N. du
Capitole de cette localité, mis à découvert les places" qui le précédaient, la colon-
nade qui l'entourait et une exèdre à colonnes qui lui faisait face. Autour de ce
groupe monumental il a mis au jour diverses esplanades éiagées les unes au-dessus
des autres, qui par leur réunion devaient constituer le forum de l'antique Thugga.
Des inscriptions, mentionnant le macellum, les thermes et les rostres, ont été retrou-
vées, avec quelques fragments d'architecture, une statue de marbre et une statuette
de bronze représentant un satyre, d'un travail assez fin. — Mgr Duchesne pré-
sente ensuite une planche chroinolithographique destinée au prochain fascicule des
Mélanges de l'Ecole de Rome. On y voit figuré un personnage en costume antique,
tunique et pallium, devant un livre ouvert sur un pupitre. C'est saint Augustin,
caractérisé par le distique suivant, qui se lit au-dessous :
Diversi divcrsa Patres sed hic omnia dixit
Romano eloquio mystica sensa tonans.
L'édifice où se voit cette peinture se trouvait sous la chapelle dite Sancta Sanc-
torum, au palais de Latran. C'était sans doute une des salles de la bibliothèque.
Si celte conjecture était admise, on aurait déterminé l'emphicement du scriniitm
sanctum, c'est-à-dire de la chancellerie, des archives et de la bibliothèque du Saint-
Siège dans le haut moyen âge. Cette peinture a été découverte par M. Lauer, au cours
de touilles entreprises parlui dans ce qui rcstedel'antique palais dcLatran. D'autres
peintures ornaient le portique en avant de la bibliothèque. On y remarque une
curieuse représentation de la mort de Saint .Ican l'Evangélistc et du célèbre pro-
diçe de la manne qui s'observait — dit-on — à son tombeau.
Xi. Dieulatoy, à propos de la récente communication de M. S. Reinach, entre-
tient r.A.cadcmie des légendes, des traditions ou des prescriptions religieuses. Il
croit que l'on a trop abusé de l'hygiène pour en expliquer l'origine; mais il ne
l^ense pas qu'il faille nier la valeiir des travaux antérieurs. La vérité en pareille
matière risque de renfermer une part d'erreur comme l'erreur contient souvent
quelques parcelles de vérité. — MM. Reinach, Viollei et d'Arbois de Jubainville
présentent quelques observations.
M. Clermont-Canneau tait une communication sur la mort de saint Léonce de
Trifioli et sur deux inscriptions grecques publiées par M. Waddington.
Léon Dorez.
Le Propiiétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 32 — 6 août — 1900
Bolché-Leclercq, Leçons d'histoire grecque. — Furtwaengler, Les gemmes an-
tiques. — S. Reinach, Répertoire des vases peints grecs et étrusques, II. —
Jacques Milet, La destruction de Troyes, p. Haepke. — Romberg, L'idée de la
durée dans les verbes français. — Bernardin, Hommes et mœurs au wii» siè-
cle. — Renouvier, Victor Hugo le philosophe. — Académie des inscriptions.
Bouché-Leclercq. Leçons d'histoire grecque. Paris, Hachette, 1900. Un vol.
in-i2 de 352 pages.
M. Bouché-Leclercq a réuni dans ce volume onze leçons d'ouver-
ture qu'il a faites à la Sorbonne depuis 1879. Les sujets qu'il y traite
sont très variés.
En voici la liste : Du fonds commun des religions antiques. — De la
religion grecque considérée dans ses rapports avec les institutions po-
litiques. — Des lois agraires dans l'antiquité. — De Vidée de justice
dans la démocratie athénienne. — Les institutions pédagogiques de la
Grèce. — La démocratie athénienne au IV^ siècle. — Vagonie de la
république athénienne. — La Grèce sous la domination macédonienne.
— L'Orient sous les Séleucides. — Introduction à l'histoire des
Lagides. — Le culte dynastique en Egypte sous les Lagides.
L'auteur s'est interdit tout appareil d'érudition, au point de ne ren-
vover jamais à un texte ancien et de ne citer jamais un ouvrage mo-
derne; mais on sent que chacune de ses phrases repose sur un fonds
de connaissances solides. Bien que ces leçons aient toutes un caractère
très général, elles n'ont rien de vague ni de fantaisiste. Des faits très
précis leur servent de support, et ces faits sont puisés à la source
même. Si abondants qu'ils soient, M. Bouché-Leclercq les domine et
les manie avec une aisance qui atteste la vigueur de son intelligence,
et il en tire des conclusions presque toujours justes, et souvent ingé-
nieuses, qui montrent l'originalité de son esprit. Sa science s'étend à
tous les domaines ; mais il est surtout attiré par les idées morales.
C'est là ce qui le séduit le plus et c'est là qu'il excelle. 11 est peut-être
moins frappé que d'autres par l'ensemble des phénomènes qui consti-
tuent la partie proprement matérielle de l'histoire, et, sans les négliger
complètement, il parait n'y attacher qu'une importance secondaire.
Sa tendance est plutôt de suivre l'évolution et l'influence des croyances
religieuses, des doctrines philosophiques, et ici il est vraiment passé
Nouvelle série L. 5'
loi REVUE CRITIQUE
maître. Enfin, son style, clair et exact, quoiqu'un peu abstrait, est
parfois relevé par une pointe d'humour, par un trait pittoresque, par
une image imprévue, qui en rompent la sévérité, sans ressembler
pourtant à ces agréments de pure forme qu'un littérateur soucieux
de plaire plaque par endroits dans son exposition.
Paul GUIRAUD.
Adolf FuRTWAENGLER. Die antiken Gemmen. Geschichte der Steinschnei-
dekunst im klassischen Alterthum. Giesecke et Devrient, Leipzig et Berlin,
1900. 3 vol. in-4 de 67 pi., 33o et 464 p.. avec nombreuses gravures dans le
texte. Prix : 2 3o mark.
Si la dernière décade du xix« siècle a été très féconde pour les études
de glyptique ancienne, il n'en a pas été de même des neuf premières.
C'était l'époque du découragement et du scepticisme; les faussaires
des générations précédentes avaient trop bien travaillé ; d'autre part,
aucun archéologue ne s"était formé le jugement par une fréquentation
assidue des originaux au point de pouvoir même esquisser une his-
toire de la gravure en pierres fines. On citait les gemmes à titre de
documents mythologiques ou iconographiques et on laissait le reste,
c'est-à-dire la partie propre de l'art, aux amateurs. Le meilleur con-
naisseur de pierres gravées, vers le milieu du siècle, fut un mar-
chand, A. Castellani. Les archéologues s'abstenaient ou, dans les
ouvrages généraux sur l'art antique, reléguaient en appendice quelques
indications banales sur des camées célèbres. Et cependant, de tous
les monuments du passé, les gemmes sont les seuls qui nous soient
parvenus presque toujours intacts, dans l'état même où les anciens
les ont laissés !
Brunn, en i858, avait réagi contre le scepticisme de Koehler (i833),
dont la critique, superficielle sous des dehors érudits, ne reconnaissait
plus pour authentiques que cinq des gemmes pourvues de signatures.
Mais son travail, publié dans le tome II de la Geschichte der Kiinstler^
ne fut continué ni par lui-même, ni par d'autres. Au contraire, les pré-
jugés de Kœhler parurent reprendre le dessus. Chabouillet, le direc-
teur de notre Cabinet des Médailles, en était arrivé, en i885, à n'ac-
cepter pour authentiques que les gemmes dont les « papiers » étaient
en règle ; c'était l'abdication du goût devant la science livresque, du
sentiment de l'art devant la brutalité de l'érudition.
Précisément à cette époque, M. Furtwaengler, alors attaché au
Musée de Berlin, commençait des études en vue de la publication d'un
catalogue des pierres gravées autrefois inventoriées par Toelken. Un
homme de cette valeur, élève de Brunn et habitué, par les fouilles
d'Olympie, au contact direct de l'antiquité, ne pouvait manquer de
reconnaître que tout était à faire ou à refaire, que la préparation d'un
d'histoire et de littérature io3
catalogue scientifique imposait, à son auteur, une revision complète
de toutes les données sur lesquelles pouvait se fonder une histoire de
la glyptique. La question des gemmes signées se présentait à lui dès
l'abord : il fallait les rejeter en bloc avec Kœhler ou savoir pourquoi et
dans quelle mesure on accepterait leur témoignage. De là, les quatre
articles qui, dans le Jahrbiich de 1888 et de i88g, placèrent d'em-
blée leur auteur au premier rang des connaisseurs de gemmes et ren-
dirent détinitivement toute une série d'authentiques chefs- d'oeu-
vre à l'admiration des archéologues. Bien plus, M. F. jeta, dans
ces articles, les bases de la chronologie des gemmes, jusque-là vague-
ment divisées en archaïques, étrusques et gréco-romaines ; cela con-
sistait simplement à les faire rentrer dans le droit commun, mais n'en
était pas moins un grand pas dans la voie scientifique où M. F. s'était
engagé avec son ordinaireyi/r/a de travail.
Le catalogue illustré des pierres de Berlin n'a paru qu'en 1 896. C'est
un in-4° contenant la description d'environ 10,000 pierres ou pâtes,
accompagnée de 71 planches de phototypie qui reproduisent 5,5 i 5
sujets. Mon volume Pierres gravées, publié en 1895, avec 2,i5o repro-
ductions de gemmes, était alors le plus riche recueil de camées et
d'intailles qui eût encore paru ; j'écrivais à la fin de la préface : « Il se
passera peut-être un demi-siècle avant que les progrès industriels per-
mettent de publier une série de photographies d'empreintes aussi dis-
tinctes et aussi nombreuses que les gravures du présent recueil. » Dès
l'année suivante, ma prévision était convaincue d'erreur ; j'avais
compté sans M. Furtwaengler.
Transféré de Berlin à Munich, le savant badois, au milieu de ses
mémorables travaux sur la sculpture, ne perdit janiais de vue les pierres
gravées. Des voyages poursuivis à travers toute l'Europe, l'acquisition
incessante de photographies et d'empreintes, lui ont permis de con-
naître, mieux qu'aucun de ses contemporains, les collections pu-
bliques et privées de gemmes, en particulier les riches cabinets des
nobles anglais, jusque-là presque soustraits à l'étude. Dès 1894 com-
mença l'impression du grand ouvrage dont nous annonçons aujour-
d'hui l'achèvement et qui marque une date dans l'histoire de la dacty-
liographie, comme la Doctrina nummorum d'Eckhel dans celle de la
numismatique. Désormais, la période du dilettantisme est close; la
glyptique est enfin pourvue de l'ouvrage fondamental qui lui man-
quait—d'un prix, à la vérité, peu abordable, mais dont la richesse, tant
du texte que de l'illustration, fait l'équivalent d'une bibliothèque. On
peut cependant regretter que l'exécution matérielle, trop luxueuse
pour un livre de science, ait inutilement augmenté le prix de ces trois
volumes qui, imprimés sur papier moins fort, auraient pu facilement
être réduits à deux. On aurait pu aussi, sans inconvénient, faire l'éco-
nomie de l'énorme étui à dos de cuir dans lequel on les livre aux
acheteurs, qui se garderont de les y laisser.
104 REVUE CRITIQUE
L'illustration se compose de 67 planches d'héliogravure, qui for-
ment le premier volume, et de plusieurs centaines de dessins et de
similis, qui sont dispersés dans les deux autres. Bien que supérieures
à celles du catalogue de Berlin, les planches, comprenant 3, 600 sujets,
sont inégales. M. F. n'a fait grandir qu'un petit nombre de spéci-
mens ; il insiste même pour que les gemmes — œuvres d'art et non
produits de la nature — soient reproduites à la grandeur d'exécution.
Cela peut se défendre en principe, mais, dans la pratique, il en résulte
des inconvénients. Je défie M. F. ou qui que ce soit, sans le secours
d'une forte loupe, de deviner l'image gravée sur l'intaille pi. XLV,
5j ; même avec une loupe, je ne distingue pas la silhouette du no 40
de la pi. XXXVII, ni la tète du n^ 19 de la même planche (voir aussi,
si Ton peut, pi. XXIII, 37, pi. XXXIV, 5i, 52, etc.). Mais ce sont-là
des défauts légers; dans l'ensemble, on peut dire que ces planches sont
ce que l'héliogravure a encore produit de mieux d'après les œuvres de
la glyptique. Les similigravures des deux autres volumes ne méritent
pas les mêmes éloges'. La plupart ont été maladroitement retouchées,
plaquées de blanc, au point que l'aspect en est souvent très désagréable
et même repoussant. Une similigravure sans retouches ne vaut jamais
rien, du moins dans l'état actuel des procédés de reproduction ; mais
la retouche doit être exécutée par un artiste sur l'épreuve photogra-
phique, sous l'impression directe d'une empreinte, et non par un ou-
vrier qui « met des clairs » au petit bonheur. La retouche du cliché
lui-même donne toujours des résultats pitoyables, car elle ne peut se
faire que brutalement à l'aide d'une pointe. Pt)ur citer de mauvaises
similigravures dans l'ouvrage de M. F., je n'ai vraiment que l'em-
barras du choix ; je me contente de renvoyer ceux que la question
intéresse à la figure iSg du tome III, qu'on peut étudier comme un
exemple d'un cliché typographique complètement gâté et dénaturé par
la retouche. Quant aux vignettes, elles sont presque toutes lourdes et
mal tirées, ce que la nature du papier explique en partie. A la p. i32
du tome III est publié le dessin d'un groupe d'Aphrodite et d'Eros
sur le chaton d'une bague de Lampsaque, d'après une gravure du
Journal of hellenic Studies (1898, p. 129). Cette gravure laisse à dé-
sirer, mais, si on la compare à celle de l'ouvrage allemand, elle parait
presque un chef-d'œuvre. L'auteur de l'article du Journal, M. Per-
drizet, prétend que le dessin publié par moi de cette intaille [Chrun.
d'Or., Il, p. 471) en donne « a very inadéquate idea » ; comme j'ai
sous les yeux un moulage et une galvanoplastie de l'original, j'ai le
droit de dire que cette critique n'est pas fondée; j'ajoute que le dessin
I . Au moment où je corrige les épreuves de cet article, on me prévient que mon
exemplaire des Gemmen est un des exemplaires dits de luxe, sur grand papier du
Japon; on m'assure que les gravures des exemplaires ordinaires sont beaucoup
mieux venues. On fera donc bien de se contenter de ceux-là.
d'histoire et de littérature io5
des Chroniques a, sur celui du Journal anglais, l'avantage d'avoir été
calqué sur un fort grandissement photographique.
Le tome II des Antike Gemmen contient le commentaire et l'expli-
cation des planches du tome I. L'ordre adopté est le suivant : i» gem-
mes orientales (babyloniennes, syriennes, persanes archaïques);
2° gemmes mycéniennes; 3° scarabées, scarabéoides et gemmes grec-
ques archaïques; 4° gemmes grecques du style sévère; 5° gemmes
gréco-persanes; 6'^ gemmes grecques du style libre ; 7° scarabées de
Sardaigne; 8" scarabées étrusques ; 9° scarabées italiques; 10° chatons
de bagues italiques; 1 1° gemmes hellénistiques et romaines de l'époque
républicaine; 12° gemmes augustéennes; 1 3° gemmes impériales;
14° gemmes signées; \b° camées ; 16° gemmes chrétiennes et byzan-
tines, avec quelques spécimens de camées et d'intailles modernes,
A chacune de ces divisions correspondent plusieurs planches dont la
composition a dû coûter à l'auteur une peine infinie ; les sujets ana-
logues (imitations de statues, portraits, animaux, etc.), ont été, le plus
possible, groupés, et M. F. a fait de louables efforts pour éviter, dans
ces tableaux composites, des disparates choquantes de dimensions et
de style. Mais son mérite principal consiste dans le classement lui-
même, qui pourra être contesté sur certains points (ainsi je ne crois
pas que les pierres gréco-persanes soient à leur place), mais qui intro-
duit pour la première fois un ordre rationnel et historique dans un
amas de monuments jusqu'ici confondus — au point que des pierres
grecques archaïques étaient considérées comme gnostiques, et inver-
sement. M. F. lui-même a fait des écoles à cet égard, ayant donné
comme gréco-mycénienne, dans son catalogue de Berlin (pi, II,no79),
une intaille évidemment chrétienne. Il n'y aque ceux qui ne publient
rien pour ne jamais se tromper. M. F. n'est pas du nombre ; il se
trompe et il reconnaît ses erreurs, comme il l'a fait dans l'ouvrage qui
nous occupe, en avouant que l'intaille de Julia Titi est parfaitement
authentique, que la gemme de Heius ne l'est pas moins, etc. Mais pour-
quoi faut-il qu'il éprouve le besoin, même dans un ouvrage de haute
science, dans un ouvrage né pour durer, je ne dis pas de contredire,
mais d'injurier ceux qui ne pensent pas comme lui? J'ai relevé toute
une série de passages, à l'adresse de MM. Benndorf, Klein, Bloch,
"Winter, etc., qui excèdent les limites de la polémique permise et font
penser au mot de Talleyrand sur Napoléon : « Quel dommage qu'un
si grand homme ait été aussi mal élevé ! » Ce qui concerne M. Benn-
dorf est d'une gravité particulière. A la p. 298 du tome II. M. F.
publie une gemme signée de Sosis, représentant Héraklès combattant
un Centaure, qui a été acquise par un particulier de Leipzig à Alexan-
drie. Cette gravure m'a fait d'abord mauvaise impression et je crois
qu'aucun archéologue ne la verra sans qu'un doute, peut-être destiné
à disparaître, ne traverse son esprit. Or, M, F. commence par déclarer
— usant d'une formule qui lui est trop familière — que l'authenticité
Io6 REVUE CRITIQUE
de cette gemme ne peut être contestée que par des ignorants complets
{gœn\lich Unkundige] ; puis il ajoute : « D'après le témoignage du
possesseur, cette pierre a été jugée apocryphe par O. Benndorf, par le
même savant qui a cru authentique la fameuse tiare de Saïtapharnes,
la falsification la plus misérable et la plus éhontée de ce siècle, et a
voulu la faire acquérir par le Musée de Vienne. » Il y a, dans ces
quelques lignes, toute une série de fâcheuses incorrections. On n'a
pas le droit de citer le u témoignage du possesseur » (dont M. F. ne
dit pas même le nom) pour incriminer le jugement d'un confrère ; on
n'a pas davantage le droit de reprocher à ce confrère une intention
qu'on ne connaît que par oui-dire ; enfin, il est peu convenable d'ap-
peler un objet « la falsification la plus misérable et la plus éhontée de
ce siècle », quand on sait que l'authenticité en a été et est encore sou-
tenue par des archéologues autorisés et respectables. Du reste, sans
vouloir aborder ici la question de la tiare — M. F. ne serait pas si
fort en colère s'il était sûr d'avoir raison — je ferai observer qu'à la
p. 98 du tome III, M. F. traite aussi de « misérable falsification » le
vase à deux têtes de Cléomène (au Louvre), qu'il a dénoncé une pre-
mière fois dans Cosmopolis en 1896. Or, un avenir prochain montrera
à M. F. combien est profonde son erreur à cet égard. — Même envers
les archéologues dont il pense plutôt du bien, M. F. use de paroles
dures, comme s'il ne pouvait pas en trouver d'autres : seltsam nnllkilr-
lich, grundlos.., seltsam ve}'kehrt,... in n'illkïirlichster Weise^ telles
sont les gracieusetés que je relève dans une seule note consacrée à M.
Babelon (t. III, p. i 53 . Ailleurs, je reçois aussi mon paquet ; c'est
comme un rythme de bastonade qui scande les développements de
M. F. et en marque... le manque démesure. S'il avait supprimé une
vingtaine de passages inutilement agressifs ou même haineux, croit-il
donc qu'il aurait diminué la valeur d'une œuvre devant laquelle tous,
amis et ennemis personnels, s'inclineront avec reconnaissance et
respect ?
C'est au troisième volume surtout qu'iront ces hommages, car il
est impossible de ne pas admirer l'énorme effort de talent et de travail
dont il est le résultat. On y trouve une histoire complète de la
glyptique, suivie d'une histoire critique des études dont la glvp-
tique a été Tobjet. Bien entendu, l'auteur ne se borne pas ici aux mo-
numents de la gravure et aux particularités de technique et de style
dont il a traité avec détail dans le livre II. Ayant introduit la glvp-
tique dans l'histoire générale de l'art, il esquisse aussi l'histoire de
l'art à propos de la glyptique et ne s'interdit pas les incursions dans
les domaines limitrophes, ethnographie, histoire, religion. Sur laques-
tion mycénienne, il a pris un parti très net, en opposition complète
avec les vues de M. Helbig qui ont trouvé tant d'écho parmi nous; sa
thèse est celle que j'ai soutenue dans le Mirage Oriental, parfois plus
intransigeante encore, comme lorsqu'il admet, avec M. Evans, lapes-
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE IO7
sibilité d'une communauté d'origine entre les graveurs de l'époque du
renne (au moins 10,000 ans avant J.-C. !) et les Mycéniens. Comme
moi, il cherche les Kefta en Crète, il rattache les Philistins aux Mycé-
niens, il signale avec insistance le caractère européen et septentrional
de cette civilisation mycénienne que beaucoup d'autres veulent tirer
de la Phénicie. Les découvertes récentes d'Enkomi à Chypre et de
Mélos lui fournissent des arguments nouveaux à l'appui d'une thèse
qui n'a jamais été soutenue avec tant de science et d'éclat. Son chapi-
tre sur la glyptique ionienne, intermédiaire entre la tradition mvcé-
nienne orienialisée et l'art grec archaïque, n'est pas moins intéressant
pour l'histoire générale de l'art; après le moyen âge hellénique, la
renaissance mycénienne, dont les gemmes découvertes à Mélos offrent
un frappant exemple. Que d'idées originales et de conceptions heu-
reuses il y aurait à relever encore dans les chapitres consacrés à laSar-
daigne, à l'Étrurie, à la période étrusque de l'art romain (que M. F.
goûte à juste titre), aux œuvres archaisantes ! Mais il faut laisser au
lecteur le soin de les y découvrir. La partie du livre relative aux ca-
mées romains, qui est très développée, provoquera sans doute des con-
tradictions. M. F. a la tendance de vieillir tous les camées, de les
rapprocher de l'époque d'Auguste, comme si l'art postérieur avait été
incapable de produire autre chose que des pauvretés. Ainsi, en pré-
sence du camée Marlborough, aujourd'hui au Musée Britannique, où
l'on a cru reconnaître les bustes de Julien et d'Hélène, œuvre d'une
habileté technique incontestable, mais sèche et sans vie, il ne craint
pas d'écrire (p. 327) : « Nous plaçons aussi ce camée à l'époque clau-
dienne... Les bustes doivent être ceux de Claude et d'une de ses
femmes (sous les traits de Cérèset de Jupiter;. La manière minutieuse,
consciencieuse, mais sèche de l'artiste devait précisément plaire au
docte vieillard. » Il me semble impossible de prendre cotte conclu-
sion au sérieux et je veux croire qu'à l'heure qu'il est M. F. en est
déjà revenu. De même, j'espère qu'il ne persistera pas à placer au
temps d'Auguste le fragment d'un grand camée, aujourd'hui au
musée de Belgrade, ou il a reconnu le roi thrace Rhœmetalcès (t. II,
p. 454. Cette œuvre ne peut pas être antérieure aux Antonins et elle
est peut-être d'un siècle plus tardive. En outre, rien n'autorise à appe-
ler Rhœmetalcès le personnage à cheval qui occupe le milieu du tableau.
La tête, très bien conservée, est celle d'Alexandre le Grand et je serais
tenté d'établir un lien entre cette représentation d'un Romain en
Alexandre et les célèbres médaillons du trésor de Tarse.. Quand on
voit quels chefs-d'œuvre les portraitistes romains pouvaient encore
produire au temps de Caracalla, on n'a vraiment pas le droit de refu-
ser au second siècle ou même au troisième le douteux honneur d'avoir
vu naître de lourds camées.
Il y a un passage, dans le troisième volume, que je n'ai pu lire sans
me demander si je rêvais. Après avoir magistralement repoussé, sur
I08 REVL'E CRITIQUE
le terrain de l'archéologie, le spectre toujours obsédant du mirage
oriental, M. F., perdant tout à coup la boussole, s'est élancé à sa
suite jusque dans l'Inde (p. 262). 11 s'agit des doctrines orphiques et
pythagoriciennes, notamment de la migration des âmes. M. F. déclare
qu'à son avis M. L. von Schrôder, dans un écrit de 1884,3 démontré,
par des raisons concluantes, « l'origine indienne de la doctrine de
Pythagore «. M. F. n'ignore pas l'opinion d'Erwin Rohde, qui attri-
bue cette doctrine à la Thrace ; il sait aussi que M. Tylor a réuni de
nombreux exemples de l'idée de la migration des âmes chez les peuples
les plus divers. Mais il n'en a cure, car, suivant lui, ces idées de sau-
vages ne sont qu'à la source des doctrines et c'est l'Inde seule qui en a
tiré l'admirable roman de l'âme se purifiant à travers ses métamor-
phoses. On pourrait d'abord demander à M. F. comment il sait que
cette philosophie mystique était professée dans l'Inde avant Pytha-
gore, quels écrits indous nous possédons de ce temps là, comment la
communication d'idées aussi abstraites était possible alors qu'il n'y
avait ni Grecs en Inde ni Indous en Grèce, etc. Mais le mieux est de
lui conseiller de s'initier à la littérature ethnographique, de faire la
connaissance (par exemple dans le livre de Burnet, Early gî-eek philo-
sophy) des tabous primitifs qui forment le fond de l'enseignement de
Pythagore, de demander enfin à Frazer ou à Jevons quels sont les
caractères constants et universels du totémisme. Cela fait, il regret-
tera d'avoir écrit que l'interdiction de manger des fèves a pour but
d'éviter de troubler les sacrifices par des flatuosités (!). Les Grecs, dans
leur ignorance du totémisme, ont déjà proposé des explications aussi
absurdes de faits religieux; ils étaient excusables, mais nous ne le
serions pas de faire comme eux. L'interdiction des fèves en Egypte
gêne M. F.; aussi écrit-il impérativement : « Hérodote s'est trompé
en attribuant aux Egyptiens la défense de manger des fèves. » Voilà
qui est bientôt dit. A la même page, M. F. écrit encore : « La doc-
trine indienne empruntée par Pythagore fut adoptée par les Orphi-
ques. » Cela est encore faux, car les philosophies séculières naissent
des théosophies, et non inversement. — Pythagore, dit-on, était fils d'un
graveur de gemmes et avait, dans sa jeunesse, voyagé pour le compte
de son père. On a même trouvé naturel qu'il eût poussé jusqu'en Inde
afin d'y faire emplette de pierres fines. M. F. n'a pas tenu compte de
ces informations et c'est dommage, car le voyage en Inde de Pytha-
gore, à propo.^^de gemmes, s'explique mieux que celui de M. Furtwaen-
gler pour le même motif.
Salomon Reinach.
d'histoire et de littérature 109
Richard Engelmann, Archâologische Studien zu den Tragikern. Berlin, Weid-
mann, 1900. In-8, 90 p. avec 28 gravures. Prix : 6 mark.
Jahn et Welcker ont déjà mis en lumière l'influence du théâtre atti-
que sur la peinture de vases du iv^siècle et les historiens de la littéra-
ture grecque n'ignorent pas le profit qu'ils peuvent tirer de cette série
de monuments. Toutefois, on est loin d'avoir épuisé les enseignements
qui s'en dégagent, d'autant plus qu'il n'existe pas encore de recueil de
dessins d'après les peintures que la tragédie a inspirées. M. Engel-
mann nous promet, dans sa préface, de publier bientôt cette collection
depuis longtemps attendue ; c'est un engagement dont nous prenons
acte avec plaisir.
Sa dissertation, qui est d'une lecture fort attachante, s'ouvre par un
chapitre sur la scène ou, plus exactement, sur les colonnes du proské-
nion, dont il reconnaît la présence sur plusieurs vases à sujets tragi-
ques où ces supports ne se justifieraient pas autrement. J'hésite pour-
tant à accepter son opinion à cause du vase de Xenophanios, dont il n'a
rien dit. On voit sur ce vase [Compte rendu pour 1866, pi IV) des
colonnes imitant les feuilles du sylphium et supportant chacune un
trépied doré ; cependant la scène est beaucoup trop mouvementée pour
qu'on puisse en chercher le prototype dans une tragédie. En revan-
che, il est très vraisemblable que nous avons une représentation d'un
proskénion richement décoré sur le vase d'Astéas à Madrid Monum.
dell Instit., VIII, 10 .
M. E. a signalé, avec plus ou moins de vraisemblance, l'écho de
cinq tragédies perdues de Sophocle ('Eàévt.; àraîtr.T'.;, Laocoon^ Sxjptoi,
Tyro A et B) dans des peintures de vases du Vaiican, de la collection
Jatta à Ruvo, de Corneto, de Florence, de la collection Czartoryski
(à Cracovie et non à Paris, p. 40), etc. 11 ne se dissimule pas combien
il est dangereux d'expliquer des peintures par des tragédies perdues et
de reconstituer, même partiellement, ces tragédies à l'aide des mêmes
peintures; mais on ne peut nier que la plupart de ses conjectures ne
soient séduisantes. Ainsi je crois qu'il a définitivement raison con-
tre Kôrte, Dummicr et d'autres lorsqu'il reconnaît, sur plusieurs
vases, Néoptolème quittant Skyros, scène qui faisait certainement
partie, comme l'a montré autrefois Robert, de la tragédie de Sopho-
cle intitulée Sy-joto-,.
Quatre pièces d'Euripide, également perdues, ont été étudiées par
M. E. : ce sont Alcmène, Andromède, Méléagre et Sthcnébéc. L'au-
teur s'était déjà occupé d'^ Icmène, à propos d'un vase de Castle Howard
(aujourd'hui au Musée Britannique), dans un programme de 1881,
dont il a été question ici même Revue, 1882, II, p. 261); il réitère,
avec des arguments nouveaux, sa thèse d'alors, suivant laquelle Alc-
mène serait au moment d'être brillée sur l'autel par ordre de son mari
involontairement outragé. Cette interprétation restera conjecturale
I 10 REVUE CRITIQUE
tant que nous ne pourrons alléguer aucun texte précis relatif à la
vengeance d'Amphitryon ; elle n'en est pas moins, dans l'état de nos
connaissances, celle qui cadre le mieux avec les données de la peinture
et je crois que l'ancienne interprétation (apothéose d'Alcmène) doit
être complètement écartée.
Pour Sthénébée, nous possédons un résumé dans un manuscrit flo-
rentin de Grégoire de Corinthe, malheureusement mutilé à droite;
M. E. en a donné une reproduction photographique (p. 85) et une
transcription rectifiée. Il n'a, d'ailleurs, invoqué à ce propos le témoi-
gnage d'aucune peinture céramique. Traitant du Me/eagre, il a publié
(p. 80) une peinture inédite du musée de Bari, qui représente Méléa-
gre avec Atalante. ]JATidromède a inspiré plusieurs peintures où divers
critiques ont déjà reconnu ce mythe; M. E. croit que l'une d'elles [Ar-
chaeologia, XXXVI, pi. 6) figure le prologue de la pièce d'Euripide,
au cours duquel, sous les yeux des spectateurs, on attachait la prin-
cesse sur un rocher. Euripide aurait suivi l'exemple donné par Eschyle
dans le Prométhée. Cela est assurément fort ingénieux.
Salomon Reinach.
Salomon Reijnach, Répertoire des vases peints grecs et étrusques. Tome II.
Peintures de vases gravées dans les recueils de Millingen (Coghill) , Gerhard
[Auserl. Vasenbilder), Laborde, Luynes, Roulez, Schulz (Ama^onetivase) Tisch-
bein {Tomes /-T^), avec des notices explicatives et bibliographiques, une biblio-
graphie de la Céramique grecque et étrusque, et un Indexdes tomes I et II. i vol.
in-i2 de 424 p. Paris, Leroux, igoo. Prix : 5 fr.
En annonçant ici même cf. Revue critique, 1899, JI> P- 4^7~4^9)
le premier volume de cet ouvrage, j'ai dit assez nettement quels sérieux
services et quel genre de services il était appelé à rendre aux archéolo-
gues, pour n'avoir pas besoin d'y insister encore aujourd'hui. Il n'y
a, d'ailleurs, rien de changé dans les reproductions ni dans les notices
sommaires qui les accompagnent. On trouve à la fin un Index alpha-
bétique général, commun aux deux volumes parus : un de ces copieux
Index qui doublent la valeur pratique de tous les ouvrages de vulgari-
sation qu'a publiés M. Reinach. Avant l'Index, une vingtaine de pages
à deux colonnes sont remplies par une « Bibliographie de la céra-
mique grecque et étrusque ». Cette bibliographie ne prétend pas con-
tenir tout, absolument tout, jusqu'au plus insignifiant article perdu
dans un recueil lui-même insignifiant ; mais elle est aussi complète
que l'on peut raisonnablement le demander. Elle indique : « 1° les
ouvrages où ont été publiées et décrites des peintures céramiques et
dont les peintures forment l'objet principal ; 2° quelques articles célè-
bres qui sont des tirages à part des périodiques; 3° l'indication des
périodiques et des ouvrages généraux où il est souvent question de
d'histoire et de littérature I T T
peintures céramiques ; 4° un choix de monographies d'archéologie et
de mythologie figurée, où Texégèse des peintures céramiques tient une
place importante; 5° quelques ciiriosa ». Une épreuve décisive con-
siste à chercher dans cette bibliographie les titres de quelques bro-
chures que l'on a des raisons de" croire peu connues ; on s'aperçoit
bien vite que, dans les limites, déjà très larges d'ailleurs, où M. R.
l'a renfermée, la liste donnée par lui est vraiment complète.
Quelques notes prises en passant. P. 14, n°' 1-2 : les inscriptions de
ce vase sont fausses, et M. R. se demande si la peinture même en est
antique. Remarquons qu'elle offre, en effet, une bien grande ressem-
blance avec une peinture de lécythe reproduite deux pages plus haut,
p. 12, n°s 7-8. — P. 19 : il semble que M. R. aurait pu exprimer plus
sévèrement encore ses doutes sur l'authenticité de cette peinture. Le
vase peut bien être antique, mais la peinture doit être fausse, archi-
fausse. N'a-t-elle pas été inspirée par celle de la kélébè de Wùrtzbourg,
reproduite p. 141 ? — P. 43, n» 7 : n'est-ce point là simplement une
imitation libre et fantaisiste du sujet très connu, représentant l'expé-
rience du rajeunissement opérée par Médée devant les Péliades ? —
P.49, n°' I 3 : l'explication suggérée par M. Pottier semble aussi
juste qu'ingénieuse ; les longs bois de la tète de cerf doivent être une
déformation des ailes de Pégase ; peut-être aussi la kibisis (?) que
Persée tient à la main n'est-elle qu'une déformation de la tête coupée
de Méduse. — P. 62, n'' 4 : peinture reproduite dans les Wien. Jahres-
hefte, II, 1899, p. 79. — P. 142 : si l'objet que porte le premier éphèbe
est réellement une boîte à manuscrits, les deux tableaux pourraient
être interprétés de la manière suivante. Premier tableau : l'Amour
détourne la jeunesse de l'étude ; deuxième tableau : l'Amour incline la
jeunesse à chanter sur la lyre. Cela serait d'un goût terriblement
moderne, qui ferait douter que les peintures fussent bien antiques.
— Quelques erreurs d'impression : p. 334, ^^ bas, lire le au lieu de
la\ p. 374,5. V. Hartwig, lire ^riec/iz5c/ze;2 au lieu de griechischn;
p. 409, s. V. Minotaure, lire 487 au lieu de 387.
Henri Lechat.
Kritische Beitraege zu Jacques Milets' dramatischer Istoire de la des-
truction de Troye la Grant, par (3ustav Hakpki:. Marburg. \. Ci. llhveit, 1891).
Un vul. in-8 de 140 pages.
Cette étude sur le mystère de la Destruction de Troye forme le
96» fascicule de la collection relative à la philologie romane, qui se
publie sous la direction de M. Siengcl. Elle se divise en deux parties.
Dans la seconde (p. 63-125), M. Haepke fait, par rapport à rédition
princeps, un relevé des variantes qu'offrent les quatre principaux
manuscrits 'il avait classé au préalable tous ceux qui >oni actutUe-
I 1 2 REVUE CRITIQUE
ment connus, au nombre d'une douzaine) : ce travail, autant qu'on en
peut juger sans avoir les pièces sous les yeux, paraît fait avec soin et
doit être exact dans ses détails. Quant à la première partie de l'opus-
cule, elle consiste en une étude sur la langue et la métrique du mys-
tère : l'auteur y présente d'abord quelques remarques de phonétique,
relatives surtout à Ve féminin, puis relève certains traits caractéris-
tiques de la flexion pronominale et verbale. Ce sont les observations
sur la syntaxe qui ont reçu le plus large développement, et il ne faut
pas nous en plaindre, car nous avons là une bonne contribution pour
la période moyenne de la langue, et notamment ce milieu du xv^ siè-
cle encore insuffisamment exploré. Dans sa courte introduction,
M. H. s'est aussi posé une question non résolue, et s'est demandé d'où
était originaire Jacques Milet, l'auteur de la Destruction de Troye.
II suppose qu'il était de l'Est, et c'est bien possible. J'avoue cependant
que les preuves linguistiques alléguées à l'appui de cette opinion ne
sont ni très nombreuses, ni très convaincantes. Que lignie ait été
employé pour ligniée, voilà évidemment une forme qui n'appartient
pas à la France centrale : mais il ne faut pas oublier que maisnie pour
maisniée y était devenu d'un usage courant. J'en dirai autant des
quelques cas où les singuliers «o, vo, sont employés à la place de
nostre, vostre, et aussi des deux exemples de f pour tu devant une
voyelle. La forme fieulx rem plaçant ^/{, est peut-être à elle seule plus
probante que le reste. Mais tout cela, si je ne me trompe, nous repor-
terait plutôt à la région picarde: est-ce là ce que l'auteur a voulu dési-
gner par V2id]ec\\^ ostfran\oesischen? Qno'x qu'il en soit, cett^ question
de l'origine de Jacques Milet me paraît rester encore pendante : il est
vrai qu'elle était accessoire; l'essentiel était d'étudier le texte d'une
façon précise, et c'est ce qu'a fait M. Haepke.
E. BOURCIEZ,
L'idée de la durée par rapport aux verbes et aux substantifs verbaux en
français moderne, par H.-B. Romberg. Gœteborg, Wald. Zachrissons, 1899.
Un vol. in-i2de 1 55 pages.
Cet opuscule est une thèse soutenue l'an passé devant l'Université
de Lund : on ne voit pas trop le but que s'y est proposé l'auteur, et à
vrai dire il ne l'indique nulle part d'une façon bien nette. Il part d'une
distinction des verbes en deux grandes classes, ceux qui marquent
une action déterminée (c'est-à-dire à terme fixe), ceux qui marquent
une action indéterminée (susceptible de se prolonger) : c'est à peu près
celle que Meigret esquissait déjà, au milieu du xvi" siècle, pour expli-
quer la valeur exacte des formes passives. M. Romberg, lui, semble
avoir voulu examiner comment s'exprime en français la circonstance
d'histoire et de littérature I I 3
de temps avec ces deux classes de verbes : il trouve que dans le pre-
mier cas c'est à l'aide de la préposition en, dans le second à l'aide de
pendant ou mots équivalents. A la règle ainsi posée il admet du reste
toutes sortes d'exceptions, et il est bien forcé de reconnaître qu'il y a
des verbes qui flottent entre les deux classes sans appartenir nettement
à aucune. Après cela, il s'occupe de la construction telle qu'elle a lieu
avec les substantifs verbaux, et termine par des considérations sur les
déterminatifs répondant à la question « pour combien de temps ».
Toutes ces analyses sont subtiles, je ne le nie pas : à mon avis, elles le
sont même trop. Surtout, ce qui m'effraie un peu, c'est cette méthode
qui consiste à placer in abstracto les faits linguistiques et à ne tenir
aucun compte des antécédents : car, enfin, c'est dans le français mo-
derne que s'est enfermé M. Romberg, ou pour mieux dire dans celui
du xix« siècle 'je n'ai relevé en dehors de cela que cinq ou six exemples
empruntés à Voltaire et à Racine . J'avais déjà remarqué des ten-
dances analogues dans une thèse sur l'Analyse du langage publiée il
y a deux ou trois ans à Upsal, par M. Cari Svedelius. Et certes, nous
devons être très reconnaissants aux Suédois du zèle qu'ils déploient à
explorer les parties encore obscures de notre syntaxe française : ils y
apportent beaucoup de pénétration et d'ingéniosité. Mais il ne faudrait
pas non plus que, par des voies détournées, on nous ramenât tout
doucement vers cette « grammaire générale » chère aux logiciens du
xviiie siècle et aux idéologues qui ont suivi. Que deviendrait alors la
méthode historique, en dehors de laquelle il n'y a point de salut, et
qui doit être appliquée à étudier le groupement des mots dans une
langue donnée, aussi légitimement qu'à y rechercher l'évolution des
sons et des formes ?
E. BOURCIEZ.
Bernardin, Hommes et mœurs au dix-septième siècle, in- 12. 36o p.. Paris.
Société française d'imprimerie et de librairie, 1900.
M. Bernardin réunit en ce volume un certain nombre d'articles ou
de conférences qu'il a consacrés à quelques figures curieuses du
xvii= siècle. Les personnages dont il nous entretient — le médecin
Charles de l'Orme, Nicolas Faret, l'aventurier Zaga-Christ, le para-
site Montmaur, le chevalier de l'Hermite-Soliers, le duc Henri II de
Lorraine — ne sont pas de ceux dont la postérité s'occupe beaucoup,
mais précisément parce qu'ils sont fort oubliés, ils gardent dans une
étude littéraire tout l'imprévu et tout le pittoresque qu'ont depuis
longtemps perdu les héros célèbres. M. Bernardin conte leurs aven-
tures avec agrément, en un style vif et alerte qui convient très bien à
l'exhibition de ces menues silhouettes qui n'ont d'autres rôles à jouer
dans l'histoire que de paraître et disparaître après l'avoir égayée un
I 14 REVUE CRITtQUË
instant. On n'a guère à lui reprocher qu'une manière un peu superfi-
cielle de les étudier et surtout, un déplorable abus de ficelles dramati-
ques qui nuit singulièrement à la valeur historique de ses narrations.
Raoul RosiÈRRs.
Ch. Renolvier, Victor Hugo, le philosophe, in- 12, 37S p. Paris, A. Colin, 1900.
Il était jadis de mode parmi les détracteurs d'Hugo, de soutenir
qu'il était incapable de penser et même de trouver une seule idée qui
fut bien à lui. La thèse a beaucoup faibli depuis lors. Déjà, il y a une
dizaine d'années, M. Jules Lemaitre s'était vu obligé de reconnaître
qu'il y avait au moins trois ou quatre thèmes différents dans l'œuvre
d'Hugo. Depuis on en a découvert d'autres. On a enfin compris qu'il
était fort injuste d'exiger d'un poète les systèmes philosophiques
complets qu'on ne réclame d'ordinaire qu'aux philosophes, mais que
si la qualification de penseur convenait à quiconque avait médité sur
de nombreux problèmes, Hugo était certainement un des poètes fran-
çais qui pouvait le mieux y prétendre. Et voici enfin aujourd'hui
qu'un philosophe, M. Renouvier, consacre tout un volume à étudier
Hugo comme philosophe.
C'est peut-être cette fois dépasser le but. Hugo, était surtout poète
et lorsque séduit par quelque pensée métaphysique, il la mettait en
vers, il ne songeait nullement à élaborer un système et, son poème
fait, passait volontiers à une autre pensée toute différente. Aussi M.R.
commentant successivement toutes ses poésies y trouve-t-il un pèle-
méle étonnant de doctrines diverses qu'il serait bien difficile de con-
centrer en une doctrine quelque peu arrêtée. Il le voit tantôt platoni-
cien, tantôt pythagoricien, ici d'accord avec Epicure, là se rapprochant
de Kant, ailleurs orphiste ou brahmane. Ce n'est pas assez sans doute
pour en faire un philosophe, mais c'est assurément plus qu'il n'en faut
pour affirmer qu'il a formulé un très grand nombre d'idées et qu'en
somme il a beaucoup pensé.
Ce qui manque d'ailleurs un peu à M. R. pour établir stirement sa
thèse, c'est la connaissance des sources d'inspiration du poète. Ce
n'était pas toujours une méditation acharnée qui fournissait à Hugo
le sujet d'un poème, mais souvent la lecture inopinée de quelque
vieux livre oublié qu'il s'avisait de vouloir refaire à sa manière. Il me
semble fort, à maints rapprochements de détails que je n'ai pas le loisir
de poursuivre ici, qu'il a du tirer l'idée de la Fin de Satan de la
Seconde semaine de Du Bartas. Et je suis plus certain encore que
son Ane^ n'est qu'une refonte à la moderne du De vanitate Scentiarum
de Cornélius Agrippa qui déniontre avec une dialectique toute pareille,
l'inanité des conclusions fournies par les savants sur toutes les ques-
d'histoire et de littérature ii5
tions de philosophie et de morale, et se termine par un éloge iden-
tique de la toute-sagesse de l'àne. Dès que son imagination est mise
en branle par un sujet qui Ta séduite, elle le médite et l'approfondit,
sans se demander s'il est d'une logique irrécusable ou s'il s'accorde
avec d'autres sujets traités quelques pages auparavant, et elle le con-
vertit en un admirable rêve de poète. Ce n'est pas là une œuvre de
rhéteur, comme on se plaisait tant à le dire autrefois, mais très réelle-
ment une œuvre de penseur, car il médite véritablement lui-même
l'idée qui l'a frappé et refait sans le savoir les raisonnements de Py-
thagore, de Platon, d'Epicure et de Bouddha. Seulement, et c'est ici
qu'il n'est plus philosophe, il les refait une à une, au caprice de l'ins-
piration, et sans se soucier de les concilier entre elles.
Mais si M. R., trop philosophe pour ne pas voir de la philosophie
partout, a exagéré notablement la puissance philosophique d'Hugo,
il en a tout au moins vu très exactement la nature. « L'homme que
V. Hugo appelle le Songeur, écrit-il, et qui remarquons le n'est pas le
même que le Penseur^ est celui qui s'exalte à la pensée des inconnus,
des possibles que l'imagination se peut peindre réels dans l'ordre de
la création. C'est celui qui contemple le mystère, est saisi de l'hor-
reur sacrée, sent l'immensité lui monter à la tête... Il a fortement senti
les problèmes supérieurs de la vie et de la destinée, c'est incontestable :
fortement, et mieux ou plus réellement, que tels philosophes qui se
flattent de les avoir compris et résolus... Là où il nous paraît le plus
manifestement avoir manqué 'de raison, nous devons trouver l'occa-
sion d'admirer le plus la /brce déraison qui a permis à cet homme
d'une imagination sans bornes, de résister à l'obsession des idées
délirantes qui subjuguèrent l'esprit de son frère Eugène, et qui durent
à certains moments le hanter lui-même ». Voilà l'idée juste qu'il
fallait développer seule et c'est pour ne s'y être pas tenu queM.Renou-
vier a écrit un livre un peu long, un peu diffus et d'une critique con-
testable en bien des points. Mais il nous a du moins rendu le service
de résumer très nettement les différentes théories philosophiques
d'Hugo et de montrer ainsi les prodigieuses facultés méditatives de
son génie.
Raoul Rosières.
— Aujourd'hui que le remaniement de nos circonscriptions territoriales préoccupe
de bons esprits, il n'est pas vain de rappeler combien a été laborieuse et souvent
artificielle la formation des départements, ce dont fournit un convaincant témoi-
gnage l'intéressante brochure de M. D.M.\TER{Formation du département du Cher...
Lettres de M. Salle de Chou, membre de l'Assemblée Nationale et de M. Dumont
delà Cliarnaye ijSg-go, Bourges, Sire, 1899. io3 p. 2 cartes). Dans la correspon-
dance des deux hommes de confiance qui négocièrent la constitution du dépar-
tement se révèle la lutte des intérêts traditionnels souvent respectables contre la
Il6 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
raison géographique. Le département n'englobe pas La Charité, située sur la rive
droite de la Loire pour ■< une misérable raison de position géographique ». Il est
vrai que l'on invoque le plus souvent pour asservir des localités la facilité des
communications. Il tallut créer de nombreux districts, pour donner satisfaction aux
villes « toutes ayant intérêt à se procurerun établissement public, à cause des avan-
tages qui le suivent ordinairement ». Qui donc parle de supprimer les sous-pré-
tectures et les petits tribunaux? — B. A.
— Le livre de M. E. Josset.^I travers nos Colonies, Livre de lectures. Paris, Colin,
igoo, vi-343 p.. i5 cartes et cartons, 200 gravures, est d'un véritable pédagogue
au sens le meilleur du mot; rien qui rappelle la sécheresse didactique du Manuel
ou Précis. C'est une série de leçons familières et animées, professées par un oncle
à ses neveux qui expriment leurs curiosités et ne craignent pas d'interroger leur
professeur, et celui-ci ne laisse point passer sans explication ou commentaire un
seul terme insolite pour ses jeunes auditeurs; aussi a-t-il donné un petit lexique
où figurent non seulement quelques noms géographiques mais des vocables de
la langue courante (p. ex. aqueduc, arable, etc.); il pratique aussi l'enseignement
par l'image, et le cours est illustré de vues nombreuses dont beaucoup sont accom-
pagnées d'une courte légende. Nous ne savons si les jeunes lecteurs auxquels cet
instructif volume est destiné, se laisseront «détourner de tant de carrières encom-
brées et orienter vers le commerce, la marine, les colonies ». Ce qui est certain,
c'est qu'ils en tireront des notices justes et saines sur notre empire colonial. —
B. A.
— Était-il bien utile qu'après l'ouvrage de M. J. -Charles Roux, M. P. -A. Schayk
écrivit un opuscule sur VÉtat et la Marine marchande française (Paris, Fonte-
moing 1900, 198 p.)? La partie statistique n'est ni neuve, ni suggestive; l'auteur
néglige de mettre en vedette l'élément le plus décisif en la matière, la part mari-
time du commerce français : le taux ressort en Allemagne, comme on sait, à
56 0/0. Les chapitres relatifs à la législation constituent plutôt un exposé analy-
tique qu'un commentaire critique : le plus souvent l'auteur invoque l'opinion
d'autrui, notamment des orateurs parlementaires. A ce propos, on lui reprochera
de n'avoir donné que des références sommaires ou incomplètes. II conclut avec
la plupart des hoinmes compétents au rétablissement de la demi-prime. Il pro-
teste contre les excès de la politique protectionniste et nationaliste qui stérilisent
les efforts de notre commerce maritime. — B. A.
ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 20 juillet igoo.
L'Académie se forme en comité secret.
M. Salomon Reinach communique une note sur le v. 743 du livre VI de l'Enéide :
Qinsquc suos patimiir mânes. 11 montre que ce vers a été mal interprété dès le pre-
mier siècle et que le contre-sens commis dans les écoles et consistant à traduire
mânes par supplicia, a eu pour etlet que Stace, imitateur de Virgile, a employé le
mot mânes dans une acception qu'il ne peut avoir. Cette erreur s'est perpétuée
dans les lexiques modernes.
Léon Dorez.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnet, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 33 — 13 août — 1900
ZiMMERN, Contribulions à la connaissance de la religion babylonienne, II. — Price,
Les grands cylindres de Goudéa. — Delbrûc:;, Syntaxe, 111. — Nicole et Morel,
.'Archives militaires du i"'' siècle. — Eckei,, Charles le Simple. — Zanetti, La loi
- de Coire. — Lanore, La cathédrale de Chartres. — La Mantia, Coutumes des
villes de Sicile. — Cléjient, Henri Estienne et son œuvre française. — La Ser-
viÈRE, Le Père Porée. — Le développement historique des gymnases saxons. —
Kron, La méthode Gouin. — Maguire, Géographie militaire. — Hauser, Les
colonies allemandes. — Lettre de M. Waliszewski et réponse de M. Legras.
I. Beitrâge zur Kenntnis der Babylonischen Religion von Dr Heinrich
Zimmern ; zweite Lieferung, Ritualtat'eln fur den Wahrsager, Beschwôrer und
Siinger; erste Hâlfte. Leipzig, Hinrichs, 1899, in-4, pp. 81-128, pi. XXI-XXXIX.
II. The great cylinder iuscriptions A and B of Gudea by Ira Maurice Price.
■ Part I Text and sign-list. Leipzig, Hinrichs, 1899; ^'^'41 v-iii pages.
I. Le nouveau fascicule de Touvrage considérable auquel M. Zim-
mern a donné le titre de « contributions à la connaissance de la
religion babylonienne » comprend la première partie d'une étude
consacrée aux tablettes cunéiformes de la collection de Kouyundjik
ayant le caractère de rituels. Ces textes s'appliquent à trois catégories
de prêtres : le devin (barû), l'exorciste (ashipu) et le chantre (zammaru).
La livraison actuelle ne comprend encore que les textes ayant trait
à la divination. Sur les 25 tablettes de ce type qu'à l'aide du catalogue
de Bezold, M. Z. a pu grouper, 23 appartiennent à divers exemplaires
d'un même rituel : le rapprochement des différents fragments permet
une restitution partielle de ce long et important document. Deux ta-
blettes n'ont pu être rattachées à cette série : l'une d'elles (le n° 24)
est particulièrement intéressante par la mention qui y est faite d'un
certain En-me-dur-an-ki, roi de Sippar, évidemment identique, ainsi
que le suggère M. Z. au septième roi de la dynastie préhistorique de
Berosc .
La transcription et la traduction des textes ont été établies avec la
précision, l'exactitude et la rare science qu'on pouvait attendre d'un"
ûssyriologue aussi parfaitement compétent que l'est M. Zimmern.
Sur un petit nombre de points des améliorations de détail pourraient
être proposées. Ainsi n^*^ 1-20, 1. 46 dans une liste d'offrandes com-
prenant miel, huile, dattes, etc. rigurent trois signes que M. Z. lit
Nouvelle série L. -^3
I l8 REVUE CRITIQUE
se ir-qii et qu'il traduit par « gruncs(?) » (irqu de arâqu). Ne pourrait-
on plutôt considérer ces signes comme formant un idéogramme com-
plexe identique à (GISH) SHE-IR-QU qui, sur un vocabulaire du
musée de Consiantinople (S 21 Rev. 6, cl. ZAVIII, p. 198] est expli-
qué par shar-ru-u (espèce de fruit ou de plante ' ?) Ibid., 1, 44, M.Z.
transcrit : a-du 3 akalu (?] 24 larakkas (-kas). Or les traces du signe
transcrit a,Vrt/z/ se réfèrent difficilement à GAR (= akalu). De plus la
présence de ce terme entre les deux chitl'res 3 et 24 s'explique mal.
Il est plus vraisemblable d'admettre qu'on ait ici un chirtVe fraction-
naire tel que 4-, t • Ce qui confirme cette manière de voir, c'est qu'à la
ligne précédente la lecture 24 n'apparaît pas comme possible (en effet,
le chiffre 4 est sur ces textes écrit comme le signe GAR). Je propose-
rais pour ce passage la restitution suivante: «tu disposeras trois tables
et sur chaque table tu placeras 28 pains de façon qu'il y ail trois fois
et demi 24 pains pour les trois tables ». Ainsi le nombre requis serait
84, soit la combinaison des deux nombres 7 et 12 (7 X 12;.
L'introduction mérite d'être particulièrement signalée : M, Z. y a
rassemblé les faits susceptibles de caractériser le rôle respectif du
devin, de l'exorciste et du chantre. Ces quelques pages ne sont pas
seulement précieuses à consulter pour Thistoire de la religion baby-
lonienne; elles offrent, en outre, par l'interprétation qu'on y trouve
de certains termes techniques, un grand intérêt au point de vue
lexicographique.
II. La publication des grands cylindres de Goudéa nécessitait un
long travail de copie qu'il faut savoir gré à M. Ira Price d'avoir entre-
pris et mené à bien. J'éprouve un vrai plaisir à signaler cet ouvrage
auquel il est aisé de prédire le meilleur accueil. Je souhaite que M. P.
ne nous fasse pas trop attendre la seconde partie annoncée, qui doit
contenir la transcription et la traduction des deux inscriptions repro-
duites dans le présent volume.
La copie que M. P. nous donne des deux cylindres, est établie avec
soin et parait exacte dans son ensemble. Néanmoins quelques
lectures prêtent à discussion ' et il y aurait au sujet de la liste de
1 . L'absence de she sur l'un des textes parallèles démontre (à moins de supposer
une erreur de scribe] que she est ici déterminaiif.
2. Voici, par exemple, un certain nombre de points sur lesquels je voudrais
attirer l'alteniion de M. Price. Cyl. xV, I, 1, troisième ligne shir-fiir... — lli, 5
bar au lieu de masli — i3 aucune trace de {fish — \'l, 7 sixième signe = shiib —
Vil, 17 giali-sliid au lieu de gisli-dub — Vlil, i3 na au lieu de ki — X, i3 premier
signe = ti — X, 23 deuxième signe = REC n» 378 (et non tsi]; troisième signe
= REC no 3ûo igiir) — XI, 23 ge au lieu de gjn — XII, 11 deux premiers signes
= iti {shi-dub et non slii-ra) — 21 ua au lieu de ki — 22 idem — XIII, 12 qua-
trième signe =^ ge — 21 quatrième signe = iiini — XIV, 8 deuxième signe = da
— Il id au lieu de da — 18 dïib (REC n° 373 j au lieu de edin — XV, 3 après tiin-
erin lire ki-nin-erin — 14 au lieu de ni-ba-al lire iish-e — X\'l, 3 Kir {)) au lieu
de gish — XVII, 23 troisième signe = hu-si REC n" 37^1 — XVIII, i cinquième
d'histoirç et de littérature 1 19
signes qui termine le volume des observations à présenter '.
Malgré ces inexactitudes difficilement cvitables d'ailleurs dans une
publication de cette étendue, l'ouvrage de M. Price constitue une base
de travail très suffisamment sûre et solide. J'espère qu'il sera le point
de départ d'études nouvelles sur ces deux importantes inscriptions
qui, si on excepte un excellent article de Zimmern sur le songe
raconté dans les premières colonnes du cyl. A, sont restées jusqu'ici
presque entièrement inexpliquées.
Fr. Thureau-Dangin.
Grundrissdervergleichenden Grammatik der Indogermanischen Sprachen
von Karl Brugmann und Berthold Delbrûck. Fûnfter Band : Syntax, von B.
Delbrûck, III Theil und Indices (Schluss des Werkes). -r- Strasbourg, Trûbner,
1900. In-8, XX-G08 pp, Prix : ib. mk. ".
C'est avec le siècle que s'achève cet imposant résumé des conquêtes
scientifiques du siècle dans un domaine à peu près inconnu avant lui.
Il s'achève heureusement, ainsi qu'il a débuté : il s'est ouvert sur la
phonétique indo-européenne, aujourd'hui si sûre d'elle-même et de
ses lois, qu'à peine une science exacte peut apporter à l'esprit une
satisfaction plus sereine ; il se ferme sur l'exposé des données de syn-
taxe les mieux connues, les plus fermes, celles qui se prêtent le moins
aux reconstructions arbitraires ou hypothétiques, et le moins les
exigent. Ces données, l'auteur les a poursuivies et analysées, dans
toutes les branches de l'indo-européen, — sauf le celtique, exclu
d'emblée, — avec un si minutieux souci de parfaite exactitude, que
cette partie de son œuvre au moins peut être considérée dans l'en-
semble comme définitive.
Il va de soi que je ne parle pas seulement d'exactitude matérielle.
signe = gir-nun (REC suppl' n" i .îq) — XX, 27 troisième signe = se (REC n-^ 1 38)
— XXI, 10 di ;iu lieu de ki [sa-dug-ga] — XXII, 4cinquième signe = g'e — XXIII^
8 na au lieu de ki — 11 premier signe = gir-nun (REC suppl' n" 159) — 2G rien
entre mu et ni — XXIV, 22 si-ba au lieu de bji-ba — XXVI. 21 taÇi) au lieu de lai
— 25 eme au lieu de ka — XXVII. 24, 2? une seule case au lieu de deux —
Cyl. B, VIll, Il premier signe = shit — WW, 1 dernier signe = dar —XIV, 4
sixième signe = Ka — XVI, 14 troisième signe = sig — ibid. 17 gu au lieu de
buv — XXII, I premier sicne = a^ag XXIII, b" deuxième signe = fi/.
1. N" 24 correspond seulement à us — n" 29 et. REC n» U — W 38 deuxième
forme équivaut non à vi mais à nin (REC n» 294) — n<>94= chitlrc 2 ^cf. REC
r," ^Hb) — n» y5 Ci. REC suppl' n» 127 — w 144 dv.uxiènie forme = n» 143 cf.
REC n» 198 — n" 162 = kayn ^REC n» 216^ — n" i85 = dul ;cf. REC suppl»
n° 277 bis) — no 241 = sal 1 (et. Zimmern Z.\ III, p. 234; — n»' 3i9 et 322 (cette
dernière torme légèrement ditlérentc sur l'original; sont peut-être identiques à
REC n° 437 (Br. n» 10242).
2. Cf. Revue critique, XLV(i898n p. 45.
•iYo RÊVtlE" CRITIQUE
•C'est le moîndre mérite, — pourtant énorme, — de cet ouvrage Volu-
mineux, où les citations de diverses langues tiennent tant de place.
J'ai relevé, p. 1 18, 1. 17, la faute d'impression thathêti pour tathêti
•fsk.), et p. 160, 1. 19, un mot grec a^aaTocpôpuxTo;, qui doit être lu, je
suppose, -o'jp-ro;. Les citations de la p. igB (Chàndôgyôpanishad) sont
•particulièrement maltraitées : l'apostrophe qui manque devant J^y^fa
(1. 8 du bas) est venue se placer indûment un peu plus loin devant
dhanusha^ et à la même ligne on lit Tinintelligible <iyatanam pour
âyamanam. Enfin, p. 224, 1. 19, le mot qui signifie « les supérieures et
les inférieures » est naturellement iittarddhards, et il n'en coûtait rien
de l'accompagner d'une référence complète : Çat.-Br. V. 3.4. 21 ".
L'exactitude des traductions n'est point en cause non plus. Sans
doute. Je ne les contresignerais point toutes ; mais M. Delbruck n'a
■pas écrit son livre pour faire œuvre d'exégèse védique, et force est
bien de laisser tomber la controverse lorsqu'elle ne touche pas au
fond même de la question de syntaxe débattue, à plus forte raison
lorsqu'elle porterait sur ce qui ne semble qu'un simple lapsus, comme
tydsj'ai (p. 45) rendu par « dir », ou saptd (p. 142) par « viel ». Pour-
tant c'est à regret qu'on rencontre des sens qu'on pouvait croire défi-
nitivement condamnés et que l'autorité de M. D. risquerait de réha-
biliter pour un temps : ajd n'a que faire de signifier a Treiber » (p. 100
et 170), et c'est déjà bien assez qu'on ait à choisir entre les deux
-traductions « bouc » et « non-né », qui font calembour, sans qu'on
les surcharge encore de cette complication inutile et encombrante ;
ailleurs (p. 3oi), dans la séquence énigmatique de Dîrghatamas,
M. D. lui-même écrit « des Ungeborenen » et nous voilà d'accord
sur le mot, sinon sur la stance, que j'ai traduite tout différemment,
-Avec autant de certitude, je crois, qu'on en peut apporter à la solution
d'une énigme ^ Cette dernière divergence touche à la syntaxe, en ce
que, pour moi, ckam ici est accusatif, et j'en ai pour preuve 1' « anti-
thèse védique » évidente avec shash (R. V. L 164. 6). Voici qui
l'intéresse de plus près. R. V. X. 37. 9, M. D. traduit dhndhnd par
« de jour en jour » ; mais, outre qu'une « innocence » ne peut pas être
« meilleure » qu'une autre, le concept de l'innocence étant de sa nature
absolu \ le parallélisme de la répétition indique, à n'en pas douter,
que dhndhnd, doit se construire avec vdsyasd-vasyasd et qu'il faut
comprendre: « Lève-toi pour nous, ô Soleil, avec l'innocence, avec
un jour chaque fois meilleur que le jour précédent. » De même
:R. V. in. 5. 10 (p. 248) iittamô rôcandndm est un médiocre exemple
de l'accord du superlatif avec le sujet, attendu qu'on peut parfaitement
1. P. 180, 1. 8, Vi est de trop dans dryakriti. " •
2. Voir mon Athavva-Véda, \'11I-1X, p. 108 (st. 7) et 146.
3. Cet argument est peut-ctrc de natiiie trop logique pour la langue des Védas ;
mais le suivant est irréfragable. \'oir atissi : Bcrgaigne, Quarante Hymnes, p. 64.
d'histoire et de littérature I 2 I
considérer iittamù comme isolé « le suprême » et faire dépendre rôca-t
lidndm de nàkam « la voûte, des splendeurs = le ciel » ' : bien plus
probant était sd dêvdtànàm ékô bhavati Çat. Br. III. i. i. lo, où éka
joue un rôle de superlatif.
L'objet du livre est la syntaxe de coordination : dans un premier
chapitre, qui est le xxxv^ de l'ouvrage entier, l'auteur précise et divise
sa matière.
Le chapitre xxxvi traite du sujet et du prédicat, unis ou non par la
copule. On peut s'étonner, vu la nationalité de l'auteur, qu'aux
exemples du type ad duo milia capiiintur (p. lo) il n'ait pas cru devoir
ajouter le mhd. \e dri^ic tûsent marken tpart den armen gegeben,
très curieux en ce qu'ici le verbe est au singulier. P. 19, on regrette
l'absence du vers d'Horace : mediocribus esse poetis. ...
Au chapitre xxxvii® (propositions sans sujet), je crois constater que
M. D. (p. 28), sans d'ailleurs me nommer, et en partant d'exemples
différents des miens, est entièrement d'accord avec moi ' sur le type
de phrase préhistorique d'où est sortie la tournure accusativus ciim
infinitivo. Encore un problème dont la solution est désormais acquise.
Dans l'étude de la place respective des mots (ch. xxxviii), je relève
(p. 48) une jolie métaphore, et plus vraie qu'il n'est d'usage pour les
métaphores : « Les particules sont les vallées qui unissent en les
séparant les cimes du discours. » M. D. enseigne que, si ces particules
sont entièrement atones, le verbe indo-européen ne l'était pas, mais
affectait une tonalité inférieure à la moyenne : d'où son enclitisme
subséquent ; il repousse dès lors les conclusions de M. Wackernage'l
sur le caractère primitif de la position du verbe en germanique (p: 83):
C'est dommage, car elles étaient fort séduisantes : je ne crois pas, en
effet, qu'elles cadrent avec la majorité des faits constatés ; mais peut--
être parviendra-t-on à en sauver quelque chose. Je comprends moins
bien, je l'avoue, pourquoi M. D. écarte l'identification lat. igitur ==
agitiir(p. 66) : le faitque les plus anciens documents qui contiennent
igitur le placent en début de phrase, me paraît presque négligeable,
un simple caprice du hasard ; et l'exemple de licet, scilicet et autres
suffit à montrer avec quelle facilité une forme verbale a assumé en latin
la^fonctiofl de conjonction.
Le ch. xxxix traite de- l'ellipse. Celle du sk. kim bahund me paraît se
résoudre au rnieux par la restitution dQcaritavyam (p. i23) : comparer
le sens usuel et technique de la locution vdcd car. Celle du verbe de
1. Bergaignc-Henry, Manuel Védique, p. 61. — Le mot rki'aii ne signifie pas
« singend»(p. i3i), mais « mit Versen vcrschcn » ; la nuance n'est pas sans valeur.
— Ibid., je crois avoir démontré {Me'm Soc. Ling., X, p. 85= Vcdica III 12) que
maliishd ne signifie jamais que « buffle ». — Le sens " mouche " pour admasdd,
(p. 168) a été établi par M. Geldncr, Vedische Studien, II, p. 179. •
2. La' Proposition injimtive (Etudes de Syntaxe comparée, I), in Revue de
Linguistique, XXU (1889), p. 33.
122 REVUE CRITIQUE
mouvement est largement représentée (p. i 25) dans la poésie allemande
la plus populaire comme la plus élevée : woher so/rtieh, wo ane scho,
Her Morgestern, enanderno ? (Hebel).
La composition des mots (XL) est un chapitre de la syntaxe, surtout
lorsqu'on en déduit les origines à la façon de M. Jacobi. Il est vrai
que M. D. t'ait ses réserves (p. 162) sur les théories de son collègue de
Bonn. Sa principale objection contre elles parait être que les mots en
composition retîètent une nuance de sens différente de celle de leur
juxtaposition syntactique, et il en donne çà et là, notamment p. 204,
de bien délicats exemples. Rien n'est plus juste ; mais c'est aller trop
loin, et presque jusqu'à la pétition de principe, que d'écrire ^p. 140)
que la composition ne se serait pas développée si la juxtaposition
syntactique avait suffi à l'expression adéquate de la pensée ; car la
question est précisénient de savoir si le premier procédé n'est pas pri-
mordial, ou au moins de beaucoup antérieur au second. Tout bien
pesé, la thèse de M, Jacobi ne me semblerait excessive que si elle
aboutissait à nier l'existence des propositions relatives en indo-euro-
péen. Mais je ne crois pas que telle soit sa pensée : il y a eu une phase
desubordination sans signes extérieurs, puis une phase de subordina-
tion marquée par des pronoms relatifs et des conjonctions ; et celle-ci
était déjà assez avancée lorsque s'est opérée la scission ethnique, en
sorte qu'elle a prévalu et que la seconde n'a subsisté qu'à l'état de
survivance et sous forme de composition nominale '.
Dans le chapitre de l'accord (XLl), je note que mon explication
purement analogique et grammaticale des pluriels neutres sanscrits
purû et similaires^ (p. 243), encore qu'elle ait été traversée depuis
par les théories beaucoup plus profondes et compréhensives de M. J.
Schmidt sur le pluriel neutre indo-européen, n'en est pas infirmée, si
l'on ne les admet en bloc, ce que M. D. n'est point disposé à faire:
purû est altéré du régulier purû.
La contamination (XLII), ce facteur essentiel de toute syntaxe, ne
donne pourtant matière qu'à peu d'observations, par la raison fort
légitime qu'il n'est guère de contamination proprement dite qu'on soit
autorisé à faire remonter jusqu'à la phase proethnique.
1. Parmi les trouvailles de l'auteur, je n'en s;iis guère de plus élégante que
rexplication (p. 17?) de l'expansion du type dlianamjaj'd, et, en général, de la
composition syntactique en sanscrit : à raison du caractère uniforme du vocalisme
sanscrit, beaucoup de premiers termes de composés (soit vâsôvâyd), quoique
n'ayant que la forme thématique pure, donnaient l'illusion d'un accusatif ; une
fois l'accusatif entré par cette porte dans le système de la composition, les autres
cas suivirent. — En revanche, pourquoi s"obstinc-t-il h considérer le type sanscrit
pitânialid, (p. 218) comme une singularité déconcertante ? J'en ai dit un mot ici
même (Rev. dit., XXX, p. 82), et à propos de l'ouvrage auquel il renvoie. Ne
lit-il pas les comptes rendus de ses œuvres ? Ou ma solution lui at-elle paru trop
sommaire ? Il pouvait, en tout cas, la mentionner sans se compromettre.
2. Le Nominatif-Accusatif pluriel neutre dans les Langues Indo-Europe'ennes
(Esquisses morphologiques, IV,) in Muséon, VI (1887), p. 558.
d'histoire et de littérature 123
XLIII. — Propositions interrogatives. — J'ai déjà dit qu'à mon
sens le ne interrogaiif latin n'est pas une simple particule de renfor-
cement (p. 263), mais la négation ellc-mcme : en d'autres termes, la
tendance proethnique, conservée par les Latins et par les modernes,
consistait à poser la question sous la forme néf^ative lorsqu'on atten-
dait une réponse affirmative, et réciproquement. Lat. ^;z, au contraire,
ne signiHant que « etwa ^> (p. 270), rien absolument n'empêche de
l'assimiler à l'àv du grec.
Après une courte étude des propositions prohibitives (XLIV), M. D.
aborde la matière indéfinie des propositions relatives, où il distingue :
le type âryo-grec (XLV), où l'indice de relation est * yô- et dérivés ;
le type germanique (XLVI), où d'autres thèmes pronominaux con-
courent avec lui ; le type italique et Jetto-slave, où le pronom inter-
rogaiif fait fonction de relatif (XLVll). Chacun de ces métaplasmes
syntactiques est analysé en détail avec la plus ingénieuse pénétration.
Il est seulement fâcheux que l'équation got. ei = i. e. "yôd^ si satis-
faisante au point de vue sémantique (p. 347), manque de soutien
phonétique : non pas qu'elle soit impossible, témoin i- e. * kerdhyos
devenu got. hairdeis, dont M. D. ne parle pas ; mais Justement il
faudrait imaginer la Juxtaposition dans laquelle * j''6d aurait été pré-
cédé d'une syllabe lourde, et je n'en vois pas le moyen, puisqu'il était
initial ou ne pouvait avoir que * tôd pour antécédent.
Si je ne m'arrête pas davantage sur ces i5o pages, y compris le
chapitre final fparataxe et hypotaxe), c'est qu'il faut se borner et qu'un
compte rendu rapide n'en apprendrait rien au lecteur. Ai-Je besoin
d'ajouter que, si complet que soit l'exposé en tant que syntaxe indo-
européenne, il n'exclut pas, il appelle au contraire les monographies
futures, et leur trace la marche à suivre ? Par exemple, les particula-
rités très variées et complexes de la construction hellénique par la con-
jonction V. ne figurent point ici, et à bon droit, puisqu'elles sont exclu-
sivement helléniques ; mais chacune d'elles, probablement, était en
germe dans quelque construction indo-européenne, et toutes méritent
au mc-ins d'être explorées à ce point de vue : ce que je constate, non
pour reprocher une lacune à M. Delbrùck, — encore une fois ce
n'était pas là son sujet, - mais pour ne pas laisser croire aux Jeunes
linguistes que « tout soit dit et qu'ils viennent trop tard ».
Les quatre index (op. 45 1-606), des mots, des matières, des passages
cités et des noms d'auteurs, se réfèrent, bien entendu, à tout l'ouvrage.
Le troisième ne renvoie qu'à trois textes : pour le sanscrit, le Rig-
Véda ; pour le grec, Homère ; pour le latin, Plaute. C'est tout ce qu'il
faut : un relevé intégral n'eût fait qu'allonger le livre et retarder la
publication, presque inutilcincnt. Dans le dernier, je signale l'omis-
sion du nom de M. d'Arbois de Jubainvillc, cité au tome III, p. 74.
V. Henry.
I 34 REVUE CRITIQUE
J. Nicole et Ch. Morel, Archives militaires du I" siècle. Genève, H. Kûndig
et Paris, E. Leroux, igoo, in-t'ol., ^^4 pages cl planches.
MM. Nicole et Morel ont eu parfaitement raison de publier à part
le papyrus du Fayoum qu'ils nomment Archives militaires du r"" siècle^
non pas, comme ils le disent parce que le format de la collection
intitulée Les papyrus de Genève, qu'ils font paraître concurremment,
eût été trop petit pour le fac-similé — il eût suffi de plier la planche
une fois de plus — mais parce que le document mérite une mention
toute particulière. Et c'est pour cela que, bien qu'ayant l'occasion
d'en parler ailleurs avec quelque développement, Je tiens à en donner
aux lecteurs de la Revue une analyse sommaire.
Ce papyrus contient non pas une, mais cinq pièces distinctes. La
première renferme les comptes de deux soldats, sans doute des légion-
naires. Les recettes se composent uniquement de la solde payée en
3 fois, suivant l'usage, ets'élevant en tout à 744 drachmes (la question
est de savoir la valeur de ces drachmes). Les dépenses consistent en
sommes rendues à l'Etat pour les vivres et les vêtements, en un dépôt
de 4 drachmes fait ad signa et en une cotisation payée pour fêter les
Saturnales. En outre, il est fait mention des économies déposées par
les soldats pour grossir leur peculiwn castrense. La pièce date de la
3^ année du règne de Domitien.
Une seconde pièce nous fait connaître les missions militaires con-
fiées à quatre personnages différents; les dates où chaque mission
commence et finit sont soigneusement notées. Les uns étaient chargés
d'aller chercher du blé dans des endroits spécialement mentionnés ;
d'autres, de l'argent; d'autres, de faire fabriquer du papier; d'autres
enfin de coopérer à la police du Nil ou de diriger des travaux exécu-
tés sur le fleuve.
Ces deux pièces occupent le recto du papyrus. Une place restait
blanche dans le bas à gauche ; on s'en servit ultérieurement pour écrire
une liste de quatre noms précédés d'une date consulaire relative au'
xve consulat de Domitien. On ne peut dire quelle était la portée de
cette partie du document.
Le verso est occupé par deux pièces. En premier lieu on y lit une
liste de neuf soldats dispensés du service courant (vacantes), mais
chargés de fonctions spéciales qui expliquent la dispense accordée
aux soldats. Ce sont des sous-officiers ou des ouvriers d'art ; l'un est
nommé supranumerarius. La dernière pièce est d'un intérêt autrement
plus considérable. Elle présente un tableau de service pour trente-six
soldats pendant dix jours, les dix premiers jours du mois d'octobre.
Les noms des soldats occupent la i'" colonne verticale, chaque jour
étant représenté par une des colonnes suivantes. Les noms sont séparés
les uns des autres par une barre horizontale. Chacun des carrés ainsi
obtenus est rempli par un ou plusieurs mots ou groupes de lettres,
d'histoire et de littérature 12 5
qui indiquent Temploi donné au soldat aux différent s jours. Malheu-
reusement un grand nombre de ces mots sont peu lisibles ou appar-
tiennent à une langue spéciale militaire que nous ignorons. C'est ainsi
qu'on rencontre plusieurs fois le mot ballio. Il est tout à fait regret-
table que le document le plus nouveau par son contenu soit une
suite d'énigmes.
MM. Nicole et Morel ont commenté ce papyrus avec beaucoup
de science et une grande ingéniosité. Ils sont les premiers à avouer que
la plus grande partie des solutions qu'ils ont proposées sont tout à
fait provisoires.
R. Gagnât.
Auguste EcKFL. archiviste paléographe, élève diplômé de l'Lcolc Jcs Hautes Études.
— Charles le Simple (forme le 124* fascicule de la Bibliothèque de l'École des
Hautes Études), i vol. grand in-8 de xxii-168 pages. Paris, Bouillon, 1899.
Après les Derniers Carolingiens de M. Lot et le roi Eudes de
M. Favre, le Charles le Simple de M. Eckel vient prendre rang dans
la série des Annales de r histoire de France à l'époque carolingienne.
M. E. a dédié son livre à la mémoire de son maître, M. Arthur Giry,
si prématurément enlevé en novembre 1899 à l'affection de ses élèves
et de ses amis ainsi qu'à l'estime du monde savant. On sait que le
regretté défunt avait eu l'idée et pris la direction de cette importante
publication des Annales, où il devait lui-même donner une histoire du
règne de Charles le Chauve.
La tâche qu'avait à remplir M. E. ne laissait pas que d'être ma-
laisée. Si, en effet, les premières et les dernières années de Charles le
Simple nous sont assez bien connues, grâce à des sources telles que
\cs Annales VeJastini, les Chroniques de Réginon et de Flodoard, il
n'en va pas de même de la période intermédiaire, sur laquelle, faute
de documents contemporains, nous ne savons presque rien. En outre,
il se trouvait que le début et la hn du règne de Charles avaient été au
cours de ces dernières années l'objet d'études minutieuses. En écrivant
la biographie du roi Eudes, M. Favre avait forcément raconté la lutte
que l'ancien comte de Paris, élu en 888 roi de France, avait eu à sou-
tenir quelques années plus tard contre Charles, l'héritier légitime de
la couronne. D'autre part, les premières pages de la monographie du
roi Raoul, par M. W. Lippert, étaient consacrées aux événements qui
précédèrent l'usurpation du trône par le gendre de Robert, c'est-à-
dire à la révolte de ce même Robert et de nombreux seigneurs français
contre l'autorité de Charles le Simple.
Toutefois, deux points importants restaient à traiter, les plus im-
portants même du règne de Charles; nous voulons dire la concession
aux Normands des territoires de la basse Seine et l'acquisition de la
Lorraine.
126 REVUE CRITIQUE
Nous ne possédons par malheur que des renseignements incom-
plets, peu précis et peu exacts, sur ces deux événements, considérables
en eux-mêmes, et dont le premier était gros de conséquences pour
l'avenir. Dans quelles conditions se sont-ils produits, c'est ce que ne
nous apprend aucun auteur contemporain. Dudon de Saint-Quentin
nous a laissé force détails sur l'établissement des Normands dans la
région qu'arrose la Seine inférieure ; mais outre que cet historien
n'avait pas été le témoin des faits qu'il raconte, il les tenait d'un per-
sonnage qui avait intérêt à les embellir, le comte Raoul d'Ivry, frère
utérin de Richard I^^,
Le récit de Dudon a par conséquent un caractère légendaire nette-
ment marqué. Il peut contenir, il renferme même très certainement
une parcelle de vérité, mais comment la dégager, cette parcelle, com-
ment la distinguer des inexactitudes ou des fictions qui l'entourent?
M. E., dont on ne saurait trop louer la prudence et l'esprit critique,
a su opérer lé triage des faits que ses sources lui fournissaient, indi-
quer, d'une part, ceux qui lui paraissaient ne pouvoir être contestés,
d'autre part, ceux qui étaient ou simplement probables, ou douteux,
ou enfin complètement faux.
Si, au début du x« siècle, les expéditions de pillage entreprises par
les Normands à travers la France avaient cessé d'être fructueuses, en
raison et de la résistance qu'opposaient les seigneurs et de la misère
qui désolait les provinces du royaume, Charles, d'autre part, ne
disposait pas de forces suffisantes pour chasser les pirates des régions
voisines de l'embouchure des grands fleuves où ils avaient établi leur
résidence'. Dans ces conditions, ne valait-il pas mieux pour le roi se
résigner à faire la part du feu, accepter le fait accompli, reconnaître
aux Normands la possession des contrées qu'ils occupaient, en les
obligeant d'ailleurs à embrasser le christianisme, à s'abstenir désor-
mais d'incursions, enfin à protéger le pays contre ceux de leurs com-
patriotes demeurés païens qui tenteraient de le dévaster? Ce fut l'avis
de Charles, et l'événement prouva qu'il avait eu raison. Pourtant les
précédents, car il y en avait, n'étaient pas favorables à ce projet, sédui-
sant au premier abord. Bien avant Charles le Simple, Lothaire I®"",
Lothaire II, Charles le Gros, avaient abandonné une partie de la Frise
à des chefs normands convertis. Le résultat n'avait nullement répondu
aux espérances de ces princes. Les Normands, sans nul souci du
baptême qui leur avait été conféré, ni des engagements qu'ils avaient
pris, commirent toutes sortes de violences dans les provinces dont on
i.Ce sont les fidèles des seigneurs, M. Eckel a raison de le dire (pp. 71-72)
qui constituent à eux seuls les armées de celte époque. Si les grands se montrent
empressés à repousser une invasion qui menace directement leurs domaines, ils
font par contre la sourde oreille aux prières du roi, trop faible pour donner des
ordres, quand il s'agit d'entreprendre une expédition lointaine, dont ils n'espèrent
retirer aucun avantage.
d'histoire et de littérature 127
leur avait confié Tadministration : ils allèrent même jusqu'à tolérer,
sinon à encourager, les incursions et les ravages de bandes de pirates
venus de la Scandinavie. On tinit par renoncer à un système qui pré-
sentait plus d'inconvénients que d'avanigges.
Il réussit pourtant sur les bords de la Seine. Rollon et ses compa-
gnons se montrèrent plus fidèles à leurs serments que ne l'avaient été
Heriold, Roric ou Godfrid. Le pays qui leur avait été concédé re-
trouva une tranquillité et une prospérité que depuis longtemps il ne
connaissait plus. En somme, les résultats obtenus prouvent que
Charles fit preuve de sagesse en concluant la paix avec Rollon. Le
désir de laver ce prince des reproclies injustes que lui avait valus un
acte fécond en heureuses conséquences n'a d'ailleurs pas entraîné
M. E. à tomber dans l'excès contraire. Toujours mesuré, l'auteur n'a
eu garde d'exagérer les mérites de son héros, de saluer en lui un pro-
fond politique, qui aurait vu loin dans l'avenir.
Indépendamment des motifs qui poussèrent le roi et le pirate à
s'entendre, bien des questions se posent à propos de l'arrangement que
Charles et Rollon conclurent à Saint-Clair-sur-Epte. M. E. leur a
consacré un examen attentif.
La plus importante est relative aux conditions de l'accord. Quels
sont les territoires concédés par le roi de France aux Normands ?
Quels engagements Rollon a-t-il pris vis-à-vis du roi? L'historien
moderne ne peut qu'avec une extrême difficulté donner de réponse
nette et précise : comment, en effet, démêler la vérité à travers les
légendes qu'a recueillies Dudon de Saint-Quentin?
Peut-être faudrait-il distinguer, c'est là une ingénieuse conjecture de
M. E. (pp. 76-78), entre les territoires que Charles reconnut formelle-
ment à Rollon par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, et ceux que le
chef normand occupait déjà et dont il resta le maître après 91 1, bien
que la possession ne lui en eût pas été confirmée.
Charles a-t-il inféodé la Bretagne à Rollon ?M. E. ne le pense pas
(pp. 78-79), le fait n'étant rapporté que par Dudon. On peut cependant
objecter à M. E. que la cession de la Bretagne n'est pas plus invrai-
semblable que celle delà Flandre, admise par lui. Si, pour se venger
du comte Baudouin II, Charles a voulu donner la Flandre aux Nor-
mands, pourquoi n'aurait-il pas pu tout aussi bien leur offrir ensuite
la Bretagne? Remarquons qu'il n'exerçait en fait aucune autorité sur
cette province : le cadeau ne lui coûtait donc rien. Comme du reste
les Bretons n'auraient pas été plus disposés à subir la domination de
Rollon que celle du roi de France, celui-ci créait à son nouveau vassal
une occupation, qui l'aurait détourné de reprendre ses courses de pil-
lage à travers le royaume. Ainsi, l'octroi de la Bretagne aux Normands
ne présentait que des avantages pour le donateur.
M. E. rejette avec raison la fable rapportée par Dudon du mariage
de Rollon avec Gisèle, fille de Charles le Simple (pp. 79-83). Cette
128 REVUE CRITIQUE
princesse n'aurait pu avoir en 91 1 que quatre ans tout au plus, puis-
que c'est en 907 que sa mère Frédérone épousa le roi de France.
D'après M. E. (pp. 87-88) les Normands n'auraient pas attribué la
même portée que les Français.à l'arrangement de Saint-Clair-sur-Epte.
Pour les premiers, c'aurait été simplement la consécration légale de
leur occupation de fait. Par contre, les Français auraient estimé que
Rollon avait acquis à titre bénéficiaire Rouen et les comtés voisins de
cette ville, que par suite il était astreint à certaines obligations vis-à-
vis de Charles. Il nous semble hors de doute que le chef normand a
prêté au roi serment de fidélité, et promis de lui rendre les services ordi-
naires d'un vassal en retour de la cession territoriale qui lui était faite.
Existe-t-il, comme le pense l'auteur (p. 74), une corrélation entre
l'accord de Charles avec les Normands de la Seine et l'acquisition par
ce prince du royaume de Lorraine ? La chose ne manque pas de vrai-
semblance. Toutefois, pour se montrer nettement affirmatif, il faudrait
tout d'abord savoir de quelle façon, à quel moment précis, avant ou
après la mort de Louis l'Enfant, Charles a été appelé en Lorraine par
les seigneurs de ce royaume. Les Lorrains sont-ils devenus, du vivant
même de Louis qu'ils auraient abandonné, les sujets de Charles, ou
ont-ils au contraire attendu — pour reconnaître ce dernier prince —
que le fils d'Arnulf fût descendu dans la tombe? Vu la façon dont les
Annales alamannici présentent le fait, on peut hésiter entre les deux
hypothèses, M. E. nous semble avoir trop facilement adopté la pre-
mière, comme s'il n'y en avait pas d'autre possible (p. 94).
Si l'auteur a bien mis en lumière l'importance qu'avait pour Charles
la prise de possession de la Lorraine (p. 97), s'il a donné une explica-
tion satisfaisante (p. 97) du titre de rex Francorum, qui figure dès
lors dans les diplômes de Charles, s'il a montré (p. 95) que la majorité
des Lorrains resta fidèle à son nouveau souverain, nous lui reproche-
rons de n'avoir pas vu que la Lorraine, au lieu de constituer purement
et simplement une province française, avait conservé la situation de
royaume autonome, que déjà elle possédait sous le règne de Louis
l'Enfant : elle garde, en effet, sa chancellerie particulière, distincte de
la chancellerie française.
D'autres questions, telles que la frontière orientale du royaume de
Lorraine (pp. 98, 100, 102, io3), la nature des fonctions exercées par
Régnier (pp. 93 et 99), les familles lorraines apparentées à la dynastie
carolingienne (p. 99), auraient mérité de la part de l'auteur un exa-
men plus approfondi. Il y avait là des problèmes délicats, difficiles à
résoudre, nous le reconnaissons, mais auxquels M.E. n'a pas donné
une attention suffisante; il nous semble les avoir trop vite et trop som-
mairement tranchés. Mais peut-être nous répondra-t-il qu'il avait à
écrire les Annales du règne de Charles le Simple, et non une histoire
de la Lorraine sous la domination de ce prince.
Enfin, et ce sont là des reproches d'une portée plus générale, M . E.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE IlÇ)
n'a pas suffisamment mis à contribution les sources diplomatiques,
n'en a pas tiré tous les renseignements qu'elles lui auraient fournis ;
d'autre part, à l'exemple d'un trop grand nombre d'historiens, il a
totalement négligé les monuments de la numismatique.
M. E. s'est montré, soit au cours de sa monographie, soit dans sa
conclusion, un appréciateur équitable de Charles le Simple, de son
caractère et de sa politique. Sans aller aussi loin que Borgnet, qui
avait cru devoir prendre le contrepied des opinions émises par les
historiens antérieurs, M. E. prouve qu'en différentes circonstances
Charles a déployé de l'énergie, de l'habileté, et qu'il ne mérite nul-
lement les reproches ni les qualificatifs infamants que la postérité a
prodigués à sa mémoire.
Nous avons déjà félicité M. Eckel de l'excellent esprit critique qu'il
apporte à l'interprétation des documents. Le style de l'ouvrage ne
mérite pas moins d'éloges: simplicité, précision et clarté en sont les
qualités principales.
En résumé, l'œuvre sérieuse et solide de M. Eckel mérite de rece-
voir et recevra, nous n'en doutons pas, le meilleur accueil de tous ceux
qui s'intéressent à l'histoire de l'époque carolingienne.
Robert Parisot.
G. L. Zanetti, Lalegge romana retica coirese o udinese, Hœpli, Milan, 1900
(Studi giurjdici e politici. Universita di Pavia. Istituto di esercitazioni nelle
scienze giuridiche e sociali. II). i5i p.
Ce mémoire couronné au Concours Cossa, en 1897, et publié en
vertu d'une décision de l'Institut juridique de Pavie, s'ajoute à une
littérature déjà fort riche au sujet de cet abrégé de la Lex romana
Wisigothoriim qui s'appela d'abord Epitome de Saint-Gall, puis Loi
d'Udine et qu'on désigne aujourd'hui plus volontiers sous le nom de
Lex romana Curiensis, Loi de Coire. On sait quelle est l'importance
de ce document en ce qui concerne les origines du régime féodal. Le
malheur est qu'on n'en connaît bien exactement ni la date ni la patrie.
Est-ce un texte italien ? M. Schupfer l'a soutenu avec beaucoup de
force; mais son opinion n'a pas prévalu. M. Z. donne un bon résumé
des arguments qui militent contre Schupfer. La découverte récente
(1897) d'un fragment de cet abrégé du Bréviaire d'Alaric fournit un
motif de plus à ceux qui le rattachent à l'ancienne Rhetia Curiensis.
Ce fragment a été trouvé, il est vrai, à la Bibliothèque ambrosienne,
à Milan ; mais, s'il faut en croire MM. Mercati, Ceriani, et Patétta, lé
manuscrit serait suisse et non italien. Disons en passant que M. Z. a
joint à son mémoire une édition du fragment ambrosicn et une notice
paléographique due au savant qui l'a découvert, M. Mercati. — Quant
à la date dé la Loi. M. Zanetti se prononce pôin le milieu du
l30 REVUE CRITIQUE
viii« siècle et c'est l'opinion qui prévaut depuis les études de Zeumer.
Ceux qui la placent au ix« siècle sont amenés par là à lui donner une
tournure féodale qu'elle est loin d'avoir ; c'est ainsi que M. Schupfer
voit dans les principes dont elle fait mention des comtes déjà à moitié
indépendants, tandis que ce sont en réalité les rois francs ; M. Z. vou-
drait en faire quelquefois des fonctionnaires supérieurs, mais je ne
vois pas qu'il réussisse à bien établir son opinion. Les milites de la L.
Rom. Ciir ne sont pas des chevaliers au sens féodal, mais ils semblent
pouvoir servir de transition entre la militia du Bas-Empire et le vassus
domnicus des Capitula Remedii; ils deviendront des vassaux plutôt
qu'ils ne le sont. Ainsi des boni homines et des ciiriales dont le rôle
n'est malaisé à fixer que parce qu'il est peu précis à cette époque de
transition. En s'attachant successivement à chacune de ces questions
sur lesquelles il subsiste encore des obscurités, en s'occupant de
quelques autres problèmes comme l'application de la Loi Falcidie, le
jus naiifragii, M. Z. poursuit toujours le même but qui est de com-
battre les idées de Schupfer. Sa dissertation vaut surtout par ce côté
critique, mais nous devons ajouter qu'elle doit beaucoup aux écrits
antérieurs, en particulier à ceux de Zeumer, de Salis, de Béguelin,
qu'elle n'a pas la prétention de remplacer.
J. Brissaud.
Maurice Lanore. Reconstruction de la façade de la cathédrale de Chartres
au XII<= siècle. Extrait de la Revue de l'art chrétien. 1899-1900. 2? p.
Un jeune archéologue, M. Maurice Lanore, vient de consacrer àla
façade occidentale de la cathédrale de Chartres une, étude conduite
avec la méthode la plus rigoureuse, et dont les conclusions offrent le
plus vif intérêt.
Il établit d'abord que le clocher du nord, qu'on appelle le clocher
neuf, est en réalité le plus ancien. Il fut commencé très certainement
après l'incendie de 1 1 34, tandis que le clocher du midi, qu'on appelle
le clocher vieux, ne fut entrepris qu'après i 145. Les preuves que
donne M. L. sont surtout des preuves archéologiques, et ce sont les
meilleures. Il compare les profils des bases des colonnes engagées,
des arcatures, des ogives, il compare les chapiteaux, et il conclut à l'an-
tériorité du clocher du nord.
Il va plus loin. Non seulement le clocher du nord est le plus ancien,
mais dans la pensée des architectes qui relevèrent il devait être
unique. Ce clocher, en effet fet c'est une des plus heureuses décou-
vertes de M. L.) était isolé, et s'élevait, comme le clocher de Vendôme,
plusieurs mètres en avant de la façade. Ce qui le prouve, ce sont les
fenêtres encore visibles dans la partie du clocher qui se trouve main-.
d'histoire et de littérature i3i
tenant enfermée dans l'église. Ces ouvertures devenues inutiles ont été
bouchées.
En 1 145, l'évêque de Chartres, Geoffroy de Lèves, qui avait admiré
les travaux entrepris par Suger à Saint-Denis, et qui avait assisté à la
dédicace delà nouvelle église abbatiale, conçut un grand projet. Il Ht
commencer un nouveau clocher au midi, puis, faisant abattre la vieille
façade de la cathédrale, il en fit élever une nouvelle qui vint s'encadrer
entre les deux clochers. C'est alors, et non pas du tout en 1 1 94, comme
on l'a prétendu récemment, que furent exécutées les merveilleuses
sculptures que nous admirons aujourd'hui. Leur analogie avec celles
du Mans qui furent terminées en 11 58, et avec celles de Saint-Denis
(que nous ne connaissons malheureusement que par les dessins de
Montfaucon) est frappante. La date de 1 145 admise par Viollet-
le-Duc et par M. Yôge doit donc être conservée. Ce qu'il faut ajouter,
cependant, c'est qu'en 1 194, pour agrandir la nef, la façade fut avancée
à l'alignement de la partie antérieure des clochers et prit alors l'aspect
que nous lui voyons aujourd'hui.
Ces constructions successives et ces remaniements sont exposés par
M. L. avec une clarté parfaite. Mais son principal mérite est peut-être
d'avoir mis en pleine lumière les rapports de l'évêque de Chartres
Geoffroy de Lèves avec Suger. 11 devient certain maintenant que l'évê-
que de Chartres s'inspira de l'œuvre du grand abbé, et qu'il fit venir
de Saint-Denis les sculpteurs qui travaillèrent au portail de sa cathé-
drale. J'accepte, pour ma part, d'autant plus volontiers toutes ces
déductions de M. L., que j'étais de mon côté arrivé aux mêmes con-
clusions en étudiant les vitraux qui ornent les trois grandes fenêtres
de la façade occidentale de Chartres. Ces vitraux ont été faits par des
verriers de Saint-Denis que Geoffroy de Lèves fit venir en même
temps que les sculpteurs. 11 suffit pour s'en convaincre de comparer le
vitrail de l'arbre de Jessé de Chartres avec les parties anciennes de
l'arbre de Jessé du vitrail de Saint-Denis : on verra que les deux œu-
vres sont identiques. Je puis donc affirmer à M. Lanore, puisque je
vois qu'il élève des doutes à ce sujet, que la partie de la façade de
Chartres où se trouvent les trois grandes fenêtres, est bien, comme le
portail, de i 145.
On commencera bientôt à voir nettement cette grande vérité qu'on
avait à peine soupçonnée jusqu'à présent, que le grand art qui va s'épa-
nouir à la fin du xii« siècle (architecture, sculpture, peinture sur verre)
est vraiment né à Saint-Denis. Tout part de là. La vieille basilique qui
a contenu toute notre histoire a porté en elle, à un moment, tout notre
art national. Quant à Suger, il apparaîtra comme un des plus auda-
cieux novateurs qu'il y ait dans l'histoire de l'art.
Emile M.-^le.
1-32 REVUE CRITIQUE
ViTo La Mantia, Antiche Consuetudini délie Città di Sicilia. Païenne, A. Reber,
1980. — ccciv-356 p.
En dehors de quelques publications isolées, nous possédions les
vieilles Coutumes des villes de la Sicile dans une édition d'ensemble
due à un savant allemand, W. von Briinneck {Siciliens inittelalter-
liche Stadtrechte, Halle, Niemeyer, 1881, lxv-383 p.). Il était à sup-
poser que ce corps des coutumes siciliennes suffirait pendant long-
temps aux besoins de la science. Mais dès son apparition, l'édition de
M. de Briinneck fut vivement critiquée par un des jurisconsultes les
plus au courant de Thisioire du droit sicilien, M. Vito La Mantia.
Dans une série d'études dont il aurait dû donner la substance ', car
elles sont éparses dans des recueils peu accessibles, la Legge, 1882,
II, 279, leFilangieri, 1882, 565, etc., M. V. L. M. démontra que cette
édition était inexacte et peu sûre; M. de Brunneck n'avait eu connais»
sance ni des manuscrits des anciennes coutumes ni des plus vieilles édi-
tions. C'est pour cela qu'il prit le parti de donner lui-même une édi-
tion plus conforme aux exigences de la critique. Il suffit de comparer
le volume considérable qu'il publie aujourd'hui avec celui de M. de
Brunneck pour voir que cette édition réalise un grand progrès sur la
précédente ; c'est le texte définitif des Coutumes siciliennes, avec
toutes les indications sur son établissement, avec des détails sur les
manuscrits et les éditions antérieures, que nous possédons aujour-
d'hui. Nous n'avons qu'un regret à exprimer, c'est qu'il ne soit pas
accompagné d'un index développé permettant d'utiliser jusqu'aux plus
minimes renseignements fournis par ce corps de lois. Sauf ce deside-
ratum, nous nous plaisons à reconnaître le mérite de cette publication ;
la filiation des coutumes siciliennes y est établie ; les recherches faites
à leur sujet paraissent des plus consciencieuses ; à moins de décou-
verte imprévue de documents nouveaux, il sera malaisé d'y ajouter et
la tâche des historiens du droit devra se borner à utiliser ce recueil de
textes ; encore se trouve-t-elle facilitée par les travaux antérieurs de
M. Vito La Mantia.
J. Brissaud.
I. Peut-être cependant ce reproche n'est-il pas justifié, au moins en ce qui con-
cerne les critiques de détail, car, à propos de chaque Coutume, M. Vito LaMantiane
manque pas de signaler les vices de l'édition de Brunneck. Ainsi, p. ccxv, il affirme
et prouve qu'Hartwig qui prétendait reproduire en 1867 Védiùon princeps des Cou-
tumes de Messine, 1498, s'attachait en réalité à une édition beaucoup moins bonne
de 1796 ; Brunneck, en 1881 , s'en est tenu à la publication inexacte de Hartwig et y
a joint de nouvelles erreurs.
d'histoire et de littérature I J3
L, -Clément, Henri Estienne et sou œuvre française. Paris, A. Picard, 18^9^
un vol. gr. in-8, de x-340 pages, avec trois planches hors lexte.
M. Clément a public Tan passé sur Henri Estienne une étude
fort intéressante, et avec laqueUe je suis bien en retard. Le livre
heureusement pouvait attendre : construit solidement et à peu près
définitif en un sens, résultant de recherches considérables et cons-
ciencieuses, il n'est pas de ceux qu'une actualité hâtive emporte dans
son tourbillon, il reste aujourd'hui ce qu'il était hier. L'auteur,
comme il l'explique dans sa préface, n'a pas cherché à embrasser
l'œuvre entière de H. Estienne : il a laissé de côté l'helléniste, et se
limitant à l'œuvre française, il l'a soigneusement examinée sous ses
divers aspects, et a réussi à nous en donner une vue d'ensemble
beaucoup plus complète qu'on ne l'avait fait jusqu'ici. L'introduction,
(p. 1-77) est consacrée à la biographie d'Estienne et à élucider surtout
les points qui en sont restés obscurs : nous connaissions déjà les
pièces des deux grands procès qu'il avait subis devant le Conseil de
Genève; en fouillant à son tour dans ces archives, M . C. a mis la
main sur les pièces d'un troisième procès qui se rattache aux deux
autres et les éclaire. Il a suivi ensuite Estienne, autant qu'on peut le
faire, dans ses pérégrinations multiples et a insisté notamment sur
ses séjours à la Cour de France pendant le règne de Henri III. Car il
n'y a pas à dire — et ce n'est pas une des moindres ironies de cette
époque si pleine d'antithèses — le roi très catholique est devenu, à
un moment donné, le protecteur du huguenot qui avait écrit ïApo-
logie et le Discours merveilleux, il a fallu qu'il le défendît contre ses
propres correligionnaires, contre les intolérances d'un esprit étroite-
ment sectaire. Tout cela a été mis ici en bonne lumière. ^
Dans la première partie du livre, celle où l'œuvre française est
appréciée littérairement, on rencontrera aussi des chapitres fort inté-
ressants, très nourris de faits, raisonnablement pensés et écrits. Ce
qui est dit par exemple de V italianisme et de l'esprit de cour me paraît
juste dans l'ensemble. C'est incontestablement sous le règne de
Henri III que le mal a sévi jusqu'à devenir inquiétant, jusqu'à mettre
en péril le développement normal de l'esprit français : mais il avait-
cependant des racines lointaines; un « terrain de culture » favorable
lui avait été préparé depuis longtemps, depuis la fin au moins du
règne de François ^^ Cest ce que j'ai essayé de montrer moi-mèrae_
dans un livre. publié il y a quelques années sur la Cour de Henri II,
et, si M. C. n'en disconvient pas, il fait cependant à cet égard plus
de restrictions que je n'en admettrais pour ma part. Ce q^uc je nejui
concéderais pas volontiers non plus, c'est que le livre de-Balthasar <
Castiglione, // Cortegiano, soit vraiment le code «"de l'honnête
homme, aux manières exquises, au cœur haut placé » : j'ai dit- que
dans ce libro. d'oro, sous l'éclat des dehors, rentrevoyais la tare, une
î34 REVUE CRITIQUE
vertu de parade, des traces de servilisme, et je l'ai prouvé par des
citations précises. Il se peut bien que M. Cian dans son édition
publiée à Florence en 1894, MM. Luzio et Renier, dans leur livre
sur la Cour d'Urbin publié à Turin en 189?, aient émis des opinions
diamétralement opposées : mais, franchement, ne sont-ils pas suspects
d'un peu de complaisance? C'est ce qu'il y aurait à voir. Voilà qui est
assez — et même trop — plaider pro donio tnea : revenons vite au
livre de M. Clément. Un des chapitres intéressants de cette première
partie, le plus neuf peut-être, est celui où se trouve appréciée et
expliquée la critique qu'a faite H. Estienne des poètes de la Pléiade.
Oui, voilà qui est très neuf : confiants dans certains souvenirs, nous
rappelant les passages où (par amour du grec!) les noms composés
sont appréciés favorablement à la condition de n'en pas abuser, nous
admettions généralement que le grand philologue avait marché dans
le sens de la nouvelle école. Il n'en est rien cependant, ou tout au
moins il faut en rabattre. Ce qui a servi de point de départ à l'auteur
pour traiter cette question, c'est un petit volume qui se trouve à la
Bibliothèque de Lyon, et qui lui a été obligeamment signalé par
M. Brunot : ce précieux volume, auquel on n'avait point jusqu'ici
prêté grande attention, n'est autre chose qu'une édition des poésies
de Du Bellay, couverte d'annotations marginales par H. Estienne
lui-même. M. C. a tiré bon parti de cette trouvaille, qui s'offrait
comme une sorte de pendant au fameux commentaire de Malherbe
sur Desportes, mais avec des différences qu'il importait de faire res-
sortir, car, loin d'être un critique impitoyable, Estienne s'est borné
au rôle de lecteur attentif et bienveillant. Ayant ce fil conducteur, il a
suffi à M. C. de grouper autour de ces annotations certains passages
empruntés à la Précellence, aux Dialogues, etc. pour en conclure
légitimement qu'Estienne, au point de vue moral, reprochait aux
poètes de la Pléiade leur paganisme; qu'il goûtait médiocrement le
mysticisme chrétien de Du Bellay, pas du tout le pindarisme à froid
et les métaphores furibondes de Ronsard. Bref, l'auteur du Thésaurus
en voulait à la nouvelle école d'avoir mal compris le lyrisme grec, et
de se complaire dans une sorte de pétrarchisme décadent : en fait de
poètes français, il ne semble avoir goûté pleinement que Marot. De
tout cela nous pouvions bien soupçonner quelque chose, mais n'était-
il pas utile de l'établir d'une façon définitive, preuves en main, et par
des rapprochements de textes?
La seconde partie de ce livre n'est pas celle qui rendra le moins de
services au public studieux. Elle diffère à vrai dire d'allure et de ton
avec la première, elle paraîtrait môme lui être simplement juxtaposée,
si on ne s'apercevait vite qu'elle en forme la suite et le complément
tout indiqué. Car, après avoir exposé d'une façon historique la lutte
qu'a soutenue H. Estienne pour h la défense de la langue française »,
il fallait bien en venir à donner les pièces du procès, à examiner des
D HrSTOIRE ET DE LITTÉRATURE ï55
théories lexicographiques ou grammaticales. C'est ce qu'a fait par le
menu M. Clément, et ce travail est d'auiant plus méritoire, il sera
d'autant plus utile, qu'on avait à faire à une matière plus dispersée.
Estienne a d'ordinaire semé au hasard ce qu'il a pensé de plus juste
sur la langue française : le livre, déjà un peu vieilli, de Livet n'offrait
qu'une ébauche de coordination; l'édition récente de la Précellence
par M. Huguet ne donnait qu'un fragment de l'ensemble. Désormais,
pour prendre une idée juste de cette œuvre grammaticale si complexe,
nons n'aurons plus besoin de recourir aux traités écrits en français ou
écrits en latin : tout ce qu'ils contiennent d'essentiel a été résumé ici,
classé d'une façon méthodique et commode, illustré de notes nom-
breuses. On pourrait même plutôt, à cet égard, reprocher à M. C. un
certain luxe de rapprochements et d'observations personnelles : mais
il vaut mieux pécher par l'excès. Je n'ai point trouvé grand chose à
reprendre dans ce commentaire suivi des théories d'Estienne, de ses
idées, de ses étymologies souvent hasardeuses. Contentons-nous de
quelques remarques, glanées çà et là. A la p. 242, il est dit que Plauie
emploie couramment scioquod : je crois qu'il n yen a chez lui qu'un
seul exemple, celui de VAsinaria (I, i), et encore la valeur de ce pas-
sage a-t-elle été contestée, la tournure pouvant s'expliquer un peu dif-
féremment. A la p. 282, l'étymologie du vieux verbe pier, tiré du grec
«lîTv, est mise en doute, non sans raison peut-être : mais que pen-
ser de l'hypothèse proposée en note ? La phonétique s'oppose
à ce qu'on tire pier de pïpare^ sans parler du sens qui ne con-
vient guère. Parlant du passage de la diphtongue wè à è simple
(p. 309 et suiv.), M. C. dit que cette réduction est attribuée aux Pari-
siens par Dubois dès i 53 i : il y aurait lieu de remonter bien plus
haut encore, puisqu'elle date sans doute de l'époque de Philippe-le-
Bel, comme me parait l'avoir démontré M. Suchier. Le mot voglie
(p. 326) est-il une « locution purement italienne », et n'a-t-il pas au
contraire été d'un certain usage? Il me semble, en tout cas, que Mon-
taigne s'en est servi. A la p. 3 17, le vieux verbe atillier paraît ratta-
ché sans réserves à aptiis'psiv un intermédiaire bas-lat. aptillare : c'est
bien hardi. Il n'est pas non plus très exact de dire (p. 417) qu'Es-
tienne « suit la prononciation parisienne » en écrivant guarir : n'est-
ce pas là précisément la forme originaire du mot? A la p. 431, et à
propos de l'expression il fit que sage, M. C. s'émerveille de voir son
auteur « noter d'avance les tournures qui ne tarderont pas à devenir
archaïques » : ne serait-ce pas plutôt que beaucoup de ces locutions,
celle-ci entre autres, commençaient décidément à vieillir dans le der-
nier quart du xvi« siècle ? Enrin, un peu plus loin (p. 436), à propos
de l'expression faire de la sotte, il est remarqué que nous avons là
une extension du sens partitif de la prépositiiion de : je ne dis pas non,
mais je crois que nous avons à faire avant tout à un italianisme. La
question d'ailleurs mériterait d'être examinée d'un peu près, cdr je ne
f36 REVUE CRITIQUE
l'ignore pas,- ce tour apparaît d'autre part chez Commines (ce qui ne
serait pas une preuve contre son origine italienne), mais aiissi dans
ies mystères du xv« siècle, où l'on trouve par exemple /trire du gros
bis (faire l'important). — Je pourrais multiplier ces observations de
détail : à quoi bon ? Elles ne sont pas bien graves, comme on le voit^
et ne sauraient en aucune façon infirmer le jugement favorable que
nous avons porté sur la solide et consciencieuse étude de M. Clément.
E. BOURCIEZ.
Servière (J. de la). Un professeur d'ancien régime : le Père Ch. Porée S. J.
(1676-1741). Paris, Oudin, 1899, in-8, de xL-489 p.
. Cet ouvrage est une thèse française soutenue devant la Faculté de
Poitiers par un ancien élève de la Faculté catholique d'Angers.
L'auteur a eu l'occasion de consulter tout ce qui reste des livres de
l'ancien- collège Louis le Grand et en a tiré tout le parti possible. Il a
soigneusement étudié les documents manuscrits et les ouvrages
imprimés qui pouvaient l'éclairer. Mais son sujet méritait-il la peiné
qu'il s'est donnée ? On a déjà bien souvent exposé la méthode d'ensei-
gnement des Jésuites, décrit la popularité dont elle jouissait : on
connaît les exercices de rhétorique, les représentations théâtrales
auxquels leurs élèves conviaient les familles; on ne connaît -guère
moins les relations de Porée avec ses anciens disciples et avec le plus
fameux de tous, S-ans doute il n'avait jamais encore été étudié .d'aussi
près ; mais ce très honnête homme, ce dévoué professeur paraît avoir
éié un esprit bien ordinaire. M. de la Servière, qui le }uge en toute
liberté, est obligé de lui reconnaître un goût marqué pour l'affectation;
Sénèque, le Quintilien des Controversiae, Fléchier, voilà pour Porée
les modèles de. la parfaite éloquence. Il donne de sages et affectueux
conseils à la jeunesse (encore, sur l'article des mauvaises lectures,
me parait-il manquer de tact, v. p. 1 19-120); mais, sauf sur la fin de sa
•vie, il n'ose pas, de peur d'éveiller le doute qui pourtant alors s'éveil-
lait tour seul, exposer et soutenir la doctrine de l'Église. Peut-être
sera-t-il fâcheux pour sa réputation littéraire qu'on ne s'en tienne plu-s
désormais aux lignes que Voltaire lui a consacrées. — Parmi les
documents joints au livre, nous citerons quelques gravures, du collège
Louis le Cirand et dès livrets de tragédies et de ballets. - a
Charles Dejob.
.VerôfFentlichungen zuj Geschichte des gelehrten Schulwesens im Alberti-
niscbeti Sàchsen hi:;.im Auftrag des sâchsischcnGymnasiallchrcrvcrcinS. prster
- Teil : Ucbcrsicht ubcr die geschichtliche Enùifickelu'ng der Gymnasien. Leipzig,
. Teubner igoô.' in-4°. p. 248.
. L'association des professeurs-, des;, gymnases saxons .à entrepris la
D'HISTOfkE- ET iJE LiTfÉRATURE "l3y
publication de tout ce qui intéresse renseignement secondaire classique
dans le Royaume de Saxe. Elle nous donne aujourd'hui, comme
travail préparatoire des questions qu'elle se propose d'étudier, une
courte esquisse du développement de ses lycées. La Saxe en possède
dix-sept, en y comprenant les deux Fiirstenschiilen de Meissen et de
Grimma. Dix-sept professeurs ou recteurs oni ïonvm^ chacun pour
leur gymnase, une monographie, en adoptant, mais sans trop de
rigueur, le plan de l'étude de M. H. Peter, recteur de l'école Sainte-
Afra à Meissen et président de rassociation. Chacun de ces chapitres
nous présente l'histoire du gymnase tracée à grandes lignes, puis nous
renseigne sur son organisation actuelle, son installation, son personnel,
sa population scolaire, ses bibliothèques, son budget, ses ressources,
les fondations qui s'y rapportent, sur ses recteurs^ maîtres et élèves qui
se sont fait un nom, et termine par une notice bibliographique.
Tous ces gymnases qui, deux ou trois exceptés, remontent au xiv=,
.xv= ou xvi« siècle, sont sortis pour la plupart des Chorschulen annexées
-aux couvents ; la célèbre Tliojnasschule de Leipzig, dont Sèb. Bach
•fut Kantor de 1723 à ijSo, a gardé jusqu'à nos jours la trace de cette
origine. Avec la Réforme les écoles passent généralement sous la
direction des municipalités et ont une fortune diverse suivant la soUi-
-citude du conseil et le mérite des recteurs. L'influence de Melanchthon,
dont les inspections sont souvent mentionnées, dont les livres étaient
partout adoptés, fut très heureuse pour les écoles de Saxe. Là, comme
ailleurs l'Humanisme vint rajeunir les études classiques, mais il dégé-
nère là aussi en formalisme. Les événements politiques génèrent en
outre le développement des gymnases : pendant la guerre de trente ans,
ils sont souvent brûlés, visités par la peste, perdent leurs élèves, puis
se repeuplent d'une génération grossière et indisciplinée : il fallut
'longtemps avant que les derniers restes du pennalisinus (usage des
brimades) eussent disparu. Au xviii" siècle les efforts de recteurs de
talent, dont l'influence ne demeura pas bornée à leur école, comme
Ernesti, Gesner, Thomasius, et d'un autre côté l'étude mieux com-
prise de l'antiquité et la part faite au grec et à de nouvelles matières,
l'histoire, la géographie, les mathématiques, le français, ainsi qu'aux
exercices physiques, rendirent aux écoles plus de vigueur et de succès.
La réorganisation de l'enseignement dans la Prusse, qui ici encore fut
le duca e maestro., et les réformes politiques de la Saxe en i83i don-
-nèrent, par la création d'un ministère de l'instruction publique, aux
gymnases saxons l'homogénéité qui leur manquait et une direction plus
uniforme. Mais en raison d'une longue tradition qui n'a jamais été
brusquement interrompue, il n'en subsiste pas moins dans le détail
'de l'organisation et du régime une grande variété. Ceux que préoc-
cupent les réformes de notre propre enseignement secondaire auraient
peut-être l'occasion d'étudier pratiquement dans cette vie scolirire
plus riche et plus flexible que lu notre tel projet d'amélioration sur
l38 REVUE CRITIQUE
lequel les théoriciens discuteront sans fin '. Nous ne pouvons que
souhaiter les prochaines publications dont ce premier travail est la
promesse. Nous n'exprimerons qu'un regret : c'est de n'avoir pas
trouvé, servant de prcMace à cette série d'esquisses qui ont tant de
points de contact, un chapitre qui eût retenu les traits communs et
fourni déjà un aperçu de l'évolution de l'enseignement classique en
Saxe.
L. ROL'STAN.
R. Kron. Die Méthode Gouin oder das Serien-System in Théorie und Praxis. — •
L. A. Marburg, EKvert, 1900, in-8, p. 181. Prix : 2 m. 80.
Nous n'étions pas habitués à servir en pédagogie de modèles aux
Allemands. Voici cependant qu'ils se sont pris d'un bel intérêt pour
l'œuvre à peu près complètement inconnue chez nous d'un Français.
Gouin (i83i-i89h) publia en 1880 un gros volume sur VArt d'en-
seigner et d'étudier les langues. Le livre était mal fait, obscur, forte-
ment utopique; il passa inaperçu. L'auteur fit ça et là quelques appli-
cations de ses théories; le résuhat fut médiocre et, comme le livre, la
méthode tomba vite dans l'oubli. L'un et l'autre contenaient cepen-
dant une part de vérité qui leur a permis de renaître en Angleterre et
d'être favorablement accueillis en Allemagne, comme le prouve le
succès de la brochure de M, Kron, parue d'abord en articles de revue
{Neuere Spraclien, III, 1-6). L'auteur qui a suivi à Londres un cours
où la méthode est enseignée à des maîtres, qui a recueilli les expé-
riences des autres et en a fait quelques unes, qui possède à fond la
littérature de la question, a donné un résumé complet et assez clair,
en même temps qu'une appréciation indépendante, du nouveau sys-
tème d'enseignement des langues.
Gouin partage le vocabulaire d'une langue en séries, séries générales
et spéciales; chacune des 5o séries comprend environ 5o exercices de
18 à 3o phrases chacun. L'exercice représente un acte, un fait simple,
analysé dans ses éléments composants, et chaque élément s'appuyant
logiquement et chronologiquement sur le précédent. La phrase,
courte, de 3 ou 4 termes au plus, figure chacun de ces fragments de
l'acte ou du fait étudié dans l'exercice. C'est là ce qu'il y a de plus
fécond dans le système imaginé par Gouin, quoiqu'il se trompe beau-
coup sur la façon dont l'acquisition s'opère chez l'élève, sur cette
représentation intérieure de l'acte ou de l'objet qu'il croit provoquer
en lui pour l'amener à penser dans la langue étrangère. D'ailleurs si
le point de départ est juste, le détail est plein de demi-vérités, d'cxagé»
I. A signaler, p. ex., le régime de l'internat qui existe à Meisscn, Grimma et
ailleurs en partie.
d'histoire et de LITTÉRATURi, I 3^
rations et d'erreurs. C'est l'outrance dans la systématisation, et la
méthode qui se décore du nom de psychologique est encore plus
mécanique. En particulier, l'enseignement grammatical, tel que Gouin
le transforme, est compliqué et confus, et son nouveau commentateur
n'a guère réussi à Téclaircir.
Mais sans l'application que vaut une méthode? Celle-ci, malgré
tout ce qu'on nous affirme, me parai.t incapable de tenir toutes ses
promesses. Elle est surtout trop uniforme, trop raide, trop ariitîcielle
à force de vouloir être naturelle; elle fait appel plus à la mémoire
qu'à l'intelligence. Elle peut réussir avec de jeunes enfants, et seule-
ment jusqu'à un certain âge. La plupart des témoignages communi-
qués par M. Kron émanent en effet d'institutrices, de maîtres chargés
d'une classe élémentaire. M. Kron lui-même, qui est un fervent dis-
ciple de Gouin, n'a pas fait d'expérience sur toute une génération
d'élèves d'un gymnase, pendant un cours d'études complet. C'est là
que je l'attends.
L. R.
— M. T. Miller Maguire, avocat de profession et lieutenant des Inns of court
rijle volunteevs, publie sous le titre : Outlines of Military gcograpliy (Cambridge
geographical séries 1899, viii-339 p., 27 vues et cartes) un petit volume qui
n'apprendra rien aux militaires ni aux géographes. L'auteur tend surtout à éveil-
ler chez les jeunes gens de son pays qui se dérobent trop volontiers au service des
armes (p. 56), avec le goût des choses militaires, l'inquiétude sur la sécurité de
l'Empire britannique : l'histoire des cinquante dernières années, écrit-il, enseigne
« que le relèvement des sociétés ne peut s'accomplir par la paix et par la paix
seulement ». Cette proposition n'est d'ailleurs pas démontrée au cours du livre.
Celui-ci est un recueil d'anecdotes ou d'épisodes de l'histoire militaire choisis dans
tous les temps et sur tous les théâtres, souvent au hasard des souvenirs de l'auteur
qui sont singulièrement copieux : on aurait désiré une dérinition et une classifi-
cation plus rigoureuse des concepts et types géographiques, frontières, voies
d'invasion, climats, etc. L'ouvrage méritait d'être signalé surtout comme un symp-
tôme du nouvel esprit militaristeanglais. 11 se termine sur un mot de Sir Kennell
Rodd : La Grands Bretagne trouvera toujours le concours de ses fils, « till she turns
her back on Empire and torgets the sea ». — B. A.
— Sous le titre Études d'économie coloniale, M. Henri Hauser entreprend une
série dont le premier fascicule, consacré aux Colonies allemandes impériales et spon-
tanées [Pavis, Nuny, 1900, x-139 p.), laisse bien augurer. C'est un exposé n:éihodique
des connaissances actuelles sur les colonies et pays protégés; l'auteur emprunte ses
données aux meilleures sources, parmi lesquelles on regrettera de ne point voir ciié
le substantiel K)lO'iial!iandbuc!i de R. Fitanœr. M. Hauser s'intércs.ie surtout à la
valeur économique des territoires acquis par l'Empire, préoccupation qui justifie
le titre de son ouvrage. Si une colonie est une allairc, cela est vrai surtout pour
les Allemands. 11 serait prématuré de dresser un bilan; on ne saurait encore
qu'émettre des pronostics; mais ces pronostics sont de tous points favorables; les
entreprises privées, initiatrices de la politique coloniale, ont triomplie- des erre-
ments et des abus administratifs, endémiques, peut-on dire, comme le morbus coh-
ai}.© REVUE CRITIQUE D^HISTOIRE ET DE 'LITTÉRARTUE
nialis. Outre les Schut^gebiete, M. M. passe eu revue les colonies « spontanées »
que formèrent — plus ou moins spontanément — les émigrés aux États-Unis, au
Brésil, et sur tous les coins du globe où le Kolonialatlas et VAlldeutscher Atlas de
•Langhans signalent des essaims d'origine germanique. Il y aurait à étudier l'éveil
du sentiment national dans ces groupes, longtemps séparés et considérés comme
perdus.pour la mère-patrie, et leur rôle social et politique dans leur pays d'adop-
tion. Quoi qu'il en soit, ce sont là de sûres clientèles pour la métropole et celle-ci
n'a point à regretter l'expatriation de tant de ses enfants.
Lettre de M. K. Waliszkwski.
Paris, 2 3 juillet 1900.
Monsieur le Directeur,
_ Je me suis fait une loi d'éviter toute polémique au sujet des appréciations dont
mes livres peuvent être l'objet et l'article de M. Jules Legras sur Littérature russe,
auquel la Revue critique a cru pouvoir faire accueil, m'éloigne trop de mes habi-
tudes intellectuelles et sociales pour que je veuille, à son sujet, me départir de ce
principe. Je crois devoir toutefois y signaler un trait, qui, constituant une déroga-
tion aux habitudes communes de la presse de tous les pays, me parait réclamer
une protestation. Je veux dire une absence égale de respect et pour la personne de
l'auteur et pour la vérité.
Ainsi M. Jules Legras signale à l'indignation de ses lecteurs une anecdote
odieuse sur le compte de Tolstoï qui constituerait une addition personnelle, de ma
part, aux auteurs français, russes ou allemands que je me serais appliqué à piller
sans vergogne. Or voici ce que je dis à propos de cette anecdote, que j'ai dû signa-
ler, parce que le livre de M^^Seuron, où elle a trouvé place avec beaucoup d'au-
tres, moins flatteuses encore, a eu en Allemagne, et ailleurs, un retentissement
considérable ; je dis (p. 363 de Littérature russe) : « On ne me soupçonnera pas
de vouloir attacher une importance quelconque à ces envers, réels ou faux, d'une
personnalité si grandement élevée au-dessus du niveau commun. »
Les autres critiques de M. Jules Legras sont frappées au même coin d'exactitude
et de bonne foi.
Dans l'espoir que vous voudrez bien. Monsieur le Directeur, donner place dans
votre recueil à ces quelques lignes, je vous prie de recevoir l'expression de mes
sentiments très distingués. K. W.^liszewski.
. Réponse de .\1 . Legr.\s.
Mon cher Directeur,
Ma réponse sera courte, car c'est parler bien longtemps d'un mauvais livre. J'au-
rais, dit M. Waliszewski, « manqué de respect pour la vérité et pour sa personne» ;
or, sa personne n'est pas en jeu ici, et, pour la vérité, j'espère avoir montré suffi-
samment que c'est précisément sa Littérature russe qui n'en tient que médiocre-
ment compte. Je n'ai jamais pensé ni dit qu'il eût inventé les anecdotes douteuses
ou odieuses auxquelles il a, çà et là, donné asile ; j'ai seulement constaté avec
tristesse que c'était une des rares choses qu'il eût ajoutées au texte des auteurs
qu'il a excerpés. Voici qu'il condamne lui-mcme l'emploi de telles anecdotes :
nous sommes donc d'accord. Seulement, je me demande pourquoi, s'il les dédaigne
ou les méprise, il leur a si pieusement donné jUacc dans un livre de vulgarisation.
Je comprends que M. W. soit fâché d'avoir écrit un livre indigne de son ordi-
naire talent, et, surtout, de voir que les slavisants s'en sont aperçus. En pareil cas,
le plus sage est de se taire. Toutefois, si, par hasard, il y tenait, je pourrais cor-
ser ma trop courte liste de ses erreurs et de ses plagiats. Jules Legras.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 34 — 20 août — 1900
MooRE, Le livre des Juges. — B. Weiss, Les quatre Evangiles. — Huehn, Les cita-
tions de l'Ancien Testament dans le Nouveau Testament. — Euringer, Le Can-
tique des cantiques chez les Abyssiniens. — Friedlaender, Le Mahavrata . —
Krumbacher, Nouvelles études sur Romanos. — Babelon, Guide illustré du Ca-
binet des Médailles. — Doniol, Serfs et vila-ns au moyen âge. — Bourdeau, Le
grand Frédéric, I. — Toth, Questions hongroises. — Janosi, Histoire de l'esthé-
tique. — Bainville, Louis II de Bavière. — Bolton-Ki.vg, Histoire de l'unité
italienne. — H. Barth, Guide des cabarets d'Italie. — Mourre, D'où vient la dé-
cadence économique de la France. — Académie des inscriptions.
The Book of Judges in Hebre^w, with notes, by G. F. Moore. Leipzig, Hin-
richs, 1900; in-4, 72 pages.
Die vier Evangelien im berichtigten Text, von B. Weiss. Leipzig, Hinrichs,
1900; in-8, x-604 pages.
Die alttestamentlichen Citate und Reminiscenzen im Neuen Testaments,
von E. HûHx. Tùbingen, Mohr, igoo; in-8, xi-3oo pages.
Die Auffassung des Hohenliedes bei den Abessiniern, von P. S. Euringer.
Leipzig, Hinrichs, 1900; in-S, vi-47 pages.
M. Moore, à qui l'on doit un très remarquable commentaire des
Juges (dan? la collection de V International Critical Commentaiy ;
Clark, Edimbourg), a préparé l'édition de ce livre dans la Bible poly-
chrome de P. Haupt. La distinction des sources est faite confor-
mément aux conclusions de l'auteur dans son commentaire : deux an-
ciens documents, J, vers 85o, et E, vers jSo, ont été réunis vers 640 par
un premier rédacteur, puis remaniés par un écrivain deutéronomiste,
et interpolés par des éditeurs poxtéxiliens. La critique du texte est
conduite avec beaucoup de prudence, et les corrections introduites
dans l'hébreu traditionnel sont pour le moins vraisemblables. On a
réservé pour les notes quantité de conjectures, suggérées par divers
savants, qui sont bonnes à connaître, bien qu'elles n'aient pas tou-
jours une grande probabilité.
L'édition critique du texte des quatre Évangiles par M. B. Weiss,
dont nous annoncions dernièrement les prolégomènes (voir Revue du
25 octobre 1899, p. 32o) ne s'est pas fait longtemps attendre. Une
introduction substantielle résume les conclusions du savant excgètc
sur l'origine des quatre Évangiles : Matthieu n'est pas une traduction
de l'évangile hébreu attribué à l'apôtre de ce nom ; il a été composé
Nouvelle série L. 34
142 REVUE CRITIQUE
en grec, mais, des trois Synoptiques, c'est celui qui a le mieux gardé,
pour les discours et même pour les récits, le contenu de l'évangile
hébreu ; le rédacteur a utilisé Marc; ce n'était pas un palestinien, et il
n'écrivait pas pour les judéochrétiens de Palestine: il vivait probable-
ment en Asie Mineure, et il écrivait pour les Juifs de la dispersion, peu
après la ruine de Jérusalem ; Marc a écrit après la mort de Pierre,
et avant Tan 70, en exploitant l'écrit araméen de Matthieu ; Luc s'est
servi du second Évangile et d'une (?) ancienne source palestinienne ;
il ne connaissait pas notre premier Évangile ; il a écrit en Italie, pour
des convertis de la gentilité, entre 70 et 80; l'auteur du quatrième
Évangile ne peut être que l'apôtre Jean, fils de Zébédée; il a connu les
trois Synoptiques ; ses récits portent la marque de la vraisemblance
historique et permettent de résoudre (?) toute une série de problèmes (?)
auxquels la tradition synoptique ne fournit pas de réponse ; l'apôtre
galiléen, ayant passé, après l'an 70, de longues années dans un milieu
hellénochrétien, est devenu un autre homme ; il a changé de langue et
d'opinions; il attribue aux faits et aux discours évangéliques un sens
plus profond que la lettre ; sa conception du Logos n'est pas autre
chose, au fond, que ce qu'avait enseigné Paul ; il n'a pas écrit dans
une intention polémique, mais à seule fin de conduire ses lecteurs à
la vie qu'on trouve dans la foi au Verbe incarné. Il y aurait bien quel-
ques nuances à introduire dans certaines de ces opinions, principa-
lement en ce qui regarde le quatrième Évangile, dont le caractère
symbolique et dogmatique ne permet guère qu'on l'utilise pour com-
pléter ou corriger les données historiques des trois premiers. A mesure
que la critique pénètre le secret de ce livre, il devient de plus en plus
douteux que son symbolisme soit fondé sur une tradition historique
distincte de la tradition synoptique. Le texte évangélique est établi
conformément aux principes posés dans les prolégomènes. Le
témoignage de la version syriaque du Sinaï est comme non avenu; il
n'en est même pas question à propos de Matth., I, 16. Aussi bien
nous donne-t-on un texte « correct », et qui aurait sans doute passé
pour tel au iv* siècle. Mais on a maintenant quelques raisons de
penser que le texte primitif des Évangiles n'était pas d'une correction
si achevée, et que M. Weiss, qui a mis tous ses soins à nous procurer
un texte correct, nous restitue un texte quelque peu corrigé. Une sorte
d'explication grammaticale et littérale, sans discussion critique, est
jointe à ce texte et, venant d'un maître en exégèse, ne laissera pas d'être
fort utile aux commentateurs.
Rien n'est plus instructif pour l'exégète et le théologien que la com-
paraison des citations de l'Ancien Testament qu'on trouve dans le
Nouveau, avec l'original hébreu et la version des Septante. Les trans-
formations du sens y sont plus remarquables encore que les variantes
du texte. M. Huhn a donc fait une œuvre utile en recueillant toutes
ces citations et en y joignant, autant qu'il a été possible, les simples
d'histoire et de littérature 143
réminiscences. Cette série de notes concises et érudites, chargées de
multiples références, n'est pas analysable. Disons seulement qu'il
n'existe pas, à notre connaissance, de travail aussi complet sur ce
sujet important; que c'est un livre de critique minutieuse et docu-
mentée, non de théologie, et encore moins d'apologétique. Le rapport
des textes est soigneusement déterminé dans le détail, tant pour la
lettre que pour le sens. L'auteur se contente de dire, par manière de
conclusion générale, que les modifications du sens, parfois si extraor-
dinaires et si curieuses, appartiennent à l'histoire de l'exégèse, et que
des interprétations inacceptables au point de vue historique et cri-
tique, peuvent avoir une grande valeur au point de vue religieux. Une
table des citations n'aurait pas été inutile à la fin du volume.
Le voyageur Bruce, et, d'après lui, M. W. Riedel {Die Auslegiing
des Hnhenliedes, 1898) ont dit que l'église d'Ethiopie voyait dans le
Cantique des cantiques une sorte d'épithalame composé pour le
mariage de Salomon avec la fille du roi d'Egypte et qu'elle n'en per-
mettait la lecture qu'au.x vieux prêtres. M. Euringer s'est mis en
devoir de réfuter ces deux assertions et principalement la première.
Il démontre, par les manuscrits de la Bible éthiopienne, que l'inter-
prétation allégorique du Cantique a été reçue là comme ailleurs, et
qu'elle a exercé une très grande influence sur la tradition du texte. La
discussion des passages choisis par l'auteur est parfois un peu subtile
et confuse; mais la thèse générale est suffisamment prouvée.
A. L.
Der Mahâvrata-Abschnitt des Çâ«khàyana-Àra>iyaka herausgegeben, ûber-
setzt und mit Anmerkungen versehen, von Walter Friedlaender. — Berlin, Mayer
et Mûller, 1900. In-S», 82 pp. Prix : 2 mk. 40.
Cet ouvrage brahmanique, dit aussi Kaushîtaky-Àra/iyaka, fait partie
deslivresliturgiques qui relèvent du cycle du Rig-Véda. M. Friedlandcr
en a détaché les deux chapitres qui traitent de la cérémonie du Mahà-
vrata, c'est-à-dire de la veille de la clôture du Gavàmayana ou grande
session sacrificatoire dont les phases compliquées se poursuivent
durant une année entière. J'ai déjà dit combien ces sortes de travaux
méritent d'encouragements, et tous mes efforts tendent depuis long-
temps à y orienter les jeunes sanscritistes de mon pays, qui s'y
montrent fâcheusement rebelles : moins rebutants, somme toute,
qu'ils ne semblent au premier abord, ils sont toutefois beaucoup plus
difficiles, mais aussi bien plus profitables à la science, que les généra-
lités vagues ou fausses sur l'idée de Dieu ou la genèse du mythe dans
le Rig-Véda ou ailleurs,. et c'est dans cet ordre d'études qu'un esprit
exact, muni d'une bonne préparation grammaticale et philologique,
peut encore le plus aisément donner sa mesure.
144 REVUE CRITIQUE
M. F. est visiblement un de ces débutants : il sait bien le sanscrit
et connaît les détours sinueux de la langue des Bràhma/ms; mais il n'a
pas encore l'habitude de corriger des épreuves, car le premier venu se
ferait fort de tripler au moins la liste de ses errata '. Ces fautes sont
sans importance, précisément parce que tout lecteur les corrigera à
première vue. Moins vénielle est la négligence qui consiste à publier
un texte inintelligible sans s'efforcer de l'amender ou sans l'avouer
tel ; mais le plus grave, peut-être, c'est de le comprendre, et je crois
que Tauteur a encouru une fois ce reproche. Que l'on compare les
lignes 9 et 8 (du bas) de la p. ig, aux lignes 10-12 de la p. 42, qui sont
censées en donner la traduction : il m'est impossible devoir comment
pareil sens, ou même aucun sens, peut sortir de pareil texte. A la très
grande rigueur, la lâcheté de la syntaxe des Bràhma;zas pourrait excu-
ser atapds nominatif singulier dans une phrase où il ne s'accorde pas
avec le sujet; mais, pour traduire comme M. Friedlunder, il faudrait
en tout cas supprimer l'astérisque devant bhùyô, et l'ensemble demeu-
rerait peu satisfaisant au point de vue des idées brahmaniques. Je pro-
poserais conjecturalement la double correction bhiiyô 'tapyathds^ et je
traduirais : « Je suis ce que t'ai déjà dit, pas autre chose ; en vérité, ô
sage, si même tu as pratiqué l'ascétisme plus [que tu ne l'as fait], ce
serait cela même que je serais », c'est-à-dire « tu aurais beau être un
ascète encore plus austère, tu n'en apprendrais pas davantage. » (Ou
atapsyathds conditionnel?)
M. Friedlânder s'est acquitté avec grand soin de sa tâche de com-
mentateur ^ : il a collationné, point par point, le rituel du Çàwkhàyana
et celui de l'Aitarêya; il les a complétés par les indications indispen-
sables des Sûtras; il nous donne à la fin un catalogue complet des
stances du Rig, dans l'ordre où ce grand jour en exige la récitation ■*.
La valeur de ce début et l'expérience qu'il y aura puisée font bien
augurer de la publication du Çànkhàyana tout entier, (p. 14, n. 3),
qu'il se propose d'entreprendre dans l'avenir.
V. Henry.
1. P. 17, 1. 6 du bas, vivdjaç. — P. 18, 1. 2, ôja. — P. 21, 1. 6 et 3 du bas, pidjâ-
patyatn et ttislinimçamsô. — P. 22, 1. 9, dvitiyéna ; 1. 14, sùdadôhasa ; 1. 6 du bas,
un point sous 17 de adliytdliah. — P. 34, 1. 14, asat su en deux mots, etc., etc.
2. Il ne suffit pas de constater en termes généraux (p. 41, n. i) que « ailleurs
encore l'escarpolette liturgique est comparée au soleil » : il fallait citer, ou tout au
moins rappeler, la métaphore, beaucoup plus ancienne, qui fait du soleil lui-
même un prènkhd (R. V. vu. 87, 3) « C'est le sage roi Varu«a qui a construit cette
escarpolette d'or que voici pour qu'elle rayonnât au ciel. » Celle du sacrifice, c'est
le soleil descendu sur terre, et non pas une escarpolette terrestre élevée à la dignité
solaire par glorification hyperbolique.
3. 11 serait intéressant — et je le ferai quelque jour — de lire ainsi, dans l'ordre
prescrit, tout un service divin, pour constater le secours éventuel que la liturgie
apporterait à l'exégèse.
d'histoire et de littérature
Krumbacher. Umarbeitungen bei Romanos, mit cinem Anhang ûber das Zeital-
ter des Romanos. (Ext. des Sit^ungsber. der philos-philol . iind d'hist. Classe d.
k. bayer. Akad. d. Wiss. 1899, ^- ''• ^^^'^- I- P- i-i56).
Ce volume peut servir de complément aux Études sur Romanos du
même auteur. M. Krumbacher y étudie trois poèmes qui roulent sur
un même sujet, la parabole des dix vierges, et qui présentent un inté-
rêt particulier pour l'histoire de l'hymnographie (M. K. les a numé-
rotés I, II, III, d'après leur ordre dans le principal manuscrit) : le
second a été l'objet d'un véritable remaniement ; le premier et le troi-
sième sont deux rédactions différentes d'un même sujet. Voici à
quelles conclusions est arrivé M. Krumbacher, et je ne vois pas, pour
l'ensemble, ce que ses observations peuvent laisser à désirer. Le
second poème est donné, en tout ou en partie, par plusieurs manus-
crits, qui sont, pour ne pas parler de ceux qui ne contiennent que
quelques strophes, le Patmiacus 21 3 (Q), le Corsinianus 366 (C), et
le Vindobonensis suppl. gr. 96 (V); mais tandis que le premier
donne deux proèmes et 3i strophes, les deux autres ne renferment
que le premier proème et 22 strophes. Ce qui est ici digne de remar-
que, c'est que dans cette seconde rédaction il ne s'agit pas de la perte
de quelques strophes et par conséquent d'une transcription incom-
plète, mais d'un remaniement voulu, comme le prouve, entre autres
raisons, le changement de l'acrostiche. C'est une sorte de condensa-
tion du poème original, obtenue par des suppressions, par de fortes
retouches, et par la transposition d'une strophe. On notera que
C et V, représentants de cette nouvelle rédaction, sont des manuscrits
d'origine italienne, que Q, au contraire, appartient à la tradition
byzantine, et que par conséquent le remaniement de Thymne ne saurait
être attribué à Romanos lui-même, M. K. donne, pour la première
fois, le texte de Q, avec les variantes de CV au bas des pages ; suivent
une étude métrique et des observations critiques. Une discussion ana-
logue est établie au sujet des chants I et III, qui ont un rapport moins
direct avec l'histoire des dix vierges; celle-ci n'y est que brièvement
rappelée dans une strophe; III n'est qu'une rédaction plus courte de
I, avec un acrostiche différent, et les deux poèmes sont donnés par
le seul manuscrit Q. Le poème III est publié ici pour la première fois,
et doit être attribué à un rédacteur byzantin, autant qu'on peut le
croire d'après l'origine du manuscrit. Plusieurs points de ces conclu-
sions sont évidemment provisoires : une connaissance plus approfon-
die des manuscrits du Sinai et de l'Athos peut en effet les modifier;
néanmoins il reste acquis que les poésies de Romanos ont été rema-
niées par des poètes d'époque postérieure, et que, d'une façon géné-
rale, il y eut, à côté de la tradition byzantine, une sorte de révision
des poèmes liturgiques, opérée en Italie, dont les manuscrits C et V
entre autres sont de précieux témoins. L'intérêt du travail de M. K.
ne consiste pas uniquement dans la démonstration de ce fait, impor-
146 REVUE CRITIQUE
tant pour la critique et la constitution des textes; d'autres questions
non moins curieuses sont soulevées çà et là, celle-ci par exemple :
l'association, suivant des habitudes déterminées, de deux zXpiiol dans
une même hymne, l'un pour le proème, l'autre pour le reste du chant ;
cette autre encore : la double dénomination de certains v.pixoi dansles
manuscrits, ou plutôt leur changement de nom dans la suite du
temps. Mais ces questions ne sont qu'indiquées, et d'ailleurs il n'en-
trait pas dans le plan de M. K, d'en chercher la solution. Dans le troi-
sième poème, M. K. retrouve les variations qu'il a, dit-il, démontrées
comme régulières dans ses Stiidien ^u Romatws, à savoir que le même
vers peut avoir dans différentes strophes un nombre de syllabes diffé-
rent; ici levers 5 aurait tantôt 10, tantôt 1 1 syllabes (p. 126 suiv). Je
fais toujours les mêmes réserves à ce sujet ' ; la comparaison d'un vers
strophe 16 [jlîtswc'.^Ôuîvo; xaO'r, ixÉpav avec Strophe 14 •/.x-r,Yoorîîî'. -ri -iT.py.-
Y[j.£va indique nettement que asTcio ne fait que deux syllabes. Je per-
siste à considérer l'affirmation de M. K. comme prématurée, d'autant
plus que le vers en question n'a 1 1 syllabes que par exception, et seu-
lement dans ce poème (5 fois et non 6) ; que le manuscrit est unique;
et que le texte est souvent altéré. M. K. est obligé lui-même d'avoir
recours parfois àdessynizèses comme y.a'.^ô, po'jXo;j.év7)_£Î;, A'-YJ-Tot/.?,;,
et je crois que c'est dans des prononciations de ce genre qu'il faut
chercher, en plusieurs cas, l'explication de ce qui paraît irrégulier.
Cela vaut mieux, selon moi, que de vouloir ériger l'irrégularité en
règle. — Romanos, selon l'opinion la plus acréditée, vivait au vi« siè-
cle; M. Krumbacher incline maintenant à le placer au viii«, à cause
d'une allusion faite aux Arabes dans le premier poème; l'empereur
Anastase, sous lequel Romànos vint à Constantinople, serait Anas-
tase II, et non Anastase I.
My.
Ern. Babelon. Guide illustré du Cabinet des médailles et des Antiques de
la Bibliothèque Nationale. Paris, igoo, x\-368 pages, in-12, chez Ern. Leroux..
Parmi les qualités dont M. Babclon a fait preuve depuis qu'il dirige
le Cabinet des médailles, il en est une dont les érudits doivent lui
savoir gré avant tout, c'est du zèle avec lequel il a entrepris personnel-
lement la publication de catalogues méthodiques. Non seulement il
nous a donné des descriptions savantes des ensembles exposés depuis
longtemps, des camées, par exemple, ou des bronzes; mais aussi, dès
qu'il entre une collection nouvelle de quelque importance, comme
celle de Waddington ou de Pauvert de la Chapelle, il s'empresse d'en
I. V. la Revue du K janvier 1900.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 1 4/
faire imprimer un inventaire qui met à la portée de tous les acqui-
sitions nouvelles. Ce sont là des mérites qu'il convient de signaler :
ils montrent comment M. B. comprend ses devoirs envers le public,
quelle activité toujours renouvelée il sait déployer pour les remplir.
Si j'ai tenu à commencer par ces constatations, c'est que, grâce préci-
sément à ces différents travaux spéciaux conduits de front, M. B. a
pu rédiger un petit catalogue général qui est un modèle du genre. Ce
guide s'étend aux Antiques inscriptions, bas-reliefs, statues, argen-
terie, gemmes, etc.) et aux objets d'art (trône de Dagobert, tombeau
de Childéric, épée des grands maîtres de Malte, etc.) à l'exception des
monnaies dont il est seulement fait mention en quelques lignes p. 200 .
C'est, si l'on veut, un travail analogue à celui que Chabaullet a publié
autrefois sous le titre de Catalogue des Camées^ etc. ; mais mis au
courant des nombreuses acquisitions faites depuis i858 et surtout
conçu et rédigé suivant les méthodes scientifiques actuelles. Cepen-
dant il ne faudrait pas s'attendre à y trouver la mention de tous les
objets de la collection, mais seulement des plus importants de ceux
que le public doit regarder et que les érudits ne peuvent pas ignorer;
comme le dit M. Babelon, « ce livret ne saurait tenir la place des
catalogues spéciaux et techniques de chaque série, qui sont en cours
de publication ». Des illustrations bien choisies et généralement bien
réussies précisent aux yeux les détails dont les descriptions très claires
de l'auteur donnent, d'autre part, une idée scientifiquement énoncée.
Je regrette seulement que M. Babelon n'ait pas cru devoir terminer
son livre par une table analytique, comme a fait, par exemple,
M. S. Reinach pour le musée de Saint-Germain ou M. Héron de
Villefosse pour les marbres antiques du Louvre. Il est une classe de
visiteurs qui se servira couramment de son guide sans mettre les pieds
à la Bibliothèque Nationale, ce sont les érudits. Pourquoi ne pas leur
faciliter les recherches et ne pas épargner leur temps? L'auteur, qui
emploie si bien le sien, sait pourtant ce qu'un bon index ajoute à la
valeur pratique d'un livre, ce que l'absence de tables lui fait perdre.
R. Cagnat.
Henri Doniol, Serfs et Vilains au Moyen Age. Paris Alph. Picard, 1900, in-S"
de VI-299 pp.
M. Doniol a repris la première partie de son Histoire des classes
rurales pubHée en 1 857. On sait que, depuis cette date, de nombreuses
monographies consacrées à l'histoire des hommes de la glèbe ont mis
entre les mains des historiens des matériaux inappréciables. L'iniiiativc
de M. Léopold Delisle, écrivant sa célèbre histoire des classes agri-
coles en Normandie, a été sur ce point, comme sur tant d'autres, admi-
148 REVUE CRITIQUE
rablement féconde. Utilisant les travaux les plus récents M. D. a donné
à ses conclusions une forme claire, précise, d'une très belle tenue
littéraire et que nous ne sommes pas éloigné de croire définitive. Une
fois de plus M. Doniol montre que les institutions fondamentales
d'une nation ne sont jamais le produit de la haine et de la tyrannie,
de l'oppression à main armée. Le servage est né spontanément, néces-
sairement, des conditions sociales de Tépoque où il se développa, et,
à cette époque, il fut ce qu'il pouvait y avoir de plus favorable aux
intérêts des travailleurs agricoles. La terre, il est vrai, tenait Thomme,
mais d'autre part l'homme tenait la terre ; et dans l'effroyable anarchie
des temps dont il s'agit c'était un bienfait inestimable. Le seigneur,
il est vrai, percevait des redevances ; mais d'autre part au dur labeur
de son corps, au péril de sa vie, il assurait le travail de ceux qui lui
étaient soumis. Les serfs ne possédaient rien en propre, du moins ils
ne pouvaient rien transmettre à leurs hoirs ; mais ils possédaient en
commun, groupés en vastes familles — qui par subrogation duraient
toujours — et dont les communautés taisibles du Nivernais ont été
jusque vers le milieu de ce siècle des modèles surprenants de pros-
périté et de vitalité. Aussi, quand il s'agit de supprimer le servage, à
une époque ou la transformation de l'état social en exigea la dispari-
tion, ce furent les serfs qui se firent tirer l'oreille pour entrer en con-
dition libre, nonobstant les belles déclamations des rois de France qui
faisaient magnifiquement appel en eux à la dignité humaine.
Paradoxes ! dira-t-on. — Lisez le livre de M. Doniol.
Frantz Funck-Brentano.
Le colonel Bourdeau. Le grand Frédéric, t. 1., Paris, Chapelot, 1900, in-8.
Voilà un bon livre de pure histoire militaire, où l'auteur étudie
d'abord la stratégie du grand Frédéric, soit la position générale des
opérations militaires, les plans de campagne, les lignes d'opérations,
de communication et de retraite, les subsistances, les marches,
manœuvres, batailles, etc. ; puis la tactique qui concerne l'exécution
même de la guerre, partie dans laquelle le roi de Prusse a été vraiment
supérieur. Un second volume complétera cette dernière étude.
A chaque chapitre, après avoir énoncé les théories de Frédéric,
l'auteur ajoute des exemples tirés des campagnes du roi.
Le livre est écrit avec clarté, exactitude et impartialité. L'auteur
reproduit surtout les jugements de Napoléon et de Clausewitz, un
peu moins ceux de Jomini. C'est une lecture à recommander, non seu-
lement aux officiers, mais encore aux historiens auxquels elle donnera
des notions militaires autres que celles de fantaisie dont ils se con-
tentent parfois.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 149
Il n'y a pas d'erreurs historiques à relever. Toutefois on est quelque
•peu étonné de voir cette allégation reproduite à plusieurs reprises
(p. i^\ expassim] : « Ce serait une injustice flagrante d'attribuer à
Soubise la moindre part de responsabilité dans la journée du
5 novembre (à Rosbach) '. »
De Crue.
Curiosa Hungarica. Magyar ritkasâgok, par Bêla Tôth, Budapest, Athenaeum,
1899, x-329 pages. Illustré.
Comme supplément à ses beaux travaux sur les Paroles ailées des
Magyars et les Curiosités de l'histoire universelle', M. B. Toth, le
brillant chroniqueur du Pesti Hirlap, vient de publier un volume
consacré exclusivement à la littérature, à l'histoire et à la vie sociale
des Hongrois. Il y traite des questions les plus diverses, souvent fort
embrouillées et qu'il n'a pu élucider que grâce à de nombreuses
recherches et avec le concours de plusieurs savants. Voici d'abord un
chapitre sur les Monuments linguistiques falsifiés^ où nous voyons
que la Hongrie a eu aussi ses Vrain-Lucas qui ont trompé les savants,
non pas pour gagner de l'argent mais pour prouver la parenté hypo-
thétique des Scythes, des Huns et des Sicules de Transylvanie. Ces
documents falsifiés sont : le Livre de prières de Celle, les Prières de
l'époque d'André I (1046-61), le Livre en bois de Thurocz, le manus-
crit de Rohoncz, les Chansons d'Antoine Somogyi et le Manuscrit de
Karacsay. Ces supercheries furent dévoilées, en grande partie, par
Charles Szabô, le distingué historien et bibliographe. — Le chapitre :
Kocsi (Coche) établit d'une façon définitive que le coche est d'inven-
tion hongroise et que son nom provient du village de Kocs(pron.
Kotchej dans le comitat de Komdrom. Ménage l'a déjà affirmé dans
les Origines de la langue française (i65o, page 780), Coche. Du mot
hongrois Kotc'^y. Les coches sont l'invention des Hongrois. (Disons
entre parenthèse que Ménage avait des vues beaucoup plus nettes
sur la langue magyare que beaucoup de savants français de nos jours.)
Nicolas Bergier dans De publicis et militaribus imperii Romani viis
(Livre IVj dit également : « Puio ista véhicula convenisse cum nostris
vehiculis quae Coches vulgo vernacule vocamus, voce ab Hungaris
mutuata, a quibus et prima eorum inventio ad nos pervenit ». Le mot
coche est donc avec hussard, kolpak, dolman et soutache (sujtâs) un
des rares mots magvars passés en français. — Le Faust hongrois
1. Lire p. 32 ; ij58 au lieu de i858 ; p. 32 : Les Russes s'étaient emparés de la
Pruase. Pourquoi le point d'interrogation ? Il s'agit bien de la l'russc royale pro-
prement dite. P. \5y et ailleurs : lire Bourkersdor/ cl non Birkersdorf.
2. Voy. Revue critique, 1897. n» 5i.
l5o REVUE CRITIQUE
relate la vie du savant Etienne Hatvani (171 8-1786) qui, le premier,
enseigna la physique au collège protestant de Debreczen et fut con-
sidéré comme sorcier à cause des expériences dont il accompagnait
son enseignement. — Nous apprenons également par M. Tôth que le
vêtement hongrois qui porte le nom Attila n'a été baptisé ainsi qu'au
commencement du xix« siècle ; que VFau de la reine de Hongrie fut
connue à l'étranger par les colporteurs slovaques habitant le Nord du
pays ; que le Diogène hongrois à Paris appelé par Charles Nodier
Menteli, est un nommé Mendel qui parlait quinze langues et est
mort à Paris, en i836, en allant puiser de l'eau dans la Seine ; que le
baron Bêla Splénvi devint un saint chez les Mahométans. D'autres
chapitres nous disent la vie des Jumelles de S:{07iy ( i 701-1723 Hélène
et Judith; nous renseignent sur le tombeau de Gui-Baba à Bude, lieu
de pèlerinage des Turcs; sur la Vigne d'or, sur l'histoire du paprika^
ce piment rouge qui est expédié de l'Alfôld hongrois à l'étranger ; sur
les troncs plantés de clous (Stock im Eisen) qui se trouvent sur le
territoire magyar, sur quelques sorciers et adeptes de Mesmer, sur
les armes de Toldi, l'Hercule de la légende nationale, sur les grands
tonneaux, sur les Momies hongroises que les mines de Vizakna ont
rejetés en 1890 (ce sont les cadavres bien conservés de cinq honvéds
qu'on a jetés en 1849 dans le puit Ekho), sur les expériences aérosta-
tiques faites à Pest, deux mois après celles des frères Mongolfier, par
le professeur Szablik ; sur les instruments à vent, nommés tdrogatô
employés dans l'armée de Rakoczy et tinalement sur les calèches
(hinto) qui sont mentionnées pour la première fois en Hongrie en
1342. Autant de contributions précieuses à l'histoire de la civilisation
magvare, exposées avec beaucoup de goût et rendues accessibles au
grand public.
J. KONT.
Az aesthetika tœrténete (Histoire de l'Esthétique; par Bêla Janosi. Tome I.
Budapest, Académie, 1899, 504 pages.
M. Janosi a remporté, en 1891, le prix Gorové avec une Histoire de
l'esthétique. Le travail remanié et adapté aux besoins du public lettré,
fut accepté par l'Académie pour la Collection destinée à répandre le
goût des lettres et de l'histoire. On nous en donne aujourd'hui le
premier volume, renfermant l'esthétique des Grecs et des Romains.
Se conformant à la tradition établie pour ces éditions, M. J. a fait
avant tout œuvre littéraire. Il n'entre pas en d'arides discussions ; il
expose les doctrines dans une langue claire et sobre, plutôt qu'il ne
les discute. Les notes rejetées à la Hn du volume ip. 443-5041 prouvent
cependant qu'il connaît à fond tout ce qu'on a écrit en France et en
Allemagne sur ce sujet. 11 a ainsi évité les défauts des ouvrages ana-
d'histoire et de littérature i5i
logues de Zimmermann et de Schasler qui, en voulant faire la critique
des doctrines esthétiques des Anciens, défigurent souvent la pensée
des auteurs et nous donnent des idées herbartiennes ou hégéliennes au
lieu de l'esthétique de Platon et d'Aristote. L'auteur hongrois a pu
profiter de l'ouvrage remarquable de Walter : Die Geschichte der
Aesthetik im Alterthiim (1893) qui lui a montré que, dans l'exposé
des doctrines esthétiques, il faut également consulter les poètes, les
orateurs et les grammairiens. Les parties les plus remarquables de ce
livre sont celles consacrées à Platon (p. 62-180) et à Aristote p. 181-
328). Dans la première, on croirait lire Cousin ou Levèque. C'est
clair, limpide et attrayant ; on voit, malgré la grande réserve de juge-
ment que M. J. s'est imposée, qu'il penche du côté des doctrines pla-
toniciennes. Dans la seconde partie, très fouillée, nous trouvons le
premier commentaire sérieux de la Poétique ({n' on ait fait en Hongrie.
On aurait aimé entendre quelquefois une opinion personnelle, ainsi
dans la fameuse question de la Katharsis où tant d'opinions contraires
se sont manifestées, l'auteur aurait pu dire hardiment qu'aujourd'hui
l'explication Weil-Bernays est généralement acceptée.
M. Jânosi conduit son sujet jusqu'à Plotin, Longin et Philostrate
en passant par Cicéron et Horace. Il offre ainsi au public magyar
la première histoire complète des doctrines esthétiques, très au cou-
rant des travaux les plus récents (il cite Tolstoï et même le Sàr Péla-
dan!) et donne dans son Appendice une bibliographie complète à
l'usage de ceux qui veulent approfondir certaines questions '.
J. Kont.
J. Bainville, Louis II de Bavière. Paris, Perrin. 1900.111-12. pp. IX, .^10.
Le livre de M. Bainville s'adresse plus au grand public qu'aux his-
toriens. Malgré son intention de dégager la biographie du roi Louis
de tout ce que la légende a amassé autour de son nom, l'auteur n'a
peut-être pas soumis à un contrôle assez sévère les témoignages qu'il
recueillait \ D'autre part, le rôle historique du roi, si mince qu'il ait
été, et celui qu'a joué la Bavière pendant son règne de vingt-deux ans
n'ont pas trouvé dans la biographie la place qu'ils méritaient. M. B.,
il est vrai, a volontairement écarté cette partie du sujet, pour se borner
à un portrait psychologique. Aussi bien le roi Louis ne mérite-t-ilpas
davantage. Le souverain mégalomane n'intéresse pas plus l'histoire
1. P. 447. 11 aurait fallu dire que la première édition de l'Histoire de l'art de
Winckelmann date de i J64.
2. Les livres de Heigcl, M* de Kobell, Gerster, Beyer, Cramer, Haufingen,
Lampert sont ses principales sources ; certaines paraissent plutôt suspectes. Les
formules on dit, on raconte reviennent aussi trop souvent.
i:)2 REVUE CRITIQUE
que tel autre principicule de l'Allemagne du xviieou xyiii® siècle, jadis
célèbre par ses extravagances et oublié aujourd'hui ; Louis H appar-
tient à l'anecdote et au feuilleton.
A titre d'étude psychologique la biographie de M. B. est complète
et attachante. Elle commence par indiquer les tares héréditaires des
Wittelsbach, Téducation maladroite que reçoit le prince et qui fera de
lui un rêveur et un lycanthrope ; elle nous explique son mariage
avec Sophie de Bavière, son amitié durable avec l'impératrice d'Au-
triche Elisabeth, ses premiers conflits avec les ministres et la Chambre.
Nous aurions aimé être un peu mieux renseigné sur certains points,
comme sur l'éducation religieuse du roi, ses principes politiques, les
appuis et les résistances qu'il trouva autour de lui. L'auteur glisse
rapidement sur l'attitude de Louis II en 1866, son rôle avant et après
la fondation de l'empire allemand, mais il nous donne de copieux
détails sur l'autocratisme politique du souverain, ses fantaisies dispen-
dieuses, et tous les troubles de l'imagination et de la volonté qui abou-
tissent à la catastrophe de Berg. On sait que pour celle-ci les avis
sont partagés : le roi se jeta-t-il à l'eau dans un accès de folie ? voulut-
il au contraire y précipiter le Dr . Gudden ? c'est la dernière hypothèse
qu'admet M. Bainville ; mais malgré sa démonstration des doutes
subsistent toujours.
Ce qui en France a fait surtout la popularité de Louis II, c'est sa
passion du beau ; c'est aussi le côté de sa biographie que M . B. a fait
le mieux ressortir, sur lequel il nous donne une information abondante
et judicieuse et qui me paraît offrir la partie la mieux venue du volume.
Il le rappelle avec raison, les Wittelsbach ont eu en commun ce goût
de l'art ', qui fut la monomanie de leur descendant. Pour M. B.
Louis II manquait du véritable sens artistique, il n'a eu qu'un tempé-
rament romanesque ; incapable de rien créer d'original, il n'a été
qu'un romantique attardé, une dilettante érudit. Il eût été intéressant
de nous montrer l'origine des préférences du roi pour telle forme
d'art, pour telle période historique, surtout lorsque ces préférences
sont celles de toute la nation et se trahissent dans des créations mul-
tiples : romans de Freytag, Dahn, Schefîel, poèmes de W. Jordan et
de J. Wolff, opéras de Wagner, dessins, toiles ou marbres de Corné-
lius, Kaulbach, Schwind, Schwanthaler, Bandel,etc., Dans l'évolution
moderne de l'art allemand Louis II comme Louis I*^"" caractérisent
bien cette obsession de la légende héroïque germaine qui n'a pas
encore tout à fait cessé. Quelques détails sur les artistes qui furent les
collaborateurs du roi dans la réalisation de ses ruineux caprices eussent
I. M. B. qui est bien indulgent pour les prétentions poétiques de Louis 1<", eût
dû signaler aussi l'intérct que Maximilien II témoigna aux lettres ; il fallait rap-
peler les noms de Geibel, Bodenstedt, P. Heyse, H. Lingg, Schack, et tout le
groupe de l'école de Munich ,
d'histoire et de littérature i53
été aussi les bienvenus ; il a sans doute employé beaucoup de ma-
nœuvres, mais certains noms méritaient un peu plus d'égards. On ne
peut pas faire le même reproche à M. B. pour celui de ces artistes
à qui revient la première place. Il a consacré un long chapitre aux
rapports de Wagner et de Louis II, montrant justement que le roi
entendait en soutenant le musicien servir surtout son ambition per-
sonnelle. Les lettres de Louis II à Wagner, publiées en 1899 dans un
journal de Vienne, nous sont communiquées au cours de la biographie
et dans l'appendice, pour nous donner des preuves du lyrisme étrange
où atteignait parfois Famitié du souverain. Je crains seulement que la
traduction n'exagère beaucoup trop ces effusions de sentimentalité ;
sans compter qu'il ne faut pas juger du style épistolaire des Allemands
par le nôtre.
L. ROUSTAN.
A history of italian unity par Bolton King, Londres; J. Nisbet and C°. 1899. —
I.- XVIU-416 ; Il xi-43!.
En écrivant ce livre, nous dit M. Bolton King, je me suis proposé
un double but : j'ai voulu donner un récit fidèle d'un grand épisode
de l'histoire contemporaine qui n'a encore trouvé, ni en Angleterre
ni même en France, de narrateur digne de lui; les Italiens qui ont
publié sur la question tant de monographies et nous accablent impi-
toyablement sous un monceau indigeste de documents d'intérêt
variable, n'ont pas su dégager de tous ces matériaux une œuvre bien
ordonnée et lisible. De là l'ignorance étrange des Anglais sur l'Italie
et les erreurs lamentables dans lesquelles tombent leurs journaux. Les
liens qui unissaient jadis les deux nations se relâchent, et pour réta-
blir le courant de sympathie mutuelle qui les rapprochait, il faut
s'efforcer de dissiper l'ignorance qui crée les préjugés ou l'indifférence.
