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Full text of "Revue critique d'histoire et de littérature"

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REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE   ET    DE  LITTÉRATURE 


TRENTE-QUATRIEME  ANNEE 

II 

Nouvelle   série.  —  Tome   L 


ANNEE    1900 


TABLE  DU  DEUXIÈME  SEMESTRE 


TABLE   ALPHABETIQUE 

pages 

Abou'l  Ala,  Letties,  p.  Margoliouth  (Carra  de  Vaux)  ....  451 

Al-Mostatraf,  trad.  Rat  (Carra  de  Vaux) 368 

Andler,  Le  prince  de  Bismarck  (G.  Pariset) 400 

Antonin  (Le  mur  d') 409 

Aretin  (!'),  Le  pronostic  de  i534,  p.  Luzio,  (H.  Hauvette)  .  286 

Aristote,  Poétique  p.  Hatzfeld,  et  M.  Dufour,  (My) 3 

Arndt  (P.),  Monuments  Brunn-Bruckmann,  livraison  loi 

(H.  Lechat) 323 

AssERETO,  Gênes  et  la  Corse  (abbé  Letteron) 410 

AuBRY,  La  musicologie  médiévale  (J.  Combarieu) 420 

Babelon,  Guide  illustré  du  cabinet  des  médailles  et  des  an- 
tiques de  la  Bibliothèque  nationale  (R,  Cagnat) 146 

Bacchylide,  2*  éd.  p.  Blass  (My) 178 

Bainville,  Louis  II  de  Bavière  (L,  Roustan) i5i 

Balzani,  Les  Chroniques  italiennes  du  moyen  âge  (R.)  ...  413 

Bardot,  La.  question  des  villes  impériales  d'Alsace  (R.).  .  .  72 
Barré,  La  géographie  militaire  et  les  nouvelles  méthodes 

géographiques  (B.  A.) 358 

Barroux,  Les  sources  de  l'état  civil  parisien  (G.  P.) 25i 

Barth  (Hans),  Guide  des  cabarets  d'Italie  (Ch.  Dejob).  ...  157 

Baston,  Mémoires  p.  Loth  et  Verger,  (A.  Gazier) 479 

Bauch,  Mélanchton  et  l'Université  de  Wittemberg(R.)  .  .  .  249 
Beaumont  (G.  de).  Paroles  d'un  vivant,  préface  de  Naville 

(E.) ; 339 

Bellaigue,  Impressions  musicales  et  littéraires  (J.  Combarieu)  423 

Benoist  (Ch.)  Le  prince  de  Bismarck  (G.  Pariset) 400 

Benrath,  Julia  Gonzaga  (H.  Hauvette) 289 

Bentzon,  Femmes  d'Amérique  (J.  Lecoq) 356 

Bérard,  L'Angleterre  et  l'impérialisme  (E.  d'Eichthal)  ...  94 


«.f  TABLE    DES    MATIERES 

pages 

Bernardin,  Hommes  et  mœurs  au  XVI 1=  siècle  (R.  Rosières).  1 1  3 
Bertha  ;A.  de),  Magyarseï  Roumains  devant  l'histoire  (B.  A.).  287 
Bertrand  (L.)-  Bibliothèque  sulpicienne  ou  Histoire  litté- 
raire de  la  compagnie  de  Jésus  (J.) 462 

Bertrin,  La  sincérité  religieuse  de  Chateaubriand  l'R.  Rosières)  54 

Betz,  La  littérature  comparée  (F.  Baldensperger) 91 

Bibliothèques  et  bibliographies  critiques  (A.  Rebelliau).   .   .  36 

BiGONi,  Une  carte  de  i325  (Ch.   D.) 248 

BiscHOFFSHAisEN,   Lc   papc  Alcxandrc  VHI   et  la   cour   de 

Vienne  (R.l 7^ 

Bismarck 40o 

BissiNG,  Les  bijoux  de  la  reine  Ahhotpou,  I  (G.  Maspero)    .  341 

Blayde,  Adversaria  critica  in  Sophoclem  (A.  Martin)  ....  43o 
Blaze  de   Bury,    Les    romanciers    anglais    contemporains 

(J .  Lecoq) 4^0 

Blok,  Histoire  des  Pays-Bas,  H  (R.) 69 

Bonnet  et  Gâche,  Stylistique  latine  (P.  L.) 447 

Bonneval  (général  de),  Mémoires  anecdotiques  (A.  G.).  .   .  .  440 

BoppE  (A.),  Le  colonel  Nicole  Papas  Oglou  (A.  G.) 2o5 

Boppe  (P.),  La  Groatie  militaire  1809-1813  (A.  G.) 2o5 

Bolché-Leclercq,  Leçons  d'histoire  grecque  (P.  Guiraud)  .  ici 

Boulanger  (J.),  Glemangis  et  Jacques  de  Nouvion  (A.  G.)  .  477 

BoiRDEAL-,  Le  grand  Frédéric,  I  (De  Grue) 148 

Brandl,  La  Renaissance  à  Florence  et  à  Rome  (H.  H.)  .  .   .  238 

Breymann,  Bibliographie  phonétique  (V.  H.) 78 

Browne,  Manuscrits  musulmans  de  Cambridge  (B.  M.).   .  449 

Brtgmann,  Grammaire  grecque  (My) 83 

Brin  (Félix),  Bucy-le-Long  (A.  G.) 258 

Bri-n  (Pierre),  Henry  Beyle-Stendhal  (G.  Stryienski)  ....  55 

—  (A.  G.). 262 

Brtn-Durand,  Dictionnaire  biographique  et  biblio-iconogra- 

phique  de  la  Drôme  I  (A.  G.) 193 

Gabanès,  Le  cabinet  secret  de  l'histoire  (A.  G.) 3i5 

Cantarelli,  Mélanges  (J.  T.) 447 

Gantor,  Conférences  sur  l'histoire  des  mathématiques,  H,  2 

(P  Tannery) 191 

Gapps,  Les  vainqueurs  des  Lénéennes.  (A.  M.) 485 

Garamelli  (L.),  Pensées  choisies  de  Leopardi  (H.  H.).  ...  175 

Gartellieri  (Alex.),  Philippe-Auguste,  I,  3  (N.  Jorga).  ...  167 

Gauchie  et  Bayot,  Les  chroniques  brabançonnes  (R.).   ...  5  18 
Ceci,  Les  trois  collèges  royaux  de  jeunes  filles  de  Naples 

(Ch.  Dejob) 383 

Chamberlain,  L'écriture  japonaise  (M.  Courant) 161 

Ghi';lard,  La  civilisation  française  dans  le  développement  de 

l'Allemagne  (R.) 227 


TABLE    DES    MATIERES  Vif 

pagcf 

Chevalier   (U.),   Le  saint  Suaire  de   Lirey-Chambéry.   — 

Turin  (F,  de  Mély) 5o5 

Claassen,  Le  paysan  suisse  au  temps  de  Zwingli  (R.) 235 

Clark,  Variantes  des  discours  de  Cicéron  (E,  T.) 487 

Classen-Steup,  Le  IV^  livre  de  Thucydide  (Am,  Hauvette)  .  499 
Clausewitz,  Les  campagnes  de    i8i3  et  de  1814,  trad,  Tho- 

MANN  (A.  C.) 2  50 

Clément,  Henri  Estienne  et  son  œuvre  française  (E.  Bour- 

ciez) i33 

Comeau,  Souvenirs  des  guerres  d'Allemagne  (A.  C.) 291 

Conford,  La  composition  anglaise  (F.  Lecoq) '        467 

CossA,  Histoire  des  doctrines  économiques  (P.  G.) 94 

Courant,  Grammaire  japonaise  (A.  M.) 174 

—  Catalogue  des  livres  chinois,  coréens  et  japonais  de   la 
Bibliothèque  nationale  (Ed.  Chavannes) 343 

Croenert,  Dion  Cassius  (My) 8 

CuRcio,  Les  œuvres  de  rhétorique  de  Cicéron  (P.  L.).  .  .  .  389 

—  Gratius  et  Nemesianus  (P.  L.) 486 

CuRSCHMANN,  Lcs  disettes  au  moyen  âge  (R.) 459 

Damé,  Histoire  de  la  Roumanie  contemporaine  (N.  Jorga).  172 
Dareste,  HAUssouLLiER,Th.  Reinach,  Inscriptions  juridiques 

grecques,  II,  i  (p.  Guiraud) 82 

Darricarrère,    La  langue   basque    et   les    idiomes    aryens 

(Julien  Viason) 5 12 

Dedem  de  Gelder,  Mémoires  (A.  C.) 244 

Deeney,  Les  croyances  des  Gaels  d'Irlande  (Léon  Pineau) . .  171 

Delbruck,  Syntaxe,  III  (V.  Henry) 119 

Deniker,  Races  et  peuples  de  la  terre  (S.  R.) 472 

Deschamps,  La  vie  et  les  livres,  V  (S.  R.) 355 

Des  Marez,  La  propriété  foncière  dans  les  villes  du  moyen 

âge  et  spécialement  en  Flandre  (R.) 5  18 

—  La  lettre  de  foire  au  xiii«  siècle  (L. -H.  L.) 519 

—  Les  seings  manuels  des  scribes  yprois  (L. -H.  L.) 'j'j 

DiETER,  Morphologie  des  dialectes  germaniques  (V.  Henry).  345 
DiTTENBERGER,    Recueil   d'inscriptions  grecques,   II,  2*  éd. 

(B.  Haussoullier) 21 

DoNioL,  Serfs  et  vilains  au  moyen  âge  (Frantz-Funck  Bren- 

tano) 147 

Douglas  (Fr.)  Fra  Angelico  (S.  Reinach) 398 

Driault,   Les  problèmes  politiques   et  sociaux  à  la  fin  du 

xix*  siècle  (E.  d'Eichthal) 206 

Drumann,  Histoire  de  Rome,  2«  éd.  (P.  G.) 87 

Du  Bled,  La  société  française  du  xvi«  au  xx=  siècle  (R.  Ro- 
sières)    348 

Eckel,  Charles  le  Simple  (Robert  Parisot) I25 


pages 


Vlil  TABLE    DES    MATIERES 

El-Djahiz,  le  Livre  des  Beautés,  p.  Van  Vloten,  (A.  Barbier 

de  Meynard) 274 

Engel  (Ch.),  L'(3cole  latine  de  Strasbourg  (R.) 89 

Engelmann,  Études  archéologiques  sur  les  tragiques  (S.  Rei- 

nach) 109 

Eschyle,  Euménides,  p.  Blaydes  (A.Martin) 43o 

EuRiNGER,  Le  Cantique  des  cantiques  chez  les  Abyssiniens 

(A.  L.) , 141 

Euripide,  Hippolyte  et  Oresie,  p.  Wecklein  (A.  Martin).  .  453 
Expert,  Les  maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française 

(J.  Combarieu) 421 

Eznik,  Contre  les  sectes,  trad.  Schmid  (A.  Meillet) 374 

Faguet,  Histoire  de  la  littérature  française  (H.  de  Curzon)  .  57 

Fechner,  Nanna  ou  la  vie  de  l'âme  des  plantes  (Ch.  J.)  .  .  443 
Fehr,  Les  éléments  formels  dans  les  vieilles  ballades  anglaises 

(Ch.  Bastide) 99 

Feret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les 

plus  célèbres  L  (R.) -. 378 

—  Lettre  à  M.  R.  et  réponse  de  M.  R 5 16 

Finlande  (Ouvrages  concernant   les  droits  de  la)  —  Jules 

Legras 442 

Flamini,  Dante  (H.  H.) 174 

—  Girolamo  Ramussio  (H.  Hauvette) 201 

Florenz,  Le  Nihongi  (M.  Courant) i63 

FoNCK,  Le  flore  biblique  (Ch.  J.) 327 

Fouillée,  La  France  au  point  de  vue  moral  (E.  d'Eichthal)  268 

Frantsen,  L'Evangeliaire  de  Reims  (L.  R.) 3o3 

Fredericq,  Corpus  de  l'Inquisition  néerlandaise,  IV  (R.)  .  .  458 

Friedlaender,  Le  Mahavrata  (V.  Henry) 143 

Frocard  et  Painvin,  La  guerre  au  Transvaal,  l'offensive  des 

Boërs  (  A.  C.) 2o5 

Flrtwaengler,  Les  gemmes  antiques  (S.  Reinach) 102 

Gabotto,  La  commune  à  Cuneo  (J.  Brissaud) 255 

Gardini-Rimbaier,  Voyage  aux  Etats-Unis  (L.  Rouslan.).  .  383 

Garofalo,  Etudes  sur  l'Espagne  romaine  fJ.  Toutain)  ....  486 

—  Sybaris  et  Thurium  (S.  Reinach) i 

Geiger  (L),  Annuaire  de  Gœthe,  XXI  (  A.  C.) 263 

Gentil,  Traduction  des  Géorgiques  de  Virgile  (E.  T.).  .  .  .  487 

GiRAUD,  Pascal,  l'homme,  l'œuvre,  l'influence  (A.  Molinier).  32 
GoDEFRov,  La  lettre  P  du  Complément  du  Dictionnaire  de 

l'ancienne  langue  française,  94-96  (A.  Delboulle) 35  i 

GoNSE,  Les  chefs-d'œuvre  des  musées  de  France,  la  peinture 

(H.    de  Curzon) 482 

Gorgias,  p.  Steuder  (A.  M.) 485 

GossET,  Les  brûlements  de  papiers  à  Reims  (A.  C.) 175 


TABLE     DES    MATIERES  IX 

pages 

Gower,  Œuvres  françaises,  p.  C.  Macaulay  (  A.  Jeanroy)  .  .  i85 

Gradenwitz,  La  papyrologie,  I.  (My) i8o 

Grunwedel,  Mythologie  du  bouddhisme  au  Tibet  et  en  Mon- 
golie (Sylvain  Lévi) 471 

GuiLLOis,  Les  bibliothèques  particulières  de  Napoléon  (A  C.)  25o 

Hagen,  Le  Gral  (F.  Piquet)  . 411 

Harnack  (F.)  L'essence  du  christianisme  (A.  B.) 5o2 

Harrisse,  Découverte  et  évolution  cartographique  de  Terre- 
Neuve  (A.  C.) 427 

Hastings,  Dictionnaire  biblique  (A.  Loisy) 390 

Hauser,  Etudes  d'économie  coloniale,  L  Les  colonies  alle- 
mandes impériales  et  spontanées 'ï3g 

Heinze,  La  saisie  des  paquebots-poste  allemands   par  les 

Anglais  (L.  Roustan) 285 

Helbig,  Etrennes  offertes  par  ses  amis  (S.  Reinach) 21 3 

Henry  (V.),  Lexique  étymologique  des  termes  les  plus  usuels 

du  breton  moderne  (E.  Ernault) 218 

Herbst,  Notes  sur  le  lirre  VII  de  Thucydide  (Am.  Hauvette)  499 

HocK,  Les  légendes  des  vampires  (V.  Henry) 429 

HoeuFFT  (Concours) 447 

HoLDER,  Dictionnaire  vieux-celtique,  12  (G.  Dottin) 197 

HoLziNGER,  l'Exode  (A.  Loisy) 370 

Hongrie,  publications  diverses  (J.  K.) 17 

HoRRic  DE  Beaucaire,  lustructious  aux  envoyés  français  en 

Savoie-Sardaigne  (G.  P.) 25o 

HoRVATH,  Kardos  et  Endroedi,  Histoire  de  la  littérature  hon- 
groise (Z.) 80 

HouTiN,  Dom  Couturier  (M.  D.) 403 

Hubert  (H.),  et  Mauss,  Le  sacrifice  (S.  Reinach) 2 

HuEHN,  Les  citations  de  l'Ancien  Testament  dans  le  Nouveau 

Testament  (A.  L.  j 141 

Inama-Sternegg,  Histoire  économique  de  l'Allemagne  pen- 
dant les  derniers  siècles  du  moyen  âge,  I,  (R.) 224 

IvE,  Les  dialectes  romans  de  l'Istrie  (A.  Thomas) 416 

Izzet  Fl'ad-Pacha,  Les  occasions  perdues,  la  campagne  turco- 

russe  de  1877-1878  (A.  C.) 317 

Jahn  (Albert) 3o3 

Janosi,    Histoire  de   l'esthétique,  I,  (J.  Kont) i5o 

JoANNE,  Dictionnaire  géographique  de  la  France  (H.  de  C).  79 

JossET,  A  travers  nos  colonies  (B.  A.) 116 

JovY,  Tissard  et  Aléandre  (H.  Hauvette) 200 

Kahn,  Les  Juifs  de  Paris  pendant  la  Révolution  (A.  G.)  .  .  .  509 

Kaluza,  Grammaire  historique  de  l'anglais  (V.  Henry)  ...  11 

Kattenbusch,  Le  symbole  apostolique  (A.  L.) 474 

Kavirohosyam,  p,  Heller  (V.  Henry) 273 


X  TABLE    DFS    MATIERES 

page» 

Kevser,  Thomasiusetle  pictisme  L.  Roustan) 304 

KiNG  (Bolton),  Histoire  de  l'unité  italienne  (E.  Denis    ...  ,i53 

Kiiàbel  Mahasin,  p.  Schwally,  I,  (A.  Barbier  de  Meynard).  274 

Knoke,  Réponse  à  M.  Schuchard  (J.  Toutain) 427 

KoECHLiN  et  Marqiet  de  Vasselot,  La  sculpture  à  Troyes  et 

dans  la  Champagne  méridionale  (Emile  Mâle) 187 

KoNiG,  Les  tissages  saxons  sous  l'Empire  (B.  Auerbach)  .  .  3oi 
KouMANOUDis,   Dictionnaire   des  néologismes  grecs  (Michel 

3ré3l) 5oo 

Kron,  La  méthode  Gouin  (L.  R.) i38 

Krimbacher,  Nouvelles  éludes  sur  Romanos(My) 145 

KuKLLA,  Tatian  (A.  L.) 3o2 

KusciNSKi,LesdéputésàrAssembléelégislativede  1791  (A.  G.)  281 
Lacave  La  Plagne  Barris,  Gartulaires  du  chapitre  de  Sainte- 
Marie  d'Auch  (L.  H.  Labande) 456 

Lacour  (L.),  Les  origines  du  féminisine  contemporain, 
Olympe  de  Gouges,  Théroigne  de  Méricourt,  Rose  La- 
combe  (A.  G.) 3i3 

La  Ferronnays,  En  émigration,  p.    Gosta  de  Beauregard 

(A.G.)  .  .  .' 259 

La  Mantia,  Goutumes  des  villes  de  Sicile  (J.  Brissaud)  ...  i32 
Lamarzelle  (G.  de),  La  crise  universitaire  d'après  l'enquête 

delà  Ghambre  des  députés  (S.  R.) 16 

La  Mazelière   (de),  La  peinture   allemande  au  xix«  siècle 

(H.  de  G.) 284 

LANGLOisfGh.  V.i,  J.  Petit,  Gavrilovitch,  Maury  etTeodoru, 
Essai  de    restitution   des  plus  anciens  mémoriaux  de  la 

Ghambre  des  comptes  de  Paris  (L.  H.  Labande) 169 

Langlois  (Gh.V.),  Laquestionde  l'enseignement  secondaire 

en  France  et  à  l'étranger  (S.  Reinach) 39 

Langmesser,  Sarasin  (A.  G.) 439 

Lanore,  La  construction   de  la  façade  de   la  cathédrale  de 

Ghartres  (Emile  Maie) i3o 

Lattes,  Le  droit  coutumier  lombard  (J  .  Brissaud) 253 

Lavisse,  Histoire  de  France,  I    (G.  Lacour-Gayet) 376 

Lebeden,  Russes  et  Anglais  en  Asie  centrale  (B.  A.) 286 

Lebey,  Laurent  de  Médicis  dit  le  Magnifique  (H.  Hauvette)  .  290 

Lechner,  L'Engadine  (L.  Roustan)  . 248 

Lefèvre,  La  Grèce  antique   (My) 497 

Lkgouis,  Ghaucer  et  les  deux  Prologues  des  Femmes  exem- 
plaires (J.  Lecoq) 467 

Lenôtre,  Paris  révolutionnaire  (A.  G.) 283 

Le  Palenc  et  Dognon,  Lezat,  sacoutume,  son  consulat  (Frantz 

Funck-Breiitano) 433 

Lex,  Souvenirs  du  général  Thiard  (A.  G.) 440 


TABLE    DES    MATIERES  XI 

pages 

LiDZBARSKi,  Ephemeris  sémitique  (J.-B.  Chabot) 322 

LiNDMEYR,  Le  vocabulaire  de   Luther,  d'Emser  et  d'Eck  (F, 

Piquet) 232 

Lipps,  Comique  et  humour  (F.  Baldensperger) 90 

Louis,  Giordano  Bruno  (H.  H.) 174 

LucHAiRE,  Etudes  sur  quelques  manuscrits  de  Rome  et  de 

Paris   (H.-L.   Labande) 476 

Lucien,  p,  Sommerbrodt,  III  (My) 85 

LuLOFs,  Antisthene  (A.  M.) 485 

Mac-Coll,  Le  sultan  et  les  grandes  puissances  (B.  A.)  .  .  .  .  319 

Maguire,  Géographie  militaire  (B.  A.) 139 

Maïstre,  Giry 468 

Manuel,  Œuvres  complètes  (F.  H.) 78 

Marchand  (J.),    L'Université  d'Avignon  aux  xvii«  et  xviii« 

siècles  (L.-H.  L) 199 

Marchesi,  Les  romans  de  Chiari  (Ch.  Dejob) 38o 

Marchot,  Essais  d'explication  pour  trois  questions  de  phi- 
lologie romane  (E.  Bourciez) 217 

Mardrus,  Traduction  du  Livre  des  Mille  et  une  Nuits,  V 

(Gaudefroy-Demonbynes) 32 1 

Maréchal  (Léon),  Lexicographie  française  (C.) 468 

Margerie  (Amédée  de),  Dante   Ch.  Dejob) 457 

Marti,  Le  Livre  d'Isaïe  (A.  Loisy) 371 

Martin  (Henry),   Histoire  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal 

(M.  Barroux) :>02 

Marucchi,  Éléments  d'archéologie  chrétienne  (J.-B.  Chabot) .  454 
Mater,  Formation  du  département  de  la  Charente,  lettres 

de  Salle  de  Chou  et  de  Dumont  de  la  Charnaye  (B.  A.)  .  ii5 
Mau,  Catalogue  de   la  bibliothèque  de  l'Institut  archéolo- 
gique allemand  à  Rome  (R.  C.) ']'] 

—  Pom_pei_(R.  Cagnat) i83 

Meunier  (V.),  Les   ancêtres  d'Adam  (S.  R.) 41 

Meusel,  Compte  rendu  annuel  sur  César  (P.  L.) 445 

Meyer   (A.   O.),  La  diplomatie  anglaise   en  Allemagne  au 

temps  d'Edouard  VI  et  de  Marie  (R.) 174 

Meyer  (P.  M.),  L'armée  des  Ptolémées  et  des  Romains  en 

Egypte  (R.  Cagnat) 407 

Meylan-Faure,  Les  épithètes  dans  Homère  (M.  D.) 253 

Michel  (Emile),  Essais  sur  l'histoire  de  l'art  (H.  de  C).   .   .  99 

Milet,  La  destruction  de  Troyes,  p.  Haepke  (E.  Bourciez) .  1 1  i 

MisMER,  Principes  sociologiques,  2«  éd.  (E.) 337 

MiTTEis,  Les  papyrus  grecs  de  l'Egypte  (H.  G.) 4o5 

MoHL,  Introduction  à  la  chronologie  du  latin  vulgaire.  .   .  . 

—  Le  couple  roman  lui  (E.  Bourciez) 61 

MoNCHAMP,  Une  lettre  perdue  de  Descartes  (P.  Tanncry)  .  .  189 


XII  TABLK    DES    MATIERES 

pages 

MoNTEFORTE,  Hcrculc  Strozzi,  poèic  ferrarais  (H.  Hauvette).  200 

MooRE,  Le  livre  des  juges  (A.  L.) 141 

MoRANE,  Au  seuil  de  l'Europe  (B.  Auerbach) 265 

Morel-Fatio,  Une  pièce  de  Tirso  de  Molina  (H.  de  C.)-  •  •  382 
MoLRRE,  D'où  vient  la  décadence  économique  de  la  France 

(B.  A.) 159 

Murrav,  (J.-A.  H),  L'évolution  de  la  lexicographie  anglaise 

(Ch.  B.) 247 

Nallino,  L'arabe  parlé  en  Egypte  (O.  Houdas) i65 

—  Les  manuscrits  orientaux  de  la  bibliothèque  nationale  et 

de  l'Académie  de  Turin  (B.  M.) 289 

Naville,  Le  temple  de  Deir  el  Bahari  (A.  Moret) 164 

Nerra,  Le  siècle  galant  (Ch.  Dejob) 77 

Newberrv,  Les  papyriis  Amherst  (G.  Maspero) 3o5 

NiCASTRO,  Étude  sur  la  conjugaison  française  (E.  Bourciez).  2  56 

Nicolaïdès,  La  question  macédonienne  (B.  A,) 33 1 

Nicole  etMoREL,  Archives  militairesdui"''  siècle  (R.  Gagnât).  124 

NiKEL,  La  restauration  juive  (A.  L.) 373 

NiLsoN,  Les  Dyonisies  (A.  M) 485 

Normand  (Gh.),  Gours  d'histoire  de  1 789  à  nos  jours  (A.  G.).  468 

Odyssée,  ÎX,  p.  Nairn,  (My) 81 

Oltramark,  Les  épigrammes  de  Martial  (T.) 487 

Orsi,  L'Italie  moderne  (Gh.  Dejob) 509 

OsGooD,   La    mythologie  classique  des  poèmes  anglais  de 

Milton(Gh.  Bastide) 240 

Paris  (G.),  Poèmes  et  légendes  du  moyen  âge  (H.  de  G.) .  .  .  'j'j 

Pascal,  Opuscules  et  pensées  p.  Brunschvicg  (A.  G.) 5o8 

Pascal  (G.),  L'incendie  de  Rome  et  les  premiers  chrétiens 

(J.  Toutain) 427 

Peskett,  Guerre  civile,  III  (E.  T.) 487 

Petit  de  Julleville,  Histoire  de  la  langue  et  de  la  littérature 

françaises,  VII  et  VIII  (E.  Bourciez' 74 

Pétrie,  Les  tombes  royales  de  la  première  dynastie  (G.  Mas- 
pero)   36 1 

Petsch,  Les  dénouements  du  conte  populaire  (V.  Henry) .  .  379 

Petschenig,  Ghoix  d'Horace  (P.  L.) 445 

Pfister,  Le  journal  du  libraire  nancéen  Nicolas  (R.)  ....  249 

P1ERQUIN,  Mémoires  sur  Pache  (A.  G.) 3i3 

Pinvert,  Lazare  de  BaiffR.  Rosières; 3 12 

PiscHEL,  Grammaire  des  dialectes  pracrits  (V.  Henry)  ....  494 

Pocquet,  Le  duc  d'Aiguillon  et  La  Chalotais  (G.  Gazier).  .  436 

Polenton,  La  Gatinia,  p.  Segarizzi    (H.  Hauvette) 236 

PoLiGNAC  (Melchior  de),  Notes  sur  la  littérature  hongroise 

(J.  Kont) 462 

PoLiTis,  Les  proverbes  grecs  (My; 10 


TABLE    DES    MATIEES  XIII 

pages 

pRAROND,  Abbeville  au  temps  de  Charles  VII  et  de  Louis  XI 

(A.  Delboulle) 67 

Price,    Les   grands    cylindres   de   Goudéa    (Fr.    Thureau- 

Dangin) 117 

PuECH,  Saint-Jean-Chrysostome  (P.  Lejay) 43 1 

Pulci,  Le  Morgante,  p.  Volpi  (Ch.  Dejob) 441 

Quentin,  J.  D.  Mansi  et  les  grandes  collections  conciliaires 

(Paul  Lejay) 394 

Rahmani,  Le  Testament  du  Seigneur  (J.-B.  Chabot) 42 

Rajna,  Les  sources  de  Roland  le  Furieux  (H.  Hauvette).  .  .  17O 

Rasi,  Sur  Horace  (P.  L.j 486 

Reims,  Répertoire  archéologique  de  son  arrondissement  (S.).  447 

REiNACH(Salomon),  Lettre  au  directeur 5i6 

—  Répertoire  des  vases  peints  grecs  et  étrusques  (H.  Lechat).  1 10 

Renouvier,  Victor  Kugo  le  philosophe  (R.  Rosières)  ....  114 

Reuss,  Glaser  à  la  courde  Louis  XIII  (A.  C.) 175 

Reymond  (Marcel),  La  sculpture  florentine  (H.  Hauvette).   .  239 

RiAT,  Paris  (H.  de  C.) 79 

Rinonanopoli,  Lamia  et  Lilith  (A.  L.) .  3o2 

RiTTER,  Victor  Cherbuliez, recherches  généalogiques  (A.  C).  3 1 5 
RocHEL,  Collection  des  chefs-d'œuvres  du  théâtre  espagnol 

(H.  deC.) 195-382 

RoDHE,  La  nouvelle  réforme  de  l'orthographe  (E.  Bourciez).  5i  i 
RôHRicHT,    Pèlerinages    allemands    en   Terre -Sainte   (N. 

Jorga) 456 

RoMBERG,   L'idée  de  la  dictée  par  rapport  aux  verbes  subs- 
tantifs verbaux  en  français  moderne  (E.  Bourciez)  .  :  .  .  .  112 

Rosières  (Notice  nécrologique) 444 

RossNER,  Henri  de  Morungen  (F.  Piquet) 88 

RosTAGNo^'   Le    monumentum     gonzagium     de    Benevoli 

(H.  Hauvette) 201 

Roy,  Saint-Nicolas  I  (Manuel  DohI) 432 

Sacht-Villatte,   Dictionnaire  encyclopédique  français-alle- 
mand et  allemand-français,  édition  abrégée  (B) 357 

Saint-Simon,  Mémoires  p.  A.  de  Boislisle,  XIV  (G.  Lacour- 

Gayet) 349 

Saitschick,  Génie  et  caractère  (L.  Roustan) 354 

Sakellaropoulos,  Conjectures  latines  (My) 76 

Sakmann,  Voltaire  et  le  duc  de  Wurtemberg  (Ch.  Dejob).  .  .  77 

Salembier,  Le  grand  schisme  d'Occident  (L.  Bavard)  ....  33o 

Salomon,  (L),  Histoire  du  journalisme  allemand,  I  (A.  C.)  .  204 
Sarwey  et  Hettner,  Le  limes  germanique  et  rhétique,  VII-X 

(R.  Cagnat) 409 

Saski,  La  campagne  de  1809  en  Allemagne  et  en  Autriche, 

II  (A.  C.) 243 


XIV  TABLE    DES    MATIKRES 

.   .  pages 

Sayois,  Histoire  des  Hongrois,  nouvelle  édition  (Z.).   ...  79 
Saxe,  développement  historique  de  ses  gymnases,  I  (L.  Rous- 

tan) i36 

ScHAYÉ,  L'Etat  et  la  marine  marchande  française  (B.  A).  .  .  116 

ScHERiLLo,  Les  poésies  de  Leopardi  i^Ch.  Dejob) 264 

ScHMucKEL,  La  guerre  dans  la'vallée  d'Aspe  et  la  bataille  de 

.  Lescun  (A.  C.) 1 94 

ScHOENBACH,  Etudes  littéraires  (A.  C.) 3i6 

—  Les  anciens  minnesinger  (F.  Piquet) 88 

ScHUCHARDT,  Fouilles  romano-germaniques  dans   le  nord- 
ouest  de  TAllemagne  (J.  Toutain) 453 

ScHULTEN,  L'Afrique  romaine  (M.  Besnier) 181 

Scott  (Walter),  Old  mortality,  p.  Nicklin  (J.  L.) 467 

Seidel,  Les  collections  d'art  prussiennes  (H.  Lemonnier).  .  25i 

Sepet,  Saint  Gildas  de  Ruis  (L.-H.  Labande) 184 

Servière  (de  la),  Le  Père  Porée  (Ch.  Dejob) i36 

—  Jacques  I®""  et  Bellarmin  (R.) 249 

Shakspeare,  Jules  César,  trad.  Beljame  (Ch.  Bastide).   ...  38 1 

SiMOND,  Paris  de  i8ooà  1900,  V  et  VI  (H.  de  C.) 78 

Skeats,  Chaucer  authentique  (J.  Lecoq) 466 

Smith,  Grammaire  du  vieil  anglais  (C.  H.) 448 

Smyth,  (H.  W.),  Poètes  grecs  méliques  (My) 498 

Soltau,  Le  poète  Blacas  (A.  Jeanroy) 66 

Sophocle,  Antigone  trad.  Martinon,  (My) ,  .  .  177 

Soutzo,  Mémoires,  p.  Rizos  (B.  A.) 266 

Stevenson,  Robert  Grosseteste  (Ch.  Bastide) 233 

Stieve,  Etudes  et  conférences  (R.) 245 

Stock,  Le  but  de  la  vie  (H.  Lichtenberger) 425 

Stowasser,  Lexique  latin  allemand  (P.  L.) 445 

Strobel,  La  révolution  espagnole,  i868-i875(H.  Léonardon)  5io 

Stryienski,  Comment  a  vécu  Stendhal  (P.  Brun) 461 

Stumpt,  Tableaux  pour  l'histoire  de  la  philosophie  (M.  D.).  397 

SuEss,  La  face  delà  terre,  trad.  Emm.  de  Margerie  (B.  A.).  100 

Syveton,  Louis  XIV  et  Charles  XH  (G.  Pariset) 5i 

Tenicheff,  Etudes  critiques  sur  les  connaissances  et  sur  la 

psychologie   (E) 338 

Thédénat,  Le  forum  romain  et  les  forums  Impériaux  (R. 

Cagnat) 184 

Thucydide 499 

Toth,  Curiosa  Hungarica  (J.  Kont) 194 

Tourneux,  Table  de  l'amateur  d'autographes  et  Notice  sur 

Etienne  Charavay  (A.  C.) 25o 

Toutée,  Du  Dahomey  au  Sahara  (B.  Auerbach) 211 

Tropea,  Les  écrivains  de  l'histoire  Auguste  (J.  T.) 446 

Tl'gan  Rabanow'sky,  Histoire  de  la  fabrique  russe  (F.  Legras)  418 


TABLE    DES    MATIERES  XV 

TuRMEL,  L'eschatologie  (A.  L.) 3o2 

Urbain,  Bibliographie  de  Bossuet  (A.  Rebelliau) 45 

Ussing,  recueil  d'études  qui  lui  sont  offertes  (L.  Pineau)  .  .  359 
Vagnair  et  Venture,  Kléber  en  Egypte,  Kléber  et  les  Ven- 
déens (A.  C.) 175 

Van  Dam,  Shakspeare  (Ch.  Bastide) 414 

Van  Ortroy,  Les  délimitations  en  Afrique  (B.  Auerbach).  .  267 
Vast,  Les  grands  traités  du  règne  de  L.ouis  XIV,  3.  (G.  La- 

cour-Gayet) 257 

ViLLALBA  Harvas,  Dg  Alcolea  à  Sagonte.  (H.  Leonardon.).  .  5 10 

ViNSON,  Légendes  bouddhistes  (Sylvain  Lévi) "        469 

Valiszewski,  L'héritage  de  Pierre  le  Grand  (F.  de  Crue) ...  14 

—  Littérature  russe  (Jules  Legras) 3o 

—  Lettre  et  réponse 140 

Waltzing,  Lexique  de  Plaute  (P.  L.) 4p3 

W^EBER  (Fr.),  Platon  et  Orphée  (My.) 8 

Weisengrun,  Le  marxisme  (H   Lichtenberger) 5i3 

Weiss(B.),  Les  quatre  Evangiles  (A.  L) 141 

Welschinger,  Bismarck  (G.  Pariset) 400 

Wiedemann,  Les  morts  de  l'ancienne  Egypte  (G.  Maspero)  .  406 
Wieland,  Une  excursion  dans  la  vieille  Afrique  chrétienne 

(My) 181 

Windenberger,  Essai  sur  le  système  de  politique  étrangère  de 
J.-J.    Rousseau,  La    république  confédérative  des  petits 

Etats  (A.  Espinas) 277 

Wolfram,  Parzival  et  Titurel,  p.  Martin,  L  (F.  Piquet)  ...  41 1 

Wright,  Eléments  du  gothique  (V.  H.) 466 

Wundt,  Psychologie  sociale.  I  La  langue  (A.  Meillet).   .  .  489 

WuTTKE,  La    superstition  allemande,  3«  éd.    (V.   Henry)   .  332 

Wyss,  Le  Çisianus  de  1444  (R.) 478 

Xénopol,  Réponse  à  M.  de  Bertha  (B.  A.) 287 

—  (J.  Kont) 465 

Zanetti,  La  loi  Udine  ou  de  Coire(J.  Brissaud) 129 

Zanne,  Proverbes  roumains  (J.) 468 

Zelterstern,  L'alfiya  d'Ibn  Mouti  (B.  M.) 341 

Zimmermann,   Elohim   (A.  L.) 373 

Zimmern,  Contributions  à  la  connaissance  de  la  religion  baby- 
lonienne, II  (Fr.  Thureau-Dangin) 117 

PÉRIODIQUES 

ANALYSÉS  SUR  LA  COUVERTURE 


français 
Annales  de  l'Est. 


XVI  TABLE    DES    MATIERES 

Annales  de  l'École  libre  des  sciences  politiques. 

Annales  du  Midi. 

Bibliographe  moderne. 

Bulletin  hispanique. 

Correspondance  historique  et  archéologique. 

Revue  celtique . 

Revue  d'Alsace. 

Revue  de  la  Société  des  études  historiques. 

Revue  de  l'histoire  des  religions. 

Revue  des  études  anciennes. 

Revue  des  études  grecques. 

Revue  des  lettres  françaises  et  étrangères. 

Revue  d'histoire  littéraire  de  la  France. 

Revue  historique. 

Revue  rétrospective. 

Romania. 

Souvenirs  et  mémoires. 

ALLEMANDS 

A  Itpreussische  Monatsschrift. 

Annalen  des  historischen  Vereins  fiir  den  Niederrhein. 

Deutsche  Literatur\eitung. 

Euphorion. 

Literarisches  Centralblatt. 

Zeitschriftfur  deutsche  Wortforschung . 

Zeitschriftfur  katholische  Théologie. 


ANGLAIS 


Academy. 
Athenaeum. 


BELGES 


Musée  belge . 

Revue  de  l' instruction  publique  (supérieure  et  moyenne)  en  Belgique. 

GRÉCO-RUSSES 

Revue  by:{antine. 

HOLLANDAIS 

Muséum . 

POLONAIS 

Bulletin  international  de  l'Académie  des  sciences  de  Cracovié. 
Le  Puy,  imprimerie  R.  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N"  27  —  2  juiUet  —  1900 


Garofalo   de  Bonmto,  Sybaris  et  Thuriiim.  —  Hubert  et  >îauss.  Le  sacrifice.  — 
Aristote,  Poétique,  p.  Hatzfei.d  et  Dufour.  —  F.  Weber,  Orphée  dans  Platon. 

—  Croenert,  Dion  Cassius.  —  Politis,  Les  pro%'erbes  grecs.  —  Kaluza,  Gram- 
maire  historique  de  la  langue  anglaise.  — Waliszewski,  L'héritage  de  Pierre  le 

•  Grand.  —  G.  de  Lamarzelle,  La  crise  universitaire.  —  Publications  hongroises, 

—  Académie  des  inscriptions. 


P.  Garofalo  di  Bonito.  Intorno  Sibari  e  Turio.  Qualche  memoria.  Napoli,  Prass, 
1899.  In-80,  214  p.  Prix  :  4  lire. 

Travail  de  dilettante,  sans  valeur  originale,  compilé  d'après  Gor- 
cia  [Storia  délie  due  Siciîie),  Lenormant  {Grande  Grèce)  et  des 
articles  d'encyclopédies  italiennes,  qui  sont  cités  comme  des  sour- 
ces historiques.  Les  références  semblent  avoir  parfois  pour  but 
d'émerveiller  le  lecteur,  mais  elles  trahissent  leur  caractère  postiche 
par  la  vénérable  antiquité  des  millésimes  (par  exemple,  p.  1 1 ,  la  note 
sur  Charondas).  Le  style  est  pompeux,  souvent  enfantin.  P.  44,  il 
s'agit  de  la  mollesse  des  Sybarites  :  «  Accordavansi  nella  città  alcuni 
privilegi  ;  ma  for  se  ail'  animosu  guerriero  che  avesse  di/esa  o  salvata 
la  patria  ?  Forse  ad  un  magistrato  integerrimo,  ad  un  filosofo,  ad  un 
poeta,  a  un  cultore  deli  arte  salut  are,  ad  un  precettore  délia  gioventù  ? 
Oibo  !  I pes<atori  e  venditori  di  anguille,  etc.  »  Et  ainsi  de  suite,  ad 
nauseam.  Cette  dissertation  a  pour  complément  une  traduction 
italienne  du  livre  XII  d'Athénée  (faite  sur  celle  de  Lefebvre  de  Vil- 
lebrune),  laquelle  est  précédée  d'une  introduction  sur  l'auteur  des 
Deipnosopliistes.  Écrivant  en  1899,  M.  G.  di  Bonito  ignore  l'édition 
de  Kaibel  (1887-1890)  ;  la  dernière  qu'il  cite  est  celle  de  Dindorf  (1827). 
Il  ne  connaît  pas  davantage  la  traduction  anglaise  de  la  collection 
Bohn.  En  somme,  il  sait  peu  de  chose,  à  tel  point  que  là  où  il  est 
question  de  Sappho  (p.  211).  il  transcrit  une  note  inepte  de  Lefebvre 
(1789).  comme  marquant  l'éiat  de  la  science.  On  ne  peut  que  trouver 
singulière  la  publication  d'un  pareil  livre  dans  le  pays  d'Ettore  Pais 
et  de  Gomparetti. 

Ce  qui  est  plus  singulier  encore,  et  surtout  plus  scandaleux,  c'est  la 

manière  dont  l'ouvrage  en  question  a  été  présenté  à  l'Académie  royale 

de  Belgique  par  un  de  ses  associés,  M.  Joan  Bohl  {Bulletins,  n°  11, 

oovembre   1899;..  Après  avoir  servilement  énuméré  les  titres  nobi- 

Nouvelle  série.L.  27 


2  REVUE    CRITIQUE 

liaires  de  l'auteur  («  S.  E.  le  grand  commandeur  napolitain,  don  Pas- 
quale  Garofalo,  duc  de  Bonito,  marquis  de  Camélia,  baron  de  Cai- 
rano  »),  M.  Bohl  vante  l'originalité  d'un  travail  où  il  n'y  a  rien,  mais 
rien  de  nouveau,  et  cela,  alors  que  M.  G.  di  Bonito,  qui  est  honnête, 
a  toujours  pris  soin  de  reconnaître  ses  emprunts  à  Lenormant  et  à 
d'autres,  notamment  en  ce  qui  concerne  les  vraies  causes  de  la  ruine 
de  Sybaris.  A  la  troisième  page  de  celte  notice,  on  lit  ceci  :  «  L'ou- 
vrage se  termine  par  la  version  italienne  du  XII^  livre  du  Banquet  des 
sophistes,  écrit  inédit  [sic  !],  dont  le  grammairien  grec  Athénée  dotait 
le  111"=  siècle  avant  {sic!}  notre  ère.  »  Je  veux  bien  qu  inédit  soit  pour 
érudit  et  avant  pour  après;  mais  si  l'Académie  de  Belgique  ne  pos- 
sède pas  de  bon  correcteur,  ne  pourrait-elle  veiller,  du  moins,  à  ce 
qu'on  n'abusât  point  de  sa  publicité  pour  imprimer  des  boniments 
ridicules  ? 

Salomon  Reinach. 


H.  Hubert  et  M.  Mauss.  Essai  sur  la  nature  et  la  fonction  du  sacrifice.  Paris, 

Alcan,  1899.  ln-8o.  Extrait  de  VAnnée  sociologique,  t.  II,  p.  29-138. 

Ecrit  dans  une  langue  abstraite  et  compacte,  présumant  beaucoup 
de  l'attention  et,  plus  encore,  du  savoir  de  ses  lecteurs,  ce  beau 
mémoire  risque  de  ne  pas  être  étudié  partout  où  l'on  aurait  intérêt  à 
le  connaître.  Je  le  signale  donc  avec  insistance  aux  esprits  préoccupés 
des  faits  essentiels  du  culte,  qui  sont  à  la  base  de  tous  les  systèmes 
religieux  et  leur  survivent.  Mais  je  renonce  à  en  épuiser  les  enseigne- 
ments dans  un  compte  rendu  ;  on  ne  condense  pas  ce  qui  est  déjà  trop 
condensé. 

L'antique  théorie  du  sacrifice-don,  considéré  comme  le  prototype 
du  sacrifice,  a  été  définitivement  réfutée  par  Robertson  Smith  (1890). 
Cet  homme  de  génie  lui  en  substitua  une  autre,  celle  du  sacrifice  de 
communion  totémique,  d'où  il  fit  sortir  le  sacrifice  expiatoire  ;  puis 
M.  Frazer  montra  que  le  sacrifice  agraire  se  rattachait  à  la  même 
souche,  avec  cette  différence  que  la  partie  communiante  n'est  pas  le 
clan  ou  la  tribu,  mais  la  terre  elle-même. 

MM.  Hubert  et  Mauss  rejettent  la  théorie  du  sacrifice-don,  mais  ils 
estiment  que  M.  R.  Smith  s'est  trop  aventuré  :  1°  en  postulant  l'uni- 
versalité du  sacrifice  totémique;  2°  en  comprimant  à  outrance  le 
drame  du  sacrifice,  au  point  d'en  négliger  quelques  éléments  essen- 
tiels. Smith  admet,  par  exemple,  que  la  victime,  d'ores  et  déjà  divine, 
constitue  de  piano  un  réservoir  de  sainteté  où  les  sacrifiants  vont 
puiser  par  la  communion.  Mais  des  rituels  très  anciens  attestent,  au 
contraire,  qu'il  faut  d'abord  procéder  à  toute  une  série  d'opérations 
pour  amener  la  victime  au  degré  de  sainteté  que  réclame  l'efïicacité  du 
sacrifice.  D'autre  part,  le   sacrifice   terminé,   il  y  a  des   opérations 


d'histoire  et  de  littérature  3 

inverses  (la  sortie),  qui  doivent  permettre  aux  sacrifiants  de  dépouiller 
une  partie  de  la  sainteté  acquise,  afin  de  pouvoir  rentrer  dans  le  monde 
profane.  Rompant  donc  avec  ce  qu'il  y  a  peut-être  de  trop  simple 
dans  la  théorie  de  R.  Smith  et  refusant  de  le  suivre  sur  le  terrain  des 
causes  originelles,  les  auteurs  étudient  avec  détail  un  «  schème  »  du 
sacrifice,  comprenant  Ventrée  sanctification  du  sacrifiant,  du  sacrifi- 
cateur, du  lieu,  des  instruments),  la  sanctification  de  la  victime  (ban- 
delettes, dorure  des  cornes,  peinture  en  blanc,  bains,  libations,  etc.), 
la  sortie  («  bain  d'emportement  »,  maniluve  chrétien).  Les  faits  parti- 
culiers leur  sont  fournis,  en  première  ligne,  par  le  rituel  védique,  en 
seconde  ligne,  par  la  législation  dite  mosaïque,  accessoirement  par  les 
rituels  grecs,  romains  et  chrétiens,  enfin,  par  la  vaste  littérature  ethno- 
graphique. Une  longue  étude,  qui  n'est  pas  une  digression,  a  pour 
objet  les  Boiiphonia,  où  MM.  H.  et  M.  reconnaissent,  d'une  part,  une 
désacralisation  (du  blé  récolté  et  battu  au  moyen  de  la  victime  qui  le 
représente),  de  l'autre  un  rachat  (des  laboureurs  qui  ont  profané  la 
récolte  en  la  coupant  et  vont  la  profaner  encore  en  s'en  servant),  enfin 
un  rite  de  communion  (repas  sacré).  Dans  tout  ceci,  il  n'est  pas  ques- 
tion du  sacrifice  du  bœuf  considéré  comme  un  meurtre,  par  cela  seul 
que  le  bœuf,  animal  domestique,  a  dû  être  totem  avant  d'être  domesti- 
qué; cette  considération  me  semble  pourtant  essentielle  et  je  ne  vois 
pas  que  l'on  ait  moyen  de  justifier  autrement  le  tabou  protecteur  des 
animaux  domestiques  —  tabou  dont  la  violation  à  dû  être  entourée  de 
rites  qui  ont  survécu  à  l'idée  du  totémisme.  De  même,  dans  leur  long 
et  excellent  chapitre  sur  le  sacrifice  périodique  du  Dieu,  je  crois  que 
MM.  Hubert  et  Mauss  ont  accumulé  des  pierres  sur  leur  route  en 
refusant,  par  un  scrupule  d'ailleurs  scientifique,  de  postuler  la  quasi- 
universalité  du  totémisme  ;  car  le  totémisme  seul,  où  le  Dieu  n'est  pas 
dans  l'individu,  mais  dans  le  clan  animal,  me  semble  expliquer  la 
répétition  d'un  rite  dont  l'effet  utile  serait  autrement  épuisé  dès  le 
premier  acte.  On  ne  peut  objecter  l'exemple  de  la  messe,  dans  une 
religion  affranchie  du  totémisme  ;  car  cette  conception  est  un  emprunt 
réfléchi  à  des  idées  beaucoup  plus  anciennes  qui  peuvent  remonter  et 
remontent  sans  doute  aux  âges  totémiques. 

Salomon  Reinach. 


La  Poétique  d'Aristote,  édition  et  traduction  nouvelles,  précédées  d'une  étude 
philosophique,  par  MM.  Adolphe  Hatzfki.d  et  Médéric  Dufolr.  Lille,  Le  Bigot 
frères,  1899:  LXiii-iiyp. 

On  distinguera  dans  cette  nouvelle  édition  de  la  Poétique  d'Aristote 
trois  parties  :  i  j  l'introduction,  qui  est  un  essai  sur  les  théories  expo- 
sées dans  la  Poétique;  2)  le  texte,  accompagné  de  notes  explicatives, 
et  précédé  d'observations  critiques;  3)  la  traduction.  Nous  allons  exa- 


^  REVUE    CRITIQUE 

miner  comment  MM.   Hatzfeld  et  Dufour  se  sont  acquittés  de  la 
triple    tâche  qu'ils  se  sont  imposée.    Le  texte,  nous   dit-on,    est  en 
général  celui  de  W.  Christ,  mais  les  éditeurs  s'en  écartent  en  un  cer- 
tain nombre  de  passages,  pour  conserver  les  leçons  du  Parisinus  1741, 
guidés  en  cela  par  un  excellent  principe,  à  savoir  qu'il  faut  craindre, 
en  corrigeant  le  manuscrit,   de  corriger  Aristote  lui-même  ;  «  il  ne 
faut  pas,  disent-ils  très  sagement,  exiger  de  la  phrase  d'Aristote  une 
trop  grande  régularité  ».  Il  y  a  cependant  une  mesure  à  observer  :  les 
fautes  sont  nombreuses  dans  le  Parisinus,  et  je  ne  sais  si  MM.  H.-D. 
n'ont  pas  quelquefois  exagéré  leur  principe.  Ils  gardent  par  exemple, 
II,  I  'la  leçon  du  manuscrit  èv  aitr;  oe  tF,  oiatiopà,  en  renvoyant  à  leur 
note,  et  cette  note  se  borne  à  donner  la  traduction  «  c'est  justement  la 
différence  qu'il  y  a...  »  C'est  bien  la  pensée,  car  ici  il  n'y  a  pas  à  se 
tromper;  mais  il  est  impossible  que  cette  manière  de  s'exprimer  four- 
nisse ce  sens;  elle  signifie,  pour  quiconque  est  familier  avec  le  grec, 
«  la  différence  elle-même  »  et  non  «  cette  différence  même  »  ;  il  faut 
donc  lire  avec  Casaubon  Tajtr,,  ou  mieux  avec  Vettori  èv  oi  if,  ajtf,  ota- 
(fooà,  et  traduire  «  il  y  a  la  môme  différence  ».  De  même  III,  3  ils  con- 
servent 'AOr,vai.o'.,  avec  la  note  «  anacoluthe  ;   suppléez  xaÀojT-.  »,  sans 
remarquer  qu'il  s'agit  ici  de  l'opinion  des  Doriens,  exprimée  par  oaa( 
et  une  série  d'infinitifs,  et  qu'on  ne  peut   attribuer  à   Aristote   une 
pareille  construction,  non  pas  seulement  parce  qu'elle  est  irrégulière, 
mais  parce  qu'elle  détruit  le  sens  général.  MM.  H.  D.  ont  cependant 
cru  devoir  modifier  le  texte  en  plusieurs  passages,  et  pour  une  tren- 
taine, ce  sont  leurs  propres  conjectures,  si  nous  en  croyons  les  obser- 
vations critiques   des   pages    lxi-lxiii,   qu'ils  ont   introduites.  Il   est 
regrettable  que  celui  des  deux  éditeurs  qui  s'est  chargé  du  texte  n'ait 
pas  suffisamment  consulté  les  éditions  antérieures  ;  il   eût  évité  de 
mettre  les  initiales  H.  D.  après  des  leçons  depuis  longtemps  connues. 
Le  cas  se  présente  bien  une  dizaine  de  fois  ;  et  s'il  arrive  souvent  que 
deux  éditeurs  se  rencontrent,  il  n'en  est  pas  moins  fâcheux  que  des 
lectures  soient  présentées  comme  nouvelles  quand  elles  se  trouvent 
déjà  dans  des  ouvrages  qui  sont  à  la  portée  de  tous  ',  Ce  qui  est  per- 
sonnel à  MM.  H.  D.  n'est  pas  d'ailleurs  toujours  heureux.  Chap.  ix, 
2  la  ponctuation  It^\  §£  xf,;  xpayipoîa;  •  Twv  yîvojjiEvtov  ovofiâxcov  àvTÉyovrat  est 
inadmissible  ;  il    est    contraire   au  sens  de    suppléer  toOto  S^Xov  y^cove, 


1.  Je  cite  par  les  chapitres  et  paragraphes  de  la  présente  édition. 

2.  En  voici  quelques-unes  :  II,  2  la  restitution  lltpja;  remonte  à  Vettori.  IV, 
9  TEToiaEToa  Winstanley.  VI,  9  la  suppression  de  èv  0';...  -^z-jfi:  entre  ô-o!a  v.;  et 
8ioTT£p  acte  proposée  depuis  longtemps;  elle  est  mcme  faite  sans  indication  dans 
Egger.  IX,  3  ÈitiTiOéaTi  pour  ôro-c.  est  dans  quelques  manuscrits  et  dans  certaines 
éditions.  X,  i  fè;]  r,?  Suscmihl.  XVI,  i  810  ti  Bywater.  XVII,  5  û:iô  toû  Oîqû  Vahlen. 
XVIIl,  I  pour  £'.;  eJtj/isv  <[5Ja6a(vei  t,  eî;  ô'j5Tu/iav>  on  eût  pu  ajouter:  d'après 
Gomperz,  qui  propose  <£•.?  Sjjt.  aj|j.6.  ?,>  eî;  ejTjytav.  XXIII,  2  jxÉYa;  se  trouve 
dans  plusieurs  éditions.  XXVI,  i  -noô;  aÛToû;  Hermann. 


d'histoire  et  de  littérature  5 

car  il  s'agit  simplement  d'une  opposition  entre  la  tragédie  et  la  comé- 
die, à  propos  des  noms  propres  employés  par  chacune  d'elles,  et  non 
pas  de  la  confirmation,  à  la  fois  par  l'une  et  par  l'autre,  d'une  obser- 
vation précédente.  VI,  2  à-Tro'^afvov-a;  'rn!)nr^'/  est  corrigé,  d'après  VI,  9, 
en  à-rrocpaîvovra'!  Tt  xaOôXo'j,  bien  inutilement  ;  les  traducteurs  ont  voulu 
voir  dans  les  deux  passages  une  opposition  entre  «  faits  particuliers  » 
et  «  idées  générales  »,  tandis  qu'Aristote  dit  simplement  dans  le  pre- 
mier «  exposer  une  pensée  »,  et  dans  le  second  «  exposer  quelque  chose 
en  général  »,  par  différence  avec  ce  qui  précède,  àrooîtxvjoua'  11  oj;  Eaxtv 
t]  w;  où-/,  è'tt'.v,  et  qui  n'est  pas  exprimé   dans  le  premier.  La  fin  du 
chap.  IV  a  été  diversement   retouchée;  on  s'en  tient  généralement  à 
l'Aldine,  qui  met  un  point  après  Hyi-oL:,  et  supplée  r.ipl  ijlIv  oviv  -.ojzayt 
Tojaùxa  devant  sjxw  yj^uTv  zlpr^ixhn;  d'autres  lisent  la  phrase  d'un  seul 
trait,  sans  rien  suppléer,  avec  ou  sans  virgule  après  \h(z-z'x:.  Les  deux 
lectures  peuvent  se  défendre,  bien  que  je  préfère  la  dernière,  conforme 
au  manuscrit,  et   satisfaisant  aussi  bien  le  sens  que  la  grammaire. 
MM.  H.  D.  ont  adopté  un  moyen  terme  :  ...H-^z-'xi,  "Eutco...  ;  en  note  : 
£cnw,  à  savoir  xoTTjta  ;  c'est  ce  qu'ils  pouvaient  choisir  de  moins  bon. 
Passons  à  la  traduction,  et  aux  notes,  dont  beaucoup  ne  sont  que  la 
traduction  même  des  termes  du  texte,  et  pourraient  être  supprimées 
sans  inconvénient.  Elle  est  coulante  et  de  bon  style  '  ;  et  si  l'on  peut 
relever  çà  et  là  quelques  longueurs,  on  reconnaît  qu'elles  sont  pro- 
duites par  un  extrême  désir  de  clarté,  et  l'on  ne  s'en  plaint  pas.  La 
lecture,  si  on  ne  fait  pas  de  rapprochements  avec   le  texte,   en   est 
facile,  agréable  même,  et  l'on  ne  s'imaginerait  pas,  à  suivre  ces  pages 
d'une  langue  souple  et  légère,  que  les  traducteurs  ont  eu  à  lutter  contre 
tant  de  difficultés,  et  que  leur  version  représente  un  texte  si  ardu  et  si 
plein  de  pièges.  Ils  ont  eu  en  même  temps,  cela  va  de  soi,  un  grand 
souci  de  l'exactitude  ;  mais  alors  l'opinion  change  ;  la  traduction  est 
en  regard  du  texte,  on  compare  l'une  avec  l'autre,  et  l'on  est  surpris  de 
rencontrer  maintes  erreurs,  maintes  expressions  inexactes  qui,  je  crois, 
auraient  pu  être  évitées.  Je  les  attribue  (je  puis  me  tromper,  cependant, 
sur  leur  origine)  à  ce  que  le  texte  n'a  pas  été  étudié  avec  assez  de 
pénétration.  Ceci  d'ailleurs  n'a  rien  qui  doive  surprendre.  Le  texte  de 
\di  Poétique,  et  en  général  le  texte  d'Aristote,  n'est  ni  obscur  ni  incom- 
préhensible,  sauf,  bien  entendu,  dans  les  passages  corrompus  dont 
on  se  borne  avec  raison  à  retrouver  le  sens  général.  Il  a  au  contraire 
ceci  de  particulier  qu'il  paraît  souvent  très  clair,  qu'on  le  comprend, 
ce  semble,  du  premier  abord,  tant  l'expression  est  nette  et  sobre,  et  la 
phrase  rigoureusement  enchaînée.  Il  faut  se  défier  de  cette  première 
impression  :  à  une  nouvelle  lecture,  on  s'aperçoit  que  la  phrase,  pour 


I.  Je  note  cependant  une  phrase  incorrecte,  p.  29  :  «  La  poésie  est  plus  philoso- 
phique et  supérieure  à  l'histoire  »,   où   de   plus  «   supérieure    »  est   très    inexact 

(ffTro'JOatÔTepov). 


6  REVUE  CRITIQUE 

c'irc  exactement  traduite  dans  son  vrai  sens,  a  besoin  d'être  regardée 
de  très  près,  qu'il  faut  l'analyser  par  le  détail,  qu'il  est  nécessaire  de 
peser  chaque  mot  et  chaque  tournure,  et  que   souvent  la  traduction 
adoptée  à  première  vue  est  en  réalité  imprécise,  insuffisante  ou  même 
erronée.  Un  exemple,  pris  dans  la  traduction  de  MM.  H.  D.,  fera,  je 
crois,  mieux  saisir  cette  pensée.  Chap.  iv,  i   :  Deux  causes  naturelles, 
dit  Aristote,  semblent  avoir  donné  naissance  à  l'art  poétique;  il  con- 
tinue par  une  phrase  assez  longue,  que  l'on  me  permettra  de  citer  en 
entier.  Tô  -e  'i%p   ixiijiîTaOa'.  TJuL'D'j-rov  ToTî  àvOpwuo'.ç   t/.  —aîowv   estÎ,  xa'.   TO'jttji 
8ta»Éoo'jTt  Ttov  aXXwv  ^okov,  H-zi  [j.![jiT,Tr/.coTaTÔv  àax'.,  ■/.■x\  Ta;  ;jiaOr^T£'.;   TrotetTat  8tà 
|jit|j.-/,Jîto;  ti;  -ow-a;,    /.a!   -o   y7.'.Çji'.j    toT;   |j.'.;j.r,;jta7'.    Trâvxa;    (ponctuation    de 
MM.  Hatzfeld  et  Dufour).  La  traduction,  considérée  en    elle  seule, 
semble  excellente  :  «  L'esprit  d'imitation  est  inné  à  Thomme  dès  l'en- 
fance, et  ce  qui  le  distingue  des  autres  animaux,  c'est  qu'il  est  de  tous 
le  plus  imitateur.  C'est  à  l'imitation  qu'il  doit  ses  premières  connais- 
sances, et   tout   le    monde   goûte    les   imitations.    »  A   l'analyse,   on 
découvre  que,  si  elle  rend  les  mots  du   texte,  elle  n'en  représente  le 
sens  en  aucune  façon,  et  une  note  malencontreuse  vient  confirmer 
cette  opinion  :  «  -/.a!  to  /x'.oi'm...  irav-a;  :  anacoluthe;  on  attendrait  xaî 
^aîpojai...  TtivTs;.  »  Note  et  traduction  montrent  que  les  traducteurs  ont 
vu  dans  cette  phrase  quatre  propositions  distinctes,  dont  chacune  est 
reliée  à  la  précédente  par  •/,%'.  to  [i.i|j.£ïT6a'.  cjiji'^'jtov...  ïtz'.^  (xal)  o'.a'iîpojjt... 
i'T'....  ÈJTt,  (-/.ai)  TO'.ETTai,  (/.a;)  :  to  yaîoî'.v,  d'où  la  nécessité  d'expliquer  la 
construction  alors  plus  qu'étrange  de   la  dernière  ;   l'anacoluthe  est 
pour  cela  très  commode.  Or,  en  réalité,  il  n'y  a,  dans  cette  phrase 
très  bien  faite,  que  deux   propositions,  dont  la  seconde,  construite 
comme  entre  parenthèses,  est  accompagnée  d'une  double  détermina- 
tion ;  la  première  a  deux  sujets  (les  deux  causes  en  question),  unis 
formellement  par  -i...  -/.a!,  selon  l'usage  :  i)  tô  xt  [jujasTciOai  xaî  tô  yx'.^zvi 
TjjaojTÔv  £7T'.  ToT;  àvOpoj-oiî,  2)  xal  oiaoÉpo'jî'....    6't'.  à)  trz'.^  v.al  b)  -otslTai.  La 
conséquence  de  cette  traduction  manquée,  faute,  comme  je  le  crois, 
d'avoir  approfondi  le  texte,  est  que  MM.  H.  D.  sont  obligés  de  cher- 
cher la  seconde  cause  dans  a'-Ttov  81  xai  toutoj  (IV,  2),  qui  se  rapporte  à 
autre  chose,  et  d'annoter  :  «  tojto'j  :  à  savoir  toj  tt,v  TrotT,TtxT,v  Y^vi^Oai  »  ! 
Je  pourrais  signaler  d'autres  phrases  interprétées  de  la  même  manière 
superficielle  ;  je  pourrais  également  relever  de    nombreuses  expres- 
sions de  détail  inexactement  rendues,  toujours  pour  la  même  cause  '  ; 


1 .  L'n  exemple  de  ce  genre  :  VIII,  2  «  de  telle  sorte  que,  l'une  (des  parties)  étant 
changée  ou  supprimée,  le  tout  diffère  ou  soit  dérangé  ».  Quoi  de  plus  simple  et 
de  plus  clair  ?  Et  qui  croirait  que  le  texte  est  mal  rendu  ?  Or  "  changée  »  est  amphi- 
bologique; il  faut  entendre  «  changée  de  place  »  (îJi£TaTt9ï[iévou),  et  «  diffère  »  n'est 
pas  le  sens.  La  faute  est  aggravée  par  la  note  «  ôia-fépsaôai,  mâme  sens  que  Sia-fi- 
p«iv  .».  A'.x'f<p£76ai  n'a  jamais  eu  le  sens  de  «  être  différent  »,  est  ici  un  passif,  non 
un  moyen,  et  signifie  «  être  mis  en  désordre  ».  Aristote  n'emploie  pas  les  mots  au 
hasard. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  7 

mais  je  ne  puis  trop  m'étendre;  ce  qui  précède  suffit,  et  je  résume 
mon  impression  :  cette  traduction  est  œuvre  de  littérateur,  non 
d'helléniste. 

L'introduction  est,  si  je  ne  me  trompe,  la  partie  la  plus  importante 
du  livre;  texte  et  traduction  semblent  bien  n'être  là  que  pour  complé- 
ter le  volume  et  servir  d'accompagnement  au  morceau  d'ouverture. 
MM.  H.-D.  y  exposent  le  plan  de  la  Poétique,  analysent  les  théories 
d'Aristote  sur  la  tragédie,  reconstituent  la  partie  perdue  qui  traitait 
de  la  comédie,  et  proposent  une  explication  de  la  xxOapaiç.  La  méthode 
à  suivre  est  clairement  définie  dès  le  début  :  la  Poétique  fait  partie  d'un 
vaste  système  d'ensemble  où  toutes  les  théories  s'éclairent  et  se  com- 
plètent mutuellement;  on  ne  saurait  donc  bien  la  comprendre  et  l'ex- 
pliquer qu'en  la  comparant  aux  autres  œuvres  d'Aristote,  notamment 
à  V Ethique^  à  la  Rhétorique  et  à  la.  Politique.  C'est  bien  là,  en  effet,  la 
saine  méthode;  il  en  est  résulté  un  morceau  de  haute  valeur  littéraire 
et  philosophique,  où  tous  les  détails  sont  mis  en  lumière,  où  les  con- 
ceptions d'Aristote  sont  commentées  avec  science  et  pénétration,  e^ 
dont  la  lecture  ne  saurait  être  trop  recommandée  ;  quelle  que  doive 
être  l'opinion  qu'on  en  prenne,  ces  pages  feront  penser.  La  question 
fameuse  et  si  souvent  discutée  de  la  purgation  ou  purification  des 
passions  par  la  tragédie  y  tient  naturellement  une  grande  place- 
MM.  H.-D.  en  proposent  l'explication  suivante.  «  Purifier  telle  ou 
telle  passion,  c'est  la  ramener  au  bien.  Le  bien  est  un  milieu  entre  le 
trop  et  le  trop  peu  (p.  m).  La  tragédie  transforme  les  passions  de 
pitié  et  de  crainte  en  habitudes  vertueuses.  Elle  les  purifie,  en  les 
ramenant  à  une  juste  mesure  (p.  xxxii).  En  résumé,  la  tragédie  nous 
représente  des  actions  propres  à  exciter  la  pitié  et  la  crainte  dans  la 
mesure  qu'il  convient.  Par  conséquent,  elle  nous  donne  l'habitude 
d'éprouver  devant  les  mêmes  actions  dans  la  réalité  les  mêmes  pas- 
sions au  même  degré.  C'est  en  cela  qu'elle  les  purifie  (p.  xlii).»  On  voit 
que  c'est  une  explication  morale.  Elle  n'est  pas  absolument  nouvelle; 
sans  parler  de  Lessing,  que  citent  MM.  Hatzfeld  et  Dufour,  Racine 
avait  déjà  expliqué  xxôaîpeiv  de  la  même  façon  (cité  par  Egger,  4<^  éd. 
de  la  Poétique.,  1875,  p.  87)  :  «  Une  représentation  vive,  qui...  purge 
et  tempère  ces  sortes  de  passions,  c'est-à-dire  qu^en  émouvant  ces 
passions,  elle  leur  ôte  ce  qu'elles  ont  d'excessif  et  de  vicieux,  et  les 
ramène  à  un  état  modéré  et  conforme  à  la  raison.  »  Je  dois  dire  que 
la  discussion  de  MM.  H.-D.  ne  me  semble  nullement  convaincante. 
Ils  s'appuient  principalement  sur  un  passage  de  VEthique  où  il  est  dit 
que  la  vertu  consiste  dans  un  juste  milieu  entre  l'excès  et  le  défaut,  et 
que  la  vertu  trouve  ce  juste  milieu  lorsqu'il  s'agit  d'éprouver  certaines 
passions,  parmi  lesquelles  la  crainte  et  la  pitié.  La  vertu,  le  bien  sont 
ici  expressions  identiques.  Mais  le  raisonnement  pèche  par  la  base. 
Sans  examiner  si  le  spectacle  tragique  donne  ou  non  une  habitude, 
c'est-à-dire  si  le  phénomène  de  la  xiOaûd'.;  est  durable  ou  momentané, 


8  REVUE    CRITIQUE 

sans  rechercher  si  le  sens  de  TrâOr.jjia,  par  apposition  à  -iOo;,  est  rigou- 
reusement établi,  on  remarquera  que  MM.  H.-D.  partent  d'une  affir- 
mation. Aristote  dit  bien  que  la  tragédie  purifie  les  passions  ;  il  dit  bien 
aussi  que  la  vertu  est  un  juste  milieu;  mais  il  reste  à  démontrer  que 
purifier  =  ramener  au  juste  milieu.  Que  devient  alors  l'explication 
morale?  Je  crains  bien  qu'après  comme  avant  l'analyse  de  MM.  Hatz- 
feld  et  Dufour  il  ne  faille  répéter  leurs  propres  paroles  (p.  xxxii)  :  «  De 
nombreuses  interprétations  ont  été  proposées,  sans  qu'aucune  ait  paru 

clore  le  débat.  » 

M  Y. 


Friedrich  Weber,  Platonische  Notizen  iiber  Orpheus.  Eine  litterarhistorische 
Untersuchung  (Progr.  des  K.  Luitpold-Gymn.  in  Mûnchen  1898-99).  Munich. 
impr.  Lindl,  1899;  44  p. 

Il  est  assez  souvent  question  d'Orphée  dans  les  dialogues  de  Platon, 
Mais  comment  Platon  le  considère-t-il  et  que  pense-t-il  de  lui,  de  son 
origine  et  de  ses  poèmes?  C'est  ce  que  discute  M.  Weber,  en  criti- 
quant les  passages  où  est  mentionné  Orphée.  Il  résume  clairement 
les  résultats  de  cette  recherche  :  Platon  croit  à  l'existence  d'Orphée  et 
à  l'authenticité  de  ses  poésies  (hymnes,  poèmes  mystiques,  théogonie)  ; 
mais  il  ne  croit  pas  le  moins  du  monde  à  son  origine  divine,   qu'il 
semble  plutôt  tourner  en  raillerie.  Ne  parlant  nulle  part  de  sa  patrie, 
il  le  regarde  comme  un  Grec  ;  tout  au  moins  ne  le  prend-il  pas  pour 
un  Thrace.  Les  textes  littéraires  et  les  monuments  figurés  antérieurs 
à  Platon  apportent  une  nouvelle  preuve,  également  négative,  à  l'appui 
de  cette  conclusion,  qui,  comme  on  le  voit,  ne  manque  pas  d'intérêt. 

My. 


\V.  Crœnert.  Zur  Ueberlieferung    des  Dio   Cassius  (tir.   à  part  des   Wiener 
Studien,  t.  XXI,  t'asc.  I,  1899,  pp.  46-79).  \'ienne,  impr.  C.  Gcrold  fils,  1899. 

La  question  qui  est  traitée  dans  ces  quelques  pages,  sous  la  forme 
d'une  critique  de  l'édition  de  Dion  Cassius  par  Boissevain,  est  une 
des  plus  importantes  parmi  celles  qui  concernent  l'ecdotique.  Dion 
Cassius  est  du  iii»  siècle  ;  il  prend  manifestement  pour  modèles  les 
écrivains  classiques  de  la  belle  époque,  et  l'on  ne  peut  douter  qu'il 
ne  connût  sa  propre  langue  dans  toute  sa  pureté.  D'autre  part,  il  est 
peu  probable  qu'il  ait  pu,  ou  même  voulu  se  soustraire  à  l'usage  de 
son  temps,  et  la  langue  du  111=  siècle  n'est  plus  la  langue  du  iV  siècle 
avant  J.-C.  Entin,  après  lui,  le  grec  s'est  encore  insensiblement 
modifié,  et  il  est  à  supposer  que  les  copistes  successifs  de  son  œuvre 
(les  premiers  manuscrits  sont  du  xi'  siècle)  peuvent  avoir,  volontai- 


d'histoire  et  de  littérature  g 

■fement  ou  non,  conformé  son  texte  à  leur  propre  usage.  Il  suit  de  là 
que  pour  publier  le  texte  de  Dion,  comme  celui  d'autres  écrivains  de 
la  même  époque,  on  peut  être  légitimement  embarrassé,  et  à  plus  forte 
raison   s'il  s'agit  d'écrivains  postérieurs;  d'autant  plus  que  la  con- 
naissance des  divers  stades  de  la  langue  est  encore  loin  d'être  parfaite. 
Une  forme  comme  eopafjirjv,  par  exemple,  est-elle  due  à  un   copiste 
postérieur,  ou  appartient-elle  à  la  langue  courante  du  iii«  siècle  ?  Et 
dans  ce  dernier  cas. doit-on  l'attribuer  à  Dion  lui-même,  ou  supposer 
au  contraire  qu'il  a  écrit  £'jpô;j.r,v  conformément  à  la  langue  classique  ? 
Les    troisièmes   personnes    du    pluriel    plus-que-parfait   en  —  ô'.jav, 
opt.  en  —  atîv  sont  sans  nul  doute  de  moins  bonne  langue  que —  ccrav, 
—  etav,  mais  elles  sont  fréquentes  dans  les  manuscrits   et  n'ont  rien 
d'incorrect  ;  proviennent-elles  des  copistes,  ou   bien  Dion  les  a-t-il 
employées,  préférant  l'usage  de  son   époque  à  l'usage  plus  ancien  et 
réputé  plus  pur?  Telle  est  la  question  :  on  voit  qu'il  s'agit  de  nom- 
breuses  formes   grammaticales   et  d'une   foule   de  variétés   d'ortho- 
graphe. M.  Crœnert  en  examine  une  grande  quantité,  en  comparant 
le  texte  de  Boissevain  avec  les  leçons  des  manuscrits.  De  telles  obser- 
vations sont  très  minutieuses  et  pourront  sembler  superflues;  mais 
elles  sont  loin  de  l'être  pour  l'histoire  d'une  langue  ;  et  la  conclusion 
qui  s'en  dégage  est  qu'un   éditeur  ne  doit   rien  négliger,  qu'il  doit  se 
garder  de  corriger  sous  prétexte  de  remédier  à  un  usage  défectueux, 
et  que  son  appareil  critique  doit  recueillir  soigneusement  les  variantes 
orthographiques,  à  plus  forte  raison  les  variantes  grammaticales  ;  car 
elles  ont  bien    plus,  pour  ceux  qui  étudient  le  développement  histo- 
rique  d'un    idiome,    qu'un   intérêt  de    simple  curiosité.  L'article   de 
M.   Crœnert,   plutôt   sévère  pour   Boissevain,  a  le  mérite  d'appeler, 
ou  de  rappeler  l'attention  sur    ces    détails    souvent    négligés;  mais 
il   encourt    lui-même   des  reproches  analogues.  Les  renvois  introu- 
vables ',  les   citations    inexactes    sont    en   trop  grand  nombre  dans 
si  peu  de  pages,  sans  compter  que  M.  Crœnert  attribue  plusieurs  fois 
à  Boissevain  des  erreurs  qu'il  n'a  pas  commises  \  Il   faut  compter 
avec  les  typographes  (tous  ceux  qui  font  imprimer  en  savent  quelque 
chose),  mais  on  doit  vérifier  ses  citations  avant  de  faire  dire  à  un 
autre  ce  qu'il  n'a  pas  dit. 

Mv. 


1.  Je  n'ai  pas  tout  vérifié;  mais  j'ai  noté  une  vingtaine  de  renvois  faux,  dont 
huit  que  je  n'ai  pas  pu  retrouver. 

2.  P.  5i  :  B.  a  gardé  Aïo^xoJp'.ov;  p.  5i)  :  B.  préfère  Atoffxôptov  (B.  écrit  Aioaxô- 
peiov)  ;  p.  63  :  Pourquoi  B.  croit-il  devoir  rejeter  è'^wQé  -ko-j}  (c'est-à-dire  écrire 
è'Çw6£v  ;  mais  B.  conserve  s'ïwOa);  p.  67  :  B.  donne  partout  èfioûAsto  (B.  écrit  f.êoû- 
Xeto);  l'tf.  T.Xwaav  est  introduit  à  la  place  de  ii\i»<sT/,  mais  ce  changement  est  retiré 
à  la  note  42,  14,  3  (c'est  exactement  le  contraire);  p.  65  :  tv  asTclyciov  (Zonaras) 
n'était  pas  à  corriger  en  [Assôyaiov  (51c;  ainsi  présenté,  c'est  inexact,  B.  dit  en 
note  «  nonne  .aeuÔYcuv  ?  at  cf.  y,  24,  4  »  où  il  donne  èv  T?i  fjLeaoyefa))  ;  p.  74  ;  B.  con- 


lO  REVUE    CRITIQUE 

N.  G.  Poi.iTis.  MeAiTat  -nepi  toÛ  fSiou  xai  tt.;  vî^wjxr,?  toO  £>.Xt,vixou  >^ao'j.  Ilapoiixiat. 
t.  I  (Bibl.  Maraslis,  n"  68-71,  lîapip-cT.ixa  5).  Athènes,  impr.  Sakellarios,  1899  : 
it-6oo  pp. 

La  bibliothèque  Maraslis  n'avait  publié  jusqu'ici  que  des  traduc- 
tions; l'ouvrage  de  M.  Politis  est  un  travail  original,  du  plus  haut 
intérêt,  et  dont  l'importance  ne  saurait  échapper.  Réunir  en  un  seul 
corpus  tous  les  proverbes  connus  dans  les  différents  pays  de  langue 
grecque,  en  donner  l'explication  et  l'application,  les  comparer  entre 
eux  et  avec  les  proverbes  semblables  des  autres  peuples,  ce  n'était  pas 
une  tâche  facile.  M.  Politis,  dont  on  connaît  les  recherches  sur  les 
proverbes  byzantins,  s'est  courageusement  mis  à  l'œuvre,  a  dépouillé 
les  collections  déjà  publiées,  a  mis  à  contribution  les  ouvrages  où  il 
pouvait  rencontrer  des  proverbes,  et  a  fait  appel  à  la  bonne  volonté 
de  correspondants  intelligents,  qui  lui  en  ont  communiqué  de  tous 
les  points  du  territoire  grec.  Il  a  en  outre  admis  dans  sa  collection 
les  proverbes  en  usage  à  l'époque  byzantine,  qu'il  a  tirés  soit  de 
recueils  déjà  publiés,  soit  de  manuscrits  inédits;  on  trouvera  ceux- 
ci  publiés  dans  la  première  partie  de  ce  volume.  L'introduction  nous 
donne  d'amples  renseignements  sur  ces  manuscrits,  avec  une  liste  de 
tous  les  recueils  modernes,  par  ordre  chronologique  ',  et  les  noms 
des  personnes  qui  lui  ont  communiqué  le  résultat  de  leurs  recher- 
ches ;  vient  ensuite  l'énumération  des  ouvrages  consultés  pour  la 
comparaison  avec  les  autres  langues.  La  disposition  générale  de  l'ou- 
vrage est  la  suivante  :  les  proverbes  sont  rangés  suivant  un  double 
ordre  alphabétique  :  i»  d'après  les  mots  principaux,  qui  sont  pour 
ainsi  dire  chefs  de  groupe  ;  2°  dans  chaque  groupe,  d'après  les  lettres 
initiales  de  chaque  proverbe.  Cette  disposition  n'est  pas  à  l'abri  de  la 
critique.  Outre  que  le  mot  jugé  le  plus  important  par  M.  P.  n'est  pas 
toujours  celui  sous  lequel  on  cherchera,  il  résulte  du  système  adopté 
que  des  proverbes  non  seulement  de  même  sens,  mais  de  même  forme 
et  conçus  en  termes  identiques,  sont   séparés  les  uns  des  autres  s'ils 


serve  dans  Zonaras  raouivio;,  qu'il  corrige  dans  Dion  en  Taêivio;  (il  ne  s'agit  pas 
dans  Zonaras  de  Gabinius,  mais  des  rao'jîvot,  habitants  de  Gabies).  M.  G.  cite  ainsi 
parfois  à  la  légère;  par  exemple,  p.  53  à  propos  de  Ta[xierai  48,  48,  i  M  il  ajoute  : 
L  semble  avoir  ici  ■tatj.txi,  oubliant,  ou  ne  remarquant  pas  qu'une  note  de  la  page 
précédente  nous  avertit  de  la  disparition  de  ce  passage  dans  L;  et  p.  52  :  l'ortho- 
graphe w'ie).!ï  est  la  plupart  du  temps  conservée  dans  la  tradition;  M.  G.  n'a  vu 
que  la  note  de  la  page  I  446,  où  B.  cite  en  etTet  quatre  exemples  de  i  contre  2  de 
«'.  ;  mais  la  note  11  83  prouve  que  l'orthographe  par  ci  est  au  contraire  la  plus 
fréquente. 

I.  Il  y  manque  un  ouvrage  que  M.  Politis  cite  d'ailleurs  fréquemment  par 
l'abréviation  Mav.  ;  c'est  le  livre  d'Emmanuel  Manôlakakis,  intitulé  Kap-raftiaxâ, 
Athènes,  1896,  qui  contient  aux  pages  270-290  une  collection  de  341  proverbes. 
—  Guriosité  :  M.  P.  sait-il  que  4  proverbes  néogrecs  sont  rapportés  par  Hoffmann 
dans  le  morceau  intitulé  die  Irrungen?  Ils  sont  pris  sans  nul  doute  dans  Bar- 
tholdy,  dont  H.  parle  également. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  1  I 

commencent  par  un  mot  différent.  C'est  peu  de  chose  pour  les  groupes 
qui  ne  comportent  que  quelques  numéros;  mais  l'inconvénient  est 
sensible  pour  des  rubriques  comme  aXXo;,  par  exemple,  sous  laquelle 
sont  rangés  182  proverbes.  Dans  cette  série  est  le  proverbe  6'7ro'.oî  oxâ- 
<fT£i  Xczxxov  aXXo'j  TT£OT£t  6  "oto?  [jLîcTa  ,'  or  les  provcrbcs  de  cette  forme  se 
trouvent,  suivant  leurs  lettres  initiales,  aux  numéros  i  5o,  i55,  iSq- 
i65,  167,  170-172,  174,  et  les  numéros  intercalaires  n'ont  avec  ce 
proverbe  aucun  rapport.  Malgré  les  renvois,  on  ne  saisit  pas  facile- 
ment comment  les  divers  pays  grecs  ont  exprimé  la  même  idée,  et  la 
comparaison  est  encore  moins  aisée  quand  il  s'agit  de  proverbes  iden- 
tiques rangés  sous  des  étiquettes  différentes.  Ce  qui  importe,  en  effet, 
dans  un  ouvrage  de  ce  genre,  ce  n'est  pas  seulement  la  collection  des 
proverbes,  c'est  la  réunion  en  un  même  groupe  des  proverbes  de 
même  sens,  car  c'est  ainsi  seulement  que  les  études  de  mœurs  et  de 
langue  sont  facilitées.  Mais  c'est  là,  pour  le  moment  du  moins,  plutôt 
l'expression  d'un  regret  qu'une  critique  :  le  premier  volume  seulement 
est  entre  mes  mains,  et  il  ne  comprend  que  les  titres  àoavia-àXwvt^oj.  Je 
préfère  attendre  la  fin  de  l'ouvrage,  pour  le  mieux  présenter  aux  lec- 
teurs, exprimer  sur  la  méthode  employée  des  conclusions  plus  cer- 
taines et  soumettre  à  M.  P.  plus  d'observations  de  détail,  relatives 
soit  à  des  comparaisons  inexactes,  soit  au  contraire  à  des  rapproche- 
ments nouveaux.  Je  me  borne  à  lui  signaler  un  ouvrage  qu'il  semble 
ne  pas  connaître,  dans  lequel  il  trouvera  une  trentaine  de  proverbes 
intéressants  :  SuXXoyT(  KoTiT'.xwv  eirtaToXcov  sic  tt,v  eyj^coptov  oistXex-uov...  auXXe- 
Ys'ïaa  xa-.  ÈxooôsTaa  imo  **  ;  Athènes,  1878.  11  y  verra  entre  autres  le  pro- 
verbe ôtXXoc  80  avec  quelques  variantes.  Pour  les  proverbes  français,  la 
collection  delà  Mélusine  et  celle  du  Courrier  de  Vaiigelas  pourraient 
être  consultées  avec  fruit  ;  mais  cette  dernière  est  bien  difficile  à  trou- 
ver aujourd'hui.  Si  M,  Politis  tient,  comme  je  n'en  doute  pas,  à  par- 
faire son  œuvre,  nul  addendum  ne  doit  lui  paraître  à  dédaigner,  aussi 
bien  dans  les  langues  étrangères  que  dans  la  sienne  propre. 

My. 


Historische  Grammatik  der  englischen  Sprache,  von  Dr.  Max  Kai.lza,  Pro- 
fessor  an  der  Universitaet  Kœnigsberg.  I.  Gcschichtc  der  englischen  Sprache. 
Grundzùge  der  Phonetik,  Laut-  und  Formenlehre  des  Altenglischcn.  —  Berlin, 
E.  Felber,  lyoo.  In-8,  xvj-3oo  pp. 

Nous  ne  manquons  pas  de  bonnes  grammaires  de  l'anglo-saxon  : 
depuis  1896  seulement,  j'ai  eu  l'occasion  d'en  lire  quatre,  deux  en 
anglais,  deux  en  allemand;  et  je  ne  suis  pas  sûr  d'avoir  vu  tout  ce 
qui  a  paru;  et  celle  de  M.  Bulbring  me  parviendra  incessamment. 
Cette  surproduction  scientifique  me  réjouirait  davantage,  si  la  France 
y  prenait  quelque  part. 


12  REVUE   CRITIQUE 

Mais  la  grammaire  de  M.  Kaluza  se  distinguera  de  ses  aînées,  en 
ce  qu'elle  promet  de  nous  conduire,  des  limbes  prégermaniques  de 
l'anglo-saxon  par  où  elle  débute,  à  travers  la  langue  et  la  littérature 
du  moven  âge.  jusqu'au  seuil  de  l'anglais  contemporain.  Si,  comme 
tout  le  fait  présager,  elle  remplit  nettement  et  brièvement  son  pro- 
gramme, elle  sera  la  bienvenue  dans  toutes  les  écoles;  car  nous 
manquons  jusqu'à  présent,  à  un  degré  incroyable,  de  moyens  pra- 
tiques d'enseigner  et  d'apprendre  la  grammaire  du  moyen-anglais. 
Quelques  ouvrages  de  phonétique,  excellents  certes,  mais  rebutants  à 
force  de  minutie  consciencieuse;  des  monographies  en  petit  nombre, 
et  plus  littéraires  que  linguistiques;  des  bribes  grammaticales  éparses 
en  tète  des  éditions  de  Gower  ou  de  Chaucer  :  c'est  tout  ce  qu'il  nous 
est  donné  de  consulter;  rien  de  coordonné,  rien  de  suivi.  Les  langues 
de  transition  sont  ainsi  souvent  des  déshéritées:  comme  la  connaissance 
du  langage  contemporain  suffit  à  les  faire  entendre  en  gros,  on  ne 
prend  point  la  peine  d'y  consacrer  une  étude  spéciale;  les  purs  litté- 
rateurs les  méprisent,  et  le  philologue  épris  d'antiquité  les  dédaigne. 

Pour  le  moment,  M.  K,  ne  nous  donne  qu'une  grammaire  de 
l'anglo-saxon  rapporté  à  ses  origines  indo-européennes.  Son  histoire 
générale  de  la  langue  anglaise  (pp.  1-39)  est  succincte,  claire  et 
agréable;  son  exposé  grammatical,  exact  et  complet;  ses  transcriptions 
phonétiques,  notamment  (p.  80),  me  paraissent  très  rationnelles  :  en 
sorte  que  je  n'aurais  guère  à  constater  dans  l'ensemble,  entre  lui  et 
moi,  que  des  divergences  de  méthode.  Mais  je  me  suis  si  souvent 
expliqué,  ici  même,  sur  ces  questions  de  pédagogie  protogerma- 
nique, que  j'ai  scrupule  d'y  revenir.  Je  ne  veux  donc  qu'apporter  ma 
contribution  au  relevé  des  menues  erreurs  ou  des  insuffisances  de 
détail. 

P.  4  :  après  l'article  si  convaincant  de  M.  d'Arbois  de  Jubainville  ', 
il  n'est  plus  permis  de  maintenir  l'antique  rapport  établi  entre  le  nom 
des  Brittones  et  celui  de  la  Britannia.  —  P-  47,  l'o  de  boy  est  donné 
pour  une  brève  pure,  sans  aucun  signe  de  prononciation;  or,  cet  o 
est  tout  au  moins  une  demi-longue,  ce  que  reconnaissent  unanimement 
tous  les  phonéticiens  même  qui  ne  s'accordent  pas  sur  son  timbre 
précis  '.  —  P.  90  :  lat.  oinos  est  attesté  ;  effacer  l'astérisque.  On  nous 
reproche  bien  assez  d'inventer  des  formes,  pour  que  nous  nous  gar- 
dions de  laisser  suspecter  celles  qui  ne  sont  pas  de  notre  crû.  — • 
P.  93  :  le  phénomène  dit  d'allongement  compensatoire  germanique 
est  mal  décrit  :  une  voyelle  nasale  qui  se  dénasalise  ne  s'allonge  point 
pour  cela;  si  la  voyelle  nasale  était  brève,  elle  ne  peut,  je  crois,  phy- 
siologiqucment  aboutir  qu'à  une  voyelle  orale  brève.  La  vérité  est 
que.  dans  le  type  '  fanhan  devenu  fdhan.  Va  était  à  la  fois  nasal  et 


1.  Revue  Celtique,  XIII,  p.  3f,8. 

2.  Cf.  Victor,  Klementc  der  Plwnetik,  3-  éd.  p.  80. 


d'histoire  et  de  littérature  i3 

long,  en  tant  que  cumulant  le  timbre  et  les  deux  mores  de  ^  -f-  "•  — 
P.  102,  le  type  stréa  «  paille  »  ne  me  semble  pas  non  plus  expliqué 
de  façon  satisfaisante  :  ce  n'est  pas  l'a  qui  s'est  changé  en  ea  dans  le 
mot  *  straw  -,  mais  le  groupe  aw  tout  entier  qui  a  été  traité  comme 
germ.  aini'.  —  P.  ii6,  sci'ifan  ne  signifie  pas  a  beichten  »,  mais 
mais  to  shrive  «  entendre  en  confession  »;  même  observation  p.  i63. 

—  P.  123,  l'étudiant  ne  verra  pas  bien  comment/i//fz/?n  est  sorti  de 
* ful-téam.  Il  eût  fallu  rappeler  la  forme  germanique  de  ce  dernier 
mot,  soit  *  taiim-,  dont  la  diphtongue  s'est  affaiblie  en  syllabe  de 
moindre  accentuation.  —  P.  128,  dire  sans  commentaire  que  Vu 
final  se  maintient,  même  après  syllabe  lourde,  à  sg.  i  du  présent  de" 
l'indicatif,  c'est  rendre  gratuitement  suspecte  la  constance  des  lois 
phonétiques;  il  était  facile  d'ajouter  que  le  maintien  de  helpu  est  dû 
à  l'analogie  de  berii.  —  P.  145,  je  ne  saisis  pas  le  rapport  que  paraît 
établir  l'auteur  entre  ag.  proiid  et  fr.  prou.  —  P.  148  :  dans  ne  ïi>iton 
«  ils  ne  savaient  pas  »,  devenu  nyton,  le  ^u  initial  ne  disparaît  pas 
purement  et  simplement,  puisqu'il  donne  un  timbre  labial  à  la  voyelle 
subséquente;  il  est  probable  qu'il  en  était  de  même  dans  les  autres 
cas  de  syncope  du  w,  encore  que  la  graphie  n'en  ait  pas  gardé  trace. 

—  P.  149,  1.  2,  lire  got.  naqaths.  —  P.  i53,  et  cf.  p.  172,  etc.  :  c'est 
courir  une  grande  chance,  que  de  séparer  le  pi.  ags.  dagas  du  pi. 
got.  (ia^o^;  et  vraiment  le  sk.  véd.  dcvdsas  est  trop  peu  représenté 
ailleurs  pour  qu'on  se  résigne  volontiers  à  le  retrouver  si  largement 
épanoui  en  germanique-occidental.  Toute  cette  théorie  mériterait  au 
moins  un  grand  point  d'interrogation.  —  P.  173,  il  faudrait  dire  que 
dêath  «  mort  »  était  jadis  un  thème  en  -11-.  —  P.  193,  ags.  exen  ne 
peut  représenter  un  germ.  *  iihsini:^,  qui  eût  donné  *  yxen.  — 
Pp.  204-205  :  je  ne  vois  pas  l'utilité  d'indiquer  une  ancienne  finale 
d'accusatif  pronominal  indo-européen  om  -\-  ôm\  ou  bien  il  faudra 
supposer  la  même  ajouture  pour  expliquer  le  neutre  got.  thata.  Tous 
ces  processus  sont  prégermaniques,  mais  non  indo-européens.  — • 
P.  233,  ags.  hwaet  ne  répond  nullement  au  lat.  qiiid^  mais  au  lat. 
quod;  car  c'est  ici  de  la  forme  qu'il  s'agit,  et  non  de  la  fonction.  — • 
P.  241,  je  vois  un  grave  inconvénient  pratique  à  changer  les  numéros 
de  classes  des  verbes  forts  :  qu'on  étudie  l'apophonie  verbale  dans 
l'ordre  qu'on  jugera  le  meilleur,  soit;  mais  qu'on  respecte  dans  la 
conjugaison  l'ordre  fixé  par  la  tradition.  C'est  ainsi  que  j'ai  fait.  • — 
P.  266  :  si  È'oîOE  vaut  *  ï-oto-t--:,  oiov.  ne  peut  procéder  de  *  cpip-i-^;,  et 
il  ne  faudrait  pas  le  laisser  croire.  —  P.  274  :  sg.  2  du  parfait  fort 
n'est  pas  «  emprunté  au  subjonctif»;  blinde  représente  i.-e.  *  é-bhndh- 
es  (aoriste  thématique),  aussi  légitimement  que  germ.  *  /ôti{  est 
pour  i.-e.  * pod-es.  —  P.  289,  lire  sient,  et  non  sicnt. 

M.  Kaluza  s'est  très  heureusement  tiré  de  la  première  partie  de  sa 
tâche.  Nous  l'attendons  à  la  seconde,  la  plus  utile  et  la  plus  ardue, 
et  il  nous  promet  de  ne  pas  s'y  attarder  longuement,         V.  Henry. 


I^.  REVUE    CRITIQUE 

K.  \Vai.is^h\vski.  L'héritage  de  Pierre  le  Grand.  Règnes  de  femmes  ;  gouverne- 
niciit  des  favoris  ^i-;zb-i-^\  .  Paris,  Pluii,  lyuo. 

Au  Congrès  d'histoire  diplomatique  de  la  Haye,  il  nous  souvient 
d'une  brillante  improvisation  de  M.  Waliszewski,  qui  tint  sous  le 
charme  tous  ses  auditeurs  en  les  entretenant  des  tsarines  du  xvni«  siè- 
cle. C'était  comme  un  rapide  aperçu  du  livre  que  ce  littérateur  fécond 
vient  de  publier.  Après  avoir  écrit  le  Roman  de  la  grande  Catherine^ 
puis  la  Vie  de  Pierre  le  Grand,  M.  W.  entreprend  l'histoire  des 
autocrates  qui  s'échelonnent  de  l'un  à  l'autre,  et  tout  d'abord,  dans  le 
présent  volume,  de  Pierre  à  Elisabeth,  succession  de  princes  et  prin- 
cesses assez  nuls  :  Catherine  !*■■,  Pierre  II,  Anne,  Ivan  III,  dont  le 
règne  insignifiant  contraste  avec  celui  qui  précède  et  ceux  qui  suivent. 
L'intérêt  central  se  porte  sur  le  gouvernement  d'Anne  Ivanovna 
(i 730-1 740),  le  plus  long  et  le  moins  terne. 

Cette  période,  dénuée  d'intérêt  vraiment  historique,  n'a  guère  qu'un 
intérêt  anecdotique.  Dans  une  preste  introduction,  l'auteur,  qui  tient 
compte  avec  bonne  grâce  des  critiques  adressées  à  son  œuvre  précé- 
dente, excuse  avec  esprit  son  goût  pour  le  détail  pittoresque  et  sa  ten- 
dance à  ne  pas  conclure.  Voilà  qui  convient  spécialement  à  une  his- 
toire de  femmes  et  de  favoris.  Que  d'anecdotes!  que  de  portraits! 
Autour  de  la  veuve,  du  petit-fils,  de  la  nièce,  du  petit-neveu,  de  la 
fille  du  grand  Pierre,  s'agitent  les  Menchikov,  que  chassent  les  Dol- 
gorouki,  les  Dolgorouki  que  persécutent  les  Buhren,  les  Buhren  que 
détrônent  les  Munnich,  les  Munnich  que  supplantent  les  Ostermann^ 
les  Ostermann  qu'exilent  les  Bestoujef,  et  ainsi  de  suite,  succession  de 
favoris  éphémères  se  pourchassant  les  uns  les  autres,  ne  montant  au 
pinacle  que  pour  finir  en  Sibérie  ou  dans  la  chambre  de  la  torture. 
Tous  ces  protagonistes  et  ces  comparses,  et  surtout  les  femmes,  sont 
artistement  esquissés.  A  cette  galerie,  il  ne  manque  à  notre  avis,  que 
le  portrait  du  premier  maréchal  Lacy. 

Pour  préparer  cette  histoire,  M.  W.  a  lu  tout  ce  qui  lui  était  acces- 
sible. On  peut  regretter,  à  ce  propos,  qu'il  néglige  de  donner  un 
court  résumé  bibliographique  des  publications  russes  et  étrangères. 
M.  W.  ne  fait  pas  comme  M.  Bilbassov,  qui  a  consacré  deux  volumes, 
soit  plus  de  1,400  pages  grand  in-S",  à  l'indication  des  livres  relatifs 
à  la  grande  Catherine,  et  encore  il  s'est  borné  aux  livres  étrangers  à 
la  Russie.  Quant  aux  documents  inédits,  la  Russie  reste  fermée  aussi 
bien  aux  investigations  qu'aux  publications  de  M.  W.  Il  a  pris 
sa  revanche  en  Allemagne,  notamment  à  Berlin,  d'où  il  a  rapporté 
une  ample  moisson  de  documents  qui  donnent  à  son  ouvrage,  avec 
les  Archives  des  Affaires  étrangères  de  Paris,  une  saveur  originale. 

M .  W.  rectifie  certains  renseignements  historiques  d'auteurs  récents. 
Il  relève  les  origines  de  Buhren,  dit  Biron,  qui  n'était  pas  un  simple 
palefrenier.  11  ouvre  des  aperçus  nouveaux  présentés  avec  des  argu- 


d'histoire    et    de    littérature  I'5 

ments  devant  lesquels  il  faut  s'incliner.  Voici  les  deux  principaux.  Le 
régime  allemand  d'Anne  Ivanovna  et  de  Biiliren,  condamné  en  Russie 
sous  le  sobriquet  de  Bironovtchina,  est  loin  d'avoir  été  funeste  au 
pays.  Il  a  heureusement  triomphé  des  éléments  rétrogrades  mosco- 
vites pour  maintenir  le  système  de  Pierre  le  Grand  et  entretenir  la 
culture  européenne  dans  l'empire  des  tsars.  Quant  à  la  révolution  de 
1741,  par  laquelle  Elisabeth  Petrovna  met  fin  au  régime  d'Ivan  III  et 
à  la  régence  de  Brunsvic,  elle  n'a  pas  été  une  revanche  russe  contre 
le  joug  germanique.  La  jolie  fille  de  Catherine  la  Livonienne  ne  peut 
être,  à  aucun  égard,  assimilée  à  Jeanne  d'Arc  dans  une  œuvre  de 
réaction  nationale  contre  l'étranger;  elle  n'a  absolument  rien  de  la 
Pucelle.  M.  W.  raconte  l'événement  d'une  façon  plus  simple,  et,  à. 
notre  avis,  plus  près  de  la  vérité.  Légère  et  frivole,  devenue  l'idole 
des  soldats  grâce  à  ses  excessives  familiarités,  Elisabeth  a  employé  les- 
régiments  de  la  garde  à  supplanter  les  descendants  d'Ivan  de  la  même 
façon  que  ceux-ci  ont  pu  écarter  la  famille  de  Pierre.  L'argent  de  la 
France  n'y  est  pour  rien  ou  presque  rien  (2,000  ducats)  ;  l'esprit  natio- 
nal russe  pour  pas  grand'  chose.  C'est  une  de  ces  crises  de  gynéco- 
cratie  prétorienne  à  la  byzantine  par  lesquelles  la  Russie  du 
XVIH8  siècle  n'a  cessé  de  passer.  Je  dis  à  la  byzantine,  et  j'insiste, 
parce  que  M.  Waliszewski  me  semble  attribuer  à  tort,  en  l'espèce,  à 
la  femme  slave  un  rôle  historique  qui  est  le  propre  des  Placidie,  des 
Eudoxie,  des  Pulchérie,  des  Theodora,  des  Irène,  des  Theophano  et 
des  Zoé  et  autres  impératrices  d'Orient. 

C'est  là  une  des  rares  chicanes  que  nous  pourrions  faire  à  l'ouvrage. 
Une  table  des  noms,  heureusement  orthographiés  selon  la  pronon- 
ciation russe,  en  rend  la  consultation  facile.  Du  reste,  le  livre  est 
alertement  écrit,  un  peu  trop  rapidement  parfois  pour  la  correction  de 
la  langue,  abondant  en  descriptions  pittoresques,  en  portraits  frap- 
pants, en  observations  spirituelles  '. 

De  Crue. 


I.  Nous  nous  permettons  d'indiquer  quelques  rectifications.  P.  3,  1.  5  :  nièces 
(au  lieu  de  cousines  germaines),  et  1.  20  :  Oukraine  [au  lieu  d'Ukraine);  p.  i3,  I.  2  : 
i/iJ  au  lieu  de  171 2  (pour  la  date  de  la  déclaration  du  mariage  de  Catherine); 
p.  37,  ï.  ^  :  La  Bare-Dti-Parcq  (au  lieu  de  la  Bare-D.);  p.  175,  1.  18  :  Mecklem- 
boHvg  au  lieu  de  Westphalie  (origine  des  Bûhren);  p.  184,  1.  24  :  petits  Russiens 
(au  lieu  de  Prussiens)  ;  p.  227,  1.  22  :  1739  (au  lieu  de  iSSg);  p.  247,  1.  7  :  1736 
au  lieu  de  1786.  P.  181  et  182  :  le  fils  aîné  et  le  fils  cadet  de  Bûhren  sont  désignes 
tous  deux  sous  l'unique  nom  de  Charles.  P.  287,  1.  14.  Il  y  a  un  peu  de  vague 
dans  l'indication  des  branches  de  Brunsvic  :  la  branche  de  Wolfenbûttel  est  déjà 
confondue  à  ce  moment  avec  la  ligne  aînée  de  Bevern  par  suite  d'un  mariage 
entre  cousins. 


l6  REVUE    CRITIQUE 

G.  i»K  I,.\MARZKLi.E.   La  crise  universitaire  d'après  l'enquête  de  la  Chambre 
des  députés.  Paris,  Perrin,   1900.  In-8°,  291  p. 

C'est  de  bonne  guerre.  Un  sénateur  de  droite,  M.  de  Lamarzelle,  a 
lu  de  près  la  volumineuse  enquête  de  la  Commission  Ribot  sur  l'état  de 
l'enseignement  secondaire  (cf.  Revue,  1900,  I,  p.  232j  ;  il  en  a  extrait 
les  doléances  d'universitaires  notables,  qui  accusent  l'Université 
d'être  routinière,  centralisée  à  l'excès,  tracassière,  paperassière,  de  ne 
pas  savoir  donner  l'éducation  à  côté  de  l'instruction,  de  produire  des 
bacheliers  ou  des  déclassés  et  non  des  hommes,  etc.  Cela  fait, 
M.  de  L.  conclut  que,  de  l'aveu  de  ses  représentants  les  plus  illustres, 
la  crise  de  l'enseignement  universitaire  tient  à  ses  propres  vices  et  il 
l'invite  à  se  réformer  sans  prétendre  inquiéter  l'enseignement  rival, 
qui  ne  se  plaint  pas.  Posée  ainsi  —  et  elle  l'a  été  par  la  Commission 
Ribot  —  la  question  ne  comporte  pas  d'autre  réponse  que  celle  de 
M.  de  Lamarzelle.  Si  un  marchand  gère  mal  sa  boutique  et  s'en 
accuse,  il  est  bien  mal  venu  à  réclamer  de  l'Etat  la  fermeture  de  la  bou- 
tique voisine  qui  prospère.  Voilà  où  conduit  un  excès  de  timidité.  On 
n'a  pas  voulu,  à  quelques  exceptions  près,  envisager  le  problème  sous 
son  vrai  jour  et  se  mettre  d'accord  sur  ce  principe  essentiel  :  l'ensei- 
gnement secondaire  doit-il  être  laïque  ou  congréganiste  ?  On  a  laissé 
subsister  l'équivoque  entre  l'enseignement  libre  et  l'enseignement 
congréganiste  ;  en  hn  de  compte,  on  a  fourni  des  verges  à  ceux  qui 
s'entendent  fort  bien  à  les  manier  et  qui,  pour  l'instant,  ont  mis  de 
leur  côté  les  rieurs.  M.  de  L.  s'est  acquitté  de  sa  tâche  avec  beaucoup 
de  bonne  grâce  et  d'esprit;  son  livre  est  d'une  lecture  attachante.  Je 
n'y  ai  relevé  qu'une  erreur  de  fait  :  à  la  page  226,  il  attribue  à  Mgr 
Mathieu  un  niot  qu'il  trouve  joli,  et  à  juste  titre,  mais  qui  est  de  Ra- 
belais et  non  de  Mgr  Mathieu. 

M.  de  Lamarzelle  insiste  sur  l'impuissance  de  l'Université  à  don- 
ner l'éducation,  parce  qu'elle  n'a  pas,  suivant  l'expression  de  M.  Dou- 
mic,  de  «  principe  d'éducation  »,  de  doctrine.  «  Sur  toutes  les  ques- 
tions essentielles,  dit  encore  M.  Doumic,  le  professeur  est  obligé  de 
s'abstenir.  Sur  celles-là  même  qui  intéressent  la  vie  de  la  conscience, 
il  est  tenu  de  n'avoir  pas  d'opinion  et  de  laisser  croire  qu'il  ne  pense 
rien.  »  Cela  est  tristement  vrai  et  c'est  là  que  gît  tout  le  mal  que 
l'Université,  menacée  de  mort  lente,  n'ose  pas  regarder  en  face.  Elle 
a  des  rivaux  qui  déploient  un  drapeau,  qui  le  tiennent  haut  et  ferme  : 
elle  cache  le  sien  ou  se  fait  honneur  de  n'en  point  avoir,  d'être 
<<  neutre  f>.  Cette  neutralité  est  stérile,  comme  celle  de  Combabus. 
Le  parii-pris  de  se  désintéresser  des  consciences  est  une  monstrueuse 
concession  faite  aux  exigences  de  la  théocratie  ;  c'est  un  métier  de 
dupes  et,  par  surcroît,  une  trahison  envers  la  jeunesse.  L'Université 
du  xx«  siècle  travaillera  franchement,  ouvertement,  à  former  des  libres 
penseurs,  des  émancipés,  ou  elle  retombera,  à  sa  honte,  sous  la  tutelle 
tyranniquc  dont  elle  n'a  jamais  su  qu'incomplètement  s'affranchir. 

S.  R. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  I7 

—  Trois  nouveaux  fascicules  viennent  de   paraître   dans    les  réimpressions  de 
VAncientte  Bibliothèque    hongroise.    (Régi  magyar    Kônyvtdr,   cf.  Revue   critique 
n»  14,   1900)  :  N"  XVJI.  Les  poésies  de  Michel  Fa:[ekas  (Fa^ekas   Mihaly  versei, 
Budapest,  Franklin,  1900,  206  pages)  éditées  par  Rezsô  Totu.  Fazekas  (1766- 1828) 
est  un  poète  de  l'Ecole  populaire  de  Debreczen  dont  les  poésies  lyriques  ne  furent 
recueillies  qu'en   i836  par  Eméric  Lovâsz.  Sans  avoir  le  charme  de  celles  de  Cso- 
konai  qui    lui  servirent   de   modèle,  elles  sont  cependant  très  remarquables.  Les 
réminiscences  de  nos  poètes  légers  du  xviii<^  siècle  et  les  quelques  traductions  (entre 
autres  celle  du  Philosophe  des  Alpes  de  La  Harpe)  ne  doivent  pas  nous  étonner,  étant 
donné  que  la  littérature  française  était  très  bien  connue  même  dans  ce  cercle  popu- 
laire de  Debreczen  et  que  Fazekas  a  fait,  comme  officier,  la  campagne  de  France. 
C'est  très  probablement  un  conte  français  qui  lui  inspira  son  poème  burlesque  en 
quatre  chants  :  Ludas  Matyi  (181 5,  2«  édit.   revue  et  augmentée,  1817)  où  le  serf 
vexé  et  opprimé  par  le  seigneur  se  venge  par  des  tours  spirituels  du  hobereau  qui 
le   tourmente.   M.    Toth    a    fait    précéder    cette  édition  d'une   remarquable  étude 
(94  pages)  parue  d'abord  dans  la  Revue  d'histoire  littéraire  (1897)  où  il  étudie  avec 
beaucoup  de  patience  les  détails  de  la  vie  du  poète,  peu  connus  jusqu'ici,  les  sources 
de  son  inspirati'^n,  et  énumère  les  nombreux  fabliaux  et  contes  qui  présentent  une 
certaine  parenté  avec  Ludas  Maty\.  Pages  62  et  68,  il  ne  faut  plus  dire  :  Biblio- 
thèque royale  (encore  moins  :  royal)  mais  Bibl.  nationale  [Aq  Paris).  Page  83.  Les 
deux  quatrains  de  Bacsânyi  sur  la  Prise  de  la  Bastille  ont  paru  dans  le  Magyar 
Muséum  (1789)  de  Cassovie  et  non  dans  la  Felsô-Magyarors:{  agi  Minerva,  revue 
fondée  en  182?. —  N"  XVIII.  Gesta  Romanomm  traduits  par  Jean  Haller(édités  par 
Louis  Katona,  5i3  pages).  Jean  Haller,  grand  seigneur  de  Transylvanie  (1626-97) 
a,  pendant  quatre  ans  de  captivité,  traduit  en  hongrois  une  Histoire  d'Alexandre 
te   Grand  en  se  servant  selon  Faludi  de  la  traduction  française  de  Marie  Dacier  ; 
les  Gesta  Romanorum  et  \a  Destruction  de  Troie  de  Guido  de  Columna.  Il  publia 
ces  traductions  sous  le  titre  :  Hdrmas  historia  (Trois  livres  d'histoire,   i69.'>).   Ce 
livre,  à  cause  de  la  simplicité  de  son  style,  est  devenu  fort  populaire;  beaucoup  de 
ces  récits  vivent  encore  dans  la  bouche  du  peuple.  M.  Katona  qui  s'occupe  depuis 
des  années  de   l'origine  et  des  manuscrits  des  Gesta  Romanorum  nous  donne  une 
réimpression  critique  de  la  deuxième  partie  de  l'œuvre  de  Haller  avec  une  intro- 
duction fort  savante  (94  pages).  Il  discute  la  valeur  des  manuscrits,  parle  du  texte 
'atin  dit  vulgaire,  des  diitérentes   traductions  (allemande,  tchèque,  anglaise,  hol- 
landaise,  française,  polonaise  et  russe);   compare  le  manuscrit  de  Budapest  des 
Gesta  (Codex  Sztaray)  avec  les  autres  et  donne  une  édition  critique  des  plus  exactes 
de  ce  recueil,  un  des  plus  répandus  du  moyen  âge.  En  bas  des  pages,  M.  Katona 
cite  le  texte  latin  toutes  les  fois  que  la  traduction  présente  un  intérêt  philologique. 
—  N°  XIX.  Les  Nuits  d'hiver  de  François  Faludi  (Tel i  éjts^akdk,   182  pages)  édi- 
tées par  Cornélius  Ripp.   Le  jésuite  Faludi  (1704-79)  est  un  des  principaux  repré- 
sentants de  la  littérature  hongroise  pendant  la  période  de  décadence  (171 1-72)  Ses 
œuvres  morales,  tout  en  imitant  les  meilleurs  ouvrages  étrangers  de  ce  genre,  ont 
néanmoins  un  tour  original,  beaucoup  de  saveur  et  un  certain  poli  qui  dénote  à 
chaque  page  l'influence  française.  Les  Suits  d'hiver  se  composent  de  huit  dialogues 
moraux  dont  les  cinq  premiers  sont  traduits  des  Noches  des  Invierno  et  les  trcis 
derniers  du  français.  — J.  K. 

—  Parmi  les  derniers  fascicules  des  Mémoires  de  l'Académie  hongroise  nous  rele- 
vons :  1°  La  dissertation  du  regretté  historien  Jules  Schvarcz,  mort  au  commen- 
cement de  cette  année  :  Hérodote  et  le  décret  d'Anylos  {Herodotos  es  Anytos  pse- 


,g  REVUE   CRITIQUE 

phismdia,  Budapest,  Académie,  ^4   pagcs).  L'auteur   de  la  Démocratie  athénienne 
était   un   véritable   iconoclaste.  11   n'y   a   pas  de   gloire   littéraire  ou  politique   de 
l'Antiquité  qu'il  nait  furieusement  attaquée.  Doué  d'un  sens  critique  très  vif,  con- 
naissant à  fond  la  politique  ancienne  et  moderne,  ayant  lu  très  attentivement  les 
anciennes  sources,  il  employa  son  beau  talent  à  découvrir  les  tares  de  l'ancienne 
démocratie   et   de   ses  hommes  illustres.   Sa   dernière   dissertation   veut   prouver 
qu'Hérodote  était  bel  et  bien  paye  par  les  Athéniens  pour  l'éloge  qu'il  faisait  d'eux 
et  qu'il  avait  mânie  otTert  ses  services  à  Corinthe  qui  les  a  refusés.  Toute  sa  dis- 
sertation  est  une  polémique  contre  Curt-Wachsmuth,  Kirchhoff  et  Ranke  qui,  ne 
pouvant  nier  l'importance  du  passage  connu  du  Hepl  Tf.ç  'HpoÔÔTOj  KaxoT.ôeCaç  l'ont 
expliqué  différemment.  —  2»  L  Histoire  de  la  paix  de  Karlovic^  [A  Karlovic^i  béke 
toerténete,  80  pages)  par  J.  Acsady  est  une  étude  très  détaillée  des  préliminaires  de 
cette  paix  conclue  en  janvier  1699  entre  Léopold  I  et  les  Turcs.  Elle  a  mis  tin  à 
une  guerre  de  seize  ans  où  toute  l'Europe  orientale  était  engagée.  Les  délégués  de 
tous  les  États,  la  France,  la  Suède  et  l'Espagne  exceptées,  prirent  part  à  ce  con- 
grès, et  quoiqu'il  s'agît  principalement  de  la  Hongrie,  les  hommes  politiques  de  ce 
pays  en  furent  écartés,  le  roi  Léopold  y  ayant  pris  part  comme  empereur  d'Alle- 
magne et  non  comme  roi  de  Hongrie.  La  Turquie,  de  plus  en  plus  affaiblie  par  les 
victoires  d'Eugène  de  Savoie,  perdit   par  le  traité  de  Karlovicz  220,000  kmq.  du 
territoire  hongrois  ;  il  lui  resta  encore,  dans   le  district  de  la  Save,    à   peu   près 
3o,ooo  kmq.,  mais  elle  ne  pouvait  plus  menacer  le  royaume.  M.  Acsady  a  utilisé 
surtout  les  documents  conservés  aux  archives  de  Vienne.  —  3°  M.  Florian  Matvas 
continue  ses  études  chronologiques  sur  Thistoire  hongroise  des  xi»  et  xii«  siècles 
{Clironologiai  megdllapitdsok  haijdnk  XI,  es  XII,  s^d^adi  toerténeteihe^,  ^\  pages). 
Il  rectifie  quelques  dates  de  la   grande  Histoire  nationale  éditée  par  Alexandre 
Szilâgyi  et  dresse  en  même  temps  la  généalogie  d'Yolanthe,  femme  de  Jacques  I. 
d'Aragonie,    fille    d'André     11,    roi    de    Hongrie    (i2o5-35).     —    4°    L'archiviste 
M.    Charles  Taganvi,  nouvellement  élu,   a  pris   séance  par  un  travail  sur  l'Ori- 
gine de  l'administration  autonome  des  Comitats  {Megyei  ônkormdny^^atimk  Kelet- 
ke\ése,  19  pages).   On    sait  que  le  comitat  hongrois  (vârmegye)   jouit  depuis  les 
temps  les  plus  anciens  d'une  grande  autonomie.  M.  Tagânyi  prouve  qu'à  l'origine, 
le  comitat  était  domaine   royal  et  que  les  megye-ispdn  et  udvarbirô  étaient  des 
administrateurs   nommés   par  le    roi   dans  chaque  comitat.  La  grande   noblesse 
jalouse  du  pouvoir  royal,  a  combattu  longtemps  cette  administration  et  au  bout  de 
trois  siècles,  sous   le  règne  du  dernier  roi  de  la  Maison  Arpad,  André  111  (1290- 
i3oi)  elle  est  arrivée  à  supplanter  les  administrateurs  royaux  et  à  s'installer  en 
maîtresse  dans  les  comitats.  Depuis  ce  temps,  le  vârmegye  est  devenu  la  citadelle 
des  privilèges  nobiliaires.  Il  est  vrai  qu'on  y  a  souvent  combattu  pour  la   liberté 
nationale,  mais  le  plus  souvent  le  comitat  était  un  obstacle  aux  réformes  libérales 
et  à  la  centralisation.  Encore  aujourd'hui  il  faut  que  le  gouvernement  fasse  tous 
SCS  efl'orts  pour  mettre   fin  à  une  autonomie  sous  le  voile  de  laquelle  on  commet 
les  pires  abus.  M.  Tagânyi  jette  aussi  un  coup  dœil  sur  l'organisation  administra- 
tive de  la  Transylvanie,  de  la  Croatie  et  de  la  Slavonie  où  le  système  du  comitat 
n'a  pas  pu  se  développer  de  la  même  façon  que  dans  la  Hongrie  proprement  dite. 
—  5°  M.  Jean  Karacsonvi  consacre  un  mémoire  à  l'Origine  et  aux  vicissitudes  de  la 
Bulle  d'or  {A\  arany  bulla  keletke^ése  es  elsù  sorsa,  3o  pages)  la  fameuse  Charte 
de  1222  que  M.  l'erdinandy  a  étudiée  dernièrement  au  point  de  vue  juridique  (Voy. 
Revue  critique,    1899,  no  Sa).  M.  Karâcsonyi  établit  d'abord   la  grande  confusion 
chronologique  qui  règne  dans  les  chartes  datant  des  premières  années  du  gouver- 


d'histoihe  et  de  littérature  ig 

nement  d'André  II  et  prouve  que  la  Bulle  d'or  fut  extorquée  au  roi  par  le  parti  de 
l'opposition,  l'ancien  parti  du  roi  Eméric,  contre  lequel  André  était  toujours  en 
rébellion.  Le  palatin  Vejtefia,  le  juge  suprême  du  pays  :  Nanafia  Posa,  Nicolas 
ispan  de  Bacs,  Tiborcz  de  Presbourg,  lUés  de  Bihar  et  Martin  Mihâlyfia  étaient  à 
la  tête  de  cette  opposition  qui  força  le  roi  à  promulguer  la  charte.  Quoique  copiée 
en  sept  exemplaires,  aucun  des  originaux  de  cette  charte  ne  s'est  conservé  jusqu'à 
aujourd'hui. parce  qu'elle  fut  longtemps  oubliée  ;  elle  n'acquit  force  de  loi  que  sous 
le  règne  de  Louis  d'Anjou  (1342-1382).  —  6»  M.  R.  Békefi,  après  avoir  publié  les 
ois  et  les  règlements  de  la  grande  école  protestante  de  Sarospatak  (voy.  Revue, 
1899,  n»  52)  donne  aujourd'hui  ceux  d'un  autre  centre  des  études  calvinistes  : 
Debreczen.  {A  debrec^eni  ev.  réf.  fôiskola  XVII  es  XVIII  s^d^adi  tôrve'nyei, 
177  pages).  Cette  ville  possédait,  avant  la  Réforme,  une  école  des  Franciscains. 
En  i55i,  la  population  embrassa  le  calvinisme,  et  l'ancien  couvent  devint  une 
école  réformée.  C'est  là  qu'enseignaient  les  théologiens  les  plus  renommés  des 
XVI»  et  xviio  siècles;  la  Rome  calviniste,  comme  on  appelait  Debreczen,  organisa  la 
hiérarchie  protestante,  et  toute  la  jeunesse  de  l'Alfôld  y  affluait.  Les  premiers 
règlements  sont  calqués  sur  ceux  de  Wittemberg  ;  ils  doivent  leur  rédaction  défi- 
nitive à  Georges  Komaromi  Csipkés,  prédicateur  et  traducteur  de  la  Bible  qui  les  a 
copiés  de  sa  propre  main  en  1657.  M.  Békefi  les  publie  in-extenso  (p,  79-117)  en 
y  ajoutant  les  lois  de  1704,  de  1705-17S8  et  celles  de  1792,  ces  dernières  rédigées 
après  la  mémorable  Diète  de  1790-1791  qui  reconnut  lautonomie  de  l'Église  pro» 
testante  en  matière  d'enseignement.  Le  texte  de  toutes  ces  lois  est  en  latin  et  peut 
être  ainsi  consulté  par  tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  de  la  pédagogie.  Il  est 
curieux  de  savoir  que  parmi  les  langues  dont  l'étude  était  obligatoire  pour  les 
internes  se  trouve,  outre  l'allemand,  le  français  et  cela  dès  le  xvii"  siècle;  que 
tout  l'enseignement  était  donné  en  latin  ;  que,  jusqu'à  la  fin  du  xviiio  siècle,  la 
conversation  en  hongrois  était  rigoureusement  interdite,  pour  ne  pas  nuire  à 
l'étude  du  latin  ;  que  l'étude  de  l'hébreu  et  du  grec  était  poussée  assez  loin  pour 
que  les  futurs  candidats  en  théologie  pussent  lire  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testa- 
ment dans  l'original.  —  7°  M.  Ignace  Kunos,  si  compétent  pour  la  langue  et  la  lit- 
térature populaires  des  Turcs,  publie  une  édition  avec  introduction,  traduction  et 
notes  des  Plaisanteries  de  Nasreddine  Hodja  (Nasp-eddin  Hodsa  tréfâi,  96  pages 
-f  46  pages  de  texte).  Cette  édition  offre  l'avantage  que  M.  Kunos  a  recueilli  sur 
place  les  traditions  de  cet  Eulenspiegel  turc  du  xvi'  siècle  et  que  son  édition  donne 
i63  plaisanteries.  Les  notes  sont  purement  philologiques.  L'introduction  (3o  pages) 
fait  ressortir  l'originalité,  l'humour  et  la  verve  primesautière  de  l'écrivain  turc  et 
lui  assigne  une  place  éminente  parmi  les  poètes  populaires.  Mentionnons,  en 
même  temps,  que  M.  Kunos  vient  de  publier  dans  les  éditions  de  l'Académie  de 
Saint-Pétersbourg  un  beau  volume  intitulé  :  Mimdarten  der  Osmanen,  gesammelt 
und  iiberset^t  [bSS  p.)  formant  le  tome  VllI  des  Proben  der  Volkslitteratur  der  tUr- 
kischen  Stâmme.  —  8"  Un  élève  de  M.  Vâmbéry,  M.  Alexandre  Kégl  nous  oiTrc 
dans  sa  dissertation  :  La  chanson  populaire  persane  {A  per:{sa  népdal,  47  pages) 
un  spécimen  du  recueil  qu'il  réunit  pendant  un  séjour  à  Téhéran  de  1889  à  1890. 
La  poésie  populaire  persane,  peu  accessible  jusqu'ici  aux  savants,  a  beaucoup  de 
parenté  avec  celle  des  Turcs.  Les  chansons  d'amour  publiées  et  traduites  par 
M.  Kégl  montrent  le  génie  du  peuple  persan  sous  une  nouvelle  face.  —  J.  K. 

—  Le  5  novembre  1899  un  des  meilleurs  critiques  hongrois,  Eugène  Péterfy^ 
professeur  à  Budapest,  a  mis  fin  à  ses  jours,  a  l'âge  de  cinquante  ans.  Son  col- 
lègue et  ami,  l'académicien  Frédéric  Riedi.  a  publié  dans  la    Budapesti  S^emle  et 


jjO  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    &T    DE    LITTÉRATURE 

fait  tirer  à  part  une  biographie  ot  l'on  sent  encore  vibrer  la  douleur  que  les  lett^rs 
hongroises  ont  éprouvée  par  ce  suicide  (Péterfy  Jen<T,  Budapest,  Franlilin,  1900. 
84  pa£;es  avec  un  portrait).  D'abord  critique  dramatique  du  journal  Egyetértés, 
Pcterfv  a  consacré  tous  ses  clïorts  à  cultiver  un  genre  assez  peu  répandu  en  Hon- 
grie :  !'es«ai  littéraire.  Ses  modèles  étaient  Sainte-Beuve  et  Taineet  il  a  appliqué 
leurs  méthodes  avec  un  rare  bonheur  aux  grands  écrivains  magyars.  Ses  études 
les  plus  remarquables  sont  consacrées  aux  romanciers  hongrois  :  Eôtvôs,  Kemcny 
et  Jôkai.  Cette  dernière  a  soulevé  à  son  apparition  (1881)  une  véritable  tempête, 
parce  que  Péterfy  y  montrait  la  faiblesse  du  grand  romancier  comme  psychologue 
et  comme  peintre  de  caractères.  On  doit  encore  à  Péterfy,  passionné  pour  Tltalie, 
une  belle  étude  sur  Dante,  des  pages  remarquables  sur  la  Tragédie.  Dans  ses  der- 
riières  annéesil  avait  commencé  une  Histoire  delà  littérature  grecque  dont  quelques 
chapitres  (Eschyle,  Sophocle,  Euripide,  Aristophane)  ont  paru  en  1898  et  1899. 
Péterfy  a  traduit  le  Gorgias  et  le  Philobe  de  Platon,  le  livre  de  Taine  sur  les  Phi- 
losophes français  du  xix«  siècle,  et  celui  de  Barthélémy  Saint-Hilaire  sur  les  Rap- 
ports de  la  philosophie  avec  les  sciences  et  la  religion.  Il  a  commenté  en  esthé- 
ticien la  meilleure  tragédie  hongroise,  Bd'tk-bdn  de  Katona  et  le  Macbeth  de 
Shakespeare.  La  Société  Kisfaludy,  dont  Péterfy  était  membre  depuis  1887,  a 
chargé  M.  David  Angyal  de  réunir  ces  études  qui  ont  paru,  pour  la  plupart,  dans 
la  Budapesti  Siemle.  —  J.  K. 


ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  22  juin  i goo 

ta^place  de  membre  ordinaire  précédemment  occupée  par  M.  Ravaisson,  décédé 
le  18  mai  dernier,  est  déclarée  vacante. 

•  M.  Derembourg  est   élu  membre    de    la    commission   du    Corpus  inscriptionum 
semilicantm. 

M.  G.  Schlnmberger  lit' une  étude  sur  la  dépouille  mortelle  ds  l'impératrice 
byzantine  de  Nicée,  Constance,  aujourd'hui  encore  conservée  dans  la  chapelle  de 
Sainte-Barbe  de  la  petite  église  de  Saint-.lean,  à  l'hôpital  de  la  ville  de  Valence 
(Espagne).  l'ille  naturelle,  plus  tard  légitimée  de  l'empereur  Frédéric  H  et  d'une 
noble  piénioniaise,  Constance,  appelée  Anne  par  les  Byzantins,  fut,  toute  jeune 
encore,  mariée  en  1244a  Jean  111  Ducas  Vatatzès,  empereur  de  Nieée,  l'adversaire 
implacable  des  Latins  de  Constantiiiople.  Celle  union,  qui  souleva  les  colères  de  la 
papauté  et  de  tout  l'Occident  chrétien,  fut  malheireuse.  Après  la  mort  de  Vi'tatzès 
et  celle  de  son  hls.  Constance,  vainement  dematidée  en  mariage  par  Michel  Paléo- 
logue,  fut  enfin  échangée  contre  un  chef  byzantin  prisonnier  des  Latins  et  put 
ainsi,  en  1269,  se  réfugier  en  Italie  auprès  de  son  frère,  le  roi  Manfred.  Cinq  ans 
plus  tard,  à  la  suite  de  la  mort  tragique  de  ce  frère  et  de  son  neveu  Conradin,  elle 
dut  fuir  de  nouveau  et  se  réfugia  à  Valence  auprès  de  sa  nièce,  mariée  au  futur 
roi  IMcrre  d'Aragon.  Elle  vécut  encore  quarante  ans  dans  celte  ville,  dans  les  exer- 
cices d'une  austère  pitié,  toute  dévouée  au  culte  de  Si.inte-Barbe  rapporté  par 
elle  de  son  empire  d'Asie.  M.  Schlumberger  donne  ensuite  sur  la  sépiiliure  de 
ccitc  basilissa  de  curieux  détails  qu'il  doit  en  partie  à  Madame  la  duchesse 
d'Albe. 

L'Académie  se  forme  en  comité  secret. 

M.  Oppert  présente  une  série  de  remarques  à  propos  du  mémoire  de  M.  Salomon 
Rcinach  sur  le  totémisme. 

Léon  Dorez. 

Le  Profriçtairc-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  33. 


REVUE    CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N"  28  —  9  juillet  —  1900 


DiTTENBERGER,  Rccucil  d'inscriptions  grecques,  II,  2C  éd.  —  Waliszewski,  Litté- 
rature russe.  —  GiRAUD,  Pascal.  —  Franz  Funck-Brentano,  Bibliothèque  de 
bibliographies  critiques.  —  Ch.  V.  Langlois,  La  question  de  renseignement  se- 
condaire. —  Académie  des  des  inscriptions. 


W.  DiTTENBERGER.   Sylloge  inscpiptionum  graecarum  iterum  edidit.  Volumen 
alteriim,  Leipzig,  S.  Hirzel,  igoo,  in-H»,  v-825  pages. 

Le  second  volume  de  la  deuxième  édition  du  Dittenberger,  comme 
nous  disons  couramment  en  France,  ne  s'est  pas  fait  longtemps 
attendre  '.  L'auteur  et  l'éditeur  ont  mené  rondement  la  refonte  de  cet 
important  recueil,  auquel  il  ne  manque,  pour  être  complet,  que  les 
Index  :  ils  formeront  un  fascicule  séparé  qui  ne  saurait  tarder  à  paraître 
et  que  nous  signalerons  à  nos  lecteurs. 

La  première  édition  comptait  470  textes;  la  deuxième  en  contient 
940,  soit  le  double.   Les  divisions  principales  de  ce  second  volume 
sont  restées  les  mêmes  {\  Res  publicae.   Il  Ressacrae.  III    Vita pri~ 
vata).  A  ces   trois  grandes  sections  s'ajoute  un  Appendix  titulorum 
his proximis  annis  erutorum.  Les  subdivisions   sont  plus  nombreuses 
et  amplement  justifiées  par  l'abondance  des  textes  nouveaux.  Ainsi 
dans  la  section  I  je  note  les  rubriques  suivantes  :  4  Iiidicia.  5  Pecu- 
nianim  publicarum  administratio.   6  Piierorum  et  epheborum  disci- 
plina. 7  Res  militaris  et  navalis.  8  Agrorum  publicarum  locationes. 
9  Aedificationes.  Elles  manquaient   dans  la  première  édition  ou  se 
trouvaient  confondues  avec  d'autres.  Dans  la  deuxième  section,  les 
subdivisions  suivantes  sont  nouvelles  :  5  Collegia  et sodalitates  sacro- 
rum  causa  institutae.  6   Vota   et  dedicationes.  7  Oracula.  8  Dirae  et 
imprecationes.  Souhaitons  qu'une  table  des  matières,  qui  manquait  à 
la  première  édition,   soit  jointe  aux   Index  et  facilite  les  recherches 
dans  ce  recueil  si  considérablement  enrichi. 

J'ai  fait  trop  souvent,  ici  même,  l'éloge  de  la  méthode  de  M.  D,  et 
de  ses  précieuses  qualités  d'éditeur  pour  qu'il  soit  besoin  de  les  redire 


r.  Voir  dans  la  Revue  Critique  de  1899,  p.  4o3  suiv.  le  compte  rendu  du  pre- 
mier volume. 

Nouvelle  série  L.  a& 


2  2  REVUE    CRITIQUE 

aujourd'hui.  Ce  dernier  ouvrage  est  digne  de  ses  aînés.  Plus  on  Tétu- 
die,  plus  on  rend  justice  à  la  science  et  à  la  sagacité  dont  Fauteur  a 
fait  preuve,  dans  rétablissement  du  texte  non  moins  que  dans  les 
notes  qui  l'encadrent.  La  plupart  des  inscriptions  qu'il  a  retenues 
sont  depuis  longtemps  publiées  ;  je  ne  dis  pas  toutes,  car  O.  Kern 
lui  a  encore  permis  de  puiser  dans  le  riche  Corpus  de  Magnésie  du 
Méandre  et  nous  y  avons  gagné  nombre  de  textes  importants  qui  sont 
en  quelque  sorte  à  fleur  de  coin.  Mais  M.  D.  s'est  également  efforcé  de 
s'approprier  les  unes  et  les  autres,  vieilles  et  neuves,  usées  et  fraîches. 
Plus  d'une  est  devenue  sienne,  pour  ainsi  dire,  grâce  aux  restitutions 
qu'il  y  a  introduites,  et  cet  effort  personnel  donne  justement  à  son 
livre  une  valeur  singulière. 

L'impression  est  médiocre  :  les  fautes  dites  d'impression  sont  très 
nombreuses,  mais  je  laisse  aux  critiques  allemands,  qui  savent  si  bien 
les  dénicher  dans  les  livres  français,  le  soin  de  les  noter  et  d'en  dresser 
la  liste  inutile.  Chemin  faisant,  j'en  relèverai  seulement  deux  ou  trois. 
Il  me  semble,  en  effet,  que  le  compte  rendu  d'un  ouvrage  de  cette 
importance  ne  saurait  s'attarder  à  des  questions  de  détail  et  d'exté- 
rieur :  il  faut  aller  plus  avant  et,  puisque  dans  sa  préface  et  dans  les 
Addenda  M .  D.  a  bien  voulu  tenir  grand  compte  des  observations 
que  j'avais  présentées  sur  son  premier  volume,  je  ferai  de  même  pour 
le  second.  Sans  m'astreindre  à  suivre  l'ordre  des  n°%  je  soumettrai  à 
nos  lecteurs  un  certain  nombre  d'observations  sur  des  textes  choisis, 
voulant  me  faire  le  collaborateur  plutôt  que  le  critique  de  M.  D, 

Les  n°*  5ii,  53i,  827  sont  trois  inscriptions  juridiques  d'Amorgos. 
Les  deux  premières  sont,  par  endroits,  de  lecture  difficile  et  ont  exercé 
l'ingéniosité  de  plus  dun  cpigraphiste.  On  n'en  possède  malheureuse- 
ment que  des  reproductions  ou  des  copies  insuffisamment  soignées  : 
ici  les  lacunes  ne  sont  pas  exactement  indiquées,  ailleurs  un  léger 
déplacement  des  caractères  d'imprimerie  fait  croire  à  un  vide  qui 
n'existe  pas,  ailleurs  enfin  les  lectures  sont  erronées,  si  bien  que  les 
essais  de  restitution  sont  d'avance  condamnés.  Souhaitons  que  l'on 
arrive  à  multiplier  les  reproductions  photographiques  de  l'original  ou 
de  l'estampage,  ou  encore  les  fac-similé.  Le  n°  53 1,  le  plus  important 
de  tous  les  règlements  de  location  qui  nous  soient  parvenus  (location 
du  domaine  de  Zeus  Téménitès  ,  est,  de  nos  trois  inscriptions,  celle 
dont  le  texte  a  le  plus  besoin  d'être  revisé.  M.  J.  Delamarre,  qui  s'est 
chargé  d'Amorgos  dans  les  I  G  ins.,  n'attendra  pas  l'achèvement  du  fas- 
cicule pour  la  republier  et  la  donnera  prochainement  dans  la  Revue  de 
Philologie;  sa  copie,  faite  avec  le  soin  minutieux  dont  il  est  coutu- 
micr,  i<cra  définitive.  Il  veut  bien  m'autoriser  à  faire  connaître  dès 
aujourd'hui  les  corrections  suivantes.  L.  6  :  pas  de  lacune  entre  l^'-pr,- 
-«(  et  rr,v  Yv.  Le  §  2  commence  donc  à  Tr.v  ^;7,-^  et  le  verbe  à  restituer 
ne  se  place  pas  au  début  de  la  phrase.  —  §  4  :  au  lieu  de  Tv.yJ.i  tôt:'. 
fYJT.v  [ttiv  êaJ-jToî,  lire  :  Tv.yiy.  -.%  r'Tn:ovT[a]   àç'   tl'j-.o'j  àvop6w[5£t,   «  il  répa- 


d'histoire  et  de  littérature  2? 

rera  à  ses  frais  les  murs  qui  viendront  à  tomber  ».  Pour  les  murs  qui 
sont  du  côté  de  la  route,  il  les  confortera  (-^piU'-),  afin  que  la  clôture 
soit  bien  exacte.  Notons  en  passant  que  la  mesure  employée  pour  les 
murs  est,  à  Amorgos,  comme  à  Athènes,  rôoY'j'-i  (cf.  n°  587,  1.  9).  — 
§  8.  Dittenberger  :  Ta;  Tpâ'^a[<;]  op-'j^zi  lix  ut,-/;  ['fljpatwvt,  Htzok  «v  iraOdjLjTÎauiv- 
Tat  0'  vî(OT:oTa'..Delamarre  :  Ijx  [J^y,^/^-  Eloao'.wv.  ôroo  av  T:aQ[|JL]y^(Ta)v:ai  o\  vôwroTat. 
Le  mois  Elpao-.ojv  queWeil  et  Radet  avaient  presquedéchifFré  (ElPAlIiiNl) 
est  nouveau  ;  le  nom  est  tiré  d'un  surnom  de  Dionvsos  dont  le  culte  à 
Arcésiné  est  attesté  par  une  borne  (BCH  XV  ''1891),  p.  597).  La  borne 
provient  précisément  de  la  région,  riche  en  vignes,  où  s'étendait  le 
domaine  de  Zeus  Téménitès.  Ces  importantes  corrections,  que  je  dois 
à  l'obligeance  de  M.  Delamarre,  et  nombre  d'autres  qu'il  tient  en 
réserve  achèveront  de  transformer  la  vulgate.  =  Le  no  5  1 1  mérite  de 
prendre  place  dans  le  Rec.  des  Inscr.  jurid.  gr.  J'ai  commencé  la  revi- 
sion du  texte  sur  une  photographie  de  la  pierre  et  sur  d'excellents 
estampages  que  m'a  gracieusement  communiqués  M,  Delamarre  et  je 
peux  déjà  proposer  les  corrections  suivantes,    L.   24  suiv,  :  -rroioatv 

[Xj'jovTa  To   [(J/r^otaua  ~6ot  Totojà  TOoOlsTjjLiav  ir,v   £•::•.  ^[wv ]wv  yz'Jo\[^é]'nf'^ 

TÛ);ji... — L.  27.  Szanto  a  fort  heureusement  restitué  trois  noms  propres, 
mais  il  n'y  a  pas  de  place  pour  T'.îjloxX[s(o£w]  ;  il  faut  lire  Ti|jioxX[£o<;].  — 
L.  27-28.  Radet,  Szanto,  Dittenberger  :  Mr^oz  otra-.  S(xa|t  [S'.JEYpâor^crav  {iiz\ 
~M  [s'ij^aycovia;.  Le  verbe  o'.sYP'i'f^.îrav  ne  laisse  pas  d'être  embarrassant  ; 
or  je  lirais  plutôt  à[-z]z:;p'xor,^:i^/.  Je  distingue,  après  l'iota  qui  est  au 
commencement  de  la  ligne,  les  deux  jambages  obliques  d'un  alpha, 
puis  vient  un  espace  trop  considérable  pour  un  iota  ;  la  gravure  est,  en 
effet,  très  serrée  et  très  soignée.  Il  faut  donc  distinguer  entre  les  pro- 
cès portés  devant  les  zlfiai'fiù'fz'.^  qui  avaient  Eurydikos  pour  président 
et  les  procès  que  les  conciliateurs  (o'.aXXaxTa-!)  n'ont  pu  régler  et  ont 
fait  afficher  sur  l'album.  Pour  désigner  l'acte  des  plaideurs  qui  ont 
fait  leur  déclaration  devant  les  zl<7%-(oi'{z~.c,  le  décret  emploie  le  verbe 
oLTzrj-^'pi'ii'.w  et  la  préposition  l-\  [t.zo;  est  plus  usité)  ;  pour  l'acte  des  con- 
ciliateurs qui  ont  affiché  les  procès  à  juger,  le  verbe  Ypâcps'.v  (1.  3i)  et 
oiavpâ'fï'.v  (1,  47).  —  L.  39-40.  L'explication  proposée  par  M.  D.  pour 
ÉxâTEoo;  ne  me  satisfait  pas  plus  que  lui-même;  j'ai  peine  à  me  repré- 
senter un  collège  de  fonctionnaires  dont  les  membres  n'agissent  que 
deux  par  deux.  N'est-il  pas  possible  d'entendre  :  «  pour  l'un  ou  pour 
l'autre  de  ces  actes  »  Vzl'y%'(iovz'j:;  sera  tenu  d'une  amende.  Ces  deux 

actes  sont  spécifiés  à  la  1.  40  :  Iht  cï  z^i-fr,:  r.-xpoi.  xi  YcvpaixiJiÉva  r]  TZo:/,Tr/. 
«■  s'il  introduit  un  procès  contrairement  au  décret  ou  s'il  commet 
quelque  acte  (contraire  audit  décret]  ».  L'inscription  mérite  d'ailleurs 
d'être  reprise  tout  entière  ;  le  texte  même  peut  être  amélioré  à  l'aide 
des  photographies  et  estampages.  =  N.  827.  M.  Delamarre  a  revu  la 
pierre  et  approuve  pleinement  l'excellente  restitution  proposée  par 
M.  D.  pour  la  1.  i  ;  la  pierre  a  été  coupée  au  ras  de  la  I.  2.  Mais  Ross, 
dont  tous  les  éditeurs  ont.  reproduit  la  copie,  a  sauté  une  ligne.  Au 


24  REVUE    CRITIQUE 

lieu  de  ÛttÔ  Ntlxr.japÉTT,;  z7,(:  Y'Jvaixoç  TJf;;  Na'jxpâtoj;  -/.a;  xaTa  ta;  8'.]aOT//.a;,  il 
taui  lire  :...  ti/,;  NajxsaTou;  xa-  xupio'j  XxjxpâTOj;  xoti  xaxà. .  ,  M.  D.  aurait 
trouvé  cette  correction  dans  un  article  de  Ziebarth  {Sit^ungsber.  der 
Akademie  :{u  Berlin,  XXXI  (1897),  P-  ^z^)-  ^^  iallait  également  citer 
le  même  article  (p.  674)  dans  le  sommaire  du  n°  828. 

Les  inscriptions  d'Athènes  sont,  comme  de  juste,  très  nombreuses 
et  je  réunis  dans  un  même  paragraphe  les  observations  qui  sy  rap- 
portent, 

N.  439.  Règlement  delà  phratriedes  Démotionides.  Grâceaux  belles 
études  de  Schœll  et  de  Wilamowitz,  ce  texte  difficile  s'est  singulière- 
ment éclairci.  M.D.  se  meut  avec  aisance  au  milieu  des  solutions  con- 
tradictoires et  prend  toujours  le  parti  le  plus  sage,  notamment  dans 
rinterprétation  des  mots  ô  AsxcXîiwv  oTxo;  :  la  «  maison  des  Décéliens  » 
n'a  rien  de  commun  avec  un  vivo;.  Je  regrette  seulement  qu'il  n"ait  pas 
cité  dans  sa  note  les  décrets  de  Karthœa  (Ch.  Michel,  n°'  403-4041  où 
il  est  dit  de  nouveaux  citoyens  qu'ils  choisiront  leur  tribu  et  leur  oTxo;.. 
xa;  ouXï,;  ■/;;  av  |3ojXwvt-/'.  xa'.  o'.xoj  (cf  le  décret  des  Klytides,  SIG\  5-1  et 
Pridik,  de  Cei  insulae  7-ebits,  p.  67).  Pour  les  thiascs  qui  forment  la 
phratrie  des  Démotionides,  il  fallait  renvoyer  à  l'intéressante  étude  de 
G.  de  Sanctis,  'AtO.';,  p.  65  suiv.  et  à  la  liste  CIA  II,  986,  très  heureu- 
sement citée  par  Sanctis.  Dans  cette  liste  les  thiases  sont  désignés  par 
un  nom  propre  au  génitif  :  'AvTi'^âvo;  Ofaio;,  A'.ovsvo;  0!a7o;  et  ces  per- 
sonnages sont,  non  des  ancêtres,  mais  des  vivants  dont  le  nom  figure 
en  tèie  de  la  liste.  Même  désignation  dans  une  inscription  de  Chios 
quej'ai  publiée  en  1879  et  que  l'on  trouvera  SIG%  571,  dansla  note  i  : 
la  phratrie  chiote  des  norcEi...  comprend  deux  «j'évr^  (ceux  des  AT,jxoYev(Sat 
et  des  ©pa'.x.'oa'.)  et  trois  thiases  (o'i  TTiXiypo.),  ol  "Ep|jtio;,  ol  A-.ovjjoO-opo'j  xal 
Iloîiiof-zoj',  Enfin,  nous  aurions  voulu  savoir  de  M.  D.  comment  il 
entendait  le  décret  CIA  IV,  II  572  c,  rendu  en  l'honneur  du  démarque 
d'I caria  par  les  'Ixap'.sT;  et  le  or.iao;  ô  'Ixap-iwv.  Les  'Ixaptôt?  sont-ils  un 
•/Ivo;,  comme  le  veulent  Buck  et  Koehler,  ou  un  oTxo;  ? 

N°  495  b.  La  restitution  du  décret  de  Phanodémos  l'atthidographe 
n'est  qu'à  demi  satisfaisante.  Oj  'éxajTÔ;  èrci  ih  ovojjlx  après  toù  ôrj[j.o'j  res- 
semble fort  à  une  cheville,  et  sont-ce  bien  les  cinq  membres  du  Con- 
seil nommés  aux  1.  33-41  qui  ont  offert,  aux  Dionysia,  le  sacrifice 
dont  il  est  parlé  à  la  1.  2 1  ? 

N"  5 18.  Dans  le  sommaire,  lire  :  P.  Girard,  au  lieu  de  Giraud. 

N°  5  38,  note  i  i.Cf.  Revue  de  Philologie,  XXII  (1898),  p.  362,  note  i. 
.le  m'obstine  d'ailleurs  à  regretter  que,  pour  toutes  ces  inscriptions 
relatives  aux  aedificationes,  les  savants  allemands  ne  fassent  pas  à 
l'ouvrage  de  Choisy  l'honneur  de  le  citer  plus  souvent.  Les  Études 
épigraphiqiies  sur  V architecture  grecque  leur  rendraient  autant  de 
services  qu'à  nous, 

N'J  558  fin  :  eOîîoÛ);  \li^  r,  |Boj)>f,<t>»  Ta  i:pô;  xô  Oc"ov  l'yr/.  me  semble 
préférable  à  (x)/,  [io-Af/.  -rà  /-l.  Cf.  n°  681,  1.  4. 


d'histoire  et  de  littérature  î5 

N"  585.  Manque  une  note  qui  eût  cherché  à  expliquer  l'emploi  de 
l'ethnique  'AOr^vaToc,  au  lieu  du  démotique,  dans  la  signature  du  sculp- 
teur. Cf.  un  autre  exemple,  n"  i65. 

N'^  587.  Les  importants  comptes  d'Eleusis  sont  parmi  les  textes  dont 
le  commentaire  fait  le  plus  d'honneur  à  M.  D.  On  sait  combien  ces 
comptes  sont  instructifs  et  tout  ce  que  nous  y  avons  gagné  sur  cer- 
taines fêtes,  telles  que  les  Haloa,  sur  certaines  catégories  d'ouvriers, 
telles  que  les  oT,[jLÔatot  (cf.  Waszynski,  de  servis  Athenienshim  publicis, 
diss.  in  Berlin,  1898,  p.  89  suiv.,  et  Hermès  XXXIV  (18991,  p.  553 
suiv.).  M.  Foucart,  qui  a  ouvert  la  voie  à  M.  D.,  reviendra  prochai- 
nement sur  ces  textes  d'où  il  a  déjà  tant  tiré. 

N°  593.  Compléter  la  note  i  sur  l'emploi  du  mot  o7:o[jivTjîJ.aT!cr[j.($î  pour 
désigner  les  décrets  de  l'Aréopage,  en  renvoyant  au  décret  de  l'Aréo- 
page retrouvé  à  Epidaure  (Cayvadias,  Fouilles  d'Epidaiire,  I,n"  206). 
On  lit  1.  I  I  suiv.  :  tôv  SI  xrjp'jxa.,  Ypâ(|/j.i  x-^i  'ETîtoaupîcov  ttôXei  y.%1  StaTrlij.'l'aa- 
Qat  tÔv  67rofivï)ijL«'îiff|Jt.6v. 

N°  6o5.  Il  ya  plus  à  dire  sur  les  aTTovSocpôpot  d'Eleusis.  M.  D.  pouvait 
citer,  à  côté  du  texte  d'Eschine  (II,  i33),  le  CIA  II,  6o5  :  oîoôyOat  toTc 
Y^vEsTiv  eç  wv  0'.  ïrovoooôpot  Iv.Tziixr.o'tzoï.'..  Les  airovoocpôpo'.  étaient  pris  exclu- 
sivement parmi  les  Kéryces  et  les  Eumolpides.  —  L.  6.  aTroYpiowv  tt.v 
ïTtxYYsXîav  ne  veut  pas  dire  seulement  que  le  hiérophante  donnait  aux 
envoyés  sacrés  des  lettres  de  recommandation,  mais  qu'il  rédigeait 
pour  eux  des  instructions. 

N°6i3.  Dans  la  liste  des  dix  citoyens  choisis  par  le  hiérophante 
pour  préparer  le  lectisternium  en  l'honneur  de  Pluton,  plusieurs  sont 
connus  par  d'autres  inscriptions,  en  dehors  de  ceux  qu'a  notés 
M.  D.  Ajouter  que  plusieurs  appartiennent  à  la  même  tribu;  ils  n'étaient 
donc  pas  choisis  un  par  tribu. 

No  634.  L.  1-2,  restituer  plutôt  /[[al  -£[jn:r,Ta'.  ^,  t.o[xtJ^  que  xa-.  Tc).ea0^t 

f,    T.. 

N"  638  et  640.  Dans  la  note  4  du  n°  638,  citer  aussi  Foucart,  Revue 
de  Philologie^  XIX  (1895),  p.  27  suiv.  —  M.  Foucart  est  cité  dans  les 
notes  du  n*^  640,  sans  que  le  sommaire  contienne  le  renvoi  à  son 
article,  Rev.  des  et.  gr.,  VI  (1893),  p.  324  suiv. 

N<^  639,  1.  37  suiv.  :  xo  0£  àpY'Jp'-ov  tô  eJ;  rv/  6'j7tav  TrpoôxveTaai  xov  raijLt'av 
TO'j  8-(^ao'j  •  h)  Zi  ToT;  TipcoTO'.c  voaoOî-ra'.;  7:ooT/0[jioO£tT;<Ta'.  tw'.  Tx;ji(a'...  Pour 
l'explication  de  ce  passage,  M.  D.  se  borne  à  renvoyer  à  la  note  5 
du  n»  137.  Ajouter  CIA  IV,  II,  128  b,  p.  43,  I.  i5  suiv.  La  doubK' 
question  des  attributions  financières  des  nomothètes  athéniens  et  de 
l'ouverture  des  crédits  supplémentaires  (ou  du  budget  extraordinaire) 
mériterait  d'être  traitée  par  quelque  savant.  Je  me  contenterai  de  rap- 
procher de  nos  décrets  athéniens  un  très  intéressant  décret  de  Kymé 
que  MM.  Pottier  et  Reinach  ont  copié  en  1880  et  quia  été  publié 
en  1888,  BCH  XII,  p.  363.  (Cf.  O.  Hoffmann,  diegricch.  Dialektc, 
11(1893},  p.    iio,  ir^    157).    Il  s'agit  de  dépenses  qui  n'ont  pas  été 


2<J  REVUE   CRITIQUE 

prévues  au  budget  de  Kymé.  La  cité  invite  le  trésorier  à  faire  l'avance 
des  fonds  [T.pot:aiwi'f/.oL:)  Cl  le  décret  ajoute  que  cette  avance  sera  gagée 
sur  les  premières  rentrées  des  crédits  supplémentaires  qui  seront 
affectés  l'année  suivante  à  la  défense  du  territoire  (ètt-  izôpiit  xo'.ç  -npiÔTot; 
Trpoa<r6T(ao|i.évoiiït  e-ç  xàiji  ç'j)>ay.àv  Ta;  ywpa;).  Cette  avance  porte  intérêt  (1.  5) 
'et  il  en  était  de  même  à  Athènes  où  le  terme  employé  est  TooSavETira'. 
(cf.  rpo/opr^Y^aa'.  à  Magnésie  du  Méandre,  n<^  928,  1.  3o).  Le  passage 
suivant,  dont  j'ai  restitué  quelques  mots,  est  particulièrement  inté- 
ressant et  le  rapprochement  s'impose  avec  nos  inscriptions  d'Athènes  : 
tÔv  o£  àroosoîtvjjiivov  e'.aaY^wyjî^a  twv  [y.al-rà]  ^^[v  y.a'.p]ôv  s'.aevi-jV.a!  aÙTo  s';  to 
vojxoOetixov  SixaTî-z-p'-OV,  '(va '1  ÔTzipyri  aTœàÀs'.a  tS  ■ttÔXei  xal  t^  /wp?  £vvo;ji(o;  xx'. 
ta  iravTa  |  [£yxaj(^6f,].  Les  dépenses  extraordinaires  (y.ol-.t.  tôv  xx-.pov  ?  )  s'op- 
posent aux  dépenses  ordinaires  (xaià  tov  vo[jlov),  c'est  à  dire  aux  dépenses 
•prévues  par  la  loi  de  finances,  telle  que  l'a  votée  le  tribunal  des 
'noraothètes  avec  ses  différents  chapitres.  Si  j'ajoute  que  MM.  Pottier 
et  Reinach  ont  eu  grand'peine  à  copier  ce  texte  important,  dont  il 
ne  leur  a  pas  été  permis  de  pi^endre  un  estampage,  on  ne  leur  en 
aura   que   plus  de  reconnaissance. 

N'^  646  b.  Dans  le  §  relatif  à  la  trêve  sacrée  qui  précède  la  célébra- 
tion des  mystères  d'Eleusis,  M.  D.  admet  aux  1.  5  i  suiv.  les  restitutions 
d'Usener  :  [xlal  t]oT;  àxoX[o|'jG]ot<Tiv  (cf.  Thucydide  IV,  118,  6)  xa'. 
[yJpÉaaJatv  (cf.  n'*  55;,  1.  4)  Te;(v)  [rji6]v[c]iov..  La  restitution  /_péu.a]î'.v 
semble  condamnée  par  la  copie  de  Chandler  qui  lisait  o-.atv.  Kirchhofif 
(CIA  IV,  I,  p.  4)  propose  à).X]o'.a;v  et  repousse  ôoXJo'.-r-.v,  parce  que,  dit- 
il,  la  première  syllabe  de  ce  mot  doit  s'écrire  AOV  et  non  AO.  Mais  cette 
dernière  règle  n'est  pas  certaine  et  dans  la  table  des  polètes  où  sont 
inscrites  les  ventes  des  biens  appartenant  aux  Hermocopides,  je  lis 
avec  Wilamowitz  AO),ov  =  ooôXov  (n°  41,  note  3). 

N»  647,  note'7.  Citer  de  préférence  l'article  de  Foucart  dans  la 
Revue  de  Philologie,  XVII  (1893),  p.  161  ;il  est  plus  détaillé  que  les 
Comptes  rendus  de  l'Ac.  des  Inscriptions  et  donne  déjà  la  restitution 

itopsjrja;. 

No  652.  Nous  savions  par  Wilhelm  [Jahresh.  des.  oest.  arch.  Inst.  I 
(1898],  Beiblatt,  p.  47)  que  LoUing  avait  découvert  un  fragment  de 
cet  important  décret  de  l'époque  impériale,  qui  ordonne  le  rétablisse- 
ment de  la  procession  d'Eleusis,  mais  ce  fragment  était  encore  inédit: 
M.  D.  l'offre  à  ses  lecteurs.  Rappelons,  à  ce  propos,  deux  belles  décou- 
vertes de  Wilhelm  :  il  a  retrouvé  au  musée  d'Athènes  un  long  frag- 
ment, depuis  longtemps  publié  (CIA  III,  49)  de  la  lettre  de  Plotine 
aux  disciples  d'Epicurei7a/j;'ei-/K  des.  oest.  arch.  Inst.  II  (1899),  p.  270]. 
Il  a  réuni  deux  fragments  d'une  lettre  impériale,  dont  l'un  a  été 
découvert  au  Pirée  et  publié  dans  le  Philologus  XXIX  (1870),  p.  694, 
l'autre  à  Ténos,  BCH  VII  (i883y,  p.  25o.  Wilhelm  annonce  la  publi- 
cation prochaine  de  cette  lettre  qu'il  attribue  à  Hadrien  ;  il  se  fonde 
sans  doute,  pour  la  dater,  sur  le  nom   de  l'épimélète  d'Athènes,  T. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  2  7 

lulius  Herodianus  de  Marathon,  qu'il  identifie  avec  Iulius  Herodianus 
(CIA  III,  489).  —  A  la  1.  II  du  no  652,  restituer  rÉaj^rî;/  plutôt  que 
a](Y)2'.v.  Le  sens  est  différent  :  'i';v.'/  -ro'j;  èç-VlSoj;  (1.  20),  c'est  conduire 
les  éphèbes,  se  mettre  à  leur  tête  et  faire  la  route  avec  eux  ;  -i[XT.zv/, 
c'est  simplement  ordonner  leur  départ,  les  faire  partir. 

No  668  Aa.  Ne  peut-on  restituer,  en  tête  du  fragment,  [pa'{/w5oT;]? 

N°  706.  Renvoyer  à  Aristote,  'AO/,v.  r.ol.  56,3  et  nommer  la  fête  où 
fut  remportée  la  victoire,  les  Thargélies. 

N°  789,  1.  36.  Dittenberger  :  6  8'  èT:'.T:â-:r,i  [àvajjsiaxî..  Je  restituerais 
plutôt  [o'.xTJcîffXs,  comme  je  l'ai  fait  p.  XXXI,  1.  8  de  ï  'AO-/;v,  roX. 

Une  note  mise  auxAddetJcia  et  corrigenda,  p.  807,  me  fournit  l'oc- 
casion de  revenir  sur  une  importante  inscription  du  premier  volume, 
n°  1 7,  décret  du  v«  siècle  relatif  à  Chalcis.  Le  §  qui  règle  la  condition 
des  étrangers  domiciliés  à  Chalcis  a  donné  lieu  à  de  très  longues  dis- 
cussions qu'on  trouvera  résumées  dans  Clerc,  de  la  condition  des 
étrangers  domiciliés  dans  différentes  cités  grecques,  p.  i3  suiv. 
(Extrait  de  la  Rev.  des  Univ.  du  Midi,  1898).  Le  texte,  si  embarrassé 
qu'il  paraisse,  doit  être  maintenu  sans  la  moindre  correction  et  Je  féli- 
cite M.  D.  de  se  ranger  à  l'explication  d'Ed.  Meyer  {Forschungen  :{ur 
alten  Gesch.,  II,  p.  146-147);  c'est  également  celle  qu'adoptait  impli- 
citement Ch.  Michel  quand  il  imprimait  le  texte  épigraphique  sans 
aucune  des  corrections  proposées  (n»  70).  Le  verbe  tïXèv  è;  XaÀ/.'6x  a 
deux  sujets,  tô;  yyho;,  TÔ;  Iv  XxXy.îo;  et  tô^  aXXo;,  Le  premier  désigne 
d'une  manière  générale  les  étrangers  domiciliés  à  Chalcis,  le  second 
les  oppose  à  ceux  des  métèques  qui  n'ont  pas  les  taxes  et  impôts  à 
payer  à  Chalcis,  soit  parce  qu'ils  vont  les  payer  à  Athènes,  soit  parce 
qu'Athènes  les  en  a  exemptés.  Pour  le  sens  à  donner  à  y.aOiTtsp  hoi  aXXot 
XaX/.to££ç,  voy.  Clerc,  p.  16. 

Les  inscriptions  découvertes  en  dehors  d'Athènes  me  retiendront 
moins  longtemps. 

N°  3o3  (Abdère.  Addenda,  p.  816).  La  restitution  rapportée  par 
M.  D  et  justem.ent  louée  est  d'autant  plus  probable  qu'elle  a  été  pro- 
posée d'autre  part  au  Collège  de  France  par  M.  Foucart.  S'aidant 
d'un    estampage   qu'il  a   communiqué  à  ses   auditeurs,  M.  Foucart 

lisait,  aux  1.  24  suiv.  :  ^[o'j^  Ô£ -poJvoo-jaivo'Jî  toj  àv-rioîxoj  :^||jt.wv  xa;  Toojra- 
xo'jv:a[s  oià  T-Pj;  TjÔjv  TrpaYixâTiov  TTxpxOidïîtiK  tî  xat  r^î  y.aO'  y  |aipa[v  Y£vo;ji£v]r,; 
î'^oocîaî  £::•.  twv  à-p'!a)v  io'.XoTcoioôvxo.  L'iota  d'à-rpîwv  est  très  net  SUT  I  es- 
tampage qui  confirme  la  plupart  des  lectures  de  MM.  Hauvette-Bes- 
nault  et  Pottier. 

Le  no  466  (Delphes)  est  enfin  devenu  très  clair  avec  les  lectures  de 
Baunack  {Addenda,  p.  820).  M.  Dareste  ne  manquera  pas  d'en  tirer 
parti  quand  il  reprendra  son  étude  sur  le  droit  de  représailles  princi- 
palement chéries  anciens  Grecs  \Rev. des  et,  gr.,  II  f  1889)  p.  3o5  suiv.). 

No  470  (Ephèse  ,  note  2.  On  conçoit  très  bien  qu'un  étranger  de- 
mande directement  le  droit  de  cité  à  l'assemblée  du  peuple.  Un  décret 


28  REVUE  CRITIQUE 

antérieur  peut  Tavoir  autorisé  à  se  présenter  devant  rassemblée,  où  il 
s'efforcera  d'obtenir  les  avantages  qu'il  pourra  (îJpbOat  rapà  toO  or^ao-j 
ôTt  av  8jvT,tat  àYxOôv,  no  5/,  1.  2ii.  Cf.  11°  56  1.  33  où  se  retrouve  le  verbe 
a'Tetaôx'.. 

N»  484  (Delphes),  note  4  sur  le  sens  des  verbes  -poô-jsiv,  Trpoïspr.Tc-jetv 
(n°  599,  1.  Il),  :rpoïcpaTe«t  (n"  S27,  1.  6).  M.  D.  ne  cite  pas  les  intéres- 
santes observations  de  Max  Fraenkel  sur  ce  dernier  verbe  qui  s'est  ren- 
contré dans  une  inscription  de  Pergame  [die  Inschriftcn  von  Perga- 
mon,  no  248,  1.  14,  p.  167). 

Les  n*^  552-554  sont  d'importantes  inscriptions  de  Magnésie  du 
Méandre  publiées  pour  la  première  fois.  Le  n°  553  est  particulière- 
ment intéressant:  c'est  un  décret  réglant  les  fêtes  qui  seront  célébrées 
lors  de  Tinauguration  du  temple  d'Artémis  et  chaque  année,  au  jour 
anniversaire  de  la  naissance  de  la  déesse,  le  6  Artémision.  Le  jour  est 
férié,  les  écoles  sont  fermées  (1.  29  suiv.  àv-ijôcoiav..  o-  -aToî;  èx-wv  ;i.a6r,- 
axTov  y.a;  à-o  -w  Ipywv  ôo^/o-  ts  xx;  ooùXa'.);  chaque  habitant  doit  offrir 
un  sacrifice  devant  la  porte  de  sa  maison  et  selon  sa  fortune  (xa-:'o''y.oj 
^•jvafi'.v.  1.  9),  sur  un  autel  construit  à  cet  effet.  —  N°  552, 1.  83,  note  19. 
Le  même  signe,  avec  la  même  valeur  (900)  revient  constamment  dans 
les  inscriptions  de  Didymes  et  se  prête  à  d'ingénieuses  combinaisons 
que  je  ferai  bientôt  connaître  dans  la  Revue  de  Philologie.  —  N"^  554, 
1,  i5  :  £•?  "ô  xa6' eÇajjiTjVov  îïapaYtvôiiîvov  o[ixar:T'p'.ov.  L'explication  propo- 
sée par  M.  D.  me  paraît  inadmissible.  L'idée  de  juges  étrangers  venant 
à  époques  fixes,  deux  fois  par  an,  siéger  à  Magnésie  me  semble  con- 
traire à  tout  ce  que  nous  savons  de  l'administration  de  la  justice  en 
Grèce.  Les  juges  dont  il  est  parlé  sont  des  Magnètes  :  deux  fois  par 
an,  ils  se  transportent  sur  les  lieux  (■TtapaYtvôjji.ôvov),  c'est  à  dire  qu'ils  se 
rendent  dans  le  téménos  de  Sarapis;  si  l'autel  du  dieu  a  été  déplacé, 
porté  en  dehors  de  l'enceinte  sacrée,  ils  jugent  et  condamnent  séance 
tenante  le  néocore,  sur  la  plainte  introduite  par  les  £j6jvo!.  Ces  dépla- 
cements d'un  tribunal  ne  sont  pas  faits  pour  nous  surprendre  (cf. 
Aristote,  'AOr,v.  ro),.,  57,  3);  nous  pouvons  citer  aussi  l'exemple  du 
Conseil  des  Cinq-Cents  siégeant  au  Pirée,  sur  le  môle,  pour  surveiller 
les  préparatifs  d'une  expédition.  CIA  II,  809  b,  1.  i5-i6y. 

N°  563  (Astypalaea).  L'explication  proposée  par  M.D.  est  ingénieuse, 
mais,  outre  qu'elle  comporte  une  addition  au  texte,  ne  serait-il  pas 
nécessaire  de  répéter  la  négation  devant  -Âlv^oii)! 

Le  n°  575  (Smyrne)  reste  très  obcur,  mais  je  crois  juste  l'explication 
des  mots  TÔTrapazî-paiJiévov.  H  s'agit  d'un  droit  adjugé  (les  Grecs  disaient  : 
vendu)  au  fermier  de  la  dîme  du  téménos  d'Aphrodite.  Tô  -apa-c-pa- 
jjiîvov  0.T.0  -zùiy  TrXéôpcov  équivaut  peut-être  à  ~o  r£7:ox;ji£vov  à7:à  Ttov  rapaxeiixévojv 
7:)iOpcov. 

N<>  592  (Pergame),  note  7.  Il  y  a  plus  à  dire  sur  les  \tpo\  r.ouhç  qui 
ne  sont  pas  tous  des  UpôSojÀo!. 

N°  601  iHalicarnasse),  1.  3o  :  Or.ïaupov.  Renvoyer  à  Hiller  von  Gaer- 


d'histoire  et  de  littérature  29 

tringen,  Thera,  I  ('1899),  p.  260.  Hiller  a  retrouvé  à  Théra  le  tronc  du 
sanctuaire  des  divinités  égyptiennes  et  les  tigures  jointes  à  son  ouvrage 
ne  manqueront  pas  d'intéresser  le  lecteur. 

N°  6o3  (Sinopei,  note  8,  sur  le  mois  Taupswv.  Ajouter  :  et  Mileti 
(Revue  de  Philologie,  XXIII  (1899),  p.  4-5. 

N»  626  (Lindos).  Très  ingénieuse  explication  de  -rrpoj/xpa-.o;  (Oysfa)  = 
irpoîT/âpato;  =:  t.oo  tï;  soyâpa;  y '•",'""' I^^''^- 

N°  627  (Milet),  note  6,  sur  le  paj-.Xs'j;.  Ajouter  :  et  Cliii  fCh.  Michel, 
no  707). 

N"  663  (Delphes),  note  i,  sur  le  sens  de  tjv  <!/d(oo'.;  Ta"?  èwôao'.;.  Le 
renvoi  au  n°  438,  1.  21  n'est  pas  tout  à  fait  exact,  puisque  dans  ce 
dernier  texte  il  ne  s'agit  pas  d'un  sote  de  l'assemblée  du  peuple,  mais 
de  la  phratrie  des  Labyades. 

N"  679  (Halicarnasse),  1.  i3.  Li  restitution  ).a;i.iT]â8'.  à-h  rpi-ra;  est 
très  plausible.  Dans  plusieurs  dédicaces  inédites  de  Didymes,  je  lis  : 
v'.X'/,Tavra  Xa[j.-àooc  tt,v  à-ô  [îwaoô  y.-/  )>aij.râoa  -TjV  ttoo?  ^oj[ji''v. 

N"  681  (Patmos).  L'île  appartenait  alors  aux  Milésiens  et  je  revien- 
drai prochainement  sur  ce  texte. 

N°  686  (Olympie;,  note  i  2.  Renvoyer  à  :  Ane.  gr.  Inscr.  in  the  Brit. 
Muséum,  n0  928  '18931  au  lieu  de  :  Newton,  Halicarnassus. —  Note  i5 
fin.  Au  lieu  de  :  Wood,  Ephesus..,  renvoyer  à  :  Ane.  gr.  Inscr.  in  the 
Brit.  Muséum,  n°  695  (1890).  L'éditeur  de  ce  dernier  recueil,  Hicks, 
lit  d'ailleurs  Upâ. 

N°  916  (Delphes)  note  i.  Corriger  t-:rziMr^. 

N°  931  (Delphes),  note  39.  Renvoyer  à  la  remarquable  étude  de 
M.  Foucart  :  XTpaTT,YÔ;  'j-'x-o^  •  z-p-x-r^-^ô;  àvOj-xTo;  dans  la  Revue  de 
Philologie  \X\\Ï  (1899),  p.  254suiv. 

Le  volume  se  termine  par  un  feu  d'artifice.  L'Appendix  titulorum  his 
proximis  annis  erutorum  ne  contient  que  pièces  nouvelles  et  brillantes. 
Ce  ne  sont  guère  que  noms  fameux,  d'hommes  ou  de  monuments, 
cités  dans  des  dédicaces,  décrets  ou  sénatusconsultes  :  Gélon  (n°  910], 
le  temple  d'Aihéna  Niké  (n"  91 1),  Alcibiade  {n°  912),  les  fils  de  Ker- 
sébleptès  (n°  91 3),  Leucon,  le  souverain  de  Bosporos  et  ses  fils 
(n°  914),  Aristoie  et  son  neveu  Callisihénès  (n°  91  5),  Néarque,  l'amiral 
d'Alexandre  (n°9i6);  plus  loin,  Pyrrhus  (no9i9i,  Philopémen  ''n°926) 
et  de  nouveau  d'importants  textes  découverts  à  Magnésie  du  Méandre 
(n"*  927-928.  Cf.  n"  923,  décret  des  Etoliens  accordant  aux  Magnètes 
une  voix  amphiciionique,  '|/âoov  Upo|j.vafjLov.y.àv  iv  to'j; '.\iji'ity.TJOva;,  1.  21). 
Citons  enfin  le  sénatusconsulte  de  l'année  112  (n°  930),  à  qui  nous 
devons  d'être  fixés  sur  la  date  exacte  de  tout  un  groupe  d'archontes 
athéniens  du  deuxième  siècle  avant  J.-C.  Il  provient  de  Delphes, 
comme  la  plupart  de  ces  textes  de  la  dernière  heure,  qui  donnent  tant 
de  prix  et  d'éclat  à  cet  appendice.  Qu'il  nous  soit  donc  permis,  en 
passant,  de  rendre  justice  aux  belles  fouilles  de  l'École  française.  Le 
Bulletin  de  Correspondance  hellénique  est  en  quelque  sorte  le  dépôt 


30  REVUE    CRITIQUE 

des  archives  de  Delphes,  et  Je  crois  savoir  qu'il  tient  en  réserve  plus 
d'une  inscription  de  premier  ordre,  plus  d'un  nom  fameux.  Nous  les 
ajouterons  à  la  galerie  que  nous  venons  de  parcourir. 

L'épigraphie  grecque  n'est  donc  pas  à  la  veille  de  faire  faillite  et 
nous  pouvons,  comme  M.  D.  dans  la  préface  de  son  premier  volume 
(p.  ix),  envisager  avec  confiance  lesiècle  qui  va  naître.  Il  nous  donnera, 
pour  ne  parler  que  des  Choix  d'inscriptions,  la  suite  du  Recueil  de 
Ch.  Michel  sous  forme  de  fascicules  complémentaires,  puis  —  pour 
terminer  par  une  indiscrétion  qui  me  sera  pardonnée  —  la  deuxième 
édition  du  Mamial  of  greek  historical  Inscriptions  de  Hicks,  avec  la 
collaboration  de  G.  F.  Hill.  Les  études  épigraphiques  sont  donc  bien 
vivantes  et  M.  Dittenberger  est  de  ceux  à  qui  elles  doivent  le  plus. 
S'il  se  réunissait  quelque  jour  un  congrès  d'épigraphistes,  ils  lui  décer- 
neraient à  l'unanimité  un  éloge  et  une  couronne,  n-îtsivw;  tw-.  \xz-f\r-M'. 
zv.  TÔiv  v6[jiwv. 

B.  Haussoullier. 


K.  Waliszewski.   Littérature  russe.    Paris,  A.  Colin,  1900,    in-S'  écu,  de  x  et 
447  p.;  5  fr. 

Certes,  nul  ne  peut  songer  à  refusera  M.  K.  Waliszewski  le  talent  : 
mais,  le  talent  a  plusieurs  formes  :  jusqu'ici,  l'historien  polonais 
nous  avait  montré  son  habileté  de  metteur  en  scène,  son  art  d'inté- 
resser le  lecteur,  même  au  prix  de  documents  peu  contrôlés  ;  or,  dans 
sa  Littérature  russe,  il  témoigne,  cette  fois,  d'un  incontestable  talent 
de  grappilleur  littéraire,  et,  s'il  n'a  pas  lu  la  «  Cuisinière  bourgeoise  », 
on  ne  peut  nier,  du  moins,  qu'il  sache  accommoder  les  restes.  C'est  un 
petit  jeu,  pour  un  lecteur  au  courant,  que  de  retrouver,  à  propos  de 
chaque  page  du  livre,  à  quel  écrivain  elle  est  empruntée.  Disons, 
toutefois,  que  la  Geschichte  der  russischen  Litteratur,  de  M.  v.  Rein- 
holdt  et  l'Histoire  du  roman  russe  (en  russe),  de  M .  Golovine,  ont  eu 
l'honneur  de  fournir  les  principales  contributions.  M.  W.  après  avoir 
déclaré  «  qu'il  ne  voulait  parler  que  de  ce  qu'il  avait  pu  connaître  et 
apprécier  personnellement  »,  a,  en  réalité,  pillé  sans  vergogne  ces 
deux  écrivains,  et  quelques  autres  encore, parmi  lesquels  MM.  Anatole 
Leroy-Beaulieu  et  de  Vogué  '.  Parmi  les  additions  personnelles  de 
M.  W.,  nous  pouvons  citer  un  grand  nombre  d'anecdotes  dédaignées 
par  ses  auteurs,  des  anecdotes  soit  simplement  douteuses,  soit  tran- 
chement  odieuses,  comme  celle  qui  (p.  363)  représente  Tolstoï  végé- 
tarien par  ostentation,  se  relevant  la  nuit  pour  manger  du  rosbif.  En 


r.  La  page  3o7  reproduit  mot  pour  mot  la  page  140  du  Roman  russe  smx  Bakou- 
nine,  tout  en  y  corrigeant  une  erreur  de  biographie,  grâce  à  une  note  de  Reinholdt 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  3l 

outre,  le  nombre  des  anecdotes  grasses  est  considérable,  et  d'autant 
plus  frappant  que  M.  W.  se  plaint  de  trouver  de  l'obscénité  partout, 
chez  Kantemir,  chez  Bogdanovitch,  chez  Batiouchkov,  chez  Pouch- 
kine, chez  Lermontov,  chez  Tourgueniev! 

On  pourrait  croire  que  le  livre  de  M.  W.,  étant  une  adaptation, 
offre,  à  défaut  d'originalité,  une  grande  sécurité  d'information.  Il  n'en 
est  rien  :  ce  livre  est  écrit  avec  une  légèreté  incroyable,  et,  toutes  les 
dix  pages,  on  y  relève  au  moins  une  date  fausse  '. 

Les  confusions  des  mots  y  sont  innombrables  %  les  confusions  de 
faits,  comme  celle  de  deux  présidences  de  la  princesse  Dachkov 
p.  127:,  n'y  sont  pas  rares.  Un  certain  nombre  de  ces  erreurs  sont 
empruntées  consciencieusement , à  Reinholdt  ip.  107;  117,  par  ex.), 
et  la  plus  réjouissante  de  ces  confusions  du  critique  allemand  repro- 
duites par  M.  W.  est  celle  qui  'p.  409;  attribue  à  Maïkov  un  poème  sur 
la  Cathédrale  de  Clermont,  alors  que  les  vers  du  poète  célèbrent,  en 
réalité,  le  Concile  de  Clermont! 

Pour  la  partie  purement  scientifique,  qu'il  me  suffise  de  dire  que 
M.  W.  disserte  des  qualités  des  Tatars  (p.  5)  qui  ont  envahi  la  Russie 
au  xiii®  siècle,  d'après  les  observations  personnelles  qu'il  a  faites 
auprès  des  garçons  tatars  dans  les  restaurants  de  Saint-Pétersbourg, 
Ce  qu'il  dit  de  la  langue  russe  (p.  1 1)  est  à  l'avenant. 

Pour  les  jugements,  le  parti  pris  de  dénigrement  n'aurait  rien  qui 
pût  nous  déplaire,  s'il  était  l'expression  du  sentiment  vrai  d'un  Polo- 
nais pour  les  Russes  ;  mais, si  l'on  veut  voir  comment  ces  «  exécutions  >- 
sont  obtenues,  que  l'on  parcoure,  par  exemple,  l'article  Tchékhov. 
traduit  de  M.  Golovine  :  tous  les  compliments  du  critique  russe  sont 
énervés  ou  supprimés,  et  toutes  ses  critiques  sont  enflées  avec  artifice. 
Si,  enfin,  nous  voulions  nous  occuper  de  la  forme,  nous  ne  pourrions 
refuser  de  rendre  justice  à  la  vivacité  de  ton,  au  savoir  faire,  et  à  la 
grande  connaissance  que  l'écrivain  polonais  a  de  notre  langue. 
Toutefois,  trop  confiant  dans  sa  facilité,  il  lui  arrive  d'écrire  fréquem- 
ment dans  un  galimatias  qui  n'est  ni  français,  ni  allemand,  ni  russe 
ni,  je  pense,  même  polonais  \ 

1.  Ne  pouvant  les  citer  toutes  ici,  nous  donnons  une  liste  des  principales  pages 
visées  :  43,  69,  107,  109,  117,  127,  145,  220,  418,  etc.  etc. 

2.  Cf.  p.  24.  skoromokliy  au  lieu  de  skomorokhy  ;  p.  74,  Krach ennikov  pour 
Kracheninnikov  ;  p.  107,  les  prénoms  de  Kapniste  (V.  V.  et  non  V.  lakovlevitch)  ; 
p.  139,  Ga^jette  pour  Journal  de  Moscou  (éd.  par  Karamzine);  p.  148,  Mamet  pour 
Nameh;  Ruslem  pour  Roustem,  etc.  etc. 

3.  Nous  n'avons  ici  que  l'embarras  du  choix  :  qu'on  se  contente  de  savourer  la 
page  I  ;  la  p.  145,  et  l'abracadabrant  méli-mélo  consacre  (p.  2i5  sq.)  à  .Aksakov. 
Citons  aussi  cette  simple  phrase  p.  33)  :  «  Plus,  dans  l'aspect  actuel  de  l'œuvre, 
que  la  simple  fleur  des  champs,  fraîche,  vive  de  couleurs  et  parfumée,  dont  Bié- 
linski  a  eu  la  sensation,  et  moins.  »  —  Enfin,  des  expressions  bizarres  :  ^jh^o/,  au 
sens  de  :  plus  tard,  produit  des  effets  comiques;  manteau  couleur  de  mur,  pour 
couleur  de  muraille  (p.  208);  et,  le  «  protocolisme  trivial  de  Zola  »  p.  32o, 
sont  d'un  assez  réjouissant  exotisme. 


?2  REVUE    CRITIQUE 

Ces  remarques  très  simples,  que  l'on  pourrait  multiplier  aisément, 
donneront  une  idée  de  la  valeur  originale  et  pédagogique  du  livre  de 
M.  Waliszewski. 

Jules  Legras. 


Victor  GiRAUD.  ancien  élève  de  l'École  normale  supérieure,  professeur  de  littéra- 
ture française  à  l'Université  de  Fribourg  Suisse).  Pascal,  l'homme,  l'œuvre, 
l'influence.  Paris.  Fontemoing,  1900,  in- 1 8. 

L'ouvrage  de  M.  Giraud  n'est  pas  un  livre;  ce  sont  les  notes  prises 
par  l'auteur  pour  un  cours  en  21  leçons  sur  la  vie  et  l'oeuvre  de 
Pascal.  Fn  dépit  de  cette  apparence  un  peu  abrupte,  il  intéressera 
certainement  tous  les  Pascalicns,  et  ceux-ci  doivent  être  assez  nom- 
breux, si  on  compte  les  travaux  sur  l'ascal  et  les  éditions  des  Pro- 
vinciales ex  des  Pensées  que  chaque  année  voit  paraître.  Ajoutons  que 
l'auteur  est  parfaitement  au  courant  du  sujet,  et  qu'il  l'aime,  première 
condition  pour  en  bien  parler.  On  verra  tout  à  l'heure  si  cet  amour 
bien  naturel  ne  l'a  pas  entraîné  à  quelques  exagérations  de  forme  et 
de  pensée. 

Dans  les  premières  leçons,  M.  Giraud  raconte  la  vie  de  Pascal 
jusqu'à  sa  conversion  définitive;  il  n'admet  pas,  et  en  cela  il  a  certai- 
nement raison,  qu'il  ait  jamais  été  incrédule  au  sens  moderne  de  ce 
mot,  il  a  pu,  à  un  certain  moment,  être  un  chrétien  un  peu  tiède, 
mais  jamais  il  ne  paraît  avoir  conçu  le  moindre  doute  sur  la  vérité  de 
la  religion  chrétienne.  Cette  tiédeur  relative  se  manifeste  en  i653, 
quand  il  s'oppose  à  l'entrée  en  religion  de  sa  sœur,  cette  Jacqueline 
qui  exercera  plus  tard  sur  lui  une  si  grande  influence;  elle  se  montre 
encore  au  cours  de  ses  relations  avec  le  duc  de  Roannez  et  les  mon- 
dains qui  entourent  celui-ci.  A  ce  commerce  avec  des  gens  lettrés  et 
spirituels,  Pascal  gagne  de  la  finesse  d'esprit,  je  ne  dirai  pas  de  la 
grâce,  car  c'est  une  qualité  qu'il  n'a  jamais  eue  en  partage.  Très  Jus- 
tement aussi,  M.  G.  se  refuse  à  croire  à  la  réalité  d'un  roman,  d'une 
intrigue  innocente,  d'où  serait  sorti  le  Discours  sur  les  passions  de 
l'amour,  et  ne  voit  dans  cet  opuscule  qu'une  simple  dissertation  ga- 
lante ;  il  croit  pouvoir  affirmer  «  qu'il  n'y  a  eu  dans  la  vie  de  Pascal 
aucun  dérèglement  d'aucune  sorte  ».  L'affirmation  paraîtra  peut-être 
à  certains  imprudente;  étant  donnée  la  santé  débile  du  grand  écri- 
vain, on  peut  l'accepter. 

C'est  en  1654,  à  la  suite  d'une  longue  évolution  morale,  que  se  pro- 
duisit la  conversion  définitive  de  Pascal.  On  sait  qu'il  en  consigna  le 
souvenir  dans  un  écrit,  qu'on  appelle  l'amulette  et  qu'il  porta  sur  lui 
jusqu'à  sa  mort,  et  qu'il  date  lui-même  l'événement  de  la  nuit  du 
23  au  24  novembre  de  cette  année.  Eut-il  alors  une  vision  :  M.  G.  le 
nie,  sans  quoi,  dit-il,  «  c'eût  été  un  miracle  »  ;  nous  dirons  plus  sim- 


d'histoire  et  de  littérature  33 

plement  que  Pascal  eut,  dans  cette  nuit  mémorable,  une  hallucina- 
tion ;  le  fait  semble  ressortir  de  quelques  expressions  du  document. 
Mais  de  tout  cela,  il  suffit  de  retenir  une  chose  :  en  1654,  Pascal  est 
devenu  le  chrétien  exalté  qu'il  restera  jusqu'à  sa  mort,  et,  dès  lors 
son  génie  est  complètement  formé;  il  possède  les  connaissances  scien- 
tifiques, l'habitude  du  raisonnement  et  le  talent  littéraire  qu'il  va 
mettre  un  peu  après  au  service  de  ses  amis  de  Port-Royal. 

Dans  les  leçons  sur  les  Provinciales,  M.  G.  expose  avec  beaucoup 
d'impartialité  les  reproches  qu'on  a  pu  avec  justice  faire  à  Pascal  ; 
ce  dernier  a  apporté  dans  ces  discussions  une  passion  indéniable,  il 
a  visiblement  interprété  avec  une  certaine  malignité  quelques  pas- 
sages, tronqué  et  altéré  quelques  unes  de  ses  citations,  et  surtout, 
(mais  sur  ce  point  l'auteur  n'a  pas  assez  insisté  à  notre  sens),  il  a 
négligé  de  parti  pris  l'histoire  de  la  casuistique.  Trop  souvent  il  a 
prêté  aux  seuls  pères  de  la  Compagnie  des  assertions  un  peu  étranges 
qu'on  trouve  chez  beaucoup  de  théologiens,  dominicains  ou  clercs 
séculiers,  longtemps  avant  Loyola.  Je  n'aime  pas  non  plus  beaucoup 
les  arguments  que  M.  G.  emploie  pour  justifier  la  casuistique  ;  toute 
philosophie,  il  est  vrai,  sans  excepter  celle  du  Portique,  a  produit 
des  casuistes,  mais  il  faut  bien  en  convenir,  la  casuistique  catholique 
l'emporte  sur  toutes  les  autres  en  subtilité  et  en  raffinements.  On 
souffre  également  à  trouver  dans  la  même  phrase  (p.  92)  le  nom 
d'Escobar  et  l'expression  «  conforme  à  l'esprit  de  l'Évangile  ».  La 
casuistique  est  sans  doute  une  science  nécessaire,  surtout  avec  la  pra- 
tique de  la  confession,  mais  elle  entre  dans  des  détails  assez  malpro- 
pres et  on  est  un  peu  choqué  de  voir  cette  cuisine  de  la  conscience 
rapprochée  de  la  pure  morale  de  Jésus.  M.  G.  affirme  encore  que 
Pascal  a  «  créé  la  légende  du  jésuite  »  ;  n'y  a-t-il  pas  là  quelque  exa- 
gération ?  la  question  ne  saurait  être  discutée  ici  ;  remarquons  seule- 
ment en  passant  que  partout  où  la  puissante  Compagnie  a  apparu, 
elle  a  soulevé  contre  elle  des  haines  terribles,  et  pas  seulement  chez 
les  libres  penseurs.  Je  crois  avec  M.  Giraud,  qu'en  somme,  Pascal  a 
perdu  son  procès  (p.  99),  la  morale  des  Jésuites  l'a  emporté,  tout 
comme  leur  théologie,  mais  on  peut  se  demander  si  au  point  de  vue 
chrétien  lauteur  des  Provinciales  n'était  point  dans  le  vrai,  et  si  l'on 
peut  estimer  chrétienne  une  morale  que  M.  G.  lui-même  appelle  la 
morale  mondaine  et  des  honnêtes  gens. 

Après  un  chapitre  fort  intéressant  sur  les  dernières  années  de 
Pascal,  l'auteur  aborde  l'étude  des  Pensées,  le  plus  célèbre,  le  plus  lu 
des  deux  ouvrages.  A  quel  moment  fut  conçu  le  projet  de  VApo- 
logie  du  christianisme,  dont  ces  pensées  sont  les  débris?  M.  G.  sup- 
pose que  l'idée  date  de  la  jeunesse  de  l'auteur,  qu'il  en  fut  comme  de 
VEsprit  des  lois  de  Montesquieu.  L'hypothèse  nous  parait  peu  accep- 
table, à  cause  de  certains  détails  matériels  ;  Pascal,  on  le  sait,  tra- 
vaillait à  l'ouvrage  un  peu  après  la  mort  de  Cromwell  et  la  restaura- 


34  REVUE    CRITIQUE 

lion  de  Charles  II  ;  de  plus  l'écriture  de  tous  les  fragments  présente 
les  mêmes  caractères  essentiels  et  doit  dater  d'une  période  assez 
courte.  L'étude  des  sources  des  Pensées  est  complète  ;  elles  sont 
d'ailleurs  peu  nombreuses  ;  la  principale  est  Montaigne  et  M.  Faguet 
a  pu  affirmer  non  sans  raison  que  tout  ce  qui  n'était  pas  purement 
théologique  avait  été  emprunté  aux  Essais  par  Pascal;  M.  G.  y 
ajoute  Charron  (le  fait  avait  déjà  été  signalé),  Epictère,  Du  Vair  et  le 
Socrate  chrétien  de  Balzac.  En  ce  qui  concerne  le  plan,  M.  G.  estime, 
et  il  pourrait  bien  avoir  raison,  qu'il  est  impossible  de  le  rétablir;  de 
tous  les  éditeurs,  le  plus  sage  a  peut-être  été  M.  Havet,  qui  a  conservé 
l'ordre  établi  par  Bossut,  en  collationnant  le  texte  et  en  intercalant  à 
leur  place  les  nouveaux  fragments  découverts  par  Cousin  et  par  Fau- 
gère.  Le  chapitre  suivant  sur  la  valeur  littéraire  de  l'ouvrage  est 
encore  très  intéressant;  toutefois,  je  n'aime  pas  l'expression  de 
lyrisme  appliquée  aux  Pensées  'p.  i58);  elle  aurait  tout  au  moins 
besoin  d'être  expliquée.  Rien  dans  le  style  de  Pascal  ne  rappelle  celui 
des  grands  lyriques,  et  on  s'étonne  à  voir  citer  pêle-mêle  sous  le  nom 
de  poètes  religieux  Milton,  Dante,  Sainte  Thérèse,  l'auteur  de  Vlmi- 
tation,  Bossuet  et  Victor  Hugo  ;  j'avoue  ne  plus  comprendre. 

M.  G.  parle  ensuite  de  la  valeur  apologétique  de  l'œuvre  de  Pascal. 
Ici  il  y  a  lieu  de  faire  quelques  remarques  et  réserves.  Il  paraît  bien 
téméraire  d'affirmer  que  s'il  avait  terminé  son  œuvre,  Pascal  aurait 
été  amené  «  à  atténuer  son  jansénisme  »  ;  cette  assertion  est  contre- 
dite par  tout  ce  que  nous  savons  des  dernières  années  de  la  vie  de 
l'auteur,  qui  devenait  de  jour  en  jour  moins  opportuniste  et  plus 
intransigeant.  J'admets  avec  M.  G.  que  Pascal  avait  pour  les  preuves 
métaphysiques  le  dédain  le  plus  absolu  et  le  mieux  justifié;  j'admets 
encore  qu'il  voulait  composer  une  apologie  sentimentale  et  non 
intellectuelle,  une  sorte  de  Génie  du  christianisme  d'allure  plus  sévère; 
le  rapprochement,  il  est  vrai,  me  paraît  plutôt  cruel  pour  l'auteur  des 
Pensées,  sans  vouloir  médire  du  grand  romantique.  S'ensuit-il  que 
l'ouvrage  ainsi  conçu  aurait  pu  conserver  après  deux  siècles  une 
valeur  quelconque?  A-t-on  vraiment  le  droit  de  voir  un  travail  d'exé- 
gèse dans  cet  Abrégé  de  la  vie  de  Jésus,  imhanon  libre  d'un  traité  de 
Jansénius?  Autant  tenter  la  défense  des  théories  des  physiciens  du 
xvii«  siècle.  L'homme  qui  a  écrit  quelque  part  que  les  contradictions 
de  l'Écriture  en  marquaient  la  vérité,  pouvait  être  un  admirable  géo- 
mètre; il  n'avait  pas  la  moindre  idée  de  ce  qu'on  appelle  la  critique 
historique.  Enfin  le  fait  seul  de  citer  un  livre  aussi  misérable  que  le 
Pugio  Jidei  de  Raimond  Martin,  suffirait  à  prouver  combien  Pascal 
ignorait  toutes  ces  questions  théologiques.  Au  surplus,  toutes  ces 
apologies  sont  choses  bien  inutiles;  elles  n'ont  jamais  converti  per- 
sonne. 

En  somme,  c'est  la  partie  philosophique  des  Pensées  qui  seule  a 
vécu  et  que  seule  on  lit  aujourd'hui,  et  c'est  sur  ce  dernier  point  qu'il 


d'histoire  et  de  littérature  35 

paraît  utile  d'insister.  M.  G.  analyse  longuement  la  théorie  des  trois 
ordres    :    matière,    pensée    et   grâce  formulée   à   plusieurs  reprises 
par  Pascal  et  y  voit  toutes  sortes  de  choses;  l'explication  des  deux 
infinis  de  grandeur  et  de  petitesse,  les  développements  sur  la  grandeur 
et  la  bassesse  de  l'homme  lui  paraissent  de  tous  points  convaincants, 
et  il  va  jusqu'à  dire  quelque  part  que  sans  la  foi,  Pascal  se  fût  montré 
en  politique  plus  hardi  qu'un  Jean-Jacques  et  «  que  certaines  de  ses 
formules   pourraient   conduire  au    nihilisme    et   à  la  plus  complète 
anarchie  »  (p.  175).  Cette  appréciation  nous  paraît  fortement  exagérée. 
Je  ne  sais  trop  ce  qu'un  physicien  moderne  dirait  de  la  page  célèbre 
sur  les  deux  infinis;  mais   pour  les  pensées  sur  l'injustice  des  lois 
sociales,  ce  ne  sont  que  boutades  sans  grande  portée;  la  forme   est 
de  Pascal  et  elle  est  admirable,  mais  le  fond  est  tout  ce  qu'il  y  a  de 
plus  banal  et  n'appartient  à  personne.   L'auteur  a  forcé  sa  pensée, 
pour  amener  le  lecteur  à  reconnaître  avec  lui  que  sans  la  religion 
tout   n'est  que  vanité  et  concupiscence.   Ce  sont   des  réflexions  de 
théologien,  de  prédicateur,  de  moraliste  si  on  veut,  mais  non   des 
arguments  de  philosophe.  —  Un  peu  plus  loin,  M.  G.   affirme  que 
de  tous  les  grands  esprits  du  xvii^  siècle,  Pascal  serait  le  moins  dé- 
-paysé  parmi  nous;  puis  il  établit  un  parallèle  entre  les  idées  philoso- 
phiques de  son  auteur  et  le  système  de  Kant;  p.   228,  il  estime  que 
Pascal  était  un  manieur  d'hommes  de  la  race  des  César,  des  Richelieu 
et  des  Napoléon  (singulière  manière  à  coup  sûr  de  faire  l'éloge  d'un 
grand  esprit)  ;  p.  209,  rappelant  une   phrase  où  Gœthe  exprime  une 
opinion  très  défendable,  il  dit  dédaigneusement  «  que  les  Gœthe  ne 
sont  pas  plus  faits  que  les  Voltaire  pour  comprendre  Pascal.  »  Enfin 
parlant  à  la  fin  de  son  livre  de  l'influence  exercée  par  ce  dernier  jus- 
qu'à nos  jours,  il  retrouve  trace  de  cette  influence  à  peu  près  partout 
et  termine  «  en  félicitant  nos  contemporains  de  tenir  davantage  à  pas- 
ser pour  des  fils  de  Pascal  que  pour  des  fils  de  Voltaire  '  ». 

En  un  mot  c'est  un  panégyrique  complet,  et  glissant  sur  le  jansé- 
nisme de  son  auteur,  M.  Giraud  s'efforce  de  faire  du  défenseur 
passionné  de  Port-Royal,  de  l'ami  d'Arnauld  un  catholique  de  nos 
jours.  Il  y  aurait  trop  à  dire  sur  ce  point;  il  nous  paraît  plus  utile 
d'insister  sur  une  confusion,  volontaire  ou  involontaire,  bien  souvent 
commise  touchant  les  Pensées.  Elle  provient  de  ce  fait  que  la  plu- 
part des  lecteurs  de  ce  livre  (je  fais  exception  pour  quelques-uns,  dont 
M.  Giraudj,  la  plupart  des  Pascaliens   modernes  n'en  pratiquent  et 

1.  Voltaire  n'a  pas  besoin  d'être  défendu  contre  le  dédain  de  M.  Giraud;  il  n'est, 
il  est  vrai,  guère  en  faveur  par  ce  temps  de  réaction  intellectuelle  et  morale,  mais 
son  œuvre  suffit  à  le  justifier,  cette  œiivre  dont  le  monde  moderne  vit  encore, 
quoi  qu'on  en  dise.  Quant  à  sa  philosophie,  elle  était  bien  aussi  originale  que  celle 
de  Pascal,  empruntée  tout  entière  à  Montaigne,  et  j'avoue  préférer  le  défenseur  de 
Calas  et  de  Sirven  à  l'homme  d'esprit  eu  somme  un  peu  étroit,  qui  damnait  le 
monde  entier  sur  un  verset  de  S,  Paul  mal  compris. 


36  REVUE    CRITIQUE 

n'en  citent  qu'une  partie.  Dans  toutes  les  éditions,  sauf  celle  de 
M.  Michaut,  Touvrage  se  divise  en  deux  sections,  de  valeur  et  d'inté- 
rêts inégaux;  la  première  philosophique  et  morale,  merveilleuse  de 
stvle,  pleine  de  réflexions  profonde  et  primesautières,  de  développe- 
ments magnifiques,  l'autre,  la  plus  longue,  où  Pascal  s'occupe  de 
questions  théologiques,  et,  n'en  déplaise  à  certains  critiques,  cette 
seconde  partie  est  inférieure  de  forme  et  aucun  théologien  sérieux 
ne  peut  en  discuter  le  fond.  Pascal  y  parle  de  questions  qu'il  con- 
naissait assez  mal,  et  il  emprunte  une  bonne  part  de  ses  raisonne- 
ments à  ce  méchant  traité  scolastique  de  Pugio  fiJei,  peu  estimé  et 
peu  copié  dès  le  moyen  âge.  Sur  cent  lecteurs  des  Pensées,  combien 
ont  lu  ces  pages  insipides  ?  La  plupart  des  Pascaliens  s'en  tenant  à  la 
première  partie,  on  s'explique  la  fortune  de  cette  hypothèse  inadniis- 
sible  d'un  Pascal  sceptique  à  ses  heures.  C'était  bien  au  contraire  le 
croyant  le  plus  déterminé  de  son  temps  et  tous  ces  arguments  d'école 
empruntés  à  Montaigne,  mais  revêtus  par  lui  d'une  forme  si  person- 
nelle et  si  saisissante,  n'étaient  sous  sa  plume  qu'un  moyen  d'humilier 
la  raison  humaine  et  de  préparer  l'àme  de  ses  lecteurs  à  recevoir 
docilement  la  foi.  C'est  cette  partie  des  Pensées  qu'on  lit  encore 
aujourd'hui  et  qu'on  lira  tant  qu'il  y  aura  des  amoureux  de  la  belle 
langue,  et  non  les  développements  pénibles  et  à  peine  ébauchés  sur  les 
mvstères,  les  figures  et  les  miracles. 

Une  dernière  réflexion  pour  finir;  l'église  catholique  aujourd'hui 
essaie  visiblement  de  faire  servir  à  ses  fins  cet  illustre  pe'nseur  si 
longtemps  tenu  pour  suspect  ;  c'est  sans  doute  une  bonne  tactique. 
Mais  les  catholiques  du  xix«  siècle  paraîtraient  peut-être  des  chrétiens 
bien  relâchés  à  ce  sectaire  intraitable,  qui  éprouverait  sans  doute 
aussi  quelque  étonnement  à  se  savoir  lu  et  prôné  par  tant  de  pessi- 
mistes et  de  dilettantes  découragés. 

A.    MOLINIER. 


Bibliothèque  de  Bibliographies  critiques  publiées  par  la  Société  des  Etudes 
historiques  avec  le  concours  des  écrivains  les  plus  compétents.  —  Paris,  Fon- 
temoing  '. 

La  publication  entreprise,  sous  les  auspices  de  la  Société  des  Etudes 
historiques,  par  M.Franiz  Funck-Brentano,  le  savant  sous-bibliothé- 
caire de  l'Arsenal,  sera  certainement  accueillie  parles  travailleurs  avec 
sympathie  et  gratitude.  Elle  vient  on  ne  peut  mieux  à  propos  dans  un 
moment  où,  partout,  on  cherche  ardemment  à  rendre  plus  prompte, 
plus  abondante  et   plus  commode  l'information  bibliographique.  La 


I.  Voir  sur  les  récents  congrès  bibliographiques,  l'article  de  M.  Funck-Brentano, 
dans  la  Revue  des  Deux-Mondes,  i«'  janvier  1898. 


d'histoire  et  de  littérature  3/ 

collection,  toujours  ouverte,  accueillera,  —  la  liste  des  fascicules  déjà 
donnés  ou  annoncés  en  fait  foi,  —  les  matières  les  plus  diverses  : 
sciences,  histoire,  littérature,  sociologie,  beaux-arts.  Et  ce  que  le 
prospectus  n'annonce  pas,  mais  ce  que  promet  formellement  l'intro- 
duction (récemment  parue  dans  une  livraison  particulière)  du  direc- 
teur de  la  collection,  c'est  que  l'on- a  le  ferme  dessein  de  tenir  an  cou- 
rant ces  bibliographies.  Aussitôt  que,  sur  un  des  sujets  déjà  traités, 
le  nombre  des  livres  ou  articles  publiés  sera  suffisant,  aussitôt  un  fasci- 
cule, —  ou  même,  une  simple  feuille  de  supplément  viendra  s'ajouter 
et  pourra  s'annexer  à  la  bibliographie  déjà  parue,  «  qu'elle  complé- 
tera et  mettra  à  jour  '  «.  Et  c'est  là  l'important.  Peu  importerait  que 
ce  répertoire  embrassât  le  plus  grand  nombre  possible  de  matières,  s'il 
ne  devait  pas  suivre  le  mouvement  de  la  production  scientifique;  et, 
le  suivre  non  pas  de  loin,  mais  d'aussi  près  que  possible.  J'insiste,  car 
comme  l'a  fort  bien  dit  M.  Ch.  Mortet,  cette  mise  au  courant  par  des 
«  éditions  successives  »  ou  des  compléments  fréquents  est  la  «  condi- 
tion »  sine  qiia  non  de  l'utilité  de  ces  répertoires  bibliographiques. 
Que  cette  condition  se  réalise,  et  la  Bibliothèque  de  bibliographies 
critiques  deviendra,  pour  toutes  les  bibliothèques,  privées  ou  publi- 
ques, l'outil  indispensable. 

Aussi  est-il  bon  de  se  demander  déjà,  —  en  vue  de  cette  besogne  de 
continuation  qui  peut,  dès  demain,  avoir  à  commencer,  —  si  ces 
compléments  successifs  ne  devront  pas  différer  quelque  peu  des 
bibliographies  de  début  qui  viennent  de  paraître  ou  vont  paraître. 

Dans  ces  bibliographies  de  premier  établissement,  où  les  rédacteurs 
se  trouvent  en  présence  d'une  littérature  déjà  vieille  parfois  de  plusieurs 
siècles,  un  choix  très  rigoureux  s'impose.  Dans  les  suites,  il  faudra, 
ce  me  semble,  être  complet.  Non  pas  que  les  bibliographies  ultérieures 
doivent  cesser  d'être  critiques;  non  pas  qu'il  faille  en  revenir  à  cette 
conception  étroite  et  inutile  de  la  bibliographie-catalogue,  que 
M.  Henri  Stein  a  si  justement  et  spirituellement  stigmatisée  dans  l'in- 
troduction de  son  magistral  traité  de  Bibliographie  générale;  «  la  cri- 
tique, dit-il,  avec  raison,  doit  être  un  des  éléments  constitutifs  de  la 
science  bibliographique  ».  Mais  un  catalogue,  même  complet,  peut 
être  critique.  Tout  en  s'imposant  d'enregistrer  tout  ce  qui  concerne  sa 
matière,  —  parce  qu'il  sait  que  cette  fidélité  et  cette  abondance  sont 
requises  de  lui  par  les  travailleurs  scrupuleux,  toujours  inquiets  d'être 
mal  instruits,  parce  qu'il  sait  aussi  qu'il  n'y  a  si  mauvais  livre  dont  on 
ne  puisse  tirer  profit,  —  le  bibliographe  n'est  pas  tenu  d'enregistrer 
passivement,  sur  le  même  plan  et  le  même  rang,  les  productions  que 
la  librairie  lui  apporte.  Dans  ces  continuations  dont  je  parle,  sa  criti- 
que devra,  je  pense,  s'exercer  non  pas  par  pure  et  simple  élimination 


I.  Introduction,  par  Fr.  Frunck  Brentano,  p.  5, 


'^S  REVUE  RITIQUE 

d'ouvrages  jugés  par  lui  insuffisants,  mais  par  l'indication  de  leur  in- 
suffisance. 

Que  si  Ton  objectait,  —  et  en  effet,  il  faut  tout  prévoir,  —  que  ces 
notes,  sévères  au  besoin,  exposeraient  la  Bibliothèque  et  ses  rédac- 
teurs à  des  réclamations  de  la  part  d'auteurs  susceptibles,  nous  répon- 
drons qu'il  y  a  bien  des  façons  de  formuler  ces  appréciations,  ne  fût- 
ce  que  par  les  «  astérisques  »  dont  M.  Gabriel  Monod,  entre  autres, 
s'est  servi  (dans  son  excellente  Bibliographie  de  rHistoire  de  France). 
J'ajoute  qu'il  y  aurait  peut-être  un  moyen  d'améliorer  encore  et  de 
rendre  plus  précieuse  cette  partie  critique  :  ce  serait,  —  pour  les  livres 
qui  auraient  été  l'objet  de  comptes  rendus  critiques  dans  les  revues 
spéciales,  —  de  mentionner  ces  articles. 

Pour  ce  qui  est  du  j?/a;ï  de  ces  bibliographies,  la  tolérance  des  direc- 
teurs de  la  collection  s'annonce  tout  à  fait  large,  —  trop  large  à  notre 
avis,  —  «  La  Société  n'a  pas  voulu  imposer  à  ses  collaborateurs  un  plan 
trop  nettement  limité,  trop  rigoureusement  défini.  »  Je  ne  sais  si  elle  a 
raison,  et  si  la  variété  des  conceptions  individuelles  ne  lui  ménagera 
pas  quelques  surprises  peut-être  regrettables.  Je  suis  convaincu  que 
les  collaborateurs  distingués  auxquels  elle  fait  appel  accepteraient 
sans  rechigner  la  servitude  tris  supportable  d'une  uniformité  plus 
sévère.  Ils  savent  tous  combien  il  est  souhaitable  que  les  recherches 
bibliographiques  soient  facilitées  et  abrégées;  que  les  chercheurs  se 
rebuteront,  s'il  leur  faut,  avant  de  consulter  un  de  ces  répertoires,  se 
rendre  compte  de  l'arrangement  particulier  où  les  documents  y  sont 
rangés  et  des  principes  variables  qui  auront  inspiré  cet  arrangement  ; 
que  les  bibliothécaires,  comme  les  travailleurs,  comme  les  bibliophiles, 
useront  beaucoup  plus  volontiers  des  «bibliographies  critiques  ^),  s'ils 
savent  qu'ils  peuvent  y  recourir  à  coup  sûr,  presque  les  yeux  fermés, 
avec  la  certitude  de  trouver  dans  le  même  ordre  et  la  même  succession 
—  autant  qu'il  est  possible,  —  les  renseignements  dont  ils  ont  besoin. 
Non  pas,  bien  entendu,  et  il  est  à  peine  besoin  de  le  dire, —  que  toutes 
ces  bibliographies  puissent  être  construites  sur  un  plan  identique  :  la 
diversité  des  sujets  traités  s'y  refuse  trop  évidemment,  —  mais  peut- 
être  pourrait-on  fixer  sans  trop  de  peine,  pour  chacun  des  genres  de 
sujets  possibles  (il  n'y  en  a  pas  tellement),  un  certain  nombre  de  plans 
généraux, où  la  distribution  des  matières  serait  subordonnée  à  quelques 
principes,  de  chronologie  ou  de  logique,  incontestables.  J'aurai  préci- 
sément l'occasion  de  formuler  cette  observation  à  propos  de  la  biblio- 
graphie de  Bossuet  due  à  M.  l'abbé  Urbain,  qui  forme  le  troisième 
fascicule  de  la  Bibliothèque. 

Enfin  les  éditeurs  me  permettront,  en  terminant,  un  desideratum 
d'ordre  matériel.  Que  la  disposition  typographique  soit  plus  nette  et 
plus  uniforme  ;  tantôt  plus  ramassée,  tantôt  plus  aérée  au  contraire. 
Que  les  titres  des  ouvrages  mentionnés  soient  rédigés  d'une  façon 
identique,  et  toujours  correcte  (je  ne  dis  pas  complète),  au  point  de  vue 


d'histoire  et  de  littérature  .39 

bibliographique.  Que  l'emploi  des  capitales,  des  italiques,  des  chiffres 
arabes  ou  romains  soit  régulier  et  constant.  Ce  ne  sont  pas.  là  des 
-questions  de  coquetterie.  Toutes  ces  menues  précautions  readent. la 
consultation  plus  facile,  et  rien  de  ce  qui  économise  le  temps  n'est  indif- 
férent à  la  science.  ...  : 

Alfred  Rébellial-.     .  /.;: 


Ch.  V.  L.vNGLois. La  question  da  l'enseignement  secondaire  en  France  et  à 
l'étranger.  Paris,  Georges  Bellais,   1900.  ln-12,  i38  p.  Prix  i  tV.  5o. 

Il  est  bien  vrai,  comme  l'observe  M.  Langlois,  que  les.  innom- 
brables écrits  consacrés  à  la  question  de  l'enseignement  secondaire 
contiennent  mille  redites  fastidieuses  et  qu'il  y  a  tout  intérêt  à  résumer 
une  bonne  fois  les  thèses  et  les  arguments  en  présence.  Il  n'est  pas 
moins  vrai  qu'on  a  tort  de  s'occuper  de  ces  questions  sans  s'informer 
de  leur  état  à  l'étranger  —  d'ignorer,  par  exemple,  que  la  lutte  entre 
l'humanisme  et  le  réalisme  n'est  pas  moins  ardente  en  Angleterre  et 
en  Allemagne  que  chez  nous.  Parfaitement  xenseigné,  hostile  à  toute 
phraséologie  vaine,  M.  L.  a  su  condenser  en  i3o  petites  pages  tout 
ce  qu'il  y  a  d'essentiel  à  dire  sur  ces  problèmes  complexes  :  l'ensei- 
gnement des  langues  anciennes,  le  baccalauréat,  la  bifurcation,  l'édu- 
èâtion  dans  ses  rapports  avec  l'instruction,  l'internat,  etc.  Il  ne  prétend 
pas  offrir  à  son  tour  une  panacée  et  se  contente  d'une  solution  qui 
est  plutôt  l'indication  d^one  voie  à  suivre.  Ce  qu'il  demande,  c'est 
«  l'éducation  philosophique  et  pédagogique  des  maîtres  »,  afin  qu'ils 
deviennent  non  seulement  les  instituteurs  de  la  jeunesse,  mais  les 
directeurs  et  les  contrôleurs- de  la  conscience.  Fort  bien  ;  mais  Jes 
professeurs  ecclésiastiques  enseignent,  éduquent  et  dirigent  au  nom 
d'un  credo  formulé  depuis  longtemps,  à  la  lumière  de  principes  qui 
peuvent  être  absurdes,  mais  qui  ne  manquent  pas  de  précision  ;  où 
veut-on  que  les  maîtres  laïques  trouvent  l'équivalent  de  cette  norma 
vitae?  On  conçoit  la  conclusion  presque  désespérée  de  M.  Nerrlich, 
demandant  qu'une  commission  prussienne  arrête  les  termes  d'un 
nouveau  credo  religieux,  à  l'usage  de  ceux  que  les  credos  anciens  ne 
satisfont  pas.  Mais  comme  cela  n'est  pas  raisonnable,  il  faut  chercher 
et  trouver  autre  chose;  c'est  là.  un  ordre  de  considérations  essen- 
tielles que  M.  L.  a  quelque  peu  négligé.  Sans  doute,  le  credo  de 
l'éducateur  laïque  peut  s'inspirer  à  la  fois  de  l'idée  de  l'utilité  sociale 
et  de  celle  de  la  critique  scientifique  ;  il  tirerait  une  morale  civique  de 
l'une  et  une  hygiène  intellectuelle  de  l'autre.  Un  enseignement  fondé 
sur  ces  bases  n'est  pas  difficile  à  concevoir  in  abstracto  ;  mais  on 
frémit  en  songeant  aux  obstacles  qu'il  rencontrerait  dans  la  pratique, 
surtout  dans  les  pays  d'obédience  romaine.  Ce  serait,  pendant  une 
génération  au  moins,  un  enseignement  de  combat,  iconoclaste,  point 


40  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

de  mire  des  Veuillot  et  même  des  Jules  Simon,  qui  le  poursuivraient 
de  leur  haine  ou  de  leurs  épigrammes  ;  on  aurait  vite  fait  de  le 
qualifier  de  maçonnique,  d'antichrétien,  d'athée,  etc.  Qu'on  se  sou- 
vienne de  Taccueil  fait  autrefois  à  l'innocent  Manuel  de  Paul  Bert,  ou 
qu'on  prête  l'oreille  aux  clameurs,  non  encore  assoupies,  faisant  un 
crime  à  la  troisième  République  d'avoir  «  chassé  Dieu  de  l'école!  » 

Aussi  bien,  M.  Langlois  ne  se  paye-t-il  guère  d'illusions;  il  reconnaît 
que  la  réforme  des  mœurs  publiques  devrait  précéder  celle  de  l'ensei- 
gnement et  que  la  première  de  ces  réformes  ne  peut  résulter  d'un  vote 
parlementaire.  Il  est  donc  probable  qu'on  s'abstiendra  de  toute  modi- 
fication radicale  ;  on  laissera  l'humanisme  dépérir  lentement  et  l'on 
attendra  que  le  temps  et  la  force  des  choses  introduisent  dans  notre 
enseignement  des  formules  nouvelles.  Car  —  et  c'est  là  un  motif  de 
ne  pas  désespérer  —  les  méthodes  et  les  doctrines  pédagogiques 
évoluent  comme  tout  le  reste,  indépendamment  des  faiseurs  de  pro- 
grammes, des  novateurs  et  des  réactionnaires;  l'accommodation  des 
institutions  et  des  mœurs  aux  nécessités  des  temps  est  parfois  lente, 
mais  elle  finit  toujours  par  se  produire,  ce  qui  est  nuisible  ou  stérile 
étant  peu  à  peu  éliminé.  Le  seul  fait  que  la  conception  humaniste  est 
déjà  ancienne  permet  d'en  présager  la  ruine  prochaine  ;  le  même 
motif  nous  oblige  de  croire  à  l'avenir  de  l'enseignement  réel,  qui, 
d'ailleurs,  ne  ressemblera  pas  à  notre  enseignement  moderne,  huma- 
nisme sans  toge  et  sans  perruque,  mais,  au  demeurant,  non  moins 
érasmien  que  son  rival. 

Salomon  Reinach. 


ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du   2g  juin  i  goo. 

L'Académie  procède  à  l'élection  d'un  membre  de  la  Commission  centrale  admi- 
nistrative :  M.  Croisct  est  élu;  —  d'un  membre  de  la  Commission  des  inscriptions 
et  médailles  :  M.  Cagnat  est  élu;  —  et  d'un  membre  de  la  Commission  des  travaux 
littéraires  :  M.  Gaston  Paris  est  élu. 

L'Académie  dcsii^ne  comme  lecteur  à  la  séance  publique  annuelle  M.  Ed.  Pottier. 

M.  d'Arbois  de  Ju'nainville  donne  lecture  d'un  rapport  sur  les  diplômes  de  Charles 
le  Chauve  recueillis  et  étudies  par  M.  Giry. 

M.  Philippe  Berger  communique  un  nouveau  rasoir  portant  une  inscription 
punique  que  lui  a  cnroyc  le  R.  P.  Delattre.  Celte  petite  inscription  porte  le  nom 
du  défunt,  suivi  d'une  formule  pieuse,  invoquant  sur  lui  la  protection  d'Astarté. 
M.  Berger  insiste  sur  le  grand  service  qu'a  rendu  le  marquis  d'Anselme,  en  décos- 
sant  avec  des  soins  intinis  tous  ces  petits  rasoirs. 

(A  suivre)  Léon  Dorez. 

Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 
Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23, 


REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 


N"  29  -  16  juillet  -  1900 


V.  Meunier,  Les  ancêtres  d'Adam.  —  Testament  du  Seigneur,  p.  Raiimani.  —  Ur- 
bain, Bossuet.  —  SvvETON,  Louis  XIV  et  Charles  XII.  —  Bertrin,  La  sincérité 
religieuse  de  Chateaubriand.—  P.  Brln,  Henry  Beyle-Stendhal.  —  Faguet,  His- 
toire de  la  littérature  française.  —  Académie  des  inscriptions. 


Victor  Meunier.  Les  ancêtres  d'Adam.  Histoire  de  l'homme  fossile.  Edition 
A.  Thieulien.  Paris,  Fischhacher.   19(^11.  In-.S,  xx.\iv-3i2  p. 

En  1875,  un  éditeur  de  Paris  fît  imprimer  un  ouvrage  de  M.  Victor 
Meunier  sur  la  découverte  de  Thomme  fossile  et  l'histoire  du  veto 
académique  dont  les  idées  de  Boucher  de  Perthes  ont  pendant  long- 
temps été  l'objet.  Le  livre  achevé,  l'éditeur  fut  effrayé  de  sa  hardiesse 
et  le  mit  au  pilon.  Un  exemplaire,  seul  échappé  du  naufrage,  restait 
entre  les  mains  d'un  fils  de  l'auteur.  En  1900,  un  passionné  de  l'âge 
de  la  pierre,  M.  Thieulien,  en  apprit  l'existence  et  le  fit  réimprimer  à 
ses  frais.  M.  V.  M.  a  surveillé  la  réimpression,  mais  a  laissé  subsister 
le  texte  tel  qu'il  l'avait  écrit  il  y  a  vingt-cinq  ans.  Dans  l'intervalle  ont 
paru  l'excellente  biographie  de  Boucher  de  Perthes  par  Alcius  Ledieu 
et  le  beau  chapitre  du  livre  de  White,  A  history  of  the  ivarfare  of 
science  with  theology,  intitulé  From  Genesis  to  geology  (t.  I,  p.  2Qg- 
247).  —  Une  monographie  de  la  controverse  d'où  l'hypothèse  de 
l'homme  fossile  est  sortie  victorieuse  reste  à  écrire  avec  le  détail  que 
comporte  la  haute  importance  du  sujet.  Mais  celui  qui  l'entrepren- 
dra pourra  se  dispenser  de  recourir  aux  trois  volumes  de  Boucher 
de  Perthes  et  à  toute  la  littérature  polémique  qu'ils  ont  soulevée  en 
France  ;  le  chapitre  relatif  au  chercheur  original  d'Abbcville  a  été 
écrit,  d'une  manière  exacte  et  divertissante,  par  M.  Victor  Meunier  '. 

S.  R. 


i.  Il  est  injuste  de  reprocher  à  l'Académie  des  Sciences  d'avoir  montré  tant 
d'indilTcrencc  hostile  en  présence  des  découvertes  de  Boucher  de  Perthes,  sans 
faire  la  part  des  graves  défauts  de  cet  homme,  qui  exposa  toujours  ses  idées  de  la 
manière  la  plus  confuse.  Ce  qui  arriva  à  Boucher  de  Perthes  faillit  se  répéter  lors 
des  découvertes  de  Schliemann  ;  dans  l'une  et  l'autre  occurrence,  la  «  science 
officielle  »  ne  fut  pas  seule  à  blâmer. 


Nouvelle  série  L.  19 


42  REVUE    CRITIQUE 

Testamentum  Domini  nostri  Jesu  Christi.  nunc  primum  edidit,  latine  reddidit 
Cl  illuslravil  Ipnalius  Ephracni  II  Raumani,  patriarcha  antiochenus  Syrorum.  — 
Moguntiœ  ;  sumptibus  F'r.  Kirchheim,  1899;  grand  in-8,  pp.  411-231. 

Mgr  Rahmani  annonçait  depuis  deux  ans  la  publication  d'un  docu- 
ment de  premier  ordre,  dans  lequel  étaient  consignées  les  lois  disci- 
plinaires de  l'Église,  la  profession  de  foi,  les  formules  liturgiques  en 
usage  à  l'époque  voisine  des  Apôtres.  L'ouvrage  est  loin  de  répondre 
à  cette  promesse.  Le  bruit  exagéré  fait  autour  de  cette  publication 
avant  qu'elle  n'ait  vu  le  jour  et  la  déception  qui  en  est  résultée  sont 
peut-être  la  cause  de  la  sévérité  avec  laquelle  elle  a  été  jugée  par 
quelques  critiques.  A  la  vérité,  si  l'ouvrage  ne  répond  pas  aux  pro- 
messes de  l'éditeur  il  est  néanmoins  intéressant  et  méritait  à  plus 
d'un  titre  d'être  publié. 

L'apocryphe  intitulé  Testament  du  Seigneur  forme  les  deux  pre- 
miers livres  '  d'une  compilation  syriaque  conservée  dans  plusieurs 
manuscrits  et  dont  Lagarde  avait  déjà  donné  un  fragment  dans  se^ 
Reliquiae  juris  ecclesiastici.  L'ouvrage  a  primitivement  été  composé 
en  grec  et  fut  traduit  en  syriaque  par  le  célèbre  Jacques  d'Edesse,  en 
l'an  687  de  notre  ère. 

La  publication  de  Mgr  R.  comprend  trois  parties  :  l'introduction, 
le  texte  avec  traduction  latine  du  document,  et  une  série  de  disserta- 
tions sur  divers  points  de  discipline. 

Dans  l'introduction  l'éditeur  s'efforce  de  prouver  que  le  Testament 
remonte  au  11=  siècle.  Le  point  de  départ  de  l'argumentation  est  fondé 
sur  les  rapports  entre  ce  document  et  les  Constitutions  apostoliques. 
Selon  l'éditeur,  le  Testament  serait  la  source  de  ces  dernières.  Mais 
c'est  justement  l'inverse  qui  ressort  de  la  comparaison,  et  cela  avec 
une  telle  évidence  qu'aucun  des  critiques  qui  ont  examiné  la  question 
n'a  songé  à  émettre  le  moindre  doute  à  ce  sujet.  Des  Constitutions  au 
second  siècle,  il  y  a  encore  une  grande  distance.  Mgr  R.  la  franchit 
par  une  série  d'affirmations  gratuites,  ou  d'arguments  négatifs  qui 
n'ont  aucune  force  probante.  Nous  ne  pouvons  ici  les  reprendre  un  à 
un.  La  lecture  du  document  suffit  à  montrer  que  la  composition  ne 
peut  en  être  reculée  au-delà  du  v«,  ou  tout  au  plus  à  la  fin  du 
iv«  siècle. 

Le  premier  livre  débute  par  une  apocalypse.  Le  Christ  ressuscité 
prédit  à  ses  apôtres  les  signes  de  la  fin  du  monde.  Nous  pensons 
pour  notre  part  que  toutes  les  apocalypses  ont  à  leur  base  une  donnée 
réelle,  souvent  difficile  à  distinguer  à  cause  des  images  confuses  dont 
l'auteur  l'a  intentionnellement  enveloppée.  Je  crois  qu'ici  il  faut 
reconnaître  dans  les  «  princes  de  même  race  qui  ne  s'accordent  pas  entre 

1.  Le  111'  livre  contient  la  Constitution  ecclésiastique  apostolique  ;  les  livres  I\'- 
VII,  sont  formes  d'extraits  du  Ville  livre  des  Constitutions  apostoliques,  et  le  \'III': 
contient  les  soi-disant  Canons  des  Apôtres. 


d'histoire  et  de  littérature  43 

eux  »,  les  fils  de  Constantin,  et  dans  «   le  prince  étranger  qui  vient  de 
rOccident  »,  Julien  l'Apostat  '. 

Après  avoir  donné  les  signes  de  la  fin  du  monde,  le  Christ  présente 
à  ses  apôtres  un  tableau  des  institutions  ecclésiastiques  qu'ils  doivent 
prêcher  et  établir  ;  on  trouve  siiccessivement  la  description  d'un 
édifice  religieux,  évidemment  calquée  sur  le  modèle  des  grandes 
basiliques  constantiniennes  (^  XIXj,  les  règles  de  l'élection  et  de 
l'ordination  des  évèques,  de  la  célébration  des  offices,  avec  une 
très  intéressante  et  très  complète  description  de  la  liturgie  eucharis- 
tique i'§  XXIII  sqq.),  enfin,  les  règles  de  l'ordination  des  autres  mem- 
bres de  la  hiérarchie  :  prêtres,  diacres,  veuves,  sous-diacres,  lecteurs, 


vierges. 


Le  second  livre  est  consacré  aux  laïques  et  aux  catéchumènes  et 
expose  en  grands  détails  les  rites  du  baptême. 

Dans  les  dissertations  qui  suivent  (pp.  1 52-221  ),  Mgr  R.  résume 
systématiquement  les  données  du  Testament  sur  la  description  des 
églises,  la  hiérarchie,  la  liturgie  de  la  messe,  les  fêtes,  les  Jeûnes  ',  la 
prière  publique  et  privée,  le  baptême.  On  regrettera  que,  citant  cons- 
tamment l'ouvrage,  il  n'ait  pas  indiqué  la  page  des  passages  auxquels 

1.  Je  ne  puis  développer  ici  cette  thèse,  ni  répondre  aux  objections  qu'elle  pour- 
rait soulever.  Cette  idée  m'est  venue  à  la  première  lecture  du  document,  depuis 
j'ai  trouvé  un  indice  tendant  à  la  confirmer.  Parmi  les  signes  qui  doivent  suivre 
la  venue  de  ce   prince  on  indique  :   signa  in  cœlo,....  asstus  maris  et  terras  rugitus 

(§VI);  draconum  generatio adspectus  (des    nouveau-nés)  uti  jam  provecto- 

rum  in  annis  :  cani  enim  erunt  qui  nascentur....  mulieres  parient  infantes  qua- 
drupèdes ',^  VII),  etc.  —  Or,  je  trouve  dans  la  Chronique  de  Michel  le  Syrien  (fol. 
148-151  de  mon  manuscrit)  que  sous  le  règne  de  Valens  il  y  eut  des  tremblements 
de  terre  extraordinaires,  la  mer  déborda  d'une  façon  inaccoutumée,  et  «on  vit  dans 
les  airs  des  hommes  qui  avaient  l'apparence  de  gens  armés.  11  naquit  à  Antioche 
un  enfant  qui  n'avait  qu'un  œil  au  milieu  du  front, avec  quatre  mains,  quatre  pieds 
et  de  la  barbe  ».  Ces  récits  sont  d'ailleurs  empruntés  en  partie  à  Socrate  (H.  E. 
IV,  ni;.  L'auteur  ferait  donc  allusion  ii  des  événements  qui,  selon  la  tradition  des 
syriens,  se  seraient  passés  dans  la  seconde  moitié  du  w"  siècle.  L'expression 
alienigena  signifierait  simplement  que  Julien  n'était  pas  de  la  descendance  directe 
de  Constantin. 

2.  A  propos  du  jeûne  il  y  a  dans  le  Testament  une  expression  embarrassante 
dont  le  vrai  sens  ne  sera  peut-être  fixé  que  par  la  découverte  du  texte  grec  original. 
Il  est  dit  à  plusieurs  reprises  de  l'évèque  «  Jejunet  tribus  tribus  diebus  per  totum 
annum  »  p.  33),  l'expression  syriaque  a  le  sens  distributif  et  signifie  tous  les  trois 
jours,  ou  chaque  trois  jours.  Si  la  traduction  est  fidèle,  cela  parait  devoir  s'entendre 
du  mercredi  et  du  samedi.  En  tous  cas,  elle  ne  peut  signifier,  comme  Tinterprètc 
l'éditeur,  »  tribus  diebus  singula.-  hebdomadis  »  qu'en  supposant  une  faute  de  tra- 
duction. P.  3.T,  il  est  dit  que  l'évèque  offrira  le  sacrifice  »  seulement  le  samedi 
(usage  qui  n'est  pas  antérieur  au  iv»  siècle)  ou  le  dimanche  et  le  jour  de  jeûne  ». 
P.  159,  l'éditeur  dit  que  les  trois  jours  étaient  le  lundi,  le  mardi  et  le  jeudi. 
Comme  d'autre  part  le  jeûne  du  mercredi  et  du  vendredi  était  d'un  usage 
général,  l'évèque  aurait  ainsi  été  tenu  au  jeûne,  au  moins  cinq  jours  par  semaine. 
Si  l'expression  originale  signifiait  réellement  trois  jours  par  semaine,  il  faudrait 
plutôt  l'entendre  du  mercredi,  vendredi  et  samedi. 


44  REVUE    CRITIQUE 

il  renvoie.  De  plus,  ces  dissertations  sont  influencées  par  l'idée  pré- 
conçue que  le  document  est  du  ii«  siècle,  ce  qui  a  parfois  amené  l'édi- 
teur à  fausser  le  sens  du  texte.  Ainsi,  pour  ne  citer  qu'un  exemple,  il 
aflirme  (p.  2o5;  qu'il  n'y  a  <«  aucune  mention  du  jeûne  quadragésimal  » 
(dont  l'institution  est  du  iv'  siècle]  bien  que  l'expression  syriaque 
rendue  par  quadraginta  paschœ  (p.  126)  n'ait  jamais  eu  d'autre 
sens. 

La  traduction  latine  est  très  généralement  exacte.  On  pourrait  lui 
reprocher  de  ne  pas  serrer  le  texte  d'assez  près,  et  de  vouloir  trop 
en  préciser  le  sens  par  l'addition  de  mots  explicatifs  qui  parfois  sont 
une  véritable  interprétation.  Un  document  de  cette  nature,  qui  doit 
être  mis  à  la  portée  des  hommes  versés  dans  la  critique  historique, 
demande  à  être  traduit  presque  servilement  '. 

Il  ne  faudrait  donc  pas  trop  argumenter  sur  les  mots  de  la  traduc- 
tion dans  les  passages  difficiles,  sans  un  contrôle  sérieux  du  texte. 

Celui-ci  est  imprimé  correctement.  Nous  devons  réparer  un  oubli 
de  l'éditeur  en  disant  qu'il  a  été  obligeamment  revu  par  M.  Guidi.  On 
aurait  désiré  y  voir  figurer  les  variantes  des  autres  manuscrits  que 
Mgr  R.  prétend  connaître,  et  aussi  les  références  bibliques  pour  les 
nombreux  passages  auxquels  l'ouvrage  fait  allusion. 

Malgré  ces  imperfections  de  détail  qui  seraient  sans  conséquence 
dans  un  ouvrage  de  tout  autre  nature,  la  publication  mérite  les  éloges 
et  l'attention  des  savants,  et  nous  espérons  que  l'accueil  défavorable 
qu'elle  a  reçu  de  quelques-uns  n'empêchera  pas  Mgr  Rahmani  de 
nous  donner  encore  quelques  autres  documents  de  sa  riche  biblio- 
thèque privée. 

J.-B.  Chabot. 


I.  Quelques  exemples  feront  comprendre  ma  pensée:  p.  7,1.  16-17.  Texpression 
que  l'auteur  traduit  :  «  inter  se  cognati  quidem  sed  non  tamen  sibi  invicem  consen- 
tientes  »,  pouvait  se  traduire  littéralement  :  «  ejusdem  generis  sed  non  ejusdem 
mentis  ».  — P.  25,  1.  12,  Y<on\: figura,  le  syriaque  donne  le  grec  typos ;  1.  18,  20 
(et  partout  ailleurs)  au  lieu  de  proto-dijcomis,  il  faut  archidiaconus.  —  P.  Iî5,  I.  24, 
«ut  et  ilii  cum  timoré  offerant  »,  peut-être  mieux  :  accédant  cf.  p.  59,  1.  i3).  — 
P.  I  33,  1.  23  :  «  si  quis  accipit  aliquod  donum  (i.  e.  cibum)  »  ;  le  mot  traduit  par 
donum,  signifie  miintis  dans  le  sens  le  plus  large  de  ce  mot,  «  cibum  »  est  une  inter- 
prétation restrictive  non  justifiée;  —  1.  25  :  <- eo  ipso  die  illud  donet,  si  autem  in 
crastinum  illud  apud  se  differt,  addat  aliquid  ex  suc  et  sic  donum  illud  auctum 
dct  »;  il  y  a  simplement  :  «  ....  donet  ;  si  autem  non,  die  crasiina  superaddat  ali- 
quid ex  suis  et  sic  dct  illud  ».  —  P.  i35,  1.  1-2,  Terreur  est  plus  grave  ;  au  lieu  de  : 
«  Feria  qiiinta  uîtimœ  hebdomadœ  paschœ  offeratur  panis  et  calix  :  »  il  faut  lire  : 
fl  Sabbatto  ultimo  paschœ  vesperis  dominicœ  'Restituez  :  [bcy]amsho  d[had]beshaba) 
offeratur  panis  ci  calix.  »  (Cf.  p.  126,  1.  5.)  Quant  aux  paroles  suivantes  que  l'édi- 
teur traduit,  en  avouant  ne  pas  comprendre  :  «  et  qui  passus  est  pro  eo  quod  ob- 
tulit,  ipsc  est  qui  accedit  »,  il  faut  les  traduire  :  «  et  qui  passus  et,  pro  eo  qui  ac- 
cedit,  ipse  offert.  »  ;  ce  qui  veut  dire  qu'il  n'y  avait  pas  d'offertoire  à  cette  messe, 
le  Christ  étant  censé  offrir  lui-même  ce  que  les  fidèles  avaient  coutume  de  pré- 
senter. 


d'histoire  et  de  littérature  45 

Bibliothèque  de  Bibliographies  critiques,  publiée  par  la  Société'  des  Etudes  histo- 
riques [fasc.  3|.  Bossuet.  par  Ch.  Urbain,  docteur  ès-lettres.  P.,  Alb.  Fonte- 
moing,  3i  p.  in-8. 

M.  Tabbé  Urbain  était,  parmi  les  travailleurs  qui  s'occupent  du 
xvii=  siècle,  un  des  plus  désignés  pour  faire  la  bibliographie  de 
Bossuet.  L'auteur  de  la  thèse  remarquée  sur  Coeffeteau  a  continué, 
depuis,  de  vivre  dans  la  littérature  et  l'histoire  de  ce  temps,  et,  sans 
parler  d'ouvrages  classiques  où  les  parties  qui  se  rapportent  à  nos 
grands  écrivains  sont  traitées  avec  précision  et  souvent  avec  nou- 
veauté, il  a  donné  à  la  Revue  d'histoire  littéraire  de  la  France 
et  à  la  Revue  du  Cierge',  plusieurs  articles  qui  ne  prouvent  pas  seule- 
ment son  érudition  fureteuse,  mais,  ce  qui  vaut  mieux,  le  sens  de  la 
critique  et  le  respect  absolu  des  faits,  \ussi  la  notice  bibliographique 
qu'il  a  faite  sur  Bossuet  est-elle,  dans  son  ensemble,  excellente.  Elle 
sera  indispensable  aux  étudiants,  aux  professeurs,  à  tous  ceux  qui  vou- 
dront se  reconnaître  et  dans  les  œuvres  de  Bossuet  et  dans  les  travaux 
que  ces  œuvres  ont  suscités. 

La  matière  était  considérable.  On  sait  que  l'abbé  Bourseaud  a  rem- 
pli aisément  un  volume  rien  qu'avec  «  l'histoire  et  la  description  des 
manuscrits  et  des  éditions  originales  des  ouvrages  de  Bossuet  ou  des 
traductions  qui  en  ont  été  faites  et  des  écrits  auxquels  ils  ont  donné 
lieu  à  l'époque  de  leur  publication  '.  »  M.  l'abbé  U.,  qui  descend  jus- 
qu'à nos  jours,  devait  faire  un  choix  rigoureux  dans  une  littérature  de 
plus  de  deux  siècles.  Il  l'a  fait  très  judicieusement,  et  parmi  ce  qu'il 
a  laissé  de  côté  je  ne  vois  guère  que  quelques  omissions  plus  ou 
moins  regrettables. 

1°  A  propos  de  la  Politique,  il  eût  été  bon  d'indiquer  le  chapitre  de 
Frank,  Réformateurs  et  publicistes  de  l'Europe  au  xvii^  siècle  ;  —  de 
rappeler  celui  de  M.  Lanson,  qui  est  un  des  plus  remarquables  de  son 
Bossuet;  —  de  noter  surtout  que  M.  Lanson  a  tiré  d'une  ancienne 
copie  des  premiers  livres  de  la  Politique  (B.  N.  Mss.  fr.  18 10)  des 
variantes  assez  importantes,  publiées  par  lui  dans  ses  Extraits  des 
œuvres  diverses  de  Bossuet.  Disons  en  passant  combien  il  serait  très 
désirable  que  M.  Lanson,  qui  connaît  si  bien  ce  sujet  de  la  Politique 
avec  tous  ses  entours,  y  consacrât  une  étude  spéciale. 

2°  A  propos  du  Traité  de  la  Connaissance  de  Dieu,  puisque  M.  U. 
cite  Delondre,  il  fallait  rappeler  Nourrisson. 

3°  A  propos  des  Elévations  et  des  Aléditations.,  puisque  ces  ouvrages 
sont  encore  aujourd'hui  dans  le  fonds  d'usage  de  la  librairie  pieuse, 
n'y  avait-il  pas  quelque  édition  correcte,  bonne  à  signaler  ou  à  recom- 
mander ? 

Dans  cet  ordre  idée,  le  comte  de  Caqueray  a  publié,  en  1868,  je 


I.  Sec.  édition,  augmentée  de  l'Inventaire  des  manuscrits  du  Grand  Séminaire 
de  Mcaux,  P.,  Alph.  Picard,  1897,  in-8»  ;io  fr.). 


46  REVUE  CRITIQUE 

crois,  un  Credo  de  Bossuet  ;  il  existe  aussi  un  «  le  Chrétien  à  l'école 
de  Bossiiet  ».  Il  peut  être  curieux  de  voir,  dans  ces  divers  recueils,  ce 
que  la  dévotion  du  xiv^  siècle  a  cru  devoir  prendre  et  retenir  de  celle 
du  xvII^ 

4°  A  propos  des  Méditations  sur  VEvangile,  déjà  corrigées  par 
Lâchât,  il  eût  fallu  rappeler  que  M.  Lanson,  dans  les  Extraits  cités 
plus  haut,  a  utilisé  la  copie  de  la  Visitation  de  Mcaux,  copie  qui  pour 
la  seule  partie  des  Béatitudes  lui  a  fourni  «  plus  de  cinquante  leçons 
nouvelles  « . 

5°  A  propos  des  œuvres  choisies  de  Bossuet  publiées  de  nos  jours, 
il  eût  été  bon  de  mentionner  l'édition  Hachette  en  5  volumes  dans  la 
collection  des  «  Principaux  écrivains  français  »,  et,  surtout  le  recueil 
de  M.  Lanson  dont  j'ai  parlé  ci-dessus  :  Extrait  des  œuvres  choisies 
de  Bossuet,  P.,  Delagrave,  1899,  un  gros  volume  de  près  de  700 
pages),  Sans  doute  l'ouvrage  est  destiné  aux  classes,  mais  M.  l'abbé  U. 
sait  mieux  que  personne  qu'on  peut  mettre  dans  cette  sorte  de  livres 
des  choses,  très  dignes  d'être  connues  des  travailleurs  eux-mêmes. 
Nous  venons  de  voir  que  pour  le  texte,  M.  Lanson  y  donne  des  ren- 
seignements nouveaux.  C'est  ce  «  choix  de  Bossuet  »  qu'il  faut  indi- 
quer présentement  à  ceux  qui  veulent  prendre  rapidement  un  aperçu, 
exact  et  complet  d'une  œuvre  immense  et  variée.  «  Je  n'y  ai  pas  choisi, 
dit  M.  Lanson  (Avert.  p.  i),  ce  qui  me  plaisait  comme  conforme  à 
mes  goûts  et  à  mes  sentiments,  ni  ce  qui  devait  plaire  à  des  lecteurs 
d'aujourd'hui  ;...  j'ai  seulement  donné  la  préférence  aux  sujets  litté- 
raires, historiques  et  moraux  sur  les  questions  spécialement  théolo- 
giques ;  et,  sur  chaque  matière,  j'ai  pris  ce  qui  m'a  paru  le  plus 
caractéristique  de  l'homme,  et  de  la  forme  que  la  religion  catholique 
avait  prise  dans  son  esprit.  Là  même  où  ce  grand  esprit  nous  choque 
le  plus,  il  y  a  toujours  profit  à  l'entendre.   » 

6°  Pour  les  œuvres  philosophiques,  je  ne  vois  pas  que  M.  U.  cite 
l'édition  de  Jules  Simon  (Charpentier,  1834;  réimprimée  probable- 
ment depuis;  laquelle  contient,  avec  la  Connaissance  de  Dieu,  le  Libre 
arbitre,  les  Elévations^  et  le  Traité  de  la  Concupiscence,  précédés 
d'une  introduction  très  solide  au  point  de  vue  de  la  philosophie  spi- 
ritualiste  ;  —  ni  celle  de  l'abbé  M***  (Lecoffre,  i858)  :  Traités  de  Lo- 
gique et  de  Morale. 

7°  A  propos  de  l'édition  des  Œuvres  Oratoires  de  l'abbé  Lebarq, 
dont  M.  U.  met  l'importance  en  relief,  noter  que  le  t.  VI I*^  donne  un 
index  analytique,  fort  précieux,  de  la  prédication  de  Bossuet,  et  que  le 
1. 1  renferme  une  soixantaine  de  pages  de  Remarques  sur  la  grammaire 
et  le  vocabulaire  des  sermons,  remarques  bien  utiles  en  l'absence  d'un 
Lexique  de  Bossuet. 

8°  Dans  les  Témoignages  des  contemporains  de  Bossuet  sur  Bossuet, 
on  s'étonne  de  ne  voir  cités  ni  Jurieu,  ni  Basnage,  ni  Leibniz,  ni  sur- 
tout Baylc  qui  a  parlé  tant  de  fois  de  Bossuet  et  de  ses  ouvrages.  Et 


d'histoire  et  de  littérature 


47 

quoique  Tahbé  Le  Dieu  soit  indiqué  plus  loin,  dans  la  section  «  Bio- 
graphie et  histoire  religieuse  »,  il  devait  d'abord  figurer  ici.  Si  son 
Mémoire  est  postérieur  à  la  mort  de  Bossuet  et  composé  en  vue  de 
documenter  le  P.  de  La  Rue,  chargé  de  l'oraison  funèbre,  le  Journal 
commencé  en  169g  (l'abbé  était  secrétaire  du  prélat  depuis  1684)  est 
une  source  tout  à  fait  contemporaine. 

Il  eût  été  bon  de  rappeler  aussi,  ne  fut-ce  que  pour  mémoire, 
Dangeau  et  Sourches  ;  —  le  curé  Raveneau  et  le  médecin  Rochart 
dont  l'abbé  Réaume,  dans  son  Histoire  de  Bossuet,  et  l'abbé  Lebarq, 
dans  son  Histoire  critique  de  la  prédication  de  Bossuet^s&  sont  servis; 
—  l'abbé  de  Saint-André,  grand  vicaire  de  Bossuet,  de  qui  l'édition 
de  Le  Dieu  par  Guettée  contient  plusieurs  opuscules  à  lire,  entre  autres" 
une  relation  de  la  mort  de  Bossuet  ;  —  tn^n  il  convenait  de  nommer, 
ici  déjà,  l'abbé  Philippeaux.  La  date  de  la  Relation  du  Quiétisme  (ij32) 
pourrait  faire  oublier  et  a  fait  oublier  quelquefois  qu'il  fut  tout  à  fait 
contemporain  de  Bossuet  (étant  mort  en  1708)  et  assez  intimement  lié 
avec  lui. 

q°  Au\  Oraisons  funèbres  et  Eloges  académiques,  puisqu'il  fallait 
bien  citer,  pour  avoir  été  prononcée  à  Rome,  l'amplification  vide  du 
chevalier  Paul-Alexandre  Maffei,  — ajouter  que  ce  document,  traduit, 
se  trouve  au  t.  IV  des  mémoires  de  Le  Dieu,  publiés  par  Guettée. 

lo'^  Dans  la  Biographie,  l'iconographie  qui  intéresse  toujours  nom- 
bre de  curieux,  devait  être  représentée.  Mentionner  le  P.  Griselle,  S.- 
J.,  Les  principaux  portraits  de  Bossuet,  et  Un  portrait  inconnu  de 
Bossuet,  par  Mgr  Ch.-F.  Bellet  (Extr.  de  V Université  catholique  de 
Lyon,  1899). 

S'il  fallait  pour  cela  supprimer  en  cet  endroit  la  mention  de  la  Vie 
de  Bossuet  par  Lamartine,  je  m'en  consolerais.  J'ai  peine  à  croire  que 
Lamartine  ait  apporté  quelque  soin  à  s'instruire  de  l'homme  sur  lequel 
il  avait  à  écrire,  hâtivement,  un  morceau.   Cette   appréciation,  élo- 
quente, passionnée,  mais  qui  ne  nous  renseigne  que  sur  l'état  d'esprit 
de   Lamartine,    eut    été  mieux  placée  dans  la  critique  littéraire.   Si, 
comme  je  le  pense,  M.  U.  ne  l'a  mentionnée  que  pour  faire  entrevoir 
les  opinions  des  lettrés  du  commencement  du  xix«  siècle  sur  Bossuet, 
il  eut  mieux  valu  indiquer  les  articles  de  P. -F.  Dubois,  dans  le  Globe. 
11"^  Dans   «  Bossuet   et  le  gallicanisme,»  rappeler  Griveau  ;t.  II.) 
dont    l'abbé  U.  parle  à  propos  du   Quiétisme.  L'étude  sur  le  galli- 
canisme de  Bossuet  et  l'ultra-montanisme  de    Fénelon  est  peut-être 
ce  qu'il  y  a  de  plus  intéressant  dans  cet  ouvrage. 

12°  Dans  «  Bossuet  et  le  protestantisme,  »  ajouter  à  l'indication  des 
articles  du  Bulletin  historique  du  protestantisme  français  celle  de  la 
46*=  année,  p.  665  (document  ayant  trait  à  une  mesure  prise  par 
Bossuet,  évèque,  contre  le  culte  protestant  de  Bois  le  Vicomtes  — 
Ajouter  aussi, P.  Stapfer,  Bossuet,  Adolphe  Monod  fFischbacher,  1698  , 
ouvrage  intéressant  non  seulement  par  une  bonne  étude  littéraire  sur 


^8  REVUE    CRITIQUE 

réloquence  de  Rossuet,  mais  par  rappréciaiion  large  et  hardie  de 
Tautcur,  protestant  libéral,  sur  la  controverse  de  Bossuet  contre  le 
protestantisme. 

i?"  Dans  la  Critique  et  Vhistoire  littéraire,  il  n'eût  pas  été  que  trop 
aisé  de  s'étendre.  M.  U.  a  grandement  raison  de  se  restreindre.  Tou- 
tefois Sainte-Beuve  n'a  pas  parlé  de  Bossuet  seulement  dans  les  deux 
volumes  des  Lundis  auxquels,  M.  U.  renvoie;  il  y  a  touché,  quelque 
fois  très  brièvement,  mais  toujours  d'une  façon  notable,  aux  tomes  II, 
IV,  V,  XIII,  XV.  Citer  aussi  Scherer,  Etudes  critiques  sur  la  Littéra- 
ture tomes  IV  et  VI,  et  M.  Brunetière,  dans  la  6^  série  des  Etudes  cri- 
tiques sur  l'histoire  de  la  Littérature  française^  (un  article  sur  Bossuet 
qui,  comme  l'auteur  l'indique  en  note,  ne  reproduit  pas  textuellement 
l'article  de  Bossuet  de  la  Grande  Encyclopédie). 

D'autre  part,  j'aurais  souhaité  de  voir  certains  livres  signalés  avec 
plus  de  relief  à  l'attention  du  lecteur.  Par  exemple,  la  petite  thèse  de 
l'abbé  Vaillant  sur  les  Sermons,  k  laquelle  il  faudra  toujours  revenir 
quand  on  s'occupera  de  cette  partie  de  la  prédication  de  Bossuet, 
comme  au  premier  travail  inspiré  par  le  célèbre  mémoire  de  Victor 
Cousin  sur  les  Pensées  de  Pascal. —  Ainsi  encore  les  écrits  d'Eugène 
Gandar.  Les  introductions  de  Bossuet  orateur  et  du  Choix  de  Ser- 
mons de  la  jeunesse  de  Bossuet  sont  deux  dissertations  très  remar- 
quables et  assurément  durables  de  critique  paléographique  et  littéraire. 
Après  dom  de  Foris,  Gandar  a  été  le  plus  clairvoyant  éditeur  du  texte  de 
Bossuet. Quel  que  soit  même  le  mérite  de  l'œuvre  considérable  de  l'abbé 
Lebarq,  celle  de  Gandar,  encore  que  moins  étendue,  me  parait  supé- 
rieure, et  le  critérium  de  l'orthographe,  apporté  par  Lebarq, contribue 
à  l'établissement  de  la  chronologie  des  Sermons  beaucoup  moins 
que  l'application  ingénieuse,  mesurée,  sinon  toujours  très  rigoureuse, 
faite  par  Gandar  aux  manuscrits  de  Bossuet  des  méthodes  tradition- 
nelles. 

Au  sujet  de  l'édition  de  l'abbé  Le  Dieu  par  l'abbé  Guettée  il  est  un  peu 
injuste  de  se  borner  à  dire  que  cette  édition  est  «  défectueuse  ».  Sans 
doute,  il  y  a  des  omissions  et  des  fautes  nombreuses,  mais  il  ne  m'a 
pas  paru,  dans  les  corrections  qu'une  recension  nouvelle  du  manus- 
crit a  fournies  à  l'abbé  U.  (voy.  Revue  d'histoire  littéraire  de  la 
France,  1897-1898),  qu'il  y  eût  rien  de  bien  important. 

Sur  l'œuvre  du  cardinal  de  Bausset,  M.  U.  ne  pouvait  guère  nous 
donner  ici,  mais  je  voudrais  qu'il  nous  donnât  un  jour  un  juge- 
ment plus  détaillé  et  plus  précis.  Il  doit  bien  exister  dans  quelques 
archives,  et  spécialement  à  Saint-Sulpice,  des  documents  permettant 
de  définir  plus  exactement  la  valeur  de  cette  première  ^vanAe  Histoire 
de  Bossuet,  que  l'on  continuera  vraisemblablement  à  joindre  aux  édi- 
tions complètes,  et  qui,  peut-être,  est  trop  dédaignée. 

Touchant  le  Quiétisme,  M.  U.  accorde  très  justement  une  mention 
spéciale  à  cet  important   ouvrage  de  M.    Crouslc,  dont  le  fond  est  si 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  49 

substantiel  et  si  solide,  la  forme  si  pure,  si  élégante  et  si  attachante.  Il 
en  marque,  judicieusement,  le  caractère  un  peu  antipathique  à  Féne- 
lon.  Mais  il  eût  été  bon  d'indiquer  aussi  que  M.  Crouslé  n'a  pas  limité 
ses  patientes  et  pénétrantes  recherches  à  la  querelle  mystique  des  deux 
docteurs  :  les  trois  premiers  livres  .de  son  ouvrage  fc'est-à-dire  près 
de  la  moitié  du  premier  des  deux  gros  volumes)  sont  consacrés  à  la 
jeunesse,  aux  missions  et  au  préceptorat  de  Fénelon.  M.  Crouslé 
compare,  à  propos  de  ces  diverses  questions,  les  tempéraments  et  les 
doctrines  de  Fénelon  et  de  Bossuet.  Et  cette  partie  n'est  ni  la  moins 
neuve,  ni  la  moins  juste. 

Dans  la  section  a  critique  et  histoire  littéraire  »,  je  voudrais  quelques 
lignes  de  notice  sur  les  articles  de  Sainte-Beuve  et  sur  l'attitude  du 
grand  critique  à  l'égard  de  Bossuet  (Paul  Albert  en  a  marqué  l'esprit 
d'une  manière  assez  piquante),  —  quelques  mots  aussi  sur  la  valeur 
exacte  du  livre  savant,  judicieux  et  sobre,  trop  sobre  parfois,  du  P.  de 
La  Broise,  Bossuet  et  la  Bible  '.  —  Mais  je  voudrais  surtout  qu'à 
propos  de  MM.  Brunetière  et  Lanson,  M.  U.  n'eût  pas  écrit,  par 
inadvertance,  le  mot  d'«  idolâtrie  «.On  peut,  sur  quelques  points,  res- 
ter en  deçà  de  l'admiration  professée  pour  Bossuet  par  l'un  et  par  l'au- 
tre de  ces  deux  critiques,  et  j'ai  eu  l'occasion  jadis  (dans  la  Revue  cri- 
tique et  dans  la  Revue  bleue  de  1891),  de  marquer,  à  propos  du  livre 
de  M.  Lanson,  les  points  sur  lesquels  l'auteur  allait,  à  mon  sens,  trop 
loin.  Mais  le  terme  péjoratif  d'«  idolâtrie  »  implique  des  idées  d'aveu- 
glement béat,  d'admiration  irraisonnée,  impatiente  de  la  contradic- 
tion, fermée  à  l'évidence  des  faits,  qui  ne  conviennent,  trop  évidem- 
ment, ni  à  M.  Lanson,  ni  à  M.  Brunetière. 

Mes  dernières  observations  seront  relatives  au  plan  que  suit  M. 
l'abbé  U.  Ce  plan  consiste,  pour  les  ouvrages  imprimés  de  Bossuet,  à 
distinguer  ceux  qui  furent  publiés  du  vivant  de  l'auteur  de  ceux  qui 
ne  parurent  qu'après  sa  mort.  Mais  d'abord,  dans  ces  deux  classes,  il 
semble  qu'une  distinction  plus  nette  et  plus  visible  à  l'œil  serait  indis- 
pensable, entre  les  premières  éditions,  et  les  éditions  ultérieures,  ac- 
compagnées d'ordinaire  de  commentaires. 

Puis,  et  surtout,  fallait-il,  dans  cette  double  liste,  accoler  à  quelques 
uns  de  ces  ouvrages  les  livres  d'histoire  ou  de  critique  qui  s'y  rappor- 
tent, puisque  dans  le  titre  VI,  «  documents  sur  Bossuet  et  sur  ses 
œuvres,  »  on  devait  y  revenir?  Avec  ce  système,  les  omissions,  aussi 
bien  que  les  répétitions  étaient  inévitables  ;  on  l'a  vu  par  quelques- 
unes  des  remarques  ci-dessus. 

J'ajoute  que,  pour  le  lecteur  aussi,  obligé  de  chercher  en  deux  ou 
plusieurs  endroits,  il  y  a  danger  d'oubli.  Mieux  eût  valu,  à  mon  sens, 
écarter  de  la  liste  des  œuvres  et  des  éditions  de  Bossuet  tous  les 
travaux  sur  Bossuet  et  les  réserves  pour  le  titre  VI.  Toutefois,  dans 


I.  Voir  Rev.  crit.,  8  mai  189!^. 


5o  REVUE    CRITIQUE 

cette  dernière  partie,  plus  de  rigueur  dans  le  classement  eût  convenu, 
ou,  au  moins,  plus  de  précision  dans  les  titres.  C'est  une  très  bonne 
idée  que  d'indiquer  à  part  les  «  témoignages  contemporains  >'.  Bien 
des  chercheurs  peuvent  avoir  profit,  ou  simplement  plaisir  à  trouver 
réunis  les  textes  où  les  témoins  de  la  vie  d'un  grand  homme  ont  parlé 
de  lui.  Mais  tous  les  «  témoignages  contemporains  »  sur  Bossuet  ne 
sont  pas  mentionnés  dans  ce  paragraphe  :  —  l'abbé  Le  Dieu,  nous 
l'avons  remarqué  déjà,  figure  à  la  Biographie  et  histoire  religieuse  ;  — 
les  documents  originaux  sur  les  actes  de  Bossuet  à  l'égard  des  protes- 
tants sont  à  Bossuet  et  le  protestantisme  ;  —  les  appréciations  d'Ellies 
du  Pin  sont  à  la  Critique  et  histoire  littéraire.  Et  sans  doute  je  vois 
bien  les  motifs  que  M.  U.  a  eus  de  distribuer  ainsi  ces  indications.  Il 
a  voulu,  je  suppose,  grouper  d'abord  les  témoignages  contemporains 
qui  peuvent  éclairer,  en  général,  la  vie  et  l'œuvre  de  Bossuet  dans 
leur  ensemble  ;  —  et  grouper  ensuite  sous  des  chefs  spéciaux,  ceux 
qui  se  rapportent  particulièrement  à  telle  ou  telle  partie  de  sjn  acti- 
vité. Mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  d'une  part  que  certains  renseigne- 
ments donnés  par  Ellies  du  Pin  ou  parles  documents  protestants  sur 
Bossuet,  intéressent  autant  \t  portrait  de  l'homme  que  sa  théologie  ; 
et  d'autre  part  que  les  mémoires  de  Saint-Simon  sont  au  moins  aussi 
importants  à  connaître  pour  le  rôle  joué  par  Bossuet  dans  la  querelle 
quiétiste  que  pour  son  caractère  personnel.  Je  ne  sais  s'il  n'eût  pas 
fallu,  ici  encore,  modifier  le  plan  :  par  exemple,  opposer  dans  deux 
grandes  divisions,  aux  documents  «  contemporains  «,  les  documents 
ii  postérieurs  »,  puis,  dans  chacune  de  ces  deux  divisions  établir  les 
subdivisions  réelles  c[UQ  M.  l'abbé  U.  a  distinguées,  sauf  à  les  modifier 
un  peu. 

Car  ces  subdivisions  elles-mêmes  pourraient  aussi  être  discutées.  Je 
ne  sais  s'il  était  essentiel  de  séparer  les  Oraisons  funèbres  et  Eloges 
Académiques  de  la  Biographie.  En  admettant  même,  —  et  cela  bien 
volontiers, —  que  les  Oraisons  et  Eloges  soient  singulièrement  sujets 
à  caution,  encore  sont-ils  des  documents  presque  contemporains.  On 
sait  qu'il  y  a  des  traits  précis  et  instructifs  dans  l'oraison  funèbre  de 
Bossuet  par  le  P.  de  La  Rue,  et  des  détails  fort  intéressants  dans 
l'Eloge  académique  de  Bossuet  par  Dalembert.  —  De  même,  ne  s'at- 
tendrait-on pas  à  trouver  plutôt  dans  l'histoire  religieuse  Ellies  du  Pin 
et  l'abbé  Bonaventure  Racine,  qui  sont  dans  l'histoire  littéraire  ? 
C'est  qu'en  réalité  l'Histoire  religieuse  et  ÏHistoire  littéraire  d'un 
écrivain  religieux  ne  sauraient  guère  être  séparées. 

Je  ne  m'excuse  pas  de  la  minutie  de  ces  observations.  Les  travail- 
leurs qui  auront  la  patience  de  les  lire,  savent  combien  précieuse  est 
une  bibliographie  bien  faite,  c'est-à-dire  complète,  judicieuse,  claire- 
ment et  rationnellement  distribuée.  Celle  de  M.  l'abbé  Urbain  sur 
Bossuet  est  assez  proche  de  la  perfection  pour  qu'on  soit  tenté  de  lui 
conseiller  quelques  retouches.  Alfred  Rébelliau 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  5  I 

Gabriel  Svveton.   Louis  XIV  et  Charles  XII.  Au  camp  d'Altransdtadt    1707  . 
La  mission  du  baron  de  Besenval.    Paris,  Leroux,  1900,  In-H»,  xvMi-281  pp. 

En  1706  et  1707,  Charles  XII  campait  à  Altranstaedt,  près  de  Leip- 
zig.   Il  semblait  hésiter  :   dirigerait-il  son  armée  vers  TEst  ou  vers 
rOuest,  contre  la  Moscovie  ou  en. Allemagne  ?  S'il  allait  en   Allema- 
gne, comment  interviendrait-il  dans  la  guerre,  alors  en  cours,  de  la 
Succession  d'Espagne  :  pour  ou  contre  Louis  XIV  ?  Trois  traités  suc- 
cessifs, datés   d'Aliranstaedt  le  24   septembre  1706,   le   16  août  et  le 
I"  septembre  1707,  réglèrent  au  profit  de  Charles  XII  les  questions 
qu'il  avait  pendantes  avec  la  Saxe,  la  Prusse  et  l'Empereur.  Libre  enfin 
de  ses  actes,  le  roi  de  Suède   s'enfonça  dans   l'Orient.  Mais,  jusqu'au 
dernier   moment,    tout  parut  incertain.    La  France  essaya  d'utiliser 
cette  longue  année  d'attente.    Ricous   fut  désigné  pour  se  rendre  à 
Altranstaedt.    Il    tomba  malade  au  nioment  de    partir;   Besenval   le 
remplaça.    Sa    mission    fut    double.     Il    devait    d'abord    «     offrir    à 
Charles  XII  d'interposer  sa  médiation  entre  Louis  XIV  et  les  Alliés  ». 
II  échoua.  Puis,  il  essaya  de  «  faire  conclure   la  paix  de  Moscovie, 
pour  entraîner    les   Suédois   à  la  guerre  d'.ALllemagne    ».   Il   échoua 
encore.  Charles  XII  voulait,  comme  dit  Besenval  lui-même,  «  portera 
sa  perfection  »  son  «  ouvrage  de  Pologne  ».  II  regardait  «  l'affermisse- 
ment du  roi  Stanislas,  non  seulement  conforme  à  sa  gloire,  mais  néces- 
saire »  (Syveton,  p.    252,  229,  loi].  Bien  qu'elle  n'ait  pas  abouti,  la 
mission  de  Besenval  n'en  reste  pas  moins  très  intéressante.  Elle  niar- 
que  en   quelque  sorte  le  point  de  contact  entre  la  guerre  du  Nord  et 
la  guerre  de  Succession  d'Espagne. 

Elle  était  jusqu'ici  très  mal  connue.  M.  S.  a  utilisé  les  archives  du 
Ministère  des  affaires  étrangères,  à  Paris,  et  les  papiers  de  la  famille  de 
Besenval.  lien  a  tiré  bon  parti.  II  poursuit  avec  finesse,  jusque  dans 
leurs  oscillations  les  plus  délicates,  les  intrigues  des  personnages  grou- 
pés autour  de  Charles  XII,  et  pourtant  il  ne  s'encombre  d'aucun  détail 
inutile   comme  il  arrive  si  souvent  aux    historiens  de  la  diplomatie. 
Son   récit  est  preste,  vivant,   clair,   et  si  l'animation  pittoresque   en 
parait   un   brin    conventionnelle    ou   fantaisiste  1  surtout  dans  la  psy- 
chologie des  personnages,  du  moins,  ce  n'est  jamais  au  détriment  de 
la  vraisemblance  historique.  Les  chapitres  portent  des  titres  pleins  de 
promesses  :  Impressions  d'audience;  Orientales;  Ce  que  M.  de  Besenval 
lut  dans  les  galettes  durant  qu'il  avait  la  goutte,  etc.,  et  ils  tiennent 
leurs  promesses.  Les  plus  neufs  semblent  ceux  qui  se  rapportent  aux 
négociations  suédo-moscovites,  où  Besenval  s'entremit,  avec  l'aide  de 
celte  Palatine  de  Beltz,  dont  M. S.  a  fort  joliment  esquissé  l'équivoque 
silhouette.  Le  volume  est  précédé  d'une  introduction  de  M.  le  duc  de 
Broglie  ;  il  se  termine  par  un  appendice  consacré  à  l'inventaire  som- 
maire des  papiers  de  la  famille  de  Besenval   qui  appartiennent  aujour- 
d'hui au  prince  François  de  Broglie  . 

Il  est  regrettable  que  la  charmante  étude  de  M.  S.  soit  déparée  par 


52  REVUE    CRITIQUE 

des  erreurs  de  fait  ou  d'appréciation,  qui  ne  sont  pas  toujours    sans 
importance. 

D'une  façon  générale,  il  nous  a  paru  que  M.  S.  a  quelque  peu  exa- 
géré le  rôle  et  l'habileté  de  Besenval.  Il  va  jusqu'à  le  représenter 
comme  «  une  sorte  de  diplomate  général  pour  les  affaires  du  Nord  et 
de  l'Orient  »  (p.  120^.  L'amplitication  est  vraiment  excessive.  Dans  le 
même  passage  M.  S.  classe  Besenval  parmi  «  les  ouvriers  conscients 
d'une  œuvre  nationale  »  et  il  déplore  la  disparition  des  «  temps  d'au- 
trefois «.  D'accord.  Bessenwaldt,  dit  Besenval,  était  en  effet  né  Suisse, 
il  baronnait  du  Saint-Empire  et  il  épousa  une  Polonaise  :  au  demeu- 
rant le  meilleur  Français  du  monde.  Mais  si  vraiment  il  apparaît 
comme  «  un  excellent  exemplaire  de  la  diplomatie  d'ancien  régime  », 
on  doit  avouer  que  cette  «  admirable  époque  «  avait  la  satisfaction 
facile,  puisqu'aussi  bien  Besenval  a  échoué  à  Altranstaedt,  comme 
ensuite  dans  la  plupart  des  négociations  où  il  a  été  employé  (Syveton, 
p.  249-250). 

Sur  les  rapports  de  Charles  XII  et  d'Auguste  II,  cf.  Joh.-Rich. 
Danielson,  Ziir  Geschichte  der  saechsischen  Politik  iijob-ijog)  [Hel- 
singfors,  1878,  In-8°,  i09-(2)  pages],  ouvrage  dont  M.  S.  n'a  pas  eu 
connaissance.  De  là,  plusieurs  omissions,  elles-mêmes  causes  d'erreurs. 
Citons  en  deux  seulement.  Parmi  les  questions  litigieuses  que  soule- 
vait l'exécution  du  traité  du  24  septembre  1706  entre  Charles  XII  et 
Auguste  II,  M.  S.  ne  signale  pas  comme  il  aurait  fallu  (p.  72-74,  cf. 
p.  82)  celle  qui  coûta  le  plus  cher  à  la  Saxe,  et  lui  pesa  le  plus  lour- 
dement. Pendant  un  an  plein,  l'armée  suédoise  vécut  aux  frais  des 
Saxons  fson  entretien  fut  ensuite  évaluée  à  plus  de  vingt  millions  de 
risdales),  et  le  traité  ne  parlait  que  de  quartiers  d'hiver,  (voy.  Daniel- 
son,  p.  24-25,  42,  5i).  Mais  surtout,  M.  S.  ne  dit  pas  un  mot  du 
projet  qui  est  bien  certainement  le  plus  étonnant  de  tous  ceux  qui 
furent  alors  imaginés  à  Altranstaedt  :  et  l'on  sait  pourtant  s'ils  furent 
nombreux.  Exclu  de  Pologne,  le  roi  Auguste  rêvait  une  compensation, 
et  il  songea  très  sérieusement  à  devenir  roi  de  Naples,  comme  héri- 
tier des  Hohenstaufen  !  Si,  finalement,  il  donna  satisfaction  à  Char- 
les XII,  pour  l'entier  accomplissement  du  traité  du  24  septembre, 
ce  fut  beaucoup  moins  sur  l'intervention  des  Alliés  (Empereur,  An- 
gleterre et  Pays-Bas  ,  comme  le  croit  M.  S.,  p.  76,  que  par  l'espoir 
d'obtenir  l'appui  de  Charles  XII  dans  l'incroyable  entreprise  qu'il 
méditait  (voy.  Danielson,  p.  31-46,  52,  55-58). 

En  ce  qui  concerne  les  relations  de  Charles  XII  et  de  Frédéric  I  roi 
de  Prusse,  M.  S.  se  contente  de  résumer,  d'une  manière  superficielle 
et  tendancieuse,  un  chapitre  de  Droysen.  La  «  longue  histoire  des 
convoitises  prussiennes  »  lui  paraît  «  burlesque  et  tragique,  toujours 
entachée  d'une  irrémédiable  bassesse  »  (p.  187;.  Sur  le  même  ton  — 
qui  n'est  pas  le  ton  de  l'histoire  —  les  allemands  parlent  des  Raub- 
kriege  de  Louis  XIV.  Un  peu  plus  loin,  p.  190,  M.  S.  constate  que  le 


d'histoire  et  de  littérature  5? 

traité  du  i6  août  1707  n'accordait  à  la  Prusse  rien  de  ce  qu'elle  aurait 
voulu,  même  pas  la  ville  d'Elbing,  et  il  ajoute  —  sans  aucune  preuve, 
mais  nous  y  suppléons  en  note  —  :  «  A  la  vérité  la  raison  n'apparaît 
guère  pourquoi  Charles  XII  eût  dû  bénévolement  gratifier  d'Elbing 
Sa  Majesté  prussienne.  '  Mais  il  faut  bien  que  les  historiens  prussiens 
s'indignent  de  ce  traité  du  1 6  août'  1 707,  il  faut  bien  qu'ils  le  déclarent 
abominable,  odieux  et  inique',  puisque  Frédéric  I,  six  ans  plus  tard  \ 
l'a  cyniquement  violé  ''.  »  Il  serait  difficile  d'être  plus  inexact. 

Les  ouvertures  faites  directement  par  Villars  à  Charles  XII  en  juin 
1707  ne  sont  guère  connues  jusqu'à  présent  que  par  un  passage,  assez 
obscur,  des  Mémoires  du  Maréchal.  M.  Syveton  le  cite,  p.  i  Sg, 
d'après  l'édition  Michaud  (et  avec  une  erreur  de  référence  :  au  lieu  de 
p.  184,  lisez  p.  i63).  Il  aurait  dû  se  servir  plutôt  du  texte  publié  par 
'Vogué  pour  la  Société  de  l'histoire  de  France  ;  et  il  aurait  alors 
remarqué  (édit.  Vogué,  t.  11,  p.  239,  n.  i  ;  cf.  du  même,  Villars, 
t.  I.  p.  ?oo-3oij  que  Louis  XIV  était  opposé  au  mouvement  projeté 
par  Villars  pour  rejoindre  Charles  XII  :  ce  qui  ne  laisse  pas  d'être 
quelque  peu  contradictoire  avec  la  mission  confiée  à  Besenval.  Il  y 
avait  là  une  difficulté  critique  fort  intéressante  et  qui  n'a  même  pas 
été  aperçue. 

L'orthographe  des  noms  propres  est  trop  souvent  fautive.  Au  lieu 
de:  Altrandstadt,  Anspach,  Bronstait,  Dantzig,  Hall,  Hochstaedt,  Lec- 
zinski,  Leisnick,  Lunebourg,  il  faut  :  Ahranstaedt,  Ansbach,  Brunstatt, 
Danzig,  Halle,  Hoechstaedt,  Leszczynski,  Leisnig,  Lunebourg  (ou 
Lûneburg),  et  cette  liste  n'est  sans  doute  pas  complète;  le  livre  n'a 
pas  de  table  alphabétique. 

G.  Pariset. 

1.  La  Prusse  avait  sur  la  ville  polonaise  d'Elbing  des  droits  incontestables  qui 
remontaient  à  1657  (traités  de  Wehlau  et  de  Bromberg),  et  ses  troupes  avaient 
même  occupé  la  ville  de  la  fin  de  1698  au  début  de  1700,  avec  l'agrément  du  roi 
Auguste.  En  1703,  les  gens  d'Elbing  avaient  demandé  à  Frédéric  un  appui  contre 
les  Suédois  qui  exigeaient  d'eux  une  forte  contribution  de  guerre,  et  Frédéric  I 
s'était  offert  à  la  payer,  à  condition  de  reprendre  possession  d'Elbing.  Charles  XII 
refusa,  mais  il  reconnut  lui-même,  dans  une  déclaration  du  4  février  1707,  les 
droits  de  la  Prusse  sur  la  ville. 

2.  Droysen  qualifie  le  rôle  de  la  Prusse  en  cette  affaire  de  verlegen  und  depii- 
mirend  (G.  d.  pr.  Politik,  2"  Aufl.,  Th.  1\',  Bd.  i,  p.  i^b).  Si  M.  S.  a  utilisé  une 
autre  édition  ou  un  autre  historien,  il  était  nécessaire   qu'il  donnât  ses  références. 

3.  Six  ans  plus  tard,  Frédéric!  était  mort  depuis  plus  de  cinq  mois  (25  fé- 
vrier 1713). 

4.  Dans    l'acte   de  neutralité  (La  Haye,  20  mars    1710),  le  recès  de  séquestre 
Schwedt,  6  octobre  171 3)  et  le  rappel  du  ministre  suédois  à  Berlin  (26  avril  171.^) 

—  ce  sont  les  trois  principaux  actes  de  la  rupture  entre  la  Prusse  et  la  Suède  après 
le  traité  de  1707  —  il  n'y  a  de  «  cynique  »  que  le  mot  de  M.  S.  Jamais  peut-être  au 
contraire,  la  diplomatie  prussienne  ne  fut  si  lente,  si  désireuse  de  s'abriter  derrière 
les  vcrbalitésdu  droit  des  gens  d'alors,  si  défiante  de  l'action  qu'elle  n'accepta  que 
lorsqu'elle  lui  fut  en  quelque  sorte  imposée.  C'est  une  grave  erreur  de  juger  la 
diplomatie  des  deux    premiers  rois  de  Prusse  d'après  celle  de  Frédéric  II. 


54  REVUE    CRITIQUE 

L'abbc  Georges  Bertrin  :  La  Sincérité  religieuse  de  Chateaubriand  :    Paris, 
Lecotïrc,   1900.  in- 12,  410  pp. 

M.  Tabbé  Bertrin  vient  d'écrire  tout  un  volume  pour  démontrer  que 
la  religiosité  de  Chateaubriand  fut  sincère.  Rien  n'est  plus  difficile  en 
général  que  de  savoir  avec  certitude  ce  qui  se  passe  au  fond  de  la 
conscience  d'un  homme  et  beaucoup  de  philosophes  pensent  même 
que  personne  ne  saurait  voir  tout  à  fait  clair  dans  la  sienne,  mais  avec 
quelque  habileté  on  peut  du  moins  établir  certaines  conjectures  vrai- 
semblables. Or  cette  habileté  M.  B.  ne  Ta  pas  eue. 

Sa  dialectique  est,  en  effet,  fort  étrange.  Elle  peut  se  réduire  à  trois 
procédés  de  démonstration. 

1°  Citer  tous  les  passages  ou  Chateaubriand  a  exprimé  Tardeur  de 
sa  foi  et  proclamer  que  ces  passages  sont  des  preuves  péremptoires 
de  sa  sincérité.  Si  Chateaubriand  est  vraiment  sincère,  cela  suffit  en 
effet,  mais  comme  c'est  Justement  sa  sincérité  qu'il  faut  démontrer,  on 
ne  voit  pas  quel  bénéfice  l'auteur  prétend  tirer  de  toutes  ces  citations. 
Il  est  rare  de  voir  un  cercle  vicieux  si  aveuglément  suivi  pendant 
tout  un  volume. 

2°  Déclarer  nuls  ou  non  avenus,  pour  des  raisons  plus  ou  moins 
spécieuses,  les  quelques  témoignages  des  contemporains  qu'il  n'est  pas 
permis  d'ignorer  et  négliger  tous  ceux  qui,  moins  connus,  peuvent 
être  passés  sous  silence.  M.  B.  trouve  ainsi  moyen  de  nous  donner  un 
Chateaubriand  d'une  moralité  irréprochable,  qui  fut  le  modèle  des 
maris  et  n'eut  même  Jamais  de  sa  vie  la  moindre  liaison  galante.  C'est 
assurément  travestir  bien  volontiers  l'histoire,  car  sur  tous  ces  points  la 
lumière  est  faite  d'une  façon  définitive.  Quant  aux  contemporains, 
tous  ceux  qui  ont  approché  quelque  peu  Chateaubriand,  sont  unani- 
mes à  reconnaître  en  lui  un  acteur  de  premier  ordre,  et  si  l'on  voulait 
rappeler  tout  ce  qu'a  cet  égard  ils  ont  dit  de  choses  que  M .  B .  n'a  pas 
voulu  entendre,  on  composerait  un  volume  aussi  gros  que  le  sien. 
Lamartine  lui-même,  le  moins  médisant  des  hommes,  n'avait  pu  s'y 
laisser  tromper,  et  après  avoir  dit  «  c'était  un  rôle  plus  qu'un 
homme  »  ne  craignait  pas  d'écrire  en  racontant  ces  derniers  moments 
de  l'auteur  du  Génie  du  Christianisme  qui  émerveillent  si  fort  M.  B. 
par  leur  belle  piété  :  <(  Nul  homme  n'a  plus  soigné  la  couleur  de  sa 
robe  de  chambre  afin  de  se  présentera  la  mort  comme  un  apôtre  pour 
les  chrétiens,  comme  un  chevalier  pour  les  royalistes,  comme  un  tri- 
bun de  l'avenir  pour  les  républicains  les  plus  avancés  »  [Souvenirs  et 
portraits  :  I,  II,  p.  140  et  i5o).  Artaud  qui  le  conduisit  à  Saint- 
Pierre  de  Rome  en  observant  son  attitude,  disait  «  Il  sentait  le  besoin 
d'un  effet  :  ne  pouvant  pas  le  sentir  il  l'affecta  »,  Mais  M.  B.  s'est 
bien  gardé  de  rappeler  tous  ces  témoignages. 

3°  Prendre  à  partie  Sainte-Beuve  quia  le  plus  ouvertement  douté  de 
la  sincérité  de   Chateaubriand,  rédiger  contre  lui  un   réquisitoire  en 


d'histoire  et  de  littérature  55 

règle  énumérant  tous  les  défauts  de  sou  caractère  et  de  sa  critique  (et 
M.  B.,  écrit  ici  quelques  pages  qui  ne  sont  pas  sans  justesse),  entin  en 
arriver  à  laisser  clairement  entendre  que  Sainte-Beuve  a  forgé,  pour 
le  besoin  de  sa  démonstration,  toute  une  page  de  Chateaubriand 
qu'il  prétendait  extraite  des  Mémoires  d'outre-tombe  et  qu'on  ne  re- 
trouve dans  aucune  édition  ni  dans  aucun  manuscrit  de  cet  ouvrage. 
Ici  M.  B.  a  vraiment  joué  de  malheur.  Une  polémique  s'est  élevée 
aussitôt  dans  la  presse.  Des  amis  de  Sainte-Beuve  ont  publié  l'auto- 
graphe de  la  note  prise  par  lui  dans  les  mémoires  de  Chateaubriand. 
Des  renseignements  sont  venus  de  toutes  parts  sur  la  manière  dont 
Chateaubriand  raturait  et  corrigeait  sans  cesse  le  texte  de  ses 
mémoires  en  vue  de  l'etiet  qu"il  voulait  leur  voir  produire.  Finale- 
ment M.  Bertrin  a  retrouve  lui  même  dans  un  manuscrit  des  Mémoi- 
res d' outre-tombe  où  il  l'avait  d'abord  vainement  cherchée,  la  page 
qu'il  croyait  imaginée  par  Sainte-Beuve.  —  Et  tout  est  rentré  dans 
l'ordre.  Sainte-Beuve  a  gardé  sa  réputation  de  critique  consciencieux, 
Chateaubriand  est  apparu  un  peu  moins  véridiquc  encore  qu'aupara- 
vant et  sa  sincérité  religieuse  devient  plus  douteuse  que  jamais  après 
l'authenticité  bien  constatée  de  cette  page. 

Raoul  Rosières. 


Pierre   Brln.   Henry  Beyle-Stendhal,  un  vol.  grand  in-8.   i5o   pages,   Grenoble. 
.Alex.  Gratier,  1900. 

Voici  sur  Stendhal  un  livre  écrit  sans  parii-pris  d'aucune  sorte  — 
le  cas  est  rare  et  mérite  d'être  signalé.  Il  comprend  une  étude  biogra- 
phique et  une  étude  critique,  et,  en  appendice,  quelques  notes  fort 
intéressantes  empruntées  à  un  exemplaire  de  la  Chartreuse  de  Parme 
que  Stendhal  avait  fait  interfolier  pour  préparer  une  seconde  édition 
de  son  roman,  édition  qui  est  restée  à  l'état  de  projet. 

L'étude  biographique  contient  l'essentiel,  bien  qu'à  notre  gré  elle 
soit  un  peu  écourtée  —  la  carrière  napoléonienne  de  Beyle  valait  la 
peine  d'être  racontée  avec  plus  de  détail.  Quelques  faits  devraient 
être  rectifiés.  M.  Brun  dit,  d'après  R.  Colomb,  que  Beyle  assista  à  la 
bataille  d'Iéna  —  or,  la  bataille  d'Iéna  est  du  14  octobre  1806  et  à 
cette  date  Beyle  se  trouve  à  Paris  ainsi  qu'en  lait  foi  son  Journal, 
p.  3?o.  La  nomination  d'adjoint  au  commissaire  des  guerres  n'est 
pas  de  1806,  mais  du  1 1  juillet  1807.  Delécluze  demeurait  rue  de  Clia- 
banais  et  non  rue  Cabanis.  M.  B.  est  bien  sévère  pour  Delécluze  qu'il 
nous  montre  «  critique  exact  et  pondéré^  sans  l'ombre  de  talent  et 
sans  la  moindre  imagination  »  (p.  36).  Ce  ne  fut  pas  un  génie,  tant 
s'en  faut,  mais  on  peut  défendre  Delécluze  en  prenant  pour  bouclier 
le  très  sympathique  article  que  Sainte-Beuve  lui  consacre  dans  les 
Nouveaux  Lundis,  III  (p.    -j-j-xi^).  M.  B.  dit  lui-même   que  Sainte- 


56  REVUE    CRITIQUE 

Beuve  est  notre  maître  à  tous.  Quant  à  Tinscription  tombale,  au 
fameux  Milanese,  M.  B.  ne  semble  pas  en  avoir  compris  la  beauté. 
Sur  Mérimée  il  y  avait  plus  et  moins  à  dire.  Mérimée  n'avait  pas  pris  à 
Stendhal  son  amour  de  l'histoire  de  l'art,  c'était  chez  lui  un  amour 
inné,  et  ce  fut  Mérimée  qui  révéla  à  Stendhal  les  secrets  techniques 
de  l'architecture  ogivale;  il  ne  lui  avait  pas  non  plus  emprunté  son 
libertinage  littéraire,  Mérimée  était  de  première  force  à  ce  jeu-là  et  il 
n'avait  nul  besoin  des  encouragements  de  son  ami.  M.  B.  aurait  pu 
insister  davantage  sur  les  relations  extrêmement  intéressantes  de  ces 
deux  hommes  et  se  renseigner  tout  d'abord  avec  plus  d'exactitude. 
P.  33,  le  baron  Girard  est  sans  doute  une  faute  d'impression  pour 
Gérard.  P.  18,  20,  21,  24,  3o  et  3i,  M.  B.  donne  comme  inédites  des 
lettres  de  Stendhal  à  sa  sœur  Pauline,  et  des  lettres  de  Mélanie  Guil- 
bert  qui  toutes  ont  été  publiées  en  1893  dans  un  volume  pourtant 
bien  connu  :  Souvenirs  d'Egotisme  et  Lettres  inédites,  p.  144-146; 
207;  210;  224-225;  226-22S.  Les  manuscrits  de  Grenoble  ont  été 
plus  explorés  que  M.  B.  ne  le  croit  et,  tout  compte  fait,  M.  B.  ne  nous 
offre,  comme  nouveauté,  que  les  notes  de  la  Chartreuse,  lesquelles 
notes  proviennent  d'une  collection  particulière. 

Nous  sommes  d'accord  avec  l'auteur  au  sujet  de  la  légende  don- 
juanesque qui  s'attache  si  injustement  à  Stendhal  et  nous  le  félici- 
tons d'avoir  su  remonter  ce  courant.  Mais  il  est  bien  dommage 
que  M.  Brun  n'ait  rien  dit  de  l'histoire  du  mariage  manqué  de 
Beyle  ;  il  la  trouvera  tout  au  long  dans  le  Stendhal  Inconnu  de  M.  Au- 
guste Cordier,  Chronique  de  Paris,  10  avril  1893,  p.  8i  et  82. 

L'étude  critique  est  beaucoup  plus  développée  que  l'étude  biogra- 
phique. M.  B.  l'a  écrite  avec  plus  de  plaisir,  cela  se  voit.  On  se  de- 
mande pourquoi  M.  B.,  ayant  à  parler  de  Stendhal  romancier,  com- 
mence par  la  Chartreuse  de  Parme  (1839)  pour  continuer  par  Ar- 
mance  (1827  et  non  1828]  et  par  Le  Rouge  et  le  Noir  (i83i).  L'ordre 
chronologique  était  pourtant  le  seul  qui  convint,  semble-t-il.  Ceci 
dit,  il  faut  reconnaître  que  M.  B.  juge  avec  beaucoup  de  finesse  ces 
trois  romans  de  mérite  fort  inégal.  A  propos  de  la  Chartreuse,  M.  B. 
répond  victorieusement  à  M.  Faguet  qui  a  écrit  que  Stendhal  «  était 
presque  incapable  d'idées  générales  »;  il  cite  aussi  Nietzsche,  mais  il 
aurait  dû  rappeler  l'admirable  jugement  que  ce  philosophe  porte  sur 
Beyle. 

Passons  au  Rouge,  Berthet  fut  exécuté  en  1827,  et  non  en  1828 
l'p.  55.  Le  portrait  de  M""^de  Rénal  est  charmant;  mais  il  est  gâté 
par  une  phrase  vraiment  bien  incompréhensible  :  «  Elle  a  été  élevée 
dans  les  jupes  austères  de  sa  tante,  d'où  elle  est  passée,  par  le  couvent, 
dans  le  giron  du  mariage  de  convenances  —  si  Von  peut  me  concéder 
que  le  mariage  ait  un  giron???  »  (p.  60).  Je  signale,  toujours 
à  propos  de  mariage,  un  rapprochement  d'assez  mauvais  goût  : 
«  Ce  qui   est  typique,   c'est  que   Mélanie,   prévoyant  et   devançant 


d'histoire  et  de  littérature  5j 

l'alliance  franco-russe,  se  maria  cette  année  même,  avec  un  bovard  » 

(p.    22). 

Le  livre  :  De  l'Amour  irouve  en  M .  B.  un  admirateur  profond  et 
un  analyste  très  bien  informé.  L'auteur  ne  fait  aucune  restriction  et 
il  dit  en  manière  de  conclusion  :  «  L'amour,  c'est  le  microcosme 
idéal  ;  et  celui  qui,  de  tous,  a  le  plus  approché  de  la  peinture  entière 
de  ce  microcosme,  c'est  Beyle,  qui  a  trouvé  là  l'occasion  de  déve- 
lopper sa  psychologie  merveilleuse  et  de  dépasser  de  toute  la  tète  et 
Platon,  et  Balzac,  et  Michelet,  et  Renan.  »  C'est  peut  être  voler  un 
peu  haut. 

M.  B.  m'attribue  la  publication  des  Lettres  intimes  de  Stendhal,, 
c'est  une  erreur;  elles  ont  été  éditées  par  M.  Lesbros-Bigillon,  petit 
neveu  par  alliance  de  Stendhal. 

Dans  sa  conclusion  M.  Brun  nie  l'influence  de  Stendhal,  il  la  dé- 
clare à  peu  près  nulle.  11  n'a  qu'à  lire  ou  à  relire  la  préface  de  l'His- 
toire de  la  Littérature  anglaise,  et  il  verra  s'il  est  possible  de  nier 
l'influence  de  l'auteur  de  «  tant  de  livres  décousus  ». 

En  somme,  il  est  à  souhaiter  que  ce  joli  volume,  très  agréablement 
illustré  de  vues  dauphinoises  et  de  portraits  inédits,  ait  bientôt  une 
seconde  édition.  Avec  quelques  sérieuses  retouches  et  quelques  im- 
portantes rectifications  il  sera  tout  à  fait  recommandable  et  ne  dépa- 
rera point  la  collection  déjà  nombreuse  des  travau.K  stendhaliens. 

Cette  Revue,  comme  son  nom  l'indique,  n'est  faite  que  pour  les 
articles  utiles;  que  M.  Brun  voie  dans  ces  quelques  lignes  une  preuve 
certaine  de  rintérêt  avec  lequel  j'ai  lu  son  livre. 

Casimir  Stryienski. 


Emile  Faguet.  Histoire  de  la  Littérature  française  (I  :  depuis  les  origines  jus- 
qu'à la  fin  du  xvi«  siècle;  II  :  depuis  le  xvii"  siècle  jusqu'à  nos  jours);  illustrée 
d'après  les  mss.  et  les  estampes  conservés  à  la  bibliothèque  nationale  (224  plan- 
ches). —  Paris,  libr.  Pion,  2  vol.  in-io,  d.  481  et  475  pp.  Prix  :  8  fr. 

Qu'il  soit  malaisé,  à  l'heure  actuelle,  d'écrire  une  histoire  de  la 
littérature  française  vraiment  personnelle  et  neuve,  c'est  une  chose 
dont  on  conviendra  aisément.  M.  Emile  Faguet  a  pourtant  résolu  le 
problème,  d'une  certaine  façon,  tout  au  moins;  et  l'on  ne  dira  jamais, 
en  lisant  ses  deux  volumes  :  ce  n'est  qu'une  histoire  de  plus,  à  ajouter 
à  tant  d'autres.  Il  est  vrai  qu'il  a  procédé  d'une  manière  qui  n'est  pas 
donnée  à  tout  le  monde.  Pour  que  son  livre  porte  ses  fruits  et  soit 
apprécié  à  sa  juste  valeur,  il  faut  avant  tout  que  le  lecteur  ait  pleine 
confiance  en  son  jugement,  ou  pour  mieux  dire  en  la  compétence  de 
son  jugement.  Car  M.  F.  n'enseigne  pas  seulement,  ne  raconte  pas 
uniquement  ;  à  chaque  pas,  il  donne  son  avis,  il  conclut  :  son  œuvre, 
claire,  nette,  extrêmement  informée,  parfaitement  indépendante,  est 
essentiellement  personnelle. 


58 


REVUE  CRITIQUE 


C'est,  à  mon  sens,  ce  qui  en  iaii  le  charme,  et  le  mérite.  Après  tout, 
chacun  ncn  reste  pas  moins  libre  de  penser  autrement  ;  mais  il  n'est 
pas  donné  à  tout  le  monde  de  juger  avec  tant  de  justesse  et  d'à-propos, 
d'un  coup  d'œil  aussi  bref.  Il  faut  du  reste  s'entendre  sur  le  caractère 
spécial  de  celte  nouvelle  histoire  de  notre  littérature.  C'est  une  cau- 
serie^ au  fond,  et  M.  E.  F.  a  voulu  qu'elle  ne  fut  pas  autre  chose,  car, 
s'il  V  a  souvent  des  citations  dans  le  texte,  si  d'ailleurs  le  texte,  très  au 
courant  des  dernières  informations,  est  illustré  de  nombreux  portraits 
ou  fac-similé  d'écritures,  savamment  choisis  et  parfaitement  repro- 
duits, tout  de  même,  on  ne  trouvera  ici  aucune  référence,  aucune 
note,  aucune  indication  critique,  soit  sur  les  œuvres  des  auteurs,  soit 
sur  les  travaux  dont  ils  ont  été  l'objet. 

C'est  tellement  une  causerie  plutôt  qu'une  histoire,  que  peut-être 
M.  E.  F.  ne  s'est  pas  assez  défié  de  la  propension  habituelle  du  cau- 
seur: à  s'attarder  sur  les  sujets  qu'il  pense  plus  inconnus  de  ses  audi- 
teurs, ou  qu'il  trouve  plus  curieux  comme  thème  pour  lui-même,  et 
à  passer  rapidement  sur  ceux  dont  le  jugement  qu'il  pourrait  porter 
est  plus  généralement  admis,  va  sans  dire,  ne  prête  guère  à  contro- 
verse. De  là,  parfois,  un  certain  manque  de  proportions  entre  les 
époques  ou  les  écrivains,  qui  n'a  d'ailleurs  pas  de  grands  inconvé- 
nients et  qu'il  suffit  qu'on  sache  d'avance,  pourvu  qu'on  ne  croie  pas 
que  cette  histoire  doive  renseigner  sur  tout  et  répondre  à  toutes  les 
questions.  De  là  aussi,  en  revanche,  une  foule  de  vues  ingénieuses  et 
vives,  de  jugements  éloquents  en  leur  brièveté,  de  mots  heureux  et 
originaux. 

On  voit,  par  la  division  des  matières  de  ces  deux  volumes,  combien 
il  insiste  sur  les  périodes  antérieures  au  grand  siècle,  et  par  suite, 
combien  il  lui  faut  marcher  vite,  et  trop  vite,  après.  Il  se  joue  du  reste 
avec  bonheur  des  difficultés  de  la  première  besogne,  et  même  sait 
expliquer  les  formes  et  les  idées  de  ces  époques  qui  passent  géné- 
ralement pour  arides  et  ennuyeuses,  à  l'aide  d'exemples  tirés  des 
modernes  :  rapprochement  un  peu  forcé,  qu'on  n'ose  généralement 
pas,  mais  qui  a  de  la  liberté  et  de  la  vie.  De  jolies  et  adroites  citations, 
surtout  quand  il  s'agit  des  poètes,  pour  lesquels  M.  F.  a  un  faible 
décidé  '  (^à  toute  époque),  contribuent  pour  leur  bonne  part  à  inté- 
resser le  lecteur  à  la  suite  du  brillant  causeur.  Et  il  est  tout  à  fait 
gagné  quand  il  lit  les  excellentes  pages  que  celui-ci  a  ajoutées  à  la  fin 
de  chaque  période,  où  il  résume  l'effort  et  le  caractère  témoignés  par 
les  œuvres,  et  conclut  sur  leur  place  dans  l'histoire. 


I.  11  y  a  bien  des  rimailleurs  au  xvi«  siècle,  et  on  peut  trouver  que  M.  Faguet s'y 
attarde  beaucoup.  Il  y  en  a  d'autres  qu'on  connaît  en  effet  trop  mal  et  que  quel- 
ques citations  bien  choisies  relèvent  et  éclairent  mieux.  Mais  quand  il  lâche  cette 
conclusion  :  n  Ronsard  est  un  des  trois  ou  quatre  grands  noms  de  la  littérature 
française  »,  il  est  permis  de  supposer  que  la  fin  de  la  phrase  est  restée  au  bout  de 
sa  plume,  et  qu'il  voulait  dire  »  du  xv.°  siècle  «. 


d'histoire  et  de  littérature  59 

C'est  avec  le  xvii=  siècle  qu'apparaissent  les  disproportions  dont  je 
parlais  tout  à  l'heure,  dues  à  cette  pensée  que  les  très  grands  noms 
n'ont  pas  autant  besoin  qu'on  y  insiste,  que  ceux  qui  sont  restés  moins 
connus  et  mal  expliqués.  Ce  n'est  pas  tout  à  fait  l'opposé,  mais  peu 
s'en  faut,  de  la  méthode  de  M .  F.  -Brunetière  dans  son  récent  Précis 
de  la  littérature  française.  Ainsi,  le  croirait-on,  Pascal  occupe  une 
page  à  peine  chez  M.  F . ,  quand  il  en  a  huit  dans  l'unique  volume  de 
M.  Brunetière,  et  le  chapitre  où  Pascal  et  Descartes  sont  liquidés  en 
quelques  mots,  justes  d'ailleurs,  est  quatre  fois  plus  bref  que  le  cha- 
pitre qui  suit,  où  précieux  et  burlesques  ont  été  analysés.  Mon  Dieu, 
ce  n'est  pas  que  je  blâme  le  procédé,,  d'autant  qu'il  nous  vaut  peut-être 
des  jugements  d'autant  plus  solides  en  leur  brusquerie  ;  mais  il  faut 
avenir.  Ainsi  ce  mot  sur  Bossuet  moraliste  peut  montrer  comment 
M.  F.  sait  s'en  tirer  quand  il  n'a  pas  10  pages  d'analyse  à  consacrera 
son  homme  : 

«  On  n'a  pas  assez  dit  à  quel  point  il  a  été  un  penseur  ;  non  pas 
sans  doute  un  philosophe,  et  la  philosophie  de  sa  religion  lui  suffisait; 
mais  un  moraliste  profond  qui  a  fait  autant  de  découvertes  dans  Tàme 
humaine  qu'il  a  donné  de  fortes  expositions  de  la  foi.  On  n'y  fait  point 
assez  attention,  parce  que  les  observations  et  les  analyses  sont  répan- 
dues à  travers  tous  ses  ouvrages  ;  mais  il  est  étrange  que  la  Roche- 
foucauld passe  pour  un  grand  moraliste  avec  ses  cent  pages  de 
pensées,  alors  que  Bossuet  en  présenterait  tout  autant  et  d'aussi  fortes, 
s'il  s'était  inquiété  de  les  réunir  en  un  volume.   » 

En  vérité  on  ne  saurait  mieux  dire,  et  il  y  a  ici  une  foule  de  juge- 
ments aussi  nets  et  aussi  nourris.  Il  y  en  a  aussi  beaucoup  de  spiri- 
tuels, qu'on  aimerait  à  citer.  Comme  celui-ci,  sur  Voltaire,  d'ailleurs 
développé  ensuite  :  «  Il  n'a  jamais  bien  su  ce  qu'il  voulait,  ce  dont  on 
ne  peut  lui  faire  un  grand  reproche,  car  le  nombre  de  ceux  qui  ont  su 
ce  qu'ils  voulaient  est  très  restreint  dans  l'histoire  universelle;  mais  il 
savait  assez  bien  ce  qu'il  ne  voulait  pas. . .    » 

Pour  l'époque  moderne  et  les  écrivains  de  ce  siècle  (notons  aupara- 
vant l'excellent  jugement  général  sur  le  xviii"  siècle),  il  n'y  avait  déci- 
dément plus  assez  de  place,  et  le  défaut  de  renseignements  précis  est 
aussi  plus  sensible  qu'ailleurs.  Il  y  a  toujours  de  fines  études  et  de 
justes  jugements,  mais  ne  faudrait-il  pas  les  faire  reposer  un  peu  plus 
que  sur  rien,  comme  c'est  trop  souvent  le  cas  ?  Les  principales  œuvres, 
les  œuvres  essentielles  à  retenir  ne  sont  pas  toujours  indiquées,  et  il 
n'y  a  même  parfois /»^i'  un  seul  titre  cité  (pour  Balzac,  par  exemple). 
Avec  les  quelques  lignes  consacrées  aux  Lamennais,  aux  Quinet,  aux 
Guizot,  aux  Mérimée,  il  est  impossible  de  savoir  ce  qu'ils  ont  bien  pu 
faire  pour  obtenir  cette  notoriété  littéraire, et  si,  en  revanche,  le  lecteur 
trouve  quatre  pages  pour  le  seul  Renan  et  quatre  autres  pour  le  seul 
Tainc,  j'en  sais  qui  ne  regarderont  pas  cela  comme  une  consolation. 

M.  Faguet  ne  s'est  peut-être  pas  toujours  assez  rendu  compte  à  qui 


6o  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

il  parlait,  sinon  à  lui-même,  voilà  le  fond  de  tout  ceci.  Mais  il  y  à  tant 
à  gagner  aux  soliloques  d'un  esprit  fortement  nourri  comme  le  sien, 
et  qui  rend  si  bien  sa  pensée,  qu'il  faut  surtout  se  féliciter  de  la  bonne 
fortune  qui  a  permis  à  un  chacun  de  l'entendre  et  de  le  lire. 

Henri  de  Curzon. 


ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  2 g  juin  i goo  (suite). 

M.  Paul  Tannery  fait  une  communication  relative  à  un  certain  Dominiciis 
Parisiensis,  mentionné  dans  une  Géométrie  pratique  composée  à  (^ulm  vers  1400 
et  sur  lequel  de  longues  recherches  ont  été  entreprises  par  M.  Maximiiicn  Curtze. 
M.  Curtze  a  retrouvé  de  nombreux  mss.  d'un  ouvrage  mathématique  d'un  intérêt 
considérable,  écrit  eu  1347  P^r  un  maître  es  arts  de  l'Université  de  Paris,  Domi- 
niciis de  Clavasio  (Chivasso),  qui  fut  ensuite  docteur  médecin  et  astronome  ou 
astrologue  d'un  roi  de  France,  probablement  Jean  le  Bon,  car  il  parait  être  mort 
entre  i357  et  r362.  M.  Curtze  a  établi  le  texte  sur  un  ms.  de  Munich  du  xv«  s.  ; 
M.  Tannery  en  a  commencé  la  collation  sur  un  ms.  de  Paris,  daté  de  iSôg.  —  Il 
rappelle  ensuite  qu'en  1897  M.  Curtze  a  également  publié  comme  anonyme  un 
court  opuscule,  Practica  geometriœ,  composé  vers  le  milieu  du  xii^^  siècle,  et  parti- 
culièrement intéressant  en  ce  qu'il  montre  le  développement  mathématique  dans 
l'Occident  latin  au  moment  précis  où  l'intluence  des  traductions  laites  sur  l'arabe 
va  commencer.  Cet  opuscule  a  été  rangé  parmi  les  œuvres  de  Hugues  de  Saint- 
Victor,  notamment  par  M.  Hauréau.  M.  Tannery  remarque  que  dans  les  mss. 
l'opuscule  présente  une  suite  (sur  la  cosmimétrie)  qui  mérite  d'être  publiée  ;  il 
conclut  contre  la  tradition  qui  donne  l'ouvrage  à  Hugues  de  Saint-\'ictor.  Cepen- 
dant l'auteur  a  dû  s'appeler  Hugues;  on  peut  proposer  de  l'identifier  avec  un 
maître  es  arts  de  l'Université  de  Paris,  lequel  portait  ce  nom  et  mourut  en  1199 
après  avoir  exercé  la  médecine. 

Séance  du  6  juillet   i goo 

L' .académie  se  forme  en  comité  secret. 

M.  Babelon  communique  une  note  de  M.  A.  Degrand,  consul  de  France  à  Phi- 
lippopolis  (Bulgarie).  Dans  cette  note,  M.  Degrand  signale  la  découverte,  non  loin 
de  Philippopolis,  d'une  statue  de  marbre  du  'cavalier  ilirace,  personnage  héroïque 
que  l'on  trouve  sur  de  nombreuses  stèles  funéraires  et  sur  les  monnaies  antiques 
du  pays.  M.  Babelon  tait  remarquer  que  ce  type  monétaire  et  sculptural  se  rapporte 
au  culte  des  ancêtres  qui  était  très  en  honneur  chez  les  Thraces. 

M.  Bouchê-Leclercq  présente  quelques  observations  sur  le  totémisme,  à  propos 
delà  récente  communication  de  M.  Salomon  Reinach. 

Léon  DoRKZ. 


Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 
Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23, 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  30  —  23  juillet  —  1900 


MoHL,  Introduction  à  la  chronologie  du  latin  vulgaire;  Le  couple  roman  lui.  — 
SoLTAU,  Le  poète  Blacas.  —  Prarond,  Abbeville  sous  Charles  VIT  et  Louis  XI. 
—  Block,  Histoire  des  Pays-Bas,  II.  —  Bischoffshausen,  Alexandre  VIII  et  la. 
la  cour  de  Vienne.  —  Bardot,  La  question  des  villes  impériales  d'Alsace.  —  Pe- 
tit DE  JuLLEviLLE,  Histoirc  de  la  langue  et  de  la  littérature  françaises,  VIII  et 
IX.  — Sakellaropoulos,  Conjectures  sur  des  auteurs  latins. —  Mau,  Catalogue 
de  la  Bibliothèque  de  l'Institut  archéologique  allemand  de  Rome.  —  Des  Marez, 
Les  seings  manuels  des  scribes  yprois.  —  G.  Paris,  Poèmes  et  légendes  du 
moyen  âge.  —  Sakmann,  Voltaire  et  le  duc  de  Wurtemberg.  —  Neera,  Le  siècle 
galant.  —  Breymann,  Bibliographie  phonétique.  —  Eug.  Manuel,  Œuvres  com- 
plètes. —  Paris  de  i8oo  à  1900,  V-VI.  —  Riat,  Paris  artistique.  — Joanne,  Dic- 
tionnaire géographique  de  la  France.  —  Sayous,  Histoire  des  Hongrois,  nouv. 
éd.  —   Horvath,  Karbos  et  Endroedi,  Histoire  de  la  littérature  hongroise. 


I,  —  Introduction  à  la  Chronologie  du  Latin  vulgaire.  Etude  de  philologie 
historique,  par  F. -G.  Mohl,  lecteur  à  l'Université  de  Prague  (122*  fascicule  de  la 
Bibliothèque  de  V Ecole  des  Hautes-Etudes).  Paris,  Em.  Bouillon,  1899;  '  '^o^- 
in-S",  de  xii-33g  p. 

II.  —  Le  couple  roman  lui  :  lei.  Ses  origines  et  son  histoire  dans  les  dialectes 
vulgaires  de  l'Empire  Romain  (an  tchèque  avec  résumé  en  français),  par  le 
D'  F.-G.  MoHL.  Prague,  1899;  i  vol.  in-S»  de  vi-i24p. 

I.  —  Voici  —  je  n'hésite  pas  à  le  dire  —  le  livre  le  plus  important 
qui  ait  été  publié  depuis  plusieurs  années  sur  les  origines  romanes. 
Presque  à  son  apparition,  V Académie  des  Inscriptions  lui  a  justement 
décerné  une  de  ses  plus  hautes  récompenses.  Pour  ma  part,  je  l'ai  lu 
avec  infiniment  d'intérêt,  je  dirai  presque  avec  un  peu  d'effroi  :  le  mot 
n'est  pas  trop  fort,  à  la  condition  d'être  bien  vite  expliqué.  Sur  beau- 
coup de  points  fondamentaux,  que  les  romanistes  s'étaient  habitués  — 
un  peu  par  paresse  d'esprit,  il  faut  bien  l'avouer — à  considérer  comme 
résolus  ou  acquis  à  la  science,  M.  Mohl  vient  donner,  proposer  tout 
au  moins  des  solutions  à  peu  près  nouvelles.  Il  le  fait  avec  une  tran- 
quille sérénité,  la  hardiesse  d'un  esprit  très  mûr,  vigoureux  dans  ses 
déductions,  en  s'appuyant  à  chaque  instant  sur  des  recherches  minu- 
tieuses et  patientes  qui  lui  permettent  de  ne  généraliser  qu'à  bon  escient. 
La  première  impression  est  que  ce  livre  vise  à  tout  renouveler,  à 
changer  d'orientation  les  procédés  et  la  méthode,  et  qu'il  va  peut-être 
nous  forcer  sinon  à  adorer  ce  que   nous  avons   brûlé,  du  moins  à 

Nouvelle  série  L,  3o 


b2  REVUE    CRITIQUE 

brûler  ce  que  nous  avons  adore.    Le    sacrifice  est  toujours  un  peu 
pénible,  et  il  est  bien  légitime   qu'au  premier  abord  le  lecteur  s'en 
trouve  troublé  dans  une  certaine  mesure.  Mais,  après  tout,  la  question 
n'est  pas  là,  et  je  ne  devrais  pas  m'attarder  sur  ces  considérations. 
Que  des  habitudes  prises  soient  dérangées  par  une  publication  de  ce 
genre,  où  sera  le  mal,  pourvu  que  la  science  en  profite  ?  Ce  qu'il  s'agit 
de  savoir,  c'est  en  somme  si  l'auteur  a  raison,  et  dans  quelle  mesure? 
M.  M.,  qui  est  un  ancien  élève  de  M.  Bréal  (auquel  son  livre  est 
dédié),  est  parti  de  cette  idée  qu'on  a  généralement  jusqu'ici  cherché 
les  origines  du  latin  vulgaire  à  une  époque  infiniment  trop  récente, 
tout  à  la  fin  de  l'Empire;  qu'on  a  voulu  le  reconstruire  artificielle- 
ment, en  lui  attribuant  une  unité  chimérique  et  qu'il  n'a  jamais  eue. 
Le  latin  vulgaire  doit  être  considéré  comme  un  compromis  entre 
l'ancien  sermo  rusticus  du  Latium  et  les  dialectes  locaux  (appelés  ici 
du  nom  de  peregrinitas  italica)  :  c'est  ce  latin  provincial  d'Italie  qui 
est  la  source  de  presque  toutes  les  particularités  du  latin  vulgaire.  Il 
faut  donc  rechercher  avant  tout  en  quoi  consistent  ces  particularités, 
et  comment  elles  se  rattachent  aux  anciens  dialectes  italiques  tels  que 
rOsque,  l'Ombrien,  etc.  Il  faut  aussi  les  suivre  à  la  trace  en  quelque 
sorte,  voir  comment  elles  ont  pu  subsister  d'abord,  puis  peu  à  peu  se 
répandre  de  proche  en  proche  :  d'où  nécessité  d'appeler  à  son  aide 
toutes  les  lumières  de  l'histoire  et  de  l'interroger  dans  ses  moindres 
détails,  d'examiner  par  exemple  les  translocations  de  populations,  les 
établissements  de  colons,  les  séjours  qu'ont  pu  faire  certaines  légions 
dans  telle  ou  telle  partie  du  monde  romain.  Il  y  a  dans  cet  ordre  d'idées 
un  chapitre  d'une  pénétration  singulière,  et  d'un  puissant  intérêt  lin- 
guistique, quoique  aucun  fait  linguistique  proprement  dit  n'y  soit  allé- 
gué :  c'est  le  chapitre  III,  assez  étendu  (p,  87-1  5 1)  et  consacré  tout  en- 
tier à  l'Italie,  montrant  comment  après  la  guerre  sociale  surtout,  et  à  la 
suite  de  quels  déplacements  de  populations  il  s'est  produit  une  unifor- 
misation toute  relative  du  langage  parlé  dans  la  péninsule.  Car  c'est 
toujours  là  qu'en  revient  M.  M.,  et  il  le  répète  à  plusieurs  reprises  en 
termes  presque  identiques,  notamment  à  la  p.  i  5/  où  il  dit  :  «  L'unité 
«  du  latin  vulgaire,  son  identité  presque  absolue  avec  la  langue  écrite, 
«  telle  qu'elle  nous  apparaît  vers  la  fin  de  l'Empire,  au  seuil  de  la 
«  période  romane,  a  été  avant  tout  l'œuvre  du  temps.  »  11  est  vrai 
qu'ici  l'expression  semble  un  peu  trahir  la  pensée  de  l'auteur  :  car 
enfin  si  le  latin  vulgaire  s'est  unifié,  peu  nous  importe  que  cette  unifi- 
cation se  soit  opérée  tardivement  ou  non;  l'essentiel  c'est  qu'elle  a  eu 
lieu  dans  une  large  mesure,  et  dès  lors  où  serait  l'intérêt  immédiat  de 
ces  investigations  dont  on  nous  parlait  précédemment,  faites  dans  le 
vieux  passé  italique?  A  quoi  bon  ces  fouilles  méthodiques,  si  tout  ce 
que  nous   pouvons   espérer  ramener  au  jour  consiste  en   quelques 
formes  archaïques  qui  se  seraient  conservées  çà  et  là,  comme  vocitus 
pour  vacuiis  un  peu  partout,  ou  encore  covus  pour  cavus  attesté  en 


d'histoire  et  de  littérature  63 

Ibérie  par  l'espagnol  ciieva  (sans  oublier  l'Aquitaine,  puisque  la  forme 
de  l'ancien  béarnais  est  également  cube]  ?  Le  résultat  serait  un  peu 
maigre,  et  ce  n'est  point  là  évidemment  ce  qu'a  prétendu  M.  M., mais 
il  y  a  des  moments  où  on  serait  tenté  de  le  croire  d'après  ses  paroles 
mêmes.  La  vérité,  c'est  que  dans  son  livre  la  discussion,  toujours  inté- 
ressante, procède  d'une  façon  un  peu  trop  discursive  :  si  la  méthode 
y  est  entrevue,  elle  n'est  point  encore  arrêtée  cependant  dans  ses 
lignes  définitives.  Et  ce  n'est  pas  là  un  reproche  que  j'adresse  à 
l'auteur,  mais  il  fallait  bien  le  constater. 

Parmi  les  très  nombreux  points  de  détail  qu'a  eu  à  aborder  M.  M., 
au  courant  de  la  discussion,  parmi  tous  les  faits  sur  lesquels  il  a. 
cherché  à  étayer  ses  démonstrations,  il  y  en  a  aussi  naturellement  çà 
et  là  sur  lesquels  je  ne  suis  pas  d'accord  avec  lui,  ou  qui  me  parais- 
sent même  présentés  d'une  façon  peu  exacte.  Et  je  ne  voudrais  pas 
insister  là-dessus,  mais  il  faut  pourtant  que  j'en  cite  quelques-uns. 
Est-il  bien  juste  par  exemple,  au  point  de  vue  chronologique,  de  ne 
mettre  (p.  5j)  qu'un  intervalle  de  trois  siècles  entre  Polybe  et  Ulpien  ? 
Dire  qu'Ausone  était  Eduen  fp.  69)  est  admissible  à  la  rigueur —  il 
l'était  en  effet  d'origine,  par  son  aïeul  Agricius,  —  c'est  cependant  se 
servir  d'une  expression  un  peu  forcée.  Ce  qui  ne  me  paraît  point 
exact  non  plus,  et  ce  qui  est  sans  doute  un  peu  plus  grave,  c'est  de 
comparer  (p.  166)  l'influence  du  latin  littéraire  sur  les  patois  italiques 
à  ce  qui  s'est  passé  en  France  vers  l'époque  du  Saint-Alexis  ou  du 
Roland  :  il  me  semble  que  dans  le  premier  cas  nous  avons  à  faire  à 
une  action  tout  autrement  intense,  à  une  pénétration  de  formes  et  de 
tours  syntaxiques,  tandis  que  dans  le  second  cas  il  ne  s'agit  après  tout 
que  d'un  emprunt  de  quelques  termes  savants  et  abstraits.  Je  n'aime 
pas  davantage  les  considérations,  qui  suivent  presque  immédiatement, 
sur  l'éternité  possible  des  langues  :  mais  ceci  est  affaire  d'appréciation, 
et  nous  entraînerait  trop  loin.  Citons  encore  quelques  faits  douteux  : 
dans  une  note  de  la  p.  83,  M.  M.  se  déclare  «  sceptique  à  l'égard  de 
l'antiquité  de  ii  en  Gaule  »,  mais  il  n'allègue  pour  soutenir  son 
opinion  qu'une  preuve  vraiment  assez  faible,  l'existence  aux  environs 
de  Paris  d'un  village  appelé  Marsan,  et  dont  le  nom  remonte  à  une 
ancienne  forme  Murocinctus.  Supposer  (p.  248)  que  dans  les  formules 
impératives  et  négatives  de  l'ancien  français,  telles  que  ne  dire,  ne 
changier,  se  cachent  d'anciens  imparfaits  latins  {ne  diceres^  ne  cam- 
biares)  ne  me  semble  point  non  plus  une  hypothèse  heureuse.  Et  ce 
que  je  puis  encore  moins  admettre,  c'est  l'explication  du  provençal 
gla^i  par  une  forme  gladi  [m)  pour  gladium  (p.  285)  :  si  l'on  suppose 
le  mot  populaire,  pour  quelle  raison  1'/  final  s'y  serait-il  conservé? 
Parfois,  M.  M.  a  le  tort  de  nous  laisser  espérer  une  explication  qu'il 
réserve  ensuite  et  ne  donne  pas  :  ainsi,  dans  une  note  de  la  p.  191,  il 
dit  d'une  façon  un  peu  énigmatique  que  la  solution  de  la  question  du 
suffixe  français  -/er  pourrait  bien  reposer  sur  une  alternance  en  latin 


64  REVUE    CRITIQUE 

vulgaire  de  -ario  et  de  -aris,  et  cette  hypothèse  est  reproduite  à  peu 
près  dans  les  mêmes  termes  à  la  p.  285.  C'est  trop  dire,  ou  trop  peu  : 
il  faudrait  s'expliquer  ne  fût-ce  qu'en  une  ligne  ou  deux,  car  nous  ne 
pouvons  vraiment  pas  deviner  comment  la  solution  du  problème  se 
présente  à  l'esprit  de  l'auteur.  Suppose-t-il  qu'un  lype  panaris  aurait 
abouti  en  vieux  français  à  panier  (auquel  cas  il  aurait  tort,  puisque 
singularis  devient  sangler)!  Mais,  en  vérité,  nous  n'en  savons  rien,  et 
nous  ne  pouvons  pas  discuter  dans  le  vide.  Enfin,  il  y  a  un  reproche 
qu'on  pourrait  adresser  parfois  à  M.  M.,  et  qui  tient  à  ce  qu'il  a 
employé  dans  ce  livre  une  méthode  discursive,  à  ce  qu'il  a  présenté 
ses  observations  «  sans  beaucoup  d'ordre  et  d'après  un  plan  des  plus 
larges  »,  comme  il  le  dit  lui-même.  Les  mêmes  faits  sont  allégués 
quelquefois  à  plusieurs  reprises,  et  ce  n'est  pas  là  qu'est  le  mal  :  ce 
qui  est  plus  regrettable,  c'est  qu'ils  n'y  sont  pas  toujours  présentés 
sous  un  jour  identique,  et  qu'il  y  a  même  désaccord  entre  certains 
passages,  entre  certaines  formules.  Ainsi,  p.  80,  je  lis  que  le  maintien 
du  type  domni  en  Italie  a  «  une  origine  quelque  peu  différente  »  de 
celle  qu'il  a  en  Gaule  ;  je  vais  ensuite  à  la  p.  214,  et  je  vois  qu'entre  le 
domni  du  latin  vulgaire  d'Italie  et  celui  de  la  Transalpine  il  y  a  une 
«  différence  absolue  qui  les  sépare  »  :  voilà  deux  formules  qu'il  fau- 
drait faire  concorder.  Il  y  a  quelques  vacillements  encore  dans  la 
façon  dont  est  présentée  la  transformation  des  neutres  comme  gaudia 
en  singuliers  féminins  :  à  la  page  177,  c'est  la  théorie  d'Appel  qui  est 
adoptée,  celle  qui  repose  sur  les  influences  de  la  langue  poétique  ; 
mais  je  ne  vois  pas  bien  alors  pourquoi  plus  loin  (p.  199)  il  est  ques- 
tion d'un  singulier  arma  reconstruit  d'après  le  pluriel  armae,  tout  au 
moins  en  Italie.  De  même,  on  pourrait  croire  à  la  p.  82  que  le  tt  ita- 
lien pour  et  est  donné  comme  sorti  d'une  étape  ht;  il  faut,  en  réalité, 
aller  à  la  p.  3  16  pour  avoir  sur  ce  point  la  vraie  pensée  de  l'auteur. 

Je  ne  veux  point  multiplier  ces  critiques  de  détail.  Je  ne  veux  pas 
laisser  croire  non  plus  qu'en  fait  de  théories  linguistiques,  il  n'y  a  dans 
ce  livre  que  des  vues  provisoires  et  des  excursus,  quel  qu'en  puisse 
d'ailleurs  être  l'intérêt.  A  côté  de  cela  nous  y  trouvons  deux  points 
qui  ont  été  abordés  de  front  et  traités  avec  ampleur  :  l'un  est  relatif  à 
la  phonétique,  l'autre  à  la  morphologie,  et  tous  les  deux  sont  d'une 
importance  vraiment  capitale.  Le  problème  de  phonétique  qu'a  repris 
ici  M.  M.  est  celui  de  la  palatalisation  des  gutturales  latines  (p.  289- 
3 18)  :  tout  ce  que  je  puis  dire,  c'est  qu'à  mon  sens  il  ^lui  a  fait  faire 
un  bon  pas.  Il  a  vigoureusement  combattu  le  scepticisme  des  roma- 
nistes, qui  voudraient  retarder  jusqu'au  vi^  ou  au  vii^  siècle  les  débuts 
de  la  palatalisation,  il  a  fait  ressortir  l'invraisemblance  d'une  telle 
théorie.  Pour  ma  part,  il  y  a  longtemps  que  j'admettais  l'étape  À*'  pour 
le  latin  vulgaire  de  l'époque  impériale;  je  serais  disposé  maintenant  à 
aller  plus  loin,  mais  le  problème  se  présente  sous  une  forme  vraiment 
trop  complexe  pour  être   aborde   ici.    Quant  à  la  loi   qui   est  posée 


d'histoire  et  de  littérature  65 

p.  299  relativement  à  la  Gaule  (tsy  de  ty  et  de  k  -{-  e,  {;  tts  de  ky, 
elle  me  paraît  juste  dans  son  ensemble,  quoiqu'elle  soit  à  vrai  dire  une 
constatation  des  faits  plutôt  qu'une  explication.  —  L'autre  théorie, 
qui  a  été  plus  qu'esquissée  ici  (p.  177-225),  c'est  celle  de  la  déclinai- 
son en  latin  vulgaire  et  des  destinées  qu'elle  a  eues  dans  les  diverses 
régions  où  devaient  se  développer  plus  tard  des  langues  romanes. 
Rapportant  essentiellement  les  faits  à  l'effacement  ou  à  la  conserva- 
tion de  Vs  finale,  M.  M.  a  déployé  pour  les  exposer  beaucoup  d'origi- 
nalité et  une  singulière  vigueur  d'esprit  :  si  tout  cela  n'est  pas  encore 
prouvé  d'une  façon  définitive,  il  s'en  faut  de  peu  cependant  que  ce  ne 
soit  la  vérité  toute  entière,  et  je  crois  bien  qu'on  n'en  avait  pas  encore 
approché  d'aussi  près.  Donnons  une  idée  de  cette  hardiesse  brillante 
dans  l'interprétation  des  faits.  Il  est  admis  ici  qu'au  nominatif  aussi 
bien  qu'à  l'accusatif  singulier  des  noms  masculins  une  finale  inva- 
riable o  a  existé  de  tout  temps  dans  le  latin  parlé  d'Italie  et  d'Espagne. 
Et  l'auteur  voit  bien  la  grave  objection  qu'on  peut  faire  à  cette  théorie 
d'une  forme  domno  ancienne  :  c'est  l'existence  de  domnii  en  sarde. 
Pour  parer  à  cette  difficulté,  il  fait  intervenir  l'influence  de  l'Italie  du 
sud  et  du  vocalisme  spécial  à  la  langue  osque  :  il  n'en  reste  pas  moins 
que  le  sarde  logoudorien  a  dans  sa  conjugaison  kanto  en  face  des 
noms  comme  domnu,  tandis  que  l'Italie  méridionale  dit  uniformé- 
ment kantii,  domnu,  et  il  y  a  là  quelque  chose  assurément  qui  est  de 
nature  à  inspirer  des  doutes.  La  question  n'est  peut-être  pas  encore 
vidée  complètement,  et  a  besoin  d'être  serrée  de  près.  L'explication 
donnée  sur  la  formation  du  pluriel  en  italien  (et  du  même  coup  en 
roumain)  est  extrêmement  ingénieuse  :  ce  sont  des  ïorm.Q?, patreis,  dom- 
nets,  qui  ont  fusionné,  qui  som  devenues  patris.  domnis,  pour  aboutir 
uniformément  a.  patri,  domni,  car  autrement  on  ne  comprendrait  pas 
que  le  nominatif  ait  pu  succéder  directement  aux  cas  obliques 
(remarque  qui  me  paraît  d'une  justesse  incontestable).  Par  contre,  les 
choses  se  sont  passées  tout  autrement  dans  la  péninsule  ibérique  et  en 
Gaule,  c'est-à-dire  dans  les  régions  où  s  finale  est  restée  sensible  :  je 
regrette  seulement  qu'en  parlant  de  la  Gaule  et  en  attribuant  à  des 
influences  celtiques  l'existence  d'un  féminin  pluriel  unique  domnas  en 
face  de  domni.  domnos,  M.  M.  n'ait  pas  rappelé  que  cette  solution  a 
déjà  été  proposée,  il  y  a  près  de  trente  ans,  par  M.  d'Arbois  de  Jubaiiv 
ville;  c'est  un  oubli  involontaire,  j'en  suis  sûr.  Je  recommande  enfin 
les  pages  (p.  225  et  sq.i  où  les  faits  en  apparence  embrouillés  et  con- 
tradictoires, qu'on  constate  actuellement  dans  les  idiomes  rhétiqucs, 
sont  allégués  comme  confirmation  de  tout  ce  qui  précède.  C'est  par 
des  constatations  de  ce  genre,  par  une  accumulation  patiente  de  faits, 
que  l'auteur  nous  fait  entrevoir  peu  à  peu  les  langues  romanes  plon- 
geant leurs  racines  fort  loin  dans  le  passé,  plus  loin  peut-être  qu'on 
ne  voulait  le  croire  jusqu'ici.  Il  arrive  du  même  coup  à  faire  ressortir 
le  danger  des  constructions  à  priori,  brillantes  en  apparence  et  dont 


66  REVUE   CRITIQUE 

toutes  les  parties  semblent  liées  entre  elles  d'une  façon  logique,  sans 
qu'elles  cadrent  mieux  pour  cela  avec  la  réalité  et  attestent  autre  chose 
qu'une  stérile  dépense  d'ingéniosité.  Le  coup  de  cloche  que  donne  à 
cet  égard  M.  M.  mérite  d'être  entendu,  et  aura  certainement  son 
utilité.  On  pourra  bien  reprocher  à  son  livre  des  lacunes  et  des  imper- 
fections, une  méthode  encore  flottante  parfois  :  il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que,  si  du  premier  coup  il  n'a  pas  complètement  maîtrisé  son 
immense  matière  (eta-t-on  bien  le  droit  de  s'en  étonner  ?)  il  a  cepen- 
dant par  ailleurs,  dans  cet  obscur  sujet,  pratiqué  des  percées  lumi- 
neuses. Il  ne  pouvait  pas  espérer  mieux,  et  on  serait  mal  venu  à  lui  en 
demander  davantage. 

11.  —  Je  ne  sais  pas  le  tchèque,  et  franchement  je  le  regrette.  Je 
n'ai  donc  pu  suivre  qu'approximativement  la  discussion  relative  aux 
origines  du  couple  roman  lui,  lei  :  cette  monographie  a  été  publiée 
par  M.  M.  en  même  temps  que  la  Chronologie,  pour  montrer  les 
résultats  pratiques  auxquels  peut  conduire  la  nouvelle  méthode.  Elle 
me  paraît  conçue  d'une  façon  rigoureuse  —  quoique  j'en  juge  essen- 
tiellement, je  le  répète,  d'après  le  résumé  français  en  cinq  pages  qui 
précède  le  texte  lui-même.  L'auteur  combat  résolument  la  théorie 
répandue  qui  consiste  à  voir  dans /'//zn' une  forme  modelée  sur  le  relatif 
cuiy  et  l'existence  du  féminin  illei  lui  donne  probablement  raison. 
Pour  lui  tout  se  ramène  à  une  spécialisation  ancienne  des  démonstra- 
tifs hui{c)  et  ei,  formant  une  sorte  de  «  système  générique  »  et  joints 
de  bonne  heure  exclusivement  l'un  aux  noms  masculins,  l'autre  aux 
féminins.  Il  n'est  pas  impossible  que  ce  soit  là  la  vérité,  et  la  solution 
du  problème.  Tout  ce  que  j'ajouterai,  c'est  qu'une  grammaire  complète 
du  latin  vulgaire  construite  sur  ce  plan  et  dans  ces  proportions  serait 
excessivement  intéressante  :  il  est  vrai,  d'autre  part,  qu'elle  serait 
colossale,  étant  donné  qu'il  y  a  ici  124  pages  consacrées  à  l'étude 
d'une  ou  deux  formes  pronominales.  N'importe,  il  faut  souhaiter  que 
M.  Mohl  nous  la  donne  un  jour,  et  le  plus  tôt  possible,  dût-il  se  résu- 
mer un  peu,  et  condenser  les  faits,  —  ce  qui  souvent  après  tout  n'est 
pas  pour^nuire  à  la  parfaite  clarté  de  l'exposition. 

E.    BOURCIEZ. 


O.  Sot-TAi'.  Blacatz,  ein  Dichter  und  Dichterfreund  der  Provence,  biogra- 
phische  Studie;  Berlin,  Ebcring  i8y8,  in-8"  de  63  p.  [Berlincr  Deitrccge  ^wr 
gerynanischen  und  romanischen  Philologie,  XVIII.) 

Dans  cette  monographie  très  bien  conduite,  M.  Soltau  établit  la 
généalogie  de  Blacas(dont  il  a  pu  suivre  les  ascendants  jusqu'au  com- 
mencement du  XII''  siècle)  et  énumère  les  pièces  d'archives  où  il  a  ren- 
contré la  mention  du  poète.  Sa  conclusion,  contraire  à  l'opinion  de 
M.  de  Lollis,  est  qu'il  n'y  a  eu  qu'un  Blacas  poète,  né  vers  1 165,  mort 


d'histoire  et  de  littérature  67 

en  1 237.  Il  dresse  ensuite  la  liste  des  divers  troubadours  qui  furent  en 
relations  avec  lui  ou  le  célébrèrent  dans  leurs  vers.  —  Il  faut  signaler 
une  digression  (p.  46-51),  qui  n'a  qu'un  rapport  lointain  avec  le  sujet, 
mais  qui  est  par  elle-même  intéressante,  sur  les  deux  pièces  386,  2  et 
4,  relations  à  l'entrée  en  religion  de  deux  jeunes  filles,  où  l'on  avait 
voulu  voir  jusqu'ici  deux  sœurs  appartenant  à  la  famille  des  Baux,  et 
dont  on  n'avait  pu  retrouver  aucune  trace  dans  les  nombreux  docu- 
ments relatifs  à  cette  famille.  M,  S.  montre  que  c'était  là  une  inter- 
prétation erronée  et  que  la  recherche  en  question  ne  pouvait  aboutir'. 
La  présente  publication  sera  complétée  par  l'édition  des  œuvres  de 
Blacas  que  M.  Soltau  promet  de  donner  prochainement  \ 

A.  Jeanroy. 


Abbeville  au  temps  de  Charles  VII,  des  ducs  de  Bourgogne  maîtres  du 
Ponthieu,  de  Louis  XI  (1426-1483)  par  E.  Prarond,  ap.  Alphonse  Picard,  Paris, 
in-8,  prix  7  fr. 

De  1426  à  1465,  le  Ponthieu  et  sa  capitale  Abbeville  ne  semblent 
pas  avoir  trop  souffert,  sauf  de  quelques  incursions  des  Anglais  qui 
s'étaient  retranchés  au  Crotoy  et  de  quelques  pilleries  des  gens  d'armes 
du  duc  de  Bourgogne  et  de  Charles  VII.  La  ville  a  été  plus  éprouvée, 
j'allais  dire  plus  oppressée,  sous  Charles  le  Téméraire  qui  avait  sans 
cesse  besoin  d'armes,  d'hommes  d'armes  et  surtout  d'argent.  Les  docu- 
ments recueillis  par  M.  Prarond  avec  autant  de  patience  que  d'intelli- 
gence dans  les  archives  et  les  registres  municipaux  du  temps  nous  mon- 
trent pourtant  que  les  maieurs  et  les  échevins  usaient  de  toute  leur 
opiniâtreté  de  Picards,  pour  faire  diminuer  ou  modérer  les  tailles  et  les 
impôts  dont  les  chargeaient  successivement  le  roi  d'Angleterre 
Henri  VI,  les  ducs  de  Bourgogne  et  enfin  le  roi  de  France  Louis  XI. 
Par  leur  soumission  plus  apparente  que  réelle  à  Henri  VI  qu'ils  appel- 
lent Nostre  Sire,  par  l'entrée  triomphale  «  et  le  spectacle  de  Sirènes  », 
qu'ils  lui  préparent  en  i  53o,  ils  ne  se  proposaient  peut-être  pas  d'autre 
but  que  de  soulager  leurs  administrés  des  misères  de  la  guerre.  On 
voit  cependant  que  les  victoires  de  Jeanne  d'Arc  avaient  ému  les 
habitants  par  ce  fait  que  deux  aventuriers,  natifs  d'Abbeville  et  parti- 


1.  L'une  de  ces  deux  jeunes  filles  seulement,  appelée  Estefanie,  était  dona  del 
Baus.  M.  S.  n'a  pas  été  plus  heureux  que  ses  prédécesseurs,  et  ce  personnage 
reste  à  identifier.  Quant  au  Bergonho  nommé  dans  le  texte  le  plus  authentique  de 
386,4,  ne  serait-ce  point  ce  Bitrgundio  qui  figure  dans  le  tableau  généalogique  des 
Vicomtes  de  Marseille,  dressé  par  M.  Springer  Das  altproven^alische  Klagelied, 
p.  yS)  ?  Un  Bergonho,  qui  peut  être  le  même  personnage,  est  nommé  dans  la 
tenson  de  Taurel  avec  Falconet  (148,2). 

2.  Cette  édition  vient  de  paraître  {Zeitschrift  fiir  romanische  Philologie,  1899^ 
^sc.  IV  et  1900  t'asc.  I). 


6â  REVUE    CRITIQUE 

sans  du  roi  anglais,  ayant  injurié  publiquement  la  Pucelle  d'Orléans, 
furent  arrêtés  par  le  maire  et  retenus  longtemps  prisonniers.  En  1435, 
Charles  VII  ayant,  par  le  traité  d'Arras,  cédé  au  duc  de  Bourgogne 
tout  le  comté  du  Ponthieu,  rachetable  moyennant  400,000  vieux  écus 
d'or,  les  Abbevillois  crurent  qu'ils  allaient  enrin  vivre  en  paix,  mais  il 
leur  fallut  encore  guerroyer  plusieurs  années  contre  les  Anglais,  et 
fournir  tantôt  au  duc,  tantôt  au  roi  des  subsides  en  argent  et  des 
hommes  d'armes  pour  qu'ils  pussent  s'emparer  de  Dieppe,  de  Neuf- 
châtel,  du  Crotoy  et  autres  places  que  les  ennemis  occupaient  encore. 
En  1463,  Louis  XI  n'eut  rien  de  plus  pressé  —  et  il  dut  fort  se  repen- 
tir de  sa  précipitation  —  de  rembourser  au  duc  les  400,000  écus,  et 
aussitôt  il  fit  son  entrée  dans  Abbeville.  Un  document  curieux  que 
cite  M.  P.  énumère  les  préparatifs  faits  pour  le  recevoir.  «  Maieur, 
échevins,  maieurs  de  bannière,  officiers  et  autres  gens  notables  et  des 
commis  d'icelle  ville,  iront  à  l'entrée  de  lui,  de  cheval,  vestus  tous 
d'une  parure  de  drap  de  couleur  perse,  lui  faire  la  révérence  joyeuse- 
ment et  humblement.  »  Les  maisons  furent  en  outre  tendues  de  toiles, 
les  rues  jonchées  d'herbes,  et  «  des  joyeusetez  de  mistères  ))  eurent 
lieu  à  la  porte  par  laquelle  il  fit  son  entrée.  On  sait  comment  le  roi, 
par  suite  de  la  guerre  dite  du  Bien  public,  fut  contraint  «  neuf  mois 
après  avoir  payé  les  400,000  écus,  »  dit  Commynes,  de  restituer  au 
comte  de  Charolais  qui  les  garda  jusqu'à  sa  mort,  le  Ponthieu  et  les 
terres  de  Picardie.  Il  fut  accueilli  dans  la  ville  avec  le  même  cérémo- 
nial que  Louis  XI,  et  à  cette  occasion,  l'on  ne  manqua  point  de  faire 
jouer  encore  plusieurs  mystères  à  la  porte  Mercadé,  au  Marché,  et 
autres  lieux,  comme  devant  «  l'hôtel  de  la  Thoison  d'or  ou  ledit  sei- 
gneur fut  logié.  » 

Ces  divertissements  scéniques  plaisaient  fort  aux  Abbevillois,  mais 
ils  n'avaient  pas  toujours  lieu  sans  tumulte,  car  les  Picards  ont  la  tête 
près  du  bonnet,  surtout  quand  ils  ont  bien  dîné.  Ainsi,  pour  que  l'on 
pût  jouer  sans  trouble  les  mystères  de  monseigneur  Saint-Quentin  en 
1451,  et  ceux  de  plusieurs  autres  saints,  le  maieur  dut  faire  surveiller 
les  représentations  par  plusieurs  sergents.  L'année  suivante,  les  éche- 
vins paient  la  somme  de  dix  écus  d'or  pour  avoir  le  Jeu  de  la  Passion 
par  Ernoul  (sic)  Greban.  En  1478,  dans  l'attente  d'une  visite  du  roi 
Louis  XI,  on  fait  des  préparatifs  coûteux  pour  représenter  «  l'Histoire 
de  Daniel  le  prophette.  »  La  choiile  ou  choie  était  encore  un  de  leurs 
jeux  favoris.  Il  avait  lieu  le  lundi  gras  :  on  l'interdit,  «  pour  eskiver 
aux  noises,  haines,  débats  et  inconvéniens  qui  en  étoient  advenus  par 
ci-devant,  »  et  au  lieu  de  chauler  il  est  dit  qu'on  fera  une  course  au 
bois.  Les  prédicateurs  sont  bien  traités.  Le  moine  Pierre  Le  Gros,  cor- 
delier,  reçoit  douze  livres  parisis  «  pour  les  bonnes  démonstrances 
qu'il  fait  souvent  en  la  dite  ville  au  peuple  d'icelle.  »  En  1462,  on 
(^onne  au  frère  Didier  «  un  plat  de  viande  et  une  quenne  de  vin  pour 
les  belles  prédications  qu'il  a  encommanchees.  »  A  Pierre  de  Cornay, 


d'histoire  et  de  littérature  69 

carme  du  couvent  de  Montreuil,  on  accorde  la  somme  de  trois  écus 
«  pour  sa  rémunération  de  plusieurs  belles  et  notables  prédications.  » 
Les  échevins  n'oublient  pas  dans  leurs  générosités  les  sœurettes  du 
Béguinage,  «  eu  égard  à  ce  qu'elles  ont  fait  et  font  très  bien  leur  devoir 
a  visiter  les  gens  malades.  »  Cet  éloge  revient  plusieurs  fois.  LesAbbe- 
villois  sont,  à  maintes  reprises,  affligés  par  l'influence  (sans  doute 
l'influenza  d'aujourd'hui)  et  les  sœurettes  sont  appelées  de  tous  côtés 
dans  les  maisons  où  sévit  la  contagion.  Les  barbiers  sont  commis  à 
soigner,  non,  à  saigner  les  malades.  C'est  encore  le  remède  que  Gui 
Patin,  au  x^W^  siècle,  préconise  à  peu  près  pour  toutes  les  maladies. 
Des  faits,  rien  que  des  faits  habilement  groupés,  coordonnés,  extraits 
la  plupart  des  archives  du  temps,  nous  instruisent  des  habitudes,  des 
mœurs,  des  usages  de  la  vieille  cité.  Ayant  souffert  dans  ces  temps 
malheureux,  elle  sait  compatir  aux  souffrances  des  autres.  Elle  accorde, 
par  exemple,  aux  bourgeois  d'Harfleur,  après  la  prise  de  leur  ville  par 
les  Anglais,  «  de  demourer  à  Abbeville  jusques  à  deux  ans,  sans  pour 
ce,  paier  tailles,  aides  quelconques,  »  etaux  habitanlsde  Montevilliers 
qui  n'ont  pas  voulu  subir  la  domination  anglaise,  «  de  travailler  au 
drap  selon  les  us  de  la  ville.»  Quant  aux  maieurs  et  échevins,  s'ils  veil- 
lent aux  intérêts  de  leurs  administrés,  ils  n'oublient  pas  les  leurs  et 
ont  soin  de  se  faire  rembourser  leurs  frais  de  voyage  et  leurs  dépenses 
en  banquets.  Leur  élection  ne  se  fait  pas  toujours  sans  brigues,  et  en 
1460  on  prend  des  mesures  pour  y  mettre  obstacle  :  il  n'y  a  rien  de 
nouveau  sous  le  soleil.  Un  dernier  détail  :  quand  un  incendie  éclatait 
dans  la  ville,  les  filles  de  joie  étaient  tenues  de  participer  à  l'extinc- 
tion. Drôles  de  pompiers! 

A.  Delboulle. 


History  of  the  people  of  the  Netherlands,  hy  Petrus  Johannes  Blok,  part  II. 
translated  by  Ruth  Pulnam.  New- York  and  London,G.-P.  Putnams  Sons,  1899, 
VII,  420  p.,  in-8,  cartes. 

On  a  rendu  compte  du  premier  volume  de  la  traduction  anglaise  de 
l'important  ouvrage  de  M.  Blok,  dans  la  Revue  d\ji  27  février  1899. 
Depuis,  le  second  volume  de  l'histoire  nationale  du  savant  professeur 
de  Leyde  a  paru,  renfermant  les  annales  des  Pays-Bas  depuis  le  com- 
mencement du  xve  siècle  jusqu'aux  débuts  des  «  grands  troubles  », 
sous  Philippe  II  en  iSSg;  il  expose  ce  qu'on  peut  appeler  la  période 
bourguignonne  de  leur  passé,  car  Charles-Quint  lui-même  est  cer- 
tainement bien  plus  Flamand  qu'Espagnol.  M.  B.  nous  fait  assister 
d'abord  à  la  lente  formation  de  cet  empire  bourguignon  qui  absorbe 
peu  à  peu  par  conquêtes  ou  par  mariages,  la  Hollande,  la  Zélande,  le 
Hainaut,  le  Brabant,  le  Limhourg,  le  Luxembourg,  la  Gucldrc,  la 
Frise  et  l'évêché  d'Utrecht,  sans  pouvoir  arriver  cependant  à  Tenticre 


7b  REVUE    CRITIQUE 

unification  de  ces  vastes  et  riches  domaines.  Malgré  son  talent  d'expof 
sition  et  son  désir  d'être  court  et  clair  à  la  tois,  Fauteur  a  eu  quelque 
peine,  çà  et  là,  à  conserver  à  son  récit  la  limpidité  qui  caractérisait 
son  premier  volume,  soit  qu'il  fut  réellement  impossible  de  simplifier 
davantage  la  trame  de  la  narration,  soit  qu'il  n'ait  pas  voulu  renoncer, 
au  même  degré  qu'autrefois,  à  débrouiller  les  détails  de  ces  conquêtes 
successives  et  de  toutes  les  luttes,  parfois  séculaires,  qui  créèrent  peu 
à  peu  le  corps  politique  nouveau  d'où  sont  sortis  les  Pays-Bas  mo- 
dernes. Pour  le  lecteur  un  peu  pressé,  M.  B.  a  mis  peut-être  un  peu 
plus  d'histoire  locale  dans  ce  second  volume  qu'il  n'était  absolument 
nécessaire;  maison  n'a  pas  le  droit,  en  définitive,  de  lui  en  faire  un 
reproche,  car  il  a  écrit  avant  tout  pour  ses  compatriotes,  désireux  de 
connaître  leur  passé  et  non  pour  des  étrangers,  qui  ne  peuvent  guère 
s'intéresser  qu'à  l'histoire  générale  de  son  pays.  En  revanche,  on  lira 
avec  un  vif  intérêt  les  chapitres  relatifs  à  l'organisation  de  ce  nouveau 
pouvoir  princier,  plus  centralisateur,  qui  s'établit  sur  les  débris  des 
organisations  variées  du  moyen  âge,  sans  réussir  cependant  à  les  faire 
disparaître  tout  à  fait,  et  qui,  malgré  ses  défauts,  fut  pourtant,  d'après 
l'auteur,  un  pouvoir  bienfaisant  dans  son  ensemble'.  Le  tableau  si 
vivant  que  M.  Blok  trace  de  la  noblesse  néerlandaise  au  xv*  et  au 
xvi*  siècle,  de  l'organisation  ecclésiastique  des  provinces  bourgui- 
gnonnes, du  commerce  et  de  l'industrie  comme  de  la  vie  sociale  et 
intellectuelle  de  l'époque  sera  lu  avec  intérêt  et  profit  par  ceux  même 
qui  connaissent  la  matière,  car  l'auteur  a  su  relever  son  exposé  de 
nombre  de  traits  caractéristiques,  et  l'on  partagera  généralement  ses 
jugements  équitables  et  topiques  sur  les  hommes  et  les  choses'.  Le 
chapitre  sur  les  beaux  arts  nous  a  paru  un  peu  maigre  ;  sur  un  si  beau 
sujet  on  aurait  voulu  un  peu  plus  de  développementset  non  un  simple 
catalogue  de  noms  propres .  Pas  plus  que  le  premier,  le  second  volume 
de  la  traduction  de  Miss  Puinam  n'a  d'apparatus  criticus  ;  un  appen- 
dice spécial,  Historical  authorities,  bien  court  pour  les  savants,  assez 
inutile  pour  le  grand  public,  représente  seul  l'élément  érudit  de  ce 
très  sérieux  et  consciencieux  travail  \ 

R. 


1.  On  peut  accorder  certainement  que  !a  Bui-gtindian  sovereignity  was  a  blés- 
sing  to  city  and  couniry  (p.  363),  mais  avec  la  restriction  formelle  qu'elle  le  tut 
puisque  la  noblesse  et  les  villes  furent  longtemps  assez  puissantes  pour  l'empcchcr 
de  tournera  la  tyrannie  ;  dès  qu'elle  se  crut  maîtresse  incontestée,  elle  tenta  d'abu- 
ser de  son  pouvoir. 

2.  Quelques-uns  cependant  sont  sujets  à  caution;  quand  l'auteur  appuie,  par 
exemple  un  peu  naïvement,  sur  l'austérité  des  mœurs  de  Philippe  II  (p.  289)  ou 
qu'il  déclare  que  l'esprit  d'Erasme  dirigeait  Guillaume  d'Orange  et  Oldenbarne- 
yeldt,  je  crains  qu'il  ne  trouve  des  contradicteurs. 

3.  Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  relever  quelques  erreurs  de  détail;  p.  174, 
Ferdinand  I,  le  frère  de  Charles-Quint,  est  appelé  son  neveu  ;  p.  140,  il  nest  pas 
exact  de  dire  que  Hagenbach  gouverna  les  pays  confiés  à  lui  par  Charles  le  Témé- 


d'histoire  et  de  littérature  71 

■Papst  Alexander  VIII,  und  der  WicnerHof  (1689-1G91),  dargestellt  von  l)f  Sigis- 
mund  Freiherrn  von  Bischoffshalsen.  Stuttgart  und  Wien,  J.  Roth,  1900,  xiv, 
188  p.  in-8.  Prix  :  3  fr.  yb. 

La  monographie  de  M.  de  Bischoffshausen  sur  les  rapports  du  pape 
Alexandre  VIII  avec  la  cour  de  Vienne,  est  solidement  établie  sur  une 
série  considérable  de  documents  inédits,   mémoires,   relations,  notes 
intimes  et  dépêches,  tirés  soit  des  archives  impériales,  soit  de  celles  de 
la  maison  princière  des  Lichtenstein,  à  Vienne.  Elle  est  peut-être   un 
peu  trop  développée  pour  le  sujet  assez  mince  traité  par  l'auteur,  vu 
qu'en  tait  de  rapports  avec  Léopold  I^"',  le  pape  s'est  toujours  efforcé, 
pendant  son  très  court  pontificat,  den  avoir  aussi  peu  que  possible, 
afin  d'échapper    à  l'alternative  cruelle  de  se  brouiller,   d'une    façon 
absolue,  soit  avec  l'empereur,  soit  avec  Louis  XIV.  M.  de  Bischoffs- 
■hausen  nous  raconte  d'abord,  par  le  menu,  les  agissements  et  les  in- 
trigues du  conclave  d'où  sortit,  comme  élu,  le  cardinal  Pietro  Otto- 
boni,  qui  prit  le  nom  d'Alexandre  VIII;  il  avait  pour  se  guider  dans 
ce  récit  les  papiers  du  prince  Antoine-Florian  de  Lichtenstein,  envoyé 
extraordinaire  de  la  cour  de  Vienne,  diplomate  honnête  et  conscien- 
cieux, mais  qui  n'était  pas  de  taille  à  lutter  contre  les  représentants  de 
la  couronne  de  France;  aussi  ne  réussit-il  point  à  rendre  le  nouveau 
pape  favorable  à  son  maître,  et  cela,  d'autant  moins   que  la  lenteur 
traditionnelle  des  hommes  d'État  autrichiens  le  laissait  trop  souvent 
sans  instructions  définies.    L'habileté  des  représentants  de  la  Curie 
devait  réussir  vis-à-vis  d'un   personnage  si   peu  dangereux,  à  éluder 
pendant  longtemps  ses  demandes  relativement  modestes,  tout  en  lui 
prodiguant  les  bonnes  paroles  ;  mais  il  est  douteux  que  les  plus  habiles 
monsignori  et  le  cardinal-neveu  lui-même  eussent  réussi  à  maintenir 
la  balance  égale  entre  les  deux  couronnes  rivales,  si  Alexandre   VIII 
n'était  mort  déjà  en  février  1691,  après  quinze  mois  à  peine  de  ponti- 
ficat. L'auteur  reconnaît  lui-même,  en  définitive,  que  son  règne  éphé- 
mère n'a  eu  et  ne  pouvait  avoir  qu'une  médiocre  importance  politique. 
Il  est  assez  piquant  de  confronter  son  travail  avec  l'étude  de  M.  Ch. 
Gérin,  Le  pape  Alexandre   VIII  et  Louis  XIV,  dans  la  Revue  des 
questions  historiques  (année    1897),  étude  dont  il  est  comme  une  ré- 
plique; on  y  voit  que  les  diplomates   français,  avec  moins  de  motifs 
sérieux  peut-être,  ne  furent  guère  plus  satisfaits  de  l'attitude  hcsiiame 
du  Saint-Père  que  les  membres  du  Conseil  aulique  et  le  prince  Florian 
de  Lichtenstein '.  R. 

rairc  avec  un  «  despotisme  capricieux  »  ;  despote,  il  l'était  assurément,  mais  avec 
méthode  et  dans  un  but  raisonné,  obéissant  aux  ordres  de  son  souverain;  p.  141, 
je  ne  sais  ce  que  l'auteur  a  voulu  tiire  en  mentionnant  «  les  cinq  cites  d'Alsace  b; 
il  y  a  confusion  avec  la  Décapole.  les  dix  villes  impériales  de  la  province.  P.  124, 
lire  Maçon  pour  Maçon;  p.  234,  aiidiencicr  pour  aitJcncicr;  p.  ?Gi,  la  torét  de 
Sonien  est  sans  doute  la  forêt  de  Soignes. 

I.  Sur  le  titre  extérieur  <Ju  livre  il  faut  changer  iGoi   en    1Ô91.  —  P.  177,  lire 
multiplices  au  lieu  de  muliplices. 


7i  REVUE    CRITIQUE 

La  question  des  villes  impériales  d'Alsace  depuis  le  traité  de  Westphalie 
jusqu'aux  arrêts  de  rcuniun  du  Conseil  souverain  de  Brisach  (1648-1680),  par 
George  Bardot.  Paris,  A.  Picard,  1899,  295  p.  in-8, 

La  thèse  de  doctorat  de  M.  Bardot  forme  un  des  plus  récents  fasci- 
cules de  la  nouvelle  série  des  Annales  de  l'Université  de  Lyon.  C'est 
une  excellente  contribution  à  l'histoire  de  la  question  d\ilsace,  surgie 
au  xvii«  siècle,  par  suite  des  clauses  contradictoires  du  traité  de 
Munster  qui  cédèrent  certaines  parties  de  cette  province  à  la  couronne 
de  France  et  devaient  lui  permettre  d'en  réclamer  d'autres  plus  tard, 
quand  elle  jugerait  le  moment  favorable  venu.  Dans  l'ensemble  des 
problèmes  historiques,  souvent  délicats,  que  soulève  cette  question 
générale,  si  fréquemment  controversée  dans  ces  dernières  années, 
l'auteur  a  choisi  un  chapitre  particulier:  la  lutte  des  dix  villes  impé- 
riales, de  la  Décapole  alsacienne,  contre  les  exigences  toujours  crois- 
santes de  leurs  protecteurs  français,  devenus  des  maîtres'.  Cette  lutte 
inégale  a  commencé,  en  pleine  Fronde,  contre  Henri  de  Lorraine, 
comte  d'Harcourt,  premier  gouverneur  général  de  l'Alsace  et  grand- 
bailli  de  Haguenau  ;  elle  a  continué  contre  le  duc  de  Mazarin,  son 
successeur,  s'est  terminée  une  première  fois  par  l'occupation  de  Col- 
mar,  en  ifSjS,  et  a  été  tranchée  en  appel,  si  je  puis  dire,  par  Tépée  de 
Turenne,  sous  les  murs  de  Turckheim,  en  1675.  Finalement  la  ques- 
tion a  été  rayée  de  l'ordre  du  jour  par  les  arrêts  de  réunion  du  Conseil 
souverain  d'Alsace,  sans  cependant  que  cette  solution  ait  été  acceptée 
d'une  façon  officielle  par  l'empereur  et  le  corps  germanique,  car,  ni 
le  traité  de  Nimègue,  ni  celui  de  Ryswick,  ne  contiennent  autre  chose, 
sur  ce  point  spécial  tout  au  moins,  que  la  confirmation  des  para- 
graphes du  traité  de  Munster,  dont  l'interprétation  était,  on  le  sait, 
absolument  divergente  de  part  et  d'autre,  et  formait  précisément  le 
fond  du  litige  de  la  Décapole. 

M.  B.  réunit  deux  qualités  essentielles  de  l'historien,  l'investigation 
patiente  des  documents  afférents  à  son  sujet,  le  besoin  évident  d'être 
équitable  envers  tous  les  partis  et  modéré  dans  ses  jugements.  11  con- 
naît à  fond  la  littérature  du  sujet;  il  a  fait  des  recherches  fructueuses 
aux  Archives  des  Affaires  Étrangères,  et  il  a  su  débrouiller  d'une  main 
ferme  le  fil  passablement  enchevêtré  des  réclamations  et  contre- 
réclamations  qui,  pendant  plus  de  vingt  ans,  s'échangent  entre  diplo- 
mates français  et  délégués  alsaciens,  par  devant  l'aréopage  de  Ratis- 
bonne  \ 

1 .  A  la  Bibliographie  de  l'auteur  on  peut  ajouter  aujourd'hui  de  nouveaux  frag- 
ments du  travail  de  feu  Mossmann,  sur  La  France  en  Alsace  après  la  paix  de 
Westphalie,  publiés  dans  la  Revue  Historique  (t.  LXX),  1899,  et  dans  la  Revue 
d'Alsace,  1900,  et  celui  de  son  successeur  aux  archives  de  Colmar,  M.  Eugène 
Waldner,  sur  Colmar  et  le  duc  de  Mazarin  en  1664,  dans  \c  Bulletin  du  Musée 
historique  de  Mulhouse. 

2.  Une  des  parties  les  plus  neuves  du  travail  de  M.   Bardot  c'est  l'exposé  des 


d'histoire  et  de  littérature  j3 

La  nature  des  sources  principalement  consultées  par  l'auteur  a 
exercé  une  influence  déterminante  —  trop  déterminante  peut-être  — 
sur  l'ensemble  de  son  récit,  ainsi  qu'on  le  lui  a  déjà  fait  remarquer 
ailleurs.  On  y  voudrait  un  peu  plus  de  vie,  un  peu  plus  de  couleur. 
M.  B.  s'est  volontairement  condamné  à  ne  nous  donner  presque  qu'un 
chapitre  d'histoire  diplomatique,  en  laissant  à  peu  près  de  côté  les 
parties  militaires  de  son  sujet,  qui  lui  auraient  'permis  de  varier  un 
peu  le  ton  de  son  récit,  et  de  reposer  momentanément  l'attention  du 
lecteur.  Il  a  laissé  surtout  de  côté,  s'il  m'est  permis  de  m'exprimer 
ainsi,  l'enjeu  même  de  cette  longue  partie  jouée  sur  l'échiquier  polir 
tique,  à  coups  intermittents,  par  Louis  XIV  contre  Ferdinand  111  et 
Léopold  I«''  :  les  cités  alsaciennes  qui,  pendant  près  d'un  âge  d'homme, 
ont  passé  par  mille  anxiétés  successives  et  maintes  péripéties  de  crainte 
ou  de  joie,  avant  que  le  sort  eût  définitivement  fixé  leurs  destinées 
pour  deux  siècles  à  peu  près.  Sans  doute  M.  B.  en  rédigeant  sa  thèse, 
pouvait  trouver  difficilement,  soit  à  Grenoble,  qu'il  habitait  alors, 
soit  dans  les  archives  parisiennes,  les  matériaux  nécessaires  pour 
donner  à  cette  partie  de  son  travail  des  développements  plus  consi- 
dérables, et  il  serait  souverainement  injuste  de  trop  appuyer  là-dessus; 
mais  on  doit  regretter  pourtant  qu'il  n'ait  pas  au  moins  tenté  de  nous 
montrer,  un  peu  plus  en  détail,  ce  que  pensaient  les  habitants  de  Col- 
mar,  Wissembourg,  Landau,  etc.,  des  efforts  que  faisait  la  France 
pour  «  veiller  à  leur  conservation  ».  Il  aurait  su  le  faire,  j'en  suis  sûr, 
avec  toute  l'impartialité  voulue,  et  le  mémoire  de  M.  Eugène  Waldner, 
que  je  citais  tout  à  l'heure,  tiré  des  archives  de  Colmar,  montre  com- 
bien de  détails  précis  et  pittoresques  l'on  peut  ajouter  aux  données 
souvent  incolores  des  dépêches,  et,  à  l'aridité  juridique  des  mémoires 
à  l'appui  de  la  diplomatie. 

Pour  le  reste,  nous  n'avons  aucune  critique  sérieuse  à  présenter,  ni 
surla  façon  dont  M. Bardot  a  conduitson  enquête, ni  quant  aux  résultats 
qu'il  a  obtenus.  Il  est  bien  évident  que,  dès  le  début,  l'antinomie  entre 
des  villes  libres,  immédiates,  c'est-à-dire  relevant  effectivement  de 
l'Empire,  et,  un  protecteur  qui  était  le  roi  de  France,  était  flagrante  ; 
il  est  non  moins  évident  que  le  conflit  n'a  duré  si  longtemps  que  parce 
Louis  XIV,  pour  une  raison  ou  pour  une  autre,  n'a  pas  voulu  en  brus- 
quer le  dénouement,  et  que,  dès  qu'il  jugerait  le  moment  venu,  il 
triompherait  d'adversaires  infimes,  à  moins  qu'une  grande  guerre 
continentale  ne  parvînt  à  ruiner  ou  du  moins  à  limiter  la  suprématie 
de  la  couronne  de  France  en  Europe.  Il  est  évident,  enfin,  qu'il  y  eut 

efforts,  longtemps  couronnés  de  succès,  faits  par  Gravai,  l'envoyé  français  à  Ratis- 
bonne,  contre  la  politique  plus  outrancièrc  de  Coibert  de  Croissy  cl  de  Pomponne. 
Il  était  d'ailleurs  évident  que  Louis  XIV,  aussi  longtemps  qu'il  songea  le  moins  du 
monde  à  l'Empire,  ne  pouvait  vouloir  choquer  les  Etats  siégeant  à  Ratisboime,  en 
violentant  les  moindres  d'entre  eux  ;  cela  explique  amplement  la  patience  du  roj 
sans  qu'on  ait  besoin  de  vanter  sa  magnanimité  vis-à-vis  des  faibles,  fort  sujette 
à  caution. 


74  REVUE  CRITIQUE 

dans  ce  conflit,  avant  tout,  une  question  de  droit  public,  car,  en  fait, 
la  liberté  des  villes  de  la  Décapole  ne  fut  pas  beaucoup  moindre  après 
1680,  qu'avant  1648  ;  l'oligarchie  régnante  y  garda  ses  privilèges  et 
peut-être  y  eut-il  un  peu  plus  de  justice  et  même  de  bien-être  pour  le 
menu  peuple  et  les  manants'. 

R. 


Histoire  de  la  Langue  et  de  la  Littérature  françaises,  des  origines  à  1900, 
ornée  de  planches  hors  texte  en  noir  et  en  couleur,  publiée  sous  la  direction  de 
L.  Petit  de  Julleville,  professeur  à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de 
Paris,  Tomes  vu  et  viii  :  Dix-neuvième  siècle  (Période  romantique  —  Période 
contemporaine).  Paris,  A.  Colin,  1899- 1900;  2  vol.  gr.  in-8»,  de  xi-873  et  928 
pages,  avec  22  et  26  planches  (fascicules  56  à  77.) 

Voici  terminée  sans  accrocs  et  sans  retards  appréciables  l'entreprise 
dont  M.  Petit  de  Julleville  avait  assumé  la  lourde  direction,  et  pour 
laquelle  il  ne  s'est  pas  associé  moins  de  cinquante-et-un  collabora- 
teurs. Tout  s'est  passé  dans  les  délais  prévus  :  le  prospectus  lancé  en 
1894  annonçait  que  l'ouvrage  serait  achevé  en  1900  ;  il  l'est.  J'ai  eu  à 
trop  de  reprises,  ici  même,  ^  l'occasion  de  faire  ressortir  les  avantages 
et  les  inconvénients  inhérents  à  une  publication  de  ce  genre,  pour 
revenir  encore  sur  ce  sujet.  Ces  deux  derniers  volumes  l'qui  contien- 
nent respectivement  16  et  i3  chapitres)  sont  consacrés  à  retracer  le 
mouvement  littéraire  en  France  pendant  le  xix^  siècle  :  c'est  assez  dire 
leur  attrait  et  la  variété  des  sujets  qui  y  sont  abordés.  Une  coupure, 
pratiquée  tout  naturellement  aux  abords  de  i85o,  divise  la  matière  en 
deux  périodes  à  peu  près  d'égale  importance,  et  vingt  collaborateurs 
se  sont  chargés  de  remplir  le  cadre  ainsi  tracé.  A  quoi  bon  entrer 
dans  l'énumération  de  ces  vingt-neuf  chapitres  ?  Franchement,  ils  sont 
trop  :  pour  apprécier,  même  le  plus  brièvement  du  monde,  chacune 
de  ces  études  bourrées  de  noms  et  de  faits,  ayant  un  caractère  spécial, 
il  me  faudrait  soulever  trop  de  questions  épineuses,  et  ne  pouvant 
rendre  justice   à   chacun  en  particulier,  je  préfère  la  rendre  à  tous  en 


1 .  P.  33,  M.  Bardot  s'étonne  de  ce  que  les  villes  de  la  Décapole  n'aient  pas  pro- 
testé, entre  1622  et  i63o,  contre  leur  occupation  par  les  Impériaux;  il  n'y  a  rien 
d'étonnant  à  cela;  la  plupart,  Wissembourg,  Haguenau,  Obernai,  Rosheim,  etc., 
avaient  été  saccagées  et  pillées  par  Mansfeld,ou  du  moins  frappées  de  contribu- 
tions écrasantes.  Ruinées,  ou  affamées,  par  les  régiments  qui  campaient  dans  le 
voisinage,  comment  auraient-elles  résisté,  alors  que  le  représentant  du  gouverne- 
ment impérial  leur  annonçait  des  «  mesures  efficaces  »  en  cas  de  résistance  ?  L'ar- 
chiduc Léopold  a  simplement  fait  à  Haguenau,  en  1622,  ce  que  Louis  XIV  fit  à 
Cohnar,  en  1673.  —  P.  38.  La  forme  française  de  Moersperg  est  Morimont. —  P.  236, 
lire  Zinmeister  au  lieu  de  Zinmestre. 

2.  Voir  la  Revue  Critique  du  14  décembre  i8((6,  celle  du  14  juin  1897,  celle  du 
i3  juin  1898  et  celle  du  1-9  janvier  1899. 


d'histoire  et  de  littérature  j:5 

général.  Ce  n'est  pas  que  l'intérêt  serait  absent  d'une  critique  de 
détail  :  mais  elle  déborderait  le  cadre  de  cette  Revue.  Ainsi  j'aimerais 
à  parler  du  Victor  Hugo  que  M.  Gaston  Deschamps  a  inséré  dans 
le  tome  VII  l'chap.  vi)  :  il  a  déployé  des  qualités  très  particulières  à 
résumer  en  cinquante  pages  cet  immense  sujet,  cherchant  à  objectiver 
sa  critique,  à  repenser  cette  vie  si  intimement  mêlée  à  toutes  les  émo- 
tions du  siècle,  et  il  en  résulte  une  étude  assez  vibrante,  d'une  allure 
fort  originale.  Je  trouve  au  contraire  que,  dans  le  chapitre  sur  les 
Historiens  it.  Vil,  chap.  x  ,  M.  de  Crozals  aurait  pu  détacher  un  peu 
plus  en  relief  la  grande  figure  de  Michelet  :  et  ce  n'est  pas  sa  faute,  je 
le  sais  bien,  s'il  le  fait  apparaître  à  l'improviste,  après  avoir  parlé  de 
V Histoire  des  Croisades  de  Michaud,  —  mais  décidément,  dix  pages 
seulement  sur  celui  qui  a  été  à  tant  d'égards  le  plus  prestigieux  écri- 
vain du  siècle,  c'est  un  peu  maigre,  et  c'est  par  trop  le  réduire  à  la 
portion  congrue.  Le  dernier  volume  donnerait  lieu  à  des  remarques 
d'un  autre  genre  :  il  est  évident  que  la  critique,  ayant  à  s'exercer  là 
sur  des  sujets  actuels,  y  manque  forcément  de  recul,  et  n'est  plus  dans 
un  point  de  perspective  qui  lui  soit  favorable.  Qu'on  puisse  déjà  juger 
et  classer  Flaubert,  Renan,  Taine,  je  l'admets  -  et  encore  j'endoute 
un  peu  —  mais  que  sera-ce,  quand  on  en  arrivera  aux  vivants,  à  ceux 
dont  l'œuvre  n'est  même  pas  achevée,  et  que  nous  sommes  exposés  à 
coudoyer  chaque  jour?  Ainsi  M.  Chantavoine,  ayant  eu  à  étudier  les 
Poètes  de  i85o  à  i goo  (t.  VIII,  chap.  ii),  s'est  borné  vers  la  fin  à  une 
énumération,  qui  est  fort  instructive,  mais  vraiment  un  peu  sèche, 
et  qui  rappelle  le  Vapereaii  :  et  notez  qu'elle  est  très  complète  cette 
énumération,  M.  Chantavoine  n'y  a  guère  oublié  volontairement  qu'un 
nom,  —  le  sien.  Ayant  à  parler  de  la  Critique  (t.  Vlll,  chap.  vu)  pen- 
dant cette  fin  de  siècle,  M.  Faguet,  lui,  a  piocédé  autrement  :  il  ne 
pouvait  guère  se  dispenser  de  parler  de  M.  Faguet,  et  il  l'a  fait  brave- 
ment, —  je  ne  l'en  blâme  pas.  Oui,  bravement,  de  cette  allure  .dégagée, 
qui  est  sa  caractéristique  :  mais  on  sent  bien  malgré  tout  qu'il  est  un 
peu  embarrassé,  et  qu'il  ne  dit  point  sur  lui-même,  ni  tout  ce  qu'on 
pourrait  peut-être  en  dire,  ni  exactement  ce  qu'il  y  aurait  à  en  dire. 

Tout  cela  n'est  pas  pour  diminuer  l'intérêt  de  ce  dernier  volume, 
et  il  en  est  même  qui  trouveront  un  attrait  piquant  à  des  coïncidences 
du  genre  de  celle  que  je  signale.  Ce  que  je  prétends,  c'est  que  les  cri- 
tiques ont  eu  à  exercer  là  leur  sagacité  sur  une  matière  encore  bien 
flottante  et  d'une  prise  assez  malaisée.  Je  devrais  parler  aussi  des  cha- 
pitres où  M.  Brunot  s'est  occupé  de  la  langue  frani;aise  du  xix^"  siècle  : 
ils  sont  intéressants  comme  d'ordinaire,  pleins  de  recherches  lexico- 
graphiques  utiles  et  de  détails  assez  neufs,  notamment  sur  la  période 
romantique.  Mais,  je  l'ai  dit  déjà,  je  ne  veux  ni  ne  puis  insister.  Je 
tenais  seulement  à  signaler  à  l'attention  du  public  qui  lit  l'achèvement 
de  cette  histoire  de  notre  littérature,  importante  à  la  fois  par  ses  vastes 
dimensions,    la    variété   de    ton    des    chapitres,    les    références    bien 


']^  REVUE  CRITIQUE 

choisies  contenues  dans  la  partie  bibliographique.  C'est  par  là  que 
ces  huit  volumes  méritent  de  lîgurer  dans  les  bibliothèques,  et 
qu'après  avoir  fourni  des  lectures  suggestives,  ils  deviendront  le  point 
de  départ  obligé  de  nouvelles  recherches.  Tel  avait  été  le  but  de 
M.  Petit  de  Julleville  lorsqu'il  s'est  chargé  de  diriger  cette  publica- 
tion, et  il  l'a  atteint.  Dans  les  dernières  phrases  de  sa  conclusion,  il 
remercie  ses  collaborateurs  et  constate  que  «  tout  différents  qu'ils 
fussent  entre  eux  de  goûts  et  d'opinions,  pour  marcher  d'accord  jus- 
qu'à la  fin,  dans  cette  entreprise  de  longue  haleine,  il  leur  a  suffi  de 
mettre  en  commun  leur  sincère  amour  de  la  France,  de  sa  langue  et 
de  sa  littérature  ».  On  ne  saurait  mieux  dire  :  ajoutons  seulement 
que  l'éminent  professeur  de  la  Sorbonne  avait  dès  le  début  délimité 
le  cadre  d'une  façon  magistrale,  qu'il  n'a  pas  un  instant  cessé  d'en- 
courager ses  collaborateurs,  et  qu'enfin,  avec  une  rare  abnégation,  il 
s'est  chargé  de  certaines  parties  de  l'œuvre,  —  les  moins  attrayantes 
en  apparence,  mais  dont  il  a  toujours  su  tirer  bon  parti. 

E.    BOURCIEZ. 


Les  livraisons  6,  7,  8  du  tome  IV  du  Recueil  d'archéologie  orientale  publié  par 
M.  Clermont-Ganneau,  viennent  de  paraître  à  la  librairie  Leroux;  elles  contien- 
nent :  §  i3,  Inscriptions  grecques  de  Palestine  et  de  Syrie;  §  14,  La  «  Tabelia  do- 
votionis  »  punique;  §  i5,  Le  nom  de  Philoumenè  en  punique;  §  16,  Manboug- 
Hiéropolis  dans  les  inscriptions  nabatéennes  ;  §  17  Resapha  et  la  Strata  Diocle- 
tiana;§  18,  Inscriptions  grecques  du  Haurân;  §  19,  Les  inscriptions  du  tombeau 
de  Diogène  à  El-Hâs. 

—  Le  premier  fascicule  de  la  deuxième  année  de  VAyicien  Orient  (Der  alte  Orient) 
est  consacré  à  une  étude  de  M.  Hugo  Winckler,  sur  le  développement  politique 
des  Babyloniens  et  des  Assyriens  (Pr.  :  60  pf.  ;  Hinrichs,  Leipzig). 

—  M.  V.  Zettersteen  vient  de  publier  un  Ver:[eichnis  der  Hebrceischen  und 
Aramœischen  Handschriften  de  la  bibliothèque  de  l'Université  d'Upsal  (Lund  ; 
Mœllers;  in-8;  pp.  22).  Cette  notice  comprend  plusieurs  numéros  désignant  pour  la 
plupart  des  textes  hébreux  de  l'A.  T.,  quelques  Targums,  des  livres  de  prières, 
des  traductions  du  N.  T.  en  hébreu,  un  bréviaire  syriaque  et  un  ouvrage  mandéen 
dont  l'éditeur  ne  donne  pas  le  titre. 

—  M.  Otto  Procksch  a  donné,  dans  le  cinquième  volume  des  Leipyiger  Studien, 
une  étude  bien  documentée  sur  la  vendetta  chez  les  Arabes,  dans  laquelle  il  a  l'oc- 
casion d'exposer  les  théories  de  la  solidarité  de  la  famille  et  de  la  tribu.  Cette  étude 
est  dédiée  à  la  mémoire  du  regretté  professeur  Albert  Socin,  mort  le  24  juin  1899 
{Ueber  die  Blutrache  bei  den  vorislamischen  Arabern  und  Mohammeds  Stellung 
:{u  ihr  ;  Leipzig,  Teubner,  1899;  pp.  92). 

—  M.  Sakellaropoulos  propose  les  conjectures  suivantes  à  divers  auteurs  latins, 
sous  le  titre  rpa|ji[AaTo7.0Y'.xi  xal  x_o'.T'./i  i;i  memoriam  Litciani  Muelleri,  dans 
r  'ETcTT.pi;  Toû  napvajso'j  de  cette  année  (Extrait,  10  p.  ;  Athènes,  impr.  de  l'ETTia 
1900).  Suétone,  Tiber.  10  scripta  omnia  eorum  au  lieu  de  scripta  omnium.  Cic. 
Brut.  V,  19  la  plupart  des  manuscrits  :  ad  veterum  rerum  naturalium  memoriam  ; 
un  élève  de  M.  S.  propose  vatMm.  natalium  =  originum.  Cic.  Brut.YUl,  3i  solcbat 


d'histoire  et  de  littérature  77 

(simplicibus)  verbis.  Cic.  Titsc.  V,  23,  66,  excellente  correction  dimidiatum  pour 
dimidiatis.  Virg.  Bue.  I,  ^^^  Wtq  pecits . . .  fetum  graves...  fêtas  ;  M.  S.  ajoute  qu'il 
ne  voit  pas  bien  comment  a  pu  se  produire  la  faute  qu'il  suppose  ;  la  correction 
est  en  effet  difficile  à  justifier.  Hor.  Sat.  I,  3,  20  immo  habeo  hautfortasse  minora, 
Tite-Live  XXI,  3o,  7  (Alpes)  pervias  haut  paucis /t/me  exercitibus  est  un  exemple 
de  correction  faite  d'après  le  sens  désiré,  mais  quelles  seraient  ces  armées  aux- 
quelles Annibal  fait  allusion  ?  Tite-Live  XXII,  8,  6  M.  S.  conserve  après  mitti  la 
phrase  supprimée  par  Mommsen,  nec  dictatorem  populo  creare  poterat,  en  y  rem- 
plaçant populo  par  prœtor;  plus  loin  pro  dictature  pour  dictatorem.  Tite-Live 
XXII,  27,  9,  suppr.  volentcm  et  lire partem  quatn  n'a  rien  de  probable,  d'autant  plus 
qu'il  est  inexact  d'interpréter  consilio  par  volentcm  (texte  :  rerum  consilio  geren- 
darum)  en  le  joignant  à  cessurum.  Dans  les  premières  pages  M.  S.  propose,  pour 
titre  d'un  ouvrage  d'Accius,  Didascalion  libri  au  lieu  de  Didascalicon,  explique  les 
Heduphagetica  d'Ennius  par  Hedu(pathia;  phagetica,  considère  le  Dulorestes  de 
Pacuvius  comme  une  corruption  de  Pyladorestcs,  et  lit  Macrobe,  Sat.  I,  24.  1 1  de 
^Eneade  (\Vi\aQm.  mea  (vulg.  ^nea...  meo). —  Mv. 

—  La  librairie  Lœscher  à  Rome  a  entrepris  d'imprimer  le  catalogue  delà  biblio- 
thèque de  l'Institut  archéologique  allemand,  par  M.  A.  Mau.  Le  premier  volume 
seul  a  paru.  Cette  bibliothèque  est  extrêmement  riche  en  publications  d'ensemble 
ou  de  détail,  toutes  relatives  aux  antiquités  grecques  et  romaines  ;  le  catalogue 
sera  donc,  en  somme,  comme  une  bibliographie  de  l'archéologie.  C'est  à  ce  titre 
qu'il  sera  un  précieux  instrument  d'information  non  point  seulement  pour  ceux 
qui  habitent  Rome,  mais  pour  tous  les  antiquaires  où  qu'ils  demeurent  et  quelques 
bibliothèques  qu'ils   aient  à  leur  disposition.  —  R.  C, 

—  M.  G.  Des  Marez,  en  dépouillant  une  très  riche  collection  de  lettres  commer- 
ciales de  la  seconde  moitié  du  xni^  siècle,  conservées  dans  les  archives  d"\'pres, 
a  relevé  les  signes,  à  forme  héraldique  le  plus  souvent,  apposés  sur  le  revers  de 
ces  documents.  Il  est  arrivé  à  démontrer  que  chacun  d'eux  n'était  que  la  signature 
des  clercs  de  la  ville,  qui  accompagnaient  les  marchands  aux  foires  de  Champagne 
et  se  chargeaient  de  recouvrer  leurs  créances  à  l'étranger.  Il  a  publié  le  résultat 
de  ses  observations  et  la  figuration  de  ces  différentes  marques  dans  un  article  paru 
dans  le  n»  4  du  tome  IX,  5*  série,  des  Bulletins  de  la  commission  royale  de  Bel- 
gique ex  tWéà.  part  sous  le  titre:  Les  Seings  manuels  des  scribes  yprois  au  XIII' 
siècle  (1899,  '""^  ^^  '^  pages).  —  L.-H.  L. 

—  Avec  un  petit  nombre  d'études  et  d'articles  suggérés,  de  1861  à  1899.  par  ses 
recherches  sur  notre  moyen  âge  littéraire,  M.  Gaston  Paris  a  fait  un  livre  intitulé 
Poèmes  et  légendes  du  moyen  dge  (soc.  d'édition  artistique,  in-8  de  268  pp.)  qui 
est  du  plus  vif  intérêt  et  charmera  tous  ceux  que  séduisent  les  premières  et  origi- 
nales poésies  des  peuples.  Ces  essais  sont,  en  effet, essentiellement  de  la  littérature 
comparée,  matière  difficile  à  traiter,  parfois  ingrate,  où  il  faut  un  maître  pour  oser 
porter  la  main,  et  où  M.  G.  Paris  est  si  compétent.  Son  travail  sur  Huon  de  Bor- 
deaux, aussi  amusant  que  considérable,  avait  paru  dans  la  Revue  Germanique  en 
1861,  ei  l'on  avait  bien  de  la  peine  à  le  retrouver.  Son  étude  sur  Tristan  et  Iseut, 
si  ardue  à  mener  à  bien,  est  tout  à  fait  attachante  par  ce  temps  de  Wagnérisnie. 
Ses  pages  sur  Aucassin  et  Nicolettc,  sur  les  Sept  infants  de  Lara,  sur  l'une  des 
Orientales  de  Victor  Hugo  et  sa  fausse  physionomie  mauresque,  ne  sont  pas  moins 
piquantes;  d'autant  que  la  souplesse  du  style  fait  souvent  oublier  combien  d'éru- 
dition s'y  cache:  et  le  mérite  est  rare.  —  H.  de  C. 

—  M.  Sakmann  a  fait  tirer  à  part  un  article  qu'il  a  publié  dans  les  Wilrtembergis- 


^8  REVUE   CRITIQUE 

elle  l'ierteljalirsliefte  Jiir  Landesgescllichte  {nouveUe  série,  IX,  1900),  sur  les  prêts 
à  fonds  perdus  que  Voltaire  avait  faits  à  Charles-Eugène  de  Wurtemberg.  Le  duc. 
avait  reçu  40,000  thalers  en  septembre  1752,  3o,ooo  en  janvier  i-b3,  et  s'était  en- 
gagé à  fournir  en  retour  une  rente  viagère  totale  de  7,5oo  thalers,  dont  une  partie 
reversive  sur  Mme  Denis.  M.  Sakmann  expose  les  difficultés  que  Voltaire 
rencontre  parfois  dans  le  paiement  de  ses  intérêts,  et  confirme  ce  que  les  archives 
de  Colmar  et  de  Stûttgard  lui  avaient  déjà  appris,  à  savoir  que  Voltaire  se  montre 
dans  toute  cette  affaire,  prudent,  ferme,  mais  non  point  chicaneur  et  usurier.  Il  se 
plaint  que  Voltaire  soit  jugé  depuis  quelque  temps  en  France  avec  malveillance, 
déclare  l'ouvrage  de  M.  Nicolardot  sur  les  finances  de  Voltaire  au-dessous  de  toute 
critique,  et.  naturellement,  ramène  sur  l'eau  l'affaire  Dreyfus. —  Charles  Dejob. 

—  II  faut  au  moins  signaler  d"un  mot  un  petit  volume  qu'une  plume  élégante, 
celle  qui  a  fait  connaître  en  France  aussi  bien  qu'en  Italie  le  pseudonyme  de  Neera, 
vient  de  consacrer  aux  héroïnes  lettrées  du  xvni°  siècle  (Neera,  //  secolo  galante, 
Florence,  Barbera,  1900).  Les  Italiens  trouveront  plaisir  et  profit  à  lire  ces  notices 
tracées  d'une  main  alerte  qui  leur  apprendront  comment  Mlles  Aissé  et  Lespinasse, 
MM":*  du  Deffand,  Geoffrin,  d'Epinay,  d'Houdetot  et  de  Genlis  ont  su  mêler  à  la 
coquetterie  et  à  la  sensualité  une  curiosité  d'esprit,  une  finesse  de  goût,  une  sensi- 
bilité vive  qui  rachètent  en  partie  leurs  fautes.  L'ouvrage  est  joliment  imprimé  et 
orné  de  portraits.  —  Charles  Dejob. 

—  M.  H.  Brev.mann  paraît  s'être  voué  à  la  tâche  ingrate  mais  méritoire  des  bi- 
bliographies. La  Revue  a  annoncé  en  son  temps  (XLIII,  p.  5y)  sa  Bibliographie 
Phonétique.  Celle  qu'il  publie  aujourd'hui  n'est  autre  chose  que  le  complément  et 
la  continuation  d'un  répertoire  précédent,  consacré  à  l'enseignement  des  langues 
vivantes  et  embrassant  la  période  de  1876  à  1893  :  Die  neusprachlidie  Reform- 
Literatur  von  1 8g4-i 8gg,  eine  bibliographisch-kritische  Uebersicht,  Leipzig, 
librairie  A.  Deichert  (G.  Bœhme),  1900;  in-8,  97  pp.  —  V.  H. 

—  Il  ne  nous  appartient  guère  d'apprécier  les  recueils  de  vers  contemporains  ;  mais 
il  nous  est  permis  de  signaler  ceux  d'entre  eux,  et  ils  se  font  rares,  qui  ne  seront 
pas  oubliés  dans  le  siècle  où  nous  allons  entrer.  M.  Eugène  Manuel  a  publié 
récemment  ses  Œuvres  complètes,  2  vol.  de  4o5  et  4o6pages,  chez  Calmann-Lévy, 
1899.  Le  tome  I  est  composé  de  deux  recueils  déjà  publiés,  Pages  intimes  et  En 
voyage.  Les  Pages  intimes  avaient  paru,  en  partie,  dans  la  Revut  des  deux  Mondes, 
en  1862;  puis,  en  totalité,  dans  un  volume  de  1866  (?°  édit.  1869).  -^^  voyage  àsiie 
de  1884.  Le  2*  volume  contient  les  Poèmes  populaires,  Pendant  la  guerre.  Après 
la  guerre.  Les  Poèmes  populaires,  dont  quelques-uns  remontent  à  1848,  sont  de 
1871-1872.  Pendant  la  guerre  est  de  1872;  Après  la  guerre,  de  1898.  D'un  cer- 
tain nombre  de  ces  recueils,  M.  Manuel  avait  composé,  en  1888,  ses  Poésies  du 
foyer  et  de  l'école.  C'est  toute  une  œuvre  et  toute  une  vie  qui  sont  condensées 
dans  cette  première  édition  des  Œuvres  complètes,  qui  laisse  seulement  de  côté 
les  œuvres  théâtrales.  —  F.  H. 

—  A  peine  notre  article  sur  le  Paris  de  j8oo  à  igoo,  publié  par  la  maison  Pion 
(sous  la  direction  de  M;  Ch.  Simond,  p.  80)  était-il  composé,  que  cette  excellente 
entreprise  répondait  au  vœu  exprimé  par  nos  dernières  lignes,  en  faisant  paraître 
coup  sur  coup  le  5c  et  le  6"=  fascicules  qui  terminent  le  premier  des  trois  tomes 
annoncés.  Le  volume  atteint  l'année  i83o,  avec  676  pages  à  2  colonnes.  Les 
deux  séries  dont  nous  rendons  compte  pour  faire  suite  à  notre  article,  compren- 
nent donc  les  années  1820-24  et  i825-3o.  La  même  profusion  de  reproductions  de 
toutes  sortes  s'y  fait  remarquer,  illustrant,  soit  des  esquisses  nouvelles,  soit  surtout 


,), 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  JQ 

des  extraits,  adroitement  choisis,  des  récits,  chroniques,  souvenirs  et  journaux  du 
temps.  Enfin,  comme  un  ouvrage  fait  pour  être  vraiment  utile,  le  volume  se 
termine  par  de  commodes  tables:  des  gravures  (ordre  chronologique),  des  portraits 
(ordre  alphabétique),  et  des  articles.  —  H.  de  C. 

—  Dans  une  des  collections,  assez  nombreuses  depuis  quelque  temps,  d'esquisses 
historiques  et  artistiques,  où  triomphe- la  librairie  allemande  de  vulgarisation,  et 
qui,  toutes  bourrées  qu'elles  soient  d'excellentes  reproductions  photographiques, 
restent  à  un  prix  si  minime,  vient  de  paraître  une  étude  d'ensemble  sur  notre 
Paris  artistique  et  archéologique  :  Paris, eine  Gescliichte  seiner  Kunstdenkmceler 
vom  Altertiim  bis  au/  unsere  Tage  (Leipzig  und  Berlin,  Seemann.  i  vol.  in-S*"; 
n°  6  des  Berilhmte Kunststœtten,  Prix,  cartonné  :  4  marks).  Le  piquant,  c'est  que 
l'auteur  est  M.  Georges  Riat,  de  la  Bibliothèque  Nationale,  et  que  son  texte  alle- 
mand paraît  avant  son  texte  français,  que  nous  savons  pourtant  être  annoncé  (chez 
Laurens),  mais  dont  nous  ne  pouvons  juger  que  sur  cette  édition  allemande. 
C'est  une  revue  pittoresque  et  historique  des  monuments  et  des  richesses  d'art  de 
Paris,  disposée  suivant  l'ordre  chronologique  approximatif,  avec  un  dernier  cha- 
pitre relatif  à  la  sculpture  et  à  la  peinture  françaises  contemporaines.  L'esquisse  est 
brève  mais  soignée,  et  l'illustration  (180  reproductions  photographiques)  bien 
choisie  et  bien  venue.  —  H.  de  C. 

—  Le  Dictionnaire  géographique  de  laFrance,  publiésous  la  direction  de  M.Paul 
JoANNE  (Libr.  Hachette,  in-4''  à  3  colonnes),  continue  d'un  pas  lent  mais  sûr  sa 
progression  alphabétique,  et  atteint  aujourd'hui,  avec  Saint-Avit,  la  page  4o52. 
Nous  l'avions  laissé  avec  la  page  3409,  à  la  fin  de  l'énorme  article  Paris.  Entre  les 
deux,  il  faut  citer  parmi  les  articles  les  plus  intéressants  et  les  plus  neufs,  les 
études  d'orographie  et  de  géographie  physique  suggérées  par  le  Gave  de  Pau,  le 
massif  de  Péclet-Poset  (en  Savoie)  et  surtout  les  Alpes  du  Pelvoux  (avec  une  excel- 
lente photographie  d'ensemble),  le  massif  du  Pilât  et  celui  du  Mont-Pourri,  les 
P/7-tf'«e'es  (24  colonnes,  où  l'on  sent  bien  la  compétence  de  M.  Schrader)  le  Queyras 
(Briançonnais),  le  Rhône  (34  colonnes,  monographie  qui  comptera),  enfin  le  massif 
des  grandes  Rousses  (excellent).  Cependant  il  faut  rendre  justice  aussi  à  la  profu- 
sion et  à  la  netteté  d'information  des  articles  plus  statistiques  des  villes  et  départe- 
ments :  Pe'rigueux  (nombreuses  photographies,  et  bien  prises),  Poitiers  et  le 
Poitou,  \e  Puy-de-Dôme,  les  trois  départements  des  Pymie'e^,  Reims,  Rouen  (3i 
colonnes),  enfin  le  tableau  général  des  noms  de  Saints  avec  étude  des  ctymologies  et 
des  transformations  de  noms, un  coin  de  géographie  historique  bien  curieux. Une  cri  - 
tique  pourtant  pour  finir,  d'autant  que  nous  l'avions  déjà  faite  :  la  série  des  cartes  de 
départements  ne  sera  pas  inutile  comme  donnant  quelques  'points  de  repère, 
mais  à  part  cela...  elle  est  trop  souvent  bien  médiocre.  Ces  cartes  ne  sont  pas 
toujours  au  courant,  même  des  chemins  de  fer,  et  les  indications  routières  sont 
très  confuses.  Ne  pouvant  faire  que  si  peu,  et  dans  de  si  petites  proportions,  autant 
valait  presque  s'abstenir.  —  H.  de  C. 

—  La  librairie  Aihenaeum  de  Budapest  et  la  maison  Alcan  de  Paris  publient,  à 
l'occasion  de  l'Exposition  universelle,  deux  beaux  volumes  illustrés.  Le  premier 
est  une  nouvelle  édition  de  VHistoire  générale  des  Hongrois  du  regretté  Edouard 
Sayous,  volume  qui  avait  obtenu  le  Prix  Thiers  en  1877.  On  connaît  suffisamment 
le  mérite  de  cet  ouvrage  qui  traite  l'histoire  des  Hongrois  depuis  les  origines  jus- 
qu'à 1825.  Dans  cette  deuxième  édition  (562  pages,  avec  27  planches  hors  texte 
et  253  illustrations  dans  le  texte)  destinée  surtout  au  grand  public,  on  a  supprimé 
l'appareil  savant,  notamment  l'Introduction  sur  les  sources  de  l'histoire  magyare 


8o  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

et  toutes  les  notes.  Un  journaliste ~iiongrois  M.  J.  Dolenecz,  et  le  fils  du  regretté 
historien,  M.  André  Sayous,  se  sont  chargés  de  revoir  le  texte  et  d'y  ajouter  quelques 
pages  (5o6-558)  sur  les  événements  si  importants  qui  se  sont  produits  en  Hongrie 
de  1825  à  1867.  Certains  passages  se  rapportant  à  la  littérature  et  au  mouvement 
jacobin  de  1794  auraient  dû  être  retouchés  et  le  regretté  historien,  s'il  avait  pu 
surv'eilier  cette  réimpression,  n'y  aurait  pas  manqué.  Notre  reproche  s'adresse  uni- 
quement au  journaliste  magyar  qui  a  laissé  passer  des  bévues  assez  graves.  P. 408. 
Ce  n'est  pas  Anyos  le  poète  élégiaque,  qui  a  traduit  La  Calprenède  et  Marmontel, 
mais  bien  Alexandre  Barôczy  (1733-1809)  membre  de  VEcole  française;  Péczeli, 
le  traducteur  de  la  Henriade,  de  Zayre  et  d'yl/f ire,  n'a  pas  enseigné  la  théologie:  il 
était  pasteur  à  Komârom.  Page  438.  Parmi  les  chefs  de  la  Conjuration  Martinovics, 
Laczkovics  n'était  certainement  pas  «  le  plus  remarquable  ».  C'était  Hajnoczy,  ce 
qui  est  suffisamment  prouvé  aujourd'hui  par  les  études  de  Fraknoi,  Concha,  et 
G.  Ballagi,  parues  après  la  première  édition  de  cette  histoire.  Mais  ces  taches  légères 
n'ôtent  rien  à  la  haute  valeur  de  ce  volume  qui  reste  toujours  le  premier — et  jus- 
qu'ici le  seul  — essai  considérable  d'une  histoire  du  peuple  hongrois  écrite  d'après 
les  sources  magyares.  Les  nombreuses  illustrations  et  fac-similés  plairont  au  grand 
public,  comme  aux  historiens.  —  Le  second  volume  est  une  Histoire  de  la  littéra- 
ture hongroise  par  A.  Horvath,  C.Kardos  et  A.  Endrôdi,  adapté  par  J.  Kont,  avec 
une  Préface  de  M.  Gaston  Boissier.  (xn-420  pages,  avec  20  planches  hors  texte  et 
95  illustrations  dans  le  texte).  Cette  histoire  de  la  littérature  depuis  les  origines 
jusqu'à  1867,  se  divise  en  quatre  parties:  les  deux  premières  {Moyen  dge  et  Renais- 
sance ;  La  réforme  et  les  luttes  nationales  ;  la  Décadence)  sont  un  abrégé  du  livrede 
M.  Horvâth  annoncé  dernièrement 'Cf.  Revue  critique,  1900  n°  16);  la  troisième, 
de  1772  à  182 5,  est  détachée  du  livre  de  M.Kardos  :  A  magyar  s^épirodalum  tœrténete 
(1892)  et  la  dernière,  la  plus  importante,  traitant  la  Hongrie  moderne  (1825-67)  est 
une  adaptation  du  volume  de  M.  Endrôdi  :  La  littérature  de  notre  siècle.  ;Voy.  Revue 
cri7.  ibid.).Une  bibliographie  française  de  la  littérature  hongroise  est  ajoutée  à  cette 
belle  publication,  qui  permettra  au  publicfrançais  de  faire  plus  ample  connaissance 
avec  une  littérature  peu  connue.  «  Il  est  utile,  dit  M.  Gaston  Boissier,  que  nous 
puissions  mesurer  à  la  fois  les  progrès  que  la  vie  matérielle  et  la  vie  de  l'esprit  ont 
accomplis  chez  les  Hongrois  dans  ces  dernières  années.  Je  ne  doute  pas  que  ce  livre 
où  ils  nous  initient  aux  œuvres  de  leurs  poètes, de  leurs  romanciers,  de  leurs  histo- 
riens n'obtienne,  auprès  des  gens  de  goût,  le  même  succès  qu'auprès  du  grand 
public  le  palais  où  ils  vont  étaler  les  merveilles  de  leur  industrie.  »  —  Z. 


Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23, 


REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 

N"  31  —  30  juillet  —  1900 


Odyssée,  IX.  p.  Nairn.  —  Dareste,  Haussoullier,  Th.  Reinach,  InscriptioNS 
juridiques  grecques,  11,  i. —  Brcgmann,  Grammaire  grecque.  —  Lucien,  p.  Som- 
MERBRODT,  111.  —  Drlmann,  Histoirc  de  Rome,  2«  éd.  — Scpoenbacu,  Les  anciens 
Minnesinger.  —  Roessner,  Henri  de  Morungen. —  Engel,  L'École  latine  de  Stras- 
bourg. —  Lipps,  Le  comique  et  Thumour.  —  Betz,  La  littérature  comparée.  — 
CossA,  Histoire  des  doctrines  économiques.  —  Bérard,  L'Angleterre  et  l'impé- 
rialisme —  Eni.  Michel,  Essais  sur  l'histoire  de  l'art.  —  Académie  des  inscrip- 
tions. 


The  Odyssey  of  Homer,  book  XI,  edited  with  introduction,  notes  and  appendices, 
by  J.  A.  Xairn.  Cambridge,  University  Press,  1900.  xxxvi-92  p.  {Pitt  Press 
Séries) . 

Le  chant  XI  de  ÏOdyssée  est  le  quatrième  publié  dans  la  collection 
intitulée  Pitt  Press  Séries,  qui  comprenait  déjà  les  chants  IX,  X  et 
XXI.  Ce  volume  renferme,  suivant  la  méthode  généralement  adoptée, 
une  introduction,  le  texte,  l'annotation;  sept  appendices  très  courts 
touchent  à  différents  points  de  la  gramniaire  et  de  la  versification  ho- 
mériques ;  et  quelques  notes  critiques  se  rencontrent  çà  et  là  parmi 
les  notes  explicatives.  Le  texte  diffère  du  texte  vulgaire  dans  une  quin- 
zaine de  passages,  M.  Nairn  préférant,  même  dans  le  cas  de  l'accord 
des  manuscrits,  les  formes  plus  spécialement  homériques  ;  par  exemple 
II  TrovtoTTopsjjr,:;  ;  61  j-vo;  d'après  Stobée,  pour  o'voq,  parce  que  le  F 
serait  négligé  dans  ce  dernier  mot  (ce  n'est  pas  cependant  une  raison 
suffisante)  ;  pour  le  même  motif  207  'V.eXov  ax-.f,  pour  ay.tT,  e'.'xôXov  (M.  N. 
semble  ignorer  que  cette  transposition  a  été  proposée  par  Bentley)'; 
49,  88,  232  £aov  pour  î'.wv;  147  -/.'îâa:;  pour  y.vi  Èîî.  On  voit  par  ce  der- 
nier exemple  que  M.  Nairn  n'est  pas  choqué  par  la  diectase;  il  con- 
serve en  etfet  12  T/.'.ôtovTo,  292  âÇeXâav,  363  e'cropôcovTs;,  etc.  ;  c'est  trop 
de  respect  pour  la  tradition.  Les  notes,  bonnes  en  général,  sont  peut- 
être  trop  sobres.  L'introduction  comprend  une  brève  dissertation  sur 
le  monde  souterrain  d'après  Homère,  et,  sous  le  titre  de  Grammaire, 
un  résumé  suffisamment  exact  des  formes  épiques. 

Mv. 


I.  Mais  pourquoi  alors  M.  Nairn  conscrve-t-il  363  oô  Tt    a'èiTxoacv  ?  —  Lire  335 
65ï  (au  lieu  de  oxe),  442  iji7i8£  (jjlt.S'),  543,  oït,  (o"t,). 


Nouvelle  série  L.  3* 


82  REVUE    CRITIQUE 

Dareste,  Haussolllier  et  Reinach,  Recueil  des  inscriptions  juridiques  grec- 
ques. Deuxième  Série.  Premier  fascicule,  Paris,  Leroux,  1898. 

MM.  Dareste,  HaussouUier  et  Reinach,  ont  eu  l'excellente  idée  de 
donner  une  suite  à  la  première  série  de  leur  recueil.  Le  dernier  fasci- 
cule qu'ils  ont  publié  contient  les  documents  que  voici  : 

1°  Loi  de  Dracon  sur  le  meurtre.  On  sait  que  cette  loi  nous  a  été 
partiellement  conservée  par  une  inscription  qui  date  de  Tannée  409; 8. 
Mais  c'est  à  peine  si  quelques  lignes  peuvent  en  être  déchiffrées  au  début; 
le  reste  a  presque  entièrement  disparu.  Heureusement  les  citations 
qu'en  font  les  auteurs,  notamment  Démosthène  dans  ses  plaidoyers 
contre  Macartatos  et  contre  Aristocrate,  permettent  d'en  combler  les 
lacunes.  MM.  D.,  H.  et  R.,  acceptent  en  général  les  jestitutions  pro- 
posées parleurs  devanciers,  mais  ils  en  présentent  aussi  deux]  ou  trois 
qui  leur  sont  personnelles.  Dans  leur  commentaire,  ils  élucident  avec 
beaucoup  de  précision  toutes  les  difficultés  d'un  texte  qui  n'est  pas  tou- 
jours clair  ;  puis  ils  examinent  les  modifications  que  la  loi  de  Dracon  a 
subies  ultérieurement. 

2°  Loi  d'Ilion  contre  les  tyrans  et  l'oligarchie.  Elle  fut  rendue 
probablement  en  281  par  le  parti  démocratique,  revenu  au  pouvoir 
après  l'expulsion  d'un  tyran,  et  elle  a  pour  objet  de  prémunir  le 
I  régime  actuel  contre  un  retour  offensif  de  ses  ennemis.  Les  peines 
qu'elle  édicté  sont  d'une  extrême  sévérité,  et  on  les  a  ingénieusement 
rapprochées  de  celles  qui  figurent  dans  nos  lois  révolutionnaires.  Les 
commentateurs  y  ont  joint  une  étude  des  lois  analogues  qui  existaient 
à  Athènes  et  dont  la  principale  est  reproduite  dans  un  discours 
d'Andocide. 

3°  Testaments  ordinaires  et  donations  à  cause  de  mort.  On  a  groupé 
sous  ce  chef  cinq  documents  :  le  testament  (ou  donation  1  de  Saotis,  de 
Pétélia,  le  dépôt-testament  de  Xouthias  à  Tégée,  le  testament  d'un 
anonyme  de  Dodone,  celui  d'Alkésippos  découvert  à  Delphes,  et  la 
donation  à  cause  de  mort,  d'Aristodamas  de  Corcyre. 

4°  Fondations  testamentaires.  Ce  sont  le  testament  d'Épictétia  de 
Théra,  celui  de  Diomédon  de  Chics,  et  celui  de  l'Agasicratès  de 
Calaurie. 

5°  Donations  entre  vifs.  On  trouvera  ici  la  constitution  de  terres 
accordée  par  le  roi  de  Macédoine  Cassandre  à  Perdiccas,  la  contribu- 
tion faite  à  Corcyre  par  Aristoménès  et  Psylla  d'un  capital  destiné  à 
des  représentations  théâtrales,  un  fragment  de  décret  relatif  à  une  do- 
nation faite  à  la  ville  de  Leucade,  et  une  donation  d'Halicarnasse, 
offrant  de  grandes  analogies  avec  celles  de  Thèra  et  de  Cos,  avec  cette 
différence  toutefois  qu'elle  a  lieu  par  acte  entre-vifs. 

6"  Décret  du  sénat  Athénien  (iv«  siècle),  concernant  un  certain 
Sopolis  qui  était  débiteur  de  l'Etat. 

il 


d'histoire  et  de  littérature  83 

7"  Jugements  d'Erésos  contre  des  tyrans.  C'est  une  sorte  de  dossier 
renfermant  une  partie  des  pièces  qui  ont  trait  aux  procès  dont 
furent  victimes  les  tyrans  d'Erésos  pendant  le  iV  siècle. 

On  voit  par  cette  simple  énumération  l'intérêt  qui  s'attache  à  ce  fas- 
cicule. Mais  ce  qui  en  fait  surtout  la  valeur,  c'est  l'interprétation  que 
donnent  de  ces  textes  les  nouveaux  éditeurs.  Les  qualités  qui  distin- 
guaient  le   premier  volume  apparaissent  toutes  ici  au  même   degré. 
MM.  Dareste,  Haussoullier  et  Reinach  n'ont  pas  la  prétention  de  tout 
éclaircir;  il  y  a  des  cas  où  ils  avouent  eux-mêmes  que  la  difficulté  est 
insoluble.  Mais,  sauf  un   petit  nombre  d'exceptions  où  le  doute  est 
commandé  parla  prudence,  on  est  sûr  de  rencontrer  chez  eux  le  com- 
mentaire le  plus  exact,  le  plus  substantiel  et  en  même  temps  le  plus 
sobre  des  documents  qu'ils  étudient.  Ils  disent  tout  ce  qu'il  faut  dire, 
et  ils  ne  disent  rien  de  plus.  A  une  connaissance  très  précise  de  la 
langue  grecque  ils  Joignent  un  sens  juridique  très  sûr,  et  ils  rehaus- 
sent le  mérite  de  leurs  observations  par  une  exposition  claire,  ferme  et 
méthodique,  qui  fait  de  chacun  de  ces  morceaux  un  véritable  modèle. 

Paul  GuiRAUD. 


Brlgmanx.  Griechische  Grammatik  (Lautlehre,  Stammbildungs —  und  Flexions- 
lehre  und  Syntax  ,  3''éd.  Appendice  :  Griechische  Lexicographie,  par  L.  Cohn. 
Munich,  Beck,  1900;  xix-632  p.  (Handbuch  der  klassischen  Altertuniswissens- 
chaft,  herausgg.  von  hvan  Millier,  t.  11,   if*  partie.) 

Comme  la  grammaire  latine  de  Stolz  et  Schmal?:,  dont  il  a  été  parlé 
ici  même  (5  février  1900),  la  grammaire  grecque  de  Brugmann,  main- 
tenant un  volume  à  part,  a  reçu  des  développements  considérables  ; 
comparée  à  la  première  édition  (i885  ;  2^  éd.  1889  ,  la  troisième  est  un 
ouvrage  nouveau  ou  peu  s'en  faut.  Le  nombre  des  pages  montre  à  lui 
seul  quels  progrès  ont  été  accomplis;  en  regard  des   i25  pages  de  la 
première  édition,  celle-ci  en  a  574;  chaque  partie  prise  à  part  avait, 
la  phonétique    37   pages,  la  morphologie  44,  la  syntaxe  3i  ;  elles  ont 
respectivement  aujourd'hui  i  37,  2o3  et  206  pages.  Il  est  inutile  d'ajou- 
ter que  la  bibliographie  a  été  soigneusement  mise  au   courant.  M.  B. 
n'a  pas  modifié  son  point  de  vue   primitif  :   il   s'est  proposé,  encore 
maintenant,  non  pas  de   recueillir   au  complet   le  matériel  qui   doit 
servir  à  une  étude  de  la  langue  grecque  ancienne  —  les  bonnes  gram- 
maires, de  même  que  les  ouvrages  récents  sur  les  dialectes  anciens, 
suffisent  pour  cet  enseignement  —  mais  bien  plutôt  d'expliquer  et  de 
faire  comprendre  scientifiquement  les  phénomènes  de  la  langue,  con- 
formément à  l'état  actuel  des  études  linguistiques.  L'ouvrage  est  donc 
plus  qu'une  grammaire,  et  a  une  portée  plus  haute  ;  il  ne  faudrait  pas 
se  laisser  induire  en  erreur  par  ce  titre  simple  de  Griechische  Gram- 
matik, et  l'auteur,  si  du  moins  je  ne  me  trompe  pas  sur  sa  pensée,  a 


84  REVUE    CRITIQUE 

composé,  en  réalité,  une  «  Grammaire  grecque  à  Tusage  des  philolo- 
gues. »  Les  auteurs   de  grammaires  grecques,  chez  nous,  semblent 
peu  familiarisés  avec  les  études  linguistiques  ;  dans  des  concours  aussi 
élevés  que  ceux  d'agrégation,  les  connaissances  linguistiques  que  peu- 
vent avoir  les  candidats  leur  sont  le  plus  souvent  un  bagage  inutile, 
sous  le  prétexte  spécieux  que  les  professeurs  de  renseignement  secon- 
daire n'ont  pas  à  donner  un  enseignement  de  cette  nature.  Par  suite, 
les  professeurs,  dans  les  universités,  soucieux  avant  tout  du  bien  de 
leurs  élèves,  négligent  ou  peu  s'en  faut  cette  importante  partie  de  la 
grammaire,    au  grand  dommage  des  études    supérieures.    C'est  être 
volontairement  trop  superficiel.  On  peut  évidemment  être  bon  hellé- 
niste sans  être  linguiste,  et  je  suis  loin  de  prétendre  qu'il  faille  savoir 
les  langues  congénères  pour  savoir  le  grec;  mais  on  ne  saurait  nier 
que  la  connaissance  d'une  langue  ancienne    ne   soit  singulièrement 
élargie  et  précisée  pour  celui  qui  sait  en  même  temps  la  composition 
des  mots,  la  valeur  primitive  des  formes,  l'origine  et  le  point  de  départ 
des  tournures.    11  est  toujours  bon  de  connaître  un  outil  avant  d'en 
étudier  le  maniement;  or  ce  sont   des  ouvrages  comme  cette  gram- 
maire qui  donnent  cette    connaissance  ;  ils   donnent  la  raison   des 
choses  que  les  grammaires  courantes  se  bornent  à  enregistrer.  Une 
telle  conception  de  la  grammaire  pourra  cependant   ne  pas  sembler 
justifiée  de  tout  point.   Si  l'étude  des  mots  dans  leur  origine,  dans  la 
combinaison  de  leurs  éléments  et  dans  les  lois  même  de  leur  consti- 
tution est  indispensable,  il  n'est  peut-être  pas  sans  danger  d'appliquer 
la  même  méthode  à  l'étude  de  la  proposition.  Une  langue  comme  le 
grec,  au  v^  et  au  iv«  siècle,  à  l'époque  pour  laquelle  nous  avons  les 
meilleurs  modèles,  exprimait  les  pensées  d'une  façon  qui  pour  nous 
est  définitivement  fixée,  à  l'aide  du  matériel  de  mots  et  de  formes  dont 
elle  disposait  alors.  La  grammaire  constate  cet  usage  et  formule  les 
règles.  Mais  les  fonctions  des  mots  et  de  leurs  formes,  telles  que  les 
constate  la  grammaire,  sont  loin  d'être  les  mêmes  qu'à  une  époque 
antérieure,  et  encore  plus  loin  d'être  les  fonctions  primitives.  L'étude 
linguistique  en  découvre  la  genèse  :  elle  est  alors  portée,  malgré  elle, 
à  vouloir  faire  de  cette  découverte  la  clef  de  toute  connaissance,  et  à 
trouver  dans  la  langue  classique  la  répercussion  nécessaire  des  sens 
et    des    constructions  originelles.   On  en  arrive    à  étudier  la   prose 
grecque,  par  exemple,  avec  l'idée  d'y  retrouver  l'usage  imposé  par  la 
nature  des  formes,  sans  s'apercevoir  qu'on  fait  souvent  violence  à  la 
langue.  La  théorie  du  mécanisme  primitif  ne  saurait  prévaloir  contre 
l'usage  dûment  constaté,  et  l'observation,  si  elle  n'est  pas  d'une  absolue 
indépendance,  court  risque  d'être  faussée  dès  le  début;  que  seront 
alors    les    conséquences?    La  théorie    des   fonctions   primitives  des 
formes   grecques   prédomine  trop,  peut-être,    pour   l'explication   des 
faits  de  syntaxe,  dans  la  grammaire  de  M.  Brugmann  ;  et  à  ce  point 
de  vue  encore,  elle  est  essentiellement  une  grammaire  pour  les  philo- 


D^HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  85 

logues;  ceux-ci  trouveront  amplement  matière  à  discussion  dans 
certaines  théories  plus  linguistiques  que  grammaticales,  notamment 
en  ce  qui  concerne  certains  points  de  la  syntaxe  du  verbe.  L'ouvrage 
n'en  est  peut-être  que  plus  précieux  :  nul  helléniste,  à  moins  d'igno- 
rer l'allemand  (mais  en  est-il  encorechez  nous?)  ne  devra  s'en  passer. 
—  L'appendice  sur  la  Lexicographie  grecque  est  dû  à  M.  Léop.  Cohn  ; 
le  chapitre  III,  qui  renferme  la  théorie,  est  particulièrement  instruc- 
tif; on  y  trouve  résumées  les  vues  de  Passow,  de  G.  Hermann,  de 
F. -A.  Wolf,  de  K.-E.-A.  Schmidt,  sur  la  confection  d'un  Thésaurus 
totius  grœcitatis  qui  réponde  à  toutes  les  exigences  de  la  science 
actuelle;  et  l'auteur  expose  dans  les  dernières  pages  comment  il  com- 
prend lui-même  l'exécution  et  la  composition  d'un  aussi  vaste  travail. 
Mais  verrons-nous  un  monument  de  ce  genre?  En  attendant  il  va  être 
fait  pour  le  latin. 

Mv. 


Lucianus,    recognovit   J.     Sommerbrodt.     Vol.     III.    Berlin,    Weidmann,    1899; 
x-3o6  p. 

Le  troisième  volume  du  Lucien  dt  M.  Sommerbrodt  renferme  19 
opuscules  ;  c'est  la  série  qui  dans  les  œuvres  complètes  s'étend  du  Bis 
accusatus  au  Navigium,  à  l'exception  du  Pseudologista.  Le  texte  est 
suivi,  comme  dans  les  volumes  précédents,  des  leçons  des  manuscrits 
comparées  avec  l'édition  Teubner,  et  de  notes  critiques.  Ces  notes 
sont  elles-mêmes  suivies  d' emendanda^  et  de  l'invitation  que  nous 
avons  déjà  vue  dans  la  seconde  partie  du  second  volume  :  «  Sicubi 
textus  discrepat  ab  adnotatione  critica  rogo  prœferatur  adnotatio.  » 
Elle  n'est  pas  moins  nécessaire  ici,  car  il  y  a  encore  trop  fréquemment 
à  rétablir  le  texte  conformément  à  l'annotation.  La  lecture  du  texte  et 
des  notes  critiques  suggère  des  observations  analogues  à  celles  que  j'ai 
déjà  faites  (V.  Revue  des  4 février  1895  et  12  juillet  1897).  M.  S.  se  sert 
avec  bonheur  des  manuscrits  pour  retrouver  souvent  la  bonne  leçon  ; 
plusieurs  des  corrections  qui  reposent  uniquement  sur  son  interpréta- 
tion ne  sont  pas  moins  bonnes  ;  d'autres  au  contraire  sont  discutables, 
et  quelques-unes  me  paraissent  franchement  inadmissibles,  parce  qu'il 
n'y  a  aucune  raison  pour  modifier  le  texte  de  Lucien.  M.  S.  comprend 
alors  à  sa  façon,  et  refait  le  texte  ;  on  peut  aller  loin  dans  cette  voie,  et 
quand  le  texte  est  explicable  dans  sa  forme  traditionnelle,  sans  qu'il 
soit  besoin,  pour  le  comprendre,  de  forcer  le  sens  ou  d'imaginer  des 
constructions  insolites,  on  nuit  à  un  auteur  en  revêtant  sa  pensée  d'une 
forme  qu'il  ne  lui  a  pas  donnée.  On  ne  saurait  trop,  à  mon  avis,  dé- 
fendre les  anciens  contre  les  abus  de  la  critique.  M.  S.,  cependant, 
pour  les  morceaux  de  ce  volume,  me  semble  avoir  été  beaucoup  plus 
prudent,  et  s'être  laissé  moins  entraîner  par  ses  vues  personnelles  ;  on 


86  REVUE    CRITIQUE 

rencontre  quelques  remarques  de  ce  genre  :  Telle  lecture  semble  meil- 
leure, mais  j'ai  préféré  ne  rien  changer  au  texte.  Venons  à  quelques 
détails.  Bis.  ace.  4  TzpoziOi'/xi..,.  ■?,    OiXst;  rpoaYY£'.Xôjij.£v  (lire -yîO.ojjjlîv!  est 
excellent,  au  lieu  de  TrpoTiOîijLcv..,  ■7z%py.-i-(i\ryj'xz^/,  de  môme  que  Navig^.  4 
%av'!co   pour  È7râv£[|jL'.,  dans  la  même  construction,  familière  à  Lucien. 
Anach.  16  [j-ôvo;  est  supprimé  avec  raison.  Rhet.  prœc.  4  r]  yâp  vaut 
mieux  que  il  vàp,  quoique  1'.  yâo  (Dind.-Didot)  puisse  être  préféré  ;  id. 
5  avOpw-07   du  Marcianus  436  est  meilleur  que  à'jjiTropov.   On  trouvera 
jolie  la  correction  certaine  'j-h    tw    <\ifjoo    -rsTaYijiévwv  au  lieu  de  (j-o  tô 
'\>t~jcoz,Adv.iniioct.  20.  L'optatif  est  restitue  à  juste  titre  au  lieu  du  futur 
en  plusieurs  passages,  par  exemple  Herc.  7,  Adv.  indoct.  7.  En  réa- 
lité, le  texte  est  souvent  amélioré  soit  par  de  nouvelles  leçons  des  ma- 
nuscrits, soit  par   des  corrections  dues    en  partie  à  M.  S.,  en  partie  à 
Cobet,  que  M.  S.  qualifiait  naguère  de  vir  Lucianisshnus .  Mais  M.  S. 
court  grand    risque  de  n'être   pas  approuvé  dans  ce  qui  suit.  Rhet. 
prcec.    3     iTZiiir^Tt^   tt,     ày.pa    -/.aï     alpr^aEc;     où   y.a[ji.à)v,     etC    II   écrit    alp/jffîtî 
Toù;  Y^l^'^'-'î?  voici  pourquoi  :  atp-/,(T£'.;  manque  de  régime;  où  xajjiojv  est 
superflu,  parce  que  ce  dont  il  est  question  ne  peut  s'acquérir  qu'avec 
beaucoup  de  peine,  comme  il  est  dit  à  plusieurs  reprises;  le  prix  pro- 
posé est,  dans  tout  le  morceau,  le  mariage  avec  la  rhétorique.  Mais 
TO'j;  Y^I^o'-"?   est  ici  incompréhensible,  attendu  qu'on  ignore,  dans  tout 
ce  qui  précède,  qu'il  peut  s'agir  de  cette  union^  la  rhétorique  n'étant 
représentée    sous  la  figure  d'une    femme    que    beaucoup  plus  loin  ; 
alpy^aî'.î  peut  s'entendre  absolument  :  tu  obtiendras  (ce  que  tu  désires); 
enfin  le  rhéteur  dit   au  contraire,  expressément  et  en  termes  répétés, 
nous  te  conduirons  non  par  une  route  pénible,  mais  par  un  chemin 
agréable,  facile,  où  tu  n'éprouveras  aucune  fatigue  ;  où  xaiji.u)v  est  donc 
nécessaire.  De  domo,  2  3    TraoeXôôvxe  xà  SacrîXsia  xaî  Xa6ôvT£   oovîùo'j^tv  auioco 
tôv    AtYiorOov.  Un  des  deux  participes  est  de  trop,  dit  M.  S.,  et  il  écrit 
XaôôvTs  xà  paaîXsia.  Je  ne  vois  pas  comment  TrapîXOsTv  et  XaOsTv  font  double 
emploi,  et  je  doute  qu'on  accepte  XaOôTvxà  j3.  ;  on  serait  plutôt  en  droit, 
si  l'on  juge  une  correction  nécessaire,  d'exiger  TrapïXOsIv  U.  De  Electr. 
3  àviTiXaTTOv  oaa  xa;  ola  ^p/j(T0[JLai  aùxil).   M.  S.  corrige  £tç  o<ja,  en  comparant 
Xénoph.  Cyrop.  8,  8,  9  o-w;oXrj  ttI  T,;jLépa  ypwi-rj  i;  xà;  rpâ^st;.  H  n'ignore 
pourtant  pas  que  ces  pronoms  neutres  ne  se  construisent  pas  comme 
les  substantifs  :  h  est  indispensable  avec  TToà^s-.;,  mais  inutile  avec  oia. 
Id.  6  [j«.Y,8£v  TTpoaSoxrjarjc.   M.  S.  propose  \j.r\  [xyfivi.^  ce  qui  subordonne  la 
proposition  à  TtpoXÉYOj,  mais  de  quelle  nécessité  ?  ,ur;  n'est  d'ailleurs  pas 
dans  le  texte;  ahtâar,  qui  suit  est  un  indicatif  futur,  non  un  subjonctif 
aoriste.    Philops.    I     o'i   aùxo    avs-j    tt,;    /p£''a;     tô    '^z'joo:;    r.tp\    TtoXXoô     f^c 
àXr^ÔEÎa;  TÎOsv-ra-.  ;    c'est  le  texte  des  manuscrits,  sauf  aÙToî    Vatic.  87  et 
Ttpo  TroXXoù   Vatic.  87  et  90.  M.  Sommerbrodt   a  été  séduit   par  aù-roî, 
d'eux-mêmes,  sponte  sua  (bien  qu'avec  ce  sens  ave.»  Tf,;  /p^fa;  semble 
une  redite,  et  qu'au  point  de  vue  paléographique  on  s'explique  mieux 
aù"ro(  corrompu  de  aù-cô  par  le  voisinage  de  o'-  queaÙTÔ  de  aùxoîj  ;  le  texte 


d'histoire  et  de  littérature  87 

vulgaire  me  semble  pourtant  bien  préférable  :  le  mensonge  pour  lui- 
même,  sans  besoin,  comme  nous  disons  «  mentir  pour  mentir  ».  Il 
lit  ensuite  -pô  -oXXoô  et  supprime  -rr,?  âXr^ôï-a;,  estimant  que  ces  mots 
sont  de  trop  et  se  suppléent  d'eux-mêmes.  Je  les  crois  au  contraire 
indispensables,  non  pour  le  sens,  mais  à  cause  de  l'allure  générale  de 
la  phrase.  Il  est  vrai  que  ce  génitif  est  en  Tair  ;  mais  je  ne  serais  pas 
éloigné  d'admettre  une  confusion  entre  deux  lectures,  étant  donné  sur- 
tout que  dans  le  Vatic.  90  ^po  ttoàXo'j  est  au-dessus  de  la  ligne,  et  qu'on 
doive  lire  alors  r.zpl  r.oXXo~j  -koo  t-Tjç  àXï.Oîîa;.  Une  pareille  manière  de 
s'exprimer  n'est  pas  inconnue:  Platon,  Crit.  54  b  [xr,  raloa;  -nepî  ttXe-ovo; 
-o'.oj  TToô  Toj  o'.-/.a(o'j,  —  L'impression  est  notablement  plus  soignée  que 
dans  les  volumes  précédents;  s'il  y  a  encore  beaucoup  de  fautes  dans 
les  notes  critiques,  il  n'y  en  a  que  fort  peu  dans  le  texte.  C'est  d'un  bon 
augure  pour  les  volumes  qui  suivront  ', 

M  Y. 


DRUMANN,Geschichte  Roms  in  seinem  Ubergange  von  der  republikanischen 
zur  monarchischen  Verfassung  oder  Pompeius,  Caesar,  Cicero  und  ihre 
Zeitgenossen.  Z\v.  Auflage  herausgegeben  von  P.  Grœbe.  Erster  Band.  —  Ber- 
lin, Verlag  von  Gebrûder  Borntraeger,  1899,  10  mark. 

On  sait  le  plan  singulier  que  Drumann  a  adopté  dans  cet  ouvrage. 
Au  lieu  de  donner  un  récit  suivi  des  événements,  il  a  écrit  la  biogra- 
phie de  tous  les  personnages  qui  ont  pu  y  prendre  part  et  il  les  a  ran- 
gés sous  forme  d'un  dictionnaire.  Il  est  aisé  d'apercevoir  les  défauts 
d'un  pareil  procédé;  il  expose  notamment  à  des  redites  continuelles. 

Le  volume  qui  vient  de  paraître  dans  la  nouvelle  édition  contient 
les  ^Emilii,  les  Afranii,  les  Annii,  les  Antistii,  et  les  Antonii.  Natu- 
rellement l'étendue  de  la  vie  de  chaque  individu  est  en  rapport  avec 
le  rôle  qu'il  a  joué;  de  là  vient  que  le  triumvir  Marc  Antoine  occupe 
à  lui  seul  334  pages  sur  396. 

M.  Grœbe  s'est  interdit  toute  modification  dans  letexte  de  D.  ;  il  n'a 
fait  porter  son  travail  de  révision  que  sur  les  notes,  et  il  s'est  acquitté 
de  cette  tâche  avec  beaucoup  de  soin.  Les  textes  anciens  y  sont  cités 
d'après  les  meilleures  éditions  et  la  bibliographie  est  au  courant. 
Toutes  les  additions  sont  placées  entre  crochets.  On  a  rejeté  en  appen- 
dice (p.   399-404)  celles  qui  étaient  trop    étendues  pour  être  insérées 

I.  P.  68,  1.  II  sjxw  ;  6(),  lô  4>siiTr.-^ôvT, ;  86,  25  «J/sôoo;;  90,  i  en  bas  tov  circonflexe 
(lire  TÔv);  92,  4  aiX^ixa  ;  114,  23  tivw  '.vaiAêcioiv  (t'.vojv  îatxS.)  ;  176,  25  iis  ^lire  tî). 
Dans  un  assez  grand  nombre  de  mots  où  une  voyelle  initiale  porte  à  la  fois  l'accent 
et  l'esprit,  ce  dernier  est  tombé,  par  exemple  1 19,  2  ôîa  ;  cf.  5o,  2  i  ;  5i,  10  jSg,  14; 
92,  3,  II  et  i3;  118,  8;  09,  9  et  18;  186,  i3;  etc.  Quelques  a  ne  sont  que  des 
moitiés  d'w,  ce  qui  fait  un  effet  désagréable  :  67,  14;  68,  i  en  bas;  187,  12.  Dans 
la  table,  p.  ix  ÔESâTy-aXo;  et  -cst  -oO  a^  niT-î-Jeiv, 


88  REVUE    CRITIQUE 

dans  le  corps  du  volume.  Quelques  unes  sont  de  petites  dissertations 
sur  des  points  spéciaux. 

Ainsi  rajeuni,  l'ouvrage  de  Drumann  rendra  encore  des  services. 
C'est  un  immense  répertoire  défaits  et  de  textes  patiemment  groupés  et 
sérieusement  étudiés.  Il  est  fâcheux  seulement  que  les  jugements  de 
l'auteur  soient  parfois  peu  équitables. 

P.  G. 


Anton  E.  Schœnbach.  Beitraege   zur  Erklaerung   altdeutscher    Dichtwerke. 

Erstes  Stûck.  Die  œlteren  Minnesœnger.Sitzungsberichte  der  Kais.  Akademie  der 

Wissenschaften  in  Wien  ;  Band  CXLI.  Vienne,  Caii  Gerold's  Sohn,    1899,  in-S, 

r54  pp. 
Dr  Otto  Rœssner.  Untersuchungen  zu   Heinrich  von   Morungen.  Ein  Beitrag 

zur   Geschichte    des    Minnesangs.     Berlin,    Weidmann.     1898.     In-8,    96    pp. 

2  mk.  40. 

Henri  de  Morungen  est  l'un  des  plus  originaux,  sinon  le  plus  ori- 
ginal des  Mmnesinger.  A  ce  titre,  il  mérite  d'être  étudié,  et  toutes  les 
tentatives  faites  pour  éclairer  son  œuvre  poétique  et  percer  le  mystère 
de  sa  destinée  sont  assurées  d'être  accueillies  avec  un  vif  intérêt. 

Ce  n'est  pas  à  Henri  de  Morungen  seulement  que  M.  Schônbach  a 
consacré  ses  Contributions^  mais  aux  anciens  Minnesinger  (les  ano- 
nymes et  les  17  premiers  poètes  du  MSF.j,  dont  il  a  interprêté,  avec  sa 
pénétrante  sagacité  et  son  surprenant  savoir,  les  passages  obscurs  ou 
mal  entendus.  C'est  une  critique  de  texte  serrée,  savante,  ingénieuse, 
qui  aboutit,  grâce  aux  connaissances  spéciales  de  l'auteur  en  matière 
de  littérature  religieuse  et  juridique,  à  des  résultats  nouveaux  et  inté- 
ressants. 

M.  Rôssner  s'est  proposé  un  autre  but  que  M.  Sch.  Il  ne  s'est  pas, 
sauf  quelques  heureuses  exceptions,  préoccupé  d'expliquer  le  sens  des 
poésies  de  Morungen;  il  a  essayé  de  jeter  quelque  lumière  sur  la  vie 
de  son  auteur,  notamment  sur  sa  vie  amoureuse,  et  de  découvrir  le 
rang  et  la  personnalité  des  femmes  avec  lesquelles  ses  poésies  permet- 
tent de  croire  qu'il  s'est  trouvé  en  relations  d'affection.  Comme  M.  R. 
n'a  d'autres  éléments  d'information  que  les  œuvres  de  Morungen,  il 
est  contraint  d'admettre  que  pour  Morungen  la  poésie  est  une  traduc- 
tion de  la  réalité  et  que  ce  sont  de  véritables  liaisons  qui  lui  ont 
fourni  le  motif  de  ses  chansons. 

Cette  théorie  de  la  réalité  des  faits  dans  le  Minnesang  paraît  avoir 
fait  son  temps,  et  il  est  assez  piquant  de  constater  que  M.  Sch.,  dont 
le  nom  se  trouve,  dans  cet  article,  associé  à  celui  de  M.  R.,  après  en 
avoir  été  l'un  des  plus  vigoureux  partisans,  est  venu  à  l'opinion  con- 
traire, non  sans  dire  les  raisons  de  son  évolution  (cf.  Die  Anfœnge 
des  deutschen  Minnesangs,  Graz,  1898,  p.  120  sqq.).  M.  R.,  il  est 
vrai,  ne  méconnaît  pas  le  caractère  aventureux  de  ses  déductions  et 


d'histoire  et  de  littérature  8o 

c'est  avec  précaution  qu'il  s'avance  sur  le  mouvant  terrain  de  Thypo- 
thcse.  Une  fois  engagé,  il  a  été  cependant  jusqu'au  bout  et  il  a  résolu- 
ment identifié  la  dame  de  Morungen.  Pour  arriver  à  ce  résultat,  M.  R. 
n'a  pas  reculé  devant  beaucoup  de  suppositions  et  quelques  opinions 
contestables.  C'est  ainsi  qu'il  dit,  p.-24sqq.,  que  le  Af/w/ze^sa»^  n'inté- 
ressait le  public  que  parce  que  le  sujet  de  ces  poésies  était  emprunté  à 
la  vie  réelle.  Comment  alors  s'expliquer  le  succès  des  poètes  de  pro- 
fession, dont  les  oeuvres,  comme  M.  R.  le  reconnaît  lui-même,  au 
moins  pour  une  partie  d'entre  elles,  p.  1 6  sq.,  étaient  de  pure  fiction  ? 
Comment  se  fait-il  aussi  que  Morungen,  qui,  selon  M.  R.,  est  un 
de  ceux  qui  ont  fait  passer  le  plus  d'incidents  vécus  dans  leurs  poésies, 
paraisse  justement  avoir  été  si  peu  apprécié  de  ses  contemporains, 
dont  aucun  ne  cite  son  nom  ? 

Si  je  ne  crois  pas  à  la  théorie  de  M.  R.,  je  crois  à  son  intelligence  et 
à  sa  conscience.  Il  a  étudié  avec  attention  les  œuvres  de  Morungen. 
Son  livre,  bien  documenté,  clairement  écrit,  apporte  des  vues  nou- 
velles sur  certains  points  importants.  Il  me  paraît  notamment  avoir 
mis  hors  de  doute  que  Morungen  jouissait  d'une  situation  considérée 
à  la  cour  du  margrave  Dietrich  de  Misnie  et  qu'il  a  subi  profondément 
l'influence  de  l'antiquité  classique  (fait  également  signalé  et  démontré 
par  M.  Schônbach,  p.  i5i  de  ses  Beitrœge). 

Quelques  taches  légères  n'enlèvent  rien  à  la  valeur  du  livre  de  M.  R. 
Dans  sa  bibliographie,  M.  Rôssner  omet  parfois  la  date  de  publica- 
tion des  ouvrages  cités'. 

F.  Piquet. 


Charles  Engel.  L'École  latine  et  l'ancienne  Académie  de  Strasbourg  (i538- 
1621),  avec  une  notice  biographique  par  Rod.  Reuss.  Strasbourg,  Schveickhardt 
et  Schlesier,  Paris,  Fischbacher.  1900,  xvii,  3 18  p.  in-i8.  Prix  :  5  fr. 

Nous  avons  rendu  compte  autrefois,  dans  \di  Revue  du  22  avril  1895, 
du  quatrième  volume  des  Statuts  et  privilèges  des  Universités  fran- 
çaises de  M.  Marcel  Fournier,  qui  renfermait  les  pièces  relatives  au 
Gymnase,  à  l'Académie  et  à  l'Université  de  Strasbourg,  de  i538à 
1621.  M.  Fournier  avait  eu  pour  collaborateur  à  ce  volume,  M.  Charles 

I.  A  la  p.  6,  n.  3,  il  dit  qu'on  ne  trouve  fntot  dans  le  Minnesang  que'chez 
Dietmar(39,  ii)etVeldeke  (60,  17}.  Vcldeke  emploie  /ri/o<  au  moins  en  quatre 
autres  endroits  ;  60,  25;  61,  25  ;  61,  33  ;  65.  27.  —  M.  Rœssner  écrit  le  nom  de 
Veldcke  de  trois  façons  différentes  :  Veldagge  (p.  6,  n.  3,  p.  63,  n.  3  de  la  p.  62), 
Veldegge  (p.  60,  n.  i;,  Veideke  (p.  80,  n.  i).  —  Il  y  a  une  erreur  de  citation  à  la 
p.  52,  où  une  chanson  à  danser  de  Veideke  est  citée  MSF.,  62,  i5  sqq.  —  A  la 
p.  95,  la  reproduction  de  la  strophe  2  du  ton  143,  22  présente  une  erreur  de  ponc- 
tuation importante.  Le  point  d'interrogation  qui,  dans  MSF.  se  trouve  à  la  fin 
du  vers  33,  devrait  avoir  été  place  par  .M.  R.  (v.  la  note  i  de  la  p.  48)  à  la  fin 
du  V.  36,  où  se  trouve  un  point  simple. 


^O  REVUE  CRITIQUE 

Engel,  professeur   au  Gymnase  protestant,  auteur  de  plusieurs  excel- 
lents mémoires  sur  Thistoire  de  l'enseignement  primaire  et  secondaire 
en  Alsace,  au  moyen  âge  et  au  xvi*  siècle.  M.  E.  s'était  proposé  dès 
lors  de  mettre  en  œuvre  lui-même  les  matériaux   réunis   grâce  à  son 
concours,  et   il  avait  commencé,  dès   1896,   à  publier  dans  la /^ei'we 
internationale  de  renseignement  une  Histoire  de  VEcole  latine  et  de 
l'ancienne  Académie  de  Strasbourg,  jusqu'à  son  érection  en  Univer- 
sité de  plein  exercice  (1621).  La  maladie,  puis  une  mort  prématurée, 
arrêtèrent  l'apparition  des  derniers  chapitres,  en  1898;  mais  ils  ont 
été  retrouvés  dans  ses    papiers  et  les  aniis   du   défunt  ont  pensé  qu'il 
serait  regrettable  de  ne  pas  conserver  dans  la  littérature  alsatique,  un 
travail  aussi  consciencieusement  établi  sur  les   sources,  par  un  his- 
torien compétent  entre  tous.  Ce  petit  volume   renferme,  en  effet,  un 
tableau  fidèle  et  détaillé  de  l'activité  du  grand  humaniste  Jean  Sturm, 
l'organisateur  de  la  Schola  Argentinensis   et  son  chef   pendant  qua- 
rante années  ;  appréciant  équitablement  les  avantages  et  les  défauts  de 
sa  méthode  scientifique,  il  nous  raconte    ses   luttes   violentes    contre 
l'orthodoxie  luthérienne,  qui  finit  par  le  faire  déposer  de  ses  fonctions 
de  recteur  de  l'Académie.  Nous  trouvons  aussi  la  description  vivante 
de  la  vie  académique   d'alors,   celle  des  professeurs  comme  celle  des 
étudiants;  à  tous  ces  titres,  il  intéressera  les  historiens  autant  que  les 
humanistes,  et  les  pédagogues  autant  que  les  amateurs  d'alsatiques. 
On  a  joint   à  la   substantielle    étude   de   M.  Engel  une   courte   notice 
biographique  sur   le   savant  modeste  et   le  professeur  émérite,  qui, 
pendant  près  de  trente-six   ans.  consacra  ses  aptitudes  pédagogiques 
toutes    spéciales   à   l'enseignement  secondaire  libre    en  Alsace,  soit  à 
Bischwiller,  soit  à  Strasbourg,  et  dont  le  zèle  scientifique  promettait 
d'ajouter  encore  de  nouveaux  travaux  de  valeur  à  ceux  qu'il  avait  déjà 
fournis. 

R. 


Theodor  Lipps.  Komik  und  Humor.  Eine  psychologisch.  aesthetische  Unter- 
suchung  (Beitracgezur  Aesthctik,  VI).  Hamburg  und  Leipzig,  Woss,  1898,  in-8 
de  viii-264  p. 

Les  premiers  chapitres  de  cet  ouvrage,  qui  est  le  remaniement 
d'études  antérieures  con?,2icrées  klSi  Psychologie  du  comique,  se  préoc- 
cupent surtout  de  discuter  tout  ou  partie  des  définitions  et  des  explica- 
tions de  Hecker,  de  Hobbes,  de  Groos,  de  Kraepelin  et  de  divers 
autres  esthéticiens.  Après  ce  préambule  destructif,  M.  Lipps,  —  sou- 
cieux d'éviter  le  procédé  employé  par  la  plupart  de  ses  devanciers,  qui 
cherchèrent  à  définir  ou  à  «  décréter  »  l'essence  du  sentiment  du 
comique  plutôt  que  d'analyser  d'abord  les  a  objets  »  reconnus  co- 
miques,—  examine  les  diverses  variétés  de  comique:  d  ingénieuses 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  QI 

analyses  distinguent  entre  le  comique  objectif,  le  comique  subjectif,  le 
comique  naïf,  pour  aboutir  à  cette  détinition  p.  99)  :  «  Le  sentiment 
du  comique...  naît  toutes  les  fois  que  le  contenu  d'une  perception, 
d'une  représentation,  d'une  pensée,  prétend  ou  semble  prétendre  à  une 
certaine  élévation,  et  en  même  temps  n'a  point,  ou  ne  semble  point 
avoir  de  droits  à  cette  prétention.  »  Réductible  malgré  tout  à  des 
définitions  antérieures,  la  proposition  de  M.  L.-doit  une  bonne  part 
de  son  intérêt  au  procédé  d'analyse  minutieuse  dont  elle  est  le  résultat. 
La  troisième  partie  du  livre  cherche  à  déterminer,  avec  des  distinctions 
abondantes  et  parfois  bien  subtiles,  les  conditions  et  les  lois  du  senti- 
ment comique.  Enfin,  après  une  quatrième  partie  consacrée  aux  «  sous- 
variétés  »  du  comique  (et  ces  deux  chapitres  auraient  fort  bienpu  être 
organiquement  fondus  dans  la  deuxième  partie),  l'auteur  aborde  la 
question  de  l'humour.  Sa  définition,  trop  exclusivement  inclinée  vers 
l'acception  que  l'Allemagne  depuis  Jean-Paul  s'ingénie  à  donner  à  ce 
fuyant  concept,  oppose  l'humour  à  une  variété  de  comique  qu'il  a 
définie  du  nom  de  comique  naïf:  l'humour  apparaît  chaque  fois  que 
ce  qui  est  relativement  équitable,  beau,  raisonnable,  se  manifeste  là  où 
nos  idées  habituelles  ne  nous  le  faisaient  pas  prévoir.  Pour  toute  cette 
dernière  partie  de  son  livre,  il  était  naturel  que  M.  L.  abandonnât  la 
méthode  dont  il  s'était  servi  dans  sa  deuxième  division  :  il  n'y  a  pas 
d"  «  objets  »  humoristiques  comme  il  y  a  des  «  objets  »  comiques,  et 
c'est  d'un  état  d'àme  ou  d'une  conception  des  choses  qu'il  fallait  ici 
s'inquiéter  avant  tout.  On  peut  regretter  cependant  que  M.  Lipps  n'ait 
point  usé  d'un  procédé  d'induction  analogue  à  celui  qui  l'avait  aidé 
auparavant  :  il  consisterait  à  juxtaposer  et  à  confronter  deux  idées, 
deux  réflexions,  deux  caractères  analogues  et  presque  identiques,  mais 
dont  les  uns  appelleraient  la  désignation  de  comique^  les  autres  celle 
d'humoristiqtie,  et  à  déterminer  quel  élément  nouveau  impose,  dans  le 
second  cas,  le  second  adjectif. 

F.  Baldensperger, 


Louis  P.  Betz.  La  Littérature  comparée,  essai  bibliographique  ;  introduction  pan 
Joseph  Texte.   Strasbourg,  Triibuer,   1900,  in-8°  de  xxiv-i23  p. 

La  Revue  Critique  a  signalé  déjà  le  précieux  labeur  de  cet  ouvrage  ; 
quant  à  son  opportunité  et  aux  servicesque rendra  à  l'étude  comparée 
des  littératures  cette  collection  de  titres  et  de  références,  l'Introduc- 
tion du  regretté  J.  Texte  les  met  en  lumière  d'une  façon  trop  défini- 
tive pour  qu'il  y  ait  Heu  d'y  revenir.  Du  moins  le  choix,  l'organisa- 
tion et  le«groupement  des  matériaux  réunis  par  M.  Betz  appellent-ils 
quelques  remarques. 

Il  est  regrettable  que  cet  Essai,  abandonnant  avec  raison  l'ordre 
alphabétique  par  noms  d'auteurs,  adopté  naguère  pour  sa  première 


q2  REVUE    CRITIQUE 

ébauche  dans  la  Revue  de  Philologie  française,  ne  se  soit  pas  franche- 
ment rallié  à  Tordre  méthodique  par  sujets,  ou  au  moins  par  époques 
littéraires  :  c'est  le  seul  qui  soit  vraiment  inattaquable,  celui  que  ne 
pourra  manquer  d'adopter,  Tenrichissement  de  la  matière  aidant,  une 
réédition  de  ce  livre.  L'ordre  chronologique  actuel  disperse  tout  au 
long  des  chapitres  les  travaux  qui  concernent  un  même  sujet,  sans 
que  VIndex  alphabétique  soit  du  moindre  secours.  J'imagine  aussi 
que  l'ordre  méthodique  sera,  tout  naturellement,  plus  accueillant  à 
telles  indications  utiles,  souvent  absentes  ici  parcequ'elles  ne  consti- 
tuent pas  des  numéros  bibliographiques  apparents. La  leçon  de  Sainte- 
Beuve  sur  la  tradition  en  littérature'  rentre  nettement  dans  le  chap.  1 1  ; 
une  étude  d'H.  Fortoul  intitulée  De  l'art  actuel  '  a  le  tort  de  ne  point 
s'appeler  Byronet  Scott,  et  le  romantisme  français,  car  ce  titre  lui 
aurait  assuré  une  place  au  chap.  IV.  Il  y  a  ainsi  un  certain  nombre 
d'omissions  \  et  aussi,  inversement,  d'adoptions  injustifiées  \  que  ce 
souci  dominant  de  la  rubrique  significative  suflfit  à  expliquer;  et 
l'énorme  quantité  des  matériaux  remués  suffit  aussi  à  les  excuser  \ 

Quant  aux  grandes  divisions  entre  lesquelles  M.  B.  a  réparti  ses  ma- 
tériaux, il  est  évident  qu'elles  ne  concernent  point  toutes  la  littérature 
comparée  d'une  manière  également  directe  :  il  me  semble  qu'il  faudrait 
se  garder  de  trop  grossir,  et  les  appendices  consacrés  aux  Etudes  lin- 
guistiques et  philologiques,  qui  ne  sauraient  souvent  prétendre  qu'à 
une  valeur  d'indication,  et  les  deux  derniers  chapitres,  V  antiquité  dans 
les  littératures  modernes,  l'histoire  dans  les  littératures,  dont  l'objet 
se  confond  fréquemment  avec  celui  d'études  confinées  dans  les  bornes 


1.  Caus.  du  Lundi,  tome  xv. 

2.  Revue  Encyclop.,  i833,  tome  ltx. 

3.  Villemain  se  trouve  à  peine  cité.  Ne  fût-ce  qu'à  titre  de  documents,  plusieurs 
des  ouvrages  ou  des  essais  de  Herder  ne  devraient  pas  être  oubliés.  Sismondi 
mérite  mieux  que  deux  mentions  presque  indirectes.  Je  m'étonne  de  ne  point 
trouver  des  ouvrages  traitant  de  l'évolution  de  certains  types  littéraires,  comme 
H.  Tuick,  Der  géniale  Menscli  (lena,  1897),  Léo  Berg,  Der  Uebermensch  in  der 
modernen  Litteratur  (Paris,  Leipzig,  Mûnchen,  18971,  K.  Engel.  Die  Don  Juan- 
Sage  auf  der  Bùhne   r)resdcn,  18S7). 

4.  R.-M.  Sieycr, Swift  und  Liclitenberg  {p.  47)  est  la  réunion  de  deux  études,  et 
non  une  étude  comparative  ;  Balch,  (p.  36)  est  la  traduction  d'un  ouvrage  intitulé 
Les  Français  en  Amérique  pendant  la  guerre  de  l'Indépendance  des  Etats-Unis, 
(Paris,  1872),  qui  n'a  rien  à  voir  avec  la  littérature  comparée  ;  Harway,  L'état  de 
la  population  d'origine  française  au  Canada  est  d'un   intérêt  bien  peu  immédiat. 

5.  Quelques  erreurs  de  détail  :  le  feuilleton  d'A.  Filon,  cité  p.  37  est  du  2  7  août 
i8g5  ;  lire  Wright  p.  38,  Maack  p.  5o;  le  travail  d'.\.  Haas  (p.  92),  s'appelle  en 
réalité  Ucber  den  Einfluss  der  epicureischen  Staats-und  Rechtsphilosophie  aufdie 
Philosophie  des  16.  und  17.  Jhdts.  (Diss.  Berlin,  1896).  Wlislocki  n'est  point  à  sa 
place  p.  82;  P.  Dôring,  Der  nordischc  Dichterkreis  intéresse  plutôt  les  relations 
littéraires  de  l'Allemagne  et  de  l'Angleterre  que  les  littératures  du  Nord  (p.  76); 
lire  Vetter,  /'//..au  lieu  de  F.,  p.  108,  et  ajouter  :  (Frauenfcld,  1894);  p.  xvi,  lire 
Jahresberichte,  et  non  Jahrbuch  [fur  neuere  deutschc  Litteraturgeschichte). 


d'histoire  et  de  littérature  g3 

d'une  même  littérature.  En  revanche,  il  est  à  souhaiter  que,  par 
ailleurs,  les  subdivisions  se  fassent  plus  nombreuses  et'plus  indépen- 
dantes ;  la  littérature  hongroise  séparée  des  littératures  slaves  parmi 
lesquelles  elle  s'est  égarée;  les  Etats-Unis  dissociés  de  l'Angleterre; 
un  chapitre  attribué  à  l'influence  celtique  dans  les  littératures  moder- 
nes ';  un  autre  à  la  Bible  considérée  comme  révélatrice,  à  sa  manière, 
d'un  mode  littéraire  d'orientalisme  et  de  formes  particulières  de 
pensée  et  de  style  "  :  tels  sont  les  chapitres  autonomes  ou  nouveaux 
que  devra  nous  donner  un  second  remaniement  de  ce  travail,  qui,  jadis 
esquissé  seulement  dans  la  Revue  de  Philologie,  aujourd'hui  Essai^ne 
peut  manquer  de  s'appeler  un  jour  Répertoire. 

Nous  souhaitons  que  dans  l'inte.'-valle,  ce  livre,  dont  l'utilité  est 
déjà  inappréciable,  mais  qui  ne  prétend  point  être  complet  ',  s'enri- 
chisse de  tous  les  addenda  qui  pourront  en  faire  un  véritable  cata- 
logue  de   toutes    les    questions    traitées   par   l'étude    comparée    des 

littératures. 

F.  Baldensperger. 


1.  Cf.  G.  Paris,  Tristan  et  Iseut  R.  d.  P.,  i5  avril  1894),  et  tels  chapitres  de 
l'Hist.  litt.  de  la  France. 

2.  Cf.  J.  Bonnet,  La  Poésie  devant  la  Bible  (Paris,  i858),  H.  Henkel,  Goethe  und 
die  Bibel  (Leipzig,  1890);  J.  Schlurick,  Schiller  und  die  Bibel  (Leipzig,  189.^)  et, 
pour  Shakespeare,  les  études  de  T.  R.  Ea'on,  C.  Wordsworth,  C.  BuUock,.!. 
Bell,  etc. 

3.  Voici  quelques  travaux  —  antérieurs  à  1900  —  dont  Tomission  doit  être 
signalée  :  chap.  111  :  A,  Béranger,  Diderot  et  l'Allemagne  {B.  Un.  1868,  t.  Sa); 
O.  Wichmann,  l'Art  poétique  de  Boileaii  dans  celui  de  Gottsched  {BerVin,  1879); 
Becq  de  Fouquïtrcs, Lettres  critiques  sur  A.  Chénier  (influence  de  Gessner)  (Paris, 
1881);  P.  Schlenther,  Molière  im  Deutschen  (Mag.  i3  avril  1893);  R.  Schwill, 
A.  \V.  Schlegel  ilber  das  Theater  der  Fran^osen  (Diss.  Munchen,  1898);  K.  Levins- 
tein,  Chr.  Weise  und  Molière  fOiss.  Berlin,  1899);  —  chap.  IV:  V.  Hugo,  Lord 
Byron  et  ses  rapports  avec  la  litt.  actuelle  (Annales  Romantiqnes,  1827-28);  Thac- 
ker^iy, Dickens  in  France  (Every  Saturday,  1867);  M.  Arnold,  Fssays  in  Criticisin 
iLondon,  i88oj  (Joubert  et  Coleridge);  Swinburne,  7'ennyson  and  Musset  (F.  Rcv. 
fév.  1881);  H.-L.  Traubel,  'Wliitman  and  Murger  {Poct  Lore,  oct.  1894);  — 
chap.  V  :  Gœtzinger,  Ueber  die  Quellen  der  Bùrgerschen  Gedichtc  (Zurich,  i83i); 
Th.  \'ctter,  Der  Spectator  als  Quelle  der  Discurse  der  .^At/cr  l'raucnfcld,  1887); 
A.-B.  I-'aust,  CSealsfield.  der Dichter  beider  Hcmispitdren  (Weimar,  1897:;  Th.  S. 
Baker,  Lenau  and  Young  Germany  in  America  (Diss.  Baltimore,  1897);  J.  Mac- 
kinnon,  Carly^le  and  Goethe  (dans  :  Leisure  Hours  in  the  Study,  I.ondon,  1897); 
Th.  S.  Baker,  The  Influence  of  L.  Sterne  upon  German  Literalurc  (.\mcricana 
Germ.  11,  4);  C.-A.  Behmer,  L.  Sterne  und  C.  M.  Wieland  {D'iss.  Mùnchcn,  1899); 
—  chap.  VI  :  Anonyme,  G.  Hauptmann  in  Italien  ('Mag.  7  oct.  1899;;  N.  Martin, 
Platen  et  l'Italie  dans  :  Poètes  contemporains  de  l'Allemagne,  Paris,  1860);  A.  Wil- 
son,  English  Poets  in  Italy  ;Macniillan  Mag.  1862];  —  chap.  VII  :  J.-G.  Under- 
hill,  Spanish  Literature  in  the  England  of  the  Tudors  (New-York,  1899^;  •— 
chap.  XII  :  G.  .\malti,  Zwei  oriental.  Episoden  in  Voltaires  Zadig'Zxschr .  d.  Ver. 
fur  Volkskunde,  1895,  :  passim,  d'wcrs  articles  du  Giobe. 


54  REVUE    CRITIQUE 

Luigi  CossA,  Histoire  des    doctrines    économiques    (trad.    française).    Paris, 
Giard  et  Brièrc,  1899.  Prix  :   lot'r. 

L'ouvrage  de  M.  Cossa  se  divise  en  deux  parties.  La  première  est 
purement  théorique  :  l'auteur  y  étudie  l'objet  et  les  limites  de  l'éco- 
nomie politique,  ses  divisions,  ses  rapports  avec  les  autres  sciences, 
ses  principaux  caractères,  sa  méthode.  La  deuxième,  beaucoup  plus 
étendue,  est  l'histoire  des  doctrines,  depuis  l'antiquité  jusqu'à  nos 
jours.  Comme  il  était  naturel,  M.  C.  insiste  principalement  sur  la 
période  comprise  entre  le  milieu  du  wm'^  siècle  et  les  temps  actuels. 
Il  voit  dans  le  Tableau  de  Quesnay  le  premier  effort  qui  ait  été  tenté 
pour  créer  »  un  système  déduit  d'un  petit  nombre  de  principes  et  par- 
faitement homogène  »  ;  mais  c'est  à  Adam  Smith  qu'il  attribue  l'hon- 
neur d'avoir  fondé  la  science  économique.  Il  croit  avec  Roscher  que 
«  tout  ce  qui  a  été  écrit  sur  ce  sujet  avant  lui  peut-être  considéré 
comme  une  préparation  à  ses  théories  et  tout  ce  qu'on  a  écrit  depuis, 
comme  leur  complément  «.  Il  passe  en  revue  les  écrits  des  économistes 
du  xix=  siècle,  pays  par  pays,  et  non  pas  ^ce  qui  serait  bien  préfé- 
rable] d'après  les  affinités  qu'ils  ont  entre  eux.  Il  se  montre  assez 
sévère  pour  la  France.  Il  estime  que  chez  nous  «  l'économie  politique 
n'a plusl'estimedes savants  et  qu'elle setrouve  dans  des  conditions  peu 
favorables  si  on  la  compare  à  la  position  élevée  qu'elle  conserve  à  l'é- 
tranger». Il  reproche  surtout  à  l'école  française  «  de  faire  de  la  science 
la  gardienne  intéressée  de  l'organisation  existante  »  et  de  s'opposer 
«  non  seulement  à  l'ingérence  bienfaisante  ou  dangereuse  de  l'Etat, 
mais  même  aux  plus  légitimes  manifestations  de  la  liberté,  lorsque 
celle-ci  par  la  formation  de  groupes  spéciaux  spontanés  ou  autonomes, 
vient  en  aide  à  la  faiblesse  de  l'ouvrier  isolé  et  sans  ressources  devant 
la  force  débordante  de  l'entrepreneur  capitaliste.  » 

Ce  livre  est  appelé  à. rendre  de  grands  services,  comme  instrument 
de  travail.  La  bibliographie  est  abondante  et  précise,  bien  qu'on  y 
puisse  relever  quelques  omissions  graves  (par  exemple  le  Traite' 
d'Economie  politique  en  4  volumes  de  M.  Leroy-Beaulieu).  Les  doc- 
trines sont  analysées  d'une  façon  très  sommaire,  mais  avec  une  exac- 
titude suffisante,  et  les  appréciations  sont  en  général  celles  d'un  esprit 
judicieux  et  d'un  homme  compétent. 

P.  G. 


L'Angleterre  et  l'Impérialisme   par  \'ictor  Berard,  i  vol.  iii-i8,  p.  38i,  A.  Colin 
cl  Cic,  190U. 

«  Le  phénomène  le  plus  important  de  l'histoire  récente  en  Angle- 
terre, c'est  la  dirtusion  du  sentiment  impérial  jusqu'aux  couches  les 
plus  profondes  du  peuple  britannique.  »  Ainsi  s'exprime  M.  Bérard. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  yS 

Il  aurait  dû  dire  que  le  développement  de  rimpèrialismc  anglais  est 
l'un  des  phénomènes  capitaux  de  l'histoire  contemporaine  du  monde, 
et  sa  pensée  aurait  été  encore  plus  juste.  M.  B.  a  écrit  plusieurs  cha- 
pitres de  la  genèse  de  l'impérialisme  britannique.  Il  a  beaucoup  des 
qualités  nécessaires  à  cette  tâche  difficile  et  tentante  :  une  profonde 
connaissance  documentaire  de  l'Angleterre  moderne,  un  grand  éclat 
de  style,  qui  rappelle  Taine  et  certaines  pages  de  M.  Chevrillon,  une 
remarquable  ingéniosité  d'observation.  Je  lui  reprocherai  une  ten- 
dance marquée  au  simplisme  qui  facilite  les  oppositions  saisissantes 
et  éloquentes,  les  métaphores  hardies  et  les  conclusions  retentissantes, 
mais  qui  n'est  pas  toujours  conforme  à  une  irréprochable  méthode 
scieniitiquc.  En  Angleterre  comme  ailleurs,  les  phénomènes  sociaux 
sont  complexes  et  il  est  périlleux  de  ^'ouloir  les  résumer  dans  des  for- 
mules trop  concises  :  on  y  court  le  risque  d'être  one-sided  (l'homme 
d'une  seule  vue;,  comme  disent  les  Anglais.  M.  B.  l'est  souvent. 

Si  l'on  tombait  dans  le  défaut  que  je  lui  reproche,  on  pourrait  dire 
que  son  livre  renferme  une  série  de  ihèses  simplistes,  ingénieusement 
posées  et  démontrées  avec  une  richesse  d'argumentation  tout  à  fait 
saisissante.  Premier  simplisme  :  «  L'histoire  anglaise  n'est  en  somme 
que  la  rivalité  guerrière,  puis  politique  de  deux  peuples,  celui  de 
l'Ouest  et  celui  de  l'Est...  Ce  fut  cette  rivalité  qui  créa  Birmingham, 
puis  qui  fit  son  importance  et  sa  fortune.  » 

Second  simplisme  :  «  La  lutte  séculaire  entre  le  radicalisme  du  pays 
noir  dont  Birmingham  est  le  centre  et  comme  la  capitale,  et  la 
«  verte  Angleterre  y>  normande  et  aristocratique,  s'est  terminée  par  la 
victoire  des  Midlands  »  ;  de  cette  victoire  sont  nés  Chamberlain  et 
l'impérialisme.  Troisième  simplisme  :  L'incarnation  du  radicalisme 
de  Birmingham,  c'est  Chamberlain,  et  comme  le  radicalisme  mène  à 
l'impérialisme,  le  «  grand  Joe  »  c'est  l'impérialisme,  etc. 

On  pourrait  continuer  ainsi  tout  le  long  du  livre  de  M.  V.  B.  et  je 
me  hâte  d'ajouter  qu'on  aurait  tort  :  car  sous  cette  apparence  de  syn- 
thèse un  peu  trop  catégorique,  son  ouvrage  contient  des  chapitres 
tout  à  fait  instructifs  et  approfondis  sur  les  faits  eux-mêmes,  envisagés 
en  dehors  des  thèses  auxquelles  ils  semblent  servir  de  soutiens:  tels  les 
chapitres  sur  le  développement  du  radicalisme  anglais,  sur  la  crois- 
sance de  Liverpool  et  de  Manchester,  sur  la  carrière  politique  et  parle- 
mentaire de  Chamberlain,  sur  les  mouvements  commerciaux  compa- 
rés de  la  Grande  Bretagne,  de  l'Allemagne  et  des  Etats-Unis,  etc. 

M.  B.  cherche  à  employer  dans  son  impétueux  plaidoyer  contre 
l'impérialisme,  l'argument  qui  devrait  avoir  le  plus  de  prises  sur  des 
esprits  britanniques  :  l'argument  des  intérêts.  Il  s'évertue  à  prouver 
qu'impérialisme  et  commerce  ne  peuvent  aller  ensemble,  que  la  vic- 
toire du  jingoïsm  de  Birmingham  sur  le  free  tradc  de  Manchester, 
(qui  ne  peut  vivre  que  dans  et  par  la  paix  ,  a  déjà  été,  et  sera 
de  jour  en   jour,  le  déclin  de  la  suprématie  industrielle  de  la  Grande 


96  REVUE    CRITIQUE 

Bretagne,  que  la//î/.s'  grande  Angleterre  est  la  véritable  ennemie  de 
l'Angleterre  triomphante  commercialement  des  cinquante  dernières 
années.  Je  ne  sais  si  dans  sa  démonstration,  presque  véhémente  et 
d'ailleurs  appuyée  d'un  très  grand  nombre  de  chiffres,  tous  ses  argu- 
ments portent  également.  M.  B.  invoque  beaucoup  de  documents 
émanant  des  Chambres  de  commerce  pour  en  tirer  la  preuve  de  la  déca- 
dence, sur  de  nombreu.x  marchés,  des  produits  anglais.  Il  ne  tient 
pas  suffisamment  compte  d'une  tendance,  à  laquelle  il  fait  cependant 
lui-même  allusion,  celles  qu'ont  les  intéressés,  «  à  se  plaindre  toujours 
un  peu  »  (il  faudrait  dire  beaucoup).  Dans  son  tableau  de  la  prospé- 
rité sans  cesse  croissante  des  Etats-Unis  et  de  l'Allemagne,  qu'il 
oppose  comme  redoutables  concurrents  d'avenir  à  l'Angleterre,  il 
n'évalue  pas  assez  haut  la  puissance  de  consommation,  également 
croissante,  des  différents  peuples.  «  Il  n'y  a  jamais  vraiment  surpro- 
duction de  produits  de  grande  consommation,  dit  avec  raison  un  docu- 
ment émané  de  la  Chambre  de  Manchester  :  seulement  on  produit  des 
marchandises  que  le  consommateur  ne  peut  pas  de  suite  payer.  »  Pour 
que  le  consommateur  puisse  payer,  il  faut  qu'il  s'enrichisse  en  pro- 
duisant lui-même  des  objets  échangeables.  De  là  le  profit  que  l'un  tire 
de  la  prospérité  de  l'autre,  comme  J.  B.  Say  l'a  admirablement 
démontré,  contrairement  au  fameux  adage  de  Montaigne.  C'est  là 
un  point  de  vue  qui  semble  échapper  trop  souvent  à  l'esprit  attentif 
de  M.  B.  La  lutte  pour  le  commerce  n'a  de  commun  avec  la  guerre 
véritable  que  certaines  apparences  :  ici  plus  on  a  de  gros  bataillons 
contre  soi,  plus  on  peut  leur  fournir  de  produits,  à  condition  de  leur 
offrir  ce  qu'ils  demandent,  et  de  leur  acheter  ce  qu'ils  fournissent  à 
bon  marché.  Un  des  dangers  de  l'impérialisme  sera  le  renchérissement 
des  produits  anglais  par  le  surcroît  d'impôts  et  de  charges  militaires 
qu'il  fera  supporter  à  la  mère-patrie.  Là  M.  Bérard  a  raison  détacher 
d'ouvrir  les  yeux  anglais  et  de  leur  rappeler  les  saines  traditions  de 
l'école  libérale. 

Il  a  également  raison  de  signaler  parmi  les  causesdu  développement 
industriel  de  l'Allemagne,  l'extension  de  l'enseignement  scientifique,  à 
tous  les  degrés,  dans  ce  dernier  pays,  et  de  l'opposer  aux  lacunes  de 
l'Angleterre  sous  ce  rapport.  Peut-être  cependant  est-il  encore  un  peu 
péremptoire  sur  ce  point. 

Il  y  a  quelques  années  —  le  livre  de  M.  Demolins  est  comme  un 
aboutissant  et  un  résumé  de  ce  courant  d'opinion  —  on  proclamait 
que  la  supériorité  des  Anglo-Saxons  venait  en  grande  partie  de  leur 
hâte  à  jeter  la  jeunesse  dans  l'action  pratique,  sans  l'amollir  et  l'éner- 
ver par  une  éducation  scolaire  trop  prolongée  et  trop  lourde.  Aujour- 
d'hui la  thèse  a  changé.  La  supériorité  des  Anglo-Saxons  n'existe 
plus  ;  elle  est  détruite  par  la  grandeur  allemande,  et  précisément  pour 
les  raisons  dont  on  faisait  la  racine  de  leur  soi-disant  supériorité  :  les 
lacunes  de  l'apprentissage  scolaire  en  Angleterre.  C'est  là  une  des  con- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  97 

clusions  du  livre  de  M.  B.  Je  me  détie  beaucoup  a  priori  de  ces 
systèmes  catégoriques  —  et  autant  de  l'optimisme  de  M.  Demolins 
que  du  pessimisme  de  M.  Bérard. 

Chaque  peuple  a  son  tempérament,  ses  traditions  et  ses  procédés  en 
quelque  sorte  nécessaires.  Les  États-Unis  que  M.  B.  voit  progresser 
à  pas  de  géant,  usent  de  moyens  tout  différents  de  ceux  de  l'Allemagne 
et  ne  réussissent  pas  moins.  Depuis  un  siècle  la  France  a  toujours 
voulu  imiter  un  de  ses  voisins,  d'abord  l'Angleterre,  puis  l'Amérique, 
puis  l'Allemagne  :  elle  y  a  éprouvé  quelques  déconvenues.  Les  em- 
prunts de  peuple  à  peuple  sont  dans  une  certaine  mesure  inévitables  ; 
le  succès  les  impose,  mais  il  ne  faut  pas  vouloir  remonter  le  courant 
des  mœurs  ou  des  aptitudes  séculaires.  Une  grande  partie  de  l'impéria- 
lisme britannique,  M  .  B.  le  reconnaît,  est  faite  d'impérialisme  alle- 
mand, et  c'est  la  moins  bonne  partie  qui  a  passé  la  Manche.  C'est 
presque  toujours  ce  qui  arrive  dans  les  imitations  internationales.  On 
prend  l'étiquette  ou  les  défauts,  et  on  laisse  les  qualités.  Cela  nous  est 
arrivé  avec  le  parlementarisme  anglais  et  le  militarisme^allemand.  La 
même  chose  pourrait  se  produire  en  Angleterre  si  elle  voulait  adopter 
aveuglément  le  scolarisme  germanique.  Elle  y  perdrait  probablement 
quelques-unes  de  ses  qualités  de  vigueur  et  d'entrain  et  n'y  prendrait 
pas  la  méthode  germanique.  Certes,  la  science  est  bonne  partout,  et 
sur  ce  point  nous  avons  à  tirer  parti  des  conseils  de  M.  B.  aussi  bien 
que  nos  voisins  d'Outre-Manche  :  mais  ce  n'est  pas  une  raison  pour 
enfermer  la  jeunesse  dans  l'école  jusqu'à  un  âge  relativement  avancé, 
âge  où  elle  n'a  plus  le  goût  et  l'habitude  des  affaires  ni  la  souplesse 
d'organisme  nécessaire.  M.  B.  accuse  avec  raison  le  service  militaire 
universel  de  reculer  beaucoup  trop  le  moment  où  les  jeunes  gens  en- 
trent dans  la  vie  pratique.  L'école  trop  prolongée  offre  les  mêmes 
périls.  Nous  sommes,  en  France,  grâce  à  la  loi  de  recrutement,  tombés 
en  plein  dans  cet  excès.  Il  faudrait,  au  sujet  de  l'école,  rappeler  à  M.  B. 
ce  que  lui-môme  répond  aux  admirateurs  anglais  du  militarisme  alle- 
mand :  «  Le  militarisme,  disent  quelques  Anglais,  a  pu  faciliter  la 
grandeur  de  l'Allemagne  commerciale  en  inculquant  à  toute  la  nation 
les  qualités  d'endurance,  de  sobriété,  de  travail  commun...  :  qualités, 
habitudes,  qui  peut  savoir  au  juste  quelles  conditions  nous  les  incul- 
quent ou  les  développent  en  nous?  N'est-ce  pas  plutôt  ces  qualités  et 
ces  habitudes  mêmes,  antérieures  au  régime  militaire  prussien,  qui 
ont  fait  la  force  de  celui-ci  ?  »  Sages  paroles  qui  s'appliquent  à  toutes 
les  institutions  sociales,  et  qui  entraînent  un  certain  scepticisme  au 
point  de  vue  de  l'efficacité  absolue  du  transport  de  l'une  d'entre  elles 
d'un  sol  sur  un  autre.  «  On  peut  absolument  laisser  de  côté  tout  ce 
qu'ont  failles  hommes  d'État  allemands  pour  aider  et  guider  l'ambi- 
tion de  leur  peuple,  — ainsi  s'exprime  un  des  rapports  officiels  anglais 
que  cite  M.  B.  —  Leurs  admirables  efforts  auraient  échoué  s'ils 
n'avaient  pas  eu  dans  leurs  mains  ce  peuple  allemand  si  mervcilleu- 


g%  REVUE  CRITIQUE 

sèment  doué  pour  Tentreprisc  commerciale.  »  Donnez  à  ce  peuple  une 
«  armée  permanente  d'hommes  de  science  »  qui  dirigeront  et  éclaire- 
ront ses  efforts;  à  cette  conquête  scientifique  de  la  fortune,  comme  le 
dit  justement  M.  B.  «  il  apportera  les  mêmes  qualités  de  conscien- 
cieuse précision,  de  minutieuse  recherche  que  jadis  les  docteurs  en  us 
apportaient  à  Tctude  du  moyen  âge  ou  de  l'antiquité   ». 

En  face  de  ces  qualités  incontestables  du  commerçant  allemand, 
M.  B.  exagère  un  peu  la  routine  et  la  lenteur  d'esprit  de  l'Anglais.  Il 
en  est  encore  à  l'histoire  du  négociant  qui,  faute  de  notions  précises 
sur  les  climats,  envoie  une  cargaison  de  patins  à  Rio-Janeiro  et 
s'étonne  qu'ils  reviennent  invendus.  «  La  machine  anglaise,  écrit-il, 
(p.  iio)  fabrique  aujourd'hui  ce  qu'elle  fabriquait  il  y  a  vingt  ans,  des 
lampes  à  huile  quand  tout  le  monde  s'éclaire  au  pétrole,  et  des  per- 
ruques quand  on  ne  porte  plus  que  des  fausses  dents.  »  Il  a  pris  un 
peu  trop  à  la  lettre  les  doléances  des  consuls  à  l'étranger,  dont  le  mé- 
tier est  précisément  de  suivre  d'un  œil  inquiet  les  progrès  des  concur- 
rents, et  de  stimuler  les  nationaux  en  leur  reprochant  leurs  défauts. 
Rappelons-nous  la  vivacité  des  termes  avec  lesquels  le  rapport  Rou- 
leaux dénonçait  en  1876,  au  gouvernement  allemand,  la  cmnelote 
germanique.  Tout  n'est  pas  devenu  si  bien  d'un  côté,  ni  si  mal  de 
l'autre.  L'Allemagne  a  son  socialisme  ouvrier  croissant  et  ses  diffi- 
cultés agraires  qu'il  ne  faudrait  pas  cependant  oublier,  ni  négliger 
dans  un  tableau  par  trop  idyllique  de  sa  prospérité  incontestable  '. 

Et  puis  les  uns  peuvent  grandir  sans  que  les  autres  tombent  dans 
une  irrémédiable  décadence.  Les  souvenirs  de  la  conquête  matérielle 
obsèdent  toujours  ceux  qui  parlent  delà  concurrence  industrielle.  On 
oublie  simplement  qu'en  matière  de  commerce  il  n'y  a  pas  invasion 
sans  échange  de  produits.  L'Angleterre,  lorsqu'elle  est  devenue  grande 
manufacturière,  a  été  inondée  par  les  produits  alimentaires  du  monde 
entier,  auquel  elle  vendait  en  échange  ses  tissus  et  ses  fers.  Elle  s'y 
est  formidablement  enrichie.  D'autres  nations  actuellement  produisent 
des  tissus  et  des  fers  :  mais  quelle  sera  la  limite  de  la  consommation? 
Personne  ne  la  connaît.  Vouloir  établir  une  loi  de  succession  pour  la 
grandeur  commerciale,  comme  on  a  pu  le  faire  pour  la  grandeur  poli- 
tique me  parait  téméraire.  «  Ceci  tuera  cela  »  peut  se  dire  des  armées, 
mais  non  des  usines,  à  condition  bien  entendu  que  la  paix  et  la  liberté 
des  échanges  régnent  entre  les  nations.  Il  est  utile  évidemment  de  sti- 
muler chacune  d'elles  dans  la  voie  de  l'étude  et  du  travail  par  l'exemple 


I.  11  est  d'ailleurs  curieux  de  noter  qu'en  Allemagne  mcmc,  les  prophètes  de 
malheur  au  sujet  de  l'avenir  du  commerce  allemand,  abondent  en  ce  moment.  Ils 
opposent  aux  débouches  restreints  de  l'Allemagne  les  horizons  indéfinis  des  «  trois 
empires  mondiaux  »  (Etats-Unis,  Russie,  Grande-Bretagne)  qui  par  les  droits 
douaniers  pourraient  arrêter  l'importation  germanique.  Voir  sur  la  polémique  qui 
est  née  à  ce  sujet  :  Économiste  français,  9  juin  1900,  l'article  de  M.  Maurice  Block: 
«  L'avenir  du  commerce  international  allemand  :  sombres  prévisions  ». 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTERATURE  QQ 

des  progrès  du  voisin,  mais  il  ne  faudrait  pas  cependant  propager 
l'idée  que  la  grandeur  de  Tune  est  la  décadence  forcée  de  l'autre.  Je  ne 
sais  pas  d'idée  plus  contraire  à  la  vérité  économique,  ni  plus  dange- 
reuse pour  l'avenir  du  monde  civilisé. 

Eugène   d'EcHTHAL. 


—  Sous  le  titre  d'Essais  sur  l'Histoire  de  l'art  ^soc.  d'édition  artistique,  i  vol. 
in-12),  M.  Emile  Michel,  à  qui  nous  devons  ces  magistrales  nioncgraphies  de 
Rembrandt  et  de  Rubens  dont  il  a  été  parlé  ici-mème  en  leur  temps,  a  réuni  deiix 
études  importantes  et  très  diverses,  mais  liées  par  un  même  goût,  fin,  subtil  et 
difficile.  L'une,  intitulée  De  la  production  de  l'œuvre  d'art, esluuQ  leçon  de  critique 
experte,  raisonnée,  nourrie  d'expérience  et  d'études  variées.  On  aimerait  à  l'ana-' 
lyser  de  plus  près  et  l'on  ne  peut  que  signaler  avec  quel  sens  lumineux  des  carac- 
tères originaux  des  divers  arts  leur  esthétique  propre  en  est  dégagée,  et  le  travail 
d'inspiration  et  d'exécution  étudié  chez  les  maîtres  de  ces  divers  arts.  —  La  musique 
est  un  de  ces  arts,  et,  comme  la  plupart  des  peintres,  M.  E.  Michel  en  est  profon- 
dément épris,  surtout  quand  elle  reste  en  son  essence  la  plus  pure,  la  plus  déga- 
gée de  tout  autre  élément,  la  plus  féconde  aussi.  Dans  son  étude  sur  «  Les  Maîtres 
de  la  Symphonie  »,  les  critiques  spéciaux  les  plus  difficiles  apprécieront  la  jus- 
tesse d'expression  et  le  charme  d'appréciation  avec  lesquels  il  a  su  caractériser 
le  genre  et  ses  ressources,  et  parler  de  ses  anciens  maîtres.  Ils  feront  des  réserves 
pour  la  un,  pour  l'époque  moderne  où  M.  E.  Michel  est  certainement  moins 
informé,  car  il  oublie  certains  noms  importants  et  ne  rend  pas  tout  à  fait  justice  à 
d'autres.  Mais  le  prix  de  cette  étude  n'en  est  pas  moins  très  grand,  parce  qu'on 
n'avait  pas  vu  souvent  aussi  bien  rendue  l'impression  esthétique  que  peut  causer 
la  musique  dans  une  âme  de  peintre  qui  sait  analyser  son  art  et  raisonner  ses 
jouissances.  —  H.  de  C. 

—  M.  Bernhard  Fehk  [Die  formelha/ten  Eleme)itc  in  den  alten  englischen  Balladen 
L  Berlin,  Fromm  1900.  89  pp.-xxxiv)  a  choisi  dans  le  célèbre  recueil  de  l'évèquc 
Percy  certaines  ballades  dont  il  étudie  Ici  «  éléments  formels  ».  Par  là  il  entend  les 
expressions  toutes  faites  :  tel  substantif  s'accompagne  constamment  de  la  même 
épithètc,  le  chevalier  est  toujours  audacieux,  la  dame  toujours  belle,  le  matin  tou- 
jours joyeux;  tel  adjectif  en  amène  un  autre,  qui  le  complète  ou  s'oppose  à  lui,  on 
trouve  meek  and  mild.  stout  and  strong,  safe  and  sound  'sl  coté  de  higli  and  low. 
m  and  good,  quick  and  dead.  D'ordinaire  c'est  une  consonance,  une  altération, 
une  rime,  qui  fixent  ces  expressions  dans  la  mémoire  populaire,  mais  le  fait  n'est 
pas  constant,  comme  le  montre  très  bien  M.  F.  Celui-ci  considère  aussi  comme 
éléments  traditionnels  des  phrases  telles  que  :  le  coq  chante,  le  soleil  brille.  11  a 
dressé  la  liste  de  ces  éléments,  les  a  savamment  rangés  chacun  sous  son  étiquette, 
a  recherché  enfin  des  exemples  analogues  dans  les  œuvres  littéraires  qui  ont  pré- 
cédé ou  suivi.  Nous  apprenons  ainsi  que  Scott,  Dickens  et  Burns  ne  font  souvent 
que  reproduire  des  lambeaux  de  phrase  déjà  ressassés  il  y  a  trois  ou  quatre  cents 
ans  par  des  poètes  populaires  anonymes.  Apparemment  M.  Fehr  ne  s'est  pas 
demandé  quelles  lois  présidaient  à  la  formation  de  ces  constantes  alliances  de  mots. 
On  y  reconnaît  pourtant  comme  de  véritables  cristaux,  dont  les  facettes  unies  et 
régulières  viennent  toujours  se  placer  symétriquement  les  unes   par  rapport  aux 


lOO  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

autres.  Peut-être  abordera-t-il  cette  question  dans  la  seconde  partie  de  son  travail, 
qu'il  promet  dès  à  présent.  —  Ch.  Bastide. 

—  On  a  signalé  ici  (21  mars  1898  p.  236)  l'apposition  du  tome  i*''  de  la  Face  de 
la  Terre  de  Ed.  Suess,  traduit  sous  la  direction  de  M.  Emmanuel  de  Margerie.  Le 
tome  II  (Paris,  A.  Colin,  1900.  878  p.  2  cartes  en  couleur  et  1 28  figures  dont  85  exé- 
cutées spécialement  pour  Tédition  française)  appelle  les  mêmes  éloges  que  son 
devancier.  Les  interprètes  ont  rendu  la  pensée  du  maître  avec  une  fidélité  qui  lui 
laisse  à  la  fois  sa  précision  et  sa  poésie;  ils  l'ont  respectée  aussi  en  ce  sens  qu'ils 
se  sont  interdit  tout  commentaire  critique.  Mais  des  notes  brèves  et  discrètes  indi- 
quent en  quelle  mesure  les  vues  de  l'auteur  émises  il  y  a  12  ans  ont  été  confirmées, 
en  quelles  mesures  contredites  ou  ébranlées  par  les  explorations  plus  récentes. 
Tout  ce  travail  de  recherches  et  de  mise  au  point,  pieusement  dissimulé  en  quelque 
sorte  sous  l'appareil  bibliographique,  donne  à  l'édition  française  —  l'on  dira  plus 
justement  édition  que  traduction  —  son  originalité  et  son  prix  aux  yeux  des  tra- 
vailleurs; l'œuvre  à  laquelle  reste  attaché  le  nom  de  M.  de  Margerie  fait  honneur 
à  la  science  française.  —  B.  A. 


ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du   1 3  juillet  igoo. 

M.  le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Beaux-Arts  communique  un  rap- 
port de  M.  Bonin  sur  sa  dernière  mission  eu  Chine.  M.  Bonin  a  reçu  une  subven- 
tion de  r.\cadémie  sur  la  fondation  Garnier. 

Mgr  Duchesne  fournit  quelques  détails  sur  les  travaux  de  MM.  Homo  et  Lauer, 
membres  de  l'Ecole  française  de  Rome.  M.  Homo  a  continué  les  fouilles  commen- 
cées par  lui  l'an  dernier  à  Dougga  (Tunisie).  11  a  dégagé  les  faces  O.,  S.  et  N.  du 
Capitole  de  cette  localité,  mis  à  découvert  les  places" qui  le  précédaient,  la  colon- 
nade qui  l'entourait  et  une  exèdre  à  colonnes  qui  lui  faisait  face.  Autour  de  ce 
groupe  monumental  il  a  mis  au  jour  diverses  esplanades  éiagées  les  unes  au-dessus 
des  autres,  qui  par  leur  réunion  devaient  constituer  le  forum  de  l'antique  Thugga. 
Des  inscriptions,  mentionnant  le  macellum,  les  thermes  et  les  rostres, ont  été  retrou- 
vées, avec  quelques  fragments  d'architecture,  une  statue  de  marbre  et  une  statuette 
de  bronze  représentant  un  satyre,  d'un  travail  assez  fin.  —  Mgr  Duchesne  pré- 
sente ensuite  une  planche  chroinolithographique  destinée  au  prochain  fascicule  des 
Mélanges  de  l'Ecole  de  Rome.  On  y  voit  figuré  un  personnage  en  costume  antique, 
tunique  et  pallium,  devant  un  livre  ouvert  sur  un  pupitre.  C'est  saint  Augustin, 
caractérisé  par  le  distique  suivant,  qui  se  lit  au-dessous  : 
Diversi  divcrsa  Patres  sed  hic  omnia  dixit 
Romano  eloquio  mystica  sensa  tonans. 

L'édifice  où  se  voit  cette  peinture  se  trouvait  sous  la  chapelle  dite  Sancta  Sanc- 
torum,  au  palais  de  Latran.  C'était  sans  doute  une  des  salles  de  la  bibliothèque. 
Si  celte  conjecture  était  admise,  on  aurait  déterminé  l'emphicement  du  scriniitm 
sanctum,  c'est-à-dire  de  la  chancellerie,  des  archives  et  de  la  bibliothèque  du  Saint- 
Siège  dans  le  haut  moyen  âge.  Cette  peinture  a  été  découverte  par  M.  Lauer,  au  cours 
de  touilles  entreprises  parlui  dans  ce  qui  rcstedel'antique  palais  dcLatran.  D'autres 
peintures  ornaient  le  portique  en  avant  de  la  bibliothèque.  On  y  remarque  une 
curieuse  représentation  de  la  mort  de  Saint  .Ican  l'Evangélistc  et  du  célèbre  pro- 
diçe  de  la  manne  qui  s'observait  —  dit-on  —  à  son  tombeau. 

Xi.  Dieulatoy,  à  propos  de  la  récente  communication  de  M.  S.  Reinach,  entre- 
tient r.A.cadcmie  des  légendes,  des  traditions  ou  des  prescriptions  religieuses.  Il 
croit  que  l'on  a  trop  abusé  de  l'hygiène  pour  en  expliquer  l'origine;  mais  il  ne 
l^ense  pas  qu'il  faille  nier  la  valeiir  des  travaux  antérieurs.  La  vérité  en  pareille 
matière  risque  de  renfermer  une  part  d'erreur  comme  l'erreur  contient  souvent 
quelques  parcelles  de  vérité.  —  MM.  Reinach,  Viollei  et  d'Arbois  de  Jubainville 
présentent  quelques  observations. 

M.  Clermont-Canneau  tait  une  communication  sur  la  mort  de  saint  Léonce  de 
Trifioli  et  sur  deux  inscriptions  grecques  publiées  par  M.  Waddington. 

Léon  Dorez. 

Le  Propiiétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 
Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N°  32  —  6  août  —  1900 


Bolché-Leclercq,  Leçons  d'histoire  grecque.  —  Furtwaengler,  Les  gemmes  an- 
tiques. —  S.  Reinach,  Répertoire  des  vases  peints  grecs  et  étrusques,  II.  — 
Jacques  Milet,  La  destruction  de  Troyes,  p.  Haepke.  — Romberg,  L'idée  de  la 
durée  dans  les  verbes  français.  —  Bernardin,  Hommes  et  mœurs  au  wii»  siè- 
cle. —  Renouvier,  Victor  Hugo  le  philosophe.  —  Académie  des  inscriptions. 


Bouché-Leclercq.  Leçons   d'histoire  grecque.  Paris,   Hachette,    1900.  Un  vol. 
in-i2  de  352  pages. 

M.  Bouché-Leclercq  a  réuni  dans  ce  volume  onze  leçons  d'ouver- 
ture qu'il  a  faites  à  la  Sorbonne  depuis  1879.  Les  sujets  qu'il  y  traite 
sont  très  variés. 

En  voici  la  liste  :  Du  fonds  commun  des  religions  antiques.  —  De  la 
religion  grecque  considérée  dans  ses  rapports  avec  les  institutions  po- 
litiques. —  Des  lois  agraires  dans  l'antiquité.  —  De  Vidée  de  justice 
dans  la  démocratie  athénienne.  —  Les  institutions  pédagogiques  de  la 
Grèce.  —  La  démocratie  athénienne  au  IV^  siècle.  —  Vagonie  de  la 
république  athénienne.  —  La  Grèce  sous  la  domination  macédonienne. 
—  L'Orient  sous  les  Séleucides.  —  Introduction  à  l'histoire  des 
Lagides.  —  Le  culte  dynastique  en  Egypte  sous  les  Lagides. 

L'auteur  s'est  interdit  tout  appareil  d'érudition,  au  point  de  ne  ren- 
vover  jamais  à  un  texte  ancien  et  de  ne  citer  jamais  un  ouvrage  mo- 
derne; mais  on  sent  que  chacune  de  ses  phrases  repose  sur  un  fonds 
de  connaissances  solides.  Bien  que  ces  leçons  aient  toutes  un  caractère 
très  général,  elles  n'ont  rien  de  vague  ni  de  fantaisiste.  Des  faits  très 
précis  leur  servent  de  support,  et  ces  faits  sont  puisés  à  la  source 
même.  Si  abondants  qu'ils  soient,  M.  Bouché-Leclercq  les  domine  et 
les  manie  avec  une  aisance  qui  atteste  la  vigueur  de  son  intelligence, 
et  il  en  tire  des  conclusions  presque  toujours  justes,  et  souvent  ingé- 
nieuses, qui  montrent  l'originalité  de  son  esprit.  Sa  science  s'étend  à 
tous  les  domaines  ;  mais  il  est  surtout  attiré  par  les  idées  morales. 
C'est  là  ce  qui  le  séduit  le  plus  et  c'est  là  qu'il  excelle.  11  est  peut-être 
moins  frappé  que  d'autres  par  l'ensemble  des  phénomènes  qui  consti- 
tuent la  partie  proprement  matérielle  de  l'histoire,  et,  sans  les  négliger 
complètement,  il  parait  n'y  attacher  qu'une  importance  secondaire. 
Sa  tendance  est  plutôt  de  suivre  l'évolution  et  l'influence  des  croyances 
religieuses,  des  doctrines  philosophiques,  et  ici  il  est  vraiment  passé 

Nouvelle  série  L.  5' 


loi  REVUE    CRITIQUE 

maître.  Enfin,  son  style,  clair  et  exact,  quoiqu'un  peu  abstrait,  est 
parfois  relevé  par  une  pointe  d'humour,  par  un  trait  pittoresque,  par 
une  image  imprévue,  qui  en  rompent  la  sévérité,  sans  ressembler 
pourtant  à  ces  agréments  de  pure  forme  qu'un  littérateur  soucieux 
de  plaire  plaque  par  endroits  dans  son  exposition. 

Paul   GUIRAUD. 


Adolf  FuRTWAENGLER.  Die  antiken  Gemmen.  Geschichte  der  Steinschnei- 
dekunst  im  klassischen  Alterthum.  Giesecke  et  Devrient,  Leipzig  et  Berlin, 
1900.  3  vol.  in-4  de  67  pi.,  33o  et  464  p..  avec  nombreuses  gravures  dans  le 
texte.  Prix  :  2  3o  mark. 

Si  la  dernière  décade  du  xix«  siècle  a  été  très  féconde  pour  les  études 
de  glyptique  ancienne,  il  n'en  a  pas  été  de  même  des  neuf  premières. 
C'était  l'époque  du  découragement  et  du  scepticisme;  les  faussaires 
des  générations  précédentes  avaient  trop  bien  travaillé  ;  d'autre  part, 
aucun  archéologue  ne  s"était  formé  le  jugement  par  une  fréquentation 
assidue  des  originaux  au  point  de  pouvoir  même  esquisser  une  his- 
toire de  la  gravure  en  pierres  fines.  On  citait  les  gemmes  à  titre  de 
documents  mythologiques  ou  iconographiques  et  on  laissait  le  reste, 
c'est-à-dire  la  partie  propre  de  l'art,  aux  amateurs.  Le  meilleur  con- 
naisseur de  pierres  gravées,  vers  le  milieu  du  siècle,  fut  un  mar- 
chand, A.  Castellani.  Les  archéologues  s'abstenaient  ou,  dans  les 
ouvrages  généraux  sur  l'art  antique,  reléguaient  en  appendice  quelques 
indications  banales  sur  des  camées  célèbres.  Et  cependant,  de  tous 
les  monuments  du  passé,  les  gemmes  sont  les  seuls  qui  nous  soient 
parvenus  presque  toujours  intacts,  dans  l'état  même  où  les  anciens 
les  ont  laissés  ! 

Brunn,  en  i858,  avait  réagi  contre  le  scepticisme  de  Koehler  (i833), 
dont  la  critique,  superficielle  sous  des  dehors  érudits,  ne  reconnaissait 
plus  pour  authentiques  que  cinq  des  gemmes  pourvues  de  signatures. 
Mais  son  travail,  publié  dans  le  tome  II  de  la  Geschichte  der  Kiinstler^ 
ne  fut  continué  ni  par  lui-même,  ni  par  d'autres.  Au  contraire,  les  pré- 
jugés de  Kœhler  parurent  reprendre  le  dessus.  Chabouillet,  le  direc- 
teur de  notre  Cabinet  des  Médailles,  en  était  arrivé,  en  i885,  à  n'ac- 
cepter pour  authentiques  que  les  gemmes  dont  les  «  papiers  »  étaient 
en  règle  ;  c'était  l'abdication  du  goût  devant  la  science  livresque,  du 
sentiment  de  l'art  devant  la  brutalité  de  l'érudition. 

Précisément  à  cette  époque,  M.  Furtwaengler,  alors  attaché  au 
Musée  de  Berlin,  commençait  des  études  en  vue  de  la  publication  d'un 
catalogue  des  pierres  gravées  autrefois  inventoriées  par  Toelken.  Un 
homme  de  cette  valeur,  élève  de  Brunn  et  habitué,  par  les  fouilles 
d'Olympie,  au  contact  direct  de  l'antiquité,  ne  pouvait  manquer  de 
reconnaître  que  tout  était  à  faire  ou  à  refaire,  que  la  préparation  d'un 


d'histoire  et  de  littérature  io3 


catalogue  scientifique  imposait,  à  son  auteur,  une  revision  complète 
de  toutes  les  données  sur  lesquelles  pouvait  se  fonder  une  histoire  de 
la  glyptique.  La  question  des  gemmes  signées  se  présentait  à  lui  dès 
l'abord  :  il  fallait  les  rejeter  en  bloc  avec  Kœhler  ou  savoir  pourquoi  et 
dans  quelle  mesure  on  accepterait  leur  témoignage.  De  là,  les  quatre 
articles  qui,  dans  le  Jahrbiich  de  1888  et  de  i88g,  placèrent  d'em- 
blée leur  auteur  au  premier  rang  des  connaisseurs  de  gemmes  et  ren- 
dirent détinitivement  toute  une  série  d'authentiques  chefs-  d'oeu- 
vre à  l'admiration  des  archéologues.  Bien  plus,  M.  F.  jeta,  dans 
ces  articles,  les  bases  de  la  chronologie  des  gemmes,  jusque-là  vague- 
ment divisées  en  archaïques,  étrusques  et  gréco-romaines  ;  cela  con- 
sistait simplement  à  les  faire  rentrer  dans  le  droit  commun,  mais  n'en 
était  pas  moins  un  grand  pas  dans  la  voie  scientifique  où  M.  F.  s'était 
engagé  avec  son  ordinaireyi/r/a  de  travail. 

Le  catalogue  illustré  des  pierres  de  Berlin  n'a  paru  qu'en  1 896.  C'est 
un  in-4°  contenant  la  description  d'environ  10,000  pierres  ou  pâtes, 
accompagnée  de  71  planches  de  phototypie  qui  reproduisent  5,5  i  5 
sujets.  Mon  volume  Pierres  gravées,  publié  en  1895, avec  2,i5o  repro- 
ductions de  gemmes,  était  alors  le  plus  riche  recueil  de  camées  et 
d'intailles  qui  eût  encore  paru  ;  j'écrivais  à  la  fin  de  la  préface  :  «  Il  se 
passera  peut-être  un  demi-siècle  avant  que  les  progrès  industriels  per- 
mettent de  publier  une  série  de  photographies  d'empreintes  aussi  dis- 
tinctes et  aussi  nombreuses  que  les  gravures  du  présent  recueil.  »  Dès 
l'année  suivante,  ma  prévision  était  convaincue  d'erreur  ;  j'avais 
compté  sans  M.  Furtwaengler. 

Transféré  de  Berlin  à  Munich,  le  savant  badois,  au  milieu  de  ses 
mémorables  travaux  sur  la  sculpture,  ne  perdit  janiais  de  vue  les  pierres 
gravées.  Des  voyages  poursuivis  à  travers  toute  l'Europe,  l'acquisition 
incessante  de  photographies  et  d'empreintes,  lui  ont  permis  de  con- 
naître, mieux  qu'aucun  de  ses  contemporains,  les  collections  pu- 
bliques et  privées  de  gemmes,  en  particulier  les  riches  cabinets  des 
nobles  anglais,  jusque-là  presque  soustraits  à  l'étude.  Dès  1894  com- 
mença l'impression  du  grand  ouvrage  dont  nous  annonçons  aujour- 
d'hui l'achèvement  et  qui  marque  une  date  dans  l'histoire  de  la  dacty- 
liographie,  comme  la  Doctrina  nummorum  d'Eckhel  dans  celle  de  la 
numismatique.  Désormais,  la  période  du  dilettantisme  est  close;  la 
glyptique  est  enfin  pourvue  de  l'ouvrage  fondamental  qui  lui  man- 
quait—d'un prix,  à  la  vérité,  peu  abordable,  mais  dont  la  richesse,  tant 
du  texte  que  de  l'illustration,  fait  l'équivalent  d'une  bibliothèque.  On 
peut  cependant  regretter  que  l'exécution  matérielle,  trop  luxueuse 
pour  un  livre  de  science,  ait  inutilement  augmenté  le  prix  de  ces  trois 
volumes  qui,  imprimés  sur  papier  moins  fort,  auraient  pu  facilement 
être  réduits  à  deux.  On  aurait  pu  aussi,  sans  inconvénient,  faire  l'éco- 
nomie de  l'énorme  étui  à  dos  de  cuir  dans  lequel  on  les  livre  aux 
acheteurs,  qui  se  garderont  de  les  y  laisser. 


104  REVUE    CRITIQUE 

L'illustration  se  compose  de  67  planches  d'héliogravure,  qui  for- 
ment le  premier  volume,  et  de  plusieurs  centaines  de  dessins  et  de 
similis,  qui  sont  dispersés  dans  les  deux  autres.  Bien  que  supérieures 
à  celles  du  catalogue  de  Berlin,  les  planches,  comprenant  3, 600  sujets, 
sont  inégales.  M.  F.  n'a  fait  grandir  qu'un  petit  nombre  de  spéci- 
mens ;  il  insiste  même  pour  que  les  gemmes  —  œuvres  d'art  et  non 
produits  de  la  nature  —  soient  reproduites  à  la  grandeur  d'exécution. 
Cela  peut  se  défendre  en  principe,  mais,  dans  la  pratique,  il  en  résulte 
des  inconvénients.  Je  défie  M.  F.  ou  qui  que  ce  soit,  sans  le  secours 
d'une  forte  loupe,  de  deviner  l'image  gravée  sur  l'intaille  pi.  XLV, 
5j  ;  même  avec  une  loupe,  je  ne  distingue  pas  la  silhouette  du  no  40 
de  la  pi.  XXXVII,  ni  la  tète  du  n^  19  de  la  même  planche  (voir  aussi, 
si  Ton  peut,  pi.  XXIII,  37,  pi.  XXXIV,  5i,  52,  etc.).  Mais  ce  sont-là 
des  défauts  légers;  dans  l'ensemble,  on  peut  dire  que  ces  planches  sont 
ce  que  l'héliogravure  a  encore  produit  de  mieux  d'après  les  œuvres  de 
la  glyptique.  Les  similigravures  des  deux  autres  volumes  ne  méritent 
pas  les  mêmes  éloges'.  La  plupart  ont  été  maladroitement  retouchées, 
plaquées  de  blanc,  au  point  que  l'aspect  en  est  souvent  très  désagréable 
et  même  repoussant.  Une  similigravure  sans  retouches  ne  vaut  jamais 
rien,  du  moins  dans  l'état  actuel  des  procédés  de  reproduction  ;  mais 
la  retouche  doit  être  exécutée  par  un  artiste  sur  l'épreuve  photogra- 
phique, sous  l'impression  directe  d'une  empreinte,  et  non  par  un  ou- 
vrier qui  «  met  des  clairs  »  au  petit  bonheur.  La  retouche  du  cliché 
lui-même  donne  toujours  des  résultats  pitoyables,  car  elle  ne  peut  se 
faire  que  brutalement  à  l'aide  d'une  pointe.  Pt)ur  citer  de  mauvaises 
similigravures  dans  l'ouvrage  de  M.  F.,  je  n'ai  vraiment  que  l'em- 
barras du  choix  ;  je  me  contente  de  renvoyer  ceux  que  la  question 
intéresse  à  la  figure  iSg  du  tome  III,  qu'on  peut  étudier  comme  un 
exemple  d'un  cliché  typographique  complètement  gâté  et  dénaturé  par 
la  retouche.  Quant  aux  vignettes,  elles  sont  presque  toutes  lourdes  et 
mal  tirées,  ce  que  la  nature  du  papier  explique  en  partie.  A  la  p.  i32 
du  tome  III  est  publié  le  dessin  d'un  groupe  d'Aphrodite  et  d'Eros 
sur  le  chaton  d'une  bague  de  Lampsaque,  d'après  une  gravure  du 
Journal  of  hellenic  Studies  (1898,  p.  129).  Cette  gravure  laisse  à  dé- 
sirer, mais,  si  on  la  compare  à  celle  de  l'ouvrage  allemand,  elle  parait 
presque  un  chef-d'œuvre.  L'auteur  de  l'article  du  Journal,  M.  Per- 
drizet,  prétend  que  le  dessin  publié  par  moi  de  cette  intaille  [Chrun. 
d'Or.,  Il,  p.  471)  en  donne  «  a  very  inadéquate  idea  »  ;  comme  j'ai 
sous  les  yeux  un  moulage  et  une  galvanoplastie  de  l'original,  j'ai  le 
droit  de  dire  que  cette  critique  n'est  pas  fondée;  j'ajoute  que  le  dessin 


I .  Au  moment  où  je  corrige  les  épreuves  de  cet  article,  on  me  prévient  que  mon 
exemplaire  des  Gemmen  est  un  des  exemplaires  dits  de  luxe,  sur  grand  papier  du 
Japon;  on  m'assure  que  les  gravures  des  exemplaires  ordinaires  sont  beaucoup 
mieux  venues.  On  fera  donc  bien  de  se  contenter  de  ceux-là. 


d'histoire  et  de  littérature  io5 

des  Chroniques  a,  sur  celui  du  Journal  anglais,  l'avantage  d'avoir  été 
calqué  sur  un  fort  grandissement  photographique. 

Le  tome  II  des  Antike  Gemmen  contient  le  commentaire  et  l'expli- 
cation des  planches  du  tome  I.  L'ordre  adopté  est  le  suivant  :  i»  gem- 
mes   orientales    (babyloniennes,    syriennes,    persanes    archaïques); 
2°  gemmes  mycéniennes;  3°  scarabées,  scarabéoides  et  gemmes  grec- 
ques   archaïques;   4°  gemmes  grecques  du    style  sévère;   5°  gemmes 
gréco-persanes;   6'^  gemmes  grecques  du  style  libre  ;  7°  scarabées  de 
Sardaigne;  8"  scarabées  étrusques  ;  9°  scarabées  italiques;  10°  chatons 
de  bagues  italiques;  1 1°  gemmes  hellénistiques  et  romaines  de  l'époque 
républicaine;    12°  gemmes   augustéennes;    1 3°    gemmes  impériales; 
14°  gemmes  signées;  \b°  camées  ;  16°  gemmes  chrétiennes  et  byzan- 
tines, avec  quelques    spécimens  de  camées   et  d'intailles  modernes, 
A  chacune  de  ces  divisions  correspondent  plusieurs  planches  dont  la 
composition  a  dû  coûter  à  l'auteur  une  peine  infinie  ;  les  sujets  ana- 
logues (imitations  de  statues,  portraits,  animaux,  etc.),  ont  été,  le  plus 
possible,  groupés,  et  M.  F.  a  fait  de  louables  efforts  pour  éviter,  dans 
ces  tableaux  composites,  des  disparates  choquantes  de  dimensions  et 
de  style.  Mais  son  mérite  principal  consiste  dans  le  classement  lui- 
même,  qui  pourra  être  contesté  sur  certains  points  (ainsi  je  ne  crois 
pas  que  les  pierres  gréco-persanes  soient  à  leur  place),  mais  qui  intro- 
duit pour  la  première  fois  un   ordre  rationnel  et  historique  dans  un 
amas  de  monuments  jusqu'ici  confondus  —  au  point  que  des  pierres 
grecques  archaïques  étaient  considérées  comme  gnostiques,  et  inver- 
sement. M.   F.  lui-même  a  fait  des  écoles  à  cet  égard,    ayant  donné 
comme  gréco-mycénienne,  dans  son  catalogue  de  Berlin  (pi,  II,no79), 
une  intaille  évidemment  chrétienne.  Il  n'y  aque  ceux  qui  ne  publient 
rien  pour  ne  jamais   se  tromper.  M.  F.   n'est  pas  du  nombre  ;    il  se 
trompe  et  il  reconnaît  ses  erreurs,  comme  il  l'a  fait  dans  l'ouvrage  qui 
nous  occupe,  en  avouant  que  l'intaille  de  Julia  Titi  est  parfaitement 
authentique,  que  la  gemme  de  Heius  ne  l'est  pas  moins,  etc.  Mais  pour- 
quoi faut-il  qu'il  éprouve   le  besoin,  même  dans  un  ouvrage  de  haute 
science,  dans  un  ouvrage  né  pour  durer,  je  ne  dis  pas  de  contredire, 
mais  d'injurier  ceux  qui  ne  pensent  pas  comme  lui?  J'ai  relevé  toute 
une  série  de  passages,   à  l'adresse  de   MM.  Benndorf,  Klein,   Bloch, 
"Winter,  etc.,  qui  excèdent  les  limites  de  la  polémique  permise  et  font 
penser  au  mot  de  Talleyrand  sur  Napoléon  :  «  Quel  dommage  qu'un 
si  grand  homme  ait  été  aussi  mal  élevé  !  »  Ce   qui  concerne  M.  Benn- 
dorf est   d'une  gravité  particulière.  A   la  p.  298  du   tome  II.  M.  F. 
publie  une  gemme  signée  de  Sosis,  représentant  Héraklès  combattant 
un  Centaure,  qui  a  été  acquise  par  un  particulier  de  Leipzig  à  Alexan- 
drie. Cette  gravure  m'a  fait    d'abord   mauvaise  impression    et  je  crois 
qu'aucun  archéologue  ne  la  verra  sans  qu'un  doute,  peut-être  destiné 
à  disparaître,  ne  traverse  son  esprit.  Or,  M,  F.  commence  par  déclarer 
—  usant  d'une  formule  qui  lui  est  trop  familière  —  que  l'authenticité 


Io6  REVUE    CRITIQUE 

de  cette  gemme  ne  peut  être  contestée  que  par  des  ignorants  complets 
{gœn\lich  Unkundige]  ;  puis  il  ajoute  :  «  D'après  le  témoignage  du 
possesseur,  cette  pierre  a  été  jugée  apocryphe  par  O.  Benndorf,  par  le 
même  savant  qui  a  cru  authentique  la  fameuse  tiare  de  Saïtapharnes, 
la  falsification  la  plus  misérable  et  la  plus  éhontée  de  ce  siècle,  et  a 
voulu  la  faire  acquérir  par  le  Musée  de  Vienne.  »  Il  y  a,  dans  ces 
quelques  lignes,  toute  une  série  de  fâcheuses  incorrections.  On  n'a 
pas  le  droit  de  citer  le  u  témoignage  du  possesseur  »  (dont  M.  F.  ne 
dit  pas  même  le  nom)  pour  incriminer  le  jugement  d'un  confrère  ;  on 
n'a  pas  davantage  le  droit  de  reprocher  à  ce  confrère  une  intention 
qu'on  ne  connaît  que  par  oui-dire  ;  enfin,  il  est  peu  convenable  d'ap- 
peler un  objet  «  la  falsification  la  plus  misérable  et  la  plus  éhontée  de 
ce  siècle  »,  quand  on  sait  que  l'authenticité  en  a  été  et  est  encore  sou- 
tenue par  des  archéologues  autorisés  et  respectables.  Du  reste,  sans 
vouloir  aborder  ici  la  question  de  la  tiare  —  M.  F.  ne  serait  pas  si 
fort  en  colère  s'il  était  sûr  d'avoir  raison  —  je  ferai  observer  qu'à  la 
p.  98  du  tome  III,  M.  F.  traite  aussi  de  «  misérable  falsification  »  le 
vase  à  deux  têtes  de  Cléomène  (au  Louvre),  qu'il  a  dénoncé  une  pre- 
mière fois  dans  Cosmopolis  en  1896.  Or, un  avenir  prochain  montrera 
à  M.  F.  combien  est  profonde  son  erreur  à  cet  égard.  —  Même  envers 
les  archéologues  dont  il  pense  plutôt  du  bien,  M.  F.  use  de  paroles 
dures,  comme  s'il  ne  pouvait  pas  en  trouver  d'autres  :  seltsam  nnllkilr- 
lich,  grundlos..,  seltsam  ve}'kehrt,...  in  n'illkïirlichster  Weise^  telles 
sont  les  gracieusetés  que  je  relève  dans  une  seule  note  consacrée  à  M. 
Babelon  (t.  III,  p.  i  53  .  Ailleurs,  je  reçois  aussi  mon  paquet  ;  c'est 
comme  un  rythme  de  bastonade  qui  scande  les  développements  de 
M.  F.  et  en  marque...  le  manque  démesure.  S'il  avait  supprimé  une 
vingtaine  de  passages  inutilement  agressifs  ou  même  haineux,  croit-il 
donc  qu'il  aurait  diminué  la  valeur  d'une  œuvre  devant  laquelle  tous, 
amis  et  ennemis  personnels,  s'inclineront  avec  reconnaissance  et 
respect  ? 

C'est  au  troisième  volume  surtout  qu'iront  ces  hommages,  car  il 
est  impossible  de  ne  pas  admirer  l'énorme  effort  de  talent  et  de  travail 
dont  il  est  le  résultat.  On  y  trouve  une  histoire  complète  de  la 
glyptique,  suivie  d'une  histoire  critique  des  études  dont  la  glvp- 
tique  a  été  Tobjet.  Bien  entendu,  l'auteur  ne  se  borne  pas  ici  aux  mo- 
numents de  la  gravure  et  aux  particularités  de  technique  et  de  style 
dont  il  a  traité  avec  détail  dans  le  livre  II.  Ayant  introduit  la  glvp- 
tique  dans  l'histoire  générale  de  l'art,  il  esquisse  aussi  l'histoire  de 
l'art  à  propos  de  la  glyptique  et  ne  s'interdit  pas  les  incursions  dans 
les  domaines  limitrophes,  ethnographie,  histoire,  religion. Sur  laques- 
tion  mycénienne,  il  a  pris  un  parti  très  net,  en  opposition  complète 
avec  les  vues  de  M.  Helbig  qui  ont  trouvé  tant  d'écho  parmi  nous;  sa 
thèse  est  celle  que  j'ai  soutenue  dans  le  Mirage  Oriental,  parfois  plus 
intransigeante  encore,  comme  lorsqu'il  admet,  avec  M.  Evans,  lapes- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  IO7 

sibilité  d'une  communauté  d'origine  entre  les  graveurs  de  l'époque  du 
renne  (au  moins  10,000  ans  avant  J.-C.  !)  et  les   Mycéniens.  Comme 
moi,  il  cherche  les  Kefta  en  Crète,  il  rattache  les  Philistins  aux  Mycé- 
niens, il  signale  avec  insistance  le  caractère  européen  et  septentrional 
de  cette  civilisation  mycénienne  que  beaucoup  d'autres  veulent  tirer 
de  la  Phénicie.  Les  découvertes  récentes  d'Enkomi  à  Chypre  et  de 
Mélos  lui  fournissent  des  arguments  nouveaux  à  l'appui  d'une  thèse 
qui  n'a  jamais  été  soutenue  avec  tant  de  science  et  d'éclat.  Son  chapi- 
tre sur  la  glyptique  ionienne,  intermédiaire  entre  la  tradition   mvcé- 
nienne  orienialisée  et  l'art  grec  archaïque,  n'est  pas  moins  intéressant 
pour  l'histoire  générale  de  l'art;  après  le  moyen  âge  hellénique,  la 
renaissance  mycénienne, dont  les  gemmes  découvertes  à  Mélos  offrent 
un  frappant  exemple.   Que  d'idées  originales  et  de  conceptions  heu- 
reuses il  y  aurait  à  relever  encore  dans  les  chapitres  consacrés  à  laSar- 
daigne,  à  l'Étrurie,  à  la  période  étrusque  de  l'art  romain  (que  M.  F. 
goûte  à  juste  titre),  aux  œuvres  archaisantes  !  Mais  il    faut  laisser  au 
lecteur  le  soin  de  les  y  découvrir.  La  partie  du  livre  relative  aux  ca- 
mées romains,  qui  est  très  développée,  provoquera  sans  doute  des  con- 
tradictions. M.  F.  a  la  tendance  de  vieillir  tous  les  camées,  de   les 
rapprocher  de  l'époque  d'Auguste,  comme  si  l'art  postérieur  avait  été 
incapable  de  produire  autre  chose  que  des  pauvretés.  Ainsi,  en  pré- 
sence du  camée  Marlborough,  aujourd'hui  au  Musée  Britannique,  où 
l'on  a  cru  reconnaître  les  bustes  de  Julien  et  d'Hélène,  œuvre  d'une 
habileté   technique  incontestable,  mais  sèche  et  sans  vie,  il  ne  craint 
pas  d'écrire  (p.  327)  :  «  Nous  plaçons  aussi  ce  camée  à  l'époque  clau- 
dienne...  Les  bustes    doivent  être  ceux  de  Claude  et  d'une  de  ses 
femmes  (sous  les  traits  de  Cérèset  de  Jupiter;.  La  manière  minutieuse, 
consciencieuse,  mais  sèche  de  l'artiste  devait  précisément  plaire  au 
docte  vieillard.  »   Il  me  semble  impossible  de  prendre  cotte  conclu- 
sion au  sérieux  et  je  veux  croire  qu'à  l'heure  qu'il  est  M.  F.  en  est 
déjà  revenu.  De  même,  j'espère  qu'il  ne  persistera  pas  à  placer  au 
temps   d'Auguste   le    fragment   d'un    grand  camée,    aujourd'hui    au 
musée  de  Belgrade,  ou  il  a  reconnu  le  roi   thrace  Rhœmetalcès    (t.  II, 
p.  454.  Cette  œuvre  ne  peut  pas  être  antérieure  aux  Antonins  et  elle 
est  peut-être  d'un  siècle  plus  tardive.  En  outre,  rien  n'autorise  à  appe- 
ler Rhœmetalcès  le  personnage  à  cheval  qui  occupe  le  milieu  du  tableau. 
La  tête,  très  bien  conservée,  est  celle  d'Alexandre  le  Grand  et  je  serais 
tenté    d'établir  un  lien    entre  cette  représentation   d'un   Romain   en 
Alexandre  et  les  célèbres   médaillons  du   trésor  de  Tarse.. Quand  on 
voit  quels  chefs-d'œuvre   les  portraitistes  romains  pouvaient  encore 
produire  au  temps  de  Caracalla,  on  n'a  vraiment  pas  le  droit  de  refu- 
ser au  second  siècle  ou  même  au  troisième  le  douteux  honneur  d'avoir 
vu  naître  de  lourds  camées. 

Il  y  a  un  passage,  dans  le  troisième  volume,  que  je  n'ai  pu  lire  sans 
me  demander  si  je  rêvais.  Après  avoir  magistralement  repoussé,  sur 


I08  REVL'E  CRITIQUE 

le  terrain  de  l'archéologie,  le  spectre  toujours  obsédant  du  mirage 
oriental,  M.  F.,  perdant  tout  à  coup  la  boussole,  s'est  élancé  à  sa 
suite  jusque  dans  l'Inde  (p.  262).  11  s'agit  des  doctrines  orphiques  et 
pythagoriciennes,  notamment  de  la  migration  des  âmes.  M.  F.  déclare 
qu'à  son  avis  M.  L.  von  Schrôder,  dans  un  écrit  de  1884,3  démontré, 
par  des  raisons  concluantes,  «  l'origine  indienne  de  la  doctrine  de 
Pythagore  «.  M.  F.  n'ignore  pas  l'opinion  d'Erwin  Rohde,  qui  attri- 
bue cette  doctrine  à  la  Thrace  ;  il  sait  aussi  que  M.  Tylor  a  réuni  de 
nombreux  exemples  de  l'idée  de  la  migration  des  âmes  chez  les  peuples 
les  plus  divers.  Mais  il  n'en  a  cure,  car,  suivant  lui,  ces  idées  de  sau- 
vages ne  sont  qu'à  la  source  des  doctrines  et  c'est  l'Inde  seule  qui  en  a 
tiré  l'admirable  roman  de  l'âme  se  purifiant  à  travers  ses  métamor- 
phoses. On  pourrait  d'abord  demander  à  M.  F.  comment  il  sait  que 
cette  philosophie  mystique  était  professée  dans  l'Inde  avant  Pytha- 
gore, quels  écrits  indous  nous  possédons  de  ce  temps  là,  comment  la 
communication  d'idées  aussi  abstraites  était  possible  alors  qu'il  n'y 
avait  ni  Grecs  en  Inde  ni  Indous  en  Grèce,  etc.  Mais  le  mieux  est  de 
lui  conseiller  de  s'initier  à  la  littérature  ethnographique,  de  faire  la 
connaissance  (par  exemple  dans  le  livre  de  Burnet,  Early  gî-eek philo- 
sophy)  des  tabous  primitifs  qui  forment  le  fond  de  l'enseignement  de 
Pythagore,  de  demander  enfin  à  Frazer  ou  à  Jevons  quels  sont  les 
caractères  constants  et  universels  du  totémisme.  Cela  fait,  il  regret- 
tera d'avoir  écrit  que  l'interdiction  de  manger  des  fèves  a  pour  but 
d'éviter  de  troubler  les  sacrifices  par  des  flatuosités  (!).  Les  Grecs, dans 
leur  ignorance  du  totémisme,  ont  déjà  proposé  des  explications  aussi 
absurdes  de  faits  religieux;  ils  étaient  excusables,  mais  nous  ne  le 
serions  pas  de  faire  comme  eux.  L'interdiction  des  fèves  en  Egypte 
gêne  M.  F.;  aussi  écrit-il  impérativement  :  «  Hérodote  s'est  trompé 
en  attribuant  aux  Egyptiens  la  défense  de  manger  des  fèves.  »  Voilà 
qui  est  bientôt  dit.  A  la  même  page,  M.  F. écrit  encore  :  «  La  doc- 
trine indienne  empruntée  par  Pythagore  fut  adoptée  par  les  Orphi- 
ques. »  Cela  est  encore  faux,  car  les  philosophies  séculières  naissent 
des  théosophies,  et  non  inversement.  —  Pythagore,  dit-on,  était  fils  d'un 
graveur  de  gemmes  et  avait,  dans  sa  jeunesse,  voyagé  pour  le  compte 
de  son  père.  On  a  même  trouvé  naturel  qu'il  eût  poussé  jusqu'en  Inde 
afin  d'y  faire  emplette  de  pierres  fines.  M.  F.  n'a  pas  tenu  compte  de 
ces  informations  et  c'est  dommage,  car  le  voyage  en  Inde  de  Pytha- 
gore, à  propo.^^de  gemmes, s'explique  mieux  que  celui  de  M.  Furtwaen- 
gler  pour  le  même  motif. 

Salomon  Reinach. 


d'histoire  et  de  littérature  109 

Richard  Engelmann,  Archâologische  Studien  zu  den  Tragikern.  Berlin,  Weid- 
mann,  1900.  In-8,  90  p.  avec  28  gravures.  Prix  :  6  mark. 

Jahn  et  Welcker  ont  déjà  mis  en  lumière  l'influence  du  théâtre  atti- 
que  sur  la  peinture  de  vases  du  iv^siècle  et  les  historiens  de  la  littéra- 
ture grecque  n'ignorent  pas  le  profit  qu'ils  peuvent  tirer  de  cette  série 
de  monuments.  Toutefois,  on  est  loin  d'avoir  épuisé  les  enseignements 
qui  s'en  dégagent,  d'autant  plus  qu'il  n'existe  pas  encore  de  recueil  de 
dessins  d'après  les  peintures  que  la  tragédie  a  inspirées.  M.  Engel- 
mann nous  promet,  dans  sa  préface,  de  publier  bientôt  cette  collection 
depuis  longtemps  attendue  ;  c'est  un  engagement  dont  nous  prenons 
acte  avec  plaisir. 

Sa  dissertation,  qui  est  d'une  lecture  fort  attachante,  s'ouvre  par  un 
chapitre  sur  la  scène  ou,  plus  exactement,  sur  les  colonnes  du  proské- 
nion,  dont  il  reconnaît  la  présence  sur  plusieurs  vases  à  sujets  tragi- 
ques où  ces  supports  ne  se  justifieraient  pas  autrement.  J'hésite  pour- 
tant à  accepter  son  opinion  à  cause  du  vase  de  Xenophanios,  dont  il  n'a 
rien  dit.  On  voit  sur  ce  vase  [Compte  rendu  pour  1866,  pi  IV)  des 
colonnes  imitant  les  feuilles  du  sylphium  et  supportant  chacune  un 
trépied  doré  ;  cependant  la  scène  est  beaucoup  trop  mouvementée  pour 
qu'on  puisse  en  chercher  le  prototype  dans  une  tragédie.  En  revan- 
che, il  est  très  vraisemblable  que  nous  avons  une  représentation  d'un 
proskénion  richement  décoré  sur  le  vase  d'Astéas  à  Madrid  Monum. 
dell  Instit.,  VIII,  10  . 

M.  E.  a  signalé,  avec  plus  ou  moins  de  vraisemblance,  l'écho  de 
cinq  tragédies  perdues  de  Sophocle  ('Eàévt.;  àraîtr.T'.;,  Laocoon^  Sxjptoi, 
Tyro  A  et  B)  dans  des  peintures  de  vases  du  Vaiican,  de  la  collection 
Jatta  à  Ruvo,  de  Corneto,  de  Florence,  de  la  collection  Czartoryski 
(à  Cracovie  et  non  à  Paris,  p.  40),  etc.  11  ne  se  dissimule  pas  combien 
il  est  dangereux  d'expliquer  des  peintures  par  des  tragédies  perdues  et 
de  reconstituer,  même  partiellement,  ces  tragédies  à  l'aide  des  mêmes 
peintures;  mais  on  ne  peut  nier  que  la  plupart  de  ses  conjectures  ne 
soient  séduisantes.  Ainsi  je  crois  qu'il  a  définitivement  raison  con- 
tre Kôrte,  Dummicr  et  d'autres  lorsqu'il  reconnaît,  sur  plusieurs 
vases,  Néoptolème  quittant  Skyros,  scène  qui  faisait  certainement 
partie,  comme  l'a  montré  autrefois  Robert,  de  la  tragédie  de  Sopho- 
cle intitulée  Sy-joto-,. 

Quatre  pièces  d'Euripide,  également  perdues,  ont  été  étudiées  par 
M.  E.  :  ce  sont  Alcmène,  Andromède,  Méléagre  et  Sthcnébéc.  L'au- 
teur s'était  déjà  occupé  d'^  Icmène,  à  propos  d'un  vase  de  Castle  Howard 
(aujourd'hui  au  Musée  Britannique),  dans  un  programme  de  1881, 
dont  il  a  été  question  ici  même  Revue,  1882,  II,  p.  261);  il  réitère, 
avec  des  arguments  nouveaux,  sa  thèse  d'alors,  suivant  laquelle  Alc- 
mène  serait  au  moment  d'être  brillée  sur  l'autel  par  ordre  de  son  mari 
involontairement  outragé.   Cette    interprétation  restera  conjecturale 


I  10  REVUE    CRITIQUE 

tant  que  nous  ne  pourrons  alléguer  aucun  texte  précis  relatif  à  la 
vengeance  d'Amphitryon  ;  elle  n'en  est  pas  moins,  dans  l'état  de  nos 
connaissances,  celle  qui  cadre  le  mieux  avec  les  données  de  la  peinture 
et  je  crois  que  l'ancienne  interprétation  (apothéose  d'Alcmène)  doit 
être  complètement  écartée. 

Pour  Sthénébée,  nous  possédons  un  résumé  dans  un  manuscrit  flo- 
rentin de  Grégoire  de  Corinthe,  malheureusement  mutilé  à  droite; 
M.  E.  en  a  donné  une  reproduction  photographique  (p.  85)  et  une 
transcription  rectifiée.  Il  n'a,  d'ailleurs,  invoqué  à  ce  propos  le  témoi- 
gnage d'aucune  peinture  céramique.  Traitant  du  Me/eagre,  il  a  publié 
(p.  80)  une  peinture  inédite  du  musée  de  Bari,  qui  représente  Méléa- 
gre  avec  Atalante.  ]JATidromède  a  inspiré  plusieurs  peintures  où  divers 
critiques  ont  déjà  reconnu  ce  mythe;  M.  E.  croit  que  l'une  d'elles  [Ar- 
chaeologia,  XXXVI,  pi.  6)  figure  le  prologue  de  la  pièce  d'Euripide, 
au  cours  duquel,  sous  les  yeux  des  spectateurs,  on  attachait  la  prin- 
cesse sur  un  rocher.  Euripide  aurait  suivi  l'exemple  donné  par  Eschyle 
dans  le  Prométhée.  Cela  est  assurément  fort  ingénieux. 

Salomon  Reinach. 


Salomon  Reijnach,  Répertoire  des  vases  peints  grecs  et  étrusques.  Tome  II. 
Peintures  de  vases  gravées  dans  les  recueils  de  Millingen  (Coghill) ,  Gerhard 
[Auserl.  Vasenbilder),  Laborde,  Luynes,  Roulez,  Schulz  (Ama^onetivase)  Tisch- 
bein  {Tomes  /-T^),  avec  des  notices  explicatives  et  bibliographiques,  une  biblio- 
graphie de  la  Céramique  grecque  et  étrusque,  et  un  Indexdes  tomes  I  et  II.  i  vol. 
in-i2  de  424  p.  Paris,  Leroux,  igoo.  Prix  :  5  fr. 

En  annonçant  ici  même  cf.  Revue  critique,  1899,  JI>  P-  4^7~4^9) 
le  premier  volume  de  cet  ouvrage,  j'ai  dit  assez  nettement  quels  sérieux 
services  et  quel  genre  de  services  il  était  appelé  à  rendre  aux  archéolo- 
gues, pour  n'avoir  pas  besoin  d'y  insister  encore  aujourd'hui.  Il  n'y 
a,  d'ailleurs,  rien  de  changé  dans  les  reproductions  ni  dans  les  notices 
sommaires  qui  les  accompagnent.  On  trouve  à  la  fin  un  Index  alpha- 
bétique général,  commun  aux  deux  volumes  parus  :  un  de  ces  copieux 
Index  qui  doublent  la  valeur  pratique  de  tous  les  ouvrages  de  vulgari- 
sation qu'a  publiés  M.  Reinach.  Avant  l'Index,  une  vingtaine  de  pages 
à  deux  colonnes  sont  remplies  par  une  «  Bibliographie  de  la  céra- 
mique grecque  et  étrusque  ».  Cette  bibliographie  ne  prétend  pas  con- 
tenir tout,  absolument  tout,  jusqu'au  plus  insignifiant  article  perdu 
dans  un  recueil  lui-même  insignifiant  ;  mais  elle  est  aussi  complète 
que  l'on  peut  raisonnablement  le  demander.  Elle  indique  :  «  1°  les 
ouvrages  où  ont  été  publiées  et  décrites  des  peintures  céramiques  et 
dont  les  peintures  forment  l'objet  principal  ;  2°  quelques  articles  célè- 
bres qui  sont  des  tirages  à  part  des  périodiques;  3°  l'indication  des 
périodiques  et  des  ouvrages  généraux  où  il  est  souvent  question  de 


d'histoire  et  de  littérature  I  T  T 


peintures  céramiques  ;  4°  un  choix  de  monographies  d'archéologie  et 
de  mythologie  figurée,  où  Texégèse  des  peintures  céramiques  tient  une 
place  importante;  5°  quelques  ciiriosa  ».  Une  épreuve  décisive  con- 
siste à  chercher  dans  cette  bibliographie  les  titres  de  quelques  bro- 
chures que  l'on  a  des  raisons  de"  croire  peu  connues  ;  on  s'aperçoit 
bien  vite  que,  dans  les  limites,  déjà  très  larges  d'ailleurs,  où  M.  R. 
l'a  renfermée,  la  liste  donnée  par  lui  est  vraiment  complète. 

Quelques  notes  prises  en  passant.  P.  14,  n°'  1-2  :  les  inscriptions  de 
ce  vase  sont  fausses,  et  M.  R.  se  demande  si  la  peinture  même  en  est 
antique.  Remarquons  qu'elle  offre,  en  effet,  une  bien  grande  ressem- 
blance avec  une  peinture  de  lécythe  reproduite  deux  pages  plus  haut, 
p.  12,  n°s  7-8.  —  P.  19  :  il  semble  que  M.  R.  aurait  pu  exprimer  plus 
sévèrement  encore  ses  doutes  sur  l'authenticité  de  cette  peinture.  Le 
vase  peut  bien  être  antique,  mais  la  peinture  doit  être  fausse,  archi- 
fausse.  N'a-t-elle  pas  été  inspirée  par  celle  de  la  kélébè  de  Wùrtzbourg, 
reproduite  p.  141  ? —  P.  43,  n»  7  :  n'est-ce  point  là  simplement  une 
imitation  libre  et  fantaisiste  du  sujet  très  connu,  représentant  l'expé- 
rience du  rajeunissement  opérée  par  Médée  devant  les  Péliades  ?  — 
P.49,  n°'  I  3  :  l'explication  suggérée  par  M.  Pottier  semble  aussi 
juste  qu'ingénieuse  ;  les  longs  bois  de  la  tète  de  cerf  doivent  être  une 
déformation  des  ailes  de  Pégase  ;  peut-être  aussi  la  kibisis  (?)  que 
Persée  tient  à  la  main  n'est-elle  qu'une  déformation  de  la  tête  coupée 
de  Méduse.  — P.  62,  n'' 4  :  peinture  reproduite  dans  les  Wien.  Jahres- 
hefte,  II,  1899,  p.  79.  —  P.  142  :  si  l'objet  que  porte  le  premier  éphèbe 
est  réellement  une  boîte  à  manuscrits,  les  deux  tableaux  pourraient 
être  interprétés  de  la  manière  suivante.  Premier  tableau  :  l'Amour 
détourne  la  jeunesse  de  l'étude  ;  deuxième  tableau  :  l'Amour  incline  la 
jeunesse  à  chanter  sur  la  lyre.  Cela  serait  d'un  goût  terriblement 
moderne,  qui  ferait  douter  que  les  peintures  fussent  bien  antiques. 
—  Quelques  erreurs  d'impression  :  p.  334,  ^^  bas,  lire  le  au  lieu  de 
la\  p.  374,5.  V.  Hartwig,  lire  ^riec/iz5c/ze;2  au  lieu  de  griechischn; 
p.  409,  s.  V.  Minotaure,  lire  487  au  lieu  de  387. 

Henri  Lechat. 


Kritische  Beitraege  zu  Jacques  Milets'  dramatischer  Istoire  de  la  des- 
truction de  Troye  la  Grant,  par  (3ustav  Hakpki:.  Marburg.  \.  Ci.  llhveit,  1891). 
Un  vul.  in-8  de  140  pages. 

Cette  étude  sur  le  mystère  de  la  Destruction  de  Troye  forme  le 
96»  fascicule  de  la  collection  relative  à  la  philologie  romane,  qui  se 
publie  sous  la  direction  de  M.  Siengcl.  Elle  se  divise  en  deux  parties. 
Dans  la  seconde  (p.  63-125),  M.  Haepke  fait,  par  rapport  à  rédition 
princeps,  un  relevé  des  variantes  qu'offrent  les  quatre  principaux 
manuscrits  'il  avait  classé  au  préalable  tous  ceux   qui  >oni  actutUe- 


I  1  2  REVUE  CRITIQUE 

ment  connus,  au  nombre  d'une  douzaine)  :  ce  travail,  autant  qu'on  en 
peut  juger  sans  avoir  les  pièces  sous  les  yeux,  paraît  fait  avec  soin  et 
doit  être  exact  dans  ses  détails.  Quant  à  la  première  partie  de  l'opus- 
cule, elle  consiste  en  une  étude  sur  la  langue  et  la  métrique  du  mys- 
tère :  l'auteur  y  présente  d'abord  quelques  remarques  de  phonétique, 
relatives  surtout  à  Ve  féminin,  puis  relève  certains  traits  caractéris- 
tiques de  la  flexion  pronominale  et  verbale.  Ce  sont  les  observations 
sur  la  syntaxe  qui  ont  reçu  le  plus  large  développement,  et  il  ne  faut 
pas  nous  en  plaindre,  car  nous  avons  là  une  bonne  contribution  pour 
la  période  moyenne  de  la  langue,  et  notamment  ce  milieu  du  xv^  siè- 
cle encore  insuffisamment  exploré.  Dans  sa  courte  introduction, 
M.  H.  s'est  aussi  posé  une  question  non  résolue,  et  s'est  demandé  d'où 
était  originaire  Jacques  Milet,  l'auteur  de  la   Destruction  de  Troye. 

II  suppose  qu'il  était  de  l'Est,  et  c'est  bien  possible.  J'avoue  cependant 
que  les  preuves  linguistiques  alléguées  à  l'appui  de  cette  opinion  ne 
sont  ni  très  nombreuses,  ni  très  convaincantes.  Que  lignie  ait  été 
employé  pour  ligniée,  voilà  évidemment  une  forme  qui  n'appartient 
pas  à  la  France  centrale  :  mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  maisnie  pour 
maisniée  y  était  devenu  d'un  usage  courant.  J'en  dirai  autant  des 
quelques  cas  où  les  singuliers  «o,  vo,  sont  employés  à  la  place  de 
nostre,  vostre,  et  aussi  des  deux  exemples  de  f  pour  tu  devant  une 
voyelle.  La  forme  fieulx  rem  plaçant  ^/{,  est  peut-être  à  elle  seule  plus 
probante  que  le  reste.  Mais  tout  cela,  si  je  ne  me  trompe,  nous  repor- 
terait plutôt  à  la  région  picarde:  est-ce  là  ce  que  l'auteur  a  voulu  dési- 
gner par  V2id]ec\\^  ostfran\oesischen? Qno'x  qu'il  en  soit,  cett^  question 
de  l'origine  de  Jacques  Milet  me  paraît  rester  encore  pendante  :  il  est 
vrai  qu'elle  était  accessoire;  l'essentiel  était  d'étudier  le  texte  d'une 
façon  précise,  et  c'est  ce  qu'a  fait  M.  Haepke. 

E.    BOURCIEZ, 


L'idée  de  la  durée  par  rapport  aux  verbes  et  aux  substantifs  verbaux  en 
français  moderne,  par  H.-B.  Romberg.  Gœteborg,  Wald.  Zachrissons,  1899. 
Un  vol.  in-i2de  1 55  pages. 

Cet  opuscule  est  une  thèse  soutenue  l'an  passé  devant  l'Université 
de  Lund  :  on  ne  voit  pas  trop  le  but  que  s'y  est  proposé  l'auteur,  et  à 
vrai  dire  il  ne  l'indique  nulle  part  d'une  façon  bien  nette.  Il  part  d'une 
distinction  des  verbes  en  deux  grandes  classes,  ceux  qui  marquent 
une  action  déterminée  (c'est-à-dire  à  terme  fixe),  ceux  qui  marquent 
une  action  indéterminée  (susceptible  de  se  prolonger)  :  c'est  à  peu  près 
celle  que  Meigret  esquissait  déjà,  au  milieu  du  xvi"  siècle,  pour  expli- 
quer la  valeur  exacte  des  formes  passives.  M.  Romberg,  lui,  semble 
avoir  voulu  examiner  comment  s'exprime  en  français  la  circonstance 


d'histoire  et  de  littérature  I  I  3 

de  temps  avec  ces  deux  classes  de  verbes  :  il  trouve  que  dans  le  pre- 
mier cas  c'est  à  l'aide  de  la  préposition  en,  dans  le  second  à  l'aide  de 
pendant  ou  mots  équivalents.  A  la  règle  ainsi  posée  il  admet  du  reste 
toutes  sortes  d'exceptions,  et  il  est  bien  forcé  de  reconnaître  qu'il  y  a 
des  verbes  qui  flottent  entre  les  deux  classes  sans  appartenir  nettement 
à  aucune.  Après  cela,  il  s'occupe  de  la  construction  telle  qu'elle  a  lieu 
avec  les  substantifs  verbaux,  et  termine  par  des  considérations  sur  les 
déterminatifs  répondant  à  la  question  «  pour  combien  de  temps  ». 
Toutes  ces  analyses  sont  subtiles,  je  ne  le  nie  pas  :  à  mon  avis,  elles  le 
sont  même  trop.  Surtout,  ce  qui  m'effraie  un  peu,  c'est  cette  méthode 
qui  consiste  à  placer  in  abstracto  les  faits  linguistiques  et  à  ne  tenir 
aucun  compte  des  antécédents  :  car,  enfin,  c'est  dans  le  français  mo- 
derne que  s'est  enfermé  M.  Romberg,  ou  pour  mieux  dire  dans  celui 
du  xix«  siècle  'je  n'ai  relevé  en  dehors  de  cela  que  cinq  ou  six  exemples 
empruntés  à  Voltaire  et  à  Racine  .  J'avais  déjà  remarqué  des  ten- 
dances analogues  dans  une  thèse  sur  l'Analyse  du  langage  publiée  il 
y  a  deux  ou  trois  ans  à  Upsal,  par  M.  Cari  Svedelius.  Et  certes,  nous 
devons  être  très  reconnaissants  aux  Suédois  du  zèle  qu'ils  déploient  à 
explorer  les  parties  encore  obscures  de  notre  syntaxe  française  :  ils  y 
apportent  beaucoup  de  pénétration  et  d'ingéniosité.  Mais  il  ne  faudrait 
pas  non  plus  que,  par  des  voies  détournées,  on  nous  ramenât  tout 
doucement  vers  cette  «  grammaire  générale  »  chère  aux  logiciens  du 
xviiie  siècle  et  aux  idéologues  qui  ont  suivi.  Que  deviendrait  alors  la 
méthode  historique,  en  dehors  de  laquelle  il  n'y  a  point  de  salut,  et 
qui  doit  être  appliquée  à  étudier  le  groupement  des  mots  dans  une 
langue  donnée,  aussi  légitimement  qu'à  y  rechercher  l'évolution  des 
sons  et  des  formes  ? 

E.    BOURCIEZ. 


Bernardin,  Hommes  et  mœurs  au  dix-septième  siècle,  in- 12.   36o  p..  Paris. 

Société  française  d'imprimerie  et  de  librairie,  1900. 

M.  Bernardin  réunit  en  ce  volume  un  certain  nombre  d'articles  ou 
de  conférences  qu'il  a  consacrés  à  quelques  figures  curieuses  du 
xvii=  siècle.  Les  personnages  dont  il  nous  entretient  —  le  médecin 
Charles  de  l'Orme,  Nicolas  Faret,  l'aventurier  Zaga-Christ,  le  para- 
site Montmaur,  le  chevalier  de  l'Hermite-Soliers,  le  duc  Henri  II  de 
Lorraine  —  ne  sont  pas  de  ceux  dont  la  postérité  s'occupe  beaucoup, 
mais  précisément  parce  qu'ils  sont  fort  oubliés,  ils  gardent  dans  une 
étude  littéraire  tout  l'imprévu  et  tout  le  pittoresque  qu'ont  depuis 
longtemps  perdu  les  héros  célèbres.  M.  Bernardin  conte  leurs  aven- 
tures avec  agrément,  en  un  style  vif  et  alerte  qui  convient  très  bien  à 
l'exhibition  de  ces  menues  silhouettes  qui  n'ont  d'autres  rôles  à  jouer 
dans  l'histoire  que  de  paraître  et  disparaître  après  l'avoir  égayée  un 


I  14  REVUE   CRITtQUË 

instant.  On  n'a  guère  à  lui  reprocher  qu'une  manière  un  peu  superfi- 
cielle de  les  étudier  et  surtout,  un  déplorable  abus  de  ficelles  dramati- 
ques qui  nuit  singulièrement  à  la  valeur  historique  de  ses  narrations. 

Raoul  RosiÈRRs. 


Ch.   Renolvier,  Victor  Hugo,  le  philosophe,  in- 12,  37S  p.  Paris,  A.  Colin,  1900. 

Il  était  jadis  de  mode  parmi  les  détracteurs  d'Hugo,  de  soutenir 
qu'il  était  incapable  de  penser  et  même  de  trouver  une  seule  idée  qui 
fut  bien  à  lui.  La  thèse  a  beaucoup  faibli  depuis  lors.  Déjà,  il  y  a  une 
dizaine  d'années,  M.  Jules  Lemaitre  s'était  vu  obligé  de  reconnaître 
qu'il  y  avait  au  moins  trois  ou  quatre  thèmes  différents  dans  l'œuvre 
d'Hugo.  Depuis  on  en  a  découvert  d'autres.  On  a  enfin  compris  qu'il 
était  fort  injuste  d'exiger  d'un  poète  les  systèmes  philosophiques 
complets  qu'on  ne  réclame  d'ordinaire  qu'aux  philosophes,  mais  que 
si  la  qualification  de  penseur  convenait  à  quiconque  avait  médité  sur 
de  nombreux  problèmes,  Hugo  était  certainement  un  des  poètes  fran- 
çais qui  pouvait  le  mieux  y  prétendre.  Et  voici  enfin  aujourd'hui 
qu'un  philosophe,  M.  Renouvier,  consacre  tout  un  volume  à  étudier 
Hugo  comme  philosophe. 

C'est  peut-être  cette  fois  dépasser  le  but.  Hugo,  était  surtout  poète 
et  lorsque  séduit  par  quelque  pensée  métaphysique,  il  la  mettait  en 
vers,  il  ne  songeait  nullement  à  élaborer  un  système  et,  son  poème 
fait,  passait  volontiers  à  une  autre  pensée  toute  différente.  Aussi  M.R. 
commentant  successivement  toutes  ses  poésies  y  trouve-t-il  un  pèle- 
méle  étonnant  de  doctrines  diverses  qu'il  serait  bien  difficile  de  con- 
centrer en  une  doctrine  quelque  peu  arrêtée.  Il  le  voit  tantôt  platoni- 
cien, tantôt  pythagoricien,  ici  d'accord  avec  Epicure,  là  se  rapprochant 
de  Kant,  ailleurs  orphiste  ou  brahmane.  Ce  n'est  pas  assez  sans  doute 
pour  en  faire  un  philosophe,  mais  c'est  assurément  plus  qu'il  n'en  faut 
pour  affirmer  qu'il  a  formulé  un  très  grand  nombre  d'idées  et  qu'en 
somme  il  a  beaucoup  pensé. 

Ce  qui  manque  d'ailleurs  un  peu  à  M.  R.  pour  établir  stirement  sa 
thèse,  c'est  la  connaissance  des  sources  d'inspiration  du  poète.  Ce 
n'était  pas  toujours  une  méditation  acharnée  qui  fournissait  à  Hugo 
le  sujet  d'un  poème,  mais  souvent  la  lecture  inopinée  de  quelque 
vieux  livre  oublié  qu'il  s'avisait  de  vouloir  refaire  à  sa  manière.  Il  me 
semble  fort,  à  maints  rapprochements  de  détails  que  je  n'ai  pas  le  loisir 
de  poursuivre  ici,  qu'il  a  du  tirer  l'idée  de  la  Fin  de  Satan  de  la 
Seconde  semaine  de  Du  Bartas.  Et  je  suis  plus  certain  encore  que 
son  Ane^  n'est  qu'une  refonte  à  la  moderne  du  De  vanitate  Scentiarum 
de  Cornélius  Agrippa  qui  déniontre  avec  une  dialectique  toute  pareille, 
l'inanité  des  conclusions  fournies  par  les  savants  sur  toutes  les  ques- 


d'histoire  et  de  littérature  ii5 

tions  de  philosophie  et  de  morale,  et  se  termine  par  un  éloge  iden- 
tique de  la  toute-sagesse  de  l'àne.  Dès  que  son  imagination  est  mise 
en  branle  par  un  sujet  qui  Ta  séduite,  elle  le  médite  et  l'approfondit, 
sans  se  demander  s'il  est  d'une  logique  irrécusable  ou  s'il  s'accorde 
avec  d'autres  sujets  traités  quelques  pages  auparavant,  et  elle  le  con- 
vertit en  un  admirable  rêve  de  poète.  Ce  n'est  pas  là  une  œuvre  de 
rhéteur,  comme  on  se  plaisait  tant  à  le  dire  autrefois,  mais  très  réelle- 
ment une  œuvre  de  penseur,  car  il  médite  véritablement  lui-même 
l'idée  qui  l'a  frappé  et  refait  sans  le  savoir  les  raisonnements  de  Py- 
thagore,  de  Platon,  d'Epicure  et  de  Bouddha.  Seulement,  et  c'est  ici 
qu'il  n'est  plus  philosophe,  il  les  refait  une  à  une,  au  caprice  de  l'ins- 
piration, et  sans  se  soucier  de  les  concilier  entre  elles. 

Mais  si  M.  R.,  trop  philosophe  pour  ne  pas  voir  de  la  philosophie 
partout,  a  exagéré  notablement  la  puissance  philosophique  d'Hugo, 
il  en  a  tout  au  moins  vu  très  exactement  la  nature.  «  L'homme  que 
V.  Hugo  appelle  le  Songeur,  écrit-il,  et  qui  remarquons  le  n'est  pas  le 
même  que  le  Penseur^  est  celui  qui  s'exalte  à  la  pensée  des  inconnus, 
des  possibles  que  l'imagination  se  peut  peindre  réels  dans  l'ordre  de 
la  création.  C'est  celui  qui  contemple  le  mystère,  est  saisi  de  l'hor- 
reur sacrée,  sent  l'immensité  lui  monter  à  la  tête...  Il  a  fortement  senti 
les  problèmes  supérieurs  de  la  vie  et  de  la  destinée,  c'est  incontestable  : 
fortement,  et  mieux  ou  plus  réellement,  que  tels  philosophes  qui  se 
flattent  de  les  avoir  compris  et  résolus...  Là  où  il  nous  paraît  le  plus 
manifestement  avoir  manqué  'de  raison,  nous  devons  trouver  l'occa- 
sion d'admirer  le  plus  la /brce  déraison  qui  a  permis  à  cet  homme 
d'une  imagination  sans  bornes,  de  résister  à  l'obsession  des  idées 
délirantes  qui  subjuguèrent  l'esprit  de  son  frère  Eugène,  et  qui  durent 
à  certains  moments  le  hanter  lui-même  ».  Voilà  l'idée  juste  qu'il 
fallait  développer  seule  et  c'est  pour  ne  s'y  être  pas  tenu  queM.Renou- 
vier  a  écrit  un  livre  un  peu  long,  un  peu  diffus  et  d'une  critique  con- 
testable en  bien  des  points.  Mais  il  nous  a  du  moins  rendu  le  service 
de  résumer  très  nettement  les  différentes  théories  philosophiques 
d'Hugo  et  de  montrer  ainsi  les  prodigieuses  facultés  méditatives  de 
son  génie. 

Raoul  Rosières. 


—  Aujourd'hui  que  le  remaniement  de  nos  circonscriptions  territoriales  préoccupe 
de  bons  esprits,  il  n'est  pas  vain  de  rappeler  combien  a  été  laborieuse  et  souvent 
artificielle  la  formation  des  départements,  ce  dont  fournit  un  convaincant  témoi- 
gnage l'intéressante  brochure  de  M.  D.M.\TER{Formation  du  département  du  Cher... 
Lettres  de  M.  Salle  de  Chou,  membre  de  l'Assemblée  Nationale  et  de  M.  Dumont 
delà  Cliarnaye  ijSg-go,  Bourges,  Sire,  1899.  io3  p.  2  cartes).  Dans  la  correspon- 
dance des  deux  hommes  de  confiance  qui  négocièrent  la  constitution  du  dépar- 
tement se  révèle  la  lutte  des  intérêts  traditionnels  souvent  respectables  contre  la 


Il6  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

raison  géographique.  Le  département  n'englobe  pas  La  Charité,  située  sur  la  rive 
droite  de  la  Loire  pour  ■<  une  misérable  raison  de  position  géographique  ».  Il  est 
vrai  que  l'on  invoque  le  plus  souvent  pour  asservir  des  localités  la  facilité  des 
communications.  Il  tallut  créer  de  nombreux  districts,  pour  donner  satisfaction  aux 
villes  «  toutes  ayant  intérêt  à  se  procurerun  établissement  public,  à  cause  des  avan- 
tages qui  le  suivent  ordinairement  ».  Qui  donc  parle  de  supprimer  les  sous-pré- 
tectures  et  les  petits  tribunaux?  —  B.  A. 

—  Le  livre  de  M.  E.  Josset.^I  travers  nos  Colonies,  Livre  de  lectures.  Paris, Colin, 
igoo,  vi-343  p..  i5  cartes  et  cartons,  200  gravures,  est  d'un  véritable  pédagogue 
au  sens  le  meilleur  du  mot;  rien  qui  rappelle  la  sécheresse  didactique  du  Manuel 
ou  Précis.  C'est  une  série  de  leçons  familières  et  animées,  professées  par  un  oncle 
à  ses  neveux  qui  expriment  leurs  curiosités  et  ne  craignent  pas  d'interroger  leur 
professeur,  et  celui-ci  ne  laisse  point  passer  sans  explication  ou  commentaire  un 
seul  terme  insolite  pour  ses  jeunes  auditeurs;  aussi  a-t-il  donné  un  petit  lexique 
où  figurent  non  seulement  quelques  noms  géographiques  mais  des  vocables  de 
la  langue  courante  (p.  ex.  aqueduc,  arable,  etc.);  il  pratique  aussi  l'enseignement 
par  l'image,  et  le  cours  est  illustré  de  vues  nombreuses  dont  beaucoup  sont  accom- 
pagnées d'une  courte  légende.  Nous  ne  savons  si  les  jeunes  lecteurs  auxquels  cet 
instructif  volume  est  destiné,  se  laisseront  «détourner  de  tant  de  carrières  encom- 
brées et  orienter  vers  le  commerce,  la  marine,  les  colonies  ».  Ce  qui  est  certain, 
c'est  qu'ils  en  tireront  des  notices  justes  et  saines  sur  notre  empire  colonial.  — 
B.  A. 

—  Était-il  bien  utile  qu'après  l'ouvrage  de  M.  J. -Charles  Roux,  M.  P. -A.  Schayk 
écrivit  un  opuscule  sur  VÉtat  et  la  Marine  marchande  française  (Paris,  Fonte- 
moing  1900,  198  p.)?  La  partie  statistique  n'est  ni  neuve,  ni  suggestive;  l'auteur 
néglige  de  mettre  en  vedette  l'élément  le  plus  décisif  en  la  matière,  la  part  mari- 
time du  commerce  français  :  le  taux  ressort  en  Allemagne,  comme  on  sait,  à 
56  0/0.  Les  chapitres  relatifs  à  la  législation  constituent  plutôt  un  exposé  analy- 
tique qu'un  commentaire  critique  :  le  plus  souvent  l'auteur  invoque  l'opinion 
d'autrui,  notamment  des  orateurs  parlementaires.  A  ce  propos,  on  lui  reprochera 
de  n'avoir  donné  que  des  références  sommaires  ou  incomplètes.  II  conclut  avec 
la  plupart  des  hoinmes  compétents  au  rétablissement  de  la  demi-prime.  Il  pro- 
teste contre  les  excès  de  la  politique  protectionniste  et  nationaliste  qui  stérilisent 
les  efforts  de  notre  commerce  maritime.  —  B.  A. 


ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  20  juillet  igoo. 

L'Académie  se  forme  en  comité  secret. 

M.  Salomon  Reinach  communique  une  note  sur  le  v.  743  du  livre  VI  de  l'Enéide  : 
Qinsquc  suos  patimiir  mânes.  11  montre  que  ce  vers  a  été  mal  interprété  dès  le  pre- 
mier siècle  et  que  le  contre-sens  commis  dans  les  écoles  et  consistant  à  traduire 
mânes  par  supplicia,  a  eu  pour  etlet  que  Stace,  imitateur  de  Virgile,  a  employé  le 
mot  mânes  dans  une  acception  qu'il  ne  peut  avoir.  Cette  erreur  s'est  perpétuée 
dans  les  lexiques  modernes. 

Léon  Dorez. 

Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 
Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnet,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N"  33  —  13  août  —  1900 


ZiMMERN,  Contribulions  à  la  connaissance  de  la  religion  babylonienne,  II.  —  Price, 
Les  grands  cylindres  de  Goudéa.  —  Delbrûc:;,  Syntaxe,  111.  —  Nicole  et  Morel, 
.'Archives  militaires  du  i"''  siècle. —  Eckei,,  Charles  le  Simple.  —  Zanetti,  La  loi 
-  de  Coire.  —  Lanore,  La  cathédrale  de  Chartres.  —  La  Mantia,  Coutumes  des 
villes  de  Sicile.  —  Cléjient,  Henri  Estienne  et  son  œuvre  française.  —  La  Ser- 
viÈRE,  Le  Père  Porée.  —  Le  développement  historique  des  gymnases  saxons.  — 
Kron,  La  méthode  Gouin.  —  Maguire,  Géographie  militaire.  —  Hauser,  Les 
colonies  allemandes.   —  Lettre  de  M.  Waliszewski  et  réponse  de  M.  Legras. 


I.  Beitrâge  zur  Kenntnis  der  Babylonischen  Religion  von  Dr  Heinrich 
Zimmern  ;  zweite  Lieferung,  Ritualtat'eln  fur  den  Wahrsager,  Beschwôrer  und 
Siinger;  erste  Hâlfte.  Leipzig,  Hinrichs,  1899,  in-4,  pp.  81-128,  pi.  XXI-XXXIX. 

II.  The  great  cylinder  iuscriptions  A  and  B  of  Gudea  by  Ira  Maurice  Price. 
■    Part  I  Text  and  sign-list.  Leipzig,  Hinrichs,  1899;  ^'^'41  v-iii   pages. 

I.  Le  nouveau  fascicule  de  Touvrage  considérable  auquel  M.  Zim- 
mern a  donné  le  titre  de  «  contributions  à  la  connaissance  de  la 
religion  babylonienne  »  comprend  la  première  partie  d'une  étude 
consacrée  aux  tablettes  cunéiformes  de  la  collection  de  Kouyundjik 
ayant  le  caractère  de  rituels.  Ces  textes  s'appliquent  à  trois  catégories 
de  prêtres  :  le  devin  (barû),  l'exorciste  (ashipu)  et  le  chantre  (zammaru). 
La  livraison  actuelle  ne  comprend  encore  que  les  textes  ayant  trait 
à  la  divination.  Sur  les  25  tablettes  de  ce  type  qu'à  l'aide  du  catalogue 
de  Bezold,  M.  Z.  a  pu  grouper,  23  appartiennent  à  divers  exemplaires 
d'un  même  rituel  :  le  rapprochement  des  différents  fragments  permet 
une  restitution  partielle  de  ce  long  et  important  document.  Deux  ta- 
blettes n'ont  pu  être  rattachées  à  cette  série  :  l'une  d'elles  (le  n°  24) 
est  particulièrement  intéressante  par  la  mention  qui  y  est  faite  d'un 
certain  En-me-dur-an-ki,  roi  de  Sippar,  évidemment  identique,  ainsi 
que  le  suggère  M.  Z.  au  septième  roi  de  la  dynastie  préhistorique  de 
Berosc . 

La  transcription  et  la  traduction  des  textes  ont  été  établies  avec  la 
précision,  l'exactitude  et  la  rare  science  qu'on  pouvait  attendre  d'un" 
ûssyriologue  aussi  parfaitement  compétent  que  l'est  M.  Zimmern. 
Sur  un  petit  nombre  de  points  des  améliorations  de  détail  pourraient 
être  proposées.  Ainsi  n^*^  1-20,  1.  46  dans  une  liste  d'offrandes  com- 
prenant miel,  huile,  dattes,  etc.  rigurent  trois  signes   que  M.  Z.   lit 

Nouvelle  série  L.  -^3 


I  l8  REVUE    CRITIQUE 

se  ir-qii  et  qu'il  traduit  par  «  gruncs(?)  »  (irqu  de  arâqu).  Ne  pourrait- 
on  plutôt  considérer  ces  signes  comme  formant  un  idéogramme  com- 
plexe identique  à  (GISH)  SHE-IR-QU  qui,  sur  un  vocabulaire  du 
musée  de  Consiantinople  (S  21  Rev.  6,  cl.  ZAVIII,  p.  198]  est  expli- 
qué par  shar-ru-u  (espèce  de  fruit  ou  de  plante  '  ?)  Ibid.,  1,  44,  M.Z. 
transcrit  :  a-du  3  akalu  (?]  24  larakkas  (-kas).  Or  les  traces  du  signe 
transcrit  a,Vrt/z/  se  réfèrent  difficilement  à  GAR  (=  akalu).  De  plus  la 
présence  de  ce  terme  entre  les  deux  chitl'res  3  et  24  s'explique  mal. 
Il  est  plus  vraisemblable  d'admettre  qu'on  ait  ici  un  chirtVe  fraction- 
naire tel  que  4-,  t  •  Ce  qui  confirme  cette  manière  de  voir,  c'est  qu'à  la 
ligne  précédente  la  lecture  24  n'apparaît  pas  comme  possible  (en  effet, 
le  chiffre  4  est  sur  ces  textes  écrit  comme  le  signe  GAR).  Je  propose- 
rais pour  ce  passage  la  restitution  suivante:  «tu  disposeras  trois  tables 
et  sur  chaque  table  tu  placeras  28  pains  de  façon  qu'il  y  ail  trois  fois 
et  demi  24  pains  pour  les  trois  tables  ».  Ainsi  le  nombre  requis  serait 
84,  soit  la  combinaison  des  deux  nombres  7  et  12  (7  X  12;. 

L'introduction  mérite  d'être  particulièrement  signalée  :  M,  Z.  y  a 
rassemblé  les  faits  susceptibles  de  caractériser  le  rôle  respectif  du 
devin,  de  l'exorciste  et  du  chantre.  Ces  quelques  pages  ne  sont  pas 
seulement  précieuses  à  consulter  pour  Thistoire  de  la  religion  baby- 
lonienne; elles  offrent,  en  outre,  par  l'interprétation  qu'on  y  trouve 
de  certains  termes  techniques,  un  grand  intérêt  au  point  de  vue 
lexicographique. 

II.  La  publication  des  grands  cylindres  de  Goudéa  nécessitait  un 
long  travail  de  copie  qu'il  faut  savoir  gré  à  M.  Ira  Price  d'avoir  entre- 
pris et  mené  à  bien.  J'éprouve  un  vrai  plaisir  à  signaler  cet  ouvrage 
auquel  il  est  aisé  de  prédire  le  meilleur  accueil.  Je  souhaite  que  M.  P. 
ne  nous  fasse  pas  trop  attendre  la  seconde  partie  annoncée,  qui  doit 
contenir  la  transcription  et  la  traduction  des  deux  inscriptions  repro- 
duites dans  le  présent  volume. 

La  copie  que  M.  P.  nous  donne  des  deux  cylindres,  est  établie  avec 
soin  et  parait  exacte  dans  son  ensemble.  Néanmoins  quelques 
lectures  prêtent  à  discussion  '  et  il  y  aurait  au  sujet  de  la  liste  de 


1 .  L'absence  de  she  sur  l'un  des  textes  parallèles  démontre  (à  moins  de  supposer 
une  erreur  de  scribe]  que  she  est  ici  déterminaiif. 

2.  Voici,  par  exemple,  un  certain  nombre  de  points  sur  lesquels  je  voudrais 
attirer  l'alteniion  de  M.  Price.  Cyl.  xV,  I,  1,  troisième  ligne  shir-fiir...  —  lli,  5 
bar  au  lieu  de  masli  —  i3  aucune  trace  de  {fish  —  \'l,  7  sixième  signe  =  shiib  — 
Vil,  17  giali-sliid  au  lieu  de  gisli-dub  —  Vlil,  i3  na  au  lieu  de  ki  —  X,  i3  premier 
signe  =  ti  —  X,  23  deuxième  signe  =  REC  n»  378  (et  non  tsi];  troisième  signe 
=  REC  no  3ûo  igiir)  —  XI,  23  ge  au  lieu  de  gjn  —  XII,  11  deux  premiers  signes 
=  iti  {shi-dub  et  non  slii-ra) —  21  ua  au  lieu  de  ki  —  22  idem  —  XIII,  12  qua- 
trième signe  =^  ge  —  21  quatrième  signe  =  iiini  —  XIV,  8  deuxième  signe  =  da 
—  Il  id  au  lieu  de  da  —  18  dïib  (REC  n°  373 j  au  lieu  de  edin  —  XV,  3  après  tiin- 
erin  lire  ki-nin-erin  —  14  au  lieu  de  ni-ba-al  lire  iish-e  —  X\'l,  3  Kir  {))  au  lieu 
de gish  —  XVII,  23   troisième  signe  =  hu-si    REC  n"  37^1  —  XVIII,  i   cinquième 


d'histoirç  et  de  littérature  1 19 

signes  qui  termine  le  volume  des  observations  à  présenter  '. 
Malgré  ces  inexactitudes  difficilement  cvitables  d'ailleurs  dans  une 
publication  de  cette  étendue,  l'ouvrage  de  M.  Price  constitue  une  base 
de  travail  très  suffisamment  sûre  et  solide.  J'espère  qu'il  sera  le  point 
de  départ  d'études  nouvelles  sur  ces  deux  importantes  inscriptions 
qui,  si  on  excepte  un  excellent  article  de  Zimmern  sur  le  songe 
raconté  dans  les  premières  colonnes  du  cyl.  A,  sont  restées  jusqu'ici 
presque  entièrement  inexpliquées. 

Fr.  Thureau-Dangin. 


Grundrissdervergleichenden  Grammatik  der  Indogermanischen  Sprachen 
von  Karl  Brugmann  und  Berthold  Delbrûck.  Fûnfter  Band  :  Syntax,  von  B. 
Delbrûck,  III  Theil  und  Indices  (Schluss  des  Werkes).  -r-  Strasbourg,  Trûbner, 
1900.  In-8,  XX-G08  pp,  Prix  :  ib.  mk.  ". 

C'est  avec  le  siècle  que  s'achève  cet  imposant  résumé  des  conquêtes 
scientifiques  du  siècle  dans  un  domaine  à  peu  près  inconnu  avant  lui. 
Il  s'achève  heureusement,  ainsi  qu'il  a  débuté  :  il  s'est  ouvert  sur  la 
phonétique  indo-européenne,  aujourd'hui  si  sûre  d'elle-même  et  de 
ses  lois,  qu'à  peine  une  science  exacte  peut  apporter  à  l'esprit  une 
satisfaction  plus  sereine  ;  il  se  ferme  sur  l'exposé  des  données  de  syn- 
taxe les  mieux  connues,  les  plus  fermes,  celles  qui  se  prêtent  le  moins 
aux  reconstructions  arbitraires  ou  hypothétiques,  et  le  moins  les 
exigent.  Ces  données,  l'auteur  les  a  poursuivies  et  analysées,  dans 
toutes  les  branches  de  l'indo-européen,  —  sauf  le  celtique,  exclu 
d'emblée,  —  avec  un  si  minutieux  souci  de  parfaite  exactitude,  que 
cette  partie  de  son  œuvre  au  moins  peut  être  considérée  dans  l'en- 
semble comme  définitive. 

Il  va  de  soi  que  je  ne  parle  pas  seulement  d'exactitude  matérielle. 


signe  =  gir-nun  (REC  suppl'  n"  i  .îq)  —  XX,  27  troisième  signe  =  se  (REC  n-^  1 38) 

—  XXI,  10  di  ;iu  lieu  de  ki  [sa-dug-ga]  —  XXII,  4cinquième  signe  =  g'e  —  XXIII^ 
8  na  au  lieu  de  ki  —  11  premier  signe  =  gir-nun  (REC  suppl'  n"  159)  —  2G  rien 
entre  mu  et  ni  —  XXIV,  22  si-ba  au  lieu  de  bji-ba  —  XXVI.  21  taÇi)  au  lieu  de  lai 

—  25  eme  au  lieu  de  ka  —  XXVII.  24,  2?  une  seule  case  au  lieu  de  deux  — 
Cyl.  B,  VIll,  Il  premier  signe  =  shit  —  WW,  1  dernier  signe  =  dar  —XIV,  4 
sixième  signe  =  Ka  —  XVI,  14  troisième  signe  =  sig  —  ibid.  17  gu  au  lieu  de 
buv  —  XXII,  I  premier  sicne  =  a^ag  XXIII,  b"  deuxième  signe  =  fi/. 

1.  N"  24  correspond  seulement  à  us  —  n"  29  et.  REC  n»  U  —  W  38  deuxième 
forme  équivaut  non  à  vi  mais  à  nin  (REC  n»  294)  —  n<>94=  chitlrc  2  ^cf.  REC 
r,"  ^Hb)  —  n»  y5  Ci.  REC  suppl'  n»  127  —  w  144  dv.uxiènie  forme  =  n»  143  cf. 
REC  n»  198  —  n"  162  =  kayn  ^REC  n»  216^  —  n"  i85  =  dul  ;cf.  REC  suppl» 
n°  277  bis)  —  no  241  =  sal  1  (et.  Zimmern  Z.\  III,  p.  234;  —  n»'  3i9  et  322  (cette 
dernière  torme  légèrement  ditlérentc  sur  l'original;  sont  peut-être  identiques  à 
REC   n°  437   (Br.   n»   10242). 

2.  Cf.  Revue  critique,  XLV(i898n  p.  45. 


•iYo  RÊVtlE"  CRITIQUE 

•C'est  le  moîndre  mérite,  —  pourtant  énorme,  — de  cet  ouvrage  Volu- 
mineux, où  les  citations  de  diverses  langues  tiennent  tant  de  place. 
J'ai  relevé,  p.    1 18,   1.    17,  la  faute  d'impression  thathêti  pour  tathêti 
•fsk.),  et  p.  160,  1.  19,  un  mot  grec  a^aaTocpôpuxTo;,  qui   doit  être  lu,  je 
suppose,  -o'jp-ro;.  Les  citations  de  la  p.  igB  (Chàndôgyôpanishad)  sont 
•particulièrement  maltraitées  :  l'apostrophe  qui  manque  devant  J^y^fa 
(1.  8  du  bas)  est  venue  se   placer  indûment  un  peu  plus  loin  devant 
dhanusha^  et  à  la  même  ligne  on  lit  Tinintelligible  <iyatanam  pour 
âyamanam.  Enfin,  p.  224,  1.  19,  le  mot  qui  signifie  «  les  supérieures  et 
les  inférieures  »  est  naturellement  iittarddhards,  et  il  n'en  coûtait  rien 
de  l'accompagner  d'une  référence  complète  :  Çat.-Br.  V.  3.4.  21   ". 
L'exactitude  des  traductions  n'est  point  en  cause  non  plus.  Sans 
doute.  Je  ne  les  contresignerais  point  toutes  ;  mais  M.  Delbruck  n'a 
■pas   écrit  son  livre  pour  faire  œuvre  d'exégèse  védique,  et  force  est 
bien  de  laisser  tomber   la  controverse  lorsqu'elle  ne  touche  pas  au 
fond  même  de  la  question  de  syntaxe  débattue,  à  plus  forte  raison 
lorsqu'elle  porterait  sur  ce  qui  ne  semble  qu'un  simple  lapsus,  comme 
tydsj'ai  (p.  45)  rendu  par  «  dir  »,  ou  saptd  (p.  142)  par  «  viel  ».  Pour- 
tant c'est  à  regret  qu'on  rencontre  des  sens  qu'on  pouvait  croire  défi- 
nitivement condamnés  et  que  l'autorité  de  M.   D.   risquerait  de  réha- 
biliter pour  un  temps  :  ajd  n'a  que  faire  de  signifier  a  Treiber  »  (p.  100 
et    170),   et  c'est  déjà  bien  assez  qu'on  ait  à  choisir  entre  les  deux 
-traductions  «  bouc  »  et  «  non-né  »,  qui  font  calembour,   sans  qu'on 
les  surcharge  encore  de  cette   complication  inutile  et  encombrante  ; 
ailleurs  (p.    3oi),    dans   la  séquence    énigmatique    de   Dîrghatamas, 
M.  D.  lui-même  écrit  «  des  Ungeborenen  »  et  nous  voilà  d'accord 
sur  le  mot,  sinon  sur  la   stance,  que  j'ai  traduite  tout  différemment, 
-Avec  autant  de  certitude,  je  crois,  qu'on  en  peut  apporter  à  la  solution 
d'une   énigme  ^  Cette   dernière  divergence  touche  à  la  syntaxe,  en  ce 
que,  pour  moi,  ckam  ici  est  accusatif,  et  j'en  ai  pour  preuve  1'  «  anti- 
thèse védique   »   évidente  avec   shash  (R.   V.    L    164.   6).    Voici    qui 
l'intéresse  de   plus  près.   R.  V.  X.  37.   9,  M.  D.  traduit  dhndhnd  par 
«  de  jour  en  jour  »  ;  mais,  outre  qu'une  «  innocence  »  ne  peut  pas  être 
«  meilleure  »  qu'une  autre,  le  concept  de  l'innocence  étant  de  sa  nature 
absolu  \  le    parallélisme   de  la  répétition  indique,  à  n'en  pas  douter, 
que  dhndhnd,  doit  se  construire  avec  vdsyasd-vasyasd  et  qu'il  faut 
comprendre:  «  Lève-toi  pour  nous,  ô  Soleil,  avec  l'innocence,  avec 
un  jour  chaque  fois    meilleur  que   le   jour    précédent.   »  De  même 
:R.  V.  in.  5.    10  (p.  248)  iittamô  rôcandndm  est  un  médiocre  exemple 
de  l'accord  du  superlatif  avec  le  sujet,  attendu  qu'on  peut  parfaitement 


1.  P.  180,  1.  8,  Vi  est  de  trop  dans  dryakriti.  "  • 

2.  Voir  mon  Athavva-Véda,  \'11I-1X,  p.   108  (st.  7)  et  146. 

3.  Cet  argument  est  peut-ctrc  de  natiiie  trop  logique  pour  la  langue  des  Védas  ; 
mais  le  suivant  est  irréfragable.  \'oir  atissi  :  Bcrgaigne,  Quarante  Hymnes,  p.  64. 


d'histoire  et  de  littérature  I  2  I 


considérer  iittamù  comme  isolé  «  le  suprême  »  et  faire  dépendre  rôca-t 
lidndm  de  nàkam  «  la  voûte,  des  splendeurs  =  le  ciel  »  '  :  bien  plus 
probant  était  sd  dêvdtànàm  ékô  bhavati  Çat.  Br.  III.  i.  i.  lo,  où  éka 
joue  un  rôle  de  superlatif. 

L'objet  du  livre  est  la  syntaxe  de  coordination  :  dans  un  premier 
chapitre,  qui  est  le  xxxv^  de  l'ouvrage  entier,  l'auteur  précise  et  divise 
sa  matière. 

Le  chapitre  xxxvi  traite  du  sujet  et  du  prédicat,  unis  ou  non  par  la 
copule.  On  peut  s'étonner,  vu  la  nationalité  de  l'auteur,  qu'aux 
exemples  du  type  ad  duo  milia  capiiintur  (p.  lo)  il  n'ait  pas  cru  devoir 
ajouter  le  mhd.  \e  dri^ic  tûsent  marken  tpart  den  armen  gegeben, 
très  curieux  en  ce  qu'ici  le  verbe  est  au  singulier.  P.  19,  on  regrette 
l'absence  du  vers  d'Horace  :  mediocribus  esse  poetis. ... 

Au  chapitre  xxxvii®  (propositions  sans  sujet),  je  crois  constater  que 
M.  D.  (p.  28),  sans  d'ailleurs  me  nommer,  et  en  partant  d'exemples 
différents  des  miens,  est  entièrement  d'accord  avec  moi  '  sur  le  type 
de  phrase  préhistorique  d'où  est  sortie  la  tournure  accusativus  ciim 
infinitivo.  Encore  un  problème  dont  la  solution  est  désormais  acquise. 

Dans  l'étude  de  la  place  respective  des  mots  (ch.  xxxviii),  je  relève 
(p.  48)  une  jolie  métaphore,  et  plus  vraie  qu'il  n'est  d'usage  pour  les 
métaphores  :  «  Les  particules  sont  les  vallées  qui  unissent  en  les 
séparant  les  cimes  du  discours.  »  M.  D.  enseigne  que,  si  ces  particules 
sont  entièrement  atones,  le  verbe  indo-européen  ne  l'était  pas,  mais 
affectait  une  tonalité  inférieure  à  la  moyenne  :  d'où  son  enclitisme 
subséquent  ;  il  repousse  dès  lors  les  conclusions  de  M.  Wackernage'l 
sur  le  caractère  primitif  de  la  position  du  verbe  en  germanique  (p:  83): 
C'est  dommage,  car  elles  étaient  fort  séduisantes  :  je  ne  crois  pas,  en 
effet,  qu'elles  cadrent  avec  la  majorité  des  faits  constatés  ;  mais  peut-- 
être parviendra-t-on  à  en  sauver  quelque  chose.  Je  comprends  moins 
bien,  je  l'avoue,  pourquoi  M.  D.  écarte  l'identification  lat.  igitur  == 
agitiir(p.  66)  :  le  faitque  les  plus  anciens  documents  qui  contiennent 
igitur  le  placent  en  début  de  phrase,  me  paraît  presque  négligeable, 
un  simple  caprice  du  hasard  ;  et  l'exemple  de  licet,  scilicet  et  autres 
suffit  à  montrer  avec  quelle  facilité  une  forme  verbale  a  assumé  en  latin 
la^fonctiofl  de  conjonction. 