— Ces regrets, d'un pessimisme peut-être un peu exagéré, sont en
somme fondés et ce n'est pas seulement au-delà de la Manche que
certains journalistes, — et non pas parmi ceux dont l'action sur la
foule est la moindre, — témoignent d'une fâcheuse ignorance de l'his-
toire des peuples voisins. Cela tient en partie à ce qu'ils se plaisent à
chercher leurs renseignements dans les ouvrages les moins sûrs et j'ai
grand peur que la plupart d'entre eux ne consultent pas le livre de
M. B. King. Cela tient aussi à ce que la curiosité générale ne semble
pas se développer aussi rapidement que devraient le faire supposer la
facilité des voyages et la connaissance plus répandue des langues
étrangères. Je n'oserais pas affirmer que nous soyons à ce point de vue
en progrès sur le xviii'^ siècle. L'histoire étrangère est partout assez
négligée. De temps en temps quelques noms illustres triomphent de
notre indifférence, maissi nous consentons à goûter Ibsen, Sudermann.
I 54 REVUE CRITIQUE
Tolstoï OU d'Annunzio, nous ne nous soucions guère de les placer
dans leur milieu et de comprendre les conditions qui les ont inspirés :
si bien qu'en dernière analyse, nous avons d'eux une idée à peu près
aussi juste qu'en ont de Wagner les mélomanes qui n'ont Jamais
entendu de lui que quelques fragments isolés dans les concerts. La
tentative de M. B. K. est donc digne d'éloges, et il est à souhaiter que
son livre trouve de nombreux lecteurs. Les idées qu'ils y puiseront
seront en général sommairement justes, je veux dire qu'ils n'y appren-
dront pas de grosses erreurs et que l'auteur a la meilleure volonté du
monde de ne leur enseigner que la vérité. S'il ne souligne pas d'un
crayon très énergique les services que la France a rendus à l'Italie, il ne
fait en cela que suivre une mode, un peu ridicule ; mais les événements
ici ont une telle évidence qu'ils apparaissent en dépit de toutes les
réticences. Quelque sympathie qu'ait pu nourrir le ministre Palmer-
ston pour les unitaires italiens, sa bonne volonté platonique aurait
difficilement remplacé l'intervention de Napoléon III, et, à travers les
variations obscures des ambitions et des idées de l'empereur il n'est
guère douteux que dans la crise décisive, c'est lui avant tous qui a
encouragé et soutenu Cavour et ses successeurs. M. B. K. ne le dit
pas assez clairement, mais du moins il ne le nie pas et il ne tombe pas
dans la faute de M. Stillman qui nous a donné, en anglais aussi, il y
a quelque temps, une histoire de l'unité italienne, dans laquelle il n'a
pas su oublier assez qu'il était un des anciens auxiliaires de Crispi.
M. B. K. écrit de l'histoire; M. Stillman écrivait une sorte de pam-
phlet. Est-ce pour cela que si le livre de M. B, K. est plus apaisé et
plus serein, il est d'une lecture moins intéressante? — En partie, mais il y
a d'autres raisons. Nous ne saurions exiger d'un auteur qui résume une
période aussi vaste de nous apporter des documents nouveaux : dans
l'espèce, la plupart du temps, ils ne seraient pas accessibles et les
archives gardent encore leurs secrets. Nous avons du moins le droit
de demander que le récit qu'il nous présente soit construit d'après
une méthode strictement rigoureuse, et la manière dont il établit sa
bibliographie nous permet de juger ses procédés de travail. M. B. K.
a mis à la fin de son second volume une bibliographie très copieuse et
il nous dit qu'il a consulté plus de neuf cents ouvrages. C'est beau-
coup, et je dirai volontiers que c'était trop. Il y a là beaucoup de
fatras; insuffisante compensation pour tout ce qu'on voudrait y voir
et qu'on y cherche en vain. D'abord, il est à peu près impossible de
comprendre l'ordre qu'il a suivi dans le classement de ses textes :
pourquoi, par exemple, placer parmi les ouvrages généraux les lettres
de Chateauvieux, ou les quatre ministères deDrouynde Lhuys? — Il
en résulte qu'il est souvent très difficile de se rendre compte des ou-
vrages qu'a connus l'auteur et de ceux qu'il a négligés.
Parmi ceux-ci, il a écarté systématiquement les journaux. — Quelque
faible connaissance que j'aie de cette littérature, nous dit-il, j'en sais
d'histoire et de littérature i55
assez pour affirmer qu'elle ne nous fournirait à peu près aucune indi-
cation nouvelle, et il est étonnant combien un livre tel que celui de
Gori, Storia délia rivoliiiione italiana, fondé sur l'état détaillé des
fouilles contemporaines, a peu accru notre savoir, — Il faudrait s'en-
tendre : il y a, en effet, quelque naïveté à demander à des journalistes
mal renseignés, pressés et partiaux, le détail exact des faits, mais ils
nous donnent l'impression produite par les faits sur l'opinion et cette
impression devient à son tour un des facteurs de l'histoire. La presse
n'est pas un bon témoin, mais c'est un acteur, et à ce point de vue il y
a quelque imprudence à la dédaigner complètement. — Il en est à peu
près de même des recueils officiels contemporains, et Je crois volontiers,
comme l'auteur, que les livres bleus, verts ou jaunes, parle choix cal-
culé des pièces qu'ils nous donnent, non seulement ne nous disent pas
tout ce que nous voudrions savoir, mais altèrent volontairement la
vérité. Seulement, n'y a-t-il pas aussi quelque intérêt à rechercher
quelle est la prensée qui a déterminé tel ou tel gouvernement à modi-
her les faits dans un sens donné? N'est-ce pas là un moyen pour
dégager ses intentions secrètes? Ou bien M. B. K. aurait-il la préten-
tion de ne se servir que de documents sûrs? — On ne comprendrait
pas alors pourquoi il fait si souvent usage de lettres des personnages
mêlés aux événements et de Mémoires. Chaque lettre n'est-elle pas
plus ou moins un plaidoyer et les auteurs de Mémoires n'ont-ils pas
pour but éminent de nous tromper, volontairement ou non, sur le rôle
qu'ils ont joué? — En résumé, en histoire, presque tous les docu-
ments sont suspects. La grande difficulté est de nous retrouver au
milieu de ces témoignages qui poursuivent un objet déterminé et qui
sont altérés par une tendance égoïste. C'est un procédé trop simpliste
que d'en écarter toute une catégorie, et cela ne va pas sans inconvé-
nient. L'étranger, nous dit l'auteur, ne peut pas se pénétrer de cette
essence subtile qui constitue comme l'âme et la vie du peuple. — C'est
ce qu'il faudrait cependant chercher. Peut-être si M. B. K. avait
moins redouté ces pamphlets et ces documents immédiatement con-
temporains, son livre serait-il moins gris, plus animé, plus vivant.
Nous n'y respirons pas l'air d'Italie.
Ce qui est plus grave, c'est que l'auteur a écarté tous les ouvrages
allemands qui n'ont pas été traduits en anglais ou en français. C'est là
une résolution des pl-us étranges. Qu'il laisse de coté des ouvrages
tels que ceux de Reuchlin ou telles autres études générales, c'est sans
doute regrettable, mais après tout on peut l'admettre. Un écrivain
— à ses risques et périls, — a le droit de négliger des travaux de se-
conde main, quelle qu'en soit la valeur. Mais, ce qu'on ne saurait
accepter, ce qui à mon sens atteint la valeur essentielle du livre, c'est
que dans le grand procès engagé entre le Piémont ci l'Autriche, — et
c'est à cela en définitive que se réduit l'histoire de l'Italie jusqu'en
1866, — on néglige de parti pris le témoignage d'un des deux intércs.
l56 REVUE CRITIQUE
ses. N'y a t-il pas une singulière imprudence à ne consulter ainsi ni
les correspondances et les journaux de Gentz,ni le recueil de Neu-
mann ni aucun des ouvrages de Springer, de Schmidt ou d'Helfert
qui sont appuyés sur l'étude des archives de Vienne? — Le récit que
trace M. B. K. de la campagne de 1866 n'est pas faux, en ce sens
qu'il reconnaît que les Italiens ont été vaincus à Custozza et à Lissa ;
mais il atténue singulièrement les faits et je doute qu'il eût écrit que
« même avant Sadowa, il est permis de penser que les Autrichiens
étaient décidés à évacuer la Vénitie, » s'il avait consulté le travail de
Fredjung, Der Kampf lun die Vorherrschaft in Deuischland.
Gomment peut-on aussi espérer écrire une histoire précise des rela-
tions entre la Prusse et l'Italie en 1866 sans citer l'ouvrage de Sybel
et les Mémoires de Bernhardi ?
D'une façon générale, M. B. K. n'est pas assez rigoureux dans la
critique de ses sources et ses affirmations semblent quelquefois bien
audacieuses. Que M. de Bismarck à Biarritz ait consenti à certains
arrangements à propos de la Moselle et du Rhin, ce n'est sans doute
pas invraisemblable au point de vue psychologique : mais c'est ce
qu'aucun texte ne nous permet d'affirmer. Il est beaucoup plus dou-
teux encore qu'il ait été disposé à offrir le Palatinat après Kôniggratz,
et je ne vois non plus aucune raison pour dater du mois de juillet 1 866
le projet de traité relatif à la Belgique. Tout cela manque un peu
de précision, le récit est flottant et nous laisse trop souvent une
impression d'inquiétude. Ce n'est pas sans quelque étonnement que
nous voyons ainsi présenter le plébiscite de 1870 comme une sorte
de confirmation de la victoire du parti libéral, et j'ai aussi la plus
grande peine à admettre que l'Empereur ait dit au mois d'août 1870:
Plutôt les Prussiens à Paris que les Piémontais à Rome. En dépit de
publications retentissantes, nous sommes tort incomplètement rensei-
gnés sur les négociations qui se poursuivirentavec beaucoup de lenteur
de 1866 à 1870 entre la France, l'Italie etl'Autriche. Les témoignages de
Beust et du prince Napoléon sont suspects par définition, et quelques
réserves eussent été prudentes.
Si j'insiste sur ces questions, c'est que ce sont celles qui intéressent
le plus l'auteur. lia prétendu faire une histoire politique, et ne s'oc-
cupe de philosophie et de littérature que quand il y serait absolument
obligé. Suivant moi, et dans un pareil sujet, c'était une conception
trop étroite. Trois ou quatre pages consacrées au romantisme, c'est
vraiment un peu maigre et la place réservée à Manzoni, à Léopard i
ou à Guerchet aurait pu sans inconvénient être moins parcimonieu-
sement ménagée. Il me semble aussi que dans une étude qui est en
somme conçue sur un plan assez large, il eût été naturel de nous indi-
quer à grands traits comment dès le xvin* siècle se prépare sourdement
l'œuvre de transformation qui s'est accomplie de nos jours et qu'il eût
été indispensable de nous montrer le mouvement des esprits pendant
d'histoire et de littérature i57
la domination française. Pour cela, M. B. K. n'aurait eu d'ailleurs
qu'à suivre l'exemple qui lui avait été donné par Tivaroni, et il aurait
trouvé de précieux renseignements dans les livres excellents de Bouvy
sur Verrietde Dejob sur Madame de Staël et l'Italie.
Il n'est que juste d'ajouter que si le livre que nous apporte M. B. K.
prête ainsi à d'assez nombreuses critiques, il était fort difficile à écrire ;
il y a des tâches qu'il est honorable d'entreprendre même si on ne
réussit pas complètement à les mener à bout. Les historiens rapportent
de cette lecture quelque déception, c'est peut-être après tout que le
livre n'est pas fait pour eux; la psychologie de l'auteur n'est pas très,
pénétrante, ses personnages sont dessinés d'un trait un peu mou et le
récit est quelquefois monotone dans son uniformité ; du moins on y
avance sans heurts et sans secousse, le ton est simple, l'allure aisée et
la pensée sage. C'est une œuvre de bonne foi qui témoigne d'une appli-
cation méritante et qui est parfaitement propre à relever le niveau
moyen des connaissances. Plus développe que le livre de M. de
Crozals, moins vivant et peut-être aussi moins solide, il peut rendre
des services analogues.
E. Denis.
BARTH(Dr. Hans), Italienischer Schenkenfûhrer. Oldenbourg ci Leipzig, Sch-
wartz, 1900. petit iii-8 de 68 p.
L'éditeur de cet opuscule, dont l'objet est de faire connaître aux
voyageurs les meilleurs cabarets d'Italie, a souhaité qu'il fût annoncé
dans la Revue Critique. Il eût peut-être été difficile de déférer à ce
désir ; car ce ne sont pas précisément des informations de cette nature
que nos lecteurs attendent de nous. Heureusement l'auteur a mis en
tête de son livre, avec beaucoup de bonne grâce, une idée générale qui
appelle le commentaire de l'érudition. La voici, dans la langue même
où il l'énonce : « Si latet in vino veritas, invertit veriim Teuto. » Or ce
serait un amusant objet de recherches que de reci>eillir dans les clas-
siques italiens les preuves de l'étonnement que causait chez un peuple
éminemment sobre la capacité stomachique des Allemands. On con-
naît le mot de Dante : « Li tedeschi liirchi. » [Enfer, ch. 17 : v. 19.)
Dès avant lui, on voit un Italien mettre à profit la soifteutonique. Ce
Farinata degli Uberti, qui tenait l'enfer en grand mépris, était un
homme fort avisé : n'ayant pu obtenir de Manfred une véritable armée
contre les Guelfes de Florence, il se fait du moins donner 100 cava-
liers, leur verse quelques rasades et les lance tout seuls à l'assaut du
camp florentin ; ils sont naturellement défaits et la bannière impériale
est insultée ; dès lors, il faut bien que Manfred envoie pour la venger
un secours plus etîectif. (Chronique de Giov. Villani liv. VI, ch. 76-
l58 REVUE CRITIQUE
77) Au XV' siècle, le lansquenet allemand devient dans les Canti
Carnascialeschi une sorte de type consacré qui paraît sous les cos-
tumes les plus divers ; on le voit musicien, pèlerin, pêcheur de harengs,
écuyer tranchant, fabricant de seringues, mais un des thèmes qu'il
traite le plus volontiers dans son Jargon, c'est l'éloge du vin. Dans le
Morgante Maggiore de Pulci, un musulman à qui Roland donne tort
dans un combat singulier l'appelle allemand plein de saindoux qui
doit absorbe?' plus de vin qu'une éponge n'absorberait d'eau (ch. XXI,
oct. 1 38.) ; et une des cinq manières de perdre l'eau est, selon le poète,
de l'employer à laver une table où des Allemands ont dîné (ibid, ch.
VII, oct. 276). Laurent le Magnifique, dans le 4^'"'= capitolo de ses
Beoniy affirme que, si les Allemands aimaient autant l'eau qu'ils la
détestent, le monde serait à sec. Dans la comédie de Cecchi I Manas-
dieri, il y a un Allemand qui baragouine et aime le bon vin. Dans la
Secchia rapita de Tassoni, c'est la soif qui amène les Allemands sur
les champs de bataille de l'Emilie '^I, oct. 68; III, oct. 8 ; VI, oct. 46;.
— E chi piii n'Iiapiù ne metta '. Il faut pourtant dire que, dans notre
siècle, les malins propos qui couraient sur les Allemands dans le
Lombard-Vénitien les épargnaient sur cet article. (V. Folk-lore ve-
ronese : aneœdoti satirici sui Tedeschi par M. Balladoro, Vérone-Pa-
doue, Drucker, 1897).
Charles Dejob.
— Nous avons à signaler dans VArchiv fur Religionswissenchaft , III. i, les articles
suivants : C. F. Lehmann, Reiigionsgeschichtiiches aus Kaukasien und Arménien;
L. H. Gray, The Indo-Iranien DeityApam. Napat; H. Haas, Der Zug zum Mono-
theismus in den homerischen Epen; H. Schukowitz, Richterlehre (Ein Beitrag
zur Geschichte der Standespredigt in Oesterreich).
— On trouvera un relevé complet des manuscrits dont la critique dispose pour
1 édition des versions latines de certains livres de IWncien Testament, dans la bro-
chure de M. P. Thielmann, Bericht ilber das gesammelte handschriftUche Mate-
rial ^H einer kritisclien Ausgabe der lateinischen Ueberset:{imgen biblischer Bûcher
des alten Testaments (Extrait des comptes rendus de l'Académie royale de Bavière,
section de philosophie et d'histoire, III, 11, 2o5-243;. Les livres dont il s'agit sont
la Pagine, lEcclésiastique, Esther, Tobie et Judith. L'auteur prépare une édition
I. Dans La Estrella de Sevilla de Lope de V'cga, un valet, admirant la résigna-
tion de SanchoOrtiz condamné à mort, demande ce que ferait de mieux un ivrogne
allemand au ne^ rougi par les caresses de la bouteille. Dans la comédie de
J.-B. Rousseau, Le Café, un valet imagine un plan de campagne qui consiste en
particulier à s'emparer des vignes qui bordent le Rhin : « Les Allemands n'ayant
plus de vin il faut qu'ils crèvent Par conséquent, me voir maître de tout
ce pays-là. » Au ch. VII du Diable boiteux, Lesage parle d'un hôtelier emprisonné
parce qu'un étranger vient de crever dans sa taverne : « On prétend que la qualité
du vin a fait mourir le défunt, l'hôte soutient que c'est la quantité ; et il sera cru
pn justice ; car l'étranger était allemand. »
d'histoire et de littérature iSq
critique d'Esiher, et se propose d'éditer les autres livres, puis les Machabées,
Baruch et le III« livre d'Esdras.
— Sir W. MuiR, dans une brochure intitulée : Moslems invited to read the Bible
(Edinburgh, Clark, 1899; in-8, 5o pages), prouve par le Coran l'autorité divine de
l'Ancien et du Nouveau Testament, afin -d'engager les musulmans à lire les Écri-
tures juives et chrétiennes. Il ne paraît pas que cette lecture soit bien recom-
mandée par le Coran. Mais la brochure de S. Muir échappe à la compétence de
la Revue critique.
— La conférence de M. E. Vischer, Albrecht Ritschls Anschaitung von evangelis-
chem Glauben iind Leben (Tùbingen, Mohr, igoo ; in-8, 36 pages), traite principa-
lement de l'attitude de Ritschl à l'égard du piétisme et montre comment cette
attitude du célèbre théologien est en rapport avec sa conception générale du
christianisme.
— D'où vient la décadence économique de la France ? se demande M. le baron
Charles Mourre (Paris, Pion [1899] 460 p.) L'auteur qui se pique d'être historien,
puisqu'il enseigne « ce que doit être l'histoire » (p. 437-51) s'avise à bon droit de
rechercher les causes de cette décadence dans le passé le plus lointain du pays.
Les germes ne sont pas congénitaux à la race puisque aussi bien on serait en peine
de définir la race française ; ils ont évolué avec les institutions et les idées natio-
nales. C'est dès l'établissement de la féodalité le mépris de la classe noble pour le
travail et le travailleur ; c'est plus tard la désertion des campagnes par les pro-
priétaires, qui mangent leurs revenus à la cour ; c'est, avec le triomphe de la
monarchie absolue, l'intervention de l'Etat dans le commerce et l'industrie. Voilà
les maux légués par l'ancien régime; le régime moderne les a en plus aggravés et
en a enfanté de nouveaux. Le fossé s'est élargi entre la bourgeoisie qui a rem-
placé— fort mal — la noblesse, et le monde ouvrier ; la bourgeoisie ne professe pas
un moindre dédain pour les besognes lucratives, et tourne ses ambitions vers les
fonctions publiques ; l'ingérence de PEtat non seulement n'est point redoutée,
mais est invoquée par tous les intérêts ; la natalité décroît, etc. Et si l'on objecte
que la France a connu une longue période de prospérité, M. M. répond que cette
prospérité était prise de l'impuissance économique des autres pays ; ceux ci ont
pris l'essor à leur tour et M. M. trace de la brillante fortune de l'Allemagne et de
l'Angleterre un tableau flatteur auquel la France sert, si l'on peut dire, de repous-
soir. Toutes ces considérations pour n'être point inédites sont assurément sensées,
et l'auteur, bien que souvent il résume en style de précis ses lectures historiques,
est homme de réflexion. Mais — et c'est là le côté, sinon le plus original, du moins le
plus représentatif de son étude — sa puissance de réflexion est celle du bourgeois
conservateur, et môme réactionnaire ; voici les remèdes les plus efficaces qu'il
propose pour le relèvement économique du pays : 1° réduction du nombre des
fonctionnaires ; 2° décentralisation 3° diminution des appointements des fonc-
tionnaires ; ajoutez : le retour à la religion, et subsidiairement à la monarchie. Il
semble que tout le travail de transformation sociale, la modification de l'idée de
propriété, le problème des rapports entre le capital et la main d'œuvre, que toutes
ces questions qui dépassent l'idéal bourgeois n'aient pour M. M. aucune signifi-
cation ; de même il ne discerne pas l'influence déprimante de l'Église catholique,
partout où elle règne en maîtresse. Mais si les vues de M. M. sont tant soit peu
courtes, elles sont souvent justes et généreuses et ses raisons méritent d'être
méditées par les lecteurs auxquels son ouvrage est plus particulièrement destiné.
- B. A.
l60 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRARTUE
ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 2g juillet igoo.
M. le Secrétaire perpétue! donne lecture d'une lettre du président de la Société cen-
trale des Architectes français, annonçant que cette Société a décerné à M. Demargue,
membre de l'Ecole française d'Athènes, sa grande médaille d'argent annuelle.
M. Bouché-Leclercq. comparaison faite du totémisme avec les autres méthodes
d'exégèse appliquées aux mythes et rites religieux, estime : 1° que le totémisme ne
f>eut être une explicationintégrale et suffisante d'une religion quelconque, même de
a religion des tribus chez lesquelles il a été constaté, à plus forte raison, des
mythes et cultes helléniques; 2" qu'il ne peut pas rendre raison de son point de
départ (c'est-à-dire duchoix de ses totems et tabous) sans recourir au symbolisme,
qu'il regarde comme une explication surannée; 3° qu'il correspond à un état d'es-
prit très raffiné dans son incohérence, qu'on ne peut pas considérer comme une
phase intellectuelle par laquelle auraient passé tous les peuples. En conséquence,
M. Bouché-Leclercq pense que le totémisme est une superstition qu'on a voulu
indûment généraliser, et que la critique doit, jusqu'à plus ample informé, l'élimi-
ner de l'histoire ou de la préhistoire des peuples classiques. — M. Bréal présente
quelques observations.
M. Salomon Reinach, répondant à M. Bouché-Leclercq, insiste sur la nécessité
de distinguer la religion de la mythologie. Pour l'explication des légendes mytho-
logiques, on peut avoir recours à différents principes d'exégèse : l'allégorie, la
mythologie, la météorologie, etc. Mais pour remonter à l'origine des idées reli-
gieuses, la seule méthode légitime est l'étude de la psychologie des peuples qui,
de nos jours, sont restés à un stage primitif de civilisation. Cette étude prouve,
suivant M. Reinach, que le totémisme, c'est-à-dire le culte des espèces d'animaux,
précède partout l'anthropomorphisme et la naissance des myihologies proprement
dites. C'est donc aux données du totémisme qu'il faut avoir recours pour expliquer
les faits religieux les plus anciens que nous ont conseivés les rituels des peuples
classiques, ôrecs, Romains, Etrusques, etc. Dans la Bible même, les vestiges incon-
testables en sont nombreux.
M. le Président propose de fixer la séance publique annuelle au 16 novembre pro-
chain. Cette date est adoptée par l'Académie.
M. Maspero. suivant la tradition de sa première direction, présente un rapport
sommaire sur les travaux qu'il a exécutés en Egypte au cours de cette année. Il a
surtout exploré deux endroits. Sakkarah et Thébes. A Sakkarah, il a repris les
fouilles au point où il les avait laissées en 1886. Les pyramides se composent :
I» de la p}'ramide même; 2» d'une enceinte dallée et murée sur laquelle s'élevait :
3» à l'Est, la chapelle du mort, où étaient creusés : 4» des souterrains pour les
membres secondaires de la famille du mort. M. Maspero avait alors ouvert les pyra-
mides ; il a cette année achevé cette ouverture en pénétrant dans la pyramide de
Zaouiét el Aryân, jusqu'à présent non ouverte ; elle ne contenait rien. 11 s'est appli-
qué a déblayer l'enceinte des autres, et il s'est attaqué à la pyramide d'Ounas. Les
travaux diriges par .M. Barsanti ont duré de novembre à mai. t)n a retrouve la cha-
pelle, malheureusement ruinée, les souterrains, dont l'exploration n'a pu être ter-
minée, et un certain nombre de monuments vierges, un mastaba de la vi* dynastie,
trois tombes de l'époque persane, dont la dernière renfermait des bijoux d'une finesse
admirable. Il y a dans le voisinage d'autres tombeaux de la même série que l'on
ouvrira l'an prochain. — A Thèbes, M. Maspero a essayé de consolider et de préser-
ver les monuments et les tombeaux, surtout le Ramsesséum. 11 a été aidé puissam-j
ment par le nouvel inspecteur général, M. Carter. Mais l'effort de la campagne a porté
sur Karnak. Le rapport complet sera publié dans les Annales du service, mais il
faut insister sur l'activité déployée par M. Lcgrain. C'est à lui que M. Maspero a
confié le déblaiement des seize colonnes éboulées le 3 octobre dernier: il a mené
son œuvre avec une intelligence remarquable; elle pourra être finie l'an prochain.
Vers la tin de janvier, un nouveau danger s'est produit : le pylône menaçait de
s'écrouler. M. Legrain prépara l'étayage du pylône qui fut exécuté du 20 avril au
20 mai par un ingénieur allemand, M. Ehrlich. A cette heure, le pylône est étayé
solidement, et il y a tout lieu d'espérer qu'il résistera jusqu'à ce que l'on puisse
entamer la reconstruction. Il reste pourtant un danger sérieux, et il est possible
qu'en octobre, au retrait de l'inondation, on ait à enregistrer un nouveau désastre.
Léon Dorez.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 35 — 27 août — 1900
Chamberlain, L'écriture japonaise. — Le Nihongi, p. Aston et Florenz. — \a-
viLLE, Le temple de Deir el Bahari. — Nallino, L'arabe parlé en Egypte.
Alex. Cartellieri, Philippe-Auguste,!, 3. — Petit, Gavrilovitch, Maurv et
Teodoru, Les plus anciens mémoriaux de la Chambré des Comptes. — Rajna,
Les sources de Roland le Furieux. — DEENEY,Les croyances des Gaels d'Irlande.
Damé, Histoire de la Roumanie contemporaine. — Courant, Grammaire japo-
naise. — Flamini, Dante. — Louis, Giordano Bruno. — A.-O. Meyer, La diplo-
matie d'Edouard VI et de Marie Tudor. — Relss, Glaser à la cour de Louis XIII.
— Gosset, Les brûlements de papiers à Reims. Vagnair et Ventura, Klcber.
— L. Caramelli, Pensées choisies de Leopardi.
A practical introduction to thestudy of japanese writing, by Basil Hall Cham-
berlain. I vol. in-4, Londres, 1899.
Le bel ouvrage, avant tout pratique, que vient de publier, avec un
grand luxe d'impression, M. B. H. Chamberlain, a toute la solidité et
toute la précision qu'on est en droit d'attendre d'un homme tel que
l'auteur; il devra désormais être l'un des livres de chevet de tous ceu.x
qui voudront étudier le Japon dans les documents originaux. Je sais
bien que ceux-là ne sont pas nombreux chez nous et je n'ai pas l'in-
tention d'en rechercher les raisons. Mais, par d'autres que par des
Français, par des Européens même résidant au Japon, l'étude du japo-
nais est souvent comprise aussi de manière bien insuffisante. Beau-
coup avaient espéré, il y a quelques années, voir une transcription en
lettres latines adoptée par les Japonais eux-mêmes; «la romanisaiion
« aurait servi à deux fins; elle aurait considérablement simplifié la
« tâche de tous ceux, natifs ou étrangers, qui doivent apprendre la
« langue, et elle aurait mis la masse des Japonais en rapports plus
« immédiats avec les habitudes mentales et la littérature de l'Occident.
« Mais, en fait, les efforts de la Société de romanisation ont totale-
« ment échoué, comme aussi ceux de la Société des kana, qui voulait
« substituer l'usage exclusif du syllabaire à celui des caractères chi-
« nois. » Malgré tout, poursuit l'auteur, « de dignes gens continuent
« de s'attacher à la croyance, ou plutôt à l'espoir suprême, que s'ils
« lisent les kana^ ils auront fait leur devoir, que les kana sont en fait
« l'écriture japonaise..., que les Japonais finiront par adopter les kana
« comme seule écriture nationale, ou qu'ils peuvent le faire, ou qu'ils
« pourraient le faire, ou qu'ils devraient le faire, parce que alors les
Nouvelle série L. 35
Ib2 REVUE CRITIQUE
« choses seraient beaucoup plus simples. . . » Mais c'est là une erreur,
en partie volontaire de la part de plusieurs; et Ton voit au con-
traire le nombre des idéogrammes s'accroître chaque jour dans la
phrase japonaise, puisque c'est en associant des caractères chinois que
"l'on forme des expressions pour rendre tous les nouveaux termes
scientifiques, économiques, industriels, parlementaires et que, sans
■ les caractères chinois, on ne peut comprendre des mots comme vac-
cination, district électoral, compte-courant, etc. Depuis quelques
. semaines, la question de la romanisation a été de nouveau soulevée
au Japon par un journal étranger : un journal japonais, avec beaucoup
de sens, a demandé à voir avant tout, écrits seulement en kana ou
en lettres latines, un décret impérial, un texte de loi, un article scien-
tifique, une nouvelle, une poésie. Cette tentative réussissant, la roma-
nisation aurait quelque chance de succès: mais, pour que cette trans-
. cription fût intelligible, il faudrait créer une langue nouvelle.
Aujourd'hui, à qui veut apprendre le japonais, il faut donc apprendre
l'écriture japonaise, sous peine de se fermer l'accès aux documents et
de se classer, aux yeux des indigènes, au-dessous du cuisinier ou du
couli, qui lisent le journal et écrivent eux-mêmes des cartes postales
émaillées de caractères chinois. Le livre de M. Chamberlain est donc
de la plus grande utilité; car il faut bien reconnaître que l'écriture
japonaise est sans doute la plus compliquée qui soit usitée à notre
époque : caractères idéographiques chinois augmentés de quelques-
uns d'invention japonaise, caractères syllabiques appartenant à diverses
séries et employés concurremment, idéogrammes lus tantôt en japo-
nais pur, tantôt suivant l'un de trois systèmes différents de prononcia-
tion sino-japonaise, pris parfois avec une valeur purement phonétique
qui vient elle-même d'une source ou d'une autre, mélange de tous ces
éléments sans règle, ou du moins avec des exceptions aussi fréquentes
qu'inattendues, abréviations graphiques, formes cursives d'une audace
désespérante, tel est le premier aspect de l'écriture japonaise. Et celui
qui la connaît à fond (je parle des Japonais eux-mêmes) peut toujours
être arrêté par la fantaisie orthographique d'un nom propre, par l'im-
prévu graphique d'un simple billet. Ce dédale n'avait jamais été
l'objet d'une étude aussi complète. M. Chamberlain ne nous mène
sans doute pas dans tous les recoins, mais il nous montre les grandes
avenues par des principes exposés avec la clarté qui lui est propre, et
il nous conduit dans bon nombre de chemins, grâce à un système
d'exercices choisis avec soin et expliqués en détail.
Maurice Courant
Nihongi. Chronicles of Japan from the earliest times dcn\n to A. D. 697
translated by \V. J. Aston 2 vol. in-8". Londres. 1896 (Transactions and proce c
dings of the Japan Society, supplément).
d'histoire et de littérature t63
Nihongi oder japanische Annalen ûbersetzt und erklârt von Dr. Karl Florknz
6 cahiers grand in-8". Tokyo, iJ^yi-iXgy (Miitheilungen der deutschen Gesell-
schaft fur Natur— und Vôlkerkunde Ostasiens, supplément.)
Peut-être est-il un peu tard pour parler de ces deux publications :
mais le Dr. Florenz ayant, dans son avant-propos, annoncé qu'après
la troisième et dernière partie du Nihongi, il ferait paraître la seconde,
puis la première, j'attendais l'achèvement de la traduction pour la
signaler, avec la traduction anglaise, aux amis de l'histoire d'Extrême
Orient. Il semble que le Dr. F. ait renoncé à achever son ouvrage,
puisque trois ans se sont écoulés sans qu'il en ait donné la suite, et
puisqu'il vient d'entamer la traduction d'une autre série d'anciens
textes, les norito ou formules de prières. Aussi bien, la troisième
partie du Nihongi est particulièrement intéressante : elle contient les
annales du vn« siècle (593-697), époque où le Japon a adopté en bloc
un grand nombre d'institutions chinoises et a accompli une évolution
qui n'a de comparable que celle qu'il a effectuée depuis un demi-
siècle. D'ailleurs, pour la totalité de l'ouvrage, nous avons la traduc-
tion de M. Aston, bien faite pour diminuer nos regrets au sujet de
l'état incomplet de l'œuvre du Dr. Florenz.
L'intérêt particulier du Nihongi vientdu fait que c'est l'un des plus
anciens ouvrages historiques japonais ; il a été achevé en 720 par une
commission officielle que présidait le prince Toneri. Auparavant avait
été écrit le Ko zi ki, qui comprend en partie la même période histo-
rique (jusqu'à 628; et qui a été traduit il y a près de vingt ans par
M. B. H. Chamberlain. Quant aux cinq autres ouvrages qui, avec le
Nihongi, forment les Ritu koku si (les Six histoires nationales) et qui
contiennent les annales japonaises jusqu'à la date de 887, ils attendent
encore leurs traducteurs ; il serait peut-être bien difficile à des Euro-
péens d'accomplir ce travail autre part qu'au Japon, où ils auraient
sous la main tous les documents japonais, avec un grand nombre
d "œuvres chinoises et coréennes, et où ils pourraient recourir aux
lumières des savants japonais versés dans leur histoire nationale.
Le Dr. F. dans une introduction, donne d'abord des renseigne-
ments intéressants et précis sur l'ancienne littérature historique japo-
naise, puis il étudie les gloses et variantes du texte, les manuscrits et
les éditions imprimées qui en existent, ainsi que les commentaires
publiés par de nombreux auteurs japonais. Dans sa traduction, comme
dans celle de M. A. des notes renseignent le lecteur sur les institu-
tions japonaises, rapprochent les faits de ceux qui sont exposés dans
les ouvrages chinois et coréens, discutent et éclaircissent les assertions
des écrivains japonais. M. A. a illustré son ouvrage de gravures
soignées représentant divers monuments des anciens âges du Japon.
Les deux traducteurs ont fait preuve d'une érudition éienduc, d'une
critique sévère et leurs œuvres sont au premier rang parmi celles qui
nous révèlent la vie antique de l'Extrême Orient. Maurice Courant.
164 ftEVUE CklTlQUË
Ed. Naville. The temple of Deir el Bahari, Part. III. 1898. (i vol. royal folio,
21 p. et. pi. LVI-LXVll) — At thc offices of the Egypt Exploration Fund, 37
Great Russell Street, London.
Le troisième volume de la magistrale publication de M. Naville
comprend les inscriptions et bas-reliefs des murs de soutènement nord
et sud de la terrasse supérieure du temple. Au sud sont les scènes de
Texpédition au pays de Pount déjà publiées par Diimichen et Mariette.
M. N. leur adjoint une inscription datée de Tan 9 de la reine Hatshop-
sitou (pi. LXXXVl) où la reine raconte comment, pour complaire à
son père Amon, elle voulut « faire du pays de Pount le propre jardin
du dieu » en y envoyant quérir les arbres à encens. Cette inscription
avait été seulement signalée par Diimichen ; elle est malheureusement
très mutilée ; le début de chaque colonne et cinq lignes entières
manquent. . ■
Le mur nord nous a conservé des tableaux restés inédits et du plus
haut intérêt historique. Ce sont d'abord les scènes de la naissance
divine de la reine Hatshopsitou ; elles sont au 11^ volume de la publi-
cation de M. N. L'inscription qui accompagne les bas-reliefs et ceux-
ci mêmes sont identiques aux scènes de la naissance divine d'Amé-
nophis m à Louxor ; ces dernières ne sont donc que des copies de
Deir el Bahari. Après la naissance de la reine venait son intronisation,
dont les scènes se déroulent de la pi. LVI à la pi. LXIV de notre
3<= volume. Nous pouvons désormais nous représenter avec précision
le cérémonial du couronnement d'un roi d'Egypte, que nous ne con-
naissions jusqu'à présent que par des textes tels que celui gravé sur
un groupe du musée de Turin au nom du roi Horemheb (début de la
xix*^ dynastie). L'action commence à la pi. LXI oùl'on voitTouthmès V^
roi régnant, assis sous un pavillon, tenant entre ses bras sa fille
Hatshopsitou qu'il va associer à son trône, et la présentant aux grands
dignitaires de la cour (« nobles royaux, hommes au collier scihoii,
amis, esclaves du palais, chefs des connus du roi » ). Les cérémonies
qui suivent se divisent en 4 séries, i" Le roi à introniser est embrassé
par le roi régnant (ou à son défaut par le dieu principal, le dieu de la
capitale), puis la proclamation des noms officiels du nouveau roi [ran
OU)' <' le grand nom» ) est faite par les soins des hérauts et des magi-
ciens-officiants. 2° On fait la « réunion des 2 pays » [sam toouï): le roi
se rend dans deux naos, un de la Haute, un de la Basse Egypte ; là
2 prêtres, costumés en Horus et Sit, lui mettent successivement sur
la tête la couronne blanche de la Haute Egypte, la couronne rouge de
la Basse Egypte, dont la réunion forme le Pschent. 3*^ Le roi fait une
procession autour d'une salle appelée « Salle du Nord » (rer ha) 4° Le
roi fait des offrandes solennelles aux dieux des 2 Egyptcs. A Deir el
Bahari une inscription dite du « voyage » (pi. LVIl) dit que la reine
Hatshopsitou ne se contenta pas d'envoyer des dons aux divers sanc-
d'histoire et de littérature i65 .
tuaires, mais qu'elle les visita en personne, et les gratifia d'Eléphan-
tine au sud à Bouto dans le Delta. En revanche les dieux du Midi et
du Nord défilèrent derrière elle à l'envi pour lui faire des passes et lui
« communiquer leur fluide magique » fsotpoii-saj. — Telles sont les
cérémonies énumérées dans l'inscription du couronnement l'pl, LXII
1. 3 1-32) et décrites dans les bas-reliefs. On les retrouve toutes men-
tionnées au sacre d^ Horemheb (Transactiojis of the Society of biblical
Archaeology,x. III, p. 486, pi. II, 1. 16 sqq. .) ; maisà Deirel Bahari
au lieu d'un simple texte, on a, grâce à M. Naville, la réalité vivante
des scènes figurées.
La publication de M. N. suggéreraii bien d'autres remarques. Faute-
de place je signalerai seulement la légende de la pi. l.XIV où l'on voit
la reine, couronnée déjà, « aller et venir dans sa salle, qui est la large
salle de la fête Shed » (ouskhit heb shed). Ce seul mot nous permet
d'être enfin fixé sur le caractère des fêtes Shed^ les fameuses panégyries
soi-disant trentenaires (xptaxovcaeTTipîowv gén.) du décret de Rosette, On
sait par la représentation, mutilée il est vrai, d'une des fêtes Shed
(Ed. Naville, Thejestival Hall of Osorkon II) à Bubastis, qu'elles
comprenaient, tout comme le couronnement royal, un embrassemcnt
du roi par les dieux, une intronisation sur les trônes des 2 Egyptes,
une procession royale autour de la Salle du Nord, une visite aux dieux
du Sud et du Nord amenés à la fête dans leur naos par leurs prêtres
délégués. Il n'y a plus lieu de douter que la fête 5/?ei symbolisait une
commémoration de l'intronisation royale (dont le but était de renou-
veler de temps à autre, à des dates indéterminées, « le fluide magique »
donné par les dieux au roi), puisqu'à Deir el Bahari un des édifices
où a lieu le couronnement du roi s'appelle « salle de la fête Shed ».
Ajoutons que les diverses cérémonies royales étaient imitées du rituel
du culte divin, qui, lui même, dérive en droite ligne des rites funé-
raires privés.
Le IV^ tome de Deir el Bahari est annoncé ; souhaitons que
M. Naville ne nous fasse pas trop longtemps attendre la suite d'une
publication aussi remarquable par la beauté de l'exécution que par
l'intérêt des documents et la sûreté de l'interprétation proposée.
A. Morkt.
C. A. Nallino. L'arabo parlato in Egitto, Grammatica, dialophi c raccolta di
circa 6,000 vocaboli. Ulrico Hoepli. Milano, igoo.
Dans la préface qu'il a mise en tête de son manuel, M. C. A. Nal-
lino nous apprend qu'il avait été chargé de faire une seconde édition
du Mamiale d'arabo volgare de Riccardo de Sterlich, mais qu'aprCs
réflexion il a cru ne pas devoir s'en tenir à une simple relonte de l'ou-
vrage de son prédécesseur et qu'il lui a paru préférable de taire une
l66 REVUE CRITIQUE
œuvre tout à fait nouvelle. Il ajoute ensuite qu'il rejette cette expres-
sion si impropre d'arabe vulgab'e pour la remplacer par celle d'arabe
parlé. On ne peut qu'approuver la double résolution prise par
M. C. A. N. et, en particulier, la dernière. Il est étrange, en effet, que
Ton persiste en Europe à se servir d'une dénomination que rien ne
justifie. Sans doute les mots n'ont jamais que la valeur conventionnelle
qu'on leur attribue et une bonne définition acceptée par tous suffit à
en préciser la valeur et à leur ôter toute ambiguïté. Mais, jusqu'ici du
moins, il n'existe pas de définition rigoureuse de l'expression arabe
vulgaire. Pour les uns, ce nom ne s'applique qu'à l'arabe parlé ; pour
d'autres, il comprend à la fois la langue telle qu'on la parle ou qu'on
l'écrit dans l'usage courant. Enfin il en est qui appellent vulgaire un
texte écrit quand on le lit sans prononcer les voyelles finales et donnent
à ce même texte le nom de littéral dès qu'on fait sentir toutes les
voyelles dans la lecture. Sans entrer dans de longs détails que ne
comporte pas un article bibliographique, il n'est peut-être pas inutile
de fixer en quelques mots les idées sur ce point.
Les Arabes possèdent une langue classique ou nationale qui s'est
formée par l'agrégation au dialecte du Hedjaz d'un certain nombre de
mots spéciaux ou de formes particulières empruntés aux dialectes par-
lés dans le reste de l'Arabie. Cette langue, déjà fixée dans ses princi-
pales lignes par les poètes antéislamiques, a reçu une consécration
définitive lorsque Mahomet a révélé le Coran qui, aux yeux des
Arabes, est la forme même que Dieu a employée pour transmettre aux
hommes les principes de la religion musulmane. Mais cette langue si
pure subissait, du vivant même de Mahomet, des modifications plus
ou moins profondes quand elle servait aux usages courants. Les hadits,
qui cependant reproduisent les paroles textuelles du prophète, en
fournissent de nombreux exemples et prouvent que Mahomet lui-
même ne parlait pas à son entourage dans une langue identique à celle
du Coran. Cette distinction entre l'arabe parlé et l'arabe écrit, ou pour
mieux dire littéraire, s'est maintenue dans tous les pays musulmans :
elle tient d'une part à l'ignoranee de la masse de la population, et,
d'autre part, à ce que toute langue écrite a besoin d'un surcroît d'in-
dices grammaticaux afin de suppléer à l'intonation, aux gestes et à
la physionomie de celui qui parle et qui a en outre la faculté de répé-
ter sa pensée sous une autre forme quand il s'aperçoit qu'il n'a pas été
compris. Ce premier écart entre la langue parlée et la langue écrite
s'est accru dans la suite quand la langue arabe a été employée par des
populations d'origine étrangère répandues sur d'immenses espaces sans
rapports fréquents entre elles. De là sont nés ces dialectes issus d'une
même souche, mais ayant subi l'influence du milieu dans lequel il
s'étaient répandus, empruntant aux anciennes langues locales nombre
de mots nouveaux ; en même temps la prononciation normale s'altérait
plus ou moins profondément dans la bouche des peuples qui n'étaient
d'histoire et de littérature 167
pas de race arabe. Mais si l'expression parlée n'était pas toujours con-
forme aux principes stricts de la langue classique, la langue littéraire
restait identique dans tous les pays musulmans. Certes tous ceux qui
écrivent en arabe ne s'expriment pas dans un style aussi pur que le
Coran, mais c'est uniquement par insuffisance d'instruction et non,
comme on paraît l'avoir cru longtemps, en vertu de principes gramma-
tfcanx ou iexicographiques différents. Tout le monde en France n'écrit
pas aussi purement que Racine ou Voltaire et personne n'a songé
à en donner pour raison qu'il existe xin français vulgaire et \xn français
littéral. Le seul fait particulier que présente l'arabe parlé, — et encore
il est tout à fait normal en réalité, — c'est que les personnes instruites
parlent de la même façon que les ignorants. La raison en est toute
simple : l'instruction est si peu répandue que le lettré quiemploieraitdes
formes un peu trop correctes ne serait jamais compris de son interlo-
cuteur.
Dans son Manuel M. C. A. Nallino s'est occupé exclusivement du
dialecte égyptien qui ne s'écarte ni plus ni moins que les autres dia-
lectes de la forme écrite. Il a pensé qu'il valait mieux donner une
transcription en caractères latins que de faire usage de l'alphabet arabe.
Il est certain quecelaest plus commode pourles Européens. Toutefois
ce système a un inconvénient : il ne laisse pas voir nettement la racine
des mots et par suite la parenté qu'ils ont entre eux. Il eut été possible
d'éviter cela sans recourir aux caractères arabes en imprimanten carac-
tère gras, par exemple, les lettres qui constituent la racine de chaque
mot. Cela eût compliqué la composition typographique, mais en revan-
che ceux qui auraient fait usage de ce livre y auraient trouvé une plus
grande facilité d'étude. L'idée de ranger les mots par ordre de matières
après les avoir fait précéder de dialogues sur divers sujets est excel-
lente dans la pratique, car elle permet souvent de retrouver au besoin
un mot arabe que l'on entend et qu'on aurait quelque peine à chercher
dans un dictionnaire arabe-français, fût-il écrit en caractères latins ;
l'oreille du débutant n'étant pas toujours suffisamment exercée pour
reconnaître exactement la notation qui conviendrait aux sons émis. Tel
qu'il est, le manuel de M. C. A. Nallino rendra donc de bons ser-
vices à tous ceux qui voudront pratiquer le dialecte arabe parlé en
Egypte et les très légères erreurs ou incorrections qu'il contient ne
méritent pas d'être signalées.
O. HOLDAS.
Al. Cartei.likri. Philipp IL Augiist, Kccnig von Frankreich. .111. Buch. Philipp
Augustu. Heinrich II von England (i 186-1 189). Leipzig, Friedrich Meycr, 1900,
in-8. Pp. XXVIII + 193-322, ii3-i6i (pièces justiricativcs).
L'exellent ouvrage de M. Cariellicri avance rapidement. L'auteur
l68 REVUE CRITIQUE
vient de nous donner le troisième livre, qui termine le premier
volume.
Ainsi que le montre le sous-titre, ce troisième livre traite surtout
du conflit entre le roi de France et son puissant vassal. Cependant,
un premier chapitre s'occupe des affaires de Bourgogne et plus loin
un autre s'étend sur les relations entre la France et l'empire et les
affaires de Cologne.
Mais l'intérêt se concentre sur les relations de Philippe-Auguste
avec Henri II et ses fils révoltés. Question du Vexin, différend tou-
chant Adélaïde de France — le vieux roi anglais qui séduit la fiancée
d'un de ses fils et ceux-ci qui l'accepteraient quand même pour femme
sous certaines conditions — , révolte du fils aîné de Henri II et sa
mort, premiers agissements de ce chevalier sans peur, sans scrupules
et sans pitié, de ce batailleur enragé, dont les historiens faisaient jadis
un personnage presque sympathique : Richard Cœur de Lion, sou-
lèvement et mort de Geoffroi de Bretagne, trahison de Richard envers
son frère, qui ne méritait pas certainement les cruelles offenses appor-
tées à sa vieillesse, alliance du fils rebelle avec le roi de France, qui
ne demande pas mieux que de gagner à cette lamentable querelle de
famille, dernière guerre entre Henri 1 1 et ses ennemis, voilà les points
que traite l'auteur avec sa grande compétence, dans une forme toujours
claire, souvent attachante. Le dernier chapitre, la fin du vieux roi et
la ruine de ses grands projets impériaux — il trouvait, cet orgueilleux
et cet infatigable, que « la terre est trop petite pour un puissant et un
vaillant » —, ce dernier chapitre est écrit avec force et chaleur. On
aurait pu attendre un peu plus sur la personnalité exceptionnelle du
plus grand parmi les rois anglais du moyen âge; mais M. Cartellieri
n'a probablement pas voulu répéter ce qu'il avait dit ailleurs, dans des
pages d'une haute envergure, sur ce grand prince, mort d'une ma-
nière misérable, tué par la révolte victorieuse de Richard et la trahi-
son lâche du pitoyable Jean sans Terre. En échange, le résumé qui
termine le volume, ne néglige rien de ce qui peut servir à comprendre
le développement de la politique de Philippe-Auguste jusqu'à 1189.
Le tout se termine par des nouveaux documents empruntés à des
formulaires de lettres, par des rectifications et des additions, par une
bonne table alphabétique et des tables généalogiques '.
N. JORGA.
1. Le fascicule contient aussi une répétition de la Préface, augmentée de quel-
ques nouvelles observations, et une bibliographie générale pour le premier vo-
lume. L'auteur se défend contre l'objection qu'on lui a faite de ne pas suivre
l'ordre strictement chronologique dans son exposition; il me semble que l'objec-
tion n'en valait guère la peine.
i
d'histoire et de littérature 169
Essai de restitution des plus anciens Mémoriaux de la Chambre des comptes
de Paris, par MM. Joseph Petit,... et Gavrilovitch, Maury et Teodoru. Avec
une préface de Ch.-V. Langlois,... —Paris, F. Alcan, 1899. In-8° de xx-264 pages.
(Bibliothèque de la Faculté des lettres de l'Université de Paris. VII.)
Les fonctionnaires de la Chambre des comptes de Paris avaient,
dès les premières années du xiv^ siècle, commencé à recueillir les
documents les plus intéressants au point de vue domanial et finan-
cier, qui pussent leur servir pour la rédaction de leurs actes; avec
leurs copies d'ordonnances, instructions, extraits de comptes, etc.,
ils constituèrent des manuels, espèces de codes ou de formulair-cs.
Cette pratique fut consacrée par une ordonnance de Vivier-en-Brie,
rendue en i320, et dès lors commença une série officielle de Mémo-
riaux.
Ces registres, de la plus haute importance pour notre histoire
nationale, on le conçoit aisément, furent conservés au dépôt du greffe
de la Chambre des comptes ; malheureusement, ils furent la proie des
flammes, le 27 octobre 1737. A ce moment, on sentit si bien la
perte que Ton éprouvait qu'on décréta officiellement la reconstitution
de ces précieux volumes. Ce travail, exécuté avec plus de bonne
volonté que de méthode, cessa à l'époque de la Révolution. Depuis,
plusieurs érudits ont bien essayé de le reprendre ; ils ont été rebutés
sans doute par la masse énorme de recueils à compulser et d'ouvrages
à dépouiller. Il est certain que c'est une œuvre de très longue haleine,
qui doit être conduite avec beaucoup d'habileté et qui ne peut guère
aboutir que si elle est le produit de la collaboration de plusieurs per-
sonnes dévouées.
M. Langlois, chargé de cours à la Faculté des lettres de Paris, a
pensé qu'une pareille tâche entreprise sous sa direction par un groupe
d'étudiants serait pour eux un excellent exercice et constituerait une
véritable éducation scientifique. MM. Joseph Petit, Gavrilovitch,
Maury et Téodoru ont répondu à son appel, et ils n'ont pas eu à s'en
repentir.
Il n'y avait pas à songer à achever toute l'œuvre officielle, que la
Révolution avait interrompue, mais seulement à en reprendre cer-
taines parties. Or, il importait surtout de restituer les premiers de ces
Mémoriaux, et en particulier ceux qui avaient pris place avant la série
inaugurée à la suite de l'ordonnance de i32o; ils contenaient en
effet les documents les plus anciens.
Élimination faite des registres divers et des doubles, leur liste a été
établie ainsi (ils sont cités avec leur dénomination consacrée): Pater,
contenant des pièces datées de 1254 à i33o; Noster ', exécuté pour
Jean Mignon, maître de la Chambre des comptes, aujourd'hui con-
servé en original à la Bibliothèque nationale lat. 12814;; Noster*^
dont la composition. était très analogue à celle du ms. fr. 2833 de la
170 REVUE CRITIQUE
Bibliothèque nationale, et qui prit la place de Noster\ lorsque celui-ci,
au xve siècle, disparut des archives de la Chambre; Qui es in cœlis,
présentant de grandes analogies avec Noster ' ; Croix (et son double
Saint-Just^j, qui est aussi à rapprocher des deux derniers registres, et
enfin Saiiit-Just ', copie d'un ms. appartenant à Robert d'Artois et
concernant plus particulièrement la Normandie.
M. Langlois et ses élèves ont éliminé ce dernier volume, qui a dé;à
fait l'objet d'une monographie de M. Marnier et dont le contenu est
trop spécial. Ils ont restitué tous les autres et ont même fait une sem-
blable opération pour le premier registre de la série officielle, autre-
fois coté A. Ils ont donné l'analyse de tous les actes et les références
pour en retrouver le texte. Puis, ils ont choisi parmi les pièces iné-
dites celles qui leur ont paru les plus importantes, pour les publier
intégralement : ils en ont donné ainsi 44.
Ce recueil est donc extrêmement utile et il faut savoir beaucoup de
gré à ses auteurs d'avoir surmonté toutes les difficultés de ce travail,-
d'avoir eu la persévérance de le mener à une aussi bonne fin et de
frayer une voie où il serait à souhaiter qu'ils fussent suivis.
L.-H. Labande.
Pio Rajna. — Le fonti dell' Orlando Furioso; ricerche e studi. Seconda edi-
zione corretta e accresciuta. — Firenze, Sansoni, 1900 ; 8", xiv-63i pages (10 fr.).?
Nous n'avons pas la prétention de révéler aux lecteurs de la Revue
Critique ce livre excellent et devenu classique ; depuis tantôt vingt-
cinq ans que la première édition en a paru, il est peu d'ouvrages se
rapportant à la littérature italienne qui aient été plus justement appré-
ciés et plus utilement consultés. Mais il est impossible de laisser pas-
ser sans un mot de bienvenue cette seconde édition que rendait néces-
saire l'épuisement de la première. Ce n'est pas une simple réimpres-
sion : M. Rajna prend soin, dans sa préface, de nous avertir que pas
une page de la première rédaction n'est restée intacte. Ceux qui con-
naissent la méthode de travail de l'éminent professeur l'en croiront
sur parole, et nous en sommes témoin, nous qui avons eu l'occasion
de voir entre ses mains l'exemplaire sur lequel il préparait cette
seconde édition. La méthode et l'esprit du livre n'ont subi aucun
changement notable, non plus que les idées qui s'en dégagent ; si le
volume est devenu sensiblement plus épais, c'est à une plus grande
richesse d'informations et de rapprochements qu'il faut attribuer cet
accroissement. M. R. s'est en outre appliqué à rendre son ouvrage
d'un maniement plus aisé; deux index sont à cet égard dune grande,
utilité : l'un, Vindice ariostesco, contient, chant par chant, stance par;
siance, les renvois à tous les passages du livre qui se rapportent aiij
d'histoirk lt de littérature i-i
texte du poète; l'autre est l'index de tous les ouvrages chés à titre de
sources ou de rapprochements. Il est donc désormais aisé de s'orien-
ter et de faire rapidement des recherches dans cet incomparable arse-
nal de renseignements sur tout ce que concerne les légqndcs chevale-
resques.
Henri Hauvette.
Peasant Lore from Gaelic Ireland, collected by Daniel Deeney (London,
David Nutt, 1899, i vol. 80 p. Pr. i sh.).
Je disais ici même, en rendant compte, il y a quelques semaines, du
livre de M. Feilberg sur la tie du paysan danois, qu'il n'est pas vrai-
semblable que l'étrange similitude qui nous frappe dans les croyances
et les usages des populations du Jutland et de celles de nos provinces
puisse être attribuée soit à l'emprunt, soit à l'identité de l'esprit qui,
sous les climats les plus divers, eût fait éclore de la même plante
humaine partout la même fleur avec ses mêmes nuances.
Il est évident qu'avant d'essayer de porter un jugement, il faudrait
être sûr d'avoir en main toutes les pièces de la question ou à peu près.
Malgré les nombreux recueils de folk-lore de ces dernières années, il
est à craindre que nous soyons encore bien loin de compte. La preuve
en est que dans chaque nouvel ouvrage qui paraît, il est rare que
dans les déblais du collectionneur il ne se trouve quelque précieuse
pépite qui vaut à elle seule toutes les peines de l'ouvrier. Du reste,
quand même tel ou tel usage eût déjà été signalé au nord, ce n'est pas
une redite que de le relever au midi : ce sont là autant de jalons indis-
pensables, le travail préliminaire de la science.
Dans le livre ci-dessus annoncé de M. Daniel Deeney sur le fond
commun de croyances aux revenants, aux esprits et aux fées et de
pratiques superstitieuses que l'on observe aussi bien chez les peuples
Scandinaves que chez nos paysans et les Gaëls d'Irlande, je ne signa-
lerai que deux points entre bien d'autres, mais qui me paraissent des
plus importants.
Quand un fermier irlandais a une de ses vaches atteinte d'une cer-
taine maladie dont les signes caractéristiques sont le gonflement, le
refus de nourriture et les beuglements plaintifs, il fait venir le « cow-
doctor ». Si celui-ci la reconnaît « frappée » (par les fées), il prend un
charbon ardent et, avec un cérémonial particulier, en trois endroits
différents il la marque du signe de la croix; puis, de son coude au
bout des doigts il la mesure de la queue aux cornes, et cela trois fois
aussi. Si la longueur trouvée est plus courte la deuxième fois que la
première et la troisième que la deuxième : c'est que l'animal guérira,
sinon, il est condamné. En ce cas, on le voue à saint Martin. Pour
cela on lui fuit une incision à l'oreille, le sang coule et la mort est
I 72 REVUE CRITIQUE
détournée, la bête ainsi marquée ne peut plus être vendue. On la tue
et on en fait un festin la veille de la fête du saint.
Évidemment, il y a là recours et sacrifice à une divinité; mais
laquelle? — Je n'hésite pas, pour mon compte, à reconnaître en ce
saint Martin des Gaéls le vieux Dieu Tor qu'invoquent les bergers
norvégiens et qui, lui aussi, imprimait sa marque aux jeunes velles, la
marque de son marteau, le signe de la croix.
Dans nos campagnes de France, la veille delà Saint-Jean, on allume
des feux auxquels on fait fumer les bestiaux, vaches et chèvres, afin
de les préserver de maladie. Ainsi fait-on en Irlande. Bien plus, le
Gaël prend à ce feu des braises qu'il va jeter dans ses champs de
pommes de terre : assuré, en ce faisant, de rendre sa récolte plus
abondante. On se souvient, sur les confins de la Touraine et du Poi-
tou, d'avoir vu, il y a peu d'années encore, des paysans prendre, eux
aussi à ce même feu, des charbons qu'ils jetaient aux quatre points de
l'horizon, en disant : « Ceci est pour mon champ de tel endroit! Cela
pour mon champ de tel autre endroit! »
Dira-t-on que c'est là aussi le résultat d'un emprunt ou du hasard?
- Franchement, je ne puis le croire.
Il n'est, à mon avis, qu'une explication de possible : c'est que dans
les pays Scandinaves comme en France et en Irlande, ainsi que dans
bien d'autres contrées d'Europe, sans doute, il y ait un substratum
de populations de même race — quel que soit, du reste, le nom sous
lequel on les désigne.
Le recueil de M. D. Deeney, élégamment édité par M. D. Nutt, se
présente à nous tout simplement, sans l'apparat d'aucune note : il n'en
a pas moins, ainsi qu'on vient de le voir, une réelle valeur documen-
taire. A ce titre, nous aurions aimé que l'auteur eût précisé la source
de ses matériaux ; mais ce que nous lui reprocherons surtout, c'est
de ne pas nous en avoir donné l'index analytique. Désormais, tout
livre qui touche à la science, en doit avoir un : sinon il s'expose
de plus en plus au danger d'être purement et simplement laissé
de côté.
Léon Pineau.
Frédéric Damé. Histoire de la Roumanie contemporaine (1822-90). Paris
Alcan, 1900, 451 pp. in-8 et une carte.
Cet ouvrage est la première histoire de la Roumanie contemporaine
qui ait été publiée jusqu'ici. Elle se propose donc de renseigner le
public sur un sujet absolument nouveau.
L'auteur, M. Damé, qui prétend être « un ami de la Roumanie, »
est un Français naturalisé roumain, qui a occupé des situations
importantes dans l'enseignement public de son pays d'adoption, qu'il
d'histoire et de littérature 173
a quitté tout récemment. Comme écrivain, il a publié un bon diction-
naire roumain-français, des traductions, etc., et a rédigé même un
journal littéraire écrit en roumain.
Il avait donc les moyens de connaître parfaitement ce qu'il raconte
aujourd'hui. Comme il a été en relations assez étroites avec quelques
hommes politiques roumains, on pouvait espérer même trouver de
l'inédit, du nouveau et du piquant dans cette « Histoire de la Rou-
manie contemporaine. » Et certainement, on avait le droit d'attendre
de cet ancien professeur une appréciation impartiale et correcte des
■ partis et des personnages politiques, mais surtout un jugement juste
sur les efforts qu'ont faits les Roumains pour recommencer, sous des
' formes constitutionnelles modernes, leur vie nationale.
J'ai lu avec attention le livre et je suis désabusé sur tous ces points.
M. D. ne s'est vraiment pas donné de la peine en écrivant son livre.
Il connaît des brochures sensationnelles, des articles de journal carac-
téristiques, qu'il cite dans son récit, uniquement d'après d'autres
ouvrages, d'une lecture facile. Il ne connaît pas même le nom de très
importants recueils qui devaient lui servir de guide pour certaines
époques et il ne se doute pas même que des correspondances diplo-
matiques étrangères aient été publiées pour l'époque des hospodars ;
il n'a jeté jamais un regard sur la correspondance politique de Michel
Stourdza, dont il prétend étudier le règne dans tout un chapitre.
La manière dont on le voit utiliser les sources ne rassure guère sur
la solidité du livre. Il invente des clauses de traités, qui n'ont jamais
existé ; il découvre que la Bessarabie a appartenu à la Russie bien
avant l'année 1812 quand cet Etat la « reprit » — et il prend le soin de
répéter trois fois cette grosse erreur ; il fait imprimer « LaNareinte »
le nom de la Narenta, rivière de l'Herzégovine, etc.
Quant à l'esprit dont le livre est animé, il est franchement condam-
nable. M. D. n'hésite pas à apprécier défavorablement l'action poli-
tique de la France et il a la coutume de trouver que les Roumains
n'ont jamais raison. En échange, il exalte la politique passablement
égoïste que la Russie fait en Orient : il ne manque pas une occasion
pour déclarer, avec force sophismes justiricatifs, que les Roumains
ont le devoir de se développer dans la direction et dans la mesure
voulues par la Russie. Il les blâme d'avoir eu le mauvais goût, la
prétention absurde de se soustraire à un protectorat hypocrite qui
devait précéder l'annexion, de combattre pour avoir un Etat indé-
pendant et une civilisation nationale ; même quand la Russie, l'alliée
de 1877 contre les Turcs, récompense les Roumains en leur prenant
la Bessarabie, M. D. croit que ses compatriotes du Bas-Danube
devaient se taire ou marchander avec sang-froid pour obtenir de plus
fortes compensations.
M. D. croit nécessaire aussi de se mêler des querelles de partis, qui
ne sont pas en Roumanie plus légitimes, plus nobles et plus utiles
I "4 REVUE CRITIQUE
qu'ailleurs. Au lieu de donner au lecteur étranger une idée nette de la
vie constitutionnelle roumaine, du développement de la richesse du
pays, de l'œuvre de civilisation qui y a été réalisée, cet étrange histo-
rien, prenant à cœur les intérêts des « conservateurs » contre les
«libéraux », se livre à des polémiques aussi déplacées qu'inutiles (pour
le public bien entendu). Le lecteur, ayant terminé le livre, ne sait rien
de précis et de sérieux sur la Roumanie, mais il connaît parfaitement
les qualités et défauts des plus infimes parmi les intrigants politiques
du pays.
C'est tout de même une manière d'écrire « l'histoire » ad usum
patfoni. Mais, puisque le public n'a rien à voir dans les affaires per-
sonnelles de M. Damé, il est bon de l'avertir du contenu de ce livre.
C'est ce que j'ai fait.
N. JORGA.
— M. Maurice Courant vient de publier une Grammaire de la langue japonaise
parlée assez brève (127 pages), très claire et rédigée sur un plan nouveau,
emprunté aux grammaires indigènca. Tous les exemples, et ils sont nombreux,
sont donnés en écriture japonaise et en transcription de manière à habituer l'élève
à lire en même temps qu'il apprend la langue. — A. M.
— Dans une élégante brochure in-40, publiée à l'occasion d'un mariage (Nozze
Volpi-Buonamici, 23 avril 1900, (Padoue, i5 pages.) M. Fr. Flamini publie l'épi-
logue d'un cours professé à l'Université de Padoue : lordinamento dei tre regni e
il triplice significato délia Commedia di Dante, Nous nous bornons à signaler
cette importante étude, qui est la promesse d'un volume consacré à Dante ; pour
exposer les idéeà de M. Flamini et les apprécier, attendons qu'il leur ait donné
toute leur ampleur, mais ne tardons pas à annoncer la bonne nouvelle que la
brochure nous apporte. — H. H.
— Le 17 février dernier a ramené le troisième anniversaire du supplice de
Giordano Bruno. A cette occasion M. Gustave Louis a publié sur ce personnage
une substantielle brochure : Gîo»-rf^«o iîr»«o, seine Weltanschaining iind Lebens-
aiiffassung {BerVin, E. Felber 1900 : in-i6, IV-143 pages), destinée sans doute à
répandre dans le public quelques notions précises sur les idées philosophiques et
sur l'existence de ce martyr de la pensée. On y trouvera des renseignements puisés
aux sources les plus sûres et des indications bibliographiques utiles sur les
ouvrages antérieurs consacrés à G. Bruno. — H. H.
— Le travail de M. Arnold-Oscar MEVERSurla diplomatie anglaise en Allemagne
au temps d'Edouard VI et de Marie Tudor, est une thèse inaugurale soutenue à
Breslau en juillet jgoo. Cette dissertation {Die englische Diplomatie in Dentschland
:jiir Zeit Eduards VI und M ariens. Breslau, Marcus, igoo, 1 13 p.in-8*) comprend
deux chapitres d'inégale longueur ; le premier nous expose l'organisation de la
diplomatie britannique dans la seconde moitié du xvi* siècle, la situation person-
nelle et pécuniaire de ses agents, leur activité et leurs moyens d'information, etc.;
le second énumère les diftérents envoyés qui se sont succédé, à intervalles très
rapprochés, à la cour de Charles-Quint, durant les dix dernières années de son
règne. Ce furent pour la plupart des personnages assez obscurs, les affaires qu'ils
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE [-5
traitèrent ne sont pas de haute importance, et leurs dépêches, comme le démontre
• facilement l'auteur, ne sont pas précisément des documents historiques à suivre
aveuglément. Le plus sympathique à M. M. c'est sir Richard Morison, dont il parle
assez longuement et dans les écrits duquel il prétend trouver quelque chose du
délicieux humour de Dickens. Sans avoir consulté de documents inédits, l'auteur
a soigneusement dépouillé la littérature imprimée, et naturellement avant tout les
séries afférentes des State papers, et fait de la sorte un travail utile, facilitant la
tâche des historiens qui voudront raconter plus tard les relations politiques de
l'Angleterre et du Saint-Empire de 1.147 à i556. — R.
— Dans un extrait des « Annales de l'Est », Une mission strasbourgeoise à la
cour de Louis XIII, M. Rod. Reuss retrace la mission de Josias Glaser chargé en
i63i par le Magistrat de Strasbourg d'encaisser un emprunt conclu secrètement
avec la cour de France. Glaser a fait à son retour un très curieux rapport que
M. Reuss analyse ou cite dans son travail et qui méritait, « ne fut-ce qu'à cause de
sa forme primesautièrc », de ne pas rester inconnu. Il y a d'ailleurs dans la rela-
tion de Glaser certains détails piquants ou qui ne manquent pas d'intérêt comme
la présentation de Glaser à Louis XIll au château de Monceaux, l'entretien de
Richelieu avec l'envoyé strashourgeois et son mot sur les troupes réglées (oportet
habere industriosos et exercitatos milites), le discours du Père Joseph assurant
qu'il aime ainsi que le roi d'un amour égal les tils de l'Eglise et les héritiques,
l'ignorance du trésorier La Bazinière qui ne sait où est Strasbourg, et plusieurs
points de cette brochure serviront à mieux marquer l'attitude du cardinal à l'égard
des états protestants de l'Allemagne au moment où éclatent les victoires de
Gustave-Adolphe. — A. G.
— Dans une brochure intitulée Les brùlements de papiers à Reims, i jg3 (Reims,
Monce. 1900). In-S", 27 p. M. le Dr. Pol Gosset publie, d'après les registres et les
liasses du fonds révolutionnaire des archives de Reims, quelques notes intéres-
santes sur les papiers brûlés dans cette vîlle en 179? et sur les circonstances de
ces autodafés : le 10 août, brûlement des titres féodaux provenant sans doute des
nobles et des notaires ; le 5 brumaire, brûlement des portraits des rois, reines,
princes et « autres suppôts du despotisme » ; le 3o frimaire, brûlement des titres
féodaux et des pièces du Cartulaire de la ville. « Les documents perdus, dit
M. Gosset, sont, il est vrai, de valeur bien inégale ; mais si les lettres de bache-
lier ou les cartes k jouer détruites nous laissent indirtérents, qui ne regrettera le
pillage du Cartulaire de la ville et la destruction de certaines archives particu-
lières ? » — A. C.
— MM. Rod. Vagnair et F. Venture viennent de publier à la librairie Dubois
deux brochures, l'une Kléber en Egypte (Ïn-S", 48 p. i fr. 5o) où l'on trouve des
lettres de divers officiers à Kléber et notamment une lettre où Menou annonce la
reprise du Caire, des rapports des capitaines de frégate Martinet et Barré sur la
défaite d'Aboukir, une relation de Devouges (un des passages échappé au massacre
de VAnémone) ; l'autre Kléber et les Vendéens, décembre i~g.^, Le Mans. Laval,
Savenaj' In-S", 25 p. i fr.), plaquette où l'on remarque de fort intéressants détails,
particulièrement sur la déroute du général Mullcr à qui Prieur de la Marne
« applique quelques coups de plat de sabre » 'p. 18 rotlkier dont le nom est resté
en blanc est d'Obenheim). Nous n'osons dire, comme les éditeurs, que ces docu-
ments soient inédits; mais ils sont authentiques et tirés d'un recueil des papiers
de Kléber recueillis et copiés par un ami du général, M. de Chaicaupiron. —A. C.
— Une traduction française des Pensées de Lcopardi, ou plutôt de Pensées chût-
Ij6 IIEVUË CftîTîQUE d'histoire ET DE LÎTTÉRARTUE
sies (mais le choix est très large et donne une idée suffisante de l'œuvre) vient de
paraître à Grenoble (A. Gratief éditeur, 1900) par les soins d'une jeune italienne,
M''<^ L. Caramelli. L'entreprise était délicate assurément; elle l'eût été inème pour
un traducteur français. M"*' G. s'en est tirée avec honneur. — H. H.
— Le tome IV du Paris pendant la réaction thermidorienne et sot4s le Directoire,
recueil de documents pour Vhistoire et l'esprit public à Paris, publié par M.A.Aulard,
a paru récemment Paris. Cerl. Noblet. Quantin. In-S", 794 p.) Le volume va du
21 ventôse an V au 2 thermidor an VI, c'est-à-dire du 11 mars 1797 au 20 juil-
let 1798.
— La Société pour le progrès des études philologiques et historiques, fondée à
Bruxelles en 1874 par des membres de l'enseignement supérieur et secondaire de
l'enseignement officiel et libre en Belgique, reconstituée en 1898 après une assez
longue période d'assoupissement, grâce aux efforts énergiques de son nouveau
secrétaire général, M. Paul Frkdéricq, professeur d'histoire à l'Université deGand,
vient de publier un Annuaire-Bulletin (Gand, Annoot-Braeckman 1900), pour les
années 1898 et 1899. Il contient, outre la liste de ses membres, les procès-verbaux
des réunions générales et sectionnelles, tenues au cours de chaque semestre. On y
remarque surtout la discussion entre M. H. Pirenne et le R. P. De Smedt sur la
nouvelle méthode historique de M. Lamprecht, méthode dont on parlait ici naguère,
et qui parait soulever en Belgique les mêmes débats qu'en Allemagne, bien que
pour des raisons plutôt théologiques que scientifiques. — R.
— M. Albert Soubies a ajouté deux nouveaux volumes, l'un sur la Belgique des
origines au xtx» siècle, l'autre sur VEspagne au xix' siècle, à sa jolie collection de
VHistoire de la musique qui paraît chez Flammarion.
— Viennent de paraître dans la nouvelle édition de classiques allemands que
publie à Leipzig la librairie Hesse: 1° les œuvres complètes de Henri de Kleist édi-
tées par M. K. Siegen ; le volume, en quatre parties, est précédé d'une introduction
de quatre-vingt-dix pages environ. 2'' les œuvres complètes de Lenau, éditées par
M. Ed. Castle ; le volume, en deux parties, contient une préface de soixante pages.
Ces deux volumes sont de belle exécution, de forme commode et d'un prix peu
élevé.
— A l'occasion du soixante-dixièm.e anniversaire de la naissance de Christophe
Sigwart, ses collègues lui ont offert un volume de dissertations philosophiques
Philosophische Abhandlungen (Tubingue, Fribourg et Leipzig, Mohr. In-8°, 248 p.)
dont voici les titres : Benno Erdmann, Umrisse ^ur Psychologie des Denkens ;
W. Windp;lband, vom System der Kategorien ; H. Rickert. Psychophysische Cau-
salitât und psychophysischer Parallelismus \ L. Busse, Die Wechsehvirkung :jivis-
chen Leib und Seele und das Geset:^ der Erhaltung der Energie; R. Falckenberg,
Zwei Briefe von Lot:^ an Seydel und Arnoldt; Vaikinger, Kant, ein Metaphysiker ;
A. RiEHL, Robert Mayers Entdeckung und Beweis des Energieprincipes ; Dilthey,
Die Entstehung der Hermeneutik ; Ed. Zkli.er, Ueber den Einfluss des Gefiihls auf
die Thatigkeit der Phantasie ; H. Maier, Logik und Erkenntnistheorie .
Le Propriétaire- Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 36 — 3 septembre — 1900
Sophocle, Antigone, trad. Martinon. — Bacchylide, 2* éd., p. Blass. — Graden-
wiTZ, La papyrologie, I. — Schulten, L'Afrique romaine. — Wieland, La vieille
Afrique chrétienne. — Mau, Pompei. — Sepet, Saint-Gildas de Ruis. — Gower,
p. Macaulay. — KoECHLiN et Marquet, La sculpture à Troyes. — Monchamp,
Une lettre perdue de Descartes. — Cantor, Histoire des mathématiques, II, 2.. —
Dictionnaire biographique et biblio-iconographique de la Drôme, p. J. Brun-
Durand. — La guerre dans la vallée d'Aspe et la bataille de Lescun, p. Schmuc-
KEL. — Académie des inscriptions.
Sophocle, Antigone, traduction en vers par Ph. Martinon. Paris, Fontemoing,
1900 ; 56 pp.
Dans Antigone, la troisième tragédie de Sophocle qu'il a traduite,
M. Martinon n'a fait que peu de coupures : plusieurs passages sont
supprimés dans le rôle du gardien ; une tirade de Créon et une
d'Hémon, dans l'entrevue de ces deux personnages, sont sensiblement
réduites ; le début du premier morceau de Tirésias est laissé de côté ;
enfin dans le rôle d'Antigone manque le passage célèbre où la jeune
fille explique qu'elle n'aurait pas fait pour un époux ou pour un
enfant ce qu'elle a fait pour son frère, et dans lequel de nombreux
critiques ont voulu voir une mauvaise adaptation d'un passage connu
d'Hérodote. M. M. estime que la Comédie Française a eu tort de ne
pas faire de coupures dans cette pièce ; il me permettra de ne pas être
de son avis, du moins pour quelques-unes de celles qu'il a pratiquées;
je veux parler des rôles de Tirésias et du gardien. Le devin expose à
Créon que ses ordres relatifs au corps de Polynice vont causer le
malheur de Thèbes. Comment le sait-il? Par des présages terribles
qui viennent de se révéler à lui, et qui motivent son intervention ; il
les montre dans une quinzaine de vers énergiques qui sont bien con-
nus : El; vàp -aXa-.ôv Oà/.ov ôoviOor/.ô-ov Itiov etc. ; M. M. les supprime, et
l'on ne comprend plus suffisamment la venue du vieillard. Le rôle du
gardien est écourté plus malheureusement encore; M. M. en a
retranché précisément tout ce qui dessine le caractère. Ce ne sont
pourtant que quelques vers, une quinzaine en trois endroits, mais ils
sont indispensables pour mettre en relief les sentiments qui agitent le
personnage, dont les traits caractéristiques sont à la fois la timidité du
faible devant le puissant, la crainte d'être puni pour n'avoir pas
découvert le criminel, et la joie d'être enfin quitte après avoir surpris
la jeune fille, joie mélangée pourtant de pitié pour le malheurd'auirui.
Nouvelle série L. 3ô
IjS REVUE CRITIQUE
Cette psychologie d'un personnage épisodique, si finement saisie par
Sophocle, on ne la retrouve pas chez le traducteur, que le peu d'im-
portance du rôle a sans doute empêché de lui accorder l'attention
qu'il mérite : Sophocle y perd. Quant à la tirade d'Antigone, elle
pourrait choquer notre goût moderne, cela est certain; et M. M. a
bien fait de la laisser de côté, quoiqu'elle ne soit pas « sûrement
interpolée», comme il le déclare; c'est là d'ailleurs une question
qu'un traducteur, qui en même temps adapte pour le théâtre, a le
droit de négliger. Mais on voudrait qu'il se fût borné à supprimer le
passage suspecté par la critique, et qu'il eût conservé la fin du mor-
ceau, qui est authentique, où les plaintes d'Antigone entraînée à la
mort atteignent le dernier degré de l'émotion. A part ces desiderata,
la traduction de M. Martinon est fidèle, et c'est un mérite ' ; elle se
lit avec intérêt, et c'en est un autre; mais à quoi bon répéter ce
que j'ai déjà dit à propos d' Œdipe Roi et ai Œdipe à Colone? Le vers
a les mêmes qualités, et aussi les mêm.es défauts \
My.
Bacchylidis carmina cum fragmentis iterum edidit Fr. Blass. Leipzig, Teubner,
1900 (sur le faux titre 1899); LXXV-207 p. {Bibî. script, grcec. et rom. Teub-
neriana.)
Un peu plus d'un an s'est écoulé, et M. Blass a donné une seconde
édition de Bacchylide. A vrai dire, on ne trouvera dans celle-ci que
des modifications sans grande importance. Il n'y a plus, à la fin, de
fragments sedis incertœ : M. B. a cru en retrouver la place ; les plus
importants sont intercalés, les uns au début de la première ode, qui a
subi de ce fait un assez sérieux remaniement, les autres au milieu de
l'ode VII. La préface est sensiblement restée la même ; une page a été
ajoutée sur l'allittération ; et les arguments de divers morceaux ont
reçu les additions et modifications nécessitées par de récents travaux,
notamment l'argument de l'ode III, où M. B. discute l'opinion de
M, Homolle relative à la base de Gélon. La date des odes VI et VII
(452) est révélée par un fragment de catalogue d'Olympioniques
récemment découvert. On notera plus particulièrement que M. B. se
range maintenant, provisoirement du moins, à l'avis de M. Kenyon,
1. Pourtant le beau vers Oûxoi auvéyeetv, iXkà aii|ji(piXeîv isuv est bien faiblement
traduit par Mais moi, je ne sais pas haïr.
2. De malheureuses concessions à ia rime : Ces deux enfants sont folles de'sor-
mais. J'en prends à témoin l'Olympe que voici. Je ne puis m'empêcher de verser
une larme. Des expressions impropres ou obscures: L'édit qui rougit notre front.
Vous défendrez mon arrêt d'un outrage. Le monde entier n'a rien que l'homme ne
surpasse. Sans larmes... je vais entrer... (11 faut entendre : Sans qu'on me pleure).
Où trouver couple mieux assorti? est d'un ton peu relevé; c'est d'ailleurs un
contre-sens.
d'histoire et de littérature 17g
en ce qui concerne l'âge du papyrus, auquel le savant anglais assigne
pour date le milieu du I^"" siècle avant J.-C. Le texte, en dehors des
passages où ont été insérés les fragments, présente quelques change-
ments ; M. B. est souvent revenu à la leçon du papyrus : III, 18
6i|;'.oa'.oâ)-cov (I'"e éd. •j<|/'.oa'.oàXwv), 64 ixi'(ci.vn,-z (-vîtej ; IV, l4K'ppa; (raîa^i ;
V, 23 'îp'j'.yt^ (-f^E'j), Il5 TO'jç (oG;) ; IX, 46 o'ày.ptTO'j; (o'.a/.p(-0'j;) ; X, g2
zp'.<T/.:i'.oty.oL (xpetor/.) ; XVI, 10 ivvâ (âêpâ), 80 tj'joevooov fsùp'Jîopovi, 86 TX'isv
(TàxEvj, 98 £va)avat=Ta'. (-vxÉTai). En ce dernier passage, la lecture à/.'.vadxai
(Palmer) me semble s'imposer ; elle rétablit le mètre, et l'on admettra
facilement que le scribe a inséré âv devant âX'., ce dernier mot, par sa
place à la fin d'une ligne, ne semblant pas appartenir à un composé.
M. B. ne recule pas, d'ailleurs, devant d'autres corrections plus radi-
cales, et moins justitiées : 111, 87 î'j/porjva (pap. EÙcppoTjva) n"a rien d'in-
dispensable ; faire un mot nouveau, dont le sens n'est pas des plus
clairs, dépasse les droits delà critique. XVI, 87 sv. yAlz'jai 0' Ixa-rôvTopov
yh c'joaîoaXov vàa est refait, pour le sens qui paraît nécessaire à
M. Blass, sur xéÀîjtï -e -/.a-:' ovipov t'ayCEv (pap. ''a/E'.vj.. ; si nous ne démê-
lons pas encore le sens de cette phrase, je ne vois pas bien comment
on peut la concevoir comme une corruption de la précédente. V, igS
les raisons invoquées en note ne me convainquent pas de la nécessité
de substituer 7:£'.0ô;jL£6' àTîîOoijiat. S'il s'agit de restitutions, au contraire,
il est permis d'être plus hardi. On sait combien, sous ce rapport, le
texte de Bacchylide est redevable aux travaux de M. Blass ; les odes
VI II, IX, XII entre autres, dans cette seconde édition, témoignent
encore de sa sagacité. Parfois cependant il a abandonné ses propres
conjectures pour revenir à des lectures proposées par d'autres : III,
5 TEJOVTO Kenyon (I'^''^ éd. y^'^ovto), 44 ypjaoo-votî K. (y.aXX'.o(va4),6g Oîcc^'.X^
Herwerden \vJïi\r]) ; V, 56 xot'. (j.iv K. (-rtpÔTOsv), 122 -âvTa? Ludwich
(-ÀEJva;). XII, 48 se lit maintenant dans le texte la conjecture certaine
de Desrousseaux èXecpavxôxwTrov ; mais 111, 78 je ne vois pas celle de
Th. Reinach, [c:'] àé^Etv, que je considère comme également certaine,
et qui devait au moins être mentionnée dans les notes. M. Blass a
pourtant tenu cette édition soigneusement au courant des travaux
publiés depuis la première ; la liste en est donnée p. LXXII sv., et les
notes critiques se sont notablement accrues. Malgré les progrès accom-
plis, il reste encore beaucoup à faire, tant à cause des dilliculiés
métriques, qui sont loin d'être aplanies, principalement dans l'ode V
et dans le dithyrambe XVI, que des incertitudes du texte, soit pour le
sens, soit pour la construction, en plusieurs passages. Le papyrus,
quoique généralement correct, renferme un bon nombre de fautes
évidentes ; il est à souhaiter que Ton corrige celles qui ne sont pas
encore corrigées, et une étude approfondie de la manière probable
dont ces fautes ont été commises hâtera certainement la solution des
questions encore pendantes. Imaginer ce que le poète à dû dire ne
peut au contraire que les compliquer. My.
l8o REVUE CRITIQUE
O Gradenwitz. Einfûhrung in die Papyruskunde. Fasc. I. Erkiarung ausge-
wâhltcr Urkunden. ncbst cinem Contrâr-Index und einer Tafel in Lichtdiuck.
Leipzig, Hirzel, 1900 ; xv-197 pp.
Il n'est personne qui ignore quelle importance a prise, dans ces
dernières années, depuis les récentes publications, Tétude des papy-
rus, la papyrologie, comme on Ta appelée; indispensable pour l'his-
toire de la langue grecque, précieuse pour Thistçlre de la littérature,
elle n'est pas d'un moindre secours pour la connaissance du droit ;
toutes les branches de la philologie ont gagné à la découverte ; et pour
ce qui concerne les papyrus d'ordre juridique, il suffirait dé citer les
noms de Wilcken et de Mitteis pour remettre en mémoire les résultats
acquis. Le présent volume de M. Gradenwitz a pour but d'initier le
philologue à la connaissance de certaines transactions, contrats de
vente, prêts, quittances, et autres actes analogues. Le plan de l'ou-
vrage est très clair : la première partie étudie quelques textes choisis
(en grande partie dans les papyrus du musée de Berlin;, et en propose
une restitution et une interprétation méthodiques; la seconde examine
dans leurs types généraux et dans leurs formules plusieurs contrats
grecs, dont la rédaction, quand il y a lieu, est comparée avec des do-
cuments romains de même nature ; la troisième enfin entre dans une
discussion approfondie sur certains détails relatifs à la forme et à la
technique de ces documents. L'intérêt, comme on peut le pressentir,
est multiple; si d'un côté l'on pénètre, grâce à ces pièces d'un genre
spécial, dans les mœurs et les relations journalières des hommes du
temps, d'un autre on apprend à connaître, par la forme extérieure de
ces transactions, quels étaient les moyens employés pour en assurer
la validité, pour constater l'identité des personnes, pour régler les
difficultés possibles lorsqu'il s'agissait d'illettrés, pour donner en un
mot à ces pièces toute l'authenticité nécessaire; et comme les termes
employés ne peuvent être indifférents, on s'instruit enfin de leur va-
leur précise dans la langue juridique, valeur souvent à peine indiquée,
parfois même manquant totalement dans les dictionnaires. Qu'y a-t-
il de plus curieux, par exemple, que de voir les pièces du type
ôiaoXoYÎa, généralement des actes de vente par devant témoins entre
personnes présentes, contenir régulièrement le signalement non seu-
lement des contractants, mais aussi des témoins, et des xjp'.oi lorsque
les parties sont des femmes ? et ce signalement consister seulement
dans Tàge et dans ce que nous appelons aujourd'hui signes particu-
liers, d'où la mention a7ï,ao4 quand' l'individu ne porte aucune cica-
trice ? La rédaction des divers genres de contrats est ainsi étudiée par
M. Gradenwitz jusque dans les derniers détails ; mais il serait difficile
de le suivre dans une simple analyse, précisément parce que chaque
point particulier amène des discussions et des comparaisons trop
nombreuses et trop minutieuses pour être recensées une à une.
Chaque formule, chaque terme spécial sont l'objet d'une étude qui les
d'histoire et de littérature i8i
met en relief, en éclaire la signification, en fixe le rôle et la place dans
la teneur du contrat. C'est pourquoi le juriste comme le philologue y
trouveront leur compte : comme l'espère M. Gradenwitz, ils puiseront
dans son ouvrage, l'un les principes philologiques, l'autre les prin-
cipes juridiques qui leur faciliteront l'étude et la connaissance des
papyrus. — Ce volume se termine par plusieurs indices : l'un (IV; des
mots spécialement étudiés; un autre (11) des sources, notamment des
papyrus cités ; un autre (III) des corrections et restitutions proposées
par M . Gradenwitz dans divers documents. 1^'index I, dont l'utilité
est évidente pour les restitutions, comprend, rangés en ordre alpha-
bétique inverse, c'est-à-dire par ordre de finales, les mots contenus
dans les tables des deux premiers volumes des papyrus des Musées de
Berlin, du volume des papyrus d'Oxyrhynchos, et du second volume
des papyrus du British Muséum ; l'auteur a été aidé dans cette tâche
par M. von Rchbinder. L'héliogravure représente, aux trois quarts de
l'original, le papyrus UBeM 179, curieux document étudié p. gS et
suiv., qui contient une quittance partielle, sert en même temps de re-
connaissance pour le prêt du reste de la somme, donne enfin, après
paiement, quittance de ce reste, et est annulé par rature.
My.
A. ScHULTEN. Das rœmische Afrika, Leipzig, Dieterich, 1899, in-8, vi-i 16 p.
Fr. WiELAND. Ein Ausflug ins altchristliche Afrika, zwanglose Skizzen, Stutt-
gart et Vienne, Roth, 1900, in-8, 196 p.
I. Le nouveau livre de M. Schulten est une œuvre de vulgarisation
destinée à mettre le public allemand au courant des recherches archéo-
logiques entreprises depuis cinquante ans en Algérie et en Tunisie.
M. Schulten a publié d'importants mémoires sur divers problèmes
d'épigraphie et de droit concernant l'Afrique romaine; il a voulu faire
profiter ses compatriotes des connaissances générales qu'il a acquises
sur ce pays et son histoire. 11 a tracé à grands traits, en une centaine
de pages, un tableau de l'Afrique sous la domination romaine, et par-
ticulièrement au début du m'' siècle, à l'époque des Sévères. L'auteur
n'a pas cru qu'il fût nécessaire de diviser son récit rapide et clair en
chapitres. On y distingue cependant plusieurs parties. Les seize pre-
mières pages forment l'introduction (intérêt actuel des études archéo-
logiques en Algérie et en Tunisie, grandes publications auxquelles
elles ont donné lieu, destinéee de l'Afrique du Nord dans l'antiquité,
marche de la civilisation romaine). Vient ensuite une étude des élé-
ments pré-romains (pp. 17-32); M. Schulten passe trop rapidement
sur les Carthaginois, mais il insiste avec raison sur la race berbère et
sur les traces qu'on retrouve d'elle, jusqu'au temps du christianisme,
dans les monuments, la religion, la langue, l'onomastique ; il apprécie
l82 REVUE CRITIQUE
en bons termes la politique des Romains à l'égard des vaincus et leurs
efforts pour fixer les nomades au sol. Enfin, la civilisation propre-
ment romaine est décrite. Sans s'astreindre à suivre un ordre rigou-
reux, M. Schulten passe en revue un certain nombre de questions et
tait sur chacune d'elles quelques observations; les principales villes et
les principaux monuments sont étudiés au passage Thysdrus, p. 35,
les nécropoles de Carthage, p. 40, Timgad, p. 61, Cherchel, p. jS,
Lambèse, p. 84). Il s'agit tour à tour de la population et des routes,
des cultures, du régime économique pp. 41-47; de ce dernier point
M. Schulten a fait ailleurs un examen approfondi ; il se borne ici à
énoncer ses conclusions), de la vie des grands propriétaires africains
d'après les mosaïques (pp. 47-52), de l'utilisation des eaux, de l'aspect
des villes et du développement de la vie municipale, de la valeur de
cette civilisation, dont la prospérité matérielle contraste avec la pau-
vreté intellectuelle et le manque d'originalité artistique, enfin, de
l'armée romaine d'Afrique et de la défense des provinces. La conclu-
sion nous montre la chute de l'Afrique romaine sous les coups des
envahisseurs barbares, à la suite des guerres civiles et des progrès du
christianisme. Les notes bibliographiques et critiques sont rejetées
aux dernières pages, pour ne pas retarder la marche de l'exposé. Elles
prouvent que l'auteur est parfaitement au courant des travaux les
plus récents de l'érudition française et leur rend pleine justice ;
c'est d'ailleurs au Directeur des Antiquités tunisiennes. M. P. Gau-
ckler, que l'ouvrage est dédié. Ce petit volume agréable continuera à
bien faire connaître et apprécier au delà du Rhin, en dehors du cercle
restreint des archéologues et des épigraphistes de profession, l'œuvre
scientifique que poursuit la France sur le sol de l'Afrique romaine '.
2. Le livre de M. l'abbé Wieland témoigne, comme celui de
M. Schulten, de l'attention croissante qu'on accorde en Allemagne à
l'archéologie africaine. M. Wieland a profité de son séjour à l'Institut
catholique allemand de Rome [Campa Sa?îto de' Tedeschi) pour faire,
à l'exemple des membres de notre École française, une excursion en
Algérie et en Tunisie. Il nous donne, sous forme de simples esquisses^
un récit de son voyage, qu'illustrent de nombreuses et jolies gravures.
L'auteur n'a pas la prétention de nous apporter du nouveau; il dit
très simplement ce qu'il a vu, ce qu'il a appris en route; il fait part de
ses impressions, en produisant au besoin à l'appui de ses appréciations
quelques textes littéraires, quelques inscriptions ou même quelques
plans. M. Wieland s'occupe personnellement d'archéologie chré-
tienne ; ce sont de préférence les basiliques africaines et les légendes
des martyrs qui l'attirent et le retiennent; mais il n'a pas négligé de
I. On sera surpris de voir p. 56 que M. S. donne le mot thalweg comme la tra-
duction française du mot oued. — P. 108 : c'est à M. Cuq, et non à M. Cat, que
l'on doit un mémoire sur le colonat partiaire à propos de l'inscription d'Henchir
Mettich.
d'histoire et de littérature i83
visiter chemin faisant les ruines païennes et les villes modernes. On a
plaisir à le suivre de Carthage à Tipasa, par Tunis, Dugga, Tébessa,
Timgad, Lambèse, Constantine. Il est fâcheux que la carte d'en-
semble de la dernière page soit si petite et sommaire.
Maurice Besnier.
A. Mai.-. Pompei, its life and art, Londres, 1809, in-S", 5oi pp. chez .Macmillan
Ce livre, écrit en anglais, n'est point, dit la préface, la traduction
d'un ouvrage déjà publié; M. Mau l'a écrit spécialement en vue du
public anglais ; mais il l'a écrit en allemand et M. Kelsey s'est chargé
de le traduire. Cela devait être dit au début de ce compte rendu
comme cela a été dit au début du volume. Personne ne s'étonnera,
d'ailleurs, que l'auteur qui a fait des ruines de Pompéi sa province,
qui y passe tous ses étés, qui a mis au point l'ouvrage vieilli d'Over-
beck, qui est devenu, dans les revues allemandes, le moniteur officiel
des découvertes que chaque année amène avec elle, se soit décidé à
composer, à son tour, un ouvrage d'ensemble sur la célèbre ville dont
tant d'autres avaient parlé avant lui.
Le plan de son travail ne diffère pas, d'ailleurs, sensiblement de
celui qu'avaient adopté ses devanciers; aussi bien est-il presque
imposé par la matière. Après quelques généralités sur l'histoire de
Pompéi, de sa destruction, de sa résurrection par les fouilles, il faut
bien parler des matériaux qui ont servi à la bâtir et des différents
styles d'architecture qu'on y rencontre, puis décrire successivement
les édifices publics et privés, puis arriver à létude des œuvres d'art,
des objets usuels, des inscriptions. Le tout est de parler de ces choses
en pleine connaissance de cause; et nul autre que M. M. n'était
plus qualifié. Je ne pense pas d'ailleurs que les érudits, déjà au
courant du sujet, trouvent beaucoup de nouveau dans ce livre ' ; et ce
n'est pas là ce que cherchait l'auteur. Il a tenu à y présenter, en des
pages claires et précises, mais sans aucun appareil scientifique, sans
aucune référence aux livres antérieurs ou aux articles de revue, un
résumé de ce qu'il savait, c'est-à-dire de ce qu'on sait, sur Pompéi.
La nouveauté est, à chaque ligne, dans la façon toute personnelle
dont les faits sont présentés.
i..Ie signalerai pourtant, entre autres détails, Tappellation du Comitium (salle
de vote) donnée fermement à une pièce, située entre le forum et la Rue de
l'Abondance, dont on avait fait d'abord une école; et celle du Temple de Z eus
Milicliius attribuée au sanctuaire qu'on nomma d'abord temple d'Esculape et que
les savants regardaient comme un Capitole (Overbeck, p. 110). M. Mau estime
qu'il servit, en effet, de Capitole, mais seulement par intérim pendant qu'on
reconstruisait celui du Forum,
184 REVUE CRITIQUE
Les illustrations sont intéressantes; c'est à peine si j'ai retrouvé çà
et là quelques-uns de ces clichés qui, de Touvrage d'Overbeck. ont
passé dans tous les livres relatifs à Pompéi ou même aux antiquités
romaines, telle cette boutique avec une marmite fumante qui forme
la figure i83 d'Overbeck. Par contre on ne compte pas les clichés
obtenus directement d'après des photographies — • certaines phototy-
pies, plus grandes, sont données hors texte — et, ce qui est infiniment
précieux, les descriptions sont éclairées par de nombreuses recons-
titutions d'ensemble ou de détail. On a fort habilement tiré parti
pour tout cela des ressources que fournissent les procédés actuels de
reproduction.
En somme le livre de M. M au est, sinon une œuvre de vulgarisa-
tion, du moins une œuvre de large information plutôt qu'un livre de
science ; ce n'en est pas moins un livre savant qu'on trouvera profit à
consulter avant de chercher ailleurs.
R. Gagnât.
H. Thédenat. Le forum romain et les forums impériaux {2" édition]. Paris,
Hachette, 1900.
Il y a deux ans à peine, j'annonçais ici même l'apparition du livre
du R. P. Thédenat sur le forum. Le succès du livre a été tel que le
voilà déjà parvenu à sa deuxième édition. Celle-ci ne diffère pas
essentiellement de la précédente. En attendant la fin des fouilles
entreprises par M. Baccelli, qui amèneront un remaniement plus
profond, l'auteur s'est contenté d'ajouter à la rédaction précédente,
outre des remaniements dans le texte, un chapitre complémentaire et
une gravure hors texte, celle du frontispice. De la sorte les érudits et
les voyageurs sont à même d'attendre, sans être exposés à de grosses
ignorances, la prochaine édition.
R. Gagnât.
Marius Sepet. Saint-Gildas de Ruis. Aperçus d'histoire monastique. Paris,
P. Téqui, 1900.111-12 de 417 pages.
Les annales de l'abbaye bretonne de Saint-Gildas de Ruis pour-
raient tenir en quelques pages : M. Sepet en a écrit plus de.400. Il
est vrai que dès l'introduction nous sommes avertis que ce livre est
« un peu conçu comme une sorte de voyage, accompli dans le temps
au lieu de l'être dans l'espace », et pour lequel l'auteur demande qu'on
veuille bien lui « concéder, à l'occasion, les détours, les excursions,
les ascensions, les rencontres, les incidents, les insistances, quelque
chose en un mot de la liberté et de l'imprévu qui ne sont pas précisé-
ment le moindre agrément des voyages proprement dits ».
d'histoire et de littérature r85
De cette liberté M. S. a largement usé : les détours sont ici très
fréquents et les excursions souvent bien longues. Ainsi, comme
introduction au chapitre I^"" et comme explication de la fondation du
monastère, il nous fait le résumé de la conquête de l'Armorique et de
la Grande-Bretagne par les Romains, de la christianisation de ces
pays, de l'invasion des Anglo-Saxons dans la Grande-Bretagne, des
migrations des Bretons dans la presqu'île armoricaine. Abélard fut
quelque temps abbé de Saint-Gildas : c'en est assez pour raconter en
détail, pendant près de 200 pages, la vie aventureuse de ce célèbre dia-
lecticien. Les démêlés d'Abélard avec saint Bernard donnent occa-
sion de faire Thistoire de la vocation et de célébrer la vie ascétique de
ce dernier, d'analyser la règle de Citeaux, de décrire les construc-
tions de Clairvaux, etc.
On voit d'ici combien peu de place tient dans cet ouvrage l'histoire
proprement dite de l'abbaye de Saint-Gildas de Ruis. Et encore pour
cela, M. Sepet ne fait-il qu'emprunter à des devanciers les éléments de
son récit. C'est donc un livre de vulgarisation qu'il a écrit.
Considéré à ce point de vue, il offre certainement un réel intérêt.
Les différents aspects de la vie monastique au moyen âge et dans les
temps modernes y sont bien présentés; même le chapitre consacré à
Abélard est très attachant, car il donne une idée juste de ce qu'était
au xn^ siècle l'enseignement supérieur en France, des mœurs sco-
laires de cette époque, des passions qui venaient battre et ébranler la
chaire où professaient des Guillaume de Champeaux, des Abélard,
des Anselme de Laon, etc.
L.-H. Labande.
The complète works of John Gower, edited from the manuscripts with
introductions, notes, and glossaries by G. G. Macaulay : the french works ;
Oxford. Clarendon Press, 1899; in-80 de lxxxvii-564 p.
On savait que Gower avait écrit trois grands poèmes, intitulés Vox
clamantis (en latin), Confessio amantis (en anglais) et Spéculum me-
ditantis (en français), dont le dernier était considéré comme perdu.
M. Macaulay a eu, il y a cinq ans, l'heureuse chance de retrouver
celui-ci, dissimulé sous le titre de Miroiir de Vhomme. C'est une im-
mense composition religieuse et morale, en strophes de douze vers
(aabaab bbabba) qui, bien qu'il ait perdu au moins un millier de vers,
en compte encore près de 3o,ooo. L'ouvrage n'a pas une grande
valeur littéraire, mais il est curieux en ce qu'il nous montre ce que
le français était devenu en Angleterre à la fin du xiv^ siècle et aussi en
ce qu'il nous fournit un tableau de la société anglaise, malheureu-
sement assez peu précis, à la veille de la grande crise sociale de i 38 1 '.
I. M. M. le date de 1 376-1379.
1 86 REVUE CRITIQUE
Ce poème est ici publié avec le plus grand soin, ainsi que les autres
œuvres françaises de Gower, les Cinquante Ballades et le Trait ié
pour essampler les amants mariés ' .
Une des parties les plus intéressantes est l'Introduction : M. Ma-
caulay y démontre l'identité du Spéculum meditantis et du Mirour de
l'homme. Nous avons un sommaire, par l'auteur lui-même, du pre-
mier, et le second y correspond exactement ; on trouve dans les deux
œuvres la même classification des vices, qui ne se rencontre pas
ailleurs ; un grand nombre d'anecdotes, de comparaisons, de cita-
tions (parfois également fausses) leur sont communes; enfin, mêmes
procédés de style de part et d'autre : tels sont les arguments dont se
compose cette démonstration, rendue plus lumineuse encore dans les
notes, où on trouvera de nombreux rapprochements de détail entre le
Mirour et les deux autres œuvres de Gower 2. Une autre partie, éga-
lement fort importante, de l'Introduction est consacrée au relevé des
principaux traits phonétiques de la langue de l'auteur; elle n'otîre pas
seulement une précieuse collection de faits, mais abonde en vues ori-
ginales et justes. Le texte est très correctement publié; il ne présen-
tait pas du reste de grandes difficultés, le manuscrit étant très voisin
de l'original. Les notes qui lui font suite nous renseignent sur la
source de certains développements, relèvent diverses particularités
linguistiques, expliquent les passages difficiles. Enfin, un glossaire
très abondant termine ce beau volume, qui, dans son ensemble, ferait
honneur à un romaniste de profession.
Nous y signalerons seulement quelques lacunes qu'il eût été très
facile de combler. Si la phonétique du texte est l'objet d'un examen
étendu et consciencieux, il n'en est pas de même de la morphologie et
de la syntaxe. La première est tout à fait sacrifiée ; la seconde est
traitée dans les notes, par bribes et d'une façon parfois assez incom-
plète. Le dépouillement que j'ai fait des 5oo premiers vers montre
qu'il y avait là bien des traits intéressants à recueillir \ Il ressortirait
1. Le présent volume forme le tome I d'une édition qui en comprendra quatre;
dont deux pour les œuvres anglaises et un pour les œuvres latines.
2. La transcription de Mirour de l'honimc par Spéculum meditantis s'explique
aisément : (îower aura voulu donner la même désinence au titre de ses trois
ouvrages.
4. En voici les principaux résultats. Il y a confusion constante entre les genres;
ce ne sont pas seulement les adjectifs qui revêtent indifféremment, comme le dit
M. M. (p. xvii), la forme masculine ou féminine ; la confusion porte aussi sur les
substantifs [pomme, arbre, peine, sont masculins; péché, office, féminins); erreur
dans l'emploi des pronoms de la troisième personne (le datif est pris pour l'accu-
satif, voy. i65, ?>g(), ou réciproquement, 83, 142), de même {12G), de cliacuu (pris
comme pluriel, i), de la négation (38i), de que (considéré comme explétif, il^5);
-confusion entre les modes (conditionnel pour indicatif ou subjonctif; voyez les
notes) ou les temps (imparfait pour passé dérini, 06, i5(j, 177, 1^34, 348; passé
défini pour imparfait du subjonctif (3o5, 327) ; les mots sont fréquemment dé-
d'histoire et de littérature 187
de cet examen que le français était dès lors en Angleterre une langue
morte, apprise à grand'peine dans les livres, et que l'auteur le plus
soigneux était incapable d'écrire correctement. La plupart des fautes
s'expliquent par une influence de la syntaxe anglaise. L'influence de
la langue de l'auteur ne s'exerce pas moins sur son vocabulaire ; les
remarques qu'on pourrait faire à ce sujet sont loin d'être épuisées
dans les pages xxxii-v. Enfin, la main du non-spécialiste se reconnaît
à quelques erreurs de détail, trop légères, je le reconnais volontiers,
pour ôter rien au mérite du savant éditeur '.
A. Jeanrov.
La sculpture à Troyes et dans la Champagne méridionale au XVIc siècle.
Étude sur la transition de l'art gothique à l'italianisme, par Raymond
KoECHLiN et Jean-J. Marquet de Vasselot, attaché des Musées nationaux.
Paris (Armand Colin), 1900, i vol. in-8, jésus, 241 p. et 116 fig. hors texte en
phototypie.
Sainte-Beuve dit quelque part : « L'humanité passe son temps à
détruire, à raser le passé, à tâcher de l'abolir; puis, quand on en est
bien loin et qu'il est trop tard, à tâcher de le retrouver, de le déterrer
et à vouloir s'en ressouvenir. Les moindres débris, les moindres
bribes qu'elle en ressaisit la transportent. La difficulté fait le mérite. »
Si la difficulté fait le mérite, celui de MM. Koechlin et Marquet de
Vasselot n'est pas petit. On admire ce qu'il leur a fallu de persévé-
rance et de sagacité pour nous rendre ce chapitre de l'histoire de la
sculpture française. Pendant plusieurs années, ils ont parcouru les
villages de la hCampagne méridionale, explorant chaque église et pho-
tographiant (souvent avec quelles peines!) toutes les statues qu'ils
tournés de leur emploi ou de leur sens {ester est pris activement 186 ; oreiller, au
sens de « chuchoter », 4i5 ; issue, de race, 42; femeline, de femme, i33; décès,
de séparation, 199); les barbarismes même ne manquent pas {mengiit pour men-
gea, 147, i53; botu:[ pour bute^, 171 : cherice pour chérit, 254; remis pour renies,
340; terrere pour terre, 358); enfin, certains mots sont forgés de toutes pièces,
quelques-uns, semble-t-il, d'après l'anglais (eucress = croissance, 202; crétine =:
inondation, 5o/e/»j = seule).
I. P. xxin. La forme vais {vado) est donnée comme antérieure à vois. -^ Perestre
(voy. glossaire) n'est pas « paraître » mais « être », précédé de par augmentatif. —
La construction signalée (note sur le v. 2?) comme particulière à Gower : [je croi
que vostre talent cliangeast est tout à fait usuelle; il faut de même eflacer la
note (v. ii5) sur la locution il avoit. — 11 faudrait écrire autiel (non au tiel,
passim), en liireté (227), /o/ délit (261), etc. J'aurais écrit o [apud) au lieu de ove,
cum au lieu de cumme, partout où ces deux dernières formes faussent le vers; il
est évident qu'elles proviennent du copiste. A propos des exemples de la forme
strophique employée, il fallait renvoyer (p. xliii), non plus à la liste donnée par
M. Raynaud, mais à celle, beaucoup plus complète, de M. Nactebus (Dj'c niclit-
lyrischen Strophenformen des altfran^^œsischen, n» XXXVI).
l88 REVUE CRITIQUE
rencontraient. Puis, recourant aux documents d'arcliives publiés par
les érudits locaux, registres de fabriques, livres de comptes des cha-
pitres, ils ont essayé de retrouver la date et le nom des auteurs de
quelques-unes de ces œuvres d'art. Ils ont eu parfois cette bonne for-
tune. Enlevant à Dominique Florentin, à Juliot, à Gentil une foule
d'œuvres que la légende leur attribuait, ils ont su leur rendre deux ou
trois morceaux authentiques. Mais la plupart du temps ils se sont
trouvés en présence d'œuvres anonymes. Car telle est la malechance
de nos vieux imagiers français : quand les livres de comptes nomment
un artiste, son œuvre a généralement disparu, et quand l'œuvre sub-
siste, les livres de comptes sont muets. Seul, Dominique Florentin,
avec ce bonheur insolent qu'ont toujours eu les artistes italiens, a
reparu, grâce à la concordance des œuvres et des documents, avec une
physionomie parfaitement distincte. Renonçant donc à retrouver des
noms d'auteurs et des dates, MM. K. et M. ont essayé de grouper les
œuvres d'après leurs analogies. Quand nous savons interroger une
œuvre d'art, elle nous révèle sur ses origines presque autant de choses
que pourrait faire un document écrit. Le véritable historien de l'art,
sans jamais dédaigner les pièces d'archives, doit savoir, quand il le
faut, s'en passer. Ses documents ce sont les œuvres elles-mêmes.
Avec une finesse de goût très remarquable, MM. K. et M. ont noté
des ressemblances, groupé des œuvres, et retrouvé ce qu'ils appellent
des ateliers. A Troyes, au commencement du xvi"" siècle, il y avait
plusieurs de ces ateliers. A la tête de chacun d'eux, se trouvait un
maître d'une personnalité très forte qui imposait ses inventions et son
style aux compagnons qui travaillaient sous ses ordres. C'est pour-
quoi les œuvres, souvent très inégales, qui sont sorties d'un même
atelier ont un air de famille ; on peut les reconnaître. Je crois que les
archéologues et les artistes accepteront généralement les groupements
tentés par MM. K. et M. Le soin minutieux qu'ils apportent à l'exa-
men des œuvres, et la sûreté de leur goût inspirent confiance. Parfois
cependant, le désir d'organiser, de ramener à l'unité tant d'œuvres
éparses, les entraîne peut-être un peu loin. Je ne suis pas aussi cer-
tain qu'eux que la fameuse cène de Saint-Jean soit de Juliot ou même
de son atelier. — D'ailleurs ce ne sont pas ces groupements qui font
le principal intérêt du livre de MM. Koechlin et Marquet. Le vrai
sujet de leur livre, c'est la lutte entre le vieux génie gothique et l'art
italien. C'est Courajod, le premier qui vit le drame, et passionna toute
cette histoire. Rien de plus intéressant. Dans les premières années du
xvi* siècle on voit nos vieux maîtres gothiques, jusque-là si sûrs
d'eux-mêmes et de leurs traditions, s'émouvoir, devenir inquiets. Ils
ont entrevu l'art italien, et désormais ils n'auront plus de repos. La
belle simplicité de leurs draperies leur semble de l'indigence : ils com-
mencent à les soulever, à les chiffonner, à y creuser des plis pro-
fonds. La modestie des attitudes leur semble de la froideur : les
d'histoire et de littérature 189
saintes se mettent à hancher, ou semblent toutes prêtes à danser. La
recherche du trait caractéristique dans le costume, dans la physio-
nomie leur semble de la vulgarité, et petit à petit on voit apparaître la
draperie vague, à l'antique, et la tète de style. Voilà ce qu'on peut
étudier à Troyes, mieux peut-être que partout ailleurs, à cause de
l'abondance des œuvres et de leur heureuse continuité. — On aurait
voulu que les auteurs, négligeant quelques menus détails de peu de
prix, aient présenté cette histoire passionnante avec plus de force
encore. Elle y est bien, mais dispersée. Leur livre serait devenu une
œuvre d'art d'un puissant intérêt dramatique, qui eut séduit lesplus
ignorants. Quels chapitres ils auraient pu écrire en opposant l'art go-
thique à. l'art italien, d'un côté un art habitué à rendre la douleur, la
résignation, la pitié, tous les côtés-humbles de l'âme; de l'autre un art
qui ne veut exprimer que la beauté, la santé, la force et « l'orgueil de
la vie »!
Mais nous aurions mauvaise grâce à nous plaindre. MM. Koechlin
et Marquet de Vasselot ont donné aux érudits un livre trop précieux
et qui leur a coûté trop de peine pour qu'on ne les remercie pas sans
réserves.
Emile Mâle.
G. MoNCHAMP. Une lettre << perdue » de Descartes, à propos de la nouvelle
édition de ses œuvres. — i3 pp. in-8, extr. du Bull. deVacad. roy. de Belgique,
n» 8, 189g.
M. l'abbé Monchamp, qui a publié, en 1886, une excellente His-
toire du cartésianisme en Belgique, a trouvé bon de reproduire à
nouveau le texte d'une lettre de Descartes à Mersenne, du i3 dé-
cembre 1 647, que l'abbé Emery avait fait connaître dans son ouvrage :
Pensées de Descartes, etc. (Paris, 181 1 ; rééd. 1842), et dont l'origi-
nal, volé par Libri aux Archives de l'Institut, n'a pas encore été
retrouvé. Le savant belge paraît avoir craint que M. Ch. Adam et
moi, 'dans la nouvelle édition des Œuvres de Descartes, n'utilisions
pas cette source, que nous avions pourtant citée à une autre occasion,
ainsi qu'il le remarque lui-même. Le voilà rassuré ; mais il nous
aurait rendu un service plus réel en nous signalant des fautes ou des
erreurs dans les trois volumes déjà parus aujourd'hui. Pour mieux
l'y inviter, je lui demanderai pourquoi il a imprimé, dans le texte de
la lettre ; « M. de Zuglichem >->. Descartes a toujours correctement
écrit « Zuvlichem ».
La lettre, ainsi publiée pour la troisième fois, est au reste particu-
lièrement intéressante, parce que Descartes y rappelle qu'il avait
« averti -> Pascal de faire l'expérience du vif-argent au haut et au
bas d'une montagne, et demande s'il a donne suite à cette idée.
IpO REVUE CRITIQUE
D'après ce que Pascal a publié, celui-ci venait précisément d'écrire,
le i5 novembre 1647, à son beau-frère Pcrier pour lui demander de
faire l'expérience sur le Puy-de-Dome ; d'après la même lettre, il
aurait fait connaître son projet à « tous nos curieux de Paris », et
Mersenne en aurait déjà avisé ses correspondants, en s'engageant à
leur faire part du résultat. Or, dans la Préface de ses Refîectiones
Physico - Mathcmaticœ, terminée au plus tôt en novembre 1647,
Mersenne parle bien de l'expérience comme à faire, et ailleurs de
Pascal comme préparant un traité pour l'explication du phénomène
du vide, mais il ne dit nullement que Pascal s'occupe de ladite
expérience. Bien plus, j'ai récemment découvert dans un ms. de la
Hofbibliothek de Vienne (n" 7049) , des documents compliquant
encore la question. Le 8 janvier 1648, Mersenne écrivait à Le Ten-
neur, qu'il croyait en Auvergne, pour l'inviter à se charger de l'entre-
prise. Ce Le Tenneur, qui est d'ailleurs un ami de Perier, et qui a
précisément assisté, le 14 octobre 1647, ^ '-^'^^ expérience du vide
faite à Clermont chez le beau-frère de Pascal, répond de Tours, le
16 janvier 1648 à Marsenne, une lettre dans laquelle, entre autres
passages curieux, on lit celui-ci :
« Outre cela, croyésvous qu'il soit fort facile de porter un tuyau
« de verre et 20 livres de mercure au haut d'une montagne pareille à
« celle-là? Certainement je crains fort de ne pas venir a bout de cette
« expérience lorsque je seray dans le pays. Mais puisque vous avés un
« Prince a Paris qui fournit a l'apointement, donnés lui avis de faire
« faire l'expérience a ses despens sur quelque haute montagne, en
« donnant cette commission a quelqu'un qui en soit proche. Car
«pour la grande dame qu'on vous a dit m'honorer fort, de
« despenser un double pour l'avancement des sciences, croyés moy
« qu'elle ne se cognoist point a cela, et qu'il ne le faut point atendre
« d'elle. »
La grande dame est la « bonne et espaisse Marquise d'Eflfiat, » qui
habitait Clermont. Quant au Prince, je n'ai pu trouver jusqu'à pré-
sent aucune autre indication, et je serais heureux si on pouvait m'en
fournir.
Paul Tannery.
Vorlesungen iiber Geschichte der Matheinatik, von Moritz Cantou. Zwcitcr
Band, zvveiler Halfband, von i55o-i668. Mit 97 in dcn Tcxt gedrucklcn Figuren.
Zweite Auflagc. Leipzig-, Tcubncr, 1900. Or. iii-8, x-944 p.
Il est inutile de faire l'éloge d'une Histoire de la mathématique en
trois épais volumes, dont le succès a été assez éclatant pour qu'avant
même l'achèvement de l'impression de la dernière partie, l'auteur ait
dû préparer une nouvelle édition. Le second volume de la première
d'histoire et de littérature igi
avait paru en .1892 et comprenait 864 pages ; en tenant compte de la
différence de justification, il a, dans la réédition, un accroissement
de près d'un vingtième. C'est assez dire que M. Cantor a très sérieu-
sement retouché son ouvrage et qu'il Ta notamment mis au courant
de tous les travaux parus depuis huit ans. La préface complète même
la revision, en mentionnant les documents survenus pendant l'impres-
sion, en particulier ceux publiés dans la Festschrift qui, l'année
dernière, a marqué le soixante-dixième anniversaire de Tillustre
historien.
Pour un tel ouvrage, ce n'est que sur les détails que la critique
peut s'exercer; mais à cet égard elle aura toujours à glaner, précisé-
ment parce que le travail de M. Cantor vaut non moins par la
richesse des informations que par la compétence et la clarté tech-
niques. Or, il lui était matériellement impossible de contrôler tous
les documents qu'il cite; la tâche de remonter aux sources était assez
lourde en ce qui concerne les questions historiques d'un intérêt spé-
cial ; celle-là, l'auteur l'a accomplie avec une patience et une cons-
cience réellement admirables, même pour ceux qui ne partagent
point toutes ses opinions. S'il lui est échappé quelques erreurs, qiias
humana parum cavit natura, il y a cependant peut-être d'autant plus
d'intérêt à signaler les plus minimes que l'ouvrage aura sans doute
encore d'autres éditions et que, dans la présente, je retrouve quelques
fautes d'impression de la première : ainsi, p. 481, 1. 27-28, Scala
grimadelli (lire grimaldelli) pour le titre dfe l'ouvrage de Feliciano ;
p. 486, 1. 9, 12 février (au lieu de 18) i539, pour la date d'une lettre
de Tartaglia à Cardan ; p. 509, 1. 3 en rem. ; au lieu de addo tantiim
utriqendue, lire addenda tantum utrique ; p. 5 10, 1. 2, au lieu de
binomium, lire trinonium ; p. 621, 1. 20, lire ibjo au lieu de 1579 ;
p. 638, I. 16, Vire paraplerosis et non paraperosis .
Voici donc quelques-unes des observations que j'ai faites sur le
demi-volume qui vient de paraître.
P. 481, l'attribution à Uberti (d'après Libri) du Thesoro tiniversale
de abacho est en contradiction avec la note 7 de la page 3o5, qui
restitue cet ouvrage à Tagliente.
P. 490, « Luigi Ferrari, der dankerfiillte Schiller Cardan'os, der
« sich mit seinem Lehrer so sehr eins wusste, dass er sich selbst von
« ihm geschaffen, che sono creato sua, nannte ». Creato suo ne
signitie point « créé par lui », mais veut simplement dire « son domes-
tique » (ce qui naturellement est à entendre ici dans le sens du mot
au xvic siècle).
P. 496. Le récit fait par Tartaglia à la tin du livre VI des Qiiesiti
n'est pas très exactement rapporté, Tartaglia ne dit point qu'il tut
renvoyé de l'école, faute de pouvoir payer le maître, avant d'avoir
appris à écrire plus de la moitié des lettres de l'alphabet, mais bien
qu'étant à ce point, il quitta volontairement l'école après s'être pro-
192 REVUE CRITIQUE
curé des modèles complets de son maître, et qu'il put ainsi éviter le
terme de pension qui allait échoir.
P. 5 16. Il y a une preuve assez curieuse que le dialogue des
Ragionamcnti entre Tartaglia et Richard Wcntworth est purement
hciif, ainsi que le soupçonne M. Cantor : dans la réédition posthume
de i562, l'imprimeur Curtio Trojano n'a eu aucun scrupule à se
substituer à Tinterlocuteur anglais.
P. 549. Jean de la Pêne n'est connu que sous la forme latine de
son nom, Pena, identique à la forme provençale. La transcription
française de cette forme est une fantaisie de Montucla ; la famille s'est
perpétuée jusqu'à notre siècle sous les noms Pena, Pêne, de Pêne ; le
premier devrait seul être conservé à l'élève de Ramus.
P. 582. D'après les récentes recherches de M. Ritter, l'historique
concernant "V'iète (nous devrions écrire 'Viettei est à rectifier sur plu-
sieurs points. Malgré ses relations personnelles avec des huguenots
qualifiés, rien ne prouve qu'il ait jamais abjuré le catholicisme ; c'est
en 1564 qu'il quitta sa position d'avocat à Poitiers pour s'attacher à
la dame de Soubise ; nommé en 1574 conseiller au Parlement de
Rennes, il fut presque immédiatement détaché pour le service du roi
Henri 111 qui, dès i58i, le nomma maître des requêtes au Conseil
privé ; il n'a jamais fait partie du Parlement de Tours ; enfin la légende,
d'après laquelle il aurait détruit la plus grande partie des exemplaires
de son Canon mathonaticus, à cause des fautes d'impression qui le
déparaient (p. 583) n'est nullement justifiée par l'étude de cet ouvrage.
P. 597. Ce n'est pas à Heidelberg, et en 1609, que fut fondée la
première chaire d'arabe en Europe, puisque celle du collège de
France remonte au moins à 1 569.
P. 659. La séparation de l'Arithmétique et de la Musique dans
l'édition de Théon de Smyrne par Bouillau n'est nullement une
erreur ; ce qui manque à cette édition, c'est le texte de l'astronomie,
publié pour la première fois en 1 849 par Th . -H. Martin.
P. 660. Par une singulière confusion. M, Cantor fait un moine de
Jacques Golius, le célèbre orientaliste qui professa à Leyde, et lui fait
apporter en Occident le manuscrit arabe de Florence, qui servit à
Borclli pour la première publication (1661) des derniers livres des
Coniques d'Apollonius. Le manuscrit de Florence contient le texte
d'Abou'l Fath d'Ispahan, et avait été donné, avec d'autres, au grand-
duc Ferdinand I {1587-1608), parle patriarche d'Antioche, Ignace
Néama ; il ne sembla point d'ailleurs que ce soit Borelli, mais bien le
prince Léopold, qui ait en i658 conçu le projet de publication. —
Un autre texte, celui d'Abdelmelik de Chiraz, fut apporté d'Orient
par Ravius (professeur à Upsal) et servit pour l'édition d'Apollo-
nius qu'il donna de concert avec le mathématicien Samuel Rcyher
(Kicl, 1660), édition que M, Cantor a omis de mentionner. Le manus-
crit est actuellement à la bibliothèque Bodléienne. — Enfin, le manus-
d'histoire et de littérature iq3
crit fen double exemplairej que Golius avait rapporté à Leyde et sur
lequel il fournit des notes au P. Mersenne (Minime et non pas Mino-
rité], renfermait la version de Thabit-ben-Corah ; elle a été utilisée
plus tard pour l'édition de Halley (1710). L'un des manuscrits est à
Leyde, l'autre à la Bodléienne.
P. 683. Le voyage de Descartes en Angleterre est une invention de
Baillet;le vovage en Danemark a eu lieu en i63i, non en 1634. —
La fille de Descartes, Francine, était déjà morte, lorsqu'il écrivit, le
28 octobre 1640, à son père qui venait de décéder sans qu'il en eût
été informé. — Ce n'est nullement pour visiter la princesse Elisabeth
que Descartes retourna trois fois en France, puisqu'elle résidait en
Hollande et ne quitta ce pays que pour aller à Berlin.
P. 820. La première édition latine de la Géométrie de Descartes,
parue en 1649, aurait dû être mentionnée.
P. 878-880. Ce n'est qu'en i638(et non en i635) que Fermât et
Descartes eurent connaissance de la quadrature de la cycloïde par
Roberval et qu'ils en donnèrent leurs démonstrations. Toutefois
Roberval lavait communiqué, dès 1637, à Mersenne, qui, cette année
même en fit l'objet d'une remarque dans un appendice de son Harmo-
monie universelle. C'est d'ailleurs en 1637 que devait avoir lieu le
concours pour la chaire de Ramus pour lequel Roberval réserva,
dit-il, sa découverte pendant un an. Elle est donc, au plus tôt, du
commencement de i636 et c'est par une erreur de mémoire que, dans
ses lettres à Torricelli, il la fait remonter à 1634.
Paul Tannery.
Dictionnaire biographique et biblio-iconographique de la Drôme, par
J. Brln-Durand. Tome I. A à G. Grenoble. Falque et Perrin. 1900. gr. in-S»,
X et 41 3 p.
M. Brun-Durand fait là une œuvre patiente, consciencieuse et très
utile. On ne peut que louer son labeur et rendre hommage à l'étendue
de ses recherches. Il a raison de dire qu'il n'a rien négligé pour com-
poser un ouvrage solide qui puisse être consulté avec fruit ; il a con-
sulté nombre de documents imprimés et manuscrits ; il a fouillé les
archives départementales et communales, et même les dépôts de nos
ministres de la guerre et de la marine. Il indique d'ailleurs les sources
auxquelles il a puisé ses renseignements et il n'avance rien qui ne lui
seniblc parfaitement établi. Enfin, il se contente d'exposer la vie et les
actes de ses personnages, et il se garde presque toujours des apprécia-
tions et des jugements. Nous ne lui reprocherons que d'avoir dans ses
notices le style un peu lourd et traînant. Il a, en outre, oublié certains
hommes de la Drôme qui méritaient une mention, comme l'imprimeur
Aiirel qu'il cite dans l'art. Louis Gallet (cf. Jeunesse de Napoléon., II,
1Q4 REVUE CRITIQUE
i6i et 317), les d'Artlian (cf. id. 192 et 333) et Théophile ChanceL le
défenseur d'Huningue (cf. VAlsace en 1814. 436). Enfin, il a çà et là
commis de légères erreurs ou laissé des lacunes : Argod ; il était
maître d'écriture et Victor lui donna cette note : << exerce parfaitement
les fonctions de son état, paraît avoir assez de capacité d'être promu à
un grade supérieur» ;Bon : M. B. D. n'est pas d'accord avec Charavay
[Les généraux morts pour la patrie^ 64) ; Championnet : il eût fallu
citer la part qu'il prit à la bataille de Kaiserslautern (cf. Hoche, 87) ;
Cosîon : c'est exagérer que de dire que son ouvrage est classique ;
Daudel : il eût fallu mentionner sa belle attitude à Champignv : Dupuy
de Bordes : M B.-D. trouvera quelques détails nouveaux sur ce
personnage dans le livre déjà cité {Jeunesse de Napoléon, 1, 340 et
477) \ Faujas de Saint-Fond : il voyagea en Allemagne et sous prétexte
d'études géologiques, y fit métier d'espion (Pingaud, D'Antraigues,
195) '. Ces menues observations n'atténuent en rien la valeur de ce
travail; nous souhaitons le prompt achèvement de l'ouvrage et il serait
à désirer que tous les départements eussent un Dictionnaire biogra-
phique comme celui que M . Brun-Durand consacre à la Drôme.
A. C.
La guerre dans la vallée d'Aspe et la bataille de Lescun, par le lieutenant
ScHMUcKEL du 1 8« d'infantcric. Pau, Empérauger 1900. In-S", io5 p. avec carte,
2 francs.
M. le lieutenant Schmuckel a. grâce aux recherches qu'il a faites
non seulement aux archives d'Oloron, de Pau et d'Espagne, mais
dans les papiers des mairies et de quelques familles (notamment le
récit du sergent Larricq), retracé aussi exactement et complètement
que possible la bataille ou mieux le combat livré à Lescun, le 5 sep-
tembre 1 794, par le comte de Castel-Franco au 5« bataillon des Basses-
Pyrénées. Sa longue et patiente enquête dans la vallée d'Aspe lui a
permis de reconstituer presque heure par heure et avec un luxe
extraordinaire de détails cette affaire si honorable pour nos armes. Il
ne se borne pas à retracer l'action : il montre les fautes que vain-
queurs et vaincus ont commises, les uns en se disséminant, les autres
parce qu'ils étaient fort mal commandés. Le volume est d'ailleurs une
histoire de la vallée d'Aspe au point de vue militaire ; l'auteur nous
raconte son occupation en 1814. On trouve dans des annexes un état
des officiers du 5« bataillon des Basses-Pyrénées, et une biographie de
I. Art. Ftigière, lire « ne tiendra pas » et non ne viendra pas (cf. Jeunesse de
Xapoléon, II, 228 et ^42). M. Brun-Durand nous pcrmct-il de lui rappeler qu'à la
fin de notre livre sur VEcole de Mars (p. 270) il trouvera le nom des élèves
envoyés à cette école par les districts de la Drôme ?
d'histoire et de littérature 195
Laclède, le futur colonel, qui montra dans la journée de Lescun tant
de bravoure et de décision et qui, de sa main, fit prisonnier, à
l'attaque du moulin, le baron de Hoortz, chef des gardes wallonnes.
A. C.
— La maison Garnier publie quelques volumes nouveaux de littérature espa-
gnole, qui prouvent décidément que le goût des lettrés comme les éludes des
érudits se portent de ce côté depuis peu. C'est d'abord un nouveau tome de la
Collection Mérimée, dont il a déjà été question ici, avec plus de développement ;
deux comédies de Moratiii: La Comedia nueva et El Si de las Nitias, éditées par
M. F. Oroz, qui les avait précédemment traduites en un volume signalé également.
L'introduction est intéressante et les notes sont soignées. Ces textes sont sur les
programmes de l'enseignement de l'espagnol dans nos Universités du Midi. — Moins
précisément utile et sans but bien défini, nous apparaît une petite Collection qui
débute, de traductions de Clie/s d'œitvve du Théâtre Espagnol ancien et moderne,
par M. Clément Rochel. D'après le programme indiqué à l'avance, on a choisi
sept pièces du théâtre classique, et sept du théâtre moderne. II n'y aurait rien à
dire sur le goût personnel qui a fait préférer au traducteur telle ou telle pièce,
plutôt que d'autres plus importantes et d'intérêt plus général, s'il n'avait, dans le
nombre, compris plusieurs pièces déjà plusieurs fois et même récemment traduites.
Cela parait'non seulement superflu mais dangereux. Car pour la pièce de Moreto ;
Dédain pour Dédain , qui \'ieni de peraîlre 'ainsi que la Petite Niaise de Lope de
Vega, celle-ci peu connue), un esprit mal intentionné qui voudrait rapprocher de
la traduction de .M. Rochel celle que Habeneck a fais jadis paraître, serait amené
tout naturellement à montrer qu'une foule de passages sont identiques dans les
deux versions et en déduirait que le nouveau traducteur s'est un peu trop inspiré
de son prédécesseur. Il l'a cependant corrigé parfois, mais ne pouvait-il éviter ce
rapprochement, en laissant cette pièce ? De même pour d'autres de Lope et de Cal-
derou, de même aussi pour Don Juan Tenorio, qu'il annonce également, et qui a
été traduit déjà deux fois, en dernier lieu il y a un an à peine. — H. de C.
ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 3 août i goo.
MM. Diels, secrétaire de l'Académie des Sciences de Berlin, et Gomperz, de
Vienne, correspondants étrangers, assistent à la séance.
M. Salomon Reinach fait une communication sur les phénomènes généraux du
totémisme animal.
De cette définition du totémisme animal : « Un pacte d'alliance entre un clan
d'hommes et un clan d'animaux », M. Reinach déduit 12 séries de faits qui seraient,
suivant lui, les conséquences logiques du principe posé. Ainsi certains animaux
ne sont ni tués ni mangés, mais cependant élevés et nourris ; quand ces animaux
sont tués sous l'empire d'une nécessité pressante, on leur fait des excuses et l'on
s'etTForce d'atténuer la responsabilité du meurtre ; on pleure un animal qui meurt
de mort naturelle ; les hommes revêtent la peau des animaux dans certaines céré-
monies, etc. Tous ces faits se retrouvent à la l'ois chez les tribus totémiques
modernes et dans les civilisations antiques ; d'où M. Reinach conclut que les
196 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
religions de l'antiquitc ont passé elles-mcines par une période de totémisme. I
ajoute que cela peut d'ailleurs s'établir a priori, car l'homme primitif ne sait pas
.distinguer nettement le règne humain du règne animal, et comme les clans
humains primitifs contractent des alliances entre eux, il est naturel qu'ils en
aient contracte aussi avec les clans d'animaux.
M. Bréal explique par l'analogie la formation du mot aristotélicien h/-;tKi/y.%, de
ÈvxiXf,;. qu'il rapproche de auvÉ/sia, formé de <j'jvé/t,;. — 11 propose aussi une
explication du mot homérique, T£i/25'.7:Xf,Ta, auquel on a supposé le sens de
« qui ébranle les murs ». 11 croit que -)vr,TT,î ne peut venir que du verbe -êAoïxa:,
synonyme de l'.\x'.. Le mot signifierait donc « qui réside dans les murs », c'est-à-
dire « qui veut mettre en sûreté ses déprédations », et serait un synonyme de
« brigand », ce qui convient fort bien au passade d'Homère où les Déesses injurient
le dieu de la guerre, de la violence.
Séance du 10 août i poo.
M. Salomon Reinach cherche à préciser la nature du tabou, sorte d'interdiction
religieuse dont le nom est polynésien, mais que Ton retrouve dans les civilisations
les plus diverses, anciennes et modernes. Le tabou est une interdiction non moti-
vée, non accompagnée de la menace de l'intervention d'un législateur, qui a pour
but de soustraire des hommes à des dangers non apparents, en particulier au péril de
mort. Le type du tabou est la défense adressée au premier homme : « Tu ne man-
geras de ce fruit, ou tu mourras. » Le Décalogue primitif était sans doute conçu
suivant ce modèle, qui transparaît sous les rédactions tardives que l'on en pos-
sède. Ainsi la défense : « N'insulte pas ton père ou ta mère, ou tu mourras » nous
est parvenue sous la forme singulière : « Honore ton père et ta mère, afin que tu
vives longuement. » La promesse de récompense, qui a embarrassé les commen-
tateurs n'est autre chose que la menace de mort immédiate, transportée et comme
retournée lors du changement de la défense en précepte. — MM. Éouché-Leclercq
et Bréal présentent quelques observations.
Séance du ij août iqoo.
M. Bréal fait une communication sur le mot lOVXMENTA, qui figure dans une
inscription récemment découverte au Forum romain et que l'on a très diverse-
ment datée (du vii^ siècle a. C. jusqu'au iii« ou ii« siècle). Il établit que la lettre X
n'est pas un signe d'antiquité. Cette lettre n'existe ni en osque ni en ombrien, et
la place même qui lui a été donnée, tout à la fin de l'alphabet, fait penser que c'est
une lettre ajoutée qui dérive du / grec (le son Ks représenté par % j et plus sou-
vent par /T : de là, par abréviation, la notation /). — M. Bréal entretient ensuite
l'Académie des parfaits en -ATTED, qui n'existent que dans l'Italie du Sud et
dont il trouve l'origine dans la forme en -aTxw des verbes en-à;w (Sox'.jjiiTTw =
Sox'.;xi;oj, ôixâxxw = S'.xâ^w), verbes qui ont eu, comme ceux en -i;o), une fortune
tout à fait particulière. — Enfin M. Bréal rapproche de divers mots sanscrits, latins
et grecs le mot %z'i'x\T^. — MM. Boissier, Weil, Reinach et Bouché-Leclercq pré-
sentent quelques observations.
M. Salomon Reinach commente deux passages de Diodore et de Plutarque qui,
s'ajoutant à un vers célèbre d'Homère, viennent à l'appui de découvertes épigra-
phiques récemment faites à Crète, où M. Evans a exhumé toute une bibliotnèque
de tablettes en terre cuite couvertes de caractères non encore déchiffres. Ils
prouvent, suivant lui, que l'antiquité avait conservé le souvenir d'un système
d'écriture contemporain de la guerre de Troie et différent de ceux qui furent en
usage, à l'époque classique, en Grèce, en Egypte et en Assyrie. — M. Oppert pré-
sente quelques observations, auxquelles répond M. Reinach.
M. Pottier lit une note sur des vases donnés au Musée du Louvre par M. le
baron de Baye et par M. Paul Gandin, les uns rapportés du Caucase, les autres
de Cappadoce. Il en tire quelques conclusions sur l'existence du style géomé-
trique en Orient, que l'on avait contestée à tort.
Séance du 24 août iqoo.
M. Barbier de Meynard fait une communication sur la monographie d'Avicenne
qui vient d'être publiée par M. le baron Carra de Vaux. Il termine ainsi : « Ecrit
avec une profonde coimaissance de la philologie scolastiquc et témoignant d'une
prédilection marquée pour cette étude peut-être trop négligée de notre temps, le
livre de M. de Vaux la remet en sa véritable place et rend ainsi un service signalé
lion seulement à l'érudition orientale, mais, en un sens plus élevé, à l'histoire de
l'psprit humain. » Léon Dorez.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 37 — 10 septembre — 1900
HoLDER, Dictionnaire vieux-celtique, 12. — Marchand, L'Université d'Avignon. —
JovY, Tissard et Aléandre. — Monteforte, Ercole Strozzi. — Benevoli, Monu-
mcntum Gonzagium, p. Rostagno. — Flamini, Ranusio. — H. Martin, His-
toire de la Bibliothèque de l'Arsenal. — Salomon, Histoire du journalisme alle-
mand, I.— P. BoppK. La Croatie militaire. — A. Boppe, Nicole Papas Oglou. —
Frocard et Painvin, La guerre au Transv^aal, I. — Driault, Les problèmes politi-
ques et sociaux à la tin du xix^^ siècle. — Toutée, Du Dahomé au Sahara.
Altceltischer Sprachschatz von Alfred Holder, Zwœlfte Lieferung, Norici-
Poeninus. Leipzig, Teubner, 1900, gr. in-8, col. 769-1023.
La douzième livraison du dictionnaire vieux-celtique contient les
importants articles : Norici, Numantia, Pados, Parisii, Pictavi, Picti,
Poenimis^ où Ton trouve tous les éléments de monographies complètes
et détaillées. Voici quelques remarques.
Olle-cnus (coll. 846) semble à rapprocher de Ollo-cnus, Ollo-gnatus.
Pour le changement de o en e, cf. Seno-magli etSene-magli,
Orgiacus (col. 876), Orge, n'est pas un nom de ruisseau ; c'est un
nom de lieu qui servait à déterminer un ruisseau anonyme ; on disait
le ruisseau d'Orge, comme on dit en Bretagne la rivière de Crach,
Crach et Orge étant situés non loin des cours d'eaux qu'ils servent à
dénommer. Actuellement le nom d'Orgé n'existe que dans l'expression
gué d'Orge, anciennement doit d'Orge, qui désigne un faubourg de
Laval.
Ortiagon (col. 880) est un nom isolé que l'on ne peut ni expliquer
ni rapprocher d'aucun mot de forme analogue. 'OpiiàYcov est la leçon
de Plutarque, De mulieriim virtutibus p. 2 58 d, qui reproduit un
passage de Polybe, cité d'autre part par Suidas. Tite-Live écrit
XXXVIII, 19, 2 : Ortiago ; mais 24, 2 et 9 : Orgiagontis, Orgiagon-
tem. C'est aussi l'orthographe de Valèrc Maxime ; Florus écrit Orgia-
contis. La confusion de OPTlAHiN avec OPriAFON est facile à expliquer.
Il n'y a pas de raison pour attribuer la faute à Tite-Live plutôt qu'à
Plutarque, l'un et l'autre copiant Polybe. La leçon Orgiagon aurait
l'avantage d'être apparentée à toute une série de noms gaulois : Orge-
tins, Orgeteius, Orgetorix, Orgia^ Orgiiis.
Oximensis pagus (col. 895) pourrait être rapproché du nom des
Ossismi pour lequel on a la variante Oximorum dans la Notitia
Galliariim.
Nouvelle série L. 37
198 REVUE CRITIQUE
Le nom des Oxubii (col. 896J doit être comparé à celui des Ubii,
que l'on adopte ou non l'explication de ox- par l'irlandais os « au
dessus de ». D'autre part Oxubii ne peut guère être séparé de Esubii
(variante de Esiivi^ Essui) qui n'a vraisemblablement rien à faire
avec le dieu Esus.
Paramiis (col. 928) pourrait être une forme abrégée de Paramagus.
Il est douteux que le premier \.evme para- ne soit pas celtique, si
Para-semis (col. 929] est le nom d'un Gaulois ; dans cette hypothèse,
paraveredus ne serait pas un composé hybride influencé par -apiTtTro;.
Parecorius (col. 932) semble avoir le même second terme que
Petrii-corii, Tri-corii, Ver-corio.
Partegoria (col. 95o), nom qui n'a rien de celtique et qui désigne
une affranchie du temps d'Hadrien, est peut-être une faute de graveur
pour Paregoria (IlapTQY^?'*)! nom grec dont on aie masculin napr^yôpto;.
Le t proviendrait du et précédent : et Paregoria.
Pellus (col. 963) ne peut être identique à l'irlandais ciall, gallois
pnyll qui l'un et l'autre représentent * qeisla.
Petor-ritiim (col. 973) présente une forme curieuse et isolée d'un
premier ievn\Q petor qui partout ailleurs apparaît sous la {ovmQ'petru-
petro- : Petrii-corii, petru-decametos, Petro-mantalum. Les leçons
des manuscrits sont : petorritiim, petoritum, pretoritum ; il est pos-
sible qu'aucune ne soit tout à fait correcte et que la forme primitive
du mot ait été petro-ritum ; l'interversion de Vr aurait été produite
sous l'influence de l'étymologie donnée par les anciens qui y voyaient
les uns le grec 7:lxo|jLat, les autres Vosque petora.
Petru-decametos (col. 980) a un second terme intéressant qui doit
être rapproché du gallois degfed « dixième ». Le composé nous atteste
qu'en vieux celtique « quatorzième » et sans doute « quatorze » ne
s'exprimaient pas comme dans les dialectes modernes au moyen d'une
périphrase.
Pitrigori : Villa quae vocatur Pitrigori , in pago Limovicino
(col. 1 010) est probablement une corruption de Petrucorii que l'on
trouve écrit Petrecorico et Petrogoricae dans des manuscrits de
Grégoire de Tours. Le changement de e en i nous est attesté dans
le texte même qui porte Pitrigori par la forme Limovicino pour
Lemovicitio,
G. DOTTIN.
L'Université d'Avigûon aux xvii' et xviii» siècles, par J, Marcha.nd,... Paris,
A. Picard et fils, 1900. In-S» de xin-Say pages.
Sous ce titre, M. J. Marchand vient de publier un livre qui ne
mérite guère que des éloges. Après une exploration complète de ce
qui reste des archives de l'ancienne Université avignonaise, après
d'histoire et de littérature r^9
une étude approfondie de tous les documents imprimés, il a retracé
un tableau des plus complets de la vie des maîtres et étudiants
depuis 1600 jusqu'en 1792. On pourrait même dire que son ouvrage
donne plus que ce qu'il annonce, puisqu'il passe aussi rapidement en
revue l'évolution des différents organes de l'Université depuis leur
création jusqu'au xvii<= siècle.
On jugera de l'intérêt de ce travail seulement d'après la nomencla-
ture des principales matières. Le livre I^'", consacré à la corporation
universitaire, à sa constitution et à son gouvernement, est d'abord
l'étude du Collège des docteurs agrégés en droit, qui étaient les
véritables maîtres de l'institution et exerçaient une tutelle souvent
gênante sur les autres Facultés. Le chef de ce Collège était le primi-
cier, élu chaque année, pourvu de droits nombreux et doté de privi-
lèges importants : même le roi de France tinit par lui reconnaître la
noblesse héréditaire dans certains cas. En son absence, il eut des
lieutenants ; quelquefois, une partie de ses attributions passait au
doyen du Collège, et dans tous les temps il eut près de lui des avocats
chargés de suivre les procès de l'Université et de plaider pour elle,
un bedeau, qui était « à la fois appariteur en chef, secrétaire, garde
des bâtiments, archiviste et au besoin, trésorier. » Bien que se gou-
vernant elle-même, la corporation universitaire avait à subir jusqu'à
un certain point le contrôle des évêques ou archevêques d'Avignon
et du pouvoir centrai : l'étude de ses relations avec ces « autorités
étrangères » constitue même un chapitre assez curieux.
Le livre II concerne « les études et les étudiants », et considère
l'organisation des différentes Facultés (droit, médecine, théologie et
arts), les modifications apportées dans le recrutement des profes-
seurs, l'enseignement donné par ceux-ci, le programme de leurs cours
(M. J. M. a été assez heureux pour retrouver un certain nombre de
cahiers d'étudiants\ les examens que les élèves avaient à subir, les
conditions de leur stage scolaire, les droits à acquitter par eux. C'est
aussi un historique assez complet, malgré sa brièveté voulue, des
divers collèges qui, depuis le xiv= siècle, entretenaient une partie des
étudiants, et de la confrérie de Saint-Sébastien, qui les englobait tous.
La situation matérielle et la vie extérieure de 1' « Université », tel
est le titre du troisième et dernier livre. Tout d'abord un chapitre
pour la description des bâtiments où se faisaient les cours, des audi-
toires plus ou moins primitifs où maîtres et élèves s'entassaient, des
bibliothèques mises à leur disposition. Puis la comptabilité : l'auteur
a relevé dans les comptes des primiciers le détail et les variations des
recettes ordinaires constituées parle revenu des greffes de Carpentras,
Pernes, L'Islc, Cavaillon, Malauccne, Valréas et Monteux incorporés
à l'Université, par le produit des rentes et pensions, par les droits
perçus sur les gradués. Les ressources extraordinaires ne provenaient
que des emprunts, qui d'ailleurs étaient assez exactement et rapide-
2O0 REVUE CRITIQUE
ment remboursés : il semble que les docteurs s'étaient fait unf)oint
d'honneur de désintéresser au plus tôt leurs créanciers. Les dépenses
comprenaient les honoraires des professeurs, bien peu élevés pour-
tant, les frais d'entretien des bâtiments, les salaires des agrégés et
régents de chaque Faculté et surtout les frais des procès. Les relations
du corps universitaire avec les autres Universités, avec le roi de
France et avec la ville d'Avignon, font encore l'objet d'un chapitre
très curieux, où l'on voit quelle place importante il tenait dans le
pays et avec quel acharnement il défendait ses privilèges.
Malheureusement, dès le début du xviii" siècle, sa prospérité était
plutôt fictive. Il lui manquait de savoir renouveler ses méthodes
et son enseignement, il lui manquait des professeurs vraiment à la
hauteur de leur tâche et bien secondés ; il était en outre dans l'inca-
pacité de couper court aux abus et de se reformer lui-même. En vain,
essayait-il, par de scandaleuses facilités d'examen, d'attirer ses étu-
diants en plus grand nombre : la vie se retirait de lui peu à peu. A la
Révolution c'était déjà presque un cadavre.
Je n'ai donné qu'une sèche analyse du livre de M. J. Marchand ;
puisse-t-elle cependant donner l'idée des nombreux enseignements
qu'on y puise et du talent très réel avec lequel il a été traité !
L.-H. L.
E. JovY. François Tissard et Jérôme Aléandre : Contribution à l'histoire des
origines des études grecques en France. — i^' fascicule ; Vitry-le-François, typ.
Denis, 1899 ; in 8° de 143 pages.
Carmelo Monteforte. Ercole Strozzi poeta ferrarese. — Catane, typ. « La
Sicilia », 1899 ; 8' de 87 pages.
E. RosTAGNo. Il « Monumentum Gonzagium » di Giovanni Benevoli o Buo-
navoglia. — Florence, Olschki, 1899 ; 28 pages (Extrait de la Bibliofilia, I,
fasc. 6-7).
F. Flamini. Girolamo Ramusio (1450-1486) e i suoi versilatini e volgari. —
Padoue, 1900, 3i pages (Extrait des Atti e Memorie délia R. Accad. di Se. lett.
ed artiin Padova, vol XVI).
Ces quatre brochures se rapportent à l'histoire de l'humanisme à la
fin du xv'^ siècle et au commencement du xvI^ La première s'ajoute
aux publications déjà nombreuses qui, en ces dernières années, sont
venues éclairer d'un jour nouveau la figure de Jérôme Aléandre.
M. Jovy consacre d'abord une notice substantielle à François Tissard,
qui publia divers textes grecs à Paris de iSo; à 009 ; puis il aborde
la vie d'Aléandre, qu'il ne conduit, en ce premier fascicule, que jus-
qu'en i5o8, au moment où le fameux humaniste quitte Venise pour se
rendre à Paris. M. J. est bien au courant de tous les ouvrages tant
anciens que modernes qui se rapportent à son sujet, et il cite copieu-
sement les documents sur lesquels s'appuie son exposé.
d'histoire et de littérature 20I
Les autres humanistes dont les noms sont écrits en tête de cet
article sont surtout des poètes. Le moins oublié est Ercole Strozzi,
ce contemporain et ami de l'Arioste et de Bembo, ce favori de Lucrèce
Borgia, qui aurait pu se faire un nom plus illustre dans la poésie
italienne, s'il n'avait été assassiné en i 5o8 : il n'avait pas encore trente-
sept ans. Cinq sonnets amoureux constituent le maigre bagage poé-
tique avec lequel il peut à peine prendre place parmi les pétrarquistes
de son temps ; mais ses poèmes latins, plus nombreux et plus impor-
tants, donnent une idée assez avantageuse de son talent poétique.
Cette vie courte, dont le théâtre est Ferrare, l'un des milieux les
mieux connus de la Renaissance, cette œuvre restreinte et facilement
accessible, constituaient un sujet bien limité et assez facile, fort bien
choisi en somme pour un débutant. M. C. Monteforte Ta traité sage-
ment, sans qu'on puisse dire qu'il en ait tiré tout le parti que l'on
pouvait espérer. Il a des maladresses de composition et de style qui
désarment : mais en fin de compte ce travail consciencieux, quoique
très peu personnel, n'est pas inutile. Malheureusement l'impression
en est très négligée.
Girolamo Ramusio a ceci de commun avec E. Strozzi qu'il est mort
également fort jeune après avoir composé en latin des vers erotiques
et divers poèmes, ainsi que des sonnets médiocres, quoique plus
nombreux que ceux de Strozzi. Mais Ramusio, médecin et commen-
tateur de Galien, orientaliste et traducteur d'Avicenne, n'était poète
qu'à ses moments perdus ; sous cet aspect il était à peu près inconnu.
M. Flamini a eu l'heureuse idée de nous le révéler, et il l'a fait avec la
sûreté et la précision auxquelles il nous a dès longtemps habitués.
Le Monumentum Goniagium est un poème latin en sept chants,
composé entre i522 et i525 par un Mantouan, Giovanni Benevoli ou
Buonavoglia. Les érudits du siècle passé, Zeno, Mazzuchelli, Affô,
n'ont possédé que d'assez vagues renseignements sur ce poème, imité
surtout de Stace, et sur son auteur. Le manuscrit autographe en est
récemment devenu la propriété de l'éditeur L. S. Olschki, ce qui a
permis à M. Rostagno de donner une analyse détaillée de cette œuvre
assez médiocre, mais non dépourvue d'intérêt au point de vue his-
torique : ce sont tous les événements militaires dont l'Italie fut le
théâtre de i5i5 à i522 que le poète a pris pour sujet, et ses person-
nages principaux sont Federigo da Bozzolo et Federigo da Gonzaga,
premier duc de Mantoue. A cette analyse du poème viennent s'ajouter
quelques renseignements biographiques précis sur son auteur. 'Voilà
donc un point obscur éclairci.
Henri Hauvette.
202 REVUE CRITIQUE
Histoire de la bibliothèque de l'Arsenal par Henry Martin, conservateur
adjoint à la bibliothèque de l'Arsenal; Paris, Pion, 1899, xv et 664 p. in-8.
M. Alfred Franklin avait déjà fait précéder d'une courte notice his-
torique le catalogue des manuscrits de la bibliothèque Mazarine dû à
M. Aug. Molinier. Plus récemment M. Ch. Kohler a placé une véri-
table introduction en tête du catalogue des manuscrits de la biblio-
thèque Sainte-Geneviève. Celui de la troisième grande bibliothèque
publique de Paris, la plus considérable des trois et qui n'avait eu
encore aucun historien, vient d'être complété par la publication de
tout un gros volume formant le tome "VIII et que M. Henry Martin a
intitulé Histoire de la bibliothèque de l'Arsenal. Ce n'est pas là
en effet simplement un exposé des notions qu'il est utile de posséder
au sujet des séries de manuscrits que le dépôt renferme, mais un
récit qui s'applique à la fois à la formation de ses collections de ma-
nuscrits et d'imprimés, à la période de la fondation de la bibliothèque,
à la manière dont elle a été administrée pendant tout le cours du
xix« siècle. Il semblera, j'imagine, à certains esprits que le résultat
n'est pas en proportion de l'effort dont ce livre témoigne et qu'il n'y
a pas lieu de tant s'attarder, avec de si grands détails, à l'étude de
l'état ancien des dépôts. On ne sait cependant pas assez en général
combien difficilement les dépôts publics se sont constitués, par
quelles vicissitudes souvent malheureuses ils ont passé avant d'abou-
tir à la situation, somme toute favorable, où ils se trouvent aujour-
d'hui. Les bibliothécaires, les archivistes ont eu bien plutôt le tort,
pendant longtemps, de ne pas s'intéresser aux questions de cet ordre.
Qui devra donc connaître l'histoire de leurs services, si ce n'est eux ?
Les divisions générales adoptées par M. M. sont bonnes ; seule-
ment il n'a pas indiqué d'une façon assez apparente pourquoi il a
compris entre telles et telles dates les différentes périodes des acquisi-
tions de livres faites par le marquis de Paulmy, créateur de la biblio-
thèque de l'Arsenal, et quelques-unes mêmes des subdivisions ne
paraissent avoir été faites que pour donner aux chapitres ou à leurs
diverses parties des longueurs à peu près équivalentes (voir parti-
culièrement 2= partie, chap. iv à vi). Quelques raisons qu'il y ait eu
de procéder ainsi, ce n'est pas non plus sans un certain étonnement
que l'on voit les Annales de la bibliothèque interrompues par trois cha-
pitres relatifs aux dépôts littéraires. II n'y a d'ailleurs pas lieu d'insis-
ter autrement sur ces différents points. M. M. a justement cri-
tiqué la date de 1757 qu'on assignait à la fondation de la biblio-
thèque et y a substitué la date de 1754 (p. 49). Il a de plus établi que
les collections du marquis ont été quasi publiques dès 1767 (p. 62), a
mis en lumière le rôle de ce bibliophile, « le plus sagace et le plus
persévérant qui ait peut-être jamais existé » (p. 36), a su par de
patientes investigations reconstituer partiellement sur le papier beau-
d'histoire et de littérature 2o3
coup de collections par celui-ci acquises. Au cours de son récit il a,
entre autres particularités intéressantes, signalé l'importance des tra-
vaux faits pour Paulmy par le relieur Bradel l'p. 92), le prix de vente
de la bibliothèque au comte d'Artois (41 2,000 francs, p. 339), l'in-
fluence exercée sur Paulmy par d'Argenson (p. 120), la valeur des
collections Gaignat, Milsonneau et d'Heis (pp. 177, 17g et 240), celle
des livres de la maison des Pères de la doctrine chrétienne dite Maison
de Saint-Charles (p. 5o6), les dilapidations qu'eut à subir la biblio-
thèque des Célestins (p. 489), la main mise sur l'Arsenal par le Sénat
en l'an X (p. 414), le genre de mérite qu'a eu Nodier, pour lequel
fut créé un titre inutile (p. 574). Il a rendu justice à ces excellents
fonctionnaires qu'ont été Germain Poirier (p. 418), Louis Godin
(p. 566), Alexandre Duval, à qui Ton doit la richesse de la biblio-
thèque en pièces de théâtre (p. 571).
Il est tout au moins curieux aussi de relever dans cette Histoire
combien furent nombreux les bibliothécaires qui successivement en-
treprirent ou furent chargés d'entreprendre le catalogue de tant de
manuscrits et l'on doit de même constater qu'on avait autrefois la
sagesse de ne pas craindre de vendre les livres qui paraissaient être
devenus inutiles (p. 56i'. Aujourd'hui, par trop de timidité, on se
garderait bien de déplacer un ouvrage inscrit sur un catalogue et ce
n'est pas pour une autre raison que la bibliothèque de l'Arsenal con-
serve trois tomes d'un recueil dont les quatorze autres tomes sont dé-
posés à la Bibliothèque Nationale (p. 485). La dispersion peut avoir
ses avantages, mais évidemment non dans un cas semblable. Cette
publication sévère n'est pas sans contenir même ici et là quelques
détails amusants, les renseignements qui concernent le voleur de 1 8 1 2
(p. 55o) ou la personne induement logée pendant 5o ans ^p. 570). La
publication de M. M. présente enfin cet avantage qu'il en a profité
pour rectifier lui-même, sans embarras, certaines erreurs ou omissions
que son catalogue renferme i'p. 1:1, 140, 478, 5o3).
Je n'adresserai à M. M., en terminant, qu'un petit nombre de légères
critiques. Comme il était naturel de s'y attendre de la part du rédac-
teur d'un catalogue de manuscrits et malgré le développement donné
aux Annales, son histoire est avant tout une étude des collections
manuscrites ; il n'y est parlé qu'accessoirement des volumes imprimés ;
quelques indications sur la provenance des plus précieux de ceux-ci
n'auraient pas été superflues (cf. p. 477 et 5 18). Puis ce qu'on y dit à
propos des cartes et plans, et particulièrement des estampes, est par
trop succint. J'aurais désiré aussi que M. M. qui n'insère que peu de
renvois désignât parfois plus expressément ses sources (cf. p. 379). Cette
observation me fournit l'occasion de faire remarquer qu'il aurait
trouvé aux Archives de la Seine, trop facilement oubliées, quelques
actes de l'état civil peut-être à mentionner : l'acte de décès du marquis
de Paulmy, les actes de naissance et de décès d'Ameilhon, ceux de
204 REVUE CRITIQUE
Saugrain ; l'acte de décès d'Ameilhon fait connaître le nom de sa
femme, Al. H. Drouart, à laquelle il n'a pas survécu un an, et un
autre acte, celui du mariage du baron d'Heiss, venant se joindre aux
documents déjà connus, fixe la forme orthographique du nom de ce
collectionneur (cf. p. 228). Une liste des sources aurait été utile et
M. M. qui a voulu être si complet, aurait pu dresser une table géné-
rale de concordance entre les anciens et les nouveaux numéros des
manuscrits, ainsi que Tont fait dans leurs publications MM. Kohler et
Molinier. Ajoutcrai-je que la partie récente de cette histoire me semble
écourtée ? Il est vrai que si l'auteur eût mentionné à bon droit parmi
les dons celui de la correspondance d'Anatole de Montaiglon, il ne lui
appartenait guère de dire que le dépôt des périodiques, ordonné en
1880, se fait fort mal (cf. p. 59 1) et de sortir pour toute cette période
d'une certaine réserve.
Mais M. M. est trop maître de son sujet, à tous égards, pour qu'il soit
possible de lui reprocher d'avoir commis quelque véritable faute.
Après avoir fait les simples remarques qui précèdent, il reste à le
remercier de ce qu'il a fait suivre d'une table aussi développée son
très consciencieux ouvrage.
Marius Barroux.
Geschichte des deutschen Zeitungsw^esens, von Ludwig Salomon. Erstcr Band,
Das XVII, XVII und xviii Jahrhundcrt, Oldenburg und Leipzig, Schuize. In-8',
p. 265, 3 mark.
Ce livre est le premier volume d'une Histoire du journalisme alle-
mand ; il se termine à la fin du xviii<= siècle; le volume suivant ira
jusqu'à l'année 1870. L'auteur est évidemment très supérieur à
Schwarzkopf et à Prutz, d'autant qu'il a pu, pour son premier tome,
se servir de travaux, comme ceux de Grasshoff, de Stieve, d'Opel, de
Milberg, de Zenker, et d'une foule de monographies parues dans ces
derniers temps. Il a su d'ailleurs diviser et distribuer son sujet. Les
titres de ses chapitres sont un peu longs : « La vie intellectuelle
cherche à trouver son expression dans la littérature», ou encore
« L'agitation politique croissante donne de plus en plus aux revues
un ton politique ». Mais le récit se développe avec clarté. Il y a
toutefois en beaucoup d'endroits des traces de rapidité ; M. Salomon
insiste trop sur les choses connues et ne s'étend pas assez sur ce
qu'on ignore d'ordinaire; on regrettera qu'il n'ait pas fait plus de
citations. A-t-il lu tout ce qu'il mentionne? Il n'a pas même feuilleté
le Genius der Zeit de Hennings qui, dit-il, se distinguait par un clair
jugement! Il oublie ci Claudius, le « Messager de Wandsbeck « et
Stùudlin, et Armbruster, et Halem, et \ai Main-{er Zcitiiuf:: de 1792-
1793, et les Friedenspràliminarien de Huber. 11 omet Hcrder lorsqu'il
d'histoire et de littérature 2o5
parle de Klotz qui n'a du reste qu'une demi-page et le Boie de
Weinhold à propos du Musée allemand. Clair, aisé, intéressant, l'ou-
vrage de M. Salomon est incomplet et trop peu original.
A. C.
La Croatie militaire 1809-1813. Les régiments croates à la Grande Armée,
par le commandant P. Boppe. Avec six planches en couleurs cl une carte. Paris,
Berger-Levrault, 1900. In-S", 267 p.
Le colonel Nicole Papas Oglou et le bataillon des chasseurs d'Orient, 1798-
1815, par Auguste Boppe. Paris, Berger-Levrault, 1900. In-S", 80 p.
. L'auteur de la Légion portugaise et des Espagnols à la Grande
Armée vient de consacrer aux régiments croates un travail qui
témoigne du même soin, des mêmes recherches minutieuses que ses
précédentes études. M. P. Boppe rappelle d'abord les origines des
Grœn^er, des six régiments frontières, et les événements qui amenèrent
leur incorporation. Il retrace ensuite la nouvelle organisation des
régiments où les lieutenants-colonels et la plupart des officiers étaient
restés, la nomination des colonels qui, à l'exception du major Sliva-
rich, furent choisis parmi les Français de l'armée d'Illyrie, la création
de deux adjudants-majors « parlant illyrique » dans chaque régiment,
l'uniforme, etc. Il raconte l'attitude de ces Croates en Illyrie dans
l'année 181?, comment ils se retrouvèrent aussitôt autrichiens, com-
ment ils « désertèrent en masse ». Enfin, il suit les régiments qui
combattirent à la Grande Armée et y firent bonne figure : en face des
Russes, et sous les ordres de Napoléon, ils déployèrent les solides
qualités militaires de leur race ; Delzons écrivait que le premier pro-
visoire croate avait fait des merveilles à Ostrovno et Merle, que le
troisième provisoire s'était couvert de gloire àPolotsk.
M. Auguste Boppe a, dans sa brochure, reconstitué la carrière du
colonel Nicole Papas Oglou et fait en même temps l'historique du
bataillon des chasseurs d'Orient, que Nicole commanda pendant toute
la durée du premier Empire. On lira avec le plus vif intérêt la vie si
singulière, si aventureuse de cet amiral de la flottille des Mamelouks
que Bonaparte fit officier français et qui défendit héroïquement Parga
en 1814.
A. C.
Lieutenant-colonel Frocard, breveté d'état-major, et capitaine Painvin, du 78» d'inr
fanterie, La guerre au Transvaal. L'offensive des Boers (septembre-janvier)
avec cartes. Paris, Cerf. in-S», SgS p.
A l'aide des meilleures sources, les deux auteurs retracent d'abord la
2o6 REVUE CRITIQUE
situation du Sud-Africain. Ils nous présentent ensuite l'armée anglaise
et l'armée boer. Vient enfin le récit proprement dit, consacré à l'offen-
sive des Boers. Ils Font divisé en deux parties ; autour de Ladysmith
(Glencoe, Elandslaagte, la Tugela) : la marche sur Kimberley (Bel-
mont et Graspan, Modder River, Magersfontein). La narration est
très intéressante, animée, pleine de détails curieux. Les deux auteurs
ont consulté des sources nombreuses : les lettres des correspondants
de journaux, des lettres privées, les rapports des généraux. Ils disent
modestement qu'ils n'ont pas fait un travail définitif, mais qu'ils
donnent un premier compte rendu sérieux, et telle est, en effet,
l'impression que produit leur travail d'ensemble. Il témoigne d'un
grand soin et d'une scrupuleuse conscience ; il sera évidemment com-
plété, précisé sur la plupart des points, mais il ne sera pas contredit.
On ne peut donc que recommander cette étude, d'autant qu'elle
dégage déjà de l'exposé des événements — qui se sont passés avant
le i^"" janvier 1900 — des conséquences remarquables: notamment
que la guerre s'apprend et qu'il faut une école où on l'apprenne, un
cadre permanent pour l'étudier; que l'instruction du tir doit être
poursuivie avec plus de soin qu'on ne l'a fait jusqu'à présent ; que la
tactique offensive a toujours l'avantage parce qu'elle est la lutte de
l'intelligence contre la machine et du mouvement, de la volonté, de
l'activité contre l'inertie.
A. G.
Les problèmes politiques et sociaux à la fin du xix« siècle. I vol. in-8» de la
Bibliothèque d'histoire contemporaine, par Edouard Driault, professeur agrégé
d'histoire au lycée d'Orléans i à 338 p. F. Alcan, 1900.
M. Driault qui traitait il y a deux ans la « question d'Orient » a,
cette année, élargi son horizon. Le simple énoncé des sujets qu'il
aborde dans le présent volume indique l'ampleur de son exploration.
L'Alsace-Lorraine, la question romaine, celle de l'Autriche-Hongrie,
l'Orient, la Méditerranée, la Mer Rouge, l'Afrique, l'Asie, les États-
Unis, la Triple Alliance et l'Alliance Franco-Russe, passent successi-
vement sous les yeux des lecteurs dans des études relativement déve-
loppées : l'auteur, en plus, reprend son sujet dans sa généralité en
résumant ses vues dans trois sections finales : « les grandes puissances
et le partage du monde — Les conflits et la paix. — La société : église
et science. »
C'est, on le voit, un coup d'œil étendu que l'auteur a voulu jeter
sur le présent et l'avenir du monde policé — en comprenant dans les
destinées de ce dernier celui qui n'en fait pas encore partie et que pré-
cisément les nations civilisées sont en train de se partager ou d'ouvrir
à leur influence.
d'histoire et de littérature 207
L'écueil d'un pareil sujet c'est son immensité même, où la proxi-
mité des faits ne permet pas aisément à l'historien de distinguer les
grandes lignes et les traits fondamentaux de ceux qu'il est permis et
même utile de négliger. Seul un certain recul donne aux éléments de
l'histoire leur valeur relative définitive. Ce n'est pas ce que prévoit
l'historien qui importe : c'est ce qui est sorti réellement de la comple-
xité des événements pour devenir une réalité vivante. Aussi, autant le
passé des questions est aisé à établir, autant leur état présent est diffi-
cile à préciser : la sélection même des faits et des données suppose
chez l'historien une opinion qui ne peut être qu'une conjecture,. Je
ferai, pour cette raison, deux parts dans l'ouvrage de M. Driault.
Tant qu'il étudie le passé des problèmes politiques et sociaux, je trouve
qu'il rend de grands services à cette démocratie souveraine dont il
parle dans sa préface et qui a besoin d'être éclairée sur les questions
extérieures aussi bien que sur les rouages de l'organisme intérieur.
Quand il envisage le présent et l'avenir, je constate que tantôt sa pru-
dence se traduit par d'innombrables points d'interrogation, et tantôt
sa hardiesse de vues touche à la simple hypothèse. Je ne voudrais pas
lui en faire un reproche : mais là, son livre cesse d'être un livre d'édu-
cation pour devenir plus ou moins une thèse personnelle, suggestive
sur certains points, discutable sur d'autres.
Je ne puis analyser ici la partie proprement historique du volume :
elle est un résumé en général bien fait des événements antérieurs.
Cependant l'auteur y mêle trop souvent et dans la trame même du
récit ses préoccupations d'avenir. Il fait comme un auteur dramatique
qui prépare son dénouement dès les premiers actes de la pièce. C'est
s'exposer, dès le début, à bien des objections. M.D. va de lui-même au
devant d'une critique : « j'encours dès l'origine — à propos de l'Alsace-
Lorraine — le reproche de ne voir les choses qu'au point de vue fran-
çais. J'accepte le reproche : je consens volontiers que ce livre ait dès
la première page une marque française : j'ai conscience d'ailleurs que
de la France, comme centre, on peut jeter sur le monde un regard
suffisamment impartial. » Voilà qui est très séduisant pour les Fran-
çais, assez portés par instinct à tout rapporter à notre pays. Il n'est
pas sûr qu'au point de vue mondial, ce soit tout à fait exact. M. D. à
dire vrai, cherche à justifier son assertion par la place qu'il assigne à
la question d'Alsace-Lorraine dans l'équilibre général de l'Europe et
même des deux hémisphères. Il montre avec raison que l'origine de la
paix armée qui nous dévore est là — que les armements de la France
et de l'Allemagne ont amené ceux des autres puissances, et que tant
de millions d'hommes et de milliards d'argent immobilisés dans les
camps ou le matériel de guerre, dépendent du trait de plume qui a
arraché à la France une partie vivante d'elle-même.
Il faut en tous cas reconnaître que bien des causes de trouble se sont
jointes, depuis, à cette plaie toujours béante. Le livre même de M. D.
208 REVUE CRITIQUE
en est rénumcratîon et l'analyse, et quoi qu'il dise, le lien -de ces
foyers d'agitation avec la question d'Alsace-Lorraine n'est pas tou-
jours très apparent. Beaucoup de ces loyers subsisteraient, même si
l'Allemagne chevaleresque et libérale que M. D, voit presque réalisée
à force de le désirer — (nous prenons souvent en France nos désirs
pour des faits), — renonçait un jour à sa conquête de 1 870 et déchirait
le traité de Francfort.
Je ne suis pas sûr que M. D. se place toujours à un point de vue
suffisamment objectif pour étudier ces phénomènes morbides et les
remèdes qui les guériraient. 11 envisage quelques-uns d'entre eux
en bon républicain français, nourri dans les traditions de 1789, con-
fiant dans le mouvement scientifique contemporain, qui attend tout
d'une démocratie instruite, comprenant à la fois ses intérêts et son
devoir.
L'Italie — dont il exagère la crise politique, religieuse et sociale —
ne sortira de cette crise « que si l'organisation du parti républicain
s'achève dans la Péninsule... Il faut que ce parti affiche partout un
programme scientifique très net, très simple, très clair aux esprits les
moins préparés, fondé sur les principes de l'éducation populaire et de
l'organisation sociale par la liberté... La démocratie italienne a charge
d'humanité. » — « Pour l'Autriche-Hongrie déchirée par des luttes de
nationalité. » M. D. fait le rêve — mais un « rêve aussi près que pos-
sible de la réalité » — des Habsbourg fondant sur le loyalisme des
États « un franc et large régime de libertés provinciales ou plutôt dépar-
tementales... Ils brisent les rivalités provinciales en modelant une
mosaïque administrative sur une mosaïque ethnographique... La
France aussi fut jadis composée de provinces mal liées, mais qui se
fondirent ensuite dans l'unité départementale... «Il y aurait seulement
ici moins de centralisation qu'en France. D'ailleurs à un moment la
dynastie pourrait être remplacée par un conseil fédéral comme celui
de la Suisse. »
Sur d'autres points de la carte, où les questions sont encore plus
embrouillées que sur le Rhin, en Italie, ou en Autriche, M. D. s'abs-
tient avec raison de prévisions trop positives. Il sait au besoin faire
leur part aux hasards de la force, et quiconque a suivi les péripéties de
l'histoire, l'approuvera. Je le trouve cependant trop favorable à l'em-
ploi de la force quand il s'agit de la France, et trop sévère quand il
s'agit des autres pays, notamment de l'Angleterre. Il faut ou répudier
complètement l'esprit de conquête, et alors toute la grande politique
coloniale qui a les prédilections de M. D. et qui est d'ailleurs proba-
blement une fatalité du xix^ siècle finissant, est condamnée en bloc :
ou bien il faut accepter, dans une certaine mesure, de la part d'autres
peuples, des procédés d'action que nous avons pratiqués nous-mêmes.
Gardons nos sévérités pour les véritables abus de la politique du
plus fort et condamnons-les partout où ils se produisent sans accep-
d'histoire et de littérature 209
tion de drapeaux. L'impartialité donnera d'autant plus de poids aux
reproches qui seront adressés aux actes répréhensibles ou révoltants
pour l'humanité commis dans ce vaste travail d'organisation de
l'Afrique et de l'Asie qui sera une des pages essentielles de l'histoire
du monde.
Ce travail d'organisation soulève des problèmes politiques et éco-
nomiques redoutables : M. D. traite des premiers avec une compétence
indiscutable : Je le trouve moins bien armé quand il s'agit des seconds :
il répète sur ce sujet des phrases toutes faites comme on en lit trop
dans les journaux, sur les débouchés, les grands courants commer-
ciaux, l'inondation des produits, les trésors de l'Orient etc., etc. qui
sont devenues de véritables clichés. Il ne recule même pas devant le
« trident de Neptune » qui est bien suranné. Il y a dans toutes ces
questions de commerce des mirages où les chiffres, s'ils étaient plus
souvent cités et rappelés, ramèneraient les imaginations à la réalité.
« Le transsaharien devra être la grande voie commerciale jetée entre
Alger et le Soudan »... Chiffrez les produits probables, et vous verrez
à quoi se réduit « cette grande voie commerciale ». — « L'Inde four-
nit aux Anglais d'incomparables trésors. »... Comptez les frais de l'ar-
mée, des chemins de fer et des routes, les famines, la baisse de la rou-
pie-argent, l'amoindrissement des débouchés pour les tissus anglais
par la construction de fabriques indigènes, tout l'engrenage politique
et financier où l'Angleterre est engagée pour défendre, envers et
contre tous, les routes de l'Inde : et vous verrez que ces trésors ne
sont pas si « incomparables » — Pour une fois M. D. donne un
chiffre : Il s'agit du Khorassan. « Le chemin de fer projeté de Recht à
Téhéran et Méched livrerait aux Russes le monopole économique
de tout le Khorassan. En un an, de 1895 à 1896, les importations
anglaises à Méched sont tombées de 8 à 3 millions de francs : dans
le même temps l'importation russe s'élevait de i à 2 millions et
demi.» — Les chiffres ne sont pas bien gros et d'ailleurs ne coïnci-
dent pas : n'importe : « Les Russes sont à tous égards de formi-
dables ennemis pour les Anglais ». — « La Chine révéla, dès qu'on
y put pénétrer, d'incalculables trésors : ... la clientèle commerciale de
plus de 3oo millions d'hommes. » Mais quelle est la puissance d'ab-
sorption de ces 3oo millions d'hommes? Jusqu'ici elle a été relative-
ment faible et c'est ce que M. D. omet de constater. Il serait bon cepen-
dant de rappeler que les importations annuelles en Chine ne sont pas
le cinquième de celles faites en France — bien que celle-ci compte
près de dix fois moins d'habitants. Il y aurait avantage considérable,
dans toutes les questions de politique commerciale internationale, à
serrer de près les réalités et à écarter les grands mots qui flattent des
préjuges ou des passions plus qu'ils ne répondent à des faits saisis-
sables. Les cartes où l'on plante de petits drapeaux sèment des idées
fausses : elles n'indiquent que les surfaces géographiques, et non la
210 REVUE CRITIQUE
valeur des hommes ni des produits. Tout publiciste sérieux qui veut
faire de la saine géographie politique, doit réagir contre cette impres-
sion des cartes à petits drapeaux ; les petits drapeaux peuvent
engendrer de grandes guerres.
Celles-ci sont la sombre inconnue du nouveau siècle, comme la
crainte de les voir éclater a été depuis 3o ans l'anxiété du siècle Hnis-
sani. Il y en a eu de sanglantes dans ce laps de temps : mais on n'a
pas vu sévir celles qu'on craignait le plus, et auxquelles on était en
quelque sorte presque préparé. Il semble que l'horreur des catas-
trophes prévues les ait fait éviter, tandis que d'autres événements plus
inattendus mettaient les armes aux mains des hommes et semaient le
deuil dans leurs foyers. Est-ce à dire que comme l'écrit quelque part
M. D. « la politique contemporaine ressemble à un jeu de devi-
nettes ? » S'il l'avait cru tout à fait, il n'aurait pas écrit son livre. Mal-
gré bien des incertitudes sur l'avenir, M. D. pense, et je pense avec
lui, que « l'état moral des sociétés humaines sera dans un temps
donné, capable de modifier les relations des gouvernements, de fonder
de nouveaux rapports diplomatiques, de résoudre ou de supprimer les
questions politiques en quoi consiste aujourd'hui la politique. » Il a
pour cela confiance dans l'extension universelle de la démocratie. Seu-
lement il la voit plus profondément et plus rapidement transformée
par le socialisme qu'il ne me paraît compatible avec les conditions
nécessaires de toute organisation politique et productive. M. D. est
un intéressant exemple de l'influence qu'exerce actuellement sur un
grand nombre d'intelligences ouvertes et cultivées, ce que j'appellerai
le courant socialiste universitaire. Ce courant a son point de départ
dans des ouvrages dûs à des plumes normaliennes brillantes, notam-
ment le livre de M. Ch. Andler sur les « Origines du socialisme d'Etat
allemand ». Les aphorismes pessimistes de cet auteur sur l'injustice
du capitalisme, sur la servitude des salariés, analogues aux conclu-
sions du marxisme, sont trop souvent acceptés comme paroles
d'Évangile, sans aucune vérification puisée dans les faits, et passent
pour des vérités démontrées. On admet d'autre part que « la terre est
assez riche pour suffire au bien-être de tous les hommes si l'on exclut
des rapports des hommes l'injustice et l'oppression.» Ce sera, écrit-on,
l'œuvre propre du socialisme de faire cesser « les spoliations actuelles,
génératrices de misère, qui compromettent la production.» Il y a dans
cette partie du livre de M. D., d'autant plus saisissante qu'elle n'est
qu'une digression, plus d'intentions généreuses que d'indications pra-
tiques. Je n'en veux retenir que la vue générale, exacte dans sa géné-
ralité, d'une société future s'attachant avec passion à l'exploita-
tion industrielle de la planète, ayant confiance, pour la guider dans
cette exploitation, aux enseignements de la science plus qu'aux com-
binaisons des politiques de profession ou qu'aux prédications des
Églises établies. L'idéal St-Simonien est là en pleine floraison, tout
d'histoire et de littérature 21 j
en se revêtant d'un caractère scientitique plus précis qu'en i83o.
M. Driault termine son livre par une sorte d'hymne à la science.
« La science, s'écrie-t-il, permettra tous les progrès moraux et maté-
riels de l'avenir... Quand la sagesse des peuples, plus instruits et
plus honnêtes, aura réglé les grands conflits qui les tiennent en armes
et en haines, la gloire sera de reculer les frontières de la science,
d'élever la conscience morale de l'humanité... » Belles paroles et
belles espérances dont il ne faut pas sourire. Plus elles seront expri-
mées ou partagées par un nombre croissant d'hommes, plus les
chances de paix générale augmenteront : car celles-ci dépendent avant
tout aujourd'hui de l'opinion et de la volonté des peuples.
Eugène d'EiCHTHAL.
Commandant TouTÉE. Du Dahomé au Sahara, La Nature et l'Homme, avec
une carte hors texte en couleurs. Paris, A. Colin 189g, xii-272 p.
Le commandant Toutée ne s'est pas cru quitte de sa tâche comme
tant d'autres explorateurs, « pour avoir parcouru un itinéraire éla-
boré par le département » et hissé le pavillon tricolore sur quelques
postes du territoire du Niger. Tout en cheminant, presque sans
relâche (« le nombre des jours de marche est de 87/100 pour i3/ioo
séjours »), il a eu l'œil ouvert sur « la nature et l'homme », et il les
décrit en traits si précis et pittoresques que l'on se console à demi de
la perte des clichés détruits en un accident de navigation.
C'est d'abord la constitution du sol entre la côte et la vallée Nigé-
rienne, avec des zones successives, la Terre de Barre, le fossé déprimé
de l'Alama qui coupe celle-ci, la tranchée du Niger de Farca â Akassa,
d'une effroyable uniformité, sur 10 degrés plus de 3ooo kilomètres.
L'auteur signale dans cette province africaine une véritable calamité
géologique, l'absence de calcaire ou de chaux. « Peut-être la pénurie
de phosphate de chaux suffirait-elle à expliquer des différences de
structure ou de développement cérébral » entre le noir et le blanc. Ce
qui est moins hypothétique, c'est que le manque de cette matière si pré-
cieuse influe sur le mode de peuplement ; point de demeures solides
point de monuments durables, c'est là sans doute une des causes de
l'instabilité des occupants.
Grâce à la célérité de sa marche, M. T. a perçu avec une singulière
netteté la gamme des climats des paysages et des cultures entre le golfe
de Guinée et le Sahara ; c'est ainsi qu'il désigne comme point de
« suture » entre pays équatoriaux et pays tropicaux l'île de Patachi
la porte du paradis équatorial près d'un des rapides de Boussa.
L'on entend professer que le nègre n'a pas besoin de solliciter la
terre maternelle et nourricière : M. T. atteste qu'il faut que le nègre
212 REVUE CRITIQUE D HISTOIRE ET DE LITTERATURE
peine pour vivre tout comme un simple blanc et qu'il est capable au
même degré que le blanc, d'efforts intelligents et de progrès. L'agricul-
teur noir pratique une rotation culturale, un système d'assolement
rémunérateur, et M. T. augure qu'il exportera un jour du grain et du
coton, des liqueurs distillées de fruits sucrés, dignes d'enivrer l'Euro-
péen — ce sera une légitime revanche — et enfin des jambons de
porcs engraissés à la banane. M. T, voit les beaux côtés des choses
comme aussi des hommes ; il insiste plus volontiers sur les qualités
que sur les défauts des populations qu'il a rencontrées : il vante la
vertu des Dahoméennes et des négresses en général, moins faciles
qu'on ne l'a dit à l'égard du blanc, il trouve la justice nègre plus
humaine que la nôtre, il prête même au noir un besoin de connaître,
de frayer avec ses semblables qui le pousse à d'incessants voyages.
M. T. apporte un argument à l'idée que l'organisation sociale est
régie plutôt par le milieu qu'elle ne repose sur <( le principe des natio-
nalités » ou pour mieux dire la communauté ethnique. Tandis que
les races se sont mélangées, les cadres sociaux se sont conservés
intacts : l'absolutisme au Dahomé, la féodalité dans le Bargou, etc.
Les groupements politiques ou les principautés se laissent géographi-
quement définir. « C'est la portée du commandement qui peut être
exercé par un seul homme ». Plus grandes en pays de plaine, plus
petites en régions forestières ou nombreuses, où la circulation est le
plus difficile.
Ce qui donne du prix à ces renseignements dont nous ne mention-
nons que quelques-uns, c'est qu'ils sont originaux et procèdent de
l'observation directe à laquelle ne peut suppléer pour ces parages ni
livres, ni manuscrits, ni monuments.
M. T. termine par les conseils obligatoires aux explorateurs et aux
colons : qu'ils se défient des traités d'hygiène coloniale, des conserves
métropolitaines et qu'ils méditent les préceptes et les recettes que
M. Toutée leur offre de si bonne grâce.
Bertrand Auerbach.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 38 — 17 septembre — 1900
Etrennes offertes à M. Heibig. — Marchot, Trois questions de philologie romane.
— V. Henrv, Lexique étymologique du breton moderne. — iNAMA-StERNKCG.
Histoire économique de l'Allemagne dans les derniers siècle du moyen-âge. —
CuÉLARD, La civilisation française dans le développement de l'Allemagne. '—
LiND.MEVR, Le vocabulaire de Luther, d'Emser et d"Eck.
Strena Helbigiana sexagenario obtulerunt amici. Leipzig, Teubner, igoo.
In-4'', 348 pages, avec nombreuses planches et vignettes dans le texte.
Ce beau volume a paru fort à point. Hommage de savants de
toute nationalité à M. Heibig, ancien secrétaire de l'Institut de Rome
et secrétaire perpétuel de l'archéologie romaine, il a été mis en vente
au moment même où cet éminent érudit était couvert d'injures par
une certaine presse pour avoir démasqué les procédés antiscientitiques
de M. Barnabei, alors direttore dei Scavi, dans l'aftaire des fouilles
de Narce. Depuis, la tempête s'est calmée; M. Barnabei a été rem-
placé; de nouvelles révélations ont appris au monde combien M. Hei-
big avait eu raison et chacun s'est remis au travail ' — ce par quoi,
peut-être, il eût mieux valu commencer.
Les éditeurs de la Strena avaient demandé à leurs collaborateurs
éventuels des articles très courts, de 3-4 pages. C'était une excellente
idée et une réaction bien opportune contre le bavardage archéolo-
gique. La plupart ont tenu parole ; il y a donc lieu de regretter que
tout le monde n'en ait pas fait autant et de blâmer les éditeurs de
n"avoir pvas tenu la main à ce que la conveittion proposée par eux fût
observée.
Il n'est pas facile de donner une idée de cinquante-sept mémoires
qui apportent tous quelque chose de nouveau. C'est pourtant le
devoir de la critique de le tenter, au risque d'oublier qu'elle est la cri-
tique, mais en songeant qu'il vaut mieux, dans l'intérêt du public,
résumer dix articles que d'en discuter un.
W. Amelung, Chevauchée d'un satyre à travers les vagues. A pro-
pos d'un groupe du Casino Borghèse 1 Clarac, 707, 1681^, bien repro-
duit à la p. 2. Le Jonas de Sainte-Marie du Peuple est un écho du
même motif.
P. Arndt, Alcibiade. Le prétendu Alcibiade serait Philippe II de
Macédoine.
Nouvelle sérip L. 38
2 14 RKVUE CRITIQUE
Barracco, Tctc de Mars ou de Runmlus. Belle tète, belle plan-
che.
F. ^^^ von Blssing, Date des vases égéens dans les monticules de
débris de Kahun. Appartiendraient au début du Nouvel Empire et non
à la XI l^ dynastie.
. G. Bo'issier, La première Catilinaire. Reconstitution ingénieuse de
ce discours perdu d'après II Cat. 6.
H. Bulle, Odysseus parmi les Sirènes. Vase corinthien inédit, le
plus ancien exemple connu de cette représentation.
R. Càgnax, Bas-relief funéraire d'Aumale (Algérie). Tombe d'un
beneficiarius, avec représentation curieuse du « mauvais œil » sur le
devant du socle.
M. Co\\\%non, Lion funéraire sur un lécythe blanc d'Athènes. Le
lion, debout sur la stèle, est nourri par une femme. Inexpliqué.
G. di Petra, Sur le fronton oriental du temple de Zeus à Olj'mpie.
Discussion sur la désignation des figures.)
A Dieterich, Matris cena{C\c.., Epist.^ IX, i6, 7). Jolie explication
par Athen., 11, 44 tY le végétarien Matris.
A. von Domaszewski, La cuirasse de la statue d'Auguste à Prima
Porta. C'est Mars Ultor, accompagné de son loup, qui reçoit les
enseignes des Parthes.
L. Duchesne, Germia et Germo colonia. Distinction de ces deux
sièges épiscopaux.
F. von Duhn, Souvenirs d'un voyage en Sardaigne., en particulier
de Tharros. Long mémoire, important pour le commerce de Carthage,
qui introduisit dans l'île des céramiques grecques dès le vi^ siècle.
H . von Fritze, Les anneaux d'or tnycéniens et leur signif cation
religieuse. Ces anneaux seraient de fabrication orientale et les scènes
qui y figurent se rapporteraient à une religion sémitique. Travail de
dilettante,
A. Furtwaengler, Pallas Albani. Cette statue, admirée par Win-
ckelmann, puis disparue, est identique à l'Athêna Hope aujourd'hui à
Deepdene, dont l'état civil avait été altéré par une fausse indication de
provenance.
G. F. Gamurrini, Les statues de la villa de Pline in Tuscis.
C'étaient les statues autrefois possédées par Granius Marcellus
(Tacite, Ann., I, 74.)
B. Graef, Tête d'Hélios trouvée à Rome. Marbre colossal apparte-
nant à M. Hiller von Gaenringen à Berlin seconde moitié du
iv* siècle).
P. Hartwig, Représentation antique du Kat^enjammer. Sous ce titre
est décrit un vase attique acquis en Italie par M, Warren i Silène
debout devant une Ménade assise. Le Silène s'appelle Xtx'iwo;, la Mé-
nade Kpa-.raÀT,, ce qui semble indiquer à l'auteur que « la femme assise
est une personnification du Katzenjammer ■>. Credat Apclla.
d'histoire et DR LITTÉRATURE 21 5
F. Hauser, Construction du mur de V Acropole. Vase du Louvre;
un géant porte des pierres sous la direction d'Athéna.
H. de Villefosse, Sur la forme matérielle d'un monument de Lam-
bèse. Il s'agit du piédestal de la colonne avec les débris de l'ordre du
jour d'Hadrien.
Henriette Hertz, Découverte des livres de Numa, fresque de Jules
Romain à la villa Lante. Publication d'un fragment inédit de ces
peintures, conservé dans une collection privée à Rome.
L. Heuzey, La sculpture à incrustations dans l'antiquité chai'
déenne. « Antécédents orientaux de cet art de la toreutique que la
Grèce n'a certainement pas inventée de toutes pièces. »
Hiller von Gaertringen, Masque d'Héraklès de Lindos. Fragment
appartenante l'auteur,
Chr. Hiilsen, Sur l'architecture du forum de César. Notes sur le
temple de Venus Genitrix.
G. Kaibel, Les fragments du livre d'Héraclide sur Athènes. Publica-
tion critique du texte.
G. Karo, Les êtres fabuleux de la vieille Grèce. Types d'animaux
fantastiques dans l'art corinthien du vii^ siècle.
O. Kern, Sur le culte hellénique. Trois notes, l'une sur le « culte du
trône » d'après Reichel, la seconde sur les tumulus de Thessalie (con-
sacrés à Hermès), la troisième sur le mot "A-7:a;, désignant une fonc-
tion religieuse en Asie-Mineure.
G. Kieseritzky, lasios. Fragment d'un vase de Chersonnèse, où est
figuré lasios frappé de la foudre par Zeus.
G. Koertc, Thésée., transformé en Héraklès, devant Minos sur un
miroir étrusque. Curieux exemple de la confusion des mythes grecs
sur les monuments de l'Etrurie.
F. Léo, Le chapitre de Varron sur la fertilité de l'Italie. Edition
critique de 34 lignes.
Ersilia Lovatelli, Fragment dhin bas-relief représentant un combat
de gladiateurs. La seule figure bien conservée serait celle d'un
lanista.
E. Lœwy, Le pavé du temple de Zeus à Olympie. La partie sombre,
en calcaire d'Eleusis, avait pour but d'empêcher que l'effet de la statue
de Phidias ne fût diminué par les reflets d'un sol blanc.
A. Mau, Lieu de la trouvaille du Doryphore de Naples. La statue
n'était pas placée sur la base de tuf dans le petit portique près du
temple d'Isis à Pompei, mais par terre près d'une colonne.
L. Milani, Deux répliques inédites de la Vénus de Médicis. L'auteur
publie une réplique florentine connue dès i 357 (aujourd'hui à Chicago)
et une tibule de bronze de Populonia, ornée d'une statuette représen-
tant le même motif. On aurait dû empêcher M. Milani d'attribuer à
ceux qui s'occupent de Praxitèle le parti-pris d'ignorer ses décou-
vertes ; la note où il exhale ses plaintes à ce sujet (p. 192) gâte un
2 I 6 REVUE CRITIQUE
mcmoire dont la conclusion est intéressante : la Vénus de Mcdicis
serait une copie d'un bronze de Praxitèle transporté à Rome et détruit
par un incendie sous Claude.
Th. Mommsen, Gatta et Avista. Inscription inédite d'un monument
funéraire du iii^ siècle, en latin plébeeien.
O. Montelius, Vase de bt'onie de travail italique trouvé en Suède.
Découverte de Bjersjôholm à Schoncn et autres analogues
A. S. Murray, Un ivoire mycénien. Rondelle trouvée à Chypre.
F. Noack, L'opcToOjpr, dans le Megaron d'Odysseus. Critique de l'ar-
ticle de Reichel, /lrc/7. Epigr. MzY^/î., XVIII (1895), p. 6. L'auteur
insiste sur le désaccord entre le texte de l'Odyssée et les restes des
monuments mycéniens.
P. Orsi, "EpuaTa ToiY^T^va |j.opÔEvta. Exemples de boucles d'oreilles
répondant à cette désignation (Helbig, Hom. Epos, p. 271).
G. Perrot, Une correction au texte de Pausanias {III, 12, 10). Les
anciens n'ont jamais, quoi qu'en dise ce texte, exécuté des statues en
fonte de fer.
L. Pigorini, Instruments de musique des terramaricoles. Une flûte
en or et une corne en argile.
L. PoUak, Les années romaines de K. L. Fernow. Publication de
deux lettres de Fernow (1796 et 1797) à son Mécène le comte de
Burgstall.
S. Reinach, i)e la prière pour les morts. Sources gréco-égyptienne
et orphique de cet usage, qui n'a pénétré chez les Juifs qu'au i" siècle.
E. Reisch, Un vase d'enfant d'Athènes et un lécythe àfigures rouges
de Gela. Le motif peint sur le lécythe rappelle celui de la Vénus de
l'Esquilin.
A. Riegl, Portraits romains de basse époque. Publications d'un
buste appartenant à l'auteur, avec un remarquable commentaire sur
les caractères de l'art romain à son déclin.
C. Robert, Le torse du Vatican. Serait un Prométhée.
M. Rostowzew, Livie et Julie. Portraits de Livie et de Julie sur des
tessères de plomb.
B. Sauer, Une statue d'Achille. Il s'agit de Clarac 854 A, 2154 A
(similigravure à la p. 266.)
A. Schiff, L'inscription de Boulos à los. Le nom de Boulos est à
rayer du catalogue des artistes ; l'inscription est celle d'un tombeau de
basse époque.
Th. Schreiber, Nouveaux portraits d'Alexandre. Utile classitica-
tion des types, avec quelques exemplaires nouveaux.
F. Spiro, Un Alexandrin disparu. Ce disparu est le grammairien-
poète Euphorion, auquel seraient dues les désignations traditionnelles
des mètres grecs.
Eugénie Strong, Sur un Apollon de l'Ecole de Calamis. Publication
d'une belle tête trouvée à Rome et aujourd'hui au British Muséum.
d'histoire et de littérature 217
J. Strzygowski, Villa Lante. Histoire de la villa qu'habite le pro-
fesseur Helbig.
L. Traube, Date duCodexromantis de Virgile (Vatic. lat. 3867). Ce
manuscrit, réputé très ancien, n'est pas antérieur au vi^ siècle.
H. Usener, Formation jumelle : « Ce qu'est dans le langage le mot
double Idvandva), la formation jumelle Test dans la légende et dans
l'image . » Étude sur les dieux et les animaux à double tête et sur les
images conjuguées.
U. von Wilamowitz-Moellendorff, Le Colosse manqué. Ce « colosse
manqué », dont il est question dans le Traité du Sublime, serait le
Zeus de Phidias, objet de critiques acerbes dans l'antiquité.
G. Wissowa, Observation sur les inscriptions romaines relatives aux
équités singulares. Sur le culte de Salus et de Félicitas. ^
R. Wunsch, Le départ de Rome à la fontaine Trevi. Etude sur un
curieux usage populaire, d'après lequel une personne quittant Rome
doit jeter une pièce de monnaie dans la fontaine après y avoir bu.
Grâce à la générosité de MM. Jacobsen, Barracco, Warren etc.,- ce
volume de mélanges a été illustré avec grand luxe ; il peut être placé
à côté de la Festschrift offerte à M. Benndorf comme ce qu'on a
encore fait de plus beau en ce genre. En tête, figure la photographie
d'un buste en marbre de M. Helbig ; on aurait préféré une photogra-
phie d'après l'original, qui ressemble moins à Bismarck et a l'air
« meilleur enfant ».
Salomon Reinach.
Paul Marchot : Essais d'explication pour trois questions de philologie
romane. Turin, H. Loescher, 1900; in-8, de 8 pages.
Dans ce court opuscule, extrait du vol. VIH des Studi di filologia
roman{a^ M. Marchot propose du refrain de la plus ancienne aube
connue [L'alba part umet^ etc.) une explication un peu différente de
celle qu'en avait donnée M. Monaci, et qui paraît assez plausible. Il se
demande ensuite si le type roman */!autare{en ancien h./Iaiiter, etc.)
n'est pas une métathèse d'un verbe "fautlare, formé sur une mélodie
a, ut, la : la principale objection à cette façon de voir, c'est que, les
noms de la gamme ayant été inventés vers le début du xi« siècle, le
verbe latin serait en tout cas de formation savante et bien tardive. —
Le plus important de ces trois petits articles, c'est assurément le pre-
mier, quoique rédigé lui aussi d'une façon très sommaire : M. M. y
reprend la question de l'énigmatique verbe roman andare, cette ques-
tion si souvent débattue, toujours pendante. Avons-nous enfin la solu-
tion attendue ? Je n'ose l'affirmer, mais il est certain que l'explication
proposée ici offre un caractère de simplicité assez séduisant. Elle con-
siste tout bonnement à partir d'un type vulgaire *antedare (donner
2 l8 REVUE CRITIQUE
de l'avant, avancer, aller), qui se trouverait être en quelque sorte le
pendant du classique prodere. En post-scriptum, M. Marchot propose
en outre un type se *adminare (cf. le français populaire s'amener]
pour expliquer Tistro-roumain dmna^ et admet décidément le participe
allatus comme base du français aller. Je serais d'autant plus porté à
lui concéder ce dernier point, que j'ai eu personnellement de longues
hésitations à ce sujet : il faut ajouter du reste que cette solution a déjà
été proposée depuis longtemps (voir le n" 43 i du dictionnaire de Kôr-
ting). L'objection provenant de la non présence des deux / ialatus,
alare, etc. dans les Gloses de Reichenau) n'est peut-être pas invincible :
le participe currentem, qui est certainement devenu de bonne heure
*curente dans le latin vulgaire de la Gaule, n'offre-t-il pas lui aussi, une
réduction un peu analogue? Bref, tout cela est intéressant et mérite
d'être pris en sérieuse considération.
E. BOURCIEZ.
Victor Henry. Lexique étymologique des termes les plus usuels du breton
moderne. Rennes, Plihon et Hervé, 1900; xxix-35o p. gr. in-8 ^Bibliothèque
bretonne armoricaine publiée parla Faculté des Lettres de Rennes, III).
Une amicale communication de M. Henry m'ayant appris la pro-
chaine apparition de ce livre, je l'attendais avec une impatience où, à
la curiosité scientifique, se joignait le désir d'être fixé sur ce point :
l'œuvre nouvelle allait-elle être définitive, et me dispenser d'en ache-
ver une du même genre, que je garde depuis longtemps sur le chan-
tier? Le titre même du Lexique, en se restreignant aux termes les
plus usuels, indique que le champ reste libre à bien des recherches
complémentaires; car les ressources verbales du breton moderne sont
très dispersées, tant dans les textes écrits que dans les parlers actuels.
Quant à savoir s'il y aura lieu de reprendre même les problèmes
dont s'est occupé M. Henry, la question ne peut être décidée qu'après
un examen attentif de l'ouvrage que la direction de la Revue critique
a bien voulu me confier l'honneur et la tâche délicate de présenter ici
au monde savant.
La lexicographie bretonne est semée de pièges subtils ; l'auteur a su
généralement s'en garer, dans l'établissement de sa nomenclature
moderne. Je n'ai guère de réserves à faire que sur les mots : abevlec'h,
transcription adoucie du bret. moyen abeuffrlech par H. de la Ville-
marqué, qui a donné la référence ; amouka qui, s'il existait, serait
*amouga, voir Ztschr.f. celt. Philol., 11, 5o6;a«A', cf. Rev. ce/f.,XIX,
332; deûi, kefn, formes imaginées par Le Pelletier; digouéga,, cf.
Mém. Soc. ling., X, 340 ; boulas, bourgeon, lisez boulas par / mouillé
(= langued. bouias, boulhas^ grande mare, cf. bouio, boulho renfle-
ment, boutons, pustules à la tête» Mistral; franc, bouillon, en terme
d'histoire et de littérature 219
de vétérinaire) \giiltan^ lis. giiltan par n nasal, forme vannetaise, voir
Rev.celt., VII, 3 10, 3ii \Ztschr., II, SgS. La mention de ce dialecte
manque à ankoé, arg-oiired, ave\ bourboiiten blaireau (de bourboutein
grogner, murmurer, pris au v, fr. boiirbeter barboter, murmurer),
karvek, frougadeî, gloiiecli, serein, rosée (mot qui, par conséquent,
répond en gall. à gwlitli et non kgivlych). Lire a^-Jleu^ leih, v. alfô,
leii; sulyein brûler à demi, v. sii\a. — Goumon goémon, qualifié de
« vieilli », existe sous diverses formes dialectales, voir Journ . des Sav.,
août 1897, p. 495.
La liste serait autrement longue, des méprises relatives au bret.
moyen ; et pourtant, il est beaucoup plus facile d'être exact sur ce
point. Le mal vient, en grande partie, de ce que M. H. n'a pas pris
garde à la distinction observée dans mon Glossaire moy. bret., entre
les mots attestés avant le xvii« siècle et ceux que diverses inductions
permettent seules de faire remonter à cette époque, sous une forme
parfois plus archaïque. Voici, pour la lettre a, les anachronismes qui
sont résultés de cette inadvertance : ae\en (mod.) ; hallaff [la. date de
cette forme est douteuse) ; amgros, lis. mod. amgroas [amgros est
gallois ; le m. br. aagroasefin, augrosent) ; ampafalek, pafaîa, mod.;
ctidennec sombre (c'est le van. cudennêc) ; arhme, arsuMf (van.). —
M. br. caffun, lis. caliun, mod. ciiffiin ; caffon, lis. caffou ; erer aigle,
lis. er; giiei sauvage, lis. goue\; guinfher, lis. guiu/her. Abardae^^
soii-;, est qualifié gratuitement de « mot très ancien » : il ne se trouve
ni en vieux bret. ni dans aucune autre langue celtique, et les deux
étymologies rapportées sont déclarées inadmissibles. J'en avais pro-
posé une autre, qui reste soutenable sous cette forme nouvelle : le m.
br. abreitidahei est un dérivé en -e\ d'un verbe signifiant « il se fait
tard >), proprement « il est grand temps», de abret,k temps; la va-
riante rare abardahe^ qui a fini par évincer l'autre (à cause de la spé-
cialisation de abret au sens opposé « assez à temps », « tôt, de bonne
heure »), est due à l'influence d'un mot * pardei\, fin du jour, com-
posé comme le haut bret. parbatte, fin du battage, et devenu inverse-
ment lui-même par Jae^. La formation nouvelle abretdahe^ a suppléé
d'abord, puis complètement évincé l'ancien correspondant armori-
cain du gall. iicher, v. irl. fescor, etc. — Coiihat est m. br., trii-
caraiic et ui {v. vi) v. gall. Lire m. br. cre/^ craie, v. kleii 2; gall.
angeu, v. ankou. Le v. irl. ciad-^ v. kudon, est une mauvaise lecture
"poux fiad- fW. Stokes;. Lire gaul. Belatucadros^x. kaer \ Ilevvooutvôoi;,
v. penn (oy étant consonne ne pouvait porter l'accent).
L'auteur a trop rarement, à mon avis, mentionné avec références
les étymologies antérieures qu'il n'adopte pas. Goulten fanon, rap-
porté au fr, collet, paraît devoir au moins quelque chose à goule,
comme on peut le voir Gloss. m. br., v. goultrenn. Il est, d'ailleurs,
naturel de s'y reporter ; mais combien de lecteurs s'aviseront de
chercher au mot neff du même ouvrage, un complément indispen-
2 20 REVUE CRITIQUE
sable, sinon une rectification, à Part, arné d\i Lexique ? Que les nou-
velles hypothèses sur baskik^ goiirélin, soient ou non préférables à
celles de Isi Rev. ce/f., XVIII, 241; XVI, 190, n'est-il pas toujours
plus sûr de comparer, avant de décider? Une plus large part faite à
la littérature du sujet eût, en outre, facilité au lecteur les inoyens de
consulter l'historique et les variantes dialectales des mots précédem-
ment étudiés, ce qui est essentiel pour l'appréciation d'étymologies
exposées sommairement. Elle eût empêché l'auteur de présenter
comme inédites certaines explications, telles que celles de damant
{Gloss., 142), distrounka [Rev. celt., XI, 365 ; remplacée d'ailleurs,
Gloss., 664), mil\in^ plarik, poc'han, stambouc'ha {Gloss., 71, 497,
5oi, 430 et 648; 649). Sans doute aussi elle l'eût fait revenir sur plus
d'une opinion trop absolue ; quand, par exemple, il condamne tacite-
ment des tentatives d'explication comme celles de aven, voir le Dic-
tionnaire étym. du bret. moy. qui suit mon édition du Mystère de
sainte Barbe, p. 218 ; glesker, gn'esklé, Ztschr., II, 394, 395 ; louad,
Rev. ceît., XVI, 223 ; ou quand, deux étymologies étant déjà émises,
il ne tient compte que de la première : aloubi, voir Annales de Bret.,
XIV, 528; keûsteûren, besken, la\oiit, Gloss., 60, 747, 746; en em,
Rev. celt., VIII, 36-46; Loth, Chrestom. Bret. 475, 476; gô,
Ztschr., II, 392 ; reûstla, Rev. celt., XIX, 200-202 ; lorsque enfin,
à une ancienne étymologie concordant avec la phonétique et l'histoire
de la langue, il en substitue une autre qui n'a pas le même avantage,
du moins jusqu'à preuve du contraire ; telles sont celles de anaoué,
diskoue\a, cf. Rev. celt., VIII, 34, 35; XIX, 199; anoiied, ansaô,
Gloss., 3o-32; araou\, arvest, benndk, libistr ', Me'm. Soc. ling., XI,
92, 93; 107; 327-339; 106; ave'; davéein (cf.. v. fr. avei chemin,
route; aveier, aveer, mettre sur la voie, conduire, yoir Ztschr., II, 5 10);
be{a, mont (conjug.), diyuana, goiilc'her, hôgan, nîch, trichen, Dict.
étym., V. oiiff, aff, diuan (gall. dychwyn se monxo'w), gourcher, lic-
guen I, nigal, ihouchenn ; klei^ 3, klisia, kujen, diel, diribin, hoc'ha,
iski\, stonn, strùbinel, sulbéden, torpe\, treski^, Gloss., 262, 607,
552, 691,' 574, 191, 229, 698, 665, 637, 677, 557 et 717; kraoua-
den, Ztschr., II, boo;jalod, saotr, Ann. de Br., XIV, 556, 558,
559; saragére\, Dict. étym., 374, Gloss., 592.
Je ne veux pas dire, ce qui serait bien ingrat de ma part', que M. H.
I. L'auteur rapproche libistr, boue de gléb mouille; mais l'origine germanique
du mot est confirmée par le normand du Bessin liboudcù, gluant, visqueux (3/t?'m.
Soc. ling., IV, i56), qui rappelle surtout le breton liboudcù, femme sale. L'hypo-
thèse d'un g initial tombé ne peut nullement s'appuyer sur lé^oii : ce mot, où le
Lexique voit un pluriel de gla{, glas, répond au limousin /; laissa, etc., voir Ann.
de Bret., XV, 547, 548.
3. Je n'ai pas tiré ae^en du basque ai^e, mais supposé un emprunt commun au
fr. aise (d'où « rafraîchissement », puis « vent rafraîchissant »). L'art, grullu pour-
rait me faire attribuer, sur l'origine de l'argot grelu blé, une opinion que j"ai com-
battue, R. Celt., XV 360. Sur :jôken, voir Gluss. 628, G29, 63 1.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 22 1
n'ait point cité ceux qui se sont aventurés avant lui sur ce terrain dan-
gereux de l'étymologie bretonne. Bien des fois aussi il a su choisir
judicieusement entre leurs opinions divergentes, et attribuer à cha-
cune ce qu'elle contient de vraisemblance, ou de vérité partielle. Il est
juste d'ajouter que même dans cette portion de son œuvre où il n'était
guère possible qu'il fût original pour le fonds, il a rendu à la science
des services très appréciables, ajoutant à des étymologies connues un
détail important, comme la comparaison de glin avec l'angl. to kneel ;
exposant, en d'autres cas, des vues ingénieuses sur les évolutions
sémantiques probables (malheureusement, en pareille matière le vrai
n'est pas toujours le plus vraisemblable); ou enfin traçant, avec une
sobre élégance, le tableau des affinités qui lient tel mot breton à ses
congénères indo-européens.
Parmi les étymologies qui, autant que j'en puis juger, se produisent
pour la première fois dans ce livre, il n'en manque point qui tiennent
suffisamment compte des lois phonétiques constatées et des conditions
historiques de la langue, pour qu'on doive y voir, au moins, des trou-
vailles très dignes d'attention ; par exemple ; deok de * decavmn d'après
octavum ; ejenn, ags. êad ; hiron, fr. Hiiron ; horden, v. fr. se hoiir-
der ; peiireiâ, h. lat. * perolia pour peloiida ; serc'h = * sterg- -j-
* serk- ; spéô, fr. cépeau (cepiaii, s'piau, serrure de bois, entrave de
bois, dans le Vocab . du Haut-Maine du comte de Montesson) ; strûj^
ang. to stnit, etc. Aussi est-il permis d'affirmer, à l'encontre de la
trop modeste déclaration de l'auteur, p. xiii, que ce volume appren-
dra bien des choses nouvelles, et est propre à mieux qu'à « stimuler
quelques curiosités ou à rafraîchir quelques souvenirs ».
Je ne crois pas cependant que dans ces étymologies nouvelles, don-
nées d'ailleurs souvent pour de simples conjectures, le certain ou le
probable l'emporte sur le reste. Sans essayer d'établir à cet égard une
statistique dont il faudrait justifier trop longuement les bases, je don-
nerai quelques exemples des raisons qu'on peut faire valoir contre
plusieurs de ces explications, qui ne sont pas toujours des moins
remarquables par la science ou l'ingéniosité. Comme l'a dit M . G. Paris
(Af. Soc. Ling. i 291, 292), « en étymologie, si on ne met pas du pre-
mier coup le doigt sur le point juste, on s'égare souvent d'autant plus
qu'on est plus ingénieux et plus érudit ».
Il y a de ces étymologies qui sont incompatibles avec des formes
bretonnes plus anciennes ; ainsi pour crrw^tîii, treiijen, m. br. anuoat,
treungenn ; ou avec des faits phonétiques certains : diboiifa ne se rat-
tache pas à Oî//", ni le van. déouiein à déou (léon.), voir R. Celt. xxi
I 38, i 39 ; ell ne saurait venir de e\el, ni . br. esel., ni liiré paresse de
le:{irek, du m. br. lesir, Gloss. 2>6g, cf. plutôt luro leurre ; lâche, pares-
seux en Limousin, Mistr. ; poitevin lure manie, Lalanne ; ni lurel
bande, ligature (des enfants au maillot) de lisière : c'est le v. fr. lurelle
langes, lorrain id. braie, linge pour envelopper les enfants, voir Ann.
222 REVUE CRITIQUE
deBret., XV, 548, 549. Ou bien l'opposition provient des autres
langues celtiques. Malgré gôr-hesk, qui est dû à une étymologie popu-
laire, hesked tient solidement à l'irl. uescôit, gaél. iieasgaid. L'expli-
cation de lusen 2, premier lait d'une vache par ttjo; se heurte à l'irl.
w«5, tant qu'on n'aura pas trouvé en cette langue des n- prothéti-
ques ; on pourrait sauver cette étymologie en admettant qu'un ancien
irl. *iiSQ. subi l'influence analogique de nûadh nouveau.
Souvent la difficulté est de savoir à quel idiome demander la clef de
certains mots bretons : au breton lui-même, ou à ses congénères cel-
tiques, ou à quelque parent plus éloigné? ou bien faut-il admettre un
emprunt au latin, au germain, au français? Et lors même que le cher-
cheur a la chance d'être sur la bonne voie, il y est encore harcelé par
maintes questions accessoires d'étymologie populaire et de contami-
nation analogique, capables de tenir en échec les lois phonétiques les
plus sûres.
L'analyse des formations bretonnes ne paraît pas toujours heureuse.
Pérdk^ m. hr. perac, doit être abrégé âeperac abec pour quelle cause,
perac tra pour quelle chose. Padal {pa-dal, deGoësbriand, Fables 20,
bas van. pedal Bar\. Br. 344) = pa dal « quand il vaut », d'où « cela
étant », « bien que cela soit », cf. m. br. nedel bichanoch « quominus».
Pempii, quintefeuille, m. hw pempes= pemp \b)is cinq doigts. DiroII,
m. br. dyrolU vient de roll ; moulbenni depenn. Moucha couvrir le
visage a été extrait de mouchouer mouchoir pris au sens de « bandeau
pour les yeux », comme au jeu de colin-maillard. Forc'hein sevrer
vient de difoi'hein séparer, Gloss.^ 166; je crois que ranvel sersin
[R. Celt. IV i65) vient de même de diranva égrener, = v. fr. deramer
déchirer, démembrer, ital. diramare éhrsLUchQv. Dorlôi doit être anté-
rieur à l'armoricain, cf. Ztschr. 11 40 1 . Jàtôrel goitre n'est pas un com-
posé breton, mais vient de * joterel = poitevin jotteriaux gonflement
des amygdales, Lai. ; bas-angoumoisinjô^rd oreillons, Rousselot, Les
modificat. phonét. du lang. 405. L'explication de torlosken par « brû-
lure du ventre » a contre elle cette observation de D. Le Pelletier, que
les Bretons « ne connoissent point la punaise domestique, mais seu-
lement la champêtre » (cf. Rev. Celt. m 236 ; Ann. de Br. xiv 532-534).
— Ar ne peut être l'article dans armerc'h (cf. gall. annerthu) ; dar-
grei\ [kreii est masc). Dianvéai est un doublet de diavéa:{, et klei-
\en I de dlei^en. Ce n'est pas au franc, qu'est due l'addition d'un r
dans lorbein, voir Ann. de Br. xiv 548. Butum vient de butun, cf.
fortumm fortune l'A.; etc.
Sur la finale de béôtei, berje{, voir i?. Celt. vi 389; sur celle de
biorc'h, ibid. xvii 234, 235 ; Gloss. 36-; il faut, je crois, ajouter lan-
dourclien, en petit Tréguier « femme de grande taille et indolente »,
qui se rattache au fr. lendore, cf. Kpj—xoix vi 3 i . Patcled bavette n'est
pas un dérivé breton de patte mais un emprunt au v. fr. patelette
petite patte; bande d'étoffe. Kava\a insulter, tiré du m. br. cavall (lis.
d'histoire et de littérature 2 23
canal) roussin, vient du v. fr. caviller plaisanter, railler; langued.
caviha, cavilha chicaner, critiquer ; agacer, railler.
Hinnôa (forme douteuse), ou plutôt hinnôal braire ne vient pas de
hinnire. Le Nomenclator de i633 donne, p. 2x5, hinnoal^ ober hin~
-no, litt. « braire, faire hi-han » ; le P. Grégoire hinnoal part, hinnoët
id., hinnod action de braire, hinnôd m. Le Gon. ; celui-ci voit là,
avec raison, une onomatopée. Cf. anc. fr. hin Iian, portug. en â ! enô !
(Rolland, Faune pop.), allem. y-a, d'où le werhe yanen.
Kefiniant, expliqué par le latin, est plutôt celtique, cf. Gloss. bij\
de même oglen.cï. van. aiigleenn et aiiguenn rutoir Gr., voir Gloss.
200, 201. Mi:^ 2, m. br. mis, est le fr. mise. Sourin, regardé comme
celtique, est sans doute le v. fr. soiilin, solin, sollin rez-de-chaussée,
etc., picard seulin poutre, solive, fr. solin intervalle entre les solives.
De même pour tarval (goujon, cheville de bois qui joint les jantes
d'une roue, Gr.), du v. fr. tarevelle tarîère, taravelle outil de forge-
ron, cf. langued. taravello, dauph. tarvello billot, bâton court pour
tourner le moulinet d'une charrette. Sur mell 2, cf. Gloss. 402.
Des étymologies populaires paraissent admises beaucoup trop faci-
lement ; entre autres v. dislévi, édrô, raoulin (note), foeltr (cf. R.
celt., XIX, 324). Palouer brosse est une variante de parouër « paroir,
boutoir », « plane », Gr., du h. paroir (« lame pour gratter les pièces
à étamer », Littré) ; cf. poitevin parour m. « espèce de peigne ou de
brosse... dont se servent les tisserands », Lai.
Atersein s'informer, rapporté à adresser, se rattache au v. fr. enter-
cier mettre en main tierce ; séquestrer, saisir; revendiquer, réclamer;
rechercher. Lomber [lombèr lucarne Gr., lomber, loumber Roussel
ms., aussi loiiber, Pel.), mal expliqué également Gloss. 3-3, est le v.
fr. loubier, non traduit par Godefroy, mais toujours usité en ce sens
à Poitiers (cf. ab. Lalanne, Gloss. du pat. poit., 1868). Loakr
louche, m. br. loacr, loagr, doit tenir au toulousain lugre id. ; pitoul
friand au lim. pitouei, dauph. pitouel, gascon putoï, petoï putois;
terme d'injure (bordelais pitoch, petouch, cf. bret. pitouch drôle de
corps, Gloss. 493). Sivellen surfaix est le v. fr. civelle, bande de cuir,
sangle, cf. Gloss. 667 ; tatina railler, le v. fr. tatiner tâter, presser
légèrement; tripoter, battre, norm. id. bavarder, chuchoter, dauph.
tatin coup, etc. ; tinel, tente, le fr. tinel salle basse où les domestiques
mangent dans une grande maison, Lit. ; langued. tinèl cuvier; réfec-
toire d'un couvent ; en Guienne, préparation du repas, Mistr. ; tint
étai, chantier, le langued. tind, tindou, tenon, id. ; à vagane'ein s'éva-
nouir, comparez prov. vaganàri coureur de champs, v. fr. vagant
errant, inconstant; s. m. vagabond, débauché; valgoriein balbutier
= * vagori-, angl. vagary caprice, fantaisie, anciennement to vagarie
errer, cf. v. fr. vagarant\ vagabonds, angl. vagrants, l'addition de /
est amenée par Vr suivant (cf. la seconde partie de mon étude sur
V Epenthèse des liquides en breton., dans les Annales de Bretagne).
2 24 REVUE CRITIQUE
Mais il est temps de conclure. Tout en témoignant de louables
efforts, le Lexique est venu trop tôt pour pouvoir être une œuvre
définitive dans son ensemble. Elle ne l'est que pour certaines parties.
J'aurais pu insister davantage sur celles-ci, dont ne manquera de tenir
compte aucun travail sérieux sur la même matière; le nom de l'auteur
Jouit, à bon droit, d'une si haute autorité, en des domaines linguis-
tiques voisins, que j'ai cru plus utile aux progrès de la science de
signaler surtout les points les plus faibles d'un ouvrage estimable par
lui-même, et attachant aussi par les conditions où il s'est produit.
M. H. a déclaré d'avance, p. ix, que ni l'indulgence ni « la juste sévé-
rité » de la critique ne sauraient intîuer sur la direction ultérieure de
ses études ; s'étant fait de la Bretagne une autre petite patrie, il a
voulu lui payer sa dette d'affection, mais il croit le moment venu de
retourner au dialecte alsacien de sa terre natale. Il est à souhaiter que
cette seconde tâche patriotique, dont aucun Français ne sera tenté de
le distraire, ne lui fasse pourtant pas perdre entièrement de vue la
première ; et que plus tard il veuille bien à son tour critiquer ici-
même l'ouvrage qui, suivant la voie tracée par lui, viendra prochaine-
ment, je l'espère, faire concurrence à son Lexique.
Emile Ernault.
Deutsche Wirtschaftsgeschichte in den letzten Jahrhunderten des Mittelal-
ters von D' Karl Theodor von Inama-Sternegg. Band I. Leipzig, Duncker u. Hum
blet, 1899, XIII, 454 p. 8» Prix : i5 fr.
L'histoire économique de l'Allemagne pendant les derniers siècles
du moyen âge forme le troisième volume du grand ouvrage consacré
par M. de Inama-Sternegg, professeur honoraire à l'Université de
Vienne, à l'histoire du développement économique du Saint-Empire
romain depuis ses origines. A vrai dire, l'auteur remonte bien plus
haut encore, car le tome! delà Deutsche Wirtschaftsgeschichte débute
par le tableau des temps primitifs de l'antique Germanie. Esquissant
d'abord à grands traits des tableaux sommaires, qui, forcément em-
pruntent à la conjecture et à l'hypothèse une partie de leur coloris et
de leurs contours, il aborde un terrain plus propice en entrant dans
l'ère carolingienne où déjà les lois, les coutumes, les traditions, plus
nombreuses et plus fidèlement transmises jusqu'à nous, donnent au
récit des contours plus arrêtés, sans empêcher pourtant que, là encore,
bien des faits ne restent vagues et bien d'autres inconnus. En arrivant
à Tcpoque du moyen âge proprement dit, dans le second volume de
l'ouTragCjle récit, grâce à l'abondance des documents qui se rencontrent
désormais un peu partout, change d'allure; au résumé succinct des
quelques faits généraux, seuls connus, se substitue un tableau riche
en détails, qu'on a peine à maintenir dans le cadre où se pressent les
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 22 D
matériaux qui déjà surabondent. Cependant le développement écono-
mique est encore, à peu près partout, sensiblement le môme. Mais
cette uniformité relative change avec le xu'^ et le xiii* siècle. Dans le
troisième volume, qui nous retrace le situation économique de l'Em-
pire dans la seconde moitié du moyen âge, le narrateur voit sa tâche
se compliquer par le développement de plus en plus divergent des
divers territoires, et par le fait que la quantité des documents inédits
ou déjà publiés, cartulaires, urbaires, cadastres, rotules colongers,
édits territoriaux, règlements municipaux, etc. est si considérable
qu'on ne peut qu'y faire un choix, lequel risquera toujours d'être trop
individuel et par là même incomplet.
M. de I. S. a divisé cette première moitié de son troisième volume
— la seconde suivra bientôt — en quatre chapitres. Le premier nous
présente, pour ainsi dire, la carte économique de l'Allemagne d'alors
et la statistique, très approximative s'entend, de sa^population ; il nous
montre cette dernière continuant sa grande évolution migratoire vers
l'est et le nord-est, alors qu'au sud elle est terminée dès le xii« siècle.
Vers la Prusse, vers la Pologne, vers la Hongrie même, l'expansion
colonisatrice continue, si bien qu'il se fonde encore 400 villes au
xiii« siècle et 3oo au siècle suivant '. Le second chapitre nous rappelle
rapidement les modifications diverses qui se sont produites dans les
différentes couches sociales durant la première moitié du moyen âge.
Là aussi le mouvement s'est, dirais-je volontiers, cristallisé vers la fin
du XII' siècle. La société du moyen âge est désormais immuable dans
sa dure et hautaine hiérarchie, qui va du puissant seigneur territorial
au pauvre paysan taillable et corvéable à merci. L'auteur appuie, à
bon droit, sur cette dégradation matérielle et morale des populations
agricoles, qui après avoir vu au xiii« et auxiv« siècle, une amélioration
notable de leur sort, sont au xv^ victimes d'exactions croissantes, aux-
quelles elles commencent à répondre par de nombreuses jacqueries.
Si le paysan décline, la bourgeoisie des villes se forme et s'élève, cons-
tituant une puissance économique nouvelle. Nous étudions leur
constitution économique et politique, les groupes bientôt hostiles des
bourgeois de la cité, patriciens et gens des métiers, l'initiation des
villes à la vie politique, leur importance financière croissante etc.
Letroisième chapitre est consacré tout entierà la propriété foncière ;
l'auteur nous montre comment elle se partage et comment elle est
administrée. Une série de paragraphes nous parlent des domaines de
l'Empire, dont de faibles débris existent seuls encore au xiv<: siècle;
des possessions des grands seigneurs territoriaux, d'étendue fort iné-
gale ; des terres appartenant aux évêques et au clergé régulier, en dimi-
I. Au xv"^ siècle, c'est à peine s'il vient s'y ajouter encore une centaine de fonda-
tions nouvelles. Seulement il ne faut pas oublier que beaucoup de ces villes res-
tèrent insignifiantes. M. de I. -S. estime que l'immense majorité d'entre elles ne dé-
passe guère 1, 200-1, 5oo âmes.
2 20 REVUE CRITIQUE
nution notable vers la rin du moyen âge ; de celles qui sont entre les
mains de la petite noblesse, et dont le nombre augmente par contre,
tant au dépens des grands territoires qu'à ceux des paysans. L'auteur
étudie aussi bien les possessions urbaines, banlieue, forêts etc. ; que la
propriété des classes agricoles, de nature si variée, appartenant tantôt à
l'individu isolé, tantôt exploitée par l'activité commune et qui, sous les
noms les plus divers, est de plus en plus chargée par les pouvoirs
civils et religieux.
Le quatrième chapitre enfin traite de la production du sol et de la
façon dont s'en partagent les revenus. M. de L S. y traite, entre autres
des rapports entre les seigneurs et les serfs, les propriétaires et les
fermiers; il expose l'exploitation des champs, des vignobles, des
forêts, les procédés agricoles, l'élève du bétail; il nous dit ce qu'on
peut savoir d'à peu près certain sur l'organisation des salaires — ce
n'est pas encore grand chose — et montre une fois de plus, quel far-
deau croissant les dîmes, les rentes, les impôts, les corvées (qui
s'étendent finalement Jusqu'au service militaire) imposent aux popula-
tions rurales, vers la fin du moyen âge.
Le livre de M. de Inama-Sternegg n'est pas précisément d'une lec-
ture facile ; bien qu'écrit avec une lucidité parfaite de style, il parti-
cipe forcément de la sécheresse qu'un lecteur un peu superficiel
reprochera toujours à un traité de droit et d'économie politique, et
c'est bien un traité de ce genre que l'auteur a voulu écrire, et non pas
une histoire de la civilisation allemande au moyen âge. On pourrait
désirer sans doute qu'il eût égayé çà et là l'austérité de ses déductions
juridiques et de ses tableaux statistiques par quelque trait de mœurs
emprunté à ses sources, par quelques détails plus vivants s'appliquant
à des localités précises et définies et non pas seulement à des catégories
abstraites. Mais à cela l'on peut répondre qu'on ne lit pas un ouvrage
pareil pour s'amuser et que sa belle et sévère ordonnance est précisé-
ment l'un de ses grands mérites. Souhaitons seulement que l'auteur
avance dorénavant un peu plus vite; une pareille histoire économique
de l'Allemagne pour le xvi^ et le xvii^ siècle est un desideratum si
impérieux de la science actuelle qu'il faut insister auprès du savant le
plus capable de nous la fournir, pour qu'il ne nous la fasse pas
attendre trop longtemps '.
R.
I. N'oublions pas de mentionner les 22 appendices de notre volume qui nous
fournissent des données statistiques sur la population urbaine de l'Allemagne au
moyen âge, sur les impôts payés dans certaines villes au xiii* siècle, sur les reve-
nus de quelques couvents de Bavière et de Westphalie, sur les tarifs d'ouvriers
agricoles payés dans l'Allemagne du Sud et en Saxe au xv<= siècle, etc. — J'ignore
quelles peuvent être les deux villes de France, mentionnées avec Paris et Troyes
comme étant visitées par les négociants de Constance auxiii* siècle (p. 17); l'auteur
les appelle Prufis et Laeni. Serait-ce Provins et Lagny ?
d'histoire et de littérature 227
Raoul Chélard, La civilisation française dans le développement de l'Alle-
magne (moyen âge). Paris, Société du Mercure de France, 1900, 358 p. in-8".
Prix : 7 fr. 5o.
C'est un livre intéressant que celui de M. Chélard, par cela même
qu'il n'est pas écrit par un savant de cabinet, mais par un homme qui,
évidemment a vu pas mal de pays, a voyagé souvent et résidé, soit en
Allemagne, soit en Autriche, en observant les hommes et les choses,
et qui d'ailleurs a l'esprit ouvert, à la façon de l'éminent et regretté
Léon Sav, auquel notre ouvrage est dédié. Son volume est écrit avec
une certaine verve, et si la science y est parfois un peu sujette à cau-
tion, lui venant de seconde ou de troisième main, ses convictions sont
absolument sincères et l'on n'y trouve aucune trace de ce chauvinisme
méprisant et vulgaire qui aurait pu facilement se glisser et même
s'étaler dans un sujet de ce genre. M. C. professe une estime sérieuse
pour les races germaniques; il reconnaît que c'est le sang germain qui
a « reconstitué » la société ; sans lui, dit-il, le vieux monde eut infail-
liblement péri, « avant tout, et y compris, la Gaule ».
Avec tous ces mérites je ne suis pas bien sûr que ce tableau de la
civilisation française et de son développement en Allemagne, plaira
beaucoup dans les cercles d'outre-Rhin. Personne, assurément, n'y
conteste, parmi les auteurs sérieux, la part considérable d'influence
que la civilisation occidentale a exercée pendant des siècles sur la Ger-
manie barbare du moyen âge, mais on n'est pas habitué à la désigner
du mot, absolument inexact avant le x^ siècle, de civilisation /;•««-
caise ; on n'est surtout pas disposé peut-être à s'entendre répéter, avec
une conviction, fort éloquente si l'on veut, mais un peu énervante
aussi, à force d'insister, que tout ce qu'on a pensé, fait et chanté n'est
qu'un écho de l'action et de la pensée voisines, qu'on fut une annexe
sauvage, un hinterland (le mot y est) de la France mérovingienne et
carolingienne, et qu'après '(l'exotisme othonien », il fallut attendre
que la France fut capable de développer une nouvelle activité céré-
brale, pour que l'Allemagne, elle aussi, put sortir de « la matérialité
bestiale » qui l'avait envahie tout entière.
Nous n'aurions pas à nous préoccuper ici de cette disposition de
certains lecteurs si, pour le fond, nous étions entièrement d'accord
avec l'auteur ; mais la vérité incontestable de sa thèse, restreinte pru-
demment dans certaines limites, n'empêche pas qu'on ne sente, dans
la façon outrancière dont il la déduit, une exagération manifeste, dan-
gereuse même pour la cause qu'il défend. Cette exagération, je la
trouve en premier lieu dans le titre même du livre, et je m'en expli-
querai tout d'abord. « Nul esprit cultivé n'ignore que la France a
rendu d'énormes services à la civilisation du monde entier. » C'est le
début de l'ouvrage de M . Ch. et nul, je pense, ne refusera d'y sous-
crire. Mais ce que nul esprit cultivé ne peut ignorer davantage, c'est
que toutes les nations tant soit peu civilisées qui ont successivement
2 28 REVUE CRITIQUE
dominé sur notre globe ont transmis à des races encore incultes cette
civilisation qui se modifie sans cesse. Les Grecs n'ont été que les
héritiers de l'Egypte et de l'Asie; ils ont été les maîtres de Rome, et
ce que nous avons donné à l'Allemagne du moyen âge, c'est un bien
faible reflet de la civilisation antique, ravivé par le flambeau nouveau
du christianisme, qui nous venait également, tout entier, du dehors.
Depuis nous avons reçu nous-mêmes de l'Italie du xv« siècle le culte
et la révélation de Part; de FAllemagne du xv^ siècle, le plus puissant
engin de la culture intellectuelle, l'imprimerie ; de l'Angleterre du
xvii" et du xvin« siècle, les formes de notre vie politique, encore bien
peu développée; nous devenons, en ce moment même, de plus en
plus tributaires de l'Allemagne contemporaine et même de l'Amé-
rique, pour notre industrie et notre sustentation matérielle. Il y a
donc une circulation continuelle de services reçus et rendus de
peuples à peuples et il serait absurde de revendiquer pour aucune na-
tion du globe une espèce de primauté perpéiuelle vis à vis des autres,
en fait de civilisation. Il n'est pas permis davantage, je crois, à l'his-
torien, pour peu qu'il se pique d'exactitude, d'attribuer à la civilisation
d'aucune d'elles une originalité telle que les nations étrangères n'en
seraient qu'un pâle reflet, alors que pourtant cette civilisation, spé-
ciale à chacune d'elles, se compose d'apports inégalement em-
pruntés aux époques les plus reculées et aux régions les plus loin-
taines.
Mais si l'on n'a pas le droit, au point de v.ue de la philosophie géné-
rale de l'histoire, de mettre uniquement à l'actif de. la France, tous les
éléments de civilisation, transmis à travers ses frontières, à la Germa-
nie orientale, on a moins encore le droit de parler d'une civilisation
française, dans ces quatre ou cinq premiers siècles du moyen âge, où
la France, et tout ce qui la constitue comme entité nationale, n'exis-
tait pas encore. Il n'y a pas de France sous les chefs mérovingiens ;
il n'y a pas de France, sous ceux que M. G. appelle, Dieu sait pour-
quoi, « les Carolins »; il y a un empire franc, dont les meneurs sont
essentiellement germains, et la civilisation, très relative d'ailleurs,
qu'ils transmettent à leurs compatriotes d'outre-Rhin est romano-
chrétienne et n'a rien de spécifiquement/"r^;jç<ï/5 '. Ce n'est que sous
la troisième race que naît enfin la conscience d'une nationalité nou-
velle et encore le grand mouvement des croisades, mouvement reli-
gieux et cosmopolite s'il en fût, doit-il intervenir pour mélanger les
peuples, rapprocher entre elles les hautes couches sociales de chacun
1 . Pour prendre un exemple bien frappant dans l'histoire contemporaine, vien-
drait-il à l'idée d'un historien de prétendre que le prodigieux bouleversement du
Japon qui s'est produit sous nos yeux, est le fruit d'une civilisation anglaise, fran-
çaise ou américaine? Elle est le résultat de l'importation de la civilisation eiéro-
pc'enne, c'est-à-dire de l'ensemble des idées et des inventions modernes qui cons-
tituent \e fond commun des nations à la tin du xix' siècle.
d'histoire et de littérature 229
d'entre eux et créer cette société chevaleresque du second moyen âge,
qui se développe en effet tout d'abord en France et de là fait la con-
quête de l'Europe tout entière et notamment aussi de l'Allemagne
impériale et chrétienne. A partir de ce moment, mais de ce moment
seulement on peut parler à bon droit de l'influence de la civilisation
française sur l'Allemagne.
En résumant ainsi, d'une façon forcément écourtée, notre manière
de voir sur la matière traitée par M. Chélard, nous avons indiqué
d'avance sur quels points nous nous séparons de lui et sur quels points
nous sommes d'accord. Des trois livres de son ouvrage le premier
traite de la période mérovingienne, le second de la période carolin-
gienne, le troisième enfin de la période capétienne. Nous ne songeons
pas à nier que dans les deux premières, une puissante influence civili-
satrice ne se soit fait sentir sur les peuplades germaniques des deux
côtés du Rhin, toujours plus forte à travers les siècles, toujours en
marche de l'occident vers l'orient. Mais, dans les premiers siècles,
cette influence est purement ecclésiastique. Elle s'exerce par l'entre-
mise de missionnaires, nullement français pour la plupart, mais irlan-
dais et anglo-saxons, et quand l'auteur, pour répondre à cette objection
qui ne laisse pas d'être embarrassante pour sa thèse, nous affirme que
ces moines furent « une espèce de légion étrangère ecclésiastique, au
service des rois francs », il se met en opposition flagrante — pour les
premiers siècles du moins — avec les faits historiques. C'est en fuyant
la cour et la sphère d'influence des rois d'Austrasie, c'est en oppo-
sition avec l'épiscopat franc, que les grands missionnaires du vi'' et
vu* siècle, ont pénétré dans les solitudes des Vosges et de la Forêt
Noire ; si plus tard ils ont été englobés dans la hiérarchie de l'empire
franc, cela n'a pas été sans une sourde mais tenace résistance, et il
fallut l'énergie des Pépin le Bref et des Charlemagne, l'habileté de
S. Boniface, l'appui du Saint-Siège dont l'influence s'accentue déplus
en plus, pour faire de ces légionnaires une milice momentanément
obéissante au pouvoir séculier de cette dynastie, foncièrement germa-
nique d'ailleurs '. Quand M. Ch. écrit que « Boniface a su mettre la
clef de voûte à l'œuvre de la civilisation allemande, depuis longtemps
préparée par la France », il commet un double anachronisme; S. Boni-
face n'avait cure de la civilisation ; ce qu'il a voulu, ce qu'il a fait,
c'est donner la Germanie chrétienne mais hiérarchiquement indé-
pendante, à la papauté et la France n'a rien pu préparer de semblable,
pour la simple raison qu'elle n'existait pas à ce moment.
Plus tard, sans doute, bien plus tard, l'influence française fut for-
I . M. Ch. n'a pas, ce me semble, une idée bien nette de l'activité de ces moines
missionnaires, qui parcouraient la Germanie « animes d'un profond mépris pour
les langues tudesques » ; s'iniagincrait-il par hasard qu'ils prêchaient aux païens
de Frise ou de Saxe en langue romane vulgaire ou en latin ?
2 3o REVUE CRITIQUE
tement marquée par toute rAllemagne, celle du sud et môme celle du
nord ; après les premières croisades, la réforme monastique de Cluny,
Tépanouissement de la chevalerie, la prépondérance de la littérature
épique française, donnent un cachet exotique particulier aux classes
dominantes du Saint-Empire romain germanique. Mais là encore,
l'auteur gâte l'effet de ses démonstrations par l'exagération manifeste
qu'il donne à certaines vérités. Qu'on lise par exemple ce qu'il dit
(p. 258-268) de l'action exercée par les religieux de Cluny : « L'Alle-
magne enfoncée dans un chaos d'idées mal assises, se montra réfrac-
taire, malgré les assauts furieux que la jeune communauté réformatrice,
dans sa fièvre d'expansion, livrait à l'esprit germanique... Par un coup
de génie les Pères vinrent résoudre le problème ; Cluny se mit, pour
ainsi dire, dans une peau allemande, et, sous cet avatar, put traverser
triomphalement les forets de Germanie... Par tous les pores... le
corps germanique pouvait ainsi s'imprégner du génie français \ .. .
Pas un hameau, pas une forêt où, soit des moines français, soit des
moines allemands, sujets des maisons françaises, n'élevassent un cou-
vent comme un monument à la gloire de la France... . En parcourant
les chroniques allemandes de l'époque, à chaque instant, le nom de la
France est relevé, souligné, comme quelque chose de supérieur.. »
Quel dommage qu'aucun des passages si curieux de toutes ces chro-
niques ne soit cité dans une note! Comme on aurait étonné l'excellent
diplomate-évêque, Othon de Freising, en lui apprenant qu'il « répan-
dait à pleines mains l'esprit et le génie français » et que son collègue
dans l'épiscopat, Everard de Bamberg, et tant d'autres, étaient de
zélés « propagateurs des idées françaises en Germanie » ! Aussi « leur
manière de penser détonnait-elle sur le fond de Tintellectualité alle-
mande », ce qui ne laisse pas d'étonner un peu puisque l'auteur affir-
mait plus haut que les évêques et les abbés allemands du moyen-âge,
étaient la plupart du temps, soit Français d'origine, soit élevés en
France.
La même exagération se retrouve dans le tableau de la société
chevaleresque du moyen âge. Admettons encore « que dès la fin du
XIII* siècle tout Allemand qui se respecte singe les Français » ; admet-
tons qu'il « n'est guère de château de quelque rang qui ne renferme
son instituteur et son institutrice français », mais protestons tout au
moins quand on nous affirme, confondant sans doute le xiii^ et le
xviii* siècle, qu'au temps de Philippe de Souabe et de l'empereur Fré-
déric II, « les châteaux allemands regorgent de.... cuisiniers et de
coiffeurs français. » Demandons aussi quelque preuve tout au moins
de l'assertion que la " gallomanie » se répandit alors « dans la classe
moyenne et même dans le bas peuple . »
Il y aurait encore mainte observation de détail à présenter, par
I . C'est nous qui soulignons.
d'histoire et de littérature 23 I
exemple sur le lableau de la littérature allemande au moyen âge; on
pourrait être tenté de défendre la pauvre nonne Hrotsuit d'avoir écrit
« des drames fort lestes », alors qu'elle croyait naïvement avoir écrit des
pièces morales- pour l'édification des pensionnaires de son couvent;
on pourrait exprimer un léger doute sur l'existence de ce « réseau
d'écoles « dont le clergé des Gaules avait couvert le pays » et qui
étaient de '< véritables écoles primaires » etc. Mais nous ne voulons
pas avoir l'air de chercher chicane à l'auteur sur des points d'aussi peu
d'importance en définitive. Ce que nous aurions désiré aussi, c'est,
de lui voir consacrer un peu plus de temps à la révision de son style.
Le volume de M. Ch. est écrit, nous l'avons dit, d'une plume alerte
et déliée, mais un peu négligente parfois. Nous signalerons comme
exemple cette « première église de Hambourg sacrée par ordre de
Charles » ;'p. 204) ; nous n'aimons guère « une vie intellectuelle refé-
condée .) .'p. 430) et nous ne comprenons pas bien ce que faisait Théo-
dulf quand, il s'occupait à « réinstituer quantité de vieux manuscrits »
(p. 1 82). Nous comprenons moins bien encore une métaphore, comme
celle de la p. 27, où les évèchés et abbayes d'outre Rhin deviennent
(^ des pores par lesquelles le corps germanique aspirait la vieille civili-
sation latine.... que la société gallo-franque lui avait, pour ainsi dire,
mâchée. . .. » '.
Nous avons parlé plus longuement de cet ouvrage, d'abord parce
que le sujet en lui-même est intéressant, que l'auteur a pris quelque
peine à en réunir les éléments épars et qu'il l'a rédigé avec une entière
bonne foi et sans intentions « tendencieuses » comme disent les cri-
tiques allemands; mais nous avons voulu montrer aussi, nous
l'avouons, en soulignant ses défauts, combien l'exagération, même très
sincère, d'une thèse fort juste dans certaines limites, peut faire de tort
au but poursuivi en provoquant des protestations légitimes et peut-
être plus tard des exagérations en sens contraire. Nous souhaitons
vivement qu'il évite cet écueil dans son second volume '.
R.
1. 11 aurait aussi été fort désirable que l'auteur adopte un système d'ortho-
graphe fixe pour les noms propres, au lieu de mélanger les formes germaniques,
latines et françaises modernes presque à chaque page.
2. Nous joignons ici une petite liste de corrigenda, notés au cours de notre lec-
ture et qu'il serait facile de doubler:
P. 25, lire Loeher au lieu de Hoelier. — P. 119 lire Schiittem, Xemviller, Sarre-
bourg au lieu de Schutteu. Xeuvillcrs, Saarbiirg. — P. 198, lire la Lamvcrs au lieu
de Lainvers. — P. 216, 1. Xova au lieu de Xitova. — P. 217, 1. Saint-Vit au lieu de
Saint-Veit. — P. 228. un même personnage s'appelle Titiilon et Tutilon à. la page
suivante. — P. 23 (, lire Jnséplic au lieu deJoseplius. — P. 255, lire Gandersheim au
lieu Gandersheim. — P. 2^2, 1. Blaitbeucrn au lieu de Blaubenern. — P. 2G4, I. Ilfeld.
au Ueu de I If éd.— P. 2S1 ,\.Wencestas au lieu de VVe«^e/.— P. 284. 1. /l"^/u'i7 au lieu
de Autlieii. — P. 287, on voit paraître un Electeur de Bade qui n'existe qu'après
la paix de Lunéville (1801). — P. 3o2, 1. Maricustadt au lieu deMarientsadt. —
P. 3 10, 1. Parcifal et Scliuli;; au lieu de Pacifal et Shult^. — P. 3 18. 1. Hauscn au
lieu de Hansen.
232 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
Der Wortschatz in Luthers, Emsers und Ecks Uebcrsetzungdes « Neuen Testa-
ments. » Ein Beitrag zur Geschichte der neuhochdeutschen Schriftsprache, von
Dt Bernh. Lindmevr. Strasbourg, Trûbner, 1899. In-8", 106 pp. 2 mark 5o.
On sait, par le témoignage d'Eck lui-même, qu'il s'est servi pour
sa traduction de la Bible, parue à Ingolstadt en 153-, de la version
faite avant lui par Emser, qui s'est très souvent inspiré de la traduc-
tion du Nouveau Testament publiée en i522 par Luther. M. Lindmeyr
s'est proposé d'étudier, au point de vue du vocabulaire, les relations
qui existent entre ces trois versions, complétant ainsi les recherches
faites par M. Kluge dans son important ouvrage : Von Luther bis
Lessing '3^ éd. Strasb., 1897). M. L. démontre qu'Eck n'a pas utilisé
l'édition originale d'Emser, mais une des nombreuses réimpressions
de cette œuvre, soit celle qui a été révisée par Dietenberger en 1529,
soit une réédition de cette dernière. M. L. caractérise ensuite : 1° la
traduction d'Emser ; 2° la révision de ce texte faite par Dietenberger,
3° le remaniement d'Eck. 11 recherche pour chacun de ces textes la
cause des modifications apportées au vocabulaire et met ainsi en
lumière les divergences qui, au point de vue de Tusage et du sens des
mots, séparaient l'Allemagne du Nord-Est de l'Allemagne du Sud-
Ouest. A ces études, M. L. a Joint un lexique étendu (p. 34-106) où
sont examinés, le plus souvent avec reproduction du contexte, les
mots qui dans les versions d'Emser et d'Eck diffèrent de ceux qu'a
employés Luther. Le livre de M. Lindmeyr contient d'utiles rensei-
gnements. Il sera bien accueilli de tous ceux qu'intéresse l'histoire
des origines du haut-allemand moderne.
F . Piquet.
Le Propriétaire- Gérant : Ernest LEROUX,
Le Puy, — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 39 — 23 septembre — 1900
Stevenson, Robert Grosseteste. — Claassen, Le paysan suisse au temps de Zwin-
gle. — Polenton, La Catinia, p. Skoarizzi. — L'Aretin, Le pronostic de i534, p.
Luzio. — Brandi, La Renaissance. — Bknrath, Giulia Gonzaga. — Reymond, La
sculpture florentine, IV. — Osgood, La mythologie de Milton. — Saski, Campa-
gde de i8og, II. — Dedem, Mémoires. — Stieve, Etudes et conférences. — Mur-
ray. L'évolution de la lexicographie anglaise. — Lechner, La Haute Engadinc. —
BiGONi, Une carte de i325. — Bauch, Melanchton et l'Universiié de Wittemberg.
La Servikre, Jacques I et Bellarmin. — Pfister, Le journal du libraire nancéen
Nicolas. — Horric de Beaucaire, Instructions aux envoyés français envoyés en
Savoie-Sardaigne. — Guillois, Les bibliothèques de Napoléon. — Clausewitz,
i8i3-i8i4, trad. Thomann. — Tourneux, Table de l'amateur d'autographes et
notice sur Etienne Charavay. — Barroux, Les sources de l'ancien état civil pa-
risien. — Skidkl, Les collections d'art prussiennes.
Francis S. Stevenson. Robert Grosseteste, Bishop of Lincoln Londres. Mac-
miilan 1899. 348 pp. 10 S.
Les Anglais mettent souvent au nombre des précurseurs de la
Réforme, avant Wycliff et les Lollards, Robert Grosseteste, évêque de
Lincoln. M. Stevenson, membre du Parlement d'Angleterre, vient
d'écrire une biographie de ce prélat que nous allons résumer en
quelques lignes. Fils d'un pauvre fermier du Suffolk, Grosseteste étudia
à Oxford, devint chancelier de l'Université puis évêque de Lincoln, et
mourut fort âgé en i523. On l'appela longtemps Saint-Robert de
Lincoln, mais le Saint-Siège ne ratifia jamais cette canonisation popu-
laire. Son contemporain et ami, Roger Bacon, après l'avoir comparé
à Salomon, Aristote et Avicenne, déclare que « personne ne savait
mieux que lui les-sciences à cause de sa longue vie et de son expérience,
autant que de son application et de son zèle. » Il avait appris le grec.
Un rabbin d'Oxford lui enseigna l'hébreu. Les preuves abondent de
l'intérêt qu'il portait au sort des Juifs. Un zélateur, sous la République
(i658), imprima pour la première fois le gros livre que Grosseteste
écrivit pour leur conversion. Il faut ajouter qu'il cherchait d'ailleurs
à les détourner de la pratique de l'usure en leur attribuant des terres,
car la piété chez lui prenait le plus souvent la forme de l'action.
Un instant, il est vrai, la vie monastique le tenta, mais c'était celle
que St François venait d'inaugurer. Il était ascète sans raideur, son
ascétisme ne lui enlevait ni son humour ni son bon sens. Trois choses,
2 34 REVUE CRITIQUE
soutint-il devant un dominicain trop austère, sont nécessaires au salut,
la nourriture, le sommeil, la bonne humeur. A un autre moine de
complexion mélancolique qui lui demandait une pénitence particuliè-
rement rigoureuse, il répondit « buvez une coupe de bon vin ».
Il était énergique. Dans une de ses lettres, il se vante de son « cœur
de fer à l'épreuve des séductions des flatteurs ». Certains chroniqueurs
lui reprochent la brutalité avec laquelle il réprimait le luxe des cou-
vents. Il nous le montre pénétrant dans les cellules, renversant les
couchettes des moines, piétinant avec fureur les joyaux qu'il y trouvait
dissimulés. *
C'est à soixante ans seulement, dès sa tardive élévation à l'épis-
copat, qu'il eut l'occasion de révéler la fougue de son caractère dans
une double lutte engagée contre les deux ennemis de l'Eglise : le Pape
et le Roi. Cette guerre, il ne la commença pas de propos délibéré,
les circonstances l'amenèrent fatalement à la rébellion. Ainsi, tandis
qu'il appelait les Franciscains dans son diocèse, les moines de Can-
torbéry, à l'instigation de l'opulent abbé de Bardney, l'excommu-
niaient. C'est que l'Eglise, comme toute société humaine, se parta-
geait dès ce moment en deux camps ; les Franciscains formaient un
élément démocratique très impopulaire auprès des vieux ordres
monastiques qui se recrutaient parmi les hautes classes.
Un jour le pape enjoignit à Grosseteste par une lettre hautaine
d'admettre au nombre des chanoines de Lincoln son neveu, un cer-
tain Frédéric de Lavagna, incapable du reste d'occuper utilement une
charge ecclésiastique. Grosseteste refusa d'obéir en alléguant que le
pape ne peut rien exiger de contraire à l'Ecriture. « Fiiiater et obedi-
enter non obedio, contradico et rebello ». L'attitude de l'Evêque était
habile ; en assimilant le pape au roi d'Angleterre, incapable en droit
de faire mal, il proclamait l'irresponsabilité du chef de l'Eglise, et
quelle que fut l'issue du conflit, les prérogatives du Saint-Siège res-
taient intactes.
Envers le roi, Grosseteste suivit la même ligne de conduite ; il ne
prêchait l'obéissance au souverain que dans les limites où celui-ci
commandait à ses sujets des choses justes. M. S. examine dans le plus
grand détail le rôle de l'Evêque de Lincoln au concile de Merton (i 236),
au Parlement ( 1 244), où son autorité empêcha la discorde de se mettre
dans le Comité des douze chargé par le Parlement de faire des
remontrances au Roi. A côté de lui siégeait, dans ce même comité,
son ami, le fameux Simon de Montfort. De retour dans son diocèse,
Grosseteste Ht publier dans toutes les chaires une sentence d'excom-
munication contre ceux qui violaient la grande charte.
Il y a donc en germe dans la vie de cet évêque la révolution
politique de l'Angleterre aussi bien que sa réforme religieuse. En
s'autorisant de la parole divine pour désobéir à un ordre du pape, il
annonçait Luther. En s'alliant aux Franciscains contre les ordres aris-
d'histoire et de littérature 2 35
tocratiques, en défendant les libertés anglaises contre le roi, il annon-
çait Cromwell et la démocratique Angleterre du xvii= siècle. Sa vie
fait comprendre aussi le caractère particulier de l'Eglise anglicane.
Il est Jaloux de soustraire l'Eglise à tout contrôle étranger ; sans cher-
cher à innover ni à bouleverser, il veut rester indépendant ; il exerce
une sorte de protectionnisme religieux, et justifie ce que sa conduite
a d'audacieux au moyen de ces ingénieuses fictions juridiques qui sont
encore aujourd'hui le principe du droit constitutionnel anglais.
C'est rendre un hommage insuffisant au livre de M. Stevenson que
de le résumer d'une façon si brève. Il a écrit la biographie définitive
de Robert de Lincoln. Des documents nouveaux qui pourraient jeter
quelque clarté sur les chapitres obscurs de cette vie, n'infirmeront pas
les conclusions de l'historien. Grosseteste est un de ces fils zélés de
l'Eglise qui, par amour pour elle, s'appliquent à réformer les abus,
sans voir qu'en restaurant un édifice antique, on risque souvent de
l'ébranler jusqu'en ses fondements.
Ch. Bastide.
Schweizer Bauerûpolitik im Zeitalter Ulrich Zwinglis von Walter Claassek.
Berlin, Felber, 1S99, xiii, 168 p. in-8". Prix : 6 fr. 25.
Le travail de M. Claassen fait partie de la série des Socialgeschicht-
liche Forschungen que MM. Etienne Bauer et Maurice Hartmann pu-
blient comme supplément à leur Zeitschri/tftir Social=und Wirt/i-
schaftsgeschichte\ c'est un mémoire très fouillé au point de vue tech-
nique, très documenté sur des pièces d'archives de Zurich, relatif à
l'état social des classes rurales de la Suisse allemande, dans le premier
tiers du xvi« siècle '. L'auteur a plus particulièrement recherché quelle
influence la réforme religieuse de cette époque a pu exercer sur la
situation économique des populations et quelles modifications l'on
peut y signaler comme se rapportant à cette influence. S'il a mis en
vedette sur le titre de son volume le nom de Zwingle, c'est qu'en effet
le réformateur de Zurich, homme de gouvernement, s'il en fût, esprit
largement ouvert à toutes les questions sociales du temps, a exercé sur
ses concitoyens une influence s'étendant bien au delà de la sphère pure-
ment morale et religieuse. Même après le beau travail de M. Staehe-
lin, dont nous avons parlé ici, à plusieurs reprises ', il restait à faire
sur ce point des recherches nouvelles, comme la présente étude le
démontre d'une façon péremptoire. Sans doute il ne faudrait pas
1. Nous aurions préféré seulement un titre plus facilement compréhensible que
celui de Bauerupolitik, qui peut induire en erreur, Der sdiwei^erische Daticrn-
stand, p. exemple.
2. Voy. Revue Critique, 1 1 mars i8()5 et 21 mars iSgS.
2 36 REVUE CRITIQUE
croire que Zwingle se soit jamais gcrc en économiste ou qu'il ait sys-
tématiquement travaillé à introduire sur le territoire de Zurich un
ordre de choses économique et politique nouveau. D'autre part, cer-
tains changements qui se sont produits à cette époque se seraient vrai-
semblablement produits même si le réformateur n'avait point existé.
Mais il est néanmoins intéressant de retrouver dans ses discours et
dans ses écrits la preuve de l'importance qu'il attachait à certaines
modifications dans la vie pratique et l'existence matérielle de ses con-
citoyens, alors que d'autres coryphées du mouvement religieux con-
temporain, Luther, par exemple, ont évité, pour autant qu'il leur a
été possible, de franchir les limites du domaine théologique, afin de
ne point paraître usurper sur le pouvoir civil des princes et des
magistrats.
Nous ne saurions entrer ici dans le détail de l'ouvrage de M. Claas-
sen ; on y trouvera de nombreux et précieux renseignements sur la
population rurale de la Suisse allemande d'alors, sur ses habitudes
professionnelles (produits du sol, extension des différentes cultures),
sur la grande et la petite propriété, les biens communaux, le servage,
les charges de la propriété rurale en impôts, dîmes et rentes diverses,
etc. '. Ce travail bourré de chiffres, enrichi de tableaux statistiques
en appendice, n'est pas précisément, je dois le dire, d'une lecture
facile ; mais, comme toutes les monographies sérieusement faites
analogues, il sera très utile à l'historien général du xvi^ siècle, qui
aurait à retracer le tableau de la vie des campagnes et de la société
rurale d'alors, en lui fournissant les données précises pour documen-
ter son tableau ".
R.
Sicco PoLENToN. — La Catinia, le Orazioni e le epistole, cdite cd illustrate da
Arnaldo Segarizzi. — Bergamo, Istituto italiano d'arti grafiche, 1899; 8°, lxxxvh-
i53 pages (7 fr.}.
Pietro Aretino. — Un pronostico satirico (mdxxxiih), cdito cd illustrato da Ales-
1. Nous recommandons à tous ceux qui s'imaginent que la tâche est facile de cal-
culer le prix des choses en monnaie contemporaine et d'établir une échelle chro-
nologique des valeurs, la lecture des p. 141 -146. En voyant toutes les données con-
tradictoires réunies par le consciencieux auteur, pour une période relativement
courte et pour un territoire de médiocre étendue, on comprend qu'il ait déclaré à
peu près insoluble le problème de fixer le pouvoir de l'argent d'une façon tant soit
peu certaine pour le xv" et le xvr siècle.
2. Pour bien comprendre son texte, le lecteur fera bien de se reporter sans cesse
au petit glossaire qui termine le voiomc ; ce dernier renferme en effet, dans les
citations de textes contemporains, une foule d'Iielvctismcs qu'on risquerait fort de
ne pas trouver dans un dictionnaire allemand-français ordinaire. // aura sans doute
aussi quelque peine à se faire aux dénominations locales des mesures de surface
[Juchai-t, etc.) ; peut-être devrait-on s'entendre pour appliquer partout dans la lit-
térature scientifique le système métrique.
d'histoire et de littérature 237
sandro Luzio. — Bergamo, Istituto italiano d'arti grafiche, 1900; 8», xli-i63 pages
(7 fr.).
Ces deux coquets volumes font partie d'une collection qui mérite
d'être sigrialée autant pour sa valeur intrinsèque que pour sa perfec-
tion typographique, la Biblioteca storica délia letteratura italiana.
M. F. Novati, qui la dirige, lui a imprimé le double caractère qui le
distingue lui-même : la rigueur scientifique dans la publication et le
commentaire des textes, et un goût tout aristocratique de distinction
et d'élégance. Ce ne sont pas des ouvrages de vulgarisation, mais plu-
tôt des éditions de luxe destinées à perpétuer des documents et des
textes difficilement accessibles du moyen âge et de la Renaissance.
M. Novati lui-même a inauguré la série de ces publications avec
une Navigatio Sancti Brendani, dans une rédaction vénitienne du
XIV* siècle ; puis sont venues le Rime di Dante da Maiano^ la Storia
di Merlmo, et le Rime di Riistico di Filippo. Les deux volumes que
nous annonçons ci-dessus portent les numéros 5 et 6 de la collection ;
le programme des fascicules suivants et les noms des collaborateurs
que M. Novati a su associer à son œuvre (nous y relevons ceux de
Pio Rajna, Francesco Flamini, Vittorio Rossi, etc.) nous dispensent
de souhaiter bonne chance à la Biblioteca storica ; son succès est dès
maintenant assuré ; ses preuves sont faites.
La Catinia est ce dialogue entre buveurs, écrit dans un latin gros-
sier, que les historiens de la comédie italienne citent infailliblement
parmi les premiers essais dramatiques de la Renaissance, la plupart
d'ailleurs sans l'avoir lu. En réalité, ce n'est pas une comédie au sens
classique du mot, mais un simple délassement d'humaniste en belle
humeur, une farce comme en composaient les clerici vagantes, avec
une certaine intention morale ou plutôt satirique ; elle n'a jamais été
destinée à la représentation. Il faut savoir gré à M. Segarizzi de nous
en donner un texte correct, d'après un manuscrit de la Marcienne, et
surtout d'avoir réuni sur son auteur, le médiocre humaniste trentin
Sicco Polenton (né en l'ijb ou 1376, mort vers 1447), un nombre res-
pectable de documents, grâce auxquels il a pu lui consacrer une
monographie précise et solide.
Après avoir rappelé que l'Arétin, entre autres méthodes d'intimi-
dation dont il usait à l'égard des rois et des princes, lança pendant
plusieurs années des giudi^i, dans lesquels il prédisait, à la manière
des astrologues et dans leur style, les événements de l'année qui
s'ouvrait, M. A. Luzio, auquel on doit déjà tant d'importantes publi-
cations sur l'Arétin, fait connaître le seul spécimen complet, qui nous
soit parvenu de ces giiidi^i satiriques. Le texte nous en a été conservé
dans un ms. delà Bibliothèque Impériale de Vienne (n° i5ii5), sous
ce titre : Pronostico dell' anno MDXXXIIII composto da Pietro A ré-
tine /lagello de Principi et quinte Evangelista. Les quarante pages
238 ftEVUE CRITIQUE
d'introduction et les soixante-dix pages de notes qui accompagnent ce
document d'une audace inouïe, d'une « verve canaille » (ce sont les
termes qu'emploie M. L.), en donnent un commentaire qui ne laisse
rien à désirer, et que complètent encore sept documents inédits publiés
en appendice. Personne n'était plus capable que M. L. d' « illustrer »
avec cette abondance un texte tout rempli d'allusions perfides et
malicieuses. Ce volume est certainement une des contributions les
plus remarquables et les plus instructives que M. Luzio ait publiées
sur l'Aretin et sur son temps; on y trouvera notamment une foule de
renseignements, en partie inédits, sur les relations de l'effronté libel-
liste et de François U% auquel était dédié le pronostic de i534.
Henri Halvette.
Karl Bran'di. Die Renaissance in Florenz und Rom. Acht Vortraege. Leipzig,
B.-G. Teubner, 1900 viii-258 pages (5 m.).
Les huit chapitres dont se compose le livre de M. Brandi sont divi-
sés en deux séries égales : quatre sont consacrés à Florence ou à la
Friihrenaissance {la. fin du moyen âge et Dante; la société florentine
et l'humanisme; les artistes du xv'' siècle; Le principal des Médicis '
et Savonarole), quatre à Rome ou à la Hochrcnaissance (les papes
souverains temporels; Tàge d'or et Raphaël; Michel-Ange; la fin de
la Renaissance). On voit assez par cette simple table des matières que
l'auteur n'a pas prétendu écrire une histoire continue de l'arc ni de la
littérature italienne à l'époque de la Renaissance ; ce sont des études,
des tableaux détachés, présentés dans l'ordre chronologique, et que
relient seulement entre eux les idées générales que l'auteur a sur la
Renaissance. Ces idées, sans prétendre à une grande originalité, ont
le mérite de se fonder sur l'étude consciencieuse des meilleurs
ouvrages relatifs à cette période parus en ces dernières années; M. B.
est fort au courant de la « littérature y: de son sujet. On lui reprochera
d'autant moins les quelques lacunes de son plan et la docilité avec
laquelle il a adopté des idées aujourd'hui assez généralement reçues,
qu'il a voulu visiblement faire œuvre de vulgarisation ; c'est au
grand public qu'il s'adresse et non aux spécialistes; l'aspect même de
son livre, imprimé avec soin et décoré de lettrines, de frontispices et
de culs-de-lampe dans le style renaissance, sans notes encombrant le
bas des pages (elles sont ramassées à la fin du volume), est agréable
et artistique; il sollicite le lecteur, et celui-ci trouve en M. Brandi un
guide aimable, bien informé, et qui se fait écouter volontiers. L'on ne
saurait demander plus à un ouvrage de ce genre. H. H.
I. Le mot Prhtppat applique à l'influence politique des Médicis du xv« siècle,
Connc et Laurent, n'est pas des plus heureux, car ils ne furent nullement des
princes.
d'histoire et de littérature 239
Karl Benrath, Julia Gonzaga ; ein Lebensbild aus der Geschichte der Reformation
in Italien (Schriften des \'ereins fur Reformationsgeschichte, nr, 65). Halle,
Niemeyer, 1900; in-8°, ix-126 pages.
Voici une excellente monographie sur l'une des femmes les plus
célèbres de la Renaissance italienne; Giulia Gonzaga, après avoir
attiré les regards de ses contemporains par sa beauté et le charme de
son esprit, intéresse maintenant les historiens de la Réforme par l'ac-
cueil qu'elle fit aux doctrines nouvelles. Est-ce à dire qu'elle fut
luthérienne? Nullement; elle ne connut guère que les idées de l'esr
pagnol Juan de Valdès sur la rédemption par la mort du Christ et sur
la justification par la foi ; en dehors de ces idées capitales, elle mon-
tra peu d'intérêt pour les questions de discipline ecclésiastique, ce
qui lui permit de rester jusqu'à sa mort catholique de nom; et, reti-
rée en une demie claustration dans un couvent de Naples, soupçon-
née d'hérésie, mais non poursuivie, elle ne se fit pas faute de soutenir
de ses conseils et de sa sympathie ceux que Rome persécutait alors
pour leur foi. N'y a-t-il pas là, entre Giulia Gonzaga et Marguerite
de Navarre, une singulière ressemblance? — On saura gréa M. Ben-
rath d'avoir raconté avec impartialité et en faisant justice de bien des
légendes, la vie de cette femme éminente, et d'avoir fait revivre une
des figures les plus charmantes et les plus pures de la Renaissance.
Henri Halvette.
Marcel Reymond, La sculpture florentine; le xvi« siècle et les successeurs de
Técole florentine, — Florence, Alinari, 1900, in-4''; vni-244 pages.
Avec cette quatrième partie s'achève la vaste publication consacrée
par M. Reymond à l'histoire de la sculpture florentine. On remar-
quera la rapidité avec laquelle se sont succédés ces quatre volumes :
le premier porte la date de 1 897 ; celui-ci a paru au printemps dernier.
Une pareille continuité dans l'effort, de la part de l'auteur et aussi de
la part de l'éditeur, ne s'explique que par la longue et sérieuse prépa-
ration qui précéda la mise en train de l'entreprise. Cette rapidité n'a
dès lors que des avantages : il y a unité parfaite dans l'exécution de
l'œuvre, dans son apparence extérieure comme dans les idées qui y
sont développées. Ce n'est pas là un mince avantage; avec un tour
d'esprit systématique comme celui dont M. R. a fait preuve dans la
conception de son ouvrage, il est toujours à craindre que de trop
longs délais d'un volume à l'autre ne laissent voir des fluctuations, des
changements parfois profonds dans la pensée de l'auteur. Tel n'est pas
le cas ici : la thèse que M. R. a soutenue dès son premier volume est
confirmée et développée par les trois suivants; le critique a sur la
Renaissance en général, et sur la sculpture de cette période, un cer-
240 REVUE CRITIQUE
tain nombre d'idées très nettes sur lesquelles il n'a cesse de revenir
avec insistance, et qui forment un véritable corps de doctrine; lorsque
l'on discutera les idées de M. R. sur cette époque, — ce que l'on ne
saurait manquer de faire — du moins ne pourra-t-on se plaindre qu'il
les ait formulées avec hésitation et sans les pousser jusqu'à leurs
extrCmes conséquences.
Quelles sont ces idées, les lecteurs de cette Revue le savent déjà ; il
est donc inutile de les répéter. Ce qu'il faut dire, c'est combien elles
empêchent peu l'auteur d'être impartial dans l'appréciation des œuvres.
Amené par son sujet à parler de l'époque classique et des artistes qui
ont définitivement rompu avec la tradition charmante des maîtres du
xiv" et du XV* siècle, on pourrait s'attendre à ce que M. R. se montrât
impitoyable pour ces tendances nouvelles et pour les œuvres où elles
s'affirment. Il n'en n'est rien : le chapitre sur Michel-Ange contient
bien quelques critiques sévères, exprimées sans détour ; mais le génie
de cet incomparable artiste y est apprécié et caractérisé avec esprit, et
avec un vif sentiment de ses qualités supérieures; M. R. a même
trouvé des charmes dans les compositions d'un Bandinelli, d'un
Ammanati, d'un Bernin (car le Bernin termine la série des sculpteurs
étudiés : peut-être s'étonnera-t-on de le voir rattaché à l'école floren-
tine ? Mais assurément l'on ne se plaindra pas que M. R. lui ait con-
sacré un chapitre). Lorsque l'on a tant soit peu admiré les créations
d'un Donatelloou d'un Luca délia Robbia, il est difficile de n'être pas
tour à tour affligé et agacé par les œuvres d'un Bernin, et j'imagine
que M, R. a dû éprouver ce sentiment. Mais lorsqu'il s'est mis à étu-
dier de plus près ces œuvres d'un art dégénéré, il lui a été impossible
de ne pas sentir les qualités réelles qui s'y manifestent, fussent-elles
exactement l'opposé des qualités qu'il avait louées ailleurs. Il s'y est
alors attaché ; il a découvert que le Bernin était un grand artiste et
n'a pas craint de le dire. Voilà, chez un critique, un bel exemple de
probité et d'impartialité; c'est que M. Reymond n'a pas jugé en théo-
ricien prisonnier de son système, absolu dans ses idées, mais en
artiste épris du beau sous toutes ses formes.
Un théoricien et un artiste ; voilà bien les deux hommes qui ont
collaboré à cette belle histoire de la sculpture florentine ; et s'il était
possible de les séparer, de préférer l'un sans faire tort à l'autre, le choix
ne serait pas douteux; c'est à l'artiste qu'iraient nos préférences.
Henri Hauvette.
C. G. OsGooD. The classical mythology of Milton's English poems. New.
York, Holt, 1900, in-H", lxxxv-iii pp.
Sous sa forme première de thèse de doctorat, ce livre n'était,
comme on disait autrefois, qu'un « dictionnaire de la fable », indi-
d'histoire et de littérature 241
quant les mythes que Milton emprunte à l'antiquité et les sources
auxquelles il les puise. En publiant sa thèse, l'auteur y ajoute une
préface pleine d'intérêt. Dans Milton, nous dit-il, les mythes antiques
servent à trois fins : introduits sous forme de comparaisons, ils
éclairent et ornent le récit poétique; quelquefois ils font la matière
d'un épisode, Eve découvrant sa beauté dans le miroir des eaux rap-
pelle l'histoire de Narcisse et Circé a transmis à son fils Cornus plus
d'un trait de son caractère ; enfin les descriptions de la nature se
colorent sans cesse de souvenirs classiques. A ce propos M. O. fait
observer que le poète aime aussi à mêler à des réminiscences d'Ho-
mère et d'Hésiode une image empruntée aux Psaumes ou au livre
de Job.
Ici se posaient quelques questions auxquelles M. O. n'a pas cru
devoir répondre : ayant analysé avec soin ces poèmes de jeunesse
dont la pure beauté antique fait songer un peu à Chénier, il a laissé
de côté les épopées. Mais nous voudrions savoir comment le Puri-
tain qu'était Milton a pu sans sacrilège parler de l'Olympe en traitant
de la chute de l'homme ou du dogme de la rédemption. Pourquoi
cite-t-il presque dans un même vers Jupiter et le Christ, Saturne et
Satan? Pourquoi peuple-t-il de dieux païens l'Eden et l'Enfer? Ces
dieux, il est trop convaincu pour les évoquer, afin seulement d'étaler
son savoir ou de laisser tomber le vers sur un nom propre d'une belle
consonance. Pourquoi enfin préfère-t-il, comme M. O. le signale,
les mythes primitifs, les Titans, Saturne, le Chaos? Pourquoi passe-t-
il sous silence des créations purement poétiques, les Grâces, les
Muses, les Amours, ou du moins en modifie-t-il le caractère ? Autant
de problèmes que M. O. n'a pas résolus.
Or, on a l'impression, à la lecture de Milton, que les mythes avaient
pour lui une valeur réelle ; ses dieux sont plus que des machines
épiques, ils existent, et l'homme en ressent encore la fatale puissance.
Au premier livre du Paradis Perdu, le poète s'explique très nettement,
en dénombrant les forces sataniques. Une multitude de démons, ano-
nymes, deviendront les idoles du monde païen ; non seulement
Moloch et Astarté, Isis et Osiris, sont des anges déchus, mais les
« dieux ioniens », et le forgeron infernal qui élève le Pandemonium
s'appellera plus tard Vulcain ou Mulciber (v. 740 sq.) '.
Pour expliquer cette conception de la mythologie, il faudrait con-
naître en détail les croyances religieuses en Angleterre au xvii" siècle.
M. O. a sans doute cru que l'examen de cette question sortait des
limites d'une préface de pure analyse littéraire. Bornons-nous à indi-
I. D'après certains passages que cite M. Osgood, Milton, comme Bacon {Sagesse
des Anciens), aurait prêté aux mythes un sens allégorique. S'il doute quelquefois
de leur vérité littérale, c'est, croyons-nous, que pour lui les Grecs ont emprunté
aux Hébreux leurs mythes en les altérant (Par. Reconq., 4, 339), ^'<>^ sa prédi-
lection pour les mythes primitifs»
2^i REVUE CRITIQUE
quer le sens dans lequel on pourrait chercher la solution du problème.
On sait que l'idée de voir des démons dans les divinités païennes
date des premiers siècles du christianisme. Ce sont les Pères qui l'ont
développée. Elle persista pendant tout le moyen âge et au-delà de la
Renaissance. Les passions religieuses l'exploitaient, témoin le passage
où Burton, ayant déclaré que « les dieux des Gentils sont des
démons », ajoute « les papistes les honorent présentement sous le
"nom de saints » [Anatomy of Meîancholy. I, 2, 1. i [1622]).
La crédulité des Anglais au xvii^ siècle aide à comprendre ces
étranges opinions. Des esprits vigoureux, habitués par devoir profes-
sionnel à se prémunir contre l'imposture, se laissent guider par des
croyances qu'on retrouverait difficilement de nos jours dans le bas
peuple. On vit paraître comme témoin à charge dans un procès de
sorcellerie présidé par l'intègre et judicieux Matthew Haie, et qui se
termina du reste, par une double condamnation à mort, l'aimable au-
teur de Religio Medici, Sir Thomas Erowne' [Lecky, Ration, en Eu-
rope, vol. I, ch. i). Pour confondre ceux qui nient la résurrection,
deux théologiens hardis, précurseurs du rationalisme moderne, Glan-
vill et More, citent des histoires d'apparitions. Un esprit fort comme
Hobbes, tout en niant la réalité des fantômes, avait, dit-on, peur de
l'obscurité. Le i 5 juin i663, il se passa une scène curieuse à un dîner
officiel auquel assistait, en sa qualité de haut fonctionnaire, le fameux
Pepys. Comme les convives, grands seigneurs pour la plupart et dis-
posés au libertinage d'esprit, se demandaient si un démon pouvait
animer le cadavre d'un mort, l'un d'eux, Lord Sandwich, conclut dans
le sens de l'affirmative en racontant une histoire de fantôme.
Le sens historique manquait autant que le sens critique. L'anachro-
nisme s'acceptait. Les canons braqués par les démons sur les cohortes
célestes et dont l'irrévérencieux Voltaire s'est tant moqué, n'ont pas
dû surprendre les Puritains. Pour les contemporains de Cromwell
et de Charles II, toute l'histoire était disposée sur un même plan,
comme la nature pour les naïfs enlumineurs du moyen-âge. Ils ne
songeaient pas à séparer les chefs-d'œuvre de la littérature grecque et
la Bible, si distincts pour un siècle qui a entendu les leçons de M. Re-
nan, Si Thomas Farnaby, par exemple, explique telle forme latine par
des mots hébreux, c'est que la langue dans laquelle il a lu le récit de
la création lui semble naturellement la mère de toutes les autres.
Quelque temps après, le savant Gale croira que l'antiquité doit sa ci-
vilisation à Moïse, et toute l'Europe le croira avec lui. Dès lors, on
comprend que les dieux d'Homère aient été assimilés aux idoles ca-
nanéennes.
Ajouterons-nous que rien dans l'enseignement des Universités ne
pouvait éveiller ni le sens critique, ni le sens historique? A Cambridge,
dit M. Masson (Vie de Milton, Ii, Milton passait son temps à ratioci-
ner sur '( la musique des sphères », « les avantages du jour sur la
d'histoire et de littérature 243
nuit ». Plus tard, quand la philosophie nouvelle aura pénétré à Oxford
et à Cambridge, quand la Société Royale aura commencé ses recher-
ches, après Locke et Newton, après l'action immense exercée par les
réfugiés français , catholiques et protestants, par Saint-Evremond
comme par Bayle, les divinités païennes, reculées dans le lointain des
siècles, cesseront de vivre, les poètes ne verront dans l'Olympe qu'un
magasin de décors et, à la place du gigantesque Pandémonium de
Milton, Pope élèvera un petit théâtre de variétés, où les dieux, en per-
ruque poudrée, viendront soupirer des pastorales ou déclamer la
Boucle de cheveux enlevée.
C'est ainsi que l'illusion est la source la plus féconde de la poésie.
Milton ne doit pas seulement à sa crédulité d'avoir donné aux dieux
de l'antiquité une réalité et une vie singulièrement grandioses et ter-
ribles ; aux fleurs harmonieusement belles que produit, grâce aune
savante culture, le sol de l'Attique, il a mêlé quelques fleurs sauvages
de Judée et de Galilée '.
Ch. Bastide
La campagne de 1809 en Allemagne et en Autriche par le commandant
Saski. (Publication de la section historique de l'Etat-major de l'armée). Tome II.
In-S". 36o p. Avec cartes et tableaux, 1900. Paris, Berger-Levrault. 10 fr.
Ce deuxième volume qui mérite les mêmes éloges que le précédent,
embrasse la première période de la campagne, c'est-à-dire les opéra-
tions poursuivies sous la direction de Berthier jusqu'à l'arrivée de
Napoléon, et les manœuvres par lesquelles l'empereur rétablit les
affaires. On voit d'abord le major-général activer les derniers prépa-
ratifs de guerre et l'intendant-général Daru compléter les services
administratifs des cinq corps principaux qui constituent l'armée
d'Allemagne. Puis commencent les hostilités : Berthier se conforme
tant bien que mal aux instructions générales que l'empereur lui donne
le 3o mars, puis à la lettre qu'il reçoit au soir du i3 avril ; mais il est
embarrassé, il appelle, il réclame Napoléon « pour éviter les ordres et
les contre-ordres » (p. 162), et la situation se trouve bientôt à demi
compromise parce qu'il a fait juste le contraire de ce qu'il fallait faire
(p. 195) lorsque l'empereur arrive» avec la rapidité de l'aigle » (p. 201),
et alors se succèdent les combats : Thann, Abensberg, Landshut,
Eckmùhl, Ratisbonne. Tous les documents français sont réunis dans
cette publication, et outre les ouvrages imprimés, comme les souvenirs
de Lejeune et de Berthezène et le livre de Stutterheim, M. Saski a
consulté non seulement les. archives de la guerre et les archives natio-
nales, mais des archives particulières, celles du comte Gudin, du comte
I. Relevons une faute d'impression qui a échappé à la vigilance de M. Osgood :
XXI, n. 2 ; lisez : 60, pour 86.
244 REVUE CRITIQUE
de Lorencez, des princes d'Essling et d'Eckmùhl. On remarquera sur-
tout parmi ces pièces les rapports des opérations du 3*^ corps, et de la
2^ division (Priant) de ce 3"= corps, la relation de Boudin de Roville
(aide de camp de Saint-Hilaire), le récit d'Eckmuhl par le chef d'esca-
dron wurtembergeois Bismarck, et nombre d'extraits de journaux histo-
riques. Nous regrettons de ne pas trouver à la fin de ce recueil de
matériaux si importants quelques pages qui résument les événements
en les accompagnant de réflexions et de remarques techniques '.
A. C.
Un général hollandais sous le premier Empire. Mémoires du général baron
de Dedem de Gelder, 1774-1825, Paris, Pion, 1900, In-8', VI et 414 p. 7 fV. ?o.
Ces mémoires, très intéressants et d'ailleurs bien annotés, com-
prennent en somme trois parties. Dans la première, Dedem, fils de
l'ambassadeur des Provinces Unies à Constantinople, retrace ce qu'il a
vu en Orient ; le voyage qu'il fit en Egypte avec M. Fauvel est parti-
culièrement attachant. La deuxième partie nous le montre ministre
plénipotentiaire du roi Louis de Hollande près du roi de Westphalie
et du roi de Naples ; le portrait du roi Jérôme et des personnages
qui l'entouraient est vivant; piquante, la description de la cour de
Piombino ; instructive, la peinture de Naples sous Murât. La troisième
partie représente Dedem devenant, de général-major au service de
Hollande, général de brigade dans les armées de Napoléon et tenant
si bien son nouveau rôle qu'il s'étonne et se fâche de n'être pas
général de division. Ses jugements sur les hommes de guerre qu'il
fréquente alors, ont du prix. Il fait un grand éloge de Davout, bourru,
malhonnête, brutal, mais nullement cruel ; « il n'était pas toujours
aimable, mais je suis fier d'avoir servi sous ses ordres, d'avoir été
chez lui à une école instructive ; avec lui, ou est sûr d'être bien com-
mandé, ce qui est quelque chose et de petits desagréments sont corn
pensés par de grands avantages. » Il voit dans Priant un vrai manœu-
vrier mais un homme de peu d'esprit. Il trouve que Ney avait le sens
droit et jugeait bien sur le champ de bataille, mais v dans les moments
difficiles autres que ceux de la guerre, tombait dans le vague et l'in-
certitude ». Son récit de la campagne de 1812 renferme plus d'un
curieux détail: il note, par exemple, que Napoléon était cruellement
trompé par les rapports qu'on lui faisait et qu'on osa lui dire officiel-
lement avant Moscou que la division Priant avait des vivres pour dix-
sept Jours alors qu'elle était réduite aux expédients ; il remarque qu'on
eut tort à la Moskowa de ne pas pousser en avant dès le matin l'aile
droite de l'armée pour déborder l'ennemi et que la faute est due au
manque de bonnes cartes et à l'ignorance complète des localités ; il
I . p. .^4 lire Colaud au lieu de Collott
d'histoire et de littérature 243
assure qu'il y avait à Moscou de grands approvisionnements, qu'avec
un peu d'ordre on aurait pu distribuer des vivres pour trois mois,,
mais que la discipline n'existait plus ; lui aussi est d'avis que Tempe-
reur eut mieux fait de rester à Smolensk, d'empêcher ainsi la Porte
de faire la paix, de réorganiser les troupes et d'entrer en campagne
l'année d'après ; mais l'empereur « ne savait ni négocier ni tempo-
riser ». Dedem l'a observé pendant la retraite: < Il était calme sans
colère, mais aussi sans abattement ; c'était l'homme qui voit le
désastre et reconnaît tout ce que sa position offre de difficile, mais qui
se dit : « c'est un échec, il faut s'en aller, mais on me retrouvera. »
Durant la campagne de 181 3, Dedem appartint à la division Girard.
Il loue la bravoure de ses soldats ; presque tous avaient la gale ; mais,
disaient-ils, « si nous sommes sales, nous nous battrons bien ». Et, en
effet, ces Jeunes gens se battirent bien. Mais après la lutte, ils étaient
comme « ahuris «et «pétrifiés» : leur coup d'essai avait été trop violent,
et s'ils avaient dû recommencer vingt-quatre heures après, ils n'au-
raient rien valu : « peu à peu ils reprirent de la gaieté, mais il ne
fallait point leur donner le loisir de réfléchir, car ils retombaient dans
la tristesse, et par la suite ils gagnèrent tout à fait le spleen, » Une
courte narration de la seconde journée de Leipzig et des opérations
de l'armée d'Italie sur la ligne du Taro termine le volume (après la
mort de Gratien, Dedem commanda la i''« division de réserve sous
les ordres de Maucune qui commandait en chef le corps de la droite
du Pô). Quoi qu'on puisse penser de certaines appréciations de Dedem
et bien qu'il nous paraisse un ambitieux qui, bien qu'aristocrate et
dédaigneux des « simagrées plébéiennes » accepte de la démocratie
honneurs et emplois, il avait, comme il dit lui-même, de la perspica-
cité et de la finesse ; ses mémoires ne sont pas du tout à dédaigner '.
A. C.
Abhandlungen, Vortraege und Reden von Félix Stieve. Leipzig, Duncker u.
Humblot, 1900, XII, 420 p. in 8» (avec portrait). Prix : 10 fr. 5o.
Elève de M. Cornélius, dont nous parlions ici naguère, M. Félix
Stieve, professeur à l'Université et à l'Ecole polytechnique de Munich,
est mort dans cette ville, à un âge encore peu avancé, le 10 juin 1898.
Intrépide fouilleur d'archives, il était connu surtout dans le monde
savant par la grande collection des Briefe und Akten -{ur Geschichte
des dveissigjaehrigen Krieges, qu'il publia conjointement avec
M. Moritz Ritter, sous les auspices de l'Académie royale de Bavière.
1. Lire p. 109 Reubeli et non de Rewbell ; p. 283 el ailleurs le grand maréchal
et non le maréchal Duroc ; p. 284 Lefebvre et non Lefèvre \ p. 3G8 Dessair et
îion Desaix, etc.
246 REVUE CRITIQUE
Les volumes IV et V de la série, parus de 1880 à i885, sont dus à ses
recherches '. Il avait débuté, si je ne me trompe, dans la carrière, en
1875, par un travail Der Kampf um Donaun'oerth . Son dernier travail
de longue haleine est une histoire de la révolte des pavsans de la
Haute-Autriche en 1626, publiée en 1891 '. Il a disséminé un nombre
considérable de mémoires, en partie volumineux, dans les Denkschrif-
ten et les Sit^ungsberichte de ladite Académie ; ils sont relatifs presque
tous à l'histoire de l'Allemagne et spécialement de la Bavière, au xvi«
et au xvii^ siècles \ Il a inséré déplus une série de notices biogra-
phiques relatives à la même époque, dans VAllgemeine deutsche
Biographie ; on en trouvera quelques-unes dans le présent volume \
Mais la majeure partie du livre est formée par une douzaine de con-
férences prononcées, soit à Munich, soit peut-être ailleurs, devant un
public mixte, pendant les dernières quinze années environ de sa vie.
Ces confér,ences nous révèlent un Stieve nouveau que le public
érudit, en dehors de Munich, ne connaissait guère, orateur de talent,
vraiment éloquent parfois, maniant avec facilité les idées générales,
jugeant d ordinaire les hommes et les choses de haut. Animé d'un
patriotisme ardent et sincère, Stieve a également pris part aux luttes
religieuses, si vives en Bavière, de 1870 à 1880, et appartint d'abord
au groupe vieux-catholique pour s'écarter finalement de toute église
officielle \ Ce qui frappe avantageusement à la lecture de ces confé-
rences, c'est leur extrême brièveté ; la plupart n'ont que douze à
quinze pages et l'on peut se demander si les textes imprimés n'étaient
pas simplement des canevas sur lesquels l'orateur brodait ensuite libre-
ment devant son auditoire". Quelques-uns de ces morceaux remontent
au moven âge iHenri IV à Canossa. — Le tnouvement hussitei ;
d'autres appartiennent à l'histoire du seizième siècle (La Réforme en
Bavière)^ la plupart au dix-septième iLa politique et les passions au
xvu* siècle — La destruction de Magdebourg — Gustave Adolphe —
La conversion de Wallenstein au catholicisme exe). Il n'en est aucune
qu'on ne lise avec intérêt et le professionnel lui-même pourra trouver,
dans les dernières surtout, des aperçus nouveaux, l'auteur connaissant
admirablement Thistoire des cinquante années qui se terminent à la
signature des traités de Wesiphalio.
1. Voy. sur eux Revue Critique 17 avril 1880 et i3 juillet i885.
2. Der Oberoestreicliische Bauemaufstaud von 16:26, 2 vol. 8". Une faute d'im-
pression de la préface de notre volume donne à cette révolte la date de 1.126.
3. Parmi les plus importants nous citerons Verhandlungen iiber Kaisers Rudolf
Naclifolge 1880), Der Kalenderstreit des 16. Jalirhunderts in Deutschland (i883)
Zur Geschiclite Wallensteins (1898).
4. Celles sur les empereurs Rodolphe H, Ferdinand II et Ferdinand III.
5. On peut voir à ce sujet les études du présent volume, Ignace de Docllinger
et De l'importance et de l'avenir du vieux catholicisme.
G. La préface bien courte de .M. Hans de Zwiedineck ne nous apprend rien à ce
sujet. On regrettera certainement que ni lui, ni la veuve du regretté savant, n'ait
songé à joindre au volume une notice biographique qui aurait été la bien venue.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 247
M. Stieve était aussi fort apprécié à Munich comme orateur dans les
fêtes et les banquets politiques ; les curieux trouveront quelques spé-
cimens de ce genre d'éloquence centenaire de l'empereur Guillaume I,
fêtes en l'honneur du prince de Bismarck) vers la fin du volume. Mais
le dernier morceau qu'il renferme, Deux jours dans un cachot français^
intéressej'a peut-être davantage ; ce sont des souvenirs de voyage ou
plutôt les souvenirs d'un épisode fort désagréable du voyage entrepris
par le jeune savant lorsqu'il travaillait aux archives de Paris. Rentrant
chez lui dans la soirée du i i juin 1869, il fut englobé sur les boule-
vards dans une rafle de sergents de ville qui arrêtaient quelques
« manifestants » d'alors, et après avoir été fort maltraité parles agents
de l'époque, qui n'étaient pas tendres aux « fauteurs de désordres » il
fut conduit à Bicêtre et y passa quarante-huit heures en fort mauvaise
compagnie et dans des locaux d'une malpropreté extrême, jusqu'à ce
que son ambassadeur put le réclamer. On comprend qu'il n'ait pas
gardé très bon souvenir de l'hospitalité parisienne.
R.
Jamçs A. H. MuRRAv.The évolution ofEnglish Lexicography. Oxford. Frowde,
1900. 5i pp. 2 s.
En souvenir du professeur Romanes, l'Université d'Oxford
demande tous les ans une conférence à l'un des plus illustres savants
de l'Angleterre. Les étudiants ont pu ainsi entendre dans le Sheldo-
nian théâtre, au milieu de l'imposant cérémonial toujours observé dans
les fêtes de la vieille Université, des hommes comme Huxley et Glad-
stone. Le docteur Murray, auquel est dévolu cette année l'honneur de
la « Romanes lecture», a pris comme sujet l'évolution de la lexicogra-
phie en Angleterre depuis lesbrefs glossaires que rédigeaient les moines
anglo-saxons jusqu'au volumineux dictionnaire historique dont il
dirige lui-même en ce moment la publication. Il donne quelques
détails sur le célèbre dictionnaire de Johnson, le précurseurdes lexico-
graphes modernes. S'il faut en croire Spence, l'idée première d'un
dictionnaire remonterait à Pope. Le dictionnaire de Johnson parut
en 1755. Son autorité est telle que des fautes d'impression que l'auteur
a oublié de corriger ont imposé aux Anglais, entre autres anomalies,
la confusion des deux mots coco et cocoa et la fausse orthographe des-
patch pour dispatch. Il fallut à Johnson huit ans et demi pour ache-
ver cet ouvrage immense. M. Murray et ses collaborateurs ont tra-
vaillé neuf ans avant de publier les trois premières lettres de leur
dictionnaire. C'est qu'ils ont voulu, d'après M. Murray lui-même, un
dictionnaire rigoureusement historique, et non un dictionnaire de la
langue- actuelle — comme celui de Littré — dont chaque article est
accompagné de remarques historiques. Le travail de vérification des
248 REVUE CRITIQUE
citations a été fait avec un tel soin qu'on n'hésite pas, par exemple, à
recourir au Neii' English Dictionaiy pour l'explication d'un passage
corrompu de Shakespeare. Ajoutons cependant que ce dictionnaire
indispensable au philologue ne servira guère au littérateur en quête
de remploi correct d'une expression.
Ch. B.
E. Lecunkr. Das Oberengadin. 3<= édit. Leipzig, Engelmann, 1900, pp. viii, in-S"
Prix : Mk. 3.
Ce livre, écrit surtoutpour les touristes, est cependant moins et plus
qu'un guide. Il ne contient pas les renseignements pratiques indispen-
sables au voyageur; mais il l'informe d'une manière abondante, sûre et
agréable sur l'histoire, les mœurs, la langue et la littérature du pays,
et à ce titre il mérite d'être plus qu'une lecture de villégiature. Après
une courte introduction géographique, M. Lechner traite de l'histoire
de la Haute-Engadine. Son esquisse ne prétend pas à être complète,,
elle manque même d'un plan rigoureux ; mais certains points, déve-
loppés avec plus d'ampleur que ne le comportait le cadre du livre,
offrent par cela même un réel intérêt. On lira avec profit les détails
sur les stations sarrasines dans les Alpes, surtout sur l'introduction et
les progrès de la Réforme, sur les luttes des deux maisons rivales des
Planta et des Salis et l'adroite politique de bascule que le rusé petit
pays joua si longtemps entre l'Autriche et la France avant de se fondre
dans la Confédération Helvétique. Le chapitre suivant consacré à la
^angue et à la littérature latine est un peu insuffisant. M. L. eût pu,
grâce à son long séjour dans le pays, nous donner de ce curieux débris
linguistique une monographie qui eût ajouté beaucoup de traits inté-
ressants à la psychologie du Romanche. Nous aurions aussi souhaité
rencontrer quelques 'V^olkslieder parmi les textes communiqués à titre
d'échantillons et qui sont tantôt des traductions modernes de poésies
allemandes, tantôt des morceaux originaux dont M. l^echner a fourni
lui-même une heureuse version. La dernière partie, Wandcrskii\en,
est plus spécialement écrite pour les visiteurs de l'Engadine, qu'elle
promène d'excursion en excursion, complétant ainsi, parfois à l'aide
d'illustrations, — nous eussions préféré des cartes — l'introduction géo-
graphique du début, un peu sommaire dans ses généralités.
L. Roi STAN.
— M. Guide BiooNi, dans un article extrait du Giornale storico e letterario delta
Liguiia mai-juin 1900), estime que la carte dressée en l'Sab par Angclino Dali'
Orto était destinée aussi bien aux marins qu'aux « terriens »; il constate qu'elle
est en progrès sur les cartes antérieures pour la Bretagne, la Scandinavie, les
d'histoire et de littérature 249
cotes de la Baltique, la Bohème, le cours du Danube, du Tigre et de l'Euphrate,
et réclame pour l'auteur la carte parisienne de iSSg. — Ch. D.
— M. Gustave Bauch vient de tirer des Archives de Weimar une série de pièces
inédites relatives aux réformes que Mélanchthon proposa d'introduire en i523
dans les matières et les méthodes d'enseignement de l'Université de Wittemberg
[Die Einfithrung der Melanchthonischen Declamationen vnd andre gleich^eitige
Refovmen an der Univcrsitaet ^u Wittenberg. Breslau, Marcus, 1900, 24 pp. in-8')_
Il résulte de ces documents, qui sont principalement des rapports adressés par
Spalatin aux électeurs Frédéric-le-Sage et Jean de Saxe, de i523 à i525, que
renseignement, à ce moment, laissait beaucoup à désirer, que les humanistes
convaincus comme Mélanchthon avaient à lutter sans cesse contre l'ignorance de
leurs auditeurs et que la théologie nouvelle, comme autrefois la scolastique du
moyen âge, absorbait le plus clair du temps et du zèle des étudiants, au détriment
des études classiques. Quelques notes relatives aux savants et aux autres person-
nages mentionnés dans cette correspondance n'auraient pas été de trop. — R.
— On peut se demander s'il était bien nécessaire de consacrer deux cents pages
in-8° à l'analyse de la controverse poursuivie, de 1607 à 1609, entre le roi
Jacques I" d'Angleterre et le cardinal Bellarmin, sur les limites réciproques du pou-
voir royal et de celui du Saint-Siège. M.Joseph de la Servière, élève de l'Université
catholique d'Angers, l'a fait dans une thèse présentée à la faculté des lettres de
Poitiers, qui n'est pas précisément d'une lecture facile {De Jacobo I Angliae rege
cutn Cardinali Roberto Bellavtnino S. J. super potestate cum regia titm pontificia
disputante. Parisiis, Oudin, 1900, XXXI, 169 pp. in-S"). Peu de personnes sans
doute s'inscriront en faux contre le jugement porté par l'auteur sur le théologien
couronné que Sully appelait le plus sage des fous et le plus fou des sages, mais
je crains bien qu'en dehors de la Compagnie, naturellement partiale pour un si
illustre confrère, bien peu de politiques ou de penseurs modernes partagent son
admiration pour le célèbre jésuite et — ce qui est plus difficile que de l'admirer
en bloc — aient la patience de le suivre dans tous les détours de sa casuistique
politique. Assurément la question pouvait sembler brûlante, elle l'était même
certainement au xvii' siècle; de nos jours encore, il est bon de connaître ces
controverses célèbres d'autrefois. Mais une vingtaine de pages suffirait largement
pour en résumer les traits principaux, sans qu'on s'astreigne à les suivre dans
tous les méandres de leurs fatigantes redites et de leurs invectives réciproques. — S.
— M. Ch. Pi'isTER, professeur d'histoire à l'Université de Nancy, vient de faire
■paraître dans les Mémoires de la Société d'archéologie lorraine et en tirage à part,
un intéressant Journal de ce qui s'est passé à Nancy depuis la paix de Rysivick
jusqu'en l'année iy44, dû au libraire nancécn Jean-François Nicolas, le bibliophile
lorrain bien connu par ses rapports avec Dom Calmet, Chevrier et d'autres érudits
du temps. Sans présenter des faits nouveaux pour l'histoire générale, le Journal
de Nicolas (Nancy, Crépin-Leblond, 1900, 178 pp. in-8'') est riche en détails curieux
sur les événements quotidiens, sur les mœurs de la petite capitale et sur la façon
de voir de ses habitants, relativement aux changements qui s'opérèrent dans leurs
destinées par les guerres de Louis XIV d'abord et surtout par le départ de Fran-
çois III de Lorraine et son remplacement par le roi Stanislas. Le bon libraire vit
arriver le monarque polonais avec un déplaisir qu'il marque à mainte page de
ses notes. Celles-ci sont donc une contribution précieuse à l'histoire de la Lorraine
au xvni« siècle, encore qu'il faille les utiliser avec prudence. M. Pfistcr a joint à ce
texte, emprunté à l'une des nouvelles acquisitions de la Bibliothèque Nationale,
250 REVUE CRITIQUE
une notice biographique très complète, où il juge cquitablcmcnt Thomme et
l'historien. — R.
— M. HoRRic DE Beaucaire a récemment donne deux nouveaux volumes du
Recueil des Instructions diplomatiques, public sous les auspices de la Commission
des archives diplomatiques au Ministère des affaires étrangères (chez Alcan). Le
tome I" contient les instructions données aux envoyés à la cour de Savoie-Sav-
daigne de 1648 à 1748; le tome II va de 1748 à 1789; il fournit en outre le^
instructions aux envoyés près les ducs de Mantoue de 1648 à 1708 (date de la
disparition du duché) puis une série de neuf appendices (listes chronologiques des
ambassades, tables généalogiques de Savoie et Mantoue, texte des traités de i655
entre Louis XIV et le duc de Mantoue), et il se termine par une table alphabétique
très développée. La publication est faite avec grand soin. Dans ses introductions,
M. H. de B. retrace sommairement l'histoire des relations diplomatiques de la
France avec la Savoie et Mantoue sous l'ancien régime; avec raison, il remonte
aux origines antérieures à 1648, car les traités de Westphalie ne constituent pas
pour l'Italie une date aussi importante que pour le reste de l'Europe, et il y a
peut-être lieu de regretter que le plan général de la collection n'ait pas permis à
M. H. de B. de donner au moins le texte des instructions rédigées sous le minis-
tère de Richelieu. Ces introductions constituent d'utiles chapitres d'histoire diplo-
matique, solides et clairs; et si M. H. de Beaucaire estropie parfois les noms
propres, ou s'il laisse passer quelque inadvertance, comme d'appeler Frédéric-
Guillaume le roi de Prusse en 1704 (t. I, p. lxviii), son érudition n'en est pas
moins de bonne qualité, et ses notes, avec leurs références abondantes et précises,
sont excellentes. Quant aux instructions elles-mêmes, plusieurs sont de médiocre
intérêt; mais nous n'avons pas ici à reprendre les critiques déjà souvent faites
contre la conception générale du recueil. — G. P.
— Sous le titre les bibliotlièques particulières de Napoléon (Paris, Leclerc. In-8°,
22 p.), M. Ant. GuiLLois retrace avec une foule d'intéressants détails, l'histoire des
bibliothèques personnelles de Napoléon, telle qu'elle lui a été racontée maintes fois
par M. Louis Barbier, le fîls d'Antoine Barbier (le successeur de Ripault et le biblio-
thécaire de l'Empereur) et d'après les pièces que M. Louis Barbier et ses descen-
dants lui ont confiées. On voit dans ce travail que Napoléon n'a jamais négligé la
lecture des grands auteurs, qu'il lisait même les nouveautés — quitte à les jeter
en voyage par la portière de sa voiture, et les pages qui les ramassaient en faisaient
leur régal — que les fonctions de son bibliothécaire n'étaient pas une sinécure,
etc. Signalons à M. Guillois une note du premier consul [Corr. 'VI, 533) deman-
dant à Ripault un catalogue de la bibliothèque du Directoire pour « choisir les
livres qui seront à son usage ». — A. C.
— Après avoir publié la traduction des études de Clausewitz sur 1812 et i8i5,
la librairie Chapelet fait paraître aujourd'hui la Campagne de i8i3 et la cam-
pagne de j 814 (In. 8°, 208 p.). La traduction de cet ouvrage de Clausewitz est due
au commandant Thomann qui dédie son travail aux camarades de l'armée française
comme Clausewitz avait dédié son œuvre aux camarades de l'armée prussienne.
On trouvera, dit le traducteur avec raison, de multiples et précieux enseignements
dans l'exposé de ces deux campagnes et principalement dans les critiques qui
l'accompagnent et qui, de l'avis du général Pierron, sont un chef-d'œuvre. — A. C.
— M. Maurice Tourneux a publié chez Noël Charavay une Table générale des
lettres et documents contenus dans VAmateur d'autographes (Première série,
deuxième période, 1875-1892}. Il avait déjà donné en 1877 '^"'^ Table des documents
d'histoire et de littérature 25 I
de la première période; mais elle ne comportait, comme l'indiquait le titre, que les
pièces inédites. La seconde Table qu'il présente aux chercheurs donne, avec la liste
des documents originaux de tout genre, celle des articles, des comptes rendus de
ventes et de livres, des nécrologies et des nouvelles diverses contenues dans chaque
numéro. — A. C.
, — Le même érudit a fait tirera part de la « Révolution française » (mars igoo,
à deux cents exemplaires sur papier vergé) sa notice sur Etienne Charavay, sa vie
et ses travaux. On ne relira pas sans émotion les pages consacrées par M. Tourneux
à la vie de ce modeste et savant historien qui disait qu'il faut vaincre l'ignorance
et que, dans cette immense tâche, chacun trouve sa place, si infime qu'elle soit.
M. Tourneux a d'ailleurs énuméré aussi complètement que possible les travaux
d'Etienne Charavay : il les a divisés en deux classes, ceux qui appartiennent aux
sujets les plus divers et ceux qui tiennent à la science des autographes. — A. C.
— Les actes de l'état civil parisien antérieurs à i86o ont été brûlés en 1871, et
la commission chargée de les reconstituer a fonctionné jusqu'en 1897. Dans son
étude sur Les Sources de Vancien état civil parisien (Paris, Champion, 1899, in-S",
vii-i36 pages), M. Marius Barroux,, archiviste adjoint de la Seine, s'est proposé,
non pas de faire l'histoire de la reconstitution, mais de dresser la liste complète
de tous les documents qui peuvent être considérés aujourd'hui comme les sources
de l'état civil parisien et avant 1860, que ces documents aient été, ou non, utilisés
par la commission de reconstitution. Ce sont : i" les « actes » de l'état civil soit
« sous la forme authentique » (registres des paroisses, des établissements hospita-
liers ou religieux, des non-catholiques), soit « sous la forme non authentique »
(copies ou extraits); 2° les « documents >> d'état civil (registres d'ordre des diffé-
rents cultes, des établissements hospitaliers, archives de l'enregistrement, procès-
verbaux d'apposition des scellés, anciennes listes des périodiques, registres des
pompes funèbres, archives des cimetières, épitaphiers, papiers de famille). Dans
ce cadre méthodique, chaque groupe de documents est noté en son lieu, analysé
et décrit avec une scrupuleuse précision. Le volume se termine par une utile table
alphabétique, où sont notamment mentionnés les noms d'une centaine de Pari-
siens célèbres, dont M. B. a relevé en passant les sources d'état civil. Indispen-
sable à l'étude de l'état civil parisien, l'excellent répertoire critique de M. B. four-
nit un grand nombre d'indications qui, telles quelles ou par analogie, pourront
être utilisées aussi pour la recherche des dates de naissance et de décès dans les
villes de province. — G. P.
— M. Paul Seidel, directeur des collections royales de Prusse, vient de publier
deux catalogues, qui se rattachent à l'exposition de 1900, mais dont l'importance
et l'intérêt dépassent de beaucoup le provisoire de cette exposition. Le premier :
Les collections d'œuvre d'art françaises du xvin« siècle appartenant à S. M. l'Empe-
reur d'Allemagne (grand fol. illustr.), retrace l'histoire des toiles, sculptures,
tapisseries, rassemblées surtout par le roi Frédéric II, grand amateur de notre
art, aussi bien que de notre littérature. Le second : Les collections d'art de Frédé-
ric le Grand, à l'exposition universelle de Paris, est l'inventaire explicatif de celles
de ces œuvres, aujourd'hui presque populaires, qui décorent le Pavillon allemand
de la Rue des Nations. Le grand catalogue, tiré à 3oo exemplaires, est malheureu-
sement presque impossible à acquérir. On peut recommander aux historiens d'art
d'acquérir au moins le petit, très facilement accessible. Personne n'était plus
qualifie que M. Seidel pour écrire une étude complète et savante sur des œuvres
qui restent pour nous nationales, et il faut en outre le remercier de la sympathie
2 52 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
particulière — et intentionnelle — avec laquelle il l'a écrite. MM. Paul Vitry et
Marquet de Vasski,ot, attachés aux Musées du Louvre et de Versailles, en la vul-
garisant pour le public français dans une bonne traduction, ont bien mérité de
tous ceux qui goûtent notre art du xviir siècle si délicat, si élégant, si personnel
et original. — Henry Lemonnier.
— Le XLI" fascicule de VexceUent Schwei^erisches Idiotikon, Woerterbiicli der
schwei^erdeutschen Sprache (Frauenfeld, Huber) contient les p. i 585-1744 et va de
burga à bus et ses composés. Signalons, en passant, une légère erreur : p. 1 658, on
donne comme composé de passade, le mot itspassade avec un exemple de Rodt,
drei Auspassaden; le mot a été mal lu ; il faut lire Anspessaden (cf. le français aus-
pessade).
— M. Vittorio Ferrari vient de donner une b^ édition complètement refondue
an Manuel de littérature italienne de Cesare Fenini des origines à 1748 (Milan,
Hœpli); il s'y attache surtout à marquer le rapport de la littérature avec les vicis-
situdes de la politique et le développement général de l'esprit. — Ch. D.
— Le Dictionnaire général de la langue française par MM, Hatzfeld, Arsène
Darmesteter et Antoine Thomas, qui vient de se terminer et qui avait déjà obtenu
le prix Jean Reynaud, a obtenu le grand prix de l'Exposition Universelle de 1900.
— Nous apprenons avec le plus vif regret la mort de M. le Chevalier D"" Vin-
cenzo Joppi, le i" juillet dernier. Le D'' Joppi, qui avait pris cette année même sa
retraite de bibliothécaire de la ville d'Udine, était l'homme connaissant le mieux
l'histoire du Frioul. Malgré son grand âge, il avait conservé toute son activité qu'il
mettait ainsi que sa science au service de ceux qui y avaient recours. 11 avait été
président de la Deputazione Veneta di Storia Patria. — Henri Cordier.
— On nous écrit d'Athènes : Les éditions de la Bibliothèque Marasli se suc-
cèdent. Les traductions de l'Histoire grecque de Curtius (Lambros), de la Poésie
Latine de Ribbegk (Sakellaropoulos), d'Alexandre le Grand et des Diadoques de
Drovsen (Pantazidis), sont complètement terminées. Nous avons de même le pre-
mier volume de V Archéologie de Gilbert (Politis) et le premier volume de la
Littérature Byzantine de Krumbacher (Sotiriadis). Nous avons déjà signalé la tra-
duction de la Littérature dramatique de Saint-Marc-Girardin (Vlachos) et de YHis-
toire des monnaies anciennes de Head (Svoronos), qui sont aussi terminées depuis
quelque temps. Nous y ajoutons les deux premiers volumes de Y Histoire d'Angle-
terre de Macaulay (Rhoïdis) et les Leçons de linguistique de Whitney et JoUy (Chad-
jidakis]. On a aussi publié dans la même Bibliothèque la traduction d'un poème
de Pouchkine, et celle de Hamlet (Damiralis).
De pair avec les traductions marche la publication de plusieurs ouvrages origi-
naux : Jean Capodistrias par Hidromenos, le )>remier volume des Proverbes de
N. G. Politis (prix de l'Association pour l'encouragement des études grecques de
Paris), dont compte a été déjà rendu dans la Revue Critique, et enfin les deux
volumes intitulés T^vaYiovr, véojv ^.éHswv etc. Ce dernier ouvrage est un dictionnaire,
œuvre posthume de Koumanoudis, qui renferme soixante mille mots formés depuis
la prise de Constantinople jusqu'à nos jours (sciences, administration, finances,
tribunaux, etc.). Il rendra des services signalés à tous ceux qui s'occupent de la
langue néohellénique.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 40 — 1" octobre — 1900
Meylan-Faure, Les épithètes dans Homère. — Lattes, Le droit coutumier lom-
bard. — Gabotto, La Commune à Cuneo. — Nicastro, Etude sur la conjugaison
française. — Vast, Les grands traités du règne de Louis XIV, III. — F. Brun,
Un village soissonnais. — Costa de Beauregard, Souvenirs de La Ferronnays. —
P. Brin, Henry Beyle-Stendhal. — Annuaire de Goethe, XXI. — Scherillo, Les
poésies de Leopardi. — Morane, Finlande et Caucase. — Soutzo, Mémoires, p.
Rizos. — Van Ortrov, Les délimitations en Afrique. — Fouillée, La France au
point de vue moral.
Mevlan-Faure Les épithètes dans Homère, Lausanne, 1899.
L'étude de M. Meylan-Faure sur Les épithètes dans Homère est
une thèse présentée à l'Université de Lausanne. C'est un résumé
succinct, clair et élégant des principales questions relatives au choix,
à la signification, à la place des épithètes dans Homère. L'auteur s'est
surtout inspiré des théories de Diintzer et de Brugman. Comme il ne
prétendait point à faire œuvre originale, nous ne saurions lui repro-
cher de n'avoir rien ajouté de nouveau à ce que savaient déjà tous
ceux qui se préoccupent de restaurer et d'interpréter le texte de VIliade
et de l'Odyssée.
M. D.
Al. Lattes, Il diritto consuetudinario délie città lombarde, con una appendice
di tcsti ineditti. Hœpli, iMilan, 1899, xvi-463 p.
Jusqu'ici le droit coutumier lombard n'avait fait l'objet d'aucune
étude d'ensemble; nous n'avions à son sujet que des indications
éparses dans les histoires du droit italien comme celles de Fertile, de
Schupfer, de Salvioli ; les coutumes de Milan de 12 16 éditées par
J. Berlan en 1866 étaient seules mieux connues. M. Alessandro
Lattes, auquel nous devons déjà des recherches sur le droit statutaire
italien, s'est proposé de combler la lacune qui existait dans la littéra-
ture juridique italienne en nous donnant une histoire externe des cou-
tumes municipales de la Lombardie au xni« et au xiv* siècles et un
exposé systématique de la législation qu'elles renferment. Il y a joint
le texte des coutumes inédites de Bergame et celui des coutumes de
Brescia dont on n'avait qu'une édition incomplète.
Nouvelle série L. 40
2 54 REVUE CRITIQUE
Il nous semble que, sans trop grossir son livre, il aurait pu multi-
plier les citations de textes au bas des pages ; nous regrettons surtout
qu'un ouvrage de ce genre ne soit pas accompagné d'un index détaillé
permettant d'utiliser rapidement, sans de longues recherches, les nom-
breuses indications qu'il contient ; la table des matières, quoique
commode, est loin d'être suffisante ; ainsi à la p. 209 il est question du
retrait, à la p. 209, 211, des guadia ; si l'on consulte la table, ces
matières ne sont traitées qu'aux p. 269 et 196 ; il n'y a, pour ainsi dire,
aucun point à propos duquel cette observation ne put être faite.
M. L. ne s'est occupé que des coutumes proprement dites et les a
distinguées des statuts émanés de l'autorité publique. Je ne sais si
cette distinction est heureuse. En réalité coutumes et statuts se
mêlent et s'enchevêtrent constamment; un statut n'est souvent, au
fond, qu'une coutume passée à l'état de loi. La seule raison par
laquelle la méthode de M. L. se Justifie, c'est qu'il lui a bien fallu se
borner.
Il est impossible de donner une analyse même sommaire d'une
oeuvre comme celle de M. Lattes. Nous nous contenterons de
quelques remarques de détail, après avoir constaté que sous une
forme très sobre et très nette, on y trouve, bien groupées, bien éclair-
cies, les dispositions coutumières suivies par les cités lombardes.
C'est surtout à propos du Liber consuetudinum Mediolani que
M. L. insiste; à ses yeux, c'est une œuvre privée qui rappelle, avec
un caractère moins marqué de personnalité, le traité postérieur en
date de Bertaldo sur les coutumes de Venise (Splendor Venetorum
civitatis consuetudinum) ; l'auteur du recueil des coutumes milanaises,
P. Judex, serait peut-être P. Villani, qui fut juge et assesseur du
podestat de Milan en 1200 et auquel on attribue une compilation
d'usages féodaux; conjecture pour conjecture, celle-là vaut bien les
hypothèses de Porro et de Berlan.
En ce qui concerne le droit public lombard, on lira avec intérêt les
pages relatives à la bourgeoisie ou vicinatico de Cannobio, aux ori-
gines de cette commune et aux vestiges qui s'y rencontrent de la pro-
priété collective du sol. Seuls, les vicini pouvaient être propriétaires
des immeubles situés sur le territbire de Cannobio : d'où il résultait
que les créanciers d'un vicinus ne pouvaient recevoir en paiement les
immeubles qui lui appartenaient que s'ils étaient eux-mêmes vicini ou
bourgeois. Le retrait des voisins existe à côté du retrait lignager ou
agnatique dans l'intérêt de la famille. Les associations entre frères qui
vivent en commun rappellent la vieille organisation de la famille.
Dans l'ensemble du droit privé on retrouve le double courant
romain et germanique avec des usages particuliers issus des besoins
de la pratique. Ainsi la procédure romano-canonique est passée avec
ses traits essentiels dans les coutumes lombardes, mais elle s'y nuance
de pratiques barbares, de traits nouveaux, surtout en matière de
d'histoire et de littérature 255
preuves (duel judiciaire, etc.) et à propos de la procédure d'exécution :
exécution d'autorité privée à Gôme, art. 44-48, arrêt conventionnel de
la personne du débiteur par le créancier [expressum pactum inter con-
trahcntes de capiendo et detinendo)^ pratiques infamantes en cas de
cession de biens. Les titres exécutoires assimilés à une sentence judi-
ciaire, ayant la même efficacité, apparaissent à Brescia, dès 1225 (cf.
Gôme, 1281 : condemnacio per confessionem).
Chaque chapitre, chaque paragraphe appellerait des remarques ana-
logues : à propos de l'émancipation, p. 180, les ressemblances avec
l'affranchissement ; à propos de la condition des femmes, p. 181, lés
autorisations requises pour la validité des actes par elles accomplis,
des détails sur les professiones legis ; à propos des obligations, p. 196,
la curieuse fusion de la tidéjussion romaine et des guadia lombards ;
en matière de vente, p. 210, l'usage des cautions garantissant l'ache-
teur contre l'éviction et corroborant l'obligation du vendeur [cï.fide-
jussores de carta guarendi à Aoste). M. Lattes a touché à tant de
points qu'il ne faut pas songer à signaler, ne fut-ce que d'un mot,
même les plus importants.
J. Brissaud.
F. Gabotto. Il « comune » a Cuneo e le origini comunale in Piemonte. Mes-
sine, Greco et Sabella, 1900. — P. 17 à 94 (extrait du Bollettino storico-biblio-
grafico subalpine, V, I-II).
Les origines des communes italiennes ne sont pas moins obscures
que celles des communes ou des consulats français. M. Ferd, Gabotto,
professeur d'histoire moderne à l'Université de Messine, dans des
écrits divers sur Biella, Asti, Pignerol, avait soutenu, avec Davidsohn,
Geschichte von Flore?î\, 1896, que les communes se rattachaient à la
vicinia ecclésiastique (habitants du viens, vicini, groupés par la néces-
sité de subvenir aux besoins du culte) Tout en maintenant ce point de
vue, il insiste, à propos de Guneo, sur le caractère seigneurial des
communes en Piémont. A Pignerol, à Verceil, à Ivrée, la commune
n'est qu'un consortium de seigneurs. Des membres d'une même famille
féodale jouissaient dans un même lieu de droits divers dont l'exercice
était réglé dans un colloquium commune, confié à certains d'entre eux
qui prenaient le nom de Gonseils. La commune ne serait donc qu'une
forme de la coseigneurie. S'il n'est pas trop surprenant qu'elle ait eu
ce caractère dans les villes anciennes, on est étonné de le retrouver
dans des villes neuves, comme Guneo, au xii« siècle. G'est ce que
M. Gabotto s'est proposé cependant d'établir par l'analyse de docu-
ments dont il donne les plus importants en appendice. Sa conclusion
peut-elle être étendue à des villes plus importantes comme Alexandrie ?
Il y a lieu d'en douter. En tout cas, elle est de nature, même restreinte
256. REVUE CRITIQUE
à une petite ville," à confirmer ce que l'on admet communément au
sujet de nos consulats méridionaux, à savoir qu'une place y était
faite à la petite noblesse.
J. Brissaud.
Philippe NicASTRO : Etude sur la conjugaison française. Ragusc, G. Destefano,
1899; un vol. in-4", de 193 pages.
Muni d'une couverture bleu-pâle, imprimé avec un certain luxe
typographique, le volume de M. Nicastro se présente bien à l'œil :
malheureusement le contenu ne répond pas au contenant, et l'on s'en
aperçoit dès qu'on a parcouru les premières pages du livre. Qu'a
voulu faire l'auteur? On ne le voit pas trop. Est-ce une étude histo-
rique, ou un guide pratique destiné aux étrangers qui désirent
apprendre la conjugaison française ? C'est tout cela à la fois, semble-t-
il, mais en visant les deux buts, M. N. n'en a atteint aucun. Je ne puis
m'attarder à le démontrer ici. La partie intitulée Histoire et théorie
s'étend de la p. 7 à 71, mais les pages y sont courtes, très courtes en
général, encombrées par des notes multiples et de toutes provenances.
Il y a là des renvois aux grammaires de Larousse, de Larive et
Fleury ; des citations tirées de Burguy et naturellement de l'inévi-
table Brachet (jusqu'à quand les ouvrages de Brachet seront-ils un
obstacle à tout progrès sérieux dans l'enseignement historique du
français?) M. N. connaît, à vrai dire, d'autres auteurs, Diez par
exemple et aussi M. Chabaneau, il a lu les grammaires de MM. Clé-
dat et Brunot : comment se fait-il que de cette lecture, si elle a été un
peu attentive, il n'ait pas tiré une idée plus nette de la conjugaison
française, et ait laissé subsister la plus complète incertitude dans son
exposé ? En fait de phonétique, il n'admet pas e|ue / se soit vocalisée
en II devant une consonne; mais il croit par contre que le t de aime-t-
il représente celui de amat. Il \\v& aller de ai^ar^ (d'après Brachet
bien entendu) ; parlant de la production d'une dentale accessoire entre
n et r, il cite comme exemple prendre — supposant apparemment que
prehendere n'est pas un mot latin — et ainsi de suite. N'insistons pas.
Tout cet exposé procédant au hasard, sans aucun lien systématique
qui coordonne les faits entre eux, est arriéré de quarante ou cinquante
ans. Nous ne pénétrerons pas non plus dans les multiples et redou-
tables tableaux dont est hérissée la seconde partie du livre. Nous y
apprendrions cependant des choses assez nouvelles : ainsi que, le
radical de savoir étant sach, on obtient savoir en changeant cJi en v,
et la forme du parfait nous y serait expliquée par un diagramme théo-
rique s lach =) u-s. Comprenne qui pourra : je plaindrais de tout
mon cœur les élèves qui chercheraient à se loger dans la cervelle la
conjugaison française en suivant de tels procédés. Devons-nous
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 25 J
remercier M. N. d'avoir rédigé son livre en français ? Oui, en prin-
cipe. Il faut bien reconnaître cependant qu'il écrit notre langue d'une
façon un peu pénible, et qu'il a laissé subsister un grand nombre
d'erreurs typographiques. Dans la première phrase de son avant-pro-
pos, M. Nicastro déclare modestement que son essai sur le verbe
français « est loin de satisfaire à des besoins réels » • je regrette de ne
pouvoir pas le contredire.
E. BOURCIEZ.
Henri Vast. Les Grands Traités du règne de Louis XIV, 3<: fascicule. Paris,
Alph. Picard et fils, 1899, in-8, 223 pp. 5 fr. 25. (Fascicule 28 de la Collection
de textes pour servir à l'étude et à l'enseignement de l'histoire.)
Avec ce troisième fascicule, M . Henri Vast a terminé la publication
des grands traités du règne de Louis XIV. A propos des fascicules
précédents, la Revue critique a déjà loué les qualités qui recom-
mandent d'une manière toute spéciale cette édition de textes diplo-
matiques ; grâce à l'abondance et la précision de leurs renseignements,
les « notices » qui servent d'introduction à chaque traité constituent
une excellente histoire en raccourci de notre diplomatie de 1648 à
17 14. Il suffira donc de signaler le contenu de ce dernier fascicule.
Une « Notice sur les négociations qui ont amené la paix d'Utrecht »
(1-59) est un exposé admirablement clair de toute notre action diplo-
matique depuis le traité de Ryswick ; les travailleurs sauront un gré
particulier à M. V. des nombreuses références qu'il leur fournit dans
les Archives des affaires étrangères, dans les Archives nationales et
dans le Dépôt de la guerre. A la fin de cette introduction, Tauteur a
justement mis en lumière la part glorieuse et toute personnelle qui
revient à Louis XIV dans l'œuvre de ses ministres. « La postérité
ne peut reprendre dans le vieux roi aucune pensée, aucun sentiment
qui n'ait été réellement français... Jusqu'au dernier jour, il a conduit
personnellement les négociations avec une hauteur de vue, une luci-
dité, une possession de lui-même qui n'ont subi aucune éclipse.. . »
(p. 59).
Le fascicule comprend ensuite le texte minutieusement coUationné,
avec introduction bibliographique et notes diplomatiques ou histo-
riques, de neuf traités signés en 171 3 et 17 14 à Utrecht, Rastadt et
Bade, entre Louis XIV, la reine Anne, Jean V de Portugal, Frédéric-
Guillaume le"" de Prusse, Victor-Amédée de Savoie, les États généraux,
l'empereur Charles VI et l'empire. Il se termine par une table géné-
rale des personnages cités et un index géographique, qui se rapportent
à l'ensemble des trois fascicules.
M. Vast vient de rendre un grand service à tous ceux qui s'inté-
ressent à notre histoire nationale pendant le règne de Louis XIV;
258 REVUE CRITIQUE
souhaitons qu'il puisse avoir un jour de nouveaux titres à leur recon-
naissance, en écrivant l'histoire d'un de ces grands diplomates qui ont
su si bien exécuter les pensées du grand roi. Personne ne saurait être
mieux désigné par cette tâche que le savant éditeur des Grands Traités
du règne de Louis XIV.
G. Lacour-Gayet.
Un village soissonnais. Notes pour servir à l'histoire de Bucy-le-Long, 1634-
i8i5. Mculan, Réty, 1900. In-S% i25 pp. (tiré à cent exemplaires).
Ce petit volume est charmant, et quand même on ne serait pas
enfant de Bucy, on le lit d'une traite. Ce n'est qu'une série de notes ;
mais l'auteur, M. Félix Brun, n'avait pas d'autre but, et son seul
défaut, si défaut il y a, serait peut-être de laisser par instants percer
le catholique. Il est écrit avec finesse, avec agrément; il renferme
une foule de menus détails intéressants ; il se développe nettement en
huit chapitres. L'auteur retrace d'abord le culte, énumère les curés
d'après les archives paroissiales (l'un d'eux, Hinaux, devint curé de la
paroisse des Blancs-Manteaux), reproduit l'acte de baptême des trois
cloches de l'église. Il fait la biographie des maires de l'endroit et
donne la liste des maîtres d'école en y joignant quelques particulari-
tés sur deux religieuses de l'Enfant-Jésus qui enseignèrent à Bucy
pendant la Révolution. Il relève ensuite à certains intervalles le
nombre des naissances et celui des morts (la population de Bucy ne
cesse de décroître depuis la seconde moitié du xviii<^ siècle) et passe
en revue les professions exercées dans le village (celle qui se ren-
contre le plus souvent est celle de vigneron, puis celle de tonne-
lier), mentionne les noms de famille qui sont demeurés. Il consacre
plusieurs pages à certains personnages, aux Simon de Bucy (dont
l'un fut évêque de Paris), à Bussy-Castelnau (né d'ailleurs à Ancien-
ville et non à Bucy), au général Dutour de Noirfosse, lieutenant de
Bussy et de Lally, à l'ermite Bertrand dont il fera bien, comme il en
a l'intention, d'étudier de plus près les faits et gestes. On remarquera
dans les pages relatives aux fêtes révolutionnaires de Bucy le compte
rendu de la fête de l'Agriculture et le programme de la solennité qui
eut lieu en 1 798 à l'occasion des réparations de la route. Un chapitre
tout militaire clôt dignement le livre : M. B. y raconte le combat du
i3 mars 1814 (à noter la lettre que l'officier prussien dépose sur le
missel de l'église après avoir trouvé le village désert et les extraits de
la correspondance conservée aux archives de la guerre) et cite quel-
ques noms de soldats de la Révolution et de l'Empire nés à Bucy, le
capitaine Ferté, le commandant Crépeau, et le pauvre canonnier
Pignon, mort prisonnier des Anglais et qui écrivait en apprenant le
prochain mariage de sa sœur ; « Je vous souhaite beaucoup de plai-
d'histoire et de littérature 259
sir et d'agrément à la noce ; mais je vous prie de m'envoyer pour
boire un verre de vin à la santé de la fiance de ma sœur ». Cette
lettre fournit à M. Brun le mot de la fin : « grâce au canonnier
Pignon, conclut-il, et si mélancolique qu'ait été d'ailleurs son des-
tin, ces dernières pages où 18 14 mit tant de larmes et de sang, vont
s'achever dans un sourire ».
A. C.
En émigration. Souvenirs tirés des papiers du comte A. de La Ferronnays, 1777- "
1814 par le marquis Costa de Beauregard, de l'Académie française. Paris, Pion,
igoo. In-80, III et 428 pp. avec portrait; 7 fr. 5o.
•
Auguste de La Ferronnays n'avait que treize ans lorsqu'il fut
emmené en émigration. Après avoir terminé chez les Prémontrés de
Bellelay, non loin de Porreniruy, des études commencées dans la pire
pension de Paris (p. i3), le jeune homme s'engagea ainsi que son
père dans l'armée de Condé. Il fut ordonné soldat à l'affaire d'Ober-
kamlach (p. 43), puis gagna la Volhynie avec les colonnes con-
déennes, puis revint se battre sur les bords du Rhin et après le com-
bat de Constance, comprit pour la première fois ce que c'était que la
guerre (p. 94). Cependant il avait été attaché d'abord avec le titre
bizarre d'ordonnance permanente, ensuite avec le titre définitif d'aide
de camp, au service du duc de Berry, qui, dès l'arrivée des Con-
déens à Dubno, s'était engoué, malgré la dissemblance de nature, du
pauvre petit cavalier noble. Ces rapports de la Ferronnays avec le duc
de Berry eurent sur son destin une très grande influence. Il avait
connu à la cour de Brunswick vers la fin de 1794 M"*^ Albertine de
Montsoreau; il la revit à Dubno et durant le trajet de la Pologne au
Rhin. Le mariage n'aurait pas eu lieu, car le comte de Montsoreau
trouvait que c'était folie d'unir des enfants dans un pareil temps
(p. 1 18) ; le duc de Berry intervint, un revenu solide fut trouvé pour le
jeune couple, et le père, non sans soupirer, finit par dire oui. Mais il
fallut bientôt se séparer, La Ferronnays, devenu le deuxième gen-
tilhomme de la maison du duc, accompagna le prince de Klagenfurt
à Vienne, puis dut le suivre en Angleterre; sa vie, dit M. Costa de
Beauregard, est si mouvementée qu'on dirait un roman de cape et
d'épée (p. 173). Encore souffrit-il à diverses reprises de l'humeur du
duc, égoïste, fantasque, emporté, injuste. Mais ces voyages de la Fer-
ronnays qui l'éloignèrent fréquemment de sa femme et de ses enfants,
nous ont valu une correspondance dont M. C. de B. nous donne
d'intéressants extraits. La Ferronnays se rend à Varsovie, puis à
Mitau, à la cour ou, comme disait Louise de Condé, à la courette de
Louis XVIII, ce roi« absolument désillusionnant » (p, 160). Il se rend
à Londres, et, en passant par Hambourg, il est, malgré son déguise-
200 REVUE CRITIQUE
ment et son nom de Phlîps, dénoncé à Bourrienne (p. i8o). Revenu
à Brunswick en 1806 où il a laissé les siens, et comptant sur les vic-
toires prussiennes, il est obligé de fuir à Altona, de là à Husum, et
de regagner l'Angleterre. L'année suivante, il est en Suède, auprès
de Gustave IV ' et de Gothembourg, amène Louis XVIII sur le sol
britannique. Il repart pour la Suède en 1808 : il y voit Fersen « ce
serviteur si dévoué de la pauvre reine », le duc de Piennes, Armfeld,
sir John Moore. De retour en Angleterre, il passe le temps à étudier
les langues étrangères et à observer cette morne cour de Hartv»ell où
il n'y a « plus d'autre champ de bataille que celui des querelles et des
chasses, d'autre position à disputer que sa place à table et au jeu du
roi » (p. 275). En 181 3, il est chargé d'une véritable mission diploma-
tique ; Louis XVIII renvoie portera Pétersbourg une proclamation
et sonder les dispositions du tsar, tenter d'obtenir pour Monsieur ou
l'un de ses fils un commandement dans l'armée russe, pressentir la
cour de Russie sur un mariage possible entre le duc de Berry et la
grande-duchesse Anne, entrer en rapport avec les officiers français
prisonniers pour prévoir leur attitude au moment d'une restauration,
enfin s'assurer des dispositions de Bernadotte (p. 325). Il arrive à
Stockholm; il voit d'abord M"»' de Staël : « Que d'esprit chez cette
femme ! Il dépasse de beaucoup ce qu'on m'en avait dit I Jamais on
n'a vu les choses de plus haut qu'elle. On remue chez elle plus d'idées
en une heure que pendant un mois à Hartwell (p. 339) ». Mais Ber-
nadotte refuse de le recevoir, et le secrétaire intime du prince royal.