Le  ch.  xxxix  traite  de- l'ellipse.  Celle  du  sk.  kim  bahund  me  paraît  se 
résoudre  au  rnieux  par  la  restitution  dQcaritavyam  (p.  i23)  :  comparer 
le  sens  usuel  et  technique  de  la  locution  vdcd  car.  Celle  du  verbe  de 


1.  Bergaignc-Henry,  Manuel  Védique,  p.  61.  —  Le  mot  rki'aii  ne  signifie  pas 
«  singend»(p.  i3i),  mais  «  mit  Versen  vcrschcn  »  ;  la  nuance  n'est  pas  sans  valeur. 
—  Ibid.,  je  crois  avoir  démontré  {Me'm  Soc.  Ling.,  X,  p.  85=  Vcdica  III  12)  que 
maliishd  ne  signifie  jamais  que  «  buffle  ».  —  Le  sens  "  mouche  "  pour  admasdd, 
(p.    168)  a  été  établi  par  M.  Geldncr,  Vedische  Studien,  II,  p.  179.         • 

2.  La'  Proposition  injimtive  (Etudes  de  Syntaxe  comparée,  I),  in  Revue  de 
Linguistique,  XXU   (1889),  p.  33. 


122  REVUE  CRITIQUE 

mouvement  est  largement  représentée  (p.  i  25)  dans  la  poésie  allemande 
la  plus  populaire  comme  la  plus  élevée  :  woher  so/rtieh,  wo  ane  scho, 
Her  Morgestern,  enanderno  ?  (Hebel). 

La  composition  des  mots  (XL)  est  un  chapitre  de  la  syntaxe,  surtout 
lorsqu'on  en  déduit  les  origines  à  la  façon  de  M.  Jacobi.  Il  est  vrai 
que  M.  D.  t'ait  ses  réserves  (p.  162)  sur  les  théories  de  son  collègue  de 
Bonn.  Sa  principale  objection  contre  elles  parait  être  que  les  mots  en 
composition  retîètent  une  nuance  de  sens  différente  de  celle  de  leur 
juxtaposition  syntactique,  et  il  en  donne  çà  et  là,  notamment  p.  204, 
de  bien  délicats  exemples.  Rien  n'est  plus  juste  ;  mais  c'est  aller  trop 
loin,  et  presque  jusqu'à  la  pétition  de  principe,  que  d'écrire  ^p.  140) 
que  la  composition  ne  se  serait  pas  développée  si  la  juxtaposition 
syntactique  avait  suffi  à  l'expression  adéquate  de  la  pensée  ;  car  la 
question  est  précisénient  de  savoir  si  le  premier  procédé  n'est  pas  pri- 
mordial, ou  au  moins  de  beaucoup  antérieur  au  second.  Tout  bien 
pesé,  la  thèse  de  M,  Jacobi  ne  me  semblerait  excessive  que  si  elle 
aboutissait  à  nier  l'existence  des  propositions  relatives  en  indo-euro- 
péen. Mais  je  ne  crois  pas  que  telle  soit  sa  pensée  :  il  y  a  eu  une  phase 
desubordination  sans  signes  extérieurs,  puis  une  phase  de  subordina- 
tion marquée  par  des  pronoms  relatifs  et  des  conjonctions  ;  et  celle-ci 
était  déjà  assez  avancée  lorsque  s'est  opérée  la  scission  ethnique,  en 
sorte  qu'elle  a  prévalu  et  que  la  seconde  n'a  subsisté  qu'à  l'état  de 
survivance  et  sous  forme  de  composition  nominale  '. 

Dans  le  chapitre  de  l'accord  (XLl),  je  note  que  mon  explication 
purement  analogique  et  grammaticale  des  pluriels  neutres  sanscrits 
purû  et  similaires^  (p.  243),  encore  qu'elle  ait  été  traversée  depuis 
par  les  théories  beaucoup  plus  profondes  et  compréhensives  de  M.  J. 
Schmidt  sur  le  pluriel  neutre  indo-européen,  n'en  est  pas  infirmée,  si 
l'on  ne  les  admet  en  bloc,  ce  que  M.  D.  n'est  point  disposé  à  faire: 
purû  est  altéré  du  régulier  purû. 

La  contamination  (XLII),  ce  facteur  essentiel  de  toute  syntaxe,  ne 
donne  pourtant  matière  qu'à  peu  d'observations,  par  la  raison  fort 
légitime  qu'il  n'est  guère  de  contamination  proprement  dite  qu'on  soit 
autorisé  à  faire  remonter  jusqu'à  la  phase  proethnique. 

1.  Parmi  les  trouvailles  de  l'auteur,  je  n'en  s;iis  guère  de  plus  élégante  que 
rexplication  (p.  17?)  de  l'expansion  du  type  dlianamjaj'd,  et,  en  général,  de  la 
composition  syntactique  en  sanscrit  :  à  raison  du  caractère  uniforme  du  vocalisme 
sanscrit,  beaucoup  de  premiers  termes  de  composés  (soit  vâsôvâyd),  quoique 
n'ayant  que  la  forme  thématique  pure,  donnaient  l'illusion  d'un  accusatif  ;  une 
fois  l'accusatif  entré  par  cette  porte  dans  le  système  de  la  composition,  les  autres 
cas  suivirent.  —  En  revanche,  pourquoi  s"obstinc-t-il  h  considérer  le  type  sanscrit 
pitânialid,  (p.  218)  comme  une  singularité  déconcertante  ?  J'en  ai  dit  un  mot  ici 
même  (Rev.  dit.,  XXX,  p.  82),  et  à  propos  de  l'ouvrage  auquel  il  renvoie.  Ne 
lit-il  pas  les  comptes  rendus  de  ses  œuvres  ?  Ou  ma  solution  lui  at-elle  paru  trop 
sommaire  ?  Il  pouvait,  en  tout  cas,  la   mentionner  sans   se  compromettre. 

2.  Le  Nominatif-Accusatif  pluriel  neutre  dans  les  Langues  Indo-Europe'ennes 
(Esquisses  morphologiques,  IV,)  in  Muséon,  VI  (1887),  p.  558. 


d'histoire  et  de  littérature  123 

XLIII.  —  Propositions  interrogatives.  —  J'ai  déjà  dit  qu'à  mon 
sens  le  ne  interrogaiif  latin  n'est  pas  une  simple  particule  de  renfor- 
cement (p.  263),  mais  la  négation  ellc-mcme  :  en  d'autres  termes,  la 
tendance  proethnique,  conservée  par  les  Latins  et  par  les  modernes, 
consistait  à  poser  la  question  sous  la  forme  néf^ative  lorsqu'on  atten- 
dait une  réponse  affirmative,  et  réciproquement.  Lat.  ^;z,  au  contraire, 
ne  signiHant  que  «  etwa  ^>  (p.  270),  rien  absolument  n'empêche  de 
l'assimiler  à  l'àv  du  grec. 

Après  une  courte  étude  des  propositions  prohibitives  (XLIV),  M.  D. 
aborde  la  matière  indéfinie  des  propositions  relatives,  où  il  distingue  : 
le  type  âryo-grec  (XLV),  où  l'indice  de  relation  est  *  yô-  et  dérivés  ; 
le  type  germanique  (XLVI),  où  d'autres  thèmes  pronominaux  con- 
courent avec  lui  ;  le  type  italique  et  Jetto-slave,  où  le  pronom  inter- 
rogaiif fait  fonction  de  relatif  (XLVll).  Chacun  de  ces  métaplasmes 
syntactiques  est  analysé  en  détail  avec  la  plus  ingénieuse  pénétration. 
Il  est  seulement  fâcheux  que  l'équation  got.  ei  =  i.  e.  "yôd^  si  satis- 
faisante au  point  de  vue  sémantique  (p.  347),  manque  de  soutien 
phonétique  :  non  pas  qu'elle  soit  impossible,  témoin  i-  e.  *  kerdhyos 
devenu  got.  hairdeis,  dont  M.  D.  ne  parle  pas  ;  mais  Justement  il 
faudrait  imaginer  la  Juxtaposition  dans  laquelle  *  j''6d  aurait  été  pré- 
cédé d'une  syllabe  lourde,  et  je  n'en  vois  pas  le  moyen,  puisqu'il  était 
initial  ou  ne  pouvait  avoir  que  *  tôd  pour  antécédent. 

Si  je  ne  m'arrête  pas  davantage  sur  ces  i5o  pages,  y  compris  le 
chapitre  final  fparataxe  et  hypotaxe),  c'est  qu'il  faut  se  borner  et  qu'un 
compte  rendu  rapide  n'en  apprendrait  rien  au  lecteur.  Ai-Je  besoin 
d'ajouter  que,  si  complet  que  soit  l'exposé  en  tant  que  syntaxe  indo- 
européenne, il  n'exclut  pas,  il  appelle  au  contraire  les  monographies 
futures,  et  leur  trace  la  marche  à  suivre  ?  Par  exemple,  les  particula- 
rités très  variées  et  complexes  de  la  construction  hellénique  par  la  con- 
jonction V.  ne  figurent  point  ici,  et  à  bon  droit,  puisqu'elles  sont  exclu- 
sivement helléniques  ;  mais  chacune  d'elles,  probablement,  était  en 
germe  dans  quelque  construction  indo-européenne,  et  toutes  méritent 
au  mc-ins  d'être  explorées  à  ce  point  de  vue  :  ce  que  je  constate,  non 
pour  reprocher  une  lacune  à  M.  Delbrùck,  —  encore  une  fois  ce 
n'était  pas  là  son  sujet,  -  mais  pour  ne  pas  laisser  croire  aux  Jeunes 
linguistes  que  «  tout  soit  dit  et  qu'ils  viennent  trop  tard  ». 

Les  quatre  index  (op.  45  1-606),  des  mots,  des  matières,  des  passages 
cités  et  des  noms  d'auteurs,  se  réfèrent,  bien  entendu,  à  tout  l'ouvrage. 
Le  troisième  ne  renvoie  qu'à  trois  textes  :  pour  le  sanscrit,  le  Rig- 
Véda  ;  pour  le  grec,  Homère  ;  pour  le  latin,  Plaute.  C'est  tout  ce  qu'il 
faut  :  un  relevé  intégral  n'eût  fait  qu'allonger  le  livre  et  retarder  la 
publication,  presque  inutilcincnt.  Dans  le  dernier,  je  signale  l'omis- 
sion du  nom  de  M.  d'Arbois  de  Jubainvillc,  cité  au  tome  III,  p.  74. 

V.    Henry. 


I  34  REVUE    CRITIQUE 

J.  Nicole  et  Ch.  Morel,  Archives  militaires  du  I"  siècle.  Genève,  H.  Kûndig 
et   Paris,  E.  Leroux,  igoo,   in-t'ol.,    ^^4  pages  cl  planches. 

MM.  Nicole  et  Morel  ont  eu  parfaitement  raison  de  publier  à  part 
le  papyrus  du  Fayoum  qu'ils  nomment  Archives  militaires  du  r""  siècle^ 
non  pas,  comme  ils  le  disent  parce  que  le  format  de  la  collection 
intitulée  Les  papyrus  de  Genève,  qu'ils  font  paraître  concurremment, 
eût  été  trop  petit  pour  le  fac-similé  —  il  eût  suffi  de  plier  la  planche 
une  fois  de  plus  —  mais  parce  que  le  document  mérite  une  mention 
toute  particulière.  Et  c'est  pour  cela  que,  bien  qu'ayant  l'occasion 
d'en  parler  ailleurs  avec  quelque  développement,  Je  tiens  à  en  donner 
aux  lecteurs  de  la  Revue  une  analyse  sommaire. 

Ce  papyrus  contient  non  pas  une,  mais  cinq  pièces  distinctes.  La 
première  renferme  les  comptes  de  deux  soldats,  sans  doute  des  légion- 
naires. Les  recettes  se  composent  uniquement  de  la  solde  payée  en 
3  fois,  suivant  l'usage,  ets'élevant  en  tout  à  744  drachmes  (la  question 
est  de  savoir  la  valeur  de  ces  drachmes).  Les  dépenses  consistent  en 
sommes  rendues  à  l'Etat  pour  les  vivres  et  les  vêtements,  en  un  dépôt 
de  4  drachmes  fait  ad  signa  et  en  une  cotisation  payée  pour  fêter  les 
Saturnales.  En  outre,  il  est  fait  mention  des  économies  déposées  par 
les  soldats  pour  grossir  leur  peculiwn  castrense.  La  pièce  date  de  la 
3^  année  du  règne  de  Domitien. 

Une  seconde  pièce  nous  fait  connaître  les  missions  militaires  con- 
fiées à  quatre  personnages  différents;  les  dates  où  chaque  mission 
commence  et  finit  sont  soigneusement  notées.  Les  uns  étaient  chargés 
d'aller  chercher  du  blé  dans  des  endroits  spécialement  mentionnés  ; 
d'autres,  de  l'argent;  d'autres,  de  faire  fabriquer  du  papier;  d'autres 
enfin  de  coopérer  à  la  police  du  Nil  ou  de  diriger  des  travaux  exécu- 
tés sur  le  fleuve. 

Ces   deux  pièces   occupent  le  recto  du  papyrus.  Une  place  restait 
blanche  dans  le  bas  à  gauche  ;  on  s'en  servit  ultérieurement  pour  écrire 
une  liste   de  quatre   noms  précédés  d'une  date  consulaire  relative  au' 
xve  consulat  de  Domitien.  On   ne  peut  dire  quelle  était  la  portée  de 
cette  partie  du  document. 

Le  verso  est  occupé  par  deux  pièces.  En  premier  lieu  on  y  lit  une 
liste  de  neuf  soldats  dispensés  du  service  courant  (vacantes),  mais 
chargés  de  fonctions  spéciales  qui  expliquent  la  dispense  accordée 
aux  soldats.  Ce  sont  des  sous-officiers  ou  des  ouvriers  d'art  ;  l'un  est 
nommé  supranumerarius.  La  dernière  pièce  est  d'un  intérêt  autrement 
plus  considérable.  Elle  présente  un  tableau  de  service  pour  trente-six 
soldats  pendant  dix  jours,  les  dix  premiers  jours  du  mois  d'octobre. 
Les  noms  des  soldats  occupent  la  i'"  colonne  verticale,  chaque  jour 
étant  représenté  par  une  des  colonnes  suivantes.  Les  noms  sont  séparés 
les  uns  des  autres  par  une  barre  horizontale.  Chacun  des  carrés  ainsi 
obtenus  est  rempli  par  un  ou  plusieurs  mots  ou  groupes  de  lettres, 


d'histoire  et  de  littérature  12  5 

qui  indiquent  Temploi  donné  au  soldat  aux  différent  s  jours.  Malheu- 
reusement un  grand  nombre  de  ces  mots  sont  peu  lisibles  ou  appar- 
tiennent à  une  langue  spéciale  militaire  que  nous  ignorons.  C'est  ainsi 
qu'on  rencontre  plusieurs  fois  le  mot  ballio.  Il  est  tout  à  fait  regret- 
table que  le  document  le  plus  nouveau  par  son  contenu  soit  une 
suite  d'énigmes. 

MM.  Nicole  et  Morel  ont  commenté  ce  papyrus  avec  beaucoup 
de  science  et  une  grande  ingéniosité.  Ils  sont  les  premiers  à  avouer  que 
la  plus  grande  partie  des  solutions  qu'ils  ont  proposées  sont  tout  à 
fait  provisoires. 

R.  Gagnât. 


Auguste  EcKFL.  archiviste  paléographe,  élève  diplômé  de  l'Lcolc  Jcs  Hautes  Études. 
—  Charles  le  Simple  (forme  le  124*  fascicule  de  la  Bibliothèque  de  l'École  des 
Hautes  Études),  i  vol.  grand  in-8  de  xxii-168  pages.  Paris,  Bouillon,  1899. 

Après  les  Derniers  Carolingiens  de  M.  Lot  et  le  roi  Eudes  de 
M.  Favre,  le  Charles  le  Simple  de  M.  Eckel  vient  prendre  rang  dans 
la  série  des  Annales  de  r  histoire  de  France  à  l'époque  carolingienne. 
M.  E.  a  dédié  son  livre  à  la  mémoire  de  son  maître,  M.  Arthur  Giry, 
si  prématurément  enlevé  en  novembre  1899  à  l'affection  de  ses  élèves 
et  de  ses  amis  ainsi  qu'à  l'estime  du  monde  savant.  On  sait  que  le 
regretté  défunt  avait  eu  l'idée  et  pris  la  direction  de  cette  importante 
publication  des  Annales,  où  il  devait  lui-même  donner  une  histoire  du 
règne  de  Charles  le  Chauve. 

La  tâche  qu'avait  à  remplir  M.  E.  ne  laissait  pas  que  d'être  ma- 
laisée. Si,  en  effet,  les  premières  et  les  dernières  années  de  Charles  le 
Simple  nous  sont  assez  bien  connues,  grâce  à  des  sources  telles  que 
\cs  Annales  VeJastini,  les  Chroniques  de  Réginon  et  de  Flodoard,  il 
n'en  va  pas  de  même  de  la  période  intermédiaire,  sur  laquelle,  faute 
de  documents  contemporains,  nous  ne  savons  presque  rien.  En  outre, 
il  se  trouvait  que  le  début  et  la  hn  du  règne  de  Charles  avaient  été  au 
cours  de  ces  dernières  années  l'objet  d'études  minutieuses.  En  écrivant 
la  biographie  du  roi  Eudes,  M.  Favre  avait  forcément  raconté  la  lutte 
que  l'ancien  comte  de  Paris,  élu  en  888  roi  de  France,  avait  eu  à  sou- 
tenir quelques  années  plus  tard  contre  Charles,  l'héritier  légitime  de 
la  couronne.  D'autre  part,  les  premières  pages  de  la  monographie  du 
roi  Raoul,  par  M.  W.  Lippert,  étaient  consacrées  aux  événements  qui 
précédèrent  l'usurpation  du  trône  par  le  gendre  de  Robert,  c'est-à- 
dire  à  la  révolte  de  ce  même  Robert  et  de  nombreux  seigneurs  français 
contre  l'autorité  de  Charles  le  Simple. 

Toutefois,  deux  points  importants  restaient  à  traiter,  les  plus  im- 
portants même  du  règne  de  Charles;  nous  voulons  dire  la  concession 
aux  Normands  des  territoires  de  la  basse  Seine  et  l'acquisition  de  la 
Lorraine. 


126  REVUE  CRITIQUE 

Nous  ne  possédons  par  malheur  que  des  renseignements  incom- 
plets, peu  précis  et  peu  exacts,  sur  ces  deux  événements,  considérables 
en  eux-mêmes,  et  dont  le  premier  était  gros  de  conséquences  pour 
l'avenir.  Dans  quelles  conditions  se  sont-ils  produits,  c'est  ce  que  ne 
nous  apprend  aucun  auteur  contemporain.  Dudon  de  Saint-Quentin 
nous  a  laissé  force  détails  sur  l'établissement  des  Normands  dans  la 
région  qu'arrose  la  Seine  inférieure  ;  mais  outre  que  cet  historien 
n'avait  pas  été  le  témoin  des  faits  qu'il  raconte,  il  les  tenait  d'un  per- 
sonnage qui  avait  intérêt  à  les  embellir,  le  comte  Raoul  d'Ivry,  frère 
utérin  de  Richard  I^^, 

Le  récit  de  Dudon  a  par  conséquent  un  caractère  légendaire  nette- 
ment marqué.  Il  peut  contenir,  il  renferme  même  très  certainement 
une  parcelle  de  vérité,  mais  comment  la  dégager,  cette  parcelle,  com- 
ment la  distinguer  des  inexactitudes  ou  des  fictions  qui  l'entourent? 
M.  E.,  dont  on  ne  saurait  trop  louer  la  prudence  et  l'esprit  critique, 
a  su  opérer  lé  triage  des  faits  que  ses  sources  lui  fournissaient,  indi- 
quer, d'une  part,  ceux  qui  lui  paraissaient  ne  pouvoir  être  contestés, 
d'autre  part,  ceux  qui  étaient  ou  simplement  probables,  ou  douteux, 
ou  enfin  complètement  faux. 

Si,  au  début  du  x«  siècle,  les  expéditions  de  pillage  entreprises  par 
les  Normands  à  travers  la  France  avaient  cessé  d'être  fructueuses,  en 
raison  et  de  la  résistance  qu'opposaient  les  seigneurs  et  de  la  misère 
qui  désolait  les  provinces  du  royaume,  Charles,  d'autre  part,  ne 
disposait  pas  de  forces  suffisantes  pour  chasser  les  pirates  des  régions 
voisines  de  l'embouchure  des  grands  fleuves  où  ils  avaient  établi  leur 
résidence'.  Dans  ces  conditions,  ne  valait-il  pas  mieux  pour  le  roi  se 
résigner  à  faire  la  part  du  feu,  accepter  le  fait  accompli,  reconnaître 
aux  Normands  la  possession  des  contrées  qu'ils  occupaient,  en  les 
obligeant  d'ailleurs  à  embrasser  le  christianisme,  à  s'abstenir  désor- 
mais d'incursions,  enfin  à  protéger  le  pays  contre  ceux  de  leurs  com- 
patriotes demeurés  païens  qui  tenteraient  de  le  dévaster?  Ce  fut  l'avis 
de  Charles,  et  l'événement  prouva  qu'il  avait  eu  raison.  Pourtant  les 
précédents,  car  il  y  en  avait,  n'étaient  pas  favorables  à  ce  projet,  sédui- 
sant au  premier  abord.  Bien  avant  Charles  le  Simple,  Lothaire  I®"", 
Lothaire  II,  Charles  le  Gros,  avaient  abandonné  une  partie  de  la  Frise 
à  des  chefs  normands  convertis.  Le  résultat  n'avait  nullement  répondu 
aux  espérances  de  ces  princes.  Les  Normands,  sans  nul  souci  du 
baptême  qui  leur  avait  été  conféré,  ni  des  engagements  qu'ils  avaient 
pris,  commirent  toutes  sortes  de  violences  dans  les  provinces  dont  on 

i.Ce  sont  les  fidèles  des  seigneurs,  M.  Eckel  a  raison  de  le  dire  (pp.  71-72) 
qui  constituent  à  eux  seuls  les  armées  de  celte  époque.  Si  les  grands  se  montrent 
empressés  à  repousser  une  invasion  qui  menace  directement  leurs  domaines,  ils 
font  par  contre  la  sourde  oreille  aux  prières  du  roi,  trop  faible  pour  donner  des 
ordres,  quand  il  s'agit  d'entreprendre  une  expédition  lointaine,  dont  ils  n'espèrent 
retirer  aucun  avantage. 


d'histoire  et  de  littérature  127 

leur  avait  confié  Tadministration  :  ils  allèrent  même  jusqu'à  tolérer, 
sinon  à  encourager,  les  incursions  et  les  ravages  de  bandes  de  pirates 
venus  de  la  Scandinavie.  On  tinit  par  renoncer  à  un  système  qui  pré- 
sentait plus  d'inconvénients  que  d'avanigges. 

Il  réussit  pourtant  sur  les  bords  de  la  Seine.  Rollon  et  ses  compa- 
gnons se  montrèrent  plus  fidèles  à  leurs  serments  que  ne  l'avaient  été 
Heriold,  Roric  ou  Godfrid.  Le  pays  qui  leur  avait  été  concédé  re- 
trouva une  tranquillité  et  une  prospérité  que  depuis  longtemps  il  ne 
connaissait  plus.  En  somme,  les  résultats  obtenus  prouvent  que 
Charles  fit  preuve  de  sagesse  en  concluant  la  paix  avec  Rollon.  Le 
désir  de  laver  ce  prince  des  reproclies  injustes  que  lui  avait  valus  un 
acte  fécond  en  heureuses  conséquences  n'a  d'ailleurs  pas  entraîné 
M.  E.  à  tomber  dans  l'excès  contraire.  Toujours  mesuré,  l'auteur  n'a 
eu  garde  d'exagérer  les  mérites  de  son  héros,  de  saluer  en  lui  un  pro- 
fond politique,  qui  aurait  vu  loin  dans  l'avenir. 

Indépendamment  des  motifs  qui  poussèrent  le  roi  et  le  pirate  à 
s'entendre,  bien  des  questions  se  posent  à  propos  de  l'arrangement  que 
Charles  et  Rollon  conclurent  à  Saint-Clair-sur-Epte.  M.  E.  leur  a 
consacré  un  examen  attentif. 

La  plus  importante  est  relative  aux  conditions  de  l'accord.  Quels 
sont  les  territoires  concédés  par  le  roi  de  France  aux  Normands  ? 
Quels  engagements  Rollon  a-t-il  pris  vis-à-vis  du  roi?  L'historien 
moderne  ne  peut  qu'avec  une  extrême  difficulté  donner  de  réponse 
nette  et  précise  :  comment,  en  effet,  démêler  la  vérité  à  travers  les 
légendes  qu'a  recueillies  Dudon  de  Saint-Quentin? 

Peut-être  faudrait-il  distinguer,  c'est  là  une  ingénieuse  conjecture  de 
M.  E.  (pp.  76-78),  entre  les  territoires  que  Charles  reconnut  formelle- 
ment à  Rollon  par  le  traité  de  Saint-Clair-sur-Epte,  et  ceux  que  le 
chef  normand  occupait  déjà  et  dont  il  resta  le  maître  après  91 1,  bien 
que  la  possession  ne  lui  en  eût  pas  été  confirmée. 

Charles  a-t-il  inféodé  la  Bretagne  à  Rollon  ?M.  E.  ne  le  pense  pas 
(pp.  78-79),  le  fait  n'étant  rapporté  que  par  Dudon.  On  peut  cependant 
objecter  à  M.  E.  que  la  cession  de  la  Bretagne  n'est  pas  plus  invrai- 
semblable que  celle  delà  Flandre,  admise  par  lui.  Si,  pour  se  venger 
du  comte  Baudouin  II,  Charles  a  voulu  donner  la  Flandre  aux  Nor- 
mands, pourquoi  n'aurait-il  pas  pu  tout  aussi  bien  leur  offrir  ensuite 
la  Bretagne?  Remarquons  qu'il  n'exerçait  en  fait  aucune  autorité  sur 
cette  province  :  le  cadeau  ne  lui  coûtait  donc  rien.  Comme  du  reste 
les  Bretons  n'auraient  pas  été  plus  disposés  à  subir  la  domination  de 
Rollon  que  celle  du  roi  de  France,  celui-ci  créait  à  son  nouveau  vassal 
une  occupation,  qui  l'aurait  détourné  de  reprendre  ses  courses  de  pil- 
lage à  travers  le  royaume.  Ainsi,  l'octroi  de  la  Bretagne  aux  Normands 
ne  présentait  que  des  avantages  pour  le  donateur. 

M.  E.  rejette  avec  raison  la  fable  rapportée  par  Dudon  du  mariage 
de  Rollon   avec  Gisèle,  fille  de  Charles  le  Simple  (pp.  79-83).  Cette 


128  REVUE    CRITIQUE 

princesse  n'aurait  pu  avoir  en  91 1  que  quatre  ans  tout  au  plus,  puis- 
que c'est  en  907  que  sa  mère  Frédérone  épousa  le  roi  de  France. 

D'après  M.  E.  (pp.  87-88)  les  Normands  n'auraient  pas  attribué  la 
même  portée  que  les  Français.à  l'arrangement  de  Saint-Clair-sur-Epte. 
Pour  les  premiers,  c'aurait  été   simplement  la  consécration  légale  de 
leur  occupation  de  fait.  Par  contre,  les  Français  auraient  estimé  que 
Rollon  avait  acquis  à  titre  bénéficiaire  Rouen  et  les  comtés  voisins  de 
cette  ville,  que  par  suite  il  était  astreint  à  certaines  obligations  vis-à- 
vis  de  Charles.  Il   nous  semble  hors  de  doute  que  le  chef  normand  a 
prêté  au  roi  serment  de  fidélité,  et  promis  de  lui  rendre  les  services  ordi- 
naires d'un  vassal  en  retour  de  la  cession  territoriale  qui  lui  était  faite. 
Existe-t-il,  comme  le  pense  l'auteur  (p.  74),  une   corrélation  entre 
l'accord  de  Charles  avec  les  Normands  de  la  Seine  et  l'acquisition  par 
ce  prince  du  royaume  de  Lorraine  ?  La  chose  ne  manque  pas  de  vrai- 
semblance. Toutefois,  pour  se  montrer  nettement  affirmatif,  il  faudrait 
tout  d'abord  savoir  de  quelle  façon,  à  quel  moment  précis,  avant  ou 
après  la  mort  de  Louis  l'Enfant,  Charles  a  été  appelé  en  Lorraine  par 
les  seigneurs  de  ce  royaume.  Les  Lorrains  sont-ils  devenus,  du  vivant 
même  de  Louis  qu'ils   auraient  abandonné,  les  sujets  de  Charles,  ou 
ont-ils  au  contraire  attendu  —  pour  reconnaître  ce  dernier  prince  — 
que  le  fils  d'Arnulf  fût  descendu  dans  la  tombe?  Vu  la  façon  dont  les 
Annales  alamannici  présentent  le  fait,  on  peut  hésiter  entre  les  deux 
hypothèses,  M.  E.  nous  semble  avoir  trop  facilement   adopté  la  pre- 
mière, comme  s'il  n'y  en  avait  pas  d'autre  possible  (p.  94). 

Si  l'auteur  a  bien  mis  en  lumière  l'importance  qu'avait  pour  Charles 
la  prise  de  possession  de  la  Lorraine  (p.  97),  s'il  a  donné  une  explica- 
tion satisfaisante  (p.  97)  du  titre  de  rex  Francorum,  qui  figure  dès 
lors  dans  les  diplômes  de  Charles,  s'il  a  montré  (p.  95)  que  la  majorité 
des  Lorrains  resta  fidèle  à  son  nouveau  souverain,  nous  lui  reproche- 
rons de  n'avoir  pas  vu  que  la  Lorraine,  au  lieu  de  constituer  purement 
et  simplement  une  province  française,  avait  conservé  la  situation  de 
royaume  autonome,  que  déjà  elle  possédait  sous  le  règne  de  Louis 
l'Enfant  :  elle  garde,  en  effet,  sa  chancellerie  particulière,  distincte  de 
la  chancellerie  française. 

D'autres  questions,  telles  que  la  frontière  orientale  du  royaume  de 
Lorraine  (pp.  98,  100,  102,  io3),  la  nature  des  fonctions  exercées  par 
Régnier  (pp.  93  et  99),  les  familles  lorraines  apparentées  à  la  dynastie 
carolingienne  (p.  99),  auraient  mérité  de  la  part  de  l'auteur  un  exa- 
men plus  approfondi.  Il  y  avait  là  des  problèmes  délicats,  difficiles  à 
résoudre,  nous  le  reconnaissons,  mais  auxquels  M.E.  n'a  pas  donné 
une  attention  suffisante;  il  nous  semble  les  avoir  trop  vite  et  trop  som- 
mairement tranchés.  Mais  peut-être  nous  répondra-t-il  qu'il  avait  à 
écrire  les  Annales  du  règne  de  Charles  le  Simple,  et  non  une  histoire 
de  la  Lorraine  sous  la  domination  de  ce  prince. 
Enfin,  et  ce  sont  là  des  reproches  d'une  portée  plus  générale,  M  .  E. 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTERATURE  IlÇ) 

n'a  pas  suffisamment  mis  à  contribution  les  sources  diplomatiques, 
n'en  a  pas  tiré  tous  les  renseignements  qu'elles  lui  auraient  fournis  ; 
d'autre  part,  à  l'exemple  d'un  trop  grand  nombre  d'historiens,  il  a 
totalement  négligé  les  monuments  de  la  numismatique. 

M.  E.  s'est  montré,  soit  au  cours  de  sa  monographie,  soit  dans  sa 
conclusion,  un  appréciateur  équitable  de  Charles  le  Simple,  de  son 
caractère  et  de  sa  politique.  Sans  aller  aussi  loin  que  Borgnet,  qui 
avait  cru  devoir  prendre  le  contrepied  des  opinions  émises  par  les 
historiens  antérieurs,  M.  E.  prouve  qu'en  différentes  circonstances 
Charles  a  déployé  de  l'énergie,  de  l'habileté,  et  qu'il  ne  mérite  nul- 
lement les  reproches  ni  les  qualificatifs  infamants  que  la  postérité  a 
prodigués  à  sa  mémoire. 

Nous  avons  déjà  félicité  M.  Eckel  de  l'excellent  esprit  critique  qu'il 
apporte  à  l'interprétation  des  documents.  Le  style  de  l'ouvrage  ne 
mérite  pas  moins  d'éloges:  simplicité,  précision  et  clarté  en  sont  les 

qualités  principales. 

En  résumé,  l'œuvre  sérieuse  et  solide  de  M.  Eckel  mérite  de  rece- 
voir et  recevra,  nous  n'en  doutons  pas,  le  meilleur  accueil  de  tous  ceux 
qui  s'intéressent  à  l'histoire  de  l'époque  carolingienne. 

Robert  Parisot. 


G.  L.  Zanetti,  Lalegge  romana  retica  coirese  o  udinese,  Hœpli,  Milan,  1900 
(Studi  giurjdici  e  politici.  Universita  di  Pavia.  Istituto  di  esercitazioni  nelle 
scienze  giuridiche  e  sociali.  II).  i5i  p. 

Ce  mémoire  couronné  au  Concours  Cossa,  en  1897,  et  publié  en 
vertu  d'une  décision  de  l'Institut  juridique  de  Pavie,  s'ajoute  à  une 
littérature  déjà  fort  riche  au  sujet  de  cet  abrégé  de  la  Lex  romana 
Wisigothoriim  qui  s'appela  d'abord  Epitome  de  Saint-Gall,  puis  Loi 
d'Udine  et  qu'on  désigne  aujourd'hui  plus  volontiers  sous  le  nom  de 
Lex  romana  Curiensis,  Loi  de  Coire.  On  sait  quelle  est  l'importance 
de  ce  document  en  ce  qui  concerne  les  origines  du  régime  féodal.  Le 
malheur  est  qu'on  n'en  connaît  bien  exactement  ni  la  date  ni  la  patrie. 
Est-ce  un  texte  italien  ?  M.  Schupfer  l'a  soutenu  avec  beaucoup  de 
force;  mais  son  opinion  n'a  pas  prévalu.  M.  Z.  donne  un  bon  résumé 
des  arguments  qui  militent  contre  Schupfer.  La  découverte  récente 
(1897)  d'un  fragment  de  cet  abrégé  du  Bréviaire  d'Alaric  fournit  un 
motif  de  plus  à  ceux  qui  le  rattachent  à  l'ancienne  Rhetia  Curiensis. 
Ce  fragment  a  été  trouvé,  il  est  vrai,  à  la  Bibliothèque  ambrosienne, 
à  Milan  ;  mais,  s'il  faut  en  croire  MM.  Mercati,  Ceriani,  et  Patétta,  lé 
manuscrit  serait  suisse  et  non  italien.  Disons  en  passant  que  M.  Z.  a 
joint  à  son  mémoire  une  édition  du  fragment  ambrosicn  et  une  notice 
paléographique  due  au  savant  qui  l'a  découvert,  M.  Mercati.  — Quant 
à  la  date  dé  la  Loi.   M.    Zanetti  se    prononce    pôin  le    milieu    du 


l30  REVUE   CRITIQUE 

viii«  siècle  et  c'est  l'opinion  qui  prévaut  depuis  les  études  de  Zeumer. 
Ceux  qui  la  placent  au  ix«  siècle  sont  amenés  par  là  à  lui  donner  une 
tournure  féodale  qu'elle  est  loin  d'avoir  ;  c'est  ainsi  que  M.  Schupfer 
voit  dans  les  principes  dont  elle  fait  mention  des  comtes  déjà  à  moitié 
indépendants,  tandis  que  ce  sont  en  réalité  les  rois  francs  ;  M.  Z.  vou- 
drait en  faire  quelquefois  des  fonctionnaires  supérieurs,  mais  je  ne 
vois  pas  qu'il  réussisse  à  bien  établir  son  opinion.  Les  milites  de  la  L. 
Rom.  Ciir  ne  sont  pas  des  chevaliers  au  sens  féodal,  mais  ils  semblent 
pouvoir  servir  de  transition  entre  la  militia  du  Bas-Empire  et  le  vassus 
domnicus  des  Capitula  Remedii;  ils  deviendront  des  vassaux  plutôt 
qu'ils  ne  le  sont.  Ainsi  des  boni  homines  et  des  ciiriales  dont  le  rôle 
n'est  malaisé  à  fixer  que  parce  qu'il  est  peu  précis  à  cette  époque  de 
transition.  En  s'attachant  successivement  à  chacune  de  ces  questions 
sur  lesquelles  il  subsiste  encore  des  obscurités,  en  s'occupant  de 
quelques  autres  problèmes  comme  l'application  de  la  Loi  Falcidie,  le 
jus  naiifragii,  M.  Z.  poursuit  toujours  le  même  but  qui  est  de  com- 
battre les  idées  de  Schupfer.  Sa  dissertation  vaut  surtout  par  ce  côté 
critique,  mais  nous  devons  ajouter  qu'elle  doit  beaucoup  aux  écrits 
antérieurs,  en  particulier  à  ceux  de  Zeumer,  de  Salis,  de  Béguelin, 
qu'elle  n'a  pas  la  prétention  de  remplacer. 

J.  Brissaud. 


Maurice  Lanore.  Reconstruction  de  la  façade  de  la  cathédrale  de  Chartres 
au  XII<=  siècle.  Extrait  de  la  Revue  de  l'art  chrétien.  1899-1900.  2?  p. 

Un  jeune  archéologue,  M.  Maurice  Lanore,  vient  de  consacrer  àla 
façade  occidentale  de  la  cathédrale  de  Chartres  une, étude  conduite 
avec  la  méthode  la  plus  rigoureuse,  et  dont  les  conclusions  offrent  le 
plus  vif  intérêt. 

Il  établit  d'abord  que  le  clocher  du  nord,  qu'on  appelle  le  clocher 
neuf,  est  en  réalité  le  plus  ancien.  Il  fut  commencé  très  certainement 
après  l'incendie  de  1 1  34,  tandis  que  le  clocher  du  midi,  qu'on  appelle 
le  clocher  vieux,  ne  fut  entrepris  qu'après  i  145.  Les  preuves  que 
donne  M.  L.  sont  surtout  des  preuves  archéologiques,  et  ce  sont  les 
meilleures.  Il  compare  les  profils  des  bases  des  colonnes  engagées, 
des  arcatures,  des  ogives,  il  compare  les  chapiteaux,  et  il  conclut  à  l'an- 
tériorité du  clocher  du  nord. 

Il  va  plus  loin.  Non  seulement  le  clocher  du  nord  est  le  plus  ancien, 
mais  dans  la  pensée  des  architectes  qui  relevèrent  il  devait  être 
unique.  Ce  clocher,  en  effet  fet  c'est  une  des  plus  heureuses  décou- 
vertes de  M.  L.)  était  isolé,  et  s'élevait,  comme  le  clocher  de  Vendôme, 
plusieurs  mètres  en  avant  de  la  façade.  Ce  qui  le  prouve,  ce  sont  les 
fenêtres  encore  visibles  dans  la  partie  du  clocher  qui  se  trouve  main-. 


d'histoire  et  de  littérature  i3i 

tenant  enfermée  dans  l'église.  Ces  ouvertures  devenues  inutiles  ont  été 
bouchées. 

En  1 145,  l'évêque  de  Chartres,  Geoffroy  de  Lèves,  qui  avait  admiré 
les  travaux  entrepris  par  Suger  à  Saint-Denis,  et  qui  avait  assisté  à  la 
dédicace  delà  nouvelle  église  abbatiale,  conçut  un  grand  projet.  Il  Ht 
commencer  un  nouveau  clocher  au  midi,  puis,  faisant  abattre  la  vieille 
façade  de  la  cathédrale,  il  en  fit  élever  une  nouvelle  qui  vint  s'encadrer 
entre  les  deux  clochers.  C'est  alors,  et  non  pas  du  tout  en  1 1 94,  comme 
on  l'a  prétendu  récemment,  que  furent  exécutées  les  merveilleuses 
sculptures  que  nous  admirons  aujourd'hui.  Leur  analogie  avec  celles 
du  Mans  qui  furent  terminées  en  11  58,  et  avec  celles  de  Saint-Denis 
(que  nous  ne  connaissons  malheureusement  que  par  les  dessins  de 
Montfaucon)  est  frappante.  La  date  de  1 145  admise  par  Viollet- 
le-Duc  et  par  M.  Yôge  doit  donc  être  conservée.  Ce  qu'il  faut  ajouter, 
cependant,  c'est  qu'en  1 194,  pour  agrandir  la  nef,  la  façade  fut  avancée 
à  l'alignement  de  la  partie  antérieure  des  clochers  et  prit  alors  l'aspect 
que  nous  lui  voyons  aujourd'hui. 

Ces  constructions  successives  et  ces  remaniements  sont  exposés  par 
M.  L.  avec  une  clarté  parfaite.  Mais  son  principal  mérite  est  peut-être 
d'avoir  mis  en  pleine  lumière  les  rapports  de  l'évêque  de  Chartres 
Geoffroy  de  Lèves  avec  Suger.  11  devient  certain  maintenant  que  l'évê- 
que de  Chartres  s'inspira  de  l'œuvre  du  grand  abbé,  et  qu'il  fit  venir 
de  Saint-Denis  les  sculpteurs  qui  travaillèrent  au  portail  de  sa  cathé- 
drale. J'accepte,  pour  ma  part,  d'autant  plus  volontiers  toutes  ces 
déductions  de  M.  L.,  que  j'étais  de  mon  côté  arrivé  aux  mêmes  con- 
clusions en  étudiant  les  vitraux  qui  ornent  les  trois  grandes  fenêtres 
de  la  façade  occidentale  de  Chartres.  Ces  vitraux  ont  été  faits  par  des 
verriers  de  Saint-Denis  que  Geoffroy  de  Lèves  fit  venir  en  même 
temps  que  les  sculpteurs.  11  suffit  pour  s'en  convaincre  de  comparer  le 
vitrail  de  l'arbre  de  Jessé  de  Chartres  avec  les  parties  anciennes  de 
l'arbre  de  Jessé  du  vitrail  de  Saint-Denis  :  on  verra  que  les  deux  œu- 
vres sont  identiques.  Je  puis  donc  affirmer  à  M.  Lanore,  puisque  je 
vois  qu'il  élève  des  doutes  à  ce  sujet,  que  la  partie  de  la  façade  de 
Chartres  où  se  trouvent  les  trois  grandes  fenêtres,  est  bien,  comme  le 
portail,  de  i  145. 

On  commencera  bientôt  à  voir  nettement  cette  grande  vérité  qu'on 
avait  à  peine  soupçonnée  jusqu'à  présent,  que  le  grand  art  qui  va  s'épa- 
nouir à  la  fin  du  xii«  siècle  (architecture,  sculpture,  peinture  sur  verre) 
est  vraiment  né  à  Saint-Denis.  Tout  part  de  là.  La  vieille  basilique  qui 
a  contenu  toute  notre  histoire  a  porté  en  elle,  à  un  moment,  tout  notre 
art  national.  Quant  à  Suger,  il  apparaîtra  comme  un  des  plus  auda- 
cieux novateurs  qu'il  y  ait  dans  l'histoire  de  l'art. 

Emile  M.-^le. 


1-32  REVUE   CRITIQUE 

ViTo  La  Mantia,  Antiche  Consuetudini  délie  Città  di  Sicilia.  Païenne,  A.  Reber, 
1980.  — ccciv-356  p. 

En  dehors  de  quelques  publications  isolées,  nous  possédions  les 
vieilles  Coutumes  des  villes  de  la  Sicile  dans  une  édition  d'ensemble 
due  à  un  savant  allemand,  W.  von  Briinneck  {Siciliens  inittelalter- 
liche  Stadtrechte,  Halle,  Niemeyer,  1881,  lxv-383  p.).  Il  était  à  sup- 
poser que  ce  corps  des  coutumes  siciliennes  suffirait  pendant  long- 
temps aux  besoins  de  la  science.  Mais  dès  son  apparition,  l'édition  de 
M.  de  Briinneck  fut  vivement  critiquée  par  un  des  jurisconsultes  les 
plus  au  courant  de  Thisioire  du  droit  sicilien,  M.  Vito  La  Mantia. 
Dans  une  série  d'études  dont  il  aurait  dû  donner  la  substance  ',  car 
elles  sont  éparses  dans  des  recueils  peu  accessibles,  la  Legge,  1882, 
II,  279,  leFilangieri,  1882,  565,  etc.,  M.  V.  L.  M.  démontra  que  cette 
édition  était  inexacte  et  peu  sûre;  M.  de  Brunneck  n'avait  eu  connais» 
sance  ni  des  manuscrits  des  anciennes  coutumes  ni  des  plus  vieilles  édi- 
tions. C'est  pour  cela  qu'il  prit  le  parti  de  donner  lui-même  une  édi- 
tion plus  conforme  aux  exigences  de  la  critique.  Il  suffit  de  comparer 
le  volume  considérable  qu'il  publie  aujourd'hui  avec  celui  de  M.  de 
Brunneck  pour  voir  que  cette  édition  réalise  un  grand  progrès  sur  la 
précédente  ;  c'est  le  texte  définitif  des  Coutumes  siciliennes,  avec 
toutes  les  indications  sur  son  établissement,  avec  des  détails  sur  les 
manuscrits  et  les  éditions  antérieures,  que  nous  possédons  aujour- 
d'hui. Nous  n'avons  qu'un  regret  à  exprimer,  c'est  qu'il  ne  soit  pas 
accompagné  d'un  index  développé  permettant  d'utiliser  jusqu'aux  plus 
minimes  renseignements  fournis  par  ce  corps  de  lois.  Sauf  ce  deside- 
ratum, nous  nous  plaisons  à  reconnaître  le  mérite  de  cette  publication  ; 
la  filiation  des  coutumes  siciliennes  y  est  établie  ;  les  recherches  faites 
à  leur  sujet  paraissent  des  plus  consciencieuses  ;  à  moins  de  décou- 
verte imprévue  de  documents  nouveaux,  il  sera  malaisé  d'y  ajouter  et 
la  tâche  des  historiens  du  droit  devra  se  borner  à  utiliser  ce  recueil  de 
textes  ;  encore  se  trouve-t-elle  facilitée  par  les  travaux  antérieurs  de 
M.  Vito  La  Mantia. 

J.  Brissaud. 


I.  Peut-être  cependant  ce  reproche  n'est-il  pas  justifié,  au  moins  en  ce  qui  con- 
cerne les  critiques  de  détail,  car,  à  propos  de  chaque  Coutume,  M.  Vito  LaMantiane 
manque  pas  de  signaler  les  vices  de  l'édition  de  Brunneck.  Ainsi,  p.  ccxv,  il  affirme 
et  prouve  qu'Hartwig  qui  prétendait  reproduire  en  1867  Védiùon  princeps  des  Cou- 
tumes de  Messine,  1498,  s'attachait  en  réalité  à  une  édition  beaucoup  moins  bonne 
de  1796  ;  Brunneck,  en  1881 ,  s'en  est  tenu  à  la  publication  inexacte  de  Hartwig  et  y 
a  joint  de  nouvelles  erreurs. 


d'histoire  et  de  littérature  I  J3 

L,  -Clément,  Henri  Estienne  et  sou  œuvre  française.  Paris,  A.  Picard,  18^9^ 
un  vol.  gr.  in-8,  de  x-340  pages,  avec  trois  planches  hors  lexte. 

M.  Clément  a  public  Tan  passé  sur  Henri  Estienne  une  étude 
fort  intéressante,  et  avec  laqueUe  je  suis  bien  en  retard.  Le  livre 
heureusement  pouvait  attendre  :  construit  solidement  et  à  peu  près 
définitif  en  un  sens,  résultant  de  recherches  considérables  et  cons- 
ciencieuses, il  n'est  pas  de  ceux  qu'une  actualité  hâtive  emporte  dans 
son  tourbillon,  il  reste  aujourd'hui  ce  qu'il  était  hier.  L'auteur, 
comme  il  l'explique  dans  sa  préface,  n'a  pas  cherché  à  embrasser 
l'œuvre  entière  de  H.  Estienne  :  il  a  laissé  de  côté  l'helléniste,  et  se 
limitant  à  l'œuvre  française,  il  l'a  soigneusement  examinée  sous  ses 
divers  aspects,  et  a  réussi  à  nous  en  donner  une  vue  d'ensemble 
beaucoup  plus  complète  qu'on  ne  l'avait  fait  jusqu'ici.  L'introduction, 
(p.  1-77)  est  consacrée  à  la  biographie  d'Estienne  et  à  élucider  surtout 
les  points  qui  en  sont  restés  obscurs  :  nous  connaissions  déjà  les 
pièces  des  deux  grands  procès  qu'il  avait  subis  devant  le  Conseil  de 
Genève;  en  fouillant  à  son  tour  dans  ces  archives,  M .  C.  a  mis  la 
main  sur  les  pièces  d'un  troisième  procès  qui  se  rattache  aux  deux 
autres  et  les  éclaire.  Il  a  suivi  ensuite  Estienne,  autant  qu'on  peut  le 
faire,  dans  ses  pérégrinations  multiples  et  a  insisté  notamment  sur 
ses  séjours  à  la  Cour  de  France  pendant  le  règne  de  Henri  III.  Car  il 
n'y  a  pas  à  dire  —  et  ce  n'est  pas  une  des  moindres  ironies  de  cette 
époque  si  pleine  d'antithèses  —  le  roi  très  catholique  est  devenu,  à 
un  moment  donné,  le  protecteur  du  huguenot  qui  avait  écrit  ïApo- 
logie  et  le  Discours  merveilleux,  il  a  fallu  qu'il  le  défendît  contre  ses 
propres  correligionnaires,  contre  les  intolérances  d'un  esprit  étroite- 
ment sectaire.  Tout  cela  a  été  mis  ici  en  bonne  lumière.  ^ 

Dans  la  première  partie  du  livre,  celle  où  l'œuvre  française  est 
appréciée  littérairement,  on  rencontrera  aussi  des  chapitres  fort  inté- 
ressants, très  nourris  de  faits,  raisonnablement  pensés  et  écrits.  Ce 
qui  est  dit  par  exemple  de  V italianisme  et  de  l'esprit  de  cour  me  paraît 
juste  dans  l'ensemble.  C'est  incontestablement  sous  le  règne  de 
Henri  III  que  le  mal  a  sévi  jusqu'à  devenir  inquiétant,  jusqu'à  mettre 
en  péril  le  développement  normal  de  l'esprit  français  :  mais  il  avait- 
cependant  des  racines  lointaines;  un  «  terrain  de  culture  »  favorable 
lui  avait  été  préparé  depuis  longtemps,  depuis  la  fin  au  moins  du 
règne  de  François  ^^  Cest  ce  que  j'ai  essayé  de  montrer  moi-mèrae_ 
dans  un  livre. publié  il  y  a  quelques  années  sur  la  Cour  de  Henri  II, 
et,  si  M.  C.  n'en  disconvient  pas,  il  fait  cependant  à  cet  égard  plus 
de  restrictions  que  je  n'en  admettrais  pour  ma  part.  Ce  q^uc  je  nejui 
concéderais  pas  volontiers  non  plus,  c'est  que  le  livre  de-Balthasar  < 
Castiglione,  //  Cortegiano,  soit  vraiment  le  code  «"de  l'honnête 
homme,  aux  manières  exquises,  au  cœur  haut  placé  »  :  j'ai  dit- que 
dans  ce  libro.  d'oro,  sous  l'éclat  des  dehors,  rentrevoyais  la  tare,  une 


î34  REVUE    CRITIQUE 

vertu  de  parade,  des  traces  de  servilisme,  et  je  l'ai  prouvé  par  des 
citations  précises.  Il  se  peut  bien  que  M.  Cian  dans  son  édition 
publiée  à  Florence  en  1894,  MM.  Luzio  et  Renier,  dans  leur  livre 
sur  la  Cour  d'Urbin  publié  à  Turin  en  189?,  aient  émis  des  opinions 
diamétralement  opposées  :  mais,  franchement,  ne  sont-ils  pas  suspects 
d'un  peu  de  complaisance?  C'est  ce  qu'il  y  aurait  à  voir.  Voilà  qui  est 
assez  —  et  même  trop  —  plaider  pro  donio  tnea  :  revenons  vite  au 
livre  de  M.  Clément.  Un  des  chapitres  intéressants  de  cette  première 
partie,  le  plus  neuf  peut-être,  est  celui  où  se  trouve  appréciée  et 
expliquée  la  critique  qu'a  faite  H.  Estienne  des  poètes  de  la  Pléiade. 
Oui,  voilà  qui  est  très  neuf  :  confiants  dans  certains  souvenirs,  nous 
rappelant  les  passages  où  (par  amour  du  grec!)  les  noms  composés 
sont  appréciés  favorablement  à  la  condition  de  n'en  pas  abuser,  nous 
admettions  généralement  que  le  grand  philologue  avait  marché  dans 
le  sens  de  la  nouvelle  école.  Il  n'en  est  rien  cependant,  ou  tout  au 
moins  il  faut  en  rabattre.  Ce  qui  a  servi  de  point  de  départ  à  l'auteur 
pour  traiter  cette  question,  c'est  un  petit  volume  qui  se  trouve  à  la 
Bibliothèque  de  Lyon,  et  qui  lui  a  été  obligeamment  signalé  par 
M.  Brunot  :  ce  précieux  volume,  auquel  on  n'avait  point  jusqu'ici 
prêté  grande  attention,  n'est  autre  chose  qu'une  édition  des  poésies 
de  Du  Bellay,  couverte  d'annotations  marginales  par  H.  Estienne 
lui-même.  M.  C.  a  tiré  bon  parti  de  cette  trouvaille,  qui  s'offrait 
comme  une  sorte  de  pendant  au  fameux  commentaire  de  Malherbe 
sur  Desportes,  mais  avec  des  différences  qu'il  importait  de  faire  res- 
sortir, car,  loin  d'être  un  critique  impitoyable,  Estienne  s'est  borné 
au  rôle  de  lecteur  attentif  et  bienveillant.  Ayant  ce  fil  conducteur,  il  a 
suffi  à  M.  C.  de  grouper  autour  de  ces  annotations  certains  passages 
empruntés  à  la  Précellence,  aux  Dialogues,  etc.  pour  en  conclure 
légitimement  qu'Estienne,  au  point  de  vue  moral,  reprochait  aux 
poètes  de  la  Pléiade  leur  paganisme;  qu'il  goûtait  médiocrement  le 
mysticisme  chrétien  de  Du  Bellay,  pas  du  tout  le  pindarisme  à  froid 
et  les  métaphores  furibondes  de  Ronsard.  Bref,  l'auteur  du  Thésaurus 
en  voulait  à  la  nouvelle  école  d'avoir  mal  compris  le  lyrisme  grec,  et 
de  se  complaire  dans  une  sorte  de  pétrarchisme  décadent  :  en  fait  de 
poètes  français,  il  ne  semble  avoir  goûté  pleinement  que  Marot.  De 
tout  cela  nous  pouvions  bien  soupçonner  quelque  chose,  mais  n'était- 
il  pas  utile  de  l'établir  d'une  façon  définitive,  preuves  en  main,  et  par 
des  rapprochements  de  textes? 

La  seconde  partie  de  ce  livre  n'est  pas  celle  qui  rendra  le  moins  de 
services  au  public  studieux.  Elle  diffère  à  vrai  dire  d'allure  et  de  ton 
avec  la  première,  elle  paraîtrait  môme  lui  être  simplement  juxtaposée, 
si  on  ne  s'apercevait  vite  qu'elle  en  forme  la  suite  et  le  complément 
tout  indiqué.  Car,  après  avoir  exposé  d'une  façon  historique  la  lutte 
qu'a  soutenue  H.  Estienne  pour  h  la  défense  de  la  langue  française  », 
il  fallait  bien  en  venir  à  donner  les  pièces  du  procès,  à  examiner  des 


D  HrSTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  ï55 

théories  lexicographiques  ou  grammaticales.  C'est  ce  qu'a  fait  par  le 
menu  M.  Clément,  et  ce  travail  est  d'auiant  plus  méritoire,  il  sera 
d'autant  plus  utile,  qu'on  avait  à  faire  à  une  matière  plus  dispersée. 
Estienne  a  d'ordinaire  semé  au  hasard  ce  qu'il  a  pensé  de  plus  juste 
sur  la  langue  française  :  le  livre,  déjà  un  peu  vieilli,  de  Livet  n'offrait 
qu'une  ébauche  de  coordination;  l'édition  récente  de  la  Précellence 
par  M.  Huguet  ne  donnait  qu'un  fragment  de  l'ensemble.  Désormais, 
pour  prendre  une  idée  juste  de  cette  œuvre  grammaticale  si  complexe, 
nons  n'aurons  plus  besoin  de  recourir  aux  traités  écrits  en  français  ou 
écrits  en  latin  :  tout  ce  qu'ils  contiennent  d'essentiel  a  été  résumé  ici, 
classé  d'une   façon  méthodique  et  commode,  illustré  de  notes  nom- 
breuses. On  pourrait  même  plutôt,  à  cet  égard,  reprocher  à  M.  C.  un 
certain  luxe  de  rapprochements  et  d'observations  personnelles  :  mais 
il  vaut  mieux  pécher  par  l'excès.  Je  n'ai  point  trouvé  grand  chose  à 
reprendre  dans  ce  commentaire  suivi  des  théories  d'Estienne,  de  ses 
idées,  de  ses  étymologies  souvent  hasardeuses.  Contentons-nous  de 
quelques  remarques,  glanées  çà  et  là.  A  la  p.  242,  il  est  dit  que  Plauie 
emploie  couramment  scioquod  :  je  crois  qu'il  n  yen  a  chez  lui  qu'un 
seul  exemple,  celui  de  VAsinaria  (I,  i),  et  encore  la  valeur  de  ce  pas- 
sage a-t-elle  été  contestée,  la  tournure  pouvant  s'expliquer  un  peu  dif- 
féremment. A  la  p.  282,  l'étymologie  du  vieux  verbe  pier,  tiré  du  grec 
«lîTv,  est  mise  en  doute,  non    sans   raison   peut-être  :    mais   que  pen- 
ser  de    l'hypothèse    proposée    en    note  ?    La    phonétique    s'oppose 
à   ce  qu'on  tire  pier  de  pïpare^  sans  parler  du  sens   qui  ne   con- 
vient guère.   Parlant  du  passage  de  la  diphtongue  wè   à   è  simple 
(p.  309  et  suiv.),  M.  C.  dit  que  cette  réduction  est  attribuée  aux  Pari- 
siens par  Dubois  dès   i  53  i  :  il  y  aurait  lieu  de  remonter  bien  plus 
haut  encore,  puisqu'elle  date  sans  doute  de  l'époque  de  Philippe-le- 
Bel,  comme  me  parait  l'avoir  démontré  M.  Suchier.  Le  mot  voglie 
(p.    326)  est-il  une  «  locution  purement  italienne  »,  et  n'a-t-il  pas  au 
contraire  été  d'un  certain  usage?  Il  me  semble,  en  tout  cas,  que  Mon- 
taigne s'en  est  servi.  A  la  p.  3 17,  le  vieux  verbe  atillier  paraît  ratta- 
ché sans  réserves  à  aptiis'psiv  un  intermédiaire  bas-lat.  aptillare  :  c'est 
bien  hardi.  Il  n'est  pas  non  plus  très  exact  de  dire  (p.  417)  qu'Es- 
tienne  «  suit  la  prononciation  parisienne  »  en  écrivant  guarir  :  n'est- 
ce  pas  là  précisément  la  forme  originaire  du  mot?  A  la  p.  431,  et  à 
propos  de  l'expression  il  fit  que  sage,  M.  C.  s'émerveille  de  voir  son 
auteur  «  noter  d'avance  les  tournures  qui  ne  tarderont  pas  à  devenir 
archaïques  »  :  ne  serait-ce  pas  plutôt  que  beaucoup  de  ces  locutions, 
celle-ci  entre  autres,  commençaient  décidément  à  vieillir  dans  le  der- 
nier quart  du  xvi«  siècle  ?  Enrin,  un  peu  plus  loin  (p.  436),  à  propos 
de  l'expression  faire  de  la  sotte,  il  est  remarqué  que  nous  avons  là 
une  extension  du  sens  partitif  de  la  prépositiiion  de  :  je  ne  dis  pas  non, 
mais  je  crois  que  nous  avons  à  faire  avant  tout  à  un  italianisme.  La 
question  d'ailleurs  mériterait  d'être  examinée  d'un  peu  près,  cdr  je  ne 


f36  REVUE    CRITIQUE 

l'ignore  pas,- ce  tour  apparaît  d'autre  part  chez  Commines  (ce  qui  ne 
serait  pas  une  preuve  contre  son  origine  italienne),  mais  aiissi  dans 
ies  mystères  du  xv«  siècle,  où  l'on  trouve  par  exemple /trire  du  gros 
bis  (faire  l'important).  —  Je  pourrais  multiplier  ces  observations  de 
détail  :  à  quoi  bon  ?  Elles  ne  sont  pas  bien  graves,  comme  on  le  voit^ 
et  ne  sauraient  en  aucune  façon  infirmer  le  jugement  favorable  que 
nous  avons  porté  sur  la  solide  et  consciencieuse  étude  de  M.  Clément. 

E.  BOURCIEZ. 


Servière  (J.  de  la).  Un  professeur  d'ancien  régime  :  le  Père  Ch.  Porée  S.  J. 

(1676-1741).  Paris,  Oudin,   1899,  in-8,  de  xL-489  p. 

.  Cet  ouvrage  est  une  thèse  française  soutenue  devant  la  Faculté  de 
Poitiers  par  un  ancien  élève  de  la  Faculté  catholique  d'Angers. 
L'auteur  a  eu  l'occasion  de  consulter  tout  ce  qui  reste  des  livres  de 
l'ancien- collège  Louis  le  Grand  et  en  a  tiré  tout  le  parti  possible.  Il  a 
soigneusement  étudié  les  documents  manuscrits  et  les  ouvrages 
imprimés  qui  pouvaient  l'éclairer.  Mais  son  sujet  méritait-il  la  peiné 
qu'il  s'est  donnée  ?  On  a  déjà  bien  souvent  exposé  la  méthode  d'ensei- 
gnement des  Jésuites,  décrit  la  popularité  dont  elle  jouissait  :  on 
connaît  les  exercices  de  rhétorique,  les  représentations  théâtrales 
auxquels  leurs  élèves  conviaient  les  familles;  on  ne  connaît -guère 
moins  les  relations  de  Porée  avec  ses  anciens  disciples  et  avec  le  plus 
fameux  de  tous,  S-ans  doute  il  n'avait  jamais  encore  été  étudié  .d'aussi 
près  ;  mais  ce  très  honnête  homme,  ce  dévoué  professeur  paraît  avoir 
éié  un  esprit  bien  ordinaire.  M.  de  la  Servière,  qui  le  }uge  en  toute 
liberté,  est  obligé  de  lui  reconnaître  un  goût  marqué  pour  l'affectation; 
Sénèque,  le  Quintilien  des  Controversiae,  Fléchier,  voilà  pour  Porée 
les  modèles  de.  la  parfaite  éloquence.  Il  donne  de  sages  et  affectueux 
conseils  à  la  jeunesse  (encore,  sur  l'article  des  mauvaises  lectures, 
me  parait-il  manquer  de  tact,  v.  p.  1 19-120);  mais,  sauf  sur  la  fin  de  sa 
•vie,  il  n'ose  pas,  de  peur  d'éveiller  le  doute  qui  pourtant  alors  s'éveil- 
lait tour  seul,  exposer  et  soutenir  la  doctrine  de  l'Église.  Peut-être 
sera-t-il  fâcheux  pour  sa  réputation  littéraire  qu'on  ne  s'en  tienne  plu-s 
désormais  aux  lignes  que  Voltaire  lui  a  consacrées.  —  Parmi  les 
documents  joints  au  livre,  nous  citerons  quelques  gravures,  du  collège 
Louis  le  Cirand  et  dès  livrets  de  tragédies  et  de  ballets.  -  a 

Charles  Dejob. 


.VerôfFentlichungen  zuj  Geschichte  des  gelehrten  Schulwesens  im  Alberti- 
niscbeti  Sàchsen  hi:;.im  Auftrag  des  sâchsischcnGymnasiallchrcrvcrcinS.  prster 
-    Teil  :  Ucbcrsicht  ubcr  die  geschichtliche  Enùifickelu'ng  der  Gymnasien.  Leipzig, 
.    Teubner  igoô.'  in-4°.  p.  248. 

.    L'association  des  professeurs-,  des;,  gymnases  saxons  .à  entrepris  la 


D'HISTOfkE-  ET    iJE    LiTfÉRATURE  "l3y 

publication  de  tout  ce  qui  intéresse  renseignement  secondaire  classique 
dans  le  Royaume  de  Saxe.  Elle  nous  donne  aujourd'hui,  comme 
travail  préparatoire  des  questions  qu'elle  se  propose  d'étudier,  une 
courte  esquisse  du  développement  de  ses  lycées.  La  Saxe  en  possède 
dix-sept,  en  y  comprenant  les  deux  Fiirstenschiilen  de  Meissen  et  de 
Grimma.  Dix-sept  professeurs  ou  recteurs  oni  ïonvm^  chacun  pour 
leur  gymnase,  une  monographie,  en  adoptant,  mais  sans  trop  de 
rigueur,  le  plan  de  l'étude  de  M.  H.  Peter,  recteur  de  l'école  Sainte- 
Afra  à  Meissen  et  président  de  rassociation.  Chacun  de  ces  chapitres 
nous  présente  l'histoire  du  gymnase  tracée  à  grandes  lignes,  puis  nous 
renseigne  sur  son  organisation  actuelle,  son  installation,  son  personnel, 
sa  population  scolaire,  ses  bibliothèques,  son  budget,  ses  ressources, 
les  fondations  qui  s'y  rapportent,  sur  ses  recteurs^  maîtres  et  élèves  qui 
se  sont  fait  un  nom,  et  termine  par  une  notice  bibliographique. 
Tous  ces  gymnases  qui,  deux  ou  trois  exceptés,  remontent  au  xiv=, 

.xv=  ou  xvi«  siècle,  sont  sortis  pour  la  plupart  des  Chorschulen  annexées 

-aux  couvents  ;  la  célèbre   Tliojnasschule  de  Leipzig,  dont  Sèb.  Bach 

•fut  Kantor  de  1723  à  ijSo,  a  gardé  jusqu'à  nos  jours  la  trace  de  cette 
origine.  Avec  la  Réforme  les  écoles  passent  généralement  sous  la 
direction  des  municipalités  et  ont  une  fortune  diverse  suivant  la  soUi- 

-citude  du  conseil  et  le  mérite  des  recteurs.  L'influence  de  Melanchthon, 
dont  les  inspections  sont  souvent  mentionnées,  dont  les  livres  étaient 
partout  adoptés,  fut  très  heureuse  pour  les  écoles  de  Saxe.  Là,  comme 
ailleurs  l'Humanisme  vint  rajeunir  les  études  classiques,  mais  il  dégé- 
nère là  aussi  en  formalisme.  Les  événements  politiques  génèrent  en 
outre  le  développement  des  gymnases  :  pendant  la  guerre  de  trente  ans, 
ils  sont  souvent  brûlés,  visités  par  la  peste,  perdent  leurs  élèves,  puis 
se  repeuplent    d'une   génération  grossière   et   indisciplinée  :  il  fallut 

'longtemps  avant  que  les  derniers  restes  du  pennalisinus  (usage  des 
brimades)  eussent  disparu.  Au  xviii"  siècle  les  efforts  de  recteurs  de 
talent,  dont  l'influence  ne  demeura  pas  bornée  à  leur  école,  comme 
Ernesti,  Gesner,  Thomasius,  et  d'un  autre  côté  l'étude  mieux  com- 
prise de  l'antiquité  et  la  part  faite  au  grec  et  à  de  nouvelles  matières, 
l'histoire,  la  géographie,  les  mathématiques,  le  français,  ainsi  qu'aux 
exercices  physiques,  rendirent  aux  écoles  plus  de  vigueur  et  de  succès. 
La  réorganisation  de  l'enseignement  dans  la  Prusse,  qui  ici  encore  fut 
le  duca  e  maestro.,  et  les  réformes  politiques  de  la  Saxe  en   i83i   don- 

-nèrent,  par  la  création  d'un  ministère  de  l'instruction  publique,  aux 
gymnases  saxons  l'homogénéité  qui  leur  manquait  et  une  direction  plus 
uniforme.  Mais  en  raison  d'une  longue  tradition  qui  n'a  jamais  été 
brusquement  interrompue,  il  n'en  subsiste  pas  moins  dans  le  détail 

'de  l'organisation  et  du  régime  une  grande  variété.  Ceux  que  préoc- 
cupent les  réformes  de  notre  propre  enseignement  secondaire  auraient 
peut-être  l'occasion  d'étudier  pratiquement  dans  cette  vie  scolirire 
plus  riche  et  plus  flexible  que  lu  notre  tel  projet  d'amélioration   sur 


l38  REVUE  CRITIQUE 

lequel  les  théoriciens  discuteront  sans  fin  '.  Nous  ne  pouvons  que 
souhaiter  les  prochaines  publications  dont  ce  premier  travail  est  la 
promesse.  Nous  n'exprimerons  qu'un  regret  :  c'est  de  n'avoir  pas 
trouvé,  servant  de  prcMace  à  cette  série  d'esquisses  qui  ont  tant  de 
points  de  contact,  un  chapitre  qui  eût  retenu  les  traits  communs  et 
fourni  déjà  un  aperçu  de  l'évolution  de  l'enseignement  classique  en 
Saxe. 

L.  ROL'STAN. 


R.  Kron.  Die  Méthode  Gouin  oder  das  Serien-System  in  Théorie  und  Praxis.  — • 
L.  A.  Marburg,  EKvert,  1900,  in-8,  p.  181.  Prix  :  2  m.  80. 

Nous  n'étions  pas  habitués  à  servir  en  pédagogie  de  modèles  aux 
Allemands.  Voici  cependant  qu'ils  se  sont  pris  d'un  bel  intérêt  pour 
l'œuvre  à  peu  près  complètement  inconnue  chez  nous  d'un  Français. 
Gouin  (i83i-i89h)  publia  en  1880  un  gros  volume  sur  VArt  d'en- 
seigner et  d'étudier  les  langues.  Le  livre  était  mal  fait,  obscur,  forte- 
ment utopique;  il  passa  inaperçu.  L'auteur  fit  ça  et  là  quelques  appli- 
cations de  ses  théories;  le  résuhat  fut  médiocre  et,  comme  le  livre,  la 
méthode  tomba  vite  dans  l'oubli.  L'un  et  l'autre  contenaient  cepen- 
dant une  part  de  vérité  qui  leur  a  permis  de  renaître  en  Angleterre  et 
d'être  favorablement  accueillis  en  Allemagne,  comme  le  prouve  le 
succès  de  la  brochure  de  M,  Kron,  parue  d'abord  en  articles  de  revue 
{Neuere  Spraclien,  III,  1-6).  L'auteur  qui  a  suivi  à  Londres  un  cours 
où  la  méthode  est  enseignée  à  des  maîtres,  qui  a  recueilli  les  expé- 
riences des  autres  et  en  a  fait  quelques  unes,  qui  possède  à  fond  la 
littérature  de  la  question,  a  donné  un  résumé  complet  et  assez  clair, 
en  même  temps  qu'une  appréciation  indépendante,  du  nouveau  sys- 
tème d'enseignement  des  langues. 

Gouin  partage  le  vocabulaire  d'une  langue  en  séries,  séries  générales 
et  spéciales;  chacune  des  5o  séries  comprend  environ  5o  exercices  de 
18  à  3o  phrases  chacun.  L'exercice  représente  un  acte,  un  fait  simple, 
analysé  dans  ses  éléments  composants,  et  chaque  élément  s'appuyant 
logiquement  et  chronologiquement  sur  le  précédent.  La  phrase, 
courte,  de  3  ou  4  termes  au  plus,  figure  chacun  de  ces  fragments  de 
l'acte  ou  du  fait  étudié  dans  l'exercice.  C'est  là  ce  qu'il  y  a  de  plus 
fécond  dans  le  système  imaginé  par  Gouin,  quoiqu'il  se  trompe  beau- 
coup sur  la  façon  dont  l'acquisition  s'opère  chez  l'élève,  sur  cette 
représentation  intérieure  de  l'acte  ou  de  l'objet  qu'il  croit  provoquer 
en  lui  pour  l'amener  à  penser  dans  la  langue  étrangère.  D'ailleurs  si 
le  point  de  départ  est  juste,  le  détail  est  plein  de  demi-vérités,  d'cxagé» 

I.  A  signaler,  p.  ex.,  le  régime  de  l'internat  qui  existe  à  Meisscn,  Grimma  et 
ailleurs  en  partie. 


d'histoire    et   de    LITTÉRATURi,  I  3^ 

rations  et  d'erreurs.  C'est  l'outrance  dans  la  systématisation,  et  la 
méthode  qui  se  décore  du  nom  de  psychologique  est  encore  plus 
mécanique.  En  particulier,  l'enseignement  grammatical,  tel  que  Gouin 
le  transforme,  est  compliqué  et  confus,  et  son  nouveau  commentateur 
n'a  guère  réussi  à  Téclaircir. 

Mais  sans  l'application  que  vaut  une  méthode?  Celle-ci,  malgré 
tout  ce  qu'on  nous  affirme,  me  parai.t  incapable  de  tenir  toutes  ses 
promesses.  Elle  est  surtout  trop  uniforme,  trop  raide,  trop  ariitîcielle 
à  force  de  vouloir  être  naturelle;  elle  fait  appel  plus  à  la  mémoire 
qu'à  l'intelligence.  Elle  peut  réussir  avec  de  jeunes  enfants,  et  seule- 
ment jusqu'à  un  certain  âge.  La  plupart  des  témoignages  communi- 
qués par  M.  Kron  émanent  en  effet  d'institutrices,  de  maîtres  chargés 
d'une  classe  élémentaire.  M.  Kron  lui-même,  qui  est  un  fervent  dis- 
ciple de  Gouin,  n'a  pas  fait  d'expérience  sur  toute  une  génération 
d'élèves  d'un  gymnase,  pendant  un  cours  d'études  complet.  C'est  là 
que  je  l'attends. 

L.  R. 


—  M.  T.  Miller  Maguire,  avocat  de  profession  et  lieutenant  des  Inns  of  court 
rijle  volunteevs,  publie  sous  le  titre  :  Outlines  of  Military  gcograpliy  (Cambridge 
geographical  séries  1899,  viii-339  p.,  27  vues  et  cartes)  un  petit  volume  qui 
n'apprendra  rien  aux  militaires  ni  aux  géographes.  L'auteur  tend  surtout  à  éveil- 
ler chez  les  jeunes  gens  de  son  pays  qui  se  dérobent  trop  volontiers  au  service  des 
armes  (p.  56),  avec  le  goût  des  choses  militaires,  l'inquiétude  sur  la  sécurité  de 
l'Empire  britannique  :  l'histoire  des  cinquante  dernières  années,  écrit-il,  enseigne 
«  que  le  relèvement  des  sociétés  ne  peut  s'accomplir  par  la  paix  et  par  la  paix 
seulement  ».  Cette  proposition  n'est  d'ailleurs  pas  démontrée  au  cours  du  livre. 
Celui-ci  est  un  recueil  d'anecdotes  ou  d'épisodes  de  l'histoire  militaire  choisis  dans 
tous  les  temps  et  sur  tous  les  théâtres,  souvent  au  hasard  des  souvenirs  de  l'auteur 
qui  sont  singulièrement  copieux  :  on  aurait  désiré  une  dérinition  et  une  classifi- 
cation plus  rigoureuse  des  concepts  et  types  géographiques,  frontières,  voies 
d'invasion,  climats,  etc.  L'ouvrage  méritait  d'être  signalé  surtout  comme  un  symp- 
tôme du  nouvel  esprit  militaristeanglais.  11  se  termine  sur  un  mot  de  Sir  Kennell 
Rodd  :  La  Grands  Bretagne  trouvera  toujours  le  concours  de  ses  fils,  «  till  she  turns 
her  back  on  Empire  and  torgets  the  sea  ».  —  B.  A. 

—  Sous  le  titre  Études  d'économie  coloniale,  M.  Henri  Hauser  entreprend  une 
série  dont  le  premier  fascicule,  consacré  aux  Colonies  allemandes  impériales  et  spon- 
tanées [Pavis,  Nuny,  1900,  x-139  p.),  laisse  bien  augurer. C'est  un  exposé  n:éihodique 
des  connaissances  actuelles  sur  les  colonies  et  pays  protégés;  l'auteur  emprunte  ses 
données  aux  meilleures  sources,  parmi  lesquelles  on  regrettera  de  ne  point  voir  ciié 
le  substantiel  K)lO'iial!iandbuc!i  de  R.  Fitanœr.  M.  Hauser  s'intércs.ie  surtout  à  la 
valeur  économique  des  territoires  acquis  par  l'Empire,  préoccupation  qui  justifie 
le  titre  de  son  ouvrage.  Si  une  colonie  est  une  allairc,  cela  est  vrai  surtout  pour 
les  Allemands.  11  serait  prématuré  de  dresser  un  bilan;  on  ne  saurait  encore 
qu'émettre  des  pronostics;  mais  ces  pronostics  sont  de  tous  points  favorables;  les 
entreprises  privées,  initiatrices  de  la  politique  coloniale,  ont  triomplie-  des  erre- 
ments et  des  abus  administratifs,  endémiques,  peut-on  dire,  comme  le  morbus  coh- 


ai}.©  REVUE    CRITIQUE    D^HISTOIRE    ET    DE 'LITTÉRARTUE 

nialis.  Outre  les  Schut^gebiete,  M.  M.  passe  eu  revue  les  colonies  «  spontanées  » 
que  formèrent  —  plus  ou  moins  spontanément  —  les  émigrés  aux  États-Unis,  au 
Brésil,  et  sur  tous  les  coins  du  globe  où  le  Kolonialatlas  et  VAlldeutscher  Atlas  de 
•Langhans  signalent  des  essaims  d'origine  germanique.  Il  y  aurait  à  étudier  l'éveil 
du  sentiment  national  dans  ces  groupes,  longtemps  séparés  et  considérés  comme 
perdus.pour  la  mère-patrie,  et  leur  rôle  social  et  politique  dans  leur  pays  d'adop- 
tion. Quoi  qu'il  en  soit,  ce  sont  là  de  sûres  clientèles  pour  la  métropole  et  celle-ci 
n'a  point  à  regretter  l'expatriation  de  tant  de  ses  enfants. 


Lettre  de  M.  K.  Waliszkwski. 

Paris,  2  3  juillet  1900. 
Monsieur  le  Directeur, 
_  Je  me  suis  fait  une  loi  d'éviter  toute  polémique  au  sujet  des  appréciations  dont 
mes  livres  peuvent  être  l'objet  et  l'article  de  M.  Jules  Legras  sur  Littérature  russe, 
auquel  la  Revue  critique  a  cru  pouvoir  faire  accueil,  m'éloigne  trop  de  mes  habi- 
tudes intellectuelles  et  sociales  pour  que  je  veuille,  à  son  sujet,  me  départir  de  ce 
principe.  Je  crois  devoir  toutefois  y  signaler  un  trait,  qui,  constituant  une  déroga- 
tion aux  habitudes  communes  de  la  presse  de  tous  les  pays,  me  parait  réclamer 
une  protestation.  Je  veux  dire  une  absence  égale  de  respect  et  pour  la  personne  de 
l'auteur  et  pour  la  vérité. 

Ainsi  M.  Jules  Legras  signale  à  l'indignation  de  ses  lecteurs  une  anecdote 
odieuse  sur  le  compte  de  Tolstoï  qui  constituerait  une  addition  personnelle,  de  ma 
part,  aux  auteurs  français,  russes  ou  allemands  que  je  me  serais  appliqué  à  piller 
sans  vergogne.  Or  voici  ce  que  je  dis  à  propos  de  cette  anecdote,  que  j'ai  dû  signa- 
ler, parce  que  le  livre  de  M^^Seuron,  où  elle  a  trouvé  place  avec  beaucoup  d'au- 
tres, moins  flatteuses  encore,  a  eu  en  Allemagne,  et  ailleurs,  un  retentissement 
considérable  ;  je  dis  (p.  363  de  Littérature  russe)  :  «  On  ne  me  soupçonnera  pas 
de  vouloir  attacher  une  importance  quelconque  à  ces  envers,  réels  ou  faux,  d'une 
personnalité  si  grandement  élevée  au-dessus  du  niveau  commun.  » 

Les  autres  critiques  de  M.  Jules  Legras  sont  frappées  au  même  coin  d'exactitude 
et  de  bonne  foi. 

Dans  l'espoir  que  vous  voudrez  bien.  Monsieur  le  Directeur,  donner  place  dans 
votre  recueil  à  ces  quelques  lignes,  je  vous  prie  de  recevoir  l'expression  de  mes 
sentiments  très  distingués.  K.  W.^liszewski. 

.  Réponse  de  .\1  .  Legr.\s. 

Mon  cher  Directeur, 

Ma  réponse  sera  courte,  car  c'est  parler  bien  longtemps  d'un  mauvais  livre.  J'au- 
rais, dit  M.  Waliszewski,  «  manqué  de  respect  pour  la  vérité  et  pour  sa  personne»  ; 
or,  sa  personne  n'est  pas  en  jeu  ici,  et,  pour  la  vérité,  j'espère  avoir  montré  suffi- 
samment que  c'est  précisément  sa  Littérature  russe  qui  n'en  tient  que  médiocre- 
ment compte.  Je  n'ai  jamais  pensé  ni  dit  qu'il  eût  inventé  les  anecdotes  douteuses 
ou  odieuses  auxquelles  il  a,  çà  et  là,  donné  asile  ;  j'ai  seulement  constaté  avec 
tristesse  que  c'était  une  des  rares  choses  qu'il  eût  ajoutées  au  texte  des  auteurs 
qu'il  a  excerpés.  Voici  qu'il  condamne  lui-mcme  l'emploi  de  telles  anecdotes  : 
nous  sommes  donc  d'accord.  Seulement,  je  me  demande  pourquoi,  s'il  les  dédaigne 
ou  les  méprise,  il  leur  a  si  pieusement  donné  jUacc  dans  un  livre  de  vulgarisation. 

Je  comprends  que  M.  W.  soit  fâché  d'avoir  écrit  un  livre  indigne  de  son  ordi- 
naire talent,  et,  surtout,  de  voir  que  les  slavisants  s'en  sont  aperçus.  En  pareil  cas, 
le  plus  sage  est  de  se  taire.  Toutefois,  si,  par  hasard,  il  y  tenait,  je  pourrais  cor- 
ser ma  trop  courte  liste  de  ses  erreurs  et  de  ses  plagiats.        Jules  Legras. 

Le  Propriétaire-Gérant  :  Ernest  LEROUX. 
Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 


N"  34  —  20  août  —  1900 


MooRE,  Le  livre  des  Juges.  —  B.  Weiss,  Les  quatre  Evangiles.  —  Huehn,  Les  cita- 
tions de  l'Ancien  Testament  dans  le  Nouveau  Testament.  —  Euringer,  Le  Can- 
tique des  cantiques  chez  les  Abyssiniens.  —  Friedlaender,  Le  Mahavrata .  — 
Krumbacher,  Nouvelles  études  sur  Romanos.  —  Babelon,  Guide  illustré  du  Ca- 
binet des  Médailles.  —  Doniol,  Serfs  et  vila-ns  au  moyen  âge.  —  Bourdeau,  Le 
grand  Frédéric,  I.  — Toth,  Questions  hongroises.  —  Janosi,  Histoire  de  l'esthé- 
tique. —  Bainville,  Louis  II  de  Bavière.  —  Bolton-Ki.vg,  Histoire  de  l'unité 
italienne.  —  H.  Barth,  Guide  des  cabarets  d'Italie.  —  Mourre,  D'où  vient  la  dé- 
cadence économique  de  la  France.  —  Académie  des  inscriptions. 


The  Book  of  Judges  in  Hebre^w,  with  notes,  by  G.  F.  Moore.  Leipzig,  Hin- 

richs,  1900;  in-4,  72  pages. 
Die  vier  Evangelien  im  berichtigten  Text,  von  B.  Weiss.   Leipzig,  Hinrichs, 

1900;  in-8,  x-604  pages. 
Die   alttestamentlichen  Citate    und  Reminiscenzen  im  Neuen  Testaments, 

von  E.  HûHx.  Tùbingen,  Mohr,  igoo;  in-8,  xi-3oo  pages. 
Die  Auffassung  des  Hohenliedes  bei  den  Abessiniern,  von  P.  S.  Euringer. 

Leipzig,  Hinrichs,  1900;  in-S,  vi-47  pages. 

M.  Moore,  à  qui  l'on  doit  un  très  remarquable  commentaire  des 
Juges  (dan?  la  collection  de  V International  Critical  Commentaiy  ; 
Clark,  Edimbourg),  a  préparé  l'édition  de  ce  livre  dans  la  Bible  poly- 
chrome de  P.  Haupt.  La  distinction  des  sources  est  faite  confor- 
mément aux  conclusions  de  l'auteur  dans  son  commentaire  :  deux  an- 
ciens documents,  J,  vers  85o,  et  E,  vers  jSo,  ont  été  réunis  vers  640  par 
un  premier  rédacteur,  puis  remaniés  par  un  écrivain  deutéronomiste, 
et  interpolés  par  des  éditeurs  poxtéxiliens.  La  critique  du  texte  est 
conduite  avec  beaucoup  de  prudence,  et  les  corrections  introduites 
dans  l'hébreu  traditionnel  sont  pour  le  moins  vraisemblables.  On  a 
réservé  pour  les  notes  quantité  de  conjectures,  suggérées  par  divers 
savants,  qui  sont  bonnes  à  connaître,  bien  qu'elles  n'aient  pas  tou- 
jours une  grande  probabilité. 

L'édition  critique  du  texte  des  quatre  Évangiles  par  M.  B.  Weiss, 
dont  nous  annoncions  dernièrement  les  prolégomènes  (voir  Revue  du 
25  octobre  1899,  p.  32o)  ne  s'est  pas  fait  longtemps  attendre.  Une 
introduction  substantielle  résume  les  conclusions  du  savant  excgètc 
sur  l'origine  des  quatre  Évangiles  :  Matthieu  n'est  pas  une  traduction 
de  l'évangile  hébreu  attribué  à  l'apôtre  de  ce  nom  ;  il  a  été  composé 
Nouvelle  série  L.  34 


142  REVUE    CRITIQUE 

en  grec,  mais,  des  trois  Synoptiques,  c'est  celui  qui  a  le  mieux  gardé, 
pour  les  discours  et  même  pour  les  récits,  le  contenu  de  l'évangile 
hébreu  ;  le  rédacteur  a  utilisé  Marc;  ce  n'était  pas  un  palestinien,  et  il 
n'écrivait  pas  pour  les  judéochrétiens  de  Palestine:  il  vivait  probable- 
ment en  Asie  Mineure,  et  il  écrivait  pour  les  Juifs  de  la  dispersion,  peu 
après  la  ruine  de  Jérusalem  ;  Marc  a  écrit  après  la  mort  de  Pierre, 
et  avant  Tan  70,  en  exploitant  l'écrit  araméen  de  Matthieu  ;  Luc  s'est 
servi  du  second  Évangile  et  d'une  (?)  ancienne  source  palestinienne  ; 
il  ne  connaissait  pas  notre  premier  Évangile  ;  il  a  écrit  en  Italie,  pour 
des  convertis  de  la  gentilité,  entre  70  et  80;  l'auteur  du  quatrième 
Évangile  ne  peut  être  que  l'apôtre  Jean,  fils  de  Zébédée;  il  a  connu  les 
trois  Synoptiques  ;  ses  récits  portent  la  marque  de  la  vraisemblance 
historique  et  permettent  de  résoudre  (?)  toute  une  série  de  problèmes  (?) 
auxquels  la  tradition  synoptique  ne  fournit  pas  de  réponse  ;  l'apôtre 
galiléen,  ayant  passé,  après  l'an  70,  de  longues  années  dans  un  milieu 
hellénochrétien,  est  devenu  un  autre  homme  ;  il  a  changé  de  langue  et 
d'opinions;  il  attribue  aux  faits  et  aux  discours  évangéliques  un  sens 
plus  profond  que  la  lettre  ;  sa  conception  du  Logos  n'est  pas  autre 
chose,  au  fond,  que  ce  qu'avait  enseigné  Paul  ;  il  n'a  pas  écrit  dans 
une  intention  polémique,  mais  à  seule  fin  de  conduire  ses  lecteurs  à 
la  vie  qu'on  trouve  dans  la  foi  au  Verbe  incarné.  Il  y  aurait  bien  quel- 
ques nuances  à  introduire  dans  certaines  de  ces  opinions,  principa- 
lement en  ce  qui  regarde  le  quatrième  Évangile,  dont  le  caractère 
symbolique  et  dogmatique  ne  permet  guère  qu'on  l'utilise  pour  com- 
pléter ou  corriger  les  données  historiques  des  trois  premiers.  A  mesure 
que  la  critique  pénètre  le  secret  de  ce  livre,  il  devient  de  plus  en  plus 
douteux  que  son  symbolisme  soit  fondé  sur  une  tradition  historique 
distincte  de  la  tradition  synoptique.  Le  texte  évangélique  est  établi 
conformément  aux  principes  posés  dans  les  prolégomènes.  Le 
témoignage  de  la  version  syriaque  du  Sinaï  est  comme  non  avenu;  il 
n'en  est  même  pas  question  à  propos  de  Matth.,  I,  16.  Aussi  bien 
nous  donne-t-on  un  texte  «  correct  »,  et  qui  aurait  sans  doute  passé 
pour  tel  au  iv*  siècle.  Mais  on  a  maintenant  quelques  raisons  de 
penser  que  le  texte  primitif  des  Évangiles  n'était  pas  d'une  correction 
si  achevée,  et  que  M.  Weiss,  qui  a  mis  tous  ses  soins  à  nous  procurer 
un  texte  correct,  nous  restitue  un  texte  quelque  peu  corrigé.  Une  sorte 
d'explication  grammaticale  et  littérale,  sans  discussion  critique,  est 
jointe  à  ce  texte  et,  venant  d'un  maître  en  exégèse,  ne  laissera  pas  d'être 
fort  utile  aux  commentateurs. 

Rien  n'est  plus  instructif  pour  l'exégète  et  le  théologien  que  la  com- 
paraison des  citations  de  l'Ancien  Testament  qu'on  trouve  dans  le 
Nouveau,  avec  l'original  hébreu  et  la  version  des  Septante.  Les  trans- 
formations du  sens  y  sont  plus  remarquables  encore  que  les  variantes 
du  texte.  M.  Huhn  a  donc  fait  une  œuvre  utile  en  recueillant  toutes 
ces  citations  et  en  y  joignant,  autant  qu'il  a  été  possible,  les  simples 


d'histoire  et  de  littérature  143 

réminiscences.  Cette  série  de  notes  concises  et  érudites,  chargées  de 
multiples  références,  n'est  pas  analysable.  Disons  seulement  qu'il 
n'existe  pas,  à  notre  connaissance,  de  travail  aussi  complet  sur  ce 
sujet  important;  que  c'est  un  livre  de  critique  minutieuse  et  docu- 
mentée, non  de  théologie,  et  encore  moins  d'apologétique.  Le  rapport 
des  textes  est  soigneusement  déterminé  dans  le  détail,  tant  pour  la 
lettre  que  pour  le  sens.  L'auteur  se  contente  de  dire,  par  manière  de 
conclusion  générale,  que  les  modifications  du  sens,  parfois  si  extraor- 
dinaires et  si  curieuses,  appartiennent  à  l'histoire  de  l'exégèse,  et  que 
des  interprétations  inacceptables  au  point  de  vue  historique  et  cri- 
tique, peuvent  avoir  une  grande  valeur  au  point  de  vue  religieux.  Une 
table  des  citations  n'aurait  pas  été  inutile  à  la  fin  du  volume. 

Le  voyageur  Bruce,  et,  d'après  lui,  M.  W.  Riedel  {Die  Auslegiing 
des  Hnhenliedes,  1898)  ont  dit  que  l'église  d'Ethiopie  voyait  dans  le 
Cantique  des  cantiques  une  sorte  d'épithalame  composé  pour  le 
mariage  de  Salomon  avec  la  fille  du  roi  d'Egypte  et  qu'elle  n'en  per- 
mettait la  lecture  qu'au.x  vieux  prêtres.  M.  Euringer  s'est  mis  en 
devoir  de  réfuter  ces  deux  assertions  et  principalement  la  première. 
Il  démontre,  par  les  manuscrits  de  la  Bible  éthiopienne,  que  l'inter- 
prétation allégorique  du  Cantique  a  été  reçue  là  comme  ailleurs,  et 
qu'elle  a  exercé  une  très  grande  influence  sur  la  tradition  du  texte.  La 
discussion  des  passages  choisis  par  l'auteur  est  parfois  un  peu  subtile 
et  confuse;  mais  la  thèse  générale  est  suffisamment  prouvée. 

A.  L. 


Der  Mahâvrata-Abschnitt  des  Çâ«khàyana-Àra>iyaka  herausgegeben,  ûber- 
setzt  und  mit  Anmerkungen  versehen,  von  Walter  Friedlaender. — Berlin,  Mayer 
et  Mûller,  1900.  In-S»,  82  pp.  Prix  :  2  mk.  40. 

Cet  ouvrage  brahmanique, dit  aussi  Kaushîtaky-Àra/iyaka,  fait  partie 
deslivresliturgiques  qui  relèvent  du  cycle  du  Rig-Véda.  M.  Friedlandcr 
en  a  détaché  les  deux  chapitres  qui  traitent  de  la  cérémonie  du  Mahà- 
vrata,  c'est-à-dire  de  la  veille  de  la  clôture  du  Gavàmayana  ou  grande 
session  sacrificatoire  dont  les  phases  compliquées  se  poursuivent 
durant  une  année  entière.  J'ai  déjà  dit  combien  ces  sortes  de  travaux 
méritent  d'encouragements,  et  tous  mes  efforts  tendent  depuis  long- 
temps à  y  orienter  les  jeunes  sanscritistes  de  mon  pays,  qui  s'y 
montrent  fâcheusement  rebelles  :  moins  rebutants,  somme  toute, 
qu'ils  ne  semblent  au  premier  abord,  ils  sont  toutefois  beaucoup  plus 
difficiles,  mais  aussi  bien  plus  profitables  à  la  science,  que  les  généra- 
lités vagues  ou  fausses  sur  l'idée  de  Dieu  ou  la  genèse  du  mythe  dans 
le  Rig-Véda  ou  ailleurs,. et  c'est  dans  cet  ordre  d'études  qu'un  esprit 
exact,  muni  d'une  bonne  préparation  grammaticale  et  philologique, 
peut  encore  le  plus  aisément  donner  sa  mesure. 


144  REVUE  CRITIQUE 

M.  F.  est  visiblement  un  de  ces  débutants  :  il  sait  bien  le  sanscrit 
et  connaît  les  détours  sinueux  de  la  langue  des  Bràhma/ms;  mais  il  n'a 
pas  encore  l'habitude  de  corriger  des  épreuves,  car  le  premier  venu  se 
ferait  fort  de  tripler  au  moins  la  liste  de  ses  errata  '.  Ces  fautes  sont 
sans  importance,  précisément  parce  que  tout  lecteur  les  corrigera  à 
première  vue.  Moins  vénielle  est  la  négligence  qui  consiste  à  publier 
un  texte  inintelligible  sans  s'efforcer  de  l'amender  ou  sans  l'avouer 
tel  ;  mais  le  plus  grave,  peut-être,  c'est  de  le  comprendre,  et  je  crois 
que  Tauteur  a  encouru  une  fois  ce  reproche.  Que  l'on  compare  les 
lignes  9  et  8  (du  bas)  de  la  p.  ig,  aux  lignes  10-12  de  la  p.  42,  qui  sont 
censées  en  donner  la  traduction  :  il  m'est  impossible  devoir  comment 
pareil  sens,  ou  même  aucun  sens,  peut  sortir  de  pareil  texte.  A  la  très 
grande  rigueur,  la  lâcheté  de  la  syntaxe  des  Bràhma;zas  pourrait  excu- 
ser atapds  nominatif  singulier  dans  une  phrase  où  il  ne  s'accorde  pas 
avec  le  sujet;  mais,  pour  traduire  comme  M.  Friedlunder,  il  faudrait 
en  tout  cas  supprimer  l'astérisque  devant  bhùyô,  et  l'ensemble  demeu- 
rerait peu  satisfaisant  au  point  de  vue  des  idées  brahmaniques.  Je  pro- 
poserais conjecturalement  la  double  correction  bhiiyô  'tapyathds^  et  je 
traduirais  :  «  Je  suis  ce  que  t'ai  déjà  dit,  pas  autre  chose  ;  en  vérité,  ô 
sage,  si  même  tu  as  pratiqué  l'ascétisme  plus  [que  tu  ne  l'as  fait],  ce 
serait  cela  même  que  je  serais  »,  c'est-à-dire  «  tu  aurais  beau  être  un 
ascète  encore  plus  austère,  tu  n'en  apprendrais  pas  davantage.  »  (Ou 
atapsyathds  conditionnel?) 

M.  Friedlânder  s'est  acquitté  avec  grand  soin  de  sa  tâche  de  com- 
mentateur ^  :  il  a  collationné,  point  par  point,  le  rituel  du  Çàwkhàyana 
et  celui  de  l'Aitarêya;  il  les  a  complétés  par  les  indications  indispen- 
sables des  Sûtras;  il  nous  donne  à  la  fin  un  catalogue  complet  des 
stances  du  Rig,  dans  l'ordre  où  ce  grand  jour  en  exige  la  récitation  ■*. 
La  valeur  de  ce  début  et  l'expérience  qu'il  y  aura  puisée  font  bien 
augurer  de  la  publication  du  Çànkhàyana  tout  entier,  (p.  14,  n.  3), 
qu'il  se  propose  d'entreprendre  dans  l'avenir. 

V.  Henry. 


1.  P.  17, 1.  6  du  bas,  vivdjaç.  —  P.  18, 1.  2,  ôja.  —  P.  21,  1.  6  et  3  du  bas,  pidjâ- 
patyatn  et  ttislinimçamsô.  —  P.  22,  1.  9,  dvitiyéna  ;  1.  14,  sùdadôhasa  ;  1.  6  du  bas, 
un  point  sous  17  de  adliytdliah.  —  P.  34,  1.  14,  asat  su  en  deux  mots,  etc.,  etc. 

2.  Il  ne  suffit  pas  de  constater  en  termes  généraux  (p.  41,  n.  i)  que  «  ailleurs 
encore  l'escarpolette  liturgique  est  comparée  au  soleil  »  :  il  fallait  citer,  ou  tout  au 
moins  rappeler,  la  métaphore,  beaucoup  plus  ancienne,  qui  fait  du  soleil  lui- 
même  un  prènkhd  (R.  V.  vu.  87,  3)  «  C'est  le  sage  roi  Varu«a  qui  a  construit  cette 
escarpolette  d'or  que  voici  pour  qu'elle  rayonnât  au  ciel.  »  Celle  du  sacrifice,  c'est 
le  soleil  descendu  sur  terre,  et  non  pas  une  escarpolette  terrestre  élevée  à  la  dignité 
solaire  par  glorification  hyperbolique. 

3.  11  serait  intéressant  —  et  je  le  ferai  quelque  jour  —  de  lire  ainsi,  dans  l'ordre 
prescrit,  tout  un  service  divin,  pour  constater  le  secours  éventuel  que  la  liturgie 
apporterait  à  l'exégèse. 


d'histoire  et  de  littérature 


Krumbacher.  Umarbeitungen  bei  Romanos,  mit  cinem  Anhang  ûber  das  Zeital- 
ter  des  Romanos.  (Ext.  des  Sit^ungsber.  der  philos-philol .  iind  d'hist.  Classe  d. 
k.  bayer.  Akad.  d.  Wiss.  1899,  ^-  ''•  ^^^'^-  I-  P-  i-i56). 

Ce  volume  peut  servir  de  complément  aux  Études  sur  Romanos  du 
même  auteur.  M.  Krumbacher  y  étudie  trois  poèmes  qui  roulent  sur 
un  même  sujet,  la  parabole  des  dix  vierges,  et  qui  présentent  un  inté- 
rêt particulier   pour  l'histoire  de  l'hymnographie  (M.  K.  les  a  numé- 
rotés I,  II,  III,  d'après  leur  ordre  dans  le  principal  manuscrit)   :  le 
second  a  été  l'objet  d'un  véritable  remaniement  ;  le  premier  et  le  troi- 
sième  sont    deux  rédactions   différentes    d'un  même  sujet.    Voici    à 
quelles  conclusions  est  arrivé  M.  Krumbacher,  et  je  ne  vois  pas,  pour 
l'ensemble,    ce    que  ses    observations   peuvent  laisser  à  désirer.  Le 
second  poème  est  donné,  en  tout  ou  en  partie,  par  plusieurs  manus- 
crits, qui   sont,  pour  ne  pas  parler  de  ceux  qui  ne  contiennent  que 
quelques  strophes,  le  Patmiacus  21 3  (Q),  le  Corsinianus  366  (C),  et 
le  Vindobonensis    suppl.    gr.    96  (V);  mais  tandis   que  le    premier 
donne  deux  proèmes  et  3i   strophes,  les  deux  autres  ne  renferment 
que  le  premier  proème  et  22  strophes.  Ce  qui  est  ici  digne  de  remar- 
que, c'est  que  dans  cette  seconde  rédaction  il  ne  s'agit  pas  de  la  perte 
de  quelques  strophes  et  par  conséquent  d'une  transcription  incom- 
plète, mais  d'un  remaniement  voulu,  comme  le  prouve,  entre  autres 
raisons,  le  changement  de  l'acrostiche.  C'est  une  sorte  de  condensa- 
tion du  poème  original,  obtenue  par  des  suppressions,  par  de  fortes 
retouches,   et   par  la    transposition  d'une  strophe.    On  notera   que 
C  et  V,  représentants  de  cette  nouvelle  rédaction,  sont  des  manuscrits 
d'origine  italienne,  que  Q,   au  contraire,   appartient  à  la   tradition 
byzantine,  et  que  par  conséquent  le  remaniement  de  Thymne  ne  saurait 
être  attribué  à  Romanos  lui-même,  M.  K.  donne,  pour  la  première 
fois,  le  texte  de  Q,  avec  les  variantes  de  CV  au  bas  des  pages  ;  suivent 
une  étude  métrique  et  des  observations  critiques.  Une  discussion  ana- 
logue est  établie  au  sujet  des  chants  I  et  III,  qui  ont  un  rapport  moins 
direct  avec  l'histoire  des  dix  vierges;  celle-ci  n'y  est  que  brièvement 
rappelée  dans  une  strophe;  III  n'est  qu'une  rédaction  plus  courte  de 
I,  avec  un  acrostiche  différent,  et  les  deux  poèmes  sont  donnés  par 
le  seul  manuscrit  Q.  Le  poème  III  est  publié  ici  pour  la  première  fois, 
et  doit  être  attribué  à  un  rédacteur  byzantin,   autant  qu'on  peut  le 
croire  d'après  l'origine  du  manuscrit.  Plusieurs  points  de  ces  conclu- 
sions sont  évidemment  provisoires  :  une  connaissance  plus  approfon- 
die des    manuscrits  du  Sinai  et  de  l'Athos  peut  en  effet  les  modifier; 
néanmoins  il  reste  acquis  que  les  poésies  de  Romanos  ont  été  rema- 
niées par  des  poètes  d'époque  postérieure,  et  que,  d'une  façon  géné- 
rale, il  y  eut,  à  côté  de  la  tradition  byzantine,  une  sorte  de  révision 
des  poèmes  liturgiques,  opérée  en  Italie,  dont  les  manuscrits  C  et  V 
entre  autres  sont  de  précieux  témoins.  L'intérêt  du  travail  de  M.  K. 
ne  consiste  pas  uniquement  dans  la  démonstration  de  ce  fait,  impor- 


146  REVUE    CRITIQUE 

tant  pour  la  critique  et  la  constitution  des  textes;  d'autres  questions 
non  moins  curieuses  sont  soulevées  çà  et  là,  celle-ci  par  exemple  : 
l'association,  suivant  des  habitudes  déterminées,  de  deux  zXpiiol  dans 
une  même  hymne,  l'un  pour  le  proème,  l'autre  pour  le  reste  du  chant  ; 
cette  autre  encore  :  la  double  dénomination  de  certains  v.pixoi  dansles 
manuscrits,  ou  plutôt  leur  changement  de  nom  dans  la  suite  du 
temps.  Mais  ces  questions  ne  sont  qu'indiquées,  et  d'ailleurs  il  n'en- 
trait pas  dans  le  plan  de  M.  K,  d'en  chercher  la  solution.  Dans  le  troi- 
sième poème,  M.  K.  retrouve  les  variations  qu'il  a,  dit-il,  démontrées 
comme  régulières  dans  ses  Stiidien  ^u  Romatws,  à  savoir  que  le  même 
vers  peut  avoir  dans  différentes  strophes  un  nombre  de  syllabes  diffé- 
rent; ici  levers  5  aurait  tantôt  10,  tantôt  1 1  syllabes  (p.  126  suiv).  Je 
fais  toujours  les  mêmes  réserves  à  ce  sujet  '  ;  la  comparaison  d'un  vers 

strophe  16  [jlîtswc'.^Ôuîvo;  xaO'r,  ixÉpav  avec  Strophe  14  •/.x-r,Yoorîîî'. -ri  -iT.py.- 
Y[j.£va  indique  nettement  que  asTcio  ne  fait  que  deux  syllabes.  Je  per- 
siste à  considérer  l'affirmation  de  M.  K.  comme  prématurée,  d'autant 
plus  que  le  vers  en  question  n'a  1 1  syllabes  que  par  exception,  et  seu- 
lement dans  ce  poème  (5  fois  et  non  6)  ;  que  le  manuscrit  est  unique; 
et  que  le  texte  est  souvent  altéré.  M.  K.  est  obligé  lui-même  d'avoir 
recours  parfois  àdessynizèses  comme  y.a'.^ô,  po'jXo;j.év7)_£Î;,  A'-YJ-Tot/.?,;, 
et  je  crois  que  c'est  dans  des  prononciations  de  ce  genre  qu'il  faut 
chercher,  en  plusieurs  cas,  l'explication  de  ce  qui  paraît  irrégulier. 
Cela  vaut  mieux,  selon  moi,  que  de  vouloir  ériger  l'irrégularité  en 
règle.  —  Romanos,  selon  l'opinion  la  plus  acréditée,  vivait  au  vi«  siè- 
cle; M.  Krumbacher  incline  maintenant  à  le  placer  au  viii«,  à  cause 
d'une  allusion  faite  aux  Arabes  dans  le  premier  poème;  l'empereur 
Anastase,  sous  lequel  Romànos  vint  à  Constantinople,  serait  Anas- 
tase  II,  et  non  Anastase  I. 

My. 


Ern.  Babelon.  Guide  illustré   du  Cabinet  des  médailles  et  des  Antiques  de 
la  Bibliothèque  Nationale.  Paris,  igoo,  x\-368  pages,  in-12,  chez  Ern.  Leroux.. 

Parmi  les  qualités  dont  M.  Babclon  a  fait  preuve  depuis  qu'il  dirige 
le  Cabinet  des  médailles,  il  en  est  une  dont  les  érudits  doivent  lui 
savoir  gré  avant  tout,  c'est  du  zèle  avec  lequel  il  a  entrepris  personnel- 
lement la  publication  de  catalogues  méthodiques.  Non  seulement  il 
nous  a  donné  des  descriptions  savantes  des  ensembles  exposés  depuis 
longtemps,  des  camées,  par  exemple,  ou  des  bronzes;  mais  aussi,  dès 
qu'il  entre  une  collection  nouvelle  de  quelque  importance,  comme 
celle  de  Waddington  ou  de  Pauvert  de  la  Chapelle,  il  s'empresse  d'en 


I.  V.  la  Revue  du  K  janvier  1900. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  1 4/ 

faire  imprimer  un  inventaire  qui  met  à  la  portée  de  tous  les  acqui- 
sitions nouvelles.  Ce  sont  là  des  mérites  qu'il  convient  de  signaler  : 
ils  montrent  comment  M.  B.  comprend  ses  devoirs  envers  le  public, 
quelle  activité  toujours  renouvelée  il  sait  déployer  pour  les  remplir. 
Si  j'ai  tenu  à  commencer  par  ces  constatations,  c'est  que,  grâce  préci- 
sément à  ces  différents  travaux  spéciaux  conduits  de  front,  M.  B.  a 
pu  rédiger  un  petit  catalogue  général  qui  est  un  modèle  du  genre.  Ce 
guide  s'étend  aux  Antiques  inscriptions,  bas-reliefs,  statues,  argen- 
terie, gemmes,  etc.)  et  aux  objets  d'art  (trône  de  Dagobert,  tombeau 
de  Childéric,  épée  des  grands  maîtres  de  Malte,  etc.)  à  l'exception  des 
monnaies  dont  il  est  seulement  fait  mention  en  quelques  lignes  p.  200  . 
C'est,  si  l'on  veut,  un  travail  analogue  à  celui  que  Chabaullet  a  publié 
autrefois  sous  le  titre  de  Catalogue  des  Camées^  etc.  ;  mais  mis  au 
courant  des  nombreuses  acquisitions  faites  depuis  i858  et  surtout 
conçu  et  rédigé  suivant  les  méthodes  scientifiques  actuelles.  Cepen- 
dant il  ne  faudrait  pas  s'attendre  à  y  trouver  la  mention  de  tous  les 
objets  de  la  collection,  mais  seulement  des  plus  importants  de  ceux 
que  le  public  doit  regarder  et  que  les  érudits  ne  peuvent  pas  ignorer; 
comme  le  dit  M.  Babelon,  «  ce  livret  ne  saurait  tenir  la  place  des 
catalogues  spéciaux  et  techniques  de  chaque  série,  qui  sont  en  cours 
de  publication  ».  Des  illustrations  bien  choisies  et  généralement  bien 
réussies  précisent  aux  yeux  les  détails  dont  les  descriptions  très  claires 
de  l'auteur  donnent,  d'autre  part,  une  idée  scientifiquement  énoncée. 
Je  regrette  seulement  que  M.  Babelon  n'ait  pas  cru  devoir  terminer 
son  livre  par  une  table  analytique,  comme  a  fait,  par  exemple, 
M.  S.  Reinach  pour  le  musée  de  Saint-Germain  ou  M.  Héron  de 
Villefosse  pour  les  marbres  antiques  du  Louvre.  Il  est  une  classe  de 
visiteurs  qui  se  servira  couramment  de  son  guide  sans  mettre  les  pieds 
à  la  Bibliothèque  Nationale,  ce  sont  les  érudits.  Pourquoi  ne  pas  leur 
faciliter  les  recherches  et  ne  pas  épargner  leur  temps?  L'auteur,  qui 
emploie  si  bien  le  sien,  sait  pourtant  ce  qu'un  bon  index  ajoute  à  la 
valeur  pratique  d'un  livre,  ce  que  l'absence  de  tables  lui  fait  perdre. 

R.  Cagnat. 


Henri  Doniol,  Serfs  et  Vilains  au  Moyen  Age.  Paris  Alph.  Picard,  1900,  in-S" 
de  VI-299  pp. 

M.  Doniol  a  repris  la  première  partie  de  son  Histoire  des  classes 
rurales  pubHée  en  1 857.  On  sait  que,  depuis  cette  date,  de  nombreuses 
monographies  consacrées  à  l'histoire  des  hommes  de  la  glèbe  ont  mis 
entre  les  mains  des  historiens  des  matériaux  inappréciables.  L'iniiiativc 
de  M.  Léopold  Delisle,  écrivant  sa  célèbre  histoire  des  classes  agri- 
coles en  Normandie,  a  été  sur  ce  point,  comme  sur  tant  d'autres,  admi- 


148  REVUE  CRITIQUE 

rablement  féconde.  Utilisant  les  travaux  les  plus  récents  M.  D.  a  donné 
à  ses  conclusions  une  forme  claire,  précise,  d'une  très  belle  tenue 
littéraire  et  que  nous  ne  sommes  pas  éloigné  de  croire  définitive.  Une 
fois  de  plus  M.  Doniol  montre  que  les  institutions  fondamentales 
d'une  nation  ne  sont  jamais  le  produit  de  la  haine  et  de  la  tyrannie, 
de  l'oppression  à  main  armée.  Le  servage  est  né  spontanément,  néces- 
sairement, des  conditions  sociales  de  Tépoque  où  il  se  développa,  et, 
à  cette  époque,  il  fut  ce  qu'il  pouvait  y  avoir  de  plus  favorable  aux 
intérêts  des  travailleurs  agricoles.  La  terre,  il  est  vrai,  tenait  Thomme, 
mais  d'autre  part  l'homme  tenait  la  terre  ;  et  dans  l'effroyable  anarchie 
des  temps  dont  il  s'agit  c'était  un  bienfait  inestimable.  Le  seigneur, 
il  est  vrai,  percevait  des  redevances  ;  mais  d'autre  part  au  dur  labeur 
de  son  corps,  au  péril  de  sa  vie,  il  assurait  le  travail  de  ceux  qui  lui 
étaient  soumis.  Les  serfs  ne  possédaient  rien  en  propre,  du  moins  ils 
ne  pouvaient  rien  transmettre  à  leurs  hoirs  ;  mais  ils  possédaient  en 
commun,  groupés  en  vastes  familles  —  qui  par  subrogation  duraient 
toujours  —  et  dont  les  communautés  taisibles  du  Nivernais  ont  été 
jusque  vers  le  milieu  de  ce  siècle  des  modèles  surprenants  de  pros- 
périté et  de  vitalité.  Aussi,  quand  il  s'agit  de  supprimer  le  servage,  à 
une  époque  ou  la  transformation  de  l'état  social  en  exigea  la  dispari- 
tion, ce  furent  les  serfs  qui  se  firent  tirer  l'oreille  pour  entrer  en  con- 
dition libre,  nonobstant  les  belles  déclamations  des  rois  de  France  qui 
faisaient  magnifiquement  appel  en  eux  à  la  dignité  humaine. 
Paradoxes  !  dira-t-on.  —  Lisez  le  livre  de  M.  Doniol. 

Frantz  Funck-Brentano. 


Le  colonel  Bourdeau.  Le  grand  Frédéric,  t.  1.,  Paris,  Chapelot,  1900,  in-8. 

Voilà  un  bon  livre  de  pure  histoire  militaire,  où  l'auteur  étudie 
d'abord  la  stratégie  du  grand  Frédéric,  soit  la  position  générale  des 
opérations  militaires,  les  plans  de  campagne,  les  lignes  d'opérations, 
de  communication  et  de  retraite,  les  subsistances,  les  marches, 
manœuvres,  batailles,  etc.  ;  puis  la  tactique  qui  concerne  l'exécution 
même  de  la  guerre,  partie  dans  laquelle  le  roi  de  Prusse  a  été  vraiment 
supérieur.  Un  second  volume  complétera  cette  dernière  étude. 

A  chaque  chapitre,  après  avoir  énoncé  les  théories  de  Frédéric, 
l'auteur  ajoute  des  exemples  tirés  des  campagnes  du  roi. 

Le  livre  est  écrit  avec  clarté,  exactitude  et  impartialité.  L'auteur 
reproduit  surtout  les  jugements  de  Napoléon  et  de  Clausewitz,  un 
peu  moins  ceux  de  Jomini.  C'est  une  lecture  à  recommander,  non  seu- 
lement aux  officiers,  mais  encore  aux  historiens  auxquels  elle  donnera 
des  notions  militaires  autres  que  celles  de  fantaisie  dont  ils  se  con- 
tentent parfois. 


D  HISTOIRE    ET   DE   LITTERATURE  149 

Il  n'y  a  pas  d'erreurs  historiques  à  relever.  Toutefois  on  est  quelque 
•peu  étonné  de  voir  cette  allégation  reproduite  à  plusieurs  reprises 
(p.  i^\  expassim]  :  «  Ce  serait  une  injustice  flagrante  d'attribuer  à 
Soubise  la  moindre  part  de  responsabilité  dans  la  journée  du 
5  novembre  (à  Rosbach)  '.  » 

De  Crue. 


Curiosa  Hungarica.  Magyar  ritkasâgok,  par  Bêla  Tôth,  Budapest,  Athenaeum, 
1899,  x-329  pages.  Illustré. 

Comme  supplément  à  ses  beaux  travaux  sur  les  Paroles  ailées  des 
Magyars  et  les  Curiosités  de  l'histoire  universelle',  M.  B.  Toth,  le 
brillant  chroniqueur  du  Pesti  Hirlap,  vient  de  publier  un  volume 
consacré  exclusivement  à  la  littérature,  à  l'histoire  et  à  la  vie  sociale 
des  Hongrois.  Il  y  traite  des  questions  les  plus  diverses,  souvent  fort 
embrouillées  et  qu'il    n'a   pu  élucider  que   grâce   à   de   nombreuses 
recherches  et  avec  le  concours  de  plusieurs  savants.  Voici  d'abord  un 
chapitre  sur  les  Monuments  linguistiques  falsifiés^  où  nous  voyons 
que  la  Hongrie  a  eu  aussi  ses  Vrain-Lucas  qui  ont  trompé  les  savants, 
non  pas  pour  gagner  de  l'argent  mais  pour  prouver  la  parenté  hypo- 
thétique des  Scythes,  des  Huns  et  des  Sicules  de  Transylvanie.  Ces 
documents  falsifiés  sont  :  le  Livre  de  prières  de  Celle,  les  Prières  de 
l'époque  d'André  I  (1046-61),  le  Livre  en  bois  de  Thurocz,  le  manus- 
crit de  Rohoncz,  les  Chansons  d'Antoine  Somogyi  et  le  Manuscrit  de 
Karacsay.  Ces  supercheries   furent  dévoilées,  en   grande  partie,  par 
Charles  Szabô,  le  distingué  historien  et  bibliographe.  —  Le  chapitre  : 
Kocsi  (Coche)  établit  d'une  façon  définitive  que  le  coche  est  d'inven- 
tion hongroise  et  que  son  nom  provient  du  village  de  Kocs(pron. 
Kotchej  dans  le  comitat  de  Komdrom.  Ménage  l'a  déjà  affirmé  dans 
les  Origines  de  la  langue  française  (i65o,  page  780),  Coche.  Du  mot 
hongrois  Kotc'^y.  Les  coches  sont  l'invention  des  Hongrois.  (Disons 
entre  parenthèse  que  Ménage  avait  des  vues  beaucoup  plus  nettes 
sur  la  langue  magyare  que  beaucoup  de  savants  français  de  nos  jours.) 
Nicolas  Bergier  dans  De  publicis  et  militaribus  imperii  Romani  viis 
(Livre  IVj  dit  également  :  «  Puio  ista  véhicula  convenisse  cum  nostris 
vehiculis  quae  Coches  vulgo  vernacule  vocamus,  voce  ab   Hungaris 
mutuata,  a  quibus  et  prima  eorum  inventio  ad  nos  pervenit  ».  Le  mot 
coche  est  donc  avec  hussard,  kolpak,  dolman  et  soutache  (sujtâs)  un 
des  rares   mots  magvars  passés  en   français.   —  Le  Faust  hongrois 

1.  Lire  p.  32  ;  ij58  au  lieu  de  i858  ;  p.  32  :  Les  Russes  s'étaient  emparés  de  la 
Pruase.  Pourquoi  le  point  d'interrogation  ?  Il  s'agit  bien  de  la  l'russc  royale  pro- 
prement dite.  P.   \5y  et  ailleurs  :  lire  Bourkersdor/  cl  non  Birkersdorf. 

2.  Voy.  Revue  critique,  1897.  n»  5i. 


l5o  REVUE   CRITIQUE 

relate  la  vie  du  savant  Etienne  Hatvani  (171 8-1786)  qui,  le  premier, 
enseigna  la  physique  au  collège  protestant  de  Debreczen  et  fut  con- 
sidéré comme  sorcier  à  cause  des  expériences  dont  il  accompagnait 
son  enseignement.  —  Nous  apprenons  également  par  M.  Tôth  que  le 
vêtement  hongrois  qui  porte  le  nom  Attila  n'a  été  baptisé  ainsi  qu'au 
commencement  du  xix«  siècle  ;  que  VFau  de  la  reine  de  Hongrie  fut 
connue  à  l'étranger  par  les  colporteurs  slovaques  habitant  le  Nord  du 
pays  ;  que  le  Diogène  hongrois  à  Paris  appelé  par  Charles  Nodier 
Menteli,  est  un  nommé  Mendel  qui  parlait  quinze  langues  et  est 
mort  à  Paris,  en  i836,  en  allant  puiser  de  l'eau  dans  la  Seine  ;  que  le 
baron  Bêla  Splénvi  devint  un  saint  chez  les  Mahométans.  D'autres 
chapitres  nous  disent  la  vie  des  Jumelles  de  S:{07iy  (  i  701-1723  Hélène 
et  Judith;  nous  renseignent  sur  le  tombeau  de  Gui-Baba  à  Bude,  lieu 
de  pèlerinage  des  Turcs;  sur  la  Vigne  d'or,  sur  l'histoire  du  paprika^ 
ce  piment  rouge  qui  est  expédié  de  l'Alfôld  hongrois  à  l'étranger  ;  sur 
les  troncs  plantés  de  clous  (Stock  im  Eisen)  qui  se  trouvent  sur  le 
territoire  magyar,  sur  quelques  sorciers  et  adeptes  de  Mesmer,  sur 
les  armes  de  Toldi,  l'Hercule  de  la  légende  nationale,  sur  les  grands 
tonneaux,  sur  les  Momies  hongroises  que  les  mines  de  Vizakna  ont 
rejetés  en  1890  (ce  sont  les  cadavres  bien  conservés  de  cinq  honvéds 
qu'on  a  jetés  en  1849  dans  le  puit  Ekho),  sur  les  expériences  aérosta- 
tiques faites  à  Pest,  deux  mois  après  celles  des  frères  Mongolfier,  par 
le  professeur  Szablik  ;  sur  les  instruments  à  vent,  nommés  tdrogatô 
employés  dans  l'armée  de  Rakoczy  et  tinalement  sur  les  calèches 
(hinto)  qui  sont  mentionnées  pour  la  première  fois  en  Hongrie  en 
1342.  Autant  de  contributions  précieuses  à  l'histoire  de  la  civilisation 
magvare,  exposées  avec  beaucoup  de  goût  et  rendues  accessibles  au 
grand  public. 

J.   KONT. 


Az  aesthetika  tœrténete  (Histoire  de    l'Esthétique;  par   Bêla  Janosi.  Tome  I. 
Budapest,  Académie,  1899,  504 pages. 

M.  Janosi  a  remporté,  en  1891,  le  prix  Gorové  avec  une  Histoire  de 
l'esthétique.  Le  travail  remanié  et  adapté  aux  besoins  du  public  lettré, 
fut  accepté  par  l'Académie  pour  la  Collection  destinée  à  répandre  le 
goût  des  lettres  et  de  l'histoire.  On  nous  en  donne  aujourd'hui  le 
premier  volume,  renfermant  l'esthétique  des  Grecs  et  des  Romains. 
Se  conformant  à  la  tradition  établie  pour  ces  éditions,  M.  J.  a  fait 
avant  tout  œuvre  littéraire.  Il  n'entre  pas  en  d'arides  discussions  ;  il 
expose  les  doctrines  dans  une  langue  claire  et  sobre,  plutôt  qu'il  ne 
les  discute.  Les  notes  rejetées  à  la  Hn  du  volume  ip.  443-5041  prouvent 
cependant  qu'il  connaît  à  fond  tout  ce  qu'on  a  écrit  en  France  et  en 
Allemagne  sur  ce  sujet.  11  a  ainsi  évité  les  défauts  des  ouvrages  ana- 


d'histoire  et  de  littérature  i5i 

logues  de  Zimmermann  et  de  Schasler  qui,  en  voulant  faire  la  critique 
des  doctrines  esthétiques  des  Anciens,  défigurent  souvent  la  pensée 
des  auteurs  et  nous  donnent  des  idées  herbartiennes  ou  hégéliennes  au 
lieu  de  l'esthétique  de  Platon  et  d'Aristote.  L'auteur  hongrois  a  pu 
profiter  de  l'ouvrage  remarquable  de  Walter  :  Die  Geschichte  der 
Aesthetik  im  Alterthiim  (1893)  qui  lui  a  montré  que,  dans  l'exposé 
des  doctrines  esthétiques,  il  faut  également  consulter  les  poètes,  les 
orateurs  et  les  grammairiens.  Les  parties  les  plus  remarquables  de  ce 
livre  sont  celles  consacrées  à  Platon  (p.  62-180)  et  à  Aristote  p.  181- 
328).  Dans  la  première,  on  croirait  lire  Cousin  ou  Levèque.  C'est 
clair,  limpide  et  attrayant  ;  on  voit,  malgré  la  grande  réserve  de  juge- 
ment que  M.  J.  s'est  imposée,  qu'il  penche  du  côté  des  doctrines  pla- 
toniciennes. Dans  la  seconde  partie,  très  fouillée,  nous  trouvons  le 
premier  commentaire  sérieux  de  la  Poétique  ({n' on  ait  fait  en  Hongrie. 
On  aurait  aimé  entendre  quelquefois  une  opinion  personnelle,  ainsi 
dans  la  fameuse  question  de  la  Katharsis  où  tant  d'opinions  contraires 
se  sont  manifestées,  l'auteur  aurait  pu  dire  hardiment  qu'aujourd'hui 
l'explication  Weil-Bernays  est  généralement  acceptée. 

M.  Jânosi  conduit  son  sujet  jusqu'à  Plotin,  Longin  et  Philostrate 
en  passant  par  Cicéron  et  Horace.  Il  offre  ainsi  au  public  magyar 
la  première  histoire  complète  des  doctrines  esthétiques,  très  au  cou- 
rant des  travaux  les  plus  récents  (il  cite  Tolstoï  et  même  le  Sàr  Péla- 
dan!)  et  donne  dans  son  Appendice  une  bibliographie  complète  à 
l'usage  de  ceux  qui  veulent  approfondir  certaines  questions  '. 

J.  Kont. 


J.  Bainville,  Louis  II  de  Bavière.  Paris,  Perrin.   1900.111-12.  pp.  IX,  .^10. 

Le  livre  de  M.  Bainville  s'adresse  plus  au  grand  public  qu'aux  his- 
toriens. Malgré  son  intention  de  dégager  la  biographie  du  roi  Louis 
de  tout  ce  que  la  légende  a  amassé  autour  de  son  nom,  l'auteur  n'a 
peut-être  pas  soumis  à  un  contrôle  assez  sévère  les  témoignages  qu'il 
recueillait  \  D'autre  part,  le  rôle  historique  du  roi,  si  mince  qu'il  ait 
été,  et  celui  qu'a  joué  la  Bavière  pendant  son  règne  de  vingt-deux  ans 
n'ont  pas  trouvé  dans  la  biographie  la  place  qu'ils  méritaient.  M.  B., 
il  est  vrai,  a  volontairement  écarté  cette  partie  du  sujet,  pour  se  borner 
à  un  portrait  psychologique.  Aussi  bien  le  roi  Louis  ne  mérite-t-ilpas 
davantage.  Le  souverain  mégalomane  n'intéresse  pas  plus  l'histoire 

1.  P.  447.  11  aurait  fallu  dire  que  la  première  édition  de  l'Histoire  de  l'art  de 
Winckelmann  date  de  i  J64. 

2.  Les  livres  de  Heigcl,  M*  de  Kobell,  Gerster,  Beyer,  Cramer,  Haufingen, 
Lampert  sont  ses  principales  sources  ;  certaines  paraissent  plutôt  suspectes.  Les 
formules  on  dit,  on  raconte  reviennent  aussi  trop  souvent. 


i:)2  REVUE    CRITIQUE 

que  tel  autre  principicule  de  l'Allemagne  du  xviieou  xyiii®  siècle,  jadis 
célèbre  par  ses  extravagances  et  oublié  aujourd'hui  ;  Louis  H  appar- 
tient à  l'anecdote  et  au  feuilleton. 

A  titre  d'étude  psychologique  la  biographie  de  M.  B.  est  complète 
et  attachante.  Elle  commence  par  indiquer  les  tares  héréditaires  des 
Wittelsbach,  Téducation  maladroite  que  reçoit  le  prince  et  qui  fera  de 
lui  un  rêveur  et  un  lycanthrope  ;  elle  nous  explique  son  mariage 
avec  Sophie  de  Bavière,  son  amitié  durable  avec  l'impératrice  d'Au- 
triche Elisabeth, ses  premiers  conflits  avec  les  ministres  et  la  Chambre. 
Nous  aurions  aimé  être  un  peu  mieux  renseigné  sur  certains  points, 
comme  sur  l'éducation  religieuse  du  roi,  ses  principes  politiques,  les 
appuis  et  les  résistances  qu'il  trouva  autour  de  lui.  L'auteur  glisse 
rapidement  sur  l'attitude  de  Louis  II  en  1866,  son  rôle  avant  et  après 
la  fondation  de  l'empire  allemand,  mais  il  nous  donne  de  copieux 
détails  sur  l'autocratisme  politique  du  souverain,  ses  fantaisies  dispen- 
dieuses, et  tous  les  troubles  de  l'imagination  et  de  la  volonté  qui  abou- 
tissent à  la  catastrophe  de  Berg.  On  sait  que  pour  celle-ci  les  avis 
sont  partagés  :  le  roi  se  jeta-t-il  à  l'eau  dans  un  accès  de  folie  ?  voulut- 
il  au  contraire  y  précipiter  le  Dr .  Gudden  ?  c'est  la  dernière  hypothèse 
qu'admet  M.  Bainville  ;  mais  malgré  sa  démonstration  des  doutes 
subsistent  toujours. 

Ce  qui  en  France  a  fait  surtout  la  popularité  de  Louis  II,  c'est  sa 
passion  du  beau  ;  c'est  aussi  le  côté  de  sa  biographie  que  M .  B.  a  fait 
le  mieux  ressortir,  sur  lequel  il  nous  donne  une  information  abondante 
et  judicieuse  et  qui  me  paraît  offrir  la  partie  la  mieux  venue  du  volume. 
Il  le  rappelle  avec  raison,  les  Wittelsbach  ont  eu  en  commun  ce  goût 
de  l'art  ',  qui  fut  la  monomanie  de  leur  descendant.  Pour  M.  B. 
Louis  II  manquait  du  véritable  sens  artistique,  il  n'a  eu  qu'un  tempé- 
rament romanesque  ;  incapable  de  rien  créer  d'original,  il  n'a  été 
qu'un  romantique  attardé,  une  dilettante  érudit.  Il  eût  été  intéressant 
de  nous  montrer  l'origine  des  préférences  du  roi  pour  telle  forme 
d'art,  pour  telle  période  historique,  surtout  lorsque  ces  préférences 
sont  celles  de  toute  la  nation  et  se  trahissent  dans  des  créations  mul- 
tiples :  romans  de  Freytag,  Dahn,  Schefîel,  poèmes  de  W.  Jordan  et 
de  J.  Wolff,  opéras  de  Wagner,  dessins,  toiles  ou  marbres  de  Corné- 
lius, Kaulbach,  Schwind,  Schwanthaler,  Bandel,etc.,  Dans  l'évolution 
moderne  de  l'art  allemand  Louis  II  comme  Louis  I*^""  caractérisent 
bien  cette  obsession  de  la  légende  héroïque  germaine  qui  n'a  pas 
encore  tout  à  fait  cessé.  Quelques  détails  sur  les  artistes  qui  furent  les 
collaborateurs  du  roi  dans  la  réalisation  de  ses  ruineux  caprices  eussent 


I.  M.  B.  qui  est  bien  indulgent  pour  les  prétentions  poétiques  de  Louis  1<",  eût 
dû  signaler  aussi  l'intérct  que  Maximilien  II  témoigna  aux  lettres  ;  il  fallait  rap- 
peler les  noms  de  Geibel,  Bodenstedt,  P.  Heyse,  H.  Lingg,  Schack,  et  tout  le 
groupe  de  l'école  de  Munich , 


d'histoire  et  de  littérature  i53 

été  aussi  les  bienvenus  ;  il  a  sans  doute  employé  beaucoup  de  ma- 
nœuvres, mais  certains  noms  méritaient  un  peu  plus  d'égards.  On  ne 
peut  pas  faire  le  même  reproche  à  M.  B.  pour  celui  de  ces  artistes 
à  qui  revient  la  première  place.  Il  a  consacré  un  long  chapitre  aux 
rapports  de  Wagner  et  de  Louis  II,  montrant  justement  que  le  roi 
entendait  en  soutenant  le  musicien  servir  surtout  son  ambition  per- 
sonnelle. Les  lettres  de  Louis  II  à  Wagner,  publiées  en  1899  dans  un 
journal  de  Vienne,  nous  sont  communiquées  au  cours  de  la  biographie 
et  dans  l'appendice,  pour  nous  donner  des  preuves  du  lyrisme  étrange 
où  atteignait  parfois  Famitié  du  souverain.  Je  crains  seulement  que  la 
traduction  n'exagère  beaucoup  trop  ces  effusions  de  sentimentalité  ; 
sans  compter  qu'il  ne  faut  pas  juger  du  style  épistolaire  des  Allemands 
par  le  nôtre. 

L.    ROUSTAN. 


A  history  of  italian  unity  par  Bolton  King,  Londres;  J.  Nisbet  and  C°.  1899.  — 
I.-  XVIU-416  ;  Il  xi-43!. 

En  écrivant  ce  livre,  nous  dit  M.  Bolton  King,  je  me  suis  proposé 
un  double  but  :  j'ai  voulu  donner  un  récit  fidèle  d'un  grand  épisode 
de  l'histoire  contemporaine  qui  n'a  encore  trouvé,  ni  en  Angleterre 
ni  même  en  France,  de  narrateur  digne  de  lui;  les  Italiens  qui  ont 
publié  sur  la  question  tant  de  monographies  et  nous  accablent  impi- 
toyablement sous  un  monceau  indigeste  de  documents  d'intérêt 
variable,  n'ont  pas  su  dégager  de  tous  ces  matériaux  une  œuvre  bien 
ordonnée  et  lisible.  De  là  l'ignorance  étrange  des  Anglais  sur  l'Italie 
et  les  erreurs  lamentables  dans  lesquelles  tombent  leurs  journaux.  Les 
liens  qui  unissaient  jadis  les  deux  nations  se  relâchent,  et  pour  réta- 
blir le  courant  de  sympathie  mutuelle  qui  les  rapprochait,  il  faut 
s'efforcer  de  dissiper  l'ignorance  qui  crée  les  préjugés  ou  l'indifférence. 
—  Ces  regrets,  d'un  pessimisme  peut-être  un  peu  exagéré,  sont  en 
somme  fondés  et  ce  n'est  pas  seulement  au-delà  de  la  Manche  que 
certains  journalistes,  —  et  non  pas  parmi  ceux  dont  l'action  sur  la 
foule  est  la  moindre,  —  témoignent  d'une  fâcheuse  ignorance  de  l'his- 
toire des  peuples  voisins.  Cela  tient  en  partie  à  ce  qu'ils  se  plaisent  à 
chercher  leurs  renseignements  dans  les  ouvrages  les  moins  sûrs  et  j'ai 
grand  peur  que  la  plupart  d'entre  eux  ne  consultent  pas  le  livre  de 
M.  B.  King.  Cela  tient  aussi  à  ce  que  la  curiosité  générale  ne  semble 
pas  se  développer  aussi  rapidement  que  devraient  le  faire  supposer  la 
facilité  des  voyages  et  la  connaissance  plus  répandue  des  langues 
étrangères.  Je  n'oserais  pas  affirmer  que  nous  soyons  à  ce  point  de  vue 
en  progrès  sur  le  xviii'^  siècle.  L'histoire  étrangère  est  partout  assez 
négligée.  De  temps  en  temps  quelques  noms  illustres  triomphent  de 
notre  indifférence,  maissi  nous  consentons  à  goûter  Ibsen,  Sudermann. 


I  54  REVUE    CRITIQUE 

Tolstoï  OU  d'Annunzio,  nous  ne  nous  soucions  guère  de  les  placer 
dans  leur  milieu  et  de  comprendre  les  conditions  qui  les  ont  inspirés  : 
si  bien  qu'en  dernière  analyse,  nous  avons  d'eux  une  idée  à  peu  près 
aussi  juste  qu'en  ont  de  Wagner  les  mélomanes  qui  n'ont  Jamais 
entendu  de  lui  que  quelques  fragments  isolés  dans  les  concerts.  La 
tentative  de  M.  B.  K.  est  donc  digne  d'éloges,  et  il  est  à  souhaiter  que 
son  livre  trouve  de  nombreux  lecteurs.  Les  idées  qu'ils  y  puiseront 
seront  en  général  sommairement  justes,  je  veux  dire  qu'ils  n'y  appren- 
dront pas  de  grosses  erreurs  et  que  l'auteur  a  la  meilleure  volonté  du 
monde  de  ne  leur  enseigner  que  la  vérité.  S'il  ne  souligne  pas  d'un 
crayon  très  énergique  les  services  que  la  France  a  rendus  à  l'Italie,  il  ne 
fait  en  cela  que  suivre  une  mode,  un  peu  ridicule  ;  mais  les  événements 
ici  ont  une  telle  évidence  qu'ils  apparaissent  en  dépit  de  toutes  les 
réticences.  Quelque  sympathie  qu'ait  pu  nourrir  le  ministre  Palmer- 
ston  pour  les  unitaires  italiens,  sa  bonne  volonté  platonique  aurait 
difficilement  remplacé  l'intervention  de  Napoléon  III,  et,  à  travers  les 
variations  obscures  des  ambitions  et  des  idées  de  l'empereur  il  n'est 
guère  douteux  que  dans  la  crise  décisive,  c'est  lui  avant  tous  qui  a 
encouragé  et  soutenu  Cavour  et  ses  successeurs.  M.  B.  K.  ne  le  dit 
pas  assez  clairement,  mais  du  moins  il  ne  le  nie  pas  et  il  ne  tombe  pas 
dans  la  faute  de  M.  Stillman  qui  nous  a  donné,  en  anglais  aussi,  il  y 
a  quelque  temps,  une  histoire  de  l'unité  italienne,  dans  laquelle  il  n'a 
pas  su  oublier  assez  qu'il  était  un  des  anciens  auxiliaires  de  Crispi. 

M.  B.  K.  écrit  de  l'histoire;  M.  Stillman  écrivait  une  sorte  de  pam- 
phlet. Est-ce  pour  cela  que  si  le  livre  de  M.  B,  K.  est  plus  apaisé  et 
plus  serein,  il  est  d'une  lecture  moins  intéressante? — En  partie,  mais  il  y 
a  d'autres  raisons.  Nous  ne  saurions  exiger  d'un  auteur  qui  résume  une 
période  aussi  vaste  de  nous  apporter  des  documents  nouveaux  :  dans 
l'espèce,  la  plupart  du  temps,  ils  ne  seraient  pas  accessibles  et  les 
archives  gardent  encore  leurs  secrets.  Nous  avons  du  moins  le  droit 
de  demander  que  le  récit  qu'il  nous  présente  soit  construit  d'après 
une  méthode  strictement  rigoureuse,  et  la  manière  dont  il  établit  sa 
bibliographie  nous  permet  de  juger  ses  procédés  de  travail.  M.  B.  K. 
a  mis  à  la  fin  de  son  second  volume  une  bibliographie  très  copieuse  et 
il  nous  dit  qu'il  a  consulté  plus  de  neuf  cents  ouvrages.  C'est  beau- 
coup, et  je  dirai  volontiers  que  c'était  trop.  Il  y  a  là  beaucoup  de 
fatras;  insuffisante  compensation  pour  tout  ce  qu'on  voudrait  y  voir 
et  qu'on  y  cherche  en  vain.  D'abord,  il  est  à  peu  près  impossible  de 
comprendre  l'ordre  qu'il  a  suivi  dans  le  classement  de  ses  textes  : 
pourquoi,  par  exemple,  placer  parmi  les  ouvrages  généraux  les  lettres 
de  Chateauvieux,  ou  les  quatre  ministères  deDrouynde  Lhuys? —  Il 
en  résulte  qu'il  est  souvent  très  difficile  de  se  rendre  compte  des  ou- 
vrages qu'a  connus  l'auteur  et  de  ceux  qu'il  a  négligés. 

Parmi  ceux-ci,  il  a  écarté  systématiquement  les  journaux.  —  Quelque 
faible  connaissance  que  j'aie  de  cette  littérature,  nous  dit-il,  j'en  sais 


d'histoire  et  de  littérature  i55 

assez  pour  affirmer  qu'elle  ne  nous  fournirait  à  peu  près  aucune  indi- 
cation nouvelle,  et  il  est  étonnant  combien  un  livre  tel  que  celui  de 
Gori,  Storia  délia  rivoliiiione  italiana,  fondé  sur  l'état  détaillé  des 
fouilles  contemporaines,  a  peu  accru  notre  savoir,  —  Il  faudrait  s'en- 
tendre :  il  y  a,  en  effet,  quelque  naïveté  à  demander  à  des  journalistes 
mal  renseignés,  pressés  et  partiaux,  le  détail  exact  des  faits,  mais  ils 
nous  donnent  l'impression  produite  par  les  faits  sur  l'opinion  et  cette 
impression  devient  à  son  tour  un  des  facteurs  de  l'histoire.  La  presse 
n'est  pas  un  bon  témoin,  mais  c'est  un  acteur,  et  à  ce  point  de  vue  il  y 
a  quelque  imprudence  à  la  dédaigner  complètement.  —  Il  en  est  à  peu 
près  de  même  des  recueils  officiels  contemporains,  et  Je  crois  volontiers, 
comme  l'auteur,  que  les  livres  bleus,  verts  ou  jaunes,  parle  choix  cal- 
culé des  pièces  qu'ils  nous  donnent,  non  seulement  ne  nous  disent  pas 
tout  ce  que  nous  voudrions  savoir,  mais  altèrent  volontairement  la 
vérité.  Seulement,  n'y  a-t-il  pas  aussi  quelque  intérêt  à  rechercher 
quelle  est  la  prensée  qui  a  déterminé  tel  ou  tel  gouvernement  à  modi- 
her  les  faits  dans  un  sens  donné?  N'est-ce  pas  là  un  moyen  pour 
dégager  ses  intentions  secrètes?  Ou  bien  M.  B.  K.  aurait-il  la  préten- 
tion de  ne  se  servir  que  de  documents  sûrs?  — On  ne  comprendrait 
pas  alors  pourquoi  il  fait  si  souvent  usage  de  lettres  des  personnages 
mêlés  aux  événements  et  de  Mémoires.  Chaque  lettre  n'est-elle  pas 
plus  ou  moins  un  plaidoyer  et  les  auteurs  de  Mémoires  n'ont-ils  pas 
pour  but  éminent  de  nous  tromper,  volontairement  ou  non,  sur  le  rôle 
qu'ils  ont  joué?  —  En  résumé,  en  histoire,  presque  tous  les  docu- 
ments sont  suspects.  La  grande  difficulté  est  de  nous  retrouver  au 
milieu  de  ces  témoignages  qui  poursuivent  un  objet  déterminé  et  qui 
sont  altérés  par  une  tendance  égoïste.  C'est  un  procédé  trop  simpliste 
que  d'en  écarter  toute  une  catégorie,  et  cela  ne  va  pas  sans  inconvé- 
nient. L'étranger,  nous  dit  l'auteur,  ne  peut  pas  se  pénétrer  de  cette 
essence  subtile  qui  constitue  comme  l'âme  et  la  vie  du  peuple. —  C'est 
ce  qu'il  faudrait  cependant  chercher.  Peut-être  si  M.  B.  K.  avait 
moins  redouté  ces  pamphlets  et  ces  documents  immédiatement  con- 
temporains, son  livre  serait-il  moins  gris,  plus  animé,  plus  vivant. 
Nous  n'y  respirons  pas  l'air  d'Italie. 

Ce  qui  est  plus  grave,  c'est  que  l'auteur  a  écarté  tous  les  ouvrages 
allemands  qui  n'ont  pas  été  traduits  en  anglais  ou  en  français.  C'est  là 
une  résolution  des  pl-us  étranges.  Qu'il  laisse  de  coté  des  ouvrages 
tels  que  ceux  de  Reuchlin  ou  telles  autres  études  générales,  c'est  sans 
doute  regrettable,  mais  après  tout  on  peut  l'admettre.  Un  écrivain 
—  à  ses  risques  et  périls,  —  a  le  droit  de  négliger  des  travaux  de  se- 
conde main,  quelle  qu'en  soit  la  valeur.  Mais,  ce  qu'on  ne  saurait 
accepter,  ce  qui  à  mon  sens  atteint  la  valeur  essentielle  du  livre,  c'est 
que  dans  le  grand  procès  engagé  entre  le  Piémont  ci  l'Autriche,  —  et 
c'est  à  cela  en  définitive  que  se  réduit  l'histoire  de  l'Italie  jusqu'en 
1866,  —  on  néglige  de  parti  pris  le  témoignage  d'un  des  deux  intércs. 


l56  REVUE    CRITIQUE 

ses.  N'y  a  t-il  pas  une  singulière  imprudence  à  ne  consulter  ainsi  ni 
les  correspondances  et  les  journaux  de  Gentz,ni  le  recueil  de  Neu- 
mann  ni  aucun  des  ouvrages  de  Springer,  de  Schmidt  ou  d'Helfert 
qui  sont  appuyés  sur  l'étude  des  archives  de  Vienne?  —  Le  récit  que 
trace  M.  B.  K.  de  la  campagne  de  1866  n'est  pas  faux,  en  ce  sens 
qu'il  reconnaît  que  les  Italiens  ont  été  vaincus  à  Custozza  et  à  Lissa  ; 
mais  il  atténue  singulièrement  les  faits  et  je  doute  qu'il  eût  écrit  que 
«  même  avant  Sadowa,  il  est  permis  de  penser  que  les  Autrichiens 
étaient  décidés  à  évacuer  la  Vénitie,  »  s'il  avait  consulté  le  travail  de 
Fredjung,  Der  Kampf  lun  die  Vorherrschaft  in  Deuischland. 

Gomment  peut-on  aussi  espérer  écrire  une  histoire  précise  des  rela- 
tions entre  la  Prusse  et  l'Italie  en  1866  sans  citer  l'ouvrage  de  Sybel 
et  les  Mémoires  de  Bernhardi  ? 

D'une  façon  générale,  M.  B.  K.  n'est  pas  assez  rigoureux  dans  la 
critique  de  ses  sources  et  ses  affirmations  semblent  quelquefois  bien 
audacieuses.  Que  M.  de  Bismarck  à  Biarritz  ait  consenti  à  certains 
arrangements  à  propos  de  la  Moselle  et  du  Rhin,  ce  n'est  sans  doute 
pas  invraisemblable  au  point  de  vue  psychologique  :  mais  c'est  ce 
qu'aucun  texte  ne  nous  permet  d'affirmer.  Il  est  beaucoup  plus  dou- 
teux encore  qu'il  ait  été  disposé  à  offrir  le  Palatinat  après  Kôniggratz, 
et  je  ne  vois  non  plus  aucune  raison  pour  dater  du  mois  de  juillet  1 866 
le  projet  de  traité  relatif  à  la  Belgique.  Tout  cela  manque  un  peu 
de  précision,  le  récit  est  flottant  et  nous  laisse  trop  souvent  une 
impression  d'inquiétude.  Ce  n'est  pas  sans  quelque  étonnement  que 
nous  voyons  ainsi  présenter  le  plébiscite  de  1870  comme  une  sorte 
de  confirmation  de  la  victoire  du  parti  libéral,  et  j'ai  aussi  la  plus 
grande  peine  à  admettre  que  l'Empereur  ait  dit  au  mois  d'août  1870: 
Plutôt  les  Prussiens  à  Paris  que  les  Piémontais  à  Rome.  En  dépit  de 
publications  retentissantes,  nous  sommes  tort  incomplètement  rensei- 
gnés sur  les  négociations  qui  se  poursuivirentavec  beaucoup  de  lenteur 
de  1866  à  1870  entre  la  France,  l'Italie  etl'Autriche.  Les  témoignages  de 
Beust  et  du  prince  Napoléon  sont  suspects  par  définition,  et  quelques 
réserves  eussent  été  prudentes. 

Si  j'insiste  sur  ces  questions,  c'est  que  ce  sont  celles  qui  intéressent 
le  plus  l'auteur.  lia  prétendu  faire  une  histoire  politique,  et  ne  s'oc- 
cupe de  philosophie  et  de  littérature  que  quand  il  y  serait  absolument 
obligé.  Suivant  moi,  et  dans  un  pareil  sujet,  c'était  une  conception 
trop  étroite.  Trois  ou  quatre  pages  consacrées  au  romantisme,  c'est 
vraiment  un  peu  maigre  et  la  place  réservée  à  Manzoni,  à  Léopard  i 
ou  à  Guerchet  aurait  pu  sans  inconvénient  être  moins  parcimonieu- 
sement ménagée.  Il  me  semble  aussi  que  dans  une  étude  qui  est  en 
somme  conçue  sur  un  plan  assez  large,  il  eût  été  naturel  de  nous  indi- 
quer à  grands  traits  comment  dès  le  xvin*  siècle  se  prépare  sourdement 
l'œuvre  de  transformation  qui  s'est  accomplie  de  nos  jours  et  qu'il  eût 
été  indispensable  de  nous  montrer  le  mouvement  des  esprits  pendant 


d'histoire  et  de  littérature  i57 

la  domination  française.  Pour  cela,  M.  B.  K.  n'aurait  eu  d'ailleurs 
qu'à  suivre  l'exemple  qui  lui  avait  été  donné  par  Tivaroni,  et  il  aurait 
trouvé  de  précieux  renseignements  dans  les  livres  excellents  de  Bouvy 
sur  Verrietde  Dejob  sur  Madame  de  Staël  et  l'Italie. 

Il  n'est  que  juste  d'ajouter  que  si  le  livre  que  nous  apporte  M.  B.  K. 
prête  ainsi  à  d'assez  nombreuses  critiques,  il  était  fort  difficile  à  écrire  ; 
il  y  a  des  tâches  qu'il  est  honorable  d'entreprendre  même  si  on  ne 
réussit  pas  complètement  à  les  mener  à  bout.  Les  historiens  rapportent 
de  cette  lecture  quelque  déception,  c'est  peut-être  après  tout  que  le 
livre  n'est  pas  fait  pour  eux;  la  psychologie  de  l'auteur  n'est  pas  très, 
pénétrante,  ses  personnages  sont  dessinés  d'un  trait  un  peu  mou  et  le 
récit  est  quelquefois  monotone  dans  son  uniformité  ;  du  moins  on  y 
avance  sans  heurts  et  sans  secousse,  le  ton  est  simple,  l'allure  aisée  et 
la  pensée  sage.  C'est  une  œuvre  de  bonne  foi  qui  témoigne  d'une  appli- 
cation méritante  et  qui  est  parfaitement  propre  à  relever  le  niveau 
moyen  des  connaissances.  Plus  développe  que  le  livre  de  M.  de 
Crozals,  moins  vivant  et  peut-être  aussi  moins  solide,  il  peut  rendre 
des  services  analogues. 

E.  Denis. 


BARTH(Dr.  Hans),  Italienischer  Schenkenfûhrer.  Oldenbourg  ci  Leipzig,  Sch- 
wartz,  1900.  petit  iii-8  de  68  p. 

L'éditeur  de  cet  opuscule,  dont  l'objet  est  de  faire  connaître  aux 
voyageurs  les  meilleurs  cabarets  d'Italie,  a  souhaité  qu'il  fût  annoncé 
dans  la  Revue  Critique.  Il  eût  peut-être  été  difficile  de  déférer  à  ce 
désir  ;  car  ce  ne  sont  pas  précisément  des  informations  de  cette  nature 
que  nos  lecteurs  attendent  de  nous.  Heureusement  l'auteur  a  mis  en 
tête  de  son  livre,  avec  beaucoup  de  bonne  grâce,  une  idée  générale  qui 
appelle  le  commentaire  de  l'érudition.  La  voici,  dans  la  langue  même 
où  il  l'énonce  :  «  Si  latet  in  vino  veritas,  invertit  veriim  Teuto.  »  Or  ce 
serait  un  amusant  objet  de  recherches  que  de  reci>eillir  dans  les  clas- 
siques italiens  les  preuves  de  l'étonnement  que  causait  chez  un  peuple 
éminemment  sobre  la  capacité  stomachique  des  Allemands.  On  con- 
naît le  mot  de  Dante  :  «  Li  tedeschi  liirchi.  »  [Enfer,  ch.  17  :  v.  19.) 
Dès  avant  lui,  on  voit  un  Italien  mettre  à  profit  la  soifteutonique.  Ce 
Farinata  degli  Uberti,  qui  tenait  l'enfer  en  grand  mépris,  était  un 
homme  fort  avisé  :  n'ayant  pu  obtenir  de  Manfred  une  véritable  armée 
contre  les  Guelfes  de  Florence,  il  se  fait  du  moins  donner  100  cava- 
liers, leur  verse  quelques  rasades  et  les  lance  tout  seuls  à  l'assaut  du 
camp  florentin  ;  ils  sont  naturellement  défaits  et  la  bannière  impériale 
est  insultée  ;  dès  lors,  il  faut  bien  que  Manfred  envoie  pour  la  venger 
un  secours  plus  etîectif.  (Chronique  de  Giov.  Villani  liv.  VI,   ch.  76- 


l58  REVUE    CRITIQUE 

77)  Au  XV'  siècle,  le  lansquenet  allemand  devient  dans  les  Canti 
Carnascialeschi  une  sorte  de  type  consacré  qui  paraît  sous  les  cos- 
tumes les  plus  divers  ;  on  le  voit  musicien,  pèlerin,  pêcheur  de  harengs, 
écuyer  tranchant,  fabricant  de  seringues,  mais  un  des  thèmes  qu'il 
traite  le  plus  volontiers  dans  son  Jargon,  c'est  l'éloge  du  vin.  Dans  le 
Morgante  Maggiore  de  Pulci,  un  musulman  à  qui  Roland  donne  tort 
dans  un  combat  singulier  l'appelle  allemand  plein  de  saindoux  qui 
doit  absorbe?'  plus  de  vin  qu'une  éponge  n'absorberait  d'eau  (ch.  XXI, 
oct.  1 38.)  ;  et  une  des  cinq  manières  de  perdre  l'eau  est,  selon  le  poète, 
de  l'employer  à  laver  une  table  où  des  Allemands  ont  dîné  (ibid,  ch. 
VII,  oct.  276).  Laurent  le  Magnifique,  dans  le  4^'"'=  capitolo  de  ses 
Beoniy  affirme  que,  si  les  Allemands  aimaient  autant  l'eau  qu'ils  la 
détestent,  le  monde  serait  à  sec.  Dans  la  comédie  de  Cecchi  I Manas- 
dieri,  il  y  a  un  Allemand  qui  baragouine  et  aime  le  bon  vin.  Dans  la 
Secchia  rapita  de  Tassoni,  c'est  la  soif  qui  amène  les  Allemands  sur 
les  champs  de  bataille  de  l'Emilie  '^I,  oct.  68;  III,  oct.  8  ;  VI,  oct.  46;. 
—  E  chi  piii  n'Iiapiù  ne  metta  '.  Il  faut  pourtant  dire  que,  dans  notre 
siècle,  les  malins  propos  qui  couraient  sur  les  Allemands  dans  le 
Lombard-Vénitien  les  épargnaient  sur  cet  article.  (V.  Folk-lore  ve- 
ronese  :  aneœdoti  satirici  sui  Tedeschi  par  M.  Balladoro,  Vérone-Pa- 
doue,  Drucker,  1897). 

Charles  Dejob. 


—  Nous  avons  à  signaler  dans  VArchiv  fur  Religionswissenchaft ,  III.  i,  les  articles 
suivants  :  C.  F.  Lehmann,  Reiigionsgeschichtiiches  aus  Kaukasien  und  Arménien; 
L.  H.  Gray,  The  Indo-Iranien  DeityApam.  Napat;  H.  Haas,  Der  Zug  zum  Mono- 
theismus  in  den  homerischen  Epen;  H.  Schukowitz,  Richterlehre  (Ein  Beitrag 
zur  Geschichte  der  Standespredigt  in  Oesterreich). 

—  On  trouvera  un  relevé  complet  des  manuscrits  dont  la  critique  dispose  pour 
1  édition  des  versions  latines  de  certains  livres  de  IWncien  Testament,  dans  la  bro- 
chure de  M.  P.  Thielmann,  Bericht  ilber  das  gesammelte  handschriftUche  Mate- 
rial  ^H  einer  kritisclien  Ausgabe  der  lateinischen  Ueberset:{imgen  biblischer  Bûcher 
des  alten  Testaments  (Extrait  des  comptes  rendus  de  l'Académie  royale  de  Bavière, 
section  de  philosophie  et  d'histoire,  III,  11,  2o5-243;.  Les  livres  dont  il  s'agit  sont 
la  Pagine,  lEcclésiastique,  Esther,  Tobie  et  Judith.  L'auteur  prépare  une  édition 

I.  Dans  La  Estrella  de  Sevilla  de  Lope  de  V'cga,  un  valet,  admirant  la  résigna- 
tion de  SanchoOrtiz  condamné  à  mort,  demande  ce  que  ferait  de  mieux  un  ivrogne 
allemand  au  ne^  rougi  par  les  caresses  de  la  bouteille.  Dans  la  comédie  de 
J.-B.  Rousseau,  Le  Café,  un  valet  imagine  un  plan  de  campagne  qui  consiste  en 
particulier  à  s'emparer  des  vignes   qui  bordent  le  Rhin  :  «  Les  Allemands  n'ayant 

plus  de  vin    il   faut   qu'ils  crèvent Par    conséquent,  me  voir  maître    de    tout 

ce  pays-là.  »  Au  ch.  VII  du  Diable  boiteux,  Lesage  parle  d'un  hôtelier  emprisonné 
parce  qu'un  étranger  vient  de  crever  dans  sa  taverne  :  «  On  prétend  que  la  qualité 
du  vin  a  fait  mourir  le  défunt,  l'hôte  soutient  que  c'est  la  quantité  ;  et  il  sera  cru 
pn  justice  ;  car  l'étranger  était  allemand.  » 


d'histoire  et  de  littérature  iSq 

critique   d'Esiher,  et   se  propose   d'éditer  les  autres  livres,  puis   les  Machabées, 
Baruch  et  le  III«  livre  d'Esdras. 

—  Sir  W.  MuiR,  dans  une  brochure  intitulée  :  Moslems  invited  to  read  the  Bible 
(Edinburgh,  Clark,  1899;  in-8,  5o  pages),  prouve  par  le  Coran  l'autorité  divine  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  afin  -d'engager  les  musulmans  à  lire  les  Écri- 
tures juives  et  chrétiennes.  Il  ne  paraît  pas  que  cette  lecture  soit  bien  recom- 
mandée par  le  Coran.  Mais  la  brochure  de  S.  Muir  échappe  à  la  compétence  de 
la  Revue  critique. 

—  La  conférence  de  M.  E.  Vischer,  Albrecht  Ritschls  Anschaitung  von  evangelis- 
chem  Glauben  iind  Leben  (Tùbingen,  Mohr,  igoo  ;  in-8,  36  pages),  traite  principa- 
lement de  l'attitude  de  Ritschl  à  l'égard  du  piétisme  et  montre  comment  cette 
attitude  du  célèbre  théologien  est  en  rapport  avec  sa  conception  générale  du 
christianisme. 

—  D'où  vient  la  décadence  économique  de  la  France  ?  se  demande  M.  le  baron 
Charles  Mourre  (Paris,  Pion  [1899]  460  p.)  L'auteur  qui  se  pique  d'être  historien, 
puisqu'il  enseigne  «  ce  que  doit  être  l'histoire  »  (p.  437-51)  s'avise  à  bon  droit  de 
rechercher  les  causes  de  cette  décadence  dans  le  passé  le  plus  lointain  du  pays. 
Les  germes  ne  sont  pas  congénitaux  à  la  race  puisque  aussi  bien  on  serait  en  peine 
de  définir  la  race  française  ;  ils  ont  évolué  avec  les  institutions  et  les  idées  natio- 
nales. C'est  dès  l'établissement  de  la  féodalité  le  mépris  de  la  classe  noble  pour  le 
travail  et  le  travailleur  ;  c'est  plus  tard  la  désertion  des  campagnes  par  les  pro- 
priétaires, qui  mangent  leurs  revenus  à  la  cour  ;  c'est,  avec  le  triomphe  de  la 
monarchie  absolue,  l'intervention  de  l'Etat  dans  le  commerce  et  l'industrie.  Voilà 
les  maux  légués  par  l'ancien  régime;  le  régime  moderne  les  a  en  plus  aggravés  et 
en  a  enfanté  de  nouveaux.  Le  fossé  s'est  élargi  entre  la  bourgeoisie  qui  a  rem- 
placé—  fort  mal  —  la  noblesse,  et  le  monde  ouvrier  ;  la  bourgeoisie  ne  professe  pas 
un  moindre  dédain  pour  les  besognes  lucratives,  et  tourne  ses  ambitions  vers  les 
fonctions  publiques  ;  l'ingérence  de  PEtat  non  seulement  n'est  point  redoutée, 
mais  est  invoquée  par  tous  les  intérêts  ;  la  natalité  décroît,  etc.  Et  si  l'on  objecte 
que  la  France  a  connu  une  longue  période  de  prospérité,  M.  M.  répond  que  cette 
prospérité  était  prise  de  l'impuissance  économique  des  autres  pays  ;  ceux  ci  ont 
pris  l'essor  à  leur  tour  et  M.  M.  trace  de  la  brillante  fortune  de  l'Allemagne  et  de 
l'Angleterre  un  tableau  flatteur  auquel  la  France  sert,  si  l'on  peut  dire,  de  repous- 
soir. Toutes  ces  considérations  pour  n'être  point  inédites  sont  assurément  sensées, 
et  l'auteur,  bien  que  souvent  il  résume  en  style  de  précis  ses  lectures  historiques, 
est  homme  de  réflexion.  Mais  —  et  c'est  là  le  côté,  sinon  le  plus  original,  du  moins  le 
plus  représentatif  de  son  étude  —  sa  puissance  de  réflexion  est  celle  du  bourgeois 
conservateur,  et  môme  réactionnaire  ;  voici  les  remèdes  les  plus  efficaces  qu'il 
propose  pour  le  relèvement  économique  du  pays  :  1°  réduction  du  nombre  des 
fonctionnaires  ;  2°  décentralisation  3°  diminution  des  appointements  des  fonc- 
tionnaires ;  ajoutez  :  le  retour  à  la  religion,  et  subsidiairement  à  la  monarchie.  Il 
semble  que  tout  le  travail  de  transformation  sociale,  la  modification  de  l'idée  de 
propriété,  le  problème  des  rapports  entre  le  capital  et  la  main  d'œuvre,  que  toutes 
ces  questions  qui  dépassent  l'idéal  bourgeois  n'aient  pour  M.  M.  aucune  signifi- 
cation ;  de  même  il  ne  discerne  pas  l'influence  déprimante  de  l'Église  catholique, 
partout  où  elle  règne  en  maîtresse.  Mais  si  les  vues  de  M.  M.  sont  tant  soit  peu 
courtes,  elles  sont  souvent  justes  et  généreuses  et  ses  raisons  méritent  d'être 
méditées  par  les  lecteurs  auxquels  son  ouvrage  est  plus  particulièrement  destiné. 
-  B.  A. 


l60  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRARTUE 

ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  2g  juillet  igoo. 

M.  le  Secrétaire  perpétue!  donne  lecture  d'une  lettre  du  président  de  la  Société  cen- 
trale des  Architectes  français,  annonçant  que  cette  Société  a  décerné  à  M.  Demargue, 
membre  de  l'Ecole  française  d'Athènes,  sa  grande  médaille  d'argent  annuelle. 

M.  Bouché-Leclercq.  comparaison  faite  du  totémisme  avec  les  autres  méthodes 
d'exégèse  appliquées  aux  mythes  et  rites  religieux,  estime  :   1°  que  le  totémisme  ne 

f>eut  être  une  explicationintégrale  et  suffisante  d'une  religion  quelconque,  même  de 
a  religion  des  tribus  chez  lesquelles  il  a  été  constaté,  à  plus  forte  raison,  des 
mythes  et  cultes  helléniques;  2"  qu'il  ne  peut  pas  rendre  raison  de  son  point  de 
départ  (c'est-à-dire  duchoix  de  ses  totems  et  tabous)  sans  recourir  au  symbolisme, 
qu'il  regarde  comme  une  explication  surannée;  3°  qu'il  correspond  à  un  état  d'es- 
prit très  raffiné  dans  son  incohérence,  qu'on  ne  peut  pas  considérer  comme  une 
phase  intellectuelle  par  laquelle  auraient  passé  tous  les  peuples.  En  conséquence, 
M.  Bouché-Leclercq  pense  que  le  totémisme  est  une  superstition  qu'on  a  voulu 
indûment  généraliser,  et  que  la  critique  doit,  jusqu'à  plus  ample  informé,  l'élimi- 
ner de  l'histoire  ou  de  la  préhistoire  des  peuples  classiques.  —  M.  Bréal  présente 
quelques  observations. 

M.  Salomon  Reinach,  répondant  à  M.  Bouché-Leclercq,  insiste  sur  la  nécessité 
de  distinguer  la  religion  de  la  mythologie.  Pour  l'explication  des  légendes  mytho- 
logiques, on  peut  avoir  recours  à  différents  principes  d'exégèse  :  l'allégorie,  la 
mythologie,  la  météorologie,  etc.  Mais  pour  remonter  à  l'origine  des  idées  reli- 
gieuses, la  seule  méthode  légitime  est  l'étude  de  la  psychologie  des  peuples  qui, 
de  nos  jours,  sont  restés  à  un  stage  primitif  de  civilisation.  Cette  étude  prouve, 
suivant  M.  Reinach,  que  le  totémisme,  c'est-à-dire  le  culte  des  espèces  d'animaux, 
précède  partout  l'anthropomorphisme  et  la  naissance  des  myihologies  proprement 
dites.  C'est  donc  aux  données  du  totémisme  qu'il  faut  avoir  recours  pour  expliquer 
les  faits  religieux  les  plus  anciens  que  nous  ont  conseivés  les  rituels  des  peuples 
classiques,  ôrecs,  Romains,  Etrusques,  etc.  Dans  la  Bible  même,  les  vestiges  incon- 
testables en  sont  nombreux. 

M.  le  Président  propose  de  fixer  la  séance  publique  annuelle  au  16  novembre  pro- 
chain. Cette  date  est  adoptée  par  l'Académie. 

M.  Maspero.  suivant  la  tradition  de  sa  première  direction,  présente  un  rapport 
sommaire  sur  les  travaux  qu'il  a  exécutés  en  Egypte  au  cours  de  cette  année.  Il  a 
surtout  exploré  deux  endroits.  Sakkarah  et  Thébes.  A  Sakkarah,  il  a  repris  les 
fouilles  au  point  où  il  les  avait  laissées  en  1886.  Les  pyramides  se  composent  : 
I»  de  la  p}'ramide  même;  2»  d'une  enceinte  dallée  et  murée  sur  laquelle  s'élevait  : 
3»  à  l'Est,  la  chapelle  du  mort,  où  étaient  creusés  :  4»  des  souterrains  pour  les 
membres  secondaires  de  la  famille  du  mort.  M.  Maspero  avait  alors  ouvert  les  pyra- 
mides ;  il  a  cette  année  achevé  cette  ouverture  en  pénétrant  dans  la  pyramide  de 
Zaouiét  el  Aryân,  jusqu'à  présent  non  ouverte  ;  elle  ne  contenait  rien.  11  s'est  appli- 
qué a  déblayer  l'enceinte  des  autres,  et  il  s'est  attaqué  à  la  pyramide  d'Ounas.  Les 
travaux  diriges  par  .M.  Barsanti  ont  duré  de  novembre  à  mai.  t)n  a  retrouve  la  cha- 
pelle, malheureusement  ruinée,  les  souterrains,  dont  l'exploration  n'a  pu  être  ter- 
minée, et  un  certain  nombre  de  monuments  vierges,  un  mastaba  de  la  vi*  dynastie, 
trois  tombes  de  l'époque  persane,  dont  la  dernière  renfermait  des  bijoux  d'une  finesse 
admirable.  Il  y  a  dans  le  voisinage  d'autres  tombeaux  de  la  même  série  que  l'on 
ouvrira  l'an  prochain.  —  A  Thèbes,  M.  Maspero  a  essayé  de  consolider  et  de  préser- 
ver les  monuments  et  les  tombeaux,  surtout  le  Ramsesséum.  11  a  été  aidé  puissam-j 
ment  par  le  nouvel  inspecteur  général,  M.  Carter.  Mais  l'effort  de  la  campagne  a  porté 
sur  Karnak.  Le  rapport  complet  sera  publié  dans  les  Annales  du  service,  mais  il 
faut  insister  sur  l'activité  déployée  par  M.  Lcgrain.  C'est  à  lui  que  M.  Maspero  a 
confié  le  déblaiement  des  seize  colonnes  éboulées  le  3  octobre  dernier:  il  a  mené 
son  œuvre  avec  une  intelligence  remarquable;  elle  pourra  être  finie  l'an  prochain. 
Vers  la  tin  de  janvier,  un  nouveau  danger  s'est  produit  :  le  pylône  menaçait  de 
s'écrouler.  M.  Legrain  prépara  l'étayage  du  pylône  qui  fut  exécuté  du  20  avril  au 
20  mai  par  un  ingénieur  allemand,  M.  Ehrlich.  A  cette  heure,  le  pylône  est  étayé 
solidement,  et  il  y  a  tout  lieu  d'espérer  qu'il  résistera  jusqu'à  ce  que  l'on  puisse 
entamer  la  reconstruction.  Il  reste  pourtant  un  danger  sérieux,  et  il  est  possible 
qu'en  octobre,  au  retrait  de  l'inondation,  on  ait  à  enregistrer  un  nouveau  désastre. 

Léon  Dorez. 
Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 

Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N°  35  —  27  août  —  1900 


Chamberlain,   L'écriture   japonaise.  —  Le  Nihongi,  p.  Aston   et  Florenz.  —  \a- 

viLLE,  Le  temple  de  Deir  el  Bahari.  —  Nallino,   L'arabe  parlé  en  Egypte.  

Alex.  Cartellieri,  Philippe-Auguste,!,  3.  —  Petit,  Gavrilovitch,  Maurv  et 
Teodoru,  Les  plus  anciens  mémoriaux  de  la  Chambré  des  Comptes.  —  Rajna, 
Les  sources  de  Roland  le  Furieux.  —  DEENEY,Les  croyances  des  Gaels  d'Irlande. 
Damé,  Histoire  de  la  Roumanie  contemporaine.  —  Courant,  Grammaire  japo- 
naise. —  Flamini,  Dante.  —  Louis,  Giordano  Bruno.  —  A.-O.  Meyer,  La  diplo- 
matie d'Edouard  VI  et  de  Marie  Tudor. —  Relss,  Glaser  à  la  cour  de  Louis  XIII. 

—  Gosset,  Les  brûlements  de  papiers  à  Reims.        Vagnair  et  Ventura,  Klcber. 

—  L.  Caramelli,  Pensées  choisies  de  Leopardi. 


A  practical  introduction  to  thestudy  of  japanese  writing,  by  Basil  Hall  Cham- 
berlain. I  vol.  in-4,  Londres,  1899. 

Le  bel  ouvrage,  avant  tout  pratique,  que  vient  de  publier,   avec  un 
grand  luxe  d'impression,  M.  B.  H.  Chamberlain,  a  toute  la  solidité  et 
toute  la  précision  qu'on  est  en  droit  d'attendre  d'un  homme  tel  que 
l'auteur;  il  devra  désormais  être  l'un  des  livres  de  chevet  de  tous  ceu.x 
qui  voudront  étudier  le  Japon  dans  les  documents  originaux.  Je  sais 
bien  que  ceux-là  ne  sont  pas  nombreux  chez  nous  et  je  n'ai  pas  l'in- 
tention d'en   rechercher  les  raisons.    Mais,  par  d'autres  que  par  des 
Français,  par  des  Européens  même  résidant  au  Japon,  l'étude  du  japo- 
nais est  souvent  comprise  aussi  de  manière  bien  insuffisante.  Beau- 
coup avaient  espéré,  il  y  a  quelques  années,  voir  une  transcription  en 
lettres  latines  adoptée  par  les  Japonais  eux-mêmes;  «la  romanisaiion 
«  aurait  servi  à  deux  fins;  elle  aurait  considérablement  simplifié  la 
«   tâche  de  tous  ceux,  natifs  ou  étrangers,  qui  doivent  apprendre  la 
«  langue,  et  elle  aurait  mis  la  masse  des  Japonais  en  rapports  plus 
«  immédiats  avec  les  habitudes  mentales  et  la  littérature  de  l'Occident. 
«  Mais,  en  fait,  les  efforts  de  la  Société  de  romanisation  ont  totale- 
«  ment  échoué,  comme  aussi  ceux  de  la  Société  des  kana,  qui  voulait 
«  substituer  l'usage  exclusif  du  syllabaire  à  celui  des  caractères  chi- 
«  nois.  »  Malgré  tout,  poursuit  l'auteur,  «  de  dignes  gens  continuent 
«  de  s'attacher  à  la  croyance,  ou  plutôt  à  l'espoir  suprême,  que  s'ils 
«  lisent  les  kana^  ils  auront  fait  leur  devoir,  que  les  kana  sont  en  fait 
«  l'écriture  japonaise...,  que  les  Japonais  finiront  par  adopter  les  kana 
«  comme  seule  écriture  nationale,  ou  qu'ils  peuvent  le  faire,  ou  qu'ils 
«  pourraient  le  faire,  ou  qu'ils  devraient  le  faire,  parce  que  alors  les 
Nouvelle  série  L.  35 


Ib2  REVUE    CRITIQUE 

«  choses  seraient  beaucoup  plus  simples. . .  »  Mais  c'est  là  une  erreur, 
en  partie  volontaire  de  la  part  de   plusieurs;  et  Ton  voit   au  con- 
traire le  nombre  des  idéogrammes  s'accroître  chaque  jour  dans  la 
phrase  japonaise,  puisque  c'est  en  associant  des  caractères  chinois  que 
"l'on  forme  des  expressions  pour  rendre  tous  les  nouveaux  termes 
scientifiques,  économiques,  industriels,  parlementaires  et  que,  sans 
■  les  caractères  chinois,  on  ne  peut   comprendre  des  mots  comme  vac- 
cination,  district   électoral,    compte-courant,    etc.    Depuis    quelques 
.  semaines,  la  question  de  la  romanisation  a  été  de  nouveau  soulevée 
au  Japon  par  un  journal  étranger  :  un  journal  japonais,  avec  beaucoup 
de  sens,  a  demandé  à  voir  avant  tout,  écrits  seulement  en  kana  ou 
en  lettres  latines,  un  décret  impérial,  un  texte  de  loi,  un  article  scien- 
tifique, une  nouvelle,  une  poésie.  Cette  tentative  réussissant,  la  roma- 
nisation aurait  quelque  chance  de  succès:  mais,  pour  que  cette  trans- 
.  cription  fût  intelligible,  il  faudrait  créer  une  langue  nouvelle. 

Aujourd'hui,  à  qui  veut  apprendre  le  japonais,  il  faut  donc  apprendre 
l'écriture  japonaise,  sous  peine  de  se  fermer  l'accès  aux  documents  et 
de  se  classer,  aux  yeux  des  indigènes,  au-dessous  du  cuisinier  ou  du 
couli,  qui  lisent  le  journal  et  écrivent  eux-mêmes  des  cartes  postales 
émaillées  de  caractères  chinois.  Le  livre  de  M.  Chamberlain  est  donc 
de  la  plus  grande  utilité;  car  il  faut  bien  reconnaître  que  l'écriture 
japonaise  est  sans  doute  la  plus  compliquée  qui  soit  usitée  à  notre 
époque  :  caractères  idéographiques  chinois  augmentés  de  quelques- 
uns  d'invention  japonaise,  caractères  syllabiques  appartenant  à  diverses 
séries  et  employés  concurremment,  idéogrammes  lus  tantôt  en  japo- 
nais pur,  tantôt  suivant  l'un  de  trois  systèmes  différents  de  prononcia- 
tion sino-japonaise,  pris  parfois  avec  une  valeur  purement  phonétique 
qui  vient  elle-même  d'une  source  ou  d'une  autre,  mélange  de  tous  ces 
éléments  sans  règle,  ou  du  moins  avec  des  exceptions  aussi  fréquentes 
qu'inattendues,  abréviations  graphiques,  formes  cursives  d'une  audace 
désespérante,  tel  est  le  premier  aspect  de  l'écriture  japonaise.  Et  celui 
qui  la  connaît  à  fond  (je  parle  des  Japonais  eux-mêmes)  peut  toujours 
être  arrêté  par  la  fantaisie  orthographique  d'un  nom  propre,  par  l'im- 
prévu  graphique  d'un    simple  billet.   Ce   dédale    n'avait  jamais  été 
l'objet  d'une  étude  aussi  complète.  M.  Chamberlain  ne  nous  mène 
sans  doute  pas  dans  tous  les  recoins,  mais  il  nous  montre  les  grandes 
avenues  par  des  principes  exposés  avec  la  clarté  qui  lui  est  propre,  et 
il  nous  conduit  dans  bon  nombre  de  chemins,  grâce  à  un  système 
d'exercices  choisis  avec  soin  et  expliqués  en  détail. 

Maurice  Courant 


Nihongi.    Chronicles  of  Japan  from  the  earliest  times  dcn\n  to  A.    D.    697 
translated  by  \V.  J.  Aston    2  vol.  in-8".  Londres.  1896  (Transactions  and  proce  c 
dings  of  the  Japan  Society,  supplément). 


d'histoire  et  de  littérature  t63 

Nihongi  oder  japanische  Annalen  ûbersetzt  und  erklârt  von  Dr.  Karl  Florknz 

6  cahiers   grand  in-8".  Tokyo,  iJ^yi-iXgy  (Miitheilungen   der  deutschen  Gesell- 
schaft  fur  Natur— und  Vôlkerkunde  Ostasiens,  supplément.) 

Peut-être  est-il  un  peu  tard  pour  parler  de  ces  deux  publications  : 
mais  le  Dr.  Florenz  ayant,  dans  son  avant-propos,  annoncé  qu'après 
la  troisième  et  dernière  partie  du  Nihongi,  il  ferait  paraître  la  seconde, 
puis  la  première,  j'attendais  l'achèvement  de  la  traduction  pour  la 
signaler,  avec  la  traduction  anglaise,  aux  amis  de  l'histoire  d'Extrême 
Orient.  Il  semble  que  le  Dr.  F.  ait  renoncé  à  achever  son  ouvrage, 
puisque  trois  ans  se  sont  écoulés  sans  qu'il  en  ait  donné  la  suite,  et 
puisqu'il  vient  d'entamer  la  traduction  d'une  autre  série  d'anciens 
textes,  les  norito  ou  formules  de  prières.  Aussi  bien,  la  troisième 
partie  du  Nihongi  est  particulièrement  intéressante  :  elle  contient  les 
annales  du  vn«  siècle  (593-697),  époque  où  le  Japon  a  adopté  en  bloc 
un  grand  nombre  d'institutions  chinoises  et  a  accompli  une  évolution 
qui  n'a  de  comparable  que  celle  qu'il  a  effectuée  depuis  un  demi- 
siècle.  D'ailleurs,  pour  la  totalité  de  l'ouvrage,  nous  avons  la  traduc- 
tion de  M.  Aston,  bien  faite  pour  diminuer  nos  regrets  au  sujet  de 
l'état  incomplet  de  l'œuvre  du  Dr.  Florenz. 

L'intérêt  particulier  du  Nihongi  vientdu  fait  que  c'est  l'un  des  plus 
anciens  ouvrages  historiques  japonais  ;  il  a  été  achevé  en  720  par  une 
commission  officielle  que  présidait  le  prince  Toneri.  Auparavant  avait 
été  écrit  le  Ko  zi  ki,  qui  comprend  en  partie  la  même  période  histo- 
rique (jusqu'à  628;  et  qui  a  été  traduit  il  y  a  près  de  vingt  ans  par 
M.  B.  H.  Chamberlain.  Quant  aux  cinq  autres  ouvrages  qui,  avec  le 
Nihongi,  forment  les  Ritu  koku  si  (les  Six  histoires  nationales)  et  qui 
contiennent  les  annales  japonaises  jusqu'à  la  date  de  887,  ils  attendent 
encore  leurs  traducteurs  ;  il  serait  peut-être  bien  difficile  à  des  Euro- 
péens d'accomplir  ce  travail  autre  part  qu'au  Japon,  où  ils  auraient 
sous  la  main  tous  les  documents  japonais,  avec  un  grand  nombre 
d "œuvres  chinoises  et  coréennes,  et  où  ils  pourraient  recourir  aux 
lumières  des  savants  japonais  versés  dans  leur  histoire  nationale. 

Le  Dr.  F.  dans  une  introduction,  donne  d'abord  des  renseigne- 
ments intéressants  et  précis  sur  l'ancienne  littérature  historique  japo- 
naise, puis  il  étudie  les  gloses  et  variantes  du  texte,  les  manuscrits  et 
les  éditions  imprimées  qui  en  existent,  ainsi  que  les  commentaires 
publiés  par  de  nombreux  auteurs  japonais.  Dans  sa  traduction,  comme 
dans  celle  de  M.  A.  des  notes  renseignent  le  lecteur  sur  les  institu- 
tions japonaises,  rapprochent  les  faits  de  ceux  qui  sont  exposés  dans 
les  ouvrages  chinois  et  coréens,  discutent  et  éclaircissent  les  assertions 
des  écrivains  japonais.  M.  A.  a  illustré  son  ouvrage  de  gravures 
soignées  représentant  divers  monuments  des  anciens  âges  du  Japon. 
Les  deux  traducteurs  ont  fait  preuve  d'une  érudition  éienduc,  d'une 
critique  sévère  et  leurs  œuvres  sont  au  premier  rang  parmi  celles  qui 
nous  révèlent  la  vie  antique  de  l'Extrême  Orient.     Maurice  Courant. 


164  ftEVUE    CklTlQUË 

Ed.  Naville.  The  temple  of  Deir  el  Bahari,  Part.  III.  1898.  (i  vol.  royal  folio, 
21  p.  et.  pi.  LVI-LXVll)  —  At  thc  offices  of  the  Egypt  Exploration  Fund,  37 
Great  Russell  Street,  London. 


Le  troisième  volume  de  la  magistrale  publication  de  M.  Naville 
comprend  les  inscriptions  et  bas-reliefs  des  murs  de  soutènement  nord 
et  sud  de  la  terrasse  supérieure  du  temple.  Au  sud  sont  les  scènes  de 
Texpédition  au  pays  de  Pount  déjà  publiées  par  Diimichen  et  Mariette. 
M.  N.  leur  adjoint  une  inscription  datée  de  Tan  9  de  la  reine  Hatshop- 
sitou  (pi.  LXXXVl)  où  la  reine  raconte  comment,  pour  complaire  à 
son  père  Amon,  elle  voulut  «  faire  du  pays  de  Pount  le  propre  jardin 
du  dieu  »  en  y  envoyant  quérir  les  arbres  à  encens.  Cette  inscription 
avait  été  seulement  signalée  par  Diimichen  ;  elle  est  malheureusement 
très  mutilée  ;  le  début  de  chaque  colonne  et  cinq  lignes  entières 
manquent.  .  ■ 

Le  mur  nord  nous  a  conservé  des  tableaux  restés  inédits  et  du  plus 
haut  intérêt  historique.  Ce  sont  d'abord  les  scènes  de  la  naissance 
divine  de  la  reine  Hatshopsitou  ;  elles  sont  au  11^  volume  de  la  publi- 
cation de  M.  N.  L'inscription  qui  accompagne  les  bas-reliefs  et  ceux- 
ci  mêmes  sont  identiques  aux  scènes  de  la  naissance  divine  d'Amé- 
nophis  m  à  Louxor  ;  ces  dernières  ne  sont  donc  que  des  copies  de 
Deir  el  Bahari.  Après  la  naissance  de  la  reine  venait  son  intronisation, 
dont  les  scènes  se  déroulent  de  la  pi.  LVI  à  la  pi.  LXIV  de  notre 
3<=  volume.  Nous  pouvons  désormais  nous  représenter  avec  précision 
le  cérémonial  du  couronnement  d'un  roi  d'Egypte,  que  nous  ne  con- 
naissions jusqu'à  présent  que  par  des  textes  tels  que  celui  gravé  sur 
un  groupe  du  musée  de  Turin  au  nom  du  roi  Horemheb  (début  de  la 
xix*^  dynastie).  L'action  commence  à  la  pi.  LXI  oùl'on  voitTouthmès  V^ 
roi  régnant,  assis  sous  un  pavillon,  tenant  entre  ses  bras  sa  fille 
Hatshopsitou  qu'il  va  associer  à  son  trône,  et  la  présentant  aux  grands 
dignitaires  de  la  cour  («  nobles  royaux,  hommes  au  collier  scihoii, 
amis,  esclaves  du  palais,  chefs  des  connus  du  roi  »  ).  Les  cérémonies 
qui  suivent  se  divisent  en  4  séries,  i"  Le  roi  à  introniser  est  embrassé 
par  le  roi  régnant  (ou  à  son  défaut  par  le  dieu  principal,  le  dieu  de  la 
capitale),  puis  la  proclamation  des  noms  officiels  du  nouveau  roi  [ran 
OU)'  <'  le  grand  nom»  )  est  faite  par  les  soins  des  hérauts  et  des  magi- 
ciens-officiants. 2°  On  fait  la  «  réunion  des  2  pays  »  [sam  toouï):  le  roi 
se  rend  dans  deux  naos,  un  de  la  Haute,  un  de  la  Basse  Egypte  ;  là 
2  prêtres,  costumés  en  Horus  et  Sit,  lui  mettent  successivement  sur 
la  tête  la  couronne  blanche  de  la  Haute  Egypte,  la  couronne  rouge  de 
la  Basse  Egypte,  dont  la  réunion  forme  le  Pschent.  3*^  Le  roi  fait  une 
procession  autour  d'une  salle  appelée  «  Salle  du  Nord  »  (rer  ha)  4°  Le 
roi  fait  des  offrandes  solennelles  aux  dieux  des  2  Egyptcs.  A  Deir  el 
Bahari  une  inscription  dite  du  «  voyage  »  (pi.  LVIl)  dit  que  la  reine 
Hatshopsitou  ne  se  contenta  pas  d'envoyer  des  dons  aux  divers  sanc- 


d'histoire  et  de  littérature  i65  . 

tuaires,  mais  qu'elle  les  visita  en  personne,  et  les  gratifia  d'Eléphan- 
tine  au  sud  à  Bouto  dans  le  Delta.  En  revanche  les  dieux  du  Midi  et 
du  Nord  défilèrent  derrière  elle  à  l'envi  pour  lui  faire  des  passes  et  lui 
«  communiquer  leur  fluide  magique  »  fsotpoii-saj.  —  Telles  sont  les 
cérémonies  énumérées  dans  l'inscription  du  couronnement  l'pl,  LXII 
1.  3 1-32)  et  décrites  dans  les  bas-reliefs.  On  les  retrouve  toutes  men- 
tionnées au  sacre  d^ Horemheb  (Transactiojis  of  the  Society  of  biblical 
Archaeology,x.  III,  p.  486,  pi.  II,  1.  16  sqq. .)  ;  maisà  Deirel  Bahari 
au  lieu  d'un  simple  texte,  on  a,  grâce  à  M.  Naville,  la  réalité  vivante 
des  scènes  figurées. 

La  publication  de  M.  N.  suggéreraii  bien  d'autres  remarques.  Faute- 
de  place  je  signalerai  seulement  la  légende  de  la  pi.  l.XIV  où  l'on  voit 
la  reine,  couronnée  déjà,  «  aller  et  venir  dans  sa  salle,  qui  est  la  large 
salle  de  la  fête  Shed  »  (ouskhit  heb  shed).  Ce  seul  mot  nous  permet 
d'être  enfin  fixé  sur  le  caractère  des  fêtes  Shed^  les  fameuses  panégyries 
soi-disant  trentenaires  (xptaxovcaeTTipîowv  gén.)  du  décret  de  Rosette,  On 
sait  par  la  représentation,  mutilée  il  est  vrai,  d'une  des  fêtes  Shed 
(Ed.  Naville,  Thejestival  Hall  of  Osorkon  II)  à  Bubastis,  qu'elles 
comprenaient,  tout  comme  le  couronnement  royal,  un  embrassemcnt 
du  roi  par  les  dieux,  une  intronisation  sur  les  trônes  des  2  Egyptes, 
une  procession  royale  autour  de  la  Salle  du  Nord,  une  visite  aux  dieux 
du  Sud  et  du  Nord  amenés  à  la  fête  dans  leur  naos  par  leurs  prêtres 
délégués.  Il  n'y  a  plus  lieu  de  douter  que  la  fête  5/?ei  symbolisait  une 
commémoration  de  l'intronisation  royale  (dont  le  but  était  de  renou- 
veler de  temps  à  autre,  à  des  dates  indéterminées,  «  le  fluide  magique  » 
donné  par  les  dieux  au  roi),  puisqu'à  Deir  el  Bahari  un  des  édifices 
où  a  lieu  le  couronnement  du  roi  s'appelle  «  salle  de  la  fête  Shed  ». 
Ajoutons  que  les  diverses  cérémonies  royales  étaient  imitées  du  rituel 
du  culte  divin,  qui,  lui  même,  dérive  en  droite  ligne  des  rites  funé- 
raires privés. 

Le  IV^  tome  de  Deir  el  Bahari  est  annoncé  ;  souhaitons  que 
M.  Naville  ne  nous  fasse  pas  trop  longtemps  attendre  la  suite  d'une 
publication  aussi  remarquable  par  la  beauté  de  l'exécution  que  par 
l'intérêt  des  documents  et  la  sûreté  de  l'interprétation  proposée. 

A.  Morkt. 


C.  A.  Nallino.    L'arabo  parlato  in  Egitto,  Grammatica,  dialophi  c  raccolta  di 
circa  6,000  vocaboli.  Ulrico  Hoepli.  Milano,  igoo. 

Dans  la  préface  qu'il  a  mise  en  tête  de  son  manuel,  M.  C.  A.  Nal- 
lino nous  apprend  qu'il  avait  été  chargé  de  faire  une  seconde  édition 
du  Mamiale  d'arabo  volgare  de  Riccardo  de  Sterlich,  mais  qu'aprCs 
réflexion  il  a  cru  ne  pas  devoir  s'en  tenir  à  une  simple  relonte  de  l'ou- 
vrage de  son  prédécesseur  et  qu'il  lui  a  paru  préférable  de  taire  une 


l66  REVUE    CRITIQUE 

œuvre  tout  à  fait  nouvelle.  Il  ajoute  ensuite  qu'il  rejette  cette  expres- 
sion si  impropre  d'arabe  vulgab'e  pour  la  remplacer  par  celle  d'arabe 
parlé.  On  ne  peut  qu'approuver  la  double  résolution  prise  par 
M.  C.  A.  N.  et,  en  particulier,  la  dernière.  Il  est  étrange,  en  effet,  que 
Ton  persiste  en  Europe  à  se  servir  d'une  dénomination  que  rien  ne 
justifie.  Sans  doute  les  mots  n'ont  jamais  que  la  valeur  conventionnelle 
qu'on  leur  attribue  et  une  bonne  définition  acceptée  par  tous  suffit  à 
en  préciser  la  valeur  et  à  leur  ôter  toute  ambiguïté.  Mais,  jusqu'ici  du 
moins,  il  n'existe  pas  de  définition  rigoureuse  de  l'expression  arabe 
vulgaire.  Pour  les  uns,  ce  nom  ne  s'applique  qu'à  l'arabe  parlé  ;  pour 
d'autres,  il  comprend  à  la  fois  la  langue  telle  qu'on  la  parle  ou  qu'on 
l'écrit  dans  l'usage  courant.  Enfin  il  en  est  qui  appellent  vulgaire  un 
texte  écrit  quand  on  le  lit  sans  prononcer  les  voyelles  finales  et  donnent 
à  ce  même  texte  le  nom  de  littéral  dès  qu'on  fait  sentir  toutes  les 
voyelles  dans  la  lecture.  Sans  entrer  dans  de  longs  détails  que  ne 
comporte  pas  un  article  bibliographique,  il  n'est  peut-être  pas  inutile 
de  fixer  en  quelques  mots  les  idées  sur  ce  point. 

Les  Arabes  possèdent  une  langue  classique  ou  nationale  qui  s'est 
formée  par  l'agrégation  au  dialecte  du  Hedjaz  d'un  certain  nombre  de 
mots  spéciaux  ou  de  formes  particulières  empruntés  aux  dialectes  par- 
lés dans  le  reste  de  l'Arabie.  Cette  langue,  déjà  fixée  dans  ses  princi- 
pales lignes  par  les  poètes  antéislamiques,  a  reçu  une  consécration 
définitive  lorsque  Mahomet  a  révélé  le  Coran  qui,  aux  yeux  des 
Arabes,  est  la  forme  même  que  Dieu  a  employée  pour  transmettre  aux 
hommes  les  principes  de  la  religion  musulmane.  Mais  cette  langue  si 
pure  subissait,  du  vivant  même  de  Mahomet,  des  modifications  plus 
ou  moins  profondes  quand  elle  servait  aux  usages  courants.  Les  hadits, 
qui  cependant  reproduisent  les  paroles  textuelles  du  prophète,  en 
fournissent  de  nombreux  exemples  et  prouvent  que  Mahomet  lui- 
même  ne  parlait  pas  à  son  entourage  dans  une  langue  identique  à  celle 
du  Coran.  Cette  distinction  entre  l'arabe  parlé  et  l'arabe  écrit,  ou  pour 
mieux  dire  littéraire,  s'est  maintenue  dans  tous  les  pays  musulmans  : 
elle  tient  d'une  part  à  l'ignoranee  de  la  masse  de  la  population,  et, 
d'autre  part,  à  ce  que  toute  langue  écrite  a  besoin  d'un  surcroît  d'in- 
dices grammaticaux  afin  de  suppléer  à  l'intonation,  aux  gestes  et  à 
la  physionomie  de  celui  qui  parle  et  qui  a  en  outre  la  faculté  de  répé- 
ter sa  pensée  sous  une  autre  forme  quand  il  s'aperçoit  qu'il  n'a  pas  été 
compris.  Ce  premier  écart  entre  la  langue  parlée  et  la  langue  écrite 
s'est  accru  dans  la  suite  quand  la  langue  arabe  a  été  employée  par  des 
populations  d'origine  étrangère  répandues  sur  d'immenses  espaces  sans 
rapports  fréquents  entre  elles.  De  là  sont  nés  ces  dialectes  issus  d'une 
même  souche,  mais  ayant  subi  l'influence  du  milieu  dans  lequel  il 
s'étaient  répandus,  empruntant  aux  anciennes  langues  locales  nombre 
de  mots  nouveaux  ;  en  même  temps  la  prononciation  normale  s'altérait 
plus  ou  moins  profondément  dans  la  bouche  des  peuples  qui  n'étaient 


d'histoire  et  de  littérature  167 

pas  de  race  arabe.  Mais  si  l'expression  parlée  n'était  pas  toujours  con- 
forme aux  principes  stricts  de  la  langue  classique,  la  langue  littéraire 
restait  identique  dans  tous  les  pays  musulmans.  Certes  tous  ceux  qui 
écrivent  en  arabe  ne  s'expriment  pas  dans  un  style  aussi  pur  que  le 
Coran,  mais  c'est  uniquement  par  insuffisance  d'instruction  et  non, 
comme  on  paraît  l'avoir  cru  longtemps,  en  vertu  de  principes  gramma- 
tfcanx  ou  iexicographiques  différents.  Tout  le  monde  en  France  n'écrit 
pas  aussi  purement  que  Racine  ou  Voltaire  et  personne  n'a  songé 
à  en  donner  pour  raison  qu'il  existe  xin  français  vulgaire  et  \xn  français 
littéral.  Le  seul  fait  particulier  que  présente  l'arabe  parlé,  —  et  encore 
il  est  tout  à  fait  normal  en  réalité,  —  c'est  que  les  personnes  instruites 
parlent  de  la  même  façon  que  les  ignorants.  La  raison  en  est  toute 
simple  :  l'instruction  est  si  peu  répandue  que  le  lettré  quiemploieraitdes 
formes  un  peu  trop  correctes  ne  serait  jamais  compris  de  son  interlo- 
cuteur. 

Dans  son  Manuel  M.  C.  A.  Nallino  s'est  occupé  exclusivement  du 
dialecte  égyptien  qui  ne  s'écarte  ni  plus  ni  moins  que  les  autres  dia- 
lectes de  la  forme  écrite.  Il  a  pensé  qu'il  valait  mieux  donner   une 
transcription  en  caractères  latins  que  de  faire  usage  de  l'alphabet  arabe. 
Il  est  certain  quecelaest  plus  commode  pourles  Européens.  Toutefois 
ce  système  a  un  inconvénient  :  il  ne  laisse  pas  voir  nettement  la  racine 
des  mots  et  par  suite  la  parenté  qu'ils  ont  entre  eux.  Il  eut  été  possible 
d'éviter  cela  sans  recourir  aux  caractères  arabes  en  imprimanten  carac- 
tère gras,  par  exemple,  les  lettres  qui  constituent  la  racine  de  chaque 
mot.  Cela  eût  compliqué  la  composition  typographique,  mais  en  revan- 
che ceux  qui  auraient  fait  usage  de  ce  livre  y  auraient  trouvé  une  plus 
grande  facilité  d'étude.  L'idée  de  ranger  les  mots  par  ordre  de  matières 
après  les  avoir  fait  précéder  de  dialogues  sur  divers  sujets  est  excel- 
lente dans  la  pratique,  car  elle  permet  souvent  de  retrouver  au  besoin 
un  mot  arabe  que  l'on  entend  et  qu'on  aurait  quelque  peine  à  chercher 
dans  un  dictionnaire  arabe-français,  fût-il  écrit  en  caractères  latins  ; 
l'oreille  du  débutant  n'étant  pas  toujours  suffisamment  exercée  pour 
reconnaître  exactement  la  notation  qui  conviendrait  aux  sons  émis.  Tel 
qu'il   est,  le  manuel  de  M.  C.  A.  Nallino  rendra   donc  de  bons  ser- 
vices à  tous  ceux   qui  voudront  pratiquer  le  dialecte  arabe  parlé  en 
Egypte  et  les  très  légères  erreurs  ou  incorrections  qu'il  contient  ne 
méritent  pas  d'être  signalées. 

O.    HOLDAS. 


Al.  Cartei.likri.  Philipp  IL  Augiist,  Kccnig  von  Frankreich.  .111.  Buch.  Philipp 
Augustu.  Heinrich  II  von  England  (i  186-1 189).  Leipzig,  Friedrich  Meycr,  1900, 
in-8.  Pp.  XXVIII  +  193-322,   ii3-i6i  (pièces  justiricativcs). 

L'exellent  ouvrage  de  M.  Cariellicri  avance  rapidement.  L'auteur 


l68  REVUE  CRITIQUE 

vient   de    nous  donner  le  troisième   livre,   qui  termine   le   premier 
volume. 

Ainsi  que  le  montre  le  sous-titre,  ce  troisième  livre  traite  surtout 
du  conflit  entre  le  roi  de  France  et  son  puissant  vassal.  Cependant, 
un  premier  chapitre  s'occupe  des  affaires  de  Bourgogne  et  plus  loin 
un  autre  s'étend  sur  les  relations  entre  la  France  et  l'empire  et  les 
affaires  de  Cologne. 

Mais  l'intérêt  se  concentre  sur  les  relations  de  Philippe-Auguste 
avec  Henri  II  et  ses  fils  révoltés.  Question  du  Vexin,  différend  tou- 
chant Adélaïde  de  France  —  le  vieux  roi  anglais  qui  séduit  la  fiancée 
d'un  de  ses  fils  et  ceux-ci  qui  l'accepteraient  quand  même  pour  femme 
sous  certaines  conditions  — ,  révolte  du  fils  aîné  de  Henri  II  et  sa 
mort,  premiers  agissements  de  ce  chevalier  sans  peur,  sans  scrupules 
et  sans  pitié,  de  ce  batailleur  enragé,  dont  les  historiens  faisaient  jadis 
un  personnage  presque  sympathique  :  Richard  Cœur  de  Lion,  sou- 
lèvement et  mort  de  Geoffroi  de  Bretagne,  trahison  de  Richard  envers 
son  frère,  qui  ne  méritait  pas  certainement  les  cruelles  offenses  appor- 
tées à  sa  vieillesse,  alliance  du  fils  rebelle  avec  le  roi  de  France,  qui 
ne  demande  pas  mieux  que  de  gagner  à  cette  lamentable  querelle  de 
famille,  dernière  guerre  entre  Henri  1 1  et  ses  ennemis,  voilà  les  points 
que  traite  l'auteur  avec  sa  grande  compétence,  dans  une  forme  toujours 
claire,  souvent  attachante.  Le  dernier  chapitre,  la  fin  du  vieux  roi  et 
la  ruine  de  ses  grands  projets  impériaux  —  il  trouvait,  cet  orgueilleux 
et  cet  infatigable,  que  «  la  terre  est  trop  petite  pour  un  puissant  et  un 
vaillant  »  —,  ce  dernier  chapitre  est  écrit  avec  force  et  chaleur.  On 
aurait  pu  attendre  un  peu  plus  sur  la  personnalité  exceptionnelle  du 
plus  grand  parmi  les  rois  anglais  du  moyen  âge;  mais  M.  Cartellieri 
n'a  probablement  pas  voulu  répéter  ce  qu'il  avait  dit  ailleurs,  dans  des 
pages  d'une  haute  envergure,  sur  ce  grand  prince,  mort  d'une  ma- 
nière misérable,  tué  par  la  révolte  victorieuse  de  Richard  et  la  trahi- 
son lâche  du  pitoyable  Jean  sans  Terre.  En  échange,  le  résumé  qui 
termine  le  volume,  ne  néglige  rien  de  ce  qui  peut  servir  à  comprendre 
le  développement  de  la  politique  de  Philippe-Auguste  jusqu'à  1189. 

Le  tout  se  termine  par  des  nouveaux  documents  empruntés  à  des 
formulaires  de  lettres,  par  des  rectifications  et  des  additions,  par  une 
bonne  table  alphabétique  et  des  tables  généalogiques  '. 

N. JORGA. 


1.  Le  fascicule  contient  aussi  une  répétition  de  la  Préface,  augmentée  de  quel- 
ques nouvelles  observations,  et  une  bibliographie  générale  pour  le  premier  vo- 
lume. L'auteur  se  défend  contre  l'objection  qu'on  lui  a  faite  de  ne  pas  suivre 
l'ordre  strictement  chronologique  dans  son  exposition;  il  me  semble  que  l'objec- 
tion n'en  valait  guère  la  peine. 


i 


d'histoire  et  de  littérature  169 

Essai  de  restitution  des  plus  anciens  Mémoriaux  de  la  Chambre  des  comptes 
de  Paris,  par  MM.  Joseph  Petit,...  et  Gavrilovitch,  Maury  et  Teodoru.  Avec 
une  préface  de  Ch.-V.  Langlois,...  —Paris,  F.  Alcan,  1899.  In-8°  de  xx-264 pages. 
(Bibliothèque  de  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Paris.  VII.) 


Les  fonctionnaires  de  la  Chambre  des  comptes  de  Paris  avaient, 
dès  les  premières  années  du  xiv^  siècle,  commencé  à  recueillir  les 
documents  les  plus  intéressants  au  point  de  vue  domanial  et  finan- 
cier, qui  pussent  leur  servir  pour  la  rédaction  de  leurs  actes;  avec 
leurs  copies  d'ordonnances,  instructions,  extraits  de  comptes,  etc., 
ils  constituèrent  des  manuels,  espèces  de  codes  ou  de  formulair-cs. 
Cette  pratique  fut  consacrée  par  une  ordonnance  de  Vivier-en-Brie, 
rendue  en  i320,  et  dès  lors  commença  une  série  officielle  de  Mémo- 
riaux. 

Ces  registres,  de  la  plus  haute  importance  pour  notre  histoire 
nationale,  on  le  conçoit  aisément,  furent  conservés  au  dépôt  du  greffe 
de  la  Chambre  des  comptes  ;  malheureusement,  ils  furent  la  proie  des 
flammes,  le  27  octobre  1737.  A  ce  moment,  on  sentit  si  bien  la 
perte  que  Ton  éprouvait  qu'on  décréta  officiellement  la  reconstitution 
de  ces  précieux  volumes.  Ce  travail,  exécuté  avec  plus  de  bonne 
volonté  que  de  méthode,  cessa  à  l'époque  de  la  Révolution.  Depuis, 
plusieurs  érudits  ont  bien  essayé  de  le  reprendre  ;  ils  ont  été  rebutés 
sans  doute  par  la  masse  énorme  de  recueils  à  compulser  et  d'ouvrages 
à  dépouiller.  Il  est  certain  que  c'est  une  œuvre  de  très  longue  haleine, 
qui  doit  être  conduite  avec  beaucoup  d'habileté  et  qui  ne  peut  guère 
aboutir  que  si  elle  est  le  produit  de  la  collaboration  de  plusieurs  per- 
sonnes dévouées. 

M.  Langlois,  chargé  de  cours  à  la  Faculté  des  lettres  de  Paris,  a 
pensé  qu'une  pareille  tâche  entreprise  sous  sa  direction  par  un  groupe 
d'étudiants  serait  pour  eux  un  excellent  exercice  et  constituerait  une 
véritable  éducation  scientifique.  MM.  Joseph  Petit,  Gavrilovitch, 
Maury  et  Téodoru  ont  répondu  à  son  appel,  et  ils  n'ont  pas  eu  à  s'en 
repentir. 

Il  n'y  avait  pas  à  songer  à  achever  toute  l'œuvre  officielle,  que  la 
Révolution  avait  interrompue,  mais  seulement  à  en  reprendre  cer- 
taines parties.  Or,  il  importait  surtout  de  restituer  les  premiers  de  ces 
Mémoriaux,  et  en  particulier  ceux  qui  avaient  pris  place  avant  la  série 
inaugurée  à  la  suite  de  l'ordonnance  de  i32o;  ils  contenaient  en 
effet  les  documents  les  plus  anciens. 

Élimination  faite  des  registres  divers  et  des  doubles,  leur  liste  a  été 
établie  ainsi  (ils  sont  cités  avec  leur  dénomination  consacrée):  Pater, 
contenant  des  pièces  datées  de  1254  à  i33o;  Noster  ',  exécuté  pour 
Jean  Mignon,  maître  de  la  Chambre  des  comptes,  aujourd'hui  con- 
servé en  original  à  la  Bibliothèque  nationale  lat.  12814;;  Noster*^ 
dont  la  composition. était  très  analogue  à  celle  du  ms.  fr.  2833  de  la 


170  REVUE   CRITIQUE 

Bibliothèque  nationale,  et  qui  prit  la  place  de  Noster\  lorsque  celui-ci, 
au  xve  siècle,  disparut  des  archives  de  la  Chambre;  Qui  es  in  cœlis, 
présentant  de  grandes  analogies  avec  Noster  '  ;  Croix  (et  son  double 
Saint-Just^j,  qui  est  aussi  à  rapprocher  des  deux  derniers  registres,  et 
enfin  Saiiit-Just  ',  copie  d'un  ms.  appartenant  à  Robert  d'Artois  et 
concernant  plus  particulièrement  la  Normandie. 

M.  Langlois  et  ses  élèves  ont  éliminé  ce  dernier  volume,  qui  a  dé;à 
fait  l'objet  d'une  monographie  de  M.  Marnier  et  dont  le  contenu  est 
trop  spécial.  Ils  ont  restitué  tous  les  autres  et  ont  même  fait  une  sem- 
blable opération  pour  le  premier  registre  de  la  série  officielle,  autre- 
fois coté  A.  Ils  ont  donné  l'analyse  de  tous  les  actes  et  les  références 
pour  en  retrouver  le  texte.  Puis,  ils  ont  choisi  parmi  les  pièces  iné- 
dites celles  qui  leur  ont  paru  les  plus  importantes,  pour  les  publier 
intégralement  :  ils  en  ont  donné  ainsi  44. 

Ce  recueil  est  donc  extrêmement  utile  et  il  faut  savoir  beaucoup  de 
gré  à  ses  auteurs  d'avoir  surmonté  toutes  les  difficultés  de  ce  travail,- 
d'avoir  eu  la  persévérance  de  le  mener  à  une  aussi  bonne  fin  et  de 
frayer  une  voie  où  il  serait  à  souhaiter  qu'ils  fussent  suivis. 

L.-H.  Labande. 


Pio  Rajna.  —  Le  fonti  dell'  Orlando  Furioso;  ricerche  e  studi.  Seconda  edi- 
zione  corretta  e  accresciuta.  —  Firenze,  Sansoni,  1900  ;  8",  xiv-63i  pages  (10  fr.).? 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  de  révéler  aux  lecteurs  de  la  Revue 
Critique  ce  livre  excellent  et  devenu  classique  ;  depuis  tantôt  vingt- 
cinq  ans  que  la  première  édition  en  a  paru,  il  est  peu  d'ouvrages  se 
rapportant  à  la  littérature  italienne  qui  aient  été  plus  justement  appré- 
ciés et  plus  utilement  consultés.  Mais  il  est  impossible  de  laisser  pas- 
ser sans  un  mot  de  bienvenue  cette  seconde  édition  que  rendait  néces- 
saire l'épuisement  de  la  première.  Ce  n'est  pas  une  simple  réimpres- 
sion :  M.  Rajna  prend  soin,  dans  sa  préface,  de  nous  avertir  que  pas 
une  page  de  la  première  rédaction  n'est  restée  intacte.  Ceux  qui  con- 
naissent la  méthode  de  travail  de  l'éminent  professeur  l'en  croiront 
sur  parole,  et  nous  en  sommes  témoin,  nous  qui  avons  eu  l'occasion 
de  voir  entre  ses  mains  l'exemplaire  sur  lequel  il  préparait  cette 
seconde  édition.  La  méthode  et  l'esprit  du  livre  n'ont  subi  aucun 
changement  notable,  non  plus  que  les  idées  qui  s'en  dégagent  ;  si  le 
volume  est  devenu  sensiblement  plus  épais,  c'est  à  une  plus  grande 
richesse  d'informations  et  de  rapprochements  qu'il  faut  attribuer  cet 
accroissement.  M.  R.  s'est  en  outre  appliqué  à  rendre  son  ouvrage 
d'un  maniement  plus  aisé;  deux  index  sont  à  cet  égard  dune  grande, 
utilité  :  l'un,  Vindice  ariostesco,  contient,  chant  par  chant,  stance  par; 
siance,  les  renvois  à  tous  les  passages  du  livre  qui  se  rapportent  aiij 


d'histoirk  lt  de  littérature  i-i 


texte  du  poète;  l'autre  est  l'index  de  tous  les  ouvrages  chés  à  titre  de 
sources  ou  de  rapprochements.  Il  est  donc  désormais  aisé  de  s'orien- 
ter et  de  faire  rapidement  des  recherches  dans  cet  incomparable  arse- 
nal de  renseignements  sur  tout  ce  que  concerne  les  légqndcs  chevale- 
resques. 

Henri  Hauvette. 


Peasant    Lore   from    Gaelic    Ireland,    collected    by  Daniel  Deeney   (London, 
David  Nutt,  1899,  i  vol.  80  p.  Pr.   i  sh.). 

Je  disais  ici  même,  en  rendant  compte,  il  y  a  quelques  semaines,  du 
livre  de  M.  Feilberg  sur  la  tie  du  paysan  danois,  qu'il  n'est  pas  vrai- 
semblable que  l'étrange  similitude  qui  nous  frappe  dans  les  croyances 
et  les  usages  des  populations  du  Jutland  et  de  celles  de  nos  provinces 
puisse  être  attribuée  soit  à  l'emprunt,  soit  à  l'identité  de  l'esprit  qui, 
sous  les  climats  les  plus  divers,  eût  fait  éclore  de  la  même  plante 
humaine  partout  la  même  fleur  avec  ses  mêmes  nuances. 

Il  est  évident  qu'avant  d'essayer  de  porter  un  jugement,  il  faudrait 
être  sûr  d'avoir  en  main  toutes  les  pièces  de  la  question  ou  à  peu  près. 
Malgré  les  nombreux  recueils  de  folk-lore  de  ces  dernières  années,  il 
est  à  craindre  que  nous  soyons  encore  bien  loin  de  compte.  La  preuve 
en  est  que  dans  chaque  nouvel  ouvrage  qui  paraît,  il  est  rare  que 
dans  les  déblais  du  collectionneur  il  ne  se  trouve  quelque  précieuse 
pépite  qui  vaut  à  elle  seule  toutes  les  peines  de  l'ouvrier.  Du  reste, 
quand  même  tel  ou  tel  usage  eût  déjà  été  signalé  au  nord,  ce  n'est  pas 
une  redite  que  de  le  relever  au  midi  :  ce  sont  là  autant  de  jalons  indis- 
pensables, le  travail  préliminaire  de  la  science. 

Dans  le  livre  ci-dessus  annoncé  de  M.  Daniel  Deeney  sur  le  fond 
commun  de  croyances  aux  revenants,  aux  esprits  et  aux  fées  et  de 
pratiques  superstitieuses  que  l'on  observe  aussi  bien  chez  les  peuples 
Scandinaves  que  chez  nos  paysans  et  les  Gaëls  d'Irlande,  je  ne  signa- 
lerai que  deux  points  entre  bien  d'autres,  mais  qui  me  paraissent  des 
plus  importants. 

Quand  un  fermier  irlandais  a  une  de  ses  vaches  atteinte  d'une  cer- 
taine maladie  dont  les  signes  caractéristiques  sont  le  gonflement,  le 
refus  de  nourriture  et  les  beuglements  plaintifs,  il  fait  venir  le  «  cow- 
doctor  ».  Si  celui-ci  la  reconnaît  «  frappée  »  (par  les  fées),  il  prend  un 
charbon  ardent  et,  avec  un  cérémonial  particulier,  en  trois  endroits 
différents  il  la  marque  du  signe  de  la  croix;  puis,  de  son  coude  au 
bout  des  doigts  il  la  mesure  de  la  queue  aux  cornes,  et  cela  trois  fois 
aussi.  Si  la  longueur  trouvée  est  plus  courte  la  deuxième  fois  que  la 
première  et  la  troisième  que  la  deuxième  :  c'est  que  l'animal  guérira, 
sinon,  il  est  condamné.  En  ce  cas,  on  le  voue  à  saint  Martin.  Pour 
cela  on  lui  fuit  une  incision  à  l'oreille,  le  sang  coule   et  la  mort  est 


I  72  REVUE    CRITIQUE 

détournée,  la  bête  ainsi  marquée  ne  peut  plus  être  vendue.  On  la  tue 
et  on  en  fait  un  festin  la  veille  de  la  fête  du  saint. 

Évidemment,  il  y  a  là  recours  et  sacrifice  à  une  divinité;  mais 
laquelle?  —  Je  n'hésite  pas,  pour  mon  compte,  à  reconnaître  en  ce 
saint  Martin  des  Gaéls  le  vieux  Dieu  Tor  qu'invoquent  les  bergers 
norvégiens  et  qui,  lui  aussi,  imprimait  sa  marque  aux  jeunes  velles,  la 
marque  de  son  marteau,  le  signe  de  la  croix. 

Dans  nos  campagnes  de  France,  la  veille  delà  Saint-Jean,  on  allume 
des  feux  auxquels  on  fait  fumer  les  bestiaux,  vaches  et  chèvres,  afin 
de  les  préserver  de  maladie.  Ainsi  fait-on  en  Irlande.  Bien  plus,  le 
Gaël  prend  à  ce  feu  des  braises  qu'il  va  jeter  dans  ses  champs  de 
pommes  de  terre  :  assuré,  en  ce  faisant,  de  rendre  sa  récolte  plus 
abondante.  On  se  souvient,  sur  les  confins  de  la  Touraine  et  du  Poi- 
tou, d'avoir  vu,  il  y  a  peu  d'années  encore,  des  paysans  prendre,  eux 
aussi  à  ce  même  feu,  des  charbons  qu'ils  jetaient  aux  quatre  points  de 
l'horizon,  en  disant  :  «  Ceci  est  pour  mon  champ  de  tel  endroit!  Cela 
pour  mon  champ  de  tel  autre  endroit!  » 

Dira-t-on  que  c'est  là  aussi  le  résultat  d'un  emprunt  ou  du  hasard? 
-  Franchement,  je  ne  puis  le  croire. 

Il  n'est,  à  mon  avis,  qu'une  explication  de  possible  :  c'est  que  dans 
les  pays  Scandinaves  comme  en  France  et  en  Irlande,  ainsi  que  dans 
bien  d'autres  contrées  d'Europe,  sans  doute,  il  y  ait  un  substratum 
de  populations  de  même  race  —  quel  que  soit,  du  reste,  le  nom  sous 
lequel  on  les  désigne. 

Le  recueil  de  M.  D.  Deeney,  élégamment  édité  par  M.  D.  Nutt,  se 
présente  à  nous  tout  simplement,  sans  l'apparat  d'aucune  note  :  il  n'en 
a  pas  moins,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir,  une  réelle  valeur  documen- 
taire. A  ce  titre,  nous  aurions  aimé  que  l'auteur  eût  précisé  la  source 
de  ses  matériaux  ;  mais  ce  que  nous  lui  reprocherons  surtout,  c'est 
de  ne  pas  nous  en  avoir  donné  l'index  analytique.  Désormais,  tout 
livre  qui  touche  à  la  science,  en  doit  avoir  un  :  sinon  il  s'expose 
de  plus  en  plus  au  danger  d'être  purement  et  simplement  laissé 
de  côté. 

Léon  Pineau. 


Frédéric  Damé.  Histoire  de   la   Roumanie  contemporaine  (1822-90).   Paris 
Alcan,  1900,  451  pp.  in-8  et  une  carte. 

Cet  ouvrage  est  la  première  histoire  de  la  Roumanie  contemporaine 
qui  ait  été  publiée  jusqu'ici.  Elle  se  propose  donc  de  renseigner  le 
public  sur  un  sujet  absolument  nouveau. 

L'auteur,  M.  Damé,  qui  prétend  être  «  un  ami  de  la  Roumanie,  » 
est  un  Français  naturalisé  roumain,  qui  a  occupé  des  situations 
importantes  dans  l'enseignement  public  de  son  pays  d'adoption,  qu'il 


d'histoire  et  de  littérature  173 

a  quitté  tout  récemment.  Comme  écrivain, il  a  publié  un  bon  diction- 
naire roumain-français,  des  traductions,  etc.,  et  a  rédigé  même  un 
journal  littéraire  écrit  en  roumain. 

Il  avait  donc  les  moyens  de  connaître  parfaitement  ce  qu'il  raconte 
aujourd'hui.  Comme  il  a  été  en  relations  assez  étroites  avec  quelques 
hommes  politiques  roumains,  on  pouvait  espérer  même  trouver  de 
l'inédit,  du  nouveau  et  du  piquant  dans  cette  «  Histoire  de  la  Rou- 
manie contemporaine.  »  Et  certainement,  on  avait  le  droit  d'attendre 
de  cet  ancien  professeur  une  appréciation  impartiale  et  correcte  des 
■  partis  et  des  personnages  politiques,  mais  surtout  un  jugement  juste 
sur  les  efforts  qu'ont  faits  les  Roumains  pour  recommencer,  sous  des 
'  formes  constitutionnelles  modernes,  leur  vie  nationale. 

J'ai  lu  avec  attention  le  livre  et  je  suis  désabusé  sur  tous  ces  points. 
M.  D.  ne  s'est  vraiment  pas  donné  de  la  peine  en  écrivant  son  livre. 
Il  connaît  des  brochures  sensationnelles,  des  articles  de  journal  carac- 
téristiques, qu'il  cite  dans  son  récit,  uniquement  d'après  d'autres 
ouvrages,  d'une  lecture  facile.  Il  ne  connaît  pas  même  le  nom  de  très 
importants  recueils  qui  devaient  lui  servir  de  guide  pour  certaines 
époques  et  il  ne  se  doute  pas  même  que  des  correspondances  diplo- 
matiques étrangères  aient  été  publiées  pour  l'époque  des  hospodars  ; 
il  n'a  jeté  jamais  un  regard  sur  la  correspondance  politique  de  Michel 
Stourdza,  dont  il  prétend  étudier  le  règne  dans  tout  un  chapitre. 

La  manière  dont  on  le  voit  utiliser  les  sources  ne  rassure  guère  sur 
la  solidité  du  livre.  Il  invente  des  clauses  de  traités,  qui  n'ont  jamais 
existé  ;  il  découvre  que  la  Bessarabie  a  appartenu  à  la  Russie  bien 
avant  l'année  1812  quand  cet  Etat  la  «  reprit  »  —  et  il  prend  le  soin  de 
répéter  trois  fois  cette  grosse  erreur  ;  il  fait  imprimer  «  LaNareinte  » 
le  nom  de  la  Narenta,  rivière  de  l'Herzégovine,  etc. 

Quant  à  l'esprit  dont  le  livre  est  animé,  il  est  franchement  condam- 
nable. M.  D.  n'hésite  pas  à  apprécier  défavorablement  l'action  poli- 
tique de  la  France  et  il  a  la  coutume  de  trouver  que  les  Roumains 
n'ont  jamais  raison.  En  échange,  il  exalte  la  politique  passablement 
égoïste  que  la  Russie  fait  en  Orient  :  il  ne  manque  pas  une  occasion 
pour  déclarer,  avec  force  sophismes  justiricatifs,  que  les  Roumains 
ont  le  devoir  de  se  développer  dans  la  direction  et  dans  la  mesure 
voulues  par  la  Russie.  Il  les  blâme  d'avoir  eu  le  mauvais  goût,  la 
prétention  absurde  de  se  soustraire  à  un  protectorat  hypocrite  qui 
devait  précéder  l'annexion,  de  combattre  pour  avoir  un  Etat  indé- 
pendant et  une  civilisation  nationale  ;  même  quand  la  Russie,  l'alliée 
de  1877  contre  les  Turcs,  récompense  les  Roumains  en  leur  prenant 
la  Bessarabie,  M.  D.  croit  que  ses  compatriotes  du  Bas-Danube 
devaient  se  taire  ou  marchander  avec  sang-froid  pour  obtenir  de  plus 
fortes  compensations. 

M.  D.  croit  nécessaire  aussi  de  se  mêler  des  querelles  de  partis,  qui 
ne  sont  pas  en   Roumanie  plus   légitimes,  plus  nobles  et  plus  utiles 


I  "4  REVUE   CRITIQUE 

qu'ailleurs.  Au  lieu  de  donner  au  lecteur  étranger  une  idée  nette  de  la 
vie  constitutionnelle  roumaine,  du  développement  de  la  richesse  du 
pays,  de  l'œuvre  de  civilisation  qui  y  a  été  réalisée,  cet  étrange  histo- 
rien, prenant  à  cœur  les  intérêts  des  «  conservateurs  »  contre  les 
«libéraux  »,  se  livre  à  des  polémiques  aussi  déplacées  qu'inutiles  (pour 
le  public  bien  entendu).  Le  lecteur,  ayant  terminé  le  livre,  ne  sait  rien 
de  précis  et  de  sérieux  sur  la  Roumanie,  mais  il  connaît  parfaitement 
les  qualités  et  défauts  des  plus  infimes  parmi  les  intrigants  politiques 
du  pays. 

C'est  tout  de  même  une  manière  d'écrire  «  l'histoire  »  ad  usum 
patfoni.  Mais,  puisque  le  public  n'a  rien  à  voir  dans  les  affaires  per- 
sonnelles de  M.  Damé,  il  est  bon  de  l'avertir  du  contenu  de  ce  livre. 
C'est  ce  que  j'ai  fait. 

N.   JORGA. 


—  M.  Maurice  Courant  vient  de  publier  une  Grammaire  de  la  langue  japonaise 
parlée  assez  brève  (127  pages),  très  claire  et  rédigée  sur  un  plan  nouveau, 
emprunté  aux  grammaires  indigènca.  Tous  les  exemples,  et  ils  sont  nombreux, 
sont  donnés  en  écriture  japonaise  et  en  transcription  de  manière  à  habituer  l'élève 
à  lire  en  même  temps  qu'il  apprend  la  langue.  —  A.  M. 

—  Dans  une  élégante  brochure  in-40,  publiée  à  l'occasion  d'un  mariage  (Nozze 
Volpi-Buonamici,  23  avril  1900,  (Padoue,  i5  pages.)  M.  Fr.  Flamini  publie  l'épi- 
logue d'un  cours  professé  à  l'Université  de  Padoue  :  lordinamento  dei  tre  regni  e 
il  triplice  significato  délia  Commedia  di  Dante,  Nous  nous  bornons  à  signaler 
cette  importante  étude,  qui  est  la  promesse  d'un  volume  consacré  à  Dante  ;  pour 
exposer  les  idéeà  de  M.  Flamini  et  les  apprécier,  attendons  qu'il  leur  ait  donné 
toute  leur  ampleur,  mais  ne  tardons  pas  à  annoncer  la  bonne  nouvelle  que  la 
brochure  nous  apporte.  —  H.  H. 

—  Le  17  février  dernier  a  ramené  le  troisième  anniversaire  du  supplice  de 
Giordano  Bruno.  A  cette  occasion  M.  Gustave  Louis  a  publié  sur  ce  personnage 
une  substantielle  brochure  :  Gîo»-rf^«o  iîr»«o,  seine  Weltanschaining  iind  Lebens- 
aiiffassung  {BerVin,  E.  Felber  1900  :  in-i6,  IV-143  pages),  destinée  sans  doute  à 
répandre  dans  le  public  quelques  notions  précises  sur  les  idées  philosophiques  et 
sur  l'existence  de  ce  martyr  de  la  pensée.  On  y  trouvera  des  renseignements  puisés 
aux  sources  les  plus  sûres  et  des  indications  bibliographiques  utiles  sur  les 
ouvrages  antérieurs  consacrés  à  G.  Bruno.  —  H.  H. 

—  Le  travail  de  M.  Arnold-Oscar  MEVERSurla  diplomatie  anglaise  en  Allemagne 
au  temps  d'Edouard  VI  et  de  Marie  Tudor,  est  une  thèse  inaugurale  soutenue  à 
Breslau  en  juillet  jgoo.  Cette  dissertation  {Die  englische  Diplomatie  in  Dentschland 
:jiir  Zeit  Eduards  VI  und  M  ariens.  Breslau,  Marcus,  igoo,  1 13  p.in-8*)  comprend 
deux  chapitres  d'inégale  longueur  ;  le  premier  nous  expose  l'organisation  de  la 
diplomatie  britannique  dans  la  seconde  moitié  du  xvi*  siècle,  la  situation  person- 
nelle et  pécuniaire  de  ses  agents,  leur  activité  et  leurs  moyens  d'information,  etc.; 
le  second  énumère  les  diftérents  envoyés  qui  se  sont  succédé,  à  intervalles  très 
rapprochés,  à  la  cour  de  Charles-Quint,  durant  les  dix  dernières  années  de  son 
règne.  Ce  furent  pour  la  plupart  des  personnages  assez  obscurs,  les  affaires  qu'ils 


D  HISTOIRE    ET  DE   LITTÉRATURE  [-5 

traitèrent  ne  sont  pas  de  haute  importance,  et  leurs  dépêches, comme  le  démontre 
•  facilement  l'auteur,  ne  sont  pas  précisément  des  documents  historiques  à  suivre 
aveuglément.  Le  plus  sympathique  à  M.  M.  c'est  sir  Richard  Morison,  dont  il  parle 
assez  longuement  et  dans  les  écrits  duquel  il  prétend  trouver  quelque  chose  du 
délicieux  humour  de  Dickens.  Sans  avoir  consulté  de  documents  inédits,  l'auteur 
a  soigneusement  dépouillé  la  littérature  imprimée,  et  naturellement  avant  tout  les 
séries  afférentes  des  State  papers,  et  fait  de  la  sorte  un  travail  utile,  facilitant  la 
tâche  des  historiens  qui  voudront  raconter  plus  tard  les  relations  politiques  de 
l'Angleterre  et  du  Saint-Empire  de  1.147  à  i556.  —  R. 

—  Dans  un  extrait  des  «  Annales  de  l'Est  »,  Une  mission  strasbourgeoise  à  la 
cour  de  Louis  XIII,  M.  Rod.  Reuss  retrace  la  mission  de  Josias  Glaser  chargé  en 
i63i  par  le  Magistrat  de  Strasbourg  d'encaisser  un  emprunt  conclu  secrètement 
avec  la  cour  de  France.  Glaser  a  fait  à  son  retour  un  très  curieux  rapport  que 
M.  Reuss  analyse  ou  cite  dans  son  travail  et  qui  méritait,  «  ne  fut-ce  qu'à  cause  de 
sa  forme  primesautièrc  »,  de  ne  pas  rester  inconnu.  Il  y  a  d'ailleurs  dans  la  rela- 
tion de  Glaser  certains  détails  piquants  ou  qui  ne  manquent  pas  d'intérêt  comme 
la  présentation  de  Glaser  à  Louis  XIll  au  château  de  Monceaux,  l'entretien  de 
Richelieu  avec  l'envoyé  strashourgeois  et  son  mot  sur  les  troupes  réglées  (oportet 
habere  industriosos  et  exercitatos  milites),  le  discours  du  Père  Joseph  assurant 
qu'il  aime  ainsi  que  le  roi  d'un  amour  égal  les  tils  de  l'Eglise  et  les  héritiques, 
l'ignorance  du  trésorier  La  Bazinière  qui  ne  sait  où  est  Strasbourg,  et  plusieurs 
points  de  cette  brochure  serviront  à  mieux  marquer  l'attitude  du  cardinal  à  l'égard 
des  états  protestants  de  l'Allemagne  au  moment  où  éclatent  les  victoires  de 
Gustave-Adolphe.  —  A.  G. 

—  Dans  une  brochure  intitulée  Les  brùlements  de  papiers  à  Reims,  i  jg3  (Reims, 
Monce.  1900).  In-S",  27  p.  M.  le  Dr.  Pol  Gosset  publie,  d'après  les  registres  et  les 
liasses  du  fonds  révolutionnaire  des  archives  de  Reims,  quelques  notes  intéres- 
santes sur  les  papiers  brûlés  dans  cette  vîlle  en  179?  et  sur  les  circonstances  de 
ces  autodafés  :  le  10  août,  brûlement  des  titres  féodaux  provenant  sans  doute  des 
nobles  et  des  notaires  ;  le  5  brumaire,  brûlement  des  portraits  des  rois,  reines, 
princes  et  «  autres  suppôts  du  despotisme  »  ;  le  3o  frimaire,  brûlement  des  titres 
féodaux  et  des  pièces  du  Cartulaire  de  la  ville.  «  Les  documents  perdus,  dit 
M.  Gosset,  sont,  il  est  vrai,  de  valeur  bien  inégale  ;  mais  si  les  lettres  de  bache- 
lier ou  les  cartes  k  jouer  détruites  nous  laissent  indirtérents,  qui  ne  regrettera  le 
pillage  du  Cartulaire  de  la  ville  et  la  destruction  de  certaines  archives  particu- 
lières ?  »  —  A.  C. 

—  MM.  Rod.  Vagnair  et  F.  Venture  viennent  de  publier  à  la  librairie  Dubois 
deux  brochures,  l'une  Kléber  en  Egypte  (Ïn-S",  48  p.  i  fr.  5o)  où  l'on  trouve  des 
lettres  de  divers  officiers  à  Kléber  et  notamment  une  lettre  où  Menou  annonce  la 
reprise  du  Caire,  des  rapports  des  capitaines  de  frégate  Martinet  et  Barré  sur  la 
défaite  d'Aboukir,  une  relation  de  Devouges  (un  des  passages  échappé  au  massacre 
de  VAnémone)  ;  l'autre  Kléber  et  les  Vendéens,  décembre  i~g.^,  Le  Mans.  Laval, 
Savenaj'  In-S",  25  p.  i  fr.),  plaquette  où  l'on  remarque  de  fort  intéressants  détails, 
particulièrement  sur  la  déroute  du  général  Mullcr  à  qui  Prieur  de  la  Marne 
«  applique  quelques  coups  de  plat  de  sabre  »  'p.  18  rotlkier  dont  le  nom  est  resté 
en  blanc  est  d'Obenheim).  Nous  n'osons  dire,  comme  les  éditeurs,  que  ces  docu- 
ments soient  inédits;  mais  ils  sont  authentiques  et  tirés  d'un  recueil  des  papiers 
de  Kléber  recueillis  et  copiés  par  un  ami  du  général,  M.  de  Chaicaupiron.  —A.  C. 

—  Une  traduction  française  des  Pensées  de  Lcopardi,  ou  plutôt  de  Pensées  chût- 


Ij6  IIEVUË   CftîTîQUE   d'histoire   ET    DE   LÎTTÉRARTUE 

sies  (mais le  choix  est  très  large  et  donne  une  idée  suffisante  de  l'œuvre)  vient  de 
paraître  à  Grenoble  (A.  Gratief  éditeur,  1900)  par  les  soins  d'une  jeune  italienne, 
M''<^  L.  Caramelli.  L'entreprise  était  délicate  assurément;  elle  l'eût  été  inème  pour 
un  traducteur  français.  M"*'  G.  s'en  est  tirée  avec  honneur.  —  H.  H. 

—  Le  tome  IV  du  Paris  pendant  la  réaction  thermidorienne  et  sot4s  le  Directoire, 
recueil  de  documents  pour  Vhistoire  et  l'esprit  public  à  Paris,  publié  par  M.A.Aulard, 
a  paru  récemment  Paris.  Cerl.  Noblet.  Quantin.  In-S",  794  p.)  Le  volume  va  du 
21  ventôse  an  V  au  2  thermidor  an  VI,  c'est-à-dire  du  11  mars  1797  au  20  juil- 
let 1798. 

—  La  Société  pour  le  progrès  des  études  philologiques  et  historiques,  fondée  à 
Bruxelles  en  1874  par  des  membres  de  l'enseignement  supérieur  et  secondaire  de 
l'enseignement  officiel  et  libre  en  Belgique,  reconstituée  en  1898  après  une  assez 
longue  période  d'assoupissement,  grâce  aux  efforts  énergiques  de  son  nouveau 
secrétaire  général,  M.  Paul  Frkdéricq,  professeur  d'histoire  à  l'Université  deGand, 
vient  de  publier  un  Annuaire-Bulletin  (Gand,  Annoot-Braeckman  1900),  pour  les 
années  1898  et  1899.  Il  contient,  outre  la  liste  de  ses  membres,  les  procès-verbaux 
des  réunions  générales  et  sectionnelles,  tenues  au  cours  de  chaque  semestre.  On  y 
remarque  surtout  la  discussion  entre  M.  H.  Pirenne  et  le  R.  P.  De  Smedt  sur  la 
nouvelle  méthode  historique  de  M.  Lamprecht,  méthode  dont  on  parlait  ici  naguère, 
et  qui  parait  soulever  en  Belgique  les  mêmes  débats  qu'en  Allemagne,  bien  que 
pour  des  raisons  plutôt  théologiques  que  scientifiques.  —  R. 

—  M.  Albert  Soubies  a  ajouté  deux  nouveaux  volumes,  l'un  sur  la  Belgique  des 
origines  au  xtx»  siècle,  l'autre  sur  VEspagne  au  xix'  siècle,  à  sa  jolie  collection  de 
VHistoire  de  la  musique  qui  paraît  chez  Flammarion. 

—  Viennent  de  paraître  dans  la  nouvelle  édition  de  classiques  allemands  que 
publie  à  Leipzig  la  librairie  Hesse:  1°  les  œuvres  complètes  de  Henri  de  Kleist  édi- 
tées par  M.  K.  Siegen  ;  le  volume,  en  quatre  parties,  est  précédé  d'une  introduction 
de  quatre-vingt-dix  pages  environ.  2''  les  œuvres  complètes  de  Lenau,  éditées  par 
M.  Ed.  Castle  ;  le  volume,  en  deux  parties,  contient  une  préface  de  soixante  pages. 
Ces  deux  volumes  sont  de  belle  exécution,  de  forme  commode  et  d'un  prix  peu 
élevé. 

—  A  l'occasion  du  soixante-dixièm.e  anniversaire  de  la  naissance  de  Christophe 
Sigwart,  ses  collègues  lui  ont  offert  un  volume  de  dissertations  philosophiques 
Philosophische  Abhandlungen  (Tubingue,  Fribourg  et  Leipzig,  Mohr.  In-8°,  248  p.) 
dont  voici  les  titres  :  Benno  Erdmann,  Umrisse  ^ur  Psychologie  des  Denkens  ; 
W.  Windp;lband,  vom  System  der  Kategorien  ;  H.  Rickert.  Psychophysische  Cau- 
salitât  und  psychophysischer  Parallelismus  \  L.  Busse,  Die  Wechsehvirkung  :jivis- 
chen  Leib  und  Seele  und  das  Geset:^  der  Erhaltung  der  Energie;  R.  Falckenberg, 
Zwei  Briefe  von  Lot:^  an  Seydel  und  Arnoldt;  Vaikinger,  Kant,  ein  Metaphysiker  ; 
A.  RiEHL,  Robert  Mayers Entdeckung  und  Beweis  des  Energieprincipes  ;  Dilthey, 
Die  Entstehung  der  Hermeneutik  ;  Ed.  Zkli.er,  Ueber  den  Einfluss  des  Gefiihls  auf 
die  Thatigkeit  der  Phantasie  ;  H.  Maier,  Logik  und  Erkenntnistheorie . 


Le  Propriétaire- Gérant  :   Ernest  LEROUX. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N°  36  —  3  septembre  —  1900 


Sophocle,  Antigone,  trad.  Martinon.  —  Bacchylide,  2*  éd.,  p.  Blass.  — Graden- 
wiTZ,  La  papyrologie,  I.  —  Schulten,  L'Afrique  romaine.  —  Wieland,  La  vieille 
Afrique  chrétienne.  —  Mau,  Pompei.  —  Sepet,  Saint-Gildas  de  Ruis.  —  Gower, 
p.  Macaulay.  —  KoECHLiN  et  Marquet,  La  sculpture  à  Troyes.  —  Monchamp, 
Une  lettre  perdue  de  Descartes. —  Cantor,  Histoire  des  mathématiques,  II,  2.. — 
Dictionnaire  biographique  et  biblio-iconographique  de  la  Drôme,  p.  J.  Brun- 
Durand.  —  La  guerre  dans  la  vallée  d'Aspe  et  la  bataille  de  Lescun,  p.  Schmuc- 
KEL.  — Académie  des  inscriptions. 


Sophocle,  Antigone,  traduction  en  vers  par  Ph.  Martinon.  Paris,  Fontemoing, 

1900  ;  56  pp. 

Dans  Antigone,  la  troisième  tragédie  de  Sophocle  qu'il  a  traduite, 
M.  Martinon  n'a  fait  que  peu  de  coupures  :  plusieurs  passages  sont 
supprimés  dans  le  rôle  du  gardien  ;  une  tirade  de  Créon  et  une 
d'Hémon,  dans  l'entrevue  de  ces  deux  personnages,  sont  sensiblement 
réduites  ;  le  début  du  premier  morceau  de  Tirésias  est  laissé  de  côté  ; 
enfin  dans  le  rôle  d'Antigone  manque  le  passage  célèbre  où  la  jeune 
fille  explique  qu'elle  n'aurait  pas  fait  pour  un  époux  ou  pour  un 
enfant  ce  qu'elle  a  fait  pour  son  frère,  et  dans  lequel  de  nombreux 
critiques  ont  voulu  voir  une  mauvaise  adaptation  d'un  passage  connu 
d'Hérodote.  M.  M.  estime  que  la  Comédie  Française  a  eu  tort  de  ne 
pas  faire  de  coupures  dans  cette  pièce  ;  il  me  permettra  de  ne  pas  être 
de  son  avis,  du  moins  pour  quelques-unes  de  celles  qu'il  a  pratiquées; 
je  veux  parler  des  rôles  de  Tirésias  et  du  gardien.  Le  devin  expose  à 
Créon  que  ses  ordres  relatifs  au  corps  de  Polynice  vont  causer  le 
malheur  de  Thèbes.  Comment  le  sait-il?  Par  des  présages  terribles 
qui  viennent  de  se  révéler  à  lui,  et  qui  motivent  son  intervention  ;  il 
les  montre  dans  une  quinzaine  de  vers  énergiques  qui  sont  bien  con- 
nus :  El;  vàp  -aXa-.ôv  Oà/.ov  ôoviOor/.ô-ov  Itiov  etc.  ;  M.  M.  les  supprime,  et 
l'on  ne  comprend  plus  suffisamment  la  venue  du  vieillard.  Le  rôle  du 
gardien  est  écourté  plus  malheureusement  encore;  M.  M.  en  a 
retranché  précisément  tout  ce  qui  dessine  le  caractère.  Ce  ne  sont 
pourtant  que  quelques  vers,  une  quinzaine  en  trois  endroits,  mais  ils 
sont  indispensables  pour  mettre  en  relief  les  sentiments  qui  agitent  le 
personnage,  dont  les  traits  caractéristiques  sont  à  la  fois  la  timidité  du 
faible  devant  le  puissant,  la  crainte  d'être  puni  pour  n'avoir  pas 
découvert  le  criminel,  et  la  joie  d'être  enfin  quitte  après  avoir  surpris 
la  jeune  fille,  joie  mélangée  pourtant  de  pitié  pour  le  malheurd'auirui. 

Nouvelle  série  L.  3ô 


IjS  REVUE    CRITIQUE 

Cette  psychologie  d'un  personnage  épisodique,  si  finement  saisie  par 
Sophocle,  on  ne  la  retrouve  pas  chez  le  traducteur,  que  le  peu  d'im- 
portance du  rôle  a  sans  doute  empêché  de  lui  accorder  l'attention 
qu'il  mérite  :  Sophocle  y  perd.  Quant  à  la  tirade  d'Antigone,  elle 
pourrait  choquer  notre  goût  moderne,  cela  est  certain;  et  M.  M.  a 
bien  fait  de  la  laisser  de  côté,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  «  sûrement 
interpolée»,  comme  il  le  déclare;  c'est  là  d'ailleurs  une  question 
qu'un  traducteur,  qui  en  même  temps  adapte  pour  le  théâtre,  a  le 
droit  de  négliger.  Mais  on  voudrait  qu'il  se  fût  borné  à  supprimer  le 
passage  suspecté  par  la  critique,  et  qu'il  eût  conservé  la  fin  du  mor- 
ceau, qui  est  authentique,  où  les  plaintes  d'Antigone  entraînée  à  la 
mort  atteignent  le  dernier  degré  de  l'émotion.  A  part  ces  desiderata, 
la  traduction  de  M.  Martinon  est  fidèle,  et  c'est  un  mérite  '  ;   elle  se 

lit  avec  intérêt,  et  c'en  est  un  autre;  mais à  quoi  bon  répéter  ce 

que  j'ai  déjà  dit  à  propos  d' Œdipe  Roi  et  ai  Œdipe  à  Colone?  Le  vers 
a  les  mêmes  qualités,  et  aussi  les  mêm.es  défauts  \ 

My. 


Bacchylidis  carmina  cum  fragmentis  iterum  edidit  Fr.  Blass.  Leipzig,  Teubner, 
1900  (sur  le  faux  titre  1899);  LXXV-207  p.  {Bibî.  script,  grcec.  et  rom.  Teub- 
neriana.) 

Un  peu  plus  d'un  an  s'est  écoulé,  et  M.  Blass  a  donné  une  seconde 
édition  de  Bacchylide.  A  vrai  dire,  on  ne  trouvera  dans  celle-ci  que 
des  modifications  sans  grande  importance.  Il  n'y  a  plus,  à  la  fin,  de 
fragments  sedis  incertœ  :  M.  B.  a  cru  en  retrouver  la  place  ;  les  plus 
importants  sont  intercalés,  les  uns  au  début  de  la  première  ode,  qui  a 
subi  de  ce  fait  un  assez  sérieux  remaniement,  les  autres  au  milieu  de 
l'ode  VII.  La  préface  est  sensiblement  restée  la  même  ;  une  page  a  été 
ajoutée  sur  l'allittération  ;  et  les  arguments  de  divers  morceaux  ont 
reçu  les  additions  et  modifications  nécessitées  par  de  récents  travaux, 
notamment  l'argument  de  l'ode  III,  où  M.  B.  discute  l'opinion  de 
M,  Homolle  relative  à  la  base  de  Gélon.  La  date  des  odes  VI  et  VII 
(452)  est  révélée  par  un  fragment  de  catalogue  d'Olympioniques 
récemment  découvert.  On  notera  plus  particulièrement  que  M.  B.  se 
range  maintenant,  provisoirement  du  moins,  à  l'avis  de  M.  Kenyon, 

1.  Pourtant  le  beau  vers  Oûxoi  auvéyeetv,  iXkà  aii|ji(piXeîv  isuv  est  bien  faiblement 
traduit  par  Mais  moi,  je  ne  sais  pas  haïr. 

2.  De  malheureuses  concessions  à  ia  rime  :  Ces  deux  enfants  sont  folles  de'sor- 
mais.  J'en  prends  à  témoin  l'Olympe  que  voici.  Je  ne  puis  m'empêcher  de  verser 
une  larme.  Des  expressions  impropres  ou  obscures:  L'édit  qui  rougit  notre  front. 
Vous  défendrez  mon  arrêt  d'un  outrage.  Le  monde  entier  n'a  rien  que  l'homme  ne 
surpasse.  Sans  larmes...  je  vais  entrer...  (11  faut  entendre  :  Sans  qu'on  me  pleure). 
Où  trouver  couple  mieux  assorti?  est  d'un  ton  peu  relevé;  c'est  d'ailleurs  un 
contre-sens. 


d'histoire  et  de  littérature  17g 

en  ce  qui  concerne  l'âge  du  papyrus,  auquel  le  savant  anglais  assigne 
pour  date  le  milieu  du  I^""  siècle  avant  J.-C.  Le  texte,  en  dehors  des 
passages  où  ont  été  insérés  les  fragments,  présente  quelques  change- 
ments ;  M.  B.  est  souvent  revenu  à  la  leçon  du  papyrus  :  III,  18 
6i|;'.oa'.oâ)-cov  (I'"e  éd.  •j<|/'.oa'.oàXwv),  64  ixi'(ci.vn,-z  (-vîtej  ;  IV,  l4K'ppa;  (raîa^i  ; 
V,  23  'îp'j'.yt^  (-f^E'j),  Il5  TO'jç  (oG;)  ;  IX,  46  o'ày.ptTO'j;  (o'.a/.p(-0'j;)  ;  X,  g2 
zp'.<T/.:i'.oty.oL  (xpetor/.)  ;  XVI,  10  ivvâ  (âêpâ),  80  tj'joevooov  fsùp'Jîopovi,  86  TX'isv 
(TàxEvj,  98  £va)avat=Ta'.  (-vxÉTai).  En  ce  dernier  passage,  la  lecture  à/.'.vadxai 
(Palmer)  me  semble  s'imposer  ;  elle  rétablit  le  mètre,  et  l'on  admettra 
facilement  que  le  scribe  a  inséré  âv  devant  âX'.,  ce  dernier  mot,  par  sa 
place  à  la  fin  d'une  ligne,  ne  semblant  pas  appartenir  à  un  composé. 
M.  B.  ne  recule  pas,  d'ailleurs,  devant  d'autres  corrections  plus  radi- 
cales, et  moins  justitiées  :  111,  87  î'j/porjva  (pap.  EÙcppoTjva)  n"a  rien  d'in- 
dispensable ;  faire  un  mot  nouveau,  dont  le  sens  n'est  pas  des  plus 
clairs,  dépasse  les  droits  delà  critique.  XVI,  87  sv.  yAlz'jai  0' Ixa-rôvTopov 
yh  c'joaîoaXov  vàa  est  refait,  pour  le  sens  qui  paraît  nécessaire  à 
M.  Blass,  sur  xéÀîjtï -e  -/.a-:'  ovipov  t'ayCEv  (pap.  ''a/E'.vj..  ;  si  nous  ne  démê- 
lons pas  encore  le  sens  de  cette  phrase,  je  ne  vois  pas  bien  comment 
on  peut  la  concevoir  comme  une  corruption  de  la  précédente.  V,  igS 
les  raisons  invoquées  en  note  ne  me  convainquent  pas  de  la  nécessité 
de  substituer  7:£'.0ô;jL£6'  àTîîOoijiat.  S'il  s'agit  de  restitutions,  au  contraire, 
il  est  permis  d'être  plus  hardi.  On  sait  combien,  sous  ce  rapport,  le 
texte  de  Bacchylide  est  redevable  aux  travaux  de  M.  Blass  ;  les  odes 
VI II,  IX,  XII  entre  autres,  dans  cette  seconde  édition,  témoignent 
encore  de  sa  sagacité.  Parfois  cependant  il  a  abandonné  ses  propres 
conjectures  pour  revenir  à  des  lectures  proposées  par  d'autres  :  III, 
5  TEJOVTO  Kenyon  (I'^''^  éd.  y^'^ovto),  44  ypjaoo-votî  K.  (y.aXX'.o(va4),6g  Oîcc^'.X^ 
Herwerden  \vJïi\r])  ;  V,  56  xot'.  (j.iv  K.  (-rtpÔTOsv),  122  -âvTa?  Ludwich 
(-ÀEJva;).  XII,  48  se  lit  maintenant  dans  le  texte  la  conjecture  certaine 
de  Desrousseaux  èXecpavxôxwTrov  ;  mais  111,  78  je  ne  vois  pas  celle  de 
Th.  Reinach,  [c:']  àé^Etv,  que  je  considère  comme  également  certaine, 
et  qui  devait  au  moins  être  mentionnée  dans  les  notes.  M.  Blass  a 
pourtant  tenu  cette  édition  soigneusement  au  courant  des  travaux 
publiés  depuis  la  première  ;  la  liste  en  est  donnée  p.  LXXII  sv.,  et  les 
notes  critiques  se  sont  notablement  accrues.  Malgré  les  progrès  accom- 
plis, il  reste  encore  beaucoup  à  faire,  tant  à  cause  des  dilliculiés 
métriques,  qui  sont  loin  d'être  aplanies,  principalement  dans  l'ode  V 
et  dans  le  dithyrambe  XVI,  que  des  incertitudes  du  texte,  soit  pour  le 
sens,  soit  pour  la  construction,  en  plusieurs  passages.  Le  papyrus, 
quoique  généralement  correct,  renferme  un  bon  nombre  de  fautes 
évidentes  ;  il  est  à  souhaiter  que  Ton  corrige  celles  qui  ne  sont  pas 
encore  corrigées,  et  une  étude  approfondie  de  la  manière  probable 
dont  ces  fautes  ont  été  commises  hâtera  certainement  la  solution  des 
questions  encore  pendantes.  Imaginer  ce  que  le  poète  à  dû  dire  ne 
peut  au  contraire  que  les  compliquer.  My. 


l8o  REVUE    CRITIQUE 

O  Gradenwitz.  Einfûhrung  in  die  Papyruskunde.  Fasc.  I.  Erkiarung  ausge- 
wâhltcr  Urkunden.  ncbst  cinem  Contrâr-Index  und  einer  Tafel  in  Lichtdiuck. 
Leipzig,  Hirzel,  1900  ;  xv-197  pp. 

Il  n'est  personne  qui  ignore  quelle  importance  a  prise,  dans  ces 
dernières  années,  depuis  les  récentes  publications,  Tétude  des  papy- 
rus, la  papyrologie,  comme  on  Ta  appelée;  indispensable  pour  l'his- 
toire de  la  langue  grecque,  précieuse  pour  Thistçlre  de  la  littérature, 
elle  n'est  pas  d'un  moindre  secours  pour  la  connaissance  du  droit  ; 
toutes  les  branches  de  la  philologie  ont  gagné  à  la  découverte  ;  et  pour 
ce  qui  concerne  les  papyrus  d'ordre  juridique,  il  suffirait  dé  citer  les 
noms  de  Wilcken  et  de  Mitteis  pour  remettre  en  mémoire  les  résultats 
acquis.  Le  présent  volume  de  M.  Gradenwitz  a  pour  but  d'initier  le 
philologue  à  la  connaissance  de  certaines   transactions,   contrats  de 
vente,  prêts,  quittances,  et  autres  actes  analogues.  Le  plan  de  l'ou- 
vrage est  très  clair  :  la  première  partie  étudie  quelques  textes  choisis 
(en  grande  partie  dans  les  papyrus  du  musée  de  Berlin;,  et  en  propose 
une  restitution  et  une  interprétation  méthodiques;  la  seconde  examine 
dans  leurs  types  généraux  et  dans  leurs  formules  plusieurs  contrats 
grecs,  dont  la  rédaction,  quand  il  y  a  lieu,  est  comparée  avec  des  do- 
cuments romains  de  même  nature  ;  la  troisième  enfin  entre  dans  une 
discussion  approfondie  sur  certains  détails  relatifs  à  la  forme  et  à  la 
technique  de  ces  documents.  L'intérêt,  comme  on  peut  le  pressentir, 
est  multiple;  si  d'un  côté  l'on  pénètre,  grâce  à  ces  pièces  d'un  genre 
spécial,  dans  les  mœurs  et  les  relations  journalières  des  hommes  du 
temps,  d'un  autre  on  apprend  à  connaître,  par  la  forme  extérieure  de 
ces  transactions,  quels  étaient  les  moyens  employés  pour  en  assurer 
la  validité,  pour  constater  l'identité  des  personnes,  pour  régler  les 
difficultés  possibles  lorsqu'il  s'agissait  d'illettrés,  pour  donner  en  un 
mot  à  ces  pièces  toute  l'authenticité  nécessaire;  et  comme  les  termes 
employés  ne  peuvent  être  indifférents,  on  s'instruit  enfin  de  leur  va- 
leur précise  dans  la  langue  juridique,  valeur  souvent  à  peine  indiquée, 
parfois  même  manquant  totalement  dans  les  dictionnaires.  Qu'y  a-t- 
il  de   plus  curieux,  par  exemple,   que   de   voir  les  pièces   du  type 
ôiaoXoYÎa,  généralement  des  actes  de  vente  par  devant  témoins  entre 
personnes  présentes,  contenir  régulièrement  le  signalement  non  seu- 
lement des  contractants,  mais  aussi  des  témoins,  et  des  xjp'.oi  lorsque 
les  parties  sont  des  femmes  ?  et  ce  signalement  consister  seulement 
dans  Tàge  et  dans  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  signes  particu- 
liers, d'où  la  mention  a7ï,ao4  quand'  l'individu  ne  porte  aucune  cica- 
trice ?  La  rédaction  des  divers  genres  de  contrats  est  ainsi  étudiée  par 
M.  Gradenwitz  jusque  dans  les  derniers  détails  ;  mais  il  serait  difficile 
de  le  suivre  dans  une  simple  analyse,  précisément  parce  que  chaque 
point  particulier  amène  des   discussions  et  des  comparaisons  trop 
nombreuses  et   trop    minutieuses   pour   être    recensées    une   à    une. 
Chaque  formule,  chaque  terme  spécial  sont  l'objet  d'une  étude  qui  les 


d'histoire  et  de  littérature  i8i 

met  en  relief,  en  éclaire  la  signification,  en  fixe  le  rôle  et  la  place  dans 
la  teneur  du  contrat.  C'est  pourquoi  le  juriste  comme  le  philologue  y 
trouveront  leur  compte  :  comme  l'espère  M.  Gradenwitz,  ils  puiseront 
dans  son  ouvrage,  l'un  les  principes  philologiques,  l'autre  les  prin- 
cipes juridiques  qui  leur  faciliteront  l'étude  et  la  connaissance  des 
papyrus.  —  Ce  volume  se  termine  par  plusieurs  indices  :  l'un  (IV;  des 
mots  spécialement  étudiés;  un  autre  (11)  des  sources,  notamment  des 
papyrus  cités  ;  un  autre  (III)  des  corrections  et  restitutions  proposées 
par  M .  Gradenwitz  dans  divers  documents.  1^'index  I,  dont  l'utilité 
est  évidente  pour  les  restitutions,  comprend,  rangés  en  ordre  alpha- 
bétique inverse,  c'est-à-dire  par  ordre  de  finales,  les  mots  contenus 
dans  les  tables  des  deux  premiers  volumes  des  papyrus  des  Musées  de 
Berlin,  du  volume  des  papyrus  d'Oxyrhynchos,  et  du  second  volume 
des  papyrus  du  British  Muséum  ;  l'auteur  a  été  aidé  dans  cette  tâche 
par  M.  von  Rchbinder.  L'héliogravure  représente,  aux  trois  quarts  de 
l'original,  le  papyrus  UBeM  179,  curieux  document  étudié  p.  gS  et 
suiv.,  qui  contient  une  quittance  partielle,  sert  en  même  temps  de  re- 
connaissance pour  le  prêt  du  reste  de  la  somme,  donne  enfin,  après 
paiement,  quittance  de  ce  reste,  et  est  annulé  par  rature. 

My. 


A.  ScHULTEN.  Das  rœmische  Afrika,  Leipzig,  Dieterich,  1899,  in-8,  vi-i  16  p. 
Fr.  WiELAND.  Ein  Ausflug  ins  altchristliche  Afrika,  zwanglose  Skizzen,  Stutt- 
gart et  Vienne,  Roth,   1900,  in-8,  196  p. 

I.  Le  nouveau  livre  de  M.  Schulten  est  une  œuvre  de  vulgarisation 
destinée  à  mettre  le  public  allemand  au  courant  des  recherches  archéo- 
logiques entreprises  depuis  cinquante  ans  en  Algérie  et  en  Tunisie. 
M.  Schulten  a  publié  d'importants  mémoires  sur  divers  problèmes 
d'épigraphie  et  de  droit  concernant  l'Afrique  romaine;  il  a  voulu  faire 
profiter  ses  compatriotes  des  connaissances  générales  qu'il  a  acquises 
sur  ce  pays  et  son  histoire.  11  a  tracé  à  grands  traits,  en  une  centaine 
de  pages,  un  tableau  de  l'Afrique  sous  la  domination  romaine,  et  par- 
ticulièrement au  début  du  m''  siècle,  à  l'époque  des  Sévères.  L'auteur 
n'a  pas  cru  qu'il  fût  nécessaire  de  diviser  son  récit  rapide  et  clair  en 
chapitres.  On  y  distingue  cependant  plusieurs  parties.  Les  seize  pre- 
mières pages  forment  l'introduction  (intérêt  actuel  des  études  archéo- 
logiques en  Algérie  et  en  Tunisie,  grandes  publications  auxquelles 
elles  ont  donné  lieu,  destinéee  de  l'Afrique  du  Nord  dans  l'antiquité, 
marche  de  la  civilisation  romaine).  Vient  ensuite  une  étude  des  élé- 
ments pré-romains  (pp.  17-32);  M.  Schulten  passe  trop  rapidement 
sur  les  Carthaginois,  mais  il  insiste  avec  raison  sur  la  race  berbère  et 
sur  les  traces  qu'on  retrouve  d'elle,  jusqu'au  temps  du  christianisme, 
dans  les  monuments,  la  religion,  la  langue,  l'onomastique  ;  il  apprécie 


l82  REVUE  CRITIQUE 

en  bons  termes  la  politique  des  Romains  à  l'égard  des  vaincus  et  leurs 
efforts  pour  fixer  les  nomades  au  sol.  Enfin,  la  civilisation  propre- 
ment romaine  est  décrite.  Sans  s'astreindre  à  suivre  un  ordre  rigou- 
reux, M.  Schulten  passe  en  revue  un  certain  nombre  de  questions  et 
tait  sur  chacune  d'elles  quelques  observations;  les  principales  villes  et 
les  principaux  monuments  sont  étudiés  au  passage  Thysdrus,  p.  35, 
les  nécropoles  de  Carthage,  p.  40,  Timgad,  p.  61,  Cherchel,  p.  jS, 
Lambèse,  p.  84).  Il  s'agit  tour  à  tour  de  la  population  et  des  routes, 
des  cultures,  du  régime  économique  pp.  41-47;  de  ce  dernier  point 
M.  Schulten  a  fait  ailleurs  un  examen  approfondi  ;  il  se  borne  ici  à 
énoncer  ses  conclusions),  de  la  vie  des  grands  propriétaires  africains 
d'après  les  mosaïques  (pp.  47-52),  de  l'utilisation  des  eaux,  de  l'aspect 
des  villes  et  du  développement  de  la  vie  municipale,  de  la  valeur  de 
cette  civilisation,  dont  la  prospérité  matérielle  contraste  avec  la  pau- 
vreté intellectuelle  et  le  manque  d'originalité  artistique,  enfin,  de 
l'armée  romaine  d'Afrique  et  de  la  défense  des  provinces.  La  conclu- 
sion nous  montre  la  chute  de  l'Afrique  romaine  sous  les  coups  des 
envahisseurs  barbares,  à  la  suite  des  guerres  civiles  et  des  progrès  du 
christianisme.  Les  notes  bibliographiques  et  critiques  sont  rejetées 
aux  dernières  pages,  pour  ne  pas  retarder  la  marche  de  l'exposé.  Elles 
prouvent  que  l'auteur  est  parfaitement  au  courant  des  travaux  les 
plus  récents  de  l'érudition  française  et  leur  rend  pleine  justice  ; 
c'est  d'ailleurs  au  Directeur  des  Antiquités  tunisiennes.  M.  P.  Gau- 
ckler,  que  l'ouvrage  est  dédié.  Ce  petit  volume  agréable  continuera  à 
bien  faire  connaître  et  apprécier  au  delà  du  Rhin,  en  dehors  du  cercle 
restreint  des  archéologues  et  des  épigraphistes  de  profession,  l'œuvre 
scientifique  que  poursuit  la  France  sur  le  sol  de  l'Afrique  romaine  '. 
2.  Le  livre  de  M.  l'abbé  Wieland  témoigne,  comme  celui  de 
M.  Schulten,  de  l'attention  croissante  qu'on  accorde  en  Allemagne  à 
l'archéologie  africaine.  M.  Wieland  a  profité  de  son  séjour  à  l'Institut 
catholique  allemand  de  Rome  [Campa  Sa?îto  de'  Tedeschi)  pour  faire, 
à  l'exemple  des  membres  de  notre  École  française,  une  excursion  en 
Algérie  et  en  Tunisie.  Il  nous  donne,  sous  forme  de  simples  esquisses^ 
un  récit  de  son  voyage,  qu'illustrent  de  nombreuses  et  jolies  gravures. 
L'auteur  n'a  pas  la  prétention  de  nous  apporter  du  nouveau;  il  dit 
très  simplement  ce  qu'il  a  vu,  ce  qu'il  a  appris  en  route;  il  fait  part  de 
ses  impressions,  en  produisant  au  besoin  à  l'appui  de  ses  appréciations 
quelques  textes  littéraires,  quelques  inscriptions  ou  même  quelques 
plans.  M.  Wieland  s'occupe  personnellement  d'archéologie  chré- 
tienne ;  ce  sont  de  préférence  les  basiliques  africaines  et  les  légendes 
des  martyrs  qui  l'attirent  et  le  retiennent;  mais  il   n'a  pas  négligé  de 

I.  On  sera  surpris  de  voir  p.  56  que  M.  S.  donne  le  mot  thalweg  comme  la  tra- 
duction française  du  mot  oued.  —  P.  108  :  c'est  à  M.  Cuq,  et  non  à  M.  Cat,  que 
l'on  doit  un  mémoire  sur  le  colonat  partiaire  à  propos  de  l'inscription  d'Henchir 
Mettich. 


d'histoire  et  de  littérature  i83 

visiter  chemin  faisant  les  ruines  païennes  et  les  villes  modernes.  On  a 
plaisir  à  le  suivre  de  Carthage  à  Tipasa,  par  Tunis,  Dugga,  Tébessa, 
Timgad,  Lambèse,  Constantine.  Il  est  fâcheux  que  la  carte  d'en- 
semble de  la  dernière  page  soit  si  petite  et  sommaire. 

Maurice  Besnier. 


A.   Mai.-.  Pompei,  its  life  and  art,  Londres,  1809,  in-S",  5oi  pp.  chez  .Macmillan 

Ce  livre,  écrit  en  anglais,  n'est  point,  dit  la  préface,  la  traduction 
d'un  ouvrage  déjà  publié;  M.  Mau  l'a  écrit  spécialement  en  vue  du 
public  anglais  ;  mais  il  l'a  écrit  en  allemand  et  M.  Kelsey  s'est  chargé 
de  le  traduire.  Cela  devait  être  dit  au  début  de  ce  compte  rendu 
comme  cela  a  été  dit  au  début  du  volume.  Personne  ne  s'étonnera, 
d'ailleurs,  que  l'auteur  qui  a  fait  des  ruines  de  Pompéi  sa  province, 
qui  y  passe  tous  ses  étés,  qui  a  mis  au  point  l'ouvrage  vieilli  d'Over- 
beck,  qui  est  devenu,  dans  les  revues  allemandes,  le  moniteur  officiel 
des  découvertes  que  chaque  année  amène  avec  elle,  se  soit  décidé  à 
composer,  à  son  tour,  un  ouvrage  d'ensemble  sur  la  célèbre  ville  dont 
tant  d'autres  avaient  parlé  avant  lui. 

Le  plan  de  son  travail  ne  diffère  pas,  d'ailleurs,  sensiblement  de 
celui  qu'avaient  adopté  ses  devanciers;  aussi  bien  est-il  presque 
imposé  par  la  matière.  Après  quelques  généralités  sur  l'histoire  de 
Pompéi,  de  sa  destruction,  de  sa  résurrection  par  les  fouilles,  il  faut 
bien  parler  des  matériaux  qui  ont  servi  à  la  bâtir  et  des  différents 
styles  d'architecture  qu'on  y  rencontre,  puis  décrire  successivement 
les  édifices  publics  et  privés,  puis  arriver  à  létude  des  œuvres  d'art, 
des  objets  usuels,  des  inscriptions.  Le  tout  est  de  parler  de  ces  choses 
en  pleine  connaissance  de  cause;  et  nul  autre  que  M.  M.  n'était 
plus  qualifié.  Je  ne  pense  pas  d'ailleurs  que  les  érudits,  déjà  au 
courant  du  sujet,  trouvent  beaucoup  de  nouveau  dans  ce  livre  '  ;  et  ce 
n'est  pas  là  ce  que  cherchait  l'auteur.  Il  a  tenu  à  y  présenter,  en  des 
pages  claires  et  précises,  mais  sans  aucun  appareil  scientifique,  sans 
aucune  référence  aux  livres  antérieurs  ou  aux  articles  de  revue,  un 
résumé  de  ce  qu'il  savait,  c'est-à-dire  de  ce  qu'on  sait,  sur  Pompéi. 
La  nouveauté  est,  à  chaque  ligne,  dans  la  façon  toute  personnelle 
dont  les  faits  sont  présentés. 


i..Ie  signalerai  pourtant,  entre  autres  détails,  Tappellation  du  Comitium  (salle 
de  vote)  donnée  fermement  à  une  pièce,  située  entre  le  forum  et  la  Rue  de 
l'Abondance,  dont  on  avait  fait  d'abord  une  école;  et  celle  du  Temple  de  Z eus 
Milicliius  attribuée  au  sanctuaire  qu'on  nomma  d'abord  temple  d'Esculape  et  que 
les  savants  regardaient  comme  un  Capitole  (Overbeck,  p.  110).  M.  Mau  estime 
qu'il  servit,  en  effet,  de  Capitole,  mais  seulement  par  intérim  pendant  qu'on 
reconstruisait  celui  du  Forum, 


184  REVUE    CRITIQUE 

Les  illustrations  sont  intéressantes;  c'est  à  peine  si  j'ai  retrouvé  çà 
et  là  quelques-uns  de  ces  clichés  qui,  de  Touvrage  d'Overbeck.  ont 
passé  dans  tous  les  livres  relatifs  à  Pompéi  ou  même  aux  antiquités 
romaines,  telle  cette  boutique  avec  une  marmite  fumante  qui  forme 
la  figure  i83  d'Overbeck.  Par  contre  on  ne  compte  pas  les  clichés 
obtenus  directement  d'après  des  photographies  — •  certaines  phototy- 
pies,  plus  grandes,  sont  données  hors  texte  —  et,  ce  qui  est  infiniment 
précieux,  les  descriptions  sont  éclairées  par  de  nombreuses  recons- 
titutions d'ensemble  ou  de  détail.  On  a  fort  habilement  tiré  parti 
pour  tout  cela  des  ressources  que  fournissent  les  procédés  actuels  de 
reproduction. 

En  somme  le  livre  de  M.  M  au  est,  sinon  une  œuvre  de  vulgarisa- 
tion, du  moins  une  œuvre  de  large  information  plutôt  qu'un  livre  de 
science  ;  ce  n'en  est  pas  moins  un  livre  savant  qu'on  trouvera  profit  à 
consulter  avant  de  chercher  ailleurs. 

R.  Gagnât. 


H.  Thédenat.  Le  forum  romain  et  les  forums  impériaux  {2"  édition].  Paris, 
Hachette,  1900. 

Il  y  a  deux  ans  à  peine,  j'annonçais  ici  même  l'apparition  du  livre 
du  R.  P.  Thédenat  sur  le  forum.  Le  succès  du  livre  a  été  tel  que  le 
voilà  déjà  parvenu  à  sa  deuxième  édition.  Celle-ci  ne  diffère  pas 
essentiellement  de  la  précédente.  En  attendant  la  fin  des  fouilles 
entreprises  par  M.  Baccelli,  qui  amèneront  un  remaniement  plus 
profond,  l'auteur  s'est  contenté  d'ajouter  à  la  rédaction  précédente, 
outre  des  remaniements  dans  le  texte,  un  chapitre  complémentaire  et 
une  gravure  hors  texte,  celle  du  frontispice.  De  la  sorte  les  érudits  et 
les  voyageurs  sont  à  même  d'attendre,  sans  être  exposés  à  de  grosses 
ignorances,  la  prochaine  édition. 

R.  Gagnât. 


Marius  Sepet.  Saint-Gildas  de  Ruis.   Aperçus    d'histoire    monastique.    Paris, 
P.  Téqui,  1900.111-12  de  417  pages. 

Les  annales  de  l'abbaye  bretonne  de  Saint-Gildas  de  Ruis  pour- 
raient tenir  en  quelques  pages  :  M.  Sepet  en  a  écrit  plus  de.400.  Il 
est  vrai  que  dès  l'introduction  nous  sommes  avertis  que  ce  livre  est 
«  un  peu  conçu  comme  une  sorte  de  voyage,  accompli  dans  le  temps 
au  lieu  de  l'être  dans  l'espace  »,  et  pour  lequel  l'auteur  demande  qu'on 
veuille  bien  lui  «  concéder,  à  l'occasion,  les  détours,  les  excursions, 
les  ascensions,  les  rencontres,  les  incidents,  les  insistances,  quelque 
chose  en  un  mot  de  la  liberté  et  de  l'imprévu  qui  ne  sont  pas  précisé- 
ment le  moindre  agrément  des  voyages  proprement  dits  ». 


d'histoire  et  de  littérature  r85 

De  cette  liberté  M.  S.  a  largement  usé  :  les  détours  sont  ici  très 
fréquents  et  les  excursions  souvent  bien  longues.  Ainsi,  comme 
introduction  au  chapitre  I^""  et  comme  explication  de  la  fondation  du 
monastère,  il  nous  fait  le  résumé  de  la  conquête  de  l'Armorique  et  de 
la  Grande-Bretagne  par  les  Romains,  de  la  christianisation  de  ces 
pays,  de  l'invasion  des  Anglo-Saxons  dans  la  Grande-Bretagne,  des 
migrations  des  Bretons  dans  la  presqu'île  armoricaine.  Abélard  fut 
quelque  temps  abbé  de  Saint-Gildas  :  c'en  est  assez  pour  raconter  en 
détail,  pendant  près  de  200  pages,  la  vie  aventureuse  de  ce  célèbre  dia- 
lecticien. Les  démêlés  d'Abélard  avec  saint  Bernard  donnent  occa- 
sion de  faire  Thistoire  de  la  vocation  et  de  célébrer  la  vie  ascétique  de 
ce  dernier,  d'analyser  la  règle  de  Citeaux,  de  décrire  les  construc- 
tions de  Clairvaux,  etc. 

On  voit  d'ici  combien  peu  de  place  tient  dans  cet  ouvrage  l'histoire 
proprement  dite  de  l'abbaye  de  Saint-Gildas  de  Ruis.  Et  encore  pour 
cela,  M.  Sepet  ne  fait-il  qu'emprunter  à  des  devanciers  les  éléments  de 
son  récit.  C'est  donc  un  livre  de  vulgarisation  qu'il  a  écrit. 

Considéré  à  ce  point  de  vue,  il  offre  certainement  un  réel  intérêt. 
Les  différents  aspects  de  la  vie  monastique  au  moyen  âge  et  dans  les 
temps  modernes  y  sont  bien  présentés;  même  le  chapitre  consacré  à 
Abélard  est  très  attachant,  car  il  donne  une  idée  juste  de  ce  qu'était 
au  xn^  siècle  l'enseignement  supérieur  en  France,  des  mœurs  sco- 
laires de  cette  époque,  des  passions  qui  venaient  battre  et  ébranler  la 
chaire  où  professaient  des  Guillaume  de  Champeaux,  des   Abélard, 

des  Anselme  de  Laon,  etc. 

L.-H.  Labande. 


The  complète  works  of  John  Gower,  edited  from  the   manuscripts   with 
introductions,  notes,  and  glossaries  by  G.  G.  Macaulay  :  the  french  works  ; 

Oxford.  Clarendon  Press,  1899;  in-80  de  lxxxvii-564  p. 

On  savait  que  Gower  avait  écrit  trois  grands  poèmes,  intitulés  Vox 
clamantis  (en  latin),  Confessio  amantis  (en  anglais)  et  Spéculum  me- 
ditantis  (en  français),  dont  le  dernier  était  considéré  comme  perdu. 
M.  Macaulay  a  eu,  il  y  a  cinq  ans,  l'heureuse  chance  de  retrouver 
celui-ci,  dissimulé  sous  le  titre  de  Miroiir  de  Vhomme.  C'est  une  im- 
mense composition  religieuse  et  morale,  en  strophes  de  douze  vers 
(aabaab  bbabba)  qui,  bien  qu'il  ait  perdu  au  moins  un  millier  de  vers, 
en  compte  encore  près  de  3o,ooo.  L'ouvrage  n'a  pas  une  grande 
valeur  littéraire,  mais  il  est  curieux  en  ce  qu'il  nous  montre  ce  que 
le  français  était  devenu  en  Angleterre  à  la  fin  du  xiv^  siècle  et  aussi  en 
ce  qu'il  nous  fournit  un  tableau  de  la  société  anglaise,  malheureu- 
sement assez  peu  précis,  à  la  veille  de  la  grande  crise  sociale  de  i  38 1  '. 


I.  M.  M.  le  date  de  1 376-1379. 


1  86  REVUE   CRITIQUE 

Ce  poème  est  ici  publié  avec  le  plus  grand  soin,  ainsi  que  les  autres 
œuvres  françaises  de  Gower,  les  Cinquante  Ballades  et  le  Trait ié 
pour  essampler  les  amants  mariés  ' . 

Une  des  parties  les  plus  intéressantes  est  l'Introduction  :  M.  Ma- 
caulay  y  démontre  l'identité  du  Spéculum  meditantis  et  du  Mirour  de 
l'homme.  Nous  avons  un  sommaire,  par  l'auteur  lui-même,  du  pre- 
mier, et  le  second  y  correspond  exactement  ;  on  trouve  dans  les  deux 
œuvres  la  même  classification  des  vices,  qui  ne  se  rencontre  pas 
ailleurs  ;  un  grand  nombre  d'anecdotes,  de  comparaisons,  de  cita- 
tions (parfois  également  fausses)  leur  sont  communes;  enfin,  mêmes 
procédés  de  style  de  part  et  d'autre  :  tels  sont  les  arguments  dont  se 
compose  cette  démonstration,  rendue  plus  lumineuse  encore  dans  les 
notes,  où  on  trouvera  de  nombreux  rapprochements  de  détail  entre  le 
Mirour  et  les  deux  autres  œuvres  de  Gower  2.  Une  autre  partie,  éga- 
lement fort  importante,  de  l'Introduction  est  consacrée  au  relevé  des 
principaux  traits  phonétiques  de  la  langue  de  l'auteur;  elle  n'otîre  pas 
seulement  une  précieuse  collection  de  faits,  mais  abonde  en  vues  ori- 
ginales et  justes.  Le  texte  est  très  correctement  publié;  il  ne  présen- 
tait pas  du  reste  de  grandes  difficultés,  le  manuscrit  étant  très  voisin 
de  l'original.  Les  notes  qui  lui  font  suite  nous  renseignent  sur  la 
source  de  certains  développements,  relèvent  diverses  particularités 
linguistiques,  expliquent  les  passages  difficiles.  Enfin,  un  glossaire 
très  abondant  termine  ce  beau  volume,  qui,  dans  son  ensemble,  ferait 
honneur  à  un  romaniste  de  profession. 

Nous  y  signalerons  seulement  quelques  lacunes  qu'il  eût  été  très 
facile  de  combler.  Si  la  phonétique  du  texte  est  l'objet  d'un  examen 
étendu  et  consciencieux,  il  n'en  est  pas  de  même  de  la  morphologie  et 
de  la  syntaxe.  La  première  est  tout  à  fait  sacrifiée  ;  la  seconde  est 
traitée  dans  les  notes,  par  bribes  et  d'une  façon  parfois  assez  incom- 
plète. Le  dépouillement  que  j'ai  fait  des  5oo  premiers  vers  montre 
qu'il  y  avait  là  bien  des  traits  intéressants  à  recueillir  \  Il  ressortirait 


1.  Le  présent  volume  forme  le  tome  I  d'une  édition  qui  en  comprendra  quatre; 
dont  deux  pour  les  œuvres  anglaises  et  un  pour  les  œuvres  latines. 

2.  La  transcription  de  Mirour  de  l'honimc  par  Spéculum  meditantis  s'explique 
aisément  :  (îower  aura  voulu  donner  la  même  désinence  au  titre  de  ses  trois 
ouvrages. 

4.  En  voici  les  principaux  résultats.  Il  y  a  confusion  constante  entre  les  genres; 
ce  ne  sont  pas  seulement  les  adjectifs  qui  revêtent  indifféremment,  comme  le  dit 
M.  M.  (p.  xvii),  la  forme  masculine  ou  féminine  ;  la  confusion  porte  aussi  sur  les 
substantifs  [pomme,  arbre,  peine,  sont  masculins;  péché,  office,  féminins);  erreur 
dans  l'emploi  des  pronoms  de  la  troisième  personne  (le  datif  est  pris  pour  l'accu- 
satif, voy.  i65,  ?>g(),  ou  réciproquement,  83,  142),  de  même  {12G),  de  cliacuu  (pris 
comme  pluriel,  i),  de  la  négation  (38i),  de  que  (considéré  comme  explétif,  il^5); 
-confusion  entre  les  modes  (conditionnel  pour  indicatif  ou  subjonctif;  voyez  les 
notes)  ou  les  temps  (imparfait  pour  passé  dérini,  06,  i5(j,  177,  1^34,  348;  passé 
défini  pour  imparfait  du  subjonctif  (3o5,  327)  ;   les  mots  sont  fréquemment  dé- 


d'histoire  et  de  littérature  187 

de  cet  examen  que  le  français  était  dès  lors  en  Angleterre  une  langue 
morte,  apprise  à  grand'peine  dans  les  livres,  et  que  l'auteur  le  plus 
soigneux  était  incapable  d'écrire  correctement.  La  plupart  des  fautes 
s'expliquent  par  une  influence  de  la  syntaxe  anglaise.  L'influence  de 
la  langue  de  l'auteur  ne  s'exerce  pas  moins  sur  son  vocabulaire  ;  les 
remarques  qu'on  pourrait  faire  à  ce  sujet  sont  loin  d'être  épuisées 
dans  les  pages  xxxii-v.  Enfin,  la  main  du  non-spécialiste  se  reconnaît 
à  quelques  erreurs  de  détail,  trop  légères,  je  le  reconnais  volontiers, 
pour  ôter  rien  au  mérite  du  savant  éditeur  '. 

A.  Jeanrov. 


La  sculpture  à  Troyes  et  dans  la  Champagne  méridionale  au  XVIc  siècle. 
Étude  sur  la  transition  de  l'art  gothique  à  l'italianisme,  par  Raymond 
KoECHLiN  et  Jean-J.  Marquet  de  Vasselot,  attaché  des  Musées  nationaux. 
Paris  (Armand  Colin),  1900,  i  vol.  in-8,  jésus,  241  p.  et  116  fig.  hors  texte  en 
phototypie. 

Sainte-Beuve  dit  quelque  part  :  «  L'humanité  passe  son  temps  à 
détruire,  à  raser  le  passé,  à  tâcher  de  l'abolir;  puis,  quand  on  en  est 
bien  loin  et  qu'il  est  trop  tard,  à  tâcher  de  le  retrouver,  de  le  déterrer 
et  à  vouloir  s'en  ressouvenir.  Les  moindres  débris,  les  moindres 
bribes  qu'elle  en  ressaisit  la  transportent.  La  difficulté  fait  le  mérite.  » 
Si  la  difficulté  fait  le  mérite,  celui  de  MM.  Koechlin  et  Marquet  de 
Vasselot  n'est  pas  petit.  On  admire  ce  qu'il  leur  a  fallu  de  persévé- 
rance et  de  sagacité  pour  nous  rendre  ce  chapitre  de  l'histoire  de  la 
sculpture  française.  Pendant  plusieurs  années,  ils  ont  parcouru  les 
villages  de  la  hCampagne  méridionale,  explorant  chaque  église  et  pho- 
tographiant (souvent  avec  quelles  peines!)  toutes  les  statues  qu'ils 


tournés  de  leur  emploi  ou  de  leur  sens  {ester  est  pris  activement  186  ;  oreiller,  au 
sens  de  «  chuchoter  »,  4i5  ;  issue,  de  race,  42;  femeline,  de  femme,  i33;  décès, 
de  séparation,  199);  les  barbarismes  même  ne  manquent  pas  {mengiit  pour  men- 
gea,  147,  i53;  botu:[  pour  bute^,  171  :  cherice  pour  chérit,  254;  remis  pour  renies, 
340;  terrere  pour  terre,  358);  enfin,  certains  mots  sont  forgés  de  toutes  pièces, 
quelques-uns,  semble-t-il,  d'après  l'anglais  (eucress  =  croissance,  202;  crétine  =: 
inondation,  5o/e/»j  =  seule). 

I.  P.  xxin.  La  forme  vais  {vado)  est  donnée  comme  antérieure  à  vois.  -^  Perestre 
(voy.  glossaire)  n'est  pas  «  paraître  »  mais  «  être  »,  précédé  de  par  augmentatif.  — 
La  construction  signalée  (note  sur  le  v.  2?)  comme  particulière  à  Gower  :  [je  croi 
que  vostre  talent  cliangeast  est  tout  à  fait  usuelle;  il  faut  de  même  eflacer  la 
note  (v.  ii5)  sur  la  locution  il  avoit.  —  11  faudrait  écrire  autiel  (non  au  tiel, 
passim),  en  liireté  (227), /o/  délit  (261),  etc.  J'aurais  écrit  o  [apud)  au  lieu  de  ove, 
cum  au  lieu  de  cumme,  partout  où  ces  deux  dernières  formes  faussent  le  vers;  il 
est  évident  qu'elles  proviennent  du  copiste.  A  propos  des  exemples  de  la  forme 
strophique  employée,  il  fallait  renvoyer  (p.  xliii),  non  plus  à  la  liste  donnée  par 
M.  Raynaud,  mais  à  celle,  beaucoup  plus  complète,  de  M.  Nactebus  (Dj'c  niclit- 
lyrischen  Strophenformen  des  altfran^^œsischen,  n»  XXXVI). 


l88  REVUE    CRITIQUE 

rencontraient.  Puis,  recourant  aux  documents  d'arcliives  publiés  par 
les  érudits  locaux,  registres  de  fabriques,  livres  de  comptes  des  cha- 
pitres, ils  ont  essayé  de  retrouver  la  date  et  le  nom  des  auteurs  de 
quelques-unes  de  ces  œuvres  d'art.  Ils  ont  eu  parfois  cette  bonne  for- 
tune. Enlevant  à  Dominique  Florentin,  à  Juliot,  à  Gentil  une  foule 
d'œuvres  que  la  légende  leur  attribuait,  ils  ont  su  leur  rendre  deux  ou 
trois  morceaux  authentiques.  Mais  la  plupart  du  temps  ils  se  sont 
trouvés  en  présence  d'œuvres  anonymes.  Car  telle  est  la  malechance 
de  nos  vieux  imagiers  français  :  quand  les  livres  de  comptes  nomment 
un  artiste,  son  œuvre  a  généralement  disparu,  et  quand  l'œuvre  sub- 
siste, les  livres  de  comptes   sont  muets.  Seul,  Dominique  Florentin, 
avec  ce  bonheur  insolent  qu'ont  toujours  eu  les  artistes  italiens,  a 
reparu,  grâce  à  la  concordance  des  œuvres  et  des  documents,  avec  une 
physionomie  parfaitement  distincte.  Renonçant  donc  à  retrouver  des 
noms  d'auteurs  et  des  dates,  MM.  K.  et  M.  ont  essayé  de  grouper  les 
œuvres  d'après   leurs  analogies.  Quand  nous  savons  interroger  une 
œuvre  d'art,  elle  nous  révèle  sur  ses  origines  presque  autant  de  choses 
que  pourrait  faire  un  document  écrit.  Le  véritable  historien  de  l'art, 
sans  jamais  dédaigner  les  pièces  d'archives,  doit  savoir,  quand  il  le 
faut,  s'en  passer.   Ses  documents  ce   sont  les   œuvres  elles-mêmes. 
Avec  une  finesse  de  goût  très  remarquable,  MM.  K.  et  M.  ont  noté 
des  ressemblances,  groupé  des  œuvres,  et  retrouvé  ce  qu'ils  appellent 
des  ateliers.  A  Troyes,  au  commencement  du  xvi""  siècle,  il  y   avait 
plusieurs  de  ces  ateliers.  A  la  tête  de  chacun  d'eux,  se  trouvait  un 
maître  d'une  personnalité  très  forte  qui  imposait  ses  inventions  et  son 
style  aux  compagnons  qui  travaillaient  sous  ses  ordres.  C'est  pour- 
quoi  les  œuvres,  souvent  très  inégales,  qui  sont  sorties  d'un  même 
atelier  ont  un  air  de  famille  ;  on  peut  les  reconnaître.  Je  crois  que  les 
archéologues  et  les  artistes  accepteront  généralement  les  groupements 
tentés  par  MM.  K.  et  M.  Le  soin  minutieux  qu'ils  apportent  à  l'exa- 
men des  œuvres,  et  la  sûreté  de  leur  goût  inspirent  confiance.  Parfois 
cependant,  le   désir  d'organiser,  de  ramener  à  l'unité  tant  d'œuvres 
éparses,  les  entraîne  peut-être  un  peu  loin.  Je  ne  suis  pas  aussi  cer- 
tain qu'eux  que  la  fameuse  cène  de  Saint-Jean  soit  de  Juliot  ou  même 
de  son  atelier.  —  D'ailleurs  ce  ne  sont  pas  ces  groupements  qui  font 
le  principal  intérêt   du  livre  de  MM.  Koechlin   et  Marquet.  Le  vrai 
sujet  de  leur  livre,   c'est  la  lutte  entre  le  vieux  génie  gothique  et  l'art 
italien.  C'est  Courajod,  le  premier  qui  vit  le  drame,  et  passionna  toute 
cette  histoire.  Rien  de  plus  intéressant.  Dans  les  premières  années  du 
xvi*  siècle  on   voit   nos  vieux  maîtres  gothiques,    jusque-là   si    sûrs 
d'eux-mêmes  et  de  leurs  traditions,  s'émouvoir,  devenir  inquiets.  Ils 
ont  entrevu  l'art  italien,  et  désormais  ils  n'auront  plus  de  repos.  La 
belle  simplicité  de  leurs  draperies  leur  semble  de  l'indigence  :  ils  com- 
mencent à  les  soulever,  à  les  chiffonner,  à  y  creuser  des  plis  pro- 
fonds. La    modestie  des  attitudes   leur  semble  de  la  froideur  :  les 


d'histoire  et  de  littérature  189 

saintes  se  mettent  à  hancher,  ou  semblent  toutes  prêtes  à  danser.  La 
recherche  du  trait  caractéristique  dans  le  costume,  dans  la  physio- 
nomie leur  semble  de  la  vulgarité,  et  petit  à  petit  on  voit  apparaître  la 
draperie  vague,  à  l'antique,  et  la  tète  de  style.  Voilà  ce  qu'on  peut 
étudier  à  Troyes,  mieux  peut-être  que  partout  ailleurs,  à  cause  de 
l'abondance  des  œuvres  et  de  leur  heureuse  continuité.  —  On  aurait 
voulu  que  les  auteurs,  négligeant  quelques  menus  détails  de  peu  de 
prix,  aient  présenté  cette  histoire  passionnante  avec  plus  de  force 
encore.  Elle  y  est  bien,  mais  dispersée.  Leur  livre  serait  devenu  une 
œuvre  d'art  d'un  puissant  intérêt  dramatique,  qui  eut  séduit  lesplus 
ignorants.  Quels  chapitres  ils  auraient  pu  écrire  en  opposant  l'art  go- 
thique à. l'art  italien,  d'un  côté  un  art  habitué  à  rendre  la  douleur,  la 
résignation,  la  pitié,  tous  les  côtés-humbles  de  l'âme;  de  l'autre  un  art 
qui  ne  veut  exprimer  que  la  beauté,  la  santé,  la  force  et  «  l'orgueil  de 

la  vie  »! 