Camps, lui prédit un insuccès complet. La Ferronnays est boule-
versé ; Camps lui a dit de cruelles vérités, lui a dit que ses maîtres
n'avaient plus de droits à une couronne qu'ils n'avaient eu ni la force
ni le courage de conserver; que, si les émigrés rentraient en France,
ils devraient se défaire de leurs vieilles idées, « s'accoutumer à la
langue forte qu'on parle à Paris », laisser tout tel qu'ils le trouvaient
établi, ne réformer qu'eux-mêmes. Et la Ferronnays écrit ces lignes
qui lui font honneur : « Camps est odieux de forme et de langage.
Il a commencé par n'être qu'un petit commis qui sûrement n'a pas
reçu d'éducation. Ses coudes ne sont pas aussi arrondis, et sa tète,
quand il salue, ne descend pas aussi bien que celle de M. de Vau-
dreuil. En revanche, il impose davantage. II ne dit guère de fadeurs
aux femmes, mais il sait ce qu'il dit aux hommes. Sa conversation
est toujours sérieuse. Les têtes de ce monde-là sont habituées à de
fortes pensées. Que nous sommes loin en Angleterre de voir les
choses sous leur vrai jour! Que nous jugeons mal ce qui se passe en
dehors de nous et de nos préjugés! Nous en sommes encore au point
où la Révolution nous a surpris. Quand tout a changé dans le monde,
I. Il doit le revoir plus tard à Hartwell et Gustave lui donne son épée <> d'un air
à la fois solennel et égaré » (p. 3o6) ; cf. une nouvelle et étrange apparition de
Gustave IV à Dresde, p. Sgo.
d'histoire et de littérature 261
nous demeurons sottement fiers de notre sang et de notre éducation,
pourtant si détestable. Le plus habile chez nous ne serait pas en état
de tenir un quart d'heure contre le dernier secrétaire du dernier
bureau du dernier département de TEmpire! » Toute cette dernière
partie du livre est fort attachante. La Ferronnays voit à Stockholm le
ministre de Russie, Suchtelen, qui lui déclare que les alliés rédui-
ront la France aux frontières de 89 sans lui imposer une forme de
gouvernement. Il voit à Pétersbourg le chancelier Roumianzov qui
le paie de belles paroles, Armfeld qui lui révèle le caractère versatile
d'Alexandre et les mots mêmes de Bernadotte au tsar : « Faire son lit
sans les Bourbons et les empêcher par dessus tout de se mêler aux
affaires », un jeune officier de C..., prisonnier des Russes que la
gloire de Napoléon a fasciné, qui affirme que jamais homme n'a su
électriser ni récompenser les soldats comme l'empereur, que tous, du
plus grand au plus petit, n'ont pas le moindre souvenir des Bour-
bons. De Pétersbourg, La Ferronnays se rend à l'armée : Anstett et
Nesselrode lui font le même accueil que Roumianzov, et le tsar qui
lui donne deux audiences, tout en le recevant avec sa grâce ordi-
naire, lui dit qu'il est surchargé d'occupations, qu'il ne peut rien faire
dans ce moment pour le comte de Lille (Louis XVIII), que le réta-
blissement de la légitimité est la seule base de la paix, mais qu'il faut
d'abord jeter Napoléon de l'autre côté du Rhin. Ici se termine le
livre : La Ferronnays aborde bientôt avec le duc de Berry les côtes de
France et « il s'agenouille pour baiser amoureusement la terre d'où
il est banni depuis vingt ans ». C'est un attrayant ouvrage que nous
donne M, Costa de Beauregard. Certains aimeraient peut-être mieux
qu'il ait simplement publié tels quels les charmants mémoires que
M""^ de La Ferronnays avait écrits sous le titre Souvenirs d'une pauvre
vieille dédiés à ses enfants et les lettres de son mari qu'elle avait
classées (p. 11 11. M. Costa de Beauregard a préféré faire un livre
dont « les lettres du mari et les souvenirs de la femme font la trame ».
On connaît sa manière, les qualités agréables de son style, et aussi sa
recherche, son afféterie, ses rapprochements inattendus (« c'est à
Anne Radcliffe qu'il faudrait emprunter le décor du cantonnement »
de Volhynie, p. 104; « l'éternelle plainte de la vie de Chateaubriand
et de La Ferronnays fut l'écho de la vague qui les avait bercés », p. 2;
Fersen « inconsolable d'avoir conduit à Varennes le convoi funèbre
de la monarchie », p. 234, etc.). On peut aussi lui reprocher des
inexactitudes qui déparent son récit. La campagne de France n'a pas
été « une longue suite d'intrigues nouées et dénouées par dessus la
tête de Brunswick » et ce n'est pas « en exaspérant les rivalités diplo-
matiques de la Prusse et de l'Autriche » que Dumouriez a vaincu
(p. 28). Brunswick n'a pas pris Mayence et ce n'est pas « une violente
discussion avec "Wurmser qui acheva de le dégoûter de la coalition »
[id.]. La Rosière de Salency^ la comédie de M""' de Genlis, est nom-
202 REVUE CRITIQUE
mée la Rosière de Saltensi (^p. 5i) et Tabbé Alary, l'aumônier du
quartier général des émigrés, Vsxhhé Alaric{p. 84)'.
A. C.
Pierre Brun. —Henry Beyle-Stendhal. Grenoble, Alexandre Gratier et C'% 1900,
in-8», 145 pp.
La plupart des lettres que l'auteur croit inédites ont déjà été publiées
par M. Casimir Stryienski à la suite des Souvenirs d'egotisme et il y
a quelques erreurs dans la biographie de Beyle. La plus amusante est
celle-ci : « A Lausanne, dit-il (p. 16), Beyle n'oublia pas de se jeter
fort sottement aux genoux de la baronne de Montolieu qui prit très
mal la plaisanterie. » Comment M. Brun a-t-il pu avancer pareille
chose ? En lisant trop vite la page 22 de l'étude très négligeable d'Al-
fred de Bougy. Le corps de Beyle, dit Bougy, était « difficile à mou-
voir comme celui de Gibbon qui un jour, à Lausanne, dans un
paroxysme de passion, s'étant jeté aux pieds de la baronne de Monto-
lieu, ne put se remettre sur ses pieds ». M. Brun attribue à Beyle ce
qu'Alfred de Bougy racontait de Gibbon. Ajoutons que Mélanie ne
s'est pas mariée « cette année même «, c'est-à-dire en i8o5, avec un
boyard (p. 22) ; que Beyle n'a pas suivi la Grande Armée à partir de
1807 » [id.) puisqu'il est en 1807 et en 1808 à Brunswick, et de
décembre 1808 à avril 1809 à Paris ; qu'il n'eut pas en 18 14, à Gre-
noble, une « mission diplomatique » (p. 32); qu'il n'a pas en 1800
« fleureté sérieusement » avec Constance Pipelet (p. i3); que Jacque-
mont n'est pas du tout une « physionomie poétique à la Millevoye »
(p. 33); que Georges Washington ne paraissait pas dans le salon des
Tracy, et qu'il faut lire Georges-Washington Lafayette, fils du général
Lafayette et filleul de Washington [id.) ; que l'Octave (yAi'mance ne se
noie pas, mais s'empoisonne (p. bj). A ces inexactitudes et étourde-
ries s'ajoute un style plein de recherche. M. B. nous parle (p. 39) de
la névrose « dont la morsure rend plus doux les rares baisers de la
I. Il faut écrire Wurnnser et non Wiirmser, Clerfayt et non Clairfaict, Ferino
et non Fivino, Landshut et non Laudçiit, Wicliczka et non Wilitclika; Happon-
court et non Apponcourt, le Lech et non la Lcch, Windisch et non Windisli, Kla-
genfurt et non Klagenfurth, Cobenzl et non Cobent^^el, Libau et non Lipeau (!),
Young et non Yimg {^p. 274), Cathcart et non Catliiard {p. 38i et 383), Lebzel-
tcrn et non Lebi^elstem. Le magistrat émigré, cité p. 126 sous le nom de Rech,
doit 6lrc l'alsacien Roesch qui tut sous-préfet de Schlestadt sous la Restauration.
P. 162, qu'est-ce que « l'offre étrange que Bonaparte avait faite à Louis XVIII de
lui céder sa couronne à beaux deniers comptants? » Pp. 240-241, pourquoi ces
deux si longues notes sur Moore et Armfcld, et rien sur les autres personnages?
P. 3i6, il est curieux que l'auteur ne cite pas parmi ces attaques, crimes et vio-
lences, l'assassinat tragique de d'Antraigues et de sa ferame (il eût fallu d'ailleurs
rappeler, p. 278^ que d'Antraigues avait aidé Puisaye dans la lutte contre d'Avaray).
d'histoire et de littérature 203
vie, crée les élans fous et fait fleurir dans les cœurs la pourpre des
roses et du sang «. Il écrit (p. 69) qu'il faut, pour parler de Tamour,
« avoir essayé de forcer les cœurs féminins, et afin d'être un cambrio-
leur de premier ordre, que cela vous soit venu, non pas en entendant
chanter, mais en entendant grincer le rossigtîol >>. Malgré ces défauts,
malgré l'affectation de la forme et ses familiarités voulues, malgré le
ton trop souvent feuilletonesque, ce travail, d'ailleurs un peu trop,
court, témoigne d'une attentive lecture de Stendhal; il contient de
fins aperçus et d'utiles remarques (outre un bon index chronologique
d'ouvrages et articles à consulter sur Beyle, parmi lesquels l'article de
M. G. Paris sur Paton dans notre Revue de 1874) ; il offre une lecture
agréable et le livre est d'une très belle exécution ; on peut dire de la
publication à tous égards qu' « elle a d'assez beaux yeux pour des
yeux de province ' ».
A. G.
Gœthe-Jahrbuch, hrsg. von L. Geiger, XXI, Band. Frankfurt am Main, Rûtten
et Loening, 1900, in-S", x et 349 pp.
Le Gœthe-Jahrbuch de cette année contient dans la première partie :
1° des lettres inédites de Gœthe à cette Ulrique de Levetzow qu'il eut
un instant la pensée d'épouser; elles sont publiées par M. Suphan
qui les accompagne d'un précieux commentaire; 2° une intéressante
communication de M. Schiiddekopf sur Gœthe et lesMonumenta Ger-
maniae ; 3° deux fragments d'un drame Fa/^^o^ que Gœthe avait com-
mencé ; 4° une lettre écrite en octobre 181 5 par le poète à Charles-
Auguste. — La deuxième partie du volume renferme des études de
M. Fulda sur l'épilogue du Tasse, de M'"^ Malwida de Meysenbug
sur la vie de Gœthe, de M. Munch sur Gœthe dans les écoles alle-
mandes, de M. Ad. Stern sur Gœthe et Dresde, de M. L. Geiger sur
Hirzel et Bernavs, de M. Gœbel sur Homunculus, de M. Tùrck sur
la Magie et le Souci dans le Faust, de M. Diintzer sur Hermann et
Dorothée, de M. Seuffert sur l'histoire du texte de Werther. M. Diin-
tzer, toujours ardent et un peu irréfléchi dans son zèle gœthéen,
prétend justifier un vers connu du chant IV. Ce vers est étrange et
certaines éditions le suppriment. La mère souhaite à son fils qu'il ait
une femme et que « la nuit devienne pour lui la belle moitié de la
vie ». Le vers sied évidemment mieux à Philine qu'à Lisbcih, et la
rieuse, frivole et sensuelle actrice le répète mot pour mot dans Wil-
I. Lire p. i3 et 26, Bigillion et non Bigilion ; p. 26, Mallein et non Mallin ; p.
34, Thurot et non Tu rot ; p. 56, StrogonotV et non Stroganojff ; p. 93, Shatiwcll et
non Sadn'cl ; p. 94, Wicse et non Wiesse ; Lenau et non Levaii ; p. 100, Cramer et
non Crâner.
264 REVUE CRITIQUE
helm Meister. Or, M. Dùntzer assure que Gœthe veut parler simple-
ment de r « ouverture des cœurs » ; il n'admet pas que le poète ait pu
« détonner». Il me suffira, pour le réfuter, de lui citer ce mot d'un de
mes vieux amis auquel je demande à brûle-pourpoint s'il a lu Her-
mann et Dorothée : « Je Tai lu, me répond-il, à Tàge de quinze ans,
au collège, en troisième dans une traduction et je ne me souviens que
de ce passage qui m'a fait rêver, que la nuit est la belle moitié de la
vie » '. — La troisième partie de l'Annuaire est consacré aux mélanges :
nous y relevons des articles sur la légende du fer à cheval (Boite), sur
le postillon Kronos (Kluge), sur VErlkœnig (Petsch), sur Clodius et
les figures mythologiques dans la lyrique de Gœthe (Alt), sur une
recension d'Arnim et un jugement de Jean de Miiiler (Geiger). Nous
avons peine à croire que Napoléon III ait irsiàmimein Her^ istschxper
par mon cœur souprimé ; ne faut-il pas lire opprimé? (p. 292I. — Le
volume a, comme toujours, une bibliographie et un index; il se
termine, cette fois, par un Festvortrag tenu à l'assemblée générale de
la Société de Gœthe le 9 juin 1900 par M, R. Eucken : Gœthe et la
philosophie.
A. G.
ScHERiLLo (Michèle . I canti di Giacomo Leopardi illustrât! per le persone
coite e per le scuole, con la vita del poeta narrata di su l'epistolario. Milan,
Hoepli, 1900. In-i6 et 32 1 p.
Ce volume, très élégamment imprimé et orné d'un portrait fidèle de
Leopardi, se compose de trois parties. — Dans la première, le savant
professeur de l'Académie scientifico-littéraire de Milan interprète
avec sagacité les nombreux documents publiés dans ces dernières
années sur la vie du poète et nous donne, non pas une biographie
complète, mais une réfutation de quelques erreurs encore trop répan-
dues. 11 s'attache en particulier à justifier le père de Giacomo d'im-
putations qui remontent à Giacomo lui-même. Il trace un portrait
vivant de Monaldo Leopardi. Ce gentilhomme récanatais ne fut ni un
avare ni même un hobereau insignifiant. Parini et Alfieri avaient
retrempé les cœurs de ceux même dont ils n'avaient point émancipé
les esprits : Monaldo vécut un peu en guelfe du moyen âge qui limite
I. Qu'on me permette à ce propos une autre remarque, toute personnelle. Dans
le dernier fascicule de la Zeitschrift ftiv deutsche Philologie, II, 282, M. Dûntzer
dit que j'ai publié une édition de la Campagne de France où Goethe avoue « l'inin-
telligence du généralissime allemand », pour amuser des jeunes Français : pir
Belustigung jiinger Frani^osen. Je me contenterai de répondre à cette assertion
de mauvais goût que la Campagne de France devait être expliquée par les can-
didats à l'Ecole militaire, et qu'il n'y avait pas d'édition française de ce texte qui,
d'ailleurs, n'est pas amusant.
d'histoire et de littérature 265
la patrie aux murs de la ville natale, mais l'aime profondément, et se
jeta dans les luttes politiques et religieuses au point de se faire violent
journaliste; seulement Tart de se conduire lui manquait, et, acculé à
la banqueroute par ses prodigalités et ses spéculations malheureuses,
il avait dû se laisser mettre en tutelle par sa femme, personne hon-
nête et pieuse, mais vaniteuse et sèche, qui souhaitait le plus sincè-
rement du monde le paradis à ses enfants et aurait même voulu les y
voir tout de suite pour restaurer moins malaisément le patrimoine de la
famille. — Viennent ensuite les poésies de Leopardi publiées avec les
corrections 'que le poète avait préparées pour l'édition qui devait en
être donnée à Paris ; et enfin des notes où l'on remarquera surtout,
outre de belles pages empruntées à Fr. De Sanctis et à MM. Carducci,
D'Ovidio, Zumbini, de très curieuses observations touchant l'in"
fluence exercée d'abord par Monti sur Leopardi, sur la promptitude
avec laquelle Leopardi s'en affranchit, sur son goût plus durable pour
Byron et les poètes allemands.
Charles Dejob.
Pierre Morane. Au seuil de l'Europe, Finlande et Caucase, Paris, Pion, 1900,
vii-286 p.
« Le seuil de l'Europe », comme hélas ! l'intérieur du continent, est
le théâtre de ces drames poignants qui sont la lutte pour l'existence
des petites nationalités ou encore des communautés religieuses dont
l'idéal dépasse le niveau d'une orthodoxie officielle. Cette lutte est
ailleurs aussi ardente, elle n'est nulle part plus brutale que dans
l'empire russe. M. Pierre Morane en raconte les épisodes aujourd'hui
les plus illustres: ceux qui se déroulent en Finlande et chez les Armé-
niens et quelques-uns plus obscurs, comme la persécution des sec-
taires du Caucase. Il a observé de près les affres de ces populations et
il a le courage d'exposer leurs maux et de plaider leur cause dans un
volume qui s'adresse au public français. On se demande vraiment
après avoir lu ce livre si la Russie n'a pas provoqué sincèrement le
règne de la paix entre nations pour permettre à quelques Etats d'ac-
complir chez eux sans être troublés certaines besognes.
S'il est peut-être juste du point de vue géographique de situer la
Finlande au « seuil de l'Europe », on reconnaîtra qu'elle est profon-
dément européenne par sa civilisation; elle l'est à coup sûr plus que
la Russie. Ce serait donc pour elle un recul que d'être russifiée, et
c'est ce dont le peuple finlandais a conscience. Tout en montrant ce
que la constitution du Grand-Duché a d'archaïque et même d'illibé-
ral ; tout en déplorant que les deux nationalités suédoise et finnoise
se combattent — la Russie les a divisées pour régner. — M. M. a été
remué par le spectacle du deuil national qui suivit l'oukase du 3/ 1 5 fé-
266 REVUE CRITIQUE
vrier 1899, coup mortel à l'autonomie de la Finlande. « Ayons pitié,
s"ccrie-t-il, de ce peuple que la Russie vient de frapper.... en plein
etîort, en pleine promesse !... » Osera-t-on chez nous manifester une
pitié peu flatteuse pour le « précieux allié » ? L'on regrettera que
M. M. n'ait pas abordé le côté international du sujet, ni révélé à quelle
préoccupation de cet ordre la diplomatie russe obéit en poussant son
action sur les bords du golfe de Finlande.
Ce qui attire M. M. dans le Caucase, c'est moins le pittoresque que
la présence de spécimens de races très différentes réunis dans un cadre
étroit ; de toutes les races la plus intéressante par son passé, par son
avenir, comme par son infortune présente est celle des Arméniens. On
a dénoncé depuis quelque temps déjà le rôle joué par la Russie dans
les massacres arméniens et M. M. n'y contredit pas. Selon lui, la
Russie ne poursuit pas une politique d'annexion territoriale, car elle
redoute d'incorporer un élément réfractaire dont l'instinct libéral et
démocratique est irréductible et dont l'activité commerciale créerait à
ses nationaux une fâcheuse concurrence. M. M. croit que l'Arménien
pourrait être gagné par la douceur et par la liberté : cette conclusion
est d'un sceptique.
M. M. professe moins de sympathie pour les Géorgiens dont les
vertus nationales semblent s'être évaporées, et qui s'accommodent
fort bien de leur état de sujétion ; quant aux sectaires exilés dans le
Caucase, Molokanes ou buveurs de lait et Doukhobortses dont la
récente histoire est singulièrement curieuse, il constate que le tols-
toisme se répand parmi eux et ainsi au-dessous ou plutôt au-dessus
du lacis étouffant de l'orthodoxie d'État, s'étend, par toute la sainte
Russie, le réseau aux mailles plus larges d'une religion à la fois plus
proche de l'Evangile et de l'àme populaire,
B. AUERBACH.
Mémoires du Prince Nicolas Soutzo, grand logothète de Moldavie, 1 798-1871,
publiés par Panaïoti Rizos, Vienne, Garold et C'« 1899, xii-434 p.
Ces Mémoires éclairent la période de l'histoire des principautés de
Moldavie et Valachie depuis le Règlement organique qui suivit le
traité d'Andrinople 'i 83 1-2) jusqu'à l'avènement du roi Carol. L'auteur
fut mêlé à la vie publique jusqu'en i863, date de la consommation
de l'union sous le gouvernement d'Alexandre Couza. Il fut malgré ses
origines et ses préjugés un serviteur sincère de son pays d'adoption, la
Moldavie.
Par sa naissance, il appartenait à cette caste du Phanar qui a laissé
un assez mauvais renom et c'est, quoiqu'il en ait, la politique phana-
riote qu'il représenta, politique dont il montre les beaux côtés ; car
les Phanariotes ont consolide l'héllénisme en Turquie et dans les prin-
d'histoire et de littérature 267
cîpautés dont la Porte leur confiait l'administration, ils ont travaillé à la
régénération deces peuples plus misérablement traités par leurs maîtres
indigènes que par le Turc. (p. 248 et suivantes). Ce sont les boyards
moldaves qui par leurs intrigues,, leurs malversations, entraînèrent la
ruine matérielle et morale du pays; c'est contre eux que le prince
Soutzo eut à lutter dans les divers emplois qu'il occupa sous les règnes
de Michel Stourdza et de Grégoire Ghica. Il ne cesse de signaler les
vices fondamentaux de la société moldave ; il trace des principaux
boyards des portraits à la Saint-Simon. Le remède au triste état de
choses dont souffraient les principautés résidait, suivant le prince,
dans le protectorat étranger. Soutzo fut un russophile avéré, ce qui ne
contribuapas peu à son impopularité. C'est dans la Russie que les petits
peuples d'Orient ont trouvé leurs puissants patrons pour plaider leur
cause devant les Congrès européens et pour présider à leur émanci-
pation ; aussi le prince Soutzo fut-il un ennemi convaincu du roma-
nismCj parce que ce mouvement, selon lui, tendait «à servir purement
la politique autrichienne », proposition qu'il néglige de démon-
trer. Mais on lira avec curiosité ses arguments contre les réformes
du recteur Laurian introduites vers i85o (p, 188); quant aupanrouma-
nisme,le prince s'en défia également parce qu'il le considérait comme
un instrument révolutionnaire (appendice Décrit en 1857, p. 276). Aussi
le régime constitutionnel inauguré par Alexandre Couza ne fut-il
pas de son goût, d'autant qu'on l'avait évincé de la commission char-
gée d'élaborer le Statut. Si Ton passe condamnation sur les rancunes et
les partis pris de l'auteur, il est intéressant de consulter son jugement
sur les événements dont il fut témoin.
Ces événements, pourpeu édifiants et glorieux qu'ils soient, appellent
l'attention de l'historien parce qu'ils racontent comment les nationa-
lités chrétiennes se dégagent en quelque sorte de la gangue orientale
pour naître aux formes et aux idées politiques de l'Occident : ce n'est
pas un des épisodes les moins significatifs de la question d'Orient. On
tire aussi de cet exposé cette conclusion, que l'avènement d'une dynas-
tie étrangère fut une nécessité encore plus qu'un bienfait. Les Mémoires
du prince S. se lisent sans fatigue, le style un peu ancien régime en
est agréable ; l'auteur ne néglige point les détails personnels et par
exemple il nous fait pénétrer dans la vie intime de la société phana-
riote, au milieu des Turcs dont elle subit les avanies. On trouvera en
annexes du volume quelques documents diplomatiques qui ne
manquent pas d'intérêt. B. A.
F. Van Ortrov. Conventions internationales définissant les limites actuelles
des possessions, protectorats et sphères d'influence en Afrique, publiées
d'après les tcxics authentiques. (Bruxelles, Soc. belge de Librairie, 1898, xix-5i7
p. avec une carte en couleurs à l'échelle de 1 : i8,825ooo.
Le dossier des actes relatifs aux délimitations territoriales en
268 REVUE CRITIQUE
Afrique s'enfle chaque jour ; aussi saura-t-on gré à M. V. O. d'avoir
rassemblé ceux qui marquent une possession d'état et les plus impor-
tants de ceux qui rappellent une phase décisive de l'histoire des
partages africains. M. V, O. n'a d'autre ambition — il le déclare
modestement — que de rassembler des documents; encore a-t-il dû
opérer un tri et un classement. Parmi les conventions et arrangements
internationaux, il a publié : i° les pièces concernant des cessions éven-
tuelles de territoires ; 2* celles qui fixent les limites actuelles ; 3° enfin
des sentences arbitrales réglant des litiges de frontières. Il a cru devoir
ranger les pièces par ordre chronologique et cette disposition serait
de nature à déconcerter les recherches s'il n'y était remédié par une
table où le groupement géographique est respecté. Une table analy-
tique des matières excellente de tous points, une liste des signataires
des traités et conventions facilitent encore la consultation de ce réper-
toire. Enfin, il faut louer M. V. O. d'avoir donné les textes originaux
dans les langues des parties contractantes. Cette précaution, rare dans
les recueils diplomatiques, est une garantie de saine interprétation.
Le corps de l'ouvrage comprend encore l'année 1896 ; en annexe
figurent des actes de 1897 et 98. C'est une invitation à M. Van Ortroy
à continuer sa tâche qui n'est pas près d'être achevée.
B. AUERBACH.
La France au point de vue moral, par Alfred Fouillée. Un vol. in-8", i-vi. i-
416. Félix Alcan, éd. 1900.
M. Fouillée aborde cette fois, avec sa large abondance habituelle de
points de vue et d'idées, ce grand problème : le moral de la France.
Dès les premières pages du livre je sens naître dans mon esprit une
objection ; qu'est ce que la France prise au point de vue moral ? Il y
a une France matérielle, territoire, gouvernement, institutions poli-
tiques, judiciaires, administratives : y a-t-il réellement une France
morale? Est-ce que quand on veut étendre à la totalité de notre pays
telle ou telle disposition d'esprit ou de caractère, tel penchant, telle
faculté, tel défaut ou telle qualité, observée dans certains groupes ou
dans certaines classes d'individus, on ne risque pas une généralisation
périlleuse et contraire à la bonne méthode scientifique ? Les premiers
chapitres du livre de M. F. ne me rassurent pas complètement, je
l'avoue, sur ce point : je le vois énoncer comme des aptitudes géné-
rales de la race, des tendances qui ne me paraissent appartenir qu'à
des catégories restreintes. M. F. arrive à cette définition : La France
représente les grands principes de la révolution, « l'idée des droits
égaux de la justice, de la fraternité humaine, inspirée par le culte de
la raison ». M. Brunetière, dont M. F. rappelle les paroles, pour les
combattre, avait déclaré, lui, que « la France c'est le catholicisme ». Ni
d'histoire et de littérature 269
l'une ni Tâutrô de ces affirmations absolues ne me satisfont : ceux qui
les émettent risquent, en étant trop catégoriques, de prendre la partie
pour le tout. En réalité, il y a, je crois, en France, peut-être pour
notre malheur, plusieurs ÎFrances morales qui se combattent, se para-
lysent ou se poussent Tune l'autre aux excès. Et ce pourrait bien être
là le vrai mal moral, ou la vraie crise morale, dont il faudrait recher-
cher à la fois les causes historiques et les remèdes possibles.
Au fond c'est bien l'étude qu'entreprend M. F. quand, laissant de
côté les généralités, il aborde successivement les différentes parties de
son sujet. Il tranche même tout de suite dans le vif en commençant
son exploration par la « crise religieuse «. Après quelques sévérités
adressées aux philosophes qui se sont trop désintéressés du mouve-
ment du monde contemporain, ou qui ont vu dans^ le spectacle de
celui-ci un pur objet de dilettantisme intellectuel, il n'est pas plus
indulgent pour le catholicisme, dont il analyse avec beaucoup de
finesse et de courage les irrémédiables lacunes : — et il ne déclare
celles-ci irrémédiables qu'après avoir fait un effort consciencieux pour
ramener « l'esprit chrétien » à « l'esprit du siècle ». Mais il sait
bien qu'à force d'élargir le premier il le change en « une religion
morale et sociale » qui n'a plus que le nom de commun avec la reli-
gion traditionnelle. « La caractéristique du xix« siècle fut l'effort, plus
ou moins heureux, pour séculariser la religion en transposant les
idées religieuses dans la philosophie et dans la science. Cette œuvre...
c'est la France qui l'a accomplie, c'est elle qui a conçu et ébauché une
religion de l'humanité : c'est elle qui, au xx« siècle, doit s'efforcer
d'achever sa tâche. » Et l'auteur, non sans quelque ironie, passe en
revue les tentatives qui ont été faites soit pour libéraliser l'Eglise « au
point d'y comprendre les mahométans ou les bouddhistes de bonne
foi, et même les juifs qu'on brûlait jadis, de façon que nous sommes
tous catholiques sans le savoir et sans le vouloir » ; soit les échecs du
néo-catholicisme suscité par de jeunes littérateurs contemporains et
dont M. F. dit avec raison qu'il « était en réalité superficiel et mon-
dain, politique plutôt que religieux, étranger à l'élite des penseurs
comme à la masse du peuple ». « Certes, ajoute l'auteur, devant tous
les dangers suspendus sur notre pays par les passions politiques et
sociales, comme par le fanatisme anti-religieux, un bon nombre de
familles ont accentué une sorte de retour aux pratiques religieuses,
tout au moins un mouvement vers les établissements d'éducation
chrétienne : mais tout cela est à la surface et ne provient pas d'une
foi véritable aux dogmes... foi politique qui recouvre l'incroyance
théologique » ; — qui recouvre, je crois, — et là j'aurais voulu voir le
philosophe analyste qu'est M. F. pousser plus loin et plus profondé-
ment son investigation, — qui recouvre trop souvent bien d'autres
préjugés et d'autres instincts peu louables de snobisme aristocratique
singulièrement développés dans notre bourgeoisie, depuis quelques
270 REVUE CRITIQUE
années, non sans que rEglise,qui y trouve son intérêt, l'y ait poussée
de diverses façons.
Après la religion M. F. en vient à la presse, et il a raison de la
placer au plus haut rang parmi les influences sociales actuelles : ce
qui ne veut pas dire : parmi les influences profitables au point de vue
moral. Le procès de la presse contemporaine est facile à faire : M. F.
dresse l'acte l'accusation sans laisser de côté aucun des griefs légi-
times qu'on peut formuler contre elle : la recherche du scandale, le
mépris de la vérité, les concessions à la pornographie, la promptitude
à la diffamation, la vénalité des informations ou des opinions qui dis-
tinguent un trop grand nombre de nos feuilles, au moins de celles
qui sont le plus lues, et qui pour être lues font fi de tout scrupule
moral : sur tous ces points M. F. est un juge aussi bien instruit que
sévère. Certes personne n'exagérera le mal que fait une telle presse
dans un pays de suffrage universel où l'opinion est, nous l'avons trop
vu, constamment corrompue ou trompée. M. F. demande avec raison
qu'on ne se repose pas sur l'excès du mal pour guérir le mal, et il réclame
une modification de « l'état chaotique» où, en vertu de préjugés regret-
tables, est tombée notre législation sur la presse, surtout depuis la
mauvaise loi de 1881, inspirée d'une fausse notion de la liberté démo-
cratique : mais il se contente d'indications générales, sur le sens des
réformes à accomplir. Aussi bien ce n'était pas pour lui le lieu
d'entrer dans un examen détaillé de la question peut-être la plus
grave et la plus ardue de celles qui touchent à nos mœurs publiques :
question qui sera probablement insoluble tant qu'il ne se sera pas
produit une grande modification dans notre conception de la liberté
et de la souveraineté populaire. L'un des premiers résultats de cette
modification dans l'état des esprits serait une réorganisation des par-
tis qui tiendraient, au moins les partis modérés et vraiment libéraux,
à posséder à eux une presse respectable, et qui feraient, pour l'avoir,
les sacrifices d'argent nécessaires.
Les autres problèmes auxquels touche M. F. rentrent en général
dans le cadre des questions de criminalité et des questions d'édu-
cation— celles-ci devant, dans la pensée de l'auteur, exercer une pro-
fonde influence sur celles-là. Peut-être pourrait-on trouver que son
livre, ici, s'éloigne un peu des vastes horizons qu'il avait d'abord
semblé vouloir envisager, et auxquels il n'a en somme consacré
que la moindre partie de son volume, pour y revenir, à la fin du livre,
dans une « Conclusion » assez rapide. Cependant il faut bien avouer
que la criminalité est comme le miroir ou plutôt le thermomètre de
la moralité pathologique d'une nation et il est bon pour un moraliste
d'examiner à fond les indications qu'elle fournit. Elles sont bien loin
d'être satisfaisantes pour notre pays. La criminalité juvénile notam-
ment y a fait des progrès lamentables sur lesquels M. F. s'étend lon-
guement en en recherchant les causes, qui ne sont pas d'ailleurs — pas
d'histoire et de littérature 271
plus que le mal lui-même — particulières au peuple français. Ici encore
il rencontre ~ parmi d'autres sources de l'infection — la presse quia
sa bonne part de responsabilité dans l'extension du fléau. Le dévelop-
pement de l'instruction et notamment de l'instruction primaire avait
pendant longtemps passé pour devoir être le remède infaillible contre
la démoralisation. Stuart Mill raconte dans ses Mémoires que son père
pensait que tout irait bien dans le monde le jour où chaque homme
saurait lire et écrire. Nous avons, sous le second Empire et au début
delà 3^ République, entendu à satiété ce refrain. Il a fallu en rabattre,
comme de beaucoup d'autres préjugés qui n'ont pas résisté à l'expé-,
rience des faits. M. F. combat avec raison ceux qui prétendent que
l'École a été une source de vices : mais il combat avec une raison égale,
à la fois, ceux qui pensent que telle qu'elle est constituée elle suffit à la
véritable éducation delà démocratie, et ceux qui voudraient la réforme
en intégralisant Vinsxructïon. Il montre avec force que l'accumulation
des notions positives n'est pas une éducation des caractères ni des
volontés, et que celle-ci seule est une éducation morale. Il a confiance
dans l'efficacité d'un enseignement « sociologique» insistant auprès de
l'enfant sur les questions de solidarité sociale, d'interdépendance des
êtres composant le tout dont chacun est partie et qui crée à chacun à la
fois des droits et des devoirs. Je crois qu'il est dans la bonne voie en
réclamant l'orientation de notre enseignement public, à tous les degrés,
dans ce sens : il fournit d'utiles suggestions sur les moyens d'ame-
ner cette transformation qui devrait se produire dans les corps ensei-
gnants avant de descendre aux bancs de l'école : mais il faut reconnaître
que le recrutement et l'organisation actuelle du corps enseignant sont
de grands obstacles à la transformation désirée. Elle exigerait pour se
réaliser un petit nombre d'esprits et de caractères d'élite qui agiraient
ensuite avec autorité sur la masse : mais la démocratie a produit là
comme partout son travail d'éparpillement, et sinon d'abaissement, du
moins de foisonnement de la médiocrité. La quantité a été cherchée au
lieu de la qualité. De plus, on a posé des barrières infranchissables
entre les divers degrés d'enseignement. L'instituteur est devenu un
personnage beaucoup trop politique et non universitaire. C'étaient
là probablement des nécessités du suffrage universel : il faudra cepen-
dant remonter le courant sur bien des points si le suffrage universel
veut vraiment réagir contre ses causes de destruction. Au lieu d'émiet-
ter son budget, l'état démocratique devra en garder quelques mor-
ceaux importants pour former des centres d'éducation qui attireront
des éducateurs de premier ordre, pris aux plus hauts rangs du person-
nel enseignant et destinés à renouveler l'esprit du corps tout entier.
L'Église offre, dans son passé, et même dans son présent, des exemples
qu'il faudrait avoir sans cesse sous les yeux. Elle a toujours su orga-
niser sa hiérarchie, en en renouvelant le principe quand la nécessité
lui en était démontrée. Aujourd'hui même, nous la voyons, en pré-
272 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
sence du recrutement inférieur de son clergé séculier, user largement
de l'influence des prédicateurs réguliers. Un problème du même ordre
se présente devant la société laïque. Ce n'est pas sur les bataillons des
maîtres d'école, tout dévoués d'ailleurs qu'ils soient, à leur œuvre qu'il
faut compter pour renouveler la vertu morale de l'enseignement : mais
sur certaines hautes personnalités, qu'il faudrait de plus en plus atti-
rer vers les questions d'éducation, leur assurant, par les distinctions
désirables, la considération dans l'Etat. C'est d'elles que viendra,
s'il doit venir, le souffle qui fécondera au point de vue moral l'ensei-
gnement nécessairement élémentaire donné dans l'école. Les hommes
et non les programmes sont des sources de moralité. Nous avons déjà
vu dans l'enseignement supérieur et dans celui des jeunes filles des
exemples de ce que peut être le prestige de certaines individualités, et
leur influence générale sur la jeunesse. Des personnalités du même
ordre, en se multipliant et en associant leur apostolat, pourraient
réchauffer et élever dans le sens moral l'enseignement primaire, et aussi
l'enseignement secondaire qui n'en a pas moins besoin que son frère
cadet. On connaît les idées de M . F. sur la réforme de nos lycées. Il
soutient avec une ardeur communicative le maintien des études clas-
siques et le couronnement de ces études par une classe de philosophie,
d'ailleurs transformée et élargie dans le sens que nous indiquions tout
à l'heure. Mais là comme pour l'école primaire, tant vaudront les pro-
fesseurs enseignants, tant vaudra l'enseignement au point de vue moral.
Je ne crois pas, pour ma part, pas plus d'ailleurs que M. F. lui-même,
à la vertu moralisatrice des lettres classiques livrées à leur propre valeur
et si un habile éducateur n'y sépare pas l'ivraie de la bonne semence.
De même pour la philosophie. M. F', montre mieux que personne ce
qu'elle peut contenir, et ce qu'elle a contenu et contient encore, telle
qu'on l'enseigne trop souvent, d'oiseux ou de périlleux, de stimulants
à la subtilité, à la quintessence, aboutissant comme résultat flnal au
dilettantisme ou au socialisme métaphysique. Là encore M. Fouillée
voudrait avec raison l'extension de la « sociologie » et de « la morale
sociale » : mais qui ne sent tout ce qu'il faudrait d'abord changer à la
tète pour faire descendre le sang vivifiant dans les membres?
Eugène d'EicHTHAL.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 41 — 8 octobre — 1900
Kavirahasyam, p. Heller. — El Djahiz, Le Livre des Beautés, p. Van Vloten. —
Le Kitàb el-Mahasin, p. Schwally, I. — Windenbergkr, La république confédé-
rative de Rousseau. — Kuscinski, Liste des députés et suppléants de la Législa-
tive. — Lenôtre, Paris rérolutionnaire. — La Mazelière, La peinture aile-'
mande. — Heinze, La saisie des paquebots-poste allemands par les Anglais. —
Lebeden, Russes et Anglais en Asie centrale. — A. de Bkrtha, Magyars et Rou-
mains devant l'histoire. — Xénopoi-, Réponse à M. de Bertha.
Halâyudha's Kavirahasya in beiden Recensionen, herausgegeben von Ludwig
Heller. (Sanskrit-Drucke, eine Sammlung indischer Texte begrûndet von K. F.
Geldner. L) Greifswald, Abel, 1900. In-8, viij-102 pp. Prix 5 mk.
Leurs titres ont toujours quelque chose de rare. . . Kavirahasyam
« Le Secret du Poète » ! Ne songez ni à Olympio ni à Henri Heine :
c'est uniment un «Jardin des Racines Sanscrites. »
Et quel jardin ! Un fouillis, cela va sans dire, comme toutes les
élucubrations grammaticales de ITnde. Aucun semblant d'ordre, soit
logique, soit alphabétique. A peine, çà et là, quelque vague rappro-
chement fondé sur l'homophonie ou la synonymie : ainsi (^ 4?), les
deux racines stii et nu sont accouplées en une stance, parce qu'elles
signifient toutes deux « louer »; en revanche ip 218), on constate
l'étonnant mélange des deux racines yam et anc/i, sous le fallacieux
prétexte que la première, pourvue du préfixe d, fait àyacchati, qui
ressemble de bien loin à dnchati. Et partout de même, à grand renfort
de métaphores, d'allitérations et de calembours, ces fleurs préférées de
l'horticulture de décadence, qui d'ailleurs déguisent fort mal l'intolé-
rable monotonie du fond. L'auteur, en effet, a prétendu réaliser ce
tour de force, d'encadrer le tableau général des racines sanscrites et
de leurs formes verbales, attestées ou non par la littérature, dans
l'énumération des vertus d'un souverain idéal, le Grandisson des rois,
le héros sans peur et sans faiblesse ; et il en résulte souvent un balan-
cement de stance dont voici le type : « Lui dont la pensée ne vacille
jamais dans le devoir, dût-il lui en coûter toute sa fortune, mais qui
fait sans cesse vaciller l'espoir de vivre de la troupe de ses ennemis. »
Encore les versiculets de ce genre ont-ils un mérite : on les comprend
à la lecture ; mais on en prend assez vite la nausée. Ce livre veut être
savouré lentement.
Nouvelle série L. 4'
274 REVUE CRITIQUE
Il se compose de deux recensions (a et Ji), Tune de 299 stances,
Taiure de 274, de divers mètres, mais çlôkas en majorité, avec intro-
duction et conclusion identiques : très peu destances reviennent sans
variantes dans les deux textes; beaucoup même diffèrent notablement
entre elles, quoique portant sur les mêmes racines ; et quelques racines
manquent dans l'une qui figurent dans Tautre, ou réciproquement.
M. Heller a multiplié les références qui permettent de les confronter :
je remarque que a 294 devrait renvoyer à [i 88, et inversement,
puisque ciir et cûr sont des variantes d'une seule et même racine.
Entre autres particularités, j'ai relevé : le verbe l'iij « briser » (a 247)
avec le complément au génitif, ce qui, d'après le PW., est excep-
tionnel quand ce complément désigne une personne ; le verbe ric^ au
causatif, avec le sens de « se vider » fJ3 98), ou du moins Je n'en vois
guère d'autre possible; le mot apamrtyam « danger de mort », auquel
il faut sans doute substituer apamrtyiim ( ^ 174) ; le mot parigraha
(p 224), avec le sens de « malédiction, juron », marqué d'un astérisque
au Dictionnaire ; le barbarisme au moins apparent nihsimàm « im-
mense /; accusatif féminin singulier, alors qu'on ne trouve que l'adjec-
tif 7n'h5jwan (p 227),
Mais toutes ces observations sont prématurées. M. Heller sait mieux
que personne qu'un ouvrage de ce genre ne peut avoir de valeur qu'au-
tant qu'il est accompagné de notes lexicographiques, d'extraits du
commentaire et d'un classement des racines. 11 se propose de nous
donner tout cela dans la suite, et la minutieuse précision, la forte con-
naissance de la langue, la sagacité, enfin, qu'il a apportées à la colla-
tion des manuscrits, nous font très bien augurer de l'achèvement de
sa tâche. On doit souhaiter qu'il ne se fasse pas trop attendre. C'est là
un heureux début pour la collection de textes sanscrits dont M. Geld-
ner entreprend la publication.
V. Henry.
Le livre des beautés et des antithèses, attribué à Al-Djahiz, texte arabe publié
par G. van Vloten. Leyde, Brill, 1898, un volume in-8°, xiv et 383 p.
Ibrahim ibn Muhammad Al-Baïhaki-Kitâb al-Mahasin Wal-Masa^vi, heraus-
gegcbcn von D' V. Sciiwallv. i tcil, Gicssen, 1900, 224 pp.
De ces deux publications dont le sujet est identique la première a
déjà deux années de date. Nous attendions pour en rendre compte
que le savant éditeur l'eût complétée en y ajoutant l'introduction, les
notes et surtout l'index qui en rendront la lecture plus facile. Ce sup-
plément indispensable n'a pas encore paru. Fort heureusement le
texte non moins intéressant dont M. Schwallv vient de donner le
premier fascicule — il y en aura trois — nous fournit l'occasion d'ap-
peler l'attention sur le travail de M. Van Vloten et de dire en quel-
ques mots ce que l'on peut attendre de l'un et l'autre ouvrage.
d'histoire et de littérature 275
Mais tout d'abord, en remerciant M. V. V. d'avoir rédigé sa pré-
face en un français correct et clair, nous lui ferons une petite chicane
3ur la traduction par trop littérale, partant un peu vague qu'il a don-
née du titre arabe. Au cours des trois premiers siècles de l'hégire se
produisit un genre particulier d'écrits qui s'attachaient à opposer les
beaux côtés de la nature humaine à ses faiblesses et à ses laideurs, en
particulier à ce que les Arabes prisent le plus, par exemple, la bravoure
en face de la lâcheté, la générosité opposée a l'avarice et ainsi de
suite. Le génie littéraire de cette race si riche en souvenirs, si mer-
veilleusement douée pour l'anecdote s'est plu à compulser documents
écrits et traditions pour y trouver des modèles à suivre, des exemples
à éviter, quelque chose, en un mot, comme une morale en action
avec des contrastes bien choisis pour en rehausser la valeur. Or ce
que M. V. V. traduit par Livre des beautés et des antithèses nous
laisse dans le doute. Je reconnais que l'extrême concision de l'arabe
en rendait la traduction malaisée, mais J'aurais préféré, à tout prendre,
un équivalent comme Livre des vertus et des vices, ou bien encore
Des belles qualités et de ce qui leur est opposé, traduction assez
lourde, J'en conviens, pourtant moins imprécise.
, Quelle que soit celle qu'on préfère, il n'en est pas moins vrai que
tel est le sujet traité avec une verve intarissable à la fois par un écri-
vain très connu des Orientalistes, El-Djahiz et par un certain Beïhaki
dont le nom se révèle ici pour la première fois. Disons d'abord quel-
ques mots du premier qui doit, il est vrai, sa célébrité moins à ses
ouvrages fort maltraités par le temps, qu'à la hardiesse de ses opi-
nions philosophiques et à une indépendance d'esprit voisine de l'hé-
térodoxie. J^l-Djahiz appartient au iii« siècle de l'hégire ; on ignore la
date de sa naissance, mais les biographes musulmans les plus autori-
sés placent sa mort en l'année 255 de l'hégire (869 de notre ère). Ses
opinions rationalistes, qui le rattachent à la grande école libérale des
Moutazélites, paraissent l'avoir desservi aux yeux de ses contempo-
rains et c'est peut-être là qu'il faut chercher la cause de la disparition
de ses principaux traités. Dans l'état de mutilation où ils nous sont
parvenus, il est difficile d'établir sa valeur réelle comme chef d'école,
bien qu'il ait donné son nom à une secte, celle des Djahi^yeh, et de
constater la part qui lui revient dans l'évolution de l'esprit musulman
alors dans toute sa force d'expansion. Un pareil jugement serait d'au-
tant plus incertain que plusieurs des écrits qui portent son nom sont
à coup sûr ou apocryphes ou remaniés avec le sans-façon que les
mœurs littéraires de l'islam ont toujours autorisé.
Un écrivain arabe bien connu, Maçoudi, l'auteur des Prairies d'Or,
après avoir fait un éloge pompeux d'El-Djahiz, ajoute un renseigne-
ment qui vient à l'appui de ce que nous disions plus haut de l'impo-
pularité où le rigorisme musulman avait relégué cet esprit indépen-
dant. Un de ses ouvrages venait de paraître et n'avait aucun succès dans
276 REVUE CRITIQUE
le monde des lettrés. El-Djahiz, choqué de ce dédain injustifié, écrivit
peu de temps après, un traité de médiocre valeur, mais qu'il eut soin
d'attribuer à El-Mokaffa' ou à un autre savant des âges précédents.
L'accueil fut tout autre ; on porta le livre aux nues et le véritable
auteur put ainsi se convaincre du goût peu éclairé de ses contempo-
rains et de la partialité de leurs jugements.
Quoi qu'il en soit de l'authenticité de ses œuvres, El-Djahiz fut un
des hommes les plus éclairés de son temps : philosophie, belles-
lettres, sciences naturelles, il traita à peu près de tous les sujets et, par
un juste retour des choses d'ici-bas, plusieurs savants qui ne le
valaient pas furent obligés, pour assurer quelque succès à leurs tra-
vaux, de lui en attribuer la paternité.
Est-ce aussi le cas du texte publié par M. V. Vloten ? Le Livre des
beautés est-il bien de l'auteur dont il porte le nom, mais plus ou
moins remanié par ses éditeurs, ou bien n'est-ce qu'un apocryphe?
M. V. V. ne manquera pas sans doute d'élucider cette question d'ori-
gine. C'est par là, croyons-nous, qu'il devra compléter son utile tra-
vail avant de poursuivre la publication des œuvres que la tradition
attribue à El-Djahiz, et dont la véritable origine restera toujours dou-
teuse. Dès à présent et sans préjuger des conclusions auxquelles un
examen minutieux des deux ouvrages pourra donner lieu, il semble
qu'on est en droit de les rapporter l'un et l'autre à une seule et même
source. En d'autres termes, El-Djahiz et Baïhaki, loin de se faire des
emprunts réciproques, ont eu sous les yeux le même document ori-
ginal qu'ils ont tantôt remanié, tantôt reproduit sans changement, ce
qui, pour les compilateurs musulmans, ne constitue nullement un
plagiat. Tel est d'ailleurs, je crois, le sentiment de M. V. V. qui
serait porté à placer le texte primitif entre le règne de Motewekkil et
celui de Moukiadir, c'est-à-dire dans une période d'environ un siècle,
entre la seconde moitié du ix= et la première moitié du x*^ de notre ère.
Le document parallèle (le Kitùb el-Mahasin, etc.) dont M. Sch-
wally vient de commencer la publication et qui, selon sa promesse,
ne tardera pas à être achevé, ne nous donnant encore qu'un fragment
et des variantes, il serait prématuré de lui consacrer une analyse
détaillée. 11 n'est cependant que juste de reconnaître que, sous le
rapport de la critique et de la correction du texte, il mérite d'être mis
au même rang que l'ouvrage de M. V. V. Toutefois en ce qui con-
cerne la valeur intrinsèque des deux livres, j'inclinerais, autant
qu'une lecture un peu rapide m'y autorise, à accorder une certaine
préférence à celui qui porte le nom de Baihaki. Son plan est plus
régulier, mieux suivi, la thèse et l'antithèse y sont mieux en relief;
l'étude politique et sociale du khalifat des trois premiers siècles aura
beaucoup à prendre dans ce document, si la suite répond à la partie
déjà publiée. Le style est plus sec que celui d'El-Djahiz, on y trou-
vera moins d'anecdotes galantes, moins de poésies du genre nesib^
d'histoire et de littérature 277
mais une foule d'anecdotes et de traits de mœurs ayant tous les carac-
tères de rauthenticité y complètent dans une large mesure les histo-
riens classiques, Tabari, Ibn el-Athîr, etc.
En résumé et sans pousser plus loin le parallèle entre denx publi-
cations inachevées, je n'hésite pas à constater qu'elles font Tune et
l'autre le plus grand honneur aii savoir consciencieux des deux érudits
qui les ont restituées à la science. C'est grâce à des textes de cette
date et reconstitués avec un soin aussi scrupuleux que la connaissance
du monde arabe, de sa civilisation et de ses mœurs à l'apogée de son
existence fera chaque jour de nouveaux progrès. Le travail méritoire
de Weil a fait son temps et ne peut plus suffire aux exigences de la
critique moderne. On ne saurait donc accueillir avec trop d'encoura-
gements les efforts des Jeunes savants qui préparent avec une si
louable émulation les matériaux de l'histoire définitive de l'Orient
musulman.
A. Barbier DE Meynard.
J.-L. WiNDENBERGER : Essai sur le système de politique étrangère de J.-J.
Rousseau : La république confédérative des petits États. A. Picard, 1900.
Selon M. Windenberger, le Contrat social est inachevé. Restreinte
aux dimensions d'une ville, la cité idéale de Rousseau est, de son aveu,
fort en péril. Tous les États « tendent à s'agrandir aux dépens de
leurs voisins, comme les tourbillons de Descartes» (II, ix). « Les faibles
risquent d'être bientôt engloutis ». Les petites cités ou républiques ne
pourront donc atteindre leur fin qui est d'assurer la conservation, la
liberté et l'égalité des individus, si elles ne trouvent un moyen de se
garantir contre les entreprises des grands États ou monarchies. Ce
moyen, Rousseau le leur suggère ; c'est l'établissement de confédé-
rations. Il se proposait de l'exposer dans la suite de l'ouvrage (III,
XVI en note). Ce qui l'en a empêché, il ne nous le dit pas ; mais nous
savons qu'il avait rédigé des Principes du Droit de la guerre ><■ mes
principes du Droit de la guerre ne sont point prêts », dit-il à son édi-
teur en 1758. Et à la fin de ÏEmile, il annonce qu'il en traitera quelque
jour et qu'il cherchera le remède aux maux de la guerre dans « une
bonne association fédérative ». Très probablement la publication an-
noncée eut compris, selon la méthode de composition de Rousseau,
le grand fragment du manuscrit de Neuchâtel sur l'état de guerre :
.(( Mais quand il serait vrai... » (n° 7856 du catalogue) et quelques
autres moins étendus {n° 7840); elle eut contenu enfin les 32 pages
sur les confédérations léguées par Rousseau au comte d'Antraigues,
et détruites par celui-ci. A défaut de ce document irremplaçable, est-il
possible, avec les fragments dont nous disposons et les passages des
divers écrits de J.-J. qui peuvent avoir trait à ce qu'il appelle le
2-8 REVUE CRITIQUE
droit des gens de reconstituer l'ensemble de ces idées sur ce sujet?
M. W. l'a pensé et tel est l'objet de son livre.
L'entreprise n'était pas facile. Il est déjà malaisé de saisir la pensée
de Rousseau là où il l'a exprimée : nous avons montré que celui-ci
n'est jamais parvenu à se mettre d'accord avec lui-même sur les points
essentiels de sa philosophie sociale '. Pour tirer de cette philosophie
générale une doctrine particulière non exprimée qui y serait implici-
tement contenue, il faut attribuer aux idées de Rousseau une cohé-
rence, une liaison qui, croyons-nous, leur manque à un degré rare.
Ainsi a fait M. W. qui ne tient pas compte de notre travail. Il procède
comme nous faisions jadis à l'agrégation de philosophie, il repense le
système de Rousseau ; il le ramène à de grandes lignes continues et
symétriques, et cela fait, il s'enhardit à le compléter, là où le dessin
appuyé s'arrête, par une nouvelle figure régulière en pointillé qui fait
exactement pendant à l'ensemble de la composition tel qu'il le conçoit.
Voici son raisonnement. Rousseau déclare que, tandis que les indi-
vidus sont sortis de l'état de nature, les corps politiques y sont en-
core. Comment ceux-ci pourront-ils passer à l'état civil? Évidemment
de la même façon que les individus, par un contrat. Il y a donc lieu
d'appliquer aux cités la suite des propositions qui forment la trame
du Contrat social. Et alors M. W. écrit le Contrat social des peuples
qui lui paraît devoir se clore par cette conclusion : le seul moyen de
faire sortir les corps politiques de l'état de guerre est de les unir sinon
tous, du moins les plus petits, en confédérations, qui seront à chacun
d'eux ce qu'est l'Etat à chaque particulier.
Cela est ingénieux et peut séduire. A une première lecture rapide,
des connaisseurs y seront pris peut-être. Mais quand on examinera ce
système à tête reposée, les objections surgiront de toutes parts.
D'abord les textes manquent. M. W. écrit des pages entières sans
références, sans qu'on sache si c'est lui ou Rousseau qui a la parole.
Ou bien il transcrit simplement des textes qui s'appliquent au pacte
individuel, sans établir qu'ils s'appliquent aussi dans la pensée de
Rousseau au pacte international. Ou bien enfin il fait entrer dans son
exposé, en les infléchissant, des considérations que Rousseau a émises
à propos d'un tout autre objet. Les grandes discussions sur la société
générale du genre humain et sur l'état de guerre ne sont point du tout
chez Rousseau le préliminaire d'une théorie des confédérations. Elles
se réfèrent à la question très différente de l'origine de la société civile
et à la réfutation de Hobbes. L'honnêteté des intentions n'exclut pas
ici quelque artifice esthétique. La construction reste ainsi trop sou-
vent sans autre appui que des analogies ou des vraisemblances i^Exem-
ples : pp. i3 1 et i 53) .
Ensuite la théorie repose sur des propositions dont plusieurs n'eus-
I. Revue internationale de V Enseignement, iScjS.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 279
sent probablement pas été acceptées par Rousseau. S'il s'est abstenu
d'écrire sur ce sujet, c'est qu'il avait ses raisons et le jugeait plus en-
core « au-dessus de ses forces » que le droit politique intérieur. Voici,
par exemple, le principe de tout le raisonnement, à savoir que l'État est
une personne réelle, possède un moi véritable, peut par conséquent
entrer dans une société nouvelle comme unité irréductible. Rousseau
n'a jamais pu se poser nettement cette question du caractère abstrait
ou organique de la personnalité collective, encore moins adopter l'une
ou l'autre des solutions qu'il entrevoyait. M. W, s'embarrasse à sa
suite dans les aspects fuyants de ce débat où la sociologie moderne est
encore engagée. Tantôt une nation, selon Rousseau interprété par lui,
est une véritable personne, un être concret, elle a un corps et une âme;
tantôt elle n'est qu'une personnalité fictive, une abstraction; tantôt
son indépendance est absolue, tantôt «son autonomie, absolue en elle-
même ne l'est pas absolument » (p. i52). Au moment où Rousseau re-
nonça à couronner le Contrat social par une théorie des confédé-
rations, il était aux prises avec la grande difficulté qui remplit VEmile
de contradictions : la société est-elle un état naturel, résultant d'un
penchant inné et providentiel, ou bien est-elle une déchéance, un dé-
menti violent donné par l'art à la nature, qui aurait fait l'homme par-
fait dans son isolement primitif? L'homme ne s'éloigne-t-il pas de la
nature en s'associant pour former des États et encore plus en unissant
par le lien fédéral les sociétés politiques du premier degré? C'est ce
qu'il n'osait plus décider avec lui-même et c'est pourquoi il s'abstenait
de poser de telles questions. Dès 1765, il ne savait plus si la confédé-
ration des pièves corses ne « compliquerait pas le jeu de la ma-
chine». Poser pour lui ces questions, les résoudre pour lui sous pré-
texte de compléter sa pensée, est une tentative assurément périlleuse.
Enfin nous craignons que le problème débattu par M. W ne soit
pas celui que Rousseau a signalé à la fin de VÉmile et au cours du
Contrat comme trouvant sa solution dans l'établissement des confé-
dérations. Oui, Rousseau parle de droit des gens, de droit public, de
relations « externes ». Mais il ne songe nullement à une ligue qui
grouperait les petits États historiques comme la Suisse, les Provinces-
Unies et la Suède contre les grandes monarchies. Deux passages
extraits le premier du Projet de constitution de la Corse, le second du
Gouvernement de Pologne, eussent montré à M. Windenberger, s'il
en avait tenu compte au lieu de reprendre simplement la thèse du
Contrat^ que la pensée du législateur de Genève visait les villes (nous
disons les communes) devenues autonomes par le fractionaement des
nations en cités contractuelles, et leur association au sein d'une même
république pour s'assurer une base plus large et une défense plus
facile contre les monarchies survivantes. On pourrait, dit-il, en par-
lant de la Corse, « diviser l'île en plusieurs petits États confédérés
dont chacun aurait à son tour la présidence... » et s'adressant aux
28o REVUE CRITIQUE
Polonais : « Que si ces retranchements de territoire n'ont pas lieu, je
ne vois qu'un moyen qui puisse y suppléer peut-être; et ce qui est
heureux, ce moyen est déjà dans l'esprit de votre institution '. Que la
séparation des deux Polognes soit aussi marquée que celle de la
Lithuanie ; ayez trois États réunis en un. Je voudrais, s'il était pos-
sible, que vous en eussiez autant que de palatinats. Formez dans
chacun autant d'administrations particulières. Perfectionnez la forme
des diétines, étendez leur autorité dans leurs palatinats respectifs,
mais marquez-en soigneusement les bornes, et faites que rien ne
puisse rompre entre elles le lien de la commune législation et de la
subordination au corps de la république. En un mot, appliquez-vous
à étendre et à perfectionner le système des gouvernements fédératifs,
le seul qui réunisse les avantages des grands et des petits états et par
là le seul qui puisse vous convenir », Ainsi il s'agit manifestement
pour Rousseau d'un lien extérieur à chaque cité, mais intérieur à la
nation. Le mot de fédération avait gardé ce sens pendant la Révolu-
tion non seulement quand éclata la lutte entre les tendances fédéra-
listes et les tendances unitaires, mais quand d'un bout à l'autre du
territoire, les communes en armes allèrent se promettre un appui
mutuel contre les « brigands». Ces grands dangers qui auraient,
selon d'Antraigues, menacé la France dès 1790, si le manuscrit de
32 pages avait été publié alors, c'est le fractionnement de la monar-
chie en un nombre immense de communes autonomes : en quoi l'al-
liance entre les petits États de l'Europe eut-elle pu saper et même dé-
truire l'autorité royale ? Rousseau d'ailleurs dans le traité sur le Gou-
vernement de Pologne se sert indifféremment des deux termes : confé-
dération et forme fédérative. Ils sont pris l'une pour l'autre dans la
même phrase. Confondre cette confédération intérieure des cités dans
une même république avec une ligue permanente des petits États
européens contre les grands nous paraît être une grave méprise.
D'autant plus que l'union entre la Suède, la Suisse et les Provinces-
Unies n'aurait jamais pu dépasser en intimité les conditions d'une
alliance défensive et n'aurait pu constituer un obstacle bien redouta-
ble aux desseins des grands États. Le but que se propose Rousseau en
suggérant aux cités républicanisées à l'antique de se confédérer en
une seule république n'est pas, comme le croit M. W., de fournir une
solution au problème de la suppression de la guerre, problème inso-
luble pour Rousseau ; il est de rétablir l'équilibre entre les corps so-
ciaux, qu'il compare aux tourbillons de Descartes, et de permettre aux
communes libres de soutenir la guerre contre les monarchies en res-
tant unies au sein de grandes républiques. Ce problème : si et com-
ment de grandes républiques sont possibles, a été présent à l'esprit
I. Il y avait en Pologne un mode dégroupement rcvolutiunnuirc des provinces
qui s'appeait justement Confédération. .
d'histoire et de littérature 281
des théoriciens politiques les plus importants du xyiii^ siècle, avant et
pendant la Révolution.
Nous regrettons d'avoir à formuler ces critiques. M. W. nous
remercie gracieusement de quelques conseils que nous lui avons don-
nés. Le principal était de ne point postuler l'unité et la symétrie des
idées de Rousseau. Il n'en a point tenu compte et d'un bout à l'autre
de son livre il célèbre la cohérence et l'enchaînement des conceptions
de son auteur, conceptions qui sont fécondes, mais dont la plupart
ne se rejoignent pas ou se rejoignent très péniblement. C'est une
erreur à notre avis, mais qu'il a commise avec Taine, ce qui est peut-
être une circonstance atténuante. Il y a bien chez Rousseau une
tendance à faire des provinces confédérées des unités en partie indé-
pendantes et égales ; mais il n'est point allé jusqu'au bout de sa pensée
et ses commentateurs doivent s'arrêter là où il s'est arrêté lui-même.
Il craignait en traçant en 1765 une constitution pour la Corse de
« compliquer la machine » par la fédération des districts ; en fin de
compte, il n'a point publié son essai ; il a renoncé à compléter le Con-
trat comme il avait promis : ne transformons pas d'incertaines vel-
léités en un système géométrique. Tous les lecteurs de M. Winden-
berger reconnaîtront avec nous que si sa tentative de construction ou
de reconstruction est quelque peu téméraire, elle renferme d'excel-
lentes parties, notamment son étude du droit de la guerre chez Rous-
seau qui est une chose neuve et un chapitre important de l'histoire
des idées politiques. Ils verront que le jeune philosophe, là où il
renonce à réinventer les théories de l'auteur du Contrat, et là même
où il se livre à ce jeu périlleux, fait preuve d'une connaissance appro-
fondie de ses ouvrages, connaissance qui serait parfaite si elle était
plus assaisonnée de critique. Ils lui sauront gré enfin d'avoir donné
en appendice des morceaux considérables des manuscrits de Neuchà-
tel, les uns inédits, les autres soigneusement revisés et heureusement
débarrassés des erreurs étonnantes qu'y avait accumulées M. Dreyfus-
Brisac en les publiant dans les Appendices de son Contrat social.
A. ESPINAS.
Les députés à l'Assemblée législative de 1791, listes par départements et
par ordre alphabétique des députés et des suppléants avec nombreux détails
biographiques inédits par Auguste Kuscinski (^Publications de la Société de
l'histoire de la Révolution française). Paris au siège de la Société, rue de
Furstenberg, 3. 1900, in-S", v et 171 p.
M. Guiffrey nous avait donné la liste des conventionnels et
M. Brette, celle des constituants ; M. Kuscinski nous donne aujour-
d'hui celle des membres de l'Assemblée législative.
La tâche de M. K. était plus facile que celle de ses devanciers.
282 REVUE CRITIQUE
Plus de bailliages et d'élections par ordres ; le département est la cir-
conscription électorale et une seule assemblée choisit les députés. En
outre, la Législative dure moins que la Convention, et le personnel
change moins.
M. K. a pourtant rencontré quelques difficultés. Il n'a pas trouvé
dans les procès-verbaux des élections toute la précision désirable;
beaucoup ont été rédigés sans soin ; les noms sont défigurés ; les pré-
noms et les qualités des élus manquent. M. K. a rempli ces lacunes
grâce au registre de Camus qui contient les noms, prénoms et quali-
tés des députés : le 1 1 octobre 1791, Camus, garde des archives
nationales, avait dans la salle de l'assemblée fait l'appel des représen-
tants qui se trouvaient là au nombre de 434.
Il n'en est pas de même pour les suppléants. Camus ou un scribe a
ajouté leurs noms un peu au hasard sans énoncer prénoms et quali-
tés. M. K. a pris la peine de dépouiller aux archives nationales la
série qui contient les listes des électeurs et des notables, et il a pu,
après de longues recherches, nous donner, à très peu d'exceptions
près, les prénoms des suppléants.
M. K. a divisé son travail en six chapitres. Il reproduit d'abord les
lois ou les parties de lois qui se rapportent à l'élection et à la convo-
cation de la Législative. Il expose ensuite quelques détails intéressants
sur le personnel, sur les comités, sur le bureau de l'assemblée : nous
apprenons que le clergé y comptait dix évêques, trois vicaires épis-
copaux, treize prêtres ou moines et deux ministres protestants Jay et
La Source) ; que l'armée y était représentée par quatre maréchaux de
camp, trois colonels, trois lieutenants-colonels et vingt-trois officiers
ou anciens militaires ; que les savants et professeurs étaient au
nombre de douze (Condorcet, Tenon, Broussonet, La Bergerie,
Lacépède, Guyton-Morveau, Arbogast, Allard, Lejosne, Dusaulx,
Pastoret et Koch), et les médecins, au nombre de vingt-huit ; mais
M. K. a renoncé à faire le compte des hommes de loi ainsi que des
cultivateurs;» cette dernière qualification, dit-il, paraissait être de
mode à l'époque, et les plus riches propriétaires fonciers se plaisaient
à s'en revêtir ». Vient la liste des députés et suppléants par départe-
ments (M. K. dit chaque fois par qui était présidée l'assemblée élec-
torale) ; puis l'exposé des changements survenus dans le personnel
(démissions et remplacements) ; enfin, deux listes alphabétiques,
celle des députés et suppléants qui siégèrent à l'assemblée, et celle des
députés et suppléants qui ne siégèrent pas. Dans des notes au bas des
pages de ces deux dernières listes M. K. indique aussi souvent que
possible, sous la forme la plus brève, ce que sont devenus les person-
nages cités, s'ils ont appartenu à la Convention, au Conseil des An-
ciens ou des Cinq-Cents, au corps législatif, etc.
On ne peut que savoir le gré le plus vif au modeste et consciencieux
érudit à qui nous devons cette utile publication. Que de noms elle
d'histoire et de littérature 283
rétablit sous leur véritable orthographe comme Marie-Bon Montaut
(et non Maribon) et que de détails curieux elle fournit (Sausse prési-
dant rassemblée électorale de la Meuse, Drouet élu troisième sup-
pléant de la Marnej ! Elle a coûté ù M. Kuscinski beaucoup de temps,
de patient labeur, et il a bien mérité de l'histoire de la Révolution '.
A. C.
Paris révolutionnaire. Vieilles maisons, vieux papiers, par G. Lenôtrk. Paris,
Perrin, 1900. In-S", 362 p.
Ce volume, d'une très agréable lecture, contient une foule d'anec-
dotes et de portraits : le roman d'amour de Camille et de Lucile Des-
moulins, l'existence de Charlotte Robespierre, des policiers Héron et
Dossonville, l'histoire de cet homme qui mourut en i858 à Versailles
sous le nom de M'^^ Savalette de Langes, les derniers jours d'André
Chénier, de Tallien et de Pache, la maison de Cagliostro, l'aventure
de Napoléon à l'hôtel de Cherbourg et son mariage avec Joséphine, ce
qu'était le mari de la Du Barry et ce que devint le nègre Zamor, la
vie d'un marquis qui demeura cinquante ans en prison pour avoir
sifflé la reine, la brouette dont se servait Couthon, l'odyssée de
Leblanc qui livra Pichegru, Saint-Just à Blérancourt, le convention-
nel Rouzet devenant l'intime ami de la veuve de Philippe-Égalité
qui le fait inhumer dans la chapelle de Dreux. Chemin faisant,
M. Lenôtre résout de petits problèmes de topographie parisienne :
il prouve, par exemple, que l'appartement de Desmoulins était, non
au-dessus du café Voltaire, mais à l'angle de la rue Crébillon. Il a
I. Lire p. 47 Panattieri et non Panatieri et p. 79 Steinmetz au lieu de Stei-
met\; ^. qo, il fallait dire que Koch était professeur à VUniversité et Arbo-
gast, à l'Ecole d'artillerie : p. io3, lire Raynouard et non Reynouard (c'est évi-
demment l'auteur des Templiers); p. 120, André de l'Orne est prénommé Claude
et p. 83, Charles; p. 127, Coppens a été député du Nord sous la Restauration;
p. 128, Crublier d'Obterre a été général. Mais je n'ose aller plus loin dans ces
obscrs'ations qui portent sur les notes mises au bas des pages de la liste alpha-
bétique. M. K. dit dans son avertissement qu'il a donné sur la biographie politique
ou privée des législateurs les renseignements qui lui ont « paru intéressants à
produire », et je risquerais fort de mettre ici des choses qu'il connaît. J'aurais
voulu pourtant qu'il dit en note que Dcliégc a été juge au tribunal révolution-
naire, que G. -M. Dumas fut général de division, conseiller d'État et comte de
l'Kmpire, que Forfait est le futur ministre de la marine. P. 140, Lambert qu'(m
nomme à l'assemblée Lambert-Lauterbourg est un instant sous-préfet intérimaire
de Wissembourg en 1814. P. 161, Eggerlé était ingénieur-géographe du conseil
souverain d'Alsace et tut longtemps adjoint au maire de Colmar. P. 164. Kuhn
avait été maire d'Erstein. P. i65, Levrault est le fameux imprimeur de Stras-
bourg, procureur-général syndic du Directoire du département, plus tard recteur
de l'Académie et conseiller de préfecture. P. 167, cl. sur Panattieri, Jeunesse de
Napoléon, III, 149.
284 REVUE CRITIQUE
reirouvé la demeure de ses héros : il s'est penché, rue Saint-Honoré,
275, à la fenêtre d"où Héron voyait passer ses victimes; il est entré
dans le logement où mourut la fausse Savalette, dans la bâtisse où
vivait Cagliostro (rue Saint-Claude, à l'angle du boulevard Beaumar-
chais), dans cet hôtel de Cherbourg (aujourd'hui 33, rue Vauvilliers)
qu'habita Napoléon; il est monté au deuxième étage de la masure delà
rue Maître-Albert où Zamor termina sa vie en 1820. M. Lenôtre ne
se contente pas de fureter dans les vieux papiers ; il visite, il fouille les
vieilles maisons, il les découvre comme celle des Duplessis à Bourg-
la-Reine (elle est encore à peu près telle quelle, en bordure et à droite
de la route qui vient de Paris, à l'entrée du village). Et c'est surtout
par quoi valent ces études. Quelques-unes ne contiennent rien de neuf
et le sujet pouvait être creusé davantage ; mais l'auteur sait reconsti-
tuer le décor; il croit que « les pierres s'assimilent quelque parcelle
de la vie des êtres qu'elles ont abrités » et il lui semble « qu'un fluide
émané d'eux flotte encore, longtemps après qu'ils ne sont plus, autour
des murs où ils ont vécu ' ».
A. C.
La Peinture allemande au XIX° siècle, par le marquis de la MAZELièRE. Paris,
Pion, 1900, I vol. gr. in-8° de 423 p. et io3 reproductions.
Ce n'est pas une idée banale, que d'avoir été prendre la peinture
allemande contemporaine comme sujet d'étude et objet de recherches,
mais c'est une idée peut-être prématurée. Le siècle n'est seulement
pas achevé et un jugement tant soit peu solide serait possible sur une
école, sur plusieurs écoles successives, dont le principal mérite est la
recherche incessante d'une personnalité !
Un critique, hardi certes, et même intransigeant, dont nous avons
eu l'occasion d'étudier ici une histoire générale de la peinture, con-
clut ainsi ses pages sur l'Allemagne ; « Il y eut pourtant de remar-
quables peintres en Allemagne, qui surgirent vers le milieu de ce
siècle, et, à l'heure actuelle, il est d'excellents artistes qui savent
observer et qui savent peindre. Mais bien que de très belles carrières
soient maintenant à peu près accomplies, nous nous trouvons en pré-
sence déjà de notre propre temps, et le moment où ils vivent n'ap-
porte jamais aux hommes que sujets de discussion, incertitude. Avec
Durer, Holbein, Cranach, nous n'avons pas eu de ces doutes. L'avenir
seul pourra dire si, après deux siècles de silence, la prodigieuse acti-
vité de ce temps-ci a enrichi l'humanité, ou si ce ne furent que
bruyants prestiges. »
Pour qui sait lire entre les lignes, surtout après les pages qui pré-
T, P. 2?4 lire Reichardt par Laquiante et non Reinliardt par Lequiant.
d'histoire et de littérature 285
cèdent, on sait fort bien ce que cela veut dire, et si cette revue était
une revue d'art, nous pourrions commenter ce jugement, d'ailleurs
aussi réservé que possible, et dire en quoi il nous semble la vérité.
C'est pour la même raison que nous ne saurions entrer dans une
étude sérieuse du gros livre que M. le marquis de la Mazelière a con-
sacré à toute cette peinture du xix^ siècle, mais avant tout et de pré-
férence à celle de la seconde moitié de ce siècle. Du moins faut-il
dire qu'il est le résultat de recherches considérables, minutieuses et
infatigables, qu'il fait preuve d'une pratique intime et enthousiaste de
son sujet, et qu'à ces titres-là, sans compter d'autres, le livre est pré-
cieux et rendra (peut-être plus encore dans l'avenir) de sérieux ser-
vices.
La seule critique qu'on lui puisse faire, c'est de n'avoir pas assez
évité un défaut souvent justement reproché aux Allemands, l'encom-
brement. On n'imagine pas ce qu'il y a de rapprochements et de
digressions philosophiques, esthétiques, politiques, poétiques, musi-
cales, littéraires, historiques, sociales, parfois quand on s'y attend le
moins. 11 est vrai que le critique, l'analyste voit tant de choses dans
l'obscurité symbolique et la profondeur transcendentale de certaines
choses, qu'il ne saurait nous les faire valoir autrement.
Ce qui est plus clair, c'est la bibliographie qu'il a pris soin de dres-
ser à la fin de son ouvrage, et d'ailleurs les références soigneusement
données cà et là. C'est aussi 4a richesse de l'illustration, une centaine
de reproductions généralement bonnes et qui caractérisent avec jus-
tesse la plupart des peintres dont il est traité dans le livre. Volume
fort élégant en outre, et dont la disposition générale fait honneur à
l'auteur et à son éditeur.
H. DE C.
W. Heinze, Die Beschlagnahme der deutschen Postdampfer durch die En-
glacndcr. Hcidclberg, Winler. Sans date, pp. vu, 95, in-S". Prix : ink. 1.80.
On n'a pas oublié l'incident qui en janvier igoo passionna si forte-
ment l'opinion en Allemagne : trois de ses paquebots-poste saisis suc-
cessivement par l'Angleterre. M. de Bulow, qui régla sans peine
l'incident, — un paiement d'indemnités vient de le clore en ce
moment dértnitivcment — signala et la presse reconnut à l'unanimité
le besoin de préciser le droit maritime international encore si flottant
et en particulier la nécessité de sauvegarder plus effectivement les
intérêts des neutres. C'est à ce point de vue général que s'est placé
M. Heinze en exposant dans sa brochure les points juridiques soule-
vés par le différend anglo-allemand. Au début, il résume les faits et
donne à la fin des extraits de la séance du Reichstag du 19 janvier
1900 et du livre bleu anglais. Les journaux nous ont déjà renseignés
286 REVUE CRITIQUE
là-dessus ; mais il nous manquait les éléments de la controverse. La
législation actuelle repose sur la Déclaration de Paris de i856, « la
charte d'affranchissement des neutres », substituée à l'antique conso-
lato del mare, et résumée dans le principe bien connu : le pavillon
couvre la marchandise. Mais la clause réservant les droits des belli-
gérants, relative à la contrebande de guerre, ouvre la porte à toutes
les interprétations et à tous les abus. M. H, montre en des pages très
documentées Textension qui a été donnée par les Juristes, depuis
Grotius jusqu'à Bluntschli, à cette notion de contrebande, à ces
oh]e\.s atiticipitis usiis^ admis par les uns, interdits par les autres. Il
expose comment, dans la pratique suivie par les différentes puis-
sances maritimes, l'Angleterre en général s'est assez peu préoccupée
des droits des neutres dont la France a toujours tenu un compte plus
libéral. Tout cet aperçu historique est d'un vif intérêt et donne à cette
brochure d'actualité une certaine valeur scientifique. Les pages sui-
vantes sur la question de savoir s'il peut y avoir contrebande entre
ports neutres, sur la procédure des droits d'arrêt, de visite, de
recherche et de détention regardent plus spécialement les juristes.
D'ailleurs, il ressort des cas analogues cités par l'auteur (cas du Trent,
du Springbok, i86i-i863) et plus encore du dernier incident anglo-
allemand que la solution de ces différends a toujours été politique et
jamais juridique. M. de Biilow a abandonné sans hésiter la thèse de
droit qu'avait soutenue à Londres l'ambassadeur d'Allemagne, et il a
obtenu des réparations et des concessions suffisantes. Mais il est
peut-être excessif de penser que ce succès est aussi un succès pour
les neutres. Seul un développement considérable des marines des puis-
sances continentales pourra faire admettre par l'Angleterre un code
maritime international moins léonin qu'il n'a été jusqu'à présent.
L. ROUSTAN.
V. T. Lebeden, Russes et Anglais en Asie Centrale. Vers l'Inde. Projet de cam-
pagne russe. Trad. parle capit. Cazalas (Paris, Chapelot, 1900, 25i p. 4 cro-
quis, I carte).
L'invasion de l'Inde « bénie » hante de longue date les rêves ambi-
tieux des Russes. La conquête de l'Asie centrale ne semble avoir été
considérée que comme une étape de cette vaste entreprise et la cons-
truction du tronçon ferré de Merv à Kouchk est une nouvelle pointe
offensive ; des plans de campagne ont été à plusieurs reprises élabo-
rés dont celui de Skobelev avec un mot d'ordre des plus truculents :
irruption d'une masse de cavalerie irrégulière « sous la bannière du
sang et de l'incendie ». Celui de M. Lebeden est minutieusement étu-
dié. Sans entrer ici dans une critique qui n'est pas de notre compé-
tence, nous reconnaissons qu'un travail de ce genre, qui ne sacrifie
d'histoire et de littérature 287
pas à la fantaisie, a le mérite de préciser les traits géographiques du
théâtre des opérations ; le premier acte serait la prise de Hérat
aujourd'hui facile ; puis se dérouleraient les phases fatales de la
guerre, l'occupation de Kandahar et de Kaboul, la marche sur l'in-
dus et au-delà de ce fleuve. L'auteur traite les forces anglaises presque
comme une quantité négligeable. Quel serait le résultat de la vic-
toire ? Selon Lebeden, la Russie devrait se contenter du protectorat
de l'Afghanistan et ne point risquer la grosse aventure de la conquête
de l'Inde ; au contraire, elle devrait conclure alliance avec l'Angle-
terre, et c'est ainsi que ce drame historique finirait comme un vaude-
ville, par un mariage de raison entre la baleine et l'éléphant.
B. A.
A. DE Bertha, Magyars et Roumains devant l'histoire. Paris Pion, 1899, v-483 p.
A. D. Xknopol. Réponse à M. de Bertha. Paris, Leroux, 1900, 29 p.
M. de Bertha assume devant le public français l'ofïice d'avocat du
magyarisme, office d'autant plus agréable que l'on cultive chez nous
une sympathie traditionnelle pour les Hongrois et que l'on s'intéresse
assez peu à ce qui se passe chez eux; aussi a-t-on beau jeu à nous
présenter les choses de Hongrie sous les dehors les plus flatteurs.
M. de B. expose un des plus irritants problèmes dont se complique
la politique du royaume de Saint-Etienne : le procès entre Magyars
et Roumains. Procès toujours pendant, bien que M. de B. jure sur
la tête du roi de Hongrie et du roi de Roumanie que depuis l'échange
de visites des deux souverains « cette question, artificiellement entre-
tenue dans l'opinion publique européenne, est morte ! » Ce volume
n'offrirait donc qu'un intérêt rétrospectif et l'auteur se serait donné
beaucoup de peine pour adapter au goût du lecteur français l'ouvrage
considérable du docteur Benoît Yancso : « L'histoire et l'état actuel
des tendances nationalistes roumaines ». Nous avons la naïveté de
croire que le litige n'est point tranché ; mais nous estimons qu'une
des parties s'est placée sur un mauvais terrain. Les Roumains, on le
sait, invoquent le droit historique, en vertu de leur indigénat et
de leur titre de premier occupant dans les pays de la monarchie
hongroise, où ils sont établis aujourd'hui. Les historiens magyars
depuis Rœsler ont attaqué la prétendue descendance des colons daco-
romains et ont montré combien cette thèse historique est précaire.
A ce point de vue, le livre de M. de B. n'apporte aucun argument
nouveau, mais il a le mérite de fournir une documentation précieuse
et plus complète qu'elle ne figure dans aucune publication française
sur la matière. Les sources roumaines aussi bien que magyares sont
mises à contribution et pour qui ne cherche que la suite des faits,
c'est un suffisant répertoire. M. de B. a donc manié tous les éléments
2 88 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
d'une œuvre historique sérieuse; Ton n'en regrettera que davantage
qu'il ait donné à son exposé le ton et l'allure d'un pamphlet, 11 écrit
par exemple (p. 339) « qu'il faut toujours tenir compte, dans l'intel-
lect roumain, d'une certaine absence de contrôle sérieux », p. 392
qu'en 1848 les Roumains « dans leur ignorance profonde étaient
tout à fait incapables de comprendre quelque chose au succès parle-
mentaire du libéralisme magyar », et autres menues aménités à
l'adresse des adversaires. Ce qui semble exaspérer M. de B. c'est que
les Roumains se soient mis (c'est le titre de son livre troisième) « au
service de la réaction ; » mais il se garde bien de dire que les Roumains
aussi ont subi l'influence des idées révolutionnaires et dans les cha-
pitres consacrés à cette période, on ne trouve point trace de cette
action. M. de B. n'admet pas que ce qui a été légitime de la part
des Magyars ne le soit pas chez les Roumains; de même il passe
condamnation sur l'inégalité politique dont souffrent présentement les
Roumains du royaume de Hongrie, pour qui est en vigueur un
système électoral particulier. « Il est incontestable, se borne à dire
M. de B. (p. 481) que le cens électoral, quelque faible qu'il soit, ne
favorise pas encore les Roumains pour le moment.»
Le lecteur étranger n'a point à prendre parti dans le duel à coups
de textes entre Roumains et Magyars, mais peut-être, applaudirait-il
avec plus de cœur aux efforts des Roumains, si ces derniers éten-
daient au droit historique le bénéfice de la prescription et se réclamaient
uniquement du droit naturel et des principes modernes, en délestant
leur cause du poids mort des hypothèses.
M. de Bertha écrit notre langue avec clarté sinon avec élégance :
la marque étrangère se décèle plutôt dans la composition un peu
embrouillée des chapitres qui se terminent le plus souvent sans
résumé ni conclusion, dans l'emploi de certaines expressions qui
sonnent assez étrangement à notre oreille : raison d'être plus éthique,
politique transcendante de Mathias Corvin; règne glorieux de Fran-
çois-Joseph ; l'Autriche demie-sœur chérie de la Hongrie, etc.
Nul n'était plus qualifié que le savant auteur de VHistoire des Rou-
mains de la Dacie Trajane pour réfuter les arguments historiques ou
autres de M. de Bertha. Mais dans ce duel il semble que les coups ne
portent pas, tant les armes sont émoussées par un long usage, et les
ripostes prévues. Ce qu'on relève de plus intéressant et de plus actuel
dans l'habile réplique de M. Xénopol, c'est un désaveu des visées uni-
taires des Roumains : ceux-ci n'aspirent pas à se grouper en un seul État
ethnique et politique ; les Roumains de Transilvanie ne demandent
qu'à vivre mais libres et respectés dans une Hongrie forte, afin que
Roumains et Magyars combattent le bon combat contre les Slaves
qui les encerclent et menacent de les étouffer. Pium voium. B. A.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 42 — 15 octobre — 1900
Nallino, Les manuscrits orientaux de la Bibliothèque nationale et de rAcadémic
de Turin. — Lkbey, Laurent de Medicis. — Comeau, Souvenirs des guerres
d'Allemagne. — Koenig, Les tissages saxons sous l'Empire. — Turmel, L'es-
chatologie.— KuKULA, Tatian. — Rinonanopoli, Lamia et Lilith. — Albert Jahn.
— Frantsen, L'Evangéliaire de Reims. — Keyser. Thomasius et le piétisme. —
RiAT, Paris.
I. Manoscritti arabi, persiani, siriaci e turchi délia Biblieteca nazionale e délia
R. Accadcmia dellc scienze diTorino, illustrati da C. A. Nallino. Turin, igoo,
in-4», 10 1 p.
Pour épargner au lecteur toute déception, disons d'abord que ni la
Bibliothèque nationale, ni l'Académie de Turin ne possèdent une col-
lection orientale qui se distingue par le nombre ou la rareté de ses
acquisitions.
La bibliothèque renferme tout au plus une centaine d'ouvrages
arabes répartis entre soixante copies. La doxologie chrétienne et
musulmane, la grammaire et la lexicographie y sont représentées par
quelques traités bien connus et dont plusieurs ont été publiés en
Europe. — Le fonds persan (n"^ 66 à 97) est un peu mieux doté, au
moins pour ce qui concerne la poésie et le soufisme. Parmi les 40 ou-
vrages dont il se compose, il est bon de citer un poème anonyme du
xni" siècle, intitulé Mihr o vèfa qui paraît être une composition mys-
tique d'un certain intérêt : tout au moins a-t-elle le mérite d'être
unique et entièrement inédite. — Je ne vois rien à signaler dans les
manuscrits qui forment le groupe turcosmanli (n»* 97 à 109), saut
peut-être une sorte d'épopée [Sule'iman-namèh] en l'honneur du sultan
Soliman !«'', et un traité sur les devoirs de la charge de vizir par
Kinali-Zadèh.
Plus modeste encore est la collection de l'académie de Turin : on
y compte une douzaine de manuscrits arabes et turcs dont la plupart
sont tombés depuis longtemps dans le domaine public; pour le fonds
syriaque: un fragment de l'évangile de Saint Luc, un autre des Actes
des apôtres et un bréviaire à l'usage des jacobites.
Mais oubliant l'exigu'ité et la valeur très relative de ces deux collec-
tions, nous ne saurions trop louer M. Nallino de l'exactitude scien-
tifique, du zèle fcrupuleux avec lesquels il les a classées et décrites.
Nouvelle s<{rie L. 42
290 REVUE CRITIQUE
Rien ne manque en son catalogue de ce que le lecteur le plus exigeant
peut demander à un ouvrage de ce genre : description tidèle de chaque
ouvrage et, quand il s'agit, ce qui est fréquent ici, de volumes de
mélanges, analyse de toutes les pièces qui les composent et notices bio-
graphiques; enfin, chose plus précieuse encore, indication des éditions
et des travaux dont chaque texte a été l'objet, soit en Europe, soit en
Orient, aucun de ces renseignements n'a été omis par le savant biblio-
graphe. Et ce n'est pas seulement un bon instrument de travail que
M. N. vient de donner à nos études, il fournit aussi à son pays un
exemple qui, nous l'espérons, ne sera pas perdu.
Par sa situation géographique comme par son passé historique, ses
transactions commerciales, sa propagande religieuse, l'Italie aurait
pu former une collection inestimable de manuscrits orientaux. Ce
qu'elle possède est encore assez considérable pour que le monde savant
en fasse son profit. Il y a, je crois, une vingtaine d'années, le minis-
tère de l'Instruction publique avait compris cette nécessité en inaugu-
rant une série de catalogues sous le titre de Codici oi'ientali di alcune
biblioteche d'Italia. Six fascicules ont paru à intervalles inégaux; puis,
je ne sais par quel concours de circonstances fâcheuses, raisons bud-
gétaires ou autres, le travail s'est arrêté. C'est une raison de plus pour
adresser nos félicitations et nos encouragements à M. Nallino, sans
oublier de remercier aussi l'académie de Turin qui a fait les frais de la
publication. Il est hautement désirable que l'initiative prise par cette
docte compagnie donne une impulsion nouvelle aux catalogues des
fonds orientaux des bibliothèques d'Italie. Cette publication serait
accueillie avec une vive gratitude par tous ceux qui s'intéressent aux
progrès de l'érudition.
B. M.
André Lëbëy. Essai sur Laurent de Médicis dit le Magnifique, Paris, Librai-
rie académique Perrin et C'^ ; 1900, in- 16 ; 11 -3 16 pages.
Il est certainement regrettable de décourager les romanciers et les
publicistes qui manifestent la noble ambition d'aborder le domaine
de l'histoire ; ils se persuadent naturellement à eux-mêmes et à une
partie du public que les spécialistes traitent leurs essais d'amateurs
avec une sévérité qu'inspire seule une basse jalousie ; en quoi ils se
trompent. C'est à eux-mêmes de nous donner plus souvent l'occasion
d'accueillir avec joie leurs tentatives. Voici un écrivain, qui, après
avoir publié des vers et s'être essayé dans le roman, a entrepris de
faire revivre l'attachante figure de Laurent de Médicis. Rien de mieux :
mais pourquoi se flatte-t-il de « faire sortir de l'ombre où elle était
oubliée la vie d'un grand homme »? Voilà une grande naïveté! Car
peu de figures sont mieux connues et ont plus souvent arrêté l'atten-
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 29 I
tion des historiens de la Renaissance que celle de Laurent. Il est vrai
que M. Lebey a renouvelé le sujet en transformant l'étude biogra-
phique en apologie politique, et même en y mêlant le venin de nos
discussions actuelles : « J'ai aimé, dit-il, me rendre compte de la façon
dont une âme fervente et réfléchie (faut-il lire : violente et réfléchie?)
était parvenue à museler la chimère d'un gouvernement républi-
cain... » Nous ne suivrons pas M. L. sur ce terrain glissant, si glis-
sant même que l'auteur en a perdu parfois toute notion de chronolo-
gie comme dans le passage où il paraît placer l'exil de Dante après les
principales œuvres de Giotto, après Boccace même (p. 45-46). C'est
dommage ; car malgré un style bizarre et des métaphores incoercibles,
M. L. sait animer une scène ou peindre un tableau. Ce qui lui manque
c'est, avec une préparation suffisante, le sens même de l'histoire.
Henri Hauvette.
Souvenirs des guerres d'Allemagne pendant la Révolution et l'Empire, par
le baron de Comeau, colonel d'état-major, chambellan bavarois. Paris, Pion,
1900. In-8", 397 p. 7 f. 5o.
On ne connaissait pas le baron de Comeau. On le connaîtra mainte-
nant, grâce à lui-même, grâce à ses récits, et l'on saura désormais que
c'était un grand homme : la Bavière fut bien aise de l'avoir à son ser-
vice et sans lui, que serait devenu Napoléon ? Mais oyez la carrière de
Comeau, telle qu'il nous la raconte, très longuement, trop longuement,
et pourtant de façon très amusante.
Sous-lieutenant d'artillerie en 1789,11 est en 1790 envoyé avec sa
compagnie à Lyon où il réprime une émeute, puis il émigré, sert à
l'armée de Condé et devient capitaine d'artillerie dans les troupes bava-
roises. En 1800, il reçoit sa première mission : il est envoyé à Paris
auprès de Bonaparte. Et ici, Comeau trace un parallèle entre le pre-
mier consul et. .. lui-même (p. 1 76) : « Nous étions de même âge. Nous
avions eu chacun quatre frères et trois sœurs. Après qu'on nous eut
destinés à l'état ecclésiastique, nous entrâmes dans la même année au
corps royal de l'artillerie. C'est ainsi que sans nous connaître, les
canons de bronze et leur pénible étude préliminaire ont affranchi des
études latines, préliminaires des canons de l'Église, un pauvre gentil-
homme corse et un gentilhomme, pas riche, de Bourgogne. Ces deux
vocations se manifestèrent en 1784. Celle du Corse fut aidée parla
générosité du roi et celle du Bourguignon par les gênes et les priva-
tions de son père. A Brienne, il s'intrigua fort secrètement et adroite-
ment pour être envové à l'École militaire de Paris et entrer ensuite
dans l'artillerie. A cause du privilège de cette École, il pouvait être
nommé d'emblée lieutenant en subissant l'examen sur tout le cours
de mathématiques en une fois ; ce qu'il fit en se livrant avec ardeur
292 REVUE CRITIQUE
à cette seule étude et négligeant tout le reste. Il eut sa lieutenance
en 1786. A âge et savoir égal, les élèves de l'école spéciale de Metz ne
pouvaient obtenir que la sous-lieutenance, ce qui fut mon cas. Mais
il y avait si peu de rang entre nous, parce qu'il avait un des derniers
numéros, et moi un des premiers de ma promotion, qu'en 1791 nous
obtinmes en même temps le grade de lieutenant en premier ou capi-
taine en second, comme on disait alors dans l'artillerie. >)
Je demande la permission de faire ici une parenthèse et de reprendre
ligne par ligne tout ce que vient de dire Comeau. Le brave homme se
trompe sur bien des points. Bonaparte n'avait pas été destiné à l'état
ecclésiastique. Il entra dans l'artillerie en 1785, et Comeau, en 1786.
Il n'intrigua pas pour être envoyé à l'École militaire de Paris, et cette
École n'avait pas le privilège dont parle Comeau. Lorsque Comeau se
présenta devant l'examinateur Laplace en 1786, il pouvait être, comme
Bonaparte l'année précédente, admis officier, et dix-sept sujets qui,
ainsi que lui, n'étaient qu'aspirants, obtinrent ce grade d'emblée; mais
il ne connaissait qu'une partie du programme et il fut reçu élève ; il
n'y eut pas de concours en 1787 et en 1788 (ce dont Comeau ne s'est
pas souvenu) et en 1789, à une seconde épreuve, il fut reçu officier
le io« sur 41. Il y avait, quoi qu'il en dise, beaucoup de rangs entre
Bonaparte et lui, puisque Bonaparte était dans la promotion de 1785
le 42= sur 58 et qu'il y eut ensuite la promotion de 1786 qui compta
61 officiers: sur la liste des sous-lieutenants, Bonaparte avait donc
plus de quatre-vingts rangs d'avance sur Comeau. Si tous deux eurent
au i®"" avril 1791 le grade de lieutenant en premier (que Comeau a
tort de confondre avec le grade de capitaine en second), c'est que la
réorganisation de l'armée fit avancer un grand nombre d'officiers.
Je ferme la parenthèse et poursuis aussi rapidement que possible le
récit de la vie militaire de Comeau. Il continue ainsi son parallèle :
« Ainsi donc, à dix-neuf ans, nous pouvions bien nous comparer sans
vanité. Il était laid, et moi, sinon beau, au moins joli garçon, puisque,
lorsqu'on m'envoya à Lyon, je défilai sous les fenêtres d'un chapitre
de chanoinesses ; une exclamation de « Mesdames, Mesdames, venez
donc voir un joli officier », garnit comme par enchantement les vingt
croisées de figures de dames qui deux à deux penchaient la tête pour
mieux voir, disant : « Ah ! qu'il marche bien ! Qu'il est frais ! »... Or il
est certain que si, au lieu du jeune Bourguignon blond et rose, ces
dames avaient vu défiler le triste Corse, jaune et trapu, elles auraient
ajourné leurs exclamations... au moins jusqu'au pont d'Arcole. Mais
j'ai mon pont, aussi. Constance : cela compte, et qu'on ne dise pas
qu'Arcole c'était en avant, toujours battant, et Constance en arrière,
toujours en retraite. Nous, de l'armée de Condé, avec notre cocarde
blanche et nos drapeaux fleurdelysés, nous étions toujours battants,
jamais battus, et nul n'a jamais vu notre dos ! »
Ce passage donne une idée du ton de Comeau et de sa suffisance.
d'histoire et de littérature 2q3
Qu'il ait eu plus belle mine que Bonaparte, soit, et permis à lui d'en
tirer vanité, encore que notre Corse, au sortir de Técole militaire, n'ait
pas semblé déplaisant aux dames de Valence. Mais comparer le pont
d'Arcole et le pont de Constance, affirmer que les émigrés n'ont
jamais tourné le dos, avouons-le, c'est de la gasconnade. Le reste de
ce singulier parallèle est d'ailleurs erroné : « Quand l'avancement nous
arriva, il le reçut, et j'y renonçai pour émigrer ; près du prince de
Condé, je me plaçai comme simple soldat; le Corse devint en peu de
temps lieutenant-colonel d'artillerie, mais sans emploi, presque sans
appointements à cause des assignats. Repoussé dans cette arme parce
qu'il était noble, les clubs, les émeutes furent ses ressources; il en
dirigea plusieurs à Paris. » Bonaparte n'a jamais été lieutenant-colo-
nel ; de capitaine il devient chef de bataillon, puis général de brigade ;
il a eu de l'emploi, il a eu des appointements, il n'a pas été repoussé
comme noble, il n'a pas dirigé plusieurs émeutes à Paris.
Mais venons à la mission de 1800. Comeau porte à Paris une
dépêche cachetée et rapporte de même une dépêche cachetée ; ce
serait un traité d'alliance, et un soir, après un dîner chez Talleyrand,
pendant qu'il cause avec le diplomate, il croit que le premier consul
l'écoute derrière une porte : Bonaparte « voulait me voir et n'être pas
vu... voulait me reconnaître, s'assurer si j'étais bien son ancien cama-
rade, gai, franc, bon enfant, et que je pourrais lui être utile >>. Qui lui
a dit que Bonaparte l'écoutait ? Suffit-il pour croire à la présence de
Bonaparte, d'entendre « un éclat de rire derrière la porte » ? Était-ce un
éclat de rire qu'il a entendu ?
L'alliance porte ses fruits. En i8o5. Napoléon écrit de Strasbourg à
l'Electeur de Bavière de lui envoyer le capitaine Comeau qui sera
attaché à l'état-major « parce que Comeau parle français et allemand
populaire ', et non pas seulement l'allemand classique de grammaire
que le peuple ne comprend pas ». L'Électeur dit à Comeau : « Allez »,
et comme il le voit silencieux et froid : « Dame ! c'est votre ouvrage !
Quel est le premier qui m'a fait comprendre que Bonaparte allait
devenir roi de France et que la guerre prendrait une autre tournure?
C'est vous, mon cher, qui, avec le télescope de votre imagination,
avez découvert cette nouvelle planète et m'avez fait sentir qu'il fallait
être de ses satellites ! Allez, vous avez semé, il faut récolter ! »
L'Électeur est très spirituel, et il atteste que Comeau a fait l'alliance
franco-bavaroise ; mais doit-on croire Comeau ? Ce propos, comme
I. Il a l'air, en effet, de mieux savoir rallcmand populaire que l'allemand clas-
sique, car il fait des fautes et il écrit Innfirtel pour Innviertel (p. 244); Reichtropf
et Reichtvoupes pour » Reichstropfen » et « Reichstruppen » (p. 92), Rousland
pour <■ Russland «(p. i33), Durchlaut pour « Durchiaucht » (p. 166), et lorsqu'il
prétend que Marchflue signifie «bourg à foires» (p. 297), c'est évidemment « Markt-
flecken » qu'il faut lire.
294 REVUE CRITIQUE
tant d'autres qui suivront, a été écrit en 1 841 , plus de trente-cinq ans
après les événements !
Comeau part. Il rencontre l'empereur en pleine campagne, et
Napoléon lui fait aussitôt des compliments : « Voilà une des capacités
de notre vieille école ! Songis, qu'il ne vous quitte pas ! C'est dans
sa tête chauve, quoique jeune, que se trouve tout ce que vous me
demandiez à Boulogne. Vous l'entendez. Messieurs, j'ai des amis par-
tout. Il est de la vieille école, de celle dont je suis sorti. Nous avons
fait des équations ensemble. Songis, je vous recommande Comeau ,
de la vieille école. Il a dans sa poche le matériel de trois Marengo.
Berthier, faites marcher et qu'on ne lambine pas ! Il sait la langue, il
connaît le pays. Ce n'est pas un mioche, n'est-ce pas, d'Andréossy? Je
l'ai connu lieutenant avant que la politique nous ait séparés, et je
l'aimais beaucoup. » Quel enthousiasme pour cet émigré parce qu'il
avait été lieutenant d'artillerie I Mais tous ceux qui entouraient Bona-
parte, ses camarades du régiment de la Fère et du régiment de Gre-
noble, Lariboisière, Gassendi, Songis, etc., etc., sortaient, eux aussi,
de la vieille école, et Comeau, entraîné par sa verve de conteur, se
trompe en disant qu'il a fait des équations avec Napoléon, puisqu'il
n'a été avec lui ni à Brienne ni à Paris.
La connaissance est renouée, et dès lors Comeau sera le con-
seiller de l'Empereur : « Il était avec moi de la plus parfaite politesse,
recevant mes services, mes avis, mes idées avec attention, douceur,
approbation ou objection s'il y avait lieu. Je parlais, j'étais écouté
par lui comme si nous avions toujours été deux officiers d'artillerie
de la même promotion. Il avait de moi un besoin moral et il craignait
que je ne m'en aperçusse. Il voulait être avec moi officier d'artillerie
sans faire ombrage aux chefs des trois corps : artillerie, géographie et
génie, et surtout sans détruire le prestige d'aucun de ces généraux
divisionnaires ! »
Dans la campagne de i8o5, le capitaine Comeau ne se signale pas
encore. A Austerlitz, il n'a fait que porter un ordre; Napoléon lui a
« donné la mission de faire charger par Kellermann un carré russe de
la droite ». Mais en 1806 il prévoit la guerre contre la Prusse, il pré-
dit que la Prusse sera écrasée. Ce n'est pas lui qui gagne la bataille
d'Iéna. Toutefois, l'empereur « l'envoya observer l'Autriche en
Bohême ». Comeau était un jour dans le groupe de l'état-major : par
trois fois Napoléon le regarde sans que Comeau baisse les yeux ; il
l'appelle : « Votre armée est là, n'est-ce pas ? Vos deux généraux De
"V\''rède etDeroy? Je suis content de vous. Vous avez eu une bonne
idée de masquer et échelonner vos réserves en regard sur la Bohême.
Quarante mille hommes, n'est-ce pas ? Allez-y, et si ces bougres-là
bougent, tombez-leur dessus. Vous savez comme je fais : tête baissée,
sur un seul point, et marche rapide en avant. Vous n'êtes pas général,
mais j'ai vos généraux avec moi ; vous ne serez pas contrarié. Allez. »
d'histoire et de littérature 295
Et Comeau va : il remarque que rien ne remue du côté de l'Autriche,
qu'il n'y a que des commandants de poste et un chef subalterne de
cordon, pas d'armée, pas de corps détachés. Il revient et voit l'em-
pereur à Berlin. Sitôt qu'il aperçoit Comeau, Napoléon le fait appro-
cher : « Je sais, lui dit-il, qu'il y a dans le pays de Bayreuth une for-
teresse qui passe pour imprenable. C'est trop près de l'Autriche; s'ils
y mettaient du monde, cela me déplairait fort. Elle coupe les com-
munications entre la Bavière et la Saxe. Je n'aime pas ces forteresses
que l'on oublie au milieu du pays dont on est maître. Prenez-moi
cela, Monsieur l'élève de Bélidor. Emportez avec vous vos vieux
livres d'artillerie et vos munitions. Je vais vous en donner d'autres qui
feront peut-être aussi bon effet : le nerf de la guerre; faites-vous don-
ner cent mille francs. Vous comprenez : cent mille francs, et allez. »
Et Comeau va : il touche cent mille francs ; il se présente devant la
forteresse de Plassenbourg ; il « prend » deux bataillons de troupes
bavaroises, bloque la place, n'épargne rien pour s'en emparer et s'en
empare après avoir déployé des ruses de toute sorte. Son récit est en
cet endroit très divertissant : il se présente en parlementaire au com-
mandant du fort, « vieille ganache du temps de Frédéric II », il parle
haut dans le conseil de guerre, il parle basa travers une porte avec la
fille du commandant; bref, Plassenbourg se rend sans que Comeau
ait dépensé les cent mille francs de Napqléon.
Faut-il accepter ce récit? Plassenbourg qu'il se vante d'avoir con-
quis à lui seul, a été cerné dès le 10 octobre par le colonel comte
Beckers et le 6= régiment d'infanterie bavaroise Duc Guillaume ; sur
le Rehberg, à huit cents pas de la forteresse, le major Lamey et le
capitaine d'artillerie Pusch avaient élevé trois batteries; une autre
batterie était sur le Buchberg, à cinq cents pas du château ; treize
pièces arrivaient en même temps de Bavière : voilà pourquoi la Plas-
senbourg fut rendue le 25 novembre par son commandant (qui s'ap-
pelait Uttenhofen et non Outinhof). Selon Comeau, l'empereur aurait
dit en le revoyant : « Messieurs, voilà le vainqueur en deux Jours de
la citadelle de Plassenbourg, Maret, lisez cette capitulation ; donnez-en
connaissance à ces Messieurs. Bertrand, vous aurez soin de la mettre
dans le bulletin . » Reportons-nous à ce bulletin : nous y lisons que le
fort était muni de vivres pour plusieurs mois, mais que l'empereur a
fait préparer à Kronach et à Forchheim des pièces d'artillerie, que
vingt-deux pièces étaient en batterie, « ce qui a décidé le commandant
à livrer la place ». Comeau n'est pas même cité; mais « M. de Beckers,
colonel du 6^ régiment et commandant le blocus, a montré de l'acti-
vité et du savoir-faire dans cette circonstance ». Notre émigré n'a
donc pas eu le rôle prépondérant qu'il s'attribue ; il faut dire simple-
ment, avec Schrettinger p. 583 i, qu'il déploya activité cl habileté dans
l'accomplissement des dispositions qui furent prises pour le siège.
La prise de Plassenbourg « m'avait mis, dit Comeau, avec l'Empe-
296 REVUE CRITIQUE
reurdans un rapport d'intime bienveillance ». Il accompagna Napo-
léon dans la campagne d'hiver, et lui conseilla de ressusciter la
Pologne. Mais il n'assista pas à Eylau et à Friedland. Il eut mission
sur mission, il était un homme « auquel Napoléon avait reconnu de
l'adresse et qu'il employait à des choses si différentes que l'une faisait
oublier l'autre » . On doit néanmoins recoonaître le bout de rôle qu'il
joua dans l'affaire de Heilsberg : par ses paroles et par l'assurance de
la prochaine arrivée des renforts, comme dit Schrettinger (p. 583), il
ramena au combat une partie de l'infanterie de Saint-Hilaire qui avait
reculé. Aussi fut-il décoré de la légion d'honneur sur le champ de
bataille.
Le clou du livre, qu'on nous passe l'expression, c'est la campagne
de 1809. Comeau a prévu que l'Autriche ferait la guerre. Il a exploré
la frontière et « vu arriver un prochain orage » ; il a reconnu un
général autrichien conduisant comme charretier de petites charrettes!
Vite, après s'être concerté avec le roi de Bavière, il part pour Paris.
« L'ambassadeur français, endormi à Vienne par des fêtes et des égards,
assure Napoléon de la solidité de la paix » ; mais Comeau arrive ; il est
introduit sur-le-champ dans le cabinet de l'empereur qui était à moitié
couché sur des cartes d'Espagne, en présence de Duroc, de Bertrand,
de Caulaincourt et de quelques officiers: « Qu'y a-t-il ? — Sire, attaque
violente aussitôt que Votre Majesté sera engagée en Espagne. — Bien
choisi, je pars demain.» Caulaincourt veut douter et dit à demi-voix
quelque chose de fort malhonnête. Napoléon fait sortir tout le
monde, même Duroc : « Parlez ; hier encore j'ai eu de M. Otto des
rapports bien opposés à ce que vous venez de m'apprendre, » Comeau
rapporte ce qu'il a observé. L'empereur sonne, demande Champagny.
« Les rapports avec Vienne? » — « Sire, ils sont des plus satisfaisants,
un calme parfait ». — « Votre ambassadeur est une bête ; écrivez-lui
qu'il prenne de meilleures lunettes ! Faites garder à vue Metternich. On
nous la gardait bonne là-bas ! Eh bien, il n'y aura plus d'Autriche! »
Un autre coup de cloche. « Le prince de Neufchàtel! » Berthier
entre. « Encore la guerre en Autriche !... Tout en mouvement des
Pyrénées au Rhin; dirigez tout sur l'Allemagne. La réunion en
Souabe ! Sur le Rhin tout ce qui allait en Espagne! Tous les maré-
chaux, ma garde à Strasbourg! » Troisième coup de cloche. « Le duc
de Bassano ! » Maret entre : « Encore toute l'Europe sur les bras! Le
Tyrol révolté! Une armée envahissant la Bavière!.. Il faut assommer
tout cela d'un coup de massue. Préparez tout. C'est en Allemagne
que j"e vais faire la guerre. Envoyez-moi Bertrand et Duroc...
Duroc, vous étiez prêt, ce n'est qu'un changement de direction ; tout
en Allemagne. Bertrand, les cartes pour la guerre en Allemagne ;
oui, les Alpes, et plus les Pyrénées; voilà un officier. Bavarois de
nom, mais Français de cœur, et de la vieille école. » Et Comeau,
retraçant cette scène, cette audience inopinée, admire la précision
d'histoire et de littérature 297
des ordres de Napoléon et de ses combinaisons diamétralement
opposées aux précédentes.
Par malheur, dans cette scène, tout est inventé d'un bout à l'autre.
Comeau assure qu'Otto était « Joué » et que lui, Comeau, émigré,
officier d'une puissance secondaire, a persuadé l'empereur (p. 343).
Or, dès le mois de juin 1808, le vigilant Otto avertissait Napoléon
que l'Autriche faisait des invasions en Bohême et Napoléon l'enga-
geait à se tenir sur le qui-vive. En juillet, l'empereur réclame un
mémoire sur les chemins qu'il faudrait suivre, pour déboucher en
Autriche par Neiss ou par Eger. En août, il demande publiquement
à Metternich si l'Autriche veut lui faire la guerre ou l'intimider. En
octobre, il écrit à François-Joseph qu'il a craint un instant le renou-
vellement des hostilités. En décembre, il augmente la force de l'armée
du Rhin. En janvier 1809, il prévient Otto d'avoir l'éveil sur les mou-
vements de l'Autriche qui semble avoir perdu la tête, et loin d'être
averti par le roi de Bavière, c'est lui qui avertit le roi de Bavière,
c'est lui qui, de Valladolid, envoie à ce prince un officier d'ordon-
nance pour l'instruire que l'Autriche fait des « démarches dirigées
par l'esprit de vertige et de folie ' ».
Napoléon n'a donc pu remercier Comeau et lui dire (p. 346) :
« Savez-vous bien que sans vous, les Autrichiens auraient pu réussir?
J'aurais été occupé ailleurs, et c'eut été à recommencer en Italie
comme en Allemagne. » Mais Comeau ne s'en tient pas là. 11 donne
des conseils, il propose un plan : laisser le Tyrol se révolter, porter
l'armée d'Italie sur la Carinthie pour menacer Vienne, refuser l'aile
gauche, attaquer vivement par le centre et marcher le long du Danube
sur la capitale. « Vous avez raison », s'écrie Napoléon, et Berthier,
mandé par un coup de cloche, reçoit l'ordre de faire agir le vice-roi
d'Italie sur Vienne, de mettre Davout en campagne, d'ébranler la
grande armée qui suivra la rive droite du Danube. Encouragé, Co-
meau continue : que l'empereur arrive, qu'il fasse une pointe pour
dégager l'armée bavaroise, qu'il appelle l'armée de la confédération,
que Davout débouche à propos. « Partez tout de suite, s'écrie Napo-
léon, criez aux armes, levez toute la confédération, envoyez partout
des estafettes, envoyez en surtout en Franconie, en Franconie, enten-
dez-vous, allez. » Et Comeau va, comme précédemment. Sur sa route,
il remarque déjà l'effet de sa mission. Il voit à Vitry, à Chàlons, à
Strasbourg, les troupes s'ébranler.
Il est dommage pour lui que nous ayons les lettres de Napoléon.
Le i5 janvier 1809, de Valladolid, bien avant d'avoir vu Comeau,
Napoléon assure déjà au roi de Bavière qu'il fera entrer le vice-roi
en Carinthie avec i 5o, 000 hommes, qu'il a lui-même i 5o,ooosoldatset
qu'il sera avec eux à Munich, quand il le faudra, qu'il joindra d'ailleurs
1. Inutile d'ajouter que Caulaincourt, alors en Russie, n'a pu assister à la scène.
298 REVUE CRITIQUE
à ces forces 100,000 hommes des troupes de la confédération, quç
Davout marche déjà sur le Danube avçc 200 canons et ses belles divi-
sions de cuirassiers, qu'Oudinot se porte sur Augsbourg.
Mais c'est dans le récit des combats d'avril que Comeau se surpasse.
Il assure qu'au 21 avril Napoléon lut ordonne de « dire à Wrède de
prendre Landshut et de descendre l'Isar en droite ligne »; Comeau
ne dit pas qu'il joignit Wrède ; mais il rencontre les brigades bava-
roises de Zandt et de Beckers et les mène à l'attaque de Landshut. On
peut lui objecter que dès quatre heures du matin Berthier avait
ordonné à Wrède de se porter sur Landshut, que Wrède reçut cet
ordre à la pointe du jour, que Napoléon n'eut donc pas besoin de
l'envoyer par Comeau, et, d'autre part, quoi qu'en dise Comeau, la
brigade Beckers qu'il aurait menée, ne figura pas à l'attaque de Lands-
hut ; la brigade bavaroise qui donna, fut celle de Zandt, et elle fut
conduite par Bessières.
Le jour même ou le lendemain (Comeau ne nous renseigne pas là-
dessus), il conseille à Napoléon de s'emparer du pont de Ratisbonne.
et auparavant d'Eckmiihl où commence un terrain marécageux; l'em-
pereur juge que Comeau a raison cette fois encore, et il commande à
Davout de venir à Eckmuhl, toutle monde doit se diriger sur Eckmiihl,
et l'on n'entend que les mots « Eckmuhl, qu'est-ce qu'Eckmuhl ? Où
est-ce?» Davout, frémissantde colère, doit, sur l'ordre de Comeau, rétro-
grader sur Eckmuhl. Le pauvre Comeau a été ici, comme ailleurs, et
plus cruellement qu'ailleurs, trahi par son imagination. Il annonce à
l'empereur que l'archiduc Charles arrive : « Vous n'avez pas défait
toute l'armée autrichienne, vous n'en avez battu qu'une partie. Voyez
ces vigies dans le lointain et voyez-en au-dessus de ce corps qui est
de votre côté. » Quel œil que l'œil de Comeau! De Landshut, il voit
les patrouilles de l'archiduc déboucher à plusieurs lieues de distance
par le pont de Ratisbonne! Sait-il même ce que c'est qu'Eckmuhl ? A
l'époque où il rédige ce passage de ses Mémoires, il n'a plus que des
souvenirs confus ; il se rappelle qu'en allemand Eckmuhl signifie
« moulin du coin » et, sans songer qu'Ekcmùhl est un village, il
assure sérieusement qu'il faut occuper le moulin du Coin, ce mou-
lin dont on voit les toits. Il ne pense pas que les témoignages des con-
temporains réfuteront ses dires : le nom d'Eckmùhl, qu'il semble révé-
ler à Napoléon et à ses lieutenants, est prononcé dès le 20 avril par
Napoléon et par Berthier; le 21, l'empereur ordonne à Lefebvre de
pousser sur l'archiduc Charles à Eckmuhl, et à Davout d'appuyer
Lefebvre; le 21, au matin, de son propre mouvement, Davout occupe
les hauteurs d'Eckmùhl et il tient dans cette position jusqu'au lende-
main où l'empereur le rejoint.
Comeau ajoute qu'il acheva la déroute d'Eckmùhl ; que, sans per-
mission de Wrède et sans ordre de l'empereur, il prit six régiments
de cavalerie bavaroise ainsi que la cavalerie wurtembergeoise et la
d'histoire et de littérature 299
colonne du général Lagrange et fit charger par cette masse les esca-
drons autrichiens qui se retiraient sur Ratisbonne, C'est encore là
évidemment une de ces hyperboles dont il est coutumier, et, s'il
avait joué ce rôle à Eckmiihl, rôle qui serait bien plus brillant qu'à
Heilsberg, les documents du temps en feraient mention ; or, pour
l'année 1809, Schrettinger (p. 584) dit simplement que Comeau fut
datîs cette campagne attaché de nouveau à Tétat-major français.
Que conclut Comeau, à cet instant de la campagne de 1809 ^
« Seul J'ai vu, deviné, annoncé. Deux lieutenants de même âge, de
même arme, de même école vont s'entendre et combiner ensemble.
Le faible, le proscrit va aller de pair avec le tout-puissant ! »
Je n'insiste pas et ne suivrai pas Comeau de crainte d'être trop
long, à Essling, à Wagram et en Russie. Mais voici quelques
erreurs et exagérations qu'il faut encore signaler aux lecteurs de ces
Mémoires.
Comeau dit dès le début qu'il commandait le détachement d'ar-
tillerie qui fut adjoint aux troupes de La Chapelle chargées de répri-
mer l'émeute de Lyon (p. 34) et qu'il eut comme mentor le sergent-
major Pichegru. Il ne commandait pas ce détachement et ne pouvait
le commander puisqu'il n'était que lieutenant en second. Toute sa
compagnie fut placée à Trévoux, et Comeau avait au-dessus de lui
son lieutenant en premier, La Génardière, et son capitaine en premier,
Tardy de MontraveL C'est Tardy, et non Comeau, qui a donné tous
les ordres relatifs à l'artillerie, et il est impossible que Comeau ait
été, comme il dit, « chef de corps, chef d'état-major, et le bras droit
du général en chef ».
Il raconte qu'à Lyon, à la même époque, au commencement de
1 79 1 , il se promenait sur les quais lorsque quelqu'un le prit par le bras,
entr'ouvrant une capote grise (déjà!) et montrant l'uniforme de l'artil-
lerie. C'était Bonaparte, de passage à Lyon. « Je vous cherchais, lui
dit Bonaparte. Vous êtes compromis. Les clubs savent qu'il y a une
conspiration royaliste. Brûlez les papiers dangereux. J'ai sollicité
votre place ; elle m'est promise ; en vous remplaçant, je ne voudrais
ni me compromettre ni vous causer aucun embarras. Allez, nous
nous reverrons, et peut-être bientôt. » Étourdi par ce coup — ajoute
Comeau — de la part surtout d'un officier que je savais être un pilier
de clubs, j'allai de suite chez le général. Il avait reçu des ordres de
Paris. Il me dit très vivement : « Allez. Tessonnet ' est déjà arrêté ; il
l'a été à Villefranche et on l'a amené à Pierre-Scize ». Tout cela est
bien confus, obscur, et du reste erroné. Nous savons de source cer-
taine que Tessonnet a été arrêté, avec Guillin et d'Escars, le matin du
10 décembre 1790 par ordre de la municipalité lyonnaise qui les soup-
çonnait très justement de conspiration (soit dit en passant, Tessonnet
I. Et non Tessonne,
?00 REVUE CRITIQUE
n'a donc pas été appréhendé à Villefranche). Or, Bonaparte, venant
de Corse et allant à Auxonne, passa le 8 février 1791 à Saint-Vallier-
sur-Rhône, et Comeau prétend l'avoir vu le 9 décembre 1790 !
Par suite, lorsque Comeau raconte (p. 208) qu'à Besançon, à la
table des lieutenants, il a jeté sa serviette au milieu de la table en
disant au domestique qu'il ne voulait pas être à côté d'un officier qui
allait au club, il se trompe de nouveau. S'il a vu Bonaparte à Besan-
çon, c'est, de son propre témoignage, avant 1791 ; or, Napoléon a
quitté le continent du i5 septembre 1789 à la fin de janvier 1791 ;
lorsqu'il est venu à Besançon, il n'avait donc pu aller dans les clubs
qui n'existaient pas encore, et l'anecdote de Comeau est fausse. Pas
tout à fait pourtant; elle courait dans le monde de l'émigration; Ro-
main la rapporte dans ses souvenirs, et il est plus véridique que Co-
meau : c'est le lieutenant royaliste Du Prat (cité d'ailleurs par Co-
meau p. 116) qui, à 'Valence, en 1 79 1 , pria tout haut la servante de ne
plus mettre son couvert à côté de celui de Bonaparte.
Comeau dit que Senarmont, son camarade, faisait partie de sa pro-
motion ( p. i32). Comeau, répétons-le, est de la promotion de 1789,
et Senarmont fut reçu officier en même temps que Napoléon en 1 785,
le 24'' sur 58.
Il dit également que Duroc (qu'il nomme à tort le maréchal Duroc,
p. 341) et Savary étaient ses anciens camarades, et une note des édi-
teurs ajoute que Duroc faisait la cour à ses professeurs et que Savary
espionnait ses camarades (p. 3o6). Le malheur est que Savary, duc de
Rovigo, n'a jamais servi dans l'artillerie ; Comeau, ainsi que ses édi-
teurs, l'a confondu avec son frère, reçu officier en 1786 et mort d'ail-
leurs en 1802. Quant à Duroc, élève de l'Ecole royale militaire de
Pont-à-Mousson, élève de l'Ecole d'artillerie de Chàlons où il fut
reçu en mars 1792, le 29^ sur 42, il n'a pu être le camarade de
Comeau.
Enfin, n'est-ce pas aller trop loin que de faire du prince de Condé,
le chef des Condéens, un général de premier ordre? Comeau affirme
que le prince aurait égalé le grand Condé et même Napoléon (p. 74),
qu'il n'a jamais été vaincu (p. 142) ! '
Comeau a de l'esprit, de l'entrain, et il mérite d'être consulté (non
sans une extrême précaution) malgré ses défauts. Il peint drôlement
la marche en avant de l'armée française qui lui semble une marche en
déroute, un arrive qui peut, de l'ordre fait avec du désordre : il lui
paraît que tout s'éparpille et ne pourra plus se réunir, et soudain,
I. Autres bagatelles: p. 28 (mais cette faute incombe aux éditeurs), Colonge n'a
pas été le premier colonel de Napoléon ; — p. 71. Il est prouvé aujourd'hui que
Saint-Just n'a pas promené la guillotine en Alsace. — p. 102 lire Ostrach et non
Ostrock. — p. 356. (( Saint-Laurent était avant la Révolution un officier clubiste de
mon régiment. » Comment pouvait-il être clubiste avant la Révolution? — id.
qu'est-ce que la brigade bavaroise Bechars? lire Bcckers.
d'histoire et de littérature 3or
lorsque se produit un temps d'arrêt, voilà que tout se reforme, se range,
s'avance avec une étonnante précision. Il fournit quelques détails sur
l'armée de Condé et sur l'armée bavaroise, Mais c'est le type de ces
vieux officiers qui se retirent dans leurs foyers, non sans mauvaise
humeur, parce qu'ils n'ont pas eu les honneurs rêvés ; ils racontent à
leurs entours ce qu'ils ont fait; ils embellissent leurs moindres actions,
et peu à peu, à force de prôner leurs exploits, ils finissent par y croire ;
ils inventent de longues conversations qu'ils auraient tenues avec le
victorieux dont ils étaient l'aide de camp ou l'officier d'ordonnance ;
ils s'imaginent qu'ils ont puissamment secondé leur général, et que,
sans eux, il n'eût pas triomphé.
A. C.
Albin KôNiG. Die Sâchsische Baum-woUenindustrie amEnde des vorherigen
Jahrhunderts und -waehrend der Kontinentcilsperre Leipziger Studien aus
dem Gebiet der Geschichte V'f Band. III'" Heft Leipzig, Teubner, 1899 ^"
370 p.).
L'enquête de M. Kônig porte sur une des périodes les plus critiques
de l'histoire économique et sur un des articles les plus intéressants du
commerce général. Elle raconte l'effort de l'Angleterre pour maîtriser
à la fin du dernier siècle et au début de celui-ci le marché cotonnier
en toutes ses branches et la lutte de la fabrication saxonne contre la
concurrence anglaise ; cette concurrence ne triomphe à vrai dire que
dans la dernière décade du xviii' siècle : jusqu'alors c'est l'Inde, la
Saxe et la Suisse qui pour la plus grande partie défraient la consom-
mation européenne. En dix années, ces produits sont évincés : de
nouvelles machines anglaises donnent un filé plus égal, plus lisse,
plus solide, mais tout aussitôt les articles anglais, les piqués, mousse-
linettes, basins, etc. sont imités tant à Chemnitz que dans le Vogt-
land. Cet essai de résistance faiblit bientôt et dès 1804 la place de
Leipzig est noyée sous l'avalanche des cotonnades anglaises. Leipzig
devient une factorerie où régnent souverainement quelques firmes
britanniques comme les Humphreys de Manchester : ces maisons y
travaillent pour leur propre compte et peu d'affaires s'v traitent par
commission ; alors s'élèvent les doléances « tragiques » des produc-
teurs indigènes auxquels le blocus continental permet de s'outiller et
de s'armer. L'on suit dans l'exposé de M. K. tous les effets du décret
de Berlin qui fut complété par le tarif de Trianon ; la première con-
séquence en fut l'éviction des produits manufacturés anglais de la
Saxe à l'exception des filés devenus indispensables et le déplacement
du foyer distributeur qui par raison de contrebande fut transféré à
Hambourg et à Vienne. En réalité, le blocus continental fut favorable
à la Saxe : de 1806 à 181 1, en dépit de la guerre, le nombre des tis-
3o2 REVUE CRITIQUE
sages et des ouvriers ne diminua pas; quant à la production, elle aug-
menta terriblement. (Voir tableau, p. 258.). Ce ne sont pas les seules
conclusions statistiques que M. K. voudrait tirer de ses recherches :
à ce tournant de l'histoire, ce n'est pas une simple transformation des
procédés mécaniques qui s'accomplit dans l'industrie; c'est une trans-
formation sociale qui s'ébauche, à savoir l'entrée en jeu du capital de
plus en plus concentré en quelques mains et la formation d'un prolé-
tariat ouvrier tels que tisseurs et mécaniciens. Ces considérations
semblent avoir échappé a M. Louis Bein, auteur d'un ouvrage sut
l'industrie du Vogtland saxon. M. Kônig ne s'est pas borné à la mise
en œuvre de riches matériaux d'archives, il a envisagé la portée loin-
taine de l'épisode qu'il a raconté.
B. AUERBACH.
— M. J. TuRMEL a réuni en brochure les articles publiés par lui, dans la Revue
d'histoire et de littérattue religieuses, sur L'eschatologie à la fin du iv° siècle
(Paris, Picard, 1900 ; in-8°, 97 pages). Il s'agit, à proprement parler, de l'ensei-
gnement des Pères du iv« siècle touchant la durée des peines de l'enfer en ce qui
regarde les chrétiens. Sous l'influence d'Origène, la doctrine du salut de tous les
chrétiens eut alors des partisans très nombreux. M. T. étudie successivement
l'eschatologie origéniste, la croyance au salut universel des chrétiens, la façon
dont les théologiens postérieurs ont expliqué les textes des Pères. Il montre fort
bien, dans la seconde partie de son travail, le rapport qui existe entre l'évolution
de la doctrine du salut et celle de la discipline pénitentiaire. — A. L.
— Le discours aux Grecs, de Tatien, a fourni à M. R. G. Kukula le sujet d'une
très solide et intéressante étude, en deux opuscules qui se complètent mutuelle-
ment : Tatians sogenannte Apologie (Leipzig, Teubner, 1900, in-8°, 64 pages) et
0 Altersbeweis » laid Kiinstlerkatalog in Tatians Rede an die Griechen (Wien,
librairie de l'auteur, 1900; in-S", 28 pages). Dans le premier, M. K. établit que
l'œuvre de Tatien est un véritable discours, une sorte de leçon inaugurale, qui
doit nous avoir été conservée à peu près telle qu'elle a été prononcée quand le
docteur chrétien ouvrit l'école que, d'après Irénce, il fonda en Asie-Mineure ; le
discours aux Grecs aurait été composé vers l'an 172. De la discussion d'un cer-
tain nombre de passages difficiles ou mal compris il ressort que Tatien ne mérite
pas la réputation d'obscurité qu'on lui a faite. Dans l'autre brochure, M. K. repro-
duit, avec des notes critiques, le texte de la seconde partie du Discours, et il fait
voir comment les remarques de Tatien sur l'antiquité de Moïse et sur les œuvres
de l'art païen se rattachent à l'objet de sa démonstration. Le morceau où l'on a
voulu trouver un catalogue des artistes n'est évidemment pas d'un artiste ni d'un
archéologue, mais il est d'un moraliste qui juge, à son point de vue, les œuvres
de l'art païen qu'il a remarquées au cours de ses voyages. — A. L.
— En quelques pages, M. Rinonapoli [Lamia e Lilith nelle leggende grcche e
semitiche. Estratto de Vesta, II, i; in-8% 7 pages) veut établir l'identité de la
Lamia classique avec la Lilith d'Isaïe et de la tradition rabbiniquc, en rattachant
l'origine de l'une et de l'autre à la mythologie chaldéo-assyrienne, qui connaît une
espèce de démons désignés par le nom de lilu (mâle) et lilitu (femelle). Il est bien
ft
d'histoire et de littérature 3o3
probable, en effet, que la lilitli d'Isaïc est une lilitti chaldéenne; mais rien ne
prouve que cette lilitli représente un individu, non une espèce, et qu'elle ait eu en
Assyrie sa légende, plus ou moins ressemblante à celle de Lamia. Les rapproche-
ments de M. R. ne sont peut-être pas aussi concluants qu'il parait le croire. — A. L.
— La traduction du quatrième livre d'Esdras, publiée par M. H. Gunkel dans
le recueil de Kautzch, Die Apocryphen und Pseudepigraphcn des A. 2"., tst réé-
ditée par son auteur, avec une introduction, mais sans apparat critique, dans un
élégant petit volume : Der Prophet Esra ; Tûbingen, Mohr, 1900, in-S», xxxii-
100 pages. Les références bibliques et les notes utiles pour rinteiligence du texte
sont renvoyées à la fin du volume. — A. L.
— Il ne nous appartient pas de discuter à fond la conférence de M. H. Seli, sur-
la mission du protestantisme allemand au x.V siècle : Zukun/tsau/gabe» des
deutschen Pvotestantismus im ncuen Jahrhtindert (Tûbingen, Mohr, 1900, in-8»,
36 pages). Nous en indiquons simplement les quatre points : la mission religieuse
du protestantisme allemand est de défendre le christianisme en le maintenant
d'accord avec la science moderne ; son devoir ecclésiastique est l'amélioration du
service divin public par le moyen de l'art religieux ; son devoir politique est
d'inspirer aux classes dirigeantes le sentiment de la justice sociale ; son devoir
national est l'établissement de la paix confessionnelle. — F. G.
— Nous n'avons pas davantage à examiner la thèse de M. M. R.\de sur la vérité
delà religion : Die WahrJieit der christlichen Religion (Tûbingen, Mohr, 1900;
in-8", vii-80 pages). L'auteur traite successivement: de la vérité; de la religion
chrétienne comme expérience actuelle; de la religion chrétienne comme souvenir;
de la religion chrétienne comme espérance. — O. P.
— L'Ecole française d'Extrême-Orient, dirigée par M. L. Finot, vient de donner
le premier volume de ses publications ; Numismatique Annamite par M. Désiré
Lacroix, capitaine d'artillerie de marine (Saigon, imp. Ménard et Legros). Ce vo-
lume intéressant est accompagné d'un album de quarante planches. Souhaitons à
notre Ecole de Saigon le succès de ses sœurs aînées d'Athènes, de Rome et du
Caire. — Henri Cordier.
— Nous avons le vif regret d'annoncer la mort du philologue helléniste Albert
Jahn, décédé à Berne le 23 août à l'âge de quatre-vingt-neuf ans, après quelques
jours de maladie. Jusqu'à la fin de sa verte vieillesse il a étudié les textes grecs.
Le dernier numéro de la. Revue de philologie conùent de lui, à titre de spécimen,
un commentaire sur les 23 premiers vers des Oracula chaldaica. Il y a un mois à
peine, le copieux apparat de son édition d'Aristide Quintilicn, De musica, nous
était confié par lui. La littérature profane et chrétienne de l'antiquité grecque lui
doit un grand nombre de publications savantes qui témoignent d'une érudition et
d'une mémoire prodigieuses. Le seul reproche qu'on pût lui adresser, c'est la pro-
digalité même avec laquelle il en répandait les fruits. Les textes qu'il éditait dis-
paraissaient pour ainsi dire sous la multitude des rapprochements dont il les illus-
trait. Nous ne pouvons passer sous silence la siîreié de ses relations et la parfaite
intégrité de son caractère. — C.-E. R.
— Dans la Revue russe du Ministère de l'Instruction publique M. V. A. Frantsev
publie, à propos de l'édition/ac simile de l'Evangéliairc de Reims récemment entre-
prise par M. Léger, un important article sur l'histoire de la première édition de ce
texte célèbre. M. Frantsev a dépouillé au musée de Prague la correspondance de
Hanka. Dans cette correspondance figurent de nombreuses lettres du Polonais
Jastrzemski qui le premier songea sérieusement à publier l'Evangéliaire. L'une de
:'04 REVUE CRITIQUE D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
ces lettres nous apprend que la Société d'histoire et de littérature polonaise de Paris
songeait à prendre sous son patronage l'édition de l'Évangéliaire. Ce fut, comme on
sait, l'empereur Nicolas qui fit allouer à Silvestre une somme de i3,ooo francs pour
les frais de l'édition. La correspondance de Hanka fournit également de curieux
détails sur l'édition imprimée qu'il publia à Prague en 1845. M. Frantsev nous
apprend encore que le Père Martynov avait songé vers i853 à donner à son tour une
nouvelle édition du manuscrit. Grâce à M. Léger, dit M. Frantsev, toutes ces ten-
tatives font aujourd'hui partie du domaine de l'histoire. L'article de M. Frantsev
a été tiré à part : K istorii u:[danii reimskago Evangelija; (in-S» de 3o pages, Saint-
Pétersbourg, imprimerie Balachov). — L. R.
■ — HansXe programme accompagnant le compte rendu annueldu Wilhelm-Gymna-
sium de Hambourg {Ch.Tliomasius und der Pietismus, Lùtke, Hambourg, 1900, p. 32
in-4*), M. Keyser s'est proposé d'étudier les rapports de Thomasius avec le piétisme.
Ils sont de nature assez complexe. En embrassant la cause de Francke contre les
théologiens de Leipzig et en se fixant à Halle, la citadelle des piélistes allemands,
Thomasius semblait s'être inféodé au groupe. M. K. démontre qu'il fut vite mécon-
tenté par le prosélytisme intransigeant de ses nouveaux amis, que ceux-ci de leur
côté le jugèrent trop engagé dans le camp mystique, en particulier avec Breckelin et
surtout Arnold, l'auteur de la Unparteiische Kirchen-itnd Ket:^er-Historie, à laquelle
a collaboré Thomasius lui-même. Par son tempérament ouvert, gai et vigoureux
il répugnait au piétisme; c'est plutôt par une certaine parenté dans les idées qu'il
s'y rattache. Mais M. K. aurait dû plus nettement établir que cette ressemblance
ne doit pas être attribuée à une influence subie, mais à un libéralisme d'esprit
tout disposé à accueillir certaines revendications des piétistes. Eux et lui sont d'ac-
cord dans leurs principes négatifs; dans l'ensemble des opinions positives qui
représentent la philosophie vulgaire d'ailleurs de Thomasius, ils sont très éloignés.
Le résultat le plus utile du travail de M. K. me parait être d'avoir précisé que
Thomasius, couramment appelé « le père de l'Aufklacrung », est tout le contraire
d'un rationaliste; il est de l'école de Bœhme, anti-cartésien, défenseur de la révéla-
tion et des miracles. - L. Roustan.
— Nous avons déjà signalé ici, mais sous sa forme allemande, le joli volume
que M. Georges Riat a consacré à Paris dans une collection intitulée Les villes
d'art célèbres. L'édition française a paru à son tour, chez H. Laurens : même
format, ou peut s'en faut, et même illustration. Tout au plus peut-on remarquer,
comme une perte, quelques photographies parues en Allemagne et qu'il a fallu
retirer ici, et comme un gain, l'absence de quelques gravures sur bois qui dépa-
raient l'édition allemande. Reste à souhaiter que ce soit là, chez nous aussi, le
point de départ d'une de ces jolies collections, dont le bon marché n'exclut pas
l'élégance, comme on sait si bien en faire depuis quelque temps, à Leipzig. —
H DE G.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 43 — 22 octobre — 1900
Newberry, Les papyrus Amherst, — Pinvert, Lazare de Baif. — Pierquin, Pache.
Lacour, Olympe de Gouges, Théroigne et Rose Lacombe. — Cabanes, Le cabi-
net secret de l'histoire, IV. — Ritter, Victor Cherbuliez. — Schoenbach, Etudes
littéraires. — Izzet Fuad-Pacha, Les occasions perdues, la campagne turco-
russe. — Mac Coll, Le sultan et les grandes puissances.
Newberry, The Amherst Papyri, being an account of the Egyptian Papyri in
the Collection ot" the Right Hon. Lord Amherst ofHackney, F. S. A. at Didling-
ton Hall, Norfolk by Percy E. Newberry, with an Appendix on a Coptic Papy-
rus by W. E. Crum, M. A., with twenty-four autotype Plates, Londres, Qua-
ritch, 1899, iii-4''' 61 p. et XXIV planches en autotypie.
La belle collection de lord et de lady Amherst of Hackney con-
tient, entre autres monuments provenant de l'Egypte, une série impor-
tante de papyrus hiératiques, démotiques, grecs, coptes, arabes. Le
noyau en fut formé dès 1868, lorsque lord Amherst acheta la collec-
tion du D"" Lee, et elle n'a cessé de s'enrichir jusqu'à ce jour. Le
volume que M. Newberry vient de publier tient, par certains côtés, de
la notice sommaire, et, par certains autres, du catalogue détaillé. Les
textes hiératiques, littéraires, scientifiques ou légaux y sont repro-
duits en fac-similé, et, pour une bonne part au moins, traduits et
transcrits in extenso; le reste, à l'exception d'un testament copte
interprété par M. Crum, est décrit en quelques lignes et réservé, s'il
y a lieu, pour la publication ultérieure.
Les papyrus proprement littéraires ne contiennent que des frag-
ments d'ouvrages déjà connus. Ceux qui portent les numéros I-IV
sont tous reproduits sur la planche 1 ; ils appartiennent au premier
empire Thébain et ils font doublets avec les papyrus de Berlin. Ce ne
sont malheureusement que des débris sans importance. Le papyrus
n'^ V est le papyrus Lee, déjà traduit par Chabas et par Dévéria. Le
papyrus n"^ VI a été publié puis traduit par Chabas. Les transcriptions
et les traductions que M. N. donne de ces documents sont utiles^
puisqu'elles constituent une revision de traductions déjà vieilles, mais
la partie vraiment neuve de l'ouvrage ne commence qu'avec le papy-
rus n-^ VIII, à la planche VIII et la page 29 du texte. C'est un des
manuscrits qui furent endommagés par l'explosion d'une poudrière,
Nouvelle série L. 4^
3o6 REVUE CRITIQUE
tandis qu'ils étaient déposés à Alexandrie, dans la maison de M. Har-
ris. Heureusement, M"e Harris en avait, vers 1860, exécuté des
calques qui furent acquis par lord Amherst, M. N.a complété, au moyen
de ces calques, le fac-similé qu'il nous donne de ce qui subsiste des
originaux. On doit joindre ce texte aux pièces que nous connaissions
de la grande enquête engagée sous Ramsès Nolirkerî de la XX« dynastie
contre les bandes de voleurs qui infestaient la nécropole thébaine. Il
est daté de l'an XVII de ce roi, le premier mois de Pérît, le 5, et il
contient, en huit pages, une liste de personnages impliqués dans l'af-
faire et qu'on prétendait avoir volé eux-mêmes ou reçu, comme affiliés
à la bande, des quantités plus ou moins considérables des objets en
métal volés. Le titre dit explicitement qu'il renferme les « Minutes
« des dépositions au sujet des métaux [Centre les mains] des voleurs
« qu'on a reconnus avoir volé la bonne place^ et dont le comte Kha-
« mouaisît, ainsi que le premier prophète d'Amonràsonther Amanhat-
« pou ont, dans le temple de Mait, de Thèbes, recueilli les dépositions
« qu'ils ont mises en forme d'écrit, pour être examinées dans la main
« du maire Paaouàa ', du scribe greffier Ounnofri ' » et de plusieurs
autres fonctionnaires mentionnés ailleurs. Les individus examinés
ainsi par le comte et par le pontife n'étaient pas très nombreux;
c'étaient Amanouàîtou, fils de Harai ^ et ses trois fils Paisanou,
Harai, Pakanou, puis Pantaouirît, fils d'Amannakhouîtou et ses trois
fils, Nakhîtminou, Amanhatpou, Masou. Ils avaient dénoncé chacun
plusieurs personnages, qu'ils accusaient d'avoir en leur possession des
cuivres provenant des vols, et c'est la liste de ces dénoncés qui couvre
les pages du papyrus. On y lit l'indication des titres, de la filiation,
des quantités de métal qu'on les accusait de posséder indûment, parfois
le nom d'une autre personne chez qui ils avaient déposé leur gain,
ainsi le marchand Pakharoui a cinq tabnou de cuivre dans les jnains
1. M. Newberry transcrit ce nom Pa-ser-da, confondant le signe du vieillard
avec celui du chef : l'examen du fac-similé et la comparaison du signe tracé en
cet endroit (VIII, 6} avec le signe tracé pins loin (XII, i) dans le nom propre d'un
autre personnage ne laissent subsister aucun doute sur la lecture Paaouda. i'a\ aïs
déjà lu ce nom de la sorte, il y a trente ans, dans mon mémoire sur Une enquête
judiciaire à Tlièbes, p. 8, note 2, et Spiegelberg a proposé de nouveau cette même
lecture tout dernièrement Recueil-, t. XXI, p. 44).
2. Newberry, J'/ie Amherst Papyri, pi. VIII, 1. 4-6 et p. 29-31, où la traduction
diffère sensiblement de la mienne. M. Newberry pense que tous les individus énu-
mérés avaient été examinés par le comte et par le grand-prêtre, puis que leurs
noms avaient été inscrits et la liste remise à Paaouàa et à ses collègues, pour que
ceux-ci pussent procéder à l'arrestation des inculpés. En fait, huit individus seuls
ont été appréhendés et examinés : les autres ont été dénoncés par ceux-là, et la
liste des noms envoyée à Paaouàa pour qu'une enquête fût ouverte à leur sujet.
3. M. Newberry lit le nom de ce personnage Xmcnuà-shert (p. 3i, n° 8): l'oi-
seau du mal n'a pas ici la valeur shere, c'est le déterminatif du mot oud, surtout
sous la forme ouaiti, ouditou, répondant au copte ouôt. Le nom Amanouàîtou
signifie Amon est unique.
d'histoire et de littérature 307
du marchand Paiîsabou '. Pour donner une idée du document, le
mieux est d'en traduire un paragraphe complet, le premier de tous :
« Déposition du voleur Amanouaitou, fils de Haraoui, de la Nécro-
pole.
« La vilaine Annoura, concubine du scribe Shanaî, décédé — une
fiole en bronze de la valeur de 35 tabnou\ un bol en bronze de la
valeur de 10 tabnoii.
« Le marchand Khonsoua.... ' de She-oirît (le Fayoum), — une
aiguière en bronze de la valeur de 20 tabnou.
« Le scribe Baoukounikhonsou du palais, — cuivre, [idem], 20 [tab-
nou] \
« Le gardien Nouzhi-Montounakhouîtou du temple d'Amon, qui
est de la dépendance ^ du premier prophète d'Amon, — cuivre [idem]
10 [tabnou].
« L'esclave portier Annouraka du premier prophète d'Amon, —
[cuivre, idem] 5 [tabnou].
« Le pêcheur Nibânou, du deuxième prophète d'Amon, — [cuivre,
idem] 10 [tabnou].
« Le marchand Nassousobkoui de la ville de Shesanaraît, du
Fayoum — cuivre, i fiole, bronze, i aiguière, de la valeur de 10 tab-
nou '\
Les dépositions ne sont pas toutes aussi détaillées : ainsi Haraouî
indique les noms et la condition d'un certain nombre d'individus,
mais sans mentionner les quantités de métal qu'ils avaient reçues
(pi. XII, 1. 17, à pi. XIII, 1. 1 1), et Pakanoufait de même pour une par-
tie de ses soi-disant complices (pi. XIII, 1. 12-17). Toutefois, comme
cette particularité ne se rencontre que sur une seule page, celle qui
est reproduite à la planche Xlll.il est fort possible que nous ayons ici
à soupçonner un oubli du scribe, et que la déposition renfermât, à l'ori-
gine, les mentions de quantité qui manquent dans notre exemplaire.
J'ajouterai que chacun des témoins ne craignait pas de mettre en cause
les personnes appartenant à la famille des autres. Ainsi Paisanou
dénonce la vilaine Tatitiya, concubine du voleur Masou, fils de Pan-
taouirît(pl. XII, 1. 6), et la vi/^rme Tasanouîii, qui était sa concubine
à lui (pi. XII, 1. 10).
Les listes sont données telles qu'elles avaient été recueillies de la
bouche de chacun des inculpés : aussi les mêmes noms y reviennent-
ils assez fréquemment. La vilaine Annoura, qui fut la première
dénoncée par Amanouaitou, reparaît la dernière dans la déposition de
1 . PI. X, 1. I ; cf, d'autres cas identiques, pi. XI, 1. 16, pi. XII, 1. 7 et i?, etc.
2. Le nom est mutile dans l'original.
3. Ici etplus loin dans le texte, le greffier a abrégé la formule, qui était d'usage
courant, et il n'en a plus écrit que les passages essentiels.
4. Litt. : « Au bâton du premier prophète d'Amon u.
5. Newberry, Tlie Amiierst Papyri, pi. VIII, 1. 8-i3,et p. 3o-3i, n»' 8-i5.
3o8 REVUE CRITIQUE
Pakanou, le fils d'Amanouaîtou (pi. XIV, p. viii, 1. 2), avec son compte
de 5 tabnoii de cuivre. Le cordonnier Pabounakhouîtou du château de
Ramsès III, aux ordres du premier prophète d'Amon, paraît dans
deux dépositions différentes, mais sous des inculpations diverses : si
Nakhouîtminou Taccuse de détenir du cuivre pour une valeur de
3 tabnou (pi. IX, 1. i5), Paisanou déclare qu'il a de l'argent pour une
valeur de 5 tabnou (pi. XII, 1. 16). Pantaouirît dénonce le reis des
bateaux Aufniamanou du château de Ramsès III, aux ordres du pre-
mier prophète d'Amon, comme détenteur de dix tabnou de cuivre
volé (pi. VIII, 1. 18), tandis que plus loin Amanhatpou l'indique
comme possédant vingt tabnou (pi. IX, 1. i-j,). Le porteur d'eau Panà-
souhiramanou du premier prophète d'Amon est porté pour vingt
tabnou de cuivre dans la déposition de Nakhouîtminou (pi. X, 1. 4)
et pour cinq seulement dans celle d'Amanhatpou (pi. XI, 1. 7). Le
marchand Panakhouîtimnouît figure pour cinq tabnou de cuivre
parmi les gens signalés par Nakhouîtminou (pi. IX, 1. 12) et par
Masou (pi. XII, 1. 2). Le manœuvre Sannozmou de la nécropole
avait eu pour sa part cinq tabnou de cuivre, au dire de Nakhouîtmi-
nou (pi. X, 1. 3), et quatre seulement au dire d'Amanhatpou (pi. X,
1. 18). Paisanou porte dix tabnou de cuivre à Tactifde Baukournoura,
sous-officier de la police éthiopienne (pi. XII, 1. 1 1), ainsi que Paka-
nou (pi. XIV, 1. 5). La récurrence de certains noms très fréquents
sous les Ramessides ne permet pas toujours de décider si les dénon-
ciateurs ont entendu parler d'un seul et même individu ou de plu-
sieurs personnages homonymes. Ainsi, on lit, parmi les noms livrés
par Nakhouîtminou celui d'une vilaine Tamî, la chatte^ qu'il affirme
être dans la main du manœuvre Nahsi, le nègre, de la nécropole et
qui aurait reçu dix tabnou de cuivre (pi. X, 1. i5). Masou cite à son
tour une vilaine Tamî, qu'il dit être de la ville, sans préciser davan-
tage, mais qui avait elle aussi dix tabfiou de cuivre (pi. XI, 1. 12). Pai-
sanou, de son côté, accusait « la vilaineTam\,]a. concubine d'un blan-
chisseur du premier prophète d'Amon », de receler dix tabnou de
cuivre (pi. XII, l.;i 5), tandis qu'Haraoui connaissait une l'/Zcri/ze Tamî,
qui était la concubine du quatrième prophète d'Amon (pi. XIII, 1. 6),
sans mention de la quantité de cuivre qu'elle avait reçue. Il semble
qu'il y ait là au moins trois femmes différentes : il se pourrait pour-
tant que les témoins, mal informés de l'état civil, et parlant par ouï
dire plus que par connaissance directe des personnes et des choses,
n'aient eu qu'une même personne en vue.
Tous ces gens n'étaient encore que dénoncés, et la liste que nous
en avons est celle qui fut transmise à la commission secondaire d'en-
quente, formée, comme on Ta vu plus haut, du maire Paaouàa, du
greffier Ounnofri et de plusieurs autres fonctionnaires : ils n'étaient
peut-être pas tous coupables, mais nous ne possédons encore aucune
pièce qui nous apprenne ce qu'il en advint d'eux. C'étaient pour la
d'histoire et de littérature 3o9
plupart d'assez petites gens, et les mots qui désignent leur condition
sociale seraient curieux à étudier de près. Les femmes rentrent dans
deux catégories : un petit nombre sont esclaves, esclaves du temple
d'Amon, sous Tautorité — ou, comme dit l'Égyptien, au bâton, —
du premier prophète d'Amon (XII, 9, XIII, 9, XIV, 4), la plupart sont
des vilaines (dnkhoui-nou-nouitj du secteur Ouest de Thèbes (XIV,
20), qui résident dans divers quartiers, ainsi au grenier du temple de
Khonsou (XI 11,4); elles vivent comme concubines (habsoui) d'hommes
de leur condition, manœuvres (IX, 18, X, i5, XI, 12), blanchisseurs
(XII, i5), matelots (XIII, 3), voleurs (XII, 6, 10), menuisiers (XIV,
8), plus rarement d'hommes d'un rang meilleur, attachés à la maison
de la divine adoratrice d'Amon. c'est-à-dire de la princesse qui faisait
fonction de grande prêtresse d'Amon (XI, 20), ou d'un quatrième pro-
phète d'Amon (XIII, 6). Parmi les hommes, on rencontre beaucoup de
manœuvres employés aux travaux de la nécropole (IX, 17, X, 3, 18,
XII, 8), ou par les scribes de la nécropole (XIII, i3, 14, XIV, 2), des
briquetiers sakhonatiou ', dépendant du temple d'Amon en général
(IX, 2, 3, 4, 6, XI, 6, 7, XII, 17, XIII, 8, i7cfr. XIV, i, 14), un jardi-
nier du château de Ramsès III (X, i3), des porteurs d'eau du premier
prophète d'Amon (X, 4, XI, 7) et d'un hiérogrammate au service d'un
grand seigneur (XIII, i, 5), un menuisier de la maison de la Divine
adoratrice d'Amon (IX, i), des bronziers du château d'Aménôthès III
(X, 19) et de la nécropole (IX, 14, XIV, i5), des brasseurs, dtkhoii^ du
château de Ramsès III (X, 5) et de la Divine adoratrice d'Amon (XI,
i6), des bouilleurs d'huile — pasfou-saknanou, — du temple de Khon-
sou (X, 7), du temple d'Amon (X, 8, 9), du Chef des chasseurs
d'Amon (X, 14), un boulanger du château de Ramsès III (XI, 2), des
cordonniers du château de Ramsès III (IX, i5, 16, XII, 16), un bar-
bier (XIV, iij, un coureur (XIV, 12), un héraut qui paraît avoir été
compromis dans une autre affaire du même genre {mah-sapou-sanou)
et qui est récidiviste (XI, 14), un magasinier du temple d'Amon (XI,
i3), un domestique (sotmou) ào. la maison de la Divine Adoratrice
d'Amon (XI, 18), un cuisinier (?) du temple de Sovkou (IX, 8), des
pêcheurs (VIII, 14, IX, 9), des matelots (XIV, 3, 16) et des capitaines
de barque (VIII, 18, X, 17, XII, 12), des blanchisseurs (XIII, 2, 7,
XIV, 17), des gardiens de temples ou d'édifices publics (VIII, 12, IX,
5, 7, XI, 8, XIV, 7, 9], des esclaves (Vlll, i 3, XI, 10). Un groupe de
marchands, presque tous indiqués comme originaires du Fayoum,
étaient également impliqués dans l'affaire (VIII, 10, i5,IX, i2,i3,X,
1,2, 5, 10, XI, 4, 5, 12, XII, 2, 5, i3, XIV, 18, 19), et avec eux quelques
personnages d'ordre plus relevé, un officier de la police éthiopienne
(XI, II, XIV, i5), un médecin-en-chef du temple d'Amon (XIV, 10),
I. M. Newberry traduit tisserands : ce sont les briquetiers représentés dans le
tombeau de Rakhmirî (Newberry, thc Life of Rekmard, pi. XXI).
3 10 REVUE CRITIQUE
des chefs de corvée du temple d'Amon (XI, i5), de la Chanteuse
d'Amon (XII, 3), du scribe du temple d'Amon (XIII, lo), des prêtres
attachés soit aux temples de la ville, soit à ceux de la nécropole (IX, lo,
XI, i3, XII, I, XIII, I 5, XIV, 6), des scribes dépendants des mêmes
administrations que les prêtres (VI II, i i, i7,X, 1 1, XI, i, 3, XIII, 1 1).
Ces gens étaient presque touségyptiens : un petitnombreseulement sont
trahis par leurs noms comme étant d'origine étrangère, l'esclave Annou-
raka (VIII, i3), le brasseur Ouanoura (X, 5), le sous-officier Baouk-
Ournoura (XI, ii, XIV, i5), le domestique Maharbal (XI, i8) '. Ils
relevaient en général de l'une des autorités religieuses qui se par-
tageaient le territoire de la nécropole, le temple d'Amon Thébain, le
temple de Moût, le temple de Khonsou, le château de Ramsès III à
Médinèt-Habou, VEscabeau de Ramsès I^"" et celui d'Aménôthès III,
la^/rtce de Thoutmôsis II, le Château d'Aménôthès III au Memno-
nium. Ces temples consacrés au culte des Pharaons morts et les édi-
fices qui dépendaient d'eux portaient des noms appropriés à leur
importance, le château — ta-hdït^ — quand ils étaient grands, la
place — ta isît — ou l'escabeau — pa kanaou — lorsqu'ils étaient
moindres ; ils formaient, comme les tombeaux des sultans mamelouks
auprès du Caire, de véritables domaines de main-morte, entretenant
un personnel nombreux. Les employés et les vassaux du Château de
Ramsès III à Médinet-Habou paraissent avoir été fort compromis
dans les affaires de vols, si bien que le greffier a souvent abrégé son
nom et l'a appelé le Château tout court (VIII, i8, XI, i3, 17, XIII,
16); on mentionne parmi les complices, comme lui appartenant, des
capitaines de bateau (VIII, 18, XI, 17, XII, 12), un jardinier (X, i3),
un boulanger (XI, [2), des cordonniers (IX, i5, 16, XII, 16), des
scribes (X, 11, XIII, 16). En même temps que le domaine sur lequel
les voleurs vivaient, on mentionne celui des hauts fonctionnaires
duquel ils dépendaient plus directement. Le château de Ramsès II
mouvant au temple de Karnak, ses vassaux étaient « au bâton du grand-
prêtre d'Amon », et, sous le grand-prêtre, «au bâton» d'un autre officier, ■
le majordome, par exemple (X, i 3, XIII, 16). Le grand-prêtre d'Amon
avait d'ailleurs, en dehors du château de Médinet-Habou, beaucoup
d'individus « à son bâton » (VIII, 12, X, 18, XI, 3, 6, 17, 19, XII, i,
9, I 5, XIII, 2, 8, 9, 17). Certains vassaux du château d'Aménôthès III,
étaient « au bâton » du sam de ce monument (IX, 10, X, 19). Enfin,
dans quelques cas, le dénonciateur avait joint, aux nom et condition
de son complice, l'indication de l'endroit dans lequel il ou elle siégeait
(homsou-f, homsou-s) d'ordinaire. Ainsi l'esclave Mahouf-panabanaou
appartient à un marchand « dont la résidence est l'escabeau d'Amon »
I. Je considère que des gens appelés Pakharoui, le Syrien (x, i), Nahasi, le nègre
(x, 19), Tashasouî, la Bédouine, (xiv, 9), ne sont pas plus des étrangers en Egypte
que chez nous, les Lallemand, les Langlais, les Suisse, les Lenègre.
d'histoire et de littérature 3 I I
(XI, lo). Le magasinier Rouraîti du temple d'Amon, « son siège est le
grand portail 'du temple d'Amon, » (XI, i3). Le briquetier Qanoui est
sous bonne garde % et « sa résidence actuelle est en ville », peut-être
comme les prisonniers du Papyrus n° VI, au portail du temple d'Amon
(XIV, i). Le coureur, le saïs^ Kinaba'naou a pour « résidence l'escabeau
de Ramsès I"" » (XIV, 12 ,, et un briquetier « la maison de Pharaon,
au côté du Sérail nord » (XIV, 14). Un marchand Kazaiaî loge dans
le bateau d'un autre marchand Nassousovkouî (XIV, 18), et une
femme, « la vilaine Tanîtpabaou, loge au « grenier du temple de
Khonsou » (XIII, 4).
Il y aurait encore bien des détails à relever dans ce texte, qui fait
revivre de façon si précise toute une partie de la population thébaine,
vers le xii^ siècle avant notre ère : je les néglige afin de ne pas allonger
trop ce compte rendu, et Je ne dirai rien non plus du papyrus géogra-
phique, ni des fragments du Conte d'Astartê \ qui sont fascimilés en
entier et analysés fort bien. J'ai examiné de fort près le travail de
M. Newberry, et j'y ai remarqué fort peu de points sur lesquels je
ne fusse pas entièrement de l'avis de l'auteur. Je ferai pourtant une
observation, à propos du rendu en hiéroglyphes des textes hiératiques.
M. Newberry, entraîné par l'exemple de nos confrères berlinois, a
transcritcertains caractères d'une façon qui nemeparaîtpas convenable
à l'âge où les Papyrus furent rédigés. Ainsi, il a interprété directement,
par l'homme tenant un casse-tête^ le déterminatif hiératique que nous
traduisons d'ordinaire par le bras armé. Cette transcription, si elle est
admissible pour les textes hiératiques des temps memphites, devient
moins bonne pour ceux de la xn« dynastie et incorrecte pour ceux du
second empire Thébain. Comme M. de Rougé l'avait dit, en établis-
1. M. Newberry (p. Sy, n» i3) n'a pas reconnu le mot sharâa. non plus qu'au
Papyrus n" VI, où ce mot se recontrait déjà (p. 28, 1. 3), et où il a rendu par pri-
son les groupes sha da ri en lesquels il le décompose. C'est un mot sémitique yrj;
porta, forum quod in portis erat. L'égyptien a déplacé Vain et transcrit tantôt sliaâra,
tantôt sharda : il a même adopté la forme dialectale yiri- Le mot parait désigner
en égyptien et la porte même, où l'on passait et où l'on rendait justice, et les deux
tours du pylône ainsi que les chambres qu'elles renfermaient. Au Papyrus n" VI,
je traduirai le passage de la pi. Vil, 1. 2-3, comme il suit : « Voleurs de la tombe
endommagée de ce dieu, qu'on a mandés au premier prophète d'Amon, pour qu'ils
fussent amenés et constitués prisonniers (iittt. : « en état d'hommes gardés) » dans
le portail du temple d'Amon, avec leurs complices, du châtiment desquels le Pha-
raon, notre maître, aura à décider ».
2. Sakhoiiiti Qanoui saaou, littéral. « le briquetier Quanouî, gardé ». Un bon
exemple de saouou, gardé, est donné plus haut, à la note qui précède immédia-
tement celle-ci.
3. A propos du Papyrus d'.-Vstartè, je ferai observer que le fragment VII, de la
première page, s'ajuste exactement au fragment I : la première, la seconde, lu
troisième ligne du fragment VII se joignent aux lignes trois, quatre, cinq, du frag-
ment I. Le caractère li du verbe liai, commencé à la ligne quatre du fragment I,
se continue à la lii^ne trois du fragment VII, et ainsi de suite.
3 12 REVUE CRITIQUE
sant à ses cours le texte du poème de Pantaouirît, les inscriptions hié-
roglyphiques les plus anciennes donnent en e^eiV homme armé comme
déterminatifoùrhiératiquea le signe correspondant; sous la xii^ dynas-
tie, le signe hiératique de Vhomme armé répond, en hiéroglyphes, de
plus en plus rarement klliomme arme lui-même, de plus en plus sou-
vent au bras armé; sous le second empire thébain, Vhomme armé
n'apparaît plus que par exception comme déterminatif dans les hiéro-
glyphes, et c'est le bras armé qu'on rencontre dans ce rôle. Si un
Égyptien avait voulu mettre en hiéroglyphes les Papyrus de la XX" dy-
nastie publiés par M. Newberry, il aurait partout employé le bras
armé et non Vhomme armé. Je crois qu'en cette matière, il faut ne pas
se montrer plus Égyptien que les Égyptiens, mais agir comme Tusage
des textes monumentaux nous prouve qu'ils agissaient eux-mêmes.
C'est là une observation qui ne touche en rien au fond de l'œuvre :
le volume des Papyrus Amherst fan grand honneur et au noble amateur
qui, après avoir assemblé cette riche collection, a voulu la publier à ses
frais, et au savant qui a su réaliser si bien les intentions libérales de
l'amateur.
G. Maspero.
Lucien Pinvert : Lazare de Baxf, in-8, i3o p. Paris, Fontemoing, igoo.
Lazare de Baïf, père du poète Antoine de Baïf, jouissait de son
temps d'une réputation considérable. Les contemporains s'accordaient
à le considérer comme le premier humaniste de France après Guil-
laume Budé. Il était en correspondance régulière avec tous les grands
érudits de l'Europe : Érasme, Lascaris, Bembo, Sturm, Gerbel, etc.
Il écrivait des traités latins sur maintes questions d'érudition : De re
vestiaria. De vascuîaris, De re Jiavali., traduisait les quatres premières
Vies de Plutarque, et mettait en vers français VÉlectre de Sophocle
et VHécube d'Euripide. François I^"" en faisait pendant cinq ans son
ambassadeur à Venise et, plus tard, l'employait encore en Allemagne.
On se demande comment la célébrité d'un pareil homme a pu être si
complètement étouffée depuis par celle de son fils, d'autant plus que
ce fils est de beaucoup le plus mauvais poète de la Pléiade. Il y avait
donc là, à la fois, une recherche historique fort curieuse à entre-
prendre et une injustice à réparer. M. Pinvert s'est fort bien acquitté
de sa tâche. Avec une patience des plus méritoires, il est allé fouiller
les archives et les vieux livres du xvi"' siècle les plus oubliés et a pu
reconstituer ainsi la vie entière de son héros. C'est une biographie
excellente de tous points.
Raoul Rosières.
d'histoire et de littérature 3 I 3
Louis PiERQuiN. Mémoires sur Pache, sa retraite à Thin-le-Moutier. Charle-
ville, Jolly, 1900, in-8°, 276 p. et 4 planches.
Ce livre renferme d'intéressants détails sur la retraite de Pache à
Thin-le-Moutier, et, ce qui vaut mieux encore, la réimpression de trois
brochures rarissimes du révolutionnaire : 1° ev 2° sur une affaire
pendante à la troisième section du tribunal civil de la Seine; (un cer-
tain Tronchet réclamait des dommages et intérêts à Pache pour avoir
été emprisonné par ordre de l'ancien maire de Paris et Pache lui répond
en donnant force détails sur son administration; 3° sur les factions et
les partis, les conspirations et les conjurations et sur celles â V ordre du
jour (cette troisième brochure avait été, il est vrai, réimprimée dans
le tome XX de la revue La Révolution française). M. Leblond, profes-
seur agrégé de philosophie, a joint à l'ouvrage une étude sur un traité
philosophique de Pache, lequel n'a aucune valeur (p. 255-273). Dans
tout le cours du volume, M. Pierquin n'a pour Pache que des éloges,
et il a raison de vanter son labeur assidu, sa probité, son patriotisme.
Mais dire que Pache a préparé le lit dans lequel Carnot s'est couché
« assez petit pour se réveiller tout d'un coup organisateur de la vic-
toire », c'est vraiment aller trop loin. Nous croyons, nous, que Pache,
en croyant bien faire, avait désorganisé tous les services. M. Pierquin
semble nous promettre une Vie documentée de Pache ; nous doutons
qu'il réussisse à « réhabiliter ce fier méconnu ».
A. C.
Les origines du féminisme contemporain. Trois femmes de la Révolution,
Olympe de Gouges, Théroignede Mcricourt, Rose Lacombe, parLéopold Lacour.
Avec 5 portraits, Paris, Pion. 1900, In-8° 432 p. 7 fr. 5o.
Sans nous occuper du point de vue spécial de l'auteur qui voit dans
Olympe de Gouges, Théroigne et Rose Lacombe les précurseurs du
mouvement féministe actuel, nous dirons que ces trois études histo-
riques ont été composées avec soin et conscience. L'étude de M. Lacour
sur Olympe de Gouges est bien supérieure à celle de Monselet ; elle
renferme nombre de détails jusqu'ici peu connus ou ignorés. De
même, l'étude sur Théroigne : M. L. a retracé la destinée de l'aventu-
rière d'après un petit volume précieux publié en 1892 par Strobl-
Ravesberg. L'étude sur Rose Lacombe est peut-être la plus neuve :
Rose Lacombe se prénommait en réalité Claire, et c'est en demandant
aux archives nationales le dossier de Claire, et non celui de Rose, que
M. L. a trouvé de nouvelles particularités sur cette femme de la Révo-
lution. On remarquera notamment tout ce qu'il nous rapporte sur le
club des « Républicaines révolutionnaires » et sur l'amant de Claire
Lacombe, le jeune terroriste Leclerc qui voulut, comme Jacques Roux,
3 14 REVUE CRITIQUE
continuer Marat. On aurait désiré que M. L. eût cité dans Tœuvre
d'Olvmpe de Gouges le Camp de Grandprc, et son étude sur Théroigne
est peut-être trop longue, un peu alourdie par d'inutiles réfutations de
sesdevancierset de copieuses citationsde lapresse royaliste. Ons'étonne
même qu'il se soit contenté de résumer ou de reproduire Strobl-Raves-
berg; puisqu'il veut aller aux sources, en finir avec les ouvrages de
seconde main (p. v), puisque Strobllui semble avoir mis des phrases à
la place de « preuves » et de « détails » (p. 149) et n'avoir pas utilisé
tous les documents, il devait aller à Vienne consulter toutes les pièces
si intéressantes énumérées par M. Winter (p. 1 19), et il peut être sûr
qu'un chercheur fera un jour le voyage et le travail. En terminant ce
compte rendu et en félicitant M. L. de l'étendue de ses recherches et
de l'esprit critique qu'il y montre. Je crois lui prouver ma reconnais-
sance en lui communiquant sur Théroigne ce témoignage très impor-
tant de Forster qu'il n'a pas connu : « Quand Je pense, écrit Forster à
sa femme, que la créature réellement très intéressante qui était prison-
nière à Kufstein, doit s'être attiré auparavant à Turin par ses excès la
grosse vérole qui est tout à fait inguérissable, elle rne devient un objet
de dégoût et de mépris », et il mandait auparavant le 23 Juillet 1793 :
« Théroigne est une Jeune fille brune de vingt-cinq à vingt-huit ans, au
visage le plus ouvert, aux traits qui étaient beaux autrefois, qui le
sont en partie encore, et qui trahissent son caractère simple, ferme.
plein d'esprit et d'enthousiasme; elle a surtout dans les yeux et la
bouche quelque chose de doux et d'attirant. Tout son être est comme
plongé dans l'esprit de liberté ; elle parle sans cesse de la Révolution,
et, ce qu'il faut bien remarquer, les jugements qu'elle exprimait hier,
étaient frappants sans exception, précis et touchaient précisément le
point dont il s'agissait. Elle apprécie le ministère de Vienne avec une
compétence que seule, l'aptitude à observer Juste peut donner. Elle
est du Luxembourg et, à rrai dire, c'est pour la liberté de sa patrie et
de l'Allemagne qu'elle est le plus zélée. Elle ne parle que français,
couramment et énergiquement, quoique sans correction. Elle est ici
soupçonnée d'avoir été corrompue par l'Autriche parce que l'Empe-
reur l'a fait remettre en liberté — mais ces hommes savent si peu
juger, puisqu'ils ne connaissent pas et ne possèdent pas le sentiment
moral, la vraie pierre de touche ! C'est même une martyre de la
liberté; il y a six ou sept semaines les furies qui siègent dans les tri-
bunes de la Convention la traînèrent au dehors dans le jardin des
Tuileries, lui frappèrent la tête à coup de pierres et voulurent la noyer
dans le bassin. Par bonheur on vint à son secours. Mais elle a depuis
les douleurs de tête les plus terribles et elle a l'air vraiment piteux.
Hier, elle souffrait beaucoup et parla néanmoins avec chaleur et inté-
rêt. Elle a, dit-elle, une grande soif de savoir, elle veut aller à la cam-
pagne et là étudier les sciences qui lui manquent ; elle désire la société
d'un homme qui ait des connaissances, qui parle et écrive bien; elle
d'histoire et de littérature 3 I 5
Tentretiendra et lui donnera par an deux milles livres ; elle n'est, dit-
elle encore, qu'une paysanne, mais elle sent le besoin d'instruction.
Elle doit avoir de quoi vivre, bien qu'elle assure avoir perdu toute sa
fortune, car sa mise est tout à fait convenable et elle a encore une
voiture. »
A. C.
D' Cabanes, Le cabinet secret de l'histoire, 4° série. Paris, Maloine, 1900,
in-8°, 320 p.
Le grand public lira volontiers ce recueil d'études à cause des sujets
qu'elles traitent. Elles n'apportent guère de faits nouveaux, mais
elles ont été composées avec soin, elles témoignent d'une lecture con-
sidérable et l'opinion d'un médecin est bonne à connaître. M. Caba-
nes nous dit donc que François I"" n'est pas mort de la Féronnière (le
roi a eu la siphylis, mais n'a pas succombé à ses suites), que Fernel
ne fit pas cesser la stérilité de Catherine de Médicis, qu'en octobre
1592 Loyseau soigna Henri IV qui avait un retour de son affection
(rétrécissement uréthral dénature blennorrhagique), que Louis XIII,
gaillard dans ses propos en sa Jeunesse, eut soudain une « modifica-
tion d'humeurs » et que Louis XIV n'a avec lui aucune ressemblance
physique. Il nous raconte comment Marie Leczinska devint reine de
France et comment fut consommé le mariage de Louis XVI. Il réfute
l'accusation d'inceste portée par Hébert contre Marie-Antoinette —
et nous apprend en passant qu'il ne croit pas à la mort de LouisXVII
au Temple. Enfin, dans une étude, la meilleure du volume, qu'il a
composée d'après des documents d'archives, il nous renseigne sur la
prétendue folie du marquis de Sade qui fut enfermé à Charenton non
pour Juliette ou Justine^ mais pour ZoIoe\ pamphlet violent contre
Joséphine.
A. C.
Victor Cherbuliez, Recherches généalogiques, par Eugène Ritter, professeur à
la Faculté des lettres de Genève. Genève, Kiindig, 1899. In-S», 35 p.
Dans ce nouveau travail qui, comme ses précédentes études sur
Rousseau et M'"<'de Staël, lui a coûté de très longues et patientes
recherches, M. Ritter expose les origines genevoises de Cherbuliez,
Deux points offrent un réel intérêt : 1° cinq ou six des ascendants
directs.de Cherbuliez ont une place dans l'histoire littéraire de
Genève : Isaac Cornuaud, qui approuva l'annexion de Genève à la
France parce que la petite république « abandonnait sa misérable
existence particulière pour participer à celle d'une grande et triom-
3 I 6 REVUE CRITIQUE
phante nation » ; Abraham Cherbuliez, bon négociant, et ses fils, An-
toine l'professeur à la Faculté de droit de Genève et correspondant de
l'Institut de France) et André (père de Victor Cherbuliez, professeur
de littérature latine, d'abord théologien et qui resta neutre entre les
deux partis qui se combattirent dans l'Église de son pays) ; Marc-
Théodore Bourrit, connu surtout comme alpiniste ; Jean-Pierre Bé-
renger, auteur d'une Histoire de Genève; 2" comme on le voit par le
tableau ascendental que M. R. a pu dresser sans lacunes jusqu'au qua-
trième degré, un grand nombre de famillesdont descend Victor Cher-
buliez, sont venues de France pour s'établir à Genève. Plus de la moi-
tié de son ascendance est française. Lorsqu'il réclama la nationalité
française, il ne fit donc que revenir au pays de ses pères. 11 lui suffit,
pour se faire réintégrer dans ses droits, ainsi qu'il nous l'apprend par
une lettre (p. 25), d'invoquer sa qualité de descendant de Cornuaud;
« en remontant, dit-il, de ma grand'mère paternelle Jusqu'au premier
Cornuaud qui quitta le Poitou, cette filiation est de degré en degré
tout à fait limpide «. Mais on rencontre dans l'énumération si soi-
gnée et approfondie qu'a faite M. Ritter, plus de trente familles d'ori-
gine française, et Victor Cherbuliez avait des ancêtres dans la plu-
part de nos provinces..
A. C.
Gesammelte Aufsaetze zur neueren Litteratur in Deutschland, Oesterreich,
Amerika von Anton E. Schœnbach, Graz, Leuschner und Lubensky, 1900. In-8°,
xvii et 443 p.
M. Schœnbach a bien fait de réunir ces essais, un peu courts, mais
à la fois sagaces et solides, où la pénétration du jugement s'unit sou-
vent à l'étendue des recherches. C'est ainsi qu'il examine dans Uhland
le dramaturge, et il reconnaît justement que « l'aptitude d'Uhland
aux travaux dramatiques n'était pas grande ». Il montre que Freytag
est resté fidèle à son idéal politique, mais qu'il y a dans son style
« un élément considérable de rhétorique «. Il fait bien ressortir ce
que MuUenhofî (qui ressemblait physiquement à un vieux grognard
de Napoléon] avait de brusque et de rude, mais quelle conscience,
quel scrupule il apportait dans ses travaux et ses leçons; ce que
Schreyvogel, le rédacteur du Sonntagsbiatt, avait de conservateur et
de « lessingien », et sa connaissance profonde du théâtre espagnol;
les qualités autrichiennes de Grillparzer et comment son œuvre a le
goût de terroir, comment il a « introduit de nouveau l'Autrichien dans
la littérature allemande » et ouvert par r^//»/raz< une nouvelle ère à
l'Autriche intellectuelle. On lit avec un pareil intérêt et un semblable
profit les pages consacrées à Fitger et à Steub, à Bauernfeld, ce « type
brillant du vieil Autrichien », à Anastasius Grun, à Gilm, le poète du
d'histoire et de littérature 3 I 7
Tyrol, à Leitner qui se rattache au groupe des romantiques souabes, à
Anzengruber, à Fenimore Cooper que M. S. met bien au-dessous de
Walter Scott, aux drames de Longfellow qui n'ont de drame que le
nom. Deux études, l'une sur le roman américain d'aujourd'hui,
l'autre sur Hawthorne, terminent le volume. Ce sont les plus longues
et les plus fouillées, les meilleures peut-être et les plus utiles, les plus
instructives à coup sûr, car la plupart des Aiifsœt\e ne sont guère que
des notices. M. Schônbach regarde Hawthorne comme le plus grand
écrivain des États-Unis, comme un auteur tout à fait original, tout à
fait du crû, qui a reçu la culture anglaise sans être dominé par elle ;
quant au roman américain, après avoir analysé consciencieusement
ses meilleures productions, il conclut que nombre d'auteurs sont bien
près d'être des auteurs de premier rang.
A.C.
Général Izzet Fuad-Pacha, Les occasions perdues, Étude stratégique et cri-
tique sur la campagne turco-russe de 1777-1878 avec 10 croquis, Paris, Chape-
lot, 1900, in-8°, VIII et 21 3 p.
Les occasions perdues, ce sont les occasions que les Turcs négli-
gèrent de saisir en 1 877-1 878.
Les soldats étaient et sont excellents, et ils ont de telles qualités
guerrières qu'une armée turque se forme en un rien de temps. Malgré
les ressources immenses dont dispose le tsar, malgré l'obligation
d'observer Serbes, Grecs et Bulgares, les Turcs faillirent gagner la
partie ; ils remuèrent la terre comme des fouines et combattirent
comme des lions; les Russes n'auraient pu, sans les Roumains, avoir
raison de Plewna.
Mais les officiers turcs devaient leur place au favoritisme et au
caprice. Ils étaient absolument inexpérimentés. Jamais l'état-major
ne donna d'ordres écrits. On n'avait fait sous Abdul-Azis qu'une seule
manœuvre qui dura un seul jour ! L'auteur du livre qui galopait
volontiers, reçut avis d'un gros pacha qu'il ne fallait pas aller si vite,
que cela produisait une très mauvaise impression dans les hautes
sphères. Bref, on ignorait que « la vie en campagne est faite de l'en-
semble de toutes les connaissances requises en temps de paix » et que
« la continuité des rapports qui existent entre les grands et les petits
dès le temps de paix, assure le succès ».
Le premier général qui commanda l'armée turque de l'Est, le trop
vieux A-bdul Kérim, ne fit rien à Choumla du i i avril à la fin de juin
pour organiser son état-major et entraîner son monde. Il ne concen-
tra pas l'armée — d'ailleurs constituée par divisions et non par corps
— sur certains points stratégiques ; il l'éparpilla sur un front de plus
de cent kilomètres et s'affaiblit ainsi sur tous les points à la fois. Il ne
3l8 REVUE CRITIQUE
se renseigna pas. Lorsqu'au 27 juin Tavant-garde russe franchit le
Danube à Sistova, il ne pensa pas à la culbuter en poussant aussitôt
sur elle. 11 reçut le 3 juillet du Séraskierat l'ordre de bouger; mais,
au lieu de courir à Sistova quand le déploiement de l'armée russe
n'était pas achevé, au lieu de marcher sur les communications de
Gourko qui descendait vers les Balkans et de le couper du gros mos-
covite, il remonta vers le Danube avec une extrême lenteur.
Ici l'auteur narre une très amusante anecdote. Le 9 ou le 10 juillet
le maréchal Ahmed-Eyoub était à Gûl-Tchechmé où Echref-pacha le
rejoignait avec la division de Roustchouk. Que font les deux chefs?
Ils s'asseoient sous un arbre sur un moelleux tapis et Echref lit à
Ahmed-Eyoub des ballades persanes de sa composition ! Pendant ce
temps l'avant-garde russe engage un combat d'artillerie et le colonel
turc qui commande la brigade de droite, se retire tranquillement sans
même prévenir ses supérieurs ! On rentra donc à Roustchouk et à
Choumla.
A la suite de cet échec, Abdul-Kerim est remplacé par Mehemmed-
Aly qui concentre toutes les troupes à Razgrad, mais pour les égrener
de nouveau et les répandre du nord au midi, non plus de l'ouest à
l'est. Pourtant, il prend l'offensive et le 29 juillet, sa ligne de défense
qui devient dans son énorme étendue une ligne d'attaque, refoule au-
delà du Lom les avant-gardes ou « détachements-tampons » du tsaré-
vitch. A quoi bon, puisqu'elle n'avance pas plus loin et ne sait où est
l'armée russe, puisque Mehemmed-Aly n'a qu'une cavalerie faible,
incapable d'explorer, tout à fait inférieure à la cavalerie ennemie !
De même Osman Pacha. Il fait le seul mouvement stratégique de
la campagne ; il se porte de Widin sur Plev^^na, et là, le 2 1 et le 3 1 juil-
let, il repousse les Russes . Mais pourquoi le 2 1 et le 3 i juillet n'a-t-il
pas poursuivi les vaincus qui se retiraient dans le plus grand désordre ?
Parce qu'il n'avait pas de cavalerie '.
Quant à l'armée turque du sud, elle n'entreprend rien d'important :
celui qui la commande, Suleyman, refuse d'obéir au serdar Mehem-
med-Aly et veut enlever tout seul, pour devenir ministre de la guerre,
la position de Sveti-Nicolas. Vainement Mehemmed-Ali demande que
Suleyman lui soit subordonné. A l'instant où il se décide à une
bataille, il est remplacé par ce Suleyman. Si les hommes changent, les
erreurs restent. Immobiles, inertes, les Turcs laissent les Russes cer-
ner Plewna et l'on peut dire avec notre auteur qu'à part les journées
de Plewna et la défaite de Suleyman à Philippopoli, cette guerre de
six mois n'est qu'une suite de petits combats partiels.
Le 10 décembre, Osman se rend. Les Turcs battent en retraite de
tous côtés, et notre auteur pense qu'ils auraient dû s'arrêter non à Phi-
1. Notre auteur assure néanmoins que même avec quelques cavaliers, Osman
devait poursuive l'adversaire, qu'il était certain du^succès.
d'histoire et de littérature 3x9
lippopoli, mais cà Tirnovo-Seymenly où leurs l'io bataillons, les uns
reconstitués, les autres tout frais, auraient battu les Russes dissémi-
nés et épuisés, usés par la fatigue et le froid. Il était alors en mission,
et il a vu les envahisseurs déboucher des Balkans dans un état lamen-
table sur un front de trois cents kilomètres. Mais le chef manquait.
Suleyman commandait encore, et c'était un écrivain, un kiatib, non
un militaire. Il n'avait plus d'autre idée que de reculer ; il abandonna
sa ligne naturelle de retraite sur Andrinople; il s'adossa au Rhodope
et lorsqu'il se vit coupé, se jeta vers la mer Egée par les sentiers du
Despoto-Dagh où il perdit son artillerie. Un épisode caractéristique
clôt cette débâcle : les plénipotentiaires turcs, furieux contre les mili-
taires, chargèrent leur maître d'hôtel de porter à Constantinoplc les
documents relatifs à l'armistice.
Izzet Fuad-Pacha n'a pas fait un livre didactique. Son ouvrage est
parfois décousu. Le général cause, conte, disserte; il ne suit pas un
ordre logique ; il abonde en digressions et en parenthèses ; il se répète
à diverses reprises. Il aurait dû, dès le début, tracer un tableau plus
complet, plus minutieux des forces turques et de leur emplacement.
Il aurait dû aussi, en un chapitre particulier, exposer au long les
défauts de l'armée ottomane qu'il décrit au fur et à mesure que se
déroule son récit. Enfin, peut-être eût-il bien fait d'insister sur plu-
sieurs points, et son livre ne sera compris en son entier que de ceux
qui connaissent déjà la campagne russe-turque dans ses grandes lignes.
Mais il manie le français très aisément ; il en connaît tous les secrets ;
il l'écrit avec une désinvolture charmante, avec verve, avec brio. Son
expression est très souvent vive et piquante. Il sait prendre tous les
tons, un ton de tristesse lorsqu'il déplore les défaillances des géné-
raux, un ton d'autorité mêlé d'affection — qui nous rappelle certains
passages du prince de Ligne — lorsqu'il exhorte ses camarades à
méditer les leçons du passé, et parfois un ton d'humour et de gaîté
maligne qu'il ne peut réprimer, malgré son indignation patriotique,
lorsqu'il rapporte d'extraordinaires bévues'.
A. C.
Malcolm Mac Coli., Le Sultan et les Grandes Puissances. Essai historique
trad. de l'anglais par Jean Longuet, préface d'Urbain Guhier. Paris, Alcan, 1899,
xvi-247 pp.
L'auteur, secrétaire du Comité de Grosvenor Hotise, institué pour
secourir, les Arméniens et les chrétiens d'Orient, a rassemblé en un
volume des articles publiés en septembre-octobre 1896 dans la Daily
Clironicle. De ces écrits un peu diffus se dégage cette idée maîtresse
I. L'auteur écrit tantôt Kridner, tantôt Kvidenev ; lire KrUdener.
320 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
que l'Angleterre ne peut agir efficacement en Orient qu'avec le con-
cours de la Russie et subsidiairement de la France. L'auteur combat
la conception trop classique de l'intégrité de l'empire ottoman ; selon
lui, c'a été une faute d'admettre la Turquie dans le concert européen
et il faut se hâter de réparer le mal. Peut-être l'auteur va-t-il trop loin
dans sa haine de l'Islam qui ne saurait se manifester que sous la
forme théocratique et par conséquent est condamné à exclure de
l'égalité politique les dissidents. Est-ce à l'Islam seul que l'on pour-
rait faire ce reproche? Ce qui embrouille un peu Texposé de l'émi-
nent publiciste anglais, c'est qu'il y mêle sans cesse la politique des
partis en Angleterre et scrute les actes, paroles ou pensées des Glad-
stone, Salisbury, Roseberry, etc. Quelques-unes de ses assertions
pourront étonner, notamment sur l'origine de la guerre de Crimée
qui n'aurait été qu'un complot à trois entre Napoléon 111, Lord
Stratford de Redclifife et Lord Palmerston ; c'est là du reportage plu-
tôt que de l'histoire.
Le volume est précédé d'une préface d'Urbain Gohier, vibrant et
généreux plaidoyer en faveur des opprimés.
B. A.
L"ETC£TT,pl<; (Annuairej du Parnassos de 1900 contient, entre autres articles,
une biographie de Paul Janet par Diom. Kyriakos ; 4>LXo)wOYixi par Gr. Bernarda-
Kis, rpa[jL[xaTo)voyixàxal xpixixà par S. G. Sakellarqpoulos ; trois dissertations topo-
graphiques, sur Sermyle par Chrysochoos, sur la Béotie par A. Skias, sur Thèbes
par SoTiRiADis, etc.
— Gitons parmi les nouvelles publications grecques: Ilspi "Apyo'j xoû i^avôirTou par
Dem. GouDis (Dissertation inaugurale. Athènes, Sakellarios 1899). — Apost. Arva-
NiTOPOULOs, riïpl Twv eùOuvwv twv dp/ôvTwv (secoude partie d'une série de questions
de droit attique. Athènes, Barth 1900); — Numismatik Makedoniens par M. Ale-
xander Lambropoulos (Berlin 1899); — une petite brochure du capitaine du génie
DousMANis sur l'emplacement de la bataille de Pharsale.
Le Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy. — Imprimerie Régis Marchessou, boulevard Garnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 44 — 29 octobre — 1900
Le Livre des Mille et une Nuits, trad. Mardrus, V.— Lidzbarski, Ephemeris sémi-
tique. — Monuments Brunn-Bruckmann, p. P. Arndt, ioi. — Fonck, La flore
biblique. — S.vlembier, Le grand schisme d'Occident. — Nicolaïdès, La ques-
tion macédonienne. — Wultke, La superstition allemande, 3° éd., p. E. H.
Meyer. — MiSMER, Principes sociologiques, 2' éd. — Tenicheff, Les connais-
sances et la psychologie. — G. de Beaumont, Paroles d'un vivant.
Le Livre des Mille et une Nuits : traduction littérale et complète du texte arabe
par le D' G. Mardrus. Paris. Edit. de la Revue Blanche, t. V, 1900.
J'ai dit ici {n°^ 21 et 27) quelle connaissance superficielle et vulgaire
de la langue arabe M, Mardrus possède, et aussi quel goût des grossiè-
retés; j'ai montré que sa traduction n'est ni complète, ni exacte. Je ne
recommencerai point à en donner les preuves.
Le cinquième volume de M. M. fait voir que l'auteur a réellement
entre les mains un manuscrit des Mille et une Nuits, que c'est ce ma-
nuscrit qu'il traduit tant bien que mal, que ce manuscrit est l'œuvre
d'un ignorant, que la version qu'il contient est inférieure aux versions
classiques et sans aucun intérêt, que l'auteur de ce manuscrit a un
goût très développé pour les basses grossièretés, que ce manuscrit,
dont M. M. vante le « parfait état de conservation », est vieux de
quelques années à peine.
Le copiste de M. M. est un ignorant : cela ressort de la vulgarité
de sa version d'où ont disparu tous les détails caractéristiques et dé-
licats, et aussi de l'absence des trois quarts des vers, qui, pour un ci-
tadin illettré, sont en effet incompréhensibles. — Quant à sa grossiè-
reté, je n'ai pas l'intention de remuer, même du bout de la plume,
toute la fange que la version nouvelle de M . M. a étalée sur les ver-
sions classiques ; à publier mes notes à ce sujet, je remplirais trois ou
quatre numéros de la Revue, et cela sentirait vraiment trop mauvais.
— Pour la date du manuscrit M . , je prie le lecteur de la chercher à
la page 94, où il est question de brasseries à femmes dans le pays bleu
où s'égara Qamar ez Zeman.
Ces co'urtes remarques suffisent à montrer que le cinquième volume
de M. Mardrus n'est pas indigne des précédents,
Gaudekrov-Demombvnes.
Nouvelle série L. 44
322 REVUE CRITIQUE
Ephemeris fUr semitische Epigraphik von Mark Lidzbarski (I Band, I Heft,
pp. i-io8)J. Rickcr, Gicsscn, 1900, in-8° (avec 18 figg.) Prix : 5 marks.
M. Lidzbarski, après nous avoir donné un hon Manuel dont j'ai dit
beaucoup de bien (cf. Revue critique, 189g, no 39), a entrepris la publi-
cation d'une Ephemeris, qui paraîtra à époques indéterminées, et sera
consacrée à l'étude des nouvelles découvertes faites dans le domaine
de l'Épigraphie sémitique. Le premier fascicule que nous avons entre
les mains nous montre que cette publication sera quelque chose
d'assez analogue au Recueil d'archéologie publié chez nous par
M. Clermont-Ganneau. L'auteur qui a déjà donné dans son Manuel
les preuves de ses aptitudes spéciales, est fort fort bien préparé pour
cette tâche et nous ne doutons point que sa publication n'obtienne le
meilleur succès.
Ce premier fascicule contient :
Des observations sur la stèle de Mesa et sur celle de Siloé ; l'analyse
d'un certain nombre d'articles du Recueil d'archéologie (t. III) de
M. Clermont-Ganneau ; des études développées sur les inscriptions
puniques de Carthage et de Maktar, récemment publiées par M, Ber-
ger ; un index des noms propres puniques nouveaux, fournis par le
fascicule récemment publiés du Corpus I S. (Pars I. t. II, fasc. II,
nos 906-1901) ; le texte d'un certain nombre d'inscriptions de Cons-
tantine; des informations sur les fouilles de Carthage, tirées des
Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions ; une longue et très
intéressante dissertation sur les inscriptions araméennes de Cappa-
doce, aujourd'hui au Musée de Constantinople; un certain nombre
d'inscriptions palmyréniennes publiées tout récemment ; et enfin,
comme choses inédites : onze cachets accompagnés d'anciens carac-
tères sémitiques , aujourd'hui conservés au Musée Ashmolean à
Oxford, et cinq textes mandéens d'incantations. .
On n'attend sans doute pas de moi que je discute ici les opinions
émises par M. L. au sujet de ces divers textes épigraphiques. Il en est
sur le nombre qui ne me paraissent pas acceptables : et comment
pourrait-il en être autrement quand, par exemple, le même passage
est expliqué de trois manières différentes par trois différents auteurs
bien qu'ils soient d'accord sur la lecture matérielle des caractères? Il
en est d'autres, au contraire, où il me semble avoir amélioré les inter-
prétations de ses devanciers. Partout, il fait preuve d'une grande sa-
gacité et de beaucoup d'érudition.
Cette nouvelle publication est une marque de l'extension qu'ont
prise en ces dernières années, les travaux d'épigraphie sémitique '.
I. H ne nous est point désagréable de constater en parcourant le premier fasci-
cule de V Ephemeris que sur 45 ouvrages ou articles que M. L. a pris pour base
de ses dissertations et notes, plus des deux tiers viennent de France. Il serait à
d'histoire et de littérature 323
Lorsque Renan organisa, il y a vingt-cinq ans, la publication du Cor-
pus Inscriptionwn semiticarum — qui sera, soit dit en passant, la
partie la plus sérieuse et la plus durable de son œuvre — on était loin
de prévoir l'importance que les nouvelles découvertes donneraient à
cette étude ; ces découvertes vont en se multipliant et nous apportent
chaque jour de nouvelles contributions à l'étude de l'antiquité ; le
lexique des dialectes phéniciens, nabatéens, palrnyrénien (pour ne
parler que des Sémites du nord) s'accroît peu à peu et déjà on entre-
voit la possibilité de tracer les grandes lignes d'une grammaire com-
parée de ces langues. Les historiens, les archéologues et les philolo--
gues sont également intéressés au progrès de l'épigraphie sémitique.
La publication de M, L. qui promet d'apporter une forte contribu-
tion au développement de ces études mérite donc d'être louée et en-
couragée. Elle répondait à un véritable besoin, déjà signalé par la
Commission du Corpus I. S. et auquel celle-ci se préoccupe depuis
assez longtemps de remédier par une publication périodique '. La
multiplication des instruments de travail ne pourra que profiter aux
travailleurs.
J.-B. Chabot.
Denkmseler griechischer und rœmischer Sculptur, herausgegeben von Heinr
rich Brumn und Friedrich Bruçkmann. Neue Folge unter wissenschaftiicher Lei-
tung von Paul Arndt. Livraison loi. Planches 5oi-5o5. — Munich, Verlagsans-
talt F. Bruçkmann, 1900.
Les Denkmœler de Brunn-Bruckmann, pour les appeler du nom
abrégé auquel on est habitué, devaient, d'après le plan primitif conçu
par Brunn et Julius, être limités à 400 planches environ. Sous
l'impulsion de M. Paul Arndt, qui avait été associé à la publication
après la mort de Julius, et qui, dans les dernières années de la vie de
souhaiter que ces études fussent partout cultivées avec autant d'ardeur que chez
nous : contribuer à obtenir ce but sera un des plus heureux résultats, espérons-le,
de VEphemeris.
I . Au moment où je corrige les épreuves de cet article, j'ai entre les mains
celles du premier fascicule du Répertoire d'Kpigraphie sémitique public par la
commission du Corpus. Conçu sur un plan un peu dillérent de VHpItemeris, il ne
comporte point comme celle-ci de longues dissertations. Il est destiné, dit la Pré-
face, à mettre rapidement à la disposition des travailleurs les textes nouveaux, et
il recueillir tout ce qui peut contribuer soit à préparer les parties inédites, soit à
améliorer les parties déjà publiées du Corpus. Comme l'ouvrage magistral auquel
il est destiné à servir de complément provisoire, le Répertoire aura un caractère
impersonnel ayant pour but premier, non de publier les travaux de quelques-uns,
mais de faciliter, de provoquer, de réunir et de résumer toutes les études qui .
peuvent contribuer d'une manière quelconque à donner aux textes édités dans le
Corpus le caractère de perfection qu'on attend d'un tel ouvrage.
324 REVUE CRITIQUE
Brunn, suppléait celui-ci presque complètement, le nombre des
planches fut porté à 475. Enfin, suivant un conseil donné par M. le
professeur Michaëlis, on est allé jusqu'à 5oo planches, réparties en
100 livraisons. L'ouvrage est complet depuis quelques mois. Un
ouvrage? Non pas ; ce n'est qu'un recueil et une collection d'images,
qui sont pourvues chacune d'un titre et d'un numéro, mais qu'aucun
texte n'accompagne. Le texte, ce devait être, dans la pensée de Brunn,
cette Histoire de l'art grec iGriechische Kiinstgeschichte), à laquelle
il employa les derniers restes de son activité et qu'il a laissée ina-
chevée. Le choix opéré par Brunn entre les monuments de la sculp-
ture antique s'est grandement ressenti d'un tel dessein : l'illustre
archéologue n'était plus jeune et, semble-t-il, n'aimait plus beaucoup
les nouveautés; il avait son siège fait et ne se montrait peut-être pas
très attiré vers des révélations imprévues qui étaient susceptibles de
déranger les cadres et les théories de son Histoire. Toujours est-il
que, dans ces 5oo planches, surtout dans les 400 premières, avant
que se fût marquée l'influence de M. Arndt, il est un certain nombre
de monuments qui ne paraissent pas tout à fait dignes de l'honneur
qui leur est échu, et dont la place eût été mieux occupée par d'autres,
que l'on cherche sans les trouver. L'intérêt scientifique des Denkmœ-
ler, dans cette première série, n'est pas continuellement au niveau de
leur luxe matériel.
C'est pourquoi il n'a point paru inutile d'en publier, sous la direc-
tion de M. Arndt, une série nouvelle qui, toute pareille à la précé-
dente pour le format et la beauté des planches, sera inspirée d'un
esprit différent, offrira plus d'inédit et s'accordera mieux aux besoins
actuels de la science. M. A. a exposé dès 1897 ^^^ programme, dont
voici les articles essentiels : d'abord, publier, dès qu'il sera possible,
les plus notables sculptures dues aux fouilles récentes; secondement,
rechercher dans l'ancien fonds des musées les morceaux qui sont des
originaux grecs, l'étude de tels morceaux étant indispensable à l'exacte
appréciation des copies romaines; troisièmement, pour concourir au
même but, donner une place importante aux sculptures monumen-
tales, frontons, frises et métopes, voire aux ouvrages de travail plus
courant, comme les stèles funéraires, les bas-reliefs votifs, les en-têie
de décrets '. Il suffit de ces brèves indications pour être assuré que la
nouvelle série des Denkmœler suivra la première et ne lui ressemblera
pas. Entre l'une et l'autre, il me paraît qu'il y aura la même diffé-
rence, pour dire les choses en gros, qu'entre les vieux musées de
l'Europe et les jeunes musées de la Grèce moderne : les premiers ren-
ferment quantité de monuments d'un intérêt capital pour l'histoire de
' I. Albert Dumont avait déjà insisté autrefois (cf. Bull. corr. Iiell., Il, 1878: sur
la valeur de cette dernière catégorie de reliefs, justement parce que ce sont des
sculptures grecques authentiques et datées.
d'histoire et de littérature 325
Fart antique; mais les seconds donnent une impression plus directe et
plus franche de l'art grec. La série nouvelle différera aussi de son
aînée en ce que les planches seront accompagnées de quelques feuilles
de texte; chaque sculpture publiée sera l'objet d'une notice plus ou
moins développée, dont le rédacteur habituel sera M. Arndt : voilà
une innovation qui ne peut qu'être fort agréable à tout le public
savant. Il y a enfin un changement à signaler dans les conditions
pécuniaires proposées aux souscripteurs. On doit donner par année
5 fascicules de 5 planches chacun, au prix de 20 marks l'un ; et
l'abonnement, au lieu d'être demandé, comme jadis, pour l'ouvrage
entier, est demandé seulement pour chaque série annuelle. Ainsi se
trouvera atténuée, dans ses effets les plus cuisants, la crainte très légi-
time d'une publication à durée indéfinie; mais, bien certainement, les
souscripteurs n'useront pas de la liberté qui leur est laissée de ne pas
renouveler leur souscription, du moment que l'on maintiendra
l'ouvrage au niveau où il doit être maintenu, tant pour le choix et la
variété des monuments publiés que pour l'exécution matérielle des
planches.
Voici le contenu du premier fascicule de la nouvelle série = livrai-
son loi de l'ensemble : Planche 5oi, notice de M. H. Bulle et de
M. Arndt. Tête d'Athéna 1?), au musée du Vatican, Galleria geogra-
fica. Cette tête, beaucoup plus grande que nature (o m. 43 de hauteur)
est en marbre, avec les yeux rapportés en pierre fine et en pâtes de
verre diversement colorées. C'est une œuvre grecque originale de la
période entre 476 et 450 avant J. -G. ; il semble qu'on doive l'attribuer
à l'école aeginétique. Avec son crâne sans cheveux et de proportions
notoirement insuffisantes, elle produit au premier regard un effet très
étrange ; sans nul doute, elle devait être coiffée d'un casque. Mais en
quelle matière était ce casque, avec la partie des cheveux visible sur le
front, les tempes et la nuque? Dans la minutieuse étude faite par
M. Bulle à ce sujet, un paragraphe serait à supprimer, je crois : c'est
celui où l'auteur démontre que les parties rapportées ne pouvaient
pas être en marbre. La chose est trop évidente. On pense tout de
suite, naturellement, à un casque en bronze. Mais M. Bulle donne
d'excellentes raisons pour que cette hypothèse aussi soit rejetée; et il
nous conduit à une conclusion très séduisante, qu'avait déjà indiquée
M. Furtvvœngler : c'est à savoir que la tête provient d'une de ces
statues acrolithes, ou pseudo-chryséléphantines, dans lesquelles les
parties nues étaient faites en marbre au lieu d'ivoire, et les autres par-
ties, au lieu d'or massif, en bois doré (bois revêtu d'une couche de
couleur d'or ou plaqué d'une mince feuille d'or). Toutes les particula-
rités matérrelles de l'œuvre s'expliquent si l'on admet que les cheveux
et le casque étaient rapportés en bois, et elles ne s'expliquent que de
cette façon. La tête du Vatican prend ainsi un intérêt inattendu, car
elle est probablement unique en son genre. Jamais nous ne connaî-
320 REVUE CRITIQUE
irons autrement que par la tradition les statues en or et ivoire, dont
les Grecs faisaient tant de cas; mais, à défaut de cette sculpture de
grand luxe, c'est encore pour nous une bonne fortune que d'en
posséder, vaille que vaille, une imitation à prix réduits.
PL 5o2, notices de M. Arndt. Deux statues d'Athéna, à Madrid,
Musée du Prado, et à Rome, Musée des Thermes. Deux œuvres atti-
ques, de cette première moitié du v^ siècle, pendant laquelle les écoles
doriennes ont eu à Athènes une forte influence. La statue de Madrid
est plus grande que nature ; il lui manque la tête, au sujet de laquelle
M. A. présente, avec toutes les réserves voulues, une curieuse hypo-
thèse : c'est que cette tête pourrait bien être conservée au British
Muséum (Spécimens qfanc. sculpt.^ I, pi. 22). Dans son type et son
costume, la statue semble porter la marque d'un de ces artistes « vieux
jeu », comme Hégias par exemple, que l'apparition des premiers
chefs-d'œuvre de Phidias eut pour résultat de faire paraître plus arrié-
rés et plus surannés dans leur art qu'ils ne l'étaient réellement. Le
marbre de Madrid n'est d'ailleurs qu'une copie du marbre ou du
bronze original. — Au contraire, la statue du Musée des Thermes, de
taille plus petite que nature, est une œuvre grecque originale. Elle
est d'un style sobre et fort, qui cause une vive impression. La sévé-
rité du costume fait penser aux sculptures d'Olympie, particulière-
ment à l'Athéna de la métope d'Hercule che^ Aiigias. La tête manque,
par malheur ; M. A. admettrait volontiers qu'elle était du même type
qu'une tête nouvellement entrée au musée de Dresde, et inédite
encore, mais que M. Treu publiera prochainement. Or, cette tête de
Dresde est apparentée de très près à V Apollon à l'omphalos, qu'on
attribue d'habitude à Calamis. La statue du Musée des Thermes,
complétée par une tête analogue à celle de Dresde, pourrait donc être
une Athéna de Calamis. Espérons-le, sans trop y compter!
PL 5o3, notices de M. Arndt. Deux plaques de la frise occidentale
du Parthénon (Michaëlis, pi. 9, V, 9-10 ; et pi. 9, XII, 22-24). Cette
partie de la frise est encore en place, sous la colonnade de l'opistho-
domos; M. A., profitant des échafaudages récemment construits
en vue des réparations de l'édifice, a fait prendre des photographies
de toutes les plaques sculptées qui subsistent à l'ouest, et il les publiera
successivement dans les Denkmœler.
PI. 504, notice de M. Arndt. Tête de jeune homme, trouvée à Ré-
sina, conservée au musée de Berlin {Catalogue^ n° 479). Cette copie
en marbre d'un bronze grec du v« siècle, représentant peut-être Trip-
tolème^ est une des plus belles têtes antiques que nous possédions, et
elle est restée jusqu'à ce jour trop peu connue. M. A. a raison de con-
tester la justesse du rapprochement qu'on a fait entre elle et le Dory-
phore. Il pense, avec M. Furtwœngler, qu'on doit l'attribuer à un
artiste de la génération qui a suivi Polyclète et Phidias, à un de ces
artistes de la fin du v^ siècle qui tiennent à la fois de leurs deux grands
d'histoire et de littérature 327
prédécesseurs et qui ont su tempérer savamment les fortes traditions
péloponnésiennes avec les grâces plus souples et plus harmonieuses
du stvle attique. C'est à une conclusion pareille qu'avait déjà abouti
M, Gardner, pour la tête d'athlète de la collection Nelson, à Liver-
pool(cf. Joiirn. hell. stud., XVIII, 1898, pi. XI ; Rev. et. gr., XII,
1899, p. 196-197). Si M. A. me paraît avoir raison sur ce point, je
comprends moins bien, en revanche, qu'il ait rejeté si vivement l'idée
d'une ressemblance entre la tête de Berlin et le beau bronze du musée
de Naples, publié dans les Denkmœler^ pi. 323. Que ces deux têtes ne
soient pas du même tvpe, qu'elles ne présentent pas exactement les
mêmes nuances de style, je Taccorde ; mais il m'es.t difficile de regar-
der l'une sans évoquer le souvenir de l'autre.
PI. 5o3, notice de M. Arndt. Statue d'Hermaphrodite endormi, à
Rome, Musée des Thermes. Réplique excellente, excellemment con-
servée, et à peu près intacte, d'un marbre célèbre dont on possédait
déjà cinq autres répliques de même grandeur : une à la villa Borghèse,
une aux Uffizi, une à Saint-Pétersbourg et deux au Louvre. L'origi-
nal doit en dater des environs de l'an 200 avant J.-C. Je ne puis que
renvoyer à l'analyse finement fouillée et toute.. . frémissante (si j'ose
dire) que M. A. a donnée de cette œuvre si païenne d'esprit, si vrai-
ment grecque, et si belle encore dans son étrangeté choquante. Il y a,
dans les deux pages de M. Arndt, d'heureuses expressions, comme
n das Sich-Hin-iind-Her-Wàl\en », qu'une traînante traduction fran-
çaise affadirait et qui n'ont d'égale à leur savoureuse justesse que leur
inimitable concision.
On peut juger à présent si le premier fascicule de la nouvelle série
des Denkmœler est bien rempli. Ses cinq planches nous offrent — en
des reproductions très bonnes et dans un format de luxe qui ne m'ins-
pire pas, je l'avoue, les mêmes sévérités qu'à M. Salomon Reinach —
sept morceaux de choix, sept monuments de premier ordre, qui
s'échelonnent du deuxième quart du v« siècle jusqu'en pleine période
hellénistique. La publication se recommande d'elle-même; elle n'a
qu'à poursuivre sa carrière, je ne dis pas paisiblement, mais active-
ment. Comme ce n'est pas les monuments antiques qui manquent aux
photographes, et comme la bonne volonté et l'énergie ne manquent
pas non plus à M. Arndt, il faut souhaiter seulement que l'éditeur
veuille bien donner chaque année régulièrement à ses abonnés les
cinq fascicules promis.
Henri Lechat.
Léopold FoNCK, Streifzuge durch die biblische Flora. Freiburg im Breisgau,
1900, in 8", XIII, 167 p. (Biblische Studien, hergg. von O. Bardenhewer.V.Band,
I. Heft).
Il était difficile de mieux comprendre la tâche qu'il a entreprise que
328 REVUE CRITIQUE
ne Ta fait M. L. Fonck ; avec grand'raison il a vu que pour donner
une idée exacte de la Flore biblique il fallait commencer par étudier
dans son ensemble la végétation de la Palestine actuelle, puis cher-
cher, parmi les plantes qu'on rencontre dans cette région, celles qui y
sont véritablement indigènes ', et ont pu et dû par conséquent être
connues des anciens habitants. Mais cela n'a pas suffi à M. L. Fonck;
comme la flore varie d'une contrée à l'autre, il a divisé la Judée en
cinq régions : le littoral, la montagne, la steppe, les champs et la
plaine, enfin les bords de la mer Morte, La division est ingénieuse;
mais elle est parfois bien artificielle; M. L. F. met, par exemple,
dans la région du littoral les « Plantes d'eau », qui appartiennent tout
aussi bien pour la plupart aux marais ou au bord des rivières de l'in-
térieur ; on est surpris aussi de voir les chardons et les orties placés
parmi les plantes de la steppe, comme s'ils ne croissaient pas dans
tous les terrains; le câprier, cet arbuste méditerranéen, n'a pas le
droit de figurer dans la région de la mer Morte plus que dans une
autre ; le mûrier n'est pas plus un arbre de la région montagneuse que
le pommier, et l'on se demande pourquoi le ricin ^ est relégué sur le
littoral avec le tamaris, etc.
On voit que loin de conduire à la simplification et à la clarté, les
divisions de M. L. F. n'ont souvent abouti qu'à la confusion. Mais
cette confusion, je m'empresse de l'ajouter, n'a point nui à l'exactitude
des détails. Si le tableau d'ensemble laisse à désirer, les monographies
consacrées aux plantes les plus célèbres de la Bible sont souvent
excellentes et même définitives. M. L. F. est au courant des publica-
tions les plus variées et les plus récentes sur la matière ; il les a con-
sultées avec soin et avec fruit, et comme il a visité la Terre-Sainte, il
parle des choses en connaissance de cause et non sans compétence.
Il est impossible de passer en revue toutes les plantes qu'il a étudiées
en détail et dont quelques-unes prêtent à la discussion : le dattier \
par exemple, le ricin, le roseau, le papyrus, dans la région du littoral,
l'olivier, le lis, le pin, dans la région montagneuse; le buisson ardent,
l'hyssope dans la steppe ; le figuier, la vigne, le grenadier, le pommier,
les céréales, l'ivraie, les cucurbitacées, la mandragore, dans les champs
et les plaines; les pommes de Sodome, le concombre du prophète,
la coloquinte, le bois de sétim, le câprier, le baume de Galaad et le
baumier, la rose de Jéricho, dans la région de la mer Morte. 11 n'est
pas nécessaire d'être botaniste pour comprendre l'intérêt des études
1. Il est évident que c'est de celles-ci seulement qu'il fallait parler; pourquoi
consacrer alors un article, par exemple, au tiguicr d'Inde, originaire d'Amérique!
2. Il aurait fallu commencer par examiner à quelle époque remonte en Pales-
tine la culture du ricin, laquelle n'est pas sans doute aussi ancienne que semble
l'admettre M. L. F.
3. Le dattier est-il indigène dans la Palestine? A quelle époque en remonte la
culture? Voilà des questions qu'il aurait fallu d'abord examiner.
d'histoire et de littérature 329
Consacrées à ces diverses plantes, qui toutes ont un intérêt historique,
économique ou littéraire. A propos du ricin, M, L. Fonck examine
longuement les droits que cet arbuste a d'être préféré à la citrouille
dans la légende de Jonas et il se décide en sa faveur, mais par des
raisons qui se semblent peu probantes, qui no sont pas du moins
fondées sur la nature du ricin '.
Un des paragraphes les plus étendus est celui qui est consacré au
lis. Dans plusieurs passages de la Bible, où Ton a cru voir le lis blanc,
par exemple dans Isaïe, il est incontestable qu'il s'agit d'une autre-
plante; M. L. F. le reconnaît, mais il croit que c'est de cette bulbifère
qu'il est question dans les autres, en particulier dans le Cantique des
Cantiques et dans la description des colonnes du temple et de la mer
d'airain. Ici il s'agit évidemment du lotus, motif de décoration em-
prunté par les peuples de l'Asie antérieure à l'architecture pharao-
nique. Quant aux lis du Cantique des Cantiques, il en est presque tou-
jours fait mention d'une manière si métaphorique qu'il est bien diffi-
cile de dire quelle plante le poète sacré a en vue. Il n'est guère plus
probable, d'ailleurs, que le lis blanc ait été cultivé dans le jardin idéal
de Salomon, que le nard, le cinnamome et autres végétaux exotiques.
Le lis que les écrivains sacrés font croître indifféremment partout,
dans les vallées et sur les collines, dans les pâturages et près de la
source des eaux, paraît être bien plutôt une fleur symbolique qu'une
plante fixe et déterminée. M. L. F. lui, y voit partout le lis blanc et,
chose plus singulière, il nous apprend que cette liliacée, dont l'origine
était jusqu'ici incertaine, serait non seulement indigène en Palestine,
mais qu'elle y aurait été trouvée sur les points les plus différents :
comment se fait-il alors qu'elle y soit restée si longtemps inobservée
et qu'elle ait été ignorée des écrivains classiques antérieurs à notre
ère?
Il y avait peu de choses nouvelles à dire sur les céréales cultivées par
les anciens Hébreux. Sur le figuier, la vigne et le grenadier, M. L. F,
a bien résumé ce qu'on en savait; il me paraît aussi avoir identifié
comme il convenait, le bois de sétim, les pommes de Sodome, l'ivraie et
l'hyssope, dernière plante dans laquelle il voit avec raison, je crois,
YOrigafîum Maj'u L.,età laquelle il a consacré quelques pages pleines
d'érudition. J'ajouterai que M. L. F. ne se borne pas à discuter les
faits; nourri de la lecture de la Bible, il nous montre à chaque page
quelle place considérable les plantes occupent dans le livre sacré,
quelles images gracieuses et sublimes leur ont empruntées les écrivains
de l'Ancjen Testament. On désirerait seulement que ces souvenirs
littéraires ne fussent pas dispersés comme ils le sont d'ordinaire, mais
qu'ils eussent été groupés de manière à nous donner un tableau vivant
I. M. L. F. dit entre autres choses que le ricin se dessèche aussi vite qu'il pousse;
mais dans les pays chauds il est vivacc et arborescent.
33o REVUE CRITIQUE
et animé de tout ce que la poésie hébraïque doit au monde végétal '.
Mais je ne voudrais pas finir par cette critique ; j'aime mieux en ter-
minant louer M. L. Fonck de tout ce qu'il y a de science et de
recherches bien conduites dans son travail et le remercier, au nom
des amis de la botanique, de la poésie et du folklore, de l'avoir
mené à si bonne fin.
Ch.J.
Le grand schisme d'Occident, par L. Salembier. Paris, Lecoffre, 1900, un vol.
in-i2 dexii-430 pages.
Le livre que M. Salembier vient de publier dans la Bibliothèque
d'Histoire ecclésiastique de Lecoffre, renferme le récit de quarante
années particulièrement agitées de l'histoire de l'Eglise (1378-1418).
Il'comprend dix-neuf chapitres. Le premier sert de préambule à l'ou-
vrage : il expose l'état du monde chrétien à la fin du xiv« siècle et pré-
pare l'esprit à l'intelligence des événements qui vont se dérouler; le
dernier en forme la conclusion ; l'auteur y montre les conséquences
du schisme pour le progrès doctrinal, pour la question de la Réforme
et pour l'autorité politique et religieuse des papes. Les dix-sept autres
chapitres renferment l'histoire même du schisme depuis le moment où
il s'ouvre par la double élection d'Urbain VI à Rome et de Clément VII
à Fondi, jusqu'au moment où il se ferme au concile de Constance
par la renonciation volontaire ou la déposition des trois papes rivaux
et l'élection de Martin V, qui ramène tout à l'unité.
Écrire l'histoire de cette période troublée n'était pas une entreprise
commode. Les documents, suivant qu'ils sont de source romaine ou
avignonnaise, racontent parfois les mêmes événements de façon
diverse; les questions de fait se mêlent perpétuellement de questions
de doctrine; enfin, le récit de ces luttes autour de la tiare demandait à
la fois de la franchise et de la délicatesse. Pour le présenter avec fidé-
lité, avec clarté, avec intérêt, il fallait être historien, cela va sans dire,
mais aussi, quoique à un degré moindre, théologien. M. S. a su réunir
les deux qualités dans la juste mesure, et ce n'est pas sa faute, mais
plutôt celle du sujet, si un ou deux chapitres sur la division des âmes
(ch. IV) et l'anarchie des doctrines (ch. vi) suspendent un moment le
plaisir que l'on éprouve à suivre le fil de l'histoire.
Sur la question de savoir quel était au début du schisme le légitime
successeur de saint Pierre, M. Salembier se prononce, comme la plu-
part des auteurs qui ont écrit en ces derniers temps sur la matière, en
I. On peut se demander aussi pourquoi M. L. F. n'a pas essaye de montrer
dans un tableau d'ensemble quel a été l'état de la culture chez les anciens Hébreux,
ce peuple si éminement fait pour la vie des champs.
d'histoire et de littérature 33 I
faveur d'Urbain VI, le pape de Rome. Il est difficile de ne point être
de son avis quand on a lu (ch. n) le récit si bien documenté de l'élec-
tion du 8 avril 1378 qui fit de Barthélémy Prignano le successeur de
Grégoire VI.
Ce chapitre ouvre dignement la partie proprement historique de
l'ouvrage dont il présente à un haut degré les qualités ordinaires :
netteté et vivacité de l'exposition, fidélité absolue à la vérité historique,
information exacte et puisée aux sources. Sur ce dernier point, l'au-
teur n'a rien négligé. 11 n'a pas seulement utilisé les travaux anciens
et nouveaux déjà publiés : en plusieurs endroits (v. pp. 48, n. 4; i5o,
n. 4; 289, etc.) il a mis à profit des manuscrits inédits.
La vérité historique n'est pas seulement recherchée avec prudence
et sagacité; elle est encore présentée, même lorsqu'elle est peu édi'
fiante, avec une franchise digne d'éloges. « Il faut, dit l'auteur en par-
lant des scandales de l'élection de Jean XXIII, il faut plaindre en les
condamnant ceux qui en sont les coupables aujeurs ; il faut aussi avoir
quelque pitié fraternelle pour ceux qui ont accepté d'être les historiens
de ces époques troublées et qui pour rester fidèles à la vérité histo-
rique, sont forcés de raconter sans édifier. » Ne plaignons pas trop
cependant l'historien du grand schisme; la nécessité où il se trouve
parfois « de raconter sans édifier » ne va pas sans quelques avantages,
et l'histoire de ce temps, s'il avait pu la raconter sans montrer en
action le Jeu des passions humaines autour de la tiare, n'offrirait sans
doute pas au même degré l'intérêt dramatique qu'elle présente.
Cet intérêt est relevé ici par les qualités de l'exposition constamment
aisée et claire; quelques phrases seulement dans ce volume de
400 pages nous ont paru porter des traces de rédaction trop rapide :
ce sont là des taches imperceptibles qui n'ôtent rien de son prix à un
livre de haute valeur historique.
L. Bavard.
D'' Cléanthès Nicolaïdès, La Macédoine. La question Macédonienne dans
l'antiquité, au moyen âge et dans la politique actuelle (Berlin, Racde.
Librairie Stahr, 1899, viu-267 pp., une carte en couleurs).
M. Nicolaïdès est sincèrement persuadé qu'il a écrit sur la Macé-
doine une étude historique impartiale, c'est l'illusion commune à tous
les polémistes, de quelque nationalité qu'ils soient, qui traitent le sujet.
M. Nicolaïdès défend l'hellénisme ou selon sa propre expression
« l'honnelir de l'hellénisme », c'est-à-dire cette thèse, que la Macédoine
de par ses origines et sa culture est un pays grec. C'est du droit his-
torique que l'auteur se réclame; il s'agirait de s'entendre une bonne
fois sur la signification de ce droit; en quelle mesure prévaut-il contre
le droit naturel qu'invoquent les Bulgares, les Serbes, voire même les
332 REVUE CRITIQUE
Koutzovalaques? En quelle mesure la possession d'État peut-elle
créer une légitimité ? A cette question ne répondent ni un aperçu
général de l'histoire macédoniene — simple liste chronologique —
ni -des tableaux statistiques qui n'emportent pas la conviction sur le
caractère foncièrement hellénique de la province. Ce que l'on lira
avec plus d'intérêt, sinon avec plus de sécurité, c'est le chapitre con-
sacré à l'administration turque et à la situation économique et celui,
sur l'exarchat bulgare, nœud du problème, la lutte des églises auto-
céphales contre le patriarcat. La carte jointe au volume est tendan-
cieuse comme le volume lui-même; elle émane de H. Kiepert, mais
a été dressée sur l'ordre du généreux M. Zaphiropoulo. Signalons
enfin deux appendices, l'un sur Alexandre le Grand dans les légendes
populaires d'après le professeur Politis d'Athènes, et un autre sur
la numismatique de la Macédoine par M. Lambropoulos,
B.A.
Der deutsche Volksaberglaube der Gegen-wart, von Dr. Adolf Wuttke, Prof,
lier Theol. in Halle. Dritte Bearbeitung, von Elard Hugo Mever. — Berlin,
Wiegandt et Grieben, igoo. In-S", xvj-536 pp.
Tous les folkloristes connaissent de longue date cette vaste ency-
clopédie de la superstition allemande, à laquelle M. E.-H. Meyer a
eu bien peu de chose à changer pour la remettre au point. Le style
en est serré, les redites peu nombreuses, l'impression compacte, et
l'étendue pourtant considérable. Elle le serait bien davantage, si
Wuttke n'avait circonscrit son sujet avec plus de sévérité que son
champ d'observation : pour la matière, il s'en tient rigoureusement à
la superstition populaire, excluant avec raison les formes plus ou
moins factices, savantes ou lettrées, de la crédulité universelle, spiri-
tisme, tables tournantes ou crayons évocateurs ; pour le temps, il se
borne au siècle qui va finir et ne se permet que de rares digressions
dans le domaine de l'histoire des préjugés ; mais, dans l'espace, il
embrasse, non seulement tous les pays de langue allemande, Suisse
et Autriche, mais encore toutes les populations qui relèvent de l'em-
pire d'Allemagne, danoises, slaves, lituaniennes, voire les Tchèques,
qu'il était difficile, en effet, d'isoler de la Bohème allemande. L'Al-
sace seule est à peu près exclue, sinon en principe, du moins en fait,
sans doute parce que les auteurs n'ont pu se procurer sur elle assez
de documents : l'excellent Dictionnaire de MM. Martin et Lienhart
en contient un bon nombre, mais épars, et il est encore tout récent '.
I. Voir Revue critique, XLV, p. 82, XLVI, p. 112 et 407, et XLVIII, p. 204. Je
signale rapidement quelques-uns de ces compléments, soit d'après mes propres
souvenirs, soit en renvoyant à l'ouvrage par les initiales ML. — Au sujet de la
lune (n" 1 1) : il y a un homme condamné à l'habiter, trmàn ém mân (ML. p. 690 a),
d'histoire et de littérare 333
Soit dans la croyance aux esprits et les pratiques de sorcellerie, soir
dans les usages domestiques et ruraux, — ce double objet constitue la
division essentielle de l'ouvrage, ^- ce qui frappe au premier abord,
c'est le consentement universel sur lequel repose la superstition popu-
laire. Ce n'est rien de dire que Latins, Germains et Slaves s'accor-
dent à merveille sur ses données fondamentales, puisqu'un brahmane
du temps des Védas n'y trouverait rien à reprendre. Les rapproche-
ments entre l'Inde préhistorique et l'Allemagne contemporaine se
présentent en telle abondance, que les auteurs, malgré leur sobriété,
n'ont pas cru pouvoir se dispenser d'en signaler quelques-uns, et je
ne résiste pas à la tentation de les multiplier : lorsqu'on fait sortir les
bestiaux de l'étable (n°s 83, 142, 684 et 693), c'est à une époque bien
déterminée, et avec un fouet dont le manche est d'un certain bois,
habituellement une branche de noisetier coupée le dimanche des
Rameaux, remplaçant le palàça consacré des rites brahmaniques; le
tour du foyer qu'on fait faire à la nouvelle épousée (n° 107) semble
empruntée la même liturgie ; l'oracle du coucou (n"» 161 et 280) se
nomme dans l'Inde le cabalihôma, et c'est ici avec une pièce d'or ou
d'argent (n°s 1 19 et 139), là-bas avec une pioche d'or, que l'on cueille
la plante aux vertus merveilleuses. Les formules sont les mêmes, et,
sauf les noms de Jésus et de Marie qui y figurent, on croirait, à cer-
taines pages du livre (n°s 227 sqq.) lire une traduction de l'Atharva-
Véda. Mais bien plus ; certaines prescriptions rituelles, obscures et
bizarres, que les auteurs des Sûtras nous transmettent sans qu'aucun
commentateur ait daigné les éclaircir, peuvent trouver une explica-
tion dans les croyances signalées par Wuttke. On s'est épuisé en
qui a fourni à Hebel le sujet d'une de ses plus jolies poésies ; cette résidence for-
cée lui a été infligée pour avoir travaillé un dimanche. — La bcte mystérieuse
dont on fait peur aux petits enfants indociles (n" 19) s'appelle en Haute-Alsace
tr wùy-woy. — S'il pleut tandis que le soleil luit (n» 21), on dit en Alsace que <■ le
diable bat sa femme ». — La croyance à une race de géants maintenant éteinte a
pris corps (n" 44) dans la légende de la damoisellc du Nidcck rapportant dans son
tablier, en guise de jouet, une charrue attelée de deux bœufs avec le maître et le
valet qui la conduisent. — En Alsace, ce ne sont pas les cjpfants nés dans la nuit du
nouvel an(n<' 73), mais ceux des Quatre-Temps [Fronfastenkinder) qui ont le privi-
lège de voir les esprits ; plus particulièrement ils voient dans la nuit de Noi-l, ceux
qui doivent mourir dans l'année (ML. p. 448 b). = La bûche de Noël ne s'appelle
pas Holt^klot^ tout court (n" 78), mais bien Winàchtsklot^, et à la Pentecôte (n" 90)
on promène un autre Klot:{, qui, lui, est un personnage vivant : ML. p. 5oo b. —
Quand la poule chante le coq (n<" 156,276 et 422), c'est partout un déplorable pré-
sage. Mais lAlsacea érigé en proverbe la conduite à tenir en pareille occurrence,
ainsi qu'envers une fille qui siffle : "Wcnn t-Maitle pfife un t-HUclinci- krdje, se
soll mr ne tr Hais critm trdje, ML. p. 345 b. — H ne faut pas embrasser les chats
(n» 173), car leur museau est du poison, et, si l'on en avale des poils, on devient •
phtisique. — On retrouve les objets perdus (n " 645), en récitant à saint .\ntoine de
Padoue une formulctte que j'ai déjà citée ailleurs, etc., etc. — En revanche, je
n'ai rien trouvé, dans tout le livre, qui ressemblât a l'usage alsacien de « tenir le i
pouce », que j'ai décrit ici mtime, XLV, p. 85,
334 REVUE CRITIQUE
conjectures sur la cérémonie que voici : au début de Vagnicayana,
Tadhvaryu fait un trou transversal dans un monceau de terre de four-
milière et s'en sert, comme d'une lorgnette, pour regarder l'argile
dont on va fabriquer les briques de l'autel du feu ; à quoi peut bien
rimer cette parade ? Or, nous apprenons qu'en Allemagne (n» 1 1 7) un
homme qui se coiffe d'une taupinière acquiert le don de reconnaître
les sorcières, La raison doit être la même dans l'Inde : il s'agit de
démasquer les maléfices qui nuiraient à l'œuvre sainte.
Quant à la raison plus profonde qui a fait attribuer de telles vertus
à la terre soulevée par un animal, elle se perd dans la nuit du passé.
Il ne faut point trop rechercher l'origine des superstitions, c'est sou-
vent œuvre vaine ; mais, pour l'honneur de l'esprit humain, tout au
moins, on peut provisoirement admettre qu'elles reposent sur quelque
donnée expérimentale. Wuttke, sur ce point, est fort explicite : de
même que les formules magiques les plus inintelligibles ont dû jadis
avoir un sens ', il y a un grain de bon sens au fond de toute croyance
(n°256). J'en suis presque aussi convaincu que lui; mais, aussi éloi-
gné que possible de nier ce que je ne saurais comprendre, j'avoue
pourtant que son histoire de calomel dangereux parce que administré
pendant la lune croissante (n° 544) me laisse rêveur; j'aimerais mieux
croire que l'enfant en avait absorbé une dose trop forte. Au contraire,
je ne sais s'il est permis de donner pour une pure superstition (n° 1 38)
l'usage de l'arnica contre les coupures : au moins cette indication
figure-t-elle encore dans toutes les pharmacopées.
Le fait d'observation se dégage souvent avec une netteté singulière
du préjugé auquel il a donné naissance : si les esprits invisibles
(nos 43 Qi ^^04) ne peuvent sortir d'un lieu clos que par l'ouverture qui
leur a donné accès, c'est là un trait emprunté aux invariables habi-
tudes des bêtes fauves et bien connu des braconniers; si les carrefours
sont hantés des démons et des sorcières (n» 108), c'est tout simple-
ment que les croisements de rues et routes sont, pour les hommes
aussi, les lieux de rendez-vous les mieux abordables; si le pois est
consacré à Donar (n° i 36), qu'on se rappelle le siliqiia quassante legu-
men de Virgile; s'il est défendu de remercier, lorsqu'on a reçu gratis,
dans un certain magasin de Berlin, le bout de crêpe qui doit guérir le
mal de gorge, — autrement le remède n'opère pas (n° 181), — c'est
qu'en effet qui souffre de la gorge fait bien de parler le moins possible.
Parfois le vulgaire et récent calembour date à quelques siècles près la
naissance d'une superstition : contre l'insomnie (no 587), on administre
I. Excepté, bien entendu, les charabias intentionnels. A ce propos, il a bien vu
que, dans le galimatias cite n" 244, les deux derniers mots sont l'anagramme des
deux premiers; mais il n'observe pas que celui du milieu est à lui-même son
anagramme, en sorte que la formule totale {sator arepo tenct opéra votas) peut se
lire indifféremment de gauche à droite ou de droite à gauche;
d'histoire et de littérature 335
en poudre Tos temporal [Schlafenbein) d'un poisson. Parfois elle
remonte à une antiquité immémoriale et n'en est guère moins claire :
il n'est pas douteux que le caractère sacré du nombre 7 ne procède
des sept planètes, ou de la semaine (quart de la lunaison) ; quant au
nombre i3, dont la vertu fatale est sûrement bien antérieure à la
Cène ', il faut se souvenir que chez les Hindous, le i3« mois (inter-
calaire) est réputé impur; une fois créée l'année des 12 signes, tout ce
qui rompait ce bel ordre dut prendre un aspect omineux.
Parmi ces origines préhistoriques, W. fait une place très impor-
tante au naturalisme des premiers âges (n° 10), et l'on ne s'attend pas
à ce que j'en sois marri. Je supprimerais même sans scrupule
quelques-uns des points d'interrogation dont M. Meyer a émaillé son
texte. Mais le scepticisme de l'éditeur sur certains détails ne rend que
plus précieuse son adhésion sur les autres: s'il admet que la dame
blanche est une aurore parce qu'elle change en or ce qu'elle donne aux
hommes (n° 3i), je puis enseigner sans en trop rougir que la fable
de Midas est un mythe du soleil levant. Qu'on puisse impunément
braver le dragon de feu lorsqu'on lui parle à travers un moyeu de
roue (no 49), voilà qui ne se comprend guère si la roue n'est ici,
comme dans les Védas, une effigie du soleil; et je m'en assure davan-
tage quand je lis qu'aucune roue ne doit tourner, — que par suite les
rouets chôment (n" 74), — durant les douze jours du solstice d'hiver
où la roue céleste semble immobile à l'horizon de l'extrême sud. Quel
dommage pourtant, que le même tabou frappe le 28 octobre, jour des
saints Simon et Jude (n° io3), où il ne semble pas avoir de fonde-
ment!
L'auteur insiste également sur une autre idée qui m'est chère, celle
des « superstitions utiles », comme la Roggenmuhme (n» 659), dont
on menace les enfants tentés d'aller « cueillir les bleuets dans les
blés » : c'est là sans doute, pour la moisson future, une défense plus
efficace qu'une leçon de magister sur le respect de la propriété privée.
Quelques-unes sont exquises de judicieuse naïveté : qui ne peut avoir
raison d'une insomnie doit prier pour les âmes du purgatoire (n°753),
car ce sont elles qui l'ont éveillé dans cette intention ; n'est-ce pas en
effet la meilleure façon de se calmer et de se rendormir " ? Touchante
aussi est la recommandation de ne point maltraiter un crapaud (ani-
mal utile !) parce qu'on risque ainsi d'ajouter aux souffrances d'une
àme du purgatoire {n° 763). Mais le sublime en ce genre est atteint
par la croyance qui doit sécher les larmes des vivants sur les morts
1. Mais ccst un piètre argument contre cette origine que d'écrire: « Le i3' apô-
tre, ce n'est pas Judas, cest saint Paul » (n' 109). La question n'est pas de savoir
qui était le i 3* apôtre; le fait saisissable, c'est qu'on était treize au repas et que
l'un d'eux (Jésus) était dès ce moment-là destiné à la mort, assure de mourir.
2. Car, si l'on priait pour ses propres besoins, on y mettrait peut-être une ferveur
qui chasserait le sommeil.
336 REVUE CRITIQUE
(n° 728) : quelle force ou du moins quel effort pour accepter l'irrépa-
rable ne doit pas imposer à une mère cette pensée que chacun de ses
pleurs est une brûlure pour son enfant ' !
Quelquefois il eût été bon d'avertir expressément le lecteur que la
prétendue superstition n'est qu'une facétie d'aloi douteux. Je ne puis
envisager autrement celle-ci (n^ 770) : quand deux personnes ont à la
fois le même mot en bouche, c'est qu'elles ont racheté du purgatoire
une servante de curé. C'est tout de même qu'en Alsace, dans une par-
tie de campagne, si l'un des promeneurs laisse tomber sa canne, les
autres s'écrient qu'on a fait une lieue, mais personne ne croit à la coïn-
cidence. Que la sage-femme aille jeter un morceau de sucre au puits
pour y pêcher un enfant (n° 429), ce n'est pas une superstition, mais
une précaution contre les questions indiscrètes de la marmaille. Qu'on
puisse se rendre invisible (n» 473), en trouvant le Blendstein, qui gît,
invisible lui-même, dans un nid d'oiseau qu'il rend invisible, cela
ressemble fort à ce qu'on dit aux enfants, qu'on attrape à coup sûr un
moineau en lui posant doucement un grain de sel sur la queue. Enfin,
malgré sa gravité solennelle, l'incantation homicide (n° 397) a tout
l'air d'une « fumisterie » : il faut, pendant tout un an, soir et matin,
à la même heure, au même endroit, réciter trois fois un certain psaume
en commençant par la fin; et, si le conjurateur y manque une seule
fois, se trompe d'une minute ou d'une syllabe, c'est lui-même qui
meurt. Dans ces conditions, qui oserait tenter l'expérience ' ?
Quant à la distinction entre religion et superstition, esquissée au
début et à la fin, elle me paraît manquée, mais ce n'est pas ici le lieu
de la refaire. J'en voudrais seulement indiquer le trait essentiel à mon
sens. L'adoration, par exemple, d'un Dieu qui souffre, est religion;
car c'est l'expression concrète la plus énergique de cette vérité univer-
selle, éternelle, absolue, que tout ce qui a vie a souffrance. Mais l'attri-
bution d'une vertu spéciale à une épine de sa couronne est supersti-
tion, en tant qu'elle ramène le concept de ce Dieu dans le réseau du
temps, de l'espace et de la causalité, et replonge ainsi le croyant au
sein de l'illusion du devenir, dont la religion avait précisément pour
but de l'affranchir à Jamais. V. Henry.
1. Là même où la superstition semble absurde et encombrante, elle contient
encore un enseignement pour qui sait y lire : ainsi, si l'on fait le compte de tous
les jours de la semaine, du mois, de l'année, etc., qui sont néfastes, on constate
(no 73) que les chances de malheur l'emportent de beaucoup pour l'homme sur
celles de bonheur. O sagesse intuitive!
2. On s'étonne, dans un livre consacré à la superstition allemande, de ne trouver
mention des Evlen que comme arbres : d'où Goethe a-t-il donc tiré sa célèbre poé-
sie ? — On voudrait savoir aussi où Th. Gautier a pris le thème de son Enfant aux
souliers de pain, qu'il situe en Allemagne. — La meilleure étymologic du mot
Hexe (n° 209) a été donnée par M. de Saussure, Bull. Suc. Ling., VU, p. cxvij. —
Dans IMmpression, extrêmement correcte, je n'ai relevé que quelques coquilles insi-
gnifiantes, dont le type est berilhmten pour bciilhrten, p. 79, 1. 9.
d'histoire et de littérature 33/
Principes sociologiques par Charles Mismer, 2° édit. revue et augmentée. Paris,
Alcan, 1898, I-XI, 1-286 pp., un vol. in-8°.
« Le mouvement général qui entraîne l'univers, soumet tous les
éléments dont il se compose, depuis les sphères célestes jusqu'aux
plus humbles particules de matière, à une loi de solidarité et de per-
fectibilité. A moins de faire de l'homme un être en dehors de la nature,
la solidarité et la perfectibilité universelles entraînent nécessairement
la solidarité et la perfectibilité humaine ». C'est ainsi que, dans sa con-
clusion, M. Mismer résume la tentative par laquelle il s'est efforcé a de
rattacher les lois humaines aux lois cosmiques ». J'ai peur que les
prémisses de son raisonnement ne soient pas très solides. La solidarité
universelle, déduite de la gravitation, est bien « une vérité positive
qui relève de la plus simple observation » ; mais que prouve-t-elle au
point de vue de la solidarité sociale, si celle-ci doit avoir une base de
justice? Il est « de simple observation » que la notion même de justice,'
comprise suivant l'idéal humain, esttotalement absente de la mêlée des
forces naturelles où la destruction des uns assure la subsistance des
autres. L'auteur, il est vrai, ne veut voir là qu'une « apparence ». « En
réalité, s'écrie-t-il, la nature est juste autant que sage ». Mais pour
défendre cette affirmation, il est obligé d'admettre que « l'homme fini
ne saurait contrôler l'infini. .. Jamais sa curiosité ne pénétrera les
intentions et les fins de la nature... » Alors comment constater qu'elle
est juste?
Quant à la « perfectibilité universelle », l'auteur me paraît la con-
fondre avec révolution. 11 a raison de dire que « tout se meut inces-
samment... » et que « le changement est comme le mouvement un phé-
nomène naturel vérifiable par l'observation.... ». Mais à quoi tend ce
changement perpétuel de l'univers ? L'auteur est obligé de constater
que « la terre sera certainement inhabitable un jour ». Voilà une per-
fectibilité qui échappe à la mesure de l'homme. M. M. en établissant
l'impuissance de celui-ci à pénétrer les fins de la nature a établi du
même coup son impuissance à savoir si oui ou non la nature se per-
fectionne : car l'amélioration suppose un but connu qui serve de cri-
térium au progrès.
Ce n'est d'ailleurs qu'à la page 1 34 de son volume que l'auteur
semble s'être préoccupé de trouver « ce dernier fondement de la cer-
titude » sur lequel il a voulu ériger des principes sociologiques « iné-
branlables et définitifs ». Jusque-là son ouvrage est un recueil de mé-
langes (parus jadis dans la Revue positive], sur des questions diverses
relatives à l'organisation sociale et qui n'apportent pas de contribution
vraiment n'euve à la science. L'auteur aurait mieux fait de concentrer
toutes ses forces sur ce qu'il appelle la partie organique de son livre.
S'il y avait apporté un peu plus de rigueur d'argumentation, il aurait
vu ce qu'il fallait sacrifier de sa thèse générale, et il aurait creusé plus
338 REVUE CRITIQUE
à fond les parties vraiment solides de son sujet, à savoir l'étude de la
solidarité humaine et celle de la perfectibilité sociale, sur laquelle il
a des vues justes en général, mais qui sont indiquées d'une façon trop
sommaire ou trop dogmatique. Les plus ingénieuses, imprégnées de
la méthode et de V esprit positifs, se rattachent à la question de l'édu-
cation et de l'instruction.
E.
Études critiques sur les connaissances et sur la psychologie, parW. U. Te-
NicHEFF. Paris. Giard et Brière, éd., 1900, in-S" et 5i p.
L'opuscule de M. Tenicheff, qui a d'abord paru dans les Annales de
l'Institut international de sociologie, et qui fait partie d'un « pro-
gramme d'études ethnographiques relatives à la classe cultivée des
populations urbaines russes», prouve combien dans tous les pays sont
grandes actuellement les préoccupations des esprits réfléchis touchant
les matières mêmes de l'enseignement public. « Considère-t-on
comme plus important de posséder des connaissances utiles aux indi-
vidus et les rendant aptes à servir la société, ou bien juge-t-on le degré
de l'instruction supérieure lorsqu'on peut faire montre de connais-
sances astronomiques, archéologiques, mythologiques, et lorsqu'on
peut, à l'occasion, citer quelque sentence latine ou même grecque? »
Telle est la question que se pose M. Tenicheff: son étude est telle-
ment fragmentaire, qu'il est difficile de préciser la réponse définitive
qu'il ferait, s'il épuisait son sujet, à la question qu'il a formulée. On
aperçoit cependant le sens dans lequel il résoudrait celle-ci, par la
façon dont il étudie, dans un chapitre spécial, l'influence et l'utilité
de la psychologie. Il se demande si cette dernière « qui devrait être
une science puisqu'elle est enseignée non seulement dans les univer-
sités, mais encore dans les collèges, nous fournit un enseignement
utile pour la vie pratique », Or l'auteur constate que les traités de
psychologie sont « consacrés pour la plus grande partie aux raison-
nements généraux sur les états d'àme, précédés de descriptions, de dé-
finitions et de dénominations correspondantes » qui, d'ailleurs, ne
s'accordent pas chez les différents auteurs, — et qu'ils s'éloignent sin-
gulièrement des réalités de la vie. « Les psychologues, plongés dans
leurs méditations au fond de leur cabinet, oublient que nous vivons
en société et que nous puisons nos connaissances dans notre entou-
rage. Ils négligent les étatsd'àme provenant des difficultés que l'homme
peut rencontrer pour satisfaire aux besoins de sa vie individuelle et
sociale... » D'où l'auteur conclut que « la psychologie à l'exception
de la psychophysique (qu'on peut en grande partie rapporter à la phy-
siologie des organes des sens) fournit très peu de connaissances posi-
tives » répondant à la définition qu'il a donnée de celles-ci : « des ré-
d'histoire et de littérature 339
sultats d'expériences, d'enseignements, d'actions simultanées de toutes
sortes d'influences, résultats qui nous obligent à modifier notre ligne
de conduite d'après nos impressions ». On aperçoit le point de vue
tout à fait social et utilitaire auquel se place M. Tenicheff dans son
enquête sur les objets d'éducation. Il est à désirer qu'il la poursuive
et en consigne les résultats dans une étude ultérieure.
E.
Paroles d'un vivant, par Gabriel de Beaumont. Préface de M. Ernest Naville,
un vol. gr. in-8°, i-xxxy et 23opp. Genève, Eggimannet G'*. Paris, Âlcan, igoo.
M. Gabriel de Beaumont, à en juger par la notice publiée en tête
de ce volume, semble avoir été une nature délicate, essentiellement
chrétienne, généreuse d'aspirations, distinguée de goûts, digne d'avoir
été profondément aimée par sa famille et ses amis. Je ne sais si ceux-
ci n'auraient pas rendu un meilleur service à sa mémoire en publiant
simplement un choix restreint de ces pensées qu'on a réunies ici —
bien qu'en extrait seulement — sous forme d'un grand in-8° trop
volumineux. Le recours presque constant à la Bible et à ses images
rend ces pensées monotones, et le symbolisme dont elles, sont em-
preintes ne donne guère de force à l'argumentation. On y sent plutôt
que la vigueur de l'esprit, la douceur d'une âme qui a trouvé sa
source de certitude et qui y puise éternellement sans jamais douter de
la qualité de l'eau qu'elle savoure. Dans ces conditions, il est difficile
d'atteindre à l'originalité, et l'auteur d'ailleurs ne la cherchait pas. En
feuilletant ce volume, je rencontre cependant cette pensée qui e.xprime
bien une impression que j'ai souvent éprouvée en parcourant certaines
collections particulières : « Qui est celui qui possède réellement un
tableau : le prince qui sait qu'il se trouve dans sa galerie, qui ne le
regarde jamais pour en jouir, si ce n'est dans la pensée qu'il lui vaut
une fortune — ou bien le peintre (M. de Beaumont l'était lui-même)
qui va souvent le regarder, en jouit en le regardant et après l'avoir
vu ? N'est-ce pas réellement ce dernier qui le possède ? »... Voilà qui
réconcilierait avec les fortunes princières.. . à condition que les princes
laissent les amateurs visiter librement leurs galeries.
E.
— M. M. Schwab vient de publier une intéressante monographie intitulée :
Salomon Munk, membre de l'Institut; sa vie et ses œuvres (1803-1867). Elle se ter-
mine par une bibliographie complète des publications de l'éminent orientaliste.
(Paris, Leroux, in- 12, p. 236).
— On a publié à Budapest {Jaliresbcriclite der Landes-Rabbinerschule fUr das
340 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE Et!TdE LITTÉRATURE
Schuljalir, 1898-1899), une étude du prof. David Kaufmann (mort le 6 juillet 1899),
iotitulée Studien ilber Salotnon Ibn Gabivol, célèbre rabbin du xi« siècle, versé
dans les études philosophiques. Elle débute par un chapitre curieux sur les rap-
ports entre les ouvrages de celui-ci et le Pseudo-Empcdocle (in-8", p. 124).
— Vient de paraître : Catalogue of tlie Library of the India Office, vol. II,
part. II. Hindtistani Books. by J. F. Blumhardt, M. A., Professor of Hindustani and
Lecturer on Hindi and Bengali at University Collège, London, and Teacher of
Bengali at the University of Oxford; London, printed by Eyreand Spottishwoode,
1900; I vol. in-8, cartonné de viij-379 pages.
— Le fascicule 1°' du tome VII des Skrifter iitgi/na af K. Humanistika Vetens-
kaps-Samfiindet i Upsala (Upsal et Leipzig 1900), dû à la plume infatigable de
M. Fr. Tamm, est intitulé : Sammansatia Ord i niitida Svenskan imdevsôkta med
hàytsyn till bildiiing av fôrleder. C'est une étude, extrêmement poussée dans le
détail, et beaucoup plus intéressante pour le scandinaviste pratique que pour
l'historien du langage, de la composition en suédois au point de vue spécial de
la forme du premier terme des composés nominaux.
— Les remarquables études de M. T. E. Karsten, docent à l'Université de Hel-
singfors, publiées par la Société des Sciences de Finlande, — Studier ôfver de
Nordiska Spraakens primdra Nominalbildning, Helsingfors, 1900, 283 pp., 5 mk. —
mériteraient mieux qu'une simple mention, si elles n'étaient la simple continua-
tion d'un ouvrage dont le début ne nous est point parvenu. Dans chaque caté-
gorie de dérivation suffixale, l'auteur distingue avec grand soin : 1° les formes à
racine normale, réduite et fléchie; 2" les types indo-européens, s'il y en a ; puis
les types européens, germaniques et isolés. On doit recommander à tout indoger-
maniste au moins une lecture rapide de cette monographie consciencieuse.
— La commission de l'Institution Arnamagnéenne, après avoir publié le catalogue
des manuscrits de la précieuse collection qui porte ce nom, fait paraître aujourd'hui
Katalog over oldnorsk-islandske Haandskrifter Kœbenhavn. Gyldendalske Bog-
handel, 1900. Grand in-8° de lxv-5i7 p. Prix : 10 kr.) celui des vieux manuscrits
norvégiens et islandais conservés à la Bibliothèque royale et à la Bibliothèque
de l'Université de Copenhague (116 numéros pour celle-ci, i3o4 pour l'autre). Suit
un état des numéros nouveaux qui ont enrichi la collection dans les années 1894-
1899, soit du n» 2828 au n"' 2842. M. le bibliothécaire D' Kaalund expose, dans
une longue introduction, comment et quand ces manuscrits sont venus de Nor-
vège et d'Islande en Danemark ; puis, dans le corps du catalogue, il nous donne,
numéro par numéro, la description, l'historique et le contenu de chaque pièce.
Enfin, cinq index différents permettent de retrouver immédiatement tout ce qui se
rapporte à tel ou tel sujet. C'est dire toute l'importance de ce travail et de quelle
utilité il sera à tous les nordisants. — L. P.
— Parmi les documents relatifs à l'histoire de Gènes que contient le numéro de
mai-juin ànGiornale storico letter. délia Liguria, nous signalerons comme apport
de l'érudition française aux annales locales de l'Italie, des documents relatifs au
soulèvement de 182 1, que H. Léon G. Pélissier a tirés des papiers de Pons de
l'Hérault. Pons, expulsé de Gènes comme libéral, quoiqu'il eût sauvé la vie du
gouverneur durant l'échauffourée, continuait à s'intéresser à des événements qui
auraient pu mal tourner pour lui. — Ch. Dejob.
Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnet, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 45 — 5 novembre — 1900
BissisG, Les bijoux de la reine Ahhotpou, I. — L'alfiya d'Ibn Mouti, p. Zelter-
STEEN. — Courant, Catalogue des livres chinois, coréens et japonais de la Bi-
bliothèque nationale, I. — Dieter, Morphologie des dialectes germaniques. —
Du Bled, La société française des xvi° et xyii" siècles. — Saint-Simon, Mémoires,
p. A. de BoisLiLE, XIV. — Godefroy, Complément du Dictionnaire de l'ancienne
langue française, lettre P. — Saitschick, Génie et caractère. — Deschamps, La
vie et les livres, V. — Bentzon, Femmes d'Amérique. — Sachs-Villate, Dic-
tionnaire encyclopédique français-allemand et allemand-français. — Barré, La
France du Nord-Est. — Recueil d'études offert à M. Ussing. — Académie des
inscriptions.
F. W. von Bissing, Ein Thebanischer Grabfund aus dem Anfang des Neuen
Reichs, Berlin, A. Duncker, 1900, in-fol. i^'" livraison, 3 p. et III p. en couleur.
Je ne veux, pour le moment, qu'annoncer ce bel ouvrage. Les bijoux
de la reine Ahhotpou sont bien connus et la photographie et le dessin
en ont reproduit les principaux à plusieurs reprises ; mais les quelques
fac similé en couleur qui ont été faits par le soin de Desjardins et de
Bisch, sont introuvables, et ceux-là seuls peuvent imaginer la richesse
et la beauté de leur coloris qui les ont vus en original au Musée
de Gizèh. M. de Bissing les a fait copier à l'aquarelle par Howard
Carter, le peintre qui a dessiné si bien pour Naville les admirables bas-
reliefs de Dèîr el Baharî, et il en publie aujourd'hui la première livrai-
son. On y trouvera deux des meilleures pièces de la collection, la
hache d'armes et le poignard du Pharaon Ahmosis I«^ La reproduc-
tion des aquarelles est fort bonne ; peut-être cependant l'ensemble
est-il un peu plus foncé de ton qu'il ne conviendrait. C'est là un défaut
léger et auquel il sera facile d'obvier dans les livraisons prochaines.
G. Maspero.
Die Alfîje des Jbn Mutî, herausgegeben von D' K. Y. Zetterstéen, privat-
docenten an dcr Univcrsitât Lund. — Leipzig, 1900, in-8, chez Hinrichs. Intro-
duction,«p. VIII, notes, 18 p.; texte 70 p.
Les Arabes ont toujours eu une prédilection marquée pour le méca-
nisme mémnotechnique qui a valu chez nous au bon Claude Lancelot
Nouvelle série L. 4^
342 REVUE CRITIQUE
une réputation aujourd'hui bien éclipsée. Leur prosodie, d'ailleurs
assez compliquée, possède un certain mètre redje\ qui s'adapte parfai-
tement aux ouvrages didactiques et leur donne le caractère d'une prose
rimée et rythmée, qui se grave plus aisément dans la mémoire.
La grammaire de l'arabe classique, par ses subtilités et les caprices
de ses règles, avait plus que tout autre science le droit d'invoquer
cette muse facile. Au xiii^ siècle de notre ère, Ibn Mâlik, érudit dont
le nom est resté populaire dans les écoles musulmanes, composa pour
la plus grande satisfaction des maîtres et des élèves un traité de gram-
maire versifiée conforme aux procédés du genre et, comme il avait su
renfermer en mille distiques toutes les finesses de la langue littéraire,
il donna à son livre le nom d'AlJîya ou plus exactement dourret
aljîya qu'on peut traduire par « la quintessence en mille vers ».
Naturellement un pareil livre où l'obscurité du fond se complique
de la concision inévitable de la forme, ne pouvait se passer de com-
mentaires et de gloses. On peut voir dans nos Catalogues orientaux
la liste respectable des interprètes d'Ibn Mâlik. Tous sont tenus en
grande estime dans les Medresèh, et il est juste de reconnaître que,
sans leur collaboration, le texte original serait resté lettre morte.
Grâce à eux les mille distiques énigmatiques sont devenus le thème
obligé des hautes études de philologie en Orient et plus tard le maître
par excellence de la grammaire arabe, Silvestre de Sacy, a tiré de ce
code grammatical les lois essentielles et les a nettement élucidées à la
suite du texte qu'il publia, en i838, dans la collection du Translation
fund. On doit aussi une bonne mention aux patientes recherches de
Dieterici et à la traduction littérale de M. Goguyer qui ont l'un et
l'autre complété l'œuvre de l'illustre orientaliste.
Jusqu'à ce jour, le traité d'Ibn Mâlik faisait seul autorité; mais
voici qu'un érudit suédois, M. Zetterstéen, privât docent à l'Université
de Lund, a jugé utile de remettre en lumière une autre Alfiya moins
souvent citée, ce qui ne veut pas dire pourtant qu'elle soit inférieure
à celle que la postérité lui a préférée. Le texte que M. Z. vient de
publier peut du moins revendiquer la priorité à la fois de date et de
titre. L'auteur est un philologue nommé Zya ed-dîn Ibn Moutî,
maghrébin d'origine et qui vivait dans la seconde moitié du xii® siècle.
On a peu de détails biographiques sur ce personnage : on sait seu-
lement qu'il résida longtemps à Damas, qu'il y forma de bons élèves
et alla ensuite se fixer au Caire où il composa le poème grammatical
qui porte aussi le nom d'Alfiya — remarquons en passant que ce titre
ne doit pas être pris tout à fait à la lettre puisque le nombre des vers
est de 10 1 5. — On connaît de source certaine la date de sa mort, en
1 23 1 de notre ère, c'est-à-dire un demi siècle environ avant Ibn Mâlik.
Pourquoi ce dernier est-il resté seul maître du terrain, quels sont ses
titres de supériorité sur Ibn Moutî ? C'est ce que le savant éditeur ne
manquera pas d'expliquer, lorsqu'il étudiera à fond le texte restauré
"V
d'histoire et de littérature 343
par ses soins, et l'étude de la philologie arabe n'aura qu'à gagner à ce
parallèle entre les deux ouvrages homonymes.
En attendant, M. Z. a su tirer le. meilleur parti des trois manus-
crits que les bibliothèques de Berlin, de TEscurial et de Leyde ont
mis à sa disposition. 11 ne s'est pas contenté d'une simple collation
de copies et, pour améliorer sa tâche, il a compulsé toute la littérature
spéciale dont la grammaire des Arabes a été l'objet "chez nous et en
Orient. Ses annotations prouvent qu'il n'a négligé aucune source
d'information et que la technologie de cette science lui est tout à fait
familière.
Néanmoins, disons-le encore, nous ne pouvons considérer son
œuvre comme terminée. L'AlJiya d'Ibn Moutî n'est ni moins abstraite
ni moins concise que celle d'Ibn Màlik et comme celle-ci, elle n'est
guère accessible même aux gens du métier qu'avec l'aide d'un com-
mentaire. Ce commentaire, c'est de M. Z. que nous l'attendons. Il ne
peut être question d'une traduction littérale, ce serait chose fastidieuse
et sans profit. Que M. Z. s'inspire de l'exemple de S. de Sacy et,
suivant le texte vers par vers, qu'il supplée par de claires explications,
au besoin par des exemples, au laconisme obligé de son auteur. Voilà
le complément que nous demandons au savant éditeur. Sa préface, il
est vrai, ne nous donne aucune promesse à cet égard, mais on se
refuse à croire qu'il s'arrêterait à moitié chemin et renoncerait à don-
ner à son ouvrage toute l'utilité qu'on a le droit d'en attendre.
Le vieux grammairien Sibawaïhi a eu en France les honneurs d'une
édition qui fait autorité et une version allemande en facilite aujour-
d'hui la lecture. Le supplément de travail que nous demandons à
M. Zetterstéen viendra à point compléter celui de MM. H. Derenbourg
et Jahn et contribuera à replacer les études de philologie arabe, un
peu négligées maintenant, au rang qui leur dû dans le domaine de
l'érudition musulmane.
B. M.
Maurice Courant. Catalogue des livres chinois, coréens, japonais, etc. con-
serves à la Bibliothèque nationale. Premier fascicule, n"» 1-2496, in-S" de vu
148 pp. Paris, Leroux, 1900.
L'administration de la Bibliothèque nationale a chargé M. Maurice
Courant de rédiger le catalogue des livres chinois, coréens et japonais
qui sont cQnfiés à ses soins ; elle ne pouvait faire un meilleur choix :
par sa publication sur la bibliographie coréenne, M. C. offrait des
garanties de compétence qu'il eût été difficile de trouver ailleurs. Le
premier fascicule de ce catalogue vient de paraître ; il justifie nos
espérances. Quand cet ouvrage sera terminé, il sera un guide précieux
pour les sinologues à qui il épargnera des recherches fastidieuses et
r
I
344 REVUE CRITIQUE
souvent inutiles ; en réunissant aux deux fonds chinois du départe-
ment des manuscrits les pièces qui sont conservées dans le départe-
ment des estampes et dans la section des cartes, M. C. nous a, en
outre, révélé des richesses dont nous ne soupçonnions pas l'existence.
Tous ceux qui s'intéressent à l'histoire et à la littérature de l'Extrême-
Orient seront reconnaissants à l'auteur de l'excellent instrument de
travail qu'il met entre leurs mains.
Je n'ai pas à critiquer la classification adoptée par M. Courant. Les
raisons qu'il donne dans son avertissement pour expliquer qu'il ait
cru devoir abandonner le plan de la Bibliographie impériale chinoise
me paraissent suffisantes. A mon sens cependant, il eût peut-être
mieux valu ranger tous les ouvrages bouddhiques dans une seule
section où on aurait observé rigoureusement l'ordre suivi dans le
Tripifaka ; j'ai quelque peine à m'habituer à chercher parmi les
annales laïques le Fo tsou H tai t'ong tsai (n°^ 345-347), ou parmi
les histoires administratives, économiques, etc. le Fo tsou t'ong ki
(no* 910-912), quand je sais que ces deux ouvrages ont leur place
toute marquée dans le Tripi/aka ; il eût été d'ailleurs facile d'ajouter
à la suite des diverses parties du Tripifaka les textes bouddhiques
qui ne sont pas inclus dans cette collection.
On aurait pu souhaiter dans certaines notices un peu plus de préci-
sion ; par exemple, il eût été bon d'indiquer que le Siyu choei tao ki
(n° 1868) a été composé par Siu Song, dont le surnom est Sing-po^ et
que le Si yu n'en kien lou (n° i83o-i83i) a été écrit en 1777 par
Tch'oen-yuen, alors âgé de 71 ans, ce qui a fait dire àWylie {Notes
on Cliinese Literature, p. 52) que l'auteur de ce livre s'appelait Ts'i-
che-i^='j\. Ces deux ouvrages sont d'ailleurs bien connus des sino-
logues; le premier est cité par M, Hirth dans ses Nachworte {ur
Inschrijt des Tonjukuk (Saint-Pétersbourg, 1899); le second a été
analysé par M. Guéluy {Description de la Chine occidentale, Lou-
vain, 1887) et par M. Ch. Denby [The Chinese conquest of Songaria,
dans Journal 0/ the Peking oriental Society, vol. III, p. 159-181). Il
importait donc de mentionner les noms de ces deux auteurs chinois.
A propos du Ta t'ang si yu ki {n° 1872-1874), M. Courant men-
tionne la préface du ministre Tchang Yiie. M. Watters [China Review,
vol. XVllI, p. 334-335, et moi-même [Revue critique, p. 263-264)
avons démontré que cette préface ne pouvait pas avoir été écrite par
Tchang Yue^ et qu'elle devait être attribuée à Yu Tche-ning.
L'impression est très soignée ; les quelques fautes insignifiantes
que j'ai relevées ne mériteraient pas d'être signalées dans tout autre
livre qu'un catalogue '. Nous ne pouvons que souhaiter, en terminant,
de voir prochainement s'achever cette utile publication.
Ed. Chavannes.
I. Page 35, col. i, ligne 28, tshe devrait être écrit, dans le système de transcrip-
tion particulier à M. C. avec un e pointé en dessous; — p. 68, col. 2, ligne 2,
ÉII
d'histoire et de littérature 345
Laut- und Formenlehre der Altgermanischen Dialekte herausgegeben
von Ferdinand Dieter. Zweiter Halbband : Formenlehre '. — Leipzig, Rcisland,
1900. In-8, viij-446 pp., cotées 345-795. Prix : 9 mk.
La destinée a voulu que cet excellent livre n'échappât point aux
menus inconvénients inséparables, semble-t-il, d'une collaboration
scientifique : déjà la phonétique du vieux-frison avait été ajournée à
la publication de la morphologie, et aujourd'hui l'ouvrage s'achève
sans morphologie ni phonétique de ce dialecte. Cela est fâcheux ; car
précisément il est déjà à beaucoup près le moins riche en ressources
d'étude, et aussi parce que l'introduction du frison était le seul trait
essentiel qui différenciât la collection de M. D. de l'entreprise simi-
laire de M. Streitberg. Mais on nous assure que la lacune sera
comblée avant peu : si c'est par un ouvrage séparé, ou par un fasci-
cule continuant la pagination de celui-ci, nous n'en sommes pas
informés.
Sauf ce détail, l'ouvrage forme un parfait ensemble, et l'unité, non
seulement de plan et de méthode, mais aussi de doctrine, qui y règne
d'un bout à l'autre, fait le plus grand honneur à l'esprit de direction
de M. Dieter.
La répartition de la morphologie comporte la conjugaison et la
déclinaison de chacun des anciens dialectes germaniques, respective-
ment précédées de leurs prototypes prégermaniques.
Ce n'est pas ici le lieu d'insister sur le caractère hypothétique et
aventureux de certaines solutions, qui sans doute demeureront long-
temps encore contestées entre les germanistes : ce que furent à l'ori-
gine les parfaits faibles ' ou les parfaits redoublés sans redoublement,
personne n'a la prétention de le savoir avec certitude, et la science
n'a rien à gagner à ce que le critique avoue ses préférences person-
nelles pour telle ou telle des opinions qui la divisent. Je me bornerai
les deux caractères chinois sont intervertis ; — p. 72, col. 2, ligne i, il faut substi-
tuer le caractère ts'ien au caractère kan ; — p. gi, col. i, ligne 3, lire hoan au
lieu de koan ; — p. 1 14, col. 2. ligne 5, lire Hia au lieu de Hiao.
1. Cf. Revue critique, XLV (1898), p. 3 18.
2. Pour ce temps, M. Bethge s'en tient à l'idée d'une agglutination avec le
verbe signifiant << faire » (p. 369, soitgot. saùrgdi-dèdum « nous mîmes en soin »,
etc.). Mais, indépendamment de cette bizarrerie que l'auxiliaire en question se
combinerait tantôt avec un thème nu tantôt avec une forme de déclinaison, qu'est-
ce donc que -dédum à son tour? Est-ce vraiment un parfait redoublé {p. 390)?
Si oui, comment se fait-il que le vocalisme pur de la racine (dlié) apparaisse
précisément dans la syllabe de réduplication, où aucune autre langue ne la
montre? Ou encore, qu'est-ce que l'y de l'ags. dyde, si ce n'est la métaphonie
d'une voyelle dont sans doute le timbre et l'origine demeurent mystérieux, mais
qui à coup sûr ne pouvait légitimement figurer dans une syllabe de réduplication?
Et, si par hasard -dédum, au lieu d'être un parfait redoublé, était, lui aussi, un
parfait faible, on voit dans quel cercle tourneraient ceux qui enseignent que les
parfaits faibles lui doivent l'existence. V. cependant Streitberg, Urgerm. Gramm.,
p. 329.
346 REVUE CRITIQUE
donc à une observation de pure pédagogie, d'autant mieux de saison
que Tauteur l'a prévenue : « der ausdruck schn'aches praeteritiim,
écrit-il p. 366 avec un point d'exclamation, ist nicht zu verwechseln
mit den sogenannten schwacheti stammformen im starken perfekt. »
Mais vraiment, si les linguistes allemands ont conscience de l'imper-
fection de leur nomenclature et des efforts qu'elle exige de l'attention
de leurs élèves, pourquoi donc n'en changent-ils pas ? Nous disons,
comme eux, c parfaits forts » et « faibles » ; mais, dans l'apophonie
du verbe fort, nous distinguons les degrés « normal, réduit, fléchi,
allongé », ce qui supprime toute cause d'amphilologie '.
En conjugaison gotique, il manque l'accent sur Vu de thlaûhans
(p. 392, 1. 12^, et il n'eût pas été superflu de faire observer que le
consonnantisme de hlathan « charger » (p. 394), bien que confirmé
par celui de l'allemand, est véhémentement suspect d'altération en
présence de l'ags. hladan ; car on ne voit pas d'où l'anglais aurait tiré
son d, tandis que la consonne gotique et teutonique peut fort bien
procéder d'une fausse alternance grammaticale.
M. Kahle déjà — et j'en ai exprimé le regret ' — s'était borné à
constater, sans un essai d'explication, l'identité de la 3« à la 2« per-
sonne du singulier en vieux-norrois. Voici maintenant que M. Bethge
(p. 429) la déclare inexplicable. Je me sens bien téméraire d'opposer
mon sentiment à la conviction des germanistes les plus autorisés ;
mais il me semble que la conjugaison réfléchie est assez ancienne
pour fournir une base solide à cette évolution insolite. De très bonne
heure on a dit, par voie phonétique, kallask « tu t'appelles >■> et kalla^k
« il s'appelle », et la quasi-identité de ces deux formes était de nature
à favoriser à l'actif l'emploi de kallar « tu appelles » au sens de ^ il
appelle ». Mais bien plus : à un moment donné, on a dit indifférem-
ment kallask et kallask dans les d'eux sens ; et dès lors l'identification
à l'actif devait en quelque sorte s'imposer. La seule question serait de
savoir pourquoi la 3^ personne a pris la forme de la 2% et non la 2«
celle de la 3« ; mais nous n'en sommes point encore parvenus, en fait
d'analogie, au point de résoudre le problème de l'àne de Buridan. Il
est très vrai que la confusion de kallask et kalla\k (p. 436) ne se
constate en littérature que vers le début du xni« siècle ; mais une
altération d'un caractère aussi aisé, due à une plus ou moins grande
rapidité de prononciation, s'est sûrement introduite dans le langage
parlé longtemps avant d'apparaître dans les documents écrits. Dans
le même ordre d'idées, l'usage anglo-saxon et vieux-saxon (p. 383,
457 et 475) de la 3« personne du pluriel en fonction de i'* et 2%
comportait aussi un peu plus de développement \
1. Sk. tisinhâsi et tisinhati (p. 38o et 38 1) sont de fâcheux barbarismes.
2. Revue critique, XLII (1896), p. 259, n. i.
3. Cf. V. Henry, A short comparative Grainmar 0/ Englisli a)id Germait (Lon-
don, 1894), n" 214, p. 346.
d'histoire et de littérature 347
Dans la conjugaison allemande (p. 482), on se demande ce qui a
empêché M. Hartmann de diviser expressément la i""* comme la
2® classe de verbes forts en deux sous-classes, suivant que la diph-
tongue originelle du sg. du parfait subsiste ou se monophtongue,
soit donc triban tj-eib et :{ihan ^éh. Et, dans la 2* classe, même sous
le couvert de l'astérisque, on ne saurait restituer 'hiiifan, qui n'a
point existé : il faut lire *hiofan.
La déclinaison indo-européenne est tracée de main de maître, avec
une sobre clarté '. Mais on sent malheureusement que, lorsque
l'auteur s'aventure sur le terrain du sanscrit, il ne fait que suivre un
guide qu'il ne comprend pas toujours : où a-t-il pris fp. 544) que
l'usage sanscrit soit de joindre à un sujet pluriel neutre un prédicat
singulier? M. J. Schmidt a de bons yeux; et c'est à peine si, en cher-
chant bien, — car il en avait Ironne envie, — il a pu dénicher dans
tout le Rig-Véda trois ou quatre applications de la règle -rà Çwa toé/c-. ;
encore ne sont-elles pas toutes claires \
Au chapitre des adjectifs je relève (p. 556) une bien élégante expli-
cation du passage des anciens thèmes en -ii~ à la flexion en -yo- : la
transition s'est faite par le féminin, soit *hardn'jôs « dures » (cf. gr.
-f.osi'a;) devenu hardjôs^ qui a-amené par analogie un ace. msc. pi. got.
hardjans au lieu de *harduns. A la page suivante, 1. 6, il faudrait
avertir le lecteur que le doublet vieux-norrois cité {blindii blindum)
est un datif singulier. P. 559, au sujet des comparatifs, la brillante
découverte de M. Thurneysen n'a point trouvé place, quoique sans
elle il soit à peu près impossible de comprendre pourquoi le comparatif
germanique ne connaît que la déclinaison faible : il faut poser got.
-i:^a = gr. •-•7wv devenu -'m-j, et tout se tient ainsi.
Les numéraux ags. Uuêgen^ as. tn'éna et ahd. \ivêne fp. 690, 725
et 759) gardent leur physionomie de sphinx : sans reproche pour les
auteurs ; mais il était bon de le constater. Je suis bien trompé, cepen-
dant, si les deux derniers tout au moins ne contiennent une contami-
nation quelconque du nombre i : il y a longtemps que l'on a constaté
l'influence réciproque des voisins de série ; mais par quelle voie
pareille influence se serait exercée ici, et pourquoi plutôt au masculin
1. Comme il ne faut, autant que possible, jamais rien enseigner qu'on ne
justifie, si l'on admet — ce qui est fort plausible — que la désinence du génitif
sg. des thèmes en -0- était -syo, et que c'est le germano-slave qui l'a changée en
-50, d'abord dans les thèmes pronominaux, puis dans les substantifs (p. 335), il
est facile, pour ne point laisser l'esprit de l'élève sur une interrogation insoluble,
de renvoyer tout au moins au Grundriss de .M. Brugmann, II, p. 77g.
2. Cf. Revue critique, XXVIII (1889), p. i i3. — Dans le passage R. V. x. 7G. 6,
la correctioTi sôtum pour sôtu, déjà indiquée par Roth et Grassniann, parait
s'imposer; et d'ailleurs, ici, le sujet est un pluriel masculin, .\insi, au grand
maximum, cinq exemples sur un nombre incalculable de phrases, c'est tout ce
qu'une familiarité de vingt années avec la littérature védique m'a permis de
découvrir. Et M. Delbrûck \Altind. Syntax, p. 83; n'en admet que trois !
348 REVUE CRITIQUE
qu'aux deux autres genres, je le laisse à trouver à plus tin que moi. Je
ne vois pas non plus ce qu'il y a de particulièrement « auffiillig »
(p. 729) dans le contraste du nominatif pi. helidôs et de l'accusatif pi.
hringa, alors qu'il ne se constate que dans le poème de Hildebrand,
la langue de ce morceau étant à bon droit tenue pour hybride : l'une
et l'autre forme est à la fois nominatif et accusatif; mais la première
appartient au bas-allemand, la seconde seule au haut-allemand. Le
type mî ou di pour mir ou dir (p. 742) est dans le même cas ; dans le
confessionnaire de ^^"ùrzburg il pourrait n'être qu'une simple graphie.
La petite addition de la p. 779 (1. 23) est assez étrange : à un para-
graphe qui enseigne le changement éventuel de a en o après labiale,
il faut ajouter « ahnlich /zm/ fur^;?/». Il n'y a guère parité, ce me
semble; et puis n'est-il pas beaucoup plus simple, et presque indis-
pensable en présence de l'oberdeutsch fuch^ehn « i5 » et du souabe
fuft « 5« », de restituer un type germanique 'funhw- qui répond à
l'état réduit du *pénqe primitif?
L'appendice de 25 pages qui termine le livre et porte essentiellement
sur la phonétique, le met d'ailleurs parfaitement au courant des
controverses les plus récentes. J'ose même croire qu'il n'y aurait pas
profit à les multiplier : la clarté de la grammaire germanique est si
satisfaisante dans l'ensemble, qu'il fait peine de la voir compromise
par des discussions de détail.
V. Henry.
Victor du Bled. La société française du XVrau XX' siècle — XVI« et XVII*
siècles, in-i2, 3i8 pp. Paris, Perrin, 1900.
Nous serons bien déçus en lisant ce livre. Son titre semblait pro-
mettre un tableau d'ensemble de la société française pendant deux
cents ans et nous n'y trouvons que quelques études sur le monde des
salons. Et ce qui est plus surprenant encore, c'est d'entendre l'auteur
déclarer, au commencement de sa préface, qu'une histoire de la société
française : « c'est proprement une histoire des mœurs polies, de la
grâce, de l'urbanité, des hommes et des femmes d'esprit, des salons et
de la conversation, de l'amour mondain et de l'amitié » et pas autre
chose. Mais ce monde si restreint, il le réduit encore à six ou sept
points particuliers ; les Amadis, V Académie de Charles IX, le ro-
man de l'Astrée, la cour de Henri IV, l'hôtel de Rambouillet, la so-
ciété intime du cardinal de Richelieu, la société et Port-Royal. Ce
livre est en somme un recueil de quelques dissertations sur la haute
société du XVII« siècle et rien de plus.
Ces dissertations sont assez substantielles, mais peu approfondies.
On connaît à peu près, pour les avoir rencontrées un peu partout, les
innombrables anecdotes dont l'auteur construit ses récits, mais il n'a
d'histoire et de littérature 349
pas assez le talent de mettre en relief celles qui sont vraiment caracté-
ristiques, de sorte qu'on n'emporte de cette lecture qu'un souvenir
vague où ne subsiste aucun aperçu frappant. On se plaira peut-être à
lire ce livre pour se remettre en mémoire maints petits faits qu'on a
oubliés, mais je doute fort qu'on y puisse apprendre quelque chose.
Raoul Rosières.
Saint-Simon, Mémoires; édition de M. A. de Boislisle, t. XIV. Paris, Hachette,
1899; 700 pages in-8° (Collection des Grands Écrivains de la France).
Que dire aux lecteurs de Saint-Simon qui connaissent déjà les
treize premiers volumes des Mémoires dans l'édition de M. de Bois-
lisle pour leur annoncer la publication du quatorzième volume? Que
dire d'autre part, à la même occasion, aux lecteurs de Saint-Simon
qui ne connaîtraient pas cette édition, s'il pouvait s'en trouver d'aussi
infortunés ? Bornons-nous donc à analyser ce tome quatorzième.
Le texte même de Saint-Simon renferme la fin de Tannée 1706 et le
commencement de l'année 1707 ; il s'ouvre avec le siège de Turin et
se termine peu après la bataille d'Almanza. Les parties les plus déve-
loppées de cette période se rapportent aux malheureuses opérations
de Turin, pour lesquelles l'auteur devait des renseignements de pre-
mier ordre à ses relations avec le duc d'Orléans; — au procès intenté
par le prince de Guémené au duc de Rohan sur le nom et les armes
de Rohan, dont l'exposé figure ici pour réparer un oubli de l'an-
née 1704; — à la fameuse affaire des faux généalogiques sur les origines
de la maison de Bouillon, autre oubli de l'année 1704; — à la Dime
royale de Vauban et aux livres de Boisguilbert; — au premier président
Harlay, dont le portrait, déjà esquissé à plusieurs reprises, est ici des-
siné dans son entier, à propos de la mise à la retraite de « ce
cynique », avec toutes les laideurs physiques et morales que Saint-
Simon attribue au modèle; — aux parvulo de Meudon ; — à la cam-
pagne d'Almanza.
Pour le commentaire perpétuel qui accompagne le texte, on con-
naît l'abondance, la précision, la sûreté avec lesquelles M. de B. sème
à chaque page les richesses de son érudition impeccable, qui doit
faire dans l'autre monde l'étonnement de Saint-Simon lui-même et
qui fait dans celui-ci la joie de tous ceux qui ont un peu fréquenté le
grand règne.
Les Additions de Saint-Simon au Journal de Dangeau sont au
nombre de 145 (694-739). A propos du duc de Créquy (708), Saint-
Simon y 'donne des anecdotes qui ne se retrouvent pas dans les
Mémoires; de même, à propos de l'abbé de Montgon (714).
Les Appendices de M. de B. occupent avec les Additions et Correc-
tions plus de I 5o pages de petit texte. Les dix-sept Appendices méri-
?5o REVUE CRITIQUE
teraient d'être analysés en détail; car chacun d'eux se compose,
comme on le sait par les volumes précédents, ou de documents iné-
dits ou d'un mémoire qui renouvelle telle question de Thistoire du
siècle de Louis XIV. Faute de pouvoir tout dire, je signale les
Appendices suivants.
II. Le duc d'Orléans et la campagne d'Italie. Série de vingt-ne.uf
lettres inédites, dont plusieurs de grande valeur pour le récit de ces
tristes événements, au bas desquelles on lit les noms du duc d'Orléans,
du duc du Maine, des deux duchesses d'Orléans, de la duchesse de
Bourgogne, du prince de Vaudémont, de Chamillart, etc.
VIII. Le cardinal de Bouillon, Baluze et le procès des faussaires.
Ce serait peut-être manquer de respect à la gravité de l'histoire et
donner à un lecteur distrait une singulière idée de la science admira-
blement informée de M. de B. et de son talent d'exposition fait de
sobriété et de limpidité, que de dire que ces vingt-cinq pages se lisent
comme le plus intéressant des romans. C'est, du moins le plaisir que
j'ai ressenti à suivre dans le détail les relations du duc de Bouillon et
surtout du cardinal de Bouillon avec des généalogistes et historio-
graphes plus ou moins complaisants, dont l'un, l'obscur Jean-Pierre
de Bar, poussa la complaisance jusqu'à découvrir tout à coup les
preuves diplomatiques des origines aussi illustres qu'anciennes de la
maison de la Tour. La merveilleuse trouvaille, qui avait abusé des
hommes comme Baluze, Ruinart, Mabillon, aboutit, comme on le
sait, à un interminable procès, où son ingénieux auteur fut convaincu
de faux, où Baluze lui-même faillit être impliqué, où le cardinal de
Bouillon vit ses chimères détruites. M. de B. annonce qu'il doit faire
paraître un volume sur tous les détails et les héros de cette affaire
scandaleuse ; ces pages substantielles forment comme le canevas du
prochain volume.
IX. Le comte de Gramont. Notice sur le célèbre courtisan et sur
ses beaux-frères les Hamilton, marquée, comme toujours, au coin de
cette science étonnante des hommes et des choses du xvii*= siècle.
XII. Boisguilbert et les Contrôleurs généraux. Longue biographie du
précurseur des économistes, historique de ses divers travaux, exposé
de ses rapports avec Pontchartrain, Chamillart, Vauban, Desmaretz,
le tout avec une abondance de renseignements inédits qui ne laisse
pas beaucoup à dire à ceux qui viendront ensuite. Il est à remarquer
que Saint-Simon a parlé du personnage avec beaucoup d'exactitude
et que l'hommage qu'il lui a rendu est pleinement mérité.
XIV. Les billets de monnaie. Ici encore, à propos des premiers
billets de banque qui ont été mis en circulation en France, M. de B.
a publié une notice, aussi neuve et instructive qu'abondamment
documentée.
XV. Le premier président Harlay, Réunion de tous les témoi-
-I
d'histoire et de littérature 35 I
gnages du temps sur le fameux magistrat, gràco auxquels on peut
contrôler les traits du portrait dessiné par Saint-Simon.
Dans ce trésor de science historique, j'ai signalé quelques joyaux
pour leur grosseur et leur nouveauté; mais quelle partie de ce riche
écrin n'a pas son prix? M. de Boislisle dit, non sans quelque ironie,
que le public n'avait pas paru s'émouvoir outre mesure de la réhabili-
tation de Boisguilbert entreprise il y a déjà plus de trente ans. Ceux
du moins qui étudient à un titre quelconque l'histoire du règne de
Louis XIV ne quitteront pas ce nouveau volume des Mémoires sans
exprimer une fois de plus au commentateur de Saint-Simon leur
reconnaissance et leur admiration; leur gratitude va aussi aux édi-
teurs qui élèvent à notre histoire nationale cet incomparable monu-
ment.
G. Lacour-Gayet.
La lettre P du Complément du Dictionnaire de l'ancienne langue fran-
çaise par F. GoDEFROY, 94, 93 et 96"= fascicules, librairie Emile Bouillon : Prix ;
i5 francs.
On chercherait vainement dans ces trois fascicules de la lettre P un
assez grand nombre de mots qui n'ont pas d'historique dans les Dic-
tionnaires, ou dont l'historique ne remonte pas assez haut, quoi qu'ils
soient en usage avant la tin du xvi« siècle, et quelques uns bien anté-
rieurement. Tels sont : pagode (iSSj), pâlot' (1468), panacher (iSSg),
papesse ( 1450), parage \ pariétal ( i 540), parodie (iSjS), patente (iSgo),
pàton, pédagogique, péniblement (ixv® siècle), perchoir (1401), percu-
ter (i6io),pétalisme, pétase, pharmacopole, pieuvre (xiii^ siècle), pina-
cothèque, pisse-vinaigre = personnage morose, d'humeur difficile, et
non pas avare, ladre, comme l'explique Littré. Pomperie (1602), action
de pomper ; dans Littré : fabrication des pompes ; pondérateur, au
sens de curateur ; porte-crosse, porte-lof (xiv^ siècle), porte-parole,
porte-verge, pourlécher (xv^ siècle), prcdécès, prééminent (i52o), pré-
nom (i556), prestimonie, prétérition, préture (xv^ siècle), primatial,
probatoire, proclivité, profusion (xiv^ siècle), progéniture (i5i2), pro-
pylée, protée (i56i), provignage, pyrrhonisme, provocant, purifiant
et protoplaste. A propos de ce dernier mot, je dirai, entre parenthèses,
que beaucoup de vocables translatés du grec ou tirés du grec par l'in-
termédiaire du latin ont échappé à Godefroy ou à ses continuateurs.
Il n'est pas sans intérêt de savoir qu'au xvi<: siècle, et peut-être avant
sont usités : anomalie, antichrèsc, apepsie, autopsie, ascète, anagly-
phe, apodictique, diagnostique, diastème, entcrocèle, ctiologie, hecti-
sie, dodécacorde. épenthèse, éphèbe, lipothymie, iotacisme sous la
forme iotaquisme, et bien d'autres termes que l'on croit être plus ou
moins modernes.
352 REVUE CRITIQUE
Je ne cesserai pas de répéter que dans un Dictionnaire tel que celui-
ci, n'auraient pas dû figurer des articles trop naïvement empruntés à
l'historique de Littré. J'en ai seulement noté une centaine, après quoi
Je me suis arrêté. Par conséquent sont absolument superflus, à mon
avis, et tout à fait inutiles, puisqu'ils n'ajoutent rien à ce que nous sa-
vons, des articles tels que « panade, pactiser, parasiterie, pédantisme,
peuplade, pharmacie, pica, picoture, etc., etc. » Je remarque sous le
mot patrie un ex. de Jacques Chartier donné par Lacurne, re-
produit par Littré, mais qu'on perdrait son temps à chercher dans le
vieux chroniqueur, car il est de l'invention de son éditeur Denys Gode-
froy, comme je le démontrerai ailleurs. Chartier n'est donc pas l'in-
venteur du mot patrie^ quoiqu'on ne cesse pas de le lui attribuer. Sous
l'article parchasser, emprunté encore à La Curne est un exemple de
ce verbe, attribué d'après lui à G. Phébus : or l'édition de Lavallée
donne rechasser. Il peut se faire que parchasser soit dans quelque
manuscrit, mais il faut se défier de La Curne : sur cent passages, par
exemple, qu'il cite soit du Roman de la Rose, de Brut, ou d'Eust.
Deschamps, il y en a au moins la moitié d'estropiés, et je n'exagère
pas, mais revenons au Complément. Sous le verbe paistre est cité ce
proverbe : « La force paist le pré )>, ce qui voudrait dire « qu'avec de
la persévérance et de la ténacité on vient à bout des choses les plus
difficiles. » Dans son Glossaire roman, Cachet d'accord avec P. Paris,
l'explique autrement : « Nécessité fait loi. « C'est là, il me semble, le
véritable sens qu'on doit attacher à ce proverbe, car nos trouvères
manquent rarement de le citer quand quelque brave chevalier est ac-
cablé sous le nombre de ses ennemis. Godefroy de Paris, dans sa
Chronique métrique le donne sous cette forme : « Là perdi la force le
pré. »
G. a dit que le Dictionnaire de Littré « présentait quelques lacunes
ou quelques imperfections ; que, faute de lecture suffisante, surtout
des manuscrits, trop souvent l'historique manquait tout à fait ou ne
remontait pas assez haut. » Il faut bien reconnaître que son Complé-
ment est très loin de combler ces lacunes historiques, et il n'est pas
besoin de déchiffrer les vieux manuscrits pour le prouver. Ainsi, on
trouve dès le xii« siècle : paneterie, patronage, pelleterie, porphyre,
portrait, prudent, et au xiii« : parpaing, pauvret, penitential, peteur,
piéton, piqueur, pléiade, podagre, sf., potelé, prérogative, primauté,
promulgation. J'ai rencontré au xiv« siècle les mots suivants dont il
n'est donné dans le Complément que des exemples du xv* et surtout du
xvi« siècle : palpiter, paralogisme, paranymphe, parasite, parcimonie,
paternellement, patronner, pénalité, pénitentiel, pensionner, pérégri-
nateur, pérégriner, perruque, pertinacité, philologie, philtre, picoter,
pieusement, pileur, piller, pilote : « Pour les gaiges d'un pilot jus-
qu'au dernier jour de juillet, ix 1. (iB^g). » La liste est longue, mais
comme elle pourra intéresser les lexicographes, je la continue : pivert,
d'histoire et de littérature 353
pluralité, poétiquement, police ", polluer, positivement, pouliot ",
poupe, précurseur, prégnante, préfiguration, prévenir, primogéniture,
puberté, puéril, puérilement. Au xv^ siècle, ne sont pas rares : pansu,
paquet, parangon, parcourir, passe-fleur, penchant, adj., piqûre, pis-
senlit, plaisanter, populeux, potiron, précellence. Enfin il y a des
exemples antérieurs d'un demi siècle à ceux qui sont cités sous les ar-
ticles phrase, parabole % paraboliquement, papa, piauler, piloter ",
plastronner, plumeté, proclamation, prodrome, etc.
Bon nombre d'articles resteraient à compléter, dont j'indiquerai
seulement quelques-uns. Paradoxe, sf : J'ouse bien avancer une para-
doxe fort estrange. — Paletot, paltoc, on trouve le mot au féminin :
sa palletoque deschirée. — Palliatif = couvert, dissimulé : Ils ne le
dient pas a bouche ouverte, mais sous paroles palliatives, fardées. —
Panégyrique, adj. : Un flatteur panagyrique. Parlant = affable : A
chescun parlant soies. — Patience = souff'rance : Et est ceste maladie
une mortelle patience.— Pantoufle : c'est un maistre pantoufle; il cuy-
de respondre aux pensées. — Papilloter : Le cœur luy papillote. —
Le cœur papillotant on leur sent tressaillir. — Papa = langage enfan-
tin : parlant le papa des petits enfans. — Pardonneur = vendeur de
pardons : Ses pardonneurs d'Amiens qui cueillent d'église en église.
Dans Rabelais : gagneur de pardons. — Paresse : Un champ en paresse
laissé Du laboureur. — Paresseux : La nuit avait la terre voilée D'un
manteau noir ombreux et paresseux. — Passer = marcher au pas. Il
n'amble ne passe ne trote. — Patrouillis : on a employé patouillis
avec le même sens. — Paturon ? Pour faire de forgeure en ladite geolle
12 paires de fer tous neufs, et faire les paturons d'autres 12 fers, an-
née 1345. — Pécore, masc. : un pécore et ignorant des bonnes lettres.
— Pédagogue, adj. : Ces esprits surveillants et pédagogues des causes
divines et humaines. — Pelisse : Secouer la pelice à quelqu'un = le
battre. — Perspectif = qui connaît la perspective : Bon paintre et
perspectif. — Perle, souvent masculin : Saphir et gros pelles. — Pelles
assis par grant maistrie. — Petit : S'elle faisoit la petite, ou qu'elle me
jectast doux yeux, — Pique-bœuf = gaule à piquer les bœufs : Les
bouviers se servent des branches de cormier pour faire leurs pique —
bœufs. — Plaquer : Et haiant ce dit, la placqua là, comme nous disons
« planter là quelqu'un ». — Plongeon : par métaphore, plongeur,
« plongeons qui sont hommesqui se tiennentlongucmcntsoubz l'eau ».
— Poche : 2 hanaps vermeulx dont l'un est à poche d'argent. — Poète,
s. f. et adj. : La belle, la gorgiase, la poète. — O toi qui peux du plus
doux cygne animer les poètes sens. — Pointe : Que le jour de nostre
enterraige ayt cent torches et le demourant en cierges et poinctes. —
Ainsi la dame bêle et cointe s'en va bâtant la haulte poinctc. — Pois
sucré : quelques mignards pinpernaulx et pois sucrez. — Poreau : Si
vous estiez hors de céans je vous gallcrai vostre poyrcau. — Polis-
seur, polisseresse : Jacqueline d'Orléans polisseresse. — Potage : Se je
354 REVUE CRITIQUE
puys je luy dresserai du potage = je lui jouerai un mauvais tour. ^-
Préférence = supériorité : Les Atiieniens firent couper les pouces
aux ^îlginetes pour leur oster la préférence en Tart de marine . — Pré-
sentation = prestance : Bel prince estoit et de belle présentation. —
Prêtrise = les prêtres, le clergé, dans Ronsard, T. VI, 260 et T. VII,
4?. 49. — Prioré, s. f. : Devant la porte Saint Ameil, une prioré. —
Prophétesse, adj. : La voix prophetesse. — Proviseur, proviseresse :
Mère de Salut, nourrice et proviseresse de vie. — Pulluler, v. act. :
Les richesses forgent les peculats, pullulent les sacrilèges. Tous ces
exemples sont plus ou moins antérieurs à la fin du xvi= siècle.
A. Delboulle.
R. Saitschick. Génie und Charakter. Shakespeare. Lessing, Schopenhauer.
R. 'Wagner. Berlin, Hofmann, 1900. p. i3y, In-18.
Je ne sais pas si un plan déterminé a guidé M. Saitschick dans le
groupement de ces quatre courtes études sur Shakespeare, Lessing,
Schopenhauer et R. Wagner ; elles restent en tout cas complètement
indépendantes, et sans contester la possibilité d'un rapprochement
entre le poète, le critique, le philosophe, et l'artiste, il est peut-être
inutile de chercher un lien à des articles de revue réunis en brochure.
Quoi qu'il en soit, l'auteur nous devait bien quelques mots d'expli-
cation au début. M. Saitschick, délaissant l'appareil biographique et
le commentaire littéraire, analyse l'individualité de ses personnages,
pour montrer les points d'attache entre le caractère et le génie de
chacun d'eux. S'il n'est pas arrivé à des conclusions nouvelles, ses
quatre chapitres valent du moins par des remarques de détail; mais il
leur manque à tous un plan net et une vigueur de déduction qui en ce
genre d'études assure les résultats précis. Trop souvent M. S. se laisse
entraîner à des parallèles, à des images, et il oublie que comparaison
n'est pas raison. Trop souvent aussi l'analyse fait place à une critique
laudative toute superflue. Shakespeare, sur le caractère duquel nous
savons si peu, il le conçoit surtout comme un impulsif, un génie dont
la puissance est analogue aux forces élémentaires, aussi impitoyables
qu'inconscientes. Lessing est la critique courageuse, sans ménage-
ments, désintéressée, indépendante, si profonde et si téconde qu'elle
devient créatrice. Tout cela a été dit bien des fois, d'une manière plus
probante et plus complète que dans ces pages insuffisantes et mêlées
de digressions. L'article suivant sur Schopenhauer est plus développé
et mieux venu. Le génie du plus âpre des pessimistes, du « penseur
passionné », pour lequel l'auteur manifeste une sympathie marquée ej
dont il a heureusement analysé le tour d'esprit et de langage, tient à
son sens dans deux éléments essentiels : une vue aigiie des hommes et
du monde et une sensibilité ardente. Comme dans Schopenhauer
1
d'histoire et de littérature 355
M. S. voit dans Wagner un passionné, Tartiste qui a eu pour Tart les
plus hautes exigences, qui veut en faire non plus un accessoire de
notre vie sociale, mais la manifestation la plus pleine de la civilisation
moderne. De ces quatre études les deux dernières sont les plus satis-
faisantes, parce qu'elles serrent le sujet de plus près ; des deux autres,
Tune, la première, est restée trop dans le vague, la seconde est surtout
incomplète. Dans l'ensemble, le grand public fera son profit de
quelques observations justes, de certains rapprochements ingénieux
et d'une synthèse que les biographies particulières négligent trop
souvent. Ce petit livre Taidera à pénétrer dans l'intelligence de quatre
génies, choisis, Lessing peut-être excepté, parmi les plus populaires.
L. ROLSTAN.
Gaston Deschamps. La vie et les livres. Cinquième série. Paris, Colin, 1900.
In-8, 353 pp.
« Je suis pour la sincérité contre le savoir-faire, pour l'art contre la
fabrication, pour le bon ouvrage contre la camelote, pour les lettres
bienfaisantes et consolatrices contre les calembredaines d'alcôve et de
cabinet particulier. Je sais qu'en parlant ainsi je m'expose à des
haines féroces. J'en ai prévu toutes les malices, je n'en redoute pas
les effets et j'en revendique l'honneur. »
Tout doux! Ne dirait-on pas, à lire cette profession de foi presque
stoïcienne, que M. Deschamps, l'aimable Samediste du plus prudent
des journaux, brandit souvent la massue d'Alcide et reçoit, pour la
bonne cause des bonnes lettres, autant de coups qu'il en donne ? Mais
ceux qui le suivent depuis ses débuts, avec une sympathie parfois
mêlée d'agacement — cela tient au style particulier de M. Deschamps,
qui ne veut pas dire « je pense », mais « je pense, j'opine et je
déclare » — savent qu'il n'est entré en lice que deux fois, la première
contre un mécréant assez huppé, dont il s'est abstenu depuis d'écrire
le nom, la seconde contre « M. Prudhomme docteur ès-lettres »,
comme disait Sainte-Beuve de B. Juliien, scribe inoffensif qui n'a même
pas bêlé sous le couperet. Le reste du temps, sa critique indulgente a
suivi le public plutôt qu'elle ne l'a devancé et s'est abstenue de « casser
des bustes », fût-ce dans le vestibule du palais de l'Institut. Je n'en
fais pas un reproche au loyal auteur de tant de pages ingénieuses,
mais je ne puis m'eriipêcher de le rappeler à un sentiment plus exact
des chose"S, lorsqu'il se campe en paladin de la critique intransigeante.
Si toutefois M. D. y tient, comme il paraît, je prends acte de son affir-
mation (p. 285) qu'il a imprimé pour la première fois, dans un jour-
nal de Paris, « le nom, jusqu'alors inconnu, de M. Anatole le Braz. »
Souvent, trop souvent peut-être, M. D. dénonce la « rosserie », la
356 REVUE CRITIQUE
« veulerie », la « mufflerie », et d'autres vilains défauts fin de siècle.
Mais qui donc sont les veules, les muffies, les rosses, etc. ? Je cher-
che l«s noms et prénoms de ces vilains bonshommes et ne trouve
que de nébuleuses abstractions. En revanche, M. D. sait à mer-
veille nous intéresser à des personnages en chair et en os qui ne sont
ni veules, ni rosses — comme M. Bazin, dont il a fort bien parlé — ou
qui ne le sont qu'à leurs heures, comme... Mais je voudrais d'abord
qu'on me définît un peu ces mots qui, pareils en cela à tous les
vocables argotiques, sont déplorablement vagues. En attendant, je
dois féliciter M. D. d'avoir mis beaucoup de discrétion dans l'éloge en
parlant de M. le duc d'Aumale — si bassement adulé, vivant ou
mort, par tant de larbins de lettres — et d'avoir pardonné au pauvre
Octave t'euillet, qui n'est pas responsable d'une publication indis-
crète, le ridicule de son admiration d'écolier pour les paillons et le
clinquant de Compiègne. Il y a fort à louer encore dans les « Trois
étapes de M. Anatole France », dans deux notices sur les romans de
M. de Vogué et surtout dans Province et Provinciaux . J'aime moins
les articles sur Gautier et sur Mérimée, où il est trop question du
« milieu » et trop peu des œuvres. A la p. 37, M. Deschamps, d'or-
dinaire très exact, confond avec l'académicien Louis de Viel-Castel,
honnête homme ennuyeux, l'ignoble singe de Brantôme qui répon-
dait au prénom d'Horace, auteur de Mémoires qu'on imprime en
Suisse, qu'on lit un peu partout, mais qu'on ne se vante guère d'avoir
lus.
S. R.
Th. Bentzon, Femmes d'Amérique. Paris. Colin. 1900. i vol. in-i8 jésus 333 p.
3 fr. 5o
Sous ce titre l'auteur a réuni un certain nombre de biographies
dont les premières nous reportent aux premiers temps de la colonisa-
tion de l'Amérique du Nord, à l'époque de l'établissement des pèle-
rins de la Mayflower tandis que les dernières nous mettent en face
d'événements aussi récents que la guerre des Etats-Unis et de l'Espagne
et de la campagne américaine de Cuba.
L'auteur a donc voulu embrasser toute l'histoire de l'Amérique du
Nord dans la série des biographies qu'elle nous présente. C'est en
quelque sorte l'histoire de l'influence de la femme sur le développe-
ment des États-Unis au point de vue politique, social, religieux et
littéraire.
Or il n'est pas de pavs où l'influence de la femme sur les choses
publiques soit aussi facile à discerner que dans l'Amérique du Nord.
Des femmes comme Mrs. Hutchinson au xvn^ siècle, comme
Mrs. Adam au moment de la guerre d'indépendance et de la consti-
d'histoire et de littérature 357
tution des Etats-Unis, comme Mrs. Beecher Stowe aux jours plus
récents de la campagne de l'abolition de Tesclavage, ont joué un rôle
prépondérant et qu'il est intéressant de faire ressortir. Il faut donc
dans le livre de Th. Bentzon né pas considérer ces biographies
en apparence indépendantes les unes des autres comme détachées et
sans lien; ce ne serait ni pas comprendre l'inteniion de l'auteur, ni
saisir la portée de ces études.
Il y a un lien qui unit entre elles ces vies de femmes si dissemblables
les unes des autres, comme il y a une pensée générale qui se dégage
du livre tout entier.
On ne saurait douter que l'auteur ait voulu montrer comme par une
longue leçon de choses, l'influence féconde que la femme, tout
en restant fidèle à ce qui est la destinée même de son sexe, peut avoir
sur les affaires publiques.
L'auteur a prétendu donner une leçon — du moins cela me semble
ressortir de son livre — et à ceux qui prétendent borner l'intelligence
de la femme aux seuls soucis de la vie ménagère et restreindre son
rôle aux seules occupations domestiques, et aussi aux outranciers qui,
dans leur zèle d'émancipation, enlèveraient volontiers aux femmes
tout le charme et l'attrait qui leur sont naturels pour les lancer dans
une mêlée où elle n'ont que faire et à laquelle elles ne sont préparées
ni par ;leur constitution, ni par les habitudes et les mœurs tradition-
nelles dont il faut bien reconnaître qu'elles ont fatalement hérité.
C'est à cette conclusion de bon sens que l'on en arrive forcément
en fermant le livre de M. Th. Bentzon et il faut féliciter l'auteur
d'avoir su, discrètement et sans dogmatisme, mettre en lumière cette
profitable leçon qui se dégage sans effort de ces études à la fois
solides et agréablement écrites d'un style clair, précis, et plein de
charme sans prétention.
J . Lecoq.
Sachs-Villatte. Dictionnaire encyclopédique français-allemand et alle-
mand-français. Édition abrégée. 836 et 802 pages, gr. in-S». Langenscheidt.
Berlin, 1900.
La première édition de cet excellent dictionnaire a paru il y a plus
de trente ans. Cent vingt mille exemplaires vendus prouvent l'accueil
qui lui a été fait. Cette nouvelle édition se distingue par le soin parti-
culier qui a été apporté à la prononciation, notamment en ce qui con-
cerne la division des syllabes et la liaison des mots en français. Un
système d'abréviation fort bien entendu permet de resserrer une
énorme quantité de renseignements dans un espace relativement
étroit. Parmi les sigles qui servent, à spécifier les sens, nous remar-
quons comme innovation la présence d'une bicyclette : et, en effet.
358 kEVUE CRITIQUE
le dictionnaire contient des articles vélo, pneu, bécane, etc. Au mot
?'ay on Von trouve les raj^ons Rœntgen. Automobile est traduit par
Selbstfahrer, d'après ce système qui, en matière de termes scienti-
fiques, pousse les Allemands à se mettre en dehors du concert euro-
péen. Le langage familier, et même trivial, a sa place dans ce Diction-
naire ^mais non pas les termes indécents, qui ont été réunis dans un
volume à part). Au mot lapin on a la traduction : blinder Passagier
{neben dem kutschet- sit:{end) . Parmi les sens de type nous trouvons
Kerl. Braise, accompagné d'un P, qui signifie « populaire », est
rendu par Geld, et galette par Trinkgeld. On voit que rien n'est né-
gligé pour satisfaire toutes les sortes de public. Nous avons été éton-
né, au motpiston, de ne pas trouver Empfehlung.
La phonétique est traitée avec un soin presque excessif; on ne
compte pas moins de sept espèces d'à: aussi les signes diacritiques
sont-ils nombreux. Nous regrettons que les éditeurs n'aient pu répéter
au bas des pages l'explication de ces signes, comme cela est pratiqué
dans le dictionnaire anglais d'Annandales.
Nous en avons dit assez pour rappeler les mérites de cet ouvrage,
qui aura dans l'avenir le même succès que par le passé.
B.
Commandant O. Barré. La géographie militaire et les nouvelles méthodes
géographiques. La France du Nord-Est. Paris, Berger-Levrault 1899, 122 p.
avec 33 ligures et 5 planches en couleurs.
La géographie militaire avait besoin d'être rénovée et réhabilitée ;
non-seulement le commandant Barré s'est assimilé la méthode et les
notions aujourd'hui classiques chez ceux qui professent la géographie,
mais il apporte lui-même des conceptions originales au risque de dé-
truire certaines idées admises comme des articles de foi. C'est ainsi
qu'il proclame fausse l'image du bassin parisien, telle qu'Elie de
Beaumont l'avait esquissée avec ses crêtes concentriques et dont
la signification militaire était si vantée. M. B.veut d'abord qu'on raye
le terme de crête et qu'on le remplace par celui plus propre de corni-
che ; il conteste l'existence de quelques-uns de ces traits du relief,
comme par exemple « cette fameuse crête du grès vert que les géogra-
phes militaires inventent de toutes pièces. » Il révoque en doute la
concentricité, au moins pour la masse tertiaire qui selon lui a été af-
fectée d'un mouvement de bascule vers le sud ; et quant à la falaise,
rebord de cette masse, il montre qu'elle n'a rien d'homogène. Ce n'est
point le lieu ici de critiquer ces vues, l'auteur a du moins le mérite
d'éveiller des curiosités et de solliciter des contradictions et surtout
« de changer la tournure d'esprit de ses lecteurs », entendons de ceux
qui portent l'uniforme.
d'histoire et de littérare 359
Les considérations militaires ne sont pas moins hardies ; elles ébran-
lent tout le système de défense derrière lequel la France se croyait en
sûreté; elles conseillent des mesures stratégiques nouvelles; elles sont,
nous n'en voulons pas dire plus, singulièrement décourageantes.
B. A.
La livraison 9 du tome IV du Recueil d'archéologie orientale de M. Cicrmont-
Ganneau vient de paraître à la librairie Leroux. Sommaire : 19 Les inscriptions du
tombeau de Diogène à El-Hds. — 20 Les inscriptions «»» 2ig~ et 24g i à Wad-
dington. — 21 Le martyre de saint Léonce de Tripoli. — 22 Héron d'Alexandrie
et Poseidonios le Stoïcien. — 2 3 Inscription de la nécropole juive de Joppé (à sui-
vre).
— La Société de Linguistique de Paris rappelle qu'elle décernera en igor un
prix de mille francs (1,000 fr.) au meilleur ouvrage imprime' ayant pour objet la
grammaire, le dictionnaire, les origines, l'histoire des langues romanes en général
et préférablement, du roumain en particulier. L'auteur pourra appartenir à n'im-
porte quelle nationalité; îl pourra être ou non membre de la Société Linguisti-
que. Seront seuls admis à concourir les ouvrages écrits en /ra>içai5, roumain, ou
latin, publiés postérieurement au 3i décembre 1894. Les auteurs, en avisant par
lettre le Président de la Société de leur intention de prendre part au concours, de-
vront lui faire parvenir à la Sorbonne avant le 3i décembre 1900, deux exemplai-
res au moins de leur ouvrage.
- A l'occasion du 80" anniversaire de M. le professeur J.-L. Ussing, ses élèves
et amis ont, en .'collaboration, publié un magnifique volume comprenant dix-huit
articles pour la plupart sur l'art et les littératures classiques : sur Euripide, Hé-
rodote, Homère, sur le temple de Pœstum, les vieilles monnaies de Syracuse, etc.
[Festkrift til I.-L. Ussing. Kœbenhavn, Gyldendalske Boghandels Forlag, 1900.
In-8* de 270 p. avec 8 planches hors texte.) Nous ne saurions les citer tous. Nous
ne mentionnerons ici que,comme étant d'une saisissante actualité, une courte étude
de M. Karl Hude sur « La force et le droit dans l'antiquité. » Les Athéniens, ayant,
en 416, inopinément et sans motif plausible, attaqué les habitants de l'île de Mé-
los, ceux-ci, comptant sur leur bon droit, résistèrent et appelèrent à leur secours
leurs puissants congénères de Sparte. Mais les Spartiates, qui dans la vie journa-
lière parlaient volontiers des lois morales, ne connaissaient, dans la pratique, que
leur avantage. Les Méliens, abandonnés, furent vaincus — et leurs adversaires
crurent leur faire grand honneur en se les asservissant. Parmi les sujets divers,
nous signalerons aussi, pour nous avoir beaucoup intéressé — ce qui n'enlève ab-
solument rien de leur valeur aux articles que nous passons sous silence — celui
de M. Holzer Pedersen sur la coutume qu'avaient les Celtes de se défier, à la table
des banquets, à qui surpasserait l'autre par ses vantardises. Une scène identique
se trouve dans la « Heimskringla. » M. P. veut qu'elle ait été apportée d'Irlande
par les Vikings. Ce serait possible. Cependant, lui-même estime, d'après la nature
d'un assez grand nombre de mots communs aux Celtes et aux Germains, qu'il fut
un temps où ces deux peuples parlaient deux dialectes de la même langue.
C'étaient donc deux peuples frères. Pourquoi n'auraient-ils pu, en ce cas, conser-
ver, chacun de son côté, une habitude contractée au même berceau? 11 nous sem-
ble qu'il leur en est resté un autre souvenir, et bien vivant, en ces chansons encore
si populaires de nos jours, où deux personnes cherchent réciproquement a se con-
36o REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
fondre par les menteries les plus hardies. Faisons enfin avec M. Thor Lange un
rapide pèlerinage au pays des Vendes, ces derniers représentants d'un peuple jadis
redouté, et qui, maintenant, enserrés par l'aigle germanique, sont impuissants à
cacher plus longtemps au fond de leurs forêts sillonnées de cours d'eaux leurs
vieilles coutumes et leurs antiques traditions— impuissants même à conserver la
langue des ancêtres. Tout cela passe, tout cela disparaît. Et, à ce spectacle, un cri
s'échappe du cœur de l'auteur : » N'en adviendra-t-il pas un jour autant peut-être
aux Danois du Jutland méridional ? » On peut juger par [ce court aperçu de la
variété d'un recueil qui fait autant d'honneur au maître qui a su l'inspirer qu'aux
disciples qui l'ont composé. — Léon Pineau.
ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 3i août i goo .
M. Collignon présente une couronne funéraire en or, offerte au Musée du Louvre
par M. Paul Gaudin. Cette couronne provient d'Erythrée en Asie Mineure. Elle se
compose d'un cercle de cuivre recouvert d'or, auquel sont fixées des feuilles d'oli-
vier découpées dans une mince lame d'or. Par sa simplicité élégante, elle rap-
pelle plutôt les couronnes de banquet figurées sur les vases peints que les cou-
ronnes funéraires de la Grande Grèce et de la Crimée.
M. Homolle communique une inscription d'Angora, dont il doit la copie à
M. Pons, consul de France en cette ville. Ce monument qui a été recouvert presque
immédiatement après avoir été trouvé, a donc été sauvé par le zèle de M. Pons.
L'inscription, qui compte plus de trente lignes, date des premières années du
II* siècle p. C. ; elle était gravée sur la base d'une statue élevée à Claudius Seve-
rus, descendant du roi Dejotaros, des deux tétrarques de Galatie appelés Amyn-
tas, et du roi d'Asie Attale, apparenté à de nombreuses familles consulaires et
sénatoriales. Il s'était distingue par ses générosités envers la ville d'Ancyre, y avait
exercé les plus hautes fonctions civiles et religieuses, et avait secondé de tout son
pouvoir les troupes en marche contre les Parthes dans l'expédition de Trajan en
I i5-i i6.
M. Babelon présente les photographies d'un beau vase en argent antique appar-
tenant à M. Walters, de Baltimore. Ce vase a été trouvé en 1897 à Crémasté, près
de Cyzique, en Asie mineure, en même temps qu'une statuette en calcédoine qui
fait partie de la collection de M. le baron de Rothschild. Sur le pourtour, on voit
en relief Médée emportant, sur un char traîné par deux dragons, les cadavres de
ses deux enfants qu'elle vient de tuer. C'est la représentation d'un épisode de la
Médée d'Euripide.
M. S. Reinach cherche à expliquer une formule encore incomprise qui reparaît
dans deux inscriptions gravées sur des lamelles d'or, découvertes dans l'Italie
méridionale. Ces inscriptions en vers sont des rédactions différentes d'un hymne
orphique que l'on plaçait, comme un mémento, dans la tombe des initiés, afin
qu'ils pussent s'en servir pour obtenir accès au séjour des bienheureux. La formule
à éclaircir est ainsi conçue : " Chevreau, je suis tombé dans le lait. » Suivant
M. Reinach, cela signifie simplement que l'initié aux mystères de Bacchus, qua-
lifié lui-même de chevreau dans l'Italie méridionale, est devenu à son tour un
chevreau et qu'il a trouvé la nourriture appropriée à son existence nouvelle. L'idée
d'un baptême orphique par le lait doit être rejetée tant qu'elle ne sera pas auto-
risée par d'autres textes ; il ne peut s'agir non plus d'une émigration de l'ame dans
la voie lactée.
Léon Dorez.
Propriétaire-Gérant: Erinest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnet, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 46 — 12 novembre — 1900
Pétrie, Les tombes royales de la première dynastie. — Al-Mostatraf, trad. Rat.
— HoTZiNGER, L'Exode. — Marti, Le livre d'Isaïe. — Nikel, La restauration
juive. — ZiMMERMANN, Elohim. — Eznik, contre les sectes, trad. Sch.mid. — La-
vissE, Histoire de France, I. — Feret, La faculté de théologie de Paris, I. —
Petscii, Les dénouements du conte populaire. — Marchesi, Les romans de Chiari.
— Shakspeare, Jules César, trad. Beljame. — Morel-Fatio, Une pièce de Tirso
de Mojina. — Rochel, Les chefs-d'œuvre du théâtre espagnol, I. — Ceci, Les
collùiies de jeunes filles à Naples. — Gardini-Rumbauer, Voyage aux Etats-Unis.
— Académie des inscriptions.
W. M. Flinders Pétrie, the Royal Tombs of the First Dynasty, igoo. Part i,
with Chapter by F. LL.Griffith, M. A., F. S. A., Eighteenth Memoir of the Egypt
Exploration Fund, Londres 1900. In-S", 5i p. et LXVII planches en lithogra-
phie et en photolithographie.
Dans les dernières semaines de son séjour en Egypte, M. Loret et
le Comité d'Archéologie qui règle, d'accord avec le directeur, les ques-
tions relatives aux fouilles, accordèrent à M. Pétrie l'autorisation d'ex-
plorer à son tour le site d'Abydos, où M. Amclineau avait trouvé les
tombes des rois Thinites, ainsi que la chapelle d'Osiris. Le volume que
M. Pétrie publie ne contient pas l'ensemble des matériaux qu'il a su
recueillir aux endroits qui furent déjà remués par son prédécesseur. On
n'y trouvera que les plus importants des objets qui se rattachent aux
plus vieilles époques de l'histoire, encore ne les y donne-t-il que sous
réserve, avec l'espoir de découvrir, cette année-ci ou les années qui
suivront, les pièces nécessaires à compléter nombre des fragments de
l'hiver passé. L'importance des monuments et des faits qu'il en a
déduits justifie la précipitation qu'il apporte à nous les livrer, au risque
de commettre plus d'une erreur. Tous les Égyptologues lui sauront un
gré infini de ne pas les avoir gardés pour lui seul, mais de les leur
avoir communiqués presque au moment qu'ils sortaient du sol.
Les recherches antérieures nous avaient fait connaître plusieurs
noms royaux identiques à ceux qu'on lit sur les listes officielles des
Pharaons*, et un nombre beaucoup plus considérable de noms de
double, qu'on n'avait encore aucun moyen d'appareiller aux premiers :
il était à souhaiter qu'un hasard heureux nous rendît des inscriptions
où les noms réels fussent accouplés de telle manière aux noms de
doubles, qu'on ne pût plus douter de l'identité des princes que ces
Nouvelle série L. 4^"
302 REVUE CRITIQUE
derniers représentaient. M. Pétrie a eu la bonne fortune de mettre la
main sur quelques textes de ce genre. Ainsi les empreintes de sceaux
reproduites à la planche XXVI, n" 5/, associent le nom de double d^-
aboii^ avec le nom propre Mari-ba-pou, qui est celui du sixième Pha-
raon de la i^« dynastie, le Miébis des listes grecques. L'empreinte
figurée à la planche XXVI II, au n° 72, montre que Mirsekha est le nom
de double du Semempsès des mêmes listes. A ces preuves directes,
M. Pétrie ajoute les indications moins nettes que les surcharges des
légendes royales lui fournissent : un vase au nom du roi Den a été
réemployé pour yl ^-^4 èoM, ex Mirsekha a gratté plus d'un vased'yi;^-
Abou pour y graver son propre nom. Grâce à ces constatations, on
obtient la succession : 1° Narmet\ 2° Zet^ 1° Den-Ousaphais, 4° A^abou-
Maribapou^ 5° Mirsekha-Sémempsés, où tous les membres ne se
suivent pas nécessairement sans intervalle. Examinant ensuite la place
que les tombes occupent par rapport l'une à l'autre, M. Pétrie en tire
des conclusions qui le portent à classer les rois dont elles renferment
les noms, selon l'ordre dans lequel elles se succèdent sur place, dans
les deux groupes explorés jusqu'à ce jour, II obtient de la sorte la
série que voici des premiers Thinites : •
^D'après les tombes :
Aha,
Zer,
Zet,
Merxeit,
Den-Setoui
Azabou-Maribapou,
Mirsekha-Samsou,
Katot-Sen
D'après la table d'Abydos
Mani
Téti,
Ateti,
Ati,
Housapaîti
Maribapou,
Samsou,
QOBHOU,
D'après Manéthon :
Mènes
Athôthis
Kenkénés,
OuÉNÉPHÉS
Ousaphais
Miébis,
Semempsès
BlÉNÉKHÈS,
Reste à placer quatre princes, dont nous ne possédons encore que les
noms de double, le roi Ndrmer, le roi Zéser, le roi Don et le roi
Ket (?). M . Pétrie pense que Zéser et Dou peuvent être antérieurs à
Menés, mais il ne se prononce pas au sujet de Nàrmer et de Ket (?).
Il avoue d'ailleurs que, si la première dynastie lui paraît avoir été
reconstituée en entier par les découvertes de l'hiver passé, il subsiste
encore dans ce classement bien des questions douteuses que l'avenir
seul pourra trancher '.
Tels sont les résultats auxquels il est parvenu dès cette première
année de ses fouilles. Tout ne m'y semble pas également assuré, non
plus qu'à lui, mais un fait demeure acquis : les rois découverts par
M. Amélineau sont bien les premiers souverains que les annalistes
Égyptiens aient connus, une partie de ceux dont ils ont composé leurs
dynasties thinites. Il y a toutefois, dans l'arrangement proposé par
I Pétrie, the Royal Tombsofthe i^^ Dynasty, p. 5-6.
d'histoire et de littérature 363
M. Pétrie, un point sur lequel je ne partage point son opinion, du
moins provisoirement, la place qu'il attribue à deux et peut-être à
quatre de ces rois en avant de Menés. Et, ici, je ne puis que répéter
une fois encore ce que j'ai dit déjà à plusieurs reprises. A pj'iori, je ne
doute point qu'il y ait eu des rois en Egypte, avant ce Menés que les
indigènes plaçaient au début de leur histoire humaine, et je compte
bien que les monuments de ces personnages nous seront rendus un jour
ou l'autre ; mais diverses considérations ne me permettent pas de
m'assurer que nous avons retrouvé tel ou tel d'entre eux dans les
cimetières d'Omm-el-Gaàb. Le principal motif de mes doutes est
celui-ci. Dans la grande inscription dédicatoire du Memnonium d'Ha-
rabat-el-Madfounah, il est dit que Séti I" restaura les tombes ruinées
des Pharaons, ses ancêtres, qui se trouvaient à Abydos. Les tombes
que Séti I^"" remit en état sont bien celles dont nous explorons mainte-
tenant quelques-unes : M. Amélineau l'a déclaré dès le premier jour,
et je ne pense pas qu'on ait contesté cette identification. D'un autre
côté, la liste royale, qu'il grava sur la muraille de son Memnonium, et
que Ramsés II reproduisit sur celle du sien, a, pour les dynasties
thinites,une version différente à la fois et de la liste de Sakkarah et
des listes manéthoniennes. Sans entrer dans le détail, il y a fort à
penser que les Pharaons, dont il avait réparé les tombeaux, étaient
de ceux qu'il a consignés sur sa Table royale, et, en fait, les trou-
vailles de M. Pétrie nous permettent de déclarer que c'est le cas pour
trois d'entre eux : Ousaphais, Miébis et Sémempsès. Il est vraisem-
blable qu'au fur et à mesure qu'on rétablira l'équivalence des noms de
double avec les noms royaux, les personnages énumérés sur la table
d'Abydos reparaîtront l'un après l'autre : ce sera la reconstitution
progressive de la lignée thinite et des deux dynasties en lesquelles
Manéthon l'avait divisée.
Une fois arrivé à ce point, deux questions se posent. Et d'abord
est-il certain que tous les Pharaons retrouvés ainsi auront figuré sur
la Table d'Abydos ou sur les autres listes, et n'en retrouverons-nous
point quelqu'un, parmi eux, que les Annalistes égyptiens auront omis,
par ignorance, par mégarde ou de parti-pris ? Rien ne prouve, en effet,
qu'ils aient connu tous les souverains qui régnèrent dans la Vallée du
Nil en cet âge reculé, ou que, les ayant connus tous, ils n'en aient pas
oublié plusieurs ou ne les aient pas écartésvolontairement, soit qu'ils
ne les estimassent pas légitimes, soit qu'ils n'eussent aucun rensei-
gnement qui les autorisât à les faire rentrer dans une de leurs séries.
Je ne m'étonnerai donc pas outre mesure, si l'on vient à prouver que
plusieurs des personnages ensevelis à Omm-el-Gaâb n'ont jamais
figuré sur l'un quelconque des canons royaux. Faudra-t-il pour cela
les reporter à une époque antérieure et penser qu'ils régnèrent avant
Tavénement de Menés ? Rien n'y oblige, et l'on peut fort bien admettre
qu'ils s'intercalaient entre tel ou tel des rois classés. Lorsqu'on ana-
364 REVUE CRITIQUE
lyse les divers canons, on s'aperçoit bien vite que les premières dynas-
ties y sont formées de quelques groupes compacts, entre lesquels sont
rangés des personnages dont la succession était au moins douteuse :
tel d'entre eux, qui figure avant un des groupes dans l'un des canons,
est inscrit après le même groupe dans un autre canon. Si le site de
ces Pharaons erratiques était incertain, pourquoi le nombre en serait-
il mieux assuré ? Je crois donc qu'avant de rejeter au-delà de Menés
les rois nouveaux qui pourront surgir, il sera prudent de rechercher
s'ils n'auraient pas eu un poste parmi les Thinites des premières
dynasties. Les analogies de style que M. P, a reconnues, avec beau-
coup de sagacité, entre les objets qui proviennent des tombes de
Zosîrou et de Dou, montrent qu'il y aurait danger à trop séparer l'un
de l'autre ces deux personnages, mais elles ne sont pas de nature à
nous apprendre quoi que ce soit sur leur position par rapport aux
princes déjà identifiés de la série officielle. Lorsque les fouilles pro-
chaines de M. P. nous auront restitué leurs noms, peut-être verra-t-
on qu'ils appartenaient à la seconde dynastie thinite.
Même en restreignant ainsi les résultats, un fait capital demeure
acquis par les fouilles de l'hiver dernier : les plus anciens rois que les
historiens indigènes aient classés sortent de terre, et avec eux le maté-
riel très complet de leur civilisation. Et maintenant, un problème se
pose qu'il vaudrait mieux aborder prochainement, afin de ne plus
avoir à y revenir : tous les monuments qu'on recueille dans le cime-
tière de ces rois, et qui portent leurs noms, remontent-ils vraiment à
l'époque même de la puissance thinite? Nous savons déjà qu'une par-
tie de ceux qu'on découvrit dans la chapelle d'Osiris est d'époque très
postérieure, et que le lit, entre autres, pourrait bien être de travail
saite, mais on n'a pas examiné encore ce qui en est des objets trouvés
dans les autres tombeaux. J'avoue qu'en présence de certaines stèles
d'un travail parfait, telle que celle du roi Serpent, je m'étais demandé
si nous possédions, non plus l'original, qui aurait été détruit au
cours des siècles, mais une restauration soit de la XII I^ dynastie, soit
de la XVI 11"=. Nous avons la preuve écrite que Séti I" travailla dans
la nécropole de ses vieux prédécesseurs, pourquoi n'aurions-nous pas
là un spécimen de son travail? De même, quelques-uns au moins des
vases pourraient avoir appartenu aux offrandes qu'il déposa dans les
tombeaux restaurés. La question devrait être attaquée par un homme
qui aurait accès à toutes les collections publiques ou privées entre
lesquelles les monuments sont dispersés aujourd'hui. Je crois, pour
mon compte, que, si quelques-uns d'entre eux avaient été refaits par
Séti, ils porteraient une inscription commémorative au nom de ce
prince ; les Pharaons n'étaient pas d'humeur à laisser leur propre
lumière sous le boisseau, et, chaque fois que l'un d'eux touchait à
l'œuvre d'un ancêtre, il le proclamait bien haut, lors même qu'il n'es-
sayait pas de faire croire à la postérité qu'elle était de lui complètement.
d'histoire et de littérature 365
Toutefois, chaque règle souffre une exception, et il serait possible
que le restaurateur, mis en présence de documents aussi vénérables
par leur antiquité, se fût borné à les copier tels quels, sans vouloir y
rien ajouter qui en altérât le caractère, La chose est peu vraisemblable
en soi : je pense néanmoins qu'il y avait intérêt à soulever l'hypothèse
dès à présent, et M. P. évitera probablement des discussions oiseuses
aux Égyptologues en l'examinant sur les lieux mêmes, pendant le pro-
grès de ses fouilles. Cet examen aura presque certainement pour
résultat de montrer que les restaurations de Séti !<='' ont été peu de
choses, et qu'elles se sont bornées surtout à déblayer les chapelles
ensablées, à remettre quelques briques aux murs, à rétablir les plan-
chers en bois et à relever les stèles primitives qui étaient tombées. Sur
un point seulement elles auront pu avoir des conséquences graves
pour nous, si les ouvriers et les prêtres de la X1X« dynastie ont
dépouillé les tombes les mieux meublées encore de leur temps, au pro-
fit de celles qui auront perdu une portion de leur mobilier, et s'ils ont
transporté les vases de l'un chez l'autre. M. P. se refuse quelque part
à croire qu'un fragment au nom de Zostrou ait appartenu au Zosirou
de la III^ dynastie, parce que ce fragment a été ramassé par lui dans
une tombe primitive : il en déduit l'existence d'un premier Zosirou,
qu'il recule avec Dou avant Menés '. Il me paraît plus sage de croire
jusqu'à nouvel ordre que le fragment, ou le vase duquel il provient,
a été déplacé soit dans l'antiquité, soit dans les temps modernes, par
les restaurateurs ou par les fouilleurs : rien alors ne s'opposerait plus
à ce qu'il eût été consacré par ou pour le Pharaon de la III^ dynastie.
Les inscriptions gravées ou écrites à l'encre sur les objets ont été
étudiées par M. Grifîith. Elles ne comprennent guère que des noms
et des titres, et elles nous offrent toutes le système d'écriture usité aux
temps classiques de l'Egypte. M. Griffith tend à conclure d'un frag-
ment reproduit aux planches X, n" 1 1, et XVI, n» 20, « que l'onpouvait
omettre les mots les moins importants dans une phrase, au moins
dans le système /«zc^orf^/ de cette époque. Un long texte, ainsi écrit
par abréviation, ne pourrait être compris qu'avec le secours d'inter-
prètes au courant de la tradition. Il est probable que les variantes de
textes qu'on voit dans les ouvrages religieux des temps postérieurs
sont dues souvent aux obscurités et aux ambiguïtés de très anciens
originaux ' ». C'est tirer beaucoup d'un texte unique dont nous ne
possédons plus qu'une portion seulement. Sans chercher à l'interpré-
ter, je ne puis m'empêcher de remarquer qu'il renferme une forme
contradictoire à l'ordre d'idées proposé par M. Griffith. Les mo.ts
supprimés dans les systèmes pictographiques ne sont pas les mots leç
moins importants des phrases, ce sont les mots grammaticaux, pro-
1. Pétrie, The Royal Tombs ofthe /" Dynasty, p. i8 et pi. IV, n» 3.
2. Pétrie, The Royal Tombs ofthe /" Dyuasty, p. 35.
366.
REVUE CRITIQUE
noms, conjonctions, prépositions, particules servant à rendre les
flexions ou ce qui en est l'équivalent ; or, le fragment en discussion
contient un verbe avec son pronom sujet, à la troisième personne du
singulier, da-fou, // donne. Pour en finir avec ce monument et l'hy-
pothèse qu'il a suggérée à M. Griffith, je dirai que le manque sur tous
ces objets de phrases régulièrement construites s'explique par leur
nature même : on n'en rencontrerait pas davantage sur les objets ana-
logues de n'importe lequel des âges postérieurs, cylindres, scarabées,
chatons de bague, plaquettes de bois, de métal ou d'ivoire, et ainsi
de suite.