Mais  nous  aurions  mauvaise  grâce  à  nous  plaindre.  MM.  Koechlin 

et  Marquet  de  Vasselot  ont  donné  aux  érudits  un  livre  trop  précieux 
et  qui  leur  a  coûté  trop  de  peine  pour  qu'on  ne  les  remercie  pas  sans 
réserves. 

Emile  Mâle. 


G.  MoNCHAMP.  Une  lettre  <<  perdue  »  de  Descartes,  à  propos  de  la  nouvelle 
édition  de  ses  œuvres.  —  i3  pp.  in-8,  extr.  du  Bull.  deVacad.  roy.  de  Belgique, 
n»  8,  189g. 

M.  l'abbé  Monchamp,  qui  a  publié,  en  1886,  une  excellente  His- 
toire du  cartésianisme  en  Belgique,  a  trouvé  bon  de  reproduire  à 
nouveau  le  texte  d'une  lettre  de  Descartes  à  Mersenne,  du  i3  dé- 
cembre 1 647,  que  l'abbé  Emery  avait  fait  connaître  dans  son  ouvrage  : 
Pensées  de  Descartes,  etc.  (Paris,  181 1  ;  rééd.  1842),  et  dont  l'origi- 
nal, volé  par  Libri  aux  Archives  de  l'Institut,  n'a  pas  encore  été 
retrouvé.  Le  savant  belge  paraît  avoir  craint  que  M.  Ch.  Adam  et 
moi, 'dans  la  nouvelle  édition  des  Œuvres  de  Descartes,  n'utilisions 
pas  cette  source,  que  nous  avions  pourtant  citée  à  une  autre  occasion, 
ainsi  qu'il  le  remarque  lui-même.  Le  voilà  rassuré  ;  mais  il  nous 
aurait  rendu  un  service  plus  réel  en  nous  signalant  des  fautes  ou  des 
erreurs  dans  les  trois  volumes  déjà  parus  aujourd'hui.  Pour  mieux 
l'y  inviter,  je  lui  demanderai  pourquoi  il  a  imprimé,  dans  le  texte  de 
la  lettre  ;  «  M.  de  Zuglichem  >->.  Descartes  a  toujours  correctement 
écrit  «  Zuvlichem  ». 

La  lettre,  ainsi  publiée  pour  la  troisième  fois,  est  au  reste  particu- 
lièrement intéressante,  parce  que  Descartes  y  rappelle  qu'il  avait 
«  averti  ->  Pascal  de  faire  l'expérience  du  vif-argent  au  haut  et  au 
bas  d'une  montagne,  et   demande   s'il  a  donne   suite  à  cette  idée. 


IpO  REVUE    CRITIQUE 

D'après  ce  que  Pascal  a  publié,  celui-ci  venait  précisément  d'écrire, 
le  i5  novembre  1647,  à  son  beau-frère  Pcrier  pour  lui  demander  de 
faire  l'expérience  sur  le  Puy-de-Dome  ;  d'après  la  même  lettre,  il 
aurait  fait  connaître  son  projet  à  «  tous  nos  curieux  de  Paris  »,  et 
Mersenne  en  aurait  déjà  avisé  ses  correspondants,  en  s'engageant  à 
leur  faire  part  du  résultat.  Or,  dans  la  Préface  de  ses  Refîectiones 
Physico  -  Mathcmaticœ,  terminée  au  plus  tôt  en  novembre  1647, 
Mersenne  parle  bien  de  l'expérience  comme  à  faire,  et  ailleurs  de 
Pascal  comme  préparant  un  traité  pour  l'explication  du  phénomène 
du  vide,  mais  il  ne  dit  nullement  que  Pascal  s'occupe  de  ladite 
expérience.  Bien  plus,  j'ai  récemment  découvert  dans  un  ms.  de  la 
Hofbibliothek  de  Vienne  (n"  7049) ,  des  documents  compliquant 
encore  la  question.  Le  8  janvier  1648,  Mersenne  écrivait  à  Le  Ten- 
neur,  qu'il  croyait  en  Auvergne,  pour  l'inviter  à  se  charger  de  l'entre- 
prise. Ce  Le  Tenneur,  qui  est  d'ailleurs  un  ami  de  Perier,  et  qui  a 
précisément  assisté,  le  14  octobre  1647,  ^  '-^'^^  expérience  du  vide 
faite  à  Clermont  chez  le  beau-frère  de  Pascal,  répond  de  Tours,  le 
16  janvier  1648  à  Marsenne,  une  lettre  dans  laquelle,  entre  autres 
passages  curieux,  on  lit  celui-ci  : 

«  Outre  cela,  croyésvous  qu'il  soit  fort  facile  de  porter  un  tuyau 
«  de  verre  et  20  livres  de  mercure  au  haut  d'une  montagne  pareille  à 
«  celle-là?  Certainement  je  crains  fort  de  ne  pas  venir  a  bout  de  cette 
«  expérience  lorsque  je  seray  dans  le  pays.  Mais  puisque  vous  avés  un 
«  Prince  a  Paris  qui  fournit  a  l'apointement,  donnés  lui  avis  de  faire 
«  faire  l'expérience  a  ses  despens  sur  quelque  haute  montagne,  en 
«  donnant  cette  commission  a   quelqu'un  qui  en  soit    proche.    Car 

«pour  la   grande   dame  qu'on   vous   a  dit  m'honorer  fort,    de 

«  despenser  un  double  pour  l'avancement  des  sciences,  croyés  moy 
«  qu'elle  ne  se  cognoist  point  a  cela,  et  qu'il  ne  le  faut  point  atendre 
«  d'elle.  » 

La  grande  dame  est  la  «  bonne  et  espaisse  Marquise  d'Eflfiat,  »  qui 
habitait  Clermont.  Quant  au  Prince,  je  n'ai  pu  trouver  jusqu'à  pré- 
sent aucune  autre  indication,  et  je  serais  heureux  si  on  pouvait  m'en 
fournir. 

Paul  Tannery. 


Vorlesungen  iiber  Geschichte  der  Matheinatik,  von  Moritz  Cantou.  Zwcitcr 
Band,  zvveiler  Halfband,  von  i55o-i668.  Mit  97  in  dcn  Tcxt  gedrucklcn  Figuren. 
Zweite  Auflagc.  Leipzig-,  Tcubncr,  1900.  Or.  iii-8,  x-944  p. 

Il  est  inutile  de  faire  l'éloge  d'une  Histoire  de  la  mathématique  en 
trois  épais  volumes,  dont  le  succès  a  été  assez  éclatant  pour  qu'avant 
même  l'achèvement  de  l'impression  de  la  dernière  partie,  l'auteur  ait 
dû  préparer  une  nouvelle  édition.   Le  second  volume  de  la  première 


d'histoire  et  de  littérature  igi 

avait  paru  en  .1892  et  comprenait  864  pages  ;  en  tenant  compte  de  la 
différence  de  justification,  il  a,  dans  la  réédition,  un  accroissement 
de  près  d'un  vingtième.  C'est  assez  dire  que  M.  Cantor  a  très  sérieu- 
sement retouché  son  ouvrage  et  qu'il  Ta  notamment  mis  au  courant 
de  tous  les  travaux  parus  depuis  huit  ans.  La  préface  complète  même 
la  revision,  en  mentionnant  les  documents  survenus  pendant  l'impres- 
sion, en  particulier  ceux  publiés  dans  la  Festschrift  qui,  l'année 
dernière,  a  marqué  le  soixante-dixième  anniversaire  de  Tillustre 
historien. 

Pour  un  tel  ouvrage,  ce  n'est  que  sur  les  détails  que  la  critique 
peut  s'exercer;  mais  à  cet  égard  elle  aura  toujours  à  glaner,  précisé- 
ment parce  que  le  travail  de  M.  Cantor  vaut  non  moins  par  la 
richesse  des  informations  que  par  la  compétence  et  la  clarté  tech- 
niques. Or,  il  lui  était  matériellement  impossible  de  contrôler  tous 
les  documents  qu'il  cite;  la  tâche  de  remonter  aux  sources  était  assez 
lourde  en  ce  qui  concerne  les  questions  historiques  d'un  intérêt  spé- 
cial ;  celle-là,  l'auteur  l'a  accomplie  avec  une  patience  et  une  cons- 
cience réellement  admirables,  même  pour  ceux  qui  ne  partagent 
point  toutes  ses  opinions.  S'il  lui  est  échappé  quelques  erreurs,  qiias 
humana  parum  cavit  natura,  il  y  a  cependant  peut-être  d'autant  plus 
d'intérêt  à  signaler  les  plus  minimes  que  l'ouvrage  aura  sans  doute 
encore  d'autres  éditions  et  que,  dans  la  présente,  je  retrouve  quelques 
fautes  d'impression  de  la  première  :  ainsi,  p.  481,  1.  27-28,  Scala 
grimadelli  (lire  grimaldelli)  pour  le  titre  dfe  l'ouvrage  de  Feliciano  ; 
p.  486,  1.  9,  12  février  (au  lieu  de  18)  i539,  pour  la  date  d'une  lettre 
de  Tartaglia  à  Cardan  ;  p.  509,  1.  3  en  rem.  ;  au  lieu  de  addo  tantiim 
utriqendue,  lire  addenda  tantum  utrique  ;  p.  5 10,  1.  2,  au  lieu  de 
binomium,  lire  trinonium  ;  p.  621,  1.  20,  lire  ibjo  au  lieu  de  1579  ; 
p.  638,  I.   16,  Vire  paraplerosis  et  non  paraperosis . 

Voici  donc  quelques-unes  des  observations  que  j'ai  faites  sur  le 
demi-volume  qui  vient  de  paraître. 

P.  481,  l'attribution  à  Uberti  (d'après  Libri)  du  Thesoro  tiniversale 
de  abacho  est  en  contradiction  avec  la  note  7  de  la  page  3o5,  qui 
restitue  cet  ouvrage  à  Tagliente. 

P.  490,  «  Luigi  Ferrari,  der  dankerfiillte  Schiller  Cardan'os,  der 
«  sich  mit  seinem  Lehrer  so  sehr  eins  wusste,  dass  er  sich  selbst  von 
«  ihm  geschaffen,  che  sono  creato  sua,  nannte  ».  Creato  suo  ne 
signitie  point  «  créé  par  lui  »,  mais  veut  simplement  dire  «  son  domes- 
tique »  (ce  qui  naturellement  est  à  entendre  ici  dans  le  sens  du  mot 
au  xvic  siècle). 

P.  496.  Le  récit  fait  par  Tartaglia  à  la  tin  du  livre  VI  des  Qiiesiti 
n'est  pas  très  exactement  rapporté,  Tartaglia  ne  dit  point  qu'il  tut 
renvoyé  de  l'école,  faute  de  pouvoir  payer  le  maître,  avant  d'avoir 
appris  à  écrire  plus  de  la  moitié  des  lettres  de  l'alphabet,  mais  bien 
qu'étant  à  ce  point,  il  quitta  volontairement  l'école  après  s'être  pro- 


192  REVUE    CRITIQUE 

curé  des  modèles  complets  de  son  maître,  et  qu'il  put  ainsi  éviter  le 
terme  de  pension  qui  allait  échoir. 

P.  5 16.  Il  y  a  une  preuve  assez  curieuse  que  le  dialogue  des 
Ragionamcnti  entre  Tartaglia  et  Richard  Wcntworth  est  purement 
hciif,  ainsi  que  le  soupçonne  M.  Cantor  :  dans  la  réédition  posthume 
de  i562,  l'imprimeur  Curtio  Trojano  n'a  eu  aucun  scrupule  à  se 
substituer  à  Tinterlocuteur  anglais. 

P.  549.  Jean  de  la  Pêne  n'est  connu  que  sous  la  forme  latine  de 
son  nom,  Pena,  identique  à  la  forme  provençale.  La  transcription 
française  de  cette  forme  est  une  fantaisie  de  Montucla  ;  la  famille  s'est 
perpétuée  jusqu'à  notre  siècle  sous  les  noms  Pena,  Pêne,  de  Pêne  ;  le 
premier  devrait  seul  être  conservé  à  l'élève  de  Ramus. 

P.  582.  D'après  les  récentes  recherches  de  M.  Ritter,  l'historique 
concernant  "V'iète  (nous  devrions  écrire  'Viettei  est  à  rectifier  sur  plu- 
sieurs points.  Malgré  ses  relations  personnelles  avec  des  huguenots 
qualifiés,  rien  ne  prouve  qu'il  ait  jamais  abjuré  le  catholicisme  ;  c'est 
en  1564  qu'il  quitta  sa  position  d'avocat  à  Poitiers  pour  s'attacher  à 
la  dame  de  Soubise  ;  nommé  en  1574  conseiller  au  Parlement  de 
Rennes,  il  fut  presque  immédiatement  détaché  pour  le  service  du  roi 
Henri  111  qui,  dès  i58i,  le  nomma  maître  des  requêtes  au  Conseil 
privé  ;  il  n'a  jamais  fait  partie  du  Parlement  de  Tours  ;  enfin  la  légende, 
d'après  laquelle  il  aurait  détruit  la  plus  grande  partie  des  exemplaires 
de  son  Canon  mathonaticus,  à  cause  des  fautes  d'impression  qui  le 
déparaient  (p.  583)  n'est  nullement  justifiée  par  l'étude  de  cet  ouvrage. 

P.  597.  Ce  n'est  pas  à  Heidelberg,  et  en  1609,  que  fut  fondée  la 
première  chaire  d'arabe  en  Europe,  puisque  celle  du  collège  de 
France  remonte  au  moins  à  1  569. 

P.  659.  La  séparation  de  l'Arithmétique  et  de  la  Musique  dans 
l'édition  de  Théon  de  Smyrne  par  Bouillau  n'est  nullement  une 
erreur  ;  ce  qui  manque  à  cette  édition,  c'est  le  texte  de  l'astronomie, 
publié  pour  la  première  fois  en  1 849  par  Th .  -H.  Martin. 

P.  660.  Par  une  singulière  confusion.  M,  Cantor  fait  un  moine  de 
Jacques  Golius,  le  célèbre  orientaliste  qui  professa  à  Leyde,  et  lui  fait 
apporter  en  Occident  le  manuscrit  arabe  de  Florence,  qui  servit  à 
Borclli  pour  la  première  publication  (1661)  des  derniers  livres  des 
Coniques  d'Apollonius.  Le  manuscrit  de  Florence  contient  le  texte 
d'Abou'l  Fath  d'Ispahan,  et  avait  été  donné,  avec  d'autres,  au  grand- 
duc  Ferdinand  I  {1587-1608),  parle  patriarche  d'Antioche,  Ignace 
Néama  ;  il  ne  sembla  point  d'ailleurs  que  ce  soit  Borelli,  mais  bien  le 
prince  Léopold,  qui  ait  en  i658  conçu  le  projet  de  publication.  — 
Un  autre  texte,  celui  d'Abdelmelik  de  Chiraz,  fut  apporté  d'Orient 
par  Ravius  (professeur  à  Upsal)  et  servit  pour  l'édition  d'Apollo- 
nius qu'il  donna  de  concert  avec  le  mathématicien  Samuel  Rcyher 
(Kicl,  1660),  édition  que  M,  Cantor  a  omis  de  mentionner.  Le  manus- 
crit est  actuellement  à  la  bibliothèque  Bodléienne.  —  Enfin,  le  manus- 


d'histoire  et  de  littérature  iq3 

crit  fen  double  exemplairej  que  Golius  avait  rapporté  à  Leyde  et  sur 
lequel  il  fournit  des  notes  au  P.  Mersenne  (Minime  et  non  pas  Mino- 
rité], renfermait  la  version  de  Thabit-ben-Corah  ;  elle  a  été  utilisée 
plus  tard  pour  l'édition  de  Halley  (1710).  L'un  des  manuscrits  est  à 
Leyde,  l'autre  à  la  Bodléienne. 

P.  683.  Le  voyage  de  Descartes  en  Angleterre  est  une  invention  de 
Baillet;le  vovage  en  Danemark  a  eu  lieu  en  i63i,  non  en  1634.  — 
La  fille  de  Descartes,  Francine,  était  déjà  morte,  lorsqu'il  écrivit,  le 
28  octobre  1640,  à  son  père  qui  venait  de  décéder  sans  qu'il  en  eût 
été  informé.  —  Ce  n'est  nullement  pour  visiter  la  princesse  Elisabeth 
que  Descartes  retourna  trois  fois  en  France,  puisqu'elle  résidait  en 
Hollande  et  ne  quitta  ce  pays  que  pour  aller  à  Berlin. 

P.  820.  La  première  édition  latine  de  la  Géométrie  de  Descartes, 
parue  en  1649,  aurait  dû  être  mentionnée. 

P.  878-880.  Ce  n'est  qu'en  i638(et  non  en  i635)  que  Fermât  et 
Descartes  eurent  connaissance  de  la  quadrature  de  la  cycloïde  par 
Roberval  et  qu'ils  en  donnèrent  leurs  démonstrations.  Toutefois 
Roberval  lavait  communiqué,  dès  1637,  à  Mersenne,  qui,  cette  année 
même  en  fit  l'objet  d'une  remarque  dans  un  appendice  de  son  Harmo- 
monie  universelle.  C'est  d'ailleurs  en  1637  que  devait  avoir  lieu  le 
concours  pour  la  chaire  de  Ramus  pour  lequel  Roberval  réserva, 
dit-il,  sa  découverte  pendant  un  an.  Elle  est  donc,  au  plus  tôt,  du 
commencement  de  i636  et  c'est  par  une  erreur  de  mémoire  que,  dans 
ses  lettres  à  Torricelli,  il  la  fait  remonter  à   1634. 

Paul  Tannery. 


Dictionnaire    biographique     et    biblio-iconographique    de  la   Drôme,  par 

J.  Brln-Durand.   Tome  I.  A  à  G.  Grenoble.  Falque  et  Perrin.    1900.  gr.  in-S», 
X  et  41 3  p. 

M.  Brun-Durand  fait  là  une  œuvre  patiente,  consciencieuse  et  très 
utile.  On  ne  peut  que  louer  son  labeur  et  rendre  hommage  à  l'étendue 
de  ses  recherches.  Il  a  raison  de  dire  qu'il  n'a  rien  négligé  pour  com- 
poser un  ouvrage  solide  qui  puisse  être  consulté  avec  fruit  ;  il  a  con- 
sulté nombre  de  documents  imprimés  et  manuscrits  ;  il  a  fouillé  les 
archives  départementales  et  communales,  et  même  les  dépôts  de  nos 
ministres  de  la  guerre  et  de  la  marine.  Il  indique  d'ailleurs  les  sources 
auxquelles  il  a  puisé  ses  renseignements  et  il  n'avance  rien  qui  ne  lui 
seniblc  parfaitement  établi.  Enfin,  il  se  contente  d'exposer  la  vie  et  les 
actes  de  ses  personnages,  et  il  se  garde  presque  toujours  des  apprécia- 
tions et  des  jugements.  Nous  ne  lui  reprocherons  que  d'avoir  dans  ses 
notices  le  style  un  peu  lourd  et  traînant.  Il  a,  en  outre,  oublié  certains 
hommes  de  la  Drôme  qui  méritaient  une  mention,  comme  l'imprimeur 
Aiirel  qu'il  cite  dans  l'art.  Louis  Gallet  (cf.  Jeunesse  de  Napoléon.,  II, 


1Q4  REVUE    CRITIQUE 

i6i  et  317),  les  d'Artlian  (cf.  id.  192  et  333)  et  Théophile  ChanceL  le 
défenseur  d'Huningue  (cf.  VAlsace  en  1814.  436).  Enfin,  il  a  çà  et  là 
commis  de  légères  erreurs  ou  laissé  des  lacunes  :  Argod  ;  il  était 
maître  d'écriture  et  Victor  lui  donna  cette  note  :  <<  exerce  parfaitement 
les  fonctions  de  son  état,  paraît  avoir  assez  de  capacité  d'être  promu  à 
un  grade  supérieur»  ;Bon  :  M.  B.  D.  n'est  pas  d'accord  avec  Charavay 
[Les  généraux  morts  pour  la  patrie^  64)  ;  Championnet  :  il  eût  fallu 
citer  la  part  qu'il  prit  à  la  bataille  de  Kaiserslautern  (cf.  Hoche,  87)  ; 
Cosîon  :  c'est  exagérer  que  de  dire  que  son  ouvrage  est  classique  ; 
Daudel  :  il  eût  fallu  mentionner  sa  belle  attitude  à  Champignv  :  Dupuy 
de  Bordes  :  M  B.-D.  trouvera  quelques  détails  nouveaux  sur  ce 
personnage  dans  le  livre  déjà  cité  {Jeunesse  de  Napoléon,  1,  340  et 
477)  \  Faujas  de  Saint-Fond  :  il  voyagea  en  Allemagne  et  sous  prétexte 
d'études  géologiques,  y  fit  métier  d'espion  (Pingaud,  D'Antraigues, 
195)  '.  Ces  menues  observations  n'atténuent  en  rien  la  valeur  de  ce 
travail;  nous  souhaitons  le  prompt  achèvement  de  l'ouvrage  et  il  serait 
à  désirer  que  tous  les  départements  eussent  un  Dictionnaire  biogra- 
phique comme  celui  que  M  .  Brun-Durand  consacre  à  la  Drôme. 

A.  C. 


La  guerre  dans  la  vallée  d'Aspe  et  la  bataille  de  Lescun,  par  le  lieutenant 
ScHMUcKEL  du  1 8«  d'infantcric.  Pau,  Empérauger  1900.  In-S",  io5  p.  avec  carte, 
2  francs. 

M.  le  lieutenant  Schmuckel  a.  grâce  aux  recherches  qu'il  a  faites 
non  seulement  aux  archives  d'Oloron,  de  Pau  et  d'Espagne,  mais 
dans  les  papiers  des  mairies  et  de  quelques  familles  (notamment  le 
récit  du  sergent  Larricq),  retracé  aussi  exactement  et  complètement 
que  possible  la  bataille  ou  mieux  le  combat  livré  à  Lescun,  le  5  sep- 
tembre 1 794,  par  le  comte  de  Castel-Franco  au  5«  bataillon  des  Basses- 
Pyrénées.  Sa  longue  et  patiente  enquête  dans  la  vallée  d'Aspe  lui  a 
permis  de  reconstituer  presque  heure  par  heure  et  avec  un  luxe 
extraordinaire  de  détails  cette  affaire  si  honorable  pour  nos  armes.  Il 
ne  se  borne  pas  à  retracer  l'action  :  il  montre  les  fautes  que  vain- 
queurs et  vaincus  ont  commises,  les  uns  en  se  disséminant,  les  autres 
parce  qu'ils  étaient  fort  mal  commandés.  Le  volume  est  d'ailleurs  une 
histoire  de  la  vallée  d'Aspe  au  point  de  vue  militaire  ;  l'auteur  nous 
raconte  son  occupation  en  1814.  On  trouve  dans  des  annexes  un  état 
des  officiers  du  5«  bataillon  des  Basses-Pyrénées,  et  une  biographie  de 

I.  Art.  Ftigière,  lire  «  ne  tiendra   pas  »  et  non  ne  viendra  pas  (cf.  Jeunesse  de 

Xapoléon,  II,  228 et  ^42).  M.  Brun-Durand  nous  pcrmct-il  de  lui  rappeler  qu'à  la 

fin  de  notre  livre  sur  VEcole  de  Mars  (p.    270)    il  trouvera    le  nom  des  élèves 
envoyés  à  cette  école  par  les  districts  de  la  Drôme  ? 


d'histoire  et  de  littérature  195 

Laclède,  le  futur  colonel,  qui  montra  dans  la  journée  de  Lescun  tant 
de  bravoure  et  de  décision  et  qui,  de  sa  main,  fit  prisonnier,  à 
l'attaque  du  moulin,  le  baron  de  Hoortz,  chef  des  gardes  wallonnes. 

A.  C. 


—  La  maison  Garnier  publie  quelques  volumes  nouveaux  de  littérature  espa- 
gnole, qui  prouvent  décidément  que  le  goût  des  lettrés  comme  les  éludes  des 
érudits  se  portent  de  ce  côté  depuis  peu.  C'est  d'abord  un  nouveau  tome  de  la 
Collection  Mérimée,  dont  il  a  déjà  été  question  ici,  avec  plus  de  développement  ; 
deux  comédies  de  Moratiii:  La  Comedia  nueva  et  El  Si  de  las  Nitias,  éditées  par 
M.  F.  Oroz,  qui  les  avait  précédemment  traduites  en  un  volume  signalé  également. 
L'introduction  est  intéressante  et  les  notes  sont  soignées.  Ces  textes  sont  sur  les 
programmes  de  l'enseignement  de  l'espagnol  dans  nos  Universités  du  Midi. — Moins 
précisément  utile  et  sans  but  bien  défini,  nous  apparaît  une  petite  Collection  qui 
débute,  de  traductions  de  Clie/s  d'œitvve  du  Théâtre  Espagnol  ancien  et  moderne, 
par  M.  Clément  Rochel.  D'après  le  programme  indiqué  à  l'avance,  on  a  choisi 
sept  pièces  du  théâtre  classique,  et  sept  du  théâtre  moderne.  II  n'y  aurait  rien  à 
dire  sur  le  goût  personnel  qui  a  fait  préférer  au  traducteur  telle  ou  telle  pièce, 
plutôt  que  d'autres  plus  importantes  et  d'intérêt  plus  général,  s'il  n'avait,  dans  le 
nombre,  compris  plusieurs  pièces  déjà  plusieurs  fois  et  même  récemment  traduites. 
Cela  parait'non  seulement  superflu  mais  dangereux.  Car  pour  la  pièce  de  Moreto  ; 
Dédain  pour  Dédain ,  qui  \'ieni  de  peraîlre  'ainsi  que  la  Petite  Niaise  de  Lope  de 
Vega,  celle-ci  peu  connue),  un  esprit  mal  intentionné  qui  voudrait  rapprocher  de 
la  traduction  de  .M.  Rochel  celle  que  Habeneck  a  fais  jadis  paraître,  serait  amené 
tout  naturellement  à  montrer  qu'une  foule  de  passages  sont  identiques  dans  les 
deux  versions  et  en  déduirait  que  le  nouveau  traducteur  s'est  un  peu  trop  inspiré 
de  son  prédécesseur.  Il  l'a  cependant  corrigé  parfois,  mais  ne  pouvait-il  éviter  ce 
rapprochement,  en  laissant  cette  pièce  ?  De  même  pour  d'autres  de  Lope  et  de  Cal- 
derou,  de  même  aussi  pour  Don  Juan  Tenorio,  qu'il  annonce  également,  et  qui  a 
été  traduit  déjà  deux  fois,  en  dernier  lieu  il  y  a  un  an  à  peine.  —  H.  de  C. 


ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  3  août  i  goo. 

MM.  Diels,  secrétaire  de  l'Académie  des  Sciences  de  Berlin,  et  Gomperz,  de 
Vienne,  correspondants  étrangers,  assistent  à  la  séance. 

M.  Salomon  Reinach  fait  une  communication  sur  les  phénomènes  généraux  du 
totémisme  animal. 

De  cette  définition  du  totémisme  animal  :  «  Un  pacte  d'alliance  entre  un  clan 
d'hommes  et  un  clan  d'animaux  »,  M.  Reinach  déduit  12  séries  de  faits  qui  seraient, 
suivant  lui,  les  conséquences  logiques  du  principe  posé.  Ainsi  certains  animaux 
ne  sont  ni  tués  ni  mangés,  mais  cependant  élevés  et  nourris  ;  quand  ces  animaux 
sont  tués  sous  l'empire  d'une  nécessité  pressante,  on  leur  fait  des  excuses  et  l'on 
s'etTForce  d'atténuer  la  responsabilité  du  meurtre  ;  on  pleure  un  animal  qui  meurt 
de  mort  naturelle  ;  les  hommes  revêtent  la  peau  des  animaux  dans  certaines  céré- 
monies, etc.  Tous  ces  faits  se  retrouvent  à  la  l'ois  chez  les  tribus  totémiques 
modernes  et  dans    les    civilisations    antiques  ;  d'où  M.  Reinach    conclut  que  les 


196  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

religions  de  l'antiquitc  ont  passé   elles-mcines   par  une   période  de  totémisme.  I 
ajoute  que  cela  peut  d'ailleurs  s'établir  a  priori,  car  l'homme  primitif  ne  sait  pas 
.distinguer    nettement    le    règne    humain    du    règne  animal,   et    comme  les  clans 
humains    primitifs   contractent  des   alliances   entre   eux,  il  est   naturel    qu'ils  en 
aient  contracte  aussi  avec  les  clans  d'animaux. 

M.  Bréal  explique  par  l'analogie  la  formation  du  mot  aristotélicien  h/-;tKi/y.%,  de 
ÈvxiXf,;.  qu'il  rapproche  de  auvÉ/sia,  formé  de  <j'jvé/t,;.  —  11  propose  aussi  une 
explication  du  mot  homérique,  T£i/25'.7:Xf,Ta,  auquel  on  a  supposé  le  sens  de 
«  qui  ébranle  les  murs  ».  11  croit  que  -)vr,TT,î  ne  peut  venir  que  du  verbe  -êAoïxa:, 
synonyme  de  l'.\x'..  Le  mot  signifierait  donc  «  qui  réside  dans  les  murs  »,  c'est-à- 
dire  «  qui  veut  mettre  en  sûreté  ses  déprédations  »,  et  serait  un  synonyme  de 
«  brigand  »,  ce  qui  convient  fort  bien  au  passade  d'Homère  où  les  Déesses  injurient 
le  dieu  de  la  guerre,  de  la  violence. 

Séance  du  10  août  i poo. 

M.  Salomon  Reinach  cherche  à  préciser  la  nature  du  tabou,  sorte  d'interdiction 
religieuse  dont  le  nom  est  polynésien,  mais  que  Ton  retrouve  dans  les  civilisations 
les  plus  diverses,  anciennes  et  modernes.  Le  tabou  est  une  interdiction  non  moti- 
vée, non  accompagnée  de  la  menace  de  l'intervention  d'un  législateur,  qui  a  pour 
but  de  soustraire  des  hommes  à  des  dangers  non  apparents,  en  particulier  au  péril  de 
mort.  Le  type  du  tabou  est  la  défense  adressée  au  premier  homme  :  «  Tu  ne  man- 
geras de  ce  fruit,  ou  tu  mourras.  »  Le  Décalogue  primitif  était  sans  doute  conçu 
suivant  ce  modèle,  qui  transparaît  sous  les  rédactions  tardives  que  l'on  en  pos- 
sède. Ainsi  la  défense  :  «  N'insulte  pas  ton  père  ou  ta  mère,  ou  tu  mourras  »  nous 
est  parvenue  sous  la  forme  singulière  :  «  Honore  ton  père  et  ta  mère,  afin  que  tu 
vives  longuement.  »  La  promesse  de  récompense,  qui  a  embarrassé  les  commen- 
tateurs n'est  autre  chose  que  la  menace  de  mort  immédiate,  transportée  et  comme 
retournée  lors  du  changement  de  la  défense  en  précepte.  —  MM.  Éouché-Leclercq 
et  Bréal  présentent  quelques  observations. 

Séance  du  ij  août  iqoo. 

M.  Bréal  fait  une  communication  sur  le  mot  lOVXMENTA,  qui  figure  dans  une 
inscription  récemment  découverte  au  Forum  romain  et  que  l'on  a  très  diverse- 
ment datée  (du  vii^  siècle  a.  C.  jusqu'au  iii«  ou  ii«  siècle).  Il  établit  que  la  lettre  X 
n'est  pas  un  signe  d'antiquité.  Cette  lettre  n'existe  ni  en  osque  ni  en  ombrien,  et 
la  place  même  qui  lui  a  été  donnée,  tout  à  la  fin  de  l'alphabet,  fait  penser  que  c'est 
une  lettre  ajoutée  qui  dérive  du  /  grec  (le  son  Ks  représenté  par  %  j  et  plus  sou- 
vent par  /T  :  de  là,  par  abréviation,  la  notation  /).  —  M.  Bréal  entretient  ensuite 
l'Académie  des  parfaits  en  -ATTED,  qui  n'existent  que  dans  l'Italie  du  Sud  et 
dont  il  trouve  l'origine  dans  la  forme  en  -aTxw  des  verbes  en-à;w  (Sox'.jjiiTTw  = 
Sox'.;xi;oj,  ôixâxxw  =  S'.xâ^w),  verbes  qui  ont  eu,  comme  ceux  en  -i;o),  une  fortune 
tout  à  fait  particulière.  —  Enfin  M.  Bréal  rapproche  de  divers  mots  sanscrits,  latins 
et  grecs  le  mot  %z'i'x\T^.  —  MM.  Boissier,  Weil,  Reinach  et  Bouché-Leclercq  pré- 
sentent quelques  observations. 

M.  Salomon  Reinach  commente  deux  passages  de  Diodore  et  de  Plutarque  qui, 
s'ajoutant  à  un  vers  célèbre  d'Homère,  viennent  à  l'appui  de  découvertes  épigra- 
phiques  récemment  faites  à  Crète,  où  M.  Evans  a  exhumé  toute  une  bibliotnèque 
de  tablettes  en  terre  cuite  couvertes  de  caractères  non  encore  déchiffres.  Ils 
prouvent,  suivant  lui,  que  l'antiquité  avait  conservé  le  souvenir  d'un  système 
d'écriture  contemporain  de  la  guerre  de  Troie  et  différent  de  ceux  qui  furent  en 
usage,  à  l'époque  classique,  en  Grèce,  en  Egypte  et  en  Assyrie.  —  M.  Oppert  pré- 
sente quelques  observations,  auxquelles  répond  M.  Reinach. 

M.  Pottier  lit  une  note  sur  des  vases  donnés  au  Musée  du  Louvre  par  M.  le 
baron  de  Baye  et  par  M.  Paul  Gandin,  les  uns  rapportés  du  Caucase,  les  autres 
de  Cappadoce.  Il  en  tire  quelques  conclusions  sur  l'existence  du  style  géomé- 
trique en  Orient,  que  l'on  avait  contestée  à  tort. 

Séance  du  24  août  iqoo. 

M.  Barbier  de  Meynard  fait  une  communication  sur  la  monographie  d'Avicenne 
qui  vient  d'être  publiée  par  M.  le  baron  Carra  de  Vaux.  Il  termine  ainsi  :  «  Ecrit 
avec  une  profonde  coimaissance  de  la  philologie  scolastiquc  et  témoignant  d'une 
prédilection  marquée  pour  cette  étude  peut-être  trop  négligée  de  notre  temps,  le 
livre  de  M.  de  Vaux  la  remet  en  sa  véritable  place  et  rend  ainsi  un  service  signalé 
lion  seulement  à  l'érudition  orientale,  mais,  en  un  sens  plus  élevé,  à  l'histoire  de 
l'psprit  humain.  »  Léon  Dorez. 

Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 

Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  37  —  10  septembre  —  1900 


HoLDER,  Dictionnaire  vieux-celtique,  12.  — Marchand,  L'Université  d'Avignon.  — 
JovY,  Tissard  et  Aléandre.  —  Monteforte,  Ercole  Strozzi.  —  Benevoli,  Monu- 
mcntum  Gonzagium,  p.  Rostagno.  —  Flamini,  Ranusio.  —  H.  Martin,  His- 
toire de  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal.  —  Salomon,  Histoire  du  journalisme  alle- 
mand, I.— P.  BoppK.  La  Croatie  militaire.  —  A.  Boppe,  Nicole  Papas  Oglou.  — 
Frocard  et  Painvin,  La  guerre  au  Transv^aal,  I.  —  Driault,  Les  problèmes  politi- 
ques et  sociaux  à  la  tin  du  xix^^  siècle.  —  Toutée,  Du  Dahomé  au  Sahara. 


Altceltischer   Sprachschatz  von    Alfred   Holder,    Zwœlfte    Lieferung,    Norici- 
Poeninus.  Leipzig,  Teubner,  1900,  gr.  in-8,  col.  769-1023. 

La  douzième  livraison  du  dictionnaire  vieux-celtique  contient  les 
importants  articles  :  Norici,  Numantia,  Pados,  Parisii,  Pictavi,  Picti, 
Poenimis^  où  Ton  trouve  tous  les  éléments  de  monographies  complètes 
et  détaillées.  Voici  quelques  remarques. 

Olle-cnus  (coll.  846)  semble  à  rapprocher  de  Ollo-cnus,  Ollo-gnatus. 
Pour  le  changement  de  o  en  e,  cf.  Seno-magli  etSene-magli, 

Orgiacus  (col.  876),  Orge,  n'est  pas  un  nom  de  ruisseau  ;  c'est  un 
nom  de  lieu  qui  servait  à  déterminer  un  ruisseau  anonyme  ;  on  disait 
le  ruisseau  d'Orge,  comme  on  dit  en  Bretagne  la  rivière  de  Crach, 
Crach  et  Orge  étant  situés  non  loin  des  cours  d'eaux  qu'ils  servent  à 
dénommer.  Actuellement  le  nom  d'Orgé  n'existe  que  dans  l'expression 
gué  d'Orge,  anciennement  doit  d'Orge,  qui  désigne  un  faubourg  de 
Laval. 

Ortiagon  (col.  880)  est  un  nom  isolé  que  l'on  ne  peut  ni  expliquer 
ni  rapprocher  d'aucun  mot  de  forme  analogue.  'OpiiàYcov  est  la  leçon 
de  Plutarque,  De  mulieriim  virtutibus  p.  2  58  d,  qui  reproduit  un 
passage  de  Polybe,  cité  d'autre  part  par  Suidas.  Tite-Live  écrit 
XXXVIII,  19,  2  :  Ortiago  ;  mais  24,  2  et  9  :  Orgiagontis,  Orgiagon- 
tem.  C'est  aussi  l'orthographe  de  Valèrc  Maxime  ;  Florus  écrit  Orgia- 
contis.  La  confusion  de  OPTlAHiN  avec  OPriAFON  est  facile  à  expliquer. 
Il  n'y  a  pas  de  raison  pour  attribuer  la  faute  à  Tite-Live  plutôt  qu'à 
Plutarque,  l'un  et  l'autre  copiant  Polybe.  La  leçon  Orgiagon  aurait 
l'avantage  d'être  apparentée  à  toute  une  série  de  noms  gaulois  :  Orge- 
tins,  Orgeteius,  Orgetorix,  Orgia^  Orgiiis. 

Oximensis  pagus  (col.  895)  pourrait  être  rapproché  du  nom  des 
Ossismi  pour  lequel  on  a  la  variante  Oximorum  dans  la  Notitia 
Galliariim. 

Nouvelle  série  L.  37 


198  REVUE    CRITIQUE 

Le  nom  des  Oxubii  (col.  896J  doit  être  comparé  à  celui  des  Ubii, 
que  l'on  adopte  ou  non  l'explication  de  ox-  par  l'irlandais  os  «  au 
dessus  de  ».  D'autre  part  Oxubii  ne  peut  guère  être  séparé  de  Esubii 
(variante  de  Esiivi^  Essui)  qui  n'a  vraisemblablement  rien  à  faire 
avec  le  dieu  Esus. 

Paramiis  (col.  928)  pourrait  être  une  forme  abrégée  de  Paramagus. 

Il   est  douteux  que  le  premier  \.evme  para-  ne  soit  pas  celtique,  si 

Para-semis  (col.  929]  est  le  nom  d'un  Gaulois  ;  dans  cette  hypothèse, 

paraveredus  ne  serait  pas  un  composé  hybride  influencé  par  -apiTtTro;. 

Parecorius   (col.  932)   semble  avoir   le   même   second   terme  que 

Petrii-corii,  Tri-corii,  Ver-corio. 

Partegoria  (col.  95o),  nom  qui  n'a  rien  de  celtique  et  qui  désigne 
une  affranchie  du  temps  d'Hadrien,  est  peut-être  une  faute  de  graveur 
pour  Paregoria  (IlapTQY^?'*)!  nom  grec  dont  on  aie  masculin  napr^yôpto;. 
Le  t  proviendrait  du  et  précédent  :  et  Paregoria. 

Pellus  (col.  963)  ne  peut  être  identique  à  l'irlandais  ciall,  gallois 
pnyll  qui  l'un  et  l'autre  représentent  *  qeisla. 

Petor-ritiim  (col.  973)  présente  une  forme  curieuse  et  isolée  d'un 
premier  ievn\Q petor  qui  partout  ailleurs  apparaît  sous  la  {ovmQ'petru- 
petro-  :  Petrii-corii,  petru-decametos,  Petro-mantalum.  Les  leçons 
des  manuscrits  sont  :  petorritiim,  petoritum,  pretoritum  ;  il  est  pos- 
sible qu'aucune  ne  soit  tout  à  fait  correcte  et  que  la  forme  primitive 
du  mot  ait  été  petro-ritum  ;  l'interversion  de  Vr  aurait  été  produite 
sous  l'influence  de  l'étymologie  donnée  par  les  anciens  qui  y  voyaient 
les  uns  le  grec  7:lxo|jLat,  les  autres  Vosque  petora. 

Petru-decametos  (col.  980)  a  un  second  terme  intéressant  qui  doit 
être  rapproché  du  gallois  degfed  «  dixième  ».  Le  composé  nous  atteste 
qu'en  vieux  celtique  «  quatorzième  »  et  sans  doute  «  quatorze  »  ne 
s'exprimaient  pas  comme  dans  les  dialectes  modernes  au  moyen  d'une 
périphrase. 

Pitrigori  :  Villa  quae  vocatur  Pitrigori ,  in  pago  Limovicino 
(col.  1 010)  est  probablement  une  corruption  de  Petrucorii  que  l'on 
trouve  écrit  Petrecorico  et  Petrogoricae  dans  des  manuscrits  de 
Grégoire  de  Tours.  Le  changement  de  e  en  i  nous  est  attesté  dans 
le  texte  même  qui  porte  Pitrigori  par  la  forme  Limovicino  pour 
Lemovicitio, 

G.   DOTTIN. 


L'Université  d'Avigûon  aux  xvii'  et  xviii»  siècles,  par  J,  Marcha.nd,...  Paris, 
A.  Picard  et  fils,  1900.  In-S»  de  xin-Say  pages. 

Sous  ce  titre,  M.  J.  Marchand  vient  de  publier  un  livre  qui  ne 
mérite  guère  que  des  éloges.  Après  une  exploration  complète  de  ce 
qui  reste   des  archives   de   l'ancienne  Université  avignonaise,  après 


d'histoire  et  de  littérature  r^9 

une  étude  approfondie  de  tous  les  documents  imprimés,  il  a  retracé 
un  tableau  des  plus  complets  de  la  vie  des  maîtres  et  étudiants 
depuis  1600  jusqu'en  1792.  On  pourrait  même  dire  que  son  ouvrage 
donne  plus  que  ce  qu'il  annonce,  puisqu'il  passe  aussi  rapidement  en 
revue  l'évolution  des  différents  organes  de  l'Université  depuis  leur 
création  jusqu'au  xvii<=  siècle. 

On  jugera  de  l'intérêt  de  ce  travail  seulement  d'après  la  nomencla- 
ture des  principales  matières.  Le  livre  I^'",  consacré  à  la  corporation 
universitaire,  à  sa  constitution  et  à  son  gouvernement,  est  d'abord 
l'étude  du  Collège  des  docteurs  agrégés  en  droit,  qui  étaient  les 
véritables  maîtres  de  l'institution  et  exerçaient  une  tutelle  souvent 
gênante  sur  les  autres  Facultés.  Le  chef  de  ce  Collège  était  le  primi- 
cier,  élu  chaque  année,  pourvu  de  droits  nombreux  et  doté  de  privi- 
lèges importants  :  même  le  roi  de  France  tinit  par  lui  reconnaître  la 
noblesse  héréditaire  dans  certains  cas.  En  son  absence,  il  eut  des 
lieutenants  ;  quelquefois,  une  partie  de  ses  attributions  passait  au 
doyen  du  Collège,  et  dans  tous  les  temps  il  eut  près  de  lui  des  avocats 
chargés  de  suivre  les  procès  de  l'Université  et  de  plaider  pour  elle, 
un  bedeau,  qui  était  «  à  la  fois  appariteur  en  chef,  secrétaire,  garde 
des  bâtiments,  archiviste  et  au  besoin,  trésorier.  »  Bien  que  se  gou- 
vernant elle-même,  la  corporation  universitaire  avait  à  subir  jusqu'à 
un  certain  point  le  contrôle  des  évêques  ou  archevêques  d'Avignon 
et  du  pouvoir  centrai  :  l'étude  de  ses  relations  avec  ces  «  autorités 
étrangères  »  constitue  même  un  chapitre  assez  curieux. 

Le  livre  II  concerne  «  les  études  et  les  étudiants  »,  et  considère 
l'organisation  des  différentes  Facultés  (droit,  médecine,  théologie  et 
arts),  les  modifications  apportées  dans  le  recrutement  des  profes- 
seurs, l'enseignement  donné  par  ceux-ci,  le  programme  de  leurs  cours 
(M.  J.  M.  a  été  assez  heureux  pour  retrouver  un  certain  nombre  de 
cahiers  d'étudiants\  les  examens  que  les  élèves  avaient  à  subir,  les 
conditions  de  leur  stage  scolaire,  les  droits  à  acquitter  par  eux.  C'est 
aussi  un  historique  assez  complet,  malgré  sa  brièveté  voulue,  des 
divers  collèges  qui,  depuis  le  xiv=  siècle,  entretenaient  une  partie  des 
étudiants,  et  de  la  confrérie  de  Saint-Sébastien,  qui  les  englobait  tous. 

La  situation  matérielle  et  la  vie  extérieure  de  1'  «  Université  »,  tel 
est  le  titre  du  troisième  et  dernier  livre.  Tout  d'abord  un  chapitre 
pour  la  description  des  bâtiments  où  se  faisaient  les  cours,  des  audi- 
toires plus  ou  moins  primitifs  où  maîtres  et  élèves  s'entassaient,  des 
bibliothèques  mises  à  leur  disposition.  Puis  la  comptabilité  :  l'auteur 
a  relevé  dans  les  comptes  des  primiciers  le  détail  et  les  variations  des 
recettes  ordinaires  constituées  parle  revenu  des  greffes  de  Carpentras, 
Pernes,  L'Islc,  Cavaillon,  Malauccne,  Valréas  et  Monteux  incorporés 
à  l'Université,  par  le  produit  des  rentes  et  pensions,  par  les  droits 
perçus  sur  les  gradués.  Les  ressources  extraordinaires  ne  provenaient 
que  des  emprunts,  qui  d'ailleurs  étaient  assez  exactement  et  rapide- 


2O0  REVUE    CRITIQUE 

ment  remboursés  :  il  semble  que  les  docteurs  s'étaient  fait  unf)oint 
d'honneur  de  désintéresser  au  plus  tôt  leurs  créanciers.  Les  dépenses 
comprenaient  les  honoraires  des  professeurs,  bien  peu  élevés  pour- 
tant, les  frais  d'entretien  des  bâtiments,  les  salaires  des  agrégés  et 
régents  de  chaque  Faculté  et  surtout  les  frais  des  procès.  Les  relations 
du  corps  universitaire  avec  les  autres  Universités,  avec  le  roi  de 
France  et  avec  la  ville  d'Avignon,  font  encore  l'objet  d'un  chapitre 
très  curieux,  où  l'on  voit  quelle  place  importante  il  tenait  dans  le 
pays  et  avec  quel  acharnement  il  défendait  ses  privilèges. 

Malheureusement,  dès  le  début  du  xviii"  siècle,  sa  prospérité  était 
plutôt  fictive.  Il  lui  manquait  de  savoir  renouveler  ses  méthodes 
et  son  enseignement,  il  lui  manquait  des  professeurs  vraiment  à  la 
hauteur  de  leur  tâche  et  bien  secondés  ;  il  était  en  outre  dans  l'inca- 
pacité de  couper  court  aux  abus  et  de  se  reformer  lui-même.  En  vain, 
essayait-il,  par  de  scandaleuses  facilités  d'examen,  d'attirer  ses  étu- 
diants en  plus  grand  nombre  :  la  vie  se  retirait  de  lui  peu  à  peu.  A  la 
Révolution  c'était  déjà  presque  un  cadavre. 

Je  n'ai  donné  qu'une  sèche  analyse  du  livre  de  M.  J.  Marchand  ; 
puisse-t-elle  cependant  donner  l'idée  des  nombreux  enseignements 
qu'on  y  puise  et  du  talent  très  réel  avec  lequel  il  a  été  traité  ! 

L.-H.  L. 


E.  JovY.  François  Tissard  et  Jérôme  Aléandre  :  Contribution  à  l'histoire  des 
origines  des  études  grecques  en  France.  —  i^'  fascicule  ;  Vitry-le-François,  typ. 
Denis,  1899  ;  in  8°  de  143  pages. 

Carmelo  Monteforte.  Ercole  Strozzi  poeta  ferrarese.  —  Catane,  typ.  «  La 
Sicilia  »,  1899  ;  8'  de  87  pages. 

E.  RosTAGNo.  Il  «  Monumentum  Gonzagium  »  di  Giovanni  Benevoli  o  Buo- 
navoglia.  —  Florence,  Olschki,  1899  ;  28  pages  (Extrait  de  la  Bibliofilia,  I, 
fasc.  6-7). 

F.  Flamini.  Girolamo  Ramusio  (1450-1486)  e  i  suoi  versilatini  e  volgari.  — 
Padoue,  1900,  3i  pages  (Extrait  des  Atti  e  Memorie  délia  R.  Accad.  di  Se.  lett. 
ed  artiin  Padova,  vol  XVI). 

Ces  quatre  brochures  se  rapportent  à  l'histoire  de  l'humanisme  à  la 
fin  du  xv'^  siècle  et  au  commencement  du  xvI^  La  première  s'ajoute 
aux  publications  déjà  nombreuses  qui,  en  ces  dernières  années,  sont 
venues  éclairer  d'un  jour  nouveau  la  figure  de  Jérôme  Aléandre. 
M.  Jovy  consacre  d'abord  une  notice  substantielle  à  François  Tissard, 
qui  publia  divers  textes  grecs  à  Paris  de  iSo;  à  009  ;  puis  il  aborde 
la  vie  d'Aléandre,  qu'il  ne  conduit,  en  ce  premier  fascicule,  que  jus- 
qu'en i5o8,  au  moment  où  le  fameux  humaniste  quitte  Venise  pour  se 
rendre  à  Paris.  M.  J.  est  bien  au  courant  de  tous  les  ouvrages  tant 
anciens  que  modernes  qui  se  rapportent  à  son  sujet,  et  il  cite  copieu- 
sement les  documents  sur  lesquels  s'appuie  son  exposé. 


d'histoire    et   de    littérature  20I 


Les  autres  humanistes  dont  les  noms  sont  écrits  en  tête  de  cet 
article  sont  surtout  des  poètes.  Le  moins  oublié  est  Ercole  Strozzi, 
ce  contemporain  et  ami  de  l'Arioste  et  de  Bembo,  ce  favori  de  Lucrèce 
Borgia,  qui  aurait  pu  se  faire  un  nom  plus  illustre  dans  la  poésie 
italienne,  s'il  n'avait  été  assassiné  en  i  5o8  :  il  n'avait  pas  encore  trente- 
sept  ans.  Cinq  sonnets  amoureux  constituent  le  maigre  bagage  poé- 
tique avec  lequel  il  peut  à  peine  prendre  place  parmi  les  pétrarquistes 
de  son  temps  ;  mais  ses  poèmes  latins,  plus  nombreux  et  plus  impor- 
tants, donnent  une  idée  assez  avantageuse  de  son  talent  poétique. 
Cette  vie  courte,  dont  le  théâtre  est  Ferrare,  l'un  des  milieux  les 
mieux  connus  de  la  Renaissance,  cette  œuvre  restreinte  et  facilement 
accessible,  constituaient  un  sujet  bien  limité  et  assez  facile,  fort  bien 
choisi  en  somme  pour  un  débutant.  M.  C.  Monteforte  Ta  traité  sage- 
ment, sans  qu'on  puisse  dire  qu'il  en  ait  tiré  tout  le  parti  que  l'on 
pouvait  espérer.  Il  a  des  maladresses  de  composition  et  de  style  qui 
désarment  :  mais  en  fin  de  compte  ce  travail  consciencieux,  quoique 
très  peu  personnel,  n'est  pas  inutile.  Malheureusement  l'impression 
en  est  très  négligée. 

Girolamo  Ramusio  a  ceci  de  commun  avec  E.  Strozzi  qu'il  est  mort 
également  fort  jeune  après  avoir  composé  en  latin  des  vers  erotiques 
et  divers  poèmes,  ainsi  que  des  sonnets  médiocres,  quoique  plus 
nombreux  que  ceux  de  Strozzi.  Mais  Ramusio,  médecin  et  commen- 
tateur de  Galien,  orientaliste  et  traducteur  d'Avicenne,  n'était  poète 
qu'à  ses  moments  perdus  ;  sous  cet  aspect  il  était  à  peu  près  inconnu. 
M.  Flamini  a  eu  l'heureuse  idée  de  nous  le  révéler,  et  il  l'a  fait  avec  la 
sûreté  et  la  précision  auxquelles  il  nous  a  dès  longtemps  habitués. 

Le  Monumentum  Goniagium  est  un  poème  latin  en  sept  chants, 
composé  entre  i522  et  i525  par  un  Mantouan,  Giovanni  Benevoli  ou 
Buonavoglia.  Les  érudits  du  siècle  passé,  Zeno,  Mazzuchelli,  Affô, 
n'ont  possédé  que  d'assez  vagues  renseignements  sur  ce  poème,  imité 
surtout  de  Stace,  et  sur  son  auteur.  Le  manuscrit  autographe  en  est 
récemment  devenu  la  propriété  de  l'éditeur  L.  S.  Olschki,  ce  qui  a 
permis  à  M.  Rostagno  de  donner  une  analyse  détaillée  de  cette  œuvre 
assez  médiocre,  mais  non  dépourvue  d'intérêt  au  point  de  vue  his- 
torique :  ce  sont  tous  les  événements  militaires  dont  l'Italie  fut  le 
théâtre  de  i5i5  à  i522  que  le  poète  a  pris  pour  sujet,  et  ses  person- 
nages principaux  sont  Federigo  da  Bozzolo  et  Federigo  da  Gonzaga, 
premier  duc  de  Mantoue.  A  cette  analyse  du  poème  viennent  s'ajouter 
quelques  renseignements  biographiques  précis  sur  son  auteur.  'Voilà 
donc  un  point  obscur  éclairci. 

Henri  Hauvette. 


202  REVUE   CRITIQUE 

Histoire  de  la  bibliothèque  de   l'Arsenal  par  Henry  Martin,   conservateur 
adjoint  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal;  Paris,  Pion,  1899,  xv  et  664  p.  in-8. 

M.  Alfred  Franklin  avait  déjà  fait  précéder  d'une  courte  notice  his- 
torique le  catalogue  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  Mazarine  dû  à 
M.  Aug.  Molinier.  Plus  récemment  M.  Ch.  Kohler  a  placé  une  véri- 
table introduction  en  tête  du  catalogue  des  manuscrits  de  la  biblio- 
thèque Sainte-Geneviève.  Celui  de  la  troisième  grande  bibliothèque 
publique  de  Paris,  la  plus  considérable  des  trois  et  qui  n'avait  eu 
encore  aucun  historien,  vient  d'être  complété  par  la  publication  de 
tout  un  gros  volume  formant  le  tome  "VIII  et  que  M.  Henry  Martin  a 
intitulé  Histoire  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal.  Ce  n'est  pas  là 
en  effet  simplement  un  exposé  des  notions  qu'il  est  utile  de  posséder 
au  sujet  des  séries  de  manuscrits  que  le  dépôt  renferme,  mais  un 
récit  qui  s'applique  à  la  fois  à  la  formation  de  ses  collections  de  ma- 
nuscrits et  d'imprimés,  à  la  période  de  la  fondation  de  la  bibliothèque, 
à  la  manière  dont  elle  a  été  administrée  pendant  tout  le  cours  du 
xix«  siècle.  Il  semblera,  j'imagine,  à  certains  esprits  que  le  résultat 
n'est  pas  en  proportion  de  l'effort  dont  ce  livre  témoigne  et  qu'il  n'y 
a  pas  lieu  de  tant  s'attarder,  avec  de  si  grands  détails,  à  l'étude  de 
l'état  ancien  des  dépôts.  On  ne  sait  cependant  pas  assez  en  général 
combien  difficilement  les  dépôts  publics  se  sont  constitués,  par 
quelles  vicissitudes  souvent  malheureuses  ils  ont  passé  avant  d'abou- 
tir à  la  situation,  somme  toute  favorable,  où  ils  se  trouvent  aujour- 
d'hui. Les  bibliothécaires,  les  archivistes  ont  eu  bien  plutôt  le  tort, 
pendant  longtemps,  de  ne  pas  s'intéresser  aux  questions  de  cet  ordre. 
Qui  devra  donc  connaître  l'histoire  de  leurs  services,  si  ce  n'est  eux  ? 

Les  divisions  générales  adoptées  par  M.  M.  sont  bonnes  ;  seule- 
ment il  n'a  pas  indiqué  d'une  façon  assez  apparente  pourquoi  il  a 
compris  entre  telles  et  telles  dates  les  différentes  périodes  des  acquisi- 
tions de  livres  faites  par  le  marquis  de  Paulmy,  créateur  de  la  biblio- 
thèque de  l'Arsenal,  et  quelques-unes  mêmes  des  subdivisions  ne 
paraissent  avoir  été  faites  que  pour  donner  aux  chapitres  ou  à  leurs 
diverses  parties  des  longueurs  à  peu  près  équivalentes  (voir  parti- 
culièrement 2=  partie,  chap.  iv  à  vi).  Quelques  raisons  qu'il  y  ait  eu 
de  procéder  ainsi,  ce  n'est  pas  non  plus  sans  un  certain  étonnement 
que  l'on  voit  les  Annales  de  la  bibliothèque  interrompues  par  trois  cha- 
pitres relatifs  aux  dépôts  littéraires.  II  n'y  a  d'ailleurs  pas  lieu  d'insis- 
ter autrement  sur  ces  différents  points.  M.  M.  a  justement  cri- 
tiqué la  date  de  1757  qu'on  assignait  à  la  fondation  de  la  biblio- 
thèque et  y  a  substitué  la  date  de  1754  (p.  49).  Il  a  de  plus  établi  que 
les  collections  du  marquis  ont  été  quasi  publiques  dès  1767  (p.  62),  a 
mis  en  lumière  le  rôle  de  ce  bibliophile,  «  le  plus  sagace  et  le  plus 
persévérant  qui  ait  peut-être  jamais  existé  »  (p.  36),  a  su  par  de 
patientes  investigations  reconstituer  partiellement  sur  le  papier  beau- 


d'histoire  et  de  littérature  2o3 

coup  de  collections  par  celui-ci  acquises.  Au  cours  de  son  récit  il  a, 
entre  autres  particularités  intéressantes,  signalé  l'importance  des  tra- 
vaux faits  pour  Paulmy  par  le  relieur  Bradel  l'p.  92),  le  prix  de  vente 
de  la  bibliothèque  au  comte  d'Artois  (41  2,000  francs,  p.  339),  l'in- 
fluence exercée  sur  Paulmy  par  d'Argenson  (p.  120),  la  valeur  des 
collections  Gaignat,  Milsonneau  et  d'Heis  (pp.  177,  17g  et  240),  celle 
des  livres  de  la  maison  des  Pères  de  la  doctrine  chrétienne  dite  Maison 
de  Saint-Charles  (p.  5o6),  les  dilapidations  qu'eut  à  subir  la  biblio- 
thèque des  Célestins  (p.  489),  la  main  mise  sur  l'Arsenal  par  le  Sénat 
en  l'an  X  (p.  414),  le  genre  de  mérite  qu'a  eu  Nodier,  pour  lequel 
fut  créé  un  titre  inutile  (p.  574).  Il  a  rendu  justice  à  ces  excellents 
fonctionnaires  qu'ont  été  Germain  Poirier  (p.  418),  Louis  Godin 
(p.  566),  Alexandre  Duval,  à  qui  Ton  doit  la  richesse  de  la  biblio- 
thèque en  pièces  de  théâtre  (p.  571). 

Il  est  tout  au  moins  curieux  aussi  de  relever  dans  cette  Histoire 
combien  furent  nombreux  les  bibliothécaires  qui  successivement  en- 
treprirent ou  furent  chargés  d'entreprendre  le  catalogue  de  tant  de 
manuscrits  et  l'on  doit  de  même  constater  qu'on  avait  autrefois  la 
sagesse  de  ne  pas  craindre  de  vendre  les  livres  qui  paraissaient  être 
devenus  inutiles  (p.  56i'.  Aujourd'hui,  par  trop  de  timidité,  on  se 
garderait  bien  de  déplacer  un  ouvrage  inscrit  sur  un  catalogue  et  ce 
n'est  pas  pour  une  autre  raison  que  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  con- 
serve trois  tomes  d'un  recueil  dont  les  quatorze  autres  tomes  sont  dé- 
posés à  la  Bibliothèque  Nationale  (p.  485).  La  dispersion  peut  avoir 
ses  avantages,  mais  évidemment  non  dans  un  cas  semblable.  Cette 
publication  sévère  n'est  pas  sans  contenir  même  ici  et  là  quelques 
détails  amusants,  les  renseignements  qui  concernent  le  voleur  de  1 8 1 2 
(p.  55o)  ou  la  personne  induement  logée  pendant  5o  ans  ^p.  570).  La 
publication  de  M.  M.  présente  enfin  cet  avantage  qu'il  en  a  profité 
pour  rectifier  lui-même,  sans  embarras,  certaines  erreurs  ou  omissions 
que  son  catalogue  renferme  i'p.  1:1,  140,  478,  5o3). 

Je  n'adresserai  à  M. M.,  en  terminant,  qu'un  petit  nombre  de  légères 
critiques.  Comme  il  était  naturel  de  s'y  attendre  de  la  part  du  rédac- 
teur d'un  catalogue  de  manuscrits  et  malgré  le  développement  donné 
aux  Annales,  son  histoire  est  avant  tout  une  étude  des  collections 
manuscrites  ;  il  n'y  est  parlé  qu'accessoirement  des  volumes  imprimés  ; 
quelques  indications  sur  la  provenance  des  plus  précieux  de  ceux-ci 
n'auraient  pas  été  superflues  (cf.  p.  477  et  5  18).  Puis  ce  qu'on  y  dit  à 
propos  des  cartes  et  plans,  et  particulièrement  des  estampes,  est  par 
trop  succint.  J'aurais  désiré  aussi  que  M.  M.  qui  n'insère  que  peu  de 
renvois  désignât  parfois  plus  expressément  ses  sources  (cf.  p. 379). Cette 
observation  me  fournit  l'occasion  de  faire  remarquer  qu'il  aurait 
trouvé  aux  Archives  de  la  Seine,  trop  facilement  oubliées,  quelques 
actes  de  l'état  civil  peut-être  à  mentionner  :  l'acte  de  décès  du  marquis 
de  Paulmy,  les  actes  de  naissance  et  de  décès  d'Ameilhon,  ceux  de 


204  REVUE  CRITIQUE 

Saugrain  ;  l'acte  de  décès  d'Ameilhon  fait  connaître  le  nom  de  sa 
femme,  Al.  H.  Drouart,  à  laquelle  il  n'a  pas  survécu  un  an,  et  un 
autre  acte,  celui  du  mariage  du  baron  d'Heiss,  venant  se  joindre  aux 
documents  déjà  connus,  fixe  la  forme  orthographique  du  nom  de  ce 
collectionneur  (cf.  p.  228).  Une  liste  des  sources  aurait  été  utile  et 
M.  M.  qui  a  voulu  être  si  complet,  aurait  pu  dresser  une  table  géné- 
rale de  concordance  entre  les  anciens  et  les  nouveaux  numéros  des 
manuscrits,  ainsi  que  Tont  fait  dans  leurs  publications  MM.  Kohler  et 
Molinier.  Ajoutcrai-je  que  la  partie  récente  de  cette  histoire  me  semble 
écourtée  ?  Il  est  vrai  que  si  l'auteur  eût  mentionné  à  bon  droit  parmi 
les  dons  celui  de  la  correspondance  d'Anatole  de  Montaiglon,  il  ne  lui 
appartenait  guère  de  dire  que  le  dépôt  des  périodiques,  ordonné  en 
1880,  se  fait  fort  mal  (cf.  p.  59 1)  et  de  sortir  pour  toute  cette  période 
d'une  certaine  réserve. 

Mais  M.  M.  est  trop  maître  de  son  sujet,  à  tous  égards,  pour  qu'il  soit 
possible  de  lui  reprocher  d'avoir  commis  quelque  véritable  faute. 
Après  avoir  fait  les  simples  remarques  qui  précèdent,  il  reste  à  le 
remercier  de  ce  qu'il  a  fait  suivre  d'une  table  aussi  développée  son 
très  consciencieux  ouvrage. 

Marius  Barroux. 


Geschichte  des  deutschen  Zeitungsw^esens,  von  Ludwig  Salomon.  Erstcr  Band, 
Das  XVII,  XVII  und  xviii  Jahrhundcrt,  Oldenburg  und  Leipzig,  Schuize.  In-8', 
p.  265,  3  mark. 

Ce  livre  est  le  premier  volume  d'une  Histoire  du  journalisme  alle- 
mand ;  il  se  termine  à  la  fin  du  xviii<=  siècle;  le  volume  suivant  ira 
jusqu'à  l'année  1870.  L'auteur  est  évidemment  très  supérieur  à 
Schwarzkopf  et  à  Prutz,  d'autant  qu'il  a  pu,  pour  son  premier  tome, 
se  servir  de  travaux,  comme  ceux  de  Grasshoff,  de  Stieve,  d'Opel,  de 
Milberg,  de  Zenker,  et  d'une  foule  de  monographies  parues  dans  ces 
derniers  temps.  Il  a  su  d'ailleurs  diviser  et  distribuer  son  sujet.  Les 
titres  de  ses  chapitres  sont  un  peu  longs  :  «  La  vie  intellectuelle 
cherche  à  trouver  son  expression  dans  la  littérature»,  ou  encore 
«  L'agitation  politique  croissante  donne  de  plus  en  plus  aux  revues 
un  ton  politique  ».  Mais  le  récit  se  développe  avec  clarté.  Il  y  a 
toutefois  en  beaucoup  d'endroits  des  traces  de  rapidité  ;  M.  Salomon 
insiste  trop  sur  les  choses  connues  et  ne  s'étend  pas  assez  sur  ce 
qu'on  ignore  d'ordinaire;  on  regrettera  qu'il  n'ait  pas  fait  plus  de 
citations.  A-t-il  lu  tout  ce  qu'il  mentionne?  Il  n'a  pas  même  feuilleté 
le  Genius  der  Zeit  de  Hennings  qui,  dit-il,  se  distinguait  par  un  clair 
jugement!  Il  oublie  ci  Claudius,  le  «  Messager  de  Wandsbeck  «  et 
Stùudlin,  et  Armbruster,  et  Halem,  et  \ai  Main-{er  Zcitiiuf::  de  1792- 
1793,  et  les Friedenspràliminarien  de  Huber.  11  omet  Hcrder  lorsqu'il 


d'histoire  et  de  littérature  2o5 

parle  de  Klotz  qui  n'a  du  reste  qu'une  demi-page  et  le  Boie  de 
Weinhold  à  propos  du  Musée  allemand.  Clair,  aisé,  intéressant,  l'ou- 
vrage de  M.  Salomon  est  incomplet  et  trop  peu  original. 

A.  C. 


La  Croatie  militaire  1809-1813.  Les  régiments  croates  à  la  Grande  Armée, 

par  le  commandant  P.  Boppe.  Avec  six  planches  en  couleurs  cl  une  carte.  Paris, 
Berger-Levrault,  1900.  In-S",  267  p. 
Le  colonel  Nicole  Papas  Oglou  et  le  bataillon  des  chasseurs  d'Orient,  1798- 
1815,  par  Auguste  Boppe.  Paris,  Berger-Levrault,  1900.  In-S",  80  p. 

.  L'auteur  de  la  Légion  portugaise  et  des  Espagnols  à  la  Grande 
Armée  vient  de  consacrer  aux  régiments  croates  un  travail  qui 
témoigne  du  même  soin,  des  mêmes  recherches  minutieuses  que  ses 
précédentes  études.  M.  P.  Boppe  rappelle  d'abord  les  origines  des 
Grœn^er,  des  six  régiments  frontières,  et  les  événements  qui  amenèrent 
leur  incorporation.  Il  retrace  ensuite  la  nouvelle  organisation  des 
régiments  où  les  lieutenants-colonels  et  la  plupart  des  officiers  étaient 
restés,  la  nomination  des  colonels  qui,  à  l'exception  du  major  Sliva- 
rich,  furent  choisis  parmi  les  Français  de  l'armée  d'Illyrie,  la  création 
de  deux  adjudants-majors  «  parlant  illyrique  »  dans  chaque  régiment, 
l'uniforme,  etc.  Il  raconte  l'attitude  de  ces  Croates  en  Illyrie  dans 
l'année  181?,  comment  ils  se  retrouvèrent  aussitôt  autrichiens,  com- 
ment ils  «  désertèrent  en  masse  ».  Enfin,  il  suit  les  régiments  qui 
combattirent  à  la  Grande  Armée  et  y  firent  bonne  figure  :  en  face  des 
Russes,  et  sous  les  ordres  de  Napoléon,  ils  déployèrent  les  solides 
qualités  militaires  de  leur  race  ;  Delzons  écrivait  que  le  premier  pro- 
visoire croate  avait  fait  des  merveilles  à  Ostrovno  et  Merle,  que  le 
troisième  provisoire  s'était  couvert  de  gloire  àPolotsk. 

M.  Auguste  Boppe  a,  dans  sa  brochure,  reconstitué  la  carrière  du 
colonel  Nicole  Papas  Oglou  et  fait  en  même  temps  l'historique  du 
bataillon  des  chasseurs  d'Orient,  que  Nicole  commanda  pendant  toute 
la  durée  du  premier  Empire.  On  lira  avec  le  plus  vif  intérêt  la  vie  si 
singulière,  si  aventureuse  de  cet  amiral  de  la  flottille  des  Mamelouks 
que  Bonaparte  fit  officier  français  et  qui  défendit  héroïquement  Parga 

en  1814. 

A.  C. 


Lieutenant-colonel  Frocard,  breveté  d'état-major,  et  capitaine  Painvin,  du  78»  d'inr 
fanterie,  La  guerre  au  Transvaal.  L'offensive  des  Boers  (septembre-janvier) 
avec  cartes.  Paris,  Cerf.  in-S»,  SgS  p. 

A  l'aide  des  meilleures  sources,  les  deux  auteurs  retracent  d'abord  la 


2o6  REVUE   CRITIQUE 

situation  du  Sud-Africain.  Ils  nous  présentent  ensuite  l'armée  anglaise 
et  l'armée  boer.  Vient  enfin  le  récit  proprement  dit,  consacré  à  l'offen- 
sive des  Boers.  Ils  Font  divisé  en  deux  parties  ;  autour  de  Ladysmith 
(Glencoe,  Elandslaagte,  la  Tugela)  :  la  marche  sur  Kimberley  (Bel- 
mont  et  Graspan,  Modder  River,  Magersfontein).  La  narration  est 
très  intéressante,  animée,  pleine  de  détails  curieux.  Les  deux  auteurs 
ont  consulté  des  sources  nombreuses  :  les  lettres  des  correspondants 
de  journaux,  des  lettres  privées,  les  rapports  des  généraux.  Ils  disent 
modestement  qu'ils  n'ont  pas  fait  un  travail  définitif,  mais  qu'ils 
donnent  un  premier  compte  rendu  sérieux,  et  telle  est,  en  effet, 
l'impression  que  produit  leur  travail  d'ensemble.  Il  témoigne  d'un 
grand  soin  et  d'une  scrupuleuse  conscience  ;  il  sera  évidemment  com- 
plété, précisé  sur  la  plupart  des  points,  mais  il  ne  sera  pas  contredit. 
On  ne  peut  donc  que  recommander  cette  étude,  d'autant  qu'elle 
dégage  déjà  de  l'exposé  des  événements  —  qui  se  sont  passés  avant 
le  i^""  janvier  1900  — des  conséquences  remarquables:  notamment 
que  la  guerre  s'apprend  et  qu'il  faut  une  école  où  on  l'apprenne,  un 
cadre  permanent  pour  l'étudier;  que  l'instruction  du  tir  doit  être 
poursuivie  avec  plus  de  soin  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'à  présent  ;  que  la 
tactique  offensive  a  toujours  l'avantage  parce  qu'elle  est  la  lutte  de 
l'intelligence  contre  la  machine  et  du  mouvement,  de  la  volonté,  de 
l'activité  contre  l'inertie. 

A.  G. 


Les  problèmes  politiques  et  sociaux  à  la  fin  du  xix«  siècle.  I  vol.  in-8»  de  la 
Bibliothèque  d'histoire  contemporaine,  par  Edouard  Driault,  professeur  agrégé 
d'histoire  au  lycée  d'Orléans  i  à  338  p.  F.  Alcan,  1900. 

M.  Driault  qui  traitait  il  y  a  deux  ans  la  «  question  d'Orient  »  a, 
cette  année,  élargi  son  horizon.  Le  simple  énoncé  des  sujets  qu'il 
aborde  dans  le  présent  volume  indique  l'ampleur  de  son  exploration. 
L'Alsace-Lorraine,  la  question  romaine,  celle  de  l'Autriche-Hongrie, 
l'Orient,  la  Méditerranée,  la  Mer  Rouge,  l'Afrique,  l'Asie,  les  États- 
Unis,  la  Triple  Alliance  et  l'Alliance  Franco-Russe,  passent  successi- 
vement sous  les  yeux  des  lecteurs  dans  des  études  relativement  déve- 
loppées :  l'auteur,  en  plus,  reprend  son  sujet  dans  sa  généralité  en 
résumant  ses  vues  dans  trois  sections  finales  :  «  les  grandes  puissances 
et  le  partage  du  monde  —  Les  conflits  et  la  paix.  —  La  société  :  église 
et  science.  » 

C'est,  on  le  voit,  un  coup  d'œil  étendu  que  l'auteur  a  voulu  jeter 
sur  le  présent  et  l'avenir  du  monde  policé  —  en  comprenant  dans  les 
destinées  de  ce  dernier  celui  qui  n'en  fait  pas  encore  partie  et  que  pré- 
cisément les  nations  civilisées  sont  en  train  de  se  partager  ou  d'ouvrir 
à  leur  influence. 


d'histoire  et  de  littérature  207 

L'écueil  d'un  pareil  sujet  c'est  son  immensité  même,  où  la  proxi- 
mité des  faits  ne  permet  pas  aisément  à  l'historien  de  distinguer  les 
grandes  lignes  et  les  traits  fondamentaux  de  ceux  qu'il  est  permis  et 
même  utile  de  négliger.  Seul  un  certain  recul  donne  aux  éléments  de 
l'histoire  leur  valeur  relative  définitive.  Ce  n'est  pas  ce  que  prévoit 
l'historien  qui  importe  :  c'est  ce  qui  est  sorti  réellement  de  la  comple- 
xité des  événements  pour  devenir  une  réalité  vivante.  Aussi,  autant  le 
passé  des  questions  est  aisé  à  établir,  autant  leur  état  présent  est  diffi- 
cile à  préciser  :  la  sélection  même  des  faits  et  des  données  suppose 
chez  l'historien  une  opinion  qui  ne  peut  être  qu'une  conjecture,.  Je 
ferai,  pour  cette  raison,  deux  parts  dans  l'ouvrage  de  M.  Driault. 
Tant  qu'il  étudie  le  passé  des  problèmes  politiques  et  sociaux,  je  trouve 
qu'il  rend  de  grands  services  à  cette  démocratie  souveraine  dont  il 
parle  dans  sa  préface  et  qui  a  besoin  d'être  éclairée  sur  les  questions 
extérieures  aussi  bien  que  sur  les  rouages  de  l'organisme  intérieur. 
Quand  il  envisage  le  présent  et  l'avenir,  je  constate  que  tantôt  sa  pru- 
dence se  traduit  par  d'innombrables  points  d'interrogation,  et  tantôt 
sa  hardiesse  de  vues  touche  à  la  simple  hypothèse.  Je  ne  voudrais  pas 
lui  en  faire  un  reproche  :  mais  là,  son  livre  cesse  d'être  un  livre  d'édu- 
cation pour  devenir  plus  ou  moins  une  thèse  personnelle,  suggestive 
sur  certains  points,  discutable  sur  d'autres. 

Je  ne  puis  analyser  ici  la  partie  proprement  historique  du  volume  : 
elle  est  un  résumé  en  général  bien  fait  des  événements  antérieurs. 
Cependant  l'auteur  y  mêle  trop  souvent  et  dans  la  trame  même  du 
récit  ses  préoccupations  d'avenir.  Il  fait  comme  un  auteur  dramatique 
qui  prépare  son  dénouement  dès  les  premiers  actes  de  la  pièce.  C'est 
s'exposer,  dès  le  début,  à  bien  des  objections.  M.D.  va  de  lui-même  au 
devant  d'une  critique  :  «  j'encours  dès  l'origine  —  à  propos  de  l'Alsace- 
Lorraine  —  le  reproche  de  ne  voir  les  choses  qu'au  point  de  vue  fran- 
çais. J'accepte  le  reproche  :  je  consens  volontiers  que  ce  livre  ait  dès 
la  première  page  une  marque  française  :  j'ai  conscience  d'ailleurs  que 
de  la  France,  comme  centre,  on  peut  jeter  sur  le  monde  un  regard 
suffisamment  impartial.  »  Voilà  qui  est  très  séduisant  pour  les  Fran- 
çais, assez  portés  par  instinct  à  tout  rapporter  à  notre  pays.  Il  n'est 
pas  sûr  qu'au  point  de  vue  mondial,  ce  soit  tout  à  fait  exact.  M.  D.  à 
dire  vrai,  cherche  à  justifier  son  assertion  par  la  place  qu'il  assigne  à 
la  question  d'Alsace-Lorraine  dans  l'équilibre  général  de  l'Europe  et 
même  des  deux  hémisphères.  Il  montre  avec  raison  que  l'origine  de  la 
paix  armée  qui  nous  dévore  est  là  —  que  les  armements  de  la  France 
et  de  l'Allemagne  ont  amené  ceux  des  autres  puissances,  et  que  tant 
de  millions  d'hommes  et  de  milliards  d'argent  immobilisés  dans  les 
camps  ou  le  matériel  de  guerre,  dépendent  du  trait  de  plume  qui  a 
arraché  à  la  France  une  partie  vivante  d'elle-même. 

Il  faut  en  tous  cas  reconnaître  que  bien  des  causes  de  trouble  se  sont 
jointes,  depuis,  à  cette  plaie  toujours  béante.  Le  livre  même  de  M.  D. 


208  REVUE  CRITIQUE 

en  est  rénumcratîon  et  l'analyse,  et  quoi  qu'il  dise,  le  lien  -de  ces 
foyers  d'agitation  avec  la  question  d'Alsace-Lorraine  n'est  pas  tou- 
jours très  apparent.  Beaucoup  de  ces  loyers  subsisteraient,  même  si 
l'Allemagne  chevaleresque  et  libérale  que  M.  D,  voit  presque  réalisée 
à  force  de  le  désirer  —  (nous  prenons  souvent  en  France  nos  désirs 
pour  des  faits),  —  renonçait  un  jour  à  sa  conquête  de  1 870  et  déchirait 
le  traité  de  Francfort. 

Je  ne  suis  pas  sûr  que  M.  D.  se  place  toujours  à  un  point  de  vue 
suffisamment  objectif  pour  étudier  ces  phénomènes  morbides  et  les 
remèdes  qui  les  guériraient.  11  envisage  quelques-uns  d'entre  eux 
en  bon  républicain  français,  nourri  dans  les  traditions  de  1789,  con- 
fiant dans  le  mouvement  scientifique  contemporain,  qui  attend  tout 
d'une  démocratie  instruite,  comprenant  à  la  fois  ses  intérêts  et  son 
devoir. 

L'Italie  —  dont  il  exagère  la  crise  politique,  religieuse  et  sociale  — 
ne  sortira  de  cette  crise  «  que  si  l'organisation  du  parti  républicain 
s'achève  dans  la  Péninsule...  Il  faut  que  ce  parti  affiche  partout  un 
programme  scientifique  très  net,  très  simple,  très  clair  aux  esprits  les 
moins  préparés,  fondé  sur  les  principes  de  l'éducation  populaire  et  de 
l'organisation  sociale  par  la  liberté...  La  démocratie  italienne  a  charge 
d'humanité.  »  —  «  Pour  l'Autriche-Hongrie  déchirée  par  des  luttes  de 
nationalité.  »  M.  D.  fait  le  rêve  —  mais  un  «  rêve  aussi  près  que  pos- 
sible de  la  réalité  »  —  des  Habsbourg  fondant  sur  le  loyalisme  des 
États  «  un  franc  et  large  régime  de  libertés  provinciales  ou  plutôt  dépar- 
tementales... Ils  brisent  les  rivalités  provinciales  en  modelant  une 
mosaïque  administrative  sur  une  mosaïque  ethnographique...  La 
France  aussi  fut  jadis  composée  de  provinces  mal  liées,  mais  qui  se 
fondirent  ensuite  dans  l'unité  départementale...  «Il  y  aurait  seulement 
ici  moins  de  centralisation  qu'en  France.  D'ailleurs  à  un  moment  la 
dynastie  pourrait  être  remplacée  par  un  conseil  fédéral  comme  celui 
de  la  Suisse.  » 

Sur  d'autres  points  de  la  carte,  où  les  questions  sont  encore  plus 
embrouillées  que  sur  le  Rhin,  en  Italie,  ou  en  Autriche,  M.  D.  s'abs- 
tient avec  raison  de  prévisions  trop  positives.  Il  sait  au  besoin  faire 
leur  part  aux  hasards  de  la  force,  et  quiconque  a  suivi  les  péripéties  de 
l'histoire,  l'approuvera.  Je  le  trouve  cependant  trop  favorable  à  l'em- 
ploi de  la  force  quand  il  s'agit  de  la  France,  et  trop  sévère  quand  il 
s'agit  des  autres  pays,  notamment  de  l'Angleterre.  Il  faut  ou  répudier 
complètement  l'esprit  de  conquête,  et  alors  toute  la  grande  politique 
coloniale  qui  a  les  prédilections  de  M.  D.  et  qui  est  d'ailleurs  proba- 
blement une  fatalité  du  xix^  siècle  finissant,  est  condamnée  en  bloc  : 
ou  bien  il  faut  accepter,  dans  une  certaine  mesure,  de  la  part  d'autres 
peuples,  des  procédés  d'action  que  nous  avons  pratiqués  nous-mêmes. 
Gardons  nos  sévérités  pour  les  véritables  abus  de  la  politique  du 
plus  fort  et  condamnons-les  partout  où  ils  se  produisent   sans  accep- 


d'histoire  et  de  littérature  209 

tion  de  drapeaux.  L'impartialité  donnera  d'autant  plus  de  poids  aux 
reproches  qui  seront  adressés  aux  actes  répréhensibles  ou  révoltants 
pour  l'humanité  commis  dans  ce  vaste  travail  d'organisation  de 
l'Afrique  et  de  l'Asie  qui  sera  une  des  pages  essentielles  de  l'histoire 
du  monde. 

Ce  travail  d'organisation  soulève  des  problèmes  politiques  et  éco- 
nomiques redoutables  :  M.  D.  traite  des  premiers  avec  une  compétence 
indiscutable  :  Je  le  trouve  moins  bien  armé  quand  il  s'agit  des  seconds  : 
il  répète  sur  ce  sujet  des  phrases  toutes  faites  comme  on  en  lit  trop 
dans  les  journaux,  sur  les  débouchés,  les  grands  courants  commer- 
ciaux, l'inondation  des  produits,  les  trésors  de  l'Orient  etc.,  etc.  qui 
sont  devenues  de  véritables  clichés.  Il  ne  recule  même  pas  devant  le 
«  trident  de  Neptune  »  qui  est  bien  suranné.  Il  y  a  dans  toutes  ces 
questions  de  commerce  des  mirages  où  les  chiffres,  s'ils  étaient  plus 
souvent  cités  et  rappelés,  ramèneraient  les  imaginations  à  la  réalité. 
«  Le  transsaharien  devra  être  la  grande  voie  commerciale  jetée  entre 
Alger  et  le  Soudan  »...  Chiffrez  les  produits  probables,  et  vous  verrez 
à  quoi  se  réduit  «  cette  grande  voie  commerciale  ».  —  «  L'Inde  four- 
nit aux  Anglais  d'incomparables  trésors.  »...  Comptez  les  frais  de  l'ar- 
mée, des  chemins  de  fer  et  des  routes,  les  famines,  la  baisse  de  la  rou- 
pie-argent, l'amoindrissement  des  débouchés  pour  les  tissus  anglais 
par  la  construction  de  fabriques  indigènes,  tout  l'engrenage  politique 
et  financier  où  l'Angleterre  est  engagée  pour  défendre,  envers  et 
contre  tous,  les  routes  de  l'Inde  :  et  vous  verrez  que  ces  trésors  ne 
sont  pas  si  «  incomparables  »  —  Pour  une  fois  M.  D.  donne  un 
chiffre  :  Il  s'agit  du  Khorassan.  «  Le  chemin  de  fer  projeté  de  Recht  à 
Téhéran  et  Méched  livrerait  aux  Russes  le  monopole  économique 
de  tout  le  Khorassan.  En  un  an,  de  1895  à  1896,  les  importations 
anglaises  à  Méched  sont  tombées  de  8  à  3  millions  de  francs  :  dans 
le  même  temps  l'importation  russe  s'élevait  de  i  à  2  millions  et 
demi.» —  Les  chiffres  ne  sont  pas  bien  gros  et  d'ailleurs  ne  coïnci- 
dent pas  :  n'importe  :  «  Les  Russes  sont  à  tous  égards  de  formi- 
dables ennemis  pour  les  Anglais  ».  —  «  La  Chine  révéla,  dès  qu'on 
y  put  pénétrer,  d'incalculables  trésors  :  ...  la  clientèle  commerciale  de 
plus  de  3oo  millions  d'hommes.  »  Mais  quelle  est  la  puissance  d'ab- 
sorption de  ces  3oo  millions  d'hommes?  Jusqu'ici  elle  a  été  relative- 
ment faible  et  c'est  ce  que  M.  D.  omet  de  constater.  Il  serait  bon  cepen- 
dant de  rappeler  que  les  importations  annuelles  en  Chine  ne  sont  pas 
le  cinquième  de  celles  faites  en  France  —  bien  que  celle-ci  compte 
près  de  dix  fois  moins  d'habitants.  Il  y  aurait  avantage  considérable, 
dans  toutes  les  questions  de  politique  commerciale  internationale,  à 
serrer  de  près  les  réalités  et  à  écarter  les  grands  mots  qui  flattent  des 
préjuges  ou  des  passions  plus  qu'ils  ne  répondent  à  des  faits  saisis- 
sables.  Les  cartes  où  l'on  plante  de  petits  drapeaux  sèment  des  idées 
fausses  :  elles  n'indiquent  que  les  surfaces  géographiques,  et  non  la 


210  REVUE    CRITIQUE 

valeur  des  hommes  ni  des  produits.  Tout  publiciste  sérieux  qui  veut 
faire  de  la  saine  géographie  politique,  doit  réagir  contre  cette  impres- 
sion des  cartes  à  petits  drapeaux  ;  les  petits  drapeaux  peuvent 
engendrer  de  grandes  guerres. 

Celles-ci  sont  la  sombre  inconnue  du  nouveau  siècle,  comme  la 
crainte  de  les  voir  éclater  a  été  depuis  3o  ans  l'anxiété  du  siècle  Hnis- 
sani.  Il  y  en  a  eu  de  sanglantes  dans  ce  laps  de  temps  :  mais  on  n'a 
pas  vu  sévir  celles  qu'on  craignait  le  plus,  et  auxquelles  on  était  en 
quelque  sorte  presque  préparé.  Il  semble  que  l'horreur  des  catas- 
trophes prévues  les  ait  fait  éviter,  tandis  que  d'autres  événements  plus 
inattendus  mettaient  les  armes  aux  mains  des  hommes  et  semaient  le 
deuil  dans  leurs  foyers.  Est-ce  à  dire  que  comme  l'écrit  quelque  part 
M.  D.  «  la  politique  contemporaine  ressemble  à  un  jeu  de  devi- 
nettes ?  »  S'il  l'avait  cru  tout  à  fait,  il  n'aurait  pas  écrit  son  livre.  Mal- 
gré bien  des  incertitudes  sur  l'avenir,  M.  D.  pense,  et  je  pense  avec 
lui,  que  «  l'état  moral  des  sociétés  humaines  sera  dans  un  temps 
donné,  capable  de  modifier  les  relations  des  gouvernements,  de  fonder 
de  nouveaux  rapports  diplomatiques,  de  résoudre  ou  de  supprimer  les 
questions  politiques  en  quoi  consiste  aujourd'hui  la  politique.  »  Il  a 
pour  cela  confiance  dans  l'extension  universelle  de  la  démocratie.  Seu- 
lement il  la  voit  plus  profondément  et  plus  rapidement  transformée 
par  le  socialisme  qu'il  ne  me  paraît  compatible  avec  les  conditions 
nécessaires  de  toute  organisation  politique  et  productive.  M.  D.  est 
un  intéressant  exemple  de  l'influence  qu'exerce  actuellement  sur  un 
grand  nombre  d'intelligences  ouvertes  et  cultivées,  ce  que  j'appellerai 
le  courant  socialiste  universitaire.  Ce  courant  a  son  point  de  départ 
dans  des  ouvrages  dûs  à  des  plumes  normaliennes  brillantes,  notam- 
ment le  livre  de  M.  Ch.  Andler  sur  les  «  Origines  du  socialisme  d'Etat 
allemand  ».  Les  aphorismes  pessimistes  de  cet  auteur  sur  l'injustice 
du  capitalisme,  sur  la  servitude  des  salariés,  analogues  aux  conclu- 
sions du  marxisme,  sont  trop  souvent  acceptés  comme  paroles 
d'Évangile,  sans  aucune  vérification  puisée  dans  les  faits,  et  passent 
pour  des  vérités  démontrées.  On  admet  d'autre  part  que  «  la  terre  est 
assez  riche  pour  suffire  au  bien-être  de  tous  les  hommes  si  l'on  exclut 
des  rapports  des  hommes  l'injustice  et  l'oppression.»  Ce  sera,  écrit-on, 
l'œuvre  propre  du  socialisme  de  faire  cesser  «  les  spoliations  actuelles, 
génératrices  de  misère,  qui  compromettent  la  production.»  Il  y  a  dans 
cette  partie  du  livre  de  M.  D.,  d'autant  plus  saisissante  qu'elle  n'est 
qu'une  digression,  plus  d'intentions  généreuses  que  d'indications  pra- 
tiques. Je  n'en  veux  retenir  que  la  vue  générale,  exacte  dans  sa  géné- 
ralité, d'une  société  future  s'attachant  avec  passion  à  l'exploita- 
tion industrielle  de  la  planète,  ayant  confiance,  pour  la  guider  dans 
cette  exploitation,  aux  enseignements  de  la  science  plus  qu'aux  com- 
binaisons des  politiques  de  profession  ou  qu'aux  prédications  des 
Églises  établies.  L'idéal  St-Simonien  est  là  en  pleine  floraison,  tout 


d'histoire  et  de  littérature  21  j 

en  se  revêtant  d'un  caractère  scientitique  plus  précis  qu'en  i83o. 
M.  Driault  termine  son  livre  par  une  sorte  d'hymne  à  la  science. 
«  La  science,  s'écrie-t-il,  permettra  tous  les  progrès  moraux  et  maté- 
riels de  l'avenir...  Quand  la  sagesse  des  peuples,  plus  instruits  et 
plus  honnêtes,  aura  réglé  les  grands  conflits  qui  les  tiennent  en  armes 
et  en  haines,  la  gloire  sera  de  reculer  les  frontières  de  la  science, 
d'élever  la  conscience  morale  de  l'humanité...  »  Belles  paroles  et 
belles  espérances  dont  il  ne  faut  pas  sourire.  Plus  elles  seront  expri- 
mées ou  partagées  par  un  nombre  croissant  d'hommes,  plus  les 
chances  de  paix  générale  augmenteront  :  car  celles-ci  dépendent  avant 
tout  aujourd'hui  de  l'opinion  et  de  la  volonté  des  peuples. 

Eugène  d'EiCHTHAL. 


Commandant  TouTÉE.  Du  Dahomé  au   Sahara,  La  Nature  et  l'Homme,   avec 
une  carte  hors  texte  en  couleurs.  Paris,  A.  Colin  189g,  xii-272  p. 

Le  commandant  Toutée  ne  s'est  pas  cru  quitte  de  sa  tâche  comme 
tant  d'autres  explorateurs,  «  pour  avoir  parcouru  un  itinéraire  éla- 
boré par  le  département  »  et  hissé  le  pavillon  tricolore  sur  quelques 
postes  du  territoire  du  Niger.  Tout  en  cheminant,  presque  sans 
relâche  («  le  nombre  des  jours  de  marche  est  de  87/100  pour  i3/ioo 
séjours  »),  il  a  eu  l'œil  ouvert  sur  «  la  nature  et  l'homme  »,  et  il  les 
décrit  en  traits  si  précis  et  pittoresques  que  l'on  se  console  à  demi  de 
la  perte  des  clichés  détruits  en  un  accident  de  navigation. 

C'est  d'abord  la  constitution  du  sol  entre  la  côte  et  la  vallée  Nigé- 
rienne, avec  des  zones  successives,  la  Terre  de  Barre,  le  fossé  déprimé 
de  l'Alama  qui  coupe  celle-ci,  la  tranchée  du  Niger  de  Farca  â  Akassa, 
d'une  effroyable  uniformité,  sur  10  degrés  plus  de  3ooo  kilomètres. 
L'auteur  signale  dans  cette  province  africaine  une  véritable  calamité 
géologique,  l'absence  de  calcaire  ou  de  chaux.  «  Peut-être  la  pénurie 
de  phosphate  de  chaux  suffirait-elle  à  expliquer  des  différences  de 
structure  ou  de  développement  cérébral  »  entre  le  noir  et  le  blanc.  Ce 
qui  est  moins  hypothétique,  c'est  que  le  manque  de  cette  matière  si  pré- 
cieuse influe  sur  le  mode  de  peuplement  ;  point  de  demeures  solides 
point  de  monuments  durables,  c'est  là  sans  doute  une  des  causes  de 
l'instabilité  des  occupants. 

Grâce  à  la  célérité  de  sa  marche,  M.  T.  a  perçu  avec  une  singulière 
netteté  la  gamme  des  climats  des  paysages  et  des  cultures  entre  le  golfe 
de  Guinée  et  le  Sahara  ;  c'est  ainsi  qu'il  désigne  comme  point  de 
«  suture  »  entre  pays  équatoriaux  et  pays  tropicaux  l'île  de  Patachi 
la  porte  du  paradis  équatorial  près  d'un  des  rapides  de  Boussa. 

L'on  entend  professer  que  le  nègre  n'a  pas  besoin  de  solliciter  la 
terre  maternelle  et  nourricière  :  M.  T.  atteste  qu'il  faut  que  le  nègre 


212  REVUE    CRITIQUE    D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE 

peine  pour  vivre  tout  comme  un  simple  blanc  et  qu'il  est  capable  au 
même  degré  que  le  blanc,  d'efforts  intelligents  et  de  progrès.  L'agricul- 
teur noir  pratique  une  rotation  culturale,  un  système  d'assolement 
rémunérateur,  et  M.  T.  augure  qu'il  exportera  un  jour  du  grain  et  du 
coton,  des  liqueurs  distillées  de  fruits  sucrés,  dignes  d'enivrer  l'Euro- 
péen —  ce  sera  une  légitime  revanche  —  et  enfin  des  jambons  de 
porcs  engraissés  à  la  banane.  M.  T,  voit  les  beaux  côtés  des  choses 
comme  aussi  des  hommes  ;  il  insiste  plus  volontiers  sur  les  qualités 
que  sur  les  défauts  des  populations  qu'il  a  rencontrées  :  il  vante  la 
vertu  des  Dahoméennes  et  des  négresses  en  général,  moins  faciles 
qu'on  ne  l'a  dit  à  l'égard  du  blanc,  il  trouve  la  justice  nègre  plus 
humaine  que  la  nôtre,  il  prête  même  au  noir  un  besoin  de  connaître, 
de  frayer  avec  ses  semblables  qui  le  pousse  à  d'incessants  voyages. 

M.  T.  apporte  un  argument  à  l'idée  que  l'organisation  sociale  est 
régie  plutôt  par  le  milieu  qu'elle  ne  repose  sur  <(  le  principe  des  natio- 
nalités »  ou  pour  mieux  dire  la  communauté  ethnique.  Tandis  que 
les  races  se  sont  mélangées,  les  cadres  sociaux  se  sont  conservés 
intacts  :  l'absolutisme  au  Dahomé,  la  féodalité  dans  le  Bargou,  etc. 
Les  groupements  politiques  ou  les  principautés  se  laissent  géographi- 
quement  définir.  «  C'est  la  portée  du  commandement  qui  peut  être 
exercé  par  un  seul  homme  ».  Plus  grandes  en  pays  de  plaine,  plus 
petites  en  régions  forestières  ou  nombreuses,  où  la  circulation  est  le 
plus  difficile. 

Ce  qui  donne  du  prix  à  ces  renseignements  dont  nous  ne  mention- 
nons que  quelques-uns,  c'est  qu'ils  sont  originaux  et  procèdent  de 
l'observation  directe  à  laquelle  ne  peut  suppléer  pour  ces  parages  ni 
livres,  ni  manuscrits,  ni  monuments. 

M.  T.  termine  par  les  conseils  obligatoires  aux  explorateurs  et  aux 

colons  :  qu'ils  se  défient  des  traités  d'hygiène  coloniale,  des  conserves 

métropolitaines  et  qu'ils  méditent  les  préceptes  et  les   recettes  que 

M.  Toutée  leur  offre  de  si  bonne  grâce. 

Bertrand  Auerbach. 


Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  38  —  17  septembre  —  1900 


Etrennes  offertes  à  M.  Heibig.  —  Marchot,  Trois  questions  de  philologie  romane. 
—  V.  Henrv,  Lexique  étymologique  du  breton  moderne.  —  iNAMA-StERNKCG. 
Histoire  économique  de  l'Allemagne  dans  les  derniers  siècle  du  moyen-âge.  — 
CuÉLARD,  La  civilisation  française  dans  le  développement  de  l'Allemagne.  '— 
LiND.MEVR,   Le  vocabulaire  de    Luther,  d'Emser  et  d"Eck. 


Strena    Helbigiana  sexagenario    obtulerunt    amici.  Leipzig,  Teubner,  igoo. 
In-4'',  348  pages,  avec  nombreuses  planches  et  vignettes  dans  le  texte. 

Ce  beau  volume  a  paru  fort  à  point.  Hommage  de  savants  de 
toute  nationalité  à  M.  Heibig,  ancien  secrétaire  de  l'Institut  de  Rome 
et  secrétaire  perpétuel  de  l'archéologie  romaine,  il  a  été  mis  en  vente 
au  moment  même  où  cet  éminent  érudit  était  couvert  d'injures  par 
une  certaine  presse  pour  avoir  démasqué  les  procédés  antiscientitiques 
de  M.  Barnabei,  alors  direttore  dei  Scavi,  dans  l'aftaire  des  fouilles 
de  Narce.  Depuis,  la  tempête  s'est  calmée;  M.  Barnabei  a  été  rem- 
placé; de  nouvelles  révélations  ont  appris  au  monde  combien  M.  Hei- 
big avait  eu  raison  et  chacun  s'est  remis  au  travail  ' —  ce  par  quoi, 
peut-être,  il  eût  mieux  valu  commencer. 

Les  éditeurs  de  la  Strena  avaient  demandé  à  leurs  collaborateurs 
éventuels  des  articles  très  courts,  de  3-4  pages.  C'était  une  excellente 
idée  et  une  réaction  bien  opportune  contre  le  bavardage  archéolo- 
gique. La  plupart  ont  tenu  parole  ;  il  y  a  donc  lieu  de  regretter  que 
tout  le  monde  n'en  ait  pas  fait  autant  et  de  blâmer  les  éditeurs  de 
n"avoir  pvas  tenu  la  main  à  ce  que  la  conveittion  proposée  par  eux  fût 
observée. 

Il  n'est  pas  facile  de  donner  une  idée  de  cinquante-sept  mémoires 
qui  apportent  tous  quelque  chose  de  nouveau.  C'est  pourtant  le 
devoir  de  la  critique  de  le  tenter,  au  risque  d'oublier  qu'elle  est  la  cri- 
tique, mais  en  songeant  qu'il  vaut  mieux,  dans  l'intérêt  du  public, 
résumer  dix  articles  que  d'en  discuter  un. 

W.  Amelung,  Chevauchée  d'un  satyre  à  travers  les  vagues.  A  pro- 
pos d'un  groupe  du  Casino  Borghèse  1  Clarac,  707,  1681^,  bien  repro- 
duit à  la  p.  2.  Le  Jonas  de  Sainte-Marie  du  Peuple  est  un  écho  du 
même  motif. 

P.  Arndt,  Alcibiade.  Le  prétendu  Alcibiade  serait  Philippe  II  de 
Macédoine. 

Nouvelle  sérip  L.  38 


2  14  RKVUE    CRITIQUE 

Barracco,  Tctc  de  Mars  ou  de  Runmlus.  Belle  tète,  belle  plan- 
che. 

F.  ^^^  von  Blssing,  Date  des  vases  égéens  dans  les  monticules  de 
débris  de  Kahun.  Appartiendraient  au  début  du  Nouvel  Empire  et  non 
à  la  XI  l^  dynastie. 

.  G.  Bo'issier,  La  première  Catilinaire.  Reconstitution  ingénieuse  de 
ce  discours  perdu  d'après  II  Cat.  6. 

H.  Bulle,  Odysseus  parmi  les  Sirènes.  Vase  corinthien  inédit,  le 
plus  ancien  exemple  connu  de  cette  représentation. 

R.  Càgnax,  Bas-relief  funéraire  d'Aumale  (Algérie).  Tombe  d'un 
beneficiarius,  avec  représentation  curieuse  du  «  mauvais  œil  »  sur  le 
devant  du  socle. 

M.  Co\\\%non,  Lion  funéraire  sur  un  lécythe  blanc  d'Athènes.  Le 
lion,  debout  sur  la  stèle,  est  nourri  par  une  femme.  Inexpliqué. 

G.  di  Petra,  Sur  le  fronton  oriental  du  temple  de  Zeus  à  Olj'mpie. 
Discussion  sur  la  désignation  des  figures.) 

A  Dieterich,  Matris  cena{C\c..,  Epist.^  IX,  i6,  7).  Jolie  explication 
par  Athen.,  11,  44  tY   le  végétarien  Matris. 

A.  von  Domaszewski,  La  cuirasse  de  la  statue  d'Auguste  à  Prima 
Porta.  C'est  Mars  Ultor,  accompagné  de  son  loup,  qui  reçoit  les 
enseignes  des  Parthes. 

L.  Duchesne,  Germia  et  Germo  colonia.  Distinction  de  ces  deux 
sièges  épiscopaux. 

F.  von  Duhn,  Souvenirs  d'un  voyage  en  Sardaigne.,  en  particulier 
de  Tharros.  Long  mémoire,  important  pour  le  commerce  de  Carthage, 
qui  introduisit  dans  l'île  des  céramiques  grecques  dès  le  vi^  siècle. 

H .  von  Fritze,  Les  anneaux  d'or  tnycéniens  et  leur  signif  cation 
religieuse.  Ces  anneaux  seraient  de  fabrication  orientale  et  les  scènes 
qui  y  figurent  se  rapporteraient  à  une  religion  sémitique.  Travail  de 
dilettante, 

A.  Furtwaengler,  Pallas  Albani.  Cette  statue,  admirée  par  Win- 
ckelmann,  puis  disparue,  est  identique  à  l'Athêna  Hope  aujourd'hui  à 
Deepdene,  dont  l'état  civil  avait  été  altéré  par  une  fausse  indication  de 
provenance. 

G.  F.  Gamurrini,  Les  statues  de  la  villa  de  Pline  in  Tuscis. 
C'étaient  les  statues  autrefois  possédées  par  Granius  Marcellus 
(Tacite,  Ann.,  I,  74.) 

B.  Graef,  Tête  d'Hélios  trouvée  à  Rome.  Marbre  colossal  apparte- 
nant à  M.  Hiller  von  Gaenringen  à  Berlin  seconde  moitié  du 
iv*  siècle). 

P.  Hartwig,  Représentation  antique  du  Kat^enjammer.  Sous  ce  titre 
est  décrit  un  vase  attique  acquis  en  Italie  par  M,  Warren  i  Silène 
debout  devant  une  Ménade  assise.  Le  Silène  s'appelle  Xtx'iwo;,  la  Mé- 
nade  Kpa-.raÀT,,  ce  qui  semble  indiquer  à  l'auteur  que  «  la  femme  assise 
est  une  personnification  du  Katzenjammer  ■>.  Credat  Apclla. 


d'histoire    et    DR    LITTÉRATURE  21  5 

F.  Hauser,  Construction  du  mur  de  V Acropole.  Vase  du  Louvre; 
un  géant  porte  des  pierres  sous  la  direction  d'Athéna. 

H.  de  Villefosse,  Sur  la  forme  matérielle  d'un  monument  de  Lam- 
bèse.  Il  s'agit  du  piédestal  de  la  colonne  avec  les  débris  de  l'ordre  du 
jour  d'Hadrien. 

Henriette  Hertz,  Découverte  des  livres  de  Numa,  fresque  de  Jules 
Romain  à  la  villa  Lante.  Publication  d'un  fragment  inédit  de  ces 
peintures,  conservé  dans  une  collection  privée  à  Rome. 

L.  Heuzey,  La  sculpture  à  incrustations  dans  l'antiquité  chai' 
déenne.  «  Antécédents  orientaux  de  cet  art  de  la  toreutique  que  la 
Grèce  n'a  certainement  pas  inventée  de  toutes  pièces.  » 

Hiller  von  Gaertringen,  Masque  d'Héraklès  de  Lindos.  Fragment 
appartenante  l'auteur, 

Chr.  Hiilsen,  Sur  l'architecture  du  forum  de  César.  Notes  sur  le 
temple  de  Venus  Genitrix. 

G.  Kaibel,  Les  fragments  du  livre  d'Héraclide  sur  Athènes.  Publica- 
tion critique  du  texte. 

G.  Karo,  Les  êtres  fabuleux  de  la  vieille  Grèce.  Types  d'animaux 
fantastiques  dans  l'art  corinthien  du  vii^  siècle. 

O.  Kern,  Sur  le  culte  hellénique.  Trois  notes,  l'une  sur  le  «  culte  du 
trône  »  d'après  Reichel,  la  seconde  sur  les  tumulus  de  Thessalie  (con- 
sacrés à  Hermès),  la  troisième  sur  le  mot  "A-7:a;,  désignant  une  fonc- 
tion religieuse  en  Asie-Mineure. 

G.  Kieseritzky,  lasios.  Fragment  d'un  vase  de  Chersonnèse,  où  est 
figuré  lasios  frappé  de  la  foudre  par  Zeus. 

G.  Koertc,  Thésée.,  transformé  en  Héraklès,  devant  Minos  sur  un 
miroir  étrusque.  Curieux  exemple  de  la  confusion  des  mythes  grecs 
sur  les  monuments  de  l'Etrurie. 

F.  Léo,  Le  chapitre  de  Varron  sur  la  fertilité  de  l'Italie.  Edition 
critique  de  34  lignes. 

Ersilia  Lovatelli,  Fragment  dhin  bas-relief  représentant  un  combat 
de  gladiateurs.  La  seule  figure  bien  conservée  serait  celle  d'un 
lanista. 

E.  Lœwy,  Le  pavé  du  temple  de  Zeus  à  Olympie.  La  partie  sombre, 
en  calcaire  d'Eleusis,  avait  pour  but  d'empêcher  que  l'effet  de  la  statue 
de  Phidias  ne  fût  diminué  par  les  reflets  d'un  sol  blanc. 

A.  Mau,  Lieu  de  la  trouvaille  du  Doryphore  de  Naples.  La  statue 
n'était  pas  placée  sur  la  base  de  tuf  dans  le  petit  portique  près  du 
temple  d'Isis  à  Pompei,  mais  par  terre  près  d'une  colonne. 

L.  Milani,  Deux  répliques  inédites  de  la  Vénus  de  Médicis.  L'auteur 
publie  une  réplique  florentine  connue  dès  i  357  (aujourd'hui  à  Chicago) 
et  une  tibule  de  bronze  de  Populonia,  ornée  d'une  statuette  représen- 
tant le  même  motif.  On  aurait  dû  empêcher  M.  Milani  d'attribuer  à 
ceux  qui  s'occupent  de  Praxitèle  le  parti-pris  d'ignorer  ses  décou- 
vertes ;  la  note  où  il  exhale  ses  plaintes  à  ce  sujet  (p.   192)  gâte  un 


2  I  6  REVUE  CRITIQUE 

mcmoire  dont  la  conclusion  est  intéressante  :  la  Vénus  de  Mcdicis 
serait  une  copie  d'un  bronze  de  Praxitèle  transporté  à  Rome  et  détruit 
par  un  incendie  sous  Claude. 

Th.  Mommsen,  Gatta  et  Avista.  Inscription  inédite  d'un  monument 
funéraire  du  iii^  siècle,  en  latin  plébeeien. 

O.  Montelius,  Vase  de  bt'onie  de  travail  italique  trouvé  en  Suède. 
Découverte  de  Bjersjôholm  à  Schoncn  et  autres  analogues 

A.  S.  Murray,  Un  ivoire  mycénien.  Rondelle  trouvée  à  Chypre. 

F.  Noack,  L'opcToOjpr,  dans  le  Megaron  d'Odysseus.  Critique  de  l'ar- 
ticle de  Reichel, /lrc/7.  Epigr.  MzY^/î.,  XVIII  (1895),  p.  6.  L'auteur 
insiste  sur  le  désaccord  entre  le  texte  de  l'Odyssée  et  les  restes  des 
monuments  mycéniens. 

P.  Orsi,  "EpuaTa  ToiY^T^va  |j.opÔEvta.  Exemples  de  boucles  d'oreilles 
répondant  à  cette  désignation  (Helbig,  Hom.  Epos,  p.  271). 

G.  Perrot,  Une  correction  au  texte  de  Pausanias  {III,  12,  10).  Les 
anciens  n'ont  jamais,  quoi  qu'en  dise  ce  texte,  exécuté  des  statues  en 
fonte  de  fer. 

L.  Pigorini,  Instruments  de  musique  des  terramaricoles.  Une  flûte 
en  or  et  une  corne  en  argile. 

L.  PoUak,  Les  années  romaines  de  K.  L.  Fernow.  Publication  de 
deux  lettres  de  Fernow  (1796  et  1797)  à  son  Mécène  le  comte  de 
Burgstall. 

S.  Reinach,  i)e  la  prière  pour  les  morts.  Sources  gréco-égyptienne 
et  orphique  de  cet  usage,  qui  n'a  pénétré  chez  les  Juifs  qu'au  i"  siècle. 

E.  Reisch,  Un  vase  d'enfant  d'Athènes  et  un  lécythe  àfigures  rouges 
de  Gela.  Le  motif  peint  sur  le  lécythe  rappelle  celui  de  la  Vénus  de 
l'Esquilin. 

A.  Riegl,  Portraits  romains  de  basse  époque.  Publications  d'un 
buste  appartenant  à  l'auteur,  avec  un  remarquable  commentaire  sur 
les  caractères  de  l'art  romain  à  son  déclin. 

C.  Robert,  Le  torse  du  Vatican.  Serait  un  Prométhée. 
M.  Rostowzew,  Livie  et  Julie.  Portraits  de  Livie  et  de  Julie  sur  des 
tessères  de  plomb. 

B.  Sauer,  Une  statue  d'Achille.  Il  s'agit  de  Clarac  854  A,  2154  A 
(similigravure  à  la  p.  266.) 

A.  Schiff,  L'inscription  de  Boulos  à  los.  Le  nom  de  Boulos  est  à 
rayer  du  catalogue  des  artistes  ;  l'inscription  est  celle  d'un  tombeau  de 
basse  époque. 

Th.  Schreiber,  Nouveaux  portraits  d'Alexandre.  Utile  classitica- 
tion  des  types,  avec  quelques  exemplaires  nouveaux. 

F.  Spiro,  Un  Alexandrin  disparu.  Ce  disparu  est  le  grammairien- 
poète  Euphorion,  auquel  seraient  dues  les  désignations  traditionnelles 
des  mètres  grecs. 

Eugénie  Strong,  Sur  un  Apollon  de  l'Ecole  de  Calamis.  Publication 
d'une  belle  tête  trouvée  à  Rome  et  aujourd'hui  au  British  Muséum. 


d'histoire  et  de  littérature  217 

J.  Strzygowski,  Villa  Lante.  Histoire  de  la  villa  qu'habite  le  pro- 
fesseur Helbig. 

L.  Traube,  Date  duCodexromantis  de  Virgile  (Vatic.  lat.  3867).  Ce 
manuscrit,  réputé  très  ancien,  n'est  pas  antérieur  au  vi^  siècle. 

H.  Usener,  Formation  jumelle  :  «  Ce  qu'est  dans  le  langage  le  mot 
double  Idvandva),  la  formation  jumelle  Test  dans  la  légende  et  dans 
l'image .  »  Étude  sur  les  dieux  et  les  animaux  à  double  tête  et  sur  les 
images  conjuguées. 

U.  von  Wilamowitz-Moellendorff,  Le  Colosse  manqué.  Ce  «  colosse 
manqué  »,  dont  il  est  question  dans  le  Traité  du  Sublime,  serait  le 
Zeus  de  Phidias,  objet  de  critiques  acerbes  dans  l'antiquité. 

G.  Wissowa,  Observation  sur  les  inscriptions  romaines  relatives  aux 
équités  singulares.  Sur  le  culte  de  Salus  et  de  Félicitas.  ^ 

R.  Wunsch,  Le  départ  de  Rome  à  la  fontaine  Trevi.  Etude  sur  un 
curieux  usage  populaire,  d'après  lequel  une  personne  quittant  Rome 
doit  jeter  une  pièce  de  monnaie  dans  la  fontaine  après  y  avoir  bu. 

Grâce  à  la  générosité  de  MM.  Jacobsen,  Barracco,  Warren  etc.,-  ce 
volume  de  mélanges  a  été  illustré  avec  grand  luxe  ;  il  peut  être  placé 
à  côté  de  la  Festschrift  offerte  à  M.  Benndorf  comme  ce  qu'on  a 
encore  fait  de  plus  beau  en  ce  genre.  En  tête,  figure  la  photographie 
d'un  buste  en  marbre  de  M.  Helbig  ;  on  aurait  préféré  une  photogra- 
phie d'après  l'original,  qui    ressemble   moins  à  Bismarck  et  a   l'air 

«  meilleur  enfant  ». 

Salomon  Reinach. 


Paul    Marchot  :   Essais    d'explication  pour    trois  questions  de    philologie 
romane.  Turin,  H.  Loescher,  1900;  in-8,  de  8  pages. 

Dans  ce  court  opuscule,  extrait  du  vol.  VIH  des  Studi  di  filologia 
roman{a^  M.  Marchot  propose  du  refrain  de  la  plus  ancienne  aube 
connue  [L'alba  part  umet^  etc.)  une  explication  un  peu  différente  de 
celle  qu'en  avait  donnée  M.  Monaci,  et  qui  paraît  assez  plausible.  Il  se 
demande  ensuite  si  le  type  roman  */!autare{en  ancien  h./Iaiiter,  etc.) 
n'est  pas  une  métathèse  d'un  verbe  "fautlare,  formé  sur  une  mélodie 
a,  ut,  la  :  la  principale  objection  à  cette  façon  de  voir,  c'est  que,  les 
noms  de  la  gamme  ayant  été  inventés  vers  le  début  du  xi«  siècle,  le 
verbe  latin  serait  en  tout  cas  de  formation  savante  et  bien  tardive.  — 
Le  plus  important  de  ces  trois  petits  articles,  c'est  assurément  le  pre- 
mier, quoique  rédigé  lui  aussi  d'une  façon  très  sommaire  :  M.  M.  y 
reprend  la  question  de  l'énigmatique  verbe  roman  andare,  cette  ques- 
tion si  souvent  débattue,  toujours  pendante.  Avons-nous  enfin  la  solu- 
tion attendue  ?  Je  n'ose  l'affirmer,  mais  il  est  certain  que  l'explication 
proposée  ici  offre  un  caractère  de  simplicité  assez  séduisant.  Elle  con- 
siste tout  bonnement  à  partir  d'un  type  vulgaire  *antedare  (donner 


2  l8  REVUE  CRITIQUE 

de  l'avant,  avancer,  aller),  qui  se  trouverait  être  en  quelque  sorte  le 
pendant  du  classique prodere.  En  post-scriptum,  M.  Marchot  propose 
en  outre  un  type  se  *adminare  (cf.  le  français  populaire  s'amener] 
pour  expliquer  Tistro-roumain  dmna^  et  admet  décidément  le  participe 
allatus  comme  base  du  français  aller.  Je  serais  d'autant  plus  porté  à 
lui  concéder  ce  dernier  point,  que  j'ai  eu  personnellement  de  longues 
hésitations  à  ce  sujet  :  il  faut  ajouter  du  reste  que  cette  solution  a  déjà 
été  proposée  depuis  longtemps  (voir  le  n"  43  i  du  dictionnaire  de  Kôr- 
ting).  L'objection  provenant  de  la  non  présence  des  deux  /  ialatus, 
alare,  etc.  dans  les  Gloses  de  Reichenau)  n'est  peut-être  pas  invincible  : 
le  participe  currentem,  qui  est  certainement  devenu  de  bonne  heure 
*curente  dans  le  latin  vulgaire  de  la  Gaule,  n'offre-t-il  pas  lui  aussi,  une 
réduction  un  peu  analogue?  Bref,  tout  cela  est  intéressant  et  mérite 
d'être  pris  en  sérieuse  considération. 

E.    BOURCIEZ. 


Victor  Henry.  Lexique  étymologique  des  termes  les  plus  usuels  du  breton 
moderne.  Rennes,  Plihon  et  Hervé,  1900;  xxix-35o  p.  gr.  in-8  ^Bibliothèque 
bretonne  armoricaine  publiée  parla  Faculté  des  Lettres  de  Rennes,  III). 

Une  amicale  communication  de  M.  Henry  m'ayant  appris  la  pro- 
chaine apparition  de  ce  livre,  je  l'attendais  avec  une  impatience  où,  à 
la  curiosité  scientifique,  se  joignait  le  désir  d'être  fixé  sur  ce  point  : 
l'œuvre  nouvelle  allait-elle  être  définitive,  et  me  dispenser  d'en  ache- 
ver une  du  même  genre,  que  je  garde  depuis  longtemps  sur  le  chan- 
tier? Le  titre  même  du  Lexique,  en  se  restreignant  aux  termes  les 
plus  usuels,  indique  que  le  champ  reste  libre  à  bien  des  recherches 
complémentaires;  car  les  ressources  verbales  du  breton  moderne  sont 
très  dispersées,  tant  dans  les  textes  écrits  que  dans  les  parlers  actuels. 
Quant  à  savoir  s'il  y  aura  lieu  de  reprendre  même  les  problèmes 
dont  s'est  occupé  M.  Henry,  la  question  ne  peut  être  décidée  qu'après 
un  examen  attentif  de  l'ouvrage  que  la  direction  de  la  Revue  critique 
a  bien  voulu  me  confier  l'honneur  et  la  tâche  délicate  de  présenter  ici 
au  monde  savant. 

La  lexicographie  bretonne  est  semée  de  pièges  subtils  ;  l'auteur  a  su 
généralement  s'en  garer,  dans  l'établissement  de  sa  nomenclature 
moderne.  Je  n'ai  guère  de  réserves  à  faire  que  sur  les  mots  :  abevlec'h, 
transcription  adoucie  du  bret.  moyen  abeuffrlech  par  H.  de  la  Ville- 
marqué,  qui  a  donné  la  référence  ;  amouka  qui,  s'il  existait,  serait 
*amouga,  voir  Ztschr.f.  celt.  Philol.,  11,  5o6;a«A',  cf.  Rev.  ce/f.,XIX, 
332;  deûi,  kefn,  formes  imaginées  par  Le  Pelletier;  digouéga,,  cf. 
Mém.  Soc.  ling.,  X,  340  ;  boulas,  bourgeon,  lisez  boulas  par  /  mouillé 
(=  langued.  bouias,  boulhas^  grande  mare,  cf.  bouio,  boulho  renfle- 
ment, boutons,  pustules  à  la  tête»  Mistral;  franc,  bouillon,  en  terme 


d'histoire  et  de  littérature  219 

de  vétérinaire)  \giiltan^  lis.  giiltan  par  n  nasal,  forme  vannetaise,  voir 
Rev.celt.,  VII,  3  10,  3ii  \Ztschr.,  II,  SgS.  La  mention  de  ce  dialecte 
manque  à  ankoé,  arg-oiired,  ave\  bourboiiten  blaireau  (de  bourboutein 
grogner,  murmurer,  pris  au  v,  fr.  boiirbeter  barboter,  murmurer), 
karvek,  frougadeî,  gloiiecli,  serein,  rosée  (mot  qui,  par  conséquent, 
répond  en  gall.  à  gwlitli  et  non  kgivlych).  Lire  a^-Jleu^  leih,  v.  alfô, 
leii;  sulyein  brûler  à  demi,  v.  sii\a.  —  Goumon  goémon,  qualifié  de 
«  vieilli  »,  existe  sous  diverses  formes  dialectales,  voir  Journ .  des  Sav., 
août  1897,  p.  495. 

La  liste  serait  autrement  longue,  des  méprises  relatives  au  bret. 
moyen  ;  et  pourtant,  il  est  beaucoup  plus  facile  d'être  exact  sur  ce 
point.  Le  mal  vient,  en  grande  partie,  de  ce  que  M.  H.  n'a  pas  pris 
garde  à  la  distinction  observée  dans  mon  Glossaire  moy.  bret.,  entre 
les  mots  attestés  avant  le  xvii«  siècle  et  ceux  que  diverses  inductions 
permettent  seules  de  faire  remonter  à  cette  époque,  sous  une  forme 
parfois  plus  archaïque.  Voici,  pour  la  lettre  a,  les  anachronismes  qui 
sont  résultés  de  cette  inadvertance  :  ae\en  (mod.)  ;  hallaff  [la.  date  de 
cette  forme  est  douteuse)  ;  amgros,  lis.  mod.  amgroas  [amgros  est 
gallois  ;  le  m.  br.  aagroasefin,  augrosent)  ;  ampafalek,  pafaîa,  mod.; 
ctidennec  sombre  (c'est  le  van.  cudennêc)  ;  arhme,  arsuMf  (van.).  — 
M.  br.  caffun,  lis.  caliun,  mod.  ciiffiin  ;  caffon,  lis.  caffou  ;  erer  aigle, 
lis.  er;  giiei  sauvage,  lis.  goue\;  guinfher,  lis.  guiu/her.  Abardae^^ 
soii-;,  est  qualifié  gratuitement  de  «  mot  très  ancien  »  :  il  ne  se  trouve 
ni  en  vieux  bret.  ni  dans  aucune  autre  langue  celtique,  et  les  deux 
étymologies  rapportées  sont  déclarées  inadmissibles.  J'en  avais  pro- 
posé une  autre,  qui  reste  soutenable  sous  cette  forme  nouvelle  :  le  m. 
br.  abreitidahei  est  un  dérivé  en  -e\  d'un  verbe  signifiant  «  il  se  fait 
tard  >),  proprement  «  il  est  grand  temps»,  de  abret,k  temps;  la  va- 
riante rare  abardahe^  qui  a  fini  par  évincer  l'autre  (à  cause  de  la  spé- 
cialisation de  abret  au  sens  opposé  «  assez  à  temps  »,  «  tôt,  de  bonne 
heure  »),  est  due  à  l'influence  d'un  mot  * pardei\,  fin  du  jour,  com- 
posé comme  le  haut  bret.  parbatte,  fin  du  battage,  et  devenu  inverse- 
ment lui-même  par Jae^.  La  formation  nouvelle  abretdahe^  a  suppléé 
d'abord,  puis  complètement  évincé  l'ancien  correspondant  armori- 
cain du  gall.  iicher,  v.  irl.  fescor,  etc.  —  Coiihat  est  m.  br.,  trii- 
caraiic  et  ui  {v.  vi)  v.  gall.  Lire  m.  br.  cre/^  craie,  v.  kleii  2;  gall. 
angeu,  v.  ankou.  Le  v.  irl.  ciad-^  v.  kudon,  est  une  mauvaise  lecture 
"poux  fiad-  fW.  Stokes;.  Lire  gaul.  Belatucadros^x.  kaer  \  Ilevvooutvôoi;, 
v.  penn  (oy  étant  consonne  ne  pouvait  porter  l'accent). 

L'auteur  a  trop  rarement,  à  mon  avis,  mentionné  avec  références 
les  étymologies  antérieures  qu'il  n'adopte  pas.  Goulten  fanon,  rap- 
porté au  fr,  collet,  paraît  devoir  au  moins  quelque  chose  à  goule, 
comme  on  peut  le  voir  Gloss.  m.  br.,  v.  goultrenn.  Il  est,  d'ailleurs, 
naturel  de  s'y  reporter  ;  mais  combien  de  lecteurs  s'aviseront  de 
chercher  au  mot  neff  du  même  ouvrage,  un  complément  indispen- 


2  20  REVUE  CRITIQUE 

sable,  sinon  une  rectification,  à  Part,  arné  d\i  Lexique  ?  Que  les  nou- 
velles hypothèses  sur  baskik^  goiirélin,  soient  ou  non  préférables  à 
celles  de  Isi  Rev.  ce/f.,  XVIII,  241;  XVI,  190,  n'est-il  pas  toujours 
plus  sûr  de  comparer,  avant  de  décider?  Une  plus  large  part  faite  à 
la  littérature  du  sujet  eût,  en  outre,  facilité  au  lecteur  les  inoyens  de 
consulter  l'historique  et  les  variantes  dialectales  des  mots  précédem- 
ment étudiés,  ce  qui  est  essentiel  pour  l'appréciation  d'étymologies 
exposées  sommairement.  Elle  eût  empêché  l'auteur  de  présenter 
comme  inédites  certaines  explications,  telles  que  celles  de  damant 
{Gloss.,  142),  distrounka  [Rev.  celt.,  XI,  365  ;  remplacée  d'ailleurs, 
Gloss.,  664),  mil\in^  plarik,  poc'han,  stambouc'ha  {Gloss.,  71,  497, 
5oi,  430  et  648;  649).  Sans  doute  aussi  elle  l'eût  fait  revenir  sur  plus 
d'une  opinion  trop  absolue  ;  quand,  par  exemple,  il  condamne  tacite- 
ment des  tentatives  d'explication  comme  celles  de  aven,  voir  le  Dic- 
tionnaire étym.  du  bret.  moy.  qui  suit  mon  édition  du  Mystère  de 
sainte  Barbe,  p.  218  ;  glesker,  gn'esklé,  Ztschr.,  II,  394,  395  ;  louad, 
Rev.  ceît.,  XVI,  223  ;  ou  quand,  deux  étymologies  étant  déjà  émises, 
il  ne  tient  compte  que  de  la  première  :  aloubi,  voir  Annales  de  Bret., 
XIV,  528;  keûsteûren,  besken,  la\oiit,  Gloss.,  60,  747,  746;  en  em, 
Rev.  celt.,  VIII,  36-46;  Loth,  Chrestom.  Bret.  475,  476;  gô, 
Ztschr.,  II,  392  ;  reûstla,  Rev.  celt.,  XIX,  200-202  ;  lorsque  enfin, 
à  une  ancienne  étymologie  concordant  avec  la  phonétique  et  l'histoire 
de  la  langue,  il  en  substitue  une  autre  qui  n'a  pas  le  même  avantage, 
du  moins  jusqu'à  preuve  du  contraire  ;  telles  sont  celles  de  anaoué, 
diskoue\a,  cf.  Rev.  celt.,  VIII,  34,  35;  XIX,  199;  anoiied,  ansaô, 
Gloss.,  3o-32;  araou\,  arvest,  benndk,  libistr  ',  Me'm.  Soc.  ling.,  XI, 
92,  93;  107;  327-339;  106;  ave';  davéein  (cf..  v.  fr.  avei  chemin, 
route;  aveier,  aveer,  mettre  sur  la  voie,  conduire,  yoir  Ztschr.,  II,  5 10); 
be{a,  mont  (conjug.),  diyuana,  goiilc'her,  hôgan,  nîch,  trichen,  Dict. 
étym.,  V.  oiiff,  aff,  diuan  (gall.  dychwyn  se  monxo'w), gourcher,  lic- 
guen  I,  nigal,  ihouchenn  ;  klei^  3,  klisia,  kujen,  diel,  diribin,  hoc'ha, 
iski\,  stonn,  strùbinel,  sulbéden,  torpe\,  treski^,  Gloss.,  262,  607, 
552,  691,'  574,  191,  229,  698,  665,  637,  677,  557  et  717;  kraoua- 
den,  Ztschr.,  II,  boo;jalod,  saotr,  Ann.  de  Br.,  XIV,  556,  558, 
559;  saragére\,  Dict.  étym.,  374,  Gloss.,  592. 
Je  ne  veux  pas  dire,  ce  qui  serait  bien  ingrat  de  ma  part',  que  M.  H. 

I.  L'auteur  rapproche  libistr,  boue  de  gléb  mouille;  mais  l'origine  germanique 
du  mot  est  confirmée  par  le  normand  du  Bessin  liboudcù,  gluant,  visqueux  (3/t?'m. 
Soc.  ling.,  IV,  i56),  qui  rappelle  surtout  le  breton  liboudcù,  femme  sale.  L'hypo- 
thèse d'un  g  initial  tombé  ne  peut  nullement  s'appuyer  sur  lé^oii  :  ce  mot,  où  le 
Lexique  voit  un  pluriel  de  gla{,  glas,  répond  au  limousin  /;  laissa,  etc.,  voir  Ann. 
de  Bret.,  XV,  547,  548. 

3.  Je  n'ai  pas  tiré  ae^en  du  basque  ai^e,  mais  supposé  un  emprunt  commun  au 
fr.  aise  (d'où  «  rafraîchissement  »,  puis  «  vent  rafraîchissant  »).  L'art,  grullu  pour- 
rait me  faire  attribuer,  sur  l'origine  de  l'argot  grelu  blé,  une  opinion  que  j"ai  com- 
battue, R.  Celt.,  XV  360.  Sur  :jôken,  voir  Gluss.  628,  G29,  63 1. 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTERATURE  22  1 

n'ait  point  cité  ceux  qui  se  sont  aventurés  avant  lui  sur  ce  terrain  dan- 
gereux de  l'étymologie  bretonne.  Bien  des  fois  aussi  il  a  su  choisir 
judicieusement  entre  leurs  opinions  divergentes,  et  attribuer  à  cha- 
cune ce  qu'elle  contient  de  vraisemblance,  ou  de  vérité  partielle.  Il  est 
juste  d'ajouter  que  même  dans  cette  portion  de  son  œuvre  où  il  n'était 
guère  possible  qu'il  fût  original  pour  le  fonds,  il  a  rendu  à  la  science 
des  services  très  appréciables,  ajoutant  à  des  étymologies  connues  un 
détail  important,  comme  la  comparaison  de  glin  avec  l'angl.  to  kneel ; 
exposant,  en  d'autres  cas,  des  vues  ingénieuses  sur  les  évolutions 
sémantiques  probables  (malheureusement,  en  pareille  matière  le  vrai 
n'est  pas  toujours  le  plus  vraisemblable);  ou  enfin  traçant,  avec  une 
sobre  élégance,  le  tableau  des  affinités  qui  lient  tel  mot  breton  à  ses 
congénères  indo-européens. 

Parmi  les  étymologies  qui,  autant  que  j'en  puis  juger,  se  produisent 
pour  la  première  fois  dans  ce  livre,  il  n'en  manque  point  qui  tiennent 
suffisamment  compte  des  lois  phonétiques  constatées  et  des  conditions 
historiques  de  la  langue,  pour  qu'on  doive  y  voir,  au  moins,  des  trou- 
vailles très  dignes  d'attention  ;  par  exemple  ;  deok  de  *  decavmn  d'après 
octavum  ;  ejenn,  ags.  êad  ;  hiron,  fr.  Hiiron  ;  horden,  v.  fr.  se  hoiir- 
der  ;  peiireiâ,  h.  lat.  *  perolia  pour  peloiida  ;  serc'h  =  *  sterg-  -j- 
*  serk-  ;  spéô,  fr.  cépeau  (cepiaii,  s'piau,  serrure  de  bois,  entrave  de 
bois,  dans  le  Vocab .  du  Haut-Maine  du  comte  de  Montesson)  ;  strûj^ 
ang.  to  stnit,  etc.  Aussi  est-il  permis  d'affirmer,  à  l'encontre  de  la 
trop  modeste  déclaration  de  l'auteur,  p.  xiii,  que  ce  volume  appren- 
dra bien  des  choses  nouvelles,  et  est  propre  à  mieux  qu'à  «  stimuler 
quelques  curiosités  ou  à  rafraîchir  quelques  souvenirs  ». 

Je  ne  crois  pas  cependant  que  dans  ces  étymologies  nouvelles,  don- 
nées d'ailleurs  souvent  pour  de  simples  conjectures,  le  certain  ou  le 
probable  l'emporte  sur  le  reste.  Sans  essayer  d'établir  à  cet  égard  une 
statistique  dont  il  faudrait  justifier  trop  longuement  les  bases,  je  don- 
nerai quelques  exemples  des  raisons  qu'on  peut  faire  valoir  contre 
plusieurs  de  ces  explications,  qui  ne  sont  pas  toujours  des  moins 
remarquables  par  la  science  ou  l'ingéniosité.  Comme  l'a  dit  M .  G.  Paris 
(Af.  Soc.  Ling.  i  291,  292),  «  en  étymologie,  si  on  ne  met  pas  du  pre- 
mier coup  le  doigt  sur  le  point  juste,  on  s'égare  souvent  d'autant  plus 
qu'on  est  plus  ingénieux  et  plus  érudit  ». 

Il  y  a  de  ces  étymologies  qui  sont  incompatibles  avec  des  formes 
bretonnes  plus  anciennes  ;  ainsi  pour  crrw^tîii,  treiijen,  m.  br.  anuoat, 
treungenn ;  ou  avec  des  faits  phonétiques  certains  :  diboiifa  ne  se  rat- 
tache pas  à  Oî//",  ni  le  van.  déouiein  à  déou  (léon.),  voir  R.  Celt.  xxi 
I  38,  i  39  ;  ell  ne  saurait  venir  de  e\el,  ni .  br.  esel.,  ni  liiré  paresse  de 
le:{irek,  du  m.  br.  lesir,  Gloss.  2>6g,  cf.  plutôt  luro  leurre  ;  lâche,  pares- 
seux en  Limousin,  Mistr.  ;  poitevin  lure  manie,  Lalanne  ;  ni  lurel 
bande,  ligature  (des  enfants  au  maillot)  de  lisière  :  c'est  le  v.  fr.  lurelle 
langes,  lorrain  id.  braie,  linge  pour  envelopper  les  enfants,  voir  Ann. 


222  REVUE    CRITIQUE 

deBret.,  XV,  548,  549.  Ou  bien  l'opposition  provient  des  autres 
langues  celtiques.  Malgré  gôr-hesk,  qui  est  dû  à  une  étymologie  popu- 
laire, hesked  tient  solidement  à  l'irl.  uescôit,  gaél.  iieasgaid.  L'expli- 
cation de  lusen  2,  premier  lait  d'une  vache  par  ttjo;  se  heurte  à  l'irl. 
w«5,  tant  qu'on  n'aura  pas  trouvé  en  cette  langue  des  n-  prothéti- 
ques  ;  on  pourrait  sauver  cette  étymologie  en  admettant  qu'un  ancien 
irl.  *iiSQ.  subi  l'influence  analogique  de  nûadh  nouveau. 

Souvent  la  difficulté  est  de  savoir  à  quel  idiome  demander  la  clef  de 
certains  mots  bretons  :  au  breton  lui-même,  ou  à  ses  congénères  cel- 
tiques, ou  à  quelque  parent  plus  éloigné?  ou  bien  faut-il  admettre  un 
emprunt  au  latin,  au  germain,  au  français?  Et  lors  même  que  le  cher- 
cheur a  la  chance  d'être  sur  la  bonne  voie,  il  y  est  encore  harcelé  par 
maintes  questions  accessoires  d'étymologie  populaire  et  de  contami- 
nation analogique,  capables  de  tenir  en  échec  les  lois  phonétiques  les 
plus  sûres. 

L'analyse  des  formations  bretonnes  ne  paraît  pas  toujours  heureuse. 
Pérdk^  m.  hr.  perac,  doit  être  abrégé  âeperac  abec  pour  quelle  cause, 
perac  tra  pour  quelle  chose.  Padal  {pa-dal,  deGoësbriand,  Fables  20, 
bas  van.  pedal  Bar\.  Br.  344)  =  pa  dal  «  quand  il  vaut  »,  d'où  «  cela 
étant  »,  «  bien  que  cela  soit  »,  cf.  m.  br.  nedel  bichanoch  «  quominus». 
Pempii,  quintefeuille,  m.  hw  pempes=  pemp  \b)is  cinq  doigts.  DiroII, 
m.  br.  dyrolU  vient  de  roll ;  moulbenni  depenn.  Moucha  couvrir  le 
visage  a  été  extrait  de  mouchouer  mouchoir  pris  au  sens  de  «  bandeau 
pour  les  yeux  »,  comme  au  jeu  de  colin-maillard.  Forc'hein  sevrer 
vient  de  difoi'hein  séparer,  Gloss.^  166;  je  crois  que  ranvel  sersin 
[R.  Celt.  IV  i65)  vient  de  même  de  diranva  égrener,  =  v.  fr.  deramer 
déchirer,  démembrer,  ital.  diramare  éhrsLUchQv.  Dorlôi  doit  être  anté- 
rieur à  l'armoricain,  cf.  Ztschr.  11  40 1 .  Jàtôrel  goitre  n'est  pas  un  com- 
posé breton,  mais  vient  de  *  joterel  =  poitevin  jotteriaux  gonflement 
des  amygdales,  Lai.  ;  bas-angoumoisinjô^rd  oreillons,  Rousselot,  Les 
modificat.  phonét.  du  lang.  405.  L'explication  de  torlosken  par  «  brû- 
lure du  ventre  »  a  contre  elle  cette  observation  de  D.  Le  Pelletier,  que 
les  Bretons  «  ne  connoissent  point  la  punaise  domestique,  mais  seu- 
lement la  champêtre  »  (cf.  Rev.  Celt.  m  236  ;  Ann.  de  Br.  xiv  532-534). 
—  Ar  ne  peut  être  l'article  dans  armerc'h  (cf.  gall.  annerthu)  ;  dar- 
grei\  [kreii  est  masc).  Dianvéai  est  un  doublet  de  diavéa:{,  et  klei- 
\en  I  de  dlei^en.  Ce  n'est  pas  au  franc,  qu'est  due  l'addition  d'un  r 
dans  lorbein,  voir  Ann.  de  Br.  xiv  548.  Butum  vient  de  butun,  cf. 
fortumm  fortune  l'A.;  etc. 

Sur  la  finale  de  béôtei,  berje{,  voir  i?.  Celt.  vi  389;  sur  celle  de 
biorc'h,  ibid.  xvii  234,  235  ;  Gloss.  36-;  il  faut,  je  crois,  ajouter  lan- 
dourclien,  en  petit  Tréguier  «  femme  de  grande  taille  et  indolente  », 
qui  se  rattache  au  fr.  lendore,  cf.  Kpj—xoix  vi  3  i .  Patcled  bavette  n'est 
pas  un  dérivé  breton  de  patte  mais  un  emprunt  au  v.  fr.  patelette 
petite  patte;  bande  d'étoffe.  Kava\a  insulter,  tiré  du  m.  br.  cavall  (lis. 


d'histoire    et   de   littérature  2  23 

canal)  roussin,  vient  du   v.   fr.  caviller  plaisanter,  railler;  langued. 
caviha,  cavilha  chicaner,  critiquer  ;  agacer,  railler. 

Hinnôa  (forme  douteuse),  ou  plutôt  hinnôal  braire  ne  vient  pas  de 
hinnire.  Le  Nomenclator  de  i633  donne,  p.  2x5,  hinnoal^  ober  hin~ 
-no,  litt.  «  braire,  faire  hi-han  »  ;  le  P.  Grégoire  hinnoal  part,  hinnoët 
id.,  hinnod  action  de  braire,  hinnôd  m.  Le  Gon.  ;  celui-ci  voit  là, 
avec  raison,  une  onomatopée.  Cf.  anc.  fr.  hin  Iian,  portug.  en  â  !  enô  ! 
(Rolland,  Faune  pop.),  allem.  y-a,  d'où  le  werhe  yanen. 

Kefiniant,  expliqué  par  le  latin,  est  plutôt  celtique,  cf.  Gloss.  bij\ 
de  même  oglen.cï.  van.  aiigleenn  et  aiiguenn  rutoir  Gr.,  voir  Gloss. 
200,  201.  Mi:^  2,  m.  br.  mis,  est  le  fr.  mise.  Sourin,  regardé  comme 
celtique,  est  sans  doute  le  v.  fr.  soiilin,  solin,  sollin  rez-de-chaussée, 
etc.,  picard  seulin  poutre,  solive,  fr.  solin  intervalle  entre  les  solives. 
De  même  pour  tarval  (goujon,  cheville  de  bois  qui  joint  les  jantes 
d'une  roue,  Gr.),  du  v.  fr.  tarevelle  tarîère,  taravelle  outil  de  forge- 
ron, cf.  langued.  taravello,  dauph.  tarvello  billot,  bâton  court  pour 
tourner  le  moulinet  d'une  charrette.  Sur  mell  2,  cf.  Gloss.  402. 

Des  étymologies  populaires  paraissent  admises  beaucoup  trop  faci- 
lement ;  entre  autres  v.  dislévi,  édrô,  raoulin  (note),  foeltr  (cf.  R. 
celt.,  XIX,  324).  Palouer  brosse  est  une  variante  de  parouër  «  paroir, 
boutoir  »,  «  plane  »,  Gr.,  du  h.  paroir  («  lame  pour  gratter  les  pièces 
à  étamer  »,  Littré)  ;  cf.  poitevin  parour  m.  «  espèce  de  peigne  ou  de 
brosse...  dont  se  servent  les  tisserands  »,  Lai. 

Atersein  s'informer,  rapporté  à  adresser,  se  rattache  au  v.  fr.  enter- 
cier  mettre  en  main  tierce  ;  séquestrer,  saisir;  revendiquer,  réclamer; 
rechercher.  Lomber  [lombèr  lucarne  Gr.,  lomber,  loumber  Roussel 
ms.,  aussi  loiiber,  Pel.),  mal  expliqué  également  Gloss.  3-3,  est  le  v. 
fr.  loubier,  non  traduit  par  Godefroy,  mais  toujours  usité  en  ce  sens 
à  Poitiers  (cf.  ab.  Lalanne,  Gloss.  du  pat.  poit.,  1868).  Loakr 
louche,  m.  br.  loacr,  loagr,  doit  tenir  au  toulousain  lugre  id.  ;  pitoul 
friand  au  lim.  pitouei,  dauph.  pitouel,  gascon  putoï,  petoï  putois; 
terme  d'injure  (bordelais  pitoch,  petouch,  cf.  bret.  pitouch  drôle  de 
corps,  Gloss.  493).  Sivellen  surfaix  est  le  v.  fr.  civelle,  bande  de  cuir, 
sangle,  cf.  Gloss.  667  ;  tatina  railler,  le  v.  fr.  tatiner  tâter,  presser 
légèrement;  tripoter,  battre,  norm.  id.  bavarder,  chuchoter,  dauph. 
tatin  coup,  etc.  ;  tinel,  tente,  le  fr.  tinel  salle  basse  où  les  domestiques 
mangent  dans  une  grande  maison,  Lit.  ;  langued.  tinèl  cuvier;  réfec- 
toire d'un  couvent  ;  en  Guienne,  préparation  du  repas,  Mistr.  ;  tint 
étai,  chantier,  le  langued.  tind,  tindou,  tenon,  id.  ;  à  vagane'ein  s'éva- 
nouir, comparez  prov.  vaganàri  coureur  de  champs,  v.  fr.  vagant 
errant,  inconstant;  s.  m.  vagabond,  débauché;  valgoriein  balbutier 
=  *  vagori-,  angl.  vagary  caprice,  fantaisie,  anciennement  to  vagarie 
errer,  cf.  v.  fr.  vagarant\  vagabonds,  angl.  vagrants,  l'addition  de  / 
est  amenée  par  Vr  suivant  (cf.  la  seconde  partie  de  mon  étude  sur 
V Epenthèse  des  liquides  en  breton.,  dans  les  Annales  de  Bretagne). 


2  24  REVUE    CRITIQUE 

Mais  il  est  temps  de  conclure.  Tout  en  témoignant  de  louables 
efforts,  le  Lexique  est  venu  trop  tôt  pour  pouvoir  être  une  œuvre 
définitive  dans  son  ensemble.  Elle  ne  l'est  que  pour  certaines  parties. 
J'aurais  pu  insister  davantage  sur  celles-ci,  dont  ne  manquera  de  tenir 
compte  aucun  travail  sérieux  sur  la  même  matière;  le  nom  de  l'auteur 
Jouit,  à  bon  droit,  d'une  si  haute  autorité,  en  des  domaines  linguis- 
tiques voisins,  que  j'ai  cru  plus  utile  aux  progrès  de  la  science  de 
signaler  surtout  les  points  les  plus  faibles  d'un  ouvrage  estimable  par 
lui-même,  et  attachant  aussi  par  les  conditions  où  il  s'est  produit. 
M.  H.  a  déclaré  d'avance,  p.  ix,  que  ni  l'indulgence  ni  «  la  juste  sévé- 
rité »  de  la  critique  ne  sauraient  intîuer  sur  la  direction  ultérieure  de 
ses  études  ;  s'étant  fait  de  la  Bretagne  une  autre  petite  patrie,  il  a 
voulu  lui  payer  sa  dette  d'affection,  mais  il  croit  le  moment  venu  de 
retourner  au  dialecte  alsacien  de  sa  terre  natale.  Il  est  à  souhaiter  que 
cette  seconde  tâche  patriotique,  dont  aucun  Français  ne  sera  tenté  de 
le  distraire,  ne  lui  fasse  pourtant  pas  perdre  entièrement  de  vue  la 
première  ;  et  que  plus  tard  il  veuille  bien  à  son  tour  critiquer  ici- 
même  l'ouvrage  qui,  suivant  la  voie  tracée  par  lui,  viendra  prochaine- 
ment, je  l'espère,  faire  concurrence  à  son  Lexique. 

Emile  Ernault. 


Deutsche  Wirtschaftsgeschichte  in  den  letzten  Jahrhunderten  des  Mittelal- 
ters  von  D'  Karl  Theodor  von  Inama-Sternegg.  Band  I.  Leipzig,  Duncker  u.  Hum 
blet,  1899,  XIII,  454  p.  8»  Prix  :  i5  fr. 

L'histoire  économique  de  l'Allemagne  pendant  les  derniers  siècles 
du  moyen  âge  forme  le  troisième  volume  du  grand  ouvrage  consacré 
par  M.  de  Inama-Sternegg,  professeur  honoraire  à  l'Université  de 
Vienne,  à  l'histoire  du  développement  économique  du  Saint-Empire 
romain  depuis  ses  origines.  A  vrai  dire,  l'auteur  remonte  bien  plus 
haut  encore,  car  le  tome!  delà  Deutsche  Wirtschaftsgeschichte  débute 
par  le  tableau  des  temps  primitifs  de  l'antique  Germanie.  Esquissant 
d'abord  à  grands  traits  des  tableaux  sommaires,  qui,  forcément  em- 
pruntent à  la  conjecture  et  à  l'hypothèse  une  partie  de  leur  coloris  et 
de  leurs  contours,  il  aborde  un  terrain  plus  propice  en  entrant  dans 
l'ère  carolingienne  où  déjà  les  lois,  les  coutumes,  les  traditions,  plus 
nombreuses  et  plus  fidèlement  transmises  jusqu'à  nous,  donnent  au 
récit  des  contours  plus  arrêtés,  sans  empêcher  pourtant  que,  là  encore, 
bien  des  faits  ne  restent  vagues  et  bien  d'autres  inconnus.  En  arrivant 
à  Tcpoque  du  moyen  âge  proprement  dit,  dans  le  second  volume  de 
l'ouTragCjle  récit,  grâce  à  l'abondance  des  documents  qui  se  rencontrent 
désormais  un  peu  partout,  change  d'allure;  au  résumé  succinct  des 
quelques  faits  généraux,  seuls  connus,  se  substitue  un  tableau  riche 
en  détails,  qu'on  a  peine  à  maintenir  dans  le  cadre  où  se  pressent  les 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  22  D 

matériaux  qui  déjà  surabondent.  Cependant  le  développement  écono- 
mique est  encore,  à  peu  près  partout,  sensiblement  le  môme.  Mais 
cette  uniformité  relative  change  avec  le  xu'^  et  le  xiii*  siècle.  Dans  le 
troisième  volume,  qui  nous  retrace  le  situation  économique  de  l'Em- 
pire dans  la  seconde  moitié  du  moyen  âge,  le  narrateur  voit  sa  tâche 
se  compliquer  par  le  développement  de  plus  en  plus  divergent  des 
divers  territoires,  et  par  le  fait  que  la  quantité  des  documents  inédits 
ou  déjà  publiés,  cartulaires,  urbaires,  cadastres,  rotules  colongers, 
édits  territoriaux,  règlements  municipaux,  etc.  est  si  considérable 
qu'on  ne  peut  qu'y  faire  un  choix,  lequel  risquera  toujours  d'être  trop 
individuel  et  par  là  même  incomplet. 

M.  de  I.  S.  a  divisé  cette  première  moitié  de  son  troisième  volume 
—  la  seconde  suivra  bientôt  —  en  quatre  chapitres.  Le  premier  nous 
présente,  pour  ainsi  dire,  la  carte  économique  de  l'Allemagne  d'alors 
et  la  statistique,  très  approximative  s'entend,  de  sa^population  ;  il  nous 
montre  cette  dernière  continuant  sa  grande  évolution  migratoire  vers 
l'est  et  le  nord-est,  alors  qu'au  sud  elle  est  terminée  dès  le  xii«  siècle. 
Vers  la  Prusse,  vers  la  Pologne,  vers  la  Hongrie  même,  l'expansion 
colonisatrice  continue,  si  bien  qu'il  se  fonde  encore  400  villes  au 
xiii«  siècle  et  3oo  au  siècle  suivant  '.  Le  second  chapitre  nous  rappelle 
rapidement  les  modifications  diverses  qui  se  sont  produites  dans  les 
différentes  couches  sociales  durant  la  première  moitié  du  moyen  âge. 
Là  aussi  le  mouvement  s'est,  dirais-je  volontiers,  cristallisé  vers  la  fin 
du  XII'  siècle.  La  société  du  moyen  âge  est  désormais  immuable  dans 
sa  dure  et  hautaine  hiérarchie,  qui  va  du  puissant  seigneur  territorial 
au  pauvre  paysan  taillable  et  corvéable  à  merci.  L'auteur  appuie,  à 
bon  droit,  sur  cette  dégradation  matérielle  et  morale  des  populations 
agricoles,  qui  après  avoir  vu  au  xiii«  et  auxiv«  siècle,  une  amélioration 
notable  de  leur  sort,  sont  au  xv^  victimes  d'exactions  croissantes,  aux- 
quelles elles  commencent  à  répondre  par  de  nombreuses  jacqueries. 
Si  le  paysan  décline,  la  bourgeoisie  des  villes  se  forme  et  s'élève,  cons- 
tituant une  puissance  économique  nouvelle.  Nous  étudions  leur 
constitution  économique  et  politique,  les  groupes  bientôt  hostiles  des 
bourgeois  de  la  cité,  patriciens  et  gens  des  métiers,  l'initiation  des 
villes  à  la  vie  politique,  leur  importance  financière  croissante  etc. 

Letroisième  chapitre  est  consacré  tout  entierà  la  propriété  foncière  ; 
l'auteur  nous  montre  comment  elle  se  partage  et  comment  elle  est 
administrée.  Une  série  de  paragraphes  nous  parlent  des  domaines  de 
l'Empire,  dont  de  faibles  débris  existent  seuls  encore  au  xiv<:  siècle; 
des  possessions  des  grands  seigneurs  territoriaux,  d'étendue  fort  iné- 
gale ;  des  terres  appartenant  aux  évêques  et  au  clergé  régulier,  en  dimi- 


I.  Au  xv"^  siècle,  c'est  à  peine  s'il  vient  s'y  ajouter  encore  une  centaine  de  fonda- 
tions nouvelles.  Seulement  il  ne  faut  pas  oublier  que  beaucoup  de  ces  villes  res- 
tèrent insignifiantes.  M.  de  I. -S.  estime  que  l'immense  majorité  d'entre  elles  ne  dé- 
passe guère  1, 200-1, 5oo  âmes. 


2  20  REVUE    CRITIQUE 

nution  notable  vers  la  rin  du  moyen  âge  ;  de  celles  qui  sont  entre  les 
mains  de  la  petite  noblesse,  et  dont  le  nombre  augmente  par  contre, 
tant  au  dépens  des  grands  territoires  qu'à  ceux  des  paysans.  L'auteur 
étudie  aussi  bien  les  possessions  urbaines,  banlieue,  forêts  etc.  ;  que  la 
propriété  des  classes  agricoles,  de  nature  si  variée,  appartenant  tantôt  à 
l'individu  isolé,  tantôt  exploitée  par  l'activité  commune  et  qui,  sous  les 
noms  les  plus  divers,  est  de  plus  en  plus  chargée  par  les  pouvoirs 
civils  et  religieux. 

Le  quatrième  chapitre  enfin  traite  de  la  production  du  sol  et  de  la 
façon  dont  s'en  partagent  les  revenus.  M.  de  L  S.  y  traite,  entre  autres 
des  rapports  entre  les  seigneurs  et  les  serfs,  les  propriétaires  et  les 
fermiers;  il  expose  l'exploitation  des  champs,  des  vignobles,  des 
forêts,  les  procédés  agricoles,  l'élève  du  bétail;  il  nous  dit  ce  qu'on 
peut  savoir  d'à  peu  près  certain  sur  l'organisation  des  salaires  —  ce 
n'est  pas  encore  grand  chose  —  et  montre  une  fois  de  plus,  quel  far- 
deau croissant  les  dîmes,  les  rentes,  les  impôts,  les  corvées  (qui 
s'étendent  finalement  Jusqu'au  service  militaire)  imposent  aux  popula- 
tions rurales,  vers  la  fin  du  moyen  âge. 

Le  livre  de  M.  de  Inama-Sternegg  n'est  pas  précisément  d'une  lec- 
ture facile  ;  bien  qu'écrit  avec  une  lucidité  parfaite  de  style,  il  parti- 
cipe forcément  de  la  sécheresse  qu'un  lecteur  un  peu  superficiel 
reprochera  toujours  à  un  traité  de  droit  et  d'économie  politique,  et 
c'est  bien  un  traité  de  ce  genre  que  l'auteur  a  voulu  écrire,  et  non  pas 
une  histoire  de  la  civilisation  allemande  au  moyen  âge.  On  pourrait 
désirer  sans  doute  qu'il  eût  égayé  çà  et  là  l'austérité  de  ses  déductions 
juridiques  et  de  ses  tableaux  statistiques  par  quelque  trait  de  mœurs 
emprunté  à  ses  sources,  par  quelques  détails  plus  vivants  s'appliquant 
à  des  localités  précises  et  définies  et  non  pas  seulement  à  des  catégories 
abstraites.  Mais  à  cela  l'on  peut  répondre  qu'on  ne  lit  pas  un  ouvrage 
pareil  pour  s'amuser  et  que  sa  belle  et  sévère  ordonnance  est  précisé- 
ment l'un  de  ses  grands  mérites.  Souhaitons  seulement  que  l'auteur 
avance  dorénavant  un  peu  plus  vite;  une  pareille  histoire  économique 
de  l'Allemagne  pour  le  xvi^  et  le  xvii^  siècle  est  un  desideratum  si 
impérieux  de  la  science  actuelle  qu'il  faut  insister  auprès  du  savant  le 
plus  capable  de  nous  la  fournir,  pour  qu'il  ne  nous  la  fasse  pas 
attendre  trop  longtemps  '. 

R. 

I.  N'oublions  pas  de  mentionner  les  22  appendices  de  notre  volume  qui  nous 
fournissent  des  données  statistiques  sur  la  population  urbaine  de  l'Allemagne  au 
moyen  âge,  sur  les  impôts  payés  dans  certaines  villes  au  xiii*  siècle,  sur  les  reve- 
nus de  quelques  couvents  de  Bavière  et  de  Westphalie,  sur  les  tarifs  d'ouvriers 
agricoles  payés  dans  l'Allemagne  du  Sud  et  en  Saxe  au  xv<=  siècle,  etc.  —  J'ignore 
quelles  peuvent  être  les  deux  villes  de  France,  mentionnées  avec  Paris  et  Troyes 
comme  étant  visitées  par  les  négociants  de  Constance  auxiii*  siècle  (p.  17);  l'auteur 
les  appelle  Prufis  et  Laeni.  Serait-ce  Provins  et  Lagny  ? 


d'histoire  et  de  littérature  227 

Raoul  Chélard,  La  civilisation  française  dans  le  développement  de  l'Alle- 
magne (moyen  âge).  Paris,  Société  du  Mercure  de  France,  1900,  358  p.  in-8". 
Prix  :  7  fr.  5o. 

C'est  un  livre  intéressant  que  celui  de  M.  Chélard,  par  cela  même 
qu'il  n'est  pas  écrit  par  un  savant  de  cabinet,  mais  par  un  homme  qui, 
évidemment  a  vu  pas  mal  de  pays,  a  voyagé  souvent  et  résidé,  soit  en 
Allemagne,  soit  en  Autriche,  en  observant  les  hommes  et  les  choses, 
et  qui  d'ailleurs  a  l'esprit  ouvert,  à  la  façon  de  l'éminent  et  regretté 
Léon  Sav,  auquel  notre  ouvrage  est  dédié.  Son  volume  est  écrit  avec 
une  certaine  verve,  et  si  la  science  y  est  parfois  un  peu  sujette  à  cau- 
tion, lui  venant  de  seconde  ou  de  troisième  main,  ses  convictions  sont 
absolument  sincères  et  l'on  n'y  trouve  aucune  trace  de  ce  chauvinisme 
méprisant  et  vulgaire  qui  aurait  pu  facilement  se  glisser  et  même 
s'étaler  dans  un  sujet  de  ce  genre.  M.  C.  professe  une  estime  sérieuse 
pour  les  races  germaniques;  il  reconnaît  que  c'est  le  sang  germain  qui 
a  «  reconstitué  »  la  société  ;  sans  lui,  dit-il,  le  vieux  monde  eut  infail- 
liblement péri,  «  avant  tout,  et  y  compris,  la  Gaule  ». 

Avec  tous  ces  mérites  je  ne  suis  pas  bien  sûr  que  ce  tableau  de  la 
civilisation  française  et  de  son  développement  en  Allemagne,  plaira 
beaucoup  dans  les  cercles  d'outre-Rhin.  Personne,  assurément,  n'y 
conteste,  parmi  les  auteurs  sérieux,  la  part  considérable  d'influence 
que  la  civilisation  occidentale  a  exercée  pendant  des  siècles  sur  la  Ger- 
manie barbare  du  moyen  âge,  mais  on  n'est  pas  habitué  à  la  désigner 
du  mot,  absolument  inexact  avant  le  x^  siècle,  de  civilisation /;•««- 
caise  ;  on  n'est  surtout  pas  disposé  peut-être  à  s'entendre  répéter,  avec 
une  conviction,  fort  éloquente  si  l'on  veut,  mais  un  peu  énervante 
aussi,  à  force  d'insister,  que  tout  ce  qu'on  a  pensé,  fait  et  chanté  n'est 
qu'un  écho  de  l'action  et  de  la  pensée  voisines,  qu'on  fut  une  annexe 
sauvage,  un  hinterland  (le  mot  y  est)  de  la  France  mérovingienne  et 
carolingienne,  et  qu'après  '(l'exotisme  othonien  »,  il  fallut  attendre 
que  la  France  fut  capable  de  développer  une  nouvelle  activité  céré- 
brale, pour  que  l'Allemagne,  elle  aussi,  put  sortir  de  «  la  matérialité 
bestiale  »  qui  l'avait  envahie  tout  entière. 

Nous  n'aurions  pas  à  nous  préoccuper  ici  de  cette  disposition  de 
certains  lecteurs  si,  pour  le  fond,  nous  étions  entièrement  d'accord 
avec  l'auteur  ;  mais  la  vérité  incontestable  de  sa  thèse,  restreinte  pru- 
demment dans  certaines  limites,  n'empêche  pas  qu'on  ne  sente,  dans 
la  façon  outrancière  dont  il  la  déduit,  une  exagération  manifeste,  dan- 
gereuse même  pour  la  cause  qu'il  défend.  Cette  exagération,  je  la 
trouve  en  premier  lieu  dans  le  titre  même  du  livre,  et  je  m'en  expli- 
querai tout  d'abord.  «  Nul  esprit  cultivé  n'ignore  que  la  France  a 
rendu  d'énormes  services  à  la  civilisation  du  monde  entier.  »  C'est  le 
début  de  l'ouvrage  de  M .  Ch.  et  nul,  je  pense,  ne  refusera  d'y  sous- 
crire. Mais  ce  que  nul  esprit  cultivé  ne  peut  ignorer  davantage,  c'est 
que  toutes  les  nations  tant  soit  peu  civilisées  qui  ont  successivement 


2  28  REVUE    CRITIQUE 

dominé  sur  notre  globe  ont  transmis  à  des  races  encore  incultes  cette 
civilisation  qui  se  modifie  sans  cesse.  Les  Grecs  n'ont  été  que  les 
héritiers  de  l'Egypte  et  de  l'Asie;  ils  ont  été  les  maîtres  de  Rome,  et 
ce  que  nous  avons  donné  à  l'Allemagne  du  moyen  âge,  c'est  un  bien 
faible  reflet  de  la  civilisation  antique,  ravivé  par  le  flambeau  nouveau 
du  christianisme,  qui  nous  venait  également,  tout  entier,  du  dehors. 
Depuis  nous  avons  reçu  nous-mêmes  de  l'Italie  du  xv«  siècle  le  culte 
et  la  révélation  de  Part;  de  FAllemagne  du  xv^  siècle,  le  plus  puissant 
engin  de  la  culture  intellectuelle,  l'imprimerie  ;  de  l'Angleterre  du 
xvii"  et  du  xvin«  siècle,  les  formes  de  notre  vie  politique,  encore  bien 
peu  développée;  nous  devenons,  en  ce  moment  même,  de  plus  en 
plus  tributaires  de  l'Allemagne  contemporaine  et  même  de  l'Amé- 
rique, pour  notre  industrie  et  notre  sustentation  matérielle.  Il  y  a 
donc  une  circulation  continuelle  de  services  reçus  et  rendus  de 
peuples  à  peuples  et  il  serait  absurde  de  revendiquer  pour  aucune  na- 
tion du  globe  une  espèce  de  primauté  perpéiuelle  vis  à  vis  des  autres, 
en  fait  de  civilisation.  Il  n'est  pas  permis  davantage,  je  crois,  à  l'his- 
torien, pour  peu  qu'il  se  pique  d'exactitude,  d'attribuer  à  la  civilisation 
d'aucune  d'elles  une  originalité  telle  que  les  nations  étrangères  n'en 
seraient  qu'un  pâle  reflet,  alors  que  pourtant  cette  civilisation,  spé- 
ciale à  chacune  d'elles,  se  compose  d'apports  inégalement  em- 
pruntés aux  époques  les  plus  reculées  et  aux  régions  les  plus  loin- 
taines. 

Mais  si  l'on  n'a  pas  le  droit,  au  point  de  v.ue  de  la  philosophie  géné- 
rale de  l'histoire,  de  mettre  uniquement  à  l'actif  de.  la  France,  tous  les 
éléments  de  civilisation,  transmis  à  travers  ses  frontières,  à  la  Germa- 
nie orientale,  on  a  moins  encore  le  droit  de  parler  d'une  civilisation 
française,  dans  ces  quatre  ou  cinq  premiers  siècles  du  moyen  âge,  où 
la  France,  et  tout  ce  qui  la  constitue  comme  entité  nationale,  n'exis- 
tait pas  encore.  Il  n'y  a  pas  de  France  sous  les  chefs  mérovingiens  ; 
il  n'y  a  pas  de  France,  sous  ceux  que  M.  G.  appelle,  Dieu  sait  pour- 
quoi, «  les  Carolins  »;  il  y  a  un  empire  franc,  dont  les  meneurs  sont 
essentiellement  germains,  et  la  civilisation,  très  relative  d'ailleurs, 
qu'ils  transmettent  à  leurs  compatriotes  d'outre-Rhin  est  romano- 
chrétienne  et  n'a  rien  de  spécifiquement/"r^;jç<ï/5  '.  Ce  n'est  que  sous 
la  troisième  race  que  naît  enfin  la  conscience  d'une  nationalité  nou- 
velle et  encore  le  grand  mouvement  des  croisades,  mouvement  reli- 
gieux et  cosmopolite  s'il  en  fût,  doit-il  intervenir  pour  mélanger  les 
peuples,  rapprocher  entre  elles  les  hautes  couches  sociales  de  chacun 

1 .  Pour  prendre  un  exemple  bien  frappant  dans  l'histoire  contemporaine,  vien- 
drait-il à  l'idée  d'un  historien  de  prétendre  que  le  prodigieux  bouleversement  du 
Japon  qui  s'est  produit  sous  nos  yeux,  est  le  fruit  d'une  civilisation  anglaise,  fran- 
çaise ou  américaine?  Elle  est  le  résultat  de  l'importation  de  la  civilisation  eiéro- 
pc'enne,  c'est-à-dire  de  l'ensemble  des  idées  et  des  inventions  modernes  qui  cons- 
tituent \e  fond  commun  des  nations  à  la  tin  du  xix'  siècle. 


d'histoire  et  de  littérature  229 

d'entre  eux  et  créer  cette  société  chevaleresque  du  second  moyen  âge, 
qui  se  développe  en  effet  tout  d'abord  en  France  et  de  là  fait  la  con- 
quête de  l'Europe  tout  entière  et  notamment  aussi  de  l'Allemagne 
impériale  et  chrétienne.  A  partir  de  ce  moment,  mais  de  ce  moment 
seulement  on  peut  parler  à  bon  droit  de  l'influence  de  la  civilisation 
française  sur  l'Allemagne. 

En  résumant  ainsi,  d'une  façon  forcément  écourtée,  notre  manière 
de  voir  sur  la  matière  traitée  par  M.  Chélard,  nous  avons  indiqué 
d'avance  sur  quels  points  nous  nous  séparons  de  lui  et  sur  quels  points 
nous  sommes  d'accord.  Des  trois  livres  de  son  ouvrage  le  premier 
traite  de  la  période  mérovingienne,  le  second  de  la  période  carolin- 
gienne, le  troisième  enfin  de  la  période  capétienne.  Nous  ne  songeons 
pas  à  nier  que  dans  les  deux  premières,  une  puissante  influence  civili- 
satrice ne  se  soit  fait  sentir  sur  les  peuplades  germaniques  des  deux 
côtés  du  Rhin,  toujours  plus  forte  à  travers  les  siècles,  toujours  en 
marche  de  l'occident  vers  l'orient.  Mais,  dans  les  premiers  siècles, 
cette  influence  est  purement  ecclésiastique.  Elle  s'exerce  par  l'entre- 
mise de  missionnaires,  nullement  français  pour  la  plupart,  mais  irlan- 
dais et  anglo-saxons,  et  quand  l'auteur,  pour  répondre  à  cette  objection 
qui  ne  laisse  pas  d'être  embarrassante  pour  sa  thèse,  nous  affirme  que 
ces  moines  furent  «  une  espèce  de  légion  étrangère  ecclésiastique,  au 
service  des  rois  francs  »,  il  se  met  en  opposition  flagrante  —  pour  les 
premiers  siècles  du  moins  —  avec  les  faits  historiques.  C'est  en  fuyant 
la  cour  et  la  sphère  d'influence  des  rois  d'Austrasie,  c'est  en  oppo- 
sition avec  l'épiscopat  franc,  que  les  grands  missionnaires  du  vi''  et 
vu*  siècle,  ont  pénétré  dans  les  solitudes  des  Vosges  et  de  la  Forêt 
Noire  ;  si  plus  tard  ils  ont  été  englobés  dans  la  hiérarchie  de  l'empire 
franc,  cela  n'a  pas  été  sans  une  sourde  mais  tenace  résistance,  et  il 
fallut  l'énergie  des  Pépin  le  Bref  et  des  Charlemagne,  l'habileté  de 
S.  Boniface,  l'appui  du  Saint-Siège  dont  l'influence  s'accentue  déplus 
en  plus,  pour  faire  de  ces  légionnaires  une  milice  momentanément 
obéissante  au  pouvoir  séculier  de  cette  dynastie,  foncièrement  germa- 
nique d'ailleurs  '.  Quand  M.  Ch.  écrit  que  «  Boniface  a  su  mettre  la 
clef  de  voûte  à  l'œuvre  de  la  civilisation  allemande,  depuis  longtemps 
préparée  par  la  France  »,  il  commet  un  double  anachronisme;  S.  Boni- 
face  n'avait  cure  de  la  civilisation  ;  ce  qu'il  a  voulu,  ce  qu'il  a  fait, 
c'est  donner  la  Germanie  chrétienne  mais  hiérarchiquement  indé- 
pendante, à  la  papauté  et  la  France  n'a  rien  pu  préparer  de  semblable, 
pour  la  simple  raison  qu'elle  n'existait  pas  à  ce  moment. 

Plus  tard,  sans  doute,  bien  plus  tard,  l'influence  française  fut  for- 

I .  M.  Ch.  n'a  pas,  ce  me  semble,  une  idée  bien  nette  de  l'activité  de  ces  moines 
missionnaires,  qui  parcouraient  la  Germanie  «  animes  d'un  profond  mépris  pour 
les  langues  tudesques  »  ;  s'iniagincrait-il  par  hasard  qu'ils  prêchaient  aux  païens 
de  Frise  ou  de  Saxe  en  langue  romane  vulgaire  ou  en  latin  ? 


2  3o  REVUE    CRITIQUE 

tement  marquée  par  toute  rAllemagne,  celle  du  sud  et  môme  celle  du 
nord  ;  après  les  premières  croisades,  la  réforme  monastique  de  Cluny, 
Tépanouissement  de  la  chevalerie,  la  prépondérance  de  la  littérature 
épique  française,  donnent  un  cachet  exotique  particulier  aux  classes 
dominantes  du  Saint-Empire  romain  germanique.  Mais  là  encore, 
l'auteur  gâte  l'effet  de  ses  démonstrations  par  l'exagération  manifeste 
qu'il  donne  à  certaines  vérités.  Qu'on  lise  par  exemple  ce  qu'il  dit 
(p.  258-268)  de  l'action  exercée  par  les  religieux  de  Cluny  :  «  L'Alle- 
magne enfoncée  dans  un  chaos  d'idées  mal  assises,  se  montra  réfrac- 
taire,  malgré  les  assauts  furieux  que  la  jeune  communauté  réformatrice, 
dans  sa  fièvre  d'expansion,  livrait  à  l'esprit  germanique...  Par  un  coup 
de  génie  les  Pères  vinrent  résoudre  le  problème  ;  Cluny  se  mit,  pour 
ainsi  dire,  dans  une  peau  allemande,  et,  sous  cet  avatar,  put  traverser 
triomphalement  les  forets  de  Germanie...  Par  tous  les  pores...  le 
corps  germanique  pouvait  ainsi  s'imprégner  du  génie  français  \  .. . 
Pas  un  hameau,  pas  une  forêt  où,  soit  des  moines  français,  soit  des 
moines  allemands,  sujets  des  maisons  françaises,  n'élevassent  un  cou- 
vent comme  un  monument  à  la  gloire  de  la  France... .  En  parcourant 
les  chroniques  allemandes  de  l'époque,  à  chaque  instant,  le  nom  de  la 
France  est  relevé,  souligné,  comme  quelque  chose  de  supérieur..  » 
Quel  dommage  qu'aucun  des  passages  si  curieux  de  toutes  ces  chro- 
niques ne  soit  cité  dans  une  note!  Comme  on  aurait  étonné  l'excellent 
diplomate-évêque,  Othon  de  Freising,  en  lui  apprenant  qu'il  «  répan- 
dait à  pleines  mains  l'esprit  et  le  génie  français  »  et  que  son  collègue 
dans  l'épiscopat,  Everard  de  Bamberg,  et  tant  d'autres,  étaient  de 
zélés  «  propagateurs  des  idées  françaises  en  Germanie  »  !  Aussi  «  leur 
manière  de  penser  détonnait-elle  sur  le  fond  de  Tintellectualité  alle- 
mande »,  ce  qui  ne  laisse  pas  d'étonner  un  peu  puisque  l'auteur  affir- 
mait plus  haut  que  les  évêques  et  les  abbés  allemands  du  moyen-âge, 
étaient  la  plupart  du  temps,  soit  Français  d'origine,  soit  élevés  en 
France. 

La  même  exagération  se  retrouve  dans  le  tableau  de  la  société 
chevaleresque  du  moyen  âge.  Admettons  encore  «  que  dès  la  fin  du 
XIII*  siècle  tout  Allemand  qui  se  respecte  singe  les  Français  »  ;  admet- 
tons qu'il  «  n'est  guère  de  château  de  quelque  rang  qui  ne  renferme 
son  instituteur  et  son  institutrice  français  »,  mais  protestons  tout  au 
moins  quand  on  nous  affirme,  confondant  sans  doute  le  xiii^  et  le 
xviii*  siècle,  qu'au  temps  de  Philippe  de  Souabe  et  de  l'empereur  Fré- 
déric II,  «  les  châteaux  allemands  regorgent  de....  cuisiniers  et  de 
coiffeurs  français.  »  Demandons  aussi  quelque  preuve  tout  au  moins 
de  l'assertion  que  la  "  gallomanie  »  se  répandit  alors  «  dans  la  classe 
moyenne  et  même  dans  le  bas  peuple .  » 

Il  y  aurait  encore  mainte  observation  de  détail  à   présenter,   par 

I .  C'est  nous  qui  soulignons. 


d'histoire  et  de  littérature  23  I 

exemple  sur  le  lableau  de  la  littérature  allemande  au  moyen  âge;  on 
pourrait  être  tenté  de  défendre  la  pauvre  nonne  Hrotsuit  d'avoir  écrit 
«  des  drames  fort  lestes  »,  alors  qu'elle  croyait  naïvement  avoir  écrit  des 
pièces  morales-  pour  l'édification  des  pensionnaires  de  son  couvent; 
on  pourrait  exprimer  un  léger  doute  sur  l'existence  de  ce  «  réseau 
d'écoles  «  dont  le  clergé  des  Gaules  avait  couvert  le  pays  »  et  qui 
étaient  de  '<  véritables  écoles  primaires  »  etc.  Mais  nous  ne  voulons 
pas  avoir  l'air  de  chercher  chicane  à  l'auteur  sur  des  points  d'aussi  peu 
d'importance  en  définitive.  Ce  que  nous  aurions  désiré  aussi,  c'est, 
de  lui  voir  consacrer  un  peu  plus  de  temps  à  la  révision  de  son  style. 
Le  volume  de  M.  Ch.  est  écrit,  nous  l'avons  dit,  d'une  plume  alerte 
et  déliée,  mais  un  peu  négligente  parfois.  Nous  signalerons  comme 
exemple  cette  «  première  église  de  Hambourg  sacrée  par  ordre  de 
Charles  »  ;'p.  204)  ;  nous  n'aimons  guère  «  une  vie  intellectuelle  refé- 
condée .)  .'p.  430)  et  nous  ne  comprenons  pas  bien  ce  que  faisait  Théo- 
dulf  quand,  il  s'occupait  à  «  réinstituer  quantité  de  vieux  manuscrits  » 
(p.  1 82).  Nous  comprenons  moins  bien  encore  une  métaphore,  comme 
celle  de  la  p.  27,  où  les  évèchés  et  abbayes  d'outre  Rhin  deviennent 
(^  des  pores  par  lesquelles  le  corps  germanique  aspirait  la  vieille  civili- 
sation latine....  que  la  société  gallo-franque  lui  avait,  pour  ainsi  dire, 
mâchée. . ..  »  '. 

Nous  avons  parlé  plus  longuement  de  cet  ouvrage,  d'abord  parce 
que  le  sujet  en  lui-même  est  intéressant,  que  l'auteur  a  pris  quelque 
peine  à  en  réunir  les  éléments  épars  et  qu'il  l'a  rédigé  avec  une  entière 
bonne  foi  et  sans  intentions  «  tendencieuses  »  comme  disent  les  cri- 
tiques allemands;  mais  nous  avons  voulu  montrer  aussi,  nous 
l'avouons,  en  soulignant  ses  défauts,  combien  l'exagération,  même  très 
sincère,  d'une  thèse  fort  juste  dans  certaines  limites,  peut  faire  de  tort 
au  but  poursuivi  en  provoquant  des  protestations  légitimes  et  peut- 
être  plus  tard  des  exagérations  en  sens  contraire.  Nous  souhaitons 
vivement  qu'il  évite  cet  écueil  dans  son  second  volume  '. 

R. 


1.  11  aurait  aussi  été  fort  désirable  que  l'auteur  adopte  un  système  d'ortho- 
graphe fixe  pour  les  noms  propres,  au  lieu  de  mélanger  les  formes  germaniques, 
latines  et  françaises  modernes  presque  à  chaque  page. 

2.  Nous  joignons  ici  une  petite  liste  de  corrigenda,  notés  au  cours  de  notre  lec- 
ture et  qu'il  serait  facile  de  doubler: 

P.  25,  lire  Loeher  au  lieu  de  Hoelier.  —  P.  119  lire  Schiittem,  Xemviller,  Sarre- 
bourg  au  lieu  de  Schutteu.  Xeuvillcrs,  Saarbiirg.  —  P.  198,  lire  la  Lamvcrs  au  lieu 
de  Lainvers.  —  P.  216,  1.  Xova  au  lieu  de  Xitova.  —  P.  217,  1.  Saint-Vit  au  lieu  de 
Saint-Veit.  —  P.  228.  un  même  personnage  s'appelle  Titiilon  et  Tutilon  à.  la  page 
suivante.  —  P.  23  (,  lire  Jnséplic  au  lieu  deJoseplius.  —  P.  255,  lire  Gandersheim  au 
lieu  Gandersheim.  —  P.  2^2,  1.  Blaitbeucrn  au  lieu  de  Blaubenern.  —  P.  2G4,  I.  Ilfeld. 
au  Ueu  de  I  If  éd.—  P.  2S1  ,\.Wencestas  au  lieu  de  VVe«^e/.— P.  284. 1. /l"^/u'i7  au  lieu 
de  Autlieii.  —  P.  287,  on  voit  paraître  un  Electeur  de  Bade  qui  n'existe  qu'après 
la  paix  de  Lunéville  (1801).  —  P.  3o2,  1.  Maricustadt  au  lieu  deMarientsadt.  — 
P.  3  10,  1.  Parcifal  et  Scliuli;;  au  lieu  de  Pacifal  et  Shult^.  —  P.  3  18.  1.  Hauscn  au 
lieu  de  Hansen. 


232  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

Der  Wortschatz  in  Luthers,  Emsers  und  Ecks  Uebcrsetzungdes  «  Neuen  Testa- 
ments. »  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  neuhochdeutschen  Schriftsprache,  von 
Dt  Bernh.  Lindmevr.  Strasbourg,  Trûbner,  1899.  In-8",  106  pp.  2  mark  5o. 

On  sait,  par  le  témoignage  d'Eck  lui-même,  qu'il  s'est  servi  pour 
sa  traduction  de  la  Bible,  parue  à  Ingolstadt  en  153-,  de  la  version 
faite  avant  lui  par  Emser,  qui  s'est  très  souvent  inspiré  de  la  traduc- 
tion du  Nouveau  Testament  publiée  en  i522  par  Luther.  M.  Lindmeyr 
s'est  proposé  d'étudier,  au  point  de  vue  du  vocabulaire,  les  relations 
qui  existent  entre  ces  trois  versions,  complétant  ainsi  les  recherches 
faites  par  M.  Kluge  dans  son  important  ouvrage  :  Von  Luther  bis 
Lessing  '3^  éd.  Strasb.,  1897).  M.  L.  démontre  qu'Eck  n'a  pas  utilisé 
l'édition  originale  d'Emser,  mais  une  des  nombreuses  réimpressions 
de  cette  œuvre,  soit  celle  qui  a  été  révisée  par  Dietenberger  en  1529, 
soit  une  réédition  de  cette  dernière.  M.  L.  caractérise  ensuite  :  1°  la 
traduction  d'Emser  ;  2°  la  révision  de  ce  texte  faite  par  Dietenberger, 
3°  le  remaniement  d'Eck.  11  recherche  pour  chacun  de  ces  textes  la 
cause  des  modifications  apportées  au  vocabulaire  et  met  ainsi  en 
lumière  les  divergences  qui,  au  point  de  vue  de  Tusage  et  du  sens  des 
mots,  séparaient  l'Allemagne  du  Nord-Est  de  l'Allemagne  du  Sud- 
Ouest.  A  ces  études,  M.  L.  a  Joint  un  lexique  étendu  (p.  34-106)  où 
sont  examinés,  le  plus  souvent  avec  reproduction  du  contexte,  les 
mots  qui  dans  les  versions  d'Emser  et  d'Eck  diffèrent  de  ceux  qu'a 
employés  Luther.  Le  livre  de  M.  Lindmeyr  contient  d'utiles  rensei- 
gnements. Il  sera  bien  accueilli  de  tous  ceux  qu'intéresse  l'histoire 
des  origines  du  haut-allemand  moderne. 

F .  Piquet. 


Le  Propriétaire- Gérant  :   Ernest  LEROUX, 


Le  Puy,  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 

N°  39  —  23  septembre  —  1900 


Stevenson,  Robert  Grosseteste.  —  Claassen,  Le  paysan  suisse  au  temps  de  Zwin- 
gle.  —  Polenton,  La  Catinia,  p.  Skoarizzi.  —  L'Aretin,  Le  pronostic  de  i534,  p. 
Luzio.  —  Brandi,  La  Renaissance.  —  Bknrath,  Giulia  Gonzaga.  —  Reymond,  La 
sculpture  florentine,  IV.  —  Osgood,  La  mythologie  de  Milton.  — Saski,  Campa- 
gde  de  i8og,  II.  —  Dedem,  Mémoires.  —  Stieve,  Etudes  et  conférences.  —  Mur- 
ray.  L'évolution  de  la  lexicographie  anglaise.  —  Lechner,  La  Haute  Engadinc.  — 
BiGONi,  Une  carte  de  i325.  — Bauch,  Melanchton  et  l'Universiié  de  Wittemberg. 
La  Servikre,  Jacques  I  et  Bellarmin.  —  Pfister,  Le  journal  du  libraire  nancéen 
Nicolas.  —  Horric  de  Beaucaire,  Instructions  aux  envoyés  français  envoyés  en 
Savoie-Sardaigne.  —  Guillois,  Les  bibliothèques  de  Napoléon.  —  Clausewitz, 
i8i3-i8i4,  trad.  Thomann. —  Tourneux,  Table  de  l'amateur  d'autographes  et 
notice  sur  Etienne  Charavay.  —  Barroux,  Les  sources  de  l'ancien  état  civil  pa- 
risien. —  Skidkl,  Les  collections  d'art  prussiennes. 


Francis  S.  Stevenson.  Robert    Grosseteste,  Bishop    of   Lincoln  Londres.   Mac- 
miilan  1899.  348  pp.   10  S. 

Les  Anglais  mettent  souvent  au  nombre  des  précurseurs  de  la 
Réforme,  avant  Wycliff  et  les  Lollards,  Robert  Grosseteste,  évêque  de 
Lincoln.  M.  Stevenson,  membre  du  Parlement  d'Angleterre,  vient 
d'écrire  une  biographie  de  ce  prélat  que  nous  allons  résumer  en 
quelques  lignes. Fils  d'un  pauvre  fermier  du  Suffolk,  Grosseteste  étudia 
à  Oxford,  devint  chancelier  de  l'Université  puis  évêque  de  Lincoln,  et 
mourut  fort  âgé  en  i523.  On  l'appela  longtemps  Saint-Robert  de 
Lincoln,  mais  le  Saint-Siège  ne  ratifia  jamais  cette  canonisation  popu- 
laire. Son  contemporain  et  ami,  Roger  Bacon,  après  l'avoir  comparé 
à  Salomon,  Aristote  et  Avicenne,  déclare  que  «  personne  ne  savait 
mieux  que  lui  les-sciences  à  cause  de  sa  longue  vie  et  de  son  expérience, 
autant  que  de  son  application  et  de  son  zèle.  »  Il  avait  appris  le  grec. 
Un  rabbin  d'Oxford  lui  enseigna  l'hébreu.  Les  preuves  abondent  de 
l'intérêt  qu'il  portait  au  sort  des  Juifs.  Un  zélateur,  sous  la  République 
(i658),  imprima  pour  la  première  fois  le  gros  livre  que  Grosseteste 
écrivit  pour  leur  conversion.  Il  faut  ajouter  qu'il  cherchait  d'ailleurs 
à  les  détourner  de  la  pratique  de  l'usure  en  leur  attribuant  des  terres, 
car  la  piété  chez  lui  prenait  le  plus  souvent  la  forme  de  l'action. 

Un  instant,  il  est  vrai,  la  vie  monastique  le  tenta,  mais  c'était  celle 
que  St  François  venait  d'inaugurer.  Il  était  ascète  sans  raideur,  son 
ascétisme  ne  lui  enlevait  ni  son  humour  ni  son  bon  sens.  Trois  choses, 


2  34  REVUE    CRITIQUE 

soutint-il  devant  un  dominicain  trop  austère,  sont  nécessaires  au  salut, 
la  nourriture,  le  sommeil,  la  bonne  humeur.  A  un  autre  moine  de 
complexion  mélancolique  qui  lui  demandait  une  pénitence  particuliè- 
rement rigoureuse,  il  répondit  «  buvez  une  coupe  de  bon  vin  ». 

Il  était  énergique.  Dans  une  de  ses  lettres,  il  se  vante  de  son  «  cœur 
de  fer  à  l'épreuve  des  séductions  des  flatteurs  ».  Certains  chroniqueurs 
lui  reprochent  la  brutalité  avec  laquelle  il  réprimait  le  luxe  des  cou- 
vents. Il  nous  le  montre  pénétrant  dans  les  cellules,  renversant  les 
couchettes  des  moines,  piétinant  avec  fureur  les  joyaux  qu'il  y  trouvait 
dissimulés.  * 

C'est  à  soixante  ans  seulement,  dès  sa  tardive  élévation  à  l'épis- 
copat,  qu'il  eut  l'occasion  de  révéler  la  fougue  de  son  caractère  dans 
une  double  lutte  engagée  contre  les  deux  ennemis  de  l'Eglise  :  le  Pape 
et  le  Roi.  Cette  guerre,  il  ne  la  commença  pas  de  propos  délibéré, 
les  circonstances  l'amenèrent  fatalement  à  la  rébellion.  Ainsi,  tandis 
qu'il  appelait  les  Franciscains  dans  son  diocèse,  les  moines  de  Can- 
torbéry,  à  l'instigation  de  l'opulent  abbé  de  Bardney,  l'excommu- 
niaient. C'est  que  l'Eglise,  comme  toute  société  humaine,  se  parta- 
geait dès  ce  moment  en  deux  camps  ;  les  Franciscains  formaient  un 
élément  démocratique  très  impopulaire  auprès  des  vieux  ordres 
monastiques  qui  se  recrutaient  parmi  les  hautes  classes. 

Un  jour  le  pape  enjoignit  à  Grosseteste  par  une  lettre  hautaine 
d'admettre  au  nombre  des  chanoines  de  Lincoln  son  neveu,  un  cer- 
tain Frédéric  de  Lavagna,  incapable  du  reste  d'occuper  utilement  une 
charge  ecclésiastique.  Grosseteste  refusa  d'obéir  en  alléguant  que  le 
pape  ne  peut  rien  exiger  de  contraire  à  l'Ecriture.  «  Fiiiater  et  obedi- 
enter  non  obedio,  contradico  et  rebello  ».  L'attitude  de  l'Evêque  était 
habile  ;  en  assimilant  le  pape  au  roi  d'Angleterre,  incapable  en  droit 
de  faire  mal,  il  proclamait  l'irresponsabilité  du  chef  de  l'Eglise,  et 
quelle  que  fut  l'issue  du  conflit,  les  prérogatives  du  Saint-Siège  res- 
taient intactes. 

Envers  le  roi,  Grosseteste  suivit  la  même  ligne  de  conduite  ;  il  ne 
prêchait  l'obéissance  au  souverain  que  dans  les  limites  où  celui-ci 
commandait  à  ses  sujets  des  choses  justes.  M.  S.  examine  dans  le  plus 
grand  détail  le  rôle  de  l'Evêque  de  Lincoln  au  concile  de  Merton  (i  236), 
au  Parlement  (  1 244),  où  son  autorité  empêcha  la  discorde  de  se  mettre 
dans  le  Comité  des  douze  chargé  par  le  Parlement  de  faire  des 
remontrances  au  Roi.  A  côté  de  lui  siégeait,  dans  ce  même  comité, 
son  ami,  le  fameux  Simon  de  Montfort.  De  retour  dans  son  diocèse, 
Grosseteste  Ht  publier  dans  toutes  les  chaires  une  sentence  d'excom- 
munication contre  ceux  qui  violaient  la  grande  charte. 

Il  y  a  donc  en  germe  dans  la  vie  de  cet  évêque  la  révolution 
politique  de  l'Angleterre  aussi  bien  que  sa  réforme  religieuse.  En 
s'autorisant  de  la  parole  divine  pour  désobéir  à  un  ordre  du  pape,  il 
annonçait  Luther.  En  s'alliant  aux  Franciscains  contre  les  ordres  aris- 


d'histoire  et  de  littérature  2  35 

tocratiques,  en  défendant  les  libertés  anglaises  contre  le  roi,  il  annon- 
çait Cromwell  et  la  démocratique  Angleterre  du  xvii=  siècle.  Sa  vie 
fait  comprendre  aussi  le  caractère  particulier  de  l'Eglise  anglicane. 
Il  est  Jaloux  de  soustraire  l'Eglise  à  tout  contrôle  étranger  ;  sans  cher- 
cher à  innover  ni  à  bouleverser,  il  veut  rester  indépendant  ;  il  exerce 
une  sorte  de  protectionnisme  religieux,  et  justifie  ce  que  sa  conduite 
a  d'audacieux  au  moyen  de  ces  ingénieuses  fictions  juridiques  qui  sont 
encore  aujourd'hui  le  principe  du  droit  constitutionnel  anglais. 

C'est  rendre  un  hommage  insuffisant  au  livre  de  M.  Stevenson  que 
de  le  résumer  d'une  façon  si  brève.  Il  a  écrit  la  biographie  définitive 
de  Robert  de  Lincoln.  Des  documents  nouveaux  qui  pourraient  jeter 
quelque  clarté  sur  les  chapitres  obscurs  de  cette  vie,  n'infirmeront  pas 
les  conclusions  de  l'historien.  Grosseteste  est  un  de  ces  fils  zélés  de 
l'Eglise  qui,  par  amour  pour  elle,  s'appliquent  à  réformer  les  abus, 
sans  voir  qu'en  restaurant  un  édifice  antique,  on  risque  souvent  de 
l'ébranler  jusqu'en  ses  fondements. 

Ch.   Bastide. 


Schweizer  Bauerûpolitik  im  Zeitalter  Ulrich  Zwinglis  von  Walter  Claassek. 
Berlin,  Felber,  1S99,  xiii,  168  p.  in-8".  Prix  :  6  fr.  25. 

Le  travail  de  M.  Claassen  fait  partie  de  la  série  des  Socialgeschicht- 
liche  Forschungen  que  MM.  Etienne  Bauer  et  Maurice  Hartmann  pu- 
blient comme  supplément  à  leur  Zeitschri/tftir  Social=und  Wirt/i- 
schaftsgeschichte\  c'est  un  mémoire  très  fouillé  au  point  de  vue  tech- 
nique, très  documenté  sur  des  pièces  d'archives  de  Zurich,  relatif  à 
l'état  social  des  classes  rurales  de  la  Suisse  allemande,  dans  le  premier 
tiers  du  xvi«  siècle  '.  L'auteur  a  plus  particulièrement  recherché  quelle 
influence  la  réforme  religieuse  de  cette  époque  a  pu  exercer  sur  la 
situation  économique  des  populations  et  quelles  modifications  l'on 
peut  y  signaler  comme  se  rapportant  à  cette  influence.  S'il  a  mis  en 
vedette  sur  le  titre  de  son  volume  le  nom  de  Zwingle,  c'est  qu'en  effet 
le  réformateur  de  Zurich,  homme  de  gouvernement,  s'il  en  fût,  esprit 
largement  ouvert  à  toutes  les  questions  sociales  du  temps,  a  exercé  sur 
ses  concitoyens  une  influence  s'étendant  bien  au  delà  de  la  sphère  pure- 
ment morale  et  religieuse.  Même  après  le  beau  travail  de  M.  Staehe- 
lin,  dont  nous  avons  parlé  ici,  à  plusieurs  reprises  ',  il  restait  à  faire 
sur  ce  point  des  recherches  nouvelles,  comme  la  présente  étude  le 
démontre   d'une  façon  péremptoire.   Sans  doute  il   ne  faudrait   pas 

1.  Nous  aurions  préféré  seulement  un  titre  plus  facilement  compréhensible  que 
celui  de  Bauerupolitik,  qui  peut  induire  en  erreur,  Der  sdiwei^erische  Daticrn- 
stand,  p.  exemple. 

2.  Voy.  Revue  Critique,  1 1  mars  i8()5  et  21  mars  iSgS. 


2  36  REVUE   CRITIQUE 

croire  que  Zwingle  se  soit  jamais  gcrc  en  économiste  ou  qu'il  ait  sys- 
tématiquement travaillé  à  introduire  sur  le  territoire  de  Zurich  un 
ordre  de  choses  économique  et  politique  nouveau.  D'autre  part,  cer- 
tains changements  qui  se  sont  produits  à  cette  époque  se  seraient  vrai- 
semblablement produits  même  si  le  réformateur  n'avait  point  existé. 
Mais  il  est  néanmoins  intéressant  de  retrouver  dans  ses  discours  et 
dans  ses  écrits  la  preuve  de  l'importance  qu'il  attachait  à  certaines 
modifications  dans  la  vie  pratique  et  l'existence  matérielle  de  ses  con- 
citoyens, alors  que  d'autres  coryphées  du  mouvement  religieux  con- 
temporain, Luther,  par  exemple,  ont  évité,  pour  autant  qu'il  leur  a 
été  possible,  de  franchir  les  limites  du  domaine  théologique,  afin  de 
ne  point  paraître  usurper  sur  le  pouvoir  civil  des  princes  et  des 
magistrats. 

Nous  ne  saurions  entrer  ici  dans  le  détail  de  l'ouvrage  de  M.  Claas- 
sen  ;  on  y  trouvera  de  nombreux  et  précieux  renseignements  sur  la 
population  rurale  de  la  Suisse  allemande  d'alors,  sur  ses  habitudes 
professionnelles  (produits  du  sol,  extension  des  différentes  cultures), 
sur  la  grande  et  la  petite  propriété,  les  biens  communaux,  le  servage, 
les  charges  de  la  propriété  rurale  en  impôts,  dîmes  et  rentes  diverses, 
etc.  '.  Ce  travail  bourré  de  chiffres,  enrichi  de  tableaux  statistiques 
en  appendice,  n'est  pas  précisément,  je  dois  le  dire,  d'une  lecture 
facile  ;  mais,  comme  toutes  les  monographies  sérieusement  faites 
analogues,  il  sera  très  utile  à  l'historien  général  du  xvi^  siècle,  qui 
aurait  à  retracer  le  tableau  de  la  vie  des  campagnes  et  de  la  société 
rurale  d'alors,  en  lui  fournissant  les  données  précises  pour  documen- 
ter son  tableau  ". 

R. 


Sicco  PoLENToN.  —  La  Catinia,  le  Orazioni  e  le  epistole,  cdite  cd  illustrate  da 
Arnaldo  Segarizzi.  —  Bergamo,  Istituto  italiano  d'arti  grafiche,  1899;  8°,  lxxxvh- 
i53  pages  (7  fr.}. 

Pietro  Aretino.  —  Un  pronostico  satirico  (mdxxxiih),  cdito  cd  illustrato  da  Ales- 

1.  Nous  recommandons  à  tous  ceux  qui  s'imaginent  que  la  tâche  est  facile  de  cal- 
culer le  prix  des  choses  en  monnaie  contemporaine  et  d'établir  une  échelle  chro- 
nologique des  valeurs,  la  lecture  des  p.  141 -146.  En  voyant  toutes  les  données  con- 
tradictoires réunies  par  le  consciencieux  auteur,  pour  une  période  relativement 
courte  et  pour  un  territoire  de  médiocre  étendue,  on  comprend  qu'il  ait  déclaré  à 
peu  près  insoluble  le  problème  de  fixer  le  pouvoir  de  l'argent  d'une  façon  tant  soit 
peu  certaine  pour  le  xv"  et  le  xvr  siècle. 

2.  Pour  bien  comprendre  son  texte,  le  lecteur  fera  bien  de  se  reporter  sans  cesse 
au  petit  glossaire  qui  termine  le  voiomc  ;  ce  dernier  renferme  en  effet,  dans  les 
citations  de  textes  contemporains,  une  foule  d'Iielvctismcs  qu'on  risquerait  fort  de 
ne  pas  trouver  dans  un  dictionnaire  allemand-français  ordinaire.  //  aura  sans  doute 
aussi  quelque  peine  à  se  faire  aux  dénominations  locales  des  mesures  de  surface 
[Juchai-t,  etc.)  ;  peut-être  devrait-on  s'entendre  pour  appliquer  partout  dans  la  lit- 
térature scientifique  le  système  métrique. 


d'histoire  et  de  littérature  237 

sandro  Luzio.  —  Bergamo,  Istituto  italiano  d'arti  grafiche,  1900;  8»,  xli-i63  pages 

(7  fr.). 

Ces  deux  coquets  volumes  font  partie  d'une  collection  qui  mérite 
d'être  sigrialée  autant  pour  sa  valeur  intrinsèque  que  pour  sa  perfec- 
tion typographique,  la  Biblioteca  storica  délia  letteratura  italiana. 
M.  F.  Novati,  qui  la  dirige,  lui  a  imprimé  le  double  caractère  qui  le 
distingue  lui-même  :  la  rigueur  scientifique  dans  la  publication  et  le 
commentaire  des  textes,  et  un  goût  tout  aristocratique  de  distinction 
et  d'élégance.  Ce  ne  sont  pas  des  ouvrages  de  vulgarisation,  mais  plu- 
tôt des  éditions  de  luxe  destinées  à  perpétuer  des  documents  et  des 
textes  difficilement  accessibles  du  moyen  âge  et  de  la  Renaissance. 
M.  Novati  lui-même  a  inauguré  la  série  de  ces  publications  avec 
une  Navigatio  Sancti  Brendani,  dans  une  rédaction  vénitienne  du 
XIV*  siècle  ;  puis  sont  venues  le  Rime  di  Dante  da  Maiano^  la  Storia 
di  Merlmo,  et  le  Rime  di  Riistico  di  Filippo.  Les  deux  volumes  que 
nous  annonçons  ci-dessus  portent  les  numéros  5  et  6  de  la  collection  ; 
le  programme  des  fascicules  suivants  et  les  noms  des  collaborateurs 
que  M.  Novati  a  su  associer  à  son  œuvre  (nous  y  relevons  ceux  de 
Pio  Rajna,  Francesco  Flamini,  Vittorio  Rossi,  etc.)  nous  dispensent 
de  souhaiter  bonne  chance  à  la  Biblioteca  storica  ;  son  succès  est  dès 
maintenant  assuré  ;  ses  preuves  sont  faites. 

La  Catinia  est  ce  dialogue  entre  buveurs,  écrit  dans  un  latin  gros- 
sier, que  les  historiens  de  la  comédie  italienne  citent  infailliblement 
parmi  les  premiers  essais  dramatiques  de  la  Renaissance,  la  plupart 
d'ailleurs  sans  l'avoir  lu.  En  réalité,  ce  n'est  pas  une  comédie  au  sens 
classique  du  mot,  mais  un  simple  délassement  d'humaniste  en  belle 
humeur,  une  farce  comme  en  composaient  les  clerici  vagantes,  avec 
une  certaine  intention  morale  ou  plutôt  satirique  ;  elle  n'a  jamais  été 
destinée  à  la  représentation.  Il  faut  savoir  gré  à  M.  Segarizzi  de  nous 
en  donner  un  texte  correct,  d'après  un  manuscrit  de  la  Marcienne,  et 
surtout  d'avoir  réuni  sur  son  auteur,  le  médiocre  humaniste  trentin 
Sicco  Polenton  (né  en  l'ijb  ou  1376,  mort  vers  1447),  un  nombre  res- 
pectable de  documents,  grâce  auxquels  il  a  pu  lui  consacrer  une 
monographie  précise  et  solide. 

Après  avoir  rappelé  que  l'Arétin,  entre  autres  méthodes  d'intimi- 
dation dont  il  usait  à  l'égard  des  rois  et  des  princes,  lança  pendant 
plusieurs  années  des  giudi^i,  dans  lesquels  il  prédisait,  à  la  manière 
des  astrologues  et  dans  leur  style,  les  événements  de  l'année  qui 
s'ouvrait,  M.  A.  Luzio,  auquel  on  doit  déjà  tant  d'importantes  publi- 
cations sur  l'Arétin,  fait  connaître  le  seul  spécimen  complet,  qui  nous 
soit  parvenu  de  ces  giiidi^i  satiriques.  Le  texte  nous  en  a  été  conservé 
dans  un  ms.  delà  Bibliothèque  Impériale  de  Vienne  (n°  i5ii5),  sous 
ce  titre  :  Pronostico  dell'  anno  MDXXXIIII  composto  da  Pietro  A  ré- 
tine /lagello  de  Principi  et  quinte  Evangelista.  Les  quarante  pages 


238  ftEVUE    CRITIQUE 

d'introduction  et  les  soixante-dix  pages  de  notes  qui  accompagnent  ce 
document  d'une  audace  inouïe,  d'une  «  verve  canaille  »  (ce  sont  les 
termes  qu'emploie  M.  L.),  en  donnent  un  commentaire  qui  ne  laisse 
rien  à  désirer,  et  que  complètent  encore  sept  documents  inédits  publiés 
en  appendice.  Personne  n'était  plus  capable  que  M.  L.  d'  «  illustrer  » 
avec  cette  abondance  un  texte  tout  rempli  d'allusions  perfides  et 
malicieuses.  Ce  volume  est  certainement  une  des  contributions  les 
plus  remarquables  et  les  plus  instructives  que  M.  Luzio  ait  publiées 
sur  l'Aretin  et  sur  son  temps;  on  y  trouvera  notamment  une  foule  de 
renseignements,  en  partie  inédits,  sur  les  relations  de  l'effronté  libel- 
liste  et  de  François  U%  auquel  était  dédié  le  pronostic  de  i534. 

Henri  Halvette. 


Karl  Bran'di.  Die  Renaissance  in  Florenz  und  Rom.  Acht  Vortraege.  Leipzig, 
B.-G.  Teubner,  1900  viii-258  pages  (5  m.). 

Les  huit  chapitres  dont  se  compose  le  livre  de  M.  Brandi  sont  divi- 
sés en  deux  séries  égales  :  quatre  sont  consacrés  à  Florence  ou  à  la 
Friihrenaissance  {la.  fin  du  moyen  âge  et  Dante;  la  société  florentine 
et  l'humanisme;  les  artistes  du  xv''  siècle;  Le  principal  des  Médicis  ' 
et  Savonarole),  quatre  à  Rome  ou  à  la  Hochrcnaissance  (les  papes 
souverains  temporels;  Tàge  d'or  et  Raphaël;  Michel-Ange;  la  fin  de 
la  Renaissance).  On  voit  assez  par  cette  simple  table  des  matières  que 
l'auteur  n'a  pas  prétendu  écrire  une  histoire  continue  de  l'arc  ni  de  la 
littérature  italienne  à  l'époque  de  la  Renaissance  ;  ce  sont  des  études, 
des  tableaux  détachés,  présentés  dans  l'ordre  chronologique,  et  que 
relient  seulement  entre  eux  les  idées  générales  que  l'auteur  a  sur  la 
Renaissance.  Ces  idées,  sans  prétendre  à  une  grande  originalité,  ont 
le  mérite  de  se  fonder  sur  l'étude  consciencieuse  des  meilleurs 
ouvrages  relatifs  à  cette  période  parus  en  ces  dernières  années;  M.  B. 
est  fort  au  courant  de  la  «  littérature  y:  de  son  sujet.  On  lui  reprochera 
d'autant  moins  les  quelques  lacunes  de  son  plan  et  la  docilité  avec 
laquelle  il  a  adopté  des  idées  aujourd'hui  assez  généralement  reçues, 
qu'il  a  voulu  visiblement  faire  œuvre  de  vulgarisation  ;  c'est  au 
grand  public  qu'il  s'adresse  et  non  aux  spécialistes;  l'aspect  même  de 
son  livre,  imprimé  avec  soin  et  décoré  de  lettrines,  de  frontispices  et 
de  culs-de-lampe  dans  le  style  renaissance,  sans  notes  encombrant  le 
bas  des  pages  (elles  sont  ramassées  à  la  fin  du  volume),  est  agréable 
et  artistique;  il  sollicite  le  lecteur,  et  celui-ci  trouve  en  M.  Brandi  un 
guide  aimable,  bien  informé,  et  qui  se  fait  écouter  volontiers.  L'on  ne 
saurait  demander  plus  à  un  ouvrage  de  ce  genre.  H.  H. 

I.  Le  mot  Prhtppat  applique  à  l'influence  politique  des  Médicis  du  xv«  siècle, 
Connc  et  Laurent,  n'est  pas  des  plus  heureux,  car  ils  ne  furent  nullement  des 
princes. 


d'histoire  et  de  littérature  239 

Karl  Benrath,  Julia  Gonzaga  ;  ein  Lebensbild  aus  der  Geschichte  der  Reformation 
in  Italien  (Schriften  des  \'ereins  fur  Reformationsgeschichte,  nr,  65).  Halle, 
Niemeyer,  1900;  in-8°,  ix-126  pages. 

Voici  une  excellente  monographie  sur  l'une  des  femmes  les  plus 
célèbres  de  la  Renaissance  italienne;  Giulia  Gonzaga,  après  avoir 
attiré  les  regards  de  ses  contemporains  par  sa  beauté  et  le  charme  de 
son  esprit,  intéresse  maintenant  les  historiens  de  la  Réforme  par  l'ac- 
cueil qu'elle  fit  aux  doctrines  nouvelles.  Est-ce  à  dire  qu'elle  fut 
luthérienne?  Nullement;  elle  ne  connut  guère  que  les  idées  de  l'esr 
pagnol  Juan  de  Valdès  sur  la  rédemption  par  la  mort  du  Christ  et  sur 
la  justification  par  la  foi  ;  en  dehors  de  ces  idées  capitales,  elle  mon- 
tra peu  d'intérêt  pour  les  questions  de  discipline  ecclésiastique,  ce 
qui  lui  permit  de  rester  jusqu'à  sa  mort  catholique  de  nom;  et,  reti- 
rée en  une  demie  claustration  dans  un  couvent  de  Naples,  soupçon- 
née d'hérésie,  mais  non  poursuivie,  elle  ne  se  fit  pas  faute  de  soutenir 
de  ses  conseils  et  de  sa  sympathie  ceux  que  Rome  persécutait  alors 
pour  leur  foi.  N'y  a-t-il  pas  là,  entre  Giulia  Gonzaga  et  Marguerite 
de  Navarre,  une  singulière  ressemblance?  —  On  saura  gréa  M.  Ben- 
rath d'avoir  raconté  avec  impartialité  et  en  faisant  justice  de  bien  des 
légendes,  la  vie  de  cette  femme  éminente,  et  d'avoir  fait  revivre  une 
des  figures  les  plus  charmantes  et  les  plus  pures  de  la  Renaissance. 

Henri  Halvette. 


Marcel  Reymond,  La  sculpture  florentine;  le  xvi«  siècle  et  les  successeurs   de 
Técole  florentine, —  Florence,  Alinari,  1900,  in-4'';  vni-244  pages. 

Avec  cette  quatrième  partie  s'achève  la  vaste  publication  consacrée 
par  M.  Reymond  à  l'histoire  de  la  sculpture  florentine.  On  remar- 
quera la  rapidité  avec  laquelle  se  sont  succédés  ces  quatre  volumes  : 
le  premier  porte  la  date  de  1 897  ;  celui-ci  a  paru  au  printemps  dernier. 
Une  pareille  continuité  dans  l'effort,  de  la  part  de  l'auteur  et  aussi  de 
la  part  de  l'éditeur,  ne  s'explique  que  par  la  longue  et  sérieuse  prépa- 
ration qui  précéda  la  mise  en  train  de  l'entreprise.  Cette  rapidité  n'a 
dès  lors  que  des  avantages  :  il  y  a  unité  parfaite  dans  l'exécution  de 
l'œuvre,  dans  son  apparence  extérieure  comme  dans  les  idées  qui  y 
sont  développées.  Ce  n'est  pas  là  un  mince  avantage;  avec  un  tour 
d'esprit  systématique  comme  celui  dont  M.  R.  a  fait  preuve  dans  la 
conception  de  son  ouvrage,  il  est  toujours  à  craindre  que  de  trop 
longs  délais  d'un  volume  à  l'autre  ne  laissent  voir  des  fluctuations,  des 
changements  parfois  profonds  dans  la  pensée  de  l'auteur.  Tel  n'est  pas 
le  cas  ici  :  la  thèse  que  M.  R.  a  soutenue  dès  son  premier  volume  est 
confirmée  et  développée  par  les  trois  suivants;  le  critique  a  sur  la 
Renaissance  en  général,  et  sur  la  sculpture  de  cette  période,  un  cer- 


240  REVUE  CRITIQUE 

tain  nombre  d'idées  très  nettes  sur  lesquelles  il  n'a  cesse  de  revenir 
avec  insistance,  et  qui  forment  un  véritable  corps  de  doctrine;  lorsque 
l'on  discutera  les  idées  de  M.  R.  sur  cette  époque,  —  ce  que  l'on  ne 
saurait  manquer  de  faire  —  du  moins  ne  pourra-t-on  se  plaindre  qu'il 
les  ait  formulées  avec  hésitation  et  sans  les  pousser  jusqu'à  leurs 
extrCmes  conséquences. 

Quelles  sont  ces  idées,  les  lecteurs  de  cette  Revue  le  savent  déjà  ;  il 
est  donc  inutile  de  les  répéter.  Ce  qu'il  faut  dire,  c'est  combien  elles 
empêchent  peu  l'auteur  d'être  impartial  dans  l'appréciation  des  œuvres. 
Amené  par  son  sujet  à  parler  de  l'époque  classique  et  des  artistes  qui 
ont  définitivement  rompu  avec  la  tradition  charmante  des  maîtres  du 
xiv"  et  du  XV*  siècle,  on  pourrait  s'attendre  à  ce  que  M.  R.  se  montrât 
impitoyable  pour  ces  tendances  nouvelles  et  pour  les  œuvres  où  elles 
s'affirment.  Il  n'en  n'est  rien  :  le  chapitre  sur  Michel-Ange  contient 
bien  quelques  critiques  sévères,  exprimées  sans  détour  ;  mais  le  génie 
de  cet  incomparable  artiste  y  est  apprécié  et  caractérisé  avec  esprit,  et 
avec  un  vif  sentiment  de  ses  qualités  supérieures;  M.  R.  a  même 
trouvé  des  charmes  dans  les  compositions  d'un  Bandinelli,  d'un 
Ammanati,  d'un  Bernin  (car  le  Bernin  termine  la  série  des  sculpteurs 
étudiés  :  peut-être  s'étonnera-t-on  de  le  voir  rattaché  à  l'école  floren- 
tine ?  Mais  assurément  l'on  ne  se  plaindra  pas  que  M.  R.  lui  ait  con- 
sacré un  chapitre).  Lorsque  l'on  a  tant  soit  peu  admiré  les  créations 
d'un  Donatelloou  d'un  Luca  délia  Robbia,  il  est  difficile  de  n'être  pas 
tour  à  tour  affligé  et  agacé  par  les  œuvres  d'un  Bernin,  et  j'imagine 
que  M,  R.  a  dû  éprouver  ce  sentiment.  Mais  lorsqu'il  s'est  mis  à  étu- 
dier de  plus  près  ces  œuvres  d'un  art  dégénéré,  il  lui  a  été  impossible 
de  ne  pas  sentir  les  qualités  réelles  qui  s'y  manifestent,  fussent-elles 
exactement  l'opposé  des  qualités  qu'il  avait  louées  ailleurs.  Il  s'y  est 
alors  attaché  ;  il  a  découvert  que  le  Bernin  était  un  grand  artiste  et 
n'a  pas  craint  de  le  dire.  Voilà,  chez  un  critique,  un  bel  exemple  de 
probité  et  d'impartialité;  c'est  que  M.  Reymond  n'a  pas  jugé  en  théo- 
ricien prisonnier  de  son  système,  absolu  dans  ses  idées,  mais  en 
artiste  épris  du  beau  sous  toutes  ses  formes. 

Un  théoricien  et  un  artiste  ;  voilà  bien  les  deux  hommes  qui  ont 
collaboré  à  cette  belle  histoire  de  la  sculpture  florentine  ;  et  s'il  était 
possible  de  les  séparer,  de  préférer  l'un  sans  faire  tort  à  l'autre,  le  choix 
ne  serait  pas  douteux;  c'est  à  l'artiste  qu'iraient  nos  préférences. 

Henri  Hauvette. 


C.   G.   OsGooD.  The  classical  mythology  of  Milton's  English  poems.  New. 
York,  Holt,  1900,  in-H",    lxxxv-iii  pp. 

Sous   sa   forme   première    de  thèse  de  doctorat,    ce   livre  n'était, 
comme  on  disait  autrefois,  qu'un  «  dictionnaire  de  la  fable  »,  indi- 


d'histoire  et  de  littérature  241 

quant  les  mythes  que  Milton  emprunte  à  l'antiquité  et  les  sources 
auxquelles  il  les  puise.  En  publiant  sa  thèse,  l'auteur  y  ajoute  une 
préface  pleine  d'intérêt.  Dans  Milton,  nous  dit-il,  les  mythes  antiques 
servent  à  trois  fins  :  introduits  sous  forme  de  comparaisons,  ils 
éclairent  et  ornent  le  récit  poétique;  quelquefois  ils  font  la  matière 
d'un  épisode,  Eve  découvrant  sa  beauté  dans  le  miroir  des  eaux  rap- 
pelle l'histoire  de  Narcisse  et  Circé  a  transmis  à  son  fils  Cornus  plus 
d'un  trait  de  son  caractère  ;  enfin  les  descriptions  de  la  nature  se 
colorent  sans  cesse  de  souvenirs  classiques.  A  ce  propos  M.  O.  fait 
observer  que  le  poète  aime  aussi  à  mêler  à  des  réminiscences  d'Ho- 
mère et  d'Hésiode  une  image  empruntée  aux  Psaumes  ou  au  livre 
de  Job. 

Ici  se  posaient  quelques  questions  auxquelles  M.  O.  n'a  pas  cru 
devoir  répondre  :  ayant  analysé  avec  soin  ces  poèmes  de  jeunesse 
dont  la  pure  beauté  antique  fait  songer  un  peu  à  Chénier,  il  a  laissé 
de  côté  les  épopées.  Mais  nous  voudrions  savoir  comment  le  Puri- 
tain qu'était  Milton  a  pu  sans  sacrilège  parler  de  l'Olympe  en  traitant 
de  la  chute  de  l'homme  ou  du  dogme  de  la  rédemption.  Pourquoi 
cite-t-il  presque  dans  un  même  vers  Jupiter  et  le  Christ,  Saturne  et 
Satan?  Pourquoi  peuple-t-il  de  dieux  païens  l'Eden  et  l'Enfer?  Ces 
dieux,  il  est  trop  convaincu  pour  les  évoquer,  afin  seulement  d'étaler 
son  savoir  ou  de  laisser  tomber  le  vers  sur  un  nom  propre  d'une  belle 
consonance.  Pourquoi  enfin  préfère-t-il,  comme  M.  O.  le  signale, 
les  mythes  primitifs,  les  Titans,  Saturne,  le  Chaos?  Pourquoi  passe-t- 
il  sous  silence  des  créations  purement  poétiques,  les  Grâces,  les 
Muses,  les  Amours,  ou  du  moins  en  modifie-t-il  le  caractère  ?  Autant 
de  problèmes  que  M.  O.  n'a  pas  résolus. 

Or,  on  a  l'impression,  à  la  lecture  de  Milton,  que  les  mythes  avaient 
pour  lui  une  valeur  réelle  ;  ses  dieux  sont  plus  que  des  machines 
épiques,  ils  existent,  et  l'homme  en  ressent  encore  la  fatale  puissance. 
Au  premier  livre  du  Paradis  Perdu,  le  poète  s'explique  très  nettement, 
en  dénombrant  les  forces  sataniques.  Une  multitude  de  démons,  ano- 
nymes, deviendront  les  idoles  du  monde  païen  ;  non  seulement 
Moloch  et  Astarté,  Isis  et  Osiris,  sont  des  anges  déchus,  mais  les 
«  dieux  ioniens  »,  et  le  forgeron  infernal  qui  élève  le  Pandemonium 
s'appellera  plus  tard  Vulcain  ou  Mulciber  (v.  740  sq.)  '. 

Pour  expliquer  cette  conception  de  la  mythologie,  il  faudrait  con- 
naître en  détail  les  croyances  religieuses  en  Angleterre  au  xvii"  siècle. 
M.  O.  a  sans  doute  cru  que  l'examen  de  cette  question  sortait  des 
limites  d'une  préface  de  pure  analyse  littéraire.  Bornons-nous  à  indi- 


I.  D'après  certains  passages  que  cite  M.  Osgood,  Milton,  comme  Bacon  {Sagesse 
des  Anciens),  aurait  prêté  aux  mythes  un  sens  allégorique.  S'il  doute  quelquefois 
de  leur  vérité  littérale,  c'est,  croyons-nous,  que  pour  lui  les  Grecs  ont  emprunté 
aux  Hébreux  leurs  mythes  en  les  altérant  (Par.  Reconq.,  4,  339),  ^'<>^  sa  prédi- 
lection pour  les  mythes  primitifs» 


2^i  REVUE   CRITIQUE 

quer  le  sens  dans  lequel  on  pourrait  chercher  la  solution  du  problème. 

On  sait  que  l'idée  de  voir  des  démons  dans  les  divinités  païennes 
date  des  premiers  siècles  du  christianisme.  Ce  sont  les  Pères  qui  l'ont 
développée.  Elle  persista  pendant  tout  le  moyen  âge  et  au-delà  de  la 
Renaissance.  Les  passions  religieuses  l'exploitaient,  témoin  le  passage 
où  Burton,  ayant  déclaré  que  «  les  dieux  des  Gentils  sont  des 
démons  »,  ajoute  «  les  papistes  les  honorent  présentement  sous  le 
"nom  de  saints  »  [Anatomy  of  Meîancholy.  I,  2, 1.  i  [1622]). 

La  crédulité  des  Anglais  au  xvii^  siècle  aide  à  comprendre  ces 
étranges  opinions.  Des  esprits  vigoureux,  habitués  par  devoir  profes- 
sionnel à  se  prémunir  contre  l'imposture,  se  laissent  guider  par  des 
croyances  qu'on  retrouverait  difficilement  de  nos  jours  dans  le  bas 
peuple.  On  vit  paraître  comme  témoin  à  charge  dans  un  procès  de 
sorcellerie  présidé  par  l'intègre  et  judicieux  Matthew  Haie,  et  qui  se 
termina  du  reste,  par  une  double  condamnation  à  mort,  l'aimable  au- 
teur de  Religio  Medici,  Sir  Thomas  Erowne'  [Lecky,  Ration,  en  Eu- 
rope, vol.  I,  ch.  i).  Pour  confondre  ceux  qui  nient  la  résurrection, 
deux  théologiens  hardis,  précurseurs  du  rationalisme  moderne,  Glan- 
vill  et  More,  citent  des  histoires  d'apparitions.  Un  esprit  fort  comme 
Hobbes,  tout  en  niant  la  réalité  des  fantômes,  avait,  dit-on,  peur  de 
l'obscurité.  Le  i  5  juin  i663,  il  se  passa  une  scène  curieuse  à  un  dîner 
officiel  auquel  assistait,  en  sa  qualité  de  haut  fonctionnaire,  le  fameux 
Pepys.  Comme  les  convives,  grands  seigneurs  pour  la  plupart  et  dis- 
posés au  libertinage  d'esprit,  se  demandaient  si  un  démon  pouvait 
animer  le  cadavre  d'un  mort,  l'un  d'eux,  Lord  Sandwich,  conclut  dans 
le  sens  de  l'affirmative  en  racontant  une  histoire  de  fantôme. 

Le  sens  historique  manquait  autant  que  le  sens  critique.  L'anachro- 
nisme s'acceptait.  Les  canons  braqués  par  les  démons  sur  les  cohortes 
célestes  et  dont  l'irrévérencieux  Voltaire  s'est  tant  moqué,  n'ont  pas 
dû  surprendre  les  Puritains.  Pour  les  contemporains  de  Cromwell 
et  de  Charles  II,  toute  l'histoire  était  disposée  sur  un  même  plan, 
comme  la  nature  pour  les  naïfs  enlumineurs  du  moyen-âge.  Ils  ne 
songeaient  pas  à  séparer  les  chefs-d'œuvre  de  la  littérature  grecque  et 
la  Bible,  si  distincts  pour  un  siècle  qui  a  entendu  les  leçons  de  M.  Re- 
nan, Si  Thomas  Farnaby,  par  exemple,  explique  telle  forme  latine  par 
des  mots  hébreux,  c'est  que  la  langue  dans  laquelle  il  a  lu  le  récit  de 
la  création  lui  semble  naturellement  la  mère  de  toutes  les  autres. 
Quelque  temps  après,  le  savant  Gale  croira  que  l'antiquité  doit  sa  ci- 
vilisation à  Moïse,  et  toute  l'Europe  le  croira  avec  lui.  Dès  lors,  on 
comprend  que  les  dieux  d'Homère  aient  été  assimilés  aux  idoles  ca- 
nanéennes. 

Ajouterons-nous  que  rien  dans  l'enseignement  des  Universités  ne 
pouvait  éveiller  ni  le  sens  critique,  ni  le  sens  historique?  A  Cambridge, 
dit  M.  Masson  (Vie  de  Milton,  Ii,  Milton  passait  son  temps  à  ratioci- 
ner sur  '(  la  musique  des  sphères  »,  «  les  avantages  du  jour  sur  la 


d'histoire  et  de  littérature  243 

nuit  ».  Plus  tard,  quand  la  philosophie  nouvelle  aura  pénétré  à  Oxford 
et  à  Cambridge,  quand  la  Société  Royale  aura  commencé  ses  recher- 
ches, après  Locke  et  Newton,  après  l'action  immense  exercée  par  les 
réfugiés  français ,  catholiques  et  protestants,  par  Saint-Evremond 
comme  par  Bayle,  les  divinités  païennes,  reculées  dans  le  lointain  des 
siècles,  cesseront  de  vivre,  les  poètes  ne  verront  dans  l'Olympe  qu'un 
magasin  de  décors  et,  à  la  place  du  gigantesque  Pandémonium  de 
Milton,  Pope  élèvera  un  petit  théâtre  de  variétés,  où  les  dieux,  en  per- 
ruque poudrée,  viendront  soupirer  des  pastorales  ou  déclamer  la 
Boucle  de  cheveux  enlevée. 

C'est  ainsi  que  l'illusion  est  la  source  la  plus  féconde  de  la  poésie. 
Milton  ne  doit  pas  seulement  à  sa  crédulité  d'avoir  donné  aux  dieux 
de  l'antiquité  une  réalité  et  une  vie  singulièrement  grandioses  et  ter- 
ribles ;  aux  fleurs  harmonieusement  belles  que  produit,  grâce  aune 
savante  culture,  le  sol  de  l'Attique,  il  a  mêlé  quelques  fleurs  sauvages 
de  Judée  et  de  Galilée  '. 

Ch.  Bastide 


La  campagne  de  1809  en  Allemagne  et  en  Autriche  par  le  commandant 
Saski.  (Publication  de  la  section  historique  de  l'Etat-major  de  l'armée).  Tome  II. 
In-S".  36o  p.  Avec  cartes  et  tableaux,  1900.  Paris,  Berger-Levrault.   10  fr. 

Ce  deuxième  volume  qui  mérite  les  mêmes  éloges  que  le  précédent, 
embrasse  la  première  période  de  la  campagne,  c'est-à-dire  les  opéra- 
tions poursuivies  sous  la  direction  de  Berthier  jusqu'à  l'arrivée  de 
Napoléon,  et  les  manœuvres  par  lesquelles  l'empereur  rétablit  les 
affaires.  On  voit  d'abord  le  major-général  activer  les  derniers  prépa- 
ratifs de  guerre  et  l'intendant-général  Daru  compléter  les  services 
administratifs  des  cinq  corps  principaux  qui  constituent  l'armée 
d'Allemagne.  Puis  commencent  les  hostilités  :  Berthier  se  conforme 
tant  bien  que  mal  aux  instructions  générales  que  l'empereur  lui  donne 
le  3o  mars,  puis  à  la  lettre  qu'il  reçoit  au  soir  du  i3  avril  ;  mais  il  est 
embarrassé,  il  appelle,  il  réclame  Napoléon  «  pour  éviter  les  ordres  et 
les  contre-ordres  »  (p.  162),  et  la  situation  se  trouve  bientôt  à  demi 
compromise  parce  qu'il  a  fait  juste  le  contraire  de  ce  qu'il  fallait  faire 
(p.  195)  lorsque  l'empereur  arrive»  avec  la  rapidité  de  l'aigle  »  (p.  201), 
et  alors  se  succèdent  les  combats  :  Thann,  Abensberg,  Landshut, 
Eckmùhl,  Ratisbonne.  Tous  les  documents  français  sont  réunis  dans 
cette  publication,  et  outre  les  ouvrages  imprimés,  comme  les  souvenirs 
de  Lejeune  et  de  Berthezène  et  le  livre  de  Stutterheim,  M.  Saski  a 
consulté  non  seulement  les.  archives  de  la  guerre  et  les  archives  natio- 
nales, mais  des  archives  particulières,  celles  du  comte  Gudin,  du  comte 

I.  Relevons  une  faute  d'impression  qui  a  échappé  à  la  vigilance  de  M.  Osgood  : 
XXI,  n.  2  ;  lisez  :  60,  pour  86. 


244  REVUE  CRITIQUE 

de  Lorencez,  des  princes  d'Essling  et  d'Eckmùhl.  On  remarquera  sur- 
tout parmi  ces  pièces  les  rapports  des  opérations  du  3*^  corps,  et  de  la 
2^  division  (Priant)  de  ce  3"=  corps,  la  relation  de  Boudin  de  Roville 
(aide  de  camp  de  Saint-Hilaire),  le  récit  d'Eckmuhl  par  le  chef  d'esca- 
dron wurtembergeois  Bismarck, et  nombre  d'extraits  de  journaux  histo- 
riques. Nous  regrettons  de  ne  pas  trouver  à  la  fin  de  ce  recueil  de 
matériaux  si  importants  quelques  pages  qui  résument  les  événements 
en  les  accompagnant  de  réflexions  et  de  remarques  techniques  '. 

A.  C. 

Un  général  hollandais   sous  le  premier  Empire.  Mémoires  du  général  baron 
de  Dedem  de  Gelder,    1774-1825,  Paris,  Pion,  1900,  In-8',  VI  et  414  p.  7  fV.  ?o. 

Ces  mémoires,  très  intéressants  et  d'ailleurs  bien  annotés,  com- 
prennent en  somme  trois  parties.  Dans  la  première,  Dedem,  fils  de 
l'ambassadeur  des  Provinces  Unies  à  Constantinople,  retrace  ce  qu'il  a 
vu  en  Orient  ;  le  voyage  qu'il  fit  en  Egypte  avec  M.  Fauvel  est  parti- 
culièrement attachant.  La  deuxième  partie  nous  le  montre  ministre 
plénipotentiaire  du  roi  Louis  de  Hollande  près  du  roi  de  Westphalie 
et  du  roi  de  Naples  ;  le  portrait  du  roi  Jérôme  et  des  personnages 
qui  l'entouraient  est  vivant;  piquante,  la  description  de  la  cour  de 
Piombino  ;  instructive,  la  peinture  de  Naples  sous  Murât.  La  troisième 
partie  représente  Dedem  devenant,  de  général-major  au  service  de 
Hollande,  général  de  brigade  dans  les  armées  de  Napoléon  et  tenant 
si  bien  son  nouveau  rôle  qu'il  s'étonne  et  se  fâche  de  n'être  pas 
général  de  division.  Ses  jugements  sur  les  hommes  de  guerre  qu'il 
fréquente  alors,  ont  du  prix.  Il  fait  un  grand  éloge  de  Davout,  bourru, 
malhonnête,  brutal,  mais  nullement  cruel  ;  «  il  n'était  pas  toujours 
aimable,  mais  je  suis  fier  d'avoir  servi  sous  ses  ordres,  d'avoir  été 
chez  lui  à  une  école  instructive  ;  avec  lui,  ou  est  sûr  d'être  bien  com- 
mandé, ce  qui  est  quelque  chose  et  de  petits  desagréments  sont  corn 
pensés  par  de  grands  avantages.  »  Il  voit  dans  Priant  un  vrai  manœu- 
vrier mais  un  homme  de  peu  d'esprit.  Il  trouve  que  Ney  avait  le  sens 
droit  et  jugeait  bien  sur  le  champ  de  bataille,  mais  v  dans  les  moments 
difficiles  autres  que  ceux  de  la  guerre,  tombait  dans  le  vague  et  l'in- 
certitude ».  Son  récit  de  la  campagne  de  1812  renferme  plus  d'un 
curieux  détail:  il  note,  par  exemple,  que  Napoléon  était  cruellement 
trompé  par  les  rapports  qu'on  lui  faisait  et  qu'on  osa  lui  dire  officiel- 
lement avant  Moscou  que  la  division  Priant  avait  des  vivres  pour  dix- 
sept  Jours  alors  qu'elle  était  réduite  aux  expédients  ;  il  remarque  qu'on 
eut  tort  à  la  Moskowa  de  ne  pas  pousser  en  avant  dès  le  matin  l'aile 
droite  de  l'armée  pour  déborder  l'ennemi  et  que  la  faute  est  due  au 
manque  de  bonnes  cartes  et  à  l'ignorance  complète  des  localités  ;  il 

I .  p.  .^4  lire  Colaud  au  lieu  de  Collott 


d'histoire  et  de  littérature  243 

assure  qu'il  y  avait  à  Moscou  de  grands  approvisionnements,  qu'avec 
un   peu  d'ordre   on   aurait  pu  distribuer  des  vivres  pour  trois  mois,, 
mais  que  la  discipline  n'existait  plus  ;  lui  aussi  est  d'avis  que  Tempe- 
reur  eut  mieux  fait  de  rester  à  Smolensk,  d'empêcher  ainsi  la  Porte 
de  faire   la  paix,  de  réorganiser  les  troupes  et  d'entrer  en  campagne 
l'année  d'après  ;  mais  l'empereur  «  ne  savait  ni  négocier  ni  tempo- 
riser ».  Dedem  l'a  observé  pendant  la  retraite:  <  Il  était  calme  sans 
colère,    mais    aussi    sans    abattement  ;  c'était    l'homme   qui   voit    le 
désastre  et  reconnaît  tout  ce  que  sa  position  offre  de  difficile,  mais  qui 
se  dit  :  «  c'est  un  échec,  il  faut  s'en  aller,   mais  on  me   retrouvera.  » 
Durant  la  campagne  de  181 3,  Dedem  appartint  à  la  division  Girard. 
Il  loue  la  bravoure  de  ses  soldats  ;  presque  tous  avaient  la  gale  ;  mais, 
disaient-ils,  «  si  nous  sommes  sales,  nous  nous  battrons  bien  ».  Et,  en 
effet,  ces  Jeunes  gens  se  battirent  bien.  Mais  après  la  lutte,  ils  étaient 
comme  «  ahuris  «et  «pétrifiés»  :  leur  coup  d'essai  avait  été  trop  violent, 
et  s'ils  avaient  dû  recommencer  vingt-quatre  heures  après,  ils  n'au- 
raient rien  valu  :  «  peu  à  peu  ils  reprirent  de  la  gaieté,  mais  il  ne 
fallait  point  leur  donner  le  loisir  de  réfléchir,  car  ils  retombaient  dans 
la  tristesse,  et  par  la  suite  ils  gagnèrent  tout  à  fait  le  spleen,  »  Une 
courte  narration  de  la  seconde  journée  de  Leipzig  et  des  opérations 
de  l'armée  d'Italie  sur  la  ligne  du  Taro  termine  le  volume  (après  la 
mort  de  Gratien,  Dedem  commanda  la   i''«  division  de  réserve  sous 
les  ordres  de  Maucune  qui  commandait  en  chef  le  corps  de  la  droite 
du  Pô).  Quoi  qu'on  puisse  penser  de  certaines  appréciations  de  Dedem 
et  bien  qu'il  nous  paraisse  un  ambitieux  qui,  bien   qu'aristocrate  et 
dédaigneux  des  «  simagrées  plébéiennes  »  accepte    de  la  démocratie 
honneurs  et  emplois,  il  avait,  comme  il  dit  lui-même,  de  la  perspica- 
cité et  de  la  finesse  ;  ses  mémoires  ne  sont  pas  du  tout  à  dédaigner  '. 

A.  C. 


Abhandlungen,  Vortraege  und  Reden  von  Félix  Stieve.  Leipzig,  Duncker  u. 
Humblot,  1900,  XII,  420  p.  in  8»  (avec  portrait).  Prix  :  10  fr.  5o. 

Elève  de  M.  Cornélius,  dont  nous  parlions  ici  naguère,  M.  Félix 
Stieve,  professeur  à  l'Université  et  à  l'Ecole  polytechnique  de  Munich, 
est  mort  dans  cette  ville,  à  un  âge  encore  peu  avancé,  le  10  juin  1898. 
Intrépide  fouilleur  d'archives,  il  était  connu  surtout  dans  le  monde 
savant  par  la  grande  collection  des  Briefe  und  Akten  -{ur  Geschichte 
des  dveissigjaehrigen  Krieges,  qu'il  publia  conjointement  avec 
M.  Moritz  Ritter,  sous  les  auspices  de  l'Académie  royale  de  Bavière. 

1.  Lire  p.  109  Reubeli  et  non  de  Rewbell  ;  p.  283  el  ailleurs  le  grand  maréchal 
et  non  le  maréchal  Duroc  ;  p.  284  Lefebvre  et  non  Lefèvre  \  p.  3G8  Dessair  et 
îion  Desaix,  etc. 


246  REVUE  CRITIQUE 

Les  volumes  IV  et  V  de  la  série,  parus  de  1880  à  i885,  sont  dus  à  ses 
recherches  '.  Il  avait  débuté,  si  je  ne  me  trompe,  dans  la  carrière,  en 
1875,  par  un  travail  Der  Kampf  um  Donaun'oerth .  Son  dernier  travail 
de  longue  haleine  est  une  histoire  de  la  révolte  des  pavsans  de  la 
Haute-Autriche  en  1626,  publiée  en  1891  '.  Il  a  disséminé  un  nombre 
considérable  de  mémoires,  en  partie  volumineux,  dans  les  Denkschrif- 
ten  et  les  Sit^ungsberichte  de  ladite  Académie  ;  ils  sont  relatifs  presque 
tous  à  l'histoire  de  l'Allemagne  et  spécialement  de  la  Bavière,  au  xvi« 
et  au  xvii^  siècles  \  Il  a  inséré  déplus  une  série  de  notices  biogra- 
phiques relatives  à  la  même  époque,  dans  VAllgemeine  deutsche 
Biographie  ;  on  en  trouvera  quelques-unes  dans  le  présent  volume  \ 
Mais  la  majeure  partie  du  livre  est  formée  par  une  douzaine  de  con- 
férences prononcées,  soit  à  Munich,  soit  peut-être  ailleurs,  devant  un 
public  mixte,  pendant  les  dernières  quinze  années  environ  de  sa  vie. 
Ces  confér,ences  nous  révèlent  un  Stieve  nouveau  que  le  public 
érudit,  en  dehors  de  Munich,  ne  connaissait  guère,  orateur  de  talent, 
vraiment  éloquent  parfois,  maniant  avec  facilité  les  idées  générales, 
jugeant  d  ordinaire  les  hommes  et  les  choses  de  haut.  Animé  d'un 
patriotisme  ardent  et  sincère,  Stieve  a  également  pris  part  aux  luttes 
religieuses,  si  vives  en  Bavière,  de  1870  à  1880,  et  appartint  d'abord 
au  groupe  vieux-catholique  pour  s'écarter  finalement  de  toute  église 
officielle  \  Ce  qui  frappe  avantageusement  à  la  lecture  de  ces  confé- 
rences, c'est  leur  extrême  brièveté  ;  la  plupart  n'ont  que  douze  à 
quinze  pages  et  l'on  peut  se  demander  si  les  textes  imprimés  n'étaient 
pas  simplement  des  canevas  sur  lesquels  l'orateur  brodait  ensuite  libre- 
ment devant  son  auditoire".  Quelques-uns  de  ces  morceaux  remontent 
au  moven  âge  iHenri  IV  à  Canossa.  —  Le  tnouvement  hussitei  ; 
d'autres  appartiennent  à  l'histoire  du  seizième  siècle  (La  Réforme  en 
Bavière)^  la  plupart  au  dix-septième  iLa  politique  et  les  passions  au 
xvu*  siècle  —  La  destruction  de  Magdebourg  —  Gustave  Adolphe  — 
La  conversion  de  Wallenstein  au  catholicisme  exe).  Il  n'en  est  aucune 
qu'on  ne  lise  avec  intérêt  et  le  professionnel  lui-même  pourra  trouver, 
dans  les  dernières  surtout,  des  aperçus  nouveaux,  l'auteur  connaissant 
admirablement  Thistoire  des  cinquante  années  qui  se  terminent  à  la 
signature  des  traités  de  Wesiphalio. 

1.  Voy.  sur  eux  Revue  Critique  17  avril  1880  et   i3  juillet  i885. 

2.  Der  Oberoestreicliische  Bauemaufstaud  von  16:26,  2  vol.  8".  Une  faute  d'im- 
pression de  la  préface  de  notre  volume  donne  à  cette  révolte  la  date  de  1.126. 

3.  Parmi  les  plus  importants  nous  citerons  Verhandlungen  iiber  Kaisers  Rudolf 
Naclifolge  1880),  Der  Kalenderstreit  des  16.  Jalirhunderts  in  Deutschland  (i883) 
Zur  Geschiclite  Wallensteins  (1898). 

4.  Celles  sur  les  empereurs  Rodolphe  H,  Ferdinand  II  et  Ferdinand  III. 

5.  On  peut  voir  à  ce  sujet  les  études  du  présent  volume,  Ignace  de  Docllinger 
et  De  l'importance  et  de  l'avenir  du  vieux  catholicisme. 

G.  La  préface  bien  courte  de  .M.  Hans  de  Zwiedineck  ne  nous  apprend  rien  à  ce 
sujet.  On  regrettera  certainement  que  ni  lui,  ni  la  veuve  du  regretté  savant,  n'ait 
songé  à  joindre  au  volume  une  notice  biographique  qui  aurait  été  la  bien  venue. 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  247 

M.  Stieve  était  aussi  fort  apprécié  à  Munich  comme  orateur  dans  les 
fêtes  et  les  banquets  politiques  ;  les  curieux  trouveront  quelques  spé- 
cimens de  ce  genre  d'éloquence  centenaire  de  l'empereur  Guillaume  I, 
fêtes  en  l'honneur  du  prince  de  Bismarck)  vers  la  fin  du  volume.  Mais 
le  dernier  morceau  qu'il  renferme,  Deux  jours  dans  un  cachot  français^ 
intéressej'a  peut-être  davantage  ;  ce  sont  des  souvenirs  de  voyage  ou 
plutôt  les  souvenirs  d'un  épisode  fort  désagréable  du  voyage  entrepris 
par  le  jeune  savant  lorsqu'il  travaillait  aux  archives  de  Paris.  Rentrant 
chez  lui  dans  la  soirée  du  i  i  juin  1869,  il  fut  englobé  sur  les  boule- 
vards dans  une  rafle  de  sergents  de  ville  qui  arrêtaient  quelques 
«  manifestants  »  d'alors,  et  après  avoir  été  fort  maltraité  parles  agents 
de  l'époque,  qui  n'étaient  pas  tendres  aux  «  fauteurs  de  désordres  »  il 
fut  conduit  à  Bicêtre  et  y  passa  quarante-huit  heures  en  fort  mauvaise 
compagnie  et  dans  des  locaux  d'une  malpropreté  extrême,  jusqu'à  ce 
que  son  ambassadeur  put  le  réclamer.  On  comprend  qu'il  n'ait  pas 
gardé  très  bon  souvenir  de  l'hospitalité  parisienne. 

R. 


Jamçs  A.  H.  MuRRAv.The  évolution  ofEnglish  Lexicography.  Oxford.  Frowde, 

1900.  5i  pp.  2  s. 

En  souvenir  du  professeur  Romanes,  l'Université  d'Oxford 
demande  tous  les  ans  une  conférence  à  l'un  des  plus  illustres  savants 
de  l'Angleterre.  Les  étudiants  ont  pu  ainsi  entendre  dans  le  Sheldo- 
nian  théâtre,  au  milieu  de  l'imposant  cérémonial  toujours  observé  dans 
les  fêtes  de  la  vieille  Université,  des  hommes  comme  Huxley  et  Glad- 
stone. Le  docteur  Murray,  auquel  est  dévolu  cette  année  l'honneur  de 
la  «  Romanes  lecture»,  a  pris  comme  sujet  l'évolution  de  la  lexicogra- 
phie en  Angleterre  depuis  lesbrefs  glossaires  que  rédigeaient  les  moines 
anglo-saxons  jusqu'au  volumineux  dictionnaire  historique  dont  il 
dirige  lui-même  en  ce  moment  la  publication.  Il  donne  quelques 
détails  sur  le  célèbre  dictionnaire  de  Johnson,  le  précurseurdes  lexico- 
graphes modernes.  S'il  faut  en  croire  Spence,  l'idée  première  d'un 
dictionnaire  remonterait  à  Pope.  Le  dictionnaire  de  Johnson  parut 
en  1755.  Son  autorité  est  telle  que  des  fautes  d'impression  que  l'auteur 
a  oublié  de  corriger  ont  imposé  aux  Anglais,  entre  autres  anomalies, 
la  confusion  des  deux  mots  coco  et  cocoa  et  la  fausse  orthographe  des- 
patch pour  dispatch.  Il  fallut  à  Johnson  huit  ans  et  demi  pour  ache- 
ver cet  ouvrage  immense.  M.  Murray  et  ses  collaborateurs  ont  tra- 
vaillé neuf  ans  avant  de  publier  les  trois  premières  lettres  de  leur 
dictionnaire.  C'est  qu'ils  ont  voulu,  d'après  M.  Murray  lui-même,  un 
dictionnaire  rigoureusement  historique,  et  non  un  dictionnaire  de  la 
langue- actuelle  —  comme  celui  de  Littré  —  dont  chaque  article  est 
accompagné  de  remarques  historiques.  Le  travail  de  vérification   des 


248  REVUE    CRITIQUE 

citations  a  été  fait  avec  un  tel  soin  qu'on  n'hésite  pas,  par  exemple,  à 
recourir  au  Neii'  English  Dictionaiy  pour  l'explication  d'un  passage 
corrompu  de  Shakespeare.  Ajoutons  cependant  que  ce  dictionnaire 
indispensable  au  philologue  ne  servira  guère  au  littérateur  en  quête 
de  remploi  correct  d'une  expression. 

Ch.  B. 


E.  Lecunkr.  Das  Oberengadin.  3<=  édit.  Leipzig,  Engelmann,  1900,  pp.  viii,  in-S" 
Prix  :  Mk.  3. 

Ce  livre,  écrit  surtoutpour  les  touristes,  est  cependant  moins  et  plus 
qu'un  guide.  Il  ne  contient  pas  les  renseignements  pratiques  indispen- 
sables au  voyageur;  mais  il  l'informe  d'une  manière  abondante,  sûre  et 
agréable  sur  l'histoire,  les  mœurs,  la  langue  et  la  littérature  du  pays, 
et  à  ce  titre  il  mérite  d'être  plus  qu'une  lecture  de  villégiature.  Après 
une  courte  introduction  géographique,  M.  Lechner  traite  de  l'histoire 
de  la  Haute-Engadine.  Son  esquisse  ne  prétend  pas  à  être  complète,, 
elle  manque  même  d'un  plan  rigoureux  ;  mais  certains  points,  déve- 
loppés avec  plus  d'ampleur  que  ne  le  comportait  le  cadre  du  livre, 
offrent  par  cela  même  un  réel  intérêt.  On  lira  avec  profit  les  détails 
sur  les  stations  sarrasines  dans  les  Alpes,  surtout  sur  l'introduction  et 
les  progrès  de  la  Réforme,  sur  les  luttes  des  deux  maisons  rivales  des 
Planta  et  des  Salis  et  l'adroite  politique  de  bascule  que  le  rusé  petit 
pays  joua  si  longtemps  entre  l'Autriche  et  la  France  avant  de  se  fondre 
dans  la  Confédération  Helvétique.  Le  chapitre  suivant  consacré  à  la 
^angue  et  à  la  littérature  latine  est  un  peu  insuffisant.  M.  L.  eût  pu, 
grâce  à  son  long  séjour  dans  le  pays,  nous  donner  de  ce  curieux  débris 
linguistique  une  monographie  qui  eût  ajouté  beaucoup  de  traits  inté- 
ressants à  la  psychologie  du  Romanche.  Nous  aurions  aussi  souhaité 
rencontrer  quelques  'V^olkslieder  parmi  les  textes  communiqués  à  titre 
d'échantillons  et  qui  sont  tantôt  des  traductions  modernes  de  poésies 
allemandes,  tantôt  des  morceaux  originaux  dont  M.  l^echner  a  fourni 
lui-même  une  heureuse  version.  La  dernière  partie,  Wandcrskii\en, 
est  plus  spécialement  écrite  pour  les  visiteurs  de  l'Engadine,  qu'elle 
promène  d'excursion  en  excursion,  complétant  ainsi,  parfois  à  l'aide 
d'illustrations,  —  nous  eussions  préféré  des  cartes  —  l'introduction  géo- 
graphique du  début,  un  peu  sommaire  dans  ses  généralités. 

L.  Roi  STAN. 


—  M.  Guide  BiooNi,  dans  un  article  extrait  du  Giornale  storico  e  letterario  delta 
Liguiia  mai-juin  1900),  estime  que  la  carte  dressée  en  l'Sab  par  Angclino  Dali' 
Orto  était  destinée  aussi  bien  aux  marins  qu'aux  «  terriens  »;  il  constate  qu'elle 
est  en  progrès  sur  les  cartes   antérieures  pour   la  Bretagne,  la   Scandinavie,  les 


d'histoire  et  de  littérature  249 

cotes  de  la  Baltique,  la  Bohème,  le  cours  du  Danube,  du  Tigre  et  de  l'Euphrate, 
et  réclame  pour  l'auteur  la  carte  parisienne  de  iSSg.  —  Ch.  D. 

—  M.  Gustave  Bauch  vient  de  tirer  des  Archives  de  Weimar  une  série  de  pièces 
inédites  relatives  aux  réformes  que  Mélanchthon  proposa  d'introduire  en  i523 
dans  les  matières  et  les  méthodes  d'enseignement  de  l'Université  de  Wittemberg 
[Die  Einfithrung  der  Melanchthonischen  Declamationen  vnd  andre  gleich^eitige 
Refovmen  an  der  Univcrsitaet  ^u  Wittenberg.  Breslau,  Marcus,  1900,  24  pp.  in-8')_ 
Il  résulte  de  ces  documents,  qui  sont  principalement  des  rapports  adressés  par 
Spalatin  aux  électeurs  Frédéric-le-Sage  et  Jean  de  Saxe,  de  i523  à  i525,  que 
renseignement,  à  ce  moment,  laissait  beaucoup  à  désirer,  que  les  humanistes 
convaincus  comme  Mélanchthon  avaient  à  lutter  sans  cesse  contre  l'ignorance  de 
leurs  auditeurs  et  que  la  théologie  nouvelle,  comme  autrefois  la  scolastique  du 
moyen  âge,  absorbait  le  plus  clair  du  temps  et  du  zèle  des  étudiants,  au  détriment 
des  études  classiques.  Quelques  notes  relatives  aux  savants  et  aux  autres  person- 
nages mentionnés  dans  cette  correspondance  n'auraient  pas  été  de  trop.  —  R. 

—  On  peut  se  demander  s'il  était  bien  nécessaire  de  consacrer  deux  cents  pages 
in-8°  à  l'analyse  de  la  controverse  poursuivie,  de  1607  à  1609,  entre  le  roi 
Jacques  I"  d'Angleterre  et  le  cardinal  Bellarmin,  sur  les  limites  réciproques  du  pou- 
voir royal  et  de  celui  du  Saint-Siège.  M.Joseph  de  la  Servière,  élève  de  l'Université 
catholique  d'Angers,  l'a  fait  dans  une  thèse  présentée  à  la  faculté  des  lettres  de 
Poitiers,  qui  n'est  pas  précisément  d'une  lecture  facile  {De  Jacobo  I  Angliae  rege 
cutn  Cardinali  Roberto  Bellavtnino  S.  J.  super  potestate  cum  regia  titm  pontificia 
disputante.  Parisiis,  Oudin,  1900,  XXXI,  169  pp.  in-S").  Peu  de  personnes  sans 
doute  s'inscriront  en  faux  contre  le  jugement  porté  par  l'auteur  sur  le  théologien 
couronné  que  Sully  appelait  le  plus  sage  des  fous  et  le  plus  fou  des  sages,  mais 
je  crains  bien  qu'en  dehors  de  la  Compagnie,  naturellement  partiale  pour  un  si 
illustre  confrère,  bien  peu  de  politiques  ou  de  penseurs  modernes  partagent  son 
admiration  pour  le  célèbre  jésuite  et  —  ce  qui  est  plus  difficile  que  de  l'admirer 
en  bloc  —  aient  la  patience  de  le  suivre  dans  tous  les  détours  de  sa  casuistique 
politique.  Assurément  la  question  pouvait  sembler  brûlante,  elle  l'était  même 
certainement  au  xvii'  siècle;  de  nos  jours  encore,  il  est  bon  de  connaître  ces 
controverses  célèbres  d'autrefois.  Mais  une  vingtaine  de  pages  suffirait  largement 
pour  en  résumer  les  traits  principaux,  sans  qu'on  s'astreigne  à  les  suivre  dans 
tous  les  méandres  de  leurs  fatigantes  redites  et  de  leurs  invectives  réciproques.  —  S. 

—  M.  Ch.  Pi'isTER,  professeur  d'histoire  à  l'Université  de  Nancy,  vient  de  faire 
■paraître  dans  les  Mémoires  de  la  Société  d'archéologie  lorraine  et  en  tirage  à  part, 
un  intéressant  Journal  de  ce  qui  s'est  passé  à  Nancy  depuis  la  paix  de  Rysivick 
jusqu'en  l'année  iy44,  dû  au  libraire  nancécn  Jean-François  Nicolas,  le  bibliophile 

lorrain  bien  connu  par  ses  rapports  avec  Dom  Calmet,  Chevrier  et  d'autres  érudits 
du  temps.  Sans  présenter  des  faits  nouveaux  pour  l'histoire  générale,  le  Journal 
de  Nicolas  (Nancy,  Crépin-Leblond,  1900,  178  pp.  in-8'')  est  riche  en  détails  curieux 
sur  les  événements  quotidiens,  sur  les  mœurs  de  la  petite  capitale  et  sur  la  façon 
de  voir  de  ses  habitants,  relativement  aux  changements  qui  s'opérèrent  dans  leurs 
destinées  par  les  guerres  de  Louis  XIV  d'abord  et  surtout  par  le  départ  de  Fran- 
çois III  de  Lorraine  et  son  remplacement  par  le  roi  Stanislas.  Le  bon  libraire  vit 
arriver  le  monarque  polonais  avec  un  déplaisir  qu'il  marque  à  mainte  page  de 
ses  notes.  Celles-ci  sont  donc  une  contribution  précieuse  à  l'histoire  de  la  Lorraine 
au  xvni«  siècle,  encore  qu'il  faille  les  utiliser  avec  prudence.  M.  Pfistcr  a  joint  à  ce 
texte,  emprunté  à  l'une  des  nouvelles  acquisitions  de  la  Bibliothèque  Nationale, 


250  REVUE    CRITIQUE 

une   notice   biographique    très  complète,    où  il   juge   cquitablcmcnt   Thomme   et 
l'historien.  —  R. 

—  M.  HoRRic  DE  Beaucaire  a  récemment  donne  deux  nouveaux  volumes  du 
Recueil  des  Instructions  diplomatiques,  public  sous  les  auspices  de  la  Commission 
des  archives  diplomatiques  au  Ministère  des  affaires  étrangères  (chez  Alcan).  Le 
tome  I"  contient  les  instructions  données  aux  envoyés  à  la  cour  de  Savoie-Sav- 
daigne  de  1648  à  1748;  le  tome  II  va  de  1748  à  1789;  il  fournit  en  outre  le^ 
instructions  aux  envoyés  près  les  ducs  de  Mantoue  de  1648  à  1708  (date  de  la 
disparition  du  duché)  puis  une  série  de  neuf  appendices  (listes  chronologiques  des 
ambassades,  tables  généalogiques  de  Savoie  et  Mantoue,  texte  des  traités  de  i655 
entre  Louis  XIV  et  le  duc  de  Mantoue),  et  il  se  termine  par  une  table  alphabétique 
très  développée.  La  publication  est  faite  avec  grand  soin.  Dans  ses  introductions, 
M.  H.  de  B.  retrace  sommairement  l'histoire  des  relations  diplomatiques  de  la 
France  avec  la  Savoie  et  Mantoue  sous  l'ancien  régime;  avec  raison,  il  remonte 
aux  origines  antérieures  à  1648,  car  les  traités  de  Westphalie  ne  constituent  pas 
pour  l'Italie  une  date  aussi  importante  que  pour  le  reste  de  l'Europe,  et  il  y  a 
peut-être  lieu  de  regretter  que  le  plan  général  de  la  collection  n'ait  pas  permis  à 
M.  H.  de  B.  de  donner  au  moins  le  texte  des  instructions  rédigées  sous  le  minis- 
tère de  Richelieu.  Ces  introductions  constituent  d'utiles  chapitres  d'histoire  diplo- 
matique, solides  et  clairs;  et  si  M.  H.  de  Beaucaire  estropie  parfois  les  noms 
propres,  ou  s'il  laisse  passer  quelque  inadvertance,  comme  d'appeler  Frédéric- 
Guillaume  le  roi  de  Prusse  en  1704  (t.  I,  p.  lxviii),  son  érudition  n'en  est  pas 
moins  de  bonne  qualité,  et  ses  notes,  avec  leurs  références  abondantes  et  précises, 
sont  excellentes.  Quant  aux  instructions  elles-mêmes,  plusieurs  sont  de  médiocre 
intérêt;  mais  nous  n'avons  pas  ici  à  reprendre  les  critiques  déjà  souvent  faites 
contre  la  conception  générale  du  recueil.  —  G.  P. 

—  Sous  le  titre  les  bibliotlièques  particulières  de  Napoléon  (Paris,  Leclerc.  In-8°, 
22  p.),  M.  Ant.  GuiLLois  retrace  avec  une  foule  d'intéressants  détails,  l'histoire  des 
bibliothèques  personnelles  de  Napoléon,  telle  qu'elle  lui  a  été  racontée  maintes  fois 
par  M.  Louis  Barbier,  le  fîls  d'Antoine  Barbier  (le  successeur  de  Ripault  et  le  biblio- 
thécaire de  l'Empereur)  et  d'après  les  pièces  que  M.  Louis  Barbier  et  ses  descen- 
dants lui  ont  confiées.  On  voit  dans  ce  travail  que  Napoléon  n'a  jamais  négligé  la 
lecture  des  grands  auteurs,  qu'il  lisait  même  les  nouveautés  —  quitte  à  les  jeter 
en  voyage  par  la  portière  de  sa  voiture,  et  les  pages  qui  les  ramassaient  en  faisaient 
leur  régal  —  que  les  fonctions  de  son  bibliothécaire  n'étaient  pas  une  sinécure, 
etc.  Signalons  à  M.  Guillois  une  note  du  premier  consul  [Corr.  'VI,  533)  deman- 
dant à  Ripault  un  catalogue  de  la  bibliothèque  du  Directoire  pour  «  choisir  les 
livres  qui  seront  à  son  usage  ».  — A.  C. 

—  Après  avoir  publié  la  traduction  des  études  de  Clausewitz  sur  1812  et  i8i5, 
la  librairie  Chapelet  fait  paraître  aujourd'hui  la  Campagne  de  i8i3  et  la  cam- 
pagne de  j 814  (In.  8°,  208  p.).  La  traduction  de  cet  ouvrage  de  Clausewitz  est  due 
au  commandant  Thomann  qui  dédie  son  travail  aux  camarades  de  l'armée  française 
comme  Clausewitz  avait  dédié  son  œuvre  aux  camarades  de  l'armée  prussienne. 
On  trouvera,  dit  le  traducteur  avec  raison,  de  multiples  et  précieux  enseignements 
dans  l'exposé  de  ces  deux  campagnes  et  principalement  dans  les  critiques  qui 
l'accompagnent  et  qui,  de  l'avis  du  général  Pierron,  sont  un  chef-d'œuvre.  —  A.  C. 

—  M.  Maurice  Tourneux  a  publié  chez  Noël  Charavay  une  Table  générale  des 
lettres  et  documents  contenus  dans  VAmateur  d'autographes  (Première  série, 
deuxième  période,  1875-1892}.  Il  avait  déjà  donné  en  1877  '^"'^  Table  des  documents 


d'histoire  et  de  littérature  25  I 

de  la  première  période;  mais  elle  ne  comportait,  comme  l'indiquait  le  titre,  que  les 
pièces  inédites.  La  seconde  Table  qu'il  présente  aux  chercheurs  donne,  avec  la  liste 
des  documents  originaux  de  tout  genre,  celle  des  articles,  des  comptes  rendus  de 
ventes  et  de  livres,  des  nécrologies  et  des  nouvelles  diverses  contenues  dans  chaque 
numéro.  —  A.  C. 

,  —  Le  même  érudit  a  fait  tirera  part  de  la  «  Révolution  française  »  (mars  igoo, 
à  deux  cents  exemplaires  sur  papier  vergé)  sa  notice  sur  Etienne  Charavay,  sa  vie 
et  ses  travaux.  On  ne  relira  pas  sans  émotion  les  pages  consacrées  par  M.  Tourneux 
à  la  vie  de  ce  modeste  et  savant  historien  qui  disait  qu'il  faut  vaincre  l'ignorance 
et  que,  dans  cette  immense  tâche,  chacun  trouve  sa  place,  si  infime  qu'elle  soit. 
M.  Tourneux  a  d'ailleurs  énuméré  aussi  complètement  que  possible  les  travaux 
d'Etienne  Charavay  :  il  les  a  divisés  en  deux  classes,  ceux  qui  appartiennent  aux 
sujets  les  plus  divers  et  ceux  qui  tiennent  à  la  science  des  autographes.  —  A.  C. 

—  Les  actes  de  l'état  civil  parisien  antérieurs  à  i86o  ont  été  brûlés  en  1871,  et 
la  commission  chargée  de  les  reconstituer  a  fonctionné  jusqu'en  1897.  Dans  son 
étude  sur  Les  Sources  de  Vancien  état  civil  parisien  (Paris,  Champion,  1899,  in-S", 
vii-i36  pages),  M.  Marius  Barroux,, archiviste  adjoint  de  la  Seine,  s'est  proposé, 
non  pas  de  faire  l'histoire  de  la  reconstitution,  mais  de  dresser  la  liste  complète 
de  tous  les  documents  qui  peuvent  être  considérés  aujourd'hui  comme  les  sources 
de  l'état  civil  parisien  et  avant  1860,  que  ces  documents  aient  été,  ou  non,  utilisés 
par  la  commission  de  reconstitution.  Ce  sont  :  i"  les  «  actes  »  de  l'état  civil  soit 
«  sous  la  forme  authentique  »  (registres  des  paroisses,  des  établissements  hospita- 
liers ou  religieux,  des  non-catholiques),  soit  «  sous  la  forme  non  authentique  » 
(copies  ou  extraits);  2°  les  «  documents  >>  d'état  civil  (registres  d'ordre  des  diffé- 
rents cultes,  des  établissements  hospitaliers,  archives  de  l'enregistrement,  procès- 
verbaux  d'apposition  des  scellés,  anciennes  listes  des  périodiques,  registres  des 
pompes  funèbres,  archives  des  cimetières,  épitaphiers,  papiers  de  famille).  Dans 
ce  cadre  méthodique,  chaque  groupe  de  documents  est  noté  en  son  lieu,  analysé 
et  décrit  avec  une  scrupuleuse  précision.  Le  volume  se  termine  par  une  utile  table 
alphabétique,  où  sont  notamment  mentionnés  les  noms  d'une  centaine  de  Pari- 
siens célèbres,  dont  M.  B.  a  relevé  en  passant  les  sources  d'état  civil.  Indispen- 
sable à  l'étude  de  l'état  civil  parisien,  l'excellent  répertoire  critique  de  M.  B.  four- 
nit un  grand  nombre  d'indications  qui,  telles  quelles  ou  par  analogie,  pourront 
être  utilisées  aussi  pour  la  recherche  des  dates  de  naissance  et  de  décès  dans  les 
villes  de  province.  —  G.  P. 

—  M.  Paul  Seidel,  directeur  des  collections  royales  de  Prusse,  vient  de  publier 
deux  catalogues,  qui  se  rattachent  à  l'exposition  de  1900,  mais  dont  l'importance 
et  l'intérêt  dépassent  de  beaucoup  le  provisoire  de  cette  exposition.  Le  premier  : 
Les  collections  d'œuvre  d'art  françaises  du  xvin«  siècle  appartenant  à  S.  M.  l'Empe- 
reur d'Allemagne  (grand  fol.  illustr.),  retrace  l'histoire  des  toiles,  sculptures, 
tapisseries,  rassemblées  surtout  par  le  roi  Frédéric  II,  grand  amateur  de  notre 
art,  aussi  bien  que  de  notre  littérature.  Le  second  :  Les  collections  d'art  de  Frédé- 
ric le  Grand,  à  l'exposition  universelle  de  Paris,  est  l'inventaire  explicatif  de  celles 
de  ces  œuvres,  aujourd'hui  presque  populaires,  qui  décorent  le  Pavillon  allemand 
de  la  Rue  des  Nations.  Le  grand  catalogue,  tiré  à  3oo  exemplaires,  est  malheureu- 
sement presque  impossible  à  acquérir.  On  peut  recommander  aux  historiens  d'art 
d'acquérir  au  moins  le  petit,  très  facilement  accessible.  Personne  n'était  plus 
qualifie  que  M.  Seidel  pour  écrire  une  étude  complète  et  savante  sur  des  œuvres 
qui  restent  pour  nous  nationales,  et  il  faut  en  outre  le  remercier  de  la  sympathie 


2  52  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

particulière  —  et  intentionnelle  —  avec  laquelle  il  l'a  écrite.  MM.  Paul  Vitry  et 
Marquet  de  Vasski,ot,  attachés  aux  Musées  du  Louvre  et  de  Versailles,  en  la  vul- 
garisant pour  le  public  français  dans  une  bonne  traduction,  ont  bien  mérité  de 
tous  ceux  qui  goûtent  notre  art  du  xviir  siècle  si  délicat,  si  élégant,  si  personnel 
et  original.  —  Henry  Lemonnier. 

—  Le  XLI"  fascicule  de  VexceUent  Schwei^erisches  Idiotikon,  Woerterbiicli  der 
schwei^erdeutschen  Sprache  (Frauenfeld,  Huber)  contient  les  p.  i  585-1744  et  va  de 
burga  à  bus  et  ses  composés.  Signalons,  en  passant,  une  légère  erreur  :  p.  1 658,  on 
donne  comme  composé  de  passade,  le  mot  itspassade  avec  un  exemple  de  Rodt, 
drei  Auspassaden;  le  mot  a  été  mal  lu  ;  il  faut  lire  Anspessaden  (cf.  le  français  aus- 
pessade). 

—  M.  Vittorio  Ferrari  vient  de  donner  une  b^  édition  complètement  refondue 
an  Manuel  de  littérature  italienne  de  Cesare  Fenini  des  origines  à  1748  (Milan, 
Hœpli);  il  s'y  attache  surtout  à  marquer  le  rapport  de  la  littérature  avec  les  vicis- 
situdes de  la  politique  et  le  développement  général  de  l'esprit.  —  Ch.  D. 

—  Le  Dictionnaire  général  de  la  langue  française  par  MM,  Hatzfeld,  Arsène 
Darmesteter  et  Antoine  Thomas,  qui  vient  de  se  terminer  et  qui  avait  déjà  obtenu 
le  prix  Jean  Reynaud,  a  obtenu  le  grand  prix  de  l'Exposition  Universelle  de  1900. 

—  Nous  apprenons  avec  le  plus  vif  regret  la  mort  de  M.  le  Chevalier  D""  Vin- 
cenzo  Joppi,  le  i"  juillet  dernier.  Le  D''  Joppi,  qui  avait  pris  cette  année  même  sa 
retraite  de  bibliothécaire  de  la  ville  d'Udine,  était  l'homme  connaissant  le  mieux 
l'histoire  du  Frioul.  Malgré  son  grand  âge,  il  avait  conservé  toute  son  activité  qu'il 
mettait  ainsi  que  sa  science  au  service  de  ceux  qui  y  avaient  recours.  11  avait  été 
président  de  la  Deputazione  Veneta  di  Storia  Patria.  —  Henri  Cordier. 

—  On  nous  écrit  d'Athènes  :  Les  éditions  de  la  Bibliothèque  Marasli  se  suc- 
cèdent. Les  traductions  de  l'Histoire  grecque  de  Curtius  (Lambros),  de  la  Poésie 
Latine  de  Ribbegk  (Sakellaropoulos),  d'Alexandre  le  Grand  et  des  Diadoques  de 
Drovsen  (Pantazidis),  sont  complètement  terminées.  Nous  avons  de  même  le  pre- 
mier volume  de  V Archéologie  de  Gilbert  (Politis)  et  le  premier  volume  de  la 
Littérature  Byzantine  de  Krumbacher  (Sotiriadis).  Nous  avons  déjà  signalé  la  tra- 
duction de  la  Littérature  dramatique  de  Saint-Marc-Girardin  (Vlachos)  et  de  YHis- 
toire  des  monnaies  anciennes  de  Head  (Svoronos),  qui  sont  aussi  terminées  depuis 
quelque  temps.  Nous  y  ajoutons  les  deux  premiers  volumes  de  Y  Histoire  d'Angle- 
terre de  Macaulay  (Rhoïdis)  et  les  Leçons  de  linguistique  de  Whitney  et  JoUy  (Chad- 
jidakis].  On  a  aussi  publié  dans  la  même  Bibliothèque  la  traduction  d'un  poème 
de  Pouchkine,  et  celle  de  Hamlet  (Damiralis). 

De  pair  avec  les  traductions  marche  la  publication  de  plusieurs  ouvrages  origi- 
naux :  Jean  Capodistrias  par  Hidromenos,  le  )>remier  volume  des  Proverbes  de 
N.  G.  Politis  (prix  de  l'Association  pour  l'encouragement  des  études  grecques  de 
Paris),  dont  compte  a  été  déjà  rendu  dans  la  Revue  Critique,  et  enfin  les  deux 
volumes  intitulés  T^vaYiovr,  véojv  ^.éHswv  etc.  Ce  dernier  ouvrage  est  un  dictionnaire, 
œuvre  posthume  de  Koumanoudis,  qui  renferme  soixante  mille  mots  formés  depuis 
la  prise  de  Constantinople  jusqu'à  nos  jours  (sciences,  administration,  finances, 
tribunaux,  etc.).  Il  rendra  des  services  signalés  à  tous  ceux  qui  s'occupent  de  la 
langue  néohellénique. 

Le  Propriétaire-Gérant  :  Ernest  LEROUX. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N°  40  —  1"  octobre  —  1900 


Meylan-Faure,  Les  épithètes  dans  Homère.  —  Lattes,  Le  droit  coutumier  lom- 
bard. —  Gabotto,  La  Commune  à  Cuneo. —  Nicastro,  Etude  sur  la  conjugaison 
française.  —  Vast,  Les  grands  traités  du  règne  de  Louis  XIV,  III.  —  F.  Brun, 
Un  village  soissonnais.  —  Costa  de  Beauregard,  Souvenirs  de  La  Ferronnays. — 
P.  Brin,  Henry  Beyle-Stendhal.  —  Annuaire  de  Goethe,  XXI.  —  Scherillo,  Les 
poésies  de  Leopardi.  —  Morane,  Finlande  et  Caucase.  —  Soutzo,  Mémoires,  p. 
Rizos.  —  Van  Ortrov,  Les  délimitations  en  Afrique.  —  Fouillée,  La  France  au 
point  de  vue  moral. 


Mevlan-Faure  Les  épithètes  dans  Homère,  Lausanne,  1899. 

L'étude  de  M.  Meylan-Faure  sur  Les  épithètes  dans  Homère  est 
une  thèse  présentée  à  l'Université  de  Lausanne.  C'est  un  résumé 
succinct,  clair  et  élégant  des  principales  questions  relatives  au  choix, 
à  la  signification,  à  la  place  des  épithètes  dans  Homère.  L'auteur  s'est 
surtout  inspiré  des  théories  de  Diintzer  et  de  Brugman.  Comme  il  ne 
prétendait  point  à  faire  œuvre  originale,  nous  ne  saurions  lui  repro- 
cher de  n'avoir  rien  ajouté  de  nouveau  à  ce  que  savaient  déjà  tous 
ceux  qui  se  préoccupent  de  restaurer  et  d'interpréter  le  texte  de  VIliade 

et  de  l'Odyssée. 

M.  D. 


Al.  Lattes,  Il  diritto  consuetudinario  délie  città  lombarde,  con  una  appendice 

di  tcsti  ineditti.  Hœpli,  iMilan,  1899,  xvi-463  p. 

Jusqu'ici  le  droit  coutumier  lombard  n'avait  fait  l'objet  d'aucune 
étude  d'ensemble;  nous  n'avions  à  son  sujet  que  des  indications 
éparses  dans  les  histoires  du  droit  italien  comme  celles  de  Fertile,  de 
Schupfer,  de  Salvioli  ;  les  coutumes  de  Milan  de  12 16  éditées  par 
J.  Berlan  en  1866  étaient  seules  mieux  connues.  M.  Alessandro 
Lattes,  auquel  nous  devons  déjà  des  recherches  sur  le  droit  statutaire 
italien,  s'est  proposé  de  combler  la  lacune  qui  existait  dans  la  littéra- 
ture juridique  italienne  en  nous  donnant  une  histoire  externe  des  cou- 
tumes municipales  de  la  Lombardie  au  xni«  et  au  xiv*  siècles  et  un 
exposé  systématique  de  la  législation  qu'elles  renferment.  Il  y  a  joint 
le  texte  des  coutumes  inédites  de  Bergame  et  celui  des  coutumes  de 
Brescia  dont  on  n'avait  qu'une  édition  incomplète. 

Nouvelle  série  L.  40 


2  54  REVUE    CRITIQUE 

Il  nous  semble  que,  sans  trop  grossir  son  livre,  il  aurait  pu  multi- 
plier les  citations  de  textes  au  bas  des  pages  ;  nous  regrettons  surtout 
qu'un  ouvrage  de  ce  genre  ne  soit  pas  accompagné  d'un  index  détaillé 
permettant  d'utiliser  rapidement,  sans  de  longues  recherches,  les  nom- 
breuses indications  qu'il  contient  ;  la  table  des  matières,  quoique 
commode,  est  loin  d'être  suffisante  ;  ainsi  à  la  p.  209  il  est  question  du 
retrait,  à  la  p.  209,  211,  des  guadia  ;  si  l'on  consulte  la  table,  ces 
matières  ne  sont  traitées  qu'aux  p.  269  et  196  ;  il  n'y  a,  pour  ainsi  dire, 
aucun  point  à  propos  duquel  cette  observation  ne  put  être  faite. 

M.  L.  ne  s'est  occupé  que  des  coutumes  proprement  dites  et  les  a 
distinguées  des  statuts  émanés  de  l'autorité  publique.  Je  ne  sais  si 
cette  distinction  est  heureuse.  En  réalité  coutumes  et  statuts  se 
mêlent  et  s'enchevêtrent  constamment;  un  statut  n'est  souvent,  au 
fond,  qu'une  coutume  passée  à  l'état  de  loi.  La  seule  raison  par 
laquelle  la  méthode  de  M.  L.  se  Justifie,  c'est  qu'il  lui  a  bien  fallu  se 
borner. 

Il  est  impossible  de  donner  une  analyse  même  sommaire  d'une 
oeuvre  comme  celle  de  M.  Lattes.  Nous  nous  contenterons  de 
quelques  remarques  de  détail,  après  avoir  constaté  que  sous  une 
forme  très  sobre  et  très  nette,  on  y  trouve,  bien  groupées,  bien  éclair- 
cies,  les  dispositions  coutumières  suivies  par  les  cités  lombardes. 

C'est  surtout  à  propos  du  Liber  consuetudinum  Mediolani  que 
M.  L.  insiste;  à  ses  yeux,  c'est  une  œuvre  privée  qui  rappelle,  avec 
un  caractère  moins  marqué  de  personnalité,  le  traité  postérieur  en 
date  de  Bertaldo  sur  les  coutumes  de  Venise  (Splendor  Venetorum 
civitatis  consuetudinum)  ;  l'auteur  du  recueil  des  coutumes  milanaises, 
P.  Judex,  serait  peut-être  P.  Villani,  qui  fut  juge  et  assesseur  du 
podestat  de  Milan  en  1200  et  auquel  on  attribue  une  compilation 
d'usages  féodaux;  conjecture  pour  conjecture,  celle-là  vaut  bien  les 
hypothèses  de  Porro  et  de  Berlan. 

En  ce  qui  concerne  le  droit  public  lombard,  on  lira  avec  intérêt  les 
pages  relatives  à  la  bourgeoisie  ou  vicinatico  de  Cannobio,  aux  ori- 
gines de  cette  commune  et  aux  vestiges  qui  s'y  rencontrent  de  la  pro- 
priété collective  du  sol.  Seuls,  les  vicini  pouvaient  être  propriétaires 
des  immeubles  situés  sur  le  territbire  de  Cannobio  :  d'où  il  résultait 
que  les  créanciers  d'un  vicinus  ne  pouvaient  recevoir  en  paiement  les 
immeubles  qui  lui  appartenaient  que  s'ils  étaient  eux-mêmes  vicini  ou 
bourgeois.  Le  retrait  des  voisins  existe  à  côté  du  retrait  lignager  ou 
agnatique  dans  l'intérêt  de  la  famille.  Les  associations  entre  frères  qui 
vivent  en  commun  rappellent  la  vieille  organisation  de  la  famille. 

Dans  l'ensemble  du  droit  privé  on  retrouve  le  double  courant 
romain  et  germanique  avec  des  usages  particuliers  issus  des  besoins 
de  la  pratique.  Ainsi  la  procédure  romano-canonique  est  passée  avec 
ses  traits  essentiels  dans  les  coutumes  lombardes,  mais  elle  s'y  nuance 
de  pratiques  barbares,  de   traits   nouveaux,  surtout   en    matière   de 


d'histoire  et  de  littérature  255 

preuves  (duel  judiciaire,  etc.)  et  à  propos  de  la  procédure  d'exécution  : 
exécution  d'autorité  privée  à  Gôme,  art.  44-48,  arrêt  conventionnel  de 
la  personne  du  débiteur  par  le  créancier  [expressum  pactum  inter  con- 
trahcntes  de  capiendo  et  detinendo)^  pratiques  infamantes  en  cas  de 
cession  de  biens.  Les  titres  exécutoires  assimilés  à  une  sentence  judi- 
ciaire, ayant  la  même  efficacité,  apparaissent  à  Brescia,  dès  1225  (cf. 
Gôme,  1281  :  condemnacio  per  confessionem). 

Chaque  chapitre,  chaque  paragraphe  appellerait  des  remarques  ana- 
logues :  à  propos  de  l'émancipation,  p.  180,  les  ressemblances  avec 
l'affranchissement  ;  à  propos  de  la  condition  des  femmes,  p.  181,  lés 
autorisations  requises  pour  la  validité  des  actes  par  elles  accomplis, 
des  détails  sur  les  professiones  legis  ;  à  propos  des  obligations,  p.  196, 
la  curieuse  fusion  de  la  tidéjussion  romaine  et  des  guadia  lombards  ; 
en  matière  de  vente,  p.  210,  l'usage  des  cautions  garantissant  l'ache- 
teur contre  l'éviction  et  corroborant  l'obligation  du  vendeur  [cï.fide- 
jussores  de  carta  guarendi  à  Aoste).  M.  Lattes  a  touché  à  tant  de 
points  qu'il  ne  faut  pas  songer  à  signaler,  ne  fut-ce  que  d'un  mot, 
même  les  plus  importants. 

J.  Brissaud. 


F.  Gabotto.  Il  «  comune  »  a  Cuneo  e  le  origini  comunale  in  Piemonte.  Mes- 
sine, Greco  et  Sabella,  1900.  —  P.  17  à  94  (extrait  du  Bollettino  storico-biblio- 
grafico  subalpine,  V,  I-II). 

Les  origines  des  communes  italiennes  ne  sont  pas  moins  obscures 
que  celles  des  communes  ou  des  consulats  français.  M.  Ferd,  Gabotto, 
professeur  d'histoire  moderne  à  l'Université  de  Messine,  dans  des 
écrits  divers  sur  Biella,  Asti,  Pignerol,  avait  soutenu,  avec  Davidsohn, 
Geschichte  von  Flore?î\,  1896,  que  les  communes  se  rattachaient  à  la 
vicinia  ecclésiastique  (habitants  du  viens,  vicini,  groupés  par  la  néces- 
sité de  subvenir  aux  besoins  du  culte)  Tout  en  maintenant  ce  point  de 
vue,  il  insiste,  à  propos  de  Guneo,  sur  le  caractère  seigneurial  des 
communes  en  Piémont.  A  Pignerol,  à  Verceil,  à  Ivrée,  la  commune 
n'est  qu'un  consortium  de  seigneurs.  Des  membres  d'une  même  famille 
féodale  jouissaient  dans  un  même  lieu  de  droits  divers  dont  l'exercice 
était  réglé  dans  un  colloquium  commune,  confié  à  certains  d'entre  eux 
qui  prenaient  le  nom  de  Gonseils.  La  commune  ne  serait  donc  qu'une 
forme  de  la  coseigneurie.  S'il  n'est  pas  trop  surprenant  qu'elle  ait  eu 
ce  caractère  dans  les  villes  anciennes,  on  est  étonné  de  le  retrouver 
dans  des  villes  neuves,  comme  Guneo,  au  xii«  siècle.  G'est  ce  que 
M.  Gabotto  s'est  proposé  cependant  d'établir  par  l'analyse  de  docu- 
ments dont  il  donne  les  plus  importants  en  appendice.  Sa  conclusion 
peut-elle  être  étendue  à  des  villes  plus  importantes  comme  Alexandrie  ? 
Il  y  a  lieu  d'en  douter.  En  tout  cas,  elle  est  de  nature,  même  restreinte 


256.  REVUE    CRITIQUE 

à  une  petite  ville,"  à  confirmer  ce  que  l'on  admet  communément  au 
sujet  de  nos  consulats  méridionaux,  à  savoir  qu'une  place  y  était 
faite  à  la  petite  noblesse. 

J.  Brissaud. 


Philippe  NicASTRO  :  Etude  sur  la  conjugaison  française.  Ragusc,  G.  Destefano, 

1899;  un  vol.  in-4",  de  193  pages. 