- L'étude des autres inscriptions, analysées par M. Griffith, prêterait
à de longs développements. Je me contenterai de noter, au hasard de
la répartition des objets sur les planches, quelques-unes des observa-
tions que j'ai faites. — PI. I (p. 37). Le nom de Mari-neîth est intéres-
sant en tant que nom de roi, mais nous savions déjà par d'autres témoi-
gnages le rôle important que Neîth jouait dans la religion des premiers
siècles : les dames de haut-parage qui sont enterrées ou mentionnées
dans les mastabas de l'âge Memphite ont, comme titres préférés, ceux
de prophétesse de Neith et de prophètesse d'Hathor. Neîth paraît avoir
été une déesse d'origine libyenne, et la prédominance de son culte aux
âges primitifs est bonne à noter, dans un moment où l'école de Berlin
sémitise à outrance la langue et la population de l'Egypte. — PI. IV,
n" 4 (p. 38), M. Griffith pense que le nom du roi Serpent doit se lire
Z. t. Je ne suis pas convaincu qu'il faille ajouter la terminaison -t au
signe Z : la forme redoublée Za^aoïi, du nom des dieux Serpents,
semble indiquer un prototype masculin, Zaou., pour le simple. —
PI. V, n° 3 (p. 38). Je lirai Ha kha, chef du divan, en prenant le second
signe pour une forme linéaire de la salle à deux colonnes, déterminatif
de kha, et non pour le sarkhou, le support du nom dédouble, comme
le fait M. Griffith. — PI. IV, n0 9-i2 (p. 38-39), M- Griffith admet,
avec M. Sethe, que le nom du roi doit se lire réellement Souiti (ou
avec un m médial, au n"voins douteux, Samoiiiti), le montagnard,
et que la lecture Sapoiiîti^ Hoiisapouîti, Ousaphais, des listes royales
est une erreur de scribes. J'ai peine à croire que les scribes de Séti l"
aient mal lu un signe aussi nettement tracé que celui-là l'est sur les
fragments de vases archaïques, et qui avait de leur temps la lecture
courante de Sait, Sit. Si donc nous trouvons chez eux, en transcrip-
tion, le signe Sapou, Hasapou, c'est ou bien que ce signe avait une
lecture secondaire Sït, ou bien que le signe Sït avait une lecture
secondaire Sapou, Hasapou, ou enfin que les noms Souiti et Ousaphais
couvrent deux personnages différents. Jusqu'à nouvel ordre, je suis
porté à croire que la transcription de Séti I®"" est correcte, et que les
deux noms couvrent un même personnage qui s'appelait Ousaphais :
je n'excluçrai pas définitivement les deux autres conjectures. De même,
pour le roi dont M. Griffith ne sait s'il doit l'appeler Mr-/»;!^-^' ou
d'histoire et de littérature 367
Mr-by-pw : c'est bien le Miébis des listes postérieures, mais la lecture
de M. Sethe et de M. Griffith ne m'est pas certaine. Relevant les nom-
breuses variantes du signe qu'ils lisent^ (Pi. V, n" 12, PI. VI, n°^ 4, 5,
6, 7, 8, PL XXVI, n°s 57, 58, 39, 60), je ne pense pas qu'ils l'aient
déchiffré correctement. Il me paraît répondre à l'ensemble de lignes
entrecroisées qui représente un terrain divisé en carrés pour l'irrigation
et pour la culture, et qui sert à déterminer, après sapoti, hasepoii, un
certain nombre de mots moins fréquents, entre autres le mot Marnu.
Je lirai donc le nom royal : Marou suivi du déterminatif en question)
2° bai^ soit Maroiibai : \ep final de la liste de Séti !«'' sera, ou ce déter-
minatif mal interprété, ou plutôt le pronom /jom (écrit/?, sans l'oiseau-
voyelle ow), qu'on trouve si souvent dans les textes religieux derrière
les noms de roi, Papi pou, Teti pou, etc., ce Papi, ce Téti, ce Maroii-
bai. — PI. VIII, n". i (p. 89). Il n'y a pas de doute qu'il ne faille lire
ce nom Qa-dou ou Qa-tot, et je ne l'ai jamais lu autrement pour ma
part. La même orthographe se rencontre en variante perpétuelle du
titre des dieux ithyphalliques, de Mînou et d'Amon, le haut de bras
ou celui qui a le bras levé, par allusion au geste du personnage. Le
roi thinite prenait donc pour prénom le titre courant du dieu ithyphal-
lique et le fait est important pour l'histoire religieuse. Quant à croire
que le nom de roi Sanoii, qui accompagne ce titre, est le prototype du
nom de Qobliou, qu'on voit sur le Canon de Séti I", c'est une autre
affaire. Le signe San est trop bien tracé pour qu'on le confonde avec
le vase Qabhou, et il a d'ailleurs son complément phonétique ;z, qui
aurait levé tous les doutes s'il y en avait eu. Si vraiment le roi Qa-tot
avait pour nom Sanou, il n'est ni le Qabhou de Séti 1®% ni le Biéné-
khés de Manéthon, mais un roi nouveau qui reste àclasser. — • PI. XII,
i et XVII, 16 (p. 42). Comme par le passé, je lis Samsou le nom encore
douteux du Sémempsès Manéthonien.
Les tablettes en ivoire que M. Pétrie a découvertes paraissent se
rattacher à deux séries d'événements. Dans les unes, les principaux
rites du sacrifice sont représentés, dans les autres les cérémonies rela-
tives à la fête des Habou-Sadou, c'est-à-dire à la divinisation d'un roi
vivant encore. Le premier point dans cette cérémonie était de cons-
truire la chapelle dans laquelle le roi lui-même, puis son image,
devaient siéger, revêtus des insignes de la divinité. C'est pour cela
que le premier registre de la tablette du roi Den (PI. XI, n° 14,
PI. XV, n» 161 débute par la course du Pharaon armé du signe
Hapou et d'un bâton ou de la rame : c'est, en effet, le rite caracté-
ristique de la fondation et de la consécration, celui qu'on représente
si souvent au linteau des portes dans les temples thébains. Derrière
le roi courant, on voit l'édifice lui-même qu'il vient de fonder et dans
lequel il siège divinisé déjà. Quiconque a étudié les planches où
Naville a si bien rétabli le pavillon de Bubastis, se rendra compte
du sens de ces cérémonies. D'autres tablettes brisées en donnaient
368 REVUE CRITIQUE
quelques détails intéressants, tel le fragment lo delà planche X (cfr.
pi. XIII, n° 5), où Ton aperçoit la mise en place de la première pierre
au moyen d'un levier : c'est la scène même qui sert de déterminatif au
verbe Kliousou, fonder un édifice. Dans le fragment de tablette n° 5 de
la planche XI (cfr. pi. XIV, no 12), la course royale n'est pas représen-
tée, mais on voit l'estrade et les deux naos accolés dans lesquels siége-
ront les statues du roi, couronnées l'une du diadème blanc, l'autre du
diadème rouge, pendant la/éte de fondation. Les inscriptions et les
scènes du deuxième registre de la tablette de Den indiquent en abrégé
d'autres incidents de la même cérémonie, mais je ne puis les analyser
dans cet article. Ce ne sont pas, en etîet, quelques pages qu'il me fau-
drait pour faire ressortir l'intérêt de tout ce qui est figuré sur les
planches, c'est un volume entier. « Qui donne vite, donne deux fois »,
dit le proverbe. Après avoir félicité M. Pétrie d'avoir découvert tant
de monuments. Je veux le féliciter, en terminant, ainsi que j'avais déjà
fait en commençant, de les avoir livrés immédiatement à notre
curiosité.
G. Maspero.
Al. Mostatraf, recueil de morceaux choisis çà et là dans toutes les branches de
connaissances réputées attrayantes par le saïk sihâb-ad-Dîn Ahmad-al-Absîhî,
traduit pour la première fois par G. Rat. Tome premier, 1899. Paris, Leroux ;
un fort vol. de xxiv et 83o pages.
Ce gros volume est intéressant à des points de vue divers. Le tra-
ducteur l'a appelé ouvrage philologique, anecdotique, littéraire et
philosophique; il eût été possible de mieux dire. Philologique, le
livre ne l'est qu'en principe, dans son état natif, car, dans la traduc-
tion, aucun mot arabe ne paraissant, l'intérêt philologique n'est pas
sensible. Philosophique, le mot est ambitieux et le traducteur s'est
sans conteste exagéré la portée de l'œuvre lorsqu'il a cru y voir une
somme de scolastique orientale. J'avoue cependant que, au point de
vue de la psychologie et de la morale, le livre renferme maint passage
où la finesse de l'observation et la hauteur de la pensée rivalisent avec
le bonheur de l'expression. Mais littéraire et anecdotique, voilà certes
des termes qui le caractérisent justement. Son charme littéraire sera
perçu par tous les lecteurs. La multitude des vers cités et traduits avec
soin, la quantité de récits relatifs à des hommes de lettres, de longs et
fort curieux morceaux de critique littéraire, en font sous ce rapport un
répertoire de grande valeur. Ce livre est en somme un recueil d'anec-
dotes, groupées par catégories assez habilement délimitées, sur la lit-
térature, la religion, la société, la morale. II suffit de s'être quelque-
fois occupé d'histoire pour se rendre compte du prix que peuvent
acquérir des anecdotes contées avec adresse et qui ont conservé la
vivacité de leur couleur première. Il suffit d'avoir feuilleté quelques
d'histoire et de littérature 369
pages d'un historien arabe pour savoir combien dans cette langue en
particulier, l'anecdote tient de place et quel secours elle offre au lec-
teur pour la restitution du passé. Uu gros recueil d'anecdotes rédi-
gées par un homme habile, un érudit soigneux, un écrivain de goût
ne peut manquer de renfermer une multitude de trésors ; et c'est le
cas du présent livre. Justement parceque celui-ci ezt une mine qu'il
faut fouiller et dont le minerai a besoin d'être travaillé pour que le
métal pur en sorte, nous ne nous chargerons pas nous-même d'en
extraire le contenu. Il faut que le lecteur fasse ce travail, long et
agréable. Je ne doute pas que quiconque s'y sera livré ne voit consi-
dérablement s accroître ses connaissances et se vivifier ses impressions
touchant l'histoire, les mœurs et la psychologie des Arabes.
Puisque Je me refuse à analyser le contenu du livre, j'emploierai le
temps qui me reste à dire quelques mots sur une question générale,
celle de l'intérêt des traductions faites d'après l'arabe et des conditions
dans lesquelles ces traductions doivent être faites. Je suis grand parti-
san des traductions dans l'érudition arabe, et pour plusieurs raisons.
Tout d'abord la majorité des ouvrages de valeur sont aujourd'hui édi-
tés ; s'ils ne le sont pas en Europe, ils le sont en Orient, et l'on aurait
grand tort de dédaigner absolument ces éditions orientales. Pour des
ouvrages de l'importance de celui dont nous parlons qui, après tout,
ne sont pas de premier ordre, une édition orientale est à peu près
suffisante. La traduction de M. R. est faite d'après deux éditions du
Caire. Il n'est pas douteux qu'elle est beaucoup plus utile que n'etît
pu l'être une édition nouvelle. — En second lieu l'étude de la littéra-
ture arabe par les spécialistes est bien assez avancée pour que ceux-ci
se préoccupent d'en communiquer les résultats au grand public et de
faire rentrer l'histoire arabe, politique, philosophique, littéraire et
religieuse dans le cadre de l'histoire générale. Le premier moyen d'y
réussir est de donner des traductions. Enfin la traduction elle-même,
si elle est bien conçue, peut avoir presque la valeur d'une édition, et
elle est plus aisée à publier, accessible à plus de personnes que ne
serait une édition dans la langue originelle.
Ces motifs mêmes qui nous font sentir l'importance des traduc-
tions, montrent aussi à quelles conditions il faut les soumettre. La
traduction étant faite pour un public plus étendu que celui des spécia-
listes doit être entourée de certains secours qui la rendent elle-même
accessible à ce public nouveau. Celui-ci ne connaît pas en principe
beaucoup de détails de l'histoire et des mœurs des Arabes. Il faut
donc le gujder, lui préparer les voies, lui éclaircir les difficultés au
moyen d'introductions et de notes claires et développées. L'annota-
tion des traductions est indispensable pour que celles-ci remplissent
d'une façon satisfaisante leur mission vulgarisairicd. M. R. a été
beaucoup trop sobre de notes à notre avis. — Ensuite la traduction
devant au besoin pouvoir suppléer à une édition, devant équivaloir
"ijO REVUE CRITIQUE
souvent à une édition plus achevée que les éditions orientales ou les
manuscrits d'après lesquels elle est faite, il est indispensable que
l'annotation soit aussi rédigée à ce point de vue, et que les passages
difficiles, les variantes, les expressions rares, soient étudiées au bas
des pages. Encore sous ce rapport le livre de M. R. nous a paru trop
pauvre. — Une annotation riche et précise, de bonnes et amples intro-
ductions, voilà, je crois, ce qui doit accompagner toutes les traduc-
tions faites d'après l'arabe, et ce par quoi celles-ci peuvent devenir
des œuvres de haute valeur, complètes en elles-mêmes, utilisables
par un public étendu spécialiste ou non. Je n'ai nullement l'intention
de faire un crime à M. Rat, dont l'œuvre est d'ailleurs fort méritoire,
de s'être imparfaitement conformé à ces principes dont je viens à
l'instant d'être l'auteur. Je me permets seulement d'exprimer la con-
viction que si l'on traduit beaucoup, en les observant, on rendra d'im-
menses services aux études orientales, que l'on augmentera la noto-
riété et que l'on multipliera les fruits de ces études, que même dans
une certaine mesure on revivifiera l'importante spécialité des études
arabes qui, il faut bien l'avouer, semble un peu menacée d'une rela-
tive stérilité, pour avoir été déjà cultivée longtemps et par de trop
grands maîtres.
Baron Carra de Vaux.
Ezodus erkiaert von H. Holzinger {Kur^^er Hand-Commentar :[iim Alten Testa-
ment, Abtheilung II). Tûbingen, Mohr. iqoo, in-8», xx-i55 pages.
Das Buch Jesaia erkiaert von K. Marti {Kur:[er Hand-Commentar :{. A. T.,
Lief. lo). Tûbingen, Mohr. 1900, in-8», xxvi-428 pages.
Sous sa forme concise, le nouveau commentaire de l'Exode, que
publie M. Holzinger, est certainement l'un des meilleurs qui existent,
et pour l'analyse des sources un des plus remarquables et des plus in-
téressants. Les résultats généraux de la critique sont exposés dans l'in-
troduction. Comme dans le reste de l'Hexateuque, le document sacer-
dotal, P, se laisse aisément reconnaître et séparer ; mais il faut y
distinguer un fond primitif (Pg), qui offre les mêmes caractères que
dans la Genèse, et des compléments dans les parties liturgiques (Ps),
qui ont été introduits successivement, et non par le travail d'un seul
rédacteur. L'Exode contient très peu d'additions deutéronomistes ;
quand on retire le document P, ce qui reste, en dehors des additions
rédactionnelles, appartient aux anciens documents jéhoviste et élo-
histe. J et E sont plus difficiles à distinguer l'un de l'autre que dans
la Genèse ; mais l'analyse peut encore être poursuivie ; si l'on n'a plus
pour se guider la différence des noms divins, qui cesse à partir du
chapitre m, d'autres indices peuvent y suppléer, par exemple les noms
différents de la montagne de Dieu, qui s'appelle Sinaï dans J (et dans
d'histoire et de littérature 371
P), Horeb dans E. Comme dans la Genèse, J présente des éléments
qui ne s'accordent pas bien avec l'idée de Dieu qui domine l'ensemble
du récit : lahvé {Ex. m, 8) a besoin de s'informer de ce qui se passe
en Egypte ; il attaque Moïse sur la montagne et le tuerait si Séphora ne
se hâtait de circoncire son fils {Ex. iv, 24-26). L'histoire jéhoviste des
événements qui se sont passés au Sinaï invite à soupçonner l'existence
de retouches, de rédaction surajoutée, bien qu'une grande réserve
s'impose dans la distinction des éléments primitifs et des éléments se-
condaires. Il faut admettre également, dans l'histoire élohiste,un travail
complexe de rédaction avant la réunion de cette source avec la source
jéhoviste. La compilation dernière, la combinaison de J E avec P, a
été accomplie, dans les récits, de façon à conserver le plus possible des
anciens textes, en les modifiant le moins possible ; généralement c'est
P qui fournit le cadre. Les morceaux législatifs ont été juxtaposés,
sans être notablement altérés par le schéma rédactionnel. Cette com-
pilation, abstraction faite des améliorations et additions de détail, est
à considérer comme un travail unique, et qui, une fois exécuté, n'a
jamais été repris dans l'ensemble. Il n'en est pas de même pour l'an-
cien corps d'histoire jéhoviste-élohiste. Dans les quinze premiers cha-
pitres, l'assemblage des sources paraît s'être fait plus librement que
dans la Genèse, et la compilation s'est enrichie par des additions suc-
cessives. Pour la suite, on est obligé de recourir à des hypothèses
plus compliquées : ainsi, dans les chapitres xvi-xviii, il semble que
deux combinaisons différentes des mêmes sources ont trouvé place
dans la compilation. Le Livre de l'alliance (£'jr. xx, 22-xxiii, 19) paraît
avoir été transposé pour céder sa place au Deutéronome. Dans son
commentaire, M. H. réussit, autant qu'il est possible, à démêler cet
écheveau si embrouillé; il met, en tête de chaque morceau, des no-
tes sur le texte, l'analyse des sources, puis il donne l'explication litté-
rale et historique. Les récits plus importants sont suivis d'appendices
où l'on discute les hypothèses auxquelles ont donné lieu tel document
ou telle institution : on trouve après Ex. xiii, 16, une petite disserta-
tion sur l'origine de la Pâque ; après Ex. xx, 8, une autre sur
le sabbat ; après Ex. xx, 17, des considérations sur l'histoire du déca-
logue et son origine. M. H. ne croit pas que le décalogue remonte à
Moïse : s'il y avait eu une loi formulée par lui, la tradition ne présen-
terait pas deux décalogues comme mosaïques, celui d'Ex, xx et celui
d'Ex, xxxiv. L'argument n'est peut-être pas décisif ; car, en suppo-
sant que le décalogue d'Ex, xxxiv soit mosaïque, on a pu, au temps
des prophètes, le trouver insuffisant. L'existence du Livre de l'al-
liance, que l'on attribuait à Moïse, n'a pas empêché d'écrire le Deuté-
ronome.
Le livre d'Isaïe, nous dit M. Marti, n'existait pas encore, vers l'an
3oo, sous sa forme actuelle, puisque les chapitscs xxxvi.xxxix sont cités
par le Chroniqueur comme œuvre d'Isaïe appartenant au « Livre des
372 REVUE CRITIQUE
rois de Juda et d'Israël », et que le même écrivain fait allusion à la pro-
phétie de la reconstruction du temple [Is. xliv, 28) comme'étant de
Jérémie. D'autre part, l'auteur de TEcclésiastique, au commencement
du second siècle, lisait Isaïe avec les chapitres xxxvi-xxxix, xl-lxvi ;
mais on ne saurait dire dans quel état se trouvaient alors les chapitres
i-xxxv. Les chapitres XL-Lv,à part un certain nombre d'additions, sont
d'un même auteur qui écrivait vers Tan 540 ; les fragments concernant
le Serviteur de lahvé seraient aussi de lui ; mais le commentaire de
M. M. ne nous a pas persuadé que cette opinion soit bien fondée.
L'auteur d'Zs xl-lv n'était pas en Chaldée, car il n'a pas connu Ézé-
chiel ; il a vécu probablement en Egypte, car il parle plusieurs fois de
ce pays et semble le connaître. Ces raisons sont-elles bien concluantes ?
L'indépendance de l'anonyme à l'égard d'Ézéchiel ne pourrait-elle pas
s'expliquer autrement ? N'est-il pas trop bien informé des mouvements
et des projets de Cyrus pour qu'on le suppose éloigné de la Mésopo-
tamie ? Les chapitres lvi-lxvi ont été écrits à Jérusalem, peu avant
l'arrivée de Néhémie, c'est-à-dire avant 445. Les chapitres xxxvi-xxxix
ont été empruntés au livre des Rois, et formaient la conclusion du li-
vre d'Isaïe avant qu'on y joignit xl-lxvi. Un grand nombre de petits
morceaux, d'origine et de date diverses, sont réunis dans les chapitres
i-xxxv. Ainsi l'introduction, I, i-ii, 5 contient des fragments d'Isaïe
(i, 2-26), et deux autres pièces qui n'ont pas été écrites avant le v^ siè-
cle. Un premier groupe d'oracles, 11, 6-xii, 6 est formé de petites
collections : 11, 6-iv, 6 ; v, i-3o, ix, 7-x, 4 ; vi-ix, 6 ; x, 5-xn, 6 ; cha-
cune de ces collections contient des morceaux authentiques d'Isaïe,
avec des compléments postérieurs à Esdras ou même beaucoup plus
récents, en sorte que la rédaction de ce premier groupe (ii-xn) devrait
être renvoyée à la fin du second siècle. Le second groupe renferme
principalement des prophéties contre les peuples étrangers. Très peu
de ces oracles appartiennent à Isaïe : xvii, i-ii, à compléter par
XVIII, 5-7 ; XVIII, 1-2, 4; XX, I, 3, 4, 6; XXII, 1-5, 12-14; xxii, i 5-i8 ;
les autres sont d'époques très diverses, et quelques-uns sont du second
siècle (notamment xxiv-xxvii). La constitution de ce recueil ne peut
pas être de beaucoup antérieure à l'an 100. Le troisième groupe,
xxviii-xxxv ne doit pas être plus ancien que le second ; les deux cha-
pitres qui le terminent, xxxiv-xxxv sont du IP siècle ; dans les chapi-
tres précédents, il y a encore quelques fragments d'Isaïe, presque tous
du temps cni Ézéchias était allié à l'Egypte, complétés par des mor-
ceaux d'âge différent. On voit qu'il ne s'agit plus de deux ni de trois
Isaïe, et qu'on a renoncé à les compter. Le livre d'Isaïe est « une pe-
tite bibliothèque d'écrits prophétiques ». Isaïe, comme les anciens
prophètes, s'était acquitté oralement de son ministère ; sans doute il
écrivit beaucoup de ses oracles pour les conserver et les répandre ; il
fit même deux petites collections, celle des oracles rendus depuis sa
vocation jusqu'au temps de la guerre syro-éphraïmite, sous Achaz, et
d'histoire et de littérature 373
celle des prophéties concernant l'alliance égyptienne, sous Ézéchias ;
mais beaucoup d'oracles restèrent isolés, et Isaïe ne réunit jamais ses
œuvres en collection complète ; il y a certainement des prophéties qui
ne nous sont pas parvenues ; on peut voir, par exemple, vu, 3, que
Schear-iaschub, le fils d'isaïe, avait été l'objet ou l'occasion d'une
prophétie que nous n'avons pas (à moins qu'il ne c'en soit conservé
un débris dans x, 21-23, fragment que M. M. renvoie à l'époque de
la domination grecque). L'héritage littéraire d'isaïe s'enrichit de glo-
ses et de compléments après l'exil ; la distribution des chapitres i-xxxv
en trois groupes paraît imitée d'Ézéchiel. Du reste il est impossible
de reconstituer dans tous ses détails l'histoire de cette « bibliothèque »,
Inutile de dire que toutes les conclusions de M. M. ne sont pas cer-
taines, et que telle ou telle hypothèse peut-être discutable ou mal fon-
dée ; mais la position générale de sa critique est solide ; l'histoire du
livre d'isaïe semble avoir été aussi compliquée qu'il le dit. 11 soutient
à bon droit que la métrique^et la strophiquenesontpas à négliger dans
la critique des pièces, en grande partie rythmées, qui constituent cette
importante coUectiion. Son commentaire, où la critique littéraire tient
naturellement assez de place, et où la critique textuelle n'est pas né-
gligée, mérite d'être comparé à celui de M. Duhm, auquel il ressem-
ble beaucoup pour la hardiesse des conjectures.
Alfred Loisy.
Die "Wiederherstellung des judischen Gemeinwesens nach dem babylonis-
chen Exil, von J. Nikel. {Biblische Studien herausgegeben von O. Bardenhe-
wer.) Freiburg i. B., Herder, 1900 ; in-S", xv-227 pages.
Elohim, eine Studie zur israelitischen Religions-und Litteraturgeschichte, von
H. ZiMMERMANN. Berlin, Maycr, 1900; in-S", 82 pages.
L'ouvrage de M. Nikel contient moins une histoire de la restaura-
tion juive après la captivité, qu'un examen critique des sources bibli-
ques de cette histoire, les livres d'Esdras et de Néhémie. Mais la
critique de l'auteur est aussi conservatrice qu'ingénieuse, aussi pru-
dente qu'érudite. Il réfute les objections des savants qui ont contesté
la valeur historique d'Esdras-Néhémie , et les systèmes de ceux qui
ont cru devoir placer la venue d'Esdras à Jérusalem après celle de
Néhémie. Il défend l'authenticité absolue des édits et des lettres qui
sont reproduits dans le livre d'Esdras. Il montre que la Loi promul-
guée par Esdras ne devait pas comprendre seulement le Code sacer-
dotal, mais aussi le Deutéronomc. Du reste, il ne se proncxicc pas sur
l'âge de ces documents. La défense d'Esdras-Néhémie est très solide.
Le lecteur impartial peut trouver seulement que ces livres ont un peu
trop besoin d'être défendus, et qu'un texte parfaitement sûr et exact
dans toutes ses parties présenterait sans doute moins de diflîcultés.
3-4 REVUE CRITIQUE
Mais les movens de contrôle font défaut, et il ne faut pas blâmer l'his-
torien qui sauve le plus qu'il peut, d'une source de renseignements
qui est unique. Ces livres qui recouvrent un siècle environ d'histoire
Israélite ont, pour le moins, des lacunes considérables ; il est permis
aussi de se demander si le compilateur disposait d'informations aussi
variées et aussi complètes que le suppose M. Nikel. Avait-il beaucoup
plus que ce qu'il nous donne ?
D'après M. Zimmermann, Esdras n'aurait promulgué que la partie
du Lévitique désignée communément par les exégètes sous le nom de
Loi de sainteté. Cette fois on ne dira pas que c'est trop; mais ce pour-
rait n'être pas assez. Dans une étude très confuse sur l'emploi du nom
divin Elohim, M. Z refait toute l'histoire de l'Ancien Testament, et en
particulier la critique de l'Hexateuque. Le document élohiste, si nous
avons bien compris l'auteur, serait une seconde histoire jéhoviste,
écrite vers 700-650 où le nom de lahvé aurait été remplacé après coup
par Elohim vers 35o; le Code sacerdotal aurait été rédigé vers
400-375 ; une école élohiste paraît en 35o et fait de J' un document
élohiste ; vers 345, on compile un Hexateuque avec J', J' devenu E,
et le Deutéronome; vers 340 on ajoute le Code sacerdotal, et l'Hexa-
teuque est constitué. M. Zimmermann a certainement donné à sa cri-
tique une base trop étroite, et ses conclusions semblent quelque peu
arbitraires. Nous ne croyons pas utile de poursuivre dans le détail
l'examen de son système.
A. L.
Joh. Michael Schmid. Des Wardapet Eznik von Kolb Wider die Sekten aus dem
Armenischen ubersetzt und mit Einleitung, Inhalts-Uebersichten und Anmerkun-
gen versehen. — 8°, x-210 pages, Vienne, 1900 (imprimerie des Mékhitaristes).
Ce livre mérite d'être doublement signalé, d'abord parce qu'il est
bon et ensuite parce qu'il renferme deux promesses précieuses : c'est
le premier volume d'une série de traductions de l'arménien entreprise
par la congrégation des Mékhitaristes de Vienne dont on connaît la
valeur scientifique et la préface annonce en outre une série d'éditions
critiques que doit publier la même communauté : on sait que des édi-
tions critiques sont le besoin le plus urgent de la philologie armé-
nienne; déjà .la traduction que publie M. l'abbé Schmid a été faite
à l'aide des matériaux réunis par le savant P. Kalemkiar pour une
édition nouvelle de Eznik dont on doit souhaiter la prompte publi-
cation .
Le livre de Eznik, si curieux au point d& vue de l'histoire religieuse,
n'a pas été étudié jusqu'ici autant qu'il le mérite, faute d'une bonne
traduction : on est d'accord pour reconnaître que la traduction de Le
Vaillant de Florival est tout à fait insuffisante. Celle de M. l'abbé S.
d'histoire et de littérare 375
est au contraire remarquable; faite avec un soin extrême, elle a été
améliorée encore par la collaboration de quelques-uns des pères Mékhi-
taristes les plus distingués et le P. Dashian a pu la recommander
chaleureusement. Comme dans tous les travaux de ce genre, on peut
naturellement, en cherchant bien, y relever de légères méprises. On
ne voit pas par exemple pourquoi M. S. écrit toujours Zrovan et non
Zruan\ il aurait été sans doute bon de signaler que le paragraphe
traduit au bas de la p. 98 et suiv. « Denn auch Zrovan.... » n'est pas
en ordre et qu'il est impossible d'y faire une construction régulière :
il doit manquer un mot au moins ; l'expression n'est pas toujours ren- '
due avec sa crudité pittoresque: p. 106 M. S. traduit « der erste...
stoesst die andern... ab >> alors que le texte porte « le premier... crache
les autres ». P. 204 il y a un véritable contre sens : « das neue Testa-
ment haelt er fur fremd dem alten und dem was darin geredet wurde »,
en réalité « et à celui qui y a parlé », comme le montre le texte grec
traduit par Eznik, et comme l'exige le texte arménien ; car nmayn ne
peut ici désigner que le nouveau testament : l'ancien testament qui,
dans le passage, a été nommé le dernier serait désigné par smayn. On
voit que ces critiques sont fort menues et de peu de portée.
Les notes qui accompagnent le texte rendront aussi de grands ser-
vices; une partie des variantes y sont signalées, ce qui permettra
d'attendre plus patiemment l'édition promise ; on y trouvera aussi
d'après les PP. Kalemkiar, Thorossian, Karekin, Dashian l'indication
des passages d'auteurs grecs traduits ou imités par Eznik. Les notes
historiques et exégétiques sont d'une valeur moindre et ne témoignent
pas toutes d'une information assez étendue ni d"une critique assez
pénétrante. Par exemple il eût été intéressant de rappeler p. 89 et suiv.
que le résumé des doctrines zrvanites donné par Eznik a déjà été
rapproché de textes syriaques par Noeldeke {Fesigrtiss an R. von
Roth, p. 34 et suiv.); la découverte récente par M. Carrière d'un
texte de Bar Khouni qui recouvre souvent mot à mot le texte de
Eznik a brillamment confirmé la valeur de ce rapprochement. Dans
une note de la p. 93, M. S. signale et traduit le passage de l'historien
Elisée où sont aussi exposées les doctrines zrvanites; mais il ne fait
point remarquer une différence essentielle entre Eznik et Elisée : chez
Eznik, Ormizd et Ahriman sortent du sein d'une mère, chez Elisée, du
sein de Zruan lui-même; la version de Eznik se retrouve chez les
auteurs syriaques et la version d'Elisée dans le texte bien connu de
Théodore de Mopsueste; il y a là un contraste qui complique singu-
lièrement la détermination des sources; loin de le mettre en lumière,
M. Schmid l'efface par une fausse traduction d'Elisée : « Als auch
der andere Sohn geboren war », écrit-il, alors que le texte porte « lors-
qu'il (Zruan) eut enfanté l'autre fils » sans aucune contestation possi-
ble.
Quoi qu'il en soit de ces détails, la traduction doit en général ins-
376 REVUE CRITIQUE
pirer confiance; elle donnera aux études sur Eznik une base qui man-
quait.
A. Meillet.
Ernest Lavisse, Histoire de France depuis les origines jusqu'à la Révolu-
tion. 16' fascicule. Paris, Hachette, 1900. 96 pages, grand in-80 '.
La Revue critique s'empresse de signaler, car c'est une bonne for-
tune pour tous les amis de l'histoire, la publication à la librairie Ha-
chette du premier fascicule d'une grande Histoire de France, depuis
les origines jusqu'à la Révolution. Elle paraît sous le nom de M. Er-
nest Lavisse ; mais c'est une œuvre collective. M. Lavisse s'est réservé
pour lui-même l'introduction historique et la majeure partie du règne
de Louis XIV; pour les autres parties de notre histoire nationale, il
s'est adressé à treize collaborateurs, MM. Bayet, Bloch, Carré, Coville,
Kleinclausz, Langlois, Lemonnier, Luchaire, Mariéjol, Petit-Dutaillis,
Rebelliau, Sagnac, Vidal de La Blache. Les temps héroïques ne sont
plus où un Henri Martin ou un Michelet portait sur ses robustes
épaules tout le poids des siècles de l'histoire de France. Notre époque
d'analyse et de spécialisation semble reculer devant ces entreprises
colossales dans lesquelles les avantages de l'unité de rédaction ne
compensent parfois que d'une manière imparfaite, il faut bien le dire,
l'inégalité scientifique des diverses parties. D'autre part, que devien-
nent les résultats d'ensemble ou les résultats partiels qu'on peut con-
sidérer comme définitivement acquis, avec cet émiettement continu
de la science historique dans les thèses, les revues, les monographies,
dont le flot, montant de jour en jour, tend à submerger ceux qui na-
viguent sur ce mare magnum ? Il faut bien s'arrêter au bout d'un cer-
tain temps pour coordonner les résultats de cet immense travail. C'est
ce que M. L. et ses collaborateurs ont entrepris de faire. Depuis long-
temps à l'étude, distribuée et dirigée dans toutes ses parties par l'his-
torien qui lui donne son nom, maintes fois révisée et mise au point,
cette Histoire de France veut être une œuvre scientifique, où la syn-
thèse des derniers travaux de l'érudition, due à des professeurs et à
des savants, marche de pair avec l'unité de composition.
La Revue critique aura l'occasion de reparler de cette grande entre-
prise ; pour aujourd'hui, elle se borne à signaler le contenu du i" fas-
cicule. 11 forme le début de la seconde partie du tome I ', laquelle a
pour auteur M. G. Bloch, maître de conférences d'histoire ancienne à
l'École normale supérieure. Elle a pour titre : Les Origines: la Gaule
1 . L'Histoire de France formera 8 volumes de 800 pages, qui se vendront sé-
parément 12 fr. ; elle paraît en fascicules, à i fr. 5o, à raison de deux fascicules
par mois.
2. Chacun des huit volumes se compose de deux parties.
d'histoire et de littérature 377
indépendante et la Conquête romaine. Les Origines se composent de
deux chapitres : les Sociétés primitives, les Peuples historiques. La
Gaule indépendante et la Conquête romaine comprennent dans ce
fascicule un chapitre et le commencement d'un second.
L'Histoire de France n'est pas un ouvrage de discussion ; je répète
que c'est avant tout un ouvrage de coordination et d'exposition. Aussi
les notes et les renvois aux textes y sont fort rares. Du moins, en tête
de chaque chapitre et de chaque subdivision de chapitre, les textes
historiques et les principaux ouvrages à consulter sont indiqués avec
beaucoup de précision.
Résumer en trente-deux pages tout ce qui a été écrit, à propos de
notre pays, sur l'âge de la pierre taillée, sur l'âge de la pierre polie,
sur l'âge des métaux, sur les Ibères et les Ligures, sur les Phéniciens
et Marseille, sur les Celtes et leurs migrations, sur les peuples de la
Gaule, cela pourra paraître un joli tour de force; ajoutons tout de
suite que le tour de force est parfaitement réussi. Je ne sais si les sa-
vants qui se sont consacrés à l'étude des origines préhistoriques et his-
toriques de la Gaule trouveront que leur domaine a été réduit à la
portion congrue ; du moins, ils ne pourront dire qu'ils ont été trahis
par la plume précise, claire, bien informée du professeur qui a entre-
pris de présenter les résultats vraiment importants de leurs innom-
brables travaux. Pour la Gaule indépendante, M. G. Bloch a pu s'es-
pacer davantage; la civilisation, la religion, le sacerdoce druidique, les
institutions sociales et politiques, les luttes dans les cités et entre les
cités, telles sont les grandes divisions de ce chapitre '. Pour l'histoire
de la conquête romaine, elle ne fait que commencer dans ce fascicule.
Imprimée sur beau papier à grandes marges, avec des en-tête et des
manchettes d'une grande clarté, tout à fait séduisante à l'œil par la
netteté des caractères et la disposition du texte, d'une correction irré-
prochable, VHistoire de France, sortie des presses de l'imprimerie
Brodard, a tous les caractères d'un chef d'œuvre typographique. Ce
premier fascicule donne lieu de supposer que l'œuvre elle-même sera
bien voisine de la perfection.
G. Lacour-Gayet.
I. Dans le tableau qu'il a tracé du polythéisme gaulois (p. 49 et suiv.), M. Bloch
s'est borné à une allusion aux divinités tricéphales ; la conception mystique de la
triade gauloise, telle qu'elle se dégage de plusieurs monuments du Musée de Saint-
Germain, méritait peut-être quelques explications. — Puisque M. Bloch aime, cl
avec juste raison, à retrouver dans tel nom et dans tel usage des âges récents le
souvenir de Vépoque gauloise, il aurait pu rappeler, à propos du Vcrgobret des
Éduens, le nom de Vierg ou Verg qui fut porté jusqu'à la Révolution par le pre-
mier magistrat d'Autun.
378 REVUE CRITIQUE
La Faculté de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres, par
Tabbé P. Feret, docteur en théologie, etc. Epoque moderne. T. I" : xvi' siècle.
Phases historiques. Paris, A. Picard, 1900, viii-462 p. in-8".
Après avoir consacré quatre volumes à l'histoire de la Faculté de
théologie de Paris, durant le moyen âge, M. Tabbé Feret aborde dans
le présent tome l'époque moderne. Cette nouvelle série promet d'avoir
un développement considérable, puisqu'il a fallu tout un volume à
l'auteur pour retracer seulement les phases générales de l'histoire de
la Faculté au xvi« siècle, sans aborder encore les controverses spéciales
ni les biographies de ses membres à cette époque. Il ne semble pas
cependant avoir consulté beaucoup de documents inconnus pour éta-
blir son récit ; en dehors des ouvrages bien connus de Boulay et de
Crevier, de la Collectio judiciorum de du Plessis d'Argentré, de
V Index chronologicus de Jourdain, M. F. a surtout exploité le savant
mémoire de M. Léopold Delisle [Notices et extraits, t. XXXVI) sur
un registre des procès-verbaux de la Faculté de théologie pour les
années i5o5 à i533, manuscrit appartenant au séminaire de Saint-
Sulpice. Mais ces matériaux auraient été suffisants pour composer un
ouvrage à la fois instructif et utile, même aux savants, si l'esprit qui
l'anime avait été plus scientifique et si la combativité des docteurs du
xvje siècle n'avait pas trop déteint sur leur disciple convaincu. Ce n'est
pas une histoire, c'est une ardente apologie qu'il nous présente de
cette Faculté, « foyer de lumières » qui, « sentinelle et soldat... frap-
pait savamment et avec courage » ses ennemis. De sa « science », on
trouvera en effet de bien curieux et bien topiques exemples dans le
volume de M. Feret' ; quant à son grand « courage » on en aurait
désiré peut-être quelques preuves supplémentaires ; il ne saute pas
aux yeux, dans la guerre acharnée que ces grands docteurs font à
quelques malheureux hérétiques, épaulés qu'ils sont, tour à tour, par
la royauté, le Parlement et la canaille bigote de la capitale. Nous ne
songeons pas d'ailleurs à discuter en détail, comme travail d'érudition
sérieuse, un livre où l'on proclame que « l'Inquisition n'avait rien que
de normal au point de vue religieux », qu'être des protestants c'est
être de « grands coupables » et qui trouve moyen d'introduire, dans
une histoire de la Faculté de théologie de Paris au xvi* siècle, des
tirades sur « l'affaire Dreyfus » (p. 41 5). Quand on répète à satiété les
vieilles calomnies, cent fois réfutées, de Bolsec etd'Audin, quand on
est si peu capable de comprendre l'inéluctable nécessité du mouve-
ment de la Réforme qu'on l'attribue encore aux princes qui «y trou-
vaient trop de satisfaction pour leurs passions », quand on traite de
sectaires et Bayle et les frères Haag et Henri Bordier, alors qu'ils
I . Nous ne citerons que celui de VIndex librorum piohibitorum émanant du Saint
Siège, soumis à l'examen préalable de ses censeurs (p. 407).
.1.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 3jg
n'ont pas fheur de partager les passions de M. l'abbé Féret ', on perd
le droit de s'étonner que la critique ne vous prenne pas au sérieux.
Préchant quelque part M. N. Weiss, le savant bibliothécaire de la
Société de l'histoire du protestantisme français (qui n'avait guère
besoin d'ailleurs de ce conseil), M. F. lui dit que « suivant les règles
actuelles de la critique » tout dans un livre de savant « doit être
rigoureusement historique, la forme comme le fond » (p. 162). C'est
parler d'or ; seulement, l'auteur aurait bien fait d'être logique * et de
pratiquer ses propres maximes. On se serait alors bien volontiers dis-
pensé de la tâche aussi pénible que nécessaire, de les lui rappeler ici \-
R.
Formelhafte Schlûsse im Volksmârchen, von Robert Petsch. — Berlin, Weid-
mann, 1900. In-8*, xij-85 pp. Prix : 2 mk. 40.
Nous devons déjà à M. Petsch une classification des énigmes popu-
laires ^ Aujourd'hui il s'applique à colliger ce qu'on pourrait tra-
duire les « dénouements-clichés » dans le conte populaire. Il en dis-
tingue de cinq sortes : — 1° dénouement simple, les bons sont
récompensés, les méchants punis, le héros sauvé, enrichi, honoré, et
tout est dit ; — 2° dénouement prorogé, on suit le héros au-delà des
limites du conte durant un temps ou le reste de sa carrière, « ils se
1. Il reproche à MM. Haag et Bordier d'avoir défendu, dans l'article afférent de
la France protestante, contre ses adversaires, la mémoire de Louis de Berquin ; lui-
même se livre à des plaisanteries d'un goût douteux (p. 134) en face du bûcher de
ce martyr, à propos d'une phrase de VHistoire ecctésiastique. Je laisse à juger à
d'autres où se trouve le « sectaire ».
2. Dans les grandes et dans les petites choses aussi. Ainsi je voudrais bien qu'on
m'explique la phrase, p. 409, où à propos d'une prétendue déclaration de la Faculté
contre le calendrier grégorien, on lit cette phrase qui fait rêver : « Tout cela cons-
titue une forte présomption contre la non-authenticité de laScntcntia; l'examen
intrinsèque vient à Vappui de cette non-authenticite'. »
3. Nous conseillerions aussi bien vivement à M. Féret, s'il est dans le cas de
donner une édition nouvelle de son ouvrage, de feuilleter quelques bons diction-
naires des Savants, ne fut-ce que le vieil Adelung, afin d'y apprendre à connaître
le nom et la vie des écrivains, théologiens, humanistes, érudits, compris dans les
différents Catalogues des livres censurés par la Faculté, et dont l'annotation, dans
son livre, est d'une indigence extrême. Seulement il faudrait qu'il sût assez d'alle-
mand pour ne pas prendre l'accusatif pour le nominatif et ne pas appeler par ex.
Brenti^en et Beltmen, des gens qui s'appelaient Brent:^ ex. Boehm {p. i7i)ou faire de
l'astronome J. Mûller de Kœnigsberg (Regiomontanus) un Rcgio Montan plus ou
moins authentique. Il n'appellera plus Carlstadt Carlostad et saura quOthon
Brunfels, fils d'un modeste ouvrier de Mayence, n'était pas gentilhomme, etc. Peut-
être ferait il aussi mieux, dorénavant, quand il s'occupera de Mclanchthon, de con-
sulter plutôt l'édition critique de ses œuvres dans le Corpus Re/ormatorum, édité à
Brunswick, qu'un volume publié en 1777.
4. Cf. Revue critique, XLVII (1899), p. 327.
38o REVUE CRITIQUE
marièrent, ils vécurent heureux, et ils eurent beaucoup d'enfants»;
— 3" dénouement-résumé, une phrase finale récapitule le conte tout
entier; —4° clausule finale, on annonce expressément, en une formule
soit nue soit plus ou moins agrémentée, que le conte est achevé; —
5° clausule personnelle, le narrateur s'introduit lui-même dans le
conte, qui souvent se termine alors par un galimatias burlesque. —
De chacun de ces cinq types, l'auteur distingue naturellement plu-
sieurs sous-variétés et donne de nombreux exemples tirés des recueils
européens ou exotiques les plus divers, en notant au passage la prédi-
lection au moins apparente de tel groupe ethnique pour tel genre de
dénouement. Il ne formule au surplus aucune autre conclusion, et je
ne crois pas en effet que son livre en comportât d'autres '.
Parmi les variétés du premier type, il a noté le dénouement com-
pliqué, dont il aurait donné, j'en suis sûr, l'exemple suivant, s'il eût
consulté le Pantchatantra; car c'est le chef-d'œuvre du genre. —
L'aveugle, guéri de sa cécité par la vapeur de la matelote de serpent
noir qu'on avait apprêtée pour l'empoisonner, aperçoit le bossu en
train de flirter avec sa femme, laquelle est affligée de trois seins.
« Furieux, sans que l'autre se doutât de rien, il alla au lit, saisit le
bossu par les pieds, le fit tourner de toute sa force par dessus sa tête
et le laissa retomber en plein sur la femme aux trois seins. Or le choc
du bossu lui renfonça son troisième sein dans la poitrine, et le bossu
lui-même, par l'effet du tournoiement énergique, se redressa. C'est
pourquoi je dis : L'aveugle, le bossu et la princesse aux trois seins
furent guéris tous trois par un procédé bien extraordinaire ^. »
V. Henry.
Marchesi (J.-B.). I romanzi delP abate Chiari. Bergame, institut italien d'arts
graphiques, 1900. In-8° de 102 p.
M. Marchesi, continuant l'œuvre exécutée par M. Albertazzi et par
lui-même pour le XVI« et le XVII« siècle, entreprend une histoire du
roman italien au XVIII», et nous offre, en attendant, une étude sur les
productions en ce genre de l'abbé Chiari. Il constate que les écrits de
cette nature, très à la mode en Italie jusque vers 1 700, furent délaissés
dans la première moitié du XVI II« siècle pour les Lettres Philosophi-
ques et les Essais Philosophiques; quant aux œuvres d'imagination en
1. P. 61, gascon marchèro. Le texte de Bladé porte marchèri, lequel en effet
signifie « je marchai ». Mais alors ce dénouement rentrerait aussi bien dans la cin-
quième catégorie que dans la quatrième, et j'en dis autant de quelques autres
clausules, bonnes à tout conte, citées au même endroit.
2. Remarquer que cette finale surajoutée constitue une contamination du premier
type par le troisième. Ces accidents sont plus fréquents que l'auteur ne le donne
à penser.
d'histoire et de littérature 38 I
prose, on se bornait alors à des traductions de Lesage, de Marivaux,
de Prévost, puis de Richardson, Fielding, Johnson, SmoIIett, etc. (on
trouvera quelques indications précises aux p. 10-12). L'infatigable,
l'intarissable Chiari se chargea de remettre le genre à la mode par ses
improvisations extravagantes mais faciles en 2, 4 ou 8 volumes dont
les éditions multiples se vendaient si bien que, pour écouler des ro-
mans plus faibles encore, quelques auteurs italiens les lui attribuaient.
M. M. résume incidemment \a Marjîsa bi:^^an'a écrite par Carlo
Gozzi contre Chiari (et dont l'héroïne fantasque semble annoncer la
Delphine de M™^ de Staël) ; les analyses qu'il donne des romans de
Chiari en font très bien ressortir la contcxture étrange; on peut seu-
lement regretter qu'il n'ait pas eu la patience de relever les traits de
mœurs, les scènes prises sur le vif que, de son aveu (p. 91), son au-
teur, parfaitement indifférent d'ailleurs aux grands événements de son
siècle (v. p. 100), a jetés cà et là dans le fatras de ses romans. — Une
bibliographie des romans de Chiari et une table renvoyant aux pages
où ces romans et d'autres sont cités, terminent cet utile ouvrage.
Charles Dejob.
— La traduction que M. Alexandre Beljame nous donne du Jules César de Shak-
speare (Paris, Hachette, 1899, 249 pp.) paraît devoir être définitive. Il serait dif-
ficile de trouver dans l'interprétation de cette pièce si souvent obscure plus de
pénétrante érudition, et plus d'exactitude et d'élégance dans la traduction même.
Si nous n'avons pas en France une traduction vraiment bonne de Shakspeare, la
faute en est, non à une prétendue incompatibilité entre « l'esprit français » et « le
génie de Shakspeare »,— ce sont là de grands mots vagues, assez vides de sens —
mais à l'incompétence ou au parti pris de la plupart des traducteurs. Les contre-
sens mis à part, dont M. Beljame, dans la préface de sa traduction de Macbeth,
a dressé une liste amusante, il reste la préoccupation sous laquelle les traduc-
tions sont faites. Ce sont le plus souvent des armes forgées pour des querelles
d'école. L'un, voulant adoucir la « sauvagerie de Shakspeare, l'affuble du man-
teau d'apparat des classiques, l'autre exagère l'élément « grotesque » p'bur faire du
poète un précurseur des rf;:v.ant:ques et de ses personnages des prototypes des
héros de M. Victor Hugo, des Bug-Jargal et des Han d'Islande. M. B. s'est contenté
d'une traduction consciencieuse, faite d'après des éditions originales. Car les tra-
ducteurs ne se sont jamais, non plus, préoccupés du texte qu'ils rendaient en
français. Il est entendu que la question de texte ne se pose pas pour les auteurs
modernes; seuls, les anciens, ont droit a l'honneur d'une étude critique. Or le plus
souvent les traducteurs français ont eu entre les mains des éditions du dix-hui-
tième siècle, où 'Se dissimulent les corrections de Rowe, de Pope et de Theobald.
M. B. commence par suivre fidèlement la première édition, c'est-à-dire l'in-folio
de 1623. S'il y a doute sur le sens d'un passage, il a recours à trois autres édi-
tions qui font autorité, celles de i632, de i663 et de i685. Grâce à cette méthode,
le nombre des conjectures se trouve réduit à trois ou quatre. Les lecteurs fran-
çais seront reconnaissants à M. Beljame d'avoir indiqué la mesure des vers, et
I
382 REVUE CRITIQUE
donné dans un index fort bien fait les explications indispensables sur les passages
difficiles. — Ch. Bastide.
— M. Alfred Morel-Fatio vient de publier à part une remarquable élude qu'il
avait fait paraître dans plusieurs numéros du Bulletin hispanique, sur le chef-
d'œuvre de Tirso de Molina, et peut-être bien de tout le théâtre espagnol : La Pru-
dencia er la mujer (la sagesse d'une femme). C'est la première étude d'une série
qui doit comprendre tout le théâtre de ce grand poète, l'un des plus cminents de
la scène castillane et qui ne semble pas avoir toujours été mis à son rang. Véri-
table monographie au point de vue historique et littéraire, ce n'est cependant pas
une critique linguistique, parce que ce côté plus aride du travail a été réservé pour
une édition critique de l'œuvre, que nous attendons avec impatience et dont cette
étude doit être considérée comme la préface. — H. de C.
— M. Clément Rochel poursuit l'entreprise dont nous avions déjà signalé le dé-
but,et publie le premier volume de ce qu'il appelle « Les chef s-d' œuvres du théâtre
Espagnol », qui doivent en comprendre trois. Tome I, (Lope de Vega, Tirso de Mo-
lina, Moreto. Paris, Garnier, i vol. in-12 de 600 pages). Mais à quelle idée répond
cette publication, c'est ce qu'il est assez difficile de deviner. Car d'une part, la
plupart des auteurs choisis ne sont pas représentés par des pièces vraiment ca-
ractéristiques de leur valeur, et même plusieurs des dramaturges les plus essen-
tiels de l'Espagne manquent tout à fait. D'autre part, celles de ces pièces qui
ont quelque droit au titre de « Chefs-d'œuvres », ont déjà été traduites, quelques
unes même plusieurs fois. Pour les autres, comme la Petite niaise {La dama boba
de Lope de Vega, et le Timide au Palais {El vergon^oso en palacio de Tirso), on
devine que M. R. aura été séduit par les exquises représentations qu'en ont don-
nées à Paris, en 1898 et cette année, M. Diaz de Mendoza et M"** Guerrero. Mais,
particulièrement pour la première de ces deux là, ce n'est qu'après des remanie-
ments formidables qu'elles ont vu la rampe. Leur rendre leur intégrité, surtout
avec une traduction où elles perdent absolument toute leur saveur, leur grâce et
leur cachet espagnol, c'est les remettre à leur rang. Or, la Dama boba est en réa-
lité une des pièces inférieures de Lope, comme intrigue et comme caractères, et
quant au Vergon^oso (d'ailleurs bien supérieur), en dépit de qualités de lan-
gue tout à fait charmantes, mais qu'on n'aperçoit plus ici, si c'est encore une des
jolies pièces de Tirso, elle est fort insuffisante à caractériser, à elle seule, le gé-
nie d'un des tout premiers poètes dramatiques de l'Espagne. Quant à la généralité
des pièces de ce premier volume {Le Châtiment sans vengeance, la Jolie Jïlle de Sé-
ville. Dédain pour dédain), et du second, annoncé sous presse {l'Alcade de Zalaméa, -
On ne badine pas avec V amour, la Dévotion à la croix, le Tisserand de Ségovie), le
choix est meilleur sans doute ; mais quoi ? elles ont toutes été traduites, quelques
unes même jusqu'à trois et quatre fois, et ces traductions (de Baret ou d'Antoine
de Latour, d'Alphonse Royer ou de Damas-Hinard) n'ont nullement disparu de la
librairie. Il faudrait donc au moins, pour justifier cette fantaisie, que, comme pour
l'excellent recueil de MM. Dubois et Oroz (d'ailleurs motivé par les examens de
langue espagnole) que nous annoncions récemment, les traductions nouvelles
fussent vraiment supérieures, et il s'en faut bien que ce soit le cas ici. Mais enfin,
vaille que vaille, si M. Rochel, au lieu de puiser dans un fonds aussi connu, où il
n'avait qu'à perdre son temps, s'était mis un peu à glaner dans le théâtre inex-
ploré de ces féconds auteurs castillans, et nous avait apporté sa récolte, il aurait
au moins contribué à développer le champ des études espagnoles, et attiré l'atten-
tion des chercheurs. Dieu sait qu'il n'avait que l'embarras du choix ! Evidem-
d'histoire et de littérature 383
ment, les routes non frayées demandent plus de travail, mais le mérite est en pro-
portion. — H de CuRZON.
-^ M. G. Ceci raconte dans l'opuscule / Reali educandati femminili di Napoli
(2« édit. revue. Naples, igoo. ln-8 de 114 p.), l'histoire des trois collèges royaux
de jeunes filles de Naples. Il ne faut pas que les noms donnés à ces établisse-
ments abusent : on les appelle Maria Clotilde di Savoia, Maria Pia di Savoia,
MargJierita di Savoia ; mais le troisième seul a été fondé par la dynastie régnante ;
les deux premiers datent de Joachim Murât, et M. C. veut bien rappeler que j'ai
raconté l'histoire de cette fondation dans l'Instruction publique en France et en
Italie au XIX^ siècle (Paris, Colin, 1894). M. Ç. expose d'abord l'histoire des cou-
vents où, au cours de ce siècle, les maîtresses et les élèves ont pris la place des
Religieuses ; il en donne la description ; quant aux collèges, il ajoute d'utiles dé-
tails à ce qu'on en savait déjà, notamment sur notre compatriote Rosalie Prota,
née baronne d'Arbon et, qui, après avoir tenu à Naples un pensionnat privé, prit
en 1829 la direction d'un de ces collèges, et il donne quelques lettres inédites à
elles adressées par Gerando. L'ouvrage est orné de plusieurs portraits et vues
d'édifices. — Charles Dejob.
— M. Gardini, agent consulaire des Etats-Unis à Bologne, a rassemblé en un vo-
lume ses notes amassées au cours de nombreux et longs voyages dans l'Amérique
du Nord. Le succès de son livre a engagé M. Rumbauer à en donner une version
allemande 'Gardini, In der Sternenbanner-Republik Reiseerinnerungen Nach der
zweiten Auflage des italienischen Originals von Rumbauer. Oldenbourg et Leipzig,
Schulze, igoo, pp. xv, 4o5 in-8, avec 41 illustrations et une carte), faite sur la se-
conde édition italienne, mise au point par le traducteur. Celui-ci a jugé à propos
de fondre ses adjonctions et rectifications dans le texte de l'original ; mais cette
partie de sa tâche dont nous ignorons l'étendue nous paraît essentielle. Les livres
sur l'Amérique vieillissent vite, et les voyages de M. G. remontent déjà à quinze ou
vingt ans. En second lieu le récit du voyageur est plein de menus faits, de chif-
fres, de statistiques, de tous ces détails soumis, surtout outre-mer, à une inces-
sante fluctuation. L'ouvrage ainsi conçu a dû plaire aux Américains et il leur
plaira encore sous sa forme nouvelle. L'auteur s'est fortement américanisé : il
note beaucoup, compte, pèse, mesure, jauge, calcule les dépenses, mais analyse
peu et philosophe rarement; tout au plus quelques résumés historiques et des
rappels de légendes, comme les aimaient les récits de voyages d'une autre généra-
tion. S'il ne faut pas chercher dans ce volume une psychologie de l'Amérique,
telle que M. P. Bourget nous la donnait naguère, ou y trouvera un tableau con-
trôlé à nouveau de la population de ses villes, de son commerce, de son industrie,
de ses produits, de ses écoles, de ses bibliothèques, etc. (Les dernières publica-
tions du bureau de recensement de Washington montrent combien ces statistiques
sont malgré tout incertaines. Ainsi Saint-Louis a 573,238 habitants, au lieu de
452,000; Baltimore, 508,957, au lieu de 450,000; HulValo, 352,2 18, au lieu de
256,ooo; Pittsbourg, 321,616, au lieu de 240,000 ; etc. Pour quelques villes il faut
au contraire diminuer les chiffres : Cincinnati n'a que 325, 902, et non pas, plus
de 400,000; Omaha tombe de 160,000 à 102, 553 ; etc). .\ l'homme d'affaires et à
l'économiste, simplement curieux d'une première orientation, le livre peut cire
utile; au même litre il le sera pour le touriste, désireux de parcourir en quelques
semaines le continent américain. Il suivra son guide de New-York oii il s'attardera
jusqu'à San-Francisco,. par Cincinnati, Saint-Louis, Chicago, en revenant le long
de la cote du Pacifique, puis de la frontière mexicaine, avec la Nouvelle-Orléans,
384 REYUE CRITIQUE
Washington et Philadelphie pour dernières et rapides stations. Les voies de com-
munication, les bons gîtes dans les fastueux hôtels, les curiosités artistiques ou na-
turelles, — sur ces dernières, M. G. s'étend complaisamment — rien d'important
pour le globe-trotter n'a été omis. A d'autres encore, le livre a dû faire plaisir:
aux compatriotes de l'auteur. Tout ce qui touche à la colonie italienne en Améri-
que, à la part qu'occupe dans la vie américaine l'art italien, surtout la musique
italienne, a été pieusement recueilli. Ceci constitue, je crois, un mérite réel et neuf
dans un ouvrage dont l'ensemble est de valeur trop éphémère, ou passé depuis
longtemps dans le domaine des connaissances vulgarisées. Il y a néanmoins
quelques pages qu'on doit signaler, soit que ses relations, soit que les rencontres
du voyage aient bien servi l'auteur; je citerai sa visite à Longfellow, au général
Sheridan, son excursion chez les Mormons. On aurait souhaité que ces parties
originales fussent plus nombreuses. Malgré tout, les souvenirs de M. Gardini res-
tent un livre d'information variée, consciencieuse, quoique incomplète, qui n'est
point tombé dans le séduisant défaut d'étourdir l'Européen par le récit orné et
amusant du 6/u_^ américain. — L. Roustan.
ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 7 septembre igoo.
M. Heuzey entretient l'Académie d'un travail de reconstitution archéologique
exécuté pour l'Exposition universelle (section des missions scientifiques). Il s'agit
du grand bas-relief historique du roi Eannadou, découvert en Chaldée par M. de
Sarzec et connu sous le nom de Stèle des Vautours. Grâce à cette restitution ma-
térielle, établie avec des moulages, la place de sept fragments jusqu'ici retrouvés a
pu être déterminée avec certitude et la position qui leur avait été assignée d'avance
au musée du Louvre est de tous points confirmée . Un petit fragment, dont le mou-
lage a été très obligeamment envoyé par le British Muséum, a contribué à cette
confirmation. Il donne le pied droit de la grande figure de divinité qui tient les
prisonniers enfermés dans une sorte de cage. Or, en rétablissant le tracé des lo-
sanges qui forment le treillis de cette cage, on a obtenu géométriquement la hau-
teur de la figure principale. Sur la face opposée, le même fragment est venu com-
pléter une des scènes les plus curieuses : la représentation des funérailles après le
combat. A côté de la pyramide de cadavres humains, on voit maintenant un en-
tassement d'animaux immolés, sur lesquels un homme complètement nu était
monté pour procéder au rite de la libation. Cet acte religieux s'accomplit suivant
l'usage chaldéen, c'est-à-dire que la libation, au lieu de se perdre à terre, est ver-
sée sur des bouquets de branches de palmier avec leurs inflorescences ou leurs
régimes de dattes; ces gerbes végétales sont placées dans deux grands vases auprès
du taureau couché, qui est la principale victime offerte.
M. Senart a la satisfaction de faire connaître que M. Pelliot, pensionnaire de
l'Ecole française d'Extrême-Orient, qui était enfermé à Pékin, et au sort duquel
l'Académie s'est intéressée à plusieurs reprises, a pu enfin transmettre à sa famille,
qui l'a reçu aujourd'hui même, un message complètement rassurant. M. Senart
avise également l'Académie du retour tout récent du premier pensionnaire à cette
même Ëcole désigné par l'Académie, M. Cabaton.
M. Héron de Villctosse communique une série d'observations sur le texte du
papyrus latin de Genève n» i, dues à M. le capitaine Espérandieu, professeur à
l'Ecole militaire de Saint-Maixent. Ces observations viennent confirmer ce qui a
déjà été dit aii sujet de ce texte. Elles montrent que l'administration militaire, à
l'époque romaine, avait plus d'un point commun avec celle de nos armées rnoder-
nes. Il y a, par exemple, une identité presque absolue entre la comptabilité de
l'armée romaine et celle qui était en usage en France il y a une vingtaine d'an-
n é es. On retrouve aussi dans le texte de ce papyrus des mentions de soldats « mis
d'histoire et de littérature 385
en subsistance », pour des causes qui nous échappent, dans des centuries autres
que la leur. « La mise en subsistance » est encore de règle actuellement, quand
un homme est éloigné par un service spécial de l'unité administrative à laquelle il
appartient.
M. Héron de Villefosse étudie ensuite une inscription/latine de Vaison, dont la
dernière ligne n'a jamais été interprétée d'une manière satisfaisante, et y recon-
naît le titre d'une fonction municipale, /:?'^/<?c^ï/s /7i/w/h/s Ovidis. Ce préfet muni-
cipal était donc chargé de surveiller le cours de l'Ouvèzc et d'y assurer la naviga-
tion. On sait par des inscriptions de Saint-Gilles et de Nimes, qu'il existait une
corporation de bateliers de l'Ouvèze, Nautce Ovidis.
M. Philippe Berger, rendant compte d'un travail de M. Louis Levistre sur l'ori-
gine des monuments mégalithiques que l'auteur attribue aux Phéniciens, fait
quelques réserves au sujet des conclusions formulées dans cette communication.
Séance du 14 septembre igoo.
Lecture est donnée de l'ampliation du décret autorisant l'Académie à accepter le
legs qui lui a été fait par M. Dourlans.
M. Salomon Reinach essaie d'établir que le^célèbre groupe de VEnfant à rOie,
qui est la copie d'un bronze dû au sculpteur grec Boéthos, ne représente pas,
comme on l'a pensé, un simple sujet de genre. Selon lui, il s'agit d'Esculape enfant,
qui, attaqué par une oie sauvage, la réduisit à l'obéissance et en lit .son oiseau fa-
milier. A l'appui de cette hypothèse, M. Reinach rappelle qu'il y avait des oies
guérisseuses dans les temples d'Esculape ; qu'une copie du groupe de Boéthos_ se
voyait dans le temple dédié à Esculape dans l'île de Cos et que Boéthos est préci-
sément cité, dans une inscription grecque comme l'auteur d'une célèbre statue
d'Esculape enfant.
M. Héron de Villefosse annonce qu'on vient de retrouver, au musée du Louvre,
une base en marbre ornée d'une inscription grecque portant le nom de Théodori-
das, fils de Lasistratos, découverte à Milo en "même temps que la célèbre 'Vénus de
ce nom. Ce monument n'était connu, jusqu'à présent, que par le croquis d'un
officier de marine nommé \'outier, présent à la découverte, lequel croquis a été pu-
blié par M. Ravaisson et étudié par M. Salomon Reinach. Cette base avait été, à une
époque lointaine, malencontreusement accouplée, au musée du Louvre, avec un
monument funéraire de basse époque, et les lettres de l'inscription passées au
rouge avaient été dénaturées. Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que
l'un des Hermès découverts avec la Vénus de Milo entre exactement dans une ca-
vité pratiquée à la partie supérieure de la base, ce que démontrent, d'ailleurs, avec
évidence, les moulages présentés à l'Académie par M. Héron de Villefosse. De
cette communication, il résulte que Voutier n'avait pas, comme on l'en a accusé,
réuni arbitrairement cette base et cet Hermès. Les historiens de l'art antique pour-
ront désormais utiliser ce document dans leurs études.
M, Salomon Reinach insiste ensuite sur l'importance de la découverte annoncée
par M. Héron de \'illefosse. Cette découverte permet, en effet, d'écarter, d'une
façon définitive, l'opinion de M. Furtwœngler qui fait remonter la Vénus de Milo
aux environs de l'an 100 avant Jésus-Christ.
M. Reinach pense que cette même découverte confirme, en revanche, la thèse
que depuis plusieurs années il soutient lui-même, d'après laquelle il faudrait pla-
cer vers l'an 38o avant Jésus-Christ non seulement la date de la Venus de iNlilo,
mais encore celle du Neptune de Milo, dont on peut voir en ce moment le moulage
devant le pavillon hellénique, dans la rue des Nations, à l'Exposition universelle.
Ce Neptune a été otlért parle même Théodoridas, qui a aussi consacré la base de
l'Hermès, retrouvée par M. Héron de Villefosse, laquelle base, d'après les caractè-
res de l'inscription, remonte à l'an 35o a. C. M. Reinach croit donc que la Vénus
de Milo (qu'il considère comme une Amphitrite) a été associée autrefois au Neptune
et que ces deux œuvres sont sorties du même atelier.
M. Gustave Oppert, ancien professeur à l'Université de Madras, communique uu
mémoire sur les Salàgramas ou pierres sacrées des aboi-igèncs non-aryens de
l'Inde. Ces pierres ou coquilles pétrifiées, sont les emblèmes de \'ichnou, le dieu
conservateur. La croyance relative à ces pierres sacrées représentant le principe
féminin a été le précurseur de la doctrine athée de Kapila, nominée Sankhya. Les
formes très diverses de ces pierres ont des vertus très variées, bienfaisantes ou
malfaisantes. — M. Jules Oppert présente quelques observations.
Se'atice du 21 septembre lyoo.
M. Mûntz, au nom de la Commission des Ecoles françaises d'Athènes et de
f
386 REVUE CRITIQUE
Rome, propose d'accorder une prolongation d"unc année de séjour à M. Victor
Chapot, membre de l'Ecole d'Athènes.
M. Homolle, directeur de l'école française d'Athènes, rend compte des travaux
exécutés pendant le cours de l'année 1900 :
I. — - ^'oj'i^ges d'exploration. — 1° Recherches sur le limes syviaciis, par M.Cha-
.lot. — Le but de ce voyage est l'étude de l'organisation de la défense sur les
"rontières orientales de l'empire romain. Un accident qui a compromis la santé de
"M. Chapot l'a arrêté au moment même où il annonçait la découverte de plusieurs
pierres milliaires inédites.
2" Exploration de la Bithynie. — M. G. Mendel a poursuivi dans la région
orientale de cette province les recherches exécutées, l'an passé, dans la région oc-
cidentale. Trois cents textes, la découverte de l'emplacement d'Adrianopolis, des
données intéressantes sur le réseau des routes, sont le résultat satisfaisant de ce
voyage.
II. — Fouilles. — En Thrace, M. Seure avait été chargé d'explorer les tumuli
pour y rechercher les traces de la civilisation thrace. Aux fonds dont disposait
l'Ecole d'Athènes le gouvernement bulgare a ajouté, comme Tan passé, une sub-
vention de 2,000 fr. Les fouille sont porte sur les tumuli de Philippoli et de lamboli.
Les objets retrouvés s'étagent de la surface du sol jusqu'à 7 mètres au-dessous ;
ils s'espacent de l'époque romaine aux âges préhistoriques. Les libéralités du
prince de Bulgarie ont permis aux travailleurs d'explorer la vieille ville bulgare de
Tirnovo et la cité romaine de Nicopolis.
En Crète, M. Demargne a fouillé sur l'emplacement d'Erimopoli (Itanos),
et sur l'acropole archaïque de Goulos. C'est une des plus belles citadelles de la
Grèce. Plusieurs enceintes de murailles subsistant en entier, la voie qui montait à
l'agora, l'agora elle-même, le prytanée, plusieurs temples, des offrandes d'argent,
un trésor, des monnaies, ont été déjà découverts. De plus, le plan de la ville, levé
par les soins de l'Ecole, permettra de poursuivre avec résultat ces fouilles dont on
peut beaucoup espérer.
A Delphes, après avoir déblayé le temple^ puis ses dépendances, le stade, le
théâtre, la fontaine Castalie, le gymnase, on a entrepris la recherche de l'hippo-
drome et celle du temple d'Athèna Pronaia. Après avoir déterminé l'enceinte et le
temple, l'emplacement des portes, on a dégagé les soubassements d'un trésor
du cinquième siècle, de style ionien, très analogue su trésor de Cnide, un temple
rond, etc.
Cet endroit, qui passait pour avoir été fouillé sous Capo d'Istria, semble au
contraire contenir un groupe d'éditices remarquablement conservés et décorés de
frises sculptées. Huit jours de sondage ont permis de retrouver de très précieux
fragments. Le terrain sera exproprié et fouillé dans toute son étendue.
Cet automne, on commencera les fouilles du temple d'Athêné-Aléa à_ Té-
gée, que Pausanias désigne comme le plus beau du Péloponnèse et qui était décoré
de frontons sculptés par Scopas. Les libéralités de la Société archéologique
d'Athènes, qui, sur l'invitation de M. Cavvadias, correspondant de l'Académie des
inscriptions et belles lettres, a pris à sa charge les frais d'expropriation, ont facilité
l'exploration de ce célèbre monument.
M. Héron de Villefosse communique un long rapport du R. P. Delattre sur les
fouilles qu'il poursuit à Carthage, à l'aide des^fonds fournis par l'Académie. Pen-
dant les six premiers mois de l'année courante, le P. Delattre a exploré les tombes
de la nécropole punique voisine de la colline de Sainte-Monique. Il y a fait de
très curieuses découvertes qui sont venues augmenter les belles séries de monu-
ments antiques déjà exposés au musée de Saint-Louis. Des terres cuites peintes,
brûle-parfums sous forme de têtes de déesses, figurines et femmes, rasoirs en
bronze ornés d'inscriptions puniques et de sujet au trait, amulettes de tout genre,
en or, en argent et en ivoire, \ases en forme d'oiseaux et d'animaux, constituent
les principaux éléments de ce mobilier funéraire qui permet de juger et d'appré-
cier l'art des Carthaginois.
Séance du 2<V septembre igoo.
M. Henri Omont donne lecture, au nom de M. Léon G. Pélissier, professeur
d'histoire à la Faculté des lettres de l'Université de Montpellier, d'un mémoire sur
les dates de trois lettres inédites de Jean Lascaris, ambassadeur de France à Venise
(i5o4-i3o9). Ces trois lettres, conservées à la Bibliothèque nationale dans la Col-
lection Dupuy, sont tout ce qui reste de la correspondance politique du célèbre
helléniste et de ses négociations avec la Sérénissime République. Elles ne portent
qu'une date de jour et de mois, sans mention de l'année. M. Pélissier en fixe la
date dune façon précise : 20 août i3o3, 21 novembre ibo-j et 11 juillet i5o8. II
étudie ensuite chacune d'elles en particulier et fait ressortir l'intérêt historique de
d'histoire et de littérature 387
ces trois dépêches pour l'étude de \à politique encore si embrouillée des rois de
France et des souverains italiens.
M. E. Babelon présente à l'Académie deux disques ou rondachcs en argent
doré, de travail oriental, ornés sur leur surface de scènes de chasse e-n reliet', au
repoussé, qui rappellent la décoration de certaines coupes sassanidcs. Ces deux
disques étaient probablement des umho de boucliers. Sur celui qui est le mieux
conservé on lit deux inscriptions grecques : Sanctuaire d'Artémis et Des offrandes
du roi Mithridate, Ce roi Mithridate est probablement .Vli'hridate le Grand, le ter-
rible adversaire des Romains. Quant au temple d'Artémis, il s'agit de la déesse
Ma ou Enyo, de Comana, dans le Pont, ou ces deux monuments ont été dé-
couverts. — MM. Reinach et Dieulafoy présentent quelques observations.
Séance du 5 octobre igoo.
M. Helbig, associé étranger de l'Académie, fait une communication sur les î-zs';
athéniens. D'après les auteurs grecs, les Athéniens n'ont recruté aucun corps de
cavalerie parmi leurs propres citoyens qu'après la paix de 5o ans conclue en 452
a. C. Il y a pourtant des faits qui, au premier coup d'œil, semblent contredire
cette indication. La seconde des classes dans lesquelles Solon divisa les citoyens
athéniens d'après le cens, portait] le noni d'î-TsTî. Mais les peintures des vases
attiques contemporains prouvent que ce n'étaient' pas des cavaliers au sens propre
du mot. On y voit exclusivement des hoplites qui ne se servent du cheval que
comme moyen de transport et qui combattent après avoir mis pied à terre pen-
dant que leurs chevaux sont gardés derrière la ligne de bataille par des jeunes
garçons armés de javelots ou par des archers. Donc, les « cavaliers » de Solon
étaient sans aucun doute non pas des cavaliers dans le sens le plus récent du mot,
mais des citoyens athéniens qui faisaient leur service comme hoplites et qui étaient
assez riches pour entretenir les chevaux qui les transportaient pendant les mar-
ches et des gens qui les accompagnaient et gardaient leurs chevaux pendant le
combat. En outre, on voit quelque fois sur les vases attiques du temps de Pisis-
trate et des Pisistratides des cavaliers équipés d'une façon analogue à celle de la
cavalerie proprement dite. Mais comme Pisistrate avait désarmé le peuple athé-
nien, il est a priori probable que ces cavaliers n'étaient pas des citoyens athéniens,
mais des étrangers. D'un autre coté, nous savons que Pisistrate s'était allié avec
le roi de Thessalie, que ses tils maintinrent cette alliance et qu'en 5 12, des cava-
liers thessaliens combattirent dans les rangs athéniens contre les hoplites de
Sparte. Il semble donc que les cavaliers que l'on voit sur les vases attiques con-
temporains n'étaient pas des Athéniens, mais plutôt des Thessaliens . Cette
hypothèse est confirmée par le pétasos thessalien qui couvre la tète de ces
cavaliers.
M. Brcal lit une note sur l'ctymologie du mot àopôrri, défini par Lancelot, dans
son Jardin des racines grecques, «nuit, temps où l'on erre ».
Séance du 12 octobre igoo.
L'examen des titres des candidats à la place de membre ordinaire vacante par
le décès de M. Ravaisson est fixée au 3o novembre prochain.
L'Académie procède à la nomination d'une commission de quatre membres,
chargée de proposer un sujet pour le prix Bordin (études orientales). Sont élus:
MM.'Bréal, Barbier de Meynard, Oppert et Derenbourg.
L'Académie procède ensuite à la nomination d'une autre commission de quatre
membres chargée du même travail pour le prix Bordin (antiquité). Sont élus :
MM. Girard, Boissier, Saglio et Croiset.
M. Ad.Wilhelm, secrétaire de l'Institut autrichien d'archéologie d'Athènes, com-
munique un fragment d'inscription trouvé, il y a déjà longtemps, à l'Acropole
d'Athènes et dont il fait ressortir, par des restitutions nouvelles, l'importance his-
torique. Il montre que dans ce texte, jusqu ici resté inexpliqué, il ne peut être ques-
tion que de l'exemption de la taxe des métèques accordée par les Athéni""' "■■"•
habitants exilés d'Olynthe, après la prise de la ville par Philippe.
L'Académie se forme en comité secret.
liens aux
Séance du ig octobre igoo.
M. Gagnât communique, de la part de M. Gauckler. les résultats des fouilles
entreprises par M. le lieutenant Gombeaud dans le poste romain de Ksar-Khclàn
dans le Sahara tunisien. Le déblaiement de ce poste a amené la découverte de
toute la série des chambres qui constituent la caserne, d'un réduit central réserve
au commandant du poste et de constructions annexes situées à quelque distance
du fortin. Une inscription trouvée dans les fouilles donne le nom antique de la
localité : Tisavar.
388 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
La commission du prix Bordin (études relatives à l'Orient), propose le sujet sui-
vant pour 1903 .-Etudier avec détail une période de l'histoire de V Indo-Chine. —
La même commission (antiquité classique) propose le sujet suivant, également
pour iqo3 : Etudier l'authenticité et le caractère des monographies qui compo-
sent l'Histoire Auguste, l'époque oii elles ont été composées et quels en sont les
auteurs.
M. Salomon Reinach fait une communication sur les types féminins de Lysippe.
Il remarque que les historiens de l'art grec n'ont coutume de s'occuper que
des types virils créés par Lysippe, alors que les textes antiques lui attribuent
"aussi des tîgures de femmes et que dans l'œuvre immense qu'il a laissée, ces
figures devaient occuper une place importante. Prenant pour point de départ la
copie de l'Apoxyomène de Lysippe, au Vatican, qui est admirablement conservée,
M. Reinach essaye d'établir que les caractères particuliers de cette sculpture, en
particulier la forme et la dimension relatives des traits du visage se retrouvent
dans plusieurs têtes de femmes en marbre, notamment dans la prétendue Om-
phale d'une collection anglaise et dans les statues drapées du musée de Dresde
qui ont été découvertes à Herculanum. Il exprime l'avis que ces trois statues
représentent Mnémosyne accompagnée de deux Muses et sont les copies exactes
d'un groupe en bronze de Lysippe qui était conservé à Mégare. Au sujet des
copies en marbre de statues de bronze, M. Reinach croit pouvoir poser en prin-
cipe que les statues de bronze seules étaient moulées dans l'antiquité, celles de
marbre était soustraites à cette opération qui en aurait gâté la polychromie ;
donc, toutes les fois qu'on trouve deux ou plusieurs répliques exactement concor-
dantes d'une figure antique, il faut admettre que l'original était en bronze. Ce
principe entraîne des conséquences importantes pour l'histoire de l'art ; il oblige,
notamment, à rapporter à un original de bronze, et non à un marbre d'Alcamène
ou de Praxitèle, le beau type dit de la Venus genitrix dont il existe de très nom-
breuses répétitions.
M. Clermont-Ganneau commente un fragment d'inscription trouvé par le
D' Bliss dans les fouilles entreprises sur l'emplacement de l'antique Eleuthéro-
polis, dans la Palestine méridionale. Cette inscription grecque, gravée sur un
fragment de colonne, ou plutôt une base de statue, mentionne une Arsinoé, qui
doit être Arsinoé, sœur et femme de Philopator.
Séance du 26 octobre igoo.
M. Salomon Reinach annonce qu'un fragment nouveau du texte grec de l'édit
de Dioclétien sur le maximum, promulgué en 3or, donne enfin le prix du blé et de
l'orge, que l'on avait vainement cherché jusqu'à présent. Le blé valait 12 fr. 85
l'hectolitre, l'orge 7 fr. 70. Au premier siècle de l'Empire, le prix de l'hectolitre de
blé avait oscille entre i3 et i5 francs. — Le texte épigraphique qui contient ces
renseignements a été découvert à Aegira en Achaïe et publié à Athènes par
M. Stais. — M. Babelon présente quelques observations.
M. Dieulafoy communique le mémoire qu'il lira à la séance publique annuelle
de l'Académie, le 16 novembre prochain : Rejlets de l'Orient sur le théâtre de
Calderon.
L'Académie se forme en comité secret.
M. Eugène Mûntz fait une communication sur les illustrations de Pétrarque aux
xiV, XV' "et xvi« siècles. L'iconographie du iv^hé de Remediis utriusque fortunœ de
Pétrarque n'a pas encore été étudiée, bien qu'elle soit fort importante. Elle est
loin d'offrir l'unité qui peut se constater dans les innombrables interprétations
des Triomphes du même auteur. Chaque artiste l'a conçue à sa façon. Seule la
roue de la Fortune avec ses accessoires reparaît invariablement. D'autre part, la
France, où l'ouvrage de Pétrarque avait été traduit sous Charles V par Nicolas
Oresme, et l'Allemagne, grâce à Sébastien Brant, sont les deux seuls pays oti le
de Remediis ait tente les illustrateurs. Longtemps indécise, surtout dans les mi-
niatures françaises du xv« siècle, cette illustration se précise enfin dans un manus-
crit de la Bibliothèque nationale exécuté pour Louis XII. A des figures allégori-
ques plus ou moins inspirées du Roman de la Rose., à des personnages de la cour
de Louis XII il mêle des épisodes pittoresques, piquants ou tragiques. Si ces com-
positions eussent été gravées, elles eussent assuré au traité de Pétrarque une
vogue égale à celle qu'il obtint en .\llemagnc grâce aux illustrations d'un dessina-
teur de ï'école de Burgmair. Ces gravures (plus de 200) parurent d'abord à Augs-
bourg en i532 ; elles furent réimprimées au moins dix fois jusque vers le miliéu-
du xvii° siècle.
Léon Dorez.
* Propriétaire-Gérant: Ernest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 47 — 19 novembre — 1900
CuRcio, Les œuvres de rhétorique de Cicéron. — J. Hastings, Dictionnaire bibli-
que. — H. Quentin, Mansi et les grandes collections conciliairce. — Stlmpf,
Tableaux pour l'histoire de la philosophie. — Douglas, Fra Angelico. — And-
LER, Benoist, Welschinger, Bismarck. — Houtin, Dom Couturier. — Académie
des inscriptions.
Gaetano Curcio. Le opère retoriche di M. Tullio Cicérone, studio critico.
Acireale, tipografia dell' Etna, 1900, iv-222 pp. in-8.
Après deux chapitres préliminaires sur la rhétorique grecque et le
travail des stoïciens, M. Curcio prend chacune des œuvres de rhéto-
rique, y compris les livres à Hérennius, en fait l'analyse, résume le
système proposé, indique les sources, et fait l'histoire des questions
particulières qui se rattachent à des dialogues comme le Briitus ou le
De Oratore. On sait combien toute cette scolaslique sur les constitua
tiones causae nous paraît artificielle et puérile. Ce schématisme repo-
sait pourtant sur un fonds d'observation morale et de vie réelle, qui le
rend moins fastidieux, quand on s'aventure à le considérer avec un
peu d'attention. C'est aussi, qu'on le veuille ou non, le cadre où nous
retrouvons quelques-unes des pages les plus intéressantes de la litté-
rature latine. Le travail de M. Curcio, où les tableaux synoptiques et
les résumés méthodiques ne sont pas épargnés, sera donc le bienvenu
de quiconque voudra se faire une idée, non plus de quelques mor-
ceaux détachés, mais de l'ensemble des traités cicéroniens. Le lecteur
n'aura plus à prendre la peine de débrouiller et d'éclairer ces doc-
trines. M. Curcio est d'ailleurs très au courant de toutes les publica-
tions récentes et en discute les conclusions. Il a même attiré l'atten-
tion des latinistes sur un chapitre du D/o;z de M. von Arnim qui aurait
risqué fort de leur échapper. Pour le nombre oratoire, M. Curcio ren-
voie à un ouvrage antérieur sur Calvus et Cicéron ; cependant il ne
paraît pas connaître les derniers travaux français relatifs à la prose
métrique. Malgré cette lacune, le livre est une bonne introduction à
la lecture des œuvres analvsées.
P. L.
Nouvelle série L. 47
390 RËVUË CRtTÎQÛË
A Dictionary of the Bible, edited by J. Hastings, with the assistance of
J.-A. Selbie, A.-B. Davidson, S. -R. Driver, H.-B. Swete, Edinburg, Clark, 1899-
1900 ; trois volumes gr. in-8», 864, 870, 896 pages.
Ce dictionnaire biblique comprendra quatre volumes, dont trois
ont déjà paru : le quatrième est annoncé pour 1901 . Il formera une
véritable encyclopédie de la science biblique, et, si Ton en juge parles
parties déjà publiées, la plus complète probablement, et la mieux
équilibrée de toutes celles qui existent maintenant. Un dictionnaire
de la Bible, disent les savants éditeurs, doit expliquer tous les mots de
l'Écriture qui ne s'expliquent pas eux-mêmes, c'est-k-dire tous les
noms de personnes et de lieux, tout ce qui concerne Tarchéologie,
l'ethnologie, la géologie, l'histoire naturelle, la doctrine morale et reli-
gieuse des Livres saints, leurs textes originaux, les versions anciennes,
et même certaines particularités de la version anglaise autorisée. La
préparation des articles a été confiée à des hommes compétents : l'iné-
galité de valeur entre les articles, défaut ordinaire des recueils de ce
genre, ne se rencontre guère dans celui-ci.
Une œuvre aussi considérable ne se prête pas à la critique de détail.
Disons qu'elle ne laisse presque rien à désirer au point de vue de
l'érudition. Les articles de géographie, dont plusieurs sont signés
Conder, Warren, Ramsay, méritent une mention spéciale ; de même
les articles concernant le langage de l'Ancien Testament (S. Margo-
liouth), celui du Nouveau (J.-H. Thayerj, les anciennes versions latines
(H. -A. Kennedy), l'Assyrie (F. Hommel), l'Egypte (W.-E, Crum),
l'eschatologie de l'Ancien Testament (A.-B. Davidson), celle des apo-
cryphes et de la littérature apocalyptique (R.-H. Charles), celle du
Nouveau Testament (F. Salmond , Dieu dans l'Ancien Testament
(Davidson), dans le Nouveau (W.Sandey),rHexateuque ;P. -H. Woods)
et les livres qui le composent, Genèse et Deutéronome (H.-E. Ryle),
Exode, Lévitique, Nombres ^G. Harford-Battersby), Josué (J.-A.
Smith), les Évangiles (V.-H. Stanton). Cette liste pourrait être allon-
gée indéfiniment.
L'esprit général de la publication est vraiment scientifique, l'étude
critique de la Bible en est la base ; tout le travail critique des derniers
temps en a fourni les matériaux. Dirons-nous qu'elle est exempte de
toute préoccupation théologique? Ce serait peut-être aller trop loin.
Excluons seulement le parti pris et l'intolérance dogmatique. Il sem-
ble que, dans l'ensemble, la critique de l'Ancien Testament y soit
plus libre et plus sûre d'elle-même que celle du Nouveau. Ainsi la
question de l'Hexateuque y est exposée conformément aux opinions
qui sont acceptées aujourd'hui par la très grande majorité des exégètes
allemands. L'auteur de l'article sur Isaïe (G.-A. Smith) retire à ce pro-
phète non seulement la seconde partie du livre qui porte son nom,
mais plusieurs morceaux de la première partie ; il abandonne aussi
l'authenticité du cantique d'Ézéchias, qu'il a autrefois soutenue.
d'histoire et de littérature 391
L'histoire du livre de Jérémie (Davidson) est très bien comprise ; les
différences qui existent entre l'hébreu traditionnel et les Septante sont
attribuées à un travail d'amplification auquel- les manuscrits qui ont
servi pour la version grecque avaient en partie échappé. Le livre de
Daniel (E.-L. Curtis) a paru au temps d'Antiochus Epiphane, proba-
blement en i65:le cas de cette prophétie, placée sous le nom d'un
personnage ancien, est le même que celui du Deutéronome et du Code
sacerdotal attribués à Moïse, de l'Ecclésiastc attribué à Saiomon, pour
ne rien dire des écrits qui se sont recommandés de Baruch, d'Hénoch,
etc. Le livre de Job (W.-T. Davison^ a été composé au vi' ou au V siè-
cle avant notre ère ; les discours d'Élihu et quelques autres morceaux
de moindre étendue y ont été ajoutés après coup. Le livre de Jonas
(Ed. Kônig) est synibolique et il a été composé après l'exil. Mais on
suppose, bien gratuitement, que ceux qui l'ont rangé parmi les petits
prophètes se rendaient compte de son caractère, on pousse presque à
l'exagération le soin de réfuter l'interprétation historique, et surtout
d'expliquer comment le Sauveur dans l'Évangile a pu faire allusion à
l'histoire de Jonas comme si elle était arrivée. Ce n'est pas le seul en-
droit où l'exégèse des savants rédacteurs se montre plus circonspecte
que leur critique littéraire. Ainsi les notices des patriarches Abraham,
Isaac, Jacob, Juda, Joseph, sont conçues à peu près comme s'il s'agis-
sait de personnages historiques, mais on observe, à propos d'Abraham,
que Céthura, Hagar, Ismaël figurent des relations de tribus ; à propos
disaac, que les aventures de Sara et de Rébecca chez le roi de Gérar
sont deux versions du même fait; à propos de Jacob, que les récits
concernant les trois grands patriarches sont vrais pour le fond, mais
que leurs caractères ont été idéalisés, que leurs biographies sont à
beaucoup d'égards pénétrées des sentiments et des idées, même des
fictions d'un autre âge, que Jacob gardant les brebis de Laban peut
être un individu, mais que, lorsqu'il fixe avec son beau-père la fron-
tière de la Syrie et d'Israël, lui et Laban représentent deux peu-
ples; à propos de Joseph, que sa vie, dont on marque la date,
pourrait bien être, en partie, ou tout à fait, une projection dans
le passé, sous forme individuelle, de l'histoire des tribus qui sont cen-
sées être nées de lui ; à propos de Juda, que l'histoire de ses mariages,
dans Gen. xxxviii, est tout simplement celle de la tribu qui porte son
nom. Il est douteux qu'on puisse tenir dans cette situation quelque
peu équivoque : on aurait dû distinguer plus nettement les différentes
formes des légendes patriarcales selon les documents, et en faire
mieux ressortir le caractère symbolique. Rien n'empêche qu'Abraham
ait existé, mais ce qu'on nous raconte de lui n'est pas sa biographie.
On nous dit, dans l'article sur la circoncision, que ce patriarche fut
circoncis à quatre-vingt-dix-neuf ans : il est vrai que cela est écrit,
mais il n'est pas écrit que cela soit historiquement vrai.
Passant au Nouveau Testament, nous trouvons qu'un article très
392 ftÈVUE CRITIQUE
remarquable a éié consacré au second Évangile : l'auteur (Salmond) se
prononce entre l'authenticité de la finale [Marc, xvi, 9-20), admet
la priorité de Marc relativement aux deux autres Synoptiques, et l'em-
ploi limité de sources écrites pour Marc lui-même. L'article sur
Mathieu (Rartlet) est moins satisfaisant : le premier Évangile dépen-
drait de Marc et d'une catéchèse orale qui se rattacherait à l'apôtre
Matthieu. En fait, le Discours de la montagne, et d'autres morceaux
que l'on rapporte à la catéchèse sont des compilations de sentences qui
ne peuvent guère procéder immédiatement de la tradition orale ; et il
est bien téméraire de soutenir que les données particulières intercalées
par le rédacteur du premier Évangile dans le récit de la passion selon
Marc, appartiennent à la tradition de l'apôtre Matthieu. Les problèmes
que soulève la composition du troisième évangile sont bien traités
(par J.-M. Bebbs) spécialement la question des sources, celle du rap-
port de Luc avec Josèphe et avec l'évangile de Marcion. L'article sur
le quatrième Évangile (H. -R. Reynolds), très documenté d'ailleurs, et
très complet à sa manière, ressemble trop à un plaidoyer en faveur de
l'authenticité apostolique. Dans la discussion du témoignage de Justin,
on rapporte à /e^n, xix, i3, une allusion qu'on dit confirmée par
l'Évangile de Pierre, et qui est plutôt un emprunt à cet apocryphe.
On ne remarque pas que le Canon de Muratori semble préoccupé
d'affirmer l'origine apostolique du quatrième Évangile, et qu'il l'af-
firme au moyen d'un récit purement légendaire. Dire que Papias usait
largement de Jean, et que, pour cette raison même, Eusèbe ne l'a pas
fait remarquer, est plus qu'un paradoxe: Eusèbe mentionne chez Pa-
pias l'usage de la première Épître Johannique, et il aurait parlé de
l'Évangile, s'il en avait trouvé des traces évidentes ; Polycarpe, qui cite
également l'Épître, ne fait pas le moindre emprunt à l'Évangile; et ce
n'est pas seulement Eusèbe, mais Papias lui-même qui parle de deux
Jean, l'Apôtre et l'Ancien; c'est Jean l'Ancien que Papias a connu. 1 renée
fait de Papias un disciple de l'Apôtre ; mais le témoignage de Papias
ne l'emporte-t-il pas en cette occasion sur celui d'Irénée? Celui-ci,
dit-on, n'a pu se tromper sur la qualité du maître de Polycarpe, qui a
été aussi celui de Papias. Là est la question. Les anciens qui avaient
vécu avec Jean, enseignaient que le Christ avait atteint la vieillesse
quand il mourut : cette « tradition » venait-elle d'un compagnon de
Jésus ? Nous ne prétendons pas que le Dictionary of the Bible ait
tort de maintenir l'authenticité johannique, mais on ne devait pas la
présenter comme évidente, incontestable. Au point de vue critique,
c'est une opinion qui peut se défendre, mais qui a ses difficultés,
comme les hypothèses contraires ont les leurs. Ces difficultés ne tien-
nent pas seulement à la personne de Jean d'Ephèse, mais au caractère
de l'Évangile. On n'a pas analysé assez profondément la nature de
cette composition unique en son genre dans le Nouveau Testament.
C'est pourtant ce qu'il aurait fallu faire avant de combattre les hypo-
d'histoire et de littérature 393
thèses des critiques. Si Ton commence par prendre les faits et les dis-
cours Johanniques comme le complément de ce qu'on lit dans les
Synoptiques, on tranche avant tout examen la question qu'il s'agirait
d'étudier ; on renonce volontairement à comprendre le véritable rap-
port du quatrième Évangile avec les trois premiers ; on est amené à
dire que Jean, qui place la mort du Christ le 14 nisan, est seulement
plus clair que Marc et Matthieu qui la placent le i5 ; on imagine la
possibilité abstraite d'un disciple qui aurait seulement retenu de l'en-
seignement du Christ ce qui dépassait l'entendement des autres,
comme si les discours johanniques étaient une partie négligée des
discours synoptiques, et non leur commentaire thcologique et mys-
tique; on en vient à écrire que le quatrième Evangile est plus facile à
expliquer sans les trois premiers, que ceux-ci sans celui-là, et l'on ne
s'aperçoit pas que l'Évangile johannique a été écrit tout exprès
pour adapter le christianisme primitif à la pensée grecque, c'est-à-dire
à la nôtre, on ne voit pas que la facilité pour nous de comprendre le
Christ théologique n'est pas la même chose que l'exactitude dans la re-
présentation du Christ historique chez les évangélistes ; on aboutit à
discréditer les Synoptiques, en déclarant que la tentation, la transfigu-
ration, la cène eucharistique, Gethsèmani, l'ascension, qui sont des
« tableaux visions », méritent moins la confiance de l'historien que le
quatrième Évangile, où le même fond d'enseignement se retrouve dans
un groupe de faits objectifs et de paroles fidèlement conservées. Où
sont donc ces faits objectifs, et les paroles en question sont-elles autre
chose qu'une interprétation réfléchie des « tableaux visions » ? Le bel
article de M. Sanday sur Jésus-Christ manque d'unité et laisse dans
l'esprit du lecteur une impression un peu confuse, parce qu'on a voulu
y faire entrer Jean avec les Synoptiques, suivant la méthode ordinaire
des concordistes. Les difficultés de la conciliation sont surtout sen-
sibles quand on en vient aux récits de la résurrection ; même dans le
quatrième Évangile, le chapitre xxi suppose un cadre historique diffé-
rent du chapitre xx. M. Sanday finit par avouer que l'état des docu-
ments ne permet pas de résoudre toutes ces difficultés, et il en appelle
à la foi de l'Église. N'eût-il pas mieux valu poser d'abord en principe
que l'incarnation et la résurrection ne rentrent pas dans la trame des
faits communs de l'histoire humaine, qu'ils ne sont rigoureusement
démontrables que de la foi à la foi, et discuter ensuite les textes de
façon plus objective? La méthode suivie par les docteurs anglicans les
expose à paraître téméraires en théologie et timides en critique.
Le nouveav dictionnaire n'en est pas moins un monument de science
vraie et sincère, un répertoire solidement érudit, très critique, à con-
sulter par tous ceux qui veulent étudier sérieusement la Bible et les
questions bibliques.
Alfred Loisv.
^94 REVUE CRITIQUE
Henri Quentin, Jean Dominique Mansi et les grandes collections conci-
liaires; Étude d'histoire littéraire, suivie d'une correspondance inédite de Ba-
luzc avec le cardinal Casanate, et de lettres de Pierre Morin, Hardouin, Lupus,
Mabillon et Montfaucon. Paris, Ernest Leroux, 1900, 272 pp. in-8.
On sait depuis longtemps que tout est à faire, ou presque tout, pour
une publication critique des textes canoniques et surtout des conciles.
Le livre du P. Quentin a le mérite de fortifier et de préciser le senti-
ment que Ton a de cette énorme lacune par l'histoire et l'appréciation
des grandes collections.
Le premier qui ait eu la pensée d'éditer les conciles est le chanoine
parisien Jacques Merlin (1524). Comme la plupart des éditions prin-
ceps, celle-ci fut exécutée d'après un manuscrit quelconque, du
xii« ou du xiii« siècle, d'après Hinschius. Ce manuscrit était un
manuscrit des Fausses Décrétales. et ceci est déjà un trait caractéris-
tique de toutes nos collections conciliaires ; car Merlin va servir de
cadre, et ses successeurs se repasseront son texte, en y introduisant
seulement des additions croissantes qui porteront les deux in-folios
du début aux trente et un de Mansi. En i538 et en i55i, un francis-
cain de Malines, Pierre Crabbe, reprenait le travail de Merlin, et, déjà
dans sa seconde édition, augmentait l'ouvrage d'un in-folio. Son nom
est cependant à retenir : avec le P. Hardouin et Baluze, il est le seul
de tant d'éditeurs qu'ait animé quelque instinct critique. 11 rechercha
les manuscrits, et pour beaucoup d'actes en eut au moins deux, dont
il note les variantes. Il fit mieux, si l'un des mérites de l'éditeur est de
savoir ignorer ; il imprima tels quels les passages qu'il ne comprenait
pas : « Nec uero tutum fuisset aut parui ponderis res ex coniectura
sola ea uoluisse immutare. » Surius (Cologne, iSôj) n'eut pas tant de
scrupules. Il supprima une grande partie des variantes de Crabbe,
confondit celles qu'il avait distinguées, déplaça des morceaux, com-
pléta de son cru les documents mutilés, rendit clairs les passages
obscurs par des conjectures souvent malheureuses et presque toujours
tacites. Nicolini et Bollanus (Venise, i585) et la première édition de
Bini (Cologne, 1606) sont des réimpressions de Surius, avec de nou-
velles notes et l'incorporation des textes conciliaires parus séparément
depuis la dernière édition générale : Nicée de Torres et de Pisanus,
Éphèsede Pcltan, conciles milanais de saint Charles Borromée, pour
Nicolini ; conciles d'Espagne de Loaisa et lettres pontificales d'Anto-
nio Carafa pour Bini. Ici se place l'édition romaine de Paul V
(4 vol., 1608-1612), entreprise par Antonio Carafa et continuée par
Frédéric Borromée et François Tolet avec le concours du parisien
Pierre Morin. Elle fournit un deuxième jalon, après celle de Crabbe :
on y trouve pour la première fois les textes grecs, tirés de la Vaticane.
Malheureusement, au lieu de respecter les anciennes versions latines
ou d'en donner une nouvelle, adaptée au grec retrouvé, on prit le
parti inconséquent de retoucher et de compléter les anciennes. Dans
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE BgS
sa deuxième édition (Cologne, i6i8; reproduite, Paris, i636), Bini
fondit Surius et la collection romaine. Le type des collections conci-
liaires était dès lors fixé. Elles allaient se grossir d'un mouvement de
boule de neige, en ramassant les textes édités dans l'intervalle de leur
publication. L'édition luxueuse du Louvre (Paris, 1644) s'incor-
pore Sirmond et le premier volume de Spelman. Labbe et Cossart
(Paris, 1 671-1672) dépouillent dom d'Achery, Marca, Combefis,
Baluze, Dugdale. Mais les seuls progrès réels qui soient dus à Labbe
et à Cossart sont d'une part le développement donné aux listes de
réunions synodales dont les actes n'ont pas été conservés, d'autre part
l'ordre et la clarté mises dans l'amas déjà bien hétéroclite des maté-
riaux. Labbe fut reproduit à Venise, 1728- 1733, par Nicolas Coleti.
L'éditeur s'engageait à donner fidèlement Labbe, y compris ses
fautes, « ne erroribus quidem autorum mutatis ». Tout ce qu'on peut
dire de cette entreprise de librairie, c'est qu'elle a été une excellente
affaire, insuffisamment justifiée par la commodité de ses 23 volumes
m-folio.
C'est alors qu'intervient Mansi, auquel le P. Quentin consacre la
plus grande partie de son livre. L'œuvre de Mansi est double : le Sup-
plément k l'édition Coleti (Lcuques, 6 vol. in-folio, 1748-1752) et la
Noua et amplissima Collectio [Venise, chez Zatta, 3i vol. in-folio,
1 759-1 798). U Amplissima Collectio est une réimpression de Coleti
dans laquelle on a inséré les, ^Veces dn Supplément et quelques rares
documents nouveaux. L'un et l'autre ont été faits d'après la même
méthode. Mansi parcourait les recueils d' Anecdota et de conciles par-
ticuliers, faisait un signe devant les pièces qui l'intéressaient, les don-
nait à copier à des enfants, indiquait la place de la pièce, quelquefois
ajoutait des notes et envoyait le paquet à l'imprimeur. Il ne revoyait
pas les épreuves. Même ce travail à coup de ciseaux était hàtif et
négligé. Il se méprend sur la nature des documents, publie la convo-
cation d'un synode et en omet les actes, se contente de juger des
pièces par le titre et les fait reproduire sans les lire, copie les renvois
des collecteurs d' Anecdota sans les mettre au point ; ignore, dans son
Supplément^ les deux ouvrages les plus importants qui eussent paru
depuis un siècle sur la matière, les capitulaires de Baluze et les lettres
pontificales de Coustant ; réimprime Coleti avec ses fautes et son
propre Supplément avec les errata qui sont proposés par lui-même à
ces fautes ; tire de rares manuscrits le moins intéressant, en y laissant
des pièces capitales; apprend des Ballerini la valeur des manuscrits
qu'il a consultés et ne tient compte de ces renseignements que d'une
manière distraite ; ne collaiionne jamais sur un manuscrit que des
fragments ; mélange les variantes de manuscrits différents ; confond
sous le même astérisque des variantes de plusieurs manuscrits et les
corrections introduites par les éditeurs romains ; public deux fois,
sans s'en apercevoir, avec des dates différentes, un concile grec donné
59^ REVUE CRITIQUE
par Muratori ; insère comme inédit dans les actes d'un concile d'Aix-
la-Chapelle i8i6) un long morceau de la règle de saint Benoît. On
pourrait continuer ce réquisitoire encore longtemps. Je n"ai qu'à ren-
voyer le lecteur aux détails donnés par le P. Quentin, à l'explication
d'une rubrique, ex codice Aniciensi, qui induit à faire prendre pour
variantes d'un très ancien manuscrit les rectifications des correcteurs
romains (p. 102) ; à l'histoire d'un renvoi de Surius, Vide paiilo supra
(p. 1071, ou à celle des notices du Liber pontificalis p. i58). Crabbe
avait eu l'idée de mettre en tête des conciles qu'elle concernait la
notice du pape régnant et il se trouva ainsi le premier éditeur frag-
mentaire du Liber pontificalis. Le procédé devint une tradition et
tout le livre y passa. Or Labbe eut en mains un excellent manuscrit
de l'abrégé félicien, le manuscrit de Hardy, aujourd'hui perdu ;
Mansi, le meilleur manuscrit de la rédaction plénière, le célèbre Lu-
censis. Labbe, suivant sa coutume, a extrait des variantes et des sup-
pléments, mais ne souffle mot des omissions, qui sont ici caractéris-
tiques. Mansi tire de son manuscrit des variantes çà et là, et ce ne
sont pas les plus importantes.
En dehors de la ligne Merlin-Mansi, se placent les deux tentatives
qui furent faites d'introduire la critique dans l'étude des textes conci-
liaires, celles de Baluze et du P. Hardouin. Elles restèrent sans in-
fluence sur une routine détestable. Il ne parut qu'un volume de
Baluze (Paris, i683). Hardouin aboutit Paris, 11 tomes en 12 vol.,
1714-1715J. Mais l'un et l'autre furent en butte aux mêmes attaques
pour des motifs opposés ; le gallican Baluze, par crainte de la cour
romaine, préféra renoncer à son projet ; Tultramontain Hardouin
vit son œuvre discréditée avant de paraître et la mise en vente retar-
dée par les intrigues des gallicans. Le P. Quentin vante beaucoup le
travail de Hardouin. Il est méritoire, grâce à une revision attentive
des textes ; Hardouin est le seul qui ait donné des soins très sérieux
aux textes grecs. 11 a de plus déchargé la collection de pièces et de
décrétâtes qui lui étaient étrangères. Cependant il est certain que
Baluze, s'il avait pu mener son travail à bonne fin, y aurait apporté
encore plus d'acuité critique et une documentation plus riche. Il a
gâté sa cause par ses procédés, étant grincheux comme beaucoup de
savants illustres. Il n'en est pas moins vrai que dans sa querelle avec
Lupus, que le P. Quentin raconte en détail, il avait raison dans le
fond et que nous n'avons pas encore une édition convenable du
Synodicon Casinerise sur le Concile d'Éphèse, édition qu'il nous
aurait certainement donnée avec une bonne copie du manuscrit. Les
bénéficiaires de toutes les querelles françaises furent en l'occurrence
les éditeurs italiens, Zatta et surtout Coleti.
Si j'ai insisté sur cette histoire des collections conciliaires, c'est
qu'elle comporte des moralités de plus d'une sorte. D'abord les textes
qui parleur nature entrent dans la pratique, comme les textes juri-
d'histoire et de littérature ?97
diques, ou peuvent alimenter les disputes humaines, comme les déci-
sions ecclésiastiques, sont exposés à recevoir des soins peu désinté-
ressés. Et les textes conciliaires, en participant de cette double nature,
ont doublement ce risque à courir. Serviteurs du gallicanisme, comme
Baluze, serviteurs de l'ultramontanisme, comme Hardouin, servi-
teurs de rÉtat prussien, comme Hinschius que je nommais au début
de cet article, sont mal qualifiés à leur faire subir le traitement cri-
tique et purement scientifique dont ces documents ont besoin. Cepen-
dant ces noms représentent encore de graves autorités. Les actes con-
ciliaires ont eu plus à souffrir des réimpressions successives. On voit
alors se produire ce qui s'est passé pour les auteurs classiques. Chaque
édition marque un recul sur la précédente. De temps en temps un
grand philologue intervient, donne un vigoureux coup de barre, puis
le mouvement s'arrête. C'est là l'effet de la tyrannie des vulgates, où
les fautes d'impression et les leçons banales lèvent à chaque édition
comme une mauvaise herbe. Enfin la nécessité de reprendre le tra-
vail par la base, l'étendue des recherches, et aussi la précision et la
minutie des méthodes modernes, rendent maintenant une telle entre-
prise impossible à un homme. Une académie seule pourrait s'en char-
ger et en venir à bout.
On doit remercier le P. Quentin d'avoir posé la question et d'avoir
jeté une lumière crue et implacable sur le fourré des in-folios de
Mansi. Il a joint à son travail des lettres inédites ou rares qui expli-
quent plusieurs épisodes d'une histoire jusqu'ici assez mal connue.
Paul Lejay.
Tafeln zur Geschichte der Philosophie, von C. Stumpf, o. ô. professer der phi-
losophie an der Universitât Berlin; zweite Auflage, Berlin, Speyer und Peters,
1900, 10 ff. non paginés et 4 tableaux. Prix cartonné : i mk. 60.
Pour alléger la tâche du professeur et permettre aux étudiants
d'avoir sous la main des dates exactes, M. Stumpf a conçu deux séries
de tableaux. La première disposée en grandes feuilcs pliées et encar-
tées dans la reliure, comprend les philosophes depuis Thaïes, avec
leurs dates, le tout classé par écoles et chronologiquement. La
deuxième série de tableaux contient les dates de publication des prin-
cipaux ouvrages de philosophie, de 1440 à 1870; ils sont classés par
pays.
Une publication de ce genre comporte, au moins pour les temps
modernes, uji choix, et ce choix est toujours discutable, suivant le
point de vue de chacun. On peut trouver que le P. André avait autant
de droits à être nommé que Dubos, Fontenelle que Bayle. Mais l'his-
toire de la philosophie française au xix* siècle présente des lacunes
plus graves. L'omission de Joseph de Maistre, Bonald, Gratry, Vinet
est presque scandaleuse.
398 REVUE CRITIQUE
Ces imperfections sont faciles à réparer; les tableaux de M.Stumpf
sont bien conçus et ne rendront pas de services seulement qu'aux
étudiants.
M. D.
Langton Douglas. Fra Angelico. London, G. Bell, 1900. In-8*, xix-206 p., arec
62 photogravures.
Il existe, en Angleterre et aux Etats-Unis, un public nombreux pour
les monographies richement illustrées d'artistes italiens de la Renais-
sance. Depuis le Loren^o Lotto de M. Berenson et le Raphaël de
M°" Julia Cartwright (1895), nous en avons compté plus d'une dou-
zaine ; et voilà que l'automne — ce printemps des livres — nous
apporte à la fois le Botticelli de M. Plunkett et le Fi'a Angelico de
M. Langton Douglas. Si les ouvrages de ce genre se multiplient, cela
ne tient pas seulement à ce qu'ils sont utiles et demandés ; c'est aussi
qu'il n'est pas difficile de les écrire, quand on ne place pas son idéal
bien haut. Muni du chef-d'œuvre classique de Cavalcaselle et Crowe,
des livres de Morelli et de Berenson, de VArchivio delV Arte et des
catalogues d'Anderson et d'Alinari, un joui-naliste à la plume experte
peut mettre sur pied, en quelques mois, une monographie satisfai-
sante. Le mérite réel, la part personnelle de l'auteur ne sont pas aisés
à discerner, car seuls quelques spécialistes connaissent l'état précis
des questions au moment où paraît une de ces monographies qui les
reprennent — et ne les font pas toujours avancer.
Nous avions déjà trois livres récents sur Fra Angelico, ceux de
Beissel (1895, trad. franc., 1898), de Supino (trad. franc., 1898) et de
Tumiati (1897). M. Douglas a voulu que le sien fît une part plus
large à la critique historique et serrât de plus près les problèmes de
chronologie. Ces problèmes sont assez délicats quand il s'agit de clas-
ser une œuvre en apparence aussi homogène que celle du Frate, dont
M.Lafenestre pouvait écrire il y a quinze ans : ' « On n'a aucune peine
à reconnaître une de ses peintures ; on éprouve presque toujours un
certain embarras à la dater. » M. D. a certainement réalisé un progrès
dans le classement des tableaux et des fresques de Fra Angelico par
l'étude combinée des motifs et des types, d'une part, et, de l'autre,
des accessoires de sculpture et des ornements d'architecture. Ainsi, il
fait observer (p. 76) que, dans le Martyre de Saint-Marc,\e Frate a intro-
duit des chapiteaux ioniens, dont le premier exemple à Florence se
trouveàOrSan Michèle (1425); il met en lumière l'influence de Miche-
lozzo,deBrunelleschietmêmederantique sur unpeintrequ'ona parfois
I. Lafenesire, La peinture italienne, t. I, p. 146. Ce joli livre est de ceux que
M. Douglas paraît ignorer.
d'histoire et de littérature 39g
trop étroitement rattaché au Moyen âge. Toutefois, M. D a bien Tair
de s'escrimer contre un fantôme lorsqu'il combat longuement la thèse
« de quelques-uns », suivant laquelle Fra Angelico n'aurait été qu'un
giottesque attardé, un compositeur de pieuses pictographies , un
saint bien doué pour l'illustration, etc. Je ne trouve cette erreur ni
dans Woermann, ni dans Lafenestre, ni dans Berenson et je regrette
que M. D. n'ait pas désigné plus nettement les « maîtres de la criti-
que » dont il prétend contredire le sentiment (p. 5). On ne peut, d'ail-
leurs, qu'approuver la formule où il résume le sien : « Ce fut avant
tout un artiste, un artiste qui se trouva être, par surcroît, un saint. »
La piété est une belle chose, mais ne dispense pas d'apprendre un
métier.
M, D., qui écrit assez agréablement, n'évite pas toujours la banalité
ou la recherche. On voudrait ne pas rencontrer une phrase comme
celle-ci (p. 20) : « It {iiew knowledge) must pass through the alembic
of the master's potentidiosyncrasy. Cela s'appelle, en toutes les lan-
gues, du galimatias. Du reste, dans ce passage, M. D. avance que
Fra Angelico ne s'est pas laissé influencer [wàs no respecter 0/ per-
sons], alors que plus loin (p. i58) il signale, avec raison d'ailleurs^
l'action puissante exercée sur cet artiste par le grand Masaccio et par
d'autres. On démêle facilement la pensée de M. D., à savoir que Fra
Angelico est resté lui-même tout en profitant des leçons qu'il recevait;
cela est exact, mais pouvait se dire plus clairement.
Toute monographie d'artiste a pour ossature une liste critique de
ses œuvres, car pour reconstituer une individualité quelconque, artis-
tique ou littéraire, il faut employer, à titre exclusif, des documents
authentiques. Une fois cette liste dressée, l'ouvrage est fait : il n'y a
plus qu'à l'écrire. M. D. n'a pas manqué d'imprimer (p. 1 91-199) la
liste des peintures de Fra Angelico qu'il croit authentiques, sans men-
tionner celles qu'il condamne. En comparant cette liste avec celle qu'a
donnée M. Berenson dans ses Florentine painters, je me suis bientôt
aperçu qu'elles étaient presque identiques. Si, d'autre part, on rappro-
che la liste donnée dans la première édition du livre de M. Berenson
de celle de MM. Crowe et Caralcaselle, il appert que M. Berenson a
fourni un travail personnel considérable, moins par les additions que
par les éliminations auxquelles il s'est décidé à bon escient. Donc,
s'appropriant le travail d'auirui, sans un mot pour en avertir le
lecteur, M. Douglas a fait preuve d'un sans-gêne qu'il est difficile
de qualifier. Les ditférences des deux listes portent sur quelques œu-
vres sans importance : ainsi M. Douglas ajoute une fresque abîmée de
Cortone, un petit panneau de Dublin, une fresque ruinée de Saint-Pé-
tersbourg (qu'il dit lui-même complètement repeinte, p. 82) ; il omet la
Madone d'Oxford, qu'il considère comme une (L'uvrc d'atelier (p. 39),
un panneau de Munich 1^992; et trois petits tableaux de Berlin (60,61,
62). S'il mentionne à S. Marco de Florence (p. 196) le Couronnement
400 REVUE CRITIQUE
de la Vierge dont M. Berenson n'a rien dit, c'est au prix d'une con-
tradiction, car, dans le corps du volume (p. 38), il déclare que cette
peinture n'a pas été exécutée par Fra Angelico.
Le manque de scrupule de M . D. ne s'est pas arrêté là. A plusieurs
reprises (p. 47, 5 i, il insiste sur le fait que Fra Angelico, le premier
parmi les peintres italiens, a représenté, au fond d'un de ses tableaux,
un paysage réel, une vue du lac de Trasimène prise de Cortone ; or,
cela a été remarqué, pour la première fois à ma connaissance, par
M. Berenson Flor. Painters, p. 26'. Ce que M. D. dit de Verrocchio et
de Baldovinetti considérés comme paysagistes est emprunté, toujours
sans aveu, à la même source. Et pour qu'il ne reste aucun doute sur la
malice des procédés de M. D., je remarque que deux fois, (p. 96, 169)
il imprime entre guillemets des phrases entières de M. Berenson sans
renvoyer à l'ouvrage qu'il a sous les yeux et sans nomrrier l'auteur.
Après cela, les psychologues ne s'étonneront pas de constater (p. 17-
19) qu'il adresse au même connaisseur, mais toujours sans le nom-
mer, deux pages de critiques hargneuses, qui viennent là sans au-
cune raison apparente. En littérature comme sur les grands chemins,
on est toujours tenté d'assommer ceux qu'on détrousse.
Le cas de M. Douglas n'est malheureusement pas isolé. Dans le
monde des connaisseurs d'art moderne, ou de ceux qui veulent se faire
passer pour tels, fleurissent ou sévissent des pratiques vraiment
fâcheuses; les haines sournoises, les basses jalousies y semblent
plus exaspérées qu'ailleurs par le 5frz^^^/e for life. Le seul moyen de
porter remède à ce triste état de choses, c'est de le constater, à l'occa-
sion, sans réticences '.
Salomon Reinach.
Charles Andler. Le prince de Bismarck. — Paris, Georges Bellais, 1899, in-12,
x-402 pages.
Charles Benoist. Le prince de Bismarck, Psychologie de Vhommefort. — Paris,
Perrin, 1900, in-16, 291 pages.
Henri Welschinger. Bismarck (i«' volume de la série des « Ministres et hommes
d'Etat >>). — Paris, Alcan, 1900, in-16, 211 pages.
Les biographies de Bismarck ne manquent pas ; très peu subsiste-
ront. Aux Allemands, il manque presque toujours le recul nécessaire
à la claire vision des événements ; aux étrangers, la connaissance des
choses allemandes. M. Andler fait exception. Son livre n'est pas,
comme tant d'autres aujourd'hui parmi nous, une compilation de fi-
ches ; il est vraiment un livre d'histoire : l'auteur réussit à nous faire
I. II est piquant d'entendre M. Douglas lui-même 'p. 19) déplorer, comme une
plaie de ces études, a restless craving for publicity and many pettyjealousies. On
dirait une confession anticipée.
D HISTOIRE ET l>E LITTERATURE 40 1
comprendre Bismarck parce qu'il connaît à fond l'Allemagne du
XIX^ siècle. Qu'il s'agisse de la Prusse féodale d'avant les conquêtes,
ou de l'empire allemand unifié sous le gouvernement du chancelier, il
est visible qu'avant d'aborder son sujet, M. A. avait acquis au préala-
ble une maîtrise parfaite de la vie allemande sous tous ses aspects.
Mérite rare et précieux, et qui n'est pas le seul. — M. A. est impar-
tial. On dit souvent que la postérité commence à la frontière. L'idée
cesse d'être vraie, dès que l'étranger s'est trouvé en contact avec le
contemporain dont il parle, car alors les préjugés passionnels ne sont
pas moindres que les dissidences de parti entre compatriotes. M. A.
a su s'en abstraire. — Mais pour lui, impartialité n'est pas synonyme
d'indifférence. 11 se place très visiblement à un point de vue déter-
miné, qui est, en suivant Bismarck dans ses étapes successives, le li-
béralisme politique de l'avant-dernière génération, évoluant vers le
socialisme démocratique d'aujourd'hui. L'historien de Bismarck n'est
donc jamais un bismarckien, bien qu'à certains égards Bismarck ait
été, dans notre siècle, le champion le plus énergique du principe na-
tional, du gouvernement laïque et de l'état socialiste. M. A. l'a com-
pris , et ce n'est pas un des moindres intérêts de son livre que cette
confrontation de l'homme d'Etat avec une politique à laquelle il don-
nait sans cesse des gages, tout en lui échappant toujours. — Dans le
détail, il est à peine besoin de dire que, renseigné comme il est,
M. A. est toujours exact, et aussi complet qu'il est possible dans une
étude de courte dimension. Peut-être même lui est-il arrivé quelque-
fois d'avoir voulu trop dire en peu d'espace. « Je me suis moins atta-
ché (dit-il dans son Avant-propos, p. vu) à décrire les faits qu'à don-
ner les mobiles des actes ». Rien de mieux, mais à la condition que
les faits soient familiers au lecteur, et on peut douter qu'il suffise tou-
jours de les rappeler sommairement ou par allusion . — Certains pas-
sages paraissent trop condensés : il eût fallu élaguer ou allonger. Du
moins la forme donne cette impression. Le style est très expressif et
personnel, mais par moments, il semble un peu tendu et d'une sim-
plicité laborieuse. Bismarck apparaît très vivant, et son portrait est
poussé avec soin ; la manière dont M. A. explique les évolutions du
chancelier, et comment il soudait ses théories à sa politique, nous pa-
raît l'expression de la vérité même. Mais les comparses sont souvent
peints d'un seul trait, qui parce qu'il est seul, et trop appuyé, donne
presque la sensation de l'excessif caricatural, même quand il est juste
et bien choisi, avec cette clairvoyance pénétrante qui est la caractéris-
tique du livre tout entier. — Au reste, ce ne sont là que des réserves
de détail, et qui visent plutôt la forme que le fond. Et il est permis
de conclure que par la vigueur et l'originalité de la pensée, autant
que par la sûreté et l'abondance de l'information, le beau livre de
M. Andler devra être classé tout au premier rang des biographies que
nous avons déjà si nombreuses du prince de Bismarck.
402 REVUE CRITIQUE
M. Charles Benoist a bâti son étude sur un paradoxe. Bismarck est
un homme fort; or le Prince de Machiavel est le type de l'homme
fort ; donc le Prince est le type de Bismarck. Le syllogisme est impec-
cable. « Tel Machiavel conçut et décrivit le Prince en i5i3 dans un
village de la banlieue de Florence, et tel, pour la plus grande gloire de
la Prusse en Allemagne, de 1862 à 1890, vingt-huit années durant, M.
de Bismarck l'incarna » (p. 6) : « Bismarck est le Prince, l'Homme
fort » (p. 288). — Il est possible que ce procédéde raisonnement soit de
quelque utilité pour Texégèse de Machiavel, mais il est certain que sur
Bismarck lui-même, il n'apprend pas gfand'chose. Et puis, il était
également aisé, et oiseux, de comparer Bismarck avec le Demi-dieu
des Anciens, ou avec le Héros de Carlyle, ou encore avec le Super-
homme de Nietzsche. — Chez le prince de Bismarck, (devenu Bis-
marck le Prince, ne l'oublions pas) M. B. distingue quatre périodes :
la souffrante, la militante, la triomphante et l'agonisante, et deux per-
sonnages : l'homme d'Etat et l'homme. Par quel prodige d'argumenta-
tion arrive-t-il ensuite à étudier les périodes et les personnages
séparément? Sa méthode nous l'apprendra. M. B. n'expose pas, il ex-
plique ; il ne nous dit pas ce que Bismarck a fait ou pensé ; nous
sommes censé le savoir, mais comment Bismarck pensait ou agissait;
il nous décrit la forme d'une matière absente, ou plutôt, il l'analyse,
il la ratiocine, avec plus de subtilité peut-être que de pénétration vé-
ritable. Enfin, en guise de détails concrets, car il en faut tout de
même, il nous livre, avec un certain nombre de citations — de Bis-
marck et du Prince — un prestigieux trésor de métaphores et de com-
paraisons, qui sont souvent fort jolies, mais peu nourrissantes. —
Donc voilà un homme qui fut par excellence l'homme du réel, le plus
étonnant réaliste qu'on ait vu dans ce siècle, au point qu'il réussit à
faire de son idéal une réalité vivante : il meurt; je le baptise tvpe abs-
trait, je le découpe en catégories, je le vide de ses actes et de ses idées,
je couvre ce qu'il en reste d'un semis de fleurs métaphoriques, et ces
quatre opérations constituent la « psychologie de l'homme fort. »
Soyons juste : disons que l'auteur est l'homme fort de la psychologie.
On s'attendait de voir Bismarck et on trouve M. Charles Benoist.
Faut-il s'en plaindre? Le livre est amusant. Et comme la personna-
lité de M. Charles Benoist est généralement moins connue que celle
de Bismarck, le livre est ainsi plus nouveau.
Le Bismarck de M . Henri Welschinger se lit sans peine, mais
aussi sans grand profit. Il a un refrain : « par le fer et par le sang »,
« par le fer et par le feu >\ v. ferro et igné » (au titre et p. 18, 34,
39, 43, 44, 64, etc.), et ce refrain n'est pas très heureusement trouvé ;
Bismarck, après tout, n'est pas un Attila. Il contient des tirades de
rhéteur i^voy. p. 95 : « Toi, Mohke, quitte ta face de spectre. . . ») et
des comparaisons de rhétoricien (voy. p. 197 et suivantes : « Bismarck
a été le Richelieu de la Prusse » « tous deux ont voulu écraser
D^HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 4o3
l'Autriche. . . »j, il donne aussi quelques anecdotes curieuses qui ne
sont pas toutes authentiques, mais peu de faits précis (M. W. n'indi-
que même pas dans son texte la date de naissance de Bismarck, p. 28 :
il faut regarder au titre courant) et moins encore d'idées nouvelles.
Les meilleurs chapitres se rapportent à l'action diplomatique de Bis-
marck, de 1862 à 1870; mais l'introduction (la Prusse de 1786 à 1862)
aurait pu être supprimée sans inconvénient, tant elle est sommaire; et
les derniers chapitres où M. W. fait l'histoire de la politique inté-
rieure de Bismarck depuis 1871 paraissent quelque peu rapides et su-
perficiels. Mais ils sont exempts d'inexactitudes trop flagrantes, et
somme toute, l'agréable ouvrage de M. Welschinger convient parfai-
tement au grand public — bourgeois et français — auquel il est
destiné.
G. Pariset.
— Nous avons reçu : A. Houtin, Dom Couturier, abbé de Solesmes (Angers, Ger-
main et Grassin, 1899; 384 PP- in-i8). Dom Couturier a été un disciple de dom
Guéranger et a adopté son attitude intransigeante. On verra, dans ce récit, l'embar-
ras des ultramontains, lorsque l'obéissance aveugle aux « directions » du pape,
bruyamment préconisée par eux, vint contrarier leurs idées politiques. Il est cer-
tain que dom Guéranger et les « infaillibilistes » n'avaient prévu ni la déclaration
des congrégations (1880), ni l'affaire de VAmstelbode (i885), ni le toast du cardinal
Lavigerie ; mais, comme le dit M. Houtin, la mort épargna au père abbé la sur-
prise de cette dernière évolution. On voit qu'il s'agit dans ce livre d'une histoire
bien récente et aussi des médiocres querelles où sest usée l'activité des catho-
liques français depuis soixante ans : singulier christianisme que celui dont s'ins-
pire un religieux pour écrire : « L'auteur a compris que le nom du Père Gratry
serait blessant » ; et cependant le silence fait sur ce nom paraissait insuffisant ; ou
pour repousser le titre de la congrégation de Saint-Maur « que le jansénisme avait
profané ! » Malgré les difficultés de sa tâche, l'hagiographe s'en est tiré à son hon-
neur. Il s'est abstenu d'apprécier, et, qu'il s'agisse soit de ces polémiques soit de la
dramatique expulsion de 1880, il a laissé parler les faits. A plus d'une reprise, il
a même induit le lecteur à quelque sévérité pour son héros; voir pp. 189, 235,
74 : « Il se laissa toujours aller à la spontanéité de la vérité. » Cette phrase peut
passer pour un joli euphémisme ou pour du galimatias. I-e style est sobre et
soigné. On pourrait y regretter seulement quelques barbarismes du journalisme,
comme « de suite » pour « tout de suite ». Le livre dans l'ensemble est intéres-
sant et le public religieux, pour lequel il a été écrit, prendra plaisir à certaines
pages sur l'idéal monastique (199 sqq.), sur la liturgie (334), etc. — M. D.
— M. WALTziNcest en train de préparer, avec le concours de ses élèves, un lexique
de Plante. Le lexique de Liège contiendra un dépouillement complet de tous les
passages classés d'après la forme du mot et d'après la construction. S'il est jamais
achevé, il formera comme une grammaire de Plante où les faits seraient classes
par ordre alphabétique des mots. Un spécimen a paru dans le n° 1 du Musée belge
de 1899 et aussi en tirage à part : Lexique de Plaute, public sous la direction de
J.P. Waltzing, A-Accipio; Louvain, Pcetcrs, 1900; 99 pp. in-8" ; prix : 3 fr. Il contient
les articles a, ab, abs (très important), abaliens, abauos, abdictiuos, abdo, abdomen,
404 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
abduco, abeo ( 1 5 pages), aberro, abeto. abliinc, abliorreo, abicio,abieg)uis, abies, abigo,
abitio, abittis, abiudico, abiuro, ablego, abniio, abnuto, abortis, abripio, abrogo,
abscedo, abscido, abscondo, absinthium, absoluo, absorbeo, absque, abstergeo, abs-
terreo, abstineo, absto, abstraho, abstnido, absiim, absumedo, absumo, abundo,
absurde, abutor, accedo. Il n'y a qu'à louer la méthode et la science des étudiants
et du professeur qui ont pu mettre sur pied un si utile travail. Pour donner une
idée de la précision des connaissances des auteurs, il suffit de citer cet en tète
d'article : « Absque, loin de, employé dans une phrase hypothétique pour expri-
mer une absence supposée », et à la fin de l'article un renvoi à Brix, Triu, 832,
met sur la voie de notions exactes. Par une malchance cruelle, la première citation
de tout le spécimen est sans référence. Au point de vue typographique, il y aurait
des réserves à faire. Les auteurs feront bien de choisir des caractères de type diffé-
rent pour chaque es/^èce d'indications, ainsi de ne pas employer les caractères gras
à la fois pour les mots têles d'article et }iour les subdivisions des articles. Nous
souhaitons le prompt achèvement de cet inappréciable instrument de travail. Le
moment était venu de faire un lexique de Plante aprèç la terminaison des deux
éditions de Leipzig. Mais pourquoi les auteurs ne mentionnent-ils pas aussi celle
deLeo?-P.L.
ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 2 novembre igoo.
M. Longnon, président, annonce la mort de M. Max Mùller, associé étranger de
l'Académie.
M. Michel Bréal donne lecture d'une notice sur la vie et l'œuvre de M. Max
Mûller.
M. Glermont-Ganneau signale et commente un certain nombre de monuments
récemment découverts par M. le D^ Biiss en Palestine. — Il présente ensuite la
photographie d'une mosaïque avec une inscription en caractères hébreux carrés,
trouvée entre Séphoris et Nazareth, et portant le nom d'un certain Joseph, peut-
être celui-là même qui, selon saint Epiphane, se convertit au christianisme, fut
comblé d'honneurs par Constantin et construisit plusieurs églises en Galilée.
L'Académie se forme en comité secret.
Séance du g novembre igoo.
M. le secrétaire perpétuel donne lecture d'une lettre de M. Gauckler annonçant
qu'il a été autorisé par M. René Millet, résident général de France en Tunisie, à
offrir à l'Académie la copie de la mosaïque de Virgile exposée dans le pavillon
de la Direction beylicale des Antiquités et arts. Cette copie est l'œuvre de M. Pra-
dère, conservateur du musée du Bardo.
M. Salomon Reinach fait une communication sur l'orphisme dans la quatrième
églogue de Virgile. 11 essaye d'établir que cette églogue n'est pas, comme on l'a
cru dès l'antiquité, une pièce de circonstance, remplie d'allusions aux événements
politiques du temps. En réalité, il n'y est question ni d'Octave, ni d'Antoine, ni de
la paix conclue entre ces deux chefs de parti, ni même d'un fils de Pollion. Ce
petit poème est exclusivement religieux. L'inspiration y dérive de deux sources
principales, l'une biblique, l'autre orphique. Les chants sibyllins, œuvre des juifs
d'Alexandrie, ont apporté à Virgile des échos des prophéties d'Israël, auxquels il a
mêlé ceux des poèmes mystiques qui couraient alors sous le nom d'Orphée. Cette
alliance de l'esprit biblique avec le mysticisme grec se retrouve dans le christia-
nisme primitif; elle explique le caractère chrétien de la quatrième églogue qui
avait déjà frappé les Pères de l'Eglise. L'enfant dont \'irgile y annonça la naissance
et qui doit présider à un nouvel âge d'or n'est pas un personnage historique: il
n'est autre que le Bacchus orphique, fils et héritier de Jupiter.
M. Paul VioUet commence la lecture d'un mémoire sur les_ Etats généraux au
moyen âge. Léon Dorkz.
Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N» 48 — 26 novembre — 1900
MiTTEis, Les papyrus grecs de l'Egypte. — Wiedemann, Les morts en Egypte. —
P. M. Meyer, Larmée des Ptolémées et des Romains en Egypte. — Société ar-
chéologique de Glascow, La muraille d'Antonin. — Sarwey et Hettner, Le
limes germanique et rhétique, Vll-X.— Assereto, Gènes et la Corse. — Hagen,
Le Oral. — Wolfram, Parzival et Titurel, p. Martin, I. — Balzani, Les chroni-
ques italiennes du moyen âge. — Van Dam, Shakspeare. — Ive, Les dialectes
romans de ITstrie. — Tugan Rabanowsky, Histoire de la fabrique russe. — Au-
BRY, La musicologie médiévale. — Expert, Les maîtres musiciens de la Renais-
sance française. — Bellaigue, Impressions musicales et littéraires. — Stock, Le
but et la conception de la vie. — Pascal, L'incendie de Rome et les premiers
chrétiens. — Nouvelle brochure de M. Knoke. — Cantarelli, Mélanges. — Har-
. RISSE, Découverte et évolution cartographique de Terre-Neuve.
L. Mitteis, Au3 den Griechischen Papyru3urkunden, ein Vortrag gehalten auf
der VI Versammlung Dcutscher Historikcr zu Halle-a-S. am 5 April 1900,
Leipzig, Teubner, in-8, 5o p.
Ce n'est pas le discours primitif que M. Mitteis publie; c'est,
comme il le dit dans son avertissement, une édition du discours re-
maniée et complétée sur certains points. Même sous cette forme, ce
petit écrit est loin de couvrir le champ entier d'exploration que la
découverte des papyrus d'Egypte nous a ouvert. Il ne cite qu'en pas-
sant le gain qui en est résulté pour la littérature classique, pour l'his-
toire propre, pour la théologie; il s'attache de préférence à indiquer
le parti qu'on peut en tirer pour les études de l'administration, du
droit, de l'économie politique, non seulement en Egypte, mais dans
le monde gréco-romain. Des notes rejetées à la rin donnent quelque
peu de bibliographie et un certain nombre d'explications ou de discus-
sions techniques qui n'auraient pas été de mise dans le texte même.
Dans l'ensemble, cette brochure atteint le résultat que l'auteur se
proposait : elle montre clairement au grand public le genre d'intérêt
qui s'attache aux papyrus grecs de l'Egypte et l'utilité qu'on en tire
déjà pour l'histoire de l'antiquité.
Les observations originales n'y manquent point, mais le peu d'es-
pace dont M. Mitteis disposait l'a empêché de les traiter aussi longue-
ment qu'il conviendrait. Seule la théorie de VAîdarkie de la maison,
formulée par Rodbertus, lui a suggère un développement assez ample.
Nouvelle série L. 4**
406 REVUE CRITIQUE
Il lui paraît prouvé par les documents du temps des Ptolémées qu'à
côté des paiements en nature, les paiements en argent tenaient une
place prédominante dans l'économie publique ou privée. L'impôt
foncier était dès lors le seul qu'on acquittât en nature, non sans cer-
taines restrictions : partout ailleurs TEtat, les temples et les par-
ticuliers préféraient régler leurs affaires au moyen du métal. Ce fait
admis, il se hâte de déclarer qu'il n'en faudrait pas pousser trop loin
les conséquences : si le monde antique possédait lui aussi son encaisse
métallique qui le couvrait, cette couverture était trop courte et trop
mince pour ses besoins. On la voit disparaître à partir du iv* siècle
après J.-C. et les paiements en nature reparaître dans les papyrus
égyptiens avec fréquence. Le plus souvent on considère ce retour aux
procédés d'autrefois comme étant «ne suite naturelle de la décadence
générale qui atteignit le Bas-Empire romain. M. Mitteis ne pense pas
qu'il en soit ainsi. Si le monde antique s'est écroulé soudain, cela tient,
pense-t-il, à ce que la constitution d'un empire universel par les
Césars était prématurée. Un empire universel ne peut, en effet, subsis-
ter sans un système financier très développé et sans le mouvement de
commerce et d'industrie correspondant : faute de quoi, il est inca-
pable de résister longtemps aux charges de toute nature que ses
besoins lui imposent, armées et flottes gigantesques, entretien de la
machine administrative, etc.
La brochure de M. Mitteis est d'un style clair et d'une composition
facile : on la lira avec plaisir en même temps qu'avec profit.
H. G.
A. WiEDEMANN, die Toten und ihre Reiche im Glauben der Alten .<Egypter
(forme le 2» fascicule, de la 2' année de VAlte Orient publié par la Vorderasia-
tische Gesellschaft), Leipzig, J. G. Hinrichs'sche Buchhandlung, 1900, in-8, 36 p.
M. Wiedemann, après une courte introduction où il expose briève-
vement le peu que nous savons des idées que les Egyptiens pouvaient
entretenir sur la mort du monde, c'est-à-dire sur sa destruction par
l'eau ou par le feu, définit le concept qu'ils se faisaient de la mort de
l'individu, puis décrit successivement les royaumes différents que la
religion et la croyance populaire assignaient aux morts, sous la terre,
sur la terre et au ciel. Il montre comment divers modes de traiter le
cadavre se développèrent d'après les théories qui avaient cours, la
mise en morceaux, puis l'ensevelissement des os d'une part, l'embau-
mement de l'autre. Il indique comment et à quelle intention se consti-
tua le système d'offrandes funéraires dont on constate l'existence dès
les époques les plus anciennes. L'identification du mort avec Osiris,
ses voyages dans l'autre monde, son arrivée aux Champs Elysées, son
jugement, sa destinée finale lui fournissent la matière de quelques
1
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 4O7
pages claires et précises. Il termine son exposition par l'indication
des parties secondaires dont la survivance humaine était composée :
à côté de l'àme oiseau {bai) et du double (ka), le corps momitié
sdhoii, l'ombre noire [khaibit], le lumineux [khou], le sekhem, le cœur
{ab ou haîtï). Le tout est dit clairement, largement, avec la simplicité
de style qui convenait au sujet : c'est un modèle accompli de ce que
doit être une oeuvre de vulgarisation en matière aussi obscure encore
et aussi complexe.
Une observation de détail. M. Wiedemann considère que la partie
de la survivance humaine appelée le sekhem est une sorte de corps
plus raffiné, mais demeure semblable au corps visible que chaque
homme possède pendant sa vie. J'ai eu l'occasion d'étudier au Collège
de France, il y a trois ans passés, les textes relatifs à cette partie peu
connue des conceptions égyptiennes, et d'en déterminer la nature
d'une façon plus précise qu'on n'avait fait encore. Pour le dire en
deux mots, le sekhem est à l'origine le casse-tête ou plutôt le sabre de
bois de figure particulière qui caractérisait l'homme d'armes, le chef,
aux temps très anciens, et qu'on déposait dans la tombe ou sur la
tombe avec le cadavre. L'âme du mort était censée y résider, et il
devenait dès lors comme un corps nouveau sur lequel elle s'appuyait
pour vivre. Lorsque la statue devint le support de l'àme, la concep-
tion du sekhem déchut mais sans disparaître, et elle changea de nature.
Le mot sekhem et le casse-tête qui servait à l'écrire conservèrent le
sens général de corps^ image, figure, qui résultait de l'emploi primitif
de l'objet, et, s'appliquant aux statues de double, les désignèrent
désormais, qu'il s'agît de l'homme ou des dieux : sekhem, ou plutôt
sakhîmou^ devint le synonyme de statue. Le mot garda pourtant de
son origine une nuance de sens très appréciable : il marque ce que
les écrits hermétiques appellent la statue prophétique, la statue
d'homme ou de dieu à laquelle les rites de la consécration ont ri.xé
une âme.
G. Maspero.
P. M. Meyer, Das Heerwesen der Ptolemâer und Rômer in Aegypten, Leip-
zig, 1900, 23 1 pages in-S» chez Tcubner.
« Il n'est question dans ce livre, nous dit l'auteur au cours de sa
préface, ni de stratégie ni de tactique. » Il aurait pu ajouter : ni de
l'organisation, ni de l'administration de l'armée, ni de la composition
des troupes du pays, ni de son histoire militaire, ni en somme de
toutes les questions que semblerait indiquer le titre choisi par l'auteur.
Il faut lire l'introduction pour savoir que M. Meyer a surtout cherché
« à résoudre une question : quelle place revient aux différentes natio-
nalités dans l'armée des Ptolémées et dans celle des Romains en
4o8 REVUE CRITIQUE
Egypte ». Évidemment, c'était le droit strict de M. M. de limiter
ainsi son sujet ; mais alors il eût fallu nettement le marquer dans la
rédaction du titre. Une analyse succincte de la partie de l'ouvrage
relative à l'époque romaine montrera en même temps combien l'au-
teur a restreint ses recherches et aussi à quels résultats curieux il est
arrivé, grâce à l'étude des nombreux papyrus publiés de tous côtés
depuis quelques années.
Sous les Ptolémées, certaines catégories d'hommes avaient reçu en
échange du service militaire dans l'armée territoriale, des concessions
de terres ; c'est ce qu'on appelait les xàxotxoi. Ces terres privilégiées
avaient passé successivement soit aux descendants des premiers occu-
pants, soit à des acquéreurs, sans rien perdre de leur nature spéciale ;
bien plus, elles conféraient à ceux qui en devenaient possesseurs la
qualité de xâToixot. A l'époque romaine on trouve, parmi ces nouveaux
xâ-cotxoi, des Égyptiens, des Gréco-égyptiens, des citoyens d'Alexan-
drie, des citoyens romains. Ce sont précisément ces y.àxotxot qui ali-
mentaient presque complètement l'armée romaine aux deux premiers
siècles de notre ère. Tandis que le reste des habitants du pays et des
petits propriétaires étaient soumis à la Xaoypatiia et inscrits, lors du
recensement régulier qui avait lieu tous les quatorze ans, sur une
liste spéciale, celle des imposables en argent, les autres figuraient sur
la liste de Vliiiy.pKjiç ou conscription et étaient réservés pour l'armée ;
les citoyens Alexandrins et Romains étaient destinés aux légions, les
autres aux troupes auxiliaires et aux flottes. Ce recensement s'opérait
sur place et par maison. En outre, il y avait annuellement à Alexandrie
une autre èitîxptat; à laquelle devaient se présenter ceux qui étaient appe-
lés au service ; on les inscrivait sur les registres des différents corps et
on les soumettait à un conseil de révision; là aussi on donnait leur
congé officiel à ceux qui avaient achevé leur temps de service. Les choses
se passèrent ainsi jusqu'en 212. Cette année-là et, d'après les calculs de
M . Meyer, — pour l'Egypte, du moins — entre le 27 octobre et le 8 no-
vembre, l'empereur Caracalla, par une constitution célèbre, accorda le
droit de cité à la plus grande partie des habitants libres de l'Empire.
L'étude des papyrus prouve que les différentes catégories de per-
sonnes qui constituaient les /.â-or/.ot se retrouvent parmi les hommes
qui, pendant les trente années qui ont suivi 212, prirent le gentilice
Aurelhis, qui, par conséquent, reçurent à cette époque le droit de
cité ; autrement dit que ce sont les xàxoixot qui profitèrent en grande
partie de la réforme de Caracalla. Les Xao-ypaefo-jfjLevot, au contraire, res-
tèrent étrangers à cette faveur. Désormais, les xâxoixot étant tous
citoyens romains, les troupes égyptiennes ne renfermèrent plus de
pérégrins, aussi bien les corps auxiliaires que les légions. Les non-
citoyens ne furent incorporés dans l'armée qu'après Dioclétien.
En somme M. M. n'a donc examiné, comme il le voulait, que les
éléments qui entraient dans la constutution de l'armée d'Egypte ; il a
d'histoire et de littérature 409
montré en quoi cette armée, sous les empereurs, avait succédé à celle
des Ptolémées. Deux appendices, pourtant, je ne dirai pas complètent,
mais enrichissent un peu le. travail: une liste des préfets d'Egypte que
la publication des papyrus grossit -tous les jours (voir les addenda,
p. 229 et suiv.), et une histoire assez succincte des deux légions égyp-
tiennes, la XXI 1= Dejotariana et la \\\^ Gallica. Tous deux ne sont,
du reste, qu'une réédition améliorée d'articles de revues publiés anté-
rieurement.
M. Meyer,qui connaît si bien les papyrus, ne s'arrêtera pas, j'espère,
en si bon chemin et tiendra à les interroger sur toutes les particula-
rités relatives à l'armée d'Egypte. Alors, il nous donnera un travail
d'ensemble répondant véritablement au titre qu'il a choisi par
avance, comme une promesse pour l'avenir.
R. Gagnât.
The Antonine Wall, An account of excavations made under the direction
of the Glascow archaeological Society, Glascow, 1899, 173 pages, in-4%
chez Mac Lehose et fils.
O. V. Sarwev et F. Hettner, Der Obergermanisch-Raetische Limes des
Roemerreiches, Heidelbcrg, 1897-1898, liv. VII à X, chez O. Pettcrs.
On sait que pour défendre la Bretagne contre les invasions des Bar-
bares, Antonin le Pieux construisit un rempart qui coupait de l'Est à
l'Ouest l'île qui forme aujourd'hui l'Angleterre et l'Ecosse, reliant les
Friths de la Clyde et du Forth entre Glascow et Edimbourg. Ce rem-
part se composait d'un talus précédé d'un fossé et doublé d'une route
militaire. On n'avait jamais encore étudié l'ensemble de cette fortifica-
tion plus d'une fois signalée et même explorée sur certains points. La
société archéologique de Glascow a voulu combler cette lacune ; elle
a entrepris de suivre d'un bout à l'autre le tracé de la muraille d'An-
tonin; elle y a travaillé de 1890 à 1893 ; et le présent volume est le
résultat de ces recherches. Les auteurs ont divisé ce tracé en un cer-
tain nombre de sections, pour lesquelles une suite de coupes est
donnée dans des planches annexées au travail ; à chacune correspond
une courte description. En outre, dans des conclusions générales, on
a examiné successivement le mode de construction du rempart (terre et
gazon renforcés par des fascines), qui repose sur une ligne de fonda-
tions en pierres, l'établissement de la berme, du fossé, de la voie mili-
taire. Le livre se termine par plusieurs appendices : 1° autel à Silvain
trouvé dans ]es fouilles et dédié par un préfet de la cohorte des Hamii^
et, à ce propos, considérations sur cette cohorte et sur les garnisons
défendant le rempart ; liste des monnaies recueillies (commençant
avec Vespasien et finissant à Antonin le Pieux et à ses succes-
seurs immédiats; ce qui prouve que le pays a été à peu près évacué
peu de temps après la construction du rempart) ; 3° analyse des échan-
4IO- REVUE CRITIQUE
tillons de terre prélevés en différents endroits du rempart et permet-
tant d'en déterminer la composition primitive.
En somme, étude intéressante et recherches qui épuisent à peu
près la question.
Parallèlement la science allemande continuait à faire connaître le
résultat des fouilles entreprises tout le long du limes germanique et
rétique. J'ai déjà eu l'occasion de parler ici de cette belle publication :
chaque fascicule contient la description d'un ou plusieurs des forts
qui jalonnaient la frontière, avec une pagination spéciale pour chaque
fortin, ce qui permet la vente isolée des différentes parties. On est ar-
rivé actuellement à la dixième livraison. Les quatre dernières contien-
nent le résultat des investigations de la commission du limes dans
les castella de Hofheim, Schierenhof, Langenhain, Walheim, Sulz,
Neckarburken, Kesselstadt, Bôckingen et Buch. Ces forts, bâtis tous
sur le même plan, sont naturellement d'une conservation fort inégale.
Ils fournissent généralement à peu près les mêmes documents :
débris d'armes et d'objets usuels, poteries, briques estampillées au
nom des légions et des cohortes qui les occupaient, inscriptions. Les
présentes livraisons ne contiennent à cet égard rien de saillant, sauf
deux bas-reliefs représentant des scènes relatives au culte de Mithra
[Castellum de Walheim, p. 12) et un diplôme militaire {Castellum de
Neckarburken, p. 27).
R. Gagnât.
Genova e la Corsica 1358-1378 par Ugo Assereto. Spezia, tipograha Fran-
cesco Zappa, 1900.
Le général Ugo Assereto a réuni dans cette brochure les articles
qu'il a publiés de juillet à septembre 1900 dans le Giornale storico e
letterario délia Liguria.
Il remonte aux commencements de la domination Génoise en
Gorse et fait une esquisse rapide de son développement de 1222 a
1297. A la suite de la donation de la Gorse faite par le pape Boni-
face VIII au roi d'Aragon, les Génois, affaiblis d'ailleurs par leurs dis-
cordes civiles, voient leur puissance déchoir peu à peu dans l'île et se
réduire enfin à la possession de Bonifacio. En 1340, sous le gouver-
nement du doge Simone Boccanegra, les troupes de la République
font en Gorse une expédition brillante, mais qui ne paraît pas avoir
eu de résultats durables. En 1347, les seigneurs Gorses, se jugeant
mal soutenus par les Aragonais, se rapprochent des Génois ; mais la
peste de 1 348 oblige ceux-ci à différer leur intervention jusqu'au
second dogat de Simone Boccanegra. Le peuple corse, exaspéré par
la tyrannie de ses barons, se révolte contre eux sous la conduite de
Sambucuccio d'Alando, et recourt à son tour aux Génois : Vunion de
d'histoire et de littérature 4 r 1
la commune de Corse et de la commune de Gênes est conclue en 1 358,
et Boccanegra a l'habileté de la faire ratifier par le pape et le roi
d'Aragon. La Corse se trouve ainsi réunie à Gênes sans combat et
sans fortes dépenses. Mais bientôt les difficultés renaissent : un gou-
verneur génois est massacré par des factieux; un autre est chassé de
l'île; en terre ferme, Gênes est menacée de la guerre sur plusieurs
points. Arrigo délia Rocca, soutenu par le roi ■ d'Aragon, débarque
alors dans l'île et la conquiert sans peine, à l'exception de Calvi
et de Bonifacio. En 1378, le gouvernement génois, estimant que les
dépenses nécessaires à la défense de la Corse devenaient trop oné-
reuses, céda l'île à une association de six particuliers, connue sous le
nom de Maona de Lomellini. Cet acte déloyal, contraire aux conven-
tions stipulées avec les insulaires en i358, rompt à jamais l'union des
deux communes. La Corse, traitée en terre conquise, soutiendra pour
conserver son indépendance une guerre de près de quatre siècles, jus-
qu'à ce que la séparation soit totale et définitive.
Si la brochure du général A. est peu volumineuse, (90 pages envi-
ron), elle est en retour d'un prix inestimable pour tous ceux qui s'in-
téressent à l'histoire de la Corse. L'auteur ne l'a publiée qu'après les
plus longues et les plus minutieuses recherches dans les archives pu-
bliques et particulières. Il constate l'exactitude des historiens Corses,
Giovanni délia Grossa et Pietro Cirneo, pour les événements anté-
rieurs à i36o, particulièrement pour l'époque, jusqu'ici discutée, à
laquelle vécut Sambucuccio d'Alando. Il indique les erreurs et les
lacunes de leur récit pour les années suivantes ; mais il donne en
même temps le moyen de le corriger et de le compléter, en signalant
aux chercheurs les sources où ils peuvent puiser.
Exprimons pourtant en terminant le regret que le général Assereto
n'ait pu connaître de Giovanni délia Grossa que sa chronique abrégée
et arrangée par Ceccaldi, au lieu du texte même du manuscrit, resté
inédit jusqu'à ce jour. Ses citations eussent été plus exactes, ses ap-
préciations plus justes, car plusieurs des reproches adressés au vieil
historien doivent retomber sur son abréviateur. N'est-ce pas là une
preuve nouvelle qu'il est urgent de publier le manuscrit de Giovanni
délia Grossa et de mettre entre les mains de tous le texte même de sa
chronique ? Abbé Letteron.
Der Gral von Paul Hagfn Quellen und Forschungen zur Sprach-und Cultur-
geschichte der germ. Vôlker, fasc. 83. Strasbourg, Karl J. Trûbncr, 1900.
In-8, 124 pp. 3 mk.
Wolframs von Eschenbach Parzival und Titurcl, hgb. und erklart von Ernest
Martin. Erster Teil : Text. Germanistische Handbibliothek, (Tome 9). Hallc-a.
S., Verlag der Buchhandlung des Waisenhauses , 1900. In-8, lii-3i5 pp.
5 mk.
Le Pariival de Wolfram d'Eschenbach fourmille d'obscurités dont
412 REVUE CRITIQUE
de nombreux commentateurs n'ont pu entièrement triompher. M. Ha-
gen, avantageusement connu par de bons travaux sur la littérature
allemande du moyen âge, essaye à son tour d'élucider quelques points
particulièrement intéressants du difficile poème.
C'est du côté de l'Orient que M. H. a cherché la lumière. Selon
lui, la littérature arabe fournit la clef de l'origine du Graal. L'auteur
de VAventure du Graal, dont Wolfram fait mention dans son Par^i-
val, ne serait autre que l'astronome arabe Thebit. L'énigmatiqueF/e-
getàtiîs serait, non pas un nom d'homme, comme l'a cru Wolfram (ou
Kyot), mais le titre d'un ouvrage astrologique du même Thebit
(v. cependant p. 33, n. i). Le nom de graal désignerait un bétyle.
M. H. appuie cette dernière affirmation en corrigeant l'expression
lapsit exillîs , qui a donné lieu à tant de controverses, en lapis betillis.
L'argumentation de M. H. est fortifiée par une quantité de remarques
érudites et paraît fort séduisante au premier abord. Elle n'enlève
cependant pas tous les doutes. M. H. admet à priori l'existence de
Kyot, contestée par un certain nombre de critiques. Il trouve natu-
relle la confusion entre Flegetdnis, nom d'homme et titre d'un livre,
alors qu'il paraît étrange que Wolfram (ou Kyot), dont les informa-
tions sont si exactes au sujet de l'origine, de la profession, du culte et
des connaissances de Thebit, ait pu commettre une telle méprise. En
outre M. H. est manifestement dans l'erreur quand il estime (v. p. 85
sq.) que Chrétien a entendu par graal un bétyle. Chez Qhvéûen graal
ne signifie que « plat » et le contre-sens commis par Wolfram semble
bien être la meilleure preuve que Kyot est une autorité imaginée pour
les besoins delà cause (V. G. Paris : Rom. 22, p. 166). Il resterait
d'ailleurs, si l'on admet une source orientale et la signification de
« bétyle », à expliquer l'origine du mot graal, pour lequel les roma-
nistes ont trouvé une dérivation latine s'appliquant au sens de
« plat » .
A côté de la thèse de l'influence orientale, qui constitue la pièce de
résistance de son ouvrage, M. H. donne d'intéressants détails, trop
nombreux pour pouvoir être mentionnés ici. Je citerai seulement
l'identification d'Acratôii, la détermination de l'origine du mot
achmârdi, la fixation du sens de Ahkarîn, la raison de l'emploi du
mot bariic.
Enfin M. H. a fait, entre le Par\ival d'une part et la légende du
prêtre Jean et la Bible de l'autre, d'ingénieux rapprochements. Si
quelques-unes des analogies signalées ne paraissent pas démontrer
une influence directe des deux derniers livres sur le premier, leur en-
semble donne un caractère de certitude à l'opinion de M. H. et les
exégètes.du Par^ival auront à l'avenir à compter avec la légende du
prêtre Jean et la Bible.
M. H. n'a pas résolu définitivement tous les problèmes ardus
auxquels il s'est attaqué. Son livre n'en constitue pas moins un pro-
à
d'histoire et de littérature 41 3
grès scientifique remarquable et s'impose à l'attention de ceux qui
voudront comprendre le Par^ival.
M. Martin a été chargé de tirer parti des notes que son professeur
Mullenhoff et son ami Charles Lucae ont prises au sujet du Par^ival
et qu'ils n'ont pas utilisées de leur vivant. Il s'est lui-même, comme
le prouvent plusieurs de ses publications, occupé longtemps et avec
un grand succès de l'intéressant poème. Les recherches d'autrui et le
fruit de son propre labeur forment la matière d'un ouvrage dont la
première partie, qui vient de paraître, est consacrée à la publication
du Par:{ival et du Titurel. Bien que cette édition renferme de judi-
cieuses corrections à la classique édition de Lachmann, et constitue
par suite un instrument de travail indispensable, elle n'en diffère que
par un certain nombre de points, indiqués par l'auteur dans sa pré-
face. La seconde partie qui contiendra le commentaire offrira un plus
grand intérêt littéraire.
F. Piquet.
Le Chronache italiane nel medio evo, descritte da Ugo Balzani. Seconda
edizione. Milano, U. Hoepli, 1900, XIV, 32'i p. 18» Prix : 4 tr.
L'ouvrage de M. Balzani, écrit d'abord en anglais, et publié à
Oxford en i883, reparaît ici dans une édition revue et quelque peu
augmentée au point de vue bibliographique. L'intention primitive de
l'auteur avait été de faire un simple travail de vulgarisation, et d'en
éloigner tout appareil érudit, si bien qu'il se refusait à faire, à pro-
prement parler, œuvre de critique historique. Son ambition se bor-
nait à faire connaître au grand public, d'une façon suivie, les noms
et les ouvrages des annalistes et des chroniqueurs dont l'histoire gé-
nérale de la littérature d'un pays ne lui parle pas d'ordinaire, et qu'il
s'avise encore moins d'aller déterrer lui-même dans les recueils de
Muratori, Pertz, etc. '. Il a joint çà et là à son récit des fragments de
chroniques, traduits en langue vulgaire, qui nous paraissent en géné-
ral trop courts et trop peu caractéristiques sous leur vêtement mo-
derne pour donner au lecteur une idée bien nette de la façon d'écrire
des auteurs. Dans cette nouvelle édition, l'auteur n'a pu s'empêcher
de faire au moins quelques concessions à cette envahissante érudition
contemporaine ; il nous fait connaître en notes les éditions modernes,
italiennes et étrangères des sources dont il parle et les études — pas
I. M. B. a dépassé le cadre indiqué par son titre — et certes nous ne nous en
plaindrons pas — en parlant, en dehors des Chtoniqucs et des Annales, de cer-
tains recueils de lettres comme celles de Cassiodore, C.répoirc-lc-Grand, Gré-
goire VII, etc. de certains pamphlets contemporains, tels que ceux de saint Pierre
Damiani; une fois entre dans cette voie, il aurait pu aller plus loin, et m«ntion-
ncr aui»i la correspondance de Pierre des Vignes ou de Frédéric 11.
414 REVUE CRITIQUE
toutes — qui leur ont été consacrées des deux côtés des Alpes. Mais il
aurait pu, sans aucun inconvénient, devenir un peu plus infidèle à son
principe, d'éviter la discussion sur toutes les controverses qui se sont
élevées au sujet de la valeur scientifique des historiens dont il nous
esquisse la vie et dont il nous dépeint parfois le milieu politique et
moral d'une façon pittoresque '.
Le volume de M. Balzani n'est donc pas — et ne veut pas être —
un guide scientifique pour le travailleur appelé à s'occuper de l'his-
toire de la péninsule au moyen âge, comme l'est celui de Wattenbach
pour l'Allemagne ou celui de G. de Wyss pour les cantons suisses.
Loin d'aborder les problèmes critiques, il les fuit de parti-pris '': il a
négligé, pour cette raison, d'écrire un des chapitres les plus curieux
de son livre qui nous aurait donné l'histoire de l'activité audacieuse
et remarquablement habile des faussaires italiens qui, du xv" au
xvi= siècle, et même plus tard encore, ont produit tant d'ingénieux
pastiches du passé, longtemps regardés comme des textes authen-
tiques et précieux. Mais si nous regrettons cette abstention volon-
taire de l'auteur, dont une troisième édition future aura raison peut-
être, nous reconnaissons volontiers le charme littéraire de son ouvrage
et nous signalons avec plaisir l'impartialité toujours égale avec la-
quelle il nous parle des Romains et des Barbares, des Guelfes et des
Gibelins qui défilent successivement devant nous.
R.
\
Van Dam et C. Stoffel. — William Shakespeare, prosody and text, an essay
in criticism, being an introduction to a better editing and a more adéquate ap-
préciation of the Works of the Elizabethan poets. Leyde, Brill. 1900, 437 pp.
Voici un livre intéressant. Le dessein en est de démentir la plupart
des conclusions auxquelles la critique Shakespearienne a pu aboutir.
Non seulement M. Van Dam proclame la nécessité d'une révision
complète du texte de Shakespeare, mais il comprend, et lit les poètes du
siècle d'Elisabeth d'une façon toute nouvelle.
Qu'on en juge! Le vers de Shakespeare, dit-il, est un vers de dix
ou onze syllabes, dont les accents portent le plus souvent sur les
1. Il nous semble qu'en certains endroits du livre, l'étendue des paragraphes
consacrés à l'auteur et à ses alentours n'est pas précisément proportionnée à son
importance; ainsi, par exemple, le chapitre sur Gassiodore. Pour d'autres, on se
demande vraiment ce qu'ils viennent faire parmi les chroniqueurs italiens, comme
Procope et Othon de Freysing ; si c'est parce que l'un raconte la guerre des Goths
et l'autre les campagnes de Barberousse en Italie, on pourrait tout aussi bien men-
tionner au même titre une foule d'autres narrateurs de pays étrangers.
2. Voy. par exemple ce qu'il dit de la Chronique des Malaspini ou de celle de
Dino'Compagni (pp. 3oo-3o2). Le nom de Matteo di Giovenazzo est mentionné
dans une note seulement (p. 22g).
i
d'histoire et de littérature 41 5
syllabes de-nombre pair. Aucun pied ne compte plus de deux syllabes ;
il ne se rencontre jamais de syllabe supplémentaire à la césure. Quand
les critiques supposent plus de deux syllabes par pied pour se confor-
mer au texte reçu de Shakespeare, ils se trompent, le texte est corrompu,
il faut rogner le vers. Qu'on n'allègue pas à l'appui de la théorie
des pieds trissyllabiques l'exemple des poètec modernes, un vers
comme le suivant :
On a sudden, many a voice along the street {Tennyson, Ger. and En. 2yo).
devait être incorrect au temps de Shakspeare et même de Milton.
Si les poètes et les critiques se sont aussi lourdement trompés, c'est-
que le texte de Shakespeare est très fautif. Personne n'a essayé de pu-
rifier systématiquement « ces écuries d'Augias de la littérature». Cette
tâche exige surtout de l'audace, il ne s'agit pas d'une toile de maître
devant la restauration de laquelle le plus grand artiste recule et qu'on
conserve pieusement, en y portant à peine une main timide. Ici on
peut hardiment brosser à neuf. Pour peu qu'on sache la cause des
fautes d'impression, on les corrige presque automatiquement. M. V.
D. a détaillé ces causes dans un très curieux chapitre. Selon lui, le
premier in-folio, celui de 1623, publié après la mort du poète, grâce
à ses camarades, les acteurs Hemingc et Condcll, a été imprimé
d'après des manuscrits originaux. Mais les épreuves ont été revues,
non par Heminge et Condell, mais par un correcteur, attaché à l'im-
primerie, comme cela se faisait d'ordinaire au xvi' siècle. Le com-
positeur auquel le texte était dicté et qui n'était pas tenu de connaître
la prosodie, marquait au hasard les élisions et contractions, coupait
les vers à faux, ponctuait à l'aventure. Le correcteur, d'autre part,
remaniait sans scrupule et poussait la fantaisie jusqu'à faire office
de censeur. Ainsi, raisonne M. V. D., le correcteur du Roi Lear
(A. L Se. L) devait être puritain, car au vers 149 il adoucit la phrase :
thou sivear'st in vain, en interpolant : thy gods, addition que le con-
texte rend inadmissible. Plus loin, au vers 154, il a sûrement rem-
placé revoke thy doom par revoke thy gif t. Il faut donc, en prenant
pour guide la vraie prosodie du xvi^ siècle, refondre sans pitié le texte
de Shakspeare.
Citons quelques vers ainsi remaniés :
Make war with mankind -- 'Tis said they'eat each other(3/ac. II. 4. 18);
l'apostrophe après they indique que they'eat ne compte que pour une
syllabe.
Wi' im they think on ? Things wiihout ail remcdy {Mac. III, 2, 1 1)
For gaodness daren't check thee : wcar thou thy wrongs(id. IV, 3, 33)
Tie up the libcrtine'n a riekl oF fcasts. {A and C. II, i, 23)
Thatwhich his noble anc' tors'chicv'd with blows (R2. II, I, 254).
Ici, les élisions sont indiquées par des signes typographiques, mais
elles ne sont acceptables qu'à la condition d'adopter le système très
spécial de versification de M. V. D.
41 6 REVUE CRITIQUE
Le début du Roi Lear s'imprime comme de la prose, car les critiques
anglais n'y voient qu'une conversation familière, mais M. 'V. D., qui
transmue volontiers la prose en vers \ propose d'écrire avec un judi-
cieux emploi de l'apostrophe :
...I cannot wish
The fault undone, the iss' oft be'ing so proper.
But l've a son, sir, b'ord' of law some year
Elder than this, who yet is no dearer
In my account, etc.
Terminons en citant une dernière correction :
There hâve I made my prom'se, upon the heav-
y middle of the night, to call upon him. {M. for M. IV, I, 34).
Qu'on nous permette d'ajouter un mot : le livre paraît beaucoup
trop systématique pour qu'on en accepte sans réserve les conclusions.
Ces corrections ingénieuses, tout en témoignant, il est vrai, d'une
certaine pénétration d'esprit, paraissent en somme un jeu frivole, qui
évoque à nos yeux un système de critique depuis longtemps suranné.
Le plus sage parti, semble-t-il, c'est de s'attacher au texte des pre-
mières éditions de Shakspeare, quelque fautif qu'il soit, et de s'effor-
cer d'en pénétrer le sens afin de réduire au strict minimum le nombre
des conjectures. Il est regrettable aussi que la raillerie et même l'in-
vective défigure chez M. Van Dam une argumentation parfois solide
et non sans profit pour le lecteur.
Ch. Bastide.
V*
Antonio Ive. I dialetti ladino-veneti dell' Istria. Strasbourg, Trûbner, 1900.
In-8 de xviv-208 p.
La seule étude scientifique qui ait été publiée avant le livre de
M. Ive sur les dialectes romans de l'Istrie est celle que leur a consa-
crée M. Ascoli dans le tome I de VArchivio glottologico italiano,
paru en 1873. Le célèbre professeur de Milan a tiré un excellent parti
des notes qu'il avait recueillies, mais ces notes étaient peu nombreu-
ses et ne concernaient que trois localités de l'Istrie : Pirano, Dignano
et Rovigno. M. I. aune information beaucoup plus étendue. Né à
Rovigno, il a consacré depuis 1875 un grand nombre de brochures au
dialecte de sa patrie, mais ces brochures ne contiennent guère que des
échantillons linguistiques. Aujourd'hui, il nous offre une grammaire
complète, non seulement du dialecte de Rovigno, mais des dialectes
de sept autres localités de l'Istrie : Pirano, Valle, Dignano, Gallesano,
I. Page 224, pour couronner une longue discussion, M. V. D. accomplit le tour
de force de donner la forme de vers blancs à un article de la Qiiarterly Review.
d'histoire et de littérature
417
Fasano, Pola et Sissano. Naturellement, ces localités sont toutes situées
sur les bords de l'Adriatique, car quand on s'éloigne de la côte, on
tombe vite en pays slave. M. I. étudie successivement la phonétique,
la morphologie, la syntaxe et le lexique de chacune des huit unités
qu'il embrasse, de sorte que nous refaisons sept fois de suite le même
voyage à travers les parlers romans de l'Istrie. Il y 1 quelque mono-
tonie dans ce procédé, mais la méthode synoptique aurait probable-
ment offert de plus graves inconvénients.
M. I. commence naturellement par Rovigno et, suivant l'exemple
de M. Ascoli, il numérote ses paragraphes pour se contenter d'un
simple rappel lorsqu'il étudiera les autres localités. Rovigno occupe à
lui seul 70 pages : c'est dire que les parlers de Pirano, Valle, etc. sont
traités sommairement et que l'auteur saute tous les numéros où il
n'aurait qu'à constater l'accord avec Rovigno. C'est très clair comme
plan d'ensemble. Ce qui l'est moins, c'est le plan particulier de l'étude
sur Rovigno. La numérotation n'est pas la même que celle de
M. Ascoli, et on peut le regretter. Il est vrai que, dans la phonétique
des voyelles, la science a fait des progrès depuis iSjS; elle a reconnu,
par exemple, que l'ancienne division de Diez (voyelle longue, voyelle
brève, voyelle en position), adoptée par M. Ascoli, était défectueuse.
Si M. I. avait perfectionné le plan des Saggi ladinik ce point de vue,
ce serait tout profit. Mais il n'en est rien. M . Ascoli a quinze subdi-
visions pour Ve tonique (n°s i8-32) ; M. I. n'en a que quatre (n*" 7-10),
selon que Ve reste e (n° 7) ou devient i (8), ie (9), a (10), ce qui est tout
à fait insuffisant. D'après la déclaration qu'il fait p. xxiii, sa base n'est
pas, comme on pourrait s'y attendre, le latin, mais l'italien ou le véni-
tien, au moins pour les voyelles. Je ne vois vraiment pas les avantages
de cette méthode ; elle ne peut qu'augmenter la confusion dans un
sujet déjà fort complexe par lui-même, et M. I. en a été plus d'une
fois victime. Il serait facile de citer des mots qu'il n'a pas classés où
il conviendrait ; mais n'insistons pas. Ce qui est plus grave, c'est que
sa phonétique offre quelques lacunes, à s'en tenir aux éléments qu'il
nous fournit lui-même. Je ne vois pas, par exemple, qu'il mentionne
le changement de Vo protonique en a dans le parler de Rovigno, et
pourtant il enregistre à la p. 10 le mot sigagnola, poulie (n'aurait-il
pas reconnu l'étymologie latine, ciconiola ?), et p. 21 les mots
tariin:{ay kagiija et prafondi, qui présentent incontestablement ce phé-
nomène.
Malgré quelques défaillances de détail, le livre de M. 1. témoigne
d'une très sérieuse préparation philologique. La partie Icxicolo-
gique est particulièrement soignée et fait bien augurer du glossaire
comparé des parlers istriotcs que l'auteur espère publier un jour. Voici
deux ou trois menues observations sur cette partie de sa tâche. P. 88,
l'article parangal doit-être fondu avec celui qui se trouve plus loin
p. 14g ; il n'y a manifestement aucun rapport entre ce mot, qui dési-
.«^
418 REVUE CRITIQUE
gne une ligne à pêche, et le lâxin paragauda auquel renvoie M. I. ; en
revanche, comme l'a déjà remarqué M. Schuchardt, le provençal jt^tr-
langre, dont le sens est analogue, doit être apparenté k parangal. On
pourrait songer à une étymologie par oâXayç, çaXâYY'°^> 1^ compa-
raison avec une araignée étant très naturelle; mais il y a quelques
difficultés phonétiques. — P. 121, M. I. semble avoir quelques doutes
sur le rapport de kagnol, irjstrumeni de tonnelier, avec le latin canis:
ses doutes disparaîtront s'il remarque que cet instrument porte en
italien le nom. âecane et en français celui de chien. — P. i6"i gur-
gan., vêtement de femme, me fait bien l'effet d'être le français gros-
grain, sorte d'étoffe qui a eu une vogue européenne et dont le nom a
été défiguré par la plupart des langues qui nous l'ont emprunté ;
angl. grogram (d'où nous avons à notre tour fait gourgourati), bas
allem. grofgrœn, ancien italien grogano, etc.
Dans l'introduction, M. I. s'est attaché à mettre en lumière les
traits qui permettent soit de caractériser chacune des unités linguisti-
ques qu'il a étudiées, soit de les répartir en groupes plus ou moins
homogènes : Rovigno est ordinairement d'accord avec Fasano; Di-
gnano avec Gallesano ; Pirano avec Valle et Sissano. Une question
qui domine toutes les autres est celle du rapport qui unit les parlers
istriotes à ceux de la Vénétie et à ceux des pays ladins. L'auteur ne se
croit pas encore en état de la résoudre. Non seulement la stratifica-
tion ethnologique de l'Istrie n'est pas encore établie rigoureusement,
mais les conditions dialectales actuelles de cette province ne permet-
tent pas de déterminer jusqu'à quel point le ladin est venu contaminer
l'istriote ; d'autre part, l'absence de textes anciens nous laisse dans
l'ignorance sur l'élaboration qu'a pu subir le latin au moment où il a
triomphé des idiomes indigènes de la région. Espérons que M. Ive se
trouvera bientôt en mesure d'aborder cette grave question et toutes
celles qui s'y rattachent. Il nous donnera alors les raisons de la pro-
testation qu'il a tenue à formuler, dès maintenant, contre la théorie
de Virchow (adoptée chez nous par M. Auerbach), qui voit dans
l'élément slave le substratum ethnico-linguistique, non seulement de
l'Istrie, mais de toute la Vénétie.
Antoine Thomas.
M. Tugan-Baranowsky. — Geschichte der russischen Fabrik. — Deutsche
Ubers. Von B. Minzes. Hefte V/VI der Socialgeschichtlicheii Forschungen
hgg. V. Bauer u. Hartmann, Berlin. Felber. 1900. In-8° de vi-626 p.; 12 mark.
Ce livre date déjà de près de trois ans, et, est par suite, antérieur à
celui de M. Schulze-Gœvernitz sur un sujet analogue Volkswirls-
chaftliche Studien ans Russland; il perd ainsi quelque chose de
son intérêt, en se présentant dans la traduction consciencieuse, mais
i
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 419
un peu tardive, et vraiment trop pénible de M. B. Minzès. N'y cher-
chons pas, d'ailleurs, une histoire suivie de la fabrique russe ; ce sont
plutôt deux séries parallèles d'études plus agréables que profondes, et,
en tout cas, nullement complètes, sur un certain nombre de faits inté-
ressant cette histoire. Le volume présent, qui doit être suivi d'un se-
cond, est divisé en deux parties : Avant les Ré/ormes — et Après les
Réformes. Dans la première partie, nous trouvons les définitions et
expositions obligées sur le rôle de Pierre le Grand comme créateur
d'industrie, et sur les fabriques dites de /jo^^e^^/on, c'est-à-dire ouvertes
par l'Etat ou soutenues par lui, et, en tout cas, soumises à son con-
trôle. Les renseignements relatifs à ces dernières fabriques sont, na-
turellement, plus copieux et plus dignes de foi que ceux qui étaient
fournis par des propriétaires nobles, libres d'exploiter leur fabrique à
leur guise, grâce à leurs serfs. C'est ainsi que M. T. B. fait un tableau
curieux de la résistance souvent opiniâtre avec laquelle certains ou-
vriers de Possessioti soutinrent les revendications qu'ils avaient pré-
sentées à un gouverneur ou au souverain lui-même ; mais il déclare
n'avoir aucun document sur les faits analogues dans les fabriques de
l'aristocratie. Le règne de Nicolas [ef, bien que, naturellement, peu
favorable aux mécontents d'en bas, se distingue, cependant, par une
élévation des salaires ; ce fait s'explique par la raréfaction de la main
d'œuvre produite alors par l'essor de l'industrie russe. C'est à ce mo-
ment que les fabriques se heurtent avec la Hausindustrie (l'industrie
domestique). Les ouvriers voisins d'une fabrique, ou bien se mettent
à fabriquer, à leurs risques et périls, des objets analogues à ceux de sa
spécialité, ou bien entreprennent à domicile, pour le compte d'un pa-
tron, telle ou telle des opérations dont se compose le travail de la
fabrique. M. T. B., dans deux chapitres intéressants, étudie quelques-
uns des rapports qui s'établissent alors entre la fabrique et ses menus
satellites ; ceux-ci, finalement vaincus, lorsque se développe la fabri-
cation en masse, se transforment, ou, bien cessent toute production.
C'est à une défaite de ce genre subie par la Hausindustrie que
M. T. B. attribue l'exode en masse des paysans de certains gouverne-
ments soit vers les villes, soit vers d'autres provinces où le gain leur
semble plus aisé. Toutefois, sur ce dernier point, de graves réserves
seraient à faire, et cet exode chronique pour Votkhojy promysl (le
travail lointain) est dû, sans aucun doute, à des causes plus profondes
et plus générales que celles-ci.
Dans sa seconde partie, M. T. B. reprend, au point de vue con-
temporaiq, les principales questions qu'il vient d'étudier dans la pre-
mière moitié du siècle : législation industrielle, salaires, fabriques et
Hausindustrie, enfin, rapports de l'industrie et de l'opinion publique.
En raison même des travaux plus récents qui ont paru depuis, c'est
ici la partie qui nous semble la moins neuve dans le livre de M. T. B.:
c'est là l'inconvénient des traductions qui viennent un peu tard.
420 REVUE CRITIQUE
En somme, ce livre se lit avec grand intérêt. Son défaut le plus sail-
lant consiste dans une certaine indécision du développement, et
dans le pèle mêle des faits cités. En outre, on se dit, en raison
même du manque de cohésion des chapitres, que, à côté des sujets
traités, d'autres non moins curieux auraient sans doute pu être
choisis. Nous avons l'impression hachée et incomplète que nous
laisse, par exemple, un cours destiné à un grand public. Sous ce rap-
port donc, nous trouvons un peu ambitieux le titre du livre, et nous
voudrions y voir substituer à peu près celui-ci « Etudes à propos de la
fabrique russe » '.
Jules Legras.
Pierre Aubry. La musicologie médiévale, Histoire et méthodes, i vol. grand
in-4'>, i34p. chez H. Welter (Paris), 1900.
Ce volume est la « mise en œuvre » d'un cours professé à l'Institut
catholique de Paris par M. Pierre Aubry, ancien élève de l'École des
Chartes, archiviste-paléographe. Il inaugure une série de « mélanges
critiques » qui comprendra : 1° une édition paléographique, avec fac-
similés, des Œuvres poétiques et musicales d'Adam de Saint-Victor
(en collaboration avec M. l'abbé Misset) ; 2° un recueil (24 fac-similés
phototypiques avec transcriptions et commentaires) des plus anciens
monuments de la musique française ; 3° le texte critique et musical
des Lais et Descort\ du moyen âge (en collaboration avec MM. A. Jean-
roy et L. Brandin). — Intéressant programme, pour la bonne exécu-
tion duquel de tels noms sont une excellente garantie !
Le plan suivi par M. A. dans ce premier travail est celui-ci : une
courte introduction montre d'abord que la musique a tenu une place
considérable, au moyen âge, dans la civilisation générale, et s'est déve-
loppée parallèlement aux autres branches de l'art et de la science.
Ensuite des études critiques sont consacrées aux savants les plus cé-
lèbres qui se sont occupés de la musique médiévale : Dom Jumilhac,
auteur de La science et la pratique du plain-chant {'Paris, 1973); l'abbé
Lebeuf, auteur du Traite' historique et pratique sur le chant ecclésias-
tique (Paris, 1741); Dom Martin Gerbert (1710-1793), éditeur des
Scriptores et auteur du De cantu et musica sacra ;¥éxis et de Cousse-
maker. Dans une dernière partie, M. A. examine les éditions des livres
de chant liturgique, caractérise l'œuvre bénédictine, et expose enfin
I. En général, M. T. B. cite avec une suffisante précision. Cependant, nous igno-
rons à quelle quantité se rapportent, par exemple, les prix du red printed clotli
cités p. 72. — Citons comme amusante coquille la phénoménale conversion
(p. 410) de 2,391 vcrstes en 2i,55i kilomètres (pour 2,55i). — Pour l'allemand,
nous n'avons pas relevé toutes les fautes du traducteur, mais des formes comme
Fabriksarbeit, Fabriksarbeiter, etc., nous ont spécialement déconcerté.
I
I
i
d'histoire et de littérature 42 1
les principes de la méthode philologique appliquée à l'histoire de l'art
musical. Ces principes peuvent être ainsi résumés : l'histoire de la
musique doit être étudiée avec la même méthode que les autres
branches de l'histoire ; par exemple, l'édition d'un texte musical ne se
fait pas autrement que celle d'un texte littéraire classique. Cette pro-
position est l'évidence même. Mais aujourd'hui encore, en France,
elle est, pour beaucoup de gens, une nouveauté.
Il y a, dans le travail de M. A. quelques idées fort intéressantes et
originales, mais simplement effleurées, et sur lesquelles nous serions
tentés de demander des éclaircissements, des preuves précises; par
exemple, sur l'identité établie (p. 3), entre l'évolution de l'art musical
et celle de l'architecture au moyen âge, — Pourquoi M. A. n'indi-
que-t-il pas (en renvoyant au moins aux catalogues de Reynaud,
Schwann, etc.. .) les lyriques du moyen âge qui restent à étudier ou
à éditer ? — Pourquoi (lui que je sais si bien documenté sur ce point)
ne fait-il pas une part à l'étude des monuments figurés? L'étude des
fresques du Puy, des chapiteaux de Cluny, etc., n'est-elle pas une
annexe nécessaire de la musicologie médiévale? Mais, tel qu'il est, et
bien qu'il ressemble à une esquisse plus qu'à un tableau, le livre de
M. A. mérite les plus grands éloges. On y trouve partout une érudi-
tion solide et un excellent esprit. Nous pensons même qu'il marquera
une date importante pour deux raisons : d'abord, c'est la première
fois qu'un publicisie considère la musique médiévale comme une suite
naturelle des études qu'il a faites à l'École des Chartes ; ensuite, c'est
la première fois que de telles matières sont l'objet d'un enseignement
public. On ne citait jusqu'ici, comme ayant fait une tentative analogue
à celle de M. Aubry, en dehors des écoles pratiques, que M. C.
Paoli, qui avait fait entrer les notations neumatiques dans un pro-
gramme d'enseignement de la paléographie latine [Programma sco-
lastico di paleografia latinae di diplomatica,espos[o da Cesare Paoli,
Florence, 1888].
Jules COMBARIEU.
Henry Expkrt. Les Maîtres musiciens de la Renaissance française (12* livrai-
son, chez A. Leduc, 1900).
Si j'ai attendu, pour en parler ici, la 12* livraison de cette publica-
tion magnifique, c'est que, en s'appliquant à constituer un Corpus de
l'art musical franco-belge aux xv et xvi^ siècles, M. Expert poursuivait
encore la première partie de son travail qui consiste à reproduire,
d'après les éditions du temps, les œuvres musicales elles-mêmes; dans
une seconde partie, il donnera des notes historiques et critiques, des
Tariantes, des commentaires, des indications bibliographiques, et des
études sur les questions musicales à l'époque de la Renaissance. De
422 REVUE CRITIQUE
ces deux entreprises, la première est sans doute la plus intéressante
aux yeux des musiciens de profession, mais c'est précisément celle
dont l'examen est le plus malaisé dans cette Revue. Je me permettrai
cependant, sur cette première partie, quelques observations. Il est
regrettable que M. Expert n'indique pas toujours la source à laquelle
il a puisé. Ainsi, il ne me suffit pas de savoir que les psaumes de
Claude Goudimel sont reproduits « d'après l'édition de i58o » ; il ne
suffit pas non plus, en tête des œuvres de Guillaume Costeley, de don-
ner en fac-similés les premières pages d'une vieille édition. Le lecteur
a le droit d'exiger qu'on lui indique (avec la cote) la bibliothèque où
se trouve l'original ; sans cela, comment vérifier ? Comment apprécier
(comme il convient ici, sans doute), l'exactitude d'une réédition ?
Ces indications seraient d'autant plus nécessaires que j'ai relevé,
pour parler le langage de l'École, quelques fautes d'harmonie dans
les textes que donne M. E. Ou bien ce sont des négligences d'écriture
que l'éditeur moderne pouvait corriger (en nous avertissant de la cor-
rection), ou bien ce sont des particularités de style qui appelaient
(immédiatement, et non dans une étude ultérieure) des notes critiques.
J'aurais aimé en outre que M. E. indiquât exactement les textes
de sa publication qui étaient encore inédits (?) et ceux qui ne sont
qu'une réédition. Le mieux eût été de commencer par indiquer l'état
de travaux, en mentionnant — par exemple pour la musique belge —
ce qui avait déjà été fait par Proske, Choron, Dehn, Rochlitz, Fétis,
Forkel, Delafage, Burney, Commer, de Coussemaker, van Malde-
ghem, Becker, Eitner, Schlecht, etc.... — La réédition que M. E.
vient de nous donner d'un traité de Michel de Menehou {Nouvelle
instruction familière en laquelle sont contenues les difficultés de. la
musique, i55S) semble indiquer que la première partie de son œuvre
(textes musicaux) est finie. Pourquoi n'a-t-il fait aucune place à la
musique instrumentale, dont les monuments apparaissent dès le
xv« siècle ?
Ces réserves faites, il faut adresser les plus grands remercie-
mentss à M. Expert, dont l'œuvre comble une grande lacune dans nos
études sur la Renaissance. Il veut nous faire connaître : i° les monu-
ments de la musique religieuse catholique ; 2° les monuments de la
musique protestante; 3° les monuments de la musique profane.
Les musiciens dont il a publié les compositions sont : Orlande de
Lassus, Claude Goudimel, Guillaume Casteley, Claudin (de Sermisy),
Jacques Conseil, Courtoys, Deslonges, Dulot, Gascongne, Hesdin,
Jacontin, Janequin, Lombart, Sohier, Vermont, Brunel, P. de la Rue,
Mouton, Fevin, Mauduit, Claude le Jeune, plus un certain nombre
d'anonymes. Je dois dire encore que ce n'est là qu'un choix; la liste
n'est pas complète, il s'en faut : le lecteur en doit être averti. Un
supplément intitulé Anthologie chorale comprend cinq séries qui
ajoutent aux précédents les noms de Clemens non papa, Philibert
d'histoire et de littérature 423
Jambe de fer, Gombert, Lupi, Marenzio; la cinquième série comprend
les œuvres de musique mesurée à l'antique : compositions de Cl. le
Jeune sur les textes d'A. d'Aubigné et de Baif); chansons erotiques de
J. Mauduit; musique à quatre voix mixtes « pour les xix mètres lyri-
ques d'Horace » par Tritonius, Senfl, Hofhaimer. A cette collection
seront ajoutées les compositions de Goudimel sur les odes d'Horace,
celles d'Olthovius sur les paraphrases latines des psaumes par Bu-
chanan, etc.
On le voit, c'est une œuvre très considérable. Quelques-uns des
musiciens qu'elle nous révèle n'avaient pas été mentionnés dans les
catalogues d'Eitner, si bien qu'elle comble à la fois une lacune dans
la science française, et dans la science, bien plus avancée sur ce
point, des Allemands. C'est en outre une œuvre de foi, d'enthou-
siasme, de conscience (musicale), respectueuse des moindres détails :
« Je m'abstiens, dit l'auteur, de toute indication étrangère aux textes ;
j'estime qu'un simple mouvement ajouté est pure opinion de critique,
souvent fort sujette à caution Je donne le texte littéraire, comme
le texte musical, en sa teneur originale. J'insiste sur ce point; car,
dans le petit nombre de pièces profanes que le public a pu lire jus-
qu'à ce jour, le vandalisme de certains éditeurs n'a pas laissé grand
chose qui ne soit expurgé et défiguré misérablement ». Tout en
rendant hommage à ces scrupules, on regrette parfois que M. E.
s'efface modestement et complètement derrière son sujet, alors qu'il
[pourrait nous rendre les services d'un guide fort bien renseigné. On
dira aussi qu'il aurait pu suivre un plan plus logique, plus net. Mais
[ce sont là chicanes de philologue et non de musicien. Si j'ajoute que
'cette publication monumentale est fort élégante, très agréable à l'œil
et au toucher, et que M. Expert a dû s'imposer probablement des
[peines et des sacrifices de tout ordre pour l'amener au point où elle
'est aujourd'hui, j'aurai à peine rendu justice à une œuvre de très
j grand mérite, qui fait honneur à notre pays.
Jules COMBARIEU.
[Camille Bellaigue, Impressions musicales et littéraires (i vol. in- 12, 449 pp.
Paris, Delagravc, 1900).
Sous ce titre, M. Bellaigue publie une série d'études fort agréables
sur Mazzini (auteur d'une Filosojîa délia miisica, 1897), sur Brahms,
sur la salle du Conservatoire de Paris, la musique russe, le Vaisseau
^fantôme, Don Lorenzo Perosi, Fidelio, Tristan et Iseiilt, Vlphii^cnie
en Tauride et VOrphée de Gluck. Dans une série de nouveaux médail-
lons sont dessinées les silhouettes d'Halévy, Léonard de Vinci, Hasn-
del. Rouget de l'isle, Grétry, Lamennnais, Saint-.Mphonse de Li-
guofi, Hoffmann, Luther, Frédéric II. Deux portraits littéraires,
424 REVUE CRITIQUE
ceux de V. Cherbuliez et d'E. Fromentin, complètent cette antholo-
gie. On y retrouve rhabituelle distinction de pensée, de goût et de
style, qui est la qualité essentielle de M. Bellaigue. Bersot parlait des
« rhétoriciens qui traversent la vie en portant sous leur bras une am-
phore vide » ; tel n'est point le cas de M. Bellaigue. Son amphore est
pleine d'ambroisie. Mais pourquoi présenter comme de simples
« impressions » des études de cette nature? Quand on décrit et quand
on apprécie des œuvres telles que VIphigénie e\ V Orphée (\cG\\xck,
pourquoi ne pas avouer franchement qu'on fait de l'histoire et de la
critique? J'ai peur qu'il n'y ait là un peu d'adresse, car M. B. semble
avoir voulu échapper au reproche que nous aurions à lui adresser,
presque à chaque page, de négliger, avec un dilettantisme vraiment
trop grand, la connaissance des sources. Il la dédaigne. La bibliogra-
phie, l'examen des éditions, lui paraissent choses superflues. Il est
singulier qu'aimant passionnément Bach, Hasndel, Beethoven, Mo-
zart, il ne s'attache pas à retrouver la forme exacte de leur pensée, et
se contente d'entendre, au théâtre ou au concert, des exécutions plus
ou moins mutilées. Parle-t-il de Haendel? on ne sait si c'est d'après
l'édition d'Arnold, ou celle de Walsh, ou celle de Cluer, ou celle de
Chrysander ; parle-t-il de Frédéric II? Il ne cite même pas dans
une note l'édition de Ph. Spitta, pourtant plus importante que telle
anecdote plus ou moins authentique sur le terrible flûtiste ; parle-t-il
de Gluck? Il ne nous dit pas l'état déplorable dans lequel ses parti-
tions nous sont parvenues ; et ainsi du reste. Ce qu'il y a d'embar-
rassant, c'est que, au lieu de rester fidèle à son titre et de nous donner
des « impressions » — auquel cas Je n'aurais rien à dire — M . B. est
très dogmatique, parfois même sévère pour tel grand compositeur
(Vincent d'Indy).
P. 85, M. B. dit en parlant de la Société de Concert du Conserva-
toire que « son histoire est conforme à celle de la musique même » et
il lui fait honneur « d'une récente et magnifique restitution de la
messe en si mineur de Bach ». La Société des Concerts n'a fait nulle-
ment une « restitution » de la messe en si mineur, et ce, pour les rai-
sons suivantes : 1° elle n'a pas joué l'œuvre de Bach avec les instru-
ments usités au temps de Bach comme on l'a Jouée récemment à Colo-
gne (Gurzenich-Concerte) sous la direction du docteur Wulner ; 2° elle
y a introduit des divisions arbitraires (voir la place occupée par
VAgniis Dei et le Donapacem, dans le programme rédigé par M. Tier-
sot) ; 3° elle a interverti l'ordre de certaines parties de la messe (v.
ibid.); 4° elle a supprimé 5 morceaux sur 26 ; 5° elle a fait précéder
le premier chœur, d'un petit prélude instrumental qui est l'œuvre du
chef d'orchestre, et non celle de Bach...
Pages 4, 277 et passim, M. B. revient sur cette idée que la musique
est un fait sociologique, parce qu'en elle « tout est nombre et propor-
tion ». Je crois avoir déjà relevé cette erreur. Oui, la musique est un
Au
d'histoire et de littérature 425
fait sociologique, mais ce n'est pas parce que la composition musicale
est constituée par la marche harmonieuse et simultanée de plusieurs
parties mélodiques. D'après la raison donnée par M. B. tout serait so-
ciologique, y compris les pierres des -chemins 1. . .
Quelques lapsus : p. 104, lire « Nibelung » et non « Niebelung » ;
p. loi , lire « Ruslan » et non '< Rusiian »; p. 101, 1 1*^, 116, 117, etc.,
lire « Snêgurotchka » et non « Snègourotchka » (en vertu de l'ortho-
graphe précédemment adoptée pour Rus\d,v\) ; p. io3, lire « Fomin » et
non « Fomine » ; « Titov » et non « Tito»»» ; « Rimski-Korsakov » et
non « Rimskj/- », etc..
Page 55, lire : « parmi les 191 pages (qui composent le Requiem de
Brahms) » et non : « parmi les huit pages.... »
Il ne faut pas perdre le souci de l'exactitude et de la vérité, même
quand on parle de ceux dont on estime très haut l'intelligence et le
savoir.
Jules COMBARIEU.
O. Stock. Lebenszweck und Lebensauffassuug. GreifswalJ, J. Abcl, 1897.
In-8°, 177 pages.
Y a-t-il un critérium objectif du bien et du mal ? Y a-t-il vluq science
de la morale? Telles sont les graves questions que se pose M. Stock.
Et il y répond par une définition intéressante et ingénieuse de la loi
morale. Une éthique scientifique, dit-il, est possible si nous pouvons
démontrer quïl existe une fin supra-individuelle vers laquelle tendent
nécessairement tous les hommes. Or tous les hommes tendent d'abord
à persévérer dans l'être : c'est là une fin universellement voulue. Mais
cette fin, si elle est nécessaire n'est pas absolue : elle implique elle-
même une fin supérieure. Qu'est-ce que la vie, en eftéi, si ce n'est la
somme de nos états de conscience ? Vouloir vivre c'est donc en défi-
nitive vouloir continuer à prendre conscience de l'univers, en d'autres
termes tendre vers une connaissance toujours plus complète, s'efiorcer
vers la vérité. La moralité c'est donc en dernière analyse, la volonté
de vérité. Or, une pareille volonté engendre nécessairement les dispo-
sitions que nous sommes habitués à regarder comme spécifiquement
morales : l'abdication de l'égoïsme individuel iSelbstitberwindung)
et la conscience de notre solidarité avec les autres êtres [Gcmcin-
schaft). A mesure que l'homme prend mieux conscience de l'univers,
il apprend auiisi mieux à ne voir dans la fin nécessaire ei individuelle
vers laquelle tendent les hommes (le vouloir vivre individuel) que le
moyen nécessaire de la fin supérieure qui y est implicitement contenue
(la volonté de vérité), et il agit en conséquence. Il pan de l'égoismc
individuel pour s'élever peu à peu vers la conscience de son identité
avec les autres êtres ; l'amour maternel et conjugal, l'amour de la la-
426 REVUE CRITIQUE
mille, de la cité, de la nation, de Thumanité, sont les étapes succes-
sives par lesquelles l'homme, élargissant sans cesse son horizon
intellectuel, s'élève graduellement àun niveau moral supérieur. L'idéal
moral n'est donc pas quelque chose d'un et d'immuable mais bien
quelque chose d'indéfiniment perfectible. Il n'est pas un point fixe,
mais une ligne infinie, et chaque individu, selon son degré de culture,
s'arrêtera à tel ou tel point de cette ligne. A toute époque on peut
noter, sur cette ligne, un point qui représente le niveau moyen minimum
de moralité exigible et qui constitue le devoir au sens étroit du mot,
le devoir qui s'impose immédiatement à nous et que nous ne pouvons
transgresser sans nous mettre en conflit avec la conscience morale de
notre temps. Mais la tâche morale de l'humanité est infinie comme
est infini le domaine du Connaissable. Seule la religion, c'est-à-dire
la conscience de notre identité dernière avec Dieu, nous permet
« d'anticiper en idée l'accomplissement de la loi morale ». Ainsi l'Hu-
manisme et la Religion, l'identification du moi individuel avec l'uni-
versalité des hommes et enfin avec l'Être universel sont les deuxdegrés ^
supérieurs de la moralité, par lesquels l'instinct moral prend cons-
cience de lui-même comme volonté de connaître l'Etre dans sa tota-
lité, comme volonté de vérité.
La théorie de M. S. est à coup sûr très ingénieuse; parmi les pas-
sages qui m'ont semblé les plus réussis, je me bornerai à citer le
chapitre où M. S. montre comment la volonté de vérité implique le
renoncement progressif à l'égoïsme individuel (p. 104 ss.). Elle est
aussi d'une très grande élévation et représente à coup sûr ce qu'on
pourrait appeler le « pari » moral d'un grand nombre d'entre les
esprits les plus cultivés de notre temps. Il ne faut pas se dissimuler,
d'ailleurs, qu'elle rencontrera nécessairement de sérieuses résistances.
Elle est d'abord — et l'auteur, très courageusement, n'a eu garde de
le dissimuler — une morale aristocratique. M. S. ne fait aucune dif-
ficulté d'avouer que la morale du penseur est d'un degré plus élevé
que celle du paysan (p. 140), ou encore que Thétéronomie soit poli-
tique, soit religieuse est, à tout jamais probablement, le lot de la plus
grande partie de l'humanité (p. 145). Il ne peut manquer, dès lors,
d'avoir contre lui Vinstinct moral d'un grand nombre d'hommes pour
qui l'égalité de tous les êtres humains, quel que soit leur degré de cul-
ture, devant la loi du devoir est une certitude immédiate et absolue.
— Puis elle repose en dernière analyse sur une théorie de la volonté
qui soulèvera bien des objections. Pour M. S. la volonté est la faculté
purement formelle (et, semble-t-il, identique chez tous les individus)
en vertu de laquelle l'homme tend nécessairement vers l'objet qui lui
apparaît comme devant lui procurer le plus de satisfaction. Supposez
au contraire que la volonté soit un principe actif, une force, qui dif-
fère soit au point de vue de la qualité soit au point de vue de la quan-
tité chez les divers individus : il devient aussitôt possible de chercher
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 427
le principe de la moralité non plus seulement dans la nature des mo-
tifs auxquels obéit la volonté, mais dans la constitution intime de cette
volonté elle-même; et nous aboutissons à une théorie très différente
de celle de M. S. Or il ne m'apparaît pas que M. S. ait démontré
d'une façon suffisante l'impossibilité d'une hypothèse de ce genre, ni
même que cette impossibilité soit, d'une manière générale, démon-
trable. De sorte que, en définitive, le système de M. S. m'apparaît
moins comme une démonstration scientifique de l'existence d'une
morale objective que comme un acte de foi. Ce qui, d'ailleurs, ne lui
enlève à mes yeux rien de son intérêt ni de sa valeur.
Henri Lichtenberger.
— Dans une brochure de 20 pages, intitulée Vincendio di Roma c i primi Cliris-
tiani,, M. Carlo Pascal s'efforce de montrer que l'incendie qui dévora en 64 ap.
J.-C. la plus grande et la plus belle partie de Rome fut allumé, non pas sur les ordres
de Néron, mais par les chrétiens ou du moins par ceux d'entre eux qui avaient
pris Rome en horreur et qui croyaient qu'en provoquant la fin du monde ils assis-
teraient plus tôt au règne de la justice divine. L'auteur rappelle en outre que parmi
les premiers chrétiens de Rome il y avait beaucoup d'esclaves, de soldats, d'aff"ran-
chis, beaucoup de gens aigris, « quel sostrato tenebroso délia società die spunta
ftiori solo nei giorni piti torbidi, giiingendo ad ogni eccesso, cui spingano le bieche
passioni e i rancori hmgamente soffocati. » Il conclut que l'incendie de Rome fut
allumé par eux, et n'est pas éloigné de croire, d'après certaines expressions de
l'Apocalypse et de Tertullien, que les chrétiens s'en vantèrent plus tard. Son opus-
cule est d'une lecture intéressante ; mais il ne convaincra pas tout le monde. —
J. TOUTAIN.
— Le professeur F. Knoke, d'Osnabrùck, supporte malaisément la critique; elle
paraît lui être surtout désagréable sous la plume de M. Schuchhardt, directeur
du Musée de Hanovre. La plaquette intitulée Die rômischen Forschungen im
no*-dwestliclien Deutscliland, que vient de publier M. Knoi<e, nous met au courant
de la lutte qui s'est engagée sur ce sujet entre les deux savants allemands. Nous
ne savons si cette lutte passione les érudits de l'Allemagne; mais le récit que
M. Knoke nous en fait nous paraît peu intéressant et pour des lecteurs français
et pour la science. Ces récriminations personnelles, ces lourdes railleries, ces
ripostes indignées sont dépourvues de tout agrément. — J. Toutain.
— Sous le titre Découverte et évolution cartographique de Terre-Neuve et des
pays circonvoisins 1 4g7-i 5oo-i 76g. Essais de géographie historique et docu-
mentaire. (Paris, Wclter, avec 26 planches hors texte, dont 10 héliogravures
(3 empruntées à la Discovery) ; 162 extraits en fac-similés de cartes originales des
XVI» et xvii* siècles, la plupart inédites. Prix : 70 francs) M. Henry Harrisse pu-
blie un nouvel et important ouvrage où l'on retrouve, comme dans VHistory of
the Discovery of North-America et ses autres livres, un appareil de faits précis,
une foule d'analyses consciencieuses et une profonde connaissance de toutes Icssour-
ces. On sait la méthode de l'auteur : représenter un pays dans ses détails comme
dans sa totalité, d'après les tracés qui en ont été faits, aussi loin que les monu-
ments de la cartographie arrivés jusqu'à nous le permettent ; taire ainsi la chro-
428 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
nologie graphique des principales configurations, du cours des fleuves, de rem-
placement des villes et des ports, à toutes les époques selon l'idée que les anciens
géographes en avaient conçue; dresser, pour achever la démonstration, une
série raisonnée de tableaux comparatifs des parties les plus saillantes, empruntées
aux cartes originales de provenances, de factures et de dates diverses ; reviser,
compléter et établir les nomenclatures dans leurs modifications successives, même
sous les formes souvent inintelligibles ou erronées que présentent la plupart des
documents, puisque chaque nom peut, malgré de profondes déformations, servir
de point de repère qui permet de remonter à l'origine et de fixer la filiation des
cartes et des portulans ; coordonner ces éléments en combinant les faits analysés
et en retraçant leur point de départ, leurs rapports et leurs transformations. Telle
est la méthode que M. H. Harrisse applique encore dans cet ouvrage. 11 suffit
d'ailleurs de reproduire la table des matières. Après une introduction sur Les
Sources (Anglais, Portugais, Français, Espagnols, Basques, Hollandais), vient la
première partie, de Juan de La Cosa à Gaspar Viegas 1 5oo-i534). Elle com-
prend vingt-deux chapitres, i. Les premières hypothèses ; 11. Découverte du con-
tinent par Jean Cabot; ni. Le planisphère de La Cosa; iv. Examen technique de
la carte de La Cosa; v. L'hydrographie américano-portugaise en i5oo ; vi. Le pla-
nisphère dit de Cantino ; vu. Voyages de Gaspar-Corte-Real; viii. Découverte de
Terre-Neuve; ix. Première description de Terre-Neuve ; x. Première nomenclature
terre-neuvienne; xi. Premier développement cartographique; xii. Terre-Neuve
région asiatique ; xiii. La cartographie lusitano-italique ; xiv. Terre-Neuve région
américaine; xv. Premier tracé de la côte continentale; xvi. Le passage du Nord-
Ouest ; XVII. Tracé complet de la côte Nord-Est ; xviii. Les cartes franco-italiques ;
XIX. Premier morcellement de Terre-Neuve ; xx. Dernières cartes portugaises avant
Cartier; xxi. L'hydrographie lusitano-espagnole ; xxii. Cap-Breton et le golfe Saint-
Laurent. La seconde partie, de Jacques Cartier au capitaine Cook {i 534-1 j6g),
se compose de vingt-six chapitres; i. Découverte du détroit de Belle-Isle ; ii-x.
La cartographie américano-dieppoise : son développement; ses traits caractéris-
tiques; la Terre de Norembègue, légende dieppoise ; l'Ile Saint-Jean; les indi-
gènes, descriptions de visu ; chronologie des œuvres américano-dieppoises ; Tracés
dieppois du fleuve Saint-Laurent ; tracés dieppois des lacs ; tracés dieppois du
Labrador; tracés dieppois de Terre-Neuve ; première nomenclature de la Nouvelle-
Ecosse; xi-xii. Configurations progressives : Giovanni Benedetto et Jehan Alphonse ;
Vallard et les derniers Desceliers; xiii. Cartes liisitano-françaises ; Première hé-
sitation cartographique ; XV. Dérivés italiens; xvi. Nouvelles cai tes normandes;
XVII. Gérard Mercator; xviii-xix. Détails géographiques de Terre-Neuve : La pénin-
sule d'Avalon ; La péninsule du Petit-Nord ; xx. Les cartographes hollandais et
belges; xxi. Les cartographes français; xxii. Les cartographes anglais; xxiii. Cartes
originales françaises manuscrites ; xxiv-xxv. L'hydrographie franco-canadienne :
Jean-Baptiste Franquclin; la belle carte du Dépôt; xxvi. Le xviii' siècle : le mar-
quis de Chabert et le capitaine Cook. L'ouvrage se termine par une nomencla-
ture chronologique et raisonnée de tous les noms de lieux et en leurs formes
diverses, du Labrador, de Terre-Neuve et des pays circonvoisins, depuis la décou-
verte jusqu'à la fin du xvi» siècle, et par un index général. — A. C.
Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
i
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N° 49 — 3 décembre — 1900
HocK, Les légendes des vampires. — Blaydes, Les Euménides d'Eschyle; Adver-
saria sur Sophocle. — Plech, Chrysostomc. — Rov, Nicolas I'"'. — Le P.\lenc
et DoGNON, Lézat. — Pocquet, Le duc dWiguillon et La Chalotais. — Lang-
MESSER, Sarasin. — Tuiard, Souvenirs, p. Lex. — Bonneval, Mémoires. —
Pulci, Le Morgante, p. Volpi. — L'assemblée extraordinaire des États finlan-
dais; Getz, Les rapports entre la Russie et la Finlande ; Le droit de la Finlande
et son service militaire; Hermanson, La Finlande. — Fecuner, Nanna ou la vie
des plantes. — Raoul Rosières. — Meusel, César. — Petschenig, Choix d'Ho-
race. — Stowasser, Lexique latin-allemand. — Tropea, Les écrivains de l'His-
toire Auguste. — Cantarei.li, Mélanges. — Bonnet et Gâche, Stylistique latine,
3t éd. — Concours Hoeufft, — Répertoire archéologique de Tarrondissement de
Reims. — Smith, Grammaire du vieil anglais.
Die Vampyrsagen und ibre Verwertung in der deutschen Litteratur. Von
Dr. Stefan Hock. — Berlin, Duncker, 1900. — Tome X\'1I des Forscltungoi
çî»- neiieren Litteraturgeschiclite licrausgeg. von Dr. Franz Mlncker. — In 8,
xij-i33 p. Prix : 3 mk. 40 ; pour les souscripteurs, 2 mk. 85.
L'étude semi-historique semi-littéraire de M. Hock se divise en
deux parties. Dans la première, il traite des légendes relatives aux
vampires, de l'origine de leur nom venu du slave ', sur laquelle au
surplus il n'apporte aucune lumière nouvelle, et des principaux
ouvrages que les xvn^ et xvni« siècles surtout consacrèrent au vampi-
risme. Cette section est de beaucoup la plus instructive : il est piquant
de lire les longs titres des traités qui instituèrent de doctes contro-
verses (p. 44 sq.), non pas sur le point de savoir s'il y avait ou non
des vampires, — car cela ne faisait guère pour personne l'ombre d'un
doute, — mais sur l'explication qu'il convenait d'assigner à leur mal-
laisance surnaturelle. Quant à la source même de la croyance aux
vampires, l'auteur l'estime double : il y voit une contamination des
superstitions qui se rattachaient au cauchemar et des fables sur les
revenants. C'est bien cela ; mais il eût pu y joindre un troisième élé-
I. M. H. rappelle que l'usage de boire le sang des cadavres ennemis p. 2) a pu
donner naissance aux premiers contes vampiriques. Or il est remarquable que
cette coutume nous soit précisément attestée des anciens Scythes, qui sont, sinon
'les ancêtres directs, au moins les bien proches parents des SI.ivc* : Ponip.
Mêla, II, I.
43o REVUE CRITIQUE
ment, en se souvenant que, dans la Nekyia de l'Odyssée, les ombres
défilent d'abord inertes et inconscientes, et que la propre mère
d'Ulysse ne le reconnaît qu'après avoir « bu du sang ». Rien de plus
logique ; car, « le sang, c'est l'àme », disait déjà le législateur hébreu,
et toute l'antiquité a partagé cette croyance '.
Dans la seconde partie, M. Hock énumère et résume les principales
œuvres d'imagination, toutes fort modernes, inspirées par la légende
des vampires. C'est la Fiancée de Corinthe qui ouvre la liste.. Sa
bibliographie est complète et bien informée, et ses appréciations, en
général, mesurées et judicieuses \
V. Henry.
AeschyliEumenides. Annotatione critica et commentario exegetico instruxitFre-
dericus H. M. Blaydes. Halis Saxonum in Orphanotrophei libraria, igoo. Un vol.
in-8» de x-i52 p.
Adversaria critica in Sophoclem. Scripsit ac collegit Fr. H. M. Blaydes, ibidem,
1899. ^'^ ^°'' ii'^"^° ^^ IV-291 p.
Dans le n^^ du 5 février de cette Revue nous rendions compte de
deux publications nouvelles de M. Blaydes, une édition des Choé-
phores d'Eschyle et un volume d'Adversaria critica sur Aristophane.
A quelques mois d'intervalle, M. B. nous donne encore deux nou-
veaux livres, une édition des Eiiménides et un volume à' Adversaria
sur Sophocle. Notez que dans la préface d'un volume d' Adversaria in
varias poetas graecos et latinos, préface datée de 1897, M. B. se disait
octogénaire; plus tard il se plaignait de sa santé. On voit que ni la
maladie ni la vieillesse ne ralentissent le zèle de l'infatigable travail-
leur. Nous ne croyons pas que cette édition de VOrestie, terminée
aujourd'hui, ajoute beaucoup à la renommée de l'auteur; sa grande
œuvre reste toujours cette édition d'Aristophane, qui lui a coûté
quatorze années d'efforts. Comme pour les œuvres précédentes de
M. B., on désirerait qu'il travaillât moins vite; mais à quoi bon ces
regrets et ces critiques? Il est clair que M. B. ne changera pas; il
1. Ce n"est pas contre « les Gandharvas » (p. 2) qu'est dirigé l'hymne védique
A. V. VIII. 6 : dans cette longue conjuration, le Gandharva n'est nommé qu'une
fois, et presque incidemment, stance 19, et les êtres démoniaques qui y sont
énumérés portent les noms les plus divers et les plus bizarres, presque tous inex-
plicables par l'étymologie du sanscrit et probablement étrangers à son vocabulaire.
2. A quelques exceptions près : le terme Fàlschungen (p. 80) est bien fort pour
les humoristiques pastiches de la Gu\la, et la très inoffensive mystification de
Mérimée n'est pas même un péché véniel ; à supposer que les Vampires de Nodier
soient aussi mauvais que M. H. veut bien le dire (p. 91), ce n'est pas une raison
pour accabler dépithètes désobligeantes le charmant et profond conteur du SoHg?
i'or et de la Fée aux Miettes.
I
d'histoire et de littérature 43,
faut le prendre tel qu'il est avec ses qualités et avec ses défauts. Parmi
les nombreuses corrections proposées par l'auteur ou introduites par
lui dans le texte, nous n'en citerons que quelques-unes : v. 139, {zisa-vé
t' ÊÙrTÉpo;,- au lieu de [xâpaive h'jzipoir, 272, tt.v iraÇtav oîxr.v au lieu de
•StXT,; è-âç'.a; 369, fiâX' ÈXaopwc âXo[jLÉva au lieu de [lâloi. yà? o-iv àXo[jiéva.
Le volume des Adversaria sur Sophocle contient non seulement
des corrections de l'auteur, mais aussi des observations critiques de
toutes sortes, citations de conjectures anciennes, notes de grammaire
et de grammairiens, leçons des manuscrits, etc.; tout cela comme
toujours péle-méle. Trois tragédies ont attiré plus particulièrement
l'attention de l'auteur, ÏŒdipe Roi, l'Œdipe à Cohue, VAntigone.
Dans ÏŒdipe Roi, nous relevons les conjectures suivantes : 97,
iveâo' ôji TefJpa[j.|xÉvov | ex ^ficrô' sXajvE-.v ; 3 l3, XOcra-. ol Tiàv [ifaa.aa, M. Blavdes
avait déjà proposé Xôtrov, il renvoie aujourd'hui à Eur. Or. 590, [JL-ajixa
XO^a-. ; 420, longue discussion pour justifier la correction déjà connue
aussi de l'auteur. 3of, oV -f, j/, -oVk o>/. ècrra'. 'eXî/.iÔv. Il y a de la confusion
aux vers 255 et suivants; la même note est répétée aux v. 255 et 261 .
Albert Martin.
Saint Jean Chrysostome (344-407) par Aimé Pl-ech. Paris, Lecoffre, Collection
" Les Saints »; igoo, ni-200 p., in-12. Prix : 2 fr.
Le Chrysostome de M. Puech produit l'impression d'une oeuvre
d'art. La discrétion et la grâce du style, les proportions harmonieuses
des divers chapitres, leur distribution heureuse, la finesse des analyses
font de cette vie de saint un livre choisi. Malheureusement la statuette
est un peu grêle pour le héros. Ce n'est pas la faute de l'auteur. Le
cadre de la collection est un moule uniforme, et l'on y fait passer
saint Jean Chrysostome aussi bien que sainte Geneviève. Ceux qui, à
la dernière page, ne seront pas encore satisfaits, prendront la thèse de
M. P. sur Chrysostome et les mœurs de son temps. Comme c'était
son droit, le biographe y a puisé tout le premier. Mais sur la jeunesse
et l'épiscopat du saint, il entre dans de plus longs et de nouveaux
détails. Cette première étude l'avait préparé à juger avec équité l'évéque
de Constantinople. Dans ses conflits avec les puissants, Jean eut
parfois des allures provocantes. M. Puech les explique; il a su
trouver, avec une justesse que n'ont pas eue toujours ses devanciers, les
raisons intérieures des hardiesses de Chrysostome et leur conciliation
avec le reste* de sa vie et de sa prédication. Ce petit livre est donc
surtout précieux en ce qu'il enferme l'àmc tendre et passionnée du
premier des anciens f)rateurs chrétiens.
Paul Lejay.
432 REVUE CRITIQUE
Saint Nicolas I". par Jules Roy. Paris, LecofFre, 1899; xxxix-iyS pp., in- 12.
Les volumes de la collection « Les Saints » se suivent et ne se res-
semblent pas. Quelques-uns ont un véritable charme dû au talent
littéraire de leurs auteurs. On n'en pourrait dire autant de celui-ci.
L'introduction est une compilation tirée des histoires de l'Eglise
d'Alzog, de Krauss et de Funk. La première partie, récit des faits du
pontificat, ressemble trop à un recueil de notes et d'analyses de pièces.
Quelle que soit l'importance de la lettre 86 de Nicolas, les lecteurs
ordinaires de la collection auront de l'impatience à parcourir les
24 pages qui lui sont sacrifiées. M. Roy n'a pas l'air de se douter
qu'elle est filandreuse et monotone. La deuxième partie, consacrée
aux idées de Nicolas I^"" et à ses décisions disciplinaires, est parfois
trop abstraite. Elle aurait gagné, sur nombre de points, à être fondue
avec la première ; même le sens de certaines paroles du pape se serait
éclairci par les circonstances. Ainsi, p. 121, M. R. va Jusqu'à dire
que Nicolas I^"" s'est rapproché du système de la séparation de l'Eglise
et de l'Etat. La citation qu'il apporte à l'appui est tirée de la lettre 86
(Migne, P. L., t. 119, col. 960J. Or cette lettre est adressée à l'empe-
reur Michel qui soutenait Photius contre le pape et la décision du
synode romain de 863. Nicolas s'efforce naturellement de soustraire
les'choses spirituelles à l'intervention de l'empereur et il insiste ici
sur la distinction des deux ordres. C'est son jeu. Mais il se gardera
bien de rappeler cette distinction quand lui-même voudra intervenir
dans les affaires temporelles, dans les partagesdes princes carolingiens
par exemple. En l'ensemble, le volume est donc terne et la personnalité
si vivante de Nicolas I^^" ne se dégage pas. Tout autres, plus incisives
et découpées comme en relief, sont les quelques pages consacrées au
même pape par M. Duchesne dans les Premiers temps de l'Etat pon^
tifical [Rev. d'hist. et de littérat. religieuses^ 1, 324 sqq.. Il est cepen-
dant regrettable que M. R. ait si peu parlé d'Anastase. Ce secrétaire
joua un rôle qu'il importait de préciser et de distinguer de l'action du
pape. En revanche M. R. nous donne de bonnes analyses et des ^
résumés compétents de textes canoniques. Dans la IP partie, sur la
législation du mariage (pp. 89 sqq.),surla question des appels au
pape (pp. 106 sqq.), on retrouve la précision d'un homme qui manie
des idées et des textes familiers. Le plus neuf du livre concerne les
fausses décrétales. M. R. montre que si Nicolas a pu les connaître, il
ne s'en est pas servi pour appuyer ses prétentions. Une table des réfé-
rences est en réalité une étude sommaire des sources. Tout cela parait
solide et fait bien augurer du livre plus érudit que M. Roy veut
donner sous le titre : LÉglise et l'État sous le gouvernement de
Nicolas /«■■. Dans un ouvrage de science, l'auteur sera évidemment
plus à son aise. ^*,
Manuel Dohl, t"
I
d'histoire et de littérature 433
Ch. Le Palenc et P. DociNON. Lézat, sa coutume, son consulat. Toulouse, Ed.
Privât, 1899, in-S" de lxvh-i23 p., avec cane et planches hors texic.
La publication de la coutume de Lézat par MM. Le Palenc et
P. Dognon peut être donnée comme modèle. Le texte en est établi
avec le plus grand soin, d'après un manuscrit dont la lecture, à en
Juger par le fac-similé qui se trouve dans l'ouvrage, présentait de
grandes difficultés. En regard, une traduction précise et qui nous
paraît presque de tous points irréprochable. Encore, dans les rares
passages où nous aurions donné au texte une interprétation différente, '
ne sommes-nous pas assez sûr de notre manière de voir pour la pro-
poser ici. Des notes, remplies de citations et de faits, renvoyées à la
fin de l'ouvrage ; une table des expressions techniques ou purement
locales, traduites et interprétées ; enfin une carte des localités en ques-
tion et la reproduction en photogravure de deux vues très curieuses,
l'une de la ville de Lézat, l'autre du château d'Esperce, d'après un
parchemin du xv<: siècle et qui « illustrent » singulièrement les textes
du moyen âge où nous cherchons à retrouver les lignes principales
de la formation des villes, — complètent cette belle publication qui
donnerait satisfaction aux plus exigeants.
Une introduction, où l'on retrouve le style et les idées du savant
auteur des Institutions politiques et administratives du pays de Lan-
guedoc, retient plus particulièrement l'attention. Cette introduction,
comme tout ce qui sort de la plume de M. P. Dognon, est remplie
d'idées personnelles, directement inspirées par une étude attentive des
textes. La plupart de ces idées sont d'une grande clarté et évidemment
justes. D'autres... n'est-ce pas leur rendre hommage que de les dis-
cuter?
La charte date de 1299; mais le préambule indique que les cou-
tumes en question étaient observées « dès la plus haute antiquité ».
Arthur Giry écrivait déjà que la « charte de coutume, très tardive dans
les villes du midi, fut moins une concession de privilèges nouveaux
que la consécration et, tout au plus, l'extension de franchises an-
ciennes ». La charte de Lézat est originale. Ce n'est pas une « filiale »,
issue d'une autre coutume, voisine ou lointaine. L'origine de la ville
est une sauveté, près le monastère de Lézat soumis à la règle de saint
Benoît, alors un des plus beaux monastères de France. La région
était couverte d'épaisses forêts, les bêtes sauvages y pullulaient. La
contrée était infestée de bandits de toute sorte. La sauveté fut fondée
par l'abbavc .pour servir de protection et d'abri au travail agricole et
de défense contre les bandes de pillards, comme la plupart des sauve-
tés, puis des bastides du sud-ouest de la P^rance.
« Observons tout d'abord, écrivent les éditeurs de la coutume de
Lézat, que c'est dans une seigneurie rurale que l'institution est née.
Qu'on lise la charte, on n'y verra pas figurer d'autres ouvriers que les
i|.34 REVUE CRITIQUE
forgerons de la forge, les meuniers, les fourniers des moulins et fours
banaux du seigneur, et des bouchers, des boulangers, ceux dont un
centre agricole ne peut se passer. D'ailleurs, pas trace d'une indus-
trie, ni d'un commerce, si ce n'est celui des revendeurs et des mar-
chands de vin, de denrées, de bétail. Ce consulat avait été fait, non
pour les corporations d'une ville industrielle, mais pour des cultiva-
teurs, des propriétaires, population peu dense, groupée tardivement
près d'une abbaye, vivant dans l'enceinte que nous avons ci-dessus
délimitée ». Et cependant Lézat est une ville, avec sa clôture de dé-
fense, son hôtel de ville, son consulat, son sceau municipal, ses re-
gistres et ses privilèges municipaux. Nouvel exemple qui suffirait à
culbuter la théorie récemment produite de la formation des villes par
les marchands, la moins raisonnable d'ailleurs de toutes les théories
émises sur cette question.
Arrivant à l'étude du Consulat, nos auteurs observent encore de la
manière la plus heureuse que c'est erreur de croire que le ressort des
consulats ne dépassait pas les murailles des cités. « C'est qu'on n'a
guère étudié, disent-ils, que les vieilles et grandes villes du moyen
âge, celles qui, pour la plupart, en raison même de leur importance,
formaient à elles seules une seigneurie, ou bien étaient partagées en
deux, en trois et n'avaient point de dépendance, de territoire étendu. »
Une autre cause d'erreur est que souvent la ville capitale est prise,
dans les textes, pour la seigneurie tout entière. Ces observations sont
très justes. On peut même citer des exemples de «villes» qui n'avaient
pas de « capitale » — cette manière de s'exprimer semble bizarre — et
comprenaient, avec une organisation consulaire, huit ou dix villages
.répandus sur un territoire étendu.
L'idée si juste de M . D. que c'est le pouvoir seigneurial, ou,
pour parler plus exactement, le « patronat » qui a formé les villes du
moyen âge, l'a entraîné trop loin, et dans cette introduction à la cou-
tume de Lézat, il revient avec une ténacité nouvelle à la conception
qui représente le pouvoir consulaire comme une émanation et une
délégation du pouvoir seigneurial. Il estime même avoir dans ce nou-
veau travail, apporté à sa thèse des arguments décisifs. Examinons-les
un à un :
10, — Lézat avait quatre consuls, dont trois à la nomination du con-
sulat sortant par l'intermédiaire de jurats, et un à la nomination de
l'abbé seigneur de la ville. Ce droit absolu de nommer un des con-
suls, concluent nos auteurs, peut être considéré comme. un reste de
celui que l'abbé devait avoir autrefois de les choisir tous. — Pure
hypothèse, répondra-t-on. Nous voyons au contraire dans cette jux-
taposition de l'élément communal et de l'élément seigneurial un
indice de l'origine municipale des trois consuls nommés par les
habitants.
2°. — Les consuls prêtaient à l'abbé suzerain, en signe de tenure et
I
d'histoire et de littérature 4? 5
de dépendance, un serment qui rappelle de tous points l'hommage
que rendait à son suzerain le vassal recevant un Hef. Cette observa-
tion, selon nos auteurs, suffirait à révéler la source d'où jadis était
sortie l'autorité consulaire. — Cette- cérémonie montre tout simple-
ment que les abbés de Lézat étaient les seigneurs de la ville, et que les
consuls, représentants des habitants, se prêtaient à la cérémonie de
l'hommage lors de leur entrée en fonction. M. D. croit-il pou-
voir affirmer qu'au moyen âge tous les pouvoirs constitués qui ren-
daient hommage à un pouvoir suzerain, tenaient de lui leur autorité ?
En ce cas tous les pouvoirs auraient été une émanation de l'autorité
royale puisque tous, hiérarchiquement, y aboutissaient. Or il n'est
plus nié que le mouvement se fût produit en sens contraire. Loin
d'être émanées du pouvoir royal, ce ne fut qu'avec le temps que les
autorités locales y convergèrent. II paraît ainsi impossible de faire
état de ce second argument.
3° — Nos auteurs trouvent une troisième preuve à leur thèse dans
cette juxtaposition et collaboration fréquente, dans la vie communale,
du viguier, représentant de l'autorité épiscopale, et des consuls. Mais
dans cette juxtaposition et collaboration même nous voyons au con-
traire une marque de la différence des origines. Si les origines avaient
été identiques, la fusion se serait produite.
40 — Un quatrième fait, auquel les éditeurs de la coutume de Lézat
semblent attacher une grande importance, est dans la perception par
l'abbé des amendes et de tous les profits de la justice rendue par les
consuls. Ces profits constituaient simplement un des avantages que
l'abbé, seigneur, fondateur et organisateur de la commune, s'était
réservés. Le titre LX de la coutume est d'ailleurs une réfutation
péremptoire de ce quatrième argument : on y voit qu'en certains cas
les serviteurs et gens de l'abbaye sont appelés à verser le produit des
amendes auxquelles ils peuvent être condamnés par les messeguiers...
aux consuls représentants de la commune. Pour suivre le raisonne-
ment de M. D. il faudrait en conclure que l'origine de la juridiction
exercée par les messeguiers sur les gens de l'abbé était dans le
consulat.
Aux raisons nouvellement produites en faveur de l'origine seigneu-
riale du consulat, d'autres raisons peuvent de la sorte être opposées.
Et, d'autre part, que d'arguments en faveur de l'origine municipale
et sous la plume même de M. Dognon 1
Une seule catégorie d'hommes échappe à la juridiction consulaire :
« les clercs et* donats recevant chaque jour le pain et le vin du cellier
abbatial » et les serviteurs du couvent; ce qui serait surprenant si les
consuls avaient été les représentants de l'autorité abbatiale.
« Et si forte tieret populatio, dit le titre XIII de la coutume, vcl
bastidainfra terminos dicte ville, quod cogniiio et decisio omnium
causarum criminalium et civilium, exceptis causis fcodalibus, ad dic-
436 REVUE CRITIQUE
tos consules partineat, prout est superius ordinatum ». M. D. trouve
une raison bien compliquée à cet « exccptis causis feodalibus ». N'y
verra-t-on pas plus simplement que le cons-ulat d'origine municipale
n'avait pas à en connaître ?
« Les consuls, écrit M. D. lui-même, représentent la communauté
en toute occurrence; en particulier devant le seigneur ». Et ailleurs
ne dit-il pas: « Les consuls sont l'organe essentiel de la communauté
et le support de ses franchises? » Il serait bien étonnant qu'avec cela
leur autorité fût émanée de celle de l'abbé. Enfin le conseil qui doit
assister les consuls, de qui est-il composé : de Tabbé et de ses gens? |
Non — de l'assemblée des habitants. m
Nous n'avons pas voulu quitter le texte de la coutume de Lézat, si
brillament mis en lumière par MM. Le Palenc et P. Dognon : il suffi-
rait, estimons-nous, à faire adopter la théorie de l'origine municipale
du consulat, à défaut des nombreux textes pris au dehors et qui, à nos
yeux du moins, donnent la certitude.
Nous soumettons à notre tour nos objections à la critique ; car nous
nous inclinerons avec empressement devant des arguments meilleurs.
Frantz Funck-Brentano.
B. PocQLET. Leduc d'Aiguillon et La Chalotais. Paris, Perrin.igoo, 2 vol.in-12
de 556 et 472 p.
M. M . Marion a publié, il y a deux ans, un ouvrage très documenté
sur la Bretagne et le duc d'Aiguillon, dans lequel il a voulu prouver
que l'administration du duc dans cette province, injustement appré-
ciée jusqu'alors, avait été en réalité excellente. Il a cherché surtout à
justifier son héros des attaques dirigées contre lui à propos de l'affaire
de Bretagne de ijSS-bb, du procès du procureur général La Chalo-
tais, et de cinq autres magistrats du Parlement de Rennes. Pour lui,
La Chalotais et ses coaccusés étaient des factieux, et s'il y eut de la
part du gouvernement de Louis X'V^ quelques maladresses dans les
poursuites dirigées contre eux, leur procès n'en fut pas moins légitime
dans son principe. Le duc d'Aiguillon, fort vilipendé jusqu'à ces der-
niers temps par les historiens, n'aurait joué dans cette affaire qu'un
rôle secondaire et ne se serait inspiré en tous cas que des motifs du
plus clairvoyant patriotisme. Ces conclusions, en contradiction
absolue avec les idées reçues et adoptées par tous les historiens, ne
pouvaient pas être admises sans difiiculté. M. B. Pocquet, déjà connu
par des ouvrages très appréciés sur les origines de la Révolution en
Bretagne, vient d'en entreprendre la réfutation en deux volumes de
près de 5oo pages chacun et qui seront bientôt suivis d'un troisième.
Pour mieux combattre son contradicteur, M. P. a repris après lui
1
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 43-
l'étude complète de l'adminisiraiion du duc en Bretagne et a retracé
à nouveau toutes les péripéties du drame dont cette province fut le
théâtre jusqu'à l'exil de La Chalotais et de ses confrères. Comme
M. Marion, il a consulté tous les documents que renferment nos
dépôts publics, mais en outre il a eu accès dans les archives de
nombreuses familles de Bretagne, héritières des fameux parlemen-
taires du xviiic siècle. De là est sortie une étude minutieuse, d'une lec-
ture aisée et agréable, agrémentée encore de reproductions et de gra-
vures intéressantes. Ce n'est pas que M. P. apporte un grand nombre
de pièces originales, tâche qui du reste, après les laborieuses recher-
ches de M. Marion, était singulièrement malaisée. Mais il a l'art, par
une exposition très personnelle et vivante, de nous présenter les docu-
ments déjà connus sous un jour tout ditférentde celui sous lequel son
prédécesseur nous les avait montrés. Pour lui, « les opposants bretons
s'appuyaient sur la légalité la plus certaine et le véritable factieux,
c'était le duc d'Aiguillon >•> (t. I, p. xxxiv). La Chalotais, regardé par
M. Marion comme un «conspirateur «vulgaire, redevient le magistrat
éclairé et sage, l'éloquent défenseur du droit contre l'oppression, la
victime innocente d'odieuses. machinations que l'histoire s'était plu
depuis un siècle à glorifier en lui. Sans doute la légende et l'esprit de
parti s'étaient quelque peu emparés de son nom, l'avaient grandi outre
mesure et avaient peint sous des couleurs trop sombres la conduite de
ses adversaires. M. P. fait justice avec la plus entière bonne foi de
toutes les exagérations et de toutes les erreurs qu'une violente polé-
mique avait fait naître. Il ne cherche nullement à dissimuler les fai-
blesses, les petitesses, peut-on dire, du procureur général de Bretagne,
il ne lui pardonne même pas ses célèbres comptes rendus des consti-
tutions des Jésuites, si modérés pourtant dans la forme. M. P. n'ad-
met pas davantage que la Compagnie de Jésus ait cherché à se venger
du coup que ces deux réquisitoires lui avaient porté : il faudra voir
dans un troisième volume, non encore paru, comment il peut arriver
à écarter, dans l'affaire Clemenceau notamment, toute intervention de
quelques-uns des membres de cette société : la preuve, à vrai dire,
nous en semble difficile à apporter. M. P. reconnaît également les
bons côtés indiscutables de l'administration de d'Aiguillon en Breta-
gne ; il le félicite de l'organisation des milices garde-côtes et du déve-
loppement des voies de communication dans cette province. Il lui
restitue l'honneur injustement contesté de la victoire de Saint-Cast, et
avoue môme qu'il n'est pas juste de faire porter sur lui seul tout le
poids de l'inrque procès des magistrats bretons. L'entourage du duc
d'Aiguillon et le gouvernement de Louis XV doivent partager avec
lui cette lourde responsabilité. Mais M. P., tout en faisant ainsi de
grandes concessions au système de M. Marion, n'en estime pas moins
que la politique du duc fut le plus souvent injuste et violente. Sans
souci des privilèges indiscutables que la Bretagne avait reçus lors de
438 REVUE CRITIQUE
sa réunion à la couronne et que tant de rois avaient confirmés, il a
violé toutes les libertés dont cette province était fière et frappé sans
ménagement une opposition patriote. Qu'il y ait eu parfois de la part
des gentilshommes et des magistrats bretons entêtement étroit à sou-
tenir des privilèges surannés, qu'ils aient méconnu les vrais intérêts
de la France en luttant pour la défense des libertés de leur chère pro-
vince, peut-être : ils n'en étaient pas moins dans la légalité absolue et
en réclamant le libre vote de leurs impôts, ils luttaient pour le droit
contre l'arbitraire.
La Chalotais et ses coaccusés de 1765 ont été poursuivis et persé-
cutés sous des prétextes frivoles et mensongers. M. P. les lave de tous
les crimes qui leur furent imputés et dont aucun ne supporte un exa-
men attentif. Il étudie avec le plus grand soin l'accusation portée
contre La Chalotais d'avoir écrit les fameux billets anonymes aussi
sots qu'injurieux adressés à Saint Florentin. Malgré le témoignage
unanime des neuf experts consultés en 1 766, il conclut sans hésitation
à l'innocence absolue du procureur général. Signalons à ce propos à
M. P. un détail : il a longuement recherché dans les archives publi-
ques les originaux des billets anonymes. Il se fût épargné cette peine
s'il eût songé à demander communication des papiers du bailli du
Temple, Lepaige, qui raconte leur histoire. Lepaige fut l'avocat de
MM. de la Gacherie et de la Colinière et le conseil de La Chalotais ;
de plus il était l'ami du contrôleur général Laverdy et par lui savait
beaucoup de choses. Il a laissé de nombreuses notes relatives à l'af-
faire de Bretagne qui l'intéressait beaucoup, et a même tenu un
journal des événements qui parvenaient à sa connaissance. Ce n'est
pas du reste le Journal des événements que M. P. lui attribue (t, II,
p. 3o8) et qui semble être plutôt l'oeuvre d'un avocat de Rennes. Or
Lepaige qui a joué par ses influences personnelles un rôle mal connu
mais considérable sur l'issue du procès de Bretagne, nous dit qu'après
la décision prise par Louis XV d'éteindre le procès des magistrats de
Rennes, le roi demanda les deux billets anonymes « et après les avoir
examinés de près, les mit dans sa poche pour ne plus en entendre
parler ». Autre observation de détail : la brochure des Commissions
extraordinaires dont Voltaire désirait connaître l'auteur et qui fut
condamnée par arrêt du Conseil, est généralement reconnue comme
l'œuvre de Chaillou, avocat de Rennes et juriste très savant, qui suc-
céda à Duparc-PouUain dans la rédaction du célèbre Journal des
audiences de la cour de Rennes, Elle fut réimprimée au début de la
Révolution sous ce titre : De la stabilité des lois constitutives de la
monarchie .
Que conclure maintenant de cette controverse entre deux historiens
également estimés ? Il semble bien désormais que pour juger avec
impartialité, il faut écarter avant tout les questions de personnes, ne
pas voir dans l'affaire de Bretagne la lutte de La Chalotais et de d'Ai-
d'histoire et de littérature 43g
guillon, mais seulement une des phases du conflit entre un gouverne-
ment tendant à une centralisation excessive et les libertés provinciales.
Le commandant en Bretagne et le procureur général de Rennes ont
pu à certaines heures y mêler des passions personnelles : ils n'étaient
cependant que les représentants d'idées plus hautes, et tous deux très
sincèrement croyaient servir les vrais intérêts de leur patrie. Mais
d'Aiguillon a eu pour lui la force que donne l'appui du pouvoir : ne
pouvant abattre l'opposition provinciale par les moyens légaux, il a
forgé de toutes pièces ou a laissé forger par ses amis un complot pour
perdre ses adversaires. Il a poursuivi avec acharnement leur condam-
nation et leur flétrissure. L'histoire qui, pièces en mains, constate
qu'il n'existe nulle preuve de la félonie de La Chalotais et des magis-
trats bretons, et que cependant ils ont subi la prison et l'exil pendant
de longues années, peut-elle réserver sa sympathie pour leur persé-
cuteur et se faire le complaisant de l'ami de la du Barry? La thèse
traditionnelle soutenue par M. Pocquet, et un peu adoucie dans la
forme, nous semble seule conforme à la vérité. Souhaitons que dans
un troisième volume, l'historien breton sache élucider avec autant de
bonheur les questions si délicates que soulèvent l'affaire des assem-
blées secrètes des Jésuites et l'affaire Clemenceau.
Georges Gazier.
August Langmesser. Jakob Sarasin. Ein Beitrag zur Geschichte der Geniepe-
riode. Zurich, Speidel, 1899. ïn-8°- '<3i p. 3 mark.
L'auteur a voulu compléter le travail de Hagenbach ( i85o . Il a eu
à sa disposition les papiers de Lavater et de la famille Sarasin. Il traite
d"abord de la vie de son héros. Après avoir retracé la jeunesse de Sara-
sin, il nous présente dans un chapitre qui s'intitule naturellement
Stiirm iind Drang les amis du personnage, Kaufmann, Iselin, Pfeffel,
Lavater, Schlosser, Klinger, Lenz, Heinse, Lersé. Puis il décrit les
relations de Sarasin avec Cagliostro (qui guérit à Strasbourg sa
femme Gertrude), avec M""*" de Branconi, Matthei, Pestalozzi, Jeanne
Fahlmer, M'"'^ de la Roche, J. G. Jacobi, le prince Henri de Prusse,
Merk. Enfin il analyse et apprécie les « essais » de Sarasin, ses poé-
sies qui, de l'aveu même du poète, sont mauvaises, sa comédie der
Haiisfriede, le fameux Plimplamplasko, celle caricature des «génies»
que Sarasin fit en collaboration non pas avec Pfeffel, comme on l'a
cru, mais avec Lavater et Klinger, et les autres publications sur l'assis-
tance publique, sur la pédagogie, sur Mahomet, ainsi que les « Dis-
cours helvétiques ». L'appendice contient des lettres inédites de Sara-
sin et de ses amis. Les amateurs du Sturm tind Drang sauront à
M. Langmesser le plus grand gré de ce travail soigné et consciencieux.
A. G.
440 REVUE CRITIQUE
Souvenirs diplomatiques et militaires du général Thiard, chambellan de
Napoléon !<=■■, publiés par Léonce Lex, ancien élève de l'École des chartes. Paris,
Flammarion, 1900. In-S", xxviii et 338 p., 3 fr. 5o.
Thiard, fils d'un gouverneur des Tuileries, élevé à Paris « sur les
genoux des philosophes et des encyclopédistes » était lieutenant en
second lorsqu'il émigra. Il fit les campagnes de l'armée de Condé.
Elu conseiller général de Saône-et-Loire en 1802, choisi comme can-
didat au corps législatif par le collège électoral de Chalon-sur-Saône
et écarté par le Sénat parce qu'il avait « les bottes encore couvertes
par la boue de Coblenz », il fut ainsi désigné à l'attention de Bona-
parte qui le fit à la fin de 1804 un de ses chambellans ordinaires.
Thiard figurait au sacre et c'est à cette date qu'il commence ses
Mémoires. Ils sont surtout intéressants par les détails qu'ils donnent
sur Napoléon : c'est ainsi que, selon Thiard, Napoléon n'a jamais
prononcé un « mot offensant ». Après avoir assisté à Milan aux fêtes
du couronnement, Thiard eut une mission dans l'Allemagne du sud
pour négocier le mariage de la princesse Auguste de Bavière avec
Eugène, celui de Stéphanie de Beauharnais avec le prince de Bade et
celui de Catherine de Wurtemberg avec Jérôme. Il prit part à la
campagne de i8o5 qu'il retrace avec beaucoup de chaleur et de vie.
On remarquera notamment dans ses Mémoires le récit de la bataille
d'Austerlitz. En 1807, on ne sait trop pourquoi, Thiard démissionna.
M. Lex a publié les souvenirs du général avec grand soin ; il les a
fait précéder d'une introduction utile et y a joint un index '.
A. C.
Mémoires anecdotiques du général marquis de Bonneval, 1 786-1 873. Paris,
Pion, 1900. In-8", VII et 3 14 p. 6 francs.
Le marquis de Bonneval, élève de l'École militaire de Fontaine-
bleau, renvoyé pour s'être battu en duel, aide de camp de plusieurs
généraux, notamment de Dorsenne, de Duroc et de Soult, entré sous
la Restauration aux gardes du corps avec le grade de colonel, lieute-
nant-major des gardes sous Charles X, quitta le service en i83o
comme maréchal de camp et mourut dans la retraite en 187?. Ses
mémoires sont, selon le titre du volume, purement anecdotiques.
Encore bon nombre de ces anecdotes sont-elles connues. Quelques-
unes nous semblent sujettes à caution. Talleyrand n'est jamais allé à
Coblentz (p. 259J et Philippe-Égalité n'a jamais dit en pleine Conven-
tion qu'il était le fils du cocher de sa mère (p. 212). Le général a aussi
la manie de faire de faciles calembours. Ce qu'il y a de plus inicres-
I. P. 100 lire. Winzingerode et non W'singerode.
i,
i
M
d'histoire et de littérature 441
sant dans l'ouvrage, c'est — outre quelques détails sur Suchet, Soult,
Duroc et Marmont, — la peinture de la cour de Louis XVIII et le
récit du départ de Charles X pour Rambouillet et Cherbourg. Mais il
est dommage que l'impression des noms propres soit si peu soignée; il
y a d'incroyables lapsus : Coiirtet pour Courtais (p. 235 1, Tiiriol
pour Curial (p. 40) et Michot pour Michaud p. 57 ') 1
A. C.
Voipi (Gugl.) Il Morgante Maggiore di L. Pulci, testo e note. 3 vol. Florence,
Sansoni, 1900. Les 2 premiers seuls ont paru. Petit in- 16 de xxi-414 et 382 pp.
Une réimpression nouvelle du poème de Pulci devrait nous offrir
un texte notablement amélioré et éclairci. Or, M. Volpi, comme il
l'annonce loyalement, n'a pu consulter aucune des deux éditions
parues du vivant de l'auteur; il est vrai qu'il n'existe qu'un seul exem-
plaire connu de celle de 1482, un seul également de celle de 1483,
et que, de ces deux exemplaires, le premier est à la Nationale de
Paris, et le deuxième au Musée britannique de Londres. Du moins,
si mesuré que fût l'espace à M. V., il pouvait nous donner une bio-
graphie un peu moins sommaire de Pulci et des notes un peu plus
abondantes. On connaît mieux Pulci après avoir lu le peu do pages que
lui consacre M. Francesco Flamini dans son excellent abrégé de la
littérature italienne qu'après avoir lu la préface du nouvel éditeur, et,
étant données les indications fournies par M. Pio Raina, c'est beau-
coup trop peu que de signaler de loin en loin (p. ex., à propos de la
3i^ oct. du xin° ch. et de la 47® du xvi^) quelques emprunts de Pulci
au Caiitare d'Orlando. Toutefois, il serait absolument injuste de
qualifier d'inutile la peine prise par M. Volpi : sa préface contient
quelques intéressantes remarques sur les éditions antérieures, et ses
notes sont bonnes à consulter soit quand il signale des souvenirs de
Dante, soit quand à l'aide de VErcolano de Varchi, des lettres de
Pulci ou d'autres textes, il explique les locutions populaires qui four-
millent dans le Morgante (v. p. ex. à propos des oct. 42 et 48 du iii'
chant et de la 44* du v«).
Charles Dejob.
I. Et que d'autres fautes! p. 26, Brun pour Brune; pp. 27 et 2H. Rughcn pour
Rûgen ; p. 28, manque le nom du maréchal cité, évidemment Lannes; p. 33,
Roitan pour Roustan ; p. 40, les guillemets ont été recules trop loin, si bien que
Napoléon parle du comte dWrgout qu'il aurait connu à la Chambre des pairs;
p. 5o, lire Helder et non Welder; p. 12»'), le nom de la dame est Amy Brown.
442 REVUE CRITIQUE
Der ausserordentlische Finnlaendische Landtag, 1899, ùbersetrt voin Doctor
■ Fritz Arnheim. Leipzig, Duncker und Hûmblot, igoo. In-8°, 344 pp.
Das staatsrechtliche Verhaeltniss zwischen Finnland und Russland, von
B. Getz. Ibid., 1900. hi-8", 3i p.
Das Recht Finnlands und seine Wehrpflichtfrage, von cinem finnlaendischen
Juristen. Jbid., igoo. In-8". do p.
Ein Beitrag zur Beurtheilung der staatsrechtlichen Stellung des Grossfûrs-
tentums Finnland. Extrait de l'ouvrage du docteur Hehmanson. Ibid.. 1900.
In-S", 76 pp. Les 4 ouvrages ensemble. 10 mk. 20.
Ces quatre ouvrages constituent un des éléments les plus sérieux
de l'agitation européenne en faveur de la Finlande. Le premier et le
plus important d'entre eux a été traduit également en français, mais
peut-être n'y a-t-on pas, chez nous, prêté autant d'attention qu'en
Allemagne. Quoiqu'il en soit, nous avons ici une précieuse collection
de documents pour nous éclairer sur ce qu'on a appelé « le coup
d'Etat russe en Finlande ».
Au mois de Janvier 1899, la Diète finlandaise eut à examiner une
communication du Gouvernement russe l'invitant à sanctionner une
modification considérable du régime militaire en vigueur dans son
pays. D'après la proposition russe, toute distinction théorique et pra-
tique devrait cesser de subsister entre le régime militaire des deux
contrées ; des Russes pourraient, dorénavant, être incorporés dans des
corps finlandais, et des Finlandais dans des corps russes ; toute mo-
dification du régime militaire russe serait valable pour la Finlande ;
enfin, ce dernier pays, tout en perdant le droit de direction et de con-
trôle sur ses forces militaires, devrait néanmoins subvenir à toutes
les dépenses occasionnées par l'entretien de ses troupes, ou, en d'au-
tres termes, payer à la aisse de l'Empire une redevance militaire
dont le montant serait fixé par le ministre russe de la guerre.
En 'outre, le 3/i5 mai 1899, le tsar publiait un manifeste accom-
pagné de considérants importants, dans lequel il déclarait que, désor-
mais, les lois valables pour l'Empire russe le seraient également pour
le grand duché de Finlande, « toutes les fois qu'elles toucheraient à
des questions d'intérêt général ». De la sorte, le droit d'autonomie de
la Finlande allait se trouver réduit à des règlements d'intérêt local,
c'est-à-dire anéanti, et le Grand-Duché allait devenir, par là-même,
une province de l'Empire russe, sans plus.
L'assemblée extraordinaire des États Finlandais répondit à ces
diverses communications par un mémoire en date du 29 mai 1899.
C'est de ce mémoire que M. Fritz Arnheim nous donne une excel-
lente traduction. La lecture de ce document fait du bien : on ne sau-
rait imaginer plus de dignité et de déférence dans la discussion, ni
une manière plus franche et plus ferme de rétorquer les arguments
qu'invoque la Russie pour mettre définitivement la main sur la Fin-
lande. Nous ne saurions entrer ici dans de minutieux détails. Les
arguments finlandais sont de deux sortes, de droit et de fait (les trois
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE ^^.^
brochures citées plus haut développent également les premiers de ces
arguments;. D"abord, les États affirment et démontrent leur droit
d'autonomie, droit reconnu et confirmé par quatre empereurs.
Ensuite, ils montrent que, s'ils sont jaloux de leur indépendance
morale, les Finlandais sont prêts, néanmoins, à suivre librement,
comme ils Tout fait jusqu'ici, le développement du régime militaire et
de la législation russes. C'est de leur plein gré que les États ont
introduit en Finlande, en 1878, le service militaire obligatoire; c'est
de leur plein gré qu'ils prétendent continuer à faire les sacrifices que
réclamera de leur patriotisme l'intérêt général de l'Empire. Mais, ce
qu'ils ne veulent pas, c'est être confondus sans raison avec les Russes.
Ils ont beau par exemple avoir des périodes d'instruction moins
longues; cependant, les généraux russes s'accordent à reconnaître que
les soldats finlandais tirent aussi bien et sont aussi bien exercés que
les soldats russes. En outre, disposés à faire tous les sacrifices qui
seront nécessaires pour contribuer au bien-être et au progrès de la
patrie commune, ils ne sauraient en aucune façon pousser le dévoue-
ment jusqu'au sacrifice de l'autonomie que leur ont reconnue
Alexandre I et ses successeurs. En conséquence, ils refusent humble-
ment de discuter les propositions impériales.
On sait le reste. En dépit des raisons indiquées par la Diète et par
d'éminents jurisconsultes russes et étrangers, la Russie, peu sûre de
son droit, a usé de sa force. On a bâillonné la presse russe libérale,
tandis que les Finlandais, dans leur rage muette, boycottaient les
Russes et refusaient d'avoir avec eux aucuns rapports d'affaires. Les
Russes, si souples et si heureux lorsqu'il s'agit de gagner à leur cause
des peuplades asiatiques, réussissent mal, lorsqu'ils essaient de cour-
ber sous le joug commun ceux de leurs sujets de l'ouest qui jouissent
d'une avance énorme de civilisation par rapport au troupeau humble
des moujiks. Les Allemands des provinces baltiques et les Finlandais
en ont fait la dure expérience. Quant à nous, les quatre volumes que
nous venons d'analyser nous éclairent d'un jour crû le plus récent de
ces silencieux coups de force de la diplomatie pétcrsbourgeoisc.
Jules Legras.
Gustav Thcodor Fechner. Nanna oder ûber das Seelenleben der Pflanzen.
Zweite Auflagc mit einer Einleitung von Kurd Lasswitz. Hamburg u. Leipzig,
Leop. Voss, 1899, in-8, xix-3oo pages. Pr. 6 m.
•
Quelle force secrète préside à la naissance des plantes ? Comment
expliquer leur croissance et leur évolution? La vie dont elles jouis-
sent et dont les manifestations multiples nous étonnent, est-elle sem-
blable à celle des animaux ? Voilà des questions bien faites pour
piquer la curiosité, s'il est difficile de les résoudre. M. Th. Ptchner
444 REVUE CRITIQUE
n^'a pas craint de l'essayer, et il y répond en attribuant aux plantes une
vie analogue sinon semblable, à celle des animaux. C'est à cette dé-
monstration qu'est consacré le livre auquel il a donné le titre symbo-
lique de Nanna ' .
Si on ne peut le lire parfois sans surprise, il est impossible aussi de
le lire sans intérêt. Sans doute les hypothèses hardies — il serait
peut-être plus exact de dire hasardées — y abondent ; mais que de
vues ingénieuses aussi on y rencontre! M. Th. F. n'a pas seulement
observé d'un œil attentif le monde des plantes, il l'aime ; il l'a étudié
en naturaliste et en philosophe ou en poète ; c'est ce qui donne tant
de charme à son étude et qui cache la faiblesse de sa théorie. On ne
pouvait mieux parler de la croissance des plantes, de leur fécondation, l'
de leurs diverses attitudes et de leurs mouvements, de leur situation
vis à vis des animaux, du parfum et du brillant coloris de leurs fleurs. ij
C'est là la partie durable et qui restera de l'ouvrage de M. Th. F.; ^^
quant à sa théorie proprement dite, il faut bien dire qu'elle se réduit
à des analogies fort ingénieuses parfois, mais qui ne sont qu'ingé-
nieuses, à des comparaisons plus poétiques souvent — quelques-unes
sont empruntées à des poètes véritables — que scientifiques. Il avoue
lui-même de celle où (p. 249) il voit dans le corps de l'animal une
espèce de sac dont la partie sensible est intérieure, dans la plante un
tel sac en quelque sorte retourné, qu'il la faut prendre cum grano salis.
Ce n'est pas la seule.
On comprend aussi que des démonstrations de ce genre ne portent
guère la conviction dans l'esprit. Que l'hypothèse d'une âme des
plantes explique mieux certains phénomènes de leur vie végétative que
l'hypothèse contraire, je le veux bien; mais il n'en reste pas moins que
ce n'est là qu'une hypothèse. « L'âme des plantes n'est plus un simple
conte, dit M. Lasswitz % le nouvel éditeur de Nanna, c'est pour une
bonne part une vérité qui restera ». Je doute que M. Th. Fechner l'ait
prouvé. Cela n'empêche pas toutefois que son livre ne soit un travail
original et de grande valeur, et il méritait par là d'être rendu accessible
à la masse des lecteurs ; aussi on ne peut que remercier M. L. Voss
de l'avoir de nouveau et si bien publié.
Ch. J.
— Nous avons le vif regret d'annoncer la mort à Meulan, le 18 novembre der-
nier, de l'un de nos collaborateurs, M. Raoul-Philippe Rosières. M. Henri
Cordier, professeur à lEcole des Langues Orientales vivantes, qui représentait la
Revue Critique aux obsèques, a pris la parole en ces termes : « Messieurs, Il y a
1. Nanna est, dans la mythologie Scandinave, l'épouse de Baldur, dieu de la
lumière.
2. P. X de l'Introduction.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 445
trois ans, nous suivions la même voie douloureuse pour conduire à sa dernière
demeure le père de Rosières; nous ne pouvions penser alors, à le voir d'appa-
rence si robuste, que si peu de temps après, nous aurions à dire un éternel adieu
à notre pauvre ami. Il est cruel* de voir tomber au milieu de la route le vaillant
camarade avec lequel on espérait franchir l'étape finale. Rosières se livrait peu,
mais il avait su réunir autour de lui un noyau d'amis fidèles et dévoués qui con-
serveront pieusement sa mémoire. Il était ennemi des phrases inutiles, aussi me
contenterai-je de lui dire, au nom de ses amis réunis ici, et absents plus nom-
breux encore, adieu ! du plus profond de mon cœur. » — M. Rosières était né le
25 octobre i85i à Paris, où il avait fait ses études au collège Chaptal. C'était un
critique à l'esprit original et primesautier. Doué d'une prodigieuse mémoire et
d'une puissance de travail extraordinaire, il avait lu en entier toutes les œuvres
littéraires de la France, du moyen âge aussi bien que des temps modernes. Ses
principaux ouvrages sont : Recherches critiques sur l'histoire religieuse de la
France (Paris, 1879, in-12); Histoire de la Société Française au ^foyen-Agc
(987-14S3), 2 vol. in-8, qui a atteint sa troisième édition en 1884; La Révolution
dans une petite ville [Meulan] (Paris, 1888, in-12); Recherches sur la poésie con-
temporaine, Paris, 1896, in-12. II a laissé un volume devers : Ponce Pilate (Paris,
i883, in-12). Son mémoire sur VEvolution de l'Architecture en France lui a valu
le Prix Bordin à l'Académie des Beaux-Arts. Il laisse inachevée une Histoire du
sentiment poétique dans la Littérature française. Il était vice-président de la Société
des Traditions populaires et il avait pris une part active aux travaux du Congrès
des Folkloristes tenu cette année à Paris.
— Le 3 décembre prochain, il y aura vingt-cinq ans que M. Michel Bréal est
entré à l'Institut. La pensée est venue à quelques-uns de ses élèves de fêter cet
anniversaire en réunissant autour de leur maître ceux qui ont puisé dans son
enseignement ou dans ses livres la connaissance et le goût de la grammaire com-
parée. Le bureau de la Société de Linguistique de Paris, dont il est le secrétaire
depuis 1868, et qui lui doit la meilleure part de sa prospérité, a pris l'initiative
d'un banquet dont la date est fixée au samedi i»' décembre prochain. Tous ceux
qui aiment à se dire les élèves de M. Bréal, qu'ils aient suivi ses cours de l'Lcole
des hautes études et du Collège de France, ou qu'ils n'aient pu que goûter le
charme de ses écrits, tiendront à cœur, nous n'en doutons pas, de venir témoigner
à cette occasion leur gratitude à leur maître.
— Le nouveau Jahresbericht de M. H. Melsel sur Ccsar {Zeitsch)i/t filr Gym-
nasiahvesen, Jahresberichte, XXV, Berlin, 1900; pp. 214-2Ô2) est muins étendu et
moins important que les Beitrdge publiés jadis dans la même revue. II contient
cependant des observations précieuses sur les deux points qui tiennent le plus à
cœur h M. Meusel, le rapport des classes a et ? et la langue de César. A signaler
particulièrement les articles sur l'édition Holder du Bcllum ciuile (p. 227). sur un
des articles de M. J. Lange dans les Jahrbilcher et un programme du même (p. 237),
sur les Kritische Beitrdge de M. R. Sydow (p. 247). sur les Syntactische Beitrnge
de M. H. Blase (p. 23o). Là, comme dans tous ses travaux précédents, on trouve
la sûreté de connaissance et l'intimité avec César qui font à M. Mcuscl une place
singulière parmi les latinistes d'aujourd'hui. — P. L.
— La librairie Freytag, de Leipzig, public : 1° de .M. .Michael Pktsciiesic,
Q. Horatius Flaccus, Auswahl, mil zwei Kartcn ; Dritte umgearbcitctc .\uflagc
dercarmina selecta ; 1900, iv-260 pp. pet. in-8; prix cartonné : i mk. 60. Elégant
volume qui contient une vie d'Horace, un sommaire métrique, des parallèles
446 REVUE CRITIQUE
grecs, des sentences tirées d'Horace ; le choix est à peu près le même pour les
odes que dans nos éditions scolaires, quoique un peu plus restreint; mais M. P.
ne donne que six épodcs et onze satires. Un Nameu u. Sachver^eichniss termine
l'ouvrage. Le texte parait soigné et établi dans un sens conservateur. L'exécution
matérielle est d'une beauté rare dans un livre classique. — 2<' de M. J. M. Stowas-
SER, Lateinisch-Deutsches Schulwôrterbuch ; 1900, xx-1104 pp. grand in-8 ; prix :
1 1 mk. Le but pratique de ce lexique a limité le vocabulaire à celui des auteurs
lus dans les classes, c'est-à-dire, d'après la liste des abréviations mises en tête,
César, Cicéron, Q. Curce, Horace, T. Live, Cornélius Nepos, Ovide, Phèdre,
Plaute, Salluste, Tacite et Virgile. Ne lit-on plus de Térence en Allemagne et en
Autriche ? singulier plan d'études qui cxcrut le premier représentant de la littéra-
ture et de la langue classiques : cependant il est au moins cité quelquefois dans
le supplément. Il est probable que, même pour les auteurs cités, il y a des lacunes;
je n'ai pas trouvé profliientia, C'\c. Part. or. 81. Censura est traduit : " Censoramt,
Censorwûrde » ; mais le sens figuré parait cependant déjà dans Ovide, et si le mot
connu de Juvénal, 2, 63 : Vexât censura columbas, tombe sous les yeux de l'élève,
ne pourra-t-il donc en donner qu'une traduction grotesque ? Sans sortir de cer-
taines limites, il y avait peut-être lieu d'entendre le programme dans un esprit
plus souple et plus large. D'autres lacunes seront plus sensibles, quand l'élève
voudra se servir du lexique pour vérifier la traduction de ses thèmes. La cons- t
truction des verbes n'est pas indiquée expressément ; ainsi, M. S. cite un des trois
exemples de Cic. où comitari, au figuré, est accompagné du datif, pêle-mêle
parmi les constructions courantes avec l'accusatif. On ne dit pas non plus si les
comparatifs et superlatifs des ad)ectifs sont usités. Il faut insister là dessus parce
que le livre contient d'autres détails qui ne s'adressent pas à l'élève. Faut-il lui
mettre sous les yeux, sans un mot d'explication, les formes poster el ceterus^
M. S. propose des étymologies quelquefois hardies, toujours intéressantes; mais,
pour ne citer qu'un exemple, l'assimilation de l'interjection pol au positif de plus,
qui trouvera plus d'un incrédule parmi les savants, est-elle à sa place dans un
livre scolaire ? Je ne voudrais pas quitter le lexique de M. Stowasser sur ces
doutes. 11 a fait une œuvre très réfléchie, très originale, très personnelle, qu'il
s'agisse de la définition des sens, du choix des exemples ou des étymologies. Par
là son livre sera consulté avec utilité par les philologues. 11 faut rendre justice
aussi au goût et à l'habileté des éditeurs, qui ont rendu ce livre aussi maniable
que facile à lire. — P. L. j:
— M. G. Tropea poursuit ses études smt \es Scriptores Historiae Augustae. Après
s'être occupé de Marius Maximus, il vient de consacrer un fascicule, le quatrième
de la série, à Aelius Cordus. 11 s'efforce de montrer qu'Aelius Cordus a été, pour
les biographies de Clodius Albinus, de Macrin et Diaduménien, des Maximins,
des Gordiens, de Pupien et de Balbin, la principale source à laquelle ont puisé
Capitolin et Lampride. D'après M. Tropea, Aelius Cordus ne fut pas un historien
courtisan ; il aurait eu, au contraire, quelque tendance au sarcasme. Il s'attacha
surtout à écrire la vie des empereurs de second ordre (d'après Capitolin : eorum
imperatorum vitas ederc qiios obscuriores videbat]. Cette forme biographique du
récit est d'autant moins heureuse que pour cette époque l'intérêt de l'histoire, loin
de se concentrer sur la figure de l'empereur, est plus que jamais dispersé dans tout
l'empire. — M. Tropea a ajouté à celte étude critique sur Aelius Cordus tous les
fragments de cet auteur qu'il a cru reconnaître dans les biographies que Capitolin
et Lampride ont consacrées aux empereurs précités. — .1. T.
,'.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE 44"
— L. Cantarelli vient de publier sous le titre «Je Miscellanca Cfif^rj.'ica e
archeologica plusieurs articles et notes d'abord parus dans le Bullettinu detia
Commissione archeologica comunale. Ces articles sont intitulés : F. Les statiottes mu-
nicipioriim. — II. Supplementi alla série dei Cwatores Tiberis. — III. Supple-
menti alla série dei Cwatores aedium sacrarum et opcriim publicorum. — IV. Sup-
plementi al monumento Ancyrano. — V. I rilicvi marmorci dcl Foro Romano nel
libro recenie dei Courbaud. Le morceau le plus important es', l'étude sur les Sta-
tiottes muuicipioriim, dans lesquelles l'auteur reconnaît des comptoirs ou bureaux
de commerce, établis à Rome ou à Pouzzoles par les principales cités de l'empire,
- J. T.
— La troisième édition de la Stylistique latine, traduite de l'allemand de Ernest
Berger et remaniée par Max Bonnet et F. Gaciie (Paris, Klincksicck, 1900 ; xix-
423 p. in. 12) compte trente sept pages de plus. Quelques observations ont été
supprimées, de sorte que les additions sont peut-être encore un peu plus nom-
breuses que ne le ferait supposer ce chiffre. Il est d'ailleurs aisé en comparant un
paragraphe au hasard de constater que la revision a été soigneuse et tend de plus
en plus à faire de cet excellent livre un travail original. — P. L.
— Parmi les poètes couronnés cette année au concours Hoeufl't par l'Académie de
Hollande, nous retrouvons des noms déjà connus : en tctc, M. .1. Pascoli, avec ses
Sosii fratres bibliopolae, puis M. Hartman, le professeur de Leyde, avec ses Sancti
Xicolai Feriae ; les autres morceaux sont Bicycltila, par L. Graziani, qui nous
apprend enfin le nom de cet objet indispensable à la vie moderne ; De uenatione
iitlicarum, par A. Zappata ; Pax, par P. Rosati : Acte, par R. Carrozzari ;
Etremum itotiim, par A. Bartoli : In hodiernum « progressum » par F. X.
Relss. La brochure : Sosii fratres bibliopolae, carmen praemio aiireo ornatum in
certamine poetico Hoeiifftiano : accedunt septem carmina /aï/rfdfa (Amstelodami,
apud lo. Mullerum, 1900) est éditée avec le soin et le luxe ordinaires.
— Il vient de paraître à Londres, chez l'éditeur William Heinemann, une traduc-
tion de la Sémantique de notre collaborateur, M. Michel Bréal. La traduction est
due à Mrs Henry Cust. Le professeur Postgate a enrichi le volume d'une Pré-
face et d'un Appendice.
— Quand on lit le Cicérone de Burckhardt, on se prend à regretter, avec une
sorte d'angoisse, qu'il n'y ait pas pour nos œuvres d'art et nos monuments fran-
çais d'inventaire comparable en lucidité et en étendue. Et de fait, nous n'en possé-
dons pas, bon ou mauvais. Cette œuvre, que l'intérêt patriotique devrait suffire à
inspirer, pourrait tenter un érudit artiste. En attendant, il faut applaudir à l'exé-
cution des inventaires partiels, base solide d^ la synthèse future. Parmi eux, il
faut citer le Répertoire archéologique de l'arrondissement de Reims, publié sous
les auspices de l'académie de Reims. Il comprendra quinze volumes, sur lesquels
la ville de Reims comptera pour sept. Trois (et non pas neuf, comme l'imprime
une revue bibliographique) ont paru antérieurement : Paroisses de Reims (1889),
Communes rurales des Cantonsde Reims (188.Î ; 2' éd. 1891), canton d'.\y (1892).
Le lo' fascicule, Canton de Beinc par Ch. Givelet, H. .Iadart et L. Demaison,
(Reims, Michaud, 1900, 39 1 pp. et 12 pi. ; tiré à 200 ex. ; prix : 12 fr., 10 fr. pour
les souscripteurs) vient d'être publié et ajoute à la série un quatrième volume. Il
était prêt depuis 1892, mais nous n'avons pas d'argent pour ce genre d'entreprise :
une subvention du ministère est venue enfin dégager le manuscrit. Parmi les mo-
numents décrits, il faut placer en première ligne l'église Saint-Martin «le Ccrnay
lès Reims; puis les églises de Bcinc (xn« s.), de Béthenivillc (commcnc. du xiii's.),
448 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
d'Auberivc (xi^' et xii" s. ), de Prosnes 'nef romane, abside du xu" s.); les tours de
Berru, de Dontrien et de Prunay ; puis, un peu dans toutes les communes du can-
ton, des fragments intéressants. Quelques objets d'art ont été conservés dans les
églises : fonts baptismaux curieux à Beine et à Auberive, (xf-xii' s. ), Vierge en mar-
bre à Cernay (xiv^ s.), statue en bois de saint Caprais (xv* s.) à Nogent-l'Abesse,
retables du xvii" s. à Saint-Souplet. A propos de ces derniers, les auteurs déplorent
la disparition d'œuvres caractéristiques du xvii° et du xviii« s., détruites sous le
prétexte de mettre la décoration « dans le style ». Ah ! les curés qui restaurent
leurs églises « dans le style » ! sans parler des propriétaires qui détruisent les
hôtels Louis XVI pour les remplacer par des casernes à sept étages. Il est vrai-
ment incroyable que la commission des monuments historiques se refuse jus-
qu'ici à classer les monuments « modernes ». Il faut savoir se consoler des actes
de vandalisme quand le souvenir des œuvres disparues nous a été conservé par
des inventaires descriptifs comme le Répertoire de Reims. Et aussi ces inventaires
sont une sauvegarde. Ils permettent de disputer, pièces en mains, le terrain à la
barbarie envahissante. Une autre publication de l'Académie, plus ancienne à en
juger par le millésime, mais qui nous a été envoyée en même temps est le Cata-
logue du Musée lapidaire rémois établi dans la chapelle basse de Varchevèché (i865-
1895) par MM. Ch. Givelet, H. Jadart, L. Demaison (Reims, imprimerie de l'Aca-
démie, 1895 ; 100 pp. in-8). Tous les voyageurs qui ont visité Reims connaissent
la charmante chapelle de l'archevêché et ont vu les débris qui y ont trouvé un abri
depuis i865. Le présent catalogue est une description très soignée de ces objets,
portant 142 n»s. Tous ceux qui le méritent sont reproduits en gravure, notam-
ment les autels gallo-romains et le sarcophage dit Tombeau de Jovin. L'un des
auteurs des livres précédents, M. H. Jadart, est enhn l'unique rédacteur, croyons-
nous, du Catalogue des imprimés du Cabinet de Reims, tome V, Histoire (suite et
fin) ; Reims, imprimerie de l'Indépendant rémois, 1900 ; 5o2 pp. in-8. Le Cabinet
de Reims contient les publications intéressant l'histoire de Reims et de la Cham-
pagne. Ce volume contient la fin du catalogue : Histoire de la Champagne, His-
toire générale, Biographie, Archéologie, Histoire littéraire, Mélanges historiques.
Une table très complète des noms de personnes et de lieux termine ce volume.
Une note (p. 297) nous apprend qu'il ne reste plus qu'à joindre à ce riche réper-
toire un supplément et une table alphabétique générale. Cette œuvre fait honneur
aux conservateurs et aux employés qui y ont travaillé depuis dix ans. Elle est une
nouvelle preuve que Reims est une des cités provinciales où l'on travaille le plus
utilement. — S.
— On a rendu compte en son temps {Revue critique, XLIV, p. 66) de an Old
English Grammar and Exercise Book, de M. C. Alphonso Smith, professeur à
l'Université de Louisiane, parvenu aujourd'hui à sa 2' édition. Le texte reste à
peu de chose près le même ; mais la chrestomathie a presque quadruplé. L'auteur
y a ajouté : l'Histoire de Caedmon (fragment, p. rii-116); la préface de la Cura
Paitoralis (p. 117-121), et plusieurs extraits poétiques, notamment du Béowulf
(p. i36-i33), précédés d'une substantielle notice sur la métrique anglo-saxonne.
Le lexique s'est naturellement accru d'autant. On ne saurait signaler aux débutants
un plus utile manuel. — C. H.
Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 33.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 50 — 10 décembre — 1900
Browne, Manuscrits musulmans de Cambridge. — Abou'I-Ala, Lettres, p. Mar-
GOLiouTH. — Euripide, Hippolyte et Oreste. p. Wecklein. — Scmuchhardt,
Fouilles romaines. — Marucchi, Archéologie chrétienne. — Rôhricht, Pèlerins
• allemands en Terre Sainte, 3« éd. — Cartulaire de Sainte-Marie d'Auch, if, p.
Lacave la Plagne Barris. — Dante, trad. Margerie. — Corpus de l'Inquisition
néerlandaise, IV, p. Fredericq. — Curscumann, Les famines au moyen âge. —
Comment a vécu Stendhal, p. Stryienski. — Bertrand, Bibliothèque sulpiciennc.
— M. de Polignac. Notes sur la littérature hongroise. — Xénopol, Magyars et
Roumains devant l'histoire. — WriGht, Eléments du gothique. — Skeat, Chau-
cer authentique. — Legouis, Chaucer et les deux Prologues des Femmes exem-
: plairas. — Walter Scott, Old mortality, p. Nicklin. — Conford, La composition
anglaise. — Normand, Cours d'histoire, III. — Maréchal, Lexicographie fran-
çaise. — Zanne, Proverbes roumains. — Maïstre, Giry.
A Hand-list of the Muhammedan Manuscripts...preserved in the library of the
University of Cambridge, by Edward G. Browne. Cambridge, at the University
. Press, 1900. I vol. in-8, xvii et 440 p.
En rendant compte dans la Revue Critique, il y a quatre ans, (t.xLi.
p. 383] du Catalogue des manuscrits persans rédigé par M. E. Browne,
nous exprimions le vœu que le savant professeur pût compléter son
œuvre en dressant le catalogue de tous les documents musulmans
conservés dans la Bibliothèque de Cambridge. Notre désir s'est réa-
lisé. M. B. sans avoir une prédilection marquée pour les labeurs de
cet ordre, il en fait l'aveu, a compris que sa tâche ne pouvait ni rester
inachevée, ni être abandonnée à des mains inexpérimentées. Il s'est
donc remis vaillamment au travail ; il a classé et revisé minutieuse-
ment les fiches qui, depuis plus de huit ans, s'amoncelaient dans ses
cartons et la bibliographie orientale compte maintenant un guide de
plus dont elle appréciera les services.
Le titre choisi par l'auteur fait honneur à sa modestie, mais ne
donne pas une idée suffisante du travail accompli. C'est plus qu'un
simple inventaire ou qu'un manuel bibliographique (Handlist) : en di-
sant quel a été le plan adopté dans ce livre, nous donnerons ainsi la
preuve que rien ne lui manque de ce qu'on exige d'un bon catalogue.
Tous les mss. qui portent un titre certain y sont rangés par ordre
alphabétique, sans distinction de langue, de provenance ou de format,
ce qui rend inutile un index particulier des titres et permet d'éviter le
Nouvelle série L. ^®
45o REVUE CRITIQUE
double emploi des références. Je ne sais si une pareille méthode est
tout à fait conforme aux règles de l'art, mais quel avantage pour le
travailleur de trouver de prime abord ce qu'il cherche, sans avoir à
compulser deux ou trois tables ou indices.
Voilà pour la première partie du catalogue. Or comme dans toute
bibliothèque orientale il se trouve, hélas, bon nombre de copies qui
pour différentes causes, volumes de mélanges, négligence des copis-
tes, outrages du temps, sont privées de toute espèce de titre, l'auteur
s'est vu dans l'obligation d'en faire une classe à part, se conformant en
cela au système de M. Rieu auquel le Musée Britannique doit un
ensemble de catalogues orientaux qui sont les chefs-d'œuvre du genre.
Cette seconde catégorie constitue la deuxième partie du catalogue.
La troisième qui s'adresse plus particulièrement aux bibliothécaires
de profession a pour but de simplifier leur besogne. Elle range les mss.
dans l'ordre de leur numéro de classement en mettant en regard le
numéro qui renvoie à la description de chaque ouvrage. On trouve
ensuite un index des noms propres d'auteurs et de copistes avec
quelques autres renseignements d'un caractère plus général. Ces indi-
cations supplémentaires étaient d'autant plus utiles que M. B., vou-
lant ne rien omettre de ce qui fait la richesse du fond oriental confié
à ses soins, a dû ajouter à ses listes la mention de quelques manus-
crits syriaques, hébreux, pehlvis, étrangers par conséquent à la biblio-
graphie musulmane. Pour obvier à ce que son plan a d'un peu étroit,
en ne permettant pas d'embrasser d'un point de vue général l'impor-
tance de chacune des sections de la collection entière, l'auteur s'est
fait un devoir de signaler dans sa préface ceux de ses manuscrits qui
par l'importance du sujet, leur rareté, etc., lui ont paru dignes d'une
mention particulière.
Dans cette liste nous remarquons les ouvrages suivants : un vaste
recueil de Ta^yèhs, c'est-à-dire des mystères persans en l'honneur du
martyre de Housseïn et de la famille d'Ali dont la Perse célèbre l'anni-
versaire au mois de Mouharren. — Une copie du Djaviddn-é-Kébir,
traité de la doctrine des Ismaélis et des Houroufis qui a en outre le
mérite d'offrir des spécimens des dialectes Kurdes et Bakhtyaris (du
Louristân). — En histoire, la copie unique de la Chronique de
Yakoubi qu'une bonne édition de M. Houtsma a mis aujourd'hui à la
disposition des érudits ; — le texte autographe d'une Histoire
(i'^'gTT?^^ par Sarkawi ; — un ouvrage (le n° i. 201) sans nom d'auteur,
précieux par les nombreuses données historiques et légendaires qui
s'y trouvent, notamment pour la période des Sassanides. — En lit-
térature proprement dite îedebjyat), une copie très soignée du Kamil
de Moberred qui a été une des bases de l'édition de]Wright; — le livre
des longévités {Kitdb el-mou' amarin ) , manuscrit unique dont
M. Goldziher prépare la publication ; — enfin.unc^belle copie, la seule
complète, des Proverbes de Moufaddal, ouvrage de haute importance
d'histoire et de littérature 45 1
pour la connaissance des mœurs et de la langue de l'Arabie ante-isla-
mique et qui, malgré le fragment publié à Constaniinople, devra tôt
ou tard être rendu entièrement accessible aux gens du métier.
Si concise que soit la description des mss. rien d'essentiel n'y est
omis. Les raretés ont une notice plus détaillée; pour les ouvrages
connus l'auteur renvoie aux catalogues du Musée Britannique, de
rindia Office, de Leyde, de Vienne et souvent aussi au recueil de
Hadji Khalfa. Tout naturellement le fond persan de l'Université de
Cambridge n'a ici, sauf les acquisitions récentes qu'une simple men-
tion, l'auteur ayant déjà consacré un ouvrage spécial à cette partie de
la collection '.
Tel est dans son ensemble le très utile document mis à la disposi-
tion des Orientalistes qui lui feront le meilleur accueil. Doutant
toujours de la valeur de ses œuvres, M. Browne cite à la fin de la
préface un distique arabe assez mélancolique, qui semblerait présager
à son livre une existence éphémère. Empressons-nous de le rassurer:
les travaux de ce genre quand ils portent, comme celui-ci, la marque
du vrai savoir et d'une application scrupuleuse, par cela même qu'ils
répondent à des besoins constants, n'ont pas à redouter, comme tant
de productions plus brillantes, le délaissement et l'oubli.
B. M.
Anecdota oxoniensia. Semitic séries, part. X The letters of Abu'I-Ala,
edited by D. S. Margoliouth. Oxford, 1898, 148 pages de texte arabe, 44 et
i52 p. de texte anglais.
Cet ouvrage, outre sa grande valeur technique, a le mérite d'avoir
un sujet vraiment intéressant. Le personnage un peu énigmatique
d'Abou'1-Ala de Maarra (973 à 1037 du Christ] avait antérieurement
été étudié par Hammer-Purgstall et par von Kremer. Sa virtuosité
comme poète, sa profonde érudition acquise toute de mémoire, car il
était aveugle, son originalité comme penseur, originalité un peu
inquiétante au point de vue musulman et qui le fit accuser d'hérésie,
avaient pu, grâce à ces travaux, être goûtées par les orientalistes. De
l'œuvre considérable de ce littérateur, en majeure partie perdue, le
volume le plus populaire, le Sakt-c^-:{anJ, et un volume de poésies
soumises à des difficultés de rimes particulières,. appelées Lo\oumidt,
avaient été éditées en Orient. Aujourd'hui M. Margoliouth nous
donne des ' lettres, faible partie conservée de la correspondance
d"Abou'l-Ala. Il a grand plaisir pour un ami de la langue arabe à par-
courir cette correspondance qui est tellement affinée, tellement char-
I . A Catalogue of tlie persian mannuscripts in the library of tlie L'niversity
{Cambridge i8g6].
,452 REVUE CRITIQUE
gée d'idées poétiques, si richement ornée de citations de vers, étant
d'ailleurs elle-même composée en phrases rimées, qu'elle ressemble
plutôt à un recueil de poèmes longtemps ciselés qu'à une collection
■de missives écrites au cours de l'actualité ; et l'on peut partager son
admiration entre l'extrême adresse du styliste arabe et la remarquable
• habileté de son éditeur et traducteur anglais.
Beaucoup de ces lettres, outre les références littéraires dont elles
sont pleines, renferment des allusions à cet ensemble de connaissan-
ces qui fut recherché et répandu dans l'Orient musulman à la belle
époque de la littérature arabe sous le nom d'antiquités arabes, et qui
sont intermédiaires entre l'histoire proprement dite et le folklore. La
lettre xxx notamment est intéressante à ce point de vue.
Je n'ai pas constaté, en parcourant ces missives, qu'elles jettent
beaucoup de lumière sur le trait spécial du caractère d'Abou'1-Ala qui
a excité le plus vivement la curiosité des orientalistes, à savoir son
scepticism.e. Fut-il vraiment sceptique ou plutôt versa-t-il dans cer-
taines croyances indiennes comme l'indiqueraient des passages des
lii\umiât où nous le voyons condamner le meurtre des animaux,
approuver la crémation et soupirer après le nirvana ? Dans la biogra-
phie très intéressante et minutieusement documentée dont M. M. a
fait précéder l'édition des lettres, la question du caractère religieux
d'Abou'1-Ala ne paraît pas avoir été notablement avancée. Que cette
édition soit un peu décevante sur ce point, je ne prétends pas en
blâmer M. M. dont ce n'est pas la faute. Tout au contraire, si j'évoque
ici ce petit problème d'histoire religieuse, bien que je n'aie rien de nou-
veau à en dire, c'est pour en tirer l'occasion d'affirmer l'utilité et l'in-
térêt de toutes les recherches qui peuvent nous faire connaître dans
l'islam des personnages, des idées, des tendances opposés à Tislam.
C'est là un genre d'études délicat et important. Aujourd'hui l'islam,
dans son état orthodoxe, nous est suffisamment connu, ou du moins
tous les matériaux sont-ils facilement accessibles, qui peuvent nous
permettre de le connaître aussi bien qu'il nous plaît. Beaucoup plus
obscure, plus neuve et plus difficile est la question des influences et
infiltrations étrangères dans l'islam, parce que ces influences ont dû
la plupart du temps se déguiser ou se celer dans la crainte de l'ortho-
doxie oppressive. Abou'1-Ala a feint de rejeter sur la difficulté des
vers la faute de quelques expressions qui semblaient entachées d'héré-
sie. Peut-être, s'il a laissé ces expressions obscures, n'est-ce pas par
défaut de virtuosité, mais à cause du danger de parler librement. Aussi
les questions de ce genre sont-elles extrêmement subtiles, puisqu'elles
consistent à découvrir dans quelques mots obscurs toute une série de
conséquences. Il est probable pourtant que si quelques orientalistes
des générations jeunes prennent l'habitude de saisir au passage ces
faibles indices décelant des aflinités secrètes, une pénétration d'élé-
ments étrangers dans le corps fermé de l'islam, ils flnirontpar acqué-
d'histoire Et DE LITTÉRATURE 453
rir dans les observations de cette sorte une netteté de vue et une saga-
cité qui leur permettront d'arriver à des résultats vraiment solides.
C'est pourquoi je pense que M. Margoliouth doit être loué, non seu-
lement d'avoir bien traité, mais aussi d'avoir bien choisi son sujet.
Baron Carra de Vaux
Euripidis Fabulae. Ediderunt R. Prinz et N. Wecklein. Vol. III. Pars. II.
Ilippolytus. Edidit N. Wecklein. Leipzig, Teubner, 1900. Un vol. in-B" de vi-
84 pages. — Vol. III. Pars III. Orestes. Un vol.in-8°de 87 pages.
Les deux tragédies d'Euripide ' publiées aujourd'hui par M. N.
Wecklein, VHippolyte et YOreste, nous sont parvenues dans les ma-
nuscrits delà première et de la seconde famille; VOreste même faisait
partie de la trilogie byzantine et se trouve dans un grand nombre de
manuscrits. M, W. a su borner son choix et ne s'est pas cru obligé de
surcharger l'appareil critique de son édition par l'indication de leçons
suspectes ou insignifiantes de mauvais manuscrits. Les collations de
Prinz forment toujours la base du travail du nouvel éditeur ; elles ont
été sur certains points revisées et contrôlées. Quelques secours nou-
veaux ont été acquis; ainsi le papyrus Kqui donne des fragments des
vers 242-50 d'Hippolyte ; ce papyrus a fourni quelques bonnes
leçons, par exemple, au vers 3o2, 'à» au lieu de -rôjv. Voici quelques-
unes des conjectures proposées par M. Wecklein, Hippoly te, 364, jàv
^oXôTv pour îàv o'.Àîav ; 56 1 )>oyîJ7aijiivav pour vjjji'jîJTaaivav ; 576, Èvoov
.'(aTaxai pour èv oÔijlo'.; -iz-nl; i 148, t.o~. pour -:(; I 195, è|jioxXf, pour ôiJiasTf,.
— Or este, vers 698, iy.'w£!vo</T'. \xi-* y.âXtov pour bmi^o-m |X£v jraXwv ; 944,
yspwv pour \i^(w> ; 983, '.'. /.oîjxaijiÉvav pour tîTaiJiévav; 1446, 'fjÇcov pour tiôv.
Albert Martin.
C. ScHucHHARDT.Rômisch-germanische Forschungin Nordwestdeutschland,
Leipzig, Teubner, 1900, in-8 3o pages.
Sous le titre de « Romisch-germanische Forschung in Nordwest-
deutschland )), M. C. Schuchhardt vient de publier un rapport pré-
senté par lui, en septembre 1899, au 45"»" congrès des philologues et
des professeurs allemands. Danscet opuscule, l'auteur expose quel est
l'état actuel des recherches archéologiques, qui se poursuivent depuis
de longues années dans toute la partie nord-ouest de l'Allemagne, en
particulier dans les régions traversées par la Lippe, affluent du Rhin,
I. Pour les comptes rendus des pièces déjà parues, voir les n»* du 3i décembre
1898, des 26 juin, 18 décembre 1899, 3 juin 1900.
4^4 REVUE CRITIQUE
par TEms et par la Hunte, affluent de gauche de la Weser. Ces recher-
ches ont amené la découverte de- nombreuses chaussées construites à
travers les marais [Mourbriicken], de remparts, de forteresses isolées.
M. S. énumère la plupart de ces vestiges, et décrit brièvement les plus
importants d'entre eux. Il s'efforce surtout de déterminer à quelle
époque ils remontent : cette question est une de celles qui ont soulevé 'W-
parmi les savants allemands les plus vives polémiques. Pour M. Knoke,
dont nous avons analysé dans la Revue plusieurs mémoires, ces
chaussées, ces remparts, ces forteresses datent de l'époque romaine ;
les uns et les autres ont été construits au début de l'empire, pendant
la période très courte qui s'est écoulée depuis l'entrée des Romains en
Germanie jusqu'au désastre de Varus. M. Knoke croit même avoir
retrouvé en plusieurs points des camp de Varus. M. S. combattras
vivement cette opinion. Pour lui tous ces restes sont d'origine ger-
manique et non romaine. Les uns sont peut-être antérieurs à l'épo-
que d'Auguste ; les autres au contraire ne sont pas plus anciens que
le haut moyen âge. Cette polémique entre MM. Knoke et S. a pris
l'allure d'une querelle personnelle, et ce n'est point ici le lieu d'y
intervenir. Le Rapport de M. Schuchhardt est d'une lecture intéres-
sante ; c'est un bon résumé, consciencieux et utile, de tout ce qui a
été fait pendant les dernières années dans cette province de l'archéolo-
gie germanique.
J. TOUTAIN.
I
I
Éléments d'Archéologie chrétienne, par Horace Marucchi. Tome I". Desclé e,
édit. Paris, 1900; pp. xxvi-Sgg (avec de nombreuses figures).
V
*_.
Cet ouvrage n'a rien de commun avec ceux que l'on a coutume de f
publier en France sous ce titre, et qui ne sont généralement que des H
manuels d'architecture des édifices religieux du moyen âge. M. Ma-
rucchi, qui fut l'un des disciples les plus assidus de J.-B. de Rossi
et qui devenu l'un des continuateurs les plus zélés et les plus autorisés
de l'œuvre de son maître, nous parle de la véritable archéologie. Son
ouvrage, que je n'oserais appeler de vulgarisation, tant on y trouve L
d'érudition sous une forme simple et attrayante, est le fruit de longues |
années d'étude. Le plan est vaste : il comprendra au moins trois vo- )
lûmes ; le second doit être consacré à l'étude particulière des cata-
combes, et le troisième à celle des basiliques romaines. Le premier,
que nous avons sous les yeux, se borne aux notions générales, sans
lesquelles il est impossible d'aborder l'étude particulière des monu- ^_
ments. L'auteur en donne lui-même l'analyse. « Avant d'étudier en
détail, dit-il, les cimetières de l'ancienne Rome chrétienne, il est
nécessaire de posséder quelques notions générales sur l'histoire,
l'épigraphie, l'art de cette époque. Je commencerai donc par exposer
d'histoire et de littérature 455
la condition des premiers chrétiens vis-à-vis de la loi romaine : ce
sera en somme faire un abrégé de l'histoire des persécutions, car
pendant les quatre premiers siècles, à partir du moment où on les
distingua des Juifs, les chrétiens vécurent presque constamment sous
le régime de la persécution... Je donnerai ensuite une idée générale
des cimetières chrétiens souterrains, appelés maintenant catacombes.
Je rechercherai comment ils ont commencé, quelle était leur forme,
comment les chrétiens, malgré les dispositions hostiles des païens, ont
pu les posséder, s'y réunir, y faire leurs fonctions liturgiques. Il y
eut aussi, surtout après la paix de l'Église, rarement avant, des cime-
tières à la surface du sol : j'indiquerai l'époque de leur développe- "
ment et leur mode de construction. Les monuments les plus consi-
dérables découverts dans ces cimetières sont les inscriptions et les
œuvres d'art. On ne peut les comprendre si l'on n'est guidé par des
principes généraux : j'exposerai ces principes en les éclairant par de
nombreuses figures.... on verra, dans un petit traité d'épigraphie, les
caractères propres aux inscriptions chrétiennes, ceux qui distinguent
les inscriptions de chaque siècle, les principaux éléments dogma-
tiques ou historiques qu'elles peuvent contenir. Puis j'étudierai les
origines de l'art chrétien, ses rapports avec l'art paien, le symbolisme
qui lui est propre et que nous ne trouvons pas exprimé seulement
dans des monuments importants comme les fresques cimétériales et
les sculptures des sarcophages, mais encore dans des petits objets
d'usage liturgique ou domestique : médailles de dévotion, lampes,
verres dorés, bagues, bracelets, ornements divers. « — Tel est le
programme. Comment a-t-il été rempli? Je me reconnais incompétent
pour juger l'ouvrage et, n'était le grand plaisir que j'ai éprouvé en le
lisant et le grand profit que j'en ai retiré, je regretterais presque que
l'auteur m'ait demandé de l'annoncer ici; car il eut mieux valu pour
luiavoir les éloges et la recommandation de quelque savant éminenttrès
versé en ces matières. Ce qui m'a surtout frappé dans ce volume,
c'est la clarté et la précision, la grande érudition de l'auteur, son
accent de sincérité. M. Marucchi est comme était de Rossi, son
maître, un fervent chrétien; mais il appartient à la classe des chrétiens
éclairés qui savent que l'Église ne craint point la lumière ni la vérité.
Il fait bon marché des légendes ridicules qui se sont propagées pendant
des siècles autour des origines chrétiennes, et s'il s'en trouve quel-
ques-unes, plus respectables par la bonne foi de ceux qui ont con-
tribué à les accréditer que par la solidité de leurs fondements, dont il
s'est cru obligé de parler avec plus de réserve, il le fait toujours en
termes assez transparents pour qu'on puisse lire aisément entre les
lignes le fonds de sa pensée. En résumé, l'ouvrage est fort rccom-
mandable : ceux qui sont à peine initiés à ces questions en retireront
le plus grand profit et, je suis persuadé que ceux mêmes qui les ont
approfondies, ne le liront pas sans intérêt. Je ne doute pas que Tac-
456 REVUE CRITIQUE
cueil empressé qui sera fait à ce premier volume, n'engage l'auteur à
nous donner les autres sans trop tarder.
J.-B. C.
Reinhold Rôhricht. Deutsche Pilgerreisen nach dem heiligen Lande. Neue
Ausgabe. Innsbruck, Wagner, i90o;v-36op. in-8.
Ce nouveau travail de l'infatigable érudit ne donne pas seulement le
nom des pèlerins allemands en Terre-Sainte et des renseignements
sur leurs personnes et l'itinéraire qu'ils suivirent. On a d'abord un
très intéressant chapitre préliminaire qui traite des conditions dans
lesquelles s'accomplissait, surtout avant le xvi^ siècle, le voyage
à Jérusalem. Ces quelques pages claires sont le fruit d'un labeur très
étendu, dont on peut se rendre compte en se reportant aux longues
notes d'une érudition peu commune, qui les accompagnent.
Le livre forme en quelque sorte la troisième édition d'un ouvrage
qui parut en 1880, Deutsche Pilgerreisen par MM. Rôhricht et Meis-
ner. Mais chaque édition a été rédigée sur un plan différent. La
seconde, due à M. Rôhricht seul, éliminait les textes en vieux alle-
mand qui occupaient une grande partie du volume de 1880. Cette
troisième est de beaucoup supérieure à la seconde, en ce qui concerne
l'information, et elle contient des parties toutes nouvelles.
C'est un admirable répertoire auquel devront recourir souvent les
chercheurs qui s'occupent de l'histoire de l'Orient latin aussi bien que
ceux qu'intéresse l'histoire politique de l'Allemagne ou l'histoire de
la civilisation dans ce pays au moyen âge.
N. JORGA
Cartulaires du chapitre de l'église métropolitaine Sainte-Marie d'Auch,
publiés... par C- Lacave La Plagne Barris. — Paris, H. Champion; Auch,
L. Cocharaux. 1899. Iri-8, paginé 217-361. {Archives historiques delà Gascogne,
2° série, fasc. 5),
Le premier fascicule de cette publication a fait déjà ici même l'objet
d'un compte-rendu ; il comprenait, on s'en souvient, tout le cartulaire
noir, complété dans ses lacunes par le premier cartulaire blanc, de
l'église métropolitaine d'Auch. Maintenant M. Lacave La Plagne
Barris nous donne le texte du second cartulaire blanc, ms. de49 feuil-
lets, écrit probablement dans le dernier quart du xiii« siècle ou tout à
fait dans les premières années du XIV^ Là, nous n'avons plus de ces
fragments de chroniques et de ces notices rédigées après coup que
nous avions observées dans le cartulaire noir ; nous ne trouvons dans
ce recueil que des documents sur l'authenticité desquels la critique la
d'histoire et de littérature 457
plus rigoureuse ne paraît pas devoir soulever de doute. Il contient
82 chartes, dont 5 seulement appartiennent aux xi« et xii* siècles ;
toutes les autres sont comprises entre les années i232 et 1276. Un
certain nombre sont en provençal; sauf deux, datées de 127? et 1274
et signées du notaire Guillaume « de Priano », toutes ces pièces en
langue vulgaire ont été écrites, de i256 à 1262, par le notaire Ray-
mond-Sanche Molier.
L'édition de ce cartulaire blanc a été aussi soignée que celle du car-
tulaire noir". Chaque document est précédé d'une courte analyse,
qui en indique les points essentiels ; peut-être y désirerait-on un peu
moins de concision. Quelques analyses mêmes ne sont pas d'une
exactitude absolue ; je citerai par exemple celle qui est en tête du
numéro xiii.
Dans le précédent fascicule l'éditeur s'était attaché le plus souvent
à déterminer pour les dates le mois et le quantième ; il ne l'a plus fait
ici. Je ne sais pour quel motif, et s'il s'est borné à indiquer seulement
l'année, au commencement de l'acte \ 11 a compté aussi le départ de
l'année au i^'' janvier. A-t-il pour cela de bonnes raisons? Je l'ignore.
Il est vrai que les chartes de ses cartulaires ne sont d'aucun secours
pour déterminer le style usité ; mais il doit certainement exister
ailleurs d'autres documents qui permettent de le faire,
A la rin du volume, table onomastique et géographique, avec iden-
tification, dans tous les cas possibles, des noms de lieux. Je n'ai qu'à
en féliciter M. Lacave La Plagne Barris, bien qu'on y rencontre
quelques petites lacunes. Citons seulement l'article de Molier (Ray-
mond-Sanche), le notaire dont il a été parlé ci-dessus : il y manque le
renvoi aux chartes 33*, 76* et 77*.
Ces petites observations n'atténuent d'ailleurs en rien la bonne opi-
nion que j'ai conservée de l'édition des cartulaires de Notre-Dame
d'Auch, et que je voudrais voir partagée par tous les érudits. Les
textes publiés sont intéressants et bien présentés ; ils seront toujours
précieux à consulter, les historiens comme les philologues en tireront
maints profits.
L.-H. Labande.
MARGERiE(Amédée de). Dante : Ici Divine comédie. Traduction en vers français,
texte italien, introduction et notices explicatives. Paris, Rctaux, 1900. 2 vol. in-8
de Lxxxvin-382 et 507 p.
«
Il y a quelques années seulement, M. Max Durand-Fardel donnait
1 . On y remarque quelques fautes d'impression qui auraient pu être signalées
dans les errata de la fin.
2. Signalons l'erreur de date en tête du numéro lxxvi : il faut i238 au lieu da
1366.
458 REVUE CRITIQUE
son curieux essai de traduction abrégée de la Divine Comédie ; et voici
que l'on nous donne une nouvelle version, intégrale cette fois et en
vers, du poema sacro. L'auteur y a, dit-il, consacré vingt-cinq années,
et en effet on y sent un effort consciencieux et intelligent. Il donne
d'abord, en s'appuyant principalement sur M. Perrens, une introduc-
tion générale sur l'époque de Dante dont il apprécie ensuite les
diverses œuvres. Puis, par une invention assez heureuse, il remplace
les notes explicatives par une introduction spéciale à chaque chant où
il glisse avec habileté tout ce qu'il faut savoir pour le comprendre.
Quant à la traduction, l'on pourrait certes retourner contre lui ce qu'il
dit des versions en prose et montrer que la nécessité de la mesure
l'oblige souvent à ajouter des mots ou même à changer dans le détail
la physionomie du texte. Mais elle est très suffisamment coulante,
saisit bien la pensée et rend avec fidélité la couleur générale. C'est en
somme une des meilleures que nous possédions, et, comme le texte y
est joint, ces deux volumes renferment tout ce qu'a besoin de savoir
sur Dante un lettré non italianisant.
Charles Dejob.
i
Corpus documentorum Inquisitionis haereticae pravitatis Neerlandicae.
Versameling van Stukken.., uitgeven door D' Paul Fredericq... el zijne neerlin-
gen, Vierde deel (i5i4-i525), Gent, Vuylstecke, S. Gravenhage, Nijhoff, 1900,
XXXVIII, 553 pp. in-8». Prix : i5 francs.
Nous avons parlé, à plusieurs reprises déjà, de cet important
ouvrage et dit tout le zèle méritoire avec lequel M. Frédéricq, pro-
fesseur à l'Université de Gand, et les élèves de son Séminaire y réu-
nissent les textes nombreux relatifs à l'histoire de l'Inquisition néer-
landaise. Les deux premiers volumes avaient été consacrés au moyen
âge. Le tome troisième devra plus tard apporter de nouveaux supplé-
ments à tous ceux qui sont déjà accumulés à la fin du tome II et
fournir un premier répertoire général. Pour nous faire prendre pa- ^
tience, M. F. et ses jeunes collaborateurs ont commencé une nouvelle
série, dont le premier volume porte le n° IV, et qui, avec un second
déjà sous presse, se rapporte à l'époque de la Réforme et à l'organisa- m
tion de l'Inquisition des Pays-Bas par Charles-Quint.
Ce nouveau volume contient d'abord une liste chronologique des
hérétiques des deux sexes, poursuivis de i5i4 à i525, une liste des
commissaires pontificaux et épiscopaux de l'Inquisition, la série des
bulles et placards relatifs au crime d'hérésie, entre ces mêmes dates.
Mais le gros de son contenu consiste en 890 pièces, données, soit en
entier, ou par extraits, soit sous forme de régestes, et de nature très
diverse (lettres, bulles pontificales, fragments de chroniques, comptes,
procès-verbaux d'interrogatoires, etc.), dont la plus récente est du
d'histoire et de littérature 459
23 septembre i525. Beaucoup de ces documents sont inédits,
quelques-uns déjà connus, d'autres empruntés à de rarissimes impri-
més du temps, aux archives et aux bibliothèques de Belgique et de
Hollande. Les uns sont courts, quelques lignes seulement, dernière
trace de quelque lutte obscure pour la liberté de conscience, bien vite
étouffée ; d'autres sont des dossiers complets et bien instructifs,
comme celui de Jean Pistorius, de Woerden, brûlé à La Haye, en
septembre i525(n<' SjS), dans les quatre-vingt-dix pages duquel on
peut étudier à la fois le maigre savoir et les procédés des inquisiteurs.
Après l'indication des sources et une bibliogt'aphie du sujet, nous
trouvons, ici encore, un Aanhangsel, renfermant un supplément des
pièces découvertes ou retrouvées trop tard, et des Verbeteringen et
des Aanvullingen, suppléments aux notes explicatives; par contre
nous ne trouvons pas le registre général, qui sera combiné plus tard
avec celui du tome V. Nous regrettions déjà, la dernière fois, qu'on
n'ait pas provisoirement mis de côté tous ces suppléments, textes et
notes, qui se suivent et s'enchevêtrent, pour en former à la fin de
l'ouvrage entier, un volume complémentaire; cela donne à l'ouvrage,
d'un mérite si sérieux pourtant, je ne sais quel faux air de désordre
et de compilation hâtive qu'il aurait mieux valu éviter. Nous croyons,
pour les mêmes motifs, qu'on ferait mieux aussi, en se contentant
pour le moment de bonnes tables des matières à chaque volume, de
réserver le répertoire général des noms de lieux et de personnes pour
le dernier volume ; aussi bien, puisque celui de la première série n'est
pas encore sous presse et qu'il s'agit donc seulement d'y intercaler
les fiches de la seconde, nous engageons M. Frédéricq à réfléchir
sérieusement avant d'ajouter aux petits ennuis qu'il inflige bien
involontairement aux travailleurs, celui d'être obligé de feuilleter à
l'occasion deux registres au lieu d'un seul. Il ne nous en voudra pas
de ce conseil, bien qu'il soit peut-être intéressé.
R.
Hungersnoete Im Mittelalter. Ein Beitrag zur deutschcn Wirtschaftspcschichtc
des 8. bis i3. Jahrhunderts, von Fritz Clrschmann. Leipzig, B. G. Tcubncr,
1900, VI, 217 pp. in-S».
Le travail de M. Curschmann a paru dans les Lcip\iger StuJien,
série de mémoires publiés sous la direction de MM. K. Lamprccht,
E. Marcks,*Seeliger et Buchholtz, professeurs d'histoire à l'Université
de cette ville, et fournis en majeure partie par leurs séminaires histo-
riques. Élève de M. Lamprecht qui s'attache, on le sait, avant tout
aux côtés économiques des faits du passé, M. C. a choisi comme
sujet de sa dissertation l'histoire des grandes famines qui ont sévi au
moyen âge ou — plus exactement — celles qui se sont produites dans
460 REVUE CRITIQUE
l'Europe centrale du vme au xiii" siècle. Outre rAllemagne propre-
ment dite, le champ de ses recherches a embrassé encore la Suisse, les
Pays-Bas et la France septentrionale. Dans son introduction il nous
explique sa méthode de travail, la nature de ses sources ', les limites
chronologiques et lopographiques auxquelles il s'est arrêté, et appuie
sur la différence qu'il faut faire, à certaines époques et dans certains
milieux, entre les temps de cherté et les véritables famines \ Dans la
première partie de son travail, il examine tour à tour les causes qui
ont produit ces dernières, leur durée, leur extension soit purement
locale, soit plus ou moins universelle ; il essaie d'en fixer l'impor-
tance par des données statistiques, naturellement assez incertaines ; il
en signale les conséquences, pestes, migrations ^ cas d'anthropopha-
gie *; il expose les tentatives, peu nombreuses et peu efficaces, faites
par les pouvoirs publics et la charité privée ^ pour remédier à ces
calamités terribles et signale, à bon droit, le clergé régulier comme
ayant fait au moyen âge les efforts les plus sérieux (quoique vains
trop souvent), pour sauver de la mort les populations décimées par le
fléau.
La seconde partie du travail de M. Curschmann, qui remplit les
deux tiers du volume, comprend son apparatiis critictis tout entier,
c'est-à-dire les textes même des annales, chroniques, etc. qui men-
tionnent des famines générales ou locales, de 709 à l'bx'j. On y peut _*
donc contrôler à l'aise les affirmations de Tauteur, en étudiant à son a
tour les sources ; et Ton constate volontiers de la sorte que son
mémoire est une œuvre consciencieuse et solidement établie ; s'il ne
nous apprend presque rien d'absolument nouveau, il nous fournit par
ses nombreux matériaux des points d'appui solides pour des tableaux
d'ensemble qui reposaient jusque-là un peu trop sur les impressions
1. M. C. a surtout trouvé les renseignements qu'il lui fallait dans les Annales
monastiques primitives; les Chroniques lui ont fourni des renseignements çà et là
plus détaillés, mais peut-être moins exacts dans leur ensemble. Rien dans les
chartes; il fallait s'y attendre. Mais presque rien dans les Vies des Saints qui, dit
l'auteur, guérissent constamment des aveugles et des paralytiques, mais n'ont
jamais tenté de combattre la famine.
2. Ces deux mots de famés et de caristia ont d'ailleurs changé parfois de sens
à\i cours des siècles.
3. C'est un des chapitres les plus curieux du volume de M. C. que celui où il
décrit le déplacement des populations de certaines régions à la suite de ces
famines d'une plus ou moins longue durée; on n'a certainement pas encore tenu
un compte suffisant de certains de ces faits pour l'histoire de la colonisation alle-
mande au moyen âge.
4. M. C. se trompe malheureusement en croyant que le cannibalisme disparaît
dans les derniers siècles du nu)yen âge. En plein xvii'^ siècle, les misères de la
guerre de Trente Ans l'ont fait renaître en plus d'un point de l'Allemagne.
. 5. Sur ce point, il me semble que l'auteur aurait pu trouver des renseignements
plus nombreux, en étudiant par exemple les chartes de fondation des nombreux
hospices créés du xui* au xv* siècle, bien plus souvent destinés à nourrir les
indigents qu'à héberger les malades.
d'histoirf. f.t de littérature 461
personnelles du narrateur moderne. Ses affirmations comme ses dé-
ductions générales se présentent à peu près partout avec le degré de
prudence voulu pour inspirer confiance à ceux (jui auront à utiliser
son ouvrage '.
R.
Comment a vécu Stendhal, Préface de Casimir Stryienski, Paris, Villerelle, 1900,
in-8°, XIII et 207 pp., 3 fr. 5o.
Voici un nouveau livre sur Stendhal, ou mieux à côté deStendhal, et
dont le besoin, cette année, ne se faisait peut-être pas impérieusement
sentir. Il est publié sous les auspices de M. C. Stryienski, qui s'est
fait dès longtemps une spécialité de cet écrivain, et est passé maître en
l'art d'accommoder ses restes, — par ce terme j'entends, nul n'en doute,
d'enchâsser ses reliques. Avec M. Jean deMitty, M.S. est l'homme du
monde qui a fait le plus pour la gloire de Beyle, — après Stendhal, —
et qui, à ce jeu, s'est acquis une méritée réputation. Il nous a donné le
Journal, la Vie de Henri Brulard^ même les moins connus Souve-
nirs d'Egotisme; il a aidé les historiens de Stendhal à fixer cette figure
étrange, énigmatique et captivante. Aussi sa Préface alerte et documen-
tée permet-elle à M. S. de se montrer lui-même. Pour le reste, il n'in-
tervient pas. Or, ce reste, quel est-il? On nous annonce « une sorte de
catalogue raisonné d'une très belle et très homogène collection d'au-
tographes ». C'est celle que R. Colomb a transmise à Auguste Cordier.
Mais Cordier en avait dcjà tiré Stendhal raconté par ses Amis et ses
Amies, (Paris, Laisney, 1893), et les Budgets de Stendhal {Revue
Blanche, n" du !«■■ avril 1897); — et ce sont là les pages qui forment
les deux tiers du présent volume. Était-il utile de les redonner,
comme choses neuves, au public friand et curieux? N'y a-t-il point
d'ailleurs une exagération évidente à faire tourner à la gloire de
Beyle jusqu'à une pauvreté qu'amena sa faute môme ? Et ce « cata-
logue d'états d'àme », qui ne paraissait pas indispensable, semble-t-.
il bien impartial? Assez on a dit la névrose de Stendhal, qui le
poussa à des testaments nombreux; assez on a discuté sur son don-
juanisme ; assez on a plaint l'écrivain de race réduit à devenir tonc-
tionnaire. 11 n'est pas jusqu'au Portrait inédit en héliogravure i]u\
n'ait déjà paru en photoiypie, et n'ait reproduit le crayon appartenant
à M. Pellat.
Aussi ce livce mignon, joliment imprimé, qui complétera les coUec-
I. Évidemment on pourra interpriîter diflércmment tel ou tel texte, n'accorder
qu'une confiance limitée aux exagérations de la tradition, consignée dans telle ou
telle chronique; mais, en général, M. C. est d'une prudence très louable en dis-
cutant ces matières et surtout les questions de chitlres, sur lesquels on n« devrait
jamais beaucoup appuyer pour le moyen âge»
462 REVUE CRITIQUE jj^!
tion des stendhaliens par quelques pages de M. Stryienski, ne les
enrichira guère, je le crains, et n'apportera pas de surprises aux fer-
vents adorateurs de ce dieu aux pieds d'argile.
Pierre Brun.
Bibliothèque sulpicienne ou Histoire littéraire de la Compagnie de Saint-
Sulpice, par L. Bertrand. Paris, Picard, igoo; 3 in-8, dexxiv-556, 612,484 p.
M. l'abbé Bertrand, bibliothécaire et ancien professeur au Grand-
Séminaire de Bordeaux, est un des érudiis les plus infatigables et les
plus sûrs de la province : ami de Tamizey de Larroque, il avait sa
méthode et ses traditions. Aucun de ses travaux, si spécial qu'il
soit, n'est inutile à l'histoire générale; aucune de ses citations n'est
inexacte ; aucune de ses bibliographies n'est incomplète. On retrou-
vera tous ces mérites dans ce nouveau volume : M. Bertrand, l'un
après l'autre, suit pas à pas dans leur carrière et leurs écrits les prêtres
de Saint-Sulpice, et pour qui sait le rôle qu'ils ont joué dans l'éduca-
tion et la pensée catholiques, un tel livre, fait avec une érudition de
toute première main, fourmillant de notes et de textes, est une ines-
timable contribution à l'histoire religieuse. Nous signalons, dans la
vie d'Ollier, l'emploi des manuscrits autographes conservés à la Bi-
bliothèque nationale; dans celle de Le Clerc, le catalogue des manus-
crits du célèbre sulpicien; parmi les biographies plus modernes, celle
du controversiste Paillon (où j'aurais voulu un mot bibliographique
sur Albanès, qui a été son plus sérieux, sinon son seul sérieux adver-
saire) ; celle de l'orientaliste Le Hir, popularisé dans un autre milieu
par les Souvenirs de Renan, et sur lequel on nous avait promis (n'est-
ce pas M. Arthur Loth ?) une longue étude.
J.
Melchior de Polignac : Notes sur la littérature hongroise. Paris, Ollendorff,
1900. — 288 pages,
M. de Polignac a publié, en 1896, une anthologie de poésies
magyares où il a donné principalement la traduction des œuvres de la
jeune école lyrique. « Mais, dit-il dans l'Introduction de son nouveau
volume, en négligeant de faire connaître les origines, l'œuvre civilisa-
trice, les influences subies au cours de son histoire par la nature hon-
groise, je diminuais l'intérêt que leur originalité mérite d'éveiller. »
C'est cette lacune que les Notes veulent combler. La littérature
magvare est si peu connue chez nous que la moindre étude est la
bienvenue.
Cependant l'ignorance de la langue hongroise, même chez ceux qui
è
I
I
d'histoire et de littérature 463
font de cette littérature un objet d'étude, est la source de bien des
erreurs. Un vrai dilettantisme sem-ble remplacer les études appro-
fondies du regretté Sayous et nous aurons peut-être un jour des
magyarisants qui n'auront aucune notion de la langue. M. de Poli-
gnac travaille à l'aide de quelques écrivains magyrrs qui lui traduisent
obligeamment les textes. 11 a pris cette fois-ci pour guide l'Histoire
de la littérature hongroise de Zoltan Beôthy dont on se sert dans les
lycées magyars ; il en a tiré ses Notes qu'il nous présente agrémentées
de quelques phrases de Taine et de Brunetière. Il a même eu recours
au Saint Etienne de M. Horn et à son fameux article sur Jokal servi
déjà à différentes reprises au public français. Muni de ces références,
il a donné avec un effort vraiment louable et digne d'un meilleur
résultat un livre où les idées générales sont assez agréablement pré-
sentées, le caractère éminemment patriotique et national de la litté-
rature hongroise bien mis en relief, mais où les noms magyars, même
celui de son guide, sont horriblement estropiés et où les bévues ne
se comptent plus '. Le moyen âge, peu important au point de vue lit-
I. Par exemple : Page 10. Regès, lantos sont deux noms différents pour indi-
quer les joueurs de luth, et non pas un mot composé. — P. 32. 11 n'existe pas
des manuscrits d'Anonymus, scribe du roi Bêla. Le seul manuscrit de l'.Xnonyme,
notaire du rof Bêla, la chronique des Hongrois, est conservé à Vienne. Pourquoi
mettre partout Auonymus ? M. de Polignac prend-il ce mot pour un nom propre ?
— P. 34. Quel est ce savant hongrois Vanberg? C'est probablement Vambéry. —
P. 35. On écrit : feleség et non féléseg. — P. 36. On dit les Cumans et non les
Kuns. — P. 44. On écrit Lébédie et non Lébédy. — P. 45. Geysa n'était pas le
premier duc de Hongrie, mais le quatrième. —P. 53. On ne peut guère parler de
« l'ouverture du premier parlement » sous le règne de François !«'. La Diète de
1825, n'était pas la première, mais la plus importante de ce règne. — P. 54. Il
faut lire le 14 avril j 84g et non i%48 ; — même page : Bach et non Back. —
P. 84. Quel est ce saint Gelbert martyr? Il faut l'appeler ou bien par son nom
magyar : Gellért ou bien dire : Gérard. — P. 89. Spiellmann et Meincsinger si)nt
pris pour « des chanteurs autrichiens qui devinrent célèbres u. Spielmann veut
dire le jongleur et Minnesinger le trouvère en général. — P. 89. « Vidal chanta
longtemps l'hospitalité qu'il reçut à la cour du roi Eméric. » Il y a une seule
strophe dans ses poésies qui atteste son séjour en Hongrie. — P. 90. Il faut écrire
Ves:{prdm et non Vespren. — P. 94. Quand il s'agit de manuscrit le mot codex vaut
mieux que code. — P. 95. Andréas, n'est ni français, ni magyar, mais allemand.
Disons : André, ou bien Andrds. — P. 99. On n'a jamais mis les livres de la Cor-
vina à la disposition du public. — P. loi. Pourquoi dire Janos Pannonius,
puisque les Hongrois eux-mêmes disent : Janus. — P. 104. D'après la dernière
découverte de M. Fraknoi, c'est Ladislas Karai et non Geréb (encore moins Ge'reb)
qui installa l'imprimeur André Hess à Bude. - P. io5. S'il est juste d'appeler les
villes magyares par leur nom hongrois, il est tout à fait inutile d'écrire Krakko
pour Cracovie.— P. 106. Lire Uj-S^iget pour Ug-O^iget. - P. 107. Sainte Mar-
guerite n'a jamais écrit une légende de Saint-François.— P. u?. La secte des
sjombatosok s'appelle des Sabbathaires et non des Sabbatietis. — P. i34. Les
Chansons des Fleurs de Balassa furent découvertes en /i'?74 et non en iS-i.
— P. 139. 11 faut dire Thôkôly et non Telcki. — Pp. 140 et 148. Rakoczi II ne
suffit pas; il s'agit p. 140 de François II Rakoczi et p. 148 de Georges II Rakoczi.
— P. 140. On écrit Pdimdnv et non Pas^many. — P. 144. La traduction des
464 REVUE CRITIQUE
téraire, occupe, à notre avis, trop de place au détriment du xix^ siècle
qui, seul, peut vraiment intéresser dans un coup-d'œil aussi ra-
pide ; le théâtre est presque négligé ; quatre lignes pour un Gré-
goire Csiky sont vraiment trop peu, même dans un aperçu géné-
ral. Joka'i aurait dû prendre place après les romanciers Josika, Eôtvôs
et Kemény et non pas être rejeté à la fin du volume, servant de lien
entre le passé et le présent (qui n'est pas traité), et surtout il n'aurait
pas fallu se contenter de « l'intéressante étude » de M. Horn. Les
influences étrangères sont à peine indiquées. Malgré ces lacunes, le
volume peut donner une idée générale du développement de la litté-
rature magyare et quand l'auteur voudra compléter ses connaissances
de la langue hongroise, ne pas se borner à un Manuel et à quelques
travaux de dilettantes français, il pourra nous donner des livres plus
nourris sur une littérature à laquelle il a pris goût.
J. KONT.
Psaumes d'Albert Szenci-Molnâr n'est pas en prose, mais en vers. — P. 147. Jean
Cseri est né en 1625, et non en i525. — P. i5o. Il faut dire : la Perte de S:^iget et
non Spgeti, l'i formant les adjectifs des noms de villes. — P. 167. La garde royale
hongroise fut créée par Marie-Thérèse en ij6o et non en ij63. — P. 172. Baroti-
Szabô est un seul écrivain. — P. 173. Bessenyei est mort en 1 8 1 1 , et non en 1 840.
— P. 174. Le roman politique de Bessenyei — le Voyage de Tariménès — est
encore inédit. — P. 175. Lire : Barattyi, au lieu de Barac^i; C:{irjék, au lieu de
C:{ijjek. — P. 179. On ne représente pas le Notaire de Peleske de Gvadânyi, qui
est un roman, mais la pièce qu'en a tirée Joseph Gaal, en i838. — P. 184.
Alexandre Kisfaludy est né en I/72 et non en 1773. — P. 188. La grammaire
historique de Rêvai s'intitule : Elaboratiov grammatica hungarica et non Elabora-
tio. — P. 189. Kazinczy a traduit également La Rochefoucauld et Marmontel. —
P. 191. Berzsenyi aurait dû être traité avec les membres de l'Ecole latine;
cela aurait épargné à M. de P. ce fâcheux : <> Revenons à l'école latine ». — P. 193.
Le recueil des chansons populaires ne commence qu'en 1843, et non vers 1820.
— P. 2o5. Charles Kisfaludy est mort en i83o etnoneni842. — P. 209. Dans la
tragédie de Katona, Bank ne quitte pas la Palestine, puisque le roi l'a laissé en
Hongrie pour le remplacer. — P. 217. Le romancier Jôsika est mort en 1864 et
non en i865. — P, 221. L'analyse du Chartreux de Joseph Eôtvôs n'est pas exacte
(" la maîtresse qui l'aime, tombe, par désespoir, dans l'abîme dont il vient de reti-
rer sa fiancée »). — P. 226. Dans le roman Paul Gyulai de Kemény (et non Ke'mé-
nj'i), Beltijar (Balthasar) Bâtori n'est pas le frère du prince Sigismond. — P. 242.
D'après la dernière biographie de Petôfi, celle de M. Ferenczi, il n'est pas exact que
Petôfi s'enrôla parce qu'un de ses parents voulut lui faire continuer ses
études. — P. 247. — L'analyse du Héros Jean (qui ne s'appelait jamais Kokout;[a)
est inexacte. — P. 249. Arany ne fut jamais « clerc chez un notaire », le mot
jegy:^œ indique en Hongrie le secrétaire de la mairie. — P. 25g. Il est inexact de
dire que l'influence du romantisme français fût plutôt malheureuse en Hongrie.
On lui doit, au contraire, une véritable renaissance. — P. 281. L'analyse du
« Nouveau Seigneur » de Jôkaï, roman traduit en français, est inexacte.
d'histoire kt de littérature .|65
Magyars et Roumains devant l'histoire. Réponse à M. A. de Bcrtha par
A. D. XÉNOPOL. Paris, Leroux, lyoo. 29 pages.
Il était à prévoir que le livre de .M. de Bertha que nous avons
annoncé dernièrement ici même ne resterait pas sans réplique. M. Xé-
nopol qui a déjà publié, en français, plusieurs ouvrages historiques
très estimés, s'est chargé de le réfuter en montrant que l'ouvrage de
M. de Bertha manque d'esprit scientifique, qu'il contient plusieurs
erreurs et contradictions et que la thèse qu'il défend, n'est pas soute-
nable. Il a choisi, à cet effet, un point dans chacune des trois parties
dont se compose le livre et tend à démontrer que l'auteur magyar a
manqué de bonne foi. Ces trois points sont : 1° La fameuse question
sur la continuité dacique. M, X. en est un ardent défenseur, mais il est
aujourd'hui suffisamment prouvé qu'elle ne peut plus se défendre
avec la certitude que le savant roumain établit à l'aide de quelques
textes. Une bonne partie des historiens et des philologues roumains,
non prévenus, n'en font plus grand cas. Il y a là un problème ethno-
graphique qui est loin d'être résolu. 11 peut avoir une certaine impor-
tance au point de vue national roumain, mais il n'entre que pour peu
de chose dans les luttes contemporaines. Supposons même que la
thèse de M. Réthy contre laquelle M. X. invoque l'autorité du philo-
logue Meyer-Lûbke, soit fausse et que les Roumains soient les des-
cendants des colons romains établis par Trajan en Dacie ; qu'il y avait,
par conséquent, des Vlaques en Transylvanie avant l'arrivée des
Hongrois en Europe ; il n'en reste pas moins avéré que la Transyl-
vanie a été conquise par Arpad et ses successeurs aussi bien que la
Hongrie ; que cette principauté a toujours fait partie du territoire
magyar et que ce n'est pas aujourd'hui où elle forme une des frontières
les plus sûres contre l'invasion étrangère que l'Etat austro-hongrois
peut l'abandonner, sans guerre, a la Roumanie. — Le deuxième point
traite des relations des Roumains et des Hongrois jusqu'au xvir siè-
cle. M. Jancso et son adaptateur français, en parlant des Valaqucs du
moyen âge, ont laissé échapper quelques termes peu courtois. M. X.
les relève et montre d'abord les vexations auxquelles les serfs roumains
furent exposés de la part des seigneurs hongrois, montre que la cor-
dialité n'a jamais pu exister entre les deux nationalités et que les nom-
breux soulèvements des paysans en 1324, 1437, 1480 et i 5 14 prouvent
suffisamment la tyrannie des Magyars. M. X. n'est pas sans savoir
qu'il y avait des Jacqueries dans tous les pays, même là où seigneurs
et serfs appartenaient à la même nationalité et que le sort du paysan
était partout misérable. Il sait également le rôle vraiment important
que les princes et la noblesse de Transylvanie ont joué au cours des
xvi* et xviie siècles, lorsque l'Autriche menaçait l'indépendance natio-
nale et le protestantisme. La Transylvanie était alors le seul loyer de
la civilisation magyare. La cour des Bâthori, de Gabriel Bethlcn et
466 REVUE CRITIQUE
des Rakoczy, bien connue même en France, exerçait une suprématie
intellectuelle que tout historien doit reconnaître, Nous ne trouvons, à
cette époque, rien d'analogue en Valachie, mais nous accordons volon-
tiers à M. X. qu'il est toujours de mauvais goût de présenter l'adver-
saire politique comme un barbare ou un vagabond. — Le troisième
point — les Roumains au service de la réaction — • transporte le pro-
blème historique dans le domaine de la politique. Ici ce ne sont plus
des arguments, mais des passions qui se trouvent face à face. Si tous
les historiens roumains étaient animés des mêmes sentiments que
M. X., il est probable que la paix et la concorde se feraient encore
longtemps attendre. Le savant historien refuse d'avance toute chance
de réussite à l'esprit de conciliation qui anime actuellement le gouver-
nement magyar. Dans ces conditions la discussion devient impossible.
Mais nous croyons que les Roumains de Transylvanie feraient mieux
d'écouter des conseils plus sages et de renoncer à leur opposition,
passive à l'intérieur, bruyante à l'extérieur. En tout cas, M. Xénopol,
a tort de citer (page 23) parmi les chauvins hongrois d'avant 1848 le
comte Etienne Széchenyi. Ce grand réformateur a été le premier qui,
en 1842, dans la séance solennelle de l'Académie hongroise, déclara
qu'il ne fallait pas imposer le magyar aux autres peuples. Tout en
demandant certaines garanties pour la langue magyare, il désirait que
l'idiome national s'imposât par la suprématie intellectuelle et non par
la force de la loi. Si les hommes d'Etat qui ont dirigé le pays après
1867, s'étaient inspirés de ces conseils, il est probable que la lutte des
nationalités n'aurait pas pris cette forme aiguë que l'on constate
encore aujourd'hui. Heureusement la paix commence à se faire et
nous prévoyons le jour où ces polémiques qui ne servent qu'à enve- |
nimer les choses, cesseront, et le public français connaîtra enfin autre
chose de la Hongrie et de la Roumanie que leurs luttes stériles.
J. KONT.
— M. J. Wright, suppléant depuis dix ans de la chaire récemment occupée à
Oxford par Max Mùlier, publie en 2* édition le Primer of the Gothic Language
dont la Revue critique a rendu compte en 1892 (XXXIII, p. 466). L'ouvrage passe
de 248 à 288 pages. Les lecteurs y apprécieront surtout l'avantage qu'il leur offre
de posséder au complet l'un au moins des Evangiles (S. Marc), sans autre mutila-
tion que celle qui résulte de l'imparfaite conservation du texte ulfiléen. Le lexique
s'est enrichi en conséquence. Mais le petit lapsus que j'avais relevé dans la gram-
maire n"a pas disparu. — V. H.
— M. Skeat dont l'autorité est incontestable, s'est attaché dans le nouveau livre
qu'il publie sur Chaucer [The Cliaucer Canon with a discussion of the works asso-
ciated with the name of Geoffrcy Chaucer, Oxford, Clarendon Press. 1900, i vol.
in-8, XI et 167 p., 3 s. 6 d.) à établir les règles par lesquelles on peut distinguer
les œuvres authentiques de Chaucer de celles qui lui ont été attribuées à tort.
I
Àâ
d'histoire et de littérature 467
C'est par l'étude des particularités de la grammaire et de la versification de
Chaucer que M. S. est arrivé à dégager les règles qu'il pose. Nul n'est mieux pré-
paré que M. S. à un travail de ce genre. 11 n'est personne en Angleterre qui puisse
prétendre à une connaissance aussi approfondie de la vieille langue anglaise en
général et de l'idiome de Chaucer en particulier. On retrouve dans l'étude nou-
velle les qualités de clarté et d'ordre qui distinguent l'érudition de M. S. Il est
impossible d'être à la fois plus précis, plus 'complet et plus net. Le travail de
M. S. est indispensable à quiconque s'occupe d'une manière sérieuse des œuvres
de Chaucer. — J. Lecoq.
— C'est un tout petit point d'érudition que s'attache à fixer M. Legouis dans son
court opuscule Quel fut le premier composé par Chaucer des deux prologues de
la Légende des Femmes exemplaires. (Extrait de la « Revue de l'Enseignement des
Langues Vivantes », Paris, xvii* année. Avril 1900, i vol. in-8, 20 p.). 11 s'agit,
comme l'indique le titre très explicite, de savoir si le prologue A est antérieur au
prologue B comme le veut l'opinion traditionnelle, ou bien si au contraire la
priorité doit être attribuée au prologu» B, comme l'a soutenu Ten Brink et comme
le prétendent après lui des savants d'une autorité incontestable comme Kôppel et
Max Kaluza. C'est contre l'opinion allemande que se range M. L. d'accord en cela
avec M. Skcat et un critique plus récent, M. John Koch. M. L. analyse soigneuse-
ment les deux prologues et dans une discussion très serrée, établit qu'il est con-
traire au bon sens de vouloir attribuer la priorité au prologue B. 11 montre que
l'erreur de Ten Brink a été de demander à l'étude des prologues des renseigne-
ments nouveaux sur la vie de Chaucer, au lieu de les voir en eux-mêmes et de les
apprécier en tant qu'œuvres d'art. Cette préoccupation d'érudit a faussé complète-
ment son jugement. Toute cette discussion est conduite par M. L. avec une clarté
absolue, une sûreté de vue remarquable. L'érudition ne nuit en rien chez lui à la
finesse de l'esprit : 11 apporte en résumé sur le point de détail qvi'il étudie une
contribution très intéressante à l'histoire des œuvres de Chaucer et établit d'une
manière qui paraît définitive la vérité sur une question restée ouverte jusqu'à ce
jour. — J. Lecoq.
— La collection connue sous le nom de Pett Press Séries vient de s'enrichir d'une
édition d'un des romans les plus connus de Walter Scott {Taies of my Landlord
First Séries Old Mortality by Sir "Walter Scott, edited with introduction, notes
and glossary by J . A. Nicklin. Cambridge University Press. 1900, i vol. in-8, xii
et 522 p.). L'introduction est un peu maigre et aurait gagné à être développée :
trop de concision nuit parfois et mène à l'inexactitude. Resserrer en quarante
lignes l'histoire du roman avant Scott est une tâche ardue : ce serait une exagé-
ration que de prétendre que M. N. l'a accomplie avec succès. Les notes générale-
ment historiques, quoique laconiques, sont suffisantes. Le glossaire est bien fait et
complet. Somme toute, édition consciencieuse et bien faite pour les élèves
auxquels elle est destinée. — J. L.
— Le petit volume que publie M. L. Cope Cornford : English Composition A ma-
nualof Theory and Practice (London, Nutt. 1900, i vol. in-8, VI et 225 p.) est le
fruit d'une longue expérience. C'est un manuel de rhétorique plein de conseils
pratiques et bourré d'exemples. 11 a toute la sécheresse des livres de ce genre, et,
si j'ose dire, toute la naïveté didactique des traités où on prétend par principes et
définitions enseigner l'art d'écrire. 11 semble que la pédagogie anglaise retarde un
peu sur la nôtre à cet égard. 11 y a déjà un certain temps que nous avons fait
disparaître de nos classes les traités de rhétorique qui en étaient jadis le plus bel
468 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
ornement. M. L. JG. G. passe en revue, très consciencieusement, les différents
genres de composition, ^les analyse soigneusement, les dissèque; tout cela n'est
exempt ni de lourdeur, ni de pédanterie. Mais en pourrait-il être autrement? —
F. Lecoq.
— M. Ch. Normand a terminé son Cours d'histoire à l'usage des écoles normales
primaires d'instituteurs et d'institutrices et des candidats au brevet supérieur. Le
volume qui forme la troisième année de ce Cours, de 1789 à nos jours, vient de
paraître (Paris, Colin, in-8, 592 p.). C'est un excellent précis, très substantiel, très
vivant, très intéressant. Il forme trente-quatre chapitres, accompagnés chacun
d'un résumé, de notes et éclaircissements, de lectures, d'une liste de livres à con-
sulter. Quelques lapsus disparaîtront aisément à la prochaine édition : p. 40,
Brunswick fut blessé mortellement et non tué à. Auerstaedt ; p. 74, Valmy est du
20 et non du 21 septembre; p. 81, Napoléon entra à l'Ecole militaire en 1784 et
non en 1786, et fut sous-lieutenant en 1785 et non en 1787. — A. G.
— M. Léon Maréchal, professeur à l'Athénée royal de Hasselt, a publié à Liège,
chez Dessain, en 100 pages, une Lexicographie française comprenant l'étude
des tnots d'origine latine et grecque a l'usage des classes de 5« et 6° des humanités
anciennes. Il signale entre parenthèses les mots latins qui ressemblent le plus,
pour la forme, aux mots français, et indique les étymologies. Son livre est en deux
parties : dans la première, purement théorique, il retrace les procédés auxquels
recourt le français pour former les mots, dérivés ou composés; dans la seconde,
purement pratique, il fait connaître cinquante familles de mots pris parmi les
plus dignes de remarque. L'auteur veut donner à l'élève un moyen d'acquérir
peu à peu un vocabulaire étendu. Il s'est aidé dans sa tâche, non seulement du
travail de Pessonneaux et Gautier, et du Dictionnaire de Stappers, mais de la
Giammaire de Clédat. — G.