Muni  d'une  couverture  bleu-pâle,  imprimé  avec  un  certain  luxe 
typographique,  le  volume  de  M.  Nicastro  se  présente  bien  à  l'œil  : 
malheureusement  le  contenu  ne  répond  pas  au  contenant,  et  l'on  s'en 
aperçoit  dès  qu'on  a  parcouru  les  premières  pages  du  livre.  Qu'a 
voulu  faire  l'auteur?  On  ne  le  voit  pas  trop.  Est-ce  une  étude  histo- 
rique, ou  un  guide  pratique  destiné  aux  étrangers  qui  désirent 
apprendre  la  conjugaison  française  ?  C'est  tout  cela  à  la  fois,  semble-t- 
il,  mais  en  visant  les  deux  buts,  M.  N.  n'en  a  atteint  aucun.  Je  ne  puis 
m'attarder  à  le  démontrer  ici.  La  partie  intitulée  Histoire  et  théorie 
s'étend  de  la  p.  7  à  71,  mais  les  pages  y  sont  courtes,  très  courtes  en 
général,  encombrées  par  des  notes  multiples  et  de  toutes  provenances. 
Il  y  a  là  des  renvois  aux  grammaires  de  Larousse,  de  Larive  et 
Fleury  ;  des  citations  tirées  de  Burguy  et  naturellement  de  l'inévi- 
table Brachet  (jusqu'à  quand  les  ouvrages  de  Brachet  seront-ils  un 
obstacle  à  tout  progrès  sérieux  dans  l'enseignement  historique  du 
français?)  M.  N.  connaît,  à  vrai  dire,  d'autres  auteurs,  Diez  par 
exemple  et  aussi  M.  Chabaneau,  il  a  lu  les  grammaires  de  MM.  Clé- 
dat  et  Brunot  :  comment  se  fait-il  que  de  cette  lecture,  si  elle  a  été  un 
peu  attentive,  il  n'ait  pas  tiré  une  idée  plus  nette  de  la  conjugaison 
française,  et  ait  laissé  subsister  la  plus  complète  incertitude  dans  son 
exposé  ?  En  fait  de  phonétique,  il  n'admet  pas  e|ue  /  se  soit  vocalisée 
en  II  devant  une  consonne;  mais  il  croit  par  contre  que  le  t  de  aime-t- 
il  représente  celui  de  amat.  Il  \\v&  aller  de  ai^ar^  (d'après  Brachet 
bien  entendu)  ;  parlant  de  la  production  d'une  dentale  accessoire  entre 
n  et  r,  il  cite  comme  exemple  prendre  —  supposant  apparemment  que 
prehendere  n'est  pas  un  mot  latin  —  et  ainsi  de  suite.  N'insistons  pas. 
Tout  cet  exposé  procédant  au  hasard,  sans  aucun  lien  systématique 
qui  coordonne  les  faits  entre  eux,  est  arriéré  de  quarante  ou  cinquante 
ans.  Nous  ne  pénétrerons  pas  non  plus  dans  les  multiples  et  redou- 
tables tableaux  dont  est  hérissée  la  seconde  partie  du  livre.  Nous  y 
apprendrions  cependant  des  choses  assez  nouvelles  :  ainsi  que,  le 
radical  de  savoir  étant  sach,  on  obtient  savoir  en  changeant  cJi  en  v, 
et  la  forme  du  parfait  nous  y  serait  expliquée  par  un  diagramme  théo- 
rique s  lach  =)  u-s.  Comprenne  qui  pourra  :  je  plaindrais  de  tout 
mon  cœur  les  élèves  qui  chercheraient  à  se  loger  dans  la  cervelle  la 
conjugaison    française    en    suivant    de   tels    procédés.    Devons-nous 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTERATURE  25 J 

remercier  M.  N.  d'avoir  rédigé  son  livre  en  français  ?  Oui,  en  prin- 
cipe. Il  faut  bien  reconnaître  cependant  qu'il  écrit  notre  langue  d'une 
façon  un  peu  pénible,  et  qu'il  a  laissé  subsister  un  grand  nombre 
d'erreurs  typographiques.  Dans  la  première  phrase  de  son  avant-pro- 
pos, M.  Nicastro  déclare  modestement  que  son  essai  sur  le  verbe 
français  «  est  loin  de  satisfaire  à  des  besoins  réels  »  •  je  regrette  de  ne 
pouvoir  pas  le  contredire. 

E.   BOURCIEZ. 


Henri  Vast.  Les  Grands  Traités  du  règne  de  Louis  XIV,  3<:  fascicule.  Paris, 

Alph.  Picard  et  fils,  1899,  in-8,  223  pp.   5  fr.  25.  (Fascicule  28  de  la  Collection 
de  textes  pour  servir  à  l'étude  et  à  l'enseignement  de  l'histoire.) 

Avec  ce  troisième  fascicule,  M .  Henri  Vast  a  terminé  la  publication 
des  grands  traités  du  règne  de  Louis  XIV.  A  propos  des  fascicules 
précédents,  la  Revue  critique  a  déjà  loué  les  qualités  qui  recom- 
mandent d'une  manière  toute  spéciale  cette  édition  de  textes  diplo- 
matiques ;  grâce  à  l'abondance  et  la  précision  de  leurs  renseignements, 
les  «  notices  »  qui  servent  d'introduction  à  chaque  traité  constituent 
une  excellente  histoire  en  raccourci  de  notre  diplomatie  de  1648  à 
17 14.  Il   suffira  donc  de  signaler  le  contenu  de  ce  dernier  fascicule. 

Une  «  Notice  sur  les  négociations  qui  ont  amené  la  paix  d'Utrecht  » 
(1-59)  est  un  exposé  admirablement  clair  de  toute  notre  action  diplo- 
matique depuis  le  traité  de  Ryswick  ;  les  travailleurs  sauront  un  gré 
particulier  à  M.  V.  des  nombreuses  références  qu'il  leur  fournit  dans 
les  Archives  des  affaires  étrangères,  dans  les  Archives  nationales  et 
dans  le  Dépôt  de  la  guerre.  A  la  fin  de  cette  introduction,  Tauteur  a 
justement  mis  en  lumière  la  part  glorieuse  et  toute  personnelle  qui 

revient  à  Louis  XIV  dans  l'œuvre  de  ses  ministres.  «  La  postérité 

ne  peut  reprendre  dans  le  vieux  roi  aucune  pensée,  aucun  sentiment 
qui  n'ait  été  réellement  français...  Jusqu'au  dernier  jour,  il  a  conduit 
personnellement  les  négociations  avec  une  hauteur  de  vue,  une  luci- 
dité, une  possession  de  lui-même  qui  n'ont  subi  aucune  éclipse.. .  » 

(p.  59). 

Le  fascicule  comprend  ensuite  le  texte  minutieusement  coUationné, 
avec  introduction  bibliographique  et  notes  diplomatiques  ou  histo- 
riques, de  neuf  traités  signés  en  171  3  et  17 14  à  Utrecht,  Rastadt  et 
Bade,  entre  Louis  XIV,  la  reine  Anne,  Jean  V  de  Portugal,  Frédéric- 
Guillaume  le""  de  Prusse,  Victor-Amédée  de  Savoie,  les  États  généraux, 
l'empereur  Charles  VI  et  l'empire.  Il  se  termine  par  une  table  géné- 
rale des  personnages  cités  et  un  index  géographique,  qui  se  rapportent 
à  l'ensemble  des  trois  fascicules. 

M.  Vast  vient  de  rendre  un  grand  service  à  tous  ceux  qui  s'inté- 
ressent à  notre  histoire  nationale  pendant  le  règne  de  Louis  XIV; 


258  REVUE    CRITIQUE 

souhaitons  qu'il  puisse  avoir  un  jour  de  nouveaux  titres  à  leur  recon- 
naissance, en  écrivant  l'histoire  d'un  de  ces  grands  diplomates  qui  ont 
su  si  bien  exécuter  les  pensées  du  grand  roi.  Personne  ne  saurait  être 
mieux  désigné  par  cette  tâche  que  le  savant  éditeur  des  Grands  Traités 


du  règne  de  Louis  XIV. 


G.  Lacour-Gayet. 


Un  village  soissonnais.  Notes  pour  servir    à   l'histoire  de  Bucy-le-Long,    1634- 
i8i5.  Mculan,  Réty,  1900.  In-S%  i25  pp.  (tiré  à  cent  exemplaires). 

Ce  petit  volume  est  charmant,  et  quand  même   on  ne  serait  pas 
enfant  de  Bucy,  on  le  lit  d'une  traite.  Ce  n'est  qu'une  série  de  notes  ; 
mais  l'auteur,   M.  Félix  Brun,   n'avait  pas  d'autre  but,  et   son  seul 
défaut,  si  défaut  il  y  a,  serait  peut-être  de  laisser  par  instants  percer 
le  catholique.  Il  est  écrit  avec  finesse,    avec   agrément;    il    renferme 
une  foule  de  menus  détails  intéressants  ;  il  se  développe  nettement  en 
huit  chapitres.   L'auteur  retrace  d'abord  le  culte,  énumère  les   curés 
d'après  les  archives  paroissiales  (l'un  d'eux,  Hinaux,  devint  curé  de  la 
paroisse  des  Blancs-Manteaux),  reproduit  l'acte  de  baptême  des  trois 
cloches  de  l'église.  Il    fait  la    biographie  des  maires    de  l'endroit  et 
donne  la  liste  des  maîtres  d'école  en  y  joignant  quelques  particulari- 
tés sur  deux  religieuses  de  l'Enfant-Jésus  qui   enseignèrent    à   Bucy 
pendant  la    Révolution.   Il    relève    ensuite   à   certains    intervalles   le 
nombre  des  naissances  et  celui   des  morts  (la  population  de  Bucy  ne 
cesse  de  décroître  depuis   la  seconde   moitié  du  xviii<^  siècle)  et  passe 
en  revue  les  professions  exercées  dans  le   village  (celle  qui   se  ren- 
contre le   plus   souvent  est  celle  de  vigneron,   puis  celle  de  tonne- 
lier), mentionne  les  noms  de  famille   qui  sont  demeurés.   Il  consacre 
plusieurs  pages  à  certains  personnages,   aux  Simon  de   Bucy    (dont 
l'un  fut  évêque  de  Paris),   à  Bussy-Castelnau  (né  d'ailleurs  à  Ancien- 
ville  et  non  à  Bucy),  au  général  Dutour  de  Noirfosse,  lieutenant  de 
Bussy  et  de  Lally,  à  l'ermite  Bertrand  dont  il  fera  bien,  comme  il   en 
a  l'intention,  d'étudier  de  plus  près  les  faits  et  gestes.  On  remarquera 
dans  les  pages  relatives  aux  fêtes  révolutionnaires  de  Bucy  le  compte 
rendu  de  la  fête  de  l'Agriculture  et  le  programme  de  la  solennité  qui 
eut  lieu  en  1 798  à  l'occasion  des  réparations  de  la  route.  Un  chapitre 
tout  militaire  clôt  dignement  le  livre  :  M.   B.  y  raconte  le  combat  du 
i3  mars   1814  (à  noter  la  lettre  que  l'officier  prussien  dépose  sur  le 
missel  de  l'église  après  avoir  trouvé  le  village  désert  et  les  extraits  de 
la  correspondance  conservée  aux  archives  de  la   guerre)  et  cite  quel- 
ques noms  de  soldats  de  la  Révolution  et  de  l'Empire  nés  à  Bucy,  le 
capitaine   Ferté,  le   commandant  Crépeau,  et    le   pauvre   canonnier 
Pignon,  mort  prisonnier  des  Anglais  et  qui  écrivait  en  apprenant  le 
prochain  mariage  de  sa  sœur  ;  «  Je  vous  souhaite  beaucoup  de  plai- 


d'histoire  et  de  littérature  259 

sir  et  d'agrément  à  la  noce  ;  mais  je  vous  prie  de  m'envoyer  pour 
boire  un  verre  de  vin  à  la  santé  de  la  fiance  de  ma  sœur  ».  Cette 
lettre  fournit  à  M.  Brun  le  mot  de  la  fin  :  «  grâce  au  canonnier 
Pignon,  conclut-il,  et  si  mélancolique  qu'ait  été  d'ailleurs  son  des- 
tin, ces  dernières  pages  où  18 14  mit  tant  de  larmes  et  de  sang,  vont 
s'achever  dans  un  sourire  ». 

A.  C. 


En  émigration.  Souvenirs  tirés  des  papiers  du  comte  A.  de  La  Ferronnays,  1777- " 
1814  par  le  marquis  Costa  de  Beauregard,  de  l'Académie  française.  Paris,  Pion, 
igoo.  In-80,  III  et  428  pp.  avec  portrait;  7  fr.  5o. 

• 

Auguste  de  La  Ferronnays  n'avait  que  treize  ans  lorsqu'il  fut 
emmené  en  émigration.  Après  avoir  terminé  chez  les  Prémontrés  de 
Bellelay,  non  loin  de  Porreniruy,  des  études  commencées  dans  la  pire 
pension  de  Paris  (p.  i3),  le  jeune  homme  s'engagea  ainsi  que  son 
père  dans  l'armée  de  Condé.  Il  fut  ordonné  soldat  à  l'affaire  d'Ober- 
kamlach  (p.  43),  puis  gagna  la  Volhynie  avec  les  colonnes  con- 
déennes,  puis  revint  se  battre  sur  les  bords  du  Rhin  et  après  le  com- 
bat de  Constance,  comprit  pour  la  première  fois  ce  que  c'était  que  la 
guerre  (p.  94).  Cependant  il  avait  été  attaché  d'abord  avec  le  titre 
bizarre  d'ordonnance  permanente,  ensuite  avec  le  titre  définitif  d'aide 
de  camp,  au  service  du  duc  de  Berry,  qui,  dès  l'arrivée  des  Con- 
déens  à  Dubno,  s'était  engoué,  malgré  la  dissemblance  de  nature,  du 
pauvre  petit  cavalier  noble.  Ces  rapports  de  la  Ferronnays  avec  le  duc 
de  Berry  eurent  sur  son  destin  une  très  grande  influence.  Il  avait 
connu  à  la  cour  de  Brunswick  vers  la  fin  de  1794  M"*^  Albertine  de 
Montsoreau;  il  la  revit  à  Dubno  et  durant  le  trajet  de  la  Pologne  au 
Rhin.  Le  mariage  n'aurait  pas  eu  lieu,  car  le  comte  de  Montsoreau 
trouvait  que  c'était  folie  d'unir  des  enfants  dans  un  pareil  temps 
(p.  1 18)  ;  le  duc  de  Berry  intervint,  un  revenu  solide  fut  trouvé  pour  le 
jeune  couple,  et  le  père,  non  sans  soupirer,  finit  par  dire  oui.  Mais  il 
fallut  bientôt  se  séparer,  La  Ferronnays,  devenu  le  deuxième  gen- 
tilhomme de  la  maison  du  duc,  accompagna  le  prince  de  Klagenfurt 
à  Vienne,  puis  dut  le  suivre  en  Angleterre;  sa  vie,  dit  M.  Costa  de 
Beauregard,  est  si  mouvementée  qu'on  dirait  un  roman  de  cape  et 
d'épée  (p.  173).  Encore  souffrit-il  à  diverses  reprises  de  l'humeur  du 
duc,  égoïste,  fantasque,  emporté,  injuste.  Mais  ces  voyages  de  la  Fer- 
ronnays qui  l'éloignèrent  fréquemment  de  sa  femme  et  de  ses  enfants, 
nous  ont  valu  une  correspondance  dont  M.  C.  de  B.  nous  donne 
d'intéressants  extraits.  La  Ferronnays  se  rend  à  Varsovie,  puis  à 
Mitau,  à  la  cour  ou,  comme  disait  Louise  de  Condé,  à  la  courette  de 
Louis  XVIII,  ce  roi«  absolument  désillusionnant  »  (p,  160).  Il  se  rend 
à  Londres,  et,  en  passant  par  Hambourg,  il  est,   malgré  son  déguise- 


200  REVUE    CRITIQUE 

ment  et  son  nom  de  Phlîps,  dénoncé  à  Bourrienne  (p.    i8o).  Revenu 
à  Brunswick  en  1806  où  il  a  laissé  les  siens,  et  comptant  sur  les  vic- 
toires prussiennes,  il  est  obligé  de  fuir  à  Altona,  de  là  à  Husum,  et 
de  regagner  l'Angleterre.    L'année  suivante,  il  est  en  Suède,  auprès 
de  Gustave  IV  '  et  de  Gothembourg,  amène  Louis  XVIII  sur  le  sol 
britannique.  Il  repart  pour  la  Suède  en   1808   :  il  y  voit  Fersen  «  ce 
serviteur  si  dévoué  de  la  pauvre  reine  »,  le  duc  de  Piennes,  Armfeld, 
sir  John  Moore.  De  retour  en  Angleterre,  il  passe  le  temps  à  étudier 
les  langues  étrangères  et  à  observer  cette  morne  cour  de  Hartv»ell  où 
il  n'y  a  «  plus  d'autre  champ  de  bataille  que  celui  des  querelles  et  des 
chasses,  d'autre  position  à  disputer  que  sa  place  à  table  et  au  jeu  du 
roi  »  (p.  275).  En  181  3,  il  est  chargé  d'une  véritable  mission  diploma- 
tique ;  Louis  XVIII  renvoie  portera  Pétersbourg  une   proclamation 
et  sonder  les  dispositions  du  tsar,  tenter  d'obtenir  pour  Monsieur  ou 
l'un  de  ses  fils  un  commandement  dans  l'armée  russe,  pressentir  la 
cour  de  Russie  sur  un  mariage  possible  entre  le  duc  de  Berry  et  la 
grande-duchesse  Anne,   entrer  en  rapport  avec  les  officiers  français 
prisonniers  pour  prévoir  leur  attitude  au  moment  d'une  restauration, 
enfin  s'assurer  des  dispositions  de  Bernadotte  (p.   325).    Il  arrive  à 
Stockholm;  il  voit  d'abord  M"»'  de  Staël  :   «  Que  d'esprit  chez  cette 
femme  !  Il  dépasse  de  beaucoup  ce  qu'on  m'en  avait  dit  I  Jamais  on 
n'a  vu  les  choses  de  plus  haut  qu'elle.  On  remue  chez  elle  plus  d'idées 
en  une  heure  que  pendant  un  mois  à  Hartwell  (p.  339)  ».  Mais  Ber- 
nadotte refuse  de  le  recevoir,  et  le  secrétaire  intime  du  prince  royal. 
Camps,   lui  prédit  un    insuccès  complet.  La  Ferronnays  est  boule- 
versé ;  Camps  lui  a  dit  de  cruelles  vérités,  lui  a  dit  que  ses  maîtres 
n'avaient  plus  de  droits  à  une  couronne  qu'ils  n'avaient  eu  ni  la  force 
ni  le  courage  de  conserver;   que,  si  les  émigrés  rentraient  en  France, 
ils  devraient  se   défaire  de  leurs  vieilles  idées,  «  s'accoutumer  à   la 
langue  forte  qu'on  parle  à  Paris  »,  laisser  tout  tel  qu'ils  le  trouvaient 
établi,  ne  réformer  qu'eux-mêmes.  Et  la  Ferronnays  écrit  ces  lignes 
qui  lui  font  honneur  :  «  Camps  est  odieux  de  forme  et  de  langage. 
Il  a  commencé  par  n'être  qu'un  petit  commis  qui  sûrement  n'a  pas 
reçu  d'éducation.   Ses  coudes  ne  sont  pas  aussi  arrondis,  et  sa  tète, 
quand  il  salue,  ne  descend  pas  aussi  bien  que  celle  de  M.  de  Vau- 
dreuil.  En  revanche,  il  impose  davantage.  II  ne  dit  guère  de  fadeurs 
aux  femmes,  mais  il  sait  ce  qu'il  dit  aux  hommes.  Sa  conversation 
est  toujours  sérieuse.  Les  têtes  de  ce  monde-là  sont  habituées  à  de 
fortes  pensées.   Que  nous   sommes    loin   en   Angleterre  de  voir  les 
choses  sous  leur  vrai  jour!  Que  nous  jugeons  mal  ce  qui  se  passe  en 
dehors  de  nous  et  de  nos  préjugés!  Nous  en  sommes  encore  au  point 
où  la  Révolution  nous  a  surpris.  Quand  tout  a  changé  dans  le  monde, 

I.  Il  doit  le  revoir  plus  tard  à  Hartwell  et  Gustave  lui  donne  son  épée  <>  d'un  air 
à  la  fois  solennel  et  égaré  »  (p.  3o6)  ;  cf.  une  nouvelle  et  étrange  apparition  de 
Gustave  IV  à  Dresde,  p.  Sgo. 


d'histoire  et  de  littérature  261 

nous  demeurons  sottement  fiers  de  notre  sang  et  de  notre  éducation, 
pourtant  si  détestable.  Le  plus  habile  chez  nous  ne  serait  pas  en  état 
de  tenir  un  quart  d'heure  contre  le  dernier  secrétaire  du  dernier 
bureau  du  dernier  département  de  TEmpire!  »  Toute  cette  dernière 
partie  du  livre  est  fort  attachante.  La  Ferronnays  voit  à  Stockholm  le 
ministre  de  Russie,  Suchtelen,  qui  lui  déclare  que  les  alliés  rédui- 
ront la  France  aux  frontières  de  89  sans  lui  imposer  une  forme  de 
gouvernement.  Il  voit  à  Pétersbourg  le  chancelier  Roumianzov  qui 
le  paie  de  belles  paroles,  Armfeld  qui  lui  révèle  le  caractère  versatile 
d'Alexandre  et  les  mots  mêmes  de  Bernadotte  au  tsar  :  «  Faire  son  lit 
sans  les  Bourbons  et  les  empêcher  par  dessus  tout  de  se  mêler  aux 
affaires  »,  un  jeune  officier  de  C...,  prisonnier  des  Russes  que  la 
gloire  de  Napoléon  a  fasciné,  qui  affirme  que  jamais  homme  n'a  su 
électriser  ni  récompenser  les  soldats  comme  l'empereur,  que  tous,  du 
plus  grand  au  plus  petit,  n'ont  pas  le  moindre  souvenir  des  Bour- 
bons. De  Pétersbourg,  La  Ferronnays  se  rend  à  l'armée  :  Anstett  et 
Nesselrode  lui  font  le  même  accueil  que  Roumianzov,  et  le  tsar  qui 
lui  donne  deux  audiences,  tout  en  le  recevant  avec  sa  grâce  ordi- 
naire, lui  dit  qu'il  est  surchargé  d'occupations,  qu'il  ne  peut  rien  faire 
dans  ce  moment  pour  le  comte  de  Lille  (Louis  XVIII),  que  le  réta- 
blissement de  la  légitimité  est  la  seule  base  de  la  paix,  mais  qu'il  faut 
d'abord  jeter  Napoléon  de  l'autre  côté  du  Rhin.  Ici  se  termine  le 
livre  :  La  Ferronnays  aborde  bientôt  avec  le  duc  de  Berry  les  côtes  de 
France  et  «  il  s'agenouille  pour  baiser  amoureusement  la  terre  d'où 
il  est  banni  depuis  vingt  ans  ».  C'est  un  attrayant  ouvrage  que  nous 
donne  M,  Costa  de  Beauregard.  Certains  aimeraient  peut-être  mieux 
qu'il  ait  simplement  publié  tels  quels  les  charmants  mémoires  que 
M""^  de  La  Ferronnays  avait  écrits  sous  le  titre  Souvenirs  d'une  pauvre 
vieille  dédiés  à  ses  enfants  et  les  lettres  de  son  mari  qu'elle  avait 
classées  (p.  11  11.  M.  Costa  de  Beauregard  a  préféré  faire  un  livre 
dont  «  les  lettres  du  mari  et  les  souvenirs  de  la  femme  font  la  trame  ». 
On  connaît  sa  manière,  les  qualités  agréables  de  son  style,  et  aussi  sa 
recherche,  son  afféterie,  ses  rapprochements  inattendus  («  c'est  à 
Anne  Radcliffe  qu'il  faudrait  emprunter  le  décor  du  cantonnement  » 
de  Volhynie,  p.  104;  «  l'éternelle  plainte  de  la  vie  de  Chateaubriand 
et  de  La  Ferronnays  fut  l'écho  de  la  vague  qui  les  avait  bercés  »,  p.  2; 
Fersen  «  inconsolable  d'avoir  conduit  à  Varennes  le  convoi  funèbre 
de  la  monarchie  »,  p.  234,  etc.).  On  peut  aussi  lui  reprocher  des 
inexactitudes  qui  déparent  son  récit.  La  campagne  de  France  n'a  pas 
été  «  une  longue  suite  d'intrigues  nouées  et  dénouées  par  dessus  la 
tête  de  Brunswick  »  et  ce  n'est  pas  «  en  exaspérant  les  rivalités  diplo- 
matiques de  la  Prusse  et  de  l'Autriche  »  que  Dumouriez  a  vaincu 
(p.  28).  Brunswick  n'a  pas  pris  Mayence  et  ce  n'est  pas  «  une  violente 
discussion  avec  "Wurmser  qui  acheva  de  le  dégoûter  de  la  coalition  » 
[id.].  La  Rosière  de  Salency^  la  comédie  de  M""'  de  Genlis,  est  nom- 


202  REVUE  CRITIQUE 

mée  la  Rosière  de  Saltensi  (^p.   5i)   et  Tabbé  Alary,    l'aumônier  du 
quartier  général  des  émigrés,  Vsxhhé  Alaric{p.  84)'. 

A.  C. 


Pierre  Brun. —Henry  Beyle-Stendhal.  Grenoble,  Alexandre  Gratier  et  C'%  1900, 
in-8»,  145  pp. 

La  plupart  des  lettres  que  l'auteur  croit  inédites  ont  déjà  été  publiées 
par  M.  Casimir  Stryienski  à  la  suite  des  Souvenirs  d'egotisme  et  il  y 
a  quelques  erreurs  dans  la  biographie  de  Beyle.  La  plus  amusante  est 
celle-ci  :  «  A  Lausanne,  dit-il  (p.  16),  Beyle  n'oublia  pas  de  se  jeter 
fort  sottement  aux  genoux  de  la  baronne  de  Montolieu  qui  prit  très 
mal  la  plaisanterie.  »  Comment  M.  Brun   a-t-il  pu  avancer  pareille 
chose  ?  En  lisant  trop  vite  la  page  22  de  l'étude  très  négligeable  d'Al- 
fred de  Bougy.  Le  corps  de  Beyle,  dit  Bougy,  était  «  difficile  à  mou- 
voir   comme   celui  de   Gibbon  qui  un  jour,   à  Lausanne,  dans    un 
paroxysme  de  passion,  s'étant  jeté  aux  pieds  de  la  baronne  de  Monto- 
lieu, ne  put  se  remettre  sur  ses  pieds  ».  M.  Brun  attribue  à  Beyle  ce 
qu'Alfred  de  Bougy  racontait  de  Gibbon.  Ajoutons  que    Mélanie  ne 
s'est  pas  mariée  «  cette  année  même  «,  c'est-à-dire  en  i8o5,  avec  un 
boyard  (p.  22)  ;  que  Beyle  n'a  pas  suivi  la  Grande  Armée  à  partir  de 
1807  »  [id.)   puisqu'il  est  en    1807  et  en  1808  à   Brunswick,    et   de 
décembre  1808  à  avril  1809  à  Paris  ;  qu'il  n'eut  pas  en   18 14,  à  Gre- 
noble,  une  «  mission  diplomatique  »  (p.   32);  qu'il  n'a  pas  en  1800 
«  fleureté  sérieusement  »  avec  Constance  Pipelet  (p.  i3);  que  Jacque- 
mont  n'est  pas  du  tout  une  «  physionomie  poétique  à  la  Millevoye  » 
(p.  33);  que  Georges  Washington  ne  paraissait  pas  dans  le  salon  des 
Tracy,  et  qu'il  faut  lire  Georges-Washington  Lafayette,  fils  du  général 
Lafayette  et  filleul  de  Washington  [id.)  ;  que  l'Octave  (yAi'mance  ne  se 
noie  pas,  mais  s'empoisonne  (p.  bj).  A  ces  inexactitudes  et  étourde- 
ries  s'ajoute  un  style  plein  de  recherche.  M.  B.  nous  parle  (p.   39)  de 
la  névrose  «  dont  la  morsure  rend  plus  doux  les  rares  baisers  de  la 

I.  Il  faut  écrire  Wurnnser  et  non  Wiirmser,  Clerfayt  et  non  Clairfaict,  Ferino 
et  non  Fivino,  Landshut  et  non  Laudçiit,  Wicliczka  et  non  Wilitclika;  Happon- 
court  et  non  Apponcourt,  le  Lech  et  non  la  Lcch,  Windisch  et  non  Windisli,  Kla- 
genfurt  et  non  Klagenfurth,  Cobenzl  et  non  Cobent^^el,  Libau  et  non  Lipeau  (!), 
Young  et  non  Yimg  {^p.  274),  Cathcart  et  non  Catliiard  {p.  38i  et  383),  Lebzel- 
tcrn  et  non  Lebi^elstem.  Le  magistrat  émigré,  cité  p.  126  sous  le  nom  de  Rech, 
doit  6lrc  l'alsacien  Roesch  qui  tut  sous-préfet  de  Schlestadt  sous  la  Restauration. 
P.  162,  qu'est-ce  que  «  l'offre  étrange  que  Bonaparte  avait  faite  à  Louis  XVIII  de 
lui  céder  sa  couronne  à  beaux  deniers  comptants?  »  Pp.  240-241,  pourquoi  ces 
deux  si  longues  notes  sur  Moore  et  Armfcld,  et  rien  sur  les  autres  personnages? 
P.  3i6,  il  est  curieux  que  l'auteur  ne  cite  pas  parmi  ces  attaques,  crimes  et  vio- 
lences, l'assassinat  tragique  de  d'Antraigues  et  de  sa  ferame  (il  eût  fallu  d'ailleurs 
rappeler,  p.  278^  que  d'Antraigues  avait  aidé  Puisaye  dans  la  lutte  contre  d'Avaray). 


d'histoire  et  de  littérature  203 

vie,  crée  les  élans  fous  et  fait  fleurir  dans  les  cœurs  la  pourpre  des 
roses  et  du  sang  «.  Il  écrit  (p.  69)  qu'il  faut,  pour  parler  de  Tamour, 
«  avoir  essayé  de  forcer  les  cœurs  féminins,  et  afin  d'être  un  cambrio- 
leur de  premier  ordre,  que  cela  vous  soit  venu,  non  pas  en  entendant 
chanter,  mais  en  entendant  grincer  le  rossigtîol  >>.  Malgré  ces  défauts, 
malgré  l'affectation  de  la  forme  et  ses  familiarités  voulues,  malgré  le 
ton  trop  souvent  feuilletonesque,  ce  travail,  d'ailleurs  un  peu  trop, 
court,  témoigne  d'une  attentive  lecture  de  Stendhal;  il  contient  de 
fins  aperçus  et  d'utiles  remarques  (outre  un  bon  index  chronologique 
d'ouvrages  et  articles  à  consulter  sur  Beyle,  parmi  lesquels  l'article  de 
M.  G.  Paris  sur  Paton  dans  notre  Revue  de  1874)  ;  il  offre  une  lecture 
agréable  et  le  livre  est  d'une  très  belle  exécution  ;  on  peut  dire  de  la 
publication  à  tous  égards  qu'  «  elle  a  d'assez  beaux  yeux  pour  des 
yeux  de  province  '  ». 

A.  G. 


Gœthe-Jahrbuch,  hrsg.  von  L.  Geiger,  XXI,  Band.  Frankfurt  am  Main,  Rûtten 
et  Loening,  1900,  in-S",  x  et  349  pp. 

Le  Gœthe-Jahrbuch  de  cette  année  contient  dans  la  première  partie  : 
1°  des  lettres  inédites  de  Gœthe  à  cette  Ulrique  de  Levetzow  qu'il  eut 
un  instant  la  pensée  d'épouser;  elles  sont  publiées  par  M.  Suphan 
qui  les  accompagne  d'un  précieux  commentaire;  2°  une  intéressante 
communication  de  M.  Schiiddekopf  sur  Gœthe  et  lesMonumenta  Ger- 
maniae  ;  3°  deux  fragments  d'un  drame  Fa/^^o^  que  Gœthe  avait  com- 
mencé ;  4°  une  lettre  écrite  en  octobre  181 5  par  le  poète  à  Charles- 
Auguste.  —  La  deuxième  partie  du  volume  renferme  des  études  de 
M.  Fulda  sur  l'épilogue  du  Tasse,  de  M'"^  Malwida  de  Meysenbug 
sur  la  vie  de  Gœthe,  de  M.  Munch  sur  Gœthe  dans  les  écoles  alle- 
mandes, de  M.  Ad.  Stern  sur  Gœthe  et  Dresde,  de  M.  L.  Geiger  sur 
Hirzel  et  Bernavs,  de  M.  Gœbel  sur  Homunculus,  de  M.  Tùrck  sur 
la  Magie  et  le  Souci  dans  le  Faust,  de  M.  Diintzer  sur  Hermann  et 
Dorothée,  de  M.  Seuffert  sur  l'histoire  du  texte  de  Werther.  M.  Diin- 
tzer, toujours  ardent  et  un  peu  irréfléchi  dans  son  zèle  gœthéen, 
prétend  justifier  un  vers  connu  du  chant  IV.  Ce  vers  est  étrange  et 
certaines  éditions  le  suppriment.  La  mère  souhaite  à  son  fils  qu'il  ait 
une  femme  et  que  «  la  nuit  devienne  pour  lui  la  belle  moitié  de  la 
vie  ».  Le  vers  sied  évidemment  mieux  à  Philine  qu'à  Lisbcih,  et  la 
rieuse,  frivole  et  sensuelle  actrice  le  répète  mot  pour  mot  dans  Wil- 


I.  Lire  p.  i3  et  26,  Bigillion  et  non  Bigilion  ;  p.  26,  Mallein  et  non  Mallin  ;  p. 
34,  Thurot  et  non  Tu  rot  ;  p.  56,  StrogonotV  et  non  Stroganojff  ;  p.  93,  Shatiwcll  et 
non  Sadn'cl  ;  p.  94,  Wicse  et  non  Wiesse  ;  Lenau  et  non  Levaii  ;  p.  100,  Cramer  et 
non  Crâner. 


264  REVUE    CRITIQUE 

helm  Meister.  Or,  M.  Dùntzer  assure  que  Gœthe  veut  parler  simple- 
ment de  r  «  ouverture  des  cœurs  »  ;  il  n'admet  pas  que  le  poète  ait  pu 
«  détonner».  Il  me  suffira,  pour  le  réfuter,  de  lui  citer  ce  mot  d'un  de 
mes  vieux  amis  auquel  je  demande  à  brûle-pourpoint  s'il  a  lu  Her- 
mann  et  Dorothée  :  «  Je  Tai  lu,  me  répond-il,  à  Tàge  de  quinze  ans, 
au  collège,  en  troisième  dans  une  traduction  et  je  ne  me  souviens  que 
de  ce  passage  qui  m'a  fait  rêver,  que  la  nuit  est  la  belle  moitié  de  la 
vie  »  '.  —  La  troisième  partie  de  l'Annuaire  est  consacré  aux  mélanges  : 
nous  y  relevons  des  articles  sur  la  légende  du  fer  à  cheval  (Boite),  sur 
le  postillon  Kronos  (Kluge),  sur  VErlkœnig  (Petsch),  sur  Clodius  et 
les  figures  mythologiques  dans  la  lyrique  de  Gœthe  (Alt),  sur  une 
recension  d'Arnim  et  un  jugement  de  Jean  de  Miiiler  (Geiger).  Nous 
avons  peine  à  croire  que  Napoléon  III  ait  irsiàmimein  Her^  istschxper 
par  mon  cœur  souprimé ;  ne  faut-il  pas  lire  opprimé?  (p.  292I.  —  Le 
volume  a,  comme  toujours,  une  bibliographie  et  un  index;  il  se 
termine,  cette  fois,  par  un  Festvortrag  tenu  à  l'assemblée  générale  de 
la  Société  de  Gœthe  le  9  juin  1900  par  M,  R.  Eucken  :  Gœthe  et  la 
philosophie. 

A.  G. 


ScHERiLLo  (Michèle  .  I  canti  di  Giacomo  Leopardi  illustrât!  per  le  persone 
coite  e  per  le  scuole,  con  la  vita  del  poeta  narrata  di  su  l'epistolario.  Milan, 
Hoepli,  1900.  In-i6  et  32 1  p. 

Ce  volume,  très  élégamment  imprimé  et  orné  d'un  portrait  fidèle  de 
Leopardi,  se  compose  de  trois  parties.  —  Dans  la  première,  le  savant 
professeur  de  l'Académie  scientifico-littéraire  de  Milan  interprète 
avec  sagacité  les  nombreux  documents  publiés  dans  ces  dernières 
années  sur  la  vie  du  poète  et  nous  donne,  non  pas  une  biographie 
complète,  mais  une  réfutation  de  quelques  erreurs  encore  trop  répan- 
dues. 11  s'attache  en  particulier  à  justifier  le  père  de  Giacomo  d'im- 
putations qui  remontent  à  Giacomo  lui-même.  Il  trace  un  portrait 
vivant  de  Monaldo  Leopardi.  Ce  gentilhomme  récanatais  ne  fut  ni  un 
avare  ni  même  un  hobereau  insignifiant.  Parini  et  Alfieri  avaient 
retrempé  les  cœurs  de  ceux  même  dont  ils  n'avaient  point  émancipé 
les  esprits  :  Monaldo  vécut  un  peu  en  guelfe  du  moyen  âge  qui  limite 


I.  Qu'on  me  permette  à  ce  propos  une  autre  remarque,  toute  personnelle.  Dans 
le  dernier  fascicule  de  la  Zeitschrift  ftiv  deutsche  Philologie,  II,  282,  M.  Dûntzer 
dit  que  j'ai  publié  une  édition  de  la  Campagne  de  France  où  Goethe  avoue  «  l'inin- 
telligence du  généralissime  allemand  »,  pour  amuser  des  jeunes  Français  :  pir 
Belustigung  jiinger  Frani^osen.  Je  me  contenterai  de  répondre  à  cette  assertion 
de  mauvais  goût  que  la  Campagne  de  France  devait  être  expliquée  par  les  can- 
didats à  l'Ecole  militaire,  et  qu'il  n'y  avait  pas  d'édition  française  de  ce  texte  qui, 
d'ailleurs,  n'est  pas  amusant. 


d'histoire  et  de  littérature  265 

la  patrie  aux  murs  de  la  ville  natale,  mais  l'aime  profondément,  et  se 
jeta  dans  les  luttes  politiques  et  religieuses  au  point  de  se  faire  violent 
journaliste;  seulement  Tart  de  se  conduire  lui  manquait,  et,  acculé  à 
la  banqueroute  par  ses  prodigalités  et  ses  spéculations  malheureuses, 
il  avait  dû  se  laisser  mettre  en  tutelle  par  sa  femme,  personne  hon- 
nête et  pieuse,  mais  vaniteuse  et  sèche,  qui  souhaitait  le  plus  sincè- 
rement du  monde  le  paradis  à  ses  enfants  et  aurait  même  voulu  les  y 
voir  tout  de  suite  pour  restaurer  moins  malaisément  le  patrimoine  de  la 
famille.  —  Viennent  ensuite  les  poésies  de  Leopardi  publiées  avec  les 
corrections  'que  le  poète  avait  préparées  pour  l'édition  qui  devait  en 
être  donnée  à  Paris  ;  et  enfin  des  notes  où  l'on  remarquera  surtout, 
outre  de  belles  pages  empruntées  à  Fr.  De  Sanctis  et  à  MM.  Carducci, 
D'Ovidio,  Zumbini,  de  très  curieuses  observations  touchant  l'in" 
fluence  exercée  d'abord  par  Monti  sur  Leopardi,  sur  la  promptitude 
avec  laquelle  Leopardi  s'en  affranchit,  sur  son  goût  plus  durable  pour 
Byron  et  les  poètes  allemands. 

Charles  Dejob. 


Pierre  Morane.  Au  seuil  de   l'Europe,  Finlande  et  Caucase,  Paris,    Pion,  1900, 
vii-286  p. 

«  Le  seuil  de  l'Europe  »,  comme  hélas  !  l'intérieur  du  continent,  est 
le  théâtre  de  ces  drames  poignants  qui  sont  la  lutte  pour  l'existence 
des  petites  nationalités  ou  encore  des  communautés  religieuses  dont 
l'idéal  dépasse  le  niveau  d'une  orthodoxie  officielle.  Cette  lutte  est 
ailleurs  aussi  ardente,  elle  n'est  nulle  part  plus  brutale  que  dans 
l'empire  russe.  M.  Pierre  Morane  en  raconte  les  épisodes  aujourd'hui 
les  plus  illustres:  ceux  qui  se  déroulent  en  Finlande  et  chez  les  Armé- 
niens et  quelques-uns  plus  obscurs,  comme  la  persécution  des  sec- 
taires du  Caucase.  Il  a  observé  de  près  les  affres  de  ces  populations  et 
il  a  le  courage  d'exposer  leurs  maux  et  de  plaider  leur  cause  dans  un 
volume  qui  s'adresse  au  public  français.  On  se  demande  vraiment 
après  avoir  lu  ce  livre  si  la  Russie  n'a  pas  provoqué  sincèrement  le 
règne  de  la  paix  entre  nations  pour  permettre  à  quelques  Etats  d'ac- 
complir chez  eux  sans  être  troublés  certaines  besognes. 

S'il  est  peut-être  juste  du  point  de  vue  géographique  de  situer  la 
Finlande  au  «  seuil  de  l'Europe  »,  on  reconnaîtra  qu'elle  est  profon- 
dément européenne  par  sa  civilisation;  elle  l'est  à  coup  sûr  plus  que 
la  Russie.  Ce  serait  donc  pour  elle  un  recul  que  d'être  russifiée,  et 
c'est  ce  dont  le  peuple  finlandais  a  conscience.  Tout  en  montrant  ce 
que  la  constitution  du  Grand-Duché  a  d'archaïque  et  même  d'illibé- 
ral  ;  tout  en  déplorant  que  les  deux  nationalités  suédoise  et  finnoise 
se  combattent  —  la  Russie  les  a  divisées  pour  régner.  —  M.  M.  a  été 
remué  par  le  spectacle  du  deuil  national  qui  suivit  l'oukase  du  3/  1 5  fé- 


266  REVUE    CRITIQUE 

vrier  1899,  coup  mortel  à  l'autonomie  de  la  Finlande.  «  Ayons  pitié, 
s"ccrie-t-il,  de  ce  peuple  que  la  Russie  vient  de  frapper....  en  plein 
etîort,  en  pleine  promesse  !...  »  Osera-t-on  chez  nous  manifester  une 
pitié  peu  flatteuse  pour  le  «  précieux  allié  »  ?  L'on  regrettera  que 
M.  M.  n'ait  pas  abordé  le  côté  international  du  sujet, ni  révélé  à  quelle 
préoccupation  de  cet  ordre  la  diplomatie  russe  obéit  en  poussant  son 
action  sur  les  bords  du  golfe  de  Finlande. 

Ce  qui  attire  M.  M.  dans  le  Caucase,  c'est  moins  le  pittoresque  que 
la  présence  de  spécimens  de  races  très  différentes  réunis  dans  un  cadre 
étroit  ;  de  toutes  les  races  la  plus  intéressante  par  son  passé,  par  son 
avenir,  comme  par  son  infortune  présente  est  celle  des  Arméniens.  On 
a  dénoncé  depuis  quelque  temps  déjà  le  rôle  joué  par  la  Russie  dans 
les  massacres  arméniens  et  M.  M.  n'y  contredit  pas.  Selon  lui,  la 
Russie  ne  poursuit  pas  une  politique  d'annexion  territoriale,  car  elle 
redoute  d'incorporer  un  élément  réfractaire  dont  l'instinct  libéral  et 
démocratique  est  irréductible  et  dont  l'activité  commerciale  créerait  à 
ses  nationaux  une  fâcheuse  concurrence.  M.  M.  croit  que  l'Arménien 
pourrait  être  gagné  par  la  douceur  et  par  la  liberté  :  cette  conclusion 
est  d'un  sceptique. 

M.  M.  professe  moins  de  sympathie  pour  les  Géorgiens  dont  les 
vertus  nationales  semblent  s'être  évaporées,  et  qui  s'accommodent 
fort  bien  de  leur  état  de  sujétion  ;  quant  aux  sectaires  exilés  dans  le 
Caucase,  Molokanes  ou  buveurs  de  lait  et  Doukhobortses  dont  la 
récente  histoire  est  singulièrement  curieuse,  il  constate  que  le  tols- 
toisme  se  répand  parmi  eux  et  ainsi  au-dessous  ou  plutôt  au-dessus 
du  lacis  étouffant  de  l'orthodoxie  d'État,  s'étend,  par  toute  la  sainte 
Russie,  le  réseau  aux  mailles  plus  larges  d'une  religion  à  la  fois  plus 
proche  de  l'Evangile  et  de  l'àme  populaire, 

B.    AUERBACH. 


Mémoires  du  Prince  Nicolas  Soutzo,  grand  logothète  de  Moldavie,  1 798-1871, 
publiés  par  Panaïoti  Rizos,  Vienne,  Garold  et  C'«  1899,  xii-434  p. 

Ces  Mémoires  éclairent  la  période  de  l'histoire  des  principautés  de 
Moldavie  et  Valachie  depuis  le  Règlement  organique  qui  suivit  le 
traité  d'Andrinople  'i  83 1-2)  jusqu'à  l'avènement  du  roi  Carol.  L'auteur 
fut  mêlé  à  la  vie  publique  jusqu'en  i863,  date  de  la  consommation 
de  l'union  sous  le  gouvernement  d'Alexandre  Couza.  Il  fut  malgré  ses 
origines  et  ses  préjugés  un  serviteur  sincère  de  son  pays  d'adoption,  la 
Moldavie. 

Par  sa  naissance,  il  appartenait  à  cette  caste  du  Phanar  qui  a  laissé 
un  assez  mauvais  renom  et  c'est,  quoiqu'il  en  ait,  la  politique  phana- 
riote  qu'il  représenta,  politique  dont  il  montre  les  beaux  côtés  ;  car 
les  Phanariotes  ont  consolide  l'héllénisme  en  Turquie  et  dans  les  prin- 


d'histoire  et  de  littérature  267 

cîpautés  dont  la  Porte  leur  confiait  l'administration,  ils  ont  travaillé  à  la 
régénération  deces  peuples  plus  misérablement  traités  par  leurs  maîtres 
indigènes  que  par  le  Turc.  (p.  248  et  suivantes).  Ce  sont  les  boyards 
moldaves  qui  par  leurs  intrigues,,  leurs  malversations,  entraînèrent  la 
ruine  matérielle  et  morale  du  pays;  c'est  contre  eux  que  le  prince 
Soutzo  eut  à  lutter  dans  les  divers  emplois  qu'il  occupa  sous  les  règnes 
de  Michel  Stourdza  et  de  Grégoire  Ghica.  Il  ne  cesse  de  signaler  les 
vices  fondamentaux  de  la  société  moldave  ;  il  trace  des  principaux 
boyards  des  portraits  à  la  Saint-Simon.  Le  remède  au  triste  état  de 
choses  dont  souffraient  les    principautés  résidait,   suivant  le  prince, 
dans  le  protectorat  étranger.  Soutzo  fut  un  russophile  avéré,  ce  qui  ne 
contribuapas  peu  à  son  impopularité.  C'est  dans  la  Russie  que  les  petits 
peuples  d'Orient  ont  trouvé  leurs  puissants  patrons  pour  plaider  leur 
cause  devant  les  Congrès  européens  et  pour  présider  à  leur  émanci- 
pation ;  aussi  le  prince  Soutzo  fut-il  un  ennemi  convaincu  du  roma- 
nismCj  parce  que  ce  mouvement,  selon  lui,  tendait  «à servir  purement 
la    politique    autrichienne  »,   proposition  qu'il    néglige    de   démon- 
trer. Mais  on   lira  avec  curiosité  ses  arguments  contre  les  réformes 
du  recteur  Laurian  introduites  vers  i85o  (p,  188);  quant  aupanrouma- 
nisme,le  prince  s'en  défia  également  parce  qu'il  le  considérait  comme 
un  instrument  révolutionnaire  (appendice  Décrit  en  1857,  p. 276).  Aussi 
le  régime    constitutionnel   inauguré  par  Alexandre   Couza   ne    fut-il 
pas  de  son  goût,  d'autant  qu'on  l'avait  évincé  de  la  commission  char- 
gée d'élaborer  le  Statut.  Si  Ton  passe  condamnation  sur  les  rancunes  et 
les  partis  pris  de  l'auteur,  il  est  intéressant  de  consulter  son  jugement 
sur  les  événements  dont  il  fut  témoin. 

Ces  événements,  pourpeu  édifiants  et  glorieux  qu'ils  soient,  appellent 
l'attention  de  l'historien  parce  qu'ils  racontent  comment  les  nationa- 
lités chrétiennes  se  dégagent  en  quelque  sorte  de  la  gangue  orientale 
pour  naître  aux  formes  et  aux  idées  politiques  de  l'Occident  :  ce  n'est 
pas  un  des  épisodes  les  moins  significatifs  de  la  question  d'Orient.  On 
tire  aussi  de  cet  exposé  cette  conclusion,  que  l'avènement  d'une  dynas- 
tie étrangère  fut  une  nécessité  encore  plus  qu'un  bienfait.  Les  Mémoires 
du  prince  S.  se  lisent  sans  fatigue,  le  style  un  peu  ancien  régime  en 
est  agréable  ;  l'auteur  ne  néglige  point  les  détails  personnels  et  par 
exemple  il  nous  fait  pénétrer  dans  la  vie  intime  de  la  société  phana- 
riote,  au  milieu  des  Turcs  dont  elle  subit  les  avanies.  On  trouvera  en 
annexes  du  volume  quelques  documents  diplomatiques  qui  ne 
manquent  pas  d'intérêt.  B.  A. 


F.  Van  Ortrov.  Conventions  internationales  définissant  les  limites  actuelles 
des  possessions,  protectorats  et  sphères  d'influence  en  Afrique,  publiées 
d'après  les  tcxics  authentiques.  (Bruxelles,  Soc.  belge  de  Librairie,  1898,  xix-5i7 
p.  avec  une  carte  en  couleurs  à  l'échelle  de  1  :  i8,825ooo. 

Le   dossier   des   actes  relatifs   aux    délimitations    territoriales    en 


268  REVUE  CRITIQUE 

Afrique  s'enfle  chaque  jour  ;  aussi  saura-t-on  gré  à  M.  V.  O.  d'avoir 
rassemblé  ceux  qui  marquent  une  possession  d'état  et  les  plus  impor- 
tants de  ceux  qui  rappellent  une  phase  décisive  de  l'histoire  des 
partages  africains.  M.  V,  O.  n'a  d'autre  ambition  —  il  le  déclare 
modestement —  que  de  rassembler  des  documents;  encore  a-t-il  dû 
opérer  un  tri  et  un  classement.  Parmi  les  conventions  et  arrangements 
internationaux,  il  a  publié  :  i°  les  pièces  concernant  des  cessions  éven- 
tuelles de  territoires  ;  2*  celles  qui  fixent  les  limites  actuelles  ;  3°  enfin 
des  sentences  arbitrales  réglant  des  litiges  de  frontières.  Il  a  cru  devoir 
ranger  les  pièces  par  ordre  chronologique  et  cette  disposition  serait 
de  nature  à  déconcerter  les  recherches  s'il  n'y  était  remédié  par  une 
table  où  le  groupement  géographique  est  respecté.  Une  table  analy- 
tique des  matières  excellente  de  tous  points,  une  liste  des  signataires 
des  traités  et  conventions  facilitent  encore  la  consultation  de  ce  réper- 
toire. Enfin,  il  faut  louer  M.  V.  O.  d'avoir  donné  les  textes  originaux 
dans  les  langues  des  parties  contractantes.  Cette  précaution,  rare  dans 
les  recueils  diplomatiques,  est  une  garantie  de  saine  interprétation. 
Le  corps  de  l'ouvrage  comprend  encore  l'année  1896  ;  en  annexe 
figurent  des  actes  de  1897  et  98.  C'est  une  invitation  à  M.  Van  Ortroy 
à  continuer  sa  tâche  qui  n'est  pas  près  d'être  achevée. 

B.    AUERBACH. 


La  France  au  point  de  vue  moral,  par  Alfred  Fouillée.  Un  vol.  in-8",  i-vi.    i- 
416.  Félix  Alcan,  éd.  1900. 

M.  Fouillée  aborde  cette  fois,  avec  sa  large  abondance  habituelle  de 
points  de  vue  et  d'idées,  ce  grand  problème  :  le  moral  de  la  France. 
Dès  les  premières  pages  du  livre  je  sens  naître  dans  mon  esprit  une 
objection  ;  qu'est  ce  que  la  France  prise  au  point  de  vue  moral  ?  Il  y 
a  une  France  matérielle,  territoire,  gouvernement,  institutions  poli- 
tiques, judiciaires,  administratives  :  y  a-t-il  réellement  une  France 
morale?  Est-ce  que  quand  on  veut  étendre  à  la  totalité  de  notre  pays 
telle  ou  telle  disposition  d'esprit  ou  de  caractère,  tel  penchant,  telle 
faculté,  tel  défaut  ou  telle  qualité,  observée  dans  certains  groupes  ou 
dans  certaines  classes  d'individus,  on  ne  risque  pas  une  généralisation 
périlleuse  et  contraire  à  la  bonne  méthode  scientifique  ?  Les  premiers 
chapitres  du  livre  de  M.  F.  ne  me  rassurent  pas  complètement,  je 
l'avoue,  sur  ce  point  :  je  le  vois  énoncer  comme  des  aptitudes  géné- 
rales de  la  race,  des  tendances  qui  ne  me  paraissent  appartenir  qu'à 
des  catégories  restreintes.  M.  F.  arrive  à  cette  définition  :  La  France 
représente  les  grands  principes  de  la  révolution,  «  l'idée  des  droits 
égaux  de  la  justice,  de  la  fraternité  humaine,  inspirée  par  le  culte  de 
la  raison  ».  M.  Brunetière,  dont  M.  F.  rappelle  les  paroles,  pour  les 
combattre,  avait  déclaré,  lui,  que  «  la  France  c'est  le  catholicisme  ».  Ni 


d'histoire  et  de  littérature  269 

l'une  ni  Tâutrô  de  ces  affirmations  absolues  ne  me  satisfont  :  ceux  qui 
les  émettent  risquent,  en  étant  trop  catégoriques,  de  prendre  la  partie 
pour  le  tout.  En  réalité,  il  y  a,  je  crois,  en  France,  peut-être  pour 
notre  malheur,  plusieurs  ÎFrances  morales  qui  se  combattent,  se  para- 
lysent ou  se  poussent  Tune  l'autre  aux  excès.  Et  ce  pourrait  bien  être 
là  le  vrai  mal  moral,  ou  la  vraie  crise  morale,  dont  il  faudrait  recher- 
cher à  la  fois  les  causes  historiques  et  les  remèdes  possibles. 

Au  fond  c'est  bien  l'étude  qu'entreprend  M.  F.  quand,  laissant  de 
côté  les  généralités,  il  aborde  successivement  les  différentes  parties  de 
son  sujet.  Il  tranche  même  tout  de  suite  dans  le  vif  en  commençant 
son  exploration  par  la  «  crise  religieuse  «.  Après  quelques  sévérités 
adressées  aux  philosophes  qui  se  sont  trop  désintéressés  du  mouve- 
ment du  monde  contemporain,  ou  qui  ont  vu  dans^  le  spectacle  de 
celui-ci  un  pur  objet  de  dilettantisme  intellectuel,  il  n'est  pas  plus 
indulgent  pour  le  catholicisme,  dont  il  analyse  avec  beaucoup  de 
finesse  et  de  courage  les  irrémédiables  lacunes  :  —  et  il  ne  déclare 
celles-ci  irrémédiables  qu'après  avoir  fait  un  effort  consciencieux  pour 
ramener  «  l'esprit  chrétien  »  à  «  l'esprit  du  siècle  ».  Mais  il  sait 
bien  qu'à  force  d'élargir  le  premier  il  le  change  en  «  une  religion 
morale  et  sociale  »  qui  n'a  plus  que  le  nom  de  commun  avec  la  reli- 
gion traditionnelle.  «  La  caractéristique  du  xix«  siècle  fut  l'effort,  plus 
ou  moins  heureux,  pour  séculariser  la  religion  en  transposant  les 
idées  religieuses  dans  la  philosophie  et  dans  la  science.  Cette  œuvre... 
c'est  la  France  qui  l'a  accomplie,  c'est  elle  qui  a  conçu  et  ébauché  une 
religion  de  l'humanité  :  c'est  elle  qui,  au  xx«  siècle,  doit  s'efforcer 
d'achever  sa  tâche.  »  Et  l'auteur,  non  sans  quelque  ironie,  passe  en 
revue  les  tentatives  qui  ont  été  faites  soit  pour  libéraliser  l'Eglise  «  au 
point  d'y  comprendre  les  mahométans  ou  les  bouddhistes  de  bonne 
foi,  et  même  les  juifs  qu'on  brûlait  jadis,  de  façon  que  nous  sommes 
tous  catholiques  sans  le  savoir  et  sans  le  vouloir  »  ;  soit  les  échecs  du 
néo-catholicisme  suscité  par  de  jeunes  littérateurs  contemporains  et 
dont  M.  F.  dit  avec  raison  qu'il  «  était  en  réalité  superficiel  et  mon- 
dain, politique  plutôt  que  religieux,  étranger  à  l'élite  des  penseurs 
comme  à  la  masse  du  peuple  ».  «  Certes,  ajoute  l'auteur,  devant  tous 
les  dangers  suspendus  sur  notre  pays  par  les  passions  politiques  et 
sociales,  comme  par  le  fanatisme  anti-religieux,  un  bon  nombre  de 
familles  ont  accentué  une  sorte  de  retour  aux  pratiques  religieuses, 
tout  au  moins  un  mouvement  vers  les  établissements  d'éducation 
chrétienne  :  mais  tout  cela  est  à  la  surface  et  ne  provient  pas  d'une 
foi  véritable  aux  dogmes...  foi  politique  qui  recouvre  l'incroyance 
théologique  »  ;  —  qui  recouvre,  je  crois,  —  et  là  j'aurais  voulu  voir  le 
philosophe  analyste  qu'est  M.  F.  pousser  plus  loin  et  plus  profondé- 
ment son  investigation,  —  qui  recouvre  trop  souvent  bien  d'autres 
préjugés  et  d'autres  instincts  peu  louables  de  snobisme  aristocratique 
singulièrement  développés  dans  notre  bourgeoisie,  depuis  quelques 


270  REVUE  CRITIQUE 

années,  non  sans  que  rEglise,qui  y  trouve  son  intérêt,  l'y  ait  poussée 
de  diverses  façons. 

Après  la  religion  M.  F.  en  vient  à  la  presse,  et  il  a  raison  de  la 
placer  au  plus  haut  rang  parmi  les  influences  sociales  actuelles  :  ce 
qui  ne  veut  pas  dire  :  parmi  les  influences  profitables  au  point  de  vue 
moral.  Le  procès  de  la  presse  contemporaine  est  facile  à  faire  :  M.  F. 
dresse  l'acte  l'accusation  sans  laisser  de  côté  aucun  des  griefs  légi- 
times qu'on  peut  formuler  contre  elle  :  la  recherche  du  scandale,  le 
mépris  de  la  vérité,  les  concessions  à  la  pornographie,  la  promptitude 
à  la  diffamation,  la  vénalité  des  informations  ou  des  opinions  qui  dis- 
tinguent un  trop  grand  nombre  de  nos  feuilles,  au  moins  de  celles 
qui  sont  le  plus  lues,  et  qui  pour  être  lues  font  fi  de  tout  scrupule 
moral  :  sur  tous  ces  points  M.  F.  est  un  juge  aussi  bien  instruit  que 
sévère.  Certes  personne  n'exagérera  le  mal  que  fait  une  telle  presse 
dans  un  pays  de  suffrage  universel  où  l'opinion  est,  nous  l'avons  trop 
vu,  constamment  corrompue  ou  trompée.  M.  F.  demande  avec  raison 
qu'on  ne  se  repose  pas  sur  l'excès  du  mal  pour  guérir  le  mal,  et  il  réclame 
une  modification  de  «  l'état  chaotique»  où,  en  vertu  de  préjugés  regret- 
tables, est  tombée  notre  législation  sur  la  presse,  surtout  depuis  la 
mauvaise  loi  de  1881,  inspirée  d'une  fausse  notion  de  la  liberté  démo- 
cratique :  mais  il  se  contente  d'indications  générales,  sur  le  sens  des 
réformes  à  accomplir.  Aussi  bien  ce  n'était  pas  pour  lui  le  lieu 
d'entrer  dans  un  examen  détaillé  de  la  question  peut-être  la  plus 
grave  et  la  plus  ardue  de  celles  qui  touchent  à  nos  mœurs  publiques  : 
question  qui  sera  probablement  insoluble  tant  qu'il  ne  se  sera  pas 
produit  une  grande  modification  dans  notre  conception  de  la  liberté 
et  de  la  souveraineté  populaire.  L'un  des  premiers  résultats  de  cette 
modification  dans  l'état  des  esprits  serait  une  réorganisation  des  par- 
tis qui  tiendraient,  au  moins  les  partis  modérés  et  vraiment  libéraux, 
à  posséder  à  eux  une  presse  respectable,  et  qui  feraient,  pour  l'avoir, 
les  sacrifices  d'argent  nécessaires. 

Les  autres  problèmes  auxquels  touche  M.  F.  rentrent  en  général 
dans  le  cadre  des  questions  de  criminalité  et  des  questions  d'édu- 
cation—  celles-ci  devant,  dans  la  pensée  de  l'auteur,  exercer  une  pro- 
fonde influence  sur  celles-là.  Peut-être  pourrait-on  trouver  que  son 
livre,  ici,  s'éloigne  un  peu  des  vastes  horizons  qu'il  avait  d'abord 
semblé  vouloir  envisager,  et  auxquels  il  n'a  en  somme  consacré 
que  la  moindre  partie  de  son  volume,  pour  y  revenir,  à  la  fin  du  livre, 
dans  une  «  Conclusion  »  assez  rapide.  Cependant  il  faut  bien  avouer 
que  la  criminalité  est  comme  le  miroir  ou  plutôt  le  thermomètre  de 
la  moralité  pathologique  d'une  nation  et  il  est  bon  pour  un  moraliste 
d'examiner  à  fond  les  indications  qu'elle  fournit.  Elles  sont  bien  loin 
d'être  satisfaisantes  pour  notre  pays.  La  criminalité  juvénile  notam- 
ment y  a  fait  des  progrès  lamentables  sur  lesquels  M.  F.  s'étend  lon- 
guement en  en  recherchant  les  causes,  qui  ne  sont  pas  d'ailleurs  —  pas 


d'histoire  et  de  littérature  271 

plus  que  le  mal  lui-même  —  particulières  au  peuple  français.  Ici  encore 
il  rencontre  ~  parmi  d'autres  sources  de  l'infection  —  la  presse  quia 
sa  bonne  part  de  responsabilité  dans  l'extension  du  fléau.  Le  dévelop- 
pement de  l'instruction  et  notamment  de  l'instruction  primaire   avait 
pendant  longtemps  passé  pour  devoir  être  le  remède  infaillible  contre 
la  démoralisation.  Stuart  Mill  raconte  dans  ses  Mémoires  que  son  père 
pensait  que  tout  irait  bien  dans  le  monde  le  jour  où  chaque  homme 
saurait  lire  et  écrire.  Nous  avons,  sous  le  second  Empire  et  au  début 
delà  3^  République,  entendu  à  satiété  ce  refrain.  Il  a  fallu  en  rabattre, 
comme  de  beaucoup  d'autres  préjugés  qui  n'ont  pas  résisté  à  l'expé-, 
rience  des  faits.  M.  F.  combat  avec  raison  ceux  qui  prétendent   que 
l'École  a  été  une  source  de  vices  :  mais  il  combat  avec  une  raison  égale, 
à  la  fois,  ceux  qui  pensent  que  telle  qu'elle  est  constituée  elle  suffit  à  la 
véritable  éducation  delà  démocratie,  et  ceux  qui  voudraient  la  réforme 
en  intégralisant  Vinsxructïon.  Il  montre  avec  force  que  l'accumulation 
des  notions  positives  n'est  pas  une  éducation  des  caractères  ni  des 
volontés,  et  que  celle-ci  seule  est  une  éducation  morale.  Il  a  confiance 
dans  l'efficacité  d'un  enseignement  «  sociologique»  insistant  auprès  de 
l'enfant  sur  les  questions  de  solidarité  sociale,  d'interdépendance  des 
êtres  composant  le  tout  dont  chacun  est  partie  et  qui  crée  à  chacun  à  la 
fois  des  droits  et  des  devoirs.  Je  crois  qu'il  est  dans  la  bonne  voie  en 
réclamant  l'orientation  de  notre  enseignement  public,  à  tous  les  degrés, 
dans  ce  sens  :  il  fournit  d'utiles  suggestions  sur  les  moyens  d'ame- 
ner cette  transformation  qui  devrait  se  produire  dans  les  corps  ensei- 
gnants avant  de  descendre  aux  bancs  de  l'école  :  mais  il  faut  reconnaître 
que  le  recrutement  et  l'organisation  actuelle  du  corps  enseignant  sont 
de  grands  obstacles  à  la  transformation  désirée.  Elle  exigerait  pour  se 
réaliser  un  petit  nombre  d'esprits  et  de  caractères  d'élite  qui  agiraient 
ensuite  avec  autorité  sur  la  masse  :  mais  la  démocratie  a  produit  là 
comme  partout  son  travail  d'éparpillement,  et  sinon  d'abaissement,  du 
moins  de  foisonnement  de  la  médiocrité.  La  quantité  a  été  cherchée  au 
lieu  de  la  qualité.  De  plus,  on  a  posé  des  barrières  infranchissables 
entre  les  divers  degrés  d'enseignement.  L'instituteur  est  devenu  un 
personnage  beaucoup  trop  politique  et   non  universitaire.  C'étaient 
là  probablement  des  nécessités  du  suffrage  universel  :  il  faudra  cepen- 
dant remonter  le  courant  sur  bien   des  points  si  le  suffrage  universel 
veut  vraiment  réagir  contre  ses  causes  de  destruction.  Au  lieu  d'émiet- 
ter  son  budget,  l'état  démocratique  devra  en  garder  quelques    mor- 
ceaux importants  pour  former  des  centres  d'éducation  qui  attireront 
des  éducateurs  de  premier  ordre,  pris  aux  plus  hauts  rangs  du  person- 
nel enseignant  et  destinés  à  renouveler  l'esprit  du  corps  tout  entier. 
L'Église  offre,  dans  son  passé,  et  même  dans  son  présent,  des  exemples 
qu'il  faudrait  avoir  sans  cesse  sous  les  yeux.  Elle  a  toujours  su  orga- 
niser sa  hiérarchie,  en  en  renouvelant  le  principe  quand  la  nécessité 
lui  en  était  démontrée.  Aujourd'hui  même,  nous  la  voyons,  en  pré- 


272  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

sence  du  recrutement  inférieur  de  son  clergé  séculier,  user  largement 
de  l'influence  des  prédicateurs  réguliers.  Un  problème  du  même  ordre 
se  présente  devant  la  société  laïque.  Ce  n'est  pas  sur  les  bataillons  des 
maîtres  d'école,  tout  dévoués  d'ailleurs  qu'ils  soient,  à  leur  œuvre  qu'il 
faut  compter  pour  renouveler  la  vertu  morale  de  l'enseignement  :  mais 
sur  certaines  hautes  personnalités,  qu'il  faudrait  de  plus  en  plus  atti- 
rer vers  les  questions  d'éducation,  leur  assurant,  par  les  distinctions 
désirables,  la  considération  dans  l'Etat.  C'est  d'elles  que  viendra, 
s'il  doit  venir,  le  souffle  qui  fécondera  au  point  de  vue  moral  l'ensei- 
gnement nécessairement  élémentaire  donné  dans  l'école.  Les  hommes 
et  non  les  programmes  sont  des  sources  de  moralité.  Nous  avons  déjà 
vu  dans  l'enseignement  supérieur  et  dans  celui  des  jeunes  filles  des 
exemples  de  ce  que  peut  être  le  prestige  de  certaines  individualités,  et 
leur  influence  générale  sur  la  jeunesse.  Des  personnalités  du  même 
ordre,  en  se  multipliant  et  en  associant  leur  apostolat,  pourraient 
réchauffer  et  élever  dans  le  sens  moral  l'enseignement  primaire,  et  aussi 
l'enseignement  secondaire  qui  n'en  a  pas  moins  besoin  que  son  frère 
cadet.  On  connaît  les  idées  de  M .  F.  sur  la  réforme  de  nos  lycées.  Il 
soutient  avec  une  ardeur  communicative  le  maintien  des  études  clas- 
siques et  le  couronnement  de  ces  études  par  une  classe  de  philosophie, 
d'ailleurs  transformée  et  élargie  dans  le  sens  que  nous  indiquions  tout 
à  l'heure.  Mais  là  comme  pour  l'école  primaire,  tant  vaudront  les  pro- 
fesseurs enseignants,  tant  vaudra  l'enseignement  au  point  de  vue  moral. 
Je  ne  crois  pas,  pour  ma  part,  pas  plus  d'ailleurs  que  M.  F.  lui-même, 
à  la  vertu  moralisatrice  des  lettres  classiques  livrées  à  leur  propre  valeur 
et  si  un  habile  éducateur  n'y  sépare  pas  l'ivraie  de  la  bonne  semence. 
De  même  pour  la  philosophie.  M.  F',  montre  mieux  que  personne  ce 
qu'elle  peut  contenir,  et  ce  qu'elle  a  contenu  et  contient  encore,  telle 
qu'on  l'enseigne  trop  souvent,  d'oiseux  ou  de  périlleux,  de  stimulants 
à  la  subtilité,  à  la  quintessence,  aboutissant  comme  résultat  flnal  au 
dilettantisme  ou  au  socialisme  métaphysique.  Là  encore  M.  Fouillée 
voudrait  avec  raison  l'extension  de  la  «  sociologie  »  et  de  «  la  morale 
sociale  »  :  mais  qui  ne  sent  tout  ce  qu'il  faudrait  d'abord  changer  à  la 
tète  pour  faire  descendre  le  sang  vivifiant  dans  les  membres? 

Eugène  d'EicHTHAL. 


Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  41  —  8  octobre  —  1900 


Kavirahasyam,  p.  Heller.  —  El  Djahiz,  Le  Livre  des  Beautés,  p.  Van  Vloten.  — 
Le  Kitàb  el-Mahasin,  p.  Schwally,  I.  —  Windenbergkr,  La  république  confédé- 
rative  de  Rousseau.  —  Kuscinski,  Liste  des  députés  et  suppléants  de  la  Législa- 
tive. —  Lenôtre,  Paris  rérolutionnaire.  —  La  Mazelière,  La  peinture  aile-' 
mande.  —  Heinze,  La  saisie  des  paquebots-poste  allemands  par  les  Anglais.  — 
Lebeden,  Russes  et  Anglais  en  Asie  centrale.  —  A.  de  Bkrtha,  Magyars  et  Rou- 
mains devant  l'histoire.  —  Xénopoi-,  Réponse  à  M.  de  Bertha. 


Halâyudha's  Kavirahasya  in  beiden  Recensionen,  herausgegeben  von  Ludwig 
Heller.  (Sanskrit-Drucke,  eine  Sammlung  indischer  Texte  begrûndet  von  K.  F. 
Geldner.  L)  Greifswald,  Abel,  1900.  In-8,  viij-102  pp.  Prix  5  mk. 

Leurs  titres  ont  toujours  quelque  chose  de  rare. . .  Kavirahasyam 
«  Le  Secret  du  Poète  »  !  Ne  songez  ni  à  Olympio  ni  à  Henri  Heine  : 
c'est  uniment  un  «Jardin  des  Racines  Sanscrites.  » 

Et  quel  jardin  !  Un  fouillis,  cela  va  sans  dire,  comme  toutes  les 
élucubrations  grammaticales  de  ITnde.  Aucun  semblant  d'ordre,  soit 
logique,  soit  alphabétique.  A  peine,  çà  et  là,  quelque  vague  rappro- 
chement fondé  sur  l'homophonie  ou  la  synonymie  :  ainsi  (^  4?),  les 
deux  racines  stii  et  nu  sont  accouplées  en  une  stance,  parce  qu'elles 
signifient  toutes  deux  «  louer  »;  en  revanche  ip  218),  on  constate 
l'étonnant  mélange  des  deux  racines  yam  et  anc/i,  sous  le  fallacieux 
prétexte  que  la  première,  pourvue  du  préfixe  d,  fait  àyacchati,  qui 
ressemble  de  bien  loin  à  dnchati.  Et  partout  de  même,  à  grand  renfort 
de  métaphores,  d'allitérations  et  de  calembours,  ces  fleurs  préférées  de 
l'horticulture  de  décadence,  qui  d'ailleurs  déguisent  fort  mal  l'intolé- 
rable monotonie  du  fond.  L'auteur,  en  effet,  a  prétendu  réaliser  ce 
tour  de  force,  d'encadrer  le  tableau  général  des  racines  sanscrites  et 
de  leurs  formes  verbales,  attestées  ou  non  par  la  littérature,  dans 
l'énumération  des  vertus  d'un  souverain  idéal,  le  Grandisson  des  rois, 
le  héros  sans  peur  et  sans  faiblesse  ;  et  il  en  résulte  souvent  un  balan- 
cement de  stance  dont  voici  le  type  :  «  Lui  dont  la  pensée  ne  vacille 
jamais  dans  le  devoir,  dût-il  lui  en  coûter  toute  sa  fortune,  mais  qui 
fait  sans  cesse  vaciller  l'espoir  de  vivre  de  la  troupe  de  ses  ennemis.  » 
Encore  les  versiculets  de  ce  genre  ont-ils  un  mérite  :  on  les  comprend 
à  la  lecture  ;  mais  on  en  prend  assez  vite  la  nausée.  Ce  livre  veut  être 
savouré  lentement. 

Nouvelle  série  L.  4' 


274  REVUE    CRITIQUE 

Il  se  compose  de  deux  recensions  (a  et  Ji),  Tune  de  299  stances, 
Taiure  de  274,  de  divers  mètres,  mais  çlôkas  en  majorité,  avec  intro- 
duction et  conclusion  identiques  :  très  peu  destances  reviennent  sans 
variantes  dans  les  deux  textes;  beaucoup  même  diffèrent  notablement 
entre  elles,  quoique  portant  sur  les  mêmes  racines  ;  et  quelques  racines 
manquent  dans  l'une  qui  figurent  dans  Tautre,  ou  réciproquement. 
M.  Heller  a  multiplié  les  références  qui  permettent  de  les  confronter  : 
je  remarque  que  a  294  devrait  renvoyer  à  [i  88,  et  inversement, 
puisque  ciir  et  cûr  sont  des  variantes  d'une  seule  et  même  racine. 
Entre  autres  particularités,  j'ai  relevé  :  le  verbe  l'iij  «  briser  »  (a  247) 
avec  le  complément  au  génitif,  ce  qui,  d'après  le  PW.,  est  excep- 
tionnel quand  ce  complément  désigne  une  personne  ;  le  verbe  ric^  au 
causatif,  avec  le  sens  de  «  se  vider  »  fJ3  98),  ou  du  moins  Je  n'en  vois 
guère  d'autre  possible;  le  mot  apamrtyam  «  danger  de  mort  »,  auquel 
il  faut  sans  doute  substituer  apamrtyiim  (  ^  174)  ;  le  mot  parigraha 
(p  224),  avec  le  sens  de  «  malédiction,  juron  »,  marqué  d'un  astérisque 
au  Dictionnaire  ;  le  barbarisme  au  moins  apparent  nihsimàm  «  im- 
mense /;  accusatif  féminin  singulier,  alors  qu'on  ne  trouve  que  l'adjec- 
tif 7n'h5jwan  (p  227), 

Mais  toutes  ces  observations  sont  prématurées.  M.  Heller  sait  mieux 
que  personne  qu'un  ouvrage  de  ce  genre  ne  peut  avoir  de  valeur  qu'au- 
tant qu'il  est  accompagné  de  notes  lexicographiques,  d'extraits  du 
commentaire  et  d'un  classement  des  racines.  11  se  propose  de  nous 
donner  tout  cela  dans  la  suite,  et  la  minutieuse  précision,  la  forte  con- 
naissance de  la  langue,  la  sagacité,  enfin,  qu'il  a  apportées  à  la  colla- 
tion des  manuscrits,  nous  font  très  bien  augurer  de  l'achèvement  de 
sa  tâche.  On  doit  souhaiter  qu'il  ne  se  fasse  pas  trop  attendre.  C'est  là 
un  heureux  début  pour  la  collection  de  textes  sanscrits  dont  M.  Geld- 
ner  entreprend  la  publication. 

V.  Henry. 


Le  livre  des  beautés  et  des  antithèses,  attribué  à  Al-Djahiz,  texte  arabe  publié 

par  G.  van  Vloten.  Leyde,  Brill,  1898,  un  volume  in-8°,  xiv  et  383  p. 
Ibrahim  ibn  Muhammad  Al-Baïhaki-Kitâb  al-Mahasin  Wal-Masa^vi,  heraus- 

gegcbcn  von  D'  V.  Sciiwallv.  i  tcil,  Gicssen,  1900,  224  pp. 

De  ces  deux  publications  dont  le  sujet  est  identique  la  première  a 
déjà  deux  années  de  date.  Nous  attendions  pour  en  rendre  compte 
que  le  savant  éditeur  l'eût  complétée  en  y  ajoutant  l'introduction,  les 
notes  et  surtout  l'index  qui  en  rendront  la  lecture  plus  facile.  Ce  sup- 
plément indispensable  n'a  pas  encore  paru.  Fort  heureusement  le 
texte  non  moins  intéressant  dont  M.  Schwallv  vient  de  donner  le 
premier  fascicule  —  il  y  en  aura  trois  —  nous  fournit  l'occasion  d'ap- 
peler l'attention  sur  le  travail  de  M.  Van  Vloten  et  de  dire  en  quel- 
ques mots  ce  que  l'on  peut  attendre  de  l'un  et  l'autre  ouvrage. 


d'histoire  et  de  littérature  275 

Mais  tout  d'abord,  en  remerciant  M.  V.  V.  d'avoir  rédigé  sa  pré- 
face en  un  français  correct  et  clair,  nous  lui  ferons  une  petite  chicane 
3ur  la  traduction  par  trop  littérale,  partant  un  peu  vague  qu'il  a  don- 
née du  titre  arabe.  Au  cours  des  trois  premiers  siècles  de  l'hégire  se 
produisit  un  genre  particulier  d'écrits  qui  s'attachaient  à  opposer  les 
beaux  côtés  de  la  nature  humaine  à  ses  faiblesses  et  à  ses  laideurs,  en 
particulier  à  ce  que  les  Arabes  prisent  le  plus,  par  exemple,  la  bravoure 
en  face  de  la  lâcheté,  la  générosité  opposée  a  l'avarice  et  ainsi  de 
suite.  Le  génie  littéraire  de  cette  race  si  riche  en  souvenirs,  si  mer- 
veilleusement douée  pour  l'anecdote  s'est  plu  à  compulser  documents 
écrits  et  traditions  pour  y  trouver  des  modèles  à  suivre,  des  exemples 
à  éviter,  quelque  chose,  en  un  mot,  comme  une  morale  en  action 
avec  des  contrastes  bien  choisis  pour  en  rehausser  la  valeur.  Or  ce 
que  M.  V.  V.  traduit  par  Livre  des  beautés  et  des  antithèses  nous 
laisse  dans  le  doute.  Je  reconnais  que  l'extrême  concision  de  l'arabe 
en  rendait  la  traduction  malaisée,  mais  J'aurais  préféré,  à  tout  prendre, 
un  équivalent  comme  Livre  des  vertus  et  des  vices,  ou  bien  encore 
Des  belles  qualités  et  de  ce  qui  leur  est  opposé,  traduction  assez 
lourde,  J'en  conviens,  pourtant  moins  imprécise. 
,  Quelle  que  soit  celle  qu'on  préfère,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que 
tel  est  le  sujet  traité  avec  une  verve  intarissable  à  la  fois  par  un  écri- 
vain très  connu  des  Orientalistes,  El-Djahiz  et  par  un  certain  Beïhaki 
dont  le  nom  se  révèle  ici  pour  la  première  fois.  Disons  d'abord  quel- 
ques mots  du  premier  qui  doit,  il  est  vrai,  sa  célébrité  moins  à  ses 
ouvrages  fort  maltraités  par  le  temps,  qu'à  la  hardiesse  de  ses  opi- 
nions philosophiques  et  à  une  indépendance  d'esprit  voisine  de  l'hé- 
térodoxie. J^l-Djahiz  appartient  au  iii«  siècle  de  l'hégire  ;  on  ignore  la 
date  de  sa  naissance,  mais  les  biographes  musulmans  les  plus  autori- 
sés placent  sa  mort  en  l'année  255  de  l'hégire  (869  de  notre  ère).  Ses 
opinions  rationalistes,  qui  le  rattachent  à  la  grande  école  libérale  des 
Moutazélites,  paraissent  l'avoir  desservi  aux  yeux  de  ses  contempo- 
rains et  c'est  peut-être  là  qu'il  faut  chercher  la  cause  de  la  disparition 
de  ses  principaux  traités.  Dans  l'état  de  mutilation  où  ils  nous  sont 
parvenus,  il  est  difficile  d'établir  sa  valeur  réelle  comme  chef  d'école, 
bien  qu'il  ait  donné  son  nom  à  une  secte,  celle  des  Djahi^yeh,  et  de 
constater  la  part  qui  lui  revient  dans  l'évolution  de  l'esprit  musulman 
alors  dans  toute  sa  force  d'expansion.  Un  pareil  jugement  serait  d'au- 
tant plus  incertain  que  plusieurs  des  écrits  qui  portent  son  nom  sont 
à  coup  sûr  ou  apocryphes  ou  remaniés  avec  le  sans-façon  que  les 
mœurs  littéraires  de  l'islam  ont  toujours  autorisé. 

Un  écrivain  arabe  bien  connu,  Maçoudi,  l'auteur  des  Prairies  d'Or, 
après  avoir  fait  un  éloge  pompeux  d'El-Djahiz,  ajoute  un  renseigne- 
ment qui  vient  à  l'appui  de  ce  que  nous  disions  plus  haut  de  l'impo- 
pularité où  le  rigorisme  musulman  avait  relégué  cet  esprit  indépen- 
dant. Un  de  ses  ouvrages  venait  de  paraître  et  n'avait  aucun  succès  dans 


276  REVUE    CRITIQUE 

le  monde  des  lettrés.  El-Djahiz,  choqué  de  ce  dédain  injustifié,  écrivit 
peu  de  temps  après,  un  traité  de  médiocre  valeur,  mais  qu'il  eut  soin 
d'attribuer  à  El-Mokaffa'  ou  à  un  autre  savant  des  âges  précédents. 
L'accueil  fut  tout  autre  ;  on  porta  le  livre  aux  nues  et  le  véritable 
auteur  put  ainsi  se  convaincre  du  goût  peu  éclairé  de  ses  contempo- 
rains et  de  la  partialité  de  leurs  jugements. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  l'authenticité  de  ses  œuvres,  El-Djahiz  fut  un 
des  hommes  les  plus  éclairés  de  son  temps  :  philosophie,  belles- 
lettres,  sciences  naturelles,  il  traita  à  peu  près  de  tous  les  sujets  et,  par 
un  juste  retour  des  choses  d'ici-bas,  plusieurs  savants  qui  ne  le 
valaient  pas  furent  obligés,  pour  assurer  quelque  succès  à  leurs  tra- 
vaux, de  lui  en  attribuer  la  paternité. 

Est-ce  aussi  le  cas  du  texte  publié  par  M.  V.  Vloten  ?  Le  Livre  des 
beautés   est-il  bien  de  l'auteur  dont  il  porte  le  nom,  mais  plus  ou 
moins  remanié  par  ses  éditeurs,  ou  bien   n'est-ce  qu'un   apocryphe? 
M.  V.  V.  ne  manquera  pas  sans  doute  d'élucider  cette  question  d'ori- 
gine. C'est  par  là,  croyons-nous,  qu'il  devra  compléter  son  utile  tra- 
vail avant  de  poursuivre  la  publication  des  œuvres  que  la  tradition 
attribue  à  El-Djahiz,  et  dont  la  véritable  origine  restera  toujours  dou- 
teuse. Dès  à  présent  et  sans  préjuger  des  conclusions   auxquelles   un 
examen  minutieux  des  deux  ouvrages  pourra  donner  lieu,  il  semble 
qu'on  est  en  droit  de  les  rapporter  l'un  et  l'autre  à  une  seule  et  même 
source.  En  d'autres  termes,  El-Djahiz  et  Baïhaki,  loin  de  se  faire  des 
emprunts  réciproques,  ont  eu  sous  les  yeux  le  même  document  ori- 
ginal qu'ils  ont  tantôt  remanié,  tantôt  reproduit  sans  changement,  ce 
qui,  pour  les  compilateurs  musulmans,  ne    constitue  nullement   un 
plagiat.   Tel    est  d'ailleurs,   je  crois,  le  sentiment   de  M.  V.  V.  qui 
serait  porté  à  placer  le  texte  primitif  entre  le  règne  de  Motewekkil  et 
celui  de  Moukiadir,  c'est-à-dire  dans  une  période  d'environ  un  siècle, 
entre  la  seconde  moitié  du  ix=  et  la  première  moitié  du  x*^  de  notre  ère. 
Le  document  parallèle  (le  Kitùb  el-Mahasin,  etc.)  dont   M.    Sch- 
wally  vient  de  commencer  la  publication  et  qui,  selon  sa  promesse, 
ne  tardera  pas  à  être  achevé,  ne  nous  donnant  encore  qu'un  fragment 
et  des  variantes,  il  serait  prématuré  de  lui   consacrer   une  analyse 
détaillée.  11  n'est  cependant  que  juste   de  reconnaître  que,  sous  le 
rapport  de  la  critique  et  de  la  correction  du  texte,  il  mérite  d'être  mis 
au  même  rang  que  l'ouvrage  de  M.  V.  V.  Toutefois  en    ce  qui    con- 
cerne   la   valeur   intrinsèque    des  deux    livres,    j'inclinerais,    autant 
qu'une  lecture  un  peu   rapide  m'y  autorise,  à  accorder  une  certaine 
préférence  à  celui   qui    porte  le   nom  de  Baihaki.  Son  plan  est  plus 
régulier,  mieux  suivi,  la  thèse  et  l'antithèse  y  sont  mieux  en   relief; 
l'étude  politique  et  sociale  du  khalifat  des  trois  premiers  siècles  aura 
beaucoup  à  prendre  dans  ce  document,  si  la  suite  répond  à  la  partie 
déjà  publiée.  Le  style  est  plus  sec  que   celui  d'El-Djahiz,  on  y  trou- 
vera moins  d'anecdotes  galantes,  moins  de  poésies  du  genre  nesib^ 


d'histoire  et  de  littérature  277 

mais  une  foule  d'anecdotes  et  de  traits  de  mœurs  ayant  tous  les  carac- 
tères de  rauthenticité  y  complètent  dans  une  large  mesure  les  histo- 
riens classiques,  Tabari,  Ibn  el-Athîr,  etc. 

En  résumé  et  sans  pousser  plus  loin  le  parallèle  entre  denx  publi- 
cations inachevées,  je  n'hésite  pas  à  constater  qu'elles  font  Tune  et 
l'autre  le  plus  grand  honneur  aii  savoir  consciencieux  des  deux  érudits 
qui  les  ont  restituées  à  la  science.  C'est  grâce  à  des  textes  de  cette 
date  et  reconstitués  avec  un  soin  aussi  scrupuleux  que  la  connaissance 
du  monde  arabe,  de  sa  civilisation  et  de  ses  mœurs  à  l'apogée  de  son 
existence  fera  chaque  jour  de  nouveaux  progrès.  Le  travail  méritoire 
de  Weil  a  fait  son  temps  et  ne  peut  plus  suffire  aux  exigences  de  la 
critique  moderne.  On  ne  saurait  donc  accueillir  avec  trop  d'encoura- 
gements les  efforts  des  Jeunes  savants  qui  préparent  avec  une  si 
louable  émulation  les   matériaux  de  l'histoire  définitive  de  l'Orient 

musulman. 

A.  Barbier  DE  Meynard. 


J.-L.  WiNDENBERGER  :  Essai  sur  le  système  de  politique  étrangère  de  J.-J. 
Rousseau  :  La  république  confédérative  des  petits  États.  A.  Picard,  1900. 

Selon  M.  Windenberger,  le  Contrat  social  est  inachevé.  Restreinte 
aux  dimensions  d'une  ville,  la  cité  idéale  de  Rousseau  est,  de  son  aveu, 
fort  en  péril.  Tous  les  États  «  tendent  à  s'agrandir  aux  dépens  de 
leurs  voisins,  comme  les  tourbillons  de  Descartes»  (II,  ix).  «  Les  faibles 
risquent  d'être  bientôt  engloutis  ».  Les  petites  cités  ou  républiques  ne 
pourront  donc  atteindre  leur  fin  qui  est  d'assurer  la  conservation,  la 
liberté  et  l'égalité  des  individus,  si  elles  ne  trouvent  un  moyen  de  se 
garantir  contre  les  entreprises  des  grands  États  ou  monarchies.  Ce 
moyen,  Rousseau  le  leur  suggère  ;  c'est  l'établissement  de  confédé- 
rations. Il  se  proposait  de  l'exposer  dans  la  suite  de  l'ouvrage  (III, 
XVI  en  note).  Ce  qui  l'en  a  empêché,  il  ne  nous  le  dit  pas  ;  mais  nous 
savons  qu'il  avait  rédigé  des  Principes  du  Droit  de  la  guerre  ><■  mes 
principes  du  Droit  de  la  guerre  ne  sont  point  prêts  »,  dit-il  à  son  édi- 
teur en  1758.  Et  à  la  fin  de  ÏEmile,  il  annonce  qu'il  en  traitera  quelque 
jour  et  qu'il  cherchera  le  remède  aux  maux  de  la  guerre  dans  «  une 
bonne  association  fédérative  ».  Très  probablement  la  publication  an- 
noncée eut  compris,  selon  la  méthode  de  composition  de  Rousseau, 
le  grand  fragment  du  manuscrit  de  Neuchâtel  sur  l'état  de  guerre  : 
.((  Mais  quand  il  serait  vrai...  »  (n°  7856  du  catalogue)  et  quelques 
autres  moins  étendus  {n°  7840);  elle  eut  contenu  enfin  les  32  pages 
sur  les  confédérations  léguées  par  Rousseau  au  comte  d'Antraigues, 
et  détruites  par  celui-ci.  A  défaut  de  ce  document  irremplaçable,  est-il 
possible,  avec  les  fragments  dont  nous  disposons  et  les  passages  des 
divers  écrits    de  J.-J.   qui  peuvent  avoir  trait  à  ce  qu'il  appelle  le 


2-8  REVUE    CRITIQUE 

droit  des  gens  de  reconstituer  l'ensemble  de  ces  idées  sur  ce  sujet? 
M.  W.  l'a  pensé  et  tel  est  l'objet  de  son  livre. 

L'entreprise  n'était  pas  facile.  Il  est  déjà  malaisé  de  saisir  la  pensée 
de  Rousseau  là  où  il  l'a  exprimée  :  nous  avons  montré  que  celui-ci 
n'est  jamais  parvenu  à  se  mettre  d'accord  avec  lui-même  sur  les  points 
essentiels  de  sa  philosophie  sociale  '.  Pour  tirer  de  cette  philosophie 
générale  une  doctrine  particulière  non  exprimée  qui  y  serait  implici- 
tement contenue,  il  faut  attribuer  aux  idées  de  Rousseau  une  cohé- 
rence, une  liaison  qui,  croyons-nous,  leur  manque  à  un  degré  rare. 
Ainsi  a  fait  M.  W.  qui  ne  tient  pas  compte  de  notre  travail.  Il  procède 
comme  nous  faisions  jadis  à  l'agrégation  de  philosophie,  il  repense  le 
système  de  Rousseau  ;  il  le  ramène  à  de  grandes  lignes  continues  et 
symétriques,  et  cela  fait,  il  s'enhardit  à  le  compléter,  là  où  le  dessin 
appuyé  s'arrête,  par  une  nouvelle  figure  régulière  en  pointillé  qui  fait 
exactement  pendant  à  l'ensemble  de  la  composition  tel  qu'il  le  conçoit. 

Voici  son  raisonnement.  Rousseau  déclare  que,  tandis  que  les  indi- 
vidus sont  sortis  de  l'état  de  nature,  les  corps  politiques  y  sont  en- 
core. Comment  ceux-ci  pourront-ils  passer  à  l'état  civil?  Évidemment 
de  la  même  façon  que  les  individus,  par  un  contrat.  Il  y  a  donc  lieu 
d'appliquer  aux  cités  la  suite  des  propositions  qui  forment  la  trame 
du  Contrat  social.  Et  alors  M.  W.  écrit  le  Contrat  social  des  peuples 
qui  lui  paraît  devoir  se  clore  par  cette  conclusion  :  le  seul  moyen  de 
faire  sortir  les  corps  politiques  de  l'état  de  guerre  est  de  les  unir  sinon 
tous,  du  moins  les  plus  petits,  en  confédérations,  qui  seront  à  chacun 
d'eux  ce  qu'est  l'Etat  à  chaque  particulier. 

Cela  est  ingénieux  et  peut  séduire.  A  une  première  lecture  rapide, 
des  connaisseurs  y  seront  pris  peut-être.  Mais  quand  on  examinera  ce 
système  à  tête  reposée,  les  objections  surgiront  de  toutes  parts. 

D'abord  les  textes  manquent.  M.  W.  écrit  des  pages  entières  sans 
références,  sans  qu'on  sache  si  c'est  lui  ou  Rousseau  qui  a  la  parole. 
Ou  bien  il  transcrit  simplement  des  textes  qui  s'appliquent  au  pacte 
individuel,  sans  établir  qu'ils  s'appliquent  aussi  dans  la  pensée  de 
Rousseau  au  pacte  international.  Ou  bien  enfin  il  fait  entrer  dans  son 
exposé,  en  les  infléchissant,  des  considérations  que  Rousseau  a  émises 
à  propos  d'un  tout  autre  objet.  Les  grandes  discussions  sur  la  société 
générale  du  genre  humain  et  sur  l'état  de  guerre  ne  sont  point  du  tout 
chez  Rousseau  le  préliminaire  d'une  théorie  des  confédérations.  Elles 
se  réfèrent  à  la  question  très  différente  de  l'origine  de  la  société  civile 
et  à  la  réfutation  de  Hobbes.  L'honnêteté  des  intentions  n'exclut  pas 
ici  quelque  artifice  esthétique.  La  construction  reste  ainsi  trop  sou- 
vent sans  autre  appui  que  des  analogies  ou  des  vraisemblances  i^Exem- 
ples  :  pp.  i3 1  et  i  53) . 

Ensuite  la  théorie  repose  sur  des  propositions  dont  plusieurs  n'eus- 

I.  Revue  internationale  de  V Enseignement,  iScjS. 


D  HISTOIRE    ET    DE   LITTÉRATURE  279 

sent  probablement  pas  été  acceptées  par  Rousseau.  S'il  s'est  abstenu 
d'écrire  sur  ce  sujet,  c'est  qu'il  avait  ses  raisons  et  le  jugeait  plus  en- 
core «  au-dessus  de  ses  forces  »  que  le  droit  politique  intérieur.  Voici, 
par  exemple,  le  principe  de  tout  le  raisonnement,  à  savoir  que  l'État  est 
une  personne  réelle,  possède  un  moi  véritable,  peut  par  conséquent 
entrer  dans  une  société  nouvelle  comme  unité  irréductible.  Rousseau 
n'a  jamais  pu  se  poser  nettement  cette  question  du  caractère  abstrait 
ou  organique  de  la  personnalité  collective,  encore  moins  adopter  l'une 
ou  l'autre  des  solutions  qu'il  entrevoyait.  M.  W,  s'embarrasse  à  sa 
suite  dans  les  aspects  fuyants  de  ce  débat  où  la  sociologie  moderne  est 
encore  engagée.  Tantôt  une  nation,  selon  Rousseau  interprété  par  lui, 
est  une  véritable  personne,  un  être  concret,  elle  a  un  corps  et  une  âme; 
tantôt  elle  n'est  qu'une  personnalité  fictive,  une  abstraction;  tantôt 
son  indépendance  est  absolue,  tantôt  «son  autonomie,  absolue  en  elle- 
même  ne  l'est  pas  absolument  »  (p.  i52).  Au  moment  où  Rousseau  re- 
nonça à  couronner  le  Contrat  social  par  une  théorie  des  confédé- 
rations, il  était  aux  prises  avec  la  grande  difficulté  qui  remplit  VEmile 
de  contradictions  :  la  société  est-elle  un  état  naturel,  résultant  d'un 
penchant  inné  et  providentiel,  ou  bien  est-elle  une  déchéance,  un  dé- 
menti violent  donné  par  l'art  à  la  nature,  qui  aurait  fait  l'homme  par- 
fait dans  son  isolement  primitif?  L'homme  ne  s'éloigne-t-il  pas  de  la 
nature  en  s'associant  pour  former  des  États  et  encore  plus  en  unissant 
par  le  lien  fédéral  les  sociétés  politiques  du  premier  degré?  C'est  ce 
qu'il  n'osait  plus  décider  avec  lui-même  et  c'est  pourquoi  il  s'abstenait 
de  poser  de  telles  questions.  Dès  1765,  il  ne  savait  plus  si  la  confédé- 
ration des  pièves  corses  ne  «  compliquerait  pas  le  jeu  de  la  ma- 
chine». Poser  pour  lui  ces  questions,  les  résoudre  pour  lui  sous  pré- 
texte de  compléter  sa  pensée,  est  une  tentative  assurément  périlleuse. 
Enfin  nous  craignons  que  le  problème  débattu  par  M.  W  ne  soit 
pas  celui  que  Rousseau  a  signalé  à  la  fin  de  VÉmile  et  au  cours  du 
Contrat  comme  trouvant  sa  solution  dans  l'établissement  des  confé- 
dérations. Oui,  Rousseau  parle  de  droit  des  gens,  de  droit  public,  de 
relations  «  externes  ».  Mais  il  ne  songe  nullement  à  une  ligue  qui 
grouperait  les  petits  États  historiques  comme  la  Suisse,  les  Provinces- 
Unies  et  la  Suède  contre  les  grandes  monarchies.  Deux  passages 
extraits  le  premier  du  Projet  de  constitution  de  la  Corse,  le  second  du 
Gouvernement  de  Pologne,  eussent  montré  à  M.  Windenberger,  s'il 
en  avait  tenu  compte  au  lieu  de  reprendre  simplement  la  thèse  du 
Contrat^  que  la  pensée  du  législateur  de  Genève  visait  les  villes  (nous 
disons  les  communes)  devenues  autonomes  par  le  fractionaement  des 
nations  en  cités  contractuelles,  et  leur  association  au  sein  d'une  même 
république  pour  s'assurer  une  base  plus  large  et  une  défense  plus 
facile  contre  les  monarchies  survivantes.  On  pourrait,  dit-il,  en  par- 
lant de  la  Corse,  «  diviser  l'île  en  plusieurs  petits  États  confédérés 
dont  chacun  aurait  à  son  tour  la  présidence...  »  et  s'adressant  aux 


28o  REVUE    CRITIQUE 

Polonais  :  «  Que  si  ces  retranchements  de  territoire  n'ont  pas  lieu,  je 
ne  vois  qu'un  moyen  qui  puisse  y  suppléer  peut-être;  et  ce  qui  est 
heureux,  ce  moyen  est  déjà  dans  l'esprit  de  votre  institution  '.  Que  la 
séparation  des  deux  Polognes  soit  aussi  marquée  que  celle  de  la 
Lithuanie  ;  ayez  trois  États  réunis  en  un.  Je  voudrais,  s'il  était  pos- 
sible, que  vous  en  eussiez  autant  que  de  palatinats.  Formez  dans 
chacun  autant  d'administrations  particulières.  Perfectionnez  la  forme 
des  diétines,  étendez  leur  autorité  dans  leurs  palatinats  respectifs, 
mais  marquez-en  soigneusement  les  bornes,  et  faites  que  rien  ne 
puisse  rompre  entre  elles  le  lien  de  la  commune  législation  et  de  la 
subordination  au  corps  de  la  république.  En  un  mot,  appliquez-vous 
à  étendre  et  à  perfectionner  le  système  des  gouvernements  fédératifs, 
le  seul  qui  réunisse  les  avantages  des  grands  et  des  petits  états  et  par 
là  le  seul  qui  puisse  vous  convenir  »,  Ainsi  il  s'agit  manifestement 
pour  Rousseau  d'un  lien  extérieur  à  chaque  cité,  mais  intérieur  à  la 
nation.  Le  mot  de  fédération  avait  gardé  ce  sens  pendant  la  Révolu- 
tion non  seulement  quand  éclata  la  lutte  entre  les  tendances  fédéra- 
listes et  les  tendances  unitaires,  mais  quand  d'un  bout  à  l'autre  du 
territoire,  les  communes  en  armes  allèrent  se  promettre  un  appui 
mutuel  contre  les  «  brigands».  Ces  grands  dangers  qui  auraient, 
selon  d'Antraigues,  menacé  la  France  dès  1790,  si  le  manuscrit  de 
32  pages  avait  été  publié  alors,  c'est  le  fractionnement  de  la  monar- 
chie en  un  nombre  immense  de  communes  autonomes  :  en  quoi  l'al- 
liance entre  les  petits  États  de  l'Europe  eut-elle  pu  saper  et  même  dé- 
truire l'autorité  royale  ?  Rousseau  d'ailleurs  dans  le  traité  sur  le  Gou- 
vernement de  Pologne  se  sert  indifféremment  des  deux  termes  :  confé- 
dération et  forme  fédérative.  Ils  sont  pris  l'une  pour  l'autre  dans  la 
même  phrase.  Confondre  cette  confédération  intérieure  des  cités  dans 
une  même  république  avec  une  ligue  permanente  des  petits  États 
européens  contre  les  grands  nous  paraît  être  une  grave  méprise. 
D'autant  plus  que  l'union  entre  la  Suède,  la  Suisse  et  les  Provinces- 
Unies  n'aurait  jamais  pu  dépasser  en  intimité  les  conditions  d'une 
alliance  défensive  et  n'aurait  pu  constituer  un  obstacle  bien  redouta- 
ble aux  desseins  des  grands  États.  Le  but  que  se  propose  Rousseau  en 
suggérant  aux  cités  républicanisées  à  l'antique  de  se  confédérer  en 
une  seule  république  n'est  pas,  comme  le  croit  M.  W.,  de  fournir  une 
solution  au  problème  de  la  suppression  de  la  guerre,  problème  inso- 
luble pour  Rousseau  ;  il  est  de  rétablir  l'équilibre  entre  les  corps  so- 
ciaux, qu'il  compare  aux  tourbillons  de  Descartes,  et  de  permettre  aux 
communes  libres  de  soutenir  la  guerre  contre  les  monarchies  en  res- 
tant unies  au  sein  de  grandes  républiques.  Ce  problème  :  si  et  com- 
ment de  grandes  républiques  sont  possibles,  a  été  présent  à  l'esprit 


I.  Il  y  avait  en  Pologne  un  mode  dégroupement  rcvolutiunnuirc  des  provinces 
qui  s'appeait  justement  Confédération.  . 


d'histoire  et  de  littérature  281 

des  théoriciens  politiques  les  plus  importants  du  xyiii^  siècle,  avant  et 
pendant  la  Révolution. 

Nous  regrettons  d'avoir  à  formuler  ces  critiques.  M.  W.  nous 
remercie  gracieusement  de  quelques  conseils  que  nous  lui  avons  don- 
nés. Le  principal  était  de  ne  point  postuler  l'unité  et  la  symétrie  des 
idées  de  Rousseau.  Il  n'en  a  point  tenu  compte  et  d'un  bout  à  l'autre 
de  son  livre  il  célèbre  la  cohérence  et  l'enchaînement  des  conceptions 
de  son  auteur,  conceptions  qui  sont  fécondes,  mais  dont  la  plupart 
ne  se  rejoignent  pas  ou  se  rejoignent  très  péniblement.  C'est  une 
erreur  à  notre  avis,  mais  qu'il  a  commise  avec  Taine,  ce  qui  est  peut- 
être  une  circonstance  atténuante.  Il  y  a  bien  chez  Rousseau  une 
tendance  à  faire  des  provinces  confédérées  des  unités  en  partie  indé- 
pendantes et  égales  ;  mais  il  n'est  point  allé  jusqu'au  bout  de  sa  pensée 
et  ses  commentateurs  doivent  s'arrêter  là  où  il  s'est  arrêté  lui-même. 
Il  craignait  en  traçant  en  1765  une  constitution  pour  la  Corse  de 
«  compliquer  la  machine  »  par  la  fédération  des  districts  ;  en  fin  de 
compte,  il  n'a  point  publié  son  essai  ;  il  a  renoncé  à  compléter  le  Con- 
trat comme  il  avait  promis  :  ne  transformons  pas  d'incertaines  vel- 
léités en  un  système  géométrique.  Tous  les  lecteurs  de  M.  Winden- 
berger  reconnaîtront  avec  nous  que  si  sa  tentative  de  construction  ou 
de  reconstruction  est  quelque  peu  téméraire,  elle  renferme  d'excel- 
lentes parties,  notamment  son  étude  du  droit  de  la  guerre  chez  Rous- 
seau qui  est  une  chose  neuve  et  un  chapitre  important  de  l'histoire 
des  idées  politiques.  Ils  verront  que  le  jeune  philosophe,  là  où  il 
renonce  à  réinventer  les  théories  de  l'auteur  du  Contrat,  et  là  même 
où  il  se  livre  à  ce  jeu  périlleux,  fait  preuve  d'une  connaissance  appro- 
fondie de  ses  ouvrages,  connaissance  qui  serait  parfaite  si  elle  était 
plus  assaisonnée  de  critique.  Ils  lui  sauront  gré  enfin  d'avoir  donné 
en  appendice  des  morceaux  considérables  des  manuscrits  de  Neuchà- 
tel,  les  uns  inédits,  les  autres  soigneusement  revisés  et  heureusement 
débarrassés  des  erreurs  étonnantes  qu'y  avait  accumulées  M.  Dreyfus- 
Brisac  en  les  publiant  dans  les  Appendices  de  son  Contrat  social. 

A.   ESPINAS. 


Les  députés  à  l'Assemblée  législative  de  1791,  listes  par  départements  et 
par  ordre  alphabétique  des  députés  et  des  suppléants  avec  nombreux  détails 
biographiques  inédits  par  Auguste  Kuscinski  (^Publications  de  la  Société  de 
l'histoire  de  la  Révolution  française).  Paris  au  siège  de  la  Société,  rue  de 
Furstenberg,  3.  1900,  in-S",  v  et  171  p. 

M.  Guiffrey  nous  avait  donné  la  liste  des  conventionnels  et 
M.  Brette,  celle  des  constituants  ;  M.  Kuscinski  nous  donne  aujour- 
d'hui celle  des  membres  de  l'Assemblée  législative. 

La  tâche  de  M.   K.  était  plus  facile  que  celle   de  ses  devanciers. 


282  REVUE    CRITIQUE 

Plus  de  bailliages  et  d'élections  par  ordres  ;  le  département  est  la  cir- 
conscription électorale  et  une  seule  assemblée  choisit  les  députés.  En 
outre,  la  Législative  dure  moins  que  la  Convention,  et  le  personnel 
change  moins. 

M.  K.  a  pourtant  rencontré  quelques  difficultés.  Il  n'a  pas  trouvé 
dans  les  procès-verbaux  des  élections  toute  la  précision  désirable; 
beaucoup  ont  été  rédigés  sans  soin  ;  les  noms  sont  défigurés  ;  les  pré- 
noms et  les  qualités  des  élus  manquent.  M.  K.  a  rempli  ces  lacunes 
grâce  au  registre  de  Camus  qui  contient  les  noms,  prénoms  et  quali- 
tés des  députés  :  le  1 1  octobre  1791,  Camus,  garde  des  archives 
nationales,  avait  dans  la  salle  de  l'assemblée  fait  l'appel  des  représen- 
tants qui  se  trouvaient  là  au  nombre  de  434. 

Il  n'en  est  pas  de  même  pour  les  suppléants.  Camus  ou  un  scribe  a 
ajouté  leurs  noms  un  peu  au  hasard  sans  énoncer  prénoms  et  quali- 
tés. M.  K.  a  pris  la  peine  de  dépouiller  aux  archives  nationales  la 
série  qui  contient  les  listes  des  électeurs  et  des  notables,  et  il  a  pu, 
après  de  longues  recherches,  nous  donner,  à  très  peu  d'exceptions 
près,  les  prénoms  des  suppléants. 

M.  K.  a  divisé  son  travail  en  six  chapitres.  Il  reproduit  d'abord  les 
lois  ou  les  parties  de  lois  qui  se  rapportent  à  l'élection  et  à  la  convo- 
cation de  la  Législative.  Il  expose  ensuite  quelques  détails  intéressants 
sur  le  personnel,  sur  les  comités,  sur  le  bureau  de  l'assemblée  :  nous 
apprenons  que  le  clergé  y  comptait  dix  évêques,  trois  vicaires  épis- 
copaux,  treize  prêtres  ou  moines  et  deux  ministres  protestants  Jay  et 
La  Source)  ;  que  l'armée  y  était  représentée  par  quatre  maréchaux  de 
camp,  trois  colonels,  trois  lieutenants-colonels  et  vingt-trois  officiers 
ou  anciens  militaires  ;  que  les  savants  et  professeurs  étaient  au 
nombre  de  douze  (Condorcet,  Tenon,  Broussonet,  La  Bergerie, 
Lacépède,  Guyton-Morveau,  Arbogast,  Allard,  Lejosne,  Dusaulx, 
Pastoret  et  Koch),  et  les  médecins,  au  nombre  de  vingt-huit  ;  mais 
M.  K.  a  renoncé  à  faire  le  compte  des  hommes  de  loi  ainsi  que  des 
cultivateurs;»  cette  dernière  qualification,  dit-il,  paraissait  être  de 
mode  à  l'époque,  et  les  plus  riches  propriétaires  fonciers  se  plaisaient 
à  s'en  revêtir  ».  Vient  la  liste  des  députés  et  suppléants  par  départe- 
ments (M.  K.  dit  chaque  fois  par  qui  était  présidée  l'assemblée  élec- 
torale) ;  puis  l'exposé  des  changements  survenus  dans  le  personnel 
(démissions  et  remplacements)  ;  enfin,  deux  listes  alphabétiques, 
celle  des  députés  et  suppléants  qui  siégèrent  à  l'assemblée,  et  celle  des 
députés  et  suppléants  qui  ne  siégèrent  pas.  Dans  des  notes  au  bas  des 
pages  de  ces  deux  dernières  listes  M.  K.  indique  aussi  souvent  que 
possible,  sous  la  forme  la  plus  brève,  ce  que  sont  devenus  les  person- 
nages cités,  s'ils  ont  appartenu  à  la  Convention,  au  Conseil  des  An- 
ciens ou  des  Cinq-Cents,  au  corps  législatif,  etc. 

On  ne  peut  que  savoir  le  gré  le  plus  vif  au  modeste  et  consciencieux 
érudit  à  qui  nous  devons  cette  utile  publication.  Que  de  noms  elle 


d'histoire  et  de  littérature  283 

rétablit  sous  leur  véritable  orthographe  comme  Marie-Bon  Montaut 
(et  non  Maribon)  et  que  de  détails  curieux  elle  fournit  (Sausse  prési- 
dant rassemblée  électorale  de  la  Meuse,  Drouet  élu  troisième  sup- 
pléant de  la  Marnej  !  Elle  a  coûté  ù  M.  Kuscinski  beaucoup  de  temps, 
de  patient  labeur,  et  il  a  bien  mérité  de  l'histoire  de  la  Révolution  '. 

A.  C. 


Paris  révolutionnaire.  Vieilles  maisons,  vieux  papiers,  par  G.  Lenôtrk.  Paris, 
Perrin,   1900.  In-S",  362  p. 

Ce  volume,  d'une  très  agréable  lecture,  contient  une  foule  d'anec- 
dotes et  de  portraits  :  le  roman  d'amour  de  Camille  et  de  Lucile  Des- 
moulins, l'existence  de  Charlotte  Robespierre,  des  policiers  Héron  et 
Dossonville,  l'histoire  de  cet  homme  qui  mourut  en  i858  à  Versailles 
sous  le  nom  de  M'^^  Savalette  de  Langes,  les  derniers  jours  d'André 
Chénier,  de  Tallien  et  de  Pache,  la  maison  de  Cagliostro,  l'aventure 
de  Napoléon  à  l'hôtel  de  Cherbourg  et  son  mariage  avec  Joséphine,  ce 
qu'était  le  mari  de  la  Du  Barry  et  ce  que  devint  le  nègre  Zamor,  la 
vie  d'un  marquis  qui  demeura  cinquante  ans  en  prison  pour  avoir 
sifflé  la  reine,  la  brouette  dont  se  servait  Couthon,  l'odyssée  de 
Leblanc  qui  livra  Pichegru,  Saint-Just  à  Blérancourt,  le  convention- 
nel Rouzet  devenant  l'intime  ami  de  la  veuve  de  Philippe-Égalité 
qui  le  fait  inhumer  dans  la  chapelle  de  Dreux.  Chemin  faisant, 
M.  Lenôtre  résout  de  petits  problèmes  de  topographie  parisienne  : 
il  prouve,  par  exemple,  que  l'appartement  de  Desmoulins  était,  non 
au-dessus  du  café  Voltaire,  mais  à  l'angle  de  la  rue  Crébillon.   Il  a 


I.  Lire  p.  47  Panattieri  et  non  Panatieri  et  p.  79  Steinmetz  au  lieu  de  Stei- 
met\;  ^.  qo,  il  fallait  dire  que  Koch  était  professeur  à  VUniversité  et  Arbo- 
gast,  à  l'Ecole  d'artillerie  :  p.  io3,  lire  Raynouard  et  non  Reynouard  (c'est  évi- 
demment l'auteur  des  Templiers);  p.  120,  André  de  l'Orne  est  prénommé  Claude 
et  p.  83,  Charles;  p.  127,  Coppens  a  été  député  du  Nord  sous  la  Restauration; 
p.  128,  Crublier  d'Obterre  a  été  général.  Mais  je  n'ose  aller  plus  loin  dans  ces 
obscrs'ations  qui  portent  sur  les  notes  mises  au  bas  des  pages  de  la  liste  alpha- 
bétique. M.  K.  dit  dans  son  avertissement  qu'il  a  donné  sur  la  biographie  politique 
ou  privée  des  législateurs  les  renseignements  qui  lui  ont  «  paru  intéressants  à 
produire  »,  et  je  risquerais  fort  de  mettre  ici  des  choses  qu'il  connaît.  J'aurais 
voulu  pourtant  qu'il  dit  en  note  que  Dcliégc  a  été  juge  au  tribunal  révolution- 
naire, que  G. -M.  Dumas  fut  général  de  division,  conseiller  d'État  et  comte  de 
l'Kmpire,  que  Forfait  est  le  futur  ministre  de  la  marine.  P.  140,  Lambert  qu'(m 
nomme  à  l'assemblée  Lambert-Lauterbourg  est  un  instant  sous-préfet  intérimaire 
de  Wissembourg  en  1814.  P.  161,  Eggerlé  était  ingénieur-géographe  du  conseil 
souverain  d'Alsace  et  tut  longtemps  adjoint  au  maire  de  Colmar.  P.  164.  Kuhn 
avait  été  maire  d'Erstein.  P.  i65,  Levrault  est  le  fameux  imprimeur  de  Stras- 
bourg, procureur-général  syndic  du  Directoire  du  département,  plus  tard  recteur 
de  l'Académie  et  conseiller  de  préfecture.  P.  167,  cl.  sur  Panattieri,  Jeunesse  de 
Napoléon,  III,  149. 


284  REVUE    CRITIQUE 

reirouvé  la  demeure  de  ses  héros  :  il  s'est  penché,  rue  Saint-Honoré, 
275,  à  la  fenêtre  d"où  Héron  voyait  passer  ses  victimes;  il  est  entré 
dans  le  logement  où  mourut  la  fausse  Savalette,  dans  la  bâtisse  où 
vivait  Cagliostro  (rue  Saint-Claude,  à  l'angle  du  boulevard  Beaumar- 
chais), dans  cet  hôtel  de  Cherbourg  (aujourd'hui  33,  rue  Vauvilliers) 
qu'habita  Napoléon;  il  est  monté  au  deuxième  étage  de  la  masure  delà 
rue  Maître-Albert  où  Zamor  termina  sa  vie  en  1820.  M.  Lenôtre  ne 
se  contente  pas  de  fureter  dans  les  vieux  papiers  ;  il  visite,  il  fouille  les 
vieilles  maisons,  il  les  découvre  comme  celle  des  Duplessis  à  Bourg- 
la-Reine  (elle  est  encore  à  peu  près  telle  quelle,  en  bordure  et  à  droite 
de  la  route  qui  vient  de  Paris,  à  l'entrée  du  village).  Et  c'est  surtout 
par  quoi  valent  ces  études.  Quelques-unes  ne  contiennent  rien  de  neuf 
et  le  sujet  pouvait  être  creusé  davantage  ;  mais  l'auteur  sait  reconsti- 
tuer le  décor;  il  croit  que  «  les  pierres  s'assimilent  quelque  parcelle 
de  la  vie  des  êtres  qu'elles  ont  abrités  »  et  il  lui  semble  «  qu'un  fluide 
émané  d'eux  flotte  encore,  longtemps  après  qu'ils  ne  sont  plus,  autour 
des  murs  où  ils  ont  vécu  '  ». 

A.  C. 


La  Peinture  allemande  au  XIX°  siècle,  par  le  marquis  de  la  MAZELièRE.  Paris, 
Pion,  1900,  I  vol.  gr.  in-8°  de  423  p.  et  io3  reproductions. 

Ce  n'est  pas  une  idée  banale,  que  d'avoir  été  prendre  la  peinture 
allemande  contemporaine  comme  sujet  d'étude  et  objet  de  recherches, 
mais  c'est  une  idée  peut-être  prématurée.  Le  siècle  n'est  seulement 
pas  achevé  et  un  jugement  tant  soit  peu  solide  serait  possible  sur  une 
école,  sur  plusieurs  écoles  successives,  dont  le  principal  mérite  est  la 
recherche  incessante  d'une  personnalité  ! 

Un  critique,  hardi  certes,  et  même  intransigeant,  dont  nous  avons 
eu  l'occasion  d'étudier  ici  une  histoire  générale  de  la  peinture,  con- 
clut ainsi  ses  pages  sur  l'Allemagne  ;  «  Il  y  eut  pourtant  de  remar- 
quables peintres  en  Allemagne,  qui  surgirent  vers  le  milieu  de  ce 
siècle,  et,  à  l'heure  actuelle,  il  est  d'excellents  artistes  qui  savent 
observer  et  qui  savent  peindre.  Mais  bien  que  de  très  belles  carrières 
soient  maintenant  à  peu  près  accomplies,  nous  nous  trouvons  en  pré- 
sence déjà  de  notre  propre  temps,  et  le  moment  où  ils  vivent  n'ap- 
porte jamais  aux  hommes  que  sujets  de  discussion,  incertitude.  Avec 
Durer,  Holbein,  Cranach,  nous  n'avons  pas  eu  de  ces  doutes.  L'avenir 
seul  pourra  dire  si,  après  deux  siècles  de  silence,  la  prodigieuse  acti- 
vité de  ce  temps-ci  a  enrichi  l'humanité,  ou  si  ce  ne  furent  que 
bruyants  prestiges.  » 

Pour  qui  sait  lire  entre  les  lignes,  surtout  après  les  pages  qui  pré- 

T,  P.  2?4  lire  Reichardt  par  Laquiante  et  non  Reinliardt  par  Lequiant. 


d'histoire  et  de  littérature  285 

cèdent,  on  sait  fort  bien  ce  que  cela  veut  dire,  et  si  cette  revue  était 
une  revue  d'art,  nous  pourrions  commenter  ce  jugement,  d'ailleurs 
aussi  réservé  que  possible,  et  dire  en  quoi  il  nous  semble  la  vérité. 
C'est  pour  la  même  raison  que  nous  ne  saurions  entrer  dans  une 
étude  sérieuse  du  gros  livre  que  M.  le  marquis  de  la  Mazelière  a  con- 
sacré à  toute  cette  peinture  du  xix^  siècle,  mais  avant  tout  et  de  pré- 
férence à  celle  de  la  seconde  moitié  de  ce  siècle.  Du  moins  faut-il 
dire  qu'il  est  le  résultat  de  recherches  considérables,  minutieuses  et 
infatigables,  qu'il  fait  preuve  d'une  pratique  intime  et  enthousiaste  de 
son  sujet,  et  qu'à  ces  titres-là,  sans  compter  d'autres,  le  livre  est  pré- 
cieux et  rendra  (peut-être  plus  encore  dans  l'avenir)  de  sérieux  ser- 
vices. 

La  seule  critique  qu'on  lui  puisse  faire,  c'est  de  n'avoir  pas  assez 
évité  un  défaut  souvent  justement  reproché  aux  Allemands,  l'encom- 
brement. On  n'imagine  pas  ce  qu'il  y  a  de  rapprochements  et  de 
digressions  philosophiques,  esthétiques,  politiques,  poétiques,  musi- 
cales, littéraires,  historiques,  sociales,  parfois  quand  on  s'y  attend  le 
moins.  11  est  vrai  que  le  critique,  l'analyste  voit  tant  de  choses  dans 
l'obscurité  symbolique  et  la  profondeur  transcendentale  de  certaines 
choses,  qu'il  ne  saurait  nous  les  faire  valoir  autrement. 

Ce  qui  est  plus  clair,  c'est  la  bibliographie  qu'il  a  pris  soin  de  dres- 
ser à  la  fin  de  son  ouvrage,  et  d'ailleurs  les  références  soigneusement 
données  cà  et  là.  C'est  aussi  4a  richesse  de  l'illustration,  une  centaine 
de  reproductions  généralement  bonnes  et  qui  caractérisent  avec  jus- 
tesse la  plupart  des  peintres  dont  il  est  traité  dans  le  livre.  Volume 
fort  élégant  en  outre,  et  dont  la  disposition  générale  fait  honneur  à 
l'auteur  et  à  son  éditeur. 

H.  DE  C. 


W.  Heinze,  Die  Beschlagnahme  der  deutschen  Postdampfer  durch  die  En- 

glacndcr.  Hcidclberg,  Winler.  Sans  date,  pp.  vu,  95,  in-S".  Prix  :  ink.  1.80. 

On  n'a  pas  oublié  l'incident  qui  en  janvier  igoo  passionna  si  forte- 
ment l'opinion  en  Allemagne  :  trois  de  ses  paquebots-poste  saisis  suc- 
cessivement par  l'Angleterre.  M.  de  Bulow,  qui  régla  sans  peine 
l'incident,  —  un  paiement  d'indemnités  vient  de  le  clore  en  ce 
moment  dértnitivcment  —  signala  et  la  presse  reconnut  à  l'unanimité 
le  besoin  de  préciser  le  droit  maritime  international  encore  si  flottant 
et  en  particulier  la  nécessité  de  sauvegarder  plus  effectivement  les 
intérêts  des  neutres.  C'est  à  ce  point  de  vue  général  que  s'est  placé 
M.  Heinze  en  exposant  dans  sa  brochure  les  points  juridiques  soule- 
vés par  le  différend  anglo-allemand.  Au  début,  il  résume  les  faits  et 
donne  à  la  fin  des  extraits  de  la  séance  du  Reichstag  du  19  janvier 
1900  et  du  livre  bleu  anglais.  Les  journaux  nous  ont  déjà  renseignés 


286  REVUE    CRITIQUE 

là-dessus  ;  mais  il  nous  manquait  les  éléments  de  la  controverse.  La 
législation  actuelle  repose  sur  la  Déclaration  de  Paris  de  i856,  «  la 
charte  d'affranchissement  des  neutres  »,  substituée  à  l'antique  conso- 
lato  del  mare,  et  résumée  dans  le  principe  bien  connu  :  le  pavillon 
couvre  la  marchandise.  Mais  la  clause  réservant  les  droits  des  belli- 
gérants, relative  à  la  contrebande  de  guerre,  ouvre  la  porte  à  toutes 
les  interprétations  et  à  tous  les  abus.  M.  H,  montre  en  des  pages  très 
documentées  Textension  qui  a  été  donnée  par  les  Juristes,  depuis 
Grotius  jusqu'à  Bluntschli,  à  cette  notion  de  contrebande,  à  ces 
oh]e\.s  atiticipitis  usiis^  admis  par  les  uns,  interdits  par  les  autres.  Il 
expose  comment,  dans  la  pratique  suivie  par  les  différentes  puis- 
sances maritimes,  l'Angleterre  en  général  s'est  assez  peu  préoccupée 
des  droits  des  neutres  dont  la  France  a  toujours  tenu  un  compte  plus 
libéral.  Tout  cet  aperçu  historique  est  d'un  vif  intérêt  et  donne  à  cette 
brochure  d'actualité  une  certaine  valeur  scientifique.  Les  pages  sui- 
vantes sur  la  question  de  savoir  s'il  peut  y  avoir  contrebande  entre 
ports  neutres,  sur  la  procédure  des  droits  d'arrêt,  de  visite,  de 
recherche  et  de  détention  regardent  plus  spécialement  les  juristes. 
D'ailleurs,  il  ressort  des  cas  analogues  cités  par  l'auteur  (cas  du  Trent, 
du  Springbok,  i86i-i863)  et  plus  encore  du  dernier  incident  anglo- 
allemand  que  la  solution  de  ces  différends  a  toujours  été  politique  et 
jamais  juridique.  M.  de  Biilow  a  abandonné  sans  hésiter  la  thèse  de 
droit  qu'avait  soutenue  à  Londres  l'ambassadeur  d'Allemagne,  et  il  a 
obtenu  des  réparations  et  des  concessions  suffisantes.  Mais  il  est 
peut-être  excessif  de  penser  que  ce  succès  est  aussi  un  succès  pour 
les  neutres.  Seul  un  développement  considérable  des  marines  des  puis- 
sances continentales  pourra  faire  admettre  par  l'Angleterre  un  code 
maritime  international  moins  léonin  qu'il  n'a  été  jusqu'à  présent. 

L.    ROUSTAN. 


V.  T.  Lebeden,  Russes  et  Anglais  en  Asie  Centrale.  Vers  l'Inde.  Projet  de  cam- 
pagne russe.  Trad.  parle  capit.  Cazalas  (Paris,  Chapelot,  1900,  25i  p.  4  cro- 
quis, I  carte). 

L'invasion  de  l'Inde  «  bénie  »  hante  de  longue  date  les  rêves  ambi- 
tieux des  Russes.  La  conquête  de  l'Asie  centrale  ne  semble  avoir  été 
considérée  que  comme  une  étape  de  cette  vaste  entreprise  et  la  cons- 
truction du  tronçon  ferré  de  Merv  à  Kouchk  est  une  nouvelle  pointe 
offensive  ;  des  plans  de  campagne  ont  été  à  plusieurs  reprises  élabo- 
rés dont  celui  de  Skobelev  avec  un  mot  d'ordre  des  plus  truculents  : 
irruption  d'une  masse  de  cavalerie  irrégulière  «  sous  la  bannière  du 
sang  et  de  l'incendie  ».  Celui  de  M.  Lebeden  est  minutieusement  étu- 
dié. Sans  entrer  ici  dans  une  critique  qui  n'est  pas  de  notre  compé- 
tence,  nous  reconnaissons  qu'un  travail  de  ce  genre,  qui  ne  sacrifie 


d'histoire  et  de  littérature  287 

pas  à  la  fantaisie,  a  le  mérite  de  préciser  les  traits  géographiques  du 
théâtre  des  opérations  ;  le  premier  acte  serait  la  prise  de  Hérat 
aujourd'hui  facile  ;  puis  se  dérouleraient  les  phases  fatales  de  la 
guerre,  l'occupation  de  Kandahar  et  de  Kaboul,  la  marche  sur  l'in- 
dus  et  au-delà  de  ce  fleuve.  L'auteur  traite  les  forces  anglaises  presque 
comme  une  quantité  négligeable.  Quel  serait  le  résultat  de  la  vic- 
toire ?  Selon  Lebeden,  la  Russie  devrait  se  contenter  du  protectorat 
de  l'Afghanistan  et  ne  point  risquer  la  grosse  aventure  de  la  conquête 
de  l'Inde  ;  au  contraire,  elle  devrait  conclure  alliance  avec  l'Angle- 
terre, et  c'est  ainsi  que  ce  drame  historique  finirait  comme  un  vaude- 
ville, par  un  mariage  de  raison  entre  la  baleine  et  l'éléphant. 

B.  A. 


A.  DE  Bertha,  Magyars  et  Roumains  devant  l'histoire.  Paris  Pion,  1899,  v-483  p. 
A.  D.  Xknopol.  Réponse  à  M.  de  Bertha.  Paris,  Leroux,  1900,  29  p. 

M.  de  Bertha  assume  devant  le  public  français  l'ofïice  d'avocat  du 
magyarisme,  office  d'autant  plus  agréable  que  l'on  cultive  chez  nous 
une  sympathie  traditionnelle  pour  les  Hongrois  et  que  l'on  s'intéresse 
assez  peu  à  ce  qui  se  passe  chez  eux;  aussi  a-t-on  beau  jeu  à  nous 
présenter  les  choses  de  Hongrie  sous  les  dehors  les  plus  flatteurs. 
M.  de  B.  expose  un  des  plus  irritants  problèmes  dont  se  complique 
la  politique  du  royaume  de  Saint-Etienne  :  le  procès  entre  Magyars 
et  Roumains.  Procès  toujours  pendant,  bien  que  M.  de  B.  jure  sur 
la  tête  du  roi  de  Hongrie  et  du  roi  de  Roumanie  que  depuis  l'échange 
de  visites  des  deux  souverains  «  cette  question,  artificiellement  entre- 
tenue dans  l'opinion  publique  européenne,  est  morte  !  »  Ce  volume 
n'offrirait  donc  qu'un  intérêt  rétrospectif  et  l'auteur  se  serait  donné 
beaucoup  de  peine  pour  adapter  au  goût  du  lecteur  français  l'ouvrage 
considérable  du  docteur  Benoît  Yancso  :  «  L'histoire  et  l'état  actuel 
des  tendances  nationalistes  roumaines  ».  Nous  avons  la  naïveté  de 
croire  que  le  litige  n'est  point  tranché  ;  mais  nous  estimons  qu'une 
des  parties  s'est  placée  sur  un  mauvais  terrain.  Les  Roumains,  on  le 
sait,  invoquent  le  droit  historique,  en  vertu  de  leur  indigénat  et 
de  leur  titre  de  premier  occupant  dans  les  pays  de  la  monarchie 
hongroise,  où  ils  sont  établis  aujourd'hui.  Les  historiens  magyars 
depuis  Rœsler  ont  attaqué  la  prétendue  descendance  des  colons  daco- 
romains  et  ont  montré  combien  cette  thèse  historique  est  précaire. 
A  ce  point  de  vue,  le  livre  de  M.  de  B.  n'apporte  aucun  argument 
nouveau,  mais  il  a  le  mérite  de  fournir  une  documentation  précieuse 
et  plus  complète  qu'elle  ne  figure  dans  aucune  publication  française 
sur  la  matière.  Les  sources  roumaines  aussi  bien  que  magyares  sont 
mises  à  contribution  et  pour  qui  ne  cherche  que  la  suite  des  faits, 
c'est  un  suffisant  répertoire.  M.  de  B.  a  donc  manié  tous  les  éléments 


2  88  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

d'une  œuvre  historique  sérieuse;  Ton  n'en  regrettera  que  davantage 
qu'il  ait  donné  à  son  exposé  le  ton  et  l'allure  d'un  pamphlet,  11  écrit 
par  exemple  (p.  339)  «  qu'il  faut  toujours  tenir  compte,  dans  l'intel- 
lect roumain,  d'une  certaine  absence  de  contrôle  sérieux  »,  p.  392 
qu'en  1848  les  Roumains  «  dans  leur  ignorance  profonde  étaient 
tout  à  fait  incapables  de  comprendre  quelque  chose  au  succès  parle- 
mentaire du  libéralisme  magyar  »,  et  autres  menues  aménités  à 
l'adresse  des  adversaires.  Ce  qui  semble  exaspérer  M.  de  B.  c'est  que 
les  Roumains  se  soient  mis  (c'est  le  titre  de  son  livre  troisième)  «  au 
service  de  la  réaction  ;  »  mais  il  se  garde  bien  de  dire  que  les  Roumains 
aussi  ont  subi  l'influence  des  idées  révolutionnaires  et  dans  les  cha- 
pitres consacrés  à  cette  période,  on  ne  trouve  point  trace  de  cette 
action.  M.  de  B.  n'admet  pas  que  ce  qui  a  été  légitime  de  la  part 
des  Magyars  ne  le  soit  pas  chez  les  Roumains;  de  même  il  passe 
condamnation  sur  l'inégalité  politique  dont  souffrent  présentement  les 
Roumains  du  royaume  de  Hongrie,  pour  qui  est  en  vigueur  un 
système  électoral  particulier.  «  Il  est  incontestable,  se  borne  à  dire 
M.  de  B.  (p.  481)  que  le  cens  électoral,  quelque  faible  qu'il  soit,  ne 
favorise  pas  encore  les  Roumains  pour  le  moment.» 

Le  lecteur  étranger  n'a  point  à  prendre  parti  dans  le  duel  à  coups 
de  textes  entre  Roumains  et  Magyars,  mais  peut-être,  applaudirait-il 
avec  plus  de  cœur  aux  efforts  des  Roumains,  si  ces  derniers  éten- 
daient au  droit  historique  le  bénéfice  de  la  prescription  et  se  réclamaient 
uniquement  du  droit  naturel  et  des  principes  modernes,  en  délestant 
leur  cause  du  poids  mort  des  hypothèses. 

M.  de  Bertha  écrit  notre  langue  avec  clarté  sinon  avec  élégance  : 
la  marque  étrangère  se  décèle  plutôt  dans  la  composition  un  peu 
embrouillée  des  chapitres  qui  se  terminent  le  plus  souvent  sans 
résumé  ni  conclusion,  dans  l'emploi  de  certaines  expressions  qui 
sonnent  assez  étrangement  à  notre  oreille  :  raison  d'être  plus  éthique, 
politique  transcendante  de  Mathias  Corvin;  règne  glorieux  de  Fran- 
çois-Joseph ;  l'Autriche  demie-sœur  chérie  de  la  Hongrie,  etc. 

Nul  n'était  plus  qualifié  que  le  savant  auteur  de  VHistoire  des  Rou- 
mains de  la  Dacie  Trajane  pour  réfuter  les  arguments  historiques  ou 
autres  de  M.  de  Bertha.  Mais  dans  ce  duel  il  semble  que  les  coups  ne 
portent  pas,  tant  les  armes  sont  émoussées  par  un  long  usage,  et  les 
ripostes  prévues.  Ce  qu'on  relève  de  plus  intéressant  et  de  plus  actuel 
dans  l'habile  réplique  de  M.  Xénopol,  c'est  un  désaveu  des  visées  uni- 
taires des  Roumains  :  ceux-ci  n'aspirent  pas  à  se  grouper  en  un  seul  État 
ethnique  et  politique  ;  les  Roumains  de  Transilvanie  ne  demandent 
qu'à  vivre  mais  libres  et  respectés  dans  une  Hongrie  forte,  afin  que 
Roumains  et  Magyars  combattent  le  bon  combat  contre  les  Slaves 
qui  les  encerclent  et  menacent  de  les  étouffer.  Pium  voium.      B.  A. 

Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 

Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  42  —  15  octobre  —  1900 


Nallino,  Les  manuscrits  orientaux  de  la  Bibliothèque  nationale  et  de  rAcadémic 
de  Turin.  —  Lkbey,  Laurent  de  Medicis.  —  Comeau,  Souvenirs  des  guerres 
d'Allemagne.  —  Koenig,  Les  tissages  saxons  sous  l'Empire.  —  Turmel,  L'es- 
chatologie.— KuKULA,  Tatian.  —  Rinonanopoli,  Lamia  et  Lilith.  — Albert  Jahn. 
—  Frantsen,  L'Evangéliaire  de  Reims.  —  Keyser.  Thomasius  et  le  piétisme.  — 
RiAT,  Paris. 


I.  Manoscritti  arabi,  persiani,  siriaci  e  turchi  délia  Biblieteca  nazionale  e  délia 
R.  Accadcmia  dellc  scienze  diTorino,  illustrati  da  C.  A.  Nallino.  Turin,    igoo, 
in-4»,  10 1   p. 

Pour  épargner  au  lecteur  toute  déception,  disons  d'abord  que  ni  la 
Bibliothèque  nationale,  ni  l'Académie  de  Turin  ne  possèdent  une  col- 
lection orientale  qui  se  distingue  par  le  nombre  ou  la  rareté  de  ses 
acquisitions. 

La  bibliothèque  renferme  tout  au  plus  une  centaine  d'ouvrages 
arabes  répartis  entre  soixante  copies.  La  doxologie  chrétienne  et 
musulmane,  la  grammaire  et  la  lexicographie  y  sont  représentées  par 
quelques  traités  bien  connus  et  dont  plusieurs  ont  été  publiés  en 
Europe.  —  Le  fonds  persan  (n"^  66  à  97)  est  un  peu  mieux  doté,  au 
moins  pour  ce  qui  concerne  la  poésie  et  le  soufisme.  Parmi  les  40  ou- 
vrages dont  il  se  compose,  il  est  bon  de  citer  un  poème  anonyme  du 
xni"  siècle,  intitulé  Mihr  o  vèfa  qui  paraît  être  une  composition  mys- 
tique d'un  certain  intérêt  :  tout  au  moins  a-t-elle  le  mérite  d'être 
unique  et  entièrement  inédite.  —  Je  ne  vois  rien  à  signaler  dans  les 
manuscrits  qui  forment  le  groupe  turcosmanli  (n»*  97  à  109),  saut 
peut-être  une  sorte  d'épopée  [Sule'iman-namèh]  en  l'honneur  du  sultan 
Soliman  !«'',  et  un  traité  sur  les  devoirs  de  la  charge  de  vizir  par 
Kinali-Zadèh. 

Plus  modeste  encore  est  la  collection  de  l'académie  de  Turin  :  on 
y  compte  une  douzaine  de  manuscrits  arabes  et  turcs  dont  la  plupart 
sont  tombés  depuis  longtemps  dans  le  domaine  public;  pour  le  fonds 
syriaque:  un  fragment  de  l'évangile  de  Saint  Luc,  un  autre  des  Actes 
des  apôtres  et  un  bréviaire  à  l'usage  des  jacobites. 

Mais  oubliant  l'exigu'ité  et  la  valeur  très  relative  de  ces  deux  collec- 
tions, nous  ne  saurions  trop  louer  M.  Nallino  de  l'exactitude  scien- 
tifique, du  zèle  fcrupuleux  avec  lesquels  il  les  a  classées  et  décrites. 

Nouvelle  s<{rie  L.  42 


290  REVUE    CRITIQUE 

Rien  ne  manque  en  son  catalogue  de  ce  que  le  lecteur  le  plus  exigeant 
peut  demander  à  un  ouvrage  de  ce  genre  :  description  tidèle  de  chaque 
ouvrage  et,  quand  il  s'agit,  ce  qui  est  fréquent  ici,  de  volumes  de 
mélanges,  analyse  de  toutes  les  pièces  qui  les  composent  et  notices  bio- 
graphiques; enfin,  chose  plus  précieuse  encore,  indication  des  éditions 
et  des  travaux  dont  chaque  texte  a  été  l'objet,  soit  en  Europe,  soit  en 
Orient,  aucun  de  ces  renseignements  n'a  été  omis  par  le  savant  biblio- 
graphe. Et  ce  n'est  pas  seulement  un  bon  instrument  de  travail  que 
M.  N.  vient  de  donner  à  nos  études,  il  fournit  aussi  à  son  pays  un 
exemple  qui,  nous  l'espérons,  ne  sera  pas  perdu. 

Par  sa  situation  géographique  comme  par  son  passé  historique,  ses 
transactions  commerciales,  sa  propagande  religieuse,  l'Italie  aurait 
pu  former  une  collection  inestimable  de  manuscrits  orientaux.  Ce 
qu'elle  possède  est  encore  assez  considérable  pour  que  le  monde  savant 
en  fasse  son  profit.  Il  y  a,  je  crois,  une  vingtaine  d'années,  le  minis- 
tère de  l'Instruction  publique  avait  compris  cette  nécessité  en  inaugu- 
rant une  série  de  catalogues  sous  le  titre  de  Codici  oi'ientali  di  alcune 
biblioteche  d'Italia.  Six  fascicules  ont  paru  à  intervalles  inégaux;  puis, 
je  ne  sais  par  quel  concours  de  circonstances  fâcheuses,  raisons  bud- 
gétaires ou  autres,  le  travail  s'est  arrêté.  C'est  une  raison  de  plus  pour 
adresser  nos  félicitations  et  nos  encouragements  à  M.  Nallino,  sans 
oublier  de  remercier  aussi  l'académie  de  Turin  qui  a  fait  les  frais  de  la 
publication.  Il  est  hautement  désirable  que  l'initiative  prise  par  cette 
docte  compagnie  donne  une  impulsion  nouvelle  aux  catalogues  des 
fonds  orientaux  des  bibliothèques  d'Italie.  Cette  publication  serait 
accueillie  avec  une  vive  gratitude  par  tous  ceux  qui  s'intéressent  aux 
progrès  de  l'érudition. 

B.  M. 


André  Lëbëy.  Essai  sur  Laurent  de  Médicis  dit  le  Magnifique,  Paris,  Librai- 
rie académique  Perrin  et  C'^  ;  1900,  in- 16  ;  11 -3 16  pages. 

Il  est  certainement  regrettable  de  décourager  les  romanciers  et  les 
publicistes  qui  manifestent  la  noble  ambition  d'aborder  le  domaine 
de  l'histoire  ;  ils  se  persuadent  naturellement  à  eux-mêmes  et  à  une 
partie  du  public  que  les  spécialistes  traitent  leurs  essais  d'amateurs 
avec  une  sévérité  qu'inspire  seule  une  basse  jalousie  ;  en  quoi  ils  se 
trompent.  C'est  à  eux-mêmes  de  nous  donner  plus  souvent  l'occasion 
d'accueillir  avec  joie  leurs  tentatives.  Voici  un  écrivain,  qui,  après 
avoir  publié  des  vers  et  s'être  essayé  dans  le  roman,  a  entrepris  de 
faire  revivre  l'attachante  figure  de  Laurent  de  Médicis.  Rien  de  mieux  : 
mais  pourquoi  se  flatte-t-il  de  «  faire  sortir  de  l'ombre  où  elle  était 
oubliée  la  vie  d'un  grand  homme  »?  Voilà  une  grande  naïveté!  Car 
peu  de  figures  sont  mieux  connues  et  ont  plus  souvent  arrêté  l'atten- 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  29  I 

tion  des  historiens  de  la  Renaissance  que  celle  de  Laurent.  Il  est  vrai 
que  M.  Lebey  a  renouvelé  le  sujet  en  transformant  l'étude  biogra- 
phique en  apologie  politique,  et  même  en  y  mêlant  le  venin  de  nos 
discussions  actuelles  :  «  J'ai  aimé,  dit-il,  me  rendre  compte  de  la  façon 
dont  une  âme  fervente  et  réfléchie  (faut-il  lire  :  violente  et  réfléchie?) 
était  parvenue  à  museler  la  chimère  d'un  gouvernement  républi- 
cain... »  Nous  ne  suivrons  pas  M.  L.  sur  ce  terrain  glissant,  si  glis- 
sant même  que  l'auteur  en  a  perdu  parfois  toute  notion  de  chronolo- 
gie comme  dans  le  passage  où  il  paraît  placer  l'exil  de  Dante  après  les 
principales  œuvres  de  Giotto,  après  Boccace  même  (p.  45-46).  C'est 
dommage  ;  car  malgré  un  style  bizarre  et  des  métaphores  incoercibles, 
M.  L.  sait  animer  une  scène  ou  peindre  un  tableau.  Ce  qui  lui  manque 
c'est,  avec  une  préparation  suffisante,  le  sens  même  de  l'histoire. 

Henri  Hauvette. 


Souvenirs  des  guerres  d'Allemagne  pendant  la  Révolution  et  l'Empire,  par 
le  baron  de  Comeau,  colonel  d'état-major,  chambellan  bavarois.  Paris,  Pion, 
1900.  In-8",  397  p.  7  f.  5o. 

On  ne  connaissait  pas  le  baron  de  Comeau.  On  le  connaîtra  mainte- 
nant, grâce  à  lui-même,  grâce  à  ses  récits,  et  l'on  saura  désormais  que 
c'était  un  grand  homme  :  la  Bavière  fut  bien  aise  de  l'avoir  à  son  ser- 
vice et  sans  lui,  que  serait  devenu  Napoléon  ?  Mais  oyez  la  carrière  de 
Comeau,  telle  qu'il  nous  la  raconte,  très  longuement,  trop  longuement, 
et  pourtant  de  façon  très  amusante. 

Sous-lieutenant  d'artillerie  en  1789,11  est  en  1790  envoyé  avec  sa 
compagnie  à  Lyon  où  il  réprime  une  émeute,  puis  il  émigré,  sert  à 
l'armée  de  Condé  et  devient  capitaine  d'artillerie  dans  les  troupes  bava- 
roises. En  1800,  il  reçoit  sa  première  mission  :  il  est  envoyé  à  Paris 
auprès  de  Bonaparte.  Et  ici,  Comeau  trace  un  parallèle  entre  le  pre- 
mier consul  et. ..  lui-même  (p.  1 76)  :  «  Nous  étions  de  même  âge.  Nous 
avions  eu  chacun  quatre  frères  et  trois  sœurs.  Après  qu'on  nous  eut 
destinés  à  l'état  ecclésiastique,  nous  entrâmes  dans  la  même  année  au 
corps  royal  de  l'artillerie.  C'est  ainsi  que  sans  nous  connaître,  les 
canons  de  bronze  et  leur  pénible  étude  préliminaire  ont  affranchi  des 
études  latines,  préliminaires  des  canons  de  l'Église,  un  pauvre  gentil- 
homme corse  et  un  gentilhomme,  pas  riche,  de  Bourgogne.  Ces  deux 
vocations  se  manifestèrent  en  1784.  Celle  du  Corse  fut  aidée  parla 
générosité  du  roi  et  celle  du  Bourguignon  par  les  gênes  et  les  priva- 
tions de  son  père.  A  Brienne,  il  s'intrigua  fort  secrètement  et  adroite- 
ment pour  être  envové  à  l'École  militaire  de  Paris  et  entrer  ensuite 
dans  l'artillerie.  A  cause  du  privilège  de  cette  École,  il  pouvait  être 
nommé  d'emblée  lieutenant  en  subissant  l'examen  sur  tout  le  cours 
de  mathématiques  en  une  fois  ;  ce  qu'il  fit  en  se  livrant  avec  ardeur 


292  REVUE   CRITIQUE 

à  cette  seule  étude  et  négligeant  tout  le  reste.  Il  eut  sa  lieutenance 
en  1786.  A  âge  et  savoir  égal,  les  élèves  de  l'école  spéciale  de  Metz  ne 
pouvaient  obtenir  que  la  sous-lieutenance,  ce  qui  fut  mon  cas.  Mais 
il  y  avait  si  peu  de  rang  entre  nous,  parce  qu'il  avait  un  des  derniers 
numéros,  et  moi  un  des  premiers  de  ma  promotion,  qu'en  1791  nous 
obtinmes  en  même  temps  le  grade  de  lieutenant  en  premier  ou  capi- 
taine en  second,  comme  on  disait  alors  dans  l'artillerie.  >) 

Je  demande  la  permission  de  faire  ici  une  parenthèse  et  de  reprendre 
ligne  par  ligne  tout  ce  que  vient  de  dire  Comeau.  Le  brave  homme  se 
trompe  sur  bien  des  points.  Bonaparte  n'avait  pas  été  destiné  à  l'état 
ecclésiastique.  Il  entra  dans  l'artillerie  en  1785,  et  Comeau,  en  1786. 
Il  n'intrigua  pas  pour  être  envoyé  à  l'École  militaire  de  Paris,  et  cette 
École  n'avait  pas  le  privilège  dont  parle  Comeau.  Lorsque  Comeau  se 
présenta  devant  l'examinateur  Laplace  en  1786,  il  pouvait  être,  comme 
Bonaparte  l'année  précédente,  admis  officier,  et  dix-sept  sujets  qui, 
ainsi  que  lui,  n'étaient  qu'aspirants,  obtinrent  ce  grade  d'emblée;  mais 
il  ne  connaissait  qu'une  partie  du  programme  et  il  fut  reçu  élève  ;  il 
n'y  eut  pas  de  concours  en  1787  et  en  1788  (ce  dont  Comeau  ne  s'est 
pas  souvenu)  et  en  1789,  à  une  seconde  épreuve,  il  fut  reçu  officier 
le  io«  sur  41.  Il  y  avait,  quoi  qu'il  en  dise,  beaucoup  de  rangs  entre 
Bonaparte  et  lui,  puisque  Bonaparte  était  dans  la  promotion  de  1785 
le  42=  sur  58  et  qu'il  y  eut  ensuite  la  promotion  de  1786  qui  compta 
61  officiers:  sur  la  liste  des  sous-lieutenants,  Bonaparte  avait  donc 
plus  de  quatre-vingts  rangs  d'avance  sur  Comeau.  Si  tous  deux  eurent 
au  i®""  avril  1791  le  grade  de  lieutenant  en  premier  (que  Comeau  a 
tort  de  confondre  avec  le  grade  de  capitaine  en  second),  c'est  que  la 
réorganisation  de  l'armée  fit  avancer  un  grand  nombre  d'officiers. 

Je  ferme  la  parenthèse  et  poursuis  aussi  rapidement  que  possible  le 
récit  de  la  vie  militaire  de  Comeau.  Il  continue  ainsi  son  parallèle  : 
«  Ainsi  donc,  à  dix-neuf  ans,  nous  pouvions  bien  nous  comparer  sans 
vanité.  Il  était  laid,  et  moi,  sinon  beau,  au  moins  joli  garçon,  puisque, 
lorsqu'on  m'envoya  à  Lyon,  je  défilai  sous  les  fenêtres  d'un  chapitre 
de  chanoinesses  ;  une  exclamation  de  «  Mesdames,  Mesdames,  venez 
donc  voir  un  joli  officier  »,  garnit  comme  par  enchantement  les  vingt 
croisées  de  figures  de  dames  qui  deux  à  deux  penchaient  la  tête  pour 
mieux  voir,  disant  :  «  Ah  !  qu'il  marche  bien  !  Qu'il  est  frais  !  »...  Or  il 
est  certain  que  si,  au  lieu  du  jeune  Bourguignon  blond  et  rose,  ces 
dames  avaient  vu  défiler  le  triste  Corse,  jaune  et  trapu,  elles  auraient 
ajourné  leurs  exclamations...  au  moins  jusqu'au  pont  d'Arcole.  Mais 
j'ai  mon  pont,  aussi.  Constance  :  cela  compte,  et  qu'on  ne  dise  pas 
qu'Arcole  c'était  en  avant,  toujours  battant,  et  Constance  en  arrière, 
toujours  en  retraite.  Nous,  de  l'armée  de  Condé,  avec  notre  cocarde 
blanche  et  nos  drapeaux  fleurdelysés,  nous  étions  toujours  battants, 
jamais  battus,  et  nul  n'a  jamais  vu  notre  dos  !  » 

Ce  passage  donne  une  idée  du  ton  de  Comeau  et  de  sa  suffisance. 


d'histoire  et  de  littérature  2q3 

Qu'il  ait  eu  plus  belle  mine  que  Bonaparte,  soit,  et  permis  à  lui  d'en 
tirer  vanité,  encore  que  notre  Corse,  au  sortir  de  Técole  militaire,  n'ait 
pas  semblé  déplaisant  aux  dames  de  Valence.  Mais  comparer  le  pont 
d'Arcole  et  le  pont  de  Constance,  affirmer  que  les  émigrés  n'ont 
jamais  tourné  le  dos,  avouons-le,  c'est  de  la  gasconnade.  Le  reste  de 
ce  singulier  parallèle  est  d'ailleurs  erroné  :  «  Quand  l'avancement  nous 
arriva,  il  le  reçut,  et  j'y  renonçai  pour  émigrer  ;  près  du  prince  de 
Condé,  je  me  plaçai  comme  simple  soldat;  le  Corse  devint  en  peu  de 
temps  lieutenant-colonel  d'artillerie,  mais  sans  emploi,  presque  sans 
appointements  à  cause  des  assignats.  Repoussé  dans  cette  arme  parce 
qu'il  était  noble,  les  clubs,  les  émeutes  furent  ses  ressources;  il  en 
dirigea  plusieurs  à  Paris.  »  Bonaparte  n'a  jamais  été  lieutenant-colo- 
nel ;  de  capitaine  il  devient  chef  de  bataillon,  puis  général  de  brigade  ; 
il  a  eu  de  l'emploi,  il  a  eu  des  appointements,  il  n'a  pas  été  repoussé 
comme  noble,  il  n'a  pas  dirigé  plusieurs  émeutes  à  Paris. 

Mais  venons  à  la  mission  de  1800.  Comeau  porte  à  Paris  une 
dépêche  cachetée  et  rapporte  de  même  une  dépêche  cachetée  ;  ce 
serait  un  traité  d'alliance,  et  un  soir,  après  un  dîner  chez  Talleyrand, 
pendant  qu'il  cause  avec  le  diplomate,  il  croit  que  le  premier  consul 
l'écoute  derrière  une  porte  :  Bonaparte  «  voulait  me  voir  et  n'être  pas 
vu...  voulait  me  reconnaître,  s'assurer  si  j'étais  bien  son  ancien  cama- 
rade, gai,  franc,  bon  enfant,  et  que  je  pourrais  lui  être  utile  >>.  Qui  lui 
a  dit  que  Bonaparte  l'écoutait  ?  Suffit-il  pour  croire  à  la  présence  de 
Bonaparte,  d'entendre  «  un  éclat  de  rire  derrière  la  porte  »  ?  Était-ce  un 
éclat  de  rire  qu'il  a  entendu  ? 

L'alliance  porte  ses  fruits.  En  i8o5.  Napoléon  écrit  de  Strasbourg  à 
l'Electeur  de  Bavière  de  lui  envoyer  le  capitaine  Comeau  qui  sera 
attaché  à  l'état-major  «  parce  que  Comeau  parle  français  et  allemand 
populaire  ',  et  non  pas  seulement  l'allemand  classique  de  grammaire 
que  le  peuple  ne  comprend  pas  ».  L'Électeur  dit  à  Comeau  :  «  Allez  », 
et  comme  il  le  voit  silencieux  et  froid  :  «  Dame  !  c'est  votre  ouvrage  ! 
Quel  est  le  premier  qui  m'a  fait  comprendre  que  Bonaparte  allait 
devenir  roi  de  France  et  que  la  guerre  prendrait  une  autre  tournure? 
C'est  vous,  mon  cher,  qui,  avec  le  télescope  de  votre  imagination, 
avez  découvert  cette  nouvelle  planète  et  m'avez  fait  sentir  qu'il  fallait 
être  de  ses  satellites  !  Allez,  vous  avez  semé,  il  faut  récolter  !  » 
L'Électeur  est  très  spirituel,  et  il  atteste  que  Comeau  a  fait  l'alliance 
franco-bavaroise  ;  mais  doit-on  croire  Comeau  ?  Ce  propos,  comme 


I.  Il  a  l'air,  en  effet,  de  mieux  savoir  rallcmand  populaire  que  l'allemand  clas- 
sique, car  il  fait  des  fautes  et  il  écrit  Innfirtel  pour  Innviertel  (p.  244);  Reichtropf 
et  Reichtvoupes  pour  »  Reichstropfen  »  et  «  Reichstruppen  »  (p.  92),  Rousland 
pour  <■  Russland  «(p.  i33),  Durchlaut  pour  «  Durchiaucht  »  (p.  166),  et  lorsqu'il 
prétend  que  Marchflue  signifie  «bourg  à  foires»  (p. 297), c'est  évidemment  «  Markt- 
flecken  »  qu'il  faut  lire. 


294  REVUE    CRITIQUE 

tant  d'autres  qui  suivront,  a  été  écrit  en  1 841 ,  plus  de  trente-cinq  ans 
après  les  événements  ! 

Comeau  part.  Il  rencontre  l'empereur  en  pleine  campagne,  et 
Napoléon  lui  fait  aussitôt  des  compliments  :  «  Voilà  une  des  capacités 
de  notre  vieille  école  !  Songis,  qu'il  ne  vous  quitte  pas  !  C'est  dans 
sa  tête  chauve,  quoique  jeune,  que  se  trouve  tout  ce  que  vous  me 
demandiez  à  Boulogne.  Vous  l'entendez.  Messieurs,  j'ai  des  amis  par- 
tout. Il  est  de  la  vieille  école,  de  celle  dont  je  suis  sorti.  Nous  avons 
fait  des  équations  ensemble.  Songis,  je  vous  recommande  Comeau  , 
de  la  vieille  école.  Il  a  dans  sa  poche  le  matériel  de  trois  Marengo. 
Berthier,  faites  marcher  et  qu'on  ne  lambine  pas  !  Il  sait  la  langue,  il 
connaît  le  pays.  Ce  n'est  pas  un  mioche,  n'est-ce  pas,  d'Andréossy?  Je 
l'ai  connu  lieutenant  avant  que  la  politique  nous  ait  séparés,  et  je 
l'aimais  beaucoup.  »  Quel  enthousiasme  pour  cet  émigré  parce  qu'il 
avait  été  lieutenant  d'artillerie  I  Mais  tous  ceux  qui  entouraient  Bona- 
parte, ses  camarades  du  régiment  de  la  Fère  et  du  régiment  de  Gre- 
noble, Lariboisière,  Gassendi,  Songis,  etc.,  etc.,  sortaient,  eux  aussi, 
de  la  vieille  école,  et  Comeau,  entraîné  par  sa  verve  de  conteur,  se 
trompe  en  disant  qu'il  a  fait  des  équations  avec  Napoléon,  puisqu'il 
n'a  été  avec  lui  ni  à  Brienne  ni  à  Paris. 

La  connaissance  est  renouée,  et  dès  lors  Comeau  sera  le  con- 
seiller de  l'Empereur  :  «  Il  était  avec  moi  de  la  plus  parfaite  politesse, 
recevant  mes  services,  mes  avis,  mes  idées  avec  attention,  douceur, 
approbation  ou  objection  s'il  y  avait  lieu.  Je  parlais,  j'étais  écouté 
par  lui  comme  si  nous  avions  toujours  été  deux  officiers  d'artillerie 
de  la  même  promotion.  Il  avait  de  moi  un  besoin  moral  et  il  craignait 
que  je  ne  m'en  aperçusse.  Il  voulait  être  avec  moi  officier  d'artillerie 
sans  faire  ombrage  aux  chefs  des  trois  corps  :  artillerie,  géographie  et 
génie,  et  surtout  sans  détruire  le  prestige  d'aucun  de  ces  généraux 
divisionnaires  !  » 

Dans  la  campagne  de  i8o5,  le  capitaine  Comeau  ne  se  signale  pas 
encore.  A  Austerlitz,  il  n'a  fait  que  porter  un  ordre;  Napoléon  lui  a 
«  donné  la  mission  de  faire  charger  par  Kellermann  un  carré  russe  de 
la  droite  ».  Mais  en  1806  il  prévoit  la  guerre  contre  la  Prusse,  il  pré- 
dit que  la  Prusse  sera  écrasée.  Ce  n'est  pas  lui  qui  gagne  la  bataille 
d'Iéna.  Toutefois,  l'empereur  «  l'envoya  observer  l'Autriche  en 
Bohême  ».  Comeau  était  un  jour  dans  le  groupe  de  l'état-major  :  par 
trois  fois  Napoléon  le  regarde  sans  que  Comeau  baisse  les  yeux  ;  il 
l'appelle  :  «  Votre  armée  est  là,  n'est-ce  pas  ?  Vos  deux  généraux  De 
"V\''rède  etDeroy?  Je  suis  content  de  vous.  Vous  avez  eu  une  bonne 
idée  de  masquer  et  échelonner  vos  réserves  en  regard  sur  la  Bohême. 
Quarante  mille  hommes,  n'est-ce  pas  ?  Allez-y,  et  si  ces  bougres-là 
bougent,  tombez-leur  dessus.  Vous  savez  comme  je  fais  :  tête  baissée, 
sur  un  seul  point,  et  marche  rapide  en  avant.  Vous  n'êtes  pas  général, 
mais  j'ai  vos  généraux  avec  moi  ;  vous  ne  serez  pas  contrarié.  Allez.  » 


d'histoire  et  de  littérature  295 

Et  Comeau  va  :  il  remarque  que  rien  ne  remue  du  côté  de  l'Autriche, 
qu'il  n'y  a  que  des  commandants  de  poste  et  un  chef  subalterne  de 
cordon,  pas  d'armée,  pas  de  corps  détachés.  Il  revient  et  voit  l'em- 
pereur à  Berlin.  Sitôt  qu'il  aperçoit  Comeau,  Napoléon  le  fait  appro- 
cher :  «  Je  sais,  lui  dit-il,  qu'il  y  a  dans  le  pays  de  Bayreuth  une  for- 
teresse qui  passe  pour  imprenable.  C'est  trop  près  de  l'Autriche;  s'ils 
y  mettaient  du  monde,  cela  me  déplairait  fort.  Elle  coupe  les  com- 
munications entre  la  Bavière  et  la  Saxe.  Je  n'aime  pas  ces  forteresses 
que  l'on  oublie  au  milieu  du  pays  dont  on  est  maître.  Prenez-moi 
cela,  Monsieur  l'élève  de  Bélidor.   Emportez  avec  vous  vos   vieux 
livres  d'artillerie  et  vos  munitions.  Je  vais  vous  en  donner  d'autres  qui 
feront  peut-être  aussi  bon  effet  :  le  nerf  de  la  guerre;  faites-vous  don- 
ner cent  mille  francs.  Vous  comprenez  :  cent  mille  francs,  et  allez.    » 
Et  Comeau  va  :  il  touche  cent  mille  francs  ;   il  se  présente  devant  la 
forteresse  de  Plassenbourg  ;  il  «  prend  »  deux  bataillons  de  troupes 
bavaroises,  bloque  la  place,  n'épargne  rien  pour  s'en  emparer  et  s'en 
empare  après  avoir  déployé  des  ruses  de  toute  sorte.  Son  récit  est  en 
cet  endroit  très  divertissant  :  il  se  présente  en  parlementaire  au  com- 
mandant du  fort,  «  vieille  ganache  du  temps  de  Frédéric  II  »,  il  parle 
haut  dans  le  conseil  de  guerre,  il  parle  basa  travers  une  porte  avec  la 
fille  du  commandant;  bref,  Plassenbourg  se  rend  sans  que  Comeau 
ait  dépensé  les  cent  mille  francs  de  Napqléon. 

Faut-il  accepter  ce  récit?  Plassenbourg  qu'il  se  vante  d'avoir  con- 
quis à  lui  seul,  a  été  cerné  dès  le  10  octobre  par  le  colonel  comte 
Beckers  et  le  6=  régiment  d'infanterie  bavaroise  Duc  Guillaume  ;  sur 
le  Rehberg,  à  huit  cents  pas  de  la  forteresse,  le  major  Lamey  et  le 
capitaine  d'artillerie  Pusch  avaient  élevé  trois  batteries;  une  autre 
batterie  était  sur  le  Buchberg,  à  cinq  cents  pas  du  château  ;  treize 
pièces  arrivaient  en  même  temps  de  Bavière  :  voilà  pourquoi  la  Plas- 
senbourg fut  rendue  le  25  novembre  par  son  commandant  (qui  s'ap- 
pelait Uttenhofen  et  non  Outinhof).  Selon  Comeau,  l'empereur  aurait 
dit  en  le  revoyant  :  «  Messieurs,  voilà  le  vainqueur  en  deux  Jours  de 
la  citadelle  de  Plassenbourg,  Maret,  lisez  cette  capitulation  ;  donnez-en 
connaissance  à  ces  Messieurs.  Bertrand,  vous  aurez  soin  de  la  mettre 
dans  le  bulletin  .  »  Reportons-nous  à  ce  bulletin  :  nous  y  lisons  que  le 
fort  était  muni  de  vivres  pour  plusieurs  mois,  mais  que  l'empereur  a 
fait  préparer  à  Kronach  et  à  Forchheim  des  pièces  d'artillerie,  que 
vingt-deux  pièces  étaient  en  batterie,  «  ce  qui  a  décidé  le  commandant 
à  livrer  la  place  ».  Comeau  n'est  pas  même  cité;  mais  «  M.  de  Beckers, 
colonel  du  6^  régiment  et  commandant  le  blocus,  a  montré  de  l'acti- 
vité et  du  savoir-faire  dans  cette  circonstance  ».  Notre  émigré  n'a 
donc  pas  eu  le  rôle  prépondérant  qu'il  s'attribue  ;  il  faut  dire  simple- 
ment, avec  Schrettinger  p.  583  i,  qu'il  déploya  activité  cl  habileté  dans 
l'accomplissement  des  dispositions  qui  furent  prises  pour  le  siège. 
La  prise  de  Plassenbourg  «  m'avait  mis,  dit  Comeau,  avec  l'Empe- 


296  REVUE    CRITIQUE 

reurdans  un  rapport  d'intime  bienveillance  ».  Il  accompagna  Napo- 
léon dans  la  campagne  d'hiver,  et  lui  conseilla  de  ressusciter  la 
Pologne.  Mais  il  n'assista  pas  à  Eylau  et  à  Friedland.  Il  eut  mission 
sur  mission,  il  était  un  homme  «  auquel  Napoléon  avait  reconnu  de 
l'adresse  et  qu'il  employait  à  des  choses  si  différentes  que  l'une  faisait 
oublier  l'autre  » .  On  doit  néanmoins  recoonaître  le  bout  de  rôle  qu'il 
joua  dans  l'affaire  de  Heilsberg  :  par  ses  paroles  et  par  l'assurance  de 
la  prochaine  arrivée  des  renforts,  comme  dit  Schrettinger  (p.  583),  il 
ramena  au  combat  une  partie  de  l'infanterie  de  Saint-Hilaire  qui  avait 
reculé.  Aussi  fut-il  décoré  de  la  légion  d'honneur  sur  le  champ  de 
bataille. 

Le  clou  du  livre,  qu'on  nous  passe  l'expression,  c'est  la  campagne 
de  1809.  Comeau  a  prévu  que  l'Autriche  ferait  la  guerre.  Il  a  exploré 
la  frontière  et  «  vu  arriver  un  prochain  orage  »  ;  il  a  reconnu  un 
général  autrichien  conduisant  comme  charretier  de  petites  charrettes! 
Vite,  après  s'être  concerté  avec  le  roi  de  Bavière,  il  part  pour  Paris. 
«  L'ambassadeur  français,  endormi  à  Vienne  par  des  fêtes  et  des  égards, 
assure  Napoléon  de  la  solidité  de  la  paix  »  ;  mais  Comeau  arrive  ;  il  est 
introduit  sur-le-champ  dans  le  cabinet  de  l'empereur  qui  était  à  moitié 
couché  sur  des  cartes  d'Espagne,  en  présence  de  Duroc,  de  Bertrand, 
de  Caulaincourt  et  de  quelques  officiers:  «  Qu'y  a-t-il  ?  —  Sire,  attaque 
violente  aussitôt  que  Votre  Majesté  sera  engagée  en  Espagne.  —  Bien 
choisi,  je  pars  demain.»  Caulaincourt  veut  douter  et  dit  à  demi-voix 
quelque  chose  de  fort  malhonnête.  Napoléon  fait  sortir  tout  le 
monde,  même  Duroc  :  «  Parlez  ;  hier  encore  j'ai  eu  de  M.  Otto  des 
rapports  bien  opposés  à  ce  que  vous  venez  de  m'apprendre,  »  Comeau 
rapporte  ce  qu'il  a  observé.  L'empereur  sonne,  demande  Champagny. 
«  Les  rapports  avec  Vienne?  »  —  «  Sire,  ils  sont  des  plus  satisfaisants, 
un  calme  parfait  ».  —  «  Votre  ambassadeur  est  une  bête  ;  écrivez-lui 
qu'il  prenne  de  meilleures  lunettes  !  Faites  garder  à  vue  Metternich.  On 
nous  la  gardait  bonne  là-bas  !  Eh  bien,  il  n'y  aura  plus  d'Autriche!  » 
Un  autre  coup  de  cloche.  «  Le  prince  de  Neufchàtel!  »  Berthier 
entre.  «  Encore  la  guerre  en  Autriche  !...  Tout  en  mouvement  des 
Pyrénées  au  Rhin;  dirigez  tout  sur  l'Allemagne.  La  réunion  en 
Souabe  !  Sur  le  Rhin  tout  ce  qui  allait  en  Espagne!  Tous  les  maré- 
chaux, ma  garde  à  Strasbourg!  »  Troisième  coup  de  cloche.  «  Le  duc 
de  Bassano  !  »  Maret  entre  :  «  Encore  toute  l'Europe  sur  les  bras!  Le 
Tyrol  révolté!  Une  armée  envahissant  la  Bavière!..  Il  faut  assommer 
tout  cela  d'un  coup  de  massue.  Préparez  tout.  C'est  en  Allemagne 
que  j"e  vais  faire  la  guerre.  Envoyez-moi  Bertrand  et  Duroc... 
Duroc,  vous  étiez  prêt,  ce  n'est  qu'un  changement  de  direction  ;  tout 
en  Allemagne.  Bertrand,  les  cartes  pour  la  guerre  en  Allemagne  ; 
oui,  les  Alpes,  et  plus  les  Pyrénées;  voilà  un  officier.  Bavarois  de 
nom,  mais  Français  de  cœur,  et  de  la  vieille  école.  »  Et  Comeau, 
retraçant  cette   scène,   cette   audience  inopinée,  admire  la  précision 


d'histoire  et  de  littérature  297 

des   ordres   de   Napoléon  et    de   ses    combinaisons    diamétralement 
opposées  aux  précédentes. 

Par  malheur,  dans  cette  scène,  tout  est  inventé  d'un  bout  à  l'autre. 
Comeau  assure  qu'Otto  était  «  Joué  »  et  que  lui,  Comeau,  émigré, 
officier  d'une  puissance  secondaire,  a  persuadé  l'empereur  (p.  343). 
Or,  dès  le  mois  de  juin  1808,  le  vigilant  Otto  avertissait  Napoléon 
que  l'Autriche  faisait  des  invasions  en  Bohême  et  Napoléon  l'enga- 
geait à  se  tenir  sur  le  qui-vive.  En  juillet,  l'empereur  réclame  un 
mémoire  sur  les  chemins  qu'il  faudrait  suivre,  pour  déboucher  en 
Autriche  par  Neiss  ou  par  Eger.  En  août,  il  demande  publiquement 
à  Metternich  si  l'Autriche  veut  lui  faire  la  guerre  ou  l'intimider.  En 
octobre,  il  écrit  à  François-Joseph  qu'il  a  craint  un  instant  le  renou- 
vellement des  hostilités.  En  décembre,  il  augmente  la  force  de  l'armée 
du  Rhin.  En  janvier  1809,  il  prévient  Otto  d'avoir  l'éveil  sur  les  mou- 
vements de  l'Autriche  qui  semble  avoir  perdu  la  tête,  et  loin  d'être 
averti  par  le  roi  de  Bavière,  c'est  lui  qui  avertit  le  roi  de  Bavière, 
c'est  lui  qui,  de  Valladolid,  envoie  à  ce  prince  un  officier  d'ordon- 
nance pour  l'instruire  que  l'Autriche  fait  des  «  démarches  dirigées 
par  l'esprit  de  vertige  et  de  folie  '  ». 

Napoléon  n'a  donc  pu  remercier  Comeau  et  lui  dire  (p.  346)  : 
«  Savez-vous  bien  que  sans  vous,  les  Autrichiens  auraient  pu  réussir? 
J'aurais  été  occupé  ailleurs,  et  c'eut  été  à  recommencer  en  Italie 
comme  en  Allemagne.  »  Mais  Comeau  ne  s'en  tient  pas  là.  11  donne 
des  conseils,  il  propose  un  plan  :  laisser  le  Tyrol  se  révolter,  porter 
l'armée  d'Italie  sur  la  Carinthie  pour  menacer  Vienne,  refuser  l'aile 
gauche,  attaquer  vivement  par  le  centre  et  marcher  le  long  du  Danube 
sur  la  capitale.  «  Vous  avez  raison  »,  s'écrie  Napoléon,  et  Berthier, 
mandé  par  un  coup  de  cloche,  reçoit  l'ordre  de  faire  agir  le  vice-roi 
d'Italie  sur  Vienne,  de  mettre  Davout  en  campagne,  d'ébranler  la 
grande  armée  qui  suivra  la  rive  droite  du  Danube.  Encouragé,  Co- 
meau continue  :  que  l'empereur  arrive,  qu'il  fasse  une  pointe  pour 
dégager  l'armée  bavaroise,  qu'il  appelle  l'armée  de  la  confédération, 
que  Davout  débouche  à  propos.  «  Partez  tout  de  suite,  s'écrie  Napo- 
léon, criez  aux  armes,  levez  toute  la  confédération,  envoyez  partout 
des  estafettes,  envoyez  en  surtout  en  Franconie,  en  Franconie,  enten- 
dez-vous, allez.  »  Et  Comeau  va,  comme  précédemment.  Sur  sa  route, 
il  remarque  déjà  l'effet  de  sa  mission.  Il  voit  à  Vitry,  à  Chàlons,  à 
Strasbourg,  les  troupes  s'ébranler. 

Il  est  dommage  pour  lui  que  nous  ayons  les  lettres  de  Napoléon. 
Le  i5  janvier  1809,  de  Valladolid,  bien  avant  d'avoir  vu  Comeau, 
Napoléon  assure  déjà  au  roi  de  Bavière  qu'il  fera  entrer  le  vice-roi 
en  Carinthie  avec  i  5o, 000  hommes,  qu'il  a  lui-même  i  5o,ooosoldatset 
qu'il  sera  avec  eux  à  Munich,  quand  il  le  faudra,  qu'il  joindra  d'ailleurs 

1.  Inutile  d'ajouter  que  Caulaincourt,  alors  en  Russie,  n'a  pu  assister  à  la  scène. 


298  REVUE   CRITIQUE 

à  ces  forces  100,000  hommes  des  troupes  de  la  confédération,  quç 
Davout  marche  déjà  sur  le  Danube  avçc  200  canons  et  ses  belles  divi- 
sions  de  cuirassiers,  qu'Oudinot  se  porte  sur  Augsbourg. 

Mais  c'est  dans  le  récit  des  combats  d'avril  que  Comeau  se  surpasse. 
Il  assure  qu'au  21  avril  Napoléon  lut  ordonne  de  «  dire  à  Wrède  de 
prendre  Landshut  et  de  descendre  l'Isar  en  droite  ligne  »;  Comeau 
ne  dit  pas  qu'il  joignit  Wrède  ;  mais  il  rencontre  les  brigades  bava- 
roises de  Zandt  et  de  Beckers  et  les  mène  à  l'attaque  de  Landshut.  On 
peut  lui  objecter  que  dès  quatre  heures  du  matin  Berthier  avait 
ordonné  à  Wrède  de  se  porter  sur  Landshut,  que  Wrède  reçut  cet 
ordre  à  la  pointe  du  jour,  que  Napoléon  n'eut  donc  pas  besoin  de 
l'envoyer  par  Comeau,  et,  d'autre  part,  quoi  qu'en  dise  Comeau,  la 
brigade  Beckers  qu'il  aurait  menée,  ne  figura  pas  à  l'attaque  de  Lands- 
hut ;  la  brigade  bavaroise  qui  donna,  fut  celle  de  Zandt,  et  elle  fut 
conduite  par  Bessières. 

Le  jour  même  ou  le  lendemain  (Comeau  ne  nous  renseigne  pas  là- 
dessus),  il  conseille  à  Napoléon  de  s'emparer  du  pont  de  Ratisbonne. 
et  auparavant  d'Eckmiihl  où  commence  un  terrain  marécageux;  l'em- 
pereur juge  que  Comeau  a  raison  cette  fois  encore,  et  il  commande  à 
Davout  de  venir  à  Eckmuhl,  toutle monde  doit  se  diriger  sur  Eckmiihl, 
et  l'on  n'entend  que  les  mots  «  Eckmuhl,  qu'est-ce  qu'Eckmuhl  ?  Où 
est-ce?»  Davout,  frémissantde  colère,  doit,  sur  l'ordre  de  Comeau,  rétro- 
grader sur  Eckmuhl.  Le  pauvre  Comeau  a  été  ici,  comme  ailleurs,  et 
plus  cruellement  qu'ailleurs,  trahi  par  son  imagination.  Il  annonce  à 
l'empereur  que  l'archiduc  Charles  arrive  :  «  Vous  n'avez  pas  défait 
toute  l'armée  autrichienne,  vous  n'en  avez  battu  qu'une  partie.  Voyez 
ces  vigies  dans  le  lointain  et  voyez-en  au-dessus  de  ce  corps  qui  est 
de  votre  côté.  »  Quel  œil  que  l'œil  de  Comeau!  De  Landshut,  il  voit 
les  patrouilles  de  l'archiduc  déboucher  à  plusieurs  lieues  de  distance 
par  le  pont  de  Ratisbonne!  Sait-il  même  ce  que  c'est  qu'Eckmuhl  ?  A 
l'époque  où  il  rédige  ce  passage  de  ses  Mémoires,  il  n'a  plus  que  des 
souvenirs  confus  ;  il  se  rappelle  qu'en  allemand  Eckmuhl  signifie 
«  moulin  du  coin  »  et,  sans  songer  qu'Ekcmùhl  est  un  village,  il 
assure  sérieusement  qu'il  faut  occuper  le  moulin  du  Coin,  ce  mou- 
lin dont  on  voit  les  toits.  Il  ne  pense  pas  que  les  témoignages  des  con- 
temporains réfuteront  ses  dires  :  le  nom  d'Eckmùhl,  qu'il  semble  révé- 
ler à  Napoléon  et  à  ses  lieutenants,  est  prononcé  dès  le  20  avril  par 
Napoléon  et  par  Berthier;  le  21,  l'empereur  ordonne  à  Lefebvre  de 
pousser  sur  l'archiduc  Charles  à  Eckmuhl,  et  à  Davout  d'appuyer 
Lefebvre;  le  21,  au  matin,  de  son  propre  mouvement,  Davout  occupe 
les  hauteurs  d'Eckmùhl  et  il  tient  dans  cette  position  jusqu'au  lende- 
main où  l'empereur  le  rejoint. 

Comeau  ajoute  qu'il  acheva  la  déroute  d'Eckmùhl  ;  que,  sans  per- 
mission de  Wrède  et  sans  ordre  de  l'empereur,  il  prit  six  régiments 
de  cavalerie  bavaroise  ainsi  que  la  cavalerie  wurtembergeoise  et   la 


d'histoire  et  de  littérature  299 

colonne  du  général  Lagrange  et  fit  charger  par  cette  masse  les  esca- 
drons autrichiens  qui  se  retiraient  sur  Ratisbonne,  C'est  encore  là 
évidemment  une  de  ces  hyperboles  dont  il  est  coutumier,  et,  s'il 
avait  joué  ce  rôle  à  Eckmiihl,  rôle  qui  serait  bien  plus  brillant  qu'à 
Heilsberg,  les  documents  du  temps  en  feraient  mention  ;  or,  pour 
l'année  1809,  Schrettinger  (p.  584)  dit  simplement  que  Comeau  fut 
datîs  cette  campagne  attaché  de  nouveau  à  Tétat-major  français. 

Que  conclut  Comeau,  à  cet  instant  de  la  campagne  de  1809  ^ 
«  Seul  J'ai  vu,  deviné,  annoncé.  Deux  lieutenants  de  même  âge,  de 
même  arme,  de  même  école  vont  s'entendre  et  combiner  ensemble. 
Le  faible,  le  proscrit  va  aller  de  pair  avec  le  tout-puissant  !  » 

Je  n'insiste  pas  et  ne  suivrai  pas  Comeau  de  crainte  d'être  trop 
long,  à  Essling,  à  Wagram  et  en  Russie.  Mais  voici  quelques 
erreurs  et  exagérations  qu'il  faut  encore  signaler  aux  lecteurs  de  ces 
Mémoires. 

Comeau  dit  dès  le  début  qu'il  commandait  le  détachement  d'ar- 
tillerie qui  fut  adjoint  aux  troupes  de  La  Chapelle  chargées  de  répri- 
mer l'émeute  de  Lyon  (p.  34)  et  qu'il  eut  comme  mentor  le  sergent- 
major  Pichegru.  Il  ne  commandait  pas  ce  détachement  et  ne  pouvait 
le  commander  puisqu'il  n'était  que  lieutenant  en  second.  Toute  sa 
compagnie  fut  placée  à  Trévoux,  et  Comeau  avait  au-dessus  de  lui 
son  lieutenant  en  premier,  La  Génardière,  et  son  capitaine  en  premier, 
Tardy  de  MontraveL  C'est  Tardy,  et  non  Comeau,  qui  a  donné  tous 
les  ordres  relatifs  à  l'artillerie,  et  il  est  impossible  que  Comeau  ait 
été,  comme  il  dit,  «  chef  de  corps,  chef  d'état-major,  et  le  bras  droit 
du  général  en  chef  ». 

Il  raconte  qu'à  Lyon,  à  la  même  époque,  au  commencement  de 
1 79 1 ,  il  se  promenait  sur  les  quais  lorsque  quelqu'un  le  prit  par  le  bras, 
entr'ouvrant  une  capote  grise  (déjà!)  et  montrant  l'uniforme  de  l'artil- 
lerie. C'était  Bonaparte,  de  passage  à  Lyon.  «  Je  vous  cherchais,  lui 
dit  Bonaparte.  Vous  êtes  compromis.  Les  clubs  savent  qu'il  y  a  une 
conspiration  royaliste.  Brûlez  les  papiers  dangereux.  J'ai  sollicité 
votre  place  ;  elle  m'est  promise  ;  en  vous  remplaçant,  je  ne  voudrais 
ni  me  compromettre  ni  vous  causer  aucun  embarras.  Allez,  nous 
nous  reverrons,  et  peut-être  bientôt.  »  Étourdi  par  ce  coup  —  ajoute 
Comeau  —  de  la  part  surtout  d'un  officier  que  je  savais  être  un  pilier 
de  clubs,  j'allai  de  suite  chez  le  général.  Il  avait  reçu  des  ordres  de 
Paris.  Il  me  dit  très  vivement  :  «  Allez.  Tessonnet  '  est  déjà  arrêté  ;  il 
l'a  été  à  Villefranche  et  on  l'a  amené  à  Pierre-Scize  ».  Tout  cela  est 
bien  confus,  obscur,  et  du  reste  erroné.  Nous  savons  de  source  cer- 
taine que  Tessonnet  a  été  arrêté,  avec  Guillin  et  d'Escars,  le  matin  du 
10  décembre  1790  par  ordre  de  la  municipalité  lyonnaise  qui  les  soup- 
çonnait très  justement  de  conspiration  (soit  dit  en  passant,  Tessonnet 

I.  Et  non  Tessonne, 


?00  REVUE    CRITIQUE 

n'a  donc  pas  été  appréhendé  à  Villefranche).  Or,  Bonaparte,  venant 
de  Corse  et  allant  à  Auxonne,  passa  le  8  février  1791  à  Saint-Vallier- 
sur-Rhône,  et  Comeau  prétend  l'avoir  vu  le  9  décembre  1790  ! 

Par  suite,  lorsque  Comeau  raconte  (p.  208)  qu'à  Besançon,  à  la 
table  des  lieutenants,  il  a  jeté  sa  serviette  au  milieu  de  la  table  en 
disant  au  domestique  qu'il  ne  voulait  pas  être  à  côté  d'un  officier  qui 
allait  au  club,  il  se  trompe  de  nouveau.  S'il  a  vu  Bonaparte  à  Besan- 
çon, c'est,  de  son  propre  témoignage,  avant  1791  ;  or,  Napoléon  a 
quitté  le  continent  du  i5  septembre  1789  à  la  fin  de  janvier  1791  ; 
lorsqu'il  est  venu  à  Besançon,  il  n'avait  donc  pu  aller  dans  les  clubs 
qui  n'existaient  pas  encore,  et  l'anecdote  de  Comeau  est  fausse.  Pas 
tout  à  fait  pourtant;  elle  courait  dans  le  monde  de  l'émigration;  Ro- 
main la  rapporte  dans  ses  souvenirs,  et  il  est  plus  véridique  que  Co- 
meau :  c'est  le  lieutenant  royaliste  Du  Prat  (cité  d'ailleurs  par  Co- 
meau p.  116)  qui,  à  'Valence,  en  1 79 1 ,  pria  tout  haut  la  servante  de  ne 
plus  mettre  son  couvert  à  côté  de  celui  de  Bonaparte. 

Comeau  dit  que  Senarmont,  son  camarade,  faisait  partie  de  sa  pro- 
motion (  p.  i32).  Comeau,  répétons-le,  est  de  la  promotion  de  1789, 
et  Senarmont  fut  reçu  officier  en  même  temps  que  Napoléon  en  1 785, 
le  24''  sur  58. 

Il  dit  également  que  Duroc  (qu'il  nomme  à  tort  le  maréchal  Duroc, 
p.  341)  et  Savary  étaient  ses  anciens  camarades,  et  une  note  des  édi- 
teurs ajoute  que  Duroc  faisait  la  cour  à  ses  professeurs  et  que  Savary 
espionnait  ses  camarades  (p.  3o6).  Le  malheur  est  que  Savary,  duc  de 
Rovigo,  n'a  jamais  servi  dans  l'artillerie  ;  Comeau,  ainsi  que  ses  édi- 
teurs, l'a  confondu  avec  son  frère,  reçu  officier  en  1786  et  mort  d'ail- 
leurs en  1802.  Quant  à  Duroc,  élève  de  l'Ecole  royale  militaire  de 
Pont-à-Mousson,  élève  de  l'Ecole  d'artillerie  de  Chàlons  où  il  fut 
reçu  en  mars  1792,  le  29^  sur  42,  il  n'a  pu  être  le  camarade  de 
Comeau. 

Enfin,  n'est-ce  pas  aller  trop  loin  que  de  faire  du  prince  de  Condé, 
le  chef  des  Condéens,  un  général  de  premier  ordre?  Comeau  affirme 
que  le  prince  aurait  égalé  le  grand  Condé  et  même  Napoléon  (p.  74), 
qu'il  n'a  jamais  été  vaincu  (p.  142)  !  ' 

Comeau  a  de  l'esprit,  de  l'entrain,  et  il  mérite  d'être  consulté  (non 
sans  une  extrême  précaution)  malgré  ses  défauts.  Il  peint  drôlement 
la  marche  en  avant  de  l'armée  française  qui  lui  semble  une  marche  en 
déroute,  un  arrive  qui  peut,  de  l'ordre  fait  avec  du  désordre  :  il  lui 
paraît  que  tout  s'éparpille  et  ne  pourra  plus  se  réunir,  et  soudain, 

I.  Autres  bagatelles:  p.  28  (mais  cette  faute  incombe  aux  éditeurs),  Colonge  n'a 
pas  été  le  premier  colonel  de  Napoléon  ;  —  p.  71.  Il  est  prouvé  aujourd'hui  que 
Saint-Just  n'a  pas  promené  la  guillotine  en  Alsace.  —  p.  102  lire  Ostrach  et  non 
Ostrock.  —  p.  356.  ((  Saint-Laurent  était  avant  la  Révolution  un  officier  clubiste  de 
mon  régiment.  »  Comment  pouvait-il  être  clubiste  avant  la  Révolution?  —  id. 
qu'est-ce  que  la  brigade  bavaroise  Bechars?  lire  Bcckers. 


d'histoire  et  de  littérature  3or 

lorsque  se  produit  un  temps  d'arrêt,  voilà  que  tout  se  reforme,  se  range, 
s'avance  avec  une  étonnante  précision.  Il  fournit  quelques  détails  sur 
l'armée  de  Condé  et  sur  l'armée  bavaroise,  Mais  c'est  le  type  de  ces 
vieux  officiers  qui  se  retirent  dans  leurs  foyers,  non  sans  mauvaise 
humeur,  parce  qu'ils  n'ont  pas  eu  les  honneurs  rêvés  ;  ils  racontent  à 
leurs  entours  ce  qu'ils  ont  fait;  ils  embellissent  leurs  moindres  actions, 
et  peu  à  peu,  à  force  de  prôner  leurs  exploits,  ils  finissent  par  y  croire  ; 
ils  inventent  de  longues  conversations  qu'ils  auraient  tenues  avec  le 
victorieux  dont  ils  étaient  l'aide  de  camp  ou  l'officier  d'ordonnance  ; 
ils  s'imaginent  qu'ils  ont  puissamment  secondé  leur  général,  et  que, 
sans  eux,  il  n'eût  pas  triomphé. 

A.  C. 


Albin  KôNiG.  Die  Sâchsische  Baum-woUenindustrie  amEnde  des  vorherigen 
Jahrhunderts  und  -waehrend  der  Kontinentcilsperre  Leipziger  Studien  aus 
dem  Gebiet  der  Geschichte  V'f  Band.  III'"  Heft  Leipzig,  Teubner,  1899  ^" 
370  p.). 

L'enquête  de  M.  Kônig  porte  sur  une  des  périodes  les  plus  critiques 
de  l'histoire  économique  et  sur  un  des  articles  les  plus  intéressants  du 
commerce  général.  Elle  raconte  l'effort  de  l'Angleterre  pour  maîtriser 
à  la  fin  du  dernier  siècle  et  au  début  de  celui-ci  le  marché  cotonnier 
en  toutes  ses  branches  et  la  lutte  de  la  fabrication  saxonne  contre  la 
concurrence  anglaise  ;  cette  concurrence  ne  triomphe  à  vrai  dire  que 
dans  la  dernière  décade  du  xviii'  siècle  :  jusqu'alors  c'est  l'Inde,  la 
Saxe  et  la  Suisse  qui  pour  la  plus  grande  partie  défraient  la  consom- 
mation européenne.  En  dix  années,  ces  produits  sont  évincés  :  de 
nouvelles  machines  anglaises  donnent  un  filé  plus  égal,  plus  lisse, 
plus  solide,  mais  tout  aussitôt  les  articles  anglais,  les  piqués,  mousse- 
linettes,  basins,  etc.  sont  imités  tant  à  Chemnitz  que  dans  le  Vogt- 
land.  Cet  essai  de  résistance  faiblit  bientôt  et  dès  1804  la  place  de 
Leipzig  est  noyée  sous  l'avalanche  des  cotonnades  anglaises.  Leipzig 
devient  une  factorerie  où  régnent  souverainement  quelques  firmes 
britanniques  comme  les  Humphreys  de  Manchester  :  ces  maisons  y 
travaillent  pour  leur  propre  compte  et  peu  d'affaires  s'v  traitent  par 
commission  ;  alors  s'élèvent  les  doléances  «  tragiques  »  des  produc- 
teurs indigènes  auxquels  le  blocus  continental  permet  de  s'outiller  et 
de  s'armer.  L'on  suit  dans  l'exposé  de  M.  K.  tous  les  effets  du  décret 
de  Berlin  qui  fut  complété  par  le  tarif  de  Trianon  ;  la  première  con- 
séquence en  fut  l'éviction  des  produits  manufacturés  anglais  de  la 
Saxe  à  l'exception  des  filés  devenus  indispensables  et  le  déplacement 
du  foyer  distributeur  qui  par  raison  de  contrebande  fut  transféré  à 
Hambourg  et  à  Vienne.  En  réalité,  le  blocus  continental  fut  favorable 
à  la  Saxe  :  de  1806  à  181 1,  en  dépit  de  la  guerre,  le  nombre  des  tis- 


3o2  REVUE    CRITIQUE 

sages  et  des  ouvriers  ne  diminua  pas;  quant  à  la  production,  elle  aug- 
menta terriblement.  (Voir  tableau,  p.  258.).  Ce  ne  sont  pas  les  seules 
conclusions  statistiques  que  M.  K.  voudrait  tirer  de  ses  recherches  : 
à  ce  tournant  de  l'histoire,  ce  n'est  pas  une  simple  transformation  des 
procédés  mécaniques  qui  s'accomplit  dans  l'industrie;  c'est  une  trans- 
formation sociale  qui  s'ébauche,  à  savoir  l'entrée  en  jeu  du  capital  de 
plus  en  plus  concentré  en  quelques  mains  et  la  formation  d'un  prolé- 
tariat ouvrier  tels  que  tisseurs  et  mécaniciens.  Ces  considérations 
semblent  avoir  échappé  a  M.  Louis  Bein,  auteur  d'un  ouvrage  sut 
l'industrie  du  Vogtland  saxon.  M.  Kônig  ne  s'est  pas  borné  à  la  mise 
en  œuvre  de  riches  matériaux  d'archives,  il  a  envisagé  la  portée  loin- 
taine de  l'épisode  qu'il  a  raconté. 

B.  AUERBACH. 


—  M.  J.  TuRMEL  a  réuni  en  brochure  les  articles  publiés  par  lui,  dans  la  Revue 
d'histoire  et  de  littérattue  religieuses,  sur  L'eschatologie  à  la  fin  du  iv°  siècle 
(Paris,  Picard,  1900  ;  in-8°,  97  pages).  Il  s'agit,  à  proprement  parler,  de  l'ensei- 
gnement des  Pères  du  iv«  siècle  touchant  la  durée  des  peines  de  l'enfer  en  ce  qui 
regarde  les  chrétiens.  Sous  l'influence  d'Origène,  la  doctrine  du  salut  de  tous  les 
chrétiens  eut  alors  des  partisans  très  nombreux.  M.  T.  étudie  successivement 
l'eschatologie  origéniste,  la  croyance  au  salut  universel  des  chrétiens,  la  façon 
dont  les  théologiens  postérieurs  ont  expliqué  les  textes  des  Pères.  Il  montre  fort 
bien,  dans  la  seconde  partie  de  son  travail,  le  rapport  qui  existe  entre  l'évolution 
de  la  doctrine  du  salut  et  celle  de  la  discipline  pénitentiaire.  —  A.  L. 

—  Le  discours  aux  Grecs,  de  Tatien,  a  fourni  à  M.  R.  G.  Kukula  le  sujet  d'une 
très  solide  et  intéressante  étude,  en  deux  opuscules  qui  se  complètent  mutuelle- 
ment :  Tatians  sogenannte  Apologie  (Leipzig,  Teubner,  1900,  in-8°,  64  pages)  et 
0  Altersbeweis  »  laid  Kiinstlerkatalog  in  Tatians  Rede  an  die  Griechen  (Wien, 
librairie  de  l'auteur,  1900;  in-S",  28  pages).  Dans  le  premier,  M.  K.  établit  que 
l'œuvre  de  Tatien  est  un  véritable  discours,  une  sorte  de  leçon  inaugurale,  qui 
doit  nous  avoir  été  conservée  à  peu  près  telle  qu'elle  a  été  prononcée  quand  le 
docteur  chrétien  ouvrit  l'école  que,  d'après  Irénce,  il  fonda  en  Asie-Mineure  ;  le 
discours  aux  Grecs  aurait  été  composé  vers  l'an  172.  De  la  discussion  d'un  cer- 
tain nombre  de  passages  difficiles  ou  mal  compris  il  ressort  que  Tatien  ne  mérite 
pas  la  réputation  d'obscurité  qu'on  lui  a  faite.  Dans  l'autre  brochure,  M.  K.  repro- 
duit, avec  des  notes  critiques,  le  texte  de  la  seconde  partie  du  Discours,  et  il  fait 
voir  comment  les  remarques  de  Tatien  sur  l'antiquité  de  Moïse  et  sur  les  œuvres 
de  l'art  païen  se  rattachent  à  l'objet  de  sa  démonstration.  Le  morceau  où  l'on  a 
voulu  trouver  un  catalogue  des  artistes  n'est  évidemment  pas  d'un  artiste  ni  d'un 
archéologue,  mais  il  est  d'un  moraliste  qui  juge,  à  son  point  de  vue,  les  œuvres 
de  l'art  païen  qu'il  a  remarquées  au  cours  de  ses  voyages.  —  A.  L. 

—  En  quelques  pages,  M.  Rinonapoli  [Lamia  e  Lilith  nelle  leggende  grcche  e 
semitiche.  Estratto  de  Vesta,  II,  i;  in-8%  7  pages)  veut  établir  l'identité  de  la 
Lamia  classique  avec  la  Lilith  d'Isaïe  et  de  la  tradition  rabbiniquc,  en  rattachant 
l'origine  de  l'une  et  de  l'autre  à  la  mythologie  chaldéo-assyrienne,  qui  connaît  une 
espèce  de  démons  désignés  par  le  nom  de  lilu  (mâle)  et  lilitu  (femelle).  Il  est   bien 


ft 


d'histoire  et  de  littérature  3o3 

probable,  en  effet,  que  la  lilitli  d'Isaïc  est  une  lilitti  chaldéenne;  mais  rien  ne 
prouve  que  cette  lilitli  représente  un  individu,  non  une  espèce,  et  qu'elle  ait  eu  en 
Assyrie  sa  légende,  plus  ou  moins  ressemblante  à  celle  de  Lamia.  Les  rapproche- 
ments de  M.  R.  ne  sont  peut-être  pas  aussi  concluants  qu'il  parait  le  croire.  —  A.  L. 

—  La  traduction  du  quatrième  livre  d'Esdras,  publiée  par  M.  H.  Gunkel  dans 
le  recueil  de  Kautzch,  Die  Apocryphen  und  Pseudepigraphcn  des  A.  2".,  tst  réé- 
ditée par  son  auteur,  avec  une  introduction,  mais  sans  apparat  critique,  dans  un 
élégant  petit  volume  :  Der  Prophet  Esra  ;  Tûbingen,  Mohr,  1900,  in-S»,  xxxii- 
100  pages.  Les  références  bibliques  et  les  notes  utiles  pour  rinteiligence  du  texte 
sont  renvoyées  à  la  fin  du  volume.  —  A.  L. 

—  Il  ne  nous  appartient  pas  de  discuter  à  fond  la  conférence  de  M.  H.  Seli,  sur- 
la  mission  du  protestantisme  allemand  au  x.V  siècle  :  Zukun/tsau/gabe»  des 
deutschen  Pvotestantismus  im  ncuen  Jahrhtindert  (Tûbingen,  Mohr,  1900,  in-8», 
36  pages).  Nous  en  indiquons  simplement  les  quatre  points  :  la  mission  religieuse 
du  protestantisme  allemand  est  de  défendre  le  christianisme  en  le  maintenant 
d'accord  avec  la  science  moderne  ;  son  devoir  ecclésiastique  est  l'amélioration  du 
service  divin  public  par  le  moyen  de  l'art  religieux  ;  son  devoir  politique  est 
d'inspirer  aux  classes  dirigeantes  le  sentiment  de  la  justice  sociale  ;  son  devoir 
national  est  l'établissement  de  la  paix  confessionnelle.  —  F.  G. 

—  Nous  n'avons  pas  davantage  à  examiner  la  thèse  de  M.  M.  R.\de  sur  la  vérité 
delà  religion  :  Die  WahrJieit  der  christlichen  Religion  (Tûbingen,  Mohr,  1900; 
in-8",  vii-80  pages).  L'auteur  traite  successivement:  de  la  vérité;  de  la  religion 
chrétienne  comme  expérience  actuelle;  de  la  religion  chrétienne  comme  souvenir; 
de  la  religion  chrétienne  comme  espérance.  —  O.  P. 

—  L'Ecole  française  d'Extrême-Orient,  dirigée  par  M.  L.  Finot,  vient  de  donner 
le  premier  volume  de  ses  publications  ;  Numismatique  Annamite  par  M.  Désiré 
Lacroix,  capitaine  d'artillerie  de  marine  (Saigon,  imp.  Ménard  et  Legros).  Ce  vo- 
lume intéressant  est  accompagné  d'un  album  de  quarante  planches.  Souhaitons  à 
notre  Ecole  de  Saigon  le  succès  de  ses  sœurs  aînées  d'Athènes,  de  Rome  et  du 
Caire.  —  Henri  Cordier. 

—  Nous  avons  le  vif  regret  d'annoncer  la  mort  du  philologue  helléniste  Albert 
Jahn,  décédé  à  Berne  le  23  août  à  l'âge  de  quatre-vingt-neuf  ans,  après  quelques 
jours  de  maladie.  Jusqu'à  la  fin  de  sa  verte  vieillesse  il  a  étudié  les  textes  grecs. 
Le  dernier  numéro  de  la.  Revue  de  philologie  conùent  de  lui,  à  titre  de  spécimen, 
un  commentaire  sur  les  23  premiers  vers  des  Oracula  chaldaica.  Il  y  a  un  mois  à 
peine,  le  copieux  apparat  de  son  édition  d'Aristide  Quintilicn,  De  musica,  nous 
était  confié  par  lui.  La  littérature  profane  et  chrétienne  de  l'antiquité  grecque  lui 
doit  un  grand  nombre  de  publications  savantes  qui  témoignent  d'une  érudition  et 
d'une  mémoire  prodigieuses.  Le  seul  reproche  qu'on  pût  lui  adresser,  c'est  la  pro- 
digalité même  avec  laquelle  il  en  répandait  les  fruits.  Les  textes  qu'il  éditait  dis- 
paraissaient pour  ainsi  dire  sous  la  multitude  des  rapprochements  dont  il  les  illus- 
trait. Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  la  siîreié  de  ses  relations  et  la  parfaite 
intégrité  de  son  caractère.  —  C.-E.  R. 

—  Dans  la  Revue  russe  du  Ministère  de  l'Instruction  publique  M.  V.  A.  Frantsev 
publie,  à  propos  de  l'édition/ac  simile  de  l'Evangéliairc  de  Reims  récemment  entre- 
prise par  M.  Léger,  un  important  article  sur  l'histoire  de  la  première  édition  de  ce 
texte  célèbre.  M.  Frantsev  a  dépouillé  au  musée  de  Prague  la  correspondance  de 
Hanka.  Dans  cette  correspondance  figurent  de  nombreuses  lettres  du  Polonais 
Jastrzemski  qui  le  premier  songea  sérieusement  à  publier  l'Evangéliaire.  L'une  de 


:'04         REVUE  CRITIQUE  D  HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 

ces  lettres  nous  apprend  que  la  Société  d'histoire  et  de  littérature  polonaise  de  Paris 
songeait  à  prendre  sous  son  patronage  l'édition  de  l'Évangéliaire.  Ce  fut,  comme  on 
sait,  l'empereur  Nicolas  qui  fit  allouer  à  Silvestre  une  somme  de  i3,ooo  francs  pour 
les  frais  de  l'édition.  La  correspondance  de  Hanka  fournit  également  de  curieux 
détails  sur  l'édition  imprimée  qu'il  publia  à  Prague  en  1845.  M.  Frantsev  nous 
apprend  encore  que  le  Père  Martynov  avait  songé  vers  i853  à  donner  à  son  tour  une 
nouvelle  édition  du  manuscrit.  Grâce  à  M.  Léger,  dit  M.  Frantsev,  toutes  ces  ten- 
tatives font  aujourd'hui  partie  du  domaine  de  l'histoire.  L'article  de  M.  Frantsev 
a  été  tiré  à  part  :  K  istorii  u:[danii  reimskago  Evangelija;  (in-S»  de  3o  pages,  Saint- 
Pétersbourg,  imprimerie  Balachov).  —  L.  R. 

■  — HansXe programme  accompagnant  le  compte  rendu  annueldu  Wilhelm-Gymna- 
sium  de  Hambourg  {Ch.Tliomasius  und der  Pietismus,  Lùtke,  Hambourg,  1900,  p.  32 
in-4*),  M.  Keyser  s'est  proposé  d'étudier  les  rapports  de  Thomasius  avec  le  piétisme. 
Ils  sont  de  nature  assez  complexe.  En  embrassant  la  cause  de  Francke  contre  les 
théologiens  de  Leipzig  et  en  se  fixant  à  Halle,  la  citadelle  des  piélistes  allemands, 
Thomasius  semblait  s'être  inféodé  au  groupe.  M.  K.  démontre  qu'il  fut  vite  mécon- 
tenté par  le  prosélytisme  intransigeant  de  ses  nouveaux  amis,  que  ceux-ci  de  leur 
côté  le  jugèrent  trop  engagé  dans  le  camp  mystique,  en  particulier  avec  Breckelin  et 
surtout  Arnold,  l'auteur  de  la  Unparteiische  Kirchen-itnd  Ket:^er-Historie,  à  laquelle 
a  collaboré  Thomasius  lui-même.  Par  son  tempérament  ouvert,  gai  et  vigoureux 
il  répugnait  au  piétisme;  c'est  plutôt  par  une  certaine  parenté  dans  les  idées  qu'il 
s'y  rattache.  Mais  M.  K.  aurait  dû  plus  nettement  établir  que  cette  ressemblance 
ne  doit  pas  être  attribuée  à  une  influence  subie,  mais  à  un  libéralisme  d'esprit 
tout  disposé  à  accueillir  certaines  revendications  des  piétistes.  Eux  et  lui  sont  d'ac- 
cord dans  leurs  principes  négatifs;  dans  l'ensemble  des  opinions  positives  qui 
représentent  la  philosophie  vulgaire  d'ailleurs  de  Thomasius,  ils  sont  très  éloignés. 
Le  résultat  le  plus  utile  du  travail  de  M.  K.  me  parait  être  d'avoir  précisé  que 
Thomasius,  couramment  appelé  «  le  père  de  l'Aufklacrung  »,  est  tout  le  contraire 
d'un  rationaliste;  il  est  de  l'école  de  Bœhme,  anti-cartésien,  défenseur  de  la  révéla- 
tion et  des  miracles.   -  L.  Roustan. 

—  Nous  avons  déjà  signalé  ici,  mais  sous  sa  forme  allemande,  le  joli  volume 
que  M.  Georges  Riat  a  consacré  à  Paris  dans  une  collection  intitulée  Les  villes 
d'art  célèbres.  L'édition  française  a  paru  à  son  tour,  chez  H.  Laurens  :  même 
format,  ou  peut  s'en  faut,  et  même  illustration.  Tout  au  plus  peut-on  remarquer, 
comme  une  perte,  quelques  photographies  parues  en  Allemagne  et  qu'il  a  fallu 
retirer  ici,  et  comme  un  gain,  l'absence  de  quelques  gravures  sur  bois  qui  dépa- 
raient l'édition  allemande.  Reste  à  souhaiter  que  ce  soit  là,  chez  nous  aussi,  le 
point  de  départ  d'une  de  ces  jolies  collections,  dont  le  bon  marché  n'exclut  pas 
l'élégance,  comme  on  sait   si  bien  en    faire  depuis  quelque  temps,   à  Leipzig.  — 

H   DE   G. 


Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE   ET    DE    LITTÉRATURE 

N°  43  —  22  octobre  —  1900 


Newberry,  Les  papyrus  Amherst,  —  Pinvert,  Lazare  de  Baif.  —  Pierquin,  Pache. 
Lacour,  Olympe  de  Gouges,  Théroigne  et  Rose  Lacombe.  —  Cabanes,  Le  cabi- 
net secret  de  l'histoire,  IV.  — Ritter,  Victor  Cherbuliez.  —  Schoenbach,  Etudes 
littéraires.   —   Izzet  Fuad-Pacha,  Les  occasions   perdues,   la  campagne   turco- 
russe.   —  Mac  Coll,  Le   sultan  et  les  grandes  puissances. 


Newberry,  The  Amherst  Papyri,  being  an  account  of  the  Egyptian  Papyri  in 
the  Collection  ot"  the  Right  Hon.  Lord  Amherst  ofHackney,  F.  S.  A.  at  Didling- 
ton  Hall,  Norfolk  by  Percy  E.  Newberry,  with  an  Appendix  on  a  Coptic  Papy- 
rus by  W.  E.  Crum,  M.  A.,  with  twenty-four  autotype  Plates,  Londres,  Qua- 
ritch,  1899,  iii-4'''  61  p.  et  XXIV  planches  en  autotypie. 

La  belle  collection  de  lord  et  de  lady  Amherst  of  Hackney  con- 
tient, entre  autres  monuments  provenant  de  l'Egypte,  une  série  impor- 
tante de  papyrus  hiératiques,  démotiques,  grecs,  coptes,  arabes.  Le 
noyau  en  fut  formé  dès  1868,  lorsque  lord  Amherst  acheta  la  collec- 
tion du  D""  Lee,  et  elle  n'a  cessé  de  s'enrichir  jusqu'à  ce  jour.  Le 
volume  que  M.  Newberry  vient  de  publier  tient,  par  certains  côtés,  de 
la  notice  sommaire,  et,  par  certains  autres,  du  catalogue  détaillé.  Les 
textes  hiératiques,  littéraires,  scientifiques  ou  légaux  y  sont  repro- 
duits en  fac-similé,  et,  pour  une  bonne  part  au  moins,  traduits  et 
transcrits  in  extenso;  le  reste,  à  l'exception  d'un  testament  copte 
interprété  par  M.  Crum,  est  décrit  en  quelques  lignes  et  réservé,  s'il 
y  a  lieu,  pour  la  publication  ultérieure. 

Les  papyrus  proprement  littéraires  ne  contiennent  que  des  frag- 
ments d'ouvrages  déjà  connus.  Ceux  qui  portent  les  numéros  I-IV 
sont  tous  reproduits  sur  la  planche  1  ;  ils  appartiennent  au  premier 
empire  Thébain  et  ils  font  doublets  avec  les  papyrus  de  Berlin.  Ce  ne 
sont  malheureusement  que  des  débris  sans  importance.  Le  papyrus 
n'^  V  est  le  papyrus  Lee,  déjà  traduit  par  Chabas  et  par  Dévéria.  Le 
papyrus  n"^  VI  a  été  publié  puis  traduit  par  Chabas.  Les  transcriptions 
et  les  traductions  que  M.  N.  donne  de  ces  documents  sont  utiles^ 
puisqu'elles  constituent  une  revision  de  traductions  déjà  vieilles,  mais 
la  partie  vraiment  neuve  de  l'ouvrage  ne  commence  qu'avec  le  papy- 
rus n-^  VIII,  à  la  planche  VIII  et  la  page  29  du  texte.  C'est  un  des 
manuscrits  qui  furent  endommagés  par  l'explosion  d'une  poudrière, 
Nouvelle  série  L.  4^ 


3o6  REVUE    CRITIQUE 

tandis  qu'ils  étaient  déposés  à  Alexandrie,  dans  la  maison  de  M.  Har- 
ris.  Heureusement,  M"e  Harris  en  avait,  vers  1860,  exécuté  des 
calques  qui  furent  acquis  par  lord  Amherst,  M.  N.a  complété,  au  moyen 
de  ces  calques,  le  fac-similé  qu'il  nous  donne  de  ce  qui  subsiste  des 
originaux.  On  doit  joindre  ce  texte  aux  pièces  que  nous  connaissions 
de  la  grande  enquête  engagée  sous  Ramsès  Nolirkerî  de  la  XX«  dynastie 
contre  les  bandes  de  voleurs  qui  infestaient  la  nécropole  thébaine.  Il 
est  daté  de  l'an  XVII  de  ce  roi,  le  premier  mois  de  Pérît,  le  5,  et  il 
contient,  en  huit  pages,  une  liste  de  personnages  impliqués  dans  l'af- 
faire et  qu'on  prétendait  avoir  volé  eux-mêmes  ou  reçu,  comme  affiliés 
à  la  bande,  des  quantités  plus  ou  moins  considérables  des  objets  en 
métal  volés.  Le  titre  dit  explicitement  qu'il  renferme  les  «  Minutes 
«  des  dépositions  au  sujet  des  métaux  [Centre  les  mains]  des  voleurs 
«  qu'on  a  reconnus  avoir  volé  la  bonne place^  et  dont  le  comte  Kha- 
«  mouaisît,  ainsi  que  le  premier  prophète  d'Amonràsonther  Amanhat- 
«  pou  ont,  dans  le  temple  de  Mait,  de  Thèbes,  recueilli  les  dépositions 
«  qu'ils  ont  mises  en  forme  d'écrit,  pour  être  examinées  dans  la  main 
«  du  maire  Paaouàa  ',  du  scribe  greffier  Ounnofri  '  »  et  de  plusieurs 
autres  fonctionnaires  mentionnés  ailleurs.  Les  individus  examinés 
ainsi  par  le  comte  et  par  le  pontife  n'étaient  pas  très  nombreux; 
c'étaient  Amanouàîtou,  fils  de  Harai  ^  et  ses  trois  fils  Paisanou, 
Harai,  Pakanou,  puis  Pantaouirît,  fils  d'Amannakhouîtou  et  ses  trois 
fils,  Nakhîtminou,  Amanhatpou,  Masou.  Ils  avaient  dénoncé  chacun 
plusieurs  personnages,  qu'ils  accusaient  d'avoir  en  leur  possession  des 
cuivres  provenant  des  vols,  et  c'est  la  liste  de  ces  dénoncés  qui  couvre 
les  pages  du  papyrus.  On  y  lit  l'indication  des  titres,  de  la  filiation, 
des  quantités  de  métal  qu'on  les  accusait  de  posséder  indûment,  parfois 
le  nom  d'une  autre  personne  chez  qui  ils  avaient  déposé  leur  gain, 
ainsi  le  marchand  Pakharoui  a  cinq  tabnou  de  cuivre  dans  les  jnains 

1.  M.  Newberry  transcrit  ce  nom  Pa-ser-da,  confondant  le  signe  du  vieillard 
avec  celui  du  chef  :  l'examen  du  fac-similé  et  la  comparaison  du  signe  tracé  en 
cet  endroit  (VIII,  6}  avec  le  signe  tracé  pins  loin  (XII,  i)  dans  le  nom  propre  d'un 
autre  personnage  ne  laissent  subsister  aucun  doute  sur  la  lecture  Paaouda.  i'a\ aïs 
déjà  lu  ce  nom  de  la  sorte,  il  y  a  trente  ans,  dans  mon  mémoire  sur  Une  enquête 
judiciaire  à  Tlièbes,  p.  8,  note  2,  et  Spiegelberg  a  proposé  de  nouveau  cette  même 
lecture  tout  dernièrement    Recueil-,  t.  XXI,  p.  44). 

2.  Newberry,  J'/ie  Amherst  Papyri,  pi.  VIII,  1.  4-6  et  p.  29-31,  où  la  traduction 
diffère  sensiblement  de  la  mienne.  M.  Newberry  pense  que  tous  les  individus  énu- 
mérés  avaient  été  examinés  par  le  comte  et  par  le  grand-prêtre,  puis  que  leurs 
noms  avaient  été  inscrits  et  la  liste  remise  à  Paaouàa  et  à  ses  collègues,  pour  que 
ceux-ci  pussent  procéder  à  l'arrestation  des  inculpés.  En  fait,  huit  individus  seuls 
ont  été  appréhendés  et  examinés  :  les  autres  ont  été  dénoncés  par  ceux-là,  et  la 
liste  des  noms  envoyée  à  Paaouàa  pour  qu'une  enquête  fût  ouverte  à  leur  sujet. 

3.  M.  Newberry  lit  le  nom  de  ce  personnage  Xmcnuà-shert  (p.  3i,  n°  8):  l'oi- 
seau du  mal  n'a  pas  ici  la  valeur  shere,  c'est  le  déterminatif  du  mot  oud,  surtout 
sous  la  forme  ouaiti,  ouditou,  répondant  au  copte  ouôt.  Le  nom  Amanouàîtou 
signifie  Amon  est  unique. 


d'histoire  et  de  littérature  307 

du  marchand  Paiîsabou  '.  Pour  donner  une  idée  du  document,  le 
mieux  est  d'en  traduire  un  paragraphe  complet,  le  premier  de  tous  : 

«  Déposition  du  voleur  Amanouaitou,  fils  de  Haraoui,  de  la  Nécro- 
pole. 

«  La  vilaine  Annoura,  concubine  du  scribe  Shanaî,  décédé  —  une 
fiole  en  bronze  de  la  valeur  de  35  tabnou\  un  bol  en  bronze  de  la 
valeur  de  10  tabnoii. 

«  Le  marchand  Khonsoua....  '  de  She-oirît  (le  Fayoum),  —  une 
aiguière  en  bronze  de  la  valeur  de  20  tabnou. 

«  Le  scribe  Baoukounikhonsou  du  palais, —  cuivre,  [idem],  20  [tab- 
nou] \ 

«  Le  gardien  Nouzhi-Montounakhouîtou  du  temple  d'Amon,  qui 
est  de  la  dépendance  ^  du  premier  prophète  d'Amon,  —  cuivre  [idem] 
10  [tabnou]. 

«  L'esclave  portier  Annouraka  du  premier  prophète  d'Amon,  — 
[cuivre,  idem]  5  [tabnou]. 

«  Le  pêcheur  Nibânou,  du  deuxième  prophète  d'Amon,  —  [cuivre, 
idem]  10  [tabnou]. 

«  Le  marchand  Nassousobkoui  de  la  ville  de  Shesanaraît,  du 
Fayoum  —  cuivre,  i  fiole,  bronze,  i  aiguière,  de  la  valeur  de  10  tab- 
nou '\ 

Les  dépositions  ne  sont  pas  toutes  aussi  détaillées  :  ainsi  Haraouî 
indique  les  noms  et  la  condition  d'un  certain  nombre  d'individus, 
mais  sans  mentionner  les  quantités  de  métal  qu'ils  avaient  reçues 
(pi.  XII,  1.  17,  à  pi.  XIII,  1.  1 1),  et  Pakanoufait  de  même  pour  une  par- 
tie de  ses  soi-disant  complices  (pi.  XIII,  1.  12-17).  Toutefois,  comme 
cette  particularité  ne  se  rencontre  que  sur  une  seule  page,  celle  qui 
est  reproduite  à  la  planche  Xlll.il  est  fort  possible  que  nous  ayons  ici 
à  soupçonner  un  oubli  du  scribe,  et  que  la  déposition  renfermât,  à  l'ori- 
gine, les  mentions  de  quantité  qui  manquent  dans  notre  exemplaire. 
J'ajouterai  que  chacun  des  témoins  ne  craignait  pas  de  mettre  en  cause 
les  personnes  appartenant  à  la  famille  des  autres.  Ainsi  Paisanou 
dénonce  la  vilaine  Tatitiya,  concubine  du  voleur  Masou,  fils  de  Pan- 
taouirît(pl.  XII,  1.  6),  et  la  vi/^rme  Tasanouîii,  qui  était  sa  concubine 
à  lui  (pi.  XII,  1.  10). 

Les  listes  sont  données  telles  qu'elles  avaient  été  recueillies  de  la 
bouche  de  chacun  des  inculpés  :  aussi  les  mêmes  noms  y  reviennent- 
ils  assez  fréquemment.  La  vilaine  Annoura,  qui  fut  la  première 
dénoncée  par  Amanouaitou,  reparaît  la  dernière  dans  la  déposition  de 


1 .  PI.  X,  1.  I  ;  cf,  d'autres  cas  identiques,  pi.  XI,  1.  16,  pi.  XII,  1.  7  et  i?,  etc. 

2.  Le  nom  est  mutile  dans  l'original. 

3.  Ici  etplus  loin  dans  le  texte,  le  greffier  a  abrégé  la  formule,  qui  était  d'usage 
courant,  et  il  n'en  a  plus  écrit  que  les  passages  essentiels. 

4.  Litt.  :  «  Au  bâton  du  premier  prophète  d'Amon  u. 

5.  Newberry,  Tlie  Amiierst  Papyri,  pi.  VIII,  1.  8-i3,et  p.  3o-3i,  n»'  8-i5. 


3o8  REVUE    CRITIQUE 

Pakanou,  le  fils  d'Amanouaîtou  (pi.  XIV,  p.  viii,  1.  2),  avec  son  compte 
de  5  tabnoii  de  cuivre.  Le  cordonnier  Pabounakhouîtou  du  château  de 
Ramsès  III,  aux  ordres  du  premier  prophète  d'Amon,  paraît  dans 
deux  dépositions  différentes,  mais  sous  des  inculpations  diverses  :  si 
Nakhouîtminou  Taccuse  de  détenir  du  cuivre  pour  une  valeur  de 
3  tabnou  (pi.  IX,  1.  i5),  Paisanou  déclare  qu'il  a  de  l'argent  pour  une 
valeur  de  5  tabnou  (pi.  XII,  1.  16).  Pantaouirît  dénonce  le  reis  des 
bateaux  Aufniamanou  du  château  de  Ramsès  III,  aux  ordres  du  pre- 
mier prophète  d'Amon,  comme  détenteur  de  dix  tabnou  de  cuivre 
volé  (pi.  VIII,  1.  18),  tandis  que  plus  loin  Amanhatpou  l'indique 
comme  possédant  vingt  tabnou  (pi.  IX,  1.  i-j,).  Le  porteur  d'eau  Panà- 
souhiramanou  du  premier  prophète  d'Amon  est  porté  pour  vingt 
tabnou  de  cuivre  dans  la  déposition  de  Nakhouîtminou  (pi.  X,  1.  4) 
et  pour  cinq  seulement  dans  celle  d'Amanhatpou  (pi.  XI,  1.  7).  Le 
marchand  Panakhouîtimnouît  figure  pour  cinq  tabnou  de  cuivre 
parmi  les  gens  signalés  par  Nakhouîtminou  (pi.  IX,  1.  12)  et  par 
Masou  (pi.  XII,  1.  2).  Le  manœuvre  Sannozmou  de  la  nécropole 
avait  eu  pour  sa  part  cinq  tabnou  de  cuivre,  au  dire  de  Nakhouîtmi- 
nou (pi.  X,  1.  3),  et  quatre  seulement  au  dire  d'Amanhatpou  (pi.  X, 
1.  18).  Paisanou  porte  dix  tabnou  de  cuivre  à  Tactifde  Baukournoura, 
sous-officier  de  la  police  éthiopienne  (pi.  XII,  1.  1 1),  ainsi  que  Paka- 
nou (pi.  XIV,  1.  5).  La  récurrence  de  certains  noms  très  fréquents 
sous  les  Ramessides  ne  permet  pas  toujours  de  décider  si  les  dénon- 
ciateurs ont  entendu  parler  d'un  seul  et  même  individu  ou  de  plu- 
sieurs personnages  homonymes.  Ainsi,  on  lit,  parmi  les  noms  livrés 
par  Nakhouîtminou  celui  d'une  vilaine  Tamî,  la  chatte^  qu'il  affirme 
être  dans  la  main  du  manœuvre  Nahsi,  le  nègre,  de  la  nécropole  et 
qui  aurait  reçu  dix  tabnou  de  cuivre  (pi.  X,  1.  i5).  Masou  cite  à  son 
tour  une  vilaine  Tamî,  qu'il  dit  être  de  la  ville,  sans  préciser  davan- 
tage, mais  qui  avait  elle  aussi  dix  tabfiou  de  cuivre  (pi.  XI,  1.  12).  Pai- 
sanou, de  son  côté,  accusait  «  la  vilaineTam\,]a.  concubine  d'un  blan- 
chisseur du  premier  prophète  d'Amon  »,  de  receler  dix  tabnou  de 
cuivre  (pi.  XII,  l.;i  5),  tandis  qu'Haraoui  connaissait  une  l'/Zcri/ze  Tamî, 
qui  était  la  concubine  du  quatrième  prophète  d'Amon  (pi.  XIII,  1.  6), 
sans  mention  de  la  quantité  de  cuivre  qu'elle  avait  reçue.  Il  semble 
qu'il  y  ait  là  au  moins  trois  femmes  différentes  :  il  se  pourrait  pour- 
tant que  les  témoins,  mal  informés  de  l'état  civil,  et  parlant  par  ouï 
dire  plus  que  par  connaissance  directe  des  personnes  et  des  choses, 
n'aient  eu  qu'une  même  personne  en  vue. 

Tous  ces  gens  n'étaient  encore  que  dénoncés,  et  la  liste  que  nous 
en  avons  est  celle  qui  fut  transmise  à  la  commission  secondaire  d'en- 
quente,  formée,  comme  on  Ta  vu  plus  haut,  du  maire  Paaouàa,  du 
greffier  Ounnofri  et  de  plusieurs  autres  fonctionnaires  :  ils  n'étaient 
peut-être  pas  tous  coupables,  mais  nous  ne  possédons  encore  aucune 
pièce  qui  nous  apprenne  ce  qu'il  en  advint  d'eux.  C'étaient  pour  la 


d'histoire  et  de  littérature  3o9 

plupart  d'assez  petites  gens,  et  les  mots  qui  désignent  leur  condition 
sociale  seraient  curieux  à  étudier  de  près.  Les  femmes  rentrent  dans 
deux  catégories  :  un  petit  nombre  sont  esclaves,  esclaves  du  temple 
d'Amon,  sous  Tautorité  —  ou,  comme  dit  l'Égyptien,  au  bâton,  — 
du  premier  prophète  d'Amon  (XII,  9,  XIII,  9,  XIV,  4),  la  plupart  sont 
des  vilaines  (dnkhoui-nou-nouitj  du  secteur  Ouest  de  Thèbes  (XIV, 
20),  qui  résident  dans  divers  quartiers,  ainsi  au  grenier  du  temple  de 
Khonsou  (XI  11,4);  elles  vivent  comme  concubines  (habsoui)  d'hommes 
de  leur  condition,  manœuvres  (IX,  18,  X,  i5,  XI,  12),  blanchisseurs 
(XII,  i5),  matelots  (XIII,  3),  voleurs  (XII,  6,  10),  menuisiers  (XIV, 
8),  plus  rarement  d'hommes  d'un  rang  meilleur,  attachés  à  la  maison 
de  la  divine  adoratrice  d'Amon.  c'est-à-dire  de  la  princesse  qui  faisait 
fonction  de  grande  prêtresse  d'Amon (XI,  20),  ou  d'un  quatrième  pro- 
phète d'Amon  (XIII,  6).  Parmi  les  hommes,  on  rencontre  beaucoup  de 
manœuvres  employés  aux  travaux  de  la  nécropole  (IX,  17,  X,  3,  18, 
XII,  8),  ou  par  les  scribes  de  la  nécropole  (XIII,  i3,  14,  XIV,  2),  des 
briquetiers  sakhonatiou  ',  dépendant  du  temple  d'Amon  en  général 
(IX,  2,  3,  4,  6,  XI,  6,  7,  XII,  17, XIII,  8,  i7cfr.  XIV,  i,  14),  un  jardi- 
nier du  château  de  Ramsès  III  (X,  i3),  des  porteurs  d'eau  du  premier 
prophète  d'Amon  (X,  4,  XI,  7)  et  d'un  hiérogrammate  au  service  d'un 
grand  seigneur  (XIII,  i,  5),  un  menuisier  de  la  maison  de  la  Divine 
adoratrice  d'Amon  (IX,  i),  des  bronziers  du  château  d'Aménôthès  III 
(X,  19)  et  de  la  nécropole  (IX,  14,  XIV,  i5),  des  brasseurs,  dtkhoii^  du 
château  de  Ramsès  III  (X,  5)  et  de  la  Divine  adoratrice  d'Amon  (XI, 
i6),  des  bouilleurs  d'huile  — pasfou-saknanou,  —  du  temple  de  Khon- 
sou (X,  7),  du  temple  d'Amon  (X,  8,  9),  du  Chef  des  chasseurs 
d'Amon  (X,  14),  un  boulanger  du  château  de  Ramsès  III  (XI,  2),  des 
cordonniers  du  château  de  Ramsès  III  (IX,  i5,  16,  XII,  16),  un  bar- 
bier (XIV,  iij,  un  coureur  (XIV,  12),  un  héraut  qui  paraît  avoir  été 
compromis  dans  une  autre  affaire  du  même  genre  {mah-sapou-sanou) 
et  qui  est  récidiviste  (XI,  14),  un  magasinier  du  temple  d'Amon  (XI, 
i3),  un  domestique  (sotmou)  ào.  la  maison  de  la  Divine  Adoratrice 
d'Amon  (XI,  18),  un  cuisinier  (?)  du  temple  de  Sovkou  (IX,  8),  des 
pêcheurs  (VIII,  14,  IX,  9),  des  matelots  (XIV,  3,  16)  et  des  capitaines 
de  barque  (VIII,  18,  X,  17,  XII,  12),  des  blanchisseurs  (XIII,  2,  7, 
XIV,  17),  des  gardiens  de  temples  ou  d'édifices  publics  (VIII,  12,  IX, 
5,  7,  XI,  8,  XIV,  7,  9],  des  esclaves  (Vlll,  i  3,  XI,  10).  Un  groupe  de 
marchands,  presque  tous  indiqués  comme  originaires  du  Fayoum, 
étaient  également  impliqués  dans  l'affaire  (VIII,  10,  i5,IX,  i2,i3,X, 
1,2,  5,  10, XI,  4,  5,  12,  XII,  2,  5,  i3,  XIV,  18, 19),  et  avec  eux  quelques 
personnages  d'ordre  plus  relevé,  un  officier  de  la  police  éthiopienne 
(XI,  II,  XIV,  i5),  un  médecin-en-chef  du  temple  d'Amon  (XIV,  10), 

I.  M.  Newberry  traduit  tisserands  :  ce  sont  les  briquetiers  représentés  dans  le 
tombeau  de  Rakhmirî  (Newberry,  thc  Life  of  Rekmard,  pi.  XXI). 


3  10  REVUE    CRITIQUE 

des  chefs  de  corvée  du  temple  d'Amon  (XI,  i5),  de  la  Chanteuse 
d'Amon  (XII,  3),  du  scribe  du  temple  d'Amon  (XIII,  lo),  des  prêtres 
attachés  soit  aux  temples  de  la  ville,  soit  à  ceux  de  la  nécropole  (IX,  lo, 
XI,  i3,  XII,  I,  XIII,  I  5,  XIV,  6),  des  scribes  dépendants  des  mêmes 
administrations  que  les  prêtres  (VI II,  i  i,  i7,X,  1 1,  XI,  i,  3,  XIII,  1 1). 
Ces  gens  étaient  presque  touségyptiens  :  un  petitnombreseulement  sont 
trahis  par  leurs  noms  comme  étant  d'origine  étrangère,  l'esclave  Annou- 
raka  (VIII,  i3),  le  brasseur  Ouanoura  (X,  5),  le  sous-officier  Baouk- 
Ournoura  (XI,  ii,  XIV,  i5),  le  domestique  Maharbal  (XI,  i8)  '.  Ils 
relevaient  en  général  de  l'une  des  autorités  religieuses  qui  se  par- 
tageaient le  territoire  de  la  nécropole,  le  temple  d'Amon  Thébain,  le 
temple  de  Moût,  le  temple  de  Khonsou,  le  château  de  Ramsès  III  à 
Médinèt-Habou,  VEscabeau  de  Ramsès  I^""  et  celui  d'Aménôthès  III, 
la^/rtce  de  Thoutmôsis  II,  le  Château  d'Aménôthès  III  au  Memno- 
nium.  Ces  temples  consacrés  au  culte  des  Pharaons  morts  et  les  édi- 
fices qui  dépendaient  d'eux  portaient  des  noms  appropriés  à  leur 
importance,  le  château  —  ta-hdït^  —  quand  ils  étaient  grands,  la 
place  —  ta  isît  —  ou  l'escabeau  —  pa  kanaou  —  lorsqu'ils  étaient 
moindres  ;  ils  formaient,  comme  les  tombeaux  des  sultans  mamelouks 
auprès  du  Caire,  de  véritables  domaines  de  main-morte,  entretenant 
un  personnel  nombreux.  Les  employés  et  les  vassaux  du  Château  de 
Ramsès  III  à  Médinet-Habou  paraissent  avoir  été  fort  compromis 
dans  les  affaires  de  vols,  si  bien  que  le  greffier  a  souvent  abrégé  son 
nom  et  l'a  appelé  le  Château  tout  court  (VIII,  i8,  XI,  i3,  17,  XIII, 
16);  on  mentionne  parmi  les  complices,  comme  lui  appartenant,  des 
capitaines  de  bateau  (VIII,  18,  XI,  17,  XII,  12),  un  jardinier  (X,  i3), 
un  boulanger  (XI,  [2),  des  cordonniers  (IX,  i5,  16,  XII,  16),  des 
scribes  (X,  11,  XIII,  16).  En  même  temps  que  le  domaine  sur  lequel 
les  voleurs  vivaient,  on  mentionne  celui  des  hauts  fonctionnaires 
duquel  ils  dépendaient  plus  directement.  Le  château  de  Ramsès  II 
mouvant  au  temple  de  Karnak,  ses  vassaux  étaient  «  au  bâton  du  grand- 
prêtre  d'Amon  »,  et,  sous  le  grand-prêtre,  «au  bâton»  d'un  autre  officier,  ■ 
le  majordome,  par  exemple  (X,  i  3,  XIII,  16).  Le  grand-prêtre  d'Amon 
avait  d'ailleurs,  en  dehors  du  château  de  Médinet-Habou,  beaucoup 
d'individus  «  à  son  bâton  »  (VIII,  12,  X,  18,  XI,  3,  6,  17,  19,  XII,  i, 
9,  I  5,  XIII,  2,  8,  9,  17).  Certains  vassaux  du  château  d'Aménôthès  III, 
étaient  «  au  bâton  »  du  sam  de  ce  monument  (IX,  10,  X,  19).  Enfin, 
dans  quelques  cas,  le  dénonciateur  avait  joint,  aux  nom  et  condition 
de  son  complice,  l'indication  de  l'endroit  dans  lequel  il  ou  elle  siégeait 
(homsou-f,  homsou-s)  d'ordinaire.  Ainsi  l'esclave  Mahouf-panabanaou 
appartient  à  un  marchand  «  dont  la  résidence  est  l'escabeau  d'Amon  » 


I.  Je  considère  que  des  gens  appelés  Pakharoui,  le  Syrien  (x,  i),  Nahasi,  le  nègre 
(x,  19),  Tashasouî,  la  Bédouine,  (xiv,  9),  ne  sont  pas  plus  des  étrangers  en  Egypte 
que  chez  nous,  les  Lallemand,  les  Langlais,  les  Suisse,  les  Lenègre. 


d'histoire  et  de  littérature  3  I  I 

(XI,  lo).  Le  magasinier  Rouraîti  du  temple  d'Amon,  «  son  siège  est  le 
grand  portail  'du  temple  d'Amon,  »  (XI,  i3).  Le  briquetier  Qanoui  est 
sous  bonne  garde  %  et  «  sa  résidence  actuelle  est  en  ville  »,  peut-être 
comme  les  prisonniers  du  Papyrus  n°  VI,  au  portail  du  temple  d'Amon 
(XIV,  i).  Le  coureur,  le  saïs^  Kinaba'naou  a  pour  «  résidence  l'escabeau 
de  Ramsès  I""  »  (XIV,  12  ,,  et  un  briquetier  «  la  maison  de  Pharaon, 
au  côté  du  Sérail  nord  »  (XIV,  14).  Un  marchand  Kazaiaî  loge  dans 
le  bateau  d'un  autre  marchand  Nassousovkouî  (XIV,  18),  et  une 
femme,  «  la  vilaine  Tanîtpabaou,  loge  au  «  grenier  du  temple  de 
Khonsou  »  (XIII,  4). 

Il  y  aurait  encore  bien  des  détails  à  relever  dans  ce  texte,  qui  fait 
revivre  de  façon  si  précise  toute  une  partie  de  la  population  thébaine, 
vers  le  xii^  siècle  avant  notre  ère  :  je  les  néglige  afin  de  ne  pas  allonger 
trop  ce  compte  rendu,  et  Je  ne  dirai  rien  non  plus  du  papyrus  géogra- 
phique, ni  des  fragments  du  Conte  d'Astartê  \  qui  sont  fascimilés  en 
entier  et  analysés  fort  bien.  J'ai  examiné  de  fort  près  le  travail  de 
M.  Newberry,  et  j'y  ai  remarqué  fort  peu  de  points  sur  lesquels  je 
ne  fusse  pas  entièrement  de  l'avis  de  l'auteur.  Je  ferai  pourtant  une 
observation,  à  propos  du  rendu  en  hiéroglyphes  des  textes  hiératiques. 
M.  Newberry,  entraîné  par  l'exemple  de  nos  confrères  berlinois,  a 
transcritcertains  caractères  d'une  façon  qui  nemeparaîtpas  convenable 
à  l'âge  où  les  Papyrus  furent  rédigés.  Ainsi,  il  a  interprété  directement, 
par  l'homme  tenant  un  casse-tête^  le  déterminatif  hiératique  que  nous 
traduisons  d'ordinaire  par  le  bras  armé.  Cette  transcription,  si  elle  est 
admissible  pour  les  textes  hiératiques  des  temps  memphites,  devient 
moins  bonne  pour  ceux  de  la  xn«  dynastie  et  incorrecte  pour  ceux  du 
second  empire  Thébain.  Comme  M.  de  Rougé  l'avait  dit,  en  établis- 


1.  M.  Newberry  (p.  Sy,  n»  i3)  n'a  pas  reconnu  le  mot  sharâa.  non  plus  qu'au 
Papyrus  n"  VI,  où  ce  mot  se  recontrait  déjà  (p.  28,  1.  3),  et  où  il  a  rendu  par  pri- 
son les  groupes  sha  da  ri  en  lesquels  il  le  décompose.  C'est  un  mot  sémitique  yrj; 
porta,  forum  quod  in  portis  erat.  L'égyptien  a  déplacé  Vain  et  transcrit  tantôt  sliaâra, 
tantôt  sharda  :  il  a  même  adopté  la  forme  dialectale  yiri-  Le  mot  parait  désigner 
en  égyptien  et  la  porte  même,  où  l'on  passait  et  où  l'on  rendait  justice,  et  les  deux 
tours  du  pylône  ainsi  que  les  chambres  qu'elles  renfermaient.  Au  Papyrus  n"  VI, 
je  traduirai  le  passage  de  la  pi.  Vil,  1.  2-3,  comme  il  suit  :  «  Voleurs  de  la  tombe 
endommagée  de  ce  dieu,  qu'on  a  mandés  au  premier  prophète  d'Amon,  pour  qu'ils 
fussent  amenés  et  constitués  prisonniers  (iittt.  :  «  en  état  d'hommes  gardés)  »  dans 
le  portail  du  temple  d'Amon,  avec  leurs  complices,  du  châtiment  desquels  le  Pha- 
raon, notre  maître,  aura  à  décider  ». 

2.  Sakhoiiiti  Qanoui  saaou,  littéral.  «  le  briquetier  Quanouî,  gardé  ».  Un  bon 
exemple  de  saouou,  gardé,  est  donné  plus  haut,  à  la  note  qui  précède  immédia- 
tement celle-ci. 

3.  A  propos  du  Papyrus  d'.-Vstartè,  je  ferai  observer  que  le  fragment  VII,  de  la 
première  page,  s'ajuste  exactement  au  fragment  I  :  la  première,  la  seconde,  lu 
troisième  ligne  du  fragment  VII  se  joignent  aux  lignes  trois,  quatre,  cinq,  du  frag- 
ment I.  Le  caractère  li  du  verbe  liai,  commencé  à  la  ligne  quatre  du  fragment  I, 
se  continue  à  la  lii^ne  trois  du  fragment  VII,  et  ainsi  de  suite. 


3  12  REVUE    CRITIQUE 

sant  à  ses  cours  le  texte  du  poème  de  Pantaouirît,  les  inscriptions  hié- 
roglyphiques les  plus  anciennes  donnent  en  e^eiV homme  armé  comme 
déterminatifoùrhiératiquea  le  signe  correspondant;  sous  la  xii^  dynas- 
tie, le  signe  hiératique  de  Vhomme  armé  répond,  en  hiéroglyphes,  de 
plus  en  plus  rarement  klliomme  arme  lui-même,  de  plus  en  plus  sou- 
vent au  bras  armé;  sous  le  second  empire  thébain,  Vhomme  armé 
n'apparaît  plus  que  par  exception  comme  déterminatif  dans  les  hiéro- 
glyphes, et  c'est  le  bras  armé  qu'on  rencontre  dans  ce  rôle.  Si  un 
Égyptien  avait  voulu  mettre  en  hiéroglyphes  les  Papyrus  de  la  XX"  dy- 
nastie publiés  par  M.  Newberry,  il  aurait  partout  employé  le  bras 
armé  et  non  Vhomme  armé.  Je  crois  qu'en  cette  matière,  il  faut  ne  pas 
se  montrer  plus  Égyptien  que  les  Égyptiens,  mais  agir  comme  Tusage 
des  textes  monumentaux  nous  prouve  qu'ils  agissaient  eux-mêmes. 
C'est  là  une  observation  qui  ne  touche  en  rien  au  fond  de  l'œuvre  : 
le  volume  des  Papyrus  Amherst  fan  grand  honneur  et  au  noble  amateur 
qui,  après  avoir  assemblé  cette  riche  collection,  a  voulu  la  publier  à  ses 
frais,  et  au  savant  qui  a  su  réaliser  si  bien  les  intentions  libérales  de 
l'amateur. 

G.  Maspero. 


Lucien  Pinvert  :  Lazare  de  Baxf,  in-8,  i3o  p.  Paris,  Fontemoing,  igoo. 

Lazare  de  Baïf,  père  du  poète  Antoine  de  Baïf,  jouissait  de  son 
temps  d'une  réputation  considérable.  Les  contemporains  s'accordaient 
à  le  considérer  comme  le  premier  humaniste  de  France  après  Guil- 
laume Budé.  Il  était  en  correspondance  régulière  avec  tous  les  grands 
érudits  de  l'Europe  :  Érasme,  Lascaris,  Bembo,  Sturm,  Gerbel,  etc. 
Il  écrivait  des  traités  latins  sur  maintes  questions  d'érudition  :  De  re 
vestiaria.  De  vascuîaris,  De  re  Jiavali.,  traduisait  les  quatres  premières 
Vies  de  Plutarque,  et  mettait  en  vers  français  VÉlectre  de  Sophocle 
et  VHécube  d'Euripide.  François  I^""  en  faisait  pendant  cinq  ans  son 
ambassadeur  à  Venise  et,  plus  tard,  l'employait  encore  en  Allemagne. 
On  se  demande  comment  la  célébrité  d'un  pareil  homme  a  pu  être  si 
complètement  étouffée  depuis  par  celle  de  son  fils,  d'autant  plus  que 
ce  fils  est  de  beaucoup  le  plus  mauvais  poète  de  la  Pléiade.  Il  y  avait 
donc  là,  à  la  fois,  une  recherche  historique  fort  curieuse  à  entre- 
prendre et  une  injustice  à  réparer.  M.  Pinvert  s'est  fort  bien  acquitté 
de  sa  tâche.  Avec  une  patience  des  plus  méritoires,  il  est  allé  fouiller 
les  archives  et  les  vieux  livres  du  xvi"'  siècle  les  plus  oubliés  et  a  pu 
reconstituer  ainsi  la  vie  entière  de  son  héros.  C'est  une  biographie 
excellente  de  tous  points. 

Raoul  Rosières. 


d'histoire  et  de  littérature  3  I  3 

Louis  PiERQuiN.  Mémoires  sur  Pache,  sa  retraite  à  Thin-le-Moutier.  Charle- 
ville,  Jolly,  1900,  in-8°,  276  p.  et  4  planches. 

Ce  livre  renferme  d'intéressants  détails  sur  la  retraite  de  Pache  à 
Thin-le-Moutier,  et,  ce  qui  vaut  mieux  encore,  la  réimpression  de  trois 
brochures  rarissimes  du  révolutionnaire  :  1°  ev  2°  sur  une  affaire 
pendante  à  la  troisième  section  du  tribunal  civil  de  la  Seine;  (un  cer- 
tain Tronchet  réclamait  des  dommages  et  intérêts  à  Pache  pour  avoir 
été  emprisonné  par  ordre  de  l'ancien  maire  de  Paris  et  Pache  lui  répond 
en  donnant  force  détails  sur  son  administration;  3°  sur  les  factions  et 
les  partis,  les  conspirations  et  les  conjurations  et  sur  celles  â  V ordre  du 
jour  (cette  troisième  brochure  avait  été,  il  est  vrai,  réimprimée  dans 
le  tome  XX  de  la  revue  La  Révolution  française).  M.  Leblond,  profes- 
seur agrégé  de  philosophie,  a  joint  à  l'ouvrage  une  étude  sur  un  traité 
philosophique  de  Pache,  lequel  n'a  aucune  valeur  (p.  255-273).  Dans 
tout  le  cours  du  volume,  M.  Pierquin  n'a  pour  Pache  que  des  éloges, 
et  il  a  raison  de  vanter  son  labeur  assidu,  sa  probité,  son  patriotisme. 
Mais  dire  que  Pache  a  préparé  le  lit  dans  lequel  Carnot  s'est  couché 
«  assez  petit  pour  se  réveiller  tout  d'un  coup  organisateur  de  la  vic- 
toire »,  c'est  vraiment  aller  trop  loin.  Nous  croyons,  nous,  que  Pache, 
en  croyant  bien  faire,  avait  désorganisé  tous  les  services.  M.  Pierquin 
semble  nous  promettre  une  Vie  documentée  de  Pache  ;  nous  doutons 
qu'il  réussisse  à  «  réhabiliter  ce  fier  méconnu  ». 

A.  C. 


Les  origines  du  féminisme  contemporain.  Trois  femmes  de  la  Révolution, 
Olympe  de  Gouges,  Théroignede  Mcricourt,  Rose  Lacombe,  parLéopold  Lacour. 
Avec  5  portraits,  Paris,  Pion.  1900,  In-8°  432  p.  7  fr.  5o. 

Sans  nous  occuper  du  point  de  vue  spécial  de  l'auteur  qui  voit  dans 
Olympe  de  Gouges,  Théroigne  et  Rose  Lacombe  les  précurseurs  du 
mouvement  féministe  actuel,  nous  dirons  que  ces  trois  études  histo- 
riques ont  été  composées  avec  soin  et  conscience.  L'étude  de  M.  Lacour 
sur  Olympe  de  Gouges  est  bien  supérieure  à  celle  de  Monselet  ;  elle 
renferme  nombre  de  détails  jusqu'ici  peu  connus  ou  ignorés.  De 
même,  l'étude  sur  Théroigne  :  M.  L.  a  retracé  la  destinée  de  l'aventu- 
rière d'après  un  petit  volume  précieux  publié  en  1892  par  Strobl- 
Ravesberg.  L'étude  sur  Rose  Lacombe  est  peut-être  la  plus  neuve  : 
Rose  Lacombe  se  prénommait  en  réalité  Claire,  et  c'est  en  demandant 
aux  archives  nationales  le  dossier  de  Claire,  et  non  celui  de  Rose,  que 
M.  L.  a  trouvé  de  nouvelles  particularités  sur  cette  femme  de  la  Révo- 
lution. On  remarquera  notamment  tout  ce  qu'il  nous  rapporte  sur  le 
club  des  «  Républicaines  révolutionnaires  »  et  sur  l'amant  de  Claire 
Lacombe,  le  jeune  terroriste  Leclerc  qui  voulut,  comme  Jacques  Roux, 


3  14  REVUE    CRITIQUE 

continuer  Marat.  On  aurait  désiré  que  M.  L.  eût  cité  dans  Tœuvre 
d'Olvmpe  de  Gouges  le  Camp  de  Grandprc,  et  son  étude  sur  Théroigne 
est  peut-être  trop  longue,  un  peu  alourdie  par  d'inutiles  réfutations  de 
sesdevancierset  de  copieuses  citationsde  lapresse  royaliste.  Ons'étonne 
même  qu'il  se  soit  contenté  de  résumer  ou  de  reproduire  Strobl-Raves- 
berg;  puisqu'il  veut  aller  aux  sources,  en  finir  avec  les  ouvrages  de 
seconde  main  (p.  v),  puisque  Strobllui  semble  avoir  mis  des  phrases  à 
la  place  de  «  preuves  »  et  de  «  détails  »  (p.  149)  et  n'avoir  pas  utilisé 
tous  les  documents,  il  devait  aller  à  Vienne  consulter  toutes  les  pièces 
si  intéressantes  énumérées  par  M.  Winter  (p.  1 19),  et  il  peut  être  sûr 
qu'un  chercheur  fera  un  jour  le  voyage  et  le  travail.  En  terminant  ce 
compte  rendu  et  en  félicitant  M.  L.  de  l'étendue  de  ses  recherches  et 
de  l'esprit  critique  qu'il  y  montre.  Je  crois  lui  prouver  ma  reconnais- 
sance en  lui  communiquant  sur  Théroigne  ce  témoignage  très  impor- 
tant de  Forster  qu'il  n'a  pas  connu  :  «  Quand  Je  pense,  écrit  Forster  à 
sa  femme,  que  la  créature  réellement  très  intéressante  qui  était  prison- 
nière à  Kufstein,  doit  s'être  attiré  auparavant  à  Turin  par  ses  excès  la 
grosse  vérole  qui  est  tout  à  fait  inguérissable,  elle  rne  devient  un  objet 
de  dégoût  et  de  mépris  »,  et  il  mandait  auparavant  le  23  Juillet  1793  : 
«  Théroigne  est  une  Jeune  fille  brune  de  vingt-cinq  à  vingt-huit  ans,  au 
visage  le  plus  ouvert,  aux  traits  qui  étaient  beaux  autrefois,  qui  le 
sont  en  partie  encore,  et  qui  trahissent  son  caractère  simple,  ferme. 
plein  d'esprit  et  d'enthousiasme;  elle  a  surtout  dans  les  yeux  et  la 
bouche  quelque  chose  de  doux  et  d'attirant.  Tout  son  être  est  comme 
plongé  dans  l'esprit  de  liberté  ;  elle  parle  sans  cesse  de  la  Révolution, 
et,  ce  qu'il  faut  bien  remarquer,  les  jugements  qu'elle  exprimait  hier, 
étaient  frappants  sans  exception,  précis  et  touchaient  précisément  le 
point  dont  il  s'agissait.  Elle  apprécie  le  ministère  de  Vienne  avec  une 
compétence  que  seule,  l'aptitude  à  observer  Juste  peut  donner.  Elle 
est  du  Luxembourg  et,  à  rrai  dire,  c'est  pour  la  liberté  de  sa  patrie  et 
de  l'Allemagne  qu'elle  est  le  plus  zélée.  Elle  ne  parle  que  français, 
couramment  et  énergiquement,  quoique  sans  correction.  Elle  est  ici 
soupçonnée  d'avoir  été  corrompue  par  l'Autriche  parce  que  l'Empe- 
reur l'a  fait  remettre  en  liberté  —  mais  ces  hommes  savent  si  peu 
juger,  puisqu'ils  ne  connaissent  pas  et  ne  possèdent  pas  le  sentiment 
moral,  la  vraie  pierre  de  touche  !  C'est  même  une  martyre  de  la 
liberté;  il  y  a  six  ou  sept  semaines  les  furies  qui  siègent  dans  les  tri- 
bunes de  la  Convention  la  traînèrent  au  dehors  dans  le  jardin  des 
Tuileries,  lui  frappèrent  la  tête  à  coup  de  pierres  et  voulurent  la  noyer 
dans  le  bassin.  Par  bonheur  on  vint  à  son  secours.  Mais  elle  a  depuis 
les  douleurs  de  tête  les  plus  terribles  et  elle  a  l'air  vraiment  piteux. 
Hier,  elle  souffrait  beaucoup  et  parla  néanmoins  avec  chaleur  et  inté- 
rêt. Elle  a,  dit-elle,  une  grande  soif  de  savoir,  elle  veut  aller  à  la  cam- 
pagne et  là  étudier  les  sciences  qui  lui  manquent  ;  elle  désire  la  société 
d'un  homme  qui  ait  des  connaissances,  qui  parle  et  écrive  bien;  elle 


d'histoire  et  de  littérature  3  I  5 

Tentretiendra  et  lui  donnera  par  an  deux  milles  livres  ;  elle  n'est,  dit- 
elle  encore,  qu'une  paysanne,  mais  elle  sent  le  besoin  d'instruction. 
Elle  doit  avoir  de  quoi  vivre,  bien  qu'elle  assure  avoir  perdu  toute  sa 
fortune,  car  sa  mise  est  tout  à  fait  convenable  et  elle  a  encore  une 
voiture.  » 

A.  C. 


D'  Cabanes,  Le  cabinet  secret   de  l'histoire,   4°  série.    Paris,  Maloine,   1900, 
in-8°,  320  p. 

Le  grand  public  lira  volontiers  ce  recueil  d'études  à  cause  des  sujets 
qu'elles  traitent.  Elles  n'apportent  guère  de  faits  nouveaux,  mais 
elles  ont  été  composées  avec  soin,  elles  témoignent  d'une  lecture  con- 
sidérable et  l'opinion  d'un  médecin  est  bonne  à  connaître.  M.  Caba- 
nes nous  dit  donc  que  François  I""  n'est  pas  mort  de  la  Féronnière  (le 
roi  a  eu  la  siphylis,  mais  n'a  pas  succombé  à  ses  suites),  que  Fernel 
ne  fit  pas  cesser  la  stérilité  de  Catherine  de  Médicis,  qu'en  octobre 
1592  Loyseau  soigna  Henri  IV  qui  avait  un  retour  de  son  affection 
(rétrécissement  uréthral  dénature  blennorrhagique),  que  Louis  XIII, 
gaillard  dans  ses  propos  en  sa  Jeunesse,  eut  soudain  une  «  modifica- 
tion d'humeurs  »  et  que  Louis  XIV  n'a  avec  lui  aucune  ressemblance 
physique.  Il  nous  raconte  comment  Marie  Leczinska  devint  reine  de 
France  et  comment  fut  consommé  le  mariage  de  Louis  XVI.  Il  réfute 
l'accusation  d'inceste  portée  par  Hébert  contre  Marie-Antoinette  — 
et  nous  apprend  en  passant  qu'il  ne  croit  pas  à  la  mort  de  LouisXVII 
au  Temple.  Enfin,  dans  une  étude,  la  meilleure  du  volume,  qu'il  a 
composée  d'après  des  documents  d'archives,  il  nous  renseigne  sur  la 
prétendue  folie  du  marquis  de  Sade  qui  fut  enfermé  à  Charenton  non 
pour  Juliette  ou  Justine^  mais  pour  ZoIoe\  pamphlet  violent  contre 
Joséphine. 

A.  C. 


Victor  Cherbuliez,  Recherches  généalogiques,  par  Eugène  Ritter,  professeur  à 
la  Faculté  des  lettres  de  Genève.  Genève,  Kiindig,  1899.  In-S»,  35  p. 

Dans  ce  nouveau  travail  qui,  comme  ses  précédentes  études  sur 
Rousseau  et  M'"<'de  Staël,  lui  a  coûté  de  très  longues  et  patientes 
recherches,  M.  Ritter  expose  les  origines  genevoises  de  Cherbuliez, 
Deux  points  offrent  un  réel  intérêt  :  1°  cinq  ou  six  des  ascendants 
directs.de  Cherbuliez  ont  une  place  dans  l'histoire  littéraire  de 
Genève  :  Isaac  Cornuaud,  qui  approuva  l'annexion  de  Genève  à  la 
France  parce  que  la  petite  république  «  abandonnait  sa  misérable 
existence  particulière  pour  participer  à  celle  d'une  grande  et  triom- 


3  I  6  REVUE    CRITIQUE 

phante  nation  »  ;  Abraham  Cherbuliez,  bon  négociant,  et  ses  fils,  An- 
toine l'professeur  à  la  Faculté  de  droit  de  Genève  et  correspondant  de 
l'Institut  de  France)  et  André  (père  de  Victor  Cherbuliez,  professeur 
de  littérature  latine,  d'abord  théologien  et  qui  resta  neutre  entre  les 
deux  partis  qui  se  combattirent  dans  l'Église  de  son  pays)  ;  Marc- 
Théodore  Bourrit,  connu  surtout  comme  alpiniste  ;  Jean-Pierre  Bé- 
renger,  auteur  d'une  Histoire  de  Genève;  2"  comme  on  le  voit  par  le 
tableau  ascendental  que  M.  R.  a  pu  dresser  sans  lacunes  jusqu'au  qua- 
trième degré,  un  grand  nombre  de  famillesdont  descend  Victor  Cher- 
buliez, sont  venues  de  France  pour  s'établir  à  Genève.  Plus  de  la  moi- 
tié de  son  ascendance  est  française.  Lorsqu'il  réclama  la  nationalité 
française,  il  ne  fit  donc  que  revenir  au  pays  de  ses  pères.  11  lui  suffit, 
pour  se  faire  réintégrer  dans  ses  droits,  ainsi  qu'il  nous  l'apprend  par 
une  lettre  (p.  25),  d'invoquer  sa  qualité  de  descendant  de  Cornuaud; 
«  en  remontant,  dit-il,  de  ma  grand'mère  paternelle  Jusqu'au  premier 
Cornuaud  qui  quitta  le  Poitou,  cette  filiation  est  de  degré  en  degré 
tout  à  fait  limpide  «.  Mais  on  rencontre  dans  l'énumération  si  soi- 
gnée et  approfondie  qu'a  faite  M.  Ritter,  plus  de  trente  familles  d'ori- 
gine française,  et  Victor  Cherbuliez  avait  des  ancêtres  dans  la  plu- 
part de  nos  provinces.. 

A.  C. 


Gesammelte  Aufsaetze  zur  neueren  Litteratur  in  Deutschland,  Oesterreich, 

Amerika  von  Anton  E.  Schœnbach,  Graz,  Leuschner  und  Lubensky,  1900.  In-8°, 
xvii  et  443  p. 

M.  Schœnbach  a  bien  fait  de  réunir  ces  essais,  un  peu  courts,  mais 
à  la  fois  sagaces  et  solides,  où  la  pénétration  du  jugement  s'unit  sou- 
vent à  l'étendue  des  recherches.  C'est  ainsi  qu'il  examine  dans  Uhland 
le  dramaturge,  et  il  reconnaît  justement  que  «  l'aptitude  d'Uhland 
aux  travaux  dramatiques  n'était  pas  grande  ».  Il  montre  que  Freytag 
est  resté  fidèle  à  son  idéal  politique,  mais  qu'il  y  a  dans  son  style 
«  un  élément  considérable  de  rhétorique  «.  Il  fait  bien  ressortir  ce 
que  MuUenhofî  (qui  ressemblait  physiquement  à  un  vieux  grognard 
de  Napoléon]  avait  de  brusque  et  de  rude,  mais  quelle  conscience, 
quel  scrupule  il  apportait  dans  ses  travaux  et  ses  leçons;  ce  que 
Schreyvogel,  le  rédacteur  du  Sonntagsbiatt,  avait  de  conservateur  et 
de  «  lessingien  »,  et  sa  connaissance  profonde  du  théâtre  espagnol; 
les  qualités  autrichiennes  de  Grillparzer  et  comment  son  œuvre  a  le 
goût  de  terroir,  comment  il  a  «  introduit  de  nouveau  l'Autrichien  dans 
la  littérature  allemande  »  et  ouvert  par  r^//»/raz<  une  nouvelle  ère  à 
l'Autriche  intellectuelle.  On  lit  avec  un  pareil  intérêt  et  un  semblable 
profit  les  pages  consacrées  à  Fitger  et  à  Steub,  à  Bauernfeld,  ce  «  type 
brillant  du  vieil  Autrichien  »,  à  Anastasius  Grun,  à  Gilm,  le  poète  du 


d'histoire  et  de  littérature  3  I  7 

Tyrol,  à  Leitner  qui  se  rattache  au  groupe  des  romantiques  souabes,  à 
Anzengruber,  à  Fenimore  Cooper  que  M.  S.  met  bien  au-dessous  de 
Walter  Scott,  aux  drames  de  Longfellow  qui  n'ont  de  drame  que  le 
nom.  Deux  études,  l'une  sur  le  roman  américain  d'aujourd'hui, 
l'autre  sur  Hawthorne,  terminent  le  volume.  Ce  sont  les  plus  longues 
et  les  plus  fouillées,  les  meilleures  peut-être  et  les  plus  utiles,  les  plus 
instructives  à  coup  sûr,  car  la  plupart  des  Aiifsœt\e  ne  sont  guère  que 
des  notices.  M.  Schônbach  regarde  Hawthorne  comme  le  plus  grand 
écrivain  des  États-Unis,  comme  un  auteur  tout  à  fait  original,  tout  à 
fait  du  crû,  qui  a  reçu  la  culture  anglaise  sans  être  dominé  par  elle  ; 
quant  au  roman  américain,  après  avoir  analysé  consciencieusement 
ses  meilleures  productions,  il  conclut  que  nombre  d'auteurs  sont  bien 
près  d'être  des  auteurs  de  premier  rang. 

A.C. 


Général  Izzet  Fuad-Pacha,  Les  occasions  perdues,  Étude  stratégique  et  cri- 
tique sur  la  campagne  turco-russe  de  1777-1878  avec  10  croquis,  Paris,  Chape- 
lot,  1900,  in-8°,  VIII  et  21  3  p. 

Les  occasions  perdues,  ce  sont  les  occasions  que  les  Turcs  négli- 
gèrent de  saisir  en  1 877-1 878. 

Les  soldats  étaient  et  sont  excellents,  et  ils  ont  de  telles  qualités 
guerrières  qu'une  armée  turque  se  forme  en  un  rien  de  temps.  Malgré 
les  ressources  immenses  dont  dispose  le  tsar,  malgré  l'obligation 
d'observer  Serbes,  Grecs  et  Bulgares,  les  Turcs  faillirent  gagner  la 
partie  ;  ils  remuèrent  la  terre  comme  des  fouines  et  combattirent 
comme  des  lions;  les  Russes  n'auraient  pu,  sans  les  Roumains,  avoir 
raison  de  Plewna. 

Mais  les  officiers  turcs  devaient  leur  place  au  favoritisme  et  au 
caprice.  Ils  étaient  absolument  inexpérimentés.  Jamais  l'état-major 
ne  donna  d'ordres  écrits.  On  n'avait  fait  sous  Abdul-Azis  qu'une  seule 
manœuvre  qui  dura  un  seul  jour  !  L'auteur  du  livre  qui  galopait 
volontiers,  reçut  avis  d'un  gros  pacha  qu'il  ne  fallait  pas  aller  si  vite, 
que  cela  produisait  une  très  mauvaise  impression  dans  les  hautes 
sphères.  Bref,  on  ignorait  que  «  la  vie  en  campagne  est  faite  de  l'en- 
semble de  toutes  les  connaissances  requises  en  temps  de  paix  »  et  que 
«  la  continuité  des  rapports  qui  existent  entre  les  grands  et  les  petits 
dès  le  temps  de  paix,  assure  le  succès  ». 

Le  premier  général  qui  commanda  l'armée  turque  de  l'Est,  le  trop 
vieux  A-bdul  Kérim,  ne  fit  rien  à  Choumla  du  i  i  avril  à  la  fin  de  juin 
pour  organiser  son  état-major  et  entraîner  son  monde.  Il  ne  concen- 
tra pas  l'armée  —  d'ailleurs  constituée  par  divisions  et  non  par  corps 
—  sur  certains  points  stratégiques  ;  il  l'éparpilla  sur  un  front  de  plus 
de  cent  kilomètres  et  s'affaiblit  ainsi  sur  tous  les  points  à  la  fois.  Il  ne 


3l8  REVUE   CRITIQUE 

se  renseigna  pas.  Lorsqu'au  27  juin  Tavant-garde  russe  franchit  le 
Danube  à  Sistova,  il  ne  pensa  pas  à  la  culbuter  en  poussant  aussitôt 
sur  elle.  11  reçut  le  3  juillet  du  Séraskierat  l'ordre  de  bouger;  mais, 
au  lieu  de  courir  à  Sistova  quand  le  déploiement  de  l'armée  russe 
n'était  pas  achevé,  au  lieu  de  marcher  sur  les  communications  de 
Gourko  qui  descendait  vers  les  Balkans  et  de  le  couper  du  gros  mos- 
covite, il  remonta  vers  le  Danube  avec  une  extrême  lenteur. 

Ici  l'auteur  narre  une  très  amusante  anecdote.  Le  9  ou  le  10  juillet 
le  maréchal  Ahmed-Eyoub  était  à  Gûl-Tchechmé  où  Echref-pacha  le 
rejoignait  avec  la  division  de  Roustchouk.  Que  font  les  deux  chefs? 
Ils  s'asseoient  sous  un  arbre  sur  un  moelleux  tapis  et  Echref  lit  à 
Ahmed-Eyoub  des  ballades  persanes  de  sa  composition  !  Pendant  ce 
temps  l'avant-garde  russe  engage  un  combat  d'artillerie  et  le  colonel 
turc  qui  commande  la  brigade  de  droite,  se  retire  tranquillement  sans 
même  prévenir  ses  supérieurs  !  On  rentra  donc  à  Roustchouk  et  à 
Choumla. 

A  la  suite  de  cet  échec,  Abdul-Kerim  est  remplacé  par  Mehemmed- 
Aly  qui  concentre  toutes  les  troupes  à  Razgrad,  mais  pour  les  égrener 
de  nouveau  et  les  répandre  du  nord  au  midi,  non  plus  de  l'ouest  à 
l'est.  Pourtant,  il  prend  l'offensive  et  le  29  juillet,  sa  ligne  de  défense 
qui  devient  dans  son  énorme  étendue  une  ligne  d'attaque,  refoule  au- 
delà  du  Lom  les  avant-gardes  ou  «  détachements-tampons  »  du  tsaré- 
vitch. A  quoi  bon,  puisqu'elle  n'avance  pas  plus  loin  et  ne  sait  où  est 
l'armée  russe,  puisque  Mehemmed-Aly  n'a  qu'une  cavalerie  faible, 
incapable  d'explorer,  tout  à  fait  inférieure  à  la  cavalerie  ennemie  ! 

De  même  Osman  Pacha.  Il  fait  le  seul  mouvement  stratégique  de 
la  campagne  ;  il  se  porte  de  Widin  sur  Plev^^na,  et  là,  le  2 1  et  le  3 1  juil- 
let, il  repousse  les  Russes .  Mais  pourquoi  le  2 1  et  le  3  i  juillet  n'a-t-il 
pas  poursuivi  les  vaincus  qui  se  retiraient  dans  le  plus  grand  désordre  ? 
Parce  qu'il  n'avait  pas  de  cavalerie  '. 

Quant  à  l'armée  turque  du  sud,  elle  n'entreprend  rien  d'important  : 
celui  qui  la  commande,  Suleyman,  refuse  d'obéir  au  serdar  Mehem- 
med-Aly et  veut  enlever  tout  seul,  pour  devenir  ministre  de  la  guerre, 
la  position  de  Sveti-Nicolas.  Vainement  Mehemmed-Ali  demande  que 
Suleyman  lui  soit  subordonné.  A  l'instant  où  il  se  décide  à  une 
bataille,  il  est  remplacé  par  ce  Suleyman.  Si  les  hommes  changent,  les 
erreurs  restent.  Immobiles,  inertes,  les  Turcs  laissent  les  Russes  cer- 
ner Plewna  et  l'on  peut  dire  avec  notre  auteur  qu'à  part  les  journées 
de  Plewna  et  la  défaite  de  Suleyman  à  Philippopoli,  cette  guerre  de 
six  mois  n'est  qu'une  suite  de  petits  combats  partiels. 

Le  10  décembre,  Osman  se  rend.  Les  Turcs  battent  en  retraite  de 
tous  côtés,  et  notre  auteur  pense  qu'ils  auraient  dû  s'arrêter  non  à  Phi- 


1.  Notre  auteur  assure  néanmoins  que  même  avec   quelques   cavaliers,  Osman 
devait  poursuive  l'adversaire,  qu'il  était  certain  du^succès. 


d'histoire  et  de  littérature  3x9 

lippopoli,  mais  cà  Tirnovo-Seymenly  où  leurs  l'io  bataillons,  les  uns 
reconstitués,  les  autres  tout  frais,  auraient  battu  les  Russes  dissémi- 
nés et  épuisés,  usés  par  la  fatigue  et  le  froid.  Il  était  alors  en  mission, 
et  il  a  vu  les  envahisseurs  déboucher  des  Balkans  dans  un  état  lamen- 
table sur  un  front  de  trois  cents  kilomètres.  Mais  le  chef  manquait. 
Suleyman  commandait  encore,  et  c'était  un  écrivain,  un  kiatib,  non 
un  militaire.  Il  n'avait  plus  d'autre  idée  que  de  reculer  ;  il  abandonna 
sa  ligne  naturelle  de  retraite  sur  Andrinople;  il  s'adossa  au  Rhodope 
et  lorsqu'il  se  vit  coupé,  se  jeta  vers  la  mer  Egée  par  les  sentiers  du 
Despoto-Dagh  où  il  perdit  son  artillerie.  Un  épisode  caractéristique 
clôt  cette  débâcle  :  les  plénipotentiaires  turcs,  furieux  contre  les  mili- 
taires, chargèrent  leur  maître  d'hôtel  de  porter  à  Constantinoplc  les 
documents  relatifs  à  l'armistice. 

Izzet  Fuad-Pacha  n'a  pas  fait  un  livre  didactique.  Son  ouvrage  est 
parfois  décousu.  Le  général  cause,  conte,  disserte;  il  ne  suit  pas  un 
ordre  logique  ;  il  abonde  en  digressions  et  en  parenthèses  ;  il  se  répète 
à  diverses  reprises.  Il  aurait  dû,  dès  le  début,  tracer  un  tableau  plus 
complet,  plus  minutieux  des  forces  turques  et  de  leur  emplacement. 
Il  aurait  dû  aussi,  en  un  chapitre  particulier,  exposer  au  long  les 
défauts  de  l'armée  ottomane  qu'il  décrit  au  fur  et  à  mesure  que  se 
déroule  son  récit.  Enfin,  peut-être  eût-il  bien  fait  d'insister  sur  plu- 
sieurs points,  et  son  livre  ne  sera  compris  en  son  entier  que  de  ceux 
qui  connaissent  déjà  la  campagne  russe-turque  dans  ses  grandes  lignes. 

Mais  il  manie  le  français  très  aisément  ;  il  en  connaît  tous  les  secrets  ; 
il  l'écrit  avec  une  désinvolture  charmante,  avec  verve,  avec  brio.  Son 
expression  est  très  souvent  vive  et  piquante.  Il  sait  prendre  tous  les 
tons,  un  ton  de  tristesse  lorsqu'il  déplore  les  défaillances  des  géné- 
raux, un  ton  d'autorité  mêlé  d'affection  —  qui  nous  rappelle  certains 
passages  du  prince  de  Ligne  —  lorsqu'il  exhorte  ses  camarades  à 
méditer  les  leçons  du  passé,  et  parfois  un  ton  d'humour  et  de  gaîté 
maligne  qu'il  ne  peut  réprimer,  malgré  son  indignation  patriotique, 
lorsqu'il  rapporte  d'extraordinaires  bévues'. 

A.  C. 


Malcolm  Mac  Coli.,  Le  Sultan  et  les  Grandes  Puissances.  Essai  historique 
trad.  de  l'anglais  par  Jean  Longuet,  préface  d'Urbain  Guhier.  Paris,  Alcan,  1899, 
xvi-247  pp. 

L'auteur,  secrétaire  du  Comité  de  Grosvenor  Hotise,  institué  pour 
secourir,  les  Arméniens  et  les  chrétiens  d'Orient,  a  rassemblé  en  un 
volume  des  articles  publiés  en  septembre-octobre  1896  dans  la  Daily 
Clironicle.  De  ces  écrits  un  peu  diffus  se  dégage  cette  idée  maîtresse 

I.  L'auteur  écrit  tantôt  Kridner,  tantôt  Kvidenev  ;  lire  KrUdener. 


320  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

que  l'Angleterre  ne  peut  agir  efficacement  en  Orient  qu'avec  le  con- 
cours de  la  Russie  et  subsidiairement  de  la  France.  L'auteur  combat 
la  conception  trop  classique  de  l'intégrité  de  l'empire  ottoman  ;  selon 
lui,  c'a  été  une  faute  d'admettre  la  Turquie  dans  le  concert  européen 
et  il  faut  se  hâter  de  réparer  le  mal.  Peut-être  l'auteur  va-t-il  trop  loin 
dans  sa  haine  de  l'Islam  qui  ne  saurait  se  manifester  que  sous  la 
forme  théocratique  et  par  conséquent  est  condamné  à  exclure  de 
l'égalité  politique  les  dissidents.  Est-ce  à  l'Islam  seul  que  l'on  pour- 
rait faire  ce  reproche?  Ce  qui  embrouille  un  peu  Texposé  de  l'émi- 
nent  publiciste  anglais,  c'est  qu'il  y  mêle  sans  cesse  la  politique  des 
partis  en  Angleterre  et  scrute  les  actes,  paroles  ou  pensées  des  Glad- 
stone, Salisbury,  Roseberry,  etc.  Quelques-unes  de  ses  assertions 
pourront  étonner,  notamment  sur  l'origine  de  la  guerre  de  Crimée 
qui  n'aurait  été  qu'un  complot  à  trois  entre  Napoléon  111,  Lord 
Stratford  de  Redclifife  et  Lord  Palmerston  ;  c'est  là  du  reportage  plu- 
tôt que  de  l'histoire. 

Le  volume  est  précédé  d'une  préface  d'Urbain  Gohier,  vibrant  et 
généreux  plaidoyer  en  faveur  des  opprimés. 

B.  A. 


L"ETC£TT,pl<;  (Annuairej  du  Parnassos  de  1900  contient,  entre  autres  articles, 
une  biographie  de  Paul  Janet  par  Diom.  Kyriakos  ;  4>LXo)wOYixi  par  Gr.  Bernarda- 
Kis,  rpa[jL[xaTo)voyixàxal  xpixixà  par  S.  G.  Sakellarqpoulos  ;  trois  dissertations  topo- 
graphiques, sur  Sermyle  par  Chrysochoos,  sur  la  Béotie  par  A.  Skias,  sur  Thèbes 
par  SoTiRiADis,  etc. 

—  Gitons  parmi  les  nouvelles  publications  grecques:  Ilspi  "Apyo'j  xoû  i^avôirTou  par 
Dem.  GouDis  (Dissertation  inaugurale.  Athènes,  Sakellarios  1899).  —  Apost.  Arva- 
NiTOPOULOs,  riïpl  Twv  eùOuvwv  twv  dp/ôvTwv  (secoude  partie  d'une  série  de  questions 
de  droit  attique.  Athènes,  Barth  1900); —  Numismatik  Makedoniens  par  M.  Ale- 
xander  Lambropoulos  (Berlin  1899);  —  une  petite  brochure  du  capitaine  du  génie 
DousMANis  sur  l'emplacement  de  la  bataille  de  Pharsale. 


Le  Propriétaire-Gérant  :   Ernest  LEROUX. 


Le  Puy.  —  Imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Garnot,  23. 


REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 

N"  44  —  29  octobre  —  1900 


Le  Livre  des  Mille  et  une  Nuits,  trad.  Mardrus,  V.—  Lidzbarski,  Ephemeris  sémi- 
tique. —  Monuments  Brunn-Bruckmann,  p.  P.  Arndt,  ioi.  —  Fonck,  La  flore 
biblique.  —  S.vlembier,  Le  grand  schisme  d'Occident.  —  Nicolaïdès,  La  ques- 
tion macédonienne.  —  Wultke,  La  superstition  allemande,  3°  éd.,  p.  E.  H. 
Meyer.  —  MiSMER,  Principes  sociologiques,  2'  éd.  —  Tenicheff,  Les  connais- 
sances et  la  psychologie.  — G.  de  Beaumont,  Paroles  d'un  vivant. 


Le  Livre  des  Mille  et  une  Nuits  :  traduction  littérale  et  complète  du  texte  arabe 
par  le  D'  G.  Mardrus.  Paris.  Edit.  de  la  Revue  Blanche,  t.  V,  1900. 

J'ai  dit  ici  {n°^  21  et  27)  quelle  connaissance  superficielle  et  vulgaire 
de  la  langue  arabe  M,  Mardrus  possède,  et  aussi  quel  goût  des  grossiè- 
retés; j'ai  montré  que  sa  traduction  n'est  ni  complète,  ni  exacte.  Je  ne 
recommencerai  point  à  en  donner  les  preuves. 

Le  cinquième  volume  de  M.  M.  fait  voir  que  l'auteur  a  réellement 
entre  les  mains  un  manuscrit  des  Mille  et  une  Nuits,  que  c'est  ce  ma- 
nuscrit qu'il  traduit  tant  bien  que  mal,  que  ce  manuscrit  est  l'œuvre 
d'un  ignorant,  que  la  version  qu'il  contient  est  inférieure  aux  versions 
classiques  et  sans  aucun  intérêt,  que  l'auteur  de  ce  manuscrit  a  un 
goût  très  développé  pour  les  basses  grossièretés,  que  ce  manuscrit, 
dont  M.  M.  vante  le  «  parfait  état  de  conservation  »,  est  vieux  de 
quelques  années  à  peine. 

Le  copiste  de  M.  M.  est  un  ignorant  :  cela  ressort  de  la  vulgarité 
de  sa  version  d'où  ont  disparu  tous  les  détails  caractéristiques  et  dé- 
licats, et  aussi  de  l'absence  des  trois  quarts  des  vers,  qui,  pour  un  ci- 
tadin illettré,  sont  en  effet  incompréhensibles.  —  Quant  à  sa  grossiè- 
reté, je  n'ai  pas  l'intention  de  remuer,  même  du  bout  de  la  plume, 
toute  la  fange  que  la  version  nouvelle  de  M .  M.  a  étalée  sur  les  ver- 
sions classiques  ;  à  publier  mes  notes  à  ce  sujet,  je  remplirais  trois  ou 
quatre  numéros  de  la  Revue,  et  cela  sentirait  vraiment  trop  mauvais. 
—  Pour  la  date  du  manuscrit  M . ,  je  prie  le  lecteur  de  la  chercher  à 
la  page  94,  où  il  est  question  de  brasseries  à  femmes  dans  le  pays  bleu 
où  s'égara  Qamar  ez  Zeman. 

Ces  co'urtes  remarques  suffisent  à  montrer  que  le  cinquième  volume 
de  M.  Mardrus  n'est  pas  indigne  des  précédents, 

Gaudekrov-Demombvnes. 

Nouvelle  série  L.  44 


322  REVUE    CRITIQUE 

Ephemeris  fUr  semitische  Epigraphik   von  Mark  Lidzbarski  (I  Band,  I  Heft, 

pp.  i-io8)J.  Rickcr,  Gicsscn,   1900,  in-8°  (avec  18  figg.)  Prix  :  5  marks. 

M.  Lidzbarski,  après  nous  avoir  donné  un  hon Manuel  dont  j'ai  dit 
beaucoup  de  bien  (cf.  Revue  critique,  189g,  no  39),  a  entrepris  la  publi- 
cation d'une  Ephemeris,  qui  paraîtra  à  époques  indéterminées,  et  sera 
consacrée  à  l'étude  des  nouvelles  découvertes  faites  dans  le  domaine 
de  l'Épigraphie  sémitique.  Le  premier  fascicule  que  nous  avons  entre 
les  mains  nous  montre  que  cette  publication  sera  quelque  chose 
d'assez  analogue  au  Recueil  d'archéologie  publié  chez  nous  par 
M.  Clermont-Ganneau.  L'auteur  qui  a  déjà  donné  dans  son  Manuel 
les  preuves  de  ses  aptitudes  spéciales,  est  fort  fort  bien  préparé  pour 
cette  tâche  et  nous  ne  doutons  point  que  sa  publication  n'obtienne  le 
meilleur  succès. 

Ce  premier  fascicule  contient  : 

Des  observations  sur  la  stèle  de  Mesa  et  sur  celle  de  Siloé  ;  l'analyse 
d'un  certain  nombre  d'articles  du  Recueil  d'archéologie  (t.  III)  de 
M.  Clermont-Ganneau  ;  des  études  développées  sur  les  inscriptions 
puniques  de  Carthage  et  de  Maktar,  récemment  publiées  par  M,  Ber- 
ger ;  un  index  des  noms  propres  puniques  nouveaux,  fournis  par  le 
fascicule  récemment  publiés  du  Corpus  I  S.  (Pars  I.  t.  II,  fasc.  II, 
nos  906-1901)  ;  le  texte  d'un  certain  nombre  d'inscriptions  de  Cons- 
tantine;  des  informations  sur  les  fouilles  de  Carthage,  tirées  des 
Comptes  rendus  de  l'Académie  des  Inscriptions  ;  une  longue  et  très 
intéressante  dissertation  sur  les  inscriptions  araméennes  de  Cappa- 
doce,  aujourd'hui  au  Musée  de  Constantinople;  un  certain  nombre 
d'inscriptions  palmyréniennes  publiées  tout  récemment  ;  et  enfin, 
comme  choses  inédites  :  onze  cachets  accompagnés  d'anciens  carac- 
tères sémitiques ,  aujourd'hui  conservés  au  Musée  Ashmolean  à 
Oxford,  et  cinq  textes  mandéens  d'incantations.  . 

On  n'attend  sans  doute  pas  de  moi  que  je  discute  ici  les  opinions 
émises  par  M.  L.  au  sujet  de  ces  divers  textes  épigraphiques.  Il  en  est 
sur  le  nombre  qui  ne  me  paraissent  pas  acceptables  :  et  comment 
pourrait-il  en  être  autrement  quand,  par  exemple,  le  même  passage 
est  expliqué  de  trois  manières  différentes  par  trois  différents  auteurs 
bien  qu'ils  soient  d'accord  sur  la  lecture  matérielle  des  caractères?  Il 
en  est  d'autres,  au  contraire,  où  il  me  semble  avoir  amélioré  les  inter- 
prétations de  ses  devanciers.  Partout,  il  fait  preuve  d'une  grande  sa- 
gacité et  de  beaucoup  d'érudition. 

Cette  nouvelle  publication  est  une  marque  de  l'extension  qu'ont 
prise  en  ces  dernières  années,  les  travaux  d'épigraphie  sémitique  '. 


I.  H  ne  nous  est  point  désagréable  de  constater  en  parcourant  le  premier  fasci- 
cule de  V Ephemeris  que  sur  45  ouvrages  ou  articles  que  M.  L.  a  pris  pour  base 
de  ses  dissertations  et  notes,  plus  des  deux  tiers  viennent  de  France.  Il  serait  à 


d'histoire  et  de  littérature  323 

Lorsque  Renan  organisa,  il  y  a  vingt-cinq  ans,  la  publication  du  Cor- 
pus Inscriptionwn  semiticarum  —  qui  sera,  soit  dit  en  passant,  la 
partie  la  plus  sérieuse  et  la  plus  durable  de  son  œuvre  —  on  était  loin 
de  prévoir  l'importance  que  les  nouvelles  découvertes  donneraient  à 
cette  étude  ;  ces  découvertes  vont  en  se  multipliant  et  nous  apportent 
chaque  jour  de  nouvelles  contributions  à  l'étude  de  l'antiquité  ;  le 
lexique  des  dialectes  phéniciens,  nabatéens,  palrnyrénien  (pour  ne 
parler  que  des  Sémites  du  nord)  s'accroît  peu  à  peu  et  déjà  on  entre- 
voit la  possibilité  de  tracer  les  grandes  lignes  d'une  grammaire  com- 
parée de  ces  langues.  Les  historiens,  les  archéologues  et  les  philolo-- 
gues  sont  également  intéressés  au  progrès  de  l'épigraphie  sémitique. 
La  publication  de  M,  L.  qui  promet  d'apporter  une  forte  contribu- 
tion au  développement  de  ces  études  mérite  donc  d'être  louée  et  en- 
couragée. Elle  répondait  à  un  véritable  besoin,  déjà  signalé  par  la 
Commission  du  Corpus  I.  S.  et  auquel  celle-ci  se  préoccupe  depuis 
assez  longtemps  de  remédier  par  une  publication  périodique  '.  La 
multiplication  des  instruments  de  travail  ne  pourra  que  profiter  aux 
travailleurs. 

J.-B.  Chabot. 


Denkmseler  griechischer  und  rœmischer  Sculptur,  herausgegeben  von  Heinr 
rich  Brumn  und  Friedrich  Bruçkmann.  Neue  Folge  unter  wissenschaftiicher  Lei- 
tung  von  Paul  Arndt.  Livraison  loi.  Planches  5oi-5o5.  — Munich,  Verlagsans- 
talt  F.  Bruçkmann,  1900. 

Les  Denkmœler  de  Brunn-Bruckmann,  pour  les  appeler  du  nom 
abrégé  auquel  on  est  habitué,  devaient,  d'après  le  plan  primitif  conçu 
par  Brunn  et  Julius,  être  limités  à  400  planches  environ.  Sous 
l'impulsion  de  M.  Paul  Arndt,  qui  avait  été  associé  à  la  publication 
après  la  mort  de  Julius,  et  qui,  dans  les  dernières  années  de  la  vie  de 


souhaiter  que  ces  études  fussent  partout  cultivées  avec  autant  d'ardeur  que  chez 
nous  :  contribuer  à  obtenir  ce  but  sera  un  des  plus  heureux  résultats,  espérons-le, 
de  VEphemeris. 

I .  Au  moment  où  je  corrige  les  épreuves  de  cet  article,  j'ai  entre  les  mains 
celles  du  premier  fascicule  du  Répertoire  d'Kpigraphie  sémitique  public  par  la 
commission  du  Corpus.  Conçu  sur  un  plan  un  peu  dillérent  de  VHpItemeris,  il  ne 
comporte  point  comme  celle-ci  de  longues  dissertations.  Il  est  destiné,  dit  la  Pré- 
face, à  mettre  rapidement  à  la  disposition  des  travailleurs  les  textes  nouveaux,  et 
il  recueillir  tout  ce  qui  peut  contribuer  soit  à  préparer  les  parties  inédites,  soit  à 
améliorer  les  parties  déjà  publiées  du  Corpus.  Comme  l'ouvrage  magistral  auquel 
il  est  destiné  à  servir  de  complément  provisoire,  le  Répertoire  aura  un  caractère 
impersonnel  ayant  pour  but  premier,  non  de  publier  les  travaux  de  quelques-uns, 
mais  de  faciliter,  de  provoquer,  de  réunir  et  de  résumer  toutes  les  études  qui . 
peuvent  contribuer  d'une  manière  quelconque  à  donner  aux  textes  édités  dans  le 
Corpus  le  caractère  de  perfection  qu'on  attend  d'un  tel  ouvrage. 


324  REVUE  CRITIQUE 

Brunn,  suppléait  celui-ci  presque  complètement,  le  nombre  des 
planches  fut  porté  à  475.  Enfin,  suivant  un  conseil  donné  par  M.  le 
professeur  Michaëlis,  on  est  allé  jusqu'à  5oo  planches,  réparties  en 
100  livraisons.  L'ouvrage  est  complet  depuis  quelques  mois.  Un 
ouvrage?  Non  pas  ;  ce  n'est  qu'un  recueil  et  une  collection  d'images, 
qui  sont  pourvues  chacune  d'un  titre  et  d'un  numéro,  mais  qu'aucun 
texte  n'accompagne.  Le  texte,  ce  devait  être,  dans  la  pensée  de  Brunn, 
cette  Histoire  de  l'art  grec  iGriechische  Kiinstgeschichte),  à  laquelle 
il  employa  les  derniers  restes  de  son  activité  et  qu'il  a  laissée  ina- 
chevée. Le  choix  opéré  par  Brunn  entre  les  monuments  de  la  sculp- 
ture antique  s'est  grandement  ressenti  d'un  tel  dessein  :  l'illustre 
archéologue  n'était  plus  jeune  et,  semble-t-il,  n'aimait  plus  beaucoup 
les  nouveautés;  il  avait  son  siège  fait  et  ne  se  montrait  peut-être  pas 
très  attiré  vers  des  révélations  imprévues  qui  étaient  susceptibles  de 
déranger  les  cadres  et  les  théories  de  son  Histoire.  Toujours  est-il 
que,  dans  ces  5oo  planches,  surtout  dans  les  400  premières,  avant 
que  se  fût  marquée  l'influence  de  M.  Arndt,  il  est  un  certain  nombre 
de  monuments  qui  ne  paraissent  pas  tout  à  fait  dignes  de  l'honneur 
qui  leur  est  échu,  et  dont  la  place  eût  été  mieux  occupée  par  d'autres, 
que  l'on  cherche  sans  les  trouver.  L'intérêt  scientifique  des  Denkmœ- 
ler,  dans  cette  première  série,  n'est  pas  continuellement  au  niveau  de 
leur  luxe  matériel. 

C'est  pourquoi  il  n'a  point  paru  inutile  d'en  publier,  sous  la  direc- 
tion de  M.  Arndt,  une  série  nouvelle  qui,  toute  pareille  à  la  précé- 
dente pour  le  format  et  la  beauté  des  planches,  sera  inspirée  d'un 
esprit  différent,  offrira  plus  d'inédit  et  s'accordera  mieux  aux  besoins 
actuels  de  la  science.  M.  A.  a  exposé  dès  1897  ^^^  programme,  dont 
voici  les  articles  essentiels  :  d'abord,  publier,  dès  qu'il  sera  possible, 
les  plus  notables  sculptures  dues  aux  fouilles  récentes;  secondement, 
rechercher  dans  l'ancien  fonds  des  musées  les  morceaux  qui  sont  des 
originaux  grecs,  l'étude  de  tels  morceaux  étant  indispensable  à  l'exacte 
appréciation  des  copies  romaines;  troisièmement,  pour  concourir  au 
même  but,  donner  une  place  importante  aux  sculptures  monumen- 
tales, frontons,  frises  et  métopes,  voire  aux  ouvrages  de  travail  plus 
courant,  comme  les  stèles  funéraires,  les  bas-reliefs  votifs,  les  en-têie 
de  décrets  '.  Il  suffit  de  ces  brèves  indications  pour  être  assuré  que  la 
nouvelle  série  des  Denkmœler  suivra  la  première  et  ne  lui  ressemblera 
pas.  Entre  l'une  et  l'autre,  il  me  paraît  qu'il  y  aura  la  même  diffé- 
rence, pour  dire  les  choses  en  gros,  qu'entre  les  vieux  musées  de 
l'Europe  et  les  jeunes  musées  de  la  Grèce  moderne  :  les  premiers  ren- 
ferment quantité  de  monuments  d'un  intérêt  capital  pour  l'histoire  de 


'  I.  Albert  Dumont  avait  déjà  insisté  autrefois  (cf.  Bull.  corr.  Iiell.,  Il,  1878:  sur 
la  valeur  de  cette  dernière  catégorie  de  reliefs,  justement  parce  que  ce  sont  des 
sculptures  grecques  authentiques  et  datées. 


d'histoire  et  de  littérature  325 

Fart  antique;  mais  les  seconds  donnent  une  impression  plus  directe  et 
plus  franche  de  l'art  grec.   La  série  nouvelle  différera  aussi  de  son 
aînée  en  ce  que  les  planches  seront  accompagnées  de  quelques  feuilles 
de  texte;  chaque  sculpture  publiée  sera  l'objet  d'une  notice  plus  ou 
moins  développée,  dont  le  rédacteur  habituel  sera  M.  Arndt  :  voilà 
une   innovation   qui   ne   peut  qu'être  fort  agréable  à   tout  le  public 
savant.   Il  y  a  enfin  un  changement  à  signaler  dans  les  conditions 
pécuniaires  proposées  aux  souscripteurs.  On  doit  donner  par  année 
5  fascicules  de    5  planches  chacun,   au   prix  de  20    marks  l'un  ;  et 
l'abonnement,  au  lieu  d'être  demandé,  comme  jadis,  pour  l'ouvrage 
entier,  est  demandé  seulement  pour  chaque  série  annuelle.  Ainsi  se 
trouvera  atténuée,  dans  ses  effets  les  plus  cuisants,  la  crainte  très  légi- 
time d'une  publication  à  durée  indéfinie;  mais,  bien  certainement,  les 
souscripteurs  n'useront  pas  de  la  liberté  qui  leur  est  laissée  de  ne  pas 
renouveler    leur    souscription,    du    moment   que   l'on    maintiendra 
l'ouvrage  au  niveau  où  il  doit  être  maintenu,  tant  pour  le  choix  et  la 
variété  des  monuments  publiés  que  pour  l'exécution  matérielle  des 
planches. 

Voici  le  contenu  du  premier  fascicule  de  la  nouvelle  série  =  livrai- 
son loi  de  l'ensemble  :  Planche  5oi,  notice  de  M.  H.  Bulle  et  de 
M.  Arndt.  Tête  d'Athéna  1?),  au  musée  du  Vatican,  Galleria  geogra- 
fica.  Cette  tête,  beaucoup  plus  grande  que  nature  (o  m.  43  de  hauteur) 
est  en  marbre,  avec  les  yeux  rapportés  en  pierre  fine  et  en  pâtes  de 
verre  diversement  colorées.  C'est  une  œuvre  grecque  originale  de  la 
période  entre  476  et  450  avant  J. -G.  ;  il  semble  qu'on  doive  l'attribuer 
à  l'école  aeginétique.  Avec  son  crâne  sans  cheveux  et  de  proportions 
notoirement  insuffisantes,  elle  produit  au  premier  regard  un  effet  très 
étrange  ;  sans  nul  doute,  elle  devait  être  coiffée  d'un  casque.  Mais  en 
quelle  matière  était  ce  casque,  avec  la  partie  des  cheveux  visible  sur  le 
front,  les  tempes  et  la  nuque?  Dans  la  minutieuse  étude  faite  par 
M.  Bulle  à  ce  sujet,  un  paragraphe  serait  à  supprimer,  je  crois  :  c'est 
celui  où  l'auteur  démontre  que  les  parties  rapportées  ne  pouvaient 
pas  être  en  marbre.  La  chose  est  trop  évidente.  On  pense  tout  de 
suite,  naturellement,  à  un  casque  en  bronze.  Mais  M.  Bulle  donne 
d'excellentes  raisons  pour  que  cette  hypothèse  aussi  soit  rejetée;  et  il 
nous  conduit  à  une  conclusion  très  séduisante,  qu'avait  déjà  indiquée 
M.  Furtvvœngler  :  c'est  à  savoir  que  la  tête  provient  d'une  de  ces 
statues  acrolithes,  ou  pseudo-chryséléphantines,  dans  lesquelles  les 
parties  nues  étaient  faites  en  marbre  au  lieu  d'ivoire,  et  les  autres  par- 
ties, au  lieu  d'or  massif,  en  bois  doré  (bois  revêtu  d'une  couche  de 
couleur  d'or  ou  plaqué  d'une  mince  feuille  d'or).  Toutes  les  particula- 
rités matérrelles  de  l'œuvre  s'expliquent  si  l'on  admet  que  les  cheveux 
et  le  casque  étaient  rapportés  en  bois,  et  elles  ne  s'expliquent  que  de 
cette  façon.  La  tête  du  Vatican  prend  ainsi  un  intérêt  inattendu,  car 
elle  est  probablement  unique  en  son  genre.  Jamais  nous  ne  connaî- 


320  REVUE   CRITIQUE 

irons  autrement  que  par  la  tradition  les  statues  en  or  et  ivoire,  dont 
les  Grecs  faisaient  tant  de  cas;  mais,  à  défaut  de  cette  sculpture  de 
grand  luxe,  c'est  encore  pour  nous  une  bonne  fortune  que  d'en 
posséder,  vaille  que  vaille,  une  imitation  à  prix  réduits. 

PL  5o2,  notices  de  M.  Arndt.  Deux  statues  d'Athéna,  à  Madrid, 
Musée  du  Prado,  et  à  Rome,  Musée  des  Thermes.  Deux  œuvres  atti- 
ques,  de  cette  première  moitié  du  v^  siècle,  pendant  laquelle  les  écoles 
doriennes  ont  eu  à  Athènes  une  forte  influence.  La  statue  de  Madrid 
est  plus  grande  que  nature  ;  il  lui  manque  la  tête,  au  sujet  de  laquelle 
M.  A.  présente,  avec  toutes  les  réserves  voulues,  une  curieuse  hypo- 
thèse :  c'est  que  cette  tête  pourrait  bien  être  conservée  au  British 
Muséum  (Spécimens  qfanc.  sculpt.^  I,  pi.  22).  Dans  son  type  et  son 
costume,  la  statue  semble  porter  la  marque  d'un  de  ces  artistes  «  vieux 
jeu  »,  comme  Hégias  par  exemple,  que  l'apparition  des  premiers 
chefs-d'œuvre  de  Phidias  eut  pour  résultat  de  faire  paraître  plus  arrié- 
rés et  plus  surannés  dans  leur  art  qu'ils  ne  l'étaient  réellement.  Le 
marbre  de  Madrid  n'est  d'ailleurs  qu'une  copie  du  marbre  ou  du 
bronze  original.  —  Au  contraire,  la  statue  du  Musée  des  Thermes,  de 
taille  plus  petite  que  nature,  est  une  œuvre  grecque  originale.  Elle 
est  d'un  style  sobre  et  fort,  qui  cause  une  vive  impression.  La  sévé- 
rité du  costume  fait  penser  aux  sculptures  d'Olympie,  particulière- 
ment à  l'Athéna  de  la  métope  d'Hercule  che^  Aiigias.  La  tête  manque, 
par  malheur  ;  M.  A.  admettrait  volontiers  qu'elle  était  du  même  type 
qu'une  tête  nouvellement  entrée  au  musée  de  Dresde,  et  inédite 
encore,  mais  que  M.  Treu  publiera  prochainement.  Or,  cette  tête  de 
Dresde  est  apparentée  de  très  près  à  V Apollon  à  l'omphalos,  qu'on 
attribue  d'habitude  à  Calamis.  La  statue  du  Musée  des  Thermes, 
complétée  par  une  tête  analogue  à  celle  de  Dresde,  pourrait  donc  être 
une  Athéna  de  Calamis.  Espérons-le,  sans  trop  y  compter! 

PL  5o3,  notices  de  M.  Arndt.  Deux  plaques  de  la  frise  occidentale 
du  Parthénon  (Michaëlis,  pi.  9,  V,  9-10  ;  et  pi.  9,  XII,  22-24).  Cette 
partie  de  la  frise  est  encore  en  place,  sous  la  colonnade  de  l'opistho- 
domos;  M.  A.,  profitant  des  échafaudages  récemment  construits 
en  vue  des  réparations  de  l'édifice,  a  fait  prendre  des  photographies 
de  toutes  les  plaques  sculptées  qui  subsistent  à  l'ouest,  et  il  les  publiera 
successivement  dans  les  Denkmœler. 

PI.  504,  notice  de  M.  Arndt.  Tête  de  jeune  homme,  trouvée  à  Ré- 
sina, conservée  au  musée  de  Berlin  {Catalogue^  n°  479).  Cette  copie 
en  marbre  d'un  bronze  grec  du  v«  siècle,  représentant  peut-être  Trip- 
tolème^  est  une  des  plus  belles  têtes  antiques  que  nous  possédions,  et 
elle  est  restée  jusqu'à  ce  jour  trop  peu  connue.  M.  A.  a  raison  de  con- 
tester la  justesse  du  rapprochement  qu'on  a  fait  entre  elle  et  le  Dory- 
phore. Il  pense,  avec  M.  Furtwœngler,  qu'on  doit  l'attribuer  à  un 
artiste  de  la  génération  qui  a  suivi  Polyclète  et  Phidias,  à  un  de  ces 
artistes  de  la  fin  du  v^  siècle  qui  tiennent  à  la  fois  de  leurs  deux  grands 


d'histoire  et  de  littérature  327 

prédécesseurs  et  qui  ont  su  tempérer  savamment  les  fortes  traditions 
péloponnésiennes  avec  les  grâces  plus  souples  et  plus  harmonieuses 
du  stvle  attique.  C'est  à  une  conclusion  pareille  qu'avait  déjà  abouti 
M,  Gardner,  pour  la  tête  d'athlète  de  la  collection  Nelson,  à  Liver- 
pool(cf.  Joiirn.  hell.  stud.,  XVIII,  1898,  pi.  XI  ;  Rev.  et.  gr.,  XII, 
1899,  p.  196-197).  Si  M.  A.  me  paraît  avoir  raison  sur  ce  point,  je 
comprends  moins  bien,  en  revanche,  qu'il  ait  rejeté  si  vivement  l'idée 
d'une  ressemblance  entre  la  tête  de  Berlin  et  le  beau  bronze  du  musée 
de  Naples,  publié  dans  les  Denkmœler^  pi.  323.  Que  ces  deux  têtes  ne 
soient  pas  du  même  tvpe,  qu'elles  ne  présentent  pas  exactement  les 
mêmes  nuances  de  style,  je  Taccorde  ;  mais  il  m'es.t  difficile  de  regar- 
der l'une  sans  évoquer  le  souvenir  de  l'autre. 

PI.  5o3,  notice  de  M.  Arndt.  Statue  d'Hermaphrodite  endormi,  à 
Rome,  Musée  des  Thermes.  Réplique  excellente,  excellemment  con- 
servée, et  à  peu  près  intacte,  d'un  marbre  célèbre  dont  on  possédait 
déjà  cinq  autres  répliques  de  même  grandeur  :  une  à  la  villa  Borghèse, 
une  aux  Uffizi,  une  à  Saint-Pétersbourg  et  deux  au  Louvre.  L'origi- 
nal doit  en  dater  des  environs  de  l'an  200  avant  J.-C.  Je  ne  puis  que 
renvoyer  à  l'analyse  finement  fouillée  et  toute.. .  frémissante  (si  j'ose 
dire)  que  M.  A.  a  donnée  de  cette  œuvre  si  païenne  d'esprit,  si  vrai- 
ment grecque,  et  si  belle  encore  dans  son  étrangeté  choquante.  Il  y  a, 
dans  les  deux  pages  de  M.  Arndt,  d'heureuses  expressions,  comme 
n  das  Sich-Hin-iind-Her-Wàl\en  »,  qu'une  traînante  traduction  fran- 
çaise affadirait  et  qui  n'ont  d'égale  à  leur  savoureuse  justesse  que  leur 
inimitable  concision. 

On  peut  juger  à  présent  si  le  premier  fascicule  de  la  nouvelle  série 
des  Denkmœler  est  bien  rempli.  Ses  cinq  planches  nous  offrent  —  en 
des  reproductions  très  bonnes  et  dans  un  format  de  luxe  qui  ne  m'ins- 
pire pas,  je  l'avoue,  les  mêmes  sévérités  qu'à  M.  Salomon  Reinach  — 
sept  morceaux  de  choix,  sept  monuments  de  premier  ordre,  qui 
s'échelonnent  du  deuxième  quart  du  v«  siècle  jusqu'en  pleine  période 
hellénistique.  La  publication  se  recommande  d'elle-même;  elle  n'a 
qu'à  poursuivre  sa  carrière,  je  ne  dis  pas  paisiblement,  mais  active- 
ment. Comme  ce  n'est  pas  les  monuments  antiques  qui  manquent  aux 
photographes,  et  comme  la  bonne  volonté  et  l'énergie  ne  manquent 
pas  non  plus  à  M.  Arndt,  il  faut  souhaiter  seulement  que  l'éditeur 
veuille  bien  donner  chaque  année  régulièrement  à  ses  abonnés  les 
cinq  fascicules  promis. 

Henri  Lechat. 


Léopold  FoNCK,  Streifzuge  durch  die  biblische  Flora.  Freiburg  im  Breisgau, 
1900,  in  8",  XIII,  167  p.  (Biblische  Studien,  hergg.  von  O.  Bardenhewer.V.Band, 
I.  Heft). 

Il  était  difficile  de  mieux  comprendre  la  tâche  qu'il  a  entreprise  que 


328  REVUE   CRITIQUE 

ne  Ta  fait  M.  L.  Fonck  ;  avec  grand'raison  il  a  vu  que  pour  donner 
une  idée  exacte  de  la  Flore  biblique  il  fallait  commencer  par  étudier 
dans  son  ensemble  la  végétation  de  la  Palestine  actuelle,  puis  cher- 
cher, parmi  les  plantes  qu'on  rencontre  dans  cette  région,  celles  qui  y 
sont  véritablement  indigènes  ',  et  ont  pu  et  dû  par  conséquent  être 
connues  des  anciens  habitants.  Mais  cela  n'a  pas  suffi  à  M.  L.  Fonck; 
comme  la  flore  varie  d'une  contrée  à  l'autre,  il  a  divisé  la  Judée  en 
cinq  régions  :  le  littoral,  la  montagne,  la  steppe,  les  champs  et  la 
plaine,  enfin  les  bords  de  la  mer  Morte,  La  division  est  ingénieuse; 
mais  elle  est  parfois  bien  artificielle;  M.  L.  F.  met,  par  exemple, 
dans  la  région  du  littoral  les  «  Plantes  d'eau  »,  qui  appartiennent  tout 
aussi  bien  pour  la  plupart  aux  marais  ou  au  bord  des  rivières  de  l'in- 
térieur ;  on  est  surpris  aussi  de  voir  les  chardons  et  les  orties  placés 
parmi  les  plantes  de  la  steppe,  comme  s'ils  ne  croissaient  pas  dans 
tous  les  terrains;  le  câprier,  cet  arbuste  méditerranéen,  n'a  pas  le 
droit  de  figurer  dans  la  région  de  la  mer  Morte  plus  que  dans  une 
autre  ;  le  mûrier  n'est  pas  plus  un  arbre  de  la  région  montagneuse  que 
le  pommier,  et  l'on  se  demande  pourquoi  le  ricin  ^  est  relégué  sur  le 
littoral  avec  le  tamaris,  etc. 

On  voit  que  loin  de  conduire  à  la  simplification  et  à  la  clarté,  les 
divisions  de  M.  L.  F.  n'ont  souvent  abouti  qu'à  la  confusion.  Mais 
cette  confusion,  je  m'empresse  de  l'ajouter,  n'a  point  nui  à  l'exactitude 
des  détails.  Si  le  tableau  d'ensemble  laisse  à  désirer,  les  monographies 
consacrées  aux  plantes  les  plus  célèbres  de  la  Bible  sont  souvent 
excellentes  et  même  définitives.  M.  L.  F.  est  au  courant  des  publica- 
tions les  plus  variées  et  les  plus  récentes  sur  la  matière  ;  il  les  a  con- 
sultées avec  soin  et  avec  fruit,  et  comme  il  a  visité  la  Terre-Sainte,  il 
parle  des  choses  en  connaissance  de  cause  et  non  sans  compétence. 

Il  est  impossible  de  passer  en  revue  toutes  les  plantes  qu'il  a  étudiées 
en  détail  et  dont  quelques-unes  prêtent  à  la  discussion  :  le  dattier  \ 
par  exemple,  le  ricin,  le  roseau,  le  papyrus,  dans  la  région  du  littoral, 
l'olivier,  le  lis,  le  pin,  dans  la  région  montagneuse;  le  buisson  ardent, 
l'hyssope  dans  la  steppe  ;  le  figuier,  la  vigne,  le  grenadier,  le  pommier, 
les  céréales,  l'ivraie,  les  cucurbitacées,  la  mandragore,  dans  les  champs 
et  les  plaines;  les  pommes  de  Sodome,  le  concombre  du  prophète, 
la  coloquinte,  le  bois  de  sétim,  le  câprier,  le  baume  de  Galaad  et  le 
baumier,  la  rose  de  Jéricho,  dans  la  région  de  la  mer  Morte.  11  n'est 
pas  nécessaire  d'être  botaniste  pour  comprendre  l'intérêt  des  études 

1.  Il  est  évident  que  c'est  de  celles-ci  seulement  qu'il  fallait  parler;  pourquoi 
consacrer  alors  un  article,  par  exemple,  au  tiguicr  d'Inde,  originaire  d'Amérique! 

2.  Il  aurait  fallu  commencer  par  examiner  à  quelle  époque  remonte  en  Pales- 
tine la  culture  du  ricin,  laquelle  n'est  pas  sans  doute  aussi  ancienne  que  semble 
l'admettre  M.  L.  F. 

3.  Le  dattier  est-il  indigène  dans  la  Palestine?  A  quelle  époque  en  remonte  la 
culture?  Voilà  des  questions  qu'il  aurait  fallu  d'abord  examiner. 


d'histoire  et  de  littérature  329 

Consacrées  à  ces  diverses  plantes,  qui  toutes  ont  un  intérêt  historique, 
économique  ou  littéraire.  A  propos  du  ricin,  M,  L.  Fonck  examine 
longuement  les  droits  que  cet  arbuste  a  d'être  préféré  à  la  citrouille 
dans  la  légende  de  Jonas  et  il  se  décide  en  sa  faveur,  mais  par  des 
raisons  qui  se  semblent  peu  probantes,  qui  no  sont  pas  du  moins 
fondées  sur  la  nature  du  ricin  '. 

Un  des  paragraphes  les  plus  étendus  est  celui  qui  est  consacré  au 
lis.  Dans  plusieurs  passages  de  la  Bible,  où  Ton  a  cru  voir  le  lis  blanc, 
par  exemple  dans  Isaïe,  il  est  incontestable  qu'il  s'agit  d'une  autre- 
plante;  M.  L.  F.  le  reconnaît,  mais  il  croit  que  c'est  de  cette  bulbifère 
qu'il  est  question  dans  les  autres,  en  particulier  dans  le  Cantique  des 
Cantiques  et  dans  la  description  des  colonnes  du  temple  et  de  la  mer 
d'airain.  Ici  il  s'agit  évidemment  du  lotus,  motif  de  décoration  em- 
prunté par  les  peuples  de  l'Asie  antérieure  à  l'architecture  pharao- 
nique. Quant  aux  lis  du  Cantique  des  Cantiques,  il  en  est  presque  tou- 
jours fait  mention  d'une  manière  si  métaphorique  qu'il  est  bien  diffi- 
cile de  dire  quelle  plante  le  poète  sacré  a  en  vue.  Il  n'est  guère  plus 
probable,  d'ailleurs,  que  le  lis  blanc  ait  été  cultivé  dans  le  jardin  idéal 
de  Salomon,  que  le  nard,  le  cinnamome  et  autres  végétaux  exotiques. 
Le  lis  que  les  écrivains  sacrés  font  croître  indifféremment  partout, 
dans  les  vallées  et  sur  les  collines,  dans  les  pâturages  et  près  de  la 
source  des  eaux,  paraît  être  bien  plutôt  une  fleur  symbolique  qu'une 
plante  fixe  et  déterminée.  M.  L.  F.  lui,  y  voit  partout  le  lis  blanc  et, 
chose  plus  singulière,  il  nous  apprend  que  cette  liliacée,  dont  l'origine 
était  jusqu'ici  incertaine,  serait  non  seulement  indigène  en  Palestine, 
mais  qu'elle  y  aurait  été  trouvée  sur  les  points  les  plus  différents  : 
comment  se  fait-il  alors  qu'elle  y  soit  restée  si  longtemps  inobservée 
et  qu'elle  ait  été  ignorée  des  écrivains  classiques  antérieurs  à  notre 
ère? 

Il  y  avait  peu  de  choses  nouvelles  à  dire  sur  les  céréales  cultivées  par 
les  anciens  Hébreux.  Sur  le  figuier,  la  vigne  et  le  grenadier,  M.  L.  F, 
a  bien  résumé  ce  qu'on  en  savait;  il  me  paraît  aussi  avoir  identifié 
comme  il  convenait,  le  bois  de  sétim,  les  pommes  de  Sodome,  l'ivraie  et 
l'hyssope,  dernière  plante  dans  laquelle  il  voit  avec  raison,  je  crois, 
YOrigafîum  Maj'u  L.,età  laquelle  il  a  consacré  quelques  pages  pleines 
d'érudition.  J'ajouterai  que  M.  L.  F.  ne  se  borne  pas  à  discuter  les 
faits;  nourri  de  la  lecture  de  la  Bible,  il  nous  montre  à  chaque  page 
quelle  place  considérable  les  plantes  occupent  dans  le  livre  sacré, 
quelles  images  gracieuses  et  sublimes  leur  ont  empruntées  les  écrivains 
de  l'Ancjen  Testament.  On  désirerait  seulement  que  ces  souvenirs 
littéraires  ne  fussent  pas  dispersés  comme  ils  le  sont  d'ordinaire,  mais 
qu'ils  eussent  été  groupés  de  manière  à  nous  donner  un  tableau  vivant 


I.  M.  L.  F.  dit  entre  autres  choses  que  le  ricin  se  dessèche  aussi  vite  qu'il  pousse; 
mais  dans  les  pays  chauds  il  est  vivacc  et  arborescent. 


33o  REVUE    CRITIQUE 

et  animé  de  tout  ce  que  la  poésie  hébraïque  doit  au  monde  végétal  '. 
Mais  je  ne  voudrais  pas  finir  par  cette  critique  ;  j'aime  mieux  en  ter- 
minant louer  M.  L.  Fonck  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  science  et  de 
recherches  bien  conduites  dans  son  travail  et  le  remercier,  au  nom 
des  amis  de  la  botanique,  de  la  poésie  et  du  folklore,  de  l'avoir 
mené  à  si  bonne  fin. 

Ch.J. 


Le  grand  schisme  d'Occident,  par  L.  Salembier.  Paris,  Lecoffre,  1900,  un  vol. 
in-i2  dexii-430  pages. 

Le  livre  que  M.  Salembier  vient  de  publier  dans  la  Bibliothèque 
d'Histoire  ecclésiastique  de  Lecoffre,  renferme  le  récit  de  quarante 
années  particulièrement  agitées  de  l'histoire  de  l'Eglise  (1378-1418). 
Il'comprend  dix-neuf  chapitres.  Le  premier  sert  de  préambule  à  l'ou- 
vrage :  il  expose  l'état  du  monde  chrétien  à  la  fin  du  xiv«  siècle  et  pré- 
pare l'esprit  à  l'intelligence  des  événements  qui  vont  se  dérouler;  le 
dernier  en  forme  la  conclusion  ;  l'auteur  y  montre  les  conséquences 
du  schisme  pour  le  progrès  doctrinal,  pour  la  question  de  la  Réforme 
et  pour  l'autorité  politique  et  religieuse  des  papes.  Les  dix-sept  autres 
chapitres  renferment  l'histoire  même  du  schisme  depuis  le  moment  où 
il  s'ouvre  par  la  double  élection  d'Urbain  VI  à  Rome  et  de  Clément  VII 
à  Fondi,  jusqu'au  moment  où  il  se  ferme  au  concile  de  Constance 
par  la  renonciation  volontaire  ou  la  déposition  des  trois  papes  rivaux 
et  l'élection  de  Martin  V,  qui  ramène  tout  à  l'unité. 

Écrire  l'histoire  de  cette  période  troublée  n'était  pas  une  entreprise 
commode.  Les  documents,  suivant  qu'ils  sont  de  source  romaine  ou 
avignonnaise,  racontent  parfois  les  mêmes  événements  de  façon 
diverse;  les  questions  de  fait  se  mêlent  perpétuellement  de  questions 
de  doctrine;  enfin,  le  récit  de  ces  luttes  autour  de  la  tiare  demandait  à 
la  fois  de  la  franchise  et  de  la  délicatesse.  Pour  le  présenter  avec  fidé- 
lité, avec  clarté,  avec  intérêt,  il  fallait  être  historien,  cela  va  sans  dire, 
mais  aussi,  quoique  à  un  degré  moindre,  théologien.  M.  S.  a  su  réunir 
les  deux  qualités  dans  la  juste  mesure,  et  ce  n'est  pas  sa  faute,  mais 
plutôt  celle  du  sujet,  si  un  ou  deux  chapitres  sur  la  division  des  âmes 
(ch.  IV)  et  l'anarchie  des  doctrines  (ch.  vi)  suspendent  un  moment  le 
plaisir  que  l'on  éprouve  à  suivre  le  fil  de  l'histoire. 

Sur  la  question  de  savoir  quel  était  au  début  du  schisme  le  légitime 
successeur  de  saint  Pierre,  M.  Salembier  se  prononce,  comme  la  plu- 
part des  auteurs  qui  ont  écrit  en  ces  derniers  temps  sur  la  matière,  en 


I.  On  peut  se  demander  aussi  pourquoi  M.  L.  F.  n'a  pas  essaye  de  montrer 
dans  un  tableau  d'ensemble  quel  a  été  l'état  de  la  culture  chez  les  anciens  Hébreux, 
ce  peuple  si  éminement  fait  pour  la  vie  des  champs. 


d'histoire  et  de  littérature  33 I 

faveur  d'Urbain  VI,  le  pape  de  Rome.  Il  est  difficile  de  ne  point  être 
de  son  avis  quand  on  a  lu  (ch.  n)  le  récit  si  bien  documenté  de  l'élec- 
tion du  8  avril  1378  qui  fit  de  Barthélémy  Prignano  le  successeur  de 
Grégoire  VI. 

Ce  chapitre  ouvre  dignement  la  partie  proprement  historique  de 
l'ouvrage  dont  il  présente  à  un  haut  degré  les  qualités  ordinaires  : 
netteté  et  vivacité  de  l'exposition,  fidélité  absolue  à  la  vérité  historique, 
information  exacte  et  puisée  aux  sources.  Sur  ce  dernier  point,  l'au- 
teur n'a  rien  négligé.  11  n'a  pas  seulement  utilisé  les  travaux  anciens 
et  nouveaux  déjà  publiés  :  en  plusieurs  endroits  (v.  pp.  48,  n.  4;  i5o, 
n.  4;  289,  etc.)  il  a  mis  à  profit  des  manuscrits  inédits. 

La  vérité  historique  n'est  pas  seulement  recherchée  avec  prudence 
et  sagacité;  elle  est  encore  présentée,  même  lorsqu'elle  est  peu  édi' 
fiante,  avec  une  franchise  digne  d'éloges.  «  Il  faut,  dit  l'auteur  en  par- 
lant des  scandales  de  l'élection  de  Jean  XXIII,  il  faut  plaindre  en  les 
condamnant  ceux  qui  en  sont  les  coupables  aujeurs  ;  il  faut  aussi  avoir 
quelque  pitié  fraternelle  pour  ceux  qui  ont  accepté  d'être  les  historiens 
de  ces  époques  troublées  et  qui  pour  rester  fidèles  à  la  vérité  histo- 
rique, sont  forcés  de  raconter  sans  édifier.  »  Ne  plaignons  pas  trop 
cependant  l'historien  du  grand  schisme;  la  nécessité  où  il  se  trouve 
parfois  «  de  raconter  sans  édifier  »  ne  va  pas  sans  quelques  avantages, 
et  l'histoire  de  ce  temps,  s'il  avait  pu  la  raconter  sans  montrer  en 
action  le  Jeu  des  passions  humaines  autour  de  la  tiare,  n'offrirait  sans 
doute  pas  au  même  degré  l'intérêt  dramatique  qu'elle  présente. 

Cet  intérêt  est  relevé  ici  par  les  qualités  de  l'exposition  constamment 
aisée  et  claire;  quelques  phrases  seulement  dans  ce  volume  de 
400  pages  nous  ont  paru  porter  des  traces  de  rédaction  trop  rapide  : 
ce  sont  là  des  taches  imperceptibles  qui  n'ôtent  rien  de  son  prix  à  un 
livre  de  haute  valeur  historique. 

L.  Bavard. 


D''  Cléanthès  Nicolaïdès,  La  Macédoine.  La  question  Macédonienne  dans 
l'antiquité,  au  moyen  âge  et  dans  la  politique  actuelle  (Berlin,  Racde. 
Librairie  Stahr,  1899,  viu-267  pp.,  une  carte  en  couleurs). 

M.  Nicolaïdès  est  sincèrement  persuadé  qu'il  a  écrit  sur  la  Macé- 
doine une  étude  historique  impartiale,  c'est  l'illusion  commune  à  tous 
les  polémistes,  de  quelque  nationalité  qu'ils  soient,  qui  traitent  le  sujet. 
M.  Nicolaïdès  défend  l'hellénisme  ou  selon  sa  propre  expression 
«  l'honnelir  de  l'hellénisme  »,  c'est-à-dire  cette  thèse,  que  la  Macédoine 
de  par  ses  origines  et  sa  culture  est  un  pays  grec.  C'est  du  droit  his- 
torique que  l'auteur  se  réclame;  il  s'agirait  de  s'entendre  une  bonne 
fois  sur  la  signification  de  ce  droit;  en  quelle  mesure  prévaut-il  contre 
le  droit  naturel  qu'invoquent  les  Bulgares,  les  Serbes,  voire  même  les 


332  REVUE  CRITIQUE 

Koutzovalaques?  En  quelle  mesure  la  possession  d'État  peut-elle 
créer  une  légitimité  ?  A  cette  question  ne  répondent  ni  un  aperçu 
général  de  l'histoire  macédoniene  —  simple  liste  chronologique  — 
ni  -des  tableaux  statistiques  qui  n'emportent  pas  la  conviction  sur  le 
caractère  foncièrement  hellénique  de  la  province.  Ce  que  l'on  lira 
avec  plus  d'intérêt,  sinon  avec  plus  de  sécurité,  c'est  le  chapitre  con- 
sacré à  l'administration  turque  et  à  la  situation  économique  et  celui, 
sur  l'exarchat  bulgare,  nœud  du  problème,  la  lutte  des  églises  auto- 
céphales  contre  le  patriarcat.  La  carte  jointe  au  volume  est  tendan- 
cieuse comme  le  volume  lui-même;  elle  émane  de  H.  Kiepert,  mais 
a  été  dressée  sur  l'ordre  du  généreux  M.  Zaphiropoulo.  Signalons 
enfin  deux  appendices,  l'un  sur  Alexandre  le  Grand  dans  les  légendes 
populaires  d'après  le  professeur  Politis  d'Athènes,  et  un  autre  sur 
la  numismatique  de  la  Macédoine  par  M.  Lambropoulos, 

B.A. 


Der  deutsche  Volksaberglaube  der  Gegen-wart,  von  Dr.  Adolf  Wuttke,  Prof, 
lier  Theol.  in  Halle.  Dritte  Bearbeitung,  von  Elard  Hugo  Mever.  —  Berlin, 
Wiegandt  et  Grieben,  igoo.  In-S",  xvj-536  pp. 

Tous  les  folkloristes  connaissent  de  longue  date  cette  vaste  ency- 
clopédie de  la  superstition  allemande,  à  laquelle  M.  E.-H.  Meyer  a 
eu  bien  peu  de  chose  à  changer  pour  la  remettre  au  point.  Le  style 
en  est  serré,  les  redites  peu  nombreuses,  l'impression  compacte,  et 
l'étendue  pourtant  considérable.  Elle  le  serait  bien  davantage,  si 
Wuttke  n'avait  circonscrit  son  sujet  avec  plus  de  sévérité  que  son 
champ  d'observation  :  pour  la  matière,  il  s'en  tient  rigoureusement  à 
la  superstition  populaire,  excluant  avec  raison  les  formes  plus  ou 
moins  factices,  savantes  ou  lettrées,  de  la  crédulité  universelle,  spiri- 
tisme, tables  tournantes  ou  crayons  évocateurs  ;  pour  le  temps,  il  se 
borne  au  siècle  qui  va  finir  et  ne  se  permet  que  de  rares  digressions 
dans  le  domaine  de  l'histoire  des  préjugés  ;  mais,  dans  l'espace,  il 
embrasse,  non  seulement  tous  les  pays  de  langue  allemande,  Suisse 
et  Autriche,  mais  encore  toutes  les  populations  qui  relèvent  de  l'em- 
pire d'Allemagne,  danoises,  slaves,  lituaniennes,  voire  les  Tchèques, 
qu'il  était  difficile,  en  effet,  d'isoler  de  la  Bohème  allemande.  L'Al- 
sace seule  est  à  peu  près  exclue,  sinon  en  principe,  du  moins  en  fait, 
sans  doute  parce  que  les  auteurs  n'ont  pu  se  procurer  sur  elle  assez 
de  documents  :  l'excellent  Dictionnaire  de  MM.  Martin  et  Lienhart 
en  contient  un  bon  nombre,  mais  épars,  et  il  est  encore  tout  récent  '. 


I.  Voir  Revue  critique,  XLV,  p.  82,  XLVI,  p.  112  et  407,  et  XLVIII,  p.  204.  Je 
signale  rapidement  quelques-uns  de  ces  compléments,  soit  d'après  mes  propres 
souvenirs,  soit  en  renvoyant  à  l'ouvrage  par  les  initiales  ML.  —  Au  sujet  de  la 
lune  (n"  1 1)  :  il  y  a  un  homme  condamné  à  l'habiter,  trmàn  ém  mân  (ML.  p.  690  a), 


d'histoire  et  de  littérare  333 

Soit  dans  la  croyance  aux  esprits  et  les  pratiques  de  sorcellerie,  soir 
dans  les  usages  domestiques  et  ruraux,  —  ce  double  objet  constitue  la 
division  essentielle  de  l'ouvrage,  ^-  ce  qui  frappe  au  premier  abord, 
c'est  le  consentement  universel  sur  lequel  repose  la  superstition  popu- 
laire. Ce  n'est  rien  de  dire  que  Latins,  Germains  et  Slaves  s'accor- 
dent à  merveille  sur  ses  données  fondamentales,  puisqu'un  brahmane 
du  temps  des  Védas  n'y  trouverait  rien  à  reprendre.  Les  rapproche- 
ments entre  l'Inde  préhistorique  et  l'Allemagne  contemporaine  se 
présentent  en  telle  abondance,  que  les  auteurs,  malgré  leur  sobriété, 
n'ont  pas  cru  pouvoir  se  dispenser  d'en  signaler  quelques-uns,  et  je 
ne  résiste  pas  à  la  tentation  de  les  multiplier  :  lorsqu'on  fait  sortir  les 
bestiaux  de  l'étable  (n°s  83,  142,  684  et  693),  c'est  à  une  époque  bien 
déterminée,  et  avec  un  fouet  dont  le  manche  est  d'un  certain  bois, 
habituellement  une  branche  de  noisetier  coupée  le  dimanche  des 
Rameaux,  remplaçant  le  palàça  consacré  des  rites  brahmaniques;  le 
tour  du  foyer  qu'on  fait  faire  à  la  nouvelle  épousée  (n°  107)  semble 
empruntée  la  même  liturgie  ;  l'oracle  du  coucou  (n"»  161  et  280)  se 
nomme  dans  l'Inde  le  cabalihôma,  et  c'est  ici  avec  une  pièce  d'or  ou 
d'argent  (n°s  1 19  et  139),  là-bas  avec  une  pioche  d'or,  que  l'on  cueille 
la  plante  aux  vertus  merveilleuses.  Les  formules  sont  les  mêmes,  et, 
sauf  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie  qui  y  figurent,  on  croirait,  à  cer- 
taines pages  du  livre  (n°s  227  sqq.)  lire  une  traduction  de  l'Atharva- 
Véda.  Mais  bien  plus  ;  certaines  prescriptions  rituelles,  obscures  et 
bizarres,  que  les  auteurs  des  Sûtras  nous  transmettent  sans  qu'aucun 
commentateur  ait  daigné  les  éclaircir,  peuvent  trouver  une  explica- 
tion dans  les  croyances  signalées  par  Wuttke.  On   s'est   épuisé  en 

qui  a  fourni  à  Hebel  le  sujet  d'une  de  ses  plus  jolies  poésies  ;  cette  résidence  for- 
cée lui  a  été  infligée  pour  avoir  travaillé  un  dimanche.  —  La  bcte  mystérieuse 
dont  on  fait  peur  aux  petits  enfants  indociles  (n"  19)  s'appelle  en  Haute-Alsace 
tr  wùy-woy.  —  S'il  pleut  tandis  que  le  soleil  luit  (n»  21),  on  dit  en  Alsace  que  <■  le 
diable  bat  sa  femme  ».  —  La  croyance  à  une  race  de  géants  maintenant  éteinte  a 
pris  corps  (n"  44)  dans  la  légende  de  la  damoisellc  du  Nidcck  rapportant  dans  son 
tablier,  en  guise  de  jouet,  une  charrue  attelée  de  deux  bœufs  avec  le  maître  et  le 
valet  qui  la  conduisent.  —  En  Alsace,  ce  ne  sont  pas  les  cjpfants  nés  dans  la  nuit  du 
nouvel  an(n<'  73),  mais  ceux  des  Quatre-Temps  [Fronfastenkinder)  qui  ont  le  privi- 
lège de  voir  les  esprits  ;  plus  particulièrement  ils  voient  dans  la  nuit  de  Noi-l,  ceux 
qui  doivent  mourir  dans  l'année  (ML.  p.  448  b).  =  La  bûche  de  Noël  ne  s'appelle 
pas  Holt^klot^  tout  court  (n"  78),  mais  bien  Winàchtsklot^,  et  à  la  Pentecôte  (n"  90) 
on  promène  un  autre  Klot:{,  qui,  lui,  est  un  personnage  vivant  :  ML.  p.  5oo  b.  — 
Quand  la  poule  chante  le  coq  (n<"  156,276  et  422),  c'est  partout  un  déplorable  pré- 
sage. Mais  lAlsacea  érigé  en  proverbe  la  conduite  à  tenir  en  pareille  occurrence, 
ainsi  qu'envers  une  fille  qui  siffle  :  "Wcnn  t-Maitle  pfife  un  t-HUclinci-  krdje,  se 
soll  mr  ne  tr  Hais  critm  trdje,  ML.  p.  345  b.  —  H  ne  faut  pas  embrasser  les  chats 
(n»  173),  car  leur  museau  est  du  poison,  et,  si  l'on  en  avale  des  poils,  on  devient  • 
phtisique.  —  On  retrouve  les  objets  perdus  (n "  645),  en  récitant  à  saint  .\ntoine  de 
Padoue  une  formulctte  que  j'ai  déjà  citée  ailleurs,  etc.,  etc.  —  En  revanche,  je 
n'ai  rien  trouvé,  dans  tout  le  livre,  qui  ressemblât  a  l'usage  alsacien  de  «  tenir  le  i 
pouce  »,  que  j'ai  décrit  ici  mtime,  XLV,  p.  85, 


334  REVUE   CRITIQUE 

conjectures  sur  la  cérémonie  que  voici  :  au  début  de  Vagnicayana, 
Tadhvaryu  fait  un  trou  transversal  dans  un  monceau  de  terre  de  four- 
milière et  s'en  sert,  comme  d'une  lorgnette,  pour  regarder  l'argile 
dont  on  va  fabriquer  les  briques  de  l'autel  du  feu  ;  à  quoi  peut  bien 
rimer  cette  parade  ?  Or,  nous  apprenons  qu'en  Allemagne  (n»  1 1 7)  un 
homme  qui  se  coiffe  d'une  taupinière  acquiert  le  don  de  reconnaître 
les  sorcières,  La  raison  doit  être  la  même  dans  l'Inde  :  il  s'agit  de 
démasquer  les  maléfices  qui  nuiraient  à  l'œuvre  sainte. 

Quant  à  la  raison  plus  profonde  qui  a  fait  attribuer  de  telles  vertus 
à  la  terre  soulevée  par  un  animal,  elle  se  perd  dans  la  nuit  du  passé. 
Il  ne  faut  point  trop  rechercher  l'origine  des  superstitions,  c'est  sou- 
vent œuvre  vaine  ;  mais,  pour  l'honneur  de  l'esprit  humain,  tout  au 
moins,  on  peut  provisoirement  admettre  qu'elles  reposent  sur  quelque 
donnée  expérimentale.  Wuttke,  sur  ce  point,  est  fort  explicite  :  de 
même  que  les  formules  magiques  les  plus  inintelligibles  ont  dû  jadis 
avoir  un  sens  ',  il  y  a  un  grain  de  bon  sens  au  fond  de  toute  croyance 
(n°256).  J'en  suis  presque  aussi  convaincu  que  lui;  mais,  aussi  éloi- 
gné que  possible  de  nier  ce  que  je  ne  saurais  comprendre,  j'avoue 
pourtant  que  son  histoire  de  calomel  dangereux  parce  que  administré 
pendant  la  lune  croissante  (n°  544)  me  laisse  rêveur;  j'aimerais  mieux 
croire  que  l'enfant  en  avait  absorbé  une  dose  trop  forte.  Au  contraire, 
je  ne  sais  s'il  est  permis  de  donner  pour  une  pure  superstition  (n°  1  38) 
l'usage  de  l'arnica  contre  les  coupures  :  au  moins  cette  indication 
figure-t-elle  encore  dans  toutes  les  pharmacopées. 

Le  fait  d'observation  se  dégage  souvent  avec  une  netteté  singulière 
du  préjugé  auquel  il  a  donné  naissance  :  si  les  esprits  invisibles 
(nos  43  Qi  ^^04)  ne  peuvent  sortir  d'un  lieu  clos  que  par  l'ouverture  qui 
leur  a  donné  accès,  c'est  là  un  trait  emprunté  aux  invariables  habi- 
tudes des  bêtes  fauves  et  bien  connu  des  braconniers;  si  les  carrefours 
sont  hantés  des  démons  et  des  sorcières  (n»  108),  c'est  tout  simple- 
ment que  les  croisements  de  rues  et  routes  sont,  pour  les  hommes 
aussi,  les  lieux  de  rendez-vous  les  mieux  abordables;  si  le  pois  est 
consacré  à  Donar  (n°  i  36),  qu'on  se  rappelle  le  siliqiia  quassante  legu- 
men  de  Virgile;  s'il  est  défendu  de  remercier,  lorsqu'on  a  reçu  gratis, 
dans  un  certain  magasin  de  Berlin,  le  bout  de  crêpe  qui  doit  guérir  le 
mal  de  gorge,  —  autrement  le  remède  n'opère  pas  (n°  181),  — c'est 
qu'en  effet  qui  souffre  de  la  gorge  fait  bien  de  parler  le  moins  possible. 
Parfois  le  vulgaire  et  récent  calembour  date  à  quelques  siècles  près  la 
naissance  d'une  superstition  :  contre  l'insomnie  (no  587),  on  administre 


I.  Excepté,  bien  entendu,  les  charabias  intentionnels.  A  ce  propos,  il  a  bien  vu 
que,  dans  le  galimatias  cite  n"  244,  les  deux  derniers  mots  sont  l'anagramme  des 
deux  premiers;  mais  il  n'observe  pas  que  celui  du  milieu  est  à  lui-même  son 
anagramme,  en  sorte  que  la  formule  totale  {sator  arepo  tenct  opéra  votas)  peut  se 
lire  indifféremment  de  gauche  à  droite  ou  de  droite  à  gauche; 


d'histoire  et  de  littérature  335 

en  poudre  Tos  temporal  [Schlafenbein)  d'un  poisson.  Parfois  elle 
remonte  à  une  antiquité  immémoriale  et  n'en  est  guère  moins  claire  : 
il  n'est  pas  douteux  que  le  caractère  sacré  du  nombre  7  ne  procède 
des  sept  planètes,  ou  de  la  semaine  (quart  de  la  lunaison)  ;  quant  au 
nombre  i3,  dont  la  vertu  fatale  est  sûrement  bien  antérieure  à  la 
Cène  ',  il  faut  se  souvenir  que  chez  les  Hindous,  le  i3«  mois  (inter- 
calaire) est  réputé  impur;  une  fois  créée  l'année  des  12  signes,  tout  ce 
qui  rompait  ce  bel  ordre  dut  prendre  un  aspect  omineux. 

Parmi  ces  origines  préhistoriques,  W.  fait  une  place  très  impor- 
tante au  naturalisme  des  premiers  âges  (n°  10),  et  l'on  ne  s'attend  pas 
à  ce  que  j'en  sois  marri.  Je  supprimerais  même  sans  scrupule 
quelques-uns  des  points  d'interrogation  dont  M.  Meyer  a  émaillé  son 
texte.  Mais  le  scepticisme  de  l'éditeur  sur  certains  détails  ne  rend  que 
plus  précieuse  son  adhésion  sur  les  autres:  s'il  admet  que  la  dame 
blanche  est  une  aurore  parce  qu'elle  change  en  or  ce  qu'elle  donne  aux 
hommes  (n°  3i),  je  puis  enseigner  sans  en  trop  rougir  que  la  fable 
de  Midas  est  un  mythe  du  soleil  levant.  Qu'on  puisse  impunément 
braver  le  dragon  de  feu  lorsqu'on  lui  parle  à  travers  un  moyeu  de 
roue  (no  49),  voilà  qui  ne  se  comprend  guère  si  la  roue  n'est  ici, 
comme  dans  les  Védas,  une  effigie  du  soleil;  et  je  m'en  assure  davan- 
tage quand  je  lis  qu'aucune  roue  ne  doit  tourner,  —  que  par  suite  les 
rouets  chôment  (n"  74), —  durant  les  douze  jours  du  solstice  d'hiver 
où  la  roue  céleste  semble  immobile  à  l'horizon  de  l'extrême  sud.  Quel 
dommage  pourtant,  que  le  même  tabou  frappe  le  28  octobre,  jour  des 
saints  Simon  et  Jude  (n°  io3),  où  il  ne  semble  pas  avoir  de  fonde- 
ment! 

L'auteur  insiste  également  sur  une  autre  idée  qui  m'est  chère,  celle 
des  «  superstitions  utiles  »,  comme  la  Roggenmuhme  (n»  659),  dont 
on  menace  les  enfants  tentés  d'aller  «  cueillir  les  bleuets  dans  les 
blés  »  :  c'est  là  sans  doute,  pour  la  moisson  future,  une  défense  plus 
efficace  qu'une  leçon  de  magister  sur  le  respect  de  la  propriété  privée. 
Quelques-unes  sont  exquises  de  judicieuse  naïveté  :  qui  ne  peut  avoir 
raison  d'une  insomnie  doit  prier  pour  les  âmes  du  purgatoire  (n°753), 
car  ce  sont  elles  qui  l'ont  éveillé  dans  cette  intention  ;  n'est-ce  pas  en 
effet  la  meilleure  façon  de  se  calmer  et  de  se  rendormir  "  ?  Touchante 
aussi  est  la  recommandation  de  ne  point  maltraiter  un  crapaud  (ani- 
mal utile  !)  parce  qu'on  risque  ainsi  d'ajouter  aux  souffrances  d'une 
àme  du  purgatoire  {n°  763).  Mais  le  sublime  en  ce  genre  est  atteint 
par  la  croyance  qui  doit  sécher  les  larmes  des  vivants  sur  les  morts 

1.  Mais  ccst  un  piètre  argument  contre  cette  origine  que  d'écrire:  «  Le  i3'  apô- 
tre, ce  n'est  pas  Judas,  cest  saint  Paul  »  (n'  109).  La  question  n'est  pas  de  savoir 
qui  était  le  i  3*  apôtre;  le  fait  saisissable,  c'est  qu'on  était  treize  au  repas  et  que 
l'un  d'eux  (Jésus)  était  dès  ce  moment-là  destiné  à  la  mort,  assure  de  mourir. 

2.  Car,  si  l'on  priait  pour  ses  propres  besoins,  on  y  mettrait  peut-être  une  ferveur 
qui  chasserait  le  sommeil. 


336  REVUE    CRITIQUE 

(n°  728)  :  quelle  force  ou  du  moins  quel  effort  pour  accepter  l'irrépa- 
rable ne  doit  pas  imposer  à  une  mère  cette  pensée  que  chacun  de  ses 
pleurs  est  une  brûlure  pour  son  enfant  '  ! 

Quelquefois  il  eût  été  bon  d'avertir  expressément  le  lecteur  que  la 
prétendue  superstition  n'est  qu'une  facétie  d'aloi  douteux.  Je  ne  puis 
envisager  autrement  celle-ci  (n^  770)  :  quand  deux  personnes  ont  à  la 
fois  le  même  mot  en  bouche,  c'est  qu'elles  ont  racheté  du  purgatoire 
une  servante  de  curé.  C'est  tout  de  même  qu'en  Alsace,  dans  une  par- 
tie de  campagne,  si  l'un  des  promeneurs  laisse  tomber  sa  canne,  les 
autres  s'écrient  qu'on  a  fait  une  lieue,  mais  personne  ne  croit  à  la  coïn- 
cidence. Que  la  sage-femme  aille  jeter  un  morceau  de  sucre  au  puits 
pour  y  pêcher  un  enfant  (n°  429),  ce  n'est  pas  une  superstition,  mais 
une  précaution  contre  les  questions  indiscrètes  de  la  marmaille.  Qu'on 
puisse  se  rendre  invisible  (n»  473),  en  trouvant  le  Blendstein,  qui  gît, 
invisible  lui-même,  dans  un  nid  d'oiseau  qu'il  rend  invisible,  cela 
ressemble  fort  à  ce  qu'on  dit  aux  enfants,  qu'on  attrape  à  coup  sûr  un 
moineau  en  lui  posant  doucement  un  grain  de  sel  sur  la  queue.  Enfin, 
malgré  sa  gravité  solennelle,  l'incantation  homicide  (n°  397)  a  tout 
l'air  d'une  «  fumisterie  »  :  il  faut,  pendant  tout  un  an,  soir  et  matin, 
à  la  même  heure,  au  même  endroit,  réciter  trois  fois  un  certain  psaume 
en  commençant  par  la  fin;  et,  si  le  conjurateur  y  manque  une  seule 
fois,  se  trompe  d'une  minute  ou  d'une  syllabe,  c'est  lui-même  qui 
meurt.  Dans  ces  conditions,  qui  oserait  tenter  l'expérience  '  ? 

Quant  à  la  distinction  entre  religion  et  superstition,  esquissée  au 
début  et  à  la  fin,  elle  me  paraît  manquée,  mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
de  la  refaire.  J'en  voudrais  seulement  indiquer  le  trait  essentiel  à  mon 
sens.  L'adoration,  par  exemple,  d'un  Dieu  qui  souffre,  est  religion; 
car  c'est  l'expression  concrète  la  plus  énergique  de  cette  vérité  univer- 
selle, éternelle,  absolue,  que  tout  ce  qui  a  vie  a  souffrance.  Mais  l'attri- 
bution d'une  vertu  spéciale  à  une  épine  de  sa  couronne  est  supersti- 
tion, en  tant  qu'elle  ramène  le  concept  de  ce  Dieu  dans  le  réseau  du 
temps,  de  l'espace  et  de  la  causalité,  et  replonge  ainsi  le  croyant  au 
sein  de  l'illusion  du  devenir,  dont  la  religion  avait  précisément  pour 
but  de  l'affranchir  à  Jamais.  V.  Henry. 

1.  Là  même  où  la  superstition  semble  absurde  et  encombrante,  elle  contient 
encore  un  enseignement  pour  qui  sait  y  lire  :  ainsi,  si  l'on  fait  le  compte  de  tous 
les  jours  de  la  semaine,  du  mois,  de  l'année,  etc.,  qui  sont  néfastes,  on  constate 
(no  73)  que  les  chances  de  malheur  l'emportent  de  beaucoup  pour  l'homme  sur 
celles  de  bonheur.  O  sagesse  intuitive! 

2.  On  s'étonne,  dans  un  livre  consacré  à  la  superstition  allemande,  de  ne  trouver 
mention  des  Evlen  que  comme  arbres  :  d'où  Goethe  a-t-il  donc  tiré  sa  célèbre  poé- 
sie ?  —  On  voudrait  savoir  aussi  où  Th.  Gautier  a  pris  le  thème  de  son  Enfant  aux 
souliers  de  pain,  qu'il  situe  en  Allemagne.  —  La  meilleure  étymologic  du  mot 
Hexe  (n°  209)  a  été  donnée  par  M.  de  Saussure,  Bull.  Suc.  Ling.,  VU,  p.  cxvij.  — 
Dans  IMmpression,  extrêmement  correcte,  je  n'ai  relevé  que  quelques  coquilles  insi- 
gnifiantes, dont  le  type  est  berilhmten  pour  bciilhrten,  p.  79,  1.  9. 


d'histoire  et  de  littérature  33/ 

Principes  sociologiques  par  Charles  Mismer,  2°  édit.  revue  et  augmentée.  Paris, 
Alcan,  1898,  I-XI,  1-286  pp.,  un  vol.  in-8°. 

«  Le  mouvement  général  qui  entraîne  l'univers,  soumet  tous  les 
éléments  dont  il  se  compose,  depuis  les  sphères  célestes  jusqu'aux 
plus  humbles  particules  de  matière,  à  une  loi  de  solidarité  et  de  per- 
fectibilité. A  moins  de  faire  de  l'homme  un  être  en  dehors  de  la  nature, 
la  solidarité  et  la  perfectibilité  universelles  entraînent  nécessairement 
la  solidarité  et  la  perfectibilité  humaine  ».  C'est  ainsi  que,  dans  sa  con- 
clusion, M.  Mismer  résume  la  tentative  par  laquelle  il  s'est  efforcé  a  de 
rattacher  les  lois  humaines  aux  lois  cosmiques  ».  J'ai  peur  que  les 
prémisses  de  son  raisonnement  ne  soient  pas  très  solides.  La  solidarité 
universelle,  déduite  de  la  gravitation,  est  bien  «  une  vérité  positive 
qui  relève  de  la  plus  simple  observation  »  ;  mais  que  prouve-t-elle  au 
point  de  vue  de  la  solidarité  sociale,  si  celle-ci  doit  avoir  une  base  de 
justice?  Il  est  «  de  simple  observation  »  que  la  notion  même  de  justice,' 
comprise  suivant  l'idéal  humain,  esttotalement  absente  de  la  mêlée  des 
forces  naturelles  où  la  destruction  des  uns  assure  la  subsistance  des 
autres.  L'auteur,  il  est  vrai,  ne  veut  voir  là  qu'une  «  apparence  ».  «  En 
réalité,  s'écrie-t-il,  la  nature  est  juste  autant  que  sage  ».  Mais  pour 
défendre  cette  affirmation,  il  est  obligé  d'admettre  que  «  l'homme  fini 
ne  saurait  contrôler  l'infini. ..  Jamais  sa  curiosité  ne  pénétrera  les 
intentions  et  les  fins  de  la  nature...  »  Alors  comment  constater  qu'elle 
est  juste? 

Quant  à  la  «  perfectibilité  universelle  »,  l'auteur  me  paraît  la  con- 
fondre avec  révolution.  11  a  raison  de  dire  que  «  tout  se  meut  inces- 
samment... »  et  que  «  le  changement  est  comme  le  mouvement  un  phé- 
nomène naturel  vérifiable  par  l'observation....  ».  Mais  à  quoi  tend  ce 
changement  perpétuel  de  l'univers  ?  L'auteur  est  obligé  de  constater 
que  «  la  terre  sera  certainement  inhabitable  un  jour  ».  Voilà  une  per- 
fectibilité qui  échappe  à  la  mesure  de  l'homme.  M.  M.  en  établissant 
l'impuissance  de  celui-ci  à  pénétrer  les  fins  de  la  nature  a  établi  du 
même  coup  son  impuissance  à  savoir  si  oui  ou  non  la  nature  se  per- 
fectionne :  car  l'amélioration  suppose  un  but  connu  qui  serve  de  cri- 
térium au  progrès. 

Ce  n'est  d'ailleurs  qu'à  la  page  1 34  de  son  volume  que  l'auteur 
semble  s'être  préoccupé  de  trouver  «  ce  dernier  fondement  de  la  cer- 
titude »  sur  lequel  il  a  voulu  ériger  des  principes  sociologiques  «  iné- 
branlables et  définitifs  ».  Jusque-là  son  ouvrage  est  un  recueil  de  mé- 
langes (parus  jadis  dans  la  Revue  positive],  sur  des  questions  diverses 
relatives  à  l'organisation  sociale  et  qui  n'apportent  pas  de  contribution 
vraiment  n'euve  à  la  science.  L'auteur  aurait  mieux  fait  de  concentrer 
toutes  ses  forces  sur  ce  qu'il  appelle  la  partie  organique  de  son  livre. 
S'il  y  avait  apporté  un  peu  plus  de  rigueur  d'argumentation,  il  aurait 
vu  ce  qu'il  fallait  sacrifier  de  sa  thèse  générale,  et  il  aurait  creusé  plus 


338  REVUE    CRITIQUE 

à  fond  les  parties  vraiment  solides  de  son  sujet,  à  savoir  l'étude  de  la 
solidarité  humaine  et  celle  de  la  perfectibilité  sociale,  sur  laquelle  il 
a  des  vues  justes  en  général,  mais  qui  sont  indiquées  d'une  façon  trop 
sommaire  ou  trop  dogmatique.  Les  plus  ingénieuses,  imprégnées  de 
la  méthode  et  de  V esprit  positifs,  se  rattachent  à  la  question  de  l'édu- 
cation et  de  l'instruction. 

E. 


Études  critiques  sur  les  connaissances  et  sur  la  psychologie,  parW.  U.  Te- 

NicHEFF.  Paris.  Giard  et  Brière,  éd.,  1900,  in-S"  et  5i  p. 

L'opuscule  de  M.  Tenicheff,  qui  a  d'abord  paru  dans  les  Annales  de 
l'Institut  international  de  sociologie,  et  qui  fait  partie  d'un  «  pro- 
gramme d'études  ethnographiques  relatives  à  la  classe  cultivée  des 
populations  urbaines  russes»,  prouve  combien  dans  tous  les  pays  sont 
grandes  actuellement  les  préoccupations  des  esprits  réfléchis  touchant 
les  matières  mêmes  de  l'enseignement  public.  «  Considère-t-on 
comme  plus  important  de  posséder  des  connaissances  utiles  aux  indi- 
vidus et  les  rendant  aptes  à  servir  la  société,  ou  bien  juge-t-on  le  degré 
de  l'instruction  supérieure  lorsqu'on  peut  faire  montre  de  connais- 
sances astronomiques,  archéologiques,  mythologiques,  et  lorsqu'on 
peut,  à  l'occasion,  citer  quelque  sentence  latine  ou  même  grecque?  » 
Telle  est  la  question  que  se  pose  M.  Tenicheff:  son  étude  est  telle- 
ment fragmentaire,  qu'il  est  difficile  de  préciser  la  réponse  définitive 
qu'il  ferait,  s'il  épuisait  son  sujet,  à  la  question  qu'il  a  formulée.  On 
aperçoit  cependant  le  sens  dans  lequel  il  résoudrait  celle-ci,  par  la 
façon  dont  il  étudie,  dans  un  chapitre  spécial,  l'influence  et  l'utilité 
de  la  psychologie.  Il  se  demande  si  cette  dernière  «  qui  devrait  être 
une  science  puisqu'elle  est  enseignée  non  seulement  dans  les  univer- 
sités, mais  encore  dans  les  collèges,  nous  fournit  un  enseignement 
utile  pour  la  vie  pratique  »,  Or  l'auteur  constate  que  les  traités  de 
psychologie  sont  «  consacrés  pour  la  plus  grande  partie  aux  raison- 
nements généraux  sur  les  états  d'àme,  précédés  de  descriptions,  de  dé- 
finitions et  de  dénominations  correspondantes  »  qui,  d'ailleurs,  ne 
s'accordent  pas  chez  les  différents  auteurs,  —  et  qu'ils  s'éloignent  sin- 
gulièrement des  réalités  de  la  vie.  «  Les  psychologues,  plongés  dans 
leurs  méditations  au  fond  de  leur  cabinet,  oublient  que  nous  vivons 
en  société  et  que  nous  puisons  nos  connaissances  dans  notre  entou- 
rage. Ils  négligent  les  étatsd'àme  provenant  des  difficultés  que  l'homme 
peut  rencontrer  pour  satisfaire  aux  besoins  de  sa  vie  individuelle  et 
sociale...  »  D'où  l'auteur  conclut  que  «  la  psychologie  à  l'exception 
de  la  psychophysique  (qu'on  peut  en  grande  partie  rapporter  à  la  phy- 
siologie des  organes  des  sens)  fournit  très  peu  de  connaissances  posi- 
tives »  répondant  à  la  définition  qu'il  a  donnée  de  celles-ci  :  «  des  ré- 


d'histoire  et  de  littérature  339 

sultats  d'expériences,  d'enseignements,  d'actions  simultanées  de  toutes 
sortes  d'influences,  résultats  qui  nous  obligent  à  modifier  notre  ligne 
de  conduite  d'après  nos  impressions  ».  On  aperçoit  le  point  de  vue 
tout  à  fait  social  et  utilitaire  auquel  se  place  M.  Tenicheff  dans  son 
enquête  sur  les  objets  d'éducation.  Il  est  à  désirer  qu'il  la  poursuive 
et  en  consigne  les  résultats  dans  une  étude  ultérieure. 

E. 


Paroles   d'un  vivant,  par  Gabriel  de  Beaumont.  Préface  de  M.  Ernest  Naville, 
un  vol.  gr.  in-8°,  i-xxxy  et  23opp.  Genève,  Eggimannet  G'*.  Paris,  Âlcan,  igoo. 

M.  Gabriel  de  Beaumont,  à  en  juger  par  la  notice  publiée  en  tête 
de  ce  volume,  semble  avoir  été  une  nature  délicate,  essentiellement 
chrétienne,  généreuse  d'aspirations,  distinguée  de  goûts,  digne  d'avoir 
été  profondément  aimée  par  sa  famille  et  ses  amis.  Je  ne  sais  si  ceux- 
ci  n'auraient  pas  rendu  un  meilleur  service  à  sa  mémoire  en  publiant 
simplement  un  choix  restreint  de  ces  pensées  qu'on  a  réunies  ici  — 
bien  qu'en  extrait  seulement  —  sous  forme  d'un  grand  in-8°  trop 
volumineux.  Le  recours  presque  constant  à  la  Bible  et  à  ses  images 
rend  ces  pensées  monotones,  et  le  symbolisme  dont  elles,  sont  em- 
preintes ne  donne  guère  de  force  à  l'argumentation.  On  y  sent  plutôt 
que  la  vigueur  de  l'esprit,  la  douceur  d'une  âme  qui  a  trouvé  sa 
source  de  certitude  et  qui  y  puise  éternellement  sans  jamais  douter  de 
la  qualité  de  l'eau  qu'elle  savoure.  Dans  ces  conditions,  il  est  difficile 
d'atteindre  à  l'originalité,  et  l'auteur  d'ailleurs  ne  la  cherchait  pas.  En 
feuilletant  ce  volume,  je  rencontre  cependant  cette  pensée  qui  e.xprime 
bien  une  impression  que  j'ai  souvent  éprouvée  en  parcourant  certaines 
collections  particulières  :  «  Qui  est  celui  qui  possède  réellement  un 
tableau  :  le  prince  qui  sait  qu'il  se  trouve  dans  sa  galerie,  qui  ne  le 
regarde  jamais  pour  en  jouir,  si  ce  n'est  dans  la  pensée  qu'il  lui  vaut 
une  fortune  —  ou  bien  le  peintre  (M.  de  Beaumont  l'était  lui-même) 
qui  va  souvent  le  regarder,  en  jouit  en  le  regardant  et  après  l'avoir 
vu  ?  N'est-ce  pas  réellement  ce  dernier  qui  le  possède  ?  »...  Voilà  qui 
réconcilierait  avec  les  fortunes  princières.. .  à  condition  que  les  princes 
laissent  les  amateurs  visiter  librement  leurs  galeries. 

E. 


—  M.  M.  Schwab  vient  de  publier  une  intéressante  monographie  intitulée  : 
Salomon  Munk,  membre  de  l'Institut;  sa  vie  et  ses  œuvres  (1803-1867).  Elle  se  ter- 
mine par  une  bibliographie  complète  des  publications  de  l'éminent  orientaliste. 
(Paris,  Leroux,  in- 12,  p.  236). 

—  On  a   publié  à   Budapest  {Jaliresbcriclite  der  Landes-Rabbinerschule  fUr  das 


340  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    Et!TdE    LITTÉRATURE 

Schuljalir,  1898-1899),  une  étude  du  prof.  David  Kaufmann  (mort  le  6  juillet  1899), 
iotitulée  Studien  ilber  Salotnon  Ibn  Gabivol,  célèbre  rabbin  du  xi«  siècle,  versé 
dans  les  études  philosophiques.  Elle  débute  par  un  chapitre  curieux  sur  les  rap- 
ports entre  les  ouvrages  de  celui-ci  et  le  Pseudo-Empcdocle  (in-8",  p.  124). 

—  Vient  de  paraître  :  Catalogue  of  tlie  Library  of  the  India  Office,  vol.  II, 
part.  II.  Hindtistani  Books.  by  J.  F.  Blumhardt,  M.  A.,  Professor  of  Hindustani  and 
Lecturer  on  Hindi  and  Bengali  at  University  Collège,  London,  and  Teacher  of 
Bengali  at  the  University  of  Oxford;  London,  printed  by  Eyreand  Spottishwoode, 
1900;  I  vol.  in-8,  cartonné  de  viij-379  pages. 

—  Le  fascicule  1°'  du  tome  VII  des  Skrifter  iitgi/na  af  K.  Humanistika  Vetens- 
kaps-Samfiindet  i  Upsala  (Upsal  et  Leipzig  1900),  dû  à  la  plume  infatigable  de 
M.  Fr.  Tamm,  est  intitulé  :  Sammansatia  Ord  i  niitida  Svenskan  imdevsôkta  med 
hàytsyn  till  bildiiing  av  fôrleder.  C'est  une  étude,  extrêmement  poussée  dans  le 
détail,  et  beaucoup  plus  intéressante  pour  le  scandinaviste  pratique  que  pour 
l'historien  du  langage,  de  la  composition  en  suédois  au  point  de  vue  spécial  de 
la  forme  du  premier  terme  des  composés  nominaux. 

—  Les  remarquables  études  de  M.  T.  E.  Karsten,  docent  à  l'Université  de  Hel- 
singfors,  publiées  par  la  Société  des  Sciences  de  Finlande,  —  Studier  ôfver  de 
Nordiska Spraakens  primdra  Nominalbildning,  Helsingfors,  1900,  283  pp.,  5  mk.  — 
mériteraient  mieux  qu'une  simple  mention,  si  elles  n'étaient  la  simple  continua- 
tion d'un  ouvrage  dont  le  début  ne  nous  est  point  parvenu.  Dans  chaque  caté- 
gorie de  dérivation  suffixale,  l'auteur  distingue  avec  grand  soin  :  1°  les  formes  à 
racine  normale,  réduite  et  fléchie;  2"  les  types  indo-européens,  s'il  y  en  a  ;  puis 
les  types  européens,  germaniques  et  isolés.  On  doit  recommander  à  tout  indoger- 
maniste au  moins  une  lecture  rapide  de  cette  monographie  consciencieuse. 

—  La  commission  de  l'Institution  Arnamagnéenne,  après  avoir  publié  le  catalogue 
des  manuscrits  de  la  précieuse  collection  qui  porte  ce  nom,  fait  paraître  aujourd'hui 
Katalog  over  oldnorsk-islandske  Haandskrifter  Kœbenhavn.  Gyldendalske  Bog- 
handel,  1900.  Grand  in-8°  de  lxv-5i7  p.  Prix  :  10  kr.)  celui  des  vieux  manuscrits 
norvégiens  et  islandais  conservés  à  la  Bibliothèque  royale  et  à  la  Bibliothèque 
de  l'Université  de  Copenhague  (116  numéros  pour  celle-ci,  i3o4  pour  l'autre).  Suit 
un  état  des  numéros  nouveaux  qui  ont  enrichi  la  collection  dans  les  années  1894- 
1899,  soit  du  n»  2828  au  n"'  2842.  M.  le  bibliothécaire  D'  Kaalund  expose,  dans 
une  longue  introduction,  comment  et  quand  ces  manuscrits  sont  venus  de  Nor- 
vège et  d'Islande  en  Danemark  ;  puis,  dans  le  corps  du  catalogue,  il  nous  donne, 
numéro  par  numéro,  la  description,  l'historique  et  le  contenu  de  chaque  pièce. 
Enfin,  cinq  index  différents  permettent  de  retrouver  immédiatement  tout  ce  qui  se 
rapporte  à  tel  ou  tel  sujet.  C'est  dire  toute  l'importance  de  ce  travail  et  de  quelle 
utilité  il  sera  à  tous  les  nordisants.  —  L.  P. 

—  Parmi  les  documents  relatifs  à  l'histoire  de  Gènes  que  contient  le  numéro  de 
mai-juin  ànGiornale  storico  letter.  délia  Liguria,  nous  signalerons  comme  apport 
de  l'érudition  française  aux  annales  locales  de  l'Italie,  des  documents  relatifs  au 
soulèvement  de  182 1,  que  H.  Léon  G.  Pélissier  a  tirés  des  papiers  de  Pons  de 
l'Hérault.  Pons,  expulsé  de  Gènes  comme  libéral,  quoiqu'il  eût  sauvé  la  vie  du 
gouverneur  durant  l'échauffourée,  continuait  à  s'intéresser  à  des  événements  qui 
auraient  pu  mal  tourner  pour  lui.  —  Ch.  Dejob. 

Propriétaire-Gérant  :  Ernest  LEROUX. 
Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnet,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 

N"  45  —  5  novembre  —  1900 


BissisG,  Les  bijoux  de  la  reine  Ahhotpou,  I.  —  L'alfiya  d'Ibn  Mouti,  p.  Zelter- 
STEEN.  —  Courant,  Catalogue  des  livres  chinois,  coréens  et  japonais  de  la  Bi- 
bliothèque nationale,  I.  —  Dieter,  Morphologie  des  dialectes  germaniques.  — 
Du  Bled,  La  société  française  des  xvi°  et  xyii"  siècles.  —  Saint-Simon,  Mémoires, 
p.  A.  de  BoisLiLE,  XIV.  —  Godefroy,  Complément  du  Dictionnaire  de  l'ancienne 
langue  française,  lettre  P.  —  Saitschick,  Génie  et  caractère.  —  Deschamps,  La 
vie  et  les  livres,  V.  —  Bentzon,  Femmes  d'Amérique.  —  Sachs-Villate,  Dic- 
tionnaire encyclopédique  français-allemand  et  allemand-français.  —  Barré,  La 
France  du  Nord-Est.  —  Recueil  d'études  offert  à  M.  Ussing.  —  Académie  des 
inscriptions. 


F.  W.  von  Bissing,  Ein  Thebanischer  Grabfund  aus  dem  Anfang  des  Neuen 
Reichs,  Berlin,  A.  Duncker,  1900,  in-fol.  i^'"  livraison,  3  p.  et  III  p.  en  couleur. 

Je  ne  veux,  pour  le  moment,  qu'annoncer  ce  bel  ouvrage.  Les  bijoux 
de  la  reine  Ahhotpou  sont  bien  connus  et  la  photographie  et  le  dessin 
en  ont  reproduit  les  principaux  à  plusieurs  reprises  ;  mais  les  quelques 
fac  similé  en  couleur  qui  ont  été  faits  par  le  soin  de  Desjardins  et  de 
Bisch,  sont  introuvables,  et  ceux-là  seuls  peuvent  imaginer  la  richesse 
et  la  beauté  de  leur  coloris  qui  les  ont  vus  en  original  au  Musée 
de  Gizèh.  M.  de  Bissing  les  a  fait  copier  à  l'aquarelle  par  Howard 
Carter,  le  peintre  qui  a  dessiné  si  bien  pour  Naville  les  admirables  bas- 
reliefs  de  Dèîr  el  Baharî,  et  il  en  publie  aujourd'hui  la  première  livrai- 
son. On  y  trouvera  deux  des  meilleures  pièces  de  la  collection,  la 
hache  d'armes  et  le  poignard  du  Pharaon  Ahmosis  I«^  La  reproduc- 
tion des  aquarelles  est  fort  bonne  ;  peut-être  cependant  l'ensemble 
est-il  un  peu  plus  foncé  de  ton  qu'il  ne  conviendrait.  C'est  là  un  défaut 
léger  et  auquel  il  sera  facile  d'obvier  dans  les  livraisons  prochaines. 

G.  Maspero. 


Die  Alfîje  des  Jbn  Mutî,  herausgegeben  von  D'  K.  Y.  Zetterstéen,  privat- 
docenten  an  dcr  Univcrsitât  Lund.  —  Leipzig,  1900,  in-8,  chez  Hinrichs.  Intro- 
duction,«p.  VIII,  notes,  18  p.;  texte  70  p. 

Les  Arabes  ont  toujours  eu  une  prédilection  marquée  pour  le  méca- 
nisme mémnotechnique  qui  a  valu  chez  nous  au  bon  Claude  Lancelot 
Nouvelle  série  L.  4^ 


342  REVUE    CRITIQUE 

une  réputation  aujourd'hui  bien  éclipsée.  Leur  prosodie,  d'ailleurs 
assez  compliquée,  possède  un  certain  mètre  redje\  qui  s'adapte  parfai- 
tement aux  ouvrages  didactiques  et  leur  donne  le  caractère  d'une  prose 
rimée  et  rythmée,  qui  se  grave  plus  aisément  dans  la  mémoire. 

La  grammaire  de  l'arabe  classique,  par  ses  subtilités  et  les  caprices 
de  ses  règles,  avait  plus  que  tout  autre  science  le  droit  d'invoquer 
cette  muse  facile.  Au  xiii^  siècle  de  notre  ère,  Ibn  Mâlik,  érudit  dont 
le  nom  est  resté  populaire  dans  les  écoles  musulmanes,  composa  pour 
la  plus  grande  satisfaction  des  maîtres  et  des  élèves  un  traité  de  gram- 
maire versifiée  conforme  aux  procédés  du  genre  et,  comme  il  avait  su 
renfermer  en  mille  distiques  toutes  les  finesses  de  la  langue  littéraire, 
il  donna  à  son  livre  le  nom  d'AlJîya  ou  plus  exactement  dourret 
aljîya  qu'on  peut  traduire  par  «  la  quintessence  en  mille  vers  ». 

Naturellement  un  pareil  livre  où  l'obscurité  du  fond  se  complique 
de  la  concision  inévitable  de  la  forme,  ne  pouvait  se  passer  de  com- 
mentaires et  de  gloses.  On  peut  voir  dans  nos  Catalogues  orientaux 
la  liste  respectable  des  interprètes  d'Ibn  Mâlik.  Tous  sont  tenus  en 
grande  estime  dans  les  Medresèh,  et  il  est  juste  de  reconnaître  que, 
sans  leur  collaboration,  le  texte  original  serait  resté  lettre  morte. 
Grâce  à  eux  les  mille  distiques  énigmatiques  sont  devenus  le  thème 
obligé  des  hautes  études  de  philologie  en  Orient  et  plus  tard  le  maître 
par  excellence  de  la  grammaire  arabe,  Silvestre  de  Sacy,  a  tiré  de  ce 
code  grammatical  les  lois  essentielles  et  les  a  nettement  élucidées  à  la 
suite  du  texte  qu'il  publia,  en  i838,  dans  la  collection  du  Translation 
fund.  On  doit  aussi  une  bonne  mention  aux  patientes  recherches  de 
Dieterici  et  à  la  traduction  littérale  de  M.  Goguyer  qui  ont  l'un  et 
l'autre  complété  l'œuvre  de  l'illustre  orientaliste. 

Jusqu'à  ce  jour,  le  traité  d'Ibn  Mâlik  faisait  seul  autorité;  mais 
voici  qu'un  érudit  suédois,  M.  Zetterstéen,  privât  docent  à  l'Université 
de  Lund,  a  jugé  utile  de  remettre  en  lumière  une  autre  Alfiya  moins 
souvent  citée,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  pourtant  qu'elle  soit  inférieure 
à  celle  que  la  postérité  lui  a  préférée.  Le  texte  que  M.  Z.  vient  de 
publier  peut  du  moins  revendiquer  la  priorité  à  la  fois  de  date  et  de 
titre.  L'auteur  est  un  philologue  nommé  Zya  ed-dîn  Ibn  Moutî, 
maghrébin  d'origine  et  qui  vivait  dans  la  seconde  moitié  du  xii®  siècle. 
On  a  peu  de  détails  biographiques  sur  ce  personnage  :  on  sait  seu- 
lement qu'il  résida  longtemps  à  Damas,  qu'il  y  forma  de  bons  élèves 
et  alla  ensuite  se  fixer  au  Caire  où  il  composa  le  poème  grammatical 
qui  porte  aussi  le  nom  d'Alfiya —  remarquons  en  passant  que  ce  titre 
ne  doit  pas  être  pris  tout  à  fait  à  la  lettre  puisque  le  nombre  des  vers 
est  de  10 1  5.  —  On  connaît  de  source  certaine  la  date  de  sa  mort,  en 
1 23 1  de  notre  ère,  c'est-à-dire  un  demi  siècle  environ  avant  Ibn  Mâlik. 
Pourquoi  ce  dernier  est-il  resté  seul  maître  du  terrain,  quels  sont  ses 
titres  de  supériorité  sur  Ibn  Moutî  ?  C'est  ce  que  le  savant  éditeur  ne 
manquera  pas  d'expliquer,  lorsqu'il  étudiera  à  fond  le  texte  restauré 


"V 


d'histoire  et  de  littérature  343 

par  ses  soins,  et  l'étude  de  la  philologie  arabe  n'aura  qu'à  gagner  à  ce 
parallèle  entre  les  deux  ouvrages  homonymes. 

En  attendant,  M.  Z.  a  su  tirer  le.  meilleur  parti  des  trois  manus- 
crits que  les  bibliothèques  de  Berlin,  de  TEscurial  et  de  Leyde  ont 
mis  à  sa  disposition.  11  ne  s'est  pas  contenté  d'une  simple  collation 
de  copies  et,  pour  améliorer  sa  tâche,  il  a  compulsé  toute  la  littérature 
spéciale  dont  la  grammaire  des  Arabes  a  été  l'objet  "chez  nous  et  en 
Orient.  Ses  annotations  prouvent  qu'il  n'a  négligé  aucune  source 
d'information  et  que  la  technologie  de  cette  science  lui  est  tout  à  fait 
familière. 

Néanmoins,  disons-le  encore,  nous  ne  pouvons  considérer  son 
œuvre  comme  terminée.  L'AlJiya  d'Ibn  Moutî  n'est  ni  moins  abstraite 
ni  moins  concise  que  celle  d'Ibn  Màlik  et  comme  celle-ci,  elle  n'est 
guère  accessible  même  aux  gens  du  métier  qu'avec  l'aide  d'un  com- 
mentaire. Ce  commentaire,  c'est  de  M.  Z.  que  nous  l'attendons.  Il  ne 
peut  être  question  d'une  traduction  littérale,  ce  serait  chose  fastidieuse 
et  sans  profit.  Que  M.  Z.  s'inspire  de  l'exemple  de  S.  de  Sacy  et, 
suivant  le  texte  vers  par  vers,  qu'il  supplée  par  de  claires  explications, 
au  besoin  par  des  exemples,  au  laconisme  obligé  de  son  auteur.  Voilà 
le  complément  que  nous  demandons  au  savant  éditeur.  Sa  préface,  il 
est  vrai,  ne  nous  donne  aucune  promesse  à  cet  égard,  mais  on  se 
refuse  à  croire  qu'il  s'arrêterait  à  moitié  chemin  et  renoncerait  à  don- 
ner à  son  ouvrage  toute  l'utilité  qu'on  a  le  droit  d'en  attendre. 

Le  vieux  grammairien  Sibawaïhi  a  eu  en  France  les  honneurs  d'une 
édition  qui  fait  autorité  et  une  version  allemande  en  facilite  aujour- 
d'hui la  lecture.  Le  supplément  de  travail  que  nous  demandons  à 
M.  Zetterstéen  viendra  à  point  compléter  celui  de  MM.  H.  Derenbourg 
et  Jahn  et  contribuera  à  replacer  les  études  de  philologie  arabe,  un 
peu  négligées  maintenant,  au  rang  qui  leur  dû  dans  le  domaine  de 
l'érudition  musulmane. 

B.  M. 


Maurice  Courant.  Catalogue  des  livres  chinois,  coréens,  japonais,  etc.  con- 
serves à  la  Bibliothèque  nationale.  Premier  fascicule,  n"»  1-2496,  in-S"  de  vu 
148  pp.  Paris,  Leroux,  1900. 

L'administration  de  la  Bibliothèque  nationale  a  chargé  M.  Maurice 
Courant  de  rédiger  le  catalogue  des  livres  chinois,  coréens  et  japonais 
qui  sont  cQnfiés  à  ses  soins  ;  elle  ne  pouvait  faire  un  meilleur  choix  : 
par  sa  publication  sur  la  bibliographie  coréenne,  M.  C.  offrait  des 
garanties  de  compétence  qu'il  eût  été  difficile  de  trouver  ailleurs.  Le 
premier  fascicule  de  ce  catalogue  vient  de  paraître  ;  il  justifie  nos 
espérances.  Quand  cet  ouvrage  sera  terminé,  il  sera  un  guide  précieux 
pour  les  sinologues  à  qui  il  épargnera  des  recherches  fastidieuses  et 


r 


I 


344  REVUE   CRITIQUE 

souvent  inutiles  ;  en  réunissant  aux  deux  fonds  chinois  du  départe- 
ment des  manuscrits  les  pièces  qui  sont  conservées  dans  le  départe- 
ment des  estampes  et  dans  la  section  des  cartes,  M.  C.  nous  a,  en 
outre,  révélé  des  richesses  dont  nous  ne  soupçonnions  pas  l'existence. 
Tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  et  à  la  littérature  de  l'Extrême- 
Orient  seront  reconnaissants  à  l'auteur  de  l'excellent  instrument  de 
travail  qu'il  met  entre  leurs  mains. 

Je  n'ai  pas  à  critiquer  la  classification  adoptée  par  M.  Courant.  Les 
raisons  qu'il  donne  dans  son  avertissement  pour  expliquer  qu'il  ait 
cru  devoir  abandonner  le  plan  de  la  Bibliographie  impériale  chinoise 
me  paraissent  suffisantes.  A  mon  sens  cependant,  il  eût  peut-être 
mieux  valu  ranger  tous  les  ouvrages  bouddhiques  dans  une  seule 
section  où  on  aurait  observé  rigoureusement  l'ordre  suivi  dans  le 
Tripifaka  ;  j'ai  quelque  peine  à  m'habituer  à  chercher  parmi  les 
annales  laïques  le  Fo  tsou  H  tai  t'ong  tsai  (n°^  345-347),  ou  parmi 
les  histoires  administratives,  économiques,  etc.  le  Fo  tsou  t'ong  ki 
(no*  910-912),  quand  je  sais  que  ces  deux  ouvrages  ont  leur  place 
toute  marquée  dans  le  Tripi/aka  ;  il  eût  été  d'ailleurs  facile  d'ajouter 
à  la  suite  des  diverses  parties  du  Tripifaka  les  textes  bouddhiques 
qui  ne  sont  pas  inclus  dans  cette  collection. 

On  aurait  pu  souhaiter  dans  certaines  notices  un  peu  plus  de  préci- 
sion ;  par  exemple,  il  eût  été  bon  d'indiquer  que  le  Siyu  choei  tao  ki 
(n°  1868)  a  été  composé  par  Siu  Song,  dont  le  surnom  est  Sing-po^  et 
que  le  Si  yu  n'en  kien  lou  (n°  i83o-i83i)  a  été  écrit  en  1777  par 
Tch'oen-yuen,  alors  âgé  de  71  ans,  ce  qui  a  fait  dire  àWylie  {Notes 
on  Cliinese  Literature,  p.  52)  que  l'auteur  de  ce  livre  s'appelait  Ts'i- 
che-i^='j\.  Ces  deux  ouvrages  sont  d'ailleurs  bien  connus  des  sino- 
logues; le  premier  est  cité  par  M,  Hirth  dans  ses  Nachworte  {ur 
Inschrijt  des  Tonjukuk  (Saint-Pétersbourg,  1899);  le  second  a  été 
analysé  par  M.  Guéluy  {Description  de  la  Chine  occidentale,  Lou- 
vain,  1887)  et  par  M.  Ch.  Denby  [The  Chinese  conquest  of  Songaria, 
dans  Journal  0/ the  Peking  oriental  Society,  vol.  III,  p.  159-181).  Il 
importait  donc  de  mentionner  les  noms  de  ces  deux  auteurs  chinois. 

A  propos  du  Ta  t'ang  si  yu  ki  {n°  1872-1874),  M.  Courant  men- 
tionne la  préface  du  ministre  Tchang  Yiie.  M.  Watters  [China  Review, 
vol.  XVllI,  p.  334-335,  et  moi-même  [Revue  critique,  p.  263-264) 
avons  démontré  que  cette  préface  ne  pouvait  pas  avoir  été  écrite  par 
Tchang  Yue^  et  qu'elle  devait  être  attribuée  à  Yu  Tche-ning. 

L'impression  est  très  soignée  ;  les  quelques  fautes  insignifiantes 
que  j'ai  relevées  ne  mériteraient  pas  d'être  signalées  dans  tout  autre 
livre  qu'un  catalogue  '.  Nous  ne  pouvons  que  souhaiter,  en  terminant, 
de  voir  prochainement  s'achever  cette  utile  publication. 

Ed.  Chavannes. 

I.  Page  35,  col.  i,  ligne  28,  tshe  devrait  être  écrit,  dans  le  système  de  transcrip- 
tion particulier  à  M.  C.   avec  un  e  pointé   en  dessous;  —  p.  68,  col.  2,  ligne  2, 


ÉII 


d'histoire  et  de  littérature  345 

Laut-  und  Formenlehre  der  Altgermanischen  Dialekte herausgegeben 

von  Ferdinand  Dieter.  Zweiter  Halbband  :  Formenlehre  '.  —  Leipzig,   Rcisland, 
1900.  In-8,  viij-446  pp.,  cotées  345-795.  Prix  :  9  mk. 

La  destinée  a  voulu  que  cet  excellent  livre  n'échappât  point  aux 
menus  inconvénients  inséparables,  semble-t-il,  d'une  collaboration 
scientifique  :  déjà  la  phonétique  du  vieux-frison  avait  été  ajournée  à 
la  publication  de  la  morphologie,  et  aujourd'hui  l'ouvrage  s'achève 
sans  morphologie  ni  phonétique  de  ce  dialecte.  Cela  est  fâcheux  ;  car 
précisément  il  est  déjà  à  beaucoup  près  le  moins  riche  en  ressources 
d'étude,  et  aussi  parce  que  l'introduction  du  frison  était  le  seul  trait 
essentiel  qui  différenciât  la  collection  de  M.  D.  de  l'entreprise  simi- 
laire de  M.  Streitberg.  Mais  on  nous  assure  que  la  lacune  sera 
comblée  avant  peu  :  si  c'est  par  un  ouvrage  séparé,  ou  par  un  fasci- 
cule continuant  la  pagination  de  celui-ci,  nous  n'en  sommes  pas 
informés. 

Sauf  ce  détail,  l'ouvrage  forme  un  parfait  ensemble,  et  l'unité,  non 
seulement  de  plan  et  de  méthode,  mais  aussi  de  doctrine,  qui  y  règne 
d'un  bout  à  l'autre,  fait  le  plus  grand  honneur  à  l'esprit  de  direction 
de  M.  Dieter. 

La  répartition  de  la  morphologie  comporte  la  conjugaison  et  la 
déclinaison  de  chacun  des  anciens  dialectes  germaniques,  respective- 
ment précédées  de  leurs  prototypes  prégermaniques. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'insister  sur  le  caractère  hypothétique  et 
aventureux  de  certaines  solutions,  qui  sans  doute  demeureront  long- 
temps encore  contestées  entre  les  germanistes  :  ce  que  furent  à  l'ori- 
gine les  parfaits  faibles  '  ou  les  parfaits  redoublés  sans  redoublement, 
personne  n'a  la  prétention  de  le  savoir  avec  certitude,  et  la  science 
n'a  rien  à  gagner  à  ce  que  le  critique  avoue  ses  préférences  person- 
nelles pour  telle  ou  telle  des  opinions  qui  la  divisent.  Je  me  bornerai 

les  deux  caractères  chinois  sont  intervertis  ;  —  p.  72,  col.  2,  ligne  i,  il  faut  substi- 
tuer le  caractère  ts'ien  au  caractère  kan  ;  —  p.  gi,  col.  i,  ligne  3,  lire  hoan  au 
lieu  de  koan  ;  —  p.  1 14,  col.  2.  ligne  5,  lire  Hia  au  lieu  de  Hiao. 

1.  Cf.  Revue  critique,  XLV  (1898),  p.  3 18. 

2.  Pour  ce  temps,  M.  Bethge  s'en  tient  à  l'idée  d'une  agglutination  avec  le 
verbe  signifiant  <<  faire  »  (p.  369,  soitgot.  saùrgdi-dèdum  «  nous  mîmes  en  soin  », 
etc.).  Mais,  indépendamment  de  cette  bizarrerie  que  l'auxiliaire  en  question  se 
combinerait  tantôt  avec  un  thème  nu  tantôt  avec  une  forme  de  déclinaison,  qu'est- 
ce  donc  que  -dédum  à  son  tour?  Est-ce  vraiment  un  parfait  redoublé  {p.  390)? 
Si  oui,  comment  se  fait-il  que  le  vocalisme  pur  de  la  racine  (dlié)  apparaisse 
précisément  dans  la  syllabe  de  réduplication,  où  aucune  autre  langue  ne  la 
montre?  Ou  encore,  qu'est-ce  que  l'y  de  l'ags.  dyde,  si  ce  n'est  la  métaphonie 
d'une  voyelle  dont  sans  doute  le  timbre  et  l'origine  demeurent  mystérieux,  mais 
qui  à  coup  sûr  ne  pouvait  légitimement  figurer  dans  une  syllabe  de  réduplication? 
Et,  si  par  hasard  -dédum,  au  lieu  d'être  un  parfait  redoublé,  était,  lui  aussi,  un 
parfait  faible,  on  voit  dans  quel  cercle  tourneraient  ceux  qui  enseignent  que  les 
parfaits  faibles  lui  doivent  l'existence.  V.  cependant  Streitberg,  Urgerm.  Gramm., 
p.  329. 


346  REVUE    CRITIQUE 

donc  à  une  observation  de  pure  pédagogie,  d'autant  mieux  de  saison 
que  Tauteur  l'a  prévenue  :  «  der  ausdruck  schn'aches  praeteritiim, 
écrit-il  p.  366  avec  un  point  d'exclamation,  ist  nicht  zu  verwechseln 
mit  den  sogenannten  schwacheti  stammformen  im  starken  perfekt.  » 
Mais  vraiment,  si  les  linguistes  allemands  ont  conscience  de  l'imper- 
fection de  leur  nomenclature  et  des  efforts  qu'elle  exige  de  l'attention 
de  leurs  élèves,  pourquoi  donc  n'en  changent-ils  pas  ?  Nous  disons, 
comme  eux,  c  parfaits  forts  »  et  «  faibles  »  ;  mais,  dans  l'apophonie 
du  verbe  fort,  nous  distinguons  les  degrés  «  normal,  réduit,  fléchi, 
allongé  »,  ce  qui  supprime  toute  cause  d'amphilologie  '. 

En  conjugaison  gotique,  il  manque  l'accent  sur  Vu  de  thlaûhans 
(p.  392,  1.  12^,  et  il  n'eût  pas  été  superflu  de  faire  observer  que  le 
consonnantisme  de  hlathan  «  charger  »  (p.  394),  bien  que  confirmé 
par  celui  de  l'allemand,  est  véhémentement  suspect  d'altération  en 
présence  de  l'ags.  hladan  ;  car  on  ne  voit  pas  d'où  l'anglais  aurait  tiré 
son  d,  tandis  que  la  consonne  gotique  et  teutonique  peut  fort  bien 
procéder  d'une  fausse  alternance  grammaticale. 

M.  Kahle  déjà  —  et  j'en  ai  exprimé  le  regret  '  —  s'était  borné  à 
constater,  sans  un  essai  d'explication,  l'identité  de  la  3«  à  la  2«  per- 
sonne du  singulier  en  vieux-norrois.  Voici  maintenant  que  M.  Bethge 
(p.  429)  la  déclare  inexplicable.  Je  me  sens  bien  téméraire  d'opposer 
mon  sentiment  à  la  conviction  des  germanistes  les  plus  autorisés  ; 
mais  il  me  semble  que  la  conjugaison  réfléchie  est  assez  ancienne 
pour  fournir  une  base  solide  à  cette  évolution  insolite.  De  très  bonne 
heure  on  a  dit,  par  voie  phonétique,  kallask  «  tu  t'appelles  >■>  et  kalla^k 
«  il  s'appelle  »,  et  la  quasi-identité  de  ces  deux  formes  était  de  nature 
à  favoriser  à  l'actif  l'emploi  de  kallar  «  tu  appelles  »  au  sens  de  ^  il 
appelle  ».  Mais  bien  plus  :  à  un  moment  donné,  on  a  dit  indifférem- 
ment kallask  et  kallask  dans  les  d'eux  sens  ;  et  dès  lors  l'identification 
à  l'actif  devait  en  quelque  sorte  s'imposer.  La  seule  question  serait  de 
savoir  pourquoi  la  3^  personne  a  pris  la  forme  de  la  2%  et  non  la  2« 
celle  de  la  3«  ;  mais  nous  n'en  sommes  point  encore  parvenus,  en  fait 
d'analogie,  au  point  de  résoudre  le  problème  de  l'àne  de  Buridan.  Il 
est  très  vrai  que  la  confusion  de  kallask  et  kalla\k  (p.  436)  ne  se 
constate  en  littérature  que  vers  le  début  du  xni«  siècle  ;  mais  une 
altération  d'un  caractère  aussi  aisé,  due  à  une  plus  ou  moins  grande 
rapidité  de  prononciation,  s'est  sûrement  introduite  dans  le  langage 
parlé  longtemps  avant  d'apparaître  dans  les  documents  écrits.  Dans 
le  même  ordre  d'idées,  l'usage  anglo-saxon  et  vieux-saxon  (p.  383, 
457  et  475)  de  la  3«  personne  du  pluriel  en  fonction  de  i'*  et  2% 
comportait  aussi  un  peu  plus  de  développement  \ 

1.  Sk.  tisinhâsi  et  tisinhati  (p.  38o  et  38 1)  sont  de  fâcheux  barbarismes. 

2.  Revue  critique,  XLII  (1896),  p.  259,  n.  i. 

3.  Cf.  V.  Henry,  A  short  comparative  Grainmar  0/  Englisli   a)id  Germait  (Lon- 
don,  1894),  n"  214,  p.  346. 


d'histoire  et  de  littérature  347 

Dans  la  conjugaison  allemande  (p.  482),  on  se  demande  ce  qui  a 
empêché  M.  Hartmann  de  diviser  expressément  la  i""*  comme  la 
2®  classe  de  verbes  forts  en  deux  sous-classes,  suivant  que  la  diph- 
tongue originelle  du  sg.  du  parfait  subsiste  ou  se  monophtongue, 
soit  donc  triban  tj-eib  et  :{ihan  ^éh.  Et,  dans  la  2*  classe,  même  sous 
le  couvert  de  l'astérisque,  on  ne  saurait  restituer  'hiiifan,  qui  n'a 
point  existé  :  il  faut  lire  *hiofan. 

La  déclinaison  indo-européenne  est  tracée  de  main  de  maître,  avec 
une  sobre  clarté  '.  Mais  on  sent  malheureusement  que,  lorsque 
l'auteur  s'aventure  sur  le  terrain  du  sanscrit,  il  ne  fait  que  suivre  un 
guide  qu'il  ne  comprend  pas  toujours  :  où  a-t-il  pris  fp.  544)  que 
l'usage  sanscrit  soit  de  joindre  à  un  sujet  pluriel  neutre  un  prédicat 
singulier?  M.  J.  Schmidt  a  de  bons  yeux;  et  c'est  à  peine  si,  en  cher- 
chant bien,  —  car  il  en  avait  Ironne  envie,  —  il  a  pu  dénicher  dans 
tout  le  Rig-Véda  trois  ou  quatre  applications  de  la  règle  -rà  Çwa  toé/c-.  ; 
encore  ne  sont-elles  pas  toutes  claires  \ 

Au  chapitre  des  adjectifs  je  relève  (p.  556)  une  bien  élégante  expli- 
cation du  passage  des  anciens  thèmes  en  -ii~  à  la  flexion  en  -yo-  :  la 
transition  s'est  faite  par  le  féminin,  soit  *hardn'jôs  «  dures  »  (cf.  gr. 
-f.osi'a;)  devenu  hardjôs^  qui  a-amené  par  analogie  un  ace.  msc.  pi.  got. 
hardjans  au  lieu  de  *harduns.  A  la  page  suivante,  1.  6,  il  faudrait 
avertir  le  lecteur  que  le  doublet  vieux-norrois  cité  {blindii  blindum) 
est  un  datif  singulier.  P.  559,  au  sujet  des  comparatifs,  la  brillante 
découverte  de  M.  Thurneysen  n'a  point  trouvé  place,  quoique  sans 
elle  il  soit  à  peu  près  impossible  de  comprendre  pourquoi  le  comparatif 
germanique  ne  connaît  que  la  déclinaison  faible  :  il  faut  poser  got. 
-i:^a  =  gr.  •-•7wv  devenu  -'m-j,  et  tout  se  tient  ainsi. 

Les  numéraux  ags.  Uuêgen^  as.  tn'éna  et  ahd.  \ivêne  fp.  690,  725 
et  759)  gardent  leur  physionomie  de  sphinx  :  sans  reproche  pour  les 
auteurs  ;  mais  il  était  bon  de  le  constater.  Je  suis  bien  trompé,  cepen- 
dant, si  les  deux  derniers  tout  au  moins  ne  contiennent  une  contami- 
nation quelconque  du  nombre  i  :  il  y  a  longtemps  que  l'on  a  constaté 
l'influence  réciproque  des  voisins  de  série  ;  mais  par  quelle  voie 
pareille  influence  se  serait  exercée  ici,  et  pourquoi  plutôt  au  masculin 

1.  Comme  il  ne  faut,  autant  que  possible,  jamais  rien  enseigner  qu'on  ne 
justifie,  si  l'on  admet  —  ce  qui  est  fort  plausible  —  que  la  désinence  du  génitif 
sg.  des  thèmes  en  -0-  était  -syo,  et  que  c'est  le  germano-slave  qui  l'a  changée  en 
-50,  d'abord  dans  les  thèmes  pronominaux,  puis  dans  les  substantifs  (p.  335),  il 
est  facile,  pour  ne  point  laisser  l'esprit  de  l'élève  sur  une  interrogation  insoluble, 
de  renvoyer  tout  au  moins  au  Grundriss  de  .M.  Brugmann,  II,  p.  77g. 

2.  Cf.  Revue  critique,  XXVIII  (1889),  p.  i  i3.  —  Dans  le  passage  R.  V.  x.  7G.  6, 
la  correctioTi  sôtum  pour  sôtu,  déjà  indiquée  par  Roth  et  Grassniann,  parait 
s'imposer;  et  d'ailleurs,  ici,  le  sujet  est  un  pluriel  masculin,  .\insi,  au  grand 
maximum,  cinq  exemples  sur  un  nombre  incalculable  de  phrases,  c'est  tout  ce 
qu'une  familiarité  de  vingt  années  avec  la  littérature  védique  m'a  permis  de 
découvrir.  Et  M.  Delbrûck  \Altind.  Syntax,  p.  83;  n'en  admet  que  trois  ! 


348  REVUE   CRITIQUE 

qu'aux  deux  autres  genres,  je  le  laisse  à  trouver  à  plus  tin  que  moi.  Je 
ne  vois  pas  non  plus  ce  qu'il  y  a  de  particulièrement  «  auffiillig  » 
(p.  729)  dans  le  contraste  du  nominatif  pi.  helidôs  et  de  l'accusatif  pi. 
hringa,  alors  qu'il  ne  se  constate  que  dans  le  poème  de  Hildebrand, 
la  langue  de  ce  morceau  étant  à  bon  droit  tenue  pour  hybride  :  l'une 
et  l'autre  forme  est  à  la  fois  nominatif  et  accusatif;  mais  la  première 
appartient  au  bas-allemand,  la  seconde  seule  au  haut-allemand.  Le 
type  mî  ou  di  pour  mir  ou  dir  (p.  742)  est  dans  le  même  cas  ;  dans  le 
confessionnaire  de  ^^"ùrzburg  il  pourrait  n'être  qu'une  simple  graphie. 

La  petite  addition  de  la  p.  779  (1.  23)  est  assez  étrange  :  à  un  para- 
graphe qui  enseigne  le  changement  éventuel  de  a  en  o  après  labiale, 
il  faut  ajouter  «  ahnlich /zm/ fur^;?/».  Il  n'y  a  guère  parité,  ce  me 
semble;  et  puis  n'est-il  pas  beaucoup  plus  simple,  et  presque  indis- 
pensable en  présence  de  l'oberdeutsch  fuch^ehn  «  i5  »  et  du  souabe 
fuft  «  5«  »,  de  restituer  un  type  germanique  'funhw-  qui  répond  à 
l'état  réduit  du  *pénqe  primitif? 

L'appendice  de  25  pages  qui  termine  le  livre  et  porte  essentiellement 
sur  la  phonétique,  le  met  d'ailleurs  parfaitement  au  courant  des 
controverses  les  plus  récentes.  J'ose  même  croire  qu'il  n'y  aurait  pas 
profit  à  les  multiplier  :  la  clarté  de  la  grammaire  germanique  est  si 
satisfaisante  dans  l'ensemble,  qu'il  fait  peine  de  la  voir  compromise 
par  des  discussions  de  détail. 

V.   Henry. 


Victor  du  Bled.  La  société  française  du  XVrau  XX'  siècle  — XVI«  et  XVII* 
siècles,  in-i2,  3i8  pp.  Paris,  Perrin,  1900. 

Nous  serons  bien  déçus  en  lisant  ce  livre.  Son  titre  semblait  pro- 
mettre un  tableau  d'ensemble  de  la  société  française  pendant  deux 
cents  ans  et  nous  n'y  trouvons  que  quelques  études  sur  le  monde  des 
salons.  Et  ce  qui  est  plus  surprenant  encore,  c'est  d'entendre  l'auteur 
déclarer,  au  commencement  de  sa  préface,  qu'une  histoire  de  la  société 
française  :  «  c'est  proprement  une  histoire  des  mœurs  polies,  de  la 
grâce,  de  l'urbanité,  des  hommes  et  des  femmes  d'esprit,  des  salons  et 
de  la  conversation,  de  l'amour  mondain  et  de  l'amitié  »  et  pas  autre 
chose.  Mais  ce  monde  si  restreint,  il  le  réduit  encore  à  six  ou  sept 
points  particuliers  ;  les  Amadis,  V Académie  de  Charles  IX,  le  ro- 
man de  l'Astrée,  la  cour  de  Henri  IV,  l'hôtel  de  Rambouillet,  la  so- 
ciété intime  du  cardinal  de  Richelieu,  la  société  et  Port-Royal.  Ce 
livre  est  en  somme  un  recueil  de  quelques  dissertations  sur  la  haute 
société  du  XVII«  siècle  et  rien  de  plus. 

Ces  dissertations  sont  assez  substantielles,  mais  peu  approfondies. 
On  connaît  à  peu  près,  pour  les  avoir  rencontrées  un  peu  partout,  les 
innombrables  anecdotes  dont  l'auteur  construit  ses  récits,  mais  il  n'a 


d'histoire  et  de  littérature  349 

pas  assez  le  talent  de  mettre  en  relief  celles  qui  sont  vraiment  caracté- 
ristiques, de  sorte  qu'on  n'emporte  de  cette  lecture  qu'un  souvenir 
vague  où  ne  subsiste  aucun  aperçu  frappant.  On  se  plaira  peut-être  à 
lire  ce  livre  pour  se  remettre  en  mémoire  maints  petits  faits  qu'on  a 
oubliés,  mais  je  doute  fort  qu'on  y  puisse  apprendre  quelque  chose. 

Raoul  Rosières. 


Saint-Simon,  Mémoires;  édition  de  M.  A.  de  Boislisle,  t.  XIV.  Paris,   Hachette, 
1899;  700  pages  in-8°  (Collection  des  Grands  Écrivains  de  la  France). 

Que  dire  aux  lecteurs  de  Saint-Simon  qui  connaissent  déjà  les 
treize  premiers  volumes  des  Mémoires  dans  l'édition  de  M.  de  Bois- 
lisle pour  leur  annoncer  la  publication  du  quatorzième  volume?  Que 
dire  d'autre  part,  à  la  même  occasion,  aux  lecteurs  de  Saint-Simon 
qui  ne  connaîtraient  pas  cette  édition,  s'il  pouvait  s'en  trouver  d'aussi 
infortunés  ?  Bornons-nous  donc  à  analyser  ce  tome  quatorzième. 

Le  texte  même  de  Saint-Simon  renferme  la  fin  de  Tannée  1706  et  le 
commencement  de  l'année  1707  ;  il  s'ouvre  avec  le  siège  de  Turin  et 
se  termine  peu  après  la  bataille  d'Almanza.  Les  parties  les  plus  déve- 
loppées de  cette  période  se  rapportent  aux  malheureuses  opérations 
de  Turin,  pour  lesquelles  l'auteur  devait  des  renseignements  de  pre- 
mier ordre  à  ses  relations  avec  le  duc  d'Orléans;  — au  procès  intenté 
par  le  prince  de  Guémené  au  duc  de  Rohan  sur  le  nom  et  les  armes 
de  Rohan,  dont  l'exposé  figure  ici  pour  réparer  un  oubli  de  l'an- 
née 1704; —  à  la  fameuse  affaire  des  faux  généalogiques  sur  les  origines 
de  la  maison  de  Bouillon,  autre  oubli  de  l'année  1704;  —  à  la  Dime 
royale  de  Vauban  et  aux  livres  de  Boisguilbert; — au  premier  président 
Harlay,  dont  le  portrait,  déjà  esquissé  à  plusieurs  reprises,  est  ici  des- 
siné dans  son  entier,  à  propos  de  la  mise  à  la  retraite  de  «  ce 
cynique  »,  avec  toutes  les  laideurs  physiques  et  morales  que  Saint- 
Simon  attribue  au  modèle;  —  aux parvulo  de  Meudon  ;  —  à  la  cam- 
pagne d'Almanza. 

Pour  le  commentaire  perpétuel  qui  accompagne  le  texte,  on  con- 
naît l'abondance,  la  précision,  la  sûreté  avec  lesquelles  M.  de  B.  sème 
à  chaque  page  les  richesses  de  son  érudition  impeccable,  qui  doit 
faire  dans  l'autre  monde  l'étonnement  de  Saint-Simon  lui-même  et 
qui  fait  dans  celui-ci  la  joie  de  tous  ceux  qui  ont  un  peu  fréquenté  le 
grand  règne. 

Les  Additions  de  Saint-Simon  au  Journal  de  Dangeau  sont  au 
nombre  de  145  (694-739).  A  propos  du  duc  de  Créquy  (708),  Saint- 
Simon  y 'donne  des  anecdotes  qui  ne  se  retrouvent  pas  dans  les 
Mémoires;  de  même,  à  propos  de  l'abbé  de  Montgon  (714). 

Les  Appendices  de  M.  de  B.  occupent  avec  les  Additions  et  Correc- 
tions plus  de  I  5o  pages  de  petit  texte.  Les  dix-sept  Appendices  méri- 


?5o  REVUE    CRITIQUE 

teraient  d'être  analysés  en  détail;  car  chacun  d'eux  se  compose, 
comme  on  le  sait  par  les  volumes  précédents,  ou  de  documents  iné- 
dits ou  d'un  mémoire  qui  renouvelle  telle  question  de  Thistoire  du 
siècle  de  Louis  XIV.  Faute  de  pouvoir  tout  dire,  je  signale  les 
Appendices  suivants. 

II.  Le  duc  d'Orléans  et  la  campagne  d'Italie.  Série  de  vingt-ne.uf 
lettres  inédites,  dont  plusieurs  de  grande  valeur  pour  le  récit  de  ces 
tristes  événements,  au  bas  desquelles  on  lit  les  noms  du  duc  d'Orléans, 
du  duc  du  Maine,  des  deux  duchesses  d'Orléans,  de  la  duchesse  de 
Bourgogne,  du  prince  de  Vaudémont,  de  Chamillart,  etc. 

VIII.  Le  cardinal  de  Bouillon,  Baluze  et  le  procès  des  faussaires. 
Ce  serait  peut-être  manquer  de  respect  à  la  gravité  de  l'histoire  et 
donner  à  un  lecteur  distrait  une  singulière  idée  de  la  science  admira- 
blement informée  de  M.  de  B.  et  de  son  talent  d'exposition  fait  de 
sobriété  et  de  limpidité,  que  de  dire  que  ces  vingt-cinq  pages  se  lisent 
comme  le  plus  intéressant  des  romans.  C'est, du  moins  le  plaisir  que 
j'ai  ressenti  à  suivre  dans  le  détail  les  relations  du  duc  de  Bouillon  et 
surtout  du  cardinal  de  Bouillon  avec  des  généalogistes  et  historio- 
graphes plus  ou  moins  complaisants,  dont  l'un,  l'obscur  Jean-Pierre 
de  Bar,  poussa  la  complaisance  jusqu'à  découvrir  tout  à  coup  les 
preuves  diplomatiques  des  origines  aussi  illustres  qu'anciennes  de  la 
maison  de  la  Tour.  La  merveilleuse  trouvaille,  qui  avait  abusé  des 
hommes  comme  Baluze,  Ruinart,  Mabillon,  aboutit,  comme  on  le 
sait,  à  un  interminable  procès,  où  son  ingénieux  auteur  fut  convaincu 
de  faux,  où  Baluze  lui-même  faillit  être  impliqué,  où  le  cardinal  de 
Bouillon  vit  ses  chimères  détruites.  M.  de  B.  annonce  qu'il  doit  faire 
paraître  un  volume  sur  tous  les  détails  et  les  héros  de  cette  affaire 
scandaleuse  ;  ces  pages  substantielles  forment  comme  le  canevas  du 
prochain  volume. 

IX.  Le  comte  de  Gramont.  Notice  sur  le  célèbre  courtisan  et  sur 
ses  beaux-frères  les  Hamilton,  marquée,  comme  toujours,  au  coin  de 
cette  science  étonnante  des  hommes  et  des  choses  du  xvii*=  siècle. 

XII.  Boisguilbert  et  les  Contrôleurs  généraux.  Longue  biographie  du 
précurseur  des  économistes,  historique  de  ses  divers  travaux,  exposé 
de  ses  rapports  avec  Pontchartrain,  Chamillart,  Vauban,  Desmaretz, 
le  tout  avec  une  abondance  de  renseignements  inédits  qui  ne  laisse 
pas  beaucoup  à  dire  à  ceux  qui  viendront  ensuite.  Il  est  à  remarquer 
que  Saint-Simon  a  parlé  du  personnage  avec  beaucoup  d'exactitude 
et  que  l'hommage  qu'il  lui  a  rendu  est  pleinement  mérité. 

XIV.  Les  billets  de  monnaie.  Ici  encore,  à  propos  des  premiers 
billets  de  banque  qui  ont  été  mis  en  circulation  en  France,  M.  de  B. 
a  publié  une  notice,  aussi  neuve  et  instructive  qu'abondamment 
documentée. 

XV.  Le   premier  président  Harlay,   Réunion  de  tous  les   témoi- 


-I 


d'histoire  et  de  littérature  35  I 

gnages  du  temps  sur  le   fameux  magistrat,   gràco  auxquels  on  peut 
contrôler  les  traits  du  portrait  dessiné  par  Saint-Simon. 

Dans  ce  trésor  de  science  historique,  j'ai  signalé  quelques  joyaux 
pour  leur  grosseur  et  leur  nouveauté;  mais  quelle  partie  de  ce  riche 
écrin  n'a  pas  son  prix?  M.  de  Boislisle  dit,  non  sans  quelque  ironie, 
que  le  public  n'avait  pas  paru  s'émouvoir  outre  mesure  de  la  réhabili- 
tation de  Boisguilbert  entreprise  il  y  a  déjà  plus  de  trente  ans.  Ceux 
du  moins  qui  étudient  à  un  titre  quelconque  l'histoire  du  règne  de 
Louis  XIV  ne  quitteront  pas  ce  nouveau  volume  des  Mémoires  sans 
exprimer  une  fois  de  plus  au  commentateur  de  Saint-Simon  leur 
reconnaissance  et  leur  admiration;  leur  gratitude  va  aussi  aux  édi- 
teurs qui  élèvent  à  notre  histoire  nationale  cet  incomparable  monu- 
ment. 

G.  Lacour-Gayet. 


La  lettre  P  du  Complément  du  Dictionnaire  de  l'ancienne  langue  fran- 
çaise par  F.  GoDEFROY,  94,  93  et  96"=  fascicules,  librairie  Emile  Bouillon  :  Prix  ; 
i5  francs. 

On  chercherait  vainement  dans  ces  trois  fascicules  de  la  lettre  P  un 
assez  grand  nombre  de  mots  qui  n'ont  pas  d'historique  dans  les  Dic- 
tionnaires, ou  dont  l'historique  ne  remonte  pas  assez  haut,  quoi  qu'ils 
soient  en  usage  avant  la  tin  du  xvi«  siècle,  et  quelques  uns  bien  anté- 
rieurement. Tels  sont  :  pagode  (iSSj),  pâlot'  (1468),  panacher  (iSSg), 
papesse  (  1450),  parage  \  pariétal  (  i  540),  parodie  (iSjS),  patente  (iSgo), 
pàton,  pédagogique,  péniblement  (ixv®  siècle),  perchoir  (1401),  percu- 
ter (i6io),pétalisme,  pétase,  pharmacopole,  pieuvre  (xiii^  siècle),  pina- 
cothèque, pisse-vinaigre  =  personnage  morose,  d'humeur  difficile,  et 
non  pas  avare,  ladre,  comme  l'explique  Littré.  Pomperie  (1602),  action 
de  pomper  ;  dans  Littré  :  fabrication  des  pompes  ;  pondérateur,  au 
sens  de  curateur  ;  porte-crosse,  porte-lof  (xiv^  siècle),  porte-parole, 
porte-verge,  pourlécher  (xv^  siècle),  prcdécès,  prééminent  (i52o),  pré- 
nom (i556),  prestimonie,  prétérition,  préture  (xv^  siècle),  primatial, 
probatoire,  proclivité,  profusion  (xiv^  siècle),  progéniture  (i5i2),  pro- 
pylée, protée  (i56i),  provignage,  pyrrhonisme,  provocant,  purifiant 
et  protoplaste.  A  propos  de  ce  dernier  mot,  je  dirai,  entre  parenthèses, 
que  beaucoup  de  vocables  translatés  du  grec  ou  tirés  du  grec  par  l'in- 
termédiaire du  latin  ont  échappé  à  Godefroy  ou  à  ses  continuateurs. 
Il  n'est  pas  sans  intérêt  de  savoir  qu'au  xvi<:  siècle,  et  peut-être  avant 
sont  usités  :  anomalie,  antichrèsc,  apepsie,  autopsie,  ascète,  anagly- 
phe,  apodictique,  diagnostique,  diastème,  entcrocèle,  ctiologie,  hecti- 
sie,  dodécacorde.  épenthèse,  éphèbe,  lipothymie,  iotacisme  sous  la 
forme  iotaquisme,  et  bien  d'autres  termes  que  l'on  croit  être  plus  ou 
moins  modernes. 


352  REVUE  CRITIQUE 

Je  ne  cesserai  pas  de  répéter  que  dans  un  Dictionnaire  tel  que  celui- 
ci,  n'auraient  pas  dû  figurer  des  articles  trop  naïvement  empruntés  à 
l'historique  de  Littré.  J'en  ai  seulement  noté  une  centaine,  après  quoi 
Je  me  suis  arrêté.  Par  conséquent  sont  absolument  superflus,  à  mon 
avis,  et  tout  à  fait  inutiles,  puisqu'ils  n'ajoutent  rien  à  ce  que  nous  sa- 
vons, des  articles  tels  que  «  panade,  pactiser,  parasiterie,  pédantisme, 
peuplade,  pharmacie,  pica,  picoture,  etc.,  etc.  »  Je  remarque  sous  le 
mot  patrie  un  ex.  de  Jacques  Chartier  donné  par  Lacurne,  re- 
produit par  Littré,  mais  qu'on  perdrait  son  temps  à  chercher  dans  le 
vieux  chroniqueur,  car  il  est  de  l'invention  de  son  éditeur  Denys  Gode- 
froy,  comme  je  le  démontrerai  ailleurs.  Chartier  n'est  donc  pas  l'in- 
venteur du  mot  patrie^  quoiqu'on  ne  cesse  pas  de  le  lui  attribuer.  Sous 
l'article  parchasser,  emprunté  encore  à  La  Curne  est  un  exemple  de 
ce  verbe,  attribué  d'après  lui  à  G.  Phébus  :  or  l'édition  de  Lavallée 
donne  rechasser.  Il  peut  se  faire  que  parchasser  soit  dans  quelque 
manuscrit,  mais  il  faut  se  défier  de  La  Curne  :  sur  cent  passages,  par 
exemple,  qu'il  cite  soit  du  Roman  de  la  Rose,  de  Brut,  ou  d'Eust. 
Deschamps,  il  y  en  a  au  moins  la  moitié  d'estropiés,  et  je  n'exagère 
pas,  mais  revenons  au  Complément.  Sous  le  verbe  paistre  est  cité  ce 
proverbe  :  «  La  force  paist  le  pré  )>,  ce  qui  voudrait  dire  «  qu'avec  de 
la  persévérance  et  de  la  ténacité  on  vient  à  bout  des  choses  les  plus 
difficiles.  »  Dans  son  Glossaire  roman,  Cachet  d'accord  avec  P.  Paris, 
l'explique  autrement  :  «  Nécessité  fait  loi.  «  C'est  là,  il  me  semble,  le 
véritable  sens  qu'on  doit  attacher  à  ce  proverbe,  car  nos  trouvères 
manquent  rarement  de  le  citer  quand  quelque  brave  chevalier  est  ac- 
cablé sous  le  nombre  de  ses  ennemis.  Godefroy  de  Paris,  dans  sa 
Chronique  métrique  le  donne  sous  cette  forme  :  «  Là  perdi  la  force  le 
pré.  » 

G.  a  dit  que  le  Dictionnaire  de  Littré  «  présentait  quelques  lacunes 
ou  quelques  imperfections  ;  que,  faute  de  lecture  suffisante,  surtout 
des  manuscrits,  trop  souvent  l'historique  manquait  tout  à  fait  ou  ne 
remontait  pas  assez  haut.  »  Il  faut  bien  reconnaître  que  son  Complé- 
ment est  très  loin  de  combler  ces  lacunes  historiques,  et  il  n'est  pas 
besoin  de  déchiffrer  les  vieux  manuscrits  pour  le  prouver.  Ainsi,  on 
trouve  dès  le  xii«  siècle  :  paneterie,  patronage,  pelleterie,  porphyre, 
portrait,  prudent,  et  au  xiii«  :  parpaing,  pauvret,  penitential,  peteur, 
piéton,  piqueur,  pléiade,  podagre,  sf.,  potelé,  prérogative,  primauté, 
promulgation.  J'ai  rencontré  au  xiv«  siècle  les  mots  suivants  dont  il 
n'est  donné  dans  le  Complément  que  des  exemples  du  xv*  et  surtout  du 
xvi«  siècle  :  palpiter,  paralogisme,  paranymphe,  parasite,  parcimonie, 
paternellement,  patronner,  pénalité,  pénitentiel,  pensionner,  pérégri- 
nateur,  pérégriner,  perruque,  pertinacité,  philologie,  philtre,  picoter, 
pieusement,  pileur,  piller,  pilote  :  «  Pour  les  gaiges  d'un  pilot  jus- 
qu'au dernier  jour  de  juillet,  ix  1.  (iB^g).  »  La  liste  est  longue,  mais 
comme  elle  pourra  intéresser  les  lexicographes,  je  la  continue  :  pivert, 


d'histoire  et  de  littérature  353 

pluralité,  poétiquement,  police  ",  polluer,  positivement,  pouliot  ", 
poupe,  précurseur,  prégnante,  préfiguration,  prévenir,  primogéniture, 
puberté,  puéril,  puérilement.  Au  xv^  siècle,  ne  sont  pas  rares  :  pansu, 
paquet,  parangon,  parcourir,  passe-fleur,  penchant,  adj.,  piqûre,  pis- 
senlit, plaisanter,  populeux,  potiron,  précellence.  Enfin  il  y  a  des 
exemples  antérieurs  d'un  demi  siècle  à  ceux  qui  sont  cités  sous  les  ar- 
ticles phrase,  parabole  %  paraboliquement,  papa,  piauler,  piloter  ", 
plastronner,  plumeté,  proclamation,  prodrome,  etc. 

Bon  nombre  d'articles  resteraient  à  compléter,  dont  j'indiquerai 
seulement  quelques-uns.  Paradoxe,  sf  :  J'ouse  bien  avancer  une  para- 
doxe fort  estrange.  —  Paletot,  paltoc,  on  trouve  le  mot  au  féminin  : 
sa  palletoque  deschirée.  —  Palliatif  =  couvert,  dissimulé  :  Ils  ne  le 
dient  pas  a  bouche  ouverte,  mais  sous  paroles  palliatives,  fardées.  — 
Panégyrique,  adj.  :  Un  flatteur  panagyrique.  Parlant  =  affable  :  A 
chescun  parlant  soies.  —  Patience  =  souff'rance  :  Et  est  ceste  maladie 
une  mortelle  patience.— Pantoufle  :  c'est  un  maistre  pantoufle;  il  cuy- 
de  respondre  aux  pensées.  —  Papilloter  :  Le  cœur  luy  papillote.  — 
Le  cœur  papillotant  on  leur  sent  tressaillir.  —  Papa  =  langage  enfan- 
tin :  parlant  le  papa  des  petits  enfans.  —  Pardonneur  =  vendeur  de 
pardons  :  Ses  pardonneurs  d'Amiens  qui  cueillent  d'église  en  église. 
Dans  Rabelais  :  gagneur  de  pardons. —  Paresse  :  Un  champ  en  paresse 
laissé  Du  laboureur.  —  Paresseux  :  La  nuit  avait  la  terre  voilée  D'un 
manteau  noir  ombreux  et  paresseux.  —  Passer  =  marcher  au  pas.  Il 
n'amble  ne  passe  ne  trote.  —  Patrouillis  :  on  a  employé  patouillis 
avec  le  même  sens.  —  Paturon  ?  Pour  faire  de  forgeure  en  ladite  geolle 
12  paires  de  fer  tous  neufs,  et  faire  les  paturons  d'autres  12  fers,  an- 
née 1345.  —  Pécore,  masc.  :  un  pécore  et  ignorant  des  bonnes  lettres. 

—  Pédagogue,  adj.  :  Ces  esprits  surveillants  et  pédagogues  des  causes 
divines  et  humaines.  —  Pelisse  :  Secouer  la  pelice  à  quelqu'un  =  le 
battre.  —  Perspectif  =  qui  connaît  la  perspective  :  Bon  paintre  et 
perspectif.  —  Perle,  souvent  masculin  :  Saphir  et  gros  pelles.  —  Pelles 
assis  par  grant  maistrie.  —  Petit  :  S'elle  faisoit  la  petite,  ou  qu'elle  me 
jectast  doux  yeux,  —  Pique-bœuf  =  gaule  à  piquer  les  bœufs  :  Les 
bouviers  se  servent  des  branches  de  cormier  pour  faire  leurs  pique  — 
bœufs.  —  Plaquer  :  Et  haiant  ce  dit,  la  placqua  là,  comme  nous  disons 
«  planter  là  quelqu'un  ».  — Plongeon  :  par  métaphore,  plongeur, 
«  plongeons  qui  sont  hommesqui  se  tiennentlongucmcntsoubz  l'eau  ». 

—  Poche  :  2  hanaps  vermeulx  dont  l'un  est  à  poche  d'argent.  —  Poète, 
s.  f.  et  adj.  :  La  belle,  la  gorgiase,  la  poète.  —  O  toi  qui  peux  du  plus 
doux  cygne  animer  les  poètes  sens.  —  Pointe  :  Que  le  jour  de  nostre 
enterraige  ayt  cent  torches  et  le  demourant  en  cierges  et  poinctes.  — 
Ainsi  la  dame  bêle  et  cointe  s'en  va  bâtant  la  haulte  poinctc.  —  Pois 
sucré  :  quelques  mignards  pinpernaulx  et  pois  sucrez.  —  Poreau  :  Si 
vous  estiez  hors  de  céans  je  vous  gallcrai  vostre  poyrcau.  —  Polis- 
seur, polisseresse  :  Jacqueline  d'Orléans  polisseresse.  — Potage  :  Se  je 


354  REVUE    CRITIQUE 

puys  je  luy  dresserai  du  potage  =  je  lui  jouerai  un  mauvais  tour.  ^- 
Préférence  =  supériorité  :  Les  Atiieniens  firent  couper  les  pouces 
aux  ^îlginetes  pour  leur  oster  la  préférence  en  Tart  de  marine .  —  Pré- 
sentation =  prestance  :  Bel  prince  estoit  et  de  belle  présentation.  — 
Prêtrise  =  les  prêtres,  le  clergé,  dans  Ronsard,  T.  VI,  260  et  T.  VII, 
4?.  49.  —  Prioré,  s.  f.  :  Devant  la  porte  Saint  Ameil,  une  prioré.  — 
Prophétesse,  adj.  :  La  voix  prophetesse.  —  Proviseur,  proviseresse  : 
Mère  de  Salut,  nourrice  et  proviseresse  de  vie.  —  Pulluler,  v.  act.  : 
Les  richesses  forgent  les  peculats,  pullulent  les  sacrilèges.  Tous  ces 
exemples  sont  plus  ou  moins  antérieurs  à  la  fin  du  xvi=  siècle. 

A.  Delboulle. 


R.    Saitschick.    Génie    und   Charakter.  Shakespeare.   Lessing,    Schopenhauer. 
R.   'Wagner.  Berlin,  Hofmann,  1900.  p.  i3y,  In-18. 

Je  ne  sais  pas  si  un  plan  déterminé  a  guidé  M.  Saitschick  dans  le 
groupement  de  ces  quatre  courtes  études  sur  Shakespeare,  Lessing, 
Schopenhauer  et  R.  Wagner  ;  elles  restent  en  tout  cas  complètement 
indépendantes,  et  sans  contester  la  possibilité  d'un  rapprochement 
entre  le  poète,  le  critique,  le  philosophe,  et  l'artiste,  il  est  peut-être 
inutile  de  chercher  un  lien  à  des  articles  de  revue  réunis  en  brochure. 
Quoi  qu'il  en  soit,  l'auteur  nous  devait  bien  quelques  mots  d'expli- 
cation au  début.  M.  Saitschick,  délaissant  l'appareil  biographique  et 
le  commentaire  littéraire,  analyse  l'individualité  de  ses  personnages, 
pour  montrer  les  points  d'attache  entre  le  caractère  et  le  génie  de 
chacun  d'eux.  S'il  n'est  pas  arrivé  à  des  conclusions  nouvelles,  ses 
quatre  chapitres  valent  du  moins  par  des  remarques  de  détail;  mais  il 
leur  manque  à  tous  un  plan  net  et  une  vigueur  de  déduction  qui  en  ce 
genre  d'études  assure  les  résultats  précis.  Trop  souvent  M.  S.  se  laisse 
entraîner  à  des  parallèles,  à  des  images,  et  il  oublie  que  comparaison 
n'est  pas  raison.  Trop  souvent  aussi  l'analyse  fait  place  à  une  critique 
laudative  toute  superflue.  Shakespeare,  sur  le  caractère  duquel  nous 
savons  si  peu,  il  le  conçoit  surtout  comme  un  impulsif,  un  génie  dont 
la  puissance  est  analogue  aux  forces  élémentaires,  aussi  impitoyables 
qu'inconscientes.  Lessing  est  la  critique  courageuse,  sans  ménage- 
ments, désintéressée,  indépendante,  si  profonde  et  si  téconde  qu'elle 
devient  créatrice.  Tout  cela  a  été  dit  bien  des  fois,  d'une  manière  plus 
probante  et  plus  complète  que  dans  ces  pages  insuffisantes  et  mêlées 
de  digressions.  L'article  suivant  sur  Schopenhauer  est  plus  développé 
et  mieux  venu.  Le  génie  du  plus  âpre  des  pessimistes,  du  «  penseur 
passionné  »,  pour  lequel  l'auteur  manifeste  une  sympathie  marquée  ej 
dont  il  a  heureusement  analysé  le  tour  d'esprit  et  de  langage,  tient  à 
son  sens  dans  deux  éléments  essentiels  :  une  vue  aigiie  des  hommes  et 
du  monde  et  une  sensibilité   ardente.    Comme  dans   Schopenhauer 


1 


d'histoire  et  de  littérature  355 

M.  S.  voit  dans  Wagner  un  passionné,  Tartiste  qui  a  eu  pour  Tart  les 
plus  hautes  exigences,  qui  veut  en  faire  non  plus  un  accessoire  de 
notre  vie  sociale,  mais  la  manifestation  la  plus  pleine  de  la  civilisation 
moderne.  De  ces  quatre  études  les  deux  dernières  sont  les  plus  satis- 
faisantes, parce  qu'elles  serrent  le  sujet  de  plus  près  ;  des  deux  autres, 
Tune,  la  première,  est  restée  trop  dans  le  vague,  la  seconde  est  surtout 
incomplète.  Dans  l'ensemble,  le  grand  public  fera  son  profit  de 
quelques  observations  justes,  de  certains  rapprochements  ingénieux 
et  d'une  synthèse  que  les  biographies  particulières  négligent  trop 
souvent.  Ce  petit  livre  Taidera  à  pénétrer  dans  l'intelligence  de  quatre 
génies,  choisis,  Lessing  peut-être  excepté,  parmi  les  plus  populaires. 

L.    ROLSTAN. 


Gaston  Deschamps.  La  vie   et  les   livres.  Cinquième  série.    Paris,  Colin,    1900. 
In-8,  353  pp. 

«  Je  suis  pour  la  sincérité  contre  le  savoir-faire,  pour  l'art  contre  la 
fabrication,  pour  le  bon  ouvrage  contre  la  camelote,  pour  les  lettres 
bienfaisantes  et  consolatrices  contre  les  calembredaines  d'alcôve  et  de 
cabinet  particulier.  Je  sais  qu'en  parlant  ainsi  je  m'expose  à  des 
haines  féroces.  J'en  ai  prévu  toutes  les  malices,  je  n'en  redoute  pas 
les  effets  et  j'en  revendique  l'honneur.  » 

Tout  doux!  Ne  dirait-on  pas,  à  lire  cette  profession  de  foi  presque 
stoïcienne,  que  M.  Deschamps,  l'aimable  Samediste  du  plus  prudent 
des  journaux,  brandit  souvent  la  massue  d'Alcide  et  reçoit,  pour  la 
bonne  cause  des  bonnes  lettres,  autant  de  coups  qu'il  en  donne  ?  Mais 
ceux  qui  le  suivent  depuis  ses  débuts,  avec  une  sympathie  parfois 
mêlée  d'agacement  —  cela  tient  au  style  particulier  de  M.  Deschamps, 
qui  ne  veut  pas  dire  «  je  pense  »,  mais  «  je  pense,  j'opine  et  je 
déclare  »  —  savent  qu'il  n'est  entré  en  lice  que  deux  fois,  la  première 
contre  un  mécréant  assez  huppé,  dont  il  s'est  abstenu  depuis  d'écrire 
le  nom,  la  seconde  contre  «  M.  Prudhomme  docteur  ès-lettres  », 
comme  disait  Sainte-Beuve  de  B.  Juliien,  scribe  inoffensif  qui  n'a  même 
pas  bêlé  sous  le  couperet.  Le  reste  du  temps,  sa  critique  indulgente  a 
suivi  le  public  plutôt  qu'elle  ne  l'a  devancé  et  s'est  abstenue  de  «  casser 
des  bustes  »,  fût-ce  dans  le  vestibule  du  palais  de  l'Institut.  Je  n'en 
fais  pas  un  reproche  au  loyal  auteur  de  tant  de  pages  ingénieuses, 
mais  je  ne  puis  m'eriipêcher  de  le  rappeler  à  un  sentiment  plus  exact 
des  chose"S,  lorsqu'il  se  campe  en  paladin  de  la  critique  intransigeante. 
Si  toutefois  M.  D.  y  tient,  comme  il  paraît,  je  prends  acte  de  son  affir- 
mation (p.  285)  qu'il  a  imprimé  pour  la  première  fois,  dans  un  jour- 
nal de  Paris,  «  le  nom,  jusqu'alors  inconnu,  de  M.  Anatole  le  Braz.  » 

Souvent,  trop  souvent  peut-être,  M.  D.  dénonce  la  «  rosserie  »,  la 


356  REVUE  CRITIQUE 

«  veulerie  »,  la  «  mufflerie  »,  et  d'autres  vilains  défauts  fin  de  siècle. 
Mais  qui  donc  sont  les  veules,  les  muffies,  les  rosses,  etc.  ?  Je  cher- 
che l«s  noms  et  prénoms  de  ces  vilains  bonshommes  et  ne  trouve 
que  de  nébuleuses  abstractions.  En  revanche,  M.  D.  sait  à  mer- 
veille nous  intéresser  à  des  personnages  en  chair  et  en  os  qui  ne  sont 
ni  veules,  ni  rosses —  comme  M.  Bazin,  dont  il  a  fort  bien  parlé  —  ou 
qui  ne  le  sont  qu'à  leurs  heures,  comme...  Mais  je  voudrais  d'abord 
qu'on  me  définît  un  peu  ces  mots  qui,  pareils  en  cela  à  tous  les 
vocables  argotiques,  sont  déplorablement  vagues.  En  attendant,  je 
dois  féliciter  M.  D.  d'avoir  mis  beaucoup  de  discrétion  dans  l'éloge  en 
parlant  de  M.  le  duc  d'Aumale  —  si  bassement  adulé,  vivant  ou 
mort,  par  tant  de  larbins  de  lettres  —  et  d'avoir  pardonné  au  pauvre 
Octave  t'euillet,  qui  n'est  pas  responsable  d'une  publication  indis- 
crète, le  ridicule  de  son  admiration  d'écolier  pour  les  paillons  et  le 
clinquant  de  Compiègne.  Il  y  a  fort  à  louer  encore  dans  les  «  Trois 
étapes  de  M.  Anatole  France  »,  dans  deux  notices  sur  les  romans  de 
M.  de  Vogué  et  surtout  dans  Province  et  Provinciaux .  J'aime  moins 
les  articles  sur  Gautier  et  sur  Mérimée,  où  il  est  trop  question  du 
«  milieu  »  et  trop  peu  des  œuvres.  A  la  p.  37,  M.  Deschamps,  d'or- 
dinaire très  exact,  confond  avec  l'académicien  Louis  de  Viel-Castel, 
honnête  homme  ennuyeux,  l'ignoble  singe  de  Brantôme  qui  répon- 
dait au  prénom  d'Horace,  auteur  de  Mémoires  qu'on  imprime  en 
Suisse,  qu'on  lit  un  peu  partout,  mais  qu'on  ne  se  vante  guère  d'avoir 
lus. 

S.  R. 


Th.  Bentzon,  Femmes  d'Amérique.  Paris.  Colin.  1900.  i  vol.  in-i8  jésus  333  p. 
3  fr.  5o 

Sous  ce  titre  l'auteur  a  réuni  un  certain  nombre  de  biographies 
dont  les  premières  nous  reportent  aux  premiers  temps  de  la  colonisa- 
tion de  l'Amérique  du  Nord,  à  l'époque  de  l'établissement  des  pèle- 
rins de  la  Mayflower  tandis  que  les  dernières  nous  mettent  en  face 
d'événements  aussi  récents  que  la  guerre  des  Etats-Unis  et  de  l'Espagne 
et  de  la  campagne  américaine  de  Cuba. 

L'auteur  a  donc  voulu  embrasser  toute  l'histoire  de  l'Amérique  du 
Nord  dans  la  série  des  biographies  qu'elle  nous  présente.  C'est  en 
quelque  sorte  l'histoire  de  l'influence  de  la  femme  sur  le  développe- 
ment des  États-Unis  au  point  de  vue  politique,  social,  religieux  et 
littéraire. 

Or  il  n'est  pas  de  pavs  où  l'influence  de  la  femme  sur  les  choses 
publiques  soit  aussi  facile  à  discerner  que  dans  l'Amérique  du  Nord. 

Des  femmes  comme  Mrs.  Hutchinson  au  xvn^  siècle,  comme 
Mrs.   Adam  au  moment  de  la  guerre  d'indépendance  et  de  la  consti- 


d'histoire  et  de  littérature  357 

tution  des  Etats-Unis,  comme  Mrs.  Beecher  Stowe  aux  jours  plus 
récents  de  la  campagne  de  l'abolition  de  Tesclavage,  ont  joué  un  rôle 
prépondérant  et  qu'il  est  intéressant  de  faire  ressortir.  Il  faut  donc 
dans  le  livre  de  Th.  Bentzon  né  pas  considérer  ces  biographies 
en  apparence  indépendantes  les  unes  des  autres  comme  détachées  et 
sans  lien;  ce  ne  serait  ni  pas  comprendre  l'inteniion  de  l'auteur,  ni 
saisir  la  portée  de  ces  études. 

Il  y  a  un  lien  qui  unit  entre  elles  ces  vies  de  femmes  si  dissemblables 
les  unes  des  autres,  comme  il  y  a  une  pensée  générale  qui  se  dégage 
du  livre  tout  entier. 

On  ne  saurait  douter  que  l'auteur  ait  voulu  montrer  comme  par  une 
longue  leçon  de  choses,  l'influence  féconde  que  la  femme,  tout 
en  restant  fidèle  à  ce  qui  est  la  destinée  même  de  son  sexe,  peut  avoir 
sur  les  affaires  publiques. 

L'auteur  a  prétendu  donner  une  leçon  —  du  moins  cela  me  semble 
ressortir  de  son  livre  —  et  à  ceux  qui  prétendent  borner  l'intelligence 
de  la  femme  aux  seuls  soucis  de  la  vie  ménagère  et  restreindre  son 
rôle  aux  seules  occupations  domestiques,  et  aussi  aux  outranciers  qui, 
dans  leur  zèle  d'émancipation,  enlèveraient  volontiers  aux  femmes 
tout  le  charme  et  l'attrait  qui  leur  sont  naturels  pour  les  lancer  dans 
une  mêlée  où  elle  n'ont  que  faire  et  à  laquelle  elles  ne  sont  préparées 
ni  par  ;leur  constitution,  ni  par  les  habitudes  et  les  mœurs  tradition- 
nelles dont  il  faut  bien  reconnaître  qu'elles  ont  fatalement  hérité. 

C'est  à  cette  conclusion  de  bon  sens  que  l'on  en  arrive  forcément 
en  fermant  le  livre  de  M.  Th.  Bentzon  et  il  faut  féliciter  l'auteur 
d'avoir  su,  discrètement  et  sans  dogmatisme,  mettre  en  lumière  cette 
profitable  leçon  qui  se  dégage  sans  effort  de  ces  études  à  la  fois 
solides  et  agréablement  écrites  d'un  style  clair,  précis,  et  plein  de 
charme  sans  prétention. 

J .  Lecoq. 


Sachs-Villatte.  Dictionnaire  encyclopédique  français-allemand  et  alle- 
mand-français. Édition  abrégée.  836  et  802  pages,  gr.  in-S».  Langenscheidt. 
Berlin,   1900. 

La  première  édition  de  cet  excellent  dictionnaire  a  paru  il  y  a  plus 
de  trente  ans.  Cent  vingt  mille  exemplaires  vendus  prouvent  l'accueil 
qui  lui  a  été  fait.  Cette  nouvelle  édition  se  distingue  par  le  soin  parti- 
culier qui  a  été  apporté  à  la  prononciation,  notamment  en  ce  qui  con- 
cerne la  division  des  syllabes  et  la  liaison  des  mots  en  français.  Un 
système  d'abréviation  fort  bien  entendu  permet  de  resserrer  une 
énorme  quantité  de  renseignements  dans  un  espace  relativement 
étroit.  Parmi  les  sigles  qui  servent,  à  spécifier  les  sens,  nous  remar- 
quons comme  innovation  la  présence   d'une  bicyclette  :  et,  en  effet. 


358  kEVUE   CRITIQUE 

le  dictionnaire  contient  des  articles  vélo,  pneu,  bécane,  etc.  Au  mot 
?'ay on  Von  trouve  les  raj^ons  Rœntgen.  Automobile  est  traduit  par 
Selbstfahrer,  d'après  ce  système  qui,  en  matière  de  termes  scienti- 
fiques, pousse  les  Allemands  à  se  mettre  en  dehors  du  concert  euro- 
péen. Le  langage  familier,  et  même  trivial,  a  sa  place  dans  ce  Diction- 
naire ^mais  non  pas  les  termes  indécents,  qui  ont  été  réunis  dans  un 
volume  à  part).  Au  mot  lapin  on  a  la  traduction  :  blinder  Passagier 
{neben  dem  kutschet- sit:{end) .  Parmi  les  sens  de  type  nous  trouvons 
Kerl.  Braise,  accompagné  d'un  P,  qui  signifie  «  populaire  »,  est 
rendu  par  Geld,  et  galette  par  Trinkgeld.  On  voit  que  rien  n'est  né- 
gligé pour  satisfaire  toutes  les  sortes  de  public.  Nous  avons  été  éton- 
né, au  motpiston,  de  ne  pas  trouver  Empfehlung. 

La  phonétique  est  traitée  avec  un  soin  presque  excessif;  on  ne 
compte  pas  moins  de  sept  espèces  d'à:  aussi  les  signes  diacritiques 
sont-ils  nombreux. Nous  regrettons  que  les  éditeurs  n'aient  pu  répéter 
au  bas  des  pages  l'explication  de  ces  signes,  comme  cela  est  pratiqué 
dans  le  dictionnaire  anglais  d'Annandales. 

Nous  en  avons  dit  assez  pour  rappeler  les  mérites  de  cet  ouvrage, 
qui  aura  dans  l'avenir  le  même  succès  que  par  le  passé. 

B. 


Commandant  O.  Barré.  La  géographie  militaire  et  les  nouvelles  méthodes 
géographiques.  La  France  du  Nord-Est.  Paris,  Berger-Levrault  1899,  122  p. 
avec  33  ligures  et  5  planches  en  couleurs. 

La  géographie  militaire  avait  besoin  d'être  rénovée  et  réhabilitée  ; 
non-seulement  le  commandant  Barré  s'est  assimilé  la  méthode  et  les 
notions  aujourd'hui  classiques  chez  ceux  qui  professent  la  géographie, 
mais  il  apporte  lui-même  des  conceptions  originales  au  risque  de  dé- 
truire certaines  idées  admises  comme  des  articles  de  foi.  C'est  ainsi 
qu'il  proclame  fausse  l'image  du  bassin  parisien,  telle  qu'Elie  de 
Beaumont  l'avait  esquissée  avec  ses  crêtes  concentriques  et  dont 
la  signification  militaire  était  si  vantée.  M.  B.veut  d'abord  qu'on  raye 
le  terme  de  crête  et  qu'on  le  remplace  par  celui  plus  propre  de  corni- 
che ;  il  conteste  l'existence  de  quelques-uns  de  ces  traits  du  relief, 
comme  par  exemple  «  cette  fameuse  crête  du  grès  vert  que  les  géogra- 
phes militaires  inventent  de  toutes  pièces.  »  Il  révoque  en  doute  la 
concentricité,  au  moins  pour  la  masse  tertiaire  qui  selon  lui  a  été  af- 
fectée d'un  mouvement  de  bascule  vers  le  sud  ;  et  quant  à  la  falaise, 
rebord  de  cette  masse,  il  montre  qu'elle  n'a  rien  d'homogène.  Ce  n'est 
point  le  lieu  ici  de  critiquer  ces  vues,  l'auteur  a  du  moins  le  mérite 
d'éveiller  des  curiosités  et  de  solliciter  des  contradictions  et  surtout 
«  de  changer  la  tournure  d'esprit  de  ses  lecteurs  »,  entendons  de  ceux 
qui  portent  l'uniforme. 


d'histoire  et  de  littérare  359 

Les  considérations  militaires  ne  sont  pas  moins  hardies  ;  elles  ébran- 
lent tout  le  système  de  défense  derrière  lequel  la  France  se  croyait  en 
sûreté;  elles  conseillent  des  mesures  stratégiques  nouvelles;  elles  sont, 
nous  n'en  voulons  pas  dire  plus,  singulièrement  décourageantes. 

B.  A. 


La  livraison  9  du  tome  IV  du  Recueil  d'archéologie  orientale  de  M.  Cicrmont- 

Ganneau  vient  de  paraître  à  la  librairie  Leroux.  Sommaire  :  19  Les  inscriptions  du 
tombeau  de  Diogène  à  El-Hds.  —  20  Les  inscriptions  «»»  2ig~  et  24g i  à  Wad- 
dington.  —  21  Le  martyre  de  saint  Léonce  de  Tripoli.  —  22  Héron  d'Alexandrie 
et  Poseidonios  le  Stoïcien.  —  2  3  Inscription  de  la  nécropole  juive  de  Joppé  (à  sui- 
vre). 

—  La  Société  de  Linguistique  de  Paris  rappelle  qu'elle  décernera  en  igor  un 
prix  de  mille  francs  (1,000  fr.)  au  meilleur  ouvrage  imprime'  ayant  pour  objet  la 
grammaire,  le  dictionnaire,  les  origines,  l'histoire  des  langues  romanes  en  général 
et  préférablement,  du  roumain  en  particulier.  L'auteur  pourra  appartenir  à  n'im- 
porte quelle  nationalité;  îl  pourra  être  ou  non  membre  de  la  Société  Linguisti- 
que. Seront  seuls  admis  à  concourir  les  ouvrages  écrits  en /ra>içai5,  roumain,  ou 
latin,  publiés  postérieurement  au  3i  décembre  1894.  Les  auteurs,  en  avisant  par 
lettre  le  Président  de  la  Société  de  leur  intention  de  prendre  part  au  concours,  de- 
vront lui  faire  parvenir  à  la  Sorbonne  avant  le  3i  décembre  1900,  deux  exemplai- 
res au  moins  de  leur  ouvrage. 

-  A  l'occasion  du  80"  anniversaire  de  M.  le  professeur  J.-L.  Ussing,  ses  élèves 
et  amis  ont,  en  .'collaboration,  publié  un  magnifique  volume  comprenant  dix-huit 
articles  pour  la  plupart  sur  l'art  et  les  littératures  classiques  :  sur  Euripide,  Hé- 
rodote, Homère,  sur  le  temple  de  Pœstum,  les  vieilles  monnaies  de  Syracuse,  etc. 
[Festkrift  til  I.-L.  Ussing.  Kœbenhavn,  Gyldendalske  Boghandels  Forlag,  1900. 
In-8*  de  270  p.  avec  8  planches  hors  texte.)  Nous  ne  saurions  les  citer  tous.  Nous 
ne  mentionnerons  ici  que,comme  étant  d'une  saisissante  actualité,  une  courte  étude 
de  M.  Karl  Hude  sur  «  La  force  et  le  droit  dans  l'antiquité.  »  Les  Athéniens,  ayant, 
en  416,  inopinément  et  sans  motif  plausible,  attaqué  les  habitants  de  l'île  de  Mé- 
los, ceux-ci,  comptant  sur  leur  bon  droit,  résistèrent  et  appelèrent  à  leur  secours 
leurs  puissants  congénères  de  Sparte.  Mais  les  Spartiates,  qui  dans  la  vie  journa- 
lière parlaient  volontiers  des  lois  morales,  ne  connaissaient,  dans  la  pratique,  que 
leur  avantage.  Les  Méliens,  abandonnés,  furent  vaincus  —  et  leurs  adversaires 
crurent  leur  faire  grand  honneur  en  se  les  asservissant.  Parmi  les  sujets  divers, 
nous  signalerons  aussi,  pour  nous  avoir  beaucoup  intéressé  —  ce  qui  n'enlève  ab- 
solument rien  de  leur  valeur  aux  articles  que  nous  passons  sous  silence  —  celui 
de  M.  Holzer  Pedersen  sur  la  coutume  qu'avaient  les  Celtes  de  se  défier,  à  la  table 
des  banquets,  à  qui  surpasserait  l'autre  par  ses  vantardises.  Une  scène  identique 
se  trouve  dans  la  «  Heimskringla.  »  M.  P.  veut  qu'elle  ait  été  apportée  d'Irlande 
par  les  Vikings.  Ce  serait  possible.  Cependant,  lui-même  estime,  d'après  la  nature 
d'un  assez  grand  nombre  de  mots  communs  aux  Celtes  et  aux  Germains,  qu'il  fut 
un  temps  où  ces  deux  peuples  parlaient  deux  dialectes  de  la  même  langue. 
C'étaient  donc  deux  peuples  frères.  Pourquoi  n'auraient-ils  pu,  en  ce  cas,  conser- 
ver, chacun  de  son  côté,  une  habitude  contractée  au  même  berceau?  11  nous  sem- 
ble qu'il  leur  en  est  resté  un  autre  souvenir,  et  bien  vivant,  en  ces  chansons  encore 
si  populaires  de  nos  jours,  où  deux  personnes  cherchent  réciproquement  a  se  con- 


36o  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE 

fondre  par  les  menteries  les  plus  hardies.  Faisons  enfin  avec  M.  Thor  Lange  un 
rapide  pèlerinage  au  pays  des  Vendes,  ces  derniers  représentants  d'un  peuple  jadis 
redouté,  et  qui,  maintenant,  enserrés  par  l'aigle  germanique,  sont  impuissants  à 
cacher  plus  longtemps  au  fond  de  leurs  forêts  sillonnées  de  cours  d'eaux  leurs 
vieilles  coutumes  et  leurs  antiques  traditions—  impuissants  même  à  conserver  la 
langue  des  ancêtres.  Tout  cela  passe,  tout  cela  disparaît.  Et,  à  ce  spectacle,  un  cri 
s'échappe  du  cœur  de  l'auteur  :  »  N'en  adviendra-t-il  pas  un  jour  autant  peut-être 
aux  Danois  du  Jutland  méridional  ?  »  On  peut  juger  par  [ce  court  aperçu  de  la 
variété  d'un  recueil  qui  fait  autant  d'honneur  au  maître  qui  a  su  l'inspirer  qu'aux 
disciples  qui  l'ont  composé.  —  Léon  Pineau. 


ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  3i  août  i goo . 

M.  Collignon  présente  une  couronne  funéraire  en  or,  offerte  au  Musée  du  Louvre 
par  M.  Paul  Gaudin.  Cette  couronne  provient  d'Erythrée  en  Asie  Mineure.  Elle  se 
compose  d'un  cercle  de  cuivre  recouvert  d'or,  auquel  sont  fixées  des  feuilles  d'oli- 
vier découpées  dans  une  mince  lame  d'or.  Par  sa  simplicité  élégante,  elle  rap- 
pelle plutôt  les  couronnes  de  banquet  figurées  sur  les  vases  peints  que  les  cou- 
ronnes funéraires  de  la  Grande  Grèce  et  de  la  Crimée. 

M.  Homolle  communique  une  inscription  d'Angora,  dont  il  doit  la  copie  à 
M.  Pons,  consul  de  France  en  cette  ville.  Ce  monument  qui  a  été  recouvert  presque 
immédiatement  après  avoir  été  trouvé,  a  donc  été  sauvé  par  le  zèle  de  M.  Pons. 
L'inscription,  qui  compte  plus  de  trente  lignes,  date  des  premières  années  du 
II*  siècle  p.  C.  ;  elle  était  gravée  sur  la  base  d'une  statue  élevée  à  Claudius  Seve- 
rus,  descendant  du  roi  Dejotaros,  des  deux  tétrarques  de  Galatie  appelés  Amyn- 
tas,  et  du  roi  d'Asie  Attale,  apparenté  à  de  nombreuses  familles  consulaires  et 
sénatoriales.  Il  s'était  distingue  par  ses  générosités  envers  la  ville  d'Ancyre,  y  avait 
exercé  les  plus  hautes  fonctions  civiles  et  religieuses,  et  avait  secondé  de  tout  son 
pouvoir  les  troupes  en  marche  contre  les  Parthes  dans  l'expédition  de  Trajan  en 
I i5-i  i6. 

M.  Babelon  présente  les  photographies  d'un  beau  vase  en  argent  antique  appar- 
tenant à  M.  Walters,  de  Baltimore.  Ce  vase  a  été  trouvé  en  1897  à  Crémasté,  près 
de  Cyzique,  en  Asie  mineure,  en  même  temps  qu'une  statuette  en  calcédoine  qui 
fait  partie  de  la  collection  de  M.  le  baron  de  Rothschild.  Sur  le  pourtour,  on  voit 
en  relief  Médée  emportant,  sur  un  char  traîné  par  deux  dragons,  les  cadavres  de 
ses  deux  enfants  qu'elle  vient  de  tuer.  C'est  la  représentation  d'un  épisode  de  la 
Médée  d'Euripide. 

M.  S.  Reinach  cherche  à  expliquer  une  formule  encore  incomprise  qui  reparaît 
dans  deux  inscriptions  gravées  sur  des  lamelles  d'or,  découvertes  dans  l'Italie 
méridionale.  Ces  inscriptions  en  vers  sont  des  rédactions  différentes  d'un  hymne 
orphique  que  l'on  plaçait,  comme  un  mémento,  dans  la  tombe  des  initiés,  afin 
qu'ils  pussent  s'en  servir  pour  obtenir  accès  au  séjour  des  bienheureux.  La  formule 
à  éclaircir  est  ainsi  conçue  :  "  Chevreau,  je  suis  tombé  dans  le  lait.  »  Suivant 
M.  Reinach,  cela  signifie  simplement  que  l'initié  aux  mystères  de  Bacchus,  qua- 
lifié lui-même  de  chevreau  dans  l'Italie  méridionale,  est  devenu  à  son  tour  un 
chevreau  et  qu'il  a  trouvé  la  nourriture  appropriée  à  son  existence  nouvelle.  L'idée 
d'un  baptême  orphique  par  le  lait  doit  être  rejetée  tant  qu'elle  ne  sera  pas  auto- 
risée par  d'autres  textes  ;  il  ne  peut  s'agir  non  plus  d'une  émigration  de  l'ame  dans 
la  voie  lactée. 

Léon  Dorez. 
Propriétaire-Gérant:  Erinest  LEROUX. 


Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnet,  23. 


REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 


N°  46  —  12  novembre  —  1900 


Pétrie,  Les  tombes  royales  de  la  première  dynastie.  —  Al-Mostatraf,  trad.  Rat. 

—  HoTZiNGER,  L'Exode.  —  Marti,  Le  livre  d'Isaïe.  —  Nikel,  La  restauration 
juive.  —  ZiMMERMANN,  Elohim.  —  Eznik,  contre  les  sectes,  trad.  Sch.mid.  —  La- 
vissE,  Histoire  de  France,  I.  —  Feret,  La  faculté  de  théologie  de  Paris,  I.  — 
Petscii,  Les  dénouements  du  conte  populaire.  —  Marchesi,  Les  romans  de  Chiari. 

—  Shakspeare,  Jules  César,  trad.  Beljame.  —  Morel-Fatio,  Une  pièce  de  Tirso 
de  Mojina.  —  Rochel,  Les  chefs-d'œuvre  du  théâtre  espagnol,  I.  —  Ceci,  Les 
collùiies  de  jeunes  filles  à  Naples.  —  Gardini-Rumbauer,  Voyage  aux  Etats-Unis. 

—  Académie  des  inscriptions. 


W.  M.  Flinders  Pétrie,  the  Royal  Tombs  of  the  First  Dynasty,  igoo.  Part  i, 
with  Chapter  by  F.  LL.Griffith,  M.  A.,  F.  S.  A.,  Eighteenth  Memoir  of  the  Egypt 
Exploration  Fund,  Londres  1900.  In-S",  5i  p.  et  LXVII  planches  en  lithogra- 
phie et  en  photolithographie. 

Dans  les  dernières  semaines  de  son  séjour  en  Egypte,  M.  Loret  et 
le  Comité  d'Archéologie  qui  règle,  d'accord  avec  le  directeur,  les  ques- 
tions relatives  aux  fouilles,  accordèrent  à  M.  Pétrie  l'autorisation  d'ex- 
plorer à  son  tour  le  site  d'Abydos,  où  M.  Amclineau  avait  trouvé  les 
tombes  des  rois  Thinites,  ainsi  que  la  chapelle  d'Osiris.  Le  volume  que 
M.  Pétrie  publie  ne  contient  pas  l'ensemble  des  matériaux  qu'il  a  su 
recueillir  aux  endroits  qui  furent  déjà  remués  par  son  prédécesseur.  On 
n'y  trouvera  que  les  plus  importants  des  objets  qui  se  rattachent  aux 
plus  vieilles  époques  de  l'histoire,  encore  ne  les  y  donne-t-il  que  sous 
réserve,  avec  l'espoir  de  découvrir,  cette  année-ci  ou  les  années  qui 
suivront,  les  pièces  nécessaires  à  compléter  nombre  des  fragments  de 
l'hiver  passé.  L'importance  des  monuments  et  des  faits  qu'il  en  a 
déduits  justifie  la  précipitation  qu'il  apporte  à  nous  les  livrer,  au  risque 
de  commettre  plus  d'une  erreur.  Tous  les  Égyptologues  lui  sauront  un 
gré  infini  de  ne  pas  les  avoir  gardés  pour  lui  seul,  mais  de  les  leur 
avoir  communiqués  presque  au  moment  qu'ils  sortaient  du  sol. 

Les  recherches  antérieures  nous  avaient  fait  connaître  plusieurs 
noms  royaux  identiques  à  ceux  qu'on  lit  sur  les  listes  officielles  des 
Pharaons*,  et  un  nombre  beaucoup  plus  considérable  de  noms  de 
double,  qu'on  n'avait  encore  aucun  moyen  d'appareiller  aux  premiers  : 
il  était  à  souhaiter  qu'un  hasard  heureux  nous  rendît  des  inscriptions 
où  les  noms  réels  fussent  accouplés  de  telle  manière  aux  noms  de 
doubles,  qu'on  ne  pût  plus  douter  de  l'identité  des  princes  que  ces 

Nouvelle  série  L.  4^" 


302  REVUE  CRITIQUE 

derniers  représentaient.  M.  Pétrie  a  eu  la  bonne  fortune  de  mettre  la 
main  sur  quelques  textes  de  ce  genre.  Ainsi  les  empreintes  de  sceaux 
reproduites  à  la  planche  XXVI,  n"  5/,  associent  le  nom  de  double  d^- 
aboii^  avec  le  nom  propre  Mari-ba-pou,  qui  est  celui  du  sixième  Pha- 
raon de  la  i^«  dynastie,  le  Miébis  des  listes  grecques.  L'empreinte 
figurée  à  la  planche  XXVI II,  au  n°  72,  montre  que  Mirsekha  est  le  nom 
de  double  du  Semempsès  des  mêmes  listes.  A  ces  preuves  directes, 
M.  Pétrie  ajoute  les  indications  moins  nettes  que  les  surcharges  des 
légendes  royales  lui  fournissent  :  un  vase  au  nom  du  roi  Den  a  été 
réemployé  pour  yl ^-^4 èoM,  ex  Mirsekha  a  gratté  plus  d'un  vased'yi;^- 
Abou  pour  y  graver  son  propre  nom.  Grâce  à  ces  constatations,  on 
obtient  la  succession  :  1°  Narmet\  2°  Zet^  1°  Den-Ousaphais,  4°  A^abou- 
Maribapou^  5°  Mirsekha-Sémempsés,  où  tous  les  membres  ne  se 
suivent  pas  nécessairement  sans  intervalle.  Examinant  ensuite  la  place 
que  les  tombes  occupent  par  rapport  l'une  à  l'autre,  M.  Pétrie  en  tire 
des  conclusions  qui  le  portent  à  classer  les  rois  dont  elles  renferment 
les  noms,  selon  l'ordre  dans  lequel  elles  se  succèdent  sur  place,  dans 
les  deux  groupes  explorés  jusqu'à  ce  jour,  II  obtient  de  la  sorte  la 
série  que  voici  des  premiers  Thinites  :  • 


^D'après  les  tombes  : 

Aha, 
Zer, 
Zet, 
Merxeit, 
Den-Setoui 
Azabou-Maribapou, 
Mirsekha-Samsou, 
Katot-Sen 


D'après  la  table  d'Abydos 

Mani 

Téti, 

Ateti, 

Ati, 

Housapaîti 

Maribapou, 

Samsou, 

QOBHOU, 


D'après  Manéthon  : 

Mènes 

Athôthis 

Kenkénés, 

OuÉNÉPHÉS 

Ousaphais 

Miébis, 
Semempsès 

BlÉNÉKHÈS, 


Reste  à  placer  quatre  princes,  dont  nous  ne  possédons  encore  que  les 
noms  de  double,  le  roi  Ndrmer,  le  roi  Zéser,  le  roi  Don  et  le  roi 
Ket  (?).  M .  Pétrie  pense  que  Zéser  et  Dou  peuvent  être  antérieurs  à 
Menés,  mais  il  ne  se  prononce  pas  au  sujet  de  Nàrmer  et  de  Ket  (?). 
Il  avoue  d'ailleurs  que,  si  la  première  dynastie  lui  paraît  avoir  été 
reconstituée  en  entier  par  les  découvertes  de  l'hiver  passé,  il  subsiste 
encore  dans  ce  classement  bien  des  questions  douteuses  que  l'avenir 
seul  pourra  trancher  '. 

Tels  sont  les  résultats  auxquels  il  est  parvenu  dès  cette  première 
année  de  ses  fouilles.  Tout  ne  m'y  semble  pas  également  assuré,  non 
plus  qu'à  lui,  mais  un  fait  demeure  acquis  :  les  rois  découverts  par 
M.  Amélineau  sont  bien  les  premiers  souverains  que  les  annalistes 
Égyptiens  aient  connus,  une  partie  de  ceux  dont  ils  ont  composé  leurs 
dynasties  thinites.  Il  y  a  toutefois,  dans  l'arrangement  proposé   par 


I  Pétrie,  the  Royal  Tombsofthe  i^^  Dynasty,  p.  5-6. 


d'histoire  et  de  littérature  363 

M.  Pétrie,  un  point  sur  lequel  je  ne  partage  point  son  opinion,  du 
moins  provisoirement,  la  place  qu'il  attribue  à  deux  et  peut-être  à 
quatre  de  ces  rois  en  avant  de  Menés.  Et,  ici,  je  ne  puis  que  répéter 
une  fois  encore  ce  que  j'ai  dit  déjà  à  plusieurs  reprises.  A  pj'iori,  je  ne 
doute  point  qu'il  y  ait  eu  des  rois  en  Egypte,  avant  ce  Menés  que  les 
indigènes  plaçaient  au  début  de  leur  histoire  humaine,  et  je  compte 
bien  que  les  monuments  de  ces  personnages  nous  seront  rendus  un  jour 
ou  l'autre  ;  mais  diverses  considérations  ne  me  permettent  pas  de 
m'assurer  que  nous  avons  retrouvé  tel  ou  tel  d'entre  eux  dans  les 
cimetières  d'Omm-el-Gaàb.  Le  principal  motif  de  mes  doutes  est 
celui-ci. Dans  la  grande  inscription  dédicatoire  du  Memnonium  d'Ha- 
rabat-el-Madfounah,  il  est  dit  que  Séti  I" restaura  les  tombes  ruinées 
des  Pharaons,  ses  ancêtres,  qui  se  trouvaient  à  Abydos.  Les  tombes 
que  Séti  I^""  remit  en  état  sont  bien  celles  dont  nous  explorons  mainte- 
tenant  quelques-unes  :  M.  Amélineau  l'a  déclaré  dès  le  premier  jour, 
et  je  ne  pense  pas  qu'on  ait  contesté  cette  identification.  D'un  autre 
côté,  la  liste  royale,  qu'il  grava  sur  la  muraille  de  son  Memnonium,  et 
que  Ramsés  II  reproduisit  sur  celle  du  sien,  a,  pour  les  dynasties 
thinites,une  version  différente  à  la  fois  et  de  la  liste  de  Sakkarah  et 
des  listes  manéthoniennes.  Sans  entrer  dans  le  détail,  il  y  a  fort  à 
penser  que  les  Pharaons,  dont  il  avait  réparé  les  tombeaux,  étaient 
de  ceux  qu'il  a  consignés  sur  sa  Table  royale,  et,  en  fait,  les  trou- 
vailles de  M.  Pétrie  nous  permettent  de  déclarer  que  c'est  le  cas  pour 
trois  d'entre  eux  :  Ousaphais,  Miébis  et  Sémempsès.  Il  est  vraisem- 
blable qu'au  fur  et  à  mesure  qu'on  rétablira  l'équivalence  des  noms  de 
double  avec  les  noms  royaux,  les  personnages  énumérés  sur  la  table 
d'Abydos  reparaîtront  l'un  après  l'autre  :  ce  sera  la  reconstitution 
progressive  de  la  lignée  thinite  et  des  deux  dynasties  en  lesquelles 
Manéthon  l'avait  divisée. 

Une  fois  arrivé  à  ce  point,  deux  questions  se  posent.  Et  d'abord 
est-il  certain  que  tous  les  Pharaons  retrouvés  ainsi  auront  figuré  sur 
la  Table  d'Abydos  ou  sur  les  autres  listes,  et  n'en  retrouverons-nous 
point  quelqu'un,  parmi  eux,  que  les  Annalistes  égyptiens  auront  omis, 
par  ignorance,  par  mégarde  ou  de  parti-pris  ?  Rien  ne  prouve,  en  effet, 
qu'ils  aient  connu  tous  les  souverains  qui  régnèrent  dans  la  Vallée  du 
Nil  en  cet  âge  reculé,  ou  que,  les  ayant  connus  tous,  ils  n'en  aient  pas 
oublié  plusieurs  ou  ne  les  aient  pas  écartésvolontairement,  soit  qu'ils 
ne  les  estimassent  pas  légitimes,  soit  qu'ils  n'eussent  aucun  rensei- 
gnement qui  les  autorisât  à  les  faire  rentrer  dans  une  de  leurs  séries. 
Je  ne  m'étonnerai  donc  pas  outre  mesure,  si  l'on  vient  à  prouver  que 
plusieurs  des  personnages  ensevelis  à  Omm-el-Gaâb  n'ont  jamais 
figuré  sur  l'un  quelconque  des  canons  royaux.  Faudra-t-il  pour  cela 
les  reporter  à  une  époque  antérieure  et  penser  qu'ils  régnèrent  avant 
Tavénement  de  Menés  ?  Rien  n'y  oblige,  et  l'on  peut  fort  bien  admettre 
qu'ils  s'intercalaient  entre  tel  ou  tel  des  rois  classés.   Lorsqu'on  ana- 


364  REVUE   CRITIQUE 

lyse  les  divers  canons,  on  s'aperçoit  bien  vite  que  les  premières  dynas- 
ties y  sont  formées  de  quelques  groupes  compacts,  entre  lesquels  sont 
rangés  des  personnages  dont  la  succession  était  au  moins  douteuse  : 
tel  d'entre  eux,  qui  figure  avant  un  des  groupes  dans  l'un  des  canons, 
est  inscrit  après  le  même  groupe  dans  un  autre  canon.  Si  le  site  de 
ces  Pharaons  erratiques  était  incertain,  pourquoi  le  nombre  en  serait- 
il  mieux  assuré  ?  Je  crois  donc  qu'avant  de  rejeter  au-delà  de  Menés 
les  rois  nouveaux  qui  pourront  surgir,  il  sera  prudent  de  rechercher 
s'ils  n'auraient  pas  eu  un  poste  parmi  les  Thinites  des  premières 
dynasties.  Les  analogies  de  style  que  M.  P,  a  reconnues,  avec  beau- 
coup de  sagacité,  entre  les  objets  qui  proviennent  des  tombes  de 
Zosîrou  et  de  Dou,  montrent  qu'il  y  aurait  danger  à  trop  séparer  l'un 
de  l'autre  ces  deux  personnages,  mais  elles  ne  sont  pas  de  nature  à 
nous  apprendre  quoi  que  ce  soit  sur  leur  position  par  rapport  aux 
princes  déjà  identifiés  de  la  série  officielle.  Lorsque  les  fouilles  pro- 
chaines de  M.  P.  nous  auront  restitué  leurs  noms,  peut-être  verra-t- 
on qu'ils  appartenaient  à  la  seconde  dynastie  thinite. 

Même  en  restreignant  ainsi  les  résultats,  un  fait  capital  demeure 
acquis  par  les  fouilles  de  l'hiver  dernier  :  les  plus  anciens  rois  que  les 
historiens  indigènes  aient  classés  sortent  de  terre,  et  avec  eux  le  maté- 
riel très  complet  de  leur  civilisation.  Et  maintenant,  un  problème  se 
pose  qu'il  vaudrait  mieux  aborder  prochainement,  afin  de  ne  plus 
avoir  à  y  revenir  :  tous  les  monuments  qu'on  recueille  dans  le  cime- 
tière de  ces  rois,  et  qui  portent  leurs  noms,  remontent-ils  vraiment  à 
l'époque  même  de  la  puissance  thinite?  Nous  savons  déjà  qu'une  par- 
tie de  ceux  qu'on  découvrit  dans  la  chapelle  d'Osiris  est  d'époque  très 
postérieure,  et  que  le  lit,  entre  autres,  pourrait  bien  être  de  travail 
saite,  mais  on  n'a  pas  examiné  encore  ce  qui  en  est  des  objets  trouvés 
dans  les  autres  tombeaux.  J'avoue  qu'en  présence  de  certaines  stèles 
d'un  travail  parfait,  telle  que  celle  du  roi  Serpent,  je  m'étais  demandé 
si  nous  possédions,  non  plus  l'original,  qui  aurait  été  détruit  au 
cours  des  siècles,  mais  une  restauration  soit  de  la  XII I^  dynastie,  soit 
de  la  XVI 11"=.  Nous  avons  la  preuve  écrite  que  Séti  I"  travailla  dans 
la  nécropole  de  ses  vieux  prédécesseurs,  pourquoi  n'aurions-nous  pas 
là  un  spécimen  de  son  travail?  De  même,  quelques-uns  au  moins  des 
vases  pourraient  avoir  appartenu  aux  offrandes  qu'il  déposa  dans  les 
tombeaux  restaurés.  La  question  devrait  être  attaquée  par  un  homme 
qui  aurait  accès  à  toutes  les  collections  publiques  ou  privées  entre 
lesquelles  les  monuments  sont  dispersés  aujourd'hui.  Je  crois,  pour 
mon  compte,  que,  si  quelques-uns  d'entre  eux  avaient  été  refaits  par 
Séti,  ils  porteraient  une  inscription  commémorative  au  nom  de  ce 
prince  ;  les  Pharaons  n'étaient  pas  d'humeur  à  laisser  leur  propre 
lumière  sous  le  boisseau,  et,  chaque  fois  que  l'un  d'eux  touchait  à 
l'œuvre  d'un  ancêtre,  il  le  proclamait  bien  haut,  lors  même  qu'il  n'es- 
sayait pas  de  faire  croire  à  la  postérité  qu'elle  était  de  lui  complètement. 


d'histoire  et  de  littérature  365 

Toutefois,  chaque  règle  souffre  une  exception,  et  il   serait  possible 
que  le  restaurateur,  mis  en  présence  de  documents  aussi  vénérables 
par  leur  antiquité,  se  fût  borné  à  les  copier  tels  quels,  sans  vouloir  y 
rien  ajouter  qui  en  altérât  le  caractère,  La  chose  est  peu  vraisemblable 
en  soi  :  je  pense  néanmoins  qu'il  y  avait  intérêt  à  soulever  l'hypothèse 
dès  à  présent,  et  M.  P.  évitera  probablement  des  discussions  oiseuses 
aux  Égyptologues  en  l'examinant  sur  les  lieux  mêmes,  pendant  le  pro- 
grès de  ses  fouilles.   Cet   examen   aura  presque  certainement  pour 
résultat  de  montrer  que  les  restaurations  de  Séti  !<=''  ont  été  peu  de 
choses,  et  qu'elles  se  sont  bornées  surtout  à  déblayer  les  chapelles 
ensablées,  à  remettre  quelques  briques  aux  murs,  à  rétablir  les  plan- 
chers en  bois  et  à  relever  les  stèles  primitives  qui  étaient  tombées.  Sur 
un  point  seulement  elles  auront  pu  avoir  des  conséquences  graves 
pour  nous,  si  les  ouvriers  et  les  prêtres   de  la  X1X«  dynastie   ont 
dépouillé  les  tombes  les  mieux  meublées  encore  de  leur  temps,  au  pro- 
fit de  celles  qui  auront  perdu  une  portion  de  leur  mobilier,  et  s'ils  ont 
transporté  les  vases  de  l'un  chez  l'autre.  M.  P.  se  refuse  quelque  part 
à  croire  qu'un  fragment  au  nom  de  Zostrou  ait  appartenu  au  Zosirou 
de  la  III^  dynastie,  parce  que  ce  fragment  a  été  ramassé  par  lui  dans 
une  tombe  primitive  :  il  en  déduit  l'existence  d'un  premier  Zosirou, 
qu'il  recule  avec  Dou  avant  Menés  '.  Il  me  paraît  plus  sage  de  croire 
jusqu'à  nouvel  ordre  que  le  fragment,  ou  le  vase  duquel  il  provient, 
a  été  déplacé  soit  dans  l'antiquité,  soit  dans  les  temps  modernes,  par 
les  restaurateurs  ou  par  les  fouilleurs  :  rien  alors  ne  s'opposerait  plus 
à  ce  qu'il  eût  été  consacré  par  ou  pour  le  Pharaon  de  la  III^  dynastie. 
Les  inscriptions  gravées  ou  écrites  à  l'encre  sur  les  objets  ont  été 
étudiées  par  M.  Grifîith.  Elles  ne  comprennent  guère  que  des  noms 
et  des  titres,  et  elles  nous  offrent  toutes  le  système  d'écriture  usité  aux 
temps  classiques  de  l'Egypte.  M.  Griffith  tend  à  conclure  d'un  frag- 
ment reproduit  aux  planches  X,  n"  1 1,  et  XVI,  n»  20,  «  que  l'onpouvait 
omettre  les  mots  les  moins  importants  dans  une   phrase,  au  moins 
dans  le  système /«zc^orf^/  de  cette  époque.  Un  long  texte,  ainsi  écrit 
par  abréviation,  ne  pourrait  être  compris  qu'avec  le  secours  d'inter- 
prètes au  courant  de  la  tradition.  Il  est  probable  que  les  variantes  de 
textes  qu'on  voit  dans  les  ouvrages  religieux  des  temps  postérieurs 
sont  dues  souvent  aux  obscurités  et  aux  ambiguïtés  de  très  anciens 
originaux  '  ».  C'est  tirer   beaucoup  d'un  texte  unique  dont  nous  ne 
possédons  plus  qu'une  portion  seulement.  Sans  chercher  à  l'interpré- 
ter, je  ne  puis  m'empêcher  de  remarquer  qu'il   renferme  une  forme 
contradictoire  à  l'ordre  d'idées  proposé  par  M.   Griffith.    Les   mo.ts 
supprimés  dans  les  systèmes  pictographiques  ne  sont  pas  les  mots  leç 
moins  importants  des  phrases,  ce  sont  les  mots  grammaticaux,  pro- 


1.  Pétrie,  The  Royal  Tombs  ofthe  /"  Dynasty,  p.  i8  et  pi.  IV,  n»  3. 

2.  Pétrie,  The  Royal  Tombs  ofthe  /"  Dyuasty,  p.  35. 


366. 


REVUE  CRITIQUE 


noms,  conjonctions,  prépositions,  particules  servant  à  rendre  les 
flexions  ou  ce  qui  en  est  l'équivalent  ;  or,  le  fragment  en  discussion 
contient  un  verbe  avec  son  pronom  sujet,  à  la  troisième  personne  du 
singulier,  da-fou,  //  donne.  Pour  en  finir  avec  ce  monument  et  l'hy- 
pothèse qu'il  a  suggérée  à  M.  Griffith,  je  dirai  que  le  manque  sur  tous 
ces  objets  de  phrases  régulièrement  construites  s'explique  par  leur 
nature  même  :  on  n'en  rencontrerait  pas  davantage  sur  les  objets  ana- 
logues de  n'importe  lequel  des  âges  postérieurs,  cylindres,  scarabées, 
chatons  de  bague,  plaquettes  de  bois,  de  métal  ou  d'ivoire,  et  ainsi 
de  suite. 

-  L'étude  des  autres  inscriptions,  analysées  par  M.  Griffith,  prêterait 
à  de  longs  développements.  Je  me  contenterai  de  noter,  au  hasard  de 
la  répartition  des  objets  sur  les  planches,  quelques-unes  des  observa- 
tions que  j'ai  faites.  —  PI.  I  (p.  37).  Le  nom  de  Mari-neîth  est  intéres- 
sant en  tant  que  nom  de  roi,  mais  nous  savions  déjà  par  d'autres  témoi- 
gnages le  rôle  important  que  Neîth  jouait  dans  la  religion  des  premiers 
siècles  :  les  dames  de  haut-parage  qui  sont  enterrées  ou  mentionnées 
dans  les  mastabas  de  l'âge  Memphite  ont,  comme  titres  préférés,  ceux 
de  prophétesse  de  Neith  et  de  prophètesse  d'Hathor.  Neîth  paraît  avoir 
été  une  déesse  d'origine  libyenne,  et  la  prédominance  de  son  culte  aux 
âges  primitifs  est  bonne  à  noter,  dans  un  moment  où  l'école  de  Berlin 
sémitise  à  outrance  la  langue  et  la  population  de  l'Egypte.  —  PI.  IV, 
n"  4  (p.  38),  M.  Griffith  pense  que  le  nom  du  roi  Serpent  doit  se  lire 
Z.  t.  Je  ne  suis  pas  convaincu  qu'il  faille  ajouter  la  terminaison  -t  au 
signe  Z  :  la  forme  redoublée  Za^aoïi,  du  nom  des  dieux  Serpents, 
semble  indiquer  un  prototype  masculin,  Zaou.,  pour  le  simple.  — 
PI.  V,  n°  3  (p.  38).  Je  lirai  Ha  kha,  chef  du  divan, en  prenant  le  second 
signe  pour  une  forme  linéaire  de  la  salle  à  deux  colonnes,  déterminatif 
de  kha,  et  non  pour  le  sarkhou,  le  support  du  nom  dédouble,  comme 
le  fait  M.  Griffith.  —  PI.  IV,  n0  9-i2  (p.  38-39),  M-  Griffith  admet, 
avec  M.  Sethe,  que  le  nom  du  roi  doit  se  lire  réellement  Souiti  (ou 
avec  un  m  médial,  au  n"voins  douteux,  Samoiiiti),  le  montagnard, 
et  que  la  lecture  Sapoiiîti^  Hoiisapouîti,  Ousaphais,  des  listes  royales 
est  une  erreur  de  scribes.  J'ai  peine  à  croire  que  les  scribes  de  Séti  l" 
aient  mal  lu  un  signe  aussi  nettement  tracé  que  celui-là  l'est  sur  les 
fragments  de  vases  archaïques,  et  qui  avait  de  leur  temps  la  lecture 
courante  de  Sait,  Sit.  Si  donc  nous  trouvons  chez  eux,  en  transcrip- 
tion, le  signe  Sapou,  Hasapou,  c'est  ou  bien  que  ce  signe  avait  une 
lecture  secondaire  Sït,  ou  bien  que  le  signe  Sït  avait  une  lecture 
secondaire  Sapou,  Hasapou,  ou  enfin  que  les  noms  Souiti  et  Ousaphais 
couvrent  deux  personnages  différents.  Jusqu'à  nouvel  ordre,  je  suis 
porté  à  croire  que  la  transcription  de  Séti  I®""  est  correcte,  et  que  les 
deux  noms  couvrent  un  même  personnage  qui  s'appelait  Ousaphais  : 
je  n'excluçrai  pas  définitivement  les  deux  autres  conjectures.  De  même, 
pour  le  roi  dont  M.  Griffith  ne  sait  s'il  doit  l'appeler  Mr-/»;!^-^' ou 


d'histoire  et  de  littérature  367 


Mr-by-pw  :  c'est  bien  le  Miébis  des  listes  postérieures,  mais  la  lecture 
de  M.  Sethe  et  de  M.  Griffith  ne  m'est  pas  certaine.  Relevant  les  nom- 
breuses variantes  du  signe  qu'ils  lisent^  (Pi.  V,  n"  12,  PI.  VI,  n°^  4,  5, 
6,  7,  8,  PL  XXVI,  n°s  57,  58,  39,  60),  je  ne  pense  pas  qu'ils  l'aient 
déchiffré  correctement.  Il  me  paraît  répondre  à  l'ensemble  de  lignes 
entrecroisées  qui  représente  un  terrain  divisé  en  carrés  pour  l'irrigation 
et  pour  la  culture,  et  qui  sert  à  déterminer,  après  sapoti,  hasepoii,  un 
certain  nombre  de  mots  moins  fréquents,  entre  autres  le  mot  Marnu. 
Je  lirai  donc  le  nom  royal  :  Marou  suivi  du  déterminatif  en  question) 
2°  bai^  soit  Maroiibai  :  \ep  final  de  la  liste  de  Séti  !«''  sera,  ou  ce  déter- 
minatif mal  interprété,  ou  plutôt  le  pronom /jom  (écrit/?,  sans  l'oiseau- 
voyelle  ow),  qu'on  trouve  si  souvent  dans  les  textes  religieux  derrière 
les  noms  de  roi,  Papi  pou,  Teti pou,  etc.,  ce  Papi,  ce  Téti,  ce  Maroii- 
bai.  —  PI.  VIII,  n".  i  (p.  89).  Il  n'y  a  pas  de  doute  qu'il  ne  faille  lire 
ce  nom  Qa-dou  ou  Qa-tot,  et  je  ne  l'ai  jamais  lu  autrement  pour  ma 
part.  La  même  orthographe  se  rencontre  en  variante  perpétuelle  du 
titre  des  dieux  ithyphalliques,  de  Mînou  et  d'Amon,  le  haut  de  bras 
ou  celui  qui  a  le  bras  levé,  par  allusion  au  geste  du  personnage.  Le 
roi  thinite  prenait  donc  pour  prénom  le  titre  courant  du  dieu  ithyphal- 
lique  et  le  fait  est  important  pour  l'histoire  religieuse.  Quant  à  croire 
que  le  nom  de  roi  Sanoii,  qui  accompagne  ce  titre,  est  le  prototype  du 
nom  de  Qobliou,  qu'on  voit  sur  le  Canon  de  Séti  I",  c'est  une  autre 
affaire.  Le  signe  San  est  trop  bien  tracé  pour  qu'on  le  confonde  avec 
le  vase  Qabhou,  et  il  a  d'ailleurs  son  complément  phonétique  ;z,  qui 
aurait  levé  tous  les  doutes  s'il  y  en  avait  eu.  Si  vraiment  le  roi  Qa-tot 
avait  pour  nom  Sanou,  il  n'est  ni  le  Qabhou  de  Séti  1®%  ni  le  Biéné- 
khés  de  Manéthon,  mais  un  roi  nouveau  qui  reste  àclasser.  — •  PI.  XII, 
i  et  XVII,  16  (p.  42).  Comme  par  le  passé,  je  lis  Samsou  le  nom  encore 
douteux  du  Sémempsès  Manéthonien. 

Les  tablettes  en  ivoire  que  M.  Pétrie  a  découvertes  paraissent  se 
rattacher  à  deux  séries  d'événements.  Dans  les  unes,  les  principaux 
rites  du  sacrifice  sont  représentés,  dans  les  autres  les  cérémonies  rela- 
tives à  la  fête  des  Habou-Sadou,  c'est-à-dire  à  la  divinisation  d'un  roi 
vivant  encore.  Le  premier  point  dans  cette  cérémonie  était  de  cons- 
truire la  chapelle  dans  laquelle  le  roi  lui-même,  puis  son  image, 
devaient  siéger,  revêtus  des  insignes  de  la  divinité.  C'est  pour  cela 
que  le  premier  registre  de  la  tablette  du  roi  Den  (PI.  XI,  n°  14, 
PI.  XV,  n»  161  débute  par  la  course  du  Pharaon  armé  du  signe 
Hapou  et  d'un  bâton  ou  de  la  rame  :  c'est,  en  effet,  le  rite  caracté- 
ristique de  la  fondation  et  de  la  consécration,  celui  qu'on  représente 
si  souvent  au  linteau  des  portes  dans  les  temples  thébains.  Derrière 
le  roi  courant,  on  voit  l'édifice  lui-même  qu'il  vient  de  fonder  et  dans 
lequel  il  siège  divinisé  déjà.  Quiconque  a  étudié  les  planches  où 
Naville  a  si  bien  rétabli  le  pavillon  de  Bubastis,  se  rendra  compte 
du  sens  de  ces  cérémonies.  D'autres  tablettes  brisées  en  donnaient 


368  REVUE   CRITIQUE 

quelques  détails  intéressants,  tel  le  fragment  lo  delà  planche  X  (cfr. 
pi.  XIII,  n°  5),  où  Ton  aperçoit  la  mise  en  place  de  la  première  pierre 
au  moyen  d'un  levier  :  c'est  la  scène  même  qui  sert  de  déterminatif  au 
verbe  Kliousou,  fonder  un  édifice.  Dans  le  fragment  de  tablette  n°  5  de 
la  planche  XI  (cfr.  pi.  XIV,  no  12),  la  course  royale  n'est  pas  représen- 
tée, mais  on  voit  l'estrade  et  les  deux  naos  accolés  dans  lesquels  siége- 
ront les  statues  du  roi,  couronnées  l'une  du  diadème  blanc,  l'autre  du 
diadème  rouge,  pendant  la/éte  de  fondation.  Les  inscriptions  et  les 
scènes  du  deuxième  registre  de  la  tablette  de  Den  indiquent  en  abrégé 
d'autres  incidents  de  la  même  cérémonie,  mais  je  ne  puis  les  analyser 
dans  cet  article.  Ce  ne  sont  pas,  en  etîet,  quelques  pages  qu'il  me  fau- 
drait pour  faire  ressortir  l'intérêt  de  tout  ce  qui  est  figuré  sur  les 
planches,  c'est  un  volume  entier.  «  Qui  donne  vite,  donne  deux  fois  », 
dit  le  proverbe.  Après  avoir  félicité  M.  Pétrie  d'avoir  découvert  tant 
de  monuments.  Je  veux  le  féliciter,  en  terminant,  ainsi  que  j'avais  déjà 
fait  en  commençant,  de  les  avoir  livrés  immédiatement  à  notre 
curiosité. 

G.  Maspero. 


Al.  Mostatraf,  recueil  de  morceaux  choisis  çà  et  là  dans  toutes  les  branches  de 
connaissances  réputées  attrayantes  par  le  saïk  sihâb-ad-Dîn  Ahmad-al-Absîhî, 
traduit  pour  la  première  fois  par  G.  Rat.  Tome  premier,  1899.  Paris,  Leroux  ; 
un  fort  vol.  de  xxiv  et  83o  pages. 

Ce  gros  volume  est  intéressant  à  des  points  de  vue  divers.  Le  tra- 
ducteur l'a  appelé  ouvrage  philologique,  anecdotique,  littéraire  et 
philosophique;  il  eût  été  possible  de  mieux  dire.  Philologique,  le 
livre  ne  l'est  qu'en  principe,  dans  son  état  natif,  car,  dans  la  traduc- 
tion, aucun  mot  arabe  ne  paraissant,  l'intérêt  philologique  n'est  pas 
sensible.  Philosophique,  le  mot  est  ambitieux  et  le  traducteur  s'est 
sans  conteste  exagéré  la  portée  de  l'œuvre  lorsqu'il  a  cru  y  voir  une 
somme  de  scolastique  orientale.  J'avoue  cependant  que,  au  point  de 
vue  de  la  psychologie  et  de  la  morale,  le  livre  renferme  maint  passage 
où  la  finesse  de  l'observation  et  la  hauteur  de  la  pensée  rivalisent  avec 
le  bonheur  de  l'expression.  Mais  littéraire  et  anecdotique,  voilà  certes 
des  termes  qui  le  caractérisent  justement.  Son  charme  littéraire  sera 
perçu  par  tous  les  lecteurs.  La  multitude  des  vers  cités  et  traduits  avec 
soin,  la  quantité  de  récits  relatifs  à  des  hommes  de  lettres,  de  longs  et 
fort  curieux  morceaux  de  critique  littéraire,  en  font  sous  ce  rapport  un 
répertoire  de  grande  valeur.  Ce  livre  est  en  somme  un  recueil  d'anec- 
dotes, groupées  par  catégories  assez  habilement  délimitées,  sur  la  lit- 
térature, la  religion,  la  société,  la  morale.  II  suffit  de  s'être  quelque- 
fois occupé  d'histoire  pour  se  rendre  compte  du  prix  que  peuvent 
acquérir  des  anecdotes  contées  avec  adresse  et  qui  ont  conservé  la 
vivacité  de  leur   couleur  première.   Il  suffit  d'avoir  feuilleté  quelques 


d'histoire  et  de  littérature  369 

pages  d'un  historien  arabe  pour  savoir  combien  dans  cette  langue  en 
particulier,  l'anecdote  tient  de  place  et  quel  secours  elle  offre  au  lec- 
teur pour  la  restitution  du  passé.  Uu  gros  recueil  d'anecdotes  rédi- 
gées par  un  homme  habile,  un  érudit  soigneux,  un  écrivain  de  goût 
ne  peut  manquer  de  renfermer  une  multitude  de  trésors  ;  et  c'est  le 
cas  du  présent  livre.  Justement  parceque  celui-ci  ezt  une  mine  qu'il 
faut  fouiller  et  dont  le  minerai  a  besoin  d'être  travaillé  pour  que  le 
métal  pur  en  sorte,  nous  ne  nous  chargerons  pas  nous-même  d'en 
extraire  le  contenu.  Il  faut  que  le  lecteur  fasse  ce  travail,  long  et 
agréable.  Je  ne  doute  pas  que  quiconque  s'y  sera  livré  ne  voit  consi- 
dérablement s  accroître  ses  connaissances  et  se  vivifier  ses  impressions 
touchant  l'histoire,  les  mœurs  et  la  psychologie  des  Arabes. 

Puisque  Je  me  refuse  à  analyser  le  contenu  du  livre,  j'emploierai  le 
temps  qui  me  reste  à  dire  quelques  mots  sur  une  question  générale, 
celle  de  l'intérêt  des  traductions  faites  d'après  l'arabe  et  des  conditions 
dans  lesquelles  ces  traductions  doivent  être  faites.  Je  suis  grand  parti- 
san des  traductions  dans  l'érudition  arabe,  et  pour  plusieurs  raisons. 
Tout  d'abord  la  majorité  des  ouvrages  de  valeur  sont  aujourd'hui  édi- 
tés ;  s'ils  ne  le  sont  pas  en  Europe,  ils  le  sont  en  Orient,  et  l'on  aurait 
grand  tort  de  dédaigner  absolument  ces  éditions  orientales.  Pour  des 
ouvrages  de  l'importance  de  celui  dont  nous  parlons  qui,  après  tout, 
ne  sont  pas  de  premier  ordre,  une  édition  orientale  est  à  peu  près 
suffisante.  La  traduction  de  M.  R.  est  faite  d'après  deux  éditions  du 
Caire.  Il  n'est  pas  douteux  qu'elle  est  beaucoup  plus  utile  que  n'etît 
pu  l'être  une  édition  nouvelle.  —  En  second  lieu  l'étude  de  la  littéra- 
ture arabe  par  les  spécialistes  est  bien  assez  avancée  pour  que  ceux-ci 
se  préoccupent  d'en  communiquer  les  résultats  au  grand  public  et  de 
faire  rentrer  l'histoire  arabe,  politique,  philosophique,  littéraire  et 
religieuse  dans  le  cadre  de  l'histoire  générale.  Le  premier  moyen  d'y 
réussir  est  de  donner  des  traductions.  Enfin  la  traduction  elle-même, 
si  elle  est  bien  conçue,  peut  avoir  presque  la  valeur  d'une  édition,  et 
elle  est  plus  aisée  à  publier,  accessible  à  plus  de  personnes  que  ne 
serait  une  édition  dans  la  langue  originelle. 

Ces  motifs  mêmes  qui  nous  font  sentir  l'importance  des  traduc- 
tions, montrent  aussi  à  quelles  conditions  il  faut  les  soumettre.  La 
traduction  étant  faite  pour  un  public  plus  étendu  que  celui  des  spécia- 
listes doit  être  entourée  de  certains  secours  qui  la  rendent  elle-même 
accessible  à  ce  public  nouveau.  Celui-ci  ne  connaît  pas  en  principe 
beaucoup  de  détails  de  l'histoire  et  des  mœurs  des  Arabes.  Il  faut 
donc  le  gujder,  lui  préparer  les  voies,  lui  éclaircir  les  difficultés  au 
moyen  d'introductions  et  de  notes  claires  et  développées.  L'annota- 
tion des  traductions  est  indispensable  pour  que  celles-ci  remplissent 
d'une  façon  satisfaisante  leur  mission  vulgarisairicd.  M.  R.  a  été 
beaucoup  trop  sobre  de  notes  à  notre  avis.  —  Ensuite  la  traduction 
devant  au   besoin   pouvoir  suppléer  à  une  édition,  devant  équivaloir 


"ijO  REVUE    CRITIQUE 

souvent  à  une  édition  plus  achevée  que  les  éditions  orientales  ou  les 
manuscrits  d'après  lesquels  elle  est  faite,  il  est  indispensable  que 
l'annotation  soit  aussi  rédigée  à  ce  point  de  vue,  et  que  les  passages 
difficiles,  les  variantes,  les  expressions  rares,  soient  étudiées  au  bas 
des  pages.  Encore  sous  ce  rapport  le  livre  de  M.  R.  nous  a  paru  trop 
pauvre.  — Une  annotation  riche  et  précise,  de  bonnes  et  amples  intro- 
ductions, voilà,  je  crois,  ce  qui  doit  accompagner  toutes  les  traduc- 
tions faites  d'après  l'arabe,  et  ce  par  quoi  celles-ci  peuvent  devenir 
des  œuvres  de  haute  valeur,  complètes  en  elles-mêmes,  utilisables 
par  un  public  étendu  spécialiste  ou  non.  Je  n'ai  nullement  l'intention 
de  faire  un  crime  à  M.  Rat,  dont  l'œuvre  est  d'ailleurs  fort  méritoire, 
de  s'être  imparfaitement  conformé  à  ces  principes  dont  je  viens  à 
l'instant  d'être  l'auteur.  Je  me  permets  seulement  d'exprimer  la  con- 
viction que  si  l'on  traduit  beaucoup,  en  les  observant,  on  rendra  d'im- 
menses services  aux  études  orientales,  que  l'on  augmentera  la  noto- 
riété et  que  l'on  multipliera  les  fruits  de  ces  études,  que  même  dans 
une  certaine  mesure  on  revivifiera  l'importante  spécialité  des  études 
arabes  qui,  il  faut  bien  l'avouer,  semble  un  peu  menacée  d'une  rela- 
tive stérilité,  pour  avoir  été  déjà  cultivée  longtemps  et  par  de  trop 
grands  maîtres. 

Baron  Carra  de  Vaux. 


Ezodus  erkiaert  von  H.  Holzinger  {Kur^^er  Hand-Commentar  :[iim  Alten  Testa- 
ment, Abtheilung  II).  Tûbingen,  Mohr.  iqoo,  in-8»,  xx-i55  pages. 

Das  Buch  Jesaia  erkiaert  von  K.  Marti  {Kur:[er  Hand-Commentar  :{.  A.  T., 
Lief.  lo).  Tûbingen,  Mohr.    1900,  in-8»,  xxvi-428  pages. 

Sous  sa  forme  concise,  le  nouveau  commentaire  de  l'Exode,  que 
publie  M.  Holzinger,  est  certainement  l'un  des  meilleurs  qui  existent, 
et  pour  l'analyse  des  sources  un  des  plus  remarquables  et  des  plus  in- 
téressants. Les  résultats  généraux  de  la  critique  sont  exposés  dans  l'in- 
troduction. Comme  dans  le  reste  de  l'Hexateuque,  le  document  sacer- 
dotal, P,  se  laisse  aisément  reconnaître  et  séparer  ;  mais  il  faut  y 
distinguer  un  fond  primitif  (Pg),  qui  offre  les  mêmes  caractères  que 
dans  la  Genèse,  et  des  compléments  dans  les  parties  liturgiques  (Ps), 
qui  ont  été  introduits  successivement,  et  non  par  le  travail  d'un  seul 
rédacteur.  L'Exode  contient  très  peu  d'additions  deutéronomistes  ; 
quand  on  retire  le  document  P,  ce  qui  reste,  en  dehors  des  additions 
rédactionnelles,  appartient  aux  anciens  documents  jéhoviste  et  élo- 
histe.  J  et  E  sont  plus  difficiles  à  distinguer  l'un  de  l'autre  que  dans 
la  Genèse  ;  mais  l'analyse  peut  encore  être  poursuivie  ;  si  l'on  n'a  plus 
pour  se  guider  la  différence  des  noms  divins,  qui  cesse  à  partir  du 
chapitre  m,  d'autres  indices  peuvent  y  suppléer,  par  exemple  les  noms 
différents  de  la  montagne  de  Dieu,  qui  s'appelle  Sinaï  dans  J  (et  dans 


d'histoire  et  de  littérature  371 

P),  Horeb  dans  E.  Comme  dans  la  Genèse,  J  présente  des  éléments 
qui  ne  s'accordent  pas  bien  avec  l'idée  de  Dieu  qui  domine  l'ensemble 
du  récit  :  lahvé  {Ex.  m,  8)  a  besoin  de  s'informer  de  ce  qui  se  passe 
en  Egypte  ;  il  attaque  Moïse  sur  la  montagne  et  le  tuerait  si  Séphora  ne 
se  hâtait  de  circoncire  son  fils  {Ex.  iv,  24-26).  L'histoire  jéhoviste  des 
événements  qui  se  sont  passés  au  Sinaï  invite  à  soupçonner  l'existence 
de  retouches,  de  rédaction  surajoutée,  bien  qu'une  grande  réserve 
s'impose  dans  la  distinction  des  éléments  primitifs  et  des  éléments  se- 
condaires. Il  faut  admettre  également,  dans  l'histoire  élohiste,un  travail 
complexe  de  rédaction  avant  la  réunion  de  cette  source  avec  la  source 
jéhoviste.  La  compilation  dernière,  la  combinaison  de  J  E  avec  P,  a 
été  accomplie,  dans  les  récits,  de  façon  à  conserver  le  plus  possible  des 
anciens  textes,  en  les  modifiant  le  moins  possible  ;  généralement  c'est 
P  qui  fournit  le  cadre.  Les  morceaux  législatifs  ont  été  juxtaposés, 
sans  être  notablement  altérés  par  le  schéma  rédactionnel.  Cette  com- 
pilation, abstraction  faite  des  améliorations  et  additions  de  détail,  est 
à  considérer  comme  un  travail  unique,  et  qui,  une  fois  exécuté,  n'a 
jamais  été  repris  dans  l'ensemble.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  l'an- 
cien corps  d'histoire  jéhoviste-élohiste.  Dans  les  quinze  premiers  cha- 
pitres, l'assemblage  des  sources  paraît  s'être  fait  plus  librement  que 
dans  la  Genèse,  et  la  compilation  s'est  enrichie  par  des  additions  suc- 
cessives. Pour  la  suite,  on  est  obligé  de  recourir  à  des  hypothèses 
plus  compliquées  :  ainsi,  dans  les  chapitres  xvi-xviii,  il  semble  que 
deux  combinaisons  différentes  des  mêmes  sources  ont  trouvé  place 
dans  la  compilation.  Le  Livre  de  l'alliance  (£'jr.  xx,  22-xxiii,  19)  paraît 
avoir  été  transposé  pour  céder  sa  place  au  Deutéronome.  Dans  son 
commentaire,  M.  H.  réussit,  autant  qu'il  est  possible,  à  démêler  cet 
écheveau  si  embrouillé;  il  met,  en  tête  de  chaque  morceau,  des  no- 
tes sur  le  texte,  l'analyse  des  sources,  puis  il  donne  l'explication  litté- 
rale et  historique.  Les  récits  plus  importants  sont  suivis  d'appendices 
où  l'on  discute  les  hypothèses  auxquelles  ont  donné  lieu  tel  document 
ou  telle  institution  :  on  trouve  après  Ex.  xiii,  16,  une  petite  disserta- 
tion sur  l'origine  de  la  Pâque  ;  après  Ex.  xx,  8,  une  autre  sur 
le  sabbat  ;  après  Ex.  xx,  17,  des  considérations  sur  l'histoire  du  déca- 
logue  et  son  origine.  M.  H.  ne  croit  pas  que  le  décalogue  remonte  à 
Moïse  :  s'il  y  avait  eu  une  loi  formulée  par  lui,  la  tradition  ne  présen- 
terait pas  deux  décalogues  comme  mosaïques,  celui  d'Ex,  xx  et  celui 
d'Ex,  xxxiv.  L'argument  n'est  peut-être  pas  décisif  ;  car,  en  suppo- 
sant que  le  décalogue  d'Ex,  xxxiv  soit  mosaïque,  on  a  pu,  au  temps 
des  prophètes,  le  trouver  insuffisant.  L'existence  du  Livre  de  l'al- 
liance, que  l'on  attribuait  à  Moïse,  n'a  pas  empêché  d'écrire  le  Deuté- 
ronome. 

Le  livre  d'Isaïe,  nous  dit  M.  Marti,  n'existait  pas  encore,  vers  l'an 
3oo,  sous  sa  forme  actuelle,  puisque  les  chapitscs  xxxvi.xxxix  sont  cités 
par  le  Chroniqueur  comme  œuvre  d'Isaïe  appartenant  au  «  Livre  des 


372  REVUE    CRITIQUE 

rois  de  Juda  et  d'Israël  »,  et  que  le  même  écrivain  fait  allusion  à  la  pro- 
phétie de  la  reconstruction  du  temple  [Is.  xliv,  28)  comme'étant  de 
Jérémie.  D'autre  part,  l'auteur  de  TEcclésiastique,  au  commencement 
du  second  siècle,  lisait  Isaïe  avec  les  chapitres  xxxvi-xxxix,  xl-lxvi  ; 
mais  on  ne  saurait  dire  dans  quel  état  se  trouvaient  alors  les  chapitres 
i-xxxv.  Les  chapitres  XL-Lv,à  part  un  certain  nombre  d'additions,  sont 
d'un  même  auteur  qui  écrivait  vers  Tan  540  ;  les  fragments  concernant 
le  Serviteur  de  lahvé  seraient  aussi  de  lui  ;  mais  le  commentaire  de 
M.  M.  ne  nous  a  pas  persuadé  que  cette  opinion  soit  bien  fondée. 
L'auteur  d'Zs  xl-lv  n'était  pas  en  Chaldée,  car  il  n'a  pas  connu  Ézé- 
chiel  ;  il  a  vécu  probablement  en  Egypte,  car  il  parle  plusieurs  fois  de 
ce  pays  et  semble  le  connaître.  Ces  raisons  sont-elles  bien  concluantes  ? 
L'indépendance  de  l'anonyme  à  l'égard  d'Ézéchiel  ne  pourrait-elle  pas 
s'expliquer  autrement  ?  N'est-il  pas  trop  bien  informé  des  mouvements 
et  des  projets  de  Cyrus  pour  qu'on  le  suppose  éloigné  de  la  Mésopo- 
tamie ?  Les  chapitres  lvi-lxvi  ont  été  écrits  à  Jérusalem,  peu  avant 
l'arrivée  de  Néhémie,  c'est-à-dire  avant  445.  Les  chapitres  xxxvi-xxxix 
ont  été  empruntés  au  livre  des  Rois,  et  formaient  la  conclusion  du  li- 
vre d'Isaïe  avant  qu'on  y  joignit  xl-lxvi.  Un  grand  nombre  de  petits 
morceaux,  d'origine  et  de  date  diverses,  sont  réunis  dans  les  chapitres 
i-xxxv.  Ainsi  l'introduction,  I,  i-ii,  5  contient  des  fragments  d'Isaïe 
(i,  2-26),  et  deux  autres  pièces  qui  n'ont  pas  été  écrites  avant  le  v^  siè- 
cle. Un  premier  groupe  d'oracles,  11,  6-xii,  6  est  formé  de  petites 
collections  :  11,  6-iv,  6  ;  v,  i-3o,  ix,  7-x,  4  ;  vi-ix,  6  ;  x,  5-xn,  6  ;  cha- 
cune de  ces  collections  contient  des  morceaux  authentiques  d'Isaïe, 
avec  des  compléments  postérieurs  à  Esdras  ou  même  beaucoup  plus 
récents,  en  sorte  que  la  rédaction  de  ce  premier  groupe  (ii-xn)  devrait 
être  renvoyée  à  la  fin  du  second  siècle.  Le  second  groupe  renferme 
principalement  des  prophéties  contre  les  peuples  étrangers.  Très  peu 
de  ces  oracles  appartiennent  à  Isaïe  :  xvii,  i-ii,  à  compléter  par 
XVIII,  5-7  ;  XVIII,  1-2,  4;  XX,  I,  3,  4,  6;  XXII,  1-5,  12-14;  xxii,  i  5-i8  ; 
les  autres  sont  d'époques  très  diverses,  et  quelques-uns  sont  du  second 
siècle  (notamment  xxiv-xxvii).  La  constitution  de  ce  recueil  ne  peut 
pas  être  de  beaucoup  antérieure  à  l'an  100.  Le  troisième  groupe, 
xxviii-xxxv  ne  doit  pas  être  plus  ancien  que  le  second  ;  les  deux  cha- 
pitres qui  le  terminent,  xxxiv-xxxv  sont  du  IP  siècle  ;  dans  les  chapi- 
tres précédents,  il  y  a  encore  quelques  fragments  d'Isaïe,  presque  tous 
du  temps  cni  Ézéchias  était  allié  à  l'Egypte,  complétés  par  des  mor- 
ceaux d'âge  différent.  On  voit  qu'il  ne  s'agit  plus  de  deux  ni  de  trois 
Isaïe,  et  qu'on  a  renoncé  à  les  compter.  Le  livre  d'Isaïe  est  «  une  pe- 
tite bibliothèque  d'écrits  prophétiques  ».  Isaïe,  comme  les  anciens 
prophètes,  s'était  acquitté  oralement  de  son  ministère  ;  sans  doute  il 
écrivit  beaucoup  de  ses  oracles  pour  les  conserver  et  les  répandre  ;  il 
fit  même  deux  petites  collections,  celle  des  oracles  rendus  depuis  sa 
vocation  jusqu'au  temps  de  la  guerre  syro-éphraïmite,  sous  Achaz,  et 


d'histoire  et  de  littérature  373 

celle  des  prophéties  concernant  l'alliance  égyptienne,  sous  Ézéchias  ; 
mais  beaucoup  d'oracles  restèrent  isolés,  et  Isaïe  ne  réunit  jamais  ses 
œuvres  en  collection  complète  ;  il  y  a  certainement  des  prophéties  qui 
ne  nous  sont  pas  parvenues  ;  on  peut  voir,  par  exemple,  vu,  3,  que 
Schear-iaschub,  le  fils  d'isaïe,  avait  été  l'objet  ou  l'occasion  d'une 
prophétie  que  nous  n'avons  pas  (à  moins  qu'il  ne  c'en  soit  conservé 
un  débris  dans  x,  21-23,  fragment  que  M.  M.  renvoie  à  l'époque  de 
la  domination  grecque).  L'héritage  littéraire  d'isaïe  s'enrichit  de  glo- 
ses et  de  compléments  après  l'exil  ;  la  distribution  des  chapitres  i-xxxv 
en  trois  groupes  paraît  imitée  d'Ézéchiel.  Du  reste  il  est  impossible 
de  reconstituer  dans  tous  ses  détails  l'histoire  de  cette  «  bibliothèque  », 
Inutile  de  dire  que  toutes  les  conclusions  de  M.  M.  ne  sont  pas  cer- 
taines, et  que  telle  ou  telle  hypothèse  peut-être  discutable  ou  mal  fon- 
dée ;  mais  la  position  générale  de  sa  critique  est  solide  ;  l'histoire  du 
livre  d'isaïe  semble  avoir  été  aussi  compliquée  qu'il  le  dit.  11  soutient 
à  bon  droit  que  la  métrique^et  la  strophiquenesontpas  à  négliger  dans 
la  critique  des  pièces,  en  grande  partie  rythmées,  qui  constituent  cette 
importante  coUectiion.  Son  commentaire,  où  la  critique  littéraire  tient 
naturellement  assez  de  place,  et  où  la  critique  textuelle  n'est  pas  né- 
gligée, mérite  d'être  comparé  à  celui  de  M.  Duhm,  auquel  il  ressem- 
ble beaucoup  pour  la  hardiesse  des  conjectures. 

Alfred  Loisy. 


Die  "Wiederherstellung  des  judischen  Gemeinwesens  nach  dem  babylonis- 
chen  Exil,  von  J.  Nikel.  {Biblische  Studien  herausgegeben  von  O.  Bardenhe- 
wer.)  Freiburg  i.  B.,  Herder,  1900  ;  in-S",  xv-227  pages. 

Elohim,  eine  Studie  zur  israelitischen  Religions-und  Litteraturgeschichte,  von 
H.  ZiMMERMANN.  Berlin,  Maycr,  1900;  in-S",  82  pages. 

L'ouvrage  de  M.  Nikel  contient  moins  une  histoire  de  la  restaura- 
tion juive  après  la  captivité,  qu'un  examen  critique  des  sources  bibli- 
ques de  cette  histoire,  les  livres  d'Esdras  et  de  Néhémie.  Mais  la 
critique  de  l'auteur  est  aussi  conservatrice  qu'ingénieuse,  aussi  pru- 
dente qu'érudite.  Il  réfute  les  objections  des  savants  qui  ont  contesté 
la  valeur  historique  d'Esdras-Néhémie ,  et  les  systèmes  de  ceux  qui 
ont  cru  devoir  placer  la  venue  d'Esdras  à  Jérusalem  après  celle  de 
Néhémie.  Il  défend  l'authenticité  absolue  des  édits  et  des  lettres  qui 
sont  reproduits  dans  le  livre  d'Esdras.  Il  montre  que  la  Loi  promul- 
guée par  Esdras  ne  devait  pas  comprendre  seulement  le  Code  sacer- 
dotal, mais  aussi  le  Deutéronomc.  Du  reste,  il  ne  se  proncxicc  pas  sur 
l'âge  de  ces  documents.  La  défense  d'Esdras-Néhémie  est  très  solide. 
Le  lecteur  impartial  peut  trouver  seulement  que  ces  livres  ont  un  peu 
trop  besoin  d'être  défendus,  et  qu'un  texte  parfaitement  sûr  et  exact 
dans  toutes  ses  parties  présenterait  sans  doute  moins  de  diflîcultés. 


3-4  REVUE    CRITIQUE 

Mais  les  movens  de  contrôle  font  défaut,  et  il  ne  faut  pas  blâmer  l'his- 
torien qui  sauve  le  plus  qu'il  peut,  d'une  source  de  renseignements 
qui  est  unique.  Ces  livres  qui  recouvrent  un  siècle  environ  d'histoire 
Israélite  ont,  pour  le  moins,  des  lacunes  considérables  ;  il  est  permis 
aussi  de  se  demander  si  le  compilateur  disposait  d'informations  aussi 
variées  et  aussi  complètes  que  le  suppose  M.  Nikel.  Avait-il  beaucoup 
plus  que  ce  qu'il  nous  donne  ? 

D'après  M.  Zimmermann,  Esdras  n'aurait  promulgué  que  la  partie 
du  Lévitique  désignée  communément  par  les  exégètes  sous  le  nom  de 
Loi  de  sainteté.  Cette  fois  on  ne  dira  pas  que  c'est  trop;  mais  ce  pour- 
rait n'être  pas  assez.  Dans  une  étude  très  confuse  sur  l'emploi  du  nom 
divin  Elohim,  M.  Z  refait  toute  l'histoire  de  l'Ancien  Testament,  et  en 
particulier  la  critique  de  l'Hexateuque.  Le  document  élohiste,  si  nous 
avons  bien  compris  l'auteur,  serait  une  seconde  histoire  jéhoviste, 
écrite  vers  700-650  où  le  nom  de  lahvé  aurait  été  remplacé  après  coup 
par  Elohim  vers  35o;  le  Code  sacerdotal  aurait  été  rédigé  vers 
400-375  ;  une  école  élohiste  paraît  en  35o  et  fait  de  J'  un  document 
élohiste  ;  vers  345,  on  compile  un  Hexateuque  avec  J',  J'  devenu  E, 
et  le  Deutéronome;  vers  340  on  ajoute  le  Code  sacerdotal,  et  l'Hexa- 
teuque est  constitué.  M.  Zimmermann  a  certainement  donné  à  sa  cri- 
tique une  base  trop  étroite,  et  ses  conclusions  semblent  quelque  peu 
arbitraires.  Nous  ne  croyons  pas  utile  de  poursuivre  dans  le  détail 
l'examen  de  son  système. 

A.  L. 


Joh.  Michael  Schmid.  Des  Wardapet  Eznik  von  Kolb  Wider  die  Sekten  aus  dem 
Armenischen  ubersetzt  und  mit  Einleitung,  Inhalts-Uebersichten  und  Anmerkun- 
gen  versehen.  — 8°,  x-210  pages,  Vienne,  1900  (imprimerie    des  Mékhitaristes). 

Ce  livre  mérite  d'être  doublement  signalé,  d'abord  parce  qu'il  est 
bon  et  ensuite  parce  qu'il  renferme  deux  promesses  précieuses  :  c'est 
le  premier  volume  d'une  série  de  traductions  de  l'arménien  entreprise 
par  la  congrégation  des  Mékhitaristes  de  Vienne  dont  on  connaît  la 
valeur  scientifique  et  la  préface  annonce  en  outre  une  série  d'éditions 
critiques  que  doit  publier  la  même  communauté  :  on  sait  que  des  édi- 
tions critiques  sont  le  besoin  le  plus  urgent  de  la  philologie  armé- 
nienne; déjà  .la  traduction  que  publie  M.  l'abbé  Schmid  a  été  faite 
à  l'aide  des  matériaux  réunis  par  le  savant  P.  Kalemkiar  pour  une 
édition  nouvelle  de  Eznik  dont  on  doit  souhaiter  la  prompte  publi- 
cation . 

Le  livre  de  Eznik,  si  curieux  au  point  d&  vue  de  l'histoire  religieuse, 
n'a  pas  été  étudié  jusqu'ici  autant  qu'il  le  mérite,  faute  d'une  bonne 
traduction  :  on  est  d'accord  pour  reconnaître  que  la  traduction  de  Le 
Vaillant  de  Florival  est  tout  à  fait  insuffisante.  Celle  de  M.  l'abbé  S. 


d'histoire  et  de  littérare  375 

est  au  contraire  remarquable;  faite  avec  un  soin  extrême,  elle  a  été 
améliorée  encore  par  la  collaboration  de  quelques-uns  des  pères  Mékhi- 
taristes  les  plus  distingués  et  le  P.  Dashian  a  pu  la  recommander 
chaleureusement.  Comme  dans  tous  les  travaux  de  ce  genre,  on  peut 
naturellement,  en  cherchant  bien,  y  relever  de  légères  méprises.  On 
ne  voit  pas  par  exemple  pourquoi  M.  S.  écrit  toujours  Zrovan  et  non 
Zruan\  il  aurait  été  sans  doute  bon  de  signaler  que  le  paragraphe 
traduit  au  bas  de  la  p.  98  et  suiv.  «  Denn  auch  Zrovan....  »  n'est  pas 
en  ordre  et  qu'il  est  impossible  d'y  faire  une  construction  régulière  : 
il  doit  manquer  un  mot  au  moins  ;  l'expression  n'est  pas  toujours  ren-  ' 
due  avec  sa  crudité  pittoresque:  p.  106  M.  S.  traduit  «  der  erste... 
stoesst  die  andern...  ab  >>  alors  que  le  texte  porte  «  le  premier...  crache 
les  autres  ».  P.  204  il  y  a  un  véritable  contre  sens  :  «  das  neue  Testa- 
ment haelt  er  fur  fremd  dem  alten  und  dem  was  darin  geredet  wurde  », 
en  réalité  «  et  à  celui  qui  y  a  parlé  »,  comme  le  montre  le  texte  grec 
traduit  par  Eznik,  et  comme  l'exige  le  texte  arménien  ;  car  nmayn  ne 
peut  ici  désigner  que  le  nouveau  testament  :  l'ancien  testament  qui, 
dans  le  passage,  a  été  nommé  le  dernier  serait  désigné  par  smayn.  On 
voit  que  ces  critiques  sont  fort  menues  et  de  peu  de  portée. 

Les  notes  qui  accompagnent  le  texte  rendront  aussi  de  grands  ser- 
vices; une  partie  des  variantes  y  sont  signalées,  ce  qui  permettra 
d'attendre  plus  patiemment  l'édition  promise  ;  on  y  trouvera  aussi 
d'après  les  PP.  Kalemkiar,  Thorossian,  Karekin,  Dashian  l'indication 
des  passages  d'auteurs  grecs  traduits  ou  imités  par  Eznik.  Les  notes 
historiques  et  exégétiques  sont  d'une  valeur  moindre  et  ne  témoignent 
pas  toutes  d'une  information  assez  étendue  ni  d"une  critique  assez 
pénétrante.  Par  exemple  il  eût  été  intéressant  de  rappeler  p.  89  et  suiv. 
que  le  résumé  des  doctrines  zrvanites  donné  par  Eznik  a  déjà  été 
rapproché  de  textes  syriaques  par  Noeldeke  {Fesigrtiss  an  R.  von 
Roth,  p.  34  et  suiv.);  la  découverte  récente  par  M.  Carrière  d'un 
texte  de  Bar  Khouni  qui  recouvre  souvent  mot  à  mot  le  texte  de 
Eznik  a  brillamment  confirmé  la  valeur  de  ce  rapprochement.  Dans 
une  note  de  la  p.  93,  M.  S.  signale  et  traduit  le  passage  de  l'historien 
Elisée  où  sont  aussi  exposées  les  doctrines  zrvanites;  mais  il  ne  fait 
point  remarquer  une  différence  essentielle  entre  Eznik  et  Elisée  :  chez 
Eznik,  Ormizd  et  Ahriman  sortent  du  sein  d'une  mère,  chez  Elisée,  du 
sein  de  Zruan  lui-même;  la  version  de  Eznik  se  retrouve  chez  les 
auteurs  syriaques  et  la  version  d'Elisée  dans  le  texte  bien  connu  de 
Théodore  de  Mopsueste;  il  y  a  là  un  contraste  qui  complique  singu- 
lièrement la  détermination  des  sources;  loin  de  le  mettre  en  lumière, 
M.  Schmid  l'efface  par  une  fausse  traduction  d'Elisée  :  «  Als  auch 
der  andere  Sohn  geboren  war  »,  écrit-il,  alors  que  le  texte  porte  «  lors- 
qu'il (Zruan)  eut  enfanté  l'autre  fils  »  sans  aucune  contestation  possi- 
ble. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  détails,  la  traduction  doit  en  général  ins- 


376  REVUE    CRITIQUE 

pirer  confiance;  elle  donnera  aux  études  sur  Eznik  une  base  qui  man- 
quait. 

A.  Meillet. 


Ernest  Lavisse,  Histoire  de  France  depuis  les  origines  jusqu'à  la  Révolu- 
tion. 16'  fascicule.  Paris,  Hachette,  1900.  96  pages,  grand  in-80  '. 

La  Revue  critique  s'empresse  de  signaler,  car  c'est  une  bonne  for- 
tune pour  tous  les  amis  de  l'histoire,  la  publication  à  la  librairie  Ha- 
chette du  premier  fascicule  d'une  grande  Histoire  de  France,  depuis 
les  origines  jusqu'à  la  Révolution.  Elle  paraît  sous  le  nom  de  M.  Er- 
nest Lavisse  ;  mais  c'est  une  œuvre  collective.  M.  Lavisse  s'est  réservé 
pour  lui-même  l'introduction  historique  et  la  majeure  partie  du  règne 
de  Louis  XIV;  pour  les  autres  parties  de  notre  histoire  nationale,  il 
s'est  adressé  à  treize  collaborateurs,  MM.  Bayet,  Bloch,  Carré,  Coville, 
Kleinclausz,  Langlois,  Lemonnier,  Luchaire,  Mariéjol,  Petit-Dutaillis, 
Rebelliau,  Sagnac,  Vidal  de  La  Blache.  Les  temps  héroïques  ne  sont 
plus  où  un  Henri  Martin  ou  un  Michelet  portait  sur  ses  robustes 
épaules  tout  le  poids  des  siècles  de  l'histoire  de  France.  Notre  époque 
d'analyse  et  de  spécialisation  semble  reculer  devant  ces  entreprises 
colossales  dans  lesquelles  les  avantages  de  l'unité  de  rédaction  ne 
compensent  parfois  que  d'une  manière  imparfaite,  il  faut  bien  le  dire, 
l'inégalité  scientifique  des  diverses  parties.  D'autre  part,  que  devien- 
nent les  résultats  d'ensemble  ou  les  résultats  partiels  qu'on  peut  con- 
sidérer comme  définitivement  acquis,  avec  cet  émiettement  continu 
de  la  science  historique  dans  les  thèses,  les  revues,  les  monographies, 
dont  le  flot,  montant  de  jour  en  jour,  tend  à  submerger  ceux  qui  na- 
viguent sur  ce  mare  magnum  ?  Il  faut  bien  s'arrêter  au  bout  d'un  cer- 
tain temps  pour  coordonner  les  résultats  de  cet  immense  travail.  C'est 
ce  que  M.  L.  et  ses  collaborateurs  ont  entrepris  de  faire.  Depuis  long- 
temps à  l'étude,  distribuée  et  dirigée  dans  toutes  ses  parties  par  l'his- 
torien qui  lui  donne  son  nom,  maintes  fois  révisée  et  mise  au  point, 
cette  Histoire  de  France  veut  être  une  œuvre  scientifique,  où  la  syn- 
thèse des  derniers  travaux  de  l'érudition,  due  à  des  professeurs  et  à 
des  savants,  marche  de  pair  avec  l'unité  de  composition. 

La  Revue  critique  aura  l'occasion  de  reparler  de  cette  grande  entre- 
prise ;  pour  aujourd'hui,  elle  se  borne  à  signaler  le  contenu  du  i"  fas- 
cicule. 11  forme  le  début  de  la  seconde  partie  du  tome  I  ',  laquelle  a 
pour  auteur  M.  G.  Bloch,  maître  de  conférences  d'histoire  ancienne  à 
l'École  normale  supérieure.  Elle  a  pour  titre  :  Les  Origines:  la  Gaule 


1 .  L'Histoire  de  France  formera  8  volumes  de  800  pages,  qui  se  vendront  sé- 
parément 12  fr.  ;  elle  paraît  en  fascicules,  à  i  fr.  5o,  à  raison  de  deux  fascicules 
par  mois. 

2.  Chacun  des  huit  volumes  se  compose  de  deux  parties. 


d'histoire  et  de  littérature  377 

indépendante  et  la  Conquête  romaine.  Les  Origines  se  composent  de 
deux  chapitres  :  les  Sociétés  primitives,  les  Peuples  historiques.  La 
Gaule  indépendante  et  la  Conquête  romaine  comprennent  dans  ce 
fascicule  un  chapitre  et  le  commencement  d'un  second. 

L'Histoire  de  France  n'est  pas  un  ouvrage  de  discussion  ;  je  répète 
que  c'est  avant  tout  un  ouvrage  de  coordination  et  d'exposition.  Aussi 
les  notes  et  les  renvois  aux  textes  y  sont  fort  rares.  Du  moins,  en  tête 
de  chaque  chapitre  et  de  chaque  subdivision  de  chapitre,  les  textes 
historiques  et  les  principaux  ouvrages  à  consulter  sont  indiqués  avec 
beaucoup  de  précision. 

Résumer  en  trente-deux  pages  tout  ce  qui  a  été  écrit,  à  propos  de 
notre  pays,  sur  l'âge  de  la  pierre  taillée,  sur  l'âge  de  la  pierre  polie, 
sur  l'âge  des  métaux,  sur  les  Ibères  et  les  Ligures,  sur  les  Phéniciens 
et  Marseille,   sur  les  Celtes  et  leurs  migrations,  sur  les  peuples  de  la 
Gaule,  cela  pourra  paraître  un  joli  tour  de   force;  ajoutons  tout  de 
suite  que  le  tour  de  force  est  parfaitement  réussi.  Je  ne  sais  si  les  sa- 
vants qui  se  sont  consacrés  à  l'étude  des  origines  préhistoriques  et  his- 
toriques de  la  Gaule  trouveront  que  leur  domaine  a  été  réduit  à  la 
portion  congrue  ;  du  moins,  ils  ne  pourront  dire  qu'ils  ont  été  trahis 
par  la  plume  précise,  claire,  bien  informée  du  professeur  qui  a  entre- 
pris de  présenter  les  résultats  vraiment  importants  de  leurs  innom- 
brables travaux.  Pour  la  Gaule  indépendante,  M.  G.  Bloch  a  pu  s'es- 
pacer davantage;  la  civilisation,  la  religion,  le  sacerdoce  druidique,  les 
institutions  sociales  et  politiques,  les  luttes  dans  les  cités  et  entre  les 
cités,  telles  sont  les  grandes  divisions  de  ce  chapitre  '.  Pour  l'histoire 
de  la  conquête  romaine,  elle  ne  fait  que  commencer  dans  ce  fascicule. 

Imprimée  sur  beau  papier  à  grandes  marges,  avec  des  en-tête  et  des 
manchettes  d'une  grande  clarté,  tout  à  fait  séduisante  à  l'œil  par  la 
netteté  des  caractères  et  la  disposition  du  texte,  d'une  correction  irré- 
prochable, VHistoire  de  France,  sortie  des  presses  de  l'imprimerie 
Brodard,  a  tous  les  caractères  d'un  chef  d'œuvre  typographique.  Ce 
premier  fascicule  donne  lieu  de  supposer  que  l'œuvre  elle-même  sera 
bien  voisine  de  la  perfection. 

G.  Lacour-Gayet. 


I.  Dans  le  tableau  qu'il  a  tracé  du  polythéisme  gaulois  (p.  49  et  suiv.),  M.  Bloch 
s'est  borné  à  une  allusion  aux  divinités  tricéphales  ;  la  conception  mystique  de  la 
triade  gauloise,  telle  qu'elle  se  dégage  de  plusieurs  monuments  du  Musée  de  Saint- 
Germain,  méritait  peut-être  quelques  explications.  —  Puisque  M.  Bloch  aime,  cl 
avec  juste  raison,  à  retrouver  dans  tel  nom  et  dans  tel  usage  des  âges  récents  le 
souvenir  de  Vépoque  gauloise,  il  aurait  pu  rappeler,  à  propos  du  Vcrgobret  des 
Éduens,  le  nom  de  Vierg  ou  Verg  qui  fut  porté  jusqu'à  la  Révolution  par  le  pre- 
mier magistrat  d'Autun. 


378  REVUE    CRITIQUE 

La  Faculté  de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus   célèbres,  par 

Tabbé  P.  Feret,  docteur  en  théologie,  etc.  Epoque  moderne.  T.  I"  :  xvi'  siècle. 
Phases  historiques.  Paris,  A.  Picard,  1900,  viii-462  p.  in-8". 

Après  avoir  consacré  quatre  volumes  à  l'histoire  de  la  Faculté  de 
théologie  de  Paris,  durant  le  moyen  âge,  M.  Tabbé  Feret  aborde  dans 
le  présent  tome  l'époque  moderne.  Cette  nouvelle  série  promet  d'avoir 
un  développement  considérable,  puisqu'il  a  fallu  tout  un  volume  à 
l'auteur  pour  retracer  seulement  les  phases  générales  de  l'histoire  de 
la  Faculté  au  xvi«  siècle,  sans  aborder  encore  les  controverses  spéciales 
ni  les  biographies  de  ses  membres  à  cette  époque.  Il  ne  semble  pas 
cependant  avoir  consulté  beaucoup  de  documents  inconnus  pour  éta- 
blir son  récit  ;  en  dehors  des  ouvrages  bien  connus  de  Boulay  et  de 
Crevier,  de  la  Collectio  judiciorum  de  du  Plessis  d'Argentré,  de 
V Index  chronologicus  de  Jourdain,  M.  F.  a  surtout  exploité  le  savant 
mémoire  de  M.  Léopold  Delisle  [Notices  et  extraits,  t.  XXXVI)  sur 
un  registre  des  procès-verbaux  de  la  Faculté  de  théologie  pour  les 
années  i5o5  à  i533,  manuscrit  appartenant  au  séminaire  de  Saint- 
Sulpice.  Mais  ces  matériaux  auraient  été  suffisants  pour  composer  un 
ouvrage  à  la  fois  instructif  et  utile,  même  aux  savants,  si  l'esprit  qui 
l'anime  avait  été  plus  scientifique  et  si  la  combativité  des  docteurs  du 
xvje  siècle  n'avait  pas  trop  déteint  sur  leur  disciple  convaincu.  Ce  n'est 
pas  une  histoire,  c'est  une  ardente  apologie  qu'il  nous  présente  de 
cette  Faculté,  «  foyer  de  lumières  »  qui,  «  sentinelle  et  soldat...  frap- 
pait savamment  et  avec  courage  »  ses  ennemis.  De  sa  «  science  »,  on 
trouvera  en  effet  de  bien  curieux  et  bien  topiques  exemples  dans  le 
volume  de  M.  Feret'  ;  quant  à  son  grand  «  courage  »  on  en  aurait 
désiré  peut-être  quelques  preuves  supplémentaires  ;  il  ne  saute  pas 
aux  yeux,  dans  la  guerre  acharnée  que  ces  grands  docteurs  font  à 
quelques  malheureux  hérétiques,  épaulés  qu'ils  sont,  tour  à  tour,  par 
la  royauté,  le  Parlement  et  la  canaille  bigote  de  la  capitale.  Nous  ne 
songeons  pas  d'ailleurs  à  discuter  en  détail,  comme  travail  d'érudition 
sérieuse,  un  livre  où  l'on  proclame  que  «  l'Inquisition  n'avait  rien  que 
de  normal  au  point  de  vue  religieux  »,  qu'être  des  protestants  c'est 
être  de  «  grands  coupables  »  et  qui  trouve  moyen  d'introduire,  dans 
une  histoire  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  au  xvi*  siècle,  des 
tirades  sur  «  l'affaire  Dreyfus  »  (p.  41  5).  Quand  on  répète  à  satiété  les 
vieilles  calomnies,  cent  fois  réfutées,  de  Bolsec  etd'Audin,  quand  on 
est  si  peu  capable  de  comprendre  l'inéluctable  nécessité  du  mouve- 
ment de  la  Réforme  qu'on  l'attribue  encore  aux  princes  qui  «y  trou- 
vaient trop  de  satisfaction  pour  leurs  passions  »,  quand  on  traite  de 
sectaires  et  Bayle  et  les  frères  Haag  et  Henri  Bordier,  alors  qu'ils 


I .  Nous  ne  citerons  que  celui  de  VIndex  librorum  piohibitorum  émanant  du  Saint 
Siège,  soumis  à  l'examen  préalable  de  ses  censeurs  (p.  407). 


.1. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  3jg 

n'ont  pas  fheur  de  partager  les  passions  de  M.  l'abbé  Féret  ',  on  perd 
le  droit  de  s'étonner  que  la  critique  ne  vous  prenne  pas  au  sérieux. 
Préchant  quelque  part  M.  N.  Weiss,  le  savant  bibliothécaire  de  la 
Société  de  l'histoire  du  protestantisme  français  (qui  n'avait  guère 
besoin  d'ailleurs  de  ce  conseil),  M.  F.  lui  dit  que  «  suivant  les  règles 
actuelles  de  la  critique  »  tout  dans  un  livre  de  savant  «  doit  être 
rigoureusement  historique,  la  forme  comme  le  fond  »  (p.  162).  C'est 
parler  d'or  ;  seulement,  l'auteur  aurait  bien  fait  d'être  logique  *  et  de 
pratiquer  ses  propres  maximes.  On  se  serait  alors  bien  volontiers  dis- 
pensé de  la  tâche  aussi  pénible  que  nécessaire,  de  les  lui  rappeler  ici  \- 

R. 


Formelhafte  Schlûsse  im  Volksmârchen,  von  Robert  Petsch.  —  Berlin,  Weid- 
mann,  1900.  In-8*,  xij-85  pp.  Prix  :  2  mk.  40. 

Nous  devons  déjà  à  M.  Petsch  une  classification  des  énigmes  popu- 
laires ^  Aujourd'hui  il  s'applique  à  colliger  ce  qu'on  pourrait  tra- 
duire les  «  dénouements-clichés  »  dans  le  conte  populaire.  Il  en  dis- 
tingue de  cinq  sortes  :  —  1°  dénouement  simple,  les  bons  sont 
récompensés,  les  méchants  punis,  le  héros  sauvé,  enrichi,  honoré,  et 
tout  est  dit  ;  —  2°  dénouement  prorogé,  on  suit  le  héros  au-delà  des 
limites  du  conte  durant  un  temps  ou  le  reste  de  sa  carrière,  «  ils  se 

1.  Il  reproche  à  MM.  Haag  et  Bordier  d'avoir  défendu,  dans  l'article  afférent  de 
la  France  protestante,  contre  ses  adversaires,  la  mémoire  de  Louis  de  Berquin  ;  lui- 
même  se  livre  à  des  plaisanteries  d'un  goût  douteux  (p.  134)  en  face  du  bûcher  de 
ce  martyr,  à  propos  d'une  phrase  de  VHistoire  ecctésiastique.  Je  laisse  à  juger  à 
d'autres  où  se  trouve  le  «  sectaire  ». 

2.  Dans  les  grandes  et  dans  les  petites  choses  aussi.  Ainsi  je  voudrais  bien  qu'on 
m'explique  la  phrase,  p.  409,  où  à  propos  d'une  prétendue  déclaration  de  la  Faculté 
contre  le  calendrier  grégorien,  on  lit  cette  phrase  qui  fait  rêver  :  «  Tout  cela  cons- 
titue une  forte  présomption  contre  la  non-authenticité  de  laScntcntia;  l'examen 
intrinsèque  vient  à  Vappui  de  cette  non-authenticite'.  » 

3.  Nous  conseillerions  aussi  bien  vivement  à  M.  Féret,  s'il  est  dans  le  cas  de 
donner  une  édition  nouvelle  de  son  ouvrage,  de  feuilleter  quelques  bons  diction- 
naires des  Savants,  ne  fut-ce  que  le  vieil  Adelung,  afin  d'y  apprendre  à  connaître 
le  nom  et  la  vie  des  écrivains,  théologiens,  humanistes,  érudits,  compris  dans  les 
différents  Catalogues  des  livres  censurés  par  la  Faculté,  et  dont  l'annotation,  dans 
son  livre,  est  d'une  indigence  extrême.  Seulement  il  faudrait  qu'il  sût  assez  d'alle- 
mand pour  ne  pas  prendre  l'accusatif  pour  le  nominatif  et  ne  pas  appeler  par  ex. 
Brenti^en  et  Beltmen,  des  gens  qui  s'appelaient  Brent:^  ex.  Boehm  {p.  i7i)ou  faire  de 
l'astronome  J.  Mûller  de  Kœnigsberg  (Regiomontanus)  un  Rcgio  Montan  plus  ou 
moins  authentique.  Il  n'appellera  plus  Carlstadt  Carlostad  et  saura  quOthon 
Brunfels,  fils  d'un  modeste  ouvrier  de  Mayence,  n'était  pas  gentilhomme,  etc.  Peut- 
être  ferait  il  aussi  mieux,  dorénavant,  quand  il  s'occupera  de  Mclanchthon,  de  con- 
sulter plutôt  l'édition  critique  de  ses  œuvres  dans  le  Corpus  Re/ormatorum,  édité  à 
Brunswick,  qu'un  volume  publié  en  1777. 

4.  Cf.  Revue  critique,  XLVII  (1899),  p.  327. 


38o  REVUE    CRITIQUE 

marièrent,  ils  vécurent  heureux,  et  ils  eurent  beaucoup  d'enfants»; 
—  3"  dénouement-résumé,  une  phrase  finale  récapitule  le  conte  tout 
entier;  —4°  clausule  finale,  on  annonce  expressément,  en  une  formule 
soit  nue  soit  plus  ou  moins  agrémentée,  que  le  conte  est  achevé;  — 
5°  clausule  personnelle,  le  narrateur  s'introduit  lui-même  dans  le 
conte,  qui  souvent  se  termine  alors  par  un  galimatias  burlesque.  — 
De  chacun  de  ces  cinq  types,  l'auteur  distingue  naturellement  plu- 
sieurs sous-variétés  et  donne  de  nombreux  exemples  tirés  des  recueils 
européens  ou  exotiques  les  plus  divers,  en  notant  au  passage  la  prédi- 
lection au  moins  apparente  de  tel  groupe  ethnique  pour  tel  genre  de 
dénouement.  Il  ne  formule  au  surplus  aucune  autre  conclusion,  et  je 
ne  crois  pas  en  effet  que  son  livre  en  comportât  d'autres  '. 

Parmi  les  variétés  du  premier  type,  il  a  noté  le  dénouement  com- 
pliqué, dont  il  aurait  donné,  j'en  suis  sûr,  l'exemple  suivant,  s'il  eût 
consulté  le  Pantchatantra;  car  c'est  le  chef-d'œuvre  du  genre.  — 
L'aveugle,  guéri  de  sa  cécité  par  la  vapeur  de  la  matelote  de  serpent 
noir  qu'on  avait  apprêtée  pour  l'empoisonner,  aperçoit  le  bossu  en 
train  de  flirter  avec  sa  femme,  laquelle  est  affligée  de  trois  seins. 
«  Furieux,  sans  que  l'autre  se  doutât  de  rien,  il  alla  au  lit,  saisit  le 
bossu  par  les  pieds,  le  fit  tourner  de  toute  sa  force  par  dessus  sa  tête 
et  le  laissa  retomber  en  plein  sur  la  femme  aux  trois  seins.  Or  le  choc 
du  bossu  lui  renfonça  son  troisième  sein  dans  la  poitrine,  et  le  bossu 
lui-même,  par  l'effet  du  tournoiement  énergique,  se  redressa.  C'est 
pourquoi  je  dis  :  L'aveugle,  le  bossu  et  la  princesse  aux  trois  seins 
furent  guéris  tous  trois  par  un  procédé  bien  extraordinaire  ^.  » 

V.  Henry. 


Marchesi  (J.-B.).  I  romanzi  delP  abate  Chiari.  Bergame,  institut  italien  d'arts 
graphiques,  1900.  In-8°  de  102  p. 

M.  Marchesi,  continuant  l'œuvre  exécutée  par  M.  Albertazzi  et  par 
lui-même  pour  le  XVI«  et  le  XVII«  siècle,  entreprend  une  histoire  du 
roman  italien  au  XVIII»,  et  nous  offre,  en  attendant,  une  étude  sur  les 
productions  en  ce  genre  de  l'abbé  Chiari.  Il  constate  que  les  écrits  de 
cette  nature,  très  à  la  mode  en  Italie  jusque  vers  1 700,  furent  délaissés 
dans  la  première  moitié  du  XVI  II«  siècle  pour  les  Lettres  Philosophi- 
ques et  les  Essais  Philosophiques;  quant  aux  œuvres  d'imagination  en 


1.  P.  61,  gascon  marchèro.  Le  texte  de  Bladé  porte  marchèri,  lequel  en  effet 
signifie  «  je  marchai  ».  Mais  alors  ce  dénouement  rentrerait  aussi  bien  dans  la  cin- 
quième catégorie  que  dans  la  quatrième,  et  j'en  dis  autant  de  quelques  autres 
clausules,  bonnes  à  tout  conte,  citées  au  même  endroit. 

2.  Remarquer  que  cette  finale  surajoutée  constitue  une  contamination  du  premier 
type  par  le  troisième.  Ces  accidents  sont  plus  fréquents  que  l'auteur  ne  le  donne 
à  penser. 


d'histoire  et  de  littérature  38  I 

prose,  on  se  bornait  alors  à  des  traductions  de  Lesage,  de  Marivaux, 
de  Prévost,  puis  de  Richardson,  Fielding,  Johnson,  SmoIIett,  etc.  (on 
trouvera  quelques  indications  précises  aux  p.  10-12).  L'infatigable, 
l'intarissable  Chiari  se  chargea  de  remettre  le  genre  à  la  mode  par  ses 
improvisations  extravagantes  mais  faciles  en  2,  4  ou  8  volumes  dont 
les  éditions  multiples  se  vendaient  si  bien  que,  pour  écouler  des  ro- 
mans plus  faibles  encore,  quelques  auteurs  italiens  les  lui  attribuaient. 
M.  M.  résume  incidemment  \a  Marjîsa  bi:^^an'a  écrite  par  Carlo 
Gozzi  contre  Chiari  (et  dont  l'héroïne  fantasque  semble  annoncer  la 
Delphine  de  M™^  de  Staël)  ;  les  analyses  qu'il  donne  des  romans  de 
Chiari  en  font  très  bien  ressortir  la  contcxture  étrange;  on  peut  seu- 
lement regretter  qu'il  n'ait  pas  eu  la  patience  de  relever  les  traits  de 
mœurs,  les  scènes  prises  sur  le  vif  que,  de  son  aveu  (p.  91),  son  au- 
teur, parfaitement  indifférent  d'ailleurs  aux  grands  événements  de  son 
siècle  (v.  p.  100),  a  jetés  cà  et  là  dans  le  fatras  de  ses  romans.  —  Une 
bibliographie  des  romans  de  Chiari  et  une  table  renvoyant  aux  pages 
où  ces  romans  et  d'autres  sont  cités,  terminent  cet  utile  ouvrage. 

Charles  Dejob. 


—  La  traduction  que  M.  Alexandre  Beljame  nous  donne  du  Jules  César  de  Shak- 
speare  (Paris,  Hachette,  1899,  249  pp.)  paraît  devoir  être  définitive.  Il  serait  dif- 
ficile de  trouver  dans  l'interprétation  de  cette  pièce  si  souvent  obscure  plus  de 
pénétrante  érudition,  et  plus  d'exactitude  et  d'élégance  dans  la  traduction  même. 
Si  nous  n'avons  pas  en  France  une  traduction  vraiment  bonne  de  Shakspeare,  la 
faute  en  est,  non  à  une  prétendue  incompatibilité  entre  «  l'esprit  français  »  et  «  le 
génie  de  Shakspeare  »,—  ce  sont  là  de  grands  mots  vagues,  assez  vides  de  sens  — 
mais  à  l'incompétence  ou  au  parti  pris  de  la  plupart  des  traducteurs.  Les  contre- 
sens mis  à  part,  dont  M.  Beljame,  dans  la  préface  de  sa  traduction  de  Macbeth, 
a  dressé  une  liste  amusante,  il  reste  la  préoccupation  sous  laquelle  les  traduc- 
tions sont  faites.  Ce  sont  le  plus  souvent  des  armes  forgées  pour  des  querelles 
d'école.  L'un,  voulant  adoucir  la  «  sauvagerie  de  Shakspeare,  l'affuble  du  man- 
teau d'apparat  des  classiques,  l'autre  exagère  l'élément  «  grotesque  »  p'bur  faire  du 
poète  un  précurseur  des  rf;:v.ant:ques  et  de  ses  personnages  des  prototypes  des 
héros  de  M.  Victor  Hugo,  des  Bug-Jargal  et  des  Han  d'Islande.  M.  B.  s'est  contenté 
d'une  traduction  consciencieuse,  faite  d'après  des  éditions  originales.  Car  les  tra- 
ducteurs ne  se  sont  jamais,  non  plus,  préoccupés  du  texte  qu'ils  rendaient  en 
français.  Il  est  entendu  que  la  question  de  texte  ne  se  pose  pas  pour  les  auteurs 
modernes;  seuls,  les  anciens,  ont  droit  a  l'honneur  d'une  étude  critique.  Or  le  plus 
souvent  les  traducteurs  français  ont  eu  entre  les  mains  des  éditions  du  dix-hui- 
tième siècle,  où 'Se  dissimulent  les  corrections  de  Rowe,  de  Pope  et  de  Theobald. 
M.  B.  commence  par  suivre  fidèlement  la  première  édition,  c'est-à-dire  l'in-folio 
de  1623.  S'il  y  a  doute  sur  le  sens  d'un  passage,  il  a  recours  à  trois  autres  édi- 
tions qui  font  autorité,  celles  de  i632,  de  i663  et  de  i685.  Grâce  à  cette  méthode, 
le  nombre  des  conjectures  se  trouve  réduit  à  trois  ou  quatre.  Les  lecteurs  fran- 
çais seront   reconnaissants  à  M.    Beljame   d'avoir   indiqué  la  mesure  des   vers,  et 


I 


382  REVUE    CRITIQUE 

donné  dans  un  index  fort  bien  fait  les  explications  indispensables  sur  les  passages 
difficiles.  —  Ch.  Bastide. 

—  M.  Alfred  Morel-Fatio  vient  de  publier  à  part  une  remarquable  élude  qu'il 
avait  fait  paraître  dans  plusieurs  numéros  du  Bulletin  hispanique,  sur  le  chef- 
d'œuvre  de  Tirso  de  Molina,  et  peut-être  bien  de  tout  le  théâtre  espagnol  :  La  Pru- 
dencia  er  la  mujer  (la  sagesse  d'une  femme).  C'est  la  première  étude  d'une  série 
qui  doit  comprendre  tout  le  théâtre  de  ce  grand  poète,  l'un  des  plus  cminents  de 
la  scène  castillane  et  qui  ne  semble  pas  avoir  toujours  été  mis  à  son  rang.  Véri- 
table monographie  au  point  de  vue  historique  et  littéraire,  ce  n'est  cependant  pas 
une  critique  linguistique,  parce  que  ce  côté  plus  aride  du  travail  a  été  réservé  pour 
une  édition  critique  de  l'œuvre,  que  nous  attendons  avec  impatience  et  dont  cette 
étude  doit  être  considérée  comme  la  préface.  —  H.  de  C. 

—  M.  Clément  Rochel  poursuit  l'entreprise  dont  nous  avions  déjà  signalé  le  dé- 
but,et  publie  le  premier  volume  de  ce  qu'il  appelle  «  Les  chef s-d' œuvres  du  théâtre 
Espagnol  »,  qui  doivent  en  comprendre  trois.  Tome  I,  (Lope  de  Vega,  Tirso  de  Mo- 
lina, Moreto.  Paris,  Garnier,  i  vol.  in-12  de  600  pages).  Mais  à  quelle  idée  répond 
cette  publication,  c'est  ce    qu'il  est  assez  difficile  de   deviner.  Car  d'une  part,  la 
plupart  des  auteurs  choisis  ne  sont  pas  représentés  par  des  pièces  vraiment  ca- 
ractéristiques de  leur  valeur,  et  même  plusieurs  des  dramaturges  les  plus  essen- 
tiels   de  l'Espagne  manquent  tout  à  fait.   D'autre  part,  celles   de  ces   pièces  qui 
ont  quelque  droit  au  titre  de  «  Chefs-d'œuvres  »,  ont  déjà  été  traduites,  quelques 
unes  même  plusieurs  fois.  Pour  les  autres,  comme  la  Petite  niaise  {La  dama  boba 
de  Lope  de  Vega,  et  le  Timide  au  Palais  {El  vergon^oso  en  palacio  de  Tirso),  on 
devine  que  M.   R.  aura  été  séduit  par  les  exquises  représentations  qu'en  ont  don- 
nées à  Paris,  en  1898  et  cette  année,  M.  Diaz  de  Mendoza  et  M"**  Guerrero.  Mais, 
particulièrement  pour  la  première  de  ces  deux  là,  ce  n'est  qu'après  des  remanie- 
ments formidables  qu'elles  ont  vu  la  rampe.  Leur  rendre  leur   intégrité,  surtout 
avec  une  traduction  où  elles  perdent  absolument  toute  leur  saveur,  leur  grâce  et 
leur  cachet  espagnol,  c'est  les  remettre  à  leur  rang.  Or,  la  Dama  boba  est  en  réa- 
lité une  des  pièces  inférieures  de  Lope,  comme  intrigue  et  comme  caractères,  et 
quant  au    Vergon^oso  (d'ailleurs  bien  supérieur),    en  dépit  de   qualités  de    lan- 
gue tout  à  fait  charmantes,  mais  qu'on  n'aperçoit  plus  ici,  si  c'est  encore  une  des 
jolies  pièces  de  Tirso,  elle  est  fort  insuffisante   à  caractériser,  à  elle  seule,  le  gé- 
nie d'un  des  tout  premiers  poètes  dramatiques  de  l'Espagne.  Quant  à  la  généralité 
des  pièces  de  ce  premier  volume  {Le  Châtiment  sans  vengeance,  la  Jolie  Jïlle  de  Sé- 
ville.  Dédain  pour  dédain),  et  du  second,  annoncé  sous  presse  {l'Alcade  de  Zalaméa,  - 
On  ne  badine  pas  avec  V amour,  la  Dévotion  à  la  croix,  le  Tisserand  de  Ségovie),  le 
choix  est  meilleur  sans  doute  ;  mais  quoi  ?  elles  ont  toutes  été  traduites,  quelques 
unes  même  jusqu'à  trois  et  quatre  fois,  et  ces  traductions  (de   Baret   ou  d'Antoine 
de  Latour,  d'Alphonse  Royer  ou  de  Damas-Hinard)  n'ont  nullement  disparu  de  la 
librairie.  Il  faudrait  donc  au  moins,  pour  justifier  cette  fantaisie,  que,  comme  pour 
l'excellent  recueil  de  MM.   Dubois  et  Oroz   (d'ailleurs  motivé  par  les  examens  de 
langue    espagnole)   que  nous   annoncions  récemment,  les  traductions  nouvelles 
fussent  vraiment  supérieures,  et  il  s'en  faut  bien  que  ce  soit  le  cas  ici.  Mais  enfin, 
vaille  que  vaille,  si  M.  Rochel,  au  lieu  de  puiser  dans  un  fonds  aussi  connu,  où  il 
n'avait  qu'à  perdre  son  temps,  s'était  mis  un  peu  à  glaner  dans  le  théâtre  inex- 
ploré de  ces  féconds  auteurs  castillans,  et  nous  avait  apporté  sa  récolte,  il  aurait 
au  moins  contribué  à  développer  le  champ  des  études  espagnoles,  et  attiré  l'atten- 
tion des  chercheurs.   Dieu  sait   qu'il   n'avait  que  l'embarras  du  choix  !   Evidem- 


d'histoire  et  de  littérature  383 

ment,  les  routes  non  frayées  demandent  plus  de  travail,  mais  le  mérite  est  en  pro- 
portion. —  H  de  CuRZON. 

-^  M.  G.  Ceci  raconte  dans  l'opuscule  /  Reali  educandati  femminili  di  Napoli 
(2«  édit.  revue.  Naples,  igoo.  ln-8  de  114  p.),  l'histoire  des  trois  collèges  royaux 
de  jeunes  filles  de  Naples.  Il  ne  faut  pas  que  les  noms  donnés  à  ces  établisse- 
ments abusent  :  on  les  appelle  Maria  Clotilde  di  Savoia,  Maria  Pia  di  Savoia, 
MargJierita  di  Savoia  ;  mais  le  troisième  seul  a  été  fondé  par  la  dynastie  régnante  ; 
les  deux  premiers  datent  de  Joachim  Murât,  et  M.  C.  veut  bien  rappeler  que  j'ai 
raconté  l'histoire  de  cette  fondation  dans  l'Instruction  publique  en  France  et  en 
Italie  au  XIX^  siècle  (Paris,  Colin,  1894).  M.  Ç.  expose  d'abord  l'histoire  des  cou- 
vents où,  au  cours  de  ce  siècle,  les  maîtresses  et  les  élèves  ont  pris  la  place  des 
Religieuses  ;  il  en  donne  la  description  ;  quant  aux  collèges,  il  ajoute  d'utiles  dé- 
tails à  ce  qu'on  en  savait  déjà,  notamment  sur  notre  compatriote  Rosalie  Prota, 
née  baronne  d'Arbon  et,  qui,  après  avoir  tenu  à  Naples  un  pensionnat  privé,  prit 
en  1829  la  direction  d'un  de  ces  collèges,  et  il  donne  quelques  lettres  inédites  à 
elles  adressées  par  Gerando.  L'ouvrage  est  orné  de  plusieurs  portraits  et  vues 
d'édifices.  —  Charles  Dejob. 

—  M.  Gardini,  agent  consulaire  des  Etats-Unis  à  Bologne,  a  rassemblé  en  un  vo- 
lume ses  notes  amassées  au  cours  de  nombreux  et  longs  voyages  dans  l'Amérique 
du  Nord.  Le  succès  de  son  livre  a  engagé  M.  Rumbauer  à  en  donner  une  version 
allemande  'Gardini,  In  der  Sternenbanner-Republik  Reiseerinnerungen  Nach  der 
zweiten  Auflage  des  italienischen  Originals  von  Rumbauer.  Oldenbourg  et  Leipzig, 
Schulze,  igoo,  pp.  xv,  4o5  in-8,  avec  41  illustrations  et  une  carte),  faite  sur  la  se- 
conde édition  italienne,  mise  au  point  par  le  traducteur.  Celui-ci  a  jugé  à  propos 
de  fondre  ses  adjonctions  et  rectifications  dans  le  texte  de  l'original  ;  mais  cette 
partie  de  sa  tâche  dont  nous  ignorons  l'étendue  nous  paraît  essentielle.  Les  livres 
sur  l'Amérique  vieillissent  vite, et  les  voyages  de  M.  G.  remontent  déjà  à  quinze  ou 
vingt  ans.  En  second  lieu  le  récit  du  voyageur  est  plein  de  menus  faits,  de  chif- 
fres, de  statistiques,  de  tous  ces  détails  soumis,  surtout  outre-mer,  à  une  inces- 
sante fluctuation.  L'ouvrage  ainsi  conçu  a  dû  plaire  aux  Américains  et  il  leur 
plaira  encore  sous  sa  forme  nouvelle.  L'auteur  s'est  fortement  américanisé  :  il 
note  beaucoup,  compte,  pèse,  mesure,  jauge,  calcule  les  dépenses,  mais  analyse 
peu  et  philosophe  rarement;  tout  au  plus  quelques  résumés  historiques  et  des 
rappels  de  légendes,  comme  les  aimaient  les  récits  de  voyages  d'une  autre  généra- 
tion. S'il  ne  faut  pas  chercher  dans  ce  volume  une  psychologie  de  l'Amérique, 
telle  que  M.  P.  Bourget  nous  la  donnait  naguère,  ou  y  trouvera  un  tableau  con- 
trôlé à  nouveau  de  la  population  de  ses  villes,  de  son  commerce,  de  son  industrie, 
de  ses  produits,  de  ses  écoles,  de  ses  bibliothèques,  etc.  (Les  dernières  publica- 
tions du  bureau  de  recensement  de  Washington  montrent  combien  ces  statistiques 
sont  malgré  tout  incertaines.  Ainsi  Saint-Louis  a  573,238  habitants,  au  lieu  de 
452,000;  Baltimore,  508,957,  au  lieu  de  450,000;  HulValo,  352,2  18,  au  lieu  de 
256,ooo;  Pittsbourg,  321,616,  au  lieu  de  240,000  ;  etc.  Pour  quelques  villes  il  faut 
au  contraire  diminuer  les  chiffres  :  Cincinnati  n'a  que  325, 902,  et  non  pas,  plus 
de  400,000;  Omaha  tombe  de  160,000  à  102, 553  ;  etc).  .\  l'homme  d'affaires  et  à 
l'économiste,  simplement  curieux  d'une  première  orientation,  le  livre  peut  cire 
utile;  au  même  litre  il  le  sera  pour  le  touriste,  désireux  de  parcourir  en  quelques 
semaines  le  continent  américain.  Il  suivra  son  guide  de  New-York  oii  il  s'attardera 
jusqu'à  San-Francisco,.  par  Cincinnati,  Saint-Louis,  Chicago,  en  revenant  le  long 
de  la  cote  du  Pacifique,  puis  de  la  frontière  mexicaine,  avec   la  Nouvelle-Orléans, 


384  REYUE    CRITIQUE 

Washington  et  Philadelphie  pour  dernières  et  rapides  stations.  Les  voies  de  com- 
munication, les  bons  gîtes  dans  les  fastueux  hôtels,  les  curiosités  artistiques  ou  na- 
turelles, —  sur  ces  dernières,  M.  G.  s'étend  complaisamment  —  rien  d'important 
pour  le  globe-trotter  n'a  été  omis.  A  d'autres  encore,  le  livre  a  dû  faire  plaisir: 
aux  compatriotes  de  l'auteur.  Tout  ce  qui  touche  à  la  colonie  italienne  en  Améri- 
que, à  la  part  qu'occupe  dans  la  vie  américaine  l'art  italien,  surtout  la  musique 
italienne,  a  été  pieusement  recueilli.  Ceci  constitue,  je  crois,  un  mérite  réel  et  neuf 
dans  un  ouvrage  dont  l'ensemble  est  de  valeur  trop  éphémère,  ou  passé  depuis 
longtemps  dans  le  domaine  des  connaissances  vulgarisées.  Il  y  a  néanmoins 
quelques  pages  qu'on  doit  signaler,  soit  que  ses  relations,  soit  que  les  rencontres 
du  voyage  aient  bien  servi  l'auteur;  je  citerai  sa  visite  à  Longfellow,  au  général 
Sheridan,  son  excursion  chez  les  Mormons.  On  aurait  souhaité  que  ces  parties 
originales  fussent  plus  nombreuses.  Malgré  tout,  les  souvenirs  de  M.  Gardini  res- 
tent un  livre  d'information  variée,  consciencieuse,  quoique  incomplète,  qui  n'est 
point  tombé  dans  le  séduisant  défaut  d'étourdir  l'Européen  par  le  récit  orné  et 
amusant  du  6/u_^  américain.  —  L.  Roustan. 


ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  7  septembre  igoo. 

M.  Heuzey  entretient  l'Académie  d'un  travail  de  reconstitution  archéologique 
exécuté  pour  l'Exposition  universelle  (section  des  missions  scientifiques).  Il  s'agit 
du  grand  bas-relief  historique  du  roi  Eannadou,  découvert  en  Chaldée  par  M.  de 
Sarzec  et  connu  sous  le  nom  de  Stèle  des  Vautours.  Grâce  à  cette  restitution  ma- 
térielle, établie  avec  des  moulages,  la  place  de  sept  fragments  jusqu'ici  retrouvés  a 
pu  être  déterminée  avec  certitude  et  la  position  qui  leur  avait  été  assignée  d'avance 
au  musée  du  Louvre  est  de  tous  points  confirmée .  Un  petit  fragment,  dont  le  mou- 
lage a  été  très  obligeamment  envoyé  par  le  British  Muséum,  a  contribué  à  cette 
confirmation.  Il  donne  le  pied  droit  de  la  grande  figure  de  divinité  qui  tient  les 
prisonniers  enfermés  dans  une  sorte  de  cage.  Or,  en  rétablissant  le  tracé  des  lo- 
sanges qui  forment  le  treillis  de  cette  cage,  on  a  obtenu  géométriquement  la  hau- 
teur de  la  figure  principale.  Sur  la  face  opposée,  le  même  fragment  est  venu  com- 
pléter une  des  scènes  les  plus  curieuses  :  la  représentation  des  funérailles  après  le 
combat.  A  côté  de  la  pyramide  de  cadavres  humains,  on  voit  maintenant  un  en- 
tassement d'animaux  immolés,  sur  lesquels  un  homme  complètement  nu  était 
monté  pour  procéder  au  rite  de  la  libation.  Cet  acte  religieux  s'accomplit  suivant 
l'usage  chaldéen,  c'est-à-dire  que  la  libation,  au  lieu  de  se  perdre  à  terre,  est  ver- 
sée sur  des  bouquets  de  branches  de  palmier  avec  leurs  inflorescences  ou  leurs 
régimes  de  dattes;  ces  gerbes  végétales  sont  placées  dans  deux  grands  vases  auprès 
du  taureau  couché,  qui  est  la  principale  victime  offerte. 

M.  Senart  a  la  satisfaction  de  faire  connaître  que  M.  Pelliot,  pensionnaire  de 
l'Ecole  française  d'Extrême-Orient,  qui  était  enfermé  à  Pékin,  et  au  sort  duquel 
l'Académie  s'est  intéressée  à  plusieurs  reprises,  a  pu  enfin  transmettre  à  sa  famille, 
qui  l'a  reçu  aujourd'hui  même,  un  message  complètement  rassurant.  M.  Senart 
avise  également  l'Académie  du  retour  tout  récent  du  premier  pensionnaire  à  cette 
même  Ëcole  désigné  par  l'Académie,  M.  Cabaton. 

M.  Héron  de  Villctosse  communique  une  série  d'observations  sur  le  texte  du 
papyrus  latin  de  Genève  n»  i,  dues  à  M.  le  capitaine  Espérandieu,  professeur  à 
l'Ecole  militaire  de  Saint-Maixent.  Ces  observations  viennent  confirmer  ce  qui  a 
déjà  été  dit  aii  sujet  de  ce  texte.  Elles  montrent  que  l'administration  militaire,  à 
l'époque  romaine,  avait  plus  d'un  point  commun  avec  celle  de  nos  armées  rnoder- 
nes.  Il  y  a,  par  exemple,  une  identité  presque  absolue  entre  la  comptabilité  de 
l'armée  romaine  et  celle  qui  était  en  usage  en  France  il  y  a  une  vingtaine  d'an- 
n  é  es.  On  retrouve  aussi  dans  le  texte  de  ce  papyrus  des  mentions  de  soldats  «  mis 


d'histoire  et  de  littérature  385 

en  subsistance  »,  pour  des  causes  qui  nous  échappent,  dans  des  centuries  autres 
que  la  leur.  «  La  mise  en  subsistance  »  est  encore  de  règle  actuellement,  quand 
un  homme  est  éloigné  par  un  service  spécial  de  l'unité  administrative  à  laquelle  il 
appartient. 

M.  Héron  de  Villefosse  étudie  ensuite  une  inscription/latine  de  Vaison,  dont  la 
dernière  ligne  n'a  jamais  été  interprétée  d'une  manière  satisfaisante,  et  y  recon- 
naît le  titre  d'une  fonction  municipale, /:?'^/<?c^ï/s /7i/w/h/s  Ovidis.  Ce  préfet  muni- 
cipal était  donc  chargé  de  surveiller  le  cours  de  l'Ouvèzc  et  d'y  assurer  la  naviga- 
tion. On  sait  par  des  inscriptions  de  Saint-Gilles  et  de  Nimes,  qu'il  existait  une 
corporation  de  bateliers  de  l'Ouvèze,  Nautce  Ovidis. 

M.  Philippe  Berger,  rendant  compte  d'un  travail  de  M.  Louis  Levistre  sur  l'ori- 
gine des  monuments  mégalithiques  que  l'auteur  attribue  aux  Phéniciens,  fait 
quelques  réserves  au  sujet  des  conclusions  formulées  dans  cette  communication. 

Séance  du  14  septembre  igoo. 

Lecture  est  donnée  de  l'ampliation  du  décret  autorisant  l'Académie  à  accepter  le 
legs  qui  lui  a  été  fait  par  M.  Dourlans. 

M.  Salomon  Reinach  essaie  d'établir  que  le^célèbre  groupe  de  VEnfant  à  rOie, 
qui  est  la  copie  d'un  bronze  dû  au  sculpteur  grec  Boéthos,  ne  représente  pas, 
comme  on  l'a  pensé,  un  simple  sujet  de  genre.  Selon  lui,  il  s'agit  d'Esculape  enfant, 
qui,  attaqué  par  une  oie  sauvage,  la  réduisit  à  l'obéissance  et  en  lit  .son  oiseau  fa- 
milier. A  l'appui  de  cette  hypothèse,  M.  Reinach  rappelle  qu'il  y  avait  des  oies 
guérisseuses  dans  les  temples  d'Esculape  ;  qu'une  copie  du  groupe  de  Boéthos_  se 
voyait  dans  le  temple  dédié  à  Esculape  dans  l'île  de  Cos  et  que  Boéthos  est  préci- 
sément cité,  dans  une  inscription  grecque  comme  l'auteur  d'une  célèbre  statue 
d'Esculape  enfant. 

M.  Héron  de  Villefosse  annonce  qu'on  vient  de  retrouver,  au  musée  du  Louvre, 
une  base  en  marbre  ornée  d'une  inscription  grecque  portant  le  nom  de  Théodori- 
das,  fils  de  Lasistratos,  découverte  à  Milo  en  "même  temps  que  la  célèbre  'Vénus  de 
ce  nom.  Ce  monument  n'était  connu,  jusqu'à  présent,  que  par  le  croquis  d'un 
officier  de  marine  nommé  \'outier,  présent  à  la  découverte,  lequel  croquis  a  été  pu- 
blié par  M.  Ravaisson  et  étudié  par  M.  Salomon  Reinach.  Cette  base  avait  été,  à  une 
époque  lointaine,  malencontreusement  accouplée,  au  musée  du  Louvre,  avec  un 
monument  funéraire  de  basse  époque,  et  les  lettres  de  l'inscription  passées  au 
rouge  avaient  été  dénaturées.  Ce  qui  est  particulièrement  intéressant,  c'est  que 
l'un  des  Hermès  découverts  avec  la  Vénus  de  Milo  entre  exactement  dans  une  ca- 
vité pratiquée  à  la  partie  supérieure  de  la  base, ce  que  démontrent,  d'ailleurs,  avec 
évidence,  les  moulages  présentés  à  l'Académie  par  M.  Héron  de  Villefosse.  De 
cette  communication,  il  résulte  que  Voutier  n'avait  pas,  comme  on  l'en  a  accusé, 
réuni  arbitrairement  cette  base  et  cet  Hermès.  Les  historiens  de  l'art  antique  pour- 
ront désormais  utiliser  ce  document  dans  leurs  études. 

M,  Salomon  Reinach  insiste  ensuite  sur  l'importance  de  la  découverte  annoncée 
par  M.  Héron  de  \'illefosse.  Cette  découverte  permet,  en  effet,  d'écarter,  d'une 
façon  définitive,  l'opinion  de  M.  Furtwœngler  qui  fait  remonter  la  Vénus  de  Milo 
aux  environs  de  l'an  100  avant  Jésus-Christ. 

M.  Reinach  pense  que  cette  même  découverte  confirme,  en  revanche,  la  thèse 
que  depuis  plusieurs  années  il  soutient  lui-même,  d'après  laquelle  il  faudrait  pla- 
cer vers  l'an  38o  avant  Jésus-Christ  non  seulement  la  date  de  la  Venus  de  iNlilo, 
mais  encore  celle  du  Neptune  de  Milo,  dont  on  peut  voir  en  ce  moment  le  moulage 
devant  le  pavillon  hellénique,  dans  la  rue  des  Nations,  à  l'Exposition  universelle. 
Ce  Neptune  a  été  otlért  parle  même  Théodoridas,  qui  a  aussi  consacré  la  base  de 
l'Hermès,  retrouvée  par  M.  Héron  de  Villefosse,  laquelle  base,  d'après  les  caractè- 
res de  l'inscription,  remonte  à  l'an  35o  a.  C.  M.  Reinach  croit  donc  que  la  Vénus 
de  Milo  (qu'il  considère  comme  une  Amphitrite)  a  été  associée  autrefois  au  Neptune 
et  que  ces  deux  œuvres  sont  sorties  du  même  atelier. 

M.  Gustave  Oppert,  ancien  professeur  à  l'Université  de  Madras,  communique  uu 
mémoire  sur  les  Salàgramas  ou  pierres  sacrées  des  aboi-igèncs  non-aryens  de 
l'Inde.  Ces  pierres  ou  coquilles  pétrifiées,  sont  les  emblèmes  de  \'ichnou,  le  dieu 
conservateur.  La  croyance  relative  à  ces  pierres  sacrées  représentant  le  principe 
féminin  a  été  le  précurseur  de  la  doctrine  athée  de  Kapila,  nominée  Sankhya.  Les 
formes  très  diverses  de  ces  pierres  ont  des  vertus  très  variées,  bienfaisantes  ou 
malfaisantes. —  M.  Jules  Oppert  présente  quelques  observations. 

Se'atice  du   21  septembre  lyoo. 
M.  Mûntz,   au  nom  de   la  Commission  des   Ecoles   françaises  d'Athènes  et  de 


f 


386  REVUE    CRITIQUE 

Rome,  propose  d'accorder  une  prolongation   d"unc   année   de  séjour  à   M.  Victor 
Chapot,  membre  de  l'Ecole  d'Athènes. 

M.  Homolle,  directeur  de  l'école  française  d'Athènes,  rend  compte  des  travaux 
exécutés  pendant  le  cours  de  l'année  1900  : 

I.  — -  ^'oj'i^ges  d'exploration.  —  1°  Recherches  sur  le  limes  syviaciis,  par  M.Cha- 
.lot.  —  Le  but  de  ce  voyage  est  l'étude  de  l'organisation  de  la  défense  sur  les 
"rontières  orientales  de  l'empire  romain.  Un  accident  qui  a  compromis  la  santé  de 

"M.  Chapot  l'a  arrêté  au  moment  même  où  il  annonçait  la  découverte  de  plusieurs 
pierres  milliaires  inédites. 

2"  Exploration  de  la  Bithynie.  —  M.  G.  Mendel  a  poursuivi  dans  la  région 
orientale  de  cette  province  les  recherches  exécutées,  l'an  passé,  dans  la  région  oc- 
cidentale. Trois  cents  textes,  la  découverte  de  l'emplacement  d'Adrianopolis,  des 
données  intéressantes  sur  le  réseau  des  routes,  sont  le  résultat  satisfaisant  de  ce 
voyage. 

II.  —  Fouilles.  —  En  Thrace,  M.  Seure  avait  été  chargé  d'explorer  les  tumuli 
pour  y  rechercher  les  traces  de  la  civilisation  thrace.  Aux  fonds  dont  disposait 
l'Ecole  d'Athènes  le  gouvernement  bulgare  a  ajouté,  comme  Tan  passé,  une  sub- 
vention de  2,000  fr.  Les  fouille  sont  porte  sur  les  tumuli  de  Philippoli  et  de  lamboli. 
Les  objets  retrouvés  s'étagent  de  la  surface  du  sol  jusqu'à  7  mètres  au-dessous  ; 
ils  s'espacent  de  l'époque  romaine  aux  âges  préhistoriques.  Les  libéralités  du 
prince  de  Bulgarie  ont  permis  aux  travailleurs  d'explorer  la  vieille  ville  bulgare  de 
Tirnovo  et  la  cité  romaine  de  Nicopolis. 

En  Crète,  M.  Demargne  a  fouillé  sur  l'emplacement  d'Erimopoli  (Itanos), 
et  sur  l'acropole  archaïque  de  Goulos.  C'est  une  des  plus  belles  citadelles  de  la 
Grèce.  Plusieurs  enceintes  de  murailles  subsistant  en  entier,  la  voie  qui  montait  à 
l'agora,  l'agora  elle-même,  le  prytanée,  plusieurs  temples,  des  offrandes  d'argent, 
un  trésor,  des  monnaies,  ont  été  déjà  découverts.  De  plus,  le  plan  de  la  ville,  levé 
par  les  soins  de  l'Ecole,  permettra  de  poursuivre  avec  résultat  ces  fouilles  dont  on 
peut  beaucoup  espérer. 

A  Delphes,  après  avoir  déblayé  le  temple^  puis  ses  dépendances,  le  stade,  le 
théâtre,  la  fontaine  Castalie,  le  gymnase,  on  a  entrepris  la  recherche  de  l'hippo- 
drome et  celle  du  temple  d'Athèna  Pronaia.  Après  avoir  déterminé  l'enceinte  et  le 
temple,  l'emplacement  des  portes,  on  a  dégagé  les  soubassements  d'un  trésor 
du  cinquième  siècle,  de  style  ionien,  très  analogue  su  trésor  de  Cnide,  un  temple 
rond,  etc. 

Cet  endroit,  qui  passait  pour  avoir  été  fouillé  sous  Capo  d'Istria,  semble  au 
contraire  contenir  un  groupe  d'éditices  remarquablement  conservés  et  décorés  de 
frises  sculptées.  Huit  jours  de  sondage  ont  permis  de  retrouver  de  très  précieux 
fragments.  Le  terrain  sera  exproprié  et  fouillé  dans  toute  son  étendue. 

Cet  automne,  on  commencera  les  fouilles  du  temple  d'Athêné-Aléa  à_  Té- 
gée,  que  Pausanias  désigne  comme  le  plus  beau  du  Péloponnèse  et  qui  était  décoré 
de  frontons  sculptés  par  Scopas.  Les  libéralités  de  la  Société  archéologique 
d'Athènes,  qui,  sur  l'invitation  de  M.  Cavvadias,  correspondant  de  l'Académie  des 
inscriptions  et  belles  lettres,  a  pris  à  sa  charge  les  frais  d'expropriation,  ont  facilité 
l'exploration  de  ce  célèbre  monument. 

M.  Héron  de  Villefosse  communique  un  long  rapport  du  R.  P.  Delattre  sur  les 
fouilles  qu'il  poursuit  à  Carthage,  à  l'aide  des^fonds  fournis  par  l'Académie.  Pen- 
dant les  six  premiers  mois  de  l'année  courante,  le  P.  Delattre  a  exploré  les  tombes 
de  la  nécropole  punique  voisine  de  la  colline  de  Sainte-Monique.  Il  y  a  fait  de 
très  curieuses  découvertes  qui  sont  venues  augmenter  les  belles  séries  de  monu- 
ments antiques  déjà  exposés  au  musée  de  Saint-Louis.  Des  terres  cuites  peintes, 
brûle-parfums  sous  forme  de  têtes  de  déesses,  figurines  et  femmes,  rasoirs  en 
bronze  ornés  d'inscriptions  puniques  et  de  sujet  au  trait,  amulettes  de  tout  genre, 
en  or,  en  argent  et  en  ivoire,  \ases  en  forme  d'oiseaux  et  d'animaux,  constituent 
les  principaux  éléments  de  ce  mobilier  funéraire  qui  permet  de  juger  et  d'appré- 
cier l'art  des  Carthaginois. 


Séance  du  2<V  septembre  igoo. 

M.  Henri  Omont  donne  lecture,  au  nom  de  M.  Léon  G.  Pélissier,  professeur 
d'histoire  à  la  Faculté  des  lettres  de  l'Université  de  Montpellier,  d'un  mémoire  sur 
les  dates  de  trois  lettres  inédites  de  Jean  Lascaris,  ambassadeur  de  France  à  Venise 
(i5o4-i3o9).  Ces  trois  lettres,  conservées  à  la  Bibliothèque  nationale  dans  la  Col- 
lection Dupuy,  sont  tout  ce  qui  reste  de  la  correspondance  politique  du  célèbre 
helléniste  et  de  ses  négociations  avec  la  Sérénissime  République.  Elles  ne  portent 
qu'une  date  de  jour  et  de  mois,  sans  mention  de  l'année.  M.  Pélissier  en  fixe  la 
date  dune  façon  précise  :  20  août  i3o3,  21  novembre  ibo-j  et  11  juillet  i5o8.  II 
étudie  ensuite  chacune  d'elles  en  particulier  et  fait  ressortir  l'intérêt  historique  de 


d'histoire  et  de  littérature  387 

ces  trois  dépêches  pour  l'étude  de  \à  politique  encore  si  embrouillée  des  rois   de 
France  et  des  souverains  italiens. 

M.  E.  Babelon  présente  à  l'Académie  deux  disques  ou  rondachcs  en  argent 
doré,  de  travail  oriental,  ornés  sur  leur  surface  de  scènes  de  chasse  e-n  reliet',  au 
repoussé,  qui  rappellent  la  décoration  de  certaines  coupes  sassanidcs.  Ces  deux 
disques  étaient  probablement  des  umho  de  boucliers.  Sur  celui  qui  est  le  mieux 
conservé  on  lit  deux  inscriptions  grecques  :  Sanctuaire  d'Artémis  et  Des  offrandes 
du  roi  Mithridate,  Ce  roi  Mithridate  est  probablement  .Vli'hridate  le  Grand,  le  ter- 
rible adversaire  des  Romains.  Quant  au  temple  d'Artémis,  il  s'agit  de  la  déesse 
Ma  ou  Enyo,  de  Comana,  dans  le  Pont,  ou  ces  deux  monuments  ont  été  dé- 
couverts. —  MM.  Reinach  et  Dieulafoy  présentent  quelques  observations. 

Séance  du  5  octobre  igoo. 

M.  Helbig,  associé  étranger  de  l'Académie,  fait  une  communication  sur  les  î-zs'; 
athéniens.  D'après  les  auteurs  grecs,  les  Athéniens  n'ont  recruté  aucun  corps  de 
cavalerie  parmi  leurs  propres  citoyens  qu'après  la  paix  de  5o  ans  conclue  en  452 
a.  C.  Il  y  a  pourtant  des  faits  qui,  au  premier  coup  d'œil,  semblent  contredire 
cette  indication.  La  seconde  des  classes  dans  lesquelles  Solon  divisa  les  citoyens 
athéniens  d'après  le  cens,  portait]  le  noni  d'î-TsTî.  Mais  les  peintures  des  vases 
attiques  contemporains  prouvent  que  ce  n'étaient'  pas  des  cavaliers  au  sens  propre 
du  mot.  On  y  voit  exclusivement  des  hoplites  qui  ne  se  servent  du  cheval  que 
comme  moyen  de  transport  et  qui  combattent  après  avoir  mis  pied  à  terre  pen- 
dant que  leurs  chevaux  sont  gardés  derrière  la  ligne  de  bataille  par  des  jeunes 
garçons  armés  de  javelots  ou  par  des  archers.  Donc,  les  «  cavaliers  »  de  Solon 
étaient  sans  aucun  doute  non  pas  des  cavaliers  dans  le  sens  le  plus  récent  du  mot, 
mais  des  citoyens  athéniens  qui  faisaient  leur  service  comme  hoplites  et  qui  étaient 
assez  riches  pour  entretenir  les  chevaux  qui  les  transportaient  pendant  les  mar- 
ches et  des  gens  qui  les  accompagnaient  et  gardaient  leurs  chevaux  pendant  le 
combat.  En  outre,  on  voit  quelque  fois  sur  les  vases  attiques  du  temps  de  Pisis- 
trate  et  des  Pisistratides  des  cavaliers  équipés  d'une  façon  analogue  à  celle  de  la 
cavalerie  proprement  dite.  Mais  comme  Pisistrate  avait  désarmé  le  peuple  athé- 
nien, il  est  a  priori  probable  que  ces  cavaliers  n'étaient  pas  des  citoyens  athéniens, 
mais  des  étrangers.  D'un  autre  coté,  nous  savons  que  Pisistrate  s'était  allié  avec 
le  roi  de  Thessalie,  que  ses  tils  maintinrent  cette  alliance  et  qu'en  5 12,  des  cava- 
liers thessaliens  combattirent  dans  les  rangs  athéniens  contre  les  hoplites  de 
Sparte.  Il  semble  donc  que  les  cavaliers  que  l'on  voit  sur  les  vases  attiques  con- 
temporains n'étaient  pas  des  Athéniens,  mais  plutôt  des  Thessaliens  .  Cette 
hypothèse  est  confirmée  par  le  pétasos  thessalien  qui  couvre  la  tète  de  ces 
cavaliers. 

M.  Brcal  lit  une  note  sur  l'ctymologie  du  mot  àopôrri,  défini  par  Lancelot,  dans 
son  Jardin  des  racines  grecques,  «nuit,  temps  où  l'on  erre  ». 

Séance  du  12  octobre  igoo. 

L'examen  des  titres  des  candidats  à  la  place  de  membre  ordinaire  vacante  par 
le  décès  de  M.  Ravaisson  est  fixée  au  3o  novembre  prochain. 

L'Académie  procède  à  la  nomination  d'une  commission  de  quatre  membres, 
chargée  de  proposer  un  sujet  pour  le  prix  Bordin  (études  orientales).  Sont  élus: 
MM.'Bréal,  Barbier  de  Meynard,  Oppert  et  Derenbourg. 

L'Académie  procède  ensuite  à  la  nomination  d'une  autre  commission  de  quatre 
membres  chargée  du  même  travail  pour  le  prix  Bordin  (antiquité).  Sont  élus  : 
MM.  Girard,  Boissier,  Saglio  et  Croiset. 

M.  Ad.Wilhelm,  secrétaire  de  l'Institut  autrichien  d'archéologie  d'Athènes, com- 
munique un  fragment  d'inscription  trouvé,  il  y  a  déjà  longtemps,  à  l'Acropole 
d'Athènes  et  dont  il  fait  ressortir,  par  des  restitutions  nouvelles,  l'importance  his- 
torique. Il  montre  que  dans  ce  texte,  jusqu  ici  resté  inexpliqué,  il  ne  peut  être  ques- 
tion que  de  l'exemption  de  la  taxe  des  métèques  accordée  par  les  Athéni""'  "■■"• 
habitants  exilés  d'Olynthe,  après  la  prise  de  la  ville  par  Philippe. 

L'Académie  se  forme  en  comité  secret. 


liens  aux 


Séance  du  ig  octobre   igoo. 

M.  Gagnât  communique,  de  la  part  de  M.  Gauckler.  les  résultats  des  fouilles 
entreprises  par  M.  le  lieutenant  Gombeaud  dans  le  poste  romain  de  Ksar-Khclàn 
dans  le  Sahara  tunisien.  Le  déblaiement  de  ce  poste  a  amené  la  découverte  de 
toute  la  série  des  chambres  qui  constituent  la  caserne,  d'un  réduit  central  réserve 
au  commandant  du  poste  et  de  constructions  annexes  situées  à  quelque  distance 
du  fortin.  Une  inscription  trouvée  dans  les  fouilles  donne  le  nom  antique  de  la 
localité  :  Tisavar. 


388  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

La  commission  du  prix  Bordin  (études  relatives  à  l'Orient),  propose  le  sujet  sui- 
vant pour  1903  .-Etudier  avec  détail  une  période  de  l'histoire  de  V  Indo-Chine.  — 
La  même  commission  (antiquité  classique)  propose  le  sujet  suivant,  également 
pour  iqo3  :  Etudier  l'authenticité  et  le  caractère  des  monographies  qui  compo- 
sent l'Histoire  Auguste,  l'époque  oii  elles  ont  été  composées  et  quels  en  sont  les 
auteurs. 