— M. Jules Zanne continue la publication, déjà signalée dans cette revue, des
proverbes, dictons, locutions, etc. roumains [Proverbes roumains de Roumanie,
Bessarabie, Bucovine, Hongrie, Istrie et Macédoine, t. Il, 1897 ; t. III, 1899; t. IV
igoo;. Jusqu'ici trois nouveaux volumes ont paru, et ils seront certainement de
la plus'grande utilité aux savants qui s'occupent de folk-lore. M. Zanne ne néglige
jamais de mentionner à la suite du proverbe roumain les proverbes similaires des
autres peuples européens et pour faciliter la tâche de ses lecteurs étrangers, il
donne à la suite de ses volumes des vocabulaires roumains français. — J.
— M. Henri Maïstre a extrait de la « Correspondance historique et archéologi-
que » (années 1889 et 1900) sa Biographie des travaux d'Arthur Giry. Il a pu
consulter les manuscrits et collections du regretté savant et comble ainsi bien des
lacunes. Son travail est précédé d'une photographie de Giry et d'une notice bio-
graphique due à Fernand Bournon.
Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N" 51 —17 décembre — 1900
ViNsoN, Légendes bouddhistes. — Gruenwedel, Mythologie du bouddhisme. — De-
NiKER, Races et peuples de la terre. — Kattenbusch, Le symbole apostolique.
— LucHAiRE, Quelques manuscrits de Rome et de Paris. — Boulanger, Clcman-
gis et Jacques de Nouvion. — Wvss, LeCisianus de 1444.— Baston, Mémoires, p.
LoTH et Verger. — M"" Blaze de Bury, Les romanciers anglais contemporains.
— Gonse, Les chefs-d'œuvre des musées de France. — Gorgias. p. Steuder. —
LuLOFs, Antisthène. — Nillson. Les Dyonisies. — Capps, Les vainqueurs des
Lénéennes. — Rasi, Sur Horace, — Curcio, Grattius et Ncmesianus. — Garo-
FALO, Études sur l'Espagne romaine. — Guerre civile, III, p. Peskett. —
Ci-ARK, Variantes des discours de Ciccron. — Gkn'til, Les Gcorgiqucs, traduc-
tion en vers. — Oltramare, Les cpigranimcs de Martial. — Académie des Ins-
criptions.
Julien ViNsoN. Légendes bouddhistes et jainas traduites du tamoul. (Conteurs
et poètes de tous les pays). — Paris, Maisonneuvc, igoo. 2 vol. pet. in-8 : xxviii,
23o et 274 p.
La langue tamoule, parlée à l'extrémité méridionale de la péninsule
indienne et au nord de Geylan , possède une littérature considérable,
d'un intérêt capital pour l'histoire politique, religieuse et philosophi-
que de rinde; cette littérature est cependant à peine explorée. Le
Koural de Tirouvallouva « le sublime paria » a presque seul triomphé
de rinditîérence occidentale. M. Vinson, professeur à l'Ecole des Lan-
gues Orientales et poète tamoul à ses heures de loisir, entr'ouvre aux
spécialistes et aux curieux trois poèmes anciens, postérieurs en date
au Koural, et qui s'échelonnent vraisemblablement du x« au xn^ siè-
cle. Deux d'entre eux, le Sindàma«i et le Silappadigàram sont d'ins-
piration jaina ; le troisième, le Ma;zimcgalei est une œuvre bouddhiste.
Mais les croyances personnelles du poète n'affectent guère le fond de
l'œuvre et ne s'expriment qu'accidentellement. L'action se réduit aux
données de convention admises dans toute la littérature de l'Inde. Le
Sindàma;zi raconte les aventures héroïques et erotiques d'un Hls de roi,
Jîvaka, né après la ruine et la mort de son père, recueilli et élevé
par des étrangers et qui conquiert la couronne avec autant d'aisance
que les cœurs féminins. Le héros du Silappadigàram est le marchand
Gobala, époux de' la vertueuse Ka/z/zagi ; oublieux de la tîdélitc conju-
gale, Gobala court les actrices et les danseuses et entretient la belle
Mâdhavî; mais soudain la ruine l'oblige à rcHéchir;ii prend ses
fautes en horreur, et s'exile accompagné de la fidèle Ka;/;/agi. Pour
Nouvelle série L. 5i
470
REVUE CRITIQUE
avoir à manger, il essaie de vendre le dernier anneau de jambe de sa
femme; mais il est pris pour un voleur et mis à mort. Sa femme
maudit la cité responsable du meurtre, puis monte rejoindre au ciel la
victime d'une sentence injuste. Les tiéaux qu'elle a invoqués se déchaî
nent sur la ville, le roi, d'abord désespéré, réussit cependant à les
écarter en instituant le culte de Ka;2/zagi, culte adopté bientôt par les
peuples voisins.
Le sujet du Ma;7imegalei se rattache au cycle de Gobala. Mam-
megalei est la fille née des relations du marchand Gobala cl de
Màdhavî; malgré les obligations de caste que lui impose sa naissance,
la jeune tille n'aspire qu'au renoncement et à l'austérité. Mais sa
beauté éveille sur son passage le désir et l'amour. La protection des
dieux et des saints, justiliéepar les actes de ses existences antérieures,
lui permet d'échapper aux pièges et aux violences ; transportée dans
une île merveilleuse, elle y voit l'escabeau du Bouddha, apprend le
"secret de son passé, reçoit une coupe inépuisable dont elle se sert pour
les œuvres de charité, et confirmée dans ses premières résolutions par
les drames tragiques qui se déroulent autour d'elle, elle va successi-
vement interroger les maîtres de toutes les sectes et trouve enfin son
refuge dans la loi du Bouddha,
L'exaltation du bouddhisme en pays tamoul, à une date aussi tar-
dive que le xii= ou le xiii= siècle, atteste la longue persistance de cette
religion dans l'Inde et rend plus obscur encore le problème de sa
brusque disparition. Le Ma/zimegalei est à ce titre, plus encore qu'au
point de vue littéraire, un document de haute importance, on vou-
drait savoir à quelle école il se rattache, quel système il expose.
L'ouvrage de M. V. nous promet, mais nous laisse attendre d'autres
informations ; M. V. a craint en effet de lasser et d'écarter les lecteurs
par une traduction fidèle, et il a donné des trois poèmes une longue
analyse, entremêlée de courtes citations ; à cette analyse il ajoute, il
est vrai, des spécimens de traduction, mais les passages choisis ne
sont pas malheureusement les plus intéressants. De longues notices
sur le Bouddhisme et le .Tainisme et un vocabulaire explicatif consti-
tuent presque les deux tiers du second volume. Ce sera tout profit si
les lecteurs, amorcés par les contes, acquièrent en surplus des notions
sur deux des grandes religions de l'Inde ; mais il faut reconnaître que
M. V. leur a fourni la mesure large en donnant la biographie de
Bouddha et des indications sur le bouddhisme chinois, tibétain, bir-
man, etc., à propos d'une analyse du Ma/zimegalei, Visant une catégo-
rie peu exigeante de lecteurs, M. V. ne s'est pas toujours préoccupé
d'une minutieuse exactitude ; une critique chagrine trouverait souvent
a reprendre dans la forme des mots sanscrits restitués aussi bien que
dans le détail des dates et des données historiques. Mais plutôt que
d'insister sur ces chicanes, il vaut mieux remercier M. V. d'avoir
rendu accessibles aux indianistes qui sont étrangers au tamoul do«
d'histoire et de littérature 471
documents intéressants, surtout s'il complète à bref délai ses analyses
par la traduction exacte des passages qui sont de nature à éclaircir
l'histoire religieuse de l'Inde au moyen âge.
Sylvain Lévi.
Albert Grunwedei. . Mythologie des Buddhismus in Tibet und der Mongole!.
Fùhrer durch die Sammlung des Fûrstcn E. Uchtomskij. Leipzig, Brockhaus.
1900, XXXII et 244 p.
Le prince Esper Uchtomskij, qui fut le compagnon et l'historiogra-
phe du tzarévitch (depuis tzar) Nicolas au cours de son voyage en
Extrême-Orient, a passé quinze ans de sa vie à étudier le monde
bouddhique et a parcouru toutes les contrées où s'est propagée la doc-
trine du Bouddha. Il a recueilli un peu partout, mais notamment chez
les populations soumises à la Russie ou comprises dans sa zone d'in-
fluence, des objets d'art religieux qui ont fini par former une collec-
tion analogue à notre beau musée Guimet. A l'aide de ces matériaux,
mais sans s'y resteindre trop rigoureusement, M. Griinwedel a tracé
un tableau clair et substantiel de la mythologie bouddhique au Tibet
et en Mongolie. Les travaux antérieurs de M. G., qui l'ont classé au
premier rang des historiens de l'art bouddhique, le désignaient tout
naturellement pour cette nouvelle tâche. Après avoir appliqué sa
science et son ingéniosité à la recherche des origines gréco-romaines
de l'art bouddhique dans l'Inde, M. G. se préoccupe de suivre les
modifications des types, des conventions et des représentations origi-
nelles dans les pays si divers où une infatigable propagande les a
transportés. Le Panthéon adopté par les Lamas est, au premier abord,
un grouillement formidable d'êtres bizarres, tourmentés, compliqués,
un monde à la Callot qui semble défier la patiente sagesse d'un cata-
logue. M. G. réussit cependant à y introduire de l'ordre. Il com-
mence par analyser les éléments historiques de cette mythologie
luxuriante. Brièvement, mais d'une main exercée, il groupe les
données les plus anciennes fournies par l'archéologie; puis il marque
l'action individuelle des personnalités puissantes qui dans l'Inde
d'abord, ensuite au Tibet, enfin en Mongolie ont enrichi de leurs
créations nouvelles les rangs déjà pressés de la hiérarchie divine. Les
couches successives ainsi reconnues, M. G. passe de la théogonie au
dénombrement des dieux, et sagement il emprunte aux Lamas leur
système de classification : 1° divinités tutélaires; 2'' Bouddhas;
3» Bodhisa'tvas; 4° déesses (Taras et Dàkinîs); 5° protecteurs de la reli.
gion (dharmapàlas); 6° divinités locales. Un catalogue ne se résume
pas; mais on ne saurait trop louer l'exactitude et la richesse des intor-
mations recueillies par M. G., et souvlmu dissimulées avec une dis-
crétion de bon goût dans les notes de l'appendice, afin d'écarter du
472 REVUE CRITIQUE
livre même tout appareil de pédantisme. Un excellent glossaire qui
donne les équivalents triglottes (sanscrit, tibétain, mongol), termine
l'ouvrage. Le texte est accompagné de i88 illustrations, ou plutôt il
leur sert de commentaire. L'exécution matérielle du livre, la correc-
tion de la typographie en dépit des vocables barbares accumulés dans
l'exposé, l'élégance de la disposition, jointes au prix si peu élevé du
volume doivent aussi mériter à l'éditeur une juste part d'éloges.
La préface du prince Ukhtomskij vaut d'être signalée à part. Le
prince Ukhtomskij n'est pas un professionnel de l'érudition ; c'est un
homme pratique, mêlé de près à la vie active. L'hommage qu'il rend
au bouddhisme n'en est que plus expressif. 11 connaît par les monu-
ments et par l'histoire l'action civilisatrice exercée pacifiquement par
les apôtres et les missionnaires du Bouddha, de la Perse au Japon, du
Baïkal à Java ; il a vu de ses yeux la même action s'exercer encore ; il
a constaté la solidarité, plus étroite et plus intime qu'on ne veut l'ad-
mettre en Occident, des membres dispersés de l'Eglise bouddhique.
La facilité croissante des voyages, la « paix russe » concurremment
avec la « paix britannique » ont réveillé des aspirations qui languis-
saient sans s'éteindre. Entre Ceylan, Siam, le Japon, la Chine, le
Tibet et les rives du Volga, les relations se resserrent et se multiplient,
des cadeaux pieux s'échangent, des projets pieux se colportent. Un
nouveau facteur, qui peut devenir considérable, tend à s'introduire
dans les rapports de l'Orient et de l'Occident. L'Indo-Chine, en
grande partie bouddhique, ne permet pas à la France de se désinté-
resser de ce problème. L'initiative éclairée de M. Doumer y a créé
un centre et un organe de recherches scientifiques ; il faut souhaiter
que de notre Ecole Française d'Extrême-Orient sorte à bref délai un
catalogue du panthéon indo-chinois. Le Japon, de son côté, vient
de créer à Nara un beau musée d'archéologie bouddhique ; il im-
porte que les richesses de cette collection, unique par son antiquité,
soient mises à la portée de tous les savants par une publication dont
les éléments sont prêts. Alors seulement il deviendra possible d'es-
quisser une iconographie comparative du Bouddhisme, et de définir
la part originale qui revient à l'Inde dans la création ou la propaga-
tion de tant de figures étranges rêvées par des visionnaires hindous^
traduites et stylisées par le ciseau des sculpteurs helléniques et qui
rattachent en fin de compte par une filiation artistique la Chine et le
Japon à la civilisation grecque.
Sylvain Lévi.
J. Deniker. Races et peuples de la terre. Paris, Schleicher, 1900. In-8, vii-
692 p., avec 176 planches et figures et 2 caries.
Voici enfin un véritable manuel d'anthropologie, d'ethnographie et
de science préhistorique, qu'on p^ut recommander en conscience aux
d'histoire et de littérature 47^
historiens. Du grand ouvrage de M. Ranke, Der Mensch, 'û se dis-
tingue avec avantage par la richesse et le choix heureux des réfé-
rences ; comparé aux deux volumes de M. Keane, Ethnology et Man
past and présent, il l'emporte parla bonne disposition des matières et
la qualité supérieure de l'érudition. M. Deniker. bibliothécaire du
Muséum, lisant presque toutes les langues de l'Eu/ope, chargé en
outre, depuis plusieurs années, de la partie bibliographique de
VAnthr-opologie, était mieux désigne que personne pour écrire avec
compétence et documenter avec précision un ouvrage didactique
embrassant un horizon aussi vaste. Quelques réserves que l'on puisse
faire sur certains détails, on ne peut que rendre hommage à la belle
venue de l'ensemble et se réjouir qu'un répertoire aussi riche et aussi
sûr puisse être désormais dans toutes les mains.
Les sept premiers chapitres concernent les caractères somatiques et
physiologiques d'une part, ethniques et sociologiques de l'autre ; puis
vient une classification générale des races et des peuples et une étude
brève, mais remarquablement exacte, des anciens habitants de l'Eu-
rope. Les chapitres X-XIII sont consacrés aux peuples de l'Asie, de
l'Afrique, de l'Océanie et des deux Amériques. Un important ap-
pendice, œuvre laborieuse et en partie originale, est rempli par des
tableaux de mesures (tailles, indices céphaliques). Enfin, un index très
soigné facilite les recherches dans ce magasin bien classé de docu-
ments. Il y a deux cartes et 176 similigravures, toutes satisfaisantes,
quelques-unes remarquables, qui reproduisent non seulement les
types ethniques, mais les armes, les outils et les instruments caracté-
ristiques des différents peuples.
Le précis de science préhistorique fait partie du chapitre IX ^Races
et peuples de l'Europe); il est complété par quelques indications
données en tête des chapitres X et XI {Races et peuples de l'Asie et
de l'Afrique), où l'on trouve, en particulier, ce que tout le monde
devrait savoir touchant la plus importante découverte anthropologique
de la fin du siècle, celle du Pithecanthropus erectus de 5a\a(i&g4).
Un des mérites les moins contestables de M. Deniker est la réserve
toute scientifique qu'il apporte dans l'exposé des questions en litige.
Il n'est nullement néophobe et fait une place à toutes les hypothèses
dignes d'attention, mais il prend soin de mettre ses lecteurs en garde
contre les conclusions précipitées où s'est toujours complu le dilettan-
tisme. Voici, par exemple, une phrase bonne à méditer (p. 377) :
« L'hypothèse de la race aryenne blonde, grande et dolichocéphale,
née sur place, "n'a pas plus de consistance que celle de la race aryenne
tout court venant d'Asie. » Et ailleurs (p. 27?) : « L'hypothèse de la
promiscuité ou du mariage communal a peu de défenseurs aujour-
d'hui. La longue liste des peuples pratiquant la promiscuité, donnée
par Lubbock, diminue à mesure que l'on connaît mieux ces peuples. »
Je pourrais multiplier ces citations, où se reflète un esprit critique
474 REVUE CRITIQUE
bien armé. Si, désormais, il se trouve des gens, en France ou ailleurs,
pour lancer des théories saugrenues sur les « races », Jes « mœurs
primitives » et la « sociologie préhistorique », ils seront d'autant
moins excusables qu'ils possèdent désormais un guide éminemment
propre à les maintenir ou à les ramener dans la bonne voie.
S. R.
Das apostolische Symbol. Il, Verbreitung und Bedeutung des Taufsymbols;
zweite Hâlfte , von D.-F. Kattenbusch. Leipzig, Hinrichs , 1900; in-8,
p. 353-1061.
La première partie de ce gros volume a paru en 1897 ; M. Katten-
busch y étudiait la légende concernant l'origine apostolique du sym-
bole, le symbole chez Irénée, chez Tertullien , chez Clément
d'Alexandrie, chez Origène, la ditîusion et l'autorité du symbole en
Orient, les traces de l'histoire primitive du symbole. Dans la seconde
partie nous trouvons l'histoire du symbole en Occident jusqu'à la fin
de l'âge patristique, l'interprétation historique de l'ancien symbole
romain, une étude sur l'âge et l'origine du texte reçu, l'interprétation
des additions que ce texte renferme, enfin un aperçu des résultats
obtenus, et des remarques sur les dernières publications se rapportant
au symbole. Tous ces sujets sont traités avec une grande abondance
d'érudition, une méthode rigoureuse, une critique à la fois très pru-
dente et très perspicace. L'explication de l'ancien symbole romain est
du plus haut intérêt, et tout à fait instructive. M. K. montre bien le
caractère pratique de ce document, où n'entre pas une seule concep-
tion métaphysique, bien qu'on ait pu ensuite y rattacher sans peine
le dogme trinitaire et christologique. Un seul article pour « Dieu,
Père tout puissant >', le Dieu chrétien; on ajoutera plus tard « créa-
teur du ciel et de la terre »; mais la sobriété de la formule primitive
atteste que le rédacteur n'a pas encore en face de soi les spéculations
de la gnose. Sept articles pour Jésus le Christ, Fils de Dieu, concer-
nant son apparition terrestre, sa mort, sa gloire et son retour ; rien
n'est dit de sa préexistence ; on ne connaît pas ou on n'emploie pas
encore le quatrième Évangile. Le symbole se meut pour ainsi dire
dans l'atmosphère des Synoptiques et des Actes ; il les suppose, mais
ne les résume pas, il n'en procède pas comme d'Écritures canoniques.
De même que Dieu est dit Père en tant que providence souveraine et
universelle, Jésus est dit Fils de Dieu en tant que né de l'Esprit saint.
Peut être le savant commentateur s'égare- t-il un peu en cherchant à %
déterminer la façon dont Jésus lui même a conçu sa propre préexis-
tence en Dieu. Il est d'ailleurs dans le vrai quand il observe que le
symbole, en rattachant la filiation divine à la naissance miraculeuse,
n'atteint pas à la hauteur de la conscience que Jésus a eue de cette
J
d'histoire et de littérature 47$
filiation, et que, néanmoins, le symbole enseigne un mélange de divin
et d'humain dans le Christ ; en sorte que l'on allait contre son esprit
en soutenant que Jésus n'était qu'un homme conçu miraculeusement.
Le rapport du symbole avec la doctrine christologique de Paul, qui
voit dans le Christ l'homme spirituel, l'homme céleste, bien qu'il ne
parle pas 'de conception virginale, est très finement analysé. Rien
n'a été plus facile que d'adapter à l'ancienne profession de foi la théo-
rie des deux natures dans l'unité de personne : cette théorie y était
comme en germe. M. K. fait une conjecture très heureuse pour expli-
quer la mention de Ponce Pilate, qui n'a pas grand chose à voir avec
la foi de l'Eglise. Il suppose que les mots « crucifié sous Ponce Pilate »
viennent d'une formule d'exorcisme plus ancienne que le symbole;
l'importance de la croix comme signe de la victoire du Christ fait
choisir « crucifié » de préférence à « mort » ; et comme l'efficacité des
formules d'exorcisme était censée tenir à leur précision, Ponce Pilate
y est venu par manière de détermination qui prévenait les subterfuges
diaboliques. Le mot « enseveli » signifiait déjà pour les rédacteurs
du symbole ce (Qu'exprime l'addition postérieure : « est descendu aux
enfers ». A propos de l'article ; « est ressuscité des morts le troisième
jour », vient une excellente discussion des récits de la résurrection
dans les Evangiles et dans saint Paul. L'indépendance relative du
symbole à l'égard des Actes apparaît en ce que l'ascension n'y est pas
datée. Les quatre derniers articles énumèrent ce qu'on peut appeler
les biens et privilèges du chrétien : l'Esprit, l'Eglise, la rémission des
péchés, la résurrection de la chair. M. K. a encore de très bonnes
considérations sur le sens primitif de ces quatre articles, principale-
ment sur la « sainte Eglise » dont il fait valoir le rapport avec la cité
céleste, ce qui peut aider à comprendre comment s'est faite la transi-
tion du royaume des cieux, préparé dans l'Eglise, à l'idée commune
de l'Église.
L'origine et l'âge du texte reçu sont discutes ensuite, et chacune
des additions qu'il contient est savamment commentée. Ce texte
pourrait remonter au v* siècle et aurait eu pour patrie la Gaule, peut-
être le royaume burgonde. Mais M. K. se défend de pousser plus loin
et de préciser davantage ses conjectures. L'origine romaine est décla-
rée invraisemblable ; quant à la date et aux circonstances de l'intro-
duction à Rome et de la diffusion en Occident du symbole complété,
M. K. n'ose pas se prononcer ; il met en avant, dans un endroit, avec
beaucoup de réserves, le nom de Charlemagnc. Il hésite aussi à sou-
tenir que L, Pier. m, 19, se rapporte à la descente du Christ aux
enfers. Le passage ne peut pourtant guère signifier autre chose qu'une
prédication du Christ défunt lui même à tous les défunts d'autrefois.
Certains théologiens protestants semblent avoir scrupule de rencontrer
cette croyance dans le Nouveau Testament, et ils éluderaient volon-
tiers le sens de ce texte, aussi bien que celui de l'article « est descendu
476 REVUE CRITIQUE
aux enfers », qui, en dépit de tous les artifices d'exégèse, ne peut viser
que la manifestation du Christ aux morts. M. K. maintient que l'an-
cien symbole romain est à la base de tous les symboles semblables ;
qu'il est une expression toute concrète de la foi chrétienne et ne peut
guère être postérieur à l'an 100; qu'il est d'origine romaine; qu'il s'est
répandu d'abord en Gaule et en Afrique, puis en Asie Mineure dans la
dernière moitié du second siècle, puis à Antioche, où il subit quelques
modifications, après la déposition de Paul de Samosate ; que le sym-
bole de Nicée en procède, par l'intermédiaire du symbole d'Antioche
et d'Eusèbe de Césarée. Avec tous ses appendices, ses notes et les
copieux registres qui se trouvent à la fin du volume, l'œuvre de
M. Kattenbusch est une véritable mine de renseignements, en même
temps qu'un modèle accompli de saine et minutieuse critique.
A. L.
Études sur quelques manuscrits de Rome et de Paris, par Achille Luchaire.
Paris, F. Alcan, 1899. In-8° de i-jb pages. (Université de Paris, Bibliothèque de
la Faculté des Lettres, vin.)
M. A. Luchaire a tout d'abord consigné dans ce recueil le résultat
de ses études et observations sur un certain nombre de manuscrits du
Vatican, faisant partie du fonds de la reine Christine de Suède et con-
tenant des documents relatifs à notre histoire du moyen âge. Ils
avaient été en grande partie connus et utilisés par les érudits desxvii*
et xviii' siècles, mais depuis on avait perdu la trace de presque tous.
En voici l'énumération sommaire : en premier lieu le 571, ayant jadis
appartenu à Alexandre Petau, et d'après lequel Duchesne a publié le
livre de Suger sur la consécration de l'église de Saint-Denis. Son
texte est conforme à celui du ms. io3o de l'Arsenal, identifié avec un
ancien ms. de Saint-Victor qui semblait disparu. — Le 461, qui con-
tient un texte non encore utilisé de la vie de Louis le Gros par le
même Suger. — Le 622 dont Duchesne s'est servi pour l'édition de la
Chronique de Morigni ; étant étudié de près, il permettrait de déter-
miner la date et le mode de composition des diverses parties de cette
chronique. — Le ijB, le seul qui présente le texte du Fragment de
l'histoire d'Anjou attribué à Foulque leRéchin. Cette attribution a
été vivement combattue par M. Mabille : M. Luchaire s'oppose à son
raisonnement et en démontre la faiblesse. — Le 553, qui renferme
des annales normandes écrites par un moine de Jumiège. — L'ancien
i362 de la Bibliothèque de la Reine, aujourd'hui séparé des autres
volumes du même fonds et conservé dans les Archives du Vatican
[Miscell. Afm. XV, t. 145). C'est un cartulaire du xiv<= siècle, prove-
nant de l'abbaye de Saint-Vincent de Laon : une copie, avec quelques
variantes, en existe dans le lat. 12703 delà Bibliothèque nationale. —
d'histoire et de littérature 477
Le 45o, dont la plus grande partie est remplie de documents relatifs
à l'histoire ecclésiastique du diocèse de Soissons. M. L. en donne la
nomenclature et publie l'un des plus importants en appendice : c'est
un acte de Louis VIII, daté de mai i225 et concernant un arbitrage
de l'évêque Garin, de Senlis, entre l'évèque et la commune de Sois-
sons. — Le 571, dont il a déjà été question au début de ce livre, con-
tient encore le texte des Miracula S. Dionysii; M. L. détermine la
date de composition des différents livres en comparant ce texte avec
celui du i5o9 des n. acq. lat. et avec celui des lat. 2447 et 2445a de la
Bibliothèque nationale Le même manuscrit offre aussi une copie des
Gesta Dagoberti, qu'on n'avait plus vue depuis la publication de Du-
chesne.
La partie la plus importante du volume dont il est présentement
rendu compte, est celle qui est consacrée à l'étude des recueils épisto-
laires de l'abbaye Saint-Victor de Paris, Après avoir examiné le texte
de la correspondance de Louis VII, donné par le ms. 179 du fonds
de la Reine, et l'avoir comparé avec l'édition de Duchesne, M. L. passe
en revue et analyse les diverses séries de correspondances transcrites
dans d'anciens manuscrits du célèbre monastère. Ce sont les lettres de
l'abbé Ernis '1161-1172) qui en forment le noyau; mais à côté on
trouve d'autres pièces concernant des abbayes et des évéques en rela-
tions avec Saint-Victor, des lettres de quelques papes et de nombreux
cardinaux, une correspondance scolaire, etc. Le détail de tous les docu-
ments, conservés dans les mss. 14615,14664 et 14368 du fonds latin de
la Bibliothèque nationale, et le texte des lettres inédites, forment
même un assez long appendice.
Dans toutes ces études, dont l'aridité est amplement compensée par
le profit que l'érudition est appelée à en retirer, M. L. fait preuve du
sens critique le plus délié et de remarquables qualités d'observation.
Il a élucidé plusieurs points obscurs des annales de notre pays au
xii« siècle et il a apporté en même temps une notable contribution à
l'histoire littéraire du même temps. lia encore témoigné par son
exemple de l'avantage qu'on aurait à explorer soigneusement le fonds
de la Reine à la bibliothèque du Vatican : il a donné, du reste, dans
un dernier appendice, nouveau service rendu aux travailleurs, une
liste des manuscrits qui s"y trouvent, relatifs à l'histoire de France et
à l'historiographie française du xi« au xiii« siècle.
L.-H. Labande.
La Renaissance au xv» siècle : Une correspondance entre Nicolas do
Clemangis et Jacques de Nouvion, par l'abbc J. Boulanger (Paris, libr.
Alphonse Picard : extrait de la Revue historique ardennaise, livraison de novem-
bre-décembre 1900; gr. in-8% 3q pages et 1 planche).
Dans cet article plein d'intérêt l'auteur expose cette idée — qu'il
478 REVUE CRITIQUE
développera plus tard — que Nicolas de Clemangis fut le véritable
promoteur de la Renaissance latine en France. L'abbé Boulanger fait
toucher du doigt la nécessité qu'il y a de donner une édition nouvelle
(qu'il prépare d'ailleurs), des œuvres de Nicolas de Clemangis. Il n'en
existe qu'une actuellement, celle de Jean-Martin Lydius ( 1 6 1 3 ), et elle
fourmille d'erreurs. On s'en convaincra facilement en comparant,
dans l'édition de Lydius et dans les Pièces justificatives de l'article
de M. Boulanger, les quatre documents suivants, relatifs à Jacques
de Nouvion, le disciple et l'ami préféré de Nicolas de Clemangis :
Ad Jacobum de Noviano, descriptio urbis Nicie; — Ad Jacobiim de
Noviano, de dono qiiorumdam cultellomm jocosa gi'atiarum actio ; —
Ad Jacobum de Burreyo, super morte Jacobi de Noviano, viri egregii
et doctissimi lamentatio ; — Item alia super morte ejusdem Jacobi
deploracio elegiaca. Ajoutons que l'abbé Boulanger rectifie, avec
preuves à l'appui, l'identification du lieu d'origine de Jacques de
Nouvion : de Noviano. Le nom de cette localité a été mal interprété
jusqu'ici ; il s'agit de Nouvion-sur-Meuse, canton de Flize, arrondis-
sement de Mézières (Ardennes).
A. C.
Eindeutscher Cisianus fur das Jahr 1444 gedruckt von Gutenberg, von Arthur
Wvss. Strassburg, Heitz u. Miindel, 1900, 19 pages in-4°.
On connaît ces guides mnémotechniques qui du xv« au xvi« siècle
eurent une grande popularité dans le monde des maîtres et des éco-
liers, et servaient à fixer dans la mémoire de la jeunesse les noms et
la date des saints et des jours de fête du calendrier. On en a publié un
certain nombre et le texte même donné par M. Arthur Wyss a été déjà
utilisé par M. Pickel dans son édition du Heilig Namenbuch de Con-
rad Dangkrotzheim. Aussi n'est-ce pas cela qui fait l'intérêt considé-
rable de la plaquette dans laquelle M. D. a reproduit le Cisianus ou
Cisiojanusen question d'après l'exemplaire unique de la bibliothèque
universitaire de Cambridge, dans un fac-similé fort réussi. L'auteur
cherché à établir que cette feuille de parchemin, fortement détériorée
par endroits, est imprimée avec les premiers caractères connus de
Gutenberg, ceux de sa Bible latine à 36 lignes; or, le calendrier en
question s'applique à l'année 1444; il doit donc avoir été composé,
pour la mise en vente, au plus tard, vers la fin de 1443 ; à cette date,
Gutenberg habitait certainement encore Strasbourg, où sa présence
est certifiée pour les mois du printemps suivant. Il en résulterait donc
— si des critiques compétents ne viennent pas s'instruire en faux
contre l'argumentation très plausible du savant archiviste — que nous
connaîtrions enfin, et d'une façon indiscutable cette fois, le lieu de
d'histoire et de littérature
479
naissance de l'imprimerie, Strasbourg, auquel on a tant de fois déjà
contesté cet honneur et la date à laquelle — bien antérieurement à la
publication de sa Bible, — l'illustre inventeur dont on vient de célé-
brer le cinquième centenaire, aurait mis en vente un des premiers,
sinon le premier produit de ses presses. Il n'est pas certain que M.Wyss
réussisse à convaincre d'emblée les^nombreux écrivains qui se sont
arrêtés jusqu'ici à des conclusions différentes, mais ses arguments
méritent un examen approfondi et s'ils en sortent vainqueurs, la ques-
tion si controversée de l'invention de l'imprimerie aura fait un grand
pas en avant.
R.
Baston (l'abbé). — Mémoires, publiés d'après le manuscrit original par MM. Loth
et Verger, tome I ,,1 741-1792). — Un vol. in-S» de xxix-438 p. Paris, Picard,
1897. — Tome H (1792-1803) ; 423 p. 1899. — Tome III (i8o3-i8i8) ; 372 p. 1899.
Ces mémoires d'un chanoine de Rouen qui a traversé la Révolution
et l'Empire méritaient d'être publiés, car on y trouve une foule de
détails qui permettent de mieux connaître l'ancien régime ecclésias-
tique. Les pages que Baston a consacrées à l'organisation du sémi-
naire de Saint-Sulpice, de la Faculté de théologie ou des chapitres de
cathédrales sont des plus intéressantes, et il y a plaisir à le voir plaider
la cause des Jésuites, bien qu'il ne les aime pas, ou à suivre les péri-
péties de ses polémiques de presse contre Camus et les curés de
Lisieux, et plus tard contre l'église constitutionnelle.
Le premier volume, qui est à coup sûr le plus curieux des trois, est
consacré tout entier aux cinquante premières années de la vie du per-
sonnage; il s'arrête au moment où l'ex-chanoine Baston se voit con-
traint de fuir en Angleterre. Le second relate les années d'exil ; et le
troisième fait connaître les dernières années. A proprement parler, ce
ne sont pas des mémoires historiques, c'est une autobiographie, trop
complète à certains égards, trop peu complète à certains autres, soit
parce que les éditeurs ont supprimé à tort les détails intimes, soit
parce que l'auteur s'est bien gardé de tout dire. L'abbé Baston semble
avoir été singulièrement de son temps, avant la Révolution du moins;
très correct, mais on ne peut plus positif, il parait avoir été prêtre
comme d'autres sont magistrats ou militaires, parce qu'il faut bien
être quelque chose quand on n'est pas né dans l'opulence ; ne lui
demandons pas le zèle ardent des apôtres ou des missionnaires. Ce
prêtre, qui n'écrit jamais à genoux comme saint Augustin, raconte
assez gaiment les mensonges qu'il tit pour se tirer d'un mauvais pas
ou les vengeances qu'il aimait à savourer. Il pourrait bien avoir à
l'égard de ceux qui l'ont élevé par charité une certaine sécheresse de
cœur, et peut-être ne faut-il pas croire tout ce que raconte à son avan-
480 REVUE CRITIQUE
tage ce Marbot en soutane. FI donne conmTe inédites des plaisanteries
vieilles comme les rues (par exemple Sequor asinum, je suis un âne),
et je crains bien que son imagination ne lui ait fourni, comme jadis
au cardinal de Retz, historien des prétendus fantômes, des détails de
haute fantaisie ; son prétendu rôle dans l'incendie de la foire Saint-
Germain pourrait servir à prouver ce que j'avance.
Les jugements de Baston sur la Constitution civile du clergé qui a
tari soudain la source de ses beaux revenus, sont bons à étudier; ils
sont d'un homme instruit, perspicace, mais singulièrement passionné,
et justement les deux évéques constitutionnels de Rouen qu'il a atta-
qués, Charrier de la Roche et Gratien, sont au rang des « intrus » les
plus dignes d'estime et de respect. Baston lui-même est contraint d'en
faire l'aveu. Charrier de la Roche, ancien chanoine et comte de Lvon
qui mourut évêque concordataire de Versailles, était un esprit de la
plus rare distinction '; attribuer à Baston, comme celui-ci le désire,
la démission de Charrier en 1791 serait faire beaucoup trop d'hon-
neur à Baston.
Somme toute, ces Mémoires, un peu longs et d'une allure parfois
trop lente, sont intéressants. Néanmoins, le second volume est infé-
rieur au premier, il est trop rempli d'anecdotes que raconte, sans son-
ger à l'histoire, un voyageur qui paraît avoir oublié la patrie absente.
Le troisième a plus de valeur, surtout quand il s'agit du Concile de
181 1. Un portrait gravé se trouve entête de ce troisième volume;
il est trop xviii« siècle et ne donne pas du personnage une idée
avantageuse.
L'introduction est bien faite, sans prétention, et d'une grande
sobriété, d'autant plus que l'un des éditeurs, M. l'abbé Loth, est fort
gêné quand il parle de cet ennemi acharné des intrus qui fut lui-même,
en 181 3, l'adversaire de Pie VII et Vintnis de l'évêché de Séez. L'im-
pression du volume est très soignée, l'annotation est suffisante, sauf
p. 40, où il faudrait nommer Montazet, archevêque de Lyon, et p. 202,
où il faut lire hôtel de Pons.
Un bon index, placé à la fin de l'ouvrage, en facilite singulièrement
la lecture, et en définitive, il faut remercier la Société d'histoire con-
temporaine d'avoir favorisé cette utile publicaiion.
A. Gazier.
Y. Blaze de Bury. Les Romanciers anglais contemporains. Paris, Perrin, 1900,
I vol. in-i8 Jésus, p. xxiii et 245.
Je reproche au livre de M"* B. de Bury de manquer d'unité et de
I. Charrier de la Roche, démissionnaire en 1791, est resté l'ami de Grégoire et
des constitutionnels ; il existe de lui des lettres fort curieuses postérieures à 1795,
une entre autres dans laquelle il donne à Grégoire une preuve péremptoire de la
non-rétractation de Lamourette.
d'histoire et de littérature 48,1
suite, de se contenter d'être une série d'études qui restent détachées
les unes des autres, et ne constituent pas un livre sur le Roman anglais
de notre temps. C'est une galerie de portraits littéraires, mais malgré
les tentatives de synthèse — louables assurément, mais un peu incer-
taines de la préface — en dépit de l'influence visible exercée par la
critique de M. Brunetière et d'une façon un peu plus lointaine par
celle de Taine, cela ne forme pas une étude d'ensemble. Il y a une
monotonie un peu fâcheuse aussi dans la façon dont l'auteur nous
présente les différentes études séparées qui composent son œuvre : on
aimerait à trouver plus de variété dans la façon d'exposer, moins de
régularité.
Il y a dans ce livre des omissions que rien ne saurait expliquer. Le
nom de Robert-Louis Stevenson n'y est même pas mentionné. Je me
travaille en vain à chercher la raison de cette exclusion évidemment
systématique. Serait-ce que Stevenson était né au nord de la Tweed et
n'était pas de naissance Anglais, au sens strict du mot, mais Écossais ?
La raison serait pauvre. Il faudrait alors exclure Walter Scott, par
exemple, et Goldsmith de la littérature anglaise, l'un comme Écossais,
l'autre comme Irlandais. Serait-ce que Stevenson étant mort ne
compte plus parmi nos contemporains? Mais sa mort est encore assez
récente pour qu'il ait sa place parmi les romanciers de notre temps
et d'ailleurs il y a dans le livre même de M"^* B. de B. une étude sur
Mrs. Oliphant, une Écossaise et qui est morte et une autre sur Elisa-
beth Browning. Encore une fois je n'explique pas, je constate.
Bien singulière encore est la façon dont se trouve traité l'homme
de lettres le plus considérable du moment, M. Rudyard Kipling. De
l'œuvre volumineuse déjà de Kipling qui comprend au moins un
roman : La lumière qui s'éteignit, M™* B, de B. extrait en tout et
pour tout une courte, et je l'admets volontiers, très remarquable nou-
velle sur la vie du bas-peuple dans les faubourgs ouvriers de Londres.
Je reconnais tout l'intérêt que présente cette brève et très forte étude
de mœurs rudes jusqu'à en être presque sauvages, qu'il y a une véri-
table puissance dans le relief avec lequel l'auteur a dessiné les per-
sonnages de son drame; mais ce conte est unique dans l'œuvre entière
de Kipling : on ne découvrirait pas son pendant dans aucun de ses
livres : c'est une véritable exception. Il ne peut donc en aucune façon
être considéré comme représentatif de la manière de Kipling. Il semble
que M""* B. de B . l'ait soupçonné elle-même quand elle écrit : « Il est
pourtant une attitude de son talent qui nous est inconnue, c'est celle
où il montre que tous les Fauves ne sont pas dans la Jungle et qu'il
en reste de beaux exemplaires dans les faubourgs de Londres ». Dès
lors il aurait été d'une bonne méthode de déclarer que cette attitude
du talent de Kipling, pour me servir des termes mêmes de l'auteur,
est particulièrement rare et il n'aurait été que juste, pour éviter d'éga-
rer les idées par un jugement faux à force d'être incomplet, de dire au
482 REVUE CRITIQUE
moins un mot de Kipling romancier, créateur de types inimitables et
désormais sûrs de vivre, comme la trinité fameuse des troupiers Mul-
vaney, Ortheris et Learoyd, peintre de la Jungle, conteur fantaisiste,
plein de verve et d'humour, et de Kipling aussi porte-parole de l'im-
périalisme et champion populaire du chauvinisme britannique. Il y a
plus. Dans une série d'études l'importance de chaque auteur se mesure
un peu à la place qui lui est réservée dans le volume. Dès lors n'y a-
t-il pas une véritable injustice à écraser en quelque sorte et à faire dis-
paraître Kipling entre cette digne et excellente Mrs. Oliphant qui fut
une mère de famille admirable et une infatigable ouvrière de lettres,
mais dont l'œuvre, toute volumineuse qu'elle soit, est sans durée et sans
valeur, et Sarah Grand, par exemple, qui connut Jadis avec ses Jumeaux
Célestes les Joies du succès, mais dont la vogue sans raison n'a pas
résisté au temps?
Il est toujours très délicat de reprendre un critique sur les appré-
ciations qu'il porte sur la valeur des écrivains qu'il Juge ; c'est évidem-
ment affaire personnelle et subjective au premier chef. Je ne saurais
cependant admettre sans faire des réserves, certains Jugements de
M"^« B. de B. Sa sévérité à l'égard de Thomas Hardy et, en particulier,
à l'égard de ce roman incomplet et bizarre à certains points de vue,
mais puissant et courageux Jude l'Obscur, me paraît aussi excessive
que son indulgence pour les défauts extravagants des Jumeaux
Célestes.
Je reproche aussi à M"'^ b_ je B. de n'avoir point fait ressortir tout
ce qu'il y a de réellem.ent artistique et sincère dans la façon dont
Meredith comprend et traite les sujets qu'il choisit. Je ne crois pas
qu'elle ait rendu pleine Justice à ce talent si souple, si varié, si original
souvent.
Malgré les critiques et les réserves que J'ai cru devoir faire, le livre
de M"'« B. de B. n'en reste pas moins intéressant et certainement sin-
cère. La critique de M"i« B. de Bury est toujours très personnelle et
quelque difficulté qu'on puisse éprouver à se rallier à certains de ses
Jugements, on doit cependant rendre hommage à l'étendue et à l'exac-
titude de son information, à la clarté de son exposition, au soin évi-
dent qu'elle prend de son style, en un mot, à toutes les qualités réelles
et solides qui font de son livre une tentative très honorable et une
œuvre très distinguée.
J . Lecoq.
Les chefs-d'œuvre des musées de France : La peinture, par L. Gonse. —
Paris, 1900, Société française d'édition d'art (May), i vol. in-4 de 33o p. avec
3oo reproductions.
Avant comme après, l'inventaire général, méthodique, uniforme et
d'histoire et de littérature 483
pratique, des musées de la province, reste à faire et à souhaiter. Mais
le beau volume de M. Gonse, travail neuf et à peu près unique, aura
le mérite d'y pousser plus efficacement que par des souhaits en l'air
ou même des pétitions motivées : en faisant toucher du doigt l'étrange
lacune qui reste à combler, et en mettant sous les yeux de tous, avec
une bonne partie des chefs-d'œuvre anciens essentiels de nos musées,
l'intérêt péremptoire de cet inventaire général. On s'étonne en effet,
quand on remarque avec quelle rapidité relative des travaux de l'im-
portance de l'inventaire général des archives départementales et com-
munales, ou de celui des manuscrits des bibliothèques de France, ont
été poussés et menés à bien, qu'il n'ait pas été organisé quelque chose
d'analogue pour les musées et les œuvres d'art. Mais il est certain
qu'ici les difficultés sont autres, et considérables.
D'abord, c'est le défaut d'une direction générale pouvant donner
un mot d'ordre unique et exiger un travail constant de la part de tous
les conservateurs de musée à la fois. Puis, il faut bien le dire, l'incom-
pétence évidente de bon nombre de ces conservateurs, et leur propen-
sion forcée, dans le domaine des attributions, à prendre les copies ou
les imitations pour des originaux. N'importe, même avec des attribu-
tions fantaisistes, (on pourrait toujours exiger des ??;, un travail
simultané et uniforme, complet quant au nombre des œuvres et exact
quant à leurs dimensions et leurs sujets, qui serait vivement publié et
livré à bon compte, rendrait des services inappréciables et doit être
réclamé avec obstination. Qu'on n'oublie pas, au surplus, que les
musées de province s'enrichissent surtout par les dons et les legs des
collectionneurs (l'Etat n'y envoie guère que ce dont Paris ne se soucie
pas); et que ceux-ci ont besoin d'être encouragés à cette œuvre pie,
soit par la certitude que leurs tableaux seront bien exposés, soit au
moins par celle qu'on en tiendra compte dans le monde des arts et
qu'on saura où aller les admirer.
Pour revenir au livre de M. Gonse, il est intéressant de faire avec
lui la promenade qu'il a tracée à travers les principales collections
publiques de France (hors les musées nationaux de Paris et Versailles),
de noter un choix de leurs œuvres essentielles (au moins les ancien-
nes) et de les retrouver sous forme de reproductions généralement
suffisantes et parfois superbes. Pourtant, n'oublions pas que l'on
compte en France autant de musées que de jours dans l'année ni plus
ni moins), et qu'il n'est question ici que de 43 '. Ajoutons que le titre
du livre, si séduisant, n'est pas, à tout prendre, parfaitement juste,
attendu gue : d'une part, il n'est presque question que des œuvres
1. Abbeville, Amiens, Aix, Angers, Avignon, Villeneuve et Carpcntras ; Rcnune,
Besançon, Bordeaux, Pau et TarbesjCacn, Cherbourg. Castres, Dijon, Douai,
Epinal et Langres ; Grenoble, Le Havre, Lille, Lyon, Le Mans, Toulon et Grasse;
Montauban, Montpellier et Perpignan; Nancy, Nantes, Orléans, Le Puy, Reims et
Laon; Rennes, Rouen, Saint-Quentin, Toulouse, Tours, Troyes, Valcncicnncs.
484 REVUE CRITIQUE
anciennes, sur lesquelles, comme nous le disions, les musées de Paris
ont toujours pratiqué un drainage aussi complet qu'ils ont pu ; que
d'ailleurs, parmi les tableaux cités et même reproduits ici, il en est bon
nombre, et trop, qui ne sont pas du tout des chefs-d'œuvre ; qu'enfin
si Ton ne pouvait jeter un regard, même discret, dans les collections
privées, dans ces galeries qui s'ouvrent parfois à l'occasion d'une
exposition régionale et contiennent des œuvres plus dignes de la
vedette que bien d'autres du musée de la ville, il était loisible de
compter celles qui sont réellement publiques et qu'elles manquent.
Assurément, quand il faut choisir, il est bien difficile de contenter
tout le monde, et l'on ne se défie jamais assez de son propre jugement
quand on en est à éliminer ou à mettre au pinacle. « Rien d'essentiel
n'a été omis », c'est possible, et encore faut-il s'entendre ; mais à côté
de cet essentiel, tant de morceaux ont été [admis qui ne le sont pas
plus que tant d'autres qui ne l'ont pas été, que le champ reste ouvert
aux réclamations. Quand on voit que Tarbesou Abbeville, Cherbourg
ou Castres, Toulon ou Laon n'ont pas été omis, du moins pour une
ou deux pages, il reste permis de s'étonner que Poitiers ou St-Etienne,
Nîmes ou Autun, Chartres ou Laval, aient été passés sous silence.
Surtout on remarquera l'omission de Chantilly, qui, à lui tout
seul, eût dépassé en intérêt la plupart des musées de province. Ne
pouvait-on considérer cette galerie, privée si l'on veut, mais publique
tout de même, comme un de -nos musées de France, et qui nous font
le plus d'honneur?
11 n'y a du reste qu'à louer dans l'attrait du texte de M. G., sa
variété et sa bonne grâce, l'intérêt qu'il a pris à ses investigations et
qu'il sait faire partager au lecteur, les rapprochements heureux qu'il
a pris soin d'évoquer. C'est une précieuse contribution à l'histoire de
l'art français surtout (les œuvres anciennes et étrangères ayant été
rarement laissées à la province). On ne peut également que se féliciter
des reproductions éparses en grand nombre à travers l'ouvrage'. Il
en est d'admirables, il en est de fort curieuses, qu'on ne connaissait
pas ; il en est aussi d'inutiles, soit qu'elles ne rendent aucunement la
valeur supposée de l'original, soit qu'elles montrent trop bien qu'il
n'en a pas. Et ceci ne contribue pas peu à faire faire au lecteur la
réflexion qu'elles ont pris la place d'autres qui étaient plus nécessaires,
à son avis, et qui ne sont même pas mentionnées dans tout le
volume.
1. Il faut citer parmi les plus remarquables, (hors texte), le La Tour d'Amiens et
celui d'Aix, le Greu:{e d'Angers, l'Ingres d'Aix, le Paris Bordone de Douai, le Ve-
lasqiiei et le Vivien de Rouen, le Largilliére et le Prudhon de Lille. Par contre
les Péritgin de Caen et de Lyon, les Van Dyck de Lille, le Lancret de Nantes, les
Delacroix de Bordeaux et de Rouen, le Laivrence de Besançon, le Rembrandt
d'Epinal, sont bien médiocres comme reproduction (dans le texte), et pourtant
font encore honte à certains portraits placés hors texte et qui ne méritaient paç
tant d'honneur.
d'histoire et de littérature 485
M. Gonse annonce un second volume, qui sera consacré aux objets
(Vart. Il faut l'en féliciter d'avance : quelques lacunes qu'on y puisse
trouver, chacun pour sa part, ce sont là des travaux de temps et de
peine, méritoires et qu'on ne saurait trop louer.
Henri de Clrzon.
— M. G. Steuder donne aujourd'hui dans la collection des Klassische Ausgaben
dey griechischen Philosophie, publiée k Halle, "oiic édition du Gorgias de Platon.
Cette édition est destinée exclusivement aux étudiants en philosophie. L'auteur
suit en général le texte de Schanz ; il propose, p. 5oi A, un changement qui con-
siste à ajouter vcaî devant xoji'.Sf,, addition qui ne nous paraît pas très heurcuac.
L'explication donnée de l'expression xi {lèv SXkn xaôârèp, p. 45 i B, n'est pas claire;
il suffisait de dire que c'était là la coutume usitée pour désigner ce que nous appe-
Ions un amendement à un projet de loi. — A. M.
— Le travail que publie M. H.-J. Lulofs sur Antisthène considéré comme rhé-
teur {De Antisthenis studiis rhetoricis, Amsterdam, A. Spin, 1900, 1 vol. in-8 de
118 p.) est soigné, quoique les références bibliographiques soient insuffisantes
(voir par exemple, p. i, note 3). Le chapitre le plus intéressant est consacré aux
études du philosophe sur Homère ; le chapitre sur le style d'Antisthène rendra
des services ; le jugement général sur ce style aurait pu être plus développé ; il
faut noter qu'Antisthène n'a pas cherché à éviter l'hiatus. L'ouvrage contient le
texte des deux déclamations d'Ajax et d'Ulysse, attribuées par Diogène Laerce au
philosophe. M. L. accepte cette attribution et réfute par des arguments qui sem-
blent probants l'opinion contraire soutenue récemment par Radermacher, Rhein.
Mus. 1892, p. 569-577. Le texte des deux déclamations est accompagné d'un bon
commentaire ; l'auteur a proposé quelques corrections qui sont peu acceptables.
Un index ou au moins une table de matières aurait été for; utile. - A. M.
— M. Martin P. -N. Nilsson a écrit des Studia de Dionysiis Atticis (Lund, Mi5l-
1er, 1900, I vol. in-8, p. 162) pour défendre l'explication présentée par Boeckh
dans son travail intitulé Vom Unterschiede der attischen Lenaen, Authesterien tmd
Idndlichen Dionysien (Op. min. V, p. 65) •, le titre de l'opuscule en fait prévoir déjà
les conclusions. L'opinion de Boeckh fut combattue dès l'origine par F. K. Fritzschc,
en 1837, plus tard, en 1854, par W.-P. Rinck, enrin plus récempicnt par Otto
Gilbert, dans son livre Die Fest^eit der Attischen Dionysien, 1872. D'après ce der-
nier savant, non seulement les Lénéennes mais aussi les Dionysies champêtres
étaient réunies aux Anthestéries. C'est cette thèse que combat .M, N. qui soutient
qu'il faut s'en tenir à l'opinion de Boeckh. La discussion porte donc exclusivement
sur les origines de ces diverses fêtes. On sait combien ces questions d'origine sont
obscures et difficiles. Plusieurs des explications de M. L. soulèvent des objections,
mais le travail est soigné et sera utile ; l'exposition est un peu obscure. En plu-
sieurs endroits de son livre, par exemple, sur les changements de lieu dans la
comédie des Acltarniens, M. L. s'occupe d'Aristophane; ce qu'il dit ne présente
rien de bien nouveau. — A. M.
— Le nom de M. Edward Capps est connu de tous ceux qui s'occupent du théâtre
grec; dans la fameuse question sur le >>(5veiov, il a pris très fermement posi-
tion. Il publie aujourd'hui, dans V American Journal 0/ Philology,vo\. X.X,p. 388-
4o5, un article sur les catalogues des vainqueurs aux Dionysies et aux Lénéennes,
486 REVUE CRITIQUE
cf. Corp. insc. Attic. 11, 977. Cette inscription, qui esl composée de plusieurs frag-
ments, est d'une haute importance pour l'histoire du théâtre à Athènes ; elle a déjà
été étudiée par Bergk et Kôhler. M. Cats propose une classification des divers frag-
ments différente de celle que donne le Corpus ; la discussion de M. Capps sem-
ble très probante. — A. M.
— Le 28" fascicule du Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, rédigé
sous la direction de MM. Daremberg et S.\glio avec le concours de M. E. Pottier,
(Paris, Hachette; Lab-Leg; V, pp. 881-1.044) vient de paraître. Il contient les arti-
cles suivants : Labronios, Labyrinthus , Lanx, Lecythus (E. Pottier); Labrum,
Lakaina, Lakonikai, Lanitis, Larophorum, Lasanum (E. Saglio) ; Lac, Laniarium,
Laniiis (A. Baudrillart) ; Lacedaemoniorum respublica (Fustel de Coulanges);
Lacerna, Lacuna, Laciinar, Laquear, Lactis, Lacusculus, Laganum, Lana, Largi-
tio , Latrina (H. Thédenat) ; Laeti, Lampteria, Lapidatio, Latifundia, Latini,
Latrocinium, Laiitia, Legatio (Ch. LécrWaïn) ; Laetitia (A. B\anchei) ; Lagena,
Laphria (Couve) ; Lamia, Lares, Lariiae, Latinus, Lauerna (Hild) ; Lampadarius ^
Lampas, Lanterna (Toutain) ; Lampadèdromia (A. Martin) ; Lancearius, Legatio
'Cagnat) ; Lapidariiis, Lapicida, Lapides, Lauatio, (A, Jacob 1 ; Lapidatio ;G. Giotz);
Lasa (J. Martha) ; Laferes (Babelon); Latona, Latonia (F. Durrbach); Latrocinium
(G. Humbert); Latrunculi, Laudatio (G. Lafaye) ; Lébès; (A. de Ridder) ; Lectica,
Lecttis P. Girardi; Lectisternium (Bouché-Leciercq) ; Lector (Boissieri ; Legatum
(Cuq).
— M. P. Rasi nous a adressé un compte rendu de la 1' édition O. Keller des
odes d'Horace [Rivista di Filologia e d'Istru^ione classica, XXVIII, 6 p. in-8) et
des notes parues dans le Bollettino di Filologia classica (VI, août-sept. 1899 ; 6 p.
'n-8) : Délia frase oratiana Stans pede in uno (Sat. 1,4, 10); Sulla cliiusa bisil-
labica del pentametro latino. M. Pascal avait proposé d'entendre : Stans pede in
uno : « Se tenant à un seul mètre. » M. R. rappelle que cette interprétation a
déjà été proposée par le hollandais J.-A. Ch. van Heusde. Il la repousse d'ail-
leurs, avec raison. M. Rasi restitue à Ovide la loi de la finale disyllabique dans
le pentamètre, attribuée à Tibulle par M. Ussani. — P. L.
— M. G. CuRcio nous a envoyé deux études littéraires parues à des époques
différentes dans la Rivista di Filologia e d'Istru:{ione classica: i" Gra\io poeta
didattico (i5 pp. in-8, Torino, Loescher ; Rivista, XXVI, 1898); et : 2» // Cynege-
ticon di M. A. Olimpio Nemesiano (18 pp. in-8, Torino, Loescher; Rivista, XXVU,
1S99). Ces deux articles aboutissent à des conclusions analogues : Grattius n'a pas
imité, et probablement n'a pas connu, l'œuvre de son devancier, Xenophon ; Neme-
sianus n'a pas imité, et probablement n'a pas connu, l'œuvre de Grattius. A cette
discussion, M. Curcio a joint quelques remarques destinées à caractériser chacun
des deux poètes. — P. L.
— Avec une ardeur incessante et un zèle qui mérite beaucoup d'éloges, M. Garo-
FALO continue ses études d'histoire ancienne. Parmi les nombreux travaux qu'il a
publiés récemment, nous citerous : 1° Studi sulla Storia Spartana dei primi
decenni del Secolo IV a. C. , opuscule de 62 pages, consacré à l'histoire de l'hégé-
monie Spartiate en Grèce, qui n'apporte rien de nouveau, mais qui résume assez
exactement les travaux antérieurs ; nous avons été cependant assez surpris de ne
rencontrer qu'une seule fois, dans la bibliographie luxuriante qui occupcle bas de
toutes les pages, le nom d'E. Curtius, et de n'y point rencontrer du tout celui de
P. Guiraud, le savant historien de la propriété foncière à Sparte, ni celui de
Fustel de Coulanges. — 2" Un article, inséré dans le Boletin de la Real Academia
I
d'histoire et de littérature 48,7
de la Histnria de Madrid, et intitulé : Iberi nella Gallia, travail documenté et inté-
ressant sur un sujet qui malheureusement ne peut pas être fouillé bien profondé-
ment, parce que les documents contemporains font défaut, et qui ne peut pas
fournir de conclusion précise ; — 3" Une étude De Asturia, dans laquelle M. Ga-
rofaio a exposé tout ce que les inscription-s et les textes peuvent nous apprendre
sur l'Asturie à l'époque romaine ; l'auteur a tiré, croyons-nous, de ces matériaux
un peu restreints, un très bon parti; nous regrettons seulement que l'ensemble
donne plutôt l'impression d'une suite de notes très consciencieuses que d'un tra-
vail bien composé et rigoureusement développé. Depuis quelque temps M. Garo-
falo s'occupe avec prédilection de l'Espagne romaine ; c'est là un sujet presque
neuf, qui attend encore son historien. Nous souhaitons que le savant professeur de
l'Université de Messine le traite à fond. — J. Toutain.
— M. A.-G. Peskett (président and tutor of Magdalene Collège, Cambridge),
qui a déjà édité dans les Pilt Press séries, le premier livre de la Guerre civile
(1890) et la seconde philippique de Cicéron, donne aujourd'hui le troisième livre
de la Guerre civile (2 sh. 6). Il a utilisé, comme il était naturel, pour le texte, les
éditions de Kùblcr et de Holder ; pour le commentaire et pour les cartes, l'ouvrage
de Stofl'el. Beaucoup de soin et partout une extrême netteté. Pourquoi aucun
sommaire ? — E. T.
— Signalons dans la Classical Review de novembre un article de M. Albert
Clark, où il résume les recherches qu'il a faites sur plusieurs mss. des discours
de Cicéron {Pro Milone, Pro Marcello, Pro Ligario, Pro rege Dejotaro et Philip-
piques). M. Cl. y énumère et y commente les variantes les plus intéressantes,
tout en indiquant en quoi ses vues sur le classement des mss. diflèrent de celles
qu'adoptent les précédents éditeurs. Les collations complètes paraîtront prochai-
nement dans un nouveau volume de la série de textes d'Oxford. — E. T.
— M. Adrien Gentil, capitaine d'artillerie, vient de publier à la librairie Dau-
phinoise de Grenoble une traduction en vers français des Géorgiques (142 pages,
grand in-12); livre de luxe en tous les sens, mais qui prouve que les traditions les
plus sévères sont heureusement tenaces en notre pays. M. G. s'adresse avec con-
riancc « aux amis de la nature et de la pure poésie classique ». Il a senti et il aurait
voulu rendre « le charme de "Virgile » : le poète latin « fait penser;... un vers, un
mot suffisent pour que l'esprit complète l'ébauche de l'impression ressentie, et dans
le sens qui lui convient » ; et, pour appuyer sa remarque, M. G. commente avec
goût et beaucoup d'esprit plusieurs vers des Géorgiques (II, 429; I, 402). Voilà qui
fera passer sur tout ce qui paraîtrait un peu faible ailleurs : abus des épithètcs, et
surtout ce défaut : pourquoi, en un temps comme le nôtre, pas plus de décision et
d'audace dans le vocabulaire et dans le rythme? Virgile est peut-être de tous les
classiques celui qui, pour le style et la création de mots et de tours nouveaux, a le
plus risqué; le traduire avec timidité serait sûrement le trahir. — I'. T.
— Nous avons reçu une petite brochure de 26 pages, intitulée : Les lipigrammes
de Martial et le témoignage qu'elles apportent sur la société romaine; lecture faite
dans la séance générale de l'institut national genevois, le 21 mars 1900, par Paul
Oltramare, professeur à l'université de Genève. C'est, en l'entendant dans le meil-
leur sens, une des -< grandes leçons », telles qu'elles se faisaient et se feront dans
les universités de tous les pays et de tous les temps, avec les qualités et les défauts
du genre : ici connaissance sérieuse' du sujet, mais justement, à cause de son
étendue, exposé qui reste trop général et où reviennent lorccmcnt des thèmes trop
connus (biographie de Martial ; développement historique de l'cpigrammc, etc.),
488 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
citations prévues, etc. Si cette brochure ne contient rien de nouveau, reconnais-
sons qu'elle est intéressante et d'une très bonne langue. A remarquer encore, en
plus d'une page, l'écho de bonnes publications récentes, par exemple du livre de
M. Gsell sur Domitien. — T,
— Le mémoire de M. Ch. E. Bennett dont j'ai rendu compte (Revue, n" 14)^
a été lobjet d'un article de M. Elmer, The Latin prohibitive again, dans V American
Journal 0/ philology, XXI, n" i, 12 pp. in-8. M. Elmer, comme on le devine, répond
aux critiques de M. Bennett. — P. L.
— Une autre polémique est soutenue par M. Ch. E. Bennett, à propos de sa
théorie quantitative du vers latin (cf. Revue, iSgg, n» Sg). Il publie : Rhytmic accent
in Ancient verse, a reply (Baltimore, îgoo; American Journal of philology, XX,
n" 4, pp. 412-428). C'est une réponse à une critique de M. Hendricksen dans la
même revue, n" 2, pp. 198-210. — P. L.
ACADEMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance du 2 3 novembre igoo.
M. le secrétaire perpétuel communique les lettres par lesquelles MM. Emile
Châtelain, Chavannes, Paul Girard, Léger, Ant. Thomas, Ulysse Robert, NoPl
Valois, posent leur candidature à la place de membre ordinaire vacante par suite
du décès de M. Ravaisson.
M. de Lasteyrie, qui préside la séance, adresse à M. Henri Wallon, secrétaire
perpétuelles félicitations de l'Académie, à l'occasion de l'anniversaire de son élec-
tion, qui remonte au 22 novembre i85o. Il lui remet ensuite la médaille d'or qui
a été frappée en son honneur, et qui est l'œuvre de M. Chaplain, membre de
l'Académie des Beaux-Arts.
M. Wallon remercie l'Académie dans une allocution où il raconte la première
partie de la vie, politique et littéraire, de son prédécesseur, Quatremère de Quincy.
M. Grégoire Tocilesco fait une communication sur trois inscriptions du Musée
de Bucarest : i" un fragment d'inscription cunéiforme, qui fait partie de la grande
inscription d'Asur-nasir-pals (885-86o a. C); 2° une inscription hiéroglyphique,
qui est un fragment de la Litanie du Soleil ; 3° une inscription commmatoire
grecque, identique à une inscription de Rhénée, autrefois publiée par Le Bas.
M. le D' Hamy présente quelques observations sur un volume intitulé ; Das
Tonalamatl der Aubin ' schen Sammlung, eine altmexikanische Bilderhandschrxft
der Bibliothèque nationale in Paris, publié à Berlin par M. Ed. Sélcr, aux frais de
M. le duc de Loubat, qui poursuit depuis près de dix ans la publication de fac-
similés des principaux mss. du Mexique et de l'Amérique centrale.
M. Senart fait une communication sur les travaux de l'Ecole de l'Extrême-
Orient.
M. Salomon Reinach lit une note sur l'inscription qui surmontait l'entrée de la
niche où fut découverte la Vénus de Milo. 11 propose de cette inscription une res-
titution nouvelle et insiste sur le fait que cette inscription n'a rien de commun
avec la Vénus. M. Reinach parle ensuite des inscriptions gravées sur les bases des
deux hermès trouvés avec la Vénus et affirme qu'elles aussi sont tout à fait étran-
gères à cette statue. Celle de la base du ternie d'Héraclès jeune devait appartenir
a une sculpture toute différente et d'au moins un siècle postérieure au chef-d'œu-
vre du Louvre.
Léon Dorez.
Propriétaire-Gérant: Ernest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnot, 23.
>
i
REVUE CRITIQUE
D'HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
N»' 53-53 — 24-31 décembre — 1900
WuNDT, Psychologie sociale, I, La langue. — Pischel, Grammaire des dialectes
prâcrits. — A. Lefèvre, La Grèce antique. — Smyth, Les poètes méliques grecs.
— Herbst, Notes sur le livre VII de Thucydide. — Thucydide, IV, p. Classen-
Steup. — KouMANouDis, Dictionnairc des néologismes grecs. — Harnack, Le
christianisme. — U. Chevalier, Le Saint Suaire de Turin. — Pascal, Opuscules
et Pensées, p. Brunschvicg. — Kahn, Les juifs de Paris pendant la Révolution.
— Orsi, L'Italie moderne. — Strobel, La révolution espagnole, 1868-1875. —
Villalba-Hervas, D'Alcolea à Sagonte. — Rohdp:, La nouvelle réforme de l'or-
thographe. — Darricarrère, La langue basque. — Weisengbûn, Le marxisme
et la question sociale. — Lettre de M. Salomon Reinach. — Lettre de M. l'abbé
Feret. — Gauchie et Bayot, Les chroniques brabançonnes. — Des Marez, Les
luttes sociales en Flandre et la lettre de foire. — Académie des inscriptions.
W. WuNDT, Voelkerpsychologie, Eine Untersuchung der Entwicklungsgesetze
von Sprache, Mythus und Sitte. — ErsterBand. Die Sprache, Erster Theil.
In-S", xv-627 p. Leipzig, 1900.
Après avoir parcouru le champ tout entier de la philosophie et
après avoir renouvelé la psychologie, l'illustre professeur de philoso-
phie de Leipzig, M. W. Wundt, aborde enfin la psychologie sociale
[Voelkerpsychologie). Comme l'indique le titre, il se propose de trai-
ter ce sujet en trois volumes : la langue, le mythe, les mœurs ; la pre-
mière moitié du premier de ces trois volumes, celui sur la langue, a
seule paru jusqu'à présent '.
Les linguistes ne peuvent que se réjouir de voir un savant tel que
M. W. collaborer à l'étude du langage et y apporter des points de vue
nouveaux. On le sait en effet, et le lecteur des Antinomies linguis-
tiques de M. Henry et de la Sémantique de M. Bréal l'ignore moins
que personne, la linguistique s'est transformée au cours du xix'- siècle;
alors que le point de vue logique avait entièrement dominé au xvii= et
au xvin« siècles, on s'est convaincu peu à peu que la langue n'avait
absolument rien à faire avec la logique et que, si le linguiste a beau-
. I. La seconde partie du tome I a paru pendant que cet article était à l'impres-
sion.
Nouvelle série L. 52-53
490
REVUE CRITIQUE
coup à apprendre de Tanatomie, de la physiologie, de la sociologie et
surtout de la psychologie, il n'a absolument rien à demander au logi-
cien que les principes généraux de la méthode scientifique. Mais les
linguistes dont l'éducation est en général historique et philologique
n'ont pu tirer de ces sciences tout le parti qu'il faut et il est singuliè-
rement heureux qu'un maître de la psychologie moderne et vraiment
scientifique consacre au langage une étude approfondie.
En une introduction qui ne se rapporte pas seulement au présent
volume mais à tout l'ouvrage, M. W. définit l'objet de la psychologie
sociale : l'étude des phénomènes psychiques sur lesquels repose le
développement général des sociétés humaines ; toute considération
des actions individuelles et des événements particuliers en est natu-
rellement exclue. Ces phénomènes psychiques résultant de l'existence
des sociétés présentent des caractères propres très importants, dont le
plus essentiel sans doute est la continuité ; et, en ce sens, on peut
parler de l'âme d'un être social comme de l'àme d'un individu, étant
bien entendu que le psychologue n'a jamais à se poser la question de
savoir si cette âme est une réalité substantielle, mais simplement à
examiner les relations de succession et de similitude des phénomènes
observés. Ainsi comprise, la psychologie sociale est avec la psychologie
expérimentale la seule science auxiliaire de la psychologie : alors que
la psychologie expérimentale étudie les faits élémentaires de la cons-
cience individuelle, la psychologie sociale permet d'étudier avec l'ob-
jectivité nécessaire les phénomènes psychiques complexes qui ne sont
pas accessibles à l'expérience.
Pour rendre compte du langage en psychologue, M. W. remonte
d'abord jusqu'aux faits les plus élémentaires : le premier chapitre est
consacré aux mouvements expressifs par lesquels se traduisent les
émotions et les sentiments. — Le deuxième chapitre a pour objet la
langue des gestes : des langages de ce genre ont été signalés et plus ou
moins complètement étudiés chez les sourds-muets, chez les Napoli-
tains, chez les moines, chez les Indiens d'Amérique, etc. ; M. W. s'ef-
force d'en dégager les traits communs; toute cette partie du livre est
neuve et fort curieuse, mais l'auteur, qui a eu pleinement raison de
consacrer à ce sujet un chapitre spécial, ne met pas assez en relief le
fait que la langue des gestes est à bien des égards une simple transpo-
sition, nécessairement très simplifiée, du langage articulé plutôt qu'un
développement vraiment indépendant.
Avec le troisième chapitre on arrive au langage articulé, l'auteur y
étudie les sons du langage. Il parle d'abord assez brièvement des sons
en tant qu'ils servent à l'expression des émotions puis des cris et du
chant chez les animaux : on n'a pas encore de notions précises sur
toute cette question et on n'en aura pas aussi longtemps qu'on n'aura
pas institué des expériences méthodiques en enregistrant mécanique-
ment les sons. Vient ensuite la langue des enfants ; ici les travaux
d'histoire et de littérature 4g 1
préparatoires sont plus abondants, mais encore bien insuffisants et
l'exposition s'en ressent ; M. W. insiste surtout sur le fait que le lan-
gage des enfants ne comporte aucune part d'invention et de création
et que tout y résulte de l'imitation du langage des adultes et il semble
bien qu'il ait raison : la part d'invention de l'enfant a paru très faible
et peut-être tout à fait nulle partout où l'on a analysé d'une ma-
nière sensiblement complète les éléments constituants de son lan-
gage. Quand M. W. a pu observer par lui-même et suivre le dévelop-
pement des phénomènes, il a obtenu des résultats relativement précis
et, par exemple, la manière dont les divers points de départ et l'acqui-
sition de langage sont indiqués, p. 290 et suiv,, est vraiment admi-
rable. Mais l'extrême insuffisance des travaux antérieurs auxquels il a
dû recourir se traduit par les raisonnements singulièrement fragiles
dont il est plus d'une fois amené à se servir. Par exemple, p. 288, il
admet que les différences d'articulations que présentent les diverses
langues résultent, en partie du moins, de différences de races et la
raison sur laquelle il s'appuie est que, quand il a appris une langue
étrangère, l'enfant même le mieux exercé présente en la parlant des
traces de sa langue maternelle : ceci prouve seulement que les habi-
tudes articulatoires prises en apprenant une première langue sont
indélébiles ; pour établir une influence de race, il faudrait montrer
qu'un enfant allemand, transporté dès sa naissance au milieu de Fran-
çais et n'ayant jamais entendu d'allemand, présenterait des traces de
prononciation allemande. Ailleurs, p. 298, pour établir que ce n'est
pas par incapacité d'émettre certaines articulations que l'enfant subs-
titue certains phonèmes à d'autres, M, W. constate que le même
enfant qui dit Tind pour Kind et Peipe pour Pfeife dit Gack pour
Gasse et Faata pour Vater : mais cet enfant n'a-t-il pas appris à dire
Kind avant de savoir prononcer les gutturales et Gasse seulement
après? alors Tind serait la conservation d'un état plus ancien; quant
à Pfeife et Vater, il est clair que/»/ de l'un et/ de l'autre ne sont pas
comparables et que le second/? de Peipe s'explique par une assimila-
tion. Tous ces faits appellent des recherches plus précises dont l'ex-
position même de M. W. fait ressortir l'urgente nécessité, — L'auteur
traite ensuite des interjections et termine le chapitre par une impor-
tante étude sur les mots imitatifs; il montre à quelles diflîculiés inex-
tricables on se heurte si l'on cherche dans les mots de ce genre une
imitation des bruits extérieurs par les sons du langage ; et il conclut
que ce ne sont pas les sons mais les mouvements articulatoires qui
expriment l'impression extérieure ; il s'agit, comme le dit l'auteur, de
véritables gestes phonétiques (lautgeberden). Il faut lire dans l'ouvrage
toute cette théorie si neuve et, ce semble, si satisfaisante. Et l'on ne
devra pas se laisser arrêter par les erreurs, les théories vieillies et les
invraisemblances de détail qui vicient à peu près tous les exemples
cités ; car il serait aisé de les remplacer par de meilleurs.
492 REVUE CRITIQUE
Le chapitre suivant, sur le changement phonétique, était le plus
difficile à faire pour un auteur qui n'est pas proprement linguiste; car
il s'agit ici des phénomènes linguistiques dont l'étude a été poussée le
plus loin et il est impossible d'en parler avec correction sans connaître
à fond les faits, et sans posséder d'une manière intime la méthode lin-
guistique; on ne saurait dire que M. W. ait surmonté cette difficulté,
sans doute absolument insurmontable. Il est difficile, par exemple, de
lui faire grief de ne point connaître le Patois de Celle/rouin de
M. Rousselot et la Dissimilation consonantiqiie de M. Grammont,
deux livres qui ne sont pas d'un abord très facile même pour les spé-
cialistes; mais il ne paraît pas possible.de faire une théorie de la pho-
nétique en négligeant des ouvrages où sont présentées des vues si
importantes et qui renouvellent si essentiellement le sujet. On lira
donc avec intérêt les observations générales par lesquelles débute le
chapitre; mais, au fur et à mesure que M. W. est amené à serrer les
faits de plus près, on sent qu'il est de plus en plus à côté. On ne voit
pas qu'il tienne compte nulle part des caractères les plus remarquables
des grandes altérations phonétiques : le fait que tous les enfants nés
en un même temps, en un même lieu les présentent indépendam-
ment, le fait qu'elles tendent à se produire indépendamment dans
toutes les localités d'un domaine linguistique homogène, le fait enfin
que les enfants affectés sont incapables de reproduire l'articulation
ancienne. — Si l'on veut avoir une idée du vague extrême avec lequel
les questions sont traitées, on peut voir, par exemple, dans l'étude sur
les causes du changement phonétique le paragraphe consacré aux
mélanges de races : l'influence de la race proprement dite et celle de
la différence de langue ne sont nullement distinguées, bien que ce
soient évidemment deux choses tout à fait distinctes; les changements
immédiats résultant d'une assimilation imparfaite de la langue apprise
par le peuple qui change de langue ne sont pas non plus distingués
des altérations ultérieures qui se produisent après le changement de
langue dans la transmission du langage de génération en génération,
bien que ces deux faits soient eux aussi d'espèces absolument diffé-
rentes. — Trop souvent enfin M. W. s'attarde à discuter des théories
abandonnées depuis longtemps : il était vraiment bien inutile de cri-
tiquer l'idée que les peuples germaniques, lors de la lautverschie-
bung^ se seraient efforcés de maintenir la distinction indo-européenne
de trois types de consonnes : le fait qu'une pareille théorie se trouve
dans une édition récente d'un livre de M. Max Millier ne prouve pas
qu'elle ait cours aujourd'hui encore, mais seulement que les livres
actuels de M. Max Millier sur la linguistique reproduisent les idées d'il y
a trente ou quarante ans. — Toutefois, l'idée fondamentale du cha-
pitre, que les changements phonétiques reposent en principe sur des
faits psychiques est profondément juste; M. W. s'est rencontré sur ce
point avec M. Rousselot et M. Grammont et ses vues viennent très
d'histoire et de littérature 4^3
heureusement confirmer et généraliser celles que ces savants avaient
déjà émises.
Avec le cinquième chapitre, sur la formation des mots, M. W. rentre
sur un terrain plus proprement psychologique et l'intérêt de l'ouvrage
redevient très vif. A l'aide des études sur l'aphasie il montre combien
le mot est chose complexe au point de vue prychologique; il indique
toute l'insuffisance des schémas par lesquels on a cherché à suppléer à
une connaissance vraiment intime des fonctions cérébrales qui
manque encore ; il ne paraît d'ailleurs pas connaître les recherches si
précises faites par M. Déjerine et ses élèves sur cette question de l'apha-
sie, recherches d'où ces schémas abstraits et purement imaginaires
sont bannis et on ne peut pas ne pas remarquer à ce propos que
M. W. dont la lecture en allemand est très étendue a beaucoup moins
profité des travaux publiés dans les diverses langues étrangères (il
n'y a là d'ailleurs rien qui soit particulier à l'illustre philosophe de
Leipzig ; il est curieux de voir à quel point la bibliographie des auteurs
de chaque pays est restée en général étroitement nationale). — Toute
l'étude qui suit sur les représentations de mots est l'une des parties de
l'ouvrage les plus instructives pour le linguiste; on y trouvera une
analyse profonde de la manière dont se fait l'aperception des mots et du
rôle qu'y joue la reconnaissance des mots connus ; et cela permettra
d'expliquer des faits obscurs et jusqu'à présent trop peu étudiés. Par
exemple le fait que certains éléments du mot peuvent suffire à éveiller
l'impression du mot entier et cela sans que l'on éprouve l'impression
d'un manque, permet de concevoir comment un mot long peut per-
dre certaines de ses parties, comment par exemple xptâxovTa peut
devenir TOiâvxa. — Il y aurait plus de réserves à faire sur le reste du
chapitre où M. W. traite des racines, du redoublement, de la compo-
sition, tous sujets purement grammaticaux, et les exemples, en par-
ticulier, laissent trop voir que M. W. a négligé de consulter les
éminents linguistes qui font de la faculté de philosophie de Leipzig
le centre linguistique le plus remarquable du monde entier. Mais on
y trouve aussi une foule de remarques importantes, et il convient de
signaler d'une manière toute spéciale la protestation de l'auteur contre
la trop fameuse classification en langues isolantes, agglutinantes et
flexionnelles (p. 55 1 et suiv.) : une seule classification a une valeur
scientifique et une véritable utilité, c'est la classification génétique.
Toute autre est purement fictive.
S'il a semblé utile de ne pas taire à un homme tel que M. Wundt
certaines réserves, il importe de dire en terminant que son livre n'est
pas de ceux qui résument des travaux antérieurs, mais de ceux qui
ouvrent une voie et que, dans de pareils ouvrages, les erreurs même
sont fécondes : ce sont erreurs d'esprits originaux et hardis qui savent
créer dans la science des parties nouvelles.
A. Meillet.
494 REVUE CRITIQUE
Grammatik derPrakrit-Sprachen, von R. Pischel. (Grundriss der Indo-Arischen
Philologie und Altertumskunde, I, 8.) Strasbourg, Trûbner, 1900, Gr. in-8,
4^0 pp. Prix : 21 mk. 5o.
Laissons la parole à l'auteur (§44, p. 47) : il sait mieux que per-
sonne ce qu'il a voulu faire, et son nom à lui seul est garant qu'il l'a
fait.
« Dans cette grammaire on a pour la première fois essayé d'étudier
parallèlement tous les dialectes prâcrits, en les éclairant de toute la
documentation dont nous disposons à cet effet. Depuis Lassen, nous
avons appris à en connaître deux qu'il ignorait et un qui lui était à
peine accessible, les trois plus importants par eux-mêmes et par leur
littérature : l'ardhamâgadhî, la jaina-mahàràsh?rî et la mahàrâsh^rî.
Personnellement j'y ai joint la (f/iakkî, la dakshi/zàtyâ, l'àvantî et la
jaina-çaurasênî, dont nous ne possédons jusqu'à présent que peu de
spécimens. J'ai soumis à une revision approfondie ceux de la çaura-
sênî et de la mâgadhî... » Ajoutons, pour être complet,, que les formes
notables du prâcrit épigraphique sont relevées avec grand soin, et que
l'apabhramça, qui est sûrement un prâcrit, bien que les grammaires
indigènes lui marchandent cet honneur, figure en bonne place dans
la phonétique et la morphologie.
Ce dernier trait suffit à indiquer l'attitude que sait prendre M. Pis-
chel à l'égard de nos maîtres hindous.
Peut-être s'exagère-t-il parfois leur valeur documentaire : elle n'est
pas indiscutable en sanscrit même, où nous avons bien plus de moyens
de la contrôler, et Whitney, dont l'acerbe critique exagérait par réac-
tion en sens inverse, nous a appris ce que recèle de balourdises le
texte de l'infaillible Pâ/zini. Mais du moins ces autorités n'inter-
viennent-elles jamais^ chez M. Pischel, que comme témoins, et non
comme juges : il repasse au crible leurs matériaux, et ne se fait pas
faute de dénoncer leurs étymologies arbitraires, leur phonétique naïve
et les identifications dont elle s'étaie, comme cet impossible change-
ment de ta ou da en va (§ 246, p. ijS) dont il fait justice en quelques
lignes implacables '. Voilà parler, et nombreuses sont les pages de ce
livre qui n'appellent pas l'ombre d'une réserve. On n'en dirait pas
toujours autant des discussions, d'ailleurs très sobres, avec les contem-
porains : il en est dont on n'aperçoit pas nettement la raison d'être.
Ainsi, dès la p. 5, M. P. débaptise l'idiome que M. Senart avait appelé
« prâcrit monumental », et préfère le dénommer « dialecte des
cavernes «. C'est, dit-il, qu'il se rencontre surtout dans les cavernes :
I. La belle étymologie de nakshatra « signe du zodiaqne lunaire », par *nak-
kshatra « qui règne [alternativement] sur [chaque] nuit », doit être toute nouvelle,
puisque le Dictionnaire de M. Uhlenbeck (1899) l'ignore encore. M. Pischel a la
coquetterie d'indiquer négligemment et comme en passant (§ 270, n. 3) cette heu-
reuse trouvaille.
d'histoire et de littérature 495
sans doute ; mais encore ces cavernes ne sont-elles qu'une partie des
monuments qui l'attestent, et non moins certainement cet idiome est
un prdcrit. Dès lors, à quoi bon changer le terme conventionnel ?
Il ne saurait entrer dans mes intentions de suivre M. P. dans le
minutieux et infini détail de ses imposantes statistiques ou de ses
délicates analyses, ni même de résumer le plan général de son ouvrage.
On sait bien d'avance ce qu'il doit nécessairement contenir, et, si
volumineuse que soit une grammaire, la table des matières est tou-
jours la même. Il suffit de constater que celle-ci est entièrement à la
hauteur de la méthode et de l'érudition contemporaines.
En phonétique, la brévité éventuelle de ïe et de Vo est toujours
indiquée. C'est parfait ; mais j'avoue que j'aurais voulu mieux encore.
Les sanscritistes se dispensent de marquer la longueur de Ve et de Vo,
parce qu'en sanscrit ils sont toujours longs. Cette quasi-négligence,
fort excusable, ne va pas sans quelque inconvénient; et, pour ma
part, quand je n'écris pas pour les seuls sanscritistes, j'ai pris l'habi-
tude d'orthographier ê et d, depuis que j'ai entendu un savant très
distingué prononcer le nom du sôma comme le français // somma. A
plus forte raison cette précaution serait-elle de mise dans la transcrip-
tion de langues moins connues, où Ve et Vo peuvent avoir l'une et
l'autre quantité. On dira qu'en marquant la brévité on indique tacite-
ment la longueur ; mais j'ai retenu de mes vieilles études de droit que
utile per inutile non vitiatur '.
Ainsi qu'il convient à un ensemble de dialectes dont chacun à son
tour n'est qu'un agrégat de sous-dialectes inconnus, la norme phoné-
tique est ici extrêmement flottante : non pas, bien entendu, qu'il n'y
ait point de loi ; tout au contraire, il y en a un très grand nombre, en
ce sens que plusieurs possibilités phonétiques se sont réalisées en
divers temps et en divers lieux, puis se sont fondues artificiellement
en un tout. Les processus d'évolution n'en demeurent pas moins clairs
dans la plupart des cas : ainsi l'assimilation et la dissimilation voca-
liques (§§ 5o sqq.) jouent évidemment un rôle très prépondérant, et
les prâcrits ressemblent beaucoup à ces idiomes créoles où fr. froid
de\ientfurua, h. plume, pilim. Les nuances de prononciation de Vr
sanscrit, si difficiles à inférer des définitions indigentes des Pràtiçà-
khyas, auraient chance de ressortir d'un examen attentif du traite-
ment prâcrit de voyelle brève devant un groupe commensant par
liquide (§§ 62 sqq.) ; et la mutation éventuelle de palatale en dentale,
malgré la généralité de la loi qui la résume (§ 21 5, p. i55), ne semble
guère se produire que devant voyelle ou semi-voyelle palatale, c'est-à-
dire dans lès mêmes conditions que pour gr. te = sk. ca, ou pour l'al-
I. II est fâcheux, dans une impression aussi soignée, que l'alignement du poin-
tage sublinéaire ne soit pas le mtîme pour toutes les lettres : lorsqu'un »i et un d
pointés se trouvent cote à côte, l'eftet est pénible à l'ivil.
496 REVUE CRITIQUE
ternance sk, itpajîka (A. V. VI, 100, 2) upadîka \ Quand la phoné-
tique semble en défaut, c'est qu'elle n'est pas seule en jeu : ainsi,
comme le remarque M. P. (§ 265j, le v de bàvaiûiim « 62 » = dvâ-
shashù est sûrement analogique du v régulier de bdvanï\am = dvd'
paficdcat « 52 »; et, quoiqu'il ne le remarque pas, l'a de pacchddô =
*paçcatas et autres ablatifs similaires (§ 69) ne peut s'expliquer que
par contamination de l'autre ablatif TéguUer pacchd =paçcdt. Je ne
puis arriver à concevoir comment il conteste que sk. ndpitd « bar-
bier » soit du prâcrit grossièrement resanscritisé (§ 210, n. 2) ; car, à
supposer que la phonétique sanscrite autorise la chute de 1'^ dans un
groupe initial sn, — ce que je ne crois pas, — il reste toujours que la
seule forme correcte serait * Jidpitdr « baigneur », dont le passage à la
flexion en -a- est un prâcritisme flagrant.
Il ne manque point d'analogies entre le phonétisme prâcrit et celui
de maint autre idiome indo-européen moderne. Une des plus
curieuses, à coup sûr, c'est le changement (§ 191, en cûlikàpaiçâcî) de
toutes les explosives sourdes en sonores, qui rappelle irrésistiblement
le français que parlaient encore il y a un siècle presque tous les Alsa-
ciens ^ : rien ne saurait mieux dénoncer un idiome aryen appris et
prononcé par une peuplade anâryenne. Mais les affinités les plus
étroites des prâcrits sont avec leur antipode européen, le breton d'Ar-
morique : comme lui, ils possèdent (§§ 72, 1 1 3, 114, etc.) une nasali-
sation adventice, d'origine indécise et multiple, d'ailleurs également
évanescente; comme lui, ils ont le phonème si rare v nasal en tant
que substitut d'un m intervocalique, soit le pendant du br. danvad
« mouton » = damatos (§ 179), et, pour achever la ressemblance, soit
la nasalisation, soit le v est susceptible de disparaître (§ 25 1, en apa-
bhrawça) ^ Il n'est pas jusqu'à la formation périphrastique du passé
par le verbal passif avec le sujet à l'instrumental (§519, type sk. bien
connu 7'djnôktam pour rdjôvdca) qui ne se superpose exactement au
br. am eu^ kanet « j'ai chanté », par l'équivalence lat. * mê est cantiim.
Cette transition m'amènerait tout naturellement à la morphologie ;
mais elle n'appelle que peu de remarques. Sur la substitution presque
générale du génitif au datif (§ 36 1), il n'est pas sans intérêt de noter
1. Le type de réduplication dugu- = jugu- peut être analogique du type digi- =
jigi-. Quant à ca et ja devenus ta et da, il ne faut pas oublier que Va bref hindou
est en réalité une sorte d'e muet.
2. Et, toujours comme en alsacien, le v reste intact; car c'est une absurde paro-
die de l'accent des Alsaciens, que de leur faire prononcer fit fulé pour vous voulez,
etc. ; si elle est sincère, elle montre le rôle énorme que joue l'imagination dans les
impressions auditives.
3. On ose à peine réclamer un complément à un ouvrage déjà si étendu ; mais
il faut bien regretter l'absence de tableaux synoptiques, où tous ces phénomènes
phonétiques seraient repris et présentés d'ensemble. Eût-il dû sacrifier çà et là
quelques-uns de ses nombreux exemples. M. P. se serait aisément réservé les cinq
ou six pages nécessaires à cette récapitulation comparée.
d'histoire et de littérature
497
qu'elle se constate à peine en germe dans le sanscrit absolument pur
et authentique, celui des Védas : il n'est donc point douteux que
l'emploi indifférent, et littérairement peu agréable, du génitif et du
datif en sanscrit classique ne soit. une infiltration du pràcritisme. L'ac-
cusatif en -e des thèmes en -a- iputté « les fils » = sk, putrdn) n'est
point clair, et ne le devient point par l'explicacion de M. P. (analogie
de la flexion pronominale, § 36; a) ; car, si l'ace, pi. tê « les » a amené
piitté, on ne voit pas comment le nom. pi. tê a laissé subsister /jz^/^^ï.
Il devrait y avoir parité, d'autant que dans les autres déclinaisons les
deux cas sont identiques. Je crois que rien ne dispense d'admettre
quelque influence lointaine des finales verbales : à la voix moyenne,
c'est-à-dire dans le verbe qui paraissait contenir avec lui son objet, la
désinence se terminait en pk. comme en sk. par ê, ce qui offrait une
facilité de plus à l'introduction de cette voyelle dans la finale d'un cas
désignant l'objet, tandis que le cas-sujet y demeurait naturellement
rebelle. La filière analogique d'où est sortie tiimhé « vous » (§ 422)
méritait aussi l'examen ; à la i'"^ personne, on avait aJiam, pi. ahmê
{= sk. asmdn], qui, partis d'une origine bien différente, étaient devenus
quasi-homophones, en sorte que celui-ci paraissait sorti de celui-là;
on refit donc de même * yumhê sur tum. Quant à la conjugaison et à
la dérivation verbale secondaire, sauf celle du passif (§ 535), c'est à
peine si elle prête par endroits à la controverse '.
11 faut conclure. Nous possédons enfin un « Manuel statistique et
raisonné des Pràcrits ». A ce travail de marqueterie à la loupe et de
mensuration au vernier, nul n'était mieux appelé que l'auteur, et
aucun emploi, mieux que la confection de cette grammaire, ne con-
venait à l'érudition merveilleusement outillée, complète, exacte, sa-
gace, scrupuleuse, parfois pointilleuse, de M. Richard Pischel.
V. Henry.
André Lefèvre, La Grèce antique, entretiens sur les origines et les croyances.
Paris, Schleicher frères, 1900; 463 p. (Bibl. des sciences contemporaines).
M. Lefèvre promène agréablement ses lecteurs au milieu des
mythes de la théogonie antique et des croyances des anciens Grecs;
il a pénétré dans les moindres replis du vieil Olympe ; il a interviewé
(qu'on me pardonne ce mot barbare) toutes les divinités qui l'habitent ;
il a, par surplus, interrogé Homère et Hésiode; il a enfin demandé
_ — ■ . — — — ■ — ^ — —
I. Les §§ 454-456 sont assez étrangement composes. On a : 454, i" personne du
singulier (actif); 455, 2" personne et 1>° personne du singulier, r* du pluriel ; 456,
2* personne et 3' personne du pluriel (pp. 321-324). La longueur approximative-
ment égale des alinéas n'est un principe de division reconnu que pour les adhyàya»
hindous, et il nest pas expédient de le leur emprunter.
4q8 revue critique
leurs secrets aux religions orientales, et de ses analyses, de ses déduc-
tions, de ses combinaisons, est sorti le présent livre. Il est loin de
manquer d'intérêt; mais il n'offre pas grande nouveauté, et il faut le
prendre pour ce qu'il est, c'est-à-dire pour une série de simples entre-
tiens, comme le dit le sous-titre, à la portée du public d'un cours. On
aurait tort de l'envisager comme un ouvrage essentiellement didac-
tique, dont les résultatslonguement cherchés et mûris doivent enrichir
et faire progresser la science ; car alors la critique trouverait facilement
à s'exercer. Le linguiste reprendrait des étymologies surprenantes et
des rapprochements plus qu'incertains; l'helléniste demanderait pour-
quoi l'on s'arrête à Pierron en matière de critique homérique; le lettré
noterait des négligences de style et des expressions d'un goût dou-
teux ; et un esprit tolérant estimerait peut-être que certains sarcasmes
contre le christianisme ne sont pas à leur place. Mais encore une fois
nous n'avons à faire qu'à des causeries, et il vaut mieux ne voir que
les bons côtés de l'ouvrage : d'intéressants développements sur l'ori-
gine et les migrations des anciens Hellènes, de consciencieuses ana-
lyses du monde et de l'Olympe homériques, et l'étude très suffisante
pour le public des idées contenues dans les anciennes épopées, dans
les hymnes attribués à Homère, et dans l'œuvre d'Hésiode. Quant aux
explications proposées sur l'origine des dieux, atmosphériques ou
solaires, sur leurs noms, et sur leurs attributions, le lecteur n'est pas
tenu d'y voir des articles de foi : tout est hypothèse en pareille
matière, et les hypothèses ne sont pas près de cesser.
My.
Greek Melic Poets, by Herbert Weir Smyth. Londres, Macmillan, 1900; cxlii-
564 p.
Dans ce volume, qui serait plus élégant s'il était moins épais,
M. Smyth publie une anthologie des poètes méliques grecs, encadrée
entre une longue introduction touffue et des notes explicatives, litté-
raires et grammaticales. Un appendice renferme, entre autres mor-
ceaux, une partie des Anacreontea et les hymnes découverts à
Delphes. L'ouvrage sera utile aux étudiants de langue anglaise, bien
que le texte adopté prête parfois à la critique (par exemple, le vers 191
de Bacchylide II (5^ est faux, de quelque façon qu'on l'analyse), et
que les notes ne soient pas toujours claires (l'observation suivante,
par exemple, est incompréhensible, p. igo : « piXs, d'une forme faible
de la racine de po'jXo|jLai; l'a est dû à ce fait que l'accent était originai-
rement sur la dernière : ^aXi. »). La documentation de M. S., quoique
'fort étendue, pourrait en certains cas être plus complète : je ne vois
cité nulle part, à propos de Pratinas, l'article de Paul Girard dans
les Mélanges Weil. Il convient de signaler, comme bien appropriés
d'histoire et de littérature
499
au but d'une édition à l'usage des étudiants, les nombreux parallèles
établis dans les notes entre les divers auteurs, notamment les rappro-
chements avec Homère et les poètes latins; c'est là un des mérites du
livre, et ce qui, à mon sens, devrait être fait plus abondamment dans
nos éditions classiques. L'esprit grec est ainsi mieux connu, ainsi que
son influence sur la poésie latine, et l'expérience m'a appris que ce
genre de commentaires n'est pas sans intérêt pour les étudiants.
Mv.
Herbst (L.), Zu Thukydides Erklarungen und Wiederherstellungen, aus
dein Nachiass voa L. Herbst mitgetcilt und besprochcii von Franz Mullcr, lll"'
Teil, B. vit. Beilage zum Programm des kôn. Gynin. zu Qucdlinburg, Leipzig,
Teubner, igoo, s. ?>ï.
M. Fr. Muller continue la publication des notes manuscrites lais-
sées par le savant éditeur de Thucydide, L. Herbst. Le programme
que j'ai sous les yeux ne comprend que les notes relatives au livre vu :
il yen a d'intéressantes, et qui méritaient certainement d'être publiées.
De ce nombre me paraît être la série des exemples recueillis par H. à
l'appui de son interprétation des mots où/, aveu ôXtYwv àTToOetajawv
àTToXs'.TOjxEvo'. (75, 4), entendus comme s'il y avait où/, avsj <;o'jx>> ôXtyojv.
Aucun de ces textes n'est absolument identique au passage de Thucy-
dide; mais plusieurs semblent bien justifier, par analogie, l'explica-
tion proposée. A propos du travail de Herbst, M. Fr. Millier a pris la
peine de relever, dans les éditions les plus récentes, les explications
ou restitutions que Herbst n'avait pu connaître. Ainsi entendue, cette
œuvre de piété à l'égard d'un maître devient un instrument de travail
que devront consulter tous les futurs éditeurs de Thucydide.
Am. Hauvette.
Thukydides, erklart von J. Classen , iv' Band, iv«' Buch, iii'' Autlagc, von
J. Stecp, Berlin, Weidmann, tgoo, s. 314. Prix : .3 mk.
L'œuvre magistrale de Classen, réditée par M. J. Stcup, pourrait
aisément s'augmenter, à chaque nouveau volume, de tout le travail
philologique qui s'accumule chaque année sur Thucydide. M. S. a
pris, fort justement, le parti de réduire au strict nécessaire la place ré-
servée aux conjectures de la critique contemporaine : d'une manière
générale, iT nous donne le texte et le commentaire de Classen, quitte
a indiquer en note, s'il ne les introduit pas dans son texte, les correc-
tions qui lui semblent les plus heureuses. On ne trouvera donc pas,
dans cette édition du iv» livre, la mention des innombrables interpo-
lations que M. Rulherford a cru y découvrir et qu'il a signalées dans
500 REVUE CRITIQUÉ
son travail de 1889 ; c'est également par exception que l'éditeur dis-
cute les leçons adoptées par M. Hude dans son édition de 1898; il ne
revient pas davantage, sinon dans une note de Tappendice, sur la
question critique soulevée par le papyrus d'Oxyrhynchus et traitée
par lui dans un article du Rheinisches Muséum, t. lui, p. 3o8 sqq. Et
pourtant, la part qui revient encore à M. S. dans ce travail ne laisse
pas que d'être considérable : l'appendice contient plus de cinquante
pages, imprimées dans le caractère le plus fin. Quelques unes de ces
notes ont toute l'étendue de véritables excursus : telle est, par exem-
ple, celle qui concerne, après les travaux de M. Grundy, la topogra-
phie de Pylos et de Sphactérie. M. S. s'écarte résolument de l'opinion
traditionnelle qui identifie le port de Pylos à la rade de Navarin :
selon lui, le port ancien que décrit Thucydide répond, non à la rade
même que ferme aujourd'hui encore l'île de Sphactérie, mais à la
lagune actuelle d'Osman-Aga, située sur la côte septentrionale de
cette rade : ainsi. s'expliquent les données inexactes de l'historien sur
la dimension des deux passes qui donnaient accès dans ce port. Une
autre note intéressante se rapporte au fameux général syracusain
Hermocrate, dont Thucydide cite un discours au livre iv et deux
autres au livre vi. M. S. croit à des relations personnelles de l'histo-
rien avec ce personnage, et il relève dans les discours d'Hermocrate
des tournures, des expressions mêmes, qui lui semblent se distinguer
du style ordinaire de Thucydide. Dans un article tout récent du Rhei-
7iisches Muséum [x. lv, p. 538 sqq.), M. H. Stein se fonde sur des
observations du même genre, et sur d'autres considérations diverses,
pour reconnaître chez Thucydide une source écrite, une véritable bio-
graphie d'Hermocrate : Xénophon et Platon auraient connu , eux
aussi, et utilisé cet écrit consacré à la mémoire du grand patriote sy-
racusain.
Am. Hauvette.
Etienne Koumanoudis. ruvaYWY->, vswv ).s|£tov ut:ô twv TkOYÏwv -nXasOsiaôJv. 2 vol. in-8'.
ii65 pages. Athènes, Sakellarios. igoo.
Ce dictionnaire, dû au regretté érudit hellène, Etienne Kouma-
noudis, comprend tous les vocables nouveaux, de création savante,
entrés dans la langue grecque depuis la prise de Constantinople jus-
qu'à nos jours. Ainsi que l'indique expressément le titre, il n'est pas
tenu compte des mots populaires, ce qui ne veut pas dire qu'on les
dédaigne ou les repousse, mais ils sont considérés comme formant la
matière d'un autre recueil. Rien n'est plus légitime : on n'a jamais
contesté à aucune langue moderne le droit de se donner les termes lit-
téraires ou scientifiques dont elle a besoin : apparemment le grec a ce
droit plus qu'aucun autre idiome, puisque c'est à lui en pareil cas que
dans le monde entier on s'adresse.
d'histoire et de littérature Soi
Nous avons donc ici un dictionnaire des néologismes. Néologismes
généralement bien venus : au lieu qu'ailleurs les composés savants
ont un aspect qui tranche sur le reste du vocabulaire, nous trouvons
ici une certaine uniformité de couleur et un visible air de parenté. On
les reconnaît à leur parfait état de neuf; mais ils ne choquent pas. Ce
sont parmi l'ancien numéraire des pièces récemment frappées.
Les rares aptitudes que possède le grec pour la dérivation et la com-
position trouvent ici leur emploi. Rien de plus correctement formé
que pT,-p^^' pour traduire l'italien motto ou que ;jXdvOpto-o; pour dire
« mannequin » .
La faculté de composition est restée entière. On compte jusqu'à qua-
tre colonnes de mots commençant par cpio;. Il vrai qu'un certain nombre
viennent de France, d'Allemagne et d'Angleterre : mais tel n'est pas le
cas pour çtoTOTêÉTzr,;, qui signifie «obscurantiste, ennemi deslumières»,
et qui ne méritait pas d'avoir une place parmi ces termes scientifiques.
Le danger est d'abuser de cette faculté de composition : nous
trouvons, par exemple, un verbe àÀ).T,).o'I/EJoocp'.Xo-:'.a£TTOa'., dont la res-
ponsabilité revient au journal VAkropolis, pour marquer une rivalité
de mauvais aloi entre les grandes puissances.
Mais ces sortes de monstres sont rares. On a le sentiment d'une
langue souple, claire, prête à exprimer avec aisance et élégance (pour
peu qu'on y mette de réflexion et qu'on ne se contente pas d'un
calque) les idées les plus modernes. Ce qui, en outre, donne à ce
livre un intérêt qui ne se trouve pas toujours dans les lexiques, c'est
que l'auteur sème cà et là des observations utiles à recueillir.
Ainsi, au mot B(x.o;: (Vicoi, M. K. se plaint de l'anarchie qui règne
dans la transcription des noms propres. Voltaire est trancrit tantôt
BoXtaTpoc, tantôt OùoXTaTpo;. On a peine à reconnaître Béranger dans
MTTEpavripoc;. Pour remédier à ce mal, qui est réel, le moyen le plus
efficace serait peut-être, comme le font certains livres, de renoncer
définitivement à toute transcription, et d'écrire ces noms en caractè-
res latins. Puisqu'ils ne font point partie de la langue grecque, il est
inutile de les affubler d'un vêtement qui n'est pas le leur. L'incon-
vénient serait certainement moindre que de laisser le lecteur dans le
doute. Un autre abus est de traduire les noms étrangers, comme l'a
fait tel journal qui traduit Waterloo par 'Vopoù;, ou tel autre qui a
rendu narguilé par 6ôpotfiaXoYOjpYOjpo!TtoXT,voy.a-v'.r:r;p!ov.
Une note de la page 777 contient une remarque relative à la pronon-
ciation. Le reproche qu'on fait au grec moderne de prodiguer le son
i, n'est pa§ tout à fait aussi fondé qu'on le suppose : il est vrai qu'on
écrit TÎof.pov, iT,p<5;, TjS'XEt, r.'xojîa, TT.rîa, mais on prononce itoepo, Çepô;,
àotxoùasv, axo'jaa, doortâ. On écrit encore -cV^^''^''^ y-'J^'Xô;, mais on pro-
nonce TOjfAravo, xo-jXXôî. L'iotacisme est dans l'écriture (et spécialement
dans l'écriture des savants), plus qu'il n'est dans la bouche du peuple.
Cette observation a de l'importance : mais nous ne voyons pas bien
'
5o2 REVUE CRITIQUE
pourquoi l'auteur Ta enterrée au bas d'une page de son dictionnaire,
à l'occasion du mot -Trapairôv/- iioL, qu'il faut prononcer Trapa-ôvsijLa.
Ce vocabulaire, qui fait partie de l'excellente Bibliothèque Marasli,
forme le complément de tous les dictionnaires de la langue moderne.
Nous le recommandons aux amis de la jeune nationalité hellène.
Michel Bréal.
Das Wesen des Christenthums, von A. Harnack. Leipzig, Hinrichs, 1900; in-8,
190 pages.
Le présent ouvrage de M, Harnack n'est pas un livre d'érudition ;
c'est un recueil de seize conférences religieuses, et même théologi-
ques, prononcées devant les étudiants de l'Université de Berlin, sur
l'Evangile et son histoire : prédication de Jésus considérée dans ses
traits principaux, le royaume de Dieu, le Dieu Père, la vraie justice,
et dans ses rapports avec le monde (question de l'ascèse), la pauvreté
(question sociale), le droit ( question politique), le travail (question du
progrès), la personne de Jésus Fils de Dieu (question christologique),
la doctrine (question de la profession de foi); histoire de la religion
chrétienne à l'âge apostolique, dans son développement vers le catho-
licisme , dans le catholicisme grec , dans le catholicisme romain ,
dans le protestantisme . Les vues qu'on trouve éparses dans la
grande histoire des dogmes, du même auteur, se trouvent ici réunies
en une large et lumineuse synthèse. Le critique non théologien
aurait à faire des réserves sur la manière dont on atténue l'escha-
tologie du Nouveau Testament : la perspective du jugement dernier
et l'attente de la parousie ont eu dans la prédication évangélique
et apostolique plus de place qu'on ne leur en attribue, et il aurait
fallu en tenir plus de compte en appréciant les rapports de l'Evan-
gile avec l'ascèse, la question sociale, la question politique et la ques-
tion du progrès. L'idée de la fin du monde induit au renoncement, et
rend indifférent à l'égard des intérêts de la vie présente. Bien que
M. H. l'ait déjà écrit plusieurs fois, on est toujours surpris de le voir
affirmer que la théorie du Logos et la divinité du Christ ont été intro-
duits dans l'enseignement chrétien par les Pères apologistes, comme
si le quatrième Évangile tout entier ne protestait pas contre une
pareille assertion. Ce n'est pas non plus en partant de Jean que l'on
peut soutenir ce paradoxe, que le Père seul, et non le Fils, appartient
à l'Evangile de Jésus. La notion du Fils ne comprend-elle pas autre
chose que la connaissance de Dieu comme Père, puisque cette filia-
tion constitue un privilège unique ? Jésus a conscience d'être Messie
en même temps que Fils, et parce que Fils. La fonction messianique
est autre chose que "la connaissance de Dieu, La filiation ne peut être
qu'un rapport fondé en partie sur cette connaissance et qui s'exprime
d'histoire et de littérature 5o3
dans la mission terrestre de Jésus. Il semble que la transition ait été
mieux ménagée entre les déclarations du Christ historique, les pre-
miers essais de christologie dans saint Paul et dans l'Épître aux Hé-
breux, le quatrième Evangile et le développement de la théorie du
Logos chez les écrivains ecclésiastiques du second siècle, que ne le
fait entendre l'exposé de M . H . N'est-ce pas concevoir d'une façon un
peu trop mécanique l'évolution de la christologie que de se représen-
ter les docteurs chrétiens, pour qui Tidée du Messie était inintelligible,
réduits à l'alternative de transformer le Christ en héros ou en dieu à
la façon des Grecs, ou bien de l'identifier avec le Logos I Le problème
christologique n'a pas été conçu de celte manière, ou pour mieux dire,
il n'a jamais été conçu comme un problème qui aurait comporté
d'autres solutions que celles qu'on lui donnait. On sait les opinions de
M. H. sur le développement hiérarchique, le dogme et le culte, tout
ce qui n'appartient pas à la pure essence de l'Évangile. Peut-être
oublie-t-il un peu trop que le christianisme n'est pas une entité méta-
physique, mais une réalité vivante qui s'affirme dans ses différentes
manifestations et qu'on ne peut réduire à une formule abstraite, de
type absolu et immuable, d'après lequel tout ce qui a porté ou porte
l'étiquette chrétienne devrait être jugé. Il ne faut pas trop se presser
de dire que l'Église grecque et l'Église romaine sont par leur organi-
sation, leur enseignement, leur liturgie, quelque chose d'étranger à
l'Évangile. A ce compte, la définition du christianisme par M. H. ne
lui est pas moins étrangère, et il est permis assurément de se deman-
der si l'Évangile est aussi vivant dans cette définition que dans la foi
des Églises. Du reste, l'éminent conférencier s'est efforcé d'être impar-
tial envers l'Église orthodoxe et l'Eglise catholique romaine ; on doit
avouer qu'il y a réussi dans la mesure du possible. Chose qui étonnera
certains lecteurs, il attend du monachisme la rénovation chrétienne
de ces communautés fondées sur la tradition. Nous n'oserions pas
nous prononcer en ce qui regarde l'Église grecque ; mais nous ne
voyons pas que les chances d'avenir de l'Église catholique reposent
sur les anciens ordres religieux ; il y en a un qui tend à dominer tous
les autres, et le jour où il deviendrait tout à fait le maître, la paralysie
intellectuelle qu'il entretient avec soin dans le catholicisme serait
simplement incurable ; l'esprit chrétien n'est pas moins vivant dans le
clergé séculier que chez les religieux, et sa formation ne diffère pas
beaucoup, peut-être pas assez, de celle du clergé régulier. Mais si l'on
peut discuter sur beaucoup de points les opinions de M . H . , on n'en
contemple pas moins avic profit et intérêt les divers aspects de la
question religieuse tels qu'il les a conçus et représentés. C'est une
apologie du christianisme tout à fait originale, où croyants et non
croyants peuvent trouver à s'instruire.
A. B.
504 REVUE CRITIQUE
Chevalier (Le chanoine U.)- Etude critique sur l'origine du Saint Suaire de
Lirey-Chambéry-Turin, Paris, Picard, 1900, in -8, 60 et lx pages.
Les tenants pour rauthenticité du Saint Suaire de Turin doivent
être aujourd'hui pleinement édifiés : le livre de M. l'abbé U. Cheva-
lier est, en effet, de nature à satisfaire les plus difficiles. C'est une
réponse très claire, très précise, aux arguments tout de sentiment de
M. Loth.
Peu de reliques ont suscité autant de controverses. Il faut dire qu'à
la question historique, venaient s'ajouter une question religieuse et
une troisième pour ainsi dire dynastique. Je ne vois dans l'histoire,
que la Lance du Saint-Empire, dont la possession comme le sceau des
empereurs de la Chine donnait le pouvoir, pour avoir soulevé tant de
passions. Heureusement nous ne sommes plus au ix" siècle, car si
pour la conquête de la Lance des màlliers de vies furent sacrifiées,
pour l'authenticité du Suaire on se contente aujourd'hui de menaces.
Et dire qu'il est impossible de préciser, des deux reliques, laquelle est
la plus fausse !
M. l'abbé C. n'avait à traiter que deux des points indiqués plus haut,
à présenter le côté historique et le côté religieux de la question.
Cependant le côté dynastique y est singulièrement uni. Je voudrais
qu'on pût lire ici entre les lignes : on aperçoit, dans le lointain, une
personnalité laïque très haute, très puissante, qui a fait tout au monde
pour que ne soit pas publiée la pièce originale qui doit saper par le
bas un édifice si péniblement élevé ; y parviendra-t-elle ? La persé-
vérante érudition de M. l'abbé C. arrivera-t-elle au contraire à mettre
la main sur un document si bien gardé?
Mais pour comprendre ces réticences, suivons le récit de M. l'abbé C.
Le 20 juin i353, Geoffroy de Charny, seigneur de Savoisy et de
Lirey, fondait, en l'honneur de l'Annonciation, une église collégiale
de six chanoines, à Lirey (Aube). L'année où il fut tué (à la bataille de
Poitiers, le 19 septembre i356), le 28 mai, son pieux établissement
était confirmé, avec éloges, par l'évêque de Troyes, Henri de Poi-
tiers.
"Vers cette époque, car aucune des sept pièces qui confirment la
fondation n'en parle, on voit l'ostension d'un Suaire attirer de par-
tout à Lirey les foules et les aumônes. L'évêque deTroyes s'émeut et,
convaincu que ce ne peut être l'original, n'hésite pas à interdire, après
une longue et minutieuse enquête, l'ostension de la relique. Dès lors,
commence la lutte entre les évêques de Troyes, les chanoines de Lirey,
Marguerite de Charny, héritière de Geoffroy : nous pouvons suivre,
dans les procès auxquels elle donne lieu, les pérégrinations du Suaire.
Au fond, cette suite importe peu à l'histoire : il nous suffit de savoir
que le Suaire de Turin est celui de Lirey. Ce qui est intéressant au
contraire, c'est de parler de l'authenticité du Suaire et de l'époque à
d'histoire et de littérature 5o5
laquelle il arrive à Lirey. Dans une première brochure ', M. l'abbé C.
qui ne connaissait pas encore tous les documents qu'il publie aujour-
d'hui, croyait déjà pouvoir affirmer qu'il n'était pas authentique. Ses
possesseurs actuels crurent alors devoir descendre dans l'arène et, en
l'absence d'arguments historiques, menacèrent Tabbé C. du Saint
Office ^. Tout cela est fort triste, quand on examine de près la chose.
Turin avait son Exposition, il lui fallait une attraction. Par une
coïncidence vraiment miraculeuse, quelques semaines avant Touver-
ture des galeries, le Saint Suaire conservé dans la chapelle du Palais
Royal de Turin, révéla devant l'objectif photographique de M. Se-
cundo Pia, qui opérait avec un procédé nouveau (qu'il n'a jamais fait
connaître d'ailleurs), une image négative. Il n'en fallait pas plus; par
réflexion l'Exposition devenait la consécration de la royale relique.
C'était ainsi la mise au rang des plus précieuses reliques, du palla-
dium de la Maison de Savoie, et tout marchait à souhait, puisque,
suivant l'expression de M. Loth, cinq cent mille pèlerins avaient
défilé devant lui sans objections, quand dans le ciel serein de leur
tranquillité, la Cour et le clergé de Turin virent apparaître la bro-
chure de M. Fabbé C. A défaut d'arguments italiens, un français, an-
cien élève de l'École des Chartes, fort des éloges de nombreux évoques
qui doivent bien regretter aujourd'hui d'avoir été mêlés à ce débat, se
chargea de prouver l'indiscutable authenticité de la relique de Turin \
Sa position de thèse est très simple : la représentation jusqu'ici per-
çue, puis photographiée par un procédé nouveau, n'est pas le fait des
hommes, elle est acheiropoiëte : elle a été imprimée directement dans
l'obscurité du Sépulcre par les rayons Rœntgen, qui n'étant pas con-
nus des hommes du i^"" siècle, ne peuvent dès lors être que divins :
aussi l'image est-elle venue négative: donc le suaire est authentique.
Tel est le fidèle résumé delà partie scientifique. Le côté historique
est aussi puissamment traité. Je cite textuellement .• « Quoi qu'il en
soit (iM. Loth vient de dire qu'on ignorait absolument le sort du Suaire
de Jérusalem et de celui de Constantinople) de Tideniité du Suaire de
Turin avec celui de Constantinople, on le retrouve ^///vmc;;? en P'rance
au XIV' siècle. » Ce sûrement est admirable. Je continue à citer :
« En i353, un noble chevalier Champenois, Geoffroy I de Charny,
seigneur de Savoisy et de Lirey, connu à la fois par ses exploits et par
ses écrits, fonde à Lirey (Aube) une collégiale qu'il dote du Suaire
actuellement vénéré à Turin. Par don ou par conquête, ce linge sacré
était venu en sa possession. »
1. Chevalier (U.), Le Saint Suaire de Turin est-il l'original ou une copie?
Chambéry, Ménard, 1899, in-8.
2. Chevalier (U.), Réponse aux observations de Mgr Emm. Colomiatli, Paris,
Picard, 1900, in-8.
3. Loth (A), Le portrait de N.-S. Jésus-Christ d'après le Saint-Suaire de Turin,
Paris, Oudin. 1900, in-8 de 64 p.
'
5o6 REVUE CRITIQUE
Nous trouvons donc ici , en réponse à la première brochure de
M. l'abbé C. trois affirmations très précises — en dehors des rayons
Rœntgen, qui viennent corser la dissertation :
1° Le Saint Suaire est sûrement en France au xiv* siècle ;
2° Geoffroy de Charny fonde la collégiale de Lirey pour le Saint
Suaire ;
3° Le Saint Suaire de Turin est celui de Lirey.
M. l'abbé C. est absolument d'accord avec M. Loth sur le troisième
point : il va donc discuter seulement les deux premiers : en définitive,
toute la question est là.
Pas un instant je n'ai douté de la bonne foi de M. Loth, mais sa
critique et son érudition sont inquiétantes. Sous prétexte, assurément,
qu'il y a là un côté religieux, il traite le sujet théologiquement : il
s'appuye sur la tradition, comme s'il s'agissait d'un dogme, sans s'in-
quiéter des documents, alors qu'on est, au contraire, en présence d'un
objet matériel , tangible. Il est hypnotisé par des manifestations
spontanées, vues d'un œil si bienveillant par cette haute autorité
(ne la nommons pas), qui connaissait bien l'existence d'une pièce
attestant la fausseté du Saint Suaire de Turin, mais qui la croyait sous
de si nobles serrures, qu'elle ne verrait jamais le jour. On ne peut
songer à tout, et personne n'avait jusqu'alors soupçonné l'existence
d'un vidimus de ce document, avec lequel nous allons faire tout à
l'heure connaissance.
C'est alors que M. l'abbé C. reprend la chose : et pour la mettre au
point, il entend ne s'avancer que preuves en main. D'abord au sujet de
l'identité du Saint Suaire de Jérusalem et de celui de Lirey, il énu-
mère dix-neuf localités où étaient conservés le Saint Suaire ou tout au
moins de très notables portions de la relique. Je pourrais à cette liste
ajouter dix-neuf autres sanctuaires aussi importants, ce qui nous
donne déjà trente-huit églises où se vénérait le précieux linge. Mais
ce qui est vraiment particulier, c'est que de tous, le Suaire de Lirey
est peut-être le seul dont l'histoire soit absolument inconnue, si incon-
nue, qu'il est impossible, même aux donateurs, d'en indiquer la pro-
venance : cadeau, butin de guerre? écrit M. Loth : il serait cruel d'in-
sister. D'autant que lorsque ses adversaires affirment que la collégiale
de Lirey fut fondée pour recevoir le Saint Suaire, M. l'abbé C. pro-
duit sept pièces de l'an I 353 à l'an 1 356 (date de la mort de Geoffroy
de Charny) relatives à la fondation de la collégiale et dans aucune il
n'est question du Suaire. Qu'il me soit permis, à mon tour, d'en indi-
quer deux autres plus décisives encore : une lettre d'indulgences
signée de douze évèques, qui en i357 (un an donc après la mort de
Geoffroy) accordent des indulgences aux pèlerins qui viendront véné-
rer, à certains jours, les reliques de la collégiale, reliques qui y sont
énumérées, et du Suaire il n'est pas mention; puis l'obit de
Geoffroy de Charny, inscrit au nécrologe de la collégiale, qui ne
d'histoire et de littérature 507
parle pas du Suaire. Elles sont publiées dans Avna.ud, Voyage archéo-'
logique dans l'Aube (Troyes, Cardon, i836, in-40, p. 117).
La démonstration pourrait sembler déjà faite, mais voilà que pour
finir, M. l'abbé C. publie le vidimus de la fameuse pièce — qu'il est
défendu de connaître. — Pierre d'Arcis, évéque de Troyes, interdisant
de nouveau l'ostension du Suaire en iSSg, reproduit dans son mé-
moire, l'enquête faite par Tévéque Henri de Poitiers, et on y lit :
« Reperit fraudemet quomodo pannus ille artificialiter depictus fuerat,
et probatum fuit etiam per artificem qui illum depinxerat » : ce qui se
traduit en bon français : « il découvrit la fraude et en même temps
comment le Suaire avait été exécuté, ce qui fut confirmé parle peintre
qui l'avait fait. » Du texte original, je ne connais qu'un lambeau de
phrase, que j'ai imprimé — car moi aussi, j'ai écrit sur le Suaire '
artifex qui illum depinxerat... Ce qui confirme l'authenticité du vidi-
mus. Mais je sais par M. B. Prost que le nom du peintre n'y est pas
mentionné.
11 me semble que maintenant la cause est entendue. Cependant, à
ceux qui ne veulent écouter que la tradition, qui, tentés par le côté mys-
térieux, croiront encore aux rayons Rœntgen, je demande la permis-
sion de joindre à l'argumentation si serrée de M. l'abbé C, quelques
renseignements absolument scientifiques. Ce négatif., point de départ
d'une véritable croisade, pierre angulaire sur laquelle repose toute
cette croyance, ne devait-il pas venir nécessairement, puisque c'était
par transparence qu'on photographiait le Suaire ; toutes les épaisseurs
de peinture blanche donnaient forcément un noir, donc. Mais, le
grand argument que je ne me lasserai jamais de répéter, c'est la sépa-
ration entre les deux images, face et revers du cadavre, dont les têtes
sont à 0,16 centimètres environ l'une de l'autre. Comment expliquer
cette distance, alors que dans l'enveloppement du cadavre, les rayons X
auraient dû, inévitablement, donner sur le linge, pour le sommet de
la tête, une masse de forme cylindrique, sans solution de continuité,
au lieu de deux crânes absolument distincts? Et si nous revenons vers
le terrain théologique, qu'on veuille bien m'expliquer ce passage de
M. Loth : « En i5o3, le Saint Suaire, dont on voulait démontrer la
divine authenticité, subit la triple épreuve de l'huile bouillante, du
feu, d'un lavage répété. Bouilli à l'huile et à l'eau, passé au feu, lavé
et frotté plusieurs fois, il resta intact, rien ne put effacer la merveil-
leuse empreinte. » Dès lors, pourquoi le miracle ne se renouvela-i-il
pas le 4 décembre i532, dans l'incendie de la Sainte-Chapelle de
Chambéxy, où le Suaire fut si bien brûlé en douze endroits, que les
larges trous en sont encore visibles, même sur la photographie ?
Qu'on me laisse enfin terminer par la question d'art. « Cette représen-
tation miraculeuse, ce négatif que n'aurait pu exécuter un pieux faus-
I . Chronique des Arts, 1900, p. 3o3.
'
5o8 REVUE CRITIQUE
saire de génie, cette inestimable figure, l'admirable et émouvante phy-
sionomie du Sauveur qui n'appartient pas à la peinture et ne relève
pas plus du pinceau que de l'œil de l'artiste «, au dire de M. Loth, est
une bien barbare image, où les mieux disposés ont toutes les peines
à distinguer quelques traits grossiers. Aussi, je plains du fond du
cœur ceux qui n'élèvent pas plus haut que cette triste représentation,
dans leur esthétique, l'idéal que nous devons nous faire de la divine
personnalité du Christ.
F. de Mélv.
Pascal : Opuscules et Pensées, publiés avec une introduction, des notices et des
notes par M. Brunschvicg. i vol. in-12 de iv-804 p. — Paris, Hachette, 1900.
Les éditions des Pensées se sont multipliées depuis quelques années
pour le plus grand profit des études philosophiques et littéraires, et
celle de M. Brunschvicg est à coup sûr la plus soignée qui ait été faite
depuis M. Havet. Le nouvel éditeur s'est attaché à ne rien sacrifier
des opuscules de Pascal ; son texte est bien établi, et ses notes très
abondantes ont pour objet de résoudre les innombrables difficultés
que soulève la lecture des Pensées. Par conséquent M . Brunschvicg a
droit à la reconnaissance de ceux qui aiment Pascal et qui cherchent
à le bien connaître. Pourquoi faut-il que lui aussi ait cédé à la tenta-
tion de bouleverser l'ordre des anciennes éditions? Il ne faut pas
chercher à reconstituer le plan de Pascal apologiste ; on y perd son
temps et sa peine, et tous ceux qui ont tenté cette œuvre de reconsti-
tution se sont heurtés à des difficultés insurmontables. D'autre part, il
ne faut pas imiter ceux qui, après Bossuet, ont par trop laïcisé Pascal,
et dès lors on est fort embarrassé. Mais pourquoi ne pas faire, à la
moderne bien entendu, ce qu'ont fait avec grande raison les premiers
éditeurs, ceux de 1670? Quoiqu'ils eussent été les confidents de Pas-
cal, ils n'ont pas cherché à suivre un ordre qu'ils savaient ne pas
exister; ils ont voulu du moins respecter les intentions de leur ami,
qui voulait faire avant tout une œuvre religieuse. Voilà pourquoi ils
ont intitulé l'ouvrage : Pensées sur la religion — et sur quelques
autres sujets. On pourrait, on devrait même, ce me semble, procéder
aujourd'hui de la même manière, et conserver l'ordre qu'ont adopté
avec raison les premiers éditeurs, c'est-à-dire Périer, Arnauld et le duc
de Roannez. Il suffirait, aprèsavoir établi le texte dans toute sa pureté,
d'ajouter à chacun de leurs xxxii chapitres les pensées qui s'y rappor-
tent le plus naturellement, et l'on donnerait plus d'étendue aux Pen-
sées diverses qui terminent l'édition de 1670.
Telle qu'elle est, et comme plusieurs éditions de nos grands classi-
ques appartenant à la même collection, cette édition nouvelle me
paraît appelée à rendre de grands services aux maîtres de la jeunesse
d'histoire et de littérature 5 09
et aux étudiants de renseignement supérieur. On n'oserait pas la
recommander aux élèves de l'enseignement secondaire qui vraiment
ne peuvent pas avoir entre les mains une édition des Pensées de Pas-
cal en 800 pages !
A. G.
Léon Kahn : Les Juifs de Paris pendant la Révolution, i vol. in-8 de vii-SGg p.
— Paris, Ollendorf, 189g.
Voilà un bien gros volume pour un sujet qui semblait ne comporter
qu'un très petit nombre de pages, car on lit (p. 232) : « Peu de juifs
ont joué un rôle pendant la Révolution. Ceux-là mêmes qui ont été
mêlés à quelques uns de ses épisodes n'y ont eu qu'une part tout à fait
secondaire. » Et M. Kahn avait dit auparavant : « Le vrai est qu'ils ne
furent ni meilleurs ni pires que leurs concitoyens. » D'ailleurs, ils
n'étaient guère nombreux au temps de la Révolution, les juifs de
Paris; tout bien compté, ils n'étaient pas 5oo. Aussi M. K. ne par-
vient-il à enfler son volume qu'à force de digressions. Il ne parle
même pas des juifs de Paris dans les cent premières pages du livre;
elles sont consacrées exclusivement aux juifs de France, et en parti-
culier à ceux de Bordeaux, d'Avignon, de Strasbourg. Une fois au
cœur de son sujet, l'auteur s'attarde à des monographies d'un intérêt
très relatif : les Pereyra, les Frey, les Calmer ne sont pas précisément
ce qu'on appelle des personnages historiques. Après quoi vient un
long chapitre sur Napoléon et les juifs; or, l'Empire n'est pas la Ré-
volution, et Napoléon songeait surtout aux juifs d'Alsace.
L'ouvrage de M. Kahn ne me paraît donc pas devoir ajouter beau-
coup à ce que l'on savait déjà. Il s'annonce comme essentiellement
sincère et impartial ; mais on s'aperçoit dès la préface qu'il manque
absolument de sérénité. C'est d'une part l'apologie à outrance, et d'au-
tre part le dénigrement systématique. On ne peut s'empêcher de sou-
rire quand on voit un historien de la Révolution montrer l'Eglise de
France qui s'acharne contre les malheureux juifs même pendant la
Terreur! En somme, ce livre est d'un intérêt tout à fait secondaire ;
la question ne demandait pas à être traitée avec une telle ampleur.
A. G.
Orsi (Pietro). L'Italia moderna : storia degli ultimi 150 anni fine alla
assunzione al trono di Vittorio Emanuele III. .Milan, Hocpli, kjoi. I11-8
de xin-421 p. 6 fr. 5o.
Ce volume mérite une double louange ; car, non seulement il est
très bien fait, mais il offre des mérites qui sont peu communs en
'
5 I O REVUE CRITIQUE
Italie. Nos voisins excellent dans les travaux d'érudition ; Tart de
résumer les faits pour les gens du monde ou pour les écoliers leur
est moins familier ; même quand ils écrivent pour les écoles primaires,
ils se résolvent malaisément à sacrifier les détails secondaires, et
s'exposent à y noyer les idées. Mais l'ouvrage que nous annonçons fait
partie d'une collection que dirige un homme aussi spirituel que
savant, M. Pasquale Villari ; et l'auteur s'est préparé de longue main
à l'art de ne pas tout dire en analysant pour notre Revue historique
les productions des historiens italiens. Aussi, sans tomber dans la
sécheresse et sans s'interdire de citer des documents de première main,
sait-il conduire son récit avec rapidité. Une autre qualité de l'ouvrage
consiste dans la modération de Tauteur : son patriotisme ne déclame
jamais. Enfin, l'ouvrage, imprimé avec beaucoup de soin, est orné de
3 cartes géographiques et de 48 photographies en général fort bien
exécutées. Il se termine par un extrait du Statut de Charles Albert qui
forme encore aujourd'hui la Constitution italienne, par une vaste
bibliographie et par un copieux index.
Charles Dejob.
Edward Henry Strobel, The Spanish Révolution, 1868-1875. Boston (Small,
Maynard et C"), 1898, in-12, 293 p.
Miguel ViLLALBA Hervas, De Alcolea à Sagunto, Madrid (Suârez) 1899, in-12,
xn-425 p.
Ces deux ouvrages portent sur la même période de l'histoire con-
temporaine d'Espagne : révolution de 1868, gouvernement provisoire
de 1869 à 1870, règne d'Amédée, république de 1873 aux derniers
jours de 1874, restauration alphonsiste. Le livre de M. Strobel nous
donne sur la révolution de Cadiz, du 18 septembre ', des détails,
d'ailleurs connus, mais que ne contient pas le présent volume de
M. Villalba Hervas qui a déjà traité ce sujet dans une précédente pu-
blication : Recuerdos de cinco lustres. Ceci mis à part, les récits se
suivent parallèlement. M. S. nous raconte les événements de cette épo-
que agitée avec la froide impartialité d'un étranger. Il a fait un très
large usage des comptes-rendus des séances des Cortès et dans un
livre pourtant assez court il a trouvé le moyen de semer quelques frag-
ments de discours intéressants. Il y a plus de passion chez M. V. H.,
qui est lui-même, si nous ne faisons erreur, un homme politique de
tendances libérales très décidées; en revanche il y a dans son ouvrage
une note personnelle qui fait défaut à celui de M. Strobel, on y sent
les impressions d'un témoin qui a assisté aux événements et en a
I. Et non du 19 comme M. Strobel Ta imprimé par erreur à la première ligne
de sa première page.
D HISTOIRE ET DE LITTÉRATURE 5 I I
•connu les principaux acteurs. Aussi son livre, moins sagement fait
que celui du diplomate américain en ce qui concerne l'histoire parle-
mentaire officielle, donne-t-il mieux la sensation de la vie. Il contient
aussi beaucoup plus de détails sur les questions coloniales : guerre de
Cuba, affranchissement des esclaves à Puerto-Rico, situation extraor-
dinaire créée à Manille par la prépondérance des Ordres religieux ei
d'un parti espagnol hostile à toute mesure libérale envers les indi-
gènes.
Les deux ouvrages, celui de M. Villalba Hervds en particulier,
pourraient gagner en précision sur l'affaire des candidatures au trône
d'Espagne en 1869-70. Nous croyons même devoir relever comme
une erreur dans le livre espagnol (p. g5) l'assertion qu'après la décla-
ration de guerre entre la France et la Prusse, le major von Versen
vint dem.ander à Prim de mettre 3o.ooo hommes en campagne contre
nous. M. de Bismarck, cela n'est pas douteux, réclama Tappui mili-
taire de l'Espagne, vainement d'ailleurs, mais la mission de von Ver-
sen est antérieure de quelques mois à l'époque indiquée et se place en
avril 1870.
Il convient, à propos de ces deux livres, de rappeler un ouvrage
allemand sur le même sujet remontant à 1877 ^^ ^^ tendances suspec-
tes en tout ce qui touche la question Hohcnzollern, mais qui reste
utile à consulter. Nous voulons parler de la Geschichte Spanicns von
dem Stiu'i Isabella's bis \ur Thronbesteigung Alfonso's , de
M. W. Lauser.
H. Léonardon
La Nouvelle Réforme de l'Orthographe et de la Syntaxe françaises, texte de
l'Arrêté ministériel avec avant-propos et commentaire, par Emile Rodiik. Lund,
Gleerup, s. d.; in-12 de 52 pages.
Voici que de Suède nous arrivent, réunis dans un format commode,
le texte de l'Arrêté ministériel du 3i juillet dernier, les prescriptions
dont se compose la « liste annexée », et le Rapport présenté au nom
de la commission par M. Clairrn : le tout est encadré entre un avant-
propos et un commentaire suivi. Typographiquement, on peut regret-
ter que ces deux parties personnelles de l'opuscule soient dans le
même caractère que le reste, et le contraire eût été, je crois, préféra-
ble. M. Rodhe dit, dans son avant-propos, qu'il ne laisse pas d'être
un peu inquiet de ce « mot tolérer qui revient perpétuellement au
cours de l'arrêté », et il ajoute avec une parfaite justesse : « Tolérer,
c'est agir;' il est impossible de prendre en matière de réforme gram-
maticale une attitude passive. Les illustres professeurs qui ont rédigé
ce manifeste de libéralisme peuvent, sûrs de leur science, se permettre
un certain scepticisme. Mais le petit enseignement veut des règles. »
Tout cela ne va pas sans une pointe d'ironie. Le commentaire lui
!
5 I 2 REVUE CRITIQUE
aussi est un modèle de discussion modérée, mais précise, et par
endroits impitoyable : il fait ressortir combien sont peu cohérentes les
■décisions du Conseil supérieur, qui a oscillé entre des restaurations
archaïques impossibles (genre féminin du mot aigle, pluriel aucuns,
etc.) et des nouveautés périlleuses. Je suis d'accord sur tous ces points
avec l'auteur du présent opuscule, et il y en a — notamment la ques-
tion des participes passés — sur lesquels je suis même plus intransi-
geant que lui : c'est peut-être notre devoir, à nous Français. Mais j'ai
dit cela ailleurs trop nettement, trop longuement, pour avoir envie
d'y revenir aujourd'hui : je suis heureux seulement de constater qu'à
l'étranger des esprits sages, comme M. Rodhe, partagent un peu mon
opinion et celle de tant d'autres.
E. BOURCIEZ.
La langue basque et les idiomes aryens, par J.-B. Darricarrère. — Deux
brochures in-8" : I. Barcelonnette, i885, 3i p.; \\. Rayonne, 1898, xij-56 p.
M. Darricarrère, capitaine des douanes, employait les rares loisirs
que lui laissait la surveillance de la frontière à l'étude de la langue
basque ; c'est ce qui nous explique que ces deux brochures aient été
publiées dans deux villes si différentes et si éloignées l'une de l'autre.
Aussi, devons-nous féliciter M. D. d'avoir su ne pas borner son acti-
vité à la profession qu'il avait embrassée, car il a dû en éprouver quel-
ques ennuis. Les administrations n'aiment généralement pas que les
fonctionnaires fassent autre chose que leur métier, et, si l'on trouve
fort bien qu'en dehors des heures de bureau ou de service, un em-
ployé aille au café, au théâtre ou à la chasse, on le voit d'un mauvais
œil s'intéresser à la science, lire ou écrire dans l'indépendance du
cabinet ! M. D., aujourd'hui à la retraite et entièrement libre, a com-
mencé la publication d'un dictionnaire basque-français sur lequel
nous reviendrons quand il sera terminé.
Les deux brochures annoncées ci-dessus sont, en attendant, fort
intéressantes. Elles se présentent avec une bonne allure scientifique et
témoignent d'une lecture considérable ; on y trouve de nombreux et
très curieux faits d'observation ; mais malheureusement l'auteur s'est
laissé entraîner au delà des limites de l'hypothèse et des déductions.
On disait jadis que les étymologistes regardaient les voyelles comme
rien et les consonnes comme peu de chose; M. D. n'en est pas là,
mais il conclut volontiers d'une loi phonétique à un fait possible et de
suppositions en suppositions il en arrive à l'absolue invraisemblance :
il ramène par exemple le basque aho « bouche » à un primitif buka ou
kabu auquel il apparente bucca et 4''V7i, et le basque harri « pierre >>
à un primitif kharra identique (?) au sanscrit karkara.
Desinit in piscem..- piteux résultat de travaux scientifiquement et
d'histoire et de littérature 5 I 3
méthodiquement commencés! C'est toujours la même erreur : on ne
s'occupe que des mots et l'on ne tient aucun compte de la grammaire
c'est-à-dire de ce qui résume véritablement le « génie » d'une langue.
Or, il ne saurait évidemment y avoir rien de commun entre le méca-
nisme morphologique et syntactique du basque et celui des langues
indo-européennes. Les démonstrations et les conclusions de M. Darri-
carrère pèchent irrémédiablement par la base.
Julien ViNsoN.
P. Weisengrun, Der Marxismus und das Wesen [der sozialen Frage, i vol.
in-8, viii et 480 p. Leipzig, Veit, 1900.
Ce grand ouvrage de M, Weissengrun, annoncé il y a deux ans par
une brochure. Das Ende des Marxismus, dont j'ai rendu compte ici
même, n'est pas seulement, comme le titre pourrait le faire croire,
un examen critique du Marxisme mais constitue un effort des plus in-
téressants pour fonder une méthode sociologique nouvelle. Il se divise
en trois grandes parties. Dans la première (p. 37-212), M. W. exa-
mine les fondements philosophiques de la sociologie de Marx : sa
doctrine repose sur la conception matérialiste de l'histoire ; or, cette
conception selon M. W., est erronée parce qu'elle repose sur l'hypo-
thèse fausse qu'il y a, en histoire et en sociologie, des lois [présentant
le caractère absolu des lois physiques. Nous devons, en réalité, renon-
cer à donner une explication définitive des faits historiques, mais
nous borner à une Qy-pYicmùon provisoire que nous obtiendrons à l'aide
d'une méthode purement « heuristique >> et qui nous fournira une
image de l'évolution passée de l'humanité ainsi que des indications
plus ou moins certaines sur la direction probable ou possible que
prendra cette évolution dans l'avenir. — La seconde partie du livre de
M. W. (p. 21 3-352) analyse les résultats généraux des doctrines éco-
nomiques de Marx et aboutit à un bilan qui peut se résumer ainsi :
la théorie de la lutte des classes, la description de l'évolution de la
grande industrie, l'idée de l'organisation politique des travailleurs
sont les parties les plus solides de l'œuvre de Marx. D'une manière:
générale toutefois, son système est caduc, métaphysique par sa mé-
thode, matérialiste et mécanistepar la base sur laquelle il repose, il est'
faux dans l'ensemble ; sa notion de la valeur est l'une des plus étroi-'
tes qui aient jamais été proposées ; sa loi immanente de l'évolution du
capitalisQie est inexacte (sauf en ce qui concerne la grande industrie).
Au total, le marxisme est une construction logique d'une admirable et
grandiose architecture, il séduit parce qu'il n'est pas seulement une
doctrine économique mais une conception générale de la vie ; mais il
est condamné, il a fait son temps et il est parfaitement vain de cher-
cher à le restaurer car ses défauts sont organiques et ne peuvent pas
5 14 REVUE CRITIQUE
être corrigés par des amendements superficiels. — La troisième partie
(p. 353-421) est une révision des notions essentielles de la sociologie.
M. W. montre par des analyses ingénieuses que la notion d'indi-
vidu comme celle de société ne correspond à aucune réalité dans
la vie sociale et que la notion d'organisation est en définitive celle qui
possède le plus haut degré de réalité. Il précise ensuite quel est le but
final vers lequel doit tendre l'évolution sociale. Dans la quatrième
partie enfin (p. 425-480) il esquisse dans ses grandes lignes la politi-
que qu'il veut opposer à celle du marxisme, il indique les mesures
pratiques par lesquelles la société contemporaine doit s'acheminer
vers son but idéal.
Il ne saurait être question, dans les limites de ce compte rendu,
d'exposer et de discuter dans le détail les idées de M. W. Je me bor-
nerai ici à signaler l'un des motifs de son ouvrage qui m'a paru tout
particulièrement caractéristique et original. M. W. est convaincu que
l'une des erreurs capitales de Marx est d'avoir prétendu expliquer
toute l'évolution sociale et économique de l'humanité par des causes
matérielles, et d'avoir tenu pour négligeables les facteurs psychiques
qui exercent certainement aussi une influence considérable sur cette
évolution. Et pour montrer quelle est la nature de cette influence, il a
recours à une conception empruntée partiellement à la philosophie de
Nietzsche. Nietzsche est le premierà avoir misen lumière dans toute son
importance cette grande loi qui domine selon lui toute la psychologie
individuelle ou sociale:! 'homme, àtoute époque, aune table des valeurs
qui détermine tous ses jugements et tous ses actes, et cette table des
valeurs est susceptible, selon les individus et les époques, de varia-
tions fort étendues. C'est de cette notion de la table des valeurs que .
M. W. s'empare pour en tirer une explication psychologique de l'évo-
lution sociale. Il existe, dit-il, en tout temps, un ensemble de valeurs
moyennes, reconnues par tous les individus appartenant à un groupe
social donné, et cela quel que soit leur degré de culture. Or, cette
table des valeurs varie peu à peu, et cela non pas d'une façon arbi-
traire, en vertu de l'influence fortuite de tel ou tel grand génie, mais
d'une façon tout à fait nécessaire, sous l'action de ce que M. W. ap-
pelle la « loi de la complication sociale. » Les valeurs reconnues par
l'homme primitif sont immédiates, c'est-à-dire qu'il estime toute chose
dans la mesure où elle sert à satisfaire des besoins physiques immé-
diats. Mais à mesure que l'homme se civilise, il se crée une série de
valeurs médiates et dérivées, comme l'honneur, la richesse, etc., qui,
estimées d'abord simplement comme moyen de satisfaire les besoins
immédiats, sont peu à peu Q%x\mées, pour elles-mêmes et considérées
comme bonnes en soi. Et l'importance de ces valeurs va sans cesse en
augmentant. M. W. pose la formule suivante : « L'évolution des va-
leurs psychiques se fait de telle sorte que les valeurs moyennes devien-
nent, dans leur totalité, toujours plus médiates ou, pour m'exprimcr
d'histoire et de littérature 5i5
avec plus de précision, atteignent un degré toujours plus haut de
complication sociale » (p. 149). A certaines époques glorieuses comme
la Renaissance où il y a harmonie parfaite, chez Thomme, entre les
instincts et la culture, ces valeurs médiates sont, selon l'expression de
M. W., kultiirnotwendig. Au xix^ siècle les valeurs médiates que nous
reconnaissons perdent ce caractère de nécessité ; nous ne percevons
plus, en général, de rapport immédiat entre ces valeurs et la culture
d'aujourd'hui ; pour prendre un exemple particulier, l'art n'est plus
perçu aujourd'hui comme il l'était au temps de la Renaissance comme
un facteur intégrant et nécessaire de la culture ; pour la plupart des
modernes il est un luxe, quelque chose d'artificiel et de factice. — Or,
cette théorie de la complication sociale fournit à M. W. l'interpréta-
tion psychologique de l'évolution sociale que le marxisme se mon-
trait incapable à nous donner. Ce n'est pas uniquement le développe-
ment du régime capitaliste qui cause le malaise de l'époque présente ;
le capitalisme lui-même a pour fondement un ensemble de valeurs
psychiques, une table des valeurs. C'est là qu'il nous faut chercher la
raison dernière du mal dont nous souffrons. La bourgeoisie d'aujour-
d'hui souffre parce qu'elle a inscrit en tête de sa table des valeurs
la richesse et le confort alors que l'homme de la Renaissance y plaçait
la puissance et l'honneur ; elle souffre surtout parce que les valeurs
moyennes admises aujourd'hui ont presque toutes perdu \quv Kultiif-
notwendigkeit. Et de même le but de l'évolution sociale n'est pas sim-
plement la destruction du capitalisme et l'avènement du collectivisme ;
il consiste dans le retour aux valeurs de la Renaissance, à une culture
non plus factice mais harmonieuse et nécessaire dans toutes ses par-
ties, à une culture qui ne sera plus le privilège d'une petite élite, mais
qui se répandra progressivement dans les masses et effacera peu à peu
les inégalités en élevant sans cesse le niveau des classes inférieures.
On le voit, le livre de M. W. ne s'adresse pas uniquement aux éco-
nomistes, mais d'une manière générale à tous ceux qu'intéresse l'évo-
lution de la culture allemande. L'auteur a fait un très intéressant
effort pour remonter, par delà les problèmes techniques, aux problè-
mes philosophiques et psychologiques qui les conditionnent. Egale-
ment éloigné des purs agnostiques qui réduiraient volontiers la socio-
logie à la simple histoire des formes sociales 'passées et des métaphy-
siciens qui déforment la réalité dans leurs systèmes dogmatiques, il se
rapproche par ses tendances générales des philosophes qui préconisent
le « retour » à Kant ou à F. -A. Lange ; comme eux il veut baser la
sociologie non plus sur une métaphysique matérialiste, mais sur une
théorie cri'tique de la connaissance. Nombre de chapitres de son livre
témoignent d'un esprit d'analyse très fin et très sûr ; je citerai comme
particulièrement intéressante, outre son essai sur la « complication
sociale », sa comparaison du Darwinisme, du Marxisme ci de la théo-
rie de la complication (p. 202 ss.), son esquisse d'une économie politi-
'
5 1 6 REYUE CRITIQUE
que fondée sur Fintuition de la réalité concrète et non sur des catégo
ries métaphysiqu^îs (p. 348 ss.) ses très intéressants jugements sur"
Nietzsche (p. 184 ss. et 368 s.), etc. Au total, c'est un ouvrage origi-
nal et suggestif qui, s'il ne donne peut-être pas beaucoup de résultats
définitifs, a le mérite de poser des problèmes nouveaux et intéressants,
et doit être signalé à l'attention de ceux qui suivent le mouvement des
idées en Allemagne.
Henri Lichtenberger.
Lettre de M. Salomon Reinach.
Mon cher Directeur,
Un entrefilet, publié dans un journal du matin et gracieusement expédié à beau-
coup de membres de l'Institut, m'accuse d'avoir insulté six de mes confrères dans
le n* 45 de la Revue, p. 356.
C'est un mensonge, et la manière dont on le colporte prouve qu'il émane d'un
de ces hommes par qui il vaut mieux être pendu que loué.
Tout à vous.
Salomon Reinach.
Lettre de M. P. Feret.
Saint-Maurice, le 2 décembre 1900.
A Monsieur R. attaché à la rédaction de la Revue critique d'histoire et de litté-
rature.
Monsieur,
MM. Picard, libraires-éditeurs, viennent de m'expédier la Revue critique d'his-
toire et de littérature, n° du 12 novembre dernier, dans lequel j'ai lu un article de
vous sur la Faculté' de théologie de Paris et ses docteurs les plus célèbres.
Vous pouvez avoir le droit de formuler des critiques et de m'adresser des con-
seils, comme j'ai incontestablement celui d'apprécier la vérité des unes et la jus-
tesse des autres.
A vous entendre, je serais un 0 sectaire » et j'obéirais à des << passions )j. Je
m'en serais jamais douté, cherchant toujours à rendre justice à chacun.
Libre à vous de dire que je me montre fort peu capable de comprendre (([l'inélucta-
ble nécessité du mouvement de la réforme ». Vous voudrez bien sans doute m'ac-
corder la liberté de comprendre la nécessité de la réforme, non dans le sens de
Luther et de Calvin, mais comme l'entendait le concile de Trente.
Au sujet de l'inquisition, vous oubliez, intentionnellement peut-être, que je me
place uniquement au point de vue des principes <( religieux ou constitutionnels »
de l'époque, pour expliquer, mais en déplorant les abus et les excès, les sentences
des « tribunaux inquisitionnaires et des parlements ou autres tribunaux analo-
gues, fonctionnant dans les états de la chrétienté. »
Et c'est en cet endroit de mon livre que se trouve ce que vous appelez « des tira-
des sur l'affaire Dreyfus ». Ces cinq lignes :
« Les Protestants n'ont cessé de considérer la France comme une terre à con-
« quérir. Et, pour cela, toutes les circonstances sont mises à profit, tous les moyens
« semblent bons. Au xvi^ siècle, ils en appelaient aux armes. Au xix«, ils en ap-
a pellent à la domination par les places et, dans l'antipatriotique campagne en
« faveur de l'aftaire Dreyfus, ils n'ont pas craint de faire alliance avec les Juifs et
« la franc-maçonnerie; » ces cinq lignes, que j'écrirais encore, tant elles sont l'ex-
d'histoire et de littérature 517
pression de la vérité ! placées simplement en note, constitueraient-elles donc des
« tirades » !!! Il me semble que c'est montrer un peu trop le bout de l'oreille.
Comment, diantre, découvrez-vous « des plaisanteries d'un goût douteux » dans
cette phrase : « Le ciel aurait donc vouJu saluer et venger à l'avance la mort de
son apôtre. Du reste, les conséquences de la fameuse gelée blanche ne furent pas
aussi désastreuses. »
Vous trouvez naturel et bien, qu'au xix« siècle la France protestante, M. Wciss
et autres fervents adeptes de la religion réformée continuent à donner couram-
ment aux docteurs de Paris, comme si les injures étaient incontestablement méri-
tées, les épithètes d'ignorants, de pédants, d'orgueilleux, etc., c'est pour le moins
étrange chez un homme qui prétend faire de la critique ! Quant à moi, je me suis
appliqué dans ce volume, comme dans le suivant, à les apprécier à leur juste
valeur.
Relativement à une phrase que vous relevez, je confesse que j'ai eu tort de ne
pas remarquer, pour en faire l'objet d'un erratum, que « contre » avait été im-
primé à la place de « pour ». Mais le lecteur n'aura pas de mal à découvrir la
faute typographique.
Il m'est toujours pénible de suspecter la sincérité des gens. Puisque vous par-
lez de « sérieux », je préfère mettre votre sérieux en cause dans la circonstance.
Est-ce donc sérieusement que vous me reprochez de prendre « l'accusatif pour le
nominatif », en appelant « par exemple Brent:^en et Belimen des gens qui s'appe-
laient Brent^ et Boelim », de commettre d'autres erreurs, en faisant « de l'astro-
nome J. Muller de Kœnigsberg (regiomontanus) un Régie Montan plus ou moins
authentique », en nommant « Carlstadt Carlostad », en donnant à Othon Brunfels
la qualité de « gentilhomme » ?
Est-ce que je n'ai pas écrit, p. 171, avec les biographes : n Jean Brent^en on
Brent:{... >> ? (Voir, entr'autres, car en ce moment je n'ai que des biographies sous
la main, la Nouvelle Biographie générale et le Dictionnaire de Biographie Chré-
tienne).
Est-ce que p. 409, après avoir traduit en français — et je ne suis pas le seul qui
le fait — le nom latin adopté par le savant ', je ne donne pas son propre nom :
« Jeati Muller » ?
Est-ce que le nom du fameux réformateur, doctorisé par Luther ', ne s'orthogra-
phie pas à la fois : Carlstadt, Karlstadt, Carlostadt ? Et même ce dernier nom
n'est-il pas plus souvent écrit ? '
Ai-je faitd'Othon Brunfels un gentilhomme ? Vous le dites. Je ne me le rappelle
aucunement et je ne puis trouver l'endroit. J'ai parlé tout particulièrement
d'Olhon Brunfels aux pages 142 et 208, et là pas un mot de sa gcntilhommerie.
Mais, si par inadvertance j'ai commis cette erreur, je m'empresserai de la cor-
riger *.
Assurément, Monsieur, vous reconnaîtrez mon droit de réponse et vous tien-
drez à ce que ces lignes soient insérées dans le prochain numéro de la Revue.
Veuillez agréer, Mohsieur, l'assurance de ma considération très distinguée.
P. P'eret.
1. M. F. oublie seulement qu'il n'a pas écrit Regiomontanus mais Regio Mon-
tanus. — R.*
2. Malheureusement pour le beau néologisme forgé par M. F., André Bodcns-
tein, dit Carlstadt (d'après le mss. de sa ville natale), était docteur depuis i5io,
tandis que Luther ne le devint qu'en i5i2. — R.
3. Aucun savant n'a jamais écrit Carlostadt en français, pas plus que Brcnt^en
ou Behmen. — R.
4. C'est p. 208, 1. 3. qu'on lit « Othon de Brunfels ». — R. ''
5l8 REVUE CRITIQUE
Mon cher directeur,
Vous venez de me communiquer le factum, de style un peu familier, que vous
avez reçu de M. l'abbé Feret, à propos de mon article. Je ne crois pas qu'il soit
bien nécessaire d'y répondre longuement, puisque, sauf sur la question de « bon
goût », que j'abandonne au jugement de nos lecteurs, toutes les observations de
détail consignées dans mon compte-rendu, y sont plus ou moins explicitement con-
cédées, ne fut-ce que par prétérition. Je constate seulement — sans apprécier le fait —
que l'auteur d'un livre à prétentions scientifiques, et qui s'indigne de ce que j'y ai si-
gnalé des traces de « passion » et « d'esprit sectaire », répète, une fois de plus, contre
près d'un million de ses concitoyens, l'accusation calomnieuse de manquer de pa-
triotisme, et qu'il l'aggrave en affirmant solennellement qu'elle est « l'expression de
la vérité » même. Quant à discuter des idées générales avec un écrivain si peu
disposé à admettre que toutes les grandes révolutions de l'humanité, depuis l'avé-
nement du christianisme jusqu'à la Révolution française, ont été inéluctables et se
sont produites par la force même des choses, c'est une tache trop ingrate pour que
j'éprouve la moindre envie de l'aborder ici. Mais puisque l'occasion se présente de
réparer une faute, à laquelle le typographe a eu d'ailleurs plus de part que le cri-
tique et que M. l'abbé Feret aurait pu me reprochera bon droit, je m'empresse de
la signaler moi-même aux lecteurs de la Revue. J'avais écrit que M. l'abbé Feret
avait utilisé surtout le mémoire de M. L. Delisle sur un registre de la faculté de
théologie, déposé à la Bibliothèque Nationale, ainsi que les Actes de Baudrand,
manuscrit appartenant à Saint-Sulpice. Les mots soulignés ont disparu à l'impres-
sion et l'on a pu croire ainsi que l'auteur ignorait oit se trouvait le registre offert
par M. le duc de la Trémoille. C'est la seule chose dont j'aie à lui -demander par-
don et je le fais volontiers, sans compter sur la réciproque".
R.
— La Commission royale d'histoire de Belgique publie le rapport sur les Chro-
niques de Brabant que lui ont présenté M. Alfred Cauchie professeur à l'Univer-
sité de Louvain et son élève, M. Alphonse Bayot {Les Chroniques brabançonnes,
Bruxelles, Kiessling, igoo, 62 pp., in-8'). Les auteurs de ce rapport y énumèrent
quarante-cinq auteurs ou œuvres anonymes, de valeur fort diverse, depuis Sige-
bert de Gembloux (7 11 12) jusqu'à Jean Gielemans (f 1487), donnant quelques
courtes indications biographiques sur les écrivains connus, sur l'originalité plus
ou moins grande de leur œuvre, ajoutant leur bibliographie quand ils ne sont pas
inédits (ce qui est le cas pour le plus petit nombre) ou momentanément perdus.
Les signataires terminent par la déclaration que la plupart des chroniques déjà
mises au jour l'ont été dans des conditions assez satisfaisantes pour qu'on ne doive
pas dépenser son temps ni son argent à les rééditer une seconde fois; il serait
préférable de s'appliquer à la recherche de quelques-uns des textes, égarés île nos
jours et qui se cachent sans doute sur les rayons de quelque collection publique
ou particulière et de publier certains des manuscrits inédits, indiqués dans la liste
qu'ils ont donnée plus haut ; un Corjjws des Chroniques monastiques du Brabant
serait également, à leur avis, une œuvre des plus utiles et qui devrait être entre-
prise prochainement. — R.
— L auteur de l'important travail sur la propriété foncière dans les villes du
moyen âge et spécialement en Flandre, était tout particulièrement à même de retra-
cer, en quelques pages expressives, le tableau si curieux des crises sociales, qui
tout autant que les querelles religieuses et politiques, ont travaillé les populations
urbaines du xiii" et du xiv" siècles et amené les luttes acharnées de la haute bour-
v'.
D HISTOIRE ET DE LITTERATURE .Sig
geoisie et du prolétariat. Ces crises, qui n'ont été nulle part plus violentes qu'aux
Pays-Bas, M. Des Marf.z nous les présente en résumé dans son étude Les luttes
sociales en Flandre au moyen âge, tirage à part de la Revue de l'Université de
Bruxelles (Bruxelles, Lefèvre imprimeur, 1900, 36 pp., in-S"). Le savant archiviste
de la capitale belge nous y explique d'une façon convaincante, que ni la langue ni
la race n'ont joué de rôle appréciable dans ces dissensions, suscitées par les inté-
rêts matériels divergents des entrepreneurs capitalistes, des petits patrons et de la
niasse des salariés, qui se voyaient privés de tout espoir d'arriver au bien-Otre des
privilégiés. Le triomphe trop exclusif des opprimés à un certain moment ne per-
mit pas aux démocraties urbaines d'alors de conserver longtemps les libertés con-
quises ; l'histoire de tous les temps nous enseigne que la paix durable ne peut
naître que d'un équilibre sincère dans un même milieu, d'un accord loyal entre
les forces sociales en présence ; c'est la réalisation de cet accord difficile sur le ter-
rain matériel et politique qui reste la tâche ardue mais obligatoire de la démo-
cratie moderne. — R.
— M. G. Des Marez, qui se propose d'étudier en détail un fonds de 8,000 chiro-
graphes du xiii' siècle, découverts récemment dans le riche dépôt des archives
communales d'Ypres, a donné un aperçu de la nature et de l'intérêt de ces docu-
ments dans un article intitulé La lettre de foire au xiii° siècle, qui a paru dans la
Revue de droit international et de législation comparée (t. I de la 2" série; tirage
à part, in-S" de 14 pages). C'est une utile contribution à l'histoire des origines des
papiers de crédit, car jusqu'ici la lettre obligatoire ou lettre de foire n'était guère
connue, faute de spécimens assez variés et assez nombreux. M. Des Marez en a
indiqué les caractères essentiels et a clairement démontré le rôle commercial
qu'elle a exercé avant d'être détrônée par la lettre de change. — L.-H. L.
ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
Séance publique annuelle du 16 novembre igoo.
Ordre des ^pctures :
i" Discours de M. Robert de Lasteyrie, vice-président, annonçant les prix décer-
nés en igoo et les sujets des prix proposés;
2° Notice historique sur la vie et les travaux de M. Edmond Le Blant, membre
ordinaire de l'Académie, par H. Wallon, secrétaire perpétuel;
3° Reflets de l'Orient sur le théâtre de Calderon, par M. Dieulafoy, membre libre
de l'Académie.
Séance du 3o novembre igoo '.
MM. Emile Legrand et Ulysse Robert écrivent à M. le secrétaire perpétuel qu'ils
retirent leur candidature à la place de membre ordinaire vacante par le décos de
M. Ravaisson.
M. le D"- Hamy offre à la Bibliothèque de l'Institut une gravure de Girardot qui
représente les cinq Directeurs et le ministère assistant à la première séance de
l'Institut national dans une des salles basses du Louvre (salle des Cariatides), le
i5 germinal an IV.
Séance du 7 décembre igoo.
M. le secrétaire perpétuel rend compte de la réception solennelle organisée en
I . Pour la séance du a3 novembre, voir n" 3i .
1. Châtelain
6
Chavannes
6
Paul Girard
8
Léger
6
Thomas
3
Valois
8
o
o
o
o
o
0
i8
5
24
I
i3
lO
520 REVUE CRITIQUE d'hISTOIRE ET DE LITTÉRATURE
l'honneur de M. Foureau, à la Sorbonne, par la Société de géographie. Cette récep-
tion a eu lieu le mercredi 5 décembre. M. le secrétaire rappelle que M. Foureau
a reçu de l'Académie plusieurs subventions dont le total se monte à la somme de
40.000 francs.
L'Académie procède à la nomination de deux commissions chargées de dresser
des listes de présentation de correspondants étrangers et nationaux.
Sont élus, pour la liste de présentation des correspondants étrangers: MM.Per-
rot, Pans, Weil et Boissier ; pour celle des correspondants nationaux : MM. De-
lisle, Heuzey, Héron de Villefosse et Croiset.
L'Académie décide qu'il y a lieu de remplacer M. Max MûUer, associé étranger,
décédé il y a plus d'un mois.
L'Académie se forme en comité secret.
L'Académie (procède à l'élection d'un membre ordinaire en remplacement de-
M. Ravaisson. Les votants sont au nombre de Sy. La majorité estde 19.
!«'■ tour 2" tour 3« tour 4* tour 5^ tour
5 4
I o
t .?
• 7 6
12 14
Aux deux derniers tours, les votants n'étaient plus qu'au nombre de 36. Au der-
nier tour, il y a eu un bulletin nul. — M. Louis Léger, professeur au Collège de
France, ayant obtenu la majorité des suffrages exprimés, est proclamé élu. Son
élection sera soumise à l'approbation de M. le Président de la République.
Séance du 14 décembre i goo.
M. Louis Léger, professeur au Collège de France, élu membre ordinaire de
l'Académie vendredi dernier, est introduit en séance.
M. Clermont-Ganneau communique des extraits d'une lettre du P. Germer-
Durand, de Jérusalem, relative à la découverte d'une série d'épigraphes romaines
gravées le long d'un aqueduc antique de Jérusalem, dont on avait successivement
attribué la construction à Salomon, à Ponce Pilate, à Hérode. Il résulte de ces
inscriptions que cet aqueduc, remarquable au point de vue technique, a été en
réalité construit en 195, sous le règne de Septime Sévère, par les soins des ingé-
nieurs militaires de la x^ légion, tenant garnison à Jérusalem.
M. Franz Cumont communique le texte d'un serment de fidélité à l'empereur
Auguste, texte découvert par lui à Vézir-Keupru, dans l'ancienne Paphlagonie.
Cette inscription établit, contrairement à l'opinion généralement reçue, que V'^ézir-
Keupru occupe l'emplacement de la ville de Phazimon. Cette ville prit depuis
Pompée le nom de Néapolis, depuis Claude celui de Néo-Claudiopolis, et à l'épo-
que chrétienne celui d'Andrapa, mais ces quatre appellations désignent une même
cité. Ce fait aujourd'hui acquis oblige à reculer vers l'Est la frontière de la Pa-
phlagonie. L'inscription est datée de la troisième année de cette province, c'est-à-
dire de l'an 3 a. C. Elle prouve que presque immédiatement après l'annexion les
villes du pays avaient consacré des temples et organisé un culte en l'honneur
d'Auguste. Mais l'intérêt de ce document est surtout politique. On ne possède
dans le texte authentique que deux serments d'allégeance à un empereur; ce troi-
sième serment est plus ancien que les autres, et il démontre que les formules
juratoires adoptées par les Césars sont une reproduction de celles qui longtemps
auparavant étaient en usage dans les monarchies asiatiques. Auguste, qui à Rome
n'est en théorie qu'un simple magistrat, règne en Paphlagonie comme successeur
de l'ancienne dynastie nationale.
L'Académie procède à l'élection des commissions suivantes :
Commission pour présenter un candidat à la place d'associé étranger vacante
par la mort de M. Max Mûller : MM. Perrot, Bréal, Paris, Boissier;
Commission des Ecoles d'Athènes et de Rome : MM. Heuzey, Perrot, Paris, Fou-
cart, Weil, Meyer, Boissier, Mùntz;
Commission de l'Ecole d'Extrême-Orient : MM. Bréal, Barbier de Mcynard, Se-
nart, Clermont-Ganneau, Hamy, Barth.
L'Académie se forme en comité secret.
Léon Dorez.
Propriétaire-Gérant : Ernest LEROUX.
Le Puy, imprimerie Régis Marchessou, boulevard Carnet, 23.
z
1007
U5
n.sér.
t. 50
Revue critique d'histoire et
de litt(^rature
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