M.  Salomon  Reinach  fait  une  communication  sur  les  types  féminins  de  Lysippe. 
Il  remarque  que  les  historiens  de  l'art  grec  n'ont  coutume  de  s'occuper  que 
des  types  virils  créés  par  Lysippe,  alors  que  les  textes  antiques  lui  attribuent 
"aussi  des  tîgures  de  femmes  et  que  dans  l'œuvre  immense  qu'il  a  laissée,  ces 
figures  devaient  occuper  une  place  importante.  Prenant  pour  point  de  départ  la 
copie  de  l'Apoxyomène  de  Lysippe,  au  Vatican,  qui  est  admirablement  conservée, 
M.  Reinach  essaye  d'établir  que  les  caractères  particuliers  de  cette  sculpture,  en 
particulier  la  forme  et  la  dimension  relatives  des  traits  du  visage  se  retrouvent 
dans  plusieurs  têtes  de  femmes  en  marbre,  notamment  dans  la  prétendue  Om- 
phale  d'une  collection  anglaise  et  dans  les  statues  drapées  du  musée  de  Dresde 
qui  ont  été  découvertes  à  Herculanum.  Il  exprime  l'avis  que  ces  trois  statues 
représentent  Mnémosyne  accompagnée  de  deux  Muses  et  sont  les  copies  exactes 
d'un  groupe  en  bronze  de  Lysippe  qui  était  conservé  à  Mégare.  Au  sujet  des 
copies  en  marbre  de  statues  de  bronze,  M.  Reinach  croit  pouvoir  poser  en  prin- 
cipe que  les  statues  de  bronze  seules  étaient  moulées  dans  l'antiquité,  celles  de 
marbre  était  soustraites  à  cette  opération  qui  en  aurait  gâté  la  polychromie  ; 
donc,  toutes  les  fois  qu'on  trouve  deux  ou  plusieurs  répliques  exactement  concor- 
dantes d'une  figure  antique,  il  faut  admettre  que  l'original  était  en  bronze.  Ce 
principe  entraîne  des  conséquences  importantes  pour  l'histoire  de  l'art  ;  il  oblige, 
notamment,  à  rapporter  à  un  original  de  bronze,  et  non  à  un  marbre  d'Alcamène 
ou  de  Praxitèle,  le  beau  type  dit  de  la  Venus  genitrix  dont  il  existe  de  très  nom- 
breuses répétitions. 

M.  Clermont-Ganneau  commente  un  fragment  d'inscription  trouvé  par  le 
D'  Bliss  dans  les  fouilles  entreprises  sur  l'emplacement  de  l'antique  Eleuthéro- 
polis,  dans  la  Palestine  méridionale.  Cette  inscription  grecque,  gravée  sur  un 
fragment  de  colonne,  ou  plutôt  une  base  de  statue,  mentionne  une  Arsinoé,  qui 
doit  être  Arsinoé,  sœur  et  femme  de  Philopator. 

Séance  du  26  octobre  igoo. 

M.  Salomon  Reinach  annonce  qu'un  fragment  nouveau  du  texte  grec  de  l'édit 
de  Dioclétien  sur  le  maximum,  promulgué  en  3or,  donne  enfin  le  prix  du  blé  et  de 
l'orge,  que  l'on  avait  vainement  cherché  jusqu'à  présent.  Le  blé  valait  12  fr.  85 
l'hectolitre,  l'orge  7  fr.  70.  Au  premier  siècle  de  l'Empire,  le  prix  de  l'hectolitre  de 
blé  avait  oscille  entre  i3  et  i5  francs.  —  Le  texte  épigraphique  qui  contient  ces 
renseignements  a  été  découvert  à  Aegira  en  Achaïe  et  publié  à  Athènes  par 
M.  Stais.  —  M.  Babelon  présente  quelques  observations. 

M.  Dieulafoy  communique  le  mémoire  qu'il  lira  à  la  séance  publique  annuelle 
de  l'Académie,  le  16  novembre  prochain  :  Rejlets  de  l'Orient  sur  le  théâtre  de 
Calderon. 

L'Académie  se  forme  en  comité  secret. 

M.  Eugène  Mûntz  fait  une  communication  sur  les  illustrations  de  Pétrarque  aux 
xiV,  XV' "et  xvi«  siècles.  L'iconographie  du  iv^hé  de  Remediis  utriusque  fortunœ  de 
Pétrarque  n'a  pas  encore  été  étudiée,  bien  qu'elle  soit  fort  importante.  Elle  est 
loin  d'offrir  l'unité  qui  peut  se  constater  dans  les  innombrables  interprétations 
des  Triomphes  du  même  auteur.  Chaque  artiste  l'a  conçue  à  sa  façon.  Seule  la 
roue  de  la  Fortune  avec  ses  accessoires  reparaît  invariablement.  D'autre  part,  la 
France,  où  l'ouvrage  de  Pétrarque  avait  été  traduit  sous  Charles  V  par  Nicolas 
Oresme,  et  l'Allemagne,  grâce  à  Sébastien  Brant,  sont  les  deux  seuls  pays  oti  le 
de  Remediis  ait  tente  les  illustrateurs.  Longtemps  indécise,  surtout  dans  les  mi- 
niatures françaises  du  xv«  siècle,  cette  illustration  se  précise  enfin  dans  un  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  nationale  exécuté  pour  Louis  XII.  A  des  figures  allégori- 
ques plus  ou  moins  inspirées  du  Roman  de  la  Rose.,  à  des  personnages  de  la  cour 
de  Louis  XII  il  mêle  des  épisodes  pittoresques,  piquants  ou  tragiques.  Si  ces  com- 
positions eussent  été  gravées,  elles  eussent  assuré  au  traité  de  Pétrarque  une 
vogue  égale  à  celle  qu'il  obtint  en  .\llemagnc  grâce  aux  illustrations  d'un  dessina- 
teur de  ï'école  de  Burgmair.  Ces  gravures  (plus  de  200)  parurent  d'abord  à  Augs- 
bourg  en  i532  ;  elles  furent  réimprimées  au  moins  dix  fois  jusque  vers  le  miliéu- 
du  xvii°  siècle. 

Léon  Dorez. 

*  Propriétaire-Gérant:  Ernest  LEROUX. 

Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

N"  47  —  19  novembre  —  1900 


CuRcio,  Les  œuvres  de  rhétorique  de  Cicéron.  —  J.  Hastings,  Dictionnaire  bibli- 
que. —  H.  Quentin,  Mansi  et  les  grandes  collections  conciliairce.  —  Stlmpf, 
Tableaux  pour  l'histoire  de  la  philosophie.  —  Douglas,  Fra  Angelico.  —  And- 
LER,  Benoist,  Welschinger,  Bismarck.  —  Houtin,  Dom  Couturier.  —  Académie 
des  inscriptions. 


Gaetano  Curcio.  Le   opère  retoriche  di  M.  Tullio  Cicérone,  studio  critico. 

Acireale,  tipografia  dell' Etna,  1900,  iv-222  pp.  in-8. 

Après  deux  chapitres  préliminaires  sur  la  rhétorique  grecque  et  le 
travail  des  stoïciens,  M.  Curcio  prend  chacune  des  œuvres  de  rhéto- 
rique, y  compris  les  livres  à  Hérennius,  en  fait  l'analyse,  résume  le 
système  proposé,  indique  les  sources,  et  fait  l'histoire  des  questions 
particulières  qui  se  rattachent  à  des  dialogues  comme  le  Briitus  ou  le 
De  Oratore.  On  sait  combien  toute  cette  scolaslique  sur  les  constitua 
tiones  causae  nous  paraît  artificielle  et  puérile.  Ce  schématisme  repo- 
sait pourtant  sur  un  fonds  d'observation  morale  et  de  vie  réelle,  qui  le 
rend  moins  fastidieux,  quand  on  s'aventure  à  le  considérer  avec  un 
peu  d'attention.  C'est  aussi,  qu'on  le  veuille  ou  non,  le  cadre  où  nous 
retrouvons  quelques-unes  des  pages  les  plus  intéressantes  de  la  litté- 
rature latine.  Le  travail  de  M.  Curcio,  où  les  tableaux  synoptiques  et 
les  résumés  méthodiques  ne  sont  pas  épargnés,  sera  donc  le  bienvenu 
de  quiconque  voudra  se  faire  une  idée,  non  plus  de  quelques  mor- 
ceaux détachés,  mais  de  l'ensemble  des  traités  cicéroniens.  Le  lecteur 
n'aura  plus  à  prendre  la  peine  de  débrouiller  et  d'éclairer  ces  doc- 
trines. M.  Curcio  est  d'ailleurs  très  au  courant  de  toutes  les  publica- 
tions récentes  et  en  discute  les  conclusions.  Il  a  même  attiré  l'atten- 
tion des  latinistes  sur  un  chapitre  du D/o;z  de  M.  von  Arnim  qui  aurait 
risqué  fort  de  leur  échapper.  Pour  le  nombre  oratoire,  M.  Curcio  ren- 
voie à  un  ouvrage  antérieur  sur  Calvus  et  Cicéron  ;  cependant  il  ne 
paraît  pas  connaître  les  derniers  travaux  français  relatifs  à  la  prose 
métrique.  Malgré  cette  lacune,  le  livre  est  une  bonne  introduction  à 
la  lecture  des  œuvres  analvsées. 

P.  L. 


Nouvelle  série  L.  47 


390  RËVUË    CRtTÎQÛË 

A  Dictionary  of  the  Bible,  edited  by  J.  Hastings,  with  the  assistance  of 
J.-A.  Selbie,  A.-B.  Davidson,  S. -R.  Driver,  H.-B.  Swete,  Edinburg,  Clark,  1899- 
1900  ;  trois  volumes  gr.   in-8»,  864,  870,  896  pages. 

Ce  dictionnaire  biblique  comprendra  quatre  volumes,  dont  trois 
ont  déjà  paru  :  le  quatrième  est  annoncé  pour  1901 .  Il  formera  une 
véritable  encyclopédie  de  la  science  biblique,  et,  si  Ton  en  juge  parles 
parties  déjà  publiées,  la  plus  complète  probablement,  et  la  mieux 
équilibrée  de  toutes  celles  qui  existent  maintenant.  Un  dictionnaire 
de  la  Bible,  disent  les  savants  éditeurs,  doit  expliquer  tous  les  mots  de 
l'Écriture  qui  ne  s'expliquent  pas  eux-mêmes,  c'est-k-dire  tous  les 
noms  de  personnes  et  de  lieux,  tout  ce  qui  concerne  Tarchéologie, 
l'ethnologie,  la  géologie,  l'histoire  naturelle,  la  doctrine  morale  et  reli- 
gieuse des  Livres  saints,  leurs  textes  originaux,  les  versions  anciennes, 
et  même  certaines  particularités  de  la  version  anglaise  autorisée.  La 
préparation  des  articles  a  été  confiée  à  des  hommes  compétents  :  l'iné- 
galité de  valeur  entre  les  articles,  défaut  ordinaire  des  recueils  de  ce 
genre,  ne  se  rencontre  guère  dans  celui-ci. 

Une  œuvre  aussi  considérable  ne  se  prête  pas  à  la  critique  de  détail. 
Disons  qu'elle  ne  laisse  presque  rien  à  désirer  au  point  de  vue  de 
l'érudition.  Les  articles  de  géographie,  dont  plusieurs  sont  signés 
Conder,  Warren,  Ramsay,  méritent  une  mention  spéciale  ;  de  même 
les  articles  concernant  le  langage  de  l'Ancien  Testament  (S.  Margo- 
liouth),  celui  du  Nouveau  (J.-H.  Thayerj,  les  anciennes  versions  latines 
(H. -A.  Kennedy),  l'Assyrie  (F.  Hommel),  l'Egypte  (W.-E,  Crum), 
l'eschatologie  de  l'Ancien  Testament  (A.-B.  Davidson),  celle  des  apo- 
cryphes et  de  la  littérature  apocalyptique  (R.-H.  Charles),  celle  du 
Nouveau  Testament  (F.  Salmond  ,  Dieu  dans  l'Ancien  Testament 
(Davidson),  dans  le  Nouveau  (W.Sandey),rHexateuque  ;P. -H. Woods) 
et  les  livres  qui  le  composent,  Genèse  et  Deutéronome  (H.-E.  Ryle), 
Exode,  Lévitique,  Nombres  ^G.  Harford-Battersby),  Josué  (J.-A. 
Smith),  les  Évangiles  (V.-H.  Stanton).  Cette  liste  pourrait  être  allon- 
gée indéfiniment. 

L'esprit  général  de  la  publication  est  vraiment  scientifique,  l'étude 
critique  de  la  Bible  en  est  la  base  ;  tout  le  travail  critique  des  derniers 
temps  en  a  fourni  les  matériaux.  Dirons-nous  qu'elle  est  exempte  de 
toute  préoccupation  théologique?  Ce  serait  peut-être  aller  trop  loin. 
Excluons  seulement  le  parti  pris  et  l'intolérance  dogmatique.  Il  sem- 
ble que,  dans  l'ensemble,  la  critique  de  l'Ancien  Testament  y  soit 
plus  libre  et  plus  sûre  d'elle-même  que  celle  du  Nouveau.  Ainsi  la 
question  de  l'Hexateuque  y  est  exposée  conformément  aux  opinions 
qui  sont  acceptées  aujourd'hui  par  la  très  grande  majorité  des  exégètes 
allemands.  L'auteur  de  l'article  sur  Isaïe  (G.-A.  Smith)  retire  à  ce  pro- 
phète non  seulement  la  seconde  partie  du  livre  qui  porte  son  nom, 
mais  plusieurs  morceaux  de  la  première  partie  ;  il  abandonne  aussi 
l'authenticité   du    cantique   d'Ézéchias,  qu'il    a    autrefois    soutenue. 


d'histoire  et  de  littérature  391 

L'histoire  du  livre  de  Jérémie  (Davidson)  est  très  bien  comprise  ;  les 
différences  qui  existent  entre  l'hébreu  traditionnel  et  les  Septante  sont 
attribuées  à  un  travail  d'amplification  auquel-  les  manuscrits  qui  ont 
servi  pour  la  version  grecque  avaient  en  partie  échappé.  Le  livre  de 
Daniel  (E.-L.  Curtis)  a  paru  au  temps  d'Antiochus  Epiphane,  proba- 
blement en  i65:le  cas  de  cette  prophétie,  placée  sous  le  nom  d'un 
personnage  ancien,  est  le  même  que  celui  du  Deutéronome  et  du  Code 
sacerdotal  attribués  à  Moïse,  de  l'Ecclésiastc  attribué  à  Saiomon,  pour 
ne  rien  dire  des  écrits  qui  se  sont  recommandés  de  Baruch,  d'Hénoch, 
etc.  Le  livre  de  Job  (W.-T.  Davison^  a  été  composé  au  vi'  ou  au  V  siè- 
cle avant  notre  ère  ;  les  discours  d'Élihu  et  quelques  autres  morceaux 
de  moindre  étendue  y  ont  été  ajoutés  après  coup.  Le  livre  de  Jonas 
(Ed.  Kônig)  est  synibolique  et  il  a  été  composé  après  l'exil.  Mais  on 
suppose,  bien  gratuitement,  que  ceux  qui  l'ont  rangé  parmi  les  petits 
prophètes  se  rendaient  compte  de  son  caractère,  on  pousse  presque  à 
l'exagération  le  soin  de  réfuter  l'interprétation  historique,  et  surtout 
d'expliquer  comment  le  Sauveur  dans  l'Évangile  a  pu  faire  allusion  à 
l'histoire  de  Jonas  comme  si  elle  était  arrivée.  Ce  n'est  pas  le  seul  en- 
droit où  l'exégèse  des  savants  rédacteurs  se  montre  plus  circonspecte 
que  leur  critique  littéraire.  Ainsi  les  notices  des  patriarches  Abraham, 
Isaac,  Jacob,  Juda,  Joseph,  sont  conçues  à  peu  près  comme  s'il  s'agis- 
sait de  personnages  historiques,  mais  on  observe,  à  propos  d'Abraham, 
que  Céthura,  Hagar,  Ismaël  figurent  des  relations  de  tribus  ;  à  propos 
disaac,  que  les  aventures  de  Sara  et  de  Rébecca  chez  le  roi  de  Gérar 
sont  deux  versions  du  même  fait;  à  propos  de  Jacob,  que  les  récits 
concernant  les  trois  grands  patriarches  sont  vrais  pour  le  fond,  mais 
que  leurs  caractères  ont  été  idéalisés,  que  leurs  biographies  sont  à 
beaucoup  d'égards  pénétrées  des  sentiments  et  des  idées,  même  des 
fictions  d'un  autre  âge,  que  Jacob  gardant  les  brebis  de  Laban  peut 
être  un  individu,  mais  que,  lorsqu'il  fixe  avec  son  beau-père  la  fron- 
tière de  la  Syrie  et  d'Israël,  lui  et  Laban  représentent  deux  peu- 
ples; à  propos  de  Joseph,  que  sa  vie,  dont  on  marque  la  date, 
pourrait  bien  être,  en  partie,  ou  tout  à  fait,  une  projection  dans 
le  passé,  sous  forme  individuelle,  de  l'histoire  des  tribus  qui  sont  cen- 
sées être  nées  de  lui  ;  à  propos  de  Juda,  que  l'histoire  de  ses  mariages, 
dans  Gen.  xxxviii,  est  tout  simplement  celle  de  la  tribu  qui  porte  son 
nom.  Il  est  douteux  qu'on  puisse  tenir  dans  cette  situation  quelque 
peu  équivoque  :  on  aurait  dû  distinguer  plus  nettement  les  différentes 
formes  des  légendes  patriarcales  selon  les  documents,  et  en  faire 
mieux  ressortir  le  caractère  symbolique.  Rien  n'empêche  qu'Abraham 
ait  existé,  mais  ce  qu'on  nous  raconte  de  lui  n'est  pas  sa  biographie. 
On  nous  dit,  dans  l'article  sur  la  circoncision,  que  ce  patriarche  fut 
circoncis  à  quatre-vingt-dix-neuf  ans  :  il  est  vrai  que  cela  est  écrit, 
mais  il  n'est  pas  écrit  que  cela  soit  historiquement  vrai. 

Passant  au   Nouveau  Testament,  nous  trouvons  qu'un  article  très 


392  ftÈVUE  CRITIQUE 

remarquable  a  éié  consacré  au  second  Évangile  :  l'auteur  (Salmond)  se 
prononce  entre  l'authenticité  de   la  finale  [Marc,  xvi,  9-20),  admet 
la  priorité  de  Marc  relativement  aux  deux  autres  Synoptiques,  et  l'em- 
ploi  limité   de  sources   écrites  pour  Marc  lui-même.  L'article  sur 
Mathieu  (Rartlet)  est  moins  satisfaisant  :  le  premier  Évangile  dépen- 
drait de  Marc  et  d'une  catéchèse  orale    qui    se  rattacherait  à  l'apôtre 
Matthieu.  En  fait,  le   Discours  de  la  montagne,  et  d'autres  morceaux 
que  l'on  rapporte  à  la  catéchèse  sont  des  compilations  de  sentences  qui 
ne  peuvent  guère  procéder  immédiatement  de  la  tradition  orale  ;  et  il 
est  bien  téméraire  de  soutenir  que  les  données  particulières  intercalées 
par  le  rédacteur  du  premier  Évangile  dans  le  récit  de  la  passion  selon 
Marc,  appartiennent  à  la  tradition  de  l'apôtre  Matthieu.  Les  problèmes 
que    soulève  la  composition  du  troisième  évangile   sont  bien   traités 
(par  J.-M.  Bebbs)  spécialement  la  question  des  sources,  celle  du  rap- 
port de  Luc  avec  Josèphe  et  avec  l'évangile  de  Marcion.  L'article  sur 
le  quatrième  Évangile  (H. -R.  Reynolds),  très  documenté  d'ailleurs,  et 
très  complet  à  sa  manière,  ressemble  trop  à  un  plaidoyer  en  faveur  de 
l'authenticité  apostolique.  Dans  la  discussion  du  témoignage  de  Justin, 
on  rapporte  à  /e^n,  xix,  i3,  une  allusion   qu'on  dit  confirmée   par 
l'Évangile  de   Pierre,  et  qui  est  plutôt  un  emprunt  à  cet  apocryphe. 
On  ne  remarque   pas  que   le   Canon  de  Muratori  semble  préoccupé 
d'affirmer  l'origine  apostolique  du  quatrième  Évangile,  et  qu'il  l'af- 
firme au  moyen  d'un  récit  purement  légendaire.  Dire  que  Papias  usait 
largement  de  Jean,  et  que,  pour  cette  raison  même,  Eusèbe  ne  l'a  pas 
fait  remarquer,  est  plus  qu'un  paradoxe:  Eusèbe  mentionne  chez  Pa- 
pias l'usage  de  la  première  Épître  Johannique,  et  il   aurait  parlé  de 
l'Évangile,  s'il  en  avait  trouvé  des  traces  évidentes  ;  Polycarpe,  qui  cite 
également  l'Épître,  ne  fait  pas  le  moindre  emprunt  à  l'Évangile;  et  ce 
n'est  pas  seulement  Eusèbe,  mais  Papias  lui-même  qui  parle  de  deux 
Jean,  l'Apôtre  et  l'Ancien;  c'est  Jean  l'Ancien  que  Papias  a  connu.  1  renée 
fait  de  Papias  un  disciple  de  l'Apôtre  ;  mais  le  témoignage  de  Papias 
ne  l'emporte-t-il  pas  en  cette  occasion  sur  celui  d'Irénée?  Celui-ci, 
dit-on,  n'a  pu  se  tromper  sur  la  qualité  du  maître  de  Polycarpe,  qui  a 
été  aussi  celui  de  Papias.  Là  est  la  question.  Les  anciens  qui  avaient 
vécu  avec  Jean,  enseignaient  que  le  Christ  avait  atteint  la  vieillesse 
quand  il  mourut  :  cette  «  tradition  »  venait-elle  d'un  compagnon  de 
Jésus  ?  Nous  ne  prétendons  pas  que  le  Dictionary  of  the  Bible  ait 
tort  de  maintenir  l'authenticité  johannique,  mais  on  ne  devait  pas  la 
présenter  comme  évidente,  incontestable.  Au  point  de  vue  critique, 
c'est   une   opinion  qui  peut    se  défendre,  mais   qui  a   ses  difficultés, 
comme  les  hypothèses  contraires  ont  les  leurs.  Ces  difficultés  ne  tien- 
nent pas  seulement  à  la  personne  de  Jean  d'Ephèse,  mais  au  caractère 
de  l'Évangile.  On  n'a  pas  analysé  assez  profondément  la  nature  de 
cette  composition  unique  en  son  genre  dans  le  Nouveau  Testament. 
C'est  pourtant  ce  qu'il  aurait  fallu   faire  avant  de  combattre  les  hypo- 


d'histoire  et  de  littérature  393 

thèses  des  critiques.  Si  Ton  commence  par  prendre  les  faits  et  les  dis- 
cours  Johanniques  comme   le   complément  de  ce  qu'on  lit   dans    les 
Synoptiques,  on  tranche  avant  tout  examen  la  question  qu'il  s'agirait 
d'étudier  ;  on  renonce  volontairement  à  comprendre  le  véritable  rap- 
port du  quatrième  Évangile  avec  les  trois  premiers  ;  on  est  amené  à 
dire  que  Jean,  qui  place  la  mort  du  Christ  le   14  nisan,  est  seulement 
plus  clair  que  Marc  et  Matthieu  qui  la  placent  le    i5  ;  on  imagine   la 
possibilité  abstraite  d'un  disciple  qui  aurait  seulement  retenu  de  l'en- 
seignement  du  Christ  ce   qui   dépassait    l'entendement    des   autres, 
comme   si  les  discours  johanniques  étaient  une  partie   négligée  des 
discours  synoptiques,  et  non  leur  commentaire  thcologique  et  mys- 
tique; on  en  vient  à  écrire  que  le  quatrième  Evangile  est  plus  facile  à 
expliquer  sans  les  trois  premiers,  que  ceux-ci  sans  celui-là,  et  l'on  ne 
s'aperçoit    pas    que   l'Évangile   johannique   a  été   écrit   tout  exprès 
pour  adapter  le  christianisme  primitif  à  la  pensée  grecque,  c'est-à-dire 
à  la  nôtre, on  ne  voit  pas  que  la  facilité  pour  nous  de  comprendre  le 
Christ  théologique  n'est  pas  la  même  chose  que  l'exactitude  dans  la  re- 
présentation du  Christ  historique  chez  les  évangélistes  ;   on  aboutit  à 
discréditer  les  Synoptiques,  en  déclarant  que  la  tentation,  la  transfigu- 
ration, la  cène  eucharistique,  Gethsèmani,  l'ascension,   qui   sont  des 
«  tableaux  visions  »,  méritent  moins  la  confiance  de  l'historien  que  le 
quatrième  Évangile,  où  le  même  fond  d'enseignement  se  retrouve  dans 
un  groupe  de  faits  objectifs  et  de  paroles  fidèlement  conservées.   Où 
sont  donc  ces  faits  objectifs,  et  les  paroles  en  question  sont-elles  autre 
chose  qu'une  interprétation  réfléchie  des  «  tableaux  visions  »  ?  Le  bel 
article  de  M.  Sanday  sur  Jésus-Christ  manque  d'unité  et  laisse  dans 
l'esprit  du  lecteur  une  impression  un  peu  confuse,  parce  qu'on  a  voulu 
y  faire  entrer  Jean  avec  les  Synoptiques,  suivant  la  méthode  ordinaire 
des  concordistes.  Les  difficultés  de  la  conciliation  sont  surtout  sen- 
sibles quand  on  en  vient  aux  récits  de  la  résurrection  ;  même  dans  le 
quatrième  Évangile,  le  chapitre  xxi  suppose  un  cadre  historique  diffé- 
rent du  chapitre  xx.  M.  Sanday  finit  par  avouer  que  l'état  des  docu- 
ments ne  permet  pas  de  résoudre  toutes  ces  difficultés,  et  il  en  appelle 
à  la  foi  de  l'Église.  N'eût-il  pas  mieux  valu  poser  d'abord  en  principe 
que  l'incarnation  et  la  résurrection  ne  rentrent  pas  dans  la  trame  des 
faits  communs  de  l'histoire  humaine,  qu'ils  ne  sont  rigoureusement 
démontrables  que  de  la  foi  à  la  foi,  et  discuter  ensuite  les  textes  de 
façon  plus  objective?  La  méthode  suivie  par  les  docteurs  anglicans  les 
expose  à  paraître  téméraires  en  théologie  et  timides  en  critique. 

Le  nouveav  dictionnaire  n'en  est  pas  moins  un  monument  de  science 
vraie  et  sincère,  un  répertoire  solidement  érudit,  très  critique,  à  con- 
sulter par  tous  ceux  qui  veulent   étudier  sérieusement  la  Bible  et  les 

questions  bibliques. 

Alfred  Loisv. 


^94  REVUE   CRITIQUE 

Henri  Quentin,  Jean  Dominique  Mansi  et  les  grandes  collections  conci- 
liaires; Étude  d'histoire  littéraire,  suivie  d'une  correspondance  inédite  de  Ba- 
luzc  avec  le  cardinal  Casanate,  et  de  lettres  de  Pierre  Morin,  Hardouin,  Lupus, 
Mabillon  et  Montfaucon.  Paris,  Ernest  Leroux,  1900,  272  pp.  in-8. 

On  sait  depuis  longtemps  que  tout  est  à  faire,  ou  presque  tout,  pour 
une  publication  critique  des  textes  canoniques  et  surtout  des  conciles. 
Le  livre  du  P.  Quentin  a  le  mérite  de  fortifier  et  de  préciser  le  senti- 
ment que  Ton  a  de  cette  énorme  lacune  par  l'histoire  et  l'appréciation 
des  grandes  collections. 

Le  premier  qui  ait  eu  la  pensée  d'éditer  les  conciles  est  le  chanoine 
parisien  Jacques  Merlin  (1524).  Comme  la  plupart  des  éditions  prin- 
ceps,    celle-ci    fut    exécutée    d'après   un    manuscrit    quelconque,    du 
xii«   ou  du  xiii«    siècle,  d'après    Hinschius.    Ce  manuscrit   était  un 
manuscrit  des  Fausses  Décrétales.  et  ceci  est  déjà  un  trait  caractéris- 
tique de  toutes  nos  collections  conciliaires  ;  car  Merlin  va  servir  de 
cadre,  et  ses  successeurs  se  repasseront  son  texte,  en  y  introduisant 
seulement  des  additions  croissantes  qui  porteront  les  deux  in-folios 
du  début  aux  trente  et  un  de  Mansi.  En   i538  et  en  i55i,  un  francis- 
cain de  Malines,  Pierre  Crabbe,  reprenait  le  travail  de  Merlin,  et,  déjà 
dans  sa  seconde  édition,  augmentait  l'ouvrage  d'un  in-folio.  Son  nom 
est  cependant  à  retenir  :   avec  le  P.  Hardouin  et  Baluze,  il  est  le  seul 
de  tant  d'éditeurs  qu'ait  animé  quelque  instinct  critique.  11  rechercha 
les  manuscrits,  et  pour  beaucoup  d'actes  en  eut  au  moins  deux,  dont 
il  note  les  variantes.  Il  fit  mieux,  si  l'un  des  mérites  de  l'éditeur  est  de 
savoir  ignorer  ;  il  imprima  tels  quels  les  passages  qu'il  ne  comprenait 
pas  :  «  Nec  uero  tutum  fuisset  aut  parui  ponderis  res  ex  coniectura 
sola  ea  uoluisse  immutare.  »  Surius  (Cologne,   iSôj)  n'eut  pas  tant  de 
scrupules.  Il  supprima  une  grande  partie  des  variantes  de  Crabbe, 
confondit  celles  qu'il  avait  distinguées,   déplaça  des  morceaux,  com- 
pléta de  son  cru  les  documents  mutilés,  rendit  clairs  les  passages 
obscurs  par  des  conjectures  souvent  malheureuses  et  presque  toujours 
tacites.  Nicolini  et  Bollanus  (Venise,   i585)  et  la  première  édition  de 
Bini  (Cologne,  1606)  sont  des  réimpressions  de  Surius,  avec  de  nou- 
velles notes  et  l'incorporation  des  textes  conciliaires  parus  séparément 
depuis  la  dernière  édition  générale   :   Nicée  de  Torres  et  de  Pisanus, 
Éphèsede  Pcltan,  conciles  milanais  de  saint  Charles  Borromée,  pour 
Nicolini  ;  conciles  d'Espagne  de  Loaisa  et  lettres  pontificales  d'Anto- 
nio Carafa  pour   Bini.    Ici   se   place    l'édition  romaine  de    Paul  V 
(4  vol.,  1608-1612),  entreprise  par  Antonio  Carafa  et  continuée  par 
Frédéric  Borromée  et  François  Tolet  avec  le  concours  du  parisien 
Pierre  Morin.  Elle  fournit  un  deuxième  jalon,  après  celle  de  Crabbe  : 
on  y  trouve  pour  la  première  fois  les  textes  grecs,  tirés  de  la  Vaticane. 
Malheureusement,   au  lieu  de  respecter  les  anciennes  versions  latines 
ou  d'en  donner  une  nouvelle,   adaptée  au  grec  retrouvé,   on  prit  le 
parti  inconséquent  de  retoucher  et  de  compléter  les  anciennes.  Dans 


D  HISTOIRE    ET    DE     LITTERATURE  BgS 

sa  deuxième  édition  (Cologne,  i6i8;  reproduite,  Paris,  i636),  Bini 
fondit  Surius  et  la  collection  romaine.  Le  type  des  collections  conci- 
liaires était  dès  lors  fixé.  Elles  allaient  se  grossir  d'un  mouvement  de 
boule  de  neige,  en  ramassant  les  textes  édités  dans  l'intervalle  de  leur 
publication.  L'édition  luxueuse  du  Louvre  (Paris,  1644)  s'incor- 
pore Sirmond  et  le  premier  volume  de  Spelman.  Labbe  et  Cossart 
(Paris,  1 671-1672)  dépouillent  dom  d'Achery,  Marca,  Combefis, 
Baluze,  Dugdale.  Mais  les  seuls  progrès  réels  qui  soient  dus  à  Labbe 
et  à  Cossart  sont  d'une  part  le  développement  donné  aux  listes  de 
réunions  synodales  dont  les  actes  n'ont  pas  été  conservés,  d'autre  part 
l'ordre  et  la  clarté  mises  dans  l'amas  déjà  bien  hétéroclite  des  maté- 
riaux. Labbe  fut  reproduit  à  Venise,  1728- 1733,  par  Nicolas  Coleti. 
L'éditeur  s'engageait  à  donner  fidèlement  Labbe,  y  compris  ses 
fautes,  «  ne  erroribus  quidem  autorum  mutatis  ».  Tout  ce  qu'on  peut 
dire  de  cette  entreprise  de  librairie,  c'est  qu'elle  a  été  une  excellente 
affaire,  insuffisamment  justifiée  par  la  commodité  de  ses  23  volumes 
m-folio. 

C'est  alors  qu'intervient  Mansi,  auquel  le  P.  Quentin  consacre  la 
plus  grande  partie  de  son  livre.  L'œuvre  de  Mansi  est  double  :  le  Sup- 
plément k  l'édition  Coleti  (Lcuques,  6  vol.  in-folio,  1748-1752)  et  la 
Noua  et  amplissima  Collectio  [Venise,  chez  Zatta,  3i  vol.  in-folio, 
1 759-1 798).  U Amplissima  Collectio  est  une  réimpression  de  Coleti 
dans  laquelle  on  a  inséré  les,  ^Veces  dn  Supplément  et  quelques  rares 
documents  nouveaux.  L'un  et  l'autre  ont  été  faits  d'après  la  même 
méthode.  Mansi  parcourait  les  recueils  d' Anecdota  et  de  conciles  par- 
ticuliers, faisait  un  signe  devant  les  pièces  qui  l'intéressaient,  les  don- 
nait à  copier  à  des  enfants,  indiquait  la  place  de  la  pièce,  quelquefois 
ajoutait  des  notes  et  envoyait  le  paquet  à  l'imprimeur.  Il  ne  revoyait 
pas  les  épreuves.  Même  ce  travail  à  coup  de  ciseaux  était  hàtif  et 
négligé.  Il  se  méprend  sur  la  nature  des  documents,  publie  la  convo- 
cation d'un  synode  et  en  omet  les  actes,  se  contente  de  juger  des 
pièces  par  le  titre  et  les  fait  reproduire  sans  les  lire,  copie  les  renvois 
des  collecteurs  d' Anecdota  sans  les  mettre  au  point  ;  ignore,  dans  son 
Supplément^  les  deux  ouvrages  les  plus  importants  qui  eussent  paru 
depuis  un  siècle  sur  la  matière,  les  capitulaires  de  Baluze  et  les  lettres 
pontificales  de  Coustant  ;  réimprime  Coleti  avec  ses  fautes  et  son 
propre  Supplément  avec  les  errata  qui  sont  proposés  par  lui-même  à 
ces  fautes  ;  tire  de  rares  manuscrits  le  moins  intéressant,  en  y  laissant 
des  pièces  capitales;  apprend  des  Ballerini  la  valeur  des  manuscrits 
qu'il  a  consultés  et  ne  tient  compte  de  ces  renseignements  que  d'une 
manière  distraite  ;  ne  collaiionne  jamais  sur  un  manuscrit  que  des 
fragments  ;  mélange  les  variantes  de  manuscrits  différents  ;  confond 
sous  le  même  astérisque  des  variantes  de  plusieurs  manuscrits  et  les 
corrections  introduites  par  les  éditeurs  romains  ;  public  deux  fois, 
sans  s'en  apercevoir,  avec  des  dates  différentes,  un  concile  grec  donné 


59^  REVUE  CRITIQUE 

par  Muratori  ;  insère  comme  inédit  dans  les  actes  d'un  concile  d'Aix- 
la-Chapelle  i8i6)  un  long  morceau  de  la  règle  de  saint  Benoît.  On 
pourrait  continuer  ce  réquisitoire  encore  longtemps.  Je  n"ai  qu'à  ren- 
voyer le  lecteur  aux  détails  donnés  par  le  P.  Quentin,  à  l'explication 
d'une  rubrique,  ex  codice  Aniciensi,  qui  induit  à  faire  prendre  pour 
variantes  d'un  très  ancien  manuscrit  les  rectifications  des  correcteurs 
romains  (p.  102)  ;  à  l'histoire  d'un  renvoi  de  Surius,  Vide paiilo  supra 
(p.  1071,  ou  à  celle  des  notices  du  Liber pontificalis  p.  i58).  Crabbe 
avait  eu  l'idée  de  mettre  en  tête  des  conciles  qu'elle  concernait  la 
notice  du  pape  régnant  et  il  se  trouva  ainsi  le  premier  éditeur  frag- 
mentaire du  Liber  pontificalis.  Le  procédé  devint  une  tradition  et 
tout  le  livre  y  passa.  Or  Labbe  eut  en  mains  un  excellent  manuscrit 
de  l'abrégé  félicien,  le  manuscrit  de  Hardy,  aujourd'hui  perdu  ; 
Mansi,  le  meilleur  manuscrit  de  la  rédaction  plénière,  le  célèbre  Lu- 
censis.  Labbe,  suivant  sa  coutume,  a  extrait  des  variantes  et  des  sup- 
pléments, mais  ne  souffle  mot  des  omissions,  qui  sont  ici  caractéris- 
tiques. Mansi  tire  de  son  manuscrit  des  variantes  çà  et  là,  et  ce  ne 
sont  pas  les  plus  importantes. 

En  dehors  de  la  ligne  Merlin-Mansi,  se  placent  les  deux  tentatives 
qui  furent  faites  d'introduire  la  critique  dans  l'étude  des  textes  conci- 
liaires, celles  de  Baluze  et  du  P.  Hardouin.  Elles  restèrent  sans  in- 
fluence sur  une  routine  détestable.  Il  ne  parut  qu'un  volume  de 
Baluze  (Paris,  i683).  Hardouin  aboutit  Paris,  11  tomes  en  12  vol., 
1714-1715J.  Mais  l'un  et  l'autre  furent  en  butte  aux  mêmes  attaques 
pour  des  motifs  opposés  ;  le  gallican  Baluze,  par  crainte  de  la  cour 
romaine,  préféra  renoncer  à  son  projet  ;  Tultramontain  Hardouin 
vit  son  œuvre  discréditée  avant  de  paraître  et  la  mise  en  vente  retar- 
dée par  les  intrigues  des  gallicans.  Le  P.  Quentin  vante  beaucoup  le 
travail  de  Hardouin.  Il  est  méritoire,  grâce  à  une  revision  attentive 
des  textes  ;  Hardouin  est  le  seul  qui  ait  donné  des  soins  très  sérieux 
aux  textes  grecs.  11  a  de  plus  déchargé  la  collection  de  pièces  et  de 
décrétâtes  qui  lui  étaient  étrangères.  Cependant  il  est  certain  que 
Baluze,  s'il  avait  pu  mener  son  travail  à  bonne  fin,  y  aurait  apporté 
encore  plus  d'acuité  critique  et  une  documentation  plus  riche.  Il  a 
gâté  sa  cause  par  ses  procédés,  étant  grincheux  comme  beaucoup  de 
savants  illustres.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  dans  sa  querelle  avec 
Lupus,  que  le  P.  Quentin  raconte  en  détail,  il  avait  raison  dans  le 
fond  et  que  nous  n'avons  pas  encore  une  édition  convenable  du 
Synodicon  Casinerise  sur  le  Concile  d'Éphèse,  édition  qu'il  nous 
aurait  certainement  donnée  avec  une  bonne  copie  du  manuscrit.  Les 
bénéficiaires  de  toutes  les  querelles  françaises  furent  en  l'occurrence 
les  éditeurs  italiens,  Zatta  et  surtout  Coleti. 

Si  j'ai  insisté  sur  cette  histoire  des  collections  conciliaires,  c'est 
qu'elle  comporte  des  moralités  de  plus  d'une  sorte.  D'abord  les  textes 
qui  parleur  nature  entrent  dans  la  pratique,   comme  les  textes  juri- 


d'histoire  et  de  littérature  ?97 

diques,  ou  peuvent  alimenter  les  disputes  humaines,  comme  les  déci- 
sions ecclésiastiques,  sont  exposés  à  recevoir  des  soins  peu  désinté- 
ressés. Et  les  textes  conciliaires,  en  participant  de  cette  double  nature, 
ont  doublement  ce  risque  à  courir.  Serviteurs  du  gallicanisme,  comme 
Baluze,  serviteurs  de  l'ultramontanisme,  comme  Hardouin,  servi- 
teurs de  rÉtat  prussien,  comme  Hinschius  que  je  nommais  au  début 
de  cet  article,  sont  mal  qualifiés  à  leur  faire  subir  le  traitement  cri- 
tique et  purement  scientifique  dont  ces  documents  ont  besoin.  Cepen- 
dant ces  noms  représentent  encore  de  graves  autorités.  Les  actes  con- 
ciliaires ont  eu  plus  à  souffrir  des  réimpressions  successives.  On  voit 
alors  se  produire  ce  qui  s'est  passé  pour  les  auteurs  classiques.  Chaque 
édition  marque  un  recul  sur  la  précédente.  De  temps  en  temps  un 
grand  philologue  intervient,  donne  un  vigoureux  coup  de  barre,  puis 
le  mouvement  s'arrête.  C'est  là  l'effet  de  la  tyrannie  des  vulgates,  où 
les  fautes  d'impression  et  les  leçons  banales  lèvent  à  chaque  édition 
comme  une  mauvaise  herbe.  Enfin  la  nécessité  de  reprendre  le  tra- 
vail par  la  base,  l'étendue  des  recherches,  et  aussi  la  précision  et  la 
minutie  des  méthodes  modernes,  rendent  maintenant  une  telle  entre- 
prise impossible  à  un  homme.  Une  académie  seule  pourrait  s'en  char- 
ger et  en  venir  à  bout. 

On  doit  remercier  le  P.  Quentin  d'avoir  posé  la  question  et  d'avoir 
jeté  une  lumière  crue  et  implacable  sur  le  fourré  des  in-folios  de 
Mansi.  Il  a  joint  à  son  travail  des  lettres  inédites  ou  rares  qui  expli- 
quent plusieurs  épisodes  d'une  histoire  jusqu'ici  assez  mal  connue. 

Paul  Lejay. 


Tafeln  zur  Geschichte  der  Philosophie,  von  C.  Stumpf,  o.  ô.  professer  der  phi- 
losophie an  der  Universitât  Berlin;  zweite  Auflage,  Berlin,  Speyer  und  Peters, 
1900,  10  ff.  non  paginés  et  4  tableaux.  Prix  cartonné  :  i  mk.  60. 

Pour  alléger  la  tâche  du  professeur  et  permettre  aux  étudiants 
d'avoir  sous  la  main  des  dates  exactes,  M.  Stumpf  a  conçu  deux  séries 
de  tableaux.  La  première  disposée  en  grandes  feuilcs  pliées  et  encar- 
tées dans  la  reliure,  comprend  les  philosophes  depuis  Thaïes,  avec 
leurs  dates,  le  tout  classé  par  écoles  et  chronologiquement.  La 
deuxième  série  de  tableaux  contient  les  dates  de  publication  des  prin- 
cipaux ouvrages  de  philosophie,  de  1440  à  1870;  ils  sont  classés  par 
pays. 

Une  publication  de  ce  genre  comporte,  au  moins  pour  les  temps 
modernes,  uji  choix,  et  ce  choix  est  toujours  discutable,  suivant  le 
point  de  vue  de  chacun.  On  peut  trouver  que  le  P.  André  avait  autant 
de  droits  à  être  nommé  que  Dubos,  Fontenelle  que  Bayle.  Mais  l'his- 
toire de  la  philosophie  française  au  xix*  siècle  présente  des  lacunes 
plus  graves.  L'omission  de  Joseph  de  Maistre,  Bonald,  Gratry,  Vinet 
est  presque  scandaleuse. 


398  REVUE    CRITIQUE 

Ces  imperfections  sont  faciles  à  réparer;  les  tableaux  de  M.Stumpf 
sont  bien  conçus  et  ne  rendront  pas  de  services  seulement  qu'aux 
étudiants. 

M.  D. 


Langton  Douglas.  Fra  Angelico.  London,  G.  Bell,  1900.  In-8*,  xix-206  p.,  arec 
62  photogravures. 

Il  existe,  en  Angleterre  et  aux  Etats-Unis,  un  public  nombreux  pour 
les  monographies  richement  illustrées  d'artistes  italiens  de  la  Renais- 
sance. Depuis  le  Loren^o  Lotto  de  M.  Berenson  et  le  Raphaël  de 
M°"  Julia  Cartwright  (1895),  nous  en  avons  compté  plus  d'une  dou- 
zaine ;  et  voilà  que  l'automne  —  ce  printemps  des  livres  —  nous 
apporte  à  la  fois  le  Botticelli  de  M.  Plunkett  et  le  Fi'a  Angelico  de 
M.  Langton  Douglas.  Si  les  ouvrages  de  ce  genre  se  multiplient,  cela 
ne  tient  pas  seulement  à  ce  qu'ils  sont  utiles  et  demandés  ;  c'est  aussi 
qu'il  n'est  pas  difficile  de  les  écrire,  quand  on  ne  place  pas  son  idéal 
bien  haut.  Muni  du  chef-d'œuvre  classique  de  Cavalcaselle  et  Crowe, 
des  livres  de  Morelli  et  de  Berenson,  de  VArchivio  delV  Arte  et  des 
catalogues  d'Anderson  et  d'Alinari,  un  joui-naliste  à  la  plume  experte 
peut  mettre  sur  pied,  en  quelques  mois,  une  monographie  satisfai- 
sante. Le  mérite  réel,  la  part  personnelle  de  l'auteur  ne  sont  pas  aisés 
à  discerner,  car  seuls  quelques  spécialistes  connaissent  l'état  précis 
des  questions  au  moment  où  paraît  une  de  ces  monographies  qui  les 
reprennent  —  et  ne  les  font  pas  toujours  avancer. 

Nous  avions  déjà  trois  livres  récents  sur  Fra  Angelico,  ceux  de 
Beissel  (1895,  trad.  franc.,  1898),  de  Supino  (trad.  franc.,  1898)  et  de 
Tumiati  (1897).  M.  Douglas  a  voulu  que  le  sien  fît  une  part  plus 
large  à  la  critique  historique  et  serrât  de  plus  près  les  problèmes  de 
chronologie.  Ces  problèmes  sont  assez  délicats  quand  il  s'agit  de  clas- 
ser une  œuvre  en  apparence  aussi  homogène  que  celle  du  Frate,  dont 
M.Lafenestre  pouvait  écrire  il  y  a  quinze  ans  :  '  «  On  n'a  aucune  peine 
à  reconnaître  une  de  ses  peintures  ;  on  éprouve  presque  toujours  un 
certain  embarras  à  la  dater.  »  M.  D.  a  certainement  réalisé  un  progrès 
dans  le  classement  des  tableaux  et  des  fresques  de  Fra  Angelico  par 
l'étude  combinée  des  motifs  et  des  types,  d'une  part,  et,  de  l'autre, 
des  accessoires  de  sculpture  et  des  ornements  d'architecture.  Ainsi,  il 
fait  observer  (p.  76)  que,  dans  le  Martyre  de  Saint-Marc,\e  Frate  a  intro- 
duit des  chapiteaux  ioniens,  dont  le  premier  exemple  à  Florence  se 
trouveàOrSan  Michèle  (1425);  il  met  en  lumière  l'influence  de  Miche- 
lozzo,deBrunelleschietmêmederantique  sur  unpeintrequ'ona  parfois 


I.  Lafenesire,   La  peinture  italienne,  t.   I,  p.  146.  Ce  joli  livre  est  de  ceux  que 
M.  Douglas  paraît  ignorer. 


d'histoire  et  de  littérature  39g 

trop  étroitement  rattaché  au  Moyen  âge.  Toutefois,  M.  D  a  bien  Tair 
de  s'escrimer  contre  un  fantôme  lorsqu'il  combat  longuement  la  thèse 
«  de  quelques-uns  »,  suivant  laquelle  Fra  Angelico  n'aurait  été  qu'un 
giottesque  attardé,  un  compositeur  de  pieuses  pictographies ,  un 
saint  bien  doué  pour  l'illustration,  etc.  Je  ne  trouve  cette  erreur  ni 
dans  Woermann,  ni  dans  Lafenestre,  ni  dans  Berenson  et  je  regrette 
que  M.  D.  n'ait  pas  désigné  plus  nettement  les  «  maîtres  de  la  criti- 
que »  dont  il  prétend  contredire  le  sentiment  (p.  5).  On  ne  peut, d'ail- 
leurs, qu'approuver  la  formule  où  il  résume  le  sien  :  «  Ce  fut  avant 
tout  un  artiste,  un  artiste  qui  se  trouva  être,  par  surcroît,  un  saint.  » 
La  piété  est  une  belle  chose,  mais  ne  dispense  pas  d'apprendre  un 
métier. 

M,  D.,  qui  écrit  assez  agréablement,  n'évite  pas  toujours  la  banalité 
ou  la  recherche.  On  voudrait  ne  pas  rencontrer  une  phrase  comme 
celle-ci  (p.  20)  :  «  It  {iiew  knowledge)  must  pass  through  the  alembic 
of  the  master's  potentidiosyncrasy.  Cela  s'appelle,  en  toutes  les  lan- 
gues, du  galimatias.  Du  reste,  dans  ce  passage,  M.  D.  avance  que 
Fra  Angelico  ne  s'est  pas  laissé  influencer  [wàs  no  respecter  0/ per- 
sons],  alors  que  plus  loin  (p.  i58)  il  signale,  avec  raison  d'ailleurs^ 
l'action  puissante  exercée  sur  cet  artiste  par  le  grand  Masaccio  et  par 
d'autres.  On  démêle  facilement  la  pensée  de  M.  D.,  à  savoir  que  Fra 
Angelico  est  resté  lui-même  tout  en  profitant  des  leçons  qu'il  recevait; 
cela  est  exact,  mais  pouvait  se  dire  plus  clairement. 

Toute  monographie  d'artiste  a  pour  ossature  une  liste  critique  de 
ses  œuvres,  car  pour  reconstituer  une  individualité  quelconque,  artis- 
tique ou  littéraire,  il  faut  employer,  à  titre  exclusif,  des  documents 
authentiques.  Une  fois  cette  liste  dressée,  l'ouvrage  est  fait  :  il  n'y  a 
plus  qu'à  l'écrire.  M.  D.  n'a  pas  manqué  d'imprimer  (p.  1 91-199)  la 
liste  des  peintures  de  Fra  Angelico  qu'il  croit  authentiques,  sans  men- 
tionner celles  qu'il  condamne.  En  comparant  cette  liste  avec  celle  qu'a 
donnée  M.  Berenson  dans  ses  Florentine painters,  je  me  suis  bientôt 
aperçu  qu'elles  étaient  presque  identiques.  Si,  d'autre  part,  on  rappro- 
che la  liste  donnée  dans  la  première  édition  du  livre  de  M.  Berenson 
de  celle  de  MM.  Crowe  et  Caralcaselle,  il  appert  que  M.  Berenson  a 
fourni  un  travail  personnel  considérable,  moins  par  les  additions  que 
par  les  éliminations  auxquelles  il  s'est  décidé  à  bon  escient.  Donc, 
s'appropriant  le  travail  d'auirui,  sans  un  mot  pour  en  avertir  le 
lecteur,  M.  Douglas  a  fait  preuve  d'un  sans-gêne  qu'il  est  difficile 
de  qualifier.  Les  ditférences  des  deux  listes  portent  sur  quelques  œu- 
vres sans  importance  :  ainsi  M.  Douglas  ajoute  une  fresque  abîmée  de 
Cortone,  un  petit  panneau  de  Dublin,  une  fresque  ruinée  de  Saint-Pé- 
tersbourg (qu'il  dit  lui-même  complètement  repeinte, p.  82)  ;  il  omet  la 
Madone  d'Oxford,  qu'il  considère  comme  une  (L'uvrc  d'atelier  (p.  39), 
un  panneau  de  Munich  1^992;  et  trois  petits  tableaux  de  Berlin  (60,61, 
62).  S'il  mentionne  à  S.  Marco  de  Florence  (p.  196)  le  Couronnement 


400  REVUE    CRITIQUE 

de  la  Vierge  dont  M.  Berenson  n'a  rien  dit,  c'est  au  prix  d'une  con- 
tradiction, car,  dans  le  corps  du  volume  (p.  38),  il  déclare  que  cette 
peinture  n'a  pas  été  exécutée  par  Fra  Angelico. 

Le  manque  de  scrupule  de  M .  D.  ne  s'est  pas  arrêté  là.  A  plusieurs 
reprises  (p.  47,  5  i,  il  insiste  sur  le  fait  que  Fra  Angelico,  le  premier 
parmi  les  peintres  italiens,  a  représenté,  au  fond  d'un  de  ses  tableaux, 
un  paysage  réel,  une  vue  du  lac  de  Trasimène  prise  de  Cortone  ;  or, 
cela  a  été  remarqué,  pour  la  première  fois  à  ma  connaissance,  par 
M.  Berenson  Flor.  Painters,  p.  26'.  Ce  que  M.  D.  dit  de  Verrocchio  et 
de  Baldovinetti  considérés  comme  paysagistes  est  emprunté,  toujours 
sans  aveu,  à  la  même  source.  Et  pour  qu'il  ne  reste  aucun  doute  sur  la 
malice  des  procédés  de  M.  D.,  je  remarque  que  deux  fois,  (p.  96,  169) 
il  imprime  entre  guillemets  des  phrases  entières  de  M.  Berenson  sans 
renvoyer  à  l'ouvrage  qu'il  a  sous  les  yeux  et  sans  nomrrier  l'auteur. 
Après  cela,  les  psychologues  ne  s'étonneront  pas  de  constater  (p.  17- 
19)  qu'il  adresse  au  même  connaisseur,  mais  toujours  sans  le  nom- 
mer, deux  pages  de  critiques  hargneuses,  qui  viennent  là  sans  au- 
cune raison  apparente.  En  littérature  comme  sur  les  grands  chemins, 
on  est  toujours  tenté  d'assommer  ceux  qu'on  détrousse. 

Le  cas  de  M.  Douglas  n'est  malheureusement  pas  isolé.  Dans  le 
monde  des  connaisseurs  d'art  moderne,  ou  de  ceux  qui  veulent  se  faire 
passer  pour  tels,  fleurissent  ou  sévissent  des  pratiques  vraiment 
fâcheuses;  les  haines  sournoises,  les  basses  jalousies  y  semblent 
plus  exaspérées  qu'ailleurs  par  le  5frz^^^/e  for  life.  Le  seul  moyen  de 
porter  remède  à  ce  triste  état  de  choses,  c'est  de  le  constater,  à  l'occa- 
sion, sans  réticences  '. 

Salomon  Reinach. 


Charles  Andler.  Le  prince  de  Bismarck.  —  Paris, Georges  Bellais,  1899,  in-12, 

x-402  pages. 
Charles  Benoist.  Le  prince  de  Bismarck,  Psychologie  de  Vhommefort.  —  Paris, 

Perrin,  1900,  in-16,  291  pages. 
Henri  Welschinger.  Bismarck  (i«' volume  de  la  série  des  «  Ministres  et  hommes 

d'Etat  >>).  —  Paris,  Alcan,  1900,  in-16,  211  pages. 

Les  biographies  de  Bismarck  ne  manquent  pas  ;  très  peu  subsiste- 
ront. Aux  Allemands,  il  manque  presque  toujours  le  recul  nécessaire 
à  la  claire  vision  des  événements  ;  aux  étrangers,  la  connaissance  des 
choses  allemandes.  M.  Andler  fait  exception.  Son  livre  n'est  pas, 
comme  tant  d'autres  aujourd'hui  parmi  nous,  une  compilation  de  fi- 
ches ;  il  est  vraiment  un  livre  d'histoire  :  l'auteur  réussit  à  nous  faire 


I.  II  est  piquant  d'entendre  M.  Douglas  lui-même  'p.  19)  déplorer,  comme  une 
plaie  de  ces  études,  a  restless  craving  for  publicity  and  many  pettyjealousies.  On 
dirait  une  confession  anticipée. 


D  HISTOIRE    ET    l>E    LITTERATURE  40 1 

comprendre  Bismarck  parce  qu'il  connaît  à  fond  l'Allemagne  du 
XIX^  siècle.  Qu'il  s'agisse  de  la  Prusse  féodale  d'avant  les  conquêtes, 
ou  de  l'empire  allemand  unifié  sous  le  gouvernement  du  chancelier,  il 
est  visible  qu'avant  d'aborder  son  sujet,  M.  A.  avait  acquis  au  préala- 
ble une  maîtrise  parfaite  de  la  vie  allemande  sous  tous  ses  aspects. 
Mérite  rare  et  précieux,  et  qui  n'est  pas  le  seul.  —  M.  A.  est  impar- 
tial. On  dit  souvent  que  la  postérité  commence  à  la  frontière.  L'idée 
cesse  d'être  vraie,  dès  que  l'étranger  s'est  trouvé  en  contact  avec  le 
contemporain  dont  il  parle,  car  alors  les  préjugés  passionnels  ne  sont 
pas  moindres  que  les  dissidences  de  parti  entre  compatriotes.  M.  A. 
a  su  s'en  abstraire.  —  Mais  pour  lui,  impartialité  n'est  pas  synonyme 
d'indifférence.  11  se  place  très  visiblement  à  un  point  de  vue  déter- 
miné, qui  est,  en  suivant  Bismarck  dans  ses  étapes  successives,  le  li- 
béralisme politique  de  l'avant-dernière  génération,  évoluant  vers  le 
socialisme  démocratique  d'aujourd'hui.  L'historien  de  Bismarck  n'est 
donc  jamais  un  bismarckien,  bien  qu'à  certains  égards  Bismarck  ait 
été,  dans  notre  siècle,  le  champion  le  plus  énergique  du  principe  na- 
tional, du  gouvernement  laïque  et  de  l'état  socialiste.  M.  A.  l'a  com- 
pris ,  et  ce  n'est  pas  un  des  moindres  intérêts  de  son  livre  que  cette 
confrontation  de  l'homme  d'Etat  avec  une  politique  à  laquelle  il  don- 
nait sans  cesse  des  gages,  tout  en  lui  échappant  toujours.  —  Dans  le 
détail,  il  est  à  peine  besoin  de  dire  que,  renseigné  comme  il  est, 
M.  A.  est  toujours  exact,  et  aussi  complet  qu'il  est  possible  dans  une 
étude  de  courte  dimension.  Peut-être  même  lui  est-il  arrivé  quelque- 
fois d'avoir  voulu  trop  dire  en  peu  d'espace.  «  Je  me  suis  moins  atta- 
ché (dit-il  dans  son  Avant-propos,  p.  vu)  à  décrire  les  faits  qu'à  don- 
ner les  mobiles  des  actes  ».  Rien  de  mieux,  mais  à  la  condition  que 
les  faits  soient  familiers  au  lecteur,  et  on  peut  douter  qu'il  suffise  tou- 
jours de  les  rappeler  sommairement  ou  par  allusion .  —  Certains  pas- 
sages paraissent  trop  condensés  :  il  eût  fallu  élaguer  ou  allonger.  Du 
moins  la  forme  donne  cette  impression.  Le  style  est  très  expressif  et 
personnel,  mais  par  moments,  il  semble  un  peu  tendu  et  d'une  sim- 
plicité laborieuse.  Bismarck  apparaît  très  vivant,  et  son  portrait  est 
poussé  avec  soin  ;  la  manière  dont  M.  A.  explique  les  évolutions  du 
chancelier,  et  comment  il  soudait  ses  théories  à  sa  politique,  nous  pa- 
raît l'expression  de  la  vérité  même.  Mais  les  comparses  sont  souvent 
peints  d'un  seul  trait,  qui  parce  qu'il  est  seul,  et  trop  appuyé,  donne 
presque  la  sensation  de  l'excessif  caricatural,  même  quand  il  est  juste 
et  bien  choisi,  avec  cette  clairvoyance  pénétrante  qui  est  la  caractéris- 
tique du  livre  tout  entier.  —  Au  reste,  ce  ne  sont  là  que  des  réserves 
de  détail,  et  qui  visent  plutôt  la  forme  que  le  fond.  Et  il  est  permis 
de  conclure  que  par  la  vigueur  et  l'originalité  de  la  pensée,  autant 
que  par  la  sûreté  et  l'abondance  de  l'information,  le  beau  livre  de 
M.  Andler  devra  être  classé  tout  au  premier  rang  des  biographies  que 
nous  avons  déjà  si  nombreuses  du  prince  de  Bismarck. 


402  REVUE   CRITIQUE 

M.  Charles  Benoist  a  bâti  son  étude  sur  un  paradoxe.  Bismarck  est 
un  homme  fort;  or  le  Prince  de  Machiavel  est  le  type  de  l'homme 
fort  ;  donc  le  Prince  est  le  type  de  Bismarck.  Le  syllogisme  est  impec- 
cable. «  Tel  Machiavel  conçut  et  décrivit  le  Prince  en  i5i3  dans  un 
village  de  la  banlieue  de  Florence,  et  tel,  pour  la  plus  grande  gloire  de 
la  Prusse  en  Allemagne,  de  1862  à  1890,  vingt-huit  années  durant,  M. 
de  Bismarck  l'incarna  »  (p.  6)  :  «  Bismarck  est  le  Prince,  l'Homme 
fort  »  (p.  288).  —  Il  est  possible  que  ce  procédéde  raisonnement  soit  de 
quelque  utilité  pour  Texégèse  de  Machiavel,  mais  il  est  certain  que  sur 
Bismarck  lui-même,  il  n'apprend  pas  gfand'chose.  Et  puis,  il  était 
également  aisé,  et  oiseux,  de  comparer  Bismarck  avec  le  Demi-dieu 
des  Anciens,  ou  avec  le  Héros  de  Carlyle,  ou  encore  avec  le  Super- 
homme de  Nietzsche.  —  Chez  le  prince  de  Bismarck,  (devenu  Bis- 
marck le  Prince,  ne  l'oublions  pas)  M.  B.  distingue  quatre  périodes  : 
la  souffrante,  la  militante,  la  triomphante  et  l'agonisante,  et  deux  per- 
sonnages :  l'homme  d'Etat  et  l'homme.  Par  quel  prodige  d'argumenta- 
tion arrive-t-il  ensuite  à  étudier  les  périodes  et  les  personnages 
séparément?  Sa  méthode  nous  l'apprendra.  M.  B.  n'expose  pas,  il  ex- 
plique ;  il  ne  nous  dit  pas  ce  que  Bismarck  a  fait  ou  pensé  ;  nous 
sommes  censé  le  savoir,  mais  comment  Bismarck  pensait  ou  agissait; 
il  nous  décrit  la  forme  d'une  matière  absente,  ou  plutôt,  il  l'analyse, 
il  la  ratiocine,  avec  plus  de  subtilité  peut-être  que  de  pénétration  vé- 
ritable. Enfin,  en  guise  de  détails  concrets,  car  il  en  faut  tout  de 
même,  il  nous  livre,  avec  un  certain  nombre  de  citations  —  de  Bis- 
marck et  du  Prince  —  un  prestigieux  trésor  de  métaphores  et  de  com- 
paraisons, qui  sont  souvent  fort  jolies,  mais  peu  nourrissantes.  — 
Donc  voilà  un  homme  qui  fut  par  excellence  l'homme  du  réel,  le  plus 
étonnant  réaliste  qu'on  ait  vu  dans  ce  siècle,  au  point  qu'il  réussit  à 
faire  de  son  idéal  une  réalité  vivante  :  il  meurt;  je  le  baptise  tvpe  abs- 
trait, je  le  découpe  en  catégories,  je  le  vide  de  ses  actes  et  de  ses  idées, 
je  couvre  ce  qu'il  en  reste  d'un  semis  de  fleurs  métaphoriques,  et  ces 
quatre  opérations  constituent  la  «  psychologie  de  l'homme  fort.  » 
Soyons  juste  :  disons  que  l'auteur  est  l'homme  fort  de  la  psychologie. 
On  s'attendait  de  voir  Bismarck  et  on  trouve  M.  Charles  Benoist. 
Faut-il  s'en  plaindre?  Le  livre  est  amusant.  Et  comme  la  personna- 
lité de  M.  Charles  Benoist  est  généralement  moins  connue  que  celle 
de  Bismarck,  le  livre  est  ainsi  plus  nouveau. 

Le  Bismarck  de  M  .  Henri  Welschinger  se  lit  sans  peine,  mais 
aussi  sans  grand  profit.  Il  a  un  refrain  :  «  par  le  fer  et  par  le  sang  », 
«  par  le  fer  et  par  le  feu  >\  v.  ferro  et  igné  »  (au  titre  et  p.  18,  34, 
39,  43,  44,  64,  etc.),  et  ce  refrain  n'est  pas  très  heureusement  trouvé  ; 
Bismarck,  après  tout,  n'est  pas  un  Attila.  Il  contient  des  tirades  de 
rhéteur  i^voy.  p.  95  :  «  Toi,  Mohke,  quitte  ta  face  de  spectre. . .  »)  et 
des  comparaisons  de  rhétoricien  (voy.  p.  197  et  suivantes  :  «  Bismarck 
a  été  le  Richelieu  de  la  Prusse  » «  tous  deux  ont  voulu  écraser 


D^HISTOIRE   ET   DE    LITTÉRATURE  4o3 

l'Autriche. . .  »j,  il  donne  aussi  quelques  anecdotes  curieuses  qui  ne 
sont  pas  toutes  authentiques,  mais  peu  de  faits  précis  (M.  W.  n'indi- 
que même  pas  dans  son  texte  la  date  de  naissance  de  Bismarck,  p.  28  : 
il  faut  regarder  au  titre  courant)  et  moins  encore  d'idées  nouvelles. 
Les  meilleurs  chapitres  se  rapportent  à  l'action  diplomatique  de  Bis- 
marck, de  1862  à  1870;  mais  l'introduction  (la  Prusse  de  1786  à  1862) 
aurait  pu  être  supprimée  sans  inconvénient,  tant  elle  est  sommaire;  et 
les  derniers  chapitres  où  M.  W.  fait  l'histoire  de  la  politique  inté- 
rieure de  Bismarck  depuis  1871  paraissent  quelque  peu  rapides  et  su- 
perficiels. Mais  ils  sont  exempts  d'inexactitudes  trop  flagrantes,  et 
somme  toute,  l'agréable  ouvrage  de  M.  Welschinger  convient  parfai- 
tement au  grand  public  —  bourgeois  et  français  —  auquel  il  est 
destiné. 

G.  Pariset. 


—  Nous  avons  reçu  :  A.  Houtin,  Dom  Couturier,  abbé  de  Solesmes  (Angers,  Ger- 
main et  Grassin,  1899;  384  PP-  in-i8).  Dom  Couturier  a  été  un  disciple  de  dom 
Guéranger  et  a  adopté  son  attitude  intransigeante.  On  verra,  dans  ce  récit,  l'embar- 
ras des  ultramontains,  lorsque  l'obéissance  aveugle  aux  «  directions  »  du  pape, 
bruyamment  préconisée  par  eux,  vint  contrarier  leurs  idées  politiques.  Il  est  cer- 
tain que  dom  Guéranger  et  les  «  infaillibilistes  »  n'avaient  prévu  ni  la  déclaration 
des  congrégations  (1880),  ni  l'affaire  de  VAmstelbode  (i885),  ni  le  toast  du  cardinal 
Lavigerie  ;  mais,  comme  le  dit  M.  Houtin,  la  mort  épargna  au  père  abbé  la  sur- 
prise de  cette  dernière  évolution.  On  voit  qu'il  s'agit  dans  ce  livre  d'une  histoire 
bien  récente  et  aussi  des  médiocres  querelles  où  sest  usée  l'activité  des  catho- 
liques français  depuis  soixante  ans  :  singulier  christianisme  que  celui  dont  s'ins- 
pire un  religieux  pour  écrire  :  «  L'auteur  a  compris  que  le  nom  du  Père  Gratry 
serait  blessant  »  ;  et  cependant  le  silence  fait  sur  ce  nom  paraissait  insuffisant  ;  ou 
pour  repousser  le  titre  de  la  congrégation  de  Saint-Maur  «  que  le  jansénisme  avait 
profané  !  »  Malgré  les  difficultés  de  sa  tâche,  l'hagiographe  s'en  est  tiré  à  son  hon- 
neur. Il  s'est  abstenu  d'apprécier,  et,  qu'il  s'agisse  soit  de  ces  polémiques  soit  de  la 
dramatique  expulsion  de  1880,  il  a  laissé  parler  les  faits.  A  plus  d'une  reprise,  il 
a  même  induit  le  lecteur  à  quelque  sévérité  pour  son  héros;  voir  pp.  189,  235, 
74  :  «  Il  se  laissa  toujours  aller  à  la  spontanéité  de  la  vérité.  »  Cette  phrase  peut 
passer  pour  un  joli  euphémisme  ou  pour  du  galimatias.  I-e  style  est  sobre  et 
soigné.  On  pourrait  y  regretter  seulement  quelques  barbarismes  du  journalisme, 
comme  «  de  suite  »  pour  «  tout  de  suite  ».  Le  livre  dans  l'ensemble  est  intéres- 
sant et  le  public  religieux,  pour  lequel  il  a  été  écrit,  prendra  plaisir  à  certaines 
pages  sur  l'idéal  monastique  (199  sqq.),  sur  la  liturgie  (334),  etc.  —  M.  D. 

—  M.  WALTziNcest  en  train  de  préparer,  avec  le  concours  de  ses  élèves,  un  lexique 
de  Plante.  Le  lexique  de  Liège  contiendra  un  dépouillement  complet  de  tous  les 
passages  classés  d'après  la  forme  du  mot  et  d'après  la  construction.  S'il  est  jamais 
achevé,  il  formera  comme  une  grammaire  de  Plante  où  les  faits  seraient  classes 
par  ordre  alphabétique  des  mots.  Un  spécimen  a  paru  dans  le  n°  1  du  Musée  belge 
de  1899  et  aussi  en  tirage  à  part  :  Lexique  de  Plaute,  public  sous  la  direction  de 
J.P.  Waltzing,  A-Accipio;  Louvain,  Pcetcrs,  1900;  99  pp.  in-8"  ;  prix  :  3  fr.  Il  contient 
les  articles  a,  ab,  abs  (très  important),  abaliens,  abauos,  abdictiuos,  abdo,  abdomen, 


404  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

abduco,  abeo  ( 1 5  pages),  aberro,  abeto.  abliinc,  abliorreo,  abicio,abieg)uis,  abies,  abigo, 
abitio,  abittis,  abiudico,  abiuro,  ablego,  abniio,  abnuto,  abortis,  abripio,  abrogo, 
abscedo,  abscido,  abscondo,  absinthium,  absoluo,  absorbeo,  absque,  abstergeo,  abs- 
terreo,  abstineo,  absto,  abstraho,  abstnido,  absiim,  absumedo,  absumo,  abundo, 
absurde,  abutor,  accedo.  Il  n'y  a  qu'à  louer  la  méthode  et  la  science  des  étudiants 
et  du  professeur  qui  ont  pu  mettre  sur  pied  un  si  utile  travail.  Pour  donner  une 
idée  de  la  précision  des  connaissances  des  auteurs,  il  suffit  de  citer  cet  en  tète 
d'article  :  «  Absque,  loin  de,  employé  dans  une  phrase  hypothétique  pour  expri- 
mer une  absence  supposée  »,  et  à  la  fin  de  l'article  un  renvoi  à  Brix,  Triu,  832, 
met  sur  la  voie  de  notions  exactes.  Par  une  malchance  cruelle,  la  première  citation 
de  tout  le  spécimen  est  sans  référence.  Au  point  de  vue  typographique,  il  y  aurait 
des  réserves  à  faire.  Les  auteurs  feront  bien  de  choisir  des  caractères  de  type  diffé- 
rent pour  chaque  es/^èce  d'indications,  ainsi  de  ne  pas  employer  les  caractères  gras 
à  la  fois  pour  les  mots  têles  d'article  et  }iour  les  subdivisions  des  articles.  Nous 
souhaitons  le  prompt  achèvement  de  cet  inappréciable  instrument  de  travail.  Le 
moment  était  venu  de  faire  un  lexique  de  Plante  aprèç  la  terminaison  des  deux 
éditions  de  Leipzig.  Mais  pourquoi  les  auteurs  ne  mentionnent-ils  pas  aussi  celle 
deLeo?-P.L.  

ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  2  novembre  igoo. 

M.  Longnon,  président,  annonce  la  mort  de  M.  Max  Mùller,  associé  étranger  de 
l'Académie. 

M.  Michel  Bréal  donne  lecture  d'une  notice  sur  la  vie  et  l'œuvre  de  M.  Max 
Mûller. 

M.  Glermont-Ganneau  signale  et  commente  un  certain  nombre  de  monuments 
récemment  découverts  par  M.  le  D^  Biiss  en  Palestine.  —  Il  présente  ensuite  la 
photographie  d'une  mosaïque  avec  une  inscription  en  caractères  hébreux  carrés, 
trouvée  entre  Séphoris  et  Nazareth,  et  portant  le  nom  d'un  certain  Joseph,  peut- 
être  celui-là  même  qui,  selon  saint  Epiphane,  se  convertit  au  christianisme,  fut 
comblé  d'honneurs  par  Constantin  et  construisit  plusieurs  églises  en  Galilée. 

L'Académie  se  forme  en  comité  secret. 

Séance  du  g  novembre  igoo. 

M.  le  secrétaire  perpétuel  donne  lecture  d'une  lettre  de  M.  Gauckler  annonçant 
qu'il  a  été  autorisé  par  M.  René  Millet,  résident  général  de  France  en  Tunisie,  à 
offrir  à  l'Académie  la  copie  de  la  mosaïque  de  Virgile  exposée  dans  le  pavillon 
de  la  Direction  beylicale  des  Antiquités  et  arts.  Cette  copie  est  l'œuvre  de  M.  Pra- 
dère,  conservateur  du  musée  du  Bardo. 

M.  Salomon  Reinach  fait  une  communication  sur  l'orphisme  dans  la  quatrième 
églogue  de  Virgile.  11  essaye  d'établir  que  cette  églogue  n'est  pas,  comme  on  l'a 
cru  dès  l'antiquité,  une  pièce  de  circonstance,  remplie  d'allusions  aux  événements 
politiques  du  temps.  En  réalité,  il  n'y  est  question  ni  d'Octave,  ni  d'Antoine,  ni  de 
la  paix  conclue  entre  ces  deux  chefs  de  parti,  ni  même  d'un  fils  de  Pollion.  Ce 
petit  poème  est  exclusivement  religieux.  L'inspiration  y  dérive  de  deux  sources 
principales,  l'une  biblique,  l'autre  orphique.  Les  chants  sibyllins,  œuvre  des  juifs 
d'Alexandrie,  ont  apporté  à  Virgile  des  échos  des  prophéties  d'Israël,  auxquels  il  a 
mêlé  ceux  des  poèmes  mystiques  qui  couraient  alors  sous  le  nom  d'Orphée.  Cette 
alliance  de  l'esprit  biblique  avec  le  mysticisme  grec  se  retrouve  dans  le  christia- 
nisme primitif;  elle  explique  le  caractère  chrétien  de  la  quatrième  églogue  qui 
avait  déjà  frappé  les  Pères  de  l'Eglise.  L'enfant  dont  \'irgile  y  annonça  la  naissance 
et  qui  doit  présider  à  un  nouvel  âge  d'or  n'est  pas  un  personnage  historique:  il 
n'est  autre  que  le  Bacchus  orphique,  fils  et  héritier  de  Jupiter. 

M.  Paul  VioUet  commence  la  lecture  d'un  mémoire  sur  les_  Etats  généraux  au 
moyen  âge.  Léon    Dorkz. 

Propriétaire-Gérant  :  Ernest  LEROUX. 


Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 

N»  48  —  26  novembre  —  1900 


MiTTEis,  Les  papyrus  grecs  de  l'Egypte.  —  Wiedemann,  Les  morts  en  Egypte.  — 
P.  M.  Meyer,  Larmée  des  Ptolémées  et  des  Romains  en  Egypte.  —  Société  ar- 
chéologique de  Glascow,  La  muraille  d'Antonin.  —  Sarwey  et  Hettner,  Le 
limes  germanique  et  rhétique,  Vll-X.—  Assereto,  Gènes  et  la  Corse. —  Hagen, 
Le  Oral.  — Wolfram,  Parzival  et  Titurel,  p.  Martin,  I.  —  Balzani,  Les  chroni- 
ques italiennes  du  moyen  âge.  —  Van  Dam,  Shakspeare.  —  Ive,  Les  dialectes 
romans  de  ITstrie.  —  Tugan  Rabanowsky,  Histoire  de  la  fabrique  russe.  —  Au- 
BRY,  La  musicologie  médiévale.  —  Expert,  Les  maîtres  musiciens  de  la  Renais- 
sance française.  —  Bellaigue,  Impressions  musicales  et  littéraires.  —  Stock,  Le 
but  et  la  conception  de  la  vie.  —  Pascal,  L'incendie  de  Rome  et  les  premiers 
chrétiens.  —  Nouvelle  brochure  de  M.  Knoke.  — Cantarelli,  Mélanges.  —  Har- 
.  RISSE,  Découverte  et  évolution  cartographique  de  Terre-Neuve. 


L.  Mitteis,  Au3  den  Griechischen  Papyru3urkunden,  ein  Vortrag  gehalten  auf 
der  VI  Versammlung  Dcutscher  Historikcr  zu  Halle-a-S.  am  5  April  1900, 
Leipzig,  Teubner,  in-8,  5o  p. 

Ce  n'est  pas  le  discours  primitif  que  M.  Mitteis  publie;  c'est, 
comme  il  le  dit  dans  son  avertissement,  une  édition  du  discours  re- 
maniée et  complétée  sur  certains  points.  Même  sous  cette  forme,  ce 
petit  écrit  est  loin  de  couvrir  le  champ  entier  d'exploration  que  la 
découverte  des  papyrus  d'Egypte  nous  a  ouvert.  Il  ne  cite  qu'en  pas- 
sant le  gain  qui  en  est  résulté  pour  la  littérature  classique,  pour  l'his- 
toire propre,  pour  la  théologie;  il  s'attache  de  préférence  à  indiquer 
le  parti  qu'on  peut  en  tirer  pour  les  études  de  l'administration,  du 
droit,  de  l'économie  politique,  non  seulement  en  Egypte,  mais  dans 
le  monde  gréco-romain.  Des  notes  rejetées  à  la  rin  donnent  quelque 
peu  de  bibliographie  et  un  certain  nombre  d'explications  ou  de  discus- 
sions techniques  qui  n'auraient  pas  été  de  mise  dans  le  texte  même. 

Dans  l'ensemble,  cette  brochure  atteint  le  résultat  que  l'auteur  se 
proposait  :  elle  montre  clairement  au  grand  public  le  genre  d'intérêt 
qui  s'attache  aux  papyrus  grecs  de  l'Egypte  et  l'utilité  qu'on  en  tire 
déjà  pour  l'histoire  de  l'antiquité. 

Les  observations  originales  n'y  manquent  point,  mais  le  peu  d'es- 
pace dont  M.  Mitteis  disposait  l'a  empêché  de  les  traiter  aussi  longue- 
ment qu'il  conviendrait.  Seule  la  théorie  de  VAîdarkie  de  la  maison, 
formulée  par  Rodbertus,  lui  a  suggère  un  développement  assez  ample. 

Nouvelle  série  L.  4** 


406  REVUE   CRITIQUE 

Il  lui  paraît  prouvé  par  les  documents  du  temps  des  Ptolémées  qu'à 
côté  des  paiements  en  nature,  les  paiements  en  argent  tenaient  une 
place  prédominante  dans  l'économie  publique  ou  privée.  L'impôt 
foncier  était  dès  lors  le  seul  qu'on  acquittât  en  nature,  non  sans  cer- 
taines restrictions  :  partout  ailleurs  TEtat,  les  temples  et  les  par- 
ticuliers préféraient  régler  leurs  affaires  au  moyen  du  métal.  Ce  fait 
admis,  il  se  hâte  de  déclarer  qu'il  n'en  faudrait  pas  pousser  trop  loin 
les  conséquences  :  si  le  monde  antique  possédait  lui  aussi  son  encaisse 
métallique  qui  le  couvrait,  cette  couverture  était  trop  courte  et  trop 
mince  pour  ses  besoins.  On  la  voit  disparaître  à  partir  du  iv*  siècle 
après  J.-C.  et  les  paiements  en  nature  reparaître  dans  les  papyrus 
égyptiens  avec  fréquence.  Le  plus  souvent  on  considère  ce  retour  aux 
procédés  d'autrefois  comme  étant  «ne  suite  naturelle  de  la  décadence 
générale  qui  atteignit  le  Bas-Empire  romain.  M.  Mitteis  ne  pense  pas 
qu'il  en  soit  ainsi.  Si  le  monde  antique  s'est  écroulé  soudain,  cela  tient, 
pense-t-il,  à  ce  que  la  constitution  d'un  empire  universel  par  les 
Césars  était  prématurée.  Un  empire  universel  ne  peut,  en  effet,  subsis- 
ter sans  un  système  financier  très  développé  et  sans  le  mouvement  de 
commerce  et  d'industrie  correspondant  :  faute  de  quoi,  il  est  inca- 
pable de  résister  longtemps  aux  charges  de  toute  nature  que  ses 
besoins  lui  imposent,  armées  et  flottes  gigantesques,  entretien  de  la 
machine  administrative,  etc. 

La  brochure  de  M.  Mitteis  est  d'un  style  clair  et  d'une  composition 
facile  :  on  la  lira  avec  plaisir  en  même  temps  qu'avec  profit. 

H.  G. 


A.  WiEDEMANN,  die  Toten  und  ihre  Reiche  im  Glauben  der  Alten  .<Egypter 

(forme  le  2»  fascicule,  de  la  2'  année  de  VAlte  Orient  publié  par  la  Vorderasia- 
tische  Gesellschaft),  Leipzig,  J.  G.  Hinrichs'sche  Buchhandlung,  1900,  in-8,  36  p. 

M.  Wiedemann,  après  une  courte  introduction  où  il  expose  briève- 
vement  le  peu  que  nous  savons  des  idées  que  les  Egyptiens  pouvaient 
entretenir  sur  la  mort  du  monde,  c'est-à-dire  sur  sa  destruction  par 
l'eau  ou  par  le  feu,  définit  le  concept  qu'ils  se  faisaient  de  la  mort  de 
l'individu,  puis  décrit  successivement  les  royaumes  différents  que  la 
religion  et  la  croyance  populaire  assignaient  aux  morts,  sous  la  terre, 
sur  la  terre  et  au  ciel.  Il  montre  comment  divers  modes  de  traiter  le 
cadavre  se  développèrent  d'après  les  théories  qui  avaient  cours,  la 
mise  en  morceaux,  puis  l'ensevelissement  des  os  d'une  part,  l'embau- 
mement de  l'autre.  Il  indique  comment  et  à  quelle  intention  se  consti- 
tua le  système  d'offrandes  funéraires  dont  on  constate  l'existence  dès 
les  époques  les  plus  anciennes.  L'identification  du  mort  avec  Osiris, 
ses  voyages  dans  l'autre  monde,  son  arrivée  aux  Champs  Elysées,  son 
jugement,  sa  destinée  finale  lui  fournissent  la  matière  de    quelques 


1 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  4O7 

pages  claires  et  précises.  Il  termine  son  exposition  par  l'indication 
des  parties  secondaires  dont  la  survivance  humaine  était  composée  : 
à  côté  de  l'àme  oiseau  {bai)  et  du  double  (ka),  le  corps  momitié 
sdhoii,  l'ombre  noire  [khaibit],  le  lumineux  [khou],  le  sekhem,  le  cœur 
{ab  ou  haîtï).  Le  tout  est  dit  clairement,  largement,  avec  la  simplicité 
de  style  qui  convenait  au  sujet  :  c'est  un  modèle  accompli  de  ce  que 
doit  être  une  oeuvre  de  vulgarisation  en  matière  aussi  obscure  encore 
et  aussi  complexe. 

Une  observation  de  détail.  M.  Wiedemann  considère  que  la  partie 
de  la  survivance  humaine  appelée  le  sekhem  est  une  sorte  de  corps 
plus  raffiné,  mais  demeure  semblable  au  corps  visible  que  chaque 
homme  possède  pendant  sa  vie.  J'ai  eu  l'occasion  d'étudier  au  Collège 
de  France,  il  y  a  trois  ans  passés,  les  textes  relatifs  à  cette  partie  peu 
connue  des  conceptions  égyptiennes,  et  d'en  déterminer  la  nature 
d'une  façon  plus  précise  qu'on  n'avait  fait  encore.  Pour  le  dire  en 
deux  mots,  le  sekhem  est  à  l'origine  le  casse-tête  ou  plutôt  le  sabre  de 
bois  de  figure  particulière  qui  caractérisait  l'homme  d'armes,  le  chef, 
aux  temps  très  anciens,  et  qu'on  déposait  dans  la  tombe  ou  sur  la 
tombe  avec  le  cadavre.  L'âme  du  mort  était  censée  y  résider,  et  il 
devenait  dès  lors  comme  un  corps  nouveau  sur  lequel  elle  s'appuyait 
pour  vivre.  Lorsque  la  statue  devint  le  support  de  l'àme,  la  concep- 
tion du  sekhem  déchut  mais  sans  disparaître,  et  elle  changea  de  nature. 
Le  mot  sekhem  et  le  casse-tête  qui  servait  à  l'écrire  conservèrent  le 
sens  général  de  corps^  image,  figure,  qui  résultait  de  l'emploi  primitif 
de  l'objet,  et,  s'appliquant  aux  statues  de  double,  les  désignèrent 
désormais,  qu'il  s'agît  de  l'homme  ou  des  dieux  :  sekhem,  ou  plutôt 
sakhîmou^  devint  le  synonyme  de  statue.  Le  mot  garda  pourtant  de 
son  origine  une  nuance  de  sens  très  appréciable  :  il  marque  ce  que 
les  écrits  hermétiques  appellent  la  statue  prophétique,  la  statue 
d'homme  ou  de  dieu  à  laquelle  les  rites  de  la  consécration  ont  ri.xé 

une  âme. 

G.  Maspero. 


P.  M.  Meyer,  Das  Heerwesen  der  Ptolemâer  und  Rômer  in  Aegypten,  Leip- 
zig, 1900,  23 1  pages  in-S»  chez  Tcubner. 

«  Il  n'est  question  dans  ce  livre,  nous  dit  l'auteur  au  cours  de  sa 
préface,  ni  de  stratégie  ni  de  tactique.  »  Il  aurait  pu  ajouter  :  ni  de 
l'organisation,  ni  de  l'administration  de  l'armée,  ni  de  la  composition 
des  troupes  du  pays,  ni  de  son  histoire  militaire,  ni  en  somme  de 
toutes  les  questions  que  semblerait  indiquer  le  titre  choisi  par  l'auteur. 
Il  faut  lire  l'introduction  pour  savoir  que  M.  Meyer  a  surtout  cherché 
«  à  résoudre  une  question  :  quelle  place  revient  aux  différentes  natio- 
nalités dans  l'armée   des  Ptolémées  et  dans  celle  des  Romains  en 


4o8  REVUE    CRITIQUE 

Egypte  ».  Évidemment,  c'était  le  droit  strict  de  M.  M.  de  limiter 
ainsi  son  sujet  ;  mais  alors  il  eût  fallu  nettement  le  marquer  dans  la 
rédaction  du  titre.  Une  analyse  succincte  de  la  partie  de  l'ouvrage 
relative  à  l'époque  romaine  montrera  en  même  temps  combien  l'au- 
teur a  restreint  ses  recherches  et  aussi  à  quels  résultats  curieux  il  est 
arrivé,  grâce  à  l'étude  des  nombreux  papyrus  publiés  de  tous  côtés 
depuis  quelques  années. 

Sous  les  Ptolémées,  certaines  catégories  d'hommes  avaient  reçu  en 
échange  du  service  militaire  dans  l'armée  territoriale,  des  concessions 
de  terres  ;  c'est  ce  qu'on  appelait  les  xàxotxoi.  Ces  terres  privilégiées 
avaient  passé  successivement  soit  aux  descendants  des  premiers  occu- 
pants, soit  à  des  acquéreurs,  sans  rien  perdre  de  leur  nature  spéciale  ; 
bien  plus,  elles  conféraient  à  ceux  qui  en  devenaient  possesseurs  la 
qualité  de  xâToixot.  A  l'époque  romaine  on  trouve,  parmi  ces  nouveaux 
xâ-cotxoi,  des  Égyptiens,  des  Gréco-égyptiens,  des  citoyens  d'Alexan- 
drie, des  citoyens  romains.  Ce  sont  précisément  ces  y.àxotxot  qui  ali- 
mentaient presque  complètement  l'armée  romaine  aux  deux  premiers 
siècles  de  notre  ère.  Tandis  que  le  reste  des  habitants  du  pays  et  des 
petits  propriétaires  étaient  soumis  à  la  Xaoypatiia  et  inscrits,  lors  du 
recensement  régulier  qui  avait  lieu  tous  les  quatorze  ans,  sur  une 
liste  spéciale,  celle  des  imposables  en  argent,  les  autres  figuraient  sur 
la  liste  de  Vliiiy.pKjiç  ou  conscription  et  étaient  réservés  pour  l'armée  ; 
les  citoyens  Alexandrins  et  Romains  étaient  destinés  aux  légions,  les 
autres  aux  troupes  auxiliaires  et  aux  flottes.  Ce  recensement  s'opérait 
sur  place  et  par  maison.  En  outre,  il  y  avait  annuellement  à  Alexandrie 
une  autre  èitîxptat;  à  laquelle  devaient  se  présenter  ceux  qui  étaient  appe- 
lés au  service  ;  on  les  inscrivait  sur  les  registres  des  différents  corps  et 
on  les  soumettait  à  un  conseil  de  révision;  là  aussi  on  donnait  leur 
congé  officiel  à  ceux  qui  avaient  achevé  leur  temps  de  service.  Les  choses 
se  passèrent  ainsi  jusqu'en  212.  Cette  année-là  et,  d'après  les  calculs  de 
M .  Meyer,  — pour  l'Egypte,  du  moins  —  entre  le  27  octobre  et  le  8  no- 
vembre, l'empereur  Caracalla,  par  une  constitution  célèbre,  accorda  le 
droit  de  cité  à  la  plus  grande  partie  des  habitants  libres  de  l'Empire. 
L'étude  des  papyrus  prouve  que  les  différentes  catégories  de  per- 
sonnes qui  constituaient  les  /.â-or/.ot  se  retrouvent  parmi  les  hommes 
qui,  pendant  les  trente  années  qui  ont  suivi  212,  prirent  le  gentilice 
Aurelhis,  qui,  par  conséquent,  reçurent  à  cette  époque  le  droit  de 
cité  ;  autrement  dit  que  ce  sont  les  xàxoixot  qui  profitèrent  en  grande 
partie  de  la  réforme  de  Caracalla.  Les  Xao-ypaefo-jfjLevot,  au  contraire,  res- 
tèrent étrangers  à  cette  faveur.  Désormais,  les  xâxoixot  étant  tous 
citoyens  romains,  les  troupes  égyptiennes  ne  renfermèrent  plus  de 
pérégrins,  aussi  bien  les  corps  auxiliaires  que  les  légions.  Les  non- 
citoyens  ne  furent  incorporés  dans  l'armée  qu'après  Dioclétien. 

En  somme  M.  M.   n'a  donc  examiné,  comme  il  le  voulait,  que  les 
éléments  qui  entraient  dans  la  constutution  de  l'armée  d'Egypte  ;  il  a 


d'histoire  et  de  littérature  409 

montré  en  quoi  cette  armée,  sous  les  empereurs,  avait  succédé  à  celle 
des  Ptolémées.  Deux  appendices,  pourtant,  je  ne  dirai  pas  complètent, 
mais  enrichissent  un  peu  le. travail:  une  liste  des  préfets  d'Egypte  que 
la  publication  des  papyrus  grossit -tous  les  jours  (voir  les  addenda, 
p.  229  et  suiv.),  et  une  histoire  assez  succincte  des  deux  légions  égyp- 
tiennes, la  XXI 1=  Dejotariana  et  la  \\\^  Gallica.  Tous  deux  ne  sont, 
du  reste,  qu'une  réédition  améliorée  d'articles  de  revues  publiés  anté- 
rieurement. 

M.  Meyer,qui  connaît  si  bien  les  papyrus,  ne  s'arrêtera  pas,  j'espère, 
en  si  bon  chemin  et  tiendra  à  les  interroger  sur  toutes  les  particula- 
rités relatives  à  l'armée  d'Egypte.  Alors,  il  nous  donnera  un  travail 
d'ensemble  répondant  véritablement  au  titre  qu'il  a  choisi  par 
avance,  comme  une  promesse  pour  l'avenir. 

R.  Gagnât. 


The  Antonine  Wall,  An  account  of  excavations  made  under  the  direction 
of  the  Glascow  archaeological  Society,  Glascow,  1899,  173  pages,  in-4% 
chez  Mac  Lehose  et  fils. 

O.  V.  Sarwev  et  F.  Hettner,  Der  Obergermanisch-Raetische  Limes  des 
Roemerreiches,  Heidelbcrg,  1897-1898,  liv.  VII  à  X,  chez  O.  Pettcrs. 

On  sait  que  pour  défendre  la  Bretagne  contre  les  invasions  des  Bar- 
bares, Antonin  le  Pieux  construisit  un  rempart  qui  coupait  de  l'Est  à 
l'Ouest  l'île  qui  forme  aujourd'hui  l'Angleterre  et  l'Ecosse,  reliant  les 
Friths  de  la  Clyde  et  du  Forth  entre  Glascow  et  Edimbourg.  Ce  rem- 
part se  composait  d'un  talus  précédé  d'un  fossé  et  doublé  d'une  route 
militaire.  On  n'avait  jamais  encore  étudié  l'ensemble  de  cette  fortifica- 
tion plus  d'une  fois  signalée  et  même  explorée  sur  certains  points.  La 
société  archéologique  de  Glascow  a  voulu  combler  cette  lacune  ;  elle 
a  entrepris  de  suivre  d'un  bout  à  l'autre  le  tracé  de  la  muraille  d'An- 
tonin;  elle  y  a  travaillé  de  1890  à  1893  ;  et  le  présent  volume  est  le 
résultat  de  ces  recherches.  Les  auteurs  ont  divisé  ce  tracé  en  un  cer- 
tain nombre  de  sections,  pour  lesquelles  une  suite  de  coupes  est 
donnée  dans  des  planches  annexées  au  travail  ;  à  chacune  correspond 
une  courte  description.  En  outre,  dans  des  conclusions  générales,  on 
a  examiné  successivement  le  mode  de  construction  du  rempart  (terre  et 
gazon  renforcés  par  des  fascines),  qui  repose  sur  une  ligne  de  fonda- 
tions en  pierres,  l'établissement  de  la  berme,  du  fossé,  de  la  voie  mili- 
taire. Le  livre  se  termine  par  plusieurs  appendices  :  1°  autel  à  Silvain 
trouvé  dans  ]es  fouilles  et  dédié  par  un  préfet  de  la  cohorte  des  Hamii^ 
et,  à  ce  propos,  considérations  sur  cette  cohorte  et  sur  les  garnisons 
défendant  le  rempart  ;  liste  des  monnaies  recueillies  (commençant 
avec  Vespasien  et  finissant  à  Antonin  le  Pieux  et  à  ses  succes- 
seurs immédiats;  ce  qui  prouve  que  le  pays  a  été  à  peu  près  évacué 
peu  de  temps  après  la  construction  du  rempart)  ;  3°  analyse  des  échan- 


4IO-  REVUE    CRITIQUE 

tillons  de  terre  prélevés  en  différents  endroits  du  rempart  et  permet- 
tant d'en  déterminer  la  composition  primitive. 

En  somme,  étude  intéressante  et  recherches  qui  épuisent  à  peu 
près  la  question. 

Parallèlement  la  science  allemande  continuait  à  faire  connaître  le 
résultat  des  fouilles  entreprises  tout  le  long  du  limes  germanique  et 
rétique.  J'ai  déjà  eu  l'occasion  de  parler  ici  de  cette  belle  publication  : 
chaque  fascicule  contient  la  description  d'un  ou  plusieurs  des  forts 
qui  jalonnaient  la  frontière,  avec  une  pagination  spéciale  pour  chaque 
fortin,  ce  qui  permet  la  vente  isolée  des  différentes  parties.  On  est  ar- 
rivé actuellement  à  la  dixième  livraison.  Les  quatre  dernières  contien- 
nent le  résultat  des  investigations  de  la  commission  du  limes  dans 
les  castella  de  Hofheim,  Schierenhof,  Langenhain,  Walheim,  Sulz, 
Neckarburken,  Kesselstadt,  Bôckingen  et  Buch.  Ces  forts,  bâtis  tous 
sur  le  même  plan,  sont  naturellement  d'une  conservation  fort  inégale. 
Ils  fournissent  généralement  à  peu  près  les  mêmes  documents  : 
débris  d'armes  et  d'objets  usuels,  poteries,  briques  estampillées  au 
nom  des  légions  et  des  cohortes  qui  les  occupaient,  inscriptions.  Les 
présentes  livraisons  ne  contiennent  à  cet  égard  rien  de  saillant,  sauf 
deux  bas-reliefs  représentant  des  scènes  relatives  au  culte  de  Mithra 
[Castellum  de  Walheim,  p.  12)  et  un  diplôme  militaire  {Castellum  de 
Neckarburken,  p.  27). 

R.  Gagnât. 


Genova  e  la  Corsica  1358-1378  par    Ugo  Assereto.  Spezia,   tipograha  Fran- 
cesco  Zappa,  1900. 

Le  général  Ugo  Assereto  a  réuni  dans  cette  brochure  les  articles 
qu'il  a  publiés  de  juillet  à  septembre  1900  dans  le  Giornale  storico  e 
letterario   délia  Liguria. 

Il  remonte  aux  commencements  de  la  domination  Génoise  en 
Gorse  et  fait  une  esquisse  rapide  de  son  développement  de  1222  a 
1297.  A  la  suite  de  la  donation  de  la  Gorse  faite  par  le  pape  Boni- 
face  VIII  au  roi  d'Aragon,  les  Génois,  affaiblis  d'ailleurs  par  leurs  dis- 
cordes civiles,  voient  leur  puissance  déchoir  peu  à  peu  dans  l'île  et  se 
réduire  enfin  à  la  possession  de  Bonifacio.  En  1340,  sous  le  gouver- 
nement du  doge  Simone  Boccanegra,  les  troupes  de  la  République 
font  en  Gorse  une  expédition  brillante,  mais  qui  ne  paraît  pas  avoir 
eu  de  résultats  durables.  En  1347,  les  seigneurs  Gorses,  se  jugeant 
mal  soutenus  par  les  Aragonais,  se  rapprochent  des  Génois  ;  mais  la 
peste  de  1 348  oblige  ceux-ci  à  différer  leur  intervention  jusqu'au 
second  dogat  de  Simone  Boccanegra.  Le  peuple  corse,  exaspéré  par 
la  tyrannie  de  ses  barons,  se  révolte  contre  eux  sous  la  conduite  de 
Sambucuccio  d'Alando,  et  recourt  à  son  tour  aux  Génois  :   Vunion  de 


d'histoire  et  de  littérature  4  r  1 

la  commune  de  Corse  et  de  la  commune  de  Gênes  est  conclue  en  1 358, 
et  Boccanegra  a  l'habileté  de  la  faire  ratifier  par  le  pape  et  le  roi 
d'Aragon.  La  Corse  se  trouve  ainsi  réunie  à  Gênes  sans  combat  et 
sans  fortes  dépenses.  Mais  bientôt  les  difficultés  renaissent  :  un  gou- 
verneur génois  est  massacré  par  des  factieux;  un  autre  est  chassé  de 
l'île;  en  terre  ferme,  Gênes  est  menacée  de  la  guerre  sur  plusieurs 
points.  Arrigo  délia  Rocca,  soutenu  par  le  roi  ■  d'Aragon,  débarque 
alors  dans  l'île  et  la  conquiert  sans  peine,  à  l'exception  de  Calvi 
et  de  Bonifacio.  En  1378,  le  gouvernement  génois,  estimant  que  les 
dépenses  nécessaires  à  la  défense  de  la  Corse  devenaient  trop  oné- 
reuses, céda  l'île  à  une  association  de  six  particuliers,  connue  sous  le 
nom  de  Maona  de  Lomellini.  Cet  acte  déloyal,  contraire  aux  conven- 
tions stipulées  avec  les  insulaires  en  i358,  rompt  à  jamais  l'union  des 
deux  communes.  La  Corse,  traitée  en  terre  conquise,  soutiendra  pour 
conserver  son  indépendance  une  guerre  de  près  de  quatre  siècles,  jus- 
qu'à ce  que  la  séparation  soit  totale  et  définitive. 

Si  la  brochure  du  général  A.  est  peu  volumineuse,  (90  pages  envi- 
ron), elle  est  en  retour  d'un  prix  inestimable  pour  tous  ceux  qui  s'in- 
téressent à  l'histoire  de  la  Corse.  L'auteur  ne  l'a  publiée  qu'après  les 
plus  longues  et  les  plus  minutieuses  recherches  dans  les  archives  pu- 
bliques et  particulières.  Il  constate  l'exactitude  des  historiens  Corses, 
Giovanni  délia  Grossa  et  Pietro  Cirneo,  pour  les  événements  anté- 
rieurs à  i36o,  particulièrement  pour  l'époque,  jusqu'ici  discutée,  à 
laquelle  vécut  Sambucuccio  d'Alando.  Il  indique  les  erreurs  et  les 
lacunes  de  leur  récit  pour  les  années  suivantes  ;  mais  il  donne  en 
même  temps  le  moyen  de  le  corriger  et  de  le  compléter,  en  signalant 
aux  chercheurs  les  sources  où  ils  peuvent  puiser. 

Exprimons  pourtant  en  terminant  le  regret  que  le  général  Assereto 
n'ait  pu  connaître  de  Giovanni  délia  Grossa  que  sa  chronique  abrégée 
et  arrangée  par  Ceccaldi,  au  lieu  du  texte  même  du  manuscrit,  resté 
inédit  jusqu'à  ce  jour.  Ses  citations  eussent  été  plus  exactes,  ses  ap- 
préciations plus  justes,  car  plusieurs  des  reproches  adressés  au  vieil 
historien  doivent  retomber  sur  son  abréviateur.  N'est-ce  pas  là  une 
preuve  nouvelle  qu'il  est  urgent  de  publier  le  manuscrit  de  Giovanni 
délia  Grossa  et  de  mettre  entre  les  mains  de  tous  le  texte  même  de  sa 
chronique  ?  Abbé  Letteron. 

Der  Gral  von  Paul  Hagfn  Quellen  und  Forschungen  zur  Sprach-und  Cultur- 

geschichte  der  germ.  Vôlker,  fasc.  83.  Strasbourg,  Karl  J.    Trûbncr,  1900. 

In-8,  124  pp.  3  mk. 
Wolframs    von    Eschenbach   Parzival  und   Titurcl,  hgb.  und   erklart  von  Ernest 

Martin.  Erster  Teil  :  Text.  Germanistische  Handbibliothek,  (Tome  9).  Hallc-a. 

S.,  Verlag    der   Buchhandlung    des    Waisenhauses  ,    1900.   In-8,    lii-3i5    pp. 

5  mk. 

Le  Pariival  de  Wolfram  d'Eschenbach  fourmille  d'obscurités  dont 


412  REVUE    CRITIQUE 

de  nombreux  commentateurs  n'ont  pu  entièrement  triompher.  M.  Ha- 
gen,  avantageusement  connu  par  de  bons  travaux  sur  la  littérature 
allemande  du  moyen  âge,  essaye  à  son  tour  d'élucider  quelques  points 
particulièrement  intéressants  du  difficile  poème. 

C'est  du  côté  de  l'Orient  que  M.  H.  a  cherché  la  lumière.  Selon 
lui,  la  littérature  arabe  fournit  la  clef  de  l'origine  du  Graal.  L'auteur 
de  VAventure  du  Graal,  dont  Wolfram  fait  mention  dans  son  Par^i- 
val,  ne  serait  autre  que  l'astronome  arabe  Thebit.  L'énigmatiqueF/e- 
getàtiîs  serait,  non  pas  un  nom  d'homme,  comme  l'a  cru  Wolfram  (ou 
Kyot),  mais  le  titre  d'un  ouvrage  astrologique  du  même  Thebit 
(v.  cependant  p.  33,  n.  i).  Le  nom  de  graal  désignerait  un  bétyle. 
M.  H.  appuie  cette  dernière  affirmation  en  corrigeant  l'expression 
lapsit  exillîs ,  qui  a  donné  lieu  à  tant  de  controverses,  en  lapis  betillis. 
L'argumentation  de  M.  H.  est  fortifiée  par  une  quantité  de  remarques 
érudites  et  paraît  fort  séduisante  au  premier  abord.  Elle  n'enlève 
cependant  pas  tous  les  doutes.  M.  H.  admet  à  priori  l'existence  de 
Kyot,  contestée  par  un  certain  nombre  de  critiques.  Il  trouve  natu- 
relle la  confusion  entre  Flegetdnis,  nom  d'homme  et  titre  d'un  livre, 
alors  qu'il  paraît  étrange  que  Wolfram  (ou  Kyot),  dont  les  informa- 
tions sont  si  exactes  au  sujet  de  l'origine,  de  la  profession,  du  culte  et 
des  connaissances  de  Thebit,  ait  pu  commettre  une  telle  méprise.  En 
outre  M.  H.  est  manifestement  dans  l'erreur  quand  il  estime  (v.  p. 85 
sq.)  que  Chrétien  a  entendu  par  graal  un  bétyle.  Chez  Qhvéûen  graal 
ne  signifie  que  «  plat  »  et  le  contre-sens  commis  par  Wolfram  semble 
bien  être  la  meilleure  preuve  que  Kyot  est  une  autorité  imaginée  pour 
les  besoins  delà  cause  (V.  G.  Paris  :  Rom.  22,  p.  166).  Il  resterait 
d'ailleurs,  si  l'on  admet  une  source  orientale  et  la  signification  de 
«  bétyle  »,  à  expliquer  l'origine  du  mot  graal,  pour  lequel  les  roma- 
nistes ont  trouvé  une  dérivation  latine  s'appliquant  au  sens  de 
«  plat  » . 

A  côté  de  la  thèse  de  l'influence  orientale,  qui  constitue  la  pièce  de 
résistance  de  son  ouvrage,  M.  H.  donne  d'intéressants  détails,  trop 
nombreux  pour  pouvoir  être  mentionnés  ici.  Je  citerai  seulement 
l'identification  d'Acratôii,  la  détermination  de  l'origine  du  mot 
achmârdi,  la  fixation  du  sens  de  Ahkarîn,  la  raison  de  l'emploi  du 
mot  bariic. 

Enfin  M.  H.  a  fait,  entre  le  Par\ival  d'une  part  et  la  légende  du 
prêtre  Jean  et  la  Bible  de  l'autre,  d'ingénieux  rapprochements.  Si 
quelques-unes  des  analogies  signalées  ne  paraissent  pas  démontrer 
une  influence  directe  des  deux  derniers  livres  sur  le  premier,  leur  en- 
semble donne  un  caractère  de  certitude  à  l'opinion  de  M.  H.  et  les 
exégètes.du  Par^ival  auront  à  l'avenir  à  compter  avec  la  légende  du 
prêtre  Jean  et  la  Bible. 

M.  H.  n'a  pas  résolu  définitivement  tous  les  problèmes  ardus 
auxquels  il  s'est   attaqué.  Son  livre  n'en  constitue  pas  moins  un  pro- 


à 


d'histoire  et  de  littérature  41  3 

grès  scientifique  remarquable  et   s'impose    à  l'attention  de  ceux  qui 
voudront  comprendre  le  Par^ival. 

M.  Martin  a  été  chargé  de  tirer  parti  des  notes  que  son  professeur 
Mullenhoff  et  son  ami  Charles  Lucae  ont  prises  au  sujet  du  Par^ival 
et  qu'ils  n'ont  pas  utilisées  de  leur  vivant.  Il  s'est  lui-même,  comme 
le  prouvent  plusieurs  de  ses  publications,  occupé  longtemps  et  avec 
un  grand  succès  de  l'intéressant  poème.  Les  recherches  d'autrui  et  le 
fruit  de  son  propre  labeur  forment  la  matière  d'un  ouvrage  dont  la 
première  partie,  qui  vient  de  paraître,  est  consacrée  à  la  publication 
du  Par:{ival  et  du  Titurel.  Bien  que  cette  édition  renferme  de  judi- 
cieuses corrections  à  la  classique  édition  de  Lachmann,  et  constitue 
par  suite  un  instrument  de  travail  indispensable,  elle  n'en  diffère  que 
par  un  certain  nombre  de  points,  indiqués  par  l'auteur  dans  sa  pré- 
face. La  seconde  partie  qui  contiendra  le  commentaire  offrira  un  plus 
grand  intérêt  littéraire. 

F.  Piquet. 


Le  Chronache  italiane  nel  medio  evo,  descritte  da  Ugo  Balzani.  Seconda 
edizione.  Milano,  U.  Hoepli,   1900,  XIV,  32'i  p.  18»  Prix  :  4  tr. 

L'ouvrage  de  M.  Balzani,  écrit  d'abord  en  anglais,  et  publié  à 
Oxford  en  i883,  reparaît  ici  dans  une  édition  revue  et  quelque  peu 
augmentée  au  point  de  vue  bibliographique.  L'intention  primitive  de 
l'auteur  avait  été  de  faire  un  simple  travail  de  vulgarisation,  et  d'en 
éloigner  tout  appareil  érudit,  si  bien  qu'il  se  refusait  à  faire,  à  pro- 
prement parler,  œuvre  de  critique  historique.  Son  ambition  se  bor- 
nait à  faire  connaître  au  grand  public,  d'une  façon  suivie,  les  noms 
et  les  ouvrages  des  annalistes  et  des  chroniqueurs  dont  l'histoire  gé- 
nérale de  la  littérature  d'un  pays  ne  lui  parle  pas  d'ordinaire,  et  qu'il 
s'avise  encore  moins  d'aller  déterrer  lui-même  dans  les  recueils  de 
Muratori,  Pertz,  etc.  '.  Il  a  joint  çà  et  là  à  son  récit  des  fragments  de 
chroniques,  traduits  en  langue  vulgaire,  qui  nous  paraissent  en  géné- 
ral trop  courts  et  trop  peu  caractéristiques  sous  leur  vêtement  mo- 
derne pour  donner  au  lecteur  une  idée  bien  nette  de  la  façon  d'écrire 
des  auteurs.  Dans  cette  nouvelle  édition,  l'auteur  n'a  pu  s'empêcher 
de  faire  au  moins  quelques  concessions  à  cette  envahissante  érudition 
contemporaine  ;  il  nous  fait  connaître  en  notes  les  éditions  modernes, 
italiennes  et  étrangères  des  sources  dont  il  parle  et  les  études  —  pas 


I.  M.  B.  a  dépassé  le  cadre  indiqué  par  son  titre  —  et  certes  nous  ne  nous  en 
plaindrons  pas  —  en  parlant,  en  dehors  des  Chtoniqucs  et  des  Annales,  de  cer- 
tains recueils  de  lettres  comme  celles  de  Cassiodore,  C.répoirc-lc-Grand,  Gré- 
goire VII,  etc.  de  certains  pamphlets  contemporains,  tels  que  ceux  de  saint  Pierre 
Damiani;  une  fois  entre  dans  cette  voie,  il  aurait  pu  aller  plus  loin,  et  m«ntion- 
ncr  aui»i  la  correspondance  de  Pierre  des  Vignes  ou  de  Frédéric  11. 


414  REVUE    CRITIQUE 

toutes  —  qui  leur  ont  été  consacrées  des  deux  côtés  des  Alpes.  Mais  il 
aurait  pu,  sans  aucun  inconvénient,  devenir  un  peu  plus  infidèle  à  son 
principe,  d'éviter  la  discussion  sur  toutes  les  controverses  qui  se  sont 
élevées  au  sujet  de  la  valeur  scientifique  des  historiens  dont  il  nous 
esquisse  la  vie  et  dont  il  nous  dépeint  parfois  le  milieu  politique  et 
moral  d'une  façon  pittoresque  '. 

Le  volume  de  M.  Balzani  n'est  donc  pas  —  et  ne  veut  pas  être  — 
un  guide  scientifique  pour  le  travailleur  appelé  à  s'occuper  de  l'his- 
toire de  la  péninsule  au  moyen  âge,  comme  l'est  celui  de  Wattenbach 
pour  l'Allemagne  ou  celui  de  G.  de  Wyss  pour  les  cantons  suisses. 
Loin  d'aborder  les  problèmes  critiques,  il  les  fuit  de  parti-pris  '':  il  a 
négligé,  pour  cette  raison,  d'écrire  un  des  chapitres  les  plus  curieux 
de  son  livre  qui  nous  aurait  donné  l'histoire  de  l'activité  audacieuse 
et  remarquablement  habile  des  faussaires  italiens  qui,  du  xv"  au 
xvi=  siècle,  et  même  plus  tard  encore,  ont  produit  tant  d'ingénieux 
pastiches  du  passé,  longtemps  regardés  comme  des  textes  authen- 
tiques et  précieux.  Mais  si  nous  regrettons  cette  abstention  volon- 
taire de  l'auteur,  dont  une  troisième  édition  future  aura  raison  peut- 
être,  nous  reconnaissons  volontiers  le  charme  littéraire  de  son  ouvrage 
et  nous  signalons  avec  plaisir  l'impartialité  toujours  égale  avec  la- 
quelle il  nous  parle  des  Romains  et  des  Barbares,  des  Guelfes  et  des 
Gibelins  qui  défilent  successivement  devant  nous. 

R. 


\ 


Van  Dam  et  C.  Stoffel.  —  William  Shakespeare,  prosody  and  text,  an  essay 
in  criticism,  being  an  introduction  to  a  better  editing  and  a  more  adéquate  ap- 
préciation of  the  Works  of  the  Elizabethan   poets.  Leyde,  Brill.   1900,  437  pp. 

Voici  un  livre  intéressant.  Le  dessein  en  est  de  démentir  la  plupart 
des  conclusions  auxquelles  la  critique  Shakespearienne  a  pu  aboutir. 
Non  seulement  M.  Van  Dam  proclame  la  nécessité  d'une  révision 
complète  du  texte  de  Shakespeare,  mais  il  comprend,  et  lit  les  poètes  du 
siècle  d'Elisabeth  d'une  façon  toute  nouvelle. 

Qu'on  en  juge!  Le  vers  de  Shakespeare,  dit-il,  est  un  vers  de  dix 
ou  onze  syllabes,  dont   les    accents  portent  le  plus  souvent  sur  les 


1.  Il  nous  semble  qu'en  certains  endroits  du  livre,  l'étendue  des  paragraphes 
consacrés  à  l'auteur  et  à  ses  alentours  n'est  pas  précisément  proportionnée  à  son 
importance;  ainsi,  par  exemple,  le  chapitre  sur  Gassiodore.  Pour  d'autres,  on  se 
demande  vraiment  ce  qu'ils  viennent  faire  parmi  les  chroniqueurs  italiens,  comme 
Procope  et  Othon  de  Freysing  ;  si  c'est  parce  que  l'un  raconte  la  guerre  des  Goths 
et  l'autre  les  campagnes  de  Barberousse  en  Italie,  on  pourrait  tout  aussi  bien  men- 
tionner au  même  titre  une  foule  d'autres  narrateurs  de  pays  étrangers. 

2.  Voy.  par  exemple  ce  qu'il  dit  de  la  Chronique  des  Malaspini  ou  de  celle  de 
Dino'Compagni  (pp.  3oo-3o2).  Le  nom  de  Matteo  di  Giovenazzo  est  mentionné 
dans  une  note  seulement  (p.  22g). 


i 


d'histoire  et  de  littérature  41 5 

syllabes  de-nombre  pair.  Aucun  pied  ne  compte  plus  de  deux  syllabes  ; 
il  ne  se  rencontre  jamais  de  syllabe  supplémentaire  à  la  césure.  Quand 
les  critiques  supposent  plus  de  deux  syllabes  par  pied  pour  se  confor- 
mer au  texte  reçu  de  Shakespeare,  ils  se  trompent,  le  texte  est  corrompu, 
il  faut  rogner  le  vers.  Qu'on  n'allègue  pas  à  l'appui  de  la  théorie 
des  pieds  trissyllabiques  l'exemple  des  poètec  modernes,  un  vers 
comme  le  suivant  : 

On  a  sudden,  many  a  voice  along  the  street  {Tennyson,  Ger.  and  En.  2yo). 

devait  être  incorrect  au  temps  de  Shakspeare  et  même  de  Milton. 

Si  les  poètes  et  les  critiques  se  sont  aussi  lourdement  trompés,  c'est- 
que  le  texte  de  Shakespeare  est  très  fautif.  Personne  n'a  essayé  de  pu- 
rifier systématiquement  «  ces  écuries  d'Augias  de  la  littérature».  Cette 
tâche  exige  surtout  de  l'audace,  il  ne  s'agit  pas  d'une  toile  de  maître 
devant  la  restauration  de  laquelle  le  plus  grand  artiste  recule  et  qu'on 
conserve  pieusement,  en  y  portant  à  peine  une  main  timide.  Ici  on 
peut  hardiment  brosser  à  neuf.  Pour  peu  qu'on  sache  la  cause  des 
fautes  d'impression,  on  les  corrige  presque  automatiquement.  M.  V. 
D.  a  détaillé  ces  causes  dans  un  très  curieux  chapitre.  Selon  lui,  le 
premier  in-folio,  celui  de  1623,  publié  après  la  mort  du  poète,  grâce 
à  ses  camarades,  les  acteurs  Hemingc  et  Condcll,  a  été  imprimé 
d'après  des  manuscrits  originaux.  Mais  les  épreuves  ont  été  revues, 
non  par  Heminge  et  Condell,  mais  par  un  correcteur,  attaché  à  l'im- 
primerie, comme  cela  se  faisait  d'ordinaire  au  xvi'  siècle.  Le  com- 
positeur auquel  le  texte  était  dicté  et  qui  n'était  pas  tenu  de  connaître 
la  prosodie,  marquait  au  hasard  les  élisions  et  contractions,  coupait 
les  vers  à  faux,  ponctuait  à  l'aventure.  Le  correcteur,  d'autre  part, 
remaniait  sans  scrupule  et  poussait  la  fantaisie  jusqu'à  faire  office 
de  censeur.  Ainsi,  raisonne  M.  V.  D.,  le  correcteur  du  Roi  Lear 
(A.  L  Se.  L)  devait  être  puritain,  car  au  vers  149  il  adoucit  la  phrase  : 
thou  sivear'st  in  vain,  en  interpolant  :  thy  gods,  addition  que  le  con- 
texte rend  inadmissible.  Plus  loin,  au  vers  154,  il  a  sûrement  rem- 
placé revoke  thy  doom  par  revoke  thy  gif  t.  Il  faut  donc,  en  prenant 
pour  guide  la  vraie  prosodie  du  xvi^  siècle,  refondre  sans  pitié  le  texte 
de  Shakspeare. 

Citons  quelques  vers  ainsi  remaniés  : 
Make  war  with  mankind  -- 'Tis  said  they'eat  each  other(3/ac.  II.  4.  18); 
l'apostrophe  après  they  indique  que  they'eat  ne  compte  que  pour  une 

syllabe. 

Wi'  im  they  think  on  ?  Things  wiihout  ail  remcdy  {Mac.  III,  2,  1 1) 
For  gaodness  daren't  check  thee  :  wcar  thou  thy  wrongs(id.  IV,  3,  33) 
Tie  up  the  libcrtine'n  a  riekl  oF  fcasts.  {A  and  C.  II,  i,  23) 
Thatwhich  his  noble  anc' tors'chicv'd  with  blows  (R2.  II,  I,  254). 
Ici,  les  élisions  sont  indiquées  par  des  signes  typographiques,  mais 

elles  ne  sont  acceptables  qu'à  la  condition  d'adopter  le  système  très 

spécial  de  versification  de  M.  V.  D. 


41  6  REVUE    CRITIQUE 

Le  début  du  Roi  Lear  s'imprime  comme  de  la  prose,  car  les  critiques 
anglais  n'y  voient  qu'une  conversation  familière,  mais  M.  'V.  D.,  qui 
transmue  volontiers  la  prose  en  vers  \  propose  d'écrire  avec  un  judi- 
cieux emploi  de  l'apostrophe  : 

...I  cannot  wish 
The  fault  undone,  the  iss'  oft  be'ing  so  proper. 
But  l've  a  son,  sir,  b'ord'  of  law  some  year 
Elder  than  this,  who  yet  is  no  dearer 
In  my  account,  etc. 

Terminons  en  citant  une  dernière  correction  : 

There  hâve  I  made  my  prom'se,  upon  the  heav- 

y  middle  of  the  night,  to  call  upon  him.  {M.  for  M.  IV,  I,  34). 

Qu'on  nous  permette  d'ajouter  un  mot  :  le  livre  paraît  beaucoup 
trop  systématique  pour  qu'on  en  accepte  sans  réserve  les  conclusions. 
Ces  corrections  ingénieuses,  tout  en  témoignant,  il  est  vrai,  d'une 
certaine  pénétration  d'esprit,  paraissent  en  somme  un  jeu  frivole,  qui 
évoque  à  nos  yeux  un  système  de  critique  depuis  longtemps  suranné. 
Le  plus  sage  parti,  semble-t-il,  c'est  de  s'attacher  au  texte  des  pre- 
mières éditions  de  Shakspeare,  quelque  fautif  qu'il  soit,  et  de  s'effor- 
cer d'en  pénétrer  le  sens  afin  de  réduire  au  strict  minimum  le  nombre 
des  conjectures.  Il  est  regrettable  aussi  que  la  raillerie  et  même  l'in- 
vective défigure  chez  M.  Van  Dam  une  argumentation  parfois  solide 
et  non  sans  profit  pour  le  lecteur. 

Ch.  Bastide. 


V* 


Antonio  Ive.  I  dialetti  ladino-veneti  dell'  Istria.  Strasbourg,  Trûbner,  1900. 
In-8  de  xviv-208  p. 

La  seule  étude  scientifique  qui  ait  été  publiée  avant  le  livre  de 
M.  Ive  sur  les  dialectes  romans  de  l'Istrie  est  celle  que  leur  a  consa- 
crée M.  Ascoli  dans  le  tome  I  de  VArchivio  glottologico  italiano, 
paru  en  1873.  Le  célèbre  professeur  de  Milan  a  tiré  un  excellent  parti 
des  notes  qu'il  avait  recueillies,  mais  ces  notes  étaient  peu  nombreu- 
ses et  ne  concernaient  que  trois  localités  de  l'Istrie  :  Pirano,  Dignano 
et  Rovigno.  M.  I.  aune  information  beaucoup  plus  étendue.  Né  à 
Rovigno,  il  a  consacré  depuis  1875  un  grand  nombre  de  brochures  au 
dialecte  de  sa  patrie,  mais  ces  brochures  ne  contiennent  guère  que  des 
échantillons  linguistiques.  Aujourd'hui,  il  nous  offre  une  grammaire 
complète,  non  seulement  du  dialecte  de  Rovigno,  mais  des  dialectes 
de  sept  autres  localités  de  l'Istrie  :  Pirano,  Valle,  Dignano,  Gallesano, 


I.  Page  224,  pour  couronner  une  longue  discussion,  M.  V.  D.   accomplit  le  tour 
de  force  de  donner  la  forme  de  vers  blancs  à  un  article  de  la  Qiiarterly  Review. 


d'histoire  et  de  littérature 


417 

Fasano,  Pola  et  Sissano.  Naturellement,  ces  localités  sont  toutes  situées 
sur  les  bords  de  l'Adriatique,  car  quand  on  s'éloigne  de  la  côte,  on 
tombe  vite  en  pays  slave.  M.  I.  étudie  successivement  la  phonétique, 
la  morphologie,  la  syntaxe  et  le  lexique  de  chacune  des  huit  unités 
qu'il  embrasse,  de  sorte  que  nous  refaisons  sept  fois  de  suite  le  même 
voyage  à  travers  les  parlers  romans  de  l'Istrie.  Il  y  1  quelque  mono- 
tonie dans  ce  procédé,  mais  la  méthode  synoptique  aurait  probable- 
ment offert  de  plus  graves  inconvénients. 

M.  I.  commence  naturellement  par  Rovigno  et,  suivant  l'exemple 
de  M.  Ascoli,  il  numérote  ses  paragraphes  pour  se  contenter  d'un 
simple  rappel  lorsqu'il  étudiera  les  autres  localités.  Rovigno  occupe  à 
lui  seul  70  pages  :  c'est  dire  que  les  parlers  de  Pirano,  Valle,  etc.  sont 
traités  sommairement  et  que  l'auteur  saute  tous  les  numéros  où  il 
n'aurait  qu'à  constater  l'accord  avec  Rovigno.  C'est  très  clair  comme 
plan  d'ensemble.  Ce  qui  l'est  moins,  c'est  le  plan  particulier  de  l'étude 
sur  Rovigno.  La  numérotation  n'est  pas  la  même  que  celle  de 
M.  Ascoli,  et  on  peut  le  regretter.  Il  est  vrai  que,  dans  la  phonétique 
des  voyelles,  la  science  a  fait  des  progrès  depuis  iSjS;  elle  a  reconnu, 
par  exemple,  que  l'ancienne  division  de  Diez  (voyelle  longue,  voyelle 
brève,  voyelle  en  position),  adoptée  par  M.  Ascoli,  était  défectueuse. 
Si  M.  I.  avait  perfectionné  le  plan  des  Saggi  ladinik  ce  point  de  vue, 
ce  serait  tout  profit.  Mais  il  n'en  est  rien.  M .  Ascoli  a  quinze  subdi- 
visions pour  Ve  tonique  (n°s  i8-32)  ;  M.  I.  n'en  a  que  quatre  (n*"  7-10), 
selon  que  Ve  reste  e  (n°  7)  ou  devient  i  (8),  ie  (9),  a  (10),  ce  qui  est  tout 
à  fait  insuffisant.  D'après  la  déclaration  qu'il  fait  p.  xxiii,  sa  base  n'est 
pas,  comme  on  pourrait  s'y  attendre,  le  latin,  mais  l'italien  ou  le  véni- 
tien, au  moins  pour  les  voyelles.  Je  ne  vois  vraiment  pas  les  avantages 
de  cette  méthode  ;  elle  ne  peut  qu'augmenter  la  confusion  dans  un 
sujet  déjà  fort  complexe  par  lui-même,  et  M.  I.  en  a  été  plus  d'une 
fois  victime.  Il  serait  facile  de  citer  des  mots  qu'il  n'a  pas  classés  où 
il  conviendrait  ;  mais  n'insistons  pas.  Ce  qui  est  plus  grave,  c'est  que 
sa  phonétique  offre  quelques  lacunes,  à  s'en  tenir  aux  éléments  qu'il 
nous  fournit  lui-même.  Je  ne  vois  pas,  par  exemple,  qu'il  mentionne 
le  changement  de  Vo  protonique  en  a  dans  le  parler  de  Rovigno,  et 
pourtant  il  enregistre  à  la  p.  10  le  mot  sigagnola,  poulie  (n'aurait-il 
pas  reconnu  l'étymologie  latine,  ciconiola  ?),  et  p.  21  les  mots 
tariin:{ay  kagiija  et  prafondi,  qui  présentent  incontestablement  ce  phé- 
nomène. 

Malgré  quelques  défaillances  de  détail,  le  livre  de  M.  1.  témoigne 
d'une  très  sérieuse  préparation  philologique.  La  partie  Icxicolo- 
gique  est  particulièrement  soignée  et  fait  bien  augurer  du  glossaire 
comparé  des  parlers  istriotcs  que  l'auteur  espère  publier  un  jour. Voici 
deux  ou  trois  menues  observations  sur  cette  partie  de  sa  tâche.  P.  88, 
l'article  parangal  doit-être  fondu  avec  celui  qui  se  trouve  plus  loin 
p.  14g  ;  il  n'y  a  manifestement  aucun  rapport  entre  ce  mot,  qui  dési- 


.«^ 


418  REVUE   CRITIQUE 

gne  une  ligne  à  pêche,  et  le  lâxin paragauda  auquel  renvoie  M.  I.  ;  en 
revanche,  comme  l'a  déjà  remarqué  M.  Schuchardt,  le  provençal  jt^tr- 
langre,  dont  le  sens  est  analogue,  doit  être  apparenté  k  parangal.  On 
pourrait  songer  à  une  étymologie  par  oâXayç,  çaXâYY'°^>  1^  compa- 
raison avec  une  araignée  étant  très  naturelle;  mais  il  y  a  quelques 
difficultés  phonétiques.  —  P.  121,  M.  I.  semble  avoir  quelques  doutes 
sur  le  rapport  de  kagnol,  irjstrumeni  de  tonnelier,  avec  le  latin  canis: 
ses  doutes  disparaîtront  s'il  remarque  que  cet  instrument  porte  en 
italien  le  nom.  âecane  et  en  français  celui  de  chien.  —  P.  i6"i  gur- 
gan.,  vêtement  de  femme,  me  fait  bien  l'effet  d'être  le  français  gros- 
grain,  sorte  d'étoffe  qui  a  eu  une  vogue  européenne  et  dont  le  nom  a 
été  défiguré  par  la  plupart  des  langues  qui  nous  l'ont  emprunté  ; 
angl.  grogram  (d'où  nous  avons  à  notre  tour  fait  gourgourati),  bas 
allem.  grofgrœn,  ancien  italien  grogano,  etc. 

Dans  l'introduction,  M.  I.  s'est  attaché  à  mettre  en  lumière  les 
traits  qui  permettent  soit  de  caractériser  chacune  des  unités  linguisti- 
ques qu'il  a  étudiées,  soit  de  les  répartir  en  groupes  plus  ou  moins 
homogènes  :  Rovigno  est  ordinairement  d'accord  avec  Fasano;  Di- 
gnano  avec  Gallesano  ;  Pirano  avec  Valle  et  Sissano.  Une  question 
qui  domine  toutes  les  autres  est  celle  du  rapport  qui  unit  les  parlers 
istriotes  à  ceux  de  la  Vénétie  et  à  ceux  des  pays  ladins.  L'auteur  ne  se 
croit  pas  encore  en  état  de  la  résoudre.  Non  seulement  la  stratifica- 
tion ethnologique  de  l'Istrie  n'est  pas  encore  établie  rigoureusement, 
mais  les  conditions  dialectales  actuelles  de  cette  province  ne  permet- 
tent pas  de  déterminer  jusqu'à  quel  point  le  ladin  est  venu  contaminer 
l'istriote  ;  d'autre  part,  l'absence  de  textes  anciens  nous  laisse  dans 
l'ignorance  sur  l'élaboration  qu'a  pu  subir  le  latin  au  moment  où  il  a 
triomphé  des  idiomes  indigènes  de  la  région.  Espérons  que  M.  Ive  se 
trouvera  bientôt  en  mesure  d'aborder  cette  grave  question  et  toutes 
celles  qui  s'y  rattachent.  Il  nous  donnera  alors  les  raisons  de  la  pro- 
testation qu'il  a  tenue  à  formuler,  dès  maintenant,  contre  la  théorie 
de  Virchow  (adoptée  chez  nous  par  M.  Auerbach),  qui  voit  dans 
l'élément  slave  le  substratum  ethnico-linguistique,  non  seulement  de 
l'Istrie,  mais  de  toute  la  Vénétie. 

Antoine  Thomas. 


M.  Tugan-Baranowsky.  —  Geschichte  der  russischen  Fabrik.  —  Deutsche 
Ubers.  Von  B.  Minzes.  Hefte  V/VI  der  Socialgeschichtlicheii  Forschungen 
hgg.  V.  Bauer  u.  Hartmann,  Berlin.  Felber.  1900.  In-8°  de  vi-626  p.;  12  mark. 

Ce  livre  date  déjà  de  près  de  trois  ans,  et,  est  par  suite,  antérieur  à 
celui  de  M.  Schulze-Gœvernitz  sur  un  sujet  analogue  Volkswirls- 
chaftliche  Studien  ans  Russland;  il  perd  ainsi  quelque  chose  de 
son  intérêt,  en  se  présentant  dans  la  traduction  consciencieuse,  mais 


i 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  419 

un  peu  tardive,  et  vraiment  trop  pénible  de  M.  B.  Minzès.  N'y  cher- 
chons pas,  d'ailleurs,  une  histoire  suivie  de  la  fabrique  russe  ;  ce  sont 
plutôt  deux  séries  parallèles  d'études  plus  agréables  que  profondes,  et, 
en  tout  cas,  nullement  complètes,  sur  un  certain  nombre  de  faits  inté- 
ressant cette  histoire.  Le  volume  présent,  qui  doit  être  suivi  d'un  se- 
cond, est  divisé  en  deux  parties  :  Avant  les  Ré/ormes  —  et  Après  les 
Réformes.  Dans  la  première  partie,  nous  trouvons  les  définitions  et 
expositions  obligées  sur  le  rôle  de  Pierre  le  Grand  comme  créateur 
d'industrie,  et  sur  les  fabriques  dites  de /jo^^e^^/on,  c'est-à-dire  ouvertes 
par  l'Etat  ou  soutenues  par  lui,  et,  en  tout  cas,  soumises  à  son  con- 
trôle. Les  renseignements  relatifs  à  ces  dernières  fabriques  sont,  na- 
turellement, plus  copieux  et  plus  dignes  de  foi  que  ceux  qui  étaient 
fournis  par  des  propriétaires  nobles,  libres  d'exploiter  leur  fabrique  à 
leur  guise, grâce  à  leurs  serfs.  C'est  ainsi  que  M.  T.  B.  fait  un  tableau 
curieux  de  la  résistance  souvent  opiniâtre  avec  laquelle  certains  ou- 
vriers de  Possessioti  soutinrent  les  revendications  qu'ils  avaient  pré- 
sentées à  un  gouverneur  ou  au  souverain  lui-même  ;  mais  il  déclare 
n'avoir  aucun  document  sur  les  faits  analogues  dans  les  fabriques  de 
l'aristocratie.  Le  règne  de  Nicolas  [ef,  bien  que,  naturellement,  peu 
favorable  aux  mécontents  d'en  bas,  se  distingue,  cependant,  par  une 
élévation  des  salaires  ;  ce  fait  s'explique  par  la  raréfaction  de  la  main 
d'œuvre  produite  alors  par  l'essor  de  l'industrie  russe.  C'est  à  ce  mo- 
ment que  les  fabriques  se  heurtent  avec  la  Hausindustrie  (l'industrie 
domestique).  Les  ouvriers  voisins  d'une  fabrique,  ou  bien  se  mettent 
à  fabriquer,  à  leurs  risques  et  périls,  des  objets  analogues  à  ceux  de  sa 
spécialité,  ou  bien  entreprennent  à  domicile,  pour  le  compte  d'un  pa- 
tron, telle  ou  telle  des  opérations  dont  se  compose  le  travail  de  la 
fabrique.  M.  T.  B.,  dans  deux  chapitres  intéressants,  étudie  quelques- 
uns  des  rapports  qui  s'établissent  alors  entre  la  fabrique  et  ses  menus 
satellites  ;  ceux-ci,  finalement  vaincus,  lorsque  se  développe  la  fabri- 
cation en  masse,  se  transforment,  ou,  bien  cessent  toute  production. 
C'est  à  une  défaite  de  ce  genre  subie  par  la  Hausindustrie  que 
M.  T.  B.  attribue  l'exode  en  masse  des  paysans  de  certains  gouverne- 
ments soit  vers  les  villes,  soit  vers  d'autres  provinces  où  le  gain  leur 
semble  plus  aisé.  Toutefois,  sur  ce  dernier  point,  de  graves  réserves 
seraient  à  faire,  et  cet  exode  chronique  pour  Votkhojy  promysl  (le 
travail  lointain)  est  dû,  sans  aucun  doute,  à  des  causes  plus  profondes 
et  plus  générales  que  celles-ci. 

Dans  sa  seconde  partie,  M.  T.  B.  reprend,  au  point  de  vue  con- 
temporaiq,  les  principales  questions  qu'il  vient  d'étudier  dans  la  pre- 
mière moitié  du  siècle  :  législation  industrielle,  salaires,  fabriques  et 
Hausindustrie,  enfin,  rapports  de  l'industrie  et  de  l'opinion  publique. 
En  raison  même  des  travaux  plus  récents  qui  ont  paru  depuis,  c'est 
ici  la  partie  qui  nous  semble  la  moins  neuve  dans  le  livre  de  M.  T.  B.: 
c'est  là  l'inconvénient  des  traductions  qui  viennent  un  peu  tard. 


420  REVUE    CRITIQUE 

En  somme,  ce  livre  se  lit  avec  grand  intérêt.  Son  défaut  le  plus  sail- 
lant consiste  dans  une  certaine  indécision  du  développement,  et 
dans  le  pèle  mêle  des  faits  cités.  En  outre,  on  se  dit,  en  raison 
même  du  manque  de  cohésion  des  chapitres,  que,  à  côté  des  sujets 
traités,  d'autres  non  moins  curieux  auraient  sans  doute  pu  être 
choisis.  Nous  avons  l'impression  hachée  et  incomplète  que  nous 
laisse,  par  exemple,  un  cours  destiné  à  un  grand  public.  Sous  ce  rap- 
port donc,  nous  trouvons  un  peu  ambitieux  le  titre  du  livre,  et  nous 
voudrions  y  voir  substituer  à  peu  près  celui-ci  «  Etudes  à  propos  de  la 
fabrique  russe  »  '. 

Jules  Legras. 


Pierre  Aubry.  La  musicologie  médiévale,  Histoire  et  méthodes,  i  vol.  grand 
in-4'>,  i34p.  chez  H.  Welter  (Paris),  1900. 

Ce  volume  est  la  «  mise  en  œuvre  »  d'un  cours  professé  à  l'Institut 
catholique  de  Paris  par  M.  Pierre  Aubry,  ancien  élève  de  l'École  des 
Chartes,  archiviste-paléographe.  Il  inaugure  une  série  de  «  mélanges 
critiques  »  qui  comprendra  :  1°  une  édition  paléographique,  avec  fac- 
similés,  des  Œuvres  poétiques  et  musicales  d'Adam  de  Saint-Victor 
(en  collaboration  avec  M.  l'abbé  Misset)  ;  2°  un  recueil  (24  fac-similés 
phototypiques  avec  transcriptions  et  commentaires)  des  plus  anciens 
monuments  de  la  musique  française  ;  3°  le  texte  critique  et  musical 
des  Lais  et  Descort\  du  moyen  âge  (en  collaboration  avec  MM.  A.  Jean- 
roy  et  L.  Brandin).  —  Intéressant  programme,  pour  la  bonne  exécu- 
tion duquel  de  tels  noms  sont  une  excellente  garantie  ! 

Le  plan  suivi  par  M.  A.  dans  ce  premier  travail  est  celui-ci  :  une 
courte  introduction  montre  d'abord  que  la  musique  a  tenu  une  place 
considérable,  au  moyen  âge,  dans  la  civilisation  générale,  et  s'est  déve- 
loppée parallèlement  aux  autres  branches  de  l'art  et  de  la  science. 
Ensuite  des  études  critiques  sont  consacrées  aux  savants  les  plus  cé- 
lèbres qui  se  sont  occupés  de  la  musique  médiévale  :  Dom  Jumilhac, 
auteur  de  La  science  et  la  pratique  du  plain-chant  {'Paris,  1973);  l'abbé 
Lebeuf,  auteur  du  Traite'  historique  et  pratique  sur  le  chant  ecclésias- 
tique (Paris,  1741);  Dom  Martin  Gerbert  (1710-1793),  éditeur  des 
Scriptores  et  auteur  du  De  cantu  et  musica  sacra ;¥éxis  et  de  Cousse- 
maker.  Dans  une  dernière  partie,  M.  A.  examine  les  éditions  des  livres 
de  chant  liturgique,  caractérise  l'œuvre  bénédictine,  et  expose  enfin 

I.  En  général,  M.  T.  B.  cite  avec  une  suffisante  précision.  Cependant,  nous  igno- 
rons à  quelle  quantité  se  rapportent,  par  exemple,  les  prix  du  red  printed  clotli 
cités  p.  72.  —  Citons  comme  amusante  coquille  la  phénoménale  conversion 
(p.  410)  de  2,391  vcrstes  en  2i,55i  kilomètres  (pour  2,55i).  —  Pour  l'allemand, 
nous  n'avons  pas  relevé  toutes  les  fautes  du  traducteur,  mais  des  formes  comme 
Fabriksarbeit,  Fabriksarbeiter,  etc.,  nous  ont  spécialement  déconcerté. 


I 

I 


i 


d'histoire  et  de  littérature  42 1 

les  principes  de  la  méthode  philologique  appliquée  à  l'histoire  de  l'art 
musical.  Ces  principes  peuvent  être  ainsi  résumés  :  l'histoire  de  la 
musique  doit  être  étudiée  avec  la  même  méthode  que  les  autres 
branches  de  l'histoire  ;  par  exemple,  l'édition  d'un  texte  musical  ne  se 
fait  pas  autrement  que  celle  d'un  texte  littéraire  classique.  Cette  pro- 
position est  l'évidence  même.  Mais  aujourd'hui  encore,  en  France, 
elle  est,  pour  beaucoup  de  gens,  une  nouveauté. 

Il  y  a,  dans  le  travail  de  M.  A.  quelques  idées  fort  intéressantes  et 
originales,  mais  simplement  effleurées,  et  sur  lesquelles  nous  serions 
tentés  de  demander  des  éclaircissements,  des  preuves  précises;  par 
exemple,  sur  l'identité  établie  (p.  3),  entre  l'évolution  de  l'art  musical 
et  celle  de  l'architecture  au  moyen  âge,  —  Pourquoi  M.  A.  n'indi- 
que-t-il  pas  (en  renvoyant  au  moins  aux  catalogues  de  Reynaud, 
Schwann,  etc.. .)  les  lyriques  du  moyen  âge  qui  restent  à  étudier  ou 
à  éditer  ?  —  Pourquoi  (lui  que  je  sais  si  bien  documenté  sur  ce  point) 
ne  fait-il  pas  une  part  à  l'étude  des  monuments  figurés?  L'étude  des 
fresques  du  Puy,  des  chapiteaux  de  Cluny,  etc.,  n'est-elle  pas  une 
annexe  nécessaire  de  la  musicologie  médiévale?  Mais,  tel  qu'il  est,  et 
bien  qu'il  ressemble  à  une  esquisse  plus  qu'à  un  tableau,  le  livre  de 
M.  A.  mérite  les  plus  grands  éloges.  On  y  trouve  partout  une  érudi- 
tion solide  et  un  excellent  esprit.  Nous  pensons  même  qu'il  marquera 
une  date  importante  pour  deux  raisons  :  d'abord,  c'est  la  première 
fois  qu'un  publicisie  considère  la  musique  médiévale  comme  une  suite 
naturelle  des  études  qu'il  a  faites  à  l'École  des  Chartes  ;  ensuite,  c'est 
la  première  fois  que  de  telles  matières  sont  l'objet  d'un  enseignement 
public.  On  ne  citait  jusqu'ici,  comme  ayant  fait  une  tentative  analogue 
à  celle  de  M.  Aubry,  en  dehors  des  écoles  pratiques,  que  M.  C. 
Paoli,  qui  avait  fait  entrer  les  notations  neumatiques  dans  un  pro- 
gramme d'enseignement  de  la  paléographie  latine  [Programma  sco- 
lastico  di paleografia  latinae  di diplomatica,espos[o  da  Cesare  Paoli, 
Florence,  1888]. 

Jules  COMBARIEU. 


Henry  Expkrt.  Les  Maîtres  musiciens  de  la  Renaissance  française  (12*  livrai- 
son, chez  A.  Leduc,  1900). 

Si  j'ai  attendu,  pour  en  parler  ici,  la  12*  livraison  de  cette  publica- 
tion magnifique,  c'est  que,  en  s'appliquant  à  constituer  un  Corpus  de 
l'art  musical  franco-belge  aux  xv  et  xvi^  siècles,  M.  Expert  poursuivait 
encore  la  première  partie  de  son  travail  qui  consiste  à  reproduire, 
d'après  les  éditions  du  temps,  les  œuvres  musicales  elles-mêmes;  dans 
une  seconde  partie,  il  donnera  des  notes  historiques  et  critiques,  des 
Tariantes,  des  commentaires,  des  indications  bibliographiques,  et  des 
études  sur  les  questions  musicales  à  l'époque  de  la  Renaissance.  De 


422  REVUE    CRITIQUE 

ces  deux  entreprises,  la  première  est  sans  doute  la  plus  intéressante 
aux  yeux  des  musiciens  de  profession,  mais  c'est  précisément  celle 
dont  l'examen  est  le  plus  malaisé  dans  cette  Revue.  Je  me  permettrai 
cependant,  sur  cette  première  partie,  quelques   observations.  Il  est 
regrettable  que  M.  Expert  n'indique  pas  toujours  la  source  à  laquelle 
il  a  puisé.  Ainsi,  il  ne  me  suffit  pas  de  savoir  que  les  psaumes  de 
Claude  Goudimel  sont  reproduits  «  d'après  l'édition  de  i58o  »  ;  il  ne 
suffit  pas  non  plus,  en  tête  des  œuvres  de  Guillaume  Costeley,  de  don- 
ner en  fac-similés  les  premières  pages  d'une  vieille  édition.  Le  lecteur 
a  le  droit  d'exiger  qu'on  lui  indique  (avec  la  cote)   la  bibliothèque  où 
se  trouve  l'original  ;  sans  cela,  comment  vérifier  ?  Comment  apprécier 
(comme  il  convient    ici,  sans  doute),  l'exactitude  d'une  réédition  ? 
Ces    indications  seraient  d'autant    plus   nécessaires   que  j'ai  relevé, 
pour  parler  le  langage  de  l'École,  quelques  fautes  d'harmonie  dans 
les  textes  que  donne  M.  E.  Ou  bien  ce  sont  des  négligences  d'écriture 
que  l'éditeur  moderne  pouvait  corriger  (en  nous  avertissant  de  la  cor- 
rection), ou   bien   ce   sont  des  particularités  de  style  qui  appelaient 
(immédiatement,  et  non  dans  une  étude  ultérieure)  des  notes  critiques. 
J'aurais  aimé  en  outre  que  M.  E.  indiquât  exactement  les  textes 
de  sa  publication  qui  étaient  encore  inédits  (?)  et  ceux  qui  ne  sont 
qu'une  réédition.  Le  mieux  eût  été  de  commencer  par  indiquer  l'état 
de  travaux,  en  mentionnant  —  par  exemple  pour  la  musique  belge  — 
ce  qui  avait  déjà  été  fait  par  Proske,  Choron,  Dehn,  Rochlitz,  Fétis, 
Forkel,  Delafage,   Burney,   Commer,  de  Coussemaker,  van   Malde- 
ghem,  Becker,  Eitner,  Schlecht,  etc....  —  La  réédition  que  M.  E. 
vient  de  nous  donner  d'un  traité  de  Michel  de  Menehou  {Nouvelle 
instruction  familière  en  laquelle  sont  contenues  les  difficultés  de.  la 
musique,  i55S)  semble  indiquer  que  la  première  partie  de  son  œuvre 
(textes  musicaux)  est  finie.   Pourquoi  n'a-t-il   fait  aucune  place  à  la 
musique   instrumentale,   dont   les   monuments  apparaissent    dès    le 
xv«  siècle  ? 

Ces  réserves  faites,  il  faut  adresser  les  plus  grands  remercie- 
mentss  à  M.  Expert,  dont  l'œuvre  comble  une  grande  lacune  dans  nos 
études  sur  la  Renaissance.  Il  veut  nous  faire  connaître  :  i°  les  monu- 
ments de  la  musique  religieuse  catholique  ;  2°  les  monuments  de  la 
musique  protestante;  3°  les  monuments  de  la  musique  profane. 

Les  musiciens  dont  il  a  publié  les  compositions  sont  :  Orlande  de 
Lassus,  Claude  Goudimel,  Guillaume  Casteley,  Claudin  (de  Sermisy), 
Jacques  Conseil,  Courtoys,  Deslonges,  Dulot,  Gascongne,  Hesdin, 
Jacontin,  Janequin,  Lombart,  Sohier,  Vermont,  Brunel,  P.  de  la  Rue, 
Mouton,  Fevin,  Mauduit,  Claude  le  Jeune,  plus  un  certain  nombre 
d'anonymes.  Je  dois  dire  encore  que  ce  n'est  là  qu'un  choix;  la  liste 
n'est  pas  complète,  il  s'en  faut  :  le  lecteur  en  doit  être  averti.  Un 
supplément  intitulé  Anthologie  chorale  comprend  cinq  séries  qui 
ajoutent  aux   précédents   les    noms  de  Clemens  non  papa,  Philibert 


d'histoire  et  de  littérature  423 

Jambe  de  fer,  Gombert,  Lupi,  Marenzio;  la  cinquième  série  comprend 
les  œuvres  de  musique  mesurée  à  l'antique  :  compositions  de  Cl.  le 
Jeune  sur  les  textes  d'A.  d'Aubigné  et  de  Baif);  chansons  erotiques  de 
J.  Mauduit;  musique  à  quatre  voix  mixtes  «  pour  les  xix  mètres  lyri- 
ques d'Horace  »  par  Tritonius,  Senfl,  Hofhaimer.  A  cette  collection 
seront  ajoutées  les  compositions  de  Goudimel  sur  les  odes  d'Horace, 
celles  d'Olthovius  sur  les  paraphrases  latines  des  psaumes  par  Bu- 
chanan,  etc. 

On  le  voit,  c'est  une  œuvre  très  considérable.  Quelques-uns  des 
musiciens  qu'elle  nous  révèle  n'avaient  pas  été  mentionnés  dans  les 
catalogues  d'Eitner,  si  bien  qu'elle  comble  à  la  fois  une  lacune  dans 
la  science  française,  et  dans  la  science,  bien  plus  avancée  sur  ce 
point,  des  Allemands.  C'est  en  outre  une  œuvre  de  foi,  d'enthou- 
siasme, de  conscience  (musicale),  respectueuse  des  moindres  détails  : 
«  Je  m'abstiens,  dit  l'auteur,  de  toute  indication  étrangère  aux  textes  ; 
j'estime  qu'un  simple  mouvement  ajouté  est  pure  opinion  de  critique, 

souvent  fort  sujette  à  caution Je  donne  le  texte  littéraire,  comme 

le  texte  musical,  en  sa  teneur  originale.  J'insiste  sur  ce  point;  car, 
dans  le  petit  nombre  de  pièces  profanes  que  le  public  a  pu  lire  jus- 
qu'à ce  jour,  le  vandalisme  de  certains  éditeurs  n'a  pas  laissé  grand 
chose  qui  ne    soit    expurgé  et  défiguré    misérablement    ».    Tout  en 
rendant  hommage  à  ces  scrupules,   on  regrette  parfois  que  M.    E. 
s'efface  modestement  et  complètement  derrière  son  sujet,  alors  qu'il 
[pourrait  nous  rendre  les  services  d'un  guide  fort   bien  renseigné.  On 
dira  aussi  qu'il  aurait  pu  suivre  un  plan  plus  logique,  plus  net.  Mais 
[ce  sont  là  chicanes  de  philologue  et  non  de  musicien.  Si  j'ajoute  que 
'cette  publication  monumentale  est  fort  élégante,  très  agréable  à  l'œil 
et  au  toucher,  et  que  M.  Expert  a  dû  s'imposer  probablement  des 
[peines  et  des  sacrifices   de  tout  ordre  pour  l'amener  au  point  où  elle 
'est  aujourd'hui,  j'aurai  à  peine  rendu  justice  à  une  œuvre  de  très 
j  grand  mérite,  qui  fait  honneur  à  notre  pays. 

Jules  COMBARIEU. 


[Camille  Bellaigue,  Impressions  musicales  et  littéraires  (i  vol.  in- 12,  449  pp. 
Paris,  Delagravc,  1900). 

Sous  ce  titre,  M.  Bellaigue  publie  une  série  d'études  fort  agréables 
sur  Mazzini  (auteur  d'une  Filosojîa  délia  miisica,  1897),  sur  Brahms, 
sur  la  salle  du  Conservatoire  de  Paris,  la  musique  russe,  le  Vaisseau 
^fantôme,  Don  Lorenzo  Perosi,  Fidelio,  Tristan  et  Iseiilt,  Vlphii^cnie 
en  Tauride  et  VOrphée  de  Gluck.  Dans  une  série  de  nouveaux  médail- 
lons sont  dessinées  les  silhouettes  d'Halévy,  Léonard  de  Vinci,  Hasn- 
del.  Rouget  de  l'isle,  Grétry,  Lamennnais,  Saint-.Mphonse  de  Li- 
guofi,    Hoffmann,   Luther,   Frédéric   II.    Deux  portraits    littéraires, 


424  REVUE    CRITIQUE 

ceux  de  V.  Cherbuliez  et  d'E.  Fromentin,  complètent  cette  antholo- 
gie. On  y  retrouve  rhabituelle  distinction  de  pensée,  de  goût  et  de 
style,  qui  est  la  qualité  essentielle  de  M.  Bellaigue.  Bersot  parlait  des 
«  rhétoriciens  qui  traversent  la  vie  en  portant  sous  leur  bras  une  am- 
phore vide  »  ;  tel  n'est  point  le  cas  de  M.  Bellaigue.  Son  amphore  est 
pleine  d'ambroisie.  Mais  pourquoi  présenter  comme  de  simples 
«  impressions  »  des  études  de  cette  nature?  Quand  on  décrit  et  quand 
on  apprécie  des  œuvres  telles  que  VIphigénie  e\  V Orphée  (\cG\\xck, 
pourquoi  ne  pas  avouer  franchement  qu'on  fait  de  l'histoire  et  de  la 
critique?  J'ai  peur  qu'il  n'y  ait  là  un  peu  d'adresse,  car  M.  B.  semble 
avoir  voulu  échapper  au  reproche  que  nous  aurions  à  lui  adresser, 
presque  à  chaque  page,  de  négliger,  avec  un  dilettantisme  vraiment 
trop  grand,  la  connaissance  des  sources.  Il  la  dédaigne.  La  bibliogra- 
phie, l'examen  des  éditions,  lui  paraissent  choses  superflues.  Il  est 
singulier  qu'aimant  passionnément  Bach,  Hasndel,  Beethoven,  Mo- 
zart, il  ne  s'attache  pas  à  retrouver  la  forme  exacte  de  leur  pensée,  et 
se  contente  d'entendre,  au  théâtre  ou  au  concert,  des  exécutions  plus 
ou  moins  mutilées.  Parle-t-il  de  Haendel?  on  ne  sait  si  c'est  d'après 
l'édition  d'Arnold,  ou  celle  de  Walsh,  ou  celle  de  Cluer,  ou  celle  de 
Chrysander  ;  parle-t-il  de  Frédéric  II?  Il  ne  cite  même  pas  dans 
une  note  l'édition  de  Ph.  Spitta,  pourtant  plus  importante  que  telle 
anecdote  plus  ou  moins  authentique  sur  le  terrible  flûtiste  ;  parle-t-il 
de  Gluck?  Il  ne  nous  dit  pas  l'état  déplorable  dans  lequel  ses  parti- 
tions nous  sont  parvenues  ;  et  ainsi  du  reste.  Ce  qu'il  y  a  d'embar- 
rassant, c'est  que,  au  lieu  de  rester  fidèle  à  son  titre  et  de  nous  donner 
des  «  impressions  »  —  auquel  cas  Je  n'aurais  rien  à  dire  —  M .  B.  est 
très  dogmatique,  parfois  même  sévère  pour  tel  grand  compositeur 
(Vincent  d'Indy). 

P.  85,  M.  B.  dit  en  parlant  de  la  Société  de  Concert  du  Conserva- 
toire que  «  son  histoire  est  conforme  à  celle  de  la  musique  même  »  et 
il  lui  fait  honneur  «  d'une  récente  et  magnifique  restitution  de  la 
messe  en  si  mineur  de  Bach  ».  La  Société  des  Concerts  n'a  fait  nulle- 
ment une  «  restitution  »  de  la  messe  en  si  mineur,  et  ce,  pour  les  rai- 
sons suivantes  :  1°  elle  n'a  pas  joué  l'œuvre  de  Bach  avec  les  instru- 
ments usités  au  temps  de  Bach  comme  on  l'a  Jouée  récemment  à  Colo- 
gne (Gurzenich-Concerte)  sous  la  direction  du  docteur  Wulner  ;  2°  elle 
y  a  introduit  des  divisions  arbitraires  (voir  la  place  occupée  par 
VAgniis  Dei  et  le  Donapacem,  dans  le  programme  rédigé  par  M.  Tier- 
sot)  ;  3°  elle  a  interverti  l'ordre  de  certaines  parties  de  la  messe  (v. 
ibid.);  4°  elle  a  supprimé  5  morceaux  sur  26  ;  5°  elle  a  fait  précéder 
le  premier  chœur,  d'un  petit  prélude  instrumental  qui  est  l'œuvre  du 
chef  d'orchestre,  et  non  celle  de  Bach... 

Pages  4,  277  et  passim,  M.  B.  revient  sur  cette  idée  que  la  musique 
est  un  fait  sociologique,  parce  qu'en  elle  «  tout  est  nombre  et  propor- 
tion ».  Je  crois  avoir  déjà  relevé  cette  erreur.  Oui,  la  musique  est  un 


Au 


d'histoire  et  de  littérature  425 

fait  sociologique,  mais  ce  n'est  pas  parce  que  la  composition  musicale 
est  constituée  par  la  marche  harmonieuse  et  simultanée  de  plusieurs 
parties  mélodiques.  D'après  la  raison  donnée  par  M.  B.  tout  serait  so- 
ciologique, y  compris  les  pierres  des -chemins  1. . . 

Quelques  lapsus  :  p.  104,  lire  «  Nibelung  »  et  non  «  Niebelung  »  ; 
p.  loi ,  lire  «  Ruslan  »  et  non  '<  Rusiian  »;  p.  101,  1 1*^,  116,  117,  etc., 
lire  «  Snêgurotchka  »  et  non  «  Snègourotchka  »  (en  vertu  de  l'ortho- 
graphe précédemment  adoptée  pour  Rus\d,v\)  ;  p.  io3,  lire  «  Fomin  »  et 
non  «  Fomine  »  ;  «  Titov  »  et  non  «  Tito»»»  ;  «  Rimski-Korsakov  »  et 
non  «  Rimskj/-  »,  etc.. 

Page  55,  lire  :  «  parmi  les  191  pages  (qui  composent  le  Requiem  de 
Brahms)  »  et  non  :  «  parmi  les  huit  pages....  » 

Il  ne  faut  pas  perdre  le  souci  de  l'exactitude  et  de  la  vérité,  même 
quand  on  parle  de  ceux  dont  on  estime  très  haut  l'intelligence  et  le 
savoir. 

Jules  COMBARIEU. 


O.   Stock.  Lebenszweck  und  Lebensauffassuug.   GreifswalJ,  J.  Abcl,  1897. 
In-8°,  177  pages. 

Y  a-t-il  un  critérium  objectif  du  bien  et  du  mal  ?  Y  a-t-il  vluq  science 
de  la  morale?  Telles  sont  les  graves  questions  que  se  pose  M.  Stock. 
Et  il  y  répond  par  une  définition  intéressante  et  ingénieuse  de  la  loi 
morale.  Une  éthique  scientifique,  dit-il,  est  possible  si  nous  pouvons 
démontrer  quïl  existe  une  fin  supra-individuelle  vers  laquelle  tendent 
nécessairement  tous  les  hommes.  Or  tous  les  hommes  tendent  d'abord 
à  persévérer  dans  l'être  :  c'est  là  une  fin  universellement  voulue.  Mais 
cette  fin,  si  elle  est  nécessaire  n'est  pas  absolue  :  elle  implique  elle- 
même  une  fin  supérieure.  Qu'est-ce  que  la  vie,  en  eftéi,  si  ce  n'est  la 
somme  de  nos  états  de  conscience  ?  Vouloir  vivre  c'est  donc  en  défi- 
nitive vouloir  continuer  à  prendre  conscience  de  l'univers,  en  d'autres 
termes  tendre  vers  une  connaissance  toujours  plus  complète,  s'efiorcer 
vers  la  vérité.  La  moralité  c'est  donc  en  dernière  analyse,  la  volonté 
de  vérité.  Or,  une  pareille  volonté  engendre  nécessairement  les  dispo- 
sitions que  nous  sommes  habitués  à  regarder  comme  spécifiquement 
morales  :  l'abdication  de  l'égoïsme  individuel  iSelbstitberwindung) 
et  la  conscience  de  notre  solidarité  avec  les  autres  êtres  [Gcmcin- 
schaft).  A  mesure  que  l'homme  prend  mieux  conscience  de  l'univers, 
il  apprend  auiisi  mieux  à  ne  voir  dans  la  fin  nécessaire  ei  individuelle 
vers  laquelle  tendent  les  hommes  (le  vouloir  vivre  individuel)  que  le 
moyen  nécessaire  de  la  fin  supérieure  qui  y  est  implicitement  contenue 
(la  volonté  de  vérité),  et  il  agit  en  conséquence.  Il  pan  de  l'égoismc 
individuel  pour  s'élever  peu  à  peu  vers  la  conscience  de  son  identité 
avec  les  autres  êtres  ;  l'amour  maternel  et  conjugal,  l'amour  de  la  la- 


426  REVUE     CRITIQUE 

mille,  de  la  cité,  de  la  nation,  de  Thumanité,  sont  les  étapes  succes- 
sives par  lesquelles  l'homme,  élargissant  sans  cesse  son  horizon 
intellectuel,  s'élève  graduellement  àun  niveau  moral  supérieur.  L'idéal 
moral  n'est  donc  pas  quelque  chose  d'un  et  d'immuable  mais  bien 
quelque  chose  d'indéfiniment  perfectible.  Il  n'est  pas  un  point  fixe, 
mais  une  ligne  infinie,  et  chaque  individu,  selon  son  degré  de  culture, 
s'arrêtera  à  tel  ou  tel  point  de  cette  ligne.  A  toute  époque  on  peut 
noter, sur  cette  ligne, un  point  qui  représente  le  niveau  moyen  minimum 
de  moralité  exigible  et  qui  constitue  le  devoir  au  sens  étroit  du  mot, 
le  devoir  qui  s'impose  immédiatement  à  nous  et  que  nous  ne  pouvons 
transgresser  sans  nous  mettre  en  conflit  avec  la  conscience  morale  de 
notre  temps.  Mais  la  tâche  morale  de  l'humanité  est  infinie  comme 
est  infini  le  domaine  du  Connaissable.  Seule  la  religion,  c'est-à-dire 
la  conscience  de  notre  identité  dernière  avec  Dieu,  nous  permet 
«  d'anticiper  en  idée  l'accomplissement  de  la  loi  morale  ».  Ainsi  l'Hu- 
manisme et  la  Religion,  l'identification  du  moi  individuel  avec  l'uni- 
versalité des  hommes  et  enfin  avec  l'Être  universel  sont  les  deuxdegrés  ^ 
supérieurs  de  la  moralité,  par  lesquels  l'instinct  moral  prend  cons- 
cience de  lui-même  comme  volonté  de  connaître  l'Etre  dans  sa  tota- 
lité, comme  volonté  de  vérité. 

La  théorie  de  M.  S.  est  à  coup  sûr  très  ingénieuse;  parmi  les  pas- 
sages qui  m'ont  semblé  les  plus  réussis,  je  me  bornerai  à  citer  le 
chapitre  où  M.  S.  montre  comment  la  volonté  de  vérité  implique  le 
renoncement  progressif  à  l'égoïsme  individuel  (p.  104  ss.).  Elle  est 
aussi  d'une  très  grande  élévation  et  représente  à  coup  sûr  ce  qu'on 
pourrait  appeler  le  «  pari  »  moral  d'un  grand  nombre  d'entre  les 
esprits  les  plus  cultivés  de  notre  temps.  Il  ne  faut  pas  se  dissimuler, 
d'ailleurs,  qu'elle  rencontrera  nécessairement  de  sérieuses  résistances. 
Elle  est  d'abord  —  et  l'auteur,  très  courageusement,  n'a  eu  garde  de 
le  dissimuler  —  une  morale  aristocratique.  M.  S.  ne  fait  aucune  dif- 
ficulté d'avouer  que  la  morale  du  penseur  est  d'un  degré  plus  élevé 
que  celle  du  paysan  (p.  140),  ou  encore  que  Thétéronomie  soit  poli- 
tique, soit  religieuse  est,  à  tout  jamais  probablement,  le  lot  de  la  plus 
grande  partie  de  l'humanité  (p.  145).  Il  ne  peut  manquer,  dès  lors, 
d'avoir  contre  lui  Vinstinct  moral  d'un  grand  nombre  d'hommes  pour 
qui  l'égalité  de  tous  les  êtres  humains,  quel  que  soit  leur  degré  de  cul- 
ture, devant  la  loi  du  devoir  est  une  certitude  immédiate  et  absolue. 
—  Puis  elle  repose  en  dernière  analyse  sur  une  théorie  de  la  volonté 
qui  soulèvera  bien  des  objections.  Pour  M.  S.  la  volonté  est  la  faculté 
purement  formelle  (et,  semble-t-il,  identique  chez  tous  les  individus) 
en  vertu  de  laquelle  l'homme  tend  nécessairement  vers  l'objet  qui  lui 
apparaît  comme  devant  lui  procurer  le  plus  de  satisfaction.  Supposez 
au  contraire  que  la  volonté  soit  un  principe  actif,  une  force,  qui  dif- 
fère soit  au  point  de  vue  de  la  qualité  soit  au  point  de  vue  de  la  quan- 
tité chez  les  divers  individus  :  il  devient  aussitôt  possible  de  chercher 


D  HISTOIRE    ET   DE    LITTÉRATURE  427 

le  principe  de  la  moralité  non  plus  seulement  dans  la  nature  des  mo- 
tifs auxquels  obéit  la  volonté,  mais  dans  la  constitution  intime  de  cette 
volonté  elle-même;  et  nous  aboutissons  à  une  théorie  très  différente 
de  celle  de  M.  S.  Or  il  ne  m'apparaît  pas  que  M.  S.  ait  démontré 
d'une  façon  suffisante  l'impossibilité  d'une  hypothèse  de  ce  genre,  ni 
même  que  cette  impossibilité  soit,  d'une  manière  générale,  démon- 
trable. De  sorte  que,  en  définitive,  le  système  de  M.  S.  m'apparaît 
moins  comme  une  démonstration  scientifique  de  l'existence  d'une 
morale  objective  que  comme  un  acte  de  foi.  Ce  qui,  d'ailleurs,  ne  lui 
enlève  à  mes  yeux  rien  de  son  intérêt  ni  de  sa  valeur. 

Henri   Lichtenberger. 


—  Dans  une  brochure  de  20  pages,  intitulée  Vincendio  di  Roma  c  i  primi  Cliris- 
tiani,,  M.  Carlo  Pascal  s'efforce  de  montrer  que  l'incendie  qui  dévora  en  64  ap. 
J.-C.  la  plus  grande  et  la  plus  belle  partie  de  Rome  fut  allumé,  non  pas  sur  les  ordres 
de  Néron,  mais  par  les  chrétiens  ou  du  moins  par  ceux  d'entre  eux  qui  avaient 
pris  Rome  en  horreur  et  qui  croyaient  qu'en  provoquant  la  fin  du  monde  ils  assis- 
teraient plus  tôt  au  règne  de  la  justice  divine.  L'auteur  rappelle  en  outre  que  parmi 
les  premiers  chrétiens  de  Rome  il  y  avait  beaucoup  d'esclaves,  de  soldats,  d'aff"ran- 
chis,  beaucoup  de  gens  aigris,  «  quel  sostrato  tenebroso  délia  società  die  spunta 

ftiori  solo  nei  giorni  piti  torbidi,  giiingendo  ad  ogni  eccesso,  cui  spingano  le  bieche 
passioni  e  i  rancori  hmgamente  soffocati.  »  Il  conclut  que  l'incendie  de  Rome  fut 
allumé  par  eux,  et  n'est  pas  éloigné  de  croire,  d'après  certaines  expressions  de 
l'Apocalypse  et  de  Tertullien,  que  les  chrétiens  s'en  vantèrent  plus  tard.  Son  opus- 
cule est  d'une   lecture  intéressante  ;  mais  il  ne  convaincra  pas  tout  le  monde.  — 

J.   TOUTAIN. 

—  Le  professeur  F.  Knoke,  d'Osnabrùck,  supporte  malaisément  la  critique;  elle 
paraît  lui  être  surtout  désagréable  sous  la  plume  de  M.  Schuchhardt,  directeur 
du  Musée  de  Hanovre.  La  plaquette  intitulée  Die  rômischen  Forschungen  im 
no*-dwestliclien  Deutscliland,  que  vient  de  publier  M.  Knoi<e,  nous  met  au  courant 
de  la  lutte  qui  s'est  engagée  sur  ce  sujet  entre  les  deux  savants  allemands.  Nous 
ne  savons  si  cette  lutte  passione  les  érudits  de  l'Allemagne;  mais  le  récit  que 
M.  Knoke  nous  en  fait  nous  paraît  peu  intéressant  et  pour  des  lecteurs  français 
et  pour  la  science.  Ces  récriminations  personnelles,  ces  lourdes  railleries,  ces 
ripostes  indignées  sont  dépourvues  de  tout  agrément.  —  J.  Toutain. 

—  Sous  le  titre  Découverte  et  évolution  cartographique  de  Terre-Neuve  et  des 
pays  circonvoisins  1 4g7-i 5oo-i  76g.  Essais  de  géographie  historique  et  docu- 
mentaire. (Paris,  Wclter,  avec  26  planches  hors  texte,  dont  10  héliogravures 
(3  empruntées  à  la  Discovery)  ;  162  extraits  en  fac-similés  de  cartes  originales  des 
XVI»  et  xvii*  siècles,  la  plupart  inédites.  Prix  :  70  francs)  M.  Henry  Harrisse  pu- 
blie un  nouvel  et  important  ouvrage  où  l'on  retrouve,  comme  dans  VHistory  of 
the  Discovery  of  North-America  et  ses  autres  livres,  un  appareil  de  faits  précis, 
une  foule  d'analyses  consciencieuses  et  une  profonde  connaissance  de  toutes  Icssour- 
ces.  On  sait  la  méthode  de  l'auteur  :  représenter  un  pays  dans  ses  détails  comme 
dans  sa  totalité,  d'après  les  tracés  qui  en  ont  été  faits,  aussi  loin  que  les  monu- 
ments de  la  cartographie  arrivés  jusqu'à  nous  le  permettent  ;  taire  ainsi  la  chro- 


428  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

nologie  graphique  des  principales  configurations,  du  cours  des  fleuves,  de  rem- 
placement des  villes  et  des  ports,  à  toutes  les  époques  selon  l'idée  que  les  anciens 
géographes  en  avaient  conçue;  dresser,  pour  achever  la  démonstration,  une 
série  raisonnée  de  tableaux  comparatifs  des  parties  les  plus  saillantes,  empruntées 
aux  cartes  originales  de  provenances,  de  factures  et  de  dates  diverses  ;  reviser, 
compléter  et  établir  les  nomenclatures  dans  leurs  modifications  successives,  même 
sous  les  formes  souvent  inintelligibles  ou  erronées  que  présentent  la  plupart  des 
documents,  puisque  chaque  nom  peut,  malgré  de  profondes  déformations,  servir 
de  point  de  repère  qui  permet  de  remonter  à  l'origine  et  de  fixer  la  filiation  des 
cartes  et  des  portulans  ;  coordonner  ces  éléments  en  combinant  les  faits  analysés 
et  en  retraçant  leur  point  de  départ,  leurs  rapports  et  leurs  transformations.  Telle 
est  la  méthode  que  M.  H.  Harrisse  applique  encore  dans  cet  ouvrage.  11  suffit 
d'ailleurs  de  reproduire  la  table  des  matières.  Après  une  introduction  sur  Les 
Sources  (Anglais,  Portugais,  Français,  Espagnols,  Basques,  Hollandais),  vient  la 
première  partie,  de  Juan  de  La  Cosa  à  Gaspar  Viegas  1 5oo-i534).  Elle  com- 
prend vingt-deux  chapitres,  i.  Les  premières  hypothèses  ;  11.  Découverte  du  con- 
tinent par  Jean  Cabot;  ni.  Le  planisphère  de  La  Cosa;  iv.  Examen  technique  de 
la  carte  de  La  Cosa;  v.  L'hydrographie  américano-portugaise  en  i5oo  ;  vi.  Le  pla- 
nisphère dit  de  Cantino  ;  vu.  Voyages  de  Gaspar-Corte-Real;  viii.  Découverte  de 
Terre-Neuve;  ix.  Première  description  de  Terre-Neuve  ;  x.  Première  nomenclature 
terre-neuvienne;  xi.  Premier  développement  cartographique;  xii.  Terre-Neuve 
région  asiatique  ;  xiii.  La  cartographie  lusitano-italique  ;  xiv.  Terre-Neuve  région 
américaine;  xv.  Premier  tracé  de  la  côte  continentale;  xvi.  Le  passage  du  Nord- 
Ouest  ;  XVII.  Tracé  complet  de  la  côte  Nord-Est  ;  xviii.  Les  cartes  franco-italiques  ; 
XIX.  Premier  morcellement  de  Terre-Neuve  ;  xx.  Dernières  cartes  portugaises  avant 
Cartier;  xxi.  L'hydrographie  lusitano-espagnole  ;  xxii.  Cap-Breton  et  le  golfe  Saint- 
Laurent.  La  seconde  partie,  de  Jacques  Cartier  au  capitaine  Cook  {i 534-1  j6g), 
se  compose  de  vingt-six  chapitres;  i.  Découverte  du  détroit  de  Belle-Isle  ;  ii-x. 
La  cartographie  américano-dieppoise  :  son  développement;  ses  traits  caractéris- 
tiques; la  Terre  de  Norembègue,  légende  dieppoise  ;  l'Ile  Saint-Jean;  les  indi- 
gènes, descriptions  de  visu  ;  chronologie  des  œuvres  américano-dieppoises  ;  Tracés 
dieppois  du  fleuve  Saint-Laurent  ;  tracés  dieppois  des  lacs  ;  tracés  dieppois  du 
Labrador;  tracés  dieppois  de  Terre-Neuve  ;  première  nomenclature  de  la  Nouvelle- 
Ecosse;  xi-xii.  Configurations  progressives  :  Giovanni  Benedetto  et  Jehan  Alphonse  ; 
Vallard  et  les  derniers  Desceliers;  xiii.  Cartes  liisitano-françaises  ;  Première  hé- 
sitation cartographique  ;  XV.  Dérivés  italiens;  xvi.  Nouvelles  cai tes  normandes; 
XVII.  Gérard  Mercator;  xviii-xix.  Détails  géographiques  de  Terre-Neuve  :  La  pénin- 
sule d'Avalon  ;  La  péninsule  du  Petit-Nord  ;  xx.  Les  cartographes  hollandais  et 
belges;  xxi.  Les  cartographes  français;  xxii.  Les  cartographes  anglais;  xxiii.  Cartes 
originales  françaises  manuscrites  ;  xxiv-xxv.  L'hydrographie  franco-canadienne  : 
Jean-Baptiste  Franquclin;  la  belle  carte  du  Dépôt;  xxvi.  Le  xviii'  siècle  :  le  mar- 
quis de  Chabert  et  le  capitaine  Cook.  L'ouvrage  se  termine  par  une  nomencla- 
ture chronologique  et  raisonnée  de  tous  les  noms  de  lieux  et  en  leurs  formes 
diverses,  du  Labrador,  de  Terre-Neuve  et  des  pays  circonvoisins,  depuis  la  décou- 
verte jusqu'à  la  fin  du  xvi»  siècle,  et  par  un  index  général.  —  A.  C. 

Propriétaire-Gérant  :  Ernest  LEROUX. 
Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


i 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 


N°  49  —  3  décembre  —  1900 


HocK,  Les  légendes  des  vampires.  —  Blaydes,  Les  Euménides  d'Eschyle;  Adver- 
saria  sur  Sophocle.  —  Plech,  Chrysostomc.  —  Rov,  Nicolas  I'"'.  —  Le  P.\lenc 
et  DoGNON,  Lézat.  —  Pocquet,  Le  duc  dWiguillon  et  La  Chalotais.  —  Lang- 
MESSER,  Sarasin.  —  Tuiard,  Souvenirs,  p.  Lex.  —  Bonneval,  Mémoires.  — 
Pulci,  Le  Morgante,  p.  Volpi.  —  L'assemblée  extraordinaire  des  États  finlan- 
dais; Getz,  Les  rapports  entre  la  Russie  et  la  Finlande  ;  Le  droit  de  la  Finlande 
et  son  service  militaire;  Hermanson,  La  Finlande.  —  Fecuner,  Nanna  ou  la  vie 
des  plantes.  — Raoul  Rosières.  —  Meusel,  César.  —  Petschenig,  Choix  d'Ho- 
race. —  Stowasser,  Lexique  latin-allemand.  —  Tropea,  Les  écrivains  de  l'His- 
toire Auguste.  — Cantarei.li,  Mélanges.  —  Bonnet  et  Gâche,  Stylistique  latine, 
3t  éd.  —  Concours  Hoeufft,  —  Répertoire  archéologique  de  Tarrondissement  de 
Reims.  —  Smith,  Grammaire  du  vieil  anglais. 


Die  Vampyrsagen  und   ibre  Verwertung  in  der  deutschen  Litteratur.  Von 

Dr.  Stefan  Hock.  —  Berlin,  Duncker,  1900.  —  Tome  X\'1I  des  Forscltungoi 
çî»-  neiieren  Litteraturgeschiclite  licrausgeg.  von  Dr.  Franz  Mlncker.  —  In  8, 
xij-i33  p.  Prix  :  3  mk.  40  ;  pour  les  souscripteurs,  2  mk.  85. 

L'étude  semi-historique  semi-littéraire  de  M.  Hock  se  divise  en 
deux  parties.  Dans  la  première,  il  traite  des  légendes  relatives  aux 
vampires,  de  l'origine  de  leur  nom  venu  du  slave  ',  sur  laquelle  au 
surplus  il  n'apporte  aucune  lumière  nouvelle,  et  des  principaux 
ouvrages  que  les  xvn^  et  xvni«  siècles  surtout  consacrèrent  au  vampi- 
risme. Cette  section  est  de  beaucoup  la  plus  instructive  :  il  est  piquant 
de  lire  les  longs  titres  des  traités  qui  instituèrent  de  doctes  contro- 
verses (p.  44  sq.),  non  pas  sur  le  point  de  savoir  s'il  y  avait  ou  non 
des  vampires,  —  car  cela  ne  faisait  guère  pour  personne  l'ombre  d'un 
doute,  —  mais  sur  l'explication  qu'il  convenait  d'assigner  à  leur  mal- 
laisance  surnaturelle.  Quant  à  la  source  même  de  la  croyance  aux 
vampires,  l'auteur  l'estime  double  :  il  y  voit  une  contamination  des 
superstitions  qui  se  rattachaient  au  cauchemar  et  des  fables  sur  les 
revenants.  C'est  bien  cela  ;  mais  il  eût  pu  y  joindre  un  troisième  élé- 


I.  M.  H.    rappelle  que  l'usage  de  boire  le  sang  des  cadavres  ennemis  p.  2)  a  pu 

donner  naissance   aux  premiers  contes  vampiriques.  Or  il  est  remarquable  que 

cette  coutume  nous  soit  précisément  attestée  des  anciens  Scythes,  qui  sont,  sinon 

'les    ancêtres  directs,    au    moins    les    bien     proches    parents   des  SI.ivc*  :  Ponip. 

Mêla,  II,  I. 


43o  REVUE  CRITIQUE 

ment,  en  se  souvenant  que,  dans  la  Nekyia  de  l'Odyssée,  les  ombres 
défilent  d'abord  inertes  et  inconscientes,  et  que  la  propre  mère 
d'Ulysse  ne  le  reconnaît  qu'après  avoir  «  bu  du  sang  ».  Rien  de  plus 
logique  ;  car,  «  le  sang,  c'est  l'àme  »,  disait  déjà  le  législateur  hébreu, 
et  toute  l'antiquité  a  partagé  cette  croyance  '. 

Dans  la  seconde  partie,  M.  Hock  énumère  et  résume  les  principales 
œuvres  d'imagination,  toutes  fort  modernes,  inspirées  par  la  légende 
des  vampires.  C'est  la  Fiancée  de  Corinthe  qui  ouvre  la  liste..  Sa 
bibliographie  est  complète  et  bien  informée,  et  ses  appréciations,  en 
général,  mesurées  et  judicieuses  \ 

V.  Henry. 


AeschyliEumenides.  Annotatione  critica  et  commentario  exegetico  instruxitFre- 
dericus  H.  M.  Blaydes.  Halis  Saxonum  in  Orphanotrophei  libraria,  igoo.  Un  vol. 
in-8»  de  x-i52  p. 

Adversaria  critica  in  Sophoclem.  Scripsit  ac  collegit  Fr.  H.  M.  Blaydes,  ibidem, 

1899.  ^'^  ^°''  ii'^"^°  ^^  IV-291  p. 

Dans  le  n^^  du  5  février  de  cette  Revue  nous  rendions  compte  de 
deux  publications  nouvelles  de  M.  Blaydes,  une  édition  des  Choé- 
phores  d'Eschyle  et  un  volume  d'Adversaria  critica  sur  Aristophane. 
A  quelques  mois  d'intervalle,  M.  B.  nous  donne  encore  deux  nou- 
veaux livres,  une  édition  des  Eiiménides  et  un  volume  à' Adversaria 
sur  Sophocle.  Notez  que  dans  la  préface  d'un  volume  d' Adversaria  in 
varias poetas  graecos  et  latinos,  préface  datée  de  1897,  M.  B.  se  disait 
octogénaire;  plus  tard  il  se  plaignait  de  sa  santé.  On  voit  que  ni  la 
maladie  ni  la  vieillesse  ne  ralentissent  le  zèle  de  l'infatigable  travail- 
leur. Nous  ne  croyons  pas  que  cette  édition  de  VOrestie,  terminée 
aujourd'hui,  ajoute  beaucoup  à  la  renommée  de  l'auteur;  sa  grande 
œuvre  reste  toujours  cette  édition  d'Aristophane,  qui  lui  a  coûté 
quatorze  années  d'efforts.  Comme  pour  les  œuvres  précédentes  de 
M.  B.,  on  désirerait  qu'il  travaillât  moins  vite;  mais  à  quoi  bon  ces 
regrets  et  ces  critiques?  Il  est  clair  que  M.  B.  ne  changera  pas;  il 


1.  Ce  n"est  pas  contre  «  les  Gandharvas  »  (p.  2)  qu'est  dirigé  l'hymne  védique 
A.  V.  VIII.  6  :  dans  cette  longue  conjuration,  le  Gandharva  n'est  nommé  qu'une 
fois,  et  presque  incidemment,  stance  19,  et  les  êtres  démoniaques  qui  y  sont 
énumérés  portent  les  noms  les  plus  divers  et  les  plus  bizarres,  presque  tous  inex- 
plicables par  l'étymologie  du  sanscrit  et  probablement  étrangers  à  son  vocabulaire. 

2.  A  quelques  exceptions  près  :  le  terme  Fàlschungen  (p.  80)  est  bien  fort  pour 
les  humoristiques  pastiches  de  la  Gu\la,  et  la  très  inoffensive  mystification  de 
Mérimée  n'est  pas  même  un  péché  véniel  ;  à  supposer  que  les  Vampires  de  Nodier 
soient  aussi  mauvais  que  M.  H.  veut  bien  le  dire  (p.  91),  ce  n'est  pas  une  raison 
pour  accabler  dépithètes  désobligeantes  le  charmant  et  profond  conteur  du  SoHg? 
i'or  et  de  la  Fée  aux  Miettes. 


I 


d'histoire  et  de  littérature  43, 

faut  le  prendre  tel  qu'il  est  avec  ses  qualités  et  avec  ses  défauts.  Parmi 
les  nombreuses  corrections  proposées  par  l'auteur  ou  introduites  par 
lui  dans  le  texte,  nous  n'en  citerons  que  quelques-unes  :  v.  139,  {zisa-vé 
t'  ÊÙrTÉpo;,-  au  lieu  de  [xâpaive  h'jzipoir,  272,  tt.v  iraÇtav  oîxr.v  au  lieu  de 
•StXT,;  è-âç'.a;  369,  fiâX'  ÈXaopwc  âXo[jLÉva  au  lieu  de  [lâloi.  yà?  o-iv  àXo[jiéva. 

Le  volume  des  Adversaria  sur  Sophocle  contient  non  seulement 
des  corrections  de  l'auteur,  mais  aussi  des  observations  critiques  de 
toutes  sortes,  citations  de  conjectures  anciennes,  notes  de  grammaire 
et  de  grammairiens,  leçons  des  manuscrits,  etc.;  tout  cela  comme 
toujours  péle-méle.  Trois  tragédies  ont  attiré  plus  particulièrement 
l'attention  de  l'auteur,  ÏŒdipe  Roi,  l'Œdipe  à  Cohue,  VAntigone. 
Dans  ÏŒdipe  Roi,  nous  relevons  les  conjectures  suivantes  :  97, 
iveâo'  ôji  TefJpa[j.|xÉvov  |  ex  ^ficrô'  sXajvE-.v  ;  3  l3,  XOcra-.  ol  Tiàv  [ifaa.aa,  M.  Blavdes 
avait  déjà  proposé  Xôtrov,  il  renvoie  aujourd'hui  à  Eur.  Or.  590,  [JL-ajixa 
XO^a-.  ;  420,  longue  discussion  pour  justifier  la  correction  déjà  connue 
aussi  de  l'auteur.  3of,  oV  -f,  j/,  -oVk  o>/.  ècrra'.  'eXî/.iÔv.  Il  y  a  de  la  confusion 
aux  vers  255  et  suivants;  la  même  note  est  répétée  aux  v.  255  et  261 . 

Albert  Martin. 


Saint  Jean  Chrysostome  (344-407)  par  Aimé  Pl-ech.  Paris,  Lecoffre,  Collection 
"  Les  Saints  »;  igoo,  ni-200  p.,  in-12.  Prix  :  2  fr. 

Le  Chrysostome  de  M.  Puech  produit  l'impression  d'une  oeuvre 
d'art.  La  discrétion  et  la  grâce  du  style,  les  proportions  harmonieuses 
des  divers  chapitres,  leur  distribution  heureuse,  la  finesse  des  analyses 
font  de  cette  vie  de  saint  un  livre  choisi.  Malheureusement  la  statuette 
est  un  peu  grêle  pour  le  héros.  Ce  n'est  pas  la  faute  de  l'auteur.  Le 
cadre  de  la  collection  est  un  moule  uniforme,  et  l'on  y  fait  passer 
saint  Jean  Chrysostome  aussi  bien  que  sainte  Geneviève.  Ceux  qui,  à 
la  dernière  page,  ne  seront  pas  encore  satisfaits,  prendront  la  thèse  de 
M.  P.  sur  Chrysostome  et  les  mœurs  de  son  temps.  Comme  c'était 
son  droit,  le  biographe  y  a  puisé  tout  le  premier.  Mais  sur  la  jeunesse 
et  l'épiscopat  du  saint,  il  entre  dans  de  plus  longs  et  de  nouveaux 
détails.  Cette  première  étude  l'avait  préparé  à  juger  avec  équité  l'évéque 
de  Constantinople.  Dans  ses  conflits  avec  les  puissants,  Jean  eut 
parfois  des  allures  provocantes.  M.  Puech  les  explique;  il  a  su 
trouver,  avec  une  justesse  que  n'ont  pas  eue  toujours  ses  devanciers,  les 
raisons  intérieures  des  hardiesses  de  Chrysostome  et  leur  conciliation 
avec  le  reste*  de  sa  vie  et  de  sa  prédication.  Ce  petit  livre  est  donc 
surtout  précieux  en  ce  qu'il  enferme  l'àmc  tendre  et  passionnée  du 
premier  des  anciens  f)rateurs  chrétiens. 

Paul  Lejay. 


432  REVUE    CRITIQUE 

Saint  Nicolas  I".  par  Jules  Roy.  Paris,  LecofFre,  1899;  xxxix-iyS  pp.,  in- 12. 

Les  volumes  de  la  collection  «  Les  Saints  »  se  suivent  et  ne  se  res- 
semblent pas.  Quelques-uns  ont  un  véritable  charme  dû  au  talent 
littéraire  de  leurs  auteurs.  On  n'en  pourrait  dire  autant  de  celui-ci. 
L'introduction  est  une  compilation  tirée  des  histoires  de  l'Eglise 
d'Alzog,  de  Krauss  et  de  Funk.  La  première  partie,  récit  des  faits  du 
pontificat,  ressemble  trop  à  un  recueil  de  notes  et  d'analyses  de  pièces. 
Quelle  que  soit  l'importance  de  la  lettre  86  de  Nicolas,  les  lecteurs 
ordinaires  de  la  collection  auront  de  l'impatience  à  parcourir  les 
24  pages  qui  lui  sont  sacrifiées.  M.  Roy  n'a  pas  l'air  de  se  douter 
qu'elle  est  filandreuse  et  monotone.  La  deuxième  partie,  consacrée 
aux  idées  de  Nicolas  I^""  et  à  ses  décisions  disciplinaires,  est  parfois 
trop  abstraite.  Elle  aurait  gagné,  sur  nombre  de  points,  à  être  fondue 
avec  la  première  ;  même  le  sens  de  certaines  paroles  du  pape  se  serait 
éclairci  par  les  circonstances.  Ainsi,  p.  121,  M.  R.  va  Jusqu'à  dire 
que  Nicolas  I^""  s'est  rapproché  du  système  de  la  séparation  de  l'Eglise 
et  de  l'Etat.  La  citation  qu'il  apporte  à  l'appui  est  tirée  de  la  lettre  86 
(Migne,  P.  L.,  t.  119,  col.  960J.  Or  cette  lettre  est  adressée  à  l'empe- 
reur Michel  qui  soutenait  Photius  contre  le  pape  et  la  décision  du 
synode  romain  de  863.  Nicolas  s'efforce  naturellement  de  soustraire 
les'choses  spirituelles  à  l'intervention  de  l'empereur  et  il  insiste  ici 
sur  la  distinction  des  deux  ordres.  C'est  son  jeu.  Mais  il  se  gardera 
bien  de  rappeler  cette  distinction  quand  lui-même  voudra  intervenir 
dans  les  affaires  temporelles,  dans  les  partagesdes  princes  carolingiens 
par  exemple. En  l'ensemble,  le  volume  est  donc  terne  et  la  personnalité 
si  vivante  de  Nicolas  I^^"  ne  se  dégage  pas.  Tout  autres,  plus  incisives 
et  découpées  comme  en  relief,  sont  les  quelques  pages  consacrées  au 
même  pape  par  M.  Duchesne  dans  les  Premiers  temps  de  l'Etat  pon^ 
tifical  [Rev.  d'hist.  et  de  littérat.  religieuses^  1,  324  sqq..  Il  est  cepen- 
dant regrettable  que  M.  R.  ait  si  peu  parlé  d'Anastase.  Ce  secrétaire 
joua  un  rôle  qu'il  importait  de  préciser  et  de  distinguer  de  l'action  du 
pape.  En  revanche  M.  R.  nous  donne  de  bonnes  analyses  et  des  ^ 
résumés  compétents  de  textes  canoniques.  Dans  la  IP  partie,  sur  la 
législation  du  mariage  (pp.  89  sqq.),surla  question  des  appels  au 
pape  (pp.  106  sqq.),  on  retrouve  la  précision  d'un  homme  qui  manie 
des  idées  et  des  textes  familiers.  Le  plus  neuf  du  livre  concerne  les 
fausses  décrétales.  M.  R.  montre  que  si  Nicolas  a  pu  les  connaître,  il 
ne  s'en  est  pas  servi  pour  appuyer  ses  prétentions.  Une  table  des  réfé- 
rences est  en  réalité  une  étude  sommaire  des  sources.  Tout  cela  parait 
solide  et  fait  bien  augurer  du  livre  plus  érudit  que  M.  Roy  veut 
donner  sous  le  titre  :  LÉglise  et  l'État  sous  le  gouvernement  de 
Nicolas  /«■■.  Dans  un  ouvrage  de  science,  l'auteur  sera  évidemment 
plus  à  son  aise.  ^*, 

Manuel  Dohl,  t" 


I 


d'histoire  et  de  littérature  433 

Ch.  Le  Palenc  et  P.  DociNON.  Lézat,  sa  coutume,  son  consulat.  Toulouse,  Ed. 
Privât,  1899,  in-S"  de  lxvh-i23  p.,  avec  cane  et  planches  hors  texic. 

La  publication  de  la  coutume  de  Lézat  par  MM.  Le  Palenc  et 
P.  Dognon  peut  être  donnée  comme  modèle.  Le  texte  en  est  établi 
avec  le  plus  grand  soin,  d'après  un  manuscrit  dont  la  lecture,  à  en 
Juger  par  le  fac-similé  qui  se  trouve  dans  l'ouvrage,  présentait  de 
grandes  difficultés.  En  regard,  une  traduction  précise  et  qui  nous 
paraît  presque  de  tous  points  irréprochable.  Encore,  dans  les  rares 
passages  où  nous  aurions  donné  au  texte  une  interprétation  différente,  ' 
ne  sommes-nous  pas  assez  sûr  de  notre  manière  de  voir  pour  la  pro- 
poser ici.  Des  notes,  remplies  de  citations  et  de  faits,  renvoyées  à  la 
fin  de  l'ouvrage  ;  une  table  des  expressions  techniques  ou  purement 
locales,  traduites  et  interprétées  ;  enfin  une  carte  des  localités  en  ques- 
tion et  la  reproduction  en  photogravure  de  deux  vues  très  curieuses, 
l'une  de  la  ville  de  Lézat,  l'autre  du  château  d'Esperce,  d'après  un 
parchemin  du  xv<:  siècle  et  qui  «  illustrent  »  singulièrement  les  textes 
du  moyen  âge  où  nous  cherchons  à  retrouver  les  lignes  principales 
de  la  formation  des  villes,  —  complètent  cette  belle  publication  qui 
donnerait  satisfaction  aux  plus  exigeants. 

Une  introduction,  où  l'on  retrouve  le  style  et  les  idées  du  savant 
auteur  des  Institutions  politiques  et  administratives  du  pays  de  Lan- 
guedoc, retient  plus  particulièrement  l'attention.  Cette  introduction, 
comme  tout  ce  qui  sort  de  la  plume  de  M.  P.  Dognon,  est  remplie 
d'idées  personnelles,  directement  inspirées  par  une  étude  attentive  des 
textes.  La  plupart  de  ces  idées  sont  d'une  grande  clarté  et  évidemment 
justes.  D'autres...  n'est-ce  pas  leur  rendre  hommage  que  de  les  dis- 
cuter? 

La  charte  date  de  1299;  mais  le  préambule  indique  que  les  cou- 
tumes en  question  étaient  observées  «  dès  la  plus  haute  antiquité  ». 
Arthur  Giry  écrivait  déjà  que  la  «  charte  de  coutume,  très  tardive  dans 
les  villes  du  midi,  fut  moins  une  concession  de  privilèges  nouveaux 
que  la  consécration  et,  tout  au  plus,  l'extension  de  franchises  an- 
ciennes ».  La  charte  de  Lézat  est  originale.  Ce  n'est  pas  une  «  filiale  », 
issue  d'une  autre  coutume,  voisine  ou  lointaine.  L'origine  de  la  ville 
est  une  sauveté,  près  le  monastère  de  Lézat  soumis  à  la  règle  de  saint 
Benoît,  alors  un  des  plus  beaux  monastères  de   France.  La  région 
était  couverte  d'épaisses  forêts,  les  bêtes  sauvages  y  pullulaient.  La 
contrée  était  infestée  de  bandits  de  toute  sorte.  La  sauveté  fut  fondée 
par  l'abbavc  .pour  servir  de  protection  et  d'abri  au  travail  agricole  et 
de  défense  contre  les  bandes  de  pillards,  comme  la  plupart  des  sauve- 
tés,  puis  des  bastides  du  sud-ouest  de  la  P^rance. 

«  Observons  tout  d'abord,  écrivent  les  éditeurs  de  la  coutume  de 
Lézat,  que  c'est  dans  une  seigneurie  rurale  que  l'institution  est  née. 
Qu'on  lise  la  charte,  on  n'y  verra  pas  figurer  d'autres  ouvriers  que  les 


i|.34  REVUE    CRITIQUE 

forgerons  de  la  forge,  les  meuniers,  les  fourniers  des  moulins  et  fours 
banaux  du  seigneur,  et  des  bouchers,  des  boulangers,  ceux  dont  un 
centre  agricole  ne  peut  se  passer.  D'ailleurs,  pas  trace  d'une  indus- 
trie, ni  d'un  commerce,  si  ce  n'est  celui  des  revendeurs  et  des  mar- 
chands de  vin,  de  denrées,  de  bétail.  Ce  consulat  avait  été  fait,  non 
pour  les  corporations  d'une  ville  industrielle,  mais  pour  des  cultiva- 
teurs, des  propriétaires,  population  peu  dense,  groupée  tardivement 
près  d'une  abbaye,  vivant  dans  l'enceinte  que  nous  avons  ci-dessus 
délimitée  ».  Et  cependant  Lézat  est  une  ville,  avec  sa  clôture  de  dé- 
fense, son  hôtel  de  ville,  son  consulat,  son  sceau  municipal,  ses  re- 
gistres et  ses  privilèges  municipaux.  Nouvel  exemple  qui  suffirait  à 
culbuter  la  théorie  récemment  produite  de  la  formation  des  villes  par 
les  marchands,  la  moins  raisonnable  d'ailleurs  de  toutes  les  théories 
émises  sur  cette  question. 

Arrivant  à  l'étude  du  Consulat,  nos  auteurs  observent  encore  de  la 
manière  la  plus  heureuse  que  c'est  erreur  de  croire  que  le  ressort  des 
consulats  ne  dépassait  pas  les  murailles  des  cités.  «  C'est  qu'on  n'a 
guère  étudié,  disent-ils,  que  les  vieilles  et  grandes  villes  du  moyen 
âge,  celles  qui,  pour  la  plupart,  en  raison  même  de  leur  importance, 
formaient  à  elles  seules  une  seigneurie,  ou  bien  étaient  partagées  en 
deux,  en  trois  et  n'avaient  point  de  dépendance,  de  territoire  étendu.  » 
Une  autre  cause  d'erreur  est  que  souvent  la  ville  capitale  est  prise, 
dans  les  textes,  pour  la  seigneurie  tout  entière.  Ces  observations  sont 
très  justes.  On  peut  même  citer  des  exemples  de  «villes»  qui  n'avaient 
pas  de  «  capitale  »  —  cette  manière  de  s'exprimer  semble  bizarre  —  et 
comprenaient,  avec  une  organisation  consulaire,  huit  ou  dix  villages 
.répandus  sur  un  territoire  étendu. 

L'idée  si  juste  de  M .  D.  que  c'est  le  pouvoir  seigneurial,  ou, 
pour  parler  plus  exactement,  le  «  patronat  »  qui  a  formé  les  villes  du 
moyen  âge,  l'a  entraîné  trop  loin,  et  dans  cette  introduction  à  la  cou- 
tume de  Lézat,  il  revient  avec  une  ténacité  nouvelle  à  la  conception 
qui  représente  le  pouvoir  consulaire  comme  une  émanation  et  une 
délégation  du  pouvoir  seigneurial.  Il  estime  même  avoir  dans  ce  nou- 
veau travail,  apporté  à  sa  thèse  des  arguments  décisifs.  Examinons-les 
un  à  un  : 

10,  —  Lézat  avait  quatre  consuls,  dont  trois  à  la  nomination  du  con- 
sulat sortant  par  l'intermédiaire  de  jurats,  et  un  à  la  nomination  de 
l'abbé  seigneur  de  la  ville.  Ce  droit  absolu  de  nommer  un  des  con- 
suls, concluent  nos  auteurs,  peut  être  considéré  comme. un  reste  de 
celui  que  l'abbé  devait  avoir  autrefois  de  les  choisir  tous.  —  Pure 
hypothèse,  répondra-t-on.  Nous  voyons  au  contraire  dans  cette  jux- 
taposition de  l'élément  communal  et  de  l'élément  seigneurial  un 
indice  de  l'origine  municipale  des  trois  consuls  nommés  par  les 
habitants. 

2°.  —  Les  consuls  prêtaient  à  l'abbé  suzerain,  en  signe  de  tenure  et 


I 


d'histoire  et  de  littérature  4? 5 

de  dépendance,  un  serment  qui  rappelle  de  tous  points  l'hommage 
que  rendait  à  son  suzerain  le  vassal  recevant  un  Hef.  Cette  observa- 
tion, selon  nos  auteurs,  suffirait  à  révéler  la  source  d'où  jadis  était 
sortie  l'autorité  consulaire.  — Cette- cérémonie  montre  tout  simple- 
ment que  les  abbés  de  Lézat  étaient  les  seigneurs  de  la  ville,  et  que  les 
consuls,  représentants  des  habitants,  se  prêtaient  à  la  cérémonie  de 
l'hommage  lors  de  leur  entrée  en  fonction.  M.  D.  croit-il  pou- 
voir affirmer  qu'au  moyen  âge  tous  les  pouvoirs  constitués  qui  ren- 
daient hommage  à  un  pouvoir  suzerain,  tenaient  de  lui  leur  autorité  ? 

En  ce  cas  tous  les  pouvoirs  auraient  été  une  émanation  de  l'autorité 
royale  puisque  tous,  hiérarchiquement,  y  aboutissaient.  Or  il  n'est 
plus  nié  que  le  mouvement  se  fût  produit  en  sens  contraire.  Loin 
d'être  émanées  du  pouvoir  royal,  ce  ne  fut  qu'avec  le  temps  que  les 
autorités  locales  y  convergèrent.  II  paraît  ainsi  impossible  de  faire 
état  de  ce  second  argument. 

3°  —  Nos  auteurs  trouvent  une  troisième  preuve  à  leur  thèse  dans 
cette  juxtaposition  et  collaboration  fréquente,  dans  la  vie  communale, 
du  viguier,  représentant  de  l'autorité  épiscopale,  et  des  consuls.  Mais 
dans  cette  juxtaposition  et  collaboration  même  nous  voyons  au  con- 
traire une  marque  de  la  différence  des  origines.  Si  les  origines  avaient 
été  identiques,  la  fusion  se  serait  produite. 

40  —  Un  quatrième  fait,  auquel  les  éditeurs  de  la  coutume  de  Lézat 
semblent  attacher  une  grande  importance,  est  dans  la  perception  par 
l'abbé  des  amendes  et  de  tous  les  profits  de  la  justice  rendue  par  les 
consuls.  Ces  profits  constituaient  simplement  un  des  avantages  que 
l'abbé,  seigneur,  fondateur  et  organisateur  de  la  commune,  s'était 
réservés.  Le  titre  LX  de  la  coutume  est  d'ailleurs  une  réfutation 
péremptoire  de  ce  quatrième  argument  :  on  y  voit  qu'en  certains  cas 
les  serviteurs  et  gens  de  l'abbaye  sont  appelés  à  verser  le  produit  des 
amendes  auxquelles  ils  peuvent  être  condamnés  par  les  messeguiers... 
aux  consuls  représentants  de  la  commune.  Pour  suivre  le  raisonne- 
ment de  M.  D.  il  faudrait  en  conclure  que  l'origine  de  la  juridiction 
exercée   par    les    messeguiers   sur  les    gens   de   l'abbé  était    dans  le 

consulat. 

Aux  raisons  nouvellement  produites  en  faveur  de  l'origine  seigneu- 
riale du  consulat,  d'autres  raisons  peuvent  de  la  sorte  être  opposées. 
Et,  d'autre  part,  que  d'arguments  en  faveur  de  l'origine  municipale 
et  sous  la  plume  même  de  M.  Dognon  1 

Une  seule  catégorie  d'hommes  échappe  à  la  juridiction  consulaire  : 
«  les  clercs  et*  donats  recevant  chaque  jour  le  pain  et  le  vin  du  cellier 
abbatial  »  et  les  serviteurs  du  couvent;  ce  qui  serait  surprenant  si  les 
consuls  avaient  été  les  représentants  de  l'autorité  abbatiale. 

«  Et  si  forte  tieret  populatio,  dit  le  titre  XIII  de  la  coutume,  vcl 
bastidainfra  terminos  dicte  ville,  quod  cogniiio  et  decisio  omnium 
causarum  criminalium  et  civilium,  exceptis  causis  fcodalibus,  ad  dic- 


436  REVUE    CRITIQUE 

tos  consules  partineat,  prout  est  superius  ordinatum  ».  M.  D.  trouve 
une  raison  bien  compliquée  à  cet  «  exccptis  causis  feodalibus  ».  N'y 
verra-t-on  pas  plus  simplement  que  le  cons-ulat  d'origine  municipale 
n'avait  pas  à  en  connaître  ? 

«  Les  consuls,  écrit  M.  D.  lui-même,  représentent  la  communauté 
en  toute  occurrence;  en  particulier  devant  le  seigneur  ».  Et  ailleurs 
ne  dit-il  pas:  «  Les  consuls  sont  l'organe  essentiel  de  la  communauté 
et  le  support  de  ses  franchises?  »  Il  serait  bien  étonnant  qu'avec  cela 
leur  autorité  fût  émanée  de  celle  de  l'abbé.  Enfin  le  conseil  qui  doit 
assister  les  consuls,  de  qui  est-il  composé  :  de  Tabbé  et  de  ses  gens?  | 
Non  —  de  l'assemblée  des  habitants.  m 

Nous  n'avons  pas  voulu  quitter  le  texte  de  la  coutume  de  Lézat,  si 
brillament  mis  en  lumière  par  MM.  Le  Palenc  et  P.  Dognon  :  il  suffi- 
rait, estimons-nous,  à  faire  adopter  la  théorie  de  l'origine  municipale 
du  consulat,  à  défaut  des  nombreux  textes  pris  au  dehors  et  qui,  à  nos 
yeux  du  moins,  donnent  la  certitude. 

Nous  soumettons  à  notre  tour  nos  objections  à  la  critique  ;  car  nous 
nous  inclinerons  avec  empressement  devant  des  arguments  meilleurs. 

Frantz  Funck-Brentano. 


B.  PocQLET.  Leduc  d'Aiguillon  et  La  Chalotais.  Paris,  Perrin.igoo,  2  vol.in-12 
de  556   et  472  p. 

M.  M .  Marion  a  publié,  il  y  a  deux  ans,  un  ouvrage  très  documenté 
sur  la  Bretagne  et  le  duc  d'Aiguillon,  dans  lequel  il  a  voulu  prouver 
que  l'administration  du  duc  dans  cette  province,  injustement  appré- 
ciée jusqu'alors,  avait  été  en  réalité  excellente.  Il  a  cherché  surtout  à 
justifier  son  héros  des  attaques  dirigées  contre  lui  à  propos  de  l'affaire 
de  Bretagne  de  ijSS-bb,  du  procès  du  procureur  général  La  Chalo- 
tais, et  de  cinq  autres  magistrats  du  Parlement  de  Rennes.  Pour  lui, 
La  Chalotais  et  ses  coaccusés  étaient  des  factieux,  et  s'il  y  eut  de  la 
part  du  gouvernement  de  Louis  X'V^  quelques  maladresses  dans  les 
poursuites  dirigées  contre  eux,  leur  procès  n'en  fut  pas  moins  légitime 
dans  son  principe.  Le  duc  d'Aiguillon,  fort  vilipendé  jusqu'à  ces  der- 
niers temps  par  les  historiens,  n'aurait  joué  dans  cette  affaire  qu'un 
rôle  secondaire  et  ne  se  serait  inspiré  en  tous  cas  que  des  motifs  du 
plus  clairvoyant  patriotisme.  Ces  conclusions,  en  contradiction 
absolue  avec  les  idées  reçues  et  adoptées  par  tous  les  historiens,  ne 
pouvaient  pas  être  admises  sans  difiiculté.  M.  B.  Pocquet,  déjà  connu 
par  des  ouvrages  très  appréciés  sur  les  origines  de  la  Révolution  en 
Bretagne,  vient  d'en  entreprendre  la  réfutation  en  deux  volumes  de 
près  de  5oo  pages  chacun  et  qui  seront  bientôt  suivis  d'un  troisième. 
Pour  mieux  combattre  son  contradicteur,  M.   P.   a  repris  après   lui 


1 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  43- 

l'étude  complète  de  l'adminisiraiion  du  duc  en  Bretagne  et  a  retracé 
à  nouveau  toutes  les  péripéties  du  drame  dont  cette  province  fut  le 
théâtre  jusqu'à  l'exil  de  La  Chalotais  et  de  ses  confrères.  Comme 
M.    Marion,  il  a  consulté  tous  les  documents  que   renferment  nos 
dépôts  publics,  mais  en  outre   il   a  eu  accès  dans   les    archives  de 
nombreuses  familles   de  Bretagne,   héritières  des  fameux  parlemen- 
taires du  xviiic  siècle.  De  là  est  sortie  une  étude  minutieuse,  d'une  lec- 
ture aisée  et  agréable,  agrémentée  encore  de  reproductions  et  de  gra- 
vures intéressantes.  Ce  n'est  pas  que  M.  P.  apporte  un  grand  nombre 
de  pièces  originales,  tâche  qui  du   reste,  après  les  laborieuses  recher- 
ches de  M.  Marion,  était  singulièrement  malaisée.  Mais  il  a  l'art,  par 
une  exposition  très  personnelle  et  vivante,  de  nous  présenter  les  docu- 
ments déjà  connus  sous  un  jour  tout  ditférentde  celui  sous  lequel  son 
prédécesseur  nous  les  avait  montrés.  Pour  lui,  «  les  opposants  bretons 
s'appuyaient  sur  la  légalité  la  plus  certaine  et  le  véritable  factieux, 
c'était  le  duc  d'Aiguillon  >•>  (t.  I,  p.  xxxiv).  La  Chalotais,  regardé  par 
M.  Marion  comme  un  «conspirateur «vulgaire,  redevient  le  magistrat 
éclairé  et  sage,  l'éloquent  défenseur  du  droit  contre  l'oppression,  la 
victime  innocente  d'odieuses. machinations  que  l'histoire  s'était  plu 
depuis  un  siècle  à  glorifier  en  lui.  Sans  doute  la  légende  et  l'esprit  de 
parti  s'étaient  quelque  peu  emparés  de  son  nom,  l'avaient  grandi  outre 
mesure  et  avaient  peint  sous  des  couleurs  trop  sombres  la  conduite  de 
ses  adversaires.  M.  P.  fait  justice  avec  la  plus  entière  bonne  foi  de 
toutes  les  exagérations  et  de  toutes  les  erreurs  qu'une  violente  polé- 
mique avait  fait  naître.  Il  ne  cherche  nullement  à  dissimuler  les  fai- 
blesses, les  petitesses,  peut-on  dire,  du  procureur  général  de  Bretagne, 
il  ne  lui  pardonne  même  pas  ses  célèbres  comptes  rendus  des   consti- 
tutions des  Jésuites,  si  modérés  pourtant  dans  la  forme.  M.  P.  n'ad- 
met pas  davantage  que  la  Compagnie  de  Jésus  ait  cherché  à  se  venger 
du  coup  que  ces  deux  réquisitoires  lui  avaient  porté  :  il  faudra  voir 
dans  un  troisième  volume,  non  encore  paru,  comment  il  peut   arriver 
à  écarter,  dans  l'affaire  Clemenceau  notamment,  toute  intervention  de 
quelques-uns  des  membres   de  cette   société  :   la  preuve,  à  vrai  dire, 
nous  en  semble   difficile  à  apporter.  M.   P.   reconnaît  également  les 
bons  côtés  indiscutables  de  l'administration  de  d'Aiguillon  en  Breta- 
gne ;  il  le  félicite  de  l'organisation  des  milices  garde-côtes  et  du  déve- 
loppement des  voies  de  communication  dans  cette  province.    Il  lui 
restitue  l'honneur  injustement  contesté  de  la  victoire  de  Saint-Cast,  et 
avoue  môme  qu'il  n'est  pas  juste  de  faire  porter  sur   lui   seul  tout   le 
poids  de  l'inrque  procès  des  magistrats  bretons.  L'entourage  du  duc 
d'Aiguillon  et   le  gouvernement  de  Louis  XV  doivent   partager  avec 
lui  cette  lourde  responsabilité.  Mais  M.  P.,  tout  en  faisant  ainsi  de 
grandes  concessions  au  système  de  M.  Marion,  n'en  estime  pas  moins 
que  la  politique  du   duc  fut  le  plus  souvent  injuste  et  violente.  Sans 
souci  des  privilèges  indiscutables  que  la  Bretagne  avait  reçus  lors  de 


438  REVUE    CRITIQUE 

sa  réunion  à  la  couronne  et  que  tant  de  rois  avaient  confirmés,  il  a 
violé  toutes  les  libertés  dont  cette  province  était  fière  et  frappé  sans 
ménagement  une  opposition  patriote.  Qu'il  y  ait  eu  parfois  de  la  part 
des  gentilshommes  et  des  magistrats  bretons  entêtement  étroit  à  sou- 
tenir des  privilèges  surannés,  qu'ils  aient  méconnu  les  vrais  intérêts 
de  la  France  en  luttant  pour  la  défense  des  libertés  de  leur  chère  pro- 
vince, peut-être  :  ils  n'en  étaient  pas  moins  dans  la  légalité  absolue  et 
en  réclamant  le  libre  vote  de  leurs  impôts,  ils  luttaient  pour  le  droit 
contre  l'arbitraire. 

La  Chalotais  et  ses  coaccusés  de  1765  ont  été  poursuivis  et  persé- 
cutés sous  des  prétextes  frivoles  et  mensongers.  M.  P.  les  lave  de  tous 
les  crimes  qui  leur  furent  imputés  et  dont  aucun  ne  supporte  un  exa- 
men attentif.  Il  étudie  avec  le  plus  grand  soin  l'accusation   portée 
contre  La  Chalotais  d'avoir  écrit  les  fameux  billets  anonymes  aussi 
sots   qu'injurieux  adressés  à  Saint  Florentin.    Malgré  le   témoignage 
unanime  des  neuf  experts  consultés  en  1 766,  il  conclut  sans  hésitation 
à  l'innocence  absolue  du  procureur  général.  Signalons  à  ce  propos  à 
M.  P.  un  détail  :  il  a  longuement  recherché  dans  les  archives  publi- 
ques les  originaux  des  billets  anonymes.  Il  se  fût  épargné  cette  peine 
s'il  eût  songé  à  demander  communication  des  papiers  du  bailli  du 
Temple,  Lepaige,  qui  raconte  leur  histoire.  Lepaige  fut  l'avocat  de 
MM.  de  la  Gacherie  et  de  la  Colinière  et  le  conseil  de  La  Chalotais  ; 
de  plus  il  était  l'ami  du  contrôleur  général  Laverdy  et  par  lui   savait 
beaucoup  de  choses.  Il  a  laissé  de  nombreuses  notes  relatives  à  l'af- 
faire   de   Bretagne  qui  l'intéressait  beaucoup,  et   a  même  tenu  un 
journal  des  événements  qui  parvenaient  à  sa  connaissance.  Ce  n'est 
pas  du  reste  le  Journal  des  événements  que  M.  P.  lui  attribue  (t,  II, 
p.  3o8)  et  qui  semble  être  plutôt  l'oeuvre  d'un  avocat  de  Rennes.  Or 
Lepaige  qui  a  joué  par  ses  influences  personnelles  un  rôle  mal  connu 
mais  considérable  sur  l'issue  du  procès  de  Bretagne,  nous  dit  qu'après 
la  décision  prise  par  Louis  XV  d'éteindre  le  procès  des  magistrats  de 
Rennes,  le  roi  demanda  les  deux  billets  anonymes  «  et  après  les  avoir 
examinés  de  près,  les  mit  dans  sa  poche  pour  ne  plus  en  entendre 
parler  ».  Autre  observation  de  détail  :   la  brochure  des  Commissions 
extraordinaires   dont  Voltaire  désirait  connaître  l'auteur  et  qui  fut 
condamnée  par  arrêt  du  Conseil,  est  généralement  reconnue  comme 
l'œuvre  de  Chaillou,  avocat  de  Rennes  et  juriste  très  savant,  qui  suc- 
céda à    Duparc-PouUain    dans   la  rédaction  du    célèbre  Journal   des 
audiences  de  la  cour  de  Rennes,  Elle  fut  réimprimée  au  début  de  la 
Révolution  sous  ce  titre  :  De  la  stabilité  des  lois  constitutives  de  la 
monarchie . 

Que  conclure  maintenant  de  cette  controverse  entre  deux  historiens 
également  estimés  ?  Il  semble  bien  désormais  que  pour  juger  avec 
impartialité,  il  faut  écarter  avant  tout  les  questions  de  personnes,  ne 
pas  voir  dans  l'affaire  de  Bretagne  la  lutte  de  La  Chalotais  et  de  d'Ai- 


d'histoire  et  de  littérature  43g 

guillon,  mais  seulement  une  des  phases  du  conflit  entre  un  gouverne- 
ment tendant  à  une  centralisation  excessive  et  les  libertés  provinciales. 
Le  commandant  en  Bretagne  et  le  procureur  général  de  Rennes  ont 
pu  à  certaines  heures  y  mêler  des  passions  personnelles  :  ils  n'étaient 
cependant  que  les  représentants  d'idées  plus  hautes,  et  tous  deux  très 
sincèrement  croyaient  servir  les  vrais  intérêts  de  leur  patrie.  Mais 
d'Aiguillon  a  eu  pour  lui  la  force  que  donne  l'appui  du  pouvoir  :  ne 
pouvant  abattre  l'opposition  provinciale  par  les  moyens  légaux,  il  a 
forgé  de  toutes  pièces  ou  a  laissé  forger  par  ses  amis  un  complot  pour 
perdre  ses  adversaires.  Il  a  poursuivi  avec  acharnement  leur  condam- 
nation et  leur  flétrissure.  L'histoire  qui,  pièces  en  mains,  constate 
qu'il  n'existe  nulle  preuve  de  la  félonie  de  La  Chalotais  et  des  magis- 
trats bretons,  et  que  cependant  ils  ont  subi  la  prison  et  l'exil  pendant 
de  longues  années,  peut-elle  réserver  sa  sympathie  pour  leur  persé- 
cuteur et  se  faire  le  complaisant  de  l'ami  de  la  du  Barry?  La  thèse 
traditionnelle  soutenue  par  M.  Pocquet,  et  un  peu  adoucie  dans  la 
forme,  nous  semble  seule  conforme  à  la  vérité.  Souhaitons  que  dans 
un  troisième  volume,  l'historien  breton  sache  élucider  avec  autant  de 
bonheur  les  questions  si  délicates  que  soulèvent  l'affaire  des  assem- 
blées secrètes  des  Jésuites  et  l'affaire  Clemenceau. 

Georges  Gazier. 


August  Langmesser.  Jakob  Sarasin.  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  Geniepe- 
riode.  Zurich,  Speidel,  1899.  ïn-8°-  '<3i  p.  3  mark. 

L'auteur  a  voulu  compléter  le  travail  de  Hagenbach  (  i85o  .  Il  a  eu 
à  sa  disposition  les  papiers  de  Lavater  et  de  la  famille  Sarasin.  Il  traite 
d"abord  de  la  vie  de  son  héros.  Après  avoir  retracé  la  jeunesse  de  Sara- 
sin, il  nous  présente  dans  un  chapitre  qui  s'intitule  naturellement 
Stiirm  iind  Drang  les  amis  du  personnage,  Kaufmann,  Iselin,  Pfeffel, 
Lavater,  Schlosser,  Klinger,  Lenz,  Heinse,  Lersé.  Puis  il  décrit  les 
relations  de  Sarasin  avec  Cagliostro  (qui  guérit  à  Strasbourg  sa 
femme  Gertrude),  avec  M""*"  de  Branconi,  Matthei,  Pestalozzi,  Jeanne 
Fahlmer,  M'"'^  de  la  Roche,  J.  G.  Jacobi,  le  prince  Henri  de  Prusse, 
Merk.  Enfin  il  analyse  et  apprécie  les  «  essais  »  de  Sarasin,  ses  poé- 
sies qui,  de  l'aveu  même  du  poète,  sont  mauvaises,  sa  comédie  der 
Haiisfriede,  le  fameux  Plimplamplasko,  celle  caricature  des  «génies» 
que  Sarasin  fit  en  collaboration  non  pas  avec  Pfeffel,  comme  on  l'a 
cru,  mais  avec  Lavater  et  Klinger,  et  les  autres  publications  sur  l'assis- 
tance publique,  sur  la  pédagogie,  sur  Mahomet,  ainsi  que  les  «  Dis- 
cours helvétiques  ».  L'appendice  contient  des  lettres  inédites  de  Sara- 
sin et  de  ses  amis.  Les  amateurs  du  Sturm  tind  Drang  sauront  à 
M.  Langmesser  le  plus  grand  gré  de  ce  travail  soigné  et  consciencieux. 

A.  G. 


440  REVUE   CRITIQUE 

Souvenirs   diplomatiques  et  militaires   du  général  Thiard,  chambellan  de 
Napoléon  !<=■■,  publiés  par  Léonce  Lex,  ancien  élève  de  l'École  des  chartes.  Paris, 

Flammarion,  1900.  In-S",  xxviii  et  338  p.,  3  fr.  5o. 

Thiard,  fils  d'un  gouverneur  des  Tuileries,  élevé  à  Paris  «  sur  les 
genoux  des  philosophes  et  des  encyclopédistes  »  était  lieutenant  en 
second  lorsqu'il  émigra.  Il  fit  les  campagnes  de  l'armée  de  Condé. 
Elu  conseiller  général  de  Saône-et-Loire  en  1802,  choisi  comme  can- 
didat au  corps  législatif  par  le  collège  électoral  de  Chalon-sur-Saône 
et  écarté  par  le  Sénat  parce  qu'il  avait  «  les  bottes  encore  couvertes 
par  la  boue  de  Coblenz  »,  il  fut  ainsi  désigné  à  l'attention  de  Bona- 
parte qui  le  fit  à  la  fin  de  1804  un  de  ses  chambellans  ordinaires. 
Thiard  figurait  au  sacre  et  c'est  à  cette  date  qu'il  commence  ses 
Mémoires.  Ils  sont  surtout  intéressants  par  les  détails  qu'ils  donnent 
sur  Napoléon  :  c'est  ainsi  que,  selon  Thiard,  Napoléon  n'a  jamais 
prononcé  un  «  mot  offensant  ».  Après  avoir  assisté  à  Milan  aux  fêtes 
du  couronnement,  Thiard  eut  une  mission  dans  l'Allemagne  du  sud 
pour  négocier  le  mariage  de  la  princesse  Auguste  de  Bavière  avec 
Eugène,  celui  de  Stéphanie  de  Beauharnais  avec  le  prince  de  Bade  et 
celui  de  Catherine  de  Wurtemberg  avec  Jérôme.  Il  prit  part  à  la 
campagne  de  i8o5  qu'il  retrace  avec  beaucoup  de  chaleur  et  de  vie. 
On  remarquera  notamment  dans  ses  Mémoires  le  récit  de  la  bataille 
d'Austerlitz.  En  1807,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  Thiard  démissionna. 
M.  Lex  a  publié  les  souvenirs  du  général  avec  grand  soin  ;  il  les  a 
fait  précéder  d'une  introduction  utile  et  y  a  joint  un  index  '. 

A.  C. 


Mémoires  anecdotiques  du  général  marquis  de  Bonneval,  1 786-1 873.  Paris, 
Pion,  1900.  In-8",  VII  et  3 14  p.  6  francs. 

Le  marquis  de  Bonneval,  élève  de  l'École  militaire  de  Fontaine- 
bleau, renvoyé  pour  s'être  battu  en  duel,  aide  de  camp  de  plusieurs 
généraux,  notamment  de  Dorsenne,  de  Duroc  et  de  Soult,  entré  sous 
la  Restauration  aux  gardes  du  corps  avec  le  grade  de  colonel,  lieute- 
nant-major des  gardes  sous  Charles  X,  quitta  le  service  en  i83o 
comme  maréchal  de  camp  et  mourut  dans  la  retraite  en  187?.  Ses 
mémoires  sont,  selon  le  titre  du  volume,  purement  anecdotiques. 
Encore  bon  nombre  de  ces  anecdotes  sont-elles  connues.  Quelques- 
unes  nous  semblent  sujettes  à  caution.  Talleyrand  n'est  jamais  allé  à 
Coblentz  (p.  259J  et  Philippe-Égalité  n'a  jamais  dit  en  pleine  Conven- 
tion qu'il  était  le  fils  du  cocher  de  sa  mère  (p.  212).  Le  général  a  aussi 
la  manie  de  faire  de  faciles  calembours.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  inicres- 

I.  P.  100  lire. Winzingerode  et  non  W'singerode. 


i, 

i 


M 


d'histoire  et  de  littérature  441 

sant  dans  l'ouvrage,  c'est  —  outre  quelques  détails  sur  Suchet,  Soult, 
Duroc  et  Marmont,  —  la  peinture  de  la  cour  de  Louis  XVIII  et  le 
récit  du  départ  de  Charles  X  pour  Rambouillet  et  Cherbourg.  Mais  il 
est  dommage  que  l'impression  des  noms  propres  soit  si  peu  soignée;  il 
y  a  d'incroyables  lapsus  :  Coiirtet  pour  Courtais  (p.  235 1,  Tiiriol 
pour  Curial  (p.  40)  et  Michot  pour  Michaud  p.  57  ')  1 

A.  C. 


Voipi  (Gugl.)  Il  Morgante  Maggiore  di  L.  Pulci,  testo  e  note.   3  vol.  Florence, 
Sansoni,  1900.  Les  2  premiers  seuls  ont  paru.   Petit  in- 16  de  xxi-414  et  382  pp. 

Une  réimpression  nouvelle  du  poème  de  Pulci  devrait  nous  offrir 
un  texte  notablement  amélioré  et  éclairci.  Or,  M.  Volpi,  comme  il 
l'annonce  loyalement,  n'a  pu  consulter  aucune  des  deux  éditions 
parues  du  vivant  de  l'auteur;  il  est  vrai  qu'il  n'existe  qu'un  seul  exem- 
plaire connu  de  celle  de  1482,  un  seul  également  de  celle  de  1483, 
et  que,  de  ces  deux  exemplaires,  le  premier  est  à  la  Nationale  de 
Paris,  et  le  deuxième  au  Musée  britannique  de  Londres.  Du  moins, 
si  mesuré  que  fût  l'espace  à  M.  V.,  il  pouvait  nous  donner  une  bio- 
graphie un  peu  moins  sommaire  de  Pulci  et  des  notes  un  peu  plus 
abondantes.  On  connaît  mieux  Pulci  après  avoir  lu  le  peu  do  pages  que 
lui  consacre  M.  Francesco  Flamini  dans  son  excellent  abrégé  de  la 
littérature  italienne  qu'après  avoir  lu  la  préface  du  nouvel  éditeur,  et, 
étant  données  les  indications  fournies  par  M.  Pio  Raina,  c'est  beau- 
coup trop  peu  que  de  signaler  de  loin  en  loin  (p.  ex.,  à  propos  de  la 
3i^  oct.  du  xin°  ch.  et  de  la  47®  du  xvi^)  quelques  emprunts  de  Pulci 
au  Caiitare  d'Orlando.  Toutefois,  il  serait  absolument  injuste  de 
qualifier  d'inutile  la  peine  prise  par  M.  Volpi  :  sa  préface  contient 
quelques  intéressantes  remarques  sur  les  éditions  antérieures,  et  ses 
notes  sont  bonnes  à  consulter  soit  quand  il  signale  des  souvenirs  de 
Dante,  soit  quand  à  l'aide  de  VErcolano  de  Varchi,  des  lettres  de 
Pulci  ou  d'autres  textes,  il  explique  les  locutions  populaires  qui  four- 
millent dans  le  Morgante  (v.  p.  ex.  à  propos  des  oct.  42  et  48  du  iii' 
chant  et  de  la  44*  du  v«). 

Charles  Dejob. 


I.  Et  que  d'autres  fautes!  p.  26,  Brun  pour  Brune;  pp.  27  et  2H.  Rughcn  pour 
Rûgen  ;  p.  28,  manque  le  nom  du  maréchal  cité,  évidemment  Lannes;  p.  33, 
Roitan  pour  Roustan  ;  p.  40,  les  guillemets  ont  été  recules  trop  loin,  si  bien  que 
Napoléon  parle  du  comte  dWrgout  qu'il  aurait  connu  à  la  Chambre  des  pairs; 
p.  5o,  lire  Helder  et  non  Welder;  p.  12»'),  le  nom  de  la  dame  est  Amy  Brown. 


442  REVUE  CRITIQUE 

Der  ausserordentlische  Finnlaendische  Landtag,  1899,  ùbersetrt  voin  Doctor 
■  Fritz  Arnheim.  Leipzig,  Duncker  und  Hûmblot,   igoo.  In-8°,  344  pp. 
Das  staatsrechtliche  Verhaeltniss  zwischen  Finnland  und  Russland,  von 

B.  Getz.  Ibid.,  1900.  hi-8",  3i  p. 
Das  Recht  Finnlands  und  seine  Wehrpflichtfrage,  von  cinem  finnlaendischen 

Juristen.  Jbid.,  igoo.  In-8".  do  p. 
Ein  Beitrag  zur  Beurtheilung  der  staatsrechtlichen  Stellung  des  Grossfûrs- 

tentums   Finnland.   Extrait   de  l'ouvrage  du  docteur   Hehmanson.  Ibid..    1900. 

In-S",  76  pp.  Les  4  ouvrages  ensemble.   10  mk.  20. 

Ces  quatre  ouvrages  constituent  un  des  éléments  les  plus  sérieux 
de  l'agitation  européenne  en  faveur  de  la  Finlande.  Le  premier  et  le 
plus  important  d'entre  eux  a  été  traduit  également  en  français,  mais 
peut-être  n'y  a-t-on  pas,  chez  nous,  prêté  autant  d'attention  qu'en 
Allemagne.  Quoiqu'il  en  soit,  nous  avons  ici  une  précieuse  collection 
de  documents  pour  nous  éclairer  sur  ce  qu'on  a  appelé  «  le  coup 
d'Etat  russe  en  Finlande  ». 

Au  mois  de  Janvier   1899,  la  Diète  finlandaise  eut  à  examiner  une 
communication  du  Gouvernement  russe  l'invitant  à  sanctionner  une 
modification  considérable  du  régime   militaire  en  vigueur  dans  son 
pays.  D'après  la  proposition  russe,  toute  distinction  théorique  et  pra- 
tique devrait  cesser  de  subsister  entre   le  régime  militaire   des  deux 
contrées  ;  des  Russes  pourraient,  dorénavant,  être  incorporés  dans  des 
corps  finlandais,  et  des  Finlandais  dans  des  corps  russes  ;  toute  mo- 
dification du  régime  militaire  russe  serait  valable  pour  la  Finlande  ; 
enfin,  ce  dernier  pays,  tout  en  perdant  le  droit  de  direction  et  de  con- 
trôle sur  ses   forces  militaires,  devrait  néanmoins  subvenir  à  toutes 
les  dépenses  occasionnées  par  l'entretien  de  ses  troupes,  ou,  en  d'au- 
tres termes,  payer  à  la  aisse  de  l'Empire    une   redevance    militaire 
dont  le  montant  serait  fixé  par  le  ministre  russe  de  la  guerre. 

En 'outre,  le  3/i5  mai  1899,  le  tsar  publiait  un  manifeste  accom- 
pagné de  considérants  importants,  dans  lequel  il  déclarait  que,  désor- 
mais, les  lois  valables  pour  l'Empire  russe  le  seraient  également  pour 
le  grand  duché  de  Finlande,  «  toutes  les  fois  qu'elles  toucheraient  à 
des  questions  d'intérêt  général  ».  De  la  sorte,  le  droit  d'autonomie  de 
la  Finlande  allait  se  trouver  réduit  à  des  règlements  d'intérêt  local, 
c'est-à-dire  anéanti,  et  le  Grand-Duché  allait  devenir,  par  là-même, 
une  province  de  l'Empire  russe,  sans  plus. 

L'assemblée  extraordinaire  des  États  Finlandais  répondit  à  ces 
diverses  communications  par  un  mémoire  en  date  du  29  mai  1899. 
C'est  de  ce  mémoire  que  M.  Fritz  Arnheim  nous  donne  une  excel- 
lente traduction.  La  lecture  de  ce  document  fait  du  bien  :  on  ne  sau- 
rait imaginer  plus  de  dignité  et  de  déférence  dans  la  discussion,  ni 
une  manière  plus  franche  et  plus  ferme  de  rétorquer  les  arguments 
qu'invoque  la  Russie  pour  mettre  définitivement  la  main  sur  la  Fin- 
lande. Nous  ne  saurions  entrer  ici  dans  de  minutieux  détails.  Les 
arguments  finlandais  sont  de  deux  sortes,  de  droit  et  de  fait  (les  trois 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  ^^.^ 

brochures  citées  plus  haut  développent  également  les  premiers  de  ces 
arguments;.  D"abord,  les  États  affirment  et  démontrent  leur  droit 
d'autonomie,  droit  reconnu  et  confirmé  par  quatre  empereurs. 
Ensuite,  ils  montrent  que,  s'ils  sont  jaloux  de  leur  indépendance 
morale,  les  Finlandais  sont  prêts,  néanmoins,  à  suivre  librement, 
comme  ils  Tout  fait  jusqu'ici,  le  développement  du  régime  militaire  et 
de  la  législation  russes.  C'est  de  leur  plein  gré  que  les  États  ont 
introduit  en  Finlande,  en  1878,  le  service  militaire  obligatoire;  c'est 
de  leur  plein  gré  qu'ils  prétendent  continuer  à  faire  les  sacrifices  que 
réclamera  de  leur  patriotisme  l'intérêt  général  de  l'Empire.  Mais,  ce 
qu'ils  ne  veulent  pas,  c'est  être  confondus  sans  raison  avec  les  Russes. 
Ils  ont  beau  par  exemple  avoir  des  périodes  d'instruction  moins 
longues;  cependant,  les  généraux  russes  s'accordent  à  reconnaître  que 
les  soldats  finlandais  tirent  aussi  bien  et  sont  aussi  bien  exercés  que 
les  soldats  russes.  En  outre,  disposés  à  faire  tous  les  sacrifices  qui 
seront  nécessaires  pour  contribuer  au  bien-être  et  au  progrès  de  la 
patrie  commune,  ils  ne  sauraient  en  aucune  façon  pousser  le  dévoue- 
ment jusqu'au  sacrifice  de  l'autonomie  que  leur  ont  reconnue 
Alexandre  I  et  ses  successeurs.  En  conséquence,  ils  refusent  humble- 
ment de  discuter  les  propositions  impériales. 

On  sait  le  reste.  En  dépit  des  raisons  indiquées  par  la  Diète  et  par 
d'éminents  jurisconsultes  russes  et  étrangers,  la  Russie,  peu  sûre  de 
son  droit,  a  usé  de  sa  force.  On  a  bâillonné  la  presse  russe  libérale, 
tandis  que  les  Finlandais,  dans  leur  rage  muette,  boycottaient  les 
Russes  et  refusaient  d'avoir  avec  eux  aucuns  rapports  d'affaires.  Les 
Russes,  si  souples  et  si  heureux  lorsqu'il  s'agit  de  gagner  à  leur  cause 
des  peuplades  asiatiques,  réussissent  mal,  lorsqu'ils  essaient  de  cour- 
ber sous  le  joug  commun  ceux  de  leurs  sujets  de  l'ouest  qui  jouissent 
d'une  avance  énorme  de  civilisation  par  rapport  au  troupeau  humble 
des  moujiks.  Les  Allemands  des  provinces  baltiques  et  les  Finlandais 
en  ont  fait  la  dure  expérience.  Quant  à  nous,  les  quatre  volumes  que 
nous  venons  d'analyser  nous  éclairent  d'un  jour  crû  le  plus  récent  de 
ces  silencieux  coups  de  force  de  la  diplomatie  pétcrsbourgeoisc. 

Jules  Legras. 


Gustav  Thcodor  Fechner.  Nanna  oder  ûber  das  Seelenleben  der  Pflanzen. 
Zweite  Auflagc  mit  einer  Einleitung  von  Kurd  Lasswitz.  Hamburg  u.  Leipzig, 
Leop.  Voss,  1899,  in-8,  xix-3oo  pages.  Pr.  6  m. 

• 

Quelle  force  secrète  préside  à  la  naissance  des  plantes  ?  Comment 
expliquer  leur  croissance  et  leur  évolution?  La  vie  dont  elles  jouis- 
sent et  dont  les  manifestations  multiples  nous  étonnent,  est-elle  sem- 
blable à  celle  des  animaux  ?  Voilà  des  questions  bien  faites  pour 
piquer  la  curiosité,  s'il  est  difficile   de  les  résoudre.  M.  Th.  Ptchner 


444  REVUE    CRITIQUE 

n^'a  pas  craint  de  l'essayer,  et  il  y  répond  en  attribuant  aux  plantes  une 
vie  analogue  sinon  semblable,  à  celle  des  animaux.  C'est  à  cette  dé- 
monstration qu'est  consacré  le  livre  auquel  il  a  donné  le  titre  symbo- 
lique de  Nanna  ' . 

Si  on  ne  peut  le  lire  parfois  sans  surprise,  il  est  impossible  aussi  de 
le  lire  sans  intérêt.  Sans  doute  les  hypothèses  hardies  —  il  serait 
peut-être  plus  exact  de  dire  hasardées  —  y  abondent  ;  mais  que  de 
vues  ingénieuses  aussi  on  y  rencontre!  M.  Th.  F.  n'a  pas  seulement 
observé  d'un  œil  attentif  le  monde  des  plantes,  il  l'aime  ;  il  l'a  étudié 
en  naturaliste  et  en  philosophe  ou  en  poète  ;  c'est  ce  qui  donne  tant 
de  charme  à  son  étude  et  qui  cache  la  faiblesse  de  sa  théorie.  On  ne 
pouvait  mieux  parler  de  la  croissance  des  plantes,  de  leur  fécondation,  l' 
de  leurs  diverses  attitudes  et  de  leurs  mouvements,  de  leur  situation 
vis  à  vis  des  animaux,  du  parfum  et  du  brillant  coloris  de  leurs  fleurs.  ij 
C'est  là  la  partie  durable  et  qui  restera  de  l'ouvrage  de  M.  Th.  F.;  ^^ 
quant  à  sa  théorie  proprement  dite,  il  faut  bien  dire  qu'elle  se  réduit 
à  des  analogies  fort  ingénieuses  parfois,  mais  qui  ne  sont  qu'ingé- 
nieuses, à  des  comparaisons  plus  poétiques  souvent  —  quelques-unes 
sont  empruntées  à  des  poètes  véritables  —  que  scientifiques.  Il  avoue 
lui-même  de  celle  où  (p.  249)  il  voit  dans  le  corps  de  l'animal  une 
espèce  de  sac  dont  la  partie  sensible  est  intérieure,  dans  la  plante  un 
tel  sac  en  quelque  sorte  retourné,  qu'il  la  faut  prendre  cum  grano  salis. 
Ce  n'est  pas  la  seule. 

On  comprend  aussi  que  des  démonstrations  de  ce  genre  ne  portent 
guère  la  conviction  dans  l'esprit.  Que  l'hypothèse  d'une  âme  des 
plantes  explique  mieux  certains  phénomènes  de  leur  vie  végétative  que 
l'hypothèse  contraire,  je  le  veux  bien;  mais  il  n'en  reste  pas  moins  que 
ce  n'est  là  qu'une  hypothèse.  «  L'âme  des  plantes  n'est  plus  un  simple 
conte,  dit  M.  Lasswitz  %  le  nouvel  éditeur  de  Nanna,  c'est  pour  une 
bonne  part  une  vérité  qui  restera  ».  Je  doute  que  M.  Th.  Fechner  l'ait 
prouvé.  Cela  n'empêche  pas  toutefois  que  son  livre  ne  soit  un  travail 
original  et  de  grande  valeur,  et  il  méritait  par  là  d'être  rendu  accessible 
à  la  masse  des  lecteurs  ;  aussi  on  ne  peut  que  remercier  M.  L.  Voss 
de  l'avoir  de  nouveau  et  si  bien  publié. 

Ch.  J. 


—  Nous  avons  le  vif  regret  d'annoncer  la  mort  à  Meulan,  le  18  novembre  der- 
nier, de  l'un  de  nos  collaborateurs,  M.  Raoul-Philippe  Rosières.  M.  Henri 
Cordier,  professeur  à  lEcole  des  Langues  Orientales  vivantes,  qui  représentait  la 
Revue  Critique  aux  obsèques,  a  pris  la  parole  en  ces  termes  :  «  Messieurs,  Il  y  a 


1.  Nanna    est,  dans  la  mythologie  Scandinave,    l'épouse  de  Baldur,   dieu  de  la 
lumière. 

2.  P.  X  de  l'Introduction. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  445 

trois  ans,  nous  suivions  la  même  voie  douloureuse  pour  conduire  à  sa  dernière 
demeure  le  père  de  Rosières;  nous  ne  pouvions  penser  alors,  à  le  voir  d'appa- 
rence si  robuste,  que  si  peu  de  temps  après,  nous  aurions  à  dire  un  éternel  adieu 
à  notre  pauvre  ami.  Il  est  cruel*  de  voir  tomber  au  milieu  de  la  route  le  vaillant 
camarade  avec  lequel  on  espérait  franchir  l'étape  finale.  Rosières  se  livrait  peu, 
mais  il  avait  su  réunir  autour  de  lui  un  noyau  d'amis  fidèles  et  dévoués  qui  con- 
serveront pieusement  sa  mémoire.  Il  était  ennemi  des  phrases  inutiles,  aussi  me 
contenterai-je  de  lui  dire,  au  nom  de  ses  amis  réunis  ici,  et  absents  plus  nom- 
breux encore,  adieu  !  du  plus  profond  de  mon  cœur.  »  —  M.  Rosières  était  né  le 
25  octobre  i85i  à  Paris,  où  il  avait  fait  ses  études  au  collège  Chaptal.  C'était  un 
critique  à  l'esprit  original  et  primesautier.  Doué  d'une  prodigieuse  mémoire  et 
d'une  puissance  de  travail  extraordinaire,  il  avait  lu  en  entier  toutes  les  œuvres 
littéraires  de  la  France,  du  moyen  âge  aussi  bien  que  des  temps  modernes.  Ses 
principaux  ouvrages  sont  :  Recherches  critiques  sur  l'histoire  religieuse  de  la 
France  (Paris,  1879,  in-12);  Histoire  de  la  Société  Française  au  ^foyen-Agc 
(987-14S3),  2  vol.  in-8,  qui  a  atteint  sa  troisième  édition  en  1884;  La  Révolution 
dans  une  petite  ville  [Meulan]  (Paris,  1888,  in-12);  Recherches  sur  la  poésie  con- 
temporaine, Paris,  1896,  in-12.  II  a  laissé  un  volume  devers  :  Ponce  Pilate  (Paris, 
i883,  in-12).  Son  mémoire  sur  VEvolution  de  l'Architecture  en  France  lui  a  valu 
le  Prix  Bordin  à  l'Académie  des  Beaux-Arts.  Il  laisse  inachevée  une  Histoire  du 
sentiment  poétique  dans  la  Littérature  française.  Il  était  vice-président  de  la  Société 
des  Traditions  populaires  et  il  avait  pris  une  part  active  aux  travaux  du  Congrès 
des  Folkloristes  tenu  cette  année  à  Paris. 

—  Le  3  décembre  prochain,  il  y  aura  vingt-cinq  ans  que  M.  Michel  Bréal  est 
entré  à  l'Institut.  La  pensée  est  venue  à  quelques-uns  de  ses  élèves  de  fêter  cet 
anniversaire  en  réunissant  autour  de  leur  maître  ceux  qui  ont  puisé  dans  son 
enseignement  ou  dans  ses  livres  la  connaissance  et  le  goût  de  la  grammaire  com- 
parée. Le  bureau  de  la  Société  de  Linguistique  de  Paris,  dont  il  est  le  secrétaire 
depuis  1868,  et  qui  lui  doit  la  meilleure  part  de  sa  prospérité,  a  pris  l'initiative 
d'un  banquet  dont  la  date  est  fixée  au  samedi  i»' décembre  prochain.  Tous  ceux 
qui  aiment  à  se  dire  les  élèves  de  M.  Bréal,  qu'ils  aient  suivi  ses  cours  de  l'Lcole 
des  hautes  études  et  du  Collège  de  France,  ou  qu'ils  n'aient  pu  que  goûter  le 
charme  de  ses  écrits,  tiendront  à  cœur,  nous  n'en  doutons  pas,  de  venir  témoigner 
à  cette  occasion  leur  gratitude  à  leur  maître. 

—  Le  nouveau  Jahresbericht  de  M.  H.  Melsel  sur  Ccsar  {Zeitsch)i/t  filr  Gym- 
nasiahvesen,  Jahresberichte,  XXV,  Berlin,  1900;  pp.  214-2Ô2)  est  muins  étendu  et 
moins  important  que  les  Beitrdge  publiés  jadis  dans  la  même  revue.  II  contient 
cependant  des  observations  précieuses  sur  les  deux  points  qui  tiennent  le  plus  à 
cœur  h  M.  Meusel,  le  rapport  des  classes  a  et  ?  et  la  langue  de  César.  A  signaler 
particulièrement  les  articles  sur  l'édition  Holder  du  Bcllum  ciuile  (p.  227).  sur  un 
des  articles  de  M.  J.  Lange  dans  les  Jahrbilcher  et  un  programme  du  même  (p.  237), 
sur  les  Kritische  Beitrdge  de  M.  R.  Sydow  (p.  247).  sur  les  Syntactische  Beitrnge 
de  M.  H.  Blase  (p.  23o).  Là,  comme  dans  tous  ses  travaux  précédents,  on  trouve 
la  sûreté  de  connaissance  et  l'intimité  avec  César  qui  font  à  M.  Mcuscl  une  place 
singulière  parmi  les  latinistes  d'aujourd'hui.  —  P.  L. 

—  La  librairie  Freytag,  de  Leipzig,  public  :  1°  de  .M.  .Michael  Pktsciiesic, 
Q.  Horatius  Flaccus,  Auswahl,  mil  zwei  Kartcn  ;  Dritte  umgearbcitctc  .\uflagc 
dercarmina  selecta  ;  1900,  iv-260  pp.  pet.  in-8;  prix  cartonné  :  i  mk.  60.  Elégant 
volume  qui  contient   une  vie   d'Horace,  un   sommaire   métrique,  des  parallèles 


446  REVUE    CRITIQUE 

grecs,  des  sentences  tirées  d'Horace  ;  le  choix  est  à  peu  près  le  même  pour  les 
odes  que  dans  nos  éditions  scolaires,  quoique  un  peu  plus  restreint;  mais  M.  P. 
ne  donne  que  six  épodcs  et  onze  satires.  Un  Nameu  u.  Sachver^eichniss  termine 
l'ouvrage.  Le  texte  parait  soigné  et  établi  dans  un  sens  conservateur.  L'exécution 
matérielle  est  d'une  beauté  rare  dans  un  livre  classique.  —  2<'  de  M.  J.  M.  Stowas- 
SER,  Lateinisch-Deutsches  Schulwôrterbuch  ;  1900,  xx-1104  pp.  grand  in-8  ;  prix  : 
1 1  mk.  Le  but  pratique  de  ce  lexique  a  limité  le  vocabulaire  à  celui  des  auteurs 
lus  dans  les  classes,  c'est-à-dire,  d'après  la  liste  des  abréviations  mises  en  tête, 
César,  Cicéron,  Q.  Curce,  Horace,  T.  Live,  Cornélius  Nepos,  Ovide,  Phèdre, 
Plaute,  Salluste,  Tacite  et  Virgile.  Ne  lit-on  plus  de  Térence  en  Allemagne  et  en 
Autriche  ?  singulier  plan  d'études  qui  cxcrut  le  premier  représentant  de  la  littéra- 
ture et  de  la  langue  classiques  :  cependant  il  est  au  moins  cité  quelquefois  dans 
le  supplément.  Il  est  probable  que,  même  pour  les  auteurs  cités,  il  y  a  des  lacunes; 
je  n'ai  pas  trouvé  profliientia,  C'\c. Part.  or.  81.  Censura  est  traduit  :  "  Censoramt, 
Censorwûrde  »  ;  mais  le  sens  figuré  parait  cependant  déjà  dans  Ovide,  et  si  le  mot 
connu  de  Juvénal,  2,  63  :  Vexât  censura  columbas,  tombe  sous  les  yeux  de  l'élève, 
ne  pourra-t-il  donc  en  donner  qu'une  traduction  grotesque  ?  Sans  sortir  de  cer- 
taines limites,  il  y  avait  peut-être  lieu  d'entendre  le  programme  dans  un  esprit 
plus  souple  et  plus  large.  D'autres  lacunes  seront  plus  sensibles,  quand  l'élève 
voudra  se   servir  du   lexique  pour  vérifier   la  traduction  de  ses  thèmes.  La  cons-  t 

truction  des  verbes  n'est  pas  indiquée  expressément  ;  ainsi,  M.  S.  cite  un  des  trois 
exemples  de  Cic.  où  comitari,  au  figuré,  est  accompagné  du  datif,  pêle-mêle 
parmi  les  constructions  courantes  avec  l'accusatif.  On  ne  dit  pas  non  plus  si  les 
comparatifs  et  superlatifs  des  ad)ectifs  sont  usités.  Il  faut  insister  là  dessus  parce 
que  le  livre  contient  d'autres  détails  qui  ne  s'adressent  pas  à  l'élève.  Faut-il  lui 
mettre  sous  les  yeux,  sans  un  mot  d'explication,  les  formes  poster  el  ceterus^ 
M.  S.  propose  des  étymologies  quelquefois  hardies,  toujours  intéressantes;  mais, 
pour  ne  citer  qu'un  exemple,  l'assimilation  de  l'interjection  pol  au  positif  de  plus, 
qui  trouvera  plus  d'un  incrédule  parmi  les  savants,  est-elle  à  sa  place  dans  un 
livre  scolaire  ?  Je  ne  voudrais  pas  quitter  le  lexique  de  M.  Stowasser  sur  ces 
doutes.  11  a  fait  une  œuvre  très  réfléchie,  très  originale,  très  personnelle,  qu'il 
s'agisse  de  la  définition  des  sens,  du  choix  des  exemples  ou  des  étymologies.  Par 
là  son  livre  sera  consulté  avec  utilité  par  les  philologues.  11  faut  rendre  justice 
aussi  au  goût  et  à  l'habileté  des  éditeurs,  qui  ont  rendu  ce  livre  aussi  maniable 
que  facile  à  lire.  —  P.  L.  j: 

—  M.  G.  Tropea  poursuit  ses  études  smt  \es  Scriptores  Historiae  Augustae.  Après 
s'être  occupé  de  Marius  Maximus,  il  vient  de  consacrer  un  fascicule,  le  quatrième 
de  la  série,  à  Aelius  Cordus.  11  s'efforce  de  montrer  qu'Aelius  Cordus  a  été,  pour 
les  biographies  de  Clodius  Albinus,  de  Macrin  et  Diaduménien,  des  Maximins, 
des  Gordiens,  de  Pupien  et  de  Balbin,  la  principale  source  à  laquelle  ont  puisé 
Capitolin  et  Lampride.  D'après  M.  Tropea,  Aelius  Cordus  ne  fut  pas  un  historien 
courtisan  ;  il  aurait  eu,  au  contraire,  quelque  tendance  au  sarcasme.  Il  s'attacha 
surtout  à  écrire  la  vie  des  empereurs  de  second  ordre  (d'après  Capitolin  :  eorum 
imperatorum  vitas  ederc  qiios  obscuriores  videbat].  Cette  forme  biographique  du 
récit  est  d'autant  moins  heureuse  que  pour  cette  époque  l'intérêt  de  l'histoire,  loin 
de  se  concentrer  sur  la  figure  de  l'empereur,  est  plus  que  jamais  dispersé  dans  tout 
l'empire.  —  M.  Tropea  a  ajouté  à  celte  étude  critique  sur  Aelius  Cordus  tous  les 
fragments  de  cet  auteur  qu'il  a  cru  reconnaître  dans  les  biographies  que  Capitolin 
et  Lampride  ont  consacrées  aux  empereurs  précités. —  .1.  T. 


,'. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTERATURE  44" 

—  L.  Cantarelli  vient  de  publier  sous  le  titre  «Je  Miscellanca  Cfif^rj.'ica  e 
archeologica  plusieurs  articles  et  notes  d'abord  parus  dans  le  Bullettinu  detia 
Commissione  archeologica  comunale.  Ces  articles  sont  intitulés  :  F.  Les  statiottes  mu- 
nicipioriim.  —  II.  Supplementi  alla  série  dei  Cwatores  Tiberis.  —  III.  Supple- 
menti  alla  série  dei  Cwatores  aedium  sacrarum  et  opcriim  publicorum.  —  IV.  Sup- 
plementi al  monumento  Ancyrano.  —  V.  I  rilicvi  marmorci  dcl  Foro  Romano  nel 
libro  recenie  dei  Courbaud.  Le  morceau  le  plus  important  es',  l'étude  sur  les  Sta- 
tiottes muuicipioriim,  dans  lesquelles  l'auteur  reconnaît  des  comptoirs  ou  bureaux 
de  commerce,  établis  à  Rome  ou  à  Pouzzoles  par  les  principales  cités  de  l'empire, 
-  J.  T. 

—  La  troisième  édition  de  la  Stylistique  latine,  traduite  de  l'allemand  de  Ernest 
Berger  et  remaniée  par  Max  Bonnet  et  F.  Gaciie  (Paris,  Klincksicck,  1900  ;  xix- 
423  p.  in.  12)  compte  trente  sept  pages  de  plus.  Quelques  observations  ont  été 
supprimées,  de  sorte  que  les  additions  sont  peut-être  encore  un  peu  plus  nom- 
breuses que  ne  le  ferait  supposer  ce  chiffre.  Il  est  d'ailleurs  aisé  en  comparant  un 
paragraphe  au  hasard  de  constater  que  la  revision  a  été  soigneuse  et  tend  de  plus 
en  plus  à  faire  de  cet  excellent  livre  un  travail  original.  —  P.  L. 

—  Parmi  les  poètes  couronnés  cette  année  au  concours  Hoeufl't  par  l'Académie  de 
Hollande,  nous  retrouvons  des  noms  déjà  connus  :  en  tctc,  M.  .1.  Pascoli,  avec  ses 
Sosii  fratres  bibliopolae,  puis  M.  Hartman,  le  professeur  de  Leyde,  avec  ses  Sancti 
Xicolai  Feriae  ;  les  autres  morceaux  sont  Bicycltila,  par  L.  Graziani,  qui  nous 
apprend  enfin  le  nom  de  cet  objet  indispensable  à  la  vie  moderne  ;  De  uenatione 
iitlicarum,  par  A.  Zappata  ;  Pax,  par  P.  Rosati  :  Acte,  par  R.  Carrozzari  ; 
Etremum  itotiim,  par  A.  Bartoli  :  In  hodiernum  «  progressum  »  par  F.  X. 
Relss.  La  brochure  :  Sosii  fratres  bibliopolae,  carmen  praemio  aiireo  ornatum  in 
certamine  poetico  Hoeiifftiano  :  accedunt  septem  carmina  /aï/rfdfa  (Amstelodami, 
apud  lo.  Mullerum,  1900)  est  éditée  avec  le  soin  et  le  luxe  ordinaires. 

—  Il  vient  de  paraître  à  Londres,  chez  l'éditeur  William  Heinemann,  une  traduc- 
tion de  la  Sémantique  de  notre  collaborateur,  M.  Michel  Bréal.  La  traduction  est 
due  à  Mrs  Henry  Cust.  Le  professeur  Postgate  a  enrichi  le  volume  d'une  Pré- 
face et  d'un  Appendice. 

—  Quand  on  lit  le  Cicérone  de  Burckhardt,  on  se  prend  à  regretter,  avec  une 
sorte  d'angoisse,  qu'il  n'y  ait  pas  pour  nos  œuvres  d'art  et  nos  monuments  fran- 
çais d'inventaire  comparable  en  lucidité  et  en  étendue.  Et  de  fait,  nous  n'en  possé- 
dons pas,  bon  ou  mauvais.  Cette  œuvre,  que  l'intérêt  patriotique  devrait  suffire  à 
inspirer,  pourrait  tenter  un  érudit  artiste.  En  attendant,  il  faut  applaudir  à  l'exé- 
cution des  inventaires  partiels,  base  solide  d^  la  synthèse  future.  Parmi  eux,  il 
faut  citer  le  Répertoire  archéologique  de  l'arrondissement  de  Reims,  publié  sous 
les  auspices  de  l'académie  de  Reims.  Il  comprendra  quinze  volumes,  sur  lesquels 
la  ville  de  Reims  comptera  pour  sept.  Trois  (et  non  pas  neuf,  comme  l'imprime 
une  revue  bibliographique)  ont  paru  antérieurement  :  Paroisses  de  Reims  (1889), 
Communes  rurales  des  Cantonsde  Reims  (188.Î  ;  2'  éd.  1891),  canton  d'.\y  (1892). 
Le  lo'  fascicule,  Canton  de  Beinc  par  Ch.  Givelet,  H.  .Iadart  et  L.  Demaison, 
(Reims,  Michaud,  1900,  39 1  pp.  et  12  pi.  ;  tiré  à  200  ex.  ;  prix  :  12  fr.,  10  fr.  pour 
les  souscripteurs)  vient  d'être  publié  et  ajoute  à  la  série  un  quatrième  volume.  Il 
était  prêt  depuis  1892,  mais  nous  n'avons  pas  d'argent  pour  ce  genre  d'entreprise  : 
une  subvention  du  ministère  est  venue  enfin  dégager  le  manuscrit.  Parmi  les  mo- 
numents décrits,  il  faut  placer  en  première  ligne  l'église  Saint-Martin  «le  Ccrnay 
lès  Reims;  puis  les  églises  de  Bcinc  (xn«  s.),  de  Béthenivillc  (commcnc.  du  xiii's.), 


448  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

d'Auberivc  (xi^'  et  xii"  s.  ),  de  Prosnes  'nef  romane,  abside  du  xu"  s.);  les  tours  de 
Berru,  de  Dontrien  et  de  Prunay  ;  puis,  un  peu  dans  toutes  les  communes  du  can- 
ton, des  fragments  intéressants.  Quelques  objets  d'art  ont  été  conservés  dans  les 
églises  :  fonts  baptismaux  curieux  à  Beine  et  à  Auberive,  (xf-xii'  s.  ),  Vierge  en  mar- 
bre à  Cernay  (xiv^  s.),  statue  en  bois  de  saint  Caprais  (xv*  s.)  à  Nogent-l'Abesse, 
retables  du  xvii"  s.  à  Saint-Souplet.  A  propos  de  ces  derniers,  les  auteurs  déplorent 
la  disparition  d'œuvres  caractéristiques  du  xvii°  et  du  xviii«  s.,  détruites  sous  le 
prétexte  de  mettre  la  décoration  «  dans  le  style  ».  Ah  !  les  curés  qui  restaurent 
leurs  églises  «  dans  le  style  »  !  sans  parler  des  propriétaires  qui  détruisent  les 
hôtels  Louis  XVI  pour  les  remplacer  par  des  casernes  à  sept  étages.  Il  est  vrai- 
ment incroyable  que  la  commission  des  monuments  historiques  se  refuse  jus- 
qu'ici à  classer  les  monuments  «  modernes  ».  Il  faut  savoir  se  consoler  des  actes 
de  vandalisme  quand  le  souvenir  des  œuvres  disparues  nous  a  été  conservé  par 
des  inventaires  descriptifs  comme  le  Répertoire  de  Reims.  Et  aussi  ces  inventaires 
sont  une  sauvegarde.  Ils  permettent  de  disputer,  pièces  en  mains,  le  terrain  à  la 
barbarie  envahissante.  Une  autre  publication  de  l'Académie,  plus  ancienne  à  en 
juger  par  le  millésime,  mais  qui  nous  a  été  envoyée  en  même  temps  est  le  Cata- 
logue du  Musée  lapidaire  rémois  établi  dans  la  chapelle  basse  de  Varchevèché  (i865- 
1895)  par  MM.  Ch.  Givelet,  H.  Jadart,  L.  Demaison  (Reims,  imprimerie  de  l'Aca- 
démie, 1895  ;  100  pp.  in-8).  Tous  les  voyageurs  qui  ont  visité  Reims  connaissent 
la  charmante  chapelle  de  l'archevêché  et  ont  vu  les  débris  qui  y  ont  trouvé  un  abri 
depuis  i865.  Le  présent  catalogue  est  une  description  très  soignée  de  ces  objets, 
portant  142  n»s.  Tous  ceux  qui  le  méritent  sont  reproduits  en  gravure,  notam- 
ment les  autels  gallo-romains  et  le  sarcophage  dit  Tombeau  de  Jovin.  L'un  des 
auteurs  des  livres  précédents,  M.  H.  Jadart,  est  enhn  l'unique  rédacteur,  croyons- 
nous,  du  Catalogue  des  imprimés  du  Cabinet  de  Reims,  tome  V,  Histoire  (suite  et 
fin)  ;  Reims,  imprimerie  de  l'Indépendant  rémois,  1900  ;  5o2  pp.  in-8.  Le  Cabinet 
de  Reims  contient  les  publications  intéressant  l'histoire  de  Reims  et  de  la  Cham- 
pagne. Ce  volume  contient  la  fin  du  catalogue  :  Histoire  de  la  Champagne,  His- 
toire générale,  Biographie,  Archéologie,  Histoire  littéraire,  Mélanges  historiques. 
Une  table  très  complète  des  noms  de  personnes  et  de  lieux  termine  ce  volume. 
Une  note  (p.  297)  nous  apprend  qu'il  ne  reste  plus  qu'à  joindre  à  ce  riche  réper- 
toire un  supplément  et  une  table  alphabétique  générale.  Cette  œuvre  fait  honneur 
aux  conservateurs  et  aux  employés  qui  y  ont  travaillé  depuis  dix  ans.  Elle  est  une 
nouvelle  preuve  que  Reims  est  une  des  cités  provinciales  où  l'on  travaille  le  plus 
utilement.  —  S. 

—  On  a  rendu  compte  en  son  temps  {Revue  critique,  XLIV,  p.  66)  de  an  Old 
English  Grammar  and  Exercise  Book,  de  M.  C.  Alphonso  Smith,  professeur  à 
l'Université  de  Louisiane,  parvenu  aujourd'hui  à  sa  2'  édition.  Le  texte  reste  à 
peu  de  chose  près  le  même  ;  mais  la  chrestomathie  a  presque  quadruplé.  L'auteur 
y  a  ajouté  :  l'Histoire  de  Caedmon  (fragment,  p.  rii-116);  la  préface  de  la  Cura 
Paitoralis  (p.  117-121),  et  plusieurs  extraits  poétiques,  notamment  du  Béowulf 
(p.  i36-i33),  précédés  d'une  substantielle  notice  sur  la  métrique  anglo-saxonne. 
Le  lexique  s'est  naturellement  accru  d'autant.  On  ne  saurait  signaler  aux  débutants 
un  plus  utile  manuel.  —  C.  H. 

Propriétaire-Gérant  :  Ernest  LEROUX. 


Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  33. 


REVUE   CRITIQUE 

D'HISTOIRE   ET    DE    LITTÉRATURE 


N"  50  —  10  décembre  —  1900 


Browne,  Manuscrits  musulmans  de  Cambridge.  —  Abou'I-Ala,  Lettres,  p.  Mar- 
GOLiouTH.  —  Euripide,  Hippolyte  et  Oreste.  p.  Wecklein.  —  Scmuchhardt, 
Fouilles  romaines.  —  Marucchi,  Archéologie   chrétienne.  —  Rôhricht,  Pèlerins 

•  allemands  en  Terre  Sainte,  3«  éd.  —  Cartulaire  de  Sainte-Marie  d'Auch,  if,  p. 
Lacave  la  Plagne  Barris.  —  Dante,  trad.  Margerie.  —  Corpus  de  l'Inquisition 
néerlandaise,  IV,  p.  Fredericq.  —  Curscumann,  Les  famines  au  moyen  âge.  — 
Comment  a  vécu  Stendhal,  p.  Stryienski. — Bertrand,  Bibliothèque  sulpiciennc. 
—  M.  de  Polignac.  Notes  sur  la  littérature  hongroise.  —  Xénopol,  Magyars  et 
Roumains  devant  l'histoire.  —  WriGht,  Eléments  du  gothique.  —  Skeat,  Chau- 
cer  authentique.  —  Legouis,  Chaucer  et  les  deux  Prologues  des  Femmes  exem- 

:  plairas.  —  Walter  Scott,  Old  mortality,  p.  Nicklin.  —  Conford,  La  composition 
anglaise.  —  Normand,  Cours  d'histoire,  III.  —  Maréchal,  Lexicographie  fran- 
çaise. —  Zanne,  Proverbes  roumains.  —  Maïstre,  Giry. 


A  Hand-list  of  the  Muhammedan  Manuscripts...preserved  in  the  library  of  the 
University  of  Cambridge,  by  Edward  G.  Browne.  Cambridge,  at  the   University 
.     Press,  1900.   I  vol.  in-8,  xvii  et  440  p. 

En  rendant  compte  dans  la  Revue  Critique,  il  y  a  quatre  ans,  (t.xLi. 
p.  383]  du  Catalogue  des  manuscrits  persans  rédigé  par  M.  E.  Browne, 
nous  exprimions  le  vœu  que  le  savant  professeur  pût  compléter  son 
œuvre  en  dressant  le  catalogue  de  tous  les  documents  musulmans 
conservés  dans  la  Bibliothèque  de  Cambridge.  Notre  désir  s'est  réa- 
lisé. M.  B.  sans  avoir  une  prédilection  marquée  pour  les  labeurs  de 
cet  ordre,  il  en  fait  l'aveu,  a  compris  que  sa  tâche  ne  pouvait  ni  rester 
inachevée,  ni  être  abandonnée  à  des  mains  inexpérimentées.  Il  s'est 
donc  remis  vaillamment  au  travail  ;  il  a  classé  et  revisé  minutieuse- 
ment les  fiches  qui,  depuis  plus  de  huit  ans,  s'amoncelaient  dans  ses 
cartons  et  la  bibliographie  orientale  compte  maintenant  un  guide  de 
plus  dont  elle  appréciera  les  services. 

Le  titre  choisi  par  l'auteur  fait  honneur  à  sa  modestie,  mais  ne 
donne  pas  une  idée  suffisante  du  travail  accompli.  C'est  plus  qu'un 
simple  inventaire  ou  qu'un  manuel  bibliographique  (Handlist)  :  en  di- 
sant quel  a  été  le  plan  adopté  dans  ce  livre,  nous  donnerons  ainsi  la 
preuve  que  rien  ne  lui  manque  de  ce  qu'on  exige  d'un  bon  catalogue. 

Tous  les  mss.  qui  portent  un  titre  certain  y  sont  rangés  par  ordre 
alphabétique,  sans  distinction  de  langue,  de  provenance  ou  de  format, 
ce  qui  rend  inutile  un  index  particulier  des  titres  et  permet  d'éviter  le 
Nouvelle  série  L.  ^® 


45o  REVUE    CRITIQUE 

double  emploi  des  références.  Je  ne  sais  si  une  pareille  méthode  est 
tout  à  fait  conforme  aux  règles  de  l'art,  mais  quel  avantage  pour  le 
travailleur  de  trouver  de  prime  abord  ce  qu'il  cherche,  sans  avoir  à 
compulser  deux  ou  trois  tables  ou  indices. 

Voilà  pour  la  première  partie  du  catalogue.  Or  comme  dans  toute 
bibliothèque  orientale  il  se  trouve,  hélas,  bon  nombre  de  copies  qui 
pour  différentes  causes,  volumes  de  mélanges,  négligence  des  copis- 
tes, outrages  du  temps,  sont  privées  de  toute  espèce  de  titre,  l'auteur 
s'est  vu  dans  l'obligation  d'en  faire  une  classe  à  part,  se  conformant  en 
cela  au  système  de  M.  Rieu  auquel  le  Musée  Britannique  doit  un 
ensemble  de  catalogues  orientaux  qui  sont  les  chefs-d'œuvre  du  genre. 
Cette  seconde  catégorie  constitue  la  deuxième  partie  du  catalogue. 

La  troisième  qui  s'adresse  plus  particulièrement  aux  bibliothécaires 
de  profession  a  pour  but  de  simplifier  leur  besogne.  Elle  range  les  mss. 
dans  l'ordre  de  leur  numéro  de  classement  en  mettant  en  regard  le 
numéro  qui  renvoie  à  la  description  de  chaque  ouvrage.  On  trouve 
ensuite  un  index  des  noms  propres  d'auteurs  et  de  copistes  avec 
quelques  autres  renseignements  d'un  caractère  plus  général.  Ces  indi- 
cations supplémentaires  étaient  d'autant  plus  utiles  que  M.  B.,  vou- 
lant ne  rien  omettre  de  ce  qui  fait  la  richesse  du  fond  oriental  confié 
à  ses  soins,  a  dû  ajouter  à  ses  listes  la  mention  de  quelques  manus- 
crits syriaques,  hébreux,  pehlvis,  étrangers  par  conséquent  à  la  biblio- 
graphie musulmane.  Pour  obvier  à  ce  que  son  plan  a  d'un  peu  étroit, 
en  ne  permettant  pas  d'embrasser  d'un  point  de  vue  général  l'impor- 
tance de  chacune  des  sections  de  la  collection  entière,  l'auteur  s'est 
fait  un  devoir  de  signaler  dans  sa  préface  ceux  de  ses  manuscrits  qui 
par  l'importance  du  sujet,  leur  rareté,  etc.,  lui  ont  paru  dignes  d'une 
mention  particulière. 

Dans  cette  liste  nous  remarquons  les  ouvrages  suivants  :  un  vaste 
recueil  de  Ta^yèhs,  c'est-à-dire  des  mystères  persans  en  l'honneur  du 
martyre  de  Housseïn  et  de  la  famille  d'Ali  dont  la  Perse  célèbre  l'anni- 
versaire au  mois  de  Mouharren.  —  Une  copie  du  Djaviddn-é-Kébir, 
traité  de  la  doctrine  des  Ismaélis  et  des  Houroufis  qui  a  en  outre  le 
mérite  d'offrir  des  spécimens  des  dialectes  Kurdes  et  Bakhtyaris  (du 
Louristân).  —  En  histoire,  la  copie  unique  de  la  Chronique  de 
Yakoubi  qu'une  bonne  édition  de  M.  Houtsma  a  mis  aujourd'hui  à  la 
disposition  des  érudits  ;  —  le  texte  autographe  d'une  Histoire 
(i'^'gTT?^^  par  Sarkawi  ;  —  un  ouvrage  (le  n°  i. 201)  sans  nom  d'auteur, 
précieux  par  les  nombreuses  données  historiques  et  légendaires  qui 
s'y  trouvent,  notamment  pour  la  période  des  Sassanides.  —  En  lit- 
térature proprement  dite  îedebjyat),  une  copie  très  soignée  du  Kamil 
de  Moberred  qui  a  été  une  des  bases  de  l'édition  de]Wright;  —  le  livre 
des  longévités  {Kitdb  el-mou' amarin  ) ,  manuscrit  unique  dont 
M.  Goldziher  prépare  la  publication  ;  —  enfin.unc^belle  copie,  la  seule 
complète,  des  Proverbes  de  Moufaddal,  ouvrage  de  haute  importance 


d'histoire  et  de  littérature  45 1 

pour  la  connaissance  des  mœurs  et  de  la  langue  de  l'Arabie  ante-isla- 
mique  et  qui,  malgré  le  fragment  publié  à  Constaniinople,  devra  tôt 
ou  tard  être  rendu  entièrement  accessible  aux  gens  du  métier. 

Si  concise  que  soit  la  description  des  mss.  rien  d'essentiel  n'y  est 
omis.  Les  raretés  ont  une  notice  plus  détaillée;  pour  les  ouvrages 
connus  l'auteur  renvoie  aux  catalogues  du  Musée  Britannique,  de 
rindia  Office,  de  Leyde,  de  Vienne  et  souvent  aussi  au  recueil  de 
Hadji  Khalfa.  Tout  naturellement  le  fond  persan  de  l'Université  de 
Cambridge  n'a  ici,  sauf  les  acquisitions  récentes  qu'une  simple  men- 
tion, l'auteur  ayant  déjà  consacré  un  ouvrage  spécial  à  cette  partie  de 
la  collection  '. 

Tel  est  dans  son  ensemble  le  très  utile  document  mis  à  la  disposi- 
tion des  Orientalistes  qui  lui  feront  le  meilleur  accueil.  Doutant 
toujours  de  la  valeur  de  ses  œuvres,  M.  Browne  cite  à  la  fin  de  la 
préface  un  distique  arabe  assez  mélancolique,  qui  semblerait  présager 
à  son  livre  une  existence  éphémère.  Empressons-nous  de  le  rassurer: 
les  travaux  de  ce  genre  quand  ils  portent,  comme  celui-ci,  la  marque 
du  vrai  savoir  et  d'une  application  scrupuleuse,  par  cela  même  qu'ils 
répondent  à  des  besoins  constants,  n'ont  pas  à  redouter,  comme  tant 
de  productions  plus  brillantes,  le  délaissement  et  l'oubli. 

B.  M. 


Anecdota  oxoniensia.  Semitic  séries,  part.  X  The  letters  of  Abu'I-Ala, 

edited    by  D.  S.  Margoliouth.  Oxford,  1898,    148  pages  de  texte  arabe,  44  et 
i52  p.  de  texte  anglais. 

Cet  ouvrage,  outre  sa  grande  valeur  technique,  a  le  mérite  d'avoir 
un  sujet  vraiment  intéressant.  Le  personnage  un  peu  énigmatique 
d'Abou'1-Ala  de  Maarra  (973  à  1037  du  Christ]  avait  antérieurement 
été  étudié  par  Hammer-Purgstall  et  par  von  Kremer.  Sa  virtuosité 
comme  poète,  sa  profonde  érudition  acquise  toute  de  mémoire,  car  il 
était  aveugle,  son  originalité  comme  penseur,  originalité  un  peu 
inquiétante  au  point  de  vue  musulman  et  qui  le  fit  accuser  d'hérésie, 
avaient  pu,  grâce  à  ces  travaux,  être  goûtées  par  les  orientalistes.  De 
l'œuvre  considérable  de  ce  littérateur,  en  majeure  partie  perdue,  le 
volume  le  plus  populaire,  le  Sakt-c^-:{anJ,  et  un  volume  de  poésies 
soumises  à  des  difficultés  de  rimes  particulières,. appelées  Lo\oumidt, 
avaient  été  éditées  en  Orient.  Aujourd'hui  M.  Margoliouth  nous 
donne  des  '  lettres,  faible  partie  conservée  de  la  correspondance 
d"Abou'l-Ala.  Il  a  grand  plaisir  pour  un  ami  de  la  langue  arabe  à  par- 
courir cette  correspondance  qui  est  tellement  affinée,  tellement  char- 


I .  A  Catalogue  of  tlie  persian    mannuscripts  in  the  library  of  tlie    L'niversity 
{Cambridge  i8g6]. 


,452  REVUE    CRITIQUE 

gée  d'idées  poétiques,  si  richement  ornée  de  citations  de  vers,  étant 
d'ailleurs  elle-même  composée  en  phrases  rimées,  qu'elle  ressemble 
plutôt  à  un  recueil  de  poèmes  longtemps  ciselés  qu'à  une  collection 
■de  missives  écrites  au  cours  de  l'actualité  ;  et  l'on  peut  partager  son 
admiration  entre  l'extrême  adresse  du  styliste  arabe  et  la  remarquable 
•  habileté  de  son  éditeur  et  traducteur  anglais. 

Beaucoup  de  ces  lettres,  outre  les  références  littéraires  dont  elles 
sont  pleines,  renferment  des  allusions  à  cet  ensemble  de  connaissan- 
ces qui  fut  recherché  et  répandu  dans  l'Orient  musulman  à  la  belle 
époque  de  la  littérature  arabe  sous  le  nom  d'antiquités  arabes,  et  qui 
sont  intermédiaires  entre  l'histoire  proprement  dite  et  le  folklore.  La 
lettre  xxx  notamment  est  intéressante  à  ce  point  de  vue. 

Je   n'ai   pas  constaté,  en   parcourant  ces    missives,  qu'elles  jettent 
beaucoup  de  lumière  sur  le  trait  spécial  du  caractère  d'Abou'1-Ala  qui 
a  excité  le  plus  vivement  la  curiosité  des  orientalistes,   à  savoir   son 
scepticism.e.  Fut-il  vraiment  sceptique  ou   plutôt  versa-t-il  dans  cer- 
taines croyances  indiennes  comme  l'indiqueraient  des  passages  des 
lii\umiât  où   nous    le  voyons  condamner  le    meurtre  des  animaux, 
approuver  la  crémation  et  soupirer  après  le  nirvana  ?  Dans  la  biogra- 
phie très  intéressante  et  minutieusement   documentée  dont  M.  M.  a 
fait  précéder  l'édition  des  lettres,  la  question   du  caractère  religieux 
d'Abou'1-Ala  ne  paraît  pas  avoir  été  notablement  avancée.  Que  cette 
édition  soit  un  peu  décevante   sur  ce  point,  je  ne   prétends  pas  en 
blâmer  M.  M.  dont  ce  n'est  pas  la  faute.  Tout  au  contraire,  si  j'évoque 
ici  ce  petit  problème  d'histoire  religieuse,  bien  que  je  n'aie  rien  de  nou- 
veau à  en  dire,  c'est  pour  en  tirer  l'occasion  d'affirmer  l'utilité  et  l'in- 
térêt de  toutes  les  recherches  qui  peuvent  nous  faire  connaître  dans 
l'islam  des  personnages,  des  idées,  des  tendances  opposés  à  Tislam. 
C'est  là  un  genre  d'études  délicat  et  important.  Aujourd'hui  l'islam, 
dans  son  état  orthodoxe,  nous  est  suffisamment  connu,  ou  du  moins 
tous  les  matériaux  sont-ils  facilement  accessibles,  qui  peuvent  nous 
permettre  de  le  connaître  aussi  bien  qu'il  nous  plaît.  Beaucoup  plus 
obscure,  plus  neuve  et  plus  difficile  est  la  question  des  influences  et 
infiltrations  étrangères  dans  l'islam,  parce  que  ces  influences  ont  dû 
la  plupart  du  temps  se  déguiser  ou  se  celer  dans  la  crainte  de  l'ortho- 
doxie oppressive.  Abou'1-Ala  a  feint  de  rejeter  sur  la  difficulté  des 
vers  la  faute  de  quelques  expressions  qui  semblaient  entachées  d'héré- 
sie. Peut-être,  s'il  a  laissé  ces  expressions  obscures,  n'est-ce  pas  par 
défaut  de  virtuosité,  mais  à  cause  du  danger  de  parler  librement.  Aussi 
les  questions  de  ce  genre  sont-elles  extrêmement  subtiles,  puisqu'elles 
consistent  à  découvrir  dans  quelques  mots  obscurs  toute  une  série  de 
conséquences.  Il  est  probable  pourtant  que  si  quelques  orientalistes 
des  générations   jeunes  prennent   l'habitude  de  saisir  au   passage  ces 
faibles  indices  décelant  des   aflinités  secrètes,   une  pénétration  d'élé- 
ments étrangers  dans  le  corps  fermé  de  l'islam,  ils  flnirontpar  acqué- 


d'histoire    Et    DE    LITTÉRATURE  453 

rir  dans  les  observations  de  cette  sorte  une  netteté  de  vue  et  une  saga- 
cité qui  leur  permettront  d'arriver  à  des  résultats  vraiment  solides. 
C'est  pourquoi  je  pense  que  M.  Margoliouth  doit  être  loué,  non  seu- 
lement d'avoir  bien  traité,  mais  aussi  d'avoir  bien  choisi  son  sujet. 

Baron  Carra  de  Vaux 


Euripidis  Fabulae.  Ediderunt  R.  Prinz  et  N.  Wecklein.  Vol.  III.  Pars.  II. 
Ilippolytus.  Edidit  N.  Wecklein.  Leipzig,  Teubner,  1900.  Un  vol.  in-B"  de  vi- 
84  pages.  —  Vol.  III.  Pars  III.  Orestes.  Un  vol.in-8°de  87  pages. 

Les  deux  tragédies  d'Euripide  '  publiées  aujourd'hui  par  M.  N. 
Wecklein,  VHippolyte  et  YOreste,  nous  sont  parvenues  dans  les  ma- 
nuscrits delà  première  et  de  la  seconde  famille;  VOreste  même  faisait 
partie  de  la  trilogie  byzantine  et  se  trouve  dans  un  grand  nombre  de 
manuscrits.  M,  W.  a  su  borner  son  choix  et  ne  s'est  pas  cru  obligé  de 
surcharger  l'appareil  critique  de  son  édition  par  l'indication  de  leçons 
suspectes  ou  insignifiantes  de  mauvais  manuscrits.  Les  collations  de 
Prinz  forment  toujours  la  base  du  travail  du  nouvel  éditeur  ;  elles  ont 
été  sur  certains  points  revisées  et  contrôlées.  Quelques  secours  nou- 
veaux ont  été  acquis;  ainsi  le  papyrus  Kqui  donne  des  fragments  des 
vers  242-50  d'Hippolyte  ;  ce  papyrus  a  fourni  quelques  bonnes 
leçons,  par  exemple,  au  vers  3o2,  'à»  au  lieu  de  -rôjv.  Voici  quelques- 
unes  des  conjectures  proposées  par  M.  Wecklein,  Hippoly te,  364,  jàv 
^oXôTv  pour  îàv  o'.Àîav  ;  56 1  )>oyîJ7aijiivav  pour  vjjji'jîJTaaivav  ;  576,  Èvoov 
.'(aTaxai  pour  èv  oÔijlo'.;  -iz-nl;  i  148,  t.o~.  pour  -:(;  I  195,  è|jioxXf,  pour  ôiJiasTf,. 
—  Or  este,  vers  698,  iy.'w£!vo</T'.  \xi-*  y.âXtov  pour  bmi^o-m  |X£v  jraXwv  ;  944, 
yspwv  pour  \i^(w>  ;  983,  '.'.  /.oîjxaijiÉvav  pour  tîTaiJiévav;  1446,  'fjÇcov  pour  tiôv. 

Albert  Martin. 


C.  ScHucHHARDT.Rômisch-germanische  Forschungin  Nordwestdeutschland, 
Leipzig,  Teubner,  1900,  in-8  3o  pages. 

Sous  le  titre  de  «  Romisch-germanische  Forschung  in  Nordwest- 
deutschland )),  M.  C.  Schuchhardt  vient  de  publier  un  rapport  pré- 
senté par  lui,  en  septembre  1899,  au  45"»"  congrès  des  philologues  et 
des  professeurs  allemands.  Danscet  opuscule,  l'auteur  expose  quel  est 
l'état  actuel  des  recherches  archéologiques,  qui  se  poursuivent  depuis 
de  longues  années  dans  toute  la  partie  nord-ouest  de  l'Allemagne,  en 
particulier  dans  les  régions  traversées  par  la  Lippe,  affluent  du  Rhin, 

I.  Pour  les  comptes  rendus  des  pièces  déjà  parues,  voir  les  n»*  du  3i  décembre 
1898,  des  26  juin,  18  décembre  1899,  3  juin  1900. 


4^4  REVUE  CRITIQUE 

par  TEms  et  par  la  Hunte,  affluent  de  gauche  de  la  Weser.  Ces  recher- 
ches ont  amené  la  découverte  de-  nombreuses  chaussées  construites  à 
travers  les  marais  [Mourbriicken],  de  remparts,  de  forteresses  isolées. 
M.  S.  énumère  la  plupart  de  ces  vestiges,  et  décrit  brièvement  les  plus 
importants  d'entre  eux.  Il  s'efforce  surtout  de  déterminer  à  quelle 
époque  ils  remontent  :  cette  question  est  une  de  celles  qui  ont  soulevé  'W- 
parmi  les  savants  allemands  les  plus  vives  polémiques.  Pour  M.  Knoke, 
dont  nous  avons  analysé  dans  la  Revue  plusieurs  mémoires,  ces 
chaussées,  ces  remparts,  ces  forteresses  datent  de  l'époque  romaine  ; 
les  uns  et  les  autres  ont  été  construits  au  début  de  l'empire,  pendant 
la  période  très  courte  qui  s'est  écoulée  depuis  l'entrée  des  Romains  en 
Germanie  jusqu'au  désastre  de  Varus.  M.  Knoke  croit  même  avoir 
retrouvé  en  plusieurs  points  des  camp  de  Varus.  M.  S.  combattras 
vivement  cette  opinion.  Pour  lui  tous  ces  restes  sont  d'origine  ger- 
manique et  non  romaine.  Les  uns  sont  peut-être  antérieurs  à  l'épo- 
que d'Auguste  ;  les  autres  au  contraire  ne  sont  pas  plus  anciens  que 
le  haut  moyen  âge.  Cette  polémique  entre  MM.  Knoke  et  S.  a  pris 
l'allure  d'une  querelle  personnelle,  et  ce  n'est  point  ici  le  lieu  d'y 
intervenir.  Le  Rapport  de  M.  Schuchhardt  est  d'une  lecture  intéres- 
sante ;  c'est  un  bon  résumé,  consciencieux  et  utile,  de  tout  ce  qui  a 
été  fait  pendant  les  dernières  années  dans  cette  province  de  l'archéolo- 
gie germanique. 

J.  TOUTAIN. 


I 


I 


Éléments  d'Archéologie  chrétienne,  par  Horace  Marucchi.  Tome  I".  Desclé  e, 
édit.  Paris,  1900;  pp.  xxvi-Sgg  (avec  de  nombreuses  figures). 

V 

*_. 

Cet  ouvrage  n'a  rien  de  commun  avec  ceux  que  l'on  a  coutume  de  f 

publier  en  France  sous  ce  titre,  et  qui  ne  sont  généralement  que  des  H 

manuels  d'architecture  des  édifices  religieux  du  moyen  âge.  M.  Ma- 
rucchi, qui  fut  l'un  des  disciples  les  plus  assidus  de  J.-B.  de  Rossi 
et  qui  devenu  l'un  des  continuateurs  les  plus  zélés  et  les  plus  autorisés 
de  l'œuvre  de  son  maître,  nous  parle  de  la  véritable  archéologie.  Son 
ouvrage,  que  je  n'oserais  appeler  de  vulgarisation,   tant  on  y  trouve  L 

d'érudition  sous  une  forme  simple  et  attrayante,  est  le  fruit  de  longues  | 

années  d'étude.  Le  plan  est  vaste  :  il  comprendra  au  moins  trois  vo-  ) 

lûmes  ;  le  second  doit  être  consacré  à  l'étude  particulière  des  cata- 
combes, et  le  troisième  à  celle  des  basiliques  romaines.  Le  premier, 
que  nous  avons  sous  les  yeux,  se  borne  aux  notions  générales,  sans 
lesquelles  il  est  impossible  d'aborder  l'étude  particulière  des  monu-  ^_ 
ments.  L'auteur  en  donne  lui-même  l'analyse.  «  Avant  d'étudier  en 
détail,  dit-il,  les  cimetières  de  l'ancienne  Rome  chrétienne,  il  est 
nécessaire  de  posséder  quelques  notions  générales  sur  l'histoire, 
l'épigraphie,  l'art  de  cette  époque.  Je  commencerai  donc  par  exposer 


d'histoire  et  de  littérature  455 

la  condition  des  premiers  chrétiens  vis-à-vis  de  la  loi  romaine  :  ce 
sera  en  somme  faire  un  abrégé  de  l'histoire  des  persécutions,  car 
pendant  les  quatre  premiers  siècles,  à  partir  du  moment  où  on  les 
distingua  des  Juifs,  les  chrétiens  vécurent  presque  constamment  sous 
le  régime  de  la  persécution...  Je  donnerai  ensuite  une  idée  générale 
des  cimetières  chrétiens  souterrains,  appelés  maintenant  catacombes. 
Je  rechercherai  comment  ils  ont  commencé,  quelle  était  leur  forme, 
comment  les  chrétiens,  malgré  les  dispositions  hostiles  des  païens,  ont 
pu  les  posséder,  s'y  réunir,  y  faire  leurs  fonctions  liturgiques.  Il  y 
eut  aussi,  surtout  après  la  paix  de  l'Église,  rarement  avant,  des  cime- 
tières à  la  surface  du  sol  :  j'indiquerai  l'époque  de  leur  développe-  " 
ment  et  leur  mode  de  construction.  Les  monuments  les  plus  consi- 
dérables découverts  dans  ces  cimetières  sont  les  inscriptions  et  les 
œuvres  d'art.  On  ne  peut  les  comprendre  si  l'on  n'est  guidé  par  des 
principes  généraux  :  j'exposerai  ces  principes  en  les  éclairant  par  de 
nombreuses  figures....  on  verra,  dans  un  petit  traité  d'épigraphie,  les 
caractères  propres  aux  inscriptions  chrétiennes,  ceux  qui  distinguent 
les  inscriptions  de  chaque  siècle,  les  principaux  éléments  dogma- 
tiques ou  historiques  qu'elles  peuvent  contenir.  Puis  j'étudierai  les 
origines  de  l'art  chrétien,  ses  rapports  avec  l'art  paien,  le  symbolisme 
qui  lui  est  propre  et  que  nous  ne  trouvons  pas  exprimé  seulement 
dans  des  monuments  importants  comme  les  fresques  cimétériales  et 
les  sculptures  des  sarcophages,  mais  encore  dans  des  petits  objets 
d'usage  liturgique  ou  domestique  :  médailles  de  dévotion,  lampes, 
verres  dorés,  bagues,  bracelets,  ornements  divers.  «  —  Tel  est  le 
programme.  Comment  a-t-il  été  rempli?  Je  me  reconnais  incompétent 
pour  juger  l'ouvrage  et,  n'était  le  grand  plaisir  que  j'ai  éprouvé  en  le 
lisant  et  le  grand  profit  que  j'en  ai  retiré,  je  regretterais  presque  que 
l'auteur  m'ait  demandé  de  l'annoncer  ici;  car  il  eut  mieux  valu  pour 
luiavoir  les  éloges  et  la  recommandation  de  quelque  savant  éminenttrès 
versé  en  ces  matières.  Ce  qui  m'a  surtout  frappé  dans  ce  volume, 
c'est  la  clarté  et  la  précision,  la  grande  érudition  de  l'auteur,  son 
accent  de  sincérité.  M.  Marucchi  est  comme  était  de  Rossi,  son 
maître,  un  fervent  chrétien;  mais  il  appartient  à  la  classe  des  chrétiens 
éclairés  qui  savent  que  l'Église  ne  craint  point  la  lumière  ni  la  vérité. 
Il  fait  bon  marché  des  légendes  ridicules  qui  se  sont  propagées  pendant 
des  siècles  autour  des  origines  chrétiennes,  et  s'il  s'en  trouve  quel- 
ques-unes, plus  respectables  par  la  bonne  foi  de  ceux  qui  ont  con- 
tribué à  les  accréditer  que  par  la  solidité  de  leurs  fondements,  dont  il 
s'est  cru  obligé  de  parler  avec  plus  de  réserve,  il  le  fait  toujours  en 
termes  assez  transparents  pour  qu'on  puisse  lire  aisément  entre  les 
lignes  le  fonds  de  sa  pensée.  En  résumé,  l'ouvrage  est  fort  rccom- 
mandable  :  ceux  qui  sont  à  peine  initiés  à  ces  questions  en  retireront 
le  plus  grand  profit  et,  je  suis  persuadé  que  ceux  mêmes  qui  les  ont 
approfondies,  ne  le  liront  pas  sans  intérêt.  Je  ne  doute  pas  que  Tac- 


456  REVUE    CRITIQUE 

cueil  empressé  qui  sera  fait  à  ce  premier  volume,  n'engage  l'auteur  à 
nous  donner  les  autres  sans  trop  tarder. 

J.-B.  C. 


Reinhold  Rôhricht.  Deutsche  Pilgerreisen  nach  dem  heiligen  Lande.  Neue 
Ausgabe.  Innsbruck,  Wagner,  i90o;v-36op.  in-8. 

Ce  nouveau  travail  de  l'infatigable  érudit  ne  donne  pas  seulement  le 
nom  des  pèlerins  allemands  en  Terre-Sainte  et  des  renseignements 
sur  leurs  personnes  et  l'itinéraire  qu'ils  suivirent.  On  a  d'abord  un 
très  intéressant  chapitre  préliminaire  qui  traite  des  conditions  dans 
lesquelles  s'accomplissait,  surtout  avant  le  xvi^  siècle,  le  voyage 
à  Jérusalem.  Ces  quelques  pages  claires  sont  le  fruit  d'un  labeur  très 
étendu,  dont  on  peut  se  rendre  compte  en  se  reportant  aux  longues 
notes  d'une  érudition  peu  commune,  qui  les  accompagnent. 

Le  livre  forme  en  quelque  sorte  la  troisième  édition  d'un  ouvrage 
qui  parut  en  1880,  Deutsche  Pilgerreisen  par  MM.  Rôhricht  et  Meis- 
ner.  Mais  chaque  édition  a  été  rédigée  sur  un  plan  différent.  La 
seconde,  due  à  M.  Rôhricht  seul,  éliminait  les  textes  en  vieux  alle- 
mand qui  occupaient  une  grande  partie  du  volume  de  1880.  Cette 
troisième  est  de  beaucoup  supérieure  à  la  seconde,  en  ce  qui  concerne 
l'information,  et  elle  contient  des  parties  toutes  nouvelles. 

C'est  un  admirable  répertoire  auquel  devront  recourir  souvent  les 
chercheurs  qui  s'occupent  de  l'histoire  de  l'Orient  latin  aussi  bien  que 
ceux  qu'intéresse  l'histoire  politique  de  l'Allemagne  ou  l'histoire  de 
la  civilisation  dans  ce  pays  au  moyen  âge. 

N.  JORGA 


Cartulaires  du    chapitre    de  l'église   métropolitaine  Sainte-Marie  d'Auch, 

publiés...  par  C-  Lacave  La  Plagne  Barris.  — Paris,  H.  Champion;  Auch, 
L.  Cocharaux.  1899.  Iri-8,  paginé  217-361.  {Archives  historiques  delà  Gascogne, 
2°  série,  fasc.  5), 


Le  premier  fascicule  de  cette  publication  a  fait  déjà  ici  même  l'objet 
d'un  compte-rendu  ;  il  comprenait,  on  s'en  souvient,  tout  le  cartulaire 
noir,  complété  dans  ses  lacunes  par  le  premier  cartulaire  blanc,  de 
l'église  métropolitaine  d'Auch.  Maintenant  M.  Lacave  La  Plagne 
Barris  nous  donne  le  texte  du  second  cartulaire  blanc,  ms.  de49  feuil- 
lets, écrit  probablement  dans  le  dernier  quart  du  xiii«  siècle  ou  tout  à 
fait  dans  les  premières  années  du  XIV^  Là,  nous  n'avons  plus  de  ces 
fragments  de  chroniques  et  de  ces  notices  rédigées  après  coup  que 
nous  avions  observées  dans  le  cartulaire  noir  ;  nous  ne  trouvons  dans 
ce  recueil  que  des  documents  sur  l'authenticité  desquels  la  critique  la 


d'histoire  et  de  littérature  457 

plus  rigoureuse  ne  paraît  pas  devoir  soulever  de  doute.  Il  contient 
82  chartes,  dont  5  seulement  appartiennent  aux  xi«  et  xii*  siècles  ; 
toutes  les  autres  sont  comprises  entre  les  années  i232  et  1276.  Un 
certain  nombre  sont  en  provençal;  sauf  deux,  datées  de  127?  et  1274 
et  signées  du  notaire  Guillaume  «  de  Priano  »,  toutes  ces  pièces  en 
langue  vulgaire  ont  été  écrites,  de  i256  à  1262,  par  le  notaire  Ray- 
mond-Sanche  Molier. 

L'édition  de  ce  cartulaire  blanc  a  été  aussi  soignée  que  celle  du  car- 
tulaire  noir".  Chaque  document  est  précédé  d'une  courte  analyse, 
qui  en  indique  les  points  essentiels  ;  peut-être  y  désirerait-on  un  peu 
moins  de  concision.  Quelques  analyses  mêmes  ne  sont  pas  d'une 
exactitude  absolue  ;  je  citerai  par  exemple  celle  qui  est  en  tête  du 
numéro  xiii. 

Dans  le  précédent  fascicule  l'éditeur  s'était  attaché  le  plus  souvent 
à  déterminer  pour  les  dates  le  mois  et  le  quantième  ;  il  ne  l'a  plus  fait 
ici.  Je  ne  sais  pour  quel  motif,  et  s'il  s'est  borné  à  indiquer  seulement 
l'année,  au  commencement  de  l'acte  \  11  a  compté  aussi  le  départ  de 
l'année  au  i^''  janvier.  A-t-il  pour  cela  de  bonnes  raisons? Je  l'ignore. 
Il  est  vrai  que  les  chartes  de  ses  cartulaires  ne  sont  d'aucun  secours 
pour  déterminer  le  style  usité  ;  mais  il  doit  certainement  exister 
ailleurs  d'autres  documents  qui  permettent  de  le  faire, 

A  la  rin  du  volume,  table  onomastique  et  géographique,  avec  iden- 
tification, dans  tous  les  cas  possibles,  des  noms  de  lieux.  Je  n'ai  qu'à 
en  féliciter  M.  Lacave  La  Plagne  Barris,  bien  qu'on  y  rencontre 
quelques  petites  lacunes.  Citons  seulement  l'article  de  Molier  (Ray- 
mond-Sanche),  le  notaire  dont  il  a  été  parlé  ci-dessus  :  il  y  manque  le 
renvoi  aux  chartes  33*,  76*  et  77*. 

Ces  petites  observations  n'atténuent  d'ailleurs  en  rien  la  bonne  opi- 
nion que  j'ai  conservée  de  l'édition  des  cartulaires  de  Notre-Dame 
d'Auch,  et  que  je  voudrais  voir  partagée  par  tous  les  érudits.  Les 
textes  publiés  sont  intéressants  et  bien  présentés  ;  ils  seront  toujours 
précieux  à  consulter,  les  historiens  comme  les  philologues  en  tireront 

maints  profits. 

L.-H.  Labande. 


MARGERiE(Amédée  de).  Dante  :  Ici  Divine  comédie.  Traduction  en  vers  français, 
texte  italien,  introduction  et  notices  explicatives.  Paris,  Rctaux,  1900.  2  vol.  in-8 
de  Lxxxvin-382  et  507  p. 

« 

Il  y  a  quelques  années  seulement,  M.  Max  Durand-Fardel   donnait 


1 .  On  y  remarque  quelques  fautes  d'impression  qui  auraient  pu  être  signalées 

dans  les  errata  de  la  fin. 

2.  Signalons  l'erreur  de  date   en  tête  du  numéro  lxxvi  :  il  faut  i238  au  lieu  da 

1366. 


458  REVUE   CRITIQUE 

son  curieux  essai  de  traduction  abrégée  de  la  Divine  Comédie  ;  et  voici 
que  l'on  nous  donne  une  nouvelle  version,  intégrale  cette  fois  et  en 
vers,  du  poema  sacro.  L'auteur  y  a,  dit-il,  consacré  vingt-cinq  années, 
et  en  effet  on  y  sent  un  effort  consciencieux  et  intelligent.  Il  donne 
d'abord,  en  s'appuyant  principalement  sur  M.  Perrens,  une  introduc- 
tion générale  sur  l'époque  de  Dante  dont  il  apprécie  ensuite  les 
diverses  œuvres.  Puis,  par  une  invention  assez  heureuse,  il  remplace 
les  notes  explicatives  par  une  introduction  spéciale  à  chaque  chant  où 
il  glisse  avec  habileté  tout  ce  qu'il  faut  savoir  pour  le  comprendre. 
Quant  à  la  traduction,  l'on  pourrait  certes  retourner  contre  lui  ce  qu'il 
dit  des  versions  en  prose  et  montrer  que  la  nécessité  de  la  mesure 
l'oblige  souvent  à  ajouter  des  mots  ou  même  à  changer  dans  le  détail 
la  physionomie  du  texte.  Mais  elle  est  très  suffisamment  coulante, 
saisit  bien  la  pensée  et  rend  avec  fidélité  la  couleur  générale.  C'est  en 
somme  une  des  meilleures  que  nous  possédions,  et,  comme  le  texte  y 
est  joint,  ces  deux  volumes  renferment  tout  ce  qu'a  besoin  de  savoir 
sur  Dante  un  lettré  non  italianisant. 

Charles  Dejob. 


i 


Corpus  documentorum   Inquisitionis  haereticae  pravitatis  Neerlandicae. 

Versameling  van  Stukken..,  uitgeven  door  D' Paul  Fredericq...  el  zijne  neerlin- 
gen,  Vierde  deel  (i5i4-i525),  Gent,  Vuylstecke,  S.  Gravenhage,  Nijhoff,  1900, 
XXXVIII,  553  pp.  in-8».  Prix  :  i5  francs. 

Nous  avons  parlé,  à  plusieurs  reprises  déjà,  de  cet  important 
ouvrage  et  dit  tout  le  zèle  méritoire  avec  lequel  M.  Frédéricq,  pro- 
fesseur à  l'Université  de  Gand,  et  les  élèves  de  son  Séminaire  y  réu- 
nissent les  textes  nombreux  relatifs  à  l'histoire  de  l'Inquisition  néer- 
landaise. Les  deux  premiers  volumes  avaient  été  consacrés  au  moyen 
âge.  Le  tome  troisième  devra  plus  tard  apporter  de  nouveaux  supplé- 
ments à  tous  ceux  qui  sont  déjà  accumulés  à  la  fin  du  tome  II  et 
fournir  un  premier  répertoire  général.  Pour  nous  faire  prendre  pa-  ^ 
tience,  M.  F.  et  ses  jeunes  collaborateurs  ont  commencé  une  nouvelle 
série,  dont  le  premier  volume  porte  le  n°  IV,  et  qui,  avec  un  second 
déjà  sous  presse,  se  rapporte  à  l'époque  de  la  Réforme  et  à  l'organisa-  m 
tion  de  l'Inquisition  des  Pays-Bas  par  Charles-Quint. 

Ce  nouveau  volume  contient  d'abord  une  liste  chronologique  des 
hérétiques  des  deux  sexes,  poursuivis  de  i5i4  à  i525,  une  liste  des 
commissaires  pontificaux  et  épiscopaux  de  l'Inquisition,  la  série  des 
bulles  et  placards  relatifs  au  crime  d'hérésie,  entre  ces  mêmes  dates. 
Mais  le  gros  de  son  contenu  consiste  en  890  pièces,  données,  soit  en 
entier,  ou  par  extraits,  soit  sous  forme  de  régestes,  et  de  nature  très 
diverse  (lettres,  bulles  pontificales,  fragments  de  chroniques,  comptes, 
procès-verbaux  d'interrogatoires,  etc.),  dont   la  plus   récente  est  du 


d'histoire  et  de  littérature  459 

23  septembre  i525.  Beaucoup  de  ces  documents  sont  inédits, 
quelques-uns  déjà  connus,  d'autres  empruntés  à  de  rarissimes  impri- 
més du  temps,  aux  archives  et  aux  bibliothèques  de  Belgique  et  de 
Hollande.  Les  uns  sont  courts,  quelques  lignes  seulement,  dernière 
trace  de  quelque  lutte  obscure  pour  la  liberté  de  conscience,  bien  vite 
étouffée  ;  d'autres  sont  des  dossiers  complets  et  bien  instructifs, 
comme  celui  de  Jean  Pistorius,  de  Woerden,  brûlé  à  La  Haye,  en 
septembre  i525(n<'  SjS),  dans  les  quatre-vingt-dix  pages  duquel  on 
peut  étudier  à  la  fois  le  maigre  savoir  et  les  procédés  des  inquisiteurs. 
Après  l'indication  des  sources  et  une  bibliogt'aphie  du  sujet,  nous 
trouvons,  ici  encore,  un  Aanhangsel,  renfermant  un  supplément  des 
pièces  découvertes  ou  retrouvées  trop  tard,  et  des  Verbeteringen  et 
des  Aanvullingen,  suppléments  aux  notes  explicatives;  par  contre 
nous  ne  trouvons  pas  le  registre  général,  qui  sera  combiné  plus  tard 
avec  celui  du  tome  V.  Nous  regrettions  déjà,  la  dernière  fois,  qu'on 
n'ait  pas  provisoirement  mis  de  côté  tous  ces  suppléments,  textes  et 
notes,  qui  se  suivent  et  s'enchevêtrent,  pour  en  former  à  la  fin  de 
l'ouvrage  entier,  un  volume  complémentaire;  cela  donne  à  l'ouvrage, 
d'un  mérite  si  sérieux  pourtant,  je  ne  sais  quel  faux  air  de  désordre 
et  de  compilation  hâtive  qu'il  aurait  mieux  valu  éviter.  Nous  croyons, 
pour  les  mêmes  motifs,  qu'on  ferait  mieux  aussi,  en  se  contentant 
pour  le  moment  de  bonnes  tables  des  matières  à  chaque  volume,  de 
réserver  le  répertoire  général  des  noms  de  lieux  et  de  personnes  pour 
le  dernier  volume  ;  aussi  bien,  puisque  celui  de  la  première  série  n'est 
pas  encore  sous  presse  et  qu'il  s'agit  donc  seulement  d'y  intercaler 
les  fiches  de  la  seconde,  nous  engageons  M.  Frédéricq  à  réfléchir 
sérieusement  avant  d'ajouter  aux  petits  ennuis  qu'il  inflige  bien 
involontairement  aux  travailleurs,  celui  d'être  obligé  de  feuilleter  à 
l'occasion  deux  registres  au  lieu  d'un  seul.  Il  ne  nous  en  voudra  pas 
de  ce  conseil,  bien  qu'il  soit  peut-être  intéressé. 

R. 


Hungersnoete  Im  Mittelalter.  Ein  Beitrag  zur  deutschcn  Wirtschaftspcschichtc 
des  8.  bis  i3.  Jahrhunderts,  von  Fritz  Clrschmann.  Leipzig,  B.  G.  Tcubncr, 
1900,  VI,  217  pp.  in-S». 

Le  travail  de  M.  Curschmann  a  paru  dans  les  Lcip\iger  StuJien, 
série  de  mémoires  publiés  sous  la  direction  de  MM.  K.  Lamprccht, 
E.  Marcks,*Seeliger  et  Buchholtz,  professeurs  d'histoire  à  l'Université 
de  cette  ville,  et  fournis  en  majeure  partie  par  leurs  séminaires  histo- 
riques. Élève  de  M.  Lamprecht  qui  s'attache,  on  le  sait,  avant  tout 
aux  côtés  économiques  des  faits  du  passé,  M.  C.  a  choisi  comme 
sujet  de  sa  dissertation  l'histoire  des  grandes  famines  qui  ont  sévi  au 
moyen  âge  ou  —  plus  exactement  —  celles  qui  se  sont  produites  dans 


460  REVUE    CRITIQUE 

l'Europe  centrale  du  vme  au  xiii"  siècle.  Outre  rAllemagne  propre- 
ment dite,  le  champ  de  ses  recherches  a  embrassé  encore  la  Suisse,  les 
Pays-Bas  et  la  France  septentrionale.  Dans  son  introduction  il  nous 
explique  sa  méthode  de  travail,  la  nature  de  ses  sources  ',  les  limites 
chronologiques  et  lopographiques  auxquelles  il  s'est  arrêté,  et  appuie 
sur  la  différence  qu'il  faut  faire,  à  certaines  époques  et  dans  certains 
milieux,  entre  les  temps  de  cherté  et  les  véritables  famines  \  Dans  la 
première  partie  de  son  travail,  il  examine  tour  à  tour  les  causes  qui 
ont  produit  ces  dernières,  leur  durée,  leur  extension  soit  purement 
locale,  soit  plus  ou  moins  universelle  ;  il  essaie  d'en  fixer  l'impor- 
tance par  des  données  statistiques,  naturellement  assez  incertaines  ;  il 
en  signale  les  conséquences,  pestes,  migrations  ^  cas  d'anthropopha- 
gie *;  il  expose  les  tentatives,  peu  nombreuses  et  peu  efficaces,  faites 
par  les  pouvoirs  publics  et  la  charité  privée  ^  pour  remédier  à  ces 
calamités  terribles  et  signale,  à  bon  droit,  le  clergé  régulier  comme 
ayant  fait  au  moyen  âge  les  efforts  les  plus  sérieux  (quoique  vains 
trop  souvent),  pour  sauver  de  la  mort  les  populations  décimées  par  le 
fléau. 

La  seconde  partie  du  travail  de  M.  Curschmann,  qui  remplit  les 
deux  tiers  du  volume,  comprend  son  apparatiis  critictis  tout  entier, 
c'est-à-dire  les  textes  même  des  annales,  chroniques,  etc.  qui  men- 
tionnent des  famines  générales  ou  locales,  de  709  à  l'bx'j.  On  y  peut  _* 
donc  contrôler  à  l'aise  les  affirmations  de  Tauteur,  en  étudiant  à  son  a 
tour  les  sources  ;  et  Ton  constate  volontiers  de  la  sorte  que  son 
mémoire  est  une  œuvre  consciencieuse  et  solidement  établie  ;  s'il  ne 
nous  apprend  presque  rien  d'absolument  nouveau,  il  nous  fournit  par 
ses  nombreux  matériaux  des  points  d'appui  solides  pour  des  tableaux 
d'ensemble  qui  reposaient  jusque-là  un  peu  trop  sur  les  impressions 

1.  M.  C.  a  surtout  trouvé  les  renseignements  qu'il  lui  fallait  dans  les  Annales 
monastiques  primitives;  les  Chroniques  lui  ont  fourni  des  renseignements  çà  et  là 
plus  détaillés,  mais  peut-être  moins  exacts  dans  leur  ensemble.  Rien  dans  les 
chartes;  il  fallait  s'y  attendre.  Mais  presque  rien  dans  les  Vies  des  Saints  qui,  dit 
l'auteur,  guérissent  constamment  des  aveugles  et  des  paralytiques,  mais  n'ont 
jamais  tenté  de  combattre  la  famine. 

2.  Ces  deux  mots  de  famés  et  de  caristia  ont  d'ailleurs  changé  parfois  de  sens 
à\i  cours  des  siècles. 

3.  C'est  un  des  chapitres  les  plus  curieux  du  volume  de  M.  C.  que  celui  où  il 
décrit  le  déplacement  des  populations  de  certaines  régions  à  la  suite  de  ces 
famines  d'une  plus  ou  moins  longue  durée;  on  n'a  certainement  pas  encore  tenu 
un  compte  suffisant  de  certains  de  ces  faits  pour  l'histoire  de  la  colonisation  alle- 
mande au  moyen  âge. 

4.  M.  C.  se  trompe  malheureusement  en  croyant  que  le  cannibalisme  disparaît 
dans  les  derniers  siècles  du  nu)yen  âge.  En  plein  xvii'^  siècle,  les  misères  de  la 
guerre  de  Trente  Ans  l'ont  fait  renaître  en  plus  d'un  point  de  l'Allemagne. 

.  5.  Sur  ce  point,  il  me  semble  que  l'auteur  aurait  pu  trouver  des  renseignements 
plus  nombreux,  en  étudiant  par  exemple  les  chartes  de  fondation  des  nombreux 
hospices  créés  du  xui*  au  xv*  siècle,  bien  plus  souvent  destinés  à  nourrir  les 
indigents  qu'à  héberger  les  malades. 


d'histoirf.   f.t  de  littérature  461 

personnelles  du  narrateur  moderne.  Ses  affirmations  comme  ses  dé- 
ductions générales  se  présentent  à  peu  près  partout  avec  le  degré  de 
prudence  voulu  pour  inspirer  confiance  à  ceux  (jui  auront  à  utiliser 
son  ouvrage  '. 

R. 


Comment  a  vécu  Stendhal,  Préface  de  Casimir  Stryienski,  Paris,  Villerelle,  1900, 

in-8°,  XIII  et  207  pp.,  3  fr.  5o. 

Voici  un  nouveau  livre  sur  Stendhal,  ou  mieux  à  côté  deStendhal,  et 
dont  le  besoin,  cette  année,  ne  se  faisait  peut-être  pas  impérieusement 
sentir.  Il  est  publié  sous  les  auspices  de  M.  C.  Stryienski,  qui  s'est 
fait  dès  longtemps  une  spécialité  de  cet  écrivain,  et  est  passé  maître  en 
l'art  d'accommoder  ses  restes,  —  par  ce  terme  j'entends,  nul  n'en  doute, 
d'enchâsser  ses  reliques.  Avec  M.  Jean  deMitty,  M.S.  est  l'homme  du 
monde  qui  a  fait  le  plus  pour  la  gloire  de  Beyle,  —  après  Stendhal,  — 
et  qui,  à  ce  jeu,  s'est  acquis  une  méritée  réputation.  Il  nous  a  donné  le 
Journal,  la  Vie  de  Henri  Brulard^  même  les  moins  connus  Souve- 
nirs d'Egotisme;  il  a  aidé  les  historiens  de  Stendhal  à  fixer  cette  figure 
étrange,  énigmatique  et  captivante.  Aussi  sa  Préface  alerte  et  documen- 
tée permet-elle  à  M.  S.  de  se  montrer  lui-même.  Pour  le  reste,  il  n'in- 
tervient pas.  Or,  ce  reste,  quel  est-il?  On  nous  annonce  «  une  sorte  de 
catalogue  raisonné  d'une  très  belle  et  très  homogène  collection  d'au- 
tographes ».  C'est  celle  que  R.  Colomb  a  transmise  à  Auguste  Cordier. 
Mais  Cordier  en  avait  dcjà  tiré  Stendhal  raconté  par  ses  Amis  et  ses 
Amies,  (Paris,  Laisney,  1893),  et  les  Budgets  de  Stendhal  {Revue 
Blanche,  n"  du  !«■■  avril  1897);  —  et  ce  sont  là  les  pages  qui  forment 
les  deux  tiers  du  présent  volume.  Était-il  utile  de  les  redonner, 
comme  choses  neuves,  au  public  friand  et  curieux?  N'y  a-t-il  point 
d'ailleurs  une  exagération  évidente  à  faire  tourner  à  la  gloire  de 
Beyle  jusqu'à  une  pauvreté  qu'amena  sa  faute  môme  ?  Et  ce  «  cata- 
logue d'états  d'àme  »,  qui  ne  paraissait  pas  indispensable,  semble-t-. 
il  bien  impartial?  Assez  on  a  dit  la  névrose  de  Stendhal,  qui  le 
poussa  à  des  testaments  nombreux;  assez  on  a  discuté  sur  son  don- 
juanisme ;  assez  on  a  plaint  l'écrivain  de  race  réduit  à  devenir  tonc- 
tionnaire.  11  n'est  pas  jusqu'au  Portrait  inédit  en  héliogravure  i]u\ 
n'ait  déjà  paru  en  photoiypie,  et  n'ait  reproduit  le  crayon  appartenant 
à  M.  Pellat. 

Aussi  ce  livce  mignon,  joliment  imprimé,  qui  complétera  les  coUec- 


I.  Évidemment  on  pourra  interpriîter  diflércmment  tel  ou  tel  texte,  n'accorder 
qu'une  confiance  limitée  aux  exagérations  de  la  tradition,  consignée  dans  telle  ou 
telle  chronique;  mais,  en  général,  M.  C.  est  d'une  prudence  très  louable  en  dis- 
cutant ces  matières  et  surtout  les  questions  de  chitlres,  sur  lesquels  on  n«  devrait 
jamais  beaucoup  appuyer  pour  le  moyen  âge» 


462  REVUE    CRITIQUE  jj^! 

tion  des  stendhaliens  par  quelques  pages  de  M.  Stryienski,  ne  les 
enrichira  guère,  je  le  crains,  et  n'apportera  pas  de  surprises  aux  fer- 
vents adorateurs  de  ce  dieu  aux  pieds  d'argile. 

Pierre  Brun. 


Bibliothèque  sulpicienne  ou  Histoire  littéraire  de  la  Compagnie  de  Saint- 
Sulpice,  par  L.  Bertrand.  Paris,  Picard,  igoo;  3  in-8,  dexxiv-556,  612,484  p. 

M.  l'abbé  Bertrand,  bibliothécaire  et  ancien  professeur  au  Grand- 
Séminaire  de  Bordeaux,  est  un  des  érudiis  les  plus  infatigables  et  les 
plus  sûrs  de  la  province  :  ami  de  Tamizey  de  Larroque,  il  avait  sa 
méthode  et  ses  traditions.  Aucun  de  ses  travaux,  si  spécial  qu'il 
soit,  n'est  inutile  à  l'histoire  générale;  aucune  de  ses  citations  n'est 
inexacte  ;  aucune  de  ses  bibliographies  n'est  incomplète.  On  retrou- 
vera tous  ces  mérites  dans  ce  nouveau  volume  :  M.  Bertrand,  l'un 
après  l'autre,  suit  pas  à  pas  dans  leur  carrière  et  leurs  écrits  les  prêtres 
de  Saint-Sulpice,  et  pour  qui  sait  le  rôle  qu'ils  ont  joué  dans  l'éduca- 
tion et  la  pensée  catholiques,  un  tel  livre,  fait  avec  une  érudition  de 
toute  première  main,  fourmillant  de  notes  et  de  textes,  est  une  ines- 
timable contribution  à  l'histoire  religieuse.  Nous  signalons,  dans  la 
vie  d'Ollier,  l'emploi  des  manuscrits  autographes  conservés  à  la  Bi- 
bliothèque nationale;  dans  celle  de  Le  Clerc,  le  catalogue  des  manus- 
crits du  célèbre  sulpicien;  parmi  les  biographies  plus  modernes,  celle 
du  controversiste  Paillon  (où  j'aurais  voulu  un  mot  bibliographique 
sur  Albanès,  qui  a  été  son  plus  sérieux,  sinon  son  seul  sérieux  adver- 
saire) ;  celle  de  l'orientaliste  Le  Hir,  popularisé  dans  un  autre  milieu 
par  les  Souvenirs  de  Renan,  et  sur  lequel  on  nous  avait  promis  (n'est- 
ce  pas  M.  Arthur  Loth  ?)  une  longue  étude. 

J. 


Melchior  de  Polignac  :  Notes  sur  la   littérature   hongroise.  Paris,    Ollendorff, 
1900.  —  288  pages, 

M.  de  Polignac  a  publié,  en  1896,  une  anthologie  de  poésies 
magyares  où  il  a  donné  principalement  la  traduction  des  œuvres  de  la 
jeune  école  lyrique.  «  Mais,  dit-il  dans  l'Introduction  de  son  nouveau 
volume,  en  négligeant  de  faire  connaître  les  origines,  l'œuvre  civilisa- 
trice, les  influences  subies  au  cours  de  son  histoire  par  la  nature  hon- 
groise, je  diminuais  l'intérêt  que  leur  originalité  mérite  d'éveiller.  » 
C'est  cette  lacune  que  les  Notes  veulent  combler.  La  littérature 
magvare  est  si  peu  connue  chez  nous  que  la  moindre  étude  est  la 
bienvenue. 

Cependant  l'ignorance  de  la  langue  hongroise,  même  chez  ceux  qui 


è 


I 

I 


d'histoire  et  de  littérature  463 

font  de  cette  littérature  un  objet  d'étude,  est  la  source  de  bien  des 
erreurs.  Un  vrai  dilettantisme  sem-ble  remplacer  les  études  appro- 
fondies du  regretté  Sayous  et  nous  aurons  peut-être  un  jour  des 
magyarisants  qui  n'auront  aucune  notion  de  la  langue.  M.  de  Poli- 
gnac  travaille  à  l'aide  de  quelques  écrivains  magyrrs  qui  lui  traduisent 
obligeamment  les  textes.  11  a  pris  cette  fois-ci  pour  guide  l'Histoire 
de  la  littérature  hongroise  de  Zoltan  Beôthy  dont  on  se  sert  dans  les 
lycées  magyars  ;  il  en  a  tiré  ses  Notes  qu'il  nous  présente  agrémentées 
de  quelques  phrases  de  Taine  et  de  Brunetière.  Il  a  même  eu  recours 
au  Saint  Etienne  de  M.  Horn  et  à  son  fameux  article  sur  Jokal  servi 
déjà  à  différentes  reprises  au  public  français.  Muni  de  ces  références, 
il  a  donné  avec  un  effort  vraiment  louable  et  digne  d'un  meilleur 
résultat  un  livre  où  les  idées  générales  sont  assez  agréablement  pré- 
sentées, le  caractère  éminemment  patriotique  et  national  de  la  litté- 
rature hongroise  bien  mis  en  relief,  mais  où  les  noms  magyars,  même 
celui  de  son  guide,  sont  horriblement  estropiés  et  où  les  bévues  ne 
se  comptent  plus  '.  Le  moyen  âge,  peu  important  au  point  de  vue  lit- 

I.  Par  exemple  :  Page   10.  Regès,  lantos  sont  deux  noms  différents  pour  indi- 
quer les  joueurs  de  luth,   et  non  pas   un  mot  composé.  —   P.  32.   11  n'existe  pas 
des  manuscrits  d'Anonymus,  scribe  du  roi  Bêla.  Le  seul  manuscrit  de  l'.Xnonyme, 
notaire  du  rof  Bêla,  la  chronique  des  Hongrois,  est  conservé   à  Vienne.  Pourquoi 
mettre  partout  Auonymus ?  M.  de  Polignac  prend-il  ce  mot  pour  un  nom  propre  ? 
—  P.  34.  Quel  est  ce  savant  hongrois  Vanberg?  C'est  probablement  Vambéry.  — 
P.  35.  On  écrit  :  feleség  et  non  féléseg.  —  P.  36.  On  dit  les  Cumans  et  non  les 
Kuns.  —  P.  44.  On  écrit  Lébédie  et   non   Lébédy.  —  P.    45.   Geysa  n'était  pas  le 
premier  duc  de  Hongrie,  mais  le  quatrième.  —P.  53.  On  ne  peut  guère  parler  de 
«  l'ouverture  du  premier  parlement  »  sous  le  règne  de  François  !«'.  La  Diète  de 
1825,  n'était  pas  la  première,  mais  la  plus  importante  de  ce  règne.   —   P.  54.  Il 
faut  lire  le  14  avril  j  84g   et  non  i%48  ;   —  même  page  :  Bach  et  non  Back.  — 
P.  84.  Quel  est  ce  saint  Gelbert  martyr?  Il    faut   l'appeler  ou  bien  par  son  nom 
magyar  :  Gellért  ou  bien  dire  :  Gérard.  —  P.  89.  Spiellmann  et  Meincsinger  si)nt 
pris  pour  «  des  chanteurs  autrichiens  qui  devinrent  célèbres  u.   Spielmann    veut 
dire  le  jongleur  et  Minnesinger  le  trouvère   en  général.  —  P.    89.  «  Vidal  chanta 
longtemps  l'hospitalité  qu'il  reçut  à  la  cour   du  roi   Eméric.  »    Il  y   a  une  seule 
strophe  dans  ses  poésies  qui  atteste  son  séjour  en  Hongrie.  —  P.  90.  Il  faut  écrire 
Ves:{prdm  et  non  Vespren.  —  P.  94.  Quand  il  s'agit  de  manuscrit  le  mot  codex  vaut 
mieux  que  code.  —  P.  95.  Andréas,  n'est  ni  français,   ni  magyar,  mais  allemand. 
Disons  :  André,  ou  bien  Andrds.  —  P.  99.  On  n'a  jamais  mis  les  livres  de  la  Cor- 
vina   à  la  disposition    du    public.  —  P.    loi.    Pourquoi    dire  Janos    Pannonius, 
puisque  les  Hongrois  eux-mêmes  disent  :   Janus.  —  P.  104.    D'après   la   dernière 
découverte  de  M.  Fraknoi,  c'est  Ladislas  Karai  et  non  Geréb  (encore  moins  Ge'reb) 
qui  installa  l'imprimeur  André  Hess  à  Bude.  -   P.  io5.  S'il  est  juste  d'appeler  les 
villes  magyares  par  leur  nom  hongrois,  il  est  tout  à  fait   inutile  d'écrire  Krakko 
pour  Cracovie.—  P.  106.  Lire  Uj-S^iget  pour  Ug-O^iget.  -  P.  107.   Sainte  Mar- 
guerite n'a   jamais   écrit  une  légende  de  Saint-François.—  P.   u?.   La  secte  des 
sjombatosok   s'appelle   des  Sabbathaires  et  non  des   Sabbatietis.    —   P.    i34.  Les 
Chansons  des  Fleurs  de  Balassa   furent    découvertes  en    /i'?74  et   non  en    iS-i. 

—  P.   139.    11   faut  dire  Thôkôly  et  non  Telcki.  —  Pp.    140  et  148.  Rakoczi  II  ne 
suffit  pas;  il  s'agit  p.  140  de  François  II  Rakoczi  et  p.  148  de  Georges  II  Rakoczi. 

—  P.   140.    On    écrit  Pdimdnv  et   non  Pas^many.   —  P.    144.    La   traduction   des 


464  REVUE    CRITIQUE 

téraire,  occupe,  à  notre  avis,  trop  de  place  au  détriment  du  xix^  siècle 
qui,  seul,  peut  vraiment  intéresser  dans  un  coup-d'œil  aussi  ra- 
pide ;  le  théâtre  est  presque  négligé  ;  quatre  lignes  pour  un  Gré- 
goire Csiky  sont  vraiment  trop  peu,  même  dans  un  aperçu  géné- 
ral. Joka'i  aurait  dû  prendre  place  après  les  romanciers  Josika,  Eôtvôs 
et  Kemény  et  non  pas  être  rejeté  à  la  fin  du  volume,  servant  de  lien 
entre  le  passé  et  le  présent  (qui  n'est  pas  traité),  et  surtout  il  n'aurait 
pas  fallu  se  contenter  de  «  l'intéressante  étude  »  de  M.  Horn.  Les 
influences  étrangères  sont  à  peine  indiquées.  Malgré  ces  lacunes,  le 
volume  peut  donner  une  idée  générale  du  développement  de  la  litté- 
rature magyare  et  quand  l'auteur  voudra  compléter  ses  connaissances 
de  la  langue  hongroise,  ne  pas  se  borner  à  un  Manuel  et  à  quelques 
travaux  de  dilettantes  français,  il  pourra  nous  donner  des  livres  plus 
nourris  sur  une  littérature  à  laquelle  il  a  pris  goût. 

J.  KONT. 


Psaumes  d'Albert  Szenci-Molnâr  n'est  pas  en  prose,  mais  en  vers.  —  P.  147.  Jean 
Cseri  est  né  en  1625,  et  non  en  i525.  —  P.  i5o.  Il  faut  dire  :  la  Perte  de  S:^iget  et 
non  Spgeti,  l'i  formant  les  adjectifs  des  noms  de  villes.  —  P.  167.  La  garde  royale 
hongroise  fut  créée  par  Marie-Thérèse  en  ij6o  et  non  en  ij63.  — P.  172.  Baroti- 
Szabô  est  un  seul  écrivain.  —  P.  173.  Bessenyei  est  mort  en  1 8 1 1 ,  et  non  en  1 840. 

—  P.  174.  Le  roman  politique  de  Bessenyei  —  le  Voyage  de  Tariménès  —  est 
encore  inédit.  —  P.  175.  Lire  :  Barattyi,  au  lieu  de  Barac^i;  C:{irjék,  au  lieu  de 
C:{ijjek.  —  P.  179.  On  ne  représente  pas  le  Notaire  de  Peleske  de  Gvadânyi,  qui 
est  un  roman,  mais  la  pièce  qu'en  a  tirée  Joseph  Gaal,  en  i838.  —  P.  184. 
Alexandre  Kisfaludy  est  né  en  I/72  et  non  en  1773.  —  P.  188.  La  grammaire 
historique  de  Rêvai  s'intitule  :  Elaboratiov  grammatica  hungarica  et  non  Elabora- 
tio.  —  P.  189.  Kazinczy  a  traduit  également  La  Rochefoucauld  et  Marmontel.  — 
P.  191.  Berzsenyi  aurait  dû  être  traité  avec  les  membres  de  l'Ecole  latine; 
cela  aurait  épargné  à  M.  de  P.  ce  fâcheux  :  <>  Revenons  à  l'école  latine  ».  —  P.  193. 
Le  recueil  des  chansons  populaires  ne  commence   qu'en  1843,  et  non  vers    1820. 

—  P.  2o5.  Charles  Kisfaludy  est  mort  en  i83o  etnoneni842.  —  P.  209.  Dans  la 
tragédie  de  Katona,  Bank  ne  quitte  pas  la  Palestine,  puisque  le  roi  l'a  laissé  en 
Hongrie  pour  le  remplacer.  —  P.  217.  Le  romancier  Jôsika  est  mort  en  1864  et 
non  en  i865.  —  P,  221.  L'analyse  du  Chartreux  de  Joseph  Eôtvôs  n'est  pas  exacte 
("  la  maîtresse  qui  l'aime,  tombe,  par  désespoir,  dans  l'abîme  dont  il  vient  de  reti- 
rer sa  fiancée  »).  —  P.  226.  Dans  le  roman  Paul  Gyulai  de  Kemény  (et  non  Ke'mé- 
nj'i),  Beltijar  (Balthasar)  Bâtori  n'est  pas  le  frère  du  prince  Sigismond.  — P.  242. 
D'après  la  dernière  biographie  de  Petôfi,  celle  de  M.  Ferenczi,  il  n'est  pas  exact  que 
Petôfi  s'enrôla  parce  qu'un  de  ses  parents  voulut  lui  faire  continuer  ses 
études.  —  P.  247.  —  L'analyse  du  Héros  Jean  (qui  ne  s'appelait  jamais  Kokout;[a) 
est   inexacte.  —    P.  249.  Arany   ne  fut  jamais   «  clerc  chez  un  notaire  »,  le  mot 

jegy:^œ  indique  en  Hongrie  le  secrétaire  de  la  mairie.  —  P.  25g.  Il  est  inexact  de 
dire  que  l'influence  du  romantisme  français  fût  plutôt  malheureuse  en  Hongrie. 
On  lui  doit,  au  contraire,  une  véritable  renaissance.  —  P.  281.  L'analyse  du 
«  Nouveau  Seigneur  »  de  Jôkaï,  roman  traduit  en  français,  est  inexacte. 


d'histoire  kt  de  littérature  .|65 

Magyars   et   Roumains   devant   l'histoire.    Réponse  à   M.  A.   de   Bcrtha   par 
A.  D.  XÉNOPOL.  Paris,  Leroux,  lyoo.  29  pages. 

Il  était  à  prévoir  que  le   livre   de  .M.  de    Bertha   que    nous    avons 
annoncé  dernièrement  ici  même  ne  resterait  pas  sans  réplique.  M.  Xé- 
nopol  qui  a  déjà  publié,   en  français,  plusieurs  ouvrages  historiques 
très  estimés,  s'est  chargé  de  le  réfuter  en  montrant  que   l'ouvrage   de 
M.  de  Bertha  manque  d'esprit   scientifique,   qu'il  contient  plusieurs 
erreurs  et  contradictions  et  que  la  thèse  qu'il  défend,  n'est  pas   soute- 
nable.  Il  a  choisi,  à  cet  effet,  un  point  dans  chacune  des  trois  parties 
dont  se  compose  le  livre  et  tend  à  démontrer  que   l'auteur  magyar  a 
manqué  de  bonne  foi.  Ces  trois  points  sont  :  1°  La  fameuse  question 
sur  la  continuité  dacique.  M,  X.  en  est  un  ardent  défenseur,  mais  il  est 
aujourd'hui  suffisamment  prouvé  qu'elle    ne   peut  plus   se  défendre 
avec  la  certitude  que  le  savant  roumain  établit  à   l'aide  de  quelques 
textes.  Une  bonne  partie  des  historiens  et  des  philologues  roumains, 
non  prévenus,  n'en  font  plus  grand  cas.  Il  y  a  là  un  problème  ethno- 
graphique qui  est  loin  d'être  résolu.  11  peut  avoir  une  certaine  impor- 
tance au  point  de  vue  national  roumain,  mais  il  n'entre  que  pour  peu 
de  chose  dans  les  luttes  contemporaines.   Supposons   même  que  la 
thèse  de  M.  Réthy  contre  laquelle  M.  X.  invoque  l'autorité  du   philo- 
logue Meyer-Lûbke,  soit  fausse  et  que  les  Roumains  soient  les  des- 
cendants des  colons  romains  établis  par  Trajan  en  Dacie  ;  qu'il  y  avait, 
par  conséquent,   des  Vlaques  en    Transylvanie    avant   l'arrivée   des 
Hongrois  en  Europe  ;  il  n'en  reste  pas  moins  avéré  que  la  Transyl- 
vanie a  été  conquise  par  Arpad  et  ses  successeurs  aussi  bien   que   la 
Hongrie  ;  que  cette  principauté  a  toujours  fait  partie  du   territoire 
magyar  et  que  ce  n'est  pas  aujourd'hui  où  elle  forme  une  des  frontières 
les  plus  sûres  contre  l'invasion  étrangère  que  l'Etat  austro-hongrois 
peut  l'abandonner,  sans  guerre,  a  la  Roumanie.  —  Le  deuxième  point 
traite  des  relations  des  Roumains  et  des  Hongrois    jusqu'au  xvir  siè- 
cle.  M.  Jancso  et  son  adaptateur  français,  en  parlant  des  Valaqucs  du 
moyen  âge,  ont  laissé  échapper  quelques  termes  peu  courtois.  M.  X. 
les  relève  et  montre  d'abord  les  vexations  auxquelles  les  serfs  roumains 
furent  exposés  de  la  part  des  seigneurs  hongrois,  montre  que  la  cor- 
dialité n'a  jamais  pu  exister  entre  les  deux  nationalités  et  que  les  nom- 
breux soulèvements  des  paysans  en  1324,  1437,  1480  et  i  5 14  prouvent 
suffisamment  la  tyrannie  des   Magyars.  M.  X.  n'est  pas  sans  savoir 
qu'il  y  avait  des  Jacqueries  dans  tous  les  pays,  même  là  où  seigneurs 
et  serfs  appartenaient  à  la  même  nationalité  et  que  le  sort  du   paysan 
était  partout  misérable.    Il  sait    également  le  rôle  vraiment  important 
que  les  princes  et  la  noblesse  de  Transylvanie  ont  joué  au  cours  des 
xvi*  et  xviie  siècles,  lorsque  l'Autriche  menaçait  l'indépendance  natio- 
nale et  le  protestantisme.  La  Transylvanie  était  alors  le  seul  loyer  de 
la  civilisation  magyare.  La  cour  des  Bâthori,  de  Gabriel   Bethlcn  et 


466  REVUE   CRITIQUE 

des  Rakoczy,  bien  connue  même  en  France,  exerçait  une  suprématie 
intellectuelle  que  tout  historien  doit  reconnaître,  Nous  ne  trouvons,  à 
cette  époque,  rien  d'analogue  en  Valachie,  mais  nous  accordons  volon- 
tiers à  M.  X.  qu'il  est  toujours  de  mauvais  goût  de  présenter  l'adver- 
saire politique  comme  un  barbare  ou  un  vagabond.  —  Le  troisième 
point  —  les  Roumains  au  service  de  la  réaction  — •  transporte  le  pro- 
blème historique  dans  le  domaine  de  la  politique.  Ici  ce  ne  sont  plus 
des  arguments,  mais  des  passions  qui  se  trouvent  face  à  face.  Si  tous 
les  historiens  roumains  étaient  animés  des  mêmes  sentiments  que 
M.  X.,  il  est  probable  que  la  paix  et  la  concorde  se  feraient  encore 
longtemps  attendre.  Le  savant  historien  refuse  d'avance  toute  chance 
de  réussite  à  l'esprit  de  conciliation  qui  anime  actuellement  le  gouver- 
nement magyar.  Dans  ces  conditions  la  discussion  devient  impossible. 
Mais  nous  croyons  que  les  Roumains  de  Transylvanie  feraient  mieux 
d'écouter  des  conseils  plus   sages  et  de  renoncer  à  leur  opposition, 
passive  à  l'intérieur,  bruyante  à  l'extérieur.  En  tout  cas,  M.  Xénopol, 
a  tort  de  citer  (page  23)  parmi  les  chauvins  hongrois  d'avant  1848  le 
comte  Etienne  Széchenyi.  Ce  grand  réformateur  a  été  le  premier  qui, 
en  1842,  dans  la  séance  solennelle  de  l'Académie   hongroise,  déclara 
qu'il  ne  fallait  pas  imposer  le  magyar  aux  autres  peuples.  Tout  en 
demandant  certaines  garanties  pour  la  langue  magyare,  il  désirait  que 
l'idiome  national  s'imposât  par  la  suprématie  intellectuelle  et  non  par 
la  force  de  la  loi.  Si  les  hommes  d'Etat  qui  ont  dirigé  le  pays  après 
1867,  s'étaient  inspirés  de  ces  conseils,  il  est  probable  que  la  lutte  des 
nationalités  n'aurait    pas  pris  cette   forme  aiguë  que   l'on    constate 
encore  aujourd'hui.  Heureusement  la   paix  commence  à  se  faire  et 
nous  prévoyons  le  jour  où  ces  polémiques  qui  ne  servent  qu'à  enve-         | 
nimer  les  choses,  cesseront,  et  le  public  français  connaîtra  enfin  autre 
chose  de  la  Hongrie  et  de  la  Roumanie  que  leurs  luttes  stériles. 

J.   KONT. 


—  M.  J.  Wright,  suppléant  depuis  dix  ans  de  la  chaire  récemment  occupée  à 
Oxford  par  Max  Mùlier,  publie  en  2*  édition  le  Primer  of  the  Gothic  Language 
dont  la  Revue  critique  a  rendu  compte  en  1892  (XXXIII,  p.  466).  L'ouvrage  passe 
de  248  à  288  pages.  Les  lecteurs  y  apprécieront  surtout  l'avantage  qu'il  leur  offre 
de  posséder  au  complet  l'un  au  moins  des  Evangiles  (S.  Marc),  sans  autre  mutila- 
tion que  celle  qui  résulte  de  l'imparfaite  conservation  du  texte  ulfiléen.  Le  lexique 
s'est  enrichi  en  conséquence.  Mais  le  petit  lapsus  que  j'avais  relevé  dans  la  gram- 
maire n"a  pas  disparu.  —  V.  H. 

—  M.  Skeat  dont  l'autorité  est  incontestable,  s'est  attaché  dans  le  nouveau  livre 
qu'il  publie  sur  Chaucer  [The  Cliaucer  Canon  with  a  discussion  of  the  works  asso- 
ciated  with  the  name  of  Geoffrcy  Chaucer,  Oxford,  Clarendon  Press.  1900,  i  vol. 
in-8,  XI  et  167  p.,  3  s.  6  d.)  à  établir  les  règles  par  lesquelles  on  peut  distinguer 
les  œuvres    authentiques  de  Chaucer  de  celles  qui  lui  ont  été  attribuées  à  tort. 


I 


Àâ 


d'histoire  et  de  littérature  467 

C'est  par  l'étude  des  particularités  de  la  grammaire  et  de  la  versification  de 
Chaucer  que  M.  S.  est  arrivé  à  dégager  les  règles  qu'il  pose.  Nul  n'est  mieux  pré- 
paré que  M.  S.  à  un  travail  de  ce  genre.  11  n'est  personne  en  Angleterre  qui  puisse 
prétendre  à  une  connaissance  aussi  approfondie  de  la  vieille  langue  anglaise  en 
général  et  de  l'idiome  de  Chaucer  en  particulier.  On  retrouve  dans  l'étude  nou- 
velle les  qualités  de  clarté  et  d'ordre  qui  distinguent  l'érudition  de  M.  S.  Il  est 
impossible  d'être  à  la  fois  plus  précis,  plus  'complet  et  plus  net.  Le  travail  de 
M.  S.  est  indispensable  à  quiconque  s'occupe  d'une  manière  sérieuse  des  œuvres 
de  Chaucer.  —  J.  Lecoq. 

—  C'est  un  tout  petit  point  d'érudition  que  s'attache  à  fixer  M.  Legouis  dans  son 
court  opuscule  Quel  fut  le  premier  composé  par  Chaucer  des  deux  prologues  de 
la  Légende  des  Femmes  exemplaires.  (Extrait  de  la  «  Revue  de  l'Enseignement  des 
Langues  Vivantes  »,  Paris,  xvii*  année.  Avril  1900,  i  vol.  in-8,  20  p.).  11  s'agit, 
comme  l'indique  le  titre  très  explicite,  de  savoir  si  le  prologue  A  est  antérieur  au 
prologue  B  comme  le  veut  l'opinion  traditionnelle,  ou  bien  si  au  contraire  la 
priorité  doit  être  attribuée  au  prologu»  B, comme  l'a  soutenu  Ten  Brink  et  comme 
le  prétendent  après  lui  des  savants  d'une  autorité  incontestable  comme  Kôppel  et 
Max  Kaluza.  C'est  contre  l'opinion  allemande  que  se  range  M.  L.  d'accord  en  cela 
avec  M.  Skcat  et  un  critique  plus  récent,  M.  John  Koch.  M.  L.  analyse  soigneuse- 
ment les  deux  prologues  et  dans  une  discussion  très  serrée,  établit  qu'il  est  con- 
traire au  bon  sens  de  vouloir  attribuer  la  priorité  au  prologue  B.  11  montre  que 
l'erreur  de  Ten  Brink  a  été  de  demander  à  l'étude  des  prologues  des  renseigne- 
ments nouveaux  sur  la  vie  de  Chaucer,  au  lieu  de  les  voir  en  eux-mêmes  et  de  les 
apprécier  en  tant  qu'œuvres  d'art.  Cette  préoccupation  d'érudit  a  faussé  complète- 
ment son  jugement.  Toute  cette  discussion  est  conduite  par  M.  L.  avec  une  clarté 
absolue,  une  sûreté  de  vue  remarquable.  L'érudition  ne  nuit  en  rien  chez  lui  à  la 
finesse  de  l'esprit  :  11  apporte  en  résumé  sur  le  point  de  détail  qvi'il  étudie  une 
contribution  très  intéressante  à  l'histoire  des  œuvres  de  Chaucer  et  établit  d'une 
manière  qui  paraît  définitive  la  vérité  sur  une  question  restée  ouverte  jusqu'à  ce 
jour.  — J.  Lecoq. 

—  La  collection  connue  sous  le  nom  de  Pett  Press  Séries  vient  de  s'enrichir  d'une 
édition  d'un  des  romans  les  plus  connus  de  Walter  Scott  {Taies  of  my  Landlord 
First  Séries  Old  Mortality  by  Sir  "Walter  Scott,  edited  with  introduction,  notes 
and  glossary  by  J .  A.  Nicklin.  Cambridge  University  Press.  1900,  i  vol.  in-8,  xii 
et  522  p.).  L'introduction  est  un  peu  maigre  et  aurait  gagné  à  être  développée  : 
trop  de  concision  nuit  parfois  et  mène  à  l'inexactitude.  Resserrer  en  quarante 
lignes  l'histoire  du  roman  avant  Scott  est  une  tâche  ardue  :  ce  serait  une  exagé- 
ration que  de  prétendre  que  M.  N.  l'a  accomplie  avec  succès.  Les  notes  générale- 
ment historiques,  quoique  laconiques,  sont  suffisantes.  Le  glossaire  est  bien  fait  et 
complet.  Somme  toute,  édition  consciencieuse  et  bien  faite  pour  les  élèves 
auxquels  elle  est  destinée.  —  J.  L. 

—  Le  petit  volume  que  publie  M.  L.  Cope  Cornford  :  English  Composition  A  ma- 
nualof  Theory  and  Practice  (London,  Nutt.  1900,  i  vol.  in-8,  VI  et  225  p.)  est  le 
fruit  d'une  longue  expérience.  C'est  un  manuel  de  rhétorique  plein  de  conseils 
pratiques  et  bourré  d'exemples.  11  a  toute  la  sécheresse  des  livres  de  ce  genre,  et, 
si  j'ose  dire,  toute  la  naïveté  didactique  des  traités  où  on  prétend  par  principes  et 
définitions  enseigner  l'art  d'écrire.  11  semble  que  la  pédagogie  anglaise  retarde  un 
peu  sur  la  nôtre  à  cet  égard.  11  y  a  déjà  un  certain  temps  que  nous  avons  fait 
disparaître  de  nos  classes  les  traités  de  rhétorique  qui  en  étaient  jadis  le  plus  bel 


468  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

ornement.  M.  L.  JG.  G.  passe  en  revue,  très  consciencieusement,  les  différents 
genres  de  composition,  ^les  analyse  soigneusement,  les  dissèque;  tout  cela  n'est 
exempt  ni  de  lourdeur,  ni  de  pédanterie.  Mais  en  pourrait-il  être  autrement?  — 
F.  Lecoq. 

—  M.  Ch.  Normand  a  terminé  son  Cours  d'histoire  à  l'usage  des  écoles  normales 
primaires  d'instituteurs  et  d'institutrices  et  des  candidats  au  brevet  supérieur.  Le 
volume  qui  forme  la  troisième  année  de  ce  Cours,  de  1789  à  nos  jours,  vient  de 
paraître  (Paris,  Colin,  in-8,  592  p.).  C'est  un  excellent  précis,  très  substantiel,  très 
vivant,  très  intéressant.  Il  forme  trente-quatre  chapitres,  accompagnés  chacun 
d'un  résumé,  de  notes  et  éclaircissements,  de  lectures,  d'une  liste  de  livres  à  con- 
sulter. Quelques  lapsus  disparaîtront  aisément  à  la  prochaine  édition  :  p.  40, 
Brunswick  fut  blessé  mortellement  et  non  tué  à.  Auerstaedt  ;  p.  74,  Valmy  est  du 
20  et  non  du  21  septembre;  p.  81,  Napoléon  entra  à  l'Ecole  militaire  en  1784  et 
non  en  1786,  et  fut  sous-lieutenant  en  1785  et  non  en  1787.  —  A. G. 

—  M.  Léon  Maréchal,  professeur  à  l'Athénée  royal  de  Hasselt,  a  publié  à  Liège, 
chez  Dessain,  en  100  pages,  une  Lexicographie  française  comprenant  l'étude 
des  tnots  d'origine  latine  et  grecque  a  l'usage  des  classes  de  5«  et  6°  des  humanités 
anciennes.  Il  signale  entre  parenthèses  les  mots  latins  qui  ressemblent  le  plus, 
pour  la  forme,  aux  mots  français,  et  indique  les  étymologies.  Son  livre  est  en  deux 
parties  :  dans  la  première,  purement  théorique,  il  retrace  les  procédés  auxquels 
recourt  le  français  pour  former  les  mots,  dérivés  ou  composés;  dans  la  seconde, 
purement  pratique,  il  fait  connaître  cinquante  familles  de  mots  pris  parmi  les 
plus  dignes  de  remarque.  L'auteur  veut  donner  à  l'élève  un  moyen  d'acquérir 
peu  à  peu  un  vocabulaire  étendu.  Il  s'est  aidé  dans  sa  tâche,  non  seulement  du 
travail  de  Pessonneaux  et  Gautier,  et  du  Dictionnaire  de  Stappers,  mais  de  la 
Giammaire  de  Clédat. — G. 

—  M.  Jules  Zanne  continue  la  publication,  déjà  signalée  dans  cette  revue,  des 
proverbes,  dictons,  locutions,  etc.  roumains  [Proverbes  roumains  de  Roumanie, 
Bessarabie,  Bucovine,  Hongrie,  Istrie  et  Macédoine,  t.  Il,  1897  ;  t.  III,  1899;  t.  IV 
igoo;.  Jusqu'ici  trois  nouveaux  volumes  ont  paru,  et  ils  seront  certainement  de 
la  plus'grande  utilité  aux  savants  qui  s'occupent  de  folk-lore.  M.  Zanne  ne  néglige 
jamais  de  mentionner  à  la  suite  du  proverbe  roumain  les  proverbes  similaires  des 
autres  peuples  européens  et  pour  faciliter  la  tâche  de  ses  lecteurs  étrangers,  il 
donne  à  la  suite  de  ses  volumes  des  vocabulaires  roumains  français.  —  J. 

—  M.  Henri  Maïstre  a  extrait  de  la  «  Correspondance  historique  et  archéologi- 
que »  (années  1889  et  1900)  sa  Biographie  des  travaux  d'Arthur  Giry.  Il  a  pu 
consulter  les  manuscrits  et  collections  du  regretté  savant  et  comble  ainsi  bien  des 
lacunes.  Son  travail  est  précédé  d'une  photographie  de  Giry  et  d'une  notice  bio- 
graphique due  à  Fernand  Bournon. 


Propriétaire-Gérant  :  Ernest  LEROUX. 


Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 


N"  51  —17  décembre  —  1900 


ViNsoN,  Légendes  bouddhistes.  — Gruenwedel,  Mythologie  du  bouddhisme.  — De- 
NiKER,  Races  et  peuples   de  la  terre.  —  Kattenbusch,  Le  symbole  apostolique. 

—  LucHAiRE,  Quelques  manuscrits  de  Rome  et  de  Paris.  —  Boulanger,  Clcman- 
gis  et  Jacques  de  Nouvion. — Wvss,  LeCisianus  de  1444.— Baston,  Mémoires,  p. 
LoTH  et  Verger.  —  M""  Blaze  de  Bury,  Les  romanciers  anglais  contemporains. 

—  Gonse,  Les  chefs-d'œuvre  des  musées  de  France.  —  Gorgias.  p.  Steuder.  — 
LuLOFs,  Antisthène.  —  Nillson.  Les  Dyonisies.  —  Capps,  Les  vainqueurs  des 
Lénéennes.  —  Rasi,  Sur  Horace,  —  Curcio,  Grattius  et  Ncmesianus.  —  Garo- 
FALO,  Études  sur  l'Espagne  romaine.  —  Guerre  civile,  III,  p.  Peskett.  — 
Ci-ARK,  Variantes  des  discours  de  Ciccron.  —  Gkn'til,  Les  Gcorgiqucs,  traduc- 
tion en  vers.  —  Oltramare,  Les  cpigranimcs  de  Martial.  —  Académie  des  Ins- 
criptions. 


Julien  ViNsoN.  Légendes  bouddhistes  et  jainas  traduites  du  tamoul.  (Conteurs 
et  poètes  de  tous  les  pays).  —  Paris,  Maisonneuvc,  igoo.  2  vol.  pet.  in-8  :  xxviii, 
23o  et  274  p. 

La  langue  tamoule,  parlée  à  l'extrémité  méridionale  de  la  péninsule 
indienne  et  au  nord  de  Geylan ,  possède  une  littérature  considérable, 
d'un    intérêt  capital  pour  l'histoire  politique,  religieuse  et  philosophi- 
que de  rinde;  cette  littérature  est  cependant  à  peine   explorée.  Le 
Koural  de  Tirouvallouva  «  le  sublime  paria  »  a  presque  seul  triomphé 
de  rinditîérence  occidentale.  M.  Vinson,  professeur  à  l'Ecole  des  Lan- 
gues Orientales  et  poète  tamoul  à  ses  heures  de  loisir,  entr'ouvre  aux 
spécialistes  et  aux  curieux  trois  poèmes  anciens,  postérieurs  en  date 
au  Koural,  et  qui  s'échelonnent  vraisemblablement  du  x«  au  xn^  siè- 
cle. Deux  d'entre  eux,  le  Sindàma«i  et  le  Silappadigàram  sont  d'ins- 
piration jaina  ;  le  troisième,  le  Ma;zimcgalei  est  une  œuvre  bouddhiste. 
Mais  les  croyances  personnelles  du  poète  n'affectent  guère  le  fond  de 
l'œuvre  et  ne  s'expriment  qu'accidentellement.  L'action  se  réduit  aux 
données  de  convention  admises  dans  toute  la  littérature  de  l'Inde.  Le 
Sindàma;zi  raconte  les  aventures  héroïques  et  erotiques  d'un  Hls  de  roi, 
Jîvaka,  né  après  la  ruine   et  la  mort  de  son  père,   recueilli  et  élevé 
par  des  étrangers  et  qui  conquiert  la  couronne  avec  autant  d'aisance 
que  les  cœurs  féminins.  Le  héros  du  Silappadigàram  est  le  marchand 
Gobala,  époux  de' la  vertueuse  Ka/z/zagi  ;  oublieux  de  la  tîdélitc  conju- 
gale, Gobala  court  les  actrices  et  les  danseuses  et  entretient  la  belle 
Mâdhavî;  mais  soudain  la    ruine  l'oblige  à  rcHéchir;ii    prend    ses 
fautes  en  horreur,  et  s'exile  accompagné  de  la  fidèle  Ka;/;/agi.  Pour 
Nouvelle  série  L.  5i 


470 


REVUE    CRITIQUE 


avoir  à  manger,  il  essaie  de  vendre  le  dernier  anneau  de  jambe  de  sa 
femme;  mais  il  est  pris  pour  un  voleur  et  mis  à  mort.  Sa  femme 
maudit  la  cité  responsable  du  meurtre,  puis  monte  rejoindre  au  ciel  la 
victime  d'une  sentence  injuste.  Les  tiéaux  qu'elle  a  invoqués  se  déchaî 
nent  sur  la  ville,  le  roi,  d'abord  désespéré,  réussit  cependant  à  les 
écarter  en  instituant  le  culte  de  Ka;2/zagi,  culte  adopté  bientôt  par  les 
peuples  voisins. 

Le  sujet  du  Ma;7imegalei  se  rattache  au  cycle  de  Gobala.  Mam- 
megalei  est  la  fille  née  des  relations  du  marchand  Gobala  cl  de 
Màdhavî;  malgré  les  obligations  de  caste  que  lui  impose  sa  naissance, 
la  jeune  tille  n'aspire  qu'au  renoncement  et  à  l'austérité.  Mais  sa 
beauté  éveille  sur  son  passage  le  désir  et  l'amour.  La  protection  des 
dieux  et  des  saints,  justiliéepar  les  actes  de  ses  existences  antérieures, 
lui  permet  d'échapper  aux  pièges  et  aux  violences  ;  transportée  dans 
une  île  merveilleuse,  elle  y  voit  l'escabeau  du  Bouddha,  apprend  le 
"secret  de  son  passé,  reçoit  une  coupe  inépuisable  dont  elle  se  sert  pour 
les  œuvres  de  charité,  et  confirmée  dans  ses  premières  résolutions  par 
les  drames  tragiques  qui  se  déroulent  autour  d'elle,  elle  va  successi- 
vement interroger  les  maîtres  de  toutes  les  sectes  et  trouve  enfin  son 
refuge  dans  la  loi  du  Bouddha, 

L'exaltation  du  bouddhisme  en  pays  tamoul,  à  une  date  aussi  tar- 
dive que  le  xii=  ou  le  xiii=  siècle,  atteste  la  longue  persistance  de  cette 
religion  dans  l'Inde  et  rend  plus  obscur  encore  le  problème  de  sa 
brusque  disparition.  Le  Ma/zimegalei  est  à  ce  titre,  plus  encore  qu'au 
point  de  vue  littéraire,  un  document  de  haute  importance,  on  vou- 
drait savoir  à  quelle  école  il  se  rattache,  quel  système  il  expose. 
L'ouvrage  de  M.  V.  nous  promet,  mais  nous  laisse  attendre  d'autres 
informations  ;  M.  V.  a  craint  en  effet  de  lasser  et  d'écarter  les  lecteurs 
par  une  traduction  fidèle,  et  il  a  donné  des  trois  poèmes  une  longue 
analyse,  entremêlée  de  courtes  citations  ;  à  cette  analyse  il  ajoute,  il 
est  vrai,  des  spécimens  de  traduction,  mais  les  passages  choisis  ne 
sont  pas  malheureusement  les  plus  intéressants.  De  longues  notices 
sur  le  Bouddhisme  et  le  .Tainisme  et  un  vocabulaire  explicatif  consti- 
tuent presque  les  deux  tiers  du  second  volume.  Ce  sera  tout  profit  si 
les  lecteurs,  amorcés  par  les  contes,  acquièrent  en  surplus  des  notions 
sur  deux  des  grandes  religions  de  l'Inde  ;  mais  il  faut  reconnaître  que 
M.  V.  leur  a  fourni  la  mesure  large  en  donnant  la  biographie  de 
Bouddha  et  des  indications  sur  le  bouddhisme  chinois,  tibétain,  bir- 
man, etc.,  à  propos  d'une  analyse  du  Ma/zimegalei,  Visant  une  catégo- 
rie peu  exigeante  de  lecteurs,  M.  V.  ne  s'est  pas  toujours  préoccupé 
d'une  minutieuse  exactitude  ;  une  critique  chagrine  trouverait  souvent 
a  reprendre  dans  la  forme  des  mots  sanscrits  restitués  aussi  bien  que 
dans  le  détail  des  dates  et  des  données  historiques.  Mais  plutôt  que 
d'insister  sur  ces  chicanes,  il  vaut  mieux  remercier  M.  V.  d'avoir 
rendu  accessibles  aux  indianistes  qui  sont  étrangers  au  tamoul  do« 


d'histoire  et  de  littérature  471 


documents  intéressants,  surtout  s'il  complète  à  bref  délai  ses  analyses 
par  la  traduction  exacte  des  passages  qui  sont  de  nature  à  éclaircir 
l'histoire  religieuse  de  l'Inde  au  moyen  âge. 

Sylvain  Lévi. 


Albert  Grunwedei.  .  Mythologie  des  Buddhismus  in  Tibet  und  der  Mongole!. 

Fùhrer  durch  die  Sammlung  des  Fûrstcn  E.   Uchtomskij.  Leipzig,  Brockhaus. 
1900,  XXXII  et  244  p. 

Le  prince  Esper  Uchtomskij,  qui  fut  le  compagnon  et  l'historiogra- 
phe du  tzarévitch  (depuis  tzar)  Nicolas  au  cours  de  son  voyage  en 
Extrême-Orient,  a  passé  quinze  ans  de  sa  vie  à  étudier  le  monde 
bouddhique  et  a  parcouru  toutes  les  contrées  où  s'est  propagée  la  doc- 
trine du  Bouddha.  Il  a  recueilli  un  peu  partout,  mais  notamment  chez 
les  populations  soumises  à  la  Russie  ou  comprises  dans  sa  zone  d'in- 
fluence, des  objets  d'art  religieux  qui  ont  fini  par  former  une  collec- 
tion analogue  à  notre  beau  musée  Guimet.  A  l'aide  de  ces  matériaux, 
mais  sans  s'y  resteindre  trop  rigoureusement,  M.  Griinwedel  a  tracé 
un  tableau  clair  et  substantiel  de  la  mythologie  bouddhique  au  Tibet 
et  en  Mongolie.  Les  travaux  antérieurs  de  M.  G.,  qui  l'ont  classé  au 
premier  rang  des  historiens  de  l'art  bouddhique,  le  désignaient  tout 
naturellement  pour  cette  nouvelle  tâche.  Après  avoir  appliqué  sa 
science  et  son  ingéniosité  à  la  recherche  des  origines  gréco-romaines 
de  l'art  bouddhique  dans  l'Inde,  M.  G.  se  préoccupe  de  suivre  les 
modifications  des  types,  des  conventions  et  des  représentations  origi- 
nelles dans  les  pays  si  divers  où  une  infatigable  propagande  les  a 
transportés.  Le  Panthéon  adopté  par  les  Lamas  est,  au  premier  abord, 
un  grouillement  formidable  d'êtres  bizarres,  tourmentés,  compliqués, 
un  monde  à  la  Callot  qui  semble  défier  la  patiente  sagesse  d'un  cata- 
logue. M.  G.  réussit  cependant  à  y  introduire  de  l'ordre.  Il  com- 
mence par  analyser  les  éléments  historiques  de  cette  mythologie 
luxuriante.  Brièvement,  mais  d'une  main  exercée,  il  groupe  les 
données  les  plus  anciennes  fournies  par  l'archéologie;  puis  il  marque 
l'action  individuelle  des  personnalités  puissantes  qui  dans  l'Inde 
d'abord,  ensuite  au  Tibet,  enfin  en  Mongolie  ont  enrichi  de  leurs 
créations  nouvelles  les  rangs  déjà  pressés  de  la  hiérarchie  divine.  Les 
couches  successives  ainsi  reconnues,  M.  G.  passe  de  la  théogonie  au 
dénombrement  des  dieux,  et  sagement  il  emprunte  aux  Lamas  leur 
système  de  classification  :  1°  divinités  tutélaires;  2''  Bouddhas; 
3»  Bodhisa'tvas;  4°  déesses  (Taras  et  Dàkinîs);  5°  protecteurs  de  la  reli. 
gion  (dharmapàlas);  6°  divinités  locales.  Un  catalogue  ne  se  résume 
pas;  mais  on  ne  saurait  trop  louer  l'exactitude  et  la  richesse  des  intor- 
mations  recueillies  par  M.  G.,  et  souvlmu  dissimulées  avec  une  dis- 
crétion de  bon  goût  dans  les  notes  de  l'appendice,  afin  d'écarter  du 


472  REVUE    CRITIQUE 

livre  même  tout  appareil  de  pédantisme.  Un  excellent  glossaire  qui 
donne  les  équivalents  triglottes  (sanscrit,  tibétain,  mongol),  termine 
l'ouvrage.  Le  texte  est  accompagné  de  i88  illustrations,  ou  plutôt  il 
leur  sert  de  commentaire.  L'exécution  matérielle  du  livre,  la  correc- 
tion de  la  typographie  en  dépit  des  vocables  barbares  accumulés  dans 
l'exposé,  l'élégance  de  la  disposition,  jointes  au  prix  si  peu  élevé  du 
volume  doivent  aussi  mériter  à  l'éditeur  une  juste  part  d'éloges. 

La  préface  du  prince  Ukhtomskij  vaut  d'être  signalée  à  part.  Le 
prince  Ukhtomskij  n'est  pas  un  professionnel  de  l'érudition  ;  c'est  un 
homme  pratique,  mêlé  de  près  à  la  vie  active.  L'hommage  qu'il  rend 
au  bouddhisme  n'en  est  que  plus  expressif.  11  connaît  par  les  monu- 
ments et  par  l'histoire  l'action  civilisatrice  exercée  pacifiquement  par 
les  apôtres  et  les  missionnaires  du  Bouddha,  de  la  Perse  au  Japon,  du 
Baïkal  à  Java  ;  il  a  vu  de  ses  yeux  la  même  action  s'exercer  encore  ;  il 
a  constaté  la  solidarité,  plus  étroite  et  plus  intime  qu'on  ne  veut  l'ad- 
mettre en  Occident,  des  membres  dispersés  de  l'Eglise  bouddhique. 
La  facilité  croissante  des  voyages,  la  «  paix  russe  »  concurremment 
avec  la  «  paix  britannique  »  ont  réveillé  des  aspirations  qui  languis- 
saient sans  s'éteindre.  Entre  Ceylan,  Siam,  le  Japon,  la  Chine,  le 
Tibet  et  les  rives  du  Volga,  les  relations  se  resserrent  et  se  multiplient, 
des  cadeaux  pieux  s'échangent,  des  projets  pieux  se  colportent.  Un 
nouveau  facteur,  qui  peut  devenir  considérable,  tend  à  s'introduire 
dans  les  rapports  de  l'Orient  et  de  l'Occident.  L'Indo-Chine,  en 
grande  partie  bouddhique,  ne  permet  pas  à  la  France  de  se  désinté- 
resser de  ce  problème.  L'initiative  éclairée  de  M.  Doumer  y  a  créé 
un  centre  et  un  organe  de  recherches  scientifiques  ;  il  faut  souhaiter 
que  de  notre  Ecole  Française  d'Extrême-Orient  sorte  à  bref  délai  un 
catalogue  du  panthéon  indo-chinois.  Le  Japon,  de  son  côté,  vient 
de  créer  à  Nara  un  beau  musée  d'archéologie  bouddhique  ;  il  im- 
porte que  les  richesses  de  cette  collection,  unique  par  son  antiquité, 
soient  mises  à  la  portée  de  tous  les  savants  par  une  publication  dont 
les  éléments  sont  prêts.  Alors  seulement  il  deviendra  possible  d'es- 
quisser une  iconographie  comparative  du  Bouddhisme,  et  de  définir 
la  part  originale  qui  revient  à  l'Inde  dans  la  création  ou  la  propaga- 
tion de  tant  de  figures  étranges  rêvées  par  des  visionnaires  hindous^ 
traduites  et  stylisées  par  le  ciseau  des  sculpteurs  helléniques  et  qui 
rattachent  en  fin  de  compte  par  une  filiation  artistique  la  Chine  et  le 

Japon  à  la  civilisation  grecque. 

Sylvain  Lévi. 


J.  Deniker.  Races  et  peuples  de  la  terre.  Paris,   Schleicher,    1900.  In-8,  vii- 
692  p.,  avec  176  planches  et  figures  et  2  caries. 

Voici  enfin  un  véritable  manuel  d'anthropologie,  d'ethnographie  et 
de  science  préhistorique,  qu'on  p^ut  recommander  en  conscience  aux 


d'histoire  et  de  littérature  47^ 

historiens.  Du  grand  ouvrage  de  M.  Ranke,  Der  Mensch, 'û  se  dis- 
tingue avec  avantage  par  la  richesse  et  le  choix  heureux  des  réfé- 
rences ;  comparé  aux  deux  volumes  de  M.  Keane,  Ethnology  et  Man 
past  and  présent,  il  l'emporte  parla  bonne  disposition  des  matières  et 
la  qualité  supérieure  de  l'érudition.  M.  Deniker.  bibliothécaire  du 
Muséum,  lisant  presque  toutes  les  langues  de  l'Eu/ope,  chargé  en 
outre,  depuis  plusieurs  années,  de  la  partie  bibliographique  de 
VAnthr-opologie,  était  mieux  désigne  que  personne  pour  écrire  avec 
compétence  et  documenter  avec  précision  un  ouvrage  didactique 
embrassant  un  horizon  aussi  vaste.  Quelques  réserves  que  l'on  puisse 
faire  sur  certains  détails,  on  ne  peut  que  rendre  hommage  à  la  belle 
venue  de  l'ensemble  et  se  réjouir  qu'un  répertoire  aussi  riche  et  aussi 
sûr  puisse  être  désormais  dans  toutes  les  mains. 

Les  sept  premiers  chapitres  concernent  les  caractères  somatiques  et 
physiologiques  d'une  part,  ethniques  et  sociologiques  de  l'autre  ;  puis 
vient  une  classification  générale  des  races  et  des  peuples  et  une  étude 
brève,  mais  remarquablement  exacte,  des  anciens  habitants  de  l'Eu- 
rope. Les  chapitres  X-XIII  sont  consacrés  aux  peuples  de  l'Asie,  de 
l'Afrique,  de  l'Océanie  et  des  deux  Amériques.  Un  important  ap- 
pendice, œuvre  laborieuse  et  en  partie  originale,  est  rempli  par  des 
tableaux  de  mesures  (tailles,  indices  céphaliques).  Enfin,  un  index  très 
soigné  facilite  les  recherches  dans  ce  magasin  bien  classé  de  docu- 
ments. Il  y  a  deux  cartes  et  176  similigravures,  toutes  satisfaisantes, 
quelques-unes  remarquables,  qui  reproduisent  non  seulement  les 
types  ethniques,  mais  les  armes,  les  outils  et  les  instruments  caracté- 
ristiques des  différents  peuples. 

Le  précis  de  science  préhistorique  fait  partie  du  chapitre  IX  ^Races 
et  peuples  de  l'Europe);  il  est  complété  par  quelques  indications 
données  en  tête  des  chapitres  X  et  XI  {Races  et  peuples  de  l'Asie  et 
de  l'Afrique),  où  l'on  trouve,  en  particulier,  ce  que  tout  le  monde 
devrait  savoir  touchant  la  plus  importante  découverte  anthropologique 
de  la  fin  du  siècle,  celle  du  Pithecanthropus  erectus  de  5a\a(i&g4). 

Un  des  mérites  les  moins  contestables  de  M.  Deniker  est  la  réserve 
toute  scientifique  qu'il  apporte  dans  l'exposé  des  questions  en  litige. 
Il  n'est  nullement  néophobe  et  fait  une  place  à  toutes  les  hypothèses 
dignes  d'attention,  mais  il  prend  soin  de  mettre  ses  lecteurs  en  garde 
contre  les  conclusions  précipitées  où  s'est  toujours  complu  le  dilettan- 
tisme. Voici,  par  exemple,  une  phrase  bonne  à  méditer  (p.  377)  : 
«  L'hypothèse  de  la  race  aryenne  blonde,  grande  et  dolichocéphale, 
née  sur  place,  "n'a  pas  plus  de  consistance  que  celle  de  la  race  aryenne 
tout  court  venant  d'Asie.  »  Et  ailleurs  (p.  27?)  :  «  L'hypothèse  de  la 
promiscuité  ou  du  mariage  communal  a  peu  de  défenseurs  aujour- 
d'hui. La  longue  liste  des  peuples  pratiquant  la  promiscuité,  donnée 
par  Lubbock,  diminue  à  mesure  que  l'on  connaît  mieux  ces  peuples.  » 
Je  pourrais  multiplier  ces   citations,  où  se  reflète  un   esprit    critique 


474  REVUE    CRITIQUE 

bien  armé.  Si,  désormais,  il  se  trouve  des  gens,  en  France  ou  ailleurs, 
pour  lancer  des  théories  saugrenues  sur  les  «  races  »,  Jes  «  mœurs 
primitives  »  et  la  «  sociologie  préhistorique  »,  ils  seront  d'autant 
moins  excusables  qu'ils  possèdent  désormais  un  guide  éminemment 
propre  à  les  maintenir  ou  à  les  ramener  dans  la  bonne  voie. 

S.  R. 


Das  apostolische  Symbol.  Il,  Verbreitung  und  Bedeutung  des  Taufsymbols; 
zweite  Hâlfte  ,  von  D.-F.  Kattenbusch.  Leipzig,  Hinrichs ,  1900;  in-8, 
p.  353-1061. 

La  première  partie  de  ce  gros  volume  a  paru  en  1897  ;  M.  Katten- 
busch y  étudiait  la  légende  concernant  l'origine  apostolique  du  sym- 
bole, le  symbole  chez  Irénée,  chez  Tertullien  ,  chez  Clément 
d'Alexandrie,  chez  Origène,  la  ditîusion  et  l'autorité  du  symbole  en 
Orient,  les  traces  de  l'histoire  primitive  du  symbole.  Dans  la  seconde 
partie  nous  trouvons  l'histoire  du  symbole  en  Occident  jusqu'à  la  fin 
de  l'âge  patristique,  l'interprétation  historique  de  l'ancien  symbole 
romain,  une  étude  sur  l'âge  et  l'origine  du  texte  reçu,  l'interprétation 
des  additions  que  ce  texte  renferme,  enfin  un  aperçu  des  résultats 
obtenus,  et  des  remarques  sur  les  dernières  publications  se  rapportant 
au  symbole.  Tous  ces  sujets  sont  traités  avec  une  grande  abondance 
d'érudition,  une  méthode  rigoureuse,  une  critique  à  la  fois  très  pru- 
dente et  très  perspicace.  L'explication  de  l'ancien  symbole  romain  est 
du  plus  haut  intérêt,  et  tout  à  fait  instructive.  M.  K.  montre  bien  le 
caractère  pratique  de  ce  document,  où  n'entre  pas  une  seule  concep- 
tion métaphysique,  bien  qu'on  ait  pu  ensuite  y  rattacher  sans  peine 
le  dogme  trinitaire  et  christologique.  Un  seul  article  pour  «  Dieu, 
Père  tout  puissant  >',  le  Dieu  chrétien;  on  ajoutera  plus  tard  «  créa- 
teur du  ciel  et  de  la  terre  »;  mais  la  sobriété  de  la  formule  primitive 
atteste  que  le  rédacteur  n'a  pas  encore  en  face  de  soi  les  spéculations 
de  la  gnose.  Sept  articles  pour  Jésus  le  Christ,  Fils  de  Dieu,  concer- 
nant son  apparition  terrestre,  sa  mort,  sa  gloire  et  son  retour  ;  rien 
n'est  dit  de  sa  préexistence  ;  on  ne  connaît  pas  ou  on  n'emploie  pas 
encore  le  quatrième  Évangile.  Le  symbole  se  meut  pour  ainsi  dire 
dans  l'atmosphère  des  Synoptiques  et  des  Actes  ;  il  les  suppose,  mais 
ne  les  résume  pas,  il  n'en  procède  pas  comme  d'Écritures  canoniques. 
De  même  que  Dieu  est  dit  Père  en  tant  que  providence  souveraine  et 
universelle,  Jésus  est  dit  Fils  de  Dieu  en  tant  que  né  de  l'Esprit  saint. 
Peut  être  le  savant  commentateur  s'égare- t-il  un  peu  en  cherchant  à  % 
déterminer  la  façon  dont  Jésus  lui  même  a  conçu  sa  propre  préexis- 
tence en  Dieu.  Il  est  d'ailleurs  dans  le  vrai  quand  il  observe  que  le 
symbole,  en  rattachant  la  filiation  divine  à  la  naissance  miraculeuse, 
n'atteint  pas  à  la  hauteur  de  la  conscience  que  Jésus  a  eue  de  cette 


J 


d'histoire  et  de  littérature  47$ 

filiation,  et  que,  néanmoins,  le  symbole  enseigne  un  mélange  de  divin 
et  d'humain  dans  le  Christ  ;  en  sorte  que  l'on  allait  contre  son  esprit 
en  soutenant  que  Jésus  n'était  qu'un  homme  conçu  miraculeusement. 
Le  rapport  du  symbole  avec  la  doctrine  christologique  de  Paul,  qui 
voit  dans  le  Christ  l'homme  spirituel,  l'homme  céleste,  bien  qu'il  ne 
parle  pas  'de  conception  virginale,  est  très  finement  analysé.  Rien 
n'a  été  plus  facile  que  d'adapter  à  l'ancienne  profession  de  foi  la  théo- 
rie des  deux  natures  dans  l'unité  de  personne  :  cette  théorie  y  était 
comme  en  germe.  M.  K.  fait  une  conjecture  très  heureuse  pour  expli- 
quer la  mention  de  Ponce  Pilate,  qui  n'a  pas  grand  chose  à  voir  avec 
la  foi  de  l'Eglise.  Il  suppose  que  les  mots  «  crucifié  sous  Ponce  Pilate  » 
viennent  d'une  formule  d'exorcisme  plus  ancienne  que  le  symbole; 
l'importance  de  la  croix  comme  signe  de  la  victoire  du  Christ  fait 
choisir  «  crucifié  »  de  préférence  à  «  mort  »  ;  et  comme  l'efficacité  des 
formules  d'exorcisme  était  censée  tenir  à  leur  précision,  Ponce  Pilate 
y  est  venu  par  manière  de  détermination  qui  prévenait  les  subterfuges 
diaboliques.  Le  mot  «  enseveli  »  signifiait  déjà  pour  les  rédacteurs 
du  symbole  ce  (Qu'exprime  l'addition  postérieure  :  «  est  descendu  aux 
enfers  ».  A  propos  de  l'article  ;  «  est  ressuscité  des  morts  le  troisième 
jour  »,  vient  une  excellente  discussion  des  récits  de  la  résurrection 
dans  les  Evangiles  et  dans  saint  Paul.  L'indépendance  relative  du 
symbole  à  l'égard  des  Actes  apparaît  en  ce  que  l'ascension  n'y  est  pas 
datée.  Les  quatre  derniers  articles  énumèrent  ce  qu'on  peut  appeler 
les  biens  et  privilèges  du  chrétien  :  l'Esprit,  l'Eglise,  la  rémission  des 
péchés,  la  résurrection  de  la  chair.  M.  K.  a  encore  de  très  bonnes 
considérations  sur  le  sens  primitif  de  ces  quatre  articles,  principale- 
ment sur  la  «  sainte  Eglise  »  dont  il  fait  valoir  le  rapport  avec  la  cité 
céleste,  ce  qui  peut  aider  à  comprendre  comment  s'est  faite  la  transi- 
tion du  royaume  des  cieux,  préparé  dans  l'Eglise,  à  l'idée  commune 
de  l'Église. 

L'origine  et  l'âge  du  texte  reçu  sont  discutes  ensuite,  et  chacune 
des  additions  qu'il  contient  est  savamment  commentée.  Ce  texte 
pourrait  remonter  au  v*  siècle  et  aurait  eu  pour  patrie  la  Gaule,  peut- 
être  le  royaume  burgonde.  Mais  M.  K.  se  défend  de  pousser  plus  loin 
et  de  préciser  davantage  ses  conjectures.  L'origine  romaine  est  décla- 
rée invraisemblable  ;  quant  à  la  date  et  aux  circonstances  de  l'intro- 
duction à  Rome  et  de  la  diffusion  en  Occident  du  symbole  complété, 
M.  K.  n'ose  pas  se  prononcer  ;  il  met  en  avant,  dans  un  endroit,  avec 
beaucoup  de  réserves,  le  nom  de  Charlemagnc.  Il  hésite  aussi  à  sou- 
tenir que  L,  Pier.  m,  19,  se  rapporte  à  la  descente  du  Christ  aux 
enfers.  Le  passage  ne  peut  pourtant  guère  signifier  autre  chose  qu'une 
prédication  du  Christ  défunt  lui  même  à  tous  les  défunts  d'autrefois. 
Certains  théologiens  protestants  semblent  avoir  scrupule  de  rencontrer 
cette  croyance  dans  le  Nouveau  Testament,  et  ils  éluderaient  volon- 
tiers le  sens  de  ce  texte,  aussi  bien  que  celui  de  l'article  «  est  descendu 


476  REVUE   CRITIQUE 

aux  enfers  »,  qui,  en  dépit  de  tous  les  artifices  d'exégèse,  ne  peut  viser 
que  la  manifestation  du  Christ  aux  morts.  M.  K.  maintient  que  l'an- 
cien symbole  romain  est  à  la  base  de  tous  les  symboles  semblables  ; 
qu'il  est  une  expression  toute  concrète  de  la  foi  chrétienne  et  ne  peut 
guère  être  postérieur  à  l'an  100;  qu'il  est  d'origine  romaine;  qu'il  s'est 
répandu  d'abord  en  Gaule  et  en  Afrique,  puis  en  Asie  Mineure  dans  la 
dernière  moitié  du  second  siècle,  puis  à  Antioche,  où  il  subit  quelques 
modifications,  après  la  déposition  de  Paul  de  Samosate  ;  que  le  sym- 
bole de  Nicée  en  procède,  par  l'intermédiaire  du  symbole  d'Antioche 
et  d'Eusèbe  de  Césarée.  Avec  tous  ses  appendices,  ses  notes  et  les 
copieux  registres  qui  se  trouvent  à  la  fin  du  volume,  l'œuvre  de 
M.  Kattenbusch  est  une  véritable  mine  de  renseignements,  en  même 
temps  qu'un  modèle  accompli  de  saine  et  minutieuse  critique. 

A.  L. 


Études  sur  quelques  manuscrits  de  Rome  et  de  Paris,  par  Achille  Luchaire. 
Paris,  F.  Alcan,  1899.  In-8°  de  i-jb  pages.  (Université  de  Paris,  Bibliothèque  de 
la  Faculté  des  Lettres,  vin.) 


M.  A.  Luchaire  a  tout  d'abord  consigné  dans  ce  recueil  le  résultat 
de  ses  études  et  observations  sur  un  certain  nombre  de  manuscrits  du 
Vatican,  faisant  partie  du  fonds  de  la  reine  Christine  de  Suède  et  con- 
tenant des  documents  relatifs  à  notre  histoire  du  moyen  âge.  Ils 
avaient  été  en  grande  partie  connus  et  utilisés  par  les  érudits  desxvii* 
et  xviii'  siècles,  mais  depuis  on  avait  perdu  la  trace  de  presque  tous. 
En  voici  l'énumération  sommaire  :  en  premier  lieu  le  571,  ayant  jadis 
appartenu  à  Alexandre  Petau,  et  d'après  lequel  Duchesne  a  publié  le 
livre  de  Suger  sur  la  consécration  de  l'église  de  Saint-Denis.  Son 
texte  est  conforme  à  celui  du  ms.  io3o  de  l'Arsenal,  identifié  avec  un 
ancien  ms.  de  Saint-Victor  qui  semblait  disparu.  — Le  461,  qui  con- 
tient un  texte  non  encore  utilisé  de  la  vie  de  Louis  le  Gros  par  le 
même  Suger.  —  Le  622  dont  Duchesne  s'est  servi  pour  l'édition  de  la 
Chronique  de  Morigni  ;  étant  étudié  de  près,  il  permettrait  de  déter- 
miner la  date  et  le  mode  de  composition  des  diverses  parties  de  cette 
chronique.  — Le  ijB,  le  seul  qui  présente  le  texte  du  Fragment  de 
l'histoire  d'Anjou  attribué  à  Foulque  leRéchin.  Cette  attribution  a 
été  vivement  combattue  par  M.  Mabille  :  M.  Luchaire  s'oppose  à  son 
raisonnement  et  en  démontre  la  faiblesse.  —  Le  553,  qui  renferme 
des  annales  normandes  écrites  par  un  moine  de  Jumiège.  —  L'ancien 
i362  de  la  Bibliothèque  de  la  Reine,  aujourd'hui  séparé  des  autres 
volumes  du  même  fonds  et  conservé  dans  les  Archives  du  Vatican 
[Miscell.  Afm.  XV,  t.  145).  C'est  un  cartulaire  du  xiv<=  siècle,  prove- 
nant de  l'abbaye  de  Saint-Vincent  de  Laon  :  une  copie,  avec  quelques 
variantes,  en  existe  dans  le  lat.  12703  delà  Bibliothèque  nationale. — 


d'histoire  et  de  littérature  477 

Le  45o,  dont  la  plus  grande  partie  est  remplie  de  documents  relatifs 
à  l'histoire  ecclésiastique  du  diocèse  de  Soissons.  M.  L.  en  donne  la 
nomenclature  et  publie  l'un  des  plus  importants  en  appendice  :  c'est 
un  acte  de  Louis  VIII,  daté  de  mai  i225  et  concernant  un  arbitrage 
de  l'évêque  Garin,  de  Senlis,  entre  l'évèque  et  la  commune  de  Sois- 
sons.  —  Le  571,  dont  il  a  déjà  été  question  au  début  de  ce  livre,  con- 
tient encore  le  texte  des  Miracula  S.  Dionysii;  M.  L.  détermine  la 
date  de  composition  des  différents  livres  en  comparant  ce  texte  avec 
celui  du  i5o9  des  n.  acq.  lat.  et  avec  celui  des  lat.  2447  et  2445a  de  la 
Bibliothèque  nationale  Le  même  manuscrit  offre  aussi  une  copie  des 
Gesta  Dagoberti,  qu'on  n'avait  plus  vue  depuis  la  publication  de  Du- 
chesne. 

La  partie  la  plus  importante  du  volume  dont  il  est  présentement 
rendu  compte,  est  celle  qui  est  consacrée  à  l'étude  des  recueils  épisto- 
laires  de  l'abbaye  Saint-Victor  de  Paris,  Après  avoir  examiné  le  texte 
de  la  correspondance  de  Louis  VII,  donné  par  le  ms.  179  du  fonds 
de  la  Reine,  et  l'avoir  comparé  avec  l'édition  de  Duchesne,  M.  L.  passe 
en  revue  et  analyse  les  diverses  séries  de  correspondances  transcrites 
dans  d'anciens  manuscrits  du  célèbre  monastère.  Ce  sont  les  lettres  de 
l'abbé  Ernis  '1161-1172)  qui  en  forment  le  noyau;  mais  à  côté  on 
trouve  d'autres  pièces  concernant  des  abbayes  et  des  évéques  en  rela- 
tions avec  Saint-Victor,  des  lettres  de  quelques  papes  et  de  nombreux 
cardinaux,  une  correspondance  scolaire,  etc.  Le  détail  de  tous  les  docu- 
ments, conservés  dans  les  mss.  14615,14664  et  14368  du  fonds  latin  de 
la  Bibliothèque  nationale,  et  le  texte  des  lettres  inédites,  forment 
même  un  assez  long  appendice. 

Dans  toutes  ces  études,  dont  l'aridité  est  amplement  compensée  par 
le  profit  que  l'érudition  est  appelée  à  en  retirer,  M.  L.  fait  preuve  du 
sens  critique  le  plus  délié  et  de  remarquables  qualités  d'observation. 
Il  a  élucidé  plusieurs  points  obscurs  des  annales  de  notre  pays  au 
xii«  siècle  et  il  a  apporté  en  même  temps  une  notable  contribution  à 
l'histoire  littéraire  du  même  temps.  lia  encore  témoigné  par  son 
exemple  de  l'avantage  qu'on  aurait  à  explorer  soigneusement  le  fonds 
de  la  Reine  à  la  bibliothèque  du  Vatican  :  il  a  donné,  du  reste,  dans 
un  dernier  appendice,  nouveau  service  rendu  aux  travailleurs,  une 
liste  des  manuscrits  qui  s"y  trouvent,  relatifs  à  l'histoire  de  France  et 
à  l'historiographie  française  du  xi«  au  xiii«  siècle. 

L.-H.  Labande. 


La  Renaissance  au  xv»  siècle  :  Une  correspondance  entre  Nicolas  do 
Clemangis  et  Jacques  de  Nouvion,  par  l'abbc  J.  Boulanger  (Paris,  libr. 
Alphonse  Picard  :  extrait  de  la  Revue  historique  ardennaise,  livraison  de  novem- 
bre-décembre 1900;  gr.  in-8%  3q  pages  et  1  planche). 

Dans  cet  article  plein  d'intérêt  l'auteur  expose  cette  idée  —  qu'il 


478  REVUE   CRITIQUE 

développera  plus  tard  —  que  Nicolas  de  Clemangis  fut  le  véritable 
promoteur  de  la  Renaissance  latine  en  France.  L'abbé  Boulanger  fait 
toucher  du  doigt  la  nécessité  qu'il  y  a  de  donner  une  édition  nouvelle 
(qu'il  prépare  d'ailleurs),  des  œuvres  de  Nicolas  de  Clemangis.  Il  n'en 
existe  qu'une  actuellement,  celle  de  Jean-Martin  Lydius  (  1 6 1 3  ),  et  elle 
fourmille  d'erreurs.  On  s'en  convaincra  facilement  en  comparant, 
dans  l'édition  de  Lydius  et  dans  les  Pièces  justificatives  de  l'article 
de  M.  Boulanger,  les  quatre  documents  suivants,  relatifs  à  Jacques 
de  Nouvion,  le  disciple  et  l'ami  préféré  de  Nicolas  de  Clemangis  : 
Ad  Jacobum  de  Noviano,  descriptio  urbis  Nicie;  —  Ad  Jacobiim  de 
Noviano,  de  dono  qiiorumdam  cultellomm  jocosa  gi'atiarum  actio  ;  — 
Ad  Jacobum  de  Burreyo,  super  morte  Jacobi  de  Noviano,  viri  egregii 
et  doctissimi  lamentatio  ;  —  Item  alia  super  morte  ejusdem  Jacobi 
deploracio  elegiaca.  Ajoutons  que  l'abbé  Boulanger  rectifie,  avec 
preuves  à  l'appui,  l'identification  du  lieu  d'origine  de  Jacques  de 
Nouvion  :  de  Noviano.  Le  nom  de  cette  localité  a  été  mal  interprété 
jusqu'ici  ;  il  s'agit  de  Nouvion-sur-Meuse,  canton  de  Flize,  arrondis- 
sement de  Mézières  (Ardennes). 

A.  C. 


Eindeutscher  Cisianus  fur  das  Jahr  1444  gedruckt  von  Gutenberg,  von  Arthur 
Wvss.  Strassburg,  Heitz  u.  Miindel,  1900,  19  pages  in-4°. 

On  connaît  ces  guides  mnémotechniques  qui  du  xv«  au  xvi«  siècle 
eurent  une  grande  popularité  dans  le  monde  des  maîtres  et  des  éco- 
liers, et  servaient  à  fixer  dans  la  mémoire  de  la  jeunesse  les  noms  et 
la  date  des  saints  et  des  jours  de  fête  du  calendrier.  On  en  a  publié  un 
certain  nombre  et  le  texte  même  donné  par  M.  Arthur  Wyss  a  été  déjà 
utilisé  par  M.  Pickel  dans  son  édition  du  Heilig  Namenbuch  de  Con- 
rad Dangkrotzheim.  Aussi  n'est-ce  pas  cela  qui  fait  l'intérêt  considé- 
rable de  la  plaquette  dans  laquelle  M.  D.  a  reproduit  le  Cisianus  ou 
Cisiojanusen  question  d'après  l'exemplaire  unique  de  la  bibliothèque 
universitaire  de  Cambridge,  dans  un  fac-similé  fort  réussi.  L'auteur 
cherché  à  établir  que  cette  feuille  de  parchemin,  fortement  détériorée 
par  endroits,  est  imprimée  avec  les  premiers  caractères  connus  de 
Gutenberg,  ceux  de  sa  Bible  latine  à  36  lignes;  or,  le  calendrier  en 
question  s'applique  à  l'année  1444;  il  doit  donc  avoir  été  composé, 
pour  la  mise  en  vente,  au  plus  tard,  vers  la  fin  de  1443  ;  à  cette  date, 
Gutenberg  habitait  certainement  encore  Strasbourg,  où  sa  présence 
est  certifiée  pour  les  mois  du  printemps  suivant.  Il  en  résulterait  donc 
—  si  des  critiques  compétents  ne  viennent  pas  s'instruire  en  faux 
contre  l'argumentation  très  plausible  du  savant  archiviste — que  nous 
connaîtrions  enfin,  et  d'une  façon  indiscutable  cette  fois,  le  lieu  de 


d'histoire  et  de  littérature 


479 

naissance  de  l'imprimerie,  Strasbourg,  auquel  on  a  tant  de  fois  déjà 
contesté  cet  honneur  et  la  date  à  laquelle  —  bien  antérieurement  à  la 
publication  de  sa  Bible,  —  l'illustre  inventeur  dont  on  vient  de  célé- 
brer le  cinquième  centenaire,  aurait  mis  en  vente  un  des  premiers, 
sinon  le  premier  produit  de  ses  presses.  Il  n'est  pas  certain  que  M.Wyss 
réussisse  à  convaincre  d'emblée  les^nombreux  écrivains  qui  se  sont 
arrêtés  jusqu'ici  à  des  conclusions  différentes,  mais  ses  arguments 
méritent  un  examen  approfondi  et  s'ils  en  sortent  vainqueurs,  la  ques- 
tion si  controversée  de  l'invention  de  l'imprimerie  aura  fait  un  grand 
pas  en  avant. 

R. 


Baston  (l'abbé).  —  Mémoires,  publiés  d'après  le  manuscrit  original  par  MM.  Loth 
et  Verger,  tome  I  ,,1 741-1792).  —  Un  vol.  in-S»  de  xxix-438  p.  Paris,  Picard, 
1897.  —  Tome  H  (1792-1803)  ;  423  p.  1899.  —  Tome  III  (i8o3-i8i8)  ;  372  p.  1899. 

Ces  mémoires  d'un  chanoine  de  Rouen  qui  a  traversé  la  Révolution 
et  l'Empire  méritaient  d'être  publiés,  car  on  y  trouve  une  foule  de 
détails  qui  permettent  de  mieux  connaître  l'ancien  régime  ecclésias- 
tique. Les  pages  que  Baston  a  consacrées  à  l'organisation  du  sémi- 
naire de  Saint-Sulpice,  de  la  Faculté  de  théologie  ou  des  chapitres  de 
cathédrales  sont  des  plus  intéressantes,  et  il  y  a  plaisir  à  le  voir  plaider 
la  cause  des  Jésuites,  bien  qu'il  ne  les  aime  pas,  ou  à  suivre  les  péri- 
péties de  ses  polémiques  de  presse  contre  Camus  et  les  curés  de 
Lisieux,  et  plus  tard  contre  l'église  constitutionnelle. 

Le  premier  volume,  qui  est  à  coup  sûr  le  plus  curieux  des  trois,  est 
consacré  tout  entier  aux  cinquante  premières  années  de  la  vie  du  per- 
sonnage; il  s'arrête  au  moment  où  l'ex-chanoine  Baston  se  voit  con- 
traint de  fuir  en  Angleterre.  Le  second  relate  les  années  d'exil  ;  et  le 
troisième  fait  connaître  les  dernières  années.  A  proprement  parler,  ce 
ne  sont  pas  des  mémoires  historiques,  c'est  une  autobiographie,  trop 
complète  à  certains  égards,  trop  peu  complète  à  certains  autres,  soit 
parce  que  les  éditeurs  ont  supprimé  à  tort  les  détails  intimes,  soit 
parce  que  l'auteur  s'est  bien  gardé  de  tout  dire.  L'abbé  Baston  semble 
avoir  été  singulièrement  de  son  temps,  avant  la  Révolution  du  moins; 
très  correct,  mais  on  ne  peut  plus  positif,  il  parait  avoir  été  prêtre 
comme  d'autres  sont  magistrats  ou  militaires,  parce  qu'il  faut  bien 
être  quelque  chose  quand  on  n'est  pas  né  dans  l'opulence  ;  ne  lui 
demandons  pas  le  zèle  ardent  des  apôtres  ou  des  missionnaires.  Ce 
prêtre,  qui  n'écrit  jamais  à  genoux  comme  saint  Augustin,  raconte 
assez  gaiment  les  mensonges  qu'il  tit  pour  se  tirer  d'un  mauvais  pas 
ou  les  vengeances  qu'il  aimait  à  savourer.  Il  pourrait  bien  avoir  à 
l'égard  de  ceux  qui  l'ont  élevé  par  charité  une  certaine  sécheresse  de 
cœur,  et  peut-être  ne  faut-il  pas  croire  tout  ce  que  raconte  à  son  avan- 


480  REVUE    CRITIQUE 

tage  ce  Marbot  en  soutane.  FI  donne  conmTe  inédites  des  plaisanteries 
vieilles  comme  les  rues  (par  exemple  Sequor  asinum,  je  suis  un  âne), 
et  je  crains  bien  que  son  imagination  ne  lui  ait  fourni,  comme  jadis 
au  cardinal  de  Retz,  historien  des  prétendus  fantômes,  des  détails  de 
haute  fantaisie  ;  son  prétendu  rôle  dans  l'incendie  de  la  foire  Saint- 
Germain  pourrait  servir  à  prouver  ce  que  j'avance. 

Les  jugements  de  Baston  sur  la  Constitution  civile  du  clergé  qui  a 
tari  soudain  la  source  de  ses  beaux  revenus,  sont  bons  à  étudier;  ils 
sont  d'un  homme  instruit,  perspicace,  mais  singulièrement  passionné, 
et  justement  les  deux  évéques  constitutionnels  de  Rouen  qu'il  a  atta- 
qués, Charrier  de  la  Roche  et  Gratien,  sont  au  rang  des  «  intrus  »  les 
plus  dignes  d'estime  et  de  respect.  Baston  lui-même  est  contraint  d'en 
faire  l'aveu.  Charrier  de  la  Roche,  ancien  chanoine  et  comte  de  Lvon 
qui  mourut  évêque  concordataire  de  Versailles,  était  un  esprit  de  la 
plus  rare  distinction  ';  attribuer  à  Baston,  comme  celui-ci  le  désire, 
la  démission  de  Charrier  en  1791  serait  faire  beaucoup  trop  d'hon- 
neur à  Baston. 

Somme  toute,  ces  Mémoires,  un  peu  longs  et  d'une  allure  parfois 
trop  lente,  sont  intéressants.  Néanmoins,  le  second  volume  est  infé- 
rieur au  premier,  il  est  trop  rempli  d'anecdotes  que  raconte,  sans  son- 
ger à  l'histoire,  un  voyageur  qui  paraît  avoir  oublié  la  patrie  absente. 
Le  troisième  a  plus  de  valeur,  surtout  quand  il  s'agit  du  Concile  de 
181 1.  Un  portrait  gravé  se  trouve  entête  de  ce  troisième  volume; 
il  est  trop  xviii«  siècle  et  ne  donne  pas  du  personnage  une  idée 
avantageuse. 

L'introduction  est  bien  faite,  sans  prétention,  et  d'une  grande 
sobriété,  d'autant  plus  que  l'un  des  éditeurs,  M.  l'abbé  Loth,  est  fort 
gêné  quand  il  parle  de  cet  ennemi  acharné  des  intrus  qui  fut  lui-même, 
en  181  3,  l'adversaire  de  Pie  VII  et  Vintnis  de  l'évêché  de  Séez.  L'im- 
pression du  volume  est  très  soignée,  l'annotation  est  suffisante,  sauf 
p.  40,  où  il  faudrait  nommer  Montazet,  archevêque  de  Lyon,  et  p.  202, 
où  il  faut  lire  hôtel  de  Pons. 

Un  bon  index,  placé  à  la  fin  de  l'ouvrage,  en  facilite  singulièrement 
la  lecture,  et  en  définitive,  il  faut  remercier  la  Société  d'histoire  con- 
temporaine d'avoir  favorisé  cette  utile  publicaiion. 

A.  Gazier. 


Y.  Blaze  de  Bury.  Les  Romanciers  anglais  contemporains. Paris,  Perrin,  1900, 
I  vol.  in-i8  Jésus,  p.  xxiii  et  245. 

Je  reproche  au  livre  de  M"*  B.  de  Bury  de  manquer  d'unité  et  de 

I.  Charrier  de  la  Roche,  démissionnaire  en  1791,  est  resté  l'ami  de  Grégoire  et 
des  constitutionnels  ;  il  existe  de  lui  des  lettres  fort  curieuses  postérieures  à  1795, 
une  entre  autres  dans  laquelle  il  donne  à  Grégoire  une  preuve  péremptoire  de  la 
non-rétractation  de  Lamourette. 


d'histoire  et  de  littérature  48,1 

suite,  de  se  contenter  d'être  une  série  d'études  qui  restent  détachées 
les  unes  des  autres,  et  ne  constituent  pas  un  livre  sur  le  Roman  anglais 
de  notre  temps.  C'est  une  galerie  de  portraits  littéraires,  mais  malgré 
les  tentatives  de  synthèse  —  louables  assurément,  mais  un  peu  incer- 
taines de  la  préface  —  en  dépit  de  l'influence  visible  exercée  par  la 
critique  de  M.  Brunetière  et  d'une  façon  un  peu  plus  lointaine  par 
celle  de  Taine,  cela  ne  forme  pas  une  étude  d'ensemble.  Il  y  a  une 
monotonie  un  peu  fâcheuse  aussi  dans  la  façon  dont  l'auteur  nous 
présente  les  différentes  études  séparées  qui  composent  son  œuvre  :  on 
aimerait  à  trouver  plus  de  variété  dans  la  façon  d'exposer,  moins  de 
régularité. 

Il  y  a  dans  ce  livre  des  omissions  que  rien  ne  saurait  expliquer.  Le 
nom  de  Robert-Louis  Stevenson  n'y  est  même  pas  mentionné.  Je  me 
travaille  en  vain  à  chercher  la  raison  de  cette  exclusion  évidemment 
systématique.  Serait-ce  que  Stevenson  était  né  au  nord  de  la  Tweed  et 
n'était  pas  de  naissance  Anglais,  au  sens  strict  du  mot,  mais  Écossais  ? 
La  raison  serait  pauvre.  Il  faudrait  alors  exclure  Walter  Scott,  par 
exemple,  et  Goldsmith  de  la  littérature  anglaise,  l'un  comme  Écossais, 
l'autre  comme  Irlandais.  Serait-ce  que  Stevenson  étant  mort  ne 
compte  plus  parmi  nos  contemporains?  Mais  sa  mort  est  encore  assez 
récente  pour  qu'il  ait  sa  place  parmi  les  romanciers  de  notre  temps 
et  d'ailleurs  il  y  a  dans  le  livre  même  de  M"^*  B.  de  B.  une  étude  sur 
Mrs.  Oliphant,  une  Écossaise  et  qui  est  morte  et  une  autre  sur  Elisa- 
beth Browning.  Encore  une  fois  je  n'explique  pas,  je  constate. 

Bien  singulière  encore  est  la  façon  dont  se  trouve  traité  l'homme 
de  lettres  le  plus  considérable  du  moment,  M.  Rudyard  Kipling.  De 
l'œuvre  volumineuse  déjà  de  Kipling  qui  comprend  au  moins  un 
roman  :  La  lumière  qui  s'éteignit,  M™*  B,  de  B.  extrait  en  tout  et 
pour  tout  une  courte,  et  je  l'admets  volontiers,  très  remarquable  nou- 
velle sur  la  vie  du  bas-peuple  dans  les  faubourgs  ouvriers  de  Londres. 
Je  reconnais  tout  l'intérêt  que  présente  cette  brève  et  très  forte  étude 
de  mœurs  rudes  jusqu'à  en  être  presque  sauvages,  qu'il  y  a  une  véri- 
table puissance  dans  le  relief  avec  lequel  l'auteur  a  dessiné  les  per- 
sonnages de  son  drame;  mais  ce  conte  est  unique  dans  l'œuvre  entière 
de  Kipling  :  on  ne  découvrirait  pas  son  pendant  dans  aucun  de  ses 
livres  :  c'est  une  véritable  exception.  Il  ne  peut  donc  en  aucune  façon 
être  considéré  comme  représentatif  de  la  manière  de  Kipling.  Il  semble 
que  M""*  B.  de  B .  l'ait  soupçonné  elle-même  quand  elle  écrit  :  «  Il  est 
pourtant  une  attitude  de  son  talent  qui  nous  est  inconnue,  c'est  celle 
où  il  montre  que  tous  les  Fauves  ne  sont  pas  dans  la  Jungle  et  qu'il 
en  reste  de  beaux  exemplaires  dans  les  faubourgs  de  Londres  ».  Dès 
lors  il  aurait  été  d'une  bonne  méthode  de  déclarer  que  cette  attitude 
du  talent  de  Kipling,  pour  me  servir  des  termes  mêmes  de  l'auteur, 
est  particulièrement  rare  et  il  n'aurait  été  que  juste,  pour  éviter  d'éga- 
rer les  idées  par  un  jugement  faux  à  force  d'être  incomplet,  de  dire  au 


482  REVUE  CRITIQUE 

moins  un  mot  de  Kipling  romancier,  créateur  de  types  inimitables  et 
désormais  sûrs  de  vivre,  comme  la  trinité  fameuse  des  troupiers  Mul- 
vaney,  Ortheris  et  Learoyd,  peintre  de  la  Jungle,  conteur  fantaisiste, 
plein  de  verve  et  d'humour,  et  de  Kipling  aussi  porte-parole  de  l'im- 
périalisme et  champion  populaire  du  chauvinisme  britannique.  Il  y  a 
plus.  Dans  une  série  d'études  l'importance  de  chaque  auteur  se  mesure 
un  peu  à  la  place  qui  lui  est  réservée  dans  le  volume.  Dès  lors  n'y  a- 
t-il  pas  une  véritable  injustice  à  écraser  en  quelque  sorte  et  à  faire  dis- 
paraître Kipling  entre  cette  digne  et  excellente  Mrs.  Oliphant  qui  fut 
une  mère  de  famille  admirable  et  une  infatigable  ouvrière  de  lettres, 
mais  dont  l'œuvre,  toute  volumineuse  qu'elle  soit,  est  sans  durée  et  sans 
valeur,  et  Sarah  Grand,  par  exemple,  qui  connut  Jadis  avec  ses  Jumeaux 
Célestes  les  Joies  du  succès,  mais  dont  la  vogue  sans  raison  n'a  pas 
résisté  au  temps? 

Il  est  toujours  très  délicat  de  reprendre  un  critique  sur  les  appré- 
ciations qu'il  porte  sur  la  valeur  des  écrivains  qu'il  Juge  ;  c'est  évidem- 
ment affaire  personnelle  et  subjective  au  premier  chef.  Je  ne  saurais 
cependant  admettre  sans  faire  des  réserves,  certains  Jugements  de 
M"^«  B.  de  B.  Sa  sévérité  à  l'égard  de  Thomas  Hardy  et,  en  particulier, 
à  l'égard  de  ce  roman  incomplet  et  bizarre  à  certains  points  de  vue, 
mais  puissant  et  courageux  Jude  l'Obscur,  me  paraît  aussi  excessive 
que  son  indulgence  pour  les  défauts  extravagants  des  Jumeaux 
Célestes. 

Je  reproche  aussi  à  M"'^  b_  je  B.  de  n'avoir  point  fait  ressortir  tout 
ce  qu'il  y  a  de  réellem.ent  artistique  et  sincère  dans  la  façon  dont 
Meredith  comprend  et  traite  les  sujets  qu'il  choisit.  Je  ne  crois  pas 
qu'elle  ait  rendu  pleine  Justice  à  ce  talent  si  souple,  si  varié,  si  original 
souvent. 

Malgré  les  critiques  et  les  réserves  que  J'ai  cru  devoir  faire,  le  livre 
de  M"'«  B.  de  B.  n'en  reste  pas  moins  intéressant  et  certainement  sin- 
cère. La  critique  de  M"i«  B.  de  Bury  est  toujours  très  personnelle  et 
quelque  difficulté  qu'on  puisse  éprouver  à  se  rallier  à  certains  de  ses 
Jugements,  on  doit  cependant  rendre  hommage  à  l'étendue  et  à  l'exac- 
titude de  son  information,  à  la  clarté  de  son  exposition,  au  soin  évi- 
dent qu'elle  prend  de  son  style,  en  un  mot,  à  toutes  les  qualités  réelles 
et  solides  qui  font  de  son  livre  une  tentative  très  honorable  et  une 
œuvre  très  distinguée. 

J .  Lecoq. 


Les  chefs-d'œuvre  des  musées  de  France  :  La  peinture,  par  L.  Gonse.  — 
Paris,  1900,  Société  française  d'édition  d'art  (May),  i  vol.  in-4  de  33o  p.  avec 
3oo  reproductions. 

Avant  comme  après,  l'inventaire   général,  méthodique,  uniforme  et 


d'histoire  et  de  littérature  483 

pratique,  des  musées  de  la  province,  reste  à  faire  et  à  souhaiter.  Mais 
le  beau  volume  de  M.  Gonse,  travail  neuf  et  à  peu  près  unique,  aura 
le  mérite  d'y  pousser  plus  efficacement  que  par  des  souhaits  en  l'air 
ou  même  des  pétitions  motivées  :  en  faisant  toucher  du  doigt  l'étrange 
lacune  qui  reste  à  combler,  et  en  mettant  sous  les  yeux  de  tous,  avec 
une  bonne  partie  des  chefs-d'œuvre  anciens  essentiels  de  nos  musées, 
l'intérêt  péremptoire  de  cet  inventaire  général.  On  s'étonne  en  effet, 
quand  on  remarque  avec  quelle  rapidité  relative  des  travaux  de  l'im- 
portance de  l'inventaire  général  des  archives  départementales  et  com- 
munales, ou  de  celui  des  manuscrits  des  bibliothèques  de  France,  ont 
été  poussés  et  menés  à  bien,  qu'il  n'ait  pas  été  organisé  quelque  chose 
d'analogue  pour  les  musées  et  les  œuvres  d'art.  Mais  il  est  certain 
qu'ici  les  difficultés  sont  autres,  et  considérables. 

D'abord,  c'est  le  défaut  d'une  direction  générale  pouvant  donner 
un  mot  d'ordre  unique  et  exiger  un  travail  constant  de  la  part  de  tous 
les  conservateurs  de  musée  à  la  fois.  Puis,  il  faut  bien  le  dire,  l'incom- 
pétence évidente  de  bon  nombre  de  ces  conservateurs,  et  leur  propen- 
sion forcée,  dans  le  domaine  des  attributions,  à  prendre  les  copies  ou 
les  imitations  pour  des  originaux.  N'importe,  même  avec  des  attribu- 
tions fantaisistes,  (on  pourrait  toujours  exiger  des  ??;,  un  travail 
simultané  et  uniforme,  complet  quant  au  nombre  des  œuvres  et  exact 
quant  à  leurs  dimensions  et  leurs  sujets,  qui  serait  vivement  publié  et 
livré  à  bon  compte,  rendrait  des  services  inappréciables  et  doit  être 
réclamé  avec  obstination.  Qu'on  n'oublie  pas,  au  surplus,  que  les 
musées  de  province  s'enrichissent  surtout  par  les  dons  et  les  legs  des 
collectionneurs  (l'Etat  n'y  envoie  guère  que  ce  dont  Paris  ne  se  soucie 
pas);  et  que  ceux-ci  ont  besoin  d'être  encouragés  à  cette  œuvre  pie, 
soit  par  la  certitude  que  leurs  tableaux  seront  bien  exposés,  soit  au 
moins  par  celle  qu'on  en  tiendra  compte  dans  le  monde  des  arts  et 
qu'on  saura  où  aller  les  admirer. 

Pour  revenir  au  livre  de  M.  Gonse,  il  est  intéressant  de  faire  avec 
lui  la  promenade  qu'il  a  tracée  à  travers  les  principales  collections 
publiques  de  France  (hors  les  musées  nationaux  de  Paris  et  Versailles), 
de  noter  un  choix  de  leurs  œuvres  essentielles  (au  moins  les  ancien- 
nes) et  de  les  retrouver  sous  forme  de  reproductions  généralement 
suffisantes  et  parfois  superbes.  Pourtant,  n'oublions  pas  que  l'on 
compte  en  France  autant  de  musées  que  de  jours  dans  l'année  ni  plus 
ni  moins),  et  qu'il  n'est  question  ici  que  de  43  '.  Ajoutons  que  le  titre 
du  livre,  si  séduisant,  n'est  pas,  à  tout  prendre,  parfaitement  juste, 
attendu  gue  :  d'une  part,  il  n'est  presque  question   que  des  œuvres 


1.  Abbeville,  Amiens,  Aix,  Angers,  Avignon,  Villeneuve  et  Carpcntras  ;  Rcnune, 
Besançon,  Bordeaux,  Pau  et  TarbesjCacn,  Cherbourg.  Castres,  Dijon,  Douai, 
Epinal  et  Langres  ;  Grenoble,  Le  Havre,  Lille,  Lyon,  Le  Mans,  Toulon  et  Grasse; 
Montauban,  Montpellier  et  Perpignan;  Nancy,  Nantes,  Orléans,  Le  Puy,  Reims  et 
Laon;  Rennes,  Rouen,  Saint-Quentin,  Toulouse,  Tours,  Troyes,  Valcncicnncs. 


484  REVUE    CRITIQUE 

anciennes,  sur  lesquelles,  comme  nous  le  disions,  les  musées  de  Paris 
ont  toujours  pratiqué  un  drainage  aussi  complet  qu'ils  ont  pu  ;  que 
d'ailleurs,  parmi  les  tableaux  cités  et  même  reproduits  ici,  il  en  est  bon 
nombre,  et  trop,  qui  ne  sont  pas  du  tout  des  chefs-d'œuvre  ;  qu'enfin 
si  Ton  ne  pouvait  jeter  un  regard,  même  discret,  dans  les  collections 
privées,  dans  ces  galeries  qui  s'ouvrent  parfois  à  l'occasion  d'une 
exposition  régionale  et  contiennent  des  œuvres  plus  dignes  de  la 
vedette  que  bien  d'autres  du  musée  de  la  ville,  il  était  loisible  de 
compter  celles  qui  sont  réellement  publiques  et  qu'elles  manquent. 

Assurément,  quand  il  faut  choisir,  il  est  bien  difficile  de  contenter 
tout  le  monde,  et  l'on  ne  se  défie  jamais  assez  de  son  propre  jugement 
quand  on  en  est  à  éliminer  ou  à  mettre  au  pinacle.  «  Rien  d'essentiel 
n'a  été  omis  »,  c'est  possible,  et  encore  faut-il  s'entendre  ;  mais  à  côté 
de  cet  essentiel,  tant  de  morceaux  ont  été  [admis  qui  ne  le  sont  pas 
plus  que  tant  d'autres  qui  ne  l'ont  pas  été,  que  le  champ  reste  ouvert 
aux  réclamations.  Quand  on  voit  que  Tarbesou  Abbeville,  Cherbourg 
ou  Castres,  Toulon  ou  Laon  n'ont  pas  été  omis,  du  moins  pour  une 
ou  deux  pages,  il  reste  permis  de  s'étonner  que  Poitiers  ou  St-Etienne, 
Nîmes  ou  Autun,  Chartres  ou  Laval,  aient  été  passés  sous  silence. 

Surtout  on  remarquera  l'omission  de  Chantilly,  qui,  à  lui  tout 
seul,  eût  dépassé  en  intérêt  la  plupart  des  musées  de  province.  Ne 
pouvait-on  considérer  cette  galerie,  privée  si  l'on  veut,  mais  publique 
tout  de  même,  comme  un  de -nos  musées  de  France,  et  qui  nous  font 
le  plus  d'honneur? 

11  n'y  a  du  reste  qu'à  louer  dans  l'attrait  du  texte  de  M.  G.,  sa 
variété  et  sa  bonne  grâce,  l'intérêt  qu'il  a  pris  à  ses  investigations  et 
qu'il  sait  faire  partager  au  lecteur,  les  rapprochements  heureux  qu'il 
a  pris  soin  d'évoquer.  C'est  une  précieuse  contribution  à  l'histoire  de 
l'art  français  surtout  (les  œuvres  anciennes  et  étrangères  ayant  été 
rarement  laissées  à  la  province).  On  ne  peut  également  que  se  féliciter 
des  reproductions  éparses  en  grand  nombre  à  travers  l'ouvrage'.  Il 
en  est  d'admirables,  il  en  est  de  fort  curieuses,  qu'on  ne  connaissait 
pas  ;  il  en  est  aussi  d'inutiles,  soit  qu'elles  ne  rendent  aucunement  la 
valeur  supposée  de  l'original,  soit  qu'elles  montrent  trop  bien  qu'il 
n'en  a  pas.  Et  ceci  ne  contribue  pas  peu  à  faire  faire  au  lecteur  la 
réflexion  qu'elles  ont  pris  la  place  d'autres  qui  étaient  plus  nécessaires, 
à  son  avis,  et  qui  ne  sont  même  pas  mentionnées  dans  tout  le 
volume. 


1.  Il  faut  citer  parmi  les  plus  remarquables,  (hors  texte),  le  La  Tour  d'Amiens  et 
celui  d'Aix,  le  Greu:{e  d'Angers,  l'Ingres  d'Aix,  le  Paris  Bordone  de  Douai,  le  Ve- 
lasqiiei  et  le  Vivien  de  Rouen,  le  Largilliére  et  le  Prudhon  de  Lille.  Par  contre 
les  Péritgin  de  Caen  et  de  Lyon,  les  Van  Dyck  de  Lille,  le  Lancret  de  Nantes,  les 
Delacroix  de  Bordeaux  et  de  Rouen,  le  Laivrence  de  Besançon,  le  Rembrandt 
d'Epinal,  sont  bien  médiocres  comme  reproduction  (dans  le  texte),  et  pourtant 
font  encore  honte  à  certains  portraits  placés  hors  texte  et  qui  ne  méritaient  paç 
tant  d'honneur. 


d'histoire  et  de  littérature  485 

M.  Gonse  annonce  un  second  volume,  qui  sera  consacré  aux  objets 
(Vart.  Il  faut  l'en  féliciter  d'avance  :  quelques  lacunes  qu'on  y  puisse 
trouver,  chacun  pour  sa  part,  ce  sont  là  des  travaux  de  temps  et  de 
peine,  méritoires  et  qu'on  ne  saurait  trop  louer. 

Henri  de  Clrzon. 


—  M.  G.  Steuder  donne  aujourd'hui  dans  la  collection  des  Klassische  Ausgaben 
dey  griechischen  Philosophie,  publiée  k  Halle,  "oiic  édition  du  Gorgias  de  Platon. 
Cette  édition  est  destinée  exclusivement  aux  étudiants  en  philosophie.  L'auteur 
suit  en  général  le  texte  de  Schanz  ;  il  propose,  p.  5oi  A,  un  changement  qui  con- 
siste à  ajouter  vcaî  devant  xoji'.Sf,,  addition  qui  ne  nous  paraît  pas  très  heurcuac. 
L'explication  donnée  de  l'expression  xi  {lèv  SXkn  xaôârèp,  p.  45  i  B,  n'est  pas  claire; 
il  suffisait  de  dire  que  c'était  là  la  coutume  usitée  pour  désigner  ce  que  nous  appe- 
Ions  un  amendement  à  un  projet  de  loi.  —  A.  M. 

—  Le  travail  que  publie  M.  H.-J.  Lulofs  sur  Antisthène  considéré  comme  rhé- 
teur {De  Antisthenis  studiis  rhetoricis,  Amsterdam,  A.  Spin,  1900,  1  vol.  in-8  de 
118  p.)  est  soigné,  quoique  les  références  bibliographiques  soient  insuffisantes 
(voir  par  exemple,  p.  i,  note  3).  Le  chapitre  le  plus  intéressant  est  consacré  aux 
études  du  philosophe  sur  Homère  ;  le  chapitre  sur  le  style  d'Antisthène  rendra 
des  services  ;  le  jugement  général  sur  ce  style  aurait  pu  être  plus  développé  ;  il 
faut  noter  qu'Antisthène  n'a  pas  cherché  à  éviter  l'hiatus.  L'ouvrage  contient  le 
texte  des  deux  déclamations  d'Ajax  et  d'Ulysse,  attribuées  par  Diogène  Laerce  au 
philosophe.  M.  L.  accepte  cette  attribution  et  réfute  par  des  arguments  qui  sem- 
blent probants  l'opinion  contraire  soutenue  récemment  par  Radermacher,  Rhein. 
Mus.  1892,  p.  569-577.  Le  texte  des  deux  déclamations  est  accompagné  d'un  bon 
commentaire  ;  l'auteur  a  proposé  quelques  corrections  qui  sont  peu  acceptables. 
Un  index  ou  au  moins  une  table  de  matières  aurait  été  for;  utile.  -  A.  M. 

—  M.  Martin  P. -N.  Nilsson  a  écrit  des  Studia  de  Dionysiis  Atticis  (Lund,  Mi5l- 
1er,  1900,  I  vol.  in-8,  p.  162)  pour  défendre  l'explication  présentée  par  Boeckh 
dans  son  travail  intitulé  Vom  Unterschiede  der  attischen  Lenaen,  Authesterien  tmd 
Idndlichen  Dionysien  (Op.  min.  V,  p.  65)  •,  le  titre  de  l'opuscule  en  fait  prévoir  déjà 
les  conclusions.  L'opinion  de  Boeckh  fut  combattue  dès  l'origine  par  F.  K.  Fritzschc, 
en  1837,  plus  tard,  en  1854,  par  W.-P.  Rinck,  enrin  plus  récempicnt  par  Otto 
Gilbert,  dans  son  livre  Die  Fest^eit  der  Attischen  Dionysien,  1872.  D'après  ce  der- 
nier savant,  non  seulement  les  Lénéennes  mais  aussi  les  Dionysies  champêtres 
étaient  réunies  aux  Anthestéries.  C'est  cette  thèse  que  combat  .M,  N.  qui  soutient 
qu'il  faut  s'en  tenir  à  l'opinion  de  Boeckh.  La  discussion  porte  donc  exclusivement 
sur  les  origines  de  ces  diverses  fêtes.  On  sait  combien  ces  questions  d'origine  sont 
obscures  et  difficiles.  Plusieurs  des  explications  de  M.  L.  soulèvent  des  objections, 
mais  le  travail  est  soigné  et  sera  utile  ;  l'exposition  est  un  peu  obscure.  En  plu- 
sieurs endroits  de  son  livre,  par  exemple,  sur  les  changements  de  lieu  dans  la 
comédie  des  Acltarniens,  M.  L.  s'occupe  d'Aristophane;  ce  qu'il  dit  ne  présente 
rien  de  bien  nouveau.  —  A.  M. 

—  Le  nom  de  M.  Edward  Capps  est  connu  de  tous  ceux  qui  s'occupent  du  théâtre 
grec;  dans  la  fameuse  question  sur  le  >>(5veiov,  il  a  pris  très  fermement  posi- 
tion. Il  publie  aujourd'hui,  dans  V American  Journal  0/  Philology,vo\.  X.X,p.  388- 
4o5,  un  article  sur  les  catalogues  des  vainqueurs  aux  Dionysies  et  aux  Lénéennes, 


486  REVUE   CRITIQUE 

cf.  Corp.  insc.  Attic.  11,  977.  Cette  inscription,  qui  esl  composée  de  plusieurs  frag- 
ments, est  d'une  haute  importance  pour  l'histoire  du  théâtre  à  Athènes  ;  elle  a  déjà 
été  étudiée  par  Bergk  et  Kôhler.  M.  Cats  propose  une  classification  des  divers  frag- 
ments différente  de  celle  que  donne  le  Corpus  ;  la  discussion  de  M.  Capps  sem- 
ble très  probante.  —  A.  M. 

—  Le  28"  fascicule  du  Dictionnaire  des  antiquités  grecques  et  romaines,  rédigé 
sous  la  direction  de  MM.  Daremberg  et  S.\glio  avec  le  concours  de  M.  E.  Pottier, 
(Paris,  Hachette;  Lab-Leg;  V,  pp.  881-1.044)  vient  de  paraître. Il  contient  les  arti- 
cles suivants  :  Labronios,  Labyrinthus ,  Lanx,  Lecythus  (E.  Pottier);  Labrum, 
Lakaina,  Lakonikai,  Lanitis,  Larophorum,  Lasanum  (E.  Saglio)  ;  Lac,  Laniarium, 
Laniiis  (A.  Baudrillart)  ;  Lacedaemoniorum  respublica  (Fustel  de  Coulanges); 
Lacerna,  Lacuna,  Laciinar,  Laquear,  Lactis,  Lacusculus,  Laganum,  Lana,  Largi- 
tio ,  Latrina  (H.  Thédenat)  ;  Laeti,  Lampteria,  Lapidatio,  Latifundia,  Latini, 
Latrocinium,  Laiitia,  Legatio  (Ch.  LécrWaïn)  ;  Laetitia  (A.  B\anchei)  ;  Lagena, 
Laphria  (Couve)  ;  Lamia,  Lares,  Lariiae,  Latinus,  Lauerna  (Hild)  ;  Lampadarius ^ 
Lampas,  Lanterna  (Toutain)  ;  Lampadèdromia  (A.  Martin)  ;  Lancearius,  Legatio 
'Cagnat)  ;  Lapidariiis,  Lapicida,  Lapides,  Lauatio,  (A,  Jacob  1  ;  Lapidatio  ;G.  Giotz); 
Lasa  (J.  Martha)  ;  Laferes  (Babelon);  Latona,  Latonia  (F.  Durrbach);  Latrocinium 
(G.  Humbert);  Latrunculi,  Laudatio  (G.  Lafaye)  ;  Lébès;  (A.  de  Ridder)  ;  Lectica, 
Lecttis  P.  Girardi;  Lectisternium  (Bouché-Leciercq)  ;  Lector  (Boissieri  ;  Legatum 
(Cuq). 

— M.  P.  Rasi  nous  a  adressé  un  compte  rendu  de  la  1'  édition  O.  Keller  des 
odes  d'Horace  [Rivista  di  Filologia  e  d'Istru^ione  classica,  XXVIII,  6  p.  in-8)  et 
des  notes  parues  dans  le  Bollettino  di  Filologia  classica  (VI,  août-sept.  1899  ;  6  p. 
'n-8)  :  Délia  frase  oratiana  Stans  pede  in  uno  (Sat.  1,4,  10);  Sulla  cliiusa  bisil- 
labica  del  pentametro  latino.  M.  Pascal  avait  proposé  d'entendre  :  Stans  pede  in 
uno  :  «  Se  tenant  à  un  seul  mètre.  »  M.  R.  rappelle  que  cette  interprétation  a 
déjà  été  proposée  par  le  hollandais  J.-A.  Ch.  van  Heusde.  Il  la  repousse  d'ail- 
leurs, avec  raison.  M.  Rasi  restitue  à  Ovide  la  loi  de  la  finale  disyllabique  dans 
le  pentamètre,  attribuée  à  Tibulle  par  M.  Ussani.  —  P.  L. 

—  M.  G.  CuRcio  nous  a  envoyé  deux  études  littéraires  parues  à  des  époques 
différentes  dans  la  Rivista  di  Filologia  e  d'Istru:{ione  classica:  i"  Gra\io  poeta 
didattico  (i5  pp.  in-8,  Torino,  Loescher  ;  Rivista,  XXVI,  1898);  et  :  2»  //  Cynege- 
ticon  di  M.  A.  Olimpio  Nemesiano  (18  pp.  in-8,  Torino,  Loescher;  Rivista, XXVU, 
1S99).  Ces  deux  articles  aboutissent  à  des  conclusions  analogues  :  Grattius  n'a  pas 
imité,  et  probablement  n'a  pas  connu,  l'œuvre  de  son  devancier,  Xenophon  ;  Neme- 
sianus  n'a  pas  imité,  et  probablement  n'a  pas  connu,  l'œuvre  de  Grattius.  A  cette 
discussion,  M.  Curcio  a  joint  quelques  remarques  destinées  à  caractériser  chacun 
des  deux  poètes.  —  P.  L. 

—  Avec  une  ardeur  incessante  et  un  zèle  qui  mérite  beaucoup  d'éloges,  M.  Garo- 
FALO  continue  ses  études  d'histoire  ancienne.  Parmi  les  nombreux  travaux  qu'il  a 
publiés  récemment,  nous  citerous  :  1°  Studi  sulla  Storia  Spartana  dei  primi 
decenni  del  Secolo  IV a.  C. ,  opuscule  de  62  pages,  consacré  à  l'histoire  de  l'hégé- 
monie Spartiate  en  Grèce,  qui  n'apporte  rien  de  nouveau,  mais  qui  résume  assez 
exactement  les  travaux  antérieurs  ;  nous  avons  été  cependant  assez  surpris  de  ne 
rencontrer  qu'une  seule  fois,  dans  la  bibliographie  luxuriante  qui  occupcle  bas  de 
toutes  les  pages,  le  nom  d'E.  Curtius,  et  de  n'y  point  rencontrer  du  tout  celui  de 
P.  Guiraud,  le  savant  historien  de  la  propriété  foncière  à  Sparte,  ni  celui  de 
Fustel  de  Coulanges.  —  2"  Un  article,  inséré  dans  le  Boletin  de  la  Real  Academia 


I 


d'histoire  et  de  littérature  48,7 

de  la  Histnria  de  Madrid,  et  intitulé  :  Iberi  nella  Gallia,  travail  documenté  et  inté- 
ressant sur  un  sujet  qui  malheureusement  ne  peut  pas  être  fouillé  bien  profondé- 
ment, parce  que  les  documents  contemporains  font  défaut,  et  qui  ne  peut  pas 
fournir  de  conclusion  précise  ;  —  3"  Une  étude  De  Asturia,  dans  laquelle  M.  Ga- 
rofaio  a  exposé  tout  ce  que  les  inscription-s  et  les  textes  peuvent  nous  apprendre 
sur  l'Asturie  à  l'époque  romaine  ;  l'auteur  a  tiré,  croyons-nous,  de  ces  matériaux 
un  peu  restreints,  un  très  bon  parti;  nous  regrettons  seulement  que  l'ensemble 
donne  plutôt  l'impression  d'une  suite  de  notes  très  consciencieuses  que  d'un  tra- 
vail bien  composé  et  rigoureusement  développé.  Depuis  quelque  temps  M.  Garo- 
falo  s'occupe  avec  prédilection  de  l'Espagne  romaine  ;  c'est  là  un  sujet  presque 
neuf,  qui  attend  encore  son  historien.  Nous  souhaitons  que  le  savant  professeur  de 
l'Université  de  Messine  le  traite  à  fond.  —  J.  Toutain. 

—  M.  A.-G.  Peskett  (président  and  tutor  of  Magdalene  Collège,  Cambridge), 
qui  a  déjà  édité  dans  les  Pilt  Press  séries,  le  premier  livre  de  la  Guerre  civile 
(1890)  et  la  seconde  philippique  de  Cicéron,  donne  aujourd'hui  le  troisième  livre 
de  la  Guerre  civile  (2  sh.  6).  Il  a  utilisé,  comme  il  était  naturel,  pour  le  texte,  les 
éditions  de  Kùblcr  et  de  Holder  ;  pour  le  commentaire  et  pour  les  cartes,  l'ouvrage 
de  Stofl'el.  Beaucoup  de  soin  et  partout  une  extrême  netteté.  Pourquoi  aucun 
sommaire  ?  —  E.  T. 

—  Signalons  dans  la  Classical  Review  de  novembre  un  article  de  M.  Albert 
Clark,  où  il  résume  les  recherches  qu'il  a  faites  sur  plusieurs  mss.  des  discours 
de  Cicéron  {Pro  Milone,  Pro  Marcello,  Pro  Ligario,  Pro  rege  Dejotaro  et  Philip- 
piques).  M.  Cl.  y  énumère  et  y  commente  les  variantes  les  plus  intéressantes, 
tout  en  indiquant  en  quoi  ses  vues  sur  le  classement  des  mss.  diflèrent  de  celles 
qu'adoptent  les  précédents  éditeurs.  Les  collations  complètes  paraîtront  prochai- 
nement dans  un  nouveau  volume  de  la  série  de  textes  d'Oxford.  —  E.  T. 

—  M.  Adrien  Gentil,  capitaine  d'artillerie,  vient  de  publier  à  la  librairie  Dau- 
phinoise de  Grenoble  une  traduction  en  vers  français  des  Géorgiques  (142  pages, 
grand  in-12);  livre  de  luxe  en  tous  les  sens,  mais  qui  prouve  que  les  traditions  les 
plus  sévères  sont  heureusement  tenaces  en  notre  pays.  M.  G.  s'adresse  avec  con- 
riancc  «  aux  amis  de  la  nature  et  de  la  pure  poésie  classique  ».  Il  a  senti  et  il  aurait 
voulu  rendre  «  le  charme  de  "Virgile  »  :  le  poète  latin  «  fait  penser;...  un  vers,  un 
mot  suffisent  pour  que  l'esprit  complète  l'ébauche  de  l'impression  ressentie,  et  dans 
le  sens  qui  lui  convient  »  ;  et,  pour  appuyer  sa  remarque,  M.  G.  commente  avec 
goût  et  beaucoup  d'esprit  plusieurs  vers  des  Géorgiques  (II,  429;  I,  402).  Voilà  qui 
fera  passer  sur  tout  ce  qui  paraîtrait  un  peu  faible  ailleurs  :  abus  des  épithètcs,  et 
surtout  ce  défaut  :  pourquoi,  en  un  temps  comme  le  nôtre,  pas  plus  de  décision  et 
d'audace  dans  le  vocabulaire  et  dans  le  rythme?  Virgile  est  peut-être  de  tous  les 
classiques  celui  qui,  pour  le  style  et  la  création  de  mots  et  de  tours  nouveaux,  a  le 
plus  risqué;  le  traduire  avec  timidité  serait  sûrement  le  trahir.  —  I'.  T. 

—  Nous  avons  reçu  une  petite  brochure  de  26  pages,  intitulée  :  Les  lipigrammes 
de  Martial  et  le  témoignage  qu'elles  apportent  sur  la  société  romaine;  lecture  faite 
dans  la  séance  générale  de  l'institut  national  genevois,  le  21  mars  1900,  par  Paul 
Oltramare,  professeur  à  l'université  de  Genève.  C'est,  en  l'entendant  dans  le  meil- 
leur sens,  une  des  -<  grandes  leçons  »,  telles  qu'elles  se  faisaient  et  se  feront  dans 
les  universités  de  tous  les  pays  et  de  tous  les  temps,  avec  les  qualités  et  les  défauts 
du  genre  :  ici  connaissance  sérieuse'  du  sujet,  mais  justement,  à  cause  de  son 
étendue,  exposé  qui  reste  trop  général  et  où  reviennent  lorccmcnt  des  thèmes  trop 
connus  (biographie  de  Martial  ;  développement  historique  de  l'cpigrammc,  etc.), 


488  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE 

citations  prévues,  etc.  Si  cette  brochure  ne  contient  rien  de  nouveau,  reconnais- 
sons qu'elle  est  intéressante  et  d'une  très  bonne  langue.  A  remarquer  encore,  en 
plus  d'une  page,  l'écho  de  bonnes  publications  récentes,  par  exemple  du  livre  de 
M.  Gsell  sur  Domitien.  —  T, 

—  Le  mémoire  de  M.  Ch.  E.  Bennett  dont  j'ai  rendu  compte  (Revue,  n"  14)^ 
a  été  lobjet  d'un  article  de  M.  Elmer,  The  Latin  prohibitive  again,  dans  V  American 
Journal  0/ philology,  XXI,  n"  i,  12  pp.  in-8.  M.  Elmer,  comme  on  le  devine,  répond 
aux  critiques  de  M.  Bennett.  —  P.  L. 

—  Une  autre  polémique  est  soutenue  par  M.  Ch.  E.  Bennett,  à  propos  de  sa 
théorie  quantitative  du  vers  latin  (cf.  Revue, iSgg,  n»  Sg).  Il  publie  :  Rhytmic  accent 
in  Ancient  verse,  a  reply  (Baltimore,  îgoo;  American  Journal  of  philology,  XX, 
n"  4,  pp.  412-428).  C'est  une  réponse  à  une  critique  de  M.  Hendricksen  dans  la 
même  revue,  n"  2,  pp.  198-210.  —  P.  L. 


ACADEMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  du  2  3  novembre  igoo. 

M.  le  secrétaire  perpétuel  communique  les  lettres  par  lesquelles  MM.  Emile 
Châtelain,  Chavannes,  Paul  Girard,  Léger,  Ant.  Thomas,  Ulysse  Robert,  NoPl 
Valois,  posent  leur  candidature  à  la  place  de  membre  ordinaire  vacante  par  suite 
du  décès  de  M.  Ravaisson. 

M.  de   Lasteyrie,  qui  préside  la  séance,  adresse  à  M.   Henri  Wallon,  secrétaire 
perpétuelles  félicitations  de  l'Académie,  à  l'occasion  de  l'anniversaire  de  son  élec- 
tion, qui  remonte  au  22  novembre  i85o.  Il  lui  remet  ensuite  la  médaille  d'or  qui 
a  été  frappée  en   son   honneur,   et  qui  est   l'œuvre   de   M.  Chaplain,  membre  de 
l'Académie  des  Beaux-Arts. 

M.  Wallon  remercie  l'Académie  dans  une  allocution  où  il  raconte  la  première 
partie  de  la  vie,  politique  et  littéraire,  de  son  prédécesseur,  Quatremère  de  Quincy. 

M.  Grégoire  Tocilesco  fait  une  communication  sur  trois  inscriptions  du  Musée 
de  Bucarest  :  i"  un  fragment  d'inscription  cunéiforme,  qui  fait  partie  de  la  grande 
inscription  d'Asur-nasir-pals  (885-86o  a.  C);  2°  une  inscription  hiéroglyphique, 
qui  est  un  fragment  de  la  Litanie  du  Soleil  ;  3°  une  inscription  commmatoire 
grecque,  identique  à  une  inscription  de  Rhénée,  autrefois  publiée  par  Le  Bas. 

M.  le  D'  Hamy  présente  quelques  observations  sur  un  volume  intitulé  ;  Das 
Tonalamatl  der  Aubin  ' schen  Sammlung,  eine  altmexikanische  Bilderhandschrxft 
der  Bibliothèque  nationale  in  Paris,  publié  à  Berlin  par  M.  Ed.  Sélcr,  aux  frais  de 
M.  le  duc  de  Loubat,  qui  poursuit  depuis  près  de  dix  ans  la  publication  de  fac- 
similés  des  principaux  mss.  du  Mexique  et  de  l'Amérique  centrale. 

M.  Senart  fait  une  communication  sur  les  travaux  de  l'Ecole  de  l'Extrême- 
Orient. 

M.  Salomon  Reinach  lit  une  note  sur  l'inscription  qui  surmontait  l'entrée  de  la 
niche  où  fut  découverte  la  Vénus  de  Milo.  11  propose  de  cette  inscription  une  res- 
titution nouvelle  et  insiste  sur  le  fait  que  cette  inscription  n'a  rien  de  commun 
avec  la  Vénus.  M.  Reinach  parle  ensuite  des  inscriptions  gravées  sur  les  bases  des 
deux  hermès  trouvés  avec  la  Vénus  et  affirme  qu'elles  aussi  sont  tout  à  fait  étran- 
gères à  cette  statue.  Celle  de  la  base  du  ternie  d'Héraclès  jeune  devait  appartenir 
a  une  sculpture  toute  différente  et  d'au  moins  un  siècle  postérieure  au  chef-d'œu- 
vre du  Louvre. 

Léon  Dorez. 


Propriétaire-Gérant:  Ernest  LEROUX. 


Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnot,  23. 


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REVUE  CRITIQUE 

D'HISTOIRE  ET  DE  LITTÉRATURE 

N»'  53-53  —  24-31  décembre  —  1900 


WuNDT,  Psychologie  sociale,  I,  La  langue.  —  Pischel,  Grammaire  des  dialectes 
prâcrits.  —  A.  Lefèvre,  La  Grèce  antique.  —  Smyth,  Les  poètes  méliques  grecs. 

—  Herbst,  Notes  sur  le  livre  VII  de  Thucydide.  —  Thucydide,  IV,  p.  Classen- 
Steup.  —  KouMANouDis,  Dictionnairc  des  néologismes  grecs.  —  Harnack,  Le 
christianisme.  —  U.  Chevalier,  Le  Saint  Suaire  de  Turin.  —  Pascal,  Opuscules 
et  Pensées,  p.  Brunschvicg.  —  Kahn,  Les  juifs  de  Paris  pendant  la  Révolution. 

—  Orsi,  L'Italie  moderne.  —  Strobel,  La  révolution  espagnole,  1868-1875.  — 
Villalba-Hervas,  D'Alcolea  à  Sagonte.  —  Rohdp:,  La  nouvelle  réforme  de  l'or- 
thographe. —  Darricarrère,  La  langue  basque.  —  Weisengbûn,  Le  marxisme 
et  la  question  sociale.  —  Lettre  de  M.  Salomon  Reinach.  —  Lettre  de  M.  l'abbé 
Feret.  —  Gauchie  et  Bayot,  Les  chroniques  brabançonnes.  —  Des  Marez,  Les 
luttes  sociales  en  Flandre  et  la  lettre  de  foire.  —  Académie  des  inscriptions. 


W.  WuNDT,  Voelkerpsychologie,  Eine  Untersuchung  der  Entwicklungsgesetze 
von  Sprache,  Mythus  und  Sitte.  —  ErsterBand.  Die  Sprache,  Erster  Theil. 
In-S",  xv-627  p.  Leipzig,  1900. 

Après  avoir  parcouru  le  champ  tout  entier  de  la  philosophie  et 
après  avoir  renouvelé  la  psychologie,  l'illustre  professeur  de  philoso- 
phie de  Leipzig,  M.  W.  Wundt,  aborde  enfin  la  psychologie  sociale 
[Voelkerpsychologie).  Comme  l'indique  le  titre,  il  se  propose  de  trai- 
ter ce  sujet  en  trois  volumes  :  la  langue,  le  mythe,  les  mœurs  ;  la  pre- 
mière moitié  du  premier  de  ces  trois  volumes,  celui  sur  la  langue,  a 
seule  paru  jusqu'à  présent  '. 

Les  linguistes  ne  peuvent  que  se  réjouir  de  voir  un  savant  tel  que 
M.  W.  collaborer  à  l'étude  du  langage  et  y  apporter  des  points  de  vue 
nouveaux.  On  le  sait  en  effet,  et  le  lecteur  des  Antinomies  linguis- 
tiques de  M.  Henry  et  de  la  Sémantique  de  M.  Bréal  l'ignore  moins 
que  personne,  la  linguistique  s'est  transformée  au  cours  du  xix'-  siècle; 
alors  que  le  point  de  vue  logique  avait  entièrement  dominé  au  xvii=  et 
au  xvin«  siècles,  on  s'est  convaincu  peu  à  peu  que  la  langue  n'avait 
absolument  rien  à  faire  avec  la  logique  et  que,  si  le  linguiste  a  beau- 


.  I.  La  seconde  partie  du  tome  I  a  paru  pendant  que  cet  article  était  à  l'impres- 
sion. 

Nouvelle  série  L.  52-53 


490 


REVUE    CRITIQUE 


coup  à  apprendre  de  Tanatomie,  de  la  physiologie,  de  la  sociologie  et 
surtout  de  la  psychologie,  il  n'a  absolument  rien  à  demander  au  logi- 
cien que  les  principes  généraux  de  la  méthode  scientifique.  Mais  les 
linguistes  dont  l'éducation  est  en  général  historique  et  philologique 
n'ont  pu  tirer  de  ces  sciences  tout  le  parti  qu'il  faut  et  il  est  singuliè- 
rement heureux  qu'un  maître  de  la  psychologie  moderne  et  vraiment 
scientifique  consacre  au  langage  une  étude  approfondie. 

En  une  introduction  qui  ne  se  rapporte  pas  seulement  au  présent 
volume  mais  à  tout  l'ouvrage,  M.  W.  définit  l'objet  de  la  psychologie 
sociale  :  l'étude  des  phénomènes  psychiques  sur  lesquels  repose  le 
développement  général  des  sociétés  humaines  ;  toute  considération 
des  actions  individuelles  et  des  événements  particuliers  en  est  natu- 
rellement exclue.  Ces  phénomènes  psychiques  résultant  de  l'existence 
des  sociétés  présentent  des  caractères  propres  très  importants,  dont  le 
plus  essentiel  sans  doute  est  la  continuité  ;  et,  en  ce  sens,  on  peut 
parler  de  l'âme  d'un  être  social  comme  de  l'àme  d'un  individu,  étant 
bien  entendu  que  le  psychologue  n'a  jamais  à  se  poser  la  question  de 
savoir  si  cette  âme  est  une  réalité  substantielle,  mais  simplement  à 
examiner  les  relations  de  succession  et  de  similitude  des  phénomènes 
observés.  Ainsi  comprise,  la  psychologie  sociale  est  avec  la  psychologie 
expérimentale  la  seule  science  auxiliaire  de  la  psychologie  :  alors  que 
la  psychologie  expérimentale  étudie  les  faits  élémentaires  de  la  cons- 
cience individuelle,  la  psychologie  sociale  permet  d'étudier  avec  l'ob- 
jectivité nécessaire  les  phénomènes  psychiques  complexes  qui  ne  sont 
pas  accessibles  à  l'expérience. 

Pour  rendre  compte  du  langage  en  psychologue,  M.  W.  remonte 
d'abord  jusqu'aux  faits  les  plus  élémentaires  :  le  premier  chapitre  est 
consacré  aux  mouvements  expressifs  par  lesquels  se  traduisent  les 
émotions  et  les  sentiments.  —  Le  deuxième  chapitre  a  pour  objet  la 
langue  des  gestes  :  des  langages  de  ce  genre  ont  été  signalés  et  plus  ou 
moins  complètement  étudiés  chez  les  sourds-muets,  chez  les  Napoli- 
tains, chez  les  moines,  chez  les  Indiens  d'Amérique,  etc.  ;  M.  W.  s'ef- 
force d'en  dégager  les  traits  communs;  toute  cette  partie  du  livre  est 
neuve  et  fort  curieuse,  mais  l'auteur,  qui  a  eu  pleinement  raison  de 
consacrer  à  ce  sujet  un  chapitre  spécial,  ne  met  pas  assez  en  relief  le 
fait  que  la  langue  des  gestes  est  à  bien  des  égards  une  simple  transpo- 
sition, nécessairement  très  simplifiée,  du  langage  articulé  plutôt  qu'un 
développement  vraiment  indépendant. 

Avec  le  troisième  chapitre  on  arrive  au  langage  articulé,  l'auteur  y 
étudie  les  sons  du  langage.  Il  parle  d'abord  assez  brièvement  des  sons 
en  tant  qu'ils  servent  à  l'expression  des  émotions  puis  des  cris  et  du 
chant  chez  les  animaux  :  on  n'a  pas  encore  de  notions  précises  sur 
toute  cette  question  et  on  n'en  aura  pas  aussi  longtemps  qu'on  n'aura 
pas  institué  des  expériences  méthodiques  en  enregistrant  mécanique- 
ment les  sons.  Vient  ensuite  la  langue   des  enfants  ;  ici  les  travaux 


d'histoire  et  de  littérature  4g  1 

préparatoires  sont  plus  abondants,  mais  encore  bien  insuffisants  et 
l'exposition  s'en  ressent  ;  M.  W.  insiste  surtout  sur  le  fait  que  le  lan- 
gage des  enfants  ne  comporte  aucune  part  d'invention  et  de  création 
et  que  tout  y  résulte  de  l'imitation  du  langage  des  adultes  et  il  semble 
bien  qu'il  ait  raison  :  la  part  d'invention  de  l'enfant  a  paru  très  faible 
et  peut-être  tout  à  fait  nulle  partout  où  l'on  a  analysé  d'une  ma- 
nière sensiblement  complète  les  éléments  constituants  de  son  lan- 
gage. Quand  M.  W.  a  pu  observer  par  lui-même  et  suivre  le  dévelop- 
pement des  phénomènes,  il  a  obtenu  des  résultats  relativement  précis 
et,  par  exemple,  la  manière  dont  les  divers  points  de  départ  et  l'acqui- 
sition de  langage  sont  indiqués,  p.  290  et  suiv,,  est  vraiment  admi- 
rable. Mais  l'extrême  insuffisance  des  travaux  antérieurs  auxquels  il  a 
dû  recourir  se  traduit  par  les  raisonnements  singulièrement  fragiles 
dont  il  est  plus  d'une  fois  amené  à  se  servir.  Par  exemple,  p.  288,  il 
admet  que  les  différences  d'articulations  que  présentent  les  diverses 
langues  résultent,  en  partie  du  moins,  de  différences  de  races  et  la 
raison  sur  laquelle  il  s'appuie  est  que,  quand  il  a  appris  une  langue 
étrangère,  l'enfant  même  le  mieux  exercé  présente  en  la  parlant  des 
traces  de  sa  langue  maternelle  :  ceci  prouve  seulement  que  les  habi- 
tudes articulatoires  prises  en  apprenant  une  première  langue  sont 
indélébiles  ;  pour  établir  une  influence  de  race,  il  faudrait  montrer 
qu'un  enfant  allemand,  transporté  dès  sa  naissance  au  milieu  de  Fran- 
çais et  n'ayant  jamais  entendu  d'allemand,  présenterait  des  traces  de 
prononciation  allemande.  Ailleurs,  p.  298,  pour  établir  que  ce  n'est 
pas  par  incapacité  d'émettre  certaines  articulations  que  l'enfant  subs- 
titue certains  phonèmes  à  d'autres,  M,  W.  constate  que  le  même 
enfant  qui  dit  Tind  pour  Kind  et  Peipe  pour  Pfeife  dit  Gack  pour 
Gasse  et  Faata  pour  Vater  :  mais  cet  enfant  n'a-t-il  pas  appris  à  dire 
Kind  avant  de  savoir  prononcer  les  gutturales  et  Gasse  seulement 
après?  alors  Tind  serait  la  conservation  d'un  état  plus  ancien;  quant 
à  Pfeife  et  Vater,  il  est  clair  que/»/ de  l'un  et/ de  l'autre  ne  sont  pas 
comparables  et  que  le  second/?  de  Peipe  s'explique  par  une  assimila- 
tion. Tous  ces  faits  appellent  des  recherches  plus  précises  dont  l'ex- 
position même  de  M.  W.  fait  ressortir  l'urgente  nécessité,  —  L'auteur 
traite  ensuite  des  interjections  et  termine  le  chapitre  par  une  impor- 
tante étude  sur  les  mots  imitatifs;  il  montre  à  quelles  diflîculiés  inex- 
tricables on  se  heurte  si  l'on  cherche  dans  les  mots  de  ce  genre  une 
imitation  des  bruits  extérieurs  par  les  sons  du  langage  ;  et  il  conclut 
que  ce  ne  sont  pas  les  sons  mais  les  mouvements  articulatoires  qui 
expriment  l'impression  extérieure  ;  il  s'agit,  comme  le  dit  l'auteur,  de 
véritables  gestes  phonétiques  (lautgeberden).  Il  faut  lire  dans  l'ouvrage 
toute  cette  théorie  si  neuve  et,  ce  semble,  si  satisfaisante.  Et  l'on  ne 
devra  pas  se  laisser  arrêter  par  les  erreurs,  les  théories  vieillies  et  les 
invraisemblances  de  détail  qui  vicient  à  peu  près  tous  les  exemples 
cités  ;  car  il  serait  aisé  de  les  remplacer  par  de  meilleurs. 


492  REVUE  CRITIQUE 

Le  chapitre  suivant,  sur  le  changement  phonétique,  était  le  plus 
difficile  à  faire  pour  un  auteur  qui  n'est  pas  proprement  linguiste;  car 
il  s'agit  ici  des  phénomènes  linguistiques  dont  l'étude  a  été  poussée  le 
plus  loin  et  il  est  impossible  d'en  parler  avec  correction  sans  connaître 
à  fond  les  faits,  et  sans  posséder  d'une  manière  intime  la  méthode  lin- 
guistique; on  ne  saurait  dire  que  M.  W.  ait  surmonté  cette  difficulté, 
sans  doute  absolument  insurmontable.  Il  est  difficile,  par  exemple,  de 
lui  faire    grief  de   ne  point  connaître  le  Patois  de  Celle/rouin   de 
M.  Rousselot  et  la  Dissimilation   consonantiqiie  de  M.  Grammont, 
deux  livres  qui  ne  sont  pas  d'un  abord  très  facile  même  pour  les  spé- 
cialistes; mais  il  ne  paraît  pas  possible.de  faire  une  théorie  de  la  pho- 
nétique en  négligeant  des  ouvrages  où  sont  présentées  des  vues  si 
importantes  et  qui  renouvellent  si  essentiellement  le  sujet.  On  lira 
donc  avec  intérêt  les  observations  générales  par  lesquelles  débute  le 
chapitre;  mais,  au  fur  et  à  mesure  que  M.  W.  est  amené  à  serrer  les 
faits  de  plus  près,  on  sent  qu'il  est  de  plus  en  plus  à  côté.  On  ne  voit 
pas  qu'il  tienne  compte  nulle  part  des  caractères  les  plus  remarquables 
des  grandes  altérations  phonétiques  :  le  fait  que  tous  les  enfants  nés 
en  un   même  temps,  en  un    même   lieu  les  présentent  indépendam- 
ment, le   fait  qu'elles  tendent  à  se  produire  indépendamment  dans 
toutes  les  localités  d'un  domaine  linguistique  homogène,  le  fait  enfin 
que  les  enfants  affectés  sont  incapables  de  reproduire  l'articulation 
ancienne.  —  Si  l'on  veut  avoir  une  idée  du  vague  extrême  avec  lequel 
les  questions  sont  traitées,  on  peut  voir,  par  exemple,  dans  l'étude  sur 
les   causes  du   changement  phonétique  le  paragraphe  consacré  aux 
mélanges  de  races  :  l'influence  de  la  race  proprement  dite  et  celle  de 
la  différence  de  langue  ne  sont  nullement  distinguées,  bien  que  ce 
soient  évidemment  deux  choses  tout  à  fait  distinctes;  les  changements 
immédiats  résultant  d'une  assimilation  imparfaite  de  la  langue  apprise 
par  le  peuple  qui  change  de  langue  ne  sont  pas  non  plus  distingués 
des  altérations  ultérieures  qui  se  produisent  après   le  changement  de 
langue  dans  la  transmission  du  langage  de  génération  en  génération, 
bien  que  ces  deux  faits  soient  eux  aussi  d'espèces  absolument  diffé- 
rentes. —  Trop  souvent  enfin  M.  W.  s'attarde  à  discuter  des  théories 
abandonnées  depuis  longtemps  :  il  était  vraiment  bien  inutile  de  cri- 
tiquer l'idée  que  les  peuples  germaniques,  lors  de  la  lautverschie- 
bung^  se  seraient  efforcés  de  maintenir  la  distinction  indo-européenne 
de  trois  types  de  consonnes  :  le  fait  qu'une  pareille  théorie  se  trouve 
dans  une  édition  récente  d'un  livre  de  M.  Max  Millier  ne  prouve  pas 
qu'elle  ait  cours  aujourd'hui  encore,   mais  seulement  que  les  livres 
actuels  de  M.  Max  Millier  sur  la  linguistique  reproduisent  les  idées  d'il  y 
a  trente  ou  quarante  ans.  —  Toutefois,  l'idée  fondamentale  du  cha- 
pitre, que  les  changements  phonétiques  reposent  en  principe  sur  des 
faits  psychiques  est  profondément  juste;  M.  W.  s'est  rencontré  sur  ce 
point  avec  M.  Rousselot  et  M.  Grammont  et  ses  vues  viennent  très 


d'histoire  et  de  littérature  4^3 

heureusement  confirmer  et  généraliser  celles  que  ces  savants  avaient 
déjà  émises. 

Avec  le  cinquième  chapitre,  sur  la  formation  des  mots,  M.  W.  rentre 
sur  un  terrain  plus  proprement  psychologique  et  l'intérêt  de  l'ouvrage 
redevient  très  vif.  A  l'aide  des  études  sur  l'aphasie  il  montre  combien 
le  mot  est  chose  complexe  au  point  de  vue  prychologique;  il  indique 
toute  l'insuffisance  des  schémas  par  lesquels  on  a  cherché  à  suppléer  à 
une    connaissance    vraiment   intime    des    fonctions    cérébrales   qui 
manque  encore  ;  il  ne  paraît  d'ailleurs  pas  connaître  les  recherches  si 
précises  faites  par  M.  Déjerine  et  ses  élèves  sur  cette  question  de  l'apha- 
sie, recherches  d'où  ces  schémas  abstraits  et  purement  imaginaires 
sont  bannis  et  on  ne  peut  pas  ne  pas  remarquer  à  ce  propos  que 
M.  W.  dont  la  lecture  en  allemand  est  très  étendue  a  beaucoup  moins 
profité  des  travaux  publiés  dans  les  diverses   langues  étrangères  (il 
n'y  a  là  d'ailleurs  rien  qui  soit  particulier  à  l'illustre  philosophe  de 
Leipzig  ;  il  est  curieux  de  voir  à  quel  point  la  bibliographie  des  auteurs 
de  chaque  pays  est  restée  en  général  étroitement  nationale).  —  Toute 
l'étude  qui  suit  sur  les  représentations  de  mots  est  l'une  des  parties  de 
l'ouvrage  les  plus  instructives  pour  le  linguiste;  on  y  trouvera  une 
analyse  profonde  de  la  manière  dont  se  fait  l'aperception  des  mots  et  du 
rôle  qu'y  joue  la  reconnaissance  des  mots  connus  ;  et  cela  permettra 
d'expliquer  des  faits  obscurs  et  jusqu'à  présent  trop  peu  étudiés.  Par 
exemple  le  fait  que  certains  éléments  du  mot  peuvent  suffire  à  éveiller 
l'impression  du  mot  entier  et  cela  sans  que  l'on  éprouve  l'impression 
d'un  manque,  permet  de  concevoir  comment  un  mot  long  peut  per- 
dre certaines  de   ses   parties,  comment   par   exemple  xptâxovTa  peut 
devenir  TOiâvxa.  —  Il  y  aurait  plus  de  réserves  à  faire  sur  le  reste  du 
chapitre  où  M.  W.  traite  des  racines,  du  redoublement,  de  la  compo- 
sition, tous  sujets  purement  grammaticaux,  et  les  exemples,  en  par- 
ticulier,   laissent   trop    voir  que    M.  W.   a    négligé  de  consulter  les 
éminents  linguistes  qui  font  de  la  faculté  de  philosophie  de  Leipzig 
le  centre  linguistique  le  plus  remarquable  du  monde  entier.  Mais  on 
y  trouve  aussi  une  foule  de  remarques  importantes,  et  il  convient  de 
signaler  d'une  manière  toute  spéciale  la  protestation  de  l'auteur  contre 
la  trop  fameuse  classification  en  langues  isolantes,  agglutinantes  et 
flexionnelles   (p.  55 1  et  suiv.)  :  une  seule  classification  a  une  valeur 
scientifique  et  une  véritable  utilité,   c'est  la  classification  génétique. 
Toute  autre  est  purement  fictive. 

S'il  a  semblé  utile  de  ne  pas  taire  à  un  homme  tel  que  M.  Wundt 
certaines  réserves,  il  importe  de  dire  en  terminant  que  son  livre  n'est 
pas  de  ceux  qui  résument  des  travaux  antérieurs,  mais  de  ceux  qui 
ouvrent  une  voie  et  que,  dans  de  pareils  ouvrages,  les  erreurs  même 
sont  fécondes  :  ce  sont  erreurs  d'esprits  originaux  et  hardis  qui  savent 
créer  dans  la  science  des  parties  nouvelles. 

A.  Meillet. 


494  REVUE   CRITIQUE 

Grammatik  derPrakrit-Sprachen,  von  R.  Pischel.  (Grundriss  der  Indo-Arischen 
Philologie  und  Altertumskunde,  I,  8.)  Strasbourg,  Trûbner,  1900,  Gr.  in-8, 
4^0  pp.  Prix  :  21  mk.  5o. 

Laissons  la  parole  à  l'auteur  (§44,  p.  47)  :  il  sait  mieux  que  per- 
sonne ce  qu'il  a  voulu  faire,  et  son  nom  à  lui  seul  est  garant  qu'il  l'a 
fait. 

«  Dans  cette  grammaire  on  a  pour  la  première  fois  essayé  d'étudier 
parallèlement  tous  les  dialectes  prâcrits,  en  les  éclairant  de  toute  la 
documentation  dont  nous  disposons  à  cet  effet.  Depuis  Lassen,  nous 
avons  appris  à  en  connaître  deux  qu'il  ignorait  et  un  qui  lui  était  à 
peine  accessible,  les  trois  plus  importants  par  eux-mêmes  et  par  leur 
littérature  :  l'ardhamâgadhî,  la  jaina-mahàràsh?rî  et  la  mahàrâsh^rî. 
Personnellement  j'y  ai  joint  la  (f/iakkî,  la  dakshi/zàtyâ,  l'àvantî  et  la 
jaina-çaurasênî,  dont  nous  ne  possédons  jusqu'à  présent  que  peu  de 
spécimens.  J'ai  soumis  à  une  revision  approfondie  ceux  de  la  çaura- 
sênî  et  de  la  mâgadhî...  »  Ajoutons,  pour  être  complet,, que  les  formes 
notables  du  prâcrit  épigraphique  sont  relevées  avec  grand  soin,  et  que 
l'apabhramça,  qui  est  sûrement  un  prâcrit,  bien  que  les  grammaires 
indigènes  lui  marchandent  cet  honneur,  figure  en  bonne  place  dans 
la  phonétique  et  la  morphologie. 

Ce  dernier  trait  suffit  à  indiquer  l'attitude  que  sait  prendre  M.  Pis- 
chel à  l'égard  de  nos  maîtres  hindous. 

Peut-être  s'exagère-t-il  parfois  leur  valeur  documentaire  :  elle  n'est 
pas  indiscutable  en  sanscrit  même,  où  nous  avons  bien  plus  de  moyens 
de  la  contrôler,  et  Whitney,  dont  l'acerbe  critique  exagérait  par  réac- 
tion en  sens  inverse,  nous  a  appris  ce  que  recèle  de  balourdises  le 
texte  de  l'infaillible  Pâ/zini.  Mais  du  moins  ces  autorités  n'inter- 
viennent-elles jamais^  chez  M.  Pischel,  que  comme  témoins,  et  non 
comme  juges  :  il  repasse  au  crible  leurs  matériaux,  et  ne  se  fait  pas 
faute  de  dénoncer  leurs  étymologies  arbitraires,  leur  phonétique  naïve 
et  les  identifications  dont  elle  s'étaie,  comme  cet  impossible  change- 
ment de  ta  ou  da  en  va  (§  246,  p.  ijS)  dont  il  fait  justice  en  quelques 
lignes  implacables  '.  Voilà  parler,  et  nombreuses  sont  les  pages  de  ce 
livre  qui  n'appellent  pas  l'ombre  d'une  réserve.  On  n'en  dirait  pas 
toujours  autant  des  discussions,  d'ailleurs  très  sobres,  avec  les  contem- 
porains :  il  en  est  dont  on  n'aperçoit  pas  nettement  la  raison  d'être. 
Ainsi,  dès  la  p.  5,  M.  P.  débaptise  l'idiome  que  M.  Senart  avait  appelé 
«  prâcrit  monumental  »,  et  préfère  le  dénommer  «  dialecte  des 
cavernes  «.  C'est,  dit-il,  qu'il  se  rencontre  surtout  dans  les  cavernes  : 


I.  La  belle  étymologie  de  nakshatra  «  signe  du  zodiaqne  lunaire  »,  par  *nak- 
kshatra  «  qui  règne  [alternativement]  sur  [chaque]  nuit  »,  doit  être  toute  nouvelle, 
puisque  le  Dictionnaire  de  M.  Uhlenbeck  (1899)  l'ignore  encore.  M.  Pischel  a  la 
coquetterie  d'indiquer  négligemment  et  comme  en  passant  (§  270,  n.  3)  cette  heu- 
reuse trouvaille. 


d'histoire  et  de  littérature  495 

sans  doute  ;  mais  encore  ces  cavernes  ne  sont-elles  qu'une  partie  des 
monuments  qui  l'attestent,  et  non  moins  certainement  cet  idiome  est 
un  prdcrit.  Dès  lors,  à  quoi  bon  changer  le  terme  conventionnel  ? 

Il  ne  saurait  entrer  dans  mes  intentions  de  suivre  M.  P.  dans  le 
minutieux  et  infini  détail  de  ses  imposantes  statistiques  ou  de  ses 
délicates  analyses,  ni  même  de  résumer  le  plan  général  de  son  ouvrage. 
On  sait  bien  d'avance  ce  qu'il  doit  nécessairement  contenir,  et,  si 
volumineuse  que  soit  une  grammaire,  la  table  des  matières  est  tou- 
jours la  même.  Il  suffit  de  constater  que  celle-ci  est  entièrement  à  la 
hauteur  de  la  méthode  et  de  l'érudition  contemporaines. 

En  phonétique,  la  brévité  éventuelle  de  ïe  et  de  Vo  est  toujours 
indiquée.  C'est  parfait  ;  mais  j'avoue  que  j'aurais  voulu  mieux  encore. 
Les  sanscritistes  se  dispensent  de  marquer  la  longueur  de  Ve  et  de  Vo, 
parce  qu'en  sanscrit  ils  sont  toujours  longs.  Cette  quasi-négligence, 
fort  excusable,  ne  va  pas  sans  quelque  inconvénient;  et,  pour  ma 
part,  quand  je  n'écris  pas  pour  les  seuls  sanscritistes,  j'ai  pris  l'habi- 
tude d'orthographier  ê  et  d,  depuis  que  j'ai  entendu  un  savant  très 
distingué  prononcer  le  nom  du  sôma  comme  le  français  //  somma.  A 
plus  forte  raison  cette  précaution  serait-elle  de  mise  dans  la  transcrip- 
tion de  langues  moins  connues,  où  Ve  et  Vo  peuvent  avoir  l'une  et 
l'autre  quantité.  On  dira  qu'en  marquant  la  brévité  on  indique  tacite- 
ment la  longueur  ;  mais  j'ai  retenu  de  mes  vieilles  études  de  droit  que 
utile  per  inutile  non  vitiatur  '. 

Ainsi  qu'il  convient  à  un  ensemble  de  dialectes  dont  chacun  à  son 
tour  n'est  qu'un  agrégat  de  sous-dialectes  inconnus,  la  norme  phoné- 
tique est  ici  extrêmement  flottante  :  non  pas,  bien  entendu,  qu'il  n'y 
ait  point  de  loi  ;  tout  au  contraire,  il  y  en  a  un  très  grand  nombre,  en 
ce  sens  que  plusieurs  possibilités  phonétiques  se  sont  réalisées  en 
divers  temps  et  en  divers  lieux,  puis  se  sont  fondues  artificiellement 
en  un  tout.  Les  processus  d'évolution  n'en  demeurent  pas  moins  clairs 
dans  la  plupart  des  cas  :  ainsi  l'assimilation  et  la  dissimilation  voca- 
liques  (§§  5o  sqq.)  jouent  évidemment  un  rôle  très  prépondérant,  et 
les  prâcrits  ressemblent  beaucoup  à  ces  idiomes  créoles  où  fr.  froid 
de\ientfurua,  h.  plume,  pilim.  Les  nuances  de  prononciation  de  Vr 
sanscrit,  si  difficiles  à  inférer  des  définitions  indigentes  des  Pràtiçà- 
khyas,  auraient  chance  de  ressortir  d'un  examen  attentif  du  traite- 
ment prâcrit  de  voyelle  brève  devant  un  groupe  commensant  par 
liquide  (§§  62  sqq.)  ;  et  la  mutation  éventuelle  de  palatale  en  dentale, 
malgré  la  généralité  de  la  loi  qui  la  résume  (§  21  5,  p.  i55),  ne  semble 
guère  se  produire  que  devant  voyelle  ou  semi-voyelle  palatale,  c'est-à- 
dire  dans  lès  mêmes  conditions  que  pour  gr.  te  =  sk.  ca,  ou  pour  l'al- 


I.  II  est  fâcheux,  dans  une  impression  aussi  soignée,  que  l'alignement  du  poin- 
tage sublinéaire  ne  soit  pas  le  mtîme  pour  toutes  les  lettres  :  lorsqu'un  »i  et  un  d 
pointés  se  trouvent  cote  à  côte,  l'eftet  est  pénible  à  l'ivil. 


496  REVUE    CRITIQUE 

ternance  sk,  itpajîka  (A.  V.  VI,  100,  2)  upadîka  \  Quand  la  phoné- 
tique semble  en  défaut,  c'est  qu'elle  n'est  pas  seule  en  jeu  :  ainsi, 
comme  le  remarque  M.  P.  (§  265j,  le  v  de  bàvaiûiim  «  62  »  =  dvâ- 
shashù  est  sûrement  analogique  du  v  régulier  de  bdvanï\am  =  dvd' 
paficdcat  «  52  »;  et,  quoiqu'il  ne  le  remarque  pas,  l'a  de  pacchddô  = 
*paçcatas  et  autres  ablatifs  similaires  (§  69)  ne  peut  s'expliquer  que 
par  contamination  de  l'autre  ablatif  TéguUer  pacchd  =paçcdt.  Je  ne 
puis  arriver  à  concevoir  comment  il  conteste  que  sk.  ndpitd  «  bar- 
bier »  soit  du  prâcrit  grossièrement  resanscritisé  (§  210,  n.  2)  ;  car,  à 
supposer  que  la  phonétique  sanscrite  autorise  la  chute  de  1'^  dans  un 
groupe  initial  sn,  —  ce  que  je  ne  crois  pas,  —  il  reste  toujours  que  la 
seule  forme  correcte  serait  *  Jidpitdr  «  baigneur  »,  dont  le  passage  à  la 
flexion  en  -a-  est  un  prâcritisme  flagrant. 

Il  ne  manque  point  d'analogies  entre  le  phonétisme  prâcrit  et  celui 
de  maint  autre  idiome  indo-européen  moderne.  Une  des  plus 
curieuses,  à  coup  sûr,  c'est  le  changement  (§  191,  en  cûlikàpaiçâcî)  de 
toutes  les  explosives  sourdes  en  sonores,  qui  rappelle  irrésistiblement 
le  français  que  parlaient  encore  il  y  a  un  siècle  presque  tous  les  Alsa- 
ciens ^  :  rien  ne  saurait  mieux  dénoncer  un  idiome  aryen  appris  et 
prononcé  par  une  peuplade  anâryenne.  Mais  les  affinités  les  plus 
étroites  des  prâcrits  sont  avec  leur  antipode  européen,  le  breton  d'Ar- 
morique  :  comme  lui,  ils  possèdent  (§§  72,  1 1  3,  114,  etc.)  une  nasali- 
sation adventice,  d'origine  indécise  et  multiple,  d'ailleurs  également 
évanescente;  comme  lui,  ils  ont  le  phonème  si  rare  v  nasal  en  tant 
que  substitut  d'un  m  intervocalique,  soit  le  pendant  du  br.  danvad 
«  mouton  »  =  damatos  (§  179),  et,  pour  achever  la  ressemblance,  soit 
la  nasalisation,  soit  le  v  est  susceptible  de  disparaître  (§  25 1,  en  apa- 
bhrawça)  ^  Il  n'est  pas  jusqu'à  la  formation  périphrastique  du  passé 
par  le  verbal  passif  avec  le  sujet  à  l'instrumental  (§519,  type  sk.  bien 
connu  7'djnôktam  pour  rdjôvdca)  qui  ne  se  superpose  exactement  au 
br.  am  eu^  kanet  «  j'ai  chanté  »,  par  l'équivalence  lat.  *  mê  est  cantiim. 

Cette  transition  m'amènerait  tout  naturellement  à  la  morphologie  ; 
mais  elle  n'appelle  que  peu  de  remarques.  Sur  la  substitution  presque 
générale  du  génitif  au  datif  (§  36 1),  il  n'est  pas  sans  intérêt  de  noter 

1.  Le  type  de  réduplication  dugu-  =  jugu-  peut  être  analogique  du  type  digi-  = 
jigi-.  Quant  à  ca  et  ja  devenus  ta  et  da,  il  ne  faut  pas  oublier  que  Va  bref  hindou 
est  en  réalité  une  sorte  d'e  muet. 

2.  Et,  toujours  comme  en  alsacien,  le  v  reste  intact;  car  c'est  une  absurde  paro- 
die de  l'accent  des  Alsaciens,  que  de  leur  faire  prononcer  fit  fulé  pour  vous  voulez, 
etc.  ;  si  elle  est  sincère,  elle  montre  le  rôle  énorme  que  joue  l'imagination  dans  les 
impressions  auditives. 

3.  On  ose  à  peine  réclamer  un  complément  à  un  ouvrage  déjà  si  étendu  ;  mais 
il  faut  bien  regretter  l'absence  de  tableaux  synoptiques,  où  tous  ces  phénomènes 
phonétiques  seraient  repris  et  présentés  d'ensemble.  Eût-il  dû  sacrifier  çà  et  là 
quelques-uns  de  ses  nombreux  exemples.  M.  P.  se  serait  aisément  réservé  les  cinq 
ou  six  pages  nécessaires  à  cette  récapitulation  comparée. 


d'histoire  et  de  littérature 


497 

qu'elle  se  constate  à  peine  en  germe  dans  le  sanscrit  absolument  pur 
et  authentique,  celui  des  Védas  :  il  n'est  donc  point  douteux  que 
l'emploi  indifférent,  et  littérairement  peu  agréable,  du  génitif  et  du 
datif  en  sanscrit  classique  ne  soit. une  infiltration  du  pràcritisme.  L'ac- 
cusatif en  -e  des  thèmes  en  -a-  iputté  «  les  fils  »  =  sk,  putrdn)  n'est 
point  clair,  et  ne  le  devient  point  par  l'explicacion  de  M.  P.  (analogie 
de  la  flexion  pronominale,  §  36;  a)  ;  car,  si  l'ace,  pi.  tê  «  les  »  a  amené 
piitté,  on  ne  voit  pas  comment  le  nom.  pi.  tê  a  laissé  subsister /jz^/^^ï. 
Il  devrait  y  avoir  parité,  d'autant  que  dans  les  autres  déclinaisons  les 
deux  cas  sont  identiques.  Je  crois  que  rien  ne  dispense  d'admettre 
quelque  influence  lointaine  des  finales  verbales  :  à  la  voix  moyenne, 
c'est-à-dire  dans  le  verbe  qui  paraissait  contenir  avec  lui  son  objet,  la 
désinence  se  terminait  en  pk.  comme  en  sk.  par  ê,  ce  qui  offrait  une 
facilité  de  plus  à  l'introduction  de  cette  voyelle  dans  la  finale  d'un  cas 
désignant  l'objet,  tandis  que  le  cas-sujet  y  demeurait  naturellement 
rebelle.  La  filière  analogique  d'où  est  sortie  tiimhé  «  vous  »  (§  422) 
méritait  aussi  l'examen  ;  à  la  i'"^  personne,  on  avait  aJiam,  pi.  ahmê 
{=  sk.  asmdn],  qui,  partis  d'une  origine  bien  différente,  étaient  devenus 
quasi-homophones,  en  sorte  que  celui-ci  paraissait  sorti  de  celui-là; 
on  refit  donc  de  même  * yumhê  sur  tum.  Quant  à  la  conjugaison  et  à 
la  dérivation  verbale  secondaire,  sauf  celle  du  passif  (§  535),  c'est  à 
peine  si  elle  prête  par  endroits  à  la  controverse  '. 

11  faut  conclure.  Nous  possédons  enfin  un  «  Manuel  statistique  et 
raisonné  des  Pràcrits  ».  A  ce  travail  de  marqueterie  à  la  loupe  et  de 
mensuration  au  vernier,  nul  n'était  mieux  appelé  que  l'auteur,  et 
aucun  emploi,  mieux  que  la  confection  de  cette  grammaire,  ne  con- 
venait à  l'érudition  merveilleusement  outillée,  complète,  exacte,  sa- 
gace,  scrupuleuse,  parfois  pointilleuse,  de  M.  Richard  Pischel. 

V.   Henry. 


André  Lefèvre,  La  Grèce  antique,  entretiens   sur  les  origines  et  les  croyances. 
Paris,  Schleicher  frères,  1900;  463  p.  (Bibl.  des  sciences  contemporaines). 

M.  Lefèvre  promène  agréablement  ses  lecteurs  au  milieu  des 
mythes  de  la  théogonie  antique  et  des  croyances  des  anciens  Grecs; 
il  a  pénétré  dans  les  moindres  replis  du  vieil  Olympe  ;  il  a  interviewé 
(qu'on  me  pardonne  ce  mot  barbare)  toutes  les  divinités  qui  l'habitent  ; 
il  a,  par  surplus,  interrogé  Homère  et  Hésiode;  il  a  enfin  demandé 
_ — ■  . — — — ■ — ^ — — 

I.  Les  §§  454-456  sont  assez  étrangement  composes.  On  a  :  454,  i"  personne  du 
singulier  (actif);  455,  2"  personne  et  1>°  personne  du  singulier,  r*  du  pluriel  ;  456, 
2*  personne  et  3'  personne  du  pluriel  (pp.  321-324).  La  longueur  approximative- 
ment égale  des  alinéas  n'est  un  principe  de  division  reconnu  que  pour  les  adhyàya» 
hindous,  et  il  nest  pas  expédient  de  le  leur  emprunter. 


4q8  revue  critique 

leurs  secrets  aux  religions  orientales,  et  de  ses  analyses,  de  ses  déduc- 
tions, de  ses  combinaisons,  est  sorti  le  présent  livre.  Il  est  loin  de 
manquer  d'intérêt;  mais  il  n'offre  pas  grande  nouveauté,  et  il  faut  le 
prendre  pour  ce  qu'il  est,  c'est-à-dire  pour  une  série  de  simples  entre- 
tiens, comme  le  dit  le  sous-titre,  à  la  portée  du  public  d'un  cours.  On 
aurait  tort  de  l'envisager  comme  un  ouvrage  essentiellement  didac- 
tique, dont  les  résultatslonguement  cherchés  et  mûris  doivent  enrichir 
et  faire  progresser  la  science  ;  car  alors  la  critique  trouverait  facilement 
à  s'exercer.  Le  linguiste  reprendrait  des  étymologies  surprenantes  et 
des  rapprochements  plus  qu'incertains;  l'helléniste  demanderait  pour- 
quoi l'on  s'arrête  à  Pierron  en  matière  de  critique  homérique;  le  lettré 
noterait  des  négligences  de  style  et  des  expressions  d'un  goût  dou- 
teux ;  et  un  esprit  tolérant  estimerait  peut-être  que  certains  sarcasmes 
contre  le  christianisme  ne  sont  pas  à  leur  place.  Mais  encore  une  fois 
nous  n'avons  à  faire  qu'à  des  causeries,  et  il  vaut  mieux  ne  voir  que 
les  bons  côtés  de  l'ouvrage  :  d'intéressants  développements  sur  l'ori- 
gine et  les  migrations  des  anciens  Hellènes,  de  consciencieuses  ana- 
lyses du  monde  et  de  l'Olympe  homériques,  et  l'étude  très  suffisante 
pour  le  public  des  idées  contenues  dans  les  anciennes  épopées,  dans 
les  hymnes  attribués  à  Homère,  et  dans  l'œuvre  d'Hésiode.  Quant  aux 
explications  proposées  sur  l'origine  des  dieux,  atmosphériques  ou 
solaires,  sur  leurs  noms,  et  sur  leurs  attributions,  le  lecteur  n'est  pas 
tenu  d'y  voir  des  articles  de  foi  :  tout  est  hypothèse  en  pareille 
matière,  et  les  hypothèses  ne  sont  pas  près  de  cesser. 

My. 


Greek  Melic  Poets,  by  Herbert  Weir  Smyth.  Londres,  Macmillan,  1900;  cxlii- 
564  p. 

Dans  ce  volume,  qui  serait  plus  élégant  s'il  était  moins  épais, 
M.  Smyth  publie  une  anthologie  des  poètes  méliques  grecs,  encadrée 
entre  une  longue  introduction  touffue  et  des  notes  explicatives,  litté- 
raires et  grammaticales.  Un  appendice  renferme,  entre  autres  mor- 
ceaux, une  partie  des  Anacreontea  et  les  hymnes  découverts  à 
Delphes.  L'ouvrage  sera  utile  aux  étudiants  de  langue  anglaise,  bien 
que  le  texte  adopté  prête  parfois  à  la  critique  (par  exemple,  le  vers  191 
de  Bacchylide  II  (5^  est  faux,  de  quelque  façon  qu'on  l'analyse),  et 
que  les  notes  ne  soient  pas  toujours  claires  (l'observation  suivante, 
par  exemple,  est  incompréhensible,  p.  igo  :  «  piXs,  d'une  forme  faible 
de  la  racine  de  po'jXo|jLai;  l'a  est  dû  à  ce  fait  que  l'accent  était  originai- 
rement sur  la  dernière  :  ^aXi.  »).  La  documentation  de  M.  S.,  quoique 
'fort  étendue,  pourrait  en  certains  cas  être  plus  complète  :  je  ne  vois 
cité  nulle  part,  à  propos  de  Pratinas,  l'article  de  Paul  Girard  dans 
les  Mélanges   Weil.  Il  convient  de  signaler,  comme  bien  appropriés 


d'histoire  et  de  littérature 


499 

au  but  d'une  édition  à  l'usage  des  étudiants,  les  nombreux  parallèles 
établis  dans  les  notes  entre  les  divers  auteurs,  notamment  les  rappro- 
chements avec  Homère  et  les  poètes  latins;  c'est  là  un  des  mérites  du 
livre,  et  ce  qui,  à  mon  sens,  devrait  être  fait  plus  abondamment  dans 
nos  éditions  classiques.  L'esprit  grec  est  ainsi  mieux  connu,  ainsi  que 
son  influence  sur  la  poésie  latine,  et  l'expérience  m'a  appris  que  ce 
genre  de  commentaires  n'est  pas  sans  intérêt  pour  les  étudiants. 

Mv. 


Herbst  (L.),  Zu  Thukydides  Erklarungen  und  Wiederherstellungen,  aus 
dein  Nachiass  voa  L.  Herbst  mitgetcilt  und  besprochcii  von  Franz  Mullcr,  lll"' 
Teil,  B.  vit.  Beilage  zum  Programm  des  kôn.  Gynin.  zu  Qucdlinburg,  Leipzig, 
Teubner,  igoo,  s.  ?>ï. 

M.  Fr.  Muller  continue  la  publication  des  notes  manuscrites  lais- 
sées par  le  savant  éditeur  de  Thucydide,  L.  Herbst.  Le  programme 
que  j'ai  sous  les  yeux  ne  comprend  que  les  notes  relatives  au  livre  vu  : 
il  yen  a  d'intéressantes,  et  qui  méritaient  certainement  d'être  publiées. 
De  ce  nombre  me  paraît  être  la  série  des  exemples  recueillis  par  H.  à 
l'appui  de  son  interprétation  des  mots  où/,  aveu  ôXtYwv  àTToOetajawv 
àTToXs'.TOjxEvo'.  (75,  4),  entendus  comme  s'il  y  avait  où/,  avsj  <;o'jx>>  ôXtyojv. 
Aucun  de  ces  textes  n'est  absolument  identique  au  passage  de  Thucy- 
dide; mais  plusieurs  semblent  bien  justifier,  par  analogie,  l'explica- 
tion proposée.  A  propos  du  travail  de  Herbst,  M.  Fr.  Millier  a  pris  la 
peine  de  relever,  dans  les  éditions  les  plus  récentes,  les  explications 
ou  restitutions  que  Herbst  n'avait  pu  connaître.  Ainsi  entendue,  cette 
œuvre  de  piété  à  l'égard  d'un  maître  devient  un  instrument  de  travail 
que  devront  consulter  tous  les  futurs  éditeurs  de  Thucydide. 

Am.  Hauvette. 


Thukydides,   erklart   von   J.    Classen ,  iv'   Band,  iv«'    Buch,    iii''   Autlagc,  von 
J.  Stecp,  Berlin,  Weidmann,   tgoo,  s.  314.  Prix  :  .3  mk. 

L'œuvre  magistrale  de  Classen,  réditée  par  M.  J.  Stcup,  pourrait 
aisément  s'augmenter,  à  chaque  nouveau  volume,  de  tout  le  travail 
philologique  qui  s'accumule  chaque  année  sur  Thucydide.  M.  S.  a 
pris,  fort  justement,  le  parti  de  réduire  au  strict  nécessaire  la  place  ré- 
servée aux  conjectures  de  la  critique  contemporaine  :  d'une  manière 
générale,  iT  nous  donne  le  texte  et  le  commentaire  de  Classen,  quitte 
a  indiquer  en  note,  s'il  ne  les  introduit  pas  dans  son  texte,  les  correc- 
tions qui  lui  semblent  les  plus  heureuses.  On  ne  trouvera  donc  pas, 
dans  cette  édition  du  iv»  livre,  la  mention  des  innombrables  interpo- 
lations que  M.  Rulherford  a  cru  y  découvrir  et  qu'il  a  signalées  dans 


500  REVUE   CRITIQUÉ 

son  travail  de  1889  ;  c'est  également  par  exception  que  l'éditeur  dis- 
cute les  leçons  adoptées  par  M.  Hude  dans  son  édition  de  1898;  il  ne 
revient  pas  davantage,  sinon  dans  une  note  de  Tappendice,  sur  la 
question  critique  soulevée  par  le  papyrus  d'Oxyrhynchus  et  traitée 
par  lui  dans  un  article  du  Rheinisches  Muséum,  t.  lui,  p.  3o8  sqq.  Et 
pourtant,  la  part  qui  revient  encore  à  M.  S.  dans  ce  travail  ne  laisse 
pas  que  d'être  considérable  :  l'appendice  contient  plus  de  cinquante 
pages,  imprimées  dans  le  caractère  le  plus  fin.  Quelques  unes  de  ces 
notes  ont  toute  l'étendue  de  véritables  excursus  :  telle  est,  par  exem- 
ple, celle  qui  concerne,  après  les  travaux  de  M.  Grundy,  la  topogra- 
phie de  Pylos  et  de  Sphactérie.  M.  S.  s'écarte  résolument  de  l'opinion 
traditionnelle  qui  identifie  le  port  de  Pylos  à  la  rade  de  Navarin  : 
selon  lui,  le  port  ancien  que  décrit  Thucydide  répond,  non  à  la  rade 
même  que  ferme  aujourd'hui  encore  l'île  de  Sphactérie,  mais  à  la 
lagune  actuelle  d'Osman-Aga,  située  sur  la  côte  septentrionale  de 
cette  rade  :  ainsi. s'expliquent  les  données  inexactes  de  l'historien  sur 
la  dimension  des  deux  passes  qui  donnaient  accès  dans  ce  port.  Une 
autre  note  intéressante  se  rapporte  au  fameux  général  syracusain 
Hermocrate,  dont  Thucydide  cite  un  discours  au  livre  iv  et  deux 
autres  au  livre  vi.  M.  S.  croit  à  des  relations  personnelles  de  l'histo- 
rien avec  ce  personnage,  et  il  relève  dans  les  discours  d'Hermocrate 
des  tournures,  des  expressions  mêmes,  qui  lui  semblent  se  distinguer 
du  style  ordinaire  de  Thucydide.  Dans  un  article  tout  récent  du  Rhei- 
7iisches  Muséum  [x.  lv,  p.  538  sqq.),  M.  H.  Stein  se  fonde  sur  des 
observations  du  même  genre,  et  sur  d'autres  considérations  diverses, 
pour  reconnaître  chez  Thucydide  une  source  écrite,  une  véritable  bio- 
graphie d'Hermocrate  :  Xénophon  et  Platon  auraient  connu ,  eux 
aussi,  et  utilisé  cet  écrit  consacré  à  la  mémoire  du  grand  patriote  sy- 
racusain. 

Am.  Hauvette. 


Etienne  Koumanoudis.  ruvaYWY->,  vswv  ).s|£tov  ut:ô  twv  TkOYÏwv  -nXasOsiaôJv.  2  vol.  in-8'. 
ii65  pages.  Athènes,  Sakellarios.  igoo. 

Ce  dictionnaire,  dû  au  regretté  érudit  hellène,  Etienne  Kouma- 
noudis, comprend  tous  les  vocables  nouveaux,  de  création  savante, 
entrés  dans  la  langue  grecque  depuis  la  prise  de  Constantinople  jus- 
qu'à nos  jours.  Ainsi  que  l'indique  expressément  le  titre,  il  n'est  pas 
tenu  compte  des  mots  populaires,  ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'on  les 
dédaigne  ou  les  repousse,  mais  ils  sont  considérés  comme  formant  la 
matière  d'un  autre  recueil.  Rien  n'est  plus  légitime  :  on  n'a  jamais 
contesté  à  aucune  langue  moderne  le  droit  de  se  donner  les  termes  lit- 
téraires ou  scientifiques  dont  elle  a  besoin  :  apparemment  le  grec  a  ce 
droit  plus  qu'aucun  autre  idiome,  puisque  c'est  à  lui  en  pareil  cas  que 
dans  le  monde  entier  on  s'adresse. 


d'histoire  et  de  littérature  Soi 

Nous  avons  donc  ici  un  dictionnaire  des  néologismes.  Néologismes 
généralement  bien  venus  :  au  lieu  qu'ailleurs  les  composés  savants 
ont  un  aspect  qui  tranche  sur  le  reste  du  vocabulaire,  nous  trouvons 
ici  une  certaine  uniformité  de  couleur  et  un  visible  air  de  parenté.  On 
les  reconnaît  à  leur  parfait  état  de  neuf;  mais  ils  ne  choquent  pas.  Ce 
sont  parmi  l'ancien  numéraire  des  pièces  récemment  frappées. 

Les  rares  aptitudes  que  possède  le  grec  pour  la  dérivation  et  la  com- 
position trouvent  ici  leur  emploi.  Rien  de  plus  correctement  formé 
que  pT,-p^^'  pour  traduire  l'italien  motto  ou  que  ;jXdvOpto-o;  pour  dire 
«  mannequin  » . 

La  faculté  de  composition  est  restée  entière.  On  compte  jusqu'à  qua- 
tre colonnes  de  mots  commençant  par  cpio;.  Il  vrai  qu'un  certain  nombre 
viennent  de  France,  d'Allemagne  et  d'Angleterre  :  mais  tel  n'est  pas  le 
cas  pour  çtoTOTêÉTzr,;,  qui  signifie  «obscurantiste,  ennemi  deslumières», 
et  qui  ne  méritait  pas  d'avoir  une  place  parmi  ces  termes  scientifiques. 

Le  danger  est  d'abuser  de  cette  faculté  de  composition  :  nous 
trouvons,  par  exemple,  un  verbe  àÀ).T,).o'I/EJoocp'.Xo-:'.a£TTOa'.,  dont  la  res- 
ponsabilité revient  au  journal  VAkropolis,  pour  marquer  une  rivalité 
de  mauvais  aloi  entre  les  grandes  puissances. 

Mais  ces  sortes  de  monstres  sont  rares.  On  a  le  sentiment  d'une 
langue  souple,  claire,  prête  à  exprimer  avec  aisance  et  élégance  (pour 
peu  qu'on  y  mette  de  réflexion  et  qu'on  ne  se  contente  pas  d'un 
calque)  les  idées  les  plus  modernes.  Ce  qui,  en  outre,  donne  à  ce 
livre  un  intérêt  qui  ne  se  trouve  pas  toujours  dans  les  lexiques,  c'est 
que  l'auteur  sème  cà  et  là  des  observations  utiles  à  recueillir. 

Ainsi,  au  mot  B(x.o;:  (Vicoi,  M.  K.  se  plaint  de  l'anarchie  qui  règne 
dans  la  transcription  des  noms  propres.  Voltaire  est  trancrit  tantôt 
BoXtaTpoc,  tantôt  OùoXTaTpo;.  On  a  peine  à  reconnaître  Béranger  dans 
MTTEpavripoc;.  Pour  remédier  à  ce  mal,  qui  est  réel,  le  moyen  le  plus 
efficace  serait  peut-être,  comme  le  font  certains  livres,  de  renoncer 
définitivement  à  toute  transcription,  et  d'écrire  ces  noms  en  caractè- 
res latins.  Puisqu'ils  ne  font  point  partie  de  la  langue  grecque,  il  est 
inutile  de  les  affubler  d'un  vêtement  qui  n'est  pas  le  leur.  L'incon- 
vénient serait  certainement  moindre  que  de  laisser  le  lecteur  dans  le 
doute.  Un  autre  abus  est  de  traduire  les  noms  étrangers,  comme  l'a 
fait  tel  journal  qui  traduit  Waterloo  par  'Vopoù;,  ou  tel  autre  qui  a 
rendu  narguilé  par  6ôpotfiaXoYOjpYOjpo!TtoXT,voy.a-v'.r:r;p!ov. 

Une  note  de  la  page  777  contient  une  remarque  relative  à  la  pronon- 
ciation. Le  reproche  qu'on  fait  au  grec  moderne  de  prodiguer  le  son 
i,  n'est  pa§  tout  à  fait  aussi  fondé  qu'on  le  suppose  :  il  est  vrai  qu'on 
écrit  TÎof.pov,  iT,p<5;,  TjS'XEt,  r.'xojîa,  TT.rîa,  mais  on  prononce  itoepo,  Çepô;, 
àotxoùasv,  axo'jaa,  doortâ.  On  écrit  encore -cV^^''^''^  y-'J^'Xô;,  mais  on  pro- 
nonce TOjfAravo,  xo-jXXôî.  L'iotacisme  est  dans  l'écriture  (et  spécialement 
dans  l'écriture  des  savants),  plus  qu'il  n'est  dans  la  bouche  du  peuple. 
Cette  observation  a  de  l'importance  :  mais  nous  ne  voyons  pas  bien 


' 


5o2  REVUE    CRITIQUE 

pourquoi  l'auteur  Ta  enterrée  au  bas  d'une  page  de  son  dictionnaire, 
à  l'occasion  du  mot  -Trapairôv/-  iioL,  qu'il  faut  prononcer  Trapa-ôvsijLa. 

Ce  vocabulaire,  qui  fait  partie  de  l'excellente  Bibliothèque  Marasli, 
forme  le  complément  de  tous  les  dictionnaires  de  la  langue  moderne. 
Nous  le  recommandons  aux  amis  de  la  jeune  nationalité  hellène. 

Michel  Bréal. 


Das  Wesen  des  Christenthums,  von  A.  Harnack.  Leipzig,  Hinrichs,  1900;  in-8, 
190  pages. 

Le  présent  ouvrage  de  M,  Harnack  n'est  pas  un  livre  d'érudition  ; 
c'est  un  recueil  de  seize  conférences  religieuses,  et  même  théologi- 
ques, prononcées  devant  les  étudiants  de  l'Université  de  Berlin,  sur 
l'Evangile  et  son  histoire  :  prédication  de  Jésus  considérée  dans  ses 
traits  principaux,  le  royaume  de  Dieu,  le  Dieu  Père,  la  vraie  justice, 
et  dans  ses  rapports  avec  le  monde  (question  de  l'ascèse),  la  pauvreté 
(question  sociale),  le  droit  (  question  politique),  le  travail  (question  du 
progrès),  la  personne  de  Jésus  Fils  de  Dieu  (question  christologique), 
la  doctrine  (question  de  la  profession  de  foi);  histoire  de  la  religion 
chrétienne  à  l'âge  apostolique,  dans  son  développement  vers  le  catho- 
licisme ,  dans  le  catholicisme  grec  ,  dans  le  catholicisme  romain  , 
dans  le  protestantisme .  Les  vues  qu'on  trouve  éparses  dans  la 
grande  histoire  des  dogmes,  du  même  auteur,  se  trouvent  ici  réunies 
en  une  large  et  lumineuse  synthèse.  Le  critique  non  théologien 
aurait  à  faire  des  réserves  sur  la  manière  dont  on  atténue  l'escha- 
tologie du  Nouveau  Testament  :  la  perspective  du  jugement  dernier 
et  l'attente  de  la  parousie  ont  eu  dans  la  prédication  évangélique 
et  apostolique  plus  de  place  qu'on  ne  leur  en  attribue,  et  il  aurait 
fallu  en  tenir  plus  de  compte  en  appréciant  les  rapports  de  l'Evan- 
gile avec  l'ascèse,  la  question  sociale,  la  question  politique  et  la  ques- 
tion du  progrès.  L'idée  de  la  fin  du  monde  induit  au  renoncement,  et 
rend  indifférent  à  l'égard  des  intérêts  de  la  vie  présente.  Bien  que 
M.  H.  l'ait  déjà  écrit  plusieurs  fois,  on  est  toujours  surpris  de  le  voir 
affirmer  que  la  théorie  du  Logos  et  la  divinité  du  Christ  ont  été  intro- 
duits dans  l'enseignement  chrétien  par  les  Pères  apologistes,  comme 
si  le  quatrième  Évangile  tout  entier  ne  protestait  pas  contre  une 
pareille  assertion.  Ce  n'est  pas  non  plus  en  partant  de  Jean  que  l'on 
peut  soutenir  ce  paradoxe,  que  le  Père  seul,  et  non  le  Fils,  appartient 
à  l'Evangile  de  Jésus.  La  notion  du  Fils  ne  comprend-elle  pas  autre 
chose  que  la  connaissance  de  Dieu  comme  Père,  puisque  cette  filia- 
tion constitue  un  privilège  unique  ?  Jésus  a  conscience  d'être  Messie 
en  même  temps  que  Fils,  et  parce  que  Fils.  La  fonction  messianique 
est  autre  chose  que  "la  connaissance  de  Dieu,  La  filiation  ne  peut  être 
qu'un  rapport  fondé  en  partie  sur  cette  connaissance  et  qui  s'exprime 


d'histoire  et  de  littérature  5o3 

dans  la  mission  terrestre  de  Jésus.  Il  semble  que  la  transition  ait  été 
mieux  ménagée  entre  les  déclarations  du  Christ  historique,  les  pre- 
miers essais  de  christologie  dans  saint  Paul  et  dans  l'Épître  aux  Hé- 
breux, le  quatrième  Evangile  et  le  développement  de  la  théorie  du 
Logos  chez  les  écrivains  ecclésiastiques  du  second  siècle,  que  ne  le 
fait  entendre  l'exposé  de  M .  H .  N'est-ce  pas  concevoir  d'une  façon  un 
peu  trop  mécanique  l'évolution  de  la  christologie  que  de  se  représen- 
ter les  docteurs  chrétiens,  pour  qui  Tidée  du  Messie  était  inintelligible, 
réduits  à  l'alternative  de  transformer  le  Christ  en  héros  ou  en  dieu  à 
la  façon  des  Grecs,  ou  bien  de  l'identifier  avec  le  Logos  I  Le  problème 
christologique  n'a  pas  été  conçu  de  celte  manière,  ou  pour  mieux  dire, 
il  n'a  jamais  été  conçu  comme  un  problème  qui  aurait  comporté 
d'autres  solutions  que  celles  qu'on  lui  donnait.  On  sait  les  opinions  de 
M.  H.  sur  le  développement  hiérarchique,  le  dogme  et  le  culte,  tout 
ce  qui  n'appartient  pas  à  la  pure  essence  de  l'Évangile.  Peut-être 
oublie-t-il  un  peu  trop  que  le  christianisme  n'est  pas  une  entité  méta- 
physique, mais  une  réalité  vivante  qui  s'affirme  dans  ses  différentes 
manifestations  et  qu'on  ne  peut  réduire  à  une  formule  abstraite,  de 
type  absolu  et  immuable,  d'après  lequel  tout  ce  qui  a  porté  ou  porte 
l'étiquette  chrétienne  devrait  être  jugé.  Il  ne  faut  pas  trop  se  presser 
de  dire  que  l'Église  grecque  et  l'Église  romaine  sont  par  leur  organi- 
sation, leur  enseignement,  leur  liturgie,  quelque  chose  d'étranger  à 
l'Évangile.  A  ce  compte,  la  définition  du  christianisme  par  M.  H.  ne 
lui  est  pas  moins  étrangère,  et  il  est  permis  assurément  de  se  deman- 
der si  l'Évangile  est  aussi  vivant  dans  cette  définition  que  dans  la  foi 
des  Églises.  Du  reste,  l'éminent  conférencier  s'est  efforcé  d'être  impar- 
tial envers  l'Église  orthodoxe  et  l'Eglise  catholique  romaine  ;  on  doit 
avouer  qu'il  y  a  réussi  dans  la  mesure  du  possible.  Chose  qui  étonnera 
certains  lecteurs,  il  attend  du  monachisme  la  rénovation  chrétienne 
de  ces  communautés  fondées  sur  la  tradition.  Nous  n'oserions  pas 
nous  prononcer  en  ce  qui  regarde  l'Église  grecque  ;  mais  nous  ne 
voyons  pas  que  les  chances  d'avenir  de  l'Église  catholique  reposent 
sur  les  anciens  ordres  religieux  ;  il  y  en  a  un  qui  tend  à  dominer  tous 
les  autres,  et  le  jour  où  il  deviendrait  tout  à  fait  le  maître,  la  paralysie 
intellectuelle  qu'il  entretient  avec  soin  dans  le  catholicisme  serait 
simplement  incurable  ;  l'esprit  chrétien  n'est  pas  moins  vivant  dans  le 
clergé  séculier  que  chez  les  religieux,  et  sa  formation  ne  diffère  pas 
beaucoup,  peut-être  pas  assez,  de  celle  du  clergé  régulier.  Mais  si  l'on 
peut  discuter  sur  beaucoup  de  points  les  opinions  de  M .  H  . ,  on  n'en 
contemple  pas  moins  avic  profit  et  intérêt  les  divers  aspects  de  la 
question  religieuse  tels  qu'il  les  a  conçus  et  représentés.  C'est  une 
apologie  du  christianisme  tout  à  fait  originale,  où  croyants  et  non 
croyants  peuvent  trouver  à  s'instruire. 

A.  B. 


504  REVUE    CRITIQUE 

Chevalier  (Le  chanoine  U.)-  Etude  critique  sur  l'origine  du  Saint  Suaire  de 
Lirey-Chambéry-Turin,  Paris,  Picard,  1900,  in -8,  60  et  lx  pages. 

Les  tenants  pour  rauthenticité  du  Saint  Suaire  de  Turin  doivent 
être  aujourd'hui  pleinement  édifiés  :  le  livre  de  M.  l'abbé  U.  Cheva- 
lier est,  en  effet,  de  nature  à  satisfaire  les  plus  difficiles.  C'est  une 
réponse  très  claire,  très  précise,  aux  arguments  tout  de  sentiment  de 
M.  Loth. 

Peu  de  reliques  ont  suscité  autant  de  controverses.  Il  faut  dire  qu'à 
la  question  historique,  venaient  s'ajouter  une  question  religieuse  et 
une  troisième  pour  ainsi  dire  dynastique.  Je  ne  vois  dans  l'histoire, 
que  la  Lance  du  Saint-Empire,  dont  la  possession  comme  le  sceau  des 
empereurs  de  la  Chine  donnait  le  pouvoir,  pour  avoir  soulevé  tant  de 
passions.  Heureusement  nous  ne  sommes  plus  au  ix"  siècle,  car  si 
pour  la  conquête  de  la  Lance  des  màlliers  de  vies  furent  sacrifiées, 
pour  l'authenticité  du  Suaire  on  se  contente  aujourd'hui  de  menaces. 
Et  dire  qu'il  est  impossible  de  préciser,  des  deux  reliques,  laquelle  est 
la  plus  fausse  ! 

M.  l'abbé  C.  n'avait  à  traiter  que  deux  des  points  indiqués  plus  haut, 
à  présenter  le  côté  historique  et  le  côté  religieux  de  la  question. 
Cependant  le  côté  dynastique  y  est  singulièrement  uni.  Je  voudrais 
qu'on  pût  lire  ici  entre  les  lignes  :  on  aperçoit,  dans  le  lointain,  une 
personnalité  laïque  très  haute,  très  puissante,  qui  a  fait  tout  au  monde 
pour  que  ne  soit  pas  publiée  la  pièce  originale  qui  doit  saper  par  le 
bas  un  édifice  si  péniblement  élevé  ;  y  parviendra-t-elle  ?  La  persé- 
vérante érudition  de  M.  l'abbé  C.  arrivera-t-elle  au  contraire  à  mettre 
la  main  sur  un  document  si  bien  gardé? 

Mais  pour  comprendre  ces  réticences,  suivons  le  récit  de  M.  l'abbé  C. 
Le  20  juin  i353,  Geoffroy  de  Charny,  seigneur  de  Savoisy  et  de 
Lirey,  fondait,  en  l'honneur  de  l'Annonciation,  une  église  collégiale 
de  six  chanoines,  à  Lirey  (Aube).  L'année  où  il  fut  tué  (à  la  bataille  de 
Poitiers,  le  19  septembre  i356),  le  28  mai,  son  pieux  établissement 
était  confirmé,  avec  éloges,  par  l'évêque  de  Troyes,  Henri  de  Poi- 
tiers. 

"Vers  cette  époque,  car  aucune  des  sept  pièces  qui  confirment  la 
fondation  n'en  parle,  on  voit  l'ostension  d'un  Suaire  attirer  de  par- 
tout à  Lirey  les  foules  et  les  aumônes.  L'évêque  deTroyes  s'émeut  et, 
convaincu  que  ce  ne  peut  être  l'original,  n'hésite  pas  à  interdire,  après 
une  longue  et  minutieuse  enquête,  l'ostension  de  la  relique.  Dès  lors, 
commence  la  lutte  entre  les  évêques  de  Troyes,  les  chanoines  de  Lirey, 
Marguerite  de  Charny,  héritière  de  Geoffroy  :  nous  pouvons  suivre, 
dans  les  procès  auxquels  elle  donne  lieu,  les  pérégrinations  du  Suaire. 
Au  fond,  cette  suite  importe  peu  à  l'histoire  :  il  nous  suffit  de  savoir 
que  le  Suaire  de  Turin  est  celui  de  Lirey.  Ce  qui  est  intéressant  au 
contraire,  c'est  de  parler  de  l'authenticité  du  Suaire  et  de  l'époque  à 


d'histoire  et  de  littérature  5o5 

laquelle  il  arrive  à  Lirey.  Dans  une  première  brochure  ',  M.  l'abbé  C. 
qui  ne  connaissait  pas  encore  tous  les  documents  qu'il  publie  aujour- 
d'hui, croyait  déjà  pouvoir  affirmer  qu'il  n'était  pas  authentique.  Ses 
possesseurs  actuels  crurent  alors  devoir  descendre  dans  l'arène  et,  en 
l'absence  d'arguments  historiques,  menacèrent  Tabbé  C.  du  Saint 
Office  ^.  Tout  cela  est  fort  triste,  quand  on  examine  de  près  la  chose. 

Turin  avait  son  Exposition,  il  lui  fallait  une  attraction.  Par  une 
coïncidence  vraiment  miraculeuse,  quelques  semaines  avant  Touver- 
ture  des  galeries,  le  Saint  Suaire  conservé  dans  la  chapelle  du  Palais 
Royal  de  Turin,  révéla  devant  l'objectif  photographique  de  M.  Se- 
cundo Pia,  qui  opérait  avec  un  procédé  nouveau  (qu'il  n'a  jamais  fait 
connaître  d'ailleurs),  une  image  négative.  Il  n'en  fallait  pas  plus;  par 
réflexion  l'Exposition  devenait  la  consécration  de  la  royale  relique. 
C'était  ainsi  la  mise  au  rang  des  plus  précieuses  reliques,  du  palla- 
dium de  la  Maison  de  Savoie,  et  tout  marchait  à  souhait,  puisque, 
suivant  l'expression  de  M.  Loth,  cinq  cent  mille  pèlerins  avaient 
défilé  devant  lui  sans  objections,  quand  dans  le  ciel  serein  de  leur 
tranquillité,  la  Cour  et  le  clergé  de  Turin  virent  apparaître  la  bro- 
chure de  M.  Fabbé  C.  A  défaut  d'arguments  italiens,  un  français,  an- 
cien élève  de  l'École  des  Chartes, fort  des  éloges  de  nombreux  évoques 
qui  doivent  bien  regretter  aujourd'hui  d'avoir  été  mêlés  à  ce  débat,  se 
chargea  de  prouver  l'indiscutable  authenticité  de  la  relique  de  Turin  \ 

Sa  position  de  thèse  est  très  simple  :  la  représentation  jusqu'ici  per- 
çue, puis  photographiée  par  un  procédé  nouveau,  n'est  pas  le  fait  des 
hommes,  elle  est  acheiropoiëte  :  elle  a  été  imprimée  directement  dans 
l'obscurité  du  Sépulcre  par  les  rayons  Rœntgen,  qui  n'étant  pas  con- 
nus des  hommes  du  i^""  siècle,  ne  peuvent  dès  lors  être  que  divins  : 
aussi  l'image  est-elle  venue  négative:  donc  le  suaire  est  authentique. 
Tel  est  le  fidèle  résumé  delà  partie  scientifique.  Le  côté  historique 
est  aussi  puissamment  traité.  Je  cite  textuellement  .•  «  Quoi  qu'il  en 
soit  (iM.  Loth  vient  de  dire  qu'on  ignorait  absolument  le  sort  du  Suaire 
de  Jérusalem  et  de  celui  de  Constantinople)  de  Tideniité  du  Suaire  de 
Turin  avec  celui  de  Constantinople,  on  le  retrouve  ^///vmc;;?  en  P'rance 
au  XIV'  siècle.  »  Ce  sûrement  est  admirable.  Je  continue  à  citer  : 
«  En  i353,  un  noble  chevalier  Champenois,  Geoffroy  I  de  Charny, 
seigneur  de  Savoisy  et  de  Lirey,  connu  à  la  fois  par  ses  exploits  et  par 
ses  écrits,  fonde  à  Lirey  (Aube)  une  collégiale  qu'il  dote  du  Suaire 
actuellement  vénéré  à  Turin.  Par  don  ou  par  conquête,  ce  linge  sacré 
était  venu  en  sa  possession.  » 


1.  Chevalier  (U.),    Le  Saint  Suaire  de   Turin  est-il   l'original  ou   une  copie? 
Chambéry,  Ménard,  1899,  in-8. 

2.  Chevalier  (U.),   Réponse  aux   observations  de  Mgr  Emm.  Colomiatli,  Paris, 

Picard,  1900,  in-8. 

3.  Loth  (A),  Le  portrait  de  N.-S.  Jésus-Christ  d'après  le  Saint-Suaire  de  Turin, 
Paris,  Oudin.  1900,  in-8  de  64  p. 


' 


5o6  REVUE    CRITIQUE 

Nous  trouvons  donc  ici ,  en  réponse  à  la  première  brochure  de 
M.  l'abbé  C.  trois  affirmations  très  précises  —  en  dehors  des  rayons 
Rœntgen,  qui  viennent  corser  la  dissertation  : 

1°  Le  Saint  Suaire  est  sûrement  en  France  au  xiv*  siècle  ; 

2°  Geoffroy  de  Charny  fonde  la  collégiale  de  Lirey  pour  le  Saint 
Suaire  ; 

3°  Le  Saint  Suaire  de  Turin  est  celui  de  Lirey. 

M.  l'abbé  C.  est  absolument  d'accord  avec  M.  Loth  sur  le  troisième 
point  :  il  va  donc  discuter  seulement  les  deux  premiers  :  en  définitive, 
toute  la  question  est  là. 

Pas  un  instant  je  n'ai  douté  de  la  bonne  foi  de  M.  Loth,  mais  sa 
critique  et  son  érudition  sont  inquiétantes.  Sous  prétexte, assurément, 
qu'il  y  a  là  un  côté  religieux,  il  traite  le  sujet  théologiquement  :  il 
s'appuye  sur  la  tradition,  comme  s'il  s'agissait  d'un  dogme,  sans  s'in- 
quiéter des  documents,  alors  qu'on  est,  au  contraire,  en  présence  d'un 
objet  matériel ,  tangible.  Il  est  hypnotisé  par  des  manifestations 
spontanées,  vues  d'un  œil  si  bienveillant  par  cette  haute  autorité 
(ne  la  nommons  pas),  qui  connaissait  bien  l'existence  d'une  pièce 
attestant  la  fausseté  du  Saint  Suaire  de  Turin,  mais  qui  la  croyait  sous 
de  si  nobles  serrures,  qu'elle  ne  verrait  jamais  le  jour.  On  ne  peut 
songer  à  tout,  et  personne  n'avait  jusqu'alors  soupçonné  l'existence 
d'un  vidimus  de  ce  document,  avec  lequel  nous  allons  faire  tout  à 
l'heure  connaissance. 

C'est  alors  que  M.  l'abbé  C.  reprend  la  chose  :  et  pour  la  mettre  au 
point,  il  entend  ne  s'avancer  que  preuves  en  main.  D'abord  au  sujet  de 
l'identité  du  Saint  Suaire  de  Jérusalem  et  de  celui  de  Lirey,  il  énu- 
mère  dix-neuf  localités  où  étaient  conservés  le  Saint  Suaire  ou  tout  au 
moins  de  très  notables  portions  de  la  relique.  Je  pourrais  à  cette  liste 
ajouter  dix-neuf  autres  sanctuaires  aussi  importants,  ce  qui  nous 
donne  déjà  trente-huit  églises  où  se  vénérait  le  précieux  linge.  Mais 
ce  qui  est  vraiment  particulier,  c'est  que  de  tous,  le  Suaire  de  Lirey 
est  peut-être  le  seul  dont  l'histoire  soit  absolument  inconnue,  si  incon- 
nue, qu'il  est  impossible,  même  aux  donateurs,  d'en  indiquer  la  pro- 
venance :  cadeau,  butin  de  guerre?  écrit  M.  Loth  :  il  serait  cruel  d'in- 
sister. D'autant  que  lorsque  ses  adversaires  affirment  que  la  collégiale 
de  Lirey  fut  fondée  pour  recevoir  le  Saint  Suaire,  M.  l'abbé  C.  pro- 
duit sept  pièces  de  l'an  I  353  à  l'an  1 356  (date  de  la  mort  de  Geoffroy 
de  Charny)  relatives  à  la  fondation  de  la  collégiale  et  dans  aucune  il 
n'est  question  du  Suaire.  Qu'il  me  soit  permis,  à  mon  tour,  d'en  indi- 
quer deux  autres  plus  décisives  encore  :  une  lettre  d'indulgences 
signée  de  douze  évèques,  qui  en  i357  (un  an  donc  après  la  mort  de 
Geoffroy)  accordent  des  indulgences  aux  pèlerins  qui  viendront  véné- 
rer, à  certains  jours,  les  reliques  de  la  collégiale,  reliques  qui  y  sont 
énumérées,  et  du  Suaire  il  n'est  pas  mention;  puis  l'obit  de 
Geoffroy  de  Charny,  inscrit  au   nécrologe  de  la  collégiale,  qui  ne 


d'histoire  et  de  littérature  507 

parle  pas  du  Suaire.  Elles  sont  publiées  dans  Avna.ud, Voyage  archéo-' 
logique  dans  l'Aube  (Troyes,  Cardon,  i836,  in-40,  p.  117). 

La  démonstration  pourrait  sembler  déjà  faite,  mais  voilà  que  pour 
finir,  M.  l'abbé  C.  publie  le  vidimus  de  la  fameuse  pièce  —  qu'il  est 
défendu  de  connaître.  — Pierre  d'Arcis,  évéque  de  Troyes,  interdisant 
de  nouveau  l'ostension  du  Suaire  en  iSSg,  reproduit  dans  son  mé- 
moire, l'enquête  faite  par  Tévéque  Henri  de  Poitiers,  et  on  y  lit  : 
«  Reperit  fraudemet  quomodo  pannus  ille  artificialiter  depictus  fuerat, 
et  probatum  fuit  etiam  per  artificem  qui  illum  depinxerat  »  :  ce  qui  se 
traduit  en  bon  français  :  «  il  découvrit  la  fraude  et  en  même  temps 
comment  le  Suaire  avait  été  exécuté,  ce  qui  fut  confirmé  parle  peintre 
qui  l'avait  fait.  »  Du  texte   original,  je  ne  connais  qu'un  lambeau  de 

phrase,  que  j'ai  imprimé  —  car  moi  aussi,  j'ai  écrit  sur  le  Suaire  ' 

artifex  qui  illum  depinxerat...  Ce  qui  confirme  l'authenticité  du  vidi- 
mus. Mais  je  sais  par  M.  B.  Prost  que  le  nom  du  peintre  n'y  est  pas 
mentionné. 

11  me  semble  que  maintenant  la  cause  est  entendue.  Cependant,  à 
ceux  qui  ne  veulent  écouter  que  la  tradition,  qui,  tentés  par  le  côté  mys- 
térieux, croiront  encore  aux  rayons  Rœntgen,  je  demande  la  permis- 
sion de  joindre  à  l'argumentation  si  serrée  de  M.  l'abbé  C,  quelques 
renseignements  absolument  scientifiques.  Ce  négatif.,  point  de  départ 
d'une  véritable  croisade,  pierre  angulaire  sur  laquelle  repose  toute 
cette  croyance,  ne  devait-il  pas  venir  nécessairement,  puisque  c'était 
par  transparence  qu'on  photographiait  le  Suaire  ;  toutes  les  épaisseurs 
de  peinture  blanche  donnaient  forcément  un  noir,  donc.  Mais,  le 
grand  argument  que  je  ne  me  lasserai  jamais  de  répéter,  c'est  la  sépa- 
ration entre  les  deux  images,  face  et  revers  du  cadavre,  dont  les  têtes 
sont  à  0,16  centimètres  environ  l'une  de  l'autre.  Comment  expliquer 
cette  distance,  alors  que  dans  l'enveloppement  du  cadavre,  les  rayons  X 
auraient  dû,  inévitablement,  donner  sur  le  linge,  pour  le  sommet  de 
la  tête,  une  masse  de  forme  cylindrique,  sans  solution  de  continuité, 
au  lieu  de  deux  crânes  absolument  distincts?  Et  si  nous  revenons  vers 
le  terrain  théologique,  qu'on  veuille  bien  m'expliquer  ce  passage  de 
M.  Loth  :  «  En  i5o3,  le  Saint  Suaire,  dont  on  voulait  démontrer  la 
divine  authenticité,  subit  la  triple  épreuve  de  l'huile  bouillante,  du 
feu,  d'un  lavage  répété.  Bouilli  à  l'huile  et  à  l'eau,  passé  au  feu,  lavé 
et  frotté  plusieurs  fois,  il  resta  intact,  rien  ne  put  effacer  la  merveil- 
leuse empreinte.  »  Dès  lors,  pourquoi  le  miracle  ne  se  renouvela-i-il 
pas  le  4  décembre  i532,  dans  l'incendie  de  la  Sainte-Chapelle  de 
Chambéxy,  où  le  Suaire  fut  si  bien  brûlé  en  douze  endroits,  que  les 
larges  trous  en  sont  encore  visibles,  même  sur  la  photographie  ? 

Qu'on  me  laisse  enfin  terminer  par  la  question  d'art.  «  Cette  représen- 
tation miraculeuse,  ce  négatif  que  n'aurait  pu  exécuter  un  pieux  faus- 


I .  Chronique  des  Arts,  1900,  p.  3o3. 


' 


5o8  REVUE    CRITIQUE 

saire  de  génie,  cette  inestimable  figure,  l'admirable  et  émouvante  phy- 
sionomie du  Sauveur  qui  n'appartient  pas  à  la  peinture  et  ne  relève 
pas  plus  du  pinceau  que  de  l'œil  de  l'artiste  «,  au  dire  de  M.  Loth,  est 
une  bien  barbare  image,  où  les  mieux  disposés  ont  toutes  les  peines 
à  distinguer  quelques  traits  grossiers.  Aussi,  je  plains  du  fond  du 
cœur  ceux  qui  n'élèvent  pas  plus  haut  que  cette  triste  représentation, 
dans  leur  esthétique,  l'idéal  que  nous  devons  nous  faire  de  la  divine 
personnalité  du  Christ. 

F.  de  Mélv. 


Pascal  :  Opuscules  et  Pensées,  publiés  avec  une  introduction,  des  notices  et  des 
notes  par  M.  Brunschvicg.   i  vol.  in-12  de  iv-804  p.  —  Paris,  Hachette,    1900. 

Les  éditions  des  Pensées  se  sont  multipliées  depuis  quelques  années 
pour  le  plus  grand  profit  des  études  philosophiques  et  littéraires,  et 
celle  de  M.  Brunschvicg  est  à  coup  sûr  la  plus  soignée  qui  ait  été  faite 
depuis  M.  Havet.  Le  nouvel  éditeur  s'est  attaché  à  ne  rien  sacrifier 
des  opuscules  de  Pascal  ;  son  texte  est  bien  établi,  et  ses  notes  très 
abondantes  ont  pour  objet  de  résoudre  les  innombrables  difficultés 
que  soulève  la  lecture  des  Pensées.  Par  conséquent  M  .  Brunschvicg  a 
droit  à  la  reconnaissance  de  ceux  qui  aiment  Pascal  et  qui  cherchent 
à  le  bien  connaître.  Pourquoi  faut-il  que  lui  aussi  ait  cédé  à  la  tenta- 
tion de  bouleverser  l'ordre  des  anciennes  éditions?  Il  ne  faut  pas 
chercher  à  reconstituer  le  plan  de  Pascal  apologiste  ;  on  y  perd  son 
temps  et  sa  peine,  et  tous  ceux  qui  ont  tenté  cette  œuvre  de  reconsti- 
tution se  sont  heurtés  à  des  difficultés  insurmontables.  D'autre  part,  il 
ne  faut  pas  imiter  ceux  qui,  après  Bossuet,  ont  par  trop  laïcisé  Pascal, 
et  dès  lors  on  est  fort  embarrassé.  Mais  pourquoi  ne  pas  faire,  à  la 
moderne  bien  entendu,  ce  qu'ont  fait  avec  grande  raison  les  premiers 
éditeurs,  ceux  de  1670?  Quoiqu'ils  eussent  été  les  confidents  de  Pas- 
cal, ils  n'ont  pas  cherché  à  suivre  un  ordre  qu'ils  savaient  ne  pas 
exister;  ils  ont  voulu  du  moins  respecter  les  intentions  de  leur  ami, 
qui  voulait  faire  avant  tout  une  œuvre  religieuse.  Voilà  pourquoi  ils 
ont  intitulé  l'ouvrage  :  Pensées  sur  la  religion  —  et  sur  quelques 
autres  sujets.  On  pourrait,  on  devrait  même,  ce  me  semble,  procéder 
aujourd'hui  de  la  même  manière,  et  conserver  l'ordre  qu'ont  adopté 
avec  raison  les  premiers  éditeurs,  c'est-à-dire  Périer,  Arnauld  et  le  duc 
de  Roannez.  Il  suffirait, aprèsavoir  établi  le  texte  dans  toute  sa  pureté, 
d'ajouter  à  chacun  de  leurs  xxxii  chapitres  les  pensées  qui  s'y  rappor- 
tent le  plus  naturellement,  et  l'on  donnerait  plus  d'étendue  aux  Pen- 
sées diverses  qui  terminent  l'édition  de  1670. 

Telle  qu'elle  est,  et  comme  plusieurs  éditions  de  nos  grands  classi- 
ques appartenant  à  la  même  collection,  cette  édition  nouvelle  me 
paraît  appelée  à  rendre  de  grands  services  aux  maîtres  de  la  jeunesse 


d'histoire  et  de  littérature  5  09 

et  aux  étudiants  de  renseignement  supérieur.  On  n'oserait  pas  la 
recommander  aux  élèves  de  l'enseignement  secondaire  qui  vraiment 
ne  peuvent  pas  avoir  entre  les  mains  une  édition  des  Pensées  de  Pas- 
cal en  800  pages  ! 

A.  G. 


Léon  Kahn  :  Les  Juifs  de  Paris  pendant  la  Révolution,  i  vol.  in-8  de  vii-SGg  p. 
—  Paris,  Ollendorf,  189g. 

Voilà  un  bien  gros  volume  pour  un  sujet  qui  semblait  ne  comporter 
qu'un  très  petit  nombre  de  pages,  car  on  lit  (p.  232)  :  «  Peu  de  juifs 
ont  joué  un  rôle  pendant  la  Révolution.  Ceux-là  mêmes  qui  ont  été 
mêlés  à  quelques  uns  de  ses  épisodes  n'y  ont  eu  qu'une  part  tout  à  fait 
secondaire.  »  Et  M.  Kahn  avait  dit  auparavant  :  «  Le  vrai  est  qu'ils  ne 
furent  ni  meilleurs  ni  pires  que  leurs  concitoyens.  »  D'ailleurs,  ils 
n'étaient  guère  nombreux  au  temps  de  la  Révolution,  les  juifs  de 
Paris;  tout  bien  compté,  ils  n'étaient  pas  5oo.  Aussi  M.  K.  ne  par- 
vient-il à  enfler  son  volume  qu'à  force  de  digressions.  Il  ne  parle 
même  pas  des  juifs  de  Paris  dans  les  cent  premières  pages  du  livre; 
elles  sont  consacrées  exclusivement  aux  juifs  de  France,  et  en  parti- 
culier à  ceux  de  Bordeaux,  d'Avignon,  de  Strasbourg.  Une  fois  au 
cœur  de  son  sujet,  l'auteur  s'attarde  à  des  monographies  d'un  intérêt 
très  relatif  :  les  Pereyra,  les  Frey,  les  Calmer  ne  sont  pas  précisément 
ce  qu'on  appelle  des  personnages  historiques.  Après  quoi  vient  un 
long  chapitre  sur  Napoléon  et  les  juifs;  or,  l'Empire  n'est  pas  la  Ré- 
volution, et  Napoléon  songeait  surtout  aux  juifs  d'Alsace. 

L'ouvrage  de  M.  Kahn  ne  me  paraît  donc  pas  devoir  ajouter  beau- 
coup à  ce  que  l'on  savait  déjà.  Il  s'annonce  comme  essentiellement 
sincère  et  impartial  ;  mais  on  s'aperçoit  dès  la  préface  qu'il  manque 
absolument  de  sérénité.  C'est  d'une  part  l'apologie  à  outrance,  et  d'au- 
tre part  le  dénigrement  systématique.  On  ne  peut  s'empêcher  de  sou- 
rire quand  on  voit  un  historien  de  la  Révolution  montrer  l'Eglise  de 
France  qui  s'acharne  contre  les  malheureux  juifs  même  pendant  la 
Terreur!  En  somme,  ce  livre  est  d'un  intérêt  tout  à  fait  secondaire  ; 
la  question  ne  demandait  pas  à  être  traitée  avec  une  telle  ampleur. 

A.  G. 


Orsi  (Pietro).  L'Italia  moderna  :  storia  degli  ultimi  150  anni  fine  alla 
assunzione  al  trono  di  Vittorio  Emanuele  III.  .Milan,  Hocpli,  kjoi.  I11-8 
de  xin-421  p.  6  fr.  5o. 

Ce  volume  mérite  une  double  louange  ;  car,  non  seulement  il  est 
très  bien  fait,  mais  il  offre  des  mérites  qui  sont  peu  communs  en 


' 


5  I  O  REVUE    CRITIQUE 

Italie.  Nos  voisins  excellent  dans  les  travaux  d'érudition  ;  Tart  de 
résumer  les  faits  pour  les  gens  du  monde  ou  pour  les  écoliers  leur 
est  moins  familier  ;  même  quand  ils  écrivent  pour  les  écoles  primaires, 
ils  se  résolvent  malaisément  à  sacrifier  les  détails  secondaires,  et 
s'exposent  à  y  noyer  les  idées.  Mais  l'ouvrage  que  nous  annonçons  fait 
partie  d'une  collection  que  dirige  un  homme  aussi  spirituel  que 
savant,  M.  Pasquale  Villari  ;  et  l'auteur  s'est  préparé  de  longue  main 
à  l'art  de  ne  pas  tout  dire  en  analysant  pour  notre  Revue  historique 
les  productions  des  historiens  italiens.  Aussi,  sans  tomber  dans  la 
sécheresse  et  sans  s'interdire  de  citer  des  documents  de  première  main, 
sait-il  conduire  son  récit  avec  rapidité.  Une  autre  qualité  de  l'ouvrage 
consiste  dans  la  modération  de  Tauteur  :  son  patriotisme  ne  déclame 
jamais.  Enfin,  l'ouvrage,  imprimé  avec  beaucoup  de  soin,  est  orné  de 
3  cartes  géographiques  et  de  48  photographies  en  général  fort  bien 
exécutées.  Il  se  termine  par  un  extrait  du  Statut  de  Charles  Albert  qui 
forme  encore  aujourd'hui  la  Constitution  italienne,  par  une  vaste 
bibliographie  et  par  un  copieux  index. 

Charles  Dejob. 


Edward  Henry  Strobel,  The  Spanish  Révolution,  1868-1875.  Boston  (Small, 

Maynard  et  C"),  1898,  in-12,  293  p. 
Miguel    ViLLALBA  Hervas,  De   Alcolea  à  Sagunto,  Madrid  (Suârez)  1899,  in-12, 

xn-425  p. 

Ces  deux  ouvrages  portent  sur  la  même  période  de  l'histoire  con- 
temporaine d'Espagne  :  révolution  de  1868,  gouvernement  provisoire 
de  1869  à  1870,  règne  d'Amédée,  république  de  1873  aux  derniers 
jours  de  1874,  restauration  alphonsiste.  Le  livre  de  M.  Strobel  nous 
donne  sur  la  révolution  de  Cadiz,  du  18  septembre  ',  des  détails, 
d'ailleurs  connus,  mais  que  ne  contient  pas  le  présent  volume  de 
M.  Villalba  Hervas  qui  a  déjà  traité  ce  sujet  dans  une  précédente  pu- 
blication :  Recuerdos  de  cinco  lustres.  Ceci  mis  à  part,  les  récits  se 
suivent  parallèlement.  M.  S.  nous  raconte  les  événements  de  cette  épo- 
que agitée  avec  la  froide  impartialité  d'un  étranger.  Il  a  fait  un  très 
large  usage  des  comptes-rendus  des  séances  des  Cortès  et  dans  un 
livre  pourtant  assez  court  il  a  trouvé  le  moyen  de  semer  quelques  frag- 
ments de  discours  intéressants.  Il  y  a  plus  de  passion  chez  M.  V.  H., 
qui  est  lui-même,  si  nous  ne  faisons  erreur,  un  homme  politique  de 
tendances  libérales  très  décidées;  en  revanche  il  y  a  dans  son  ouvrage 
une  note  personnelle  qui  fait  défaut  à  celui  de  M.  Strobel,  on  y  sent 
les  impressions  d'un  témoin   qui  a  assisté  aux   événements  et  en   a 


I.  Et  non  du   19  comme  M.  Strobel  Ta  imprimé  par  erreur  à  la  première  ligne 
de  sa  première  page. 


D  HISTOIRE    ET    DE    LITTÉRATURE  5  I  I 

•connu  les  principaux  acteurs.  Aussi  son  livre,  moins  sagement  fait 
que  celui  du  diplomate  américain  en  ce  qui  concerne  l'histoire  parle- 
mentaire officielle,  donne-t-il  mieux  la  sensation  de  la  vie.  Il  contient 
aussi  beaucoup  plus  de  détails  sur  les  questions  coloniales  :  guerre  de 
Cuba,  affranchissement  des  esclaves  à  Puerto-Rico,  situation  extraor- 
dinaire créée  à  Manille  par  la  prépondérance  des  Ordres  religieux  ei 
d'un  parti  espagnol  hostile  à  toute  mesure  libérale  envers  les  indi- 
gènes. 

Les  deux  ouvrages,  celui  de  M.  Villalba  Hervds  en  particulier, 
pourraient  gagner  en  précision  sur  l'affaire  des  candidatures  au  trône 
d'Espagne  en  1869-70.  Nous  croyons  même  devoir  relever  comme 
une  erreur  dans  le  livre  espagnol  (p.  g5)  l'assertion  qu'après  la  décla- 
ration de  guerre  entre  la  France  et  la  Prusse,  le  major  von  Versen 
vint  dem.ander  à  Prim  de  mettre  3o.ooo  hommes  en  campagne  contre 
nous.  M.  de  Bismarck,  cela  n'est  pas  douteux,  réclama  Tappui  mili- 
taire de  l'Espagne,  vainement  d'ailleurs,  mais  la  mission  de  von  Ver- 
sen est  antérieure  de  quelques  mois  à  l'époque  indiquée  et  se  place  en 
avril  1870. 

Il  convient,  à  propos  de  ces  deux  livres,  de  rappeler  un  ouvrage 
allemand  sur  le  même  sujet  remontant  à  1877  ^^  ^^  tendances  suspec- 
tes en  tout  ce  qui  touche  la  question  Hohcnzollern,  mais  qui  reste 
utile  à  consulter.  Nous  voulons  parler  de  la  Geschichte  Spanicns  von 
dem     Stiu'i     Isabella's     bis    \ur    Thronbesteigung    Alfonso's ,     de 

M.  W.  Lauser. 

H.  Léonardon 


La  Nouvelle  Réforme  de  l'Orthographe  et  de  la  Syntaxe  françaises,  texte  de 
l'Arrêté  ministériel  avec  avant-propos  et  commentaire,  par  Emile  Rodiik.  Lund, 
Gleerup,  s.  d.;  in-12  de  52  pages. 

Voici  que  de  Suède  nous  arrivent,  réunis  dans  un  format  commode, 
le  texte  de  l'Arrêté  ministériel  du  3i  juillet  dernier,  les  prescriptions 
dont  se  compose  la  «  liste  annexée  »,  et  le  Rapport  présenté  au  nom 
de  la  commission  par  M.  Clairrn  :  le  tout  est  encadré  entre  un  avant- 
propos  et  un  commentaire  suivi.  Typographiquement,  on  peut  regret- 
ter que  ces  deux  parties  personnelles  de  l'opuscule  soient  dans  le 
même  caractère  que  le  reste,  et  le  contraire  eût  été,  je  crois,  préféra- 
ble. M.  Rodhe  dit,  dans  son  avant-propos,  qu'il  ne  laisse  pas  d'être 
un  peu  inquiet  de  ce  «  mot  tolérer  qui  revient  perpétuellement  au 
cours  de  l'arrêté  »,  et  il  ajoute  avec  une  parfaite  justesse  :  «  Tolérer, 
c'est  agir;'  il  est  impossible  de  prendre  en  matière  de  réforme  gram- 
maticale une  attitude  passive.  Les  illustres  professeurs  qui  ont  rédigé 
ce  manifeste  de  libéralisme  peuvent,  sûrs  de  leur  science,  se  permettre 
un  certain  scepticisme.  Mais  le  petit  enseignement  veut  des  règles.  » 
Tout  cela  ne  va  pas  sans  une  pointe  d'ironie.   Le  commentaire  lui 


! 


5  I  2  REVUE    CRITIQUE 

aussi  est  un  modèle  de  discussion  modérée,  mais  précise,  et  par 
endroits  impitoyable  :  il  fait  ressortir  combien  sont  peu  cohérentes  les 
■décisions  du  Conseil  supérieur,  qui  a  oscillé  entre  des  restaurations 
archaïques  impossibles  (genre  féminin  du  mot  aigle,  pluriel  aucuns, 
etc.)  et  des  nouveautés  périlleuses.  Je  suis  d'accord  sur  tous  ces  points 
avec  l'auteur  du  présent  opuscule,  et  il  y  en  a  —  notamment  la  ques- 
tion des  participes  passés  —  sur  lesquels  je  suis  même  plus  intransi- 
geant que  lui  :  c'est  peut-être  notre  devoir,  à  nous  Français.  Mais  j'ai 
dit  cela  ailleurs  trop  nettement,  trop  longuement,  pour  avoir  envie 
d'y  revenir  aujourd'hui  :  je  suis  heureux  seulement  de  constater  qu'à 
l'étranger  des  esprits  sages,  comme  M.  Rodhe,  partagent  un  peu  mon 
opinion  et  celle  de  tant  d'autres. 

E.  BOURCIEZ. 


La  langue  basque    et  les  idiomes  aryens,  par  J.-B.  Darricarrère.  —  Deux 
brochures  in-8"  :  I.  Barcelonnette,  i885,  3i  p.;  \\. Rayonne,  1898,  xij-56  p. 

M.  Darricarrère,  capitaine  des  douanes,  employait  les  rares  loisirs 
que  lui  laissait  la  surveillance  de  la  frontière  à  l'étude  de  la  langue 
basque  ;  c'est  ce  qui  nous  explique  que  ces  deux  brochures  aient  été 
publiées  dans  deux  villes  si  différentes  et  si  éloignées  l'une  de  l'autre. 
Aussi,  devons-nous  féliciter  M.  D.  d'avoir  su  ne  pas  borner  son  acti- 
vité à  la  profession  qu'il  avait  embrassée,  car  il  a  dû  en  éprouver  quel- 
ques ennuis.  Les  administrations  n'aiment  généralement  pas  que  les 
fonctionnaires  fassent  autre  chose  que  leur  métier,  et,  si  l'on  trouve 
fort  bien  qu'en  dehors  des  heures  de  bureau  ou  de  service,  un  em- 
ployé aille  au  café,  au  théâtre  ou  à  la  chasse,  on  le  voit  d'un  mauvais 
œil  s'intéresser  à  la  science,  lire  ou  écrire  dans  l'indépendance  du 
cabinet  !  M.  D.,  aujourd'hui  à  la  retraite  et  entièrement  libre,  a  com- 
mencé la  publication  d'un  dictionnaire  basque-français  sur  lequel 
nous  reviendrons  quand  il  sera  terminé. 

Les  deux  brochures  annoncées  ci-dessus  sont,  en  attendant,  fort 
intéressantes.  Elles  se  présentent  avec  une  bonne  allure  scientifique  et 
témoignent  d'une  lecture  considérable  ;  on  y  trouve  de  nombreux  et 
très  curieux  faits  d'observation  ;  mais  malheureusement  l'auteur  s'est 
laissé  entraîner  au  delà  des  limites  de  l'hypothèse  et  des  déductions. 
On  disait  jadis  que  les  étymologistes  regardaient  les  voyelles  comme 
rien  et  les  consonnes  comme  peu  de  chose;  M.  D.  n'en  est  pas  là, 
mais  il  conclut  volontiers  d'une  loi  phonétique  à  un  fait  possible  et  de 
suppositions  en  suppositions  il  en  arrive  à  l'absolue  invraisemblance  : 
il  ramène  par  exemple  le  basque  aho  «  bouche  »  à  un  primitif  buka  ou 
kabu  auquel  il  apparente  bucca  et  4''V7i,  et  le  basque  harri  «  pierre  >> 
à  un  primitif  kharra  identique  (?)  au  sanscrit  karkara. 

Desinit  in  piscem..-  piteux  résultat  de  travaux  scientifiquement  et 


d'histoire  et  de  littérature  5  I  3 

méthodiquement  commencés!  C'est  toujours  la  même  erreur  :  on  ne 
s'occupe  que  des  mots  et  l'on  ne  tient  aucun  compte  de  la  grammaire 
c'est-à-dire  de  ce  qui  résume  véritablement  le  «  génie  »  d'une  langue. 
Or,  il  ne  saurait  évidemment  y  avoir  rien  de  commun  entre  le  méca- 
nisme morphologique  et  syntactique  du  basque  et  celui  des  langues 
indo-européennes.  Les  démonstrations  et  les  conclusions  de  M.  Darri- 
carrère  pèchent  irrémédiablement  par  la  base. 

Julien  ViNsoN. 


P.  Weisengrun,  Der  Marxismus  und  das  Wesen  [der  sozialen  Frage,  i  vol. 
in-8,  viii  et  480  p.  Leipzig,  Veit,  1900. 

Ce  grand  ouvrage  de  M,  Weissengrun,  annoncé  il  y  a  deux  ans  par 
une  brochure.  Das  Ende  des  Marxismus,  dont  j'ai  rendu  compte  ici 
même,  n'est  pas  seulement,  comme  le  titre  pourrait  le  faire  croire, 
un  examen  critique  du  Marxisme  mais  constitue  un  effort  des  plus  in- 
téressants pour  fonder  une  méthode  sociologique  nouvelle.  Il  se  divise 
en  trois  grandes  parties.  Dans  la  première  (p.  37-212),  M.  W.  exa- 
mine les  fondements  philosophiques  de  la  sociologie  de  Marx  :  sa 
doctrine  repose  sur  la  conception  matérialiste  de  l'histoire  ;  or,  cette 
conception  selon  M.  W.,  est  erronée  parce  qu'elle  repose  sur  l'hypo- 
thèse fausse  qu'il  y  a,  en  histoire  et  en  sociologie,  des  lois  [présentant 
le  caractère  absolu  des  lois  physiques.  Nous  devons,  en  réalité,  renon- 
cer à  donner  une  explication  définitive  des  faits  historiques,  mais 
nous  borner  à  une  Qy-pYicmùon provisoire  que  nous  obtiendrons  à  l'aide 
d'une  méthode  purement  «  heuristique  >>  et  qui  nous  fournira  une 
image  de  l'évolution  passée  de  l'humanité  ainsi  que  des  indications 
plus  ou  moins  certaines  sur  la  direction  probable  ou  possible  que 
prendra  cette  évolution  dans  l'avenir.  —  La  seconde  partie  du  livre  de 
M.  W.  (p.  21 3-352)  analyse  les  résultats  généraux  des  doctrines  éco- 
nomiques de  Marx  et  aboutit  à  un  bilan  qui  peut  se  résumer  ainsi  : 
la  théorie  de  la  lutte  des  classes,  la  description  de  l'évolution  de  la 
grande  industrie,  l'idée  de  l'organisation  politique  des  travailleurs 
sont  les  parties  les  plus  solides  de  l'œuvre  de  Marx.  D'une  manière: 
générale  toutefois,  son  système  est  caduc,  métaphysique  par  sa  mé- 
thode, matérialiste  et  mécanistepar  la  base  sur  laquelle  il  repose,  il  est' 
faux  dans  l'ensemble  ;  sa  notion  de  la  valeur  est  l'une  des  plus  étroi-' 
tes  qui  aient  jamais  été  proposées  ;  sa  loi  immanente  de  l'évolution  du 
capitalisQie  est  inexacte  (sauf  en  ce  qui  concerne  la  grande  industrie). 
Au  total,  le  marxisme  est  une  construction  logique  d'une  admirable  et 
grandiose  architecture,  il  séduit  parce  qu'il  n'est  pas  seulement  une 
doctrine  économique  mais  une  conception  générale  de  la  vie  ;  mais  il 
est  condamné,  il  a  fait  son  temps  et  il  est  parfaitement  vain  de  cher- 
cher à  le  restaurer  car  ses  défauts  sont  organiques  et  ne  peuvent  pas 


5  14  REVUE   CRITIQUE 

être  corrigés  par  des  amendements  superficiels.  —  La  troisième  partie 
(p.  353-421)  est  une  révision  des  notions  essentielles  de  la  sociologie. 
M.  W.  montre  par  des  analyses  ingénieuses  que  la  notion  d'indi- 
vidu comme  celle  de  société  ne  correspond  à  aucune  réalité  dans 
la  vie  sociale  et  que  la  notion  d'organisation  est  en  définitive  celle  qui 
possède  le  plus  haut  degré  de  réalité.  Il  précise  ensuite  quel  est  le  but 
final  vers  lequel  doit  tendre  l'évolution  sociale.  Dans  la  quatrième 
partie  enfin  (p.  425-480)  il  esquisse  dans  ses  grandes  lignes  la  politi- 
que qu'il  veut  opposer  à  celle  du  marxisme,  il  indique  les  mesures 
pratiques  par  lesquelles  la  société  contemporaine  doit  s'acheminer 
vers  son  but  idéal. 

Il  ne  saurait  être  question,  dans  les  limites  de  ce  compte  rendu, 
d'exposer  et  de  discuter  dans  le  détail  les  idées  de  M.  W.  Je  me  bor- 
nerai ici  à  signaler  l'un  des  motifs  de  son  ouvrage  qui  m'a  paru  tout 
particulièrement  caractéristique  et  original.  M.  W.  est  convaincu  que 
l'une  des  erreurs  capitales  de  Marx  est  d'avoir  prétendu  expliquer 
toute  l'évolution  sociale  et  économique  de  l'humanité  par  des  causes 
matérielles,  et  d'avoir  tenu  pour  négligeables  les  facteurs  psychiques 
qui  exercent  certainement  aussi  une  influence  considérable  sur  cette 
évolution.  Et  pour  montrer  quelle  est  la  nature  de  cette  influence,  il  a 
recours  à  une  conception  empruntée  partiellement  à  la  philosophie  de 
Nietzsche. Nietzsche  est  le  premierà  avoir  misen  lumière  dans  toute  son 
importance  cette  grande  loi  qui  domine  selon  lui  toute  la  psychologie 
individuelle  ou  sociale:! 'homme,  àtoute  époque,  aune  table  des  valeurs 
qui  détermine  tous  ses  jugements  et  tous  ses  actes,  et  cette  table  des 
valeurs  est  susceptible,  selon  les  individus  et  les  époques,  de  varia- 
tions fort  étendues.  C'est  de  cette  notion  de  la  table  des  valeurs  que  . 
M.  W.  s'empare  pour  en  tirer  une  explication  psychologique  de  l'évo- 
lution sociale.  Il  existe,  dit-il,  en  tout  temps,  un  ensemble  de  valeurs 
moyennes,  reconnues  par  tous  les  individus  appartenant  à  un  groupe 
social  donné,  et  cela  quel  que  soit  leur  degré  de  culture.  Or,  cette 
table  des  valeurs  varie  peu  à  peu,  et  cela  non  pas  d'une  façon  arbi- 
traire, en  vertu  de  l'influence  fortuite  de  tel  ou  tel  grand  génie,  mais 
d'une  façon  tout  à  fait  nécessaire,  sous  l'action  de  ce  que  M.  W.  ap- 
pelle la  «  loi  de  la  complication  sociale.  »  Les  valeurs  reconnues  par 
l'homme  primitif  sont  immédiates,  c'est-à-dire  qu'il  estime  toute  chose 
dans  la  mesure  où  elle  sert  à  satisfaire  des  besoins  physiques  immé- 
diats. Mais  à  mesure  que  l'homme  se  civilise,  il  se  crée  une  série  de 
valeurs  médiates  et  dérivées,  comme  l'honneur,  la  richesse,  etc.,  qui, 
estimées  d'abord  simplement  comme  moyen  de  satisfaire  les  besoins 
immédiats,  sont  peu  à  peu  Q%x\mées,  pour  elles-mêmes  et  considérées 
comme  bonnes  en  soi.  Et  l'importance  de  ces  valeurs  va  sans  cesse  en 
augmentant.  M.  W.  pose  la  formule  suivante  :  «  L'évolution  des  va- 
leurs psychiques  se  fait  de  telle  sorte  que  les  valeurs  moyennes  devien- 
nent, dans  leur  totalité,  toujours  plus  médiates  ou,  pour  m'exprimcr 


d'histoire  et  de  littérature  5i5 

avec  plus  de  précision,  atteignent  un  degré  toujours  plus  haut  de 
complication  sociale  »  (p.  149).  A  certaines  époques  glorieuses  comme 
la  Renaissance  où  il  y  a  harmonie  parfaite,  chez  Thomme,  entre  les 
instincts  et  la  culture,  ces  valeurs  médiates  sont,  selon  l'expression  de 
M.  W.,  kultiirnotwendig.  Au  xix^  siècle  les  valeurs  médiates  que  nous 
reconnaissons  perdent  ce  caractère  de  nécessité  ;  nous  ne  percevons 
plus,  en  général,  de  rapport  immédiat  entre  ces  valeurs  et  la  culture 
d'aujourd'hui  ;  pour  prendre  un  exemple  particulier,  l'art  n'est  plus 
perçu  aujourd'hui  comme  il  l'était  au  temps  de  la  Renaissance  comme 
un  facteur  intégrant  et  nécessaire  de  la  culture  ;  pour  la  plupart  des 
modernes  il  est  un  luxe,  quelque  chose  d'artificiel  et  de  factice.  —  Or, 
cette  théorie  de  la  complication  sociale  fournit  à  M.  W.  l'interpréta- 
tion psychologique  de  l'évolution  sociale  que  le  marxisme  se  mon- 
trait incapable  à  nous  donner.  Ce  n'est  pas  uniquement  le  développe- 
ment du  régime  capitaliste  qui  cause  le  malaise  de  l'époque  présente  ; 
le  capitalisme  lui-même  a  pour  fondement  un  ensemble  de  valeurs 
psychiques,  une  table  des  valeurs.  C'est  là  qu'il  nous  faut  chercher  la 
raison  dernière  du  mal  dont  nous  souffrons.  La  bourgeoisie  d'aujour- 
d'hui souffre  parce  qu'elle  a  inscrit  en  tête  de  sa  table  des  valeurs 
la  richesse  et  le  confort  alors  que  l'homme  de  la  Renaissance  y  plaçait 
la  puissance  et  l'honneur  ;  elle  souffre  surtout  parce  que  les  valeurs 
moyennes  admises  aujourd'hui  ont  presque  toutes  perdu  \quv  Kultiif- 
notwendigkeit.  Et  de  même  le  but  de  l'évolution  sociale  n'est  pas  sim- 
plement la  destruction  du  capitalisme  et  l'avènement  du  collectivisme  ; 
il  consiste  dans  le  retour  aux  valeurs  de  la  Renaissance,  à  une  culture 
non  plus  factice  mais  harmonieuse  et  nécessaire  dans  toutes  ses  par- 
ties, à  une  culture  qui  ne  sera  plus  le  privilège  d'une  petite  élite,  mais 
qui  se  répandra  progressivement  dans  les  masses  et  effacera  peu  à  peu 
les  inégalités  en  élevant  sans  cesse  le  niveau  des  classes  inférieures. 

On  le  voit,  le  livre  de  M.  W.  ne  s'adresse  pas  uniquement  aux  éco- 
nomistes, mais  d'une  manière  générale  à  tous  ceux  qu'intéresse  l'évo- 
lution de  la  culture  allemande.  L'auteur  a  fait  un  très  intéressant 
effort  pour  remonter,  par  delà  les  problèmes  techniques,  aux  problè- 
mes philosophiques  et  psychologiques  qui  les  conditionnent.  Egale- 
ment éloigné  des  purs  agnostiques  qui  réduiraient  volontiers  la  socio- 
logie à  la  simple  histoire  des  formes  sociales  'passées  et  des  métaphy- 
siciens qui  déforment  la  réalité  dans  leurs  systèmes  dogmatiques,  il  se 
rapproche  par  ses  tendances  générales  des  philosophes  qui  préconisent 
le  «  retour  »  à  Kant  ou  à  F. -A.  Lange  ;  comme  eux  il  veut  baser  la 
sociologie  non  plus  sur  une  métaphysique  matérialiste,  mais  sur  une 
théorie  cri'tique  de  la  connaissance.  Nombre  de  chapitres  de  son  livre 
témoignent  d'un  esprit  d'analyse  très  fin  et  très  sûr  ;  je  citerai  comme 
particulièrement  intéressante,  outre  son  essai  sur  la  «  complication 
sociale  »,  sa  comparaison  du  Darwinisme,  du  Marxisme  ci  de  la  théo- 
rie de  la  complication  (p.  202  ss.),  son  esquisse  d'une  économie  politi- 


' 


5  1  6  REYUE    CRITIQUE 

que  fondée  sur  Fintuition  de  la  réalité  concrète  et  non  sur  des  catégo 
ries  métaphysiqu^îs  (p.  348  ss.)  ses  très  intéressants  jugements  sur" 
Nietzsche  (p.  184  ss.  et  368  s.),  etc.  Au  total,  c'est  un  ouvrage  origi- 
nal et  suggestif  qui,  s'il  ne  donne  peut-être  pas  beaucoup  de  résultats 
définitifs,  a  le  mérite  de  poser  des  problèmes  nouveaux  et  intéressants, 
et  doit  être  signalé  à  l'attention  de  ceux  qui  suivent  le  mouvement  des 


idées  en  Allemagne. 


Henri  Lichtenberger. 


Lettre  de  M.  Salomon  Reinach. 
Mon  cher  Directeur, 

Un  entrefilet,  publié  dans  un  journal  du  matin  et  gracieusement  expédié  à  beau- 
coup de  membres  de  l'Institut,  m'accuse  d'avoir  insulté  six  de  mes  confrères  dans 
le  n*  45  de  la  Revue,  p.  356. 

C'est  un  mensonge,  et  la  manière  dont  on  le  colporte  prouve  qu'il  émane  d'un 
de  ces  hommes  par  qui  il  vaut  mieux  être  pendu  que  loué. 

Tout  à  vous. 

Salomon  Reinach. 

Lettre  de  M.  P.  Feret. 

Saint-Maurice,  le  2  décembre  1900. 

A  Monsieur  R.  attaché  à  la  rédaction  de  la  Revue  critique  d'histoire  et  de  litté- 
rature. 

Monsieur, 

MM.  Picard,  libraires-éditeurs,  viennent  de  m'expédier  la  Revue  critique  d'his- 
toire et  de  littérature,  n°  du  12  novembre  dernier,  dans  lequel  j'ai  lu  un  article  de 
vous  sur  la  Faculté'  de  théologie  de  Paris  et  ses  docteurs  les  plus  célèbres. 

Vous  pouvez  avoir  le  droit  de  formuler  des  critiques  et  de  m'adresser  des  con- 
seils, comme  j'ai  incontestablement  celui  d'apprécier  la  vérité  des  unes  et  la  jus- 
tesse des  autres. 

A  vous  entendre,  je  serais  un  0  sectaire  »  et  j'obéirais  à  des  <<  passions  )j.  Je 
m'en  serais  jamais  douté,  cherchant  toujours  à  rendre  justice  à  chacun. 

Libre  à  vous  de  dire  que  je  me  montre  fort  peu  capable  de  comprendre  (([l'inélucta- 
ble nécessité  du  mouvement  de  la  réforme  ».  Vous  voudrez  bien  sans  doute  m'ac- 
corder  la  liberté  de  comprendre  la  nécessité  de  la  réforme,  non  dans  le  sens  de 
Luther  et  de  Calvin,  mais  comme  l'entendait  le  concile  de  Trente. 

Au  sujet  de  l'inquisition,  vous  oubliez,  intentionnellement  peut-être,  que  je  me 
place  uniquement  au  point  de  vue  des  principes  <(  religieux  ou  constitutionnels  » 
de  l'époque,  pour  expliquer,  mais  en  déplorant  les  abus  et  les  excès,  les  sentences 
des  «  tribunaux  inquisitionnaires  et  des  parlements  ou  autres  tribunaux  analo- 
gues, fonctionnant  dans  les  états  de  la  chrétienté.  » 

Et  c'est  en  cet  endroit  de  mon  livre  que  se  trouve  ce  que  vous  appelez  «  des  tira- 
des sur  l'affaire  Dreyfus  ».  Ces  cinq  lignes  : 

«  Les  Protestants  n'ont  cessé  de  considérer  la  France  comme  une  terre  à  con- 
«  quérir.  Et,  pour  cela,  toutes  les  circonstances  sont  mises  à  profit,  tous  les  moyens 
«  semblent  bons.  Au  xvi^  siècle,  ils  en  appelaient  aux  armes.  Au  xix«,  ils  en  ap- 
a  pellent  à  la  domination  par  les  places  et,  dans  l'antipatriotique  campagne  en 
«  faveur  de  l'aftaire  Dreyfus,  ils  n'ont  pas  craint  de  faire  alliance  avec  les  Juifs  et 
«  la  franc-maçonnerie;  »  ces  cinq  lignes,  que  j'écrirais  encore,  tant  elles  sont  l'ex- 


d'histoire  et  de  littérature  517 

pression  de  la  vérité  !  placées  simplement  en  note,  constitueraient-elles  donc  des 
«  tirades  »  !!!  Il  me  semble  que  c'est  montrer  un  peu  trop  le  bout  de  l'oreille. 

Comment,  diantre,  découvrez-vous  «  des  plaisanteries  d'un  goût  douteux  »  dans 
cette  phrase  :  «  Le  ciel  aurait  donc  vouJu  saluer  et  venger  à  l'avance  la  mort  de 
son  apôtre.  Du  reste,  les  conséquences  de  la  fameuse  gelée  blanche  ne  furent  pas 
aussi  désastreuses.  » 

Vous  trouvez  naturel  et  bien,  qu'au  xix«  siècle  la  France  protestante,  M.  Wciss 
et  autres  fervents  adeptes  de  la  religion  réformée  continuent  à  donner  couram- 
ment aux  docteurs  de  Paris,  comme  si  les  injures  étaient  incontestablement  méri- 
tées, les  épithètes  d'ignorants,  de  pédants,  d'orgueilleux,  etc.,  c'est  pour  le  moins 
étrange  chez  un  homme  qui  prétend  faire  de  la  critique  !  Quant  à  moi,  je  me  suis 
appliqué  dans  ce  volume,  comme  dans  le  suivant,  à  les  apprécier  à  leur  juste 
valeur. 

Relativement  à  une  phrase  que  vous  relevez,  je  confesse  que  j'ai  eu  tort  de  ne 
pas  remarquer,  pour  en  faire  l'objet  d'un  erratum,  que  «  contre  »  avait  été  im- 
primé à  la  place  de  «  pour  ».  Mais  le  lecteur  n'aura  pas  de  mal  à  découvrir  la 
faute  typographique. 

Il  m'est  toujours  pénible  de  suspecter  la  sincérité  des  gens.  Puisque  vous  par- 
lez de  «  sérieux  »,  je  préfère  mettre  votre  sérieux  en  cause  dans  la  circonstance. 
Est-ce  donc  sérieusement  que  vous  me  reprochez  de  prendre  «  l'accusatif  pour  le 
nominatif  »,  en  appelant  «  par  exemple  Brent:^en  et  Belimen  des  gens  qui  s'appe- 
laient Brent^  et  Boelim  »,  de  commettre  d'autres  erreurs,  en  faisant  «  de  l'astro- 
nome J.  Muller  de  Kœnigsberg  (regiomontanus)  un  Régie  Montan  plus  ou  moins 
authentique  »,  en  nommant  «  Carlstadt  Carlostad  »,  en  donnant  à  Othon  Brunfels 
la  qualité  de  «  gentilhomme  »  ? 

Est-ce  que  je  n'ai  pas  écrit,  p.  171,  avec  les  biographes  :  n  Jean  Brent^en  on 
Brent:{...  >>  ?  (Voir,  entr'autres,  car  en  ce  moment  je  n'ai  que  des  biographies  sous 
la  main,  la  Nouvelle  Biographie  générale  et  le  Dictionnaire  de  Biographie  Chré- 
tienne). 

Est-ce  que  p.  409,  après  avoir  traduit  en  français  —  et  je  ne  suis  pas  le  seul  qui 
le  fait  —  le  nom  latin  adopté  par  le  savant  ',  je  ne  donne  pas  son  propre  nom  : 
«  Jeati  Muller  »  ? 

Est-ce  que  le  nom  du  fameux  réformateur,  doctorisé  par  Luther  ',  ne  s'orthogra- 
phie pas  à  la  fois  :  Carlstadt,  Karlstadt,  Carlostadt  ?  Et  même  ce  dernier  nom 
n'est-il  pas  plus  souvent  écrit  ?  ' 

Ai-je  faitd'Othon  Brunfels  un  gentilhomme  ?  Vous  le  dites.  Je  ne  me  le  rappelle 
aucunement  et  je  ne  puis  trouver  l'endroit.  J'ai  parlé  tout  particulièrement 
d'Olhon  Brunfels  aux  pages  142  et  208,  et  là  pas  un  mot  de  sa  gcntilhommerie. 
Mais,  si  par  inadvertance  j'ai  commis  cette  erreur,  je  m'empresserai  de  la  cor- 
riger *. 

Assurément,  Monsieur,  vous  reconnaîtrez  mon  droit  de  réponse   et  vous  tien- 
drez à  ce  que  ces  lignes  soient  insérées  dans  le  prochain  numéro  de  la  Revue. 
Veuillez  agréer,  Mohsieur,  l'assurance  de  ma  considération  très  distinguée. 

P.  P'eret. 


1.  M.  F.  oublie  seulement  qu'il  n'a  pas  écrit  Regiomontanus  mais  Regio  Mon- 
tanus.  —  R.* 

2.  Malheureusement  pour  le  beau  néologisme  forgé  par  M.  F.,  André  Bodcns- 
tein,  dit  Carlstadt  (d'après  le  mss.  de  sa  ville  natale),  était  docteur  depuis  i5io, 
tandis  que  Luther  ne  le  devint  qu'en  i5i2.  —  R. 

3.  Aucun  savant  n'a  jamais  écrit  Carlostadt  en  français,  pas  plus  que  Brcnt^en 
ou  Behmen.  —  R. 

4.  C'est  p.  208,  1.  3.  qu'on  lit  «  Othon  de  Brunfels  ».  —  R.  '' 


5l8  REVUE    CRITIQUE 

Mon  cher  directeur, 

Vous  venez  de  me  communiquer  le  factum,  de  style  un  peu  familier,  que  vous 
avez  reçu  de  M.  l'abbé  Feret,  à  propos  de  mon  article.  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit 
bien  nécessaire  d'y  répondre  longuement,  puisque,  sauf  sur  la  question  de  «  bon 
goût  »,  que  j'abandonne  au  jugement  de  nos  lecteurs,  toutes  les  observations  de 
détail  consignées  dans  mon  compte-rendu,  y  sont  plus  ou  moins  explicitement  con- 
cédées, ne  fut-ce  que  par  prétérition.  Je  constate  seulement  —  sans  apprécier  le  fait  — 
que  l'auteur  d'un  livre  à  prétentions  scientifiques,  et  qui  s'indigne  de  ce  que  j'y  ai  si- 
gnalé des  traces  de  «  passion  »  et  «  d'esprit  sectaire  »,  répète,  une  fois  de  plus,  contre 
près  d'un  million  de  ses  concitoyens,  l'accusation  calomnieuse  de  manquer  de  pa- 
triotisme, et  qu'il  l'aggrave  en  affirmant  solennellement  qu'elle  est  «  l'expression  de 
la  vérité  »  même.  Quant  à  discuter  des  idées  générales  avec  un  écrivain  si  peu 
disposé  à  admettre  que  toutes  les  grandes  révolutions  de  l'humanité,  depuis  l'avé- 
nement  du  christianisme  jusqu'à  la  Révolution  française,  ont  été  inéluctables  et  se 
sont  produites  par  la  force  même  des  choses,  c'est  une  tache  trop  ingrate  pour  que 
j'éprouve  la  moindre  envie  de  l'aborder  ici.  Mais  puisque  l'occasion  se  présente  de 
réparer  une  faute,  à  laquelle  le  typographe  a  eu  d'ailleurs  plus  de  part  que  le  cri- 
tique et  que  M.  l'abbé  Feret  aurait  pu  me  reprochera  bon  droit,  je  m'empresse  de 
la  signaler  moi-même  aux  lecteurs  de  la  Revue.  J'avais  écrit  que  M.  l'abbé  Feret 
avait  utilisé  surtout  le  mémoire  de  M.  L.  Delisle  sur  un  registre  de  la  faculté  de 
théologie,  déposé  à  la  Bibliothèque  Nationale,  ainsi  que  les  Actes  de  Baudrand, 
manuscrit  appartenant  à  Saint-Sulpice.  Les  mots  soulignés  ont  disparu  à  l'impres- 
sion et  l'on  a  pu  croire  ainsi  que  l'auteur  ignorait  oit  se  trouvait  le  registre  offert 
par  M.  le  duc  de  la  Trémoille.  C'est  la  seule  chose  dont  j'aie  à  lui  -demander  par- 
don et  je  le  fais  volontiers,  sans  compter  sur  la  réciproque". 

R. 


—  La  Commission  royale  d'histoire  de  Belgique  publie  le  rapport  sur  les  Chro- 
niques de  Brabant  que  lui  ont  présenté  M.  Alfred  Cauchie  professeur  à  l'Univer- 
sité de  Louvain  et  son  élève,  M.  Alphonse  Bayot  {Les  Chroniques  brabançonnes, 
Bruxelles,  Kiessling,  igoo,  62  pp.,  in-8').  Les  auteurs  de  ce  rapport  y  énumèrent 
quarante-cinq  auteurs  ou  œuvres  anonymes,  de  valeur  fort  diverse,  depuis  Sige- 
bert  de  Gembloux  (7  11 12)  jusqu'à  Jean  Gielemans  (f  1487),  donnant  quelques 
courtes  indications  biographiques  sur  les  écrivains  connus,  sur  l'originalité  plus 
ou  moins  grande  de  leur  œuvre,  ajoutant  leur  bibliographie  quand  ils  ne  sont  pas 
inédits  (ce  qui  est  le  cas  pour  le  plus  petit  nombre)  ou  momentanément  perdus. 
Les  signataires  terminent  par  la  déclaration  que  la  plupart  des  chroniques  déjà 
mises  au  jour  l'ont  été  dans  des  conditions  assez  satisfaisantes  pour  qu'on  ne  doive 
pas  dépenser  son  temps  ni  son  argent  à  les  rééditer  une  seconde  fois;  il  serait 
préférable  de  s'appliquer  à  la  recherche  de  quelques-uns  des  textes,  égarés  île  nos 
jours  et  qui  se  cachent  sans  doute  sur  les  rayons  de  quelque  collection  publique 
ou  particulière  et  de  publier  certains  des  manuscrits  inédits,  indiqués  dans  la  liste 
qu'ils  ont  donnée  plus  haut  ;  un  Corjjws  des  Chroniques  monastiques  du  Brabant 
serait  également,  à  leur  avis,  une  œuvre  des  plus  utiles  et  qui  devrait  être  entre- 
prise prochainement.  —  R. 

—  L  auteur  de  l'important  travail  sur  la  propriété  foncière  dans  les  villes  du 
moyen  âge  et  spécialement  en  Flandre,  était  tout  particulièrement  à  même  de  retra- 
cer, en  quelques  pages  expressives,  le  tableau  si  curieux  des  crises  sociales,  qui 
tout  autant  que  les  querelles  religieuses  et  politiques,  ont  travaillé  les  populations 
urbaines  du  xiii"  et  du  xiv"  siècles  et  amené  les  luttes  acharnées  de  la  haute  bour- 


v'. 


D  HISTOIRE   ET   DE    LITTERATURE  .Sig 

geoisie  et  du  prolétariat.  Ces  crises,  qui  n'ont  été  nulle  part  plus  violentes  qu'aux 
Pays-Bas,  M.  Des  Marf.z  nous  les  présente  en  résumé  dans  son  étude  Les  luttes 
sociales  en  Flandre  au  moyen  âge,  tirage  à  part  de  la  Revue  de  l'Université  de 
Bruxelles  (Bruxelles,  Lefèvre  imprimeur,  1900,  36  pp.,  in-S").  Le  savant  archiviste 
de  la  capitale  belge  nous  y  explique  d'une  façon  convaincante,  que  ni  la  langue  ni 
la  race  n'ont  joué  de  rôle  appréciable  dans  ces  dissensions,  suscitées  par  les  inté- 
rêts matériels  divergents  des  entrepreneurs  capitalistes,  des  petits  patrons  et  de  la 
niasse  des  salariés,  qui  se  voyaient  privés  de  tout  espoir  d'arriver  au  bien-Otre  des 
privilégiés.  Le  triomphe  trop  exclusif  des  opprimés  à  un  certain  moment  ne  per- 
mit pas  aux  démocraties  urbaines  d'alors  de  conserver  longtemps  les  libertés  con- 
quises ;  l'histoire  de  tous  les  temps  nous  enseigne  que  la  paix  durable  ne  peut 
naître  que  d'un  équilibre  sincère  dans  un  même  milieu,  d'un  accord  loyal  entre 
les  forces  sociales  en  présence  ;  c'est  la  réalisation  de  cet  accord  difficile  sur  le  ter- 
rain matériel  et  politique  qui  reste  la  tâche  ardue  mais  obligatoire  de  la  démo- 
cratie moderne.  —  R. 

—  M.  G.  Des  Marez,  qui  se  propose  d'étudier  en  détail  un  fonds  de  8,000  chiro- 
graphes  du  xiii'  siècle,  découverts  récemment  dans  le  riche  dépôt  des  archives 
communales  d'Ypres,  a  donné  un  aperçu  de  la  nature  et  de  l'intérêt  de  ces  docu- 
ments dans  un  article  intitulé  La  lettre  de  foire  au  xiii°  siècle,  qui  a  paru  dans  la 
Revue  de  droit  international  et  de  législation  comparée  (t.  I  de  la  2"  série;  tirage 
à  part,  in-S"  de  14  pages).  C'est  une  utile  contribution  à  l'histoire  des  origines  des 
papiers  de  crédit,  car  jusqu'ici  la  lettre  obligatoire  ou  lettre  de  foire  n'était  guère 
connue,  faute  de  spécimens  assez  variés  et  assez  nombreux.  M.  Des  Marez  en  a 
indiqué  les  caractères  essentiels  et  a  clairement  démontré  le  rôle  commercial 
qu'elle  a  exercé  avant  d'être   détrônée  par  la  lettre  de  change.  —  L.-H.  L. 


ACADÉMIE  DES  INSCRIPTIONS  ET  BELLES-LETTRES 


Séance  publique  annuelle  du  16  novembre  igoo. 

Ordre  des  ^pctures  : 

i"  Discours  de  M.  Robert  de  Lasteyrie,  vice-président,  annonçant  les  prix  décer- 
nés en  igoo  et  les  sujets  des  prix  proposés; 

2°  Notice  historique  sur  la  vie  et  les  travaux  de  M.  Edmond  Le  Blant,  membre 
ordinaire  de  l'Académie,  par  H.  Wallon,  secrétaire  perpétuel; 

3°  Reflets  de  l'Orient  sur  le  théâtre  de  Calderon,  par  M.  Dieulafoy,  membre  libre 
de  l'Académie. 

Séance  du  3o  novembre  igoo  '. 

MM.  Emile  Legrand  et  Ulysse  Robert  écrivent  à  M.  le  secrétaire  perpétuel  qu'ils 
retirent  leur  candidature  à  la  place  de  membre  ordinaire  vacante  par  le  décos  de 
M.  Ravaisson. 

M.  le  D"-  Hamy  offre  à  la  Bibliothèque  de  l'Institut  une  gravure  de  Girardot  qui 
représente  les  cinq  Directeurs  et  le  ministère  assistant  à  la  première  séance  de 
l'Institut  national  dans  une  des  salles  basses  du  Louvre  (salle  des  Cariatides),  le 
i5  germinal  an  IV. 

Séance  du  7  décembre   igoo. 
M.  le  secrétaire  perpétuel  rend  compte   de  la  réception  solennelle  organisée  en 

I .  Pour  la  séance  du  a3  novembre,  voir  n"  3i . 


1.  Châtelain 

6 

Chavannes 

6 

Paul  Girard 

8 

Léger 

6 

Thomas 

3 

Valois 

8 

o 

o 

o 

o 

o 

0 

i8 
5 

24 

I 

i3 

lO 

520  REVUE    CRITIQUE    d'hISTOIRE   ET    DE    LITTÉRATURE 

l'honneur  de  M.  Foureau,  à  la  Sorbonne,  par  la  Société  de  géographie.  Cette  récep- 
tion a  eu  lieu  le  mercredi  5  décembre.  M.  le  secrétaire  rappelle  que  M.  Foureau 
a  reçu  de  l'Académie  plusieurs  subventions  dont  le  total  se  monte  à  la  somme  de 
40.000  francs. 

L'Académie  procède  à  la  nomination  de  deux  commissions  chargées  de  dresser 
des  listes  de  présentation  de  correspondants  étrangers  et  nationaux. 

Sont  élus,  pour  la  liste  de  présentation  des  correspondants  étrangers:  MM.Per- 
rot,  Pans,  Weil  et  Boissier  ;  pour  celle  des  correspondants  nationaux  :  MM.  De- 
lisle,  Heuzey,  Héron  de  Villefosse  et  Croiset. 

L'Académie  décide  qu'il  y  a  lieu  de  remplacer  M.  Max  MûUer,  associé  étranger, 
décédé  il  y  a  plus  d'un  mois. 

L'Académie  se  forme  en  comité  secret. 

L'Académie  (procède  à  l'élection  d'un  membre  ordinaire  en  remplacement  de- 
M.  Ravaisson.  Les  votants  sont  au  nombre  de  Sy.  La  majorité  estde  19. 

!«'■  tour  2"  tour        3«  tour  4*  tour        5^  tour 

5  4 

I  o 

t  .? 

•         7  6 

12  14 

Aux  deux  derniers  tours,  les  votants  n'étaient  plus  qu'au  nombre  de  36.  Au  der- 
nier tour,  il  y  a  eu  un  bulletin  nul.  —  M.  Louis  Léger,  professeur  au  Collège  de 
France,  ayant  obtenu  la  majorité  des  suffrages  exprimés,  est  proclamé  élu.  Son 
élection  sera  soumise  à  l'approbation  de  M.  le  Président  de  la  République. 

Séance  du  14  décembre  i goo. 

M.  Louis  Léger,  professeur  au  Collège  de  France,  élu  membre  ordinaire  de 
l'Académie  vendredi  dernier,  est  introduit  en  séance. 

M.  Clermont-Ganneau  communique  des  extraits  d'une  lettre  du  P.  Germer- 
Durand,  de  Jérusalem,  relative  à  la  découverte  d'une  série  d'épigraphes  romaines 
gravées  le  long  d'un  aqueduc  antique  de  Jérusalem,  dont  on  avait  successivement 
attribué  la  construction  à  Salomon,  à  Ponce  Pilate,  à  Hérode.  Il  résulte  de  ces 
inscriptions  que  cet  aqueduc,  remarquable  au  point  de  vue  technique,  a  été  en 
réalité  construit  en  195,  sous  le  règne  de  Septime  Sévère,  par  les  soins  des  ingé- 
nieurs militaires  de  la  x^  légion,  tenant  garnison  à  Jérusalem. 

M.  Franz  Cumont  communique  le  texte  d'un  serment  de  fidélité  à  l'empereur 
Auguste,  texte  découvert  par  lui  à  Vézir-Keupru,  dans  l'ancienne  Paphlagonie. 
Cette  inscription  établit,  contrairement  à  l'opinion  généralement  reçue,  que  V'^ézir- 
Keupru  occupe  l'emplacement  de  la  ville  de  Phazimon.  Cette  ville  prit  depuis 
Pompée  le  nom  de  Néapolis,  depuis  Claude  celui  de  Néo-Claudiopolis,  et  à  l'épo- 
que chrétienne  celui  d'Andrapa,  mais  ces  quatre  appellations  désignent  une  même 
cité.  Ce  fait  aujourd'hui  acquis  oblige  à  reculer  vers  l'Est  la  frontière  de  la  Pa- 
phlagonie. L'inscription  est  datée  de  la  troisième  année  de  cette  province,  c'est-à- 
dire  de  l'an  3  a.  C.  Elle  prouve  que  presque  immédiatement  après  l'annexion  les 
villes  du  pays  avaient  consacré  des  temples  et  organisé  un  culte  en  l'honneur 
d'Auguste.  Mais  l'intérêt  de  ce  document  est  surtout  politique.  On  ne  possède 
dans  le  texte  authentique  que  deux  serments  d'allégeance  à  un  empereur;  ce  troi- 
sième serment  est  plus  ancien  que  les  autres,  et  il  démontre  que  les  formules 
juratoires  adoptées  par  les  Césars  sont  une  reproduction  de  celles  qui  longtemps 
auparavant  étaient  en  usage  dans  les  monarchies  asiatiques.  Auguste,  qui  à  Rome 
n'est  en  théorie  qu'un  simple  magistrat,  règne  en  Paphlagonie  comme  successeur 
de  l'ancienne  dynastie  nationale. 

L'Académie  procède  à  l'élection  des  commissions  suivantes  : 

Commission  pour  présenter  un  candidat  à  la  place  d'associé  étranger  vacante 
par  la  mort  de  M.  Max  Mûller  :  MM.  Perrot,  Bréal,  Paris,  Boissier; 

Commission  des  Ecoles  d'Athènes  et  de  Rome  :  MM.  Heuzey,  Perrot,  Paris,  Fou- 
cart,  Weil,  Meyer,  Boissier,  Mùntz; 

Commission  de  l'Ecole  d'Extrême-Orient  :  MM.  Bréal,  Barbier  de  Mcynard,  Se- 
nart,  Clermont-Ganneau,  Hamy,  Barth. 

L'Académie  se  forme  en  comité  secret. 

Léon  Dorez. 

Propriétaire-Gérant  :  Ernest  LEROUX. 


Le  Puy,  imprimerie  Régis  Marchessou,  boulevard  Carnet,  23. 


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1007 
U5 
n.sér. 
t.  50 


Revue  critique  d'histoire  et 
de  litt(^rature 


